N° 2178

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juillet 2019

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République,
quatorze ans après la loi du 11 février 2005,

 

 

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

 

 

Présidente

Mme Jacqueline DUBOIS

 

Rapporteur

M. Sébastien JUMEL

 

Députés

 

——

 

 

 

 

 

 Voir les numéros : 1565 et 1698


La commission d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, est composée de :

– Mme Jacqueline Dubois, présidente ;

 M. Sébastien Jumel, rapporteur ;

 M. Bertrand Bouy, M. Aurélien Pradié, Mme Cécile Rilhac, Mme Nathalie Sarles, vice-présidents ;

– Mme Géraldine Bannier, M. Christophe Bouillon, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Maxime Minot, secrétaires ;

– M. Patrice Anato, Mme Blandine Brocard, Mme Danièle Cazarian, M. Dino Cinieri, M. Marc Delatte, Mme Béatrice Descamps, Mme Marianne Dubois, Mme Nathalie Elimas, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Olivier Gaillard, Mme Monique Iborra, Mme Anissa Khedher, Mme Catherine Osson, M. Bertrand Pancher, Mme Béatrice Piron, Mme Mireille Robert, Mme Sabine Rubin, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Patrick Vignal.


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SOMMAIRE

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Pages

Mardi 19 mars 2019

1. Audition des associations ayant réalisé une enquête sur le déroulement de la dernière rentrée scolaire pour les élèves en situation de handicap : Mme Odile de Vismes, présidente de l’association Tous pour l’inclusion ! (Association TouPI), Mme Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France, et Mme Caroline Coutant, viceprésidente de l’association Info Droit handicap

2. Audition de Mme Sophia Catella, Mme Agnès Duguet et M. Julien Colombo, représentants du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs denseignement général de collège (SNUippFSU)

3. audition de Mme Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH)

Mardi 26 mars 2019

1. Audition de représentants de lUnion nationale des syndicats de léducation nationale CGT (UNSENCGT EducAction) : Mme Hélène Elouard, accompagnante délèves en situation de handicap (AESH) et animatrice du Collectif AESH national CGT, et M. YvanYvon Barabinot, professeur de lycée professionnel

2. audition de Mme Marie du Bouëtiez, administratrice de l’Association des directeurs de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et directrice de la MDPH du Val-de-Marne

Mardi 2 avril 2019

1. Audition d’associations représentant les personnes en situation de handicap : Mme Nathalie Groh, présidente, et Mme Nicole Philibert, membre de la Fédération française des Dys (FFDys), Mme Bénédicte Kail, conseillère nationale chargée de l’éducation et des familles de l’Association des paralysés de France (APF), M. Emmanuel Jacob, administrateur, et Mme Clémence Vaugelade, chargée de plaidoyer France, de l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI), et Mme Bérengère Chatellier, responsable du pôle Emploi, travail protégé et vie sociale, et M. Ali Rabeh, directeur de cabinet du président de la Fédération des Associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH)

2. Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

Mardi 30 avril 2019

1. Audition conjointe de M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (Arpejeh), Mme Bérangère Lopes, chargée de mission, et M. Fabrice Laffargue, conseiller, Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le Droit au Savoir et à l’Insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées (« Droit au savoir »), M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (Fédéeh), M. Jérémie Colomes, secrétaire général, et Mme Héléna Correia, responsable du pôle « Accompagnement dans les études », et M. Xavier Quernin, campus manager, chargé de mission handicap à UniLaSalle, M. Julien Soreau, responsable du pôle Diversité et égalité des chances de l’EM Normandie, et Mme Stéphanie Lefèvre, chargée de mission handicap de la commission Diversité de la Conférence des grandes écoles

2. Audition conjointe de Mme Elka Parvanova, viceprésidente de l’Association des professionnels d’Accompagnement du Handicap dans l’Enseignement supérieur (APACHES), et Mme Marie Coutant, membre du conseil d’administration, et M. Hervé Christofol, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP-FSU), et Mme Laurence Rasseneur, membre de la commission administrative

3. Audition conjointe de M. Jean-François Texier, adjoint à la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, et Mme Colette Damiot-Marcou, chargée de mission, et M. Philippe Vendrix, président de la commission Vie étudiante et vie de campus de la Conférence des présidents d’université (CPU)

Lundi 6 mai 2019

1. Audition de M. Jean-François Butel, inspecteur de l’éducation nationale, pôle inclusif ASH 76

2. Audition de Mme Dominique Berthault, enseignante référente handicap au collège Alexandre Dumas de Neuville-lès-Dieppe, et de Mme Blandine Lefebvre, première viceprésidente du département de la Seine-Maritime, chargée de l’action sociale, présidente par délégation de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de SeineMaritime, Mme Anne Vandenbulcke, responsable du pôle Accès aux droits, Mme Laetitia Namur, responsable adjointe du pôle Évaluation et accompagnement, et M. Nicolas Flipo, adjoint de direction

3. Audition conjointe de Mme Ingrid Abraham, coordonnatrice ULIS au lycée professionnel de l’Émulation dieppoise de Dieppe, M. Laurent Belletre, coordonnateur ULIS à l’école élémentaire Paul Bert de Neuville-lès-Dieppe, M. François Caillé, psychologue scolaire à l’école élémentaire Louis de Broglie de Dieppe, M. Dominique Gamard, principal, et Mme Delphine Estienne, coordonnatrice ULIS au collège du Campigny de Blangy-sur-Bresle, Mme Céline Gosse, coordonnatrice ULIS au lycée professionnel Jean Rostand de Neufmesnil, M. Frédéric Weisz, coordonnateur ULIS au collège Claude Delvincourt de SaintAubin-sur-Scie et Mme Marie Leroux, coordonnatrice ULIS à l’école élémentaire Desceliers de Dieppe

4. Audition conjointe de Mme Claire Lysiane, M. Gianni Fourez et Mme Jennyfer Leclerc, accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à l’école élémentaire Sonia Delaunay de Dieppe

5. Audition conjointe de Mme Palmira Fras, directrice de l’école élémentaire d’Arques-la-Bataille, Mme Émilie Fourrier, enseignante de l’Unité d’enseignement élémentaire autisme (UEEA) de l’école Louis de Broglie de Dieppe, Mmes Sarah Leguillon et Valérie Carton, enseignantes de l’Unité d’enseignement externalisée (UEE) de la Traverse d’Omonville au lycée professionnel L’Émulation Dieppoise, et M. Kelim Boivin, responsable de service à l’IMPro de l’UEE de la Traverse d’Omonville

6. Audition de Mme Sophie Pierroux, parent d’élèves

7. Audition de Mme Christelle Defoort, parent d’élèves

8. Audition conjointe de Mmes Dorothée Goy et Nathalie Koenig, présidentes du Groupe de parole et de soutien des parents d’enfants dys de Dieppe et de son agglomération, Mme Nancy Couvert, directrice générale de l’Association de parents et amis de personnes en situation de handicap mental (APEI) de la Région Dieppoise, MM. Didier Detalminil, président, et Jean-Marc Rimbert, directeur général de l’Association départementale des Pupilles de l’Enseignement public, Mme Géraldine Ibled, présidente de l’Association des familles d’enfants extraordinaires (AFEE), et Mme Rachel Mangeot, directrice générale de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de Seine-Maritime

9. Audition conjointe de Mme Joëlle Ayache, représentant le Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SEUNSA), M. François-Xavier Durand, représentant la Confédération générale du travail (CGT), Mme Isabelle Heuzé, représentant le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC de la Fédération sociale unitaire (SNUipp-FSU), Mme Élisabeth Lechevallier, représentant la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (FCPE), et Mme Dany Duclos, enseignante référente

Mardi 7 mai 2019

1. Audition de Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements du second degré  Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU), et de M. Jérôme Motard, responsable du groupe Inclusion scolaireASH

2. Audition conjointe de Mme Virginie Cassand, membre du Collectif AESHloi 2005, M. Jérôme Antoine, membre du Collectif AESH Île-de-France, et M. Sébastien Monié, membre du Collectif AESH en action !

3. Audition de M. Franck Seurin, directeur général de Hanploi, Mme Véronique Bustreel, directrice Innovation, évaluation et stratégie de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), et M. Patrick Maigret, président de la Fédération nationale des associations régionales de centres de formation d'apprentis (FNADIR)

Mardi 14 mai 2019

1. Audition de M. Nicolas Eglin, président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPH), et Mme MarieChristine Philbert, vice-présidente

2. Audition de l’Association des maires de France (AMF) : Mme Virginie Lanlo, adjointe au maire de Meudon, Mme Nelly Jacquemot, responsable du département Action sociale, éducation, culture, sport, M. Sébastien Ferriby, conseiller Culture et éducation, et Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement

3. Audition de Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), et M. Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d’autonomie

Jeudi 16 mai 2019

1. Audition de Mme Jocelyne Grousset, secrétaire nationale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU), Mme Hélène Sester, secrétaire générale du syndicat national des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles (SNJSJA), Mme Élise Caperan, chargée de mission, et M. Gilles Laurent, chargé de mission, de la Fédération UNSA des métiers de l’éducation de la recherche et de la culture (UNSA-Éducation)

2. Audition de M. Rodrigo Arenas, co-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE), et Mme Isabelle Pinatel, administratrice

3. Audition de Mmes France Mochel et Caroline Moreau Fauvarque et MM. Pierre Naves, Marc Rolland et Yannick Tenne, auteurs du rapport conjoint de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR), de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et de l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) sur « L’évaluation de l’aide humaine pour les élèves en situation de handicap »

Mardi 21 mai 2019

1. Audition de Mme Stéphanie Jacquet, responsable du Collectif national « Une égalité des chances pour nos enfants TDAH » Mme Miora Rakotonarivo, référente du collectif pour le département de la Seine-et-Marne, Mme Christine Gétin, présidente de l’association HyperSupers, et Mme Diane Cabouat, administratrice

2. Audition de Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme, Mme Mylène Girard, secrétaire générale, et Mme Marine Redersdorff, chargée du dossier École inclusive

3. Audition de Mme Ana Bibay, directrice pédagogique de l’association Agir et Vivre l’Autisme, membre du Collectif Autisme, M. Bertrand Jacques, président de la Fondation Autisme, et M. Richard Pandevant, co-président de Réseau Autistes sans frontières

Mercredi 22 mai 2019

Audition par visioconférence de Mme Amandine Torresan, étudiante, professeur stagiaire

Mardi 28 mai 2019

1. Audition de l'Intersyndicale des personnels des Instituts nationaux de jeunes sourds (INJS) et de l'Institut national de jeunes aveugles (INJA) : M. Yves Dunand pour la Confédération générale du travail (CGT), Mme Laure Beyret pour Force ouvrière (FO) et Mme Hélène Sester pour le Syndicat des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles - Union nationale des syndicats autonomes (SNJSJA-UNSA)

2. Audition de Mme Jocelyne Dubois, présidente de l’Association des parents et amis des instituts nationaux (APA-INJ), et parent d'élève INJA, Mme Laura Catry, secrétaire de l'APA-INJ, parent d'élève INJS et élue au CVS et au CA de l'INJS, Mme Christine Hénault, parent d'élève INJA, élue au CVS et au CA de l'INJA, Mme Laëtitia Appourchaux, parent d'élève INJS, Mme Catherine Vella, présidente de l’Association nationale de parents d'enfants sourds (ANPES), et M. Philippe Quentin, vice-président de l’Union nationale des associations de parents d'enfants déficients auditifs (UNAPEDA)

3. Audition de Mme Françoise Garcia, vice-présidente de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), chargée de la prévention et de la promotion de la santé

Mardi 4 juin 2019

1. Audition de Mme Geneviève Mannarino, représentant l’Assemblée des départements de France (ADF), vice-présidente du conseil départemental du Nord, chargée de l’autonomie, M. Romain Boulant, collaborateur de cabinet, M. Jean-Michel Rapinat, directeur délégué de l’ADF chargé des politiques sociales, et Mme Ann-Gaëlle WernerBernard, conseillère pour les relations avec le Parlement

2. Audition de M. José Puig, directeur de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA)

3. Audition de M. Saïd Acef, représentant le Collège des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), directeur délégué à l’autonomie à l’ARS Nouvelle-Aquitaine.

Mardi 18 juin 2019

1. Audition de M. JeanMichel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse

2. Audition de Mme Sylvie Delattre, enseignante référente du pôle inclusif d’accompagnement localisé (PIAL) de Brie-Comte-Robert, Mme Christelle Doublet, AESH du secteur de BrieComte-Robert, Mme Consolation Parisy, enseignante référente du PIAL de Nemours, Mme Carole Delarocque, AESH du secteur de Nemours, et Mme Isabelle Deslandres, inspectrice de l’éducation nationale chargée de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés dans le département de la Seine-et-Marne (IEN-ASH).

Mercredi 19 juin 2019

Audition de Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées

Mercredi 10 juillet 2019

Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation


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   Mardi 19 mars 2019

1.   Audition des associations ayant réalisé une enquête sur le déroulement de la dernière rentrée scolaire pour les élèves en situation de handicap : Mme Odile de Vismes, présidente de l’association Tous pour l’inclusion ! (Association TouPI), Mme Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France, et Mme Caroline Coutant, vice‑présidente de l’association Info Droit handicap

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission d’enquête débute ses travaux en auditionnant les représentants d’associations ayant réalisé une enquête sur le déroulement de la dernière rentrée scolaire des élèves en situation de handicap.

Nous recevons Mme Odile de Vismes, présidente de l’association Tous pour l’inclusion (TouPI), Mme Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France, et Mme Caroline Coutant, vice-présidente de l’association Info Droit Handicap.

Je vous souhaite, mesdames, la bienvenue.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Odile de Vismes, Danièle Langloys et Caroline Coutant prêtent successivement serment.)

Je vous donne la parole pour un court exposé, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

Mme Odile de Vismes, présidente de lassociation Tous pour linclusion (TouPi). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous remercier de votre invitation à cette audition.

Je suis la présidente de l’association TouPi, une association de défense des familles d’enfants qui ont un handicap cognitif. Nous accompagnons chaque année des centaines de familles dans les démarches liées au handicap de leur enfant. Les demandes concernant la scolarisation représentent plus de la moitié des demandes qui nous sont adressées par les familles. Depuis la rentrée de septembre, ce sont ainsi plus de 260 parents d’enfants handicapés qui nous ont contactés pour des problèmes liés à la scolarisation de leur enfant.

Ces familles nous parlent des auxiliaires de vie scolaire (AVS) qui accompagnent certains élèves handicapés en classe. Elles nous parlent en particulier de ceux qui sont absents, de ceux qui ne sont pas là à la rentrée, de ceux qui disparaissent en cours d’année parce que leur contrat aidé a pris fin ou parce qu’ils ont démissionné à force d’être payés au lance-pierre, de ceux qui sont en arrêt maladie ou en formation et que l’inspection d’académie ne remplace pas. Or, selon nos estimations, quand l’AVS est absent, dans près de 20 % des cas, l’enfant est déscolarisé.

Les familles nous parlent aussi du temps de scolarisation de leur enfant, qui est parfois réduit à presque rien. Certains des enfants scolarisés dans des classes ordinaires, d’autres dans des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), classes à petit effectif intégrées dans des écoles ordinaires, ne sont scolarisés qu’une heure par jour. Une heure par jour, c’est bon pour les statistiques : ces enfants sont officiellement scolarisés. Mais vous imaginez bien qu’un enfant ne peut pas apprendre, ou très peu, s’il bénéficie de six fois moins d’heures de scolarisation que ses camarades.

Les familles nous disent aussi que les besoins de leurs enfants ne sont ni compris ni reconnus parce que les enseignants et les auxiliaires sont insuffisamment formés pour être en mesure de répondre aux besoins de leurs enfants, et aussi parce que le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-SCO), rempli en réunion à l’école et destiné à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), ne permet pas de définir précisément les aménagements, les adaptations ni les compensations nécessaires à l’enfant. De plus, bien que la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoie que la MDPH rédige de manière systématique un projet personnalisé de scolarisation (PPS), il est, dans les faits, extrêmement rare qu’elle le fasse. Autrement dit, les besoins réels de l’enfant, les aménagements et les adaptations pédagogiques dont l’enfant devrait bénéficier ne sont généralement indiqués sur aucun document officiel.

Les familles nous parlent aussi de leurs enfants qui sont refusés à la cantine ou dans le cadre des activités périscolaires parce que personne ne veut assurer leur accompagnement. L’Éducation nationale et la mairie se renvoient la balle, la loi ne disant pas clairement de qui relève cet accompagnement.

Les familles nous parlent de leurs enfants dont elles ont finalement décidé – ou été contraintes – d’assurer elles-mêmes l’instruction en utilisant les services du Centre national d’enseignement à distance (CNED), après des années passées à se battre en vain pour les scolariser dans de bonnes conditions.

Les familles nous parlent de leurs difficultés avec les MDPH, qui portent principalement sur les notifications : celles-ci ne correspondent pas à leurs demandes, ni aux besoins de leurs enfants. Par exemple, il arrive fréquemment que la MDPH notifie une orientation en établissement spécialisé, alors que les parents demandaient une orientation en ULIS, au sein d’un établissement ordinaire. À présent, les MDPH octroient de plus en plus d’accompagnements mutualisés, c’est-à-dire de moins en moins d’accompagnements individuels.

Qu’est-ce qu’un AVS « mutualisé » ? C’est un AVS partagé entre plusieurs enfants, plusieurs classes, voire plusieurs établissements, et dont le nombre d’heures d’intervention auprès de l’enfant est décidé par l’école et non par la MDPH. L’accompagnement par un AVS mutualisé est bien souvent de quelques heures par semaine. Or, à l’heure actuelle, même pour des handicaps comme la trisomie 21, cet accompagnement mutualisé devient la norme. Les familles doivent alors former des recours contre les décisions des MDPH, mais cela aussi s’avère de plus en plus difficile car, depuis cette année, on ne peut plus saisir le tribunal directement. Il faut d’abord faire un recours administratif auprès de la MDPH qui a, théoriquement, deux mois pour répondre. Ce n’est qu’au terme de ces deux mois que le parent pourra former un recours auprès du tribunal, qui ne statuera que bien après la rentrée scolaire. Qu’advient-il de l’enfant pendant tout ce temps ?

On nous dit que plus de 340 000 élèves handicapés sont scolarisés dans des établissements de l’Éducation nationale et que ce nombre ne cesse d’augmenter. Ils étaient en effet 133 000 en 2004. Par ailleurs, il y a toujours autant d’élèves dans les établissements spécialisés : 77 000 en 2004, 78 000 en 2017. Peut-on vraiment affirmer que l’école est devenue plus inclusive depuis 2005 alors qu’il n’y a pas eu de basculement des effectifs d’élèves des établissements spécialisés vers les établissements ordinaires ?

J’aimerais beaucoup pouvoir vous livrer des chiffres sur la situation réelle des élèves handicapés à l’école, mais force est de constater que c’est un secret bien gardé. Nous avons réalisé à la rentrée 2018 une enquête à laquelle près de 2 000 parents ont répondu. Les résultats nous amènent à penser que 12 000 à 15 000 enfants handicapés sont privés d’AVS tout au long de l’année, et plus encore à la rentrée de septembre. Mais le nombre officiel n’est jamais communiqué, sauf de temps en temps, au détour d’un rapport comme celui de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en juin 2018, qui nous a appris que plus de 11 000 élèves handicapés étaient sans AVS en mars 2017.

J’aimerais donc que votre commission entende la déléguée ministérielle à l’inclusion scolaire, car nous aimerions beaucoup savoir combien d’élèves handicapés n’ont pas d’AVS et combien sont déscolarisés pour cette raison ; quel est le temps effectif de scolarisation des élèves handicapés ; quel est le nombre moyen d’enfants suivis par AVS ; combien d’enfants n’ont pas de place en ULIS malgré une notification de la MDPH ; quelle est la part des enfants qui ont véritablement un projet personnalisé de scolarisation, rédigé par la MDPH ; combien de parents d’enfants handicapés ont choisi l’instruction en famille ou le CNED ; quel est, enfin, le nombre réel d’AVS, étant donné que, chaque année, on change d’unité de mesure : on nous parle de nombre de contrats, d’équivalents temps plein (ETP), d’agents, et cette année le Gouvernement nous annonce comme une excellente nouvelle la suppression de 30 000 contrats aidés.

Des questions et des inquiétudes, nous en avons donc beaucoup ! Monsieur le rapporteur, nous avons entendu Mme Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, lorsque vous l’interpelliez en septembre, vous reprocher de donner des angoisses aux familles. Mais ce n’est pas vous qui créez ces angoisses. Elles s’expriment tout au long de l’année, les parents nous en font part. C’est le système tout entier qui les nourrit.

Cette année, nous sommes plus inquiets encore parce que nous constatons que le projet du Gouvernement vise à mutualiser davantage encore l’aide humaine aux élèves handicapés et donc de réduire les moyens accordés à chacun d’eux individuellement.

Nous vous remercions d’avoir constitué cette commission d’enquête. Vous nous donnez l’espoir que les choses puissent changer par la force de votre volonté politique.

Pour y arriver tous ensemble, nous avons beaucoup d’idées et de propositions. Nous les avons partagées avec vous dans un document que nous vous avons transmis hier ; nous vous proposons de les détailler aujourd’hui, si vous le souhaitez, dans la suite de cette audition.

Mme Danièle Langloys, présidente de lassociation Autisme France. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, je vais m’appuyer essentiellement sur le sujet de l’autisme, dans la mesure où c’est à ce titre que j’ai une légitimité.

Mon association a fêté cette année ses trente ans, et cela fait trente ans que nous demandons un diagnostic et une intervention précoces, une inclusion en milieu ordinaire la plus large possible et une formation actualisée et scientifique à l’autisme pour les professionnels de tous ordres – sans les avoir vraiment obtenus comme vous pouvez le constater.

Il existe beaucoup de documents sur l’autisme. C’est au moins un avantage par rapport à d’autres champs du handicap. Nous bénéficions aussi des remontées de notre réseau dont nous nous sommes servis pour dresser les constats suivants.

La scolarisation des enfants autistes progresse régulièrement mais de façon encore limitée, inégale et émaillée de nombreuses ruptures de parcours. Les derniers chiffres qui nous ont été fournis par l’Éducation nationale – mais en petit comité, et cela n’a donc strictement rien d’officiel – estiment à 36 200 le nombre des élèves autistes en milieu ordinaire, 75 % en classes ordinaires, 25 % en ULIS, et à 12 900 le nombre des enfants en établissement, sans que l’on soit capable de dire de quelle manière les enfants en établissements médico-sociaux sont scolarisés, ces chiffres n’apparaissant nulle part.

68 % des enfants sont dans le premier degré, 8 % au lycée. Cela montre les difficultés de parcours pour un enfant autiste quand il a dépassé l’école primaire.

71 % des élèves souffrant du spectre de l’autisme (TSA) sont accompagnés par un accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH). Ils représentent 49 % des demandes acceptées. C’est dire l’importance de l’accompagnement pour les élèves autistes à l’école.

45 % des élèves autistes bénéficient d’un AESH à temps partiel, contre 18 % pour l’ensemble des élèves en situation de handicap, marquant, là encore, les difficultés particulières de la scolarisation des enfants autistes.

D’une certaine manière, la loi de 2005 a profité aux enfants autistes quand les familles ont fait jouer leurs droits, ce qui était bien normal. Mais c’est souvent au prix de batailles incessantes et de contentieux fréquents. Alors même que le chantier MDPH en cours associe les MDPH à la société inclusive, les MDPH sont souvent peu en phase avec l’école inclusive. On impose souvent une orientation en institut médico-éducatif (IME) ou en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), alors que l’agrément ne correspond pas aux enfants autistes et que la culture psychanalytique des intervenants est un désastre. Les demandes d’AVS sont peu prises en compte à la hauteur des besoins, on refuse des auxiliaires de vie scolaire individuels (AVSI) en ULIS, alors que rien ne l’interdit et que les auxiliaires ayant une mission collective ne répondent pas aux difficultés.

Les enseignants sont très peu formés aux handicaps, encore moins à l’autisme. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) sont une occasion ratée, puisque ce sont les universités qui sont chargées de la formation des enseignants et que l’Éducation nationale n’a pas la main sur leur formation, ce qui est très regrettable. Si la formation dispensée par l’ESPE de Lyon sur l’autisme est exemplaire, ce n’est absolument pas le cas dans d’autres écoles.

La scolarisation des enfants autistes repose sur une difficulté majeure qui commence à être un peu mieux comprise. Comment allier les aménagements pédagogiques et le soutien éducatif nécessaires à ces enfants ? Cela a été compris dans le cadre des unités d’enseignement maternel. C’est une belle expérimentation qui montre comment l’alliance des professionnels, à la fois de la scolarisation et de l’éducation, permet les progrès des enfants. Malheureusement, excepté dans ces unités maternelles qui vont se développer, ce qui est une bonne chose, ce n’est pas le cas ailleurs. Il n’y en aura en 2022, sur l’ensemble du territoire, que 45 dans l’enseignement élémentaire, ce qui est très peu.

Ailleurs, cette alliance nécessaire entre le soutien éducatif et le travail pédagogique n’est pas assurée. Souvent, les familles essayent de s’appuyer sur des intervenants libéraux qu’elles financent à leurs frais. Il existe très peu de services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) dédiés, et leurs listes d’attente sont souvent de trois ou quatre ans. Il en va de même quand il y a orientation en IME. Il ne faut pas croire que c’est la panacée : la liste d’attente est, là aussi, de trois ou quatre ans.

Les élèves autistes sont très majoritairement accompagnés en classe, mais l’AVS ou l’AESH n’est pas la bonne personne, puisqu’elle n’a pas les compétences requises. Dans d’autres pays, au Québec, par exemple, les élèves autistes sont accompagnés par des intervenants techniques, des éducateurs spécialisés. Recrutés à un niveau « bac + 2 », l’éducateur spécialisé est un personnel technique qui peut intervenir à l’école, à domicile, dans un service, là où c’est nécessaire. La manière d’envisager le problème y est autre qu’en France, où l’on demande à des AVS, dont certains – je tiens à le dire – sont exemplaires, de se former sur le terrain. Il y a même des parents qui le font, qui deviennent AVS et qui sont des experts de très haut niveau, mais cela reste quand même marginal et c’est un bricolage qui n’est pas acceptable. En France, on ne repère pas les bonnes expertises pour former d’autres personnes, et beaucoup d’AVS se cassent la figure ou changent d’activité en cours d’année, mettant en danger la scolarisation des enfants.

Ainsi que le soulignent tous les rapports, la scolarisation est plus simple à réussir si elle est précédée d’un diagnostic et d’une intervention précoces. Or, comme chacun sait, c’est peu souvent le cas.

Les recommandations sur le diagnostic ont été actualisées en 2018. Le diagnostic est fiable à partir de dix-huit mois. Nous en sommes encore très loin en France. C’est aussi ce qui met en échec la scolarisation. Si on réalisait plus tôt le travail d’intervention qui permet aux enfants de stabiliser leur comportement, d’acquérir un comportement d’élève dès la maternelle, nous connaîtrions moins d’échecs ensuite. Certes, cela ne résoudrait pas tous les problèmes mais cela en résoudrait beaucoup. C’est ce que font d’autres pays qui engagent le maximum de moyens en faveur de l’intervention précoce pour limiter les sur-handicaps futurs, notamment au moment de la scolarisation.

Il en va pour la formation professionnelle comme pour la scolarisation. Cela a valu à la France cinq condamnations successives pour violation de la Charte sociale européenne, pour discrimination dans l’accès à l’éducation et à la scolarisation, mais aussi à la formation professionnelle.

Le lien entre la stratégie « autisme » et le chantier « école inclusive » n’a pas été pensé, ce qui me choque profondément. La stratégie « autisme » inclura des enseignants-ressources. Je ne vois pas le lien avec les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Si nous pouvions, grâce à vous, assurer une meilleure cohérence de l’ensemble des chantiers qui sont menés au niveau national, tous les enfants en situation de handicap en profiteraient.

La promotion de l’école inclusive et la stratégie « autisme » ont, elles aussi, été mal pensées. Les enfants ont des profils différents et les ruptures de parcours très fréquentes sont liées à la mauvaise analyse de leurs besoins, sans compter que les réponses n’existent pas ou sont peu nombreuses.

La stratégie en faveur de l’autisme a essentiellement porté sur les jeunes enfants, ce que je ne conteste pas, mais il faut aussi avoir conscience du fait que les enfants grandissent et qu’ils auront besoin de parcours fondés sur leurs centres d’intérêt. Si l’on aménageait les parcours scolaires en dispensant les enfants des matières dans lesquelles, de toute façon, ils seront en échec, on permettrait à un très grand nombre de s’appuyer sur ce qu’ils aiment faire, dans les domaines où ils sont compétents et où ils pourraient jouer un rôle social.

Le problème reste très largement celui de la méconnaissance de l’autisme. Je ne saurais pas mieux dire que la rapporteure de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les droits des personnes handicapées qui, en janvier 2019, s’inquiétait « du manque, voire de l’absence totale d’informations relatives à l’autisme en France ». Cela rejaillit très nettement sur la scolarisation de nos enfants.

Mme Caroline Coutant, vice-présidente de lassociation Info Droit Handicap. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous tenons à vous remercier de votre invitation.

Je suis vice-présidente de l’association Info Droit Handicap, qui compte, à ce jour, 973 adhérents répartis sur toute la France. Notre association est axée sur les droits des personnes en situation de handicap et de leurs aidants, tous handicaps confondus.

Son principal atout repose sur l’utilisation des réseaux sociaux, dont un groupe Facebook qui compte 17 600 membres. Au cours de l’année 2018, nous avons traité 6 500 questions litigieuses. Nous connaissons donc particulièrement bien les difficultés qui jalonnent le parcours des familles.

Mais venons-en à l’objectif de cette table ronde. L’inclusion est devenue à la mode, chacun s’empare de cette notion de société inclusive, d’école inclusive, voire d’écriture inclusive, mais, en réalité, il existe un fossé entre l’utilisation démultipliée de ce terme et son application.

Tous les ans, chaque gouvernement se félicite de l’augmentation du taux de scolarisation des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire, et s’il est indéniable que ce taux a progressé, on oublie de préciser que les statistiques ne prennent pas en compte le temps de scolarité effectif ni la façon dont les familles doivent se battre jour après jour. Cette proposition induit une réelle différence car, aujourd’hui, scolariser un enfant en situation de handicap relève d’un véritable parcours du combattant.

Les problèmes commencent dès l’inscription en maternelle. Les parents peuvent être confrontés à des maires qui refusent la scolarisation, ou à des écoles qui ne l’acceptent qu’à raison d’une heure par jour ou pas du tout.

Pour certaines familles, cela se poursuit tout le long du parcours de scolarisation : refus à la cantine, refus de sorties scolaires, pas de participation au spectacle de fin d’année, réduction du temps de scolarisation. La liste est longue.

D’autres familles auront plus de chance mais cela relève encore trop souvent de l’exception. Chaque académie interprète la législation selon son bon vouloir, ce qui crée une énorme disparité entre les différents départements.

L’enseignant référent, censé être un appui pour les familles, outrepasse souvent ses prérogatives : demande de remise du dossier MDPH, certificats médicaux, ajout de nouvelles annotations sur le GEVA-SCO après l’équipe de suivi de la scolarisation (ESS). D’ailleurs, le GEVA-SCO devient régulièrement un outil pour contraindre les familles à accepter une orientation forcée, et cela en totale contradiction avec le principe posé par l’article D. 351-10 du code de l’éducation. Ainsi des enfants qui ont leur place en milieu ordinaire basculent vers des ULIS, des ITEP ou des IME, et des élèves ayant un réel besoin de ce type de dispositif se retrouvent, malgré l’obligation scolaire, sur liste d’attente, c’est-à-dire à leur domicile, sans solution.

Il ne faut pas oublier les enfants que l’on pousse vers la porte de sortie, cela même au sein des dispositifs censés être adaptés au handicap comme les ULIS. Quant au projet personnalisé de scolarisation (PPS), de nombreux parents se demandent encore à quoi il ressemble ! Pour la plupart des MDPH, la notion reste floue, un peu comme toutes les procédures du traitement des dossiers : pas d’envoi de plan personnalisé de compensation (PPC) ou de projet personnalisé de scolarisation (PPS) avant le passage devant la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), pas de convocation devant la CDAPH, délais de traitement indéterminés… À l’image des académies, chaque MDPH prend ses libertés avec les textes législatifs. Et lorsque le projet personnalisé de scolarisation existe, il est simple et même sommaire quant à son contenu, et n’est pas conforme aux dispositions de l’arrêté du 6 février 2015 et à sa nomenclature. Bien entendu, nous déplorons aussi le manque de moyens accordés aux enseignants, l’absence de formation et les classes surchargées, qui ne sont pas propices à une pédagogie différenciée. Tout cela donne naissance à de nombreuses batailles pour faire comprendre à certains enseignants que les aménagements raisonnables ne sont pas une faveur, mais une nécessité.

Les parents passent d’un extrême à l’autre. D’un côté, ils sont face à des enseignants qui, malgré le manque de moyens, tentent de mettre des choses en place et s’autoforment pour acquérir de nouvelles pratiques professionnelles. De l’autre, ils sont confrontés à des enseignants totalement réfractaires qui voient ce type de pratique comme une remise en cause de leur autorité pédagogique.

Nous constatons qu’il est vraiment compliqué de faire appliquer les aménagements aux examens, et ce jusqu’à l’université. Pourtant, refuser la mise en place d’aménagements revient à priver les élèves de leur droit à être mis sur un pied d’égalité que leurs camarades.

Nous ne pouvons pas parler d’inclusion scolaire sans citer un de ses maillons essentiels, les AESH. Précarité des contrats, salaires trop bas, mauvaise organisation dans la gestion des recrutements entraînent de nombreuses ruptures d’accompagnement. Résultat : pas de repos pour les parents. Le non-respect des notifications d’aide humaine ou les ruptures d’accompagnement interviennent toute l’année.

Cette problématique accroît le risque de déscolarisation des élèves, car les familles se retrouvent confrontées à deux situations : les élèves qui ne peuvent être scolarisés sans la présence d’une AESH ou des écoles qui conditionnent la scolarisation à la présence de l’AESH. Pour résoudre cette difficulté, le Gouvernement a annoncé la généralisation des PIAL. Cependant, nous nous interrogeons sur les dérives de ce dispositif qui, selon nous, repose avant tout sur une logique budgétaire et remet en cause l’évaluation des besoins de compensation. À ce sujet, les premiers documents que nous avons pu obtenir sur cette expérimentation indiquent, noir sur blanc, la volonté de réduire les notifications d’aides humaines individualisées pour généraliser l’aide mutualisée. La parution d’un article, le 12 mars dernier, dans Le Courrier Picard vient renforcer nos inquiétudes.

Notre vision d’une inclusion scolaire réussie ne peut exister qu’à travers la mise en place d’un véritable partenariat entre tous les acteurs qui comprend les familles. Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants et, à ce titre, détiennent une véritable expertise qui doit être entretenue et reconnue. Ils n’ont pas à vivre dans la peur des représailles de l’Éducation nationale pour avoir osé demander une meilleure prise en considération de leurs enfants.

De plus en plus de familles sont victimes d’informations préoccupantes dont les deux tiers proviennent de l’Éducation nationale. La majorité des dossiers sont classés sans suite, mais cela n’enlève rien au traumatisme engendré par ce type de procédure. Les familles ressortent fragilisées et surtout leur confiance en l’école est totalement rompue.

D’ailleurs, Mme Cluzel vient d’annoncer sa volonté de lutter contre les insultes stigmatisant le handicap. C’est une initiative que nous saluons, mais quand légiférera-t-on sur la maltraitance institutionnelle dont les élèves et les familles peuvent être victimes ? Quand rétablira-t-on l’équité et créera-t-on un véritable partenariat entre la famille et l’école ?

Notre intervention dresse un tableau assez sombre, mais c’est la réalité de l’inclusion scolaire vécue quotidiennement par des milliers de familles dont nous portons la voix devant vous aujourd’hui.

Pour conclure, si nous voulons avancer vers une société réellement inclusive, il faut se rappeler que les élèves en situation de handicap sont avant tout des enfants. Ils ont des besoins mais aussi des droits, en particulier le droit à l’éducation, comme tout enfant né dans une société démocratique. Pour tendre réellement vers cet objectif, il faut arrêter de s’en tenir à de grands discours démagogiques et cesser les manifestations d’autosatisfaction quand les familles crient à l’aide. Il est temps d’évoquer les sujets qui fâchent, de prendre en compte les dysfonctionnements que nous constatons quotidiennement, de ne plus s’en exonérer en prétextant qu’il s’agit d’un cas isolé et surtout, de mettre en place les véritables solutions pour y remédier car, oui l’inclusion scolaire existe dans ce pays, mais à quel prix !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, je tiens à vous remercier pour ces témoignages poignants, empreints de sincérité et de vécu.

Vous avez évoqué le parcours difficile et extrêmement douloureux des familles ; le besoin d’un dépistage précoce ; le besoin de formation des professionnels, que ce soit des enseignants ou des accompagnants des élèves en situation de handicap ; la difficulté liée à la disparité des traitements des MDPH selon les départements ; la mauvaise utilisation des outils existants, tels que le GVA-SCO et le PPS.

Nous constatons, et nous le savions, que la loi n’est, actuellement, que partiellement appliquée. Je vous remercie donc de votre témoignage. Nous savons qu’une transformation de l’école est indispensable pour qu’elle devienne inclusive. Nos travaux, je l’espère, pourront l’éclairer.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Mesdames, je tiens, moi aussi, à vous remercier pour vos contributions qui, tant sur la forme que sur le fond, confirment l’opportunité de la création de cette commission d’enquête et renforcent l’ardente obligation que nous avons d’établir un diagnostic partagé, incontestable, de la situation.

J’entends, dans vos contributions, la difficulté à laquelle vous êtes confrontées, et à laquelle nous sommes aujourd’hui encore confrontés, de disposer d’éléments statistiques objectifs, incontestables, sur le nombre d’enfants concernés, sur les moyens humains déployés, sur les dispositifs spécifiques et leurs modalités de financement comme sur les inégalités territoriales constatées. Tel est bien l’objet de la commission d’enquête que de contraindre les pouvoirs publics à nous fournir ces éléments, sous votre regard et avec l’autorité et la force de la commission d’enquête.

Je veux aussi vous rassurer, puisque c’est la première réunion de la commission d’enquête, sur notre état d’esprit. Il n’est évidemment pas de faire une commission de plus et d’être dans la posture, mais d’être en situation avec vous, avec l’ensemble des acteurs, une fois que nous aurons mis tout le monde d’accord sur le diagnostic et les constats, d’établir un échéancier de préconisations à mettre en œuvre afin de corriger les trajectoires, car, ainsi que vous l’avez relevé, la France n’est pas le bon élève qu’elle prétend être.

Je vous poserai quelques questions, que mes collègues enrichiront.

Premièrement, avez-vous été associées à la concertation « Ensemble pour une école inclusive », et selon quelles modalités ?

Quels conseils nous donnez-vous pour rechercher les données statistiques les plus fines et les plus objectives ?

Selon vous, quelles sont les inégalités territoriales les plus flagrantes et leurs raisons ? Vous savez que la question de la compétence des MDPH est posée ; je serai intéressé de vous entendre sur le sujet.

Quel est votre avis sur les PIAL ? Vous vous êtes exprimées, mais j’aimerais que vous creusiez la question.

Que pensez-vous des relations entre les écoles et les structures médico‑sociales ? Vous avez également commencé à évoquer ce sujet dans vos contributions, en relevant l’insuffisance des structures et de leurs moyens. Pourriez-vous affiner ce point ?

Sur les recours, quelles difficultés constatez-vous, et quelles préconisations concrètes formulez-vous ? Ont-elles été expertisées juridiquement ? Comment pouvons-nous vous aider à cet égard ?

Il serait intéressant, enfin, que vous nous parliez de l’expérience de l’ESPE de Lyon. En quoi est-elle intéressante ?

M. Christophe Bouillon. Merci, mesdames, pour vos témoignages.

Plusieurs initiatives ont été prises au sein même de l’Assemblée nationale pour répondre à un certain nombre des questions que vous avez soulevées devant nous. Mais il faut se tourner vers l’avenir. Que pensez-vous des dispositions qui ont été introduites par voie d’amendement dans le projet de loi pour une école de la confiance, récemment voté par l’Assemblée et qui est en discussion au Sénat ?

Que vous inspire le dispositif PIAL, qui a donné lieu à débat ? Votre témoignage serait précieux pour comprendre ce que pense le ministre quand il souhaite développer une telle organisation à travers les territoires.

M. Olivier Gaillard. Mesdames, vous dites que la discrimination est constatée dès l’école maternelle. Mais aujourd’hui, dans bon nombre de territoires, on la constate dès la crèche, ce qui induit une inégalité entre territoires. En effet, on relève que de plus en plus de familles ont tendance à s’exiler en secteur urbain au détriment des territoires ruraux, faute de moyens. Disposez-vous d’éléments complémentaires sur ce sujet ?

Mme Nathalie Sarles. La question des handicaps est souvent traitée en silos par les associations, chacune traitant de son propre répertoire de handicaps, qu’ils soient fonctionnels ou cognitifs. Vous traitez de questions qui concernent le sujet que vous connaissez bien. Pouvez-vous nous soumettre des préconisations ou des pistes sur les données que nous pourrions collecter et auprès de qui les collecter ?

En tant qu’associations de parents, vous êtes très informées. Comment arriver à faire le lien entre toutes les structures que vous représentez et qui pourraient constituer une plateforme unique apportant ces éléments de connaissance ?

Mme Blandine Brocard. Merci beaucoup, mesdames, pour vos témoignages qui portent la voix de nombreuses familles. J’en ai reçu beaucoup dans ma circonscription et je retrouve dans vos interventions les difficultés inhérentes au sujet qui nous réunit aujourd’hui. Vous les avez parfaitement mises en lumière.

Vous donnez la parole à toutes ces familles qui sont embourbées dans les difficultés rencontrées par leurs enfants, difficultés liées à leur handicap, exacerbées, en outre, par les méandres administratifs. Merci encore.

Le handicap est un domaine que je ne connais pas, je ne connais pas non plus tous les sigles utilisés : PPS, MDPH, GEVA-SCO, AVS, AESH...  Je sais qu’utiliser des sigles est une particularité française et que cela vaut dans d’autres domaines, mais lorsque cela concerne le handicap, je trouve tous ces sigles absolument terribles, car ils stigmatisent davantage encore les personnes en situation de handicap. Je me mets à la place d’un parent qui découvre que son enfant est porteur d’un handicap et qui se trouve, avant toute chose, obligé de les décoder ! Je pense que nous avons quelque chose à faire dans ce domaine.

J’en viens à ma question. Le « tout-inclusif » est-il possible ? J’ai reçu diverses familles, dont les situations sont très particulières. Entre autres, j’ai reçu un père dont la fille avait pu suivre, bon an mal an, une scolarité dans le primaire. Le tout-inclusif a ensuite été évoqué à partir du collège, mais, selon lui, c’est impossible. Vous releviez que ce sont les parents qui savent le mieux ce qu’il faut pour leur enfant. Nous sommes dans l’idée – qui est, peut-être ou peut-être pas, tout à notre honneur – de vouloir absolument intégrer ces enfants dans le cursus scolaire habituel. Est-ce ou non envisageable, selon vous ?

Mme Danièle Langloys. J’ai participé au chantier « École inclusive » via le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Nous avions notamment l’impression que tout était joué d’avance. Nous avons été déçus, il nous semblait que les décisions étaient déjà prises et qu’il s’agissait d’une concertation pour la forme.

Je suis très frappée par le fait que les données statistiques sont publiées au compte‑gouttes par l’Éducation nationale. Par exemple, je participe à un nouveau chantier ouvert dans le cadre de la stratégie « autisme ». La cohorte prévue dans les unités d’enseignement en maternelle fera l’objet d’un suivi pour comprendre les parcours des enfants. Les derniers chiffres nous ont été fournis, mais j’aurais aimé qu’ils soient publics tant il est vrai que le partage des données participe au fonctionnement démocratique.

La direction générale de l’offre de soins (DGOS) dispose aussi de chiffres. Nous en avons eu connaissance lors de l’audition devant le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, où les chiffres de la DGOS ont été livrés. De mémoire, 10 000 enfants autistes étaient accueillis dans des structures sanitaires. Il s’était dit également que seuls 5 % d’entre eux étaient scolarisés. La DGOS a refusé de donner le chiffre publiquement. Si vous pouviez la contraindre à publier les chiffres dont elle dispose, je pense que ce serait infiniment précieux.

S’agissant des inégalités territoriales, le chantier en cours sur la gouvernance des MDPH sera très utile. Selon les retours du groupe de travail, il apparaît que certaines MDPH sont beaucoup plus tolérantes que d’autres. Par exemple, certaines financent des intervenants libéraux quand les familles n’arrivent pas à trouver les professionnels dont elles ont besoin, l’offre médico‑sociale étant, quantitativement et qualitativement, souvent pauvre et inadaptée. Les familles se débrouillent alors autrement. Certaines MDPH ont compris et sont extrêmement tolérantes. Dans la Nièvre, département que je connais bien, tous les psychologues travaillant en libéral sont financés par la MDPH directement. Il n’y a pas besoin de se battre : cela fait partie des procédures admises, alors que d’autres MDPH refusent.

Vous évoquiez le lien entre les structures médico-sociales et l’école. Ce lien est à construire. Des circulaires de 2009 sur le sujet – remontant tout de même, donc, à un certain temps ! – sont restées lettre morte. Il faut, je crois, considérer le problème autrement. Nous souhaitons que les structures médico‑sociales fonctionnent comme un plateau éducatif au service de l’inclusion scolaire, ce qui ne veut pas dire que tous les enfants iront en classe ordinaire et feront le même parcours. Ce n’est d’ailleurs pas possible pour un certain nombre d’enfants. Il n’en reste pas moins que ces enfants doivent aller à l’école, avec le soutien éducatif nécessaire. Souvent, dans certains services médicosociaux de pointe – ils ne le sont pas tous, loin de là –, le service rendu est meilleur que celui de l’Éducation nationale, qui ne dispose pas des moyens nécessaires en interne.

En France, la situation est surréaliste : on entretient deux systèmes parallèles coûteux. Par deux fois, il faut payer des locaux, des services de comptabilité et le secrétariat, etc. Il y a l’Éducation nationale d’un côté, les établissements et services médico-sociaux de l’autre. Quel est le pays occidental qui se permet ce luxe ? C’est un vrai problème de fond. Il appartient, là encore, à la commission de voir si elle peut le résoudre. On ne peut continuer indéfiniment à fonctionner ainsi. Le système est très coûteux, inefficace, et n’est pas éthique. Il ne répond pas aux demandes de scolarisation. Des enfants arrivent à l’âge adulte en ne sachant ni lire ni écrire, alors qu’ils auraient pu apprendre à lire et à écrire s’ils avaient bénéficié de l’accompagnement nécessaire. Il s’agit d’un gâchis monstrueux, dans le domaine de l’autisme en particulier, mais pas uniquement. On a laissé de jeunes enfants et adolescents croupir dans leur autisme au lieu de s’en occuper.

Le tout inclusif est une question qu’on peut poser. Je pense que les enfants doivent être à l’école mais que les parcours doivent être individualisés, autant que possible, ainsi que cela fait dans d’autres pays. Aux États-Unis, la loi dite « ADA » – Americans with Disabilities Act – de 1990 s’applique depuis près de trente ans. Tout enfant va à l’école. Les autistes ne sont pas tous scolarisés dans les classes ordinaires et ne suivent pas tous des parcours ordinaires. Des dispositifs sont là pour adapter les parcours aux capacités de l’enfant. L’autisme est un cas particulier, car les retards de développement peuvent être très spectaculaires. Nombre d’enfants ne peuvent donc pas suivre le rythme de l’Éducation nationale, qui n’est pas pensé pour eux. Pour autant, ce n’est pas une raison pour les exclure de l’école comme on le fait ou pour estimer – parce que c’est très généralement le cas – que l’enfant n’a pas le droit d’aller à l’école, faute d’AVS. C’est la raison pour laquelle beaucoup de mères ne travaillent pas, parce que leur enfant est régulièrement exclu, par exemple dès que l’AVS est absente, et se retrouve à la maison. Il faut bien quelqu’un pour le garder.

Mme Caroline Coutant. Je répondrai à la question sur les PIAL. Les familles, la communauté éducative et les enseignants sont inquiets. Le PIAL reviendrait à donner aux enseignants le « pouvoir » de poser un diagnostic sur nos enfants, non pas en termes médicaux, mais en décidant que tel enfant a un besoin réel que tel autre n’en a pas. Il leur reviendrait de décider, par exemple, que tel enfant peut bénéficier de trois ou quatre heures d’accompagnement mutualisé, tel autre d’une heure seulement. Or, c’est à la MDPH qu’il appartient de statuer sur ces sujets. Ce que nous voyons, c’est que l’on est en train d’enlever un droit accordé à nos enfants et pour l’application duquel les familles se battent. Nous avons peur parce que, prochainement, les demandes ne passeront plus par la MDPH : c’est l’école qui décidera. C’est un retour à la situation qui prévalait avant la loi de 2005, lorsque l’école avait un droit de regard sur la possibilité ou non pour un l’enfant de suivre une scolarité normale et le droit d’orienter ceux qui seraient censés ne pas le pouvoir. Pour les familles, le PIAL n’est pas vu d’un très bon œil : il est inquiétant et angoissant, notamment si l’on considère les suppressions de postes d’AESH individualisés pour les remplacer à la prochaine rentrée par des AESH mutualisés.

Mme Odile de Vismes. S’agissant de la concertation sur l’école inclusive, TouPi a participé au focus group « Parents ». Je fais la même constatation que Mme Langloys : nous avons eu l’impression que tout était joué d’avance. Nous avons uniquement eu le droit de parler des projets personnalisés de scolarisation (PPS). Nous avions demandé des informations sur les PIAL, que nous n’avons pu obtenir avant la restitution et que nous n’avons donc pu inclure dans notre réflexion. Nous avons été très déçus et avons eu un peu l’impression de perdre notre temps.

Concernant les données statistiques, ainsi que je l’indiquais dans ma présentation, nous en avons peu et elles ne sont pas précises. Il nous semble très important que votre commission d’enquête invite les personnes qui sont en mesure de les produire.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous les inviterons et nous les y obligerons !

Mme Odile de Vismes. J’en viens aux inégalités territoriales. Notre association est basée à Paris. Même si beaucoup de familles habitent en Île‑de‑France, elle regroupe des familles sur toute la France. Nous constatons des inégalités territoriales très fortes en Île‑de‑France, par exemple entre Paris, qui est un département plutôt avantagé en termes de scolarisation et de MDPH, et d’autres départements où la situation est bien plus difficile - je pense aux Hauts‑de-Seine et à la Seine-Saint-Denis. Ces inégalités se retrouvent dans toute la France, et je n’en connais pas vraiment les raisons. J’ai l’impression que des habitudes très différentes perdurent. Le besoin est réel d’unifier toutes ces pratiques pour que les familles n’aient plus besoin de déménager dans un département où l’Éducation nationale est plus accueillante et où la MDPH donne un peu plus de droits, et pour qu’elles ne se retrouvent pas coincées quelque part. Par exemple, les familles parisiennes nous disent qu’elles sont obligées de demeurer à Paris parce que leur enfant n’aurait pas les mêmes droits en dehors de Paris.

Le projet de loi pour une école de la confiance comporte une avancée ; peut-être n’est-elle pas suffisante, mais elle n’en demeure pas moins une avancée. Les AESH pourront bénéficier d’un contrat de trois ans, renouvelable une fois avant passage au contrat à durée indéterminée (CDI). Auparavant, ils travaillaient sous contrats d’un an, qui se révélaient problématiques parce qu’ils induisaient des retards dans la signature. C’est ainsi que, bien souvent, les enfants handicapés ne bénéficiaient pas d’un AVS dès la rentrée, dans la mesure où le contrat était entre deux signatures et où cela pouvait prendre plusieurs semaines. Certes, la situation s’est améliorée, mais nous aurions aimé que les AESH accèdent au CDI beaucoup plus rapidement. Pourquoi attendre six ans ?

Nous avons voulu aborder la question des PIAL pendant la concertation, mais cela n’a pas été possible. Nous sommes assez étonnées qu’ils soient inscrits dans le projet de loi, alors que l’évaluation reste maigre. On nous a présenté quelques retours d’évaluation, mais cette évaluation a commencé en septembre. Il nous paraît, par conséquent, très prématuré de les généraliser ou, en tout cas, de les étendre, dès la rentrée. Plus généralement, nous sommes inquiets de la volonté de généraliser les AVS mutualisés au détriment des AVS individuels.

Par ailleurs, des présentations par les directions des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) et les rectorats nous ont été faites, qui évoquent souvent un objectif affiché de 80 % d’AVS mutualisés et de 20 % d’AVS individuels. Autrement dit, il s’agit de quotas plutôt que d’une évaluation individuelle des besoins des enfants.

Notre association de parents est très active sur les réseaux sociaux, notamment sur des groupes où sont présents de nombreux AVS. Les AVS mutualisés nous disent qu’ils s’occupent souvent de quatre ou cinq enfants, dont un ou deux qui n’ont pas de notification MDPH. Par exemple, l’AVS travaille 20 heures avec ces enfants ; s’il lui reste quatre heures, il s’occupera de quelques enfants sans notification. Mais certains AVS nous disent qu’ils s’occupent de dix enfants, dont un seul a une notification MDPH. Par rapport au PIAL et aux AVS mutualisés, comment contrôler ? Si seuls les établissements scolaires contrôlent l’attribution des AVS mutualisés, peut-être est-il plus pratique pour l’école de confier à l’AVS mutualisé, sur une partie de son temps, un enfant qui n’a pas de handicap, mais qui est très perturbateur, plutôt qu’un enfant trisomique ou autiste, très calme, qui ne bougera pas, qui n’embêtera personne mais qui, de fait, ne va rien apprendre.

Vous avez parlé des relations écoles/établissements médico-sociaux. Au-delà des établissements médico-sociaux, il est difficile de faire entrer les intervenants libéraux à l’école, qu’il s’agisse de psychologues, de psychomotriciens, d’ergothérapeutes, etc. Bien des familles recourent à une prise en charge en libéral, soit par choix, soit parce qu’il n’y a pas de place dans les services médico-sociaux. Il est important que ces intervenants puissent échanger avec l’école ou éventuellement assurer quelques prises en charge sur le temps scolaire pour pas trop surcharger l’enfant, comme le font certains ergothérapeutes.

Une question a porté sur le tout-inclusif. Tout d’abord, le choix doit être donné aux familles. Certaines familles ne tiennent pas à ce que leur enfant – en tout cas au-delà d’un certain âge – fréquente une école ordinaire. Elles peuvent faire ce choix, mais il faut aussi que les familles qui veulent que leur enfant soit scolarisé en école ordinaire en aient la possibilité, que ce soit en classe ordinaire ou dans un dispositif spécialisé comme une ULIS. La formule fonctionne bien dans de nombreux pays. En Italie, les enfants handicapés sont scolarisés en classe ordinaire, mais on s’en donne les moyens : habituellement, l’effectif de la classe est réduit de manière drastique et, au lieu d’ajouter une auxiliaire non formée, on ajoute un enseignant spécialisé, qui bénéficiera non seulement à l’enfant handicapé mais à toute la classe.

Mme Nathalie Sarles. Ils ne sont pas à plein temps !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il existe une contradiction au moins apparente entre la volonté affichée de résorber la précarité des intervenants, en leur donnant un nombre d’heures qui correspond à la stabilisation de leur emploi et à la formation qui va avec, car le besoin de formation, dans les diagnostics posés, se fait sentir, et le risque – que vous pointez et que je découvre – d’orientations gouvernementales dont nous n’aurions pas connaissance en faveur de la mutualisation des intervenants, au détriment des enfants. Quel est votre avis ?

Mme Odile de Vismes. La problématique de la mutualisation des intervenants est complètement différente de celle de la précarité des intervenants. Des auxiliaires peuvent travailler quasiment à temps plein si on leur propose d’intervenir sur le temps périscolaire pour augmenter leur niveau de salaire, qu’il s’agisse d’AVS individuels ou d’AVS mutualisés, que ce soit dans le cadre du PIAL ou hors PIAL comme cela se pratique actuellement.

La précarité des AVS, en effet, est un problème. Actuellement, on les maintient dans la précarité en leur proposant six ans de CDD avant de leur proposer un CDI. On les maintient dans la précarité en les payant au SMIC, pas même toute l’année puisqu’il y a beaucoup de mois de congé. Les sortir de cette précarité supposerait de leur donner une formation d’un niveau plus élevé, un salaire supérieur au SMIC, et de proposer des temps de travail périscolaire, éventuellement extrascolaire, à celles et ceux qui le souhaitent.

Je ne pense pas qu’il y ait contradiction entre le fait de vouloir garder en partie un système d’AVS individualisés pour les enfants qui en ont besoin et le fait de sortir les AVS de la précarité.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il me semble qu’à l’origine, l’objectif des PIAL n’était pas de maltraiter les enfants ou les AVS. Il était la création de pôles d’expertise et de stabilité animés par un groupe d’AESH dans un secteur scolaire, rattaché à un collège, qui se professionnalisent progressivement, et à qui, au fil des évolutions, on puisse proposer des évolutions de carrière. L’objectif vise des formations communes des enseignants, des AESH, de l’ensemble des équipes pédagogiques concernées par le secteur du PIAL.

Les notifications, dans les départements où cela fonctionne – j’entends bien que cela ne fonctionne pas bien partout –, doivent être faites selon les besoins de l’enfant par la MDPH, qui doit notifier un AVS individualisé si ces besoins l’exigent.

Dans le cadre de la mutualisation, le PIAL permet aussi par une coordination des emplois du temps. Si un enfant nécessite un accompagnement de 12 heures mais qu’il a besoin de 12 heures en français ou en mathématiques, on ne lui attribuera pas ces 12 heures en sciences ou en sport. Il convient d’attribuer principalement ces 12 heures sur les plages horaires où elles sont utiles pour les apprentissages souhaités. Le rôle du chef d’établissement consistera à réfléchir, en amont de la rentrée, à cette coordination des emplois du temps pour répondre au mieux aux besoins de chacun – cela dans l’idéal. Il faudra être extrêmement vigilant quant aux objectifs cachés ou à la déclinaison.

Mme Danièle Langloys. S’agissant de l’autisme ou d’autres handicaps très spécifiques où les enfants ont des besoins particuliers, nous craignons que l’enfant se trouve confronté à quatre ou cinq AVS en fonction des emplois du temps des uns et des autres, alors que c’est un désastre pour un enfant qui a besoin de repères stables. Certes, je comprends tout à fait ce que vous dites, Madame la présidente, mais cela, on ne nous l’a pas expliqué de manière claire et on ne nous a apporté aucune garantie à ce sujet. C’est là notre crainte : nous voulons bien entendre les progrès que cela peut permettre, mais nous n’avons eu aucun retour de l’expérimentation. On nous impose les PIAL sans concertation et sans que nous comprenions vraiment comment cela fonctionne. En particulier pour la stratégie « autisme », cela n’a pas été pensé.

L’ESPE de Lyon a des relations spéciales avec le centre de ressources « Autisme ». Depuis très longtemps, le partenariat est très fort. C’est ainsi que l’équipe de l’ESPE de Lyon forme au handicap, et de manière spécifique à l’autisme, dans un module « autisme » de très haut niveau. C’est assez exceptionnel en France. Voilà une bonne pratique, d’autant que la mode consiste à partir des bonnes pratiques. Cela existe. L’ensemble des ESPE n’ont qu’à demander le module de l’académie de Lyon et le reproduire.

Une question a été posée sur les recours. Le 1er janvier 2014, nous avons été obligés d’ouvrir un service de protection juridique, accolé à l’adhésion à Autisme France, car notre secrétariat ne pouvait plus assurer les réponses individuelles aux demandes de contentieux. Tous les ans, 80 % des demandes sont des contentieux avec les MDPH, essentiellement liés à la scolarisation : heures d’AVS non pourvues, AVS qui disparaît et qui n’est pas remplacé, orientation abusive, ou encore « informations préoccupantes » – auxquelles les élèves autistes et leurs familles payent un très lourd tribut. Ce sont majoritairement les membres de l’Éducation nationale qui les formulent dès lors qu’ils repèrent une difficulté de comportement, au lieu de se demander – mais encore faudrait-il qu’ils soient formés pour cela – si un trouble neuro-développemental n’est pas à l’origine de cette difficulté de comportement. Faute de culture – je n’assassine personne, je constate – on en déduit une carence éducative ou, pire encore, une carence affective. Évidemment, c’est toujours la mère qui « prend » dans ces cas-là, car la France baigne encore dans une culture psychanalytique très machiste : la mère est toujours coupable. Cela enclenche des « informations préoccupantes » qui ne se terminent pas toujours très bien. Certaines sont classées, d’autres aboutissent à des signalements. Par méconnaissance de l’ensemble des troubles neuro-développementaux – il n’y a pas que l’autisme, il y en a d’autres –, l’Éducation nationale engendre des situations insupportables. Il est inacceptable que l’on en soit encore là en France. Le premier rôle de l’Éducation nationale devrait être de chercher à soutenir les familles, quitte à faire appel à une aide extérieure, et non à les punir et à leur faire honte en leur expliquant que ce n’est pas ainsi qu’on élève un enfant. Pour nous, c’est dramatique.

Mme Caroline Coutant. Je voudrais revenir sur le PIAL. Nous en entendons parler depuis peu. Il est prioritairement mis en place sur le terrain depuis six mois. Le fait de vouloir le généraliser très rapidement à la rentrée de 2019 nous pose un souci. Le GEVA-SCO a été expérimenté pendant deux ans avant d’être généralisé à toute la France. On se demande pourquoi aller aussi vite s’agissant du PIAL.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Si mes collègues en sont d’accord, nous allons créer les conditions pour obtenir un retour des premières expériences, l’objet de notre commission étant de faire des préconisations utiles et concrètes pour la rentrée.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. On voit bien que le GEVA-SCO ne fonctionne pas bien. Des parents ont présenté des demandes pour fonctionner autrement, suite aux propositions auxquelles vous avez participé de transformer l’étude du projet de l’enfant. S’agissant des PIAL, la mise en place nécessitera de longues années. Dans mon département, le projet se met en place sur deux pôles seulement, dans deux collèges. La réforme ne se fera pas en un jour. Nous savons la très grande inertie qui s’attache aux réformes en France. Mais cela laissera le temps de procéder progressivement et bien – en tout cas, je l’espère !

Je vous remercie, mesdames, de vos témoignages et des réponses que vous avez apportées à nos questionnements. Nous avons entendu vos nombreuses préoccupations.

Je remercie mes collègues de leur participation.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Mesdames, restez attentives à l’évolution des travaux de notre commission et n’hésitez pas, au fur et à mesure de son déroulement, à appeler notre attention et à nourrir nos réflexions. Tel est notre état d’esprit.

 

 

 

 

 

 

 


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2.   Audition de Mme Sophia Catella, Mme Agnès Duguet et M. Julien Colombo, représentants du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège (SNUipp‑FSU)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous poursuivons cette série d’auditions en recevant Mme Sophia Catella, Mme Agnès Duguet et M. Julien Colombo, représentants du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège (SNUIPP-FSU).

Je vous souhaite, mesdames, monsieur, la bienvenue.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sophia Catella, Mme Agnès Duguet, M. Julien Colombo prêtent serment.)

Je vous donne la parole pour un court exposé, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

Mme Sophia Catella, représentante du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège (SNUIPP-FSU). Nous vous présenterons un constat rapide en trois points : quelle est la situation, quel est le discours autour de l’école inclusive, quel est le projet du SNUIPP-FSU sur le sujet.

Le sujet nous préoccupe particulièrement car il touche le cœur de nos métiers d’enseignants et d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), que notre syndicat représente. Nous constatons que les situations sont de plus en plus complexes sur le terrain. Pour autant, la forme de l’école n’a pas vraiment changé, d’où la difficulté rencontrée de répondre à cette situation.

Parmi les réponses susceptibles d’être apportées par l’institution, on se rend compte, tant au regard des AESH ou de la formation des enseignants spécialisés – le certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (Cappei) – que de la politique de l’agence régionale de santé (ARS), que les dispositifs mis en place ne répondent pas aux élèves en situation de handicap. Il est donc important, selon nous, de faire évoluer les choses. Il existe des situations dégradées dans lesquelles des élèves porteurs de troubles, par exemple autistiques, sont accueillis en milieu ordinaire parmi d’autres élèves et où la réponse apportée par l’école est très insuffisante – c’est particulièrement terrible en maternelle, là où les classes sont les plus chargées.

Certains enfants montrent d’ailleurs, par leur comportement, qu’ils ne sont pas heureux d’être en classe et que la situation dans laquelle ils se trouvent est inadaptée à leur handicap. L’an dernier, à Brive-la-Gaillarde, des parents ont occupé une classe de CE1 au motif qu’une jeune élève de sept ans manifestait un comportement d’une grande violence vis-à-vis des autres enfants. Cette élève était en situation de handicap et les parents ont fait le choix d’occuper la classe pour protéger leurs enfants contre les coups, les griffures et les morsures. Ce qui est désolant dans cet événement est qu’il montre l’inverse de ce que la loi de 2005 ambitionnait pour l’école et pour les élèves en situation de handicap : en d’autres termes, un risque de rejet à cause de l’inadaptation des réponses internes.

Pour ce qui concerne les personnels, les nombreuses remontées des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) départementaux ont permis, l’an dernier, la publication, par le CHSCT ministériel, d’un guide pour l’accompagnement des personnels enseignants et des AESH pour le premier degré qui sont confrontés à des situations parfois dramatiques à vivre au quotidien. Certains parlent de « situations explosives », voire de « catastrophes sanitaires » qui arriveraient à bas bruit dans les écoles du premier degré.

Quand on part de la définition du handicap, on a tendance à l’élargir aux élèves à besoins éducatifs particuliers. Cette dernière notion regroupe les élèves en situation de handicap mais également ceux placés dans des situations familiales ou sociales difficiles, les élèves au haut potentiel intellectuel, les élèves nouvellement arrivés, les enfants malades, les enfants des familles du voyage, ou encore les mineurs en milieu carcéral.

Le SNUIPP-FSU constate que la classe ne peut pas répondre à l’ensemble des besoins des élèves alors que la notion d’école inclusive pourrait laisser penser qu’une fois l’élève inscrit, l’école répond à tous ses besoins et à toutes ses demandes. L’Éducation nationale répond ou essaye de répondre aux notifications des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) concernant l’accompagnement ou l’équipement des élèves. Mais, très souvent, les notifications de la MDPH font apparaître des besoins de suivi de ces élèves en établissement ou en centre médico-psychologique (CMP), ou par les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD). Les élèves sont d’abord inscrits sur des listes d’attente, et cette attente peut durer un, deux ou trois ans. Il y a même des endroits sur le territoire ou ces SESSAD n’existent quasiment plus et où, de fait, les élèves ne peuvent pas avoir accès aux soins. Quand on ne peut avoir accès à des soins nécessaires, il est compliqué d’être élève. Les enseignants, qui n’ont pas de formation aux soins et dont ce n’est pas la mission, sont partagés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. On compte de plus en plus d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire ; on compte également de plus en plus d’AESH, le recrutement a été important. Malheureusement, nous ne disposons pas de chiffres sur la réussite des élèves en situation de handicap. Il serait pourtant intéressant de savoir si les réponses qui leur ont été apportées leur permettent de suivre une scolarité ordinaire.

Il convient de relever que les enfants les plus en difficulté sont les enfants issus des milieux défavorisés, et ce pour une raison simple : les familles de milieu favorisé disposent en général des bons codes, ont les moyens de consulter un psychologue, un ergothérapeute ou n’importe quel autre spécialiste libéral, alors que les familles les plus paupérisées attendent que des soins puissent être prodigués par des structures publiques.

Le SNUIPP-FSU pense qu’une école réellement inclusive requiert une réflexion fondée sur les besoins particuliers des élèves. Cela ne peut se faire ni à moyens constants ni au travers d’enveloppes contraintes. D’ailleurs, les besoins des élèves, selon les années, peuvent évoluer. Un élève peut avoir besoin d’un suivi important une année et ensuite d’un accompagnement bien moins lourd.

Sur le terrain, on constate que les réponses sont rarement adaptées au regard des notifications de la MDPH. Par exemple, la MDPH notifie un accompagnement humain ; or, avec la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) mais aussi avec la mutualisation des AESH, l’accompagnement individuel tend à disparaître – davantage dans certains départements que dans d’autres –, alors que certains enfants ne peuvent pas se satisfaire de la mutualisation, qui ne leur permet pas de suivre la classe.

Les AESH sont arrivés dans les écoles voilà déjà plusieurs années ; aujourd’hui, l’on se rend compte qu’on a besoin de faire de cette activité un vrai métier – ce dont ces personnes ont besoin également. Ce métier nécessite une formation, un salaire et un temps de travail dignes de ce nom et surtout du temps de concertation afin de construire une relation professionnelle avec les enseignants. Aujourd’hui, c’est très difficile, et quand cela se fait, c’est toujours sur le temps personnel des uns et des autres. Mais à aucun moment, il n’est laissé aux enseignants le temps de s’adapter lorsqu’ils travaillent avec un AESH et de réfléchir à son intervention. Souvent, les AESH arrivent dans les classes « comme un cheveu sur la soupe » : on leur demande de prendre en charge un élève sans qu’ils aient, du moins pour les personnes nouvellement recrutées, ni les codes de l’école ni la formation nécessaire pour répondre aux besoins des élèves. Initialement, on pensait que les AESH étaient de simples exécutants : pour un élève en fauteuil, l’AESH était censé se contenter de pousser le fauteuil… Aujourd’hui, les AESH exercent des fonctions bien plus complexes : sans aller jusqu’à être répétiteurs, ils doivent permettre à l’élève de suivre une scolarité, en l’accompagnant, en lui donnant confiance au quotidien, voire en recherchant des solutions quand l’activité proposée en classe ne permet pas de progresser.

Nous proposons un projet fort pour les AESH qui passe par le statut de la fonction publique. Nous regrettons que le diplôme qui a été mis en place soit un diplôme de niveau V. Il aurait fallu qu’il soit de niveau IV, assorti de la formation adaptée.

Abordons maintenant la question PIAL et de la concertation qui s’achève. Nous craignons la mutualisation de l’accompagnement par les AESH. Certes, on peut imaginer que si l’on a plusieurs élèves en situation de handicap dans sa classe, on n’a pas forcément besoin d’un AESH par élève ; néanmoins, la situation est telle que des AESH mutualisés suivent plusieurs élèves qui ne sont parfois ni dans la même classe, ni dans la même école, ni dans la même commune. Comment faire lorsque tel élève, par exemple, aura uniquement besoin d’un AESH le lundi matin ? La mutualisation peut présenter un intérêt pour certaines pathologies, à certains moments de la journée, pour certains élèves, mais il serait vraiment dommage de généraliser cette formule car ce qui a du prix, c’est la réponse que l’on apporte aux besoins spécifiques des élèves. Dans certains cas, un enfant qui présente des troubles autistiques ne peut se satisfaire d’une AESH mutualisée : ce n’est pas possible.

Cela dit, le PIAL pourrait être intéressant, nous le disons au vu de l’expérimentation qui a eu lieu l’année dernière dans le Vaucluse. Il ne s’agissait pas tout à fait d’un PIAL, mais cela y ressemblait. Les personnels qui ont participé à cette expérimentation nous ont dit que plusieurs conditions devaient être réunies si l’on voulait aboutir à des résultats : la présence d’un coordonnateur travaillant sur une seule structure afin de disposer d’un temps de réflexion et de réunion des personnels sur le temps de travail ; la préparation des interventions de l’AESH en classe ; un temps dédié à la concertation, d’une part pour valoriser le métier des accompagnants, mais aussi pour faire en sorte que les enseignants puissent lier une relation visant à mieux répondre aux besoins des élèves ; une formation au plus près du terrain qui ne soit pas uniquement une formation aux différents types de handicap, mais qui enseigne le travail avec les élèves, la façon de les encourager, de les soutenir, parfois aussi de se mettre en retrait car l’objectif est l’accession à l’autonomie.

En conclusion, il est urgent d’agir, aussi bien vis-à-vis des personnels que des élèves. Du côté des personnels, le guide publié par le ministère avait pour objectif principal de sortir du déni. Aujourd’hui, sur le terrain, on explique aux enseignants qu’ils y mettent de la mauvaise volonté ou qu’ils n’ont pas la bonne pédagogie. Mais la prise en compte du handicap ne relève pas seulement de la pédagogie, d’autres facettes sont concernées : accompagner et former les équipes à un travail commun. Le ministère a mis beaucoup de documents en ligne sur Eduscol ou via la plateforme M@gistère, mais nous avons surtout besoin de pouvoir échanger et partager nos réussites comme nos échecs. On parle beaucoup d’analyse de la pratique ; cela n’existe guère dans nos métiers, mais là où elle est mise en place, elle fonctionne vraiment bien.

Les allégements des effectifs des classes sont évidemment nécessaires, on ne peut plus rester à 30 élèves par classe, ni à rester à 26, 27 ou 28 élèves en élémentaire tout en accueillant des élèves en situation de handicap. En effet, il y a ces élèves et il y a tous les autres, et il est parfois compliqué pour ces autres de trouver leur place – sans parler des élèves qui présentent des troubles non reconnus comme des handicaps mais qui demandent beaucoup d’attention aux enseignants. La réduction des effectifs est le fruit d’une expertise qui a été évoquée par le médiateur de l’Éducation nationale dans son dernier rapport, publié en juin dernier.

Il s’agit également de professionnaliser les AESH. Quand bien même ils bénéficieraient d’un contrat à durée indéterminée (CDI), leur salaire ne peut rester de 650 euros par mois, sauf à les maintenir dans la précarité. Professionnaliser les AESH ne consiste pas seulement à les mettre en CDI, mais aussi à les reconnaître dans leur spécificité en leur apportant ce qui leur est nécessaire pour trouver leur place dans les écoles, car là est bien l’une des difficultés qu’ils rencontrent. Certains ne participent toujours pas aux équipes éducatives ou ne reçoivent pas toutes les informations relatives aux élèves. Il nous semble important de travailler à la coordination des acteurs autour d’un élève : enseignants, AESH, personnels des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), enseignants référents, services de médecine scolaire – qui sont importants pour la détection et la prévention des troubles le plus tôt possible –, services sociaux ainsi que différents intervenants des établissements spécialisés.

Du côté des élèves, il nous semble incontournable de répondre au plus près des besoins de chacun. La MDPH les établit après le dépistage et la détection précoces, que ce soit le fait de la protection maternelle et infantile, de la médecine scolaire et de l’ensemble des professionnels intervenant au sein et autour de l’école. Cela passe aussi par une présence sur l’ensemble du territoire. Dans bien des territoires, des structures font défaut, il manque des professionnels de l’enseignement adapté ou spécialisé, ou encore des professionnels médicaux-sociaux.

Pour le SNUIPP-FSU, l’école inclusive ne peut se faire à moyens constants. Nous avons besoin d’une volonté politique très forte, d’investissements à la mesure des enjeux d’une société inclusive qui serait digne de ce nom. On cite l’Italie qui, du jour au lendemain, a fait le choix de procéder à des investissements importants, même si ce pays a fait le choix de la socialisation plutôt que celui des apprentissages. Il me semble que la France, sixième puissance mondiale, pourrait investir largement si elle avait vraiment l’ambition de cette école inclusive.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci, madame, de nous avoir exposé de manière si claire la situation que bien des enseignants vivent au quotidien, qui est aussi ressentie par les familles.

Nous comprenons bien que vous êtes des experts de l’école. Vous avez dessiné les problématiques et les moyens qui vous semblent nécessaires pour améliorer la marche vers une école plus inclusive.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci à vous de cet éclairage sans tabou d’un diagnostic utile pour la commission.

Si vous avez largement développé les marges de progression du statut des AESH – formation, déprécarisation, statut – vous avez peu évoqué la question de la formation des enseignants. Je souhaiterais vous entendre à ce sujet.

Quel est votre avis sur le rythme de création des nouvelles unités : ULIS, unités d’enseignement externalisées, etc. ? Comment peut-on améliorer les choses ?

Enfin, j’ai noté votre précision de langage sur les enfants ayant des besoins particuliers. Quel est le point de vue du SNUIPP sur les RASED et sur les maîtres spécialisés dans la prise en charge des enfants à aptitudes particulières ?

Mme Nathalie Sarles. Vous n’avez pas évoqué les enseignants référents. Quel est votre avis ? Le déploiement prévu peut-il être une réponse ?

M. Olivier Gaillard. Pouvez-vous préciser les moyens dont bénéficient les enseignants en matière de formation, qui, selon vous, reste insuffisante ?

Vous avez dit regretter que le diplôme des AESH soit reconnu de niveau V. Ce niveau correspond-il à la catégorie C de la fonction publique ?

Mme Géraldine Bannier. Je suis dans une situation particulière. J’ai, en effet, été treize ans professeur dans un collège qui intégrait des enfants handicapés. Il comprenait une section d’éducation motrice (SEM), une ULIS, une section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA). Les enfants étaient intégrés dans les classes de façon permanente, certains selon une forme adaptée, c’est-à-dire qu’ils n’y venaient que pour quelques heures.

Vous avez évoqué l’exemple de Brive-la-Gaillarde. En tant que professeur, je me suis toujours demandé s’il ne serait pas plus facile de gérer les cas « lourds », les situations compliquées, dans le cadre d’une petite structure dédiée au handicap ou aux enfants autistes avec, de temps en temps, une intégration dans les classes, plutôt qu’au milieu de 28 ou 30 élèves de façon permanente, car même les enfants sont accompagnés par un AVS, la situation peut se révéler compliquée. J’ai pu le constater. Dans mon collège, des élèves restaient dans des structures dédiées et n’intégraient les classes que sur le temps de midi, par exemple, ou encore le temps de certaines activités de type théâtre. Quel est votre point de vue ?

Mme Catherine Osson. Je voudrais vous entendre sur les ruptures de parcours des enfants porteurs de handicap : déménagements, passage du premier au second degré…

M. Julien Colombo, représentant du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège (SNUIPP-FSU).

Actuellement, la formation initiale des enseignants consacre très peu de temps, trois à six heures seulement, à l’accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers et des élèves en situation de handicap. La formation est très théorique, elle consiste en la présentation d’un diaporama suivi d’un temps de questions-réponses. Si l’on veut construire une école inclusive, il nous semble important de créer des modules au sein de la formation initiale pour permettre aux enseignants d’avoir accès à la même connaissance.

La formation continue ne compte également que très peu de propositions et même de moins en moins, puisque les dix-huit heures d’animation pédagogique ont été réservées aux seuls savoirs fondamentaux. Si l’on a besoin d’une formation liée à un élève particulier ou à un trouble particulier, on ne peut pas se former. On a accès à des modules d’initiative nationale qui sont complexes à obtenir et à faire financer par les départements – qui ne peuvent, chaque année, servir tous les demandeurs. La formation des enseignants spécialisés est plus longue mais, en passant du certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées (CAPA‑SH) au certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI), elle a perdu des heures, et on a donc perdu en qualité.

Il reste bien des choses à faire dans le domaine de la formation initiale pour que tous les professeurs aient le même niveau de formation dès le début, éventuellement en intégrant certains modules de la formation spécialisée à la formation initiale. Le CAPPEI étant fondé sur un tronc commun et des modules de spécialisation, pourquoi ne pas intégrer des modules du tronc commun dans la formation initiale et ensuite poursuivre la formation continue en fonction des besoins des enseignants et du public accueilli à un moment donné ?

Mme Sophia Catella. Pour les unités d’enseignements, il faut aller un peu plus loin. À quel rythme, nous ne le savons sans doute pas. En effet, il est important de distinguer entre l’inclusion sociale et l’inclusion scolaire. Aujourd’hui, les unités d’enseignement sont dans les établissements, avec parfois un plateau technique ; pour autant, l’idée est de voir comment ces élèves peuvent intégrer peu à peu le milieu ordinaire.

Des expériences existent, autour de conventions entre certaines ARS et les régions, la première étant Auvergne-Rhône-Alpes, qui prévoyait de fermer 80 % des places en établissement pour les transférer dans des unités d’enseignement. Les premières conclusions de cette expérimentation ne sont pas très favorables. Les établissements spécialisés déclarent ne pas avoir un groupe d’élèves suffisant susceptibles de quitter l’institut médico-éducatif (IME) ou l’institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) et être transférés à l’école d’à côté. Il est préférable que certains élèves, en raison des caractéristiques de leur handicap, restent dans une petite structure, dans un milieu qu’ils connaissent, où ils ont leurs camarades, leurs repères, entourés des adultes qui s’occupent d’eux. Dès lors, cette convention, de notre point de vue, n’est pas bonne dans la mesure où elle fait l’impasse sur le profil des élèves qui arriveront d’ici à quatre, cinq ou six ans. Seront-ils en capacité d’être placés en milieu ordinaire ? On se tromperait si l’on pensait que l’école inclusive passe forcément par les classes ordinaires. Bien que l’on ait ouvert un nombre croissant d’ULIS, en école ou en collège, les inspecteurs de l’Éducation nationale font pression pour que les élèves intègrent tous des classes ordinaires et que l’enseignant spécialisé ne soit qu’un coordonnateur, mais cela pose plusieurs problèmes.

Premièrement, dans chaque ULIS, il est prévu un AESH pour dix ou douze élèves. Or, bien souvent, il a en charge jusqu’à quinze élèves, et lorsque ces élèves sont répartis dans les classes, l’AESH ne peut pas se partager. Des élèves, donc, sont affectés dans des classes pour répondre à une pression très forte de l’Éducation nationale, et pourtant on va à l’inverse de leurs besoins. Certains élèves sont en capacité d’être avec les autres à un moment dans la journée, mais pour d’autres, il est beaucoup plus compliqué de sortir de la structure pour être en milieu ordinaire avec d’autres élèves. Les effectifs sont en général plus élevés en collège qu’en école élémentaire ; on trouve cependant des écoles où les effectifs sont très importants. Dans certains départements, lors de l’élaboration de la carte scolaire et de l’ouverture des classes, des inspecteurs d’académie acceptent de prendre en compte le nombre d’élèves inscrits à l’ULIS pour ouvrir ou fermer une classe, en partant du principe que ces élèves font partie de la classe la plus grande partie du temps, mais dans d’autres départements cela n’est pas possible, faute de moyens : quand il manque des postes, il faut faire des choix politiques. On peut s’interroger quand il faut répartir les douze ou quinze élèves de l’ULIS dans une école qui compte cinq classes à 25 ou 28 élèves : est-ce dans l’intérêt des élèves ? Les décisions prises par la loi répondent-elles à l’intérêt des élèves ? Dans certains endroits, les ULIS fonctionnent très bien, le coordonnateur réussit avec le reste de l’équipe enseignante à aménager les choses de telle manière que les élèves trouvent leur place. Dans nombre de cas, donc, cela fonctionne, mais quand cela ne fonctionne pas c’est un drame pour tout le monde : pour l’élève en situation de handicap, pour sa famille, pour l’ensemble de la classe et les autres parents.

Mme Agnès Duguet, représentante du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège (SNUIPP-FSU). Un certain nombre de conditions président à la réussite de l’ouverture d’unités d’enseignement externalisées (UEE). Tout d’abord, il faut des locaux pour l’unité elle-même ainsi que les personnels médico-sociaux qui accompagnent. Il faut un enseignant spécialisé alors que nous sommes en pénurie d’enseignants spécialisés. Il faut réduire les effectifs des autres classes afin de pouvoir accueillir les élèves en situation de handicap. Il faut aussi du personnel médico-social qui puisse accompagner l’UEE.

Dans les unités d’enseignement externalisées, on distingue les unités d’enseignement externalisées Maternelle - autisme (UE-MA) qui existent depuis quelques années. Quelques bilans de ces structures ont été dressés par les enseignements des UE-MA : ils révèlent un turn over très élevé des enseignants, notamment parce qu’un certain nombre ne sont pas formés à l’autisme. J’y insiste : nous avons besoin d’enseignants spécialisés et nous en manquons.

Un bilan du devenir de ces élèves à la sortie des UE-MA montre que l’objectif de ces unités, qui est quand même de prolonger la scolarité après l’UE‑MA, est loin d’être toujours atteint. Nous réfléchissons à l’ouverture d’unités similaires en élémentaire pour les élèves autistes (UE-EA). Il convient de réfléchir aux conditions de leur réussite, en particulier de se donner les mêmes critères et résoudre la question des enseignants spécialisés.

Les enseignants référents suivent des dossiers en nombre excessif : 200, parfois 300 par enseignant référent, alors que le rapport Taquet-Serres préconisait un nombre maximum de 100 à 120 dossiers – nous en sommes très loin ! Il est donc nécessaire de diminuer le nombre des dossiers.

L’amélioration du travail des enseignants référents suppose plusieurs conditions…

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pouvez-vous nous préciser de quelle source vous tenez les nombres que vous avez cités ?

Mme Agnès Duguet. Le SNUIPP-FSU a réuni les enseignants référents au niveau national. Les chiffres que je cite sont ceux que les enseignants nous ont fournis. La situation varie selon les départements, mais, dans certains départements, le nombre de dossier suivis atteint 300.

Au titre des conditions de travail des enseignants, il faut prendre en compte leurs besoins de déplacement, de matériel, de bureaux, de téléphone. Nous sommes choqués d’apprendre que certains ne disposent pas de ce matériel pour travailler, qu’on ne leur rembourse pas leurs frais de déplacement, que leurs indemnités légales ne leur sont parfois pas versées – je pense à l’indemnité pour missions particulières. Ils supportent une lourde charge de travail administratif. Certains demandent un secrétariat administratif car ils souhaiteraient se consacrer davantage au travail de suivi et au travail pédagogique.

J’en viens à la question relative aux ruptures de parcours et aux déménagements. Quand un élève en situation de handicap déménage et change de département, le dossier établi par la MDPH est censé le suivre. Actuellement, le système d’information des MDPH rencontre des difficultés car il n’est pas unifié. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) y travaille, mais en attendant, se pose un problème de suivi du dossier d’un département vers un autre, qui peut engendrer des difficultés de continuité dans la scolarisation. En théorie, un projet personnalisé de scolarisation (PPS) s’attache aux élèves en situation de handicap. En pratique, très peu de MDPH le formalisent réellement et lorsque des documents, tels le GEVA-SCO, ont été remplis, il arrive parfois que tout est à recommencer. Le suivi est loin d’être assuré.

Mme Sophia Catella. Je reviens sur la question de la rupture des parcours entre le premier et le second degré, ou entre la maternelle et l’élémentaire. Quand l’élève a la chance d’avoir un enseignant-référent qui peut suivre son dossier, celui-ci est suivi tant que l’élève reste dans le même secteur – puisque les enseignants référents sont sectorisés . Les difficultés sont liées aux changements de secteur de l’enseignant référent ou aux déménagements de la famille de l’élève.

À propos de Brive-la-Gaillarde, vous vous interrogiez sur la possibilité ouverte à certains élèves d’être placés en unité d’enseignement plutôt qu’en classe ordinaire. Encore faut-il qu’il y ait des unités d’enseignement ! Les unités d’enseignement peuvent être une réponse, comme les établissements spécialisés en sont une autre. Les parcours peuvent être faits d’allers et retours entre certains établissements spécialisés et le milieu ordinaire. Des essais sont tentés qui permettent parfois à des enfants de quitter un établissement. Mais, souvent, les parents craignent de perdre cette place en établissement qu’ils ont attendue très longtemps, et à laquelle ils tiennent un peu comme à la prunelle de leurs yeux. Si l’élève ne va plus très bien en milieu ordinaire, comment faire marche arrière ?

Pour ce qui concerne les élèves à besoins éducatifs particuliers, les RASED ont beaucoup souffert, en 2008, de la suppression des postes ; ils n’ont jamais retrouvé leur situation antérieure. Pendant un temps, les départs en formation furent très peu nombreux, même si c’est moins le cas aujourd’hui. Il manque donc beaucoup de personnels spécialisés – ce sont le psychologue scolaire, l’enseignant rééducateur et l’aide pédagogique. L’enseignant rééducateur a quasiment disparu dans certains départements ; dans d’autres, il reste quelques « dinosaures ». Et pourtant l’enseignant rééducateur permettait à des enfants de devenir élèves. Entrer à l’école n’est ni naturel ni donné à tout le monde : cela s’apprend ; des règles sont à intégrer. À l’école, on apprend à vivre avec les autres, on apprend la frustration : parce que c’est chacun son tour et qu’on est trente.

Quand, dans le cadre du CHSCT, nous avons travaillé sur le guide d’accompagnement des personnels, nous avons fait l’hypothèse que de plus en plus d’élèves présentaient des difficultés, des troubles du comportement par exemple, qu’ils soient ou non reconnus en situation de handicap. Avec les enseignants rééducateurs, ces élèves auraient pu trouver d’autres solutions qu’entrer dans le champ du handicap. Nous avons en effet ce travers : quand, dans une classe, on se trouve démuni face à un élève que l’on ne sait pas gérer, on se dit souvent que la situation serait différente s’il y avait un adulte supplémentaire dans la classe. Les familles, à l’initiative ou non de l’école, saisissent alors la MDPH afin de bénéficier d’un accompagnement. Cela fait entrer dans le champ du handicap des élèves qui peut-être n’ont rien à y faire.

Le SNUIPP-FSU part du principe que les RASED sont des structures très précieuses, qui devraient être présentes sur l’ensemble du territoire. En préparant cette audition, je me souvenais de l’époque où j’avais commencé. On comptait alors quasiment un RASED pour deux écoles – même de petites écoles ; aujourd’hui, on compte un RASED par circonscription. D’ailleurs, la mission des personnels des RASED a évolué pour faire face à la pénurie. À une époque, les personnels des RASED prenaient les élèves soit en classe, soit en dehors de la classe, pour leur apporter une aide particulière ; aujourd’hui, ils passent davantage de temps à accompagner les adultes.

Certes, le RASED ne répond pas au handicap, mais il peut répondre à bien d’autres situations, il peut surtout aider des élèves à trouver leur place à l’école, au milieu des autres. Pour le SNUIPP-FSU, le RASED est vraiment un outil indispensable, plus particulièrement pour les élèves à besoins éducatifs particuliers.

Je reviens à la formation et aux besoins des enseignants en classes ordinaires. Au-delà d’un savoir-faire qui n’est jamais automatique – chaque situation est tellement particulière… –, les professeurs auraient besoin d’apprendre à travailler autrement. L’école inclusive nous demande d’apprendre à travailler autrement : l’enseignant ne peut pas être face à sa classe en imaginant que tous les élèves sont identiques. Cela implique de permettre d’échanger, de faire de l’analyse de la pratique, d’engager une réflexion sur son métier. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, il n’y a plus de stages où l’on part trois semaines, et ce pour une raison simple : il n’y a plus de remplaçants non plus. Il n’y a plus de jeunes en formation pour nous remplacer, il n’y a plus de brigades de remplacement. Avant, nous pouvions partir trois semaines pour échanger, réfléchir. Mais comment voulez-vous réfléchir quand, à la fin de la journée, à la fin de la semaine, vous avez d’autres choses auxquelles penser que votre activité ? Nous avons besoin de temps, et de ce retour à la formation continue qui nous permettait d’échanger ; or aujourd’hui, elle est réduite à peau de chagrin. Comme le disait mon collègue, les animations pédagogiques sont réduites aux fondamentaux et il y a vraiment un manque au regard des quelques formations obligatoires, par exemple celle des directeurs d’école ou celle des enseignants spécialisés. Nous sommes l’un des rares métiers qui évolue fortement et où l’on a une formation tout au long de la vie.

Mme Agnès Duguet. Quand notre syndicat a réuni les enseignants référents, ces derniers nous ont fait remarquer la corrélation entre la disparition des RASED et la demande d’AESH : quand un territoire ne bénéficie plus de personnels du RASED, la demande d’AESH progresse.

Dans un certain nombre de départements, les enseignants référents sont à ce point submergés par le nombre de dossiers qu’ils n’arrivent pas, faute de temps, à se rendre dans les établissements spécialisés. Certains établissements ne sont donc pas couverts par leur action.

Nous avons besoin de formations « en présentiel » pour échanger, analyser nos pratiques. Le ministère prépare une plate-forme « en trois clics » sur le thème de l’école inclusive. Or, ce n’est pas de cela que nous avons besoin.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Que pensez-vous des formations en équipe prodiguées en établissement ?

M. Julien Colombo. Dès lors que les formations se fondent sur le besoin de l’équipe, elles sont toujours bénéfiques. Dans tous les établissements qui accueillent une ULIS ou une unité externalisée, des formations devraient être organisées pour l’ensemble de l’équipe car elle est amenée, à un moment ou un autre, à rencontrer des élèves porteurs de handicap, à les accueillir dans la classe ou à les rencontrer dans la cour ou dans les couloirs… La formation en équipe est forcément bénéfique pour tout le monde.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. La mise en œuvre sur le terrain des projets personnalisés de scolarisation et le rythme des réunions des équipes de suivi de la scolarisation (ESS) des élèves handicapés sont-ils suffisants ?

M. Julien Colombo. C’est effectivement une difficulté. Légalement, les ESS se réunissent une fois par an. Dans bien des secteurs, ce rythme n’est pas respecté, en raison du nombre des dossiers que l’enseignant référent doit traiter.

La problématique du projet personnalisé de scolarisation est autre : la plupart du temps, le PPS transmis à l’école n’est que la notification d’orientation ou d’aide humaine ; il ne contient rien d’autre. On ne peut pas parler de projet : c’est seulement une notification. Le PPS n’existe pas et s’il existe, c’est ailleurs et il n’est pas transmis à l’école. Il n’est pas construit au sein de la MDPH et, de ce fait, ne suit pas l’élève et ne permet pas de mettre en œuvre ce dont l’élève a besoin au cours de sa scolarité.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Suite à la consultation nationale des familles, une proposition de simplification a été faite, comportant notamment la suppression du GEVA-SCO et la préparation par les enseignants d’une première version du projet personnalisé de scolarisation. Il s’agirait d’une proposition éventuellement transmise aux parents. Ces derniers pourraient apporter leur contribution à l’équipe de suivi de scolarisation avant l’envoi à la MDPH du projet personnalisé. Il est aussi proposé que ces projets ne soient pas révisés tous les ans, tant qu’ils restent valables. Qu’en pensez-vous ?

Mme Sophia Catella. Nous avons, en effet, entendu cette demande des parents. D’ailleurs, le GEVA-SCO n’était pas, à l’origine, une demande des enseignants. Initialement, ce document devait être rempli par l’enseignant référent mais, évidemment, réfléchi collectivement en équipe de suivi. Quand le GEVA-SCO a fait son apparition dans les écoles, les enseignants ont un peu grincé des dents, ils ont eu le sentiment qu’il s’agissait d’une liasse supplémentaire à remplir et qui, en outre, ne répondait pas aux besoins des élèves. Avant la mise en place du GEVA-SCO, des réunions étaient organisées avec les parents et les équipes éducatives ou de suivi. On y évoquait les besoins de l’élève et on essayait d’y répondre dès lors que cela ne réclamait ni moyens matériels ni moyens humains
– que nous n’étions pas en mesure de mettre en place au sein de l’école.

Aujourd’hui, nous regrettons que, dans le cadre de la concertation sur l’école inclusive, les enseignants n’aient vraiment pas été consultés sur ce sujet alors qu’ils sont en première ligne du projet d’école inclusive. Si nous avons été reçus une ou deux fois par le ministère de l’Éducation nationale, nous ne l’avons pas été par le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées. Effectivement, il nous semble que votre proposition serait intéressante si nous arrivions à trouver ensemble une formule susceptible de répondre aux réels besoins de l’élève et à ce que l’équipe de suivi a imaginé collectivement. Dans le cadre d’une équipe de suivi, plusieurs regards se croisent : celui – éventuel – de l’accompagnant, celui de l’enseignant, celui du directeur, celui des services de médecine scolaire – s’ils existent, car on sait l’état de la médecine scolaire –, celui de l’enseignant référent, qui fait le lien avec la MDPH, éventuellement celui de l’inspecteur de l’Éducation nationale, et surtout celui des familles. Nous arrivons à échanger sur ce dont il y a besoin. Si le nouveau document peut être d’un usage simplifié pour tout le monde, après tout, pourquoi pas ? L’intérêt de l’équipe de suivi est de faire le point, même si l’on ne modifie pas le projet chaque année. Mettre en avant les progrès d’un élève, il n’y a rien de mieux à ses yeux, à ceux de sa famille ou des équipes pour avancer et porter le projet. Il est intéressant de pouvoir se rencontrer dans des situations qui permettent de faire le point sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et qu’il faut aménager. Faut-il, pour autant, changer les procédures vis-à-vis de la MDPH ? Pas forcément. Je pense que les enseignants seraient favorables à une procédure simplifiée.

Mme Agnès Duguet. Le décret et l’arrêté du 11 février 2015 prévoient que le projet personnalisé de scolarisation (PPS) est élaboré par l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation de la MDPH, où siègent plusieurs professionnels ; l’équipe peut donc porter un regard pluriprofessionnel. Aujourd’hui, si l’enseignant devait élaborer un PPS – ce que la MDPH ne parvient pas à faire puisque, comme cela a été dit, il n’y a en fait pas de PPS –, il lui faudrait du temps pour élaborer ce document, et il lui faudrait suivre une formation. Il ne peut pas à lui seul porter ce regard pluriprofessionnel qu’est supposé porter l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation, censée élaborer le PPS aujourd’hui.

L’enseignant est en première ligne pour connaître les besoins de l’enfant. Mais il aurait besoin d’être entouré de plusieurs professionnels, qui ne sont pas toujours présents à l’heure actuelle, et besoin de temps pour élaborer le document, un temps dont il ne dispose pas aujourd’hui. Je ne vois pas comment l’Éducation nationale pourrait nous donner ce temps pour élaborer ce document. Il faut donc savoir, pour répondre à votre question, si cela se ferait à moyens constants et si le document serait simplifié.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Au nom de la commission, je vous remercie pour la qualité de vos contributions. Nous accordons de l’importance à ce que vous soyez vigilants tout au long des travaux de cette commission, pour être en interaction avec nous. Nous voulons établir un diagnostic partagé de la situation, sur les points de dysfonctionnement, sur les mauvaises trajectoires comme sur les bonnes. Mais une fois établie cette photographie, l’enjeu de la commission d’enquête est d’être en situation de rédiger un « acte 2 » de la loi de 2005.

Nous souhaitons que vous soyez force de proposition, y compris par écrit, afin de nourrir la réflexion de la commission d’enquête, une fois le diagnostic affiné – et l’on sait combien il est important de disposer de données quelque peu objectivées –, une fois les dysfonctionnements pointés, sur la façon de passer à l’étape d’élaboration. Nous comptons sur vous.

 


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3.   audition de Mme Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission d’enquête achève sa première séquence d’auditions en entendant le témoignage de Mme Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), accompagnée de Mme Diane Cabouat, vice-présidente.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande, mesdames de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Dominique Gillot et Diane Cabouat prêtent successivement serment.)

Je vous donne la parole pour un court exposé, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

Mme Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Nous sommes souvent auditionnées. S’agit-il bien d’une commission d’enquête sur la mise en œuvre des dispositions de la loi de 2005 relative à la scolarisation des enfants handicapés ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est un bon résumé !

Nous considérons que des dysfonctionnements importants subsistent dans la mise en œuvre de la loi de 2005. L’objectif de la commission d’enquête consiste à établir une analyse fine et objectivée, à partir de données consolidées, une photographie de la situation d’inclusion des enfants en situation de handicap, de la maternelle à l’université en passant par la formation professionnelle.

L’enjeu de cette commission d’enquête est de n’être pas une commission de plus ou une commission pour rien, mais d’élaborer, de rédiger, de proposer un « acte II » de la loi de 2005 pour une concrétisation des objectifs qui font consensus dans la classe politique et qui impliquent la mobilisation de moyens et d’objectifs particuliers. C’est en ce sens que nous vous auditionnons. Les auditions auxquelles nous procéderons ont vocation à éclairer la commission sur les dysfonctionnements pointés et sur les solutions préconisées pour les résoudre.

Mme Dominique Gillot. Nous allons faire un exposé à deux voix. Je suis présidente du CNCPH et Mme Cabouat en est vice-présidente. Elle s’occupe de la coordination de la commission spéciale du CNCPH en charge de l’éducation et du suivi de la formation des enfants jusqu’aux pré-adultes, de la formation professionnelle, et de la commission culture et citoyenneté.

Nous ne reviendrons pas sur les chiffres. Ils ont été largement diffusés et vous devez en disposer. À chaque rentrée des classes, un état des lieux est réalisé qui est mis en regard des états des ministères, année après année, et des constats des associations établis sur les retours des familles qui sont plus ou moins satisfaites de l’accueil de leurs enfants en milieu ordinaire.

Le CNCPH constate qu’il existe encore des dysfonctionnements et des manques dans la mise en œuvre de la loi de 2005 relatifs à l’accès à l’éducation de droit commun pour les enfants porteurs de handicaps. La loi précise qu’un enfant a droit à une éducation dans l’école de son quartier, ce qui n’est pas toujours possible en raison du manque d’accessibilité et d’accompagnement.

Ces dernières années, nous déplorons que des enfants se voient refuser l’accueil à l’école au motif qu’ils n’ont pas l’accompagnant éducatif nécessaire. Jusqu’à la rentrée 2019, il s’agissait d’auxiliaires de vie scolaire (AVS). Ils ont progressivement trouvé leur place auprès des enfants avec handicap, mais leur formation reste insuffisante et le turnover élevé est dénoncé par les parents et les associations. Par ailleurs, le métier est caractérisé par un manque d’attractivité eu égard à la difficulté de l’exercice, au manque de formation, à la précarité et aux revenus insuffisants du fait du temps partiel proposé à ces assistants.

Un travail considérable est engagé depuis plusieurs années pour déprécariser et stabiliser ces auxiliaires, qui trouvera son aboutissement en 2019 par la création de postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). Ces professionnels seront recrutés par l’Éducation nationale et dotés d’un statut de droit privé. On leur proposera un contrat de trois ans renouvelable une fois avant la titularisation. Ils auront droit à une formation et à la recherche d’un temps plein afin que leur rémunération soit attractive et intéressante.

Au regard des différentes contributions du CNCPH, que nous vous remettrons à la fin de l’audition, nous considérons qu’il s’agit d’un progrès des droits de l’enfant en situation de handicap à une éducation en milieu ordinaire. Néanmoins, il est important que les enfants qui sont encore accueillis de manière partagée entre le milieu spécialisé et le milieu ordinaire bénéficient d’un accueil à temps plein, fondé sur une ambition de réussite éducative qui fait parfois défaut dans les projets d’accueil des établissements spécialisés. En ce domaine, il convient de progresser encore.

Si vous le souhaitez, nous pourrons avancer des propositions pour que se concrétise l’annonce faite par le ministre, traduite dans le projet de loi pour l’école de la confiance et conjuguée à l’objectif de l’école inclusive. Ces nouveaux professionnels doivent être bien formés, bien intégrés à l’équipe éducative et jouer le rôle d’interface entre les parents, les enseignants et l’enfant accompagné. Ils ne doivent pas être considérés comme un substitut de l’enseignant, ni comme un tuteur permanent de l’enfant, car ce dernier doit acquérir son autonomie à l’école. C’est essentiel.

Une multitude de points portent sur l’accueil des enfants avec handicap à la maternelle, à l’école élémentaire, dans le secondaire et dans le supérieur – car il faut savoir que des élèves avec handicap frappent aujourd’hui à la porte de l’enseignement supérieur et ont des aptitudes qui peuvent être couronnées de succès par un diplôme leur ouvrant une voie intéressante vers l’emploi. Les dispositions de la loi sur la formation professionnelle ont été revues, une attention particulière étant portée aux centres de formation, qui doivent désormais compter en leur sein un référent handicap afin de garantir aux jeunes en situation de handicap des places dans les centres de formation d’apprentis et les organismes de formation – avec, naturellement, l’accessibilité correspondante. Il ne s’agit pas de plonger ces jeunes dans un environnement qui leur serait hostile et les mettrait en situation d’échec mais, au contraire, de les accompagner au moyen de compensations et de dispositifs de dépassement de leur handicap, leur permettant de profiter vraiment de la formation et d’accéder à des diplômes ou à des reconnaissances de compétences. Des propositions sont notamment faites pour éviter que les élèves qui ne peuvent, pour des raisons diverses mais identifiées, faire la preuve d’acquisitions de savoirs académiques, puissent néanmoins voir leurs compétences reconnues et être orientés vers le marché du travail et accompagnés dans l’emploi.

Ces propositions ont été portées à la connaissance du ministère de l’éducation nationale, du ministère du travail et des organismes de formation, afin que la situation s’améliore.

Il faut toutefois que la volonté politique manifestée par la loi de 2005 – qui portait sur la définition et l’affirmation des droits fondamentaux des personnes en situation de handicap – aille plus loin. En effet, le CNCPH considère que la démarche à l’œuvre est dépassée. Il faut dorénavant que toutes les lois prennent en considération les besoins des personnes handicapées : ce sont des personnes qui doivent vivre, être reconnues et jouir de leurs droits comme les autres et parmi les autres. Aussi l’idée d’un « acte II » de la loi de 2005 nous paraît-elle réductrice par rapport à l’ambition politique portée par le Président de la République, à savoir la construction d’une société inclusive. Une société inclusive se construit dans tous les départements de responsabilité ministérielle et pas simplement du côté du secrétariat d’État chargé des personnes handicapées.

Il y a encore trois ans, quand j’ai pris la présidence du Conseil national et que je m’adressais à des ministères, les responsables me répondaient qu’ils n’étaient pas concernés et me renvoyaient alors à Mme Neuville, désormais à Mme Cluzel. Cela dit, c’est une réponse que nous entendons de moins en moins après la nomination au sein de chaque ministère d’un haut fonctionnaire chargé du handicap et de l’inclusion, qui crée une acculturation des ministères à leurs obligations. En définissant sa politique, son règlement, ses dispositions, chaque ministère devra en effet prendre en considération les besoins de toute personne, quelles que soient ses aptitudes ou ses déficiences. Il n’en reste pas moins que ce travail doit se poursuivre avec pugnacité. Il est indispensable que toutes les politiques publiques, toutes les lois, tous les textes soient écrits et étudiés, notamment par la représentation nationale, du point de vue de l’inclusion et de l’intégration des personnes qui vivent en situation de handicap. Il n’est plus question aujourd’hui d’avoir un « volet handicap », une spécificité qui exclue les personnes, alors que leurs aspirations et la volonté politique tendant  à œuvrer dans le sens d’une meilleure intégration et d’une meilleure reconnaissance de la capacité de chacun à exercer ses droits fondamentaux.

Mme Diane Cabouat, vice-présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Je reviens sur un point qui, pour nous, a été très central. Nous constatons que, généralement, quand on parle de la scolarisation des élèves en situation de handicap, on ne s’intéresse qu’aux problèmes des accompagnants. À chaque rentrée scolaire, si vous lisez la presse, on cherche à savoir quel enfant n’a pas son accompagnant le premier jour. C’est toujours par ce biais qu’est abordée la scolarisation des élèves en situation de handicap.

Le premier point que nous voulons mettre en avant est celui-ci : la loi de 2005 s’appuie sur deux piliers : l’accessibilité et la compensation. Les accompagnants relèvent essentiellement de la compensation, question que Mme Gillot a soulevée. J’évoquerai pour ma part l’accessibilité, qui en est le pendant et qui reste très en deçà de nos attentes.

Certains enfants, en effet, sont accompagnés faute d’une accessibilité suffisante. Par accessibilité, on entend évidemment celle du cadre bâti, qui n’a pas suffisamment évolué pour prendre en compte l’arrivée des élèves en situation de handicap. On le sait, accueillir ces élèves suppose non seulement d’améliorer l’accessibilité proprement dite, mais aussi de repenser complètement l’école : pour disposer d’unités d’enseignement externalisé ou de dispositifs ULIS, pour accueillir des personnels médico-sociaux, il faut des salles.

Par accessibilité, on entend aussi celle de la pédagogie, qu’il va falloir adapter. Les élèves se retrouvent en effet face à des enseignants qui n’ont pas été formés à l’école inclusive. Je rappelle que l’école inclusive n’est pas simplement l’école où on accueillerait les enfants en situation de handicap. L’école inclusive, c’est l’école qui s’adapte à tous les enfants : bien entendu, les élèves en situation de handicap, mais aussi les élèves allophones, les élèves en difficulté sociale ou autres. Il faut s’attacher à accompagner tous ces publics.

Actuellement, les enseignants n’y sont pas formés. La façon d’enseigner procède de haut en bas et l’enseignement s’adapte peu aux élèves. On retrouve la même difficulté s’agissant de l’accès au numérique.

Un autre élément d’accessibilité est à signaler, qui concerne l’écrit : il porte sur les manuels scolaires et tous les documents pédagogiques. Il existe une exception « handicap » au droit d’auteur, qui est élargie à tous les enfants confrontés pour des raisons diverses à des difficultés d’accès à la lecture. À l’origine, cela ne concernait que les enfants déficients visuels ; désormais, sont concernés les enfants qui ont des difficultés à accéder à l’écrit, que ce soit en raison de troubles « dys » – dyspraxie, dyslexie, etc. – ou de déficiences intellectuelles. Le FALC – « facile à lire et à comprendre » – est peu pratiqué dans les écoles. Il s’agit de documents adaptés pour être compris par tous. Le FALC est également plus accessible aux enfants d’origine étrangère, même sans handicap.

Se pose également un problème de communication pour les enfants sourds. La langue des signes française (LSF) n’est pas suffisamment présente dans les écoles. Or, comment scolariser son enfant si l’on a choisi le mode de communication LSF et que personne ne peut l’accompagner ? Il y a, sur ce point, une grande confusion sur le rôle des AESH : ce ne sont pas des interprètes LSF. Il faut pouvoir disposer de personnels qualifiés.

Quand on parle d’accessibilité, le champ est donc très large, et quand on parle de compensation, on parle régulièrement des AESH en oubliant toutes les personnes de la communauté éducative susceptibles d’intervenir auprès des enfants. Ce sont bien entendu des accompagnants, mais aussi des professeurs ressources, des interprètes en langue des signes, des cadres de l’Éducation nationale, des intervenants médico-sociaux – pas seulement issus des établissements et services médico-sociaux, car certains enfants sont suivis par des professionnels libéraux qui, actuellement, ne peuvent franchir les portes de l’école. Sur les plans de l’accessibilité et de la compensation, la marge de progression est encore large.

Mme Dominique Gillot. Je veux insister sur le fait que plusieurs métiers sont indispensables dans le cadre de l’accompagnement des enfants en situation de handicap. Mme Cabouat les a brossés d’une manière générique mais je pense nécessaire de dresser l’inventaire des métiers d’accompagnement indispensables : les métiers relevant du médico-social, mais aussi ceux de l’Éducation nationale.

Au titre du médico-social, je pense aux psychomotriciens, aux psychologues, aux orthophonistes. Au titre de l’Éducation nationale, lorsque le régime de l’accompagnement évoluera, à la rentrée 2019, il conviendra de veiller à la présence d’AESH sensibilisés et formés à l’accompagnement, sans pour autant qu’ils prennent la place des enseignants. Mme Cabouat a cité l’exemple des élèves sourds. L’AESH ne donnera pas de cours de langue des signes si l’enfant est en instruction bilingue – langue des signes et apprentissage du français –, mais il est souhaitable que l’AESH qui accompagne un enfant sourd maîtrise le premier niveau de la langue des signes. Des formations existent et peuvent être mises en œuvre dans le cadre du projet d’éducation du jeune sourd. La loi de 2005 prévoyait le pôle académique pour l’accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds (PASS). En 2017 ou 2018, une circulaire a transformé les PASS en pôles d’enseignement des jeunes sourds (PEJS). Il devait y en avoir un dans chaque académie, mais il y en a seulement deux qui fonctionnent bien, tandis que d’autres n’existent que sur le papier.

Il convient donc de dresser un inventaire des métiers de l’accompagnement, afin de proposer une offre aux familles qui pourront ainsi choisir correctement l’établissement qui scolarisera leur enfant.

Le métier de l’éducation à la locomotion, par exemple, est indispensable pour qu’un élève aveugle devienne autonome. Le nombre des personnes formées est insuffisant, d’où la nécessité de former des éducateurs à la locomotion pour que l’élève aveugle ou malvoyant puisse découvrir lui-même l’autonomie de déplacement, acquérir son autonomie de mobilité et se préparer à une vie future autonome.

Les métiers d’accompagnement de la vie scolaire de cette nature nécessitent de la précision. Or que constate-t-on aujourd’hui ? Nous-mêmes, quand nous voulons aller vite, nous nous exprimons un peu globalement, notre expression peut prêter à confusion, faussant la compréhension de nos interlocuteurs et, pour finir, on ne parle pas de la même chose. C’est ainsi que des parents se retrouvent en grande difficulté, et des enseignants en situation d’échec, parce qu’ils ne sont pas sensibilisés, n’ont pas été formés, ne connaissent pas l’accès à la plateforme ressource qui leur permettrait de compléter leur pédagogie. L’équipe éducative n’inclut pas les accompagnants scolaires.

Il est donc nécessaire, me semble-t-il, que vous dressiez une sorte de catalogue de tout ce qui manque, comprenant les références des formations nécessaires de niveaux V, IV, III, ainsi que les BTS, afin que l’on puisse disposer, dans trois ou quatre ans, d’un panel de professionnels facilitant la scolarité et la réussite des enfants avec handicap, tant il est vrai que l’objectif est la réussite de ces enfants à l’école, peut-être en un temps plus long, en leur autorisant l’échec, le recommencement, grâce à une pédagogie de l’accompagnement qui leur donne l’estime d’eux-mêmes et l’ambition de leur réussite.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, je vous remercie de cet exposé clair et très ambitieux.

Mme Dominique Gillot. C’est possible !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. L’une de vos préconisations consiste à étudier le principe d’une diminution du nombre d’élèves dans les classes accueillant des enfants en situation de handicap. Selon quelles modalités pratiques ? Et à quel niveau placer le curseur ?

Il m’avait semblé comprendre – et les premières auditions de ce début d’après-midi le confirment – qu’il existe une difficulté à identifier très précisément les données statistiques qui manquent pour assurer un meilleur pilotage des politiques publiques. Que faire pour améliorer la situation ? Quelles sont vos préconisations en ce domaine ? À quelle porte faut-il frapper pour objectiver notre photographie de la situation ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez cité des exemples très précis d’accompagnateurs techniques d’enfants qui ont des problèmes de surdité ou d’enfants malvoyants. Comment faire avec des enfants qui ont des problèmes de comportement associés à leur handicap ?

Mme Marianne Dubois. Pour avoir moi-même eu un enfant sourd, aujourd’hui devenu un homme, le sujet m’intéresse beaucoup.

Hier, j’ai eu l’occasion de visiter le pôle d’enseignement « jeunes sourds » (PEJS) de Tours. J’ai découvert des choses incroyables. Les deux AESH, de niveau « bac + 2 » ou « bac + 3 » et qui suivent des élèves de primaire, maîtrisent la langue des signes, qu’elles ont étudiée en suivant une formation qu’elles ont elles-mêmes payée. Et pour 20 heures de travail, ces jeunes femmes qui sont de niveau « bac + 2 » ou « bac + 3 » gagnent 617 euros…

Les professeurs souhaiteraient recevoir une initiation à la langue des signes pour apprendre à faire les gestes. Elle leur est refusée catégoriquement et ils n’ont aucun moyen d’y accéder.

Outre son coût élevé, l’apprentissage de la langue des signes nécessite quatre ou cinq ans avant qu’une personne en formation puisse accéder à une bonne maîtrise de la langue.

J’ai découvert autre chose. Je suis tombée de haut, car je n’avais jamais envisagé cette question. Dans le collège de ce pôle, les accompagnants sont obligés d’inventer des signes parce que le vocabulaire évolue. J’ai assisté à un cours de sciences où l’on parlait de « boues de compostage », expression qui n’existait pas en LSF. Les professeurs se réunissent régulièrement et mettent en place un vocabulaire. Et tous les PEJS de France font la même chose, mais sans jamais se rencontrer. À Tours, en quatre ans, 700 mots nouveaux ont vu le jour tandis qu’à Toulouse ou à Poitiers on en inventait d’autres. Je voulais mettre le doigt sur ce point.

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. Vous évoquez la formation des AESH qui devrait être adaptée aux enfants. Mon interrogation porte sur le parcours de l’enfant. Un AESH formé doit-il suivre l’enfant tout au tout le long de sa scolarité, de la maternelle jusqu’à l’université ? Il serait alors adapté à l’enfant puisqu’il connaîtrait bien son handicap. Ou bien faut-il qu’il soit suivi par des AESH qui dépendent des établissements ? Comment faire pour concilier le fait que les AESH, bien formés, peuvent suivre les enfants qui leur sont confiés et qu’ils sont par ailleurs intégrés à l’Éducation nationale, donc rattachés à un établissement donné ?

Mme Mireille Robert. Comment concevez-vous la formation des enseignants ? Doit-elle, selon vous, porter sur un handicap particulier ? Envisagez‑vous, dans ce cas, des classes comprenant préférentiellement des enfants d’une certaine catégorie ?

Mme Géraldine Bannier. Je réagis au portrait dressé des enseignants. J’ai été professeur pendant plusieurs années dans des classes qui comprenaient des élèves en situation de handicap. L’enseignant, loin d’avoir une méthode toujours descendante, est contraint de s’adapter en permanence à des enfants très différents. Pour répondre à une remarque de M. Jumel, il n’est pas aisé d’estimer les besoins, car les élèves handicapés sont très divers. J’ai connu un élève en situation de handicap moteur qui avait 19 de moyenne et qui, finalement, avait beaucoup moins de besoins que ses camarades. Certes, il avait des besoins matériels, mais une fois cette question réglée, il avait moins de besoins que des élèves qui avaient des problèmes de comportement et que j’estimais, de mon point de vue, plus handicapés !

Mme Dominique Gillot. Je répondrai sur la conception du handicap et sur l’éducation des jeunes sourds, sujet que je connais bien pour y avoir travaillé pendant longtemps.

Nous évoluons sur la reconnaissance et la conception du handicap. Vous dites vous-même, madame Bannier, que vous aviez dans votre classe un enfant atteint d’un handicap moteur et qui était très brillant. Nous avons désormais compris que des enfants atteints de troubles autistiques peuvent être extrêmement doués. Le handicap n’est donc pas synonyme d’incapacité, comme on l’a cru pendant longtemps. On reconnaît aujourd’hui des facteurs handicapants qu’on ne reconnaissait pas il y a quelques années. L’éducation des enfants a évolué et on se situe aujourd’hui dans une démarche de reconnaissance de leurs aptitudes et de leur comportement. Parfois, des enfants turbulents bénéficient d’une reconnaissance de handicap pour être pris en charge correctement alors qu’il n’y aurait pas forcément besoin qu’ils soient reconnus handicapés.

La mission de l’enseignant comprend l’accueil de tous les élèves. Le ministre l’a répété dernièrement devant nous : un enfant handicapé est avant tout un élève. Je pense que, disant cela, il envisage que même les enfants handicapés accueillis dans des établissements spécialisés relèvent du ministère de l’éducation nationale, au nom de l’appartenance à la communauté des élèves, de la prise en considération des besoins de l’élève et de l’aspiration à la réussite éducative et scolaire de tous les enfants, quel que soit l’établissement dans lequel ils sont accueillis.

La formation des enseignants doit se situer à plusieurs niveaux. La formation initiale doit permettre une sensibilisation réelle à la personnalité, à la typologie des handicaps que les enseignants rencontreront au cours de leur vie professionnelle. À cela s’ajoute une formation spécialisée pour ceux qui veulent s’orienter vers l’accompagnement, la prise en charge et l’éducation d’élèves porteurs de handicaps particuliers. Ce sont là deux démarches différentes : la formation de droit commun avec, dans les maquettes de formation, une sensibilisation suffisamment précise pour armer les enseignants à l’accueil des élèves, puisqu’ils auront à accueillir tous les élèves ; ensuite, des orientations vers une formation spécifique telle que celle qu’ont faite les AESH qu’évoquait Mme Dubois , par aspiration, par goût, par volonté. À cet égard, les niveaux de diplômes sont différents.

Les écoles normales ont été remplacées par les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), eux-mêmes remplacés ensuite par des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Les IUFM et les ESPE délivraient des formations très universitaires, très éloignées de la confrontation avec des praticiens sur le terrain. Je pense qu’avec la réforme de la formation des enseignants, on devrait revenir à une meilleure complémentarité entre formation académique et formation pédagogique de proximité, notamment si l’on considère ce pré-recrutement d’assistants d’éducation qui prendront progressivement part à un enseignement à partir du M1 pour découvrir le métier et être mieux armés. Nous devrions ainsi aboutir à quelque chose de plus pragmatique, plus en prise avec la réalité de la population scolaire. Les jeunes enseignants qui arrivent dans des classes sont surpris par ce qu’ils découvrent. Cette sensibilisation est donc nécessaire.

Il faut également préparer les enseignants à un travail d’équipe : ils ne sont pas obligés de trouver la solution seuls, ils peuvent la trouver auprès de collègues ou de plateformes. Les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) mettront à disposition d’un territoire d’éducation des compétences qui seront utiles. Ils ne feront pas que gérer des AESH, ils assureront aussi la mise à disposition et la circulation des compétences spécifiques pour permettre aux enseignants de remplir leur mission d’éducation, quel que soit l’élève.

Une fois le diagnostic posé – le plus précocement possible –, des orientations vers des accompagnements dans l’école ou à côté de l’école permettront à l’enfant de mieux canaliser son énergie, de mieux comprendre où il est et de profiter des enseignements qui lui sont proposés. C’est en cela que notre proposition de réduire le nombre d’élèves par classe accueillant des élèves handicapés trouve son utilité. Certains enseignants accueillent deux ou trois élèves en situation de handicap dans leur classe ; si chacun était compté pour deux dans les effectifs, cela permettrait de faire face plus aisément à une situation difficile. Il est plus facile de gérer la présence d’un élève en situation de handicap dans une classe de 20 élèves que de 25. Des pays ont mis en place cette disposition. Une telle formule présente en outre ces avantages que les enseignants qui accueillent des élèves handicapés se sentent encouragés, qu’il y a moins de mécontentement et que cela se passe beaucoup mieux dans la classe.

Pour ce qui est de l’éducation des jeunes sourds, vous confirmez mon propos sur l’organisation des PEJS : le système est insatisfaisant car il n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire et les chances de réussite des élèves ne sont pas les mêmes partout.

Que des AESH aient dû se former sur leur temps et leurs deniers personnels devrait disparaître dans l’année qui vient, car ces formations sont normalement prévues. Nous travaillons actuellement avec le ministère de l’éducation nationale et le secrétariat d’État aux personnes handicapées sur la scolarisation des enfants sourds. Une table ronde a traité du sujet la semaine dernière.

Il faut reconnaître les compétences particulières des AESH pour les orienter vers des élèves qui en ont véritablement besoin et éviter ainsi un gâchis. Ce travail doit être fait et il faudra que les choses soient très précisément écrites dans la circulaire d’application – nous y veillerons.

J’en viens à l’invention de mots nouveaux. Je ne comprends pas bien. Arrivés au collège, les enfants apprennent la langue des signes, mais ils ne reçoivent pas un enseignement en langue des signes au-delà de l’école élémentaire. À l’école élémentaire, l’enseignant en langue des signes peut assurer tous les cours : de français, de mathématiques, etc. Mais, une fois dans les classes supérieures, il doit avoir un diplôme de la matière enseignée. Or, dans les collèges, on ne trouve pas des professeurs de géographie ou de chimie ayant une formation généraliste. Il n’y a donc pas de raison que ce soit le cas pour les enfants sourds. Mais il est très difficile de trouver des professeurs qui pratiquent la langue des signes et qui maîtrisent des matières. L’enfant sourd est donc confronté à la nécessité d’apprendre le français.

Mme Marianne Dubois. C’est l’interprète de haut niveau qui ne connaissait pas le sujet.

Mme Dominique Gillot. Cela confirme mon propos, madame. Dès lors que l’on entre dans les apprentissages spécifiques, la langue d’enseignement est le français.

Mme Marianne Dubois. Il y a des enfants qui ne sont que « signeurs ».

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame Dubois, nous avons intégré les propositions d’audition que vous avez faites sur la question. Nous approfondirons le sujet avec les personnes qui seront invitées.

Mme Dominique Gillot. Votre témoignage rejoint le propos de Mme Cabouat. On considère souvent que l’accompagnant est le double de l’enfant, de l’enseignant, du parent, que c’est l’alpha et l’oméga de l’intégration scolaire des enfants ; or, ce n’est pas le cas. L’accompagnant est là, dans l’établissement, pendant le temps scolaire. Il peut s’occuper d’un enfant, de deux enfants, mais il ne peut être affecté à un enfant. En tout cas, tel est notre point de vue. En effet, un enfant doit apprendre l’autonomie. Si, ses parents sont en permanence présents autour de lui à la maison et son AESH à l’école, lorsqu’il voudra, à quinze ans, sortir seul avec ses copains, d’une part il enverra tout le monde balader, et d’autre part il n’aura pas acquis l’autonomie. Les enfants sourds, même signeurs, doivent apprendre le français écrit et le maîtriser une fois arrivés au collège.

Les interprètes que vous évoquez sont une catégorie de professionnels qui prennent les sourds en otages, alors qu’ils ne sont pas toujours bien formés et ne maîtrisent pas toujours complètement le vocabulaire. Si l’enfant sourd ne comprend pas ce qu’on lui dit, il ne pense pas que c’est la faute de son interprète, mais du monde qui l’environne, qui serait insuffisamment attentif à ses besoins. Nous devons donc être attentifs à ne pas donner aux accompagnants plus de responsabilités qu’ils ne peuvent en assumer, afin que tous les enfants aient une chance de réussir dans l’école publique en langue française.

Mme Diane Cabouat. De quel public parlons-nous aujourd’hui ? Vous parlez d’un « acte II » de la loi de 2005. Nous trouvons, quant à nous, que la loi de 2005 est très en retrait par rapport à la Convention internationale des droits des personnes handicapées. La loi de 2005 repose en fait sur la notion de déficience et, de ce fait même, nous avons encore, en France, une vision très sanitaire du handicap.

Pour répondre à plusieurs de vos questions, je pense qu’il faut s’attacher justement au public dont nous parlons. Vous posez la question des statistiques : lorsque l’on parle d’élèves en situation de handicap, parle-t-on des élèves qui ont un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ? Présenter un dossier à la MDPH signifie que l’on fait une demande de compensation du handicap, mais peut-on être en situation de handicap quand on n’a pas un dossier à la MDPH ? Tous les élèves en situation de handicap ont-ils un dossier à la MDPH ? Pas forcément. Un enfant peut avoir un trouble des apprentissages – qui dit trouble dit « handicap » – et pour autant ne pas avoir de dossier à la MDPH.

Il est donc très compliqué de vous répondre sur le plan des statistiques. D’ores et déjà, nous rencontrons des difficultés pour déterminer le nombre d’enfants qui ont un dossier à la MDPH. Nous espérons que, grâce au système d’information rénové des MDPH, nous disposerons de quelques informations supplémentaires. Mais quand nous questionnons l’Éducation nationale sur le nombre d’enfants qui ont un plan d’accompagnement personnalisé (PAP), nous n’obtenons pas de réponse. Nous sommes donc très en retard s’agissant des statistiques.

Vous avez demandé par quels moyens nous pourrions diminuer le nombre d’élèves à la charge d’un enseignant. Les handicaps sont très divers et variés, donc livrer un nombre unique n’aurait pas vraiment de sens aujourd’hui, et ce sera toute la difficulté pour les écoles, qui doivent procéder au cas par cas. La situation n’est pas la même pour l’enseignant selon qu’il a dans sa classe un élève en situation de handicap lourd qui, hier, aurait été dans un établissement médico-social, ou un élève qui a certes un trouble mais qui, avec des moyens de compensation d’accessibilité, peut suivre à peu près la classe comme les autres élèves. En fonction du profil, on ne pourra pas les comptabiliser de la même façon.

Vous nous avez interrogées sur l’accompagnant unique. Dans le cadre d’un groupe de travail sur l’accompagnement de l’enfant en situation de handicap durant les temps de vie autres que l’école, nous avons conclu à la nécessité de trancher la question au cas par cas. Pour certains enfants, le mercredi est une autre vie et il est bon que l’accompagnant ne soit pas le même que durant le temps de l’école, alors que, pour d’autres, l’entrée en communication est complexe et, une fois la confiance créée, il est préférable que la même personne reste auprès de l’enfant. Selon l’enfant, il faudra soit garder toujours la même personne, soit à certains moments « casser » un peu le lien qui s’est créé et changer d’accompagnant.

Je reviens d’un mot sur l’autonomie : l’enfant peut être autonome avec un accompagnant. Il faut être très attentif à cela. Ainsi que nous le voyons dans notre commission de la CNCPH, des adultes très autonomes sont accompagnés pour les gestes de la vie quotidienne. Ils sont dépendants d’une personne, mais sont autonomes. Penser, comme on l’a entendu, que chaque enfant a de moins en moins besoin de temps d’accompagnement n’est pas toujours vrai. L’école se complexifie et certains enfants auront un besoin décroissant d’accompagnement, alors que d’autres auront un besoin croissant. Il n’y a pas de règle générale. Il s’agit là d’un élément extrêmement important à comprendre : en fonction des situations, il faudra s’adapter. Nous parlions de l’aspect descendant, un peu normalisé, que nous connaissions jusqu’à aujourd’hui. Il faudra désormais faire à tout moment du sur-mesure pour répondre à un élève en difficulté.

L’une des réponses aux problèmes de comportement consiste à détecter le plus tôt possible le handicap – il faut savoir que certains handicaps sont découverts à l’école. Dès lors que l’on s’intéresse de façon plus fine aux enfants, on repère les difficultés qu’ils rencontrent à l’école et on comprend ce qui dysfonctionne. En mettant en place immédiatement des mesures pour répondre à leurs besoins, on évite des problèmes d’estime de soi et de comportement car, bien souvent, les problèmes de comportement sont l’expression d’un mal-être – ce peut être dû aussi au fait d’être victime de harcèlement à l’école –, un mal-être face à son handicap, qui n’est pas compris, qui n’est pas diagnostiqué. S’installent alors des troubles du comportement.

Je ne dis pas qu’il n’existe pas d’enfants ayant des problèmes de comportement autres que les élèves en situation de handicap, mais pour ceux-ci, il s’agit souvent de sur-handicaps, qui s’ajoutent en raison d’une mauvaise prise en charge de ces enfants à l’école. En répondant plus finement aux besoins, nous réduirions le nombre d’élèves ayant des troubles du comportement à l’école. Cela suppose de les repérer pour aboutir à un diagnostic.

Si l’on retire l’enfant de l’école, il sera bien plus compliqué pour lui d’y revenir, car s’atteler à gérer les problèmes de comportement suppose de délaisser quelque peu les apprentissages, ce qui aboutit à un décalage encore plus grand avec les camarades de classe et de plus grosses difficultés pour réintégrer l’école. Sur les problèmes de comportement, la meilleure réponse est : agir tôt, très tôt.

Mes propos sur le handicap valent pour la stratégie sur l’autisme et les troubles du neurodéveloppement. Elle a mis en place un forfait de dépistage précoce pour agir et diagnostiquer avant l’âge de sept ans afin de répondre le plus vite possible aux besoins de l’enfant pendant au moins un an avant de mettre en place des accompagnements dédiés, attribués notamment par la MDPH. Il convient donc d’agir au plus tôt pour répondre aux besoins des enfants.

J’en viens à la formation des enseignants. Bien entendu, ils ne seront pas tous spécialisés ; il faudrait au moins un corpus commun sur l’école inclusive et sur les droits. Nous n’avons pas évoqué les droits des familles – sujet que nous avons souligné a cours de la récente concertation. Les familles sont très éloignées de la façon dont se déroule la vie scolaire et du rôle des différents intervenants. Elles ne savent pas à qui s’adresser en cas de dysfonctionnements et sont souvent très désemparées. L’interlocuteur unique est l’école. Si les réponses que l’école leur fournit ne vont pas dans le bon sens, elles sont perdues. Il y a donc un vrai problème d’accès à l’information.

Je voudrais dire encore un mot sur la concertation. Le CNCPH et le « focus parents » ont souligné que l’école s’appuie largement sur la compensation. Lorsque les parents ont un enfant en situation de handicap, ils rencontrent une équipe de suivi de la scolarisation. Or, ils ont le sentiment que cette rencontre ne sert qu’à remplir un document qui sera envoyé à la MDPH pour faire une demande de compensation. Quant à l’école, lorsqu’elle accueille un enfant en situation de handicap, elle doit déterminer ce qu’elle peut faire concrètement pour cet enfant, s’interroger sur la façon d’adapter la pédagogie, sur la façon dont elle va répondre aux besoins de cet enfant. Et si elle ne dispose pas de tous les éléments, elle doit alors s’interroger sur les ressources à rechercher à l’extérieur, tels que les moyens de compensation attribués par la MDPH, l’appel à des professionnels du secteur médico-social ou la mise en place d’un accompagnement ou d’autres ressources. Aujourd’hui, on a un peu le sentiment que si l’école n’en dispose pas, il ne se passe rien. Aussi les familles demandent-elles que l’on s’interroge sur ce que l’on peut faire dans un premier temps et, une fois décidé ce que l’on va entreprendre, ajuster et améliorer avec les moyens extérieurs. Mais commençons, au sein de l’école, par répondre aux besoins de l’enfant.

Mme Dominique Gillot. Les choses doivent être faites dans le temps scolaire ; il ne faut pas attendre que l’enfant soit arrivé à l’école pour passer par différentes commissions et parvenir enfin à déterminer ses besoins à la fin de l’année scolaire, au mois de juin. Sans compter que si l’enfant change d’école ou d’enseignant, il faudra tout recommencer au mois de septembre !

À la rentrée, l’enfant doit pouvoir bénéficier – pas forcément le jour même, mais très rapidement, dans les quinze jours qui suivent – des compensations techniques ou humaines nécessaires à sa bonne scolarité afin d’éviter tout phénomène de rejet, de frustration, de colère des parents et de repli de l’enfant. Ce n’est pas suffisamment le cas à l’heure actuelle.

Les outils d’évaluation existent, mais cela prend beaucoup de temps. Récemment, j’ai eu à connaître l’exemple de deux enfants atteints d’une maladie qui les privera à brève échéance de la vue. L’aîné a été signalé en début d’année scolaire. Il a fallu solliciter la commission concernée, on a évalué le matériel dont il avait besoin mais il n’était pas financé, faute de la reconnaissance par la MDPH. Ce sont donc les parents qui ont acheté les tablettes et les grossisseurs nécessaires. Une fois le bilan réalisé, le dossier devait être soumis à la MDPH, et l’année scolaire était déjà terminée ! Il a donc fallu attendre le début de l’année scolaire suivante.

Son frère avait les mêmes symptômes. Il a fallu reprendre les mêmes démarches, passer les mêmes étapes avec la même lenteur de mise en œuvre. Une telle situation n’est pas possible. La simplification et la souplesse, nécessaires pour garantir les meilleures chances aux enfants, doivent être au rendez-vous. Se fixer un tel objectif ne surpasse pas les moyens et les forces de nos institutions.

Mme Cabouat a évoqué la souplesse de l’accompagnement, la nécessaire compensation et le fait qu’un enfant peut être autonome en étant accompagné, toutefois pas toujours de la même manière. Il est nécessaire, en effet, que l’accompagnement évolue. Je prendrai l’exemple du déplacement vers l’école. Quand il est scolarisé en milieu ordinaire, bien souvent, un enfant en situation de handicap a droit à être accompagné par un taxi de son domicile à l’école. Pour le retour, il quitte l’école un peu plus tôt que ses camarades parce qu’il faut procéder au ramassage. C’est ainsi qu’un quart d’heure ou une demi-heure de temps scolaire est grignoté sur le temps d’apprentissage. Et s’il circule en taxi, l’enfant n’apprendra pas facilement le chemin pour rentrer chez lui – y compris en métro ou en bus s’il est dans un milieu urbain – alors que l’accompagnant veillerait à cette éducation à la locomotion. Je l’ai évoquée précédemment pour les enfants malvoyants, mais cela peut être le cas d’enfants qui ont des troubles du comportement, des troubles de l’orientation, des troubles cognitifs et qui, grâce à un apprentissage, peuvent faire le chemin eux-mêmes et gagner en autonomie. De tels exemples montrent que c’est possible, mais il faut sortir du carcan imposé par la loi de 2005, qui est fondée sur un principe de « reconnaissance du handicap pour… » ; nous sommes plutôt dans la préconisation de l’anticipation, de l’intervention précoce pour ne pas perdre de temps, pour multiplier les chances de réussite de l’enfant et pour rassurer les parents dans leur qualité de parent et pas uniquement de plaideurs et d’avocats de leurs enfants.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, je vous remercie pour vos témoignages, vos explications et votre volonté d’accompagner le changement, sur la base d’une vision nouvelle, et de ne pas se laisser enfermer dans les difficultés passées.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je souhaite également vous remercier de la contribution utile et pertinente que vous avez développée devant nous et qui ne manquera pas de nourrir les réflexions futures. Nous vous invitons à rester attentives à l’évolution de nos travaux et à être interactives. Nous sommes évidemment preneurs de vos contributions écrites.

Mme Dominique Gillot. Nous restons également à votre disposition pour vérifier un certain nombre d’éléments au moment de la rédaction du rapport. Nous pouvons revenir vers vous dans une démarche interactive.

Nous avons envie, sincèrement, de faire avancer les choses, d’aider tous les acteurs de la société qui veulent que la société inclusive se construise dès le plus jeune âge, et d’aider les enfants qui seront les adultes de demain. Un enfant handicapé accueilli dans une école deviendra un adulte autonome et accédera à une vie professionnelle réussie ; cela permettra aussi à l’entourage de se familiariser avec le handicap et de comprendre que travailler avec une personne handicapée ce n’est pas un boulet. Vivre à côté d’une personne handicapée n’est pas une contrainte, c’est un enrichissement, une manière de vivre ensemble qui est joyeuse.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie.

 

 


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   Mardi 26 mars 2019

1.   Audition de représentants de l’Union nationale des syndicats de l’éducation nationale CGT (UNSEN‑CGT Educ’Action) : Mme Hélène Elouard, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) et animatrice du Collectif AESH national CGT, et M. Yvan‑Yvon Barabinot, professeur de lycée professionnel

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission poursuit ses travaux en recevant deux représentants de l’Union nationale des syndicats de l’éducation nationale CGT (UNSEN-CGT Éduc’action) : Mme Hélène Elouard, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) et animatrice du Collectif AESH national CGT, et M. Yvon‑Yvan Barabinot, professeur de lycée professionnel en établissement régional d’enseignement adapté (EREA).

Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

Dans un récent numéro de la revue Perspectives Éducation Formation éditée par votre syndicat, vous évoquez, à l’appui de vos revendications, des « pratiques illégales d’annualisation des services des AESH » ainsi que de « nombreuses et incohérentes disparités académiques sur la gestion de ce personnel ». À l’automne dernier, vous avez d’ailleurs créé un collectif national AESH, construit à partir de l’expérience de collectifs AESH régionaux. C’est pourquoi, le rapporteur a souhaité que la commission d’enquête puisse bénéficier de l’expérience que vos organisations peuvent lui faire remonter.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Hélène Elouard et M. Yvon-Yvan Barabinot prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Je suis député de Seine-Maritime, un département où nous avons constaté, à la rentrée dernière, un grand nombre de situations préoccupantes, même dramatiques au plan humain pour les familles concernées, et un décalage flagrant entre les notifications effectuées par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et la présence humaine dans les établissements. Dans le même temps, nous avons été sensibilisés à la précarité dans laquelle évoluaient les intervenants en milieu scolaire, quel que soit leur statut. C’est cette prise de conscience et les mobilisations qui ont suivi, auxquelles votre organisation syndicale avait contribué régionalement, qui m’ont convaincu que votre expertise pouvait éclairer utilement nos travaux.

Nous attendons de vous que vous nous fassiez part de votre point de vue afin d’étayer le diagnostic que nous souhaitons partager sur la situation de la scolarisation des enfants en situation de handicap, en milieu ordinaire et en milieu spécialisé.

Vous aurez sans doute noté que notre commission d’enquête ne s’intéresse pas uniquement à la scolarisation des enfants en maternelle ou en élémentaire, mais qu’elle embrasse bien l’ensemble des champs de l’éducation nationale – premier degré, collège, lycée et même enseignement supérieur. Nous avons également souhaité avoir un éclairage sur la question de la formation professionnelle, qui est malheureusement trop souvent absente et des diagnostics et propositions d’amélioration que nous pouvons formuler.

Comme vient de le dire Mme la présidente, il s’agit de partager le plus possible le diagnostic, puis de pouvoir faire avancer la situation des enfants, des familles et de l’ensemble des intervenants œuvrant dans ce champ, qu’ils soient enseignants, accompagnants ou mobilisés dans les structures médicales ou paramédicales. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous vous recevons, en vous remerciant pour votre disponibilité.

M. Yvon-Yvan Barabinot, professeur de lycée professionnel en établissement régional denseignement adapté (EREA). Mesdames, messieurs les députés, mon intervention portera sur la vision que nous avons du fonctionnement actuel de l’école inclusive.

Nous vous remercions de recevoir la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture (FERC-CGT), la CGT-Éduc’action et son collectif que nous représentons aujourd’hui dans le cadre de cette commission d’enquête. Nous saluons votre volonté d’évaluer l’application de la loi de 2005, parce que cela nous apparaît urgent.

Au-delà du principe affirmé par cette loi d’un droit à la scolarisation pour tout enfant et jeune en situation de handicap, nous constatons quotidiennement que les conditions réelles de l’école inclusive sont loin d’être facilitées et qu’elles entraînent des dysfonctionnements, mais aussi démoralisation et souffrance pour de nombreux élèves, pour leurs familles et les personnels.

La CGT considère qu’on ne peut pas penser l’école inclusive séparément de la situation globale de l’école qui subit aujourd’hui les politiques d’austérité, de suppression de postes, de non-créations à la hauteur des besoins, la casse de la formation et la précarité. D’ailleurs, nous nous inscrivons dans l’appel intersyndical à une journée d’action, le 30 mars prochain, contre la politique de ce ministère et pour un budget à la hauteur des besoins du service public d’éducation.

Les nombreuses mobilisations locales, tant des parents que des personnels, et en particulier sur la question des AESH – dernièrement encore, le 6 février – ont montré que la situation actuelle et les réponses du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des besoins et des enjeux, bien au contraire.

Compte tenu de l’actualité, nous centrerons en partie notre propos sur la question des AESH. Néanmoins, avant d’aborder cette question, je vous propose de faire un panorama nécessairement rapide, tant les questions soulevées sur l’état de l’école inclusive sont nombreuses.

Plutôt que de faire un inventaire, nous vous proposons de partir de ce qui se vit dans un établissement, non pour parler plus particulièrement de ce qu’il s’y passe, mais parce que cela permet d’ancrer le propos.

Nous avons pris le cas d’un EREA parisien, mais cela pourrait être la même chose ailleurs. On peut d’abord parler de ces collègues AESH qui effectuent un travail remarquable d’accompagnement des élèves en situation de handicap, pour leur permettre de se concentrer sur les apprentissages. Toutefois, elles le font sans formation, si ce n’est leur auto-formation, avec les difficultés liées à leur statut précaire. Ces collègues n’ont pas non plus de temps reconnu pour se concerter, échanger avec les enseignants dont je suis, ou avec le reste de l’équipe. Mme Elouard y reviendra.

Il faut aussi évoquer le cas de tous ces élèves qui, pour des raisons diverses, restent sans aucun accompagnement, soit parce que l’évaluation des troubles est arrivée tardivement – je parle ici d’un EREA du second degré, c’est-à-dire après le collège –, soit parce qu’ils ont refusé cet accompagnement, soit enfin parce qu’ils n’ont jamais pu faire les démarches d’évaluation auprès d’une MDPH. Cela renvoie, de notre point de vue, à l’insuffisance des moyens de prévention, d’évaluation et d’accompagnement des familles dans ces démarches, mais aussi à la longueur du traitement des dossiers et au manque de moyens des MDPH et de l’éducation nationale dans ce domaine. Quand on sait, par exemple, qu’un enseignant référent doit suivre des centaines de dossiers – plus de 300 en Seine‑Saint-Denis –, comment faire ? On peut faire le même constat pour les psychologues de l’éducation nationale qui sont environ un pour 1 500 élèves.

La CGT est favorable à la limitation à 100 au maximum du nombre de dossiers suivis par un enseignant référent, et à la présence d’une ou d’un psychologue scolaire – c’est un métier très féminin – à plein-temps dans les établissements qui accueillent des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS). À ce propos, nous estimons que la casse des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) a été plus que préjudiciable. Le rétablissement de RASED complets doit permettre au plus tôt un meilleur traitement des élèves en difficulté scolaire qui sont malheureusement parfois renvoyés dans le champ du handicap.

On pourrait aussi parler de ces élèves qui ont dû attendre des semaines pour avoir l’accompagnante prescrite, faute de recrutement, et qui n’ont pu être correctement scolarisés dans l’intervalle.

Il faudrait aussi évoquer, même si l’on s’éloigne un peu de ce qui vous occupe aujourd’hui – mais pas tant que cela – les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) et les mineurs étrangers isolés, qui sont dans cet établissement en CAP. La plupart d’entre eux ne relèvent pas du handicap, mais ce sont bien des élèves à besoins éducatifs particuliers. Pour eux aussi, l’insuffisance des moyens de l’école inclusive est cruelle, avec notamment une période de scolarisation trop courte pour apprendre la langue. Ceux d’entre eux qui pourraient relever du handicap sont rarement évalués, suivis, ont peu de prise en charge. On parle ici d’élèves qui connaissent de nombreux problèmes d’hébergement, administratifs, de pauvreté. En la matière, la présence insuffisante de l’assistante sociale est un obstacle. Le même problème se pose évidemment dans les écoles, les collèges et les lycées, notamment des quartiers populaires et de l’éducation prioritaire. Nous sommes favorables à ce qu’une assistante sociale soit présente dans chaque établissement et à la création d’un véritable service social dans les écoles.

Dans cet établissement, la semaine dernière, à l’occasion d’un oral blanc, un élève suivi à l’extérieur pour des traitements était manifestement très « assommé » par ses médicaments. Que fait-on quand l’infirmière, déjà présente uniquement à mi-temps dans l’établissement, n’est pas remplacée depuis des semaines ? Que fait-on quand le médecin scolaire n’est là qu’épisodiquement compte tenu du nombre d’élèves qu’il doit suivre ? Cela renvoie, là aussi, au manque criant de médecins scolaires, à l’absence d’un service social et de santé dans les écoles et à son insuffisance dans le second degré.

Nous devons revenir sur ce que vivent les personnels intervenant en ULIS – ici, il s’agit d’un dispositif pré-professionnalisant – qui se sentent souvent démunis, en échec et estiment que certains de leurs élèves relèvent d’autres structures. Rappelons que les structures spécialisées offrent un nombre de places insuffisant et inégalement réparti entre les territoires. C’est aussi la conséquence de politiques des agences régionales de santé (ARS) qui, en accord avec les régions, suppriment des établissements spécialisés ou demandent des réorientations du projet de la structure. Nous sommes pour le maintien de ces structures.

Il existe dans cet EREA un temps institutionnel de synthèse, même si certaines de ses modalités peuvent interroger. Mais comment fait-on dans la plupart des autres établissements pour se concerter ? Toutes nos remontées, quels que soient les établissements, insistent sur le manque de temps de concertation pour les équipes entre les différents intervenants, quand des services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) interviennent, quand il y a des unités d’enseignement (UE), etc. Nous sommes pour la création dans le service des enseignants, mais aussi des accompagnants, d’un temps de concertation. Cela participerait également de la transformation de l’école que nous appelons de nos vœux.

Rappelons que le rôle des EREA, comme celui des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), est le traitement des difficultés scolaires d’apprentissage. Le rôle de ces structures n’est évidemment pas de traiter du handicap. Pourtant, vous l’avez entendu dans le descriptif que je faisais, nous constatons une dérive avec l’utilisation de ces structures pour accueillir tout type d’élèves à besoins éducatifs particuliers : élèves en situation de handicap, élèves d’ULIS, élèves issus des SEGPA mais aussi des UPE2A. Cette dérive, nous le constatons de plus en plus, s’étend progressivement à une partie de l’enseignement professionnel.

Il faut parler également de la situation des enseignants coordonnateurs d’ULIS. Ils sont en partie accaparés par la gestion et voient leur rôle d’enseignement de plus en plus réduit. Ils n’ont pas assez de temps à consacrer à leurs élèves, ils sont inquiets des projets de mise en réseau des ULIS.

À propos des ULIS, nous soulignons leur nombre insuffisant. Les effectifs des élèves d’ULIS doivent, de notre point de vue, être pris en compte dans les effectifs des écoles et des établissements, dans le calcul des seuils de classes et des dotations. Il est nécessaire de diminuer les effectifs des classes dans les écoles accueillant une ULIS.

Un problème spécifique se pose dans les ULIS-DAPP (ULIS – Découverte des activités professionnelles et projets personnels et professionnels) ou ULIS-LP (ULIS – Lycée professionnel), et plus globalement aux établissements de la voie professionnelle qui accueillent des élèves en situation de handicap dont l’orientation a souvent été imposée, l’important étant d’avoir une affectation après la classe de troisième plutôt que de suivre le projet de l’élève. Cela est fait parfois, malheureusement, en dépit de toute réflexion sur le lien entre le handicap et la formation professionnelle. Nous rencontrons dans ces cas-là de grandes difficultés pour trouver des stages aux élèves, des situations où les professeurs estiment que le handicap de l’élève l’empêchera d’exercer avec la qualification qu’il prépare. Se pose également la question des machines dangereuses et des risques qu’elles engendrent. En la matière, nous pourrions vous citer un certain nombre d’exemples.

Il faut revenir aussi aux questions d’accessibilité en termes de locaux. Si quelques avancées ont été obtenues pour améliorer leur accès, il reste encore beaucoup à faire. Ce devrait être une obligation pour l’État, les communes n’ayant pas les moyens financiers de rendre accessibles toutes les écoles. Il est également nécessaire de mener une réflexion sur les espaces des écoles et des établissements en termes d’adaptation. Une réflexion est indispensable sur la taille, les espaces et les équipements, avec un budget et une formation pour permettre cette réelle adaptation. Dans ce cas-là, le rôle des conseillers à la scolarisation, qui peuvent exister dans certains départements, est très utile pour accompagner les personnels. Ils doivent être généralisés.

Tous ces éléments posent plus généralement la question de la formation des personnels. De ce point de vue, nous estimons que les trois étages de la formation – initiale, continue et spécialisée – sont aujourd’hui en crise. Nous revendiquons deux ans de formation initiale pour les enseignants, qui devrait comprendre des modules de formation aux divers handicaps, à l’enseignement aux élèves à besoins éducatifs particuliers, au travail en équipe et à la concertation.

La formation continue réduite, trop réduite, ne répond pas aux besoins exprimés sur le terrain. Quant à la formation spécialisée, nous estimons qu’elle est réduite en volume et en approfondissement depuis la création du certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI). Les offres de formation au certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (CAPA-SH) et au certificat complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (2CA-SH) devraient être remises en place, améliorées et développées. La limitation de la formation d’enseignants spécialisés a pour conséquence que trop de personnels non formés, et souvent précaires, se retrouvent sur ces postes d’enseignants spécialisés. Dans l’EREA dont je parlais tout à l’heure, où les postes ont vocation à être occupés par des enseignants spécialisés, titulaires du CAPPEI ; en réalité, sur vingt-quatre enseignants, seize sont des contractuels et n’ont pas de formation initiale, et la plupart des autres ne sont pas spécialisés.

Par ailleurs, la question des effectifs par classe est primordiale. Ils doivent être limités à vingt élèves à l’école et au collège, et à vingt-quatre au lycée, nombre qui devrait être abaissé dans les situations particulières d’éducation.

Ce panorama assez sombre, où dominent l’insuffisance des moyens, le manque de formation, les difficultés pour penser, réfléchir et travailler à l’adaptation et à la compensation nécessaires, a des conséquences négatives sur les personnels et, bien évidemment, sur l’épanouissement des élèves accueillis. Les personnels nous font largement remonter leur mal-être, leur sentiment de découragement pour gérer ce quotidien avec son cortège de culpabilité, de sentiment d’incompétence, de fatigue et parfois d’incompréhensions. Un indicateur très significatif est d’ailleurs celui de l’augmentation du nombre de remontées pour risques psycho-sociaux dans les registres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) lié à l’accueil des élèves en situation de handicap.

Cette première présentation s’appuie sur les remontées du terrain. Toutefois, comme vous l’aurez constaté, en partant d’un établissement pour illustrer notre propos, elle manque beaucoup de données chiffrées car elles sont très difficiles à obtenir. J’espère que le travail de votre commission permettra d’avancer sur cette question-là. Il est très difficile en effet de savoir auprès de l’institution combien il y a de personnels AESH – pas seulement les équivalents temps plein, qui sont connus, mais les personnes elles-mêmes, car les quotités sont très souvent celles du temps partiel –, quels sont les contrats, quelles sont les quotités de temps de travail, combien d’enfants sont restés sans accompagnement, combien de temps, combien il y a eu de déscolarisations faute d’inclusion réussie, combien il y a d’enfants par AESH, combien d’enfants ne sont pas en ULIS faute de places. Il serait très utile d’avoir des chiffres sur la réussite de l’inclusion.

En conclusion, la scolarité des élèves nécessite de nombreux moyens financiers et humains, tant par l’emploi, le salaire que la formation des personnels. Cela demande un investissement budgétaire et une rupture avec les politiques actuelles.

Mme Hélène Elouard, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) et animatrice du Collectif AESH national CGT. Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir.

Je suis représentante et animatrice du collectif AESH national de la CGT Éduc’action. Comme l’a dit Mme la présidente, ce collectif regroupe de nombreux collectifs AESH CGT Éduc’action dans toute la France. Au vu de la précarité de la fonction et des attentes des AESH, de nombreux collectifs se montent de plus en plus dans toute la France.

Je souhaite revenir sur les divers points qui ont été évoqués, comme les pratiques illégales, le décalage entre les notifications MDPH et la présence humaine effectivement mise à disposition, la précarité, et l’absence de formation professionnelle.

Comme vous le savez, la profession d’AESH est féminine à 90 %. Ce sont souvent des femmes seules, avec enfants, isolées, migrantes, ce qui accentue la précarité, la pression de l’institution, du personnel administratif et du corps enseignant ainsi que la difficulté des conditions de travail. Toutefois, le nombre de collègues hommes augmente, faute de trouver du travail ailleurs. Ensuite, ils apprennent que c’est un métier passionnant. J’y reviendrai.

Nous avons été desservis par le fait qu’après l’adoption de la loi de 2005, il a fallu recruter des personnels à la va-vite, en contrat unique d’insertion (CUI‑CAE), qui n’avaient aucune formation, voire aucune affinité pour ce travail. Certaines et certains d’entre eux se sont donc retrouvés dans des situations d’échec face à un travail auquel ils n’avaient jamais été confrontés et qui n’était pas nécessairement en relation avec leur savoir-faire, leur qualification, voire leurs préférences, ce qui a entraîné une mauvaise vision de ce que peuvent être aujourd’hui la profession d’AESH, notre savoir-faire et nos compétences malgré notre absence de formation.

Le nombre d’AESH est très insuffisant face à la demande, d’abord en raison d’une carence des supports budgétaires pour les recruter, mais aussi parce qu’il est très difficile de recruter des personnels qui veulent bien faire ce travail précaire. Il se trouve que certains personnels de Pôle Emploi conseillent même de ne pas accepter cette fonction – je parle de fonction et non de métier car il n’y a pas de statut – en raison de sa trop grande précarité. Ensuite, il est difficile de garder les personnels en fonction au vu des conditions de travail très difficiles sur lesquelles je vais revenir, qui entraînent de nombreuses dépressions et démissions.

Une concertation du ministère a eu lieu jusqu’au mois de février, qui avait donné un peu d’espoir à certaines AESH. Mais au vu des résultats obtenus, beaucoup se demandent si elles ne vont pas cesser ce travail, ce qui est regrettable.

Comme vous le savez, les AESH sont majoritairement employées à temps partiel. Jusqu’à présent, il s’agissait de contrats à durée déterminée (CDD) d’un an renouvelables cinq fois – on se demande si on a vraiment besoin d’une période d’essai de six ans pour prouver qu’on est capable d’assurer cette fonction – qui vont devenir des CDD de trois ans renouvelables une fois, ce qui représente incontestablement une petite avancée. Toutefois, ce n’est pas suffisant. On se demande pourquoi on ne peut pas avoir plus facilement un contrat à durée indéterminée (CDI). Nous voulons être titularisées et avoir un statut de fonctionnaire afin de sécuriser l’emploi.

Quand nous bénéficions de CDI, ce sont des contrats à temps partiel, principalement pour une quotité horaire de 50% à 60%, ce qui représente en moyenne un salaire de 600 à 700 euros nets par mois. C’est très peu par rapport au travail que nous effectuons et à tout ce qu’on nous demande de faire.

Comme on peut avoir à s’occuper de deux élèves dans deux établissements différents, y compris dans la même journée, on est amené à se déplacer. Or ces déplacements entre deux écoles ne sont pas pris en charge, non plus que les déplacements lorsque nous devons suivre une formation. Pourtant, lorsque l’on est dans un département très rural, on peut faire cinquante kilomètres pour se rendre à une formation. Ce n’est pas facile pour quelqu’un qui gagne 600 euros par mois de devoir avancer les frais qui seront remboursés très tardivement – jusqu’à deux ans – voire pas du tout.

Les frais de repas en cas d’accompagnement de l’élève ne sont pas non plus remboursés. En effet, s’il est indiqué, dans le projet personnalisé de scolarisation (PPS), que l’on doit accompagner l’élève à la cantine, nous devons payer notre repas, ce qui est absolument scandaleux.

Les conditions de travail sont également totalement inadmissibles et dues aux abus de l’institution vis-à-vis de personnes exerçant un travail précaire. Jusqu’à présent, comme notre contrat était renouvelé chaque année, nous subissions des pressions pour assurer des missions que nous n’avions pas à faire. Chaque année, c’est une source d’angoisse pour l’AESH qui se demande si son contrat va être ou non renouvelé. Souvent même, il n’est renouvelé qu’à la fin du mois de juillet, voire à la fin du mois d’août. L’AESH se demande aussi si elle s’occupera du même élève que l’année précédente avec qui elle s’entendait bien ou si, tout à coup, on va lui attribuer un autre élève. Voilà quelques questions qui reviennent chaque année et qui sont extrêmement difficiles à vivre.

Les pressions viennent aussi des chefs d’établissement, des directeurs et directrices qui ont souvent l’autorité déléguée par rapport au rectorat – il y a deux formes d’employeurs : le rectorat et les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Parfois, les directeurs et directrices en profitent largement. En raison de la précarité, on ne va pas nécessairement se battre, oser se battre, ou oser dire quelque chose.

Se pose aussi le problème des enseignantes et enseignants qui ne sont pas formés au handicap ni à travailler avec des AESH. Certains n’ont pas conscience de la fonction d’AESH, de leur savoir-faire et de ce qu’elles peuvent apporter au sein d’une classe. Cela entraîne des dérives incroyables. En général, beaucoup de dépressions sont dues aux mauvaises relations avec les enseignantes et les enseignants et les directrices et les directeurs – je parle ici de ce qui se passe dans le premier degré.

On confond souvent les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) et les AESH, ce qui fait que l’on demande à ces dernières de changer des couches, de faire du ménage ou encore de surveiller les élèves dans la cour de récréation. Or ce ne sont absolument pas les fonctions qui nous sont attribuées. Nous n’en avons ni la responsabilité, ni l’assurance. On nous demande aussi d’assister les enseignantes et enseignants dans leur classe, ce qui n’est pas non plus notre fonction.

On est même allé jusqu’à interdire à des AESH d’aller dans la salle des professeurs, qui est la salle du personnel. Dans les petites écoles, il y a une salle de classe où mangent tous les enseignantes et enseignants. Or parfois elles en sont exclues, et certaines AESH sont contraintes d’aller déjeuner dans leur voiture. De plus, on ne leur adressera pas la parole de toute la journée, on les reléguera dans un coin quand ce n’est pas l’enseignante ou l’enseignant qui les relègue dans un placard avec l’élève en situation de handicap et leur demande de calmer l’enfant pour qu’il puisse enseigner tranquillement.

Mme Béatrice Descamps et Mme Catherine Osson. On ne peut pas laisser dire cela ! 

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Le principe d’une commission d’enquête, c’est de tout entendre, y compris ce qui ne fait pas plaisir. Ensuite, nous ferons le tri. D’ailleurs, il ne s’agit pas de faire le procès de qui que ce soit. Quand on entend un témoignage, il s’agit d’entendre la réalité de ce témoignage.

Mme Hélène Elouard. J’ai évoqué les difficultés et les problèmes principaux ; il y a évidemment des établissements où tout se passe très bien.

J’en viens au manque de formation : nous ne sommes pas formés. La formation de 60 heures pour les nouveaux arrivants, annoncée par M. Blanquer, est déjà prévue par les textes sans toutefois être toujours dispensée ; jusqu’à présent, elle consistait en fait en une information. Les AESH sont donc obligés de s’autoformer en dehors de leur temps de travail, ce qui pose un réel problème. Nous ne sommes pas formés aux différentes formes de handicap, on nous lance dans l’arène et nous devons nous débrouiller avec les élèves.

Par ailleurs, aux 20 heures de travail hebdomadaire que nous effectuons, s’ajoutent six heures représentant du travail invisible, particulièrement lorsque nous intervenons dans le second degré. Ces heures invisibles sont consacrées à l’autoformation, à la préparation et l’adaptation des cours, à la mise à niveau lorsque l’on suit des élèves jusqu’au BTS – car il faut quand même comprendre l’enseignement délivré pour pouvoir le suivre avec l’élève que l’on accompagne –, mais aussi à des photocopies et autres scannages.

Nous souhaiterions par ailleurs bénéficier d’heures de régulation ; notre métier implique une grande pénibilité, car outre ce qui peut provenir de l’institution et de ses personnels, l’AESH éprouve une certaine souffrance due à l’élève lui-même.

C’est pourquoi la CGT réclame un taux de 24 heures de taux plein, qui inclurait ces heures invisibles.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai été frappée d’entendre que, dès le début, on n’est pas partis sur les bons rails. Au lieu d’entamer une vraie réflexion sur ce qu’est l’école inclusive, dès 2005 on s’est dépêché de faire comme si on s’équipait de béquilles – je m’excuse de cette comparaison –, sans réfléchir aux personnels, aux formations, aux matériels dont on avait besoins ainsi qu’à la qualité que l’on voulait pour l’école, les enfants et le personnel.

C’est pour cela qu’aujourd’hui nous réfléchissons à transformer tout cela, car les sujets sont nombreux et reviennent souvent à l’Assemblée nationale ; aussi vous suis-je très reconnaissante de vos témoignages.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur la scolarisation dans les unités d’enseignement externalisées.

De façon plus générale, quelle appréciation portez-vous sur les inégalités territoriales constatées, dans les prescriptions des MDPH, les moyens dont elles disposent, dans les délais entre leurs décisions et l’arrivée de moyens humains ? Car il semblerait que la ministre conduise une réflexion portant sur la gouvernance des MDPH.

Mme Cécile Rilhac. Comment définiriez-vous une bonne relation entre un enseignant et un AESH ? Vous avez indiqué que celle-ci pouvait être déficiente par endroits ; selon vous, que faudrait-il pour la rendre efficace ?

Vous avez par ailleurs évoqué un manque de formation, dès lors comment recevez‑vous la proposition de désigner des AESH référents, dédiés au suivi des accompagnants, que ceux-ci soient attachés à suivre les nouveaux arrivants dans la fonction, ou à l’occasion d’un changement d’élève, donc de handicap ?

M. Bertrand Bouyx. Il nous revient fréquemment que des différences sont constatées d’un département à l’autre, notamment dans les délais de traitement des dossiers ; quelle réponse conviendrait-il d’apporter à ce problème ?

M. Dino Cinieri. Je vais vous donner lecture de la question que je me propose de poser à Mme la ministre.

« J’appelle l’attention de monsieur le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur la nécessaire création d’un véritable statut pour les accompagnants des élèves en situation de handicap. Alors qu’ils sont des acteurs indispensables à la réussite de l’inclusion des enfants handicapés au sein de l’école, les AESH sont dans une situation de précarité inacceptable. Au-delà de la faible rémunération et du manque de reconnaissance que cela induit ils ne peuvent se projeter dans l’avenir.

« Dans un communiqué, le ministère de l’éducation nationale a annoncé l’instauration d’une formation de 60 heures annuelles pour les AESH, mais aucune précision n’a été apportée sur les modalités pratiques. Dans cette profession, les temps partiels sont imposés et pourtant beaucoup d’AESH travaillent bien plus que les heures prévues dans leur contrat. Les heures invisibles (les réunions, les temps de concertation et de préparation) ne sont pas pris en compte.

« Pour la plupart des AESH qui travaillent entre 22 et 28 heures par semaine (la répartition des horaires ne permet pas le cumul avec un autre travail), la rémunération oscille entre 600 euros et 850 euros, ce qui est inférieur au seuil de pauvreté. »

Dans la Loire, j’ai moi-même été président de l’association La myopathie à tout cœur. J’ai constaté que, lorsqu’un élève – qu’il soit autiste ou myopathe – trouve ses repères dans une cour d’école, dans une classe, dans ses couleurs et le mobilier, et qu’il perd son AVS (auxiliaire de vie scolaire) ou son AESH, parce que leurs contrats sont renouvelés pour un an au mois de juin, juillet ou août, tous les efforts produits par ces personnels sont irrémédiablement perdus. Je suis donc entièrement d’accord avec votre analyse.

M. Marc Delatte. À l’écoute de votre témoignage, madame, j’ai décelé en creux beaucoup de souffrance chez les AESH ainsi qu’un défaut de reconnaissance. Ce manque de reconnaissance est aussi le fait des enseignants, car parfois chacun travaille trop en silo.

Pour avoir été médecin généraliste, j’ai pu m’entretenir avec beaucoup de femmes qui se dévouaient à ces enfants handicapés. Comment concevez-vous une meilleure articulation entre le travail des enseignants et celui des AESH, dont vous dites qu’ils sont parfois ostracisés, ce qui, je l’espère, constitue l’exception ? Quelle formation complémentaire pourrait-elle être apportée aux enseignants ?

M. Yvon-Yvan Barabinot. Je reviendrai tout d’abord sur le communiqué ministériel annonçant que 60 heures de formation annuelle des AESH seraient dispensées. En réalité, ce sont 60 heures de formation avant la prise de poste sont prévues par les discussions avec le ministère. Nous estimons cela très insuffisant puisque les AESH déjà en poste n’en bénéficieraient pas et que seuls les nouveaux recrutés non titulaires du diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DAES) ou qui ont déjà travaillé seraient concernés. Il me semble, qu’en tant que députés, vous serez à même de poser la question au ministère puisque l’ambiguïté persiste entre 60 heures de formation pour tous ou seulement dispensées avant la prise de poste.

Pour ce qui concerne l’amélioration des relations entre enseignants et AESH, la question de la formation des enseignants est primordiale. Or nous pouvons témoigner qu’ils ne sont jamais formés au fait qu’il y a des élèves en situation de handicap et qu’ils sont très peu formés au travail en équipe avec les personnels qui ont d’autres missions, notamment les accompagnants d’élèves handicapés. Pour notre part, nous militons pour une formation des enseignants en deux ans après la réussite au concours. Il s’agit de donner plus de temps à l’ensemble de ces domaines, car il ne s’agit pas de surcharger la formation des stagiaires, qui est aujourd’hui mise en difficulté.

Nous militons encore pour la formation des accompagnants après le concours, car je rappelle que nous réclamons un statut de fonctionnaire pour ces personnels. Cette formation pourrait ainsi être dispensée dans ce qui doit être créé, c’est-à-dire des écoles supérieures non pas de professeurs d’éducation, mais de personnels ou de professionnels de l’éducation. Réunir dans le même lieu les enseignants et les accompagnants changera évidemment la façon dont chacun apprendra à travailler avec les autres. Cela nécessitera beaucoup de moyens, car nous ne sommes pas dupes : la suppression de la formation des enseignants a tout d’abord été considérée sous un angle strictement budgétaire.

Pourquoi revendiquons-nous le statut de fonctionnaire pour les AESH ? Il existe aujourd’hui un texte, même s’il est menacé, qui est le statut de la fonction publique. Il prévoit que les emplois permanents dans la fonction publique sont occupés par des fonctionnaires. Si un emploi permanent existe depuis 2005, même si l’on est parti sur de mauvais rails comme l’a dit Mme la présidente, c’est bien celui d’accompagnant. Dans ces conditions, au nom de quoi cet emploi permanent devrait-il continuer d’être un CDD d’un an, sous forme de contrat aidé, voire de volontaire de service civique – car certains AESH sont employés sous ce statut ? Quelle reconnaissance de la profession peut-on attendre lorsqu’elle est exercée sous la bannière de volontaire de service civique ?

Nous sommes donc convaincus que le statut d’AESH doit relever de la fonction publique, et que ceux qui sont déjà en poste doivent être titularisés, afin de reconnaître leur expérience accumulée ; les nouveaux arrivants devant faire l’objet d’un recrutement par concours. Nous avons réfléchi à un statut et nous considérons que le niveau de compétence, la pénibilité du travail, la nécessité de la formation et de la concertation justifient que les fonctionnaires accompagnants soient employés à temps plein, ce qui correspondrait à 24 heures hebdomadaires. Même sans créer ce nouveau corps, on pourrait considérer dès aujourd’hui que le temps plein est de 24 heures.

Cela éviterait toutes les menaces qui pèsent sur la professionnalisation des AESH, consistant à dire que l’on ne peut pas proposer aux accompagnants un temps plein de 35 heures, et qu’ils seront réduits à cumuler les emplois dans le périscolaire et l’extrascolaire. Pour notre part, nous considérons que la professionnalisation se joue dans les établissements.

S’agissant des MDPH, en tant que syndicat d’enseignants nous ne sommes pas spécialistes de cette question, mais, dans la mesure où des discussions ont porté sur le fait de savoir qui écrit les projets personnalisés de scolarisation (PPS), comment est rempli le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco), etc., nous sommes attachés à un regard pluriprofessionnel sur ces sujets. Par contre, force est de constater que les MDPH ne disposent pas des moyens nécessaires ; et beaucoup d’élèves nous parviennent sans aucun PPS. C’est pourquoi leurs moyens doivent être renforcés et une harmonisation nationale est nécessaire.

En effet, on constate que certains départements pratiquent beaucoup la mutualisation, ce qui est certainement dû à une réalité : le faible nombre des accompagnants ; on gère ainsi la pénurie au lieu de l’accompagnement individuel auquel les élèves devraient avoir droit. Dans d’autres départements, les MDPH prescrivent l’individualisation. La question de la mutualisation nous inquiète fortement, particulièrement dans la perspective de l’institution des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL).

Mme Hélène Elouard. Je vais maintenant donner le point de vue des AESH.

Il serait souhaitable qu’une formation initiale soit dispensée dès la prise de poste, voire avant. Cette formation devrait être assurée sur douze mois ou plus et comporter des stages dans les classes, mais aussi dans les structures d’accueil afin de former aux différentes formes de handicap, ce à quoi nous n’avons jamais droit.

Une formation continue aux différentes formes de handicap est aussi nécessaire, cela tant pour faire face à la diversité des élèves que les AESH vont accompagner ou, tout simplement, en fonction de leurs souhaits, car on a plus ou moins d’affinité avec certains types de handicaps, et nous devrions être écoutés à ce sujet. Je connais ainsi des AESH qui se sont autoformés à certaines formes de handicap et auxquels on ne confie plus jamais d’élèves atteints du handicap qu’ils connaissent le mieux alors qu’ils ont parfois financé leur formation. On nous oppose des difficultés d’ordre administratif ou quantitatif qui ne prennent absolument pas en compte les savoir-faire des AESH.

La formation commune des enseignants et des AESH est primordiale à nos yeux. Il est en effet indispensable d’apprendre ensemble, et qu’il ne soit plus question que la classe soit gérée par l’enseignant avec un AESH présent pour calmer l’élève handicapé et que les cours se passent bien. Heureusement, dans beaucoup d’endroits les choses se passent bien ; nous avons affaire à des enseignants qui, malgré leur manque de formation, essaient de prendre en compte le savoir-faire des AESH et de travailler avec eux. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, et l’AESH se voit relégué dans son coin. Le duo AESH / enseignant doit donc être constitué autour de modules de formation communs, pour travailler ensemble, dans une synergie et une fusion des savoir-faire afin d’arriver à vraiment travailler à l’inclusion.

Enfin, il serait judicieux que des AESH interviennent dans ces formations, car, malgré tout, nous avons acquis des savoir-faire. Certains AESH ne sont pas diplômés mais détiennent des savoir-faire parfaitement ancrés ; d’autres, détenteurs de nombreux diplômes, proviennent d’enseignement en science de l’éducation ou sont des formateurs en éducation spécialisée, ils disposent d’un savoir-faire leur permettant de travailler dans le second degré, ce qui les rend aptes à enrichir les formations et le savoir.

Par ailleurs, nous considérons que l’institution de référents AESH, qui a été testée à Paris, est une bonne chose. Ces personnels ont le même statut, le même salaire que les AESH et peu de formation. Il conviendrait toutefois que ces référents soient d’abord des AESH, afin de maîtriser leur savoir-faire, bénéficient d’un véritable statut et se voient attribuer un salaire en conséquence. Déjà, les AESH sont sous-payés ; il n’est pas concevable que cela soit aussi le cas pour ces référents qui ont une responsabilité supplémentaire.

S’agissant des différences dans le traitement des dossiers et le fonctionnement des MDPH, nous n’observons aucune harmonisation de la pratique de ces dernières ni des académies. C’est pourquoi, afin de rendre cette harmonisation possible, nous préconisons une plus grande cohérence entre les divers organismes intervenants ainsi qu’une pluralité de regards sur les élèves en situation de handicap.

En effet, les académies et les départements disposent chacun d’un pouvoir dont ils usent à leur convenance, et les AESH comme les élèves en situation de handicap sont tributaires de ces disparités. D’une académie à l’autre, chaque département produit un guide de l’AESH différent, ce qui conduit à des irrégularités dans l’application de la réglementation dans les domaines du salaire ou des heures devant être effectuées par les AESH.

Enfin, depuis un an la mutualisation s’est développée, accompagnée de la venue des PIAL qui nous inquiète beaucoup. Cela signifie que nous aurons toujours plus à intervenir auprès de différents élèves sans pouvoir approfondir l’accompagnement ; il est impossible de travailler sérieusement dans une telle dispersion. Notre mission est avant tout d’amener l’élève à une plus grande autonomie, or lorsqu’on a plusieurs élèves dans la même journée, de façon dispersée, nous sommes réduits à faire des gestes techniques et nous ne sommes plus du tout dans le champ de notre mission.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous avons entendu votre besoin de formation partagée, de reconnaissance du métier et d’harmonisation de la réglementation.

Mme Béatrice Descamps. Alors que j’étais encore enseignante, je militais déjà pour le statut d’AESH. C’est pourquoi vos propos m’ont quelque peu heurtée, mais je pense qu’ils étaient de portée générale. Je partage avec vous l’idée de l’urgence d’un statut des accompagnants, de leur formation et de celle des enseignants, du recrutement et des perspectives d’avenir des AESH.

Lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, j’ai déposé plusieurs amendements portant sur ces sujets, et j’ai aussi plaidé en faveur d’un statut des référents AESH ainsi que de leur formation et leur reconnaissance.

Un de mes amendements proposait une formation générale d’un an, suivie d’une formation spécialisée. Cela pourrait risquer de compliquer l’attribution des postes, mais ne serait-ce pas bénéfique pour l’élève accompagné ?

Par ailleurs, je souhaiterais connaître votre point de vue sur l’accompagnement dans le cadre périscolaire.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai entendu vos réserves sur les PIAL, que je peux partager, mais la mutualisation a été présentée comme un outil visant à augmenter le nombre d’heures allouées aux AESH ; comment résoudre cette contradiction ?

Les parents des élèves concernés et les accompagnants s’accordent à dire que lorsque l’on a acquis une compétence pour un handicap particulier, lorsque l’on a bâti une relation de confiance avec un enfant, on souhaite l’accompagner dans la durée ; j’ai reçu des témoignages poignants à ce sujet. Mais comment permettre cela sans établir le principe selon lequel que les parents pourraient choisir l’AESH ?

M. Yvon-Yvan Barabinot. S’agissant de la question de l’affectation en fonction de la formation et de la spécialisation, dans le cadre actuel, où des AESH sont encore sous statut précaire – nous l’espérons en CDI dans l’immédiat, mais je rappelle que nous sommes partisans de la construction d’un vrai corps de fonctionnaires –, nous pourrions très bien créer un mouvement d’affectation des accompagnants. Il y aurait évidemment une dimension fonctionnelle : les intéressés émettraient ainsi des vœux en fonction de leur spécialisation et de l’expérience acquise ; mais la question de la proximité du lieu de travail serait également prise en compte, car la précarité fait que l’on envoie parfois des AESH payés 600 euros à l’autre bout du département, ce qui pose la question des frais. Enfin, le statut de fonctionnaire suppose un mouvement d’affectation.

Par ailleurs, les PIAL – mais l’argument est le même en matière de périscolaire – ne sont pas nécessaires pour offrir le temps plein dont les AESH ont besoin pour percevoir un salaire leur permettant de vivre. Nous revendiquons en effet que les accompagnants soient rémunérés à 1,4 fois le SMIC, avec une grille d’avancement ne se résumant pas à 20 euros tous les trois ans, car chaque fois que le SMIC augmente, il faut la modifier.

Aujourd’hui les AESH, même lorsqu’ils travaillent 24 heures, sont déjà à temps plein, compte tenu du temps de travail invisible qu’ils accomplissent. C’est pourquoi nous considérons que 24 heures correspondent à un temps plein et que nous disons que cela ne représente aujourd’hui que 67 % du salaire : personne ne s’y retrouve ! 24 heures, c’est un temps plein.

Mme Hélène Elouard. Nous effectuons des heures invisibles qui ne sont pas prises en compte alors que nous avons déjà un travail énorme : nous aimerions donc d’abord que ces heures soient prises en compte. Le domaine périscolaire ne fait pas partie de nos fonctions : nous devons suivre des élèves de maternelle jusqu’à des élèves de BTS, ce qui représente énormément de travail sur le plan scolaire. Il nous est donc demandé de connaître des niveaux scolaires très variés, et par ailleurs nous avons affaire à de multiples formes de handicap, singulièrement du fait de la mutualisation, ce qui nous oblige actuellement à nous auto-former. Du matin au soir, nous accomplissons de multiples tâches différentes, et cela ne changera pas même si nous bénéficions un jour de formations adaptées. De son côté la connaissance de la relation avec l’élève ne va pas de soi, elle représente un apprentissage. Il faut chaque fois entrer en relation avec l’élève de façon différente en fonction du handicap qu’il présente, c’est un apprentissage que nous faisons par nous-mêmes et que personne ne nous apprend. Et cet apprentissage n’est pas le même que celui de l’enseignant, quelles que soient ses compétences.

Le périscolaire est une autre fonction – c’est peut-être un métier, ce que j’ignore –, et nous ne voulons pas passer le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) pour apprendre autre chose et basculer vers ce type d’activité. Je veux aussi ajouter que nous avons besoin de respirations : être toute la journée aux côtés d’élèves en situation de handicap est un travail pénible, même s’il est plein de joie. Lorsque le soir on passe la porte de la maison, ni la tête ni le corps ne sont vides, on est très fatigué et on a besoin de temps de repos dans la journée. Nous avons donc besoin de temps de repos dans la semaine, et 24 heures de travail hebdomadaire seraient bien suffisantes. Nous avons aussi besoin de temps de régulation et il serait bon que nous puissions parler à des conseillers pédagogiques. Intervenir dans le secteur périscolaire nous conduirait à travailler toute la journée sans aucune respiration. De son côté, l’élève a besoin d’acteurs différents pour se construire, il ne peut pas être avec la même personne toute la journée.

Quant à la mutualisation, elle revient à suivre plusieurs élèves, donc à participer à plusieurs équipes de suivi de la scolarisation (ESS), ce qui ne peut que multiplier les heures invisibles. Elle nécessite que nous nous familiarisions avec différentes formes de handicap. Nous redoutons qu’avec l’institution des PIAL – qui sont associés à une sectorisation –, nous devions intervenir dans plusieurs établissements. Dans la mesure où ce dispositif prévoit la possibilité de modifier le quantum des heures d’affectations d’élèves, nous risquerons de nous retrouver avec un autre élève en cours d’année, et de changer sans cesse.

Encore une fois, quand pourrons-nous approfondir le travail de fond que nous réalisons avec ces élèves ? Depuis 2005, nous construisons une profession qui n’est pas reconnue et que personne, ou presque, n’essaie de prendre en compte, alors que nous développons des compétences et des savoir-faire qui se mettent en place. Nous aimerions concrétiser ces savoir-faire par de la formation, en travaillant à notre statut avec d’autres professionnels et en obtenant la reconnaissance de ce que nous faisons, au lieu de nous entendre dire que l’on va nous placer à nouveau aux côtés de multiples élèves, ce qui a été le cas au début en 2005 ; car depuis cette date, les choses se sont construites.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Permettez-moi, madame, de dire que si personne n’était à votre écoute, nous ne serions pas là.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci infiniment pour ces témoignages et ces explications qui nous ont mieux fait comprendre votre fonction et les difficultés qui sont les vôtres et celles des établissements.

Jean-Michel Blanquer a indiqué vouloir construire le service public de l’école inclusive, je veux croire que cela sera fait et qu’il y aura quelque chose pour vous. J’ai entendu également que l’instauration des PIAL sera l’occasion organiser des formations communes entre les professeurs et les AESH. Et j’ai aussi entendu qu’une partie au moins des heures invisible sera prise en compte – et je l’espère.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. À mon tour, je veux vous remercier pour la qualité de votre diagnostic et de vos propositions.

J’espère fortement que les travaux de cette commission d’enquête nourriront utilement et efficacement la réflexion du ministre ; c’est dans cet état d’esprit que nous vous avons reçus aujourd’hui.

 


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2.   audition de Mme Marie du Bouëtiez, administratrice de l’Association des directeurs de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et directrice de la MDPH du Val-de-Marne

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions par celle de l’Association des directeurs de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Celle-ci est représentée par Mme Marie du Bouëtiez, qui est administratrice de cette association et, par ailleurs, directrice de la MDPH du Val-de-Marne ; elle est accompagnée par M. Daniel Courtois, chef de service adjoint « évaluation » à la MDPH du Val-de-Marne.

Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord, les MDPH ne sont pas seulement des acteurs de « l’amont » de la scolarisation des enfants et des jeunes en situation de handicap. Leur rôle est essentiel tout au long des parcours suivis et une bonne communication, notamment avec les services de l’éducation nationale, est indispensable pour éviter les ruptures de parcours et faciliter le passage des grandes étapes. Cela passe par des processus adaptés, mais aussi par des actions plus techniques, comme la mise à niveau et l’harmonisation des systèmes d’information. Par ailleurs, on constate de nombreuses disparités entre les différentes MDPH.

Sur tous ces éléments, vous saurez, nous l’espérons, répondre aux attentes de la commission d’enquête.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme du Bouëtiez et M. Courtois prêtent successivement serment.)

Je vous remercie et je vous donne maintenant la parole pour un exposé de cinq minutes environ, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

Mme Marie du Bouëtiez, administratrice de l’Association des directeurs de maisons départementales des personnes handicapées et directrice de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Val-de-Marne. L’Association des directeurs de maisons départementales des personnes handicapées, qui regroupe 98 adhérents pour 75 MDPH, est une association très représentative, qui fonctionne en réseau : il y a énormément d’échanges entre les MDPH, ce qui se justifie notamment par une volonté d’harmonisation des pratiques.

Notre association souscrit pleinement au fait que la situation des élèves en situation de handicap est un réel enjeu de société. La première chose que nous souhaitons souligner, c’est qu’il est important que ces élèves puissent relever d’abord des moyens de droit commun d’accompagnement, dont ils sont malheureusement souvent exclus. En effet, dès lors qu’on suspecte un handicap chez un enfant, on a tendance à se précipiter vers les dispositifs spécialisés et vers un dépôt de dossier à la MDPH, alors qu’il existe un certain nombre de dispositifs de droit commun, notamment le plan d’accompagnement personnalisé (PAP) ou des dispositifs permettant d’assurer la prise de médicaments ou l’administration de soins pendant la durée scolaire.

Or, il est important de rappeler que l’esprit de la loi de 2005 sur le handicap était bien de permettre aux personnes en situation de handicap d’accéder d’abord au droit commun : en principe, c’est seulement dans l’hypothèse où le droit commun s’avère insuffisant à compenser le handicap et à permettre l’autonomie qu’il convient de se tourner vers le droit spécialisé, notamment vers certains dispositifs que peuvent proposer les MDPH.

Puisqu’à l’heure actuelle, le droit commun ne suffit généralement pas, la tentation est assez grande de demander une aide humaine pour pallier le manque d’adaptation des pédagogies aux enfants à besoins particuliers – c’est un constat fait par de nombreuses MDPH –, en particulier au collège et au lycée.

Par ailleurs, alors qu’on insiste beaucoup aujourd’hui sur la logique de parcours et d’inclusion pour les enfants handicapés – comme pour les adultes, d’ailleurs –, il nous semble important d’essayer de faire sortir les compétences médico-sociales des institutions afin de développer une sorte d’alliance d’accompagnement entre enseignants et éducateurs, ou entre enseignants et personnels du secteur médico-social, et de parvenir ainsi à une adaptation la plus fine possible aux besoins des élèves, co-construite avec les familles. Malheureusement, il existe encore beaucoup de freins à cette évolution, aussi bien du côté médico-social que du côté de l’éducation nationale, notamment sous la forme des questions de formation restant à régler, ce qui fait que les mentalités n’évoluent que lentement.

Pour ce qui est de l’aide humaine aux élèves handicapés, on constate actuellement une demande en forte hausse : l’augmentation du nombre de bénéficiaires s’est ainsi élevée à 14,5 % en un an pour la MDPH du Val-de-Marne. À ce sujet, nous devons veiller à ne pas être dans le sur-accompagnement, notre objectif étant bien de guider progressivement les enfants vers l’autonomie en milieu scolaire.

Nous devons également réussir à renforcer une démarche d’évaluation concertée des besoins des enfants. Aujourd’hui, les personnels de l’éducation nationale ont recours au guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco), dont l’utilisation nous semble pouvoir être améliorée. Pour ce qui est des premières demandes, on pourrait sans doute procéder à une observation plus fine des besoins des élèves sur le terrain ; lors du renouvellement, l’évaluation de l’apport qu’a pu avoir l’aide humaine pourrait être plus complète : actuellement, on manque un peu de retour sur la manière dont cette aide humaine a pu être mise en place, notamment sur la question de savoir si elle a été déployée totalement ou si elle n’a pu l’être que partiellement, et sur les effets qu’elle a produits.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. L’objectif de cette commission d’enquête est de disposer d’une photographie aussi précise que possible de la situation en objectivant les données. Pour cela, nous aimerions savoir si certains organismes sont susceptibles de pouvoir nous fournir des statistiques consolidées, car les premières auditions auxquelles nous avons procédé ont mis en évidence une réelle difficulté à se procurer des chiffres fiables.

Nous souhaitons savoir à la fois ce qui va bien et ce qui ne va pas en matière d’inclusion des élèves en situation de handicap, dans l’optique de la future rédaction d’un « acte II » de la loi de 2005.

Pouvez-vous nous donner des éléments d’appréciation sur l’effectivité du projet personnalisé de scolarisation (PPS), notamment son taux global de mise en œuvre et les éventuelles disparités régionales constatées ?

En tant qu’élus, il nous revient souvent, comme un boomerang, des plaintes de la part de nos concitoyens au sujet des délais qui s’écoulent entre la prescription d’une présence humaine par une MDPH et la mise en œuvre de celle-ci auprès de l’enfant concerné. Je sais bien que le principe est de mobiliser prioritairement les dispositifs de droit commun, mais les délais semblent tout de même anormalement longs dans de nombreux cas, et on constate surtout une grande disparité dans ce domaine. Est-il prévu de remédier à ce problème, le cas échéant par quels moyens ?

Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) et le rôle qu’ils ont vocation à jouer en matière d’inclusion des élèves en situation de handicap ?

M. Olivier Gaillard. Vous avez évoqué des disparités entre les différentes MDPH, notamment en matière de travail au quotidien. Est-il envisagé de mettre au point un modèle unique de MDPH à la fois efficace et efficient, afin de répondre à l’attente des publics que nous rencontrons sur le terrain ?

Mme Cécile Rilhac. En ce qui concerne l’évaluation du bénéfice de la compensation via le GEVA-Sco et la réévaluation des besoins, notamment en matière d’aide humaine, pouvez-vous nous préciser quelle est sa périodicité, et si elle prend en compte le changement de niveau scolaire ? En d’autres termes, comment la MDPH adapte-t-elle son accompagnement tout au long du parcours scolaire d’un élève, de la maternelle – avec la mise en place du PPS – à l’université ?

Mme Blandine Brocard. Je veux me faire ici la porte-parole des parents et des associations impliquées dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap et, à ce titre, je commencerai par souligner la grande difficulté que représente pour les parents l’obligation de remplir les dossiers de leurs enfants – ce serait impossible s’il n’existait pas une très forte entraide. On constate une grande disparité entre les différentes MDPH sur ce point, mais pour ma part j’ai rencontré des parents qui m’ont expliqué qu’il fallait déposer chaque année un dossier épais de dix centimètres, ce qui nécessite de consacrer environ six mois à sa constitution – une obligation pénible et douloureuse pour les parents concernés, surtout lorsqu’il leur est demandé de définir le projet de vie de leur enfant.

Les parents ont trop souvent l’impression de n’être qu’un numéro de dossier auprès des MDPH, à tel point qu’une mère m’a dit récemment qu’elle avait parfois envie d’envoyer un Power Point à la MDPH pour lui décrire son fils…

Je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous dites que l’évaluation des besoins en aide humaine devrait être affinée. Alors que les professionnels de santé ou de l’éducation qui entourent l’enfant sont à même de poser un diagnostic très fin – en concertation avec les parents, car ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant –, les MDPH ne s’en remettent généralement pas à leur jugement, ce qui me paraît regrettable.

Enfin, lorsque la MDPH dirige un enfant vers un endroit qui ne semble pas correspondre à ses besoins, il n’est prévu qu’un recours interne dont la mise en œuvre est très compliquée et, à l’échelon supérieur, un recours devant le tribunal administratif – un dispositif qui paraît inadapté en raison de sa complexité.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il existe de grandes différences, en matière de résolution des problèmes liés à l’inclusion d’un enfant en situation de handicap, en fonction du milieu socioculturel des familles concernées. On voit bien qu’il y a, d’un côté, celles qui savent se battre pour que leur enfant puisse bénéficier d’un accompagnant et être intégré en milieu scolaire ordinaire et, de l’autre, celles qui savent moins bien le faire et dont l’enfant se trouve plus fréquemment orienté vers un établissement médico-social. De quels moyens disposez-vous pour compenser ces différences et faire en sorte que tous les enfants soient accompagnés au mieux ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. J’ai moi-même présidé une MDPH en Seine-Maritime. Cela a été une très belle expérience, mais je dois tout de même vous dire qu’à mon arrivée – c’était en 2015 –, je me suis fait la réflexion que cette structure en était restée à l’âge de pierre en ce qui concerne les formalités administratives ! On y stockait alors les dossiers papier – énormes et très nombreux – dans une réserve dédiée à cet usage, dont les dimensions vous étonneraient sans doute... Très vite, nous nous sommes attelés à la numérisation de ces dossiers, dans l’objectif de simplifier et d’accélérer leur traitement. Pour mieux comprendre le cheminement d’un dossier, je me suis mise « à la place du dossier », juste après son dépôt par un parent, afin d’identifier les goulets d’étranglement et les endroits où ils se trouvent parfois bloqués. Je me suis livrée à cette expérience pour différents types de dossier – le renouvellement d’une carte de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), le nouveau dossier d’un enfant, etc. –, et je peux vous dire que rien n’est simple.

L’un des nœuds du problème réside dans le statut même des MDPH, dont la responsabilité se trouve partagée – l’État a été très clairvoyant lorsqu’il a décidé cela… – entre le président du département, l’État et l’éducation nationale – tant en termes de financement que de personnels à mettre à disposition. De ce point de vue, on peut penser que le processus de modernisation auquel sont actuellement soumises les MDPH va permettre une accélération du traitement des dossiers.

Sans vouloir jeter l’opprobre sur les personnels des MDPH, eux-mêmes souvent en souffrance en raison de l’impossibilité où ils se trouvent de répondre rapidement aux demandes dont ils sont saisis, je considère que l’accompagnement des familles – qui sont elles aussi en souffrance – ne va pas assez loin, notamment dans la recherche d’une institution lorsque c’est nécessaire.

Enfin, la MDPH est une machine administrative alors qu’elle sert des familles : la notification des décisions est tout simplement dramatique. Il faut impérativement que les MDPH apprennent à écrire des courriers que les familles puissent lire, puissent comprendre, et qui soient au moins empreints d’un tout petit peu d’humanité.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Effectivement, ces courriers sont déshumanisés !

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je n’ai pas eu le temps de terminer le chantier que j’avais ouvert à cette fin et je vous mets au défi de comprendre la notification que vous recevez. On ne peut pas continuer comme cela. Or quand on ne comprend pas une notification, on ne sait pas ce qu’il faut faire, on ne sait pas où il faut aller – j’ai en fait lire à plusieurs personnes censées être en mesure de les comprendre, et qui m’ont confirmé en être incapables – et j’insiste sur la nécessité qu’il y a à faire en sorte de les rendre à la fois compréhensibles et plus humaines. En l’état actuel des choses, les MDPH ne jouent absolument pas le rôle qu’elles devraient jouer auprès des familles à cet égard.

Mme Blandine Brocard. Un autre point sur lequel on a appelé mon attention porte sur le fait qu’il n’est pas établi de lien entre les structures susceptibles d’accueillir les élèves et les places effectivement disponibles dans celles-ci ; ainsi, il est très fréquent que les MDPH adressent des notifications sans savoir s’il existe des places disponibles correspondant à leurs prescriptions, ce qui fait que les familles concernées se trouvent condamnées à plusieurs années d’attente.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Effectivement, il n’existe pas de système informatique permettant d’accéder à ces informations.

Mme Béatrice Piron. La nécessité de procéder à la numérisation des dossiers est exprimée dans de nombreux départements et, s’il existe à plusieurs endroits des projets individuels de mise à jour, j’aimerais savoir s’il est envisagé de procéder à une réforme globale en vue d’aboutir à un système unifié qui permettrait aux familles qui déménagent de faire suivre leur dossier, au lieu d’être obligées d’en constituer un nouveau selon d’autres méthodes et au moyen d’autres formulaires que ceux qu’elles connaissent.

Certains départements sont sans doute dotés de systèmes plus satisfaisants que les autres. A-t-il été procédé à des évaluations comparatives de ces systèmes ? Plutôt que d’obliger chaque département à réinventer la roue, ne pourrait-on trouver le moyen de s’aligner sur les systèmes les plus efficaces ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je crois savoir qu’une mission d’évaluation, confiée à deux présidents de département, est en cours, mais sans doute disposez-vous de renseignements plus complets à ce sujet.

Mme Marie du Bouëtiez. Pour ce qui est des statistiques permettant d’établir un diagnostic fiable de la situation, chaque MDPH est effectivement dotée d’un système d’information qui lui est propre, avec trois éditeurs qui se partagent le marché – sans compter les MDPH utilisant des logiciels libres. Une telle organisation complexifie forcément la remontée de données à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), mais un projet visant à la mise en œuvre d’un système d’information harmonisé au sein des MDPH a été entrepris, et doit aboutir d’ici au 31 décembre 2019 – une échéance à laquelle la CNSA est très attachée.

Il est actuellement procédé au déploiement par vagues successives de ce système d’information comprenant un tronc commun, mais je précise que toutes les parties du système ne seront pas harmonisées en même temps, le processus en cours comportant plusieurs paliers – le premier en 2019, le deuxième en 2020. Ce travail d’harmonisation, co-construit avec des représentants d’usagers et de MDPH, la CNSA et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), c’est-à-dire tous les acteurs concernés, s’effectue en prenant pour modèles les bonnes pratiques.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Êtes-vous en mesure de nous donner des chiffres précis sur les délais de traitement des dossiers par vos adhérents, à savoir les 78 MDPH, et sur le nombre de prescriptions effectuées ? Notre commission d’enquête va durer six mois, et nous ne pouvons pas attendre la saint-glinglin pour disposer d’éléments objectifs…

Mme Marie du Bouëtiez. L’un des intérêts d’harmoniser les procédures, c’est justement de pouvoir disposer de chiffres fiables et cohérents. À l’heure actuelle, les chiffres qui remontent annuellement de chacune des MDPH vers la CNSA – qui dispose d’une énorme quantité de données que vous devriez pouvoir récupérer auprès d’elle – sont difficilement exploitables, car on additionne des choux et des carottes : comme les systèmes d’information diffèrent les uns des autres, les chiffres qu’ils comptabilisent ne portent pas forcément sur les mêmes choses. Cela dit, l’ensemble des données recueillies par la CNSA permet d’établir de déterminer les grandes tendances – par exemple en matière de délais de traitement –, ce qui est intéressant. Je précise que chaque MDPH a l’obligation de faire remonter annuellement un certain nombre d’indicateurs dans le cadre d’un rapport d’activité adressé à la CNSA, qui condense ensuite tous les rapports qu’elle a reçus afin d’effectuer des statistiques et de mettre en évidence les différences pouvant exister entre les départements.

Si on se place dans l’optique d’une réflexion sur ce que pourrait être l’« acte II » de la loi de 2005, on ne peut que trouver dommage que les chiffres relatifs aux ouvertures de droits ne puissent être complétés par ceux concernant les suites données aux dépôts de dossier, c’est-à-dire les chiffres permettant d’apprécier le niveau d’effectivité des décisions des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Par exemple, on ne peut pas savoir si une notification d’aide humaine à l’école a été suivie d’effet totalement ou partiellement, et dans quels délais : ce sont là des informations dont les MDPH ne disposent plus, mais que l’éducation nationale peut sans doute détenir puisque, d’une part, les décisions des MDPH lui sont communiquées, et que, d’autre part, elle sait forcément quelles mesures ont effectivement été prises, la mise en œuvre de ces mesures relevant de sa responsabilité – j’ignore cependant de quels outils de suivi statistique dispose l’éducation nationale.

En tout état de cause, les MDPH, qui ne sont pas chargées de la mise en œuvre des droits, mais uniquement de leur ouverture, ne sont donc pas en mesure de déterminer, par exemple, le nombre d’enfants ayant fait l’objet d’une orientation en unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) qui ne serait pas effective, ou ayant bénéficié d’une décision d’aide humaine non suivie d’effet.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Les MDPH doivent cependant être informées de l’effectivité des mesures qu’elles ont prononcées quand le dossier leur revient l’année suivante…

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Si je vous accorde que les MDPH ne connaissent pas forcément les chiffres portant les placements effectifs en institution, il me paraît difficile d’affirmer qu’elles ne disposent pas d’informations portant sur les problématiques relatives aux auxiliaires de vie scolaire (AVS) et aux accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH)… Quand les familles n’ont pas de solution pour l’accompagnement de leur enfant, elles râlent – à juste titre –, ce qui constitue un moyen pour les MDPH d’être informées !

Je peux vous dire qu’en Seine-Maritime nous sommes capables d’évaluer précisément le taux de notification, parce qu’il faut suivre les enfants concernés, en lien avec l’éducation nationale. En principe, les MDPH se fixent même des objectifs – par exemple, 90 % d’enfants accompagnés à la rentrée, 95 % aux vacances de la Toussaint, et éventuellement 100 % aux vacances de Noël.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je précise à l’intention de tous que notre commission d’enquête n’est pas un tribunal et qu’il ne s’agit évidemment pas de faire le procès des personnes que nous auditionnons, même si certaines de nos questions peuvent sembler un peu dures.

M. Daniel Courtois, chef de service adjoint « évaluation » à la MDPH du Val-de-Marne. C’est bien ainsi que nous l’entendons.

L’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés réside dans la multiplication des responsabilités. Quand la CDAPH ouvre un droit, encore faut-il que celui-ci puisse devenir effectif.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est exactement l’objet de notre commission d’enquête !

M. Daniel Courtois. Par exemple, une fois que la CDAPH a notifié la présence d’un AVS, en précisant éventuellement le nombre d’heures et le caractère individuel ou mutualisé de cette présence, il revient à l’Éducation nationale de recruter quelqu’un, avec tous les aléas que cela comporte.

L’une des problématiques de la profession d’AVS est celle de la démission. Il est très fréquent qu’un AVS, présent aux côtés d’un enfant le jour de la rentrée, connaissant très bien le champ du handicap et faisant parfaitement son travail, se fasse embaucher ailleurs au bout de quelques mois, laissant un enfant sans AVS.

En ce qui concerne les établissements médico-sociaux, une fois que la CDAPH a notifié une décision en ce sens, en prescrivant par exemple un institut médico-éducatif (IME), il appartient au directeur de l’IME concerné de procéder à l’admission de l’enfant dans son établissement. Le service de tutelle des IME est l’agence régionale de santé (ARS) et la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) assure le financement. Le caractère particulier d’un dossier peut justifier, par exemple, que l’on appelle l’attention de l’ARS sur la nécessité que l’enfant concerné soit prioritairement admis dans un IME et que l’on sollicite le soutien de l’agence à cette fin, mais celle-ci ne fera généralement que rappeler que la décision d’admission appartient au directeur de l’IME.

Il en est de même pour ce qui est des prestations financières : les MDPH ouvrent les droits mais les prestations sont payées par différentes structures – le versement de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) relève de la caisse d’allocations familiales (CAF), tandis que le payeur de la prestation de compensation du handicap (PCH) est le conseil départemental.

Cette multiplicité d’acteurs à tous les niveaux peut rendre assez complexe le dispositif global et donc le rendre difficile à comprendre. De ce point de vue, le rôle de la MDPH est d’accueillir et d’informer chaque famille, d’évaluer le besoin de compensation de l’enfant, et enfin d’ouvrir des droits. Pour ce qui est de l’effectivité de ces droits, elle ne relève plus de nos attributions : en la matière, nous pouvons tout au plus conseiller les familles.

Mme Marie du Bouëtiez. Il est nécessaire d’interconnecter les données d’orientation des MDPH, c’est-à-dire les décisions prises par les commissions, et celles relatives aux décisions des financeurs et, plus généralement, des autorités chargées de la mise en œuvre, afin de faire ressortir les besoins : ce rôle d’observatoire des besoins fait également partie des missions des MDPH. Or, celles-ci sont aujourd’hui confrontées à des difficultés – variant selon les départements – pour obtenir un certain nombre d’informations de nos partenaires, qui ne voient pas forcément comme une priorité la tâche consistant à effectuer des observations statistiques et ne sont pas toujours dotés des outils nécessaires.

La collecte et l’interconnexion des données se font donc avec plus ou moins de facilité selon les départements, en fonction de la motivation des personnes concernées à travailler sur le sujet, de la présence éventuelle d’un statisticien recruté à cette fin, etc. C’est la raison pour laquelle on constate des différences assez importantes d’une MDPH à l’autre dans le degré de finesse de la connaissance des besoins. Cela dit, ce problème a été pris en compte par la CNSA et l’Association des directeurs de MDPH, qui sont conscients du fait qu’il est nécessaire de bien connaître les besoins pour être en mesure d’adapter les politiques publiques en conséquence. Pour cela, nous travaillons tous à la mise en place d’un nouveau système d’information qui devrait permettre, étant le même partout, de s’interconnecter plus facilement avec ceux des partenaires.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pouvez-vous nous donner une idée des délais ? 

Mme Marie du Bouëtiez. Les MDPH auront atteint un premier palier en décembre 2019. Tout changement nécessite un temps d’adaptation : il faudra que chacun s’approprie ce nouvel outil, que l’on s’assure qu’il est utilisé correctement et renseigné de manière suffisamment homogène par toutes les MDPH. Cela devrait être le cas, puisque la CNSA a fixé des critères précis de remplissage.

Il faut avoir à l’esprit que le temps que nous passons à faire des statistiques est du temps que nous ne passons pas à traiter les dossiers. Or les volumes sont très importants : dans le Val-de-Marne, nous avoisinons les 100 000 demandes par an – soit 400 demandes par jour –, ce qui représente 7 % de la population. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas toujours aller aussi loin qu’il le faudrait dans l’accompagnement des familles pour assurer l’effectivité des droits ouverts. À l’heure actuelle, les MDPH n’ont pas les moyens d’avoir un service spécifiquement dédié au suivi des décisions prises par la commission et à l’accompagnement des familles. Nous essayons de le faire lorsque nous sommes alertés sur un cas en particulier, nous faisons le lien avec nos partenaires chargés de la mise en œuvre des décisions, mais nous sommes obligés, aujourd’hui, de nous concentrer sur l’ouverture du droit, si nous ne voulons pas que les délais de traitement des dossiers s’allongent encore.

Ces délais sont très variables d’une MDPH à l’autre, comme le montrent les données moyennes compilées par la CNSA. En matière de scolarisation, les délais s’expliquent aussi par le fonctionnement des directions des services académiques : le fait qu’elles soient fermées pendant l’été ne facilite pas la préparation de la rentrée scolaire… La réglementation prévoit en effet qu’un enseignant spécialisé soit présent au sein de l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation de la MDPH au moment de l’élaboration d’un projet personnalisé de scolarisation, or les enseignants ne sont pas là du 15 juillet au 15 août au moins. Par ailleurs, les moyens fournis par l’éducation nationale et plus généralement par les services de l’État varient d’une MDPH à l’autre. Ces moyens ont été fixés au moment de la signature des conventions constitutives de nos groupements d’intérêt public, en 2006, et ils n’ont été que très rarement réévalués depuis lors.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous parlez des personnels ?

Mme Marie du Bouëtiez. Oui. Le nombre d’enseignants mis à la disposition des MDPH varie d’un département à l’autre, en fonction de ce qui a été négocié en 2006, et il y a eu très peu d’évolutions depuis cette date.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il faudrait que nous disposions de données plus précises. Vous dites que les moyens alloués par l’État ne sont pas les mêmes partout, mais nous avons besoin de faits précis. La commission d’enquête doit pouvoir appuyer son diagnostic sur des éléments irréfutables si elle veut, ensuite, proposer des solutions. Nous souhaiterions donc que vous nous fournissiez par écrit des données précises sur les moyens mobilisés, département par département. Nous ferons la même demande à l’Association des départements de France (ADF).

Mme Marie du Bouëtiez. L’Association des directeurs de MDPH a mené l’année dernière une enquête auprès de ses adhérents sur les relations qu’entretiennent les MDPH avec l’éducation nationale : dans ce cadre, les MDPH ont fourni des informations sur le nombre de professeurs mis à leur disposition, sur le délai de remplacement d’un poste vacant, sur la qualité de leurs relations avec l’institution... À partir de ces données, l’Association des directeurs de MDPH a fait une sorte d’autodiagnostic. Je demanderai à sa présidente de vous transmettre ce document. Je ne sais pas comment il se présente, mais je sais qu’il a été utilisé dans les groupes de travail nationaux qui réfléchissent à la gouvernance des MDPH.

S’agissant des projets personnalisés de scolarisation, même les MDPH qui parviennent à appliquer parfaitement la réglementation ont besoin d’un délai minimum d’instruction. Lorsqu’elles ont élaboré le projet personnalisé de scolarisation d’un enfant, elles l’adressent à sa famille, qui se prononce dessus et peut éventuellement formuler des remarques. La MDPH en tient compte et fait une nouvelle proposition à la famille : ces allers-retours peuvent allonger les délais de traitement. Le dossier étant difficile à remplir, il arrive par ailleurs que les informations fournies soient incomplètes ou qu’il manque un document, ce qui nous oblige à nous tourner à nouveau vers les familles.

Pour remédier à ce problème, un formulaire a été élaboré au niveau national avec des représentants des associations de personnes handicapées : l’objectif était de rendre ce formulaire plus simple à remplir, mais aussi plus complet. En effet, nous sommes souvent obligés, parce que le formulaire de départ n’est pas assez précis, de demander, au cours de l’instruction du dossier, des pièces complémentaires aux familles. Cela peut se produire pendant l’instruction administrative du dossier, mais aussi plus tard, au moment où le dossier passe entre les mains des évaluateurs et des enseignants. Ceux-ci peuvent estimer qu’il manque des pièces au dossier, par exemple le compte rendu d’un psychiatre ou d’un psychomotricien. Les personnels administratifs n’ont aucune raison de demander de tels documents, dans la mesure où ils n’ont pas vocation à connaître de l’intégralité de la situation de l’enfant, notamment au plan médical. Tout cela, vous le voyez, peut encore allonger les délais.

Par ailleurs, les dossiers concernent parfois d’autres questions que la scolarisation. Peuvent s’y ajouter une demande d’allocation financière, une demande d’aide matérielle ou technique, ou un aménagement de logement : parce que ces demandes ne concernent pas seulement les enseignants, nous réunissons des équipes pluridisciplinaires, ce qui, là encore, peut allonger le délai de traitement. Nous essayons en effet de faire une évaluation globale et d’apporter à la famille, en une seule fois, des réponses à l’ensemble de ses demandes : si nous procédons autrement, si nous transmettons les réponses au compte-gouttes, les familles ne comprennent pas et s’inquiètent. Lorsque les demandes sont multiples et qu’il faut faire intervenir plusieurs professionnels, voire des équipes externes très spécialisées, cela peut prendre plusieurs mois.

Je vous ai dit un mot du volume des demandes que nous recevons dans le Val-de-Marne. Globalement, l’activité des MDPH a plus que doublé depuis leur création. Or les dotations de fonctionnement n’ont pas évolué au même rythme. Les départements ont souvent essayé d’apporter une compensation, et si les MDPH peuvent fonctionner aujourd’hui, c’est en grande partie grâce aux subventions d’équilibre des départements, parce que les dotations de l’État, elles, n’ont pas évolué. Les dotations de la CNSA ont augmenté, mais de manière assez ponctuelle, et elles ne couvrent pas la totalité des besoins.

S’agissant des critères d’urgence, certains d’entre vous ont dit que les renouvellements de carte pourraient aller plus vite et que nous devrions considérer la scolarisation d’un enfant comme une urgence. Nous avons travaillé sur cette question, afin d’introduire des circuits courts pour traiter les urgences. Or, en essayant de faire la liste des critères d’urgence, nous nous sommes aperçus qu’ils sont très nombreux : il y a les urgences médicales, lorsqu’une personne est en fin de vie ; les urgences sociales, quand une personne n’a plus aucune ressource, plus de revenus ni de logement ; il y a aussi urgence lorsqu’elle trouve un emploi ou une formation et qu’elle craint de perdre cet emploi ou cette formation. Entre toutes ces situations d’urgence, il est bien difficile de choisir… Il est très difficile de dire que le dossier d’un enfant atteint d’un cancer peut attendre, parce que nous devons traiter en priorité le dossier d’un enfant qui risque de ne pas avoir d’AVS le jour de la rentrée. Nous sommes confrontés à des choix qui, éthiquement, sont impossibles à trancher. Nous essayons donc de faire de notre mieux face à tous ces critères d’urgence. Même si la tendance est à la réduction des délais, même si la dématérialisation du traitement des dossiers nous aide, nous ne pouvons tout de même pas répondre du jour au lendemain à toutes ces demandes.

M. Daniel Courtois. Tout l’enjeu est effectivement d’identifier les situations urgentes parmi les dossiers qui nous sont adressés. Lorsque nous mobilisons les professionnels sur l’évaluation de ces situations urgentes ou très urgentes, c’est, de fait, au détriment des situations moins urgentes. Nous sommes donc constamment à la recherche de l’équilibre et de l’équité dans le traitement des demandes qui nous sont adressées.

Mme Marie du Bouëtiez. Le droit du handicap est très complexe – comme le droit des étrangers, d’ailleurs : à ces publics particulièrement vulnérables, nous demandons de comprendre des choses très compliquées. Pour remédier à cette difficulté, nous prenons un certain nombre d’initiatives. À titre d’exemple, nous organisons chaque année un forum de la MDPH, auquel prend part un nombre croissant de visiteurs : nous sommes passés de 300 à 800 visiteurs l’année dernière. Des stands associatifs et institutionnels permettent aux personnes en situation de handicap de rencontrer les gens qui vont mettre en œuvre leurs droits. Nous leur proposons des ateliers sur la manière de remplir leur dossier, nous leur expliquons le parcours que ce dossier effectuera au sein de la MDPH, nous leur exposons les possibilités de recours, etc...

Nous avions également organisé un atelier participatif pour réfléchir à la manière de rendre les notifications de décision plus compréhensibles pour tout le monde. Il se trouve que la CNSA a elle aussi avancé sur cette question au niveau national, en organisant un groupe de travail, auquel ont pris part des représentants des personnes en situation de handicap et des MDPH. Ce groupe a réécrit la quasi-totalité des notifications, et c’est l’un des aspects de l’harmonisation en cours. Les notifications ne sont pas nécessairement plus faciles à lire qu’avant, puisque la CNSA a choisi de faire apparaître la réglementation en premier : les notifications commencent donc par un article du code de l’action sociale et des familles. La décision apparaît ensuite en gras, ce qui est une bonne chose. La solution retenue ne nous satisfait pas pleinement et d’autres propositions avaient été formulées dans le cadre de nos ateliers participatifs. Il n’en demeure pas moins que l’harmonisation est une bonne chose et qu’un vrai effort de simplification a été réalisé, qui tient compte de l’avis des associations spécialisées. Tout cela va dans le bon sens, celui d’une simplification des démarches.

Nous continuons à organiser nos forums, nous publions des guides d’aide au remplissage des dossiers, que nous partageons avec d’autres MDPH, ce qui contribue aussi à l’harmonisation de nos pratiques. La CNSA anime par ailleurs le réseau des MDPH et contribue fortement à l’harmonisation des pratiques en réunissant très régulièrement différents types de professionnels, par exemple les correspondants scolarisation des MDPH : dans ce cadre, elle rappelle la réglementation qui s’applique et les bonnes pratiques et fait témoigner les MDPH qui fonctionnent bien. La CNSA diffuse également des guides techniques, qui permettent d’encadrer le travail des équipes pluridisciplinaires, afin de réduire les disparités territoriales.

À ces disparités, qui sont une réalité, il y a plusieurs explications. J’ai indiqué tout à l’heure qu’il y avait d’abord des différences dans les moyens disponibles, dans la mesure où nous n’avons pas tous les mêmes dotations. Par ailleurs, les partenaires de la MDPH peuvent avoir un positionnement différent d’un département à l’autre. Dans certains départements, l’éducation nationale est partie prenante dans de nombreux projets et elle se montre tout à fait disposée à faire des retours aux MDPH sur la mise en œuvre des droits. Dans d’autres départements, la situation est tout à fait différente. On constate les mêmes disparités au niveau des agences régionales de santé : les délégations départementales n’ont pas toutes le même positionnement non plus : certaines refusent de traiter les situations individuelles, alors que d’autres, dans le cadre de la démarche de réponse accompagnée pour tous et de l’ambition « Zéro sans solution », sont prêtes à travailler avec les MDPH sur les situations individuelles et même à mettre leur poids dans la balance pour faire admettre tel enfant dans tel établissement, même si la décision revient, in fine, au directeur de celui-ci. Le positionnement des différents acteurs du territoire et des services déconcentrés de l’État varie d’un département à l’autre, ce qui joue forcément aussi sur les décisions qui peuvent être prises en commission des droits et de l’autonomie, puisque tous ces acteurs y siègent.

Au sujet du taux de mise en œuvre des projets personnalisés de scolarisation, la CNSA dispose certainement de données à l’échelle nationale, puisque les rapports d’activité des MDPH mentionnent le nombre de PPS décidés par les commissions des droits et de l’autonomie. Il existe effectivement des disparités dans la mise en œuvre de ces PPS, d’abord pour des raisons informatiques, mais aussi du fait d’un positionnement différencié de l’éducation nationale. Dans le Val-de-Marne, par exemple, nous ne pouvons pas utiliser ce document. Nous avions travaillé dessus avec l’éditeur informatique pour nous mettre en conformité avec la réglementation, mais quand nous l’éditons, il sort d’une manière absolument illisible et incompréhensible pour les familles. Nous ne pouvons tout bonnement pas envoyer un tel document aux familles. Au lieu de ce projet personnalisé de scolarisation, qui est pourtant réglementaire, nous préférons envoyer aux familles une notification pour chacun des droits qu’elles demandent.

Nous espérions que le nouveau logiciel permettrait de produire un document lisible ; nous sommes en train de le tester, mais nous avons quelques doutes… Vous le voyez, on peut avoir la volonté de bien faire, travailler dur et ne pas obtenir les résultats attendus. Et je ne pense pas que nous soyons la seule MDPH à rencontrer ce type de problème. La dizaine de MDPH qui a le même outil informatique que nous a vraisemblablement rencontré les mêmes difficultés.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je propose que nous procédions rapidement à un dernier tour de questions. J’aimerais, pour ma part, savoir si le projet de faire courir les notifications sur trois ans et le décret qui permet d’ouvrir certains droits à vie sont de nature à faciliter votre travail.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Avez-vous fait beaucoup de plans d’accompagnement global (PAG) et, si tel est le cas, quel en est l’impact sur votre activité ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’aurais encore de nombreuses questions à vous poser, et peut-être vous les transmettrai-je par écrit, car vos réponses pourraient nous aider à affiner notre diagnostic. Certaines MDPH acceptent de prescrire et de financer l’intervention de professionnels libéraux et d’autres refusent de le faire. Savez-vous d’où vient cette différence ? Est-ce la volonté politique des exécutifs départementaux ou des ARS ? Quel est votre point de vue sur cette question ?

M. Daniel Courtois. Je vais commencer par la dernière question. Notre principe est de toujours partir des besoins de l’enfant, de l’évaluation que les professionnels font de ses besoins en soins : psychomotricité, orthophonie, équithérapie… Une fois ces besoins identifiés, le droit commun doit s’appliquer. Se pose alors la question des traitements non pris en charge par la sécurité sociale, ou pour lesquels le reste à charge est important. Deux dispositifs sont actuellement mobilisables pour l’enfant : soit l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et ses compléments, soit la prestation de compensation du handicap (PCH) – je rappelle que la famille doit opter entre ces deux prestations, qui ne sont pas cumulables. Je sais que, dans le cadre de la Conférence nationale du handicap, un groupe de travail réfléchit à la manière de simplifier ces deux prestations, car il est souvent difficile pour les familles de faire un choix. Les interventions de professionnels libéraux peuvent être prises en charge si elles répondent aux besoins de l’enfant. Si les parents formulent des demandes d’intervention qui ne correspondent pas aux besoins de l’enfant, elles seront rejetées, mais il n’y a pas un rejet de principe des interventions de professionnels libéraux.

Vous m’avez demandé, madame la présidente, si l’allongement de la validité des notifications était une vraie mesure de simplification. De fait, cela permet par exemple d’ouvrir l’AEEH jusqu’à l’âge de vingt ans pour l’allocation de base et sur un temps plus long pour les compléments. Cette mesure devrait effectivement faciliter l’ouverture du droit pour les familles.

La difficulté, c’est que ces allocations viennent compenser des situations qui peuvent changer rapidement. Les compléments d’AEEH sont versés pour des frais, par exemple l’intervention de professionnels libéraux, mais aussi pour compenser des restrictions d’activité, lorsqu’un parent décide de travailler à 80 % ou à 50 % ou qu’il cesse de travailler. Le fait d’ouvrir un droit sur trois ou cinq ans va nous obliger à procéder à de nombreuses révisions, en fonction des changements de situation. Le risque que nous identifions, c’est celui du trop-perçu. Imaginons que nous accordions un complément à un parent parce qu’il travaille à 80 %, mais que sa situation évolue et qu’il décide de reprendre un emploi à temps plein. S’il ne nous demande pas de réviser sa situation, s’il oublie de prévenir la CAF, c’est seulement au bout de longs mois que celle-ci s’apercevra du trop-perçu. C’est le seul point sur lequel il faut, nous semble-t-il, être vigilant, mais la mesure qui consiste à allonger les droits va vraiment dans le bon sens.

La réponse accompagnée pour tous est obligatoire depuis le 1er janvier 2018. Les MDPH ont anticipé l’obligation légale, puisqu’il y a eu des MDPH pionnières dès 2016 et que la quasi-totalité des autres sont entrées dans le dispositif dès 2017. La philosophie du texte est de créer des plans d’accompagnement globaux (PAG) lorsqu’une notification de la CDAPH n’est pas effective. Il s’agit de proposer un plan personnalisé qui permettra de couvrir au mieux les besoins de l’enfant et de sa famille, en attendant d’atteindre l’orientation cible. En somme, nous définissons un « plan B ».

Trop d’enfants vivent chez eux dans l’attente d’une solution. Dans toutes les MDPH, la commission exécutive a fait voter un périmètre prioritaire pour la réponse accompagnée pour tous, afin de repérer les situations les plus urgentes, d’assurer une montée en charge progressive du dispositif et de ne pas le rendre inefficient dès le départ. Dans le Val-de-Marne, nous étudions chaque année près de 200 situations complexes et nous réalisons plus d’une vingtaine de PAG dans leur formalisation complète. Je m’explique : lorsque nous sommes confrontés à un cas très complexe, nous réunissons un groupe opérationnel de synthèse réunissant l’ensemble des partenaires qui sont intervenus auprès de l’enfant ou qui sont susceptibles de le faire. Nous déterminons avec eux les actions éducatives, pédagogiques, rééducatives permettant de couvrir au mieux les besoins de l’enfant. La famille est associée à cette démarche et doit elle aussi, à la fin, signer ce plan d’accompagnement global.

Ce que l’on constate, c’est que les familles ont souvent peur, si elles acceptent notre plan B, de ne jamais avoir de place pour leur enfant dans un institut médico-éducatif (IME). Cette crainte est vraiment très forte et nous travaillons à la dépasser. Aujourd’hui, dans le Val-de-Marne, ce qui nous permet d’avancer sur les PAG, c’est l’introduction du pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE), qui nous permet de soutenir et d’accompagner les familles, de mieux coordonner les parcours, de mobiliser les différents acteurs, d’assurer un suivi et de veiller à l’effectivité du plan.

Mme Marie du Bouëtiez. Ce n’est pas vrai seulement dans le Val-de-Marne, mais dans tous les départements qui se sont dotés d’un PCPE. Nous attendons beaucoup de leur développement.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour la qualité et la précision de leurs réponses et mes collègues pour la qualité de leurs questions.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Parfois, la passion qui nous anime nous pousse à vous poser des questions très directes, mais sachez que nous apprécions votre contribution à notre commission d’enquête.

 


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   Mardi 2 avril 2019

1.   Audition d’associations représentant les personnes en situation de handicap : Mme Nathalie Groh, présidente, et Mme Nicole Philibert, membre de la Fédération française des Dys (FFDys), Mme Bénédicte Kail, conseillère nationale chargée de l’éducation et des familles de l’Association des paralysés de France (APF), M. Emmanuel Jacob, administrateur, et Mme Clémence Vaugelade, chargée de plaidoyer France, de l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI), et Mme Bérengère Chatellier, responsable du pôle Emploi, travail protégé et vie sociale, et M. Ali Rabeh, directeur de cabinet du président de la Fédération des Associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission poursuit aujourd’hui ses travaux en recevant des représentants de différentes associations œuvrant en faveur de l’inclusion des personnes en situation de handicap : Mme Bénédicte Kail, conseillère nationale « éducation-familles » au sein d’APF France Handicap, M. Emmanuel Jacob, administrateur, et Mme Clémence Vaugelade, chargée de plaidoyer à l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI), Mme Nathalie Groh, présidente, et Mme Nicole Philibert, membre de la Fédération française des Dys (FFDys), Mme Bérengère Chatellier, responsable du pôle « Emploi, travail protégé et vie sociale », et M. Ali Rabeh, directeur de cabinet du président de la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH).

Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Votre audition par la commission d’enquête allait de soi, compte tenu de l’importance de vos actions au service des personnes en situation de handicap. Je tiens, avant toute chose, à vous remercier pour la qualité des documents que vous nous avez transmis. En cette journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, je tiens également à saluer toutes les personnes confrontées à ce handicap, qu’elles soient mineures ou majeures, ainsi que leurs familles et tous ceux qui les accompagnent au quotidien.

Dans vos contributions, vous nous dites que nous sommes au milieu du gué, dans un système qui a été construit en silos, avec l’éducation ordinaire, d’un côté, et l’éducation spécialisée, de l’autre. Vous nous dites que nous n’avons pas su, depuis la loi de 2005, développer une véritable culture de l’inclusion pour répondre aux besoins des enfants et des jeunes, que l’école inclusive ne pourra naître que d’une coopération accrue avec les familles et les professionnels du secteur médico‑social et de la santé. Je suis ravie que nous puissions approfondir ces questions avec vous aujourd’hui.

Je rappelle qu’APF France Handicap est la plus importante organisation française de défense et de représentation des personnes en situation de handicap et de leurs proches, que l’UNAPEI est la principale fédération d’associations de représentation et de défense des intérêts des personnes handicapées mentales et de leurs familles et un très important gestionnaire de services et d’établissements dans le secteur médico-social, avec plus de 3 000 établissements, que la Fédération française des Dys regroupe des associations spécialisées dans le domaine des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, et que l’APAJH, enfin, représente les personnes en situation de handicap et gère 650 établissements et services d’accueil de celles-ci.

Mesdames et messieurs, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Bénédicte Kail, M. Emmanuel Jacob, Mme Clémence Vaugelade, Mme Bérengère Chatellier, M. Ali Rabeh, Mme Nathalie Groh et Mme Nicole Philibert prêtent successivement serment.)

Lorsque nous aurons entendu le rapporteur, je vous donnerai la parole pour un court exposé, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame la présidente, chers collègues, mesdames, messieurs, en cette journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, votre présence ici a une portée particulière. J’ai la chance d’être l’élu d’un territoire où vos structures sont profondément mobilisées depuis de nombreuses années et je sais, pour avoir vu à l’œuvre les acteurs de terrain, que votre engagement en faveur de l’inclusion des personnes handicapées, non seulement à l’école mais aussi dans la ville, est sans faille.

J’ai pris connaissance de vos contributions, qui sont effectivement de grande qualité. Elles répondent parfaitement à la préoccupation qui a justifié la création de cette commission d’enquête. Notre projet, c’est d’aller au-delà des constats et de créer une nouvelle dynamique, un nouveau souffle, pour surmonter les obstacles nombreux auxquels les enfants en situation de handicap et leurs familles sont encore confrontés.

Nous souhaitons que vous nous aidiez à faire la photographie la plus complète et la plus précise possible de la situation réservée aux enfants en situation de handicap en France. Nous attendons surtout de vous, parce que vous avez une vraie expertise en la matière, des propositions concrètes et pragmatiques susceptibles de nourrir la réflexion du Gouvernement et du Parlement et d’être traduites dans la loi. Nous avons de grandes ambitions, puisque nous avons évoqué un « acte II » de la loi de 2005. En tout cas, nous voulons que soient reconnus de nouveaux droits concrets, et pas seulement formels, dans le domaine qui nous rassemble. Je vous remercie encore d’avoir répondu présents à cette convocation de la commission d’enquête.

J’en profite pour vous dire que j’ai convaincu le Président de l’Assemblée nationale de permettre à des personnes en situation de handicap de jouer une pièce de théâtre dans nos murs. La date de la représentation n’est pas encore fixée, mais je me ferai un plaisir d’y inviter l’ensemble de vos associations.

Mme Bénédicte Kail, conseillère nationale « éducation-familles » au sein d’APF France Handicap. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre invitation. Comme vous l’avez indiqué, madame la présidente, je suis conseillère éducation familles à APF France Handicap, une association de défense des personnes en situation de handicap, qui accompagne les familles dans leurs démarches, et qui gère également des instituts d’éducation motrice (IEM), des instituts médico-éducatifs (IME) et des services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD).

J’ai écouté les auditions des 19 et 26 mars ; je ne reviendrai pas sur un certain nombre des constats qui ont été faits et que nous partageons. Je souhaite centrer mon intervention sur un sujet qui a été peu abordé, à savoir les difficultés que rencontrent les enfants dans leur parcours scolaire et, plus spécifiquement, les difficultés des familles à maintenir leur enfant en milieu ordinaire, lorsqu’il y a été admis au départ.

Il est vrai que le nombre d’enfants scolarisés en milieu ordinaire – en y incluant les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) – a plus que doublé depuis la loi de 2005, et on ne peut que s’en féliciter. Pourtant, de trop nombreuses familles constatent avec amertume que plus leur enfant avance dans sa scolarité, plus il a de difficultés à rester ou à être accepté en classe ordinaire. On lui proposera d’abord d’être accompagné par un dispositif ULIS et dans un certain nombre de cas, on l’éjectera, plus ou moins rapidement, vers un établissement spécialisé. Selon la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale, à six ans, 85 % des élèves en situation de handicap sont scolarisés en classe ordinaire, mais ils ne sont plus que 46 % à dix ans. A contrario, à dix ans, 10 % des élèves en situation de handicap sont en unité d’enseignement dans le médico-social, mais ils sont 18 % à douze ans, et 24 % à seize ans.

Lorsqu’on échange avec les familles et les professionnels, on s’aperçoit que les ruptures se font à chaque transition, au moment de l’entrée à l’école élémentaire, puis au collège, et que la rupture la plus importante a lieu durant le collège. Selon la DEPP, on comptait, au cours de l’année 2017-2018, tous types de scolarisation confondus – unités d’enseignement comprises –, 96 900 adolescents en situation de handicap au collège et seulement 31 100 au lycée. En réalité, on a à peu près 28 000 élèves par niveau en élémentaire, 24 000 au collègue et seulement 10 000 au lycée. Cela montre que l’école ne fait une place aux élèves handicapés qu’à condition qu’ils soient capables de s’adapter à l’école : nous sommes toujours dans une logique d’intégration. Or l’intégration montre ses limites dès lors que l’écart entre l’enfant et les normes scolaires devient trop important, car le besoin n’est plus seulement un besoin de compensation, mais d’accessibilité et de mise en accessibilité des savoirs.

On note des différences selon la nature des troubles, puisqu’on éjecte davantage les élèves qui ont des troubles cognitifs ou des troubles du spectre de l’autisme que ceux qui ont un trouble moteur ou visuel, et selon l’origine sociale des familles, parce qu’il faut être en mesure de se battre pour maintenir son enfant à l’école. À APF France Handicap, nous considérons qu’il faut travailler à réduire ces écarts pour éviter les ruptures et faire en sorte que tous les enfants en situation de handicap puissent être scolarisés en classe ordinaire avec les enfants de leur âge.

Cela passe par des aménagements et des adaptations pédagogiques, pour que les élèves puissent suivre les enseignements : proposer plusieurs approches pour répondre à un objectif d’apprentissage, utiliser des codes couleur pour expliciter les consignes, diminuer le nombre d’exercices ou de questions lors d’une évaluation et, lorsque ce n’est plus suffisant, cela doit aller jusqu’à la mise en place d’une programmation adaptée des objectifs d’apprentissage lorsque le niveau n’est pas homogène – par exemple lorsque l’élève a des objectifs de CM1 en sciences et de CE2 en français – ou lorsque le niveau est très éloigné du programme. Théoriquement, tout ceci est déjà possible, via le projet personnalisé de scolarisation (PPS), notamment dans son document de mise en œuvre ; c’est du ressort des enseignants, mais il est évident que les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) peuvent aider à sa mise en œuvre.

Le problème vient de ce que les enseignants référents sont surchargés, que l’évaluation des besoins, via le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco), ne permet pas toujours de proposer des PPS suffisamment précis – quand les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne refusent pas de les rédiger –, que le document de mise en œuvre du PPS est très peu utilisé et que les enseignants se heurtent à de multiples obstacles lorsqu’ils tentent d’introduire ces aménagements et ces adaptations pédagogiques : manque de formation initiale, classes à effectifs trop importants, manque de temps de concertation avec les enseignants « ressources », qui ne sont pas assez nombreux, et avec d’autres professionnels, comme les paramédicaux et les professionnels du médico-social. Je donnerai un dernier chiffre pour illustrer ce décalage : le nombre d’enseignants référents a augmenté de 58,5 % depuis 2006, alors que le nombre d’élèves en situation de handicap en milieu ordinaire a augmenté de 240 % – ce taux peut être ramené à 185 % si l’on prend en compte les 78 000 élèves scolarisés dans les unités d’enseignement, dont les effectifs restent relativement stables. Compte tenu de ce décalage, on comprend combien il peut être difficile, pour des enseignants référents, de suivre autant de dossiers.

Selon nous, il faut avant tout permettre aux enseignants de jouer pleinement leur rôle. Je vais détailler sept des trente propositions que nous vous avons envoyées par écrit.

La première consiste à prévoir, dans le cahier des charges de la formation initiale, un module relativement important sur les besoins en matière d’apprentissage des élèves en situation de handicap et sur les adaptations pédagogiques possibles. A priori, cette disposition a été introduite dans le projet de loi pour une école de la confiance et nous sommes en train de travailler, au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), pour définir nos attendus en la matière.

Nous proposons, deuxièmement, de mettre en place dès la rentrée scolaire un dispositif de soutien à tout enseignant qui accueille un enfant ayant des besoins particuliers, notamment par la mise en place de pôles ressources. APF France Handicap espère que les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) joueront ce rôle.

Troisièmement, nous proposons de réduire les effectifs des classes à vingt élèves, dès lors qu’elles comptent un élève avec un PPS ou un projet d’accompagnement personnalisé (PAP).

Quatrièmement, nous proposons d’augmenter le temps consacré à la concertation dans le service des enseignants. À l’heure actuelle, sur les 108 heures annuelles de service, seules quarante minutes peuvent être consacrées chaque semaine à la concertation, ce qui est tout à fait insuffisant.

Cinquièmement, nous proposons de développer l’utilisation des programmations adaptées des objectifs d’apprentissage, afin de déculpabiliser les enseignants qui dérogent ainsi aux programmes scolaires, tout en s’y référant, en accord avec leur hiérarchie.

Sixièmement, nous proposons d’augmenter le nombre d’enseignants référents, de façon à limiter à cent le nombre de dossiers qu’ils traitent.

Septièmement, nous proposons d’introduire un document unique, qui remplacerait le GEVA-Sco, le PPS et le document de mise en œuvre du PPS. Ce document, qui partirait des besoins de l’enfant, détaillerait tous les aménagements et toutes les adaptations pédagogiques nécessaires. Il engagerait l’Éducation nationale et offrirait des moyens de recours aux familles en cas de non-application.

Chez APF France Handicap, nous sommes convaincus que les enseignants sont en mesure de répondre aux objectifs d’une école inclusive, associant personnalisation et pédagogie différenciée, parce que c’est leur métier. Encore faut-il leur donner les moyens de le faire et les soutenir, ce qui suppose une politique volontariste et un investissement humain. C’est à cette condition seulement que nous pouvons espérer avoir, un jour, une école réellement inclusive et voir disparaître jusqu’aux unités d’enseignement, au profit d’une scolarisation en classe ordinaire, capable de s’appuyer sur des plateaux techniques, des espaces de soins et de repos installés dans les écoles et une collaboration étroite avec les professionnels du médico-social. C’est ce que recommande la rapporteure spéciale des Nations unies pour les droits des personnes handicapées, Mme Catalina Devandas Aguilar, et nous en sommes encore très loin.

Parce qu’il n’a presque pas été question de l’enseignement supérieur, je vous suggère, pour finir, d’auditionner l’association Droit au savoir, dont plusieurs associations ici présentes sont membres, et qui se consacre spécifiquement aux jeunes de plus de seize ans.

M. Emmanuel Jacob, administrateur de l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens d’abord à vous remercier pour votre invitation. L’UNAPEI gère 3 100 établissements, compte environ 55 000 adhérents et associe plus de 80 000 professionnels au service des enfants, des adolescents, mais aussi des adultes en situation de handicap mental. En 2015, lors d’une précédente audition dans ces murs, je déclarais que l’école inclusive relevait encore de l’esthétique déclaratoire et j’exprimais la crainte que les parents d’enfants handicapés, souvent qualifiés de résilients, ne se transforment peu à peu en parents résignés, notamment au sujet de l’école inclusive.

Aujourd’hui, il serait très excessif de considérer que l’école est inclusive. Pour reprendre une formule entendue récemment à propos d’un autre sujet, on avance, mais on ne progresse pas. Certes, comme Madame Kail vient de le rappeler, une forme de massification s’opère, puisque 340 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés en milieu dit « ordinaire », mais il faut voir leurs conditions de scolarisation. Je rappelle que certains d’entre eux ne bénéficient que d’un temps de scolarisation très réduit, ce qui n’est pas conforme à leurs droits. Dans leur grande majorité, les élèves qui souffrent de troubles du neurodéveloppement, notamment de troubles intellectuels et cognitifs, et qui sont accompagnés par les associations de notre mouvement, quittent encore l’école « ordinaire » très précocement. Seuls 8 % des enfants atteints d’un handicap cognitif atteignent le cycle 3, c’est-à-dire la classe de CM1. Ils sont moins scolarisés individuellement – c’est-à-dire dans une classe, au même titre que les autres – et moins souvent à temps plein.

Le principe de l’école inclusive, que l’on pourrait définir comme une école qui tient compte des singularités de chacun, ne s’applique pas, à ce jour, à tous les enfants.

Pour les élèves qui fréquentent les instituts médico-éducatifs (IME), les temps de scolarisation sont très variables d’un handicap à l’autre et d’un territoire à l’autre, même si les établissements et les associations qui les gèrent ont la volonté farouche d’offrir des temps de scolarisation conformes à la fois aux droits et aux besoins des enfants et des adolescents et aux souhaits de leur famille. Les parents, bien souvent, ne comprennent pas pourquoi leur enfant ne bénéficie pas de l’effectivité d’un droit qui, aujourd’hui, ne devrait être ni discuté, ni conditionné.

Le temps de scolarisation des élèves en IME interroge, émeut ou scandalise, selon le point de vue que l’on adopte. En 2015, les élèves qui présentent plusieurs troubles associés, un trouble intellectuel et cognitif ou un trouble du psychisme, sont scolarisés moins de la moitié du temps et 41 % d’entre eux sont scolarisés un jour, voire moins d’un jour par semaine. Ces chiffres sont issus d’une enquête de la DEPP de 2016 sur les élèves nés en 2005. Pour faire de l’école inclusive une réalité, il est selon nous nécessaire d’avoir à l’esprit trois dimensions de ce que l’on appelle parfois abusivement l’inclusion : l’inclusion physique, l’inclusion sociale et l’accès à des savoirs accessibles.

L’inclusion physique est en cours, nous en convenons : elle s’avère peu coûteuse et facilement mesurable. La définition du handicap inscrite dans la loi de 2005, la difficile identification des besoins et l’insuffisance des dispositifs de prévention et d’intervention précoce ont sans nul doute contribué à faire considérablement progresser la scolarisation des enfants en situation de handicap. Oui, le nombre d’élèves reconnus handicapés a beaucoup progressé, mais parallèlement, et paradoxalement, les listes d’attente des IME – 429 pour les associations affiliées à l’UNAPEI – n’ont pas cessé de s’allonger durant cette période, entraînant des ruptures de parcours insupportables et des conséquences sociales inacceptables.

Si l’inclusion physique est en cours, l’inclusion sociale, elle, est déjà plus complexe. Nous constatons et regrettons des exclusions ou des restrictions de participation, qui sont contraires à la loi de 2005 et provoquent des difficultés de participation sociale, depuis la classe jusqu’aux sorties scolaires, en passant par la cantine.

La troisième dimension de l’inclusion, c’est le droit de bénéficier de savoirs accessibles, d’aller à l’école et d’y apprendre des choses, de progresser à sa mesure, dans un « chez soi pour tous », pour reprendre les termes de Charles Gardou. C’est ce que nous défendons à l’UNAPEI, et notre position politique se fonde sur trois principes : l’effectivité, la bientraitance et l’ambition. Nous partageons les propositions que vient de faire Madame Kail, mais nous pensons aussi que des outils existent déjà, qui pourraient nous permettre d’agir.

En cette journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, je voudrais mentionner les unités d’enseignement en maternelle pour enfants autistes (UEMA), dont beaucoup sont soutenues par des associations affiliées à l’UNAPEI. Ce dispositif est intéressant à plusieurs titres. D’abord, il permet la scolarisation en milieu ordinaire d’élèves réputés non scolarisables, y compris avec l’accompagnement d’un AESH individuel. Ceci tend à démontrer que, pour certains élèves, la scolarisation nécessite des aides, des médiations, des approches particulières et que la réponse qui consiste en la seule attribution d’un AESH n’est pas conforme, ou pas seule conforme, aux besoins de tous les enfants. Ce dispositif est exemplaire, ensuite, dans la mesure où il permet aux différentes parties prenantes de collaborer – d’apprendre à le faire – et, le cas échéant, d’être formées ensemble. Je pense aux professionnels du secteur médico-social et de l’éducation nationale, mais aussi aux familles, qui ont aussi des besoins de formation pour faire face aux besoins particuliers de leurs enfants, qui ne s’expriment pas qu’à l’école.

Il s’agit de dispositifs inscrits en milieu ordinaire, qui ont vocation à ne pas constituer des enclaves spécialisées fermées au sein de l’école, mais qui permettent aux élèves de poursuivre un parcours ordinaire, ou presque ordinaire – au moins pour un grand nombre d’entre eux. Pour les autres il convient de dimensionner l’accompagnement à la hauteur des besoins, sans pour autant recréer des filières spécifiques. C’est la raison pour laquelle nous défendons l’idée de « scolarisations » au pluriel, c’est-à-dire d’un panel de solutions et d’aides pour garantir accès, participation et ambition à chacune et chacun des élèves.

Il existe d’autres outils que les UEMA, notamment les unités d’enseignement externalisées (UEE), qui sont déployées un peu partout en ce moment, dans les écoles et les collèges. Cette externalisation constitue une magnifique occasion de construire des environnements, puis des écosystèmes inclusifs, en mobilisant l’expertise des acteurs de l’éducation nationale et du secteur médico-social. Néanmoins, on ne peut décréter l’externalisation en se fixant des objectifs chiffrés, sans tenir compte des conséquences à court et moyen terme. L’externalisation d’unités d’enseignement entraîne le déplacement, dans une école ou un collège – qui ne sont pas forcément à proximité immédiate d’un établissement spécialisé – de personnels – enseignants, éducateurs spécialisés, intervenants thérapeutiques – qui ont besoin de locaux disponibles et adaptés. Cette externalisation, aujourd’hui, ne concerne qu’une partie des élèves de l’établissement. Ceux qui restent sur le site ne bénéficient plus du même accompagnement et subissent souvent une baisse de leur temps de scolarisation, puisque les externalisations sont réalisées à moyens constants. Lorsqu’on regarde le ratio entre le nombre d’enseignants et le nombre d’enfants accueillis dans les IME, on s’aperçoit que le taux d’encadrement est souvent d’un pour vingt-cinq et qu’il peut atteindre un pour cinquante, ce qui ne permet absolument pas de scolariser les enfants dans des conditions acceptables.

Cela étant, nous manquons de données statistiques consolidées sur les enfants et les adolescents non scolarisés ou partiellement scolarisés. Nous avons peu de données sur la qualité de la scolarisation et la permanence des parcours et nous nous étonnons qu’un amendement déposé sur le projet de loi pour une école de la confiance, relatif aux outils de pilotage des politiques publiques dans ce domaine, ait été rejeté par le Gouvernement. La réalité vécue aujourd’hui par nombre de familles n’est pas tolérable.

En cette journée un peu particulière, je souhaiterais, pour finir, vous demander ce qu’est un gosse, pour vous. Dans notre monde, un gosse devrait être un loupiot, un mioche, un gamin, et pas un groupe opérationnel de synthèse (GOS) dans le cadre de la « réponse accompagnée pour tous ». Et l’école inclusive ne devrait pas être qu’un îlot de satisfaction dans un océan de renoncement.

Mme Nathalie Groh, présidente de la Fédération française des Dys. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous avoir invités à venir parler des troubles « dys ». Je signale que la Fédération française des Dys est la seule association non gestionnaire autour de cette table.

Une personne sur dix, en France, est potentiellement touchée par un trouble « dys ». Les scientifiques estiment en effet que 8 % à 10 % de la population sont concernés, ce qui n’est pas négligeable. Ce trouble, en France, n’est reconnu que depuis 2001. Auparavant, il se cachait derrière l’échec scolaire ou dans les établissements médico-sociaux, mais on ne mettait pas de nom sur le problème des enfants concernés.

Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages relèvent de la dyslexie – ne pas arriver à lire –, de la dysorthographie, qui est fréquente en France, compte tenu de la difficulté de l’orthographe, de la dysphasie, qui concerne le langage oral, de la dyspraxie, qui concerne la coordination des gestes, et de la dyscalculie. Les choses seraient assez simples si les enfants souffraient d’un seul trouble, mais il se trouve qu’ils s’associent, ce qui complique le diagnostic –il ne suffit donc pas d’une orthophoniste pour poser un diagnostic. Alors que ces troubles ont été reconnus en 2001 en France, il a fallu attendre dix-sept ans pour que la Haute Autorité de santé (HAS) publie, en janvier 2018, un guide sur les troubles « dys ». Elle y propose des solutions pour améliorer le parcours de prise en charge et précise que les neuropsychologues sont les professionnels les plus à même d’établir un diagnostic.

J’en viens à l’inclusion. Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages constituent un large spectre de difficultés et de besoins pour les enfants qui en sont atteints. Depuis le trouble léger jusqu’au handicap sévère, tous les cas de figure existent. Certains enfants sont clairement dans le champ réglementaire du handicap, tant leurs difficultés et leurs besoins sont importants. D’autres n’y sont pas, mais leurs besoins n’en sont pas moins réels et peuvent conduire à des situations de handicap s’ils ne sont pas pris en compte. Ces enfants et leurs familles manquent de réponses adaptées. En effet, tout se passe comme si le système était binaire, sur le mode « oui-non » : si vous êtes handicapé au sens réglementaire, vous avez un droit ; sinon, non. Si l’on n’arrive pas à se faire reconnaître, si l’on n’arrive pas à faire établir un diagnostic, on n’a aucun droit. Or de nombreux enfants ne sont diagnostiqués que bien après l’âge de dix ans, voire au lycée ! Certains rencontrent même des difficultés après le baccalauréat. La logique de l’inclusion doit permettre de sortir de cette insularité du handicap, qui fait que si vous n’êtes pas reconnu comme handicapé, on ne vous aide pas. Si l’on pense « inclusion », les réponses doivent être graduées, lissées, de manière à répondre à la réalité des situations.

Je voudrais insister sur deux thèmes : la prévention, c’est-à-dire le repérage et le dépistage, et la formation. Pour nous, c’est la seule solution. Si nous ne développons pas à la fois la prévention et la formation, nous n’y arriverons pas et, dans dix-sept ans, je vous tiendrai exactement le même discours. Or je souhaite, pour les générations futures, que les choses changent.

De nombreux enfants ne sont pas diagnostiqués avant l’âge de dix ans – nous avons fait une enquête –, notamment les dyslexiques. Pourtant, le fait de ne pas savoir lire en France est un réel handicap. Ces enfants parlent bien, ils ont une intelligence normale, mais ils ne savent pas bien lire et écrire. Quand vous consultez un ergothérapeute, un psychomotricien ou un neuropsychologue pour établir un diagnostic, vous pouvez avoir un reste à charge supérieur à 1 500 euros, ce qui est énorme. L’article 62 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a introduit, et c’est une avancée, le forfait précoce. Hélas, il ne va pas au-delà de six ans, ce qui signifie que 80 % des enfants « dys » ne pourront pas en bénéficier.

Alors que plusieurs tests ont été spécifiquement conçus pour les enseignants, nombre d’entre eux ne les connaissent pas. Ils ne sont donc pas à même de repérer les enfants atteints de troubles « dys ». Par ailleurs, le manque de médecins scolaires, qui est de plus en plus préoccupant dans certains territoires, ne permet plus d’effectuer un dépistage systématique. Or, pour ces jeunes, cette absence de diagnostic ne peut qu’être lourde de conséquences, sur la prise en compte de leurs difficultés, sur la mise en place des aménagements nécessaires, voire sur leur orientation, qui souvent se fait « par défaut ». En l’absence de questionnement sur la raison des difficultés de l’élève, celui-ci est dit feignant, limité ou agité : autant de qualificatifs inappropriés. Ainsi dévalorisé, l’enfant se construira différemment de ses camarades et perdra confiance en lui et, surtout, dans l’institution.

Lors de l’élaboration de la loi de refondation de l’école en 2013, la Fédération française des Dys avait proposé plusieurs amendements, et notamment qu’un module spécifique sur les troubles spécifiques du langage et des apprentissages soit intégré au tronc commun au sein de chaque école supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE), pour que tous les futurs professeurs en entendant au moins parler. J’ai croisé des professeurs de français, qui ont eu la chance d’avoir des conférences sur les troubles « dys » au sein de leur établissement, parce que les associations de parents se mobilisent et font de conférences le soir. L’une de ces enseignantes m’a dit qu’elle ne connaissait pas ces troubles, alors qu’elle enseignait depuis trente ans Elle croyait connaître la dyslexie, mais elle ne parvenait pas à comprendre comment un élève qui n’arrive pas bien à lire peut comprendre « tout court ». Tout cela pour vous dire qu’il y a encore du travail à faire !

S’agissant de la formation continue, nous proposons que, dès le premier trimestre de l’année scolaire, un enseignant qui a dans sa classe des élèves en situation de handicap bénéficie d’une aide pour adapter son enseignement. Dans toutes les équipes de suivi, la première chose que demandent les enseignants aux orthophonistes et aux ergothérapeutes, c’est comment ils doivent faire dans leur classe. La réponse à cette question est extrêmement complexe. Que répondre aux enseignants qui veulent bien faire ? Aux professionnels de santé qui essaient de trouver des solutions pour compenser le handicap ? La HAS a mis en évidence une chose formidable : tout seul, on n’y arrive pas. Il faut que l’éducation nationale, les médecins et le médico-social travaillent ensemble. Ce n’est pas en plaquant des solutions toutes faites que nous y arriverons, parce que chaque enfant est différent.

M. Ali Rabeh, directeur de cabinet du président de la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du président de la Fédération des APAJH, M. Jean-Louis Garcia.

Nous vous remercions pour votre invitation qui va me permettre d’énoncer, en quelques mots, quelles sont pour nous les priorités pour faire de l’école un espace réellement inclusif et sortir effectivement des incantations ou des déclarations qui parfois, quinze ans après le vote de la loi de 2005, n’entrent toujours pas dans la vie réelle des familles.

C’est en constatant les carences de l’éducation nationale que des enseignants ont décidé de créer l’APAJH, en 1962, afin de proposer des solutions de placement pour les enfants en situation de handicap qui ne trouvaient pas de solution à l’école. Elle est dorénavant gestionnaire d’établissements médico-sociaux. Elle a grandi puisqu’elle gère non pas 650 établissements mais 750 établissements et services, et qu’elle mobilise 14 000 collaborateurs au service des personnes en situation de handicap.

Je tiens à vous féliciter pour avoir pris l’initiative de créer cette commission d’enquête. Il est en effet plus que jamais nécessaire d’évaluer l’effectivité de la loi du 11 février 2005 et de se doter d’indicateurs d’évaluation précis qui manquent aujourd’hui cruellement en ce qui concerne la scolarisation des enfants en situation de handicap.

Nous demandons à chaque rentrée scolaire et quelques mois après la rentrée scolaire les chiffres de la rentrée, le nombre d’élèves scolarisés à l’école, le nombre d’élèves qui n’ont pas pu rejoindre leurs camarades de classe sur les bancs de l’école, le nombre d’heures réelles d’inclusion au sein de l’école pour les élèves qui ont la chance d’être scolarisés. Tous ces éléments nous manquent et nous ne pouvons pas, année après année, mesurer de façon tangible, rationnelle, transparente la situation de la scolarisation des enfants en situation de handicap dans notre pays. Ceci crée un vrai problème de confiance entre les associations que nous représentons, les gouvernants et, bien évidemment, les familles, qui ne peuvent pas savoir, quand elles ont un enfant en situation de handicap, si la situation s’améliorera dans les années à venir, si elle est en train de s’améliorer ou si, au contraire, nous stagnons, voire régressons.

Il est donc plus qu’opportun d’évaluer l’application de la loi du 11 février 2005 et d’engager – pourquoi pas ? – une nouvelle dynamique, pas forcément une initiative législative, mais en tout cas pour la mise en œuvre des grands principes de la loi qui, pour ce qui nous concerne, nous conviennent.

Les retours de terrain que nous avons – nos services reçoivent régulièrement des appels de parents et nous sommes interpellés à chaque rentrée, voire dès le mois d’août – font état d’une progression certes quantitative de la scolarisation des enfants en situation de handicap, mais pas nécessairement qualitative. Nous mesurons que de nombreux élèves restent à la porte de l’école à la rentrée, que certains fréquentent l’école de manière très partielle alors qu’ils sont intégrés dans les statistiques et dans le nombre de 340 000 élèves scolarisés, et que les temps d’accompagnement individuel qui ne respectent pas les notifications des MDPH sont monnaie courante. Nous avons également des retours de la part des AESH, dont le statut est précaire et qui sont trop peu qualifiés, ce qui pose des difficultés au quotidien. Nous sommes également interpellés sur les ruptures de parcours, encore trop fréquentes tout au long de l’année et de la scolarité des enfants, sur les choix d’orientation faits trop souvent par défaut à l’arrivée au collège et au lycée qui ne permettent pas aux enfants de choisir leur orientation, puis leur métier, en toute connaissance de cause, comme tout un chacun.

Nous regrettons également que les ULIS quand elles existent, ou les unités d’enseignement externalisées, soient trop faiblement partie prenante de la vie d’établissement et du projet d’établissement. On réalise l’inclusion scolaire en développant ces ULIS ou en externalisant ces unités d’enseignement, mais en pratique souvent ce sont deux mondes parallèles qui cohabitent dans le même établissement, qui peuvent éventuellement se croiser dans la cour de récréation mais qui ne partagent pas grand-chose, y compris dans le travail des personnels chargés de les encadrer.

Nous sommes également confrontés à de nombreuses notifications des SESSAD qui n’aboutissent pas – les familles nous interpellent sur ce point. Nous constatons que les poursuites d’études sont rendues complexes et, plus généralement, une faible collaboration entre l’éducation nationale et le champ médico-social. Il est à regretter que le projet de loi pour une école de la confiance, en cours d’examen au Sénat, ne fasse pas la part belle, comme le disait Mme Groh, à la coopération nécessaire entre les acteurs du champ médico-social, les familles et l’éducation nationale. De ce point de vue, nous avons un immense travail à réaliser. La loi peut contribuer à inviter l’ensemble des acteurs à s’engager dans cette voie.

Je voudrais insister sur les disparités territoriales qui affectent l’inclusion des enfants en situation de handicap. Les conditions de scolarisation sont différentes à Paris et à Mayotte, où tout est à construire, la prise en charge du handicap en général étant très défaillante, en particulier l’inclusion scolaire. La République doit à chaque enfant, qu’il vive en métropole ou dans les outre-mer, des conditions de scolarisation identiques, respectables, dignes. Or ce n’est malheureusement pas le cas dans certains départements. On ne peut pas prendre en otage des familles, qui sont soit « assignées à résidence », soit condamnées à déménager pour pouvoir trouver des conditions favorables à l’épanouissement de leurs enfants.

J’en viens aux revendications de l’APAJH sur lesquelles nous prétendons, à partir quelquefois d’expérimentations, montrer ce que pourrait être demain une école pleinement inclusive. Il conviendrait d’abord de renforcer la précocité du diagnostic et de mieux accompagner l’annonce du handicap auprès des familles. Il faut imaginer des solutions d’accueil dès le plus jeune âge, pour permettre aux parents de poursuivre leur vie professionnelle, de ne pas être bouleversés par le diagnostic qui est posé. À ce titre, je citerai l’exemple de la crèche de l’APAJH, située dans les Deux-Sèvres, qui mobilise un tiers des places pour les enfants en situation de handicap dès le berceau, ce qui permet de construire dès le plus jeune âge des parcours inclusifs, de la crèche jusqu’à la fin de la vie scolaire.

Tout n’est pas parfait en ce qui concerne l’externalisation des unités d’enseignement, mais cela doit être la norme. L’APAJH milite pour l’externalisation de l’ensemble des unités d’enseignement et pour que soit adapté le nombre d’enseignants référents. Actuellement, les statistiques sont affligeantes, puisque dans certains départements un enseignant référent peut suivre jusqu’à 300 dossiers ; il ne peut donc pas suivre les situations individuelles et contribuer utilement à l’inclusion scolaire des enfants.

Dans les lycées, on peut réussir de très beaux partenariats entre le monde médico-social et l’éducation nationale. J’en veux pour preuve le lycée des Bourdonnières, à Nantes, que Mme Sophie Cluzel a visité récemment, et qui permet à une quarantaine d’élèves en situation de handicap d’être accueillis et intégrés dans toutes les classes, dans toutes les filières de formation – professionnelle, générale, technologique. Cet établissement, qui dispose d’un plateau technique de très grande qualité porté par l’APAJH, permet à ces jeunes en situation de handicap d’avoir accès à tous les outils et instruments nécessaires à leur réadaptation sur leur lieu d’études. En réunissant lieu d’études et lieu de réadaptation, nous pouvons réussir de belles choses. Mais plutôt que de se doter, à travers la France, de quelques établissements pilotes exemplaires, nous devons – et j’espère que ce sera l’un des objectifs que fixera la commission d’enquête – réussir à développer ces initiatives partout en France pour qu’elles puissent essaimer et donner des idées aux chefs d’établissement, aux rectorats, aux agences régionales de santé pour financer ces projets, qui fonctionnent.

Parmi leurs revendications, certains collègues ont cité la réduction du nombre d’élèves dans les classes qui accueillent des enfants en situation de handicap. On ne peut pas gérer de la même manière une classe de vingt-quatre élèves sans enfant en situation de handicap et une classe qui en intègre deux ou trois. Il faut donc prévoir dans les académies, sans nécessairement avoir besoin de fixer une règle par la loi, des affectations de personnels, mais surtout des tailles de classes adaptées à l’accueil d’enfants en situation de handicap.

Nous revendiquons l’augmentation du nombre de places en SESSAD par la création de places nouvelles plutôt que par le réaménagement de structures existantes, ce que l’on constate trop souvent. Nous considérons aussi que la promotion de la réflexion, de la recherche, de la formation pour rendre les outils, les supports les démarches pédagogiques pleinement inclusives est encore à construire. Trop peu d’enseignants bénéficient d’une formation initiale ou continue leur permettant d’adapter leurs pratiques pédagogiques à l’accueil d’enfants en situation de handicap. Tous les troubles méritent une formation particulière. Il a été beaucoup question, lors des auditions précédentes, de la formation des AESH qui est une nécessité. Toutefois, la formation des enseignants est encore le parent pauvre de la démarche d’inclusion scolaire quatorze ans après le vote de la loi du 11 février 2005. L’éducation nationale a là un immense champ de progrès potentiel.

Je veux enfin insister sur la nécessité de construire des schémas territoriaux. Il convient d’articuler le travail du champ médico-social et de l’éducation nationale, ainsi que celui des départements. À l’initiative du rectorat de Lyon, la région Auvergne-Rhône-Alpes a élaboré un schéma territorial de grande qualité qui dresse la liste des actions, un calendrier de mise en œuvre et des indicateurs de suivi précis. Ce travail avec le département et l’agence régionale de santé (ARS) a abouti, et il a essaimé dans l’ensemble de la région. Nous considérons que toutes les régions et tous les départements doivent se doter de schémas territoriaux articulant la coopération entre tous ces acteurs. Je le répète, mieux vaut additionner les compétences et les savoir-faire que de travailler chacun en vase clos, dans son périmètre.

Lors des auditions précédentes, vous avez également évoqué la question des PIAL. Nous avons quelques inquiétudes en la matière. Comme je ne veux pas monopoliser la parole, je ne développerai pas mon propos. Toutefois, sachez que nous sommes à votre disposition pour vous dire ce que nous considérons, dans la configuration actuelle des PIAL et leur mise en œuvre, être un danger pour la construction d’une école pleinement inclusive et pour vous soumettre nos propositions afin de faire évoluer ce projet.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez évoqué la faible coopération entre le secteur médico-social et l’éducation nationale et souligné que cela n’avait pas été abordé dans le projet de loi pour une école de la confiance.

J’ai travaillé, en tant qu’enseignante spécialisée, dans le secteur médico-social, à la formation des auxiliaires de vie scolaire (AVS), sujet qui me tient à cœur. Le décret du 2 avril 2009 permet passer des conventions entre les écoles et les établissements médico-sociaux. Pour ma part, je me souviens avoir mis en œuvre une convention entre un collège et un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP), pour permettre à des élèves d’ITEP d’être scolarisés sans peur. Grâce à un accompagnement médico-social, ces élèves pouvaient rester dans les classes sans faire d’éclat.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’aimerais que vous complétiez notre diagnostic. Je vous rassure, notre commission d’enquête n’est pas dans l’incantation et elle n’a pas une approche technocratique, donc déshumanisée. Comme vous, je hais les « GOS » quand il s’agit, comme le disait Allain Leprest, de ces sigles barbares technocratiques. En revanche, nous aimons les enfants et vous voulons, au travers de cette commission d’enquête, favoriser concrètement leur inclusion.

Nous allons obliger le Gouvernement à nous donner des chiffres. Le rôle de notre commission d’enquête est de connaître la vérité sur la scolarisation, le déficit du nombre de places, le délai de prescription des MDPH, la réalité de la présence humaine, etc.

Combien d’enfants sont sur liste d’attente dans les établissements spécialisés que vous gérez ?

Vous avez évoqué le besoin de postes supplémentaires en SESSAD, et j’imagine que nous le mesurons, les uns et les autres, dans nos territoires respectifs. Avez-vous des indications plus précises à nous donner sur les besoins nécessaires dans ce domaine-là ?

M. Dino Cinieri. Je voudrais remercier tout d’abord tous les intervenants pour leurs témoignages qui rejoignent ce que me disent les parents que je reçois dans ma permanence. Comme vous l’avez indiqué, les troubles « dys » – dyslexie, dyspraxie et dysphasie – touchent actuellement de 8 % à 10 % de la population. Je tiens à remercier M. Ali Rabeh d’avoir évoqué l’action de la région Auvergne-Rhône-Alpes et les efforts qu’elle fournit, notamment en ce qui concerne l’inclusion dans l’école des élèves handicapés, sous l’impulsion de son président, M. Laurent Wauquiez, et de Mme Sandrine Chaix. C’est pourquoi, lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, j’ai défendu un amendement visant à une meilleure prise en charge dans les écoles des enfants souffrant de troubles « dys ». Il s’agissait de permettre la mise en œuvre généralisée d’un projet d’accompagnement personnalisé afin d’éviter l’échec ou le décrochage scolaire de nombreux élèves souffrant d’un ou de plusieurs troubles « dys ». Malheureusement, cet amendement a été rejeté par la majorité. C’est bien dommage, car dans les écoles rurales l’accompagnement est bien plus compliqué pour les familles qu’à Paris, où il y a des classes adaptées dans de nombreux établissements – tant mieux pour ces classes et pour les enfants. Comme l’a dit M. Rabeh, les enfants des outre-mer ont aussi besoin d’être entendus, écoutés et accompagnés.

Madame Groh, existe-t-il une formation initiale et continue pour les troubles « dys » ? Pour faciliter la rééducation, des professionnels de santé libéraux peuvent-ils entrer dans les écoles ? Si je demande cela, c’est parce que dans le département de l’Ain, par exemple, il est interdit aux professions libérales de santé d’aller dans les établissements.

Enfin, l’article 62 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 relatif à la prise en charge par l’assurance maladie d’un parcours de bilan et intervention précoce bénéficiera-t-il aux enfants atteints de troubles « dys » ?

M. Olivier Gaillard. Au fil des différentes interventions, il est apparu clairement qu’il convenait de favoriser le travail en commun et les forces vives qui interviennent pour l’inclusion. Monsieur Rabeh, vous avez parlé d’une expérimentation portée par le rectorat qui concerne le schéma territorial. Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

Mme Danièle Cazarian. Je poserai deux questions.

La première s’adresse aux représentants de l’APF France Handicap. Tout à l’heure, vous avez fourni plusieurs données chiffrées de la DEPP, notamment le grand décalage entre le nombre d’adolescents scolarisés au lycée et ceux qui l’étaient auparavant au collège. Comment pouvons-nous réduire cet écart et amener le plus loin possible dans leur parcours scolaire les collégiens en situation de handicap, pour qu’ils puissent accéder dans les meilleures conditions possibles au cursus du lycée ?

La seconde question s’adresse aux représentants de la Fédération française des « dys ». Madame Philibert, j’ai eu le plaisir de vous recevoir à plusieurs reprises, dans ma permanence, dans la treizième circonscription du Rhône. Lors de notre précédente rencontre, vous m’aviez parlé du projet « Atout Dys » qui a vocation à se développer sur le territoire de la région Auvergne-Rhône-Alpes et qui pourra être dupliqué à l’échelle nationale. Il s’inscrit pleinement dans la stratégie gouvernementale sur les troubles du neuro-développement, qui vise à favoriser la détection, la prise en charge et l’inclusion des personnes atteintes des troupes du neuro-développement – en particulier de troubles « dys » ou de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) –, en misant sur des solutions co-construites et en améliorant la formation des professionnels et des personnes concernées mais aussi du grand public. C’est un projet ambitieux que je tiens à accompagner.

Quelles sont les actions qui permettraient que ce projet se développe, à l’échelle nationale, en vue d’améliorer les connaissances du grand public sur les troubles « dys » et les modalités de prise en charge des personnes qui en sont atteintes ?

M. Marc Delatte. Je suis quelque peu étonné de la déperdition que l’on constate entre les différentes classes de maternelle, de primaire, et au lycée. Il y a là un déterminisme du handicap, comme de la pauvreté.

Pour avoir été médecin de famille pendant vingt-six ans, j’ai toujours été surpris de la grande difficulté des familles, notamment des plus modestes, à bien utiliser le système de soins. D’importants progrès ont été réalisés ces dernières années, notamment avec le plan « autisme » et le parcours de soins coordonnés. J’estime que l’on travaille encore trop en silos et que les enseignants, les médecins, les psychomotriciens, les ergothérapeutes s’ignorent. Comment pourrait-on améliorer cette articulation ? Peut-être faudrait-il aller dans les classes pour qu’il y ait des plateformes mobiles, bref trouver des processus innovants.

Vous avez parlé d’un recensement des projets innovants. Je serais curieux de voir comment cela fonctionne. Ne pourrait-on pas généraliser ce qui marche ?

M. Dino Cinieri. La région Auvergne-Rhône-Alpes est preneuse !

Mme Cécile Rilhac. Monsieur Rabeh, quels dangers craignez-vous en ce qui concerne la mise en place des PIAL ?

J’ai été alertée par des parents d’élèves dont l’enfant bénéficie d’un chien d’accompagnement, un « handi-chien », ce qui pose problème puisque l’animal a du mal à être accepté dans l’environnement scolaire. Êtes-vous au courant de telles situations ? Comment faire pour favoriser, développer ce type d’accompagnement ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Madame Keil, je vous rejoins sur la nécessité d’avoir un jour un document qui unifie le PPS, le GEVA-Sco et peut-être d’autres documents, qui parte du besoin des enfants, et dont vous avez fort bien dit qu’à la fois il engagerait l’éducation nationale et il offrirait une solution de recours aux familles. Toutefois, vous n’avez pas précisé qui, à votre sens, doit porter ce document unique.

Monsieur Jacob, vous avez parlé d’exclusion sociale à l’école, qui peut aller parfois jusqu’à la rupture du parcours. A-t-on une idée du nombre d’enfants qui, par exemple, ne peuvent pas participer aux sorties scolaires faute d’accompagnement ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Quels sont les freins à la transformation de l’offre médico-sociale et au partenariat avec les établissements ? Même si des progrès ont été réalisés depuis le décret du 2 avril 2009, pourquoi ne sont-ils pas suffisants ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. La semaine dernière, lors de l’audition des représentants des MDPH, on a mis le doigt sur ce qui me semble être l’un des nœuds du problème auquel nous sommes confrontés, à savoir que le prescripteur – la MDPH – n’est pas en capacité d’apprécier la mise en œuvre de ses prescriptions, ni lorsqu’il s’agit d’un établissement spécialisé, ni lorsqu’il s’agit de l’inclusion en milieu ordinaire. Confirmez-vous ce diagnostic et avez-vous des solutions à proposer ?

Il y a des inégalités sociales flagrantes qui accentuent le parcours du combattant que représente le fait d’être en situation de handicap, auxquelles s’ajoutent des inégalités territoriales. Avez-vous des indications sur la photographie de ces inégalités sociales et territoriales en France ? Quelles sont, selon vous, les priorités pour y remédier ?

M. Emmanuel Jacob. Nous n’avons pas de chiffres au plan national concernant le nombre de personnes sur listes d’attente, mais quelques associations ont réussi à mener des enquêtes assez satisfaisantes.

Ainsi, en Loire-Atlantique, 800 notifications d’enfants ne sont pas satisfaites à ce jour. Selon l’association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales (ADAPEI), qui est la plus importante association de ce territoire, en septembre dernier, 299 enfants qui ont été notifiés en IME n’avaient bien évidemment pas de place, moins de 100 enfants sous amendement « Creton » étaient sans réponse, et 160 étaient en SESSAD. L’équipe de l’ADAPEI a fait une analyse un peu plus fine, qui montre que 30 % environ des enfants avec notification en SESSAD n’ont aucun accompagnement, que 30 % ont un accompagnement en centre médico-psychologique (CMP), en centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) ou via des pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE), et que 30 % sont suivis dans le secteur libéral, ce qui ne donne pas lieu à remboursement pour les familles. De plus, 5 % à 10 % des enfants avec une orientation en IME n’ont aucun accompagnement, 60 % sont maintenus à l’école mais dans des conditions difficiles, voire très difficiles, 30 % sont dans un autre IME, souvent les plus jeunes. Sur 115 enfants âgés de deux à douze ans dans l’agglomération nantaise, trente-six sont sans aucune solution ou ont moins de six heures de scolarisation par semaine.

Madame Firmin Le Bodo, nous n’avons pas de données sur les difficultés que rencontrent les enfants en situation de handicap pour participer à des sorties scolaires. Les familles nous disent que le contrat des AESH qui s’occupent notamment d’enfants atteints du trouble du spectre de l’autisme est parfois encore un contrat aidé ou de droit privé qui ne permet pas d’accompagner l’enfant pour une sortie scolaire. Parfois, il lui est attribué un autre AESH, qui ne connaît pas l’enfant, ce qui crée des difficultés et exclut de fait l’enfant de la sortie.

Mme Nathalie Groh. Je répondrai aux trois premières questions, puis je laisserai Mme Philibert aborder le projet « Atout Dys ».

Le paysage des formations sur les troubles « dys » dans les ESPE est assez disparate. Je prendrai l’exemple de la Bourgogne, qui est assez dynamique en la matière. Il existe un module de douze heures en master 1 et un module de dix-huit heures en master 2. Mais ceux-ci sont consacrés en grande partie aux élèves à besoin éducatif particulier. Dans cette catégorie, on englobe toutes les difficultés rencontrées par les enfants et les jeunes – primo-arrivants, enfants du voyage, élèves précoces, etc. – et on confond ainsi plusieurs champs. Plutôt que de s’adapter aux spécificités, on répond de manière globale. Comme je l’ai dit tout à l’heure, on pense que la même recette fonctionnera pour tout le monde. Or ce n’est pas le cas. Il faut comprendre comment l’enfant fonctionne au plan cognitif, donc expliquer ce que sont les troubles « dys ». Une différenciation pédagogique est donc nécessaire et il convient de bien prendre en compte les insuffisances des « dys ».

Les enseignants qui donnent des cours dans les ESPE m’ont expliqué qu’ils n’appréhendent le plus souvent ces questions qu’à travers le prisme de leur évaluation, pour l’essentiel disciplinaire, tout en visant des objectifs communs à tous les élèves, qu’ils soient atteints ou non d’un trouble « dys ». Ils pourraient proposer des tâches variées, mobiliser les différentes fonctions cognitives, s’ils parvenaient à appréhender comment l’enfant fonctionne, au lieu de rester fixés sur une solution unique. Les parents nous disent que, pour apprendre à lire à leur enfant, ils doivent le faire répéter. Or, cela ne fonctionne pas pour un enfant atteint de dysphasie. C’est pourquoi il faut un maillage entre les professionnels de santé et, par exemple, l’orthophonie pour le langage écrit et oral, et les associations qui se sont spécialisées dans le handicap. S’il suffisait de mettre des lunettes à un enfant myope, ça se saurait ! Il faut donc s’appuyer sur les compétences acquises ailleurs tout en donnant une formation initiale aux troubles proprement dits. Tous les enfants pourraient en bénéficier, et pas seulement ceux qui sont atteints d’un trouble « dys ».

Vous demandez également si les professionnels de santé libéraux peuvent entrer dans les écoles. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, depuis 2009, des conventions avec les établissements peuvent prévoir l’intervention de ces professionnels, via les SESSAD. Pour un enfant atteint d’un trouble « dys », cela suppose d’avoir une notification MDPH et une place en SESSAD pour pouvoir bénéficier de soins à domicile. Prenons l’exemple d’enfants dyslexiques, dysphasiques ou dyspraxiques qui ont besoin de plusieurs intervenants. Cela suppose des emplois du temps de ministre, puisqu’il faudra quatre interventions par semaine ! S’il était possible qu’une ergothérapeute et une orthophoniste viennent à l’école, cela arrangerait tout le monde et d’abord l’enfant qui n’aurait pas besoin de prendre un taxi pour aller à droite et à gauche, et cela permettrait surtout d’établir des relations au sein même de l’école, car l’enseignant a besoin de comprendre comment, dans un groupe de trente élèves, il va pouvoir mettre en œuvre ce que le professionnel de santé peut faire en bilatéral.

Des expérimentations ont été faites dans le Nord. Des orthophonistes sont entrés à l’école pour montrer aux enseignants de la maternelle comment repérer les enfants atteints de troubles du langage oral. Mais cette opération, qui a duré deux ou trois ans, est maintenant terminée. Elle n’a pas été généralisée, alors que les enseignants sont vraiment demandeurs.

Certains pays européens autorisent les orthophonistes à entrer dans l’école. Il peut intervenir pendant deux ans, sur un enfant dont le trouble est sévère et qui nécessite une prise en charge intensive, de deux à trois heures par semaine. Cela permet donc une intervention précoce. De plus, le coût pourrait n’être pas si important : plutôt que de dépenser de l’argent dans des déplacements ou de contraindre les mamans à arrêter partiellement de travailler, il serait possible de mettre en place ce maillage entre le secteur médico-social et les professionnels libéraux, sans qu’on ait l’impression que ces professionnels libéraux deviennent membres de l’Éducation nationale. Cela décloisonnerait le système et rendrait service aux enseignants, aux familles et surtout aux enfants.

Les troubles du neuro-développement regroupent l’autisme, les « dys », le TDAH et les troubles du développement intellectuel. Voilà ce que vous avez caractérisé dans la loi, mesdames, messieurs les députés. Mais le décret limite à six ans le forfait de dépistage. Or la démarche pour poser le diagnostic de la dyslexie ne peut pas être entreprise avant le cycle 2. En effet, vous ne pouvez pas commencer à faire passer des tests de dépistage de la dyslexie dès la petite ou la grande section car il faut attendre l’apprentissage de la lecture. Bien sûr, il ne faut pas surmédicaliser – nous avons bien entendu le ministre sur ce point ; mais, si l’on n’a pas droit au forfait précoce, alors le reste à charge qui pèse sur les familles pour l’établissement d’un diagnostic qui ne relèverait pas de l’orthophonie – prise en charge par la sécurité sociale – sera très important : il faudra financer l’ergothérapeute, le psychomotricien et le neuropsychologue. Comme la HAS considère qu’un seul professionnel ne peut pas poser le diagnostic, il faut regarder tous les champs pour savoir exactement quels sont les troubles spécifiques du langage et des apprentissages qui affectent l’enfant et faire appel à une équipe pluridisciplinaire. Puis une synthèse médicale est réalisée par un médecin spécifique formé à cette fin. Donc, à nos yeux, la loi est rédigée de façon pertinente mais le décret pose un problème.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il est vrai que tous ces problèmes ne sont souvent dépistés que lors de l’apprentissage de la lecture, à l’exception des problèmes aphasiques ou dysphasiques qu’on repère très rapidement. Comme les enfants sont par ailleurs intelligents, l’enseignant patauge pendant un bon moment, et on manque de pôles spécialisés pour détecter ces problèmes-là.

Mme Nicole Philibert, représentant la Fédération française des « dys ». J’aimerais revenir plus en détail sur le projet « Atout Dys ».

En 2007, la Fédération française des Dys a créé la journée nationale des Dys. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons organisé cette manifestation avec la volonté de permettre à chacun de trouver l’interlocuteur le plus adapté pour apporter les réponses les plus appropriées en réunissant toutes les parties prenantes : les familles, les professionnels de la santé, les enseignants, soit plus de 2 500 personnes. Les troubles « dys » sont devenus la première grande cause régionale et le livre blanc qui leur est consacré a mis en commun les idées portées par les associations de familles, par l’éducation nationale, par le secteur médico-social, par les praticiens libéraux et les chercheurs. De là est né le projet « Atout Dys », qui repose sur une montée en compétences de tous par un travail en commun.

Nous avons recensé les forces, les faiblesses, les opportunités et les dangers en examinant la situation des « dys » dans la région et avons défini plus précisément ce qui leur est utile en vue de travailler tous ensemble pour une société inclusive. Nous partons du principe que ce qui est utile aux « dys » est utile à tous : enfants en situation de handicap, enfants à besoins éducatifs particuliers ou enfants « lambda ».

Nous voulons favoriser une meilleure connaissance de ces troubles, les démystifier, grâce à l’apport des neurosciences et des dernières avancées en sciences humaines et sociales. Pour cela, nous avons monté une exposition qui sera à la fois fixe et itinérante. Notre but est d’aller à la rencontre de tout le monde car il y a trop d’idées préconçues et de peurs. Les familles redoutent que la présence d’un élève handicapé dans la classe de leur enfant ne ralentisse le rythme des apprentissages alors que c’est fréquemment l’inverse qui se produit. Nous voulons faire monter en compétences tous les intervenants par le biais de rencontres et favoriser les échanges entre scientifiques et familles dans des lieux neutres – les enfants vont déjà suffisamment souvent dans les hôpitaux. Ce qui nous bloque à l’heure actuelle, ce sont surtout les peurs et les croyances erronées, les neuro‑mythes – « s’il utilisait plus son cerveau, s’il faisait plus d’efforts, ça irait beaucoup mieux pour lui », qu’il soit dys ou pas, d’ailleurs.

Ce cercle vertueux nous semble de nature à faire refluer les craintes et les discriminations dont sont très souvent victimes les enfants en situation de handicap. Nous voulons améliorer la prise en compte de tous les besoins particuliers des élèves, quels qu’ils soient, et multiplier les participations à des programmes de recherche.

Ce projet aura un impact sociétal très fort, car tout le monde pourra se sentir concerné.

Madame la présidente, vous nous avez demandé quels étaient nos besoins : nous avons besoin d’un soutien fort du Gouvernement et du Parlement. « Atout Dys » est un projet innovant. Pour la première fois en France, tous les participants sont d’accord pour travailler ensemble.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je me souviens d’un diaporama explicatif destiné aux enseignants extrêmement bien fait, et je ne comprends pas qu’on n’y ait pas eu davantage recours.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pardonnez-moi d’insister sur mes deux questions.

Les MDPH, qui sont prescripteurs, ne sont pas en mesure d’évaluer la mise en œuvre de leurs prescriptions. Que pensez-vous de cette anomalie ?

Quel constat faites-vous des inégalités sociales et territoriales ? Quelles mesures correctives proposez-vous ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Sans oublier les questions sur les PIAL et sur les freins à l’évolution du secteur médico-social !

Mme Bérengère Chatellier, responsable du pôle « Emploi, travail protégé et vie sociale » de la Fédération des APAJH. Je commencerai par évoquer le décret de 2009 sur la coopération entre le secteur médico-social et l’éducation nationale. Nous sommes en 2019 et ce décret n’a toujours pas fait l’objet d’une évaluation, tant qualitative que quantitative. Nous ne savons pas combien de conventions ont été conclues, combien d’unités d’enseignement sont externalisées, etc. malgré plusieurs demandes en ce sens formulées par le Conseil national consultatif des personnes handicapées. Il me semble qu’il serait intéressant de savoir quels ont été les effets de la mise en œuvre de ce décret.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous interpellerons les ministres à ce sujet lors de leurs auditions.

Mme Bérengère Chatellier. S’agissant des freins à l’évolution du secteur médico-social, il faut d’abord souligner que les projets régionaux de santé fixent des objectifs de transformation de l’offre : d’ici à 2020, 50 % des enfants scolarisés en établissement spécialisé devront être scolarisés en milieu ordinaire et 80 % d’ici à 2023. Devant ces pourcentages, on ne peut s’empêcher de se poser la question de savoir quels profils auront les 20 % d’enfants qui resteront dans des établissements spécialisés.

La seule solution pour nous est la souplesse. Souplesse dans le fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux grâce à des autorisations globales d’accompagnement permettant de constituer des plateformes – alors qu’aujourd’hui nous fonctionnons avec des autorisations uniques : un IME, un SESSAD, etc. – , des orientations globales qui ne contraignent pas les familles à repasser par la case MDPH en cas de changement de situation. Ce que j’avance n’a rien d’un scoop : je reprends certaines des propositions du récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le dispositif des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP). Il préconise notamment la généralisation du fonctionnement des établissements médico-sociaux en dispositif.

Il y a en outre un sujet que nous négligeons parfois et qui est pourtant fondamental : le transport des enfants en situation de handicap. Prenons le cas de deux frères : l’un, scolarisé en unité d’enseignement externalisée, se verra conduire à l’école par un véhicule de l’IME dont il dépend ; l’autre se rendra dans la même école grâce au ramassage scolaire organisé par la collectivité. Qu’est-ce qui justifie qu’il y ait deux transports différents pour aller dans une même école – y compris en termes de coût ? Penser l’école inclusive, c’est aussi prendre en compte ces aspects.

M. Ali Rabeh. S’agissant des PIAL, il me paraît assez baroque d’envisager la généralisation par la loi d’un dispositif qui n’a commencé à être expérimenté dans les académies que depuis septembre 2018 ; de plus, nous n’avons pas le début du commencement d’une évaluation de sa mise en œuvre, qui est différenciée selon les académies. La loi en cours d’examen va donc prévoir une généralisation dans des conditions assez contestables.

Nous craignons de voir les PIAL devenir des instruments de prescription des aides, notamment humaines, dont peuvent bénéficier les enfants. La loi du 11 février 2005 qui est l’objet de votre commission d’enquête donne aux commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) la prérogative d’accorder une aide humaine, mutualisée ou individualisée, en laissant à l’éducation nationale la charge de la mettre en œuvre. Or l’évaluation des notifications des MDPH pose encore de grandes difficultés. Cela renforce la nécessité d’une plus grande coopération entre les différents acteurs et de la mise en place de schémas permettant le partage d’informations.

Nous craignons en outre de voir les PIAL devenir des instruments de gestion de la pénurie de moyens. Ce qui nous pousse à exprimer ces inquiétudes, ce n’est pas la volonté de faire des procès d’intention à l’État mais l’expérience. Permettez-moi de lire un extrait d’un document officiel de l’académie de Limoges qui définit ainsi les PIAL pour la rentrée 2018 : « Les PIAL sont une nouvelle forme d’organisation pour coordonner les moyens d’accompagnement humain en fonction des besoins des élèves en situation de handicap. Dans ce cadre, l’accompagnement humain mutualisé est désormais la norme tandis que l’accompagnement humain individualisé devient l’exception. » Nous considérons que la notification par la CDAPH d’un droit à l’accompagnement, mutualisé ou individualisé, doit dépendre non des ressources mises à disposition des PIAL mais de la situation propre à chaque enfant et de son intérêt.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous sommes preneurs de ce document pour la commission d’enquête.

M. Ali Rabeh. Nous vous le transmettrons bien volontiers.

Bref, mieux vaut prendre le temps d’évaluer les succès et les échecs de ce dispositif avant de le généraliser.

Ensuite, les PIAL tels qu’ils se développent ne laissent aujourd’hui aucune place aux champ médico-social. En pratique, il n’y a pas de coopération entre les associations gestionnaires et l’éducation nationale et le projet de loi en cours de discussion ne prévoit pas de les inclure au sein des PIAL. Nous avons donc des raisons d’être inquiets.

Enfin, nous aimerions appeler votre attention sur l’échelon territorial auquel seraient mis en place ces pôles. S’ils le sont à l’échelle de l’école ou du collège, il y a un risque : dès lors que le nombre de PIAL est inférieur à celui des établissements, certains seront spécialisés dans l’accueil des élèves en situation de handicap. Le principe de la scolarisation de chaque enfant dans l’école de son quartier, à la base de l’école inclusive, pourrait être mis en péril. Si dans une ville de 80 000 habitants, telle école est considérée comme en capacité d’accueillir des élèves souffrant par exemple de troubles « dys », les familles seront invitées à y scolariser leur enfant et celui-ci ne fréquentera pas la même école que ses frères et sœurs. Nous restons pour notre part attachés au principe de l’école inclusive et de la société inclusive, où chacun a accès à tout partout, ce qui implique que chaque enfant puisse accéder à l’école de son quartier.

M. Emmanuel Jacob. Il faut noter que certaines MDPH ont recours à des outils informatiques, notamment ViaTrajectoire, qui leur permettent de suivre les notifications. Toutefois, il existe bel et bien un écueil : les équipes pluridisciplinaires pourraient être tentées de prendre en compte les possibilités effectives de mises en place de ce qui prescrit non pas en fonction des besoins mais en fonction de l’offre.

S’agissant des inégalités sociales, nous avons travaillé avec ATD-Quart monde. Les études montrent qu’il y a une surreprésentation des enfants issus de la grande pauvreté dans les dispositifs spécialisés. On peut supposer qu’il y a une corrélation entre le fait de ne pas manger à sa faim et le fait d’avoir des difficultés susceptibles de se transformer en handicap.

Bérengère Chatellier évoquait les fonctionnements en dispositif. Je n’y suis pas opposé mais il faut qu’il y ait une garantie absolue que les familles donnent leur accord.

Mme Bénédicte Kail. Nous ne parviendrons à réduire l’écart entre collège et lycée dans la scolarisation des enfants en situation de handicap que si nous acceptons qu’il puisse y avoir un décalage important avec les apprentissages normalement associés à la classe d’âge. Nous touchons ici à la limite de ce que nous concevons à l’heure actuelle comme école inclusive : si l’on considère qu’un enfant doit nécessairement suivre les enseignements correspondant à sa classe d’âge, on crée – au moins pour certaines situations de handicap – un risque de décrochage.

On ne pourra maintenir ces élèves au collège et au lycée – car pour le moment, c’est vraiment une lutte… – qu’à partir du moment où on acceptera ce décalage entre l’âge et la capacité d’apprentissage ; et cela ne peut passer que par une progression adaptée des objectifs d’apprentissage. Cela suppose aussi d’accompagner les enseignants pour qu’ils comprennent qu’enseigner à ces élèves est de leur ressort.

Prenons l’exemple des enfants polyhandicapés. Il n’y a pas si longtemps que ça, on considérait encore qu’ils n’étaient pas éducables. Rien n’était prévu pour les accueillir dans le secteur médico-social. Depuis quelques années, nous observons une belle avancée – je ne devrais peut-être pas dire « belle » : on voit s’ouvrir des unités d’enseignement qui accueillent des enfants polyhandicapés. Comment cela a été possible ? Grâce à des groupes de travail réunissant des enseignants et des professionnels du médico-social. Des programmes de maternelle ont été adaptés pour montrer qu’il était possible d’apporter des savoirs éducatifs de type scolaire à ces enfants. Nous nous sommes battus, avec des familles, et nous nous sommes rendus dans les académies pour obtenir des moyens en enseignants.

Une étape préalable à la montée de scolarisation dans les lycées repose sur le recours à des outils intermédiaires. Les ULIS en font partie mais elles restent minoritaires dans les lycée : on en compte 3 300 dans le secondaire, mais plus de 83 % des élèves qui y sont scolarisés sont au collège. Le déficit en ULIS au niveau des lycées est donc phénoménal et ce ne sont pas les 250 ULIS annoncées qui réussiront à le combler. Il en faudrait bien plus.

Ensuite, il faudra réussir à faire travailler ces unités, non plus en classe fermée, mais en dispositif de manière que les enfants puissent être accueillis en classe ordinaire et qu’ils soient intégrés dans les effectifs sinon ils seront toujours perçus comme une charge supplémentaire par l’enseignant.

Il y a donc beaucoup de petites choses à faire – à faire en parallèle en ayant une vision globale.

Quant au document commun, je crois que nous ne pourrons progresser qu’à partir du moment où il sera construit en collaboration. Nous aimerions qu’un groupe de travail se penche sur son évolution. Il faudrait revoir les éléments du guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco) de manière à mettre l’accent sur l’évaluation des besoins en situation scolaire dans une approche multidisciplinaire qui prendrait en compte le regard des professionnels du secteur médico-social.

Ce document devrait comporter différents volets car les besoins ne sont pas les mêmes et il serait visé par la MDPH afin qu’il soit rendu opposable. La difficulté ne réside pas tant dans les textes : le corpus législatif, sur lequel nous avons travaillé depuis de nombreuses années est plutôt adapté ; elle est surtout dans leur application.

Pour ce qui est de la coopération entre le secteur médico-social et l’éducation nationale, je suis d’accord avec Bérengère Chatellier, nous avons vraiment besoin d’une évaluation. Nous avons aussi besoin de faire évoluer ces conventions de coopération qui, pour le moment, sont très frileuses, du moins pour les dizaines que j’ai eu l’occasion de lire. Pour l’heure, elles se contentent de préciser que le professionnel est autorisé à entrer pour prendre tel enfant à telle heure ou des choses de ce genre. On n’associe pas suffisamment les professionnels du secteur médico-social à l’évaluation, alors qu’ils auraient beaucoup à apporter.

Un service d’APF France Handicap a travaillé en collaboration avec l’éducation nationale pour procéder à des évaluations en milieu scolaire de façon à avoir une approche pluridisciplinaire sur les capacités et les besoins de certains enfants. Je ne pense pas que ce regard multiple soit nécessaire dans toutes les situations mais pour les plus complexes, il a son importance.

Les conventions de coopération pourraient aussi évoluer en ce sens.

Mme Nicole Philibert. Mme Kail a soulevé le problème des ULIS dans les lycées mais à ma connaissance, il n’en existe que dans les lycées professionnels.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il y en a aussi dans les lycées d’enseignement général.

Mme Nicole Philibert. Oui, mais vraiment très peu.

Le premier barrage pour l’accès à l’université, ce sont les examens. Certaines demandes relatives à des examens sont indépendantes des dossiers MDPH et à chaque examen, il y a de nouveaux éléments à fournir. Par exemple, pour participer aux épreuves du bac à la fin de la première et à la fin de la terminale, il faut faire deux demandes différentes.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce n’est plus le cas.

Mme Nicole Philibert. C’est tout récent.

Surtout, chaque document à remplir varie selon les rectorats. Il n’y a pas de document national unique pour les demandes concernant les examens. Et c’est l’autorité qui organise l’examen qui donne sa réponse pour les aménagements. Il n’y a donc pas d’uniformité à l’échelon de la France, ce qui est très regrettable.

Dans les universités, il n’y a ni PPS ni PAP. Tout dépend des capacités des missions handicap de chacune à accompagner les élèves. À nouveau se pose la question de la sensibilisation du personnel des universités au handicap.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il me semble qu’une nouvelle règle a été établie : une fois qu’un élève aura obtenu un aménagement, il n’aura pas l’année suivante à déposer à nouveau une demande accompagnée de preuves. C’est une mesure qui remonte au mois de janvier.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous le voyons, beaucoup d’évolutions sont en cours. Et lors de leurs auditions, nous demanderons à la ministre de la santé, au ministre de l’éducation nationale, à la ministre de l’enseignement supérieur et à la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées quelles autres évolutions sont envisagées pendant la durée de notre commission d’enquête. Si le fait d’avoir déclenché cette commission d’enquête contribue à des avancées plus rapides, nous ne pouvons que nous en féliciter.

Mme Cécile Rilhac. Je rebondis tout de suite sur la remarque de M. le rapporteur. Une question intéressante à creuser dans le cadre de cette commission d’enquête est celle des concours. Les épreuves écrites de l’agrégation peuvent durer jusqu’à huit heures, et si l’on y ajoute un tiers-temps, le plafond autorisé peut être dépassé. Autrement dit, certains étudiants en situation de handicap ne peuvent bénéficier de cet aménagement.

Par ailleurs, on n’informe pas assez les étudiants du fait que si l’on entre dans l’Éducation nationale sans passer de concours, c’est pour faire des tâches annexes – par exemple administratives ou d’accompagnement. Pour enseigner, il faut passer un concours, et les concours sont difficiles d’accès pour les étudiants en situation de handicap.

Le document du rectorat de Limoges que vous avez cité, monsieur Rabeh, ne va pas dans le sens de ce que nous avons compris de la mise en place des PIAL.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Du moins de la manière dont certains d’entre nous l’ont comprise.

Mme Cécile Rilhac. À ce jour, il est bien spécifié que le dispositif des PIAL ne modifie pas la réglementation et les procédures d’évaluation des besoins. Le PIAL a vocation à permettre la mise en place d’un pôle d’aide humaine, répartie en fonction des besoins des élèves. Ces pôles doivent permettre, grâce au regroupement, une meilleure gestion et une attribution rapide d’AESH dans le respect des préconisations des MDPH. Selon les besoins, il s’agit soit d’une aide individualisée, soit d’une aide mutualisée – et le PIAL permettra de mieux coordonner la mutualisation. Le courrier du rectorat que vous avez cité mérite d’être étudié car il s’éloigne de l’esprit qui préside au dispositif des PIAL. Nous considérons que ce dispositif doit être mis en place dans l’esprit du texte initial et non pas être détourné pour des raisons strictement financières. Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point.

Jamais les PIAL ne prescriront. Ils s’appuient sur les préconisations des MDPH pour mettre en place des PPS avec leurs équipes pluridisciplinaires.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous avons été un certain nombre à considérer que la généralisation des PIAL nous était tombée dessus sans évaluation préalable. Si vous pouviez nous aider à consolider le diagnostic et notre expertise de cette expérimentation, cela pourrait nous aider pour la deuxième lecture du projet de loi « pour une école de la confiance », et nous inciter éventuellement à proposer des garde-fous.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je m’étais demandé comme vous pourquoi il y avait eu une séparation entre les PIAL et le médico-social. Apparemment, c’est pour ne pas qu’il y ait de mélanges, de conflits.

M. Aurélien Pradié. Je souhaite tout d’abord remercier tous les intervenants pour l’engagement qu’ils montrent chaque jour sur ces sujets et l’expertise dont ils nous font bénéficier.

Je pense qu’il serait très utile à notre commission que vous puissiez nous communiquer toutes les listes d’attente dont vous avez connaissance.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est une demande que nous avons déjà faite.

M. Aurélien Pradié. Par vos réseaux, mesdames, messieurs, il serait utile de lancer une action coordonnée. Soyons très clairs : nous n’avons pas d’autres moyens que de passer par vous pour établir la vérité de ces chiffres. Nous savons que ces listes dépassent la centaine de noms dans tous les départements, voire atteignent plusieurs milliers dans certains. Il y a même des cas pour lesquels il n’y a aucune solution.

Le Défenseur des droits l’a souvent souligné : nous n’avons pas accès à ces statistiques alors que c’est un enjeu fondamental. Il faudra donc, monsieur le rapporteur, organiser une remontée d’information car l’action de vos associations nous sera très utile, mais il faudra aller au-delà

Nous devrions procéder de la même manière au sujet des expérimentations. Elles ne sont pas si nombreuses que cela et il sera assez facile d’en faire un recensement auprès de vous, associations, mais aussi auprès des autorités qui les autorisent, autrement dit les agences régionales de santé.

Je voudrais faire une remarque qui semble capitale. Les MDPH ne sont pas des instances totalement indépendantes. Qui oriente les décisions parmi les membres qui y siègent ? Les associations se battent autant qu’elles le peuvent. Les médecins interviennent ainsi que quelques représentants du secteur médico-social, de façon de plus en plus rare. Et puis il y a les représentants de l’éducation nationale. Ceux qui ont assisté à des réunions de commissions MDPH savent que lorsqu’il s’agit de scolariser un enfant en milieu ordinaire, le représentant de l’Éducation nationale, bien souvent, sort son petit tableau et indique que ce n’est pas possible. On oriente alors les familles vers une autre solution, qui bien souvent n’en est pas une avec les listes d’attente que nous évoquions.

Les MDPH ne peuvent pas nous dire qu’elles n’ont pas de visibilité sur le caractère un peu fictif des décisions qu’elles sont amenées à prendre. Nous savons que les moyens manquent. Les 250 ULIS supplémentaires ne suffiront jamais à répondre aux besoins. Les décisions des MDPH sont subordonnées aux possibilités existantes sur un territoire donné.

Enfin, il faut bien voir que beaucoup de familles font appel sur leurs fonds personnels à des praticiens libéraux, hors du champ défini par les décrets pour le domaine médico-social. Il serait peut-être utile de préciser que lorsqu’on parle du secteur médico-social, on ne parle pas de toutes celles et ceux qui accompagnent une bonne majorité des enfants.

Quant aux ULIS, il en existe quelques-unes dans les lycées d’enseignement général, très majoritairement dans les établissements privés. Il n’y en a que six dans des lycées publics.

Mme Cécile Rilhac. Il serait important aussi d’évoquer les « handi-chiens ».

M. Emmanuel Jacob. L’école relève d’une responsabilité partagée et les freins sont parfois simplement ceux du cadre bâti qui ne permettent pas d’accueillir dans de bonnes conditions les unités d’enseignement et les personnels des services d'accompagnement des enfants en situation de handicap – les personnes de SESSAD qui interviennent dans les couloirs, ce n’est pas acceptable. Les collectivités territoriales doivent adapter ce cadre bâti pour rendre l’école vraiment inclusive.

Enfin, nous nous étonnons que dans le cadre de la concertation pour l’école inclusive, le groupe de travail dédié à la coopération dans l’école n’ait pas donné lieu à des réponses à la hauteur des enjeux.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie. Vos interventions ont été très éclairantes et nous avons particulièrement apprécié la qualité de vos documents.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci à vous. N’hésitez pas à nourrir la suite de nos travaux de vos contributions et d’expertises et à nous interpeller.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. L’école idéale allierait beaux espaces, comme dans les IME, et accompagnements nécessaires. C’est ce vers quoi nous tendons, même si cet objectif n’est pas facile à atteindre.

 


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2.   Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

M. la présidente Jacqueline Dubois. Nous poursuivons nos auditions en entendant M. Jacques Toubon. Monsieur le Défenseur des droits, je vous remercie de votre présence. Je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’à Mme Fabienne Jégu, conseillère experte handicap, Mme Laurence Hudry et M. Pierre-Antoine Cazaux, juristes au pôle de défense des droits des enfants.

Le 26 septembre 2017, le Défenseur des droits a adopté une décision-cadre portant recommandations générales destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées. En préambule de cette décision, il a regretté qu’« en France, la mise à disposition et la valorisation des informations statistiques et des études sur le handicap ne fassent pas l’objet d’une coordination ou d’un pilotage national, d’où un manque de visibilité des données produites ». Cette question nous préoccupe également et nous espérons que nos échanges nous permettront de progresser. Évidemment, beaucoup d’autres questions touchent à l’exercice du droit à l’éducation que la Nation reconnaît à tout enfant et à tout jeune.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jacques Toubon, Mme Fabienne Jégu, Mme Laurence Hudry et M. Pierre-Antoine Cazaux prêtent successivement serment)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Monsieur le Défenseur des droits, je suis également très heureux de vous accueillir. Votre action trouve aujourd’hui un écho important et utile auprès de la représentation nationale. C’est en effet votre expertise indépendante qui, d’une certaine manière, a déclenché la création de la commission d’enquête dont j’ai souhaité la constitution pour avoir une photographie précise, des données objectives, et pour mesurer l’écart qui demeure entre les droits formels reconnus aux enfants en situation de handicap – de la maternelle à l’Université, sans oublier la formation professionnelle – et leur mise en œuvre réelle. C’est à ce sujet que nous attendons avec impatience votre contribution et surtout vos conseils utiles. Un diagnostic partagé irréfutable nous permettra ensuite de formuler des préconisations visant à écrire un « acte II » de la loi de 2005.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Le Défenseur des droits est évidemment très impliqué quand il s’agit des personnes porteuses de handicaps et en particulier des enfants, puisqu’il est concerné au moins au titre de trois de ses compétences : les relations avec les services publics, les droits de l’enfant et, bien entendu, la lutte contre les discriminations.

Quatorze années se sont écoulées depuis la promulgation de la loi ; c’est un bon moment pour s’interroger, alors que le handicap est le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination : il représente près de 23 % des quelque 5 000 saisines sur cette base. En ce qui concerne les droits de l’enfant, le motif « handicap » et le motif « état de santé » peuvent se rejoindre, et 18 % des 3 000 saisines relatives aux droits de l’enfant ont porté sur ces questions en 2018.

En dehors des réclamations individuelles que nous recevons et que nous traitons, nous avons établi une relation avec la société civile par le bais du comité d’entente handicap que nous réunissons deux fois par an, et encore hier après-midi. Le comité d’entente regroupe les principales associations de ce secteur, avec lesquelles nous travaillons pour cerner la situation – au-delà des cas individuels dont nous sommes saisis –, en tout cas telle qu’elle est ressentie par les personnes concernées. C’est ce comité qui nous a permis de mettre l’accent sur l’absence de connaissances statistiques.

Je rappellerai les cadres juridiques dans lequel nous nous inscrivons. C’est d’abord la Convention des droits de l’enfant, dont le Défenseur des droits, qui est aussi le Défenseur des enfants depuis 2011, est le mécanisme de suivi indépendant en France. Pour cette raison, nous contribuons au rapport d’évaluation indépendante devant le Comité des Nations unies qui, à Genève, s’occupe des droits des enfants. Le deuxième cadre de notre action est naturellement la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH), qui date de 2006. Cette déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies a été ratifiée par la France en 2010 et, en 2011, le Premier ministre nous a désignés comme mécanisme de suivi. La Convention invite les États à adopter des politiques publiques inclusives en agissant de manière concomitante sur les facteurs environnementaux et personnels, afin de faire tomber les barrières qui font obstacle à la pleine et effective participation des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres. L’article 7 traite des droits et de l’intérêt supérieur des enfants, l’article 24 de l’accès à une éducation sans discrimination. Nous sommes le mécanisme indépendant de référence, et je suis en train de préparer pour dans quelques semaines un rapport sur la mise en œuvre de la CIDPH depuis 2010 dans notre pays ; la France fera probablement l’objet d’un examen au mois de septembre prochain.

Notre action s’inscrit aussi, bien entendu, dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans l’article 2 du protocole n°1 – le droit à l’instruction – et dans son article 14 – le principe de non-discrimination –, la CEDH pose un principe d’universalité et de non-discrimination dans l’exercice du droit à l’instruction. Elle en déduit que l’éducation inclusive a été reconnue comme le moyen le plus approprié pour garantir ces principes fondamentaux.

Naturellement, nous mettons aussi en œuvre la loi du 11 février 2005. Globalement, si des avancées majeures ont eu lieu ces dernières années en direction des personnes handicapées, en particulier par l’impulsion qu’a donnée cette loi, la première qui parlait des droits fondamentaux des personnes handicapées et qui couvrait l’ensemble des handicaps – y compris le handicap mental, jusque alors non reconnu – nous sommes contraints de déplorer que ni les engagements souscrits par la France à l’échelon international et régional ni la loi ne sont toujours réellement et suffisamment pris en compte dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques en matière de handicap, alors que la France est souvent rappelée à l’ordre par les instances onusiennes ou européennes pour la violation de ses engagements.

Notre cadre d’action est complété par l’avis que le Défenseur des droits a donné le 28 janvier dernier sur le projet de loi sur l’école actuellement en discussion au Parlement et qui inclut un chapitre assez important sur les questions d’inclusion.

Il y a loin de la coupe aux lèvres. Quels sont donc les freins à la scolarisation inclusive et les insuffisances que nous constatons ?

Je rappelle que l’on est passé de 151 000 enfants handicapés scolarisés dans les enseignements primaire et secondaire à la rentrée 2005 à 340 000 enfants scolarisés à la rentrée 2017, seul chiffre disponible pour l’instant. En 2017, 20 000 enfants de plus qu’en 2016 avaient été scolarisés, soit 6 % de plus que l’année précédente ; 79 000 enfants étaient scolarisés en établissement spécialisé, 71 500 en établissement médico-social et 8 000 enfants en établissement hospitalier.

Mais plusieurs milliers d’enfants handicapés ne sont pas scolarisés ou ne le sont qu’à temps partiel. C’est l’une des raisons qui nous fait dire qu’il faudrait connaître les données exactes, et nous manquons d’un système statistique d’information et de suivi des décisions d’orientation. Si je n’ai pu citer que les chiffres relatifs à l’année scolaire 2017-2018, c’est que, six mois après la rentrée de l’automne 2018, nous n’avons pas les nombres exacts pour l’année scolaire en cours ; c’est surprenant, et cela étonne les associations – nous en avons encore parlé hier lors du comité handicap. Mais, en ce qui concerne le système d’information et de suivi des décisions d’orientation prises par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la convention portant sur les années 2016 à 2019 passée entre l’État et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) semble, cette année, devoir être appliquée : selon la Caisse, quarante-trois départements ont mis en œuvre les échanges d’informations et l’on sait donc quel est le résultat des systèmes d’information dans les MDPH de ces départements. Selon les estimations actuelles, à la fin de cette année, le déploiement du système d’information sur les décisions d’orientation des MDPH sera complet ; la Caisse nous l’a confirmé lorsque nous avons-nous-mêmes conclu une convention avec elle au mois de février dernier. L’année 2019 marquerait donc un progrès important dans la connaissance des décisions d’orientation des MDPH.

Cependant, ce bilan positif sur le plan quantitatif doit être nuancé. Tout ce que je vais dire maintenant a commencé par ce qui a déclenché, en quelque sorte, votre travail, c’est-à-dire l’absence de connaissance statistique globale. Après que nous avons interrogé l’administration de l’Éducation nationale sur la mise en œuvre effective des décisions des MDPH concernant l’accompagnement des élèves en situation de handicap, la direction de l’évaluation, de la prospective et la performance (DEPP) nous a fait la réponse suivante : « Les données qui permettraient de suivre, comme vous le souhaitez, la mise en œuvre effective des accompagnements prononcés par les MDPH ne sont pas disponibles à notre niveau ».

Autre exemple concernant le recensement des élèves en situation de handicap : cette direction reconnaît ne pas comptabiliser les élèves qui, bien que répondant à la définition du handicap, ne relèvent pas d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS), mais d’un projet d’accompagnement personnalisé (PAP). Beaucoup d’élèves ne sont donc pas comptabilisés ; c’est le cas, par exemple, d’un grand nombre d’élèves « dys » qui entrent dans ce dispositif et qui ne sont pas recensés. D’ailleurs, la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) confirme que seule la reconnaissance d’un handicap par la MDPH peut conduire l’Éducation nationale à recenser un élève à ce titre. Autant dire que le système se mord la queue, chacun se renvoyant en quelque sorte la responsabilité de faire état du renseignement statistique et de l’information. C’est pourquoi nous avons adopté, le 26 septembre 2017, la décision-cadre que vous avez mentionnée, madame la présidente, dans laquelle nous recommandons des mesures destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées. Comme je vous l’ai dit, nous nous réjouissons de voir que sur un point en tout cas, le système d’information des MDPH, des progrès ont été fait.

Le Parlement est sensible à cette question puisque, lors de la discussion du projet de loi pour une école de la confiance, un amendement a été adopté en première lecture créant l’article 5 octies, ainsi rédigé : « Un rapport détaillant l’évolution des demandes, le nombre d’élèves accompagnés, les moyens mobilisés dans chaque département, les carences éventuelles et un état statistique complet de la scolarisation des élèves en situation de handicap est remis par le Gouvernement au Parlement chaque année. Ce rapport est actualisé trois fois par an. Il est transmis au Parlement un mois après la rentrée scolaire de septembre. Un rapport actualisé est transmis au Parlement un mois avant le vote de la loi de finances initiale. Un rapport actualisé est également remis au Parlement au plus tard le 1er mai. »

Cela correspond en tous points aux préconisations du Défenseur des droits sur la connaissance globale de la scolarisation des enfants handicapés. Il serait pertinent de compléter l’amendement au cours de la navette pour spécifier que le recueil de données doit également inclure les informations concernant les orientations des MDPH non effectives – ce que l’on appelle les solutions aménagées.

Voilà pour ce qui concerne la connaissance statistique : il est clair qu’un travail important reste à faire. Dans cette recommandation, nous avions aussi souligné que les grandes études qui étaient faites il y a une dizaine d’années sur le thème « handicap et santé » ont cessé, et appelé le ministère de la santé et des affaires sociales à reprendre une enquête à ce sujet. La dernière datant, me semble‑t-il, de 2009, elle mériterait d’être actualisée.

J’en viens aux conditions de l’école inclusive, pour dire que le terme implique prioritairement que l’école s’ajuste aux enfants, par la formation des enseignants et l’adaptation de la scolarité. Le vote en première lecture de la scolarisation obligatoire des enfants dès trois ans, y compris les enfants porteurs de handicap, rend l’enjeu crucial. Dans l’avis que j’ai rendu sur le projet de loi sur l’école de la confiance, je souligne que c’est à l’école de s’adapter pour être inclusive. C’est d’ailleurs ce qu’établit la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées : la société, et l’école en particulier, doivent se faire inclusives.

Dans son rapport du 8 janvier 2019, rédigé à la suite de la visite qu’elle a faite en France en 2017, la rapporteure spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a encouragé le Gouvernement français à passer de l’approche individuelle appliquée actuellement, qui veut que les enfants handicapés s’adaptent au système scolaire, à une approche générale visant à transformer le système d’enseignement, de sorte qu’il accueille les enfants handicapés dans une démarche inclusive.

Parmi les recommandations de la rapporteure des Nations unies, il en est une avec laquelle le Défenseur des droits est en désaccord : la désinstitutionalisation, pour mieux inclure les enfants handicapés en milieu ordinaire. Je pense qu’il faut continuer à développer des réponses adaptées à toutes les situations ; scolariser tous les enfants en classe ordinaire, quelle que soit la lourdeur de leur handicap, peut, pour certains, constituer une forme de maltraitance. Pour le reste, les remarques de la rapporteure des Nations unies relatives à l’inclusion sont bien entendu pertinentes.

Quelques mots sur l’accompagnement des élèves en situation de handicap. Il a été dit la semaine dernière que 175 000 des 340 000 enfants dont j’ai parlé tout à l’heure font l’objet d’un accompagnement. C’est insuffisant, mais il y a une croissance manifeste du nombre d’accompagnants auprès des élèves handicapés, et le rapport conjoint des trois inspections établit que l’accompagnement est devenu la réponse principale en faveur de l’inclusion des élèves en situation de handicap. Il n’en reste pas moins que l’école doit s’adapter aux enfants porteurs de handicap et que l’accompagnement humain n’est pas la seule réponse souhaitable à l’inclusion des élèves handicapés. Mais l’amélioration, notamment quantitative, de l’accompagnement est absolument nécessaire, et j’ai relevé que les plans mis en œuvre au cours des deux dernières années ont eu pour effet un accroissement incontestable.

La loi de finances pour 2018 prévoyait la mobilisation de 10 900 nouveaux emplois d’accompagnement d’élèves pour la rentrée 2018-2019 : 6 400 au titre de la transformation des contrats aidés et 4 500 recrutements supplémentaires. En tout, 22 500 recrutements supplémentaires auront lieu au cours des cinq prochaines années. Pour la rentrée 2019-2020, la loi de finances pour 2019 a prévu 12 400 nouveaux emplois – 6 400 au titre de la poursuite de la transformation des contrats aidés et 6 000 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) supplémentaires. Á cela s’ajoute la poursuite du plan de « cédéisation » des AESH.

Nonobstant une amélioration incontestable, le Défenseur des droits continue de traiter de nombreuses demandes qui font apparaître l’absence d’accompagnement par un auxiliaire de vie scolaire (AVS) en dépit d’une décision en ce sens de la MDPH, ce qui compromet gravement la scolarité des enfants. Nous faisons le nécessaire, dans les limites de notre pouvoir, auprès des établissements scolaires. Nous soulignons également auprès d’eux qu’il n’est pas possible de refuser de scolariser un enfant parce qu’il n’a pas d’accompagnement et que l’accompagnement n’est pas la seule réponse satisfaisante à la scolarisation d’un enfant handicapé.

Nous avons aussi noté des pratiques illégales au sein des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) dont certaines, dans leurs notifications, conditionnent l’octroi d’un AVS aux moyens dont disposent les services départementaux de l’Éducation nationale pour y répondre. Nous intervenons auprès des MDPH afin de les rappeler à leurs obligations légales : il appartient à la commission départementale d’évaluer et de se prononcer sur les besoins de compensation du handicap de l’enfant indépendamment des moyens nécessaires et disponibles pour y répondre. En français dans le texte, cela s’appelle un droit fondamental ; il ne peut donc être conditionnel.

La création d’un statut pérenne d’accompagnant – celui d’AESH, associé à un contrat à durée indéterminée – n’a pas résolu à lui seul les problèmes de recrutement et de stabilisation dans l’emploi des AVS, vous le savez. Le métier n’est pas suffisamment attractif, il y a beaucoup de temps partiel et de changements, et les réclamations adressées au Défenseur des droits font également apparaître un manque de coordination dans le recrutement des AVS entre les rectorats et les établissements d’enseignement privé sous contrat. Parce qu’il est de la compétence de l’État de recruter des AVS, nous avons pris le 2 mars 2018 une décision recommandant de clarifier les conditions de recrutement des AVS dans ces établissements.

Je voudrais faire un sort à la question des pôles inclusifs d’accompagnement localisé (PIAL), dispositif introduit à l’article L. 351-3 du code de l’éducation par le projet de loi pour l’école de la confiance. Les PIAL étant issus de la concertation « Ensemble pour une école inclusive », je fais une parenthèse pour souligner qu’au cours de la réunion du comité d’entente handicap qui a eu lieu hier, plusieurs associations ont exprimé le regret que cette concertation ait été souvent formelle, et dit n’avoir pas eu l’impression d’être suffisamment entendues. Le dispositif d’accompagnement organisé en pôles au niveau des établissements scolaires nous paraît être une solution pour pallier le manque d’AESH /AVS en permettant la couverture des besoins grâce aux moyens alloués mais aussi aux modulations et à l’adaptation des aides et de leur durée, a priori en accord avec la famille et les directeurs des MDPH. Cette approche semble donc privilégier les accompagnements mutualisés. Mais que se passera-t-il quand le besoin d’un AVS est clairement identifié ? La vigilance s’imposera sur le bilan, prévu en juin prochain, des expérimentations de PIAL faites dans certaines académies depuis la rentrée 2018. C’est sûrement une voie, mais il faudra mesurer si elle permet vraiment de répondre aux besoins et si elle donne satisfaction aux familles.

Le quatrième sujet dont je souhaite vous entretenir est celui des aménagements de la scolarité et des examens. Beaucoup de réclamations nous arrivent qui ont trait aux défauts d’aménagement de la scolarité, en particulier pour des enfants présentant un trouble de neurodéveloppement, qu’il s’agisse de troubles « dys », de troubles du comportement ou d’enfants autistes. Que ce soit dans le cadre d’un PPS ou dans le cadre d’un PAP, les parents ont du mal à obtenir des aménagements de la scolarité de ces enfants, qu’il s’agisse d’aménagements pédagogiques, de tiers-temps, d’accompagnement par une aide humaine individualisée ou mutualisée ou d’une réduction du temps de scolarité, et nous avons été saisis de quelques cas de sanctions disciplinaires à caractère discriminatoire.

Très souvent, ces saisines traduisent un manque de formation et d’accompagnement des professionnels de l’éducation et encore trop fréquemment une représentation discriminatoire, voulant que les enfants en situation de handicap ne relèvent pas du milieu ordinaire. L’un des axes de la concertation « Ensemble pour l’école inclusive » est le renforcement de la formation des équipes pédagogiques. C’est à nos yeux une priorité impérieuse car, je l’ai déjà dit, en matière de handicap la France a une culture de retard par rapport à d’autres pays. Certaines professions ne sont pas assez sensibilisées et formées à ces questions, dont les enseignants. On ne peut le leur reprocher car c’est une question encore très nouvelle pour eux : ils ne sont ni suffisamment formés ni suffisamment accompagnés pour accueillir en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap.

J’appelle l’attention sur le fait que les sorties et les voyages scolaires font partie intégrante de la scolarisation des enfants et qu’il appartient aux équipes pédagogiques d’anticiper les mesures nécessaires pour permettre la participation des enfants handicapés à ces sorties. Or, certains statuts d’AVS interdisent de participer à des voyages avec nuitées. Le Défenseur des droits ayant alerté le ministère de l’éducation nationale à ce sujet, celui-ci a adressé à ses services la circulaire du 3 mai 2017 dans laquelle il précise que seuls les AESH peuvent, dans le cadre de la durée réglementaire du temps de travail, exercer l’accompagnement des enfants lors des sorties ou voyages scolaires avec nuitées et des stages. En conséquence, afin de garantir la continuité de l’accompagnement par le même personnel, les services responsables du recrutement des personnels chargés de l’aide humaine doivent privilégier un accompagnement par un AESH et non par un AVS lorsque les élèves doivent effectuer un stage durant l’année scolaire ou s’ils sont susceptibles de bénéficier d’une sortie ou d’un voyage scolaire avec nuitées. Le Gouvernement envisageant de transformer tous les AVS en AESH, la question ne devrait ne plus se poser à terme, mais pour l’instant ce n’est pas le cas et il faut être particulièrement vigilant à ce sujet.

Nous sommes aussi préoccupés par l’augmentation du nombre de saisines concernant l’inclusion des élèves en situation de handicap en établissements d’enseignement privés et par le défaut de sécurisation par l’État du parcours scolaire de ces enfants, en dépit de l’obligation donc l’État est débiteur aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Défenseur des droits a été saisi de refus de scolarisation et de sanctions disciplinaires à caractère discriminatoire. Nous avons appelé l’attention du ministère de l’éducation nationale sur ces difficultés mais, pour l’instant, nous n’avons pas reçu de réponse satisfaisante à nos décisions de février et mars 2018.

En ce qui concerne les aménagements d’examens, nous nous félicitons globalement du dispositif, relativement bien pensé, complet et précis qui permet de rétablir l’égalité à l’égard des élèves en situation de handicap, mais, au regard des réclamations qui nous parviennent, nous notons des difficultés dans l’application de ce dispositif : nous constatons un écart entre les aménagements accordés dans le cadre de la scolarité et ceux accordés dans le cadre des examens : les familles qui nous saisissent font état de ce que leur enfant, dont la scolarité a pourtant été aménagée pendant l’année, se voit refuser l’aménagement de l’examen. Les difficultés rencontrées concernent plus spécifiquement les enfants présentant un trouble du neurodéveloppement qui bénéficient d’un PAP et à qui l’on refuse des aménagements d’épreuves d’examen au motif qu’ils ne relèveraient pas d’un dispositif et d’une décision de la MDPH. Or, les aménagements d’examen ne se limitent pas aux seules personnes ayant fait l’objet d’une reconnaissance du handicap par la MDPH : légalement, un enfant répondant à la définition du handicap – comme c’est le cas des enfants présentant un trouble du neurodéveloppement – mais qui n’a pas fait l’objet d’un PPS ne peut être par principe exclu du dispositif d’aménagement des examens.

Par ailleurs, les saisines adressées au Défenseur des droits traduisent très souvent un manque de formation et d’accompagnement des professionnels de l’éducation aux questions des aménagements de la scolarité et des examens. Nous constatons un manque de sensibilisation des acteurs – par exemple les jurys d’examen – à la philosophie générale de ce dispositif qui ne vise pas, contrairement à ce que l’on pense, à octroyer un avantage à l’enfant ou à l’adolescent handicapé mais à rétablir l’égalité. On constate une suspicion à l’égard de l’élève en situation de handicap, comme s’il bénéficiait d’une faveur.

Incidemment, c’est l’un des points que j’ai soulignés à propos de la procédure Parcoursup. J’ai pris une décision spéciale concernant les élèves handicapés présentant des candidatures au site Parcoursup, en soulignant qu’il fallait prendre garde à ce que les aménagements en cours en ce qui les concerne ne soient pas considérés par certains décideurs comme des avantages dont ils auraient bénéficié. J’ai inscrit cette mise en garde dans la recommandation que nous avons faite au mois de janvier sur la situation des élèves handicapés qui soumissionnent à Parcoursup.

La complexité des demandes et la procédure de demande d’aménagement, menée parfois tardivement – souvent par défaut d’information des parents –, ne permettent pas toujours de mettre en place les aménagements nécessaires ni d’utilement exercer les recours avant le déroulement des examens. Le problème d’information préalable relève probablement des rectorats. Le Défenseur des droits recommande de rendre automatique l’évaluation des besoins d’aménagement des examens pour les enfants en situation de handicap justifiant d’un aménagement de leur scolarité, sans que les familles aient à en faire la demande. Je demande simplement que l’on soit logique…

L’accès aux études supérieures des élèves handicapés n’a cessé de progresser. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), la proportion augmente de 13,5 % en moyenne chaque année depuis la rentrée 2006. En 2015, 49 % des personnes handicapées étaient sans diplôme ou ne possédaient que le brevet, contre 28 % de la population générale, et 25 % étaient titulaires du baccalauréat, d’un brevet professionnel ou davantage, contre 49 % de la population générale. La marge de progrès est donc encore considérable, mais nous avons constaté une hausse des effectifs étudiants handicapés, surtout à l’université, principalement au niveau de la licence ; peu d’étudiants handicapés vont jusqu’au master.

Des difficultés persistant, nous nous sommes saisis d’office de la situation des élèves handicapés dans le cadre de Parcoursup, après avoir constaté que cinq académies seulement avaient pris des mesures particulières en faveur des élèves handicapés dans la formule appliquée cette année. Nous avons demandé la généralisation de ces mesures et, dans la perspective de Parcoursup 2019 nous avons pris la décision que j’ai rappelée tout à l’heure et constaté que le ministère y a, semble-t-il, été sensible, si bien qu’il y aura cette année des aménagements pour les élèves handicapés dans l’ensemble des académies.

Pour ce qui est de l’aménagement des études et des examens dans l’enseignement supérieur, j’appelle l’attention sur le rapport pour 2017 de la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur : elle écrivait que l’entrée dans l’enseignement supérieur constitue une rupture pour les bacheliers handicapés plus encore que pour les bacheliers valides. Elle remarquait que les dispenses d’apprentissage de langues vivantes accordées aux élèves handicapés dans l’enseignement secondaire les empêchent de poursuivre certaines études dans certaines filières dans l’enseignement supérieur. Elle soulignait que des élèves se voient opposer des refus d’aménagement d’épreuves d’examens, par exemple le recours à un logiciel de traitement de texte avec correcteur d’orthographe – nous avons eu connaissance de cas de ce type pour des étudiants atteints de troubles « dys » –, la numérisation des documents pour un étudiant dyspraxique dans le cadre de l’examen pour un brevet de technicien supérieur (BTS) agricole, ou encore le respect d’un temps minimum de pause et de repas entre deux épreuves qui avait été réclamé comme un aménagement pour des étudiants handicapés.

S’agissant de l’aménagement des études, le code de l’éducation prévoit que les accompagnants des élèves en situation de handicap peuvent être recrutés pour exercer des fonctions d’accompagnement auprès des étudiants en situation de handicap inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur. Cette obligation figure dans le code de l’éducation, mais parce que les universités sont autonomes et parce que, comme nul ne l’ignore, elles ont des contraintes financières, le droit n’est pas toujours respecté et les étudiants handicapés ne bénéficient plus, une fois entrés à l’université, de l’accompagnement humain qui leur avait été accordé dans l’enseignement secondaire.

J’en viens à l’évaluation des besoins et des solutions à mettre en place pour le périscolaire. C’est un sujet sur lequel je me suis penché dès ma prise de fonction, en 2014. Cette année-là, les nouveaux rythmes scolaires se mettaient en place et je me suis rendu compte que rien n’était prévu à ce sujet pour les élèves handicapés. Nous avons créé un groupe de liaison avec le ministère de l’éducation nationale à ce sujet et traité de cette question de manière particulièrement active dès cette époque.

Trois problèmes se posent. Le premier tient à l’absence d’évaluation et donc d’objectivation des besoins d’accompagnement des enfants handicapés dans les temps périscolaires et extra-scolaires ; le deuxième concerne la prise en charge financière de cet accompagnement ; le troisième a trait à l’absence d’aménagement raisonnable.

L’évaluation des besoins de compensation de ces enfants par les MDPH est morcelée, hétérogène et parcellaire. Les besoins d’accompagnement des enfants en situation de handicap sur les temps périscolaires varient selon les MDPH : certaines se prononcent sur les besoins d’accompagnement dans le temps périscolaire, d’autres limitent strictement leur intervention au temps scolaire, le temps extra-scolaire ne faisant l’objet d’aucune évaluation par les MDPH. Pourtant, l’évaluation apparaît comme un moyen d’objectivation du besoin et, par définition, comme un préalable nécessaire à une réponse adaptée aux besoins des personnes handicapées. L’évaluation globale des besoins de compensation pendant tous les temps de vie de la personne en situation de handicap doit donc être clarifiée et les pratiques des MDPH doivent être harmonisées afin de garantir l’égalité de traitement. Cependant, au regard de ce qu’était la situation il y a quatre ans, les progrès sont manifestes, et un nombre grandissant de MDPH évaluent le besoin d’accompagnement dans le temps périscolaire.

La deuxième difficulté a trait au financement des activités périscolaires. Comme il s’agit d’un service public facultatif, ces activités, quand elles sont créées, ont vocation à s’ouvrir à tous les élèves, élèves handicapés compris, et la commune doit mettre en place des aménagements permettant à ces enfants d’accéder à l’ensemble des activités périscolaires. L’article L. 917-1 du code de l’éducation prévoit la possibilité pour les communes de passer une convention avec l’Éducation nationale afin que des AESH puissent être mis à leur disposition dans le temps périscolaires ; en ce cas, conformément aux articles L. 916-2 et L. 216-1 du même code, leur rémunération incombe à la commune. Cependant, les cas dont nous sommes saisis montrent des problèmes récurrents à ce sujet, les communes estimant qu’il appartient à l’État de prendre en charge ces rémunérations. En effet, le Conseil d’État a reconnu dans un arrêt du 20 avril 2011 l’obligation pour l’État de prendre en charge les mesures propres à assurer l’accès des enfants handicapés aux activités périscolaires – en l’espèce, l’accompagnement de l’enfant par un AVS pendant le temps de la cantine – alors même que ces activités ne relèvent pas en tant que telles de la compétence de l’État, dès lors que ces mesures apparaissent comme une composante nécessaire à la scolarisation de l’enfant et qu’elles sont préconisées par la commission départementale. Mais, dans ce cas d’espèce, il s’agissait de la pause méridienne et l’incertitude demeure pour les temps périscolaires, avant et après l’école, ce qui permet à des communes de refuser d’accueillir des enfants handicapés dans ces temps-là.

Le Défenseur des droits a également été saisi à plusieurs reprises de la question de l’application de tarifs « extérieurs » – c’est-à-dire de tarifs appliqués aux élèves valides résidant hors de la commune où ils sont scolarisés – pour la restauration scolaire aux élèves handicapés scolarisés en unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), alors même qu’ils n’ont pas d’autre choix de scolarisation. Les traitements sont très disparates : certaines communes appliquent aux enfant scolarisés en ULIS le tarif de résident local, d’autres appliquent un tarif extérieur et certaines ont organisé entre communes des conventionnements spécifiques. Mais, dans beaucoup de cas, les familles règlent les frais de restauration scolaires selon des régimes différents, ce qui entraîne des inégalités territoriales. Les maires le justifient par le principe de libre administration des collectivités territoriales, mais nous disons qu’il s’agit d’une discrimination indirecte au préjudice des enfants en situation de handicap scolarisés en ULIS – si j’ose dire, une discrimination de plus.

M. la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie, monsieur le Défenseur des droits, pour ce très intéressant exposé. De quels principaux types de handicap sont affectés les enfants dont les cas vous sont soumis ? Sont-ce les troubles « dys », l’autisme, autre chose ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Votre présentation, monsieur le Défenseur des droits, était passionnante. J’aimerais quelques précisions sur la nature des saisines en fonction des degrés de scolarisation ; cela nous permettra de cerner les sujets de discrimination récurrents. Pourriez-vous aussi nous donner des indications sur le nombre et les principaux motifs de saisine relatifs à la formation et l’insertion professionnelle, l’un des champs que la commission d’enquête souhaite étudier ?

Mme Marianne Dubois. J’ai été alertée cette semaine sur le cas particulier d’un enfant malvoyant et scolarisé, qui a bien sûr droit à un AVS. Son père, muté à l’étranger, emmène toute sa famille. L’enfant sera scolarisé dans une école française, mais on lui refuse l’accompagnement par un AESH. Est-ce normal ? Un recours est-il possible ?

M. Aurélien Pradié. Nous portons tous un grand respect à votre travail, monsieur le Défenseur des droits. Á chaque fois que nous souhaitons éclaircir un point, votre adjointe, Mme Avenard, et vous-même êtes au rendez-vous. Sur bien des sujets, et singulièrement celui-ci, on voit la complémentarité entre le rôle du législateur et celui d’une autorité telle que la vôtre.

Parce que nous n’avons pas tous compris la même chose à ce sujet, il serait utile que vous précisiez comment vous interprétez l’objectif de rationalisation des moyens et de gestion nouvelle des PIAL. Vous avez indiqué que ce dispositif aurait vocation à ajuster les moyens aux besoins ; pouvez-vous établir si les PIAL ont le pouvoir de le faire ou si l’aménagement des moyens relève bien de la seule autorité compétente : la MDPH et la commission départementale ?

Pour ce qui concerne les recrutements d’AVS dans l’enseignement privé – sujet qui a suscité un débat, et il est sain que vous ayez pu l’aborder de façon neutre –, j’aimerais vous entendre confirmer qu’il n’est pas question de contrevenir aux règles fondamentales relatives à l’enseignement privé en France mais simplement de faire que les conditions de recrutement de ces accompagnants soient les mêmes dans les établissements privés et dans les établissements publics. Il s’agit bien de fixer des règles et non pas de disposer de moyens puisque l’objectif est de faire en sorte que les AVS soient toujours financés par les établissements privés. C’est d’autant plus important que des enfants handicapés de plus en plus nombreux sont scolarisés dans les établissements privés – et je sais que c’est pour vous une source d’inquiétude. Il ne s’agit pas seulement d’établissements privés confessionnels mais d’établissements privés qui se spécialisent dans la scolarisation des enfants handicapés, et vous avez souvent tiré la sonnette d’alarme en soulignant que la fuite considérable de ces enfants vers ces établissements les fait sortir du champ de contrôle et d’évaluation des autorités publiques.

Enfin, vous avez indiqué que beaucoup de cas vous sont signalés qui demandent seulement un éclaircissement du droit. Le sujet n’est donc pas tant de renforcer l’arsenal juridique que de le clarifier peut-être et surtout de le rendre effectif. Avez-vous une idée d’un dispositif qui nous permettrait de renforcer l’effectivité de ces droits ou considérez-vous qu’il ne peut s’agir que d’un lutte pied à pied permanente ? Un outil nouveau nous permettrait-il d’aller au-delà, peut-être dans les moyens mis à la disposition du Défenseur des droits, dont le seul pouvoir est le pouvoir d’interpellation ?

Mme Béatrice Piron. Il est très bien que les enfants handicapés participent aux voyages scolaires de leur classe. Pour cela, ils doivent être accompagnés ; ne risque-t-on pas des difficultés quand des AESH, en raison de contraintes personnelles, ne pourront pas accompagner l’enfant ?

M. Julien Dive. Le code de l’éducation dispose que « le service public de l’éducation veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. ». L’école inclusive est donc la norme ou, tout au moins, doit ou devrait être la norme. Il est inconcevable qu’en 2019 nous soyons parfois bras ballants devant des parents dont les enfants n’ont pas d’AVS. Pire encore, peut-être : certains parents viennent nous expliquer que le contrat de l’AVS de leur enfant se termine le 31 mars, date qui, comme chacun le sait, n’est pas celle du terme de l’année scolaire.

Il y a un an, monsieur le Défenseur des droits, vous avez dénoncé le recul des services publics lié aux contraintes budgétaires et aussi à la dématérialisation, dont vous disiez qu’elle peut être un facteur discriminant ou tout au moins un facteur de relégation. La dématérialisation, finalement irréversible pour le service public, est-elle et sera-t-elle un facteur discriminant supplémentaire pour les enfants déjà en situation de handicap, ou peut-elle être un atout pour eux ?

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Les discriminations en raison du handicap pour les enfants qui nous sont le plus fréquemment signalées concernent les enfants atteints de troubles « dys » et les enfants autistes. Pour les cas de discrimination en raison du handicap pour les adultes, les cas les plus fréquents sont l’absence d’aménagements dans l’emploi. Il y a donc une spécificité de la situation des enfants, qui doit être prise en compte. C’est ce que nous avons mis en exergue dans notre rapport pour 2018 consacré aux droits de l’enfant, intitulé « De la naissance à six ans : au commencement des droits ». Les annonces relatives à la mise en œuvre du quatrième plan autisme faites hier vont dans le bon sens. Il faut espérer qu’elles auront une traduction effective, particulièrement en termes de dépistage – pour ce qui est de la gratuité du diagnostic, des progrès sont absolument indispensables.

Au sujet de la formation et de l’insertion professionnelles, je ne peux pas faire état de situations particulières : la question est culturelle. Dans notre pays, on a traditionnellement considéré que les enfants porteurs de handicap relevaient de l’enseignement « spécialisé », selon le terme longtemps en usage. Le passage à l’école inclusive « de droit » signifie que les enfants handicapés relèvent d’abord de l’école ordinaire et que certains, comme je l’ai souligné, doivent relever d’établissements particuliers parce que leur handicap est trop lourd. Or, nous n’en sommes pas là : l’évolution depuis 2005 – depuis bien plus longtemps, en fait – a été trop lente et notre pays se caractérise notamment par une insuffisance dans la formation et l’insertion professionnelles. Nos écoles, collèges et lycées continuent d’accueillir beaucoup trop d’enfants handicapés en les considérant comme des charges alors que la vocation naturelle de l’école et de tous ses personnels devrait être de scolariser les enfants quels qu’ils soient. Sans être un spécialiste des questions de formation des éducateurs, je pense que votre commission d’enquête devrait traiter de la formation dispensée aux enseignants dans les écoles du professorat. Les modules de formation, les stages, l’insertion professionnelle doivent absolument comporter des éléments massifs et prioritaires à ce sujet ; c’est la seule façon de faire avancer les choses.

Un enfant handicapé scolarisé dans une école française à l’étranger a les mêmes droits à l’éducation et donc à l’accompagnement scolaire qu’un enfant scolarisé sur le territoire de la République ; telle est la réponse théorique. Nous avons une affaire à l’instruction à ce sujet, et notre décision sera bientôt publiée. Vous pouvez nous soumettre le cas auquel vous avez fait référence ; cela alimentera notre réflexion.

J’ai dit toute ma prudence au sujet du PIAL. Cela consiste-t-il à permettre, par la mutualisation en particulier, d’adapter les moyens aux besoins, ou finira-t-on avec ce dispositif par limiter les besoins aux moyens ? Je ne prends pas le pari et c’est pourquoi j’ai été extrêmement prudent. Hier, lors du comité d’entente handicap, nous avons constaté la méfiance de certaines associations à ce sujet, mais mon rôle n’est pas de faire des procès d’intention : si ce système peut fonctionner, c’est-à-dire s’il permet de satisfaire les besoins, tant mieux.

Pour ce qui est de l’enseignement privé sous contrat, le principe est d’une part l’égalité de traitement des enfants, d’autre part que l’AESH est financé par l’État.

S’agissant de l’éclaircissement du droit, nous avons passé près d’une année et demie, quand nous avons commencé à nous occuper du périscolaire et de l’extra-scolaire, à discuter avec le ministère de l’éducation nationale, le ministère de la santé et des affaires sociales, le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, et les départements qui ont une MDPH l’interprétation de je ne sais plus quel article du code de l’éducation ! C’est à la suite de cet épisode que nous avons créé le groupe de travail dont j’ai parlé tout à l’heure avec la DGESCO. Effectivement, chacun tente d’interpréter le droit de manière à renvoyer la responsabilité à l’autre – cela vaut en particulier pour l’État et les communes ; c’est pourquoi j’ai cité un arrêt du Conseil d’État qui sert précisément à fixer les interprétations. Pour reprendre votre expression, je pense que l’on éclaircit le droit pied à pied, et non pas avec des doctrines clairement établies permettant de dire en bloc : « ça oui, ça non ». J’aimerais bien qu’il en soit ainsi mais, malheureusement, on n’en est pas là. Mais je comprends très bien que, comme pour toutes les questions qui relèvent des politiques de solidarité décentralisées et pour lesquelles les capacités budgétaires des collectivités territoriales sont donc en jeu, les édiles tentent éventuellement de s’appuyer sur certaines appréciations juridiques pour éviter des charges supplémentaires.

Pour ce qui est des voyages scolaires, les nuitées à l’extérieur ne figurent pas dans les contrats des AVS, mais les AESH peuvent en faire ; quand il n’y aura plus que des AESH, la question de fond sera réglée. Quant au problème connexe que vous posez, il trouvera sa solution dans l’organisation du voyage longtemps à l’avance : alors, si un AESH est empêché de partir pour une raison familiale, on saura à temps qu’il faut un autre accompagnant. Tout voyage scolaire auquel participent des enfants handicapés implique naturellement une longue préparation ; si on improvise, on butera systématiquement sur le fait que l’on ne peut emmener l’enfant parce que son accompagnant n’est pas disponible.

L’école inclusive est la norme, je l’ai dit, et une évolution culturelle considérable doit intervenir à ce sujet.

La dématérialisation est, dans tous les domaines, une source de progrès à condition que ce soit un progrès pour tous et pour toutes. On ne peut dire d’un progrès réservé à quelques-uns, ou dont on ne peut faire bénéficier dix, vingt ou trente pour cent de la population selon les cas, que c’est un progrès, parce que c’est une manière de créer de nouvelles différences. Or, tout notre travail consiste justement à faire que, malgré les différences, notamment celles dont souffrent les personnes handicapées, chacun soit traité également grâce aux politiques de compensation et, par exemple, grâce à l’inclusion scolaire. On peut utiliser les nouvelles technologies de manière très efficace. Nous avons fait beaucoup de travaux et pris beaucoup de décisions sur l’accessibilité, et je vous ai donné l’exemple de certains logiciels qui ne sont pas utilisables pour les examens. La question de la dématérialisation doit être envisagée de manière globale : c’est un bien si c’est un progrès pour toutes et pour tous, un mal autrement. Si, comme je l’ai montré pour les formalités administratives, la dématérialisation écarte un quart de la population, ce n’est pas acceptable. Il faut tenir spécifiquement compte de la situation des personnes handicapées, plus particulièrement à l’école. Des expériences ont lieu aujourd’hui avec l’utilisation de nouvelles technologies, extrêmement positives pour les élèves scolarisés. Il faut poursuivre cette politique. L’inclusion scolaire doit aller de pair avec l’inclusion numérique, qui peut indiscutablement la favoriser. Mais si l’on ne prend pas de précautions, on peut aboutir à des exclusions, ce que nous avons dénoncé pour les formalités administratives.

Enfin, je vous recommande instamment de traiter aussi de l’accueil de loisirs. Une mission a rendu un rapport à ce sujet il y a un mois ; nous en avons été à l’origine, car le sujet est aussi important que celui des voyages et la situation n’est pas satisfaisante.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quel regard portez-vous sur l’autre type de discrimination que sont les inégalités territoriales dans la mise en œuvre de l’inclusion des enfants en situation de handicap en fonction des moyens des collectivités considérées ? Que les moyens soient en inadéquation avec les besoins justifie peut-être une péréquation à l’échelle nationale, puisque qu’il y a non seulement des inégalités sociales, des inégalités liées au type de handicap, des discriminations sans équivoque sur le plan légal mais aussi, semble-t-il, des manières différentes de prendre en compte cet important enjeu en fonction des territoires.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Cette juste réflexion appelle deux réponses, dont la première est la prise en compte intersectionnelle des discriminations, en introduisant tous les paramètres tenant à l’origine et au lieu de résidence des élèves ou des étudiants ; c’est ce que nous avons fait pour Parcoursup. Il faut tenir compte des difficultés territoriales particulières ; nous en traitons au cas par cas et c’est difficile à quantifier, mais il faut être très attentif à ce qui pourrait être qualifié de « discrimination surajoutée » et qui doit être corrigé par un traitement intersectionnel.

D’autre part, je vous renverrai volontiers aux réflexions et aux principes figurant dans la décision que nous avons prise en 2015, dans laquelle nous déclarions qu’il y avait une rupture d’égalité devant le service public de l’éducation au détriment des familles et des élèves d’un collège de Saint-Denis dont certaines classes étaient restées sans professeur pendant trois mois. À la suite de notre décision, la ministre de l’époque, Mme Najat Vallaud-Belkacem, avait donné des instructions à la rectrice de Créteil et, à la rentrée suivante, des dispositions avaient été prises pour que des affectations aient lieu. En l’espèce, c’est l’État qui était concerné, mais si j’introduis tous les paramètres qui tiennent à la décentralisation, c’est que lorsque cent une autorités peuvent avoir cent une politiques en matière de personnes âgées, de personnes handicapées, de protection de l’enfance, etc. le risque d’inégalités est patent. C’est pourquoi le Défenseur des droits défend depuis toujours un pilotage national de la protection de l’enfance, de la politique vis-à-vis des personnes handicapées, ainsi que, désormais, de la politique relative à la dépendance des personnes âgées – ce pourquoi j’ai lancé la semaine dernière un comité d’entente nouveau, consacré à l’avancée en âge.

La décentralisation, pour irréversible et souhaitable qu’elle soit, ne doit pas conduire à ce que les personnes qui vivent dans la plus grande précarité, les plus défavorisées et les plus fragiles, celles qui font l’objet des politiques de solidarité de la compétence des départements, soient victimes de trop d’inégalités selon leur lieu de résidence.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Monsieur le Défenseur des droits, je vous remercie, au nom de tous mes collègues, pour votre exposé brillant et la précision de vos réponses.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je joins mes remerciements à ceux de Mme la présidente pour la qualité de ces échanges.

 

 


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   Mardi 30 avril 2019

1.   Audition conjointe de M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (Arpejeh), Mme Bérangère Lopes, chargée de mission, et M. Fabrice Laffargue, conseiller, Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le Droit au Savoir et à l’Insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées (« Droit au savoir »), M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (Fédéeh), M. Jérémie Colomes, secrétaire général, et Mme Héléna Correia, responsable du pôle « Accompagnement dans les études », et M. Xavier Quernin, campus manager, chargé de mission handicap à UniLaSalle, M. Julien Soreau, responsable du pôle Diversité et égalité des chances de l’EM Normandie, et Mme Stéphanie Lefèvre, chargée de mission handicap de la commission Diversité de la Conférence des grandes écoles

M. la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission reprend aujourd’hui ses travaux en recevant plusieurs acteurs intervenant en faveur de l’inclusion des jeunes en situation de handicap dans l’enseignement supérieur : M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (ARPEJEH), Mme Bérangère Lopes, chargée de mission, et M. Fabrice Laffargue, conseiller ; Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le droit au savoir et à l’insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées ; M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH) , M. Jérémie Colomes, secrétaire général, et Mme Héléna Correia, responsable du pôle « Accompagnement dans les études » ; M. Xavier Quernin, campus manager, chargé de mission « handicap » à UniLaSalle, M. Julien Soreau, responsable du pôle « Diversité et égalité des chances » de l’EM Normandie, et Mme Stéphanie Lefèvre, chargée de mission « handicap » de la commission « Diversité » de la Conférence des grandes écoles.

Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

L’association ARPEJEH est une association d’intérêt général créée en 2008, qui réunit des entreprises et des acteurs publics engagés dans une politique active en faveur de l’emploi des personnes handicapées.

L’Association nationale pour le droit au savoir et à l’insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées, dite « Droit au savoir », regroupe 35 organisations, associations du secteur du handicap, fondations ou mutuelles. Elle vise à favoriser des actions innovantes dans le domaine de la scolarisation et de l’insertion professionnelle des jeunes de plus de 16 ans en situation de handicap.

La Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH) vise à faciliter les conditions de vie, d’études, d’intégration sociale et d’insertion professionnelle des jeunes en situation de handicap. Elle organise le travail de bénévoles.

Enfin, la commission « Diversité » de la Conférence des grandes écoles (CGE) accompagne la diversification des profils au sein de ces établissements. Je rappelle que la Conférence des grandes écoles a signé en 2008 une charte en faveur de l’amélioration de l’accès des étudiants en situation de handicap aux grandes écoles avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et celui du Travail. Je crois savoir que cette charte en est aujourd’hui à sa deuxième version.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bertrand Signé, Mme Bérangère Lopes, M. Fabrice Laffargue, Mme Marie-Pierre Toubhans, M. Pierre Mignonat, M. Jérémie Colomes, Mme Héléna Correia, M. Xavier Quernin, M. Julien Soreau et Mme Stéphanie Lefèvre prêtent successivement serment.)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Après que nous aurons entendu le rapporteur, je vous donnerai la parole pour un court exposé, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je suis Sébastien Jumel, député de Dieppe, à l’origine de la création de cette commission d’enquête, dont nous avons souhaité dès le début qu’elle embrasse le champ de l’enseignement supérieur : c’est l’objet de la réunion de cet après-midi.

Notre volonté est d’étayer un diagnostic le plus fidèle possible de l’état actuel de la scolarisation des étudiants en situation de handicap, donc de mettre l’accent sur ce qui va bien, ce qui fonctionne bien, mais aussi d’appeler l’attention sur les dysfonctionnements, les articulations à améliorer et les marges de progression à exploiter. Nous voulons donc nourrir notre commission d’enquête de l’expertise de vos associations qui sont profondément et depuis longtemps engagées dans ce champ. Il s’agit non seulement de faire une photographie exacte de la situation, objectif déjà important en soi, mais aussi de nourrir la réflexion du Gouvernement afin de le conduire à prendre des mesures pour améliorer la situation.

Partant de la loi de 2005 et de ses principes généraux, généreux et consensuels, nous souhaitons examiner sa dimension opérationnelle et sa mise en œuvre concrète, et considérer, le cas échéant, l’opportunité d’en écrire un « acte II ». Tel est l’état d’esprit de la commission d’enquête.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames et messieurs, vous êtes très engagés pour l’insertion, non seulement scolaire mais aussi professionnelle. Nous allons maintenant vous écouter.

M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH). Je suis Pierre Mignonat, jeune diplômé en master de langues à l’université de Lyon, premier vice-président et référent de la commission « mobilité internationale » de la FEDÉEH.

La Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap, est née en 2010 de la conviction que les jeunes, en particulier les jeunes en situation de handicap, peuvent, par l’émulation et l’entraide, participer à la réussite des jeunes handicapés. Nos bénévoles sont issus d’un réseau de plus de 700 jeunes adhérents handicapés et de plus de 50 associations, parmi lesquelles la fédération des associations générales étudiantes (FAGE), première organisation étudiante, et 12 associations nationales de filière.

Nos activités reposent sur le tutorat scolaire, les bourses d’études, la formation des associations étudiantes, l’animation de groupes d’entraide, la formation aux techniques de recherche d’emploi, l’organisation de forums de recrutement et le parrainage vers l’emploi.

L’ensemble de nos actions permettent d’identifier différents obstacles qui compromettent le parcours d’étude des jeunes handicapés.

Le rapport sera présenté par le secrétaire général. Sa rédaction est le résultat d’un travail collaboratif de l’ensemble des membres de l’association.

M. Jérémie Colomes, secrétaire général de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH). Je suis doctorant à l’université de Poitiers, donc encore étudiant.

Les premiers sujets dont on nous parle concernent indéniablement les concours et les conditions d’examen. Lorsqu’elles passent le bac, par exemple, de nombreuses personnes ne voient pas reproduits les aménagements auxquels elles ont eu droit pendant toute l’année scolaire. Cette problématique est très anxiogène et injuste à l’égard de personnes qui passent d’une situation A à une situation B lors d’un examen qui peut revêtir une importance majeure. C’est un point sur lequel il convient d’agir.

Les solutions passent principalement par le respect de la loi : réaliser les aménagements nécessaires pour garantir des conditions de formation adaptées et équitables est une mission de service public. L’État doit les mettre en œuvre directement ou les déléguer, notamment en mobilisant les associations.

Nous constatons un manque de ressources humaines patent. Il faut injecter des moyens afin d’assurer une homogénéité territoriale. Il est inacceptable qu’aujourd’hui l’on n’ait pas les mêmes possibilités à Nice et à Poitiers. Lorsqu’un jeune fait appel à notre association, nous sommes parfois obligés de l’alerter sur le fait que, malgré la qualité de son dossier, il devra tenir compte de l’inaccessibilité aux fauteuils roulants dans nombre de lycées – en Ile-de-France, seuls 24 lycées sur 465 sont accessibles pour ce qui concerne les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et les sections techniques spécialisées (STS) – et que, dans un grand nombre de cas, il devra apprendre à lever lui-même des fonds privés s’il veut disposer d’un codeur en langue des signes française (LSF). Nous lui disons que certains enseignants refuseront tout simplement d’être enregistrés ou de transmettre leurs cours dans un format accessible, voire que la numérisation d’un manuel pourra prendre des semaines et des semaines, ce qui parfois ne permet pas de passer l’examen.

Aujourd’hui encore, pour de très nombreux jeunes, la réputation d’accessibilité en établissement détermine le choix d’orientation. Le risque de réorientation et de décrochage s’en trouve aggravé, dans la mesure où l’orientation devient contrainte.

Un second vecteur d’éviction potentielle, assez récent, est lié à Parcoursup. Cette année, les étudiants handicapés ont la possibilité de signaler leur handicap et de préciser quels aménagements ils ont eus dans le secondaire ; mais il n’existe aucune garantie de confidentialité quant à ces informations, qui parviendront directement aux commissions de sélection, notamment pour l’accès aux CPGE. Il est certain que l’absence de confidentialité crée un risque de discrimination supplémentaire au regard de l’accès aux CPGE. Comme bien d’autres étudiants handicapés, je puis vous assurer que nous sommes exposés à des préjugés récurrents, notamment dans les sélections. Qu’ils soient bienveillants – songeons au fameux « il ne pourra y arriver, ne lui permettons pas d’entrer » – ne les rend que plus insupportables.

Par ailleurs, le temps de l’étudiant et le temps nécessaire à la mise en œuvre des mesures d’aménagement ne coïncident pas toujours ; des décalages peuvent rendre les aménagements inutiles, car bien trop tardifs.

Bien entendu, certains étudiants s’en sortent. Ceux-là sont passés virtuoses dans l’art de l’anticipation et de la compensation. Ils peuvent se révéler aussi, voire plus, performants que d’autres étudiants handicapés. Mais ils sont très loin d’être la majorité. Ce n’est pas un hasard si le tutorat collectif déployé par la FEDÉEH est la déclinaison d’un programme visant à pallier des phénomènes de censure et d’autocensure que rencontrent les élèves issus de quartiers défavorisés.

L’accompagnement humain, qu’il soit exercé par un pair ou par un professionnel, est déterminant. Or, comme beaucoup peuvent en témoigner, l’apport de la FEDÉEH sur ce plan est très efficace. Elle nous aide à gérer notre charge mentale, qui est supérieure à celle d’un autre étudiant. Cela conduit la FEDÉEH à vouloir développer ce bénévolat, si elle trouve des ressources suffisantes. Nous suivons en ce sens la prescription du comité interministériel du handicap de 2007, qui demande d’intensifier les dispositifs au service de la réussite. L’apport des associations est ici déterminant, en particulier celui des associations locales.

M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (ARPEJEH). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, merci de votre accueil et de nous fournir l’occasion de nous exprimer devant vous aujourd’hui.

Comme vous l’avez dit, madame la présidente, l’association ARPEJEH a été créée en 2008 dans un but précis : accompagner les jeunes en situation de handicap, de la classe de troisième au niveau « bac + 5 », dans la construction de leur projet professionnel. Depuis sa création, ARPEJEH a ainsi accompagné plus de 10 000 jeunes.

L’association ARPEJEH a un positionnement original qui vise à mettre en relation les jeunes encadrés par l’Éducation nationale avec le monde du travail. Pour ce faire, elle s’appuie sur deux partenaires indispensables. Le principal est l’Éducation nationale. Nous avons signé sept conventions avec des académies et nous bénéficions d’un agrément national. Nous avons des contacts privilégiés avec les élèves via les conseillers techniques pour l’adaptation et la scolarisation des jeunes en situation de handicap, qui nous facilitent la communication et l’orientation. De l’autre côté, nous avons un réseau d’entreprises. En 2008, cinq entreprises ont contribué à fonder l’association et celle-ci compte aujourd’hui plus de 80 employeurs – entreprises, syndicats professionnels et administrations – qui s’engagent à contribuer à la formation des jeunes par diverses actions dont, en premier lieu, des périodes d’immersion professionnelle.

Pour comprendre comment nous agissons, il convient de rappeler que l’association ARPEJEH a été créée parce que des employeurs qui étaient prêts à embaucher des jeunes en situation de handicap ne trouvaient pas les profils correspondant aux activités qu’ils souhaitaient leur confier. D’où la volonté de mettre l’accent sur la formation et sur l’incitation à s’engager vers des études et des formations, en lien avec l’enseignement supérieur, tel que vient de l’évoquer la FEDÉEH.

Nous constatons que les personnes en situation de handicap ne sont pas qualifiées. Nous savons tous que 80 % des jeunes en situation de handicap n’ont pas le bac. Partant de ce constat, ARPEJEH met l’accent sur la formation. Notre ambition, identique à celle de votre commission, est de proposer des solutions garantissant la poursuite d’un parcours scolaire et professionnel jusqu’à l’inclusion. Cela implique non seulement d’offrir des perspectives d’avenir, mais surtout de donner envie de poursuivre des études. Nous sommes convaincus que cela commence très jeune, dès le stage de troisième. Le stage de troisième est un élément charnière de l’orientation. Cette première immersion dans le monde professionnel permet aux jeunes une prise de conscience : ils réalisent que le monde du travail peut les accueillir et qu’en faisant des efforts pour acquérir des compétences, ils pourront l’intégrer.

Le stage de troisième a un effet incitatif majeur, d’abord contre l’autocensure. Dans notre société, il existe certes beaucoup de préjugés au sujet du handicap, mais aussi beaucoup d’autocensure de la part des jeunes. Mettre des jeunes dans l’entreprise leur offre la possibilité de comprendre qu’ils peuvent y avoir une place.

Au-delà du handicap, comme tous les jeunes, en troisième, ils ne savent pas ce qu’ils veulent faire. Or je citerai l’exemple d’un jeune qui, après avoir fait un stage de troisième dans une entreprise du réseau ARPEJEH, s’est orienté vers un bac pro gestion-administration, qu’il a validé avec mention, et qui est aujourd’hui étudiant en cinéma à la Sorbonne. Le stage de troisième est vraiment un déclencheur sur lequel il faut mettre l’accent, mais tout le monde n’y a pas accès alors qu’il est obligatoire. Beaucoup de jeunes en situation de handicap n’y ont pas accès. En les privant du stage de troisième, on obère leurs chances d’accéder au degré supérieur. Mécaniquement, les jeunes ont alors moins accès aux immersions professionnelles après la troisième et jusqu’au bac. C’est pourquoi nous combinons notre objectif premier avec l’implication directe des entreprises.

Nous savons par expérience que les entreprises ne s’impliquent pas suffisamment pour accueillir les jeunes en situation de handicap. Il existe des inquiétudes. C’est difficile, il faut organiser l’accueil, il faut y consacrer de l’énergie, mais si l’on baisse les bras à la première difficulté, c’est définitivement perdu. Les associations comme la nôtre doivent faire prendre conscience aux employeurs qu’ils ont tout intérêt à s’engager en faveur de la qualification des jeunes en situation de handicap. En investissant et en s’investissant dans la formation des jeunes, les entreprises créent une culture du handicap en interne. Au-delà, elles forment des jeunes à des métiers d’avenir pour lesquels elles pourront recruter. D’une part, le jeune peut se professionnaliser dans le cadre d’un parcours qui le mène vers l’emploi, et, d’autre part, le recrutement est facilité pour l’employeur. C’est une réponse directe au problème que j’évoquais en introduction.

En résumé, l’accès des jeunes en situation de handicap à des périodes d’immersion professionnelle dès la classe de troisième est un élément majeur pour prolonger leur parcours scolaire et réussir l’inclusion jusqu’à l’enseignement supérieur. Cela implique de mobiliser l’ensemble des acteurs autour de l’Éducation nationale, notamment les associations comme ARPEJEH qui facilitent le lien avec le monde du travail. Cela implique également d’inciter les employeurs à se saisir de la formation pour soutenir le travail quotidien de l’Éducation nationale dans son accompagnement des élèves en situation de handicap. Mobiliser les acteurs et inciter les employeurs sont des défis que nous sommes prêts à relever avec vous.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je le dis pour l’orateur qui vient de s’exprimer et pour les suivants : nous attendons de vous que vous nous bousculiez et que vous ne vous cantonniez pas au politiquement correct. Je le dis aussi pour nous réveiller nous-mêmes. Quand vous dites – c’est très fort ! – que les stages de troisième ne sont pas accessibles aux jeunes en situation de handicap, que faire concrètement ? Quand vous dites poliment que les entreprises ne jouent pas le jeu, quels dispositifs préconisez-vous pour qu’elles soient contraintes de jouer le jeu ? Nous ne sommes pas ici pour ronronner !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. C’est le but des questions que nous vous poserons par la suite.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est aussi l’état d’esprit de la commission.

M. Julien Soreau, responsable du pôle Diversité et égalité des chances de l’EM Normandie. Merci de nous avoir invités à participer à cette commission.

J’ai l’honneur de représenter la Conférence des grandes écoles et l’ensemble des référents handicap qui y travaillent. Un référent handicap dans une grande école est avant tout un professionnel qui accueille les étudiants en situation de handicap et qui, avec lui et avec le corps professoral, étudie les besoins, notamment d’aménagement de scolarité. Il est également présent au sein de l’établissement pour sensibiliser le corps professoral, contribuer à la mise en place de ces aménagements et aider l’ensemble de l’école – personnels et étudiants au sens large – dans le déploiement d’une véritable politique inclusive pour l’étudiant.

La Conférence des grandes écoles a mis en place depuis 2007 un groupe de travail dédié aux questions du handicap. Sa mission est d’accompagner et de favoriser la mobilité et l’inclusion des étudiants en situation de handicap au sein des grandes écoles. Il se veut un groupe d’échange de bonnes pratiques, mais il a également élaboré des outils qui favorisent concrètement l’inclusion et l’accompagnement des étudiants handicapés dans l’enseignement supérieur : on peut citer la rédaction d’un guide à l’attention des nouveaux référents, qui leur permet d’entrer rapidement en fonction, ainsi que des fiches pratiques destinées aux étudiants ou aux responsables des banques d’épreuves, indiquant notamment les démarches administratives à engager en vue de fluidifier et de faciliter la mise en place des aménagements pour les concours.

Nous avons également travaillé avec la commission des titres d’ingénieur (CTI) en vue d’aménager les modalités d’évaluation du niveau d’anglais, notamment pour les étudiants atteints de troubles « dys ». Il faut savoir que le diplôme d’ingénieur nécessite un certain niveau en anglais et, pour les étudiants ayant des troubles « dys », l’apprentissage de l’anglais peut être problématique. C’était souvent un frein à la diplomation, alors que ces étudiants peuvent obtenir par ailleurs des résultats brillants. Avec la CTI, nous avons réussi à mettre en place des aménagements relativement simples qui permettent à l’étudiant d’obtenir son diplôme à l’issue de ses cinq ans d’études.

Afin de rendre compte des réalités du handicap au sein de nos écoles, le groupe de travail a également publié, il y a quelques mois, le premier baromètre du handicap dans les grandes écoles, document que nous vous remettrons.

Nous portons également, depuis bientôt deux ans, un plaidoyer pour la création d’un statut international d’étudiant en situation de handicap, notamment auprès de l’ONU et du gouvernement français. Il s’agit de permettre aux étudiants en situation de handicap de vivre pleinement leur mobilité internationale sans subir de discriminations liées à leur handicap.

Vous l’avez rappelé, Madame la présidente, nous avons également renouvelé notre charte handicap, il y a quelques mois, le 11 février 2019, en présence de Mme Vidal, de Mme Cluzel et de Mme Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles. Cette seconde charte, après la première signée en 2008, met l’accent sur l’amélioration du continuum entre les études secondaires, les études supérieures et la vie professionnelle. Nous avons également axé notre charte sur la promotion de la vie étudiante comme vecteur inclusif majeur. Nous souhaitons aussi garantir l’accès au sport pour tous, donc aux étudiants en situation de handicap et – nous l’avons déjà évoqué – nous souhaitons faciliter la mobilité internationale de nos étudiants en situation de handicap.

Le nombre d’étudiants concernés augmente chaque année dans nos établissements. C’est une véritable fierté. C’est surtout une victoire pour ces étudiants qui, nous l’espérons, choisissent dorénavant leur formation non plus par défaut ou en fonction de leur handicap, mais selon leur projet professionnel et leur talent.

Ces résultats, excellents à nos yeux, même si cela n’est pas encore suffisant, ont été rendus possibles grâce à une politique proactive de nos établissements et à l’engagement sans faille de nos référents handicap, qui proposent un véritable accompagnement individualisé – nous insistons sur l’expression « accompagnement individualisé » – pour les étudiants en situation de handicap.

Monsieur le rapporteur, nous notons malheureusement encore quelques freins, principalement deux.

Concernant la transition entre le secondaire et le supérieur, le désengagement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans l’accompagnement administratif et la reconnaissance des aménagements pose problème aux grandes écoles. Lorsque les étudiants choisissent de s’orienter vers l’université, ils ont accès au service médical universitaire qui est habilité à mettre en place des aménagements de scolarité. Cette possibilité n’existe malheureusement pas au sein des grandes écoles. En tout cas, la majorité de nos écoles n’ont pas de service médical universitaire agréé et les MDPH ne traitent plus les dossiers d’aménagement pour nos étudiants. Par conséquent, la plupart d’entre nous mettent en place des aménagements de scolarité en toute illégalité. Nous privilégions des aménagements concrets pour nos étudiants, même s’ils n’obtiennent pas de reconnaissance administrative officielle.

Nous avons des propositions à faire ; nous pourrons peut-être en discuter lors de l’échange des questions et des réponses. Nous nous sommes rapprochés de madame Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), en vue de trouver une solution avec les MDPH, par un système dérogatoire ou accéléré pour la prise en compte d’aménagements de scolarité et d’examens pour nos étudiants en situation de handicap.

Le deuxième frein important dans l’accompagnement de nos étudiants concerne le financement de nos missions handicap. La très grande majorité de nos établissements ne bénéficient pas de subventions dédiées des ministères de tutelle. Nos missions handicap sont actuellement financées sur fonds propres ou grâce à des partenariats avec des entreprises dans le cadre des accords agréés. Malheureusement, ceux-ci sont remis en question par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ce qui risque de poser un problème à un grand nombre de nos écoles. Nous avons constaté que les grandes écoles qui ont développé les meilleures dynamiques inclusives ont des partenariats financiers, notamment avec des entreprises, qui entrent dans le cadre des accords agréés. Nous sommes déjà intervenus auprès de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et auprès du Parlement par le biais d’une proposition d’amendement, malheureusement rejetée en deuxième lecture. C’est pourquoi nous souhaitons alerter la commission d’enquête sur l’effet collatéral de cette loi sur l’accessibilité aux cursus des grandes écoles et, par conséquent, sur les freins à la formation et à l’insertion professionnelle des futurs emplois directs tant recherchés par les entreprises. Il faut savoir que nos écoles diplôment très majoritairement au niveau « bac + 5 » et que nous n’avons pas constaté de différence entre un étudiant en situation de handicap et un étudiant qui ne l’est pas. Il va jusqu’à la diplomation dans les mêmes proportions qu’un étudiant qui n’a pas de handicap. Lorsqu’un étudiant arrive dans une de nos grandes écoles, il va jusqu’à la diplomation. C’est une de nos forces. Nous souhaiterions avoir encore les moyens, notamment humains, de poursuivre notre travail sereinement pour le bien des étudiants en situation de handicap et de la société.

Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le droit au savoir et à l’insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées. Il me revient donc de clore ce premier tour. Je vous remercie de cette audition. L’association Droit au savoir souhaite évoquer trois points liminaires et cinq axes de nature à compléter la note que nous vous avons transmise hier.

Je rappellerai que, quatorze ans après la loi de 2005, les enjeux relatifs aux parcours des jeunes en situation de handicap, à l’école et dans l’enseignement supérieur inclusif, s’articulent autour de trois axes importants. Le premier, ce sont les sujets qui n’avaient pas été traités dans cette loi et qui restent d’actualité. Le deuxième, ce sont les écarts constatés entre la volonté du législateur et les réalisations concrètes dans les territoires. Le troisième, c’est ce qu’on pourrait appeler les effets secondaires à la fois de la loi de 2005 et de la ratification par la France de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.

Notre réflexion s’inscrit dans une logique de parcours qui demande à la fois anticipation et souplesse pour davantage sécuriser les transitions mais aussi pour favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en situation de handicap.

Nous entendons également souligner l’importance d’intégrer les problématiques spécifiques des jeunes en situation de handicap dès les premières réflexions que nous pouvons porter, notamment dans la perspective de la rédaction d’un projet de loi. Nous pensons qu’il est toujours préférable, dans une logique de construction d’une société inclusive, d’éviter de réparer en surajoutant des dispositifs particuliers à un dispositif de droit commun. Cela implique de considérer dès le départ que ce dispositif s’adresse à tous, d’autant que cela permet de penser des modalités utiles à d’autres jeunes qui pourraient en avoir besoin.

J’en viens aux cinq axes qui nous semblent importants.

Le premier est un phénomène important depuis la loi de 2005, à savoir le développement d’une logique de massification, au niveau du primaire, du secondaire et, d’une certaine façon, dans l’enseignement supérieur. Quand évoque l’enseignement supérieur, on pense aux grandes écoles et aux universités, mais on pourrait aussi penser à toutes les filières dépendant d’autres ministères, comme ceux de la culture, de l’agriculture, de la défense, et à toutes les filières dépendant des régions, notamment les instituts régionaux de travail social (IRTS) et les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Le champ est très vaste. On ne saurait le réduire à certains établissements.

Ces jeunes qui arrivent dans l’enseignement supérieur, nous les appelons parfois « les rescapés du système scolaire », parce qu’on voit bien qu’avec 350 000 jeunes dans le primaire et dans le secondaire, et près de 29 000 dans l’enseignement supérieur, certaines transitions constituent, aujourd’hui encore, des cassures. Je pense notamment aux jeunes de 15-16 ans : un rapport des inspections générales publié en 2012 rappelait qu’il y avait une cassure autour de cet âge, qui correspondait à « une sortie massive du système éducatif ordinaire ». On mesure clairement l’importance de l’obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans
– actuellement dans le débat public –, qui servira aussi aux jeunes en situation de handicap, pour peu qu’on l’étende à l’ensemble des jeunes, y compris à ceux qui sont dans des établissements médico-sociaux.

Passage au lycée, passage dans le supérieur, passage du statut scolaire au statut d’apprenti – qui emporte certaines conséquences en termes d’accompagnement, de transport adapté, d’adaptation et d’évaluation des besoins : des barrières d’âge existent encore aujourd’hui. Pour les jeunes en situation de handicap, elles sont nombreuses : 16, 18, 20 et 25 ans. Toutes ces transitions sont des moments à risque. Elles doivent être anticipées, fluidifiées et accompagnées par des dispositifs de droit commun et, quand c’est nécessaire, par des dispositifs spécifiques et par des professionnels formés, afin de permettre aux jeunes d’aller au plus loin de leurs projets et de leurs parcours.

De nouvelles problématiques sont liées à ce que l’on pourrait appeler le «  passage à l’étape suivante ». De nouveaux processus de scolarisation ont été créés – les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) : ULIS-collège, ULIS-lycée –, mais que propose-t-on à ces jeunes après une ULIS en lycée professionnel ? On a créé, il y a quelques années, des attestations de compétence mais il n’y a pas de retour sur leur utilisation ou sur leur valorisation. Il convient probablement de les uniformiser pour les rendre plus visibles du côté des employeurs.

Dans cette logique, afin de mieux anticiper ces parcours, avoir la vision la plus fine possible et orienter les politiques publiques, il conviendrait de coordonner les données. Elles existent mais sont éparses en fonction des tutelles et comme elles ne sont pas mises en correspondance, il est difficile d’avoir une vision globale.

Il faut aussi lutter contre les inégalités de traitement. Mais comme cela a déjà été évoqué, je n’y reviendrai pas.

Quatrièmement, l’une des nouveautés de la loi de 2005 était de faire apparaître, pour la première fois, les étudiants en situation de handicap dans la loi. Il me semble qu’aujourd’hui, si l’on devait franchir une nouvelle étape, il faudrait accentuer l’effort actuel, notamment au regard de la participation à la vie sociale et à la citoyenneté et dans le sens de l’accessibilité universelle des campus. Des cadres ont été mis en place, des chartes ont été signées. La loi du 27 juillet 2013 contient plusieurs éléments importants, y compris quant au rôle même de l’enseignement supérieur, qui se voit attribuer pour mission de participer à la construction d’une société inclusive. Cette loi permet aussi à chaque université d’adopter un schéma directeur pluriannuel du handicap avec des indicateurs annuels en vue de développer une réelle politique d’établissement et de créer de la transversalité.

Je ferai quelques propositions. Vous le savez, la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants introduit un droit au réexamen dans le cadre de Parcoursup ; nous souhaitons que ce droit au réexamen soit étendu au passage en master. En outre, le plan d’accompagnement de l’étudiant handicapé (PAEH) aux études supérieures doit être aussi reconnu et opposable en vue d’une mise en œuvre concrète ; aujourd’hui, 85 % étudiants reconnus par les structures handicap des universités bénéficient d’un tel plan d’accompagnement. Enfin, les schémas directeurs pluriannuels de la politique du handicap devraient être étendus à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur.

J’évoquerai aussi les besoins identifiés restés sans réponse, notamment en ce qui concerne le logement et l’hébergement : le panel des solutions possibles n’est pas complet sur tous les territoires, alors que les enjeux sont réels en termes de mobilité et de poursuite des études. Les services d’accompagnement vont rarement au-delà de 20 ans, parfois 25 ans. Or les besoins perdurent et la progression vers l’autonomie nécessite parfois étayage et soutien. Ces services doivent donc aller plus loin. Enfin, l’aide au travail personnel à domicile a été reconnu comme un besoin spécifique pour les étudiants en situation de handicap, dès les premiers travaux du comité de pilotage étudiant suite à la loi de 2005, mais sa ligne de financement est restée vierge.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour ces témoignages et ces informations qui, tout en embrassant un champ très large, sont souvent très précises. En vous écoutant, je me suis rappelé ce que m’avait dit un jeune sportif de haut niveau : « Au lycée, on est très bien accompagné, mais quand on passe à la fac, cela devient très difficile ». À l’instar des sportifs de haut niveau, les étudiants en situation de handicap doivent déployer beaucoup plus d’énergie pour réussir.

Dans la recherche de moyens financiers, vous paraît primordial de recourir davantage aux MDPH ou d’aller chercher l’argent auprès des entreprises, par exemple ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation d’être un peu plus « cash », non que mon objectif soit de mettre l’accent sur ce qui ne va pas, mais l’objectif de notre commission d’enquête est de trouver des solutions et des marges d’amélioration.

Vous avez peu parlé de l’adaptation des examens et des concours aux jeunes en situation de handicap. Avez-vous des propositions concrètes à formuler ? Est-ce qu’il existe des marges d’optimisation ?

L’autonomie des établissements d’enseignement supérieur, l’autonomie et la marge de manœuvre des grandes écoles conduisent probablement à l’accentuation des inégalités territoriales dans ce domaine. Quel est votre regard sur la manière dont les universités satisfont à vos attentes ? Quels sont les bons et les mauvais élèves ?

M. Olivier Gaillard. Ma question s’adresse à M. Signé. Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de visiter l’entreprise Ergosanté, dans le sud des Cévennes, qui emploie des jeunes en difficulté sociale et en situation de handicap. Vous avez indiqué que 80 % des personnes handicapées n’ont pas le baccalauréat. Au regard de ceux que vous qualifiez de « rescapés », dans le contexte économique actuel, alors que nous manquons de travailleurs manuels, ne seriez-vous pas en train de vous orienter, au travers de l’Éducation nationale, dans la même perspective que pour les personnes valides, pour lesquelles on vise 80 ou 90% de bacheliers ? Comment les gens en situation de handicap sont-ils accueillis par les organismes de formation ?

Mme Géraldine Bannier. Je partirai d’un cas concret pour évoquer une difficulté qui n’a pas encore été abordée. Des parents aux moyens modestes dont la fille est en école d’ingénieur m’ont signalé l’inégalité entre les étudiants qui ne sont pas en situation de handicap et qui peuvent travailler l’été pour financer une partie de leurs études et leur fille qui n’a pas accès aux jobs d’été. Quand on est en situation de handicap, il est difficile de décrocher un emploi l’été, ce qui représente une difficulté supplémentaire pour les parents. Par ailleurs, cette école d’ingénieur n’avait pas de référent. La jeune fille était apparemment la première étudiante en situation de handicap à intégrer cette école et des aménagements ont été mis en place. Cette situation est-elle générale ou ne concerne-t-elle que les grandes écoles ?

Mme Béatrice Piron. J’ai rencontré une auxiliaire de vie qui accompagne des jeunes handicapés en classe préparatoire ; elle a accompagné des élèves qui ont réussi malgré de lourds handicaps, dont Thomas Mordant, qui a obtenu le bac à 14 ans et qui, aujourd’hui âgé de 20 ans, termine ses études à Normale Sup. Incapable d’écrire, il a toujours besoin d’un rédacteur, car il passe ses concours en dictant. Jusqu’aux classes préparatoires et même actuellement à Normale Sup, il avait besoin d’un accompagnement. Or les auxiliaires de vie qui l’ont accompagné jusqu’à la fin des classes préparatoires devaient avoir un niveau différent de celles qui opèrent en école primaire ou en collège. À Versailles, nous avons la chance d’avoir un lycée où une auxiliaire de vie est professeure agrégée de mathématiques et de sciences physiques, mais peu sont en ce cas en France. En tant qu’associations, faites-vous des recommandationssur ce sujet ? Pouvez-vous proposer ou aider à trouver du personnel ? Qu’en est-il pour les devoirs, problématique très importante pour les études supérieures, qui n’est pas prise en compte dans les horaires des auxiliaires de vie ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Avez-vous des éléments statistiques au sujet des référents handicap. Combien ont été mis en place ?

Monsieur Soreau, vous avez parlé d’un projet avec l’ONU. Connaissez-vous le nombre d’étudiants en situation de handicap ayant accès au programme Erasmus ? En période d’élections européennes, c’est peut-être le moment de faire une « étape » par les projets européens.

M. Bertrand Bouyx. Monsieur Colomes, vous dites que certains enseignants n’adaptent pas le contenu de leur enseignement à leurs publics, surtout quand ils ont un handicap. Quelles sont les obligations auxquelles sont soumis les enseignants dans ce domaine ?

M. Xavier Quernin. Concernant la recherche de l’argent – le nerf de la guerre –, nous préconisons la poursuite de l’accès aux subventions d’entreprises, parce que nous savons que les budgets des ministères sont de plus en plus serrés et que si les missions handicap sont subventionnées dans les universités, en revanche, aucun budget n’est prévu pour les grandes écoles. La contribution que nous vous avons transmise contient une proposition faite en lien avec l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), au regard de la loi sur l’obligation de l’emploi des travailleurs handicapés. Votre aide serait déterminante. Nous préconisons donc la recherche de fonds du côté des entreprises, afin d’encourager le continuum entre l’enseignement supérieur et le monde de l’entreprise : les entreprises qui s’engagent auprès de grandes écoles s’engagent aussi à aider les étudiants à trouver par la suite des stages, des apprentissages et de l’emploi. Cette proposition représente une dynamique gagnante.

Pour ce qui est de l’adaptation des examens et des concours, nous avons réalisé, il y a quelques années, 17 fiches pratiques qui ont été envoyées à l’ensemble des banques d’épreuves et à des représentants d’associations de conseillers d’orientation. Elles sont également en ligne sur le site internet de la Conférence des grandes écoles, afin que les jeunes en situation de handicap sachent quelles démarches peuvent être engagées et les délais à respecter pour réunir toutes les conditions à la mise en place des aménagements.

Ces fiches donnent des conseils pratiques aux banques d’épreuves afin de faciliter la mise en place des aménagements ; elles indiquent notamment les associations qui peuvent les aider. Cependant, certaines banques d’épreuves semblent toujours en ignorer l’existence, alors que nous avons beaucoup communiqué à ce sujet. Il y a un an, nous recevions des référents de banques d’épreuves, parce que nous avions eu beaucoup de remontées sur des aménagements qui n’avaient pas été mis en place. Nous avons réexpliqué le fonctionnement, l’intérêt et surtout l’obligation de rendre accessibles les concours, au regard de notre obligation, en tant que grande école, de rendre accessibles les études que nous proposons, mais il y a encore des actions de sensibilisation et de communication à réaliser auprès des banques d’épreuves.

C’est aussi le cas pour les conseillers d’orientation. Lors de notre présence des stands « handicap » du salon de l’étudiant, à Paris, nous recevons souvent des lycéens auxquels on a dit qu’ils ne pourraient pas faire d’études supérieures parce qu’ils sont dyslexiques. Dans l’école UniLaSalle, plus d’une soixantaine d’étudiants qui se sont déclarés comme étant dyslexiques sont accompagnés par la mission handicap dont je suis chargé de mission. Il faut apporter dès le lycée des conseils plus précis aux jeunes en situation de handicap afin qu’ils prennent le temps de déterminer leur cursus et ne voient pas leurs ambitions limitées par le handicap.

M. Bertrand Signé. Monsieur le rapporteur, l’association ARPEJEH a élaboré un livre blanc qui vous a été transmis et dans lequel nous formulons un certain nombre de recommandations.

Les témoignages montrent la complémentarité de nos actions, car elles concernent le parcours du jeune : avant d’accéder à l’enseignement supérieur, il faut franchir de nombreuses étapes. Nous avons avant tout besoin de coordination et de statistiques. On ne progresse que sur ce qu’on mesure ! S’agissant de l’impératif de coordination, nous travaillons avec des académies dont les approches peuvent être différentes ; de même, nous avons du mal à communiquer avec les associations. Si l’on veut réellement progresser, il faut des chiffres, de la coordination et des objectifs.

J’ai insisté fortement sur le stage de troisième parce qu’il me paraît révélateur à plus d’un titre. Si la finalité de tous ces efforts est bien entendu de faire des études, l’objectif est l’inclusion, l’entrée dans la société et dans la vie. Pour ce faire, l’entreprise est un bon levier, à deux titres. D’une part, elle permet aux jeunes de découvrir qu’ils peuvent faire des études. Comme à tout un chacun, il faut leur donner envie. Voir concrètement en entreprise ce qu’il est possible de faire est de nature à donner envie et à dépasser l’autocensure, car beaucoup se disent : ce n’est pas pour moi. D’autre part, il n’y a pas que le diplôme. Quand un jeune est mis en entreprise, il arrive que le chef d’entreprise constate qu’il peut lui confier des tâches, au-delà de la demande classique d’un niveau BTS ou « bac + cinq ». Des jeunes peuvent apporter des choses à l’entreprise sans avoir obtenu ces diplômes. C’est notamment le cas pour les jeunes qui ont des troubles « dys ».

Comment faire ? L’entreprise suivra si on lui propose des objectifs réalistes. L’obligation d’emploi d’au moins 6 % des personnes handicapées prévues dans la loi de 2005 n’a pas pleinement fonctionné, car si l’entreprise ne peut pas faire « matcher » des jeunes et ses activités, elle n’y répondra pas. La bonne méthode consiste à mettre plus tôt en relation les jeunes et l’entreprise. C’est pourquoi le stage de troisième me paraît important. Je m’inquiète de constater que ça ne marche pas bien et le manque d’éléments de mesure est un signe qui doit nous alerter.

Par ailleurs, il faut distinguer le secteur protégé et le secteur ordinaire. Pour ses 80 entreprises, l’ARPEJEH a sept chargés de mission répartis les régions, qui vont aider sur la façon de mettre en relation et d’accueillir. Proposer une immersion à un jeune en situation de handicap se prépare et s’accompagne. Nous travaillons grâce à quelques dispositifs pré-établis. En effet, tous dans cette salle, nous avons connaissance de réussites et d’échecs ; or, au regard du nombre de jeunes concernés, nous devons essayer d’avoir une approche un peu « macro », avec des dispositifs qui parfois donneront des résultats et parfois ne fonctionneront pas. Il faut aussi dépasser l’émotion que suscite la problématique du handicap. Il faut quelques objectifs forts, préparés, travaillés et réalistes, ainsi que des dispositifs incitatifs. Les évolutions en matière de financement nous inquiètent.

Mme Marie-Pierre Toubhans. S’agissant des moyens, la contribution aux établissements du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est inchangée depuis 2007, ce qui doit « relativiser » les sommes que reçoivent les universités au titre de la politique du handicap. À cela s’ajoutent les besoins en personnels. Pour une structure dédiée au handicap, il est important d’avoir du personnel et de faire de la formation continue. En effet, on s’inscrit dans une logique d’accueil, d’accompagnement, d’évaluation des besoins, de réévaluation si nécessaire, qui demande de la disponibilité. Le nombre d’étudiants dans les universités croît à un taux supérieur à 10% depuis 2006, mais celui du personnel ne connaît pas une telle évolution.

En ce qui concerne l’autonomie des établissements, le schéma directeur pluriannuel du handicap, qui avait été introduit dans la charte Université-handicap de 2012 et qui a été consacré dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche de 2013, impose aux établissements de réfléchir à la mise en œuvre des quatre thématiques dont ils ont la responsabilité : l’accessibilité du bâti – le dernier rapport de l’observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement chiffre les travaux d’adaptation à 350 millions d’euros d’ici 2024, ce n’est donc pas un sujet annexe –, la recherche, l’emploi et la formation. L’enjeu est de faire coïncider ces quatre dimensions et de créer des synergies de façon, par exemple, que ce qui est produit en termes de recherche soit utile pour la formation en termes pédagogiques. Bien évidemment, les schémas directeurs peuvent être très différents d’une université à l’autre.

Nous parlons d’aménagements d’examens et de concours, vous dites adaptation ; le troisième degré est la dispense. Concernant les aménagements, on constate que des éléments se mettent en place. Pour l’adaptation, c’est beaucoup plus difficile parce que cela touche à la nature même de l’épreuve. Encore aujourd’hui, il y a beaucoup d’interrogations à ce sujet. C’est une réflexion importante à mener pour que l’enseignement supérieur soit réellement inclusif. Pour l’épreuve de français du baccalauréat, que vous choisissiez la dissertation ou le commentaire de texte, on évalue les mêmes compétences sans que cela ne pose de problème à personne. Pourquoi ne pas s’orienter vers une adaptation similaire dans d’autres matières, puisque l’on doit avant tout évaluer des compétences ?

Je rappellerai que l’accompagnement dans l’enseignement supérieur obéit à des logiques différentes de celles en vigueur dans le secondaire. Après la loi de 2005, une réflexion a été engagée visant à passer d’une logique de cas par cas à une systématisation de l’accompagnement. Les établissements d’enseignement supérieur ont la responsabilité de l’accessibilité au contenu du savoir et des bâtiments, ils n’ont pas la responsabilité de ce qui relève des actes essentiels de la vie quotidienne. Ils ont financièrement la responsabilité de l’accessibilité, mais il revient à la prestation de compensation du handicap (PCH) de financer les auxiliaires de vie. C’est différent du secondaire, non seulement parce que les jeunes adultes relèvent de problématiques différentes, mais aussi parce que l’enseignement supérieur exige un certain niveau de compétence, y compris pour prendre des notes. Je prends souvent l’exemple d’un étudiant en russe : il a besoin de quelqu’un qui sache écrire et comprendre le russe. C’est pourquoi on privilégiera les preneurs de notes de l’année ou de l’année supérieure. Les emplois étudiants ont été créés pour répondre à ces problématiques particulières.

M. Jérémie Colomes. En matière d’accompagnement financier, vous avez évoqué l’entreprise. Je pars du principe que vous parlez de l’accompagnement financier des personnes handicapées et non des structures qui les entourent. L’accompagnement financier est très difficilement lisible pour les personnes handicapées. À l’offre de la MDPH s’ajoutent les offres proposées par les régions, les départements, certaines mairies, des mécènes, des associations, et cela devient rapidement illisible. Ajouter un nouvel échelon, c’est-à-dire un nouvel accompagnement financier, perdra plus encore les personnes en situation de handicap qui ne recourent déjà pas à tous ceux auxquels elles auraient droit.

En outre, un grand nombre de surcoûts ne sont pas reconnus ou sont mal pris en charge. Dans certains cas, des aménagements nécessaires ne sont pas pris en charge. Il faut faire un état des lieux des surcoûts en interrogeant les personnes handicapées pour mesurer les difficultés qu’elles rencontrent. Il y a autant de surcoûts possibles que de handicaps. Je ne me ferai pas le porte-parole de dossiers que je ne connais pas.

Du côté des entreprises, pourquoi prendre un handicapé en stage et pourquoi salarier un handicapé, alors qu’une personne qui n’est pas handicapée serait disponible ? Il y a des obligations légales, comme l’obligation d’employer au moins 6 % de personnes handicapées. Cela suffit-il ou faut-il aller plus loin ? Pourquoi ne pas créer un dispositif équivalent au crédit d’impôt recherche pour les personnes handicapées ?

Concernant l’adaptation des concours, quelqu’un ayant utilisé toute l’année un ordinateur pour prendre des notes peut se retrouver au concours avec un preneur de notes, ce qui peut être générateur de stress et affecter sa note finale. L’idée de rendre opposables les plans de compensation du handicap me paraît bonne. En tout état de cause, il faut s’assurer d’une continuité entre l’aménagement intervenu en cours d’année et l’aménagement pour le concours ou pour l’examen.

Pourquoi certains enseignants n’adaptent-ils par leur contenu ? D’abord, parce qu’ils ne sont pas outillés. Ils ne savent pas comment adapter leurs cours et ils pensent que cela représente des efforts trop importants. Ensuite, ils sont relativement peu contraints : s’il y a des obligations pour les examens ou les concours, il y en a encore relativement peu vis-à-vis des enseignants. Je n’ai jamais vu prononcer de sanctions, ne serait-ce que parce que les étudiants handicapés ne réclament jamais le respect de leurs droits pour la simple raison que le temps judiciaire ou des recours n’est pas celui des études. En introduisant un recours, on perd notre année d’étude et on ne sera jamais réaccepté dans la formation. Il faut mettre en place des voies de recours efficaces qui soient inscrites dans le temps de l’étudiant. De plus, il faut créer une culture du handicap. Les enseignants doivent être en capacité d’appréhender ce qu’est le handicap, ne pas avoir « peur » du handicap et savoir qu’ils peuvent facilement créer des outils de nature à rendre leurs cours accessibles. Autrement dit, il faut former les enseignants. Aujourd’hui, ce n’est absolument pas fait. Nous l’évoquons longuement dans une contribution au grand débat national que nous vous enverrons.

M. Pierre Mignonat. Vous nous interrogez au sujet du programme Erasmus et du nombre d’étudiants handicapés qui y participent. Je ne dispose pas de statistiques mais ils sont de plus en plus nombreux. Nous pouvons nous en féliciter mais il faut qu’ils en aient mieux connaissance. Beaucoup n’utilisent pas tous les mécanismes disponibles, notamment Erasmus +. C’est l’idée que nous portons, avec le groupe de travail handicap de la CGE, la FEDÉEH et sa commission mobilité internationale. Cela permettrait d’avoir de meilleurs dossiers, de meilleurs profils, parce que même à diplôme égal, un étudiant handicapé a plus de risques d’être au chômage qu’une personne sans handicap.

De même, il est plus difficile de trouver des stages, ce qui pose des problèmes pour les masters professionnalisants où la réalisation d’un stage permet la validation du diplôme. Trouver plus facilement des stages permettrait une meilleure adéquation des aides techniques et des logiciels existants dans le monde de l’entreprise, parce que même les employeurs ne connaissent pas toujours l’accessibilité numérique, notamment pour la gestion des stocks.

M. Julien Soreau. Concernant le programme Erasmus, notre projet ne vise pas seulement l’Europe mais aussi l’international. Nous ne souhaitons pas que nos étudiants se limitent à une destination européenne alors qu’ils ont peut-être des envies d’Asie, d’Amérique latine ou d’Amérique du Nord. Nous souhaitons que ce projet permette aux étudiants de choisir et non pas de subir une orientation. Je rappelle que, dans la plupart des cursus, un semestre à l’étranger est obligatoire.

Normalement, dans toutes nos écoles, il y a au moins un référent. Quand il n’y a pas de référent nommé, le directeur général en fait office. Bien sûr, il y a des disparités entre nos écoles : certaines proposent des référents à hauteur de 5 % du temps de travail, d’autres, et vous en avez un exemple devant vous, sont à 100 % sur ces missions, ce qui change la donne. À titre d’exemple, il y a seulement trois ans, EM Normandie avait 17 étudiants en situation de handicap ; nous avons créé un pôle diversité – la mission existait déjà mais nous l’avons autonomisée et rendue plus visible – et nous en sommes aujourd’hui à 70 étudiants. Je n’ai pas multiplié les étudiants en situation de handicap, ils se sont juste « autorisés » à se déclarer. Au sein de nos établissements, nous passons quasiment la première année à dédramatiser la situation de handicap de chaque étudiant. Certains pensent ne pas être en situation de handicap. Quand l’un nous dit : « Je suis juste épileptique », nous lui répondons : « Tu es en situation de handicap, même si on t’a dit le contraire ». Nous passons beaucoup de temps à leur rendre confiance.

Enfin, dans les grandes écoles, on n’a pas accès aux dispositifs d’accompagnement des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). D’évidence, il faut que l’accompagnant, le rédacteur ou le secrétaire ait un niveau scolaire suffisant pour prendre des notes. Nous proposons que, dans le cadre de la journée de solidarité, nos alumni, nos anciens étudiants, aillent passer les examens avec les étudiants. Ce serait une façon d’impliquer davantage la société dans l’aide au handicap. Ces gens diplômés, au niveau académique suffisant, contribueraient ainsi à l’inclusion.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci pour toutes vos contributions particulièrement intéressantes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous lirons attentivement vos contributions écrites. N’hésitez pas à les enrichir après cette audition.

 


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2.   Audition conjointe de Mme Elka Parvanova, vice‑présidente de l’Association des professionnels d’Accompagnement du Handicap dans l’Enseignement supérieur (APACHES), et Mme Marie Coutant, membre du conseil d’administration, et M. Hervé Christofol, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP-FSU), et Mme Laurence Rasseneur, membre de la commission administrative

Mme Nathalie Sarles, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions relatives à la situation des personnes en situation de handicap dans l’enseignement supérieur par celles de l’Association des professionnels d’accompagnement du handicap dans l’enseignement supérieur (APACHES) et du syndicat national de l’enseignement supérieur de la Fédération sociale unitaire (SNESUP-FSU).

À ce titre, nous recevons : Mme Elka Parvanova, vice-présidente de l’association APACHES, par ailleurs responsable du service Accueil handicap de l’université Paris 8, et Mme Marie Coutant, ancienne présidente d’APACHES, membre du conseil d’administration et par ailleurs responsable du service de l’accompagnement des étudiants en situation de handicap et directrice adjointe du programme « Handicap et sociétés » à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ; M. Hervé Christofol, secrétaire général du SNESUP-FSU, et Mme Laurence Rasseneur, membre de la commission administrative.

Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Créée en 2012, l’association APACHES a vocation à fédérer les structures d’accompagnement des étudiants et des personnels en situation de handicap de l’enseignement supérieur, afin de leur permettre de mieux répondre aux obligations qui leur incombent au titre de la loi du 11 février 2005.

Le SNESUP syndique les enseignants de tout statut exerçant dans les établissements publics d’enseignement supérieur et relevant tant du ministère de l’Éducation nationale que d’autres ministères. Lors de l’élection des membres du comité technique des personnels enseignants titulaires et des stagiaires de statut universitaire de décembre 2018, le SNESUP est arrivé en première position avec 32 % des voix.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Elka Parvanova, Mme Marie Coutant, M. Hervé Christofol et Mme Laurence Rasseneur prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je suis à l’origine, avec mon groupe parlementaire, de la création de cette commission d’enquête. Si nous avons considéré comme pertinent de réunir une commission d’enquête sur l’important sujet de l’inclusion des jeunes, des enfants aux jeunes adultes, en situation de handicap en milieu scolaire, c’est que nous pensions qu’il y avait des obstacles à franchir, des marges de progression à exploiter et qu’il existait des difficultés de mise en œuvre des droits formels proclamés dans la loi de 2005.

Lors de l’audition précédente, quelqu’un a prononcé une phrase qui entre en résonance avec les objectifs de la commission d’enquête : on ne progresse que sur ce qu’on mesure bien L’objectif de la commission d’enquête est aussi, grâce à vous, d’établir un diagnostic partagé le plus objectif possible de la situation réservée aux étudiants en situation de handicap dans l’accès à l’enseignement supérieur.

Je vous invite donc à nous dire ce qui va bien, à mettre l’accent sur les dispositifs innovants qui vous semblent devoir être développés, mais aussi à souligner ce qui ne va pas et plus encore à formuler des propositions de correction de trajectoire, en termes de moyens humains, financiers et législatifs, en vue de faire en sorte – le Défenseur des droits nous y a incités fortement – que la France, qui n’est pas bonne élève dans ce domaine, améliore sa position.

Mme Elka Parvanova, vice-présidente de l’Association des professionnels d’accompagnement du handicap dans l’enseignement supérieur (APACHES). Madame la présidente, comme vous l’avez précisé, l’Association des professionnels d’accompagnement du handicap dans l’enseignement supérieur (APACHES) existe depuis l’année 2012. Son objectif premier était de fédérer les professionnels de l’accompagnement du handicap dans l’enseignement supérieur. Nous avons choisi, dans nos statuts, de n’ouvrir l’association qu’aux établissements publics. Nous comptons aujourd’hui environ cent adhérents représentant soixante établissements publics d’enseignement supérieur.

En 2018, une enquête ministérielle recensait 28 000 étudiants en situation de handicap. Cela veut dire que les représentants d’APACHES touchent 90 % des étudiants recensés.

Notre cœur de métier est de veiller à la mise en œuvre de la loi de 2005. Des services handicap préexistaient dans les établissements d’enseignement supérieur, mais la loi a renforcé le dispositif et 100 % des établissements sont aujourd’hui dotés d’une structure handicap. L’objectif est de veiller à l’inclusion des étudiants handicapés à tous les niveaux, non seulement par l’obtention du diplôme, mais aussi par l’inclusion dans la vie de campus, la vie étudiante, la vie sociale, et de les accompagner vers l’emploi. Il ne s’agit pas de créer un dispositif différent de celui qui existe déjà pour tous les étudiants.

Notre métier consiste essentiellement à mettre en place des aménagements pédagogiques. Nos principaux collaborateurs sont les médecins des universités, qui sont tous habilités par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), mais tous les aménagements sont mis en place en concertation avec les enseignants. Nous agissons au travers de plans d’accompagnement individualisés. Tous les étudiants, reconnus ou non par les MDPH en tant que personnes en situation de handicap ont les mêmes droits à l’université, tandis que dans le secondaire, où seuls les élèves ayant un PPS ont droit à des aménagements qui engagent des dépenses. À l’université, chaque maladie, temporaire ou permanente, ouvre droit au statut d’étudiant handicapé, aux mêmes aménagements et aux mêmes aides humaines.

Parmi les aides humaines les plus fréquentes, nous mettons en place des interprètes en langue des signes et des tuteurs d’accompagnement. Nous veillons également aux aides techniques : elles permettent parfois de remplacer des aides humaines. Ainsi, nous avons été sollicités par le concepteur du logiciel Ava, qui a été aussi présenté au ministère de l’Enseignement supérieur. Ce logiciel est destiné à faciliter la vie des étudiants sourds, dans leur vie quotidienne comme dans leur vie étudiante, en leur permettant de communiquer beaucoup plus facilement avec les enseignants, leurs camarades et le personnel administratif. Cependant, pour ce qui est de l’enseignement, de l’accès au savoir pendant les cours et les travaux dirigés, la langue des signes reste incontournable.

Mme Marie Coutant, ancienne présidente d’APACHES, membre du conseil d’administration. Parmi les chantiers que l’association a menés, ces dernières années, en collaboration avec un certain nombre de partenaires, avec pour objectif l’inclusion – c’est-à-dire faire du droit commun et non du droit
spécifique –, nous avons beaucoup travaillé à l’éclosion du métier de référent handicap dans les établissements d’enseignement supérieur et à mettre en place une formation professionnelle pour tous nos collègues chargés de l’accompagnement des étudiants en situation de handicap.

Cette année, en lien étroit avec la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP), nous avons aussi élaboré un guide d’évaluation des besoins proposant une grille unique d’évaluation des besoins individuels de l’étudiant au regard de la formation et du niveau de formation qu’il a choisi, et permettant des comparaisons d’un établissement à un autre. Citons aussi des chartes de collaboration avec nos collègues des services intérieurs de médecine préventive qui fixent les responsabilités, les droits et les devoirs de chacun d’entre nous dans l’accompagnement, l’inclusion et l’accessibilité de nos établissements. Je mentionne enfin la rédaction en cours d’un vademecum sur l’autisme.

M. Hervé Christofol, secrétaire général du SNESUP-FSU. Faute de temps pour vous présenter l’état des lieux et les difficultés rencontrées par les étudiants handicapés dans le cadre de leurs études, nous avons choisi de mettre en avant le projet de plateforme Numérique et handicap développé à l’université de Strasbourg, que va vous présenter Laurence Rasseneur.

Comme l’a indiqué la représentante de l’association APACHES, il y a actuellement quelque 28 000 étudiants handicapés à l’université. Depuis la loi de 2005, leur nombre croît de 15 % par an. On aurait aimé que les moyens de l’université croissent au même rythme.

Depuis 2007-2008, des chartes étudiants université-handicap et grandes écoles-handicap ont été mises en place dans toutes les universités, ainsi que des missions handicap. Malheureusement, on peine à obtenir des moyens suffisants pour mettre en place une vraie politique d’accueil et d’accompagnement de l’ensemble des étudiants handicapés. Nous souhaiterions, par exemple, qu’il y ait au moins un personnel pour 80 à 100 étudiants en situation de handicap – ce n’est pas partout le cas.

Mme Marie Coutant. En 2018, le ratio était entre 0,5 et 0,7 équivalent temps plein pour 100 étudiants.

M. Hervé Christofol. Un budget est « fléché ». Malheureusement, il ne vous a pas échappé que de nombreuses universités ont rencontré des difficultés budgétaires et ce fléchage est souvent passé à la trappe.

Concernant l’accessibilité des locaux, lorsqu’il était secrétaire d’État, M. Thierry Mandon avait estimé que la mise aux normes, non seulement au handicap mais également thermique, de l’ensemble du patrimoine immobilier universitaire aurait nécessité un budget d’environ 1 milliard d’euros par an pendant dix ans. On en est loin. À Strasbourg, par exemple, l’accessibilité programmée de l’université nécessiterait un budget de 10 à 12 millions d’euros par an. Or l’État ne finance aucune dotation à cette fin.

En outre, les financements au titre du contrat de plan État-région (CPER) sont en baisse pour cette mandature, alors qu’ils avaient permis la mise en construction des nouveaux locaux dans la plupart des établissements universitaires. On relève aussi un important retard dans ce domaine.

Notons aussi que l’investissement par étudiant de la nation baisse au cours des dix dernières années, compte tenu de la croissance démographique, ce qui se répercute sur les missions handicap.

Trop souvent, faute de moyens, l’essentiel des dispositifs est concentré sur l’aménagement des examens, avec le tiers-temps. Or si le tiers-temps est assez bien adapté à l’examen terminal, il l’est moins au contrôle continu, que l’on développe de plus en plus. Si celui-ci est globalement bénéfique, il crée un obstacle pour les étudiants en situation de handicap. En outre, à l’université, on fait souvent appel aux vacataires, personnels souvent peu formés aux besoins des étudiants handicapés, ce qui génère un nouveau sur-handicap – par exemple, ils ne sont pas toujours informés de la nécessité du tiers-temps supplémentaire pour les examens.

Globalement, l’état du financement de l’université pénalise parfois les étudiants handicapés par des sur-handicaps. Je rappelle que la France se situe au quinzième rang des pays de l’OCDE pour l’investissement dans l’enseignement supérieur.

Mme Laurence Rasseneur, membre de la commission administrative du SNESUP-FSU. J’ai une expérience d’enseignante chercheur à l’université de Strasbourg et de responsable de formation – j’ai été responsable d’une licence, pendant quelques années. Je suis enseignante en sciences du sport, dans une section « activité physique adaptée et santé » (APAS), où l’on forme des éducateurs sportifs qui prennent en charge des personnes en situation de handicap en utilisant l’activité physique comme outil éducatif, rééducatif et thérapeutique. Dans ce type de formation, on connaît bien la question du handicap. Moi-même issue de cette filière, je commence à avoir une expérience dans ce domaine.

Pendant de nombreuses années, j’ai aussi été référente handicap dans mon université, où je travaillais étroitement avec la mission « handicap ». Enseignante chercheur, je mène des travaux sur la mobilité des personnes handicapées, en particulier des déficients visuels pour lesquels est développée à l’université de Strasbourg une application numérique permettant aux étudiants de trouver leur bâtiment, qu’ils soient déficients visuels ou primo-entrants. J’aime à dire à mon vice‑président patrimoine : « Il est bien que ton bâtiment soit accessible, encore faut-il le trouver sur le campus ». Le campus de Strasbourg, c’est un peu comme les hôpitaux parisiens : avec des bâtiments partout, il n’est pas facile de trouver le sien et surtout sa salle de cours. C’est parfois un vrai combat de trouver à chaque rentrée pour trouver sa salle de cours. L’université de Strasbourg présente aussi la particularité d’accueillir beaucoup d’étudiants étrangers. Quand on vient d’un pays étranger, comprendre la langue et la signalétique peut représenter un vrai handicap. Cette application dénommée Navi-Campus devrait être déployée d’ici à 2020 sur le campus.

Nous avons également constaté que si, grâce aux agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP), un travail de diagnostic a été réalisé sur l’accessibilité du cadre bâti, les enseignants et les étudiants en situation de handicap restent quotidiennement confrontés aux difficultés d’accessibilité des contenus de formation, des cours et des documents supports. On fait beaucoup d’efforts pour aménager les conditions d’examen. C’est parfois compliqué : il y a des tiers-temps qui ne le sont pas vraiment – l’étudiant commence avant la promo, puis la promo arrive, ou bien le tiers-temps aura lieu à la fin de l’examen, pendant que sortent les étudiants de la promo – mais qui sont quand même mis en place, en sorte que l’on ne peut rien reprocher à l’institution. Dans les faits, cela sur-handicape les étudiants, notamment les étudiants dyslexiques, qui ont besoin de concentration et auxquels la moindre petite perturbation peut faire perdre le fil de leur examen.

J’enseigne l’anatomie et la physiologie et je fais de jolis diaporamas. Mais un jour, un étudiant est venu me dire à la fin d’un cours : « Vos diapos, avec la couleur orange, je ne les vois pas ». Comme je suis sensibilisée à la question, j’ai modifié mon diaporama et choisissant d’autres couleurs. Quand j’étais référente handicap, j’ai vu beaucoup d’enseignants désemparés face tel étudiant « dys » ou à tel autre ayant un besoin spécifique qui nécessitait d’adapter leur cours ou leurs présentations. Pourtant les solutions existent. Elles sont dans les missions handicap un peu partout en France. En 2017, grâce à un reliquat de financement du ministère, nous avons pu réaliser un état des lieux. Nombre de solutions techniques, numériques, trucs et astuces ont été développés dans les missions handicap. Les étudiants apportent aussi leurs propres solutions, leurs trucs et astuces, mais ils restent confidentiels, confinés dans la mission handicap et, quand un étudiant s’en va, la solution part avec lui. On ne partage pas les solutions. D’où cette étude dont je vous remettrai les résultats, qui propose la création d’une plateforme « Numérique et handicap » destinée à collecter les bonnes pratiques, les trucs et astuces et à les diffuser à la communauté étudiante, aux associations, aux lycéens et futurs étudiants, et même plus largement. Ce document propose aussi une prévision de coût à trois ans et ce qu’il faudrait faire pour faire émerger cette plateforme.

Mme Nathalie Sarles, présidente. Madame Coutant, madame Parvanova, j’ai eu l’impression que vous brossiez un portrait quelque peu idéalisé de la situation de l’enseignement supérieur au regard de l’inclusion des personnes en situation de handicap. Au sein de votre association, avez-vous établi une classification des universités sur le critère de l’inclusion, car il existe d’importantes disparités territoriales ? Ce serait une façon de désigner les bons et les mauvais élèves.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci pour la clarté et la concision du propos. Merci de partager l’idée de cette plateforme numérique qui enrichira les propositions de notre commission d’enquête.

La formation des enseignants et des intervenants a été beaucoup évoquée pour le premier degré et pour le second degré. Quelle est votre opinion à ce sujet ? Considérez-vous que la sensibilisation et les formations aux problématiques du handicap sont suffisantes dans les modules de formation destinés aux professeurs de l’enseignement supérieur ? Quelles propositions pouvez-vous formuler ?

Quelle est votre appréciation sur le rôle des services interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé ? D’évidence, une articulation est indispensable. La médecine scolaire est-elle au rendez-vous ? Dispose-t-elle de moyens suffisants ? L’égalité territoriale est-elle assurée ?

M. Olivier Gaillard. Vous avez évoqué les difficultés d’investissement pour l’accueil des étudiants, dans les années passées et pour les années à venir. Si le code de la construction et de l’habitation est clair en matière de construction et de réhabilitation au regard de l’accessibilité aux personnes handicapées, des informations nous parviennent sur certaines incohérences par rapport à la loi handicap dans la réhabilitation des résidences universitaires. Avez-vous les moyens d’intervenir ? De quels leviers disposez-vous pour alerter sur les problématiques de réhabilitation de résidences étudiants ? Êtes-vous autorisés à avoir un regard d’accompagnement dans la mise en œuvre des Ad’AP ?

Mme Danièle Cazarian. Visiblement, les outils ne manquent pas pour aider les étudiants en situation de handicap, ne serait-ce que l’application Navi Campus pour mieux se repérer dans les bâtiments. Comment faire essaimer sur le territoire national l’application Navi Campus ou les autres applications numériques que vous avez évoquées pour en faire profiter un maximum d’universités ?

À quel niveau d’études la prise en charge des handicaps vous paraît-elle la moins développée ? Est-ce le niveau licence ou le niveau master ? Cela dépend aussi de la détection de certains handicaps psychiques ou troubles de l’apprentissage comme les « dys ».

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Qu’en est-il de la formation initiale et continue des enseignants quant à la prise en charge du handicap et des handicaps dans l’enseignement supérieur public ?

Mme Blandine Brocard. En vous écoutant parler, je me disais que si j’avais 18 ans et si j’étais en situation de handicap, je ne saurais pas comment faire en arrivant à la fac. J’ai compris que vous souhaitez davantage de référents handicap et qu’il faut former les enseignants au handicap. Mais il y a aussi la vie sociale du campus : vous avez évoqué le sport, j’y ajoute les soirées étudiantes et la vie des associations. Comment les étudiants en situation de handicap peuvent-ils y avoir accès ?

Vous avez raison de dire qu’il faut laisser aux universités la liberté de développer les outils dont ont besoin les étudiants en situation de handicap et les essaimer. Qu’attendez-vous de nous ? Les trucs ou astuces, les bonnes pratiques, c’est vous qui les connaissez. Qu’est-ce que l’État peut faire, non pas pour imposer, mais pour les reprendre le mieux possible ?

Mme Marianne Dubois. Je vous interrogerai sur la qualité et le niveau des accompagnateurs – en dehors des enseignants –, qu’il s’agisse des auxiliaires de vie scolaire handicap (AVSH) ou des traducteurs en langue des signes. On ne traduit bien que ce que l’on connaît, on n’accompagne bien que lorsqu’on comprend. Vous est-il difficile de trouver des personnels adéquats, bien formés et au bon niveau ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Avant de vous permettre de répondre, je vous poserai une dernière question. Je connais votre appréciation générale sur Parcoursup, mais quel est votre regard sur le sujet « Parcoursup et handicap » ?

Mme Marie Coutant. Vous avez parlé d’un tableau idyllique. Nous avons uniquement voulu de mettre en avant nos activités associatives.

Vous me posez une question très directe sur un classement des bons et des mauvais élèves. Ce n’est pas ainsi que nous travaillons, d’abord, parce que nos métiers sont jeunes et que nous nous sommes construits au fil des dernières années dans l’harmonisation de notre capacité à accueillir les étudiants en situation de handicap. Il ne s’agit pas de désigner des bons et des mauvais établissements, ni des bons et des mauvais collègues, ni des bonnes ou des mauvaises directions, si tant est qu’un président puisse être bon pour le handicap et, quatre ans après, un autre serait moins bon ou meilleur. Désigner les bons ou les mauvais établissements ne nous semble guère productif et de nature à favoriser l’inclusion des étudiants. Il ne s’agit pas de désigner des établissements plus à même d’accueillir des étudiants en situation de handicap, puisque nous visons l’inclusion. Avant d’être handicapé, un tel jeune est un étudiant, qui doit faire un choix de formation à l’endroit où il le désire, où il le souhaite, là où Parcoursup l’a dirigé. L’idée n’est pas de recréer des établissements spécialisés dans l’enseignement supérieur, mais d’être vraiment inclusif sur le territoire. Il n’y a pas de black list.

En ce qui concerne la formation des personnels d’accompagnement des étudiants, je suis bien placée pour répondre puisque c’est dans mon établissement, l’École des hautes études en sciences sociales, qu’est organisée depuis quatre ans la formation des référents. Elle se structure et sa reconnaissance officielle est en cours. La jeunesse de nos métiers fait qu’ils sont marqués par une culture cumulative. Bien entendu, les professionnels n’arrivent pas tout formés à l’université. Ce n’est pas comme que cela se construit pour la dizaine d’années à venir. Ce sont des gens qui ont une appétence pour le sujet, qui ont souvent un passé associatif, une expérience personnelle ou des enfants en situation de handicap et qui se sont formés eux-mêmes. D’où l’importance de notre réseau qui s’est constitué progressivement. Néanmoins, ces dernières années, de plus en plus de référents ont été formés à l’accompagnement grâce aux outils que nous avons mis en place et souhaitent s’orienter vers une professionnalisation. Le ministère est en train de faire valider la fiche métier « référent handicap » qui représente pour nous le fondement de nos métiers à l’université.

Quant aux enseignants, je suis toujours mal à l’aise avec l’idée qu’il faudrait les former aux différents handicaps. Depuis quelques années, l’action des universités ne se fonde pas sur la nature du handicap, même elle est encore utilisée à des fins statistiques. On ne dit pas : « Aujourd’hui, j’accueille M. Untel qui est paraplégique, puis je recevrai M. Untel qui est sourd ». Notre approche vise à prendre en compte les besoins individuels de nos étudiants, pas seulement en fonction de leur déficience mais de leur situation de handicap : par exemple, un étudiant en master de littérature n’a pas forcément les mêmes besoins ni le même accompagnement qu’un étudiant avec la même déficience en licence d’anglais. Nous tentons de répondre aux besoins. On informe, sensibilise, éduque les enseignants de nos établissements à cette manière de fonctionner, parce qu’elle est inclusive non seulement pour les étudiants en situation de handicap mais aussi pour tous les autres : les étudiants étrangers, ceux qui ont des problèmes de santé, qui ont des difficultés d’écriture, qui travaillent plus de quinze heures par semaine. On est beaucoup plus inclusif en prenant – avec les enseignants, mais aussi les personnels administratifs – comme point d’entrée les besoins des étudiants en matière pédagogique et en matière d’accompagnement. Prendre comme point d’entrée le type de handicap me semble contre-productif si on veut se conformer à l’esprit de la loi et favoriser l’inclusion.

Mme Elka Parvanova. Je répondrai à la question sur le niveau d’études le plus difficilement accompagné. Nous nous débrouillons assez bien de la licence au master. Le taux d’étudiants handicapés en licence est exactement égal au taux moyen : ce n’est pas parce qu’ils sont en situation de handicap qu’ils sont plus nombreux en licence et moins nombreux en master. La situation est plus difficile pour les doctorants, à cause de leur statut mixte et peu clair entre celui de l’étudiant et celui de salarié. Certains ont des contrats de doctorant et d’autres n’en ont pas. Le ministère attribue très peu de contrats de doctorants chaque année. Les écoles doctorales des universités n’ont pas l’obligation de prévoir des contrats universitaires de doctorants.

Les services de santé sont nos principaux collaborateurs. Les médecins sont bien plus souvent en sous-effectif que nous. Il y a régulièrement dans la semaine des journées sans médecin. Les services handicap sont parfois implantés dans des zones différentes des services médicaux et la gestion des situations individuelles peut alors nécessiter plusieurs échanges de données confidentielles. Par ailleurs, les services de santé ont beaucoup plus de missions que les services handicap : ils s’occupent aussi des étudiants étrangers, prennent en charge la prévention de la tuberculose et les personnels en situation de handicap. Un étudiant handicapé doit souvent attendre longtemps pour obtenir un rendez-vous avec le médecin. On doit parfois mettre en place des aménagements pendant un semestre avant d’obtenir la confirmation du statut de personne handicapée. En effet, vous le savez, nous sommes des personnels administratifs et nous n’avons pas le droit d’interroger l’étudiant sur la nature de son handicap. Le sujet est strictement confidentiel et seul le médecin en a connaissance. Nous pouvons évoquer avec les étudiants les problèmes liés au handicap, tels que la fatigabilité ou les difficultés de concentration, mais en aucun cas la maladie. Face à une situation de handicap « invisible », nous mettons parfois en place des aménagements coûteux ; il serait bon que le handicap soit préalablement caractérisé par le médecin.

Concernant le logement étudiant, nous n’avons aucune influence sur les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). Les critères sont simples : si l’étudiant a une reconnaissance MDPH, la limite d’âge n’est plus applicable et il peut être boursier même s’il l’a dépassée, mais il n’est pas prioritaire pour l’octroi des logements adaptés. Ainsi, il peut n’y avoir que quatre chambres adaptées par résidence de CROUS et on ne peut loger tous les étudiants qui en ont besoin. En outre, il n’y a pas suffisamment de place pour les personnels qui les accompagnent. Or, en cas de handicap lourd, il peut y avoir besoin d’une tierce personne à temps plein, ce qui n’est pas possible.

M. Hervé Christofol. Concernant les classements d’université, tout n’est pas lié aux moyens. J’en veux pour preuve les grandes écoles qui ont des dotations par étudiant très conséquentes mais qui ne font pas toujours beaucoup d’effort pour l’adaptation et l’inclusion des étudiants handicapés. Elles mettent en exergue quelques étudiants au parcours particulièrement réussi, mais force est de constater qu’on le doit davantage à la persévérance de l’étudiant qu’à l’adaptation réalisée dans l’école. Tout n’est pas question de moyens mais en termes de dotations, il y a de très fortes inégalités entre universités : entre 2 000 et 20 000 euros par étudiant – en ordre de grandeur – et les moyens consacrés à l’accompagnement suivent la même dispersion.

En ce qui concerne la formation, nous avons obtenu récemment que les maîtres de conférences néo-recrutés aient une formation initiale au cours des deux premières années, avec 32 heures de décharge statutaire par an. Dans ce cadre, il nous paraîtrait opportun que soit présentée la mission handicap, faute d’une formation spécifique – on ne peut pas former à tous les types de handicaps mais il y aura au moins une connaissance. Ce pourrait être l’occasion d’un accueil et d’une meilleure sensibilisation de l’ensemble des étudiants. Il y aurait aussi un effort à faire dans les ESPE. De plus, force est de constater que le recours aux contractuels se développe. Au cours des quatre dernières années, les universités ont perdu 2 000 enseignants-chercheurs titulaires alors qu’elles accueillent 200 000 étudiants de plus, au profit des contractuels et des vacataires, qui n’ont pas le même niveau de qualification et n’ont pas non plus de formation. On assiste à une précarisation des personnels qui ne va pas dans le sens d’une meilleure formation.

Mme Laurence Rasseneur. Le passage du lycée à l’université n’a pas encore été évoqué. Au lycée, sont mis en œuvre des moyens d’accompagnement qu’on ne retrouve pas toujours, voire très rarement, au même niveau dans les missions handicap, pour toutes les raisons de moyens humains et financiers qui ont été évoquées.

Les logements étudiants relèvent de la responsabilité des CROUS qui ont leurs propres problèmes et obligations. N’oublions pas non plus qu’un étudiant lourdement handicapé a besoin d’un accompagnant dans la vie de tous les jours. Nous avons eu à Strasbourg le cas d’un étudiant qui avait un logement CROUS adapté mais son aidant n’avait pas accès à un logement, sauf à un coût rédhibitoire. Ma collègue de Strasbourg a remué ciel et terre pour trouver les moyens de payer le logement de l’accompagnant. Au-delà du cadre bâti, le handicap lourd, infirmité motrice cérébrale ou autre, nécessite souvent une présence importante – non d’un accompagnant mission handicap mais d’un aidant au quotidien. C’est un aspect non négligeable à prendre en compte.

Il faut former les enseignants à l’université, les futurs enseignants à l’ESPE et les cadres qui travaillent dans les missions handicap. L’EHESS propose des formations ; nous formons aussi, dans la filière STAPS APA-S dont j’ai parlé, des professionnels du handicap sous l’angle de l’activité physique. Cela reste une source de futurs collaborateurs pour les missions handicap, rapidement employables. Former des étudiants, pourquoi pas, mais nous n’avons pas beaucoup de temps. Nous croulons sous les tâches diverses, administratives et autres. Bénéficier d’une formation serait vraiment pertinent au moment où il faut faire face à une situation précise. Nous n’avons pas accès au dossier médical – ce qui est bien –, mais nous n’avons pas les compétences et les ressources pour trouver des solutions. Or il se trouve que les ressources existent. Le projet de plateforme dont nous vous avons brièvement parlé pourrait répondre en partie à ces attentes.

Mme Nathalie Sarles, présidente. Je vous remercie. Il nous aurait certainement fallu un peu plus de temps pour avoir un échange plus complet. Merci de vos interventions.

 

 


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3.   Audition conjointe de M. Jean-François Texier, adjoint à la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, et Mme Colette Damiot-Marcou, chargée de mission, et M. Philippe Vendrix, président de la commission Vie étudiante et vie de campus de la Conférence des présidents d’université (CPU)

Mme Nathalie Sarles, présidente. Mes chers collègues, nous achevons cette séquence d’auditions en recevant M. Jean-François Texier, adjoint à la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, qui est accompagné de Mme Colette Damiot-Marcou, chargée de mission, ainsi que M. Philippe Vendrix, président de la commission « Vie étudiante et vie de campus » de la Conférence des présidents d’université (CPU).

Je vous souhaite la bienvenue.

L’an dernier, la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Mme Catherine Becchetti-Bizot, a consacré toute une partie de son rapport aux étudiants en situation de handicap. Une enquête sur la rentrée universitaire de 2015 montrait que leur nombre avoisinait 23 000 – nous en sommes aujourd’hui à environ 28 000 –, dont environ un millier en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), une centaine en enseignement à distance et une centaine également en doctorat.

Ce rapport fait état d’un « nombre modéré de réclamations », qui portent principalement sur les examens – nous l’avons effectivement entendu dans les auditions précédentes –, en particulier sur les aménagements d’épreuves, sur la procédure d’affectation via Parcoursup à l’entrée dans le supérieur et sur l’octroi des bourses.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez de manière plus détaillée tous ces constats et les éventuelles propositions que vous pourriez nous soumettre pour remédier aux difficultés identifiées.

Je vous indique que nous avions initialement prévu de tenir cette audition jusqu’à 20 heures mais que nous devrons l’écourter en raison d’un vote solennel prévu à dix-neuf heures trente. Je vous invite donc à intervenir d’une façon aussi synthétique que possible.

Auparavant, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-François Texier, Mme Colette Damiot-Marcou et M. Philippe Vendrix prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame et messieurs, vous avez sans doute mesuré l’enjeu de cette commission d’enquête, ses objectifs, le champ ambitieux qu’elle souhaite embrasser. Son premier objectif est d’établir le diagnostic le proche de la réalité. Nous souhaitons notamment obtenir des éléments objectivés concernant l’accès à l’enseignement supérieur – quelqu’un disait lors d’une précédente audition qu’on ne progresse que sur ce qu’on mesure bien. La commission d’enquête souhaite disposer de données incontestables, par la voix de ministres, d’acteurs associatifs, de représentants d’organisations syndicales et par celle des parlementaires que nous sommes. Nous souhaitons ensuite identifier les obstacles à franchir et les marges de progression. L’objectif que s’est fixé cette commission d’enquête dans le domaine de l’inclusion des enfants, des jeunes et des jeunes adultes en situation de handicap dans leur rapport avec l’enseignement, c’est de parvenir à passer des droits formels aux droits réels et d’atteindre pleinement les objectifs généraux, généreux et consensuels définis par la loi de 2005, voire de pointer la nécessité de rédiger un « Acte II » de la loi de 2005. Tel est notre état d’esprit en vous accueillant.

M. Jean-François Texier, adjoint à la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, la médiation a été créée par décret en 1998 et réinstituée en 2007 par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU ». C’est alors que nous avons trouvé notre dénomination actuelle de « médiation de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur ». Non qu’auparavant nous n’étions pas compétents en matière d’enseignement supérieur, mais la loi, par la voie d’un amendement, a bien voulu marquer la compétence de la médiation dans le domaine de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur.

Nous traitons des différents dispositifs de formation de l’Éducation nationale à l’égard des usagers et des agents. Cette compétence à l’égard des agents nous particularise par rapport à la très grande majorité des médiateurs institutionnels, qui ne sont pas compétents en matière de personnels et de difficultés dans les relations entre l’administration et ses agents.

Le nombre de dossiers que nous sommes amenés à traiter annuellement a au moins triplé depuis la création de la médiation. Nous en sommes à 13 400 dossiers reçus et 14 000 traités. Les trois quarts proviennent des usagers, dont 62 % relevant de l’enseignement scolaire et 28 % de l’enseignement universitaire.

Il importe de rappeler que nous n’intervenons qu’en second ressort. Nous ne sommes pas un vecteur de recours de premier niveau. Nous souhaitons que le réclamant ait, au préalable, effectué un premier recours.

Concernant le handicap, nous avons recensé plus de 500 dossiers à traiter annuellement, la très grande majorité dans l’enseignement scolaire et quelques-uns dans l’enseignement supérieur.

Nous évoquerons également l’enseignement scolaire, même si ce n’est pas l’objet principal de cette audition, comme nous l’avons fait dans le rapport portant sur l’année 2016, dont un important chapitre est consacré à la scolarisation des élèves handicapés. Nous avons continué en 2017 avec un chapitre sur les étudiants, et nous terminerons avec les personnels handicapés : le rapport sera remis dans quelques semaines au ministre et vraisemblablement diffusé en juin. Le fait que, trois années de suite, le rapport annuel du médiateur approfondisse la question du handicap montre bien le très grand attachement de la médiation à l’égard de ce sujet extrêmement important.

Il s’agit d’abord de faire respecter le droit à l’éducation pour tous. C’est pourquoi nous nous penchons particulièrement sur les publics fragilisés. Or, le handicap crée souvent des difficultés qui nécessitent une prise en considération particulière de la situation de chacun de ces élèves ou étudiants. Dans un très grand ministère, qui a tendance à réaliser des traitements de masse, il est important de développer une approche plus humaniste et empathique, dans le respect de l’équité. Nous y tenons beaucoup.

Concernant les élèves handicapés, nous sommes essentiellement saisis par les familles, mais aussi par les aidants, les auxiliaires de vie scolaire (AVS), les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), pour nombre de raisons tout à fait explicables. Nous sommes amenés à aborder les questions relatives à l’accompagnement des élèves et des étudiants, à la situation statutaire de rémunération, de déroulement de carrière des AVS ou des AESH, au déroulement de la scolarité, avec éventuellement des problèmes de discipline – thème a été abordé devant vous par le Défenseur des droits – ainsi qu’aux aménagements d’examens – vous y faisiez allusion, madame la présidente, et nous avons des propositions à faire sur ce sujet qui nous occupe beaucoup – et à l’orientation des étudiants. Les familles sont préoccupées par le devenir, la bonne orientation de leurs enfants, en fonction du contexte de chaque handicap.

Nous n’avons pas remarqué d’augmentation notable du nombre des saisines au titre du handicap depuis quelques années, alors que la population accueillie n’a cessé de croître, de plus du double depuis la loi de 2005. On peut y voir un signe positif de l’effort consenti par toutes les institutions : universités, rectorats, délégués des chefs d’établissement. On a l’impression que leur mobilisation permet une stabilité globale du nombre des saisines de la médiation, sachant que nous ne revendiquons pas une représentativité statistique particulière et que nous sommes très prudents quant aux chiffres que nous manions. Il n’empêche que des tensions ont subsisté. Certaines familles manifestent auprès de nous des angoisses, des difficultés indéniables à se retrouver dans des démarches et des dispositifs complexes, ce qui nous amène à faire chaque année des recommandations au ministre à ce sujet.

Mme Damiot-Marcou pourrait désormais développer les recommandations que nous sommes amenés à faire.

Mme Colette Damiot-Marcou, chargée de mission auprès de la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Concernant les élèves en situation de handicap, l’attention de la médiation a été appelée par la complexité et la lourdeur d’un système qui empile les dispositifs et multiplie les statuts, ainsi que par le manque relatif de moyens en structures, médecins et équipements. Nous avons donc émis des recommandations en ce sens.

Nous recommandons de réécrire le corpus réglementaire et infra-réglementaire pour rendre plus lisible l’ensemble des dispositifs et permettre à chaque élève de bénéficier des droits particuliers liés à sa situation. Nous recommandons aussi de scolariser en accordant à l’institution les moyens appropriés, notamment en complétant la carte des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) pour corriger les disparités territoriales et en recrutant des médecins en nombre suffisant. Nous recommandons également de porter une attention particulière à la vie dans les établissements. Il s’agit par exemple d’introduire dans les obligations de service des enseignants du second degré le suivi des élèves en situation de handicap, ce qui se fait pour le premier degré, de réfléchir à un allègement des effectifs dans les classes qui accueillent plusieurs élèves ayant d’importants aménagements de scolarité.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Où placez-vous le curseur ?

Mme Colette Damiot-Marcou. Nous émettons des recommandations et il revient ensuite aux services d’étudier chaque situation. En tout cas, nous avons constaté que pour certains enseignants, c’était très lourd.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Est-il bien exact que vous recommandez que lorsqu’on élabore des cartes scolaires, les modalités de calcul des effectifs doivent prendre en compte le nombre d’enfants en situation de handicap accueillis ?

Mme Colette Damiot-Marcou. C’est exact. Autres recommandations : renforcer la formation des personnels, notamment enseignants, tant initiale que continue ; désigner, en plus des enseignants référents, une personne ressource dans les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) pour un meilleur suivi des élèves en situation de handicap.

Nous avons aussi émis des recommandations sur l’orientation et l’insertion professionnelle, en relation avec Parcoursup. La médiation s’est réjouie des mesures qui ont été prises en 2018.

S’agissant des aménagements d’épreuves, la médiation a recommandé une cohérence entre les aménagements concernant la scolarité et l’examen, pour tous les élèves : ceux qui bénéficient d’un projet personnel de scolarisation (PPS) ou d’un projet d’accueil individualisé (PAI), mais aussi d’un plan d’accompagnement personnalisé (PAP), pour lesquels nous sommes saisis par certaines familles d’un refus d’aménagement d’épreuve lors de l’examen, alors que ces élèves ont bénéficié d’aménagements pendant leur scolarité. La continuité à établir entre les aménagements prévus durant la scolarité et ceux que les candidats vont retrouver au moment des examens nous tient à cœur. Nous proposons de réfléchir à ces aménagements pendant l’année n – 1, pour prévoir toutes les dispositions qui conviennent à l’élève en situation de handicap.

Concernant les étudiants en situation de handicap, comme vous l’avez dit, un nombre modéré de réclamations parviennent à la médiation – une centaine. Elles portent sur des aménagements d’épreuves – notamment pour le BTS –, des contestations de résultats, l’entrée dans le supérieur, en particulier la procédure d’affectation.

Lors des échanges préalables à la rédaction du rapport, nous avons constaté un réel investissement des services handicap – avec les enseignants-chercheurs et les personnels administratifs –, qui déploient beaucoup d’efforts pour que les étudiants en situation de handicap bénéficient des meilleures conditions possibles, aussi bien pour les études que pour les examens. Nous avons alors souhaité présenter des « bonnes pratiques » mises en place dans certaines universités.

La médiation a également relevé que le nombre d’élèves en situation de handicap augmente sensiblement dans l’enseignement secondaire. D’ici quatre ou cinq ans, les établissements d’enseignement supérieur devront donc accueillir un plus grand nombre d’étudiants en situation de handicap. Il convient de bien préparer cette échéance et de profiter de l’expérience acquise sur un petit effectif pour préparer les réponses nécessaires.

Nous nous sommes inquiétés des moyens. Seront-ils suffisants pour absorber la croissance continue qui se dessine pour les prochaines années et pour permettre une approche très individualisée des situations ? Nous nous sommes interrogés sur le nécessaire déploiement d’outils et d’environnements numériques, sur la mobilisation d’un nombre suffisant de personnes et sur les aménagements proposés pour les épreuves d’examen et de concours avec des réponses adaptées pour compenser le handicap.

Parmi les recommandations formulées par la médiation, on peut rappeler les demandes suivantes : s’emparer de la question de l’adaptation des modalités d’apprentissage et d’évaluation des langues vivantes en prenant en compte les obstacles rencontrés du fait du handicap ; concevoir des sujets d’examen et de concours compatibles avec les différentes formes de handicap, et lors des épreuves, autoriser et mettre en place le matériel et les logiciels adaptés ; mettre en place un suivi de cohorte afin de mieux connaître les études suivies, les taux de réussite aux différents diplômes, les filières sous-représentées et surreprésentées, ainsi que ce qui fait obstacle à la poursuite d’études au-delà du niveau licence ; porter une attention particulière lors de la procédure Parcoursup à la situation des candidats en situation de handicap, avec la fiche Avenir et les bulletins trimestriels ; améliorer l’ergonomie du site Handi-U – ce qui a été fait – et permettre de déclarer sa situation de handicap sur la plateforme trouvermonmaster.gouv ; enfin – un sujet cher au cœur du médiateur –, mener un travail avec la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), afin d’étudier la possibilité d’une couverture du temps consacré au travail personnel de l’étudiant en situation de handicap.

M. Philippe Vendrix, président de la commission « Vie étudiante et vie de campus » de la Conférence des présidents d’université (CPU). Comme vous l’avez souligné, le nombre d’étudiants en situation de handicap dans l’université a augmenté de façon exponentielle, et nous nous en réjouissons, passant de 6 412 étudiants en 2005 à 23 665 en 2016. Cette augmentation est d’autant plus frappante qu’elle n’est pas partagée par les autres établissements d’enseignement supérieur. D’évidence, l’université est le lieu où l’on accueille dans les conditions les plus favorables les étudiants en situation de handicap. On est passé de 8 411 étudiants en situation de handicap dans l’enseignement supérieur dont 6 412 à l’université en 2005 à 25 942 au total, dont 23 665 à l’université. Il y a donc une forte attractivité de l’université par rapport à d’autres dispositifs d’enseignement supérieur.

À cette augmentation des effectifs s’ajoute une diversification des situations de handicap. On retrouve à l’université toutes les formes de handicap, parfois des typologies lourdes, d’autres moins lourdes. La surdité est très présente, mais selon qu’on a appris à lire sur les lèvres ou uniquement la langue des signes, la situation est plus ou moins difficile, car on n’a pas toujours la personne ad hoc pour accompagner l’enseignant.

L’intérêt de la loi de 2005, puis de la charte signée entre le ministère et la conférence des présidents d’université, c’est qu’à peu près toutes les universités – environ 80 % – ont produit un schéma directeur du handicap. Elles se sont saisies de la problématique et ont mis en œuvre une méthode de travail avec des objectifs précis et diversifiés : à côté de la mission fondamentale de formation des étudiants en situation de handicap, intrinsèque à l’université, la recherche sur le handicap lui-même s’est intensifiée. Alors qu’elle n’existait pas dans toutes les universités, on la trouve désormais dans des filières où on ne l’attendrait pas.

Le troisième impact de la charte et des schémas stratégiques est l’accompagnement des personnes en situation de handicap qui travaillent dans l’université. C’est un pan non négligeable de nature à créer des communautés – qui parfois ne se parlent pas, ce qui mériterait un examen attentif. Il y a certes une augmentation du nombre de personnels handicapés dans les universités mais, à ma connaissance, il y a peu de professeurs de classe exceptionnelle handicapés. On arrive à recruter des collègues handicapés au niveau de maître de conférences mais il est difficile de les accompagner à tous les stades de leur vie professionnelle : ils peuvent caler sur les critères, qui sont ceux appliqués à tous les maîtres de conférences, voire tous les professeurs, de façon non discriminatoire. En outre, des enseignants-chercheurs ne veulent pas déclarer leur handicap. Il y a un large éventail de handicaps non déclarés chez nos collègues.

Un autre élément d’optimisation lié à la charte et aux schémas stratégiques est le principe d’accessibilité. La plupart des bâtiments, conçus au début des années 1970, ne permettent pas l’accessibilité, qui est pourtant fondamentale. La publicité faite autour de l’accessibilité peut aussi avoir un effet pervers. Si l’on établissait une cartographie des masters, tel enseignant pourrait dire, par exemple, parce que nous sommes dans un monde compétitif : mon master de paléontologie est accessible aux étudiants handicapés, tandis qu’une autre université ne mentionnerait pas cette accessibilité, ce qui créerait dans certaines filières des engorgements et des regroupements d’étudiants handicapés. Peut-être faut-il revendiquer l’accueil des étudiants mais pas nécessairement en ciblant telle ou telle matière, au risque de créer des poches et des concentrations.

La CPU a soutenu la création de l’Association des professionnels d’accompagnement du handicap dans l’enseignement supérieur (APACHES). Le premier enjeu consiste à accompagner les universités qui n’ont pas encore produit de schéma et de comprendre pourquoi. Le deuxième enjeu est de former les personnels au préalable, ce que refusent les enseignants-chercheurs : si on leur demande de suivre au préalable une formation pour accompagner les étudiants en situation de handicap, ils ne le font pas ; en revanche, le fait de leur avoir dit qu’il y avait des formations les incite à contacter les bonnes personnes au moment où ils sont confrontés à un étudiant en situation de handicap ou à besoin particulier. Le troisième enjeu est financier. Depuis 2007, la dotation accordée pour l’accompagnement des étudiants handicapés n’a pas évolué, alors que leur nombre est passé de 8 500 à 23 000. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les dispositifs soient variables d’une université à l’autre, suivant les capacités de chacune à financer certains services.

Cela va de pair avec la question globale de la santé de nos étudiants, considérée comme prioritaire au sein de la CPU, et sur laquelle, je crois, le ministère insiste aussi. Mais cela signifie qu’il faut passer d’un modèle de centres de santé à des lieux où l’on trouvera médecins, gynécologues, assistants sociaux, infirmiers, psychologues, etc. en association complète avec la mission handicap. Dissocier la mission santé de la mission handicap est parfois compliqué à vivre.

Enfin, il faut aller plus loin. Si l’on accompagne des étudiants en situation de handicap en licence et en master, il faut aussi les accompagner en doctorat. Cela permettra d’avoir un jour à nos côtés un professeur de classe exceptionnelle. Il faut aussi créer des indicateurs sur l’insertion professionnelle. Ce que l’on a offert aux jeunes en situation de handicap leur permet-il de s’insérer professionnellement de façon qualitative ? Sur ce point, nous n’avons aucune donnée et nous sommes démunis pour en obtenir.

Mme Nathalie Sarles, présidente. Pour aller dans votre sens, il y a, certes, la vie étudiante, mais il y a aussi l’insertion dans la vie professionnelle. J’ai recueilli récemment le témoignage d’une jeune femme autiste. Elle avait obtenu un doctorat, avait été chargée de cours à l’université mais avait dû abandonner parce qu’on lui refusait des aménagements d’horaires. C’est un détail tout simple mais pour une personne autiste, c’est très important.

M Philippe Vendrix. J’ouvrirai une parenthèse sur l’autisme qui est aussi une cause nationale. Ce qui perturbe l’autiste, c’est le changement. Nous avons appris à gérer l’insertion professionnelle ; nous devons maintenant apprendre, dans les équipes spécialisées, à gérer le départ à la retraite.

Pour conclure, toutes les strates professionnelles de l’université et même les étudiants se retrouvent dans cette dynamique d’accompagnement des étudiants en situation de handicap. Cela va des enseignants aux étudiants qui aident certains à prendre des notes ou à passer les examens. La solidarité est réelle, et la présence de plus en plus importante d’étudiants en situation de handicap dans nos rangs représente une valeur ajoutée.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie et je vous présente nos excuses pour la pression de l’agenda, mais nous avons un vote important dans moins de dix minutes et il nous appartient d’exercer notre droit de vote de parlementaires.

Le diagnostic et les rapports du médiateur corroborent nombre de propositions, de diagnostics et même de recommandations auxquelles nous sommes en train de réfléchir. Les documents que vous nous avez remis vont nourrir la réflexion de notre commission d’enquête, en souhaitant qu’elle ne reste pas au stade des préconisations théoriques mais soit suivie de décisions politiques et de moyens adaptés aux objectifs définis à l’échelle nationale.

Merci de votre disponibilité, de la richesse de votre travail quotidien et de la contribution que vous avez bien voulu formuler devant nous.

 

 

 


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   Lundi 6 mai 2019

1.   Audition de M. Jean-François Butel, inspecteur de l’éducation nationale, pôle inclusif ASH 76

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission d’enquête a souhaité déplacer pour une journée le cadre de ses travaux pour s’imprégner de la réalité d’un territoire et recueillir le témoignage d’acteurs qui sont placés au contact direct du terrain. Nous avons naturellement choisi un territoire cher à notre rapporteur, à savoir la ville de Dieppe et le département de la Seine-Maritime. Je remercie M. le sous-préfet et ses services, qui nous accueillent dans leurs locaux et ont mis une salle à notre disposition pour mener nos travaux.

Nous recevons maintenant M. Jean-François Butel, inspecteur de l’Éducation nationale.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir votre parole afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-François Butel prête serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame la présidente, mes chères collègues, merci d’avoir accepté de délocaliser notre commission d’enquête. Notre emploi du temps est contraint, puisque nous avons souhaité auditionner l’ensemble des acteurs de terrain et faire un gros plan sur ce département de Seine-Maritime. Il me semblait important d’avoir un diagnostic partagé sur les difficultés rencontrées ici au regard de l’inclusion des enfants en situation de handicap, de mettre l’accent sur les dispositifs innovants, la mobilisation des acteurs départementaux, mobilisation que nous ne manquerons pas d’évoquer au cours de cette journée, et d’obtenir, en complément des auditions menées au plan national, l’éclairage d’acteurs en première ligne sur le terrain.

Nous commencerons par entendre M. Butel, inspecteur de l’Éducation nationale, chargé du pôle inclusif ASH 76, sur les difficultés rencontrées à la rentrée, la mise en œuvre des pôles inclusifs d’accompagnement localisé (PIAL) en Seine-Maritime, les retours d’expérience des dispositifs innovants, notamment les derniers dispositifs d’externalisation des unités d’enseignement. Plus largement, nous aimerions entendre M. l’inspecteur sur la manière dont l’Éducation nationale entend ici répondre à ceux qui sont en attente de places ou qui n’ont pas accès aux accompagnants, faute de disponibilité.

M. Jean-François Butel, inspecteur l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, pôle inclusif ASH76. Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir dans le cadre des auditions de cette commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap à l’école. Compte tenu des missions que j’exerce, mon propos s’inscrira dans le cadre de la scolarisation de ces élèves dans le département de Seine-Maritime.

À la rentrée 2018, il y avait 2 705 élèves du premier degré en inclusion dans les écoles maternelles, primaires et élémentaires du département. Cela représente, pour la première fois depuis plusieurs années, une relative stabilité par rapport à l’année précédente : 23 % sont en maternelle et 77 % en élémentaire, 83 % sont scolarisés à temps complet et 17 % le sont à temps partiel. Plus de trois quarts de ces élèves sont scolarisés en lien avec une classe dite ordinaire.

Dans le second degré, 2 392 élèves sont inclus dans les collèges et lycées du département. L’essentiel de ces élèves – 97 % – sont scolarisés à temps complet et plus de la moitié d’entre eux – 55 % – le sont en classe ordinaire.

Jusque-là, dans le département, les taux de croissance annuels moyens (TCAM) sur les dix dernières années étaient de 7 % à 8 % dans le premier degré et de 16 % à 17 % dans le second degré. C’est une évolution qu’il a fallu prendre en compte jusque dans la structure de nos écoles et de nos établissements, jusque dans les classes, et qui prouve, au-delà des difficultés que nous ne manquerons pas d’évoquer, la capacité de notre école à se mobiliser et à s’adapter aux évolutions des demandes de la société, à mobiliser les moyens nécessaires pour scolariser tous les élèves – et pas seulement ceux rencontrant des besoins éducatifs particuliers – et à atteindre les objectifs qui lui sont assignés.

Tant pour le premier que pour le second degré, la grande majorité de ces enfants et de ces jeunes sont atteints de troubles cognitifs, mais on note également une augmentation de la représentation des troubles du psychisme – 20 % dans le premier degré – et des troubles du langage et de la parole.

Quelque 55 % des élèves en situation de handicap scolarisés dans le premier degré, soit 1 478 enfants, sont accompagnés par un auxiliaire de vie scolaire (AVS), aujourd’hui encore, soit un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH), soit un auxiliaire sous contrat unique d’insertion-parcours emploi compétences (CUI-PEC), tandis que 70 % bénéficient d’un accompagnement individuel et 30 % d’un accompagnement mutualisé. Cette part, l’année précédente, était de 13 %.

Dans le second degré, 900 élèves, soit 38 % et trois points de plus par rapport à l’année précédente, sont accompagnés : 58 % individuellement et 42 % dans le cadre d’un accompagnement mutualisé.

Au 29 avril 2019, avec 2 489 élèves accompagnés pour 2 633 bénéficiant d’une notification, le taux de couverture de l’accompagnement dans le département était de 94,5 %, et 144 enfants ou jeunes pouvaient ne pas être accompagnés. C’est évidemment trop et le début de la présente année scolaire a été encore plus complexe avec plus de 350 élèves sans accompagnement.

Le nombre d’élèves devant être accompagnés ne cesse d’évoluer au fur et à mesure des notifications qui arrivent de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) : tous les quinze jours, elle se réunit et peut prononcer de nouvelles mesures pour 100 ou 200 élèves nouveaux ou déjà identifiés. C’est une des difficultés dans un département comme celui de Seine‑Maritime : être en mesure d’anticiper la rentrée de septembre est une chose ; pouvoir assumer, tous les quinze jours, une nouvelle « rentrée » pour 100 ou 200 élèves en est une autre.

Nous avons besoin de réactivité et de flexibilité. Aujourd’hui, les pôles inclusifs d’accompagnement localisé (PIAL) vont nous permettre de proposer aux circonscriptions, aux écoles et aux établissements scolaires une souplesse organisationnelle en permettant de mettre en œuvre l’accompagnement humain en fonction des besoins des élèves.

Votre commission d’enquête s’est donné pour objectif d’évaluer l’inclusion des élèves en situation de handicap quatorze ans après la loi de 2005. La loi de 2005 a instauré le droit : le droit à être scolarisé quel que soit le handicap, quelle que soit la nature du handicap, quel que soit le degré du handicap.

Le droit à l’accessibilité est, pour ce qui nous concerne, pédagogique et doit être pensé de façon universelle, c’est-à-dire comme devant bénéficier à tous les élèves. Le droit à la compensation a peut-être été – c’était sans doute une nécessité, dans un premier temps – trop pensé comme un droit – un droit à un AVS parce que mon enfant est handicapé, autiste ou dyslexique – et pas suffisamment comme une réponse adaptée à des besoins identifiés.

J’ai l’habitude de dire que la présence d’un tiers n’est pas l’alpha et l’oméga de l’accompagnement d’un élève en situation de handicap. Ce n’est pas parce qu’un enfant est dyslexique qu’il doit bénéficier d’un AVS, même si le droit inscrit de fait cette possibilité, mais parce que ses besoins le nécessitent aujourd’hui, et j’insiste sur ce mot car on ne peut se situer en permanence dans l’anticipation d’une réponse à des besoins hypothétiques qui seraient ceux de demain.

Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont peut‑être été trop longtemps pensées comme des guichets à faire valoir le droit
– encore une fois, c’était peut-être nécessaire – et pas suffisamment comme des instances d’identification des besoins réels de la personne handicapée.

Il est difficile de valider ce schéma de réflexion lorsque la MDPH de Seine‑Maritime peut mettre jusqu’à neuf ou dix mois pour répondre à une demande d’identification des besoins. Les besoins, tels qu’ils ont été identifiés en décembre, ne sont pas forcément ceux de juin ou de septembre de l’année suivante. Pourquoi, dans ce département, 40 % des primo-demandes présentées à la MDPH sont-elles rejetées, alors que ce taux se situe aux alentours de 20 % à 25 % dans les autres départements ? 40 % de dossiers rejetés, parce que ne correspondant pas à une situation de handicap, parce que ne donnant pas forcément lieu à compensation, ce sont 40 % de dossiers ouverts et étudiés, 40 % de situations individuelles évaluées. Réduire les délais de traitement de la MDPH, c’est forcément réduire ce nombre de primo-demandes qui arrivent trop vite, trop tôt.

Au cours de l’année 2017-2018, nous avons rencontré les 1 100 directeurs des écoles du département afin de les informer de cet état de fait. Bien évidemment, ce sont les parents qui sont à l’origine des demandes auprès de la MDPH, mais ces parents sont accompagnés par des professionnels, dont ceux de l’Éducation nationale, et lorsque le maître ou la maîtresse dit à une famille qu’il faudrait un adulte supplémentaire dans la classe pour permettre à un enfant de progresser, les parents vont souvent dans le sens d’une saisine. On sait aujourd’hui qu’il est inefficace de solliciter la MDPH si des adaptations pédagogiques, qui sont celles du droit commun, n’ont pas été mises en œuvre pendant une durée d’au moins six mois.

Quelquefois le handicap saute aux yeux et l’expertise de la MDPH semble inutile. Le handicap d’un enfant trisomique de trois ans qui arrive en petite section est souvent évident. Pourtant, il a peu de langage, comme un certain nombre d’enfants de cet âge qui arrivent à l’école, il ne sait pas attacher son manteau, comme quasiment tous les enfants de cet âge qui arrivent à l’école, ses besoins ne diffèrent pas vraiment de ceux des autres enfants de cet âge et la situation de handicap, au moins pour ce qui concerne le champ scolaire, n’est pas avérée. Solliciter un accompagnement humain au seul titre de son handicap ne se justifie pas. En revanche, en grandissant, cet élève va vivre un écart à la norme qui nécessitera très certainement une réponse en termes de compensation. C’est à ce moment – et à ce moment seulement – qu’il conviendra de solliciter la MDPH pour un éventuel accompagnement humain. Et les délais de réponse de la MDPH en seront raccourcis.

Ce qui vaut pour les adaptations pédagogiques vaut également pour les soins. Une saisine de la MDPH sans que des soins soient mis en place pendant au moins six mois est une saisine trop largement anticipée. Certains territoires de notre département sont confrontés à de grandes difficultés pour l’accès aux soins : près de deux ans d’attente pour un orthophoniste, trop peu de pédopsychiatres, des ergothérapeutes ou des psychomotriciens qui se font rares. L’école ne peut pas répondre à ces situations parce que ce n’est pas sa mission, et mettre un AVS à côté de chaque enfant confronté à la difficulté au regard du fait qu’il n’a pas la possibilité d’aller chez l’orthophoniste pose aujourd’hui question en termes d’accès à l’autonomie. N’oublions pas que l’autonomie est le troisième mot-clé de la loi de 2005 avec l’accessibilité et la compensation. Instaurons un droit à l’autonomie ! Accompagner toujours plus un nombre d’élèves toujours plus élevé n’a jamais permis de les rendre plus autonomes.

Les PIAL vont nous permettre la réactivité nécessaire en termes de réponse aux besoins. C’est une réponse de proximité. Le département a fait le choix, pour cette année d’expérimentation, de centrer les PIAL sur trois circonscriptions
– rurale, semi-urbaine et urbaine – et trois collèges de mêmes natures. Le pilotage a été confié aux inspecteurs des circonscriptions concernées et aux principaux des collèges. Des moyens supplémentaires en AESH ont été octroyés à ces trois unités : trois AESH 24 heures par circonscription et deux par collège, en plus des moyens permettant de répondre aux notifications individuelles. L’idée était d’apporter de la souplesse organisationnelle mais également des moyens pour organiser la formation des accompagnants et le remplacement de ceux qui sont absents.

L’année prochaine sera celle de l’extension du dispositif PIAL à d’autres circonscriptions, à d’autres collèges, mais également à des lycées et à des secteurs en « interdegrés » pour travailler sur la continuité des accompagnements et prendre en compte la notion de parcours de réussite.

Mais prenons garde à une chose : les PIAL ne valent que dans l’hypothèse d’une acceptation généralisée de l’aide mutualisée, la seule qui soit de nature à intégrer la souplesse souhaitée. Le 9 avril 2018, la CDAPH 76 a pris l’engagement de privilégier l’aide mutualisée qui devient la norme et de faire en sorte que l’aide individuelle devienne l’exception. Certains enfants ont besoin de cette aide individuelle à temps plein, il faut la limiter à ceux-là.

Pour ce qui est des mesures de compensation plus « collectives », notre réseau d’ULIS permet globalement aujourd’hui de répondre aux demandes. Nous disposons de 70 dispositifs ULIS école, 50 dispositifs ULIS collège et 12 dispositifs ULIS lycée professionnel. La capacité d’accueil est de 840 élèves en ULIS école et nous scolarisons, à la date d’aujourd’hui, 849 enfants.

La liste d’attente est de 123 élèves parmi les notifications les plus récentes, ce qui représente 14 % de notre capacité d’accueil, contre 25 % l’année dernière à la même époque. Les zones géographiques où la pression s’exerce sont de moins en moins nombreuses et nous avons prévu d’ouvrir un seul dispositif supplémentaire sur le bassin de Rouen rive gauche.

Pour ce qui concerne les ULIS collège, la liste d’attente est de 53 noms et représente 9 % de la capacité d’accueil, qui est de 600 élèves.

Les ULIS lycée ne font pas le plein et notre travail aujourd’hui est d’ajuster l’offre à une demande qui s’établit d’abord en fonction des projets de formation, notamment en CAP. Laisser ouverte une ULIS dans un lycée professionnel qui ne propose qu’un seul CAP qui, de surcroît, ne mobilise pas les foules manque de sens et nous devons réfléchir désormais en termes de réseau et d’ULIS en réseau.

Depuis maintenant deux ans, nous travaillons en lien étroit et en partenariat avec le secteur médico-social et les établissements spécialisés. Les cibles qui nous sont assignées sont les suivantes : d’ici 2020, 50 % des élèves des établissements spécialisés devront avoir trouvé ou retrouvé « un espace de scolarisation vers le milieu ordinaire », et non pas être scolarisés en milieu ordinaire ; d’ici 2022, ce sont 80 % de ces élèves pour lesquels il conviendra d’avoir fait ce travail.

Il y a 2 600 élèves accueillis dans les établissements médico-sociaux du département et 1 800 seulement sont scolarisés, soit 70 %. Il nous faut progresser sur ce taux mais également sur la durée de la scolarisation telle qu’elle peut être proposée en interne. Nous disposons de plus d’une trentaine d’unités d’enseignement externalisée (UEE) : 14 dans les écoles, 15 dans les collèges et 2 dans les lycées. Certaines sont là depuis longtemps, il s’en crée de nouvelles chaque mois.

Les UEE sont une étape vers d’autres espaces de scolarisation. L’ULIS ou la section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) en sont d’autres. La scolarisation en inclusion individuelle est l’objectif, mais il serait vain de vouloir aller trop vite, trop fort et trop loin. Nous devons trouver, là aussi, de la souplesse, avec les établissements et services médico-sociaux (ESMS) et la MDPH pour penser des passerelles et des projets de scolarisation en alternance dès qu’il est possible de le faire.

Je conclurai mon propos sur l’accompagnement des professionnels. Ce mouvement inclusif – je préfère cette expression dynamique à celle de l’inclusion qui est finalement très statique – ne se fera pas sans accompagnement des personnels. Les enseignants peuvent être très démunis aujourd’hui lorsqu’ils ont à accueillir un élève en situation de handicap. J’ai l’habitude de dire que la loi de 2005 était celle qui a permis de dire « Bienvenue à l’école quel que soit ton handicap, le degré et la nature de ton handicap ! » Mais la loi a fait dire tout de suite aux enseignants : « Comment fait-on ? »

Quatorze ans après, les réponses ne sont très certainement pas toujours construites. Bien sûr, elles se situent en termes de formation, initiale, continuée ou continue, mais c’est une gageure de penser que toutes les questions seront traitées et résolues en dehors de l’expérience et de la confrontation au réel. Dans ce département, nous progressons dans l’accompagnement des enseignants, notamment grâce à la structuration des pôles ressources de circonscription, autour des inspecteurs de l’Éducation nationale, avec l’ensemble des ressources disponibles territoire par territoire, y compris en mobilisant le secteur médico-social. C’est la garantie d’une réponse de proximité, d’une observation dans la classe, d’un entretien avec un professionnel, d’un échange de pratiques, d’une mutualisation d’outils.

Les 60 heures statutaires de formation des AESH ne suffiront pas non plus. Là encore, il va falloir structurer un accompagnement, notamment en mobilisant des AESH référents au sein des pôles ressources. Les PIAL, dans leur dimension formative, vont nous permettre ce nouvel engagement.

Je vous remercie de votre attention.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Monsieur l’inspecteur, je vous remercie de cet exposé particulièrement intéressant.

Vous avez mis en place des PIAL et j’aimerais avoir votre appréciation sur cette expérimentation. Prévue dans mon département, elle n’a pu y être réalisée. Nous ne pourrons avancer que grâce à une meilleure formation et à une coordination avec le soin. Vous avez mentionné l’existence d’UEE ; qu’en est-il des accompagnements par les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), qui sont très utiles pour la scolarisation inclusive ? Quelles sont vos autres difficultés pour faire avancer ces sujets, car je ne doute pas que vous soyez confronté quotidiennement à de nombreux obstacles ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Monsieur Butel, merci pour la qualité de votre introduction. Vous dites qu’en Seine-Maritime, on doit passer du droit individuel au droit mutualisé et que le droit individuel doit devenir l’exception, alors que la loi fixe comme principe irréfragable le droit individuel. Il est ainsi perçu par les parents et prévu dans la loi de 2005, même si des évolutions sont possibles. 

Mme Sabine Rubin. On dit que la définition du fameux parcours personnalisé de scolarisation (PPS) pourrait échoir aux enseignants et non plus à la MDPH. La commission de la MDPH, composée de différents professionnels, n’existerait alors plus et serait remplacée par de simples avis des enseignants. Or vous avez indiqué que les enseignants étaient assez peu armés. Qu’en est-il ?

M. Jean-François Butel. Je commencerai par répondre sur l’accompagnement individuel et l’accompagnement mutualisé. Le droit pose le principe d’une compensation en termes d’accompagnement. Il appartient à la MDPH de déterminer, en fonction des besoins de chaque enfant, si cet accompagnement doit être individualisé – ce qui signifie un nombre d’heures affectées, donc un emploi du temps constitué – ou un accompagnement mutualisé, à charge pour l’école, l’établissement ou la circonscription de l’organiser en fonction des besoins réels.

Je prendrai l’exemple d’un élève qui doit être accompagné pour « les actes de la vie quotidienne », autrement dit : pour aller aux toilettes. Déterminer l’accompagnement individualisé pour cet élève avec un emploi du temps est aujourd’hui inopérant, dans la mesure où il aura besoin de passer aux toilettes le lundi matin et peut-être aussi le lundi après-midi, le jeudi matin et peut-être le vendredi après-midi. On doit pouvoir assurer, par une organisation souple, la possibilité systématique d’un accompagnement en fonction de ses besoins réels, ce que seul permet l’accompagnement mutualisé. Sans cette souplesse, les PIAL deviennent une idée vaine, dans la mesure où ils n’offrent alors ni flexibilité organisationnelle ni possibilité de réguler les moyens en fonction des besoins des élèves.

L’expérimentation PIAL dans le département a été mise en œuvre à compter de la rentrée de septembre 2018, à partir de moyens arrivés à partir de janvier 2019, autour de trois circonscriptions du premier degré. Nous avions choisi des territoires suffisamment divers pour en retirer une expérience utile en vue d’une extension éventuelle à d’autres territoires du département. Il s’agit de la circonscription urbaine très concentrée, très densifiée de Le Havre nord, de la circonscription semi-urbaine de Canteleu et de la circonscription rurale et dispersée de Neufchâtel-en-Bray. Nous avons souhaité que le second degré ne soit pas exclu de l’expérimentation. Nous avions posé comme principe d’engager une réflexion avec le principal de chacun des collèges, l’un étant situé en secteur rural, un autre en zone semi-urbaine, le dernier en zone urbaine, les collèges ayant été choisis dans des circonscriptions différentes de celles retenues pour le premier degré.

L’effort consenti dans l’académie de Rouen visait à prévoir des moyens supplémentaires d’AESH 24 heures, autrement dit quasiment des AESH à temps scolaire plein, en plus de ceux qui accompagnent les élèves jusque-là notifiés, afin d’offrir de la flexibilité. L’expérience a montré que trois pour chacune des circonscriptions, c’était peut-être trop peu pour offrir suffisamment de possibilités organisationnelles. Pour les établissements du second degré, cela a donné plutôt satisfaction. Sommes-nous allés jusqu’à une évaluation de l’accompagnement et de la formation des AESH ? Non. Nous devrons progresser dans ce domaine, même si une ou deux circonscriptions ont pu mener des expériences en matière de protocoles de formation à l’attention des AESH. Est-ce que cela nous permet d’être réactifs en matière de pilotage et de coordination ? Aujourd’hui ce pilotage est confié à un inspecteur de l’Éducation nationale ou à un principal. Demain il faudra confier cette mission à un directeur d’école en ce qui concerne le premier degré, quitte à lui proposer une décharge d’enseignement, ou à un enseignant du second degré, en ce qui concerne le collège. Cela est prévu dans le cadre réglementaire en préparation.

À partir de septembre prochain, nous souhaitons élargir l’expérience à des lycées professionnels et travailler sur des territoires en « interdegrés », car nous pensons qu’il conviendra, notamment pour le cycle 3, à cheval sur l’école et le collège, d’envisager une forme de pérennité de l’accompagnement à travers les différentes structures, même si l’objectif n’est pas de faire en sorte qu’un élève puisse bénéficier d’un accompagnement par la même personne de l’entrée de l’école maternelle à sa sortie du système éducatif. Ce n’est pas une bonne chose, non seulement en termes d’autonomie, mais aussi de relation à l’élève, à l’enfant et au jeune. Personne ne se pose la question de savoir si les enseignants changent chaque année ; beaucoup de parents viennent me voir, ne comprenant pas pourquoi nous changeons les AESH chaque année. Il y a certainement une voie médiane à trouver. Il ne s’agit pas de mettre des élèves en difficulté dans le domaine affectif, car la relation est aussi affective, mais il s’agit aussi de contribuer à l’accès à l’autonomie.

Nous travaillons actuellement avec l’agence régionale de santé (ARS) à un projet intitulé « Pour une école accessible à tous », autrement dit, pour l’évolution du médico-social vers toujours plus d’accompagnement sur site, dans les écoles et les établissements scolaires, à l’image de ce qui se fait pour les SESSAD, mais sans notification SESSAD, c’est-à-dire en privilégiant la scolarisation dans l’école de référence ou à proximité de l’établissement médico-social dans une classe ordinaire accompagnée par les personnels médico-sociaux en termes de soins et en termes pédagogiques.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Est-ce que vous avancez sur le sujet, car quand on lit les demandes des enseignants, quand on entend les demandes des parents, quand on entend Madame Cluzel s’exprimer là-dessus, on comprend que permettre aux enfants de recevoir les soins dont ils ont besoin dans l’établissement scolaire où ils apprennent est une solution d’avenir.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’entends qu’un enfant qui a besoin d’accompagnement pour aller aux toilettes et qu’un enfant trisomique qui vient d’entrer à l’école peuvent avoir des besoins comparables aux enfants de leur âge. Mais pour d’autres situations de handicap, une relation intuitu personae avec l’accompagnant peut être rassurante pour un enfant et rassurante pour un parent, car on a souvent tendance à oublier le parcours du combattant que représentent le fait d’être confronté à un enfant en situation de handicap et le franchissement de toutes les étapes pour en obtenir la reconnaissance, de la détection précoce à la validation par la MDPH. Comment établissez-vous la distinction entre les différents cas ? Je me souviens d’avoir saisi l’inspection de la situation d’un enfant autiste précédemment accompagné qui, en début d’année, s’était retrouvé sans accompagnant et avait vu, dans l’incompréhension la plus totale, son AVS s’occuper d’un autre enfant dans la même école, avec la régression et la violence que cela a pu générer.

J’ai eu connaissance du travail réalisé en lien avec l’ARS. Pourriez-vous transmettre à la commission d’enquête les résultats du début de ces travaux afin de nourrir notre réflexion collective ? L’amélioration de l’articulation entre les intervenants médico-sociaux en milieu scolaire est l’un des enjeux que nous nous sommes fixés.

M. Jean-François Butel. Le travail que nous menons avec l’ARS avance. En ce moment même, ma collègue chargée avec moi du pôle inclusif ASH 76 se trouve à Caen avec l’ARS pour déterminer quatre établissements médico-sociaux susceptibles d’entrer dans une première phase d’expérimentation à compter de septembre 2019. Ce travail devra être validé par notre directeur académique.

Nous souhaitions faire un focus non seulement sur des instituts médico-éducatifs mais également sur des enfants en situation de handicap admis dans des établissements médico-sociaux, qui peuvent ne pas être scolarisés. Nous souhaitions ce focus sur des établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP). Le polyhandicap fait partie de ces troubles pour lesquels il convient de penser la scolarisation de façon radicalement différente, notamment l’accompagnement en milieu ordinaire. Il n’y a pas de contre-indication à voir un enfant polyhandicapé présent dans une classe ordinaire. Au contraire, cela fait avancer tout le monde, l’élève en question et tous les autres autour. J’ai vu des choses merveilleuses autour de la présence d’un enfant polyhandicapé – vraiment handicapé : je parle d’un enfant « scotché » sur une planche, qui n’a pas de langage, qui peut ne pas avoir beaucoup de regard et – je vais être trivial – qui bave. J’ai vu des élèves porter attention à leur petit camarade et, toutes les dix minutes, s’assurer qu’on pouvait lui essuyer la bouche. On ne peut voir cela que grâce à la présence d’un tel enfant dans une classe.

Pendant longtemps, je me suis posé la question de savoir si cela avait du sens. Pendant longtemps, beaucoup se sont posé la question de savoir si confronter des élèves au milieu ordinaire avait du sens en termes de scolarisation. Dans le département, on nous taxe facilement de vouloir réaliser une inclusion à marche forcée. Je dénonce cette expression. On nous taxe facilement de maltraiter un certain nombre d’enfants dont on pense qu’ils seraient forcément mieux loin des autres, dans des établissements médico-sociaux, sans confrontation avec le milieu ordinaire. Je reste persuadé que cette inclusion ne fonctionne qu’à partir du moment où elle est accompagnée par le secteur médico-social. Dans ce département, dans cette académie, avec l’ARS, nous savons qu’il est tout à fait mobilisé pour nous aider à accompagner ces élèves jusque dans les classes ordinaires. L’avenir nous dira, notamment après cette première année d’expérimentation, si l’accompagnement sur site par le secteur médico-social porte ses fruits. Personnellement, j’en suis persuadé.

C’est vrai, un certain nombre de bruits ont laissé penser que le PPS pourrait être rédigé par les enseignants. De fait, il pourrait être rédigé par l’équipe de suivi de la scolarisation pilotée par l’enseignant référent. C’est déjà le cas, puisque la MDPH 76 ne rédige aucun PPS, comme bon nombre de MDPH en France. La MDPH 76 considère que la seule notification de compensation individuelle permet de définir des objectifs pour la scolarisation des élèves concernés. Nous souhaitons, et nous y travaillons avec la MDPH, que le nouveau système informatique des MDPH, dont le tronc commun a d’ailleurs été initié par la MDPH 76, permette, a minima, d’identifier et d’énoncer des objectifs généraux pour la scolarisation sur la durée de la notification. Sous le pilotage et la coordination de l’enseignant référent, l’équipe de suivi de la scolarisation (ESS) est tout à fait en capacité de mettre en musique ces objectifs généraux – deux ou trois au maximum. Si c’est cela, rédiger le PPS, oui ; si c’est déterminer les objectifs généraux pour la scolarisation d’un élève en situation de handicap, je considère que ce travail est celui des maisons départementales des personnes handicapées, notamment de la CDAPH.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous dites qu’il y a au moins une trentaine d’UEE. Existe-t-il des conventions entre les établissements médico-sociaux et l’Éducation nationale ? Est-ce que cela a été facile ? Lors des auditions, des associations à vocation médico-sociale se sont plaintes de la difficulté de coopérer avec l’Éducation nationale. Cette possibilité de convention avait été établie par un décret du 2 avril 2009, mais a-t-il été largement mis en œuvre ou conviendrait-il d’envisager un dispositif législatif pour encourager ce partenariat ?

M. Jean-François Butel. En Seine-Maritime, nous n’avons pas connu de grandes difficultés pour la mise en œuvre des UEE. Je fais toutefois la part de certains territoires qui peuvent avoir une histoire spécifique des relations entre le médico-social, les établissements spécialisés et le milieu ordinaire. Par exemple, il semblerait que l’on ait plus de difficulté à concevoir ce partenariat sur le territoire du Havre, ce qui n’est pas le cas des autres territoires du département. Dans certains, cette mise en œuvre est même très facile.

Ces conventions sont de deux natures. La convention constitutive de l’UEE, avenant à la convention constitutive de l’unité d’enseignement au titre du décret de 2009, est signée entre le recteur (le directeur des services départementaux de l’Éducation nationale par délégation), la directrice de l’ARS et le gestionnaire de l’établissement médico-social. Peut-on considérer que les conventions sont rédigées et mises en œuvre pour toutes les UEE ? Bien sûr que non. Mais l’essentiel, c’est peut-être la deuxième convention, la convention d’occupation des locaux. Elle est signée entre le propriétaire des locaux – le maire pour les écoles, le conseil départemental pour les collèges, le conseil régional pour les lycées –, le directeur de l’établissement médico-social et, soit l’inspecteur de l’Éducation nationale avec le directeur de l’école, soit le principal, soit le proviseur du lycée. Celles-ci sont beaucoup plus intéressantes et indispensables avant même toute mise en œuvre de l’UEE.

Je ne vous cache pas que nous rencontrons aujourd’hui, dans ce département, quelques difficultés avec la collectivité départementale pour définir une convention-type d’utilisation des collèges par les établissements médico-sociaux qui satisferait les services départementaux.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pour quelle raison ?

M. Jean-François Butel. Parce que toutes les questions imaginables sont posées, parce que, réunis le 11 juillet dernier avec les services du conseil départemental, nous n’avons pas encore réussi à formaliser une convention-type. Pour le moment, nous utilisons la convention-type que l’Éducation nationale fait circuler, car l’idée est d’abord d’agir dans un cadre réglementaire qui soit suffisamment sécurisant pour tout le monde. Je ne doute pas qu’avec le conseil départemental, nous parviendrons très bientôt à un accord sur quelques virgules de-ci de-là.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous avez dit que 40 % des primo-demandes étaient rejetées et sous-entendu qu’un certain nombre étaient formulées sur le conseil des maîtres ou des maîtresses et suivies par les parents. Vous avez indiqué qu’il existait une marge de progression pour réduire le nombre des primo-demandes et résoudre le problème du délai d’attente, qui est en moyenne de dix mois en Seine-Maritime. Qu’est-ce qui, selon vous, conduit les maîtres et les maîtresses à conseiller aux familles de faire ces primo-demandes ? Ce n’est certainement pas le plaisir d’aboutir à un rejet. Quelles difficultés sont à la source de ces primo-demandes ?

M. Jean-François Butel. Les difficultés sont essentiellement pédagogiques. Il est compliqué d’accueillir un élève en situation de handicap. Nombre de questions se posent a priori, avant même l’arrivée de l’enfant dans sa classe. Nombre d’enseignants s’arrêtent à ces questions posées en amont de la présence de l’enfant. Nous devons certainement beaucoup mieux accompagner les enseignants. Dès la notification, dès l’arrivée de l’enfant dans la classe, nous devons être en capacité, par un dispositif souple et flexible – et les pôles de ressources des circonscriptions doivent le devenir –, d’anticiper certaines de ces questions et surtout de répondre aux questions qui, par nature, ne manqueront pas d’arriver en cours d’exercice professionnel.

Pour ce faire, nous sommes allés jusqu’à mobiliser le secteur médico-social au travers des pôles de ressources des circonscriptions. Nous savons que l’expertise de l’accueil se situe aussi dans les établissements médico-sociaux, où des enseignants de l’Éducation nationale ont l’habitude d’accueillir ces publics. Rappelons que c’est l’Éducation nationale qui met à disposition des enseignants dans les établissements médico-sociaux. On construit donc des outils et des expertises. Nous souhaitons que tout enseignant qui pose une question concernant l’accueil d’un élève dans sa classe reçoive la visite d’un enseignant spécialisé. Nous avons organisé les pôles de ressources ligne par ligne. La première ligne concerne la circonscription, la deuxième le médico-social et elle peut parfois aller très loin. C’est le cas du centre de ressources « autisme » qui se situe au niveau de la région. Nous souhaitons qu’il puisse recevoir la visite d’un enseignant spécialisé, qu’il puisse conduire un entretien avec l’enseignant de la classe, partager un certain nombre d’outils, partager son expérience professionnelle et l’accompagner dans la durée. Nous sommes certains – en tout cas, je le suis – que si l’on arrive à mettre en place cet accompagnement, la réponse ne se fera pas toujours trop vite dans le sens de la présence d’une tierce personne auprès d’un élève. Mais on peut le comprendre. Je ne suis pas en train de dire que toutes les demandes d’accompagnement humain doivent être rejetées, je suis en train de dire qu’il faut les sérier, les cerner. Or ce travail appartient à la MDPH et il faut respecter ce droit.

Mme Nathalie Élimas. La formation initiale aujourd’hui dispensée aux enseignants vous paraît-elle suffisante ? Comment sensibiliser les enseignants, afin qu’au moment de la détection du handicap dans la classe, ils aient déjà un bagage ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Dans nos auditions nationales de représentants d’organisation syndicales et d’associations de parents, la question des effectifs de classe lors de l’accueil d’un enfant en situation de handicap a été abordée, ce qui rejoint l’inquiétude des enseignants lorsqu’ils sont informés qu’ils devront accueillir un ou plusieurs enfants en situation de handicap. Qu’en est-il en Seine-Maritime ? Le mode de calcul des effectifs s’applique-t-il dans les classes sans enfant en situation de handicap de la même manière que dans les classes où il y en a ? C’est une question qui m’est chère.

M. Jean-François Butel. Si l’on pense que deux ou trois heures d’intervention en formation initiale autour de ce qu’on a appelé, un moment donné, l’ASH est suffisant, je ne peux que le désapprouver. Il conviendrait de proposer un véritable module d’au minimum une semaine ou vingt-quatre heures autour de thématiques larges, comme l’école inclusive. C’est quoi, l’inclusion ? C’est quoi, inclure un enfant ? Quelles réponses et quels principes doivent être mis en œuvre dans la classe pour faciliter l’inclusion ?

Mais il serait vain de penser que tous les enseignants doivent être formés à tous les handicaps, car ils ne seront sans doute pas tous confrontés à tous les handicaps au cours de leur carrière. En revanche, on peut aujourd’hui légitimement s’interroger sur leur capacité à prendre en compte les retentissements généraux d’un certain nombre de troubles. Un enfant qui a des troubles du comportement – et la majorité des questions des enseignants tournent autour des troubles du comportement – peut être autiste, à haut potentiel, atteint d’un trouble du déficit de l’attention (TDAH). Formons, accompagnons les enseignants autour de la prise en compte de ces manifestations et des réponses qui peuvent leur être apportées. Ensuite, approfondissons l’accompagnement à chaque fois qu’un enseignant est confronté à un élève en particulier. Pour cela, il faut être réactif en matière d’accompagnement.

Concernant les effectifs, est-ce que dans le département de Seine-Maritime, nous prenons en compte dans l’établissement de la carte scolaire, la présence ou non dans les classes d’élèves en situation de handicap ? Aujourd’hui, je ne le crois pas. Est-ce que cela devient une préoccupation courante de notre directeur académique ? J’en suis persuadé, notamment en ce qui concerne les écoles où se situent des dispositifs collectifs d’inclusion des élèves en situation de handicap. Je pense notamment aux écoles disposant d’une ULIS. La circulaire de 2015 prévoit qu’en termes de carte scolaire, ces écoles doivent faire l’objet de toute l’attention du directeur académique. C’est aujourd’hui le cas. Est-ce à dire qu’un certain nombre de mesures sont différées chaque année, parce que la présence d’une ULIS doit nous interroger ? Ce n’est pas encore tout à fait la réalité, ce le sera très certainement demain.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Monsieur l’inspecteur, nous avions encore mille questions à vous poser. C’était passionnant. Je vous remercie de votre investissement.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci, monsieur Butel, de votre disponibilité et de votre engagement quotidien. Nous nous réservons la possibilité de préciser par écrit un certain nombre de questions que nous n’aurions pas pu poser.

 

 


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2.   Audition de Mme Dominique Berthault, enseignante référente handicap au collège Alexandre Dumas de Neuville-lès-Dieppe, et de Mme Blandine Lefebvre, première vice‑présidente du département de la Seine-Maritime, chargée de l’action sociale, présidente par délégation de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de Seine‑Maritime, Mme Anne Vandenbulcke, responsable du pôle Accès aux droits, Mme Laetitia Namur, responsable adjointe du pôle Évaluation et accompagnement, et M. Nicolas Flipo, adjoint de direction

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous recevons maintenant Mme Blandine Lefebvre, première vice-présidente du département de la Seine-Maritime, chargée de l’action sociale et présidente de la MDPH, Mme Anne Vandenbulcke, responsable du pôle Accès aux droits, Mme Laetitia Namur, responsable adjointe du pôle Évaluation et accompagnement, M. Nicolas Flipo, adjoint de direction, ainsi que Mme Dominique Berthault, enseignante référente handicap au collège Alexandre-Dumas de Neuville-lès-Dieppe.

Mesdames, monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir votre parole afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Blandine Lefebvre, Mme Anne Vandelbulcke, Mme Laetitia Namur, M. Nicolas Flipo et Mme Dominique Berthault prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Mesdames, monsieur, merci de votre présence. L’enjeu pour nous aujourd’hui est de faire un focus particulier sur l’important sujet de l’inclusion des enfants en situation de handicap dans le département de la Seine-Maritime. Non que nous pensions qu’il y ait ici plus de difficultés qu’ailleurs, mais il nous semblait important de recueillir l’avis des acteurs de terrain que vous êtes. Nous avons en tête l’amélioration de la fluidité des dossiers entre la première demande et la mise en place des réponses, les statistiques sur les délais dans le département, les relations avec l’Éducation nationale – nous venons d’entendre M. Butel mais il serait bon de connaître votre point de vue ‑, les relations avec les établissements médico-sociaux et le dispositif expérimental des pôles inclusifs d’accompagnement localisé (PIAL). Autant de sujets qui sont au cœur de notre commission d’enquête : elle s’est fixé pour objectif d’améliorer la mise en œuvre de la loi de 2005, qui a fait consensus politique mais dont la mise en œuvre connaît quelques dysfonctionnements, voire de lui donner un nouveau souffle en lui faisant franchir une nouvelle étape.

Mme Dominique Berthault, enseignante référente au collège Alexandre-Dumas de Neuville-lès-Dieppe. Je suis enseignante référente depuis l’entrée en application de la loi de 2005. J’étais auparavant secrétaire de commission de circonscription pour l’enseignement préélémentaire et élémentaire (CCPE). En vingt ans de travail dans l’adaptation scolaire et la scolarisation des élèves handicapés (ASH), je suis passée de la convention d’intégration à l’inclusion.

Les missions de l’enseignant référent handicap (ERH) sont des missions d’accueil, d’information, d’accompagnement et de liaison, d’animation, de mémoire et de garant de la mise en œuvre du projet personnalisé de scolarisation (PPS). À ce titre, il est l’interlocuteur privilégié des parents et de tous les professionnels qui travaillent auprès des élèves.

Nous sommes 32 enseignants référents handicap dans le département de Seine‑Maritime et nous suivons les élèves qui bénéficient d’une compensation notifiée par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) au titre de la scolarité : aide humaine, dispositifs unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS), enseignement général et professionnel adapté (EGPA), établissements médico-sociaux (EMS), matériel pédagogique adapté (MPA), service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), etc.

Au 6 mai 2019, je suis le parcours de 240 élèves répartis sur les 26 communes de mon secteur. D’autres collègues du département suivent plus de 350 élèves.

Les partenaires privilégiés de l’enseignant référent sont les familles, la MDPH, l’Éducation nationale, les partenaires de soins et les partenaires sociaux.

Pour les familles, l’enseignant référent est désormais un interlocuteur bien identifié, notamment pour : faire état des dysfonctionnements, comme ce fut le cas pour ceux relatifs à l’affectation des auxiliaires de vie scolaire (AVS) à la rentrée 2018 ; exprimer leur mécontentement face aux délais de traitement des dossiers par la MDPH et aux listes d’attente pour mettre en place des soins, avec de nombreuses inégalités territoriales ; évoquer leurs difficultés face aux nouveaux imprimés, notamment les vingt pages du formulaire de demande, ou exprimer leur incompréhension et même leur colère quand elles doivent faire une nouvelle demande de prolongation de séjour IME ou SESSAD, alors que leur enfant est toujours en liste d’attente – dans mon secteur, 38 élèves sont en liste d’attente SESSAD sur les 77 notifiés.

Mais les familles nous interpellent aussi pour nous dire qu’elles ont « de la chance » quand l’AVS a été affecté rapidement ou que leur enfant a été affecté rapidement sur un dispositif ULIS. De la chance !

Dans l’exercice des missions de l’enseignant référent, si des pans entiers fonctionnent et sont bien rodés, d’autres mériteraient d’être améliorés pour une meilleure efficacité. Je les énumérerai sans les hiérarchiser.

Tout au long de l’année, l’enseignant référent complète des tableaux dont la forme varie souvent au fil des ans, occasionnant un travail fastidieux de saisie. Ainsi, à la rentrée, on nous a demandé de remplir un tableau de 90 colonnes pour, en ce qui me concerne, 240 élèves. L’ERH doit répondre à une enquête ministérielle, compléter des tableaux divers et variés pour différents partenaires, car nous avons besoin de mutualiser nos données.

Nous avons besoin d’une transmission fiable des notifications des élèves, à défaut d’avoir un PPS formalisé. Le nouveau système d’information de la MDPH nous met en difficulté pour assurer nos missions. Des noms d’élèves ne figurent pas dans les tableaux qui nous sont transmis. Comment les affecter en ULIS ou affecter un AVS si nous n’avons pas cette information ?

Nous avons besoin de plus de réactivité de la MDPH. Le retard dans le traitement des dossiers devient difficile à défendre auprès des familles. Réclamer des justificatifs de domicile ou d’identité parce que les dossiers ont été envoyés avant la mise en place des nouveaux formulaires fait perdre beaucoup de temps. Nous arrivons à la période de l’année scolaire où ont lieu les affectations en ULIS et en SEGPA pour la rentrée prochaine, sans disposer des notifications.

Nous avons besoin de fluidifier la communication entre professionnels. Je parle bien de communication et non de tableaux. Joindre par téléphone les services de la MDPH ou les services de l’Éducation nationale relève parfois du parcours du combattant, autant pour les familles que pour nous, professionnels. Il conviendrait de réinitier les réunions en présentiel à la MDPH qui n’ont plus lieu depuis deux ans.

Nous avons besoin de conditions de travail satisfaisantes. Nous suivons un grand nombre de situations de plus en plus complexes. Pour répondre aux besoins d’accompagnement des enseignants, qui sont très demandeurs, les enseignants référents doivent être plus disponibles. Le suivi de 240 élèves ne permet pas d’avoir beaucoup de disponibilité. Nous souhaitons un enseignant référent pour 100 élèves. Nous formulons aussi des demandes plus matérielles. Nous ne voudrions plus avoir à batailler tous les ans pour obtenir le versement des frais de déplacement et que la dotation annuelle de 35 euros pour les fournitures de bureau, y compris les ramettes de papier, soit revue à la hausse.

Il faudrait aussi rendre effectives les compensations notifiées. Il existe des listes d’attente pour à peu près tous les types de notification : AVS, ULIS, EMS. De même, le matériel pédagogique adapté n’est pas attribué rapidement.

 Il faudrait rendre la participation des membres de l’équipe de suivi de la scolarisation effective. Il est difficile d’avoir une équipe au complet. Au mieux, il manque un professionnel, au pire, il n’y a qu’un professionnel. Beaucoup de travail reste à faire en ce domaine, notamment dans le second degré. La présence des responsables des centres de soins, hors SESSAD, et des professionnels en libéral est assez irrégulière.

Enfin, les enseignants nous disent régulièrement qu’ils souhaitent davantage de formation pour être en mesure d’apporter des réponses adaptées aux compétences et aux besoins des élèves. Les AVS sont également demandeurs.

Mme Blandine Lefebvre, première vice-présidente du département de la Seine-Maritime, chargée de l’action sociale et présidente de la MDPH. Je brosserai le tableau de la MDPH en 2018. Mme Berthault évoque quelques questions auxquelles nous avons des réponses à apporter. J’ai souhaité la présence de trois cadres de la MDPH afin précisément de répondre aux questions techniques que vous pourriez poser et d’apporter un éclairage un peu plus fin sur les causes de certains dysfonctionnements, que je ne nie pas.

En 2018, près de 32 200 personnes ont déposé un dossier de demande auprès de la MDPH, soit une progression de 5 % par rapport à l’année 2017.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Enfants ou adultes ?

Mme Blandine Lefebvre. Les deux confondus.

Ces dossiers comportent en moyenne 2,2 demandes par personne, ce qui correspond à environ 70 000 prestations sollicitées en 2018, dont 30 % de premières demandes.

La MDPH a par ailleurs reçu 24 550 personnes dans six lieux d’accueil départementaux et répondu à plus de 42 700 appels téléphoniques et 11 000 courriels réceptionnés dans la boîte générique.

La commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a adopté 54 333 décisions après proposition des équipes pluridisciplinaires.

Plusieurs chantiers majeurs visant l’amélioration de la qualité de service de la MDPH de Seine-Maritime et la modernisation de ses outils ont été déployés au cours de l’année avec l’appui de la direction des systèmes d’information du département.

La dématérialisation du traitement des demandes a été généralisée en avril 2018 à l’ensemble des dossiers réceptionnés et la numérisation de l’historique des dossiers est passée en phase active. Plus du quart de la classothèque est ainsi numérisé, avec l’objectif d’aboutir en 2020.

La première automatisation en France des échanges avec la caisse d’allocations familiales pour le maintien des droits à l’allocation adulte handicapé a été engagée avec la MDPH de Seine-Maritime en juin 2018.

Un nouveau système d’information impulsé par caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a été déployé en novembre 2018 par la MDPH de Seine-Maritime, en tant que pilote national, ce qui nous vaut aussi quelques déconvenues, puisque nous essuyons les plâtres. Cette démarche s’est accompagnée de la mise en œuvre d’un nouveau formulaire qui a été élaboré par les associations et différents partenaires. Certes plus complexe à remplir, il permet néanmoins de mieux exprimer les besoins de l’enfant ou de la personne en situation de handicap.

Un service en ligne à destination du public a été lancé en décembre 2018. Ce téléservice accessible à partir du site du conseil départemental permet de consulter l’avancement de son dossier et de demander le renouvellement de ses droits en téléchargeant les justificatifs nécessaires.

Ces chantiers ont été l’occasion de mettre en œuvre, en septembre 2018, une nouvelle organisation des services de la MDPH, préalablement validée par la commission exécutive. Cette nouvelle organisation favorise l’encadrement de proximité, encourage la polyvalence des agents tant administratifs que médico-sociaux et permettra de renforcer progressivement l’accompagnement des situations complexes.

S’agissant plus spécifiquement des enfants en situation de handicap, 7 200 dossiers de jeunes de moins de 20 ans ont été déposés en 2018, représentant 22 % de l’ensemble des dossiers reçus au cours de l’année. Environ 1,8 demande par dossier a été formulée, soit près de 13 000 demandes sollicitées.

Ont ainsi été organisées 765 réunions d’équipes pluridisciplinaires d’évaluation des besoins, permettant à la CDAPH de prononcer près de 12 000 décisions en 2018, dont un quart concernent les demandes d’aide humaine à la scolarisation et 12 % concernent une orientation scolaire.

La MDPH de Seine-Maritime participe en outre à la mise en œuvre des politiques publiques relatives à la scolarisation des élèves en situation de handicap aux niveaux national et régional. À titre d’illustration, la MDPH a contribué au déploiement en 2018 des unités d’enseignement externalisées maternelles et élémentaires pour enfants porteurs de troubles autistiques. Nous travaillons beaucoup avec le centre ressources autisme Normandie (CRAN), qui apporte une aide efficace à l’équipe pluridisciplinaire. La MDPH a porté une attention particulière aux très jeunes enfants en situation de handicap et aux situations les plus complexes, afin de favoriser la fluidité du parcours. La CDAPH s’est par ailleurs positionnée en 2018 pour privilégier des aides humaines à la scolarisation mutualisées dans le cadre des premières demandes, afin d’apporter une réponse plus souple et modulable en fonction des besoins de l’enfant, ce qui n’est pas toujours aisé à comprendre par les familles, qui souhaitent souvent avoir une AVS individualisée, alors qu’une AVS mutualisée peut aussi donner des résultats très positifs.

En conclusion de cette présentation, il convient de noter que la MDPH travaille avec un réseau important de partenaires, dont les associations de représentants d’usagers avec lesquels nous avons beaucoup de réunions. Je les rencontre souvent, peut-être pas assez. Mais dès lors que je suis sollicitée en tant que présidente de la MDPH et en tant que vice-présidente du conseil départemental chargée de l’action sociale, je m’efforce de les recevoir, parce que leur expertise nous apporte beaucoup. Les acteurs institutionnels sont indispensables à la réalisation de notre mission et à l’efficience de l’accompagnement des personnes en situation de handicap. L’Éducation nationale est un partenaire privilégié de la MDPH. À chaque réunion de la CDAPH, M. Butel ou sa collègue, Mme Nédellec, est présent. Mme Namur vous parlera de nos relations positives et constructives avec l’Éducation nationale pour notre MDPH.

Le chemin est encore long, il nous reste beaucoup de progrès à faire. Nous avons joué de malchance, puisqu’en 2018, notre délai de traitement était inférieur au délai légal de quatre mois, mais le nouveau système d’information nous pose beaucoup de problèmes. Nous essayons de fluidifier l’instruction des dossiers en nous appuyant sur les derniers textes parus pour allonger les périodes de droits. Pour autant, juridiquement, légalement et techniquement, c’est beaucoup plus complexe, parce que 70 % des dossiers de renouvellement qui arrivent à la MDPH comportent une nouvelle demande, ce qui nécessite une nouvelle instruction par l’équipe pluridisciplinaire. Nous nous trouvons à un moment charnière où nous essayons d’accélérer l’instruction des dossiers tout en respectant le droit. J’espère que les moyens nécessaires seront mis en œuvre afin que les documents parviennent plus vite à l’Éducation nationale, puisque la MDPH et la CDAPH n’octroient que des droits. Nous espérons pouvoir accélérer le rythme de traitement car nous avons encore beaucoup de dossiers à instruire.

Mme la présidence Jacqueline Dubois. De fait, l’une des grandes questions est la réduction du délai d’attente, aussi bien pour l’instruction des dossiers que pour l’attribution de droits ou d’accompagnements. Après que vous serez sortis de cette période charnière, pouvoir faire des notifications de trois ans, peut-être sur un cycle scolaire, apportera plus de fluidité et de sécurité pour l’accompagnement, mais n’empêchera peut-être pas de nouvelles demandes. Vous êtes toutes deux bien placées pour apporter des réponses.

Madame Berthault, vous dites qu’il serait important que vous ayez moins de dossiers à suivre. Vous êtes l’interlocuteur des parents, c’est vers vous qu’ils se tournent en premier. Ils attendent une réponse plus globale, plus complète.

M. Nicolas Flipo, adjoint de direction. Je rappellerai que si les enseignants référents travaillent en étroite collaboration avec la MDPH, ils relèvent de la responsabilité de l’Éducation nationale et non de la MDPH.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Afin de vous mettre à l’aise, je précise que notre commission d’enquête ne vise à faire le procès de personne mais à faire à l’échelle nationale des préconisations en vue d’améliorer la situation des familles et des enfants.

Madame Berthault, merci de votre témoignage fort et sans langue de bois, qui répond à un grand nombre de questions que nous nous sommes posées. Vous dites que chaque référent est chargé de 240 à 350 dossiers et que l’idéal serait d’en avoir 100. C’est pour nous une indication forte sur la charge de travail et le temps restant disponible pour les parents. Dans ces conditions, pouvez-vous suivre le parcours de scolarisation de les jeunes ? Combien y a-t-il de dossiers sans PPS ? Quelle est votre vision des PIAL ?

Par ailleurs, vous dites que le délai d’instruction par la MDPH était précédemment inférieur aux quatre mois réglementaires, y compris pour les enfants. L’inspecteur de l’Éducation nationale nous a dit tout à l’heure qu’il s’écoulait dix mois entre la demande et la notification. Confirmez-vous cette durée ? Si oui, comment la réduire ?

M. Nicolas Flipo. Entre le moment où le dossier est déclaré recevable et la notification par courrier de la décision de la MDPH, en ce début d’année 2019, comme le disait Mme Lefebvre, le délai est de dix mois. Le retard est dû à l’effet combiné de la dématérialisation et de l’utilisation du nouveau système d’information. Nous sommes l’une des sept premières MDPH à l’expérimenter et nous essuyons les plâtres. Les autres subiront aussi un décalage lié à la mise en œuvre du nouvel outil et de nouvelles pratiques. L’ambition de la CNSA est de faire évoluer les pratiques en vue d’harmoniser l’intervention des MDPH dans les différents départements.

À plus long terme, nous travaillons sur l’évolution des pratiques de nos évaluateurs afin d’alléger les études dans les situations évidentes pour concentrer leur temps de travail sur les situations plus difficiles.

Le délai moyen de traitement est passé de quatre mois au début 2018 à dix mois aujourd’hui du fait de la modernisation. Nous savions qu’il serait ambitieux d’introduire la dématérialisation tout en étant pilotes avec le nouveau système d’information, mais il y avait une certaine cohérence. Nous subissons le retour de plein fouet, mais nous travaillons activement pour le dépasser. Tous les départements pilotes font remonter à la CNSA que le nouveau système d’information est de nature à faciliter l’harmonisation et à clarifier les notifications. C’est un gain pour la remontée qualitative des données, mais ce n’est pas aujourd’hui un gain pour le travail administratif. L’idée est de gagner sur le traitement administratif pour réorienter du personnel sur l’évaluation et la transmission d’informations aux enseignants référents qui sont la courroie de relais en amont et en aval avec les familles, mais on n’y est pas encore.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Et pas de réunion depuis deux ans !

Mme Blandine Lefebvre. Au sein de la MDPH.

Mme Laetitia Namur, responsable adjointe du pôle Évaluation et accompagnement. Nous organisions précédemment des réunions au sein de la MDPH auxquelles l’ensemble des enseignants référents étaient conviés. Nous participons toujours aux réunions, mais invités par l’Éducation nationale, dans d’autres lieux que la MDPH. Nous envisageons d’organiser de nouveau des réunions.

Le délai actuel de dix mois n’est pas satisfaisant. Toutefois, nous avons mis en place des stratégies spécifiques pour les tout-petits, en particulier les moins de trois ans, afin de répondre très rapidement à leur situation. En l’occurrence, le délai d’instruction est d’un à deux mois. Nous mettons en place des circuits spécifiques pour les élèves qui sont sur les paliers d’orientation, c’est-à-dire sortant de grande section de maternelle, de CM2 et de 3ème, pour fluidifier leurs parcours. Pour autant, nous ne sommes pas entièrement satisfaits. Dans nos échanges avec les enseignants référents, nous leur demandons régulièrement des tableaux sur la situation d’AVS exigeant un examen rapide parce que des enfants ne peuvent rester sans AVS. Dans ce contexte de changement compliqué, nous mettons en place des stratégies visant à limiter les ruptures. Nous n’y arrivons pas toujours mais nous essayons de faire au mieux, en lien avec l’Éducation nationale, autour de la question des AVS, des ULIS et des parcours les plus complexes.

Mme Dominique Berthault. Peut-on suivre 240 élèves ? Ce ne sont pas non plus 240 situations complexes. Pour certains élèves, on sort le dossier une fois par an et on organise l’ESS sans autre travail d’accompagnement. Certains autres nécessitent de réévaluer leur situation et de proposer autre chose. C’est pourquoi suivre une centaine d’élèves nous permettrait un réel travail d’accompagnement dont les enseignants et les AVS sont demandeurs. Avec 240 dossiers, j’organise une ESS par année civile pour tous les élèves, sachant que ce n’est pas toujours immédiatement le cas pour ceux qui font l’objet de notifications à partir du mois de mars. Mais pour les collègues qui ont 350 dossiers, c’est impossible.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je le confirme. En Dordogne, j’ai constaté que 100 dossiers permettaient aux enseignants référents une bonne prise en charge.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame Lefebvre, du point de vue politique, le département de Seine-Maritime considère-t-il que le transfert de responsabilité au département a été suffisamment compensé au plan financier pour pourvoir aux moyens humains nécessaires ?

Mme Blandine Lefebvre. J’aurai tendance à dire non, et le rapport de la chambre régionale des comptes l’indique parfaitement. Les agents de la MDPH viennent de différents horizons. Ceux venant de l’État ne sont plus remplacés et la compensation est loin de couvrir les moyens nécessaires. J’ai indiqué au directeur départemental de la cohésion sociale que nous en avions besoin. Il manque 11,4 postes d’agents de l’État au sein de la MDPH, le département les compense autant que faire se peut, mais les compensations de l’État ne sont absolument pas suffisantes.

M. Nicolas Flipo. Je citerai l’exemple de deux postes d’agents de l’État occupés par des personnes en arrêt de travail pour longue maladie et qui viennent de prendre leur retraite. Autrement dit, pendant pratiquement dix ans, nous avons eu des postes non remplacés, non compensés, non présents. Et l’indemnisation de l’État est seulement de l’ordre de 30 000 euros pour un poste.

Mme Blandine Lefebvre. Cela fragilise énormément le budget des MDPH, car il y a un effet cumulatif. Les MDPH en France sont souvent fragilisées par la compensation en année n + 1, à hauteur de 34 000 euros.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame Berthault, vous avez parlé d’inégalités territoriales. Pouvez-vous citer des exemples ? Il nous intéresserait d’avoir une cartographie des inégalités territoriales.

Mme Dominique Berthault. C’est le cas pour la recherche d’orthophonistes. On entend régulièrement des familles habitant des communes éloignées des métropoles dire qu’il y a environ deux ans d’attente pour obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste. Et encore, après avoir le bilan, il ne prend pas toujours en charge l’enfant. Il en est même pour les psychomotriciens.

Mme Anne Vandenbulcke, responsable du pôle Accès aux droits. Dès lors, on se trouve à recevoir des demandes pour des financements de professionnels alors que les enfants devraient être pris en charge en centre médico-psycho-pédagogique. Faute de ressources sur les territoires, les personnes se débrouillent de leur côté pour trouver des professionnels.

Mme Dominique Berthault. De plus, des familles font auprès de la MDPH des demandes pour des enfants qui, en réalité, ont besoin de soins et à la situation desquels l’AVS ne peut répondre. Elles font des demandes parce qu’elles n’arrivent pas à mettre en place des soins. La MDPH dit qu’elle ne peut procurer d’AVS tant qu’il n’y a pas de soins. C’est un cercle vicieux. Les besoins sont énormes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quel est votre retour d’expérience des PIAL ?

Mme Dominique Berthault. Aucun : je ne fais pas partie d’un secteur expérimental. Nous en aurons peut-être demain à l’occasion d’une réunion prévue avec l’inspecteur de l’Éducation nationale chargé de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés (IEN-ASH) qui doit nous parler de la mise en place d’Oscar, un nouveau tableau à renseigner avant la fin de l’année. Nous espérons qu’au moins les AVS seront présentes à la rentrée. Quelques collègues qui ont fait partie de secteurs d’expérimentation ont eu des réunions de suivi, mais nous n’avons pas eu de retour.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quel est l’avis de vos collègues ?

Mme Laetitia Namur. Je peux vous faire part d’un retour national. Nous avons eu des retours très positifs de nos collègues d’académies où ont été mis en place les tout premiers PIAL, il y a plus d’un an. Le dispositif offre une grande souplesse. Il permet enfin de mettre en œuvre le décret sur les aides humaines et les aides mutualisées telles qu’elles avaient été initialement imaginées.

L’intérêt principal est que les acteurs de terrain s’occupent du besoin de l’élève et organisent leur emploi du temps en fonction de ses besoins, lesquels peuvent varier en cours d’année. Par exemple, un jeune déficient visuel qui change d’établissement scolaire peut être accompagné pour tous ses déplacements jusqu’à la Toussaint, puis avoir un accompagnement réduit. Un jeune myopathe qui a besoin d’être accompagné aux toilettes n’a pas toujours envie d’avoir un AVS derrière lui quand il est en classe.

Au lieu de directeurs d’école, principaux de collège ou proviseurs ayant un élève handicapé et 15 heures d’AVS, on a un élève en situation de handicap et un personnel dont on organise l’emploi du temps. Cela fonctionne très bien pour les grosses structures scolaires, en particulier les lycées et les collèges. Des associations du premier et second degrés ont participé aux expérimentations. Les collègues au niveau national disent que ça fonctionne plutôt bien. Il faut compter un personnel à temps plein pour trois élèves, avec des durées d’accompagnement variables en fonction des besoins. On peut notamment permettre aux élèves de s’entraîner très en amont pour le passage des examens. Si l’on ne s’est jamais entraîné à avoir un tiers-temps, à dicter à un scripteur, c’est très compliqué. On évite la dictée vocale informatique pour un examen parce que le stress altère la voix, mais dicter à un humain n’est pas si facile.

L’utilisation de l’aide humaine mutualisée dans le cadre des PIAL offre cette souplesse et surtout un autre regard. On ne dit plus : c’est un élève handicapé, donc il a droit à une compensation, mais : c’est un élève handicapé, quels sont ses besoins et comment permettre dans mon établissement scolaire l’accessibilité offerte à tous les enfants ? Cela nécessite beaucoup d’explications auprès des familles et des enseignants mais cela semble être une bonne réponse.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous sommes malheureusement contraints de nous arrêter. Ces informations importantes vont nous permettre de compléter notre connaissance de ce sujet très important et de nous forger un meilleur avis sur les progrès restant à accomplir.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous nous réservons la possibilité de demander des précisions par écrit si des membres de la commission le jugent nécessaire. Je suis également preneur du rapport de la chambre régionale des comptes qui fait état de l’écart entre les besoins et les moyens à l’issue du transfert. Merci beaucoup !

 

 


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3.   Audition conjointe de Mme Ingrid Abraham, coordonnatrice ULIS au lycée professionnel de l’Émulation dieppoise de Dieppe, M. Laurent Belletre, coordonnateur ULIS à l’école élémentaire Paul Bert de Neuville-lès-Dieppe, M. François Caillé, psychologue scolaire à l’école élémentaire Louis de Broglie de Dieppe, M. Dominique Gamard, principal, et Mme Delphine Estienne, coordonnatrice ULIS au collège du Campigny de Blangy-sur-Bresle, Mme Céline Gosse, coordonnatrice ULIS au lycée professionnel Jean Rostand de Neufmesnil, M. Frédéric Weisz, coordonnateur ULIS au collège Claude Delvincourt de Saint‑Aubin-sur-Scie et Mme Marie Leroux, coordonnatrice ULIS à l’école élémentaire Desceliers de Dieppe

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous recevons maintenant M. François Caillé, psychologue scolaire à l’école élémentaire Louis-de-Broglie de Dieppe, M. Frédéric Weisz, coordonnateur ULIS au collège Claude-Delvincourt de Saint Aubin-sur-Scie, Mme Ingrid Abraham, coordonnatrice ULIS au lycée professionnel Émulation dieppoise de Dieppe, M. Dominique Gamard, principal du collège Le Campigny de Blangy-sur-Bresle, et Mme Delphine Estienne, coordonnatrice ULIS dans ce collège, M. Laurent Belletre, coordonnateur ULIS à l’école élémentaire Paul-Bert de Neuville-lès-Dieppe, Mme Céline Gosse, coordonnatrice ULIS au lycée professionnel Jean-Rostand de Neufmesnil, et Mme Marie Leroux, coordonnatrice ULIS à l’école élémentaire Desceliers de Dieppe.

Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir votre parole afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants, ainsi que les enseignants et des professionnels de l’éducation que vous êtes.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. François Caillé, M. Frédéric Weisz, Mme Ingrid Abraham, Mme Delphine Estienne, M. Dominique Gamard, M. Laurent Belletre, Mme Céline Gosse et Mme Marie Leroux prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Mesdames, messieurs, vous connaissez l’objet de cette commission d’enquête. J’attends de vous un focus de terrain, concret, sans filtre, sans tabou sur les difficultés et les freins rencontrés, et les pistes d’amélioration. Je vous incite à entrer dans le vif du sujet. Nous connaissons le diagnostic général. Nous attendons de vous non seulement la vérité, toute la vérité, mais surtout la transparence, toute la transparence.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai relevé dans les notes que vous nous avez adressées la difficulté de mettre en place les accompagnements nécessaires et l’accompagnement aux soins, ainsi que les difficultés sociales et psychologiques qui compliquent l’inclusion. Les élèves que vous accompagnez bénéficient-ils réellement une inclusion dans les classes ordinaires ou s’agit-il d’une illusion ? Comment améliorer cela ? Je sais que vous demandez à obtenir le plus de présence médico-sociale possible au sein des établissements scolaires, et cela va dans le sens de l’histoire.

M. Frédéric Weisz, coordonnateur ULIS, collège Claude-Delvincourt. L’ULIS du collège Claude-Delvincourt accueille 13 ou 14 élèves, selon la façon de les compter, ce qui fait partie de la difficulté de situer nous-mêmes nos pratiques d’enseignants, tels élèves étant inclus et d’autres inclus à mi-temps, sans parler des inclusions inversées. Les modèles sont en mouvement et on peine à les situer.

Je commencerai par vous parler de Lucas, un enfant que nous avons accueilli en début d’année et qui, à la suite d’une décision du conseil de discipline liée à des troubles de la personnalité, a été exclu du collège et se retrouve sans aucune solution. Depuis six semaines, il est dans sa famille. Il fait encore l’objet de quelques prises en charge mais nous sommes face à une grande difficulté. Quand on met un enfant dans un dispositif qui ne remplit pas la fonction attendue, on se retrouve sans solution pour lui. J’ai actuellement trois élèves qui vont sortir de la classe de troisième et pour lesquels je ne trouve pas de solution en ULIS lycée ou en structure post-collège à cause de l’indigence des formations proposées sur le bassin dieppois aux élèves en situation de handicap. Cette situation de plus en plus fréquente nous conduit à nous interroger. On brosse un joli tableau d’école pleinement inclusive pour 2022, mais pour obtenir cette école, il faudra absolument mettre en place les structures idoines, adaptées aux difficultés des élèves.

M. François Caillé, psychologue scolaire, école élémentaire Louis-de-Broglie. Mon action se situe avant même que les enfants entrent dans le champ du handicap, puisque je fais partie des personnels qui « dépistent » les enfants handicapés et font des propositions de prise en charge scolaire.

La première difficulté pour les enfants en situation de handicap, c’est le dépistage. On peut sentir très tôt qu’un enfant est handicapé mais, s’il existe à Dieppe un centre médico-psychologique (CMP) et un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), les délais d’attente sont tels qu’il arrive que des enfants ne soient déclarés handicapés que vers 10, 11 ou 12 ans. Cette année encore, un enfant vient d’être déclaré handicapé à son entrée au collège seulement. J’insiste : il faut prendre en charge les enfants handicapés le plus tôt possible, parce que c’est moins coûteux, parce que c’est plus facile et parce que c’est plus efficace.

Mon travail consiste aussi à accompagner les parents pour la saisine de la MDPH. Il y a quatre ou cinq ans, le gouvernement avait proposé une simplification administrative. Actuellement, une famille qui fait une demande doit remplir un formulaire de vingt pages. J’ai essayé d’aider quelques familles, je ne suis même pas sûr de bien savoir le remplir. Eu égard à leur situation, je ne vois pas comment certaines familles peuvent accompagner correctement leurs enfants. On essaie de les faire aider par des assistantes sociales, mais la difficulté administrative est énorme. Les parents ne devraient avoir qu’à indiquer l’identité de l’enfant, à motiver leur demande et à l’assortir de rapports de professionnels. Je ne vois pas pourquoi il est nécessaire de remplir un formulaire Cerfa aussi compliqué pour les familles.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Combien d’élèves suivez-vous ?

M. François Caillé. Mon secteur regroupe 1 600 élèves et j’en vois au moins 150 par an. On considère qu’un psychologue scolaire devrait plutôt avoir en charge un secteur de 1 000 élèves.

À cela s’ajoute la lenteur de la prise en charge par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Pour un enfant dont on dit aux parents qu’il nécessite une prise en charge urgente, il faut plus d’un an pour obtenir une décision de la MDPH.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Dix mois !

M. François Caillé. En ajoutant le délai de constitution du dossier, on aboutit à un an. Un enfant dont on décèle les difficultés en septembre ou octobre n’est pas sûr d’obtenir une prise en charge pour septembre ou octobre de l’année suivante !

Je ferai enfin une observation sur le mode de traitement des dossiers par la MDPH. Bien souvent, il est répondu : « accordé » ou « pas accordé », sans motivation. Je sors parfois de mon devoir de réserve en conseillant aux familles d’introduire un recours auprès du tribunal administratif, car une décision administrative doit être motivée.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ici, il n’y a pas de devoir de réserve !

M. François Caillé. Une fois la décision prise par la MDPH, elle doit être mise en place pour les enfants en attente dans des classes normales. La prise en charge par des auxiliaires de vie scolaire (AVS) n’est pas forcément réalisée. À cet égard, le début de l’année scolaire a été catastrophique : sur la quarantaine d’enfants en situation de handicap que je suis, plus de la moitié n’avait pas d’AVS à la rentrée. Ces enfants, dont la situation s’était améliorée grâce aux AVS, se sont alors retrouvés en difficulté.

M. Laurent Belletre, coordonnateur ULIS, école élémentaire Paul-Bert. Le dispositif ULIS de l’école élémentaire Paul-Bert accueille cette année une douzaine d’élèves dont dix sont inclus. Un élève refuse de quitter le dispositif et un autre à temps partiel est présent quatre heures trente par semaine avec accompagnement d’une AVS individuelle. Celle-ci étant arrivée en février, l’élève a commencé l’année scolaire seul et il est suivi par l’hôpital de jour.

Avec ma collègue d’ULIS école, nous avons relevé quelques points. Certaines ULIS n’ont pas d’accompagnant d’élèves en situation de handicap en dispositif collectif (AESH‑Co), ce qui est le cas de ma collègue.

Nous n’avons pas assez de temps pour nous concerter avec les AESH‑Co, compte tenu de leur temps de travail d’environ vingt heures par semaine. Les seuls moments disponibles sont les temps de récréation. Le midi, elles ont souvent un emploi, travaillent à la cantine ou exercent des occupations qui ne leur permettent pas de se libérer. Elles le font elles-mêmes remarquer.

Nous soulignons aussi l’importance de l’effectif des classes susceptibles d’accueillir et d’inclure nos élèves.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

M. Laurent Belletre. Moins il y a d’effectif et plus c’est facile.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Plus précisément ?

M. Laurent Belletre. L’année dernière, j’avais deux élèves inclus en CE2 qui devaient aller dans des classes de 26 élèves ; ma collègue devait donc prendre en charge 28 élèves, dont certains non considérés comme handicapés mais en difficulté. C’est tout de même un obstacle à une bonne prise en charge.

De plus, les bâtiments ne sont pas toujours adaptés, notamment pour les enfants handicapés moteurs. On note parfois le manque de formation au handicap des professeurs des écoles, notamment pour accueillir des enfants autistes.

L’an dernier, nous avons bénéficié d’une formation commune avec nos accompagnants AESH-Co, que nous avons tous trouvée très positive et de nature à nous permettre de travailler ensemble et très correctement.

Autre point positif : nous accueillons cette année dans notre école des volontaires du service civique disponibles pour l’ULIS. C’est très bien car ils peuvent accompagner les élèves dans les déplacements et les inclusions. C’est une aide très importante pour nous, en plus de celle de l’AESH‑Co.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Combien en avez-vous ?

M. Laurent Belletre. Deux !

Mme Ingrid Abraham, coordonnatrice ULIS, lycée professionnel Émulation dieppoise. Je n’en ai qu’une, mais pas d’AESH-Co.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Pourquoi n’en avez-vous pas ?

Mme Ingrid Abraham. Parce que, depuis cinq ans, mon AESH est régulièrement en arrêt maladie et n’est pas remplacée, parce qu’il faut pour cela un arrêt maladie d’au moins un mois. Avec des arrêts maladie de deux semaines en deux semaines, cela peut durer huit mois et, pendant ce temps-là, il n’y a pas de remplaçante. Vous imaginez bien qu’avec douze élèves en situation de handicap accueillis dans un bâtiment où toutes les classes sont à l’étage et les toilettes au rez-de-chaussée, il faut interrompre régulièrement toute activité pour descendre un étage en catastrophe avec tous les élèves du dispositif. Dans ces conditions, les emplois du service civique sont une bouffée d’oxygène. Mon collègue a raison de dire qu’accueillir du public handicapé sans AVS dans les classes ordinaires, c’est dramatique. Moi qui exerce dans une ULIS qui n’a que des élèves en situation de handicap, je trouve très compliqué d’être régulièrement seule.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Le dispositif ULIS réseau correspond-il aux ULIS pro ou bien à la scolarisation ou l’envoi en stage d’élèves dans différents lieux ?

Mme Ingrid Abraham. Je vais d’abord revenir sur les AESH. Nous travaillons en binôme avec ces personnes. Le manque de reconnaissance de leur profession et le manque de formation sont préjudiciables, car nous avons du mal à recruter des personnes compétentes. Des formations communes avec nous permettraient de renforcer ce lien. Leurs contrats de travail ne leur permettent pas de participer aux sorties scolaires avec nuitées, notamment lors d’un voyage scolaire au ski.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. C’est vrai pour les AVS et pour les contrats aidés, mais pour les AESH, la loi le permet. Après, il peut y avoir des problèmes d’horaire, elles ne sont peut-être pas salariées, mais un contrat de droit public le permet.

Mme Ingrid Abraham. Notre inspecteur a expliqué que c’était permis mais qu’il fallait payer les heures de nuit en heures supplémentaires. Concrètement, cela coûterait trop cher à la collectivité. En droit, c’est possible, mais sur le terrain, ça ne l’est pas.

Nous sommes inquiets en matière de mise en réseau. Par exemple, mon établissement, L’Émulation dieppoise, est en réseau avec le lycée Jean-Rostand de Neufmesnil, avec le lycée du bois d’Envermeu et avec le lycée Anguier, d’Eu.

Mme Céline Gosse, coordonnatrice ULIS, lycée professionnel Jean-Rostand de Neufmesnil. Ce n’est pas tout à fait un réseau. Nous avons du mal à les mettre en réseau.

Mme Ingrid Abraham. Ils sont censés être en réseau !

Mme Céline Gosse. Ils devraient l’être pour la rentrée prochaine.

Dans le lycée où j’exerce, on offre sept CAP : quatre CAP « simples » et un CAP avec trois options. Actuellement les élèves sont orientés à deux élèves par niveau. Deux fois sept égale quatorze, fois deux égale vingt-huit. C’est donc un dispositif à 28, alors que la loi en prévoit 10 avec une tolérance de plus ou moins 2, soit 12, voire 13. L’année dernière, dans le lycée, nous étions 20, avec un bricolage de milieu d’année qui nous a permis de fonctionner. Compte tenu des difficultés rencontrées avec le dispositif ULIS au lycée Jean-Rostand, on m’a proposé de travailler en réseau avec le lycée Émulation dieppoise qui n’a qu’un CAP pour le moment – il devait y avoir des ouvertures mais elles n’ont pas eu lieu.

Mme Ingrid Abraham. La mise en réseau est très vaste. Si je dois suivre des élèves – ou même des collègues – qui sont dans le dispositif à Eu, Dieppe, Neufmesnil et Envermeu, et qui ont des besoins d’accompagnement importants, il me semble compliqué de faire un travail de qualité. Au lycée Jean-Rostand de ma collègue, il faudrait presque deux dispositifs dans l’établissement.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Combien d’élèves scolarisez-vous dans votre établissement avec un seul CAP ?

Mme Ingrid Abraham. Nous avions quatre élèves mais l’un d’eux a été exclu. Une mise en réseau était prévue dès janvier, qui n’a pas pu aboutir alors que dans l’établissement de ma collègue, des besoins existent. Un grand nombre d’élèves sont sans suivi alors que la ressource existe.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Avec des orientations subies !

Mme Ingrid Abraham. Le manque d’offre est évident. Les établissements sont parfois éloignés, ce qui pose la question de l’internat – l’internat de l’Émulation dieppoise n’est pas sur site mais dans le lycée Pablo Neruda, à proximité. Mais accueillir en internat des élèves handicapés nécessitant des soins
– comme ceux liés au diabète – est compliqué : beaucoup de questions se posent et on fait comprendre qu’il n’y aura pas d’internat pour eux.

Pour en revenir aux mises en réseau, l’AESH de l’Émulation dieppoise n’a pas le droit de m’accompagner si je vais à Offranville. Comment faire si j’agis en réseau avec tous les établissements que j’ai cités et que je n’ai plus la ressource de ma collègue AESH ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Quels sont les freins ? Est-ce à cause des frais de déplacement ?

Mme Ingrid Abraham. Le frein, c’est son contrat de travail, qui devrait être révisé afin de permettre les sorties scolaires avec nuitées. L’idéal serait de recruter, pour chaque mise en réseau, une AESH dédiée à l’établissement.

Mme Delphine Estienne, coordonnatrice ULIS collège. Je suis en ULIS collège dans une zone rurale isolée, à Blangy-sur-Bresle, ce qui occasionne des difficultés similaires à celles évoquées par mes collègues et d’autres. J’ai appris la semaine dernière que nous étions classés zone blanche « culture », car nous avons travaillé sur un projet artistique et culturel.

Je reviendrai sur les effectifs, dont le manque est à mon sens la principale difficulté. L’an dernier, j’avais cinq élèves ULIS de niveau troisième, plus 28 à 29 élèves. Dans ces conditions, l’inclusion n’était pas possible : j’avais l’impression de maltraiter mes élèves. Avec 28 ou 29 élèves de troisième, même pour mes collègues qui sont tous très volontaires, c’est juste impossible ! Cette année, j’ai quatre élèves de sixième que je peux tous inclure car j’ai la chance d’avoir une AESH collective et une apprentie qui prépare un diplôme d’AESH. Nous avons pu inclure et accompagner tous les élèves de sixième. L’un de mes élèves ne sait ni lire ni écrire. Affecté de tremblements, il ne peut pas porter son plateau, son cahier ou son sac. Si je lui affecte mon AVS collective, je me retrouve avec onze élèves sans AVS. Il aurait dû être orienté en institut médico-éducatif (IME), mais il n’y a pas de place. Je sais très bien que l’an prochain, sur quatre de mes futurs élèves de sixième, trois relèveraient d’IME. Comment envisager d’inclure en sixième un élève qui n’est ni lecteur ni scripteur ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quelle est votre opinion ?

Mme Delphine Estienne. Ils font énormément de progrès en termes d’inclusion sociale et d’épanouissement. S’ils sont accompagnés, cela peut très bien se passer, mais en termes de compétences scolaires, ce n’est pas possible.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Et dans des matières scientifiques ?

Mme Delphine Estienne. Ils ne sont pas inclus en français et en mathématiques, sauf si, dans la période d’observation de début d’année, on a vu des possibilités. Nous avons toujours une pression institutionnelle sur l’inclusion. On nous demande d’inclure et si on n’inclut pas, on se fait taper sur les doigts. C’est aussi une réalité. Je pense qu’autour de la table, nous l’avons tous un peu vécu.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. On veut de l’inclusion à tout prix !

Mme Delphine Estienne. Le all inclusive fait de plus en plus partie de l’Éducation nationale. En faisant ce que l’institution me demande, j’ai parfois l’impression d’être maltraitante avec les élèves. Pas tout le temps, je vous rassure…

Nous rencontrons aussi des problèmes d’orientation. Le lycée de Neufchâtel est à trente minutes et les lycées de Dieppe sont saturés avec des élèves peu ou pas mobiles. Pour ceux en situation de handicap, l’internat est très compliqué à envisager et pas toujours possible.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Avez-vous des exemples de renoncement à une poursuite d’études pour ces raisons ?

Mme Delphine Estienne. L’un de mes élèves est intéressé par les espaces verts, mais la classe de ma collègue est saturée et, suivi par le service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), il n’est pas du tout prêt pour l’internat. De plus, il risque d’être 150e sur la liste d’attente pour l’entrée en CAP. L’an dernier, mes élèves étaient 121e et 123e sur liste d’attente. Il y a un moment où on ne fait plus les démarches. Il est actuellement en recherche de contrat d’apprentissage. J’espère qu’il ne sortira pas sans rien.

À Blangy, nous subissons aussi les délais pour les suivis. L’orthophoniste qui a ouvert son cabinet en libéral l’an dernier a 300 enfants sur sa liste d’attente.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Y a-t-il des CFA avec internat aux environs de Dieppe ?

Mme Delphine Estienne. Oui, à Dieppe et à Yvetot, pour l’apprentissage agricole, respectivement à une heure et une heure et demie de distance de Blangy.

Je signale que, si, pour votre élève de troisième, vous n’avez pas coché la petite case dans le Cerfa de vingt pages pour demander le statut de travailleur handicapé qui peut l’aider dans son apprentissage, il repasse dans le pôle adulte après l’âge de 16 ans et il faut refaire le dossier pour la MDPH à partir de zéro.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’apprends beaucoup par cette commission d’enquête. Je crois donc comprendre que lorsqu’un enfant est orienté en CAP, il y a un classement des candidatures et que celui des enfants en situation de handicap est le même que le classement général.

Mme Delphine Estienne. Il y a deux procédures. Si nous partons sur les procédures d’orientation, il va falloir une autre audition car c’est extrêmement compliqué.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Dites-nous quand même !

Mme Delphine Estienne. Il y a une procédure pour les élèves ULIS lycée notifiés par la MDPH : il faut faire une réunion et constituer les dossiers en janvier. Ceux-ci sont étudiés par la MDPH et font l’objet de notifications à la période actuelle de l’année. Il y a aussi la commission d’orientation pour les élèves en situation de handicap, qui est hors ULIS.

Mme Céline Gosse. Hors MDPH !

Mme Delphine Estienne. L’an dernier, les miens se sont retrouvés dans le « tout‑venant » des demandes pour le lycée de Neufmesnil. Il y a énormément de demandes pour ce lycée, car c’est le seul qui propose ces formations. C’est donc très compliqué.

Mme Céline Gosse. Nous avons proposé de nombreuses solutions à ce problème. Nous savons bien que le lycée Jean-Rostand est très demandé, notamment des filières telles que horticulture et jardinier-paysagiste. Nous avons engagé des démarches avec le proviseur, qui était prêt à mettre en place une sorte de double dispositif ou un dispositif particulier pour accueillir ces élèves sans solution. D’ailleurs, pour venir dans un lycée, il faut faire des mini-stages ; ces élèves sont donc déjà venus au lycée et ont montré leurs aptitudes. Généralement, les professeurs émettent un avis favorable, mais même des élèves qui ont eu un tel avis restent sans solution si l’on se fixe un nombre arbitraire de dix, voire douze, voire treize.

M. Dominique Gamard, principal, collège Le Campigny. Mon établissement a été sollicité pour être expérimentateur PIAL et pour l’inclusion. Nous avons eu une dotation de deux AESH, ce qui est bien, mais ce sont des AESH mutualisées et non individualisées. Que vont devenir à terme les AESH-I ? Nous faisons la coordination en interne, ce qui nécessite beaucoup de temps de discussion avec les parents et avec les AESH, qui auraient besoin d’une formation complémentaire, comme les enseignants. Vous parliez tout à l’heure du premier degré ; il faut aussi parler des professeurs de lycées et de collèges pour lesquels ce pan de formation n’est pas nécessairement intégré. Il faudrait envisager une formation initiale où tous les enseignants, quels qu’ils soient, seraient sensibilisés au handicap.

Je reviens sur le mot « handicap » qui fait peur aux parents. Mon travail consiste aussi à recevoir les parents. Je ne sais pas combien j’ai reçu de parents en pleurs, ayant du mal à concevoir ce que pourra être la scolarité de leurs enfants. Or il y a handicap et handicap et inclure, ce n’est pas fondre.

Il faudra aussi que le législateur prenne conscience de l’importance des SEGPA et des ULIS. Ces sections sont essentielles car elles ont à leur tête des gens formés et sensibilisés, qui peuvent être des relais majeurs.

La MDPH est départementalisée, mais nous sommes à la limite de la Somme et de la Seine-Maritime. Or, quand un enfant déménage, son dossier met plusieurs mois à franchir la Bresle, le fleuve qui sépare la Seine-Maritime de la Somme. C’est une complexité à prendre en compte pour un chef d’établissement.

Une autre difficulté est d’amener les enseignants à prendre confiance en eux pour affronter le handicap. Nous avons chacun notre histoire face au handicap.

Il faut aussi avoir pleinement conscience que tous les établissements ne sont pas accessibles. Pour les écoles primaires, c’est encore pire que pour les collèges. Un travail est en cours qui demandera plusieurs années, car il s’agit de programmes pluriannuels. J’attends toujours un ascenseur digne de ce nom pour recevoir des élèves de tout handicap.

Je conclurai sur la lourdeur des dossiers : il faudrait avoir des coordinateurs, des référents pour aider les familles. Mon collège compte 70 % d’enfants issus de catégories socio-professionnelles défavorisées. Pour des parents qui n’ont pas tous les codes et qui ne connaissent pas les acronymes de notre administration, compléter un document de vingt pages est compliqué. Certaines familles ont besoin d’être mises en confiance. Parfois, les chefs d’établissement ont aussi besoin d’un coup de main pour s’occuper des biens et des personnes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Qu’on s’occupe de vous !

M. Dominique Gamard. Un coup de main peut être important. Gérer une famille ou un ascenseur n’exige pas la même écoute.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous poserai une question pragmatique : avez-vous profité de l’expérimentation des PIAL pour accompagner des élèves qui n’avaient pas encore de notification ?

M. Dominique Gamard. Nous jouons le jeu de l’expérimentation en faisant un peu ce que nous voulons. Nous avons pris sans notification des enfants que nous savions en grande difficulté. Nous avons actuellement une quinzaine d’enfants dans le PIAL. Nous essayons de travailler avec les familles, qui sont à 100 % satisfaites de cette prise en charge. Mon inspecteur, M. Butel, que vous avez rencontré, m’a dit que cette expérimentation m’était promise pour trois ans avec les moyens correspondants.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Combien d’enfants sont sans notification ? Les notifications vont-elles démarrer ?

M. Dominique Gamard. J’ai demandé à Mme Estienne, la référente ULIS, d’être la coordinatrice du dispositif et je gère cela en interne. Elle est assez bien formée pour ce faire.

Mme Delphine Estienne. Nous avons intégré dans le PIAL les élèves qui étaient déjà notifiés et accompagnés par les deux AVS de l’établissement, de sorte que nous avons un pool de quatre AVS. Je pense qu’on est à moitié-moitié entre les élèves dont le dossier MDPH est en cours d’instruction et d’autres que nous avons repérés. J’ai récupéré nombre d’élèves que j’avais identifiés via le dispositif Devoirs faits. Nous avons mis en place des protocoles et des grilles d’observation. Nous avons fait une vraie expérimentation et nous avons de la matière.

M. Dominique Gamard. De plus, nous avons une réunion de coordination hebdomadaire. En revanche, une AESH a un grave problème de santé et je ne peux pas la remplacer. Nous en avons parlé tout à l’heure.

Mme Sabine Rubin. Nous entendons différents points de vue : tout à l’heure, celui d’une enseignante référente et maintenant les enseignants spécialisés que vous êtes. Il y a le PIAL généralisé et le PIAL par établissement. D’après vous, qui êtes sur le terrain, quelle organisation faudrait-il simplifier ?

Mme Delphine Estienne. Le Cerfa est le même pour demander une carte de stationnement ou une allocation pour adulte handicapé et tous arrivent en même temps à la MDPH. Avec un document pour les aides à la scolarité et un autre pour la carte de stationnement, chacun prendrait moins de temps à compléter et moins de temps à instruire.

Mme Sabine Rubin. Quelle est votre relation avec l’enseignant référent ? Comment organisez-vous le pilotage des PIAL ? Quel est votre travail de pilotage en interne ?

M. Dominique Gamard. Le travail avec l’enseignante référente est un maillon essentiel, car elle a une connaissance approfondie des dossiers et elle fait le lien avec l’inspection académique.

Mme Delphine Estienne. Nous avons créé un petit comité de pilotage.

M. Dominique Gamard. Nous nous voyons régulièrement. Nous avons une réunion de coordination hebdomadaire et nous faisons mensuellement un point avec la référente qui est responsable de plusieurs dossiers. Venant d’une zone rurale isolée défavorisée assez vaste, elle a un très gros travail. En outre, le pool de spécialistes devrait être élargi.

M. Frédéric Weisz. On a beaucoup parlé des dispositifs inclusifs mais peu de l’inclusion. Les infirmières sont un personnel indispensable pour aider et accompagner les enfants en situation de handicap. Or les collèges sont souvent dotés d’une infirmière à mi-temps, ce qui est très insuffisant pour accompagner médicalement les enfants et les troubles de certains d’entre eux.

De plus, il n’y a généralement pas, au sein des collèges, des écoles…

Mme Céline Gosse. Et des lycées !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Des établissements !

M. Frédéric Weisz. …et des lycées d’espace dédié pour accueillir les SESSAD, les CMPP, les psychologues scolaires, les éducateurs, les médecins, les infirmières ou pour leur permettre tout simplement de déposer du matériel.

Lors d’une réunion pédagogique récente à laquelle nous étions nombreux à participer, certains de nos collègues ont évoqué les enfants qui, après avoir été inclus en primaire puis au collège, se retrouvaient en IMP et en IME. Ils ont parlé de leur souffrance au sein des collèges et des écoles, parce qu’on est aujourd’hui dans le tout inclusif. Ce n’est pas ce que nous défendons ici. Des enfants avec des problèmes parfois très importants sont en souffrance dans les classes ordinaires, sont méprisés et ont beaucoup de mal à porter l’étiquette ULIS. Dans nos collèges, nous avons encore un important travail à réaliser autour de la discrimination liée au handicap. Il est difficile pour un élève handicapé d’être confronté à ses pairs, des enfants de 12, 13, 14 ans. En tant qu’enseignants – mais c’est aussi le cas des principaux de collège et des proviseurs de lycée et en primaire –, nous n’avons pas encore les outils nécessaires pour lutter contre les discriminations et mettre en place une culture de l’accueil d’enfants handicapés dans nos structures.

Se pose aussi la question du parcours professionnel. On est dans l’injonction. On dit aux enseignants : vous devez mettre en place des parcours d’orientation professionnelle pour vos enfants, apprentissage ou lycée. On nous dit : vous devez, c’est votre job ! J’ai été coordonnateur UPI, il y a très longtemps ; je suis passé coordonnateur ULIS. Le discours de l’Éducation nationale sur l’orientation professionnelle a complètement changé depuis la loi de 2005, mais on ne nous donne pas les outils nécessaires. On nous dit : vous devez faire faire des stages aux enfants. La Ville de Dieppe accueille…

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’espère bien !

M. Frédéric Weisz. …mais l’accompagnement des enfants dans les dispositifs d’apprentissage et de stage est extrêmement difficile. Les personnes essentielles pour l’accompagnement des enfants handicapés, ce sont les AESH. Il faut absolument les professionnaliser, leur donner les outils et les moyens nécessaires pour accompagner correctement les enfants.

Mme Sabine Rubin. À quel niveau situeriez-vous la formation des AESH ?

M. Frédéric Weisz. Pour avoir été dans les jurys de concours des aides éducateurs, je dirais au minimum « bac + 2 ».

Mme Delphine Estienne. Rémunéré en conséquence !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Déprécarisés, mieux rémunérés, mieux formés !

Mme Céline Gosse. Elles assisteront à des cours de physique, de chimie, etc., et si elles n’ont que le bac, elles peineront à comprendre l’enseignement dispensé.

M. Dominique Gamard. Tout dépend de ce qu’on entend par formation post-bac. Sera-t-elle privée ou organisée par l’Éducation nationale sur le terrain pour des gens recrutés au niveau bac, motivés et disponibles ? J’en reviens à la ruralité en zone défavorisée car je le vis depuis plusieurs années. Il n’est pas facile de recruter des gens ayant ce profil. En prévoyant une formation de niveau bac + 2, on risque de connaître encore des désillusions.

Mme Ingrid Abraham. En lycée pro, nous sommes aussi en relation avec le monde professionnel, les stages, les petites entreprises.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Cela entre aussi dans le champ de la commission !

Mme Ingrid Abraham. Il faut aussi faire des adaptations de poste, ce qui nécessite beaucoup de temps, ce que nous n’avons pas, ou très peu. Il est donc compliqué de travailler sur l’insertion professionnelle, parce qu’il faudrait un vrai accompagnement des professionnels. Il y a beaucoup de représentations et cela se déconstruit dans le temps et dans l’accompagnement.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Cela se fait dans les établissements médico‑sociaux par les éducateurs et vous ne pouvez pas vous démultiplier à l’infini.

M. Frédéric Weisz. Nous travaillons sur la discrimination en général pour lutter contre ces représentations, mais c’est un effort de tous les jours. Comme le disait Dominique Gamard, il faut former l’ensemble des personnels, y compris les enseignants.

M. Dominique Gamard. Très tôt !

M. Frédéric Weisz. Nous savons qu’il existe des difficultés en matière de formation.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous devons maintenant nous interrompre. Le manque de temps est frustrant, mais vous avez la possibilité de reformuler par écrit les propos tenus ici et d’autres que vous n’auriez pas eu le temps de tenir, afin que nous puissions les intégrer à nos travaux. Il est également possible de prolonger la discussion ce soir lors du débat que j’organise salle des Congrès et auquel je vous invite.

Merci pour votre disponibilité et de nous avoir aidés à éclairer les auditions nationales, parfois feutrées, avec des contributions de terrain qui le sont un peu moins.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci à tous !


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4.   Audition conjointe de Mme Claire Lysiane, M. Gianni Fourez et Mme Jennyfer Leclerc, accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à l’école élémentaire Sonia Delaunay de Dieppe

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous recevons maintenant trois accompagnants d’élèves en situation de handicap : Mme Claire Lysiane, M. Gianni Fourez et Mme Jennyfer Leclerc, de l’école élémentaire Sonia-Delaunay.

Mesdames, monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir votre parole afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Claire Lysiane, M. Gianni Fourez et Mme Jennyfer Leclerc prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Mesdames, monsieur, vous savez ce qui a motivé la création de cette commission d’enquête. Après les auditions nationales où nous avons entendu les représentants de collectifs d’AESH et d’AVS, nous souhaitons aujourd’hui faire un focus concret, de terrain, sans filtre et même sans précautions oratoires. Il nous semble utile de nourrir la réflexion de notre commission d’enquête de votre vécu afin de faire progresser la cause et les objectifs de la loi de 2005, la situation des enfants en situation de handicap et des intervenants que vous représentez.

Mme Jennyfer Leclerc. Je suis AESH-M depuis février 2016. Je l’ai d’abord été en collège, avec une quotité de 29 heures la première année et de 36 heures l’année suivante, avant de revenir à 29 heures et de finir à 12 heures à cette rentrée. Il est facile d’imaginer que cela n’est pas évident au quotidien. On a le sentiment d’une très faible reconnaissance, au regard du nombre d’enfants qui se retrouvent sans accompagnement à la rentrée scolaire. On se demande pourquoi on ne nous donne pas de travail alors que la demande est énorme.

Je suis donc actuellement à l’école Sonia-Delaunay. En école primaire, la quotité horaire maximale étant 24 heures, tout avait été mis en œuvre pour que j’aie ces 24 heures, puisqu’il y avait un besoin pour deux enfants du même niveau scolaire, à raison de 12 heures pour chacun. Avant les vacances d’été, le directeur avait fait en sorte que ces deux élèves se retrouvent dans la même classe afin de prévoir un adulte référent pour les deux et d’obtenir un « 24 heures », mais il n’a pas été entendu, puisqu’à la rentrée, 12 heures ont été attribuées à une autre personne.

Au-delà de mon cas personnel, le sentiment d’une très faible reconnaissance est unanimement partagé. Nous ne sommes pas considérés comme exerçant un métier mais une mission, alors que c’est une profession à part entière. Pour l’exercer, j’ai obtenu un diplôme d’accompagnement éducatif de la petite enfance. Cette situation est difficile à vivre.

Nous avons des difficultés de communication avec l’administration, mais je me garderai de la juger. Peut-être ne sont-ils pas suffisamment proches du terrain pour être en mesure de répondre à toutes nos demandes, ne serait-ce que l’envoi des bulletins de salaire. Quand nous travaillons à temps partiel, nous ne recevons pas nos bulletins de salaire en temps et en heure, ce qui nous prive du droit au complément ASSEDIC. Quand on ne touche que 400 euros par mois, sans complément ASSEDIC, on ne peut pas manger. Un effort doit être fait à ce sujet. On en revient au manque de considération à l’égard de notre métier et de notre place autour des enfants.

Il serait bien que nous ayons une formation diplômante. Certains AESH n’ont jamais reçu de formation. Ce n’était pas mon cas : j’étais diplômée avant d’exercer et j’ai reçu des heures de formation depuis, mais des collègues n’ont jamais eu de formation. Nous souhaitons la création d’un diplôme ou, pour ceux qui exercent depuis un certain temps, une validation des acquis de l’expérience (VAE) et nos acquis sur le terrain. Encadrer des handicaps différents n’est pas à la portée de tout le monde. Même pour deux enfants ayant le même handicap, la prise en charge est totalement différente. Nous aimerions que cela soit mieux considéré.

L’attribution des heures est une autre difficulté. Nous passons l’été sans savoir si nous travaillerons en septembre, ni pour quelle quotité d’heures, ni où. On ne vit pas. Mes enfants ne partent pas en vacances parce qu’il faut mettre des sous de côté, et je ne suis pas la seule dans cette situation. La plupart d’entre nous ont choisi ce métier par conviction. Avec mon diplôme, je pourrais faire d’autres métiers qui rapporteraient davantage, mais j’ai besoin de me rendre utile pour ces enfants, afin qu’ils soient reconnus et qu’ils soient dans une réelle inclusion. Je ne veux pas abandonner mon métier parce que je ne suis pas rémunérée comme il faut, mais beaucoup d’AESH en arrivent là. Elles disent qu’elles abandonnent leur vocation parce qu’elles ne peuvent plus en vivre. Savoir avant l’été où l’on va être et pour combien d’heures serait pour nous un minimum.

Mme Claire Lysiane. J’ai commencé en 2009 en tant qu’AVS à l’école Desceliers. Cela fait donc dix ans que j’exerce au sein de l’Éducation nationale, sans être encore cédéisée. J’ai pris ensuite un poste d’assistante d’éducation dans un collège, puis d’assistante pédagogique à l’école d’Arques-la-Bataille, puis à l’école de Broglie. Depuis 2013, je suis AESH‑Co à l’école Sonia-Delaunay au sein du dispositif ULIS. J’y suis arrivée avec un contrat d’assistante d’éducation (AED) et n’ai été nommée AESH‑Co que l’année suivante. Or pour être cédéisée, il faut avoir été AESH durant six ans. J’en suis à ma sixième année d’AESH‑Co mais je ne serai pas cédéisée parce que la première année ne compte pas. Je trouve aberrant de ne pas prendre en compte nos années antérieures.

Je n’ai jamais reçu de formation. Je n’ai jamais été convoquée par le rectorat pour suivre une formation à Saint-Aignan, comme la plupart de mes collègues. Je n’ai pu obtenir qu’une seule chose du service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) Henri-Wallon, de Dieppe. En 2015, il y avait dans la classe une petite élève atteinte de trisomie 21 avec qui l’échange était particulier. J’ai demandé conseil à l’intervenante SESSAD de l’école, qui m’a alors proposé un projet d’échange et d’information. Ce projet est né grâce à cette intervenante. Depuis 2015, nous nous réunissons une fois par trimestre avec les AESH des ULIS école des deux circonscriptions de Dieppe Est et Ouest. Nous bénéficions de l’appui de psychomotriciens, d’éducateurs spécialisés, de maîtres spécialisés. Cela nous fait du bien d’échanger sur notre quotidien en ULIS école. C’est un projet unique en France.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Un projet d’échange et d’information ?

Mme Claire Lysiane. Tout à fait. M. Butel nous a grandement appuyées. À part cela, je n’ai reçu aucune formation.

Par ailleurs, je suis bénévole auprès de l’association Sport, autisme et handicap rural 76. Je m’autoforme par les échanges avec cette association, par le forum « Dys » que nous avons la chance d’avoir à Dieppe, par le biais d’internet, des blogs spécialisés, de livres. Je me suis formée toute seule, sur le terrain et chez moi.

M. Gianni Fourez. Je partage les propos de mes collègues. Nous ne sommes pas considérés et ce travail n’est pas, à mon sens, un métier. Nous avons tous des parcours différents. Seules la formation et la considération de la hiérarchie pourraient nous égaliser. Quand nous sommes en classe, nous avons l’impression d’être une verrue sur un visage. De leur côté, les instits ne sont pas formés au handicap ni formés au travail en équipe. Cette année, je suis dans une classe de première année qui compte 16 élèves et où je m’occupe d’une seule personne. Deux autres enfants ont chacun une AESH, et l’instit se retrouve donc avec trois adultes dans une classe de 16 enfants, sachant que parmi eux, d’autres pourraient avoir besoin d’adultes sans avoir été notifiés. La plupart du temps, on se retrouve à accompagner non un seul enfant mais deux ou trois, aussi bien pour des handicaps que pour des difficultés scolaires. Nous travaillons en équipe. Nous aidons l’instit pour le soulager et faire avancer les autres élèves. Le travail n’est pas évident, car on ne connaît pas toujours la nature du handicap sur lequel on va tomber. Il faut attendre quelques mois, discuter avec le directeur en mode relationnel et non officiel. Si l’on n’a pas la connaissance de base nécessaire ni la formation appropriée, on peut difficilement aider.

Nous faisons de notre mieux, nous prenons du temps sur notre temps, cela pour un salaire de 600 euros. Pour un métier qui demande une spécialisation, la reconnaissance devrait déjà passer par le salaire. Je travaille beaucoup dans le social et je parle souvent avec des éducateurs spécialisés. Ils font pratiquement la même chose que nous, sauf qu’ils sont formés, diplômés et ont un statut stable. Pour nous, c’est la roulette : nous ne savons pas combien d’heures vont nous être attribuées.

Mme Jennyfer Leclerc. Au collège, j’ai dû m’occuper d’un élève qui relevait de l’IME mais qui n’avait pu y être accueilli, faute de place. La plupart des enseignants n’en voulaient pas en inclusion, parce que c’était un élève violent. Je le prenais seule dans une classe et je lui faisais cours. Je ne me suis pas contentée de lui faire faire du coloriage, comme on m’y invitait, car il avait 11 ans. En français, il avait un niveau de deuxième année de maternelle. Il ne connaissait même pas l’alphabet. J’ai travaillé avec lui pendant deux ans. Mes supérieurs disaient que ce n’était pas à moi de le faire. Je leur répondais : si je ne le fais pas, qui le fera ? Il était présent tous les jours. Il avait très peu d’inclusion et j’ai réussi à le faire aller en cours de musique, d’arts plastiques, de sciences parce qu’il aimait la manipulation, de sport aussi, mais c’est tout. Pour toutes les autres heures de présence en milieu scolaire, j’élaborais moi-même des cours sans support alors que je ne suis ni instit ni prof. Je me suis adaptée. Il a fallu faire avec les moyens du bord.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il était dans une classe ordinaire parce qu’il n’y avait pas d’ULIS dans ce collège ?

Mme Jennyfer Leclerc. Il y avait une ULIS mais il était hors champ. Il était très particulier. Il est maintenant en IMPro où il s’épanouit.

Mme Claire Lysiane. Nous avons tous les trois défini notre mission comme ultra-polyvalente. Nous sommes AESH-Co ou AESH-In, mais nous sommes aussi accompagnants, éducateurs, pédagogues, soignants, secrétaires, appuis, soutiens et assistants.

M. Gianni Fourez. Et tout cela non reconnu !

Mme Claire Lysiane. Je perçois 610 euros pour douze élèves.

Mme Jennyfer Leclerc. J’en ai douze aussi !

Mme Claire Lysiane. Le tout pour 20 heures par semaine. Je ne suis même pas à temps complet, parce qu’une semaine d’école complète est de 24 heures. Les quatre heures restantes, le handicap ne disparaît pas et l’enseignant se retrouve seul avec l’élève. Certains ne peuvent pas aller en inclusion parce que je ne suis pas là.

M. Gianni Fourez. Vous ne pouvez pas vous occuper des douze à la fois !

Mme Claire Lysiane. Je ne peux pas me partager. Mais pour 610 euros avec douze élèves, il faut vraiment aimer la fonction.

Mme Sabine Rubin. Monsieur Fourez, précisez-nous dans quel contexte vous travaillez.

M. Gianni Fourez. Mon élève devrait être en CM1 mais il a l’âge de CM2 et il a un niveau de maternelle.

Mme Sabine Rubin. C’est un élève en accompagnement individuel ?

M. Gianni Fourez. Oui, et les parents de cet élève ont refusé de l’inscrire en IME.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Parce que je connais l’école concernée, je précise que cette école était en REP ; elle en est sortie parce que son collège de rattachement a été sorti du REP, mais elle se trouve dans le quartier de Val Druel, en zone urbaine sensible, où tous les indicateurs socioéconomiques justifieraient qu’elle y soit restée. Le diagnostic est alarmant, du point de vue humain pour vous et du fait que la mission s’exerce à temps partiel.

M. Gianni Fourez. Nous ne bénéficions donc pas des avantages correspondants !

Mme Claire Lysiane. Nous non plus.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pas de prime REP ni de prime ULIS !

Il est important que nous entendions les conditions du statut et de la rémunération, car cela corrige un peu le diagnostic national. Profitez-en, vous êtes en commission d’enquête ! Selon vous, qu’est-ce qui serait utile, en termes de temps de travail, de temps de formation, de reconnaissance, pour améliorer non seulement votre situation d’intervenant mais aussi celle des publics avec lesquels vous travaillez ?

Mme Claire Lysiane. L’idéal serait un temps plein de 28 heures par semaine, réparties en 24 heures avec les élèves et 4 heures pour le travail invisible : ESS, réunions de participation aux projets des classes, rencontres avec les familles auxquelles nous n’assistons pas…

M. Gianni Fourez. Réunions avec les profs !

Mme Claire Lysiane. …conseils d’école, conseils des maîtres, participation aux répartitions des classes pour les élèves en inclusion. Nous n’avons pas notre mot à dire alors que nous les connaissons par cœur, mieux même que leurs professeurs. Il paraîtrait évident que nous ayons notre mot à dire au sujet de la répartition des classes en fin d’année scolaire, et ce serait une forme de reconnaissance. Il faudrait donc augmenter le temps de travail. Toutes les AESH, qu’elles soient Co, I ou M, assistent aux ESS sur leur temps de travail.

Mme Jennyfer Leclerc. Pour moi, cela a toujours été hors temps de travail !

Mme Claire Lysiane. Nous souhaiterions aussi la constitution d’une brigade AESH pour les longs arrêts de maladie. Certaines AESH sont en arrêt maladie depuis longtemps et ne sont pas remplacées. Il est alarmant pour nous qu’elles soient remplacées par des emplois du service civique.

M. Gianni Fourez. J’ai constaté sur internet qu’ils avaient plus de droits que nous. Nous n’avons pas le droit de faire des projets avec des élèves, eux si. Ils ont le droit de tenir un groupe dans une classe, nous non. Ils ont le droit d’accompagner une sortie scolaire, alors que nous devons demander l’autorisation au rectorat.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quel est votre point de vue sur le temps périscolaire ? Lors des auditions nationales, les avis étaient partagés.

Mme Jennyfer Leclerc. En l’occurrence, il ne s’agit pas du temps périscolaire.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Concernant le temps périscolaire, vous semble-t-il juste que la journée de l’enfant soit saucissonnée ?

Mme Jennyfer Leclerc. Pour le temps du midi, cela dépend du handicap de l’enfant. J’ai accompagné un élève du collège pour lequel il était impossible de rester sans accompagnement. Or à la rentrée, il n’avait personne. Je parle toujours de cet élève, car c’est un exemple flagrant. On ne pouvait prétexter un retard de dossier, car il n’était pas tolérable qu’il fasse sa rentrée sans accompagnement. Cet enfant nécessite un accompagnement le midi à temps plein, mais d’autres enfants ont besoin leur liberté et rien ne justifie qu’on les accompagne le midi. Cela doit être apprécié au cas par cas et en fonction du handicap des enfants. Certains souffrent plus de problèmes de comportement que de handicap à proprement parler.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je pense que M. le rapporteur voulait vous parler du projet du Gouvernement visant à allonger votre temps de travail par des accompagnements, des temps périscolaires pour les enfants qui en ont besoin, sur la base du volontariat, notamment le mercredi dans des centres de loisirs.

M. Gianni Fourez. C’est un autre cadre.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce sont des perspectives envisagées pour allonger le temps de travail.

Mme Jennyfer Leclerc. La proposition est intéressante mais il faudrait déjà régler le cas des enfants qui, à la rentrée, n’ont pas eu leur accompagnement tandis que du personnel attend des heures pour l’assurer. On m’a attribué 12 heures alors qu’il y en avait 24 à prendre dans ma classe. Pourquoi je n’ai pas eu ces 24 heures ? Pourquoi préfère-t-on dispatcher 12 heures par-ci, 12 heures par-là ? On ne va pas prendre un deuxième emploi à côté, il faut déjà remplir ces heures-là.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il faudrait déprécariser les missions principales !

Mme Jennyfer Leclerc. Tout à fait ! Mais nous ne sommes pas fermés à l’accompagnement du périscolaire puisque ces enfants ne perdent pas leur handicap dans ce cadre.

Mme Sabine Rubin. Vous avez parlé de vos conditions de travail. Quel niveau de formation vous semblerait nécessaire ? Si l’on constituait un vrai corps de métier, faudrait-il prévoir différents niveaux de formation et de diplôme, comme il existe différents types d’accompagnement en collège et en primaire, en fonction du handicap ?

Mme Jennyfer Leclerc. Je suis interpellée par les mots que vous employez. Nous avons déjà un « vrai métier », même s’il n’est pas considéré comme tel.

Mme Sabine Rubin. Disons plutôt « filière ».

Mme Jennyfer Leclerc. Pour ceux qui sont déjà en poste depuis plusieurs années, le cas de Claire Lysiane est flagrant. Elle a passé dix années sur le terrain, sans formation ; elle s’est formée sur le tas et devrait avoir accès à la VAE, donc être diplômée pour ce qu’elle fait et pour ce qu’elle a appris toute seule, comme d’autres.

Quant au type de formation nécessaire, d’autres seraient sans doute plus à même de répondre que nous.

Mme Sabine Rubin. Vous avez dit que vous étiez à la fois des pédagogues, pour aider à comprendre le français ou les maths, éducateurs et accompagnateurs, pour les actes de la vie quotidienne. Si l’on compare avec les éducateurs spécialisés, puisque vous avez déjà un diplôme en petite enfance, à quel niveau faudrait-il situer les AESH, compte tenu de ce que vous faites et des compétences nécessaires ?

Mme Jennyfer Leclerc. Il faut un minimum de formation pour commencer. Il faut penser au bien-être de l’enfant. C’est pourquoi nous sommes un peu réactifs vis-à-vis des emplois du service civique. Nous n’avons rien contre eux, mais à chacun sa mission ou son métier. Accompagner des enfants en difficulté n’est pas à la portée de tout le monde.

M. Gianni Fourez. J’estime que ce niveau devrait être comparable à celui des éducateurs spécialisés, c’est-à-dire « bac + 2 » ou « bac + 3 ». Les élèves qu’ils ont en soirée, nous les avons en journée.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Avec la validation des acquis !

M. Gianni Fourez. Comme pour tous les métiers auxquels on accède par concours interne ou externe.

Mme Claire Lysiane. L’appellation d’éducateur scolaire spécialisé serait plus adaptée. C’est ainsi que nous nous ressentons.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame Leclerc, dites à la commission d’enquête à quel moment vous avez connaissance de vos notifications, comment vous vivez l’été et à quel moment vous savez combien de temps vous allez travailler.

L’une des pistes évoquées par le Gouvernement – je n’ai pas encore forgé mon opinion, même si j’ai quelques préjugés – est la mutualisation des intervenants, notamment au travers des PIAL en cours d’expérimentation, en partant du principe qu’ils peuvent améliorer la prise en charge globale. Quel est votre point de vue ? Est-ce que la relation personnelle avec l’enfant le permet ?

Mme Jennyfer Leclerc. Nous craignons que la mutualisation génère une sorte de fourre-tout. On attribue douze heures à chaque enfant sans savoir s’il a besoin de douze heures, de vingt heures ou plus.

En ce qui concerne les notifications, je suis recrutée par le collège, je ne suis pas détachée de l’association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (ADAPEI). Depuis trois ans, personne n’a été capable de m’expliquer la différence. Pourquoi certains reçoivent-ils leur ordre de mission de l’ADAPEI et pourquoi d’autres sont-ils recrutés par le collège ? Est-ce une affaire d’enveloppe ? Même au collège, personne n’a su me répondre. Ils ont donc leur enveloppe tardivement, courant septembre. Nous ne sommes jamais sûrs de faire la rentrée. Notre contrat allant jusqu’au 31 août, nous venons parfois faire la prérentrée sans savoir si nous serons toujours là par la suite, ni pour combien d’heures, ni où. Sachant que le collège a des enveloppes pour recruter chez lui mais également en milieu d’école primaire ou maternelle, nous passons l’été sans savoir. Il me semble que certains collègues détachés d’ADAPEI savent où ils vont être dans le courant du mois de juillet, plus ou moins.

M. Gianni Fourez. Pour moi, c’était mi-septembre.

Mme Jennyfer Leclerc. Cela va de juin à mi-septembre, voire au 3 octobre.

M. Gianni Fourez. La première année, pour moi, c’était octobre !

Mme Jennyfer Leclerc. Dans ces conditions, je vous assure qu’on ne vit pas.

Mme Nathalie Élimas. Comment êtes-vous avertis ?

M. Gianni Fourez. Par mail.

Mme Jennyfer Leclerc. J’ai été « recrutée collège », je suis toujours recrutée collège, même si je travaille dans une école primaire. La secrétaire me connaît. Elle sait que j’ai travaillé comme AESH dans l’établissement pendant deux ans. Quand elle reçoit une enveloppe correspondant au besoin de quelqu’un pour 12 heures à tel endroit, elle me demande si je veux accepter. Sinon, c’est à nous de faire du porte-à-porte. J’ai fait du porte-à-porte dans tous les collèges, j’ai déposé mon CV tous les ans pour indiquer que j’étais disponible. On court après nos heures, on court après le travail, alors qu’on a besoin de nous autant qu’on a besoin de travailler.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Une évolution de votre profession est envisagée dans le projet de loi pour une école de la confiance dont un article est consacré à l’inclusion. Celui-ci prévoit que les recrutements se feront en CDD de trois ans suivis d’un CDI, que vous êtes membres de l’équipe éducative et qu’à ce titre, votre expertise doit être reconnue. Un décret déjà paru prévoit que les notifications de la MDPH peuvent courir sur plusieurs années pour un enfant. Ces dispositions vous paraissent-elles positives ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ou même suffisantes !

Mme Jennyfer Leclerc. Ce serait un bon départ, notamment pour les enfants dont la notification pourrait courir sur plusieurs années. La notification court en année calendaire et non en année scolaire. Mais quand la notification d’un enfant va jusqu’au 31 décembre, on fait l’ESS quelques mois avant pour anticiper. Pour un de mes élèves, il avait même été recommandé de le faire passer de neuf à douze heures d’accompagnement. Mais après les vacances scolaires, on m’a fait sortir de classe en plein cours en me disant que depuis la veille je devrais être dans telle école pour tel enfant. Mon élève a fini son année tout seul et les parents n’avaient pas été informés. Je me suis retrouvée à finir mon année sur deux écoles primaires et à faire le changement sur le temps de récréation entre Neuville et le Val Druel. Du jour au lendemain, cet enfant s’est retrouvé sans accompagnement alors que nous en avions demandé plus, avec l’accord de toute l’équipe, le jour de l’ESS.

M. Gianni Fourez. Le CDD de trois ans est intéressant, mais j’ai des craintes en termes d’organisation. Si c’est pour faire la même chose sur trois ans, cela ne présente guère d’intérêt. Si la MDPH créait un dossier sur trois ans, ce serait plus viable. Le plus gros souci, c’est l’organisation de la répartition.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Tout à l’heure, nous avons auditionné les représentants de la MDPH de Seine-Maritime. En théorie, les renouvellements de notification pour des dossiers semblables sont fluidifiés, simplifiés et systématisés, sauf que 70 % des demandes incluent une demande nouvelle, donc font l’objet d’une instruction nouvelle. Pour l’instant, le problème est réglé dans la tête du Gouvernement et du législateur, mais pas encore dans les faits. En résumé, trois ans, c’est mieux, mais pour dix ans d’ancienneté, vous demandez une cédéisation et un statut.

Mme Claire Lysiane. J’aurais dû être cédéisée cette année…

M. Gianni Fourez. Mais cédéisée pour 600 euros…

Mme Claire Lysiane. …en tant qu’AESH-Co. Je suis dans l’ULIS depuis six ans, mais je n’ai que cinq ans d’AESH-Co.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Effectivement, c’est très contrariant.

Mme Jennyfer Leclerc. On me propose des CDI, mais à 610 euros par mois… J’ai une autre activité, je suis intervenante socioéducative dans le cadre du programme de la réussite éducative pour la ville de Dieppe. On a des petits compléments…

Mme Claire Lysiane. Je fais des extras pour un traiteur !

Mme Jennyfer Leclerc. …parce qu’il faut bien nourrir sa famille. Le CDI à 610 euros, avec tout le travail qu’on donne…

Mme Sabine Rubin. J’ai du mal à percevoir la réalité, car elle peut être différente en fonction du lieu et des objectifs. Toutefois, être affecté d’office à un établissement scolaire vous aiderait-il ?

M. Gianni Fourez. Cela aiderait à pallier les besoins, que nous pourrions apprécier directement sur place.

Mme Jennyfer Leclerc. On se sentirait peut-être un peu moins précarisés.

M. Gianni Fourez. Donner un peu plus de pouvoir aux personnes concernées dans l’école ou au directeur permettrait de répondre plus rapidement aux urgences qu’en étant affecté au mois d’octobre, si un élève a besoin de quelqu’un pour la rentrée. De plus, en restant trois ans dans la même école, le directeur nous connaîtrait et il y aurait un suivi d’équipe. Ceux qui affectent dans les postes sont à Rouen et le font au vu d’éléments statistiques mais sans connaître la réalité de l’école. Si c’est fait par le directeur…

Mme Jennyfer Leclerc. …ou l’enseignant référent du secteur !

M. Gianni Fourez. … ou l’enseignant référent qui connaît les besoins et les capacités de chacun, le travail d’équipe sera beaucoup plus efficace.

Mme Nathalie Élimas. Cela vous donnerait aussi le sentiment d’appartenir à une équipe…

M. Gianni Fourez. Tout à fait !

Mme Nathalie Élimas. …et d’avoir, comme vous le disiez, madame, votre mot à dire au moment de l’orientation.

Mme Jennyfer Leclerc. J’ajoute que nous ne sommes pas informés du handicap, compte tenu du secret médical, mais nous sommes tout de même auprès de l’enfant toute la journée. J’ai eu deux fois le cas d’enfants sous traitement lourd dont je n’étais pas informée. Un jour, l’une s’est sentie très mal après un changement de traitement. Comme elle se plaignait beaucoup, on avait fini par ne plus trop l’écouter, mais j’ai vu qu’elle allait mal. Comme elle était en foyer, il a fallu insister auprès du foyer. Effectivement, le nouveau traitement ne lui convenait pas et avait des répercussions cardiaques. Si je n’avais pas écouté cette enfant, que serait-il arrivé ? Je respecte le secret médical, mais il y a aussi la sécurité de l’enfant. En collège, on ne voit l’infirmière que le matin, et encore : en école primaire, il n’y en a pas. Dépendant du collège, on peut l’appeler en cas d’urgence, mais le temps qu’elle arrive, il vaut mieux appeler les pompiers. C’est une question de sécurité. Officiellement, les enfants sont placés sous la responsabilité de l’établissement, mais moralement, ils sont sous ma responsabilité. Nous devrions avoir un minimum d’information.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Quelle est votre relation en classe avec l’enseignant dans le partage des tâches ?

Mme Jennyfer Leclerc. Cela dépend de l’enseignant. J’ai relevé une différence entre le primaire et le secondaire. On peut être très bien accepté et même accueilli comme une épaule supplémentaire ; on peut aussi nous demander de ne pas faire de bruit, de rester discret au fond de la classe. Parfois nous intervenons en soutien du maintien de l’ordre ou des difficultés rencontrées par d’autres élèves. Dans les textes, nous sommes censés ne nous occuper que de notre élève, mais la réalité est totalement différente. D’autres professionnels qui ont l’impression d’être épiés ou jugés nous acceptent plus ou moins bien.

Mme Claire Lysiane. En dix ans d’ULIS, j’ai connu cinq enseignantes dont, deux rentrées de suite, des T1, c’est-à-dire des jeunes sortant de formation. Cela a été très dur. Elles sont propulsées dans le milieu scolaire au sein du dispositif ULIS, où elles n’imaginaient pas commencer leur carrière : c’est lourd… J’ai fait un peu de « formation » : j’ai un peu « formé » les enseignants qui arrivaient, ce qui n’était pas du tout mon rôle. J’ai géré les crises des enfants qui, en ULIS, ont besoin de repères, de visages connus. Cela fait six ans que je suis leur pilier, ce qui est très compliqué. La relation avec les enseignants est bonne mais c’est assez particulier quand on met en poste des T1.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Comme local de l’étape et comme rapporteur de la commission d’enquête, je vous remercie sincèrement. Dans la pluralité politique, en tout cas pour l’instant, je tiens à exprimer notre attachement, notre reconnaissance pour le beau et difficile métier que vous exercez. Nous considérons que c’est un métier à part entière. J’ai entendu le message sur l’absence de reconnaissance qui ne doit pas seulement passer par un discours mais par des dispositions statutaires concrètes de rémunération et de formation. Grâce à cette commission d’enquête, nous espérons bien faire progresser le sujet. Symboliquement, il était important pour nous de vous entendre et d’avoir ce retour de terrain.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci pour votre témoignage. Je souhaite que les dispositions du projet de loi pour une école de la confiance permettent une vraie évolution pour vous – je serai très vigilante – et que la commission d’enquête pourra renforcer et faire évoluer positivement votre profession.

Mme Jennyfer Leclerc. Merci de nous avoir reçues. Merci, monsieur Jumel, de nous avoir accompagnées depuis le début. Vous n’avez rien lâché, vous avez toujours été à nos côtés depuis le début du combat.

Mme Claire Lysiane. Merci à vous. Merci aussi pour les élèves car nous entendre, c’est aussi entendre la voix des élèves et des familles.

Mme Jennyfer Leclerc. Et la détresse des familles !

 


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5.   Audition conjointe de Mme Palmira Fras, directrice de l’école élémentaire d’Arques-la-Bataille, Mme Émilie Fourrier, enseignante de l’Unité d’enseignement élémentaire autisme (UEEA) de l’école Louis de Broglie de Dieppe, Mmes Sarah Leguillon et Valérie Carton, enseignantes de l’Unité d’enseignement externalisée (UEE) de la Traverse d’Omonville au lycée professionnel L’Émulation Dieppoise, et M. Kelim Boivin, responsable de service à l’IMPro de l’UEE de la Traverse d’Omonville

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous recevons maintenant Mme Palmira Fras, directrice de l’école élémentaire d’Arques-la-Bataille, Mme Émilie Fourrier, enseignante de l’unité d’enseignement externalisée autisme (UEEA) Louis-de-Broglie de Dieppe, Mmes Sarah Leguillon et Valérie Carton, enseignantes de l’unité d’enseignement externalisée (UEE) de la Traverse d’Omonville au lycée professionnel L’Émulation Dieppoise, M. Kelim Boivin, responsable de service à l’IMPro de l’UEE de la Traverse d’Omonville.

Mesdames, monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir votre parole afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Palmira Fras, Mme Émilie Fourrier, Mme Sarah Leguillon, Mme Valérie Carton et M. Kelim Boivin prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Mesdames, monsieur, nous avons procédé à un grand nombre d’auditions au plan national avec des acteurs nationaux, des représentants d’associations, de syndicats, d’associations de parents, mais j’ai insisté pour avoir un zoom local, et je remercie les membres de la commission d’enquête de l’avoir accepté, afin d’approcher un peu plus près la réalité du terrain. Il nous semble intéressant d’avoir un focus sur les unités externalisées que vous représentez. Quel bilan en tirez-vous ? Comment ont été bâtis les projets ? Qu’attendez-vous des évolutions éventuelles ? Quelles sont vos relations avec les ULIS et les établissements médico-sociaux ? Quelles sont vos relations avec les autres personnels et quels sont vos temps de travail en commun ? Autant de sujets qui intéressent la commission d’enquête.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai travaillé moi-même en établissement médico-social en tant que coordonnatrice d’unités d’enseignement et je voudrais savoir comment a été élaboré le projet d’unité d’enseignement externalisée. L’enseignant agit-il seul au sein de cette unité ou bien tous les services associés de l’établissement médico-social œuvrent-ils à vos côtés ?

Mme Émilie Fourrier, enseignante de l’unité d’enseignement élémentaire autisme (UEEA) Louis-de-Broglie. Je suis enseignante spécialisée au sein de l’unité d’enseignement externalisée pour les enfants autistes à l’école Louis-de-Broglie, ouverte depuis novembre 2018. Nous avons été très bien accueillis. Nous avons deux salles de classe, de beaux locaux spécialement refaits pour les enfants porteurs d’autisme, avec un plafond insonorisé et des lumières tamisées.

Ce dispositif procède de l’instruction interministérielle du 1er août 2018 relative à la création des unités d’enseignement élémentaire autisme (UUEA) et à la mise en œuvre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement. Il dépend de l’Éducation nationale et de la fédération pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) et il est rattaché au service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) Henri-Wallon, à Dieppe.

L’UUEA vise la poursuite de la scolarisation des enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA), grâce à une structure adaptée. Nous les accompagnons dans leur parcours scolaire. Ce dispositif inclusif a pour objectif une scolarisation dans le milieu ordinaire. Les enfants sont présents sur le même temps scolaire que les élèves de l’école de Broglie. Nous avons aménagé le temps au mois de janvier, parce que ces enfants ont de grosses réticences alimentaires. J’interviens sur le temps du midi pour aider les éducatrices et travailler avec les enfants. Comme ils sont encore très fatigables, nous terminons à 15 h 30, au lieu de 16 h 30, mais ils ont vingt-quatre heures de temps scolaire avec moi.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Combien d’enfants suivez-vous ?

Mme Émilie Fourrier. Nous avons actuellement sept enfants, nous en aurons dix à la rentrée 2019. Il y a une enseignante spécialisée, une AESH présente sur vingt heures et trente minutes, une éducatrice spécialisée et une accompagnante éducatrice et sociale, toutes deux rattachées au SESSAD Henri-Wallon à Dieppe.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous dites en souriant qu’elle est présente sur vingt heures et trente minutes. Sur combien de temps devrait-elle l’être ?

Mme Émilie Fourrier. Il faudrait qu’elle soit présente pendant les vingt-quatre heures du temps scolaire et qu’elle soit formée.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Les autres personnes sont-elles présentes tout le temps ?

Mme Émilie Fourrier. L’éducatrice spécialisée et l’accompagnante éducatrice et sociale sont à quarante et une heures par semaine. Elles sont présentes pendant tous les temps scolaires, donc y compris le temps de midi, ainsi que le mercredi après-midi pour des temps de guidance parentale au domicile des parents, au SESSAD ou à l’école, selon la disponibilité des parents.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Détachées par l’APAJH ?

Mme Émilie Fourrier. Oui.

Elles sont présentes aussi le soir jusqu’à 17 heures pour préparer du matériel. Nous avons énormément de préparation en aval.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il existe six de ces unités en France ?

Mme Émilie Fourrier. Oui.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Une extension est-elle envisagée ?

Mme Émilie Fourrier. Une extension devra nécessairement être réalisée, puisque dix enfants sont prévus pour la rentrée. Si dans les unités d’enseignement en maternelle il y a un adulte pour un enfant, nous sommes quatre adultes pour sept enfants, dont certains sont atteints de troubles du comportement importants. L’éducatrice spécialisée doit être détachée spécialement pour un enfant. Elle est toute la journée avec lui, ce qui empêche le travail avec les autres. En partant pour venir ici, je les ai laissées toutes les deux sachant que deux enfants ont d’importants troubles du comportement. Nous manquons de personnes encadrantes.

Mme Sarah Leguillon, enseignante de l’unité d’enseignement externalisée (UEE) de la Traverse d’Omonville à L’Émulation dieppoise. Ma collègue Valérie Carton et moi-même sommes enseignantes à l’unité d’enseignement externalisée du lycée professionnel L’Émulation dieppoise. Nous accueillons des jeunes de 14 à 20 ans. Nous ne nous voyions pas les mettre dans un collège ou à l’IMPro. Il y a beaucoup d’ateliers et on retrouve des ateliers au lycée professionnel. Nous avons pensé que l’inclusion serait ainsi simplifiée.

Nous avons deux salles de classe, nous sommes deux instits, une éducatrice à temps plein, vingt-quatre heures par semaine. Nous accueillons vingt-huit jeunes.

Mme Valérie Carton, enseignante de l’UEE de la Traverse d’Omonville à L’Émulation dieppoise. Nous avons chacune des groupes de sept ou huit en alternance une semaine sur deux. Nous avons deux groupes chacune, soit vingt-huit élèves au total pour les deux groupes, autrement dit quatre fois sept élèves.

Mme Sarah Leguillon. Nous les préparons au certificat de formation générale (CFG) en deux ans, diplôme qu’ils passent au mois de juin. Après l’avoir obtenu, s’ils veulent continuer leurs études, ils sont en attente d’une intégration en CAP ou d’une formation qualifiante. Après qu’ils ont arrêté la classe, le maintien des acquis est généralement difficile pour ces jeunes.

Nous avons été extrêmement bien accueillies. Des classes ont été mises à notre disposition. Une fois par semaine, un psychothérapeute ou un psychomotricien intervient au lycée, dans une salle mise à leur disposition. Au mois de septembre est organisée une semaine d’intégration pour les élèves de seconde, à laquelle nous sommes associées. Nos élèves vont visiter des lieux avec les secondes. Les chargés d’insertion professionnelle de l’IMPro participent à des modules avec nos jeunes. Il y a une grande interaction.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vos élèves sont-ils intégrés dans les ateliers de formation pour les CAP ?

Mme Sarah Leguillon. Nous commençons à le faire. Cela fait trois ans que nous y sommes. Au début, nous étions « en observation » des deux côtés, puisque les professionnels ne connaissaient pas toujours le handicap. Depuis septembre, les jeunes vont dans les ateliers, deux heures une fois par semaine, sur la base du volontariat, aussi bien pour les jeunes que pour les professionnels qui les accueillent. Cela fonctionne bien pour certains, qui veulent y retourner ; d’autres ne vont pas au-delà de la première séance.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. La semaine où ils sont en IMPro, comment cela se passe-t-il ?

Mme Sarah Leguillon. Ils sont en atelier toute la semaine.

Mme Valérie Carton. Avec des rééducations de psychothérapie ou de psychomotricité !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Donc, tout va très bien ?

Mme Valérie Carton. Oui !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Concernant l’insertion professionnelle, la poursuite d’études, les stages à trouver, comment cela se passe-t-il ?

M. Kelim Boivin, responsable de service à l’IMPro de La Traverse d’Omonville. Nous avons deux conseillères en insertion professionnelle (CIP) qui, sur les temps de l’IMPro, prennent le relais des instits, cherchent les stages et éventuellement des employeurs pour les contrats de qualification. Ces deux CIP sont arrivées quasiment en même temps, il y a deux ou trois ans. Comme elles apportent un regard différent de celui des éducateurs, le nombre de stages et de sorties ordinaires explose. C’est une vraie plus-value.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Après les deux ans passés dans votre classe, qu’advient-il si les élèves ne se dirigent pas vers la formation bac ou CAP ?

Mme Valérie Carton. Certains sont orientés en milieu protégé, d’autres retournent dans leur famille faute de solution.

M. Kelim Boivin. C’est assez rare. Le plus souvent, la sortie s’effectue soit en milieu ordinaire classique avec un emploi ou une formation qualifiante en intégration, soit en milieu protégé : foyer de vie ou établissement et service d’aide par le travail (ESAT).

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Après deux années d’expérience, quels éléments statistiques pouvez-vous fournir ?

M. Kelim Boivin. Je n’ai pas les chiffres ici, mais cela a vraiment explosé. Le nombre de stages en milieu ordinaire a considérablement augmenté en une année, de même que le nombre de sorties en milieu ordinaire.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous vous remettrons les coordonnées de la commission, afin que vous nous transmettiez ces éléments.

Mme Sabine Rubin. Ils sont au lycée. L’IMPro est différente du lycée ?

Mme Valérie Carton. C’est un autre établissement.

Mme Sabine Rubin. Ils sont donc deux semaines dans le lycée et deux semaines ailleurs.

Mme Valérie Carton. Non, une semaine sur deux !

Mme Sabine Rubin. D’où viennent ces jeunes ?

Mme Valérie Carton. La majorité d’entre eux viennent de SEGPA, d’autres d’instituts médico-éducatifs (IME). Nous fonctionnons beaucoup avec un IME qui n’est pas très loin. À partir d’un certain âge, ils intègrent l’IMPro de Longueville. Il y a aussi – et de plus en plus – des jeunes déscolarisés depuis un an ou un an et demi.

Mme Sabine Rubin. Ceux que l’on appelle les décrocheurs ?

Mme Valérie Carton. Comme en IME, nous avons des listes d’attente assez longues, et certains restent chez eux en attendant.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Combien ?

M. Kelim Boivin. Nous avons actuellement une trentaine de situations en attente.

Mme Sabine Rubin. Depuis combien de temps ?

M. Kelim Boivin. C’est difficile à apprécier, parce qu’une entrée est toujours liée à une sortie. On peut difficilement matérialiser le temps de la sortie. Pour certains jeunes, ça va très vite, ils font un passage éclair d’une année à l’établissement, mais d’autres peuvent rester chez nous quatre ou cinq ans.

Mme Palmira Fras, directrice d’école. Avant d’aborder l’inclusion, j’évoquerai l’enfant en difficulté, l’enfant que nous avons dans nos classes, celui qui nous questionne. Quand il nous questionne, nous faisons appel au réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED), qui est surchargé car il intervient sur différentes écoles. Il y a un premier délai avant que l’enseignante spécialisée ou la psychologue scolaire vienne nous aider à poser un regard précis sur la difficulté d’un enfant. Après quoi, nous engageons une démarche auprès des parents pour leur signifier le besoin de soins. Leur obtention prend également du temps, car le centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), les orthophonistes ou les psychomotriciennes sont surchargés, en sorte qu’il s’écoule encore un délai de six mois à un an avant qu’un enfant soit pris en charge. Après six mois de prise en charge par ces centres de soins, nous montons un dossier afin que la situation de l’enfant soit examinée par la MDPH, ce qui nécessite encore un délai important.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Dix mois !

Mme Palmira Fras. Lorsqu’une difficulté est repérée chez un enfant – ce qui peut avoir lieu en maternelle –, la mise en route est long, parce que les différentes structures manquent de place. L’année ou les deux années qui passent sont un énorme laps de temps perdu pour un enfant. La difficulté pourrait être traitée plus rapidement pour éviter de perdre ce temps précieux.

Pour qu’un enfant soit reconnu par la MDPH, il faut qu’il soit en situation de handicap reconnue. Quand il est reconnu par la MDPH, il y a de nouveau un délai car si une AVS est nécessaire, il faut encore du temps pour l’obtenir. Dans mon école, la dernière AVS est arrivée en janvier alors que la décision de la MDPH remontait au mois de mars précédent. Certaines ont des compétences acquises, d’autres n’en ont pas et doivent être formées. Nous, enseignants, tâtonnons pour aider nos AVS à adapter le travail à fournir avec les enfants pour les faire progresser. Dans mon école, deux AVS en contrat « parcours emploi compétences » (PEC) m’ont demandé de leur rédiger une lettre de recommandation pour devenir AESH, car elles en ont acquis les compétences. Là encore, on tâtonne, on ne sait pas à qui s’adresser pour qu’à la rentrée prochaine, elles restent dans l’école et continuent à accompagner l’enfant.

Les enseignantes aussi ont besoin de formation et de temps pour mieux connaître tous les « dys ». Elles participent à des réunions en dehors du temps scolaire. Nous ne connaissons pas suffisamment le handicap et toutes les formes de dys, comme l’hyperactivité et l’autisme. Quand le handicap est léger, les enfants sont scolarisés dans nos classes ordinaires ; quand le handicap est plus lourd et a nécessité l’entrée dans un IME, nous avons affaire à un autre type d’enfants. Dans nos classes à vingt, vingt-quatre ou vingt-six, selon les écoles, nous devons gérer les enfants et tout le travail que je viens d’évoquer, y compris les enfants qui tournent et à qui il faut donner à manger, et il est difficile d’être partout à la fois.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Qu’en est-il des effectifs des classes ?

Mme Palmira Fras. Cette année, dans notre école située en REP, nous avons la chance d’avoir des classes d’environ 20 élèves. La maternelle de notre commune n’a pas la même chance.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quels sont ses effectifs ?

Mme Palmira Fras. Dans l’école maternelle d’Arques-la-Bataille, il est de 24 à 25 par classe.

À cela s’ajoute le temps nécessaire pour préparer chaque parent à agir, le sensibiliser et lui faire comprendre que son enfant n’est pas facile. Or chaque parent est différent : l’un est émotif, l’autre à tendance à nous « rentrer dedans ». C’est compliqué. Il faut être diplomate et psychologue. Le travail de directeur n’est pas toujours facile, car des parents peuvent nous envoyer balader et d’autres restent en attente. Il faut trouver la clef pour qu’un parent réagisse. Tant qu’il n’y a pas de soins, on ne peut envisager un GEVA-Sco et la saisine de la MDPH.

L’inclusion d’UEE est arrivée cette année. J’ai interrogé les membres de mon équipe, qui sont au plus près des enfants. Ils m’ont autorisé à vous remettre des témoignages.

Le premier est celui de ma collègue chargée de huit enfants venant de l’IME, distant de cinq minutes à pied. La proximité est intéressante. Notre école est très grande, mais la qualité des locaux devrait être améliorée car elle est classée monument historique et elle est très sonore. La commune a consenti un effort important en insonorisant sept classes, mais pour ces enfants avec syndrome autistique, il reste du travail.

Ma collègue Élodie, donc, écrit : « Avec l’école d’Arques-la-Bataille, divers projets inclusifs ont été menés depuis plusieurs années avec l’IME ». Je suis directrice de cette école depuis 11 ans, mais avant mon arrivée les directeurs précédents ont beaucoup travaillé et les enfants de l’IME venaient déjà à l’école partager des projets avec d’autres classes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il y a une histoire !

Mme Palmira Fras. Il y a une histoire depuis pas mal de temps.

Elle poursuit : « L’année dernière, il y a eu un projet inclusif pour deux enfants et cette année, huit enfants sont dans cette unité. Ils sont inclus dans l’école uniquement le matin. Nos élèves ordinaires entrent en classe à 8 h 30, mais ces enfants arrivent vers 9 heures, pour éviter qu’ils se lèvent trop tôt et compte tenu du temps de transport en taxi, car ils sont très fatigables. De 9 heures à midi, ils sont dans notre école les quatre matinées. Pour deux de ces huit élèves, les quatre matinées ont été réduites de moitié car ils sont trop fatigables. En revanche, pour un élève, il y a eu une augmentation du nombre de matinées, mais on constate d’ores et déjà, après un mois, que l’investissement n’est pas le même et qu’une fatigue s’installe. Il faut veiller à respecter le rythme des élèves et à faire évoluer les projets au fil de l’année, selon les besoins des élèves. C’est à l’école de s’adapter et non aux élèves de s’adapter à l’école. » Je souligne cette phrase.

« L’inclusion ne doit pas gommer leur différence ou leurs besoins éducatifs particuliers. Les élèves sont très fatigables, même si des temps de pause sont prévus dans l’emploi du temps. Les inclusions quotidiennes, c’est à la récréation qu’elles se font de prime abord, dans ce temps-là où les enfants sont ensemble. C’est un temps qui a nécessité beaucoup de préparation en amont et en aval pour décoder certains comportements des élèves que nos élèves ne comprenaient pas. Les élèves de l’IME ne saisissaient parfois pas l’ironie ou des comportements des élèves normaux, par exemple, apprendre à jouer, apprendre à s’adresser à l’autre, à demander de jouer avec. Les élèves de l’école ont très bien accueilli les élèves de l’IME. Ils jouent ensemble à la récréation. Certaines élèves de l’école viennent nous voir quand ils sont en difficulté de communication avec un élève. Aujourd’hui, quand un élève est absent, les élèves de l’école viennent nous voir pour demander où il est. Il y a donc un réel intérêt partagé entre les enfants de l’UEE et les enfants de l’école. Les élèves de l’UEE sont des élèves de l’école à part entière. Ils sont acceptés avec leur différence. Nos élèves nouent également des liens avec les élèves de l’école. Par exemple, un élève est amoureux d’une autre élève, un autre a été invité à une fête d’anniversaire par un élève d’une classe ordinaire. Ils se retrouvent également au centre de loisirs de la commune. Cela crée un mélange d’enfants différents.

« Après les inclusions hebdomadaires, qui sont dans des temps scolaires, il y a une inclusion par l’éducation musicale. Il y a aussi des inclusions par la piscine et bientôt, s’ils répondent favorablement aux tests, par la voile. Les inclusions se font toujours avec une éducatrice. Du point de vue des familles, et j’assiste à certaines ESS lorsque je le peux, certaines nous demandent des dérogations pour que leur enfant reste à l’UEE l’année prochaine, malgré la limite d’âge.

« L’année prochaine, il sera possible pour certains élèves de prendre les repas à l’école, pour suivre dans la mesure du possible les inclusions piscine, tenter des inclusions pour des activités plus scolaires du type lectures ou maths, peut-être avec dix élèves l’année prochaine. La réflexion est en cours au sein de l’IME. »

Elle évoque les points d’amélioration. Elle trouve limitante l’inclusion d’un enfant dans sa classe d’âge. Un enfant de 11 ans qui rencontre des difficultés peut aller dans une classe avec âge « + 1 » ou « – 1 », mais âge « – 2 » ou âge « – 3 », pour un enfant de 11 ans qui rencontre des difficultés pour apprendre, pour l’instant ce n’est pas permis.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ce n’est pas dans les textes.

Mme Palmira Fras. « Pourquoi un enfant de 10 ans ne pourrait-il pas apprendre avec des CP ? Lors de l’ESS, l’enfant de 11 ans, il faut une dérogation pour qu’elle reste dans l’UEE. Âge « + 1 », oui, mais âge « + 2 », il faut une dérogation. Après tout, quand on décide d’apprendre le yoga ou le dessein, ne se retrouve-t-on pas avec des personnes d’un âge différent du nôtre ?

« Quant aux limites, si l’éducatrice part avec un ou deux élèves, l’enseignant spécialisé est seul avec les quatre ou cinq autres, ce qui est difficilement gérable en termes de différenciation pédagogique. Il nous faut donc rentabiliser l’inclusion car nous ne sommes pas assez d’adultes. Pour pallier ce problème, nous allons faire la demande de services civiques [elles sont deux pour huit]. Oui, cela fera une personne en plus dans la classe mais il ne s’agira pas d’une personne formée, à qui on demandera un travail d’éducateur. Ce sera quelqu’un en plus pour donner un coup de main. Ce n’est pas satisfaisant. » Elle trouve qu’il n’y a pas assez de moyens au niveau de l’Éducation nationale pour aider, accompagner. Elle note également que, pour l’ULIS de l’établissement Paul-Bert, ils sont quatre adultes pour sept enfants : « A l’UUEA, vous êtes quatre pour sept et chez nous, ils sont deux pour huit. »

Ensuite, elle dit qu’il est difficile de trouver des temps de concertation dans l’équipe pédagogique. Elle termine par des remarques des enfants. Certains disent qu’ils aiment bien, d’autres qu’ils préfèrent l’IME. Elle a interrogé cinq enfants, trois d’entre eux aiment l’UEE et souhaitent poursuivre, les deux autres trouvent que c’est fatigant.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Pourquoi une telle différence entre l’UEE où l’IME met à disposition des éducateurs spécialisés ou des accompagnants et l’IME qui ne met personne à disposition ?

Mme Palmira Fras. Ils sont deux, une éducatrice et une enseignante.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il n’y a pas d’AESH collectif ?

Mme Palmira Fras. Non.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. La réponse, ce sont les moyens dont disposent les associations.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Et l’Éducation nationale !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. D’un côté, l’APAJH expérimente un dispositif en UEE élémentaire avec l’Éducation nationale qui, sur notre pression amicale, a tout de même mis le paquet. D’un autre côté, on a un dispositif un peu plus de droit commun, en maternelle, où les ratios ne sont pas les mêmes. C’est aussi l’intérêt de comparer. Nous notons l’insuffisance de moyens humains.

Dans les lycées, l’acceptation par les élèves et par l’établissement se passe‑t-elle aussi très bien ?

Mme Valérie Carton. Les deux populations se côtoient mais ne se mélangent pas. Ils mangent ensemble à la cantine. Nous n’avons jamais eu de souci. On n’a pas dit que des IMPro allaient venir à L’Émulation : ils voient des jeunes. Comme ils ont l’habitude de voir des ULIS dans leur collège, cela ne les gêne pas. Pour eux, ce sont des ULIS. Ils ne font pas la distinction.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Comment cela s’est-il passé dans l’école protégée de Broglie ?

Mme Émilie Fourrier. À notre arrivée, l’éducatrice spécialisée est allée dans toutes les classes pour expliquer l’autisme. Elle a répondu aux questions des enfants. Sur les temps d’inclusion, nous avons inclus les enfants à chaque récréation et à la cantine. Nous sommes toutes les quatre dans la cour de récréation et nous répondons à chaque fois aux interrogations des enfants. Tout à l’heure, un petit de l’unité pleurait. Un autre enfant de CP est venu me voir et je lui ai dit : « Prends-lui la main, invite-le à venir vers toi ». Il y a tout un langage gestuel. Les enfants de CP veulent interagir avec les enfants de l’unité.

Mme Sabine Rubin. Il y a certainement des différences d’affectation entre une unité d’enseignement externalisée et une ULIS ? Quel est le dispositif le plus efficace ?

Mme Émilie Fourrier. Les enfants en UEE ont besoin d’un accompagnement éducatif et médico-social qui n’existe pas en ULIS, où il y a l’enseignement et une AESH.

Mme Sarah Leguillon. Il y a une classe ULIS et, de temps en temps, sur certaines plages horaires, ces élèves intègrent une classe ordinaire de lycée, alors que nous sommes un établissement et que nos deux classes ont été externalisées.

Mme Palmira Fras. Les jeunes dépendent encore d’un établissement. Les soins sont prodigués par cet établissement. Les professionnels de l’établissement, dont les éducateurs, s’en occupent.

Mme Sabine Rubin. Dans les textes et probablement dans les faits, puisqu’ils sont d’abord dans un IME avant d’être intégrés dans une UUE, ce qui n’est possible en sens inverse ! On dit que des jeunes en ULIS auraient aussi beaucoup besoin de soins. A-t-on une visibilité sur ce qui manque ? Est-il pertinent de garder ces dispositifs séparés ou pourraient-ils être réunis ?

Mme Émilie Fourrier. Ce sont deux systèmes parallèles.

Mme Sabine Rubin. Qui parfois se croisent !

Mme Émilie Fourrier. Il est noté dans le projet que le dispositif s’adresse aux « enfants de 6 à 11 ans dont l’accompagnement par une ULIS ou une aide humaine est insuffisant ».

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Si vous étiez ministre, préconiseriez-vous la multiplication du nombre des unités d’enseignement externalisées ?

Mme Émilie Fourrier. La différence avec une ULIS, c’est que le transport des enfants est payé par le médico-social. Une grosse partie du budget de 100 000 euros attribué aux UUEA est utilisée pour le transport. Cela nous enlève énormément de moyens, alors que pour les ULIS, le transport est pris en charge par le département. C’est ce qu’il faudrait améliorer. Nous avons aussi besoin de davantage de personnel. Un pour un serait formidable.

Mme Sarah Leguillon. Cela a fait beaucoup de bien aux jeunes qui sont venus au lycée. Leur comportement n’est pas du tout le même que lorsqu’ils sont sur le site de Neuville, même en termes de look. Quand ils viennent au lycée, ils font un effort, troquent le jogging pour le jean afin de se fondre dans la masse des autres lycéens. De fait, on ne les repère pas du tout.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame la directrice, en faisant toute réserve quant aux demandes de moyens supplémentaires que vous avez exprimées, est-ce un dispositif à préconiser et à promouvoir ?

Mme Palmira Fras. Après à peine une année, nous constatons que le mélange des enfants ordinaires et des enfants en situation de handicap apprend à ces derniers à vivre avec une différence et à tous de s’accepter avec leurs différences, quelles qu’elles soient – en l’occurrence, la différence liée au handicap. C’est énorme. Le vivre ensemble est essentiel.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai cru comprendre ce matin qu’il y avait un projet de partenariat avec des établissements médico-sociaux pour aller au-delà de l’UEE et de l’ULIS pour des accompagnements au sein de collèges ou d’établissements scolaires. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Kelim Boivin. Je peux le confirmer, mais c’est toujours à l’état de projet. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. C’est avant tout une rencontre humaine avec, des deux côtés – le médico-social, l’Éducation nationale et le directeur d’établissement –…

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Et la commune !

M. Kelim Boivin. … une même volonté de créer cette unité d’enseignement.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci pour vos témoignages. Si vous en avez d’autres, n’hésitez pas à nous les envoyer ultérieurement.

 

 


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6.   Audition de Mme Sophie Pierroux, parent d’élèves

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous recevons maintenant Mme Sophie Pierroux, parent d’élève en situation de handicap.

Chère madame, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir la parole des personnes concernées afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sophie Pierroux prête serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame Pierroux, nous sommes quatre parlementaires, les auditions sont filmées et retranscrites, mais nous nous connaissons. Votre parole m’a bousculé, bouleversé parce qu’elle est le reflet de la réalité que vivent les parents. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que vous soyez entendue dans le cadre de cette commission d’enquête délocalisée. Notre agenda est serré, mais prenez le temps de votre présentation et nous ajusterons nos questions en conséquence.

Mme Sophie Pierroux. Ma fille, Marie Hébert, est née le 21 janvier 2005, année de la création de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). À dix mois et demi, Marie a fait une crise d’épilepsie complexe et a été orientée vers un spécialiste.

En 2008, Marie est scolarisée en maternelle. La veille de la rentrée, nous avions rencontré les instits pour leur expliquer rapidement la situation et la conduite à tenir en cas de crise. Le lendemain, jour de la rentrée des classes, aucun problème du côté des instits mais, l’émotion ayant entraîné une crise, l’accompagnatrice du car nous a jetées en disant devant ma fille : « Je n’en veux pas dans mon car ! » Il a fallu batailler longuement, alors que nous souhaitions juste une intégration dans le car pour lui faire parcourir une fois par semaine les quatre kilomètres séparant l’école de la garderie. Les ambulanciers n’ont pas accepté la prise en charge faute de rentabilité pour une heure par-ci, par-là.

Je parlerai de l’épilepsie puisque nous sommes directement concernés par cette pathologie. Elle fait l’objet d’un rejet : c’est très compliqué, cela fait peur à tout le monde, personne ne cherche à savoir. En 2019, nous avons même entendu parler de la « maladie des fous ». Quand une crise survenait à l’école – et Marie en avait régulièrement –, il fallait toujours venir la chercher. Il n’y a aucune prise en charge à l’école, ce qui signifie qu’actuellement, tous les enfants ne sont pas scolarisables. Il fallait que nous soyons là tout le temps, donc qu’un des deux ne travaille pas, car nous devions attendre le coup de téléphone éventuel. Il fallait récupérer les devoirs et les cours, faire faire les devoirs et donner des cours pour que notre enfant ne soit pas largué. C’est un vrai sport. Il faut être parents, infirmiers, instits.

Ce fut ainsi jusqu’en CM1. En 2009, on a diagnostiqué à Marie un syndrome de Dravet, qualification très large. Il n’y a eu aucune prise en charge financière. À l’époque, je ne travaillais pas. En 2011, la MDPH nous a fait savoir par courrier que le handicap de ma fille étant inférieur à 50 %, nous n’aurions droit à rien.

En 2016, elle est en CM2. Dans les campagnes, on fait la maternelle dans tel village, le primaire dans tel autre, en l’occurrence à Étaimpuis, puis à Grigneuseville et la dernière année à Bracquetuit où il y a une classe dont l’instit est en même temps directrice, avec une AVS. Clairement, Marie était malvenue. Nous avons attendu la fin des vacances de Noël pour déscolariser Marie. C’est alors que la MDPH et l’Éducation nationale se sont affolées, alors que nous avions déjà demandé et alerté. À partir du moment où on déscolarise un gamin, tout le monde s’aperçoit que vous avez peut-être besoin de quelque chose. À partir de 2015, nous avons obtenu l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), soit environ 127 euros. Nous avons eu une proposition de complément et de prestation de compensation du handicap (PCH) à partir de 2016.

Par conséquent, si vous souhaitez voir scolarisés tous les enfants, y compris ceux porteurs de handicap, il faudra prévoir d’intervenir sur la partie médicalisée, sinon cela ne sera absolument pas possible.

Nous avons déscolarisé ma fille, nous nous sommes débrouillés pour trouver des intervenants. Nous avons affaire à l’association Votre école chez vous (VECV), qui a beaucoup de profs dans la région parisienne mais à Rouen, c’est une catastrophe. Il doit n’y avoir qu’une poignée d’élèves ainsi scolarisés, faute de budget, parce que, comme d’habitude, tout se passe à Paris. En province, il ne se passe pas grand-chose, en milieu rural encore moins. Marie doit avoir quatre heures et demie de cours par semaine. Nous complétons par un intervenant que nous finançons. Nous avons obtenu récemment un accord de la MDPH permettant de financer une partie des cours.

C’est un chemin de croix, et la dernière rentrée scolaire a été un véritable fiasco au regard des AVS. En sixième, l’année dernière, il y a eu intégration pour ma fille au collège d’Auffay. Mais dans son cas, venir une heure ou deux ne ressemble à rien. Les groupes de copains sont déjà constitués. Ma fille, extrêmement timide, a perdu tout lien avec les autres enfants et se trouve dans un isolement complet. Elle ne parle presque plus. On a l’impression que la MDPH se secoue à partir du moment où il y a le feu. Il serait bien qu’elle se secoue avant qu’il y ait le feu. Quand le feu a pris, il est compliqué de l’éteindre. Pour un gamin isolé, seul au monde, qui ne vit qu’avec des adultes, il est compliqué d’établir un lien social.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. La santé de votre fille s’est-elle améliorée ?

Mme Sophie Pierroux. Non, son état est inchangé. J’ignore si vous pouvez avoir quelque influence en ce domaine, mais il existe un médicament, l’Épidiolex, correspondant apparemment à son syndrome, dont je cherche à obtenir l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), nécessaire pour certains médicaments. Le spécialiste qui suit Marie m’a mis le papier sous le nez il y a dix jours. Le médecin doit remplir un document puis l’envoyer à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Après quoi, il peut s’écouler trois mois, six mois, voire un an. Il faudrait que ça bouge du côté de l’ANSM, à moins qu’on attende que nos enfants meurent. Dans son cas, une mort subite peut survenir. C’est peut-être ce que l’on attend pour que ça coûte moins cher à la société.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous dites qu’en raison de la gravité des problèmes de santé de votre fille et de son syndrome épileptique, il ne vous paraît pas raisonnable de parler d’école inclusive.

Mme Sophie Pierroux. Pas à l’heure actuelle !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Que faudrait-il mettre en place ? Des établissements de santé avec internat peuvent-ils accueillir des enfants comme le vôtre ? Je connais le sujet des enfants souffrant d’un handicap cognitif. En tant qu’enseignante, j’ai accueilli un enfant épileptique avec un PAI et les médicaments nécessaires, mais nous n’avons jamais eu de crise à l’école. Je ne suis donc pas qualifiée pour apprécier la situation.

Mme Sophie Pierroux. J’ai listé des pistes d’amélioration de la MDPH, si vous le permettez.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous sommes ici pour vous entendre.

Mme Sophie Pierroux. Il faudrait d’abord alléger les dossiers à remplir, car c’est du grand n’importe quoi. À chaque fois, il faut confirmer par un dossier médical. Pourtant, quand une maladie est installée, elle ne peut s’envoler par enchantement.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Cela devrait être désormais le cas quand un handicap installé et supérieur à un certain taux est reconnu. C’est acquis.

Mme Sophie Pierroux. Il faudrait aussi allonger les droits, car le handicap ne disparaît pas en trois ans. Pour n’importe quelle nouvelle demande, il faut remplir un nouveau dossier long comme le bras, comme si nous n’avions que cela à faire. Malgré cela, j’ai la chance de pouvoir travailler.

Il faudrait aussi que la MDPH se rapproche de l’assurance maladie avant de décider d’octroyer ou non des aides. J’ai attendu au moins six ans pour obtenir quelque chose pour un syndrome de Dravet. Des hospitalisations, si je vous montrais le carnet de santé de ma fille, vous verriez qu’il y en a eu ! Depuis, nous avons appris à gérer les crises à la maison. Grâce à un stimulateur du nerf vague, ses crises sont courtes désormais, mais à l’époque elle a eu des épisodes de « grand mal » nécessitant une hospitalisation. Avant de décider ce que l’on accorde ou pas, quand on ne connaît pas une maladie rare, on se renseigne. Il a fallu que j’envoie un dossier énorme à la MDPH en relevant toutes les informations relatives au syndrome de Dravet, parce que j’en avais ras le bol, pour qu’ils fassent quelque chose. Ils m’ont envoyé l’assistante sociale à domicile pour évaluer nos besoins, sept ans après ! Vous me trouverez peut-être excessive mais ma colère n’est pas près de s’éteindre.

Les délais de réponse sont très longs, surtout pour la première demande. Apparemment, ils avaient perdu le dossier.

Il faudrait aussi cesser de vouloir normer la prise en charge du handicap. Un handicap, y compris pour une même pathologie, ne peut pas avoir la même prise en charge qu’un autre. Par exemple, le syndrome de Dravet, qui résulte de l’anomalie d’un gène, présente des cas atypiques, comme celui de ma fille. Elle a des crises mais pas autant que dans un syndrome de Dravet pur, qui peut provoquer 400 crises par semaine. Autant dire que pour les apprentissages, c’est une catastrophe. Ma fille peut être scolarisée à condition d’être suivie et stimulée. Une poignée d’heures par-ci par-là n’est pas suffisante. Les enfants sont tous les mêmes : moins ils en font et moins ils ont envie d’en faire. Des enfants atteints d’un syndrome de Dravet sont photosensibles et peuvent entrer en crise sous l’effet de la lumière. Ma fille est très sensible à la température de l’eau, de l’air, de l’ingestion, de la douche, aux effets de l’émotion, de la fièvre. On veut créer des normes dans l’Éducation nationale, mais on ne peut pas créer des normes dans le handicap. La réponse au handicap doit être à la carte. Chaque personne doit être prise en charge différemment. Au sein d’une même structure, la prise en charge doit être différenciée.

Il faut aussi plus d’aide pour les aidants familiaux, parce que le jour où nous disparaissons, laissez-vous mourir nos enfants ? Si un jour nous sommes hospitalisés, que fera-t-on de nos gosses ?

Il faut créer des structures pour les enfants épileptiques, puisqu’ils sont un peu jetés partout. Il y en a en région parisienne mais très peu ailleurs en France. Mais je ne vais pas envoyer ma fille à Trifouillis-les-Olivettes, j’ai envie de la voir tous les jours.

Il faut créer des centres de vacances, parce que nos enfants ont aussi le droit de partir en vacances. Même si la pathologie fout les jetons, il faut former des gens afin que ces enfants aient un semblant de vie.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai un peu le mauvais rôle de veiller au respect du timing.

Mme Sophie Pierroux. C’est trop long ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Non, il est bien que ce témoignage soit entendu, enregistré, filmé, retranscrit, qu’il entre dans la réflexion et même dans l’émotion de la commission d’enquête, mais nous devons maintenant nous acheminer vers la conclusion.

Mme Nathalie Élimas. Vous avez évoqué les aidants familiaux, sujet qui me touche et auquel je travaille. Vous n’êtes pas seulement la maman d’un enfant en situation de handicap, vous êtes aussi un aidant familial. Est-ce que vous vous ressentez en tant que tel ? À l’Assemblée nationale, une proposition de loi a été présentée à ce sujet par notre collègue Pierre Dharréville et j’en ai moi-même présenté une, la semaine dernière, principalement sous l’angle de la dépendance. Pouvez-vous apporter une contribution sur ce sujet de l’aidant familial – que l’on ne peut pas aborder uniquement sous l’angle de la dépendance, parce qu’on peut ne pas être l’aidant d’un parent malade : on peut l’être d’un enfant malade ou être un enfant ou un jeune aidant ?

Mme Sophie Pierroux. Pour améliorer la vie des aidants familiaux, il faudrait plus de temps d’intervenants. Nous avons une intervenante qui fait le lien entre mon conjoint et moi, mais elle est intermittente et travaille essentiellement à la maison. Or Marie nécessite une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Épilepsie vient d’un mot grec signifiant « prendre par surprise ». Cela peut arriver n’importe quand. Mais pour obtenir de la MDPH du temps d’intervenant, il faut vraiment pleurer, ce qui est humiliant. Il est déjà difficile de vivre le handicap de nos enfants. Ce sont nos tripes. On ne parle pas de la garde du chien, ce sont nos enfants ! Nous avons quinze heures d’intervenant par mois.

Mme Nathalie Élimas. Il est présent en même temps que vous ?

Mme Sophie Pierroux. Il fait la jointure, mais il ne doit pas y avoir le moindre grain de sable. J’ai des horaires à la carte. Je travaille au centre hospitalier de Dieppe. J’ai la chance de pouvoir commencer tôt et de partir tôt, mais si ma voiture tombe en panne, cela devient compliqué, parce que mon conjoint est déjà parti. Notre intervenante, Delphine, fait la jointure mais nous courons. Nous aurions besoin de plus de temps d’intervenant sans être obligés de pleurer. Au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH), on me donne trois heures par jour. On prétend que je m’occupe de ma fille trois heures par jour ! Elle dort dans notre chambre, car ça peut même arriver la nuit. On hallucine quand même ! Je ne prétends pas obtenir vingt-quatre heures, mais trois heures par jour, c’est presque du foutage de gueule ! Le matin, mon conjoint s’en occupe, il lui donne la douche. Quand des profs arrivent, il est là, parce qu’il faut que l’un de nous deux soit là. Je rentre entre seize heures trente et dix-sept heures et je m’occupe de ma fille jusqu’au coucher. Durant la nuit, s’il y a une crise, je me lève, je gère la crise et je me lève à six heures pour aller bosser. Je ne m’occupe pas de ma fille trois heures par jour !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci beaucoup.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci. Je vous souhaite beaucoup de courage pour continuer. J’admire votre force, madame.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Cela va nous donner de l’énergie pour faire bouger les choses.

 


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7.   Audition de Mme Christelle Defoort, parent d’élèves

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous recevons maintenant Mme Christelle Defoort, parent d’élève en situation de handicap.

Madame, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir la parole des personnes concernées afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Christelle Defoort prête serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Le choix des familles est naturellement subjectif, j’ai entendu de multiples témoignages et j’organise ce soir un débat où nous en entendrons d’autres, mais il nous a semblé important de permettre à des parents de nous faire part, sans filtre, sans tabou, de manière cash, des réussites, des obstacles, des difficultés – des parcours du combattant –, des marges d’espoir, des nécessités de progression et, en l’occurrence, de vous permettre de vous exprimer en toute liberté devant cette commission d’enquête pour nous aider à progresser dans la réflexion et à apporter des réponses.

Mme Christelle Defoort. Merci de votre invitation. Je suis maman de deux ados, dont l’un, âgé de 17 ans, est autiste. Le parcours fut complexe car les prises en charge n’étaient pas auparavant ce qu’elles sont maintenant. Alors qu’il était non-verbal jusqu’à l’âge de 11 ans, j’ai attendu quatre ans la prise en charge de mon fils par un orthophoniste. Les orthophonistes l’estimaient inutile puisqu’il ne parlait pas. Il a été scolarisé en maternelle en France puis, ne voulant pas le mettre en institut médico-éducatif (IME), je l’ai mis à l’école primaire en Belgique, car je suis originaire du nord de la France. Après l’école primaire en Belgique, j’ai voulu relever le défi de l’inscrire au collège, sachant qu’il ne savait ni lire ni écrire. Il y était favorable et il y est resté quatre ans au collège. C’est la meilleure décision que j’aie prise car il a évolué considérablement, notamment grâce à un personnel pas toujours qualifié mais toujours humain.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Où était-ce ?

Mme Christelle Defoort. La première année, c’était dans le Nord, à côté de Maubeuge. Les deux années suivantes c’était ici, au collège Alexandre-Dumas à Neuville‑lès‑Dieppe. L’encadrement était super. Même si les AVS ne sont pas formées, mon fils est bien tombé.

Après le collège, comme il a plus de 16 ans, la MDPH a préconisé un institut médico‑professionnel (IMPro). Mon fils veut continuer à l’école. Mais comme il n’est pas verbalement autonome, puisqu’il a commencé à parler à l’âge de 11 ans, on m’a dit qu’il n’était pas possible de l’accueillir au lycée. Il doit donc rester à l’IMPro. En allant visiter l’IMPro le plus proche, à Omonville, nous avons compris que ce n’était pas pour lui puisque mon fils y aurait été absent dans le sport. J’ai dit que les métiers présentés ne lui plaisaient pas mais qu’il aimait bien nager. L’éducateur m’a ri au nez en disant : « Madame, ce n’est pas un métier, c’est un loisir. »

J’ai donc arrêté de travailler pour refaire cours à mon fils à la maison via le Centre national d’enseignement à distance (CNED).

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Depuis quand ?

Mme Christelle Defoort. Ici, depuis septembre. Ce sont deux ans que je mets entre parenthèses et au cours desquels j’aimerais mettre des choses en place. D’où ma présence ici. Mon fils est fan de natation. J’ai créé une section natation qui compte pour l’instant trois jeunes autistes, dont Victor, 17 ans, qui, est chez lui après le collège et ne fait rien, parce qu’il ne veut pas aller en IMPro.

Après avoir créé la section de natation, des recherches m’ont permis de constater qu’il existait en France des centres de formation d’apprentis (CFA) adaptés, passerelles entre l’IMPro et le lycée. Les personnes handicapées peuvent y apprendre un métier tout en poursuivant un cursus scolaire. Il y en a un dans les Alpes du Sud, qui permet de décrocher des diplômes comme le CAP. Un encadrement par des professionnels est prévu pour les handicaps les plus lourds. Ils débouchent sur des CAP de coiffure et de petite enfance. J’ai pris contact avec M. Lanuzel, le directeur du CFA du quartier de la Grand’Mare à Rouen, qui est en train de constituer un dossier en vue d’ouvrir une section adaptée – tout est centralisé à Rouen, à Dieppe on n’a pas grand-chose. En secteur rural, des familles dans le besoin sont uniquement orientées vers les IMPro. Il serait intéressant de créer un CFA adapté pour permettre aux jeunes qui en sont capables d’apprendre un métier différent de ceux qu’on voudrait leur imposer.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Dans les CFA, il y a un référent handicap qui doit être en mesure d’accueillir des adolescents en situation de handicap et de les aider à préparer un CAP ou une validation de compétences. Que vous a-t-on répondu dans les sections existantes ?

Mme. Christelle Defoort. Je n’ai pas encore pris contact avec eux, sauf avec M. Lanuzel, qui est favorable à ma demande de création ici d’une annexe du CFA de Rouen et d’y mettre à disposition des professeurs. Créer une classe ULIS au sein des CFA, comme dans les collèges, permettrait au moins une inclusion avec les personnes qui n’ont pas de handicap, dans des corps de métier autres que la restauration ou l’entretien des espaces verts. Je ne suis pas contre ces métiers, mais en mettant nos jeunes dans les IMPro, on leur impose des solutions que mon fils n’aime pas. Je ne vais pas le mettre en IMPro parce qu’il faut l’y mettre. Je souhaite que mon fils soit épanoui dans ce qu’il fait. Je vous invite à venir le voir à la piscine, au club de Dieppe où il fait du tennis et à voir les autres jeunes tout aussi épanouis, au point qu’on a l’impression que leur handicap n’existe pas.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Qu’envisagez-vous avec lui pour son avenir ?

Mme Christelle Defoort. Il aimerait bien devenir maître-nageur. À côté du brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BP-JEPS), un nouveau diplôme vient d’être créé ici, le certificat professionnel JEPS (CP-JEPS), qui correspond au CAP. Il serait assistant du maître-nageur. Ce serait plus abordable pour lui.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Certains services médico-sociaux de la région ne seraient-ils pas à même d’assurer un accompagnement ? J’ai travaillé en établissement médico-social où nous accompagnions soit des jeunes en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), soit des jeunes en IMPro. Nous n’avions pas de jeunes en situation d’autisme, mais nous accompagnions aussi ceux qui en étaient capables dans un parcours de CFA et d’apprentissage à l’extérieur de l’établissement.

Mme Christelle Defoort. À Dieppe, il n’existe pas de CFA adapté.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’évoque un CFA ordinaire où un jeune en situation de handicap est accompagné par un service médico-social, comme un SESSAD, et un enseignant, qui l’aide à suivre des études à l’intérieur du CFA. Normalement, chaque CFA doit avoir un référent handicap permettant l’adaptation du nombre d’heures et de niveau des cours pour tout jeune en situation de handicap.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. On continuera à se voir pour examiner comment vous accompagner, mais la commission d’enquête a vocation à se nourrir de cas particuliers, et je déduis de votre témoignage, soit que cela n’est pas connu par les parents, soit que cela n’existe pas dans tous les CFA.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. C’est la loi !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Si la loi était appliquée également partout, il n’y aurait pas de commission d’enquête.

Ce qui m’interpelle le plus dans votre témoignage, c’est le parcours du combattant du début, la scolarisation, puis le sentiment d’un retour à la case départ avec la déscolarisation. Vous dites avoir arrêté votre travail pour élever vos enfants seule. Comment faites-vous ? Quel est votre statut ? De quel accompagnement bénéficiez-vous ? Il est important de dire à la commission d’enquête ce que cela implique.

Mme Christelle Defoort. C’est un choix et un sacrifice. J’ai « « bac + 2 ». Je suis comptable. Si je peux reprendre un petit travail, tant mieux, mais je pense surtout à son avenir. Je préfère mettre de côté ma carrière pendant deux ans, mais deux ans créatifs afin d’aboutir à quelque chose pour lui, pour qu’il ait un avenir et une vie décente. Cela signifie pas de vacances. Mes enfants sont conscients qu’ils n’ont plus les mêmes avantages qu’avant. Nous l’acceptons parce que c’est pour quelque chose de bien.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Une commission d’enquête ne doit pas seulement voir ce qui ne va pas, mais aussi ce qu’on fait bouger, ce qu’on bouscule. J’entends la demande de CFA adapté ou de faire vivre les référents handicap dans les CFA qui existent.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il y a aussi les ULIS pro où il reste des places libres – nous entendions l’inspecteur ce matin –, qui peuvent apporter le soutien scolaire nécessaire et éventuellement accompagner à l’extérieur dans les expériences professionnelles. Il y a tout de même des pistes ici.

Mme Christelle Defoort. Au sortir du collège, la référente collège et l’intervenante pivot du centre de ressources autisme (CRA) s’opposaient déjà à ma décision de recourir au CNED. Pour elles, mon fils devait aller en IMPro. Dans le projet personnalisé de scolarisation (PPS), il est indiqué qu’ils sont contre mon choix, alors qu’il a de super-notes au CNED et même en matière sportive. Il voit du monde. Bien qu’autiste, il est hypervolontaire, calme et compréhensif. Il est dommage que les professionnels ne valident pas les choix des parents. À part l’IMPro, c’est tout ce qu’on m’a proposé. Il y a un manque total de communication.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Tout à l’heure, nous avons reçu deux enseignantes exerçant dans des unités d’enseignements au lycée L’Émulation dieppoise, de création récente, dans lesquelles il y aurait peut-être de la place aujourd’hui. Peut-être est-il possible de faire un recours auprès de la MDPH pour l’aider différemment.

Mme Christelle Defoort. Outre mon fils, Victor, qui est intégré à la section piscine, a aussi 17 ans. Épileptique, la restauration et l’entretien des espaces verts lui sont interdits et il voudrait se lancer dans l’informatique.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci beaucoup pour ce témoignage. Il est important pour nous de le faire entendre nationalement. Votre cas pose la question de l’aidant et du sacrifice qu’il doit consentir, ainsi que celle de l’orientation. Le fait d’avoir un handicap implique-t-il qu’on subisse son orientation ?

Mme Sabine Rubin. Votre enfant était scolarisé en collège. Était-il suivi par un professeur référent ?

Mme Christelle Defoort. Oui, par une référente collège.

Mme Sabine Rubin. Est-ce avec elle que vous avez travaillé votre parcours ?

Mme Christelle Defoort. Oui, et avec une autre intervenante. Toutes deux étaient opposées au projet de mon fils.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci, madame. Bon courage !

 


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8.   Audition conjointe de Mmes Dorothée Goy et Nathalie Koenig, présidentes du Groupe de parole et de soutien des parents d’enfants dys de Dieppe et de son agglomération, Mme Nancy Couvert, directrice générale de l’Association de parents et amis de personnes en situation de handicap mental (APEI) de la Région Dieppoise, MM. Didier Detalminil, président, et Jean-Marc Rimbert, directeur général de l’Association départementale des Pupilles de l’Enseignement public, Mme Géraldine Ibled, présidente de l’Association des familles d’enfants extraordinaires (AFEE), et Mme Rachel Mangeot, directrice générale de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de Seine-Maritime

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous recevons maintenant Mme Dorothée Goy et Mme Nathalie Koenig, présidentes du Groupe de parole et de soutien pour les parents d’enfants « dys » de Dieppe, Mme Nancy Couvert, directrice générale de l’Association de parents et amis de personnes en situation de handicap mental (APEI) de la Région Dieppoise, M. Didier Detalminil, président, et M. Jean-Marc Rimbert, directeur général de l’Association départementale des pupilles de l’enseignement public, Mme Géraldine Ibled, présidente de l’Association des familles d’enfants extraordinaires (AFEE), et Mme Rachel Mangeot, directrice générale de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de Seine-Maritime.

Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir votre parole afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Dorothée Goy, Mme Nathalie Koenig, Mme Nancy Couvert, M. Didier Detalminil, M. Jean-Marc Rimbert, Mme Géraldine Ibled et Mme Rachel Mangeot prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Bienvenue à vous. Je serai bref puisque je connais la plupart d’entre vous pour avoir agi à vos côtés. Il était important de compléter les travaux de la commission d’enquête au plan national par un zoom local, départemental, de terrain. Nous attendons de vous que vous disiez, dans votre domaine associatif ou professionnel, avec l’expertise qui est la vôtre, ce qui vous semble aller dans le bon sens, ce qui vous semble avoir progressé, mais aussi les obstacles rencontrés dans le champ de la commission d’enquête qui englobe les problématiques d’inclusion de la maternelle à l’université en passant par la formation aux métiers.

Si nous avons demandé la création d’une commission d’enquête, c’est parce que nous considérons que tout n’avance pas comme sur un long fleuve tranquille, qu’il existe des marges de progression, qu’il convient d’interroger la mise en œuvre de la loi de 2005 – qui fait consensus – et qu’il y a peut-être à en écrire un « Acte II ». Je souhaite que, dans une intervention sans tabou et sans filtre, sans plus de protocole que celui relatif à une commission d’enquête, vous nous donniez votre point de vue afin de nourrir notre réflexion. Nous avons auditionné un grand nombre de représentants d’associations au plan national mais le regard local nous intéresse.

Mme Dorothée Goy, présidente du Groupe de parole et de soutien pour les parents d’enfants « dys » de Dieppe. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, nous vous remercions de nous avoir conviées à témoigner ici. Notre association, créée et portée par des parents d’élèves « dys », s’est donné pour mission le soutien et l’information sur les troubles des apprentissages.

Nous proposons ici un état de lieux établi sur la base de nos parcours personnels et des nombreux témoignages que nous avons reçus lors de nos échanges avec les parents, les enseignants et les professionnels de santé.

Nous rappelons que les enfants « dys »  sont des enfants en situation de handicap qui représentent 8 % à 10 % d’une classe d’âge. La prise en compte des besoins éducatifs de ces enfants est donc un enjeu majeur. Ils doivent pouvoir accéder aux apprentissages et exprimer leur potentiel comme les autres enfants. Ce sont des enfants qui, bien accompagnés, peuvent mener une scolarité réussie. A contrario, s’ils ne sont pas ou mal accompagnés, leurs capacités peuvent être gâchées et leur parcours scolaire peut se transformer en échec.

La loi de 2005 a été une grande étape pour nos enfants « dys », mais nous sommes encore dans un schéma d’intégration – où l’enfant doit s’adapter au système – alors que l’inclusion veut que ce soit le système qui s’adapte à l’enfant. Il faut partir des besoins de l’enfant « dys » et non des contraintes de l’adulte.

Notre mission de terrain nous amène à constater beaucoup de souffrance des familles et des enfants, mais aussi du désarroi chez les enseignants, qui se sentent démunis. On nous parle classiquement de « parcours du combattant ».

Nous ne voulons pas tomber dans l’écueil des généralités : il existe de plus en plus d’initiatives autour des troubles « dys », mais elle dépendent de la bonne volonté individuelle et la mise en œuvre de la loi de 2005 souffre cependant de nombreux dysfonctionnements.

Nous constatons de nombreuses disparités dans l’accompagnement de ces enfants à tous les échelons, d’un enseignant à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’un territoire à l’autre, d’une année sur l’autre. Nous insistons sur ce point : la situation est totalement inégalitaire. Elle dépend des « convictions » de l’enseignant et de son investissement sur le sujet des « dys », de l’organisation de l’établissement, de l’effort de formation, de la demande en accompagnement du handicap dans le département, du niveau d’information de la famille, de ses ressources financières et de sa capacité à défendre les droits de son enfant.

La présence d’enfants « dys » dans une classe est souvent vécue comme une contrainte supplémentaire, une charge imposée, une entrave au bon fonctionnement de la classe. Or celle-ci fait partie du schéma standard d’une classe. Accueillir nos enfants « dys » ne doit pas être considéré comme une faveur qu’on leur accorde mais comme un droit à respecter.

Une sorte de renoncement préalable à la réussite de l’enfant en situation de handicap peut conduire à un renoncement à mettre en œuvre les aménagements et à respecter la loi. C’est cette perception culturelle qui doit changer radicalement.

Tout enfant « dys » est en situation de handicap. Or le système actuel génère une hiérarchie des situations à l’école et des prises en charge qui conduit à une situation inégalitaire selon que l’enfant « dys » est diagnostiqué ou non. Par exemple, un enfant « dys » avec plan d’accompagnement personnalisé (PAP) est en situation de handicap mais n’est pas forcément reconnu comme tel car le PAP n’a pas assez de poids comparé à un projet personnalisé de scolarisation (PPS) avec reconnaissance de la MDPH.

D’après notre expérience de terrain, l’établissement du diagnostic est très difficile pour les enfants non diagnostiqués ou en cours de diagnostic, à cause du délai trop long résultant de la pénurie de professionnels, du non-remboursement de certains soins, de la complexité du parcours de soins, de médecins généralistes qui ne se sentent pas compétents pour poser un diagnostic et de la pénurie de médecins, infirmières et psychologues scolaires. Cela peut conduire à un renoncement aux soins pour cause de délai ou de manque de moyens financiers, et à l’arrêt de l’activité professionnelle pour l’un des parents.

L’absence de diagnostic génère de l’angoisse pour les parents, qui voient le temps filer sans que les difficultés de l’enfant soient prises en compte dans un cadre officiel, du désarroi chez les enseignants qui se sentent démunis, de la détresse chez l’enfant qui ne comprend pas pourquoi il n’y arrive pas. Il peut en résulter une baisse de l’estime de soi, de la confiance en soi, des maladresses, des appréciations inappropriées si l’enfant n’est pas dans un environnement bien-traitant, avec une risque d’échec, de déprime, voire de phobie scolaire.

Pour les enfants diagnostiqués avec PAP, on constate les difficultés suivantes : méconnaissance du PAP, voire obstruction à son établissement ; pénurie de médecins scolaires entraînant des retards de validation ; rédaction du PAP sans l’aval du médecin scolaire, avec le risque de ne pas respecter les préconisations des professionnels de santé ; consigne de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO) à ses membres de ne plus faire de recommandations d’aménagements sur les bilans ; reconduction non systématique ou tardive du PAP d’une année sur l’autre.

La mise en œuvre du PAP voit plusieurs difficultés : application du PAP selon le bon vouloir de l’enseignant ou de l’établissement ; frein psychologique – le PAP n’est pas considéré comme une exigence, un droit de l’enfant en situation de handicap, il est perçu comme trop contraignant – ; réticence liée à la méconnaissance des outils pédagogiques et de leur intérêt ; difficulté à différencier dans des classes à effectif élevé ; tiers-temps difficile à organiser lors des évaluations habituelles ; recours laborieux du parent pour faire respecter le PAP.

Lorsque les troubles des enfants diagnostiqués ont été reconnus par la MDPH, on observe les difficultés suivantes : disparités de traitement des dossiers selon les départements, délais et réponses apportés très variables ; pas d’aide de l’enseignant référent pour les primo-demandes ; délai de traitement des demandes excessivement long ; obligation de renouveler les demandes trop fréquemment ; pas de PPS rédigé dans certains départements – c’est le cas en Seine-Maritime – ; outil informatique privilégié au détriment de l’aide humaine – l’aide humaine est de moins en moins proposée, censée être remplaçable par les aménagements pédagogiques et, lorsqu’elle est proposée, on constate des difficultés d’anticipation sur le recrutement, la formation des AVS ou AESH et leur information sur le trouble de l’enfant accompagné – ; l’institution ne recommande pas de communication directe entre les AVS et AESH et les parents ; la précarité des contrats AVS conduit à une discontinuité de l’accompagnement de l’enfant ; le principe des AVS mutualisés se généralise, avec un risque de dérive : répondre plus au besoin de l’institution qu’à celui de l’enfant ; création des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) encore floue dans sa pratique de mise en œuvre.

Mme Nathalie Koenig, présidente du Groupe de paroles et de soutien pour les parents d’enfants « dys » de Dieppe. Ces situations rencontrent des écueils communs.

La méconnaissance des troubles « dys » peut aller jusqu’à la maltraitance de l’enfant qui sera jugé paresseux, non soigné, non concentré et qui subira des privations de récréation, une réécriture forcée, des humiliations, des appréciations qui pointent ses troubles.

La plupart des enseignants font preuve de bonne volonté mais se désolent de l’absence de formation initiale sur les troubles « dys ». Par ailleurs, l’accès aux informations et aux personnes‑ressources n’est pas assez ancré dans les pratiques.

Les enseignants ont l’impression de subir la loi de 2005et se sentent en insécurité car placés dans une situation qu’ils ne se sentent pas aptes à gérer. Cela peut aller jusqu’au refus du principe même de l’inclusion. Le fait d’avoir face à eux des parents qui deviennent peu à peu « experts » des troubles de leur enfant est déstabilisant. Ils ont un sentiment d’intrusion dans leur domaine de compétence et craignent d’être jugés.

A contrario, le parent, déjà éprouvé par un parcours de soins semé d’embûches, doit souvent défendre les droits de son enfant. Il passe parfois pour un parent surprotecteur et envahissant.

À cette incompréhension, s’ajoute une défiance de l’Éducation nationale vis-à-vis du professionnel de santé dont les certificats et bilans ne sont pas toujours pris aux sérieux. Il peine parfois à entrer dans les établissements scolaires pour prendre en charge son patient.

Concernant les aménagements aux examens, là encore, on constate un manque d’harmonisation des aménagements proposés ou acceptés. Les aménagements aux examens se heurtent à des problèmes d’organisation : disponibilité des salles, des secrétaires, du matériel informatique ; compétence des secrétaires ; continuité avec l’AVS ou AESH. Il est indispensable de les mettre en œuvre en amont de l’examen pour que l’élève se les approprie. Ce n’est pas toujours le cas.

Se pose aussi le problème du contrôle continu, qui va devenir criant avec le nouveau baccalauréat. Les aménagements n’y sont pas garantis, ce qui affecte les résultats à l’examen.

En conclusion, malgré les bonnes volontés et les initiatives localisées, l’inclusion des élèves « dys » n’est pas encore pleinement réalisée. On constate encore de nombreux obstacles au respect de la loi de 2005. L’inclusion est souvent perçue au sein de l’Éducation nationale comme une contrainte et non comme une chance. Les élèves « dys » sont accompagnés de façon inégalitaire selon le rectorat, l’établissement, l’enseignant, la MDPH, le maillage médical – libéral et scolaire – du territoire, les ressources des parents. Les enseignants déplorent une formation insuffisante sur les troubles « dys ». Il existe une certaine défiance entre toutes les parties qui accompagnent l’élève « dys ».

Quatorze ans après la loi de 2005, la situation n’est plus acceptable. Pour y remédier, une première condition doit être remplie : changer de vision. L’inclusion de l’élève « dys » fait partie intégrante de la mission de l’école. Elle doit aller de soi et s’accompagner d’un effort de l’Éducation nationale pour donner à ses enseignants tous les moyens d’accomplir leur mission.

Voici nos propositions en ce sens : formation initiale et continue des enseignants et encadrants sur les troubles « dys » ; effectifs allégés pour permettre une pédagogie différenciée ; généralisation d’une classe « dys » dans chaque collège en sixième et en cinquième ; confiance et communication entre les différents partenaires autour de l’enfant « dys » ; une personne-ressource disponible pour chaque établissement ; davantage d’anticipation dans l’organisation de la scolarité de l’enfant « dys » ; gestion rigoureuse des PAP et PPS ; respect des PAP et PPS à établir ou reconduire dès le début de l’année scolaire ; possibilité de recours en cas de non-respect du PAP et du PPS.

La seconde condition est une harmonisation des réponses apportées aux élèves « dys » et le rétablissement d’une certaine équité.

Nous proposons pour cela de : lutter contre la pénurie des professionnels de santé ; rembourser les soins d’ergothérapie et de psychomotricité et les bilans neurophysiologiques ; redonner la possibilité aux orthophonistes de proposer des aménagements et d’établir un diagnostic sur un trouble simple, tel que la dyslexie ; rétablir le maillage de la médecine scolaire pour permettre un dépistage systématique ; ouvrir l’école aux professionnels de santé ; permettre à l’enseignant référent d’accompagner les primo-demandes ; harmoniser les réponses entre les MDPH ; continuer à proposer une aide humaine lorsque cela est nécessaire, avec un besoin individualisé ; garantir la continuité de l’aide humaine, limiter le turnover des AVS et AESH auprès des enfants avec des contrats moins précaires, généraliser leur professionnalisation.

En conclusion, la loi de 2005 est une véritable avancée, mais nous constatons que nous sommes encore dans un système d’intégration de l’élève « dys » plutôt que dans un système d’inclusion. Pour cela, il est indispensable de changer le regard que nous avons sur le handicap et de donner les moyens humains et organisationnels de mettre pleinement en œuvre la loi de 2005. C’est juste une question de justice et d’équité.

Mme Rachel Mangeot, directrice générale de la fédération pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de la Seine-Maritime. Je suis la directrice de la fédération APAJH 76, qui compte cinq établissements : un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), un centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP), un établissement pour enfants et adolescents polyhandicapés (EAP) et un atelier éducatif de jour pour adultes. Depuis janvier 2017, les établissements sont gérés par la fédération APAJH 76 ; auparavant ils l’étaient par l’APAJH 76.

Je reviendrai tout d’abord sur un texte important pour la fédération APAJH dont vous avez certainement entendu parler. Intitulé « Société inclusive », il porte des revendications pour un réel parcours inclusif. Je me limiterai à lire la partie relative à l’enfance et à la scolarisation.

« Dans le champ de la petite enfance, de l’enfance, de la jeunesse, de la formation : accompagner l’annonce du handicap mais également renforcer toutes les réponses en faveur d’un diagnostic précoce du handicap ». C’est ce que nous faisons au niveau du CAMSP de Dieppe, puisque, sur notre file active de plus de 200 enfants de 0 à 6 ans, quasiment la moitié est composée d’enfants porteurs de troubles du spectre de l’autisme (TSA), mais nous avons aussi des enfants polyhandicapés, des enfants présentant des troubles moteurs, des enfants déficients, des enfants ayant du retard de langage.

Je poursuis la lecture : « Penser et proposer des solutions d’accueil dès le très jeune âge, notamment pour permettre aux parents qui le souhaitent de poursuivre leur activité professionnelle ; accélérer la scolarisation à l’école de tous : externaliser toutes les unités d’enseignement dans les écoles, collèges, lycées, lycées professionnels, avec les accompagnements nécessaires ; multiplier les unités d’enseignement maternel pour les enfants présentant des troubles du spectre autistique ». Nous avons eu la chance à Dieppe – vous étiez présent, monsieur Jumel – d’inaugurer la semaine dernière l’unité d’enseignement élémentaire autisme de l’école Louis-de-Broglie. Nous faisons partie des six premières UUEA ouvertes en France et c’est un motif de grande fierté. Nous diagnostiquons et nous accompagnons ces enfants au sein du CAMSP, mais nous le faisons aussi au sein du CMPP.

« Augmenter les capacités d’accueil en SESSAD ; développer partout une réelle prise en compte du handicap dans les formations initiale et continue de tous les professionnels : petite enfance, Éducation Nationale, sport, santé. » Au CMPP, notre file active est de 1 000 jeunes. Nous en accompagnons beaucoup à l’école primaire, un peu au collège et au lycée. La majorité des enfants de notre file active ont entre 6 et 15 ans, ce qui est normal, puisque dans « centre-médico-psycho-pédagogique », il y a « pédagogique ». Nous nous rendons aux ESS et aux réunions d’équipes éducatives. Nous sensibilisons et formons les enseignants et les AESH, à la demande des écoles, notamment aux troubles du spectre autistique (TSA), aux troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) et aux troubles du comportement. Une convention a été signée entre l’Éducation nationale et l’APAJH en vue de mettre en place des actions de sensibilisation.

Comme son nom l’indique, le SESSAD est un service d’éducation spéciale et de soins à domicile qui apporte un grand soutien aux écoles. La psychomotricienne forme d’ailleurs les AESH.

En tant que responsable d’un établissement pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP), je lance un cri d’alarme, car nous n’avons toujours pas d’unité d’enseignement à l’EEAP du Grand-Quevilly. Nous accueillons 32 personnes dont cinq relèvent de l’amendement Creton, les autres étant des enfants. Nous avons répondu à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé dernièrement par l’Éducation nationale et l’agence régionale de santé (ARS), la réponse devant intervenir le 6 ou le 7 mai. Il n’est pas normal que des enfants en situation de polyhandicap ne reçoivent pas d’enseignement, d’autant plus qu’à l’EEAP, nous pratiquons l’inclusion, puisque nous nous rendons sur tous les lieux de vie ordinaire. Nous organisons même des classes transplantées, des séjours de découverte sur des lieux de droit commun.

Je reviendrai sur les difficultés. Le secteur médico-social est une clé indispensable au bon fonctionnement d’une société inclusive. Quand on va dans les écoles, on se rend compte que les enseignants ne sont pas ou très peu formés. Ils ne manquent pas de bonne volonté, ils sont simplement démunis face à la complexité des situations – non seulement dues aux TSA mais aussi aux troubles du comportement – dans des classes surchargées. Le secteur médico‑social peut apporter une aide précieuse en expliquant aux enseignants ce que sont le TSA et le TSLA, et quels outils peuvent leur être fournis. J’ajoute que nous avons des liens privilégiés avec les psychologues scolaires et la médecine scolaire.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quand elle existe !

Mme Rachel Mangeot. Quand elle est là, en effet ! C’est plus facile au niveau du collège qu’au niveau de l’école.

Enfin, je saisis l’occasion pour dire que je trouve incroyable, dans une société qui se veut inclusive, le retrait des postes de directeur issu de l’Éducation nationale. Dans la Seine‑Maritime, nous sommes sept directeurs issus de l’Éducation nationale mis à disposition du champ médico-social. Les retirer est une absurdité, car qui mieux que nous est à même de comprendre et d’entendre les difficultés des enseignants face aux troubles que rencontrent nos élèves ?

Mme Nancy Couvert, directrice générale de l’Association de parents et amis de personnes en situation de handicap mental (APEI) de la Région Dieppoise. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, notre association gère dix établissements et services pour enfants et adultes dans la région de Dieppe. Comme elle est adossée au mouvement parental, je tâcherai de témoigner à la fois des attentes des enfants, des familles et des professionnels du secteur médico-social.

L’IME Le Château-Blanc, implanté sur la commune d’Arques-la-Bataille, accueille 100 enfants et adolescents de 6 à 22 ans. Sur ces 100 enfants, 52 bénéficient d’un temps de scolarité au sein de l’IME, dans l’unité d’enseignement interne, avec en moyenne six heures quinze de scolarité par semaine.

L’unité d’enseignement externalisée (UEE), que nous avons ouverte en partenariat avec la commune et l’école d’Arques-la-Bataille, accueille 8 élèves scolarisés à temps partiel, tous les matins. Un enfant est scolarisé au collège de Saint-Nicolas-d’Aliermont depuis septembre 2018 dans le cadre d’un projet de scolarisation alternée (PSA) en ULIS collège.

Nous sommes loin des objectifs fixés par le gouvernement – 50% en 2020 et 80% en 2022. En effet, si l’on compte l’UEE et le jeune en PSA à Saint-Nicolas, on est à 9 % de notre effectif total.

Soulignons que parmi les trois IME du territoire de santé de Dieppe, l’IME Le Château-Blanc accompagne des enfants et adolescents présentant des troubles importants et particulièrement fragiles, notamment dans les sections autisme et poly et plurihandicap.

Mais cela ne nous empêche pas d’avoir intégré avec conviction la dynamique de la transition inclusive en mettant en place un pôle inclusif et en créant, au  mois d’avril, un poste de coordinatrice inclusion. Chaque enfant doit pouvoir trouver sa place à l’école, à condition que cette place soit possible, réelle, effective et pensée dans une continuité de parcours, de façon à ancrer l’enfant dans la société.

Marcel Nuss, un adulte en situation de handicap grave, a écrit : « La capacité à être autonome dépend, entre autres, du parcours scolaire de chacun d’entre nous. En ce qui concerne les élèves autrement capables, de la réussite de ce parcours découlera la réussite d’une existence citoyenne et responsable. Par conséquent, un parcours scolaire négligé ou bâclé provoquera immanquablement un surhandicap dont souffrira la personne devenue adulte. »

Nous sommes prêts à nous lancer dans la transition inclusive mais il nous semble nécessaire de faire quelques constats et de présenter les difficultés, voire les inquiétudes des familles.

L’école a besoin d’une adaptation et d’une évolution, parallèlement à la transformation en profondeur du secteur médico-social. Les enseignants que nous rencontrons lors des réunions d’information et d’échanges que nous organisons une fois par an expriment leurs craintes légitimes face à l’arrivée de nouveaux enfants en situation de handicap ou du non-départ vers les IME d’enfants en situation de handicap.

La perspective du soutien et de la coopération des professionnels du secteur médico-social, que nous évoquons avec eux, semble peu entendue et peu perceptible, ou ne pas correspondre à leurs attentes.

L’association gère un SESSAD qui accompagne des jeunes avec TSA. Les résultats au regard de l’inclusion scolaire sont positifs : depuis sa création, en 2013, le SESSAD ne compte qu’une orientation vers le milieu spécialisé.

Pour accompagner la transition inclusive, il est indispensable de s’appuyer sur tous les acteurs du parcours scolaire, c’est-à-dire les enfants et adolescents en situation de handicap, les enfants des écoles, des collèges, des lycées, de l’enseignement supérieur, les parents des enfants en situation de handicap, les parents des enfants de l’enseignement « ordinaire », les enseignants, les directeurs et proviseurs, les inspecteurs, les AVS futurs AESH, les acteurs du périscolaire, les communes, le conseil départemental, la MDPH, le secteur médico-social, le soin, notamment la pédopsychiatrie, la protection de l’enfance et les centres de loisirs.

Tous les acteurs, et particulièrement les porteurs et développeurs des projets d’inclusion, doivent avancer ensemble vers le même objectif avec une motivation et un engagement commun pour agir en complémentarité et en synergie. Il s’agit bien de coconstruire l’école de demain qui donnera aux enfants toutes les chances de développer au mieux leur potentiel.

Une coopération effective est indispensable entre l’Éducation nationale et le secteur médico-social. Il nous faut apprendre à travailler ensemble en confiance, et à reconnaître les compétences et l’expertise de chacun.

Des réunions transversales et transdisciplinaires – enseignant, éducateur, psychologue, AESH – régulières sont indispensables pour accompagner, voire ajuster les parcours individuels, mais également les dynamiques de groupe au sein des classes.

En complément de la formation des enseignants peuvent être envisagés des temps d’immersion des enseignants ou des AESH au sein d’établissements spécialisés comme les IME.

Une plus grande souplesse administrative, davantage de modularité, de flexibilité et surtout une grande réactivité sont nécessaires. Mais l’inclusion ne doit pas se faire sans le droit à l’essai et le droit au retour en arrière.

J’en viens aux bénéfices de l’inclusion.

Pour les enfants en situation de handicap, l’inclusion peut permettre de développer des savoir-être, des savoir-faire, des conduites adaptées aux exigences sociales et de développer des compétences sociales. Aller à l’école « comme tous les enfants » peut également contribuer à renforcer l’estime de soi, l’affiliation et être source et lieu d’un épanouissement.

Pour les enfants de l’école « ordinaire », l’inclusion permet de partager les différences dès les premiers moments d’expérimentation de la vie en société, d’avoir une représentation et une appréhension bienveillante du handicap, non basée sur la peur et le jugement.

S’agissant des conditions nécessaires, il est indispensable de préparer un environnement favorable à l’inclusion des enfants en situation de handicap en généralisant des programmes de sensibilisation à la différence, au handicap, à la bienveillance, à l’empathie pour les enfants du milieu ordinaire, et des réunions d’information et de discussion avec les familles afin de renforcer la solidarité.

Les pôles ressource-inclusion des établissements spécialisés sont en mesure de développer ces actions. Il faut s’appuyer sur le secteur médico-social. Cela est déjà mis en place à l’IME Le Château-Blanc.

Le tutorat des enfants par d’autres enfants peut être un moyen de rendre acteurs les élèves dans le projet d’inclusion.

Chaque projet d’inclusion scolaire doit s’inscrire dans une continuité de parcours. Les différentes étapes – l’après-école, l’après-collège, l’insertion professionnelle – nécessitent pour les jeunes en situation de handicap d’être anticipées, préparées pour éviter des ruptures brutales qui peuvent être destructrices. Pour garantir ce chemin, un accompagnement spécifique à chaque enfant, en fonction de ses besoins, doit être possible durant toute la durée du parcours, y compris scolaire.

Il est nécessaire de faire évoluer le système d’évaluation, de partir de l’évaluation des besoins des élèves en situation de handicap en s’appuyant notamment sur les neurosciences, en renforçant les équipes de neuropsychologues au sein des pôles inclusifs ou des écoles.

Quant à nos inquiétudes, les enfants en situation de handicap sont vulnérables, fragiles. L’école peut être aussi un lieu de souffrance pour les enfants, entre la violence, le harcèlement ou « simplement » la moquerie.

Nous avons organisé plusieurs temps d’échange sur l’inclusion avec des familles d’enfants présentant des profils différents. Voici quelques extraits de leurs témoignages : « Notre expérience à l’école a été une catastrophe, on voulait le mettre dans la norme alors qu’il ne l’est pas » ; « Comment va-t-on réintégrer en milieu ordinaire des enfants qu’on a exclus » ; « J’y crois à l’inclusion, mais il faut les moyens, la formation : imposer la différence n’est pas une bonne chose non plus » ; « Quand on met son enfant en IME, c’est qu’on a déjà tout testé, le milieu ordinaire et ses limites » ; « D’accord pour l’inclusion des petits, mais il faut garder les IMPro. »

Concernant les points de vigilance, je parlais de la violence possible. Si l’école devient un lieu de souffrance, des professionnels tels que les psychologues peuvent être ressources pour réaliser des observations dans les cours de récréation, à la cantine et en classe, pour ajuster l’accompagnement, pour programmer des interventions auprès des enfants.

Autre point de vigilance, le discours sur l’inclusion peut être très culpabilisant pour les familles dont les enfants n’ont pas bénéficié d’un parcours scolaire en milieu ordinaire, ou dont les enfants âgés de plus de 14 ans pourront difficilement intégrer une scolariité en milieu ordinaire au lycée ou dans l’enseignement professionnel.

Nous devons être attentifs à ne pas créer un clivage entre un « bon » parcours et un « mauvais », ou moins bon parcours. Il ne faut pas ignorer les spécificités et la complexité de l’accompagnement de certains enfants et adolescents. Le milieu ordinaire ne doit pas être proclamé comme la voie royale. Le secteur médico-social est possible pour certains enfants et correspond à de réels besoins.

Mme Géraldine Ibled, présidente de l’Association des familles d’enfants extraordinaires (AFEE). Notre association n’a que trois ans d’existence.

Ce qui a été dit par la représentante de l’association GPS des « dys » pour les enfants « dys » s’applique parfaitement aux enfants avec autisme. Pour les enfants avec TSA, le diagnostic, difficile, est parfois très tardif. L‘attente est une véritable souffrance pour les enfants, pour les parents et pour les enseignants, non seulement à l’école maternelle mais aussi en primaire, voire au collège. Des enfants sont diagnostiqués tardivement, parfois même à l’âge adulte, et l’absence de diagnostic ne fait que retarder les prises en charge.

Dans ces conditions, l’un des outils essentiels est la formation, au sens large, pas seulement des instituteurs ou des professeurs des écoles, mais aussi des médecins : à l’école de médecine, sur dix ans de formation, seules deux heures sont consacrées à l’autisme. Les enseignants ne sont pas assez formés. Non seulement ils ne peuvent pas repérer les troubles, mais ils ne peuvent pas adapter leurs méthodes d’enseignement aux difficultés des enfants présents. Cela génère des troubles du comportement que l’on essaie plus ou moins de gérer, alors que si tout était mieux organisé en amont, il y aurait moins de troubles du comportement.

Il est nécessaire d’expliquer le handicap aux enfants. Cela rebute parfois les parents qui redoutent de voir leur enfant stigmatisé et mis encore plus de côté. Plus on alertera, plus on sensibilisera au handicap et moins ces enfants seront mis à distance. Si tous les enfants en ont l’habitude, les connaissent, ils sauront comment se comporter avec les enfants différents et il n’y aura plus, d’un côté, les enfants différents et, d’un côté, les enfants « normaux ». Il faut éduquer les enfants, leur expliquer. Tout petits, ils sont ouverts d’esprit. Si on dit à un tout-petit : vous n’êtes pas différents, vous pouvez jouer ensemble, il admettra l’autre tel qu’il est. Il faut juste expliquer les contraintes. Un enfant très sensible au bruit peut hurler et mettre ses mains sur les oreilles. Il faut expliquer que l’on doit éviter de faire trop de bruit

Les enfants présentant de graves troubles du comportement sont fréquemment refusés dans les classes. De nombreux parents nous disent qu’ils ne peuvent pas scolariser leur enfant, ou seulement une heure ou deux par semaine, parce que ce n’est pas gérable pour la classe et pour l’enseignant. En pareil cas, l’inclusion est impossible.

Le milieu ordinaire et le milieu spécialisé doivent se mailler, ce ne doit pas être l’un ou l’autre. On commence à voir s’établir des passerelles entre les deux. Il faut avancer dans ce sens. Combien de parents vivent encore comme un échec le fait que leur enfant aille en IME ! Je me souviens d’une maman qui était très mal. Je lui avais alors demandé : « Comment va maintenant votre enfant ? » Elle m’avait répondu : « Elle est épanouie ». Il est dommage que l’on s’interdise de le voir. Il faut l’expliquer.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ce propos prolonge ce que disait Mme Nancy Couvert sur la « voie royale ».

Mme Géraldine Ibled. La question du tutorat des enfants est délicate. Donner la responsabilité d’un enfant à un autre n’est pas évident. Cela doit être fait avec des pincettes.

M. Didier Detalminil, président de l’Association départementale des pupilles de l’enseignement public (ADPEP). Merci de nous accueillir pour ce temps de réflexion. Je m’exprimerai au nom des pupilles de l’enseignement public de la Seine-Maritime.

Implantés dans le secteur médico-social depuis de nombreuses années, nous gérons une bonne dizaine d’établissements et services médico-sociaux dans le département, ainsi que l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) de l’Éclaircie et deux CMPP.

Au moins pour nos établissements, nous sommes engagés depuis longtemps dans la démarche dite auparavant d’intégration et aujourd’hui d’inclusion, même si conceptuellement, cela ne recouvre pas tout à fait la même chose. Nous sommes en parfait accord avec la politique de la secrétaire d’État visant à s’orienter vers l’inclusion. Cela figure dans notre projet fédéral et dans notre projet associatif départemental.

Certains de nos établissements ont peu d’enfants en internat. Scolarisés dans des classes externalisées, ils rentrent chez eux le soir. On voit de moins en moins ces parcours où l’enfant entrait en IME à 6 ans et en ressortait à 18 ou 20 ans, sans jamais avoir été scolarisé ailleurs. Le paysage a radicalement changé.

Certaines difficultés que nous rencontrons ont déjà été évoquées. Nous travaillons beaucoup avec l’Éducation nationale, soit parce que des postes d’enseignants sont mis dans nos établissements, soit parce que nous avons des classes externalisées.

Il y a clairement un problème de formation. En tant qu’ancien enseignant spécialisé et comme inspecteur d’académie honoraire, je crois connaître le champ de l’école élémentaire et maternelle. Les enseignants sont de bonne volonté mais l’accueil d’un enfant handicapé se heurte à de réelles difficultés et nécessite un accompagnement. Nos professionnels ont de l’expertise et nous pourrions nous associer avec l’Éducation nationale pour contribuer à la formation des enseignants. Nous essayons d’y participer au travers des ESP, mais c’est relativement difficile.

Notre collègue l’a évoqué tout à l’heure, je déplore vivement la décision du directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) du département de supprimer dans les trois ans les cinq postes de directeurs de l’Éducation nationale qui sont à la tête de nos établissements, au motif que leur tâche n’est pas de faire de la gestion mais de la pédagogie, même si le diplôme dont ils sont détenteurs les forme à ces missions. Je ne le mets pas en cause personnellement, je peux comprendre qu’il soit confronté à des difficultés de gestion, mais j’ai alerté les sénatrices, les sénateurs, les députées et les députés du département et tous les maires des communes où sont implantés nos établissements.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai réagi !

M. Didier Detalminiel, Vous m’avez répondu, et je vous en remercie. M. le maire de Dieppe a répondu ainsi que d’autres parlementaires. La parution d’un nouveau décret a été annoncée. À ma connaissance, il n’est pas paru et la contradiction entre la formation des personnels et ce qu’on nous demande de faire aujourd’hui demeure.

Nous rencontrons des difficultés de recrutement dans certaines professions médicales : médecins, orthophonistes. Nous rencontrons parfois des difficultés dans nos relations avec les familles lorsqu’on leur parle d’inclusion. J’espère ne choquer personne ici, deux présidentes de conseils de la vie sociale (CVS) de nos établissements m’ont dit clairement et brutalement que des parents leur avaient dit : « Nous, l’inclusion, ça va ! Mon fils est bien dans l’établissement. Le parcours dans l’Éducation nationale a été tellement difficile que nous n’envisageons pas aujourd’hui un retour » Je tenais à le signaler, car nous allons devoir beaucoup travailler avec les parents sur cette question.

L’inclusion entraînera pour nos établissements et pour nos professionnels un important changement de posture. Des textes parfois mal interprétés génèrent de l’inquiétude sur le thème : on va fermer des établissements, qu’allons-nous devenir ? Allons-nous perdre nos emplois ? Nous répondons qu’on ne ferme pas les établissements mais qu’on les ouvre vers l’extérieur pour bénéficier des dispositifs de droit commun, en sachant que tous les enfants ne pourront pas toujours être en inclusion. À certains moments, des enfants auront besoin de soutien et d’accompagnement par du personnel spécialisé.

Au sein de l’association, nous engageons une réflexion approfondie sur la transformation de notre offre, notamment au vu de la suppression des postes de directeur à laquelle j’ai fait allusion.

Par ailleurs – cela peut paraître déplacé ou anecdotique –, la transformation de l’offre médico-sociale va poser un problème quant à l’utilisation de notre patrimoine immobilier. Monsieur le député, il en est un à la construction duquel vous avez récemment contribué, et un autre a été ouvert il y a deux ans, et ils vont être vides. Nous trouverons sans doute à les utiliser à d’autres fins, peut-être pour les mineurs non accompagnés ou le service civique universel.

Enfin, dans le cadre des politiques sociales de proximité, nous réfléchissons à la possibilité de créer des crèches inclusives ou de l’habitat inclusif.

M. Jean-Marc Rimbert, directeur général de l’Association départementale des pupilles de l’enseignement public (ADPEP). En 1975 on parlait de bénéficiaires ; en 2002 on parlait d’usagers ; depuis 2013 on parle de citoyens. Si l’on veut faire un bilan de la loi de 2005, il faut souligner un certain nombre d’avancées. Les enseignants référents sont une avancée, l’inscription dans l’école de référence, droit nouveau, l’est aussi. L’augmentation de la scolarisation, en milieu ordinaire ou en milieu spécialisé, est une avancée issue de la loi de 2005. Tout n’est pas rose et je partage nombre de choses qui ont été dites, mais il convient aussi de rappeler un certain nombre de points positifs.

En matière d’inclusion, nous sommes dans un entre-deux. Tout ce qui a été dit sur le manque de formation des enseignants, parfois leur manque de disponibilité, les effectifs surchargés, le nombre d’AVS parfois supérieur au nombre d’élèves, est vrai. L’inclusion en milieu ordinaire se heurte à des difficultés et atteint ses limites. Si le milieu ordinaire devient plus inclusif, ces problèmes disparaîtront. J’y crois beaucoup. Nous allons nous y atteler.

Je citerai enfin un simple chiffre. Selon le baromètre publié par la « société inclusive », ceux qui doivent veiller à ne pas créer de discrimination sont, dans l’ordre, les recruteurs d’entreprises, les hommes et les femmes politiques, et, à la troisième place, les enseignants. L’institution de l’Éducation nationale, au sens large, assume la responsabilité de veiller à la non-discrimination.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci à chacun de tous ces témoignages.

Nous n’avons pas rencontré souvent des établissements dotés de CAMSP. La détection et l’accompagnement précoces des familles sont un élément clé de l’inclusion pour permettre à l’enfant de puiser ses ressources très tôt et de les développer. Je souhaiterais avoir plus d’informations sur leur fonctionnement et sur leurs difficultés.

Mme Rachel Mangeot. Le CAMSP est un élément clé pour le dépistage et l’accompagnement des enfants de 0 à 6 ans. À Dieppe, c’est une petite équipe de treize salariés. Nous avons un agrément ridicule pour trente-cinq enfants et nous en suivons plus de deux cents. Autant dire que les professionnels sont débordés.

Nous n’avons pas de liste d’attente puisque nous avons un médecin doté d’une force de travail extraordinaire qui accueille toutes les familles. Les diagnostics de TSA sont extrêmement longs à poser, mais notre équipe est petite. Diagnostiquer, c’est bien, mais il faut ensuite accompagner. Nous ne pouvons pas toujours accompagner les enfants que nous avons diagnostiqués. Nous essayons, avec nos partenaires, de trouver des solutions pour accompagner ces jeunes au moins un peu. Nous travaillons avec le pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE). Nous le ferons également avec la plateforme de coordination dont l’ouverture est prévue pour le mois de septembre. Sa réponse promet d’être intéressante pour les familles. La Seine-Maritime est un département pilote et je fais partie du comité de pilotage. Un médecin qui suspectera un trouble neuro-développemental – et pas seulement TSA – appellera cette plateforme qui sera dotée d’un coordonnateur pour chaque secteur : le Havre, Rouen et Dieppe. Celui-ci prendra en compte son appel et essaiera de trouver une solution en appelant les établissements spécialisés et, à défaut, les professionnels libéraux avec lesquels aura été établi un partenariat pour prendre en charge ces enfants. Mais cela reste insuffisant.

Ce PCPE et cette plateforme sont très opportuns. On donne des moyens supplémentaires, on crée des dispositifs supplémentaires, on va accorder des forfaits aux familles pour accompagner les enfants en psychomotricité et en ergothérapie. Il y a donc de l’argent. Alors, donnons aussi des moyens au secteur médico-social pour accompagner tous ces enfants, puisque nous prenons l’enfant dans sa globalité, qu’il s’agisse de psychomotricité, d’orthophonie ou de psychologie ! Aujourd’hui, nous avons un nombre conséquent d’enfants – plus de 200 chaque année à Dieppe – mais le secteur médico-social n’a pas de moyens suffisants pour les accompagner d’une façon satisfaisante. Nous accompagnons non seulement en consultation en interne, mais nous nous déplaçons. Le CAMSP est une structure qui s’ouvre à l’extérieur : nous allons dans les crèches, nous formons les auxiliaires de puériculture, nous faisons des synthèses avec les familles. Nous assurons une prise en charge complète, nous faisons tout ce qui nous est possible, mais c’est nettement insuffisant par manque de moyens.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous parlez de crèche inclusive. Est-ce qu’il en existe déjà à Dieppe ?

Mme Rachel Mangeot. Non, mais nous le souhaiterions.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. À Dieppe, dans les crèches municipales, un certain nombre de places sont destinées aux petits enfants en situation de handicap, en partenariat avec le CAMSP et des intervenants extérieurs autour de la musique, mais il n’y a pas de crèche inclusive en tant que telle. Je me permets de le dire, fort de mon expérience d’ancien maire : les modalités de financement des crèches, y compris la pénalisation des collectivités en fonction du taux de présence des enfants en crèche, ne sont pas de nature à favoriser l’accueil d’enfants atteints de handicap ou de difficultés cumulées. Les modalités de financement par la CAF et par le département pénalisent l’accueil d’enfants accueillis à temps partiel.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. La crèche inclusive ne fait pas d’accueil à temps partiel mais de l’accueil à temps complet, afin que les parents puissent avoir une vie normale, grâce à des plateformes d’accompagnement spécifiques qui apportent tous les soins sur place.

Mme Rachel Mangeot. Nous avions un projet de construction d’une plateforme « pôle petite enfance » à l’école Sonia-Delaunay, que nous avions présenté à M. le maire de Dieppe, puisqu’une unité de dépistage précoce est déjà portée par le CAMSP. Cela concerne des enfants âgés de 18 à 36 mois que l’on diagnostique, que l’on suit et que l’on accompagne de façon à leur proposer un parcours satisfaisant à leur entrée à l’école. Ce projet vise à délocaliser le CAMSP dans l’école Sonia-Delaunay, parce qu’il y a une crèche à l’école maternelle et que le centre social est à proximité. L’idée est d’accompagner ces enfants à l’école ou à la crèche avec nos éducateurs et de leur donner des soins, ce qui permettait de dégager des demi-journées ou des journées entières, en fonction du handicap pour ces enfants, avec une plateforme polyhandicap et une plateforme autisme. Ce projet répond à un réel besoin, d’autant que le territoire de Dieppe est un territoire élargi : le CAMSP a une antenne au Tréport et à Blangy. Ce territoire est désertique en termes de soins médicaux.

M. Jean-Marc Rimbert. Il convient de souligner que les CMPP ont une mission de dépistage précoce, de diagnostic et d’accompagnement. N’oublions pas ces structures qui sont essentielles pour la scolarisation des élèves lambda et pour la scolarisation des élèves en situation de handicap. On peut citer l’exemple de ce qui a été réalisé avec l’ARS dans sa version ex-Haute-Normandie, pour la structuration en termes de dépistage, de diagnostic et d’accompagnement d’enfants TSA et TSLA. Les acteurs de terrain y ont travaillé. Beaucoup de concertation a eu lieu avec l’ensemble des partenaires, associatifs, publics, privés, lucratifs ou non. Une telle structuration facilitatrice est de nature à contribuer à l’inclusion.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, Messieurs, je me vois dans l’obligation de vous remercier et de conclure cet intéressant temps de rencontre. Le chemin n’est pas terminé. Vous êtes tous acteurs et nous essayons de l’être à notre place aussi sur la voie d’une société inclusive.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci beaucoup. Cet échange se prolongera ce soir par un débat public auquel participeront les familles. J’espère que vous pourrez vous y associer. Nous vous rendrons compte des travaux de notre commission d’enquête qui doit remettre son rapport au mois de juillet.

 


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9.   Audition conjointe de Mme Joëlle Ayache, représentant le Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE‑UNSA), M. François-Xavier Durand, représentant la Confédération générale du travail (CGT), Mme Isabelle Heuzé, représentant le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC de la Fédération sociale unitaire (SNUipp-FSU), Mme Élisabeth Lechevallier, représentant la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (FCPE), et Mme Dany Duclos, enseignante référente

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions avec Mme Joëlle Ayache, représentante le Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA), M. François-Xavier Durand, représentant la Confédération générale du travail (CGT), Mme Isabelle Heuzé, représentant le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC de la Fédération sociale unitaire (SNUipp-FSU), Mme Élisabeth Lechevallier, représentant la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), et Mme Dany Duclos, enseignante référente.

Mesdames, monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

L’Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d’enquête sur l’inclusion des élèves en situation de handicap dans l’école et l’université de la République. Il s’agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir la parole de ceux qui les accompagnent afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain ces élèves, leurs parents et les professionnels qui œuvrent à leurs côtés en faveur de l’inclusion de ces enfants.

Comme c’est la règle pour les personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. François-Xavier Durand, Mme Isabelle Heuzé, Mme Joëlle Ayache, Mme Élisabeth Lechevallier et Mme Dany Duclos prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci d’avoir répondu à notre invitation. Nous avons auditionné les représentants de vos organisations au plan national : FCPE, SNUIpp, SNESUP, CGT. Nous voulons, cet après-midi, faire un zoom territorialisé, à l’échelle de ce département qui ne part pas de rien. Il y a eu ici des mobilisations face aux dysfonctionnements, pour ne pas dire au non-respect de la loi. Dans un grand nombre de domaines, des situations ont été signalées. Nous avons auditionné tout l’après-midi des acteurs qui nous ont dit leur volonté de se mobiliser pour améliorer la situation. Je connais la plupart d’entre vous pour avoir agi à vos côtés.

L’objectif de notre commission d’enquête est de faire un focus sur le diagnostic, sur ce qui va bien et ce qui ne va pas, et de comprendre pourquoi. Comment corriger cela en se fixant pour objectif la mise en œuvre concrète, réelle de la loi de 2005 et, le cas échéant, en en rédigeant un « Acte 2 » pour faire émerger de nouveaux droits. Nous attendons de vous, cet après-midi, que vous nourrissiez la réflexion de la commission d’enquête, sans tabou, sans filtre, sans autocensure, sans hésiter à nous bousculer, car si beaucoup de choses vont bien, d’autres ne vont pas bien. L’ONU a signalé la situation de la France de ce point de vue, le Défenseur des droits, que nous avons auditionné, également. Tel est l’enjeu de la dernière audition de cet après‑midi, qui sera suivie ce soir d’un débat auquel vous êtes naturellement conviés.

M. François-Xavier Durand, représentant la Confédération générale du travail (CGT). Je ne ferai pas de rappel historique puisque vous connaissez les lois et l’évolution de la loi de 2005, notamment en ce qui concerne l’accompagnement des élèves en situation de handicap, qui reste très complexe car reposant en grande partie sur la précarité.

En tant qu’organisation syndicale, nous avons vécu les contrats aidés, avec les difficultés liées au manque de formation. Dans notre département, 250 recours visant à faire valoir les droits à la formation avec des requalifications en CDI se sont soldés par des licenciements et des indemnisations pour absence de formation.

Des formations ont ensuite été organisées, le statut d’AESH a été créé, mais cela reste un parcours du combattant pour les personnels, les élèves et les enseignants, essentiellement en raison de la précarité de leur situation et de plusieurs autres difficultés. Le statut d’AESH implique six années de CDD avant de prétendre à un CDI. Or un certain nombre d’AVS n’ont pas vu leurs années sous statut de contrat aidé prises en compte. Quelqu’un qui a fait deux ans ou cinq ans en contrat aidé à 20 heures par semaine doit en refaire six ans sans savoir chaque année si son contrat va être renouvelé ou pas, s’il va pouvoir poursuivre ses missions. C’est très difficile pour les personnels comme pour les élèves. On parle de reconnaissance du métier d’AESH, mais des personnes vivent parfois dix années de précarité avant d’espérer obtenir un CDI parce qu’elles sont passées d’un contrat aidé à un emploi d’AESH en CDD. Si elles ont fait, de plus, un temps de mission d’AVS ou de mission d’assistante d’éducation, cela ajoute à la complexité.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Dix ans au moins !

M. François-Xavier Durand. Nous avons pris acte de ce que le Gouvernement souhaite proposer des CDD de trois ans mais le fait que les départements continuent de fonctionner à partir d’enveloppes annuelles, comme nous l’avons vécu cette année, crée toujours un blocage. C’est d’autant plus compliqué que la MDPH accuse des retards de notification de six à dix mois. Certains élèves ayant des notifications jusqu’en 2021 ou 2022 pourraient faire l’objet d’anticipations, mais les services du rectorat se voyant signifier des budgets annuels, ils ne peuvent s’engager à faire des contrats de trois ou six ans comme prévu par les textes. Tant que les enveloppes budgétaires seront annuelles, nous rencontrerons des difficultés.

De plus, les enveloppes arrivent tardivement et celles qui proviennent du budget opérationnel « titre 2 » sont gérées par le département et les services du rectorat, alors que d’autres, pour les AESH hors titre 2, parviennent dans les établissements publics locaux d’enseignements (EPLE), les collèges et les lycées. Or si un certain nombre d’heures sont dévolues aux collèges et aux lycées, ceux-ci n’ont pas la connaissance des AESH disponibles. C’est aux AESH à la recherche d’heures, qui ont déjà eu parfois douze heures par le département, de faire le tour des établissements. Ainsi, en fin d’année scolaire, des AESH en fin de contrat, employés par un collège, se retrouvent en attente d’heures « hors titre 2 », parce que l’établissement ne connaît pas l’enveloppe dont il disposera l’année suivante.

Au-delà de la question du statut, concrètement, une centralisation de la connaissance du vivier d’AESH est nécessaire. Quand on attribue des heures à des collèges gérées en titre 2 par le département ou hors titre 2 par les EPLE, les AESH ne devraient pas être obligés de courir après une affectation. Des AESH attendent en juin et parfois jusqu’à fin août, début septembre, voire début octobre pour connaître leur affectation. S’agissant de contrats annuels, parfois affectés le 15 septembre, ils ne peuvent obtenir aucune avance sur salaire ni faire valoir leurs droits aux compléments ASSEDIC. Les affectations devraient être localisées et connues pour faciliter leur répartition entre les élèves. Au mois de mai, on devrait pouvoir faire une photo de tous les élèves pour lesquels des notifications courent sur deux ou trois ans et résoudre au moins 80 % des affectations des AESH.

Nous avons vécu cette année une rentrée scolaire très compliquée. La transformation des contrats aidés en contrats parcours emploi compétences (PEC) a été décidée au mois de janvier mais elle n’est intervenue que fin juin dans les départements – en tout cas celui de Seine-Maritime – et sa mise en œuvre a été décalée à la rentrée suivante. Un grand nombre d’AESH en contrat PEC ou en CDD se sont retrouvés sans élève et des élèves sans AESH, alors qu’ils se connaissaient et ont pu par la suite reprendre leur mission.

Nous constatons aussi des problèmes d’horaires, notamment pour les AESH-Co dans les écoles, les collèges ou les lycées. Dans les écoles, la scolarité d’un élève est de vingt‑quatre heures par semaine. Dans notre département, les AESH-Co, ne font que vingt heures : ceci pénalise les élèves, qui ont quatre heures de scolarité sans AESH, et les AESH elles-mêmes. Limiter leur temps de travail, au collège ou au lycée, c’est ne pas reconnaître que la spécificité de leur travail nécessite leur participation aux réunions. La reconnaissance de leur statut passe par la pleine intégration dans l’école. Dans l’école, nous travaillons avec nombre de partenaires. Ils souhaitent participer au conseil des maîtres, au conseil d’école et à toutes les réunions qui concernent les élèves. Un AESH-Co affecté dans une ULIS pour l’inclusion de douze élèves travaille avec plusieurs enseignants. Un élève peut être inclus en CP en lecture mais en CE1 en mathématiques, tandis qu’un autre le sera avec d’autres enseignants. Dans l’école de neuf classes que je dirige, l’AESH-Co a des relations dans toutes les disciplines, comme si elle avait en face d’elle dix-huit enseignants. Tout cela représente du temps.

Mme Isabelle Heuzé, représentant le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC de la fédération sociale unitaire (SNUipp-FSU). Au SNUipp-FSU, nous avons été interpellés par les dysfonctionnements de la rentrée en matière de ressources humaines, au rectorat ou à l’inspection d’académie. J’ai été appelée par de nombreux AESH qui avaient déjà un contrat mais qui n’avaient pas d’élèves et par des parents qui étaient en attente d’une AESH.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous avons eu le chiffre ce matin : 350 élèves sans solution à la rentrée !

Mme Isabelle Heuzé. Surtout, nous sommes frappés par l’absence de communication et l’impossibilité pour les parents, les représentants syndicaux ou les enseignants de contacter une personne ressource. Une collègue AESH qui s’était rendue directement à l’inspection d’académie a constaté qu’il n’y avait même personne pour répondre au téléphone. Des parents d’élèves stationnaient dans les couloirs avec leurs enfants autistes en quête de réponse, mais il n’y avait personne. Il y a vraiment un dysfonctionnement de la gestion des ressources humaines : des AESH demandent un travail, des enfants en ont besoin mais on n’arrive pas à les mettre en relation.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est ce qui nous a conduits à constituer une commission d’enquête.

Mme Isabelle Heuzé. Beaucoup de parents, d’enfants, mais aussi d’enseignants sont en souffrance. Des enfants en difficulté ont déjà du mal à s’adapter à une personne, ils construisent quelque chose pendant un an et l’année suivante, sans savoir pourquoi, on déclasse leur AESH ! On m’a répondu qu’un enfant ne devait pas s’habituer à une personne. Il y a un travail à faire au sujet du statut d’AESH par rapport à l’enfant. Il doit y avoir une continuité, surtout en primaire. Quand un enfant a été notifié en CP, il y a peu de chances que ça s’arrête. Un suivi sur au moins trois ans serait nécessaire.

Nos collègues AESH ont des emplois précaires, de petits contrats de douze heures avec lesquels on ne peut pas vivre, parfois sur deux écoles, ce qui implique des frais de déplacement. Ce sont des emplois très précaires, pas du tout reconnus, accompagnés de très peu de formation. Il est question de 60 heures de formation, mais je peux vous dire que des collègues l’attendent encore. Et de quels types de formation s’agit-il ? Ces emplois ont vraiment besoin de formations de qualité sur les différents handicaps de l’enfant, en lien avec les enseignants – ceux-ci ne reçoivent pas non plus de formation.

J’évoquerai aussi le travail invisible : l’AESH accompagne un enfant mais il doit monter d’autres dossiers ; le travail invisible qui doit être réalisé sur son temps de travail. Les AESH que j’ai entendus participent bénévolement aux réunions, car ce n’est pas dans leur contrat. Ils gagnent 500 ou 600 euros mais ils font beaucoup plus d’heures car ils s’investissent aux côtés des parents et des enseignants.

Il faut créer des postes, il n’y en a pas assez. La politique gouvernementale vise à aider les enfants en situation de handicap mais il manque des postes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quelle est votre vision sur les effectifs de classe qui accueillent des enfants en situation de handicap ? Est-ce qu’on applique la même règle de calcul dans les classes où il y a des enfants en situation de handicap que dans les classes où il n’y en a pas ?

Mme Isabelle Heuzé. Tout à fait. Mais ces enfants sont invisibles dans les effectifs, ce qui n’est pas normal.

Nous souhaitons bien entendu une revalorisation des salaires. Si les AESH étaient déjà à temps plein ce serait un progrès, mais ils ne le sont jamais ou très rarement ! Ils ont de tout petits contrats avec lesquels on ne peut pas vivre. L’inspecteur s’étonne de ne trouver personne. Comment trouver quelqu’un quand on le paie 600 euros par mois et qu’il doit se déplacer ? Tant que ces emplois ne seront pas reconnus par un vrai statut de la fonction publique, avec des salaires décents et des heures décentes, ils ne trouveront pas preneur. Les gens font cela pendant un, deux ou trois ans, puis ils s’en vont.

Mme Élisabeth Lechevallier, représentant la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). À la FCPE, nous partons du constat alarmant d’un grand nombre d’enfants non scolarisés ou à temps partiel. Parmi ceux qui sont scolarisés, nombreux sont ceux qui ne sont pas accompagnés, malgré la notification de la MDPH. Nous relevons aussi l’obligation pour l’un des parents de mettre un frein à sa carrière professionnelle pour élever son enfant qui n’est pas scolarisé ou qui l’est à temps partiel.

Pour les familles, les dossiers MDPH relèvent du parcours du combattant. Il faudrait prévoir un déroulé de la façon de présenter une demande à la MDPH et un suivi du début à la fin par une même personne. Cela n’existe pas du tout pour le moment, et les parents sont totalement démunis.

Notons aussi l’insuffisance des moyens alloués aux MDPH et une discrimination selon les départements. Nous ne sommes pas très bien lotis en Seine‑Maritime. Nous siégeons à la MDPH pour des reconnaissances d’adultes et d’enfants où nous devons traiter 500 dossiers en trois heures. Il est impossible de traiter une situation du début à la fin avec autant de dossiers. De plus, un dossier peut arriver à terme sur une partie, par exemple en juin sur les dotations en matériel informatique, et deux mois après sur une autre partie. Au lieu de tout faire en même temps, on remet le dossier en dessous de la pile pour le traiter deux mois plus tard. Ainsi, l’ordinateur est remis en septembre mais si l’enfant a besoin d’une AVS, les parents devront repasser à la session suivante.

Je passe  rapidement sur la faible attractivité du métier d’AESH et sa grande précarité, qui ont été longuement évoquées. Ce sont souvent des femmes seules avec enfant, qui doivent vivre avec 650 euros ou, dans le meilleur des cas, 900 euros par mois et auxquelles on ne permet pas de se former correctement. On peut leur attribuer une année un élève autiste et, l’année suivante, un élève souffrant de malvoyance ou malentendant. Elles n’ont pas la possibilité de suivre l’enfant qui va s’attacher à elle.

De même, rares sont les professeurs formés à l’enseignement aux élèves en situation de handicap. Il conviendrait de prévoir une formation.

On compte un médecin scolaire pour 12 000 élèves. Dans l’académie de Rouen, il y a un médecin scolaire au rectorat. Il doit signer tous les plans d’accompagnement personnalisé, ce qui est impossible.

Les classes ULIS sont en nombre insuffisant, en sorte qu’elles sont parfois éloignées du domicile familial, ce qui oblige certains élèves à aller dans un internat, ce qui génère un coût.

Par ailleurs, les élèves obligés de déjeuner à la cantine alors qu’ils pourraient déjeuner à la cantine de leur ville ne bénéficient pas du tarif préférentiel.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ce n’est pas conforme à la loi.

Mme Élisabeth Lechevallier. Certaines communes appliquent le tarif en vigueur et d’autres non, alors que ce n’était pas le choix de l’élève et de la famille. Beaucoup de parents nous interpellent à ce sujet. Nous contactons les mairies, mais il est parfois difficile de faire entendre leur voix.

Les infrastructures sont un réel problème. Les salles de classe sont inadaptées et les structures sportives parfois éloignées de l’établissement scolaire. Les élèves en situation de handicap ne peuvent pas toujours s’y rendre. Ils ne sont pas inclus dans toutes les activités sportives et culturelles.

Le périscolaire est parfois trop onéreux pour les communes. Il faudrait adapter les locaux, d’où le refus de beaucoup de communes d’accueillir un enfant. Certaines prennent en charge l’accompagnement des AESH, mais trop peu, de sorte que les enfants sont encore exclus du périscolaire.

Ils sont aussi exclus des voyages et sorties scolaires avec nuitées. Des parents nous disent que la directrice ou la principale leur ont indiqué d’emblée que leurs enfants ne pourraient participer à un voyage scolaire avec nuitée parce que l’AESH ou l’AVS ne peut les accompagner.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous en avons parlé tout à l’heure. La loi les autorise à le faire, mais le problème est financier.

Mme Élisabeth Lechevallier. Les AESH peuvent accompagner mais pas les AVS.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. À l’école élémentaire, on peut obtenir des subventions d’une association ou de la mairie, dans le secondaire, on pourrait utiliser des fonds sociaux pour les indemniser. Certains de mes collègues députés qui étaient chefs d’établissement m’ont dit qu’il restait des fonds sociaux inutilisés à la fin de l’année dans les collèges. Ce pourrait être un moyen de rémunérer quelques sorties dans l’année.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous approfondirons le sujet dans le cadre de la commission d’enquête, mais la question consiste à savoir si l’on doit continuer de recourir au bricolage pour offrir des sorties scolaires dans le cadre éducatif à des enfants en situation de handicap, ou bien si l’on ne doit pas plutôt créer les conditions pour que ce droit soit effectif. Selon les établissements, les fonds sociaux sont diversement consommés. Ils le sont généralement plus dans les territoires fragilisés que dans ceux qui sont plus protégés, ce qui aggrave les inégalités territoriales.

Mme Joëlle Ayache, représentant le Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA). Je suis secrétaire départementale du Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes et de l’UNSA Éducation 76.

Nous avons voulu partir de la situation locale. À chaque rentrée, nous sommes confrontés à la difficile mise en adéquation entre les AESH qui attendent un contrat et les élèves à besoin éducatif particulier qui attendent leur AESH. Le vivier existe, mais on n’y a pas toujours recours et des enfants font leur rentrée sans AESH.

Depuis quelques années, nous constatons à chaque rentrée un manque certain de places en ULIS. Ce n’est pas faute d’en créer. Il en est créé tous les ans mais il en manque encore. Les deux créations de collèges à la rentrée permettront‑elles d’absorber les besoins ? Dès lors, les élèves sont accueillis en milieu ordinaire, avec des aides quand c’est possible, mais cela devient compliqué, et nous avons beaucoup de retours émanant de collègues qui n’en peuvent plus.

Une classe qui accueille des enfants en situation de handicap ne voit pas pour autant son effectif réduit. Les collègues doivent donc gérer les enfants en situation de handicap plus, quand il y en a, la présence d’AESH dans la classe. Cela fait beaucoup de monde dans une seule entité où les normes de sécurité – un certain nombre de mètres carrés par élève – ne sont plus toujours respectées. Il devient compliqué d’ajouter des adultes dans des classes où l’on dépasse les normes. D’où, peut-être, la volonté gouvernementale de limiter l’effectif des classes de grande section de maternelle, CP et CE1, à 24 élèves pour un accueil peut-être plus adapté. Nous verrons quand démarreront les classes à 24, alors que les cartes scolaires sont déjà établies pour 2019 et 2020.

À l’UNSA, nous sommes pour l’école inclusive ; nous en portons depuis longtemps le concept, mais pas à n’importe quel prix ou à n’importe quelles conditions. Au regard des effectifs, la situation de nos écoles et nos collèges devient complexe. Nous aimerions avoir des moyens dédiés. Nous avons besoin que les effectifs des classes diminuent, nous avons besoin d’accompagnement et de formation de nos accompagnants, de nos enseignants et des corps encadrants. Tout le monde doit savoir ce qu’est un handicap, ce qu’est un élève en situation de handicap et ce dont il a besoin. Comme l’ont dit des collègues tout à l’heure, des handicaps, il y en a un nombre certain et un certain nombre. La posture de l’enseignant ou de l’accompagnant est différente en fonction de chaque handicap.

Nous pensons aussi que les AESH devraient pouvoir accompagner nos élèves en dehors du temps scolaire, lors des activités périscolaires et extra-scolaires. Lorsqu’on lâche l’enfant, certaines familles sont démunies. Elles doivent déployer de telles compétences, de tels efforts pour que leur enfant soit présent à l’école dès la rentrée puis de façon régulière, qu’il est à nos yeux inadmissible qu’un enfant en situation de handicap rentre huit à dix jours après les autres.

Localement, ont été mis en place pour expérimentation les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Mais le fait qu’ils soient déjà inscrits dans la loi sans avoir été évalués nous inquiète. Il faudrait en faire un bilan pour savoir si le dispositif doit être pérennisé. Pourquoi les mettre dans la loi si cela n’avance à rien ? L’une des questions importantes est de savoir qui doit gérer les AESH : est-ce chef d’établissement ou l’enseignant de la classe dans laquelle ils interviennent ? La question reste sans réponse.

Nous sommes attachés malgré tout, même si cela provoque des difficultés, à la notification MDPH. Chaque enfant ayant des besoins doit être traité de la même façon par la même commission, sinon on risque de faire tout et n’importe quoi et de ne pas apporter la même réponse à toutes les familles qui ont des enfants à faire accompagner.

Nous considérons qu’il faut des moyens et une volonté collective d’aller dans le sens du bien de l’enfant. Notre but commun, autour de la table et dans les écoles, est la réussite de tous les élèves, y compris ceux en situation de handicap. Nous avons besoin d’une formation pour tous dans le milieu éducatif.

J’ajoute que dans la marche en avant qui a été engagée vers la généralisation des enseignants spécialisés comme personnes-ressources, il ne faudrait pas non plus que les gens soient placés devant le fait accompli. Les personnes concernées devront être accompagnées dans l’école ou l’établissement où elles sont destinées à intervenir.

Mme Dany Duclos, enseignante référente. Je suis titulaire du certificat complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (2CA-SH), formation d’un an que j’ai suivie tous les jeudis sur mon temps libre mais qui a été financée par l’Éducation nationale. Je suis censée être une ressource pour les AVS, les enseignants, les parents d’élèves, les collègues, le chef d’établissement. Dans mon collège de 400 élèves, on me donne une heure par semaine pour suivre 42 élèves. Autant vous dire que ça me prend quinze heures par semaine sans pouvoir aider les gens comme je voudrais le faire. C’est compliqué.

Les autres enseignants viennent vers moi parce qu’ils n’ont pas reçu de formation. Sur le terrain, je fais des constatations pragmatiques et gênantes. Professeur d’éducation physique et sportive (EPS), j’ai une élève hémiplégique dont les parents doivent prendre deux journées de congé par semaine pour l’amener sur les installations sportives. Je trouve cela effarant en tant que parent d’élève. En tant qu’enseignante, je ne pourrais pas conduire ainsi mon enfant.

Aujourd’hui les épreuves d’un brevet blanc ont lieu dans mon collège. Toutes les AESH ont été enlevées des élèves de sixième, cinquième et quatrième pour assurer des tiers-temps. Je trouve ça scandaleux.

Vous évoquiez tout à l’heure les élèves en attente de classes en ULIS. Il y en a de plus en plus. Nous les récupérons en sixième et ils attendent parfois deux à trois ans avant d’avoir une place, souvent sans accompagnement, notamment des élèves de niveau CE1 ou CE2 inclus dans des classes de sixième ordinaires de 29 élèves. Autant dire que même si on a la volonté, on n’a pas les moyens.

Nous vivons des situations très précaires. Un enseignant ressources aujourd’hui, c’est quelqu’un de bonne volonté qui est à la fois surexploité et sous-exploité. On nous en demande beaucoup mais on ne nous donne pas les moyens de faire le travail sur le terrain. Nous aimerions voir progresser la reconnaissance de ce statut. Nous sommes placés un peu en porte-à-faux. Nous ne sommes ni gendarmes ni garants des aménagements opérés par nos collègues.

Concernant les PAP, il y a un gros souci dans plusieurs établissements, notamment le nôtre. Nous en avons rédigé quarante-deux, mais aucun n’a été envoyé à la médecine scolaire. Je tenais à vous en informer.

Je m’arrêterai là pour ne pas être chronophage. J’ai rédigé un document que je vous remettrai.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Après que 100 postes d’enseignants ressources ont été créés à la rentrée 2018, je suis choquée d’apprendre qu’on vous donne une heure pour 42 élèves.

Mme Dany Duclos. J’ai suivi exactement la même formation que quelqu’un qui travaille en ULIS ou en SEGPA et qu’un enseignant référent comme celui que vous avez auditionné ce matin. Mais dans le second degré, nous n’avons pas les moyens de travailler. Même si on a la volonté, sans moyens, on n’arrive pas à grand-chose.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci. Nous vous tiendrons naturellement informés des conclusions de nos travaux et de la manière dont nous entendons les faire vivre. Il ne suffit pas de rédiger un rapport pour qu’il soit mis en œuvre.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie de vous être déplacés et d’être venus apporter votre témoignage. C’est une construction, un tissage progressif qui nous permet de toucher de doigt ce qui est concrètement compliqué dans vos établissements scolaires.

 

 


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   Mardi 7 mai 2019

1.   Audition de Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU), et de M. Jérôme Motard, responsable du groupe Inclusion scolaire–ASH

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Notre commission poursuit ses travaux en recevant des représentants du Syndicat national des enseignements du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU). Madame Sipahimalani, secrétaire générale adjointe, monsieur Motard, responsable du groupe Inclusion scolaire ASH, je vous souhaite la bienvenue. Il était important pour la conduite de nos travaux sur l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap de recueillir le point de vue des représentants du SNES-FSU qui, au vu des résultats des élections professionnelles de l’automne 2018, est le syndicat le plus représentatif du second degré, puisqu’il est majoritaire aussi bien dans les collèges que dans les lycées généraux et technologiques. Vous nous avez transmis des documents qui prouvent que votre syndicat a longuement travaillé ce sujet. Je vous en remercie.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Valérie Sipahimalani et M. Jérôme Motard prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il est effectivement important pour nous d’avoir le regard de votre organisation syndicale et des enseignants que vous représentez sur l’école inclusive et, surtout, les conditions de mise en œuvre de la loi de 2005. Celle-ci a fait consensus au moment où elle a été adoptée, mais l’accès concret aux droits pose de grandes difficultés, d’abord pour les enfants et les familles ; il entraîne aussi une forme de violence pour les intervenants que sont les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et les enseignants.

Votre audition s’inscrit dans une série dense qui vise à permettre à notre commission d’enquête d’établir un diagnostic partagé, clair et irréfutable, et d’être une force de proposition. La question des données statistiques est posée et peut-être pourrez-vous nous aider à y répondre. Il s’agit aussi de réfléchir à la façon d’améliorer la mise en œuvre de cette loi et, le cas échéant, d’en rédiger un « acte II ».

Notre champ de réflexion concerne l’inclusion des enfants en situation de handicap de la maternelle jusqu’à l’université, en passant par la formation professionnelle et, évidemment, le second degré. C’est sur ce dernier point que nous attendons votre contribution aujourd’hui, en complément de l’éclairage apporté par vos collègues du SNUipp et du SNESUP. Je souhaite que cette contribution ne soit ni lisse, ni feutrée, sans tabou et la plus franche possible. L’enjeu est, pour nous, de faire avancer cette juste et belle cause de l’inclusion des enfants en situation de handicap.

Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du SNES-FSU. Comme vous avez pu le constater dans les documents que nous vous avons transmis, le SNES-FSU est très attaché à la scolarisation de l’ensemble des élèves à besoins éducatifs particuliers. Si nous avions un reproche à faire à l’ordre du jour de cette commission, ce serait son entrée par le seul handicap alors que, pour nous, les élèves à besoins éducatifs particuliers sont aussi les élèves allophones, les élèves en prison, les élèves en situation de d’apprentissage difficile, grave et durable, ou encore les élèves qui, conformément à l’entrée par les besoins qui est celle de la loi, présentent les mêmes besoins que les élèves en situation de handicap mais ne sont souvent pas traités.

Pour nous, la scolarisation des élèves doit se faire dans la classe ordinaire, mais elle a aussi toute sa place dans les dispositifs qui ont été mis en place historiquement en France : instituts médico-éducatifs (IME), instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP), unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), etc. Or en tant que personnels du second degré, nous avons le sentiment que l’institution écoute beaucoup les parents et les associations – à juste titre – mais qu’elle suit vis-à-vis des personnels une logique plus comptable que d’accompagnement dans les difficultés quotidiennes du métier.

Dans cette courte présentation, je souhaite attirer votre attention sur le fait qu’à l’Éducation nationale, on entend parler de « formation des personnels ». Celle-ci considère donc que si les enseignants sont en difficulté pour la scolarisation en classe ordinaire des élèves en situation de handicap, c’est parce qu’ils ne sont pas formés. En cela, elle ne considère pas du tout d’autres questions comme celles des effectifs ou de la diversité des prises en charge à mettre en place dans la classe. Pourtant, quand vous avez dans votre classe de 30 élèves, en inclusion pour tout ou partie, des élèves issus d’une ULIS et présentant des difficultés différentes, vous devez mettre en place un panel de situations pédagogiques qui met en difficulté même un enseignant bien formé. Le sujet de la formation, si important soit-il, n’est donc pas le seul à considérer.

La principale difficulté de la classe ordinaire vient de l’ensemble des dilemmes professionnels. Comment gérer les situations extrêmement hétérogènes d’élèves qui peuvent être en situation de handicap, accompagnés ou pas d’un AESH ? Comment gérer les élèves qui n’ont pas de notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) mais dont les besoins ne sont guère différents et qui ont un plan d’accompagnement personnalisé (PAP), un guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco) ou un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) ? La classe ordinaire devient extrêmement difficile à gérer au quotidien, de même qu’il est difficile de faire progresser l’ensemble des élèves.

Nous observons la volonté de l’Éducation nationale et du ministère de la santé de faire basculer à peu près 80 % des élèves actuellement en unité d’enseignement dans les établissements scolaires, avec une inclusion partielle ou entière dans la classe ordinaire. Cela nous pose problème dans la mesure où nous considérons que ce n’est pas possible sans un certain volume de moyens afférents. Or les remontées venant de plusieurs établissements dans lesquels une telle inclusion d’unités d’enseignement se met en place montrent qu’elle ne se passe pas très bien parce que les moyens disparaissent et s’évaporent assez vite.

Une autre alerte nous remonte concernant la vie scolaire et nos collègues conseillers principaux d’éducation. Quand nous avons dans nos classes des élèves avec notification MDPH – ou parfois pas, d’ailleurs, parce que les démarches sont en cours – et des comportements inappropriés, ceux-ci doivent être pris en charge de temps à autre par l’auxiliaire de vie scolaire, lequel n’est pas formé ou ne dispose pas du temps nécessaire pour gérer de manière continue et suivie l’ensemble de ces élèves.

Un autre point concerne les AESH et, dans le cas de la loi pour une école de la confiance, la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement spécialisés (PIAL), anticipée depuis la rentrée. Ces PIAL ont été mis en place de manière expérimentale sur tout le territoire, alors que l’on nous avait annoncé qu’ils seraient évalués. Ils ont été gravés dans le marbre de la loi avant même leur première année d’existence. Ils nous posent un certain nombre de problèmes du fait de la manière dont sont gérés les AESH et des liens que peuvent avoir nos collègues AESH avec l’ensemble des équipes dans les classes, quand leur emploi du temps devient variable à cause de la mise en place des PIAL.

En résumé, il faut absolument que l’ensemble des enfants qui sont pour nous des « élèves en situation de handicap » bénéficient d’une scolarisation. Tous les enfants sont capables de réussir. Nous sommes tout à fait d’accord avec le préambule de la loi de 2013 pour la refondation de l’école de la République. En revanche, il nous semble que les moyens nécessaires ne sont pas donnés, tant en termes d’effectifs des classes qu’en termes de structures et de dispositifs et en termes de formation. Il faut aussi travailler la question des AESH.

M. Jérôme Motard, responsable du groupe Inclusion scolaire-ASH du SNES-FSU. Pour compléter les propos de ma collègue, je précise que nous sommes confrontés à des logiques sans cohérence. Le combat pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, c’est-à-dire le combat pour la désinstitutionnalisation – qui est un très noble combat – a été brandi en étendard sans que nous ne trouvions une cohérence dans l’application des textes et sans que les moyens nécessaires ne soient dégagés.

Je m’explique : les élèves en situation de handicap ont cette particularité qu’ils relèvent de deux ministères. En ce sens, ils font un peu exception. Cela signifie qu’assurer le suivi de leur parcours nécessite de mobiliser une série d’acteurs. Or en multipliant les acteurs, on multiplie les difficultés. Valérie Sipahimalani a rappelé tout à l’heure qu’autour des élèves en situation de handicap était déployé un arsenal technique : des textes et un projet personnalisé de scolarisation (PPS) qui doit normalement être élaboré par les MDPH ; mais dans les faits, nous n’avons jamais ces PPS. Très souvent, en effet, ils n’existent pas, alors qu’il s’agit d’un document opposable de par la loi de 2005. Le cas échéant, une pression est mise sur les enseignants pour appliquer un texte fantôme à la place duquel on brandit un GEVA-Sco. Cet outil est très intéressant et même indispensable, mais ce n’est pas le PPS. Voilà un exemple des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants du fait du manque de cohérence qui peut entourer la scolarisation de ces élèves fragiles et à profil particulier.

Pour nous, enseignants, le sujet des dilemmes professionnels est très fort. Les risques psychosociaux (RPS) sont en train de se développer, pas uniquement en lien avec la scolarisation des enfants handicapés, bien évidemment, mais en partie quand même. Dans notre institution, en effet, nous avons parfois l’impression qu’il n’y a pas de cohérence entre le combat pour l’inclusion et ce que j’appellerais les vieilles logiques – les programmes, les examens – défendues par les cadres intermédiaires comme par les corps d’inspection.

En outre, il existe une carence au regard de la formation. Même si Valérie Sipahimalani a eu raison de rappeler que celle-ci ne sera pas la seule clé pour rendre l’inclusion de tous les élèves possible et heureuse, elle en est néanmoins une condition nécessaire. Cette formation, nous la réclamons à cor et à cri mais nous peinons à l’obtenir. Ou alors, il nous est de plus en plus souvent proposé le recours à des outils de type plateforme en ligne. Ils peuvent être bien faits, la question n’est pas là, mais ils sont chronophages. Cela signifie que les enseignants doivent se former de manière totalement autonome et sur leur temps libre, ce qui leur ajoute de la pression et une surcharge de travail alors qu’ils sont particulièrement fatigués en ce moment. Qui plus est, les journées de formation académique obligatoire sont rares et ne concernent jamais les problématiques de l’inclusion. Dans l’académie où j’exerce, une journée de formation obligatoire a été organisée il y a un mois sur le bilan de la réforme du collège. Mais à aucun moment n’a été abordée la question de la scolarisation des élèves en situation de handicap, qui a pourtant donné lieu à une grande concertation à l’échelle nationale fin 2018 et à la naissance du plan pour l’école inclusive en juillet dernier sous le chapeau du ministère de l’Éducation nationale et du secrétariat d’État aux personnes handicapées. C’est un autre exemple de manque de cohérence.

Je considère que les AESH sont aussi le symbole d’une grande incohérence. Ils sont nés de la prise de conscience que si l’on veut inclure les enfants en situation de handicap à l’école, on a besoin de personnels et d’accompagnants formés – j’insiste sur ce point –, reconnus et bien traités, parce qu’ils doivent accomplir une mission que nous jugeons tous extrêmement importante. Or, alors que nombreux ont été les combats en faveur des AESH cette année, cette catégorie professionnelle reste encore ultra malmenée. Pour nous, c’est une troisième forme d’incohérence.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Concernant le champ de la commission d’enquête, je revendique le fait qu’il n’est pas exhaustif. Pour que la mise en place d’une commission d’enquête soit recevable, il faut délimiter son domaine d’intervention. En l’occurrence, si nous avons retenu le champ de l’inclusion des enfants en situation de handicap, c’est parce que j’ai considéré qu’existait une difficulté objective à mettre en œuvre la loi de 2005. Le Défenseur des droits a d’ailleurs corroboré ce sentiment.

Vous dites – et je partage ce point de vue – que les difficultés rencontrées par les enseignants – parfois même leur mal-être ou la violence que peut représenter pour un enseignant l’échec de la prise en charge d’un enfant en situation de handicap – ne relèvent pas seulement de la formation, mais aussi d’autres paramètres, notamment celui des effectifs. Quelles sont les propositions de votre syndicat pour la « règle à calcul » de la dotation horaire globale (DHG) dans le second degré – la question se posant aussi pour le premier degré ?

La question de la formation des intervenants, AESH comme enseignants, est également posée. Quel regard portez-vous en ce domaine ? Que faudrait-il faire pour améliorer la formation initiale et la formation continue des enseignants que vous représentez ?

Enfin, depuis le début, notre commission d’enquête peine à obtenir des éléments objectifs, chiffrés et incontestables, y compris de la part du ministère. Mais je ne désespère pas qu’on en obtienne. Hier, nous étions en Seine-Maritime et nous avons obtenu pour la première fois des informations chiffrées pour un certain nombre de paramètres. Concernant la souffrance au travail et la saisine des comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT), quand ils existent encore, disposez-vous d’indications et d’éléments statistiques sur le sentiment des enseignants qui accueillent des enfants en situation de handicap de ne pas arriver à mettre en œuvre une pédagogie différenciée et, au bout du compte, de ne pas arriver à faire face ? Le mal-être est-il une vision de l’esprit ou une réalité ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Disposez-vous de temps pour travailler collectivement, lorsque vous accueillez un élève en situation de handicap, pour que l’équipe de professeurs chargée de cet élève puisse réfléchir à une manière de faire ? Je sais que, pour les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), un temps est prévu chaque semaine. Est-ce aussi le cas, ou envisagez-vous que ce le soit, pour les autres professeurs ?

M. Olivier Gaillard. Vous avez parlé du PPS. Cet acte écrit est indispensable. Pourriez-vous être plus précis quant aux difficultés de sa mise en œuvre ? Par ailleurs, quelles sont les notions de formation qui permettraient de vous accompagner dans leur élaboration au travers des MDPH ?

Mme Géraldine Bannier. Avez-vous connaissance de différences territoriales entre les académies ou les départements ? Des zones sont-elles moins bien accompagnées que d’autres en raison de politiques locales différentes ?

J’ai été enseignante durant treize ans dans un collège avec des élèves en inclusion. Je vous rejoins tout à fait sur le fait qu’outre les enfants en situation de handicap, d’autres enfants ont des besoins particuliers et qu’il faut bien saisir le sujet sous cet angle.

Mme Béatrice Descamps. Pouvez-vous développer la connaissance que vous avez de l’expérimentation concernant les PIAL ?

Mme Valérie Sipahimalani. Tout d’abord, en tant qu’enseignante, je ne connais pas le handicap de mes élèves. Je peux avoir un élève dont je sais qu’il a une notification MDPH, mais je ne suis pas tenue de savoir ce qu’il a. Seule sa famille peut éventuellement me le dire. La seule information dont je dispose est que tel élève a tels besoins éducatifs particuliers. C’est ainsi que j’entre dans un travail pédagogique avec lui et que nous travaillons dans l’établissement scolaire. Nous n’avons pas à connaître la nature du handicap de nos élèves. C’est la raison pour laquelle nous considérons que l’on doit entrer dans le sujet via les besoins éducatifs particuliers et non le handicap.

Avoir des élèves à besoins éducatifs particuliers dans une classe est la routine. Ils sont partout, quel que soit le territoire ! C’est la routine du métier. Dans une classe, vous avez toujours, statistiquement, quelques élèves à besoins éducatifs particuliers, même si je n’ai pas de chiffres précis et je n’en aurai pas d’autres que ceux de l’Association de défense et d’entraide des personnes handicapées (ADEP).

En matière d’effectifs, dans la mesure où les élèves à besoins éducatifs particuliers sont la routine du métier, nous considérons qu’une classe ne devrait pas compter plus de 24 élèves en collège et 30 en lycée – et probablement moins pour l’éducation prioritaire. C’est notre demande. Car considérer qu’un élève à besoins éducatifs particuliers est un bonus qui permet de réduire le nombre d’élèves dans une classe n’est pas, à mes yeux, un positionnement très respectueux de l’élève en question. Pourquoi occuperait-il plus de place qu’un autre ? C’est une démarche intellectuelle compliquée. De toute façon, comme il y a systématiquement des élèves à besoins éducatifs particuliers dans chaque classe, il faut en tenir compte de manière générale, sans poser la question pour telle ou telle classe.

Nous avons une demande supplémentaire concernant les élèves inscrits au collège et au lycée : quand ils sont inscrits dans la classe ordinaire, ils devraient être comptés dans ses effectifs. Or actuellement, ce n’est pas le cas. Je pense à une collègue à Clermont-Ferrand, qui a parfois 35 élèves dans sa classe en comptant les élèves allophones et les élèves sourds en inclusion. Inclure ces élèves est très bien, sur le papier. Mais en pratique, c’est extrêmement difficile à gérer. Aussi demandons-nous la double comptabilisation des élèves, dans la classe ordinaire et dans le dispositif ou la structure. Voilà pour ce qui est de votre « règle à calcul ».

Les formations initiale et continue doivent elles aussi être abordées par le prisme des besoins éducatifs particuliers. C’est vraiment compliqué. Selon les élèves, par exemple, vous devez utiliser différentes tailles de police, ne pas recourir aux figures géométriques ou prévoir du temps majoré. Et nous n’avons pas encore parlé de la question de l’évaluation et des examens. Un travail de longue haleine est nécessaire pour former l’ensemble des personnels – pas seulement les enseignants – à la façon d’aborder un élève qui présente un syndrome de troubles autistiques ou un élève dyspraxique et de faire au mieux, pour eux mais aussi pour l’ensemble de la classe.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous dites que vous ne connaissez pas le handicap de l’enfant et que vous « entrez » par les besoins particuliers. Comment évaluez-vous ces besoins ? Est-ce par le GEVA-Sco, ou par le PPS – que vous n’avez pas ?

Mme Valérie Sipahimalani. Nous sommes bien heureux quand nous disposons du PPS ou du GEVA-Sco ! Dans la plupart des cas, ces documents sont « égarés » quelque part. C’est mon expérience personnelle, partagée par de nombreux collègues. La plupart des collègues ne connaissent même pas l’existence de ces documents. Nous faisons notre travail de formation syndicale, mais l’institution ne fait pas toujours le sien.

Quand un élève a déjà été scolarisé un an dans l’établissement, les informations passent généralement par l’équipe, les collègues, le professeur principal ou les parents lors des réunions parents-professeurs. Le moment difficile est l’accueil en classe de 6e ou de 2de. Parfois, nous mettons un certain temps avant de découvrir que tel élève a des besoins éducatifs particuliers et devrait bénéficier de tel ou tel accompagnement en classe. Le plus souvent, cela se passe lors des réunions avec les enseignants. Certes, des dizaines d’ULIS sont ouvertes chaque année. Le coordonnateur ou la coordonnatrice de l’ULIS indique aux collègues comment prendre en charge les élèves concernés. Mais pour les élèves en inclusion individuelle, c’est plus compliqué et cela doit être fait au cas par cas.

Aujourd’hui, 20 % des élèves ont des besoins éducatifs particuliers à un moment ou à un autre de leur scolarité. Tous les collègues ressentent une difficulté professionnelle pour leur prise en charge : nous nous demandons si nous avons bien fait les choses ou si nous n’avons pas accru les difficultés de l’élève au lieu de l’aider ; nous nous demandons si un élève a vraiment sa place toute la semaine dans notre établissement, quand on voit qu’il est en souffrance, qu’il fatigue, qu’il a besoin de décompresser ou que le PPS ne le permet pas. Finalement, pourquoi les alertes aux CHSCT ne sont-elles pas plus nombreuses ? Au SNES, nous y voyons deux raisons. La première est qu’un certain nombre de collègues ne connaissent pas l’existence du registre santé-sécurité au travail ; ils ne font donc pas d’alerte parce qu’ils ne savent pas qu’ils peuvent en faire. La seconde raison est la pudeur des enseignants à dire leurs difficultés, leurs interrogations et leur sentiment de culpabilité, puisque, quand nous sommes en difficulté avec un élève à besoins éducatifs particuliers, on nous explique qu’il suffirait que nous nous formions. Globalement, la réponse institutionnelle est « allez sur telle plateforme », « demandez tel stage »… Il est difficile d’admettre que l’on est en difficulté. Je pense qu’il existe dans la profession un certain renoncement à interpeller une institution dont tout un chacun connaît les mérites en matière de gestion des ressources humaines.

Ces dernières années, la FSU a conduit une enquête qui a mis en lumière ces problèmes. Dans nos classes, nous avons aussi des élèves dont les difficultés sont silencieuses. Ils ne posent pas les mêmes problèmes que ceux dont les difficultés entraînent parfois un dysfonctionnement lourd de la classe : certains crient en classe, d’autres ne peuvent pas rester sans bouger, d’autres encore pourraient se mettre en danger ou mettre leurs camarades en danger lors d’une expérimentation en travaux pratiques. Nous avons fait part de ces risques psychosociaux auxquels sont exposés nos collègues. Ce travail a été pris en compte par le CHSCT ministériel et a conduit à l’élaboration d’un guide dont vous avez les références dans la note que nous vous avons envoyée. Il s’agit d’un guide sur les enfants qui présentent des difficultés de comportement en classe. Mais outre ces difficultés comportementales, qui sont les plus visibles, nombre d’élèves ont des difficultés silencieuses. C’est par exemple le cas d’un élève dyspraxique : quand vous travaillez sur un tableau, sur une image, vous le mettez en difficulté sans pour autant que cela ait des répercussions sur toute la classe. Ces difficultés silencieuses ne peuvent pas toujours être prises en compte quand l’effectif de la classe est très important. Elles font peser un risque psychosocial à bas bruit, sur lequel nous n’alerterons pas nécessairement l’institution.

Vous posiez ensuite la question du temps disponible pour travailler collectivement sur ces questions. L’Éducation nationale reconnaît plus de 42 heures par semaine pour le travail des enseignants en dehors des temps de congés des élèves durant lesquels nous sommes réputés préparer des cours et corriger des copies. Mais durant ces périodes, les établissements sont fermés et il ne nous est donc pas possible de nous réunir pour discuter de nos élèves. Nous manquons donc de temps pour le travail collectif. Au SNES, nous portons une demande de réduction du temps de travail. Nous l’avons obtenue pour les établissements du réseau d’éducation prioritaire renforcée (REP+). Ce temps récupéré, ou cette pondération, fonctionne bien dans les établissements. Il permet aux collègues de disposer de plus d’une heure de réunion hebdomadaire dans un service de 18 heures. Là où ces réunions et l’établissement de leur ordre du jour sont laissés à l’initiative des personnels, ceux-ci s’en déclarent très satisfaits. Il nous faut du temps pour travailler collectivement. Il nous faut parfois aussi du temps pour travailler avec les parents. Être parent d’un élève en situation de handicap est difficile et pour nous, le travail avec les parents peut être assez compliqué. Nous avons donc, là aussi, besoin de prendre le temps de discuter. Les professeurs principaux doivent participer aux équipes de suivi de la scolarisation (ESS), ce qui peut prendre du temps encore.

Jérôme Motard et moi-même sortons d’une réunion au ministère. Nous avons appris qu’une circulaire sur l’école inclusive et l’inclusion des élèves en situation de handicap qui sortira pour la rentrée prochaine demande que le professeur principal reçoive l’ensemble des parents des élèves en situation de handicap de sa classe durant le premier mois suivant la rentrée. Nous avons exposé au ministère que ce sera vraiment difficile à mettre en œuvre. Le temps nous étant compté, il est difficile de rencontrer tous les parents pendant le premier mois de rentrée. En outre, nous n’avons pas que des élèves en situation de handicap dans nos classes. Nous avons aussi des élèves qui se trouvent dans une situation sociale difficile. L’accent est mis sur les élèves en situation de handicap, mais quand nous gérons une classe, nous gérons aussi les 30 autres élèves.

Enfin, il peut y avoir des différences territoriales. Nous les constatons surtout sur la structure SEGPA et l’inclusion des élèves de 6e de SEGPA dans la classe ordinaire. Le problème – qui peut aussi se poser pour certains élèves en situation de handicap – est que la classe ordinaire est un bon lieu de socialisation, mais sans doute pas suffisant. Nous avons des ambitions. Nous considérons que la scolarisation va au-delà de la vie collective. Il est important que tous les élèves profitent de ces moments de vie collective, mais, pour progresser dans les apprentissages, il faut parfois mettre en place des dispositifs ou des structures particuliers. Actuellement, la classe ordinaire n’est pas le lieu d’apprentissage adéquat pour l’ensemble de nos élèves – en tout cas, pas avec les effectifs dont nous disposons. C’est la raison pour laquelle nous pensons que l’on ne peut pas considérer que la scolarisation soit réussie quand la socialisation est réussie. Mais, souvent, certains s’en satisfont.

M. Jérôme Motard. Je vais répondre aux questions dans l’ordre dans lequel elles ont été énoncées, en apportant d’abord un petit complément sur la formation. Vous savez que depuis peu, il existe un certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI) et des modules d’initiative nationale pour l’accueil des élèves en situation de handicap (MIN‑ASH). Nous sommes favorables à ces deux outils. Mais un constat s’impose, que nous relayons au ministère dès que nous le pouvons : celui de la difficulté, pour les enseignants du second degré, à passer le CAPPEI. Pourtant, le nombre d’élèves à besoins éducatifs particuliers, notamment en situation de handicap, s’est multiplié et accueillir un tel élève dans nos classes est devenu notre lot quotidien. Nous considérons donc que tous les enseignants devraient avoir un CAPPEI dans leur bagage. Je pousse un peu la logique jusqu’à la caricature, mais c’est pour dire que l’accès à ce certificat est laborieux alors qu’il devrait au contraire être extrêmement ouvert et que le départ de nos collègues dans ces formations devrait être plus qu’encouragé.

En ce qui concerne les MIN-ASH, la gestion du calendrier a été désastreuse l’an dernier. En effet, le dépôt des candidatures à ces formations n’a été ouvert qu’en toute fin d’année scolaire, vers le 25 juin si ma mémoire est bonne, avec une remontée définitive au ministère le 14 septembre. Autant dire que les enseignants du second degré sont totalement passés à côté, d’autant plus que très souvent, les rectorats ou les directions des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) ne communiquent pas sur l’existence de ces formations. Donc l’offre existe, et elle est intéressante : les formations sont pilotées par l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) ; elles sont exigeantes et de qualité. Encore faut-il que les collègues sachent qu’elles existent et qu’on leur laisse y avoir accès. Mais l’an dernier, les recteurs pouvaient s’opposer à des départs en formation.

Pour répondre à votre question sur les PPS et leurs difficultés de mise en œuvre, ainsi que sur les formations peuvent recevoir les enseignants, je répondrai de manière lapidaire : je pense clairement que les enseignants n’ont aucune formation sur ces textes. Et je pense d’ailleurs qu’il en est de même pour tous les personnels de la communauté éducative.

Pour avoir travaillé la question, nous pouvons affirmer que les enseignants sont perdus dans le découpage entre PPS, PAI, PPRE et PAP. Ils sont totalement perdus. Les textes sont clairs, mais restent très allusifs et laissent de côté nombre de questions pratiques. Je pense, par exemple, à la circulaire de 2016 qui récapitule le parcours d’un élève en situation de handicap.

Par ailleurs, je l’ai déjà dit mais je le répète, il est rare qu’un élève en situation de handicap dispose réellement d’un PPS. Je sais que c’est la loi, mais je vous assure, pour animer des stages et pour avoir discuté avec de nombreux collègues, que si les parents omettent de demander par écrit dans leur projet de vie, au moment de constituer leur dossier MDPH, qu’un PPS distinct du GEVA-Sco soit rédigé, le PPS n’existe pas. Les enseignants se retrouvent alors avec un GEVA-Sco et la plupart du temps, ils ne savent pas vraiment ce que c’est. Ils n’en entendent parler qu’au moment où interviennent les équipes de suivi de la scolarisation, qu’ils ont du mal à comprendre – c’est aussi le cas du chef d’établissement. Très peu de travail de pédagogie est fait pour expliquer tout ce bagage, tout cet armement institutionnel autour du handicap, qui participe du droit à compensation. Ces outils sont extrêmement précieux pour les élèves et les enfants. Mais, en tant qu’enseignants, nous ne sommes pas formés à leur utilisation. Notre hiérarchie est souvent aussi démunie que nous. Qui plus – et c’est là du ressort d’un ministère autre que l’Éducation nationale –, les PPS ne sont pas rédigés.

Cela me permet de rebondir sur la question des différences territoriales. Il en existe évidemment entre les départements, pour la simple et bonne raison que toutes les MDPH n’appliquent pas tout à fait les mêmes politiques et n’ont donc pas le même fonctionnement. Or dans la mesure où elles sont des acteurs clés de la scolarisation des élèves en situation de handicap, puisqu’elles rédigent les notifications, cette scolarisation diffère nécessairement d’un département à l’autre. Une harmonisation et une clarification sont donc nécessaires. Il faut aussi que les parents soient beaucoup mieux informés sur leurs droits. Pour les enseignants en tout cas, c’est un réel enjeu. Les outils, à commencer par l’ESS, sont très importants dans l’année d’un élève en situation de handicap. Les ESS peuvent se réunir une ou deux fois par an, pour évaluer la mise en œuvre mais aussi la pertinence du GEVA-Sco. Parfois, celui-ci devient partiellement caduc ou mériterait d’être réécrit. Ces rendez-vous sont précieux, mais ils sont souvent ratés par manque d’information et de connaissance des acteurs, notamment les enseignants.

J’en viens aux PIAL, qui ont été la grande nouveauté de cette année. Nous les avons vus surgir un peu de nulle part – à tel point que, pour être honnête, il a fallu plusieurs mois à nombre de nos collègues pour réaliser qu’ils faisaient partie d’un PIAL. Il serait intéressant de savoir si tous les enseignants qui appartiennent à un établissement qui est un PIAL en ont conscience. Je ne suis pas sûr que tel soit le cas ! La façon dont les PIAL sont arrivés nous a totalement déconcertés, puisqu’ils étaient étiquetés comme « expérimentation » alors qu’en fait ils faisaient suite à une expérimentation menée dans deux départements du Sud l’année précédente, et qu’ils ont été généralisés à tout le territoire sans aucun texte réglementaire les encadrant. Ils faisaient donc un peu figure d’ovni !

Ensuite, nous avons assez vite compris qu’ils étaient avant tout un mode de gestion des moyens humains que sont les AESH. À nos yeux, en effet, le PIAL est une rationalisation de ressources humaines. Honnêtement – c’est le sentiment de la plupart des enseignants avec qui nous en discutons –, le PIAL ne fait pas sens au regard de la scolarité d’un élève en situation de handicap ou du métier d’enseignant. Nous ne voyons pas quel est son apport. Nous pensons que c’est une nouvelle manière de gérer le moyen humain AESH.

Non seulement le PIAL a soulevé beaucoup de questions et d’inquiétudes chez les parents qui nous en ont parlé : ils ont eu très peur qu’il ne remette en cause le caractère sacré – j’emploie ce mot sans ironie – de la notification MDPH. Et il n’y avait aucun texte réglementaire pour les rassurer, ou à combattre si cet outil remettait effectivement en cause la distinction entre l’organisme prescripteur, la MDPH, et l’organisme « payeur », l’Éducation nationale. Mais nous avons aussi eu des remontées d’AESH considérant que cet outil pouvait déstructurer ou désorganiser leur service. En effet, l’AESH n’est plus nécessairement lié à un élève mais peut, selon les besoins du moment, être réaffecté à une autre mission – certes en rapport avec son métier, mais au risque de rompre la continuité ou la cohérence de service.

En résumé, actuellement, nous identifions mal l’apport pédagogique du PIAL pour les enseignants. Il est plus qu’incertain – ou douteux – qu’il aide les AESH à accomplir leur mission. Enfin, nous avons cru comprendre qu’il faisait extrêmement peur à un certain nombre de parents et d’associations d’enfants en situation de handicap.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. L’objectif du PIAL, pour ce que j’en sais, est avant tout de répondre aux besoins des élèves, pas à ceux des enseignants ou des AESH. Il s’agit aussi d’avoir des pôles et des équipes stabilisés. Mais il est vrai que nous n’avons pas encore de texte très détaillé sur ce sujet.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est ainsi que c’est vendu par le Gouvernement. La généralisation du PIAL vous est tombée sur la tête, mais elle est aussi tombée sur celle des parlementaires par la voie d’un amendement gouvernemental et sans retour d’expérience sur les expérimentations actuelles. Cela a été dénoncé par plusieurs groupes.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai testé un amendement, pour voir si le PIAL déposséderait la MDPH de son droit de notification, et il a été clairement rejeté.

Connaissez-vous des établissements qui ont utilisé l’outil Qualinclus ? Qu’en disent‑ils ? Connaissez-vous d’ailleurs cet outil, assez récent, d’évaluation collective de la qualité de la scolarisation des élèves en situation de handicap ?

Mme Valérie Sipahimalani. Je laisserai mon collègue répondre sur Qualinclus, que nous connaissons.

Je voudrais juste ajouter un mot concernant les PIAL. Certes, il s’agit de répondre aux besoins des élèves. Mais cet outil met les élèves en concurrence les uns avec les autres. C’est cela, qui nous pose problème. Si un AESH suit un élève mais si l’on estime qu’un autre élève est prioritaire, on déplace l’AESH au titre du PIAL. C’est ce qui nous choque. Si les moyens nécessaires sont donnés, ce type de situation ne se produira peut-être plus. Mais si les élèves sont hiérarchisés au titre du PIAL, cela nous pose problème. En particulier pour les élèves à syndrome autistique qui ont besoin d’un suivi particulier et qui nouent une relation forte avec leur AESH. Je décris ce que nous avons constaté sur le terrain : avec le PIAL, l’AESH va là où la demande est la plus forte et ce, pour toutes sortes de raisons. Il n’est alors plus répondu aux besoins de l’élève.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez raison de considérer que c’est un problème. Mais en principe, un enfant autiste a une notification individuelle à laquelle on ne peut pas toucher.

Mme Valérie Sipahimalani. Ce n’est pas ainsi que cela se passe avec le PIAL.

Nous avons indiqué au ministère que l’on ne devrait pas parler d’expérimentation quand il s’agit en fait d’une préfiguration. Malheureusement, c’est une spécialité du ministère de l’Éducation nationale : on dit qu’on expérimente et qu’on évaluera, mais en fait on préfigure et on généralise. C’est le cas pour les PIAL.

Évidemment, nous ne parlons pas des trains qui arrivent à l’heure. En l’occurrence, pour un certain nombre de PIAL, nous avons observé des dysfonctionnements importants dans l’accompagnement des enfants. Sans compter que nos collègues AESH sont mis en difficulté et placés dans une situation extrêmement délicate. Comme vous le savez, ce sont des personnels précaires, payés au lance-pierre et fragiles. Ils n’osent donc jamais dire non.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je précise, pour ceux qui n’étaient pas à Dieppe hier, que le représentant du directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) en Seine-Maritime a indiqué que l’accompagnement collectif devenait la règle et que l’accompagnement individuel devenait l’exception. Voilà qui prolongera nos débats lorsque nous établirons les conclusions de la commission d’enquête !

Je voulais vous interroger sur les aménagements liés aux examens. La réforme du baccalauréat, donc j’ai cru comprendre qu’elle renforçait la place du contrôle continu, peut-elle poser une problématique particulière sur les aménagements d’examens pour les jeunes en situation de handicap ?

Mme Béatrice Descamps. Je voudrais revenir sur deux points. Vous dites que vous ne connaissez pas le handicap de vos élèves, mais il y a bien des ESS. J’ai été directrice d’une école élémentaire. Il était alors obligatoire de se réunir au moins une fois par an, et il était conseillé de le faire deux fois par an. Je connais moins ce qui se passe dans le second degré, mais ma fille est AESH. Elle suit des collégiens et m’indique qu’il y a des ESS. Ce dispositif est-il obligatoire ou pas ?

En ce qui concerne le PIAL, vous avez dit « on déplace » les AESH de tel élève à tel élève : qui est ce « on » ? S’il y a des notifications, elles devraient être suivies et ce que vous décrivez ne devrait pas être possible.

M. Jérôme Motard. Les ESS existent, en effet, mais posent deux problèmes en pratique. D’une part, elles n’interviennent pas forcément au moment opportun. Il y a dans l’année scolaire des moments où il pourrait être intéressant de faire un bilan. Mais, la plupart du temps, les ESS sont planifiées quand c’est possible. D’autre part, les ESS ravivent la question des réunions imposées aux enseignants. Il va de soi que l’ESS est un moment fondamental, qu’il ne faut pas boycotter. Mais il faut aussi réfléchir à la façon d’organiser ce temps de travail supplémentaire, qui ne relève pas à part entière de notre activité.

La circulaire indique qu’il est souhaitable que les ESS soient planifiées hors du temps d’enseignement. On comprend bien pourquoi ! Généralement, seul le professeur principal est présent, pour des raisons d’organisation de service et pour ne pas multiplier les classes sans enseignant à certains créneaux horaires. Les ESS rencontrent donc des difficultés logistiques. Il faut aussi que la date et l’horaire conviennent à la famille. Il faut aussi que les enseignants référents puissent venir.

À cet égard, je tiens à souligner le manque d’enseignants référents. Le nombre de dossiers par enseignant référent est trop important. Je sais qu’il existe aussi des inégalités territoriales sur ce plan. Dans mon département, la Corrèze, les nombres sont effrayants et confinent à l’absurde. Il y a, en effet, plus d’une centaine de dossiers par enseignant référent.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. En Seine-Maritime, un enseignant référent suit entre 250 et 350 dossiers.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Et à Paris, ce nombre est 400.

M. Jérôme Motard. Vous conviendrez que c’est absurde !

Par ailleurs, pour répondre à votre autre question, nous connaissons bien le fascicule Qualinclus pour l’avoir beaucoup lu. Je ne vous cache pas qu’il n’emporte pas du tout notre adhésion. Son mérite est d’être cohérent avec ce qu’il promet : il propose des fiches pour que les équipes pédagogiques puissent s’approprier la question de l’inclusion et essayer de réfléchir à leurs pratiques : ce qui pourrait être fait, ce qui pourrait être amélioré. Dans cette optique, la roue de Deming – qui n’est pas le dispositif le plus récent en matière de sciences de l’éducation – a été recyclée avec des anglicismes à tout va pour construire un outil prétendument pratique à destination des équipes.

Mais, d’une part, l’appropriation de cet outil est chronophage. Les questions sont ardues, et même si le guide fait un effort d’explication, les explications y sont disséminées et il s’agit de sujets de spécialistes. Sans compter que la colonne « agir » est elle-même une succession de questions : c’est pousser le goût de la concertation assez loin, en soulevant des questionnements au lieu de proposer des actions concrètes ! C’est un outil d’une lourdeur incroyable qui sera placé sur les épaules des équipes pédagogiques – outil qui ne propose pas de solution, qui plus est. On demandera donc aux équipes d’être capables d’inventer des solutions en relevant l’un des plus grands défis pédagogiques qui soit : permettre à des enfants en situation de handicap d’avoir la scolarité la plus « normale » possible. Ces questions font l’objet de travaux de recherche de la part d’universitaires brillants dont c’est le métier à plein temps. Pour nous, Qualinclus est un faux outil, que l’on ne peut pas s’approprier. Je ne vois pas comment les équipes pourront l’utiliser et je crains qu’il ne serve de faire-valoir dans certains établissements. Tout comme la multiplication des plateformes de formation en ligne, c’est une fausse bonne idée, qui ajoute du travail quand les enseignants réclament à cor et à cri qu’on facilite leur travail. Et pour cause : l’accompagnement des élèves en situation de handicap requiert un important travail de préparation, intéressant et nécessaire, certes, mais qui modifie l’exercice professionnel y compris lorsque les enseignants ne sont pas devant les élèves. On ne prépare pas un cours de la même façon quand on a trois élèves à besoins éducatifs particuliers. S’y ajoutent la fatigue physique et la pénibilité du suivi.

Les enseignants ne vont donc pas passer leur dimanche à réfléchir à Qualinclus alors que les établissements ne sont pas capables de leur dégager du temps de concertation. Ce point n’est pas nouveau : lors de la réforme du collège et des EPI, notamment, nous revendiquions de dégager du temps pour permettre aux enseignants de travailler en équipe. Ici aussi il y a une incohérence : on fixe une exigence, mais on ne donne pas aux personnels les moyens d’y répondre. C’est un motif de souffrance au travail. Pour être heureux au travail, il faut avoir l’impression de bien faire son activité. C’est le b.a-ba. Donc, non, Qualinclus n’a pas notre adhésion.

Des textes sont en discussion sur les aménagements d’examens, notamment dans le cadre du du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Je vous avoue que nous les attendons avec impatience. Ce sujet est un puits sans fond. Il soulève de nombreux problèmes, de logistique, de mise en œuvre mais aussi de déontologie et d’éthique – qu’est-ce que l’égalité des chances ? – ou de pertinence des aménagements. Je prends pour exemple la fausse bonne idée du tiers-temps : pour certains, évidemment, c’est une condition sine qua non pour composer ; mais pour d’autres, cela crée des semaines absolument abominables si l’on considère le nombre cumulé des heures ajoutées par rapport aux autres élèves. On a donc, paradoxalement, ajouté du temps de fatigue à des personnes pour qui, souvent, le handicap est déjà synonyme de fatigabilité supplémentaire. Il y a donc, là encore, une incohérence. Le tiers-temps est nécessairement une mauvaise solution puisqu’elle met en difficulté ceux-là mêmes qu’elle est censée aider.

Je laisserai ma collègue répondre à la question de l’impact sur le baccalauréat.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quelle serait l’alternative au tiers‑temps ?

Mme Valérie Sipahimalani. La question de l’évaluation est un vrai dilemme de métier, très compliqué. Lors des réunions parents-professeurs, nombre de parents d’élèves à besoins éducatifs particuliers nous demandent s’il serait possible de faire un effort pour l’évaluation de leur enfant. Mais que veut dire faire un effort pour l’évaluation ? Est-ce à dire qu’un élève à besoins éducatifs particuliers doit avoir un diplôme au rabais parce qu’on lui en aura « offert » une partie ? Nous ne le pensons pas. Il faut trouver un moyen pour que ces diplômes aient la même qualité. Le temps majoré – terme qui a remplacé « tiers temps » – est parfois une solution, mais les élèves auxquels on donne un temps majoré sont souvent les élèves les plus fatigables. Nombre d’entre eux ne l’utilisent pas.

Une piste consisterait à supprimer certains exercices ; mais comment enlever un exercice dans une dissertation de philosophie ? Ce n’est tout simplement pas possible !

On peut aussi nous demander de reformuler les consignes. C’est un acte technique très compliqué qui impose d’expliquer les consignes différemment, ce qui conduit parfois à fournir la réponse au sujet, notamment au collège.

Le besoin de formation est ici réel. Comment établir des modalités qui permettent d’évaluer la qualité des apprentissages de l’élève tout en tenant compte de ses besoins éducatifs et donc de son incapacité – par exemple pour un élève dyspraxique – à comprendre une figure géométrique ? Faut-il prévoir un programme de mathématiques sans géométrie pour certains élèves ? Nous touchons là à des questions de déontologie quasiment philosophiques. Je n’ai pas la réponse, et je ne suis pas certaine que le ministère l’ait non plus.

Par ailleurs, les consignes reçues dans les PPS et les GEVA-Sco sont parfois inapplicables. Dans le cadre de la réforme du lycée, on nous a promis que les exercices seraient conçus de manière à tenir compte des besoins éducatifs particuliers. Nous le faisons déjà pour le temps majoré : un nombre croissant d’élèves bénéficient du temps majoré et sont donc dans des salles à part, ce qui peut poser des problèmes lorsqu’ils ont un secrétariat, souvent bruyant et qui doit pouvoir être isolé. La nécessité de trouver plusieurs salles peut mettre en difficulté l’organisation du bac.

Il en ira de même avec la réforme du baccalauréat, au sujet de laquelle je ne sais pas quoi vous dire puisque même les élèves sans besoins éducatifs particuliers ne pourront plus passer le même jour l’épreuve de sciences économiques et sociales (SES) et celle de sciences du vivant et de la terre (SVT). En effet, certains auront pu choisir à la fois l’option de SES et celle de SVT. Or les épreuves du baccalauréat ont déjà été étalées pour tenir compte des tiers‑temps – de fait, à une époque, il pouvait y avoir jusqu’à huit heures de composition dans la journée ; ce n’est plus le cas, pour tenir compte des tiers-temps. C’est la raison pour laquelle les épreuves se tiennent sur huit jours, de mémoire. La réforme ne simplifiera probablement pas les choses, alors que la gestion des établissements est déjà compliquée. À ce sujet, nous n’avons encore de directive précise sur le rôle de l’AESH le jour de l’examen. Est-ce lui qui accompagnera l’élève ? Certains collègues AESH sont très protecteurs avec les élèves qu’ils suivent. Accompagner l’élève sans faire à sa place est tout un art, qui requiert une réflexion et une formation.

Vous demandiez qui déplace les AESH dans les PIAL. Dans le premier degré, c’est l’inspecteur de l’Éducation nationale chargé de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés (IEN-ASH). Dans le second degré, c’est le chef d’établissement. Quand c’est de l’inter-degré, les deux doivent se coordonner. Dans certaines académies, c’est encore différent : à Paris, certains pôles regroupent plusieurs arrondissements. L’absence de formation précise des personnes qui dirigent les PIAL et l’absence de texte de cadrage ont conduit à des aberrations : dans certains établissements, on ne regarde plus si l’élève a droit à un AESH mutualisé ou individuel et on mutualise les AESH avec les AESH collectifs de l’ULIS – ce qui peut faire un pôle important d’AESH gérés en fonction des besoins, ce qui conduit à établir des priorités entre les élèves. C’est là que les difficultés commencent. Or les AESH ayant des ordres de mission, ils sont soumis à la même réglementation que tout fonctionnaire ou contractuel avec ordre de mission.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous arrivons au terme de ce rendez-vous. Je tiens à vous remercier pour vos explications, qui sont souvent techniques, mais qui montrent que vous connaissez très bien le sujet. En tout cas, vous savez très bien su expliquer les difficultés que vous rencontrez sur le terrain. J’aurais aimé que l’on aborde aussi ce qui fonctionne bien, mais le temps nous est compté.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci pour la qualité de votre contribution et pour celle des documents que vous nous avez transmis au préalable. J’imagine qu’ils nourriront la réflexion de l’ensemble des membres de la commission d’enquête.

 

 

 

 


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2.   Audition conjointe de Mme Virginie Cassand, membre du Collectif AESH‑loi 2005, M. Jérôme Antoine, membre du Collectif AESH Île-de-France, et M. Sébastien Monié, membre du Collectif AESH en action !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous poursuivons notre séquence d’auditions avec celle de représentants de collectifs d’accompagnants d’élèves en situation de handicap : M. Jérôme Antoine, membre du Collectif AESH Île-de-France, Mme Virginie Cassand, membre du Collectif AESH Loi de 2005 et M. Sébastien Monié, membre du Collectif AESH en action ! Je vous souhaite la bienvenue.

Nombre de nos précédentes auditions ont longuement abordé la question du statut, de la formation, du positionnement mais aussi de la précarité de ces acteurs pourtant essentiels de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap que sont les auxiliaires de vie scolaire (AVS) et les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Il était donc crucial pour nous de recueillir le témoignage et le point de vue de représentants des différents collectifs d’AVS et d’AESH qui ont pu se constituer.

Avant de vous donner la parole, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je suis député de Seine-Maritime et j’ai mobilisé le droit de tirage de mon groupe pour cette commission d’enquête à partir de l’expérience que j’ai connue dans mon département, dans ma ville, à Dieppe : celle de dysfonctionnements, pour pas dire des drames humains, qui se sont révélés notamment lors de la dernière rentrée, et conscient que j’étais – je le résume avec mes mots et d’une manière simple pour ne pas être trop long – que nous avions des AESH et des AVS en situation précaire, avec des salaires qui faisaient le yo-yo et des visions de très court terme sans mômes, et des mômes sans AVS. C’est ce qui a motivé mon engagement sur ce dossier et l’envie d’approfondir le sujet au plan national afin d’établir d’un diagnostic partagé sur ce qui va et sur ce qui ne va pas, et surtout de dégager des propositions. J’espère qu’elles seront largement partagées pour faire avancer la cause des enfants en situation de handicap inclus en milieu scolaire, ainsi que la situation des personnes chargées de cette belle et importante mission, dont j’ai compris qu’elles étaient en demande de reconnaissance et de statut – c’est, je crois, le moins qu’on puisse dire.

C’est donc le sens de l’audition d’aujourd’hui. Nous espérons que vous serez très francs sur le diagnostic et force de proposition pour nourrir notre réflexion.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour la qualité des documents que vous nous avez communiqués.

M. Jérôme Antoine, membre du Collectif AESH Île-de-France. Virginie Cassand et moi-même nous exprimerons au nom de la Coordination de collectifs AESH de France (CCAF) qui regroupe actuellement cinq collectifs d’accompagnants : Corse, Île-de-France, Loi de 2005, 59-62 et Alpes-Maritimes.

Nous saluons la mise en place de cette commission d’enquête parlementaire que nous avions réclamée l’année dernière et nous espérons qu’elle mettra en perspective toutes les problématiques des différents acteurs dans l’école inclusive. Car depuis plus d’un an, cette question a agité les débats. La littérature et les travaux n’ont pas manqué : quatre rapports – un du député Taquet, un du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), un de la Cour des comptes et un de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) –, deux propositions de loi – l’une pas débattue et l’autre vidée de son sens – et une pseudo-concertation mal menée par le secrétariat d’État de Mme Cluzel, sans enseignant, sans consistance et sur le seul sujet imposé par le ministère de l’Éducation nationale. Alors que le ministre annonçait que cette concertation ferait l’objet d’un rendu de conclusions courant mars, le même jour, en l’occurrence le 11 février, il choisissait d’imposer ses propres conclusions dans l’urgence et sans étude d’impact, par l’amendement 1058 à son projet de loi pour une école de la confiance – projet de loi qui ne comportait, jusqu’à la dernière minute, aucune référence à l’école inclusive.

Voilà pour la forme. Pour le fond, au terme de deux années d’exercice, le ministère n’envisage toujours pas la réduction de l’usage des contractuels et les annonces faites ne sont pas des innovations. Les 60 heures de formation existent depuis 2005 et deux contrats à durée déterminée (CDD) de trois ans font toujours six années de période d’essai ! Quant à l’augmentation de la rémunération, il n’en est toujours pas question. Le ministère n'invente donc rien et, pire, va accroître les difficultés d’exercice de notre mission : d’une part, par le transfert de la rédaction du projet personnalisé de scolarisation (PPS) des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) aux équipes éducatives ; d’autre part, par la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisé (PIAL). Avec cette invention technocratique, l’Éducation nationale envisage désormais l’école inclusive uniquement sous l’angle comptable de la rentabilité de ses agents, en décidant de mutualiser massivement l’accompagnement des élèves en situation de handicap. Ainsi, sous le joug de la contrainte du ministère du Budget et en se substituant à celui de la Santé, le ministère de l’Éducation nationale décrète unilatéralement que la mutualisation devient la règle et l’individualisation l’exception. Le payeur devient le prescripteur et le malade son propre médecin. Parce que c’est son projet, le ministère a choisi de répondre à l’augmentation annuelle prévue de 14 % d’élèves notifiés par un effectif constant de 80 000 accompagnants et pas plus d’ici 2021.

Malgré ces choix, nous persistons et nous vous présenterons aujourd’hui nos propositions afin d’améliorer nos conditions de vie professionnelle, selon deux axes : une déprécarisation institutionnelle et une déprécarisation fonctionnelle. Puis nous conclurons sur les dispositions introduites dans le projet de loi pour une école de la confiance.

J’en viens au premier axe, pour une déprécarisation institutionnelle, c’est-à-dire le cadre dans lequel nous exerçons. Nous développerons ici deux points : le statut et la formation. D’abord, un petit résumé de la situation actuelle de notre cadre d’exercice : 2 ans ou 9 mois de contrat unique d’insertion (CUI), puis six ans de CDD renouvelable tous les ans et, au bout, peut-être un contrat à durée indéterminée (CDI) ; des temps partiels imposés, avec des quotités horaires variables selon les départements au sein d’une même académie ; une rémunération moyenne de 650 euros net par mois ; aucune formation initiale et continue ; pas de possibilité de portabilité du contrat d’une académie à l’autre ; pas d'assurance chômage. Bref, tous les ingrédients d’une précarité bien robuste.

Le ministère est toujours dans une logique d’emplois contractuels et temporaires. Or depuis 2005, la réalité du terrain démontre bien que la fonction d’accompagnant est devenue permanente. Elle le sera d’autant plus au vu des prévisions d’un nombre croissant d’élèves en situation de handicap – pour rappel, + 14 %.

Il nous apparaît donc très opportun que le Gouvernement opère maintenant un plan de titularisation des accompagnants en recourant à la loi Sauvadet. Ce plan, avec la création d’un corps d’accompagnants de catégorie B au sein du ministère, sera pour nous la base d’une véritable mission de service public de l’école inclusive. Rappelons que ce passage au statut de la fonction publique était une promesse de campagne du candidat Macron et qu’elle figure toujours sur son site de campagne.

Dans le cadre de ce statut, voici nos propositions : l’application d’une grille indiciaire débutant à l’indice 400 ; une uniformisation nationale de la gestion administrative et financière des accompagnants pour en finir avec les disparités de traitement, de contrat et de salaire entre les différents départements et académies ; l’obligation faite aux académies d’informer l’accompagnant du cadre dans lequel il exerce, ainsi que de ses droits et devoirs ; la prise en charge des frais de transport sur tout le territoire ; l’abrogation du temps incomplet et l’application du temps complet aligné sur le temps d’enseignement obligatoire en fonction du niveau scolaire de l’élève ; la prise en compte des heures invisibles inhérentes à la bonne pratique du métier d’AESH ; l’extension aux AESH des primes REP et REP+.

Ces dispositions, en attendant la création de véritables statut et corps, seraient d’ores et déjà applicables, tout comme le serait la recommandation de la Cour des comptes que nos effectifs apparaissent enfin clairement dans les documents budgétaires en vue de l’examen du projet de loi de finances (PLF) en créant un véritable cadre d’emploi spécifique aux AESH et non plus hors titre II, exprimé en équivalent temps plein (ETP).

J’en viens à la formation. C’est évidemment un point essentiel. Nous ne saurions prétendre à la création d’un statut et d’un corps sans une formation conséquente préalable à l'exercice de notre métier, et sur le fondement essentiel dorénavant d’une coformation enseignants-accompagnants. Nous pensons que cette formation pourrait passer par la mise en place du concours d’accès au corps. Nous avons donc réfléchi à un concours externe et un processus interne, calqués sur le mode de recrutement des professeurs des écoles (CRPE).

Un concours externe « bac + 2 » permettrait d’accéder à une année de formation en alternance dans les ESPE, avec des modules communs avec les enseignants. À l’issue de cette année, un mémoire écrit serait défendu devant un jury, suivi d’une inspection sur le terrain au terme de laquelle l’accompagnant serait titularisé dans l’académie où il a passé le concours et diplômé d’une licence d’accompagnant éducatif.

En interne, la titularisation des personnels qui sont déjà en poste aujourd’hui serait possible après deux ans d’activité. Comme pour une validation des acquis de l’expérience (VAE), l’accompagnant rédigerait un mémoire, sous tutorat d’un enseignant en ESPE, qu’il défendrait devant un jury, avant de faire l’objet d’une inspection sur le terrain.

Tant que tout cela n’est pas mis en place, nous souhaitons que le ministère dispense au moins une formation qualifiante en ESPE avant la prise de poste, afin d’éviter aux agents de se décourager et, par la suite, de démissionner – ce qui a pour conséquence un nombre important de ruptures d’accompagnement.

De plus, dans le respect du droit à la formation continue prévu par la loi de 1983, il serait souhaitable que des formations nous soient enfin proposées tout au long de la carrière, selon le handicap rencontré ou le souhait de l’accompagnant qui voudrait se spécialiser. L’ouverture du catalogue des formations à destination des enseignants serait un premier pas. Nous pouvions penser que le ministère, dans ses engagements pour la rentrée 2019, nous offrirait cette opportunité de coformation. Malheureusement, il n’en est toujours rien dans sa dernière circulaire. Les 138 modules de formation proposés pour la rentrée prochaine sont soit pour les accompagnants, soit pour les enseignants. Et parmi eux, seuls neuf sont à destination des accompagnants.

Cette formation continue nous paraît être des plus importantes dans une perspective de progression de carrière : nous pourrions évoluer comme AESH référent, coordinateur, conseiller pédagogique AESH, et accéder éventuellement au grade d’inspecteur de l’Éducation nationale AESH (IEN-AESH).

Vous l’aurez compris : un vrai statut et une réelle formation, voilà pour nous des conditions essentielles pour remplir l’objectif – fixé par le ministre lui‑même – de création d’un véritable service public de l'inclusion au sein de son ministère.

Mme Virginie Cassand, membre du Collectif AESH Loi de 2005. Le deuxième axe, celui de la déprécarisation fonctionnelle des accompagnants, pourrait passer par la mise en place d’un vade-mecum et la généralisation du modèle parisien de gestion des accompagnants.

Concernant le vade-mecum, la situation actuelle est la suivante : communication quasi inexistante avec les assistants d’éducation (ASEN), eux‑mêmes submergés et manquant de moyens ; idem pour les enseignants référents ; aucune aide dans et sur la pratique professionnelle ; aucun recours en cas de tension avec l’enseignant ou la direction ; aucune formation et information sur les handicaps rencontrés et les modalités relatives à l’élève comme les équipes de suivi sur la scolarisation (ESS), les PPS ou les guides d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco).

Afin de remédier à tout cela, nous proposons un vade-mecum qui s’articulerait autour des points suivants : un accueil institutionnel avec présentation des accompagnants à tous les personnels de l’établissement et l’inscription dans l’organigramme de l’établissement ou de l’école ; la mise à disposition d’éléments fonctionnels pour la bonne réalisation de la mission de l’accompagnant, comme une place de parking, les clefs des salles de l’établissement, un casier dans la salle des professeurs, une chaise d’adulte en maternelle ; la mise à disposition d’outils de communication avec accès à la messagerie Intranet dans l’établissement et l’inclusion des accompagnants dans les échanges électroniques concernant l’élève accompagné et la vie de l’établissement ; une rencontre obligatoire avant le début de l’accompagnement entre la direction, l’enseignant ou le professeur principal, l’élève, les parents et l’accompagnant ; la mise à disposition systématique à destination des accompagnants du document de mise en œuvre du PPS consignant les besoins de l’élève en termes d’accompagnement ; la mise en place d’un projet pédagogique autour de l’élève, ce qui suppose un travail collaboratif entre enseignants et accompagnant, des propositions de modalités d’accompagnement attendues par l’enseignant, la prévision d’un temps de bilan périodique pour ajuster l’accompagnement, entendre les remarques de l’accompagnant et souligner les améliorations attendues ; l’organisation d’une réunion, si les besoins de l’élève le nécessitent, en dehors de l’ESS, avec des professionnels extérieurs et les parents ; la convocation systématique de l’accompagnant aux ESS sur son temps de travail ; idem pour les classes et dans les conseils de classe – tout cela pour que la parole de l’accompagnant soit entendue ; l’association de l’accompagnant au projet de l’établissement ainsi que la mise en place d’un atelier d’analyse de situation professionnelle tout au long de la carrière. Enfin, en cas de changement, prévoir l’organisation d’une période de passation entre l’ancien et le nouvel accompagnant afin de procéder aux transmissions, notamment celle des aménagements spécifiques à l’élève pour éviter une rupture dans l’accompagnement.

Ce vade-mecum perfectible entrerait parfaitement dans le cadre du service public de l’école inclusive proposé par le ministre et contribuerait ainsi à l’intégration de l’accompagnant dans l’équipe éducative.

Outre le vade-mecum, s’inspirer du modèle parisien de gestion des accompagnants contribuerait à leur déprécarisation fonctionnelle. Il faut savoir que quelle que soit la nature du contrat, la proximité contractuelle entre un agent et un établissement payeur peut renforcer la précarité de l’agent dans l’exercice de ses fonctions, notamment si les rapports professionnels entre les deux parties ne sont pas harmonieux– ce qui peut être très préjudiciable pour l’accompagnant lorsque les attestations de compétences nécessaires au renouvellement du contrat doivent être remplies par le chef d’établissement.

Cette pression contraint l’agent à obéir à des injonctions qui débordent de ses missions comme prendre en charge une classe parce que l’enseignant est malade, accompagner une classe en sortie alors que l’élève accompagné n’est pas dans cette classe, faire des photocopies pour l’ensemble pédagogique sans rapport avec les aménagements de l’élève accompagné, etc. Afin de conserver leur emploi, les accompagnants n’ont pas la force de s’opposer à ces injonctions.

Pour œuvrer à la déprécarisation fonctionnelle des accompagnants, il nous semble donc pertinent de s’inspirer de la mission académique à la scolarisation des élèves en situation de handicap de Paris (MASESH). Son service recruteur, la coordination des AESH, est divisé en cinq pôles de coordination. À la tête de chaque pôle, une coordinatrice est aidée dans son travail par une administratrice et deux ou trois accompagnants dits tuteurs ou tutrices – bien que ce terme soit inapproprié puisque nos collègues ne sont pas de mauvaises plantes à redresser. Le terme de référent ou référente serait plus adéquat. Les tuteurs ou tutrices ont une décharge de 13 heures d’accompagnement pour exercer leur tutorat, soit 3 demi‑journées au cours desquelles ils peuvent soit recevoir leurs collègues du pôle pour les écouter et les conseiller, soit prendre des rendez-vous téléphoniques pour faire de même, soit les visiter dans leur établissement pour les aider dans leur positionnement professionnel. En cas de tension sur le terrain, ils jouent un rôle de médiateur entre les enseignants, les directions et les collègues accompagnants : ils recueillent l’avis de chaque partie, puis adressent un rapport à la coordinatrice qui pourra, si une situation de souffrance est reconnue, opérer un changement d’affectation. Attention ! L'intérêt de l’élève restant prioritaire et aucun changement d’affectation ne se fait sans qu’un autre accompagnant n’ait été affecté auprès de lui, afin de ne pas interrompre l’accompagnement. Les tuteurs ou tutrices sont également une interface entre les professeurs ressources et les enseignants, entre les accompagnants et l’organisme de formation.

Pour les accompagnants, les pôles sont des espaces de parole où elles peuvent, où ils ou elles peuvent venir s’épancher, retrouver de l’assurance, recueillir des conseils professionnels auprès des coordinatrices et des tutrices. Les coordinatrices sont également amenées à faire des rappels à la loi aux directions afin que les accompagnants puissent accomplir correctement leur mission et que le droit des élèves soit respecté, s’agissant notamment de la répartition des quotités horaire d’accompagnement.

Il faut que chacun connaisse sa place. Sur un plan hiérarchique, les accompagnants dépendent de l’inspecteur académique pour l’adaptation et la scolarisation des élèves en situation de handicap (IEN-ASH) via les coordinatrices. Sur un plan organisationnel et pédagogique, ils sont sous l’autorité du chef d’établissement et des enseignants. Le principe des pôles, qui reste à améliorer avec des accompagnants référents, pourrait être transposé dans toutes les académies. Avec la fonction d’accompagnant référent, l’Éducation nationale aurait l’opportunité de nous offrir une première perspective de carrière, en instaurant une promotion en interne avec un salaire conséquent.

Au vu de ce qui vient d’être exposé et si le Gouvernement veut tenir ses promesses, il est impératif de sécuriser les conditions de travail des accompagnants pour faire cesser les abandons de poste. Pour ce faire, il faut que dans chaque académie le rectorat soit le seul employeur et que la gestion des accompagnants reste confiée à des pôles de coordination, qui sont un dispositif plus cohérent que le PIAL pour la mise en place de l’école inclusive. Ces dispositions – rectorat employeur, pôle de coordination, professeur ressource, accompagnant référent –, ajoutées à la prise en compte des vœux et de l’ancienneté en cas de changement d’académie, concourraient à la déprécarisation fonctionnelle des accompagnants en permettant un ancrage durable de ces personnels au sein de l’Éducation nationale.

Pour conclure, en présentant au Sénat son projet de loi sur l’école de la confiance, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé « une double révolution » pour l’école inclusive. De quelle révolution nous parle-t-on ? Pour l’obtention d’un CDI, rien de nouveau : six fois un ou deux fois trois, cela fait toujours six années de période d’essai. Quant à l’arme révolutionnaire du ministre, le PIAL, mis en place à la rentrée 2018 officieusement et hors de tout cadre juridique, il ne fera que dégrader encore nos mauvaises conditions de travail : la mutualisation devenant le principe et l’individualisation l’exception, les accompagnements seront de plus en plus perlés et le suivi des élèves de plus en plus aléatoire, puisqu’au lieu d’accompagner deux ou trois élèves, nous en accompagnerons cinq ou six, sans augmentation de quotité horaire ni de salaire. Il n’y a pas lieu ici de parler de double révolution.

Qui plus est, c’est avec une certaine indécence que lors de cette audition au Sénat, le ministre a allégué le fait que les accompagnants peuvent se considérer comme mal payés. Nous voudrions tout simplement lui dire que cela n’est pas un ressenti, mais bien un fait : nous sommes mal payés.

Enfin le néologisme « service public de l’école inclusive » ne suffira pas à rendre celle-ci effective et efficiente. Le verbe ne fait pas l’action. La véritable révolution viendra peut-être du fait que l’instauration d’un service public de l’école inclusive s’appuiera d'abord sur la création d’un corps d’accompagnants détenteurs d’un vrai statut au sein de la fonction publique d’État et d'une grille indiciaire décente.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les parlementaires, nous vous remercions de votre écoute et nous espérons que nos propositions seront entendues non seulement dans le cas de cette commission, mais également dans l’hémicycle lors de l’examen final du projet de loi sur l’école de la confiance.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci. Monsieur Monié, avez‑vous, vous aussi, un texte à nous lire ? Beaucoup de temps s’est déjà écoulé.

M. Sébastien Monié, membre du Collectif AESH en action ! Je serai beaucoup plus bref. Je propose de témoigner de mon expérience, mais aussi de rapporter le témoignage de collègues sur notre réalité quotidienne – pas seulement des anecdotes, mais bien des situations et des usages qui sont devenus la norme. Je répondrai donc à vos questions en m’appuyant sur mon expérience et mon vécu, mais aussi en allant piocher dans celui de mes collègues un peu partout en France, qui est arrivé jusqu’à moi par différents canaux, notamment par le Collectif AESH en action ! que je représente aujourd’hui. Ce groupe Facebook créé il y a cinq ans réunit un petit peu plus de 10 000 personnes : des AESH, des enseignants, des parents, mais aussi parfois d’autres collègues comme des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) ou des assistants d’éducation (AED)
– puisqu’il y a encore peu, nous étions tous sous le même statut.

À travers cette diversité d’expériences, je peux vous dessiner qui sont, en grande majorité, les AESH : des femmes, quadragénaires, diplômées au moins du baccalauréat, sans nécessairement d’expérience antérieure avec le handicap, qui effectuent souvent ce métier par nécessité et pour un salaire de moins de 730 euros par mois, ce qui correspond à une quotité horaire de 60 % bien que ce métier requière l’équivalent d’un temps plein. Certaines ont un complément d’activité, mais sacrifient plus de temps encore et parviennent rarement à dépasser le seuil de pauvreté. Bien sûr, il y a des exceptions. J’en suis une moi-même puisque je suis un homme, je travaille à 80 %, je m’en sors assez bien et c’est mon expérience antérieure dans le handicap qui m’a précisément amené à exercer ce métier depuis onze ans. Pour autant, elles sont ce qu’elles sont : des exceptions. Il ne faut donc pas nécessairement les prendre en considération, mais tenter au contraire d’appréhender la réalité de la masse.

La question est simple et la réponse l’est tout autant. Le métier d’AESH se suffit-il à lui-même pour avoir une vie décente ? Non. Pas de formation réelle pour être efficace ; pas de statut suffisamment protecteur – ce qui nous rend vulnérables à des situations illégales aujourd’hui courantes ; une manière de comptabiliser les heures trompeuse et tronquée ; un salaire miséreux pour récompense : c’est le triste constat qu’il nous faut faire. L’école inclusive a créé non pas un professionnel compétent pour accompagner des élèves en situation de handicap, mais exploité et entretenu une précarité dont souffrent bien évidemment le personnel, mais plus encore les enfants avec qui nous ne sommes pas en concurrence, mais bien dans le même bateau. Aujourd’hui, ne pas considérer les AESH, c’est ne pas considérer les enfants. Et sans vouloir jouer les Cassandre, avec la mutualisation forcée, les PIAL, les classes surchargées, qui sont également un problème, et d’une manière générale la loi sur l’école de la confiance qui ne répond pas aux besoins et va même peut‑être renforcer des contextes problématiques, la situation risque d’empirer.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie. Vos propos sont à la fois très construits et très vindicatifs. Je constate que le projet de loi sur l’école de la confiance, qui a repris certaines propositions qui avaient été adoptées pendant l’examen de la proposition de loi de notre collègue Christophe Bouillon, vous a permis de construire une réflexion pour aller plus loin. Il me semble aussi – je ne suis pas en train de vous attaquer, mais de vous écouter et de comprendre – que le fait que le ministre ait utilisé l’expression « service public de l’éducation inclusive » est une porte d’entrée pour faire des propositions. En l’occurrence, je considère que vos propositions sont particulièrement intéressantes et constructives. On sait qu’il faut toujours du temps pour cheminer, mais je pense que l’expression attire des propositions nouvelles, qui sont, à mes yeux, des propos plus construits que lors des premières auditions que j’ai eu l’occasion de faire avec des AESH. Je trouve cela très satisfaisant et je vous en remercie. Je pense que de nombreuses questions vont vous être posées, à commencer par celles de monsieur le rapporteur.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. La présidente est très optimiste quand elle vous dit que lorsque le ministre ne vous écoute pas, cela vous force à être encore meilleurs. Peut-être donc allez-vous devenir excellents, dans ces conditions !

Plus sérieusement, j’entends la colère et je la partage. J’entends l’exaspération et je la partage. Je mesure le travail que vous avez effectué, avec l’ambition que soit élaboré un véritable statut pour ce métier essentiel au sein de la communauté éducative. Et, là encore, je la partage. En même temps, cette proposition arrive au moment où est envisagée une réforme de la fonction publique, et je constate que ce positionnement n’est pas révolutionnaire. Il est même contre-révolutionnaire, d’une certaine manière ! Mais je mesure le travail que cela impliquait d’élaborer toutes ces propositions qui embrassent tout le champ qui nous intéresse. Et je souhaite que le rapport de la commission d’enquête ne parte pas à la corbeille. Vous avez rappelé les étapes qui ont justifié le déclenchement de la commission d’enquête, notamment les propositions de lois Bouillon et Pradié. Si l’on ne veut pas que le rapport aille à la corbeille, il nous faut fixer des paliers, notamment sur l’urgence. À cet égard, j’aimerais vous entendre plus en détail sur ces paliers d’urgence : formation, temps de travail, salaires.

Par ailleurs, je n’arrive pas à me faire une opinion sur l’intervention des AESH sur les temps saucissonnés de l’enfant en situation de handicap : temps scolaire, temps périscolaire, temps du midi et même temps de sortie, à dimension pédagogique ou non. J’ai bien compris que ce n’était pas le seul espace pour donner un temps de travail effectif et, au bout du compte, un statut plein et entier aux AESH. Mais, quand on dit qu’il est important de respecter la relation intuitu personae entre l’AESH et l’enfant, ce que les PIAL peuvent bousculer – nous avons des avis différents, au sein de la commission, et c’est ce qui en fait la richesse –, comment répondre à cette question pour les enfants ? Des familles ont témoigné que selon le handicap de leur enfant, elles doivent faire une croix sur les sorties scolaires ou sur le temps du midi. Comment embrassez-vous cette question et comment pouvez-vous nous aider à y répondre ?

Mme Sabine Rubin. Je me dis que les gens de terrain sont vraiment les meilleurs experts d’eux-mêmes. Je vous en félicite. Parfois, il y a des experts qui pensent les choses mais qui sont incapables de bâtir un statut, voire une fiche de poste. Vous prônez d’ailleurs moins la défense d’un statut que la qualité d’un service pour les enfants. L’un ne va jamais sans l’autre. Mais pour ne pas être trop contre-révolutionnaire, je retiens votre proposition logistique qui prend modèle sur Paris. Elle peut tout à fait s’inscrire dans une révolution modérée. Un premier pas pourrait au moins être fait dans cette direction. Pour le reste, nous contre-révolutionnerons bien plus tard !

Mme Béatrice Descamps. Je vous remercie pour vos propositions et je tiens surtout à saluer votre travail, que je connais particulièrement bien. Tout le monde ici pourra convenir que ce sujet me tient à cœur. Je vous félicite aussi pour la façon dont vous accomplissez votre travail malgré les difficultés rencontrées non pas sur le terrain mais quant à votre statut, votre rémunération et votre formation. J’ai retrouvé dans ce que vous avez dit ce que j’ai souvent voulu exprimer ici.

Je n’ai pas de nombreuses questions. Non que je prétende connaître parfaitement votre fonction, parce que je ne suis pas votre place, mais parce que j’ai moi-même été directrice d’école et j’ai une fille AESH. Je peux donc vous dire que nous discutons régulièrement de ce sujet ! J’ai tout de même une petite question. Que pensez-vous de l’intervention sur le temps périscolaire ?

M. Jérôme Antoine. Merci pour vos propos élogieux. Nous n’avons pas attendu la proposition de loi Bouillon pour élaborer nos propositions : elles sont le fruit d’un travail conséquent qui a certes débuté sur les réseaux sociaux mais qui est désormais appuyé par les syndicats. Nous nous en réjouissons. Nous avons des appuis dans nos combats. Car nous sommes contre-révolutionnaires mais dans le respect de la démocratie et des corps intermédiaires, qui semblent revenir en puissance – enfin ! Nous sommes vindicatifs, en effet. Mais nous avons de quoi l’être, compte tenu de notre exaspération.

Pour moi, l’urgence est de stopper les PIAL, avec un amendement de suppression. Le Gouvernement s’est lancé dans ce dispositif à l’aveugle, depuis un an, sans nous rendre compte de quoi que ce soit. Lors de la concertation menée par le secrétariat d’État de Mme Cluzel, la DGESCO a uniquement présenté des éléments provenant du ministère. Il n’y a pas eu d’échanges. Pendant cette concertation, nous étions chacun dans notre « couloir » : les accompagnants d’un côté, les familles de l’autre et pas d’enseignants.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Quel est le retour de vos collègues qui ont pu expérimenter des PIAL ? C’est ce qui nous intéresse, concrètement. Hier, un IEN-ASH nous a dit que l’expérimentation dans son département a été réussie dans le pôle collège parce que deux AESH ont été ajoutés, mais moins réussie dans le pôle primaire où trois AESH ont été ajoutés. Je précise que dans cette expérimentation, il ne s’agissait pas de prendre les AESH en place pour les redistribuer, mais d’en ajouter. C’était donc relativement intéressant. Mais comment cela s’est-il passé ailleurs, puisqu’il n’y avait pas de directive ?

M. Sébastien Monié. Je suis moi-même dans un PIAL. Le rectorat de Toulouse utilise les quelques expérimentations qui se sont tenues dans notre département, dont relève le PIAL de mon établissement, comme argument de réussite d’une démarche qu’il faudrait élargir à d’autres établissements. J’ai été surpris d’apprendre que l’établissement où j’exerce fait partie des expérimentations réussies, puisque, à ma connaissance en tant que membre de l’équipe de mise en place du PIAL, nous ne sommes encore que dans une phase de préparation en vue de la rentrée prochaine ! Donc sur le terrain, nous expérimentons la tentative de construire un PIAL pour la rentrée prochaine, avec « des bouts de bois et du scotch », tandis que le rectorat communique sur une réussite. Ce double langage, que j’ai pu constater directement et que des collègues d’autres départements nous ont également rapporté, fait présager des difficultés à réellement répondre à la réalité. Les effets d’annonce actuels nourrissent notre ras-le-bol.

Comme je l’indiquais précédemment, j’exerce ce métier depuis onze ans. Mes collègues ne sont pas non plus des perdreaux de six semaines. Or nous constatons chaque année les mêmes problèmes. Ce n’est pas seulement lié au Gouvernement actuel, c’est récurrent. Depuis 11 ans, chaque année, je constate les mêmes problèmes. Vous indiquiez vous être emparés du sujet au vu de la rentrée dernière, particulièrement difficile. À titre personnel, je n’ai pas connu une seule rentrée qui n’ait pas été problématique.

Un bon coup de frein doit être mis sur les PIAL. Peut-être pas un coup d’arrêt, parce que si l’on réfléchit bien, sur le papier, les PIAL ne sont pas une mauvaise solution en soi. Ils pourraient même être un outil très intéressant pour ouvrir une évolution de carrière, avec les rôles de « chef d’équipe », de tuteur ou de référent. Localement, ce serait très pertinent. Cet outil pourrait aussi permettre la constitution de brigades de remplacement ou de soutien. Mais aujourd’hui, seule l’idée est mise en avant et l’outil n’est pas utilisé à bon escient.

Certains PIAL, dans d’autres départements ou académies, sont des réussites assez anciennes car ils s’appuient sur des établissements déjà éclairés sur la question du handicap. De nombreux PIAL, qui ne s’intitulaient pas ainsi à l’époque, nous ont rapporté des expériences réussies. Il se trouve que les acteurs de ces PIAL étaient déjà des experts du handicap. Mais aujourd’hui, on demande à des directeurs et des directrices ou des principaux et des principales de réitérer cette réussite sans être eux-mêmes éclairés sur les besoins des enfants, ni sur les besoins et les droits des personnels. Ils partent donc sans préparation et, à moins d’un miracle, cela ne peut pas fonctionner.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie. C’est vraiment intéressant.

M. Jérôme Antoine. Nous commençons à avoir des retours sur la mise en place des PIAL pour la rentrée prochaine. Puisque nous travaillons en lien avec le collectif des Alpes maritimes, nous avons récemment mis en ligne un courrier envoyé aux AESH par le rectorat de ce département précisant que les PIAL qui s’y mettront en place ne permettront pas d’augmenter les quotités horaires des accompagnants. C’est écrit noir sur blanc.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pourrez-vous nous remettre ce courrier ?

M. Jérôme Antoine. Oui. Il indique aussi clairement que le ministère de l’Éducation nationale a fait le choix de la mutualisation, qui deviendra le cadre général. De quel droit peut-il se targuer de cette prérogative qui appartient aux MDPH ?

Ce qui n’est pas dit non plus dans la loi de M. Blanquer concernant les PIAL, c’est que les familles ont travaillé durant la concertation sur la rédaction du PPS et son transfert aux équipes éducatives – qui ne sont pas formées. On va donc demander aux enseignants de devenir des médecins. On comprend bien la logique.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Excusez-moi, mais j’étais à la restitution et ce que j’ai entendu ce jour-là est la proposition d’une pré-figuration du PPS. On sait bien qu’aujourd’hui, dans de nombreux cas, il n’y a pas du tout de PPS. C’est cela, le problème. Nous avons retiré des auditions que dans beaucoup d’académies, il n’y a pas de PPS. Donc une préfiguration mise en place avec les professeurs qui connaissent l’enfant, les familles et l’ensemble des accompagnants permettrait déjà d’ébaucher un PPS, lequel serait ensuite validé par la CDAPH, mis en place et complété le cas échéant.

M. Jérôme Antoine. Plusieurs familles ont quand même quitté la concertation à cause de cela. Par ailleurs, les PPRE sont déjà une pré-ébauche des PPS.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce n’est pas la même chose.

M. Jérôme Antoine. Certes. Mais l’équipe éducative travaille déjà dessus. Pourquoi lui demander de s’occuper du PPS ? En général, elle ne connaît pas le handicap. Dans les ESPE, les enseignants ne sont pas spécifiquement formés sur le handicap.

Alors que j’accompagnais trois élèves, il est arrivé dans mon ESS que l’enseignante référente mette de côté la notification individuelle d’un de ces élèves et la mutualise.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce n’est pas normal.

M. Jérôme Antoine. En effet.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. De nombreux départements n’ont pas de PPS. C’est le cas en Seine-Maritime ; cela nous a été dit très clairement hier.

Des réflexions sont aussi engagées sur les compétences des MDPH. J’ai ainsi entendu dire que d’aucuns réfléchissent à transférer cette compétence aux agences régionales de santé (ARS) ou à d’autres. La question posée consiste à savoir si celui qui diagnostique le handicap et qui établit le PPS correspondant le fait en ayant connaissance des moyens disponibles. Si c’est le cas, il risque d’adapter son diagnostic et son PPS à ces moyens. C’est cela qui a fait réagir fortement – et légitimement – les parents et qui doit nous interpeller, au-delà de la question des compétences.

J’aimerais aussi vous entendre sur trois autres sujets, dont le temps périscolaire. Par ailleurs, le métier n’est pas attractif et le vivier s’éteint. Vous avez expliqué les raisons qui conduisent à cela. En ouvrant le concours, ne risque-t-on pas d’assécher plus encore le vivier des AESH ? Il me semble que Christophe Bouillon avait lui aussi en tête cette question, qui appelle une réponse simple et claire.

Enfin, avez-vous, y compris en lien avec les organisations syndicales ou les gens qui vous entourent, évalué le coût que représenterait la titularisation ? On nous posera cette question de toute façon et nous devrons nous-mêmes chiffrer, si vous n’êtes pas en mesure de le faire, le coût ou l’économie que représenterait la titularisation.

M. Sébastien Monié. Pour utiliser une métaphore, la MDPH est le médecin qui fait une prescription et le rectorat est le pharmacien qui délivre le médicament. Il est vrai que connaître les stocks de la pharmacie risque effectivement d’influencer – de manière bénéfique ou pas, comme tel est tel déjà le cas.

Faire un pré-diagnostic revient à faire de l’automédication. Si l’on permet à des équipes éducatives de devenir le pré-prescripteur et d’établir un pré-diagnostic, c’est comme l’automédication : tout bon médecin vous le dira, ce n’est pas une bonne chose et cela peut provoquer très rapidement de nombreux problèmes.

J’en viens au périscolaire. Nous avons sondé nos collègues AESH du groupe Facebook il y a quelques mois, en leur demandant s’ils accepteraient de faire du péri- et de l’extrascolaire pour compléter leur salaire : 92,4 % des sondés ont déclaré y être opposés. Parmi eux, 45,8 % étaient prêts à étudier sous quelles conditions. Le périscolaire entre midi et 14 heures, par exemple, pour un accompagnement en cantine, pose beaucoup moins problème. En revanche, 46,6 % considèrent qu’il est hors de question pour eux de faire du périscolaire car ce n’est pas leur métier. Enfin, 6,25 % des sondés ont répondu favorablement et 1,32 % des réponses équivalaient à des bulletins nuls ou blancs.

Le périscolaire pose donc problème au terrain. Pour autant, comme je le rappelais dans mon introduction, nous ne sommes pas en concurrence avec les enfants, et il ne faut surtout pas oublier que l’enfant est en situation de handicap pendant qu’il est élève mais aussi une fois que la sonnerie a retenti. Il peut donc avoir d’autres besoins de compensation. Mais tous les élèves qui en situation scolaire de handicap ne le sont pas nécessairement en périscolaire. Une immense majorité des enfants ne l’est pas, d’ailleurs. Ceux qui souffrent de troubles particuliers, notamment autistiques ou trisomiques, donc qui rencontrent des difficultés dans les relations sociales, comme ceux qui souffrent d’un handicap moteur, ont évidemment besoin que l’on reste près d’eux dans cette période. En revanche, un enfant dyslexique n’a pas besoin de nous durant la récréation ou le périscolaire.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Le PPS doit répondre à des besoins. Si l’élève n’a pas de besoins dans le périscolaire, il n’y a pas d’accompagnement. C’est pris en compte et précisé dans le PPS.

M. Sébastien Monié. Hormis quelques cas particuliers, qui peuvent malgré tout représenter une assez grande masse, on ne répondra pas au besoin d’un temps plein pour les AESH avec le périscolaire.

De plus, avec toutes les heures invisibles, une quotité de 60 % correspond peu ou prou à un temps plein. Dès lors, au lieu de demander à du personnel qui travaille pour un salaire plus que miséreux de travailler davantage au motif qu’il gagnera davantage, mieux vaudrait commencer par payer dignement toutes les heures déjà travaillées, heures invisibles incluses. Ensuite, nous pourrons peut-être envisager d’en faire plus. En tout cas, ce plus là, on n’y répond pas avec le périscolaire, et si on le fait, cela ne concerne pas tous les AESH.

Sur le concours, nous avons un point de divergence. En ce qui me concerne, je ne pense pas que le concours soit la solution, ne serait-ce que parce qu’il pourrait effectivement assécher le vivier. En outre, je suis persuadé que certaines personnes non-bachelières feraient de très bons AESH pour peu qu’elles aient accès à une formation qualifiante. Le concours imposerait un niveau de diplôme que certains AESH très compétents n’ont pas. À mon avis, qui n’est pas nécessairement partagé, pour des arguments que j’entends, le concours n’est pas la bonne solution. Ce serait une solution, mais ce ne serait pas la bonne.

Quant au coût de la titularisation, vous vous doutez que nous ne le connaissons pas. Intuitivement, nous avons l’impression qu’elle coûterait moins cher dans la mesure où tous les frais alloués à la contractualisation sont permanents. Nous sommes nombreux à penser que le fait de nous titulariser procurerait une économie, sans même parler de nous permettre d’avoir un vrai statut et d’être reconnus des enseignants et des directeurs comme des collègues à part entière. Actuellement, le contrat fait que nous sommes bloqués.

Mme Cécile Rilhac. Dans le sondage que vous avez évoqué, la question de l’accompagnement sur le temps périscolaire portait-elle sur le même enfant ? Vos collègues seraient-ils prêts à changer d’enfant d’un temps à l’autre ? L’analyse que vous faites de la différenciation des besoins est très importante. En effet, un enfant dyslexique n’a pas besoin d'aide sur le périscolaire, contrairement à un enfant atteint de la maladie des os de verre.

M. Sébastien Monié. Cette possibilité était mentionnée dans le sondage. Certains seraient prêts à changer d’élève et considèrent même que ce serait pertinent. Mais il sera difficile de terminer dans un établissement à 11 heures 50 avec un enfant dyslexique et d’être à 11 heures 51 dans un autre établissement pour accompagner un enfant atteint de la maladie des os de verre. Les PIAL ne répondront pas totalement à ce problème logistique. Il faudrait donc ouvrir cette possibilité, mais pas en faire une obligation.

Mme Virginie Cassand. S’agissant de l’urgence, nous avons beaucoup d’ambition mais nous serions prêts à envisager la création d’une filière professionnelle avec un baccalauréat professionnel si notre projet de devenir fonctionnaires n’aboutissait pas. Cette filière serait suivie d’une spécialisation, en langue des signes par exemple. Notre volonté est avant tout que les choses avancent.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous n’êtes donc pas dans une logique du « tout ou rien » ?

Mme Virginie Cassand. Non. Par ailleurs, nous sommes certes là pour les enfants, mais nous sommes aussi des êtres humains. Si nous accompagnons un enfant toute la journée, y compris durant le temps périscolaire, quid de notre déjeuner par exemple ? De plus, ce sont aussi les changements de situation qui permettent aux enfants de grandir et de s’adapter – à l’exception des enfants autistes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je l’entends. Mais cela peut aussi être utilisé par ceux qui veulent accentuer la mutualisation.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je tiens à vous remercier pour vos propos et pour l’intelligence de votre réflexion. Bien sûr, je doute fort que nous puissions avancer très vite sur ces sujets, parce que je suis lucide quant aux moyens disponibles aujourd’hui. Mais cette solide réflexion mérite d’avancer de manière intelligente. Je voulais vraiment vous en remercier.

Mme Virginie Cassand. Merci de nous avoir accueillis et entendus.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie à mon tour pour la qualité et la précision de vos contributions et propositions. Je doute moi aussi, mais c’est souvent le doute qui trace la route. J’espère que nous avancerons malgré tout.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous sommes là pour cela.

 


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3.   Audition de M. Franck Seurin, directeur général de Hanploi, Mme Véronique Bustreel, directrice Innovation, évaluation et stratégie de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), et M. Patrick Maigret, président de la Fédération nationale des associations régionales de centres de formation d'apprentis (FNADIR)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous achevons cette séquence d’auditions en abordant la thématique de l’insertion professionnelle des jeunes en situation de handicap et j’en suis particulièrement ravie parce que c’est le sujet que je connais le moins bien parmi ceux que nous devons étudier dans cette commission d’enquête. Pour nous en parler, nous recevons M. Franck Seurin, directeur général de Hanploi. Créée en 2005, cette association est aujourd’hui un acteur essentiel dans le recrutement des personnes en situation de handicap. Nous entendrons également M. Patrick Maigret, président de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de formation d’apprentis (FNADIR) et Mme Véronique Bustreel, directrice Innovation, évaluation et stratégie de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), qui finance des actions d’insertion de personnes en situation de handicap en milieu ordinaire de travail, notamment à travers les services d’appui régional à l’apprentissage des personnes en situation de handicap (SARAH).

Avant de vous donner la parole pour évoquer la question, décisive pour les jeunes en situation de handicap, de leur insertion professionnelle à l’issue de leur scolarité ou de leurs études supérieures, je dois, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Bustreel, MM. Maigret et Seurin prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il peut sembler surprenant de prêter serment mais, au bout du compte, l’une des missions que nous nous sommes fixées consiste à approcher de la vérité quant au diagnostic à porter. Le fait de prêter serment consolide de manière symbolique notre volonté d’approcher la réalité du sujet qui nous réunit.

Je veux aussi vous dire le plaisir de vous accueillir, en insistant sur le fait que nous avons délibérément choisi que cette commission d’enquête sur l’inclusion des enfants en situation de handicap embrasse aussi le champ de l’insertion professionnelle. À défaut, nous aurions eu une part d’ombre préjudiciable.

Nous voulons donc vous entendre sur un diagnostic le plus précis possible, en particulier sur vos craintes, vos espoirs, vos attentes et vos recommandations.

M. Franck Seurin, directeur général de Hanploi. Il est vrai que le sujet est vaste. En matière d’insertion professionnelle des jeunes, il est important de prendre en compte l’amont, c’est-à-dire la capacité à accéder à la scolarité et aux études supérieures.

Même si la loi de 2005 a eu des effets, un important chemin reste à parcourir. La formation est primordiale. On constate d’ailleurs, au regard des besoins des entreprises, la réelle volonté d’intégrer et d’insérer des personnes en situation de handicap – jeunes et moins jeunes, mais nous traitons aujourd’hui davantage des jeunes. Reste à savoir où trouver les personnes formées aux compétences demandées.

L’entreprise peut accompagner ces évolutions, notamment au travers de l’alternance et de l’apprentissage. La scolarité n’est pas toujours linéaire en raison d’une situation de handicap et d’un besoin de soins, et les parcours sont parfois hachés. L’alternance offre la possibilité de reconquérir un parcours plus ordinaire : c’est une évolution importante. En outre, en fonction de l’organisation, de la motivation et de la maturité des entreprises, les étapes peuvent être accompagnées avec des formations de remise à niveau ou un parcours adapté, pour arriver à une formation classique que l’on peut trouver sur le marché du travail.

Près de la moitié des personnes en situation de handicap abandonnent leurs études à l’issue de chaque cycle de scolarité, pour des raisons d’intégration, de rythme ou de moyens. Il faut donc réfléchir très en amont et trouver un cursus scolaire qui aboutira à un cursus professionnel en fonction des besoins des employeurs, y compris la fonction publique qui peut, depuis quelques années, accueillir des apprentis.

Il faut aussi penser l’intégration de ces personnes à travers des cursus adaptés en fonction de la problématique du handicap, sur le plan de la pédagogie, de l’environnement mais aussi du bon sens. Une sensibilisation à l’intégration et à l’accueil de personnes en situation de handicap est indispensable, dans le milieu scolaire comme dans le milieu professionnel, auprès de l’ensemble du collectif de travail et quel que soit le handicap, visible ou pas – souvent, d’ailleurs, les handicaps ne sont pas visibles.

M. Patrick Maigret, président de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de formation d’apprentis (FNADIR). La FNADIR est une fédération de 12 associations régionales présentes sur l’ensemble du territoire. Nous représentons 540 directeurs et directrices de centres de formation d’apprentis (CFA), sur un total de 960 CFA en France, et nous ne sommes pas loin de représenter 280 000 apprentis. Nous avons déjà beaucoup travaillé sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui, et de nombreuses actions et expériences ont déjà eu lieu dans différentes régions.

Conformément à la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, l’apprentissage reste inscrit au niveau de la formation initiale. Il nous semblait extrêmement important que ce soit inscrit dans la loi, compte tenu des spécificités du public accueilli et de l’ensemble des accompagnements que nous sommes amenés à mettre en place, notamment pour les jeunes ayant une reconnaissance de travailleur handicapé. En effet, nous serons amenés à travailler en amont de la signature du contrat d’apprentissage, ce qui est particulièrement important pour l’orientation professionnelle – puisque l’apprentissage présente cette spécificité d’être une formation sous contrat de travail. Dès lors qu’il ne peut pas y avoir de contrat d’apprentissage sans entreprise, un travail en amont doit identifier les entreprises qui seront en capacité d’accueillir ces jeunes, mais aussi confirmer le choix professionnel et les possibilités qui seront offertes à la fois en entreprise et dans les CFA. Ensuite, une fois signé le contrat d’apprentissage, les accompagnements se poursuivent pendant la formation ainsi qu’à la sortie, l’un des objectifs principaux de l’apprentissage étant l’insertion professionnelle.

Une réforme de la politique de l’emploi des personnes handicapées est en cours. Cinq groupes de travail ont été mis en place. Notre fédération nationale est associée à celui consacré à la mobilisation nationale sur la formation, piloté par le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Nous organisons régulièrement des contacts téléphoniques, des visioconférences et des réunions sur l’ensemble du dispositif selon deux axes. Le premier est celui de l’accessibilité physique : il faut que les établissements qui accueilleront ce public soient en capacité de le faire, dans une logique d’accessibilité universelle. Cela impose de travailler aussi sur les problématiques pédagogiques et sur les accompagnements spécifiques à mettre en place. Nous réfléchissons actuellement à un référentiel d’accessibilité des établissements, conformément à la loi qui prévoit une homogénéisation du dispositif. Jusqu’ici, les politiques d’accompagnement des jeunes reconnus handicapés variaient d’une région à l’autre. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Pays-de-la-Loire et Nouvelle‑Aquitaine, par exemple, avaient mis en place des accompagnements spécifiques. Recentraliser l’apprentissage au niveau national en s’appuyant sur l’expérience de ces trois régions apportera une plus grande homogénéité. Par ailleurs, il faut noter qu’à partir du 1er janvier 2020, les conseils régionaux n’auront plus la compétence de l’apprentissage. Ils conserveront toutefois leurs compétences en matière d’orientation des jeunes et devraient donc rester des partenaires importants du dispositif.

Le deuxième axe de la démarche concerne l’identification des missions du référent handicap au sein des organismes de formation et des CFA.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Y en a-t-il partout ?

M. Patrick Maigret. Objectivement, non.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Lors de notre audition d’hier à Dieppe, la présidente a indiqué – avec la force de conviction que nous lui connaissons désormais – qu’il existe des référents handicap dans les CFA. Une mère de famille lui a alors répondu qu’elle n’en avait jamais entendu parler. Et pour cause, il me semble qu’il n’en existe pas dans mon département. Voilà. Cela va mieux en le disant !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Pour ma part, je suis en Dordogne, donc en Nouvelle-Aquitaine.

M. Patrick Maigret. Cette mesure est incluse dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Certains CFA ont déjà des référents handicap. J’ai la chance de diriger un grand CFA, qui accueille environ 1 100 jeunes apprentis ou en contrat de professionnalisation. Tous les ans, 20 à 30 ont une reconnaissance de travailleur handicapé. Nous avons mis en place un dispositif mais, une fois encore, il s’agit d’un grand CFA. J’ai donc une expérience personnelle de l’accompagnement de ce public. Nous travaillons en amont, avec un certain nombre de partenaires, dont l’AGEFIPH. Il existe différents dispositifs, selon les régions. Pour notre part, nous travaillons avec la chambre de métiers sur la prestation d’accompagnement vers l’apprentissage (PAVA). La PAVA n’existe pas dans toutes les régions. On la trouve par exemple dans l’ex-région Franche-Comté. Elle est très intéressante pour le travail en amont que j’évoquais tout à l’heure, relatif à l’identification des parcours possibles et des entreprises en capacité d’accueillir ces jeunes.

Notre deuxième axe de réflexion concerne donc les missions du référent handicap dans un CFA. Celui-ci ne doit pas être un spécialiste du handicap. Toutes les réunions que nous avons tenues jusqu’à maintenant nous amènent à considérer que le référent handicap doit faire travailler ensemble un certain nombre de partenaires. Dans mon CFA, trois personnes sont référentes handicap : une assistante administrative qui assure l’interface avec l’environnement extérieur et deux enseignantes qui font le lien avec les équipes pédagogiques. L’une d’elles est également chargée du centre de documentation de son établissement et peut accueillir de manière individuelle les jeunes qui en ont besoin.

Vous l’aurez compris, chaque CFA peut avoir des particularités, puisque sa mise en place lui est propre. Je considère aussi qu’il est extrêmement intéressant de mobiliser la sensibilité des personnes. À cet égard, je n’ai pas désigné les référents handicap : j’en ai parlé, et c’est la sensibilité de ces deux enseignantes et de l’assistante administrative qui ont fait qu’elles ont pris en charge cette mission.

Mme Véronique Bustreel, directrice « innovation, évaluation et stratégie » de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH). Nous sommes tous très intéressés par cette mission d’insertion. Je vous remercie donc de l’avoir inscrite au cœur de votre commission d’enquête. En effet, ainsi que vous le soulignez dans la lettre que vous nous avez adressée, cela fait maintenant quatorze ans que la loi de 2005 a été votée. Que s’est-il passé depuis ? Un plus grand nombre d’enfants et de jeunes sont scolarisés dans l’école de la République, dans les universités, dans les grandes écoles. Ce sont aussi plus de jeunes que l’on retrouve dans la société, plus de jeunes qui ont des aspirations à être dans la société, comme tout le monde, dans une société inclusive qui ouvre aussi les portes de l’emploi aux personnes en situation de handicap. Tel est, depuis trente ans, le leitmotiv de l’AGEFIPH qui a été créée par la loi de 1987 et qui a vocation, à partir d’une gouvernance paritaire élargie – avec des partenaires sociaux et des associations – à faire en sorte que la question de l’emploi des personnes en situation de handicap occupe une place centrale dans les politiques publiques.

Depuis maintenant trente ans, nous soulevons cette question de la place des jeunes dans la société et de la place qui peut leur être donnée dans le travail, à la fois au niveau national et au niveau territorial avec l’Éducation nationale, notamment dans le cadre des plans régionaux d’insertion des travailleurs handicapés (PRITH). L’objectif est de décloisonner le fonctionnement des acteurs locaux, pour enfin pouvoir travailler à des transitions et à des articulations entre l’Éducation nationale, l’enseignement supérieur et le secteur médico-social. Cela permettrait aux jeunes qui ont des aspirations bien affirmées, en phase avec la convention internationale des droits des personnes handicapées, d’accéder à un emploi rémunéré en milieu ordinaire de travail.

Nous avons traité cette question sous différents aspects. Mais il est indispensable de réinventer le modèle. En effet, nous sommes face à une nouvelle génération et à de nouveaux types de handicaps reconnus et identifiés – c’est aussi l’un des effets de la loi de 2005 que de conduire des personnes qui n’étaient pas toujours reconnues comme étant en situation de handicap à l’être aujourd’hui. Il nous faut donc aménager et proposer une politique qui leur permette de trouver leur place dans la société.

Nous savons que les jeunes représentent une part relativement limitée des stratégies et des engagements politiques. Actuellement, la majorité des personnes en situation de handicap sont des adultes, souvent en deuxième partie de carrière, qui ont rencontré une situation de handicap au fil de leur vie. Pour les populations relativement jeunes, l’existence d’un déficit d’informations statistiques fait l’objet d’un large consensus. Or ces données permettraient de mieux anticiper leurs besoins et de mieux accompagner, durablement, leur intégration et leur inclusion dans la société. Certes, on dispose de quelques éléments, parfois parcellaires, parfois plus complets, mais toujours insatisfaisants.

Nous sommes des acteurs de la phase d’après, de l’accès à l’emploi, de l’insertion professionnelle et du maintien en emploi ; mais nous pouvons aussi être acteurs du parcours et de la transition qui permettent de sécuriser les parcours professionnels. Nous avons identifié un premier levier : garantir une interaction précoce avec l’entreprise dès la scolarisation à l’école, à l’université ou dans une grande école. À cet égard, nous avons travaillé avec la gouvernance de l’AGEFIPH à ouvrir nos aides et nos prestations afin de garantir une aide à la compensation de la situation de handicap lors des stages en entreprise – y compris pour les stagiaires et les étudiants.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est très bien, mais ce n’est pas connu. En tout cas pas par moi, et à mon avis pas non plus par les habitants et les entreprises de mon territoire.

Mme Véronique Bustreel. Nous réfléchissons aussi depuis deux ans à renforcer la visibilité des aides que nous apportons aux acteurs sur les territoires, dans le cadre de la définition d’un nouveau plan stratégique. Il est indispensable de faire connaître les outils qui existent.

Dans les relations que nous entretenons avec les grandes écoles et les universités, cette information est normalement diffusée. En outre, depuis la loi de 2005 et les suites de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le temps durant lequel le jeune effectue un stage dans l’entreprise est comptabilisé dans l’obligation d’emploi. Pour l’entreprise, c’est donc un sujet très intéressant. Elle peut même y compter un jeune stagiaire de 3e qui vient découvrir les métiers ou un jeune qui effectue un stage obligatoire plus long dans le cadre de ses études. C’est aussi une mise en visibilité de l’action offensive de l’entreprise pour recruter, pour découvrir et pour sensibiliser le collectif de travail à la diversité, à la différence et au handicap. Pour le jeune, c’est l'occasion de découvrir le monde de l’entreprise, mais aussi la diversité des métiers. Or l’une des questions qui se posent aujourd’hui, ainsi que l’a indiqué M. Maigret, est celle de l’orientation. Comment travailler le sujet de l’orientation, puis celui de l’accès à la formation et à la qualification, comme l’évoquait M. Seurin ? En l’occurrence, les personnes en situation de handicap pâtissent d’un vrai déficit de qualification et de formation. Si l’on n’arrive pas à être performant pendant la formation initiale, on leur donne moins de chances d’intégrer ensuite un emploi dans des délais courts et qui permettent de sécuriser des parcours professionnels. Il nous appartient donc de travailler ce sujet avec tous les acteurs.

Comme vous le souligniez précédemment sur les référents, il faut aussi travailler à la professionnalisation, à la sensibilisation et à l'information des acteurs. Des référents émergent dans les entreprises de 250 salariés et au sein des CFA, des pratiques se généralisent ; il est nécessaire d’identifier des acteurs pivot, de les former et de les professionnaliser. L’AGEFIPH est un vecteur de cette professionnalisation, puisqu’elle a mis en place des dispositifs qui permettent de sensibiliser et d’accompagner ces sujets à travers son réseau Handicap Formation et à travers son réseau de référents handicap.

Enfin, nous sommes très engagés dans le domaine de l’innovation. C’est un sujet qui me tient à cœur puisque j’en suis la directrice, mais il a aussi cela d’intéressant qu’il réinterroge les pratiques et permet des expérimentations au travers desquelles il est possible de formaliser des bonnes pratiques. C’est le cas par exemple de l’emploi accompagné, expérimenté avec des fonds AGEFIPH depuis 2013 et saisi en 2016 par la loi El Khomri pour permettre une expérimentation grandeur nature. Ce dispositif est largement soutenu par l’AGEFIPH. Il permet aussi de penser des prestations d’appui spécifique pour des pathologies ou des problématiques de santé et de mieux accompagner les personnes. Il permet également de penser l’innovation pédagogique – c’est un partenariat que nous avons notamment développé avec Sciences Po Paris. Il permet encore de travailler toutes les questions d’accompagnement des parcours avec différents acteurs – je pense à Osons l’égalité avec qui nous travaillons, en Bretagne, sur la question de l’accès aux contrats en alternance et à la découverte des métiers.

Voilà donc un premier aperçu de nos actions. Nous avons ouvert des chantiers très variés pour accompagner au mieux les personnes en situation de handicap et répondre aux besoins des entreprises – les deux bénéficiaires principaux de l’AGEFIPH. Nous voulons faire se rencontrer ces personnes et les employeurs, parce que les uns cherchent du travail et que les autres proposent de l’emploi. En définitive, il faut arriver à faire se rencontrer l’offre et la demande.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour ce témoignage et cet enthousiasme que nous sentons. Nous avons auditionné, la semaine dernière, des associations d’étudiants et des personnes qui accompagnent les étudiants en les mettant en relation avec des entreprises. Elles nous ont indiqué qu’il était important de commencer très tôt à faire ce couplage et ces expériences, pour donner envie de poursuivre la formation. Hier, en Seine-Maritime, une mère de famille nous faisait savoir qu’il n’y avait pas de référent handicap dans les CFA de ce département. Aussi suggérait-elle la création de CFA adaptés – ce qui irait un peu à l’encontre de la loi. Comment peut-on imaginer apporter rapidement des réponses à l’échelle du territoire français ? Comment démultiplier votre expérience ?

Par ailleurs, comment l’AGEFIPH travaille-t-elle avec les missions locales ? Y a-t-il parfois une confusion des actions, ou s’agit-il d’une démultiplication de l’efficacité ?

Monsieur Seurin, je n’ai pas bien compris si Hanploi est une association d’entrepreneurs ou une association indépendante qui met en relation des entrepreneurs et des jeunes en aspiration d’emploi.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie pour votre contribution. L’AGEFIPH nous a transmis une note. J’invite les autres intervenants à faire de même s’ils en ont la possibilité. Cela pourrait nous être utile pour approfondir notre connaissance de vos missions et des enjeux.

Notre commission entend faire en sorte qu’une situation de handicap reconnue ouvre un droit fondamental que nous avons la responsabilité de mettre en œuvre, ou dont nous devons faire en sorte que sa mise en œuvre soit la meilleure possible, dans une République une et indivisible. Par définition, un droit fondamental est le même pour tout le monde.

Les expérimentations sont riches. Les innovations sont stimulantes et enthousiasmantes. Je ne vous ferai pas le couplet de mon avis sur la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle – la commission n’y suffirait pas ! Toutefois, mes préoccupations concernent l’inégalité territoriale, le risque de métropolisation des réponses et le risque accru d’orientation subie pour les personnes en situation de handicap. Les témoignages que nous avons entendus à Dieppe hier allaient dans ce sens. Une femme a indiqué qu’elle était maman d’un jeune adulte ou d’un « adulescent » ayant choisi la voie du CFA mais qui ne souhaite pas être maçon, charcutier ou jardinier : il est épileptique et c’est dans le sport qu’il trouve son équilibre et son épanouissement. Or le droit à l’inclusion est affirmé, il est fondamental. La question de l’orientation choisie et non pas subie est donc posée pour les personnes en situation de handicap.

Je suis heureux de votre enthousiasme, qui nous en donne un peu aussi. C’est bien car sans espoir, on ne fait pas bouger les choses. J’ai aussi en tête un témoignage selon lequel le stage de découverte professionnelle en classe de troisième est plus ou moins intéressant selon le patrimoine culturel, social et relationnel de l’enfant. Pour les enfants en situation de handicap, on me dit que trouver un stage en entreprise est encore plus compliqué. Quel est votre point de vue ? Cette réalité est-elle confirmée ? Comment peut-on y remédier ? Au bout du compte, notre commission a aussi cette fonction.

M. Franck Seurin. Notre association trouve son origine dans la volonté de mettre en place des services et des outils favorisant la rencontre du monde du handicap et de celui de l’entreprise. Nous ne proposons pas un système d’accompagnement de personnes comme peut l’être le réseau des Cap Emploi, dont c’est la mission première. Ces structures sont des acteurs primordiaux pour l’organisation de l’insertion professionnelle et le maillage du territoire. Il existe un Cap Emploi dans chaque département. Ces structures ont des méthodes à la fois communes et adaptées à chaque département et à ses initiatives.

À l’origine, Hanploi partait davantage des problématiques des entreprises désireuses de recruter des personnes en situation de handicap mais qui ne savaient pas où trouver ces compétences. Notre réflexion a donc visé, en premier lieu, à mettre en place un outil dédié pour les personnes en situation de handicap : hanploi.com. L’objectif était d’une part de permettre aux entreprises aujourd’hui qualifiées de « handi-accueillantes » – ce terme n’existait pas à l’époque –, donc vraiment volontaires pour intégrer et insérer des personnes handicapées, de déposer leurs offres d’emploi et, d’autre part, de permettre aux personnes en situation de handicap de déposer leur candidature. Au-delà de l’outil, nous effectuons un important travail d’information, de sensibilisation et de formation. Il est très important de démythifier le sujet auprès des recruteurs et des managers. Le plus souvent, les parcours des personnes en situation de handicap sont atypiques, et nous sommes face à des recruteurs qui ont leurs propres normes, en fonction des écoles qu’ils ont faites.

Depuis 2008, notre programme « Hanploi and School » est soutenu par les entreprises qui souhaitent dynamiser leur visibilité. Même si une partie de la motivation tient à l’image de marque, la volonté d’insérer et d’intégrer des personnes en situation de handicap est réelle. Il s’agit d’un programme de formation supérieure, notamment en partenariat avec la Conférence des grandes écoles.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous l’avons auditionnée.

M. Franck Seurin. Au-delà des étudiants en situation de handicap intégrés dans les écoles, c’est tout le collectif qui profite de cette possibilité d’information et de sensibilisation. Il est important que ces étudiants qui seront demain managers et recruteurs portent un regard différent sur le handicap.

L’autre partie du programme concerne la formation des référents. Nous parlions tout à l’heure des référents CFA qui se mettent plus ou moins en place en fonction des régions. Dans les écoles et les universités, c’est la même chose. Il est important que ces référents soient formés pour mieux intégrer les personnes en situation de handicap et être porteurs auprès de la partie pédagogique, d’autant qu’il existe encore de nombreux freins au sein du corps professoral.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je dois vous interrompre car le temps nous est compté, mais votre intervention est passionnante. Nous aimerions d’ailleurs avoir plus de temps.

M. Patrick Maigret. Pour répondre à votre question, je confirme qu’il n’existe pas encore de référents handicap dans l’ensemble des CFA. En l’occurrence, la FNADIR a vocation à informer les directeurs de CFA sur leurs obligations. La loi est le point de départ. Le travail d’élaboration d’un référentiel permettra d’identifier les CFA handi-accueillants sur l’ensemble du territoire.

Il est très important de professionnaliser les équipes et de favoriser les échanges de bonnes pratiques – c’est aussi l’une des vocations de notre fédération nationale. Comme je le disais tout à l’heure, je situe ce travail au niveau régional. Aujourd’hui même, une formation de l’AGEFIPH se déroulait dans mon CFA, avec quatorze participants parmi lesquels plusieurs représentants de CFA, du groupement d’établissements (GRETA), de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ou encore de la chambre des métiers. Permettre à ces acteurs de se réunir est très important, dans un périmètre restreint que je situe au niveau régional dans la mesure où l’orientation sera très prochainement pilotée par la région et où nos associations de directeurs de CFA sont elles aussi régionales. Par l’intermédiaire de la FNADIR et de ces associations régionales, on peut mettre en place un dispositif de professionnalisation. Tout à l’heure, je parlais de processus. Nous n’allons évidemment pas révolutionner les choses du jour au lendemain, mais il est extrêmement important d’engager ce processus ensemble pour construire ou coconstruire localement les réponses à apporter pour l’accueil de ce public.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous allez venir en Normandie !

M. Patrick Maigret. J’ai participé aux olympiades de Bézier au mois de novembre et je viendrai en Normandie. Qui plus est, l’un des vice-présidents de la FNADIR représente un CFA normand. J’aurai l’occasion de m’entretenir avec lui des CFA de Normandie.

Mme Véronique Bustreel. Vous avez posé la question des CFA spécialisés. Leur développement n’était pas souhaité, mais la nature ayant horreur du vide, lorsqu’il n’y a pas de place dans des organisations de droit commun, on met en place de nouvelles organisations. Or il est vrai que si l’on pense l’inclusion comme le droit des personnes en situation de handicap à faire valoir leur présence dans des outils qui sont conçus pour tous, dans une approche inclusive et avec une accessibilité aux services, il convient de concevoir ces derniers comme étant inclusifs eux-mêmes plutôt que de produire des services à part. En effet, des services à part créent une situation à part et laissent les personnes concernées à part de la société. Néanmoins, une approche spécialisée et spécifique, y compris par le médico-social, est nécessaire. Je pense notamment qu’un soutien pourrait être apporté aux CFA dans le cadre de la rénovation des centres de rééducation professionnelle et de l’action des centres de réadaptation professionnelle (CRP). Ces acteurs ont une expertise particulière vis-à-vis des publics handicapés et pourraient utilement partager leurs compétences avec d’autres acteurs de la formation. C’est tout l’intérêt de pouvoir travailler ensemble sur des territoires.

J’en viens à la question de l’égalité territoriale. Je suis pour l’équité de traitement et l’égalité territoriale. Ce sujet tient à cœur à l’AGEFIPH, parce que nous sommes présents sur l’ensemble du territoire et parce que notre organisation en délégations régionales permet une offre de services absolument identique sur tous les points du territoire, en dehors de nos innovations et de nos actions expérimentales. Il faut toutefois conserver une capacité de pilotage au plus près du terrain. En effet, tous les territoires n’ont pas les mêmes dynamiques ou les mêmes réseaux d’employeurs, et ne fonctionnent pas de la même manière. Il en va de même pour les écoles et les universités. Comment faire en sorte d’avoir un socle commun, qui garantisse au moins qu’à l’école de la République, à l’université, dans les grandes écoles ou dans les CFA, les parcours des personnes en situation de handicap bénéficient d’un accompagnement de qualité ? Il nous faut, à l’échelle régionale et parfois infrarégionale, développer des actions qui permettent de tricoter du sur-mesure. Il ne faut pas s’empêcher de penser local tout en pensant national.

Vous m’interrogiez également sur nos interactions avec les missions locales. Nous avons une interaction générale et naturelle avec l’ensemble du service public de l’emploi. D’abord parce que nous sommes pilotes et commanditaires du service Cap Emploi sur tout le territoire national. Ensuite, parce que nous sommes partenaires de Pôle Emploi depuis très longtemps, et parce que nous essayons de travailler au plus près du terrain avec l’ensemble des acteurs. Les missions locales en font évidemment partie.

Dans certaines régions, une coopération extrêmement dynamique permet des actions très avancées. Je pense à l’Occitanie, où une coopération se développe avec l’ensemble des missions locales. Il existe une vraie dynamique et un réel engagement des missions locales, qui font comme elles peuvent avec un certain nombre de situations de handicap. Nous sommes là pour les accompagner et leur proposer une offre d’intervention ou d’appui – je pense en particulier à nos prestations d’appui spécifique qui peuvent être mobilisées par tous les acteurs du service public de l’emploi, y compris les missions locales, et qui leur permettent d’accompagner les personnes en situation de handicap au plus près de l’évaluation de leur besoin de compensation ou de diagnostic, mais aussi dans l’emploi. Nous accompagnons également l’Association pour l’emploi des cadres (APEC). Vous le voyez, nous essayons de couvrir tous les champs. L’égalité est au cœur de notre action, ce qui se traduit dans nos prestations, dans nos aides et dans la gouvernance territoriale que nous essayons de mettre en place avec les autres acteurs du territoire.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Si je comprends bien, on est passé d’une expertise qui était l’accueil des jeunes en situation de handicap à un nouveau challenge qui est la transmission de cette expertise à l’ensemble des professionnels qui sont amenés à rencontrer ces jeunes en formation, que ce soit les entrepreneurs ou les centres de formation.

Mme Véronique Bustreel. C’est le défi de l’inclusion.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Absolument.

Mme Véronique Bustreel. Je pense que c’est le défi de l’inclusion que de faire en sorte que ce sujet d’ultra-spécialistes, à l’origine, devienne un sujet de généralistes. Les généralistes n’ont pas vocation à devenir des ultra-spécialistes. Néanmoins, ils ont vocation à maîtriser leur environnement et à pouvoir mobiliser en tant que de besoin les outils spécialisés. C’est cela, le pari de l’inclusion : faire en sorte que tous les acteurs puissent maîtriser leur environnement pour s’en saisir et accompagner au mieux les parcours.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je veux vous remercier, simplement, pour votre contribution qui va nourrir notre réflexion. Vous m’avez donné de nombreuses idées, y compris pour enclencher, accélérer ou accentuer des dynamiques territoriales, donc merci à vous !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je ne voudrais pas terminer sur une note négative, mais qu’est-ce qui ne va pas, finalement ? Vous avez parlé de cette jolie dynamique, mais qu’est-ce qui ne va pas ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Les rôles sont inversés ! D’ordinaire, c’est moi qui pose cette question, mais j’ai laissé la présidente le faire. Votre enthousiasme et votre optimisme font plaisir à entendre, mais il y a quand même des obstacles. Vous avez 2 minutes pour répondre.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous propose de citer un point bloquant par personne, en 1 minute par personne.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il ne faut pas non plus casser le moral de la présidente !

M. Franck Seurin. On parle d’inclusion, mais on est encore dans des environnements spécifiques, avec des obligations et des lois. Ce qui ne va pas, au sens large et sociétal, c’est que nous sommes encore dans ce cadre-là, depuis longtemps. Il faut aussi tenir compte des organisations et des spécificités qui se sont créées « en réaction », comme bien souvent en France. Attention donc à ne pas casser trop rapidement ces dynamiques et ces spécificités en optimisant les organisations et en professionnalisant les acteurs. Le local a toute son importance également. Les choses doivent se faire dans la durée. L’inclusion doit vraiment être intégrée par la société, pas uniquement par des orientations qui seraient prises rapidement.

M. Patrick Maigret. Le contrat d’apprentissage est un contrat de travail. La problématique sous-jacente est donc celle du croisement de l’offre et de la demande. Chaque année, tous les CFA se retrouvent avec des offres d’apprentissage non pourvues. Il faut donc certainement travailler davantage en amont la problématique du croisement de l’offre et de la demande, y compris avec des phases d’essai, pour déclencher la signature du contrat d’apprentissage.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Y a-t-il plus d’offres, ou pas assez d’offres ? Cela dépend des territoires.

M. Patrick Maigret. En effet. Cela dépend aussi des métiers et de l’attractivité des branches professionnelles. Le sujet de l’orientation est très complexe.

Mme Véronique Bustreel. Ce qui ne va pas bien, c’est peut-être qu’il n’y a pas vraiment d’inclusion, mais des preuves d’inclusion à donner. Et il nous reste à les donner. Pour nous, le challenge consiste à nouer plus de partenariats, à « dé-siloter » le travail des territoires et à faire mieux connaître ce qui existe déjà. Souvent, c’est la méconnaissance de l’existant qui nuit au parcours des personnes. Si nous remportons ce challenge, nous aurons beaucoup de preuves et donc plus d’inclusion.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci beaucoup à vous tous.


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   Mardi 14 mai 2019

1.   Audition de M. Nicolas Eglin, président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPH), et Mme Marie‑Christine Philbert, vice-présidente

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission reprend ses travaux en recevant M. Nicolas Eglin, président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPH), et Mme Marie-Christine Philbert, vice-présidente.

Madame, monsieur, nous vous souhaitons la bienvenue. Il était important pour la conduite de nos travaux sur l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, de recueillir votre point de vue, puisque vous fédérez un grand nombre d’associations œuvrant en faveur de la scolarisation de ces élèves et de leur insertion professionnelle et social.

Je sais combien vous revendiquez l’expertise des parents et des familles, et j’avais défendu un amendement dans ce sens lors de l’examen du projet de l’école de la confiance.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Nicolas Eglin et Mme Marie-Christine Philbert) prêtent serment.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous avez mesuré quelle était l’ambition de cette commission d’enquête : établir avec les acteurs concernés un diagnostic partagé, objectivé et incontestable, de la scolarisation des élèves en situation de handicap, de la maternelle à l’université, en montrant les avancées obtenues depuis la loi de 2005 et soulignant les obstacles qui subsistent, et tenter d’élaborer avec vous les moyens de surmonter ces obstacles, d’améliorer et de rendre effectifs les droits généraux, généreux, consensuels, que le législateur s’est fixés lorsqu’il a voté cette belle loi.

Nous nous sommes également fixé une ambition supplémentaire, car je ne renonce pas à l’idée d’écrire un nouvel acte de la loi de 2005, pour aller encore plus loin dans cette transition inclusive qui chemine dans mon esprit – je ne veux pas engager la commission d’enquête à ce stade –, car il faut prendre en compte les particularités, ne pas mettre les gens dans des cases, ne s’interdire aucune réponse, ne pas considérer que l’inclusion en milieu ordinaire, surtout sans moyens, soit l’alpha et l’oméga.

C’est dans cet état d’esprit que nous vous recevons aujourd’hui, en souhaitant évidemment que votre contribution soit la plus utile pour nous. Je n’en doute pas, au vu des documents que vous nous avez transmis préalablement.

M. Nicolas Eglin. Nous vous remercions de nous avoir proposé de contribuer aux travaux de votre commission. Nous vous avons fait parvenir un document d’une dizaine de pages. Je vais en reprendre quelques points et nous pourrons ensuite répondre plus particulièrement aux questions que suscite de votre part le contenu de cette contribution.

Vous avez mentionné le fait que la FNASEPH représentait un certain nombre d’associations : elle représente aujourd’hui 23 associations et collectifs présents sur le plan national. Elle participe aux travaux sur la scolarisation du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) – j’y fais référence car nous avons participé activement à l’écriture de ses 46 recommandations, et je me référerai, tout au long de cette audition, à celles qui sont pour nous les plus importantes.

Dans notre contribution écrite, nous avons jugé utile de resituer la question de l’école inclusive dans une perspective internationale, donc donné quelques pistes sur les conventions internationales déjà signées ou en cours de signature au moment de l’adoption de la loi 2005. Il est intéressant et important de regarder ces textes-là, ne serait-ce que pour se mettre d’accord sur les termes.

Comme l’a indiqué le CNCPH, nous préférons l’adjectif « inclusive » au nom « inclusion », car cela permet de se centrer sur les pratiques. La deuxième notion sur laquelle nous souhaitons nous arrêter est celle de « besoins éducatifs particuliers », auxquels travailler dans un contexte d’école inclusive permet d’apporter des réponses. Nous préférons cette expression à celle d’« enfant handicapé » ou d’« enfant en situation de handicap ».

L’école inclusive repose pour nous sur une conviction forte : celle que tous les élèves peuvent apprendre. Le concept d’éducabilité, qui s’est construit au fil du temps, est notamment défendu par M. Philippe Meirieu. C’est un concept qui, pour nous, est philosophiquement et éthiquement au fondement de l’école inclusive.

Il faut avoir en tête que c’est une rupture et non une évolution continue, qui ferait passer d’un modèle ségrégatif à un modèle intégratif, puis inclusif. Il s’agit bien d’une rupture complète, qui nécessite la définition des besoins de tous les élèves ainsi que la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée, qui puisse répondre aux attentes de tous les élèves.

Nous avons identifié les cinq leviers qui nous paraissent les plus importants à étudier. Certains ont déjà été abordés lors des auditions précédentes, et peut-être suffira-t-il que nous complétions les propos qui vous ont été tenus à cette occasion.

Le premier levier est le pilotage des politiques publiques. C’est un point très important pour nous, qui consiste à prendre enfin appui sur des statistiques consolidées, avec des nomenclatures, des terminologies communes à tous les acteurs – car entre l’Éducation nationale et les agences régionales de santé (ARS), les nomenclatures ne sont pas les mêmes. Entre les statistiques qui sortent des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ou des caisses d’allocations familiales (CAF), il y a aussi des différences. Parfois, les chiffres existent mais ne sont pas consolidés convenablement, ce qui ne permet pas d’appréhender, par exemple, l’aspect qualitatif de la scolarisation. Un élève comptabilisé dans les statistiques est-il comptabilisé à temps plein ou à temps partiel – et, dans ce cas, à raison de combien d’heures par semaine ? Il faut absolument que ces éléments soient connus, car ils permettront ensuite de piloter les politiques publiques.

Le deuxième levier que nous avons identifié est la formation. Je souhaite en particulier insister sur la nécessité d’intégrer dans le cahier des charges des maquettes de formation des futurs INSPE – qui vont succéder aux ESPE – la question de l’école inclusive. Il ne doit pas s’agir d’une formation sur troubles ou les déficiences, mais sur les pédagogies différenciées, sur l’adaptation pédagogique que doivent mettre en œuvre les enseignants confrontés à une classe comprenant des élèves à besoins éducatifs spécifiques. Il faut bien avoir en tête qu’aujourd’hui le nombre de professionnels formés à cet aspect n’est pas à la hauteur des attentes et des besoins constatés sur le terrain. Selon la DEEP, 55 % seulement des personnels en poste ont une certification spécifique – CAPA-SH ou 2CA-SH. Et, selon les données que nous avons obtenues, il n’y a eu en 2016-2017 que 900 départs en formation, toutes options confondues. À ce rythme, il faudra au moins treize ans pour rattraper le retard accumulé. Je ne compte pas les enseignants qui passent des certifications en candidat libre : je parle bien des départs en formation validés par les DSDEN.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous avons interrogé les différents ministères pour avoir des données brutes, objectives, irréfutables, sans lesquelles nous ne mesurerons pas la progression vers les objectifs fixés. J’ai le regret de vous dire que, pour l’instant, seul le ministère de l’enseignement supérieur a répondu à nos questions. Nous nous sommes laissé huit jours supplémentaires, mais nous reviendrons vers vous si nous n’avons pas de réponse.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce matin, Mme Cluzel et son cabinet attendaient eux-mêmes les chiffres.

M. Nicolas Eglin. Je vais donc vous en donner d’autres. Vous avez entendu, pour l’APF France Handicap, Mme Bénédicte Kail qui a insisté sur le manque de postes d’enseignant référent. J’insiste à nouveau : depuis 2005, le nombre d’élèves en situation de handicap a augmenté de 200 % et celui des référents de 58 %. Forcément, le service rendu aux familles n’est pas le même, ni la fluidité dans l’accompagnement, étant donné le nombre de dossiers que les enseignants référents doivent gérer.

J’insiste également sur la nécessité d’une formation croisée entre l’éducation nationale et les professionnels médico-sociaux et, d’une façon générale, entre tous les acteurs qui interviennent aujourd’hui au sein de l’école. Il y a eu des expérimentations, il y a aujourd’hui des déclinaisons régionales, en particulier en Auvergne-Rhône-Alpes. Ces pratiques sont nécessaires pour créer une culture commune, pour faciliter les accompagnements et solidifier le parcours d’élèves qui ont besoin, par moments, d’appui, de compensation.

Le troisième levier, que madame la présidente a abordé en introduction, est la reconnaissance de l’expertise des familles, pour laquelle la FNASEPH a toujours milité et qui est complémentaire de celle des professionnels. Il est indispensable aujourd’hui de reconnaître les parents comme des acteurs à part entière de la constitution des parcours de scolarisation de leur enfant. Nous avions demandé une modification en ce sens de l’article 1er du projet de loi « pour une école de la confiance ».

Le quatrième levier est l’organisation des territoires. Dans notre contribution, nous avons développé la question des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) : comment adapter l’offre à la demande, comment promouvoir la fonction « ressource » des ULIS, mais aussi comment adapter la gestion des transports scolaires, notamment en zone rurale où le choix des familles sera conditionné à la fois par la présence des unités d’enseignement et par l’existence de transports scolaires à proximité de leur lieu d’habitation.

J’insiste surtout sur l’organisation et de la transformation du secteur médico-social. La circulaire du 2 mai 2017 relative à la transformation de l’offre d’accompagnement des personnes handicapées a fixé en effet de nouvelles règles du jeu : une scolarisation à mettre en œuvre, une fonction ressources destinée à l’ensemble des acteurs de droit commun, une remise en question des principes organisationnels, des modalités d’accompagnement qui devraient être plus agiles. Pour nous, tout cela représente une forme de désinstitutionalisation que nous revendiquons. Aujourd’hui, la mise en place des unités d’enseignement externalisées – demandée par les pouvoirs publics – vient bousculer des gestionnaires qui, jusqu’à présent, n’avaient pas forcément des pratiques de scolarisation clairement établies. Elle vient aussi bousculer l’ensemble des acteurs, qui doivent participer au déploiement de ces unités d’enseignement externalisées.

Leur déploiement est un révélateur de la complexité des relations entre les différents acteurs : l’Éducation nationale, qui doit être signataire des conventions ; les gestionnaires du secteur médico-social, qui ont ensuite la responsabilité de les mettre en œuvre, mais aussi les collectivités territoriales qui ont la responsabilité du bâti, de l’aménagement, du mobilier. Il montre aussi la complexité des relations entre les équipes elles-mêmes, d’où notre demande de formations croisées pour des professionnels qui doivent apprendre à travailler ensemble.

Dans un contexte où l’Éducation nationale prône des dédoublements dans un certain nombre de classes, la gestion de l’espace devient aussi très importante. Or, on sait très bien que la planification de construction d’un groupe scolaire, d’un collège, d’un lycée, prend du temps. Il faut donc pouvoir replacer cela dans une planification plus importante. Je fais un aparté sur la question du dédoublement : pour nous, cela va dans le sens d’une des recommandations du CNCPH sur le nombre maximal d’élèves par classe. L’idée n’est pas de stigmatiser telle ou telle classe en préconisant un effectif différent selon le nombre d’élèves ayant un besoin particulier, mais de modifier globalement le système en réduisant le nombre d’élèves dans toutes les classes.

Enfin, le dernier levier que nous voulons aborder est l’aide humaine, les auxiliaires de vie scolaire (AVS), les assistants d’élèves en situation de handicap (AESH). La FNASEPH a été créée en 1996 pour développer l’aide humaine à l’école. Nous avons été l’un des acteurs qui ont travaillé à faire émerger ces systèmes d’accompagnement, et nous souhaitons que puisse être pris en compte l’accompagnement, en tout temps et en tous lieux de vie, des jeunes en situation de handicap. Certains de nos adhérents portent d’ailleurs des projets de ce type.

L’école inclusive, ça ne se limite pas à « plus d’AVS ». Nous souhaitons qu’une réflexion soit engagée sur les notions d’accessibilité et de compensation. L’une des recommandations du CNCPH portait sur l’affectation d’acteurs d’accessibilité dans les écoles. Il nous semble important de réfléchir autrement à la question de l’accessibilité, en affectant éventuellement des personnels à cette fonction, de même que, sur la question de la compensation, les AVS interviennent pour apporter la compensation si nécessaire. C’est bien l’évaluation du besoin objectivé de compensation qui doit déclencher la notification d’accompagnement. Or, souvent, l’accompagnement par un AVS est le préalable à l’accueil au sein de l’école, à la scolarisation.

À ces cinq leviers, nous souhaitons ajouter une exigence supplémentaire : la simplification administrative pour les familles, ce qui signifie retravailler l’ensemble des outils existants, toutes ces procédures incompréhensibles pour qui « débarque » pour la première fois dans le monde du handicap.

Nous pourrons aller ainsi vers une école inclusive, donc vers une société inclusive, déclencher un cycle vertueux, reconnaître la juste place de tous et améliorer le vivre ensemble.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci pour ce propos très éclairant. Je trouve particulièrement intéressante cette manière de dire que nous sommes à la veille d’une révolution, difficile comme toutes les révolutions.

Vous avez parlé de logique d’accessibilité face au besoin de compensation. Je trouve cette approche très intéressante également, et c’est pourquoi je vous demande comment vous appréhendez la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), qui suscitent beaucoup d’inquiétudes chez certaines personnes. Est-ce que cela vous semble aller dans le bon sens, ou non ?

J’aimerais vous interroger aussi sur la formation. J’adhère tout à fait à vos propos sur la formation initiale qui doit être dispensée à tous les enseignants, mais vous dites qu’il faut se centrer sur la différenciation scolaire et non sur les troubles. Je veux donc vous demander s’il n’est tout de même pas nécessaire de mettre un nom sur ces troubles, de façon à informer un peu les professeurs sur les troubles auxquels ils peuvent être confrontés.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci de cet éclairage utile et singulier. Vous avez souligné la difficulté de bâtir des partenariats, de surmonter les barrières culturelles pour réussir à travailler ensemble. Pour ma part, j’ai vécu l’expérience, à Dieppe, de la création de lieux de scolarisation en école élémentaire, avec information par l’Éducation nationale en août et ouverture en octobre : un laps de temps assez réduit pour le maire qui doit adapter les locaux et pour les partenaires qui doivent se mettre en route, mais, en même temps, cet « accélérateur de particules » a prouvé la capacité des élus, du social, du médico-social et de l’Éducation nationale à travailler en bonne intelligence. Est-ce que, tout de même, les choses ne marchent pas mieux quand on « met le paquet » en termes de moyens ?

Vous dites que l’on ne peut pas résumer l’enjeu de l’école inclusive à la question des moyens humains, mais est-ce à dire qu’il faille faire l’impasse sur la difficulté à affecter des personnes formées, déprécarisées, sécurisées, individualisées ou mutualisées, à l’accompagnement humain ?

Mme Danièle Cazarian. Tout à l’heure, vous avez évoqué cinq leviers, dont la reconnaissance du rôle des parents dans les parcours de scolarisation. Comment valoriser leur expertise parentale et lui donner la place qu’elle mérite ?

Mme Cécile Rilhac. Je voudrais revenir à mon tour sur le sujet des formations croisées entre enseignants et personnels du médico-social. Quel peut être, selon vous, le rôle des PIAL dans la création de cette culture commune ?

M. Nicolas Eglin. Je vais répondre d’abord sur les PIAL. Je partage vos incertitudes sur la mise en place de ces dispositifs, aujourd’hui expérimentaux. Les informations qui nous remontent des différents territoires suggèrent que sont actuellement identifiés des établissements où ils seront installés à la rentrée prochaine, mais pas forcément partout. Dans le Var, le Vaucluse, il y a eu des expérimentations, ce sont deux territoires où des choses émergent, mais certains rectorats en sont seulement à l’identification des lieux où les PIAL vont être installés.

Nous avons eu des présentations par la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) de ce que sont les PIAL dans leur principe, mais nous n’avons pas de texte, de cahier des charges, d’éléments qui précisent leur fonctionnement. Certains éléments sont intégrés dans le projet de loi pour une école de la confiance, mais ils sont très généraux. Le format et le contour des PIAL restent très flous pour l’instant. J’ai envie de dire « tant mieux, cela nous forcera à faire des expérimentations et à identifier des modèles que nous pourrons ensuite mettre en œuvre », mais je suis tout de même un petit peu inquiet, puisqu’on annonce leur généralisation pour la prochaine rentrée. À quel moment pourra-t-on faire l’évaluation de l’expérimentation ? C’est là une vraie question.

Vous avez évoqué le fait que les acteurs du secteur médico-social devaient être présents au sein des PIAL. C’était ce qui ressortait des premières présentations, mais c’est moins le cas aujourd’hui. Peut-être faut-il raisonner en plusieurs temps. Au sein de la FNASEPH, nous considérons que les PIAL sont des expérimentations intéressantes.

Parmi les gains qualitatifs que l’on peut attendre, il y a d’abord une réponse plus ajustée aux besoins des élèves, grâce à des accompagnements mutualisés. En particulier, les emplois du temps devraient être établis fonction des besoins de l’élève plutôt que des contraintes de l’AVS. Donc, pour nous, il y a un vrai gain, mais qui reste à expérimenter.

Le deuxième point concerne la gestion des ressources humaines dans le dispositif, qui actuellement est surtout faite à distance, alors que, justement, l’articulation des emplois du temps est très complexe. L’intérêt du PIAL, c’est que l’on va pouvoir faire des choses plus ajustées dans les emplois du temps des AVS, en lien avec les besoins des élèves.

Cela dit, je pense aussi qu’il y a derrière tout cela une logique d’économies, d’optimisation des moyens –mais c’est important d’avoir aussi ce regard-là. Et puis, pour faire écho à votre question sur la précarisation des AVS, le fait de pouvoir proposer, en regroupant école, collège et lycée, des emplois du temps comportant un nombre d’heures plus important, permettra peut-être de réduire la précarité de ces intervenants.

Je suis très dubitatif, néanmoins, sur l’installation des PIAL dans des écoles élémentaires, pour de multiples raisons. L’amplitude d’ouverture des établissements ne va rien résoudre quant à l’accès à des temps pleins pour les AVS, sauf à imaginer des dispositifs incluant du temps périscolaire, mais les collectifs représentatifs des AVS ne sont pas demandeurs ; on ne voit donc pas très bien comment cela pourrait être organisé. D’autre part, sur le plan organisationnel, qui va piloter les PIAL dans les écoles élémentaires ? Les inspecteurs des circonscriptions ? Cela paraît compliqué. Le lien avec les collèges ou les lycées de proximité paraît intéressant, mais j’ai cru comprendre, à la lecture du projet de loi pour l’école de la confiance, qu’on n’allait pas vers ce type de rapprochement. Ce qui va être intéressant, c’est de voir l’expérimentation sur ce sujet.

Comment le dispositif va-t-il permettre de faire culture commune ? Je ne suis pas persuadé que les PIAL seront tout de suite l’outil approprié : il va falloir regarder plutôt l’étape suivante. Je pense que, dans un premier temps, le PIAL sera un apport organisationnel propre à l’Éducation nationale, au dispositif scolaire. Peut-être pourra-t-on parler de culture commune dans deux ou trois ans, quand on aura défini l’ensemble des missions des autres acteurs, qu’ils soient du secteur médico-social ou du secteur libéral – car il y a une forte demande des familles pour que le secteur libéral puisse aussi faire de l’accompagnement dans les écoles.

En matière d’accessibilité, l’intérêt premier du PIAL est de pouvoir coordonner les interventions des AVS, puisque, par définition, il n’y a pas de nombre d’heures préétablies : il est fonction du besoin de l’élève. Donc, si un groupe scolaire dispose d’une équipe plus importante, il va pouvoir mieux réguler le temps d’accompagnement, améliorer la démarche d’accessibilité pour cet élève et se redemander, chaque fois que nécessaire, si tel accompagnement, dans telle matière, est nécessaire ou non, de façon à répondre à ses besoins.

La FNASEPH, qui est à l’origine des AVS, ne va évidemment pas dire qu’il faut arrêter les AVS ! Mais elle dit qu’à un moment donné, le moteur s’est un peu emballé, qu’il faut vraiment se réinterroger sur l’importance de l’aide humaine. Elle a toute sa place dans la compensation, pour les situations les plus complexes qui nécessitent un accompagnement continu et soutenu. Mais, sur d’autres aspects, il faut redonner place à l’aménagement pédagogique et à la responsabilité de l’ensemble des acteurs.

Pardon de le dire comme ça, mais nous sommes régulièrement sollicités par des familles qui nous disent que leur enfant est accompagné par l’AVS dans une salle à côté, donc pas sous la responsabilité de l’enseignant, mais sous celle de l’AVS. Les AVS ne sont pas des enseignants bis, ils ont des missions clairement définies, qui sont de l’ordre de l’accompagnement et non de l’intervention pédagogique.

Mme Marie-Christine Philbert. Je suis vice-présidente de la FNASEPH, je suis parent, et j’ai été enseignante dans une vie antérieure. Je voudrais revenir d’un mot sur les AVS. Quand M. Eglin dit que ça s’est emballé, c’est vrai : en 2003, il y avait 2 300 salariés en France, sur 63 départements, aujourd’hui on en est à plus de 100 000 personnes sur l’ensemble du territoire. Donc, effectivement, en termes numériques, il y a eu une évolution exponentielle, non pas à tort et à travers, mais parce que d’autres vecteurs d’inclusion n’ont pas été mis en place. Souvent, des enseignants disent aux parents : « Je ne sais pas faire, donc j’ai besoin de quelqu’un qui va être à côté de votre enfant. » C’est aussi ce discours-là qui a fait que la machine s’est emballée, qu’il a fallu « produire » des auxiliaires de vie scolaire.

J’entends bien votre remarque. Nous avons participé, et nous le revendiquons, à la création du métier d’AVS, et ce depuis que la FNASEPH existe. Toute notre histoire depuis 1982 est là pour l’attester. C’est une chose pour laquelle nous nous sommes battus. Nous avons d’abord eu le diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DEAES), mais, pour nous, cela ne répond pas à la « commande », puisque c’est un diplôme de niveau V, et que pour accompagner un enfant à l’école, même à la maternelle, et plus encore, bien sûr, à l’école élémentaire, au collège, au lycée, un niveau V est largement insuffisant en termes de connaissances et d’aptitudes. Donc, nous militons pour un vrai métier d’auxiliaire de vie scolaire, un vrai travail, un vrai salaire, une ancienneté prise en compte, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous connaissons des AVS qui font ce métier depuis plus de quinze ans et qui sont toujours au SMIC. C’est inadmissible. Je les appelle les « kleenex » de l’école. Nous sommes très clairs là-dessus : si l’on en fait un vrai métier, on aura des accompagnements mieux pensés, équilibrés, proposés en fonction des élèves. Je pense que c’est bien de le dire, et que dire ça à toutes les personnes qui accompagnent les enfants aujourd’hui – j’en connais beaucoup – leur fait du bien, parce qu’elles ont actuellement le sentiment de rendre un service formidable – bien des enfants ne seraient pas à l’école s’ils n’étaient pas là – mais qui n’est pas convenablement reconnu. Mais si l’on n’agit pas aussi sur d’autres leviers, on ne résoudra pas la question des AVS : il en faudra toujours plus, sans qu’on arrive à les qualifier. C’est vraiment un enjeu très fort.

J’ai été enseignante et je me permets de répondre à la question qui a été posée sur la formation, à propos des troubles. Quand on a un enfant dans sa classe – je vais parler de ma fille – qui a des problèmes de mémoire, de concentration, d’attention, est-ce qu’il est plus important de mettre un mot sur son trouble, ou de savoir comment compenser ces problèmes de mémoire, d’attention ou de concentration ? Mes années de pratique me font dire qu’il est plus important qu’un enseignant sache comment compenser le trouble, détourner ses effets, accompagner un enfant qui ne mémorise pas, plutôt que de savoir que c’est à cause d’un trouble appelé X, Y, Z, ou d’un chromosome en plus ou en moins.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous sommes d’accord, mais je voulais seulement parler des symptômes, car ce qui me semble important, c’est que l’enseignant ne panique pas face à un symptôme, qu’il sache comment répondre et quel comportement adopter. C’était dans ce sens-là qu’était posée la question.

Mme Marie-Christine Philbert. Beaucoup d’enseignants disent qu’ils ne savent pas scolariser un enfant qui a tel ou tel trouble apparent, qu’ils ont besoin de connaître la nature du handicap. Et il est vrai que nous passons beaucoup de temps à leur dire que ce n’est pas important de savoir pourquoi il a ce trouble-là, et que la pédagogie – mon métier – consiste à compenser, à accompagner le trouble de la mémoire et de la concentration, etc. Tout part donc de l’observation de l’élève et des symptômes qui se manifestent – c’est d’ailleurs souvent l’école qui révèle la situation de handicap : les enfants n’arrivent pas toujours à l’école avec leur diagnostic et leur trouble bien identifié. Ce qu’il faut, donc, c’est que l’enseignant puisse raisonner sur ces troubles, aménager sa pédagogie, et ne reste pas seul avec cette difficulté-là. Pour cela, il faut qu’il y ait des ressources autour de lui. L’Éducation nationale, à certains endroits, commence à mettre en place des enseignants. Dans mon département, on les appelle « enseignants ressources itinérants » : ils sont là à la fois pour aider l’enfant, mais surtout pour aider l’enseignant à adapter sa pédagogie. Je pense que l’école inclusive passera forcément par ces « enseignants ressources ». Est-ce qu’ils seront dans les PIAL ? Ce serait très intéressant.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie, c’était exactement le genre de réponse que nous attendions.

Mme Géraldine Bannier. J’ai aussi une question sur la formation, car j’ai été professeur pendant une quinzaine d’années dans un collège qui avait beaucoup d’élèves en situation de handicap, et je suis tout de même très réservée sur une formation qui resterait théorique, en amont de la prise en charge d’élèves. Tous les élèves, en fait, ont un besoin particulier, qu’ils soient en situation de handicap ou non, et l’enseignant est donc préparé à avoir en face de lui cette diversité d’élèves. Comme professeur, j’avais vraiment besoin de réponses au plus près du terrain, adaptées à chaque enfant. La première chose que l’on se dit quand on voit un élève dans la classe, c’est : « Qu’est-ce que je vais pouvoir lui demander ? » Puis : « il y a des choses que je ne peux pas demander à cet élève, comment vais-je le prendre en charge ? » Si une élève est sourde, par exemple : « Quel instrument vais-je prendre pour l’aider et l’accompagner ? » On a besoin de travailler au cas par cas et je ne trouve pas que la formation théorique en amont soit très pertinente. On a besoin de solutions au plus près de chaque cas pour mieux l’accompagner, tout comme on accompagne les autres élèves.

Mme Béatrice Piron. Je soutiens votre demande de reconnaissance d’un niveau de formation différent suivant que les accompagnants s’occupent d’enfants en maternelle, en primaire, en collège, en lycée ou en classe préparatoire, car je pense qu’une classe de maternelle est effectivement très différente d’une classe préparatoire.

Ma question concerne les statistiques dont vous dites manquer quant au temps que passent à l’école les élèves à besoin spécifique. Que souhaitez-vous que l’on puisse mesurer ? Et que pensez-vous de la scolarisation à temps partiel ?

Vous disiez qu’il n’y avait que 900 formations destinées aux enseignants par an pour toute la France. Ce sont des formations relativement longues et certifiantes, et le mieux est parfois l’ennemi du bien : ne pensez-vous pas qu’il faudrait beaucoup plus de formations courtes pour toucher un grand nombre d’enseignants, plutôt que des formations certifiantes touchant très peu d’enseignants ?

Mme Blandine Brocard. Ma question est suscitée par une expérimentation qui est en train de voir le jour dans ma circonscription. J’entends bien que nous souhaitons tous une école inclusive, et même une société inclusive. Des parents pleins d’énergie, de courage et de volonté ont monté de toutes pièces un collège pour leurs enfants qui n’avaient pas de place dans l’école dite « ordinaire ». Ils m’ont tous dit que leurs enfants disparaissaient tout bonnement des radars de l’Éducation nationale. S’ils n’avaient pas monté ce collège avec des professeurs – de l’Éducation nationale pour le coup – spécialisés dans le handicap, entourés par le corps médical, des ergothérapeutes, des psychologues etc., ces enfants n’auraient pas été scolarisés. J’ai vu des parents qui étaient plus que soulagés grâce à cette initiative. En attendant cette fameuse école inclusive – si tant est qu’on puisse y arriver –, comment porter ce genre d’initiative, compte tenu des difficultés en terme d’enseignants, d’AVS, etc. ?

Mme Sabine Rubin. J’ai deux questions sur les PIAL. Il est vrai que ce dispositif est très flou et on ne sait pas encore comment il va se mettre en place réellement. J’ai bien compris, en tous cas, qu’il s’agissait de coordonner, de mieux articuler, l’éducatif, le pédagogique et le médico-social. Mais les auditions que nous avons eues ont montré l’absence du médico-social. Comment se coordonner avec quelque chose qui n’existe pas ?

Par ailleurs, au sein des PIAL, qui serait le mieux à même de définir le fameux besoin pédagogique ou éducatif particulier ? Il semble que ce soit plutôt le directeur d’école, mais le PIAL est-il vraiment le lieu de cette coordination ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vais vous bousculer un peu, gentiment mais un peu quand même. Si l’on considère que chaque enfant a un besoin particulier, n’y a-t-il pas un risque qu’on en tire comme conséquence qu’il faut appliquer le droit commun à tous les enfants et que, du coup, on se prive des politiques et des moyens spécifiques qui permettraient de prendre en compte ce qui est tout de même une situation différente ? En droit, et dans la vie tout court, on aggrave les inégalités quand on traite à l’identique des gens qui sont dans des situations différentes.

Sur les PIAL, je comprends que vous fassiez preuve de pragmatisme, mais pensez-vous qu’il soit prématuré de généraliser le dispositif ? Faut-il plutôt attendre de pouvoir analyser les premiers retours ? Je voudrais que vous nous répondiez clairement, car je ne suis pas sûr de votre opinion là-dessus.

Ma troisième question est également très simple. Nous avons entendu, de la part de personnels de l’Éducation nationale qui sont habilités à en parler, que l’accompagnement mutualisé devient la règle et l’accompagnement individuel l’exception. Qu’en pensez-vous ?

M. Nicolas Eglin. Il va être compliqué de répondre dans les cinq minutes qui nous restent… Vous trouverez un certain nombre d’éléments dans la contribution que nous vous avons remise.

Ce sera à la MDPH, et non à l’Éducation nationale, de décider si l’accompagnement mutualisé doit être la règle et l’accompagnement individualisé l’exception.

Cela m’amène à répondre à la question sur le lieu où seront identifiés les besoins. L’émergence des PIAL ne modifie pas la règlementation actuelle. Le lieu d’évaluation des besoins d’un élève en situation de handicap, c’est l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH, qui propose un plan de compensation aux familles. Donc, les MDPH restent responsables de la validation des plans de compensation qui seront proposés ; c’est très important. Ensuite, quand il s’agit de réfléchir à la façon d’optimiser la mise en œuvre et de procéder aux aménagements le plus vite possible, l’équipe éducative a naturellement un rôle important, en associant les parents, mais la proposition et la validation du temps de compensation restent du ressort de la MDPH.

Mme Marie-Christine Philbert. Madame Bannier, une formation initiale est effectivement indispensable pour les enseignants – nous parlons même d’un tronc commun entre les enseignants et les éducateurs spécialisés par exemple – pour créer une culture commune. Ensuite, une fois que l’enfant est là, que vous l’avez dans votre classe, les premières personnes à qui vous pouvez faire appel pour vous aider, ce sont les familles, parce qu’elles ont une expertise de vie avec le handicap. Quand elles arrivent devant un enseignant, elles ont déjà derrière elles quelques années avec le handicap. Ce sont elles, en premier lieu, qui peuvent vous dire comment les enfants fonctionnent. Je pense à la scolarisation des enfants touchés par l’autisme : c’est le parent qui sait ce qui va déclencher une crise et comment elle peut être atténuée. Il faut qu’il y ait un temps organisé pour qu’il vous rencontre et fasse ce travail de dentelle qui consiste à vous dire : « attention, dans ce contexte-ci, voilà ce qui va se passer, mais par contre, dans ce contexte-là, voilà ce que l’on peut récupérer ». C’est indispensable. Vous me demandiez comment l’expertise des familles peut arriver à l’école : la première chose, c’est déjà que le parent ait un peu de temps pour vous parler de son enfant et de son handicap. Et puis il faut, dans les réunions, que le parent soit toujours associé, que le parent puisse parler. Il n’est pas rare que lors des réunions des équipes de suivi de la scolarisation – j’en fais trois par semaine –, le parent reste assis sur un strapontin et prenne à peine la parole, alors qu’il a des choses à dire sur le handicap qui sont très éclairantes pour les professionnels.

Le temps partiel, oui, pourquoi pas ? Pour certains enfants, six heures de scolarisation vont être très difficiles. Il faut voir, en concertation avec les parents et les enseignants, le temps que l’enfant peut passer à l’école de façon à ce que ça ait du sens pour lui. Ce qui nous inquiète cependant, dans le temps partiel, c’est que cela veut dire du temps où on laisse l’enfant à sa famille. Or c’est un temps subi, et ça inquiète des familles, des mamans qui sont obligées d’arrêter de travailler, etc. Mais si le temps non scolaire est pris en charge par un autre professionnel, par le secteur médico-social dans un SESSAD ou dans un établissement, pourquoi pas ? Le temps partiel à l’école est alors éclairé par un autre accompagnement.

J’avoue que l’on est un peu dubitatif quant au type d’expérimentation que Madame Brocard a mentionnée, parce qu’effectivement elle ne répond pas à la logique d’inclusion. Je comprends les familles qui font ça : je l’aurais fait, n’importe quel parent le ferait, parce que c’est une solution qui offre un répit aux familles. Mais la place d’un enfant, en France, dans notre République, c’est d’être à l’école de la République. C’est à l’école de lui faire sa place. C’est cela, le droit commun dont vous parliez, monsieur le rapporteur.

M. Nicolas Eglin. S’agissant des partenariats, au niveau « macro », nous pensions à une planification de l’ensemble des acteurs, sous la responsabilité de l’ARS et de l’Éducation nationale, qui associe les collectivités territoriales ainsi que les gestionnaires médico-sociaux. Il faut vraiment qu’une telle planification se mette en œuvre, comme c’est le cas en Auvergne-Rhône-Alpes, où un modèle de convention commence à être décliné. Voilà un exemple intéressant de politique concertée. Au niveau « micro », j’insiste sur l’importance d’une culture commune aux professionnels. On a beaucoup parlé des enseignants, mais je voudrais signaler que les référentiels de formation du secteur médico-social ont été revus l’an dernier et que le concept de l’école inclusive n’y est pas présent. Il faut absolument que l’on puisse travailler là-dessus.

Enfin, sur la question des unités d’enseignement externalisées, je vous encourage à vous projeter à dix, quinze ou vingt ans. Aujourd’hui, on demande aux gestionnaires d’établissements médico-sociaux d’externaliser leurs unités d’enseignements spécialisées. C’est très bien : on est dans une logique qui consiste à favoriser la scolarisation en milieu ordinaire. Mais les familles veulent une scolarisation dans l’école de proximité. Donc, comment fait-on ? Un gestionnaire ne peut pas ouvrir dans son ressort dix unités d’enseignement spécialisées ! Il faudra peut-être, à un moment donné, qu’il y ait des UE multi-gestionnaires. Mais une fois qu’on les aura créées, est-ce qu’il ne faudra pas les transférer à l’Éducation nationale ?

Il faut essayer de voir l’horizon de la révolution qui est en cours, tant du côté de l’école que de celui du médico-social. C’est cela qui manque aujourd’hui : des projections à deux ans, quatre ans, cinq ans, pour voir quel est le modèle vers lequel on veut aller. L’une des propositions du CNCPH et de la FNASEPH était de créer un ministère unique, qui puisse concilier réponses de droit commun et droits spécifiques pour les élèves à besoins spécifiques.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous vous remercions pour vos témoignages et vos expertises.


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2.   Audition de l’Association des maires de France (AMF) : Mme Virginie Lanlo, adjointe au maire de Meudon, Mme Nelly Jacquemot, responsable du département Action sociale, éducation, culture, sport, M. Sébastien Ferriby, conseiller Culture et éducation, et Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions avec celle de l’Association des maires de France (AMF) : nous recevons Mme Virginie Lanlo, adjointe au maire de Meudon chargée de l’éducation, Mme Nelly Jacquemont, responsable du département Action sociale, éducation, culture, sport de l’AMF, M. Sébastien Ferry, conseiller Culture, éducation de l’AMF, et Mme Charlotte de Fontaine, chargée des relations avec le Parlement.

Les communes, qui ont la charge des écoles, sont à ce titre éminemment concernées par l’inclusion des élèves en situation de handicap, ne serait-ce qu’au regard de l’accessibilité des bâtiments et de leurs fonctionnalités. C’est pourquoi il était important de vous entendre dans le cadre de cette commission.

Nous regrettons vivement que l’Assemblée des départements de France (ADF), également sollicitée pour cette audition, n’ait pu trouver d’élu disponible pour faire valoir son point de vue. Nous pensons qu’il aurait été intéressant de croiser les regards des représentants des élus communaux et départementaux sur ces questions.

Avant de vous donner la parole, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai à mon tour le plaisir de vous souhaiter la bienvenue. Je sais à quel point l’expertise de l’AMF est précieuse : j’ai moi-même été maire pendant dix ans et je suis bien placé pour savoir que les maires sont en première ligne, quel que soit le sujet concerné, et sont obligés de répondre aux habitants. Je vous remercie donc d’avoir répondu à notre invitation ; celle-ci doit cependant être interprétée comme une convocation, y compris par l’ADF qui n’a pas trouvé de disponibilité pour nous rencontrer.

J’ai pu constater, dans mon département, que des maires sont volontaires pour faire progresser l’inclusion scolaire des enfants à besoins particuliers. La question des moyens financiers, y compris lorsque les maires sont volontaires, pour mettre en place des unités d’enseignement externalisées (UEE) ou des agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP), pour faire en sorte que les droits des enfants en situation de handicap soient une réalité est évidemment au cœur des préoccupations quotidiennes des maires. En sus de tout ce que vous aurez d’intéressant à nous dire sur l’inclusion des élèves handicapés, je souhaiterais donc savoir si, oui ou non, vous êtes confrontés à des problématiques de transferts de charges larvés et de moyens financiers inadaptés à vos objectifs ?

Mme Virginie Lanlo. J’appartiens à la commission « Éducation » de l’AMF, que je représente dans plusieurs groupes de travail, notamment ceux liés au handicap, ayant été partie prenante de la mission nationale « Handicap et accueil de loisirs ». Je suis également membre du comité de pilotage du Comité national du handicap (CNH) en 2018-2019, et j’ai évidemment travaillé sur l’école inclusive et le rapport remis à M. Jean Michel Blanquer et Mme Sophie Cluzel en février. Je suis maire adjoint de Meudon, chargée de l’éducation, depuis près de douze ans, et coordinatrice du réseau des élus chargés de l’éducation pour le département des Hauts-de-Seine ; j’ai été amenée, dans ce cadre, à travailler sur tous les sujets ayant trait à l’inclusion des enfants en situation de handicap, que ce soit dans le temps scolaire u dans le temps périscolaire.

Puisque nous avons pour mission, comme vous le disiez, monsieur le rapporteur, de répondre aux sollicitations des familles, il nous revient de faire en sorte que tout le monde ait accès à l’ensemble des services proposés, qu’il s’agisse du temps scolaire, périscolaire ou extrascolaire.

Tout n’est pas une question de moyens financiers. C’est d’abord et avant tout une question de volonté des personnes – et de la communauté éducative dans son ensemble – de se mettre ensemble autour d’une table pour trouver les moyens d’accueillir ces enfants. C’est absolument indispensable si l’on veut être efficace.

Nous avons depuis des années pour objectif de faire en sorte que les collectivités soient, dès le départ, associées aux processus et aux démarches qui sont faites pour accueillir ces enfants dans les écoles. Or, c’est souvent ce qui pêche le plus. Très souvent, les communes sont mises devant le fait accompli et sont informées au dernier moment de la présence d’enfants en situation de handicap, qui auraient nécessité non seulement une adaptation des locaux mais également la mise à disposition de personnels d’accompagnement sur différents temps.

Ce que nous remarquons, c’est que les enfants évoluent sur différents temps et sont confrontés à des interlocuteurs qui sont totalement différents les uns des autres. Tant que n’est pas mis en place un dialogue continu permettant de faciliter les démarches des familles, il est compliqué pour elles d’organiser le temps de l’enfant.

S’agissant de l’accessibilité, chacun s’accorde à dire que les communes ont des problèmes financiers pour mettre aux normes leurs écoles, mais aussi que l’on peut travailler de manière différente, avec des lieux et des pôles ressources permettant la mutualisation sur un territoire, de façon à pouvoir aiguiller les familles, accueillir les enfants en fonction des besoins, des réalités territoriales, des locaux disponibles. Dans certaines collectivités, il existe des écoles que l’on ne peut pas mettre aux normes en raison de la nature même du bâti ; il faut donc trouver les moyens de mutualiser et de travailler sur un territoire dans sa globalité. Il en est de même, d’ailleurs, au regard de l’accueil des enfants lorsqu’il n’est pas besoin de mise aux normes bâtimentaires : en fonction de la situation des familles, nous essayons d’organiser des pôles ressources en fonction des besoins des enfants et des temps concernés. C’est tout l’intérêt des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL).

Un problème fréquent tient à la continuité des temps de l’enfant et de son accompagnement quand il nécessite un éducateur ou un AESH présent sur les différents temps de vie. Cela renvoie notamment à la problématique du temps de travail des AESH et à la possibilité pour ceux-ci d’avoir plusieurs employeurs. Une jurisprudence récente a décidé que, lorsqu’un enfant a besoin d’un AESH sur le temps scolaire, que celui-ci est accordé par la MDPH et qu’il est présent sur le temps périscolaire, la prise en charge financière incombe à l’Éducation nationale. Mais quand on échange entre collègues, on s’aperçoit que, d’un département à l’autre, l’investissement financier, les enveloppes dévolues à l’accompagnement, les réactions, les projets, les prises en charge ne sont pas les mêmes, aussi bien au niveau de la MDPH que des caisses d’allocations familiales (CAF).

Je disais tout au début que tout n’était pas affaire de moyens financiers, mais il faudrait au moins qu’il y ait une cohérence dans ce qui est apporté aux familles, de façon à ce qu’elles n’aient pas à tout recommencer à zéro lorsqu’elles changent de territoire. La cohérence éducative, la cohérence entre les différents acteurs est pour nous absolument indispensable. On ne peut pas faire les uns sans les autres. Les collectivités sont au centre de toutes ces problématiques : ce sont les collectivités qui sont en lien avec l’Éducation nationale, les familles, les CAF pour les financements. Or la collectivité, bien que centrale, n’est pas forcément mise dans la boucle au départ. Cela traduit une certaine incohérence de ce dispositif. Il est vrai que nous sommes de plus en plus intégrés dans ces échanges, mais il faut tout de même se battre un petit peu pour ça.

Il est évident qu’un travail doit être fait en termes de formation des équipes, qu’il s’agisse de l’Éducation Nationale, du périscolaire ou de l’extrascolaire. Il faut leur donner une connaissance du handicap de façon générale, mais aussi de certains handicaps qui nécessitent un regard et un accompagnement plus spécifiques, l’idée étant que plus on accueille les enfants en milieu ordinaire, mieux c’est, aussi bien pour eux que pour les autres enfants. Je peux témoigner que, dans la ville de Meudon, deux écoles, une maternelle et une élémentaire, accueillent des enfants autistes et au fil de l’année, ceux-ci sont de mieux en mieux inclus ; c’est magique pour tout le monde. Plus on favorisera cette dynamique-là, plus on intégrera les enfants. Eux ne se posent pas de question : je pense que ce sont surtout les adultes qui sont en difficulté, parce qu’ils sont en situation de méconnaissance. Ça peut être facile d’accueillir un enfant en situation de handicap, mais si l’on est formé, informé, et si la communication se fait bien entre les uns et les autres.

Pour autant, certains moyens manquent aux communes, notamment en termes de personnel disponible sur les différents temps, car vous n’êtes pas sans savoir qu’il est compliqué de recruter des éducateurs ou des animateurs sur le temps périscolaire ou extrascolaire, surtout quand ceux-ci doivent être formés à accompagner les enfants en situation de handicap. C’est un vrai sujet pour les collectivités : former, motiver, rendre attractifs ces métiers d’accompagnant au sens large du terme. La question des moyens financiers se pose aussi –par exemple pour la mise aux normes des bâtiments –, mais l’objectif de l’AMF est de dédramatiser cet accueil en collectivité des enfants en situation de handicap, mais cela ne pourra se faire qu’à partir du moment où l’ensemble des acteurs qui accompagnent ces enfants communiquent et s’informent les uns les autres.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie de cette contribution vraiment intéressante. J’ai une question relative à la continuité crèche‑maternelle, puisqu’il y a maintenant une politique de « crèches inclusives » : comment les mettez-vous en place ? Et, puisque vous avez abordé la question, comment répondez-vous aux besoins de formation des personnels de cantine ou de centre de loisirs, ou des ATSEM, pour qu’ils soient en mesure d’accueillir aussi les enfants en situation de handicap ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous avez dit, madame, – et c’est tout à votre honneur – que la question est d’abord celle de la volonté avant d’être celle des moyens, mais quand vous avez développé, vous avez tout de même souligné cette question des moyens. Cela me conduit à penser que je ne suis pas tout à fait à côté de la plaque…

Avez-vous des indications statistiques sur le taux de réalisation des obligations des Ad’AP pour les communes de l’AMF ? J’ai des données pour mon département, mais je voulais savoir si vous en aviez de plus globales.

Avez-vous également des statistiques – nous en avons demandé au ministère, peut-être prendra-t-il le temps de nous répondre – sur le nombre de contentieux dans lesquels les communes peuvent se trouver mises en cause, par exemple sur le repas de midi ou sur le temps périscolaire ? Le Défenseur des droits nous a dit que c’était un motif de saisine important.

Par ailleurs, vous avez insisté sur le besoin de formation des personnels, notamment des ATSEM, des intervenants sur temps périscolaire ou de loisirs. J’ai été maire et je sais que la formation a un coût. Existe-t-il des modules du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) ? Sont-ils très sollicités ? Avez-vous une indication sur les moyens mobilisés dans ce domaine par les communes membres de l’AMF ?

Enfin, le Gouvernement a mis en place le « plan mercredi », avec des financements croisés avec les CAF. Très bien – si l’on peut dire… –, mais les financements seront-ils suffisants ? Les moyens affectés dans ce cadre à la prise en charge des enfants en situation de handicap ou à besoins particuliers sont-ils adaptés aux besoins et aux moyens des communes ?

Mme Béatrice Descamps. Vous avez évoqué les PIAL. J’ai cru comprendre que vous aviez un avis positif sur le sujet, et je pense en avoir compris les raisons, mais pouvez-vous les développer ?

Mme Danièle Cazarian. Vous avez parlé de continuité du dialogue pour organiser le temps de l’enfant, notamment pour aiguiller au mieux les familles en fonction des pôles ressources. Comment promouvoir au mieux ces pôles ressources, et surtout les rendre plus visibles ?

Mme Cécile Rilhac. Vous avez, au tout début de votre propos, fait allusion à la nécessité de former, non seulement les personnels des collectivités territoriales, mais peut-être les élus eux-mêmes. Je rebondis là-dessus, compte tenu du développement des maisons « France service », des maisons de services au public (MSAP) : ne pourraient-elles être aussi au service des élus, en tant que porteuses d’information sur les services publics, dont l’école fait partie ? Par exemple, le rapporteur évoquait tout à l’heure les financements CAF dont peuvent bénéficier les collectivités, mais je me rends compte que beaucoup d’élus ne connaissent pas ces financements.

M. Bertrand Bouyx. Vous avez mentionné dans votre intervention les différences de prise en charge sur le temps scolaire et périscolaire. Avez-vous noté d’autres différences de traitement significatives entre départements, et pouvez-vous développer ce point un peu plus ? On peut constater sur le terrain, d’un département à l’autre, des différences dans le traitement des dossiers, dans un sens comme dans l’autre. J’aimerais bénéficier de votre expérience à ce propos.

Mme Virginie Lanlo. S’agissant de la continuité crèche-école, la prise en charge et l’accompagnement du handicap sont affaire de transversalité et de travail entre les services. L’idée est d’inciter les collectivités à disposer d’un référent qui soit pour les familles une porte d’entrée, et qui puisse ensuite les aiguiller, pour un accompagnement, vers le service concerné.

Je vais essayer de répondre en m’appuyant sur mon expérience, mais aussi sur celle de mon département. S’agissant du suivi des dossiers entre la petite enfance et l’inscription en maternelle, on essaye d’avoir les informations en amont, de savoir si un enfant a été accueilli en crèche, s’il y a des soucis particuliers. Les services de la petite enfance délivrent des informations aux services scolaires s’ils savent qu’un enfant est porteur de handicap, afin qu’il y ait une mise en relation entre la directrice de crèche et la directrice de maternelle. Ces démarches n’existaient pas auparavant : tout était cloisonné, ce qui était une grossière erreur, car chaque service était cantonné à son domaine d’action, sans communication avec les autres. Le fait de travailler sur ces sujets-là de façon transversale nous amène à avoir une communication entre les différents services, car c’est le même enfant qui grandit et qui doit être accueilli, quel que soit son âge, dans de bonnes conditions. L’obligation scolaire à trois ans renforce cette exigence. Certaines familles souhaitaient que leur enfant ne soit pas scolarisé en petite section et reste à la crèche, à cause de difficultés pressenties liées à son handicap. Maintenant que la scolarisation à trois ans va être obligatoire, il faut absolument créer ce lien entre la crèche et l’école pour accueillir l’enfant, et rassurer les familles, leur dire qu’elles ne sont pas un no man’s land, que leur enfant sera accueilli avec une prise en charge et un accompagnement si nécessaire.

Mme Nelly Jacquemont. Dans le cadre du groupe de travail « Petite enfance », les élus font remonter le fait que le diagnostic des enfants en situation de handicap s’effectue souvent lors du passage en crèche. Lorsque les enfants intègrent la crèche, ils ne sont pas reconnus comme étant en situation de handicap, et c’est au cours de leur parcours en crèche qu’ils sont diagnostiqués, d’où des difficultés pour les élus car il faut une prise en charge différente et du personnel formé. Cela rejoint toutes les difficultés que vient d’évoquer Mme Lanlo.

Les élus demandent des financements adaptés pour améliorer l’accueil en crèche de ces enfants-là, qui demandent plus de temps et du personnel en plus grand nombre. La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a créé un bonus handicap dans le cadre de sa nouvelle convention d’objectifs et de gestion (COG), mais, selon les élus, ce bonus sera très difficile à percevoir, ce qui les incitera à concentrer ces enfants dans un seul établissement. C’est un effet négatif que nous avons fait remonter auprès de la CNAF, l’idée étant justement d’accueillir les enfants en situation de handicap dans chaque établissement et non de les regrouper.

Mme Virginie Lanlo. J’ajoute que la plupart des enfants en situation de handicap ne passent pas par la crèche avant d’aller à l’école : c’est une partie du problème. Lorsqu’ils commencent à être diagnostiqués par les enseignants, lorsque ceux-ci commencent à ressentir des différences, on est très souvent confronté pendant un temps, sans vouloir être désobligeant, au déni des parents, ce qui est tout à fait compréhensible car ils se trouvent complètement désarmés.

On a parlé de la formation des enseignants. Aux ATSEM, il est souvent proposé des formations ; elles choisissent celles qu’elles veulent suivre, mais on essaie de les aiguiller vers les modules de prise en charge et d’accompagnement des enfants en situation de handicap, mais encore faut-il qu’elles veuillent bien aller vers ce champ particulier, ce qui n’est pas forcément le cas. Quant au périscolaire, les collectivités recourent essentiellement à du personnel vacataire, ce qui complique les choses. Cela dit, le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) permet quand même aux animateurs qui le souhaitent de suivre un module handicap. Il y a un enjeu sur le contenu du futur bac professionnel « animation », dès la rentrée prochaine, sur lequel nous travaillons avec la DJEPVA : il faut qu’il y ait un module handicap comme il y a un module environnement ou un module numérique, de sorte que les futurs animateurs puissent être formés à tous ces sujets. Mais il faudra aussi des formations communes aux enseignants et aux ATSEM, aux directeurs d’écoles et aux directeurs de centres de loisirs, ou aux différents employés des collectivités. Nous souhaitons encourager ces démarches, et c’est pourquoi, s’agissant notamment du temps périscolaire – d’ailleurs pas seulement sur le handicap – nous sommes demandeurs de temps de formation conjoints et de coordination entre les équipes de l’Éducation nationale et les équipes du champ périscolaire. Les collectivités peuvent dégager du temps pour ça, mais ce n’est pas prévu dans les emplois du temps ou les horaires du côté de l’Éducation nationale, sauf volonté particulière, mais qui dépend des circonscriptions. Ces temps de coordination sont absolument indispensables pour accueillir les enfants, quels qu’ils soient, dans cette continuité éducative dont on parle depuis tant d’années.

Mme Nelly Jacquemont. Comme l’a dit Virginie Lanlo, nous ne sommes pas assez nombreux pour avoir un outil de recensement statistique au niveau de l’AMF, et nous ne sommes donc pas en mesure de vous donner de mesures statistiques, notamment sur les Ad’AP.

Mme Virginie Lanlo. Vous parliez des saisines du Défenseur des droits. On s’aperçoit heureusement que l’échange, le dialogue, permet de résoudre un certain nombre des cas qui donnent lieu à saisine. Tout n’est pas gagné, bien sûr, toutes les collectivités ne sont pas impliquées à 100 %, mais on s’aperçoit souvent que c’est plutôt dû à un manque de connaissance ou à une crainte forte, y compris de la part des élus – ce qui nous ramène à la question de la formation des élus. Lorsqu’après avoir été élue, j’ai été chargée de l’éducation, j’étais sans lien avec le monde du handicap ; de par ma fonction, j’ai travaillé avec Mme Sophie Cluzel, chargée du service d'accompagnement et d’information pour la scolarisation des élèves handicapés (SAIS 92) dans le département des Hauts-de-Seine, sur le réseau « loisirs handicap ». Et c’est par cette démarche-là que l’on a formé les élus du département, de manière informelle et volontaire, et, surtout, que l’on a signé une charte avec la CAF, l’Éducation nationale, la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), qui vise à inscrire dans chacune de nos politiques éducatives l’inclusion des enfants en situation de handicap. Vous pouvez avoir accès à l’ensemble de ces documents,

C’est vrai, les élus manquent de formation – mais pas seulement sur le handicap ! Mais quand vous êtes volontaire et que vous prenez en charge une délégation, il vous appartient de vous former et d’en trouver les moyens. Si on est là, c’est qu’on a envie d’y être, pour se placer au service des autres.

Concernant le « plan mercredi », j’ai envie de dire qu’on n’a jamais assez de financements, mais pour moi l’inclusion des enfants en situation de handicap ne doit pas s’arrêter au « plan mercredi », car ce plan suppose, de toute façon, qu’on ait élaboré un projet éducatif de territoire (PEDT) – qui évoque déjà la prise en charge des situations de handicap. Nous avons eu une réunion là-dessus juste avant de venir vous voir. Le « plan mercredi » ne doit donc pas être un document à lui tout seul, mais être inscrit dans un projet éducatif de territoire, d’autant que le mercredi est désormais un temps périscolaire, inclus dans une continuité de l’enfant sur la semaine. En termes de financement, les communes ont quand même pas mal perdu en repassant à quatre jours. Elles ont retrouvé un peu de financement sur le « plan mercredi », mais pas autant que ce qu’elles ont perdu, et l’exigence des familles n’a pas diminué, au contraire. Il nous appartient donc, avec les moyens moindres qui nous sont donnés, de faire aussi bien, voire mieux qu’avant. Nous militons, bien évidemment, pour l’accueil des enfants en situation de handicap, mais les enveloppes ne sont pas les mêmes selon les CAF, d’un département à l’autre. Cependant, il y a un accompagnement des CAF au cas par cas pour ces enfants, en fonction des projets individuels ou des projets d’établissement d’accueil et de loisirs.

Les pôles ressources dans le cadre des PIAL, qui nous ont été présentés en février, sont pour moi un outil intéressant qui mérite d’être développé, autour de ce principe qui consiste à mutualiser les ressources, parce que chaque enfant, chaque jeune en situation de handicap n’a pas forcément les mêmes besoins d’accompagnement, pas sur les mêmes temps, pas de la même manière : certains en auront besoin pour écrire en classe, ou pour la cantine, ou lors des sorties. Ce sont des temps où l’on peut effectivement avoir des accompagnants qui s’occupent de plusieurs enfants. C’est le principe de ces pôles ressources, et si l’on peut mutualiser en fonction des lieux, des besoins sur un territoire donné, des continuités entre l’école primaire et le collège, des besoins de partage, je pense qu’il faut aller dans ce sens. Mais les échanges avec les collectifs d’AESH montrent que c’est compliqué, car on est confronté au fait qu’il y a des temps différents avec les mêmes employeurs, mais que le temps de l’enfant, lui, doit être pris dans sa continuité. Il y a donc un travail à faire en direction des accompagnants, pour leur donner un vrai statut, une carrière pérenne et non pas précaire –question que l’on se pose de la même façon pour les animateurs, de manière générale. Sans compter le temps extrascolaire, pendant les vacances, qui donne lieu à des prises en charge différentes, avec des accompagnements différents : il y a beaucoup de travail à y faire aussi.

Aiguiller les familles relève pour moi de la responsabilité des collectivités en tant que telles : il s’agit notamment de donner de la visibilité quant à l’accueil des enfants, des jeunes en situation de handicap – sans oublier les adultes, car il y en a également –, d’où l’importance d’avoir un référent « handicap ville » dans la commune : ce n’est malheureusement pas à la portée de toutes, mais cela peut aussi se faire dans le cadre d’un EPCI. C’est quelque chose qu’il nous appartient de faire pour que les familles aient les bonnes informations, mais il faut aussi que l’école, que l’Éducation nationale ait le réflexe d’aiguiller les familles vers les collectivités pour qu’elles bénéficient d’une continuité entre les différents temps. Cela doit donc se faire dans les deux sens : nous aiguillons les familles vers les référents handicaps de l’Éducation nationale, mais il faut une réciprocité et que l’Éducation nationale incite les familles à venir voir les communes pour être accompagnées si elles le jugent nécessaire.

Nous n’avons pas de statistiques précises sur les différences de prise en charge entre départements, plutôt des remontées au sein de la commission « éducation » de l’AMF sur les politiques menées par les directions académiques – pas seulement à propos du handicap. Les priorités peuvent ne pas être les mêmes d’un département à l’autre, d’une circonscription à l’autre. C’est la même chose au niveau des CAF. Même quand une impulsion est donnée au niveau national, la déclinaison ne se fait pas forcément au niveau des territoires. Je prendrai l’exemple des ouvertures et fermetures de classes : les critères mis en œuvre par les directions académiques ne sont pas uniformes. La cohérence de ce qui est décidé au niveau national ne se retrouve pas forcément au niveau des territoires, ce qui perturbe quelque peu les élus que nous sommes.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai une autre question : on a besoin du partenariat avec le secteur médico-social, comme le montre le système de déploiement partenarial des UEE ; on pourrait donc imaginer qu’en cas d’interventions de SESSAD, on mette à disposition des salles au sein des établissements scolaires, par le biais de conventions, et que les prises en charge puissent se faire sur le temps scolaire : la famille n’a pas forcément le temps de se déplacer le soir pour des rééducations. Est-ce que des partenariats ont été mis en place avec des professionnels de santé libéraux, par exemple des orthophonistes, pour qu’ils interviennent au sein de l’école ? C’est une piste d’amélioration du parcours scolaire de l’enfant et l’ensemble de ses temps de vie.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai pour ma part deux demandes de précisions. J’ai vécu dans ma ville la mise en place d’une UEE pour enfants autistes, qu’on accompagnait avec volontarisme, dans une classe dédiée, aménagée, insonorisée, avec des meubles adaptés au handicap, des cloisonnements, des poufs, une ATSEM pour sept élèves. Donc, vous pouvez me raconter tout ce que vous voulez, mais ça demande des moyens, qui vont avoir un impact sur le budget de la commune.

Ma deuxième question porte sur les crèches. J’ai été maire d’une ville où il y avait six crèches. Quand on fait le choix volontaire, comme je l’ai fait, d’y accueillir des enfants en situation de handicap, on est pénalisé par les modalités de financement de la CAF, qui sont fonction du taux de remplissage et du taux de présence, car un enfant en situation de handicap ne vient pas 100 % du temps : selon son handicap, il peut arriver qu’il ne vienne que deux heures par jour– c’est vrai à l’école aussi. Est-ce que l’AMF s’est préoccupée de cet aspect ?

Mme Nelly Jacquemont. J’ai parlé tout à l’heure de cette question des crèches, mais trop brièvement. Ce que nous disent les élus, c’est que, schématiquement, les modalités de financement par les CAF incitent à accueillir des enfants qui seront présents cinq jours sur cinq, huit à dix heures par jour, plutôt que des enfants en situation de handicap ou de fragilité sociale. Dans le cadre de la négociation de la COG, l’AMF avait demandé qu’on puisse valoriser aussi ce type d’accueil, d’où la mise en place de ce fameux bonus handicap, qui, cependant, se révèle en fin de compte ne pas répondre aux attentes car il est calculé de façon trop stricte. Bref, le problème reste non résolu à ce jour.

Mme Virginie Lanlo. C’est effectivement un sujet important, qui risque de concerner, demain, le périscolaire, l’accueil de loisirs, si le mode de calcul des financements est aligné sur celui des crèches, au lieu d’être calculé de façon forfaitaire, sans tenir compte des heures de présence.

S’agissant des interventions des professionnels de santé, quand on peut éviter à un enfant de sortir de l’école pour aller voir un orthophoniste, et que l’orthophoniste veut bien se déplacer jusqu’à l’école, les collectivités passent souvent une convention ou un accord, dans des conditions qui dépendent du temps sur lequel est prise l’intervention : temps de l’Éducation nationale, temps périscolaire, ou à cheval sur les deux. Toutes les communes n’ont pas non plus le même bâti scolaire : certaines ont des espaces dédiés pour le RASED, pour le médecin scolaire, qui ne sont pas occupés à temps plein et peuvent être mis à disposition si nécessaire. C’est une question d’échange, de dialogue entre les uns et les autres. On facilite évidemment les déplacements des familles en laissant leur enfant sortir plus tôt ou rentrer plus tard.

L’implantation d’UEE suppose effectivement de dégager des moyens. À Meudon, nous avons mis en place une UEE en maternelle, « grâce à », si je puis dire, une fermeture de classe qui est intervenue à ce moment-là et qui a permis à l’éducatrice chargée de détecter les enfants susceptibles de bénéficier de l’UEE. Cela remonte à une vingtaine d’années. C’est un investissement, mais qui en vaut la peine – même si cela reste un investissement, nous en sommes tous d’accord.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai une dernière question. J’entends très bien que votre commune est très volontariste sur la question du handicap, mais peut-être avez-vous bénéficié aussi de la proximité de Mme Cluzel sur le territoire concerné. Sentez-vous au sein de l’AMF, parmi l’ensemble des maires de France, la même volonté, ou bien des craintes, des difficultés ? Faites-nous cette remontée aussi, cela nous sera utile.

Mme Virginie Lanlo. En effet, nous avons bénéficié d’une dynamique présente dans notre département, et aussi du fait que je suis ces dossiers au sein de l’AMF, de ses commissions, de ses groupes de travail liés au handicap.

Au niveau de la commission « éducation », il y a une vraie volonté des élus, mais il y a aussi un manque d’information. Selon les territoires, l’information est très inégale : quand on est dans une zone rurale, isolée, c’est plus compliqué d’avoir connaissance des formations, des moyens, des possibilités qui existent. Et puis toutes les communes ne sont pas concernées de la même manière par le handicap. Souvent, les élus font la démarche à partir du moment où ils se trouvent confrontés à un cas qui se présente. C’est face à des familles, à Meudon, que j’ai commencé à apprendre, à vouloir me former. Des élus qui ne sont pas en lien direct n’auront pas forcément le réflexe de le faire.

À la commission « éducation », nous faisons en sorte de bien apporter aux élus toutes les informations, de faire connaître les travaux qui sont effectués et de les mettre à la disposition de tous. À chacun, cela dit, de s’en saisir.

Mme Géraldine Bannier. J’ai été maire d’une petite commune en milieu rural, et je voudrais mettre en garde contre les caricatures : il y a des territoires ruraux qui sont très en avance. Dans ma petite commune, nous avons eu un élève en situation de handicap, une AVS a très vite été mise en place, il a été accueilli à l’école locale sans aucun souci. Mais il doit y avoir des écarts énormes d’un département à l’autre.

Mme Virginie Lanlo. J’ai en fait dit que les élus se forment à partir du moment où ils sont confrontés au handicap – c’est ce qui ressort des échanges que nous avons. Je n’ai pas du tout dit que l’on n’accueille pas les enfants en situation de handicap dans les zones rurales ; en revanche, d’un département à un autre, les possibilités de formation, d’échange d’expériences, ne sont pas les mêmes. Ce sont des inégalités qu’il ne faut pas nier. Les pratiques de l’Éducation Nationale, son dynamisme, ne sont pas les mêmes d’un département à l’autre, et c’est vrai aussi pour les élus. Dans les Hauts-de-Seine, où nous n’avons que 36 communes, il est plus facile de mettre tout le monde autour d’une table que dans un département qui en compte 300, voire plus…

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Oui, et nous savons que très souvent, dans les petites communes rurales, l’école revêt une importance si grande que le maire et son équipe mettent tout en œuvre pour accueillir au mieux les enfants, avec des moyens souvent bien supérieurs en proportion à ceux que mettent en place certaines grandes communes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. L’objet de la commission d’enquête n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points. Ce que je sais, c’est qu’en milieu rural, quand on est dans un désert médical, que tout est loin, que les services publics ont déménagé, que les moyens des communes sont rétrécis, il est plus compliqué de répondre à certaines situations, même avec toute la bonne volonté du monde à des situations, qu’à Neuilly – pour prendre un exemple au hasard…

Mme Géraldine Bannier. Je voulais simplement dire qu’il y a des disparités, des réalités locales très diverses. La Mayenne, par exemple, est un département très concerné par le phénomène des déserts médicaux, mais reconnu pour sa politique d’accueil du handicap.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous arrivons au terme de cette audition, et je vous remercie, mesdames, de votre éclairage.

 

 


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3.   Audition de Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), et M. Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d’autonomie

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous achevons cette séquence d’auditions en accueillant des représentants de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) : Mme Virginie Magnant, directrice, et M. Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d’autonomie. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Compte tenu du rôle de pilotage et d’animation du réseau des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qu’assure la CNSA, il était absolument indispensable que nous recueillions le point de vue de ses représentants.

Dans la mesure où la CNSA analyse et synthétise chaque année les rapports d’activité des MDPH, nous espérons que vous serez en mesure de nous fournir un certain nombre de données chiffrées. À ce propos, nous vous avons adressé au début du mois d’avril, comme à plusieurs ministères, un questionnaire qu’il vous était demandé de nous retourner le lundi 13 mai, au plus tard. Nous n’avons reçu aucune réponse de votre part, mais nous espérons que vous serez en mesure de nous fournir des éléments à l’occasion de cette audition.

Avant de vous donner la parole, je dois, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Virginie Magnant et M. Stéphane Corbin prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Si nous avons créé cette commission d’enquête, c’est dans le but d’établir un diagnostic irréfragable, fondé sur des statistiques précises, qui ne puisse être contesté ni par l’État, ni par les acteurs, ni par les familles. Il faut savoir d’où l’on part et où l’on va, et c’est pourquoi nous ne voulions nous contenter ni des données fournies par les ministères, ni même d’une mission d’information.

Ce que nous attendons de vous, ce sont donc des informations concrètes et précises. J’espère que l’audition qui s’ouvre nous permettra d’approfondir notre connaissance de questions finalement assez simples, comme le délai moyen de traitement des demandes ou l’âge moyen auquel sont reconnus les différents types de handicap, car la détection précoce est une question cruciale. J’espère que vous pourrez également nous fournir des données sur les inégalités territoriales et sur les moyens alloués par l’État au moment du transfert de compétences, car ce sont des enjeux essentiels pour notre République, une et indivisible.

Nous voulons avoir la photographie la plus précise possible du sujet qui nous rassemble pour pouvoir, ensuite, faire les préconisations les plus justes. On ne peut évaluer correctement que ce que l’on diagnostique précisément.

Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Je vais centrer mon propos liminaire sur des données chiffrées relatives à l’activité des maisons départementales des personnes handicapées. Cela me donnera aussi l’occasion d’expliquer la manière dont la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui a été créée par la loi de 2005, rassemble ces données et ces informations, dans quel but elle le fait et comment elle les met à la disposition du public.

Vous l’avez rappelé, la CNSA anime le réseau des maisons départementales des personnes handicapées. Vous avez déjà eu l’occasion d’auditionner des représentants de l’Association des directeurs de MDPH, qui vous ont rappelé le fonctionnement très singulier de ces groupements d’intérêt public, qui rassemblent les parties prenantes de la politique du handicap, à savoir l’État, les départements et les acteurs associatifs. L’État intervient par l’intermédiaire des services de l’éducation nationale, des services des ministères sociaux, des agences régionales de santé (ARS) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE).

La CNSA anime le réseau des MDPH et leur alloue des moyens financiers : elle a une dotation qui lui est propre et elle répartit aussi, depuis quelques années, des moyens issus de l’État. Elle a également pour mission d’outiller les MDPH. En effet, on a considéré d’emblée qu’il importait, pour assurer l’équité de traitement des personnes en situation de handicap, que les MDPH, qui sont le guichet unique où elles peuvent obtenir à la fois des informations, une orientation, un soutien, des conseils et de l’aide – et qui sont autonomes juridiquement – disposent d’outils communs. C’était une demande des parties prenantes, notamment des associations représentatives des personnes handicapées.

La CNSA alloue donc des moyens aux MDPH et elle leur demande, chaque année, un rapport d’activité, dont elle fait la synthèse. Nous avons apporté la synthèse des rapports d’activité des MDPH de 2018. Celle de 2019 est en cours de réalisation et elle sera prête pour le conseil de la CNSA, qui se réunit en juillet : nous pourrons vous la transmettre à ce moment-là.

D’une manière générale, on constate que les MDPH ont continué d’avoir une activité soutenue en 2017, puisqu’elles ont reçu près de 4,5 millions de demandes, émises par un peu plus de 1,7 million de personnes. Les MDPH ont vu leur activité augmenter depuis leur création. Au cours des premières années, cette croissance a pu atteindre 10 % par an. Ce taux a eu tendance à baisser au cours des dernières années et, en 2017, il s’établissait à 1,9 %. Nous vous transmettrons l’ensemble de ces données chiffrées par écrit : nous avons effectivement omis de vous les envoyer préalablement et je vous prie de nous en excuser.

La CNSA a pour habitude de classer les demandes en deux grandes catégories : celles qui relèvent de l’enfance et celles qui concernent les personnes adultes. En 2017, les demandes d’aide humaine à la scolarisation ont représenté 3,5 % des 4,5 millions de demandes adressées aux MDPH. Les demandes d’orientation en établissements médico‑sociaux ont représenté 5,3 % de ces demandes. Enfin, les demandes d’attribution de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), qui peut être mobilisée par les parents pour financer des soins ou des prestations complémentaires, y compris, le cas échéant, un accompagnement à la scolarisation, ont représenté 5,9 % des demandes adressées aux MDPH. Au total, les demandes d’aides aux enfants et à leurs familles ont représenté près de 15 % des demandes enregistrées.

Vous nous avez interrogés sur le délai moyen de traitement de ces demandes. Je veux préciser d’emblée que ces délais sont calculés à partir du moment où une demande a été jugée recevable. Après qu’une famille a déposé un dossier, il est fréquent que la MDPH lui demande de le compléter et de fournir des pièces complémentaires, nécessaires à l’équipe pluridisciplinaire pour procéder à une évaluation précise des besoins de l’enfant. Les délais sont calculés à partir du moment où le dossier est complet et où l’équipe pluridisciplinaire a toutes les cartes en main pour commencer à travailler. Le délai de traitement des demandes s’établit, en moyenne, aux alentours de trois mois, et il est rarement supérieur à quatre mois. Ce délai moyen ne doit évidemment pas faire oublier qu’il existe de grandes disparités territoriales. Pour les aides humaines à la scolarisation, le délai moyen de traitement est de trois mois et vingt-huit jours : c’est l’un des délais les plus longs.

La CNSA mesure depuis deux ans, avec l’ensemble des MDPH, le niveau de satisfaction des usagers et elle vient de faire une synthèse des résultats. Il en ressort clairement que les délais de traitement sont l’un des points d’insatisfaction majeurs des usagers, particulièrement des aidants d’enfants. Les demandes relatives à l’enfance et à la scolarisation sont celles qui ont le taux d’insatisfaction le plus fort, sachant que, globalement, 70 % des usagers sont satisfaits ou moyennement satisfaits du service rendu par les MDPH, et 30 % plutôt insatisfaits. Parmi les points positifs, les usagers mettent en avant la qualité d’accueil, en particulier la qualité d’écoute, et l’accueil physique assuré par les agents des MDPH. Ils saluent également la compétence des équipes pluridisciplinaires et des professionnels auxquels ils peuvent avoir affaire. En revanche, ils se plaignent des délais et peuvent ne pas être satisfaits des réponses qui leur sont apportées.

J’en viens aux taux d’accord. Les demandes de matériel pédagogique adapté reçoivent une réponse favorable de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) dans presque 80 % des cas ; les demandes d’aide humaine à la scolarisation reçoivent une réponse favorable dans 80,2 % des cas, les demandes relatives au transport scolaire dans 86 % des cas, celles relatives à l’orientation scolaire dans 90 % des cas.

Pour résumer, de nombreuses demandes sont formulées dans le champ du soutien aux familles et de l’aide à la scolarisation. Elles sont instruites dans un délai de trois à quatre mois en moyenne, avec des disparités fortes selon les départements. Le taux d’accord des équipes pluridisciplinaires et des CDAPH est relativement important. Cela signifie que, dans la grande majorité des cas, lorsque les familles se tournent vers les MDPH – souvent avec le soutien des équipes éducatives – pour demander un outil de compensation du handicap de l’élève et un soutien à la scolarité, les MDPH répondent favorablement à leurs demandes et notifient ces besoins de compensation.

Je précise que les équipes pluridisciplinaires des MDPH interviennent en phase de validation des projets personnalisés de scolarisation (PPS). Lorsqu’un enfant en situation de handicap rencontre des difficultés scolaires, l’équipe éducative peut mettre en œuvre, par elle-même, un certain nombre d’adaptations. Mais s’il s’avère que les moyens de l’éducation nationale ne suffisent pas, la famille peut se tourner vers la MDPH pour obtenir des moyens complémentaires : matériel technique et pédagogique, aide humaine ou appui de services médico-sociaux. Le PPS décrit ces besoins de compensation et c’est ensuite à l’éducation nationale de les mettre en œuvre, en acquérant du matériel adapté ou en recrutant l’aide humaine qui va assister l’élève dans sa scolarité.

Vous nous avez également interrogés, dans votre questionnaire, sur le suivi des décisions par les MDPH. Dans l’état actuel des choses, les MDPH ne sont pas dotées des outils qui leur permettraient de suivre la mise en œuvre de leurs décisions. Elles commencent à l’être, grâce à ViaTrajectoire Handicap, un logiciel qui permet de suivre les orientations médico-sociales qui sont prononcées. Il permet notamment de vérifier qu’une personne dont l’admission dans un établissement ou un service médico-social a été prononcée y est effectivement accueillie. Cet outil est en train d’être déployé ; il le sera totalement d’ici la fin de l’année 2019 et il sera raccordé au système d’information des MDPH à partir de 2020.

Ce logiciel ne permet pas d’assurer le suivi des aides humaines, car il a été conçu pour suivre les orientations médico-sociales. Toutefois, les demandes de compensation doivent être renouvelées régulièrement et l’examen du dossier qui a lieu à cette occasion permet de faire le point sur l’effectivité des décisions qui ont été prises. Le guide d’évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées en matière de scolarisation (GEVA-Sco) précise en effet que les familles sont invitées, avec les équipes éducatives, à détailler les adaptations qui ont été introduites et l’impact qu’elles ont eu sur la scolarisation de l’enfant.

Je veux préciser qu’au-delà des aides humaines et techniques qui peuvent être notifiées par le truchement des MDPH, celles-ci ont également la capacité de se prononcer sur l’admission au sein d’un service médico-social ou sur une mesure d’accompagnement par l’un de ces services.

Je veux souligner aussi que l’accompagnement des enfants en milieu ordinaire par des services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) s’est intensifié au cours des dernières années : on parle souvent de l’accompagnement par les moyens de l’éducation nationale, à savoir les AVS et les AEHS, mais il faut savoir que le nombre de places en SESSAD a fortement augmenté au cours des dix dernières années.

Enfin, sans vouloir faire de la publicité pour la caisse que je dirige, je veux dire que la CNSA ne se contente pas de collecter de la donnée, de l’exploiter et de la rendre disponible, mais qu’elle s’emploie également à doter les MDPH d’outils essentiels à la scolarisation. Le premier est le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco), formalisé avec la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) ; cet outil est le cœur de métier et le socle de travail des équipes pluridisciplinaires pour évaluer les besoins des enfants. Le second est le projet personnalisé de scolarisation (PPS), même si on peut regretter que, plusieurs années après sa formalisation, cet outil soit encore insuffisamment mis en œuvre.

La CNSA travaille avec les MDPH à leur informatisation. Nous sommes actuellement en plein déploiement du système d’information commun des MDPH, qui vise à outiller toutes les maisons départementales à l’identique, suivant un cahier des charges fixé par arrêté et auquel les systèmes d’information des éditeurs équipant les MDPH doivent se conformer, au moyen de solutions labellisées par l’ASIP Santé. Après avoir contribué à fixer le cahier des charges du système d’information métier et avoir travaillé avec l’ASIP Santé et les éditeurs afin de permettre la labellisation de ces solutions, la CNSA soutient aujourd’hui chacune des 101 MDPH dans leur opération de déploiement de ce système d’information, qui a vocation à tracer l’intégralité de la demande d’une famille ou d’une personne en situation de handicap, à recueillir des éléments permettant de caractériser les besoins des personnes, notamment en intégrant les grands éléments de référence du GEVA ou du GEVA-Sco, et à conduire à la notification de la décision, suivant des modèles de notification harmonisés, simplifiés et relus par des comités des usagers à l’occasion de la préparation de ce cahier des charges.

Au terme du déploiement, 100 % des MDPH utiliseront un système d’information qui recueillera des données homogènes, qui pourront être synthétisées par la CNSA. Nous aurons donc, à partir de l’année 2020 et au niveau national, une connaissance beaucoup plus précise du profil des personnes concernées, qui nous fait défaut aujourd’hui – ce qui m’empêche, par exemple, de répondre à votre question sur l’âge à partir duquel le handicap des enfants est reconnu et donne lieu à une aide ou une compensation particulière.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. À l’occasion d’une audition que nous avons organisée à Dieppe la semaine dernière, nous avons découvert que le déploiement du nouveau système informatisé avait donné lieu à un changement de dossier, et il nous a été dit que le nouveau dossier, comportant une vingtaine de pages, était très difficile à renseigner – que ce soit par les familles ou par les professionnels. Pouvez-vous nous confirmer ce point, et le cas échéant nous expliquer les raisons de cette difficulté ?

Avez-vous effectué un suivi du temps qui s’écoule entre la notification MDPH et la réponse de l’éducation nationale au sujet des aides humaines et matérielles ? Je pense que pour les parents, le cumul du temps MDPH et du temps éducation nationale peut aboutir à un délai très long.

Enfin, dispose-t-on de moyens permettant de connaître l’intensité de l’accompagnement du SESSAD ? Je m’interroge parfois au sujet d’enfants orientés et admis en SESSAD, mais dont la prise en charge met plusieurs mois à se mettre en place, alors même que le financement est acquis.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Parmi les enjeux que vous avez évoqués, celui de la simplification et de l’humanisation des dossiers me paraît être l’un des plus importants, que ce soit au niveau des documents à remplir ou de la notification de la décision, le courrier qui expose cette notification étant rédigé en des termes à la fois dénués d’humanité et d’une extrême complexité – on a l’impression qu’il faudrait être bac plus douze pour y comprendre quelque chose !

Deuxièmement, un inspecteur de l’éducation nationale de Dieppe – j’espère qu’on ne va pas croire que je fais une fixation sur lui – a affirmé deux choses que je n’ai toujours pas digérées. Il a déclaré, d’une part, que l’accompagnement mutualisé était la règle et l’accompagnement individuel l’exception, et d’autre part – tenant un discours classique, selon lequel l’outil créerait la logique endogène et le besoin –, que 40 % des primo-demandes sont injustifiées, alors que selon vous, 82 % des demandes font l’objet d’un accompagnement. Quel est votre avis sur ces deux points ?

Troisièmement, j’ai reçu de très nombreux témoignages de parents expliquant qu’ils ont dû mettre leur travail entre parenthèses pour assumer le rôle d’aidant auprès de leur enfant, au moins durant le temps de l’instruction de leur demande. Vous estimez ce délai à trois mois une fois le dossier constitué, mais en Seine-Maritime, département pilote dans la mise au point du système d’information commun des MDPH, il est de dix mois, et il s’y ajoute le délai nécessaire à la notification. Disposez-vous de statistiques sur le nombre de parents qui deviennent aidants de leurs enfants et sollicitent à ce titre l’aide à la compensation ?

Quatrièmement, pour ce qui est des projets personnalisés de scolarisation, j’entends très fréquemment dire qu’ils font défaut, notamment en Seine-Maritime. Avez-vous des statistiques sur le nombre de PPS mis en place par chaque MDPH ?

Cinquièmement, enfin, quand l’État a transféré aux départements la belle mais difficile mission de la prise en charge du handicap, les moyens financiers correspondants ont-ils été transférés aux départements ? La Cour des comptes semble estimer que ce n’est pas le cas, du moins dans certains départements. Pouvez-vous nous indiquer ce qu’il en est au niveau national ?

Mme Marianne Dubois. Alors que la loi a chargé la CNSA de veiller à l’égalité de traitement des usagers sur le territoire national, le rapport public annuel 2018 de la Cour des comptes pointe le fait que les aides individuelles que sont l’APA et la PCH présentent encore de grandes disparités territoriales. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je confirme que les délais, notamment en Seine-Maritime, se sont allongés, notamment en raison de la mise en place du système d’information commun des MDPH, qui se révèle un peu plus compliquée que prévu. Nous ne devons pas perdre de vue que ce sont finalement les familles qui se trouvent pénalisées de ce fait, et je compte sur la CNSA pour veiller à ce que la situation actuellement subie par les usagers de Seine-Maritime ne se reproduise pas dans les autres départements : un délai de dix mois pour obtenir une réponse, ce n’est pas admissible, surtout quand on pense que nous nous étions battus pour obtenir des délais inférieurs à trois mois !

Par ailleurs, si l’on vante beaucoup la simplification des procédures, celle-ci n’est certainement pas au rendez-vous pour ce qui est de la constitution initiale des dossiers : sans doute y a-t-il encore un gros effort à accomplir en la matière, dès le premier contact de la famille avec la MDPH, car ce premier contact est déterminant.

En tout état de cause, je demande à la CNSA d’être très vigilante sur l’extension du nouveau système d’information à l’ensemble des départements : alors que la rentrée scolaire se rapproche, les inquiétudes relatives aux AVS commencent déjà à poindre…

Mme Virginie Magnant. Pour ce qui est des questions ayant trait à la complexité des dossiers et au changement de formulaire, je rappelle que le formulaire de demande auprès des MDPH a été rénové à l’issue d’un long travail de co-construction avec les associations représentatives. Bien qu’adopté en 2017, le nouveau formulaire n’a été rendu obligatoire que récemment, à l’issue d’une période transitoire où il était possible de compléter, au choix, l’ancien formulaire ou le nouveau.

Ce qui caractérise le nouveau formulaire, c’est sa fidélité à l’esprit de la loi de 2005. Les questions qu’il contient invitent en effet la personne qui le complète à s’interroger sur son handicap, sur sa situation et sur son projet de vie, ce qui n’a rien d’évident. La personne qui complète ce formulaire n’est pas placée dans la situation d’un usager face à l’administration, mais dans celle d’une personne à qui il est demandé d’exprimer sa situation individuelle de handicap, résultat de l’interaction entre la situation individuelle, les déficiences ou les incapacités éventuelles de la personne d’une part, son environnement d’autre part.

Pour caractériser ce handicap et pour identifier les moyens qui vont devoir être mobilisés pour lui permettre la réalisation de son projet de vie, nous avons besoin que la personne complète ce formulaire, qui peut sembler long mais n’a pas forcément vocation à être rempli de manière exhaustive – il peut être renseigné de manière plus ou moins complète en fonction de la complexité de la situation exposée et de la demande formulée. Ce questionnaire, qui est public – nous vous le transmettrons – est embarqué dans le système d’information que nous déployons, et peut ensuite faire l’objet d’une dématérialisation au sein des MDPH dotées d’une solution le permettant – elles peuvent l’être soit par la CNSA, soit par des éditeurs privés.

Du point de vue de la CNSA, le vrai progrès résidera dans ce qu’on appelle le palier 2 du système d’information. Au stade actuel, le palier 1, la solution de dématérialisation permet de transmettre électroniquement la demande, avant que le chargé de mission de la MDPH ressaisisse les informations dans le système d’information. Les fonctionnalités accrues du palier 2 permettront que les informations saisies par le demandeur aillent directement renseigner les cases prévues à cet effet dans le système d’information, ce qui constituera un gain de temps tout en éliminant les risques d’erreur de saisie : d’une manière générale, le système gagnera encore en fluidité.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la complexité des dossiers, qui me paraît redoutable. En effet, j’appelle votre attention sur le fait que, dans notre champ d’intervention, il existe une tension constante entre le souhait que les démarches de l’usager soient aussi simples que possible, afin de répondre à des enjeux d’équité et d’accès au droit, et celui de prendre en compte la complexité de chaque situation individuelle.

Si c’est trop compliqué, il est possible que certains usagers renoncent à leur demande ; or, le fait que la complexité des démarches à accomplir ne permette pas l’effectivité d’un droit est insupportable. Recevoir des retours négatifs de la part des usagers, qui dénoncent régulièrement le fait que les procédures situées dans le champ du handicap soient les plus complexes, est vécu par nous comme un échec collectif, et nous avons le devoir tout aussi collectif de simplifier autant que possible ces procédures. En la matière, la CNSA a concouru aux travaux ayant fait suite à la remise du rapport « Plus simple la vie », en vue d’identifier des pistes permettant des progrès rapides et de faire en sorte que les MDPH s’approprient les décrets parus en début d’année sur la possibilité de reconnaître des droits à vie, permettant une très forte simplification. S’il y a un travail très important à faire afin de définir, en concertation avec la personne concernée, son projet de vie et ses besoins de compensation, il est cependant désormais possible de reconnaître des droits à vie – ou, pour les enfants, d’octroyer le complément de base de l’AEEH jusqu’à l’âge de vingt ans –, ce qui est un progrès considérable. Les MDPH sont encouragées par la CNSA à s’emparer de ces décrets, et nous sommes en train de mettre la dernière main à un guide ayant vocation à partager cette avancée avec les équipes pluridisciplinaires et à les aider à la mettre en pratique.

Si nous accomplissons un travail constant pour simplifier les procédures, nous ne perdons jamais de vue le caractère complexe de la matière dont nous traitons, et les demandes des associations représentatives des personnes handicapées oscillent toujours entre l’allocation de droits relativement forfaitisés – par exemple, le fait qu’un taux d’incapacité permanente égal ou supérieur à 80 % donne systématiquement droit à une AAH d’un montant déterminé – et le souhait d’une prise en compte très individualisée de la situation et des besoins de chaque personne. En d’autres termes, il y a toujours une tension entre le sur-mesure, qui prend nécessairement du temps, et la forfaitisation qui, si elle permet de traiter plus rapidement les demandes, risque également de se traduire par des réponses moins adaptées. Cette tension est intériorisée par les équipes des MDPH…

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est une souffrance !

Mme Virginie Magnant. Elle peut constituer une souffrance, effectivement, comme cela a été souligné par les auteurs du rapport « Plus simple la vie ». Les demandes de scolarisation, en particulier, nécessitent un rythme d’instruction des dossiers très rapide, l’essentiel des dossiers étant traité sur un semestre, c’est-à-dire de janvier à juin, afin que les mesures à prendre puissent l’être avant la rentrée, et nos équipes sont très mobilisées par cette échéance de la rentrée.

L’année dernière, la CNSA a publié un guide de préparation de la rentrée scolaire visant à partager les meilleures pratiques et les meilleures organisations, et invitant les MDPH à se rapprocher à intervalle régulier des services de l’éducation nationale, en anticipation de la rentrée scolaire, afin de rappeler le caractère capital de cette échéance pour les familles et la nécessité de disposer de la notification le plus tôt possible.

C’est l’une des principales difficultés auxquelles sont confrontées les équipes pluridisciplinaires que celle consistant à essayer de faire vivre l’ambition de la loi de 2005, d’apporter aux familles des réponses personnalisées, individualisées, prenant en compte les situations dans leur complexité, tout en répondant aux demandes dans les meilleurs délais, car certaines compensations sont indispensables pour permettre la vie au quotidien.

Vous m’avez interrogée, monsieur le rapporteur, sur l’accompagnement mutualisé et l’accompagnement individuel. Les équipes des MDPH statuent en toute autonomie au moyen de plusieurs outils – le GEVA-Sco notamment – en fonction du besoin de compensation de chaque élève, qu’elles caractérisent selon qu’il s’agit d’un besoin d’appui soutenu et continu
– susceptible de conduire à la notification d’un accompagnement individualisé pendant toute la durée de la scolarité – ou d’un besoin d’appui moins soutenu auquel il peut éventuellement être répondu par une aide mutualisée. À l’évidence, les pratiques diffèrent selon les maisons départementales. Je précise qu’en lien avec la DGESCO et la direction générale de la cohésion sociale, la CNSA réunit les référents scolarisation des MDPH à l’occasion d’un séminaire de rentrée qui associe également les représentants des rectorats et des agences régionales de santé. Ce séminaire, organisé fin octobre ou début novembre, permet de partager les principales données concernant la rentrée, le nombre d’enfants handicapés scolarisés à l’école ordinaire, en inclusion individuelle ou dans des dispositifs collectifs en unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), le nombre d’enfants bénéficiant d’une notification et d’un accompagnement par une aide humaine.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Confirmez-vous qu’il appartient aux MDPH de qualifier la nature de l’accompagnement ?

Mme Virginie Magnant. Oui.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ce n’est donc pas le DASEN qui en est responsable ?

Mme Virginie Magnant. Non. J’ajoute qu’il existe un débat récurrent sur les orientations et décisions que prennent les MDPH. Ces décisions doivent-elles être prises in abstracto dans un monde idéal, telle notification correspondant à tel besoin caractérisé, ou les équipes doivent-elles notifier un droit et un accompagnement en tenant compte du territoire dans lequel elles se trouvent et de la manière dont il y sera donné droit à ces notifications ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Beau sujet de philosophie !

Mme Virginie Magnant. Oui, mais pas seulement : c’est aussi une question pratique.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pratique et philosophique, j’insiste : un droit est un droit. Il ne s’adapte pas en fonction d’une contingence ; sinon, ce sont plusieurs droits.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je m’interroge moi aussi sur les différences qui existent d’un territoire à l’autre : les notifications concernant un même handicap peuvent varier considérablement selon les départements, comme le constatent les familles qui déménagent dans un département différent. Les droits et prestations – par exemple l’AEEH – obtenus ici ne sont plus les mêmes là.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Certaines MDPH nous indiquent que les projets personnalisés de scolarisation (PPS) ne sont pas de leur ressort ; qu’en pensez-vous ?

M. Bertrand Bouyx. Le niveau de satisfaction est de 70 %, nous dites-vous, et celui d’insatisfaction de 30 %. Nous avons abordé la question de l’insatisfaction liée aux délais mais nous sommes également préoccupés par celle que suscitent les réponses apportées. Qu’entendez-vous précisément par cette insatisfaction liée aux réponses ? Sur le terrain, les députés constatent en effet une différenciation entre les dossiers d’un département à l’autre. Nous souhaitons examiner plus en détail ces critères d’insatisfaction.

Mme Virginie Magnant. Je vous propose de vous transmettre la synthèse de la mesure de la satisfaction des usagers.

M. Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d’autonomie. En complément, nous disposons de plusieurs outils pour mesurer le degré de satisfaction des usagers et, surtout, le rapport entre les usagers, les familles et la MDPH. Le premier consiste à apprécier les taux d’accord – c’est-à-dire la manière dont les dossiers sont traités – qui doivent être envisagés au regard de l’ensemble du processus mis en place par les MDPH en matière d’information des usagers concernant leurs droits et leurs possibilités de recours.

Deuxième élément, auquel vous avez fait référence : la CNSA a mis au point à l’intention des MDPH une mesure de satisfaction des usagers, un service principalement en ligne mais pouvant être matérialisé sous différents formats. À la fin 2018, nous avons invité toutes les MDPH à lancer une campagne de trois mois pour encourager les usagers à remplir ce questionnaire. Nous en avons fait une analyse globale et par territoire. Vous ne serez pas étonnés que globalement, la relation entre les usagers et les professionnels des MDPH donne satisfaction : les efforts que les professionnels déploient pour répondre aux besoins des usagers sont reconnus. En revanche, lorsque les usagers demandent à bénéficier de prestations ou de droits complexes, comme la prestation de compensation du handicap (PCH) ou en matière de scolarisation, il existe une insatisfaction plus prononcée – liée à un écosystème général – concernant les délais de réponse et de suivi des demandes, ce qui se comprend parfaitement. Nous souhaitons donc, dans le cadre du développement des systèmes d’information, développer un outil de suivi des dossiers en ligne, tant il est vrai que les agents des MDPH consacrent un temps important à répondre à cette question simple au téléphone.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Leur répond-on ?

M. Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d’autonomie. Pas toujours, d’où la difficulté et la très forte insatisfaction. Autre élément d’insatisfaction : lorsque la décision de la MDPH ne produit pas d’effets immédiats. C’est notamment le cas des orientations médico-sociales concernant des enfants, en institut médico-éducatif (IME) par exemple. Nous ne disposons pas des données chiffrées sur les délais qui s’écoulent entre la notification et l’entrée effective dans un établissement ou un service qui nous permettraient d’effectuer cette analyse des mesures de scolarisation, mais nous commençons à en avoir sur les entrées en établissement médico-social, notamment les entrées d’enfants en IME. Plus le délai de mise en œuvre des décisions d’orientation est long, plus l’insatisfaction générée est forte. C’est sur ces points qu’il faut concentrer l’essentiel des efforts à venir des MDPH.

Mme Béatrice Descamps. Avez-vous un avis et des éléments d’information sur les moyens que l’éducation nationale met à disposition des MDPH ?

Mme Virginie Magnant. Actuellement, 301 ETP sont mis à disposition des maisons départementales du handicap, soit trois par département environ. Cependant, les disparités sont très fortes d’un département à l’autre : rapportés à la population d’âge scolaire de chaque département, les moyens mis à disposition par l’éducation nationale varient de un à huit. C’est pourquoi la CNSA, qui co-pilote avec Mme Corinne Segrétain, conseillère départementale de la Mayenne, un groupe de travail sur l’amélioration du fonctionnement des MDPH créé dans le cadre de la préparation de la conférence nationale du handicap, soutient plusieurs de ses propositions visant à renforcer l’équité des moyens accordés aux différentes maisons départementales afin de réviser les dotations. Ces moyens sont certes le fruit d’accords locaux anciens, même s’il convient de rappeler les conditions dans lesquelles la répartition des effectifs et la mise à disposition d’agents de l’État a été examinée à l’époque par une mission de plusieurs inspections, notamment l’inspection générale de l’administration, qui intervient souvent sur les questions de compensation entre l’État et le département. Tout d’abord, en cas de décentralisation, le principe constitutionnel de compensation des moyens s’applique ; la photographie a donc été réalisée en temps voulu. D’autre part, à l’époque, une mission d’inspection avait vérifié et objectivé les principes de compensation. Il reste néanmoins des disparités liées à des négociations historiques. Il serait heureux que nous parvenions à une allocation de moyens plus objectivée et équitable, se fondant naturellement sur un socle irréfragable entre départements car certains besoins ne dépendent pas de la taille de la population, à quoi s’ajouterait une part déterminée en fonction d’un critère démographique.

Je souligne également que l’importance de la réponse apportée à l’usager justifie que la CNSA anime depuis quelques années un réseau des responsables de l’accueil dans les MDPH. C’est une fonction que nous souhaitons muscler et professionnaliser avec les directeurs des maisons départementales et les départements, qui assurent la présidence des groupements d’intérêt public (GIP). Malheureusement, dans les services publics, y compris ceux qui assurent l’accueil des usagers, cette fonction d’accueil ne bénéficie pas toujours d’agents formés et en nombre suffisant. Il est indispensable d’investir dans cette fonction.

Enfin, toujours dans le cadre du groupe de travail sur l’amélioration du fonctionnement des MDPH, il nous semble important de renforcer les outils non seulement d’animation, qui sont à la main de la CNSA, mais aussi de pilotage. Nous proposons donc la création d’une mission nationale d’audit et de contrôle des MDPH pour examiner de près la manière dont les outils sont utilisés et élaborer des plans d’amélioration en cas de retard ou de disparité, sans attendre les rapports d’inspection – comme ceux, assez nombreux, qui, sur différents sujets, ont déjà émaillé la vie des maisons départementales depuis leur création.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous vous remercions pour vos réponses et pour les éléments que vous nous avez apportés et que nous consulterons avec intérêt.

 

 


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   Jeudi 16 mai 2019

1.   Audition de Mme Jocelyne Grousset, secrétaire nationale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU), Mme Hélène Sester, secrétaire générale du syndicat national des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles (SNJSJA), Mme Élise Caperan, chargée de mission, et M. Gilles Laurent, chargé de mission, de la Fédération UNSA des métiers de l’éducation de la recherche et de la culture (UNSA-Éducation)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission reprend aujourd’hui ses travaux en recevant des représentants du syndicat UNSA Éducation, la fédération des métiers de l’éducation, de la recherche et de la culture de l’Union nationale des syndicats autonomes : Mme Jocelyne Grousset, secrétaire nationale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU), Mme Hélène Sester, secrétaire générale du Syndicat national des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles (SNJSJA), Mme Élise Caperan et M. Gilles Laurent, chargés de mission de la Fédération UNSA Éducation.

Je vous souhaite la bienvenue.

Je rappelle que l’UNSA Éducation est une fédération de vingt-deux syndicats, dont le SNMSU et le SNJSJA. Elle a recueilli 22 % des voix aux élections du comité technique ministériel de l’éducation nationale en décembre 2018. Elle est également représentative dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elle est fortement investie sur le sujet de l’inclusion scolaire, auquel elle a d’ailleurs consacré le numéro 33 de sa revue Questions d’Éduc.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander, mesdames et monsieur, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Gilles Laurent, Mme Élise Caperan, Mme Jocelyne Grousset et Mme Hélène Sester prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Mesdames et monsieur les représentants de l’UNSA Éducation, je veux à mon tour vous souhaiter la bienvenue et vous dire que j’ai été impressionné par votre volonté de composer une délégation pluridisciplinaire, à l’image des champs que nous souhaitons appréhender dans le cadre de cette commission d’enquête. De cela, je veux vous remercier. Vous avez mesuré l’enjeu de notre commission et son périmètre, qui va de l’école maternelle à l’université en passant par la formation professionnelle.

Notre commission tente d’établir, avec les acteurs concernés, un diagnostic de la situation exacte réservée en France à la transition inclusive et à la prise en compte des enfants à besoins particuliers dans les écoles de la République, notamment depuis la loi de 2005.

À travers ce diagnostic partagé, que nous entendons consolider et rendre irréfragable, nous souhaitons souligner les marges de progression subsistant depuis la loi de 2005. Cette loi, qui a affiché des objectifs généraux et généreux, a fait consensus sur le plan politique. Nous voulons mesurer les limites de sa mise en œuvre et les obstacles ou difficultés rencontrés par les différents acteurs, enfants, parents, enseignants et intervenants. À partir du diagnostic précis qu’elle aura établi, la commission d’enquête réfléchira ensuite à des mesures correctives, afin que les droits formels, actés dans la loi de 2005, deviennent des droits réels.

Notre ambition  – peut-être est-elle démesurée, votre contribution nous le dira – serait, le cas échéant, de rédiger un « acte II » de la loi de 2005, pour aller plus loin dans les objectifs recherchés. Parmi les questions qui nous préoccupent, il y a bien entendu la formation des intervenants, leur statut, la reconnaissance de leurs différents métiers et leur coordination.

La possibilité de faire intervenir le secteur médicosocial dans le champ qui nous concerne a été évoquée lors de précédentes auditions. Aucune question n’est taboue pour notre commission. Nous souhaitons favoriser l’écoute et le dialogue et, dans la pluralité politique, faire avancer ce beau et difficile sujet de la transition inclusive.

M. Gilles Laurent, chargé de mission à la fédération UNSA Éducation. Vous l’avez souligné, monsieur le député, nous sommes venus à cette audition dans une configuration pluriprofessionnelle. Nous tenons à aborder la question de l’école inclusive sous cet angle, pour des raisons que nous allons les uns et les autres évoquer.

Cette audition a été reportée, ce qui nous permet d’être aujourd'hui parfaitement en phase avec l’actualité. Hier, en effet, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a présenté des mesures importantes en Conseil des ministres. Le projet de loi pour une école de la confiance, dans son article 5, comporte par ailleurs une disposition majeure sur l’école inclusive. Ce texte est actuellement en discussion au Sénat et reviendra à l’Assemblée nationale dans quelques jours.

Notre discussion intervient donc à point nommé.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’aurais dû m’excuser d’avoir fait déplacer cette audition.

M. Gilles Laurent. Ce n’était pas nécessaire, puisque nous nous félicitons qu’elle se déroule aujourd’hui.

La présidente nous a présentés. J’aimerais ajouter, pour ce qui me concerne, que je suis aussi membre de la commission « éducation – scolarisation » du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Ma collègue Jocelyne Grousset l’était également il y a encore peu de temps. Nos interventions seront donc marquées par un double éclairage.

Après une rapide présentation des projets que nous défendons sur l’école inclusive, nous apporterons un éclairage particulier sur un point d’actualité : les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), dont la création a été annoncée par le Gouvernement comme une avancée importante, et le rôle des personnels accompagnants dans la scolarisation des élèves en situation de handicap. Nous aborderons également la problématique de la médecine scolaire : de quelle manière les médecins sont-ils présents à l’école sur la question du handicap et quel peut être leur rôle ? Nous terminerons par l’intervention d’Hélène Sester sur la notion de parcours, défendue par l’UNSA, et la nécessité de conserver certaines structures et certains dispositifs hors éducation nationale afin de fluidifier les parcours et d’offrir aux élèves la meilleure insertion sociale et professionnelle possible.

J’en viens à la situation des élèves en situation de handicap aujourd’hui dans notre pays. Avec plus de 340 000 élèves handicapés scolarisés, l’inclusion du handicap à l’école est désormais une réalité. Or – c’est sans doute l’élément le plus important –, plus de la moitié d’entre eux sont accompagnés, et les deux tiers sont accueillis en classe ordinaire.

On pense souvent que les élèves handicapés sont scolarisés dans des structures spécialisées, mais ce n’est pas le cas : aujourd’hui, la majorité d’entre eux sont dans des classes ordinaires, dans les écoles élémentaires et les établissements du second degré.

La superposition des dispositifs constitue toutefois une difficulté. Au fil du temps, des réponses diversifiées ont été apportées aux élèves handicapés et l’accès aux différentes structures est compliqué. Selon les cas, un élève peut bénéficier de l’accompagnement d’un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) en milieu scolaire, ou passer une partie de son temps en unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS), ou encore être accueilli dans une section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), un institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), ou une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UP2A).

On peut bien sûr considérer que la diversité des réponses proposées aux élèves en situation de handicap est bénéfique. Il n’est cependant pas aisé, pour les parents et les enseignants, de s’approprier ces différents dispositifs et de savoir lequel est le plus approprié à l’enfant en difficulté.

J’aimerais insister également sur le sentiment de solitude exprimé par nos collègues face aux difficultés qu’ils rencontrent dans la scolarisation des élèves handicapés. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons de la formation, mais il me paraît important de le souligner au même titre que la complexité des dispositifs.

Je ne reviendrai pas sur les objectifs de la loi de 2005, que vous avez rappelés. Nous pensons, pour notre part, que trois sujets prioritaires devront trouver rapidement des réponses. Le premier, auquel s’est d’ores déjà attelé le Gouvernement et sur lequel reviendra Élise Caperan, est l’accompagnement. Le deuxième est la formation des enseignants, que vous avez évoquée, monsieur le rapporteur. Jocelyne Grousset abordera le troisième : l’organisation des actions de prévention et de détection.

En ce qui concerne les mesures attendues pour les enseignants, probablement évoquées lors des précédentes auditions, elles concernent principalement l’information dont ils disposent sur les élèves handicapés qu’ils accueillent dans leur classe. Bien souvent, ils ne reçoivent aucune information, ce qui est extrêmement préjudiciable à l’acte pédagogique et à la relation avec l’élève.

S’agissant de la coopération entre les enseignants et les accompagnants, elle ne s’invente pas. Travailler à plusieurs dans une classe n’est pas facile lorsque les statuts et les postures professionnels diffèrent.

Enfin, l’accueil de l’élève dans la classe doit être amélioré. Ce point concerne plus particulièrement les chefs d’établissement et les directeurs d’école, en relation avec les familles.

Aujourd’hui, le travail de l’enseignant est certes de transmettre un savoir à un groupe d’élèves, mais il est aussi, pour une part importante, de collaborer avec d’autres professionnels. Or cette activité n’est pas suffisamment prise en compte dans le temps de service. Pour l’UNSA Éducation, il faut redéfinir le temps de travail des enseignants en y intégrant ces moments de collaboration devenus indispensables depuis 2005 et l’école inclusive.

D’après un nombre important de nos collègues, l’effectif des classes est également un écueil en matière d’inclusion scolaire. Les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) ont beaucoup souffert au cours du précédent quinquennat, ce qui a pesé négativement sur la prise en charge des élèves en difficulté scolaire.

Mme Jocelyne Grousset, secrétaire nationale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU). Depuis la loi de 1975, les médecins scolaires sont très impliqués dans l’intégration – ou inclusion, comme on l’appelle aujourd’hui – scolaire des enfants handicapés ou relevant de pathologies chroniques. Dans le cadre de la mission de promotion de la santé de l’école, ils interviennent avec les infirmières, les psychologues scolaires et les assistantes sociales, dans une approche pluriprofessionnelle.

L’école est sollicitée à plusieurs moments pendant la scolarité d’un élève handicapé. Celui du diagnostic, lorsque les symptômes apparaissent, est tout particulièrement important. Il intervient souvent lors de l’entrée à l’école, mais parfois aussi plus tard, pendant la scolarisation.

Il existe trois modes d’entrée fréquents dans le handicap. Le premier se situe à l’école maternelle. Un enfant pour lequel aucun repérage n’a encore eu lieu présente des troubles de la communication et de la socialisation. Un diagnostic précoce de trouble envahissant du développement est alors effectué par le médecin scolaire, qui rencontre l’enseignant et accompagne la famille vers le soin, afin de permettre à l’enfant de poursuivre son parcours scolaire grâce aux aménagements nécessaires et à des rééducations adaptées.

Le deuxième mode d’entrée dans le handicap survient à l’école primaire, lorsque des troubles des apprentissages sont diagnostiqués. Pour la plupart, ces troubles, dits troubles « dys », ne relèvent pas du handicap, mais certains enfants handicapés, après avoir bénéficié d’un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE), puis d’un plan d’accompagnement personnalisé (PAP), peuvent être concernés. Une approche pluriprofessionnelle est dès lors fort utile. Grâce au bilan psychologique et aux différents avis médicaux, le médecin scolaire et les autres personnels de l’éducation nationale peuvent accompagner au mieux l’élève handicapé.

Enfin, l’entrée dans le handicap peut survenir au collège et au lycée, généralement dans le champ de la santé mentale. Le médecin de l’éducation nationale est alors un interlocuteur privilégié pour accompagner vers les soins.

Après le temps du diagnostic vient celui du parcours scolaire. Afin d’éviter les ruptures de parcours et les tensions avec les familles, et de favoriser un parcours scolaire fluide, y compris après le collège, vers un lycée professionnel, nous devons nous interroger sur les aménagements et les orientations nécessaires. Nous sommes souvent obligés de proposer des réorientations à des enfants parce que leur handicap ne leur permet pas d’effectuer certains stages ou de valider le certificat d’aptitude professionnelle (CAP). La visite médicale d’orientation de la classe de troisième n’existe plus. Certains élèves auraient pourtant besoin de bénéficier du regard pluriel de différents professionnels, parmi lesquels le médecin de l’éducation nationale.

J’aimerais, pour finir, aborder la question des aménagements d’examens, qui a fait l’objet de plusieurs rapports. Un nouveau texte est attendu. Il est passé deux fois au CNCPH mais il est bloqué dans l’attente de sa validation. Or les demandes sont croissantes et les familles se heurtent à l’engorgement des services. Elles ont bénéficié d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS) ou d’un PAP, mais elles peinent à obtenir un aménagement d’examen.

Une école qui facilite l’accès des familles aux professionnels de santé : telle est l’idée que je défends aujourd’hui. Les médecins scolaires sont entre 800 et 900 actuellement, et plus de 480 postes sont vacants. Les psychologues scolaires sont en nombre insuffisant dans certains territoires. Or les familles ont besoin d’être accompagnées dans les différentes étapes de la scolarisation que j’ai évoquées.

Il convient de préciser la place du médecin de l’éducation nationale dans la prise en charge du handicap. La loi de 2005 n’y fait pas explicitement référence puisqu’elle parle uniquement du « médecin nommé par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées » (CDAPH). La participation des médecins de l’éducation nationale est très importante au sein des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), mais elle s’inscrit dans le cadre des conventions signées entre le ministère de l’éducation nationale et les MDPH et n’est pas très visible. En outre, la loi se borne à préciser que le médecin de l’éducation nationale « peut » participer aux réunions de l’équipe éducative.

Enfin, il me paraît important que les familles bénéficient d’un accompagnement technique renforcé. Les soignants ne connaissent pas forcément l’école et ont besoin d’un interlocuteur. Celui-ci peut être le médecin de l’éducation nationale ou le psychologue scolaire.

Mme Élise Caperan, chargée de mission à la fédération UNSA Éducation. Mon intervention portera sur les personnels accompagnants. Gilles Laurent a précisé le nombre d’enfants en situation de handicap accueillis à l’école et souligné que plus de la moitié d’entre eux bénéficient d’un accompagnement. J’aimerais pour ma part mettre en lumière le hiatus qui existe entre ces chiffres, importants, et la situation des personnels accompagnants pour ce qui concerne leur formation, leur statut ou la reconnaissance dont ils font l’objet. Ces différents aspects sont au cœur des préoccupations des personnels accompagnants comme de notre organisation syndicale.

Certes, le ministre de l’éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, a annoncé, de concert avec la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Mme Sophie Cluzel, des mesures visant à améliorer le statut de ces personnels, mais elles restent selon nous très en deçà des besoins, la formation et la rémunération, questions prioritaires, ayant à peine été effleurées.

La situation des personnels accompagnants est étroitement liée aux PIAL, ou inversement, mais nous avons peu de visibilité sur ce dispositif. Nous avançons donc à tâtons. Nous sommes actuellement dans la phase de concertation et d’expérimentation.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Et dans la phase de généralisation.

Mme Élise Caperan. En effet, la généralisation annoncée a été précisée hier.

Nous avons rencontré la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) la semaine dernière, qui nous a donné davantage de détails sur ce dispositif, dont nous avions commencé par nous féliciter. Il répondait en effet au besoin d’une task-force sur l’inclusion des élèves et reposait sur des principes auxquels nous sommes attachés. Malheureusement, les projets de texte qui nous ont été transmis le réduisent à un outil de gestion des personnels accompagnants. Cette gestion est une question en soi, qui renvoie à la problématique statutaire, mais les PIAL méritaient d’être conçus comme un véritable outil d’inclusion.

Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la formation, le statut et la coordination des intervenants du handicap. Les personnels accompagnants sont, de toute évidence, au cœur de la réflexion.

Mme Hélène Sester, secrétaire générale du Syndicat national des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles (SNJSJA). Les établissements de jeunes sourds et de jeunes aveugles sont au nombre de cinq : quatre instituts nationaux de jeunes sourds (INJS) et un institut national de jeunes aveugles (INJA). Dans le grand chantier de l’école inclusive, nous défendons l’idée que ces établissements ont leur place dans le projet de scolarisation des élèves et qu’ils peuvent remplir un rôle important à un moment de leur parcours.

Jocelyne Grousset a évoqué tout à l’heure les ruptures de parcours qui touchent parfois certains enfants. Nous constatons, dans nos établissements, que des « retours d’inclusion » peuvent également s’opérer. Les jeunes que nous accueillons, les plus fragiles, trouvent chez nous une offre scolaire adaptée à leurs besoins spécifiques : en termes de langue écrite et de communication en langue des signes, pour les jeunes sourds scolarisés avec des pairs sourds signant ; en termes d’apprentissage intensif du braille, pour les déficients visuels, afin de maîtriser la langue écrite.

Nous nous inscrivons pleinement dans le projet de l’école inclusive. L’enseignement adapté que nous proposons à nos élèves, à un moment donné de leur parcours, leur permet, par des apprentissages dignes de ce nom, d’acquérir les savoirs qui leur permettront une pleine et entière inclusion citoyenne et professionnelle.

Nous défendons donc le maintien de la pluralité de l’offre et nous alertons d’un possible contre-sens : l’école inclusive, ce n’est pas faire la même chose pour tout le monde. C’est au contraire apporter une réponse individualisée aux besoins éducatifs de chaque enfant, ce qui passe par le maintien de la pluralité de l’offre.

Nous ne prétendons d’ailleurs pas répondre aux besoins scolaires de tous les enfants sourds et de tous les enfants aveugles. Chacun a un profil différent. Vous avez parlé de diagnostic partagé. Nous le demandons depuis deux ans pour ces enfants. À l’heure où nos établissements sont soumis à une réforme accélérée, nous aimerions être entendus sur ce sujet.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour ces témoignages et ces explications.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci pour la pertinence de vos contributions.

Je pense comme vous, madame Sester, que derrière le discours généreux d’une société inclusive pour tous, pointe le risque d’appliquer le droit commun à des situations particulières. Pour ma part, j’ai toujours considéré que lorsque l’on traite à égalité des personnes placées dans des situations différentes, on s’expose à graver dans le marbre les inégalités.

L’enjeu, pour notre commission d’enquête, est de garantir le respect du droit formel à la scolarisation pour tous, y compris en milieu ordinaire, grâce à un accompagnement adapté, mais aussi de permettre l’accueil en établissement spécialisé lorsque le handicap le justifie. Vous avez donc eu raison, madame Sester, de souligner ce risque, sur lequel nous serons vigilants.

Hier, en Conseil des ministres, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a annoncé la création de 3 000 nouveaux PIAL, ce qui équivaut à une généralisation avant retour d’expérience. Je vous ai bien entendu : vous n’avez pas d’opposition de principe au dispositif ; tout dépend de ce que l’on y met et de la façon dont il fonctionne. Vous n’en voulez pas s’il n’est qu’un outil de gestion. En revanche, vous êtes favorables aux PIAL comme outil de coordination et d’amélioration de la prise en charge. Quelle est votre position après les annonces d’hier ? Refusez-vous toute généralisation avant retour d’expérience ?

Un représentant de l'Union nationale des syndicats de l'éducation nationale CGT (UNSEN-CGT) que nous avons auditionné, a souligné, anticipant l’évolution de la loi, que l’accompagnement mutualisé devenait la règle et l’accompagnement individuel l’exception. Qu’en pensez-vous ?

En ce qui concerne le statut des intervenants, vous estimez que la volonté du ministre de l’éducation nationale de mettre fin, en trois ans, à la précarité des contrats, est une première avancée, insuffisante. Quelles sont vos attentes en matière de reconnaissance du métier et de niveau de diplôme requis ?

Enfin, j’ai été très intéressé par ce que vous avez dit, madame Grousset, sur le rôle de la médecine scolaire. L’une des questions soulevées par notre commission est de savoir comment l’intervention des praticiens, y compris libéraux, auprès des enfants en situation de handicap, peut être favorisée dans l’école. La médecine scolaire peut-elle jouer un rôle de coordination, sachant qu’elle souffre, comme vous l’avez souligné, d’un important manque de moyens ?

Mme Cécile Rilhac. J’aimerais revenir sur la scolarisation des jeunes sourds. Je me sens particulièrement concernée par cette question en tant que députée du Val-d’Oise, Argenteuil accueillant l’école intégrée Danielle-Casanova. Je me suis par ailleurs rendue à l’école bilingue Jean-Jaurès de Ramonville.

Vous avez, madame Sester, souligné la nécessité pour certains enfants de poursuivre leur parcours scolaire hors de l’éducation nationale, dans les INJS. Que pensez-vous des classes bilingues pour enfants sourds proposées dans le cadre d’un parcours intégré, comme à Argenteuil et Ramonville ? Ces classes sont plébiscitées par les familles.

J’ai été très intéressée, madame Grousset, par vos propos sur la médecine scolaire. S’agissant des examens, la mise en place du nouveau baccalauréat 2021, qui fait une plus grande part au contrôle continu et prévoit des examens sur deux ans, soulève de nouvelles questions. Vous avez évoqué la réglementation. Avez-vous réfléchi à la possibilité d’octroyer un tiers-temps supplémentaire aux collégiens et aux lycéens en situation de handicap pendant les épreuves ? Comment faciliter le parcours de ces élèves en leur évitant d’avoir à solliciter une mesure qui est en réalité un droit ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez regretté, madame Grousset, que les textes sur les aménagements d’examens ne soient toujours pas parus. Quelles sont précisément vos attentes sur le sujet ? N’est-il pas d’ores et déjà possible pour les médecins de famille de remplir le formulaire qui donne accès à ce droit ?

Vous avez par ailleurs exprimé des inquiétudes au sujet de la réforme des établissements médicosociaux. Quelles sont-elles précisément ? Craignez-vous que la transformation de l’offre médicosociale aboutisse à un plus grand nombre de services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) et à un moins grand nombre de places en établissements scolaires ?

J’ai entendu la crainte exprimée par M. Laurent d’une diminution des places offertes par les établissements médicosociaux. J’ai pourtant lu qu’elles avaient récemment augmenté, en particulier l’année dernière, qu’il s’agisse des SESSAD ou des instituts médico-éducatifs (IME).

Face à la pénurie des médecins scolaires, qui reflète celle plus générale des médecins en France, quelles sont, madame Grousset, vos préconisations ? Pensez-vous nécessaire de renforcer la coordination avec la médecine libérale ? Faut-il privilégier le rapprochement avec les services de la protection maternelle et infantile (PMI), puisque la scolarisation est désormais obligatoire à partir de trois ans ? Comment, dès lors, travailler sur la détection précoce ?

Enfin, vous avez, monsieur Laurent, évoqué la complexité qui découle de la superposition des dispositifs. Ils sont certes nombreux, mais nous sommes attachés à chacun d’entre eux. En quoi leur nombre pose-t-il problème ? Nuit-il à la bonne orientation des élèves ? La difficulté vient-elle de ce que les enseignants, et les parents, ne connaissent pas suffisamment leurs spécificités ?

M. Gilles Laurent. Je vous répondrai tout d’abord sur les PIAL. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, la création annoncée de 3 000 nouveaux PIAL revient à une généralisation en pleine concertation. Mais, il faut bien l’avouer, nous sommes habitués à ce type de méthode.

Permettez-moi, sur les PIAL, de vous faire part d’une information très récente. La division des établissements scolaires et des moyens du rectorat de Créteil a récemment envoyé un courrier électronique à l’ensemble des enseignants référents de l’académie, dont voici un extrait : « Pour des problématiques budgétaires, nous sommes contraints, à la demande du rectorat, de ne plus recruter d’AESH jusqu’à nouvel ordre. » Les personnels accompagnants qui travaillent actuellement sous contrat précaire ne bénéficieront pas non plus d’un contrat d’AESH.

De toute évidence, les grands principes affichés par le Gouvernement se heurtent à la réalité des faits. Je rappelle qu’il était annoncé que tous ces personnels obtiendraient le statut d’AESH et verraient à terme leur emploi pérennisé.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pourriez-vous transmettre ce courriel à notre commission ? Ce n’est malheureusement pas la première académie qui prend une telle mesure.

M. Gilles Laurent. J’ai évoqué l’académie de Créteil parce qu’elle est la dernière à s’être manifestée, mais la liste est longue, en effet.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Quelle est la date de ce courriel ?

M. Gilles Laurent. Le 10 mai.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il a donc été rédigé après les déclarations du Président de la République.

M. Gilles Laurent. Vous comprenez mieux, sans doute, notre prudence face aux assurances qui nous sont données. Je vous transmettrai bien entendu ce courriel, ainsi que la réponse que l’UNSA y a apporté.

Sur le fond, comme l’a précisé Élise Caperan, nous avons rencontré la DGESCO la semaine dernière, ce qui nous a permis d’exprimer à nouveau nos interrogations sur le dispositif. Les deux ministres considèrent pour leur part que la longue concertation dont les PIAL ont fait l’objet suffit à attester de sa solidité. J’ai participé personnellement à ce processus dans le cadre du CNCPH. Au cours des quatre mois qu’a duré la consultation – puisqu’il s’est agi d’une consultation bien davantage que d’une concertation –, divers exemples nous ont été présentés, ceux de Marseille et Chartres notamment. Et voilà qu’aujourd’hui, on annonce une généralisation dès la rentrée prochaine, sans qu’aucune réponse n’ait été apportée aux questions posées par le CNCPH, pas seulement par les méchants syndicalistes enseignants obsédés par le manque de moyens, mais par l’ensemble des partenaires. Les associations, en particulier, expriment de fortes interrogations sur le rôle des PIAL.

Trois questions principales ont été posées par le CNCPH. La première était de savoir quelle autorité déclencherait l’action du PIAL et prescrirait la présence d’AESH mutualisés auprès d’un groupe d’élèves. La réponse que nous avons reçue est que ce rôle reviendra au chef d’établissement ou au directeur d’école. Cela conduit, pour l’UNSA Éducation, à favoriser celui qui crie le plus fort sur un territoire.

On aurait pu, au contraire, confier cette autorité à un ensemble de professionnels reconnus – médecins, infirmières, référents handicap, chefs d’établissement –, qui auraient conjointement rendu un avis sur les différentes demandes et formulé des propositions. S’il appartient uniquement au chef d’établissement ou au directeur d’école de décider de la présence d’un accompagnant dans une classe, on peut craindre une décision qui ne soit pas toujours pleinement fondée.

La deuxième question qui suscite des inquiétudes parmi l’ensemble des partenaires du CNCPH est de savoir vers quelles activités seront dirigés les accompagnants mutualisés. Un accompagnant individuel sait précisément quel est son rôle. Comment s’opérera, pour les accompagnants mutualisés, le choix entre des demandes différentes ? Comment, et à quels moments, seront définies les priorités ? Ce point mériterait d’être plus clairement encadré, comme l’ont souligné les sénateurs dans plusieurs amendements qu’ils ont déposés sur le projet de loi pour une école de la confiance.

La troisième question est celle de l’opposabilité. Lorsqu’une famille reçoit une notification individuelle, elle peut contester la proposition qui lui est faite si elle la juge insatisfaisante. Dans le dispositif qui est proposé aujourd’hui, cette opposabilité est quelque peu diluée. Un risque pèse désormais sur l’accompagnement individuel, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur.

En réalité, l’idée qui sous-tend le dispositif des PIAL est qu’il y a trop d’accompagnements individuels aujourd’hui. Certes, on peut se féliciter de la mise en place, sur un territoire, d’une équipe identifiée, dotée d’une capacité d’intervention rapide, mais veillons à ce que le renforcement de l’accompagnement collectif ne se fasse pas au détriment de l’accompagnement individuel.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous demandez donc un moratoire ?

M. Gilles Laurent. Une clarification, pour le moins. Les expériences qui nous ont été présentées, à Marseille et à Chartres, ne sont pas inintéressantes ; il serait dommage de geler totalement le dispositif. Mais une clarification s’impose.

Mme Élise Caperan. Si les PIAL sont uniquement un outil de gestion des personnels accompagnants, alors ils portent mal leur nom et doivent se traduire par des créations de postes de personnels administratifs dans les directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN) et les rectorats, pour une gestion efficace de ces agents. Le besoin est réel dans ce domaine, mais il ne correspond aucunement à l’objectif fixé initialement aux PIAL.

Quels sont, selon nous, les éléments qui pourraient contribuer à améliorer le statut des personnels accompagnants ? L’UNSA Éducation défend depuis plusieurs années le projet d’un statut d’accompagnant qui ne se limite pas au temps scolaire, car le handicap d’un enfant ne cesse pas après l’école. Vous avez, monsieur le rapporteur, souligné le caractère pluriprofessionnel de notre délégation. Il témoigne de notre vision large de l’éducation, prise dans son sens le plus général, au-delà même de l’école.

Étendre en dehors du temps scolaire les missions des personnels accompagnants qui le souhaitent serait, selon nous, le meilleur moyen de contribuer à une meilleure inclusion des élèves tout en améliorant le statut de ces agents. Je n’entrerai pas dans les détails techniques, mais l’augmentation du temps de travail est le point qui pose aujourd’hui problème s’agissant de leur statut. Celui-ci n’est pas adapté actuellement au temps de scolarité des enfants.

La reconnaissance du travail invisible quotidien des accompagnants
– préparation des outils pédagogiques, rencontre des familles, participation aux sorties scolaires, etc. –, au-delà du temps d’accompagnement stricto sensu, est également nécessaire.

Enfin, la formation de ces personnels est un volet important. Les nombreux accompagnants que nous rencontrons en font leur principale demande ; ils souhaitent d’ailleurs souvent se former sur des aspects assez basiques de leur pratique. Nous considérons à l’UNSA que la formation de l’ensemble des intervenants engagés dans l’inclusion scolaire, dans une approche pluriprofessionnelle et commune, est une priorité.

Mme Jocelyne Grousset. Les aménagements d’examens font l’objet d’une procédure extrêmement complexe et réglementée. Chaque examen est régi par un arrêté particulier, qui prévoit des possibilités d’aménagement spécifiques. Les aménagements sont donc différents pour le diplôme national du brevet (DNB), le baccalauréat général, le baccalauréat professionnel ou le brevet de technicien supérieur (BTS). Cette complexité réglementaire a été soulignée par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS).

La procédure qui permet à un élève en situation de handicap de bénéficier d’un aménagement d’examen est elle-même compliquée. La famille doit instruire un dossier qui présente les informations médicales fournies par le médecin généraliste, le médecin spécialiste, et des professionnels tels que l’orthophoniste ou l’ergothérapeute. Le dossier est transmis à l’éducation nationale ou à la MDPH, selon les conventions départementales. Le médecin nommé par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) instruit ensuite le dossier. Il s’agit, la plupart du temps, d’un médecin de l’éducation nationale, mais cette mission peut également être confiée à un médecin de la MDPH. L’avis rendu par le médecin est transmis au centre d’examens de chaque territoire. Pour le baccalauréat, sauf exceptions, il concerne les classes de première et de terminale. En revanche, les aménagements possibles pour le brevet des collèges, par exemple la dictée aménagée, n’existent pas pour le baccalauréat.

Le projet de texte sur les aménagements d’épreuves du nouveau baccalauréat n’est pas encore sorti. A priori, les familles feront leur demande en seconde pour un avis qui concernera les classes de première et de terminale, sauf adaptations nécessaires. Pour le moment, nous n'avons aucune instruction écrite émanant du ministère.

Mme Cécile Rihac. Qu’en est-il du contrôle continu ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Certains aménagements d’examens nécessitent la présence d’un intervenant extérieur, ce qui paraît difficile dans le cadre du contrôle continu.

Mme Jocelyne Grousset. Les élèves atteints d’une maladie chronique qui demandent un aménagement d’examen faisant intervenir la présence d’une tierce personne ont très peu de chance de voir leur demande satisfaite. En effet, ils n’ont pas de dossier handicap.

Les aménagements d’examens ne concernent toutefois pas uniquement le handicap, mais également les pathologies chroniques et les PAP. Une cohérence est bien entendu recherchée entre un PPS, un PAP ou un projet d’accueil individualisé (PAI), et les conditions d’examens.

Il est important que la personne qui rédige le PPS connaisse la réglementation. Si l’aménagement de l’emploi du temps de l’élève handicapé conduit à lui supprimer une matière, cet élève doit impérativement la travailler avec le centre national d’enseignement à distance (CNED), en vue de l’obtention du bac. L’information et la formation des personnels de l’éducation nationale, enseignants et référents handicap, est donc indispensable. Nous voyons chaque année des élèves qui ne peuvent pas passer leur examen parce que les aménagements qui leur ont été proposés dans le cadre de leur PPS ne le leur permettent pas.

Nous attendons donc un texte avec impatience. Les MDPH et les services médicaux de l’éducation nationale n’en peuvent plus.

Quant à la pénurie de médecins de l’éducation nationale, elle n’est pas liée à la démographie médicale. Je vous invite, sur ce sujet, à consulter les différents rapports consacrés à la médecine scolaire, rapports parlementaires ou de la Cour des comptes, qui ont tous souligné son problème d’attractivité. Malgré les régularisations intervenues en 2011 et en 2015, il subsiste une nette différence de salaire entre les médecins scolaires et les médecins de PMI et médecins-inspecteurs de santé publique des agences régionales de santé (ARS).

Nous sommes nombreux à accueillir des internes en fin de troisième cycle. Ils sont très intéressés par la pratique de la médecine à l’école, notamment parce qu’elle est salariée. Cependant, le taux de vacation de la médecine scolaire
– 21 euros de l’heure – dissuade les jeunes médecins de choisir l’éducation nationale dans le cadre d’un exercice mixte. Ils lui préfèrent d’autres structures, telles que la PMI.

Il est d’autant plus important de régler le problème d’attractivité de la médecine scolaire qu’elle intéresse les jeunes générations. Le médecin scolaire travaille avec des enfants et des adolescents, en partenariat avec d’autres professionnels, infirmières et psychologues, sur un plateau technique. Les situations diffèrent selon les territoires, mais ce métier mériterait pour le moins d’être revalorisé.

Le lien entre la médecine scolaire et les médecins libéraux et hospitaliers existe ; il est plutôt bien construit. En revanche, le dialogue entre les médecins généralistes et l’école – les enseignants, la psychologue scolaire, les RASED – n’est pas toujours aisé, en particulier au moment du pré-diagnostic. Il est pourtant essentiel pour construire l’inclusion scolaire de l’élève. Quand nous les avons au téléphone, nos collègues libéraux nous disent qu’ils n’ont pas le temps.

Les médecins scolaires connaissent les différents interlocuteurs de l’école et l’inspecteur de l’éducation nationale. Avant d’obtenir une auxiliaire de vie scolaire (AVS), ils peuvent travailler à l’organisation de la prise en charge d’un élève en situation de handicap au sein de l’école.

Mme Hélène Sester. Les dispositifs proposés par l’école Danielle-Casanova et l’école de Ramonville font partie de la pluralité de l’offre. Ils sont très performants et adaptés aux besoins de certains élèves. À l’INJS de Paris, nous n’avons pas uniquement des classes in situ. Nous avons noué un partenariat très étroit avec la cité scolaire Rodin, qui regroupe un collège et un lycée. Il existe, au sein de l’école ordinaire, une possibilité de va-et-vient entre l’inclusion individuelle et la classe spécialisée.

Nous sommes très attachés à l’idée que nous faisons partie de l’école inclusive et nous pensons que ce serait une grave erreur de la limiter à l’éducation nationale. Depuis vingt ans, nos dispositifs n’ont cessé de se rapprocher de ceux de l’éducation nationale, pour les programmes comme pour l’organisation des enseignements. Nous travaillons étroitement avec elle pour accompagner certaines classes in situ du lycée professionnel de l’INJS de Paris.

Ces classes accueillent des jeunes qui ont connu d’importantes difficultés de langue et qui reviennent à l’institut. Le projet de les externaliser est aujourd’hui évoqué et nous ne refusons pas d’en discuter, mais nous mettons en garde contre le risque qu’il y aurait à vouloir aller trop vite. La disparition de dispositifs adaptés aux besoins spécifiques de certains élèves, remplacés par des scolarisations exclusivement individuelles, serait dramatique pour des jeunes qui communiquent uniquement en langue des signes.

Nous sommes conscients des difficultés auxquelles est confrontée l’éducation nationale et des évolutions souhaitables pour améliorer le fonctionnement des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles, mais ces établissements existent, et il serait très dommage que le projet d’école inclusive conduise à leur démantèlement. Nous soutenons le rapprochement avec l’éducation nationale et nous demandons, quant à nous, un moratoire sur la généralisation des PIAL.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous devons à présent interrompre cette audition.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Tous les documents que vous pourrez nous envoyer pour compléter vos contributions, déjà riches, contribueront utilement à la réflexion de notre commission d’enquête.

Nous sommes preneurs, en particulier, d’éléments complémentaires sur les effectifs des classes qui accueillent des enfants en situation de handicap et sur le champ couvert par les instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles, dont nous avons compris qu’il fallait préserver la spécificité.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci de nous transmettre également le courriel que vous reçu du rectorat de Créteil.

 


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2.   Audition de M. Rodrigo Arenas, co-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE), et Mme Isabelle Pinatel, administratrice

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions par celle de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE), avec M. Rodrigo Arenas, son co-président, et Mme Isabelle Pinatel, administratrice, à qui je souhaite la bienvenue.

La FCPE est une association « loi de 1901 » reconnue d'utilité publique, présente sur l'ensemble du territoire, y compris dans les établissements français à l'étranger. Elle est la première fédération de parents d'élèves : en octobre 2018, elle a obtenu 11 % des voix aux élections des représentants des parents d'élèves aux conseils des écoles, et 42 % aux élections aux conseils d'administration des établissements du second degré. Elle est investie sur le sujet de l'école inclusive et a d'ailleurs constitué un réseau de référents handicap dans les établissements.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment, devant cette commission d’enquête, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Arenas et Mme Pinatel prêtent serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous souhaitons la bienvenue à la FCPE. Notre commission d’enquête attache une grande importance à l’expertise des parents et à leur rôle dans la communauté éducative, notamment sur le sujet qui la concerne.

L’objet de cette commission est d’établir, avec l’ensemble des acteurs, un diagnostic partagé sur la mise en œuvre de la loi de 2005, en mesurant ses avancées, mais aussi les obstacles qu’elle rencontre. Ce diagnostic est important : nous devons savoir d’où nous venons pour décider où nous allons. Il nous permettra d’élaborer, avec l’ensemble des acteurs, des propositions pour transformer le droit formel acté par la loi de 2005 en un droit réel, concret, pour les enfants et les familles.

Le champ couvert par notre commission embrasse la transition inclusive de la maternelle jusqu’à l’université, en passant par la formation professionnelle. C’est vous dire son étendue. Nous avons l’ambition de rédiger un acte II de la loi 2005, afin d’offrir des droits nouveaux aux enfants en situation de handicap.

Mme Isabelle Pinatel, administratrice de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE). Je vous remercie de votre accueil. Cet exercice est nouveau pour moi. Je vais vous parler avec mes mots et mon cœur de maman.

La FCPE représente 280 000 adhérents qui, sur le terrain, au quotidien, mettent tout en œuvre pour que les enfants en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers soient réellement pris en compte à l’école dans leurs spécificités.

Nous pensons que la notion d’inclusion doit être comprise dans son sens le plus large et qu’elle ne concerne pas uniquement les enfants en situation de handicap. Elle questionne la capacité de l’école à accueillir tous les enfants sans discrimination : les enfants allophones, les enfants de migrants, les enfants de familles éloignées de l’école dans les territoires, les enfants malades, les enfants souffrant de troubles de l’apprentissage, les jeunes d’orientation sexuelle ou d’identité de genre minoritaires.

Pour la FCPE, le rôle de l’école est d’accueillir et d’accompagner tous les élèves quelles que soient leurs spécificités. Or, nous l’observons sur le terrain, l’école reste encore très formatée. Malgré les nombreux efforts des équipes éducatives, les familles qui ont un enfant en situation de handicap font face à un véritable parcours du combattant pour le scolariser. Les difficultés qu’elles rencontrent engendrent une très grande souffrance, ce que nous ne pouvons accepter en tant que parents et représentants de la FCPE. Le mot « souffrance » ne devrait pas avoir droit de cité à l’école.

Il y a pourtant de la souffrance à l’école, et pas forcément où l’on croit. Les banlieues, bien sûr, concentrent un grand nombre de problèmes, mais d’autres situations génèrent de la souffrance. Je pense, par exemple, aux enfants intellectuellement précoces, dont la prise en compte est encore très à la traîne en France. Les enfants autistes sont, quant à eux, de mieux en mieux intégrés à l’école. Ce sont des enfants comme les autres, qui ont une richesse extraordinaire.

Au quotidien, le parcours administratif des parents d’enfants handicapés – tout du moins de ceux qui savent qu’il existe un parcours administratif – est insupportable. Il faut attendre des mois après le diagnostic – quand celui-ci a lieu, car il n’est pas rare de voir arriver en terminale des élèves en situation de handicap qui n’ont jamais été diagnostiqués.

L’idéal est quand le diagnostic intervient avant l’école ou à la maternelle. Il peut aussi survenir de manière plus tardive, au collège : mieux vaut tard que jamais. Il y aussi le cas de l’élève qui n’est jamais diagnostiqué ou celui de l’enfant qui ne va jamais à l’école.

Nous ne disposons pas de chiffres sur les enfants qui ne vont jamais à l’école. Je pense, en particulier, aux enfants déficients visuels, pour lesquels, dans mon département, l’Aude, il n’existe absolument aucune école, aucune unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) permettant de les accueillir. Personne, pourtant, ne me fera croire qu’il n’y a pas d’enfants déficients visuels dans ce département.

Mme Mireille Robert. Je suis justement députée de l’Aude. Je confirme qu’il n’y a pas d’établissement pour enfants déficients visuels.

Mme Isabelle Pinatel. Notre inspecteur académique chargé du handicap et des élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP) ne ménage pas ses efforts, mais, sur le terrain, les familles ne sont pas toujours écoutées, ni surtout entendues.

Les élèves sont avant tout des enfants. Or qui connaît mieux un enfant que son père ou sa mère ? Bien souvent, que ce soit à la maternelle, à l’école primaire, au collège ou au lycée, lorsque des parents rencontrent un enseignant pour l’informer de leur intention de solliciter un diagnostic, il répond que les problèmes de leur enfant sont liés avant tout à son éducation. L’éducation a bon dos ! Nous connaissons nos enfants. Nous savons quand il y a quelque chose qui ne va pas. Nous demandons à être écoutés et à travailler avec les enseignants pour faire vivre la coéducation.

Les parents se heurtent souvent à des portes fermées dans les établissements, et pas seulement en raison du plan Vigipirate. Il est temps de faire évoluer la vision du handicap dans la société française. Le handicap n’est pas un problème, mais une richesse. Les enfants handicapés sont différents, mais ce sont des enfants. Nous sommes tous différents, mais ils le sont un peu plus.

À condition de reconnaître cette différence, de la comprendre et d’en faire une force pour le groupe, alors la scolarisation des élèves handicapés est un succès. Dans certains établissements, la communauté éducative pratique une véritable coéducation et met tout en œuvre pour que les besoins de chaque enfant, quel qu’il soit, soient respectés et entendus. Nous sommes réunis aujourd’hui pour dire ce qui ne va pas, mais aussi pour souligner ce qui se passe bien.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous propose de passer maintenant aux questions.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie, madame, pour votre contribution.

Les inégalités territoriales sont au cœur de notre mission. Quelles informations pouvez-vous nous communiquer à ce sujet ?

Les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) ont donné lieu à plusieurs expérimentations. Il est prévu de les généraliser avant le retour d’expérience. Qu’en pensez‑vous ?

Avez-vous eu connaissance des annonces faites hier en Conseil des ministres par la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées de la création de 3 000 PIAL et du déploiement des ULIS, des unités d’enseignement en maternelle autisme (UEMA) et des unités d’enseignement externalisées (UEE) ? La FCPE a-t-elle été consultée ?

M. Rodrigo Arenas, co-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE). Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour cette audition. Il est important, pour notre fédération, d’être reçue par le Parlement. Les lois qu’il s’apprête à voter auront des répercussions importantes sur les territoires et donneront aux parents un cadre juridique pour exiger l’application de leurs droits. Les moyens actuellement déployés sur le terrain ne sont pas toujours suffisants pour les garantir.

La prise en compte des enfants à besoins particuliers et, plus largement, de tous les enfants victimes de discriminations, est liée aux moyens déployés par les collectivités territoriales. Force est de constater, malheureusement, que les situations diffèrent fortement selon les départements et que les petits Français ne sont pas tous traités à la même enseigne, qu’il s’agisse des moyens alloués aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et au dispositif d’adaptation scolaire et de scolarisation des élèves porteurs de handicap (ASH), du nombre de personnels accompagnants mis à disposition dans les écoles, ou des dispositifs de formation proposés aux professionnels pour les aider à répondre aux besoins des élèves handicapés.

Il en découle une véritable rupture d’égalité républicaine. La vision uniforme de la classe ne correspond pas à l’hétérogénéité des situations qui attendent les élèves une fois sortis du système scolaire.

Les outils numériques sont devenus incontournables et la FCPE s’est depuis longtemps penchée sur leur usage. Nous savons que les enfants autistes sont tout à fait à même de s’y adapter, mais cette capacité n’est pas valorisée sur le plan scolaire. Non seulement on laisse penser au reste des élèves que les besoins particuliers des enfants autistes ne sont pas normaux, mais on leur fait croire qu’ils sont un frein au développement collectif de la classe. C’est tout l’inverse, ce dont chacun se rend compte une fois achevé son parcours scolaire.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Voulez-vous dire qu’il ne faut pas seulement prendre en compte les besoins particuliers des enfants en situation de handicap, mais également leurs talents particuliers ?

M. Rodrigo Arenas. L’école ne peut pas se contenter d’être uniquement dans la détection. Elle ne peut pas fonctionner comme une équipe de foot qui cherche à recruter des joueurs et qui attribue à chacun une place – défenseur, attaquant, gardien, etc. – en fonction de ses dispositions. Les élèves qui sont bons en maths sont dirigés vers la filière scientifique, ceux qui se distinguent en langues se voient proposer une autre voie, mais les enfants porteurs de handicap ne sont orientés nulle part.

Comme disait Albert Einstein, quand on demande à un poisson de grimper à un arbre, il pense toute sa vie qu’il n’a aucun talent. Nous en sommes là aujourd’hui. Il n’existe aucune orientation pour les élèves handicapés, ou alors une orientation intimement liée à la vision qu’a l’enseignant du handicap de l’élève.

Isabelle Pinatel a évoqué tout à l’heure les discriminations de genre. Il reste compliqué pour les élèves homosexuels de faire leur coming-out au lycée, ce qui pose également la question de l’inclusion scolaire. Ainsi l’intégration scolaire des enfants de migrants dépend-elle fortement des établissements dans lesquels ils sont accueillis.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous rappelle, monsieur Arenas, que la commission d’enquête se centre sur les enfants en situation de handicap. Les sujets que vous évoquez sont éminemment importants, mais ils ne sont pas au cœur de notre mission.

M. Rodrigo Arenas. J’en conviens, mais il arrive que certains élèves cumulent les difficultés. C’est le cas, par exemple, d’un enfant porteur de handicap qui a une orientation sexuelle et une situation administrative qui ne correspondent pas à la norme. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, certains enfants sont à la fois issus d’une famille migrante et porteurs de handicap. Pour eux, les choses sont encore plus difficiles.

À la FCPE, nous accompagnons ces familles dans leur parcours administratif. Elles ont du mal à comprendre que l’attention des pouvoirs publics soit principalement portée sur le handicap de l’enfant, au détriment d’autres aspects importants. De ce point de vue, la question de la formation des enseignants est centrale. Ils ne sont pas suffisamment préparés à l’accueil des élèves aux situations compliquées.

Mme Isabelle Pinatel. La FCPE, première fédération de parents d’élèves, n’a jamais été consultée sur les PIAL. Mme Sophie Cluzel, que nous avons rencontrée il y a près de deux mois, s’est engagée à ce que notre fédération intègre le groupe de travail créé sur ce dispositif. Nous attendons donc d’être contactés.

Une expérimentation est en cours dans le département de l’Aude, mais elle soulève de nombreuses questions. Au comité départemental de l’éducation nationale (CDEN), j’ai tapé du poing sur la table en tant que représentante de la FCPE : tout le monde parle du handicap, mais personne ne fait rien ! À ma demande, un groupe de travail a été créé sur le handicap, avec le soutien du préfet et de l’agence régionale de santé (ARS).

La première réunion a été organisée un lundi matin à 9 heures… Je travaille, je me lève à 4 heures du matin tous les jours et je suis bénévole. Je ne pouvais évidemment pas y assister. La participation des parents d’élèves est pourtant indispensable. Ce sont eux qui expliquent aux familles le fonctionnement de l’école. Ils ont une parole de parents et parlent le même langage qu’eux.

Le groupe de travail qui s’est réuni a discuté des PIAL, mais je n’y étais pas. Comment voulez-vous que j’explique ensuite ce dispositif aux autres parents ? Je ne suis pas en mesure de vous donner aujourd’hui mon avis à son sujet. La FCPE n’a pas été consultée.

Mme Mireille Robert. J’en référerai à mon préfet. Il n’est pas normal, en effet, de tenir une réunion sans les parents d’élèves.

Mme Isabelle Pinatel. Le mot « coéducation » a été créé par l’éducation nationale. Comment les parents peuvent-ils aider les enfants en situation de handicap s’ils ne sont jamais, ou très peu, intégrés aux processus mis en place ?

Mme Cécile Rilhac. J’aimerais revenir sur l’accompagnement des parents et sur le déni du handicap, que vous avez évoqué, monsieur Arenas. Quand la communauté pédagogique alerte une famille sur le problème d’un enfant qui pourrait relever d’une situation de handicap, il n’est pas rare qu’elle se heurte à une forte résistance. La FCPE a‑t‑elle travaillé sur l’accompagnement des parents dans l’acceptation du handicap de leur enfant ?

Mme Catherine Osson. J’étais directrice d’école jusqu’à la veille de mon élection et je suis rapporteure spéciale des crédits de l’enseignement scolaire à la commission des finances. À ce titre, j’auditionne toutes les fédérations de parents d’élèves. L’Assemblée nationale s’apprête, dans le cadre du printemps de l’évaluation, à évaluer les politiques publiques. J’ai choisi quant à moi le thème de l’école inclusive et je serais intéressée de connaître votre évaluation de la politique qui lui est consacrée.

Pour rédiger mon rapport, j’ai conduit de nombreuses auditions et beaucoup travaillé sur les parcours des enfants, qui peuvent être multiples, selon notamment que le handicap est détecté avant ou pendant l’école. Je suis particulièrement préoccupée par la rupture entre le premier et le second degré. Quel est votre avis sur cette question ?

Quand j’étais directrice d’école, j’ai accompagné des enfants handicapés dans leur parcours scolaire, avec ou sans auxiliaire de vie scolaire (AVS). L’école est le lieu où l’on cherche à rendre autonomes tous les enfants. Malheureusement, lors de l’entrée en sixième, il n’est souvent plus question de plan d’accompagnement personnalisé (PAP) ou de programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) pour l’élève. Je rencontre souvent fin octobre des parents très inquiets.

Le passage dans le second degré est difficile pour tous les enfants. Ils cessent d’être les plus grands de l’école et doivent s’habituer à une manière de fonctionner totalement différente. Si la transition est délicate pour les élèves les plus fragiles, elle l’est encore davantage pour les enfants porteurs de handicap. J’ai souvent eu le sentiment que, pour eux, le premier trimestre de la sixième était perdu. Partagez-vous cette impression ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous avons reçu de nombreux témoignages de parents plongés dans le désarroi face aux embûches du parcours administratif qu’ils doivent suivre pour scolariser leur enfant. Ils expriment un fort sentiment d’abandon Dans mon territoire, la Seine-maritime, ces témoignages ont été si nombreux qu’ils m’ont conduit à déclencher la création de cette commission d’enquête. Un très grand nombre de parents ont quitté leur travail pour affronter ce parcours du combattant et faire face pendant l’instruction de leur dossier. Celle-ci peut prendre entre trois et dix mois pour aboutir à la notification de la MDPH.

La question des aidants et de leur statut, et des parents en situation d’aidants, est-elle une question qui vous préoccupe et sur laquelle vous avez des propositions ?

Mme Mireille Robert. La formation des enseignants, pour leur permettre d’enseigner à tous les élèves quels qu’ils soient, est un sujet qui, je le sais, tient à cœur à la FCPE. Toutefois, à l’école primaire et au collège, les professeurs sont si nombreux qu’il paraît difficile de tous les former. Êtes-vous associés à la formation des enseignants, et si oui comment ? Quelles sont vos attentes dans ce domaine ?

En ce qui concerne les ULIS, il m’a été rapporté que certains enfants qui y sont accueillis n’y auraient pas leur place et qu’ils s’y trouvent faute de pouvoir être admis dans d’autres établissements. Avez-vous la possibilité d’intervenir dans ce type de situation ? Les parents vous sollicitent-ils à ce sujet ? Quel est alors votre rôle ?

M. Rodrigo Arenas. Nous sommes évidemment en contact avec les personnels accompagnants dans les écoles. La FCPE estime que la précarité de leur statut n’est pas propice à l’investissement humain et affectif qui fonde leur mission au quotidien. La faiblesse de leur rémunération et de leur formation nuit également au bon déroulement de leur travail.

Ces personnels accompagnants sont essentiellement des femmes, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur la façon dont on considère le handicap en France. On parle souvent des « infirmières scolaires » et rarement des « infirmiers scolaires ». L’institution devrait réfléchir aux dénominations qu’elle utilise pour ce type de métiers, car il s’agit bien de métiers à part entière, qui impliquent la reconnaissance d’un savoir-faire, d’une expérience et un lien spécifique avec la formation, pour tenir compte des avancées de la recherche et de la science.

La FCPE a présidé à différentes rencontres avec les personnels accompagnants, souvent à l’initiative des syndicats qui les représentent. Ces femmes, puisque ce sont généralement des femmes, demandent la reconnaissance de leur statut, de leur métier et de leur rôle auprès des enfants.

Quant à la formation des enseignants, elle ne préoccupe pas seulement les parents d’enfants handicapés, mais tous ceux qui s’intéressent au handicap et qui considèrent comme une richesse pour leur enfant de rencontrer sur les bancs de l’école des enfants différents. Nous avons la prétention de croire que les fédérations de parents contribuent à changer le regard sur le handicap.

L’objectif, en formant les enseignants, n’est pas de former des experts dans l’accompagnement des enfants autistes ou dyslexiques. Il est simplement normal qu’ils sachent accompagner les élèves porteurs de handicap au même titre que les autres enfants. Nous devons en finir avec l’idée selon laquelle un enfant handicapé est source de problème dans une classe, parce qu’il demanderait une attention particulière et détournerait le professeur de son travail avec les autres élèves. Certains parents n’hésitent pas à affirmer que la présence d’un enfant handicapé dans une classe fait baisser le niveau des autres élèves !

Les parents d’enfants en situation de handicap sont confrontés à de nombreuses questions. Notre rôle est de leur proposer des modules de formation et des réunions d’information au sein de l’école, par exemple sur la dyslexie. La FCPE organise aussi des cafés parents et des conférences, et distribue des documents d’information. Nous voulons aider les parents à accepter le handicap à l’école et montrer qu’il ne se traite pas uniquement par une approche médicalisée.

La médicalisation de l’échec scolaire est généralisée dans notre pays. Quand leur enfant rencontre des difficultés à l’école, de nombreux parents consultent un médecin ou un psychologue pour obtenir un certificat médical. Ils trouvent un soulagement à expliquer les mauvais résultats de leur enfant par une dyslexie, une dyspraxie ou un trouble autistique. Tout parent se sent responsable de l’échec de son enfant. Le travail de coéducation évoqué par Isabelle Pinatel est dès lors central. Un handicap scolaire ne doit pas empêcher un enfant de s’intégrer dans une classe.

Dans certains territoires, les parents d’élèves de la FCPE sont invités à participer aux stages de formation des enseignants dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Néanmoins, dans la grande majorité des ESPE, les parents n’y sont pas associés. Le système, du coup, est bancal. Bien qu’elle soit prévue par la loi, la coéducation peine à exister dans les écoles et les établissements de l’éducation nationale, car elle n’a aucune existence dans la formation des enseignants.

Comment aider les enseignants et les parents à travailler ensemble ? Voilà la question la plus importante. La FCPE considère que lorsque les parents sont associés à la vie de l’école, grâce au travail des fédérations notamment, alors tout est plus simple.

Plus les enseignants sont formés, plus les parents sont associés au projet éducatif de l’école, plus les fédérations et les associations sont impliquées dans l’accompagnement des enfants porteurs de handicap, plus ces élèves sont épanouis, parce qu’ils sentent autour d’eux un climat de bienveillance. Le handicap n’est plus alors une préoccupation ou une charge mentale ; il caractérise simplement des élèves aux besoins particuliers, qui nécessitent davantage de moyens que les autres pour avoir une scolarité harmonieuse. L’objectif de l’école est de rendre les enfants heureux, pas forcément d’en faire des élèves excellents. Mais sur ce point, la position de la FCPE est connue.

Mme Isabelle Pinatel. Vous avez, monsieur le rapporteur, évoqué les parents qui cessent de travailler. Nous n’avons pas de préconisations particulières les concernant. J’aimerais simplement souligner que le handicap ne s’arrête pas quand l’enfant sort de l’école. Il pèse sur sa vie du moment où il se lève jusqu’au moment où il se couche.

Certains handicaps sont plus lourds que d’autres mais, bien souvent, la différence vient de la confiance. Certains établissements mènent de véritables politiques d’inclusion et de formation des enseignants. Ils mettent tout en œuvre pour prendre en compte le handicap : ils essaient, ils proposent, ils associent les parents. D’autres, en revanche, ne font rien, par manque de volonté ou de moyens. Je ne leur jette pas la pierre, je le constate. Les situations sont évidemment différentes à la ville et en pleine campagne.

L’arrêt du travail est une question importante, mais je n’ai pas de solution à vous proposer aujourd’hui. Nous pourrions sans doute y réfléchir.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Réfléchissez-y, c’est un beau sujet.

Mme Isabelle Pinatel. S’agissant de la formation des enseignants, il y a tout à faire, selon moi, dans ce domaine. On nous demande régulièrement, dans les départements, de venir expliquer aux futurs professeurs le rôle des fédérations de parents d’élèves, en matière de coéducation notamment. Les formations proposées par l’éducation nationale ne sont pas suffisantes et les enseignants sont de plus en plus nombreux à compléter leur formation dans le secteur privé.

Former les enseignants à l’accompagnement des élèves handicapés, certes, mais à quels moments ? Les professeurs qui se forment pendant leurs heures d’enseignement sont-ils systématiquement remplacés ? Le sujet est complexe, car on ne peut évidemment pas accepter que la formation des enseignants se traduise, pour les élèves, par une rupture des apprentissages.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Pouvez-vous nous parler des ruptures de parcours, mais aussi de l’organisation de la journée d’un élève handicapé ? Notre commission s’intéresse aux temps périscolaires tels que la cantine, les loisirs du mercredi et les activités sportives.

M. Rodrigo Arenas. L’organisation de la journée dépend du handicap de l’enfant et de son type de scolarisation. En fonction de la prescription du médecin, il peut aller en classe uniquement le matin ou toute la journée. L’adaptation au rythme scolaire est toujours une question délicate.

Les ruptures de parcours ont été évoquées au sujet du premier et du second degré, mais elles concernent aussi l’insertion de l’élève dans la vie professionnelle. Qu’il soit porteur de handicap ne signifie pas qu’il n’aura jamais de travail. Des dispositifs alternatifs à ceux de l’éducation nationale sont souvent proposés à l’adolescence aux élèves handicapés. On a tendance actuellement à vouloir les sortir du milieu ordinaire pour les placer dans des établissements spécialisés.

L’inclusion des adolescents porteurs de handicap dépend des politiques menées par les collectivités territoriales, en particulier les régions, responsables de la formation et des filières professionnelles. Les écoles de la deuxième chance (E2C) sont un choix possible par rapport au parcours scolaire traditionnel, un choix qui relève de l’intimité de la famille et sur lequel nous n’avons que très peu de prise. L’intimité de la famille relève d’une autre dimension que les dispositifs réglementaires. C’est pourquoi la question des ruptures de parcours est si délicate.

Une chose est néanmoins certaine : les enfants handicapés et leurs familles sont victimes d’un plafond de verre. Il est vrai que les dispositifs offerts par l’éducation nationale ne sont pas toujours connus des parents – il faut être un expert pour tous les connaître –, mais les parents eux-mêmes s’interdisent d’en faire la demande, persuadés qu’ils ne conviendront pas à leur enfant et le mettront en échec. Pour ces parents surprotecteurs, toutes les étapes de la vie de leur enfant sont de toute manière vouées à l’échec : l’école, le collège, le lycée et la vie professionnelle.

Il y a pourtant un avenir possible pour les enfants en situation de handicap. Il faut le savoir, il faut y croire aussi. C’est sans doute ce qui manque aujourd’hui à l’école française, pour les enfants handicapés comme pour les autres : nous avons perdu le sens.

Qu’attendons-nous de nos enfants ? Au sein des différentes instances auxquelles nous participons, nous constatons combien il est difficile de répondre à cette question. Mais si nous ne savons pas ce que nous attendons des enfants sans difficultés particulières, comment le saurons-nous pour les enfants porteurs de handicap ? Les ruptures de parcours ne sont pas tant une question de dispositifs que de sens et de perspectives donnés à la trajectoire scolaire de l’enfant.

J’aimerais revenir sur le statut des parents obligés de quitter leur travail pour s’occuper de leur enfant. Leur situation, il faut le redire, est terriblement difficile ; elle l’est encore davantage lorsque l’enfant souffre d’un handicap moteur, ce qui pose des problèmes de logement. Bien souvent, ce sont les mères qui ne travaillent pas. Ces familles mériteraient de bénéficier d’un statut particulier. Elles finissent par reléguer au second plan leur propre avenir. Cette question concerne la société tout entière. La loi sur l’inclusion des enfants en situation de handicap mériterait d’inclure leurs parents. Ils subissent une double rupture et une double peine.

La plupart des parents d’élèves qui aident d’autres parents ont déjà connu le parcours du combattant de la scolarisation d’un enfant en situation de handicap. En Seine-Saint-Denis, une dizaine de parents de la FCPE consacrent toutes leurs journées à aider des familles dans leurs procédures administratives. Nous ne sommes pas autorisés à remplir les dossiers à leur place, et c’est bien ainsi, car ce travail aide les parents à prendre conscience de leur situation. Certains sont si démunis face à la lourdeur des procédures qu’ils échouent à bénéficier de leurs droits.

Mme Cécile Rilhac. Avez-vous entendu parler de la plateforme internet Invorm, créée par une maman ? Elle connaît actuellement un grand succès et vient d’être reconnue officiellement par le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées. Elle apporte aux parents une aide précieuse pour connaître les dispositifs et remplir les papiers.

Mme Isabelle Pinatel. Je ne connais pas ce site, mais il en existe un très grand nombre. On trouve également pléthore de livres sur le handicap. Le problème est qu’il se dit tout et n’importe quoi. Si les parents trouvaient à l’école toutes les informations dont ils ont besoin, ils n’auraient pas besoin de les chercher ailleurs, au risque d’obtenir des renseignements inexacts.

J’aimerais insister sur deux points. Le premier est qu’il faut commencer à détecter les enfants en situation de handicap dès la maternelle. Malheureusement, les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) sont de moins en moins nombreux. J’ai été surveillante et j’ai déjà vu un élève arriver en troisième sans savoir lire. Comment est-il possible que ses difficultés scolaires n’aient pas été détectées plus tôt ? En France, nous faisons tout dans le désordre : la réforme du lycée, puis le collège, et la maternelle en dernier ! C’est pourtant là que tout commence. La maternelle est le chantier prioritaire.

Le second point sur lequel je voudrais vous interpeller concerne les enfants handicapés et à besoins éducatifs particuliers qui passent en conseil de discipline. Je n’ai pas trouvé de rapport sur ce sujet et j’aimerais savoir combien ils sont précisément à être concernés par cette procédure, qui vise purement et simplement à se débarrasser d’eux. Tel est mon avis de maman.

Dans le collège à côté de chez moi, la quasi-totalité des enfants passés en conseil de discipline ont été violents du fait d’un environnement inadapté. La semaine dernière, une accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH) et une enseignante n’ont rien trouvé de mieux que de ceinturer un élève atteint d’un trouble autistique. La loi prévoit un conseil de discipline chaque fois qu’une violence est exercée par un élève, mais je m’interroge, en tant que mère : où la violence commence-t-elle ? Nous avons réussi, lors du conseil de discipline consacré au cas de cet élève autiste, à sauver sa place dans l’établissement. Mais pour celui-là, combien en exclut-on ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il n’appartient pas à la commission d’enquête de répondre aux questions que vous lui posez – c’est plutôt l’inverse. En outre, sa composition plurielle obligerait chacun de ses membres à vous donner son avis, ce qui pourrait être long. En revanche, rassurez-vous : l’incapacité de l’institution scolaire à prendre en charge les enfants en situation de handicap, ainsi que les discriminations, l’exclusion, la stigmatisation et la culpabilisation qu’entraîne cette incapacité, sont au cœur de la réflexion de notre commission d’enquête.

Nous avons sollicité l’éducation nationale et les différents ministres pour obtenir des éléments chiffrés, objectifs, étayés et consolidés. L’un des problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés est précisément que nous ne parvenons pas à approcher la vérité. À ce jour, nous n’avons toujours pas reçu de réponse du ministère de l’éducation nationale. Nous allons revenir à la charge, car il est dans l’obligation de nous l’apporter.

M. Rodrigo Arenas. Les portails en ligne créés pour informer les parents sont nombreux et bienvenus quand ils sont labélisés par l’État, ce qui atteste de la fiabilité des informations qu’ils contiennent. La simplification administrative menée par le secrétariat d’État est positive. Nous ne savons pas aujourd’hui jusqu’où elle ira, car le groupe de travail annoncé ne s’est pas encore réuni, mais elle est indispensable. Si elle permet aux familles de n’avoir pas à renouveler leur dossier tous les ans, nul doute qu’elle sera fort appréciée.

Sur toutes les questions liées au handicap, la FCPE constate un mouvement de privatisation rampante du service public. Les parents font de plus en plus appel à des professionnels du secteur privé. Ainsi, les quotients intellectuels (QI) n’étant plus détectés à l’école, les parents ont recours à des psychologues libéraux pour faire diagnostiquer leur enfant à haut potentiel. Le prix de la consultation avoisine les cent euros et le diagnostic n’est pas toujours reconnu par l’école.

Il est important que la détection des enfants en situation de handicap soit faite par le corps médical. Cette tâche ne saurait revenir aux enseignants. Hélas, les professionnels extérieurs à l’école ne sont pas toujours fiables. Certains disent aux parents ce qu’ils désirent entendre pour justifier la situation difficile de leur enfant en milieu scolaire. La puissance publique doit jouer son rôle pour réguler ce paysage parfois rocambolesque sur le terrain. Les parents sont confrontés à tout et n’importe quoi.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous arrivons au terme de cette audition. Nous vous remercions pour vos témoignages et votre implication auprès des parents.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. N’hésitez pas à nous envoyer des contributions écrites pour compléter ces échanges. Vous pourriez ainsi nous éclairer sur une question que je n’ai pas eu le temps de vous poser : avez-vous connaissance de signalements de situations préoccupantes, à l’initiative des enseignants, concernent des enfants en situation de handicap ?

 

 

 

 


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3.   Audition de Mmes France Mochel et Caroline Moreau Fauvarque et MM. Pierre Naves, Marc Rolland et Yannick Tenne, auteurs du rapport conjoint de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR), de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et de l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) sur « L’évaluation de l’aide humaine pour les élèves en situation de handicap »

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous achevons cette séquence d’auditions en accueillant les auteurs du rapport sur « L’évaluation de l’aide humaine pour les élèves en situation de handicap », publié en juin 2018 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR).

Nous recevons donc Mme France Mochel et M. Pierre Naves, membres de l’IGAS, Mme Caroline Moreau-Fauvarque et M. Yannick Tenne, inspecteurs généraux de l’éducation nationale, et M. Marc Rolland, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Votre rapport conjoint dresse un certain nombre de constats, en particulier sur les inégalités territoriales dans les modalités d’allocation de l’aide humaine aux élèves en situation de handicap et dans le suivi des parcours de scolarisation de ces élèves.

Il formule également des propositions, comme l’augmentation du nombre d’enseignants référents pour arriver à une cible de 130 à 160 élèves suivis par chacun d’eux, ou la création de « pôles d’établissements » dotés d’un certain nombre d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et organisant l’intervention régulière de professionnels libéraux et du secteur médicosocial
– mesure qui annonçait les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL).

Nous serions très désireux d’en savoir davantage. Aussi vais-je vous donner la parole. Mais auparavant, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous devez prêter serment, devant cette commission d’enquête, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Mochel, M. Naves, Mme Moreau-Fauvarque, M. Tenne et M. Rolland prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci d’avoir répondu à notre invitation et d’avoir, avec votre rapport, que j’ai lu attentivement, contribué à éclairer les différents ministères et la représentation nationale sur une situation bien difficile à évaluer. Elle l’est à tel point que l’on a déclenché une mission d’inspection pour tenter de dresser un diagnostic précis de l’aide humaine réservée aux enfants en situation en handicap.

Nous allons vous écouter attentivement présenter la synthèse de votre rapport. Puis nous tenterons de définir ensemble les leviers immédiats et futurs qu’il serait possible de mobiliser pour améliorer la situation.

M. Pierre Naves, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Nous avons travaillé longtemps, près de six mois, tous les six, à la rédaction de ce rapport, pour lequel nous avons fait des déplacements sur le terrain. Nous connaissons bien, les uns et les autres, le sujet de la scolarisation des enfants handicapés. Il n’est d’ailleurs pas rare, monsieur le rapporteur, qu’il soit au cœur de missions d’inspection générale. Des rapports sur ce thème sont produits régulièrement, pratiquement une fois par an. Nous devrions donc bien connaître la situation mais, comme vous avez eu raison de le souligner, elle est très compliquée, et tout d’abord parce qu’il est difficile de connaître le nombre exact d’enfants handicapés en France.

Actuellement, seule une reconnaissance administrative permet de savoir qu’un élève est porteur d’un handicap. Parce qu’ils estiment qu’un enfant connaît une difficulté telle qu’elle pourrait être reconnue comme un handicap, des parents ou des enseignants déposent une demande. Compte tenu de la nature humaine de l’expertise et de la diversité des pratiques, il n’existe pas de normes précises permettant de trancher. La commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) est seule à décider et, nous l’avons constaté, en fonction des personnalités et des départements, les règles appliquées sont différentes.

Pour complexifier le tableau, les plans d’accompagnement personnalisé (PAP), mis en place il y a trois ans, nécessitent l’agrément de la médecine scolaire, mais certains départements ont décrété que les médecins de l’éducation nationale, en nombre très insuffisant – comme l’a d’ailleurs montré un rapport conjoint de l’IGAENR, de l’IGEN et de l’IGAS, peu diffusé à ce jour –, n’avaient pas de temps à leur consacrer.

La lettre de mission à l’origine de ce rapport dressait le constat suivant : « De plus en plus d’enfants handicapés. De plus en plus de recours aux auxiliaires de vie scolaire (AVS). » Plusieurs questions en découlaient naturellement – Pourquoi ? Que font les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ? Que fait le secteur médicosocial ? –, auxquelles nous avons tenté de répondre.

Notre travail nous a conduits à constater de réels dysfonctionnements. Je pense, pour commencer, aux élèves en attente d’AESH. Malgré la décision qui reconnaît à un enfant le droit de bénéficier d’une assistance et d’être accueilli dans un institut médico-éducatif (IME), il s’écoule parfois jusqu’à trois ans avant qu’il n’obtienne une place.

Certaines situations ne sont pas normales non plus du côté des enseignants. Ils font parfois face à des classes très hétérogènes et peinent à prendre en compte les besoins de certains enfants.

Dans le secteur médicosocial, en revanche, le nombre de places offertes aux enfants handicapés a plutôt tendance à augmenter – ne voyez dans ce constat aucun parti pris du représentant de l’IGAS que je suis !

Alors, d’où viennent les difficultés ? Nous les décrivons dans notre rapport et nous abordons la question de la formation des AESH. Nous identifions, en particulier, un effet systémique : une demande d’aide pour un enfant est déposée, elle chemine, finit par aboutir, ce qui conduit à des classes avec de plus en plus d’enfants handicapés, souvent deux ou trois.

Mais de vrais succès existent également, que nous soulignons. Les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), qui proposent un nouveau modèle, sont l’un d’eux. J’ai personnellement travaillé sur ces structures il y a plus de vingt ans. Elles étaient alors très peu nombreuses et, d’ailleurs, on parlait plutôt de classes pour l’inclusion scolaire (CLIS). Les ULIS d’aujourd’hui fonctionnent pleinement. Elles accueillent, pendant des temps de regroupement, des élèves handicapés scolarisés en classe ordinaire, dont elles animent la prise en charge. À l’école, au collège et au lycée, les ULIS permettent un excellent accompagnement et se développent.

M. Yannick Tenne, inspecteur général de l’éducation nationale (IGEN). Plusieurs points nous ont paru importants lors de la conceptualisation de ce rapport. Compte tenu de la mission qui nous était fixée, il devait se centrer avant tout sur l’aide humaine, mais nous l’avons volontairement élargi à l’école inclusive. Il nous est apparu, en effet, que la loi de 2005 avait transformé les principes de l’accueil des élèves en situation de handicap dans le système éducatif, et nous avons jugé important de faire le lien entre les réponses apportées, avec les MDPH et l’accompagnement humain, et les attentes à l’égard de l’école en tant que telle.

Nous évoquons, dans le rapport, le passage de l’intégration scolaire à l’inclusion scolaire. La trame essentielle de notre travail réside dans ce possible passage. Comme l’a indiqué Pierre Naves, nous avons identifié certaines réussites. L’augmentation forte du nombre d’enfants en situation de handicap s’est accompagnée d’une augmentation tout aussi forte du nombre d’accueils en scolarité ordinaire.

Nous avons toutefois constaté la complexité de cette scolarisation, à l’école et hors de l’école, et la difficulté pour les parents d’accompagner leur enfant dans le parcours scolaire. Celui-ci est humainement éprouvant pour les familles et pour tous les acteurs qui y prennent part.

Nous avons souhaité établir des lignes de cohérence entre l’accompagnement humain, principalement individualisé, pour des raisons structurelles, et des solutions plus diversifiées. Un équilibre doit être trouvé entre l’accompagnement individuel et l’accompagnement collectif. Pour mettre fin à leur opposition, plusieurs mesures sont à conjuguer, dont certaines apparaissent dans le plan d’action sur l’école inclusive présenté par M. Jean-Michel Blanquer et par Mme Sophie Cluzel. Ces mesures sont notamment le développement des ULIS et des PIAL, et la définition d’une nouvelle approche sur le statut des AESH.

Notre rapport expose un scénario global et aborde la place des enseignants référents et la question de l’autonomie donnée aux établissements en termes de moyens pour répondre plus rapidement aux demandes des parents. Il propose, dans la partie sur le pilotage, le renforcement des liens entre les différents partenaires.

Nous avons fait le choix de conserver les principes de la loi de 2005. Pratiquement vingt après son adoption, chacun le constate, l’application de ce texte soulève des difficultés, mais certains de ses principes restent importants, en particulier la recherche d’une collaboration et de complémentarités entre l’éducation nationale et ses différents partenaires. Le rapport définit le rôle des établissements médicosociaux dans la perspective de l’école inclusive.

Nous avons conscience que nos recommandations sont plus simples à formuler qu’à mettre en œuvre, mais elles ont avant tout pour but de fixer une direction.

M. Marc Rolland, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). J’aimerais compléter ce que viennent de dire mes deux collègues en soulignant la convergence quasi parfaite à laquelle nous avons abouti tous les six au terme de la rédaction de ce rapport. C’est loin d’être toujours le cas lorsqu’une mission réunit un grand nombre d’intervenants de tutelles différentes.

La loi de 2005 a été, en effet, une avancée majeure et s’est traduite par une meilleure inclusion scolaire des élèves en situation de handicap. Il n’en reste pas moins vrai, comme l’affirme le texte de présentation de cette commission d’enquête, qu’une phase II de l’inclusion scolaire est aujourd’hui nécessaire.

La première partie du rapport, nous en avons conscience, est sans doute un peu sommaire et simpliste, mais elle n’était pas directement au cœur de notre sujet, que nous avons volontairement élargi, comme l’a précisé Yannick Tenne. Il nous a également paru important d’indiquer les spécificités des différents types de handicaps.

Du point de vue de l’accompagnement, la loi de 2005 traite essentiellement la question de la compensation du handicap. L’aide humaine vise à le compenser et, dans les faits, y parvient souvent, en particulier pour les handicaps moteurs et sensoriels. En revanche, des progrès importants sont attendus dans le système éducatif en matière d’accessibilité pédagogique.

Environ 80 % des élèves en situation de handicap scolarisés souffrent de troubles du langage et de l’apprentissage, les troubles « dys », qui nécessitent la création de dispositifs favorisant le travail en équipe et l’articulation entre les accompagnants et les équipes pédagogiques. La coordination du secteur médicosocial et du secteur scolaire doit être améliorée, les besoins particuliers de ces élèves nécessitant une prise en charge différenciée et collective.

Pour le dire de manière un peu caricaturale, notre principale préoccupation est que le traitement du handicap au sein de l’éducation nationale ne se réduise pas à l’accompagnement par l’AESH. L’école a une responsabilité propre face au handicap, à travers le travail d’équipe et les moyens pédagogiques qu’elle déploie, d’où nos propositions sur les pôles d’établissements, la coordination des partenaires et la professionnalisation des AESH.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie. Nous allons à présent passer aux questions.

Monsieur Rolland, vous venez d’évoquer, à juste titre, les progrès attendus en matière d’accessibilité pédagogique. J’ai immédiatement pensé aux troubles du comportement de certains élèves, associés souvent à des difficultés cognitives. Quelle approche préconisez-vous sur cette question qui préoccupe de très nombreux enseignants ?

Les précédentes auditions ont fait apparaître un important besoin de clarification sur le dispositif des PIAL, introduit par le projet de loi pour une école de la confiance et dont votre rapport est un peu à l’origine. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur sa mise en place ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Le rapport souligne, comme l’ont fait les précédents intervenants que nous avons auditionnés, l’écart qui existe entre la reconnaissance et la notification d’un droit formel, inscrit dans la loi, et la mise en œuvre de ce droit. Ceux qui reconnaissent ce droit n’ont même pas connaissance du moment où l’accompagnement se concrétise. C’est là un problème qu’il va nous falloir résoudre intelligemment. Ne courons-nous pas le risque, en effet, d’adosser la reconnaissance du droit aux moyens disponibles et mobilisables ?

Un message électronique envoyé par l’inspection académique de Créteil a été porté cet après-midi à notre connaissance. Je vous en lis un extrait : « Pour des problématiques budgétaires, nous sommes contraints, à la demande du rectorat, de ne plus recruter d’AESH jusqu’à nouvel ordre. De ce fait, les transformations de personnels en contrats aidés en AESH sont suspendues à partir d’aujourd’hui. Je vous prie de bien vouloir veiller à ce qu’aucun AVS ne se rende dans les écoles à expiration de leurs contrats aidés. »

En cherchant à améliorer l’articulation entre le droit formel et le droit réel, ne courons-nous pas le risque d’aboutir à un système dans lequel les droits dépendront des moyens disponibles ?

J’aimerais vous interroger également sur les PIAL. Je n’ai pas d’avis préconçu sur la nécessité d’une équipe mutualisée au niveau local, au plus près des territoires. La loi reconnaît cependant un droit individuel. Or, lors d’une précédente audition, un inspecteur de l’éducation nationale nous a affirmé que l’accompagnement collectif devenait la règle et l’accompagnement individuel l’exception. Je n’ai pas le sentiment que ce soit le sens de la loi, mais les acteurs redoutent que les PIAL soient un outil de rationalisation des moyens humains mobilisés, au détriment de la reconnaissance du droit individuel à l’accompagnement.

Mme Cécile Rilhac. De nombreux élèves, et leurs familles, sont confrontés à des ruptures de parcours entre l’école primaire et le collège, et dans une moins grande mesure entre le collège et le lycée. Faute de places en ULIS ou en IME, des enfants en situation de handicap sont scolarisés dans des collèges de l’éducation nationale, où ils bénéficient d’un accompagnement – humain, matériel ou même animal – qui ne répond pas à leurs véritables besoins.

Les élèves souffrant de handicaps cognitifs au collège n’ont pas la capacité d’acquérir les compétences du socle commun. Il est pourtant attendu d’eux qu’ils s’adaptent coûte que coûte. Avez-vous réfléchi à cette question ? Fait-elle l’objet de préconisations particulières dans votre rapport ? Certaines écoles hors contrat proposent un espace transitoire à ces enfants pour qui la scolarité en milieu ordinaire est une réelle souffrance. Qu’en pensez-vous ?

Mme Mireille Robert. J’ai pu le constater lors de mes visites, les ULIS sont une véritable réussite et apportent beaucoup aux enfants, grâce au travail remarquable des enseignants et des AESH.

Dans ma région, une région rurale, il n’y a malheureusement pas beaucoup de places dans ces structures, où des enfants aux handicaps lourds sont souvent placés faute de pouvoir être orientés dans un établissement adapté ou accueillis au collège. Il en résulte une situation insatisfaisante pour tout le monde. Et les enfants qui devraient être en ULIS n’y sont pas.

Les enseignants des ULIS que j’ai rencontrés m’ont fait part de leurs difficultés de coordination avec les professeurs de l’éducation nationale. Ils se sentent exclus et aimeraient participer davantage aux projets de l’établissement.

Quant à l’accessibilité pédagogique, ne serait-il pas possible de proposer une boîte à outils aux enseignants, via une plateforme internet ou un numéro de téléphone, afin de les aider, dès le mois de septembre, à mettre en place des solutions adaptées pour accompagner les élèves en situation de handicap ? Il ne s’agirait pas tant de couvrir le volet psychologique, affectif ou pédagogique de cet accompagnement que de conseiller l’enseignant sur des outils pratiques – comme une police de caractères particulière pour les enfants « dys » – afin de faciliter l’intégration de ces élèves.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai un grand respect pour la haute fonction publique, dont il faut préserver l’expertise. La République est une et indivisible, et doit être présente partout et pour tous. Or vous dénoncez les inégalités territoriales dans le traitement des demandes – du fait des différences de moyens entre MDPH –, dans la mobilisation des ressources en réponse aux notifications, et dans le déploiement des dispositifs de l’État, ceux du ministère de l’éducation nationale et ceux du ministère des affaires sociales pour les établissements spécialisés.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les inégalités territoriales ? Quelles parties de notre territoire mériteraient-elles d’être mieux prises en compte ? Les outre-mer constituent de toute évidence un sujet en soi. Comment, sans empiéter sur les compétences des départements, l’État assure-t-il son rôle en matière de péréquation afin de garantir l’égalité d’accès aux dispositifs publics ?

Mme France Mochel, membre de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). Permettez-moi de répondre sur un sujet qui me semble important : la reconnaissance des droits et leur mise en œuvre. Notre rapport met l’accent sur le fait que l’accompagnement individuel, certes important, n’est pas la seule et unique solution pour aider l’élève handicapé. Nous insistons sur la variété des acteurs susceptibles de l’accompagner dans sa scolarité, au premier rang desquels l’enseignant, s’il a été formé. Lorsqu’il n’a bénéficié d’aucune formation sur l’accompagnement des élèves en situation de handicap, le rapport montre que l’existence d’une classe ULIS à proximité d’une école ou dans un collège « percole » les compétences, en favorisant la circulation des informations au sein de l’équipe pédagogique sur la situation de tel ou tel élève. S’il existe plusieurs catégories de handicaps, pour un même handicap, chaque élève est différent.

Les enseignants référents ont également un rôle essentiel dans les interactions entre la famille et l’école. Ils sont là pour expliquer, par exemple, que le recours à un AVS individuel n’est pas forcément la meilleure solution pour l’élève, ce dont nous sommes convaincus. C’est d’ailleurs pourquoi le dispositif des PIAL nous paraît si pertinent. Il permet d’améliorer l’organisation du planning. Un AVS présent à un moment où l’élève n’en a pas besoin n'est d’aucune utilité, alors qu’il pourrait intervenir au même moment auprès d’un autre élève dans une autre classe.

Enfin, troisième acteur important susceptible d’accompagner l’élève handicapé dans sa scolarité : le service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD), qui a un rôle à jouer au sein de l’école ou du collège, pour diffuser, au-delà de la prise en charge de tel ou tel élève, les connaissances et les compétences.

L’idée sur laquelle nous avons voulu insister, selon laquelle l’accompagnement individuel n’est pas la seule solution pour aider l’élève handicapé, dépasse largement la question du droit à un accompagnement humain.

M. Pierre Naves. En 1993 et en 1994, à titre bénévole, j’ai soutenu le développement des AVS. Il n’y en avait que quelques centaines à l’époque. Puis leur nombre est passé à 2 000, et à 5 000 en 2001, quand Mireille Malot a présenté son rapport sur la pérennisation de la fonction d’AVS à Jack Lang, alors ministre de l’éducation nationale. Il y a aujourd’hui 60 000 AVS en France.

En 1993, pour qu’un enfant soit reconnu handicapé, il fallait qu’il bénéficie d’un accompagnement individuel. La loi s’est construite sur ce principe. Vingt-cinq ans plus tard, la situation a totalement changé. Il y a des élèves handicapés dans tous les établissements de l’éducation nationale. C’est ce que nous voulions, mais notre modèle, lui, n’a pas évolué : pour qu’un élève en situation de handicap soit scolarisé, il doit toujours être accompagné individuellement.

Nous sommes confrontés à de nombreux paradoxes du fait même de la persistance de ce modèle ancien. Entre le moment où l’on décide qu’un enfant peut bénéficier d’un accompagnement individuel et le moment où il en bénéficie réellement, il s’écoule plus d’un an. Cette période d’attente bien trop longue est source d’inquiétude pour l’enfant, ses parents et son enseignant. Les PIAL permettraient, en accélérant la prise de décision, la mise à disposition rapide d’un personnel accompagnant auprès d’un élève. Ils apporteraient ainsi la souplesse qu’un système administratif basé uniquement sur l’accompagnement individuel rend impossible. Il faut donc changer de modèle pour rendre le droit compatible avec les réalités du terrain.

Quant aux SESSAD, ils ont connu un fort développement du fait de la fermeture de nombreux établissements spécialisés et de l’encouragement à scolariser les élèves handicapés en milieu ouvert, dans une logique de décloisonnement propre au secteur social. Pour que les professionnels soient présents dans l’école, ils ont néanmoins besoin d’un local. Or il n’est pas facile de mettre d’accord la commune, l’éducation nationale et le SESSAD. Un changement est donc là aussi nécessaire pour tenir compte de cette nouvelle réalité : les élèves handicapés sont de plus en plus nombreux dans l’école.

Dans les établissements, un lieu doit être réservé au SESSAD. Le maire ou le président du conseil départemental ont l’obligation d’y veiller, en l’inscrivant dans le cahier des charges.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Cette obligation est-elle déjà en vigueur ?

M. Pierre Naves. Non, précisément.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai bien compris l’idée qui sous-tend votre rapport, mais la moitié des enfants en situation de handicap n’ont toujours pas d’accompagnement humain, et ceux qui en ont un ne l’ont qu’à temps partiel. Vous le préconisez en cas de véritable nécessité, ce qui demande d’optimiser l’organisation. Un plus grand nombre d’AESH disponibles n’est-il pas nécessaire pour répondre aux besoins qui surviennent concomitamment ?

Par ailleurs, l’augmentation des besoins est-elle une réalité ? Ou, comme je l’ai entendu, est-ce la structure qui crée le besoin, dans une logique endogène ? Dans mon département, on a fermé des CLIS au motif que leur seule existence était à l’origine de la demande. Récemment, un inspecteur de l’éducation nationale que nous avons auditionné nous a déclaré : « 45 % des primo-demandes ne sont pas justifiées. » Qu’en pensez-vous ?

M. Yannick Tenne. La question que vous posez, que nous avons tenté de traiter dans notre rapport en lien avec l’accompagnement, renvoie à une situation objective, dans laquelle les équipes éducatives jouent un rôle de « prescripteur caché ». De mauvaises réponses sont apportées aux difficultés de certains enfants en situation de handicap, ceux qui souffrent de troubles du comportement notamment.

Ces enfants, souvent diagnostiqués à l’école maternelle, posent difficulté aux enseignants. Une bonne adéquation entre leurs besoins et la réponse qui leur est apportée dans le cadre du parcours de la MDPH n’est pas simple à trouver. Quand l’équipe d’évaluation reçoit un dossier, la réflexion est déjà bien avancée au sein de l’équipe éducative : parce qu’elle est démunie face à l’élève, elle préconise souvent un accompagnement individuel.

Comment articuler le travail de l’équipe d’évaluation, qui détermine la situation de l’enfant en situation de handicap, et celui de l’équipe éducative, confrontée au manque de place et à l’absence de solutions ?

Dans certains départements, l’accompagnement humain fait partie du guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco). Il suffit de cocher la case correspondante dans le formulaire. L’analyse des besoins n’est donc pas aussi objectivée que l’on croit.

Notre rapport se réfère au rapport de 2008 de l’IGAS, de l’éducation nationale et de l’IGAENR, sur l’accompagnement du handicap en milieu scolaire, qui ne disait pas autre chose que ce que nous disons.

Pourquoi mettons-nous en avant les ULIS ? Parce qu’elles structurent beaucoup plus la réponse éducative et pédagogique, et favorisent la collaboration entre enseignants au bénéfice d’une meilleure inclusion des élèves dans le substrat scolaire. En ce sens, elles apportent une réponse à votre interrogation, monsieur le rapporteur, puisqu’elles comptent à la fois un AESH collectif et un coordonnateur des accompagnants individuels. Ces derniers sont beaucoup plus difficiles à coordonner en milieu scolaire ordinaire.

En ce qui concerne les inégalités territoriales, elles sont en effet mises en lumière dans notre rapport et, vous le soulignez à juste titre, exigeront tôt ou tard une réponse efficace. L’une des fiches que nous proposons est consacrée au pilotage, extrêmement formalisé et suivi dans certains départements, et beaucoup moins dans d’autres.

Deux départements de la banlieue parisienne relativement importants présentent des réalités totalement opposées : dans le premier, 30 élèves en situation de handicap attendent le traitement de leur dossier, contre 1 600 dans le second. L’analyse des situations, construites à partir de textes identiques et de modalités communes, révèle l’importance de la structuration du pilotage. Elle ne résoudra pas toutes les inégalités territoriales – dans certains départements, la forte présence d’établissements médicosociaux explique les orientations plus massives que dans d’autres –, mais elle est essentielle.

Face aux ruptures de parcours que, comme vous, nous avons observées, nous proposons de recourir aux ULIS. Elles sont en nombre suffisant pour l’école primaire, mais elles doivent être développées dans les collèges et les lycées professionnels.

Pour travailler sur les parcours, encore faut-il que de véritables projets personnalisés de scolarisation (PPS) soient mis en place. Dans certains établissements, ils n’existent tout simplement pas et sont, au mieux, remplacés par le GEVA-Sco. Nous nous sommes refusé à dresser la liste des bons et des mauvais exemples, mais le rapport entre le nombre d’élèves en situation d’attente et le nombre d’élèves engagés dans un projet de scolarisation et de suivi par une MDPH apporte de premiers éléments de réponse sur la question des inégalités territoriales.

M. Marc Rolland. J’aimerais répondre de manière globale aux questions posées sur le droit à l’accompagnement, la mise en œuvre des PIAL, leur pilotage et les risques en termes de moyens.

Le rapport formule une proposition importante sur le droit à l’accompagnement puisqu’il préconise un dispositif dans lequel l’accueil des élèves en situation de handicap serait directement pris en charge par l’école, indépendamment de la notification précisant la quotité horaire. Il n’y aurait donc plus de temps d’attente. Le droit commun serait l’accueil par l’éducation nationale.

Notre proposition se traduit aujourd’hui par la mise en place des PIAL – et la création de 3 000 d’entre eux, annoncée hier –, même s’il faut distinguer le dispositif tel que nous l’avions conçu et le dispositif tel qu’il se met en œuvre.

Après la sortie du rapport sur « L’évaluation de l’aide humaine pour les élèves en situation de handicap », j’ai participé, avec un collègue de l’IGEN, à la rédaction d’une note d’une quinzaine de pages destinée au ministre. Cette note, qui se penche sur la situation de trois académies en particulier, présente le bilan de l’expérimentation des PIAL et formule des préconisations. Elle recommande qu’une dotation d’AESH bénéficie à plusieurs établissements organisés sur un territoire afin de leur permettre d’accueillir, immédiatement, tous les élèves en situation de handicap.

Nous ne revenons aucunement sur le principe de base de la loi de 2005, c’est-à-dire la séparation de la prescription d’accompagnement et du suivi de la scolarité de l’élève. Yannick Tenne a souligné les carences qui existent en matière de PPS. Dans l’esprit de l’école inclusive, il est de la responsabilité de l’établissement scolaire d’accélérer la prise en charge des élèves handicapés. Les AESH mutualisés répondent à cet objectif.

Il ne s’agit pas de créer une administration parallèle. Pour le premier et le second degré, l’organisation doit prendre place à l’échelle de la circonscription scolaire. Pour les lycées, elle relève des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE), de taille plus importante et dans lesquels la problématique d’accompagnement des élèves en situation de handicap est quelque peu différente.

Les PIAL ont été expérimentés dans toutes les académies, après les annonces de Mme Sophie Cluzel et de M. Jean-Michel Blanquer au mois de juillet 2018. Notre rapport, publié en février 2018, a peut-être contribué à la réflexion.

Trois ou quatre PIAL en moyenne ont été expérimentés par académie, sans instruction sur le type d’organisation à mettre en place.

Au sein de la circonscription scolaire, le réseau des écoles autour d’un collège constitue le cadre de référence. Nous préconisons d’affecter les personnels accompagnants dans un même établissement scolaire, mais ils peuvent également travailler dans plusieurs d’entre eux, ce qui permet d’assurer les contacts, le suivi et le pilotage.

En ce qui concerne les moyens, un risque existe en effet que le budget détermine la capacité d’un établissement à recruter des accompagnants. Cependant, dans notre rapport comme dans la note sur les PIAL, nous insistons sur la nécessité, avant toute chose, d’utiliser au mieux les moyens existants.

Nous pensons que les accompagnants doivent être mis à disposition des écoles et des collèges sur la base du temps d’enseignement des établissements. Je ne sais pas si cette recommandation sera suivie lors de la mise en œuvre des PIAL, mais nous préconisons que, dans les écoles, le service des personnels accompagnants soit de 26 heures hebdomadaires : 24 heures pour l’école et 2 heures pour les temps de concertation et de travail avec les enseignants. Nous recommandons une harmonisation similaire dans les collèges.

Dans le système actuel, les notifications des MDPH fixent des quotités horaires. Entre le recrutement et le service donné à l’accompagnant, parfois auprès de différents élèves, les affectations sont très compliquées à réguler pour le rectorat, le département ou l’inspection d’académie. La gestion difficile des quotités horaires conduit à une déperdition des heures de travail des accompagnants.

Confier cette organisation aux établissements permettra d’améliorer le rendement, si je puis dire, la professionnalisation et le travail en équipe des accompagnants, en fonction des besoins définis par les équipes pédagogiques et les responsables de l’inclusion scolaire. Il existe certes un risque que la question des moyens l’emporte sur toute autre considération, mais il convient, pour commencer, d’utiliser au mieux les moyens existants.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. L’objectif des PIAL, du moins je l’espère, est surtout d’apporter un meilleur service aux élèves.

M. Marc Rolland. Tout à fait.

Mme Caroline Moreau-Fauvarque, inspectrice générale de l’éducation nationale (IGEN). L’inclusion scolaire doit être l’affaire de tous et nécessite, pour les enseignants, l’acquisition de compétences, que ce soit pendant leur formation initiale ou dans le cadre de la formation continue.

Nous avons observé, en rédigeant notre rapport, qu’un écosystème favorable émerge dès lors qu’un nombre suffisant de personnes sont compétentes dans l’accompagnement des élèves handicapés à l’école. L’ULIS est un moyen d’ancrer de manière pérenne, dans un établissement, cet accompagnement, qui relève autrement d’une seule personne, un professeur très impliqué, un enseignant référent ou le proviseur. La forte dépendance à l’égard d’un acteur unique n’est pas souhaitable, car elle est fragile. Les ULIS et les PIAL offrent au contraire la possibilité de stabiliser une organisation, qui agit ensuite par diffusion et contagion positives.

Les coordonnateurs d’ULIS ont parfois des difficultés à interagir avec les enseignants. La pérennisation du statut des AESH leur permettrait de devenir membres à part entière de l’équipe pédagogique et de diffuser leurs compétences dans les établissements.

Une question a été posée sur le versant pédagogique et les ressources disponibles. La mission handicap de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), en lien avec le groupe de travail du conseil scientifique de l’Éducation nationale dirigé par Mme Caroline Huron, chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), travaille actuellement à la conception de fiches pratiques. Caroline Huron réfléchit, sur le temps long, au développement de moyens pédagogiques et numériques adaptés au plus grand nombre d’élèves en situation de handicap. Outre ce travail sur des exercices inclusifs, elle s’intéresse à l’organisation d’examens inclusifs. Nous n’avons pas abordé ce sujet, mais l’adaptation des examens constitue une problématique en soi.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Que pensez-vous du message électronique de l’académie de Créteil s’agissant de la concrétisation de droits reconnus ?

Je vous en donne de nouveau lecture : « Pour des problématiques budgétaires, nous sommes contraints, à la demande du rectorat, de ne plus recruter d’AESH jusqu’à nouvel ordre. De ce fait, les transformations de personnels en contrats aidés en AESH sont suspendues à partir d’aujourd’hui. Je vous prie de bien vouloir veiller à ce qu’aucun AVS ne se rende dans les écoles à expiration de leurs contrats aidés. »

M. Marc Rolland. Nous ne sommes pas au courant de ce message de l’académie de Créteil. Nous avons toutefois reçu, il y a une quinzaine de jours, l’information suivante : dans le cadre du plan de transformation des contrats aidés en AESH, une dotation a été effectuée par le ministère. Chaque rectorat en a bénéficié, selon la répartition académique. Je ne connais pas précisément la situation de l’académie de Créteil.

M. Pierre Naves. L’instruction du 18 avril, à laquelle fait référence Marc Rolland, prévoit la transformation des contrats uniques d’insertion (CUI) en contrats d’AESH, ce dont on ne peut que se féliciter. Le message de l’académie de Créteil est pour le moins étonnant et exagéré, mais ce n’est pas la première fois que je constate une telle prudence à l’éducation nationale. Par peur du lendemain, on serre les boulons début mai, pour les desserrer ensuite.

M. Marc Rolland. S’agit-il d’un problème global de moyens ou d’un problème de gestion ? La transformation des CUI en AESH se fera en deux vagues de recrutement : la première au mois d’avril, la seconde à la rentrée. Peut-être cela explique-t-il l’instruction donnée par l’académie de Créteil, néanmoins critiquable.

M. Yannick Tenne. En amont de notre rapport, nous avons mené deux enquêtes flash sur les académies de Versailles et de Lille. La question était de savoir si, dans les conditions qui étaient les leurs, elles pouvaient répondre aux demandes d’accompagnement pour la rentrée 2018. Nous avons constaté que les services académiques faisaient globalement face, par des ajustements en fonction des dotations et des évolutions de gestion, et mettaient tout en œuvre pour que la rentrée se déroule dans les meilleures conditions possibles. Autrement dit, la situation en mai n’est pas la situation en septembre.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce message nous trouble beaucoup. Il est probable que des enfants n’auront pas d’accompagnants au mois de juin, ce qui entraînera de nouvelles ruptures de parcours.

Je vous remercie, mesdames et messieurs, d’avoir répondu à notre invitation et de nous avoir éclairés sur différentes questions, en particulier les PIAL. Ce dispositif préoccupe la plupart des intervenants que nous auditionnons.

 

 

 

 


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   Mardi 21 mai 2019

1.   Audition de Mme Stéphanie Jacquet, responsable du Collectif national « Une égalité des chances pour nos enfants TDAH » Mme Miora Rakotonarivo, référente du collectif pour le département de la Seine-et-Marne, Mme Christine Gétin, présidente de l’association HyperSupers, et Mme Diane Cabouat, administratrice

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission consacre aujourd’hui ses travaux à l’autisme et au trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Nous recevons à cette fin le collectif national « Une égalité des chances pour nos enfants TDAH », en les personnes de Mme Stéphanie Jacquet et Mme Miora Rakotonarivo, respectivement responsable du collectif et référente pour le département de Seine-et-Marne, ainsi que l’association HyperSupers, représentée par Mme Christine Gétin, présidente, et Mme Diane Cabouat, administratrice. Mesdames, nous vous souhaitons la bienvenue.

L’Association des HyperSupers TDAH France a été créée en 2002, à l’initiative de parents, pour aider les familles, adultes, et enfants concernés par le TDAH. Le collectif national « Une égalité des chances pour nos enfants TDAH » s’est constitué en juin 2018, notamment sous la forme d’un groupe Facebook comportant 1 400 membres environ, à partir d’une pétition lancée sur la plateforme change.org et adressée aux ministres Agnès Buzyn, Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel.

Mesdames, avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Stéphanie Jacquet, Miora Rakotonarivo, Christine Gétin et Diane Cabouat prêtent successivement serment.)

Je précise qu’ayant été enseignante spécialisée, j’ai été confrontée – je peux me permettre d’utiliser ce mot – à l’accueil d’élèves en situation de handicap et à l’accompagnement d’enseignants pour que cet accueil se déroule dans les meilleures conditions possibles, et que je sais combien c’est difficile.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Bienvenue à vous, mesdames. Je n’ai pas été enseignant, simplement maire et parent. J’ai pu constater, à la rentrée dernière, que l’inadéquation entre les principes, généraux et généreux, de la loi de 2005 et la réalité était parfois difficile à combler, sur des territoires de vie tels que la ville dont j’ai été l’élu. J’ai également pris conscience de la nécessité de se donner les moyens de mettre en œuvre ce que la loi prévoit, voire d’écrire un « acte II » de la loi de 2005, afin que chacun trouve sa place à l’école. C’est ce qui m’a conduit à déclencher la création de cette commission d’enquête. J’en suis très heureux car, depuis plusieurs semaines, nous multiplions les auditions et enrichissons notre réflexion en vue de la rédaction d’un rapport qui doit conduire le Gouvernement à prendre des dispositions concrètes, notamment financières, pour faire progresser cette belle cause qu’est la transition inclusive.

C’est dans ce cadre et dans cet esprit que nous vous recevons aujourd’hui. Nous voulons recueillir votre réflexion, votre diagnostic, votre expertise de parents ; nous souhaitons que vous nous disiez ce qui va bien, ce qui va mal, ce qui a changé, en intégrant les problématiques d’actualité. Nous attendons de vous une parole libre, sans tabou ni filtre. Nous ne sommes pas là simplement pour recevoir des compliments, je le dis d’autant plus facilement que je suis député de l’opposition, mais je le dis dans un état d’esprit de consensus, un consensus que nous avons voulu bâtir dans cette commission pour faire apparaître les marges de progression possibles.

Mme Christine Gétin, présidente de l’association HyperSupers. Notre association a été créée en 2002, trois ans avant la loi de 2005, à l’écriture de laquelle j’ai contribué en participant au comité des associations du handicap. Je suis notamment fière d’avoir fait inscrire dans la loi le terme de « handicap cognitif », incluant le TDAH.

Le TDAH se manifeste selon trois dimensions cliniques : l’inattention, l’hyperactivité et l’impulsivité. L’inattention est le cœur du problème : ce sont des enfants qui ont du mal à se concentrer, qui se laissent distraire extrêmement facilement, d’où un apprentissage problématique en situation de classe. L’hyperactivité et l’impulsivité sont beaucoup plus visibles : ce sont des enfants agités, qui bougent, qui ne tiennent pas en place, qui anticipent les questions avant qu’elles ne soient posées. Ces manifestations aboutissent souvent à ce que ces enfants qui dérangent soient exclus, mis à l’écart par les enseignants. L’inattention entraînera plutôt de grandes difficultés d’apprentissage.

Les documents que je vous ai remis résument deux enquêtes montrant l’évolution de la situation entre 2011 et 2018. Il faut savoir qu’avant la loi de 2005, comme personne n’était diagnostiqué TDAH, les enfants se retrouvaient en conseil de discipline puis étaient exclus. A partir de 2005, on constate une progression du diagnostic et de la prise en considération du TDAH. En 2011, environ 43 % des familles ayant répondu à notre enquête avaient demandé une reconnaissance du handicap de leur enfant et des aménagements scolaires. En 2018, elles étaient 77 % à avoir constitué un dossier, les parents étant mieux informés des possibilités offertes. Les difficultés résident, aujourd’hui, dans l’application des mesures prises : les familles obtiennent un PAP ou un PPAS, selon les difficultés de l’enfant, mais ensuite, sur le terrain, il n’est pas mis en application. Au collège, par exemple, il y aura trois enseignants qui prennent réellement les choses à cœur, mais deux autres qui feront tout déraper parce qu’ils prennent l’enfant à rebrousse-poil, c’est-à-dire exactement ce qu’il ne faut pas faire si l’on veut éviter qu’il soit énervé tout le reste de la journée.

On continue donc d’avoir des enfants qui subissent des exclusions : le taux des exclusions était de 22 % en 2011, il est de 21 % en 2018. Malgré le peu de données que nous avons, j’avais comparé à des études faites antérieurement, dont j’ai oublié le nom : c’était trois à huit fois plus. C’est énorme.

J’en viens à l’évolution des aménagements  – détaillée dans le document que je vous ai apporté. La difficulté demeure en particulier pour les examens : nous sommes inquiets pour l’avenir, car il semble que les aménagements ne seraient accordés qu’aux élèves ayant un dossier MDPH, et non un dossier PAP ne relevant pas de la MDPH. Ils auraient donc des aménagements toute l’année mais, le jour de l’examen, plus rien ! Nous avons réalisé un petit documentaire que vous pouvez regarder sur le web, dans lequel des séquences de dix ou quinze minutes montrent des enfants qui « boguent » lors des examens. Dix minutes se passent et l’enfant « n’est plus là », il ne fait pas l’examen, car il a vraiment besoin de temps supplémentaire pour faire des pauses, pour bouger, pour se reconcentrer.

Nous souhaitons que cette loi descende davantage sur le terrain, c’est-à-dire que les enseignants soient mieux formés et acceptent de ne pas considérer ces aménagements comme un avantage, mais comme un moyen de rétablir l’égalité en faveur de ces enfants qui souffrent de réelles difficultés et ne sont pas simplement mal élevés ou de mauvaise volonté. Il faut plus de pédagogie différenciée, des travaux en mode projet ou en mode groupe, en réunissant des compétences différentes, comme dans le monde du travail qui attend les élèves. La valorisation des compétences des élèves est insuffisamment développée dans notre milieu.

Il faut respecter les aménagements tels qu’ils sont définis et mettre en œuvre les procédures plus rapidement, car les dispositifs décidés en septembre ne sont bien souvent opérationnels qu’en avril, quand l’année est plus qu’entamée – il y a quasiment deux trimestres de fichus ! De même, les équipes de scolarisation se mettent toujours en place trop lentement. Il faut aussi faciliter les démarches d’obtention des aménagements pour les examens.

Sur le plan pédagogique, il est nécessaire de privilégier l’autonomie des enfants en s’appuyant sur des outils adaptés. On a tendance à accorder assez facilement une AVS – 90 % des demandes sont acceptées – alors que les aides matérielles ne sont satisfaites qu’à 60 %. C’est pourtant moins coûteux, plus facile, et ça donne plus d’autonomie à l’enfant.

Il faut aussi assouplir le temps scolaire, car ces enfants ont besoin d’un certain nombre de rééducations, pour les aider à gérer leur impulsivité, leur attention, etc. Tout cela se fait hors du temps scolaire, si bien qu’ils ont des emplois du temps de ministre ! Il faudrait davantage intégrer ces rendez-vous dans le temps scolaire : c’est prévu en théorie, sur le papier, mais souvent c’est refusé : on ne veut pas voir entrer les rééducateurs à l’école…

Mme Stéphanie Jacquet, référente de l’association « Une égalité des chances pour nos enfants TDAH » pour le département de Seine-et-Marne. Je tiens d’abord à vous remercier, madame la présidente, pour votre invitation, car nous avons besoin de mettre en lumière le problème du TDAH, qui est un problème de santé publique.

Notre collectif de parents a été créé en juin 2018, suite au lancement de la pétition nationale « Une égalité des chances pour nos enfants TDAH », qui a recueilli à ce jour plus de 65 500 signatures. L’un de nos principaux objectifs est la sensibilisation du grand public à ce problème de santé publique très important, dont on parle peu. Nous avions préparé un petit texte sur la définition du TDAH, mais il a été très bien résumé par Mme Gétin.

Le TDAH est souvent associé à des troubles comme les « dys », l’anxiété, ou même le trouble du spectre autistique. Il nécessite des prises en charge diversifiées, tant médicales que scolaires, car chaque enfant est différent, et concerne environ 5 % des enfants d’âge scolaire, soit un à deux élèves par classe. C’est une proportion importante, bien qu’on en parle très peu. Il s’agit de troubles invisibles – comme 80 % des handicaps –, mais le TDAH est particulier en ce qu’il est méconnu du grand public : journalistes, médecins, enseignants, parents, autres enfants. On le confond souvent avec une carence éducative ou d’origine psychologique, ce qui complique les prises en charge. Or, il n’en est rien : il s’agit d’un trouble du neurodéveloppement. Il n’y a pas de déficience intellectuelle, mais un fonctionnement différent du cerveau. Beaucoup d’enfants ayant un TDAH ont un bon potentiel, masqué par les troubles de l’attention.

Nous pensons que les enfants ayant un TDAH ont toute leur place en classe ordinaire, sous réserve de l’application de la loi de 2005. J’aimerais vous lire un extrait de la brochure À la découverte du TDAH écrite par le docteur Nathalie Franc et le docteur Frédéric Kochman, pédopsychiatres, portant sur l’impact scolaire.

« L’impact scolaire est fortement lié au degré d’hyperactivité motrice. En effet, le garçon – on peut ajouter : « la fille »… même si les filles sont moins hyperactives – turbulent, instable, dérangeant en permanence toute la classe, n’écoutant pas les consignes, faisant rire la classe et perturbant l’enseignant, va très rapidement être mis de côté, puni, voire exclu de la classe. En revanche, l’élève présentant au premier plan un déficit de l’attention, rêveur, plus attiré par la fenêtre que par le tableau, peut tout à fait passer inaperçu. En règle générale, la multiplication des frasques, l’agitation, l’instabilité, les oublis, les devoirs non rendus, les copies bâclées, les erreurs d’inattention, vont être préjudiciables pour l’élève. Le jugement de l’enseignant va être le plus souvent à charge négative de l’élève qui n’écoute pas, de l’enfant qui n’en fait qu’à sa tête, irrespectueux, paresseux, manquant de motivation, etc. Tout se passe comme si un enfant myope, non diagnostiqué et sans lunettes, était considéré comme faisant exprès de ne pas lire les consignes, non motivé par les cours. Le diagnostic posé et diagnostiqué à l’école peut avoir, au contraire, un impact très positif, réactivant une compréhension plus objective et une prise en charge empathique de l’élève. »

Ce texte a été écrit par deux pédopsychiatres qui connaissent bien le sujet, et je crois qu’il était important de donner cette vision de professionnels de santé sur l’impact scolaire des TDAH.

Nous constatons que ces troubles sont méconnus du grand public, y compris du personnel éducatif, qui y voit le plus souvent de la mauvaise éducation. En général, les enfants entendent les enseignants leur dire : « Non, tu n’es pas hyperactif, tu es mal élevé ». Mais l’hyperactivité peut avoir différentes origines et il y a effectivement des enfants mal élevés qui ont des comportements hyperactifs, des problèmes psychologiques, mais ça ne concerne pas le trouble du déficit de l’attention.

Parfois, je l’ai dit, les plans spécifiques tels que les PAP ou les PPS ne sont pas respectés.

Nous avons beaucoup de craintes quant au dispositif des PIAL car il est en train d’être généralisé sans avoir été évalué. Les familles, les associations, sont vraiment très inquiètes de ce qui est proposé et du risque de confusion des rôles – par exemple entre enseignants et professionnels de santé, au regard du secret médical. L’idéal serait de continuer à travailler entre professeurs et professionnels de santé, avec des préconisations sur les aménagements scolaires.

Concernant l’AVS mutualisée, il est indiqué que la demande d’une AVS individuelle reste possible, sous réserve de l’accord de l’enseignant et du directeur d’école, mais les équipes éducatives ne sont pas formées à ces troubles invisibles, mal connus et mal compris. Les élèves ayant un TDAH risquent donc de ne pas bénéficier de ces accompagnements. De plus, la raison d’être d’une AVS ou d’une AESH est la compensation d’un handicap personnel ; son octroi doit se faire en fonction de la personnalité de l’enfant, non de la disponibilité du personnel d’accompagnement.

Les enfants sont privés de récréation, ce qui est contraire au but recherché. Il existe des expériences différentes dans d’autres pays, qui passent par exemple par des séances de méditation plutôt que par des punitions. De nombreuses propositions visant à une meilleure inclusion scolaire peuvent paraitre originales, mais ont fait leurs preuves. S’en inspirer peut être intéressant – pas uniquement, d’ailleurs, pour les enfants TDAH, mais pour tous les autres.

Si vous interrogez un parent d’enfant TDAH, il vous dira que son enfant a toujours sur son bulletin scolaire les appréciations : « manque de concentration », « coupe la parole »... Effectivement, même pour nous, en tant que parent, c’est agaçant, mais le problème est l’impulsivité. La cause est médicale : c’est le fonctionnement des enfants, qui n’est pas dû à une envie chez eux de commander. C’est comme un enfant qui est myope et qui ne voit pas au tableau : son bulletin mentionnera-t-il « porte des lunettes » ?

Malheureusement pour nos enfants, les démarches mises en œuvre ne sont pas extraordinaires, le sujet reste très difficile. Les enseignants et accompagnants sont démunis face au TDAH et l’enfant est souvent en souffrance. Nous avons mis au point un questionnaire sur les difficultés rencontrées, pour connaître la prévalence des cas de dépression, d’anxiété, de harcèlement scolaire, de décrochage scolaire : seuls 14,9 % n’ont pas rencontré ce type de difficulté. Je vous remettrai une copie à chacun. Sur 953 élèves diagnostiqués TDAH, 12,3 % ont subi du harcèlement scolaire, 12,6 % sont en décrochage scolaire, 7,4 % souffrent de phobie scolaire. Nous parlons énormément de ces thèmes, et des parents m’ont dit : « Il aurait fallu pouvoir donner plusieurs réponses, car mon enfant a subi au moins trois ou quatre de ces difficultés ».

Nous travaillons beaucoup sur le décrochage scolaire, pour faire de la prévention. J’ai travaillé comme conseillère en insertion sociale et professionnelle auprès de jeunes de 16 à 25 ans. Pourquoi ne pas lutter contre le décrochage dès l’école primaire et le collège ? Il y a toute une prévention et une sensibilisation au handicap à faire.

Un autre problème vient de l’absentéisme des élèves dû au rendez-vous médicaux liés à leur trouble. Il n’y a pas de solution miracle à ça.

Le secrétariat d’État aux personnes handicapées a répondu en ces termes à notre demande de formation du personnel éducatif : « Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour offrir un accompagnement adapté à chaque enfant handicapé. Celui-ci nécessite notamment une formation et une meilleure sensibilisation des enseignants. À cet égard, 750 personnes du milieu éducatif ont été formées en 2018 dans le cadre de formations croisées avec les professionnels du secteur médico-social et des MDPH. » 750 personnes sur 861 000 enseignants, cela fait un taux de 0,09%... qui plus est, pour le handicap en général. Donc, grande question : comment réaliser l’inclusion scolaire dans ces conditions ?

Mme Christine Gétin. Il y a cinq ans environ, les formations de l’Éducation nationale sur le sujet portaient sur le volet psychanalytique. On donc revient de loin. La semaine prochaine, le ministère organise une journée entière consacrée aux TDAH, avec tous les inspecteurs d’académie. C’est bien, mais c’est une goutte d’eau dans l’océan.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai eu la chance de visiter, hier matin, une école qui utilise une pédagogie innovante, expérimentale, et qui serait l’école idéale pour les enfants avec TDAH, une école flexible et inclusive, avec des enseignants qui permettent à chaque enfant de trouver sa place dans la classe. Je souhaite que ces pédagogies se diffusent davantage. L’école que j’ai visitée est très suivie par le rectorat de Bordeaux : j’espère donc qu’elle fera beaucoup d’émules…

Je voudrais évoquer un sujet qui n’a pas été abordé : celui de la Ritaline. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Par ailleurs, les enfants ayant des TDAH peuvent également être sujets à d’autres troubles, comme la dysgraphie, la dyspraxie et les autres troubles « dys ». Pouvez-vous nous dire si c’est fréquent ?

Enfin, quels conseils donneriez-vous, en tant que parents, aux enseignants qui accueillent ces élèves qu’ils trouvent très difficiles, perturbateurs, pour leur faire une place ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci pour vos contributions riches, qui sont une forme de formation accélérée à l’usage des parlementaires que nous sommes. Merci également pour avoir pointé les questions de la formation, de l’adaptation de l’école, des outils, de l’expertise des parents, et aussi – même si vous l’avez dit poliment – du délai entre la sollicitation d’une aide matérielle et sa mise en œuvre. Nous sommes preneurs de toute information à ce sujet – à commencer par la nature de ces aides matérielles.

Je profite de l’occasion pour pousser un « coup de gueule », calmement mais fermement. La commission d’enquête se heurte à une difficulté : avoir une photographie exacte de la situation faite aux enfants en situation de handicap. C’est pour cela, d’ailleurs, que nous avons créé cette commission. Nous avons adressé un certain nombre de questions au ministère de l’Éducation nationale sur des sujets qui nous intéressent, comme le nombre de conseils de disciplines réunis et d’enfants exclus, celui des heures de formation dispensées, etc. La liste de nos demandes est longue, mais pas insurmontable. À ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse.

J’annonce à Mme la présidente, en tant que rapporteur de la commission d’enquête, que j’irai chercher moi-même les documents si on ne me les envoie pas. De deux choses l’une : soit il s’agit vraiment d’une priorité, comme il est dit dans les discours, et on permet à la commission de faire son travail correctement, soit c’est du bluff. C’est pourquoi, sans réponse du ministère de l’Éducation nationale ni de celui de la santé ni du secrétariat d’État aux personnes handicapées, j’userai mardi de mes prérogatives de rapporteur pour aller chercher moi-même les documents. J’espère que la vidéo de la présente audition sera vue par les cabinets des ministres concernés, et qu’ils me les prépareront pour me faire gagner du temps. On ne peut pas travailler si l’on n’a pas une connaissance fine des données. Les associations, les familles et nous-mêmes les demandons.

Après ce moment de colère froide, je poserai trois questions.

Vous pointez la question du dépistage, du diagnostic et de la prise en charge précoces. Quelles propositions concrètes faites-vous pour améliorer la situation ?

S’agissant de la formation, notamment celle des enseignants, quelles sont vos propositions concrètes ? Avez-vous conçu des modules vous-mêmes ? Si vous formez des inspecteurs, je suppose que la réponse est oui. Comment mettre en commun ces outils ?

Enfin, quel est votre avis sur les PIAL, qu’on est en train de généraliser avant même d’avoir sur eux un retour d’expérience ? Avez-vous de premiers retours ?

Mme Mireille Robert.. Quand vous dites souhaiter que davantage d’outils soient mis à la disposition des enfants, je pense que vous ciblez les ordinateurs et les tablettes, mais avez-vous en vue d’autres outils ? Je pense que ce qui est important pour eux, c’est un rappel des consignes et une concentration au moment du travail.

Deuxièmement, je suis interpellée par la question de l’aménagement scolaire. Je comprends bien que ces enfants ont une fatigabilité importante, un besoin de calme et en même temps de bouger car il leur est insupportable de rester vingt minutes immobiles à écouter une leçon, mais je voudrais votre avis sur un parcours aménagé qui serait simplifié, irait à l’essentiel et leur permettrait de souffler, d’avoir une vie d’enfant plus raisonnable – un peu comme pour les sportifs de haut niveau.

Mme Danièle Cazarian. Merci, mesdames, pour votre présence. Comment rendre visible l’invisible ? La confusion est fréquente entre un enfant hyperactif et un enfant mal élevé, ce qui crée de la souffrance pour l’enfant concerné et pour les parents, souvent désarmés. Certains enfants sont sous traitement, tandis que d’autres passent complètement entre les mailles du filet. Donc, ma question est très simple : comment mettre des outils plus performants à la disposition des parents désarmés suite au diagnostic ? En effet, les troubles ne sont pas décelés suffisamment tôt, et l’on peut avoir tendance à penser que l’enfant se concentrera mieux en grandissant. Comment mieux préparer les parents au diagnostic, et comment former nos enseignants ?

M. Bertrand Bouyx. Pour compléter la question de ma collègue, quels sont les critères permettant de distinguer entre un enfant atteint de ce type de trouble et celui qui aurait un comportement normal mais agité ? Je voudrais que les gens qui nous regardent  comprennent bien la différence.

Mme Christine Gétin. Je vais répondre à cette dernière question pour rebondir ensuite sur les traitements, dans la logique du diagnostic différentiel.

Comment reconnaître un enfant simplement agité d’un enfant TDAH ? En fait, si l’enfant est simplement agité, il n’y a pas de vrai problème. Les parents doivent se poser des questions quand ils commencent à se plaindre d’être épuisés, de devoir surveiller leur enfant à chaque instant pour lui éviter des accidents, d’avoir un quotidien où la pression atteint une intensité qui dépasse l’entendement.

Je vais vous raconter une anecdote, dont vous me direz que ça arrive à tout le monde, sauf que ça se répète dix ou vingt fois par jour. Mon fils, qui a maintenant 35 ans, a toujours ces difficultés là, mais il vit bien avec, après avoir dû malgré tout suivre un traitement pendant une partie de sa vie. Il avait perdu quatre fois de suite sa carte d’identité, avait quinze tournevis pour ouvrir la porte de son appartement quand il était sorti en laissant ses clés dans un tiroir, il avait perdu sa carte bancaire, son chéquier et son portable, qu’il s’était fait voler car il l’avait laissé dans un coin. La préfecture a même fait une enquête de police, assez logiquement, pour savoir s’il ne faisait pas un trafic de cartes d’identité ! Tout cela pour vous dire que cela atteint des sommets et que, dans une fratrie, ces enfants sortent du lot. Rien qu’entre le réveil et le moment où vous les déposez à l’école, vous êtes épuisé !

Le diagnostic différentiel est fait par des pédopsychiatres. Il faut que l’ensemble des symptômes soient présents depuis longtemps – déficit d’attention, hyperactivité, impulsivité – et entraînent une désocialisation –ce sont des enfants qui n’ont pas d’amis. Ce n’est pas simplement l’agitation qui fatigue les parents, c’est l’ensemble. Lors du diagnostic, le médecin va proposer des médicaments, généralement du méthylphénidate, connu sous différents noms commerciaux, dont la Ritaline. Ce médicament est un psychostimulant, qui améliore le niveau d’éveil et qui n’entraîne pas d’addiction. Le fumeur n’oubliera pas son paquet de cigarettes, mais l’enfant, lui, oubliera son médicament, car il n’est pas dépendant. Or, vingt minutes après la prise, il en ressentira les effets bénéfiques. Le premier jour où mon fils en a pris, il m’a dit : « Je ne savais pas que mon cerveau était capable d’être attentif » ! Ce médicament est à la fois le plus décrié et le plus étudié au monde. Si, en France, les prescriptions sont en augmentation, c’est parce que les diagnostics sont plus nombreux ; la proportion de personnes sous méthylphénidate reste tout à fait raisonnable et les chiffres de vente, publiés par Médic’am, sont stables.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Voulez-vous dire que cela peut être une béquille utile à un moment donné et qui ne présente de danger particulier ?

Mme Christine Gétin. Exact. Et c’est très bien surveillé.

Mme Stéphanie Jacquet. J’aurais aimé parler du diagnostic précoce dont vous parliez tout à l’heure. La difficulté vient de l’absence de prise en charge financière : les recommandations de la HAS consistent en des suivis par un psychologue, de la thérapie cognitive et comportementale, de la rééducation en psychomotricité ou des accompagnements par des ergothérapeutes afin de proposer des aménagements scolaires. Tout cela produit des résultats, mais aucune de ces prises en charge n’est remboursée par la sécurité sociale. À l’hôpital, il faut attendre un an pour avoir simplement un rendez-vous lorsqu’il y a une suspicion de trouble TDAH.

De plus, lorsqu’ un diagnostic a été posé, on va attendre l’âge de six ans pour voir si l’enfant se calme, car la crainte est de surdiagnostiquer le TDAH. D’autres problèmes s’ajoutent : trouver des professionnels qui puissent diagnostiquer ; des bilans de rééducation qui coûtent très cher – la HAS recommande de faire la rééducation avant la prise de médicaments –, etc.

L’absence de prise en charge précoce aboutit à des situations dramatiques. Or tout est lié. Pourquoi ne pas prendre en charge les rééducations dans les mêmes conditions que pour l’autisme, c’est-à-dire avant six ans ? Le problème est que les enfants avec TDAH ne présentent pas forcément de signes très significatifs et qu’il faut en général attendre l’âge de six ans, par précaution, pour vérifier que cela ne fait pas partie du développement normal de l’enfant. L’âge moyen du diagnostic se situe donc entre neuf et dix ans pour un enfant TDAH – quand il est diagnostiqué, car certains sont diagnostiqués bipolaires ou ne sont pas diagnostiqués du tout. Comment ces enfants peuvent-ils bénéficier d’un diagnostic précoce dans le cadre de la stratégie autisme ? C’est une vraie question.

Vous demandiez la proportion d’enfants ayant des troubles associés. Ils sont environ 84% à cumuler, et il s’agit généralement de troubles « dys ». C’est pourquoi nous nous battons pour demander des rééducations précoces et des prises en charge, pour essayer – au moins essayer… – d’éviter la prise de médicaments.

Monsieur le rapporteur, vous parliez des questions que vous avez adressées au ministère de l’Éducation nationale. Des députés en ont également posé pour connaître les aménagements possibles en termes de diagnostic. Mais les réponses sont difficiles à saisir puisqu’on nous parle de la formation qui est actuellement disponible ; cette commission permettra peut-être d’en savoir plus.

J’ai dialogué avec une enseignante qui passe le certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (Cappei). Il y a bien des formations sur les différents troubles du neurodéveloppement, mais aussi des propositions d’aménagement. C’est vrai qu’il est parfois difficile de savoir ce qu’il faut faire. À la maison, je disais à ma fille : il faut que tu calmes ton impulsivité, que tu restes tranquille, tu dois être éduquée. Depuis le diagnostic, ma vision a changé parce que j’ai compris qu’il fallait que son impulsivité sorte : je lui ai acheté un punching-ball. Il faut aider ces enfants à vivre avec leur différence, les aider à faire sortir leur impulsivité. Des initiatives émergent : à Chalon-sur-Saône, une enseignante a mis en place des vélos-pupitres, très bénéfiques pour tous les élèves. Très peu d’écoles font ça en France. Elle a commencé avec des vélos d’appartement. Elle organise aussi de petits ateliers de vingt minutes, où les enfants s’asseyent sur des ballons. On peut penser que c’est pour s’amuser, mais en fait ça reconcentre les élèves quels qu’ils soient, avec ou sans trouble. Il n’y a pas de solution miracle, mais il existe aussi ce coussin qui permet – c’est tout bête – de s’asseoir sans faire de bruit, et de bouger un peu sur sa chaise sans déranger les autres – parce que c’est compliqué pour les autres élèves aussi.

(Madame Jaquet donne à la tribune un coussin en matière plastique.)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je l’ai testé hier matin !

Mme Géraldine Bannier. J’ai enseigné seize ans dans une classe de collège : j’ai pu y voir la progression des diagnostics. Les dernières années, avant d’être élue députée, il n’était pas rare que j’aie, dans une classe de 26 ou 28 élèves, un élève dyslexique, une autre atteint de dyscalculie, un en situation de handicap et un avec TDAH. Ces progrès sont bienvenus, car je me souviens de la période antérieure : on avait parfois un élève de sixième qui passait la moitié du cours sous la table, sous la chaise. Dans mon collège en tout cas, cela faisait des années que l’on connaissait très bien le TDAH et que nous poussions à un diagnostic.

Dans votre discours, on sent parfois – ce n’est pas nouveau – une certaine amertume de parents envers les professeurs et vice versa. Vous l’avez dit : ils n’ont pas forcément les bons mots. C’est parfois compliqué, dans une classe de 25, d’avoir plusieurs élèves atteints des troubles dont nous parlons. Quand les troubles sont diagnostiqués, le professeur doit prendre en compte les injonctions formulées pour chaque élève, et, face à 25 élèves et à la complexité de l’adolescence, il peut se trouver un peu submergé. Comment faire pour réconcilier parents et professeurs et les amener à travailler ensemble ? Je pense que nous ne pouvons pas réussir les uns sans les autres. Or, il y a une défiance certaine.

Mme Béatrice Descamps. Je voudrais revenir sur les aménagements d’examens. Sait-on pourquoi il y a cette différence entre les élèves notifiés par la MDPH et ceux qui n’ont qu’un PAP ? Y a-t-il une raison ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le secret médical. Je souhaite que vous précisiez votre pensée : voulez-vous dire qu’il faut effectivement respecter le secret médical, ou au contraire permettre aux différents partenaires qui travaillent autour de l’enfant, de savoir certaines choses, de mieux connaître la pathologie de l’enfant pour l’aider à trouver sa place, à progresser, à être bien là où il doit être, notamment à l’école ?

Enfin, quel partenariat, selon vous, peut-on envisager entre l’Éducation nationale et le secteur médico-social pour une meilleure prise en charge ?

M. Marc Delatte. D’abord, je tiens à vous remercier de nous sensibiliser aux problèmes que rencontrent ces enfants. Étant médecin, j’ai vu beaucoup de parents venir me voir parce que leur enfant « ne va pas » et me dire qu’ils n’étaient pas écoutés. Quand une maman dit que son enfant ne va pas bien, c’est important de la prendre en compte.

S’agissant du diagnostic différentiel, il arrive qu’un enfant soit suivi par un pédopsychiatre ou une psychologue pendant des années avant qu’on s’aperçoive qu’il est en fait sourd, par exemple à la suite d’une otite séromuqueuse. C’est quelque chose d’important dans le diagnostic différentiel.

Je voudrais souligner le travail que font le secrétariat d’État au handicap et le ministère de l’Éducation nationale, de façon transversale, puisque les choses évoluent – le soutien à la formation des AESH et à celle des professeurs des écoles. Je voudrais savoir si vous avez des études évaluant les effets de l’éducation artistique, notamment de la pratique musicale collective, sur l’estime de soi, sur la confiance, et sur l’amélioration des troubles de l’attention, l’hyperactivité, et l’impulsivité.

M. Olivier Gaillard. J’ai une question très simple. Vous avez évoqué certains matériels qui existent aujourd’hui, et je voudrais savoir quels sont les moyens alloués – ou non – pour leur acquisition et, surtout, quel est le positionnement de l’Éducation nationale, par rapport à ce type de matériel qui facilite l’inclusion de ces enfants ?

Mme Christine Gétin. Deux exemples de matériels possibles en classe : vous pouvez tendre entre les deux pieds du bureau une chambre à air, sur laquelle l’enfant pourra reposer ses pieds agités, ou bien placer des balles de tennis usagées sous les pieds du bureau et de la chaise, pour éviter qu’ils ne fassent du bruit et dérangent tout le monde. Ce sont de petites solutions qui ne coûtent rien, sinon de la bonne volonté. Nous vous avons préparé une petite fiche qui contient l’essentiel sur le sujet.

Au-delà des outils, il est essentiel que l’enseignant s’implique pour prendre en compte les difficultés de l’enfant. Beaucoup repose là-dessus. Mais, pour en rester aux outils, la relecture des consignes pourrait par exemple se faire automatiquement dans le cas d’exercices sur ordinateur, sans avoir besoin d’une AVS.

Sur les amertumes entre élèves, parents, enseignants, je connais un peu l’envers du décor pour avoir été enseignante dans une vie antérieure. L’un des premiers documents que l’association a créés – car c’est quand même avec l’école que les difficultés sont les plus grandes – s’appelle « Le TDAH et l’école ». Il s’adresse davantage au primaire qu’au collège ou au lycée, et explique la nécessité du partenariat. Nous soulignons que, quand un enseignant a affaire à un tel enfant, sa première réaction est de se dire que l’enfant est mal élevé, que c’est de sa faute ou de celle de ses parents. Les parents, eux, se disent : cette enseignante n’a rien compris, ne veut pas entendre quand je lui parle, elle répète que l’enfant ne veut pas écouter. Le parent rend l’enseignant coupable du problème. Mais nous sommes adultes : nous devons travailler ensemble, nous dire qu’il n’y a pas de coupable et qu’il faut chercher une solution à cette situation. C’est comme cela que nous expliquons les choses aux bénévoles de l’association. Il n’y a que comme cela qu’on y arrivera.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je voulais poser une question sur les RASED, que l’on a démantelés : est-ce qu’ils servent à quelque chose, selon vous ?

Mme Diane Cabouat, administratrice de l’association HypersSupers. Vous parlez de la loi pour une école de la confiance. Puisqu’on est dans l’actualité, certains enfants sont souvent exclus, notamment de par leur phobie scolaire. Je voudrais citer trois articles dont on parle dans la presse.

L’article 1er du projet de loi déposé à l’Assemblée Nationale parle de « respect mutuel », expression qui a disparue dans la « petite loi ». Les familles doivent le respect à l’institution, aux enseignants, mais, malheureusement, les enfants souffrent souvent d’incompréhension, quelquefois même de maltraitance de la part des enseignants. Il nous semble important que l’on revienne à la notion de respect mutuel.

Deuxièmement, du fait des exclusions, certains enfants reçoivent l’instruction dans le cadre familial. J’insiste sur le fait que les contrôles effectués dans les familles ne doivent pas être plus sévères que les contrôles portant sur l’enseignement dispensé dans les classes. Si vous lisez l’article 5, il y est question de tenir compte des besoins des élèves en situation de handicap, mais on oublie les élèves à besoin éducatif particulier, par exemple des élèves avec un PAP. S’ils ont été exclus, c’est qu’ils avaient des difficultés, que ça s’est mal passé à l’école, et on va finalement demander aux parents d’être plus performants à la maison que les enseignants en classe. Les contrôles qui vont être effectués sur l’instruction reçue dans le cadre familial doivent tenir compte des besoins particuliers des enfants et des aménagements nécessaires.

Je terminerai, moi aussi, par un petit « coup de gueule », comme M. le rapporteur. C’est au sujet de l’article 5 quinquies : les associations, dont HyperSupers mais pas seulement, sont très choquées par un amendement qui dit que la scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l’enfant, l’adolescent, l’adulte handicapé, dans ses acquis pédagogiques. Cela équivaut à revenir sur le droit à l’école de la République pour tous les enfants. Qui est juge, en effet, de « la mesure où » ? Nous vous demandons par conséquent de revenir sur cet amendement en commission mixte paritaire et de supprimer cette phrase.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il me semble que cette disposition a été supprimée en séance, mais c’est à vérifier. Pour ce qui est des besoins éducatifs particuliers, nous avons essayé de les introduire dans le texte, mais la rapporteure était fermée à toute autre formulation.

Mme Christine Gétin. Je voudrais ajouter que nous avons de nouveau saisi la HAS pour qu’elle publie des recommandations relatives au diagnostic du TDAH, car celles de 2015 ne portent que sur le repérage. Les quelques recommandations relatives aux prises en charge sont très légères et insuffisantes. Il faut de vraies recommandations, afin de réduire les grandes inégalités territoriales existantes.

Je vous ai apporté un résumé des enquêtes que nous faisons : elles permettent d’avoir une petite idée des parcours, à la fois scolaires et de soins, de ces enfants, avec une comparaison entre 2011 et 2018. On voit que, si les parcours commencent plus tôt, c’est qu’il y a aujourd’hui un meilleur repérage, ce qui permet aux parents de démarrer le parcours plus tôt. Mais la longueur de ce parcours, les errances et les difficultés sont les mêmes : il n’y a pas d’évolution sur ce plan.

Nous allons donc déposer une nouvelle saisine pour que les choses soient bien encadrées. Il ne s’agit pas de faire un mauvais diagnostic ni de le faire dans de mauvaises conditions : on a besoin que les choses soient bien faites, avec une bonne évaluation. J’ajoute que certains enfants n’ont pas de TDAH, même si leur comportement dérange : ils ont également besoin d’aide, de compréhension et d’accompagnement. Notre association aide tous les enfants ayant des problèmes comportementaux, car ils ont besoin d’être aidés.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie et suis vraiment désolée que nous ne puissions pas vous écouter plus longuement. Nous appelons de nos vœux l’école du XXIe siècle, le passage – selon une formule qui m’est chère – de l’école pour tous à l’école pour chacun.

 


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2.   Audition de Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme, Mme Mylène Girard, secrétaire générale, et Mme Marine Redersdorff, chargée du dossier École inclusive

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous poursuivons nos auditions par celle de la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme. Je souhaite donc la bienvenue à Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle, à Mme Mylène Girard, secrétaire générale, et à Mme Marine Redersdorff, chargée du dossier École inclusive.

Le Président de la République a lancé le 6 juillet 2017 une concertation en vue d’un quatrième plan « autisme » après ceux de 2005, 2008 et 2013. Cette concertation a débouché sur une stratégie nationale pour l’autisme, couvrant la période 2018-2022.

Mme Compagnon a été nommée déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme, par décret du 26 avril 2018, afin de piloter la mise en œuvre de cette stratégie.

Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander, mesdames, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Claire Compagnon, Mylène Girard et Marine Redersdorff prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Bonjour et bienvenue. Vous connaissez le périmètre de la commission d’enquête, ce qui l’a déclenchée et l’ambition qu’elle s’est fixée. Notre objectif est d’étayer un diagnostic partagé, qui soit d’une certaine façon irréfragable, sur les points forts et faibles, mais aussi sur les marges de progression de la politique de transition inclusive. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous vous recevons.

Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme. Merci de me donner l’occasion d’exposer devant vous les travaux que nous menons aujourd’hui pour mettre en œuvre la stratégie nationale pour l’autisme. Vous avez resitué la chronologie des plans successifs et le fait qu’aujourd’hui nous sommes engagés dans une stratégie nationale. Confrontés à l’augmentation de la prévalence des troubles du neurodéveloppement, dont l’autisme fait évidemment partie, nous sommes en effet engagés dans une stratégie d’action qui couvre plusieurs domaines, notamment la recherche et la formation professionnelle, qu’il s’agisse des personnels de l’Éducation nationale ou des personnes œuvrant dans les champs de la santé, de la culture et du sport.

Cette stratégie répond à plusieurs ambitions, au premier rang desquelles celle de remettre la recherche au cœur de la politique publique. Je dis cela parce qu’en particulier dans le champ de l’autisme, notre pays a connu très longtemps, et connaît encore aujourd’hui, une certaine difficulté à percevoir de façon pertinente ce qu’est l’autisme et, surtout, ce que doit être l’accompagnement des enfants et de leurs familles. Il était donc important de réaffirmer cette priorité.

La deuxième ambition est tout aussi essentielle, et rejoint la préoccupation de votre mission : il s’agit d’intervenir le plus précocement possible auprès des enfants : c’est tout l’enjeu de la précocité du repérage et du diagnostic, si possible avant sept ans révolus car en matière de troubles du neurodéveloppement, il est nécessaire d’agir vite, avant même le diagnostic formel, avant la notification MDPH, et d’agir au cœur du milieu de vie des enfants – domicile, lieux d’accueil de la petite enfance, école –, à plus forte raison au vu de l’obligation de scolarisation des enfants à trois ans en cours d’examen par le Parlement. Il est essentiel que l’école soit aussi un lieu de repérage et d’identification des enfants qui ne vont pas bien au regard des troubles du neurodéveloppement pour, une fois le diagnostic posé, accompagner ces enfants dans une scolarité inclusive en milieu ordinaire.

La troisième ambition est le soutien à la citoyenneté des adultes, des familles, et la reconnaissance de leur expertise, ce qui passe notamment par le rattrapage de notre retard en matière de scolarisation. C’est un engagement extrêmement fort, car tous les enfants autistes ne sont pas scolarisés aujourd’hui, et quand ils le sont, c’est sur une durée faible, comme le soulignait le rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGEN, remis en 2017, et qui comportait une partie importante consacrée à l’école. L’enjeu est triple : scolarisation en milieu « le plus ordinaire possible », avec l’accompagnement nécessaire, pour une durée suffisante, acceptable, et d’une façon adaptée aux besoins particuliers des enfants atteints de troubles du spectre autistique.

Nous avons proposé une palette de dispositifs pour la scolarisation de ces enfants. Notre priorité est de scolariser les enfants tout petits, le plus tôt possible, en milieu ordinaire. Cela suppose de doter l’Éducation nationale des moyens nécessaires pour accompagner correctement ces enfants.

Sont ainsi prévus des dispositifs de scolarisation en maternelle, dits « unités d’enseignement en école maternelle » (UEMA). Cette mesure avait été inscrite dans le troisième plan autisme, et a permis à ce jour l’ouverture de 112 unités, comportant 7 enfants chacune, avec une perspective d’inclusion en milieu ordinaire. C’est-à-dire que l’on accompagne ces enfants de sorte qu’au fur à mesure de leur évolution, de leurs acquisitions, de leurs apprentissages, ils aient progressivement des temps de présence dans leur classe de référence, accompagnés ou non par des éducateurs. Il s’agit d’un effort très important, puisque nous en avons prévu 180, dont 30 doivent ouvrir à la rentrée 2019. Sur les 30 ouvertures prévues, 10 sont certaines, et 8 lieux sont en cours d’identification. La recherche de locaux est en effet l’un des problèmes concrets que nous rencontrons. Pour permettre une ouverture à la rentrée prochaine, il faut conjuguer, sur un même calendrier et un même territoire, l’implication de l’école, celle de la collectivité, celle de l’ARS pour choisir la structure médico-sociale qui accompagnera les enfants présents dans l’école.

L’autre mesure importante, et nouvelle, est la création, dans le même esprit, d’unités d’enseignement élémentaire dédiées à l’autisme, les UEEA : elles doivent accueillir au sein d’une école un groupe d’enfants avec des moyens renforcés sur le plan médico-social, qui permettra de faire de l’inclusion dans la classe de référence et d’inscrire les enfants dans un parcours très accompagné.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez évoqué le forfait pour prise en charge précoce. C’est une formule intéressante, mais nous avons été interpellés par des associations de parents dont les enfants sont atteints de troubles de l’attention ou de troubles « dys », qui aimeraient que ce soit plus tardif, car c’est plutôt entre 6 et 10 ans qu’entre zéro et 7 ans que l’on détecte ces troubles. Comment articuler les deux ?

Vous plaidez également pour une scolarisation aussi précoce que possible, mais les enfants autistes qui sont scolarisés aujourd’hui ne le sont qu’à temps partiel. Nous savons que chaque enfant est différent, car porteur d’un trouble spécifique. Doit-on avoir une politique globale, ou faut-il l’ajuster au cas par cas, expliquer que certains pourront bénéficier d’un temps complet et d’autres de mi-temps, de temps partagés entre un établissement médico-social et une unité d’enseignement spécifique, voire une classe ordinaire ?

M. Olivier Gaillard. On nous annonce une crise sanitaire sans précédent, eu égard aux difficultés d’apprentissage des générations futures. Je suis désolé de poser la question si brutalement, mais croyez-vous que nous serons en mesure, sur un plan qualitatif et quantitatif, d’accueillir de façon continue tous ces enfants ?

M. Bertrand Bouyx. Hier, j’ai rencontré dans ma circonscription du Calvados un collectif de parents, dont les enfants ne sont pas autistes mais porteurs de handicaps. Ces parents témoignent d’une certaine inquiétude, que partagent sans doute les parents d’enfants autistes, quant à une inclusion trop rapide en milieu scolaire ordinaire. Quelles sont aujourd’hui les garanties d’accompagnement qui peuvent rassurer ces familles et ces enfants ? Vous avez parlé de durée d’enseignement en milieu ordinaire : quelle serait, selon vous, la durée qui permettrait d’assurer l’égalité entre les enfants autistes et les autres enfants ?

Mme Danièle Cazarian. Vous avez évoqué la création d’unités d’enseignement au sein des écoles élémentaires. A-t-on recensé les besoins au niveau national et dispose-t-on de données chiffrées ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous avez fait état, je crois, d’un délai moyen de 446 jours pour obtenir un diagnostic en centre de ressources sur l’autisme. Comment, concrètement, réduire ce délai, qui n’est évidemment pas acceptable, ni pour les enfants ni pour les familles ?

Vous annoncez d’autre part la mise en place dans chaque territoire d’une plate-forme d’intervention et de coordination « Autisme TND » de deuxième ligne, chargée d’organiser rapidement les interventions des différents professionnels libéraux. Où en est la mise en œuvre de ce dispositif dans chaque territoire ? Où cela traîne-t-il le plus, et pourquoi ?

Mme Claire Compagnon. Le forfait précoce est un dispositif extrêmement important, inscrit par le Gouvernement comme l’une des priorités de la délégation interministérielle. Pour quelles raisons ? D’abord celle des délais, que M. le rapporteur évoquait voici un instant, mais aussi – c’est le corollaire – celle des enfants diagnostiqués trop tardivement. Nous avons, si je peux me permettre cette image un peu péjorative, une « fenêtre de tir », car ce que l’on sait aujourd’hui sur la plasticité cérébrale nous oblige à intervenir vite pour limiter les sur-handicaps. C’est donc une priorité pour nous.

On sait aujourd’hui que, dans le champ de l’autisme, il est possible de diagnostiquer des enfants entre 10 et 24 mois, car on a tous les éléments nécessaires. Pour d’autres troubles du neurodéveloppement – je pense aux troubles « dys » mais vous avez cité les TDAH et on pourrait parler d’autres troubles –, c’est potentiellement plus tard, sous une réserve de taille : celle des cas les plus graves, qui nécessitent toute notre vigilance. Je veux bien entendre les associations lorsqu’elles disent que, pour le plus grand nombre, on peut continuer de les diagnostiquer après six ans, mais vous me permettrez de penser que, pour les cas plus graves, il faut que ce soit avant – toute la littérature scientifique montre que, dans certains cas, c’est possible. Donc, notre effort va dans ce sens.

Avec l’appui des scientifiques et des professionnels concernés, nous avons développé un outil qui sera rendu public dans les semaines à venir : un algorithme d’aide au repérage des signes d’alerte. Quand un enfant, à un certain âge, ne passe pas de la station assise à la station debout, ne babille pas, ne regarde pas dans les yeux, n’attrape pas, n’arrive pas à faire entrer un objet dans un autre, cela doit alerter un professionnel, et l’amener à agir. C’est le sens de ces plateformes de deuxième niveau : elles doivent être un relais pour les professionnels de la petite enfance, pour les structures d’accueil familial, les enseignants, les médecins généralistes, qui vont pouvoir repérer ces enfants et les orienter au bon endroit.

Si l’on veut donner une vraie bouffée d’oxygène à un dispositif qui est actuellement saturé, qui connaît des délais d’attente très longs, il faut faciliter la participation des professionnels libéraux. Non seulement la structure qui le permet existe, mais on va en outre faciliter le recours aux professionnels libéraux en solvabilisant les familles, grâce à des dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019, pour qu’elles puissent faire face aux dépenses liées à ces bilans et à ces interventions précoces. C’est un élément important.

On voit la crainte, chez les associations de professionnels des autres troubles du neurodéveloppement, d’être mis à l’écart d’un dispositif qu’elles reconnaissent pertinent et utile. C’est pourquoi Mme Cluzel a dit et écrit qu’une seconde phase de négociation serait ouverte pour prévoir l’accompagnement de ces enfants. Mais on change là de registre, car lorsque les enfants sont plus grands, les acteurs du repérage et de l’accompagnement ne sont pas forcément les mêmes. C’est là que l’école est déterminante, et cela rejoint le thème de votre mission. Dans les mois à venir – je ne peux vous dire aujourd’hui à quelle date car notre plan d’action n’est pas encore mis en place – on étendra donc ce dispositif aux enfants plus âgés.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai bien fait de poser la question !

Mme Claire Compagnon. Pour terminer sur cette question des plateformes de deuxième niveau, mes collaboratrices me disent toujours que je suis obsédée par ce délai de 446 jours, qui a encore augmenté entre 2016 et 2017, puisque nous en sommes à 457 jours. Nous avons pris la mesure de ce problème, d’autant que lorsque j’étais en fonctions à l’IGAS, j’ai conduit la mission d’évaluation des centres de ressources pour l’autisme. On voit aujourd’hui, hélas, que personne ne s’est vraiment emparé du rapport IGAS-IGEN et de ses recommandations.

Nous avons décidé de mettre en place une mission d’audit et de réorganisation de l’activité de ces centres de ressources, afin de comprendre pourquoi les délais sont si longs. Certaines raisons sont assez simples du point de vue organisationnel : un facteur d’engorgement est l’absence de compétences de niveau 1 et 2, mais aussi le fait que les processus de diagnostic sont identiques pour tous les enfants, et qu’ils sont parfois extrêmement longs et protocolisés. Il nous a semblé que, dans un certain nombre de situations, des diagnostics plus rapides pourraient être posés pour un certain nombre de cas qui ne posent pas de problème d’interprétation.

Il y a aussi la question des moyens. La circulaire ministérielle de mars dernier détaille l’ensemble des moyens médicaux-sociaux et sanitaires affectés aux ARS pour la mise en œuvre de la stratégie autisme. Les moyens de la délégation sont renforcés, notamment pour l’action auprès des personnes adultes, et nous demanderons des moyens supplémentaires après avoir travaillé avec les centres de ressources à une amélioration de leur fonctionnement. Il ne semble pas pertinent d’accorder des moyens supplémentaires à des organisations qui ont à faire la preuve d’un fonctionnement plus efficace en matière de diagnostic. C’est un travail qui nous occupera au cours de l’année 2020.

Un élément nous est inconnu : l’impact de la mise en place de la plateforme de niveau 2 sur l’activité des centres de ressources. Un chiffre a attiré mon attention : plus de cinq de ces centres ont aujourd’hui une activité de diagnostic plus importante auprès des adultes que des enfants. L’activité des centres de ressources se réoriente clairement vers les demandes concernant des adultes. Nous devrons tirer des conclusions de cette dynamique en termes de fonctionnement, avant de déterminer les moyens nécessaires.

Vous dites que chaque enfant est spécifique au regard de la scolarisation, et vous avez raison. C’est bien pourquoi la stratégie nationale a prévu différentes réponses pour s’adapter à toutes les situations. Il y a ainsi des dispositifs en école maternelle et élémentaire, avec des moyens extrêmement importants – il faut se rendre compte qu’un enfant pris en charge en maternelle, c’est du 1 pour 1, voir du 1,5 pour 1. Quand l’Éducation nationale met 1 euro dans un dispositif, nous en mettons dans la dimension médico-sociale. Des structures très renforcées en termes d’accompagnement doivent répondre aux besoins des enfants les plus lourdement atteints. Ce sont des enfants non verbaux, avec des troubles du comportement, sans communication avec leur environnement du fait de l’absence du langage.

Certains enfants, heureusement, peuvent être en milieu ordinaire moyennant un accompagnement par AVS, individuel ou mutualisé. D’autres ne pourront pas suivre de scolarité et auront besoin d’aller dans une structure spécialisée. D’autres encore voudront aller à un moment dans des structures plus protégées, adaptées à leurs difficultés. Nous essayons de mettre en place des dispositifs qui répondent à la diversité des troubles et aux besoins particuliers des enfants. La difficulté consiste à répondre de manière équitable sur l’ensemble du territoire à l’ensemble de ces besoins.

M. Bertrand Bouyx. Je me permets de rebondir, car ce que vous venez de dire est important. Ces parents voient leur enfant plonger dans un milieu nouveau, le milieu scolaire ordinaire, et nourrissent une forte inquiétude sur la transition entre l’institut et l’école. Il est important d’expliquer que c’est du cas par cas, qu’il ne s’agit pas d’une injonction, mais bel et bien d’un accompagnement puisque toutes les situations n’ont pas la même gravité. Pour les parents, il y a aussi un impact psychologique.

Mme Claire Compagnon. J’entends plusieurs choses lors de mes rencontres avec les associations, avec les familles.

Aujourd’hui, certains parents ne sont pas sécurisés quant à la continuité du parcours de leurs enfants. C’est à nous de leur donner des garanties, et nous avons une marge de progrès importante en la matière.

La deuxième chose que j’entends, c’est la satisfaction des familles lorsqu’elles arrivent à l’école en même temps que les autres, qu’elles voient leur enfant entrer et sortir par la même porte que les autres, aller en récréation ou à la cantine avec les autres, bref, être traité comme tous les autres. C’est aussi ce qui ressort des évaluations portant sur les enfants scolarisés en maternelle : le fait que les enfants, mais aussi les parents, aient une vie comme celle des autres. Quand l’enfant est pris en charge toute la journée, on peut travailler, avoir une vie à côté, faire des choses, souffler à certains moments. C’est ce que j’entends de la part des familles.

Pour autant j’entends aussi la crainte que, du fait d’une école de plus en plus inclusive, on fasse sortir les enfants des structures spécialisées même s’ils y sont bien. Il faut donc garantir et maintenir ce qui fonctionne et qui donne satisfaction. C’est un préalable.

Mme Mylène Girard, secrétaire générale de la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme. Nous avons beaucoup évoqué le sujet de la durée optimale de scolarisation avec les associations dans le cadre de l’élaboration des cahiers des charges des UEE. Il y a eu des débats, bien sûr, mais ce que j’ai entendu de la part des associations s’occupant de l’autisme était à peu près ceci : on revient de tellement loin, sur la scolarisation comme sur sa durée, qu’il faut absolument poser le principe du temps plein, du temps complet, mais celui-ci doit s’entendre comme un projet au sein de l’école, avec la garderie, la cantine et le périscolaire. Cela veut dire que, quand on monte une unité de cette nature, on forme tous les personnels concernés par les temps de l’accompagnement, y compris les dames de la cantine, le gardien, les personnels administratifs, etc. L’exigence ne porte donc pas uniquement sur l’enseignant de la classe ou le personnel médico-social. Si l’UEE devait être une unité à l’écart de l’école, on n’aurait pas répondu à une partie de l’ambition.

L’idée consiste à avoir un dispositif de qualité, posant le principe du temps complet moyennant des adaptations, car on sait que certains enfants ont des temps d’accompagnement par des professionnels médicaux, par exemple des orthophonistes, ce qui peut conduire à devoir sanctuariser d’autres moments de la semaine que le mercredi. Ainsi, en Rhône-Alpes, une UEE récemment ouverte a sanctuarisé le lundi après-midi. La cible est donc un temps complet avec une ambition de qualité, reposant sur l’idée que les parents de ces enfants doivent avoir la même vie que les autres parents. J’ai entendu des associations de familles dire : « On est prêts à payer des fournitures comme les autres, mais, pendant les vacances scolaires, on veut avoir des vacances comme les autres, parce qu’il y a des frères et sœurs » C’est une demande fondamentale : être considéré à l’égal des autres citoyens.

C’est dans cet esprit-là qu’a été construit le dispositif avec les associations. Nous étions plutôt partis sur l’idée d’un temps complet, mais, comme l’a dit Claire Compagnon, dès lors qu’un enfant n’est pas bien dans une UEMA ou dans une UEEA, on va essayer de comprendre pourquoi. Certains enfants retournent en IME, d’autres rejoignent le milieu ordinaire parce que ça fonctionne très bien.

Six UEEA ont ouvert entre septembre 2018 et janvier 2019 ; nous avons donc moins de recul que sur les UEMA. Nous avons fait un travail important pour élaborer un questionnaire, afin d’analyser le fonctionnement de ces premières unités. Nous sommes vraiment en mode expérimental, et il est prévu d’ouvrir 45 unités d’ici 2022.

Il nous faut donc observer ce qui marche et ce qui ne marche pas. Le cahier des charges initial, l’effectif était 10 enfants, mais nous nous sommes rendu compte que c’était trop et le bas de la fourchette a été abaissé à 7 enfants. Nous nous sommes engagés avec les associations à ne pas prendre le risque d’un accompagnement dégradé. Quand un enfant a des troubles trop importants ou des comorbidités, il n’est pas question de lui imposer l’école s’il ne s’y trouve pas bien.

Mme Géraldine Bannier. Je trouve très positif d’avoir des unités intégrées dans des écoles ordinaires, car cela permet de faire varier en fonction de chaque enfant le degré d’intégration au milieu ordinaire. Pour l’avoir vécu dans un collège comportant une ULIS, je me souviens d’un enfant qui n’était pas capable d’être scolarisé en milieu ordinaire ; ça n’aurait pas été lui rendre service ; par contre, il allait à la cantine, participait aux ateliers théâtre et aux activités périscolaires. Les enfants du collège, où il y avait aussi une SEGPA, étaient habitués à voir des enfants qui n’étaient pas forcément comme eux, mais qui étaient parfaitement intégrés à l’école. C’est vraiment un modèle très positif, car il offre à chaque enfant une meilleure adaptation, permettant une progression.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. J’ai une question sur les AVS-I et les AVS-M, car on voit bien la tendance à vouloir mutualiser les AVS, et j’ai envie de connaître votre opinion sur le sujet. L’argument invoqué, en un sens assez légitime, est de faire gagner l’enfant en autonomie dans l’optique d’une future intégration en primaire, puis en collège, sans AVS, même si on peut aussi penser que ce n’est pas tout à fait la finalité.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Dans le cadre du plan autisme, on commence à se rendre compte, sur le terrain, de la nécessité d’évoluer : certains IME qui accompagnaient autrefois les enfants en situation de handicap mental se tournent maintenant vers ces troubles-là. Des organisations se mettent en place pour accompagner le plus tôt possible les enfants atteints et leurs familles. Quelles sont, selon vous, les dispositions qui permettraient de favoriser ces initiatives, finalement bénéfiques pour les écoles elles-mêmes ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur J’ai tellement bousculé le ministère tout à l’heure que la présidente ne veut plus me donner la parole…

J’ai une question, mais peut-être ne serez-vous pas en situation d’y répondre. La France compte actuellement six UEEA en école élémentaire ; j’en ai une dans ma ville, pour laquelle le maire et moi-même nous sommes grandement mobilisés, et la ministre en annonce dix supplémentaires ; considérez-vous que ce soit à la hauteur des besoins des territoires ?

Par ailleurs, je mesure, au fur et à mesure de nos travaux, à quel point nous devons veiller à ne pas culpabiliser les parents. La transition inclusive est évidemment souhaitable, car elle vies à permettre une meilleure scolarisation en milieu ordinaire – c’est l’objet même de la commission d’enquête. Mais il faut aussi prendre garde à ne pas culpabiliser les familles qui ont fait d’autres choix pour leur enfant, y compris parce que, dans sa situation, la scolarisation en milieu ordinaire serait une violence.

Je veux attirer votre attention, à ce moment de nos travaux, sur la nécessité d’être attentifs aux familles. La transition vers l’école inclusive ne doit pas servir de justification à une perte de moyens pour les IME, comme on s’en inquiète par chez moi, et sans doute aussi ailleurs. Je voudrais savoir ce que vous en pensez, car c’est au cœur des préoccupations de notre commission d’enquête.

Mme Claire Compagnon. L’action des AVS est un sujet compliqué pour toutes sortes de raisons. Je ne vous ferai pas l’affront de revenir sur les problèmes de statut, de rémunération, de précarité : vous connaissez évidemment tout cela par cœur. La question de l’individualisation et de la mutualisation doit s’envisager en gardant en tête les finalités dont je parlais et la diversité des besoins particuliers des enfants : ce critère doit être prépondérant. Il faut que tous ces enfants aient un PPS, ce qui suppose de disposer des éléments permettant d’évaluer et de prendre en compte les besoins particuliers, et ce de façon suffisamment précise pour outiller les professionnels qui accompagnent les enfants et les familles. Je n’ai pas de position de principe sur la question, même si je sais bien qu’il y a derrière tout cela des considérations de budget, et que les familles éprouvent des craintes. Nous souhaitons faire évoluer les MDPH et l’Éducation nationale sur ces sujets.

Avec la stratégie nationale pour l’autisme, nous ouvrons des chantiers lourds, qui vont restructurer des dispositifs entiers : adaptation de la formation des professionnels, changement de pratiques, de registres culturels. Je pense notamment au trouble comportemental, sujet extrêmement important qui est encore insuffisamment pris en compte.

Un autre sujet, lié au précédent, est la recherche du meilleur lieu de scolarisation lorsque les enfants peuvent et doivent être scolarisés. Vous en avez parlé, chacun de façon différente, et je crois, pour ma part, que la place des enfants est à l’école. Je ne sais pas ce qui, pour les enfants, constitue la plus grande violence, mais ce que j’entends et lis tous les jours, c’est que le fait qu’un enfant ne puisse pas aller à l’école ordinaire – sous réserve, bien sûr, des modalités d’accompagnement qui conviennent – est une violence à son égard. Notre stratégie consiste à faire en sorte que le plus grand nombre d’enfants puissent être scolarisés dans les mêmes structures, dans les mêmes milieux que la population générale. C’est bien sûr une intention générale, qui doit être mise en regard des différences de situation individuelle. Certains enfants autistes ne peuvent aller pas à l’école ordinaire parce qu’ils présentent des troubles et des difficultés considérables. Mais faut-il se laisser arrêter par cela ? Ne doit-on pas plutôt mettre en œuvre les accompagnements et les dispositifs qui permettent le repérage précoce, pour éviter les sur-handicaps, afin qu’à terme ils présentent moins de troubles du comportement ? Tel est bien notre objectif. Ma fonction me place dans une tension permanente entre ce principe et la gestion des situations individuelles, qui me fait dire que certains enfants en très grande difficulté n’ont pas la vie que l’on peut souhaiter pour eux.

C’est dans le cadre de cette stratégie que nous essayons de favoriser une transformation de l’école, des établissements médico-sociaux, des structures d’hébergement, de sorte que toutes les personnes prises en charge retrouvent une citoyenneté qu’elles ont peu ou mal connue ces dernières années. Pour cela, des mesures qui ont été prises, des dispositifs, des accompagnements existent, mais il faut aussi apporter aux parents des assurances quant à la prise en charge de leurs enfants dans l’avenir, lorsqu’ils ne seront plus là. Ce sont des enjeux majeurs, auxquels nous devons répondre en termes d’allocation de moyens, de transformation des structures. Faut-il, aujourd’hui, continuer à créer des unités de scolarisation dans un certain nombre d’établissements qui accueillent des enfants plus petits ? Je ne suis pas persuadée que cela doive être notre réponse pour l’avenir.

M. Bertrand Bouyx. Un certain nombre d’associations s’inquiètent des moyens individuels et spécifiques de prise en charge de leurs enfants et notamment en ce qui concerne le dispositif « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées » (SERAFIN-PH) – vous me corrigerez si je me trompe. Est-ce que vous avez des réponses à nous apporter ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous n’avez pas répondu complètement au rapporteur, et j’ai une dernière question. Vous avez parlé de transformation de l’école ordinaire, des structures médico-sociales et d’hébergement, tout en insistant sur la nécessité de garantir un accueil de qualité tout au long de la vie. Selon vous, combien faudra-t-il de temps ? Il faut avancer. Quatorze ans après la loi de 2005, quel temps se donne-t-on pour devenir une société inclusive dès la naissance, tout au long de la vie, et en tout cas au moment de l’école et de l’université ?

Mme Claire Compagnon. S’agissant des dispositifs renforcés spécifiques à l’autisme, 112 existent et fonctionnent aujourd’hui en maternelle. Il y en aura 30 supplémentaires à la rentrée 2019 et un peu moins de 300 au total à l’issue des quatre ans de la stratégie 2019-2022. Quant aux unités d’enseignement en école élémentaire, il y en a 45, dont six ont été ouvertes entre septembre 2018 et janvier 2019 ; dix doivent ouvrir à la rentrée 2019.

Est-ce suffisant ? Il est clair que non. Ce sont des dispositifs complexes, qui s’adressent à des enfants en grande difficulté. Mais rien ne nous empêchera, s’ils font preuve de leur efficacité, de solliciter un arbitrage financier auprès des institutions et du Gouvernement pour obtenir des moyens supplémentaires.

Il y a aussi quelque chose dont on parle assez peu, mais qu’il est intéressant de savoir : aujourd’hui, certaines ARS prennent l’initiative de créer des dispositifs supplémentaires sur leurs moyens.

Mme Mylène Girard. Celle d’Île de France, par exemple, compte créer six UEE de plus, sous réserve que l’Éducation nationale arrive à libérer les six enseignants nécessaires. Cela veut dire que les ARS, dans certaines régions, arrivent à dégager des moyens pour aller au-delà de l’ambition nationale. Nous soutenons ces initiatives.

Il s’agit d’un dispositif de petit format, évidemment insuffisant à l’échelle nationale : 45 unités créées sur quatre ou cinq ans, cela ne fait même pas une unité par département. Mais l’avantage, c’est qu’on va pouvoir les déployer correctement au cours des premières années. Car ce n’est pas simple de monter une unité. En zone urbaine, où les besoins sont les plus criants, les écoles ont beaucoup de mal à trouver des locaux. Les projets sont faciles à monter sur le papier, mais les problèmes de logistique et de partenariat, en réalité, sont redoutables. Mieux vaut donc commencer petit. Ensuite, on va à l’arbitrage, en faisant valoir que ça fonctionne et que c’est efficace. Dans certains territoires, les besoins sont moindres, tout simplement parce qu’il n’y a pas de médecins pour diagnostiquer et qu’il n’y a donc pas d’enfants éligibles. Les territoires ont des besoins masqués car les enfants ne sont pas identifiés. Nous devons donc travailler aussi sur ces axes-là. On va faire petit, essayer de faire bien, pour faire plus ensuite.

Mme Claire Compagnon. Pour mettre en œuvre la stratégie nationale pour l’autisme, nous avons eu 344 millions d’euros de moyens nouveaux. À titre de comparaison, le troisième plan autisme, qui venait à expiration en 2017, était doté de 205 millions d’euros de moyens nouveaux, dont 185 millions correspondant à des moyens médico-sociaux pour la création de places dans des dispositifs pour enfants ou adultes. À ces 344 millions s’ajoutent environ 53 millions correspondant à un reliquat du troisième plan, destinés à la création de places pour des adultes. Nous avons des moyens supplémentaires provenant d’autres enveloppes que celle de la stratégie nationale, notamment celle qui finance la politique générale du handicap.

Ce sont ainsi plus d’une centaine de millions d’euros supplémentaires qui sont dédiés à la scolarisation des enfants et des adolescents, mais aussi à l’accès à l’université. Cela inclut l’accompagnement médico-social, mais aussi les moyens, en personnel et en formation, que met à disposition l’Éducation Nationale. C’est une enveloppe importante : il est important que les moyens d’accompagnement soient là, car il ne sert à rien de scolariser les enfants si, par ailleurs, on ne les soutient pas quand ils sont à domicile et si l’on n’aide pas les familles dans leur vie quotidienne, notamment grâce aux SESSAD.

Le champ d’action et les progrès à faire sont immenses, et les moyens doivent être à la hauteur de ces besoins considérables. Nous avons cependant des marges au niveau des ARS, qui proposent, construisent, mettent en œuvre de nouveaux dispositifs de scolarisation. Sans doute avez-vous entendu parler des classes d’autorégulation, qui permettent de scolariser des enfants en milieu ordinaire.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Non, mais nous allons malheureusement être obligés de conclure cette audition. Vous ne m’avez pas répondu sur la question du nombre d’années qui seraient nécessaires : pouvez-vous nous faire une dernière réponse qui soit une note d’espoir, une direction ?

Mme Claire Compagnon. Je peux prendre appui sur ce qui s’est fait dans d’autres pays. Il a fallu quinze ans au Québec pour transformer le secteur médico-social, faire disparaître les vieilles structures d’hébergement et d’hospitalisation pour enfants atteints d’autisme et mettre en place des dispositifs d’accompagnement des familles. Quand on connaît la topographie du Québec, on voit les difficultés auxquelles ils ont dû être confrontés !

Un changement culturel majeur s’est opéré dans notre pays, dans ses structures sanitaires, médico-sociales, scolaires. Mais la situation des adultes dans les établissements psychiatriques est aussi un sujet à part entière, que la délégation interministérielle doit prendre à son compte. Un délai de quinze ans me paraît donc raisonnable.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, nous vous remercions.

 

 


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3.   Audition de Mme Ana Bibay, directrice pédagogique de l’association Agir et Vivre l’Autisme, membre du Collectif Autisme, M. Bertrand Jacques, président de la Fondation Autisme, et M. Richard Pandevant, co-président de Réseau Autistes sans frontières

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous achevons cette série d’auditions consacrées à l’autisme en recevant Mme Ana Bibay, directrice pédagogique de l’association « Agir et vivre l’autisme », membre du collectif Autisme, M. Bertrand Jacques, président de la Fondation Autisme, et de M. Richard Pandevant, co-président de Réseau Autistes sans frontières.

Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Le collectif Autisme et le réseau Autistes sans frontières réunissent des associations de parents d’enfants connaissant un trouble du spectre autistique. La Fondation Autisme vise quant à elle à soutenir la recherche sur l’autisme, les troubles envahissants du développement, le perfectionnement, la mise en œuvre et la diffusion de prises en charge efficaces, dignes et respectueuses des personnes atteintes d’autisme, notamment par la constitution d’un réseau d’établissements adaptés.

Vous êtes donc concernés au premier chef par la question de la scolarisation des enfants en situation de handicap, ce pour quoi nous tenions à vous entendre.

Conformément de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Ana Bibay, M. Bertrand Jacques et M. Richard Pandevant prêtent serment.)

Après que notre rapporteur se sera exprimé, je vais vous donner la parole pour un court exposé qui se poursuivra par des échanges de questions et de réponses.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Soyez les bienvenus. Nous sommes tous convaincus ici de l’importance du rôle joué par les parents et par leurs représentants pour faire progresser la cause de l’autisme et sa prise en compte. Les plans stratégiques se succèdent, un nouveau vient d’être annoncé. Nous souhaitons donc recueillir, sans faux-semblant ni posture, de la manière la plus transparente possible, votre point de vue, votre expertise sur les avancées que cela permet, pour qu’au bout du compte la loi de 2005 se concrétise sur tous les territoires. Peut-être même pourrons-nous ambitionner d’écrire un « acte II » de cette loi, car il ne faut pas renoncer à une transition inclusive qui prenne en compte la spécificité des collectifs que vous représentez. Merci, en tout cas, de votre mobilisation opiniâtre et de votre présence à nos côtés aujourd’hui.

Mme Ana Bibay, directrice pédagogique de l’association « Agir et vivre l’autisme ». Je suis Ana Bibay, directrice pédagogique de l’association « Agir et vivre l’autisme » et analyste du comportement. Mon travail quotidien consiste à accompagner les équipes dans la mise en œuvre des méthodes éducatives et comportementales recommandées par la Haute Autorité de santé (HAS).

M. Bertrand Jacques, président de la Fondation Autisme. La Fondation Autisme, que j’ai l’honneur de présider, est un écosystème composé de trois éléments : une fondation dont l’objet principal est la recherche appliquée en matière d’autisme et le soutien à toutes les initiatives de solidarité autour de l’autisme ; une association, « Agir et vivre l’autisme », qui a créé douze établissements expérimentaux en dix ans, soit un tiers de ceux qui existent en France, de sorte que nous sommes assez bien placés pour avoir une idée de ce qui marche ou non, en matière d’insertion scolaire ; enfin, l’Institut de l’autisme, qui est l’un des deux seuls établissements français reconnus par des instances internationales pour la délivrance de diplômes d’analyse appliquée du comportement – l’autre est l’université Lille 3, qui pratique et enseigne des interventions héritées des années 1960 et 1970, assez rudes et assez contraignantes pour les enfants. Nous avons, quant à nous, des approches plus actuelles de ce qu’est l’Applied Behavioral Analysis (ABA), appellation anglaise de l’analyse appliquée du comportement.

M. Richard Pandevant, co-président du réseau Autistes sans frontières. Le réseau Autistes sans frontières, créé en 2004,  regroupe 33 associations, en métropole et outre-mer, qui aident actuellement près de 2 000 familles. Nous sommes présents sur le terrain et nous avons aujourd’hui le recul pour évaluer ce qu’a permis ou pas la loi de 2005, ainsi que ses limites – quels sont les grains de sable, qui parfois, font que le droit ne s’applique pas, et les conséquences pour les familles. Nous sommes clairement des acteurs de l’inclusion, depuis la réception du diagnostic par les parents jusqu’à l’âge adulte.

Mme Ana Bibay. Comme l’a dit Bertrand Jacques, nous gérons douze établissements expérimentaux dans lesquels sont effectués des apprentissages. Parmi les enfants accueillis, 60 % sont intégrés à l’école, selon des modalités différentes : soit un accompagnement direct, c’est-à-dire que nos éducateurs vont à l’école et permettent que l’enfant participe aux activités académiques et à l’ensemble de la vie scolaire, soit un soutien aux équipes éducatives dans l’école. Nous avons développé, plus récemment, d’autres modalités, comme les classes dites d’autorégulation de l’autisme en milieu d’inclusion scolaire (ARAMIS) en Nouvelle-Aquitaine.

Nous voyons que les enfants font des progrès significatifs du fait du changement des mentalités, grâce à la présence d’enfants autistes à l’école et au succès de cette inclusion. L’expérience montre cependant que l’on peut encore améliorer les choses, moyennant plus de souplesse – c’est là, sans doute, notre recommandation principale. Des modalités de prise en charge plus souples permettraient d’accompagner la personne avec autisme au fur et à mesure de ses progrès. Cela passerait par une orientation MDPH vers des modalités multiples et simultanées ; par exemple, à temps partagé entre institut médico-éducatif (IME), école ordinaire, SESSAD ou ULIS. Chacune de ces modalités se traduirait par des temps modulables dans la durée, selon les difficultés rencontrées par l’enfant dans son parcours. Il y aurait en outre des passerelles, selon des modalités prévues par les orientations MDPH : lorsqu’on sort un enfant d’un dispositif, par exemple d’un IME, pour aller vers une unité d’enseignement élémentaire (UEE), il lui faut un temps de transition plus important, même avec un dispositif d’accompagnement médico-social plus léger. Nous connaissons tous les rigidités et les difficultés d’adaptation que subissent beaucoup d’enfants avec autisme : on cherche trop souvent à déplacer l’enfant d’un dispositif à un autre, sans établir les passerelles qui permettraient une meilleure réussite.

M. Bertrand Jacques. Pour compléter le propos, quand nous avons créé notre IME expérimental en 2009, c’était un peu le désert en matière d’inclusion des enfants autistes. Le gouvernement nous a demandé d’apporter la preuve des résultats – succès ou échec – d’une prise en charge précoce, intensive et pluridisciplinaire. La réponse a été « succès ». Sauf que nous l’avons fait à l’intérieur de nos écoles, avec une inclusion aussi forte que possible, mais pas en école ordinaire, qui accueille tout de même 60 % des enfants que nous accompagnons, et avec nos propres éducateurs, pas avec les AVS de l’Éducation Nationale. Il a aussi fallu surmonter quelques résistances, d’ailleurs non conformes à la loi de 2005, y compris au sein de l’Éducation Nationale, sur un territoire que j’ai en tête, avant d’avoir le droit d’accompagner nos propres enfants à l’école. J’ai dû faire intervenir le cabinet du ministre. Quand c’est redescendu en pluie fine, bien sûr, ça n’a pas plu à tout le monde, mais c’était le démarrage.

Les enfants font, certes, de réels progrès, mais ensuite, comment sortent-ils de l’école ? En d’autres termes : va-t-il y avoir une embolie des écoles, avec des enfants simplement plus âgés qu’au début ? Ou a-t-on des passerelles pour la sortie ?

Nous recommandons donc que tout établissement, si bon soit-il, soit impérativement ouvert sur l’extérieur. Comment ? On ne va pas s’amuser à inventer des systèmes très différents de ceux qui existent déjà. Il suffit de faire ce qu’Ana Bibay vient de décrire, c’est-à-dire une orientation multiple, pour être à la fois dans une IME et à l’école ordinaire avec des heures d’accompagnement par des AVS. Si on arrive à ça, avec suffisamment de flexibilité, alors en utilisant uniquement les dispositifs existants, on aura le moyen d’accompagner un enfant qui, au départ ne sera pas très bon, mais qui fera assez de progrès pour être ensuite intégré à l’école ordinaire de manière continue.

Dans la plupart des dispositifs inventés par les brillants esprits qui ont pondu un certain nombre de plans autisme, une notion est totalement absente en permanence. Elle tient en un seul mot : progrès. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut réinventer la roue, mais simplement : premièrement, aller vers plusieurs orientations simultanées de la MDPH – ce n’est pas compliqué à faire ; deuxièmement, établir des quotités de temps plus souples, de manière à pouvoir basculer de 90-10 dans un sens à 10-90 dans l’autre.

M. Richard Pandevant. Le rôle des associations sur le territoire – et non de la coordination nationale – est évidemment d’être un point d’accueil des parents quand ils sont désemparés après avoir reçu un diagnostic, un endroit où on leur dise qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres parents sont passés par là, qu’une autre vie est possible après. Qu’il y a de plus en plus – même si ce n’est malheureusement pas assez – de professionnels formés aux méthodes et aux bonnes pratiques préconisées par la HAS depuis 2012. Un endroit où on les accompagne, où l’on crée un écosystème qui, idéalement, reposerait sur des équipes incluant l’Éducation nationale, des auxiliaires formés et dignement traités – j’y reviendrai – et des professionnels de santé, car on ne peut pas « découper » un enfant en morceaux, avec d’un côté son handicap dans la vie de tous les jours et de l’autre un aspect purement pédagogique dans la vie scolaire. Nous avons agis en ce sens dès avant les recommandations de la HAS. IL y a eu, historiquement, trois périodes. D’abord, la loi de 2005 a été une bouée de sauvetage, un repère qui a permis à toute personne, même non-juriste, d’opposer à l’administration le droit de son enfant à aller à l’école. Ensuite, on a quand même attendu sept ans pour avoir des recommandations de la HAS sur l’autisme – je dis « on a attendu » parce que les frontières ne sont pas étanches, encore moins avec internet, et les gens qui voyagent se sont rendu compte que, dans d’autres pays, des progrès étaient possibles et qu’il n’y avait pas de raison que cela s’arrête aux frontières de la France.

Nous pourrons vous donner des exemples de frustrations au jour le jour. Malgré le fait que le dispositif législatif existe, que la médecine progresse – même s’il y a encore des réticences du côté de la psychanalyse, la France se rapproche de tous les autres pays du monde puisque la classification des maladies ne s’arrête pas plus aux frontières que ne le fait la radioactivité –, que nous avons face à nous des gens de plus en plus informés, de bonne volonté, parfois concernés eux-mêmes, dont certains sont d’anciens militants associatifs – on n’a donc aucune raison de douter de leur bonne foi –, force est de constater que cela ne se traduit pas toujours dans les faits par des solutions acceptables pour toutes les familles.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je suis assez séduit par l’entrée en matière que vous avez choisie, qui consiste à nous dire qu’il faudrait institutionnaliser la notion de passerelle, de souplesse dans les notifications MDPH. Mais ce qui a déclenché la commission d’enquête, c’est notamment ce que l’on sait en matière d’autisme : 446 jours pour obtenir un diagnostic, des MDPH dont les délais d’instruction peuvent atteindre dix mois dans certains départements comme le mien, et une incapacité à contrôler la mise en œuvre des notifications, pour des raisons que vous connaissez aussi bien que moi, et donc, au bout du compte, des droits formels et individuels reconnus, mais non mis en œuvre. S’y ajoutent certains éléments que vous avez évoqués, comme l’absence de formation des intervenants et la précarisation des AESH.

En somme, votre idéal me va bien, parce que c’est l’ambition que nous donnons à cette commission d’enquête. Pour faire simple, on a déjà du mal à obtenir une notification claire dans des délais raisonnables, un PPS pour tout le monde – car il n’y en a pas dans tous les départements – et une mise en œuvre avec des moyens adaptés aux besoins. Et vous nous dites – j’y adhère – que c’est à la fois plus simple et plus compliqué, que ce qu’il faudrait, ce sont des allers et retours entre les IME et le milieu ordinaire, avec des modalités d’intervention plus souples du médico-social. Comment pouvez-vous nous aider à surmonter cela ? Et quels moyens cela nécessite-t-il ?

Des actions sont annoncées ou mises en œuvre : des unités externalisées en maternelle, en élémentaire, un plan de développement des ULIS – est-il suffisant ou pas ? Comment votre approche, qui m’a bousculé mais qui me séduit, s’inscrit‑elle par rapport à ce qui vient d’être annoncé par la ministre ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai croisé avant-hier une famille qui a un enfant avec des troubles autistiques, qui s’interroge sur le matériel. L’enfant, proche de cinq ans, était dans une poussette pour la promenade. Quand il a vu que je discutais avec ses parents, il a baissé la capote et la maman m’a dit : « vous voyez, rien que la capote, ça coûte 270 euros, et j’ai hâte d’avoir la réponse de la MDPH pour recevoir enfin la suite des aides financières ». Quel est votre point de vue sur ces aspects matériels de l’accompagnement des enfants autistes ?

M. Bertrand Jacques. Je vais faire une très rapide intervention sur le diagnostic, qui est en fait le point de départ. Vous avez entièrement raison : les délais dans les centres de diagnostics sont beaucoup trop longs. L’actuel plan Autisme prévoie des soutiens financiers avant même que le diagnostic soit officiellement posé, ce qui n’est déjà pas si mal. Honnêtement, ce ne sont pas les quelques centaines d’euros que ça représente qui vont changer beaucoup de choses.

La solution, en matière de diagnostic, c’est tout bêtement qu’un certain nombre de psychiatres de ville soient habilités par les services sociaux à livrer un diagnostic. Ce n’est pas compliqué. Nous étions dans une délégation départementale de l’agence régionale de santé (ARS) d’Île de France il y a quinze jours, et on nous a dit : c’est super-long, on a un problème pour le diagnostic de tel ou tel enfant. Ils sont repartis avec trois adresses de praticiens hospitaliers, des psychiatres reconnus, dont le diagnostic est fiable, qui ont des cabinets en ville. Petite précision : les psychiatres de ville permettront de désengorger le système, de faire tomber le délai à deux ou trois mois au lieu des douze, dix-huit, vingt-quatre mois que nous connaissons, mais il faut qu’ils soient habilités par un service hospitalier, sans que ce soit une labellisation qui nous ferait tomber dans d’autres problématiques compliquées. Le simple fait de pouvoir dire : « Moi, chef du service de psychiatrie de tel hôpital, je valide la capacité du docteur X à délivrer un diagnostic d’autisme » fera sauter le premier verrou que vous évoquiez.

Mme Ana Bibay. Je reviens sur les passerelles. Effectivement, le premier problème aujourd’hui est le manque de place, à tous les niveaux : dans les structures offrant un accompagnement soutenu, comme un IME, mais aussi dans celles dont la partie médico-sociale est plus légère comme les unités d’enseignement externalisées. Alors, les notifications MDPH se heurtent au réel : on a un certain nombre d’orientations, mais il n’y a de place nulle part.

On consent tout de même aujourd’hui un effort considérable pour toutes ces unités. L’idée consiste justement à ajouter davantage de souplesse grâce aux créations de nouvelles places. Ça ne réglera pas le manque de place, mais cela donnera plus d’efficacité.

M. Richard Pandevant. Quand on voyage un peu, on s’aperçoit que la France est l’un des pays d’Europe où l’on voit le moins les personnes handicapées, quel que soit leur handicap. Or, nous considérons que leur place est dans la société, que ça commence à l’école et, autant que possible à l’école ordinaire. C’est bon pour eux parce qu’ils font des progrès qu’ils n’auraient pas faits sans cela. C’est bon aussi pour leurs camarades car ils grandissent en apprenant à respecter la diversité de chacun. Et ça libère des places dans d’autres établissements pour les enfants qui en ont le plus besoin.

Par ailleurs, quel que soit le type d’établissement d’accueil, à temps partiel, à temps plein ou mixe, le point fondamental est la formation de tous les intervenants. Notre retard est considérable, notamment dans les programmes de l’université – or, c’est là que se prépare en grande partie l’avenir –, et le rythme actuel du rattrapage ne nous permettra pas de régler le problème rapidement.

Vous avez parlé du matériel. Il existe du matériel adapté : vous avez entendu parler des time timers, des agendas visuels, toutes choses qui aident énormément ces enfants-là, et dont le coût n’est pas démesuré. Avec l’aide de la technologie, on se rend compte que parfois ces matériels aident aussi les enseignants et les enfants « typiques ».

M. Bertrand Bouyx. J’ai reçu des parents d’enfants handicapés, pas nécessairement atteints de troubles autistiques, qui me rapportaient nombre de mauvaises orientations, avec par exemple des enfants orientés vers un IME alors que leur place n’était pas forcément là, mais plutôt en école ordinaire. Quel est votre regard sur ces orientations – qui peuvent être un facteur d’embouteillage pour ces institutions elles-mêmes ?

M. Bertrand Jacques. C’est exactement la raison pour laquelle nous avons attaqué bille en tête en plaidant pour des orientations multiples et souples. Cela permet non seulement d’éviter des erreurs d’aiguillage, mais aussi d’ajuster le tir en fonction des progrès de l’enfant.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vais rebondir sur le sujet. Tout à l’heure nous recevions Mme Claire Compagnon, qui estime que l’enfant doit dans la mesure du possible être à l’école, et qu’on doit lui apporter à l’école le soutien et l’accompagnement qui répondent à ses besoins particuliers, à ses difficultés, à son handicap.

Cela veut dire qu’il faudra beaucoup d’adultes dans l’établissement scolaire, qui viendront en général d’un établissement médico-social associé, auquel, donc, on enlèvera des places. Est-ce que l’on peut en même temps prendre les éducateurs, les professionnels de l’accompagnement de l’autisme et les intégrer dans les écoles, et garder des enfants dans les institutions médico-sociales ?

M. Richard Pandevant. On estime à 100 000 environ le nombre d’enfants autistes en France, et à 600 000 celui des adultes – qui n’ont pas été tous désignés comme tels au départ, de sorte qu’il ne s’agit que d’une estimation. Tous n’ont pas les mêmes besoins : le spectre autistique est très large, certains troubles passent inaperçus, d’autres ont des troubles associés.

La question posée est celle du transfert d’une partie des moyens depuis un certain type d’accueil, spécialisé, vers un modèle plus inclusif. Dès lors que cela correspond au besoin de l’enfant, cela nous paraît être évidemment une bonne démarche. Mais on se heurte à un problème de pratiques, de personnes, de mobilier, de places pour les accueillir. C’est une très grande difficulté.

M. Bertrand Bouyx. J’ai une autre question qui sort un peu du cadre de la commission, mais qui a trait à la continuité de la prise en charge de ces troubles. Quel est le devenir des personnes âgées qui entrent en institution, en maison de retraite, alors qu’elles sont atteintes de troubles autistiques ? Pour assurer une continuité, il faut la penser bien avant.

Mme Marianne Dubois. Y a-t-il un pays idéal qui aurait développé quelque chose d’intéressant allant dans le sens que vous avez décrit ? Et si oui, quels résultats cela donne‑t‑il ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. En début d’après-midi, j’ai dû pousser un « coup de gueule » parce que, pour l’instant, nous n’arrivons pas à obtenir du ministère concerné un diagnostic précis et des réponses précises à nos questions sur la situation réservée aux enfants en situation de handicap dans la transition inclusive. Si l’on veut progresser, il faut savoir précisément d’où on part : cela me paraît élémentaire.

Du coup, je serais intéressé par disposer des éléments concrets que vous avez : le nombre d’enfants autistes non pris en charge, non scolarisés en milieu ordinaire ou scolarisés dans des conditions insatisfaisantes, sans AVS, le nombre de signalements de situations préoccupantes par des enseignants, le nombre d’alertes de déscolarisation subie, le nombre de saisines du Défenseur des droits – qui nous a dit qu’un tiers des saisines étaient liées au non-respect de la loi de 2005, ce qui n’est pas rien. Quels phénomènes votre collectif a-t-il pu identifier ? On développe des réponses, on veut systématiser les PPS, on met en place des moyens – les UEEA, les ULIS : ce n’est pas rien non plus.

Chez moi, l’Association de parents et amis de personnes en situation de handicap mental (APEI) est très développée, ils font un gros boulot et sont très ouverts au partenariat avec le monde de l’école. L’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) aussi – nous avons monté un IEA avec eux. Mais, vous l’avez dit, il y a chez les éducateurs comme chez les bénévoles, des inquiétudes sur la place des enfants en milieu scolaire ordinaire. Quels effets de restructuration cela implique-t-il pour ces établissements ? Et quelles mesures d’accompagnement préconisez-vous ?

M. Bertrand Jacques. Sur la volumétrie, je ne peux vous répondre qu’en partie. Il semblerait que la moitié des personnes autistes ne bénéficient d’aucune prise en charge, de quel ordre que ce soit. Le chiffre, bien sûr, n’est pas prouvable, mais c’est celui vers lequel convergent la plupart des acteurs depuis plusieurs d’années. La situation est un peu meilleure pour les enfants, mais n’oublions pas que l’on voit une réelle explosion de l’autisme, qui ne s’explique pas seulement par une meilleure détection : les gens qui disent ça feraient mieux de lire autre chose que France Dimanche et de se pencher sur les études d’épidémiologie.

Voici une étude très simple, qui date de 2010, réalisée dans le New Jersey. Si l’on recense, avec les critères d’aujourd’hui, les autistes du New Jersey et que l’on regarde leur âge, c’est bizarre : il y a beaucoup de très jeunes, et au fur et à mesure que l’on avance en âge, il y en a de moins en moins. La population suit une courbe de Poisson. Si ça, ce n’est pas une explosion…

Deuxième preuve : trois pays ont de vrais systèmes statistiques de détection, le Japon, la Grande Bretagne et les États Unis. Mais le seul à avoir un historique est les États-Unis. C’est d’autant plus intéressant que les cinquante États américains ont tous le même système de détection. Or, bizarrement, la prévalence de l’autisme est multipliée par six ou sept, selon les États, sur une période de trente ans, mais les courbes sont très différentes. Cela accrédite la thèse des facteurs environnementaux en même temps que celle d’une véritable explosion. Cela veut dire que les profils de personnes autistes que nous avons, dans les pays développés et probablement en France, sont fortement biaisés en direction des jeunes.

Pour revenir à ce que vous disiez sur les conditions de scolarisation, il semble que le taux de scolarisation dans de bonnes conditions soit de l’ordre de 20 % – autrement dit, très faible. Avant d’entrer dans cette pièce, nous parlions d’un enfant dont les parents ont accepté, pour ne pas perdre la place proposée par l’Éducation nationale, qu’il soit scolarisé vingt minutes par jour ! En vingt minutes, on ne fait rien, on a juste le temps de poser ses fesses sur une chaise et de se relever. Ce n’est pas une scolarisation, c’est une façon de faire du chiffre. J’espère avoir répondu à peu près à la question.

M. Richard Pandevant. Sur la volumétrie, nous ne sommes pas très surpris. Cela concerne, bien sûr, une population très importante, et le nombre de grains de sable qui peuvent faire dérailler la machine est assez élevé et spécifique à la France. Je vais vous parler de ce qui peut faire dérailler en deux minutes un accompagnement. Quand ça se passe bien, on a des accompagnantes ayant reçu une formation initiale et une formation continue aux bonnes méthodes. On arrive à ce qu’elles entrent à l’école et à ce qu’elles partent avec les personnels de santé et les parents. Jusque-là, tout va bien et on arrive à faire des choses qu’on ne pensait pas possibles au départ pour les enfants. Mais survient un élément perturbateur : parfois, une famille déménage à dix kilomètres seulement, mais change de département, et l’interprétation n’est pas la même d’une MDPH à l’autre ; parfois, l’inspecteur ASH change, un enseignant change en cours d’année – il ne s’agit pas que de critiquer le nouvel enseignant, qui peut en toute bonne foi considérer qu’il n’est ni aidé ni formé pour accueillir cet enfant dans sa classe ; il peut aussi y avoir un défaut de supervision : les gens pensent bien faire mais ne sont pas supervisés par des gens compétents, ce qui peut être contreproductif.

Il peut y avoir, tout simplement, un refus d’AVS, et on tombe dans la situation que Bertrand Jacques vient d’évoquer, avec moins d’une heure de scolarisation par jour. Concrètement, l’enfant est déscolarisé et, dans 99 % des cas, la maman arrête de travailler. C’est comme ça que ça se passe. Vraiment.

Ou enfin, alors que tout marche bien, qu’on a réussi à trouver la perle rare – une AVS dynamique, qui aime les nouvelles méthodes – et que ça se passe très bien avec l’enfant, un jour, parce qu’elle est payée 600 à 900 euros par mois et n’a aucun espoir d’obtenir un CDI avant six ans, elle vient voir les parents et l’enfant en pleurant et leur dit : « Je suis désolée, mais j’ai dû accepter un autre travail ».

Mme Ana Bibay. Pour compléter sur ce qui permettrait un meilleur fonctionnement, je pense qu’il faudrait une formation de l’ensemble de l’école. C’est le cas pour la classe d’autorégulation d’Aquitaine, qui réunit une dizaine d’enfants en élémentaire, dont certains étaient auparavant en IME et sont désormais inclus dans leur classe d’âge à l’école. La spécificité par rapport à une UEE tient à ce que la base du temps de l’enfant est la classe ordinaire, bien qu’existe cette classe d’autorégulation. Il y a un accompagnement médico-social et par l’ensemble de l’école. Celui-ci a été formé au dispositif, alors que, trop souvent, on ouvre des UEE sans qu’il y ait eu un vrai travail d’adhésion de l’ensemble de l’école au projet ni de vraie formation.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce que vous venez de décrire ne se rapproche-t-il pas de ce que devrait être une ULIS, c’est-à-dire un dispositif qui permette l’inclusion mais aussi le retour dans la classe ? Si j’ai bien compris, les enseignants de l’école sont formés, les enfants sont présents dans les classes ordinaires, mais il existe en plus une classe, que vous appelez d’autorégulation, où ils peuvent retourner, aller se ressourcer, se réfugier, etc.

Mme Ana Bibay. Des intervenants du secteur médico-social sont présents dans cette classe d’autorégulation, et assurent une supervision des méthodes éducatives en analyse appliqué du comportement. Cela combine la force d’un dispositif de type UEE avec l’efficacité avérée des méthodes éducatives comportementales en termes de supervision.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Est-il également besoin d’avoir un accompagnant, éducateur ou AVS dans les classes ordinaires ?

Mme Ana Bibay. Ce n’est pas systématique, mais il peut y avoir un accompagnant. L’idée consiste à former toute l’équipe éducative pour un meilleur accueil de l’enfant.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Chez moi, l’UEEA a fait ça : les personnels ont formé les mômes et associé l’ensemble de l’équipe éducative, la ville a formé son personnel scolaire. Peut-être est-ce le cahier des charges qu’il faudrait préconiser pour les UEEA ? Les enfants font des allers-retours permanents avec la classe ordinaire, avec des temps de vie scolaire partagés – temps du midi, récré, etc. Il faut éviter que cette unité soit certes localisée dans l’école, mais en réalité reste séparée des autres classes.

Mme Ana Bibay. Oui, et je pense que cela passe vraiment par la formation et la sensibilisation de l’ensemble de l’école.

M. Bertrand Jacques. Et aussi par les doubles orientations que nous avons évoquées précédemment. On ne se posera plus la question de savoir qui signe le plan d’intégration ou le projet personnalisé : on va le faire, tout simplement.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Où, en Nouvelle-Aquitaine, sont ouvertes ces classes d’autorégulation ?

Mme Ana Bibay. Il y en a trois, dont une en Corrèze, et une que gère « Agir et vivre l’autisme » à Angoulême.

M. Bertrand Jacques. Il faudrait demander à M. Saïd Acef, qui a été conseiller ministériel, et qui est aujourd’hui chargé du médico-social à l’ARS de Nouvelle-Aquitaine.

M. Richard Pandevant. Le dispositif PIAL, a priori, n’est pas bien reçu sur le terrain – on peut même parler de levée de boucliers. Je reviens sur les ULIS : le fonctionnement théorique est bien celui que vous avez décrit. Il y a une classe dans l’établissement, avec des inclusions qui doivent correspondre aux capacités et aux besoins de l’enfant ; mais elles dépendent aussi de la volonté d’accueil de chaque professeur. Au collège ou au lycée, les enseignants les plus volontaires pour accueillir les élèves ne sont pas forcément ceux dont les matières correspondent aux points forts des enfants autistes – car ils en ont. Beaucoup d’expériences font état de dynamiques, positives ou négatives. Il y a un début d’inclusion, puis, pour une raison ou une autre, ça se grippe. L’inclusion devient alors théorique : les enfants sont dans l’établissement, mais ils ne sont plus vraiment dans les classes.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Tout à l’heure, vous évoquiez le cas d’un enfant qui n’est scolarisé que vingt minutes par jour. Est-ce parce qu’il n’y a pas d’accompagnant ? Ou est-ce à cause de ses difficultés propres ?

M. Bertrand Jacques. Un peu les deux – je vais répondre hors sujet aussi : ce n’est pas un manque d’accompagnant – cela étant, jamais vous ne trouverez un AVS qui se déplacera dans un établissement pour accompagner un enfant pendant vingt minutes. La raison principale est que l’école disait : « je n’en veux pas plus de vingt minutes »….

M. Richard Pandevant. Dans ce cas particulier, il n’y avait effectivement pas d’accompagnant au départ – il se trouve que ça s’est doublé d’une fracture du bras et qu’on a dit : c’est vingt minutes par jour. Si l’enfant est amené et repris vingt minutes après, il ne se passe strictement rien sur le plan scolaire. Il n’y avait pas à ce moment-là d’accompagnement qui permette que le comportement de l’enfant soit cohérent avec la vie de la classe.

Mme Ana Bibay. La même situation se produit aussi avec accompagnement. C’est l’école qui est réticente à ce que l’enfant reste plus longtemps.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Sur les PIAL, la réponse a été très claire : c’est non !

Je voudrais faire part d’un doute. J’entends, surtout depuis que je suis rapporteur, des témoignages qui disent : « l’enfant est scolarisé en milieu ordinaire, mais l’accompagnement n’est pas mis en œuvre ». C’est une violence pour l’enseignant, pour le gamin ; le conflit s’établit entre les parents et l’enseignant ; on explique aux parents qu’il faut déscolariser l’enfant, et ça conduit à des situations humaines dramatiques.

Dans mon territoire, cela aboutit aussi au fait que des parents ont envie de changer leur enfant d’école, de quitter l’école où ça ne se passe pas bien, pour aller dans une autre école où l’équipe d’enseignants est très mobilisée, très motivée, où des dispositifs spécifiques ont été mis en place, comme l’UEEA ou une unité maternelle. Donc, je me dis qu’il faut faire attention, car si on laisse faire ça, on va développer un dispositif « spécifique en milieu ordinaire » et on va, au fil du temps, spécialiser certaines écoles dans l’accueil d’autistes, ce qui est le contraire du but recherché. Cela renvoie à toutes les questions que la commission d’enquête a vocation à traiter : quelle formation pour l’ensemble des enseignants ? Quels moyens et quels statuts pour les accompagnants ? Quelles formations spécifiques ? Comment permettre à l’expertise des parents d’être entendue et prise en compte ?

M. Bertrand Jacques. Si je peux me permettre, il y a deux éléments de réponse.

On observe une grande disparité d’un territoire à l’autre, et ce n’est pas normal. Nous nous sommes posé des questions, car nous avons douze établissements partout en France et nous obtenons des réponses différentes à certaines questions d’ordre administratif. Nous avons trouvé la solution : un référent à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) nous donne les réponses. À l’Éducation nationale, c’est pareil : bizarrement, les territoires ne sont pas égaux.

La règle doit être la même pour tout le monde. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Il faudrait que deux personnes disent le droit, deux référents, comme nous vous l’avons écrit dans le petit document que nous vous avons préparé : l’un au sein de l’Éducation nationale, pour rappeler le droit en matière d’inclusion des personnes handicapées – au niveau local, cela protège aussi bien l’enseignant que la famille ; l’autre pour les autres sujets, notamment les orientations MDPH, pour lesquelles il y a aussi une énorme disparité, très probablement positionné à la DGCS et qui dise le droit, de la même manière que l’on a donné une réponse juridique aux questions que nous posions. Tant que l’on ne dispose pas de cet élément initial, on n’a pas de point sur lequel appuyer le levier auquel vous faisiez allusion pour l’accompagnement.

M. Richard Pandevant. Le défi de la formation est immense, pour des raisons historiques propres à la France, qui sont liées à la prépondérance de la psychanalyse pendant des décennies. On part de très, très loin, et ça concerne tout le monde.

Quand on accueille les familles, elles nous disent souvent – avec deux ou trois ans de recul – qu’il faudrait une équipe de survie au moment du diagnostic, en commençant par former les parents, les enseignants, les accompagnants mais aussi tous les professionnels dans des domaines où les choses ont changé depuis qu’ils ont été diplômés. Les connaissances scientifiques sur la nature de l’autisme progressent chaque jour, et vu le nombre de professionnels et de formateurs potentiellement concernés par ce besoin de formation, le défi est immense. Il faudrait, concrètement, des personnes capables de traduire dans les faits les recommandations de bonnes pratiques de la HAS – ce qui ne ferait que nous aligner sur les autres pays du monde. Mais ça constitue un vrai défi logistique.

Mme Ana Bibay. Quand on cherche aujourd’hui à embaucher un éducateur spécialisé pour travailler dans une UEE, ou en IME, on finit dans 80 % des cas par recruter quelqu’un qui ne connaît absolument rien aux méthodes comportementales et éducatives et on doit le former. Sur le terrain, on rencontre beaucoup de personnes très peu expérimentées, et même très jeunes, qui viennent d’être diplômées.

M. Bertrand Jacques. Il est très facile de parler de formation, tout le monde comprend ce que c’est. On met quelqu’un 40 heures dans une salle, il ressort, il a tout oublié, mais au moins, on a coché la petite case.

Il y a quelque chose de beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, notamment quand on s’adresse à l’Éducation nationale. On ne va pas « apprendre » quelque chose à l’Éducation nationale puisque c’est, en France, l’organisme censé savoir enseigner… Pourtant, si, on devrait pouvoir. En l’occurrence, notamment pour les auxiliaires de vie – je n’ai pas quitté la question de la restructuration : réorganiser, très bien ; former les gens, très bien ; accompagner, coacher, superviser un AVS qui a une question concrète à résoudre – « Je fais quoi quand l’enfant me demande de faire pipi trois fois dans la matinée, ou même en une demi-heure ? Je dis oui, ou non ? » – c’est tout autre chose. C’est une question concrète à laquelle on n’aura jamais la réponse dans le cadre d’une formation. Jamais. On l’aura dans le cadre d’une supervision, avec des gens qui suivent l’accompagnant. Nous sommes évidemment pour la formation des AVS – qui ne le serait pas ? – mais il y a un aspect potentiellement plus polémique, que l’on peut formuler ainsi : « Comment moi, personne extérieure, vais-je pouvoir entrer dans la forteresse Éducation Nationale et dire aux gens : sur le suivi des enfants autistes, plus généralement des personnes handicapées, j’ai un savoir-faire que tu n’as pas et je suis capable de t’apprendre des trucs ? ». Ce n’est pas forcément la peine de tout réorganiser, mais en revanche, un suivi fin et une attention aux problématiques quotidiennes apportent une vraie valeur ajoutée.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je crois que nous allons terminer sur ce bon conseil. Merci pour ce partage d’expérience, si enrichissant pour nous.

 

 

 


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   Mercredi 22 mai 2019

Audition par visioconférence de Mme Amandine Torresan, étudiante, professeur stagiaire

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour un exercice assez inhabituel, qui consiste à tenir par visioconférence une audition de notre commission d’enquête. Il faudra, bien qu’elle ne soit présente que virtuellement, que Mme Amandine Torresan prête serment.

Cette audition nous a été recommandée par notre collègue Cécile Rilhac, députée du Val-d’Oise. Elle nous a convaincus que l’expérience de Mme Amandine Torresan pouvait être utile à notre commission, compte tenu des difficultés qu’elle a dû affronter toute sa vie pour suivre une scolarité en milieu ordinaire. Je précise que Mme Torresan est actuellement étudiante et professeur stagiaire en master 2 à Bordeaux.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander, madame Torresan, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Amandine Torresan prête serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. En tant que rapporteur, je veux vous dire l’importance que nous accordons à cette audition. L’esprit dans lequel nous avons créé cette commission d’enquête impliquait que nous donnions la parole aux acteurs, à ceux qui sont les plus concernés. J’ai lu attentivement le témoignage que vous nous avez transmis et je veux vous dire combien il nous est utile. Votre description de ce qui a été un véritable parcours du combattant justifie que nous apportions des réponses concrètes à l’ambition inclusive. En même temps, votre témoignage donne aussi beaucoup d’espoir et nous souhaitons tenir les deux bouts de la chaîne, avec cette commission d’enquête. C’est pourquoi je suis très heureux d’être en face de vous aujourd’hui.

Mme Amandine Torresan, étudiante. Je m’appelle Amandine Torresan, j’ai vingt-cinq ans. J’ai eu un parcours scolaire en milieu ordinaire depuis l’âge de trois ans jusqu’à aujourd’hui. Je pense, d’après ce que j’ai pu voir, que vous avez déjà identifié les problèmes que pose l’inclusion au niveau de l’école primaire et je vais donc plutôt parler des problèmes auxquels on est confronté quand on devient grand.

Les difficultés se multiplient les années où l’on doit passer un examen, parce qu’il y a le double de paperasse à faire : pour l’établissement et pour l’examen. Là où l’inclusion reste totalement à faire – je dis bien totalement –, c’est après le baccalauréat. Il n’y a aucun endroit où je me suis mise davantage en danger, aussi bien psychologiquement que physiquement, qu’à l’université. Certes, il existe des pôles handicap, mais aucun dispositif de soutien n’est réellement mis en place et on ne découvre les problèmes que lorsqu’on se prend des murs.

Il est vraiment important que votre commission d’enquête prenne en compte le fait qu’il y a quelque chose après le baccalauréat. Quand j’ai passé le mien et que j’ai dit que je voulais aller à l’université, on m’a répondu que ce n’était pas possible avec un handicap : c’était en 2011 ! Il y a vraiment une barrière à ce niveau-là. On peut arriver jusqu’au bac : c’est difficile, mais on y arrive. Après le bac, en revanche, on est tout seul. Je dis souvent à ma mère que j’ai l’impression d’être seule au milieu de l’océan : je me débats, je me bas, envers et contre tout, pour tout. Je n’arrête pas de répéter que je suis fatiguée, que j’ai besoin d’aide.

Dans les centres de rééducation, je rencontre beaucoup de gens qui me disent qu’ils aimeraient faire des études supérieures, mais que c’est impossible, et qu’ils vont donc se diriger vers la voie professionnelle. C’est triste, et cela accrédite l’idée que la voie professionnelle n’est faite que pour les élèves en difficulté.

Mon parcours a été douloureux, mais j’en suis fière. Si je parle aujourd’hui, c’est pour que ce qui m’est arrivé n’arrive plus, pour que plus personne ne tombe là où je suis tombée. Il n’est pas normal de mettre sa vie en danger pour avoir le droit de faire un M2. Je commence à me le pardonner, mais il va me falloir du temps pour pardonner à ceux qui, plus haut, ne m’ont pas aidée. C’est difficile de se dire qu’il faut tomber très bas pour obtenir enfin de l’aide.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Votre témoignage est très émouvant et chacun comprend l’ampleur des difficultés que vous avez rencontrées. Dans le document que vous nous avez adressé, vous pointez différents problèmes, notamment l’accessibilité et la complexité des démarches. Vous dites aussi que vous vous sentez seule à l’université. Pouvez-vous développer ce point ?

Mme Amandine Torresan. En effet, je me suis vraiment sentie très seule à l’université. La complexité de la formation, cette année, fait que je dépends de trois pôles : l’école supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE), l’université et le rectorat. C’est seulement après mon passage à l’acte que j’ai réussi à mettre tout le monde en relation. Pour autant, je n’ai jamais pu obtenir, cette année, que mes cours aient lieu au rez-de-chaussée, alors que je n’ai pas arrêté de le demander. Un jour, il y a eu une alerte incendie et j’étais au troisième étage : j’ai dû descendre les trois étages à pied, et les remonter. Quand j’en parle à mes professeurs, ils me répondent qu’ils sont au courant, qu’on devrait effectivement être au rez-de-chaussée, mais ils finissent par : « Vous savez ce que c’est… » Quand je m’adresse à l’administration, on me dit de faire attention à ma dignité. J’ai vécu beaucoup de situations comme celles-ci, qui sont à la fois frustrantes et destructrices.

Il y a un moment où l’humiliation n’est plus supportable. Je ne demandais pas grand-chose : je voulais seulement une salle au rez-de-chaussée. Demander sans arrêt la même chose, c’est épuisant. Alors j’ai lâché l’affaire et je me suis contentée de ce qu’on me donnait. En février 2019, plusieurs mois après la rentrée, j’ai fini par obtenir de ne pas avoir à changer de salle pour chaque cours – c’est ce que je faisais depuis le mois de septembre. De la même façon, j’ai dû rappeler constamment que j’ai droit à un tiers-temps pour les partiels. À force de répéter les mêmes choses sans être entendu, on a l’impression que personne n’a envie de nous aider. C’est : « Marche ou crève. » Il arrive un moment où on est fatigué de se battre en permanence.

Mon handicap est physique, c’est un problème moteur, mais quand la fatigue s’accumule, cela atteint aussi le psychisme : j’ai plus de mal à me concentrer, il me faut plus de temps pour faire les choses. Les gens ont du mal à comprendre cela, y compris mon entourage, qui s’en est aperçu au fil du temps, en me voyant grandir. Il faut faire comprendre à tout le monde, premièrement que tous les handicaps sont différents et, deuxièmement, que la nécessité de compenser ce handicap est très fatigante. C’est pour cette raison qu’on a besoin d’aide : sans aide, on ne peut pas tenir sur la longueur. C’est comme si on faisait une course à pied et qu’on nous demandait de ne jamais nous arrêter, de ne jamais respirer.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je suis, moi aussi, bouleversé par votre témoignage, qui me fait osciller entre l’émotion et la colère. Vous êtes une femme intelligente et vous avez des raisons d’être fière de vous. Dans la mesure où vous avez été confrontée au non-respect de la loi, avez-vous envisagé, à un moment ou à un autre, de saisir le Défenseur des droits ? Quelqu’un vous a-t-il donné ce conseil ? Avez-vous renoncé de vous-même, en vous disant que ce serait une humiliation supplémentaire ?

Forte de votre expérience et des obstacles que vous n’avez pas cessé de rencontrer, quelles préconisations simples pouvez-vous faire pour que personne ne rencontre plus les mêmes difficultés ?

Mme Amandine Torresan. J’ai saisi le Défenseur des droits en 2017. Au bout de cinq semaines, je n’avais toujours pas de réponse et c’est à ce moment-là, le 12 octobre 2017, que j’ai fait une tentative de suicide. Le 19 octobre, ma mère a trouvé une réponse sur ma boîte mail : il faisait des propositions, mais pas celles que j’attendais. Ce que je demandais, c’était ne pas faire mon M2 en même temps que mon stage, pour ne pas trop me fatiguer. J’avais vu sur internet que c’était possible, mais j’ai appris par la suite que ce n'est possible que si l’on n’a pas le CAPES. Or on m’avait interdit de faire cela quand je n’avais pas le CAPES !

En même temps que le Défenseur des droits, j’avais contacté la mairie de Bordeaux. Après mon passage à l’acte, j’ai visé plus haut : j’ai écrit au rectorat et à la présidence de l’université. Comme je n’avais toujours pas de réponse, j’ai appelé tous les services et c’est en harcelant les gens que j’ai fini par avoir quelques réponses.

Vous me demandez des solutions simples. En voici une : dans les ESPE, on reçoit des cours sur l’inclusion. Il faudrait passer de la théorie à la pratique et, surtout, proposer des cours théoriques plus intéressants, en faisant intervenir des personnes qui connaissent le sujet de l’intérieur. Le cours sur l’inclusion que j’ai reçu à l’ESPE ne m’a rien apporté : c’est un fourre-tout, où il est aussi bien question des élèves à besoins spécifiques que des élèves allophones ou des élèves qui ont une infirmité motrice cérébrale, alors qu’ils ont des besoins différents. C’est moi qui ai donné au professeur et aux autres élèves de ma promotion le numéro d’aide pour les questions liées à la scolarité !

Il faut dire aux personnes handicapées qu’il est possible de faire des études supérieures, et pas seulement dans la voie professionnelle, et il faut mieux les accompagner. Il existe des pôles handicap mais, en ce qui me concerne, je n’ai pas pu obtenir de l’ESPE que mon cursus soit adapté à mon niveau de fatigue. Il faudrait que l’institution s’adapte à notre quota de fatigue, parce que nous sommes des êtres humains et que nous avons aussi une vie à côté. Si on me fatigue trop, je ne peux plus faire ma rééducation et je perds en motricité : c’est un cercle vicieux. Compte tenu de la manière dont s’est déroulée l’année universitaire qui s’achève, j’ai perdu en mobilité. Cela a des conséquences sur ma santé. Or on ne fait pas des études pour s’abîmer la santé.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez évoqué à plusieurs reprises les pôles handicap, tout en soulignant qu’ils étaient relativement invisibles. Pour ma part, je ne les connais pas. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Mme Amandine Torresan. Le pôle handicap fonctionne plutôt bien à l’université : c’est un bureau où des personnes nous reçoivent et nous aident à faire nos démarches administratives. Au sein de l’ESPE, en revanche, il n’y a pas de pôle handicap. Il y a ce que l’on appelle le service « Public handicapé artistes sportifs étudiants » (PHASE). Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce service faisait office de pôle handicap. Une seule personne est responsable des questions liées au handicap pour l’ensemble de l’ESPE et elle n’est pas sur place : il est donc impossible d’aller la voir si on rencontre, par exemple, un problème d’accessibilité. On a seulement son numéro de téléphone.

Il faut savoir qu’il y a quatre facultés à Bordeaux. J’étudie à la faculté de lettres, qui est indépendante, et les trois autres facultés font partie de l’université Bordeaux III. J’ai donc eu un référent handicap à l’université, un référent handicap à l’ESPE, que je n’ai vu qu’une fois et qui dépend de Bordeaux III, et un référent handicap au niveau du rectorat. Puisque vous me demandez ce qu’on peut changer, je vous dirai que ce ne devrait pas être à l’étudiant d’aller à la rencontre des différents référents. Il serait vraiment préférable d’organiser une réunion avec toutes ces personnes. Moi, je passais mon temps à faire le tour des bureaux quand j’avais besoin de quelque chose.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Alors que dans le premier et le second degré, une équipe de suivi de la scolarisation est chargée d’organiser au mieux la scolarité de l’élève et de définir ses besoins, vous nous dites qu’à l’université, il n’existe rien de comparable. Personne ne se charge de la coordination, lorsque vous dépendez de plusieurs établissements. N’aviez-vous pas, au sein de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), un interlocuteur qui aurait pu vous aider ?

Mme Amandine Torresan. Non, c’est moi qui ai fait le lien entre tout le monde à chaque fois. Par exemple, je sais que le nouveau référent de l’ESPE a demandé à disposer d’une salle pour nous rencontrer, mais il ne l’a jamais obtenue. Même quand un coordinateur veut nous rencontrer, il rencontre des obstacles.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Avez-vous pu compter sur la solidarité des autres étudiants ? Est-ce que les organisations syndicales étudiantes ou enseignantes ont été sensibilisées à votre situation ? Est-ce que, dans votre vie quotidienne, l’absence de réponse institutionnelle a été compensée par des solidarités humaines ?

Mme Amandine Torresan. Pour vous répondre sincèrement, certains étudiants m’ont aidée à tenir. Ils trouvaient cette situation affligeante, mais aucun d’eux n’a osé parler, parce qu’ils avaient tous peur pour leur titularisation.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Et les organisations syndicales ?

Mme Amandine Torresan. J’ai essayé d’entrer en contact avec les syndicats : ils sont au courant des problèmes, mais ils me disent qu’ils ont déjà trop à faire avec les étudiants qui ne sont pas en situation de handicap, et que ma situation est trop compliquée.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Et les responsables des ESPE, parmi lesquels il y a des élus et des représentants institutionnels, les avez-vous approchés ?

Mme Amandine Torresan. Quand je leur ai fait part des problèmes d’accessibilité, ils m'ont répondu qu’il fallait que je fasse attention à ma dignité de professeur stagiaire. Pour l’ESPE, on est tantôt professeur, tantôt stagiaire. L’administration n’a prêté aucune attention à ma dignité : pour elle, il faut suivre le protocole.

Mme Danièle Cazarian. Votre témoignage est très fort. Vous avez dit tout à l’heure que, pour vous, ça a été : « Marche ou crève ». Vous êtes allée jusqu’à un geste ultime, par dépit, parce que vous n’arriviez pas à trouver de l’aide. C’était votre façon de signifier que cette situation était insupportable. Votre témoignage nous confirme qu’il reste beaucoup à faire et que nous avons encore une longue route à parcourir pour accueillir au mieux les étudiants en situation de handicap. Je tenais à vous témoigner toute mon admiration pour votre parcours, pour votre détermination et pour le courage avec lequel, en tant que jeune femme, vous faites entendre votre voix.

Vous nous avez dit que vous aviez plusieurs référents, un par établissement : comment pourrait-on mieux organiser les choses ? Peut-on imaginer qu’un référent centralise toutes les informations sur l’étudiant et sur ses besoins ? Qu’est-ce qui, dans votre cas, a fait que la machine s’est grippée ? Et qu’est-ce qui vous a amenée à tisser vous-même des liens entre ces personnes pour trouver des aménagements ?

Mme Amandine Torresan. Il faudrait que des mesures soient prises dès qu’une personne en situation de handicap est admise au CAPES. Si vous voulez garder un référent par établissement, pourquoi pas ? Mais il faudrait absolument organiser, avant la rentrée, une réunion entre l’étudiant et tous les référents, comme on le fait au collège et au lycée. Le numérique ne règle pas tout, mais la création d’un portail dédié pourrait également être une bonne chose : on peut imaginer un site qui rassemblerait les informations utiles et sur lequel on pourrait échanger avec les référents.

Mais, avant toute chose, il faut que les institutions intègrent le fait que nous avons besoin de souplesse et que nous nous fatiguons plus que les autres. Si nous sommes absents pour raison de santé, il faudrait imaginer un moyen de nous transmettre les cours, pour que ce ne soit pas une source d’angoisse. À Bordeaux, comme à Cergy, quand j’ai été hospitalisée, je n’ai jamais obtenu qu’on me transmette les cours par internet. Il faut vraiment passer de « Oui, on va le faire » à « Oui, on le fait ».

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est un bon résumé de la commission d’enquête !

Mme Amandine Torresan. La difficulté majeure, c’est la vision que les gens continuent d’avoir du handicap. Longtemps, on a établi une équivalence entre handicap et déficience. Certes, le handicap est une déficience, mais il peut apporter quelque chose. Je reste persuadée que tous les étudiants qui m’ont côtoyée sont devenus plus sensibles à la question du handicap : en me voyant galérer, ils se sont dit qu’ils ne voulaient pas laisser leurs étudiants galérer comme ça. Mais il y a aussi la réalité institutionnelle qui fait que, parfois, même les jeunes professeurs se découragent devant l’ampleur de la tâche. Il faut faire un travail de simplification pour les parents et de formation pour les enseignants. Par exemple, quand je dis que j’ai une infirmité motrice cérébrale, il n’est pas rare qu’on me demande si cela touche le cerveau. Cette infirmité touche le cerveau, comme son nom l’indique, mais seulement la partie motrice : j’ai toutes mes capacités intellectuelles. Il y a trop d’idées reçues sur le handicap, trop d’étiquettes : c’est contre elles qu’il faut surtout lutter.

Il faudrait aussi que l’administration accepte de reconnaître ses erreurs, quand elle en fait. Mon parcours est ce qu’il est et il a pu m’arriver de faire des erreurs, mais je ne vais pas me mettre à culpabiliser, à regretter de ne pas avoir fait telle ou telle démarche. On est souvent informé trop tard des démarches que l’on aurait pu faire. Quand l’administration commet une erreur, il faudrait qu’elle revienne en arrière et qu’elle répare la blessure qu’elle a causée : au baccalauréat, il y a eu une erreur et on est passé dessus ; au CAPES, j’ai travaillé pendant vingt minutes sur un sujet qui n’était pas le mien et on a refusé, ensuite, de me donner vingt minutes supplémentaires ; il aurait été possible que je fasse mon master 2 et mon stage en deux ans, mais on ne me l’a pas dit à temps et on m’a laissée m’épuiser. Comme dit le proverbe, « Faute avouée est à moitié pardonnée » : ce serait une bonne chose que l’administration reconnaisse ses erreurs et qu’elle ajuste le tir, pour rendre les choses moins difficiles. J’espère avoir répondu à vos questions.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous avez fait bien plus que cela. Que comptez-vous faire à présent ?

Mme Amandine Torresan. J’ai obtenu mon master 2 avec mention, mais je ne sais pas ce que je vais faire, parce je ne me sens pas capable de rester dans l’éducation nationale.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’aurais rêvé que mes enfants aient un enseignant tel que vous.

Mme Amandine Torresan. Si je ne m’en sens pas capable, c’est parce que c’est trop fatigant physiquement, surtout avec des classes à plus de trente-six élèves. Pourtant, je suis convaincue que j'ai des choses à apprendre aux gens.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je le pense aussi !

Mme Amandine Torresan. Cette année m’a trop usée, j’ai besoin de respirer. Et puis, le regard des élèves reste quelque chose de très difficile à gérer. J’ai eu deux classes. Avec la première, tout s’est très bien passé : les effectifs étaient réduits et j’ai pu expliquer les choses. Dans l’autre, j’avais trente-sept élèves et je ne m’en sortais pas : ils profitaient de la situation, notamment du fait que je ne peux pas me retourner rapidement.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Quelle matière enseignez-vous ?

Mme Amandine Torresan. Le français. Pour l’instant, je ne sais plus trop où j’en suis. J’ai tellement dû me battre pour obtenir mon M2 que je suis épuisée. La veille de ma soutenance, je n’étais pas sûre de pouvoir y aller, parce que je ne tenais plus sur mes jambes, j’étais épuisée de mon année. J’ai soutenu mon mémoire et, en sortant de la salle, je suis tombée. Le médecin m’a dit de ne pas continuer mon stage et aujourd’hui encore, je suis en arrêt maladie. Le rythme est trop soutenu : il l’est pour tous les étudiants mais, pour moi, c’est le rallye Dakar, puissance 2 000.

Je vous aiderai, autant que je peux, à faire bouger les choses, mais il faut aussi que je trouve ma place dans tout cela.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. La respiration que vous vous accordez peut servir à cela.

Mme Amandine Torresan. J’aimerais ajouter une chose : il faudrait trouver le moyen d’éviter les cassures en cas d’hospitalisation. Pour ma part, j’ai évité la cassure sur le plan scolaire, mais je n’y ai pas échappé sur le plan psychique et personnel. À l’âge de dix ans, je suis partie à 140 kilomètres de chez ma mère pour entrer dans un centre avec école : c’était la seule solution qui s’offrait à moi pour éviter la déscolarisation. Il faut inventer des systèmes pour qu’un enfant qui doit se faire opérer continue d’avoir accès à l’école. Il faut trouver un moyen de préserver ce lien humain et social, qui est absolument vital.

Je vais vous dire clairement ce que je ressens : mon parcours a été un combat, le pot de terre contre le pot de fer. Souvent, j’ai le sentiment que je n’ai pas le droit d’être, pas le droit d’être là, pas le droit d’être en vie, pas le droit d’être différente. Je dois constamment me battre pour tout, et c’est épuisant. Je vois des enseignants qui essaient d’agir, mais ils sont démunis – ce qui nous ramène à la question de la formation, mais aussi au nombre trop important d’élèves par classe. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir s’occuper un peu de chacun mais, en pratique, c’est plus compliqué, voire infaisable. Il faudrait surtout nous éviter d’avoir à répéter les mêmes choses constamment. Pour vous donner un exemple, j’ai demandé du matériel pour ma classe en septembre et je ne l’ai obtenu qu’au mois de novembre. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les choses se passent ainsi, pourquoi il faut toujours répéter les mêmes choses.

Quand j’avais six ans, j’ai vu ma mère qui remplissait un dossier pour la MDPH et je lui ai demandé pourquoi il fallait le faire tout le temps. Pour l’école, c’est la même chose : il faut remplir un dossier chaque année. La maladie de Little n’est pas mon identité : ce n’est pas ce qui est écrit sur ma carte d’identité. Or ces démarches à répétition nous donnent l’impression que, pour l’État, nous sommes des maladies.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. L’une de vos recommandations m’a paru très pertinente pour résoudre le problème de la discontinuité : vous proposez qu’un document périmé soit valable jusqu’au renouvellement des droits. On est déjà en train de simplifier les démarches, avec les notifications valables trois ans, mais votre idée d’une notification qui resterait valable jusqu’à son renouvellement paraît très pertinente, à la fois très utile et très simple à mettre en œuvre.

Mme Amandine Torresan. C’est vraiment une disposition essentielle : pour l’administration, si notre document est périmé, nous ne sommes plus handicapés, donc nous n’avons plus droit à rien, alors que nous sommes toujours dans le même état. Comme je vous le disais, c’est un papier qui définit ce que nous sommes et je trouve ça triste, parce que je ne suis pas un papier.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce qui me sidère plus que tout, c’est que vous suivez un cursus qui est destiné à former des enseignants et que c’est à l’ESPE que vous avez eu le plus de mal à obtenir la reconnaissance de votre handicap et des aménagements. Cela semble incroyable.

Mme Amandine Torresan. À l’ESPE, je n’ai rien obtenu d’autre que mon tiers-temps, que je n’ai pas arrêté de réclamer. Il est arrivé qu’on me reproche mes retards, mais si j’étais en retard, c’est parce que je devais aller chercher l’emploi du temps, qui n’était pas accessible sur internet. Or le château qui accueille l’ESPE n’est pas adapté et je devais prendre les escaliers. Pour être honnête avec vous, à la fin, j’avais peur d’aller à l’ESPE, j’étais terrorisée. D’autres étudiants étaient angoissés, parce qu’on nous met vraiment la pression mais, pour moi, c’était devenu viscéral. Je me demandais : « Qu’est-ce qui va encore m’arriver aujourd’hui ? ». Un jour, un stagiaire a expliqué qu’on avait découvert un élève autiste dans sa classe de trente-trois élèves, et il a demandé à notre formateur comment il pouvait s’en occuper. Celui-ci lui a répondu, devant moi, que de toute façon il n’irait pas très loin. Je n’ai rien osé dire, parce que j’avais déjà assez de problèmes de mon côté, mais ce sont des moments douloureux.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. On voit l’ampleur du travail qui reste à faire. Je vous remercie encore d’avoir eu le courage de témoigner : j’imagine que ce n’était pas facile pour vous, mais c’est très important pour nous.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je tiens à vous dire un mot, avant de vous laisser conclure. Vous êtes une belle personne et vous avez rappelé qu’on a besoin d’humanité pour avancer. Or vous nous avez montré aussi qu’on ne vous a pas toujours traitée avec humanité, mais souvent comme un numéro, comme une maladie ou un handicap. Si on arrive à faire changer cela, on aura déjà fait la moitié du chemin.

Vous pouvez être fière de votre parcours et il faut absolument que vous le mettiez au service de quelque chose. Vous pouvez vous rendre très utile et contribuer à faire avancer les choses, notamment pour les enfants. Je respecte évidemment votre volonté de respiration, mais je souhaite aussi qu’elle vous permette de tracer votre route, car c’est la plus belle leçon que vous pourrez donner à tous ceux qui n’ont pas su faire preuve d’humanité.

Mme Amandine Torresan. Vous avez raison, je le sais. Je n’ai pas encore trouvé la manière dont je peux aider les enfants et les familles qui sont dans le besoin, mais j’y réfléchis.

J’aimerais, à mon tour, vous poser une question, car j’ai vu hier une information circuler sur Facebook, qui m’a beaucoup choquée. J’ai lu que l’on voulait ajouter, dans la loi sur l’école de la confiance, la phrase suivante : « La scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l’enfant, l’adolescent ou l’adulte handicapé dans ses acquis pédagogiques. » Autrement dit, le législateur donne les pleins pouvoirs à l’éducation nationale pour décider si l’enfant est, ou n’est pas, dans les apprentissages.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Cet amendement a effectivement été adopté au Sénat, mais nous corrigerons cela, soit en commission mixte paritaire, soit lors d’une nouvelle lecture du texte à l’Assemblée nationale. Nous avons été informés de ce vote hier et mon groupe politique a déjà eu l’occasion d’en parler avec le ministre. Nous avons appelé son attention sur cette phrase, qui est tout à fait inadmissible.

Mme Amandine Torresan. Ne retournons pas en 1975, je vous en prie !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ce n’étaient pas des fake news, mais nous allons nous mobiliser pour supprimer cette mention.

Mme Amandine Torresan. Tant mieux. Je ne sais pas encore ce que je vais faire, mais si je peux vous aider, je le ferai.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Moi qui habite en Nouvelle-Aquitaine, j’aimerais venir à votre rencontre.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Peut-être même pourrions-nous vous inviter à l’Assemblée nationale.

Mme Amandine Torresan. Avec grand plaisir. J’accueille avec joie tout ce qui peut m’aider et aider les autres. Je vois tellement d’enfants en difficulté… Il faut tout faire pour leur éviter de vivre les mêmes galères que moi. Si vous saviez combien c’est douloureux de dire à sa mère qu'on n’arrive pas à se réaliser, parce qu’il y a sans cesse des obstacles à surmonter… C’est tellement fatigant. En outre, j’ai à la fois la chance et la malchance d’avoir un frère jumeau, qui n’a pas de handicap. Je le vois avancer et je me prends l’égalité des chances en pleine figure, constamment.

Nous parlions tout à l’heure d’humanité et je vous confirme que nous en avons besoin. J’ai fréquenté des tas de centres de rééducation et je connais le handicap. J’ai constaté que toutes les personnes en situation de handicap développent une sensibilité plus haute que la normale, et elles la gèrent mieux avec des personnes que par écrans interposés. Il faudrait mettre davantage de moyens. On m’a expliqué que vous n’aviez pas les moyens financiers nécessaires, mais un petit sacrifice financier peut sauver des milliers de vies.

J’ai écrit à plusieurs députés cette année, parce qu’il y a des enfants qui font la grève de la faim, des lycéens qui se mettent en danger pour aller à l’école. Évitons que des drames ne se reproduisent.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie encore d’avoir pris part à cette commission d’enquête et d’avoir partagé avec nous votre expérience. Je vous félicite pour votre courage et votre parcours. Et je vous engage, comme le rapporteur, à reprendre des forces, avant d’entreprendre une belle carrière. Vous trouverez votre voie.

 

 

 

 


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   Mardi 28 mai 2019

1.   Audition de l'Intersyndicale des personnels des Instituts nationaux de jeunes sourds (INJS) et de l'Institut national de jeunes aveugles (INJA) : M. Yves Dunand pour la Confédération générale du travail (CGT), Mme Laure Beyret pour Force ouvrière (FO) et Mme Hélène Sester pour le Syndicat des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles - Union nationale des syndicats autonomes (SNJSJA-UNSA)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission consacre aujourd’hui deux auditions à la situation spécifique des enfants sourds ou aveugles pour ce qui est de l’inclusion scolaire.

Pour la première de ces auditions, nous recevons l’intersyndicale des personnels des Instituts nationaux de jeunes sourds et de jeunes aveugles, avec Mme Laure Beyret, de Force ouvrière (FO), Mme Hélène Sester, secrétaire générale du Syndicat des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles, qui fait partie de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), et M. Yves Dunand, de la Confédération générale du travail (CGT). Mesdames, monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

Les quatre instituts nationaux des jeunes sourds (INJS) et l’Institut national des jeunes aveugles (INJA) sont des établissements publics nationaux à caractère administratif depuis 1974, mais ils ont une origine plus ancienne puisque l’INJA a été créé à Paris en 1784.

Ces instituts interviennent auprès d’enfants et d’adolescents ayant des troubles des fonctions auditives ou visuelles, afin de contribuer au dépistage, à la prothèse, à l’appareillage, à l’action médico-éducative, à l’information des familles et à l’orientation de ces enfants. Ils leur assurent également un enseignement, une formation professionnelle, une préparation à la vie sociale, et participent à la recherche. À la rentrée scolaire 2017, ils accueillaient 1 000 élèves, soit 9 % des enfants ayant des troubles des fonctions auditives et 3,6 % des enfants souffrant de troubles visuels

Ces instituts ont fait l’objet en mai 2018 d’un rapport conjoint de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAEN), de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), rapport qui a proposé des scénarios d’évolution.

Avant de vous donner la parole, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter le serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Laure Beyret, Mme Hélène Sester et M. Yves Dunand prêtent successivement serment.)

Je dois vous informer que nous serons tout à l’heure dans l’obligation d’interrompre nos travaux pendant un quart d’heure environ afin de participer à un scrutin dans l’hémicycle

M Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai à mon tour le plaisir de vous souhaiter la bienvenue. Nous attachons beaucoup d’importance à ces auditions pour étayer la réflexion de la commission d’enquête et nourrir sa capacité de propositions. J’ai noté pour ma part deux sujets d’actualité. Il s’agit tout d’abord de la nécessité de garantir la place de vos instituts, qui n’ont rien de désuet, au sein de l’arsenal des outils nationaux à préserver, et nous serons très attentifs – au moins en ce qui me concerne – aux arguments que nous donnerez pour cela.

Plus largement, nous souhaitons que l’on favorise, de manière pragmatique, concrète, opérationnelle, une école plus inclusive, tout en prenant en compte la spécificité des différents handicaps, donc celle des aménagements qu’ils nécessitent. Nous y sommes très attentifs depuis le début de nos travaux.

Mme Hélène Sester, secrétaire générale du Syndicat des instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles. Je commencerai par rappeler que nous sommes une intersyndicale de professionnels de l’INJA et des INJS, qui regroupe tous les syndicats du ministère de la santé. Nous travaillons et réfléchissons avec les parents d’élèves depuis bientôt trois ans sur toutes les questions que vous avez évoquées.

Pour clarifier le débat et évacuer d’emblée l’accusation qui nous est parfois faite de nous opposer à l’école inclusive, nous voulons redire avec force que nous sommes bien pour la construction d’une école et d’une société plus inclusives, et que nous sommes complètement partie prenante de ce défi, de cette belle idée. Nous ne sommes pas attachés, « accrochés » à nos élèves sourds, malentendants, aveugles ou mal voyants, mais travaillons et réfléchissons résolument pour le bien de ces jeunes, pour leur inclusion présente et future dans la société.

Nous rejetons l’opposition qui est parfois faite entre l’école « ordinaire » et l’école « spécialisée ». Nous pensons en réalité que le défi de l’école inclusive est justement de les rapprocher, de les amener à mieux se coordonner. C’est la trajectoire que nos instituts ont suivie depuis vingt ans.

Nous préférons, pour notre part, parler de « parcours incluant », associant des dispositifs in situ et des dispositifs en inclusion dans l’école dite ordinaire, qui peuvent être des ULIS ou des unités externalisées.

Pour nous, le défi de l’inclusion, c’est la réponse à apporter de manière individualisée aux besoins des élèves. Je pense que nous serons tous d’accord pour dire que c’est vraiment l’individualisation des réponses et la construction d’un parcours adapté à ces besoins qui permettront d’avancer.

Nous souhaitons également rappeler que les instituts nationaux s’adressent à un certain public, à cette partie de ces jeunes sourds, malentendants, aveugles ou malvoyants qui ont des besoins très particuliers, et non à la totalité d’entre eux. Lorsque nous voyons que l’on affiche des objectifs chiffrés pour l’ensemble des établissements – 50 %, 80 % d’inclusion… –, nous trouvons cela dommage, car en réalité il existe des établissements pour lesquels on peut imaginer relever le défi des 100 %. S’agissant par exemple des sourds, des élèves qui ont un projet plutôt oral, il peut y avoir tout un tas de raisons à cela, et nous tenons, en ce qui concerne nos instituts, à ce qu’avant d’envisager des évolutions étayées par des injonctions, on analyse les besoins éducatifs des élèves que l’on accueille.

Mes collègues vont maintenant expliciter ces besoins et ces caractéristiques.

M. Yves Dunand. Je représente le syndicat CGT au sein de l’intersyndicale. Je précise que je me fais le porte-parole du monde associatif de la déficience visuelle, étant membre du conseil d’administration de l’association Voir ensemble, elle-même adhérente à la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CFPSAA).

Alors que l’on n’a jamais autant parlé des élèves en situation de handicap et de leurs besoins spécifiques, nous sommes nombreux, parmi les familles, les professionnels et le milieu associatif de la déficience visuelle, à nourrir des craintes quant à une politique d’inclusion généralisée qui, tout en améliorant les conditions de scolarisation pour certaines catégories de handicap, pourrait signifier une régression de la diversité de l’offre scolaire éducative pour les élèves aveugles ou malvoyants.

Or, depuis que les anciennes écoles spécialisées se sont converties les unes après les autres en centres-ressources de soutien à l’inclusion, l’INJA est aujourd’hui le seul établissement qui permette à des élèves aveugles et malvoyants venant de l’ensemble du territoire national d’être scolarisés dans un environnement favorable à leur plein épanouissement, en prenant en compte les besoins spécifiques liés à leur déficience visuelle, déficience éventuellement évolutive et fréquemment accompagnée d’autres pathologies.

L’INJA comporte des classes qui vont de la grande section de maternelle jusqu’au baccalauréat, et il est le seul établissement en France à proposer un accueil et une scolarisation aussi bien in situ qu’en inclusion en milieu ordinaire, avec un suivi personnalisé. Ces deux options permettent de répondre au mieux à l’extrême diversité des situations des élèves et des familles. Concrètement, le nombre d’élèves accueillis ou accompagnés par l’INJA ces dernières années se situe entre 170 et 180, dont une cinquantaine en inclusion.

L’objectif affiché est d’inverser cette proportion à très brève échéance, conformément à l’objectif global fixé pour 2022 : scolariser en milieu ordinaire 80 % des élèves en situation de handicap.

Nous sommes conscients que d’autres pays souvent cités en exemple se sont engagés dans des politiques d’inclusion scolaire plus ou moins généralisées, des élèves en situation de handicap. Cependant, nous estimons que l’inclusion scolaire ne doit pas être conçue comme une fin en soi, mais qu’elle doit demeurer une option parmi d’autres pour les familles, à choisir en fonction de chaque situation particulière.

Il ne suffit pas que les élèves en situation de handicap soient assis côte à côte avec leurs camarades dans une classe pour que leur inclusion soit effective et bénéfique. Surtout, s’agissant du handicap visuel, je peux m’appuyer sur mon expérience personnelle et sur celle de mes nombreuses connaissances pour affirmer que la présence permanente d’un AVS ou d’un AESH ne peut qu’entraver les relations de l’élève malvoyant avec ses camarades, relations qui devraient pourtant être l’un des principaux aspects pris en compte pour mesurer la réussite de l’école dite « inclusive ».

Tout en reconnaissant qu’il est important pour les jeunes déficients visuels de côtoyer leurs camarades dits « valides », nous constatons qu’une inclusion les amenant à se trouver systématiquement en situation de grande différence peut au contraire leur donner un sentiment d’exclusion s’ils ne sont pas suffisamment préparés à affronter ces difficultés.

À l’inverse, si l’INJA a contribué à tant de réussites professionnelles dans des activités ou des métiers extrêmement divers, c’est précisément parce qu’il a su offrir à ces élèves l’accès à un plein épanouissement et à une véritable autonomie en leur proposant des modalités de scolarisation adaptées à leur potentiel et leur situation personnelle.

L’INJA permet aux élèves qu’il accueille de construire leur autonomie grâce à des apprentissages fondamentaux forts et construits – une pratique quotidienne du braille encadrée par des enseignants qualifiés pour les élèves aveugles ou très malvoyants, ou bien l’utilisation de l’écriture en grands caractères lorsqu’elle permet une lecture rapide et efficace.

Nous proposons aussi une formation à l’outil informatique adapté, des cours de locomotion, d’activité de la vie journalière, la mise à disposition de tout type de documents sur un support adapté – braille, grands caractères, numérique, dessins en relief – ainsi qu’une section d’enseignement musical très développée. À ce sujet, je dois souligner qu’alors que cet enseignement était dispensé traditionnellement dans toutes les écoles spécialisées, l’INJA est aujourd’hui le seul établissement qui continue à proposer ces formations – la plupart des autres écoles étant transformées en centres de ressources et d’appui à l’inclusion –, ce qui est à peine croyable quand on sait à quel point la pratique musicale joue un rôle déterminant dans la vie de nombreuses personnes aveugles, que ce soit pour leur épanouissement ou comme activité professionnelle.

Malgré tout cela – que même le rapport interministériel publié en 2018 ne nie pas – l’avenir de l’établissement est fortement remis en question, d’abord du fait de son coût jugé trop élevé au regard du nombre d’élèves qu’il scolarise, ensuite parce que l’on estime que l’INJA, comme l’INJS ou d’autres établissements, doivent se plier à la politique du tout-inclusion, prônée depuis quelques années par les gouvernements qui se sont succédé.

S’agissant du coût jugé trop élevé, on peut se poser plusieurs questions. Peut-on évaluer ce coût sans prendre en compte le prestige que confère à notre pays le rayonnement international d’établissements comme l’INJA, dont le nom reste à jamais associé à celui de Louis Braille, inventeur de l’écriture qui a permis à des millions d’aveugles de par le monde d’accéder à l’éducation et à la connaissance ?

En comparaison, est-on sûr d’avoir bien anticipé le coût réel des dispositifs multiples et complexes que l’on entend développer pour promouvoir cette inclusion à marche forcée de tous les élèves en situation de handicap, politique dont les résultats ne seront probablement pas à la hauteur des espoirs que l’on fait miroiter aux familles ?

Ne serait-il pas plus sage, au moins dans un premier temps, de développer l’inclusion des élèves dont les besoins spécifiques ne reçoivent pas actuellement de réponse appropriée, sans chercher à démanteler des institutions qui continuent à faire la preuve de leur utilité et de leur pertinence pour les jeunes déficients sensoriels ?

Il convient enfin de souligner que l’INJA, tel que je viens de le décrire, est le fruit d’une longue et constante évolution qui s’est accélérée sous l’impulsion de la loi de février 2005, une évolution à laquelle les professionnels et les familles ont toujours adhéré jusqu’à présent dans la mesure où elle élargit les possibilités de scolarisation offertes aux élèves.

Il n’en va pas de même pour le tournant que veut nous faire prendre notre ministère de tutelle depuis 2016, et qui risque de mettre en difficulté de nombreux élèves handicapés sensoriels, en supprimant cette liberté, que nous considérons comme essentielle pour eux et pour leurs familles, de choisir le mode de scolarisation qui leur convient.

C’est la raison pour laquelle nous sommes réunis au sein d’un collectif qui regroupe une intersyndicale et une association de parents d’élèves afin de faire entendre notre voix et d’éviter que des décisions graves ne soient prises sans réelle concertation avec les principaux intéressés.

Mme Laure Beyret, représentant Force ouvrière (FO). Je vais parler des INJS, donc de la surdité, qui a, si j’ose dire, une spécificité particulière, étant donné la multitude des profils rencontrés chez les personnes sourdes. Quand on parle de surdité, on pense souvent aux personnes qui s’expriment en langue des signes française (LSF), mais la majorité s’expriment oralement, et certains utilisent même les deux modes d’expression en fonction des situations. Il existe aussi des profils différents en ce qui concerne la réception du message : certaines personnes ont recours à leur audition seule, d’autres à la LSF, d’autres à la langue française parlée complétée (LFPC). Certaines personnes sont appareillées – implants ou prothèses auditives – et d’autres non ; certaines ont une surdité sévère, profonde, d’autres une surdité moyenne ; certaines sont nées sourdes quand d’autres le sont devenues.

Toutes, en revanche, ont un vecteur commun qui est l’usage du français écrit, dont la maîtrise est parfois compliquée compte tenu des paramètres énoncés précédemment, que ce soit au niveau de la maîtrise de la syntaxe, des locutions, de la compréhension de l’abstrait ou de l’implicite. Il peut s’agir pour certains de l’apprentissage d’une langue seconde : c’est le cas de ceux qui ont pour langue maternelle la LSF. Mais, même pour ceux qui ont comme langue maternelle le français oral, c’est souvent une langue première entravée. Cela peut avoir des conséquences sur l’appropriation de la langue, donc sur les apprentissages scolaires.

À cela s’ajoutent d’autres facteurs, dont l’environnement social – élèves issus de familles non francophones, ou dont les parents sont séparés – ou la présence de handicaps ou troubles associés – cécité, dyslexie – qui ne sont pas toujours diagnostiqués ou qui le sont tardivement.

Je viens de vous dresser un rapide portrait de ce qu’est la surdité. Il faudrait davantage de temps, mais mon objectif était de vous montrer que la surdité est très complexe et qu’il n’est donc pas concevable d’apporter une réponse unique aux besoins particuliers des jeunes sourds. Mettre en place des modes variés de scolarisation leur permettra d’avoir accès à un contenu pédagogique traduit ou adapté, ainsi qu’un suivi médical, social et éducatif efficient s’ils en ont besoin.

Il conviendrait aussi de parler de l’environnement, qui n’est pas toujours accessible, mais je ne vais pas m’étendre sur le sujet – nous y reviendrons si vous avez des questions. Je préfère axer mon exposé sur l’apport des INJS à la scolarisation des élèves sourds, car vous n’êtes pas sans savoir qu’ils sont le berceau de la pédagogie spécialisée concernant la surdité et ont été précurseurs dans la scolarisation des élèves sourds, notamment pour ce qui est de l’inclusion en milieu ordinaire.

L’INJS de Paris et ceux de province ont été copiés un peu partout dans le monde. Ils mettent en œuvre une scolarisation diversifiée qui tient compte du temps de présence en milieu ordinaire, que ce soit en unité d’enseignement spécialisée, en semi-inclusion, en inclusion individuelle ou bien in situ. Cela permet des passerelles, un va-et-vient en fonction des besoins et du niveau scolaire des jeunes.

Certaines classes suivent le programme de l’Éducation nationale, d’autres ont des programmes adaptés à tous les âges de la scolarité jusqu’à 21 ans, mais aussi à tous les profils d’orientation : le lycée professionnel, technologique, général, le primaire, le collège. Elles pratiquent une scolarisation qualitative, grâce à des professionnels formés, des codeurs en LFPC, des interprètes en LSF, des professeurs spécialisés qui maîtrisent les modes de communication – cette maîtrise demande du temps et beaucoup de pratique quotidienne. Les enseignants sont aussi formés à des méthodes spécifiques en termes de pédagogie, d’apprentissage, de perfectionnement de la parole, pour s’adapter au mieux à la surdité.

Notre deuxième pilier est le suivi transdisciplinaire, qui est à la fois médical, social et éducatif. Les INJS sont donc plus que des établissements de scolarisation et de suivi pluridisciplinaire : ce sont avant tout des lieux d’échanges et de rencontres, via des journées portes ouvertes, des fêtes de l’Abbé de l’Épée, des activités sportives ou culturelles. On sait à quel point il est important pour les jeunes sourds de pouvoir se regrouper, échanger entre pairs, pour ne pas être isolés, ou tout simplement pour enrichir leur LFPC ou leur LSF.

Les INJS sont enfin des lieux de recherche et d’application des résultats de la recherche. Nous avons des pôles de langue française orale, écrite, de LSF, qui permettent de promouvoir les deux langues. Nous avons des centres de documentation et d’information spécialisés, des centres d’orientation professionnelle, des salles de parole et de musique adaptées. Nous avons développé plusieurs partenariats au niveau national. À l’INJS de Paris, il y a le Groupe de recherche sur l’apprentissage du langage (GRAL), ainsi qu’un centre de promotion sociale des adultes sourds. L’institut de Metz héberge un centre d’évaluation et de réadaptation en basse audition, et a collaboré avec l’Université de Lorraine à la mise en œuvre du diplôme universitaire sur les troubles sévères du langage. L’INJS de Bordeaux a un centre de préparation et d’inclusion des sourds dans l’enseignement supérieur, et a impulsé des diplômes universitaires en LSF avec l’université Bordeaux 3. Celui de Chambéry a mis en place un service d’information professionnelle et d’accompagnement social.

Les INJS développent des ressources pédagogiques, telles que des lexiques français-LSF, et contribuent à la formation professionnelle aux problématiques de la surdité à travers des colloques, des stages, des licences professionnelles de codeur LSF, des diplômes d’enseignant spécialisé. Un important travail en réseau se développe également, j’en citerai pour seul exemple le partenariat avec l’INJA et l’université de Paris sur la double déficience surdité et cécité. Il s’agit bien, vous le voyez, d’établissements novateurs, porteurs de nombreux projets au profit d’une inclusion de qualité.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci beaucoup pour cette présentation particulièrement intéressante et qui, pour nous, est nouvelle. Ce sont les premières auditions d’instituts spécialisés dans les handicaps sensoriels que nous conduisons.

J’ai bien entendu tout ce que vous avez expliqué. Comment cela se passe-t-il dans les pays, comme la Suède ou l’Italie, où il n’existe quasiment aucun institut qui sépare les enfants ? Avez-vous des informations sur les dispositifs qu’ils utilisent et le type d’accueil qu’ils mettent en place ?

Est-il possible de passer une épreuve du bac en LSF ? Si jamais ce n’était pas le cas, il serait intéressant de réfléchir à l’autoriser.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci, mesdames, monsieur, pour votre solide argumentation, qui me convainc à titre personnel, en faveur de la nécessité de préserver la complémentarité des réponses. J’ai cependant besoin d’éléments supplémentaires. Combien de personnes sont accueillies chaque année dans ces instituts ? Quel est le rythme des allers-retours avec le milieu scolaire ordinaire, sachant que les instituts jouent le rôle de centres de ressources et d’outil d’inclusion en milieu ordinaire ?

Certaines personnes auditionnées nous ont dit qu’il faudrait davantage de souplesse dans la prise en charge des enfants en situation de handicap en fonction de l’âge et des étapes, voire des ruptures, qu’ils connaissent dans leur scolarité. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, où en êtes-vous du dialogue – ou de l’absence de dialogue – avec la tutelle ?

M. Patrice Anato. Je vous remercie pour vos propos liminaires. Je suis élu d’une circonscription de Seine-Saint-Denis dont fait partie Noisy-le‑Grand, où est implanté un centre d’accueil pour enfants sourds et malentendants. J’ai rencontré, il y a quelques semaines, l’équipe pédagogique et les parents d’élèves, qui m’ont fait part de leurs besoins et de leurs problèmes. Pour l’équipe pédagogique, il y a des avancées, mais il reste difficile d’accueillir davantage d’élèves tout en rendant leur inclusion dans l’école plus facile.

Dans quels cas de figure considérez-vous une scolarité en milieu ordinaire comme souhaitable pour un enfant aveugle ou sourd ? Comment envisagez-vous que les pouvoirs publics puissent lui assurer des conditions de scolarisation satisfaisantes – en tout cas équivalentes à celles de leurs camarades handicapés ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous allons, comme je vous l’avais dit, suspendre la séance pendant le scrutin dans l’hémicycle.

(La séance est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures vingt-cinq.)

Mme Hélène Sester. Je commencerai par les deux questions du rapporteur.

Les cinq établissements accueillent ensemble environ 1 000 élèves et emploient 700 équivalents temps plein (ETP), sachant qu’il n’y a pas seulement des enseignants – ils représentent environ le tiers des équipes – mais aussi des éducateurs, des psychologues, des orthophonistes, des transcripteurs en braille, des chercheurs, etc.

Il est difficile de donner des chiffres sur le va-et-vient entre le milieu ordinaire et le milieu spécialisé. On remarque que la plupart des jeunes font des allers et retours, parfois d’établissement à établissement, mais beaucoup mieux et de façon plus adaptée dans le cadre d’une unité externalisée, comme c’est le cas dans nombre d’INJS ; je dois peut-être rappeler ici qu’une part importante de nos élèves – je ne saurais pas dire le chiffre exact, mais c’est une part importante – sont en inclusion.

Les UEE offrent la possibilité, que nous trouvons tout à fait intéressante, que les jeunes soient scolarisés un certain temps dans des classes spécialisées au sein de l’école ordinaire, puis passent en inclusion individuelle en cours d’année, de façon très souple. Nous voudrions voir ce modèle se développer, afin de le faire bénéficier de notre expérience.

Je rappelle en deux mots le contexte du dialogue avec la tutelle. En 2016, il a été projeté de transférer les instituts aux agences régionales de santé (ARS), projet qui a toutefois été ajourné. Depuis trois ans, compte tenu de tout ce qui a été dit avant, nous demandons une concertation et une réflexion approfondies sur le devenir et la place de nos établissements. Cette concertation n’a pas vraiment eu lieu et un rapport a formulé des recommandations. Nous aurions aimé – ce qui avait été convenu au départ – qu’elles fassent l’objet d’une discussion avec les familles, les associations, les représentants des professionnels. En fait de concertation, nous avons eu voici deux semaines une première réunion, qui doit être suivie de deux autres au cours du mois de juin, la fin des travaux étant programmée pour le 8 juillet. Vous comprendrez que, s’agissant d’une concertation que nous attendions depuis trois ans, nous soyons en colère !

Nous avons appris par ailleurs, dans des documents émanant de différents établissements, que le décret de 1974, qui est au cœur des discussions, est déjà en partie réécrit et que le transfert aux ARS au 1er janvier prochain sera inscrit dans le PLFSS à l’automne prochain.

Nous continuons à dire que ce transfert n’est pas opportun au regard de l’évolution de nos établissements et encore moins au regard du projet d’école inclusive, qui devrait voir plutôt les établissements spécialisés, notamment les INJ, se rapprocher de l’Éducation nationale. Les INJ auraient pu être, dans le cadre de la construction de l’école inclusive, des lieux d’expérimentations tout à fait originales – par exemple de l’inclusion inversée –, qui ne seront plus possibles lorsque nous aurons été transférés aux ARS, puisque les entendants ou les voyants ne pourront pas être accueillis. Il y a beaucoup de choses intéressantes, sur lesquelles nous aurions aimé pouvoir discuter et argumenter.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Votre autorité de tutelle actuelle est-elle l’Éducation nationale ?

Mme Hélène Sester. Non, le ministère des affaires sociales.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il y a donc un transfert de la tutelle du national vers le régional, vers les ARS. Est-ce que cela entraîne une modification du statut des établissements, qui cesseraient d’être des établissements publics administratifs, avec des contrats pluriannuels pour consolider au moins les moyens dans une vision à moyen terme ? Je pose la question pour comprendre, car si ce n’est pas le cas, cela veut dire qu’il y a des objectifs, mais pas de moyens.

Mme Hélène Sester. Puisque vous demandez cette précision, nous avons des exemples, dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), de travail similaire au nôtre qui est très bien fait. C’est simplement une histoire de place et de dosage de la pédagogie. Comme l’a expliqué M. Dunand, les INJ sont des dispositifs uniques en France, non qu’ils soient meilleurs dans l’absolu, mais parce qu’ils répondent à des besoins rares et néanmoins réels, et ils ont besoin de conserver à la pédagogie une place importante. Nous craignons que, dans des établissements qui seraient régionaux comme les ESMS, le recrutement des élèves soit non plus national mais régional et que les filières, à terme, ferment, faute de besoins et d’élèves en nombre suffisant. L’une de nos priorités est que, pour ces filières très spécifiques, le recrutement national des élèves soit maintenu.

M. Yves Dunand. Voilà une transition toute trouvée vers ce qui se passe en Italie, bien qu’il y ait déjà quelque temps que j’ai lu le rapport qui en parle et que je n’aie donc plus tous les détails en tête. Les personnes malvoyantes y sont globalement assez peu autonomes, nettement moins que la moyenne des aveugles de chez nous, et il y a de grandes disparités régionales : comme l’éducation est une compétence régionale en Italie, l’accompagnement ne sera pas de la même qualité d’une région à l’autre.

C’est ce que nous redoutons également, alors que l’INJA de Paris, par exemple, accueille 20 % à 25 % d’élèves qui ne proviennent pas d’Île de France. On a beau nous dire que le passage sous la tutelle de l’ARS ne remettra pas en question ce recrutement diversifié, nous avons de bonnes raisons d’en douter.

Mme Laure Beyret. J’ajoute, au sujet de ce rapport paru en février 2018, que tous les modèles européens ne sont pas forcément transposables en France – ne serait-ce, pour l’Italie, qu’en raison de l’effectif des classes qui est de 20 élèves en moyenne, contre 30 chez nous. Quand une personne sourde appareillée est placée parmi 30 élèves avec le brouhaha que cela génère, vous imaginez ce qu’il reçoit et ce qu’il comprend dans la journée… C’est un simple exemple, et ce rapport insiste par ailleurs sur la présence d’assistantes de communication pour les troubles sensoriels, que ce soit pour les déficients visuels ou pour les sourds. C’est la preuve que ce sont des handicaps très spécifiques, qui nécessitent de la technicité, des professionnels formés.

Le rapport constate, en fin de compte, qu’il s’agit d’une inclusion plus sociale que scolaire. Or, ce que nous visons, c’est les deux à la fois.

Autre exemple, pris cette fois hors Europe : le Québec avait fait le choix du tout inclusif et il est un peu en train d’en revenir, pour développer des pôles très intéressants, avec des établissements ou des classes spécialisées proches de l’université. L’université développe des outils qui sont ensuite mis en œuvre dans la classe, et qui sont testés avec des enseignants spécialisés.

Nos instituts fonctionnent un peu de même. J’enseigne l’histoire et la géographie. Je fais partie d’un pôle associant histoire, géo et LSF, avec un enseignant sourd, bilingue, qui enseigne la LSF, et une autre collègue malentendante spécialisée en histoire. Nous développons des signes que nous utilisons avec nos élèves, et nous voyons, selon les cas, que ça fonctionne ou non, auquel cas nous réajustons. Récemment, une conférencière sourde est venue à l’INJS pour une intervention sur les Lumières, et elle nous a demandé comment nous disions « tolérance » en langue des signes, car elle ne savait pas et faisait, à la place, le signe qui veut dire « respect ». Nous lui avons dit que nous utilisions le signe « ouverture d’esprit ». En repartant, elle nous a dit : « oui, en fait, je n’avais pas réfléchi ». Pourquoi ? Parce qu’elle maîtrisait parfaitement la LSF, mais pas toute la subtilité de la langue française. Le fait que nous ayons été présents était très important, car l’ajustement n’est pas possible si l’on n’a pas des classes pour expérimenter tout cela.

La LSF au bac est actuellement une simple option et l’épreuve n’existera plus après la réforme du bac, puisqu’elle sera validée en contrôle continu. Mais notre souci principal, c’est la reconnaissance de la LSF comme une langue à part entière, car, actuellement, les élèves ne peuvent pas la choisir comme première ni comme deuxième langue vivante : ils doivent la prendre en option, ce qui est ridicule et les détourne en outre de l’enseignement bilingue, c’est-à-dire d’un enseignement qui soit un enseignement en LSF, et non pas seulement d’un enseignement de LSF.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Si c’était possible, est-ce que ce serait un vecteur d’inclusion ?

Mme Laure Beyret. C’est incontestable. Mais il faudrait des postes supplémentaires au certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement des jeunes sourds (CAPEJS), parce que le CAPEJS de LSF recrute très peu. Très souvent, les enseignants de LSF proviennent de nos établissements spécialisés, ceux recrutés par le CAPEJS n’étant pas en nombre suffisant pour couvrir tous les besoins.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Tout à l’heure, vous avez dit qu’en transférant la tutelle aux ARS on prenait le risque que les réponses soient déconnectées des besoins territoriaux. Pouvons-nous avoir une évaluation des besoins, mais aussi de la disponibilité des personnels qualifiés, en fonction des territoires ? Tout cela n’est pas neutre, en effet.

Dernière question : lors d’une audition, il a été question de la diversité des signes sur notre territoire. Selon qu’on est à Tours, à Toulouse ou à Poitiers, les signes ne seraient pas les mêmes. Qu’en est-il ?

Mme Laure Beyret. Je viens justement de Bordeaux, où j’ai travaillé à l’INJS. Donc, quand je suis arrivée avec mes signes à l’INJS de Paris, je disais, en codant, « jone » au lieu de « jaune », et les élèves comprenaient « jeune »… J’envoyais mes élèves en « permanence », avec un signe qui à Bordeaux signifie « maître » et à Paris « mètre », si bien qu’ils restaient à quelques mètres dans le couloir. Le lexique est donc très hétérogène, mais on se rend compte qu’il est aussi très riche, comme la langue française et ses variantes régionales : je dis encore « chocolatine » quand je vais m’acheter une viennoiserie… Cela dit, on se comprend beaucoup plus facilement d’une langue des signes à une autre langue des signes que d’une langue vocale à une autre langue vocale.

Mme Hélène Sester. Il faudra que nous vous envoyions davantage de documentation sur les besoins.

M. Yves Dunand. Je n’ai pas non plus d’information plus précise, et les réponses à vos questions mériteraient d’ailleurs de figurer dans le rapport interministériel dont nous avons parlé.

Pour ce qui est de la disponibilité des enseignants en braille, je sais qu’il y a des régions, comme la Bretagne, où des élèves en inclusion sont en recherche d’enseignants en braille, qu’ils ne trouvent pas. On peut quand même s’interroger sur les conditions à réunir pour que ces élèves puissent réussir leur inclusion… En particulier, les élèves totalement aveugles doivent pouvoir apprendre le braille dans des conditions optimales, de façon à le maîtriser totalement et à devenir autonomes pour leurs prises de notes, car on observe des situations aberrantes.

Je travaille au service des transcriptions de l’INJA, où j’ai été amené à transcrire des documents qui étaient en fait des notes prises par l’AVS pour l’élève qu’elle suivait. L’élève ne prenait même pas lui-même ses notes, je devais transcrire moi-même les notes avec toutes les erreurs – de l’espagnol bourré de fautes, que j’essayais de ne pas répercuter, mais qui m’ont tout de même mis la puce à l’oreille. Cet élève se reposait donc totalement sur son AVS pour la prise de notes.

J’entends aussi parler de plus en plus souvent d’étudiants non-voyants à qui l’on donne la possibilité d’avoir des preneurs de notes. Or, pour moi, la prise de notes est ce qu’il y a de plus personnel : elle est basée sur ce que l’on a compris soi-même, sur des associations que l’on fait avec ses propres connaissances. Une prise de notes par d’autres, cela me semble contreproductif.

Quand on parle de malvoyants en inclusion, j’aimerais, moi aussi, avoir des informations plus précises sur la manière dont ils gèrent ces particularités. Par exemple, comment se passe pour eux l’exploration de cartes géographique ? Leur donne-t-on des cartes en relief pour illustrer les cours ? Je n’en suis pas sûr, et pour certains je suis même sûr que non, car la confection de cartes géographiques adaptées ne va pas de soi. Quant aux cours d’éducation physique et sportive (EPS), les élèves totalement non-voyants en retirent-ils vraiment le maximum ? Et qu’en est-il des cours de mathématiques ? Il existe une notation mathématique en braille, mais les enseignants et les AVS qui accompagnent les élèves la connaissent-ils ? Autant de choses à vérifier pour s’assurer que ces élèves ne souffrent pas, dans leur scolarité, de manques qui ne sont même pas identifiés et dont eux-mêmes n’ont pas forcément conscience.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous allons devoir achever l’audition. Un mot de conclusion, peut-être ?

Mme Hélène Sester. Tout concourt à dire qu’il y a besoin d’un vrai bilan, d’une vraie évaluation. C’est la réponse que je voulais faire : l’évaluation des besoins en fonction des élèves et de leur profil doit se faire aux niveaux régional, départemental mais aussi national pour certaines formations.

En ce qui concerne les professionnels – on vous enverra les chiffres –, mais les enseignants CAPEJS pour les sourds et les enseignants CAEGA-DV pour les aveugles, qui ont passé des diplômes très approfondis, sont tout de même un certain nombre. Dans cette période mouvante, il conviendrait de bien faire le bilan et l’évaluation des compétences disponibles. On voit bien, aujourd’hui, que c’est parfois difficile pour les enseignants CAPEJS d’intervenir en ULIS, etc. Il y a des tentatives, mais ça reste compliqué.

Ma conclusion serait qu’on prenne le temps de faire une vraie évaluation avant que soient prises des décisions qui seront difficilement réversibles.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Il existe – c’est le cas dans mon département – des établissements médico-sociaux qui prennent en charge et accompagnent des élèves sourds, malvoyants ou aveugles. Est-ce que vous travaillez avec eux ?

Mme Hélène Sester. Oui, on se connaît, les professionnels ont les mêmes diplômes, c’est un peu la même activité. Nous disons que le transfert des INJ aux ARS n’est pas adapté : nous ne sommes pas contre les ESMS, c’est simplement une question de place et de dosage de la pédagogie. Nous sommes vraiment sur deux jambes : une partie médico-sociale, pour l’accompagnement, et une partie véritablement pédagogique au sein des établissements.

Mme Laure Beyret. J’ajoute qu’il existe des associations professionnelles, avec lesquelles nous échangeons beaucoup sur les pratiques pédagogiques. C’est cela qui nous permet de voir à quel point la situation se dégrade aussi au niveau des ESMS.

Nous attendons, en effet, des données chiffrées. Par exemple, le rapport sur les pôles PEJS va sortir mi-juin ; nous aurions bien aimé l’avoir plus tôt : cela nous aurait permis d’avoir un état des lieux plus pertinent et plus efficient alors que notre propre bilan sera fait le 8 juillet.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, monsieur, nous vous remercions.

 

 

 


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2.   Audition de Mme Jocelyne Dubois, présidente de l’Association des parents et amis des instituts nationaux (APA-INJ), et parent d'élève INJA, Mme Laura Catry, secrétaire de l'APA-INJ, parent d'élève INJS et élue au CVS et au CA de l'INJS, Mme Christine Hénault, parent d'élève INJA, élue au CVS et au CA de l'INJA, Mme Laëtitia Appourchaux, parent d'élève INJS, Mme Catherine Vella, présidente de l’Association nationale de parents d'enfants sourds (ANPES), et M. Philippe Quentin, vice-président de l’Union nationale des associations de parents d'enfants déficients auditifs (UNAPEDA)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions par celle de trois associations de parents d’enfants aveugles, sourds ou déficients auditifs. Je souhaite la bienvenue à Mme Jocelyne Dubois, présidente de l’Association des parents et amis des instituts nationaux des jeunes sourds et jeunes aveugles (APA-INJ), parent d’élève de l’Institut national des jeunes aveugles (INJA), à Mme Laura Catry, secrétaire de l’APA-INJ, parent d’élève de l’Institut national de jeunes sourds de Paris (INJS), élue au conseil de la vie scolaire et au conseil d’administration de l’INJS, à Mme Christine Hénault, parent d’élève, élue au conseil d’administration de l’INJA, à Mme Laetitia Appourchaux, parent d’élève, éducatrice spécialisée à l’INJS de Paris, à Mme Catherine Vella, présidente de l’Association nationale des parents d’enfants sourds (ANPES), et à M. Philippe Quentin, vice-président de l’Union nationale des associations de parents d’enfants déficients auditifs (UNAPEDA). Je précise que Mme Appourchaux bénéficie pour notre réunion des services d’une interprète en langue des signes française (LSF).

La situation des enfants sourds ou aveugles est naturellement au cœur des réflexions sur l’école inclusive. Ces enfants sont aujourd’hui accueillis dans des classes ordinaires, dans des ULIS, dans des établissements médico-sociaux, ainsi qu’au sein d’instituts spécifiques, les quatre instituts nationaux de jeunes sourds (INJS) et l’Institut national des jeunes aveugles (INJA). Votre expérience sera donc très utile à la commission d’enquête.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Jocelyne Dubois, Laura Catry, Christine Hénault, Laetitia Appourchaux et Catherine Vella et M. Philippe Quentin prêtent serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. À mon tour je vous souhaite la bienvenue, et vous dis toute l’importance que nous attachons, depuis le début de nos travaux, à la parole des acteurs, dont les associations de parents, car leur expertise nous semble déterminante

Nous venons d’auditionner les organisations syndicales : elles nous ont alertés sur les fragilités qui pèsent sur l’avenir des instituts. Votre parole nous intéresse donc pour étayer notre analyse de ce sujet, ainsi que pour mieux apprécier quelles sont les marges de progression pour favoriser une transition inclusive bénéficiant à l’ensemble des jeunes en situation de handicap, afin de concrétiser les beaux et généreux principes de la loi de 2005.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ajouterai juste un petit mot pour que nous nous concentrions bien sur ce qui est le plus important pour vous. En lisant vos documents, j’ai été extrêmement surprise d’apprendre que les enseignants n’appliquent pas la loi, qu’ils n’accueillent pas de la manière que l’on attendrait les enfants porteurs de handicap, qu’ils les mettent en situation d’exclusion au lieu de les mettre en situation d’inclusion. Ce sont des points importants. À votre avis, comment on peut répondre à ces problèmes et quels sont les leviers pour cela ?

Mme Jocelyne Dubois, présidente de l’Association des parents et amis des instituts nationaux de jeunes sourds et de jeunes aveugles (APA-INJ). J’ai un fils de 14 ans, malvoyant, qui a d’abord connu l’inclusion avant d’être actuellement scolarisé à l’institut des jeunes aveugles.

Les jeunes malvoyants sont affectés par un handicap évolutif, pouvant de surcroît survenir à n’importe quel moment de la vie de l’enfant. L’enfant peut donc commencer sa scolarité sans que l’on sache qu’il est porteur de ce handicap, et prendre ainsi au dépourvu à la fois les familles et les enseignants. C’est un point de difficulté.

Mon fils a été diagnostiqué à 9 ans, alors qu’il était déjà bien inséré dans l’école, en CE1. L’ophtalmologiste qui m’a envoyée vers un hôpital spécialisé nous a expliqué les démarches à suivre auprès de la MDPH pour faire reconnaître le handicap. Nous avons a réussi à avoir une prise en charge par un service qui fait intervenir des professionnels dans l’école pour des séances d’orthoptie, de psychomotricité, etc.

À l’école ordinaire, ce sont l’adaptation du matériel et les demandes d’AVS qui ont posé le plus de problèmes. Le matériel adapté de mon fils est tombé en panne et le service spécialisé de l’Éducation nationale nous a dit que, le budget étant épuisé, on ne pouvait pas réparer le vidéo-agrandisseur qui permettait à mon fils de voir au tableau. Si je n’avais pas payé la facture moi-même, il aurait dû terminer l’année sans pouvoir voir ce qu’écrivait son instituteur ! L’adaptation des documents n’est pas non plus toujours faite dans les délais, ce qui place le jeune malvoyant en position délicate.

Plus le handicap s’aggrave, plus il faut adapter la pédagogie. Certains élèves malvoyants peuvent écrire au début en « noir agrandi », mais, avec l’aggravation de la malvoyance, ont de plus en plus besoin de matériel, et doivent apprendre à suivre les cours de l’enseignant. Tant que l’enfant est en primaire, c’est un peu compliqué car la plupart des enseignants en école ordinaire n’ont pas de formation spécifique à la déficience visuelle. Ils ne savent pas toujours comment adapter leur support de cours. Si l’on veut que le support soit adapté, il faut l’envoyer préalablement au service spécialisé qui doit ensuite le renvoyer. Cela exige des enseignants qu’ils anticipent, ce qui n’est pas évident car beaucoup d’entre eux ne sont pas formés.

Quand la malvoyance de l’enfant s’aggrave – ce qui était le cas de mon fils, au point qu’il ne peut plus écrire à la main –, il faut lui fournir un matériel plus évolué et mettre à sa disposition des ordinateurs avec logiciels adaptés. Mais cela suppose qu’il soit formé à leur utilisation, et qu’il suive des cours de dactylographie qui, la plupart du temps, ne sont pas assurés dans les écoles de quartier. Bref, il est indispensable de prévoir une pédagogie adaptée aux jeunes malvoyants.

Mme Christine Hénault. Je suis maman d’un enfant totalement aveugle, qui n’a pas les neurones pour s’imaginer seulement ce que c’est que voir. Ce n’est pas un voyant qui fermerait les yeux et qui aurait tous les « logiciels » dans la tête. Il a eu un parcours alterné : inclusion en maternelle, primaire spécialisé, inclusion en collège, lycée spécialisé.

Pour répondre à vos questions, le principal obstacle à surmonter est la mauvaise compréhension de ce qu’est réellement la cécité. Je vais vous donner quelques exemples.

En cours d’anglais, on projette des images, puisque la pédagogie est basée de plus en plus sur l’image, et l’enfant aveugle entend une phrase en anglais qui décrit une image qu’il n’a pas sous les yeux. Mais il a à côté de lui une AVS ou un camarade qui va lui expliquer l’image en français, et qui lui dit : voilà, il y a un personnage qui porte une casquette « schtroumpf », qui tient une « schtroumpf » à la main, qui fume la « schtroumpf » et qui est vêtu d’une cape. Mais, aujourd’hui, qui porte une cape sinon pour jouer à Zorro – ce qui, pour un enfant aveugle, n’a aucune signification ? Et quel enfant a déjà vu une pipe, que les grands-pères ne fument plus, ou une casquette écossaise ? C’est très compliqué à expliquer à un aveugle. Et je ne parle pas de la loupe… L’AVS, donc, lui explique tout ça à toute vitesse, mais pendant ce temps le professeur a ajouté autre chose, sans faire de pause. L’enfant a donc une sorte de vide intersidéral dans la tête, il a imaginé un personnage avec une casquette style « 9.3 » qu’on met à l’envers. Il est très loin d’avoir reconnu Sherlock Holmes !

Deuxième exemple : l’enfant entend le professeur de maths qui s’applique à verbaliser ce qu’il écrit au tableau et qui dit « a puissance n sur deux ». Je vous invite à l’écrire vous-mêmes, car si vous comparez avec votre voisin, il y a toutes chances que vous ayez des versions différentes, étant donné qu’il y a cinq façons de faire…

Ces exemples montrent que, même avec la meilleure volonté du monde, on loupe quand même beaucoup de choses. Il faut donc tout reprendre, le soir, avec les parents – sauf qu’après sa journée de classe, l’enfant n’en a pas tellement envie.

L’inclusion, donc, ça peut être pas mal : on se fait des copains, on n’a pas trop de pression scolaire parce que les enseignants sont bienveillants, mais on se retrouve avec beaucoup de lacunes. C’est pour cette raison que les parcours alternés sont bénéfiques.

Le braille est également un problème important. Il faut six mois pour transcrire en braille un manuel scolaire. C’est incompressible, car il ne s’agit pas simplement de transcrire mais aussi d’adapter. Or, l’enseignant qui a dans sa classe un élève aveugle le sait en général le jour de la prérentrée, ou l’avant-veille, ou, dans le meilleur des cas, au mois de juin. Or le choix du manuel scolaire relève de sa sacro-sainte liberté pédagogique. Et là, c’est la loterie : soit le livre existe déjà en braille – ce qui est le cas le plus rare –, soit on va commencer à le transcrire à la rentrée, ce qui va prendre six mois. Bien sûr, cela pourra se faire chapitre par chapitre : on va courir après le temps, mais, dans la réalité, l’élève n’aura jamais son livre en braille. La seule solution consiste à obliger l’enseignant à choisir parmi trois ou quatre manuels. Peut-être faut-il pour cela réunir une commission qui décidera quels sont ces trois ou quatre manuels, par matière et par classe, qui sont à transcrire. Il faudrait une obligation, et pas simplement un partenariat reposant sur la confiance.

Le problème est identique pour les supports de cours que les professeurs distribuent – ou pas. Leur liberté pédagogique les autorise à écrire le cours la veille, voire la nuit, s’ils en ont envie. Leur imposer de donner leur cours quinze jours avant serait une petite entorse à cette liberté pédagogique, mais si cette entorse était prévue par la loi, cela permettrait au moins que les outils existants soient utilisés à plein.

Je terminerai en évoquant le deuxième grand problème : celui de l’AESH ou de l’AVS qui n’a pas la formation, la compréhension nécessaire pour être pleinement utile en classe et qui, du coup, se transforme en nounou, amène l’enfant à la cantine, le sert à table, etc. L’enfant n’a pas besoin de cet obstacle entre lui et ses camarades. Ceux-ci peuvent très bien l’amener à la cantine, remplir son plateau, le guider d’une classe à l’autre, voire lui expliquer des petites choses qui se passent dans la classe, comme un élève qui se fait gronder. L’AVS, dans ces situations, est même contreproductive – ou contreproductif si c’est un homme.

Nous pouvons vous faire passer des documents en relief qui pour moi, sont une aberration parce qu’ils obligent les élèves à passer par le dessin, donc par une représentation visuelle destinée à remplacer ce qu’on ne voit pas pour rendre les choses plus faciles à comprendre. C’est leur demander un effort terrible : imaginer visuellement quelque chose qui passe par le toucher. C’est une démarche aberrante, qui les formate pour qu’ils se comportent le plus possible comme des voyants, et qui leur complique la vie plus qu’autre chose. Ils n’ont pas besoin de ça. Si vous touchez ces documents sans les voir regardés avant, vous allez tout de suite comprendre qu’il est absolument impossible de s’en servir en classe. Ce n’est pas une aide, c’est un obstacle.

Au bac, par exemple en SVT, on leur demande même quelque chose de pire : dicter le dessin à un secrétaire, sans savoir ce que le secrétaire dessine effectivement. Cela rappelle les exercices de communication interpersonnelle qu’on fait dans les formations en entreprise : on s’amuse beaucoup en voyant ce que l’autre a dessiné d’après la description qu’on lui a faite, et qui n’a souvent aucun rapport. Mais là, il ne s’agit pas de s’amuser : il y a une note au bout et le correcteur ne sait pas que le candidat est aveugle.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. La carte de géographie montre un problème intéressant, car je pouvais croire que c’était au contraire un bon support.

Mme Laura Catry. Je suis maman de trois enfants. L’aîné a 26 ans, il est malentendant, il fait des études de dentiste ; le deuxième est entendant ; le troisième a 16 ans, il est sourd, implanté. Mon mari et moi avons donc une certaine expérience de la scolarisation des enfants malentendants ou sourds.

Vous demandiez pourquoi les professeurs n’arrivent pas à intégrer dans leur classe un enfant différent. C’est parce qu’il faut du temps : c’est un autre rythme. Chaque enfant a un rythme différent et a besoin d’une pédagogie particulière. La question de l’inclusion ne se pose pas de la même façon avec n’importe quel élève, n’importe quel enfant, n’importe quel handicap. Chaque handicap a sa spécificité. Nous savons maintenant qu’une vraie pédagogie a été développée pour les aveugles et pour les sourds. Il faudrait vraiment s’appuyer sur cette pédagogie, sur les équipes pluridisciplinaires expérimentées qui ont fait des recherches et qui les ont appliquées.

Nous voyons les évolutions survenues depuis vingt ans, notamment depuis la loi de 2005, et nous avons été obligés, depuis 2007, de protéger l’école spécialisée où était mise en œuvre cette pédagogie. Nous avons vraiment l’impression que cette loi d’inclusion a été faite pour faire des économies. Au lieu de développer les équipes pluridisciplinaires, de faire appel aux professionnels qui connaissent bien les handicaps spécifiques que sont la surdité et la cécité, on démantèle les établissements pour saupoudrer ces professionnels un petit peu partout. C’est contreproductif.

Mme Laëtitia Appourchaux. (Interprétation en langue des signes française.) Bonjour, je suis Laëtitia Appourchaux, mère de deux enfants sourds de treize et dix ans. Je suis moi-même sourde ainsi que mon mari, nous sommes donc sourds tous les quatre. Nous sommes une famille ouverte, la langue des signes est ma langue maternelle, et pour moi l’oral est une langue étrangère, et nous fonctionnons de cette façon.

Au départ, j’étais contente que ma fille soit acceptée en inclusion dans l’école du quartier. Elle est locutrice de la langue des signes. Il y a quand même de gros problèmes de pédagogie, car la logique visuelle et cognitive d’un enfant sourd n’est pas celle d’un entendant, et ça rend les choses très compliquées. Ma fille n’était pas du tout imprégnée des codes spécifiques aux enfants sourds. Elle n’avait pas de vocabulaire, n’acquérait pas grand-chose, avait des difficultés d’expression ; j’ai donc dû lui donner tout ça. Et je me disais : je suis sa mère, ce n’est peut-être pas mon rôle. En tout cas, elle s’est retrouvée en échec.

Je dois préciser que, même si la langue des signes est ma langue, nous utilisons ponctuellement l’oralisme, car je n’ai rien contre, mais j’étais quand même obligée d’expliquer un certain nombre de choses, il fallait l’emmener à l’orthophonie, nous n’avions plus de vie de famille, de temps d’échange avec nos filles, etc. car tout était très, très compliqué. J’étais obligée de pallier toutes ses lacunes scolaires en fin de journée pour lui permettre de rattraper son retard.

Donc, l’inclusion, oui, sans doute, mais en partenariat avec un institut spécialisé, une structure spécialisée, qui permette à l’enfant d’avoir tous les supports dont il a besoin, notamment au niveau de la surdité, des codes sociaux, des identifications, des références identitaires et autres. Des professionnels intervenaient régulièrement dans l’école de ma fille, avec une pédagogie adaptée, essentiellement visuelle, qui lui permettait de progresser à son rythme. Et là, j’ai vu ma fille s’épanouir et rattraper son retard.

Chaque famille a sa liberté de choix, mais il ne faut pas croire que le simple fait de mettre un interprète dans la classe va changer les choses. Il faut une pédagogie, il faut des professionnels eux-mêmes sourds, il faut que l’enfant soit en interaction avec ses pairs comme avec professeurs, car lorsque ma fille n’avait pas ce soutien de professionnels spécialisés, elle était comme un légume au fond de la classe, elle ne comprenait rien. Elle n’arrivait pas à progresser au niveau de la trace écrite, car le français est très compliqué à apprendre pour une personne sourde.

C’est grâce à ce partenariat avec un institut spécialisé que j’ai vu ma fille s’épanouir et progresser. Il y avait des orthophonistes, donc nous n’avions plus besoin de l’emmener chez l’orthophoniste, etc. C’est grâce à cela que nous avons pu retrouver une vie familiale normale.

Attention : je n’ai rien contre l’inclusion, mais je suis pour une inclusion sous conditions, c’est-à-dire avec une pédagogie adaptée au handicap – et je peux certifier qu’il y a des professionnels, notamment pour la surdité, qui sont qualifiés pour cela. Je ne peux pas accepter de voir certains enfants sourds qui ont un retard scolaire énorme, irrattrapable. Donc, inclusion, oui, mais avec une pédagogie adaptée et des professionnels adaptés. Je ne suis pas vraiment persuadée, par exemple, de l’apport des AVS ou des AESH : je ne pense pas que soixante heures de formation de base, même au niveau de la langue des signes, suffisent pour s’adapter à l’enfant dont on a la charge. On court le risque de voir le niveau des enfants sourds s’abaisser de plus en plus, jusqu’à être en décalage complet par rapport à celui des entendants. Bien sûr, les niveaux sont disparates aussi chez les enfants entendants, mais il faut absolument veiller à ne pas perdre en route les enfants sourds. J’ai une certaine expérience dans mon métier : j’ai vu nombre d’enfants en inclusion ou en intégration revenir en établissement spécialisé parce qu’ils n’arrivaient pas à s’épanouir ; il a fallu rattraper les choses.

Les contraintes budgétaires posent aussi problème : être en intégration sans interprète et être obligé de lire sur les lèvres toute la journée est une maltraitance, une souffrance, qui peut parfois provoquer des dépressions infantiles. Or, on peut dire tout ce que l’on veut : il est essentiel de permettre à nos enfants de progresser et d’évoluer dans un monde où ils puissent s’épanouir. On parle beaucoup d’inclusion, mais les professeurs ne sont pas tous formés et n’ont pas le bagage nécessaire. Surtout, il faut laisser aux parents la liberté de choisir, pour leur enfant, entre l’inclusion et un institut spécialisé. Je suis prête à participer à des réunions si les membres de cette commission ont besoin de débattre ou d’échanger sur ce sujet.

Mme Catherine Vella, présidente de l’Association nationale de parents d’enfants sourds (ANPES). Je préside l’Association nationale de parents d’enfants sourds (ANPES), qui ont fait le choix de la langue des signes comme langue de communication.

Je suis maman d’un petit garçon sourd de 12 ans qui est en collège, en ULIS. Il a fait sa première année de maternelle en inclusion. Pour reprendre ce que disaient mes collègues : c’était le petit roi de la classe, parce qu’il avait son AVS à lui, alors que les autres enfants partageaient la même institutrice. Il est parti en classe bilingue français-LSF, dans une école de quartier, mais avec un groupe d’enfants sourds. Il y a appris la citoyenneté, la socialisation, il était un élève ordinaire parmi d’autres élèves ordinaires, qui avait une langue, la langue des signes, un enseignant qui la maîtrisait parfaitement, ce qui permettait aux élèves de construire leur langue dès la maternelle. J’ai voulu vous envoyer un document par messagerie, mais il est trop lourd ; je vais donc vous le remettre. J’y ai repris les textes de l’Éducation nationale selon lesquels la maternelle est faite pour construire sa langue. Mais comment un enfant sourd dont la langue est la langue des signes peut-il la construire s’il n’est pas avec d’autres enfants sourds et, surtout, avec un adulte qui la maîtrise parfaitement ?

Je ne sais pas comment faire pour vous expliquer. Par exemple, en dernière année de maternelle, une AVS avec un petit niveau en LSF a remplacé un jour la maîtresse. Elle a demandé aux enfants ce qu’ils voulaient faire plus tard, sauf que le signe qu’elle a employé signifiait « tard » dans le sens de « en retard », si bien que les enfants sont restés un peu interloqués et n’ont pas répondu à la question, faute de l’avoir comprise. Il faut donc faire très attention.

J’ai inclus aussi dans ce document les nouveaux programmes de français de CP, où tout repose sur le son, la phonétique, la phonologie, les rythmes. Comment un interprète, même le meilleur du monde, ou une AVS qui maîtriserait la LSF parfaitement, va-t-il pouvoir traduire à un enfant sourd, en intégration individuelle : Écris la syllabe manquante – pi, fi, bi, mi – dans les mots avec un trou – par exemple « bobine » – ? Il faudra qu’il lui traduise en phonologie, c’est-à-dire qu’il va lui donner la réponse… J’ai réuni un florilège d’exercices de français qui vont transformer l’enfant sourd en « plante verte » dans la classe : comme me disait l’une de mes collègues : ça va lui passer au-dessus, il ne va pas comprendre et ne progressera pas en français. On sait bien que l’enjeu, pour un enfant sourd, est la maîtrise du français écrit – qui est une deuxième langue. Or c’est vraiment très difficile car elle ne se construit pas du tout comme la langue des signes.

Pour assurer l’accès des jeunes sourds à cette langue, il faut des professionnels, notamment des professionnels sourds. Mais quelle place auront-ils dans un système inclusif ? Pourront-ils être intégrés à l’Éducation nationale ?

La langue des signes est une langue, et pour partager une langue, il faut être plusieurs. Être seul dans une classe ne sert strictement à rien. Dans l’ULIS, mon fils a une professeure de français – spécialement affectée à l’ULIS… – qui n’est pas vraiment acculturée, qui ne sait pas vraiment ce qu’est un enfant sourd. Elle fait conjuguer la phrase : « je n’entends plus le vent dans les arbres », elle leur fait étudier le présent de l’indicatif avec la phrase « nous avons tous cinq sens, l’ouïe, l’odorat, etc. », elle leur apprend « je suis en train de faire la cuisine » sans leur expliquer que la cuisine n’est pas « dans le train » et qu’il s’agit juste d’une locution. Tous les soirs, je dois refaire les cours de français et expliquer à mon fils ces expressions qu’il ne comprend pas.

Je suis d’accord pour que tous les enfants soient des enfants de la République, je suis pour l’égalité des droits et des chances, mais il faut s’en donner les moyens, notamment humains et en termes de formation, et il faut surtout que les enfants qui apprennent la LSF le fassent entre pairs, car c’est comme cela qu’ils vont vraiment apprendre, communiquer et se socialiser. L’école inclusive ne doit pas être en fait une école exclusive : elle doit être une école qui fasse l’enfant entrer dans la société. Car ce dont je rêve, c’est d’une société inclusive, où chacun, quel qu’il soit, ait sa place.

M. Philippe Quentin. Vu la complexité de la question, je renvoie la commission au document que je lui ai envoyé et à ceux que je lui laisserai en partant.

Je suis père d’un « petit » de 43 ans, qui est implanté, qui oralise, mais je voudrais témoigner ici que, même pour les sourds profonds, implantés ou qui ont eu des prothèses, et qui oralisent, les choses ne sont pas simples. La question de la LSF est donc tout à fait centrale, mais elle ne doit pas faire oublier ces très nombreux sourds qui n’ont pas recours à LSF, qui oralisent, qui s’en sortent bien, mais qui, à l’école, rencontrent des difficultés majeures.

Je reviens à ce qui a été dit tout à l’heure sur le partenariat entre l’Éducation nationale et le monde spécialisé – j’y intègre les établissements plus ou moins fermés, mais aussi les SESSAD et les services comme les SEFIS ou les SAFEP, qui sont vraiment une chance. En général, les parents souhaitent avant tout que les enfants aient une vie scolaire, périscolaire, culturelle, etc., proche de chez eux. Notre document fait état d’une expérience, avec notre beau slogan « Associons nos compétences », entre professionnels de la surdité, enseignants et parents. Il me semble que c’est quelque chose de très important

Il y a un écart considérable aujourd’hui entre les textes et les pratiques, ce qui est très anxiogène pour les parents : on leur dit que l’école est ouverte, etc., mais dans les faits ça ne suit pas vraiment et les handicaps sensoriels restent très méconnus. Donc, vous dites que les enseignants n’appliquent pas la loi, mais je dirais plutôt que l’État ne se donne pas les moyens de ses ambitions, ni même ceux de piloter les nouveaux dispositifs qu’il crée.

Lors de la journée nationale que nous avons organisée le 4 octobre sur « scolarité et surdité », nous avons eu droit à un exposé du service statistique de l’Éducation nationale, qui mettait d’un côté ce qui se passait dans les établissements spécialisés, et de l’autre ce qui se passait dans les classes ordinaires. Mais il mélangeait tout au niveau des statistiques : les intégrations « sauvages », avec les parents qui se débrouillent le soir sans accompagnement, les inclusions avec AVS ou AESH – dont nous pensons tous que ce n’est pas une solution très professionnelle – et les intégrations accompagnées par un SESSAD. Donc, nous avons eu des statistiques très générales, sur les résultats aux examens ou sur d’autres sujets, mais on ne pouvait absolument pas distinguer l’apport du médico-social, éventuellement celui des AVS et des AVSH.

Cette extrême diversité des situations appelle une souplesse des réponses. Nous avons vraiment besoin d’une Éducation nationale adossée au médico-social, mais sans mélange des genres, sans que l’un « avale » l’autre.

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. Je tenais à vous remercier, madame la présidente, d’avoir invité ces personnes aujourd’hui, car je me reconnais au moins dans la moitié d’entre elles.

Je voudrais demander à Mme l’interprète combien de temps elle a mis pour atteindre ce niveau en langue des signes : trois ans ? Cinq ans ? Je pose la question pour souligner que c’est une langue dont nous avons peine à imaginer la complexité. Ceux qui la connaissent un peu savent que sa maîtrise demande énormément de travail et que les AVS et les AESH ne peuvent atteindre un tel niveau avec seulement 60 heures de formation. Il faut aussi que la personne qui se forme soit assurée de pouvoir pratiquer durant le reste de sa carrière.

Il en va de même pour la formation des parents, que ce soit en LSF ou en braille – que je connais moins bien. Il faut bien quatre à cinq ans pour parvenir à maîtriser la LSF, et le coût, très élevé, est entièrement à leur charge.

Je voudrais également parler des pôles d’enseignement des jeunes sourds (PEJS). En théorie, il devrait y en avoir un dans chaque région. Or il n’y en a que trois ou quatre qui soient de bon niveau et certaines régions en sont encore dépourvues.

Cela fait plaisir à la société de se dire qu’elle va intégrer les enfants, mais cela ne doit pas être fait de n’importe quelle façon, sous peine de les mettre en situation de sur-handicap. Nos enfants sont généralement beaux, leur handicap, bien que gravissime, est souvent invisible, et la société tend à passer à côté.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pour résumer, et pour vérifier si j’ai bien compris : vous dites « inclusion, oui, mais pas à n’importe quel prix, et en aucun cas sans moyens » ; vous dites « articulation à renforcer entre le secteur médico-social et le milieu scolaire » ; vous dites « rôle spécifique des instituts, au service de la souplesse et d’allers-retours entre l’enseignement spécialisé et le milieu ordinaire ». Est-ce que je me trompe ? Non ? Alors, ça me va.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci pour cette synthèse, monsieur le rapporteur !

Vos témoignages nous ont fait toucher du doigt le fait que l’on pense et appréhende le monde de manière totalement différente lorsqu’on est atteint d’un handicap sensoriel. Il faut veiller à ce que l’école ne devienne pas, dans ces cas spécifiques, excluante plutôt qu’inclusive.

Mme Catherine Vella. Pour prendre un exemple de ce que peuvent être les mauvais côtés de l’inclusion, la classe de 6e de mon fils réunit six élèves sourds, qui sont en LSF et qui sont suivis – heureusement – par le SEFIS, mais le directeur n’a pas eu l’idée de mettre, entre midi et deux heures, un surveillant qui maîtrise la LSF, si bien que les bêtises se sont vite multipliées. Après, on nous a expliqué qu’on ne s’était pas méfié parce que les élèves « avaient l’air mignons »… Bien sûr ! Mais il ne faut pas oublier comment sont les ados de douze ans, sourds ou non : s’il n’y a personne pour leur rappeler les règles, on ne s’en sort pas ! Heureusement que le SEFIS est là, car l’Éducation nationale, elle, ne met pas les moyens.

Mme Christiane Hénault. Je me suis formée toute seule, je connais tout le braille, y compris le braille informatique et le braille abrégé. L’INJA est le seul endroit où j’ai rencontré des gens qui m’apprenaient des choses, de vrais experts, dont l’expertise venait d’une seule chose : le fait qu’ils avaient des enfants aveugles dans leur classe, auprès de qui ils exerçaient leur vrai métier, qui est d’enseigner. Si on leur enlève cela pour en faire de simples accompagnants, on perdra cette expertise et les enfants vont régresser, comme en Italie, dont aime bien parler Mme Cluzel, mais qui est le pire exemple qu’on puisse imaginer. En Italie, les aveugles ne savent plus se promener avec une canne, ils n’ont pas de cours de locomotion, ils ne connaissent pas le braille.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Qu’en est-il de la Suède, l’autre pays que l’on cite souvent en exemple ? Avez-vous des informations ?

Mme Christiane Hénault. Non.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci à tous pour cet éclairage extrêmement riche sur le handicap sensoriel, qui est le plus difficile à appréhender – ce dont je ne me rendais pas compte.

 

 

 


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3.   Audition de Mme Françoise Garcia, vice-présidente de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), chargée de la prévention et de la promotion de la santé

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous achevons cette séquence d’auditions avec la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), dont nous accueillons la vice‑présidente chargée de la prévention et de la promotion de la santé : Mme Françoise Garcia. Madame, je vous souhaite la bienvenue.

Créée en 1968, la Fédération nationale des orthophonistes (FNO) est représentative de la profession d’orthophoniste, exercée à titre libéral ou à titre salarié. Elle regroupe plus de 7 900 orthophonistes, fédère 25 syndicats régionaux et 66 syndicats départementaux, dont l’un a, je crois, suscité auprès du rapporteur cette audition afin de faire valoir le point de vue de votre profession sur la question de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap.

Avant de vous donner la parole, je vais, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous demander, madame, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Françoise Garcia prête serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Effectivement, c’est un ami, M. Michel Barbier, orthophoniste à Eu, en Seine-Maritime, et qui a des responsabilités syndicales, qui m’a suggéré cette audition. Celles auxquelles nous avons procédé auparavant m’ont d’ailleurs conforté dans l’idée de vous entendre, car il y a manifestement urgence à renforcer l’articulation entre les professionnels de santé – y compris libéraux –, le monde de l’éducation et celui des établissements médico-sociaux. Nous voulons donc vous entendre sur les points forts, les atouts, les difficultés, les obstacles qui existent, mais surtout sur les pistes qui permettraient d’améliorer cette articulation.

Mme Françoise Garcia, vice-présidente de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO). Je vous remercie de me donner l’occasion de parler de l’orthophonie.

L’orthophonie est une profession jeune, même si les orthophonistes commencent à prendre leur retraite : elle n’existe que depuis le milieu du siècle dernier et n’est réglementée que depuis 1964. Elle est conventionnée par l’assurance maladie et œuvre dans des domaines très importants du langage et de la communication, de la naissance jusqu’à la fin de vie.

Nous jouons donc un rôle d’accompagnement très important auprès des enfants, qu’ils soient en situation de handicap sensoriel, psychique, cognitif, ou qu’ils aient de simples retards de langage. Dans les deux cas, il nous faut répondre à une demande de soins, soit pour des besoins chroniques, soit pour des besoins plus ponctuels, intervenant à un moment important du développement cérébral, lié à la plasticité du cerveau. C’est la difficulté que nous rencontrons.

Vous avez évoqué, madame la présidente, la démographie médicale. Effectivement, les orthophonistes ont un appel à lancer quant à la démographie de leur profession, car notre numerus clausus n’a pas augmenté, ou plutôt n’augmente qu’à la faveur de la création de nouveaux centres de formation, comme celui de Rennes cette année. Étant donné le départ prochain à la retraite de nombreux praticiens et la féminisation très importante de la profession – 97 % des orthophonistes sont des femmes – qui s’accompagne d’un exercice parfois à temps partiel, au moins à un moment de la vie des intéressées, l’accès aux soins d’orthophonie est appelé à devenir complexe pour une partie de la population. Nous avons des listes d’attente et sommes gênés de devoir faire attendre plusieurs mois, voire plus d’une année, pour accorder un rendez-vous. La profession réfléchit actuellement à une plateforme téléphonique qui permettrait à la personne pensant avoir besoin d’un soin en orthophonie d’avoir affaire à un interlocuteur, lui-même orthophoniste, qui puisse répondre à ses questions, l’informer, l’aiguiller, trouver éventuellement des réponses en urgence, vers le bon endroit, en particulier s’il y a urgence, par exemple après un traumatisme crânien, un accident vasculaire cérébral, une tumeur au cerveau ou une laryngectomie. Il faut aussi pouvoir recevoir en urgence de très jeunes enfants qui n’arrivent pas à segmenter correctement, qui ont des troubles de l’oralité. En dehors même de ces possibles urgences, il faut pouvoir répondre à la personne qui s’interrogerait sur la nécessité de se soumettre à un bilan orthophonique. La profession essaie de répondre à tout cela, mais nous avons besoin d’être soutenus pour augmenter le numerus clausus.

Nous avons besoin aussi de soutiens pour que les orthophonistes puissent continuer de travailler en exercice mixte, c’est-à-dire en partie en libéral, avec des soins qui sont remboursés par l’assurance maladie depuis 1964, mais aussi en tant que salariés, à l’hôpital, dans des centres médico-psychologiques (CMP) ou dans des instituts médico-pédagogiques (IMP) ou dans des SESSAD. Il n’y a plus beaucoup d’orthophonistes dans ces centres, car leur attractivité est faible, la rémunération d’un orthophoniste salarié n’étant pas à la hauteur des cinq années d’études exigées.

Du fait de cette perte d’attractivité et de la demande de soins considérable et non satisfaite en libéral, on observe une désaffection pour les postes salariés à l’hôpital et dans les services de soins. Si vous avez entendu des représentants des SESSAD, vous avez pu noter leur grande inquiétude. La nôtre est liée à la double prise en charge de ces soins : lorsqu’un enfant bénéficie à la fois de soins en libéral, remboursés, et de soins dispensés par un service médico-social, c’est celui-ci qui doit rémunérer le professionnel libéral. Il en résulte de nombreux conventionnements, mais aussi, parfois, des difficultés d’accès aux soins, car l’orthophoniste qui a des missions en libéral ne peut pas toujours assurer ces soins – aux enfants sourds, aux enfants trisomiques, etc. – en conventionnement avec les SESSAD.

Je vous ai parlé de la plateforme ; je voudrais vous parler aussi de la contribution que nous avions adressée au ministère de l’Éducation nationale pour une meilleure santé à l’école. Il ne s’agit pas de demander que les soins soient effectués à l’école, mais que la prévention et le dépistage des troubles du langage et de la communication y soient faits de façon plus régulière et systématique. Nous allons commencer, dans quelques mois, une expérimentation avec l’assurance maladie : dans le cadre d’un article de l’avenant 16 de notre convention, nous avons pu obtenir un essai de dépistage systématique, à trois ans ou trois ans et demi, grâce à un outil – le DTL3 – qui permet, moyennant une formation des enseignants à cet outil, de repérer les enfants en difficulté dans le développement du langage et de la communication. Cela se fait depuis quinze ans dans le Nord et le Pas-de-Calais ;  nous allons essayer de généraliser grâce à ces expérimentations pilotes.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour cet exposé. Nous centrons notre réflexion sur les situations de handicap, mais aussi sur les élèves atteints de troubles « dys », qui ne sont pas forcément reconnus comme étant en situation de handicap. Les orthophonistes ont-ils des difficultés à intervenir dans les établissements scolaires pour faciliter la prise en charge des enfants qui en ont besoin et leur éviter d’avoir des séances le soir après l’école ?

Mme Françoise Garcia. Il y a beaucoup de questions dans votre question.

L’intervention orthophonique, quand elle est effectuée par un professionnel libéral, commence par un bilan orthophonique, à l’issue duquel un projet de soins est proposé. Dans ce projet de soins, il y a plusieurs axes : une intervention directe, c’est-à-dire la rééducation des troubles présentés par le patient, puis ce que nous appelons l’intervention indirecte, c’est-à-dire l’information délivrée à la famille et à toutes les personnes qui ont à travailler auprès de l’enfant : enseignants, puéricultrices, etc. S’agissant de l’école, cette information portera sur le fonctionnement de l’enfant, ses capacités préservées, et surtout, sur ce que l’on peut mettre en place pour l’aider à compenser, sur le plan scolaire comme sur celui de la vie quotidienne.

Pour en revenir à votre question, il peut nous arriver d’intervenir auprès des enfants au sein de leur établissement scolaire, lorsque notre objectif thérapeutique est d’améliorer les comportements de communication dans le cadre de l’école, de permettre l’utilisation d’outils spécifiques, ou lorsqu’il apparaît que l’enfant va être en réelle difficulté du fait de la multiplicité des soins qu’il doit recevoir – auquel cas il vaudra mieux que l’orthophoniste intervienne à l’école plutôt que dans le cadre d’un SESSAD. Mais cela suppose toujours des objectifs thérapeutiques proposés et acceptés par la famille : il n’est pas question de prendre en soins à l’école tous les enfants qui ont besoin de séances d’orthophonie. Puisque le soin va se faire dans un cadre particulier, il faut bien réfléchir à ce soin et à la nécessité ou non de le faire à l’école.

Une difficulté parmi celles que j’ai sous-entendues dans votre question a trait au fait de pouvoir recevoir les enfants dans nos cabinets durant le temps scolaire. Les enfants qui ont besoin de soins sont, pour certains, fatigables, et nous ne pouvons les voir en fin de journée. Il faut donc leur permettre de sortir de l’école, accompagnés par un parent ou une personne de confiance déléguée pour ce faire, afin de se rendre en cabinet.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ma question était vraiment motivée par le fait que beaucoup de parents nous interpellent à ce sujet. C’est une manière de faire évoluer l’école et d’apporter à l’enfant les soins dont il a besoin sur son lieu de scolarisation, de vie, que ce soit par des SESSAD ou par des praticiens en libéral, sans qu’il ait besoin de quitter l’école pour cela.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous dites souhaiter l’augmentation du numerus clausus. À quel niveau faut-il le porter ? Êtes-vous favorable à sa territorialisation ? On constate en effet de fortes inégalités territoriales, qui sont au cœur des questionnements de notre commission d’enquête.

Troisième question, liée aux deux premières : la généralisation du dépistage précoce, si j’ai bien compris, est souhaitée par certains, notamment les associations de parents d’enfants atteints de troubles « dys » – ce qui pose au passage la question du remboursement. Mais, s’il n’y a pas de moyens supplémentaires, cela ne risque-t-il pas d’aggraver le problème démographique de votre profession ?

Mme Géraldine Bannier. J’ai la même question sur la répartition des orthophonistes sur le territoire. Quelle solution envisagez-vous ?

D’autre part, je suppose que les apports de la neurologie ont modifié votre métier, votre approche des enfants. Dans quelle mesure pouvez-vous en faire bénéficier les enseignants pour qu’ils prennent mieux en charge les enfants en situation de handicap ?

Mme Françoise Garcia. Il est difficile de répondre sur le numerus clausus, car il faudrait disposer d’une étude prospective sur le nombre de personnes ayant réellement besoin de soins en orthophonie. La seule chose que l’on puisse mesurer actuellement, ce sont les délais d’attente, mais on sait aussi que certaines personnes auraient besoin de soins et n’en sont pas conscientes. Il est certain que, la population vieillissant, le domaine de compétence des orthophonistes va évoluer vers la prise en charge des maladies neurodégénératives. Mais il ne serait pas sérieux de ma part d’avancer un chiffre.

Les seules augmentations que nous arrivions actuellement à obtenir interviennent à la faveur de l’ouverture de départements d’orthophonie dans des facultés, dans des villes comme Limoges ou Rennes. Cela répond peut-être à votre question sur la territorialisation. Je vous ai vus tiquer quand j’ai évoqué Rennes, mais certaines zones sont peu attractives du fait de la démographie, et l’on peut espérer qu’une plus grande dispersion sur le territoire fera que les professionnels resteront. Nous travaillons, avec l’assurance maladie, à des incitations à l’installation dans les zones très sous-dotées. Reste que notre numerus clausus n’a pas du tout augmenté, à part les vingt places liées à l’ouverture, comme l’an dernier, d’un nouveau département. Je pense que nous pourrions largement le rehausser d’une centaine de places, compte tenu du fait que le cursus dure cinq ans. Mais il faudrait sans doute disposer d’une étude un peu plus complète.

Nous sommes effectivement intéressés par les apports des neurosciences. Les propositions que nous avons faites au ministère de l’éducation nationale pour une meilleure santé à l’école incluent naturellement l’amélioration de la formation des enseignants sur le développement du langage et de la communication, grâce aux connaissances que nous avons maintenant. Nous avons salué l’existence d’un conseil scientifique à l’Éducation nationale, car cela fait avancer les choses. Nous participons depuis de nombreuses années à des formations autour des troubles du langage, soit que les enseignants eux-mêmes le demandent de façon volontaire, soit parce que c’est organisé par les académies.

La généralisation du dispositif DPL3 est parallèle à ce qui est fait sur l’intervention précoce préconisée dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme. Cependant, le DPL3 est un outil différent, de dépistage et de prévention des troubles du langage, qui peut tout à fait fonctionner pour les enfants « dys » : si le niveau du langage oral est évalué et si l’enfant est soutenu quand il en a besoin, l’apprentissage de la lecture sera facilité. Donc, nous nous retrouvons complètement sur le principe de l’intervention précoce.

Nous n’avons pas de difficulté avec le forfait proposé, puisque nos soins sont pris en charge par l’assurance maladie, sans limite d’âge. Je suis une orthophoniste déjà ancienne et je me souviens qu’il y a encore quelques années, nous ne pouvions pas prendre en soin des enfants moins de 4 ans sans faire une demande exceptionnelle. Cet âge plancher a été abaissé et nous avons désormais des bébés en soins pour des troubles de l’oralité. Nous pouvons intervenir très tôt auprès des enfants : cela n’a rien de compliqué pour nous, puisque les familles bénéficient de la prise en charge des soins.

En revanche, les orthophonistes ne bénéficient pas d’une rémunération au titre de la coordination. Vous parliez tout à l’heure du lien avec l’école : au-delà du temps de soin que nous assurons déjà, il existe aussi un temps de coordination très important, que nous assurons bénévolement depuis toujours. Prendre en compte cette coordination dans le forfait pourrait être intéressant. Nous avons obtenu de l’assurance maladie, à compter du 1er juillet prochain, ce forfait annuel pour les enfants reconnus dans le champ du handicap, nous avons des lettres-clés qui nous permettent de tracer les actes en fonction des patients, mais cela ne vaudra pas pour les enfants « dys », même s’ils sont reconnus par la MDPH dans le champ du handicap.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je pensais que c’était dans le cadre de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement – dont font partie les dyslexies –, car j’ai posé la question la semaine dernière lors d’une audition, et on m’a répondu que les troubles les plus graves pourraient quand même être dépistés avant 7 ans.

Mme Françoise Garcia. C’est parce que la sémantique française nous fait utiliser des mots identiques pour des choses différentes. Quand je vous parle du forfait précoce dont les orthophonistes vont pouvoir bénéficier pour coordonner des soins dispensés à des enfants reconnus dans le champ du handicap, c’est selon notre lettre-clé, donc en convention avec l’assurance maladie, et ce sera déclenché par une simple demande d’accord préalable concernant un enfant reconnu dans le champ du handicap, par exemple un enfant sourd. La Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement prévoit d’autres forfaits, qui sont hors du champ de l’assurance maladie pour l’instant. Les orthophonistes interviennent quand même auprès de cette population, mais de façon un peu parallèle puisque non prise en charge – sauf que la coordination, dans ces cas-là, n’est pas comprise.

Pour en revenir au dépistage tel qu’il est préconisé dans la stratégie pour les troubles neurodéveloppementaux, il servira les enfants « dys ». Qu’ils soient dysphasiques ou dyspraxiques, ils pourront être dépistés avant l’âge de 7 ans, puisque ce sont des difficultés qui apparaissent avant. Ce qui inquiète les parents, c’est le dépistage de la dyslexie, puisqu’il ne peut se faire que lorsque l’enfant commence à devoir lire, c’est-à-dire à partir de 6 ans. Mais nous, orthophonistes, n’avons pas de difficulté particulière à faire des bilans pour ces enfants-là, contrairement aux psychothérapeutes, aux psychologues, aux psychomotriciens, dont les soins ne sont pas remboursés par l’assurance maladie et dont on a besoin pour certains diagnostics.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci de cet éclairage.

M Sébastien Jumel, rapporteur. J’ai une dernière question. Vous représentez une profession qui est en contact permanent avec les parents d’enfants en situation de handicap. Quels retours avez-vous de leur part concernant la capacité de l’école de la République à favoriser une inclusion bienveillante ?

Mme Françoise Garcia. Du haut de mes trente-six ans de pratique de l’orthophonie, je trouve que l’école a fait de réels progrès pour accueillir les enfants en situation de handicap, malgré un manque de moyens humains et de formation. Très sincèrement, la formation des enseignants ne leur permet pas d’aborder de façon simple des problématiques qui touchent à la fois le langage, le comportement, l’attention, donc les fonctions exécutives. Certaines notions sont compliquées. S’ajoute à cela le fait qu’inclure un enfant avec une AVS ou une AESH, c’est aussi avoir une personne supplémentaire dans sa classe. Or, parfois, avoir moins d’enfants dans la classe pourrait être intéressant, car il est difficile pour un enseignant de tenir compte de toutes les singularités de chaque enfant. Le dialogue entre orthophoniste et enseignant est un dialogue permanent qui a toujours bien fonctionné – sans oublier, bien sûr, les familles, puisque nous ne pouvons pas rencontrer l’école sans l’accord et la présence des parents. Reste que ce travail en synergie est très intéressant et efficace.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Une dernière question : avez-vous relevé, au cours de votre carrière, une augmentation importante, voire massive, des cas de dyslexie et des troubles « dys » en général ? Ou bien sont-ils simplement mieux dépistés ?

Mme Françoise Garcia. Il n’y a pas d’augmentation : les taux sont à peu près les mêmes qu’il y a quarante ans. Ces troubles sont en revanche mieux dépistés, beaucoup plus tôt, et beaucoup d’aménagements sont désormais proposés pour ces enfants. Ce qui reste compliqué, c’est cette frange plus limitée d’enfants « dys » qui ont des troubles associés, des co-morbidités importantes. Le droit commun ne suffit pas à penser leurs difficultés spécifiques et retient la mise en place d’adaptations particulières. Il faut intervenir auprès des MDPH ou des maisons des adolescents (MDA), faire une demande de compensation de situation de handicap. C’est très compliqué pour les familles, car cette reconnaissance de la situation de handicap nécessite, par exemple, que l’on aille jusqu’à tout lire à l’enfant pour qu’il accède à la compréhension, ce qui n’est pas simple et qui suppose la présence d’une AVS. Il n’est pas facile de faire reconnaître la situation de cet enfant qui a un handicap invisible. En tout état de cause, il n’y a pas plus de cas, ils sont simplement dépistés et pris en charge plus tôt.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci pour votre contribution. N’hésitez pas à la compléter si vous estimez avoir manqué de temps ou si vous disposez d’éléments objectivés.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci beaucoup.

 

 


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   Mardi 4 juin 2019

1.   Audition de Mme Geneviève Mannarino, représentant l’Assemblée des départements de France (ADF), vice-présidente du conseil départemental du Nord, chargée de l’autonomie, M. Romain Boulant, collaborateur de cabinet, M. Jean-Michel Rapinat, directeur délégué de l’ADF chargé des politiques sociales, et Mme Ann-Gaëlle Werner‑Bernard, conseillère pour les relations avec le Parlement

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission reprend ses travaux en auditionnant les représentants de l’Assemblée des départements de France (ADF), que nous avions initialement sollicitée pour une audition commune avec l’Association des Maires de France.

Nous accueillons ainsi Mme Geneviève Mannarino, vice-présidente du conseil départemental du Nord, chargée de l’autonomie, qui est accompagnée de M. Romain Boulant, collaborateur de cabinet, M. Jean-Michel Rapinat, directeur délégué de l’ADF chargé des politiques sociales, et Mme Ann-Gaëlle Werner‑Bernard, conseillère pour les relations avec le Parlement. Je vous souhaite la bienvenue.

Il était indispensable de recueillir votre point de vue sur l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap compte tenu du rôle décisif que jouent les départements : non seulement, ceux-ci sont responsables des collèges, mais leurs élus président les commissions administrant les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qui sont notamment appelées à se prononcer sur les aides humaines à la scolarisation de ces élèves.

Avant de vous donner la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, il me revient de vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Geneviève Mannarino, M. Jean-Michel Rapinat, M. Romain Boulant et Mme Ann-Gaëlle Werner-Bernard prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous souhaite à mon tour la bienvenue. Il aurait été dommage de se priver de l’expertise de l’Assemblée des départements de France sur un sujet entrant pleinement dans leur domaine de compétence – nous pourrons d’ailleurs à cette occasion approfondir la question des conditions financières dans lesquelles a été transférée cette responsabilité. Nous souhaitons également vous faire réagir sur la volonté politique qui porterait – ou pas – la mise en œuvre de la loi de 2005, sur les inégalités territoriales et les moyens de les contrecarrer, sur le fonctionnement des MDPH et la façon de l’améliorer, sur les moyens mobilisés par les collectivités départementales, notamment pour l’adaptation du bâti des collèges, sur la manière dont les départements accompagnent les communes dans la mise en œuvre des Ad’AP fléchés sur les enfants.

Mme Geneviève Mannarino. Merci de votre accueil. Je vous rappelle que la réflexion sur le concept d’inclusion est arrivée du monde anglo-saxon depuis bientôt quelques siècles. Ce concept met en lumière le fait que toutes les personnes ont de plein droit leur place dans la société, quelles que soient leurs caractéristiques. Or les débats d’aujourd’hui visent justement à ce que chacun y trouve sa place en tant que citoyen.

Nous pouvons considérer que l’inclusion scolaire est en progrès. Des réflexions ont émergé ; des lois ont été prises et évaluées. Néanmoins, l’institution Éducation nationale a encore des efforts à fournir pour accueillir ces enfants, quelle que soit la formation des enseignants, des personnels et des ressources spécialisées présentes dans les collèges. Les outils d’évaluation ont été revisités, mais ne sont pas forcément aboutis. Des dispositifs existent, comme les classes pour l’inclusion scolaire (CLIS) ou les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) en collège et en lycée. Cependant, les demandes s’accroissent et nous nous interrogeons sur les moyens qui nous sont donnés. Nous diffusons aussi des recommandations de bonnes pratiques sur nos territoires.

Notre société doit offrir une scolarisation de qualité à tous les élèves et satisfaire aux principes du droit à la scolarisation et de l’égalité des chances posés par la loi du 11 février 2005. L’Éducation nationale doit donc disposer de moyens complémentaires, mais les départements ont besoin d’être plus associés, plus impliqués, ne serait-ce que pour la réhabilitation des collèges.

L’inclusion scolaire doit permettre à ces jeunes d’entrer dans un parcours qui les amènera à un projet de vie, d’emploi et de citoyen. La scolarisation de ces élèves en milieu ordinaire est de droit ; elle est hautement recommandée dès la maternelle. Les collectivités territoriales doivent s’attacher à renforcer les liens avec toutes les parties prenantes : les départements sont certes responsables du patrimoine bâti des collèges, mais il leur appartient également de rendre plus efficaces les relations entre la MDPH, les enseignants, la collectivité éducative, voire le médico-social, lorsqu’est mis en place un plan personnalisé pour l’élève, afin que le parcours de l’élève avance le mieux possible. Mon expérience d’élue locale m’amène à dire qu’il s’agit d’un vrai défi, qui conduit à changer de regard – voire de culture – afin d’aller vers cette citoyenneté de plein droit qui est inscrite dans notre Constitution. Parallèlement, nous avons besoin de rassurer les familles qui font le choix de l’inclusion scolaire et qui s’aperçoivent que c’est parfois un peu compliqué.

La diversité des handicaps fait que la réponse apportée ne peut pas être uniforme. En lien avec les départements et la MDPH, une autre dynamique doit animer les établissements : répondre à des besoins. Cela conduira à se demander si la présence de l’AESH est nécessaire ou s’il ne faudrait pas plutôt partir des compétences de l’élève pour adapter sa scolarité en intégrant les enseignants dans un processus de formation et d’accompagnement – l’Éducation nationale ayant toute sa place dans le cadre de ces objectifs.

Une inclusion scolaire réussie nécessite une bonne articulation des parties prenantes, agissant en co-construction, et une meilleure visibilité pour les familles
– on voit encore des familles très éloignées de ce concept inclusif qui demandent une prestation ou un transport sans s’interroger sur l’établissement qui correspondrait le mieux à leur enfant ; la non-lisibilité des dispositifs – due à leur nombre – est extrêmement préjudiciable et conduit à ne pas répondre tout le temps aux besoins exprimés.

Par exemple, les départements sont compétents en matière de transport des élèves en situation de handicap. Pour répondre à l’objectif d’une autonomie accrue – qui suppose d’entrer dans le droit commun –, il a été décidé de permettre à ces élèves de prendre un transport en commun plutôt que de recourir à des transports spécifiques. Cette démarche s’inscrit dans la perspective d’une inclusion sociétale et environnementale.

Même si ce domaine est extérieur aux compétences de départements, je souhaite évoquer l’université, un lieu « en devenir » en matière d’inclusion, grâce à la charte de 2007, adaptée en 2012, qui appelle à faire du handicap un thème transversal. L’idée de transversalité est essentielle : toutes les parties prenantes sont réunies pour aboutir à un schéma inclusif dans les établissements d’enseignement supérieur.

L’ADF en tant que telle travaille sur l’inclusion scolaire, non seulement en préparant la future conférence nationale du handicap –  qui a lieu tous les trois ans – mais aussi en portant la voix des départements dans plusieurs instances : Mme Corinne Secrétin, conseillère départementale de la Mayenne, pilote un groupe de travail national sur les MDPH ; Mme Marie-Paule Martin, première vice‑présidente du conseil départemental du Maine-et-Loire, pilote le groupe de travail dédié à la prestation de compensation du handicap (PCH).

L’ADF est favorable au renforcement de la participation des collectivités territoriales aux instances qui organisent la scolarisation des élèves vivant avec un handicap. Les départements assument une grande partie de la politique du handicap, notamment dans le cadre des MDPH, qui gèrent plus de 4 millions de demandes chaque année – la file active dans le département du Nord est d’environ 228 000 personnes. Cette activité relève d’une sorte de « production » : il s’agit de délivrer des notifications et nous n’avons pas forcément le temps d’examiner tous les dossiers – nous nous interrogeons d’ailleurs sur les MDPH afin qu’elles ne deviennent pas des machines infernales. C’est un sujet majeur, sur lequel le département est très présent et moteur.

La compétence des départements en matière de collèges leur permet de proposer leur expertise aux communes qui ont des projets scolaires, par exemple pour le regroupement d’établissements ; c’est un peu la traduction au plan territorial de la compétence générale des départements en matière de solidarité. En zone rurale, le maillage département / communes fonctionne bien.

Nous sommes extrêmement sensibles aux objectifs fixés pour l’accessibilité : des projets ambitieux doivent aboutir en 2024. Cela concerne l’accessibilité au bâti, mais aussi aux activités – tout ce qui va faire que l’élève pourra vivre comme un citoyen lambda là où il l’a décidé.

Une proposition consisterait à intensifier les liens entre les MDPH et les services académiques pour que chaque rentrée scolaire soit la plus fluide possible et que nul ne se retrouve au bord du chemin en septembre, s’interrogeant sur l’absence d’AESH. Une autre consisterait à envisager de faire intervenir des professionnels des MDPH et du secteur médico-social dans le cursus des enseignants.

Je souhaite enfin partager les annonces faites ce matin par Mme Cluzel et M. Blanquer sur la nécessité de mieux former les AESH et les enseignants, de mettre l’élève et la famille au cœur du projet et de s’interroger sur la fluidité de parcours pour que l’élève se sente au mieux là où il a choisi de suivre un cursus scolaire qui l’amènera vers une vie de citoyen pleine et entière.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous n’avez pas répondu à ma question sur le diagnostic que vous pouvez porter sur le montant des charges transférées et la différence avec les compensations reçues – certaines inadéquations ont été soulignées par quelques chambres régionales des comptes lors de l’examen des comptes des collectivités départementales.

Mme Geneviève Mannarino. Je n’ai pas de chiffres à vous communiquer sur le sujet des collèges ou des compétences transférées. Dans votre question, j’entends aussi le débat sur la compensation perçue par les départements au titre de la politique d’action sociale. Nous avons quelques interrogations qui, me semble‑t‑il, sortent un peu du cadre de cette commission sur l’inclusion scolaire.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je précise ma pensée : lorsque l’État a transféré aux départements la responsabilité de créer les MDPH, il a transféré le personnel afférent. L’augmentation de l’activité des MDPH a modifié les termes de l’équilibre. Je vous interroge pour savoir si vous disposez de remontées d’information à ce sujet.

Mme Geneviève Mannarino. Les MDPH ont été créées voici un peu plus de dix ans sous la forme de groupements d’intérêt public (GIP). À l’époque, les financements transférés par l’État correspondaient aux besoins des territoires. Tous les départements constatent que les prestations (PCH, allocation d’éducation de l’enfant handicapé – AEEH, etc.) sont en forte augmentation : pour le département du Nord, la PCH représente une dépense de 110 millions d’euros. Chacun à l’ADF en est bien d’accord : les transferts n’ont pas suivi. Une partie du personnel État affecté dans les MDPH à la création des GIP n’a pas été renouvelée ; les départements compensent. Nous sommes responsables donc nous apportons des réponses, mais je partage avec vous cette interrogation. La compensation de l’État pour ce qui concerne la gestion de la MDPH est un vrai sujet de débat au sein des assemblées départementales. Au vu des évolutions constatées, le GIP, tel qu’il est, ne correspond pas forcément aux besoins constatés sur les territoires.

Mme Danielle Cazarian. Vous évoquiez les familles éloignées du parcours inclusif au niveau de l’école, du collège, du lycée ou de l’université, faute de dispositifs lisibles. Quels seraient les dispositifs à mettre en place pour favoriser la lisibilité ?

Mme Cécile Rilhac. La compétence sociale étant départementale, comment analysez-vous les différences de prise en charge entre départements pour ce qui est des compensations liées au handicap. En particulier, certains décident d’aller au-delà du cadre légal et réglementaire. Comment cela peut-il se justifier à vos yeux ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Ma première question concerne les systèmes d’information. Sur ce sujet, nous avons eu la version de la CNSA et celle des MDPH ; je souhaiterais avoir la version de l’ADF.

Ma deuxième question concerne les relations avec l’Éducation nationale. Un GIP MDPH comprend trois partenaires : le département, l’État et l’Éducation nationale. Pouvez-vous faire le point sur les relations avec celle-ci dans les départements ?

Mme Béatrice Descamps. Comment peut-on rendre plus étroite la liaison entre la MDPH et l’Éducation nationale ? Quelle est votre position sur la formation des AESH ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je souhaitais poser la même question que Mme Descamps : en quoi souhaitez-vous intensifier ces relations ? Qu’attendez-vous de l’Éducation nationale et des liens que vous souhaitez tisser avec elle ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Les associations de parents affirment qu’un dépistage précoce serait un élément déterminant pour enclencher une prise en charge adaptée. Cela concerne la médecine scolaire, les intervenants et les praticiens libéraux et les centres médico-sociaux, mais également le réseau des PMI. Quelles sont les réflexions conduites à ce sujet ? Quels sont les moyens mobilisés par les départements en matière de dépistage précoce des enfants en situation de handicap ? Comment la question de la démographie médicale dans les PMI est-elle appréhendée par l’ADF ? Quelles propositions concrètes formulez‑vous dans ce domaine ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous devons maintenant suspendre l’audition pour que les membres de la commission puissent participer à un scrutin public.

La séance est suspendue à 16 heures 58.

La séance est reprise à 17 heures 08.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous reprenons notre audition. Nous sommes très impatients de vous entendre.

Mme Geneviève Mannarino. Sur la question relative aux familles et à la lisibilité des dispositifs de prise en charge, les départements sont proactifs en étant présents sur tous les territoires, avec leurs directions territoriales et les unités territoriales d’action sociale. Mais je conviens qu’en raison de ces points d’entrée multiples, il peut être compliqué pour les familles de frapper tout de suite à la bonne porte.

De nombreux départements développent des lieux de proximité MDPH parfois délocalisés, autour de la notion de guichet unique d’accompagnement pour les familles. Dès l’annonce du handicap, il faut que la famille soit entourée et qu’entrent en action tous les partenaires susceptibles d’être concernés : si le handicap est décelé à la naissance, il s’agit du médical ; s’il est décelé à la crèche, un accompagnement de la famille et de l’enfant doit se mettre en place ; il en est de même pour l’école. C’est peut-être là que les départements peuvent être force de proposition puisque ce processus a vocation à être déclenché par le circuit MDPH.

La lisibilité est donc insuffisante en raison du nombre important de dispositifs et de portes d’entrée. La famille – en difficulté car l’annonce d’un handicap est toujours un moment difficile – mériterait davantage de lisibilité et de visibilité. Des départements comme le Nord et les Deux-Sèvres ont développé des portes d’entrée uniques en mettant en place des relais autonomie, des relais handicap, et un accompagnement des aidants. Pour que la famille soit accompagnée au plus près et immédiatement aiguillée vers les bonnes réponses, il faut que le partage de données soit efficace – c’est un sujet de back office. Les professionnels de la santé, du médico-social ou relevant de l’Éducation nationale doivent avoir accès à ces données pour accompagner les familles au plus près et au plus juste.

S’agissant de l’équité territoriale, nul ne peut nier que chaque département, rural ou urbain, est dans un espace contraint. L’ADF les accompagne et facilite l’entraide : ses commissions sont un lieu d’échanges où chacun peut exprimer ses difficultés. Cependant, pour différentes raisons – en particulier le pacte de Cahors, par lequel certains départements se sont engagés à  limiter les dépenses de fonctionnement –, cet espace financier et économique contraint conduit à apporter des réponses différentes d’un département à l’autre. L’ADF veut aussi entendre ces départements et accompagner ceux qui sont en difficulté.

Au niveau de la MDPH, j’ai vécu les difficultés liées à la mise en place des systèmes d’information partagés, qui étaient portés avec la CNSA. Le département du Nord a été initiateur.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Combien de mois avez-vous perdu ?

Mme Geneviève Mannarino. Je crois que nous en sommes à six mois. La mise en place est effectivement complexe alors que nous étions un département très impliqué. Ceci étant, les équipes de la MDPH, avec le soutien de la CNSA et de l’ADF, régularisent peu à peu la situation. De toute façon, il est indispensable d’en passer par là, pour pouvoir donner des réponses plus rapides : si nous ne renouvelons pas notre système d’information, nous mettrons à mal les personnes elles-mêmes. L’utilisation du nouveau dossier MDPH de 20 pages, qui considère la globalité de la personne, serait impossible s’il n’était pas numérisé. La numérisation est en cours et les MDPH sont proactives ; certaines, pourtant, n’ont pas encore changé leur système d’information et il va falloir être vigilant. Un soutien de l’État sera peut-être nécessaire pour qu’elles puissent y accéder ; il faudra peut-être aussi revoir l’organisation des liens avec la CAF. Perdre quelques mois n’est pas satisfaisant, mais en informatisant les MDPH, nous pourrons donner des réponses plus rapides aux usagers.

La relation avec l’Éducation nationale doit être encore consolidée. Celle-ci est insuffisamment présente au sein de la MDPH : nous avons besoin d’enseignants qui font le lien sur des dossiers importants. On sait que l’Éducation nationale est organisée de façon très administrative ; les départements sont davantage dans l’humain dans leur réponse au handicap. Il faut que les enseignants soient formés dès le début de leur cursus et que s’organise la formation des AESH – j’ai l’exemple d’une personne qui est AVS puis AESH depuis neuf ans et qui n’a bénéficié que de 36 heures de formation. Les ministres ont annoncé la substitution de contrats d’État, plus longs, aux emplois aidés. Plus important encore : l’AESH doit faire partie intégrante de l’équipe éducative, ce qui n’est pas toujours le cas sur le terrain ; l’affectation des AESH aux établissements doit être anticipée.

S’agissant du dépistage précoce, les PMI sont effectivement concernées, mais rencontrent des difficultés pour recruter des médecins car les conditions ne sont pas très attractives. L’ARS développe des dispositifs qui peuvent sembler s’empiler avec ceux des départements : il y a un vrai sujet de coordination sur des plateformes territoriales d’appui. Dans certains territoires, nous avons vu se développer des équipes mobiles de PMI, ce qui est extrêmement intéressant. Il faut d’ailleurs s’interroger plus largement sur la mobilité et la proximité de nos dispositifs d’action sociale afin de pouvoir aller au plus près des territoires les plus éloignés, notamment ruraux.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous faites part d’un besoin d’enseignants pour faire le lien sur les dossiers importants. Évoquez-vous par là les enseignants référents ou des enseignants qui seraient détachés à la MDPH – certains sont d’ailleurs parfois à la tête du pôle enfance ? J’ai besoin de savoir ce que vous voulez dire.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Ce que vous dites est intéressant et témoigne d’un réel engagement sur cette question. Toutefois, la commission d’enquête n’est pas un café-philo. Nous avons besoin d’éléments objectifs et de données statistiques. Par exemple, l’État et la CNSA ont été incapables de nous fournir des informations sur les moyens financiers mobilisés dans les MDPH, par département. L’ADF dispose-t-elle de ces éléments ?

Dans nos auditions, a été évoquée plusieurs fois une inadéquation, voire une non-correspondance, entre les notifications prononcées par la MDPH et les moyens mobilisés pour y répondre. Lorsque je l’ai connue, l’ADF avait des moyens d’expertise et d’analyse statistique allant au-delà du discours.

Enfin, pour ce qui concerne l’attractivité des PMI, avez-vous des précisions sur le manque de médecins dans les territoires les plus en difficulté ?

Je force le trait, non par manque de respect mais pour obtenir des réponses concrètes. Je conçois que vous ne disposiez pas forcément aujourd’hui de ces informations, mais nous apprécierions que la commission d’enquête puisse se nourrir de tels éléments, que l’État et la CNSA ne lui ont pas fournis et qui l’intéressent.

Mme Géraldine Bannier. Quelle réponse peuvent apporter les départements qui rencontrent des problèmes de sous-densité médicale ?

S’agissant de la formation des enseignants au handicap, pour avoir enseigné durant plus de quinze ans dans un collège, je ne peux que militer en faveur d’une formation sur le terrain. La formation en amont est loin du terrain. Nous avons besoin de réponses concrètes correspondant à chaque enfant.

Mme Geneviève Mannarino. Je laisserai M. Rapinat répondre sur la PMI avec des chiffres. Nous pourrons aussi vous en transmettre.

Il me semble que les cafés philo, ça peut être aussi sympa car ils offrent des ouvertures !

J’ai été enseignante pendant vingt ans et je me suis toujours posé la question de la formation des enseignants, comme je m’interroge sur celle des éducateurs et des assistants sociaux que je trouve parfois insuffisamment en prise avec le terrain. Nous savons transmettre le savoir-faire et la connaissance, mais le savoir être avec des élèves en situation de handicap est beaucoup plus complexe. Il existe une vraie lacune.

Dans cette salle, quelqu’un se souviendra d’un entretien avec un directeur académique dont je tairai le nom, avec lequel nous avions échangé sur la nécessité d’augmenter le nombre d’enseignants référents à la MDPH. Il nous avait été répondu : « Si je vous mets des enseignants référents en plus, je ferme des classes ». Je ne porte pas de jugement, mais on ne pas peut apporter cette réponse lorsque l’on évoque l’inclusion scolaire. J’ai plutôt confiance dans le fait que cette situation évoluera, mais sur le terrain, à l’Éducation nationale, la communauté éducative manque de moyens, mais également d’un accompagnement pour un changement vers une culture inclusive – vous allez encore dire que je suis philosophe… Actuellement, les directeurs d’école considèrent que l’inclusion est trop compliquée.

L’Éducation nationale a un rôle à jouer, tout comme l’ADF, mais il faut aller la « chercher ». Le ministre Jean-Michel Blanquer tient les mêmes propos. Il va falloir former les enseignants, mais quid de cette formation ? Il faut qu’elle soit en immersion sur le terrain et je pense qu’elle le sera. Il en est de même pour les AESH et toute la communauté éducative. Cela pourrait passer par un stage de six mois dans une école.

Pour ce qui concerne la sous-densité médicale, certains départements, comme le Nord, n’apparaissent pas du tout attractifs. La rémunération des médecins en PMI est un frein. Comment une communauté sanitaire et médico-sociale doit-elle s’organiser – il le faut, pourtant – et qui en prendra la gouvernance ? L’ARS a un rôle à jouer aux côtés des départements.

M. Jean-Michel Rapinat. L’Assemblée des départements de France a fait de la sous-densité médicale une priorité : elle a monté un groupe de travail sur l’offre de soins locale qui est présidé par M. André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire, lequel a développé un réseau départemental de centres de santé qui est une réponse tout à fait efficace sur ce territoire. Nous partageons avec d’autres départements cette initiative qui consiste à recruter des médecins traitants, les salarier, voire leur confier des missions départementales.

L’ADF se soucie de la Protection Maternelle et Infantile depuis plus de deux ans puisqu’elle a monté un groupe avec la direction générale de la santé qui vise à recenser les pratiques départementales de PMI et à travailler sur les formations, ainsi que sur les problématiques de recrutement de médecins et de professionnels de santé. Nous avons transmis une demande à Mme Peyron dans le cadre de la mission qui lui a été confiée.

La PMI est confrontée à deux difficultés : une problématique financière délicate et un métier qui pâtit de son statut et d’une faible attractivité. L’ADF attend les propositions du rapport de Mme Peyron. Toutefois, si des moyens suffisants étaient donnés en complément de ceux que nous apportons, nous n’aimerions pas qu’ils soient confiés aux agences régionales de santé. L’ADF demande un appui de l’État pour dépister plus tôt et réaliser l’ensemble des bilans de santé des enfants en école maternelle. C’est déjà le cas, avec un effort extrêmement important des collectivités, mais avec l’obligation scolaire abaissée à trois ans, il nous faudra pouvoir financer l’intégralité des bilans de santé qui devront être menés en milieu scolaire. Étant donné leur situation budgétaire, les départements ne pourront pas répondre à tous ces besoins si l’État n’est pas au rendez-vous pour les accompagner.

Il y a une volonté de dépister beaucoup plus tôt et d’accompagner les professionnels de santé avec le milieu scolaire. Les bilans de santé en école maternelle permettent une information précise des enseignants et un lien précoce avec les familles.

Au demeurant, comment imaginer qu’avec une dépense sociale qui augmente de 4% à 5 % chaque année, les départements doivent limiter à 1,2 % l’évolution de leurs dépenses de fonctionnement ?

S’agissant des MDPH, le groupement d’intérêt public présentait un avantage si l’État était au rendez-vous. Il l’était au début du fonctionnement des MDPH. Nous avons vu progressivement des fonctionnaires d’État partir en retraite ou opter pour un retour dans leurs fonctions d’origine. Quelle compensation l’État apporte-t-il pour permettre aux MDPH de fonctionner correctement. Dans la plupart des cas, les départements se sont trouvés obligés de compenser, d’apporter des moyens nouveaux en recrutant des personnels pour venir alimenter un GIP qui n’a plus de sens en tant que tel. Le GIP est une structure juridique intéressante si chacune des parties prenantes s’engage et tient son engagement. Dans le cadre des débats qui sont ouverts sur un possible acte III de la décentralisation, nous avons des propositions concrètes à formuler en matière de financement de ces GIP MDPH.

Sur la politique du handicap, quand bien même nous avons un partenariat de très grande qualité avec la CNSA, lorsque nous constatons que les concours financiers qui arrivent dans les départements par le truchement de la CNSA ne financent qu’environ un tiers de la dépense et que les départements financent le reste, on est loin de l’équilibre que nous avons souhaité dès le début de ce transfert partiel de compétences.

Malgré ces sujets budgétaires et de formation importants, un travail majeur est conduit avec la CNSA, avec un Comité d’animation nationale des actions de PMI (CANA-PMI) en lien avec la direction générale de la santé. Nous pourrons vous communiquer le résultat des travaux conduits sur ces sujets, dans le cadre d’une vision partagée entre l’ADF et l’État. En tout état de cause, nous avons une forte demande dans un contexte budgétaire très contraint où les départements ne suffiront pas pour remplir les objectifs liés à une meilleure inclusion des élèves en situation de handicap, quelle qu’en soit la forme. La très grande variété des handicaps nécessite une formation accentuée de nos personnels et une culture commune améliorée.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie. C’était instructif.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Merci de nous envoyer les documents.

 

 


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2.   Audition de M. José Puig, directeur de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous poursuivons nos auditions par celle de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) qui sera représentée par son directeur, M. José Puig.

L’INSHEA est un établissement public national de formation et de recherche dédié aux besoins éducatifs particuliers et à l’accessibilité. Il a été créé par la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, ainsi que la participation à la citoyenneté des personnes handicapées. À travers ses trois pôles de compétences dans les domaines de la formation, des ressources et de la recherche, il forme les acteurs de l’accompagnement et de l’accessibilité éducative, sociale et professionnelle à travers des modules spécifiques. Il nous a donc paru utile de l’entendre dans le cadre de cette commission.

J’ai eu la chance de suivre une formation de trois semaines voici une dizaine d’années au sein de cet institut. J’en garde un bon souvenir. J’en garde aussi le souvenir qu’il faut un certain temps pour être formé.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. José prête serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Monsieur le directeur, je vous souhaite à mon tour la bienvenue. Au cours de ces longues et passionnantes semaines d’audition, la plupart des acteurs ont appelé notre attention sur l’enjeu de la formation des intervenants pour améliorer la prise en charge des enfants en situation de handicap : les enseignants, en formation initiale et continue, et les accompagnants – dont la précarité pose problème pour accéder aux formations –, ainsi que sur la nécessité de fluidifier l’expertise et la recherche.

Vous pouvez nous aider à consolider notre expertise. Votre institut revêt une dimension internationale – au moins européenne – et peut nous éclairer sur ce qui fonctionne bien ailleurs et pourrait être source d’inspiration.

M. José Puig. Madame la présidente, Messieurs et Mesdames les députés, je suis très honoré d’être entendu par vous sur ce sujet. Je vous ai transmis assez tardivement, et je vous prie de m’en excuser, une brève note. Je ne sais pas si vous avez eu le temps d’en prendre connaissance. Je vous propose de reprendre les quelques éléments contenus dans ce document en introduction à nos échanges.

La société se prépare à l’école. Si nous voulons une société inclusive, il faut que, dès l’école maternelle et tout au long de leur parcours, les jeunes soient entraînés à travailler, vivre, jouer et fraterniser avec des jeunes en situation de handicap dans le cadre de la préparation à leur vie adulte.

Certaines caractéristiques historiques de notre système scolaire, qui sont marquées par des formes d’élitisme et de sélectivité, donnent une place paradoxale dans le cadre des comparaisons internationales aux performances de notre système : il est parfois cité pour l’excellence de ses résultats, mais il figure parfois au bas du tableau pour le décrochage scolaire et les sorties en cours d’études. Les enfants en situation de handicap figurent parmi ceux qui sont le plus exposés à des parcours difficiles, interrompus prématurément ou discontinus.

L’effort qui cherche à rendre l’école inclusive suppose une volonté politique d’agir sur l’organisation du système dans le but d’identifier et de supprimer progressivement les entraves à la réussite pour tous les élèves qui, pour des raisons diverses, sont menacés d’échec, de sortie prématurée ou d’exclusion. À l’origine, l’INSHEA était spécifiquement dédié à la formation des enseignants travaillant dans des classes et des établissements spécialisés avec des enfants handicapés. Aujourd’hui, notre réflexion s’élargit à toutes les catégories d’enfants – d’ailleurs, la catégorisation des enfants est l’une des difficultés de notre système. L’école ne peut devenir inclusive si les efforts politiques se limitent à définir une action sectorielle d’intégration d’enfants handicapés fondée sur les définitions légales issues de la loi de février 2005.

Les évolutions induites par cette loi ont permis de grands progrès à l’école et dans l’enseignement supérieur. Avec le recul, on s’aperçoit que l’accent a été mis de façon excessive sur la compensation au détriment de l’accessibilité. Les environnements éducatifs sont peu accessibles. Le droit à compensation a créé une sorte d’inflation des moyens de compensation humains et techniques qui dispense les environnements, les établissements scolaires et le système de fournir cet effort d’adaptation. Comme l’a souligné une observatrice des Nations Unies, la culture de l’accessibilité universelle et des aménagements raisonnables a assez peu pénétré le système scolaire – comme l’entreprise et la société en général.

La formation est un enjeu essentiel. Jusqu’à présent, les enseignants n’étaient pas préparés à accueillir dans leur classe la diversité des élèves qui s’y trouvent aujourd’hui, ou ils considéraient qu’il s’agissait d’un accident, qu’ils n’avaient pas de chance, avec un enfant autiste ou sourd dans leur classe. Désormais, c’est la règle et nous voyons progressivement le nombre d’enfants en situation de handicap préférer le système ordinaire et obtenir satisfaction puisque la loi le permet.

L’INSHEA donne la priorité à la formation initiale ou continue des enseignants du premier et du second degré – trop longtemps, ces questions ont été l’apanage de l’école primaire et des enseignants du premier degré : ce n’est que depuis 2004 qu’existent des formations spécifiques s’adressant aux professeurs du second degré. La formation de ces enseignants reste très marquée par le découpage des disciplines. Le recrutement s’appuie sur leurs compétences dans les disciplines d’enseignement plutôt que sur leurs compétences pédagogiques. Force est de reconnaître que la formation qui leur est dispensée dans les ESPE ne suffit pas à contrebalancer cette prégnance de la culture disciplinaire.

Même bien formés, les enseignants ne peuvent à eux seuls transformer l’école. Il est indispensable que les autres acteurs professionnels de l’école comme les personnels d’encadrement, les chefs d’établissement, les directeurs d’école, les principaux de collège et les personnels d’inspection soient mobilisés sur cette question. Il faut que l’organisation même des établissements permette à ces enfants de trouver naturellement leur place sans être stigmatisés par des efforts spécifiques de compensation, lesquels sont individuels et disparaissent après eux sans modifier leur cadre de scolarisation.

La question de la formation, de la qualification, du statut et de la rémunération des AESH a fait l’objet de nombreux débats. Nous avons contribué à la formation et à la diffusion d’outils de formation destinés aux formateurs des AESH. Comme l’a montré le rapport des inspections générales, cette formule d’accompagnement a été en quelque sorte victime de son succès. Aujourd’hui, nous constatons que ces aides sont parfois contre-productives, souvent stigmatisantes et insuffisamment précises pour ne pas se retourner contre leur objectif.

Parfois, la présence d’un AESH individuel auprès d’un enfant fait obstacle à son autonomie au lieu de favoriser sa progression. Il y a urgence à évoluer en permettant aux AESH d’acquérir une qualification supérieure au niveau V qui est actuellement préconisé. Il faut également que ces accompagnants soient entraînés à travailler avec les enseignants. Des études réalisées par une équipe de l’Université de Nantes montrent qu’actuellement, les enseignants tendent à déléguer aux AESH la prise en compte des particularités de l’élève. En conséquence, la complémentarité et la combinaison des actions de l’un et l’autre pèchent et ne sont pas adaptées au but inclusif recherché.

La culture de l’éducation inclusive doit aller au-delà des professionnels de l’école et être partagée par tous les professionnels qui interviennent dans le parcours des enfants : les professionnels du secteur de la santé, de l’action sociale et du médico-social, ainsi que les agents territoriaux, en particulier à l’école maternelle, qui jouent un rôle de proximité dans la vie quotidienne des enfants à l’école. Grâce à la transversalité de cette culture, il convient que les activités périscolaires puissent être aussi inclusives que l’école dans une bonne continuité des accompagnements et de l’accessibilité des environnements.

La question du statut, de la rémunération, de la qualification et de la formation des AESH ne peut être contournée. Il faut absolument essayer de progresser dans ce domaine.

La recherche scientifique est indispensable. Nous balbutions, nous tâtonnons, nous savons mal intégrer les connaissances sur les troubles du neuro-développement. Nous éprouvons des difficultés à articuler les travaux des chercheurs de toutes les disciplines impliquées avec la formation des acteurs et des enseignants. C’est le cas de façon générale, mais dans le domaine de l’éducation inclusive, c’est un chantier prioritaire sur lequel nous avons commencé à développer un certain nombre de foyers de recherches, notamment participatives impliquant les associations, les familles et les personnes handicapées, ce qui est absolument indispensable.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il y a une problématique de moyens.

M. José Puig. En effet. À l’inverse de ce qui se passe dans le champ de l’industrie, les laboratoires qui travaillent dans le domaine des sciences humaines et sociales ne disposent pas de financements complémentaires aux dotations ministérielles – même si, grâce à des financements de la CNSA et du Défenseur des droits, nous avons pu développer un certain nombre de projets de recherche intéressants. Cependant, je confirme l’existence d’une problématique de moyens.

La transformation des pratiques grâce à la formation appuyée sur les acquis de la recherche ne peut en aucune façon suffire à transformer le système. Il est indispensable que la réflexion porte sur l’organisation du système scolaire dans son ensemble, de la maternelle à l’université. Je pense par exemple au foisonnement des textes qui organisent l’aménagement des examens des candidats handicapés. Nous sommes encombrés d’une réglementation multiple qui sature les services des rectorats et la Maison des examens pour un résultat qui n’est jamais jugé satisfaisant car les dispositions demeurent stigmatisantes et dérogatoires au droit commun. À l’heure où une réflexion est conduite sur un nouveau baccalauréat et de nouvelles modalités d’évaluation des élèves, il faudrait penser des examens inclusifs, des types d’épreuves et des modalités d’évaluation qui, par anticipation, évitent que certains élèves doivent avoir recours à des procédures dérogatoires pour voir leurs compétences évaluées au même titre et au même moment que les autres.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci beaucoup. Comment voyez-vous le rôle que pourrait jouer l’INSHEA dans une transformation rapide vers une école plus inclusive ? Peut-il contribuer en essaimant au sein des INSP qui vont arriver ? Par le biais de formations de formateurs ? En participant à l’élaboration du cahier des charges du référentiel de formation des enseignants en formation initiale ? Nous avons amendé le projet de loi pour une école de la confiance pour que les enseignants siuvent un module de formation plus approfondi sur la scolarisation des élèves en situation de handicap et sur l’école inclusive. Le ministre s’est engagé sur des formations continues prenant en compte ce sujet. Que pouvez-vous apporter pour que cette transformation s’opère plus rapidement ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Lorsque d’autres collègues – je pense à Christophe Bouillon – ont travaillé avant nous sur ce sujet, vous aviez émis des idées intéressantes sur une adaptation des effectifs dans les classes où sont accueillis des enfants en situation de handicap et une adaptation des dotations horaires globales (DHG) dans le secondaire. J’aimerais que vous nous apportiez des éclairages complémentaires.

J’entends les annonces du ministre et je pense qu’il faudrait mettre à l’actif de la commission d’enquête le fait que, chaque semaine, des déclarations nouvelles sont faites, ce qui est très positif pour les personnes intéressées.

Si l’on veut irriguer tous les territoires, le déploiement de la formation doit impliquer l’ensemble des acteurs concernés. Quels sont les dispositifs, les outils et les moyens nécessaires ?

Mme Cazarian. Merci, Monsieur le directeur, pour votre exposé. Vous avez souligné que la compensation a été privilégiée au détriment de l’accessibilité, ce qui peut constituer un facteur d’exclusion ou d’abandon pour les élèves. Quelles mesures devraient être mises en place dans les meilleurs délais pour rendre l’enseignement accessible à tous ?

Mme Géraldine Bannier. Vous avez évoqué l’organisation des enseignements secondaires autour des disciplines. Un enseignant n’a-t-il pas besoin de maîtriser parfaitement sa discipline pour bien l’adapter aux élèves ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas revoir notre « philosophie de l’excellence » qui conduit à ce que l’on tire certains élèves vers l’excellence et qu’on « accompagne » les autres ? Ne faut-il pas surmonter cette dichotomie, puisque tout élève doit être tiré vers le progrès sans forcément tout le système soit tiré vers l’excellence à tout crin ?

Mme Sabine Rubin. Vous parliez de supprimer les entraves à la réussite pour tous les élèves en incluant ceux qui sont menacés d’échec, de sortie prématurée ou d’exclusion pour toute autre raison que la situation de handicap. Quelles sont ces entraves ? Que faudrait-il faire en termes d’organisation, de moyens, d’effectifs et de politique pédagogiques ?

Mme Cécile Rilhac. Vous indiquiez que la compensation pouvait, avec l’inflation des moyens, dispenser le système de faire des efforts d’adaptation. L’expérimentation des PIAL tente une nouvelle manière de concevoir l’école inclusive en donnant les moyens supplémentaires, en termes d’organisation, en faisant entrer davantage le médico-social dans l’école. J’aurais aimé avoir votre opinion sur ce dispositif.

M. José Puig. En Italie, l’effectif des classes est abaissé lorsqu’elles accueillent des enfants porteurs de handicaps relativement sévères. Ces pratiques, qui existent dans certains pays, ont fait leurs preuves, mais ont toujours été mal perçues par le système français au nom du principe d’égalité. Toutefois, on a récemment touché au tabou des effectifs, notamment pour les cours préparatoires dans les zones d’éducation prioritaire, où les seuils de fermeture et d’ouverture de classes ont été abaissés. Il est clair que l’enseignant est plus disponible pour chaque élève lorsque l’effectif est moindre. Celui qui a besoin de davantage d’attention a plus de chance de l’obtenir lorsque l’enseignant n’est pas accaparé par un trop grand nombre d’élèves. La difficulté du métier d’enseignant est de faire simultanément du collectif et du singulier. Il faut entraîner les enfants à vivre ensemble et leur donner l’expérience de la collaboration et de l’apprentissage en commun, tout en étant attentif aux difficultés de chacun. Il faut différencier son intervention pour que ceux qui ont besoin d’un peu plus d’aide et d’attention puissent trouver satisfaction dans cet enseignement.

En effet, l’effectif des classes mérite d’être reconsidéré. Toutefois, cette logique a ses limites : si l’on continue à voir s’accroître le nombre d’enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire, toutes les classes seront concernées. La bonne mesure – coûteuse, mais qui relève d’une logique d’accessibilité plutôt que de compensation – consiste à réfléchir sur les effectifs non pas des classes, mais des groupes d’élèves selon les activités.

Nous vivons dans un système hérité des XVIIIe et XIXe siècles fondé sur une trilogie formée d’un enseignant et sa classe dans une seule salle pendant toute la journée. Des expériences conduites dans d’autres pays montrent que l’on peut faire varier les modalités de groupement des élèves au cours de la journée. La classe peut compter davantage d’élèves par moments parce que l’activité n’appelle aucune individualisation – par exemple, la qualité du message ne sera pas modifiée si cent élèves regardent simultanément un document audiovisuel. Les économies réalisées en groupant des effectifs relativement élevés permettent des regroupements d’élèves différenciés à d’autres moments, avec des élèves en difficulté en tout petit nombre, voire des prises en charge individuelles – même si ce n’est probablement pas la formule qui mérite le plus d’être développée –, et des activités avec des élèves plus autonomes.

En corollaire, plusieurs enseignants peuvent intervenir auprès des mêmes élèves, avec des compétences différentes. Cette évolution a cours dans le cadre des réseaux d’aide aux élèves en difficulté (RASED)…

M. Sébastien Jumel, rapporteur. … Quand il en reste…

M. José Puig. … En effet.

… notamment avec les maîtres E à l’école primaire. Je citerai également les logiques de co-interventions réglées où, pendant que l’enseignant continue à diriger son activité pour l’ensemble de la classe, un enseignant spécialisé ou non peut intervenir auprès de certains élèves avec des explications complémentaires, des exercices différenciés leur permettant d’entrer dans l’apprentissage collectif avec des moyens à leur portée.

Ces expériences avaient commencé à être déployées dans le dispositif « Plus de maîtres que de classes » – qui a été interrompu. Celui-ci ne reposait pas sur la combinaison d’un enseignant généraliste et d’un enseignant spécialisé – d’ailleurs, je n’utilise plus ces expressions : j’évoque un enseignant spécialiste de l’enseignement collectif et un enseignant spécialiste de l’aide individuelle. Ces expériences ont montré que l’affectation d’un enseignant supplémentaire dans une classe produit un effet d’abaissement des effectifs et permet aux enseignants d’imaginer des dispositifs d’intervention combinée, créatifs et très productifs pour les élèves.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Faites-vous allusion aux dispositifs de classes flexibles utilisées au Canada ?

M. José Puig. Absolument.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. J’ai visité une école qui, avec des effectifs très importants, arrive à accueillir des élèves en situation de handicap et à répondre à toutes les différences. Ils sont presque à 30 élèves par classe en moyenne.

M. José Puig. Un petit échantillon de ces pratiques peut être observé dans les établissements où des ULIS fonctionnent très bien. Les ULIS sont des dispositifs qui ne doivent pas être des classes fermées et qui permettent aux enfants d’être répartis dans des classes ordinaires avec l’aide de l’enseignant spécialisé. Pour certaines activités, ces élèves participent à une classe de CE2 ; pour d’autres, ils intègrent un CP. L’inconvénient est qu’ils sont actuellement les seuls à participer à ce système décroché, ce qui les rend un peu « apatrides » dans l’école car ils ne sont pas, au même titre que les autres, citoyens d’une classe.

Si nous nous orientions vers la logique québécoise, nous aurions un système certes complexe, mais dont la complexité serait très fertile en matière de prise en charge des besoins particuliers et d’accompagnement de ces élèves.

Je ne critique pas l’existence du droit à compensation qui est un grand progrès instauré par la loi de 2005. Il n’a pas son pendant puisque l’accessibilité n’est pas obligatoire au même titre, ni un droit opposable par les familles. Une famille qui s’inquiète de ce que représente la scolarisation de son enfant handicapé en milieu ordinaire cherchera à obtenir un maximum de moyens de compensation car la loi le lui permet. Nous avons vu les recours contentieux se multiplier pour obtenir des accompagnements individualisés, même lorsque l’on n’est pas absolument certain que ceux-ci seront véritablement profitables à l’élève au long cours.

Les parents ne pouvant obtenir la certitude que l’environnement de la classe sera accessible au sens large du terme, ils se rabattent sur la compensation. Ce que je critique est le déséquilibre entre la logique de la compensation et la logique de l’accessibilité. Par ailleurs, faire un effort de compensation – qui peut être utile pour un élève parce qu’il a besoin de disposer de documents en gros caractères – ne change rien à la façon d’enseigner. Si l’on persuade l’enseignant de fournir un effort d’accessibilité dans la présentation des documents destinés à tous ses élèves, il utilisera une police plus lisible et respectera un certain nombre de consignes dont on sait qu’elles facilitent l’appropriation du contenu par des enfants souffrant de troubles spécifiques du langage. Les efforts d’accessibilité sont collectifs et durables. Les efforts de compensation sont momentanés et individuels. Je ne dis pas qu’il faut revenir en arrière sur la compensation, mais il ne faut pas que celle-ci compense le défaut d’accessibilité.

Cela renvoie fort logiquement à la thématique de la formation des enseignants. Aujourd’hui, par exemple, en toute bonne foi, des enseignants ignorent que certains PDF ne sont pas lisibles par une machine braille car il faut respecter un certain nombre de règles – très simples – lors de la conversion du document afin qu’il puisse être lu par les outils numériques de compensation. Si le document n’est pas accessible, il faut le ressaisir, ce qui génère des difficultés qui sont un peu décourageantes. L’accessibilité pédagogique est sous-développée dans la formation des enseignants ; elle l’est aussi chez les éditeurs de manuels scolaires, qui produisent des documents séduisants sur le plan du marketing, contenant de nombreuses illustrations, des couleurs et un grande variété de polices de caractères, mais qui sont très difficiles à exploiter pour un très grand nombre d’élèves. De ce fait, l’évaluation des enfants porte parfois plus sur leur capacité à s’approprier le contenu des supports fournis que sur les compétences mesurées par les exercices proposés.

Je ne pense pas qu’il faille renoncer à l’excellence disciplinaire des professeurs que nous recrutons pour enseigner au lycée, au collège et à l’école primaire. Néanmoins, la connaissance d’une discipline n’arme pas les enseignants pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent dans une classe hétérogène, dans un quartier défavorisé, dans un établissement où sont scolarisés des enfants présentant des problèmes dys ou des troubles du comportement ou de l’autisme.

Cela nous ramène aux réflexions sur le référentiel des enseignants, qui est un élément du projet de loi pour l’école de la confiance. J’ai participé aux travaux du CNCPH qui ont abouti à des propositions sur la formation de tous les enseignants. Il ne s’agit pas d’ajouter une discipline « inclusion scolaire » : cela conduirait à un empilement qui saturerait l’espace limité de la formation. Il faut faire effort dans la didactique des disciplines pour anticiper les difficultés rencontrées par certains élèves dans le cadre de la résolution d’un problème de mathématiques ou lorsqu’ils ont à acquérir des connaissances en histoire, en géographie ou en littérature, etc.

Cela existe déjà : la formation repose sur la mobilisation de compétences didactiques et pédagogiques ; elles sont peut-être insuffisamment nourries par ce que nous savons aujourd’hui sur le développement de l’enfant et les troubles de l’attention. La semaine dernière, s’est tenu un colloque organisé par l’inspection générale et la DGESCO sur les troubles déficitaires de l’attention : les problématiques correspondantes concernent de nombreux élèves du secondaire et laissent les enseignants désemparés alors que nous savons que certaines précautions permettent de limiter ces entraves et ces difficultés.

S’agissant de la dichotomie entre l’excellence et la réussite de tous les élèves, on peut s’en sortir avec des effets de rhétorique  en disant que l’on souhaite l’excellence pour tous les élèves, mais on sait que cela ne fonctionne pas. L’excellence à la française est sélective et repose sur un système issu du lycée napoléonien où l’enseignement secondaire est historiquement structuré par le découpage des disciplines de l’enseignement supérieur et un repérage de l’excellence des mathématiciens, des linguistes, etc. Des pays qui ont fait d’autres choix dans l’organisation du système secondaire produisent de nombreux prix Nobel de physique, de médecine et de littérature. Il y a matière à remettre en question un système qui repose sur des bases généreuses, puisque issues des idéaux de la Révolution française visant à utiliser le mérite scolaire comme moyen de distinction plutôt que la naissance. Beaucoup de sociologues ont démontré que ce principe ne fonctionne pas en termes d’égalité des chances. Un rapport du CNESCO de 2016 a même montré que l’école renforce involontairement les inégalités sociales des élèves.

Nous avons une problématique très idéologique, mais qui peut se résoudre de manière pragmatique en conduisant une réflexion sur le système scolaire. La France est le seul pays au monde où l’on progresse dans les classes à l’envers, soit de la 6e à la Première. Dans tous les autres pays, les élèves progressent en franchissent les étapes une à une et un élève qui s’arrête à l’étape 5 a déjà franchi 5 marches ; un élève français qui quitte le système en 3e connaît exactement le nombre de classes qu’il lui manque par rapport au parcours idéal. Nous sommes dans une référence à l’excellence idéale qui s’est transformée en norme pour tous les élèves et qui devient un facteur d’exclusion et de discrimination marqué par leur origine sociale.

Je fais une petite parenthèse : les efforts fournis pour créer des classes de la diversité, pour que les élèves de banlieue accèdent à Sciences Po, etc. sont louables, mais cette logique du culte de la différence mérite d’être elle aussi interrogée car la réussite d’un élève originaire de banlieue que tout prédestinait à se diriger vers un lycée professionnel et qui intègre une grande école camoufle le fait que la plupart des élèves se trouvant dans la même situation ne parviennent pas à sortir de ce que leur destin scolaire avait imaginé pour eux.

Je ne porte pas de critique. Le système a tâtonné, hésité, mais nous n’avons désormais plus l’excuse de ne pas savoir comment s’opèrent ces mécanismes de disqualification et d’exclusion au sein du système. Il est de la responsabilité des décideurs politiques de prendre progressivement des mesures qui auront des répercussions sur l’ensemble du système scolaire. Peut-être considérerez-vous que je sors du sujet.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Non, mais quel est votre rôle ?

M. José Puig. L’INSHEA ne peut pas former tous les enseignants, les AESH et les ATSEM de France, et c’est tant mieux !

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Les données communiquées par le ministère de l’Éducation nationale indiquent que le nombre d’enseignants bénéficiant d’une formation spécialisée chaque année a reculé de manière linéaire et substantielle depuis 2004, passant de 2 482 CAPA-SH en 2004-2005 à 1 397 en 2018-2019. Comment expliquez-vous cette contre-performance ?

M. José Puig. Une réforme des enseignants spécialisés a résulté de la mise en place du Cappei en 2017. Le CAPA-SH est une formation courte – et non une certification – pour les enseignants du second degré, créée en 2004. Il est incontestable que le Cappei a été préjudiciable aux enseignants du second degré pour l’accès à ces formations d’enseignement spécialisé. Le ministère en est conscient – nous avons alerté la DGESCO. L’accès aux formations Cappei suppose que les personnes soient affectées sur un emploi spécialisé, ce qui n’existe pas dans le second degré. Dans les ULIS des collèges et des lycées, on a ainsi tendance à nommer des enseignants du premier degré, ce qui n’est pas une bonne chose car cela entretient l’idée que ces sujets sont ceux des instituteurs et que les professeurs agrégés et certifiés n’ont pas à s’en préoccuper.

En résumé, le recul apparent de l’accès à ces formations concerne essentiellement les enseignants du second degré et la question préoccupe la DGESCO.

La question centrale ne porte pas sur la formation des enseignants spécialisés, même s’il faudrait faire un effort considérable pour former davantage d’enseignants référents qui ont un rôle prépondérant dans le système : l’année dernière, le rapport de M. Adrien Taquet demandait que l’on limite à 100 le nombre de dossiers suivis par un enseignant référent, contre 300 à 350 actuellement – la moyenne s’établit autour de 260.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. En Seine-Maritime, nous avons des pics à 300.

M. José Puig. En tout cas, il y en a trop. L’enseignant référent, qui est un ensemblier, un médiateur, un chef d’orchestre et une personne ressource au sens technique du terme – car il est le seul légitime à faire le lien entre l’école, la famille, la MDPH et les établissements et services médico-sociaux – ne peut sérieusement suivre simultanément 300 dossiers complexes.

Mme Cécile Rilhac. Vous parlez là des « référents AESH ». Ne serait-il pas intéressant d’avoir dans les établissements – notamment du secondaire – des référents pédagogiques. Nous avons des référents numériques, Culture ou prévention du décrochage scolaire, qui sont des enseignants avec une mission supplémentaire. Serait-il intéressant que ce type de poste soit créé, en plus des référents ?

M. José Puig. Je répondrai de façon très ambiguë. Sur le principe, les enseignants ont incontestablement besoin d’une sorte de conseiller pédagogique pour avoir des avis car ils ne connaissent pas tout. Ils n’ont pas forcément une connaissance précise de la façon dont un enfant dyslexique rencontre des problèmes de lecture ou de comportement. Il a besoin de conseils dispensés par un collègue : la plateforme numérique qui est actuellement en cours de développement par le ministère est un outil intéressant, mais ne doit pas se substituer aux conseils de collègue à collègue qui peuvent être donnés localement.

Toutefois, notre système a tendance à faire proliférer les personnes ressources. Nous avons les enseignants référents, les éducateurs référents dans les SESSAD et les enseignants appartenant aux équipes d’évaluation des CDAPH. Trop de personnes ressources encombrent le paysage. La seule personne ressource légitime est celle dont la légitimité est reconnue par tous les partenaires dans un domaine particulier : c’est le cas des enseignants référents, ce le serait des conseillers pédagogiques que vous préconisez, mais par rapport aux enseignants.

La question des moyens se pose pour les enseignants spécialisés dans le cadre de l’accès aux formations coûteuses, car elles sont longues – elles doivent l’être. Une formation n’est pas simplement une prise d’informations, mais une transformation des pratiques professionnelles, ce qui suppose un temps pour que les enseignants expérimentés s’interrogent et commencent à aborder les choses différemment. C’est l’amorce d’un processus qui les rendra plus sensibles à certaines questions et aiguisera leur curiosité pour se perfectionner et acquérir des connaissances sur d’autres types de handicaps – c’est pour cela que les enseignants qui ont suivi une formation reviennent fréquemment dans notre Institut.

Pour l’heure, la question la plus difficile est l’accès à ces formations pour les enseignants non spécialisés. Dans le cadre des modules d’initiative nationale, c’est-à-dire les formations proposées annuellement dans un catalogue publié au Bulletin officiel, le ministère nous a demandé des sessions thématiques sur des sujets correspondant aux attentes. Nous constatons une forte attente sur les troubles du comportement et les troubles dys qui sont autant de sujets très présents dans les classes et mettent les enseignants en difficulté.

Ces formations ont été conçues en 2004 pour être des stages de sur-spécialisation à destination d’enseignants déjà spécialisés. Leur ouverture à des enseignants non spécialisés a été demandée et acceptée, mais leur accès est très difficile et très confidentiel. Cette année, nous avons ouvert un stage libellé « Troubles spécifiques de l’autisme pour des enseignants non spécialisés ». L’inclusion ne peut uniquement reposer sur les efforts des enseignants spécialisés. Il faut que beaucoup d’enseignants confrontés à cette réalité puissent être préparés, non pas à devenir des spécialistes de l’autisme, mais à bénéficier d’un stage raisonnable. En outre, en apprenant à comprendre l’autisme, ils apprennent beaucoup sur la compréhension des troubles spécifiques du langage et du comportement. Nous avons reçu des témoignages de rectorats où l’accès à ces stages n’a pas été accordé car il s’agissait de formations supposées être réservées aux enseignants spécialisés.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il y a un verrou à faire sauter.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Effectivement, ces stages sont confidentiels et ne concernent souvent qu’une personne par département en raison du coût. Ne pourrait-on pas imaginer que des spécialistes de l’INSHEA se déplacent dans les départements ou les académies pour y dispenser ces formations ? Cela serait moins onéreux et permettrait d’essaimer rapidement, y compris pour des formations qui durent au moins une semaine, ce qui me semble être le minimum pour bénéficier d’une sensibilisation réelle sur un sujet.

M. José Puig. Je suis entièrement d’accord avec vous, Madame la présidente. Nous tentons de le faire, mais notre ressource de formateurs est limitée : si nous en envoyons dans toutes les académies, nous n’en avons plus pour assurer les stages que nous organisons. Une réponse est la délocalisation de ces formations, une autre est la formation de formateurs. Nous avons entrepris – de façon encore très modérée, mais cette voie est prometteuse – des collaborations avec des équipes de formateurs d’ESPE, qui ne disposent pas localement de spécialistes de l’autisme ou de la dyslexie, avec lesquels nous pouvons concevoir une formation, l’accompagner afin que de telles formations puissent ensuite être proposées dans de nombreuses académies.

Cette piste suppose qu’un certain nombre d’obstacles administratifs soient résolus. La question du financement des déplacements est triviale, mais fait partie des entraves. Les financements destinés à l’indemnisation des stagiaires lorsqu’ils sont hébergés à Paris diffèrent de ceux qui permettent d’indemniser les formateurs se déplaçant dans les académies. Je crois que le ministère ne refuse pas cette évolution.

Nous nous efforçons de développer des formations hybrides. Je ne suis pas favorable à ce que ces formations deviennent des formations à distance, bien que l’effet économique les rende séduisantes. Elles se caractérisent par les échanges sur les pratiques professionnelles, l’expression des difficultés et l’interaction, ce qui ne peut aisément s’opérer à distance. Un certain nombre de formations peuvent reposer sur un système hybride – on l’a expérimenté – avec des formation à distance et des périodes de regroupement pour échanger et élaborer collectivement.

Mme Géraldine Bannier. J’ai quinze ans d’expérience dans l’enseignement et je ne peux que réagir sur le temps des enseignants. Au cours de ces années, j’ai vécu une multiplication des réunions. Les formations étaient à prendre sur les journées où nous n’avions pas cours et requéraient une heure de déplacement. Parallèlement, en français, les copies demandent de plus en plus de temps de correction car le niveau ne s’est pas amélioré. Il existe un problème de temps pour l’enseignant.

M. José Puig. Je suis entièrement d’accord avec vous. Je ne crois pas que vous ayez pu comprendre dans mes propos que je fais porter la responsabilité du défaut de l’école aux enseignants. Il y a trente ans, les enseignants étaient réfractaires à la prise en charge de ces enfants. Cela n’existe plus aujourd’hui : ils les acceptent, essaient de bien faire et sont désemparés. On leur demande de plus en plus et ils rencontrent un problème de saturation.

J’évoquerai un dernier élément au regard de la formation. Nous n’avons que des « priorités » dans la formation des enseignants. J’ai participé à la mise en place de l’ESPE dans l’académie de Versailles. On voit les lobbies des disciplines faire le forcing pour obtenir davantage d’heures dans les formations, ce qui conduit à des emplois du temps gigantesques et à un manque de cohérence. Cette difficulté ne peut être résolue par l’accumulation. En revanche, la formation des enseignants a toujours fait l’impasse sur la bonne façon de communiquer avec les parents, de façon professionnelle et efficace, et de travailler ensemble sur la base de techniques de réunions et de coopération économiques en temps et productives. Les enseignants soulignent le nombre de réunions inutiles par manque de préparation ou parce que les débats de la réunion précédente sont systématiquement repris à zéro. Il existe des techniques de réunion et de communication qui permettent des gains de temps.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci infiniment pour vos questions, Mesdames, et pour vos réponses très intéressantes, Monsieur.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’était passionnant.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Revenez quand vous voulez !

 

 


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3.   Audition de M. Saïd Acef, représentant le Collège des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), directeur délégué à l’autonomie à l’ARS Nouvelle-Aquitaine.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, nous achevons cette séquence d’auditions par celle de M. Saïd Acef, directeur délégué à l’autonomie à l’ARS Nouvelle-Aquitaine, qui représente le collège des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS). Je vous souhaite la bienvenue.

Les ARS jouant un rôle important dans la mise en œuvre de l’inclusion des élèves en situation de handicap, en particulier à travers les conventions de partenariat qu’elles peuvent conclure avec les rectorats, ainsi qu’à travers les projets régionaux de santé (PRS), nous souhaitions recueillir votre point de vue sur cette question.

Avant de vous donner la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Saïd Acef prête serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Bienvenue à vous. Notre commission d’enquête ne pouvait faire l’impasse sur l’expertise et la compétence des ARS. Ayant le plaisir de présider un conseil territorial de santé depuis de nombreuses années, je mesure à quel point il peut être utile de décliner à l’échelle d’un territoire, en fonction de l’évaluation des besoins de santé, des dispositifs mieux coordonnés dans une proximité renforcée.

Nous souhaitons en savoir un peu plus sur la mise en place et l’évaluation du décret d’avril 2009 relatif à la scolarisation des enfants, des adolescents et des jeunes adultes handicapés, ainsi que sur les mutations envisagées pour les instituts spécialisés, que l’on appelle à une révolution dans le domaine de la transition inclusive. Nous avons auditionné les instituts nationaux de jeunes sourds et de jeunes aveugles, qui nous ont fait part de leur inquiétude sur l’avenir et de l’importance de préserver leurs missions.

M. Saïd Acef. Merci Madame la présidente, Monsieur le rapporteur. Je me prêterai au jeu des questions-réponses. Si vous en êtes d’accord, je vous enverrai des éléments complémentaires au nom de l’ensemble des agences régionales de santé.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Bien sûr. Nous souhaitons que vous vous exprimiez tout d’abord dans le cadre d’un court exposé, puis nous passerons aux questions-réponses.

M. Saïd Acef. En premier lieu, je vous adresse les remerciements de toutes les agences régionales de santé pour nous avoir conviés devient cette commission d’enquête parlementaire. Je vous prie d’excuser l’absence des directeurs généraux d’ARS, lesquels m’ont chargé de les représenter. J’ai fait préalablement un « tour de piste » des ARS pour essayer d’avoir un écho. Il ne s’agit pas d’un inventaire exhaustif, mais je tenterai de vous apporter en toute transparence les éléments de progrès, les points de blocage, les difficultés, les enjeux et défis qu’il nous reste à relever pour rendre cette école encore plus inclusive et faire en sorte que les compétences médico-sociales contribuent à de meilleurs parcours de scolarisation des élèves en situation de handicap.

Je suis directeur délégué à l’autonomie à l’ARS Nouvelle-Aquitaine, donc chargé des politiques dites médico-sociales : grand âge et perte d’autonomie liée au handicap. Les ARS ont à leur main un certain nombre de leviers et de moyens. Vous citiez le cadre du conventionnement entre les ARS et les rectorats, ainsi que le projet régional de santé (PRS), qui couvre 10 ans ; il y a aussi sa déclinaison opérationnelle, le schéma régional de santé (SRS), lequel couvre cinq ans. Les SRS, qui ont été arrêtés l’année dernière par les directeurs généraux d’ARS, présentent quelques nouveautés sur les réponses à apporter aux situations de handicap, y compris la transition inclusive.

Les principaux leviers d’une agence régionale de santé dans le cadre des politiques médico-sociales sont le pilotage et la régulation de l’offre, soit l’autorisation des établissements et services, leur contrôle et la planification sur les territoires des prestations médico-sociales au plus près des besoins des personnes et des familles – avec l’objectif de réduire les inégalités et des inéquités historiques – et l’efficience des prestations mises en œuvre par les établissements et services médico-sociaux.

Un levier très spécifique, celui de la contractualisation, prend toute son importance dans le cadre de la transition inclusive avec les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), d’une durée de cinq ans. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a prévu leur généralisation à l’ensemble du champ médico-social, à quelques exceptions près. Les CPOM doivent être signés par 100 % des gestionnaires d’ici à 2021. Pour la première fois, nous voyons s’y inscrire des objectifs quantifiés et qualitatifs de l’offre médico-sociale, ce que nous connaissons depuis plusieurs années dans le champ sanitaire.

L’un des objectifs consiste à transformer l’offre médico-sociale de façon que, pour les enfants comme pour les adultes, 50 % des prestations offertes le soient par des services. C’est un élément de complexité de la transition inclusive vue sous l’angle de la contribution du secteur médico-social à l’inclusion scolaire. En Nouvelle-Aquitaine, 70 % des places installées dans le secteur médico-social le sont en établissement (semi-internat, accueil de jour, internat séquentiel ou complet) et 30 % le sont en services – les SESSAD.

L’objectif fixé par Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État placée auprès du Premier Ministre chargée des personnes handicapées, est d’atteindre à échéance des SRS et donc des CPOM, soit d’ici à 2022, le seuil de 50 % de ces prestations en services, avec une priorité forte donnée aux compétences médico-sociales « sortant des murs » c’est-à-dire se transportant au domicile des familles pour accompagner les enfants et dans les lieux de socialisation de droit commun, dont, en premier lieu, l’école.

Un autre objectif quantifié des CPOM – qui, de ce fait, génère des difficultés et pose des enjeux de politiques croisées entre les ARS et les rectorats – porte sur le nombre d’élèves en situation de handicap accompagnés par un établissement ou un service médico-social devant bénéficier d’une solution de scolarisation en milieu ordinaire. La cible est ainsi fixée : en 2020, 50 % des enfants bénéficiant actuellement d’un accompagnement médico-social devront bénéficier d’une telle inclusion ; en 2022, ce sera 80 %.

Nous sommes à la croisée des chemins – lors des débats relatifs à la création de la commission d’enquête, vous évoquiez, Madame la présidente, le fait que nous étions au milieu du gué. Du point de vue des ARS, nous sommes dans une équation à quatre dimensions relativement connues, qu’il faudra gérer dans une temporalité qui ne mette pas en risque et en fragilité le parcours des élèves et des familles. Il y a un vrai risque à cet égard, pour ce processus de transition inclusive qui s’accélère.

L’une des dimensions est « l’alignement des planètes » entre les politiques mises en œuvre par l’Éducation nationale et celles des ARS – les conventions cadres sont quasiment toutes signées entre les ARS et les rectorats – avec des enjeux concrets de mise en œuvre, au niveau des territoires académiques et de l’infra-départemental, et de cohérence entre l’offre scolaire et une offre médico-sociale venant en appui de l’inclusion scolaire.

La mise en œuvre des PIAL pose de façon cruciale la question de l’alignement de l’offre et des compétences médico-sociales avec les cartes scolaires et la localisation des enfants en situation de handicap devant bénéficier d’une inclusion ordinaire accompagnée, individuelle ou collective. Les PIAL interrogent la façon dont le secteur médico-social appuie, renforce et facilite les actions d’accompagnement par les AESH et AVS.

Le deuxième enjeu a été largement évoqué par tous les experts, les associations, les autorités indépendantes et les services de l’État que vous avez auditionnés. Il s’agit de l’équilibre entre l’accompagnement individualisé – la compensation individuelle – et l’accessibilité. Il faut identifier la façon de conjuguer un accompagnement individualisé, nécessaire pour un certain nombre d’enfants, et l’accessibilité : au savoir pédagogique, aux services médico-sociaux d’un point de vue territorial, mais également physique. Les enjeux d’accessibilité convoquent la responsabilité des agences régionales de santé dans la mise à disposition des moyens médico-sociaux au service de l’école.

La troisième dimension touche à la meilleure prise en compte de l’expertise des familles dans la construction des réponses et la valorisation de leurs droits. À cet égard, le droit des personnes et le principe d’autodétermination sont le socle des choix de vie des enfants, notamment pour l’expression du projet de vie dans les dossiers déposés en MDPH ; or au-delà même du droit – de son principe et son effectivité –, certaines familles rencontrent des difficultés à construire leur parole et à faire valoir leurs droits, ce qui nécessite une assistance à maîtrise d’ouvrage. Il revient au secteur médico-social d’aider ces familles qui, dans le champ scolaire ou dans d’autres domaines de la vie, connaissent leurs droits mais ne sont pas forcément en capacité de les défendre.

Enfin, la transition inclusive dans le domaine de la scolarisation ne doit laisser personne au bord du chemin. Il nous faut parvenir à construire des solutions combinant de l’inclusion individuelle accompagnée et des dispositifs collectifs – ULIS, UEE, etc.  – que l’on puisse combiner utilement. S’agissant d’élèves en situation de polyhandicap dont on sait que l’accès aux apprentissages pose des questions d’adaptation pédagogiques, mais aussi de dispositifs collectifs de scolarisation, le nombre d’unités d’enseignement en institut médicalisé éducatif (IME) ou en école ordinaire demeure faible. Je n’en connais pas le nombre total, mais en Nouvelle-Aquitaine, nous en avons deux.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Le gouvernement n’en connaît pas non plus le nombre.

M. Saïd Acef. Les quatre dimensions sont donc bien cernées à ce stade.

Nous rencontrons des difficultés dans la transformation de l’offre médico-sociale – je n’oublie pas votre question sur les INJ « S » ou « A » – instituts nationaux de jeunes sourds ou de jeunes aveugles –, qui fait suite à des rapports récents et à une évolution de la politique publique touchant à leur positionnement dans l’offre médico-sociale régionale, le statut de leur personnel et les modalités de leur régulation, nationale ou régionale. Même si le nombre d’élèves augmente, des questions demeurent sur la qualité de l’inclusion : qu’en est-il de la durée des parcours d’inclusion ? Ces parcours sont-ils facteur d’apprentissage ? Servent-ils un projet de vie pour les jeunes adultes sortant de l’obligation scolaire qui leur donne toutes les chances d’avoir le parcours le plus autonome en restant accompagnés ?

Des difficultés résultent également de contraintes architecturales lorsqu’il faut installer de nouveaux dispositifs de scolarisation en milieu ordinaire. Il en existe aussi au regard du financement des transports. Sans remettre en cause les conséquences de la loi NOTRe sur la responsabilité des autorités organisatrices de transport (AOT), un certain nombre de conseils départementaux nous alertent sur le fait ce qu’ils sont responsables du trajet entre le domicile et l’école ordinaire dans le cadre d’une scolarisation individuelle, sur la base du règlement d’aide sociale qu’ils édictent, et que la transformation de places d’IME en places de SESSAD ainsi que l’augmentation – légitime – du nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés génèrent des tensions sur l’organisation des transport et sur la prise en charge des frais qui vient en compensation des dépenses supportées par les familles.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous nous dites que lorsque l’enfant est scolarisé à l’intérieur du service médico-social, par exemple en IME, le transport est financé par l’IME. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’un SESSAD ou d’une unité externalisée ?

M. Saïd Acef. Pour le trajet entre le domicile et l’école ordinaire, dès lors que la modalité de scolarisation est individuelle – que l’enfant soit en inclusion avec une AESH et l’intervention d’un SESSAD, ou dans un dispositif de type ULIS, qui relève en propre de l’Éducation nationale –, sous réserve des critères de dérogation à la carte scolaire, la dépense que la famille aurait à engager est compensable par le département, sur dossier.

Pour le trajet entre le domicile et un établissement médico-social, la dotation globale de l’établissement, financée par l’assurance-maladie, prend en charge les frais de transport.

Pour le trajet entre le domicile et une unité d’enseignement – quand bien même elle est localisée dans une école ordinaire –, la charge financière du transport relève de l’établissement gestionnaire de cette unité.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Cela pose un problème financier à l’établissement quand les trajets se multiplient.

M. Saïd Acef. C’est pour l’établissement un enjeu de régulation de l’organisation des transports, et cela pèse sur la somme globale dont il dispose pour l’accompagnement de l’enfant. En Nouvelle-Aquitaine, nous constatons que la transformation des places d’IME en SESSAD et la multiplication des trajets domicile-école génèrent une augmentation de la dépense, non objectivée au niveau de l’ARS. Nous avons des interpellations politiques en ce sens de la part des conseils départementaux.

Il me semble que vous avez auditionné l’ADF…

M. Sébastien Jumel, rapporteur. En effet, mais ils n’ont pas évoqué ce sujet.

M. Saïd Acef. Le deuxième enjeu financier porte sur la « gestion transitoire de la transition inclusive » – je m’excuse pour cet effet de style. Il faut appuyer le changement pour les équipes médico-sociales, et accompagner les familles et les élèves pour éviter de fragiliser davantage leur parcours de vie et de scolarisation.

Par exemple, dans le cadre du CPOM que nous signons avec le gestionnaire de l’IME, nous disons que les places d’IME doivent être transformées à échéance de cinq ans, ce qui conduira à faire sortir des personnels d’accompagnement de l’établissement vers le milieu ordinaire, qui passeront en SESSAD. Un certain nombre des enfants accompagnés par l’IME pourront bénéficier de cette transition et de l’inclusion scolaire correspondante, en accord avec les familles. Pour d’autres, parce ce que leurs familles ont un vécu compliqué des parcours de scolarisation et qu’elles considèrent qu’un établissement est un cadre protecteur, grâce à l’équipe médico-sociale et à la scolarisation interne, il existe un risque de fragilisation.

Par ailleurs, si l’on propose à un enfant accueilli en établissement sur la base d’une durée spécifiée, une scolarisation accompagnée par un SESSAD, on doit lui garantir à la fois une qualité d’accompagnement et un temps de scolarisation et d’accompagnement médico-social au moins équivalents à ceux dont il bénéficiait au sein de l’établissement. On voit donc émerger des enjeux touchant à la qualification de la quotité horaire de scolarisation et à son suivi, objectif doit être partagé entre l’ARS et le rectorat au-delà du nombre d’élèves et des modalités de scolarisation. Dans l’indicateur relatif à la proportion des enfants accompagnés par un dispositif médico-social qui devront bénéficier d’une inclusion scolaire (qui a pour cible 50 % en 2020 et 80 % en 2022), figure l’objectif de mesure cette quotité, porté par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).

En résumé, d’une part, la phase transitoire de la transition inclusive doit éviter de fragiliser les parcours et, d’autre part, le basculement de l’offre des établissements vers les services sera acté d’ici à cinq ans dans la totalité des CPOM mais verra ses effets concrets apparaître dans un délai plus long que ces cinq ans.

Nous devrons probablement inventer des mécanismes financiers non pérennes – une sorte de « fonds d’investissement de transition – pour sécuriser cette transition du point de vue des personnels, des enfants, des établissements et des équipes qui sont confrontés à des transformations profondes.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Le sujet étant très large, nous comprenons parfaitement l’étendue de votre exposé.

Nous avons été interpellés par des parents dont les enfants sont affectés de troubles dys sur le fait qu’il ne peut être recouru au forfait d’intervention précoce au-delà de l’âge de six ans. Cette limite devrait être levée pour les troubles dys puisqu’ils sont souvent détectés après.

J’aimerais avoir votre point de vue sur la mise en place des réseaux autisme départementaux, sur leur déploiement et sur la façon dont les ARS les accompagnent.

Je m’interroge sur les équipes pluriprofessionnelles des SESSAD : sont-elles au complet ? Par ailleurs, j’ai observé que le SESSAD se limite parfois à un accompagnement d’une ou deux heures hebdomadaires. Pensez-vous que cela suffit ?

Quel rôle les équipes médico-sociales peuvent-elles jouer dans la formation des équipes enseignantes et des AESH ? L’ARS est-elle disposée à financer ce genre de formation ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Vous évoquiez la violence que peut représenter pour les parents le fait d’être invités de manière volontariste – pour ne pas dire plus – à envisager que le cheminement de leur enfant conduise à les sortir d’un établissement pour aller en milieu ordinaire, notamment pour les parents d’enfants ayant rencontré des échecs en milieu ordinaire. Nous sommes en commission d’enquête. Vous avez la liberté complète de parole. La question du libre choix des parents doit attirer notre attention.

De nombreuse personnes auditionnées, notamment la Fédération des orthophonistes, ont souhaité que l’école s’ouvre à l’intervention des professions libérales dans le temps scolaire, notamment pour éviter que les familles, après la journée d’école, ne doivent consacrer encore du temps à la dispensation des soins –elles ont souvent des agendas de ministre –, ce qui est discriminant. Quel est votre point de vue ?

Hier, j’ai visité une École de la Deuxième Chance à Caen. Les enfants avaient des parcours différents, mais tous avaient décroché de l’école. J’ai pris le temps de les faire parler et j’ai été surpris par le nombre de ceux qui m’ont dit qu’un problème de santé grave a conduit à leur déscolarisation, car la scolarisation à l’hôpital n’était pas au rendez-vous. Or l’ARS a la tutelle des établissements de santé.

J’ai une expérience locale. Je me réjouis que le dialogue entre les ARS et les rectorats se formalise dans des conventions cadres. Toutefois, le service de médecine scolaire et les moyens mis à disposition des rectorats sont insuffisants. Qu’en pensez-vous ?

Mme Blandine Brocard. J’aime beaucoup quand vous parlez de période transitoire de cette transition inclusive. Je citerai un cas concret existant dans ma circonscription. Un papa a créé de toutes pièces un collège, au départ pour sa fille qui devait entrer en 6e et qui présentait un certain nombre de handicaps, mais ouvert à d’autres familles qui y trouvent ce qu’elles ne trouvaient pas ailleurs. Selon les dires des parents, ces enfants disparaissaient des écrans radars de l’Éducation nationale.

La semaine dernière, j’ai eu l’occasion d’interroger M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, et j’ai découvert que, dans le processus de mise sous contrat de ces établissements d’enseignement privé, l’ARS avait un rôle important. En effet, pour ce qui concerne l’Éducation nationale, il doit s’écouler un délai de cinq ans avant toute mise sous contrat. Or l’article R. 442-75 du code de l’éducation prévoit une possibilité pour l’ARS de conventionner ce type d’établissement dans un délai d’un an, ce qui est peu connu. Je n’invente rien : l’information provient directement du cabinet de M. Blanquer. Vraisemblablement, la rectrice n’était pas informée : si elle l’avait été, elle aurait utilisé cette possibilité, car elle souhaite accélérer la mise sous contrat du collège dont je parlais à l’instant.

Pratiquez-vous cette mise sous contrat accélérée ? Sur un cas précis comme celui-ci, seriez-vous à même d’avancer avec les rectorats ?

Mme Géraldine Bannier. Je m’interroge régulièrement sur les différences entre les territoires au regard de l’offre médicale et médico-sociale. Comment les ARS procèdent-elles pour corriger au mieux ces problèmes de densité médicale ?

N’y aurait-il pas des soucis dans la communication aux services de l’État des informations relatives aux investissements, au déploiement des moyens par territoire ?

M. Saïd Acef. En évoquant les investissements, me demandez-vous si les services et les opérateurs de l’État ont connaissance de la dépense publique globale sur le sujet qui nous intéresse ?

Mme Géraldine Bannier. Il y aurait un problème d’accès.

M. Saïd Acef. Est-il question de la réalité de l’effort de la Nation ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. L’État ignore ce que font ses différentes composantes.

M. Saïd Acef. Je suis d’accord. Il vous a été dit que les services et opérateurs de l’État n’ont pas connaissance de l’effort de la Nation en matière d’investissements liés aux réponses aux besoins des personnes en situation de handicap. Votre question est-elle posée sous cet angle ?

Madame la présidente, lorsque vous mentionnez les réseaux autisme départementaux et la, évoquez-vous la question des diagnostics de proximité en lien avec les centres ressources autisme, ou plutôt les systèmes de coopération ?

Mme Jacqueline Dubois. J’évoque les systèmes de coopération.

M. Saïd Acef. D’accord. S’agissant des plateformes de coordination et d’orientation, le point positif est une véritable avancée vers la solvabilisation d’interventions libérales qui, jusqu’alors, n’étaient pas connues par l’assurance-maladie : pourront désormais être prises en charge les interventions de psychomotriciens, d’ergothérapeutes et de psychologues, dans un cadre juridique que vous a exposé la délégation interministérielle à l’autisme.

La deuxième avancée – qui n’est pas simple à mettre en œuvre – est l’élargissement à l’ensemble des troubles du neuro-développement (TND) de ce qui existait auparavant dans le champ déjà très hétérogène des troubles du spectre de l’autisme (TSA). Il y a un fort enjeu de santé publique, notamment chez les enfants de 0 à 6 ans, mais comme les associations, notamment la FFDYS, l’ont évoqué, les enfants qui présentent des risques ou des troubles dys avérés posent un problème particulier. Parmi les recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé (HAS) dans les différentes catégories de handicaps relevant par les TND, celle qui porte sur le diagnostic et les interventions sur les troubles dys évoque une première procédure de diagnostic autour de 7 ans, compte tenu de la corrélation entre la reconnaissance d’un trouble dys et les apprentissages.

Les plateformes de coordination nous permettent d’agir jusqu’à 6 ans révolus. Peut-être parviendrons-nous à ne pas passer à côté des enfants qui présentent un trouble dys – lesquels sont un angle mort historique de la politique publique sur le handicap. Les raisons en sont la diversité des troubles et des réponses en termes de compensations pédagogiques ou d’accompagnement médico-social, les diagnostics erronés et l’absence de diagnostic, etc.

Il conviendra de penser l’avancée que représente la prise en charge par l’assurance-maladie de prestations de libéraux qui sont hors nomenclature, comme devant être accompagnée par un module supplémentaire pour ces enfants et ces familles, permettant d’aller au-delà de six ans révolus, faute de quoi nous renforcerons l’inéquité.

Le deuxième enjeu lié à la mise en place des plateformes porte sur la façon dont les professionnels de santé et médico-sociaux, en lien avec les associations de familles, pourront mettre au point une approche transversale des TND sans jamais sacrifier à la spécificité des procédures de diagnostic et des interventions liées à chacun des troubles. Aujourd’hui, il n’existe pas de recommandation de la HAS sur les bonnes pratiques dans le champ large des troubles du neuro-développement – ce qui est normal car il s’agit d’un champ nouveau. Les ARS s’appuient donc sur des recommandations par type de handicap. Elles doivent pouvoir continuer à mettre en œuvre et à demander aux acteurs de santé et médico-sociaux de mettre en œuvre ces recommandations.

En Nouvelle-Aquitaine, nous avons prélabellisé cinq premières plateformes, trois en Gironde, une en Pyrénées-Atlantiques et une en Vienne. Nous avons lancé le deuxième appel à manifestation d’intérêt pour une deuxième vague de labellisation en juillet. Les dispositifs pour les quatre territoires restant à couvrir seront labellisés d’ici à la fin de 2019. L’ensemble des textes ont été pris : ceux qui fixent le montant que percevront les libéraux et ceux qui fixent les prestations et les actes. Pour les ergothérapeutes et les psychomotriciens, seront remboursées l’évaluation et l’intervention ; à ma connaissance, pour les psychologues libéraux, seule l’évaluation le sera. Telle est la complexité de mise en œuvre des plateformes de coordination.

Sur les réseaux départementaux autisme hors équipes de diagnostic du centre de ressources autisme, nous sommes loin d’avoir réussi à relever le défi de ces réseaux très structurés qui permettent à des enfants ou des adultes affectés par un TSA d’accéder à un guichet unique ou une plateforme de services les accompagnant sur l’accès aux droits et aux dispositifs utiles. Parmi les missions des centres autisme, figure le développement de ces réseaux de proximité. Toutefois, ils ne peuvent agir seuls. Je ne dis pas qu’il n’existe pas de démarches de coopération et d’intégration de pratiques entre les différents acteurs, mais nous avons ce défi supplémentaire. Celui-ci a d’ailleurs été mentionné dans le rapport de la Cour des Comptes contributif à l’évaluation du 3e Plan Autisme, lequel appelait à la mise en œuvre de ces réseaux territoriaux de coopération, avec la désignation de ce qui était appelé un opérateur de cohérence. Son rôle serait de gérer la complexité en lieu et place des familles, qui se trouvent confrontées à une offre qui, malgré les efforts de l’action publique et des ARS, reste largement améliorable.

Les difficultés de recrutement de certains professionnels, comme les orthophonistes, sont réelles et affectent les équipes pluridisciplinaires en SESSAD : l’exercice en libéral peut bien sûr être un choix, mais l’attractivité financière du secteur médico-social est insuffisante. Pour un orthophoniste, les propositions de salaire au sein des services médico-sociaux ne sont jamais à la hauteur de ce qu’elle peut tirer d’une activité en libéral, avec la prise en charge des actes par l’assurance-maladie, quel que soit le territoire. La même difficulté existe pour le recrutement à l’hôpital de certaines professions paramédicales.

Les leviers d’une ARS sur la démographie médicale sont ceux que lui offre la politique publique. Il existe des mesures d’incitation à l’installation individuelle ou d’exercice regroupé avec les équipes de soins primaires, le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Les collectivités locales sont aussi très impliquées pour favoriser ces installations, éviter les départs et trouver des remplacements. On en est là…

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Il n’y a pas de numerus clausus territorialisé.

M. Saïd Acef. Le reste du débat vous appartient en grande partie. Je ne le dis pas explicitement, mais vous voyez les enjeux avec le débat sur les contraintes à l’installation, les retours d’expérience et les analyses européennes, etc.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous ne referons pas le débat qui a eu lieu à l’Assemblée récemment.

M. Saïd Acef. Je peux seulement répondre que nous mettons en œuvre tous les leviers à notre disposition, notamment les dernières mesures pour l’installation de 400 médecins généralistes.

Le développement éventuel de la présence des professionnels libéraux dans les écoles doit être vu dans au moins deux dimensions : le fait qu’un intervenant libéral puisse obtenir de l’Éducation nationale l’autorisation d’intervenir au sein d’une école, et le fait d’éviter que les parents aient à emmener l’enfant chez l’orthophoniste ou le psychomotricien après la journée d’école.

Si l’on met de côté la question de la disponibilité des locaux, les leviers à la main de l’ARS sont les pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE) – qui ne concernent pas toutes les professions paramédicales. Ce dispositif a été inventé en 2016 pour répondre aux revendications légitimes des parents d’enfants avec TSA. Ceux-ci ont fait valoir auprès de l’État qu’ils recouraient à certaines prestations en secteur libéral – psychologues, éducateurs, psychomotriciens, etc. – non remboursées par l’assurance-maladie, dans le cadre d’interventions de qualité et respectant les recommandations de la HAS. Il a été demandé à l’État d’assurer une forme de remboursement et de régulation de cette offre. Une centaine de PCPE se sont développés en France, dont certains très spécifiques sur l’autisme et d’autres portant sur les situations critiques de handicap – on a dû vous parler de la mise en œuvre des plans d’accompagnement globaux et des groupes opérationnels de synthèse. Un PCPE est constitué d’une équipe d’intervenants libéraux indépendants régulés par une plateforme médico-sociale – c’est tout à fait équivalent aux plateformes de coordination pour les TND – autorisée et financée par les ARS, donc légitimes à se présenter sous cet angle auprès des établissements scolaires. Nous les agréons et pouvons désigner aux partenaires de l’Éducation nationale ces dispositifs comme donnant toutes garanties pour intervenir en milieu scolaire.

S’agissant du volontarisme de la transition inclusive, je ne voudrais pas que le propos que j’ai tenu tout à l’heure soit mal interprété. Lorsque nous négocions avec les gestionnaires d’établissements et de services médico-sociaux la transformation de places et la sortie des compétences des personnels médico-éducatifs hors des établissements, nous ne fixons aucune contrainte – je sais que des informations contraires circulent parfois. Nous ne contraignons pas à opérer une désinstitutionalisation sauvage entre juin 2019 et la rentrée scolaire 2019, ni à « sortir » un nombre donné d’enfants car 20 places d’IME seraient transformées en 40 places de SESSAD. Les familles et les personnels des établissements ont cette crainte et s’en font l’écho aux ARS. Nous répétons systématiquement qu’il n’existe pas de contrainte. Les opérations de transformation de l’offre s’inscrivent sur la durée du CPOM, soit 5 ans, et ne visent pas à fermer la totalité des places d’établissement, mais à opérer un effort pour passer de 30 % à 50 %, qui conduira à maintenir 50 % des capacités médico-sociales en établissement pour les enfants et adolescents qui ont besoin d’un accompagnement et d’un accueil institutionnel transitoire ou durable.

En Nouvelle-Aquitaine, des mobilisations légitimes de collectifs associatifs de parents et de gestionnaires ont lieu dans trois ou quatre territoires.

Le libre choix des familles est fondamental. Nous pourrions nous satisfaire en disant que nous disposons de tous les outils juridiques avec la loi de 2005 – je n’entre pas dans le débat portant sur son éventuelle évolution, qui est de votre responsabilité. Le problème porte sur l’effectivité. Le rapport d’une famille à la MDPH ou aux opérateurs médico-sociaux au regard des besoins qu’elle exprime pour son enfant est profondément asymétrique – je ne mets pas en cause les équipes en affirmant ceci. Pour que le principe de libre choix soit effectif, il faut inventer une assistance à maîtrise d’ouvrage qui soit indépendante de l’accompagnement prescrit par les MDPH ; elle pourrait reposer sur des assistants à projet de vie qui seraient aux côtés des familles et s’adressent à une ARS, un conseil départemental ou une MDPH dans une forme de plaidoyer, afin que les propositions formulées répondent aux besoins et aux demandes et ne soient pas sous contrainte d’offre. Une telle démarche implique de mettre un peu de « poil à gratter » dans le système, y compris les ARS.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. L’ARS est-elle disposée à ouvrir le nombre de places qui pourrait manquer ici ou là ?

M. Saïd Acef. Si vous le permettez, Madame la présidente, je garde votre question et je déroule celles que vous m’avez posées.

La prise en soins en milieu scolaire relève de la responsabilité première de l’Éducation nationale dans le cadre des PAI, mais, du côté de l’ARS, cela suppose que, dans le cadre de l’éducation à la santé, certaines compétences médicales ou sanitaires soient disponibles à proximité. Il peut s’agir des problèmes de maladies chroniques liées aux élèves ou de problématiques de santé mentale et de troubles psychologiques ou psychiques.

Nous sommes quelques-uns à considérer que nous devrons utiliser les Écoles de la Seconde Chance – qui sont prévues par le code de l’éducation pour les 16-25 ans et instaurent une sorte de droit au savoir différé pour des enfants et des adolescents abîmés par la vie – pour un certain nombre d’adolescents en situation de handicap qui n’ont pu bénéficier d’apprentissages académiques ou sociaux afin de leur offrir une seconde chance d’une trajectoire plus inclusive à l’âge adulte. L’ARS connaît des opérateurs médico-sociaux très impliqués et le mouvement associatif plaide en faveur du droit au savoir différé. Nous pourrions avancer concrètement pour créer ces dispositifs de l’École de la Seconde Chance pour des jeunes adultes en situation de handicap.

M. Saïd Acef. Je ne connais pas l’article R. 442-75 du code de l’éducation. Peut-être que mes collègues d’autres ARS et dans mes équipes le connaissent. Néanmoins, à l’échelle de mes fonctions à l’Agence régionale de santé depuis trois ans et dans mes fonctions antérieures, je n’ai jamais eu connaissance d’un usage de cet article. Je le lirai avec attention pour examiner sa portée. S’agit-il d’une forme de double conventionnement Éducation nationale et ARS compte tenu du public accueilli ? Ou est-ce une prérogative spécifique des ARS que de conventionner une école en lieu et place de l’Éducation nationale dans un délai d’un an après ouverture ?

Mme Blandine Brocard. J’en ai eu connaissance grâce aux recherches du cabinet de M. Jean-Michel Blanquer. La rectrice de l’académie de Lyon n’était pas informée. Je pense que l’ARS Rhône-Alpes-Auvergne ne l’était pas non plus. Donc je tire mon chapeau au cabinet du ministre qui a su dénicher ce texte.

Je cite : « Les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux privés peuvent passer avec l’État un contrat simple dans les conditions prévues par [ici est mentionné un autre article du code]. Ce contrat peut porter sur une partie ou sur la totalité des classes de l'établissement. Ce contrat est conclu pour un an. » Le rectorat mandaterait l’ARS pour évaluer les locaux et l’offre de soins. Votre expertise médico-sociale fait que le rectorat, au lieu de devoir respecter le délai de cinq ans pour la mise sous contrat, peut le réduire à un an. Mais la préfecture entre également en jeu.

M. Saïd Acef. Je comprends mieux. Je ne connaissais pas cet article du code de l’éducation, mais je connais ce mécanisme. Il est question d’établissements médico-sociaux privés. Tout à l’heure, vous évoquiez les écoles.

Nous avons des situations d’établissements médico-sociaux privés de fait – j’ai des exemples en matière de polyhandicap ou d’écoles ouvertes par des parents mettant en œuvre l’éducation conductive. Il en existe une en Auvergne Rhône-Alpes, en Normandie et en Bourgogne Franche-Comté. L’ARS et l’Éducation nationale se sont trouvées dans la situation que vous évoquez : des parents ouvrent, de leur point de vue, une école ; l’Éducation nationale considère qu’elle n’en est pas une au regard de son fonctionnement et de ce qui est proposé, même s’il peut y avoir des enseignements et des acquisitions académiques ; l’ARS est sollicitée pour conventionner, voire autoriser, car il s’agit d’un établissement médico-social de fait. Nous connaissons ce mécanisme. Un certain nombre d’ARS sont confrontées à ce sujet, qui doit être vu sous l’angle d’établissements médico-sociaux privés mettant en œuvre des apprentissages scolaires, mais qui ne sont pas immédiatement identifiés par l’Éducation nationale comme des écoles sous contrat.

Mme Blandine Brocard. D’abord hors contrat, mais avec la vocation d’une mise sous contrat dans laquelle les ARS entreraient en jeu.

M. Saïd Acef. Vous voyez bien le jeu d’acteurs…

Mme Blandine Brocard. Évidemment.

M. Saïd Acef. Je vous parle franchement !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ceci dit, elles peuvent avoir un agrément d’écoles privées sous contrat sans avoir le label ARS.

Mme Blandine Brocard. Tout à fait, mais le rôle de l’ARS permet de raccourcir le délai de manière légale.

M. Saïd Acef. En Nouvelle-Aquitaine, je n’ai pas rencontré de telle situation depuis mon entrée en fonctions il y a trois ans, mais je sais que l’ARS Normandie a dû le gérer depuis 2016, ainsi que l’ARS Bourgogne-Franche-Comté sur les écoles d’éducation conductive, y compris avec des sollicitations d’un certain nombre de parlementaires dans le cadre de questions orales et écrites portant sur le statut de ces dispositifs et leur régularisation par l’Éducation nationale ou les ARS.

S’agissant des INJ, vous avez pris connaissance du rapport IGAS-IGEN et des suites données dans le cadre de la politique publique. En Nouvelle-Aquitaine, un INJS est implanté à Gradignan. L’ARS a signé avec lui un contrat d’objectifs et de moyens –ce n’est pas forcément le cas pour tous les INJS et INJA. Nous y avons inscrit de premières mesures allant dans le sens du rapport. Nous considérons donc que les INJS doivent – nous ne faisons ici que paraphraser le rapport – entrer pleinement dans le périmètre d’une régulation d’offre médico-sociale portée par une ARS : les INJ A ou S ont une expertise et un rôle particulier qui doivent entrer dans cette dynamique régionale.

Les INJ sont confrontés à plusieurs phénomènes : l’évolution des publics accueillis ; l’externalisation des dispositifs de scolarisation et de coopération avec l’Éducation nationale ; la bonne articulation avec les MDPH sur le parcours des élèves accueillis ; une fonction ressource sur les situations plus complexes liées à la déficience sensorielle qui est leur champ de compétences.

Ils font également face à des problèmes de ressources humaines liés au statut des personnels éducatifs et enseignants. Il ne m’appartient pas d’arbitrer le débat consistant à savoir si les enseignants doivent rester dans le périmètre du ministère des Affaires sociales et de la Santé ou s’ils doivent passer dans le giron de l’Éducation nationale. Du point de vue des ARS, il s’agit de passer des contrats d’objectifs et de moyens avec les INJ.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Les moyens sont-ils vraiment prévus ?

M. Saïd Acef. Votre question va me permettre de faire le lien avec le sujet des créations de places. Pour la première fois dans la politique publique figurent – nous les répercutons dans les CPOM – des objectifs d’efficience et de performance médico-sociale. Dans la négociation d’un CPOM, nous analysons la santé financière du gestionnaire. Dans certains cas, en toute objectivité, le gestionnaire ne parviendra pas à assumer financièrement les objectifs fixés au contrat : la transition inclusive, l’accompagnement des situations complexes, une meilleure coopération territoriale, etc. En revanche, certains ont largement la surface financière pour assumer ces opérations de transformation et d’accompagnement du changement.

Nous sommes parfois conduits à prendre des mesures. Dans certains cas, non seulement nous ne versons pas de financements, mais nous serions légitimes à en reprendre à ceux qui ont stocké durant des années en fonds propres des crédits publics liés à des excédents structurels pour les verser à d’autres qui, objectivement, n’ont pas la surface financière pour payer des formations, accompagner les personnels, assumer les coûts de transports majorés liés à la transition inclusive, aménager les locaux, renforcer les personnels, etc. Il faut regarder aussi sous cet angle le sujet de la transition inclusive.

Si je mets de côté la stratégie autisme et TND avec les mesures spécifiques et les dotations prévues dans ce plan, les leviers financiers des ARS en mesures nouvelles sont liés à l’instruction du 2 mai 2017 sur la stratégie quinquennale de transformation de l’offre. On y retrouve les incitations financières à la transition inclusive et le fait de pouvoir renforcer et compléter l’offre sur les situations les plus complexes avec deux focus sur le populationnel handicap psychique et polyhandicap.

Il s’agit de 180 millions d’euros sur cinq ans, soit 20 millions d’euros pour les outre-mer et 160 millions d’euros pour la métropole. En Nouvelle-Aquitaine, cela représente environ 15 millions d’euros de crédits nouveaux à affecter sur mesure aux gestionnaires qui en ont besoin, et non à l’aveugle. En responsabilité, il faut aussi que nous puissions regarder cela.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Pour les INJ, nous avons perçu la spécificité du handicap sensoriel et la distance encore plus grande qui sera à accomplir au sein de l’Éducation nationale pour rendre accessible le savoir à un élève qui se trouve privé de la vue et auquel on demande de comprendre ou de dessiner une carte. En raison de cette distance et du besoin éducatif particulier pour apprendre à se déplacer, les parents sont très inquiets de ce qui pourra être offert à leur enfant dans la transformation. Comment leur répondre ?

M. Saïd Acef. Le sujet sur les INJ est assez similaire à ce que j’ai évoqué sur la fragilisation des parcours et les craintes des familles quant au passage d’un plateau spécialisé vers l’école ordinaire.

Les formations croisées territorialisées entre les collègues de l’Éducation nationale, y compris les AESH, et les personnels médico-sociaux sont insuffisantes, bien que certaines ARS soient exemplaires sur ce sujet. L’ARS Nouvelle-Aquitaine n’est pas forcément la plus avancée, contrairement à celle d’Auvergne Rhône-Alpes et de Normandie. Le temps dégagé pour la formation des personnels éducatifs n’existe pas : avec les collègues inspecteurs d’académie ou conseillers des recteurs, on bidouille, on prend sur les demi-journées d’animation pédagogique. Pour les AESH, il y a les 60 heures d’adaptation à l’emploi, et il faut essayer de construire quelque chose derrière. En tout état de cause, je ne connais pas une ARS qui refuserait de répondre favorablement à un rectorat qui voudrait organiser des formations croisées sur le territoire avec les équipes médico-sociales, voire la MDPH.

L’ARS de Nouvelle-Aquitaine a dit aux trois rectorats être prête à financer, via les établissements et les services médico-sociaux, des programmes de formations croisées en faveur de l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap. Il s’agit de pouvoir positionner des équipes médico-sociales en leur versant des crédits non reconductibles afin qu’elles ouvrent ces formations sur les territoires aux collègues de l’Éducation nationale. Nous sommes prêts à actionner ce levier qui fait partie des feuilles de route concrètes dans des conventions cadres.

S’agissant de la fonction ressource des INJ que j’évoquais précédemment, il faut mettre à la disposition des territoires les plateaux techniques experts et la compétence éducative, enseignante et médico-sociale qui existe au sein des INJ. Il faut parallèlement réserver l’accueil en internat dans les INJ aux situations complexes qui excèderaient la capacité de prise en charge de l’Éducation nationale ou d’autres opérateurs médico-sociaux quelle que soit leur montée en compétence. C’est un équilibre à trouver.

Historiquement, les INJ disposaient de l’ensemble des modalités sur un même plateau technique au sein de l’établissement. Une partie a vocation à sortir des murs, mais il faut en préserver une autre partie pour gérer les situations complexes et assumer cette fonction d’expertise pour l’Éducation nationale et d’autres opérateurs médico-sociaux. Nous avons fait ce travail sur le réseau d’influence de l’INJS de Gradignan en mettant celui-ci en synergie avec d’autres acteurs médico-sociaux qui ont un agrément sur la déficience auditive afin de permettre ce travail en réseau et cet appui expert de l’INJS vers d’autres partenaires.

La question n’est pas un « tout ou rien », mais porte sur le placement du curseur relatif à cette mission des INJ – qu’ils assumaient déjà, mais qu’il convient de renforcer.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci beaucoup pour cette performance. C’était passionnant.


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   Mardi 18 juin 2019

1.   Audition de M. Jean‑Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission reprend ses travaux en recevant le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, M. Jean‑Michel Blanquer. Celui-ci est accompagné par Mme Martine Caraglio, membre de l’Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, Mme Sabine Deligne, sous-directrice du budget de la mission « Enseignement scolaire » (secrétariat général – direction des affaires financières), Mme Marie Dutertre, conseillère parlementaire, M. David Knecht, conseiller budgétaire et numérique, M. Thierry Ledroit, directeur adjoint du cabinet, conseiller pour les relations avec les académies, et M. Philippe Thurat, sous-directeur de la gestion des programmes budgétaires (direction générale de l'enseignement scolaire – service du budget, de la performance et des établissements).

Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir apporté des réponses au questionnaire que le rapporteur et moi vous avons adressé au début du mois d’avril. Je précise toutefois que le caractère parfois partiel de certaines réponses pourra susciter d’autres questions de la part de mes collègues.

Il était indispensable que ces éléments écrits soient complétés par un échange sur les actions que vous menez pour rendre la rentrée scolaire de 2019 pleinement inclusive. Je pense notamment au grand service public de l’école inclusive que vous avez entrepris de mettre en place avec votre collègue Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, ainsi qu’aux pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) qui sont expérimentés dans de nombreuses circonscriptions depuis la dernière rentrée scolaire. Nous vous saurions gré de nous présenter une première évaluation avant qu’ils ne soient généralisés en application de l’article 5 quinquies du projet de loi pour une école de la confiance.

Il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 de vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité rien que la vérité. Je demande aux personnes qui vous accompagnent de faire de même.

(M. Jean Michel Blanquer, Mme Martine Caraglio, Mme Sabine Deligne, Mme Marie Dutertre, M. David Knecht, M. Thierry Ledroit, et M. Philippe Thurat prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous souhaite à mon tour la bienvenue, monsieur le ministre, pour une audition qui marque une étape importante des travaux de notre commission d’enquête.

Sami adore l’eau, la mer, les vagues. Il aime se promener et monter dans les bus de Dieppe pour regarder le paysage. Il a onze ans mais il n’a pas la vie des enfants de son âge et sa maman n’a pas la vie des mamans d’enfant de l’âge de Sami car ce jeune garçon est atteint d’agénésie du corps calleux, en d’autres termes d’une atrophie partielle de son cerveau. Ce petit garçon aux grands yeux et au large sourire est animé d’une envie de vivre débordante mais il demande une attention de tous les instants : il est hyperactif, a des difficultés sur le plan moteur, s’automutile en se mordant la main, pousse de cris et souffre d’épilepsie. Sami, qui attend depuis dix-neuf mois une place en institut médico-éducatif (IME), n’est scolarisé que trois heures par semaine, le mercredi.

Si j’ai voulu commencer votre audition par ce témoignage, monsieur le ministre, c’est parce des centaines de familles sont confrontées à l’insuffisance des moyens humains mobilisés, notamment des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), situation qui est à l’origine de la création de cette commission d’enquête à l’initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Nous venons de prendre connaissance du document intitulé Pour une rentrée pleinement inclusive en 2019. Nous y avons retrouvé des propositions similaires à celles que les auditions de la commission d’enquête nous ont permis de faire émerger – j’ai la faiblesse de croire que la création de cette commission a servi d’aiguillon au Gouvernement pour accélérer le processus. Nous y avons décelé aussi des éléments qui sont source d’inquiétude, de méfiance, de contestation pour les associations et les personnes concernées, qui ont des clefs de lecture différente.

Quelles garanties apportez-vous pour que, dès la rentrée 2019, des milliers de jeunes laissés sans réponse en matière d’orientation ou d’accompagnement trouvent une solution correspondant à leurs besoins ?

Au questionnaire que vous a transmis la commission d’enquête, vous avez répondu de manière tardive et dispersée – vos services ne sont pas en cause. De nombreuses informations comme celles portant sur le nombre de jeunes non scolarisés, sur la durée de scolarisation, sur le bilan social des auxiliaires de vie scolaire (AVS) et des AESH sont absentes. Or, comme j’ai eu l’occasion de le répéter à plusieurs reprises devant cette commission, je considère qu’une politique publique ne se conduit bien que si le diagnostic qui la fonde est étayé, objectivé et partagé. J’espère que cette audition nous permettra de progresser en la matière.

Notons ensuite que si l’accueil en milieu scolaire a fortement progressé sur un plan quantitatif, notamment depuis la loi sur le handicap de 2005, il se fait parfois par défaut, en l’absence de prises en charge adaptées. À cela s’ajoutent les trop nombreuses situations de déscolarisation. Vous fixez des objectifs de désinstitutionalisation mais la programmation des moyens en matière de formation des personnels, de recherche et d’adaptation des locaux semble très en deçà des besoins. Quelles décisions budgétaires pluriannuelles envisagez-vous de prendre pour répondre à ces enjeux ?

Enfin, si l’unanimité se fait sur l’objectif de rendre notre société et notre système scolaire plus inclusifs, de nombreux parents et de nombreuses associations souhaitent préserver la capacité du secteur médico-social à répondre aux besoins spécifiques de certains jeunes en situation de handicap. Ne faut-il pas aller vers une approche moins systémique, moins chiffrée, plus adaptée aux besoins des familles, pour favoriser des passerelles, des modes de scolarisation plus souples, plus partagés ? Pensons au « droit d’aller et retour » que des responsables d’associations spécialistes de l’autisme ont évoqué devant nous. Bref, que pensez-vous de systèmes qui seraient complémentaires les uns des autres plutôt que concurrents ou en opposition ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, je souscris à vos propos. Vous avez, monsieur le rapporteur, employé le terme d’« unanimité » : elle me paraît constituer un socle s’agissant de ces enjeux. La scolarisation des élèves en situation de handicap fait l’objet depuis 2005 d’un consensus national fort. Il est décisif que personne ne prenne la responsabilité de le rompre. Nous avons tous en partage les objectifs fondamentaux que vous avez rappelés. La nécessité de progresser sans arrêt nous tient tous à cœur.

Certes, il est possible de déceler des failles dans le système et nous nous employons à trouver des solutions mais il est important aussi de mesurer les progrès accomplis. Devant une commission d’enquête, l’habitude est de parler du passé et du présent ; je parlerai toutefois aussi du futur, comme vous m’y avez invité. Cette audition se déroule à deux mois d’une rentrée dont nous attendons beaucoup puisque nous visons un grand service public de l’école inclusive. Cela nous engage collectivement : administration de l’éducation nationale dans son ensemble mais aussi acteurs du handicap.

Vous m’avez invité à dépasser l’approche quantitative mais si je ne parlais pas de chiffres, on me reprocherait d’être abstrait.

Depuis 2005, beaucoup de choses ont été faites en matière d’inclusion scolaire. La France accusait auparavant un grand retard par rapport aux autres pays, mais aussi tout simplement par rapport aux besoins. Les élèves en situation de handicap accueillis dans le système scolaire sont passés de 176 000 en 2009 à 338 000 en 2019, soit un quasi-doublement, et nous devons rendre hommage à tous ceux qui ont permis cette évolution. Pendant le même temps, les élèves en situation de handicap bénéficiant d’une prescription d’aide humaine ont vu leur nombre multiplié par plus de quatre : de 46 000 à 200 000, cap qui vient d’être dépassé en cette fin d’année scolaire.

Ces progrès importants, mus par la volonté de prendre en compte les besoins de chaque enfant, ont été accompagnés par un investissement public élevé. Celui-ci se poursuit et se poursuivra au cours des prochaines années. À la fin de l’année 2018, les AVS représentaient plus de 61 700 équivalents temps plein (ETP). Au-delà de la transformation accélérée des contrats aidés en contrats d’AESH, 4 500 recrutements supplémentaires d’AESH sont prévus pour la rentrée prochaine. Le nombre d’enseignants spécialisés travaillant dans des structures dédiées comme les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) ou les établissements et services médico-sociaux dépasse aujourd’hui 19 000 ETP. Au total, le budget dédié à la scolarisation des élèves en situation de handicap est passé entre 2017 en 2019 de 2,1 milliards d’euros à 2,8 milliards d’euros, soit une augmentation de 29 % en trois ans, ce qui constitue une progression sans précédent.

À cet effort quantitatif, s’ajoute un effort qualitatif. La loi pour une école de la confiance nous a permis de disposer des outils indispensables à cette progression.

Il y a évidemment encore un trop grand nombre d’enfants en situation de handicap qui ne font pas leur rentrée dans les mêmes conditions et au même moment que leurs camarades et c’est une situation que nous jugeons évidemment inacceptable. Trop de familles attendent plusieurs jours voire plusieurs semaines une réponse à leur demande d’accompagnant pour leur enfant. Nous considérons tous que c’est insatisfaisant. Le Président de la République a fait une priorité de l’école inclusive, laquelle se situe un peu à l’avant-garde des politiques en matière de handicap que nous souhaitons faire avancer avec Sophie Cluzel.

Ce chemin est à l’évidence un chemin compliqué. Et nous ne pouvons pas nous cacher toutes les difficultés que nous devons dépasser. L’amélioration de l’accueil des enfants en situation de handicap est source de multiples défis que nous devons relever collectivement, notamment par la concertation. C’est ce que nous avons entrepris avec Sophie Cluzel. Comme vous le savez, du mois d’octobre 2018 au mois de février 2019, nous avons mené une large concertation auprès des parents, des associations, des représentants des AESH ainsi que des personnels enseignants et d’encadrement. Au regard de l’importance des attentes, nous avons décidé de réaliser, en nous fondant sur la loi, une transformation de nos organisations que l’on peut qualifier de copernicienne, en vue de faire émerger un grand service public de l’école inclusive.

Pourquoi peut-on parler de révolution copernicienne ?

Tout d’abord, j’ai demandé aux services des rectorats et des directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) dans chaque département de transformer totalement leur organisation en matière d’accueil des élèves handicapés. Cette transformation revêt de multiples aspects.

Elle est d’abord de nature presque psychologique. Il s’agit de considérer les quelque 80 000 AESH comme des personnels de l’éducation nationale. La plus forte illustration de cela, c’est évidemment la conversion rapide que nous avons menée des contrats aidés en contrats plus robustes, d’AESH, de sorte qu’à la rentrée 2020 il n’y aura plus de contrats aidés. La loi nous permet aussi, vous le savez, de passer à une nouvelle configuration en matière de contrats, avec des contrats de trois ans, renouvelables une fois, débouchant sur des contrats à durée indéterminée. C’est une transformation importante, a fortiori si nous réussissons, comme nous l’avons prévu, à donner beaucoup plus de plein-temps aux AESH dans les mois qui viennent.

Nous avons voulu faire des AESH des membres à part entière de la maison éducation nationale, à l’échelle de la nation, à l’échelle des rectorats, à l’échelle des départements et, évidemment, à l’échelle des établissements. Cela se traduit par des mesures de tous ordres comme la participation aux réunions en amont de la rentrée ou la création d’adresses électroniques professionnelles. Cette stratégie doit nous permettre d’entamer un travail avant la rentrée. Il y a une phrase à destination des enfants qui résume tout : « Avant, tu attendais d’avoir un AESH pour aller à l’école ; maintenant, tu iras à l’école et tu seras accueilli par un AESH ».

La révolution copernicienne passe aussi par un raisonnement qui part des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Les comparaisons internationales que nous avons établies avec Sophie Cluzel – qui s’est rendue dans plusieurs pays – montrent que la France ne dépense pas moins que les autres pays pour les élèves en situation de handicap. Notre bilan est même tout à fait honorable et il s’améliore avec les moyens supplémentaires que j’ai évoqués. En revanche, nous sommes moins bien organisés. Nos concepts directeurs ont moins bien fonctionné que dans d’autres pays. Je pense, par exemple, à l’Italie ou bien au Danemark, où je me suis rendu.

Les pays qui réussissent raisonnent depuis l’établissement pour être au plus près du terrain et affecter les moyens au plus près des besoins de l’élève, en s’adaptant au cours de l’année, faisant preuve de cette souplesse que vous appelez de vos vœux, monsieur le rapporteur. L’une des premières vertus de l’école inclusive doit consister à être personnalisée, j’y reviendrai dans ma conclusion.

Après les premières expérimentations positives que nous avons eues cette année, et qui feront l’objet d’une évaluation, nous visons une première vague de déploiement des PIAL au mois de septembre : 300 circonscriptions du premier degré sont concernées, 2 000 collèges avec ULIS et 250 lycées professionnels avec ULIS. Cette nouvelle organisation, qui prendra place dans des bassins scolaires importants, nous permettra de développer le raisonnement à partir de l’établissement.

Ses vertus sont multiples. Il sera plus aisé, notamment, de donner des plein-temps aux AESH. Il existe deux façons privilégiées de leur en accorder : la première, avec un service à l’intérieur d’un établissement ; la deuxième, dans le cadre d’accords au cas par cas avec les collectivités locales, avec une répartition entre temps scolaire et temps périscolaire. Chacun sera libre de son choix. La gestion des ressources humaines sera orientée vers une formule adaptée à chaque AESH, certains ne préférant pas exercer à plein-temps. Là aussi, la personnalisation est de mise.

À travers cette double transformation, nous voulons mieux préparer la rentrée, mieux accueillir les parents et mieux scolariser les élèves.

Un maximum de choses doit se faire autant que possible avant la rentrée : les recrutements – nous y procédons ; l’accueil des parents – notre recommandation à l’échelle de la France est de donner des rendez-vous avant septembre ; la formation – la majorité des soixante heures que nous avons prévu de consacrer aux AESH. Notre but est que les AESH, le jour de la rentrée, connaissent les équipes éducatives et les parents. Il est difficile d’atteindre 100 % de réussite dès la première rentrée de ce service public de l’école inclusive mais nous voulons tendre vers cet objectif qui mobilise toute l’institution scolaire. Personne ne doit minimiser ce que cela représente sur le plan organisationnel.

Nous avons mis en tension – au sens positif du terme – l’ensemble de l’administration de l’éducation nationale. La dernière réunion des recteurs, en présence de Sophie Cluzel, a été consacrée uniquement à ce sujet et a permis, avec les directeurs des agences régionales de santé (ARS) de coordonner de la manière la plus forte qui soit l’action de l’éducation nationale et des services médico-sociaux. J’ai demandé à chacun des recteurs et aux DASEN de s’organiser différemment afin qu’ils préparent pleinement la rentrée plutôt que de gérer les situations au fil de l’eau comme cela a été trop longtemps le cas. L’un des premiers droits des élèves en situation de handicap, c’est de bénéficier d’une rentrée préparée, comme l’ensemble des autres élèves.

Un autre de leurs droits est de bénéficier d’un parcours personnalisé avec des solutions adaptées à chacun. Cela peut passer par un accompagnement individualisé. Et je tiens à dire ici que le PIAL n’est en aucun cas une remise en cause de ce mode d’accompagnement. Il doit permettre un accompagnement mutualisé ou individualisé, selon les besoins de l’enfant. Il doit permettre aussi la personnalisation, notamment grâce à une coopération beaucoup plus forte entre les institutions médico-sociales et l’éducation nationale. L’école inclusive ne repose pas sur des réponses automatiques. Nous visons la scolarisation en milieu ordinaire mais il convient de ne retenir cette solution que dans la mesure où elle fait du bien aux élèves. Disons les choses : des acteurs, notamment des enseignants, ont pu ressentir un certain malaise parce que tous les moyens humains n’ont pas été octroyés pour accompagner la scolarisation d’enfants en situation de handicap ou parce qu’ils n’ont pas bénéficié de formations. Nous sommes très sensibles à ces questions. La coopération entre l’éducation nationale et le secteur médico-social doit rendre possible la personnalisation des parcours et éviter aux professeurs de se sentir désemparés.

Je prendrai le cas d’un proviseur que Sophie Cluzel et moi citons souvent. Dans son établissement, il a constaté que le niveau des élèves avait augmenté dans son ensemble grâce au dispositif déployé en faveur d’élèves handicapés car la personnalisation des parcours a bénéficié à tous.

Nous avons préparé la rentrée 2019 avec un soin particulier, sous l’angle quantitatif mais aussi qualitatif en mettant l’accent sur la formation des enseignants et des AESH.

La plateforme numérique Cap École inclusive met à disposition des ressources pédagogiques simples, immédiatement utilisables en classe, des références et des conseils utiles pour la scolarisation de tous les élèves.

Nous comptons systématiser les informations relatives à l’école inclusive pour l’ensemble des professeurs dans le cadre de la formation initiale comme de la formation continue. Nous avons demandé aux académies et aux départements d’inscrire dans leurs plans de formation pour le premier et le second degré une formation de trois heures sur les positionnements respectifs des AESH et des enseignants ainsi qu’une formation de six heures pour permettre aux professeurs d’acquérir les connaissances fondamentales au sujet des aménagements pédagogiques et d’une meilleure adaptation aux besoins spécifiques de chaque élève. En outre, des formations de soutien et d’accompagnement spécifiques sont prévues pour les inspecteurs de l'éducation nationale chargés de l'adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés (IEN‑ASH), acteurs fondamentaux dont je salue le travail.

Nous devons pleinement intégrer les AESH dans la communauté éducative. C’est pourquoi nous avons demandé que les réunions puissent avoir lieu avant les vacances d’été. Il y a un fort enjeu de personnalisation, de professionnalisation et de valorisation du métier d’AESH. Nous avons entendu leurs représentants et mon but est qu’un maximum d’accompagnants ressentent dès le mois de juin la réalité du changement qui se produira pour eux au mois de septembre. Ils devraient notamment être présentés de manière systématique à l’équipe pédagogique.

Je tenais à vous parler avant tout de la rentrée 2019 même si je sais que vos questions porteront aussi sur notre stratégie d’ensemble, que je souhaite portée par un consensus national. Nous lui consacrons des moyens très importants et nous donnons la priorité à la qualité, objectif qui a fait l’objet d’une très forte mobilisation de l’administration de l’éducation nationale mais aussi d’institutions et de partenaires extérieurs.

Je crois pouvoir dire devant votre commission d’enquête que nous avons avancé même s’il reste, bien entendu, bien des progrès à faire.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie, monsieur le ministre. J’ai bien compris votre volonté d’aller de l’école pour tous à l’école pour chacun. C’est un élément essentiel de progrès.

J’aimerais savoir si vos équipes ont pu avancer sur le contenu des cahiers des charges des formations initiales. Quelle dotation horaire sera réservée aux formations consacrées aux adaptations nécessaires et aux gestes professionnels à maîtriser pour rendre l’école plus inclusive ?

En lisant les documents transmis par la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), j’ai constaté que les journées de formations continues sont peu nombreuses. Nous savons que 55 600 enseignants du premier degré et 32 600 enseignants du second degré ont pu bénéficier de formations. Celles-ci ont toutefois été réparties entre les rythmes scolaires, les aides pédagogiques personnalisées, les élèves en situation de handicap et les élèves allophones. Très peu d’heures ont été en réalité consacrées à l’école inclusive puisque la durée de ces formations a été en moyenne inférieure à deux jours par an. Si vous voulez opérer la révolution copernicienne que vous appelez de vos vœux, monsieur le ministre, il faudrait pouvoir intensifier les formations.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. La formation est en effet une question centrale que de nombreux acteurs ont évoquée. Vous nous dites vouloir – et nous n’avons pas de raisons d’en douter – renforcer les quotités horaires dans le cadre de la formation initiale et de la formation continue. Une question se pose toutefois : quels moyens comptez-vous consacrer aux remplacements pour permettre aux professionnels de bénéficier d’heures de formation continue lors de la prochaine année scolaire ?

C’est en ce moment que se font les affectations dans le premier degré. Dans un département comme le mien, des dizaines d’enseignants sortant de formation initiale sont affectés à des postes spécialisés sans avoir de formation spécifique. Passez-moi l’expression : on envoie les « bleus » dans les ULIS, les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) et les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA). Ne faudrait-il pas des mesures d’accompagnement fortes ?

Vous avez beaucoup insisté sur l’articulation nécessaire avec le médico-social. Vous proposez même d’expérimenter dans chaque département une association avec les PIAL. Ne croyez-vous pas, dans ces conditions, qu’il est contre-productif de supprimer des postes de l’éducation nationale dans le secteur médico-social ?

Mme Blandine Brocard. Monsieur le ministre, j’ai abordé cette commission d’enquête en me mettant dans la peau de parents d’enfants handicapés que je rencontre. Je les sais confrontés à toutes sortes de difficultés administratives. Cela commence par l’emploi récurrent de sigles incompréhensibles par leurs interlocuteurs : MDPH, PIAL, ULIS, etc. Ensuite, ils doivent savoir à qui s’adresser puis remplir des dossiers-fleuves et vérifier s’ils sont bien arrivés. Quand, au mieux, le dossier aboutit, ils s’aperçoivent que leur enfant ne peut avoir de place là où il devrait en avoir une ou alors qu’il a une place qui ne correspond pas à son handicap. Les parents me disent avoir l’impression que l’on veut faire entrer leur enfant dans des cases, toutes bien formatées, ce qui est absolument impossible.

Cette école inclusive, nous en rêvons tous, mais est-elle possible ? Est-elle souhaitable ?

Vous avez commencé à donner quelques réponses et je m’en réjouis. Vous parlez de la personnalisation du parcours de chacun et avez insisté sur le fait qu’il ne fallait surtout pas appliquer des « réponses automatiques ». Je le souhaite de tout cœur également.

Des solutions existent : des structures publiques, des aides humaines collectives ou individuelles, des collectivités prêtes à se mettre autour de la table avec les associations. Il y a aussi des structures privées créées à l’initiative de parents, qui répondent vraiment aux besoins des enfants en situation de handicap. Je souhaite mettre ces parents à l’honneur. Ce sont eux qui savent, ce sont eux les mieux placés pour connaître les besoins de leur enfant, ce sont eux les plus motivés pour faire progresser leur enfant vers plus d’autonomie.

J’aimerais que l’on réfléchisse aux moyens de donner plus de place à ces parents, qui ont l’impression non seulement de se heurter à des murs mais aussi d’être mis de côté dans la prise en compte du handicap de leur enfant.

Mme Marianne Dubois. Monsieur le ministre, je souhaite évoquer la situation des enfants sourds, que je connais particulièrement bien. Sur le site Éduscol, il est indiqué que chaque académie doit disposer, en 2017, d’un pôle d’enseignement des jeunes sourds (PEJS). Nous sommes en 2019 et il n’en existe que trois ou quatre : nous sommes donc loin du compte. Comment expliquer ce retard ? Par ailleurs, vous avez ouvert en 2010 un troisième concours au CAPES, réservé aux sourds. Or il vient d’être supprimé : pour quelle raison ?

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Monsieur le ministre, nous serons obligés de nous interrompre quelques minutes pour participer à un vote solennel dans l’hémicycle, mais je propose que nous écoutions, avant cela, l’ensemble des questions.

M. Aurélien Pradié. Monsieur le ministre, j’aimerais faire quelques remarques générales avant de vous poser une série de questions aussi précises que possibles.

Vous avez dit que, historiquement, la question du handicap a toujours fait l’objet d’un consensus dans notre pays. Vous avez raison de le rappeler et nous devons tous garder cela à l’esprit. Cela nous aidera à corriger certaines des fautes qui ont été commises de part et d’autre, à parts égales, au cours des derniers mois.

Sur un sujet comme celui-ci, il faut que nous fassions collectivement preuve de beaucoup de modestie. Je ne nie pas qu’il y ait des évolutions positives, mais c’est le moins que la République puisse faire pour ces enfants et ces familles. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de petites évolutions : nous devons être à la hauteur de l’enjeu considérable que constitue le handicap à l’école. Il m’est toujours difficile d’entendre des gens se satisfaire de situations fondamentalement insatisfaisantes. Je ne dis pas cela pour vous, ni pour nous, mais pour l’idée que nous nous faisons de la République et pour les valeurs républicaines que nous avons en partage.

Je voudrais aborder trois points, en commençant par la situation des AESH et des AVS. Pourriez-vous nous confirmer le montant des crédits de formation qui ont été alloués par la nation, sur le budget de cette année, à la formation des AESH ? Je vous ai déjà longuement interpellé sur ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances. Ces crédits ont été réduits de près de 42,5 %, puisqu’ils sont passés de 12,9 millions d’euros en 2018 à 7,5 millions en 2019. Je continue d’affirmer que cette évolution est tout à fait incompréhensible et qu’elle n’est pas cohérente avec l’intention que vous affichez de requalifier ces métiers. Vous avez réduit les crédits de 40 %, alors que vous avez recruté 4 500 AESH supplémentaires. Vous aviez évoqué l’idée de faire un point d’étape avant la rentrée de septembre pour déterminer le niveau de consommation de ces crédits : je souhaiterais donc en savoir plus.

Je souhaiterais que vous éclaircissiez le concept vague de « contrat robuste » pour les AESH. Pouvez-vous préciser à quoi cela correspond en droit du travail ? Pensez-vous à un CDI ? À l’assurance d’un CDI ? Ou seulement à un CDD qui passerait de un à trois ans ? Si tel est le cas, y voyez-vous une évolution significative en droit du travail ? J’aimerais que vous alliez au-delà du slogan et que vous indiquiez précisément dans quelle case du droit du travail entre le contrat dit « robuste ».

De la même manière, pouvez-vous nous dire combien d’AESH reçoivent une formation avant de prendre leur premier poste ? Lorsque nous avions eu ce débat, vous aviez donné des garanties, sans toutefois les inscrire dans la loi. Je souhaiterais donc connaître la proportion d’AESH qui ont une formation avant de prendre leur premier poste et la proportion de ceux qui ne reçoivent une formation qu’après avoir pris leur premier poste. Dans ce cas, quel est le délai ?

J’en viens à ma deuxième série de questions. Pouvez-vous nous dire combien d’enfants ne sont scolarisés ni en milieu ordinaire, ni en milieu spécialisé ? Pouvez-vous nous dire, aussi, combien d’enfants sont scolarisés moins de dix heures par semaine ? Je serais très inquiet s’il s’avérait que vous ne disposez pas de données chiffrées en la matière. Et, puisqu’on me reproche parfois d’exagérer, j’aimerais que vous m’indiquiez si, oui ou non, certains enfants sont scolarisés moins de cinq heures par semaine dans notre pays.

Je voudrais, pour finir, vous interroger au sujet des ULIS, car un point me paraît toujours obscur. Vous avez annoncé la création de cinquante ULIS supplémentaires à chaque rentrée scolaire. Pouvez-vous nous confirmer que c’est bien le cas et nous dire où nous en sommes ? D’autre part, dans les documents budgétaires que j’ai sous les yeux, il est indiqué que, pour faire fonctionner ces ULIS, 1 942 ETP d’accompagnants étaient attribués en 2018. En 2019, nous sommes restés à 1 942 ETP. Je souhaite donc savoir comment on peut créer cinquante ULIS en conservant le même nombre de personnels accompagnants.

Mme Cécile Rilhac. Monsieur le ministre, je souhaite d’abord vous interroger sur le sport handicap. Chacun sait que le sport est un facteur d’inclusion très important. Que comptez-vous faire, à la fois au regard de la formation des enseignants et du suivi des élèves en situation de handicap, pour que ces derniers puissent réellement pratiquer une activité physique et sportive en primaire et dans le secondaire ?

Ma deuxième question porte sur l’aspect qualitatif, dont vous avez parlé dans vos propos liminaires. Dans le projet de loi pour une école de la confiance, un amendement concernant les PIAL a été voté en commission mixte paritaire. Il permet d’intégrer aux PIAL des personnels gestionnaires des établissements médico-sociaux, mais également des personnels de santé. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette avancée significative ?

Mme Béatrice Piron. Monsieur le ministre, vous avez annoncé très récemment, avec Mme Sophie Cluzel, plusieurs mesures en faveur de l’école inclusive. Je voulais vous interroger principalement sur les procédures de recrutement des nouveaux accompagnants : est-il envisageable, à terme, d’adapter leur niveau de diplôme au niveau d’études des enfants, pour prendre en compte le fait que le besoin d’accompagnement d’un enfant en primaire n’est pas le même qu’au collège ou au lycée ?

Mme Sabine Rubin. Il se trouve que j’ai visité ce matin un PIAL de ma circonscription, et je dois avouer que mon regard sur les PIAL a complètement changé. J’ai enfin compris en quoi ils pouvaient être adaptés aux besoins de chaque enfant, notamment si notre ambition est de mener chacun d’eux vers l’autonomie. Cela dit, ce PIAL réunissait trois écoles formant un groupe scolaire. En milieu dense, il n'y a pas de difficulté de déplacement et le travail en équipe est facilité. Comment les PIAL peuvent-ils fonctionner dans des zones moins denses, par exemple dans des milieux ruraux, avec des temps de déplacement et des distances qui compliquent le travail en équipes ?

Comme mes collègues, je m’interroge également sur le statut des AESH : que signifie ce contrat « consolidé » ? J’ai moi aussi rencontré des collectifs d’AESH : ils estiment qu’un recrutement à « bac + 2 » serait un pas vers la professionnalisation.

On assiste par ailleurs, dans ma circonscription, à la fermeture d’écoles spécialisées, notamment pour les enfants sourds, et les parents s’en alarment. Comment expliquer ces fermetures ?

J’ai encore deux questions à vous poser. Quelle politique de l’éducation nationale envisagez-vous, du point de vue médico-social, pour que les PIAL fonctionnent au mieux ? Enfin, comment s’articulent la notification de la MDPH et les projets personnalisés de scolarisation (PPS) donnés par les professeurs référents ?

Mme Géraldine Bannier. Ma question s’adressait plutôt au ministre de l’agriculture, mais puisqu’il ne sera pas auditionné, c’est à vous que je l’adresse, monsieur le ministre. Des informations remontent du terrain au sujet des accompagnants des élèves en situation de handicap dans les lycées agricoles et les lycées maritimes. Ils n’ont pas les mêmes conditions de travail, ni le même statut et ils se posent beaucoup de questions sur les conditions d’exercice de leur métier. Est-il prévu d’harmoniser le statut des AESH dans tous les ministères concernés ?

Pour avoir vu de près, au cours des dernières années, la politique inclusive, je souscris tout à fait à l’idée qu’il faut des solutions souples, personnalisées et au plus près du terrain. La formation des enseignants doit, elle aussi, se faire au plus près du terrain, afin d’apporter des solutions concrètes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Monsieur le ministre, j’aimerais rentrer dans le dur. Vous nous dites, et nous vous croyons, que l’accompagnement mutualisé n’a pas vocation à faire disparaître l’accompagnement individualisé pour les enfants en situation de handicap. Comment, alors, tolérer que des inspections d’académie, comme celles que nous allons auditionner tout à l’heure au sujet des PIAL, nous disent que l’accompagnement mutualisé sera désormais la règle et l’accompagnement individualisé l’exception ? L’inspecteur IEN-ASH de Dieppe a dit exactement la même chose lorsque nous l’avons auditionné.

J’aimerais aussi vous entendre au sujet des PIAL. Sont-ils conçus comme un outil qui doit permettre d’améliorer et d’anticiper la prise en charge des enfants, en faisant en sorte que ce soient les AESH qui attendent les enfants, et non le contraire ? Ou bien – c’est ce que nous craignons –, sont-ils conçus comme des outils de rationalisation, voire de rationnement des moyens humains mobilisés ?

La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures dix.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. L’exercice auquel vous vous soumettez, monsieur le ministre, est plus acrobatique que le baccalauréat, car vous avez eu moins de temps que les candidats pour préparer votre réponse. (Sourires.)

M. Jean-Michel Blanquer. Je vais répondre aux questions dans l’ordre où vous me les avez posées, en commençant par vos questions, madame la présidente.

Sur l’amplification et l’accélération de la formation, j’ai déjà donné certains éléments de réponse. L’ouverture de la plateforme Cap École inclusive est vraiment un élément essentiel, car elle offrira des ressources de qualité immédiatement accessibles. Elle permettra également la géolocalisation des enseignants ressource. Cela signifie que tout professeur, tout acteur de l’éducation nationale pourra, grâce à cette géolocalisation, trouver un correspondant expérimenté susceptible de le conseiller.

Sur les quarante-huit heures forfaitaires de formation que doivent suivre les enseignants du premier degré, six seront consacrées à ces questions. J’ajoute que des formations sur l'école inclusive seront systématiquement inscrites dans les plans départementaux et dans les plans académiques de formation. Les AESH, comme les professeurs, doivent recevoir une formation d’au moins trois heures sur la question du positionnement et de six heures sur les connaissances de base relatives à l’engagement pédagogique, à quoi s’ajoutent six heures sur les connaissances de base relatives à l’engagement pédagogique et la formation de soutien et d’accompagnement des IEN-AESH. Voilà pour ce qui concerne la formation continue.

La réforme de la formation des professeurs amorce une grande évolution : la systématicité de la formation de tous les futurs professeurs. Au sein des INSPÉ, tous les futurs professeurs recevront une formation sur l’école inclusive. Nous définirons un référentiel de formation précis.

Notons, enfin, que le nombre de personnes ayant reçu une formation spécialisée est reparti à la hausse. Après des années de baisse, leur nombre était tombé à 1 293 en 2017, mais il est remonté à 1 397 en 2018 et il continuera d’augmenter.

Monsieur le rapporteur, vous m’avez, vous aussi, interrogé sur la formation, et précisément sur les moyens de remplacement. Nous avons créé, dans le budget pour 2019, 400 postes supplémentaires pour le remplacement dans le premier degré, de manière à avoir des moyens de remplacement largement à la hauteur des besoins. Vous avez évoqué des suppressions de postes dans le domaine médico-social à l’éducation nationale. Or ce n’est pas le cas. Il peut parfois y avoir des difficultés de recrutement, mais nous n’avons supprimé aucun poste médico-social.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Si, dans les PEP76 : six ETP ont été supprimés. Des postes d’enseignant.

M. Jean-Michel Blanquer. J’examinerai ce point précis, même si, en l’occurrence, je pensais plutôt aux médecins et aux infirmières.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Ce sont peut-être les postes de directeurs qui ont été transformés ?

M. Jean-Michel Blanquer. Je vais regarder. Peut-être même pourrons-nous vous apporter une réponse d’ici la fin de cette réunion.

Madame Brocard, je ne peux que vous donner raison au sujet des sigles. Nous sommes les héritiers d’une mauvaise tradition en la matière et nous n’avons pas amélioré les choses. Nous devons mobiliser notre intelligence collective pour trouver des noms qui aient un sens. Je prends souvent l’exemple de l’opération « Devoirs faits » : cette expression est immédiatement compréhensible. Nous devons effectivement limiter le recours aux sigles, même si certains d’entre eux sont entrés dans l’usage courant pour les familles : c’est par exemple le cas des MDPH et des ULIS. S’agissant des PIAL, nous pourrions nous en tenir à l’expression « pôle inclusif », tout simplement. En tout cas, nous devons veiller à ne pas compliquer davantage les démarches administratives.

D’une manière générale, nous devons nous efforcer de raisonner à partir des besoins de l’élève et de sa famille, alors qu’on a tendance, dans ce domaine comme dans d’autres, à plaquer sur le citoyen l’organisation administrative du système. C’est un vieux travers, qui concerne l’ensemble de l’organisation administrative française. C’est ce renversement de perspective que j’ai qualifié de révolution copernicienne : il n’est pas achevé à l’heure où je vous parle, mais je suis d’accord pour dire que ce doit être notre objectif. Nous avons essayé au maximum, pour la rentrée prochaine, de raisonner de cette façon.

Nous nous sommes imposé certaines règles afin d’aller dans ce sens. Je ne l’ai pas dit tout à l’heure, mais chaque département va être doté d’une cellule départementale sur le handicap. Or nous avons décidé que ces cellules devraient fournir une réponse aux familles dans les vingt-quatre heures. Toutes les familles pourront appeler leur cellule et obtenir une réponse quasi immédiate : même si on ne leur propose pas immédiatement une solution, elles auront au moins une idée de ce qui se profile.

Vous m’avez demandé comment donner plus de place aux parents. Ce que je viens de vous dire est un premier élément de réponse. Au sein des PIAL, nous ferons en sorte qu’un rendez-vous soit organisé avec eux avant la rentrée. Nous avons par ailleurs créé avec Mme Sophie Cluzel un comité de suivi national qui doit piloter la réforme et qui inclut les associations de parents d’élèves.

Madame Dubois, vous m’avez demandé pourquoi nous avions pris du retard dans la création de pôles d’enseignement des jeunes sourds. J’avoue que je n’ai pas de données exactes sous les yeux. Peut-être Mme Caraglio pourra-t-elle vous répondre sur ce point…

Mme Martine Caraglio, inspectrice générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, chargée de mission pour le handicap et l’inclusion. Je suis étonnée du chiffre que vous donnez, car la DGESCO m’informe à l’instant qu’il existe vingt PEJS, et non trois, comme vous l’indiquez. Le problème des PEJS est qu’ils vont de la maternelle à l’université et qu’il peut être difficile, sur un territoire étendu, de réunir dans un même lieu des enfants de niveaux très différents. Cela étant, il est vrai que les sourds signants souhaitent des lieux de rassemblement pour favoriser la communication des enfants.

Il existe d’autres modèles que le PEJS, peut-être plus intéressants : je pense au modèle d’inclusion totale des enfants sourds dans un établissement ordinaire, où les autres élèves apprennent la langue des signes. Dans ce cadre, il y a une vraie communication, notamment dans la cour de récréation. C’est le genre de dispositif que nous essayons de développer, car cela correspond vraiment à l’idée que nous nous faisons de l’école inclusive.

M. Jean-Michel Blanquer. Monsieur Pradié, vous m’avez posé de nombreuses questions. Nous avions déjà abordé certaines d’entre elles à l’occasion de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance.

Je vous confirme que, dans la loi de finances pour 2018, 12,9 millions de crédits étaient consacrés à la formation des AESH et aux contrats aidés dédiés au handicap. Or nous n’avons dépensé, en exécution, que 7,5 millions d’euros. Il y a effectivement eu une légère baisse de dépense par rapport à 2017, puisqu’elle s’était alors élevée à 8,3 millions d’euros. Cela renvoie à la question plus large de la formation continue des personnels au sein du système éducatif. En effet, un nombre important d’AESH était autrefois en contrats aidés : cela peut expliquer en partie la diminution tendancielle dont je viens de parler. Le décret qui a été pris au milieu de l’année de 2018 et qui prévoit un minimum de soixante heures de formation pour les AESH a évidemment des effets sur les AESH qui sont recrutés depuis, mais il n’a pas eu d’impact sur la gestion de 2018.

Cela explique que la dotation pour 2019 ait été sincérisée, comme on dit, et ramenée à 7,5 millions d’euros. Mais, comme je vous l’ai dit au moment des débats, en application du principe de fongibilité des crédits hors titre II, il s’agit d’une dotation provisionnelle : nous l’ajusterons autant qu’il faudra en 2019, en fonction des besoins. Nous pourrons faire le point dans un an sur l’exécution du budget de 2019 : nous aurons peut-être dépensé 7,5 millions, comme prévu, mais peut-être davantage – 8, 9 ou 10 millions – si le besoin s’en fait sentir sur le terrain. J’insiste sur le fait qu’il n’y a pas eu de diminution, mais un ajustement, au plus près des besoins du terrain.

Vous me demandez par ailleurs en quoi le contrat AESH peut être qualifié de robuste. Vous avez en partie répondu à la question, en évoquant les contrats aidés, les contrats d’un an et de trois ans et les CDI. Un processus est en cours : nous serons passés, en trois ans, d’un système qui était quasi exclusivement fondé sur les contrats aidés à un système où il n’y aura plus de contrats aidés. Si vous me permettez l’expression, il y a donc une « déprécarisation » accélérée. Ce qui ne s’est pas passé en dix ans vient de se passer en trois ans.

Tout le monde reconnaît qu’un effort important a été fait par la nation durant les dix premières années qui ont suivi l’adoption de la loi de 2005, mais cela s’est uniquement traduit par la création de contrats aidés. Ils étaient moins coûteux pour l’État, plus précaires pour les intéressés et moins intéressants pour les personnes concernées, les élèves et leurs familles. Passer d’un contrat de quelques mois à un contrat de trois ans, c’est clairement plus solide – si vous n’aimez pas le mot « robuste ». Le fait que l’on puisse, après deux contrats de trois ans, obtenir un CDI, nous apparaît également être une solidification du contrat. Nous pouvons désormais proposer de vraies carrières aux AESH, avec une vraie formation et la perspective d’un CDI. Nous créons des postes et nous proposons des contrats beaucoup plus solides : c’est un double progrès, que nul ne peut nier.

Vous me demandez combien d’élèves sont dans l’attente d’une aide individuelle ou mutualisée : ils étaient 14 980 à la fin de l’année dernière, soit 8,4 % des 340 000 enfants en situation de handicap. Ce n’est évidemment pas satisfaisant, mais il est évident que cette proportion va baisser, avec les moyens supplémentaires que nous mettons.

Je suis d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il n’est pas normal que l’on ne puisse pas dénombrer précisément les enfants qui ne sont pas scolarisés et ceux qui le sont en milieu ordinaire. Il y a cependant un paradoxe à saluer en permanence ce qui a été fait entre 2005 et 2015, à présenter cette période comme une sorte d’âge d’or de l’école inclusive, et à critiquer ce qui s’est passé entre 2015 et 2018, alors que nous sommes les héritiers de politiques qui n’ont pas développé de systèmes d’information adéquats en matière d’aide aux élèves en situation de handicap.

Nous amorçons cette modernisation, qui est absolument indispensable – je pense que nous pouvons tomber d’accord sur ce point. Elle est enclenchée avec les MDPH : Sophie Cluzel s’est exprimée publiquement à ce sujet et a annoncé la création d’un nouveau système d’information harmonisé sur l’ensemble du territoire. Il va permettre d’enclencher, en 2020, le système d’information de l’éducation nationale, qui sera compatible avec celui des MDPH.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, je reconnais que nos systèmes d’information ne sont pas satisfaisants et qu’il faudrait avoir les chiffres en temps réel, au lieu de collecter des données à l’échelle académique. Ce processus est enclenché, mais le développement d’outils numériques est toujours complexe. S’agissant des MDPH, cela se fait évidemment en relation avec les départements.

Vous m’avez interrogé aussi sur le nombre total des AESH affectés en ULIS. Ils sont 2 597 AESH-co – pour « collectif » – auxquels il faut ajouter 1 059 AESH « non co » et 1 022 contrats aidés, soit 4 677 ETP d’AVS en 2018. C’est le nombre que je vous ai donné lors du débat en séance – j’avais peut-être arrondi à 4 700. Compte tenu du fait que le taux d’encadrement en ULIS est de 0,65 AESH par élève, la création de 50 ULIS a créé un besoin de 33 ETP supplémentaires, que nous avons évidemment prévu.

Pour répondre à Mme Rilhac, la politique « handisport » menée par la ministre des sports inclut une série d’initiatives, conduites notamment par l’Union sportive de l’enseignement de premier degré (USEP) et l’Union nationale du sport scolaire (UNSS), qui illustrent la personnalisation des parcours. Notre logique est celle de l’école inclusive, c’est-à-dire de la participation, même si parfois nous développons des dispositifs spécifiques – je pense au développement du jeu d’échecs, considéré comme un sport cérébral. Les sports de l’esprit permettent à des handicapés ne pouvant pas faire physiquement de sport d’intégrer une dimension sportive à leur quotidien.

Nous travaillons également avec les collectivités locales. Le ministère de l’éducation nationale a commencé à monter une cellule sur le bâti scolaire avec la Caisse des dépôts et consignations, afin de pouvoir conseiller les collectivités locales en matière d’équipements handisport.

Enfin, les PIAL ont été conçus pour renforcer la coopération avec les institutions médico-sociales, de façon à mieux associer les professionnels de santé et les gestionnaires des établissements et des services médico-sociaux. Nous le notifions dans les PPS. L’amendement a permis de consacrer législativement les conventions qui vont institutionnaliser les relations entre établissements scolaires et établissements médico‑sociaux, même si cela existe déjà sur le terrain.

Madame Piron, certains AESH peuvent en effet se spécialiser dans l’école primaire et suivre des formations qui leur sont plus adaptées, d’autres dans l’enseignement secondaire. Notre approche est pragmatique et personnalisée. Certains AESH suivront un élève au collège, d’autres ne le feront pas. Un PIAL est très souvent un réseau d’établissements, qui comprend des écoles et des collèges. Il est donc possible d’y avoir des AESH qui travaillent à l’école et au collège. C’est l’intérêt du PIAL de pouvoir gérer cette situation, dans l’intérêt de l’élève et en tenant compte des compétences et des aspirations des AESH.

Madame Rubin, je vous remercie pour votre témoignage sur les PIAL, car je n’ignore pas les craintes qu’ils ont suscitées. Une logique de réseau – danoise ou italienne – y est à l’œuvre. À Garges-lès-Gonesse, il y a quelques jours, j’ai vu avec Sophie Cluzel ce que vous venez de décrire. Quand une grande distance sépare les écoles d’un même PIAL, cela peut poser des problèmes, surtout dans les zones moins denses, même s’il est tenu compte des transports au moment de le constituer. Dans la plupart des cas, un PIAL dispose d’un certain nombre d’AESH, qui sont affectés dans les différentes parties du réseau, en essayant d’éviter un excès de transport, même si les regroupements pour formation peuvent poser ces problèmes pratiques.

Vous trouvez souhaitable que les AESH aient un bac + 2. Je pense que le contrat est un moyen pour eux d’améliorer en permanence leurs compétences, et que la validation des acquis de l’expérience devient un enjeu. Des AESH recrutés avec des contrats aidés, qui n’avaient pas le niveau bac + 2, pourront, grâce à des formations, atteindre un tel niveau. Je ne suis pas certain qu’il faille le poser comme une barrière à l’entrée, mais viser plutôt une formation continue et une validation des acquis de l’expérience.

Vous avez mentionné des fermetures de structures spécialisées dans votre département. Si vous faites référence à la structure pour les enfants sourds, dont on m’a plusieurs fois parlé, d’après ce que j’ai compris, il n’y avait presque plus d’élèves, alors qu’une structure voisine pouvait les accueillir.

Mme Martine Caraglio. Je confirme qu’aucun CAPES n’a été supprimé. Il y a deux postes à la session 2019 du CAPES externe de langue des signes française (LSF).

M. Jean-Michel Blanquer. La coopération entre l’éducation nationale et le secteur médico‑social est en voie d’accentuation, grâce aux PIAL mais aussi à l’échelle nationale. J’ai fait référence tout à l’heure à la réunion avec les directeurs d’ARS et à la coopération très fluide existant entre Sophie Cluzel, Agnès Buzyn et moi-même sur ces enjeux : notre objectif est d’offrir à l’élève une plus grande fluidité entre l’éducation nationale et le médico‑social. C’est pourquoi il est très important d’être capables d’avoir des classes spécialisées à l’intérieur de l’école. Dans un collège modèle de l’académie de Poitiers, où la structure médico-sociale est pleinement incluse dans le collège, j’ai vu que les élèves pouvaient passer du temps dans cette structure spécialisée, du temps en classe et du temps en sport, avec une grande fluidité. Ces modèles de bon fonctionnement sont nos points de repère, pour avancer dans ce sens, à toutes les échelles.

Madame Bannier, les lycées agricoles et maritimes ne relèvent pas de ma compétence, même si nous en parlons. Beaucoup de choses évoluent dans l’éducation nationale et, par un effet de symétrie, dans les autres ministères. Jusqu’à cette année, le ministère de l’agriculture a appliqué strictement l’article 6 bis de la loi de 1984, lequel dispose que les six années nécessaires à la transformation du CDD en CDI doivent s’effectuer au sein d’un même département ministériel. Désormais, il appliquera l’article L. 971-7 du code de l’éducation, lequel crée un régime de recrutement propre aux AESH, qui pourront être recrutés en CDI au ministère de l’agriculture, tout comme pourront être recrutés des agents ayant exercé au ministère de l’éducation nationale. Cela permettra au ministère de l’agriculture de recruter plus de CDI et d’offrir une fluidité entre les deux ministères favorable aux AESH.

Je ne peux qu’être d’accord avec votre volonté de mener la formation des enseignants au plus près du terrain. C’est d’ailleurs bien l’impulsion qui a été donnée. Dans l’exemple de Garges‑lès‑Gonesse, c’est exactement ce qui se passe : nous concevons, à l’échelle du PIAL, des sessions de formation dans les établissements, mêlant les enseignants aux AESH, ce qui permet en plus de faire naître un esprit d’équipe.

S’agissant des questions de M. le rapporteur sur l’accompagnement individualisé, je n’ai jamais affirmé que la mutualisation était le principe, et l’individualisation l’exception. Je vous le redis solennellement. Dans une maison qui compte un million d’agents, de temps en temps, il peut arriver que la parole de l’un d’entre eux ne soit pas exactement celle du ministre – le contraire me vaudrait d’ailleurs un procès en autoritarisme.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Pas du tout ! C’est la République une et indivisible ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Blanquer. Je vous remercie. Il est en effet souhaitable que notre approche soit marquée par une certaine unité. Le mot‑clé, c’est le pragmatisme : dans certains cas, l’aide sera individualisée ; dans d’autres, mutualisée. L’aide individualisée n’est pas, par principe, ce qu’il y a de mieux pour chaque enfant – d’ailleurs, personne ne le prétend –, mais elle n’est pas non plus l’exception. Nous partons de l’enfant et de ses besoins pour définir l’aide la plus adaptée. Le PIAL n’est donc pas un outil de rationalisation budgétaire, laquelle n’est pas un crime en soi, mais de personnalisation du parcours de l’élève.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Monsieur le ministre, j’aimerais vous poser une question au nom de notre collègue Marc Delatte. Nous savons l’importance du dépistage précoce pour corriger plus rapidement certains effets du handicap chez les jeunes enfants. Ne pourrait‑on pas associer les étudiants en santé à cet effort de prévention ?

Mme Sabine Rubin. Monsieur le ministre, il semblerait que vous ayez oublié de répondre à l’une de mes questions concernant l’articulation entre les notifications des MDPH et le fait que ce soient les professeurs référents qui doivent définir le fameux PPS.

M. Aurélien Pradié. Monsieur le ministre, je vous ai demandé si un point d’étape avait été fait sur les crédits de formation, après six mois d’exercice budgétaire. Je vous ai entendu sans pouvoir partager votre point de vue. On pourrait considérer qu’une baisse de 40 % c’est un ajustement, un exercice de sincérité, un apurement… Pour moi c’est une baisse, d’autant que le nombre des personnels augmente. Je le dis sans esprit de polémique : vous vous fondez sur des données de consommation des crédits de formation relatives à un moment où l’on proposait mal et peu ces formations. Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Vous ne pouvez pas, pour réévaluer les crédits de formation, régler votre curseur sur une mauvaise pratique, comme je tente de vous le dire depuis quelques mois. Dans la mesure où vous nous annoncez, avec sincérité j’imagine, pouvoir réajuster, il me semble qu’il vaut mieux le faire maintenant que dans un an. Où en sommes‑nous dans la consommation de ces quelque 5 millions d’euros ?

Pourriez‑vous également nous préciser combien d’enfants sont scolarisés moins de dix heures par semaine en France ? Les MDPH ne disposant pas de ces éléments statistiques, il est inutile d’aller les chercher auprès d’elles. Je n’imagine pas que le ministre de l’éducation nationale n’ait pas ces chiffres. Mais vous avez raison, monsieur le ministre, de trouver cette absence symptomatique de l’approche française du handicap. Il aurait fallu s’occuper de la question des statistiques il y a bien des années déjà.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Monsieur le ministre, vous m’avez remis en arrivant une version illustrée des Fables de La Fontaine. Je vérifierai d’ailleurs si ma fille, qui est en CM2, et toutes les écoles de ma circonscription ont eu le plaisir de la recevoir également. Tout en vous écoutant, j’ai relu l’une des fables les plus connues, Le Lièvre et la Tortue, que je ne vous citerai pas, puisque j’imagine que vous la connaissez par cœur. À propos des PIAL, sans retour d’expérience, sans consolidation de l’expérimentation, « de quoi vous sert votre vitesse » ? Comment justifiez‑vous de développer à toute blinde un dispositif nécessitant d’être expertisé ? Pourrez‑vous nous transmettre la note de quinze pages que l’IGEN et l’IGAENR ont présentée sur ce sujet ?

Monsieur le ministre, vous êtes redoutable et brillant : il faut s’affûter avant de vous auditionner ! S’agissant des AESH, les chiffres que vos services nous ont transmis montrent qu’en 2018‑2019, sur 56 634 personnes bénéficiaires d’un CDD, moins de 1 % bénéficient d’un contrat de trois ans, 73 % ont été recrutés dans le cadre d’un contrat d’un an, et 22 % pour une durée plus courte. Comment allez‑vous franchir la marche colossale qui mène au contrat de trois ans ? Dans notre société, tous ceux qui s’occupent de l’humain – aides à domicile, aides‑soignantes, infirmières, AESH, etc. – sont en manque de reconnaissance, leurs métiers étant souvent des variables d’ajustement, ce qui les conduit fréquemment à la précarité. Envisagez‑vous d’ouvrir assez rapidement, avec les organisations syndicales, une négociation à ce sujet ? Un premier pas ne consisterait‑il pas à prendre en compte toutes les années réellement effectuées ? Certains AESH travaillent depuis plus de six ans ! Pourquoi ne pas prendre en compte les années déjà effectuées, pour donner un premier signe en vue du CDI, qui serait un premier pas vers l’obtention d’un statut ?

Enfin, d’après les chiffres dont nous disposons, l’effort dans la formation spécialisée est indéniable : 1 397 personnes ont été formées en 2018. Mais, en 2004, il y en avait eu 2 482. S’agissant des PIAL, nous auditionnerons dans quelques minutes des personnels intervenant dans l’académie de Créteil. La première phrase que j’ai soulignée est : « L’accompagnement humain mutualisé est devenu la compensation la plus prescrite, tandis que l’accompagnement humain individualisé est devenu l’exception. » De nombreux témoignages vont dans le même sens. Transmettre aux IEN, aux DASEN et aux coordinateurs des AESH la parole du ministre me semblerait de bon aloi.

M. Jean-Michel Blanquer. Pour ce qui est du dépistage précoce, grâce à l’entrée obligatoire à l’école à trois ans, nous pouvons envisager une visite médicale systématique à trois et quatre ans. Nous attendons un progrès considérable de cette approche. Comme l’a dit le secrétaire d’État Adrien Taquet, lors de la séance des questions au Gouvernement tout à l’heure, la protection maternelle et infantile (PMI) doit collaborer avec l’éducation nationale, ce qui facilitera le développement du dépistage. Ce projet est en cours d’élaboration. Le défi est de taille, étant donné la démographie française. Avec Agnès Buzyn, nous nous sommes fixé l’objectif de réussir à faire passer cette visite médicale à tous les enfants, à plus forte raison dans les territoires défavorisés. Nous privilégions la collaboration entre la PMI et l’éducation nationale pour y parvenir. Nous verrons par la suite comment compléter le processus, éventuellement grâce à ce type de propositions, madame Dubois, qui n’a pas été envisagé pour l’instant.

S’agissant de l’articulation entre les MDPH et les PPS, une mise en cohérence est prévue. L’enseignant référent est l’interlocuteur des familles et fait le lien avec la MDPH. C’est lui qui aide les familles à remplir le GEVA-Sco, notre outil d’évaluation des besoins transmis à la MDPH. En revanche, il ne réalise pas le PPS, qui relève de la MDPH, mais peut aider à sa réalisation. Notre but est d’éviter une distorsion entre les préconisations de la MDPH et ce qui se passe dans l’établissement, en renforçant cette cohérence, dont le PPS est le vecteur majeur.

Monsieur Pradié, je comprends que vous soyez focalisé sur les crédits de formation, dont nous pourrons vous fournir l’état de consommation. Mais je voudrais réaffirmer très clairement que les crédits de formation seront à la hauteur des besoins.

M. Aurélien Pradié. Ce n’était pas ma question ! Quel est le niveau de consommation de ces crédits ?

M. Jean-Michel Blanquer. Vous ne semblez pas avoir envie que ce soit votre question, mais c’est ma réponse. Vous me donnez le sentiment, même si je peux me tromper, de vouloir démontrer que nous voulons faire des économies sur la formation. Il n’en est rien. L’effort de sincérisation budgétaire nous offre un socle pour réaliser la formation, que nous sommes capables d’ajuster en fonction des besoins. Nous sommes ambitieux et ne voulons pas d’une formation au rabais, sans quoi je n’aurais pas dit tout ce que j’ai dit précédemment.

M. Aurélien Pradié. Ma question était plus factuelle !

M. Jean-Michel Blanquer. Je n’ai pas l’état de la consommation des crédits sur moi, mais nous pourrons vous fournir cette information prochainement. En tout état de cause, le suivi se fait académie par académie, en fonction des besoins.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, notre système ne permet pas de savoir combien d’enfants sont scolarisés moins de dix heures par semaine. Il peut exister des enquêtes a posteriori qui le font académie par académie. Ce mécanisme, bien trop artisanal, doit changer. La modernisation du système d’information commencera par les MDPH et se poursuivra avec l’éducation nationale.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous avons les chiffres par demi-journée !

M. Aurélien Pradié. Vous les donnerez au ministre !

M. Jean-Michel Blanquer. Ce sont les agrégations des données par académie.

(M. Sébastien Jumel, rapporteur, donne un document à M. Jean-Michel Blanquer.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je me transforme en collaborateur du ministre… juste pour l’occasion ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Blanquer. Sur 185 563 élèves en situation de handicap suivis, 161 340 l’étaient à temps complet, soit 87 %, 12 688 pour 2,5 à 4 journées, soit 7 %, 9 113 pour 1,5 à 2 journées, soit 5 %, et 2 422 pour 0,5 à 1 journée, soit 1 %. Je vous remercie pour ces chiffres, monsieur le rapporteur.

Je vous remercie également d’avoir cité Le Lièvre et la Tortue, la fable qui m’était également venue à l’esprit quand M. Pradié avait fait référence à La Fontaine. Nous sommes toujours le lièvre ou la tortue d’un autre… Certains nous reprochent notre excès de rapidité, d’autres notre excès de lenteur. Monsieur le rapporteur, vous semblez nous reprocher d’aller trop vite sur les PIAL. Néanmoins, ce sont eux qui vont nous permettre d’améliorer la formation, en la rapprochant du terrain, comme vous nous l’avez demandé. J’ai tendance à penser que, dans la mesure où nous les avons déjà expérimentés, nous sommes dans une situation d’équilibre. Pour répondre à votre demande, nous allons vous fournir la note de l’IGEN et IGAENR de février dernier. L’expérimentation qui a eu lieu dans l’académie d’Aix‑Marseille a été positive de tous les points de vue – élèves, familles, accompagnants et enseignants. C’est sur cette base que nous lançons une deuxième phase, qui sera éventuellement suivie d’une troisième.

Vous nous avez dit que moins de 1 % des AESH étaient à plein temps. Il me semble, en réalité, que, même s’il est faible, le taux est supérieur. C’est l’un des problèmes de la situation actuelle. Nous souhaitons aller vers plus de temps complets, en fonction, bien sûr, du désir des AESH. Nous pensons que, dès l’année prochaine, un tiers des AESH pourraient travailler à temps complet, notamment grâce aux PIAL et aux accords conclus avec les collectivités locales.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Le taux de 1 % concerne les AESH sous CDD de trois ans.

M. Jean-Michel Blanquer. Notre objectif est bien évidemment la généralisation des contrats de trois ans. Le basculement se fera l’an prochain, qui verra les derniers emplois aidés, avant la rentrée 2020, où tous les AESH bénéficieront de contrats de trois ans. Ces questions de ressources humaines sont étudiées avec les organisations syndicales.

Le fait que l’aide soit mutualisée ou individualisée dépend aussi des MDPH. Les réalités de l’académie de Créteil doivent correspondre à ce que les MDPH ont préconisé. Je répète qu’il n’y a pas eu de consignes pour généraliser la mutualisation. 

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Monsieur le ministre, je vous remercie pour toutes vos réponses, qui ont été les plus honnêtes et sincères possible. C’est un sujet très difficile, un défi formidable à relever pour notre société. Nous sommes là parce que nous voulons tous y parvenir. Les transformations en cours, qui semblent majeures, même si elles paraissent un peu rapides à certains, semblent ouvrir une nouvelle étape dans la scolarisation des élèves en situation de handicap. J’espère qu’un jour on ne parlera même plus de scolarisation des élèves en situation de handicap, mais simplement d’école.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Monsieur le ministre, je souhaite à mon tour vous remercier pour la qualité de nos échanges. Nous nous sommes fixé comme objectif de publier notre rapport à la mi‑juillet. Il va sans dire que je me ferai un honneur, en compagnie de la présidente, de vous le remettre, en espérant qu’il saura nourrir vos réflexions, ainsi que les décisions à venir, sur un sujet dont les membres de la commission ont dès le début estimé qu’il ne devait pas faire l’objet de politique politicienne. Nous ne devions avoir qu’une seule chose en tête : le témoignage de Sami, que j’ai cité en introduction, de tous ces enfants et de tous ces parents qui ont besoin d’être respectés, reconnus et pris en compte par la République.

 

 


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2.   Audition de Mme Sylvie Delattre, enseignante référente du pôle inclusif d’accompagnement localisé (PIAL) de Brie-Comte-Robert, Mme Christelle Doublet, AESH du secteur de Brie‑Comte-Robert, Mme Consolation Parisy, enseignante référente du PIAL de Nemours, Mme Carole Delarocque, AESH du secteur de Nemours, et Mme Isabelle Deslandres, inspectrice de l’éducation nationale chargée de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés dans le département de la Seine-et-Marne (IEN-ASH).

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions par celle de représentants de deux pôles inclusifs d'accompagnement localisés, ces fameux PIAL qui sont au cœur des débats sur l'école inclusive. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Isabelle Deslandres, inspectrice de l'Éducation nationale chargée de l'adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés (IEN-ASH) dans le département de Seine-et-Marne, Mme Sylvie Delattre, enseignante référente du PIAL de Brie-Comte-Robert, Mme Christelle Doublet, AESH du secteur de Brie‑Comte‑Robert, Mme Consolation Parisy, enseignante référente du PIAL de Nemours, et Mme Carole Delarocque, AESH du secteur de Nemours.

Mesdames, je vous souhaite la bienvenue. Il était très important pour nous de recevoir votre témoignage et votre ressenti sur ces PIAL. En effet, certaines personnes que nous avons entendues les ont présentés comme pouvant remettre en cause le rôle prescripteur des CDAPH, désorganiser le service des AESH et des AVS ou encore marginaliser l'aide individuelle au profit de l'aide mutualisée. Est-ce là votre expérience des PIAL ?

Je vais vous laisser répondre à cette question et à d'autres, bien sûr. Auparavant, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Isabelle Deslandres, Sylvie Delattre, Christelle Doublet, Consolation Parisy, Carole Delarocque prêtent successivement serment.)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Avant de poursuivre par un échange de questions et de réponses, je vais vous donner successivement la parole pour de courts exposés de cinq minutes environ. Nous allons partir du terrain, avec la vision de ce qui se passe à Brie-Comte-Robert et à Nemours, puis je donnerai la parole à Mme Deslandres pour une vision plus globale sur l'ensemble du département.

M. le rapporteur Sébastien Jumel. Nous venons d'auditionner le ministre pendant deux heures et vous imaginez que cette question des PIAL, de leur mise en œuvre à toute vitesse, sans que la réflexion ait pu se nourrir des retours d'expérimentation, a nourri nos échanges.

Je n'ai pas d'approche idéologique ou dogmatique sur les PIAL. Je n’ai pas de préjugé. Comment concilier droit individuel à accompagnement et réponse mutualisée pour l'accompagnement ? Dans votre esprit, la mise en place des PIAL a‑t-elle vocation à faire de l'accompagnement individuel une exception et de l'accompagnement mutualisé la règle ?

Je suis très préoccupé – et votre expérience m'intéresse – par la situation de précarité faite aux AESH. J’aimerais vous entendre sur la façon dont on fait pour vivre, avec un salaire correspondant à 24 heures réalisées. Comment se projette-t-on dans cette belle mission qui consiste à prendre en charge des enfants en situation de handicap, lorsqu’on n’a pas de vision sur son propre contrat ? J'aimerais également vous entendre sur la porte ouverte par le ministre – qui est au bout du compte la porte ouverte par le droit du travail – qui consisterait à cumuler un emploi d'AESH en accompagnement en milieu scolaire avec une autre activité proposée par les collectivités, y compris dans le cadre des PIAL, que vous venez nous vanter.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Pas forcément nous vanter, mais nous présenter en toute sincérité. Je vais également poser mes questions maintenant. Cela vous aidera peut-être à clarifier votre exposé dans un temps relativement contraint.

J'aimerais savoir ce que disent les acteurs de ces PIAL. Nous avons un témoignage d'AESH, mais j'aimerais également savoir ce qu'en disent les professeurs, les parents et les élèves. Comment le vivent-ils ? Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer pour leur mise en place dans ces deux zones ? Quels obstacles persistent aujourd'hui ? Comment envisagez-vous de les surmonter l'année prochaine ? Quelles sont les recommandations que vous pourriez faire à vos collègues, afin de faciliter la mise en place des PIAL l’an prochain, dans les établissements où cela n'a pas été expérimenté ? Qu’attendez-vous de l'État sur ce sujet ? C’est peut-être davantage d'accompagnement.

Mme Sylvie Delattre, enseignante référente du pôle inclusif d’accompagnement localisé (PIAL) de Brie-Comte-Robert. Je suis Sylvie Delattre, enseignante référente pour la scolarisation des élèves en situation de handicap sur le secteur de Brie-Comte-Robert.

L’aide humaine mutualisée ne vient pas à l'encontre de ce qui peut être fait pour l'élève en tant qu’individu. Ce n'est pas incompatible. L'aide humaine mutualisée est toujours centrée sur les besoins particuliers de l'élève, toujours à son écoute et toujours en lien avec l'équipe d'école ou l'équipe de collège. Je ne crois pas que l'on puisse opposer aide humaine individualisée et aide humaine mutualisée. L’aide humaine mutualisée s'ajuste en fonction des besoins de l'élève, que nous connaissons bien en tant qu'enseignants référents pour la scolarisation des élèves en situation de handicap. Les professeurs et les équipes des écoles les connaissent bien également.

Lorsqu'une notification pour AVS mutualisée est accordée à un enfant, l’équipe d’école et moi nous attachons à ajuster le mieux possible cet accompagnement. Cet élève qui a des besoins particuliers a également un emploi du temps particulier et des soins. Une aide humaine mutualisée repose sur la mutualisation des ressources humaines sur le terrain. Pour autant, lorsque l'AVS mutualisée est auprès de l’enfant, elle est vraiment à son écoute. C'est la CDAPH qui a décidé si l'enfant a besoin d’une AVS mutualisée ou individualisée. En Seine-et-Marne, les AVS mutualisées sont proposées pour des enfants dont l’accompagnement peut aller de zéro à 23 heures ; à partir de 24 heures, il est recouru à des AVS individualisées. Cela laisse une marge de manœuvre très importante : selon le profil de l'élève, son histoire, son parcours de soins et le projet de la famille, l’AVS mutualisée est ajustée à ses besoins.

Chaque fois qu'une AVS mutualisée est proposée, j'appelle l'école ou le collège. Je dis : « Cet élève a une notification d’AVS mutualisée. Vous, principal, proviseur, directeur d'école qui connaissez bien l'emploi du temps de l'enfant, ses plages de soins, les moments de piscine, etc., à quel moment faut-il cibler l'accompagnement ? » Nous n'allons pas placer une AVS lorsque l'enfant n'est pas présent à l'école.

Avant, des élèves pouvaient bénéficier d'une notification pour AVS individualisée de quinze heures. Je pense à un élève qui a ensuite bénéficié d'une notification pour AVS mutualisée, c’est-à-dire de zéro à 23 heures. Nous avons pu, quasiment du jour au lendemain, augmenter sa quotité d'accompagnement, c'est-à-dire de passer de 15 heures à 20 heures, 21 heures, voire 22 heures dans un premier temps car au moment où la notification est arrivée, il avait besoin de ce nombre d’heures. La mutualisation nous a permis d'être très réactif. Au fil de l'année, le besoin de cet élève en accompagnement s’est réduit ; nous avons alors dialogué avec l'AVS. Le profil et les besoins ont été réévalués en équipe de suivi de scolarisation (ESS) – le personnel de soins, les parents, l'AVS, le psychologue scolaire, l'enseignant, le directeur d'école et moi‑même : devions-nous ajuster la modalité d'AVS mutualisée pour cet enfant, à ce moment et dans cette école ? lui laisser les 20 heures permises ou essayer de désétayer ? L’élève pouvait avoir l'AVS mutualisée jusqu'à 23 heures ; il a en fait commencé l'année scolaire avec 20 heures ; comme il se sent mieux, nous pouvons légèrement désétayer, tout en gardant la possibilité de revenir à une quotité plus importante et tout en respectant la notification de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Certains profils d'enfants ont besoin de l'AVS mutualisée de façon importante en début d'année, puis moins au milieu de l'année. Au retour de soins, s'il a beaucoup manqué l'école, nous pouvons aussi décider une présence plus longue de l’AVS mutualisée.

D’autres élèves ont besoin de l'AVS mutualisée seulement pour une sortie scolaire. Par exemple, l'AVS assure une aide au transport parce que l’enfant doit être déplacé dans une poussette. Des élèves ont besoin d'avoir seulement un accompagnement en mathématiques. La posture d'accompagnement proposée par l'AVS – qui le connaît bien : au bout d'un moment, elle a son mode d'emploi – est ajustée chaque fois. Cela s'inscrit dans un dialogue permanent au sein de l'école.

Mme Christelle Doublet., AESH du secteur de Brie-Comte-Robert. Je suis AESH dans le secteur de Brie-Comte-Robert. Actuellement, je suis un enfant qui a un trouble de comportement. Étant AESH mutualisée, je peux changer. Par moments, cet enfant n'a pas besoin de moi : il a besoin d'être seul pour se retrouver et ne veut personne à côté de lui. Cela me permet d'être en retrait : je classe ses papiers, je remets au clair ses notes. Par moments, il a besoin d'être avec moi tout le temps. Cela permet vraiment de s'adapter à l'enfant.

Avec l’AVS mutualisée, l'enfant peut rester dans l'école ordinaire. C'est vraiment très bien pour lui. Ce qui est bien est la souplesse au quotidien : le nombre d'heures peut s'ajuster. Parfois, cela peut porter sur un trimestre entier. Je l’ai vécu. Il y a six mois, il ne voulait pratiquement pas de moi. Il me disait : « Tu te mets là-bas et je t'appellerai quand j'en aurai besoin. » Depuis deux mois, il a besoin de moi quotidiennement. Il a vraiment besoin que je sois à côté de lui pour tout ce qu'il fait.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je me permets de vous interrompre pour affiner nos questions. La manière dont vous décrivez cet accompagnement est très intéressante, mais nous avons l'impression que vous n'accompagnez qu'un élève. Vous avez une grande richesse de ressources en temps d'accompagnement, que vous utilisez selon les besoins de l'enfant. Les craintes exprimées devant nous portent sur le fait que l’on accompagnerait deux, trois ou quatre élèves, et ce que l'on va donner à l'un, on ne va pas pouvoir le donner à l'autre. Avez-vous un témoignage à nous donner sur cette partie ?

Mme Christelle Doublet. Oui, bien sûr. Cet élève a des soins et n'est donc pas toujours présent. Quand il est en soins, s'il y a besoin que je m'occupe d'un autre enfant qui a une notification, Mme Delattre appelle le directeur et lui demande que j'aille aider un autre enfant. C'est ce qui s'est passé récemment. Quand l'enfant que j'avais partait en soins, j'allais m'occuper d'un autre enfant qui en avait besoin. Je suis toujours occupée.

Mme Consolation Parisy, enseignante référente du PIAL de Nemours. Je suis enseignante référente depuis environ huit ans et j'ai vu le passage de l’AVS individualisée à l’AVS mutualisée. Nous entendons vos craintes, mais quand nous parlons d'AVS mutualisée, nous restons sur un accompagnement individuel : la plupart du temps, l’AVS accompagne un enfant à la fois. La mutualisation donne une souplesse au niveau de l'emploi du temps et de la quotité horaire. Comme le disait Mme Delattre, la quotité horaire n'est plus déterminée par la MDPH et j'ai eu l'impression que nous, enseignants référents, nous retrouvions une place, afin de pouvoir travailler le projet de l'enfant et son évolution.

Précédemment, quand nous avions une notification d'AVS de durée donnée, qui pouvait courir sur une, deux années, voire plus, les parents s'attachaient à cette quotité horaire, qui était un carcan. Nous avions du mal à faire entendre à la famille l'évolution de l'enfant et le fait que nous pouvions désétayer cet accompagnement. L'idée est quand même que l’enfant gagne en autonomie et qu’à un moment, il puisse se passer de l'AVS, afin de poursuivre sa scolarité selon des modalités ordinaires. Le passage à des notifications d'AVS mutualisées nous donne la possibilité de travailler le projet de l'enfant et de l’accompagner de manière presque plus quotidienne.

Les enseignants référents peuvent donc organiser l’accompagnement et de répondre à la demande plus facilement. Quand une AVS mutualisée accompagne deux ou trois élèves, elle peut se concentrer sur des besoins plus spécifiques de l'enfant. J'ai vraiment l'impression que l’on est passé d’une approche quantitative de l'accompagnement à une approche qualitative. Maintenant, les enseignants se demandent à quels moments l’enfant a besoin d’être accompagné et sur quelles tâches. Tout le monde est gagnant, tant l'enfant accompagné que les enseignants, puisque ceux-ci redeviennent maîtres de la pédagogie et travaillent en partenariat avec les AESH.

Je suis passée d’une dizaine d'AVS accompagnant une cinquantaine d'enfants à 154 enfants aujourd’hui. Certains enfants de petite section n'étaient scolarisés que le matin et avaient besoin d'un accompagnement ; l'après-midi, l’AVS se consacrait plutôt à des tâches administratives. Maintenant, ce n'est plus possible. Vu le nombre d'enfants à accompagner, cela permet un accompagnement plus ajusté aux besoins de ces élèves.

M. le rapporteur Sébastien Jumel. Je veux vous dire très clairement que je n'ai aucun doute sur la manière dont les personnes présentes et toutes celles présentes sur le terrain mobilisent expertise, intelligence, compétence, humanité, afin de prendre en compte chaque enfant dans son individualité. Je veux lever toute ambiguïté là-dessus.

Deuxièmement, je le répète : je n'ai pas de préjugé ou de présupposé sur le sujet. Peut-être nous préciserez-vous cela, mais je note que dans votre département, il semble que le critère pour décider d'une aide individualisée ou d'une aide mutualisée est le nombre d'heures allouées. Je n'ai pas le sentiment que ce soit la loi, mais peut-être faudra-t-il m'expliquer ce qu'est la loi.

Troisièmement, lorsque la MDPH prescrit une aide mutualisée, je n'ai aucun souci quant à sa mise en œuvre, de la belle manière et avec la compétence que vous venez de dire. Mais si dans votre département, il n'y a que des notifications mutualisées, j'ai besoin de le savoir car cela m'interpelle.

Quatrièmement – je veux le dire pour la suite des interventions –, il ne m’a pas échappé que quand une AVS mutualisée est en face-à-face avec l'enfant, elle le prend en compte dans la singularité de ses besoins et de ses attentes. La question soulevée est celle du respect de la quotité horaire prescrite par la MDPH, même si j'entends la demande formulée par l'enseignante référente qu'au bout du compte, il y ait une prescription MDPH et qu'à partir de l'expertise, de l'intelligence, de la connaissance de chaque cas, les référents puissent décider de l'intensité de la mutualisation. Cela ne me semble pas abusif, mais a priori, ce n'est pas la loi non plus.

Enfin, je n’oppose pas accompagnement individualisé et accompagnement mutualisé, mais parfois, je lis des notes – cela fait la transition avec les oratrices suivantes – qui me disent que l'accompagnement mutualisé devient la règle et que l'accompagnement individualisé devient l'exception. Je vous invite à retourner voir les associations de parents : je ne suis pas sûr que les parents partagent cette évolution, cette ambition, mais je me trompe peut-être. Il appartiendra à chacun de prendre ses responsabilités et en tant que rapporteur, je prendrai les miennes, en donnant mon opinion in fine. À l'heure où je vous parle, je n'ai pas d'opinion, mais j’en aurai une lorsque je rédigerai le rapport.

Mme Carole Delarocque, AESH du secteur de Nemours. Je ne vais pas me risquer à répondre sur les AVS individualisées ou mutualisées, parce que je suis AVS mutualisée dans le second degré, dans un collège. Je sais que pour moi, cela fonctionne bien et ce n'est pas parce que je suis à l'Assemblée nationale que je le dis.

J'ai trois enfants actuellement ; j’en avais deux en début d'année. Ils ont différents troubles : dyslexie, autisme et troubles du comportement. Avec ma référente, j'ai adapté mon intervention en fonction des besoins identifiés à chaque moment de l'année. J'avais tant d'heures avec deux enfants et j'ai adapté en fonction des besoins de chacun. Comme je suis dans un collège, c'est un peu particulier : j'adapte peut-être un peu plus facilement. Je ne vais pas au sport avec eux, mais à des cours où ils ont vraiment besoin de moi. Cela demande effectivement que nous adaptions notre emploi du temps. Je n'ai connu que ce mode de fonctionnement, car je travaille dans le collège depuis que j'ai commencé. Cela fonctionne plutôt bien.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez donc le sentiment que vous arrivez à articuler votre temps de travail avec les besoins des élèves et à répondre relativement correctement à leurs besoins.

Mme Carole Delarocque. Pour mon cas, oui. Je ne suis pas certaine que cela fonctionne tout le temps, mais pour mon cas, oui. J'ai diminué certaines heures avec l’un des enfants, parce qu'il était absent. Je compense par d'autres cours.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci beaucoup pour votre témoignage.

Mme Isabelle Deslandres, Inspectrice de l’éducation nationale chargée de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés dans le département de Seine-et-Marne. Il m'appartient de vous expliquer – peut-être de vous convaincre – qu'en effet, je l'espère, nous ne sommes pas hors la loi. Nous n’avons pas décidé tous seuls de ce que nous faisons et de cette organisation : nous en avons référé à nos supérieurs et à nos partenaires.

En Seine-et-Marne, la situation des PIAL est un peu particulière. Il y a déjà un an et demi, tous les partenaires se sont mis autour de la table : la MDPH, l'ARS, l'Éducation nationale, car nous sentions un problème dans l'accompagnement humain. Nous voyions parfois dans les classes beaucoup d'AVS qui attendaient tranquillement auprès des élèves le moment où elles devaient intervenir : en fait, elles n'étaient pas « opérationnelles » autant d'heures qu'elles étaient notifiées. Nous avions par ailleurs des retards dans les notifications de la MDPH.

En décembre 2017, nous avons pris de concert la décision de réfléchir autrement à ce qu’allaient être les notifications. En CDAPH plénière – donc avec les associations de parents d'élèves –, nous avons décidé d'expérimenter un accompagnement plus souple et de notifier systématiquement une AVS mutualisée (AVSM). Au début, nous avons fixé une quotité de zéro à douze heures. Ce n'est écrit nulle part et, vous avez raison, nous avons notifié davantage d’AVSM. Avant 2017, nous avions 80 % d’AVS individualisées (AVSI) et 20 % d'AVSM ; petit à petit, nous avons inversé cette proportion. Aujourd'hui, nous avons environ 80 % d'AVSM et 20 % d’AVSI.

L'idée n'était évidemment pas de ne plus accompagner nos élèves, mais d'avoir davantage de souplesse, dans l'intérêt de l'élève et en fonction de ses besoins. La compensation doit conduire à l'autonomie. Or lorsque les AVS étaient trop proches des élèves, il n'y avait presque plus de communication avec l'enseignant, parce que l'élève était en face-à-face avec l’AESH. La notification disait 15 heures ou 18 heures de manière très officielle et à juste titre, la famille ressentait cela comme un droit, comme un dû. Au début, nous avons eu quelques coups de fil de familles qui ne comprenaient pas pourquoi leur notification était transformée, mais le fait d’avoir des AVSM nous a permis de travailler autrement avec les familles sur les accompagnements, en nous focalisant davantage sur les besoins des élèves et en désétayant, dans un sens ou dans un autre.

Au bout de six mois, l’expérimentation a été discutée en CDAPH par l'ensemble des partenaires : il a été décidé de la poursuivre et de l’approfondir, avant même la création des PIAL – peut-être étions-nous hors la loi, c'est vrai. L’idée était que pour une AVSM, il ne peut pas avoir de temps déterminé – c'est bien pour cela que ce temps est fluide et fluctuant en fonction des besoins. Il a donc été décidé que lorsque les élèves auraient une notification d’AVSI, ce serait pour une quotité horaire excédant 24 heures. C'est ce que nous avons expérimenté en Seine-et-Marne. C’est sur cette base que nous avons appris à mutualiser nos AVS dans le département, depuis plus d’un an.

Nous avons quelques PIAL, même si tout n'est pas en PIAL. Nous avons identifié des PIAL assez récemment ; nous allons étendre le dispositif à la rentrée, conformément aux demandes de Monsieur le Ministre. Les secteurs ont été identifiés : nous y avions déjà une habitude de mutualisation. Bien entendu, il va nous falloir maintenant accompagner nos élèves encore plus finement, en fonction des besoins – mettre une AESH auprès d’un seul élève au début de l’année, puis la réduire ou la retirer pour accompagner une autre élève, dans la même classe ou dans une autre. C'est une autre gestion, une autre organisation.

Hier matin, j'étais dans une classe où, pendant les 45 premières minutes, trois AESH étaient assises à côté des élèves en attendant que la maîtresse ait fini de faire ce qu'elle avait à faire. Nous avons travaillé avec l’enseignante afin de voir comment elle pourrait fonctionner différemment avec les élèves et les AESH. L’autonomie visée doit pouvoir exister un jour, puisque c'est le but de la compensation. C’est pour nous le sens de cette organisation.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions.

Mme Marianne Dubois. Mesdames, vous n'avez peut-être pas le recul nécessaire pour me répondre, mais pensez-vous qu'il y ait des limites au PIAL ? Des limites au nombre d'enfants pris en charge ou dans la forme ou la gravité du handicap ? Si l’on s’aperçoit en cours d'année que le dispositif ne correspond pas du tout aux besoins de l'enfant, peut-on très rapidement revenir à un accompagnement individuel, sans déshabiller le reste du dispositif ?

M. le rapporteur Sébastien Jumel. J'apprends beaucoup de choses en vous écoutant et je me mesure la passion qui est la vôtre dans l'exercice de cette belle mission.

Lorsque nous avons auditionné le Défenseur des droits qui fait l'objet de saisines nombreuses, dont un tiers sur le sujet qui nous rassemble, il a pris soin de rappeler que le droit formel et réel à accompagnement était un droit irréfragable sur la République. Par ailleurs, je ne méconnais pas le principe de libre administration des collectivités territoriales et la capacité d'une CDAPH à expérimenter quelque chose qui ne serait pas prévu par la loi. Je fais tout même le lien avec ce que nous a dit le Défenseur des droits. Pour bien fonctionner et avoir la souplesse dont vous avez expliqué qu'elle était utile aux intervenants et aux enfants, les PIAL impliquent-ils nécessairement ce glissement progressif – et même accéléré – de la notification individuelle vers la notification mutualisée ?

Certes, la loi peut être corrigée à tout moment, mais pour l'instant, elle dit que la notification fait l'objet d'un examen pluridisciplinaire afin d’évaluer les besoins de l'enfant et que si le droit est notifié individuellement, il est notifié individuellement. Elle ne dit pas qu’on passe du mutualisé à l’individuel au-delà de 23 heures. Comment vous en sortez-vous là‑dessus ?

Pour que vous compreniez bien pourquoi j'insiste là-dessus – mais j'imagine que vous l’avez compris –, nous venons d’auditionner le ministre. Fort de l’expérience de différentes académies, j’ai demandé au ministre : « Votre volonté est-elle que l'accompagnement individuel devienne l'exception et l'accompagnement mutualisé la règle ? » Le ministre a clairement répondu : « Non. » Je n’imagine personne prendre une initiative individuelle au sein d’un collectif, mais peut-être recevez-vous des indications de vos supérieurs contredisant les propos du ministre.

Mme Carole Delarocque. J’ai dit tout à l’heure que je ne décide pas du fait que ce soit individualisé ou mutualisé. En l'occurrence, j’ai un enfant dyslexique qui doit avoir 18 heures de notification, mais la plupart des professeurs ne veulent pas que ce soit avec eux. Ils estiment qu'à la limite, ils n’ont pas besoin que je sois là. Du coup, nous nous adaptons. Je vais dans les cours où il a effectivement besoin de moi. Dans d’autres, je me rends compte qu'il s'appuie trop sur moi. Je m'adapte et il y a un cours en particulier où il s'appuie beaucoup trop sur moi.

Je trouve qu’il est bien de pouvoir s'adapter sur certaines choses. Après, je suis allée au-delà de ce que certains professeurs ne voulaient pas, notamment dans une matière pour laquelle j'estimais qu'il en avait besoin et où je suis restée avec lui. Pour la matière où il s'appuie trop sur moi, je me suis un peu mise en recul. C'était juste pour expliquer un peu.

Mme Isabelle Deslandres. Je ne sais pas si je vais me souvenir de toutes les questions, mais je n'ai pas oublié votre question, Madame. Je voudrais juste finir là-dessus. L'idée est vraiment de viser l'autonomie des élèves. Si nous surcompensons auprès d'un élève, quel que soit l'étayage – que ce soit de la différenciation pédagogique, du matériel pédagogique adapté (MPA) ou une aide humaine –, nous n’allons pas lui permettre d'être autonome pour apprendre. Le critère est bien celui-là. Quelles que soient les aides que nous apportons, nous essayons de faire au mieux, en fonction des besoins des élèves. C'est la raison de la décision commune – qui n'est pas hors la loi – de la MDPH et de l'Éducation nationale, l'idée étant de vraiment s'adapter aux besoins des élèves qui évoluent.

Vous savez que nous ne pouvons pas changer les notifications. Si un élève a une notification AVSI de quinze heures pour deux années, la MDPH ne peut pas changer ce droit ouvert. En agissant comme nous le faisons, nous pouvons moduler les compensations en fonction des besoins des élèves. C'est la raison pour laquelle nous travaillons ainsi.

Je vais essayer de reprendre les questions dans l'ordre. Vous demandiez s’il y avait des limites au PIAL et des difficultés insurmontables. Quand nous avons démarré, certaines familles ne comprenaient pas pourquoi elles avaient reçu une notification d’AVSM, alors qu'elles voulaient une notification d’AVSI. Elles voulaient une augmentation de quotité horaire parce que leur enfant en avait besoin. J'avais expliqué à la CDAPH et à l'ensemble des partenaires que si quiconque rencontrait une difficulté, il pouvait m'appeler et j'étudierais la situation de l'élève. Je suis IEN-ASH, donc compétente pour l'ensemble du département. J'ai eu quatre appels seulement et j’ai réglé les situations. Sur le terrain, les enseignants référents, les équipes de suivi, l'ensemble des partenaires se sont attachés à travailler avec les familles et les élèves – qui refusent parfois la compensation d’aide humaine, quand ils sont adolescents. Ils se sont attachés à bien identifier les besoins. Les familles ont été rassurées de voir que, si l’on ne pouvait plus s'accrocher à une notification individuelle avec un quota d'heures, on pouvait dépasser cela en s'intéressant vraiment aux besoins de l'enfant. Forcément, certaines familles ne seront pas d'accord, mais ma porte est ouverte et chaque fois que l'on me téléphone, j’explique. Désormais les familles ont compris et s'attachent davantage à la qualité de l'accompagnement visant l'autonomie, plutôt qu'à la quantité.

Je reviens sur les limites du PIAL et s’il y en a en termes d'accompagnement humain. Sur les deux territoires de Mme Delattre et de Mme Parisy, nous n'avons pas d'élève non accompagné. Je n'ai pas eu d'appel sur le fait qu'il n'y avait pas assez d'heures. Si Mesdames Delattre, Parisy et les autres enseignants référents du département ont un besoin identifié pour un élève et qu’il faut recruter une AESH, parce qu'une notification d’AVSI arrive ou que, par exemple, une même AESH ne peut pas accompagner cinq élèves, il est tout à fait possible d'expliquer cela aux services et nous avons un moyen supplémentaire pour accompagner nos élèves. Je vous dis ce que nous vivons aujourd'hui.

Pour l'instant, dans notre expérimentation, nous n’avons pas rencontré de problème majeur d'élèves non accompagnés, parce que nous sommes en PIAL.

Mme Consolation Parisy. Nous sommes au début des PIAL et il est vrai que nous n’avons pas beaucoup de recul, mais nous n'accompagnons pas des groupes d'enfants. Dans mon secteur, une AESH peut accompagner deux enfants dans la même classe, parce que les besoins auront été identifiés comme tels. Nous n'allons pas au-delà de deux enfants. En équipe de suivi de scolarisation, nous pouvons reprendre un accompagnement plus individualisé, si le besoin s'en fait sentir.

Mme Sylvie Delattre. Si je peux me permettre d'apporter une précision, la différence que j'ai vue entre les notifications AVSI et les notifications AVSM est qu'auparavant, lorsque la MDPH notifiait une AVSI pour 18 heures et que nous n'avions pas le personnel disponible, nous ne pouvions pas répondre tout de suite sur ce bloc d'heures. Maintenant, avec l'AVS mutualisée, nous ne nous demandons plus si nous allons pouvoir l'accompagner tout de suite, si nous allons devoir recruter du personnel – nous savons que recruter du personnel pour élèves en situation de handicap demande un lourd travail de sélection de candidatures, etc. Nous ne sommes plus dans le « oui ou non, nous accompagnons », mais dans le « comment nous accompagnons ». Nous connaissons bien l’enfant. Cela prend beaucoup de temps aux chefs d'établissement, aux conseillers principaux d’éducation (CPE), aux directeurs d'école, mais nous savons le soin qu’ils mettent à construire l’emploi du temps de l'élève.

Parfois, vis-à-vis d’un élève, l'AVSM a juste besoin d’être là. Une simple présence est déjà en soi un accompagnement. C'est la justesse de la posture d'accompagnement sur laquelle il faut mettre la focale.

Combien suis-je d’élèves en situation de handicap ? Nous avons plus de 250 fiches actives – bientôt 260. Ce sont 180 élèves accompagnés et 40 élèves accompagnés avec une notification d'AVS individualisée – mais ce sont des notifications qui datent d'avant l’expérimentation, des reliquats d’AVS individualisées de 9 heures, 15 heures ou 18 heures. Pour celles-ci, nous sommes bloqués et nous ne pouvons pas ajuster notre réponse en fonction des besoins de l'élève. Avec le « comment on fait », nous pouvons faire du cousu main. Certains élèves bénéficient d’une notification d’AVSI de 24 heures, mais ils ne passent pas 24 heures à l'école : ils sont chez l'orthophoniste ou chez le psychomotricien, ou avec le service de soins qui se déplace dans l'établissement, etc. En fait, ils ne bénéficient pas pleinement de leur notification, tout simplement parce que d’autres soins à l'extérieur leur sont indispensables.

Nous nous sommes interrogés sur le nombre d'heures à mobiliser pour certains élèves avec une AVS mutualisée. Ils sont accompagnés 20 heures ou 22 heures – à mettre en relation avec cet élève qui bénéficie d’une notification AVSI de 24 heures, mais qui ne passe pas 24 heures dans la classe. Si des élèves bénéficient d'une notification AVSM et que nous n’avons pas assez de personnel, nous en recrutons. Dns le département, nous avons toujours pu recruter le personnel nécessaire. C'est pour cela que dans mon secteur, tous les besoins sont couverts.

Lorsqu'une notification pour AVS individualisée ou mutualisée arrive, j'explique à la famille : « À partir de maintenant, de demain ou de lundi prochain, il va se passer ceci ou cela. Je connais bien le profil de votre enfant dans cette classe, avec ses besoins, dans cette école, le projet que vous vous avez pour lui. Je peux vous proposer 23 heures, parce que j'en dispose ou parce que je vais demander un recrutement. » La famille est rassurée : son long cheminement s’achève : elle a fait son dossier MDPH et attendu que la MDPH évalue ses besoins ; la CDAPH s’est ensuite prononcée. Souvent, cette famille fantasme sur l'AVS, elle la veut absolument. Lorsqu'une notification arrive, qu'elle voit que finalement, ce sera possible… Un exemple m’a marquée : lorsque j’ai dit à la maman au téléphone que c'était possible et que cela allait commencer le lundi suivant, elle a pleuré. Le PIAL rend cela possible. On enlève les verrous, que j'ai évoqués auparavant.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Tout ce que vous dites nous épate un peu. Vous nous donnez le sentiment d’être dans un département où il y a de « l'abondance », c'est-à-dire du personnel disponible, que l'on recrute facilement – et c’est tant mieux –, avec un taux d'accompagnement à la carte selon les besoins de l'enfant et pas selon les désirs de la famille. Dans de nombreux départements, les prescriptions sont encore souvent des AESH individuelles dont la quotité ne dépasse pas douze heures, à rapporter aux vingt heures de scolarisation de l'élève. Alors, nous ressentons une espèce de crispation et une crainte. Il est vrai qu'il y a un attachement à ce que ce soit la CDAPH qui apprécie le besoin et essaye de définir si tel élève a besoin d'un accompagnant rien que pour lui. Je me dis que quelquefois, les quinze heures vont être ramassées en bloc et pas forcément adaptées aux besoins de l'enfant, mais nous pourrions imaginer un accompagnement individuel qui réponde aux besoins de l'enfant et de son emploi du temps. Peut-être que cela complexifierait encore une fois votre travail. Nous nous posons la question.

Dans votre système qui a l'air de très bien fonctionner – je ne le juge pas –, nous avons le sentiment que la CDAPH s'est dépouillée de sa compétence. Peut-être, au contraire, l’a-t-elle tellement bien exercée qu'elle a décidé qu'elle serait plus efficace en fonctionnant de la façon que vous avez décrite. Je ne suis pas dans le jugement, mais nous pouvons l'interpréter de cette façon.

M. le rapporteur Sébastien Jumel. En vous écoutant, je me dis que l’on a trouvé le paradis sur terre. Je vais venir en Seine-et-Marne et recommander de faire la même chose à l'ensemble des familles qui pleurent, lorsqu'elles apprennent une bonne nouvelle, mais également les 15 000 familles sans accompagnement qui pleurent, lorsqu'elles attendent la bonne nouvelle. Ce paradis sur terre me conduit à vous demander quel est le taux d'encadrement de vos PIAL par enfant. J'ai sous les yeux la moyenne nationale et ce sont les chiffres du ministère. Il est toujours difficile de parler de ratio quand il s’agit d'enfants et d'humains, mais dans les PIAL, le ratio est de 2,78 ; il est de 2,31 dans les systèmes mutualisés hors PIAL, avec des pics – je ne stigmatise pas, mais c'est dans la note que l'on nous a transmise : à Strasbourg, ce sont des pics à plus de 4,14 élèves par accompagnant.

Chez vous, c'est extraordinaire, parce que quand vous avez besoin de quelqu'un, il suffit de demander pour l'avoir. Or des rectorats, des inspections académiques nous ont dit : « Nous avons consommé nos crédits. Stop, nous arrêtons tout, sans considération des dossiers déposés en cours d'année. » Je rêve d'habiter chez vous et de généraliser cela partout en France, mais je veux savoir par quelle opération du Saint-Esprit laïc vous arrivez à ce taux d'encadrement.

Je ne me fais pas une grille de lecture subjective, mais pour les PIAL se posait également la question des temps de formation pour les accompagnants, des temps d'échanges pluridisciplinaires, de recul professionnel, des temps de formation à amplifier. Comment tout cela s'articule-t-il dans votre système ? Pour bien comprendre : est-ce un PIAL anticipé ? Est un système mutualisé avant l'arrivée des PIAL ? Je veux comprendre ce dont il s'agit.

Mme Isabelle Deslandres. Je prends des notes sur l'ensemble des questions que vous posez, mais comme vous en reposez dans les interstices, je ne sais pas si je vais y arriver.

Le Défenseur des droits s'adresse directement à nous. Chaque fois que nous avons une question du Défenseur des droits, nous analysons la situation et la lui expliquons. Cela se termine toujours par une solution au problème posé.

Vous nous demandiez s’il fallait généraliser. Nous ne sommes pas en position de le dire.

Bien entendu, nous avons aussi des élèves non accompagnés dans le département. Nous ne sommes pas partout en PIAL. Nous avons prêté serment pour parler de ce que nous faisons exactement sur le territoire précis que nous supervisons. Dans le département, notre enveloppe a déjà été consommée et hors PIAL, des élèves ne sont pas accompagnés mais dans les PIAL, tous nos élèves le sont. Pourquoi ? Parce que cette modalité de mutualisation permet de répondre immédiatement à une famille, d’analyser les besoins de l'élève et de commencer à accompagner, quitte à augmenter la réponse si nécessaire. C'est l'intérêt de la réponse immédiate. Pour les familles, c’est très important : dans les procédures antérieures, il y avait un mois de délai incompressible avant de demander l'autorisation de recrutement, de recruter la personne, etc. Ce système nous permet de répondre à une famille : « À partir de lundi, en fonction des besoins de votre enfant, nous allons organiser quelque chose pour commencer. »

Vous nous avez demandé si nous avions des pressions de M. le ministre pour enlever les AVSI ou les AVSM, si nous avions des ordres. Certainement pas.

Vous nous avez également dit que nous pouvions avoir donné l'impression que la MDPH s'était dessaisie et délestée d'une décision. Ce n'est pas comme cela que nous avons travaillé. C’est ce que j'ai compris, Madame.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Vous avez raison. Ma question était bien celle-là, parce que certains peuvent l'interpréter ainsi. Personnellement, j'ai eu le sentiment que vous aviez pris cette décision avec sagesse, parce que vous l'avez expérimentée et travaillée en équipe.

Mme Isabelle Deslandres. Non seulement c'était décidé à plusieurs institutions, mais cela été discuté en CDAPH afin d’expliquer la plus-value de cette méthode à l'ensemble des partenaires et des associations présents. L’idée était davantage de s'intéresser aux besoins de l'usager et d'y répondre, plutôt que quelqu'un se désiste de quoi que ce soit.

S’agissant des temps de formation, les AESH bénéficient d'un stage de soixante heures d'adaptation à l'emploi qui arrive peut-être parfois un peu trop tardivement, après la signature du contrat, même si nous nous employons évidemment à le faire le plus rapidement possible. Nous avons déjà anticipé l’amplification souhaitée des formations en permettant à des binômes d'enseignants et d’AESH de bénéficier des trois heures, conformément à la circulaire du 5 juin, sur les gestes professionnels à partager avec le professeur.

Je n'ai pas les chiffres du nombre moyen d'élèves accompagnés PIAL ou hors PIAL, mais nos tableaux sur le taux d'encadrement sont remontés. Je ne les connais pas, mais je peux vous dire qu’en général, sur l'ensemble du département, notre moyenne est à douze ou treize heures d'accompagnement. Maintenant, il faut différencier PIAL et hors PIAL. Je constate que sur les PIAL, tous nos élèves sont accompagnés ; hors PIAL – vous évoquiez les enveloppes consommées –, nous sommes tous logés à la même enseigne. Certains élèves dans le département ne sont pas accompagnés, mais la dotation va arriver et nous espérons qu'en septembre, nous pourrons répondre à tous nos besoins. Il faut savoir que dans le département, l'enveloppe est consommée, mais grâce à la mutualisation, nous n’avions que 37 élèves non accompagnés sur l'ensemble du département il y a six mois – qu’il faut rapporter à 7 000 élèves avec un dossier MDPH dont 4 500 avec un accompagnement humain.

Je crois que nous vous avons monré avec beaucoup de sincérité le travail que nous faisons au quotidien, dans l'intérêt de nos élèves.

Mme Consolation Parisy. Pour compléter la réponse de Mme Deslandres, dans mon secteur, une AVS accompagne deux élèves, trois au maximum. Nous sommes donc sur un ratio compris entre deux et trois.

Nous n’avons aucune difficulté pour obtenir une autorisation de recrutement, mais le recrutement lui-même est parfois compliqué – il faut trouver la bonne personne. Je mets cela sur le compte de mon secteur, très rural : trouver une AVS pour Voulx ou Guercheville est assez compliqué. Nous sommes nous-mêmes désespérés et la famille nous appelle régulièrement, afin de savoir quand l'AVS arrivera. Nous leurs disons que nous avons l'autorisation de recrutement, que nous avons fait une première commission, une deuxième commission, que Pôle Emploi ne nous envoie pas de CV, etc. Nous pouvons rencontrer cette difficulté sur le terrain.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames, je vous remercie de vos témoignages particulièrement intéressants et surprenants. Vous ne nous avez pas vraiment parlé d'obstacle majeur. Nous avons compris que derrière tout cela, il y a une volonté et beaucoup de travail. C'est tout à l’honneur des équipes qui ont mis en place ces PIAL. Cela peut donner de l'espoir pour l'avenir, pour les équipes qui vont également le mettre en place. Cela rassurera peut-être également des familles qui sont très inquiètes aujourd'hui de ces annonces.

M. le rapporteur Sébastien Jumel. Merci à vous, c’était passionnant. J'ai joué le rôle de celui qui pose des questions qui « frottent », mais c’est également le rôle de la commission d'enquête de tenter de s'approcher le plus précisément possible de la réalité. C’était très instructif. Je rêve d'une généralisation, non pas des PIAL, mais d'un îlot de paradis et d'abondance tel que vous le vivez.


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   Mercredi 19 juin 2019

Audition de Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Nous sommes réunis aujourd’hui pour l’audition de Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; celle-ci est accompagnée de M. Patrice Fondin, conseiller Éducation, formation et enseignement supérieur, et de Mme Stéphanie Talbot, cheffe du bureau de la gouvernance du secteur social et médico-social à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Je vous souhaite la bienvenue.

Il était indispensable que nous vous recevions puisque vous avez entrepris de mettre en place un « service public de l’école inclusive » avec votre collègue M. Jean-Michel Blanquer que nous avons reçu hier. Des réformes importantes se préparent pour la rentrée prochaine avec la pérennisation et la généralisation des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), expérimentés depuis la dernière rentrée scolaire, et l’extension des unités d’enseignement élémentaire autisme (UEEA).

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sophie Cluzel, M. Patrice Fondin et Mme Stéphanie Talbot prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame la ministre, il ressort des travaux de la commission d’enquête qu’il est difficile de collecter les données indispensables pour avoir une vision d’ensemble cohérente, poser un diagnostic précis, partagé, étayé et objectif en vue de conduire une politique d’inclusion efficace. Faut-il centraliser davantage les informations détaillées sur les élèves, les structures chargées de les accueillir, l’état de la coopération entre ces structures, la situation des personnels concernés ? Allez-vous vous doter des outils indispensables à la conduite une politique publique cohérente dans le temps ?

Que pensez-vous de la proposition du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) tendant à créer un ministère unique de plein exercice qui aurait, entre autres missions, la responsabilité d’accompagner tous les enfants depuis la petite enfance, y compris ceux qui sont en situation de handicap ?

Enfin, les témoignages que nous avons reçus font apparaître que les parents, « aidants familiaux », se trouvent parfois en décrochage professionnel – et même social – parce qu’ils doivent assumer les conséquences de l’absence de scolarisation ou d’accompagnement spécifique de leur enfant. Ce sujet vous a-t-il mobilisé ces dernières semaines et vous mobilisera-t-il au cours des prochains mois ?

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Je suis heureuse d’être avec vous et vous remercie pour vos travaux. Votre commission d’enquête nous aidera à éclairer davantage encore la politique dont le ministre de l’éducation nationale et moi-même avons la responsabilité et enrichira les propositions relatives au grand service public de l’école inclusive que nous bâtissons. Ce service intègre la formation professionnelle et l’enseignement supérieur, sous l’autorité du ministre, ainsi que l’enseignement agricole, que l’on oublie souvent et qui une autre voie de formation pour les jeunes en situation de handicap.

Ma collègue Frédérique Vidal s’est engagée à ce que le service public de l’école inclusive se prolonge dans tous les établissements d’enseignement supérieur, en tenant compte, bien sûr, de leurs spécificités. À cette fin, la commission académique d’accès aux études supérieures prend en compte le handicap dans le cadre de Parcoursup ; chaque université est dotée d’un schéma directeur « inclusif » ; la participation à la vie étudiante est renforcée avec le déploiement, à terme, de 2 000 volontaires de service civique – et je puis vous assurer que c’est un accompagnement de qualité. Enfin, nous avons signé avec la Conférence des grandes écoles et avec la Conférence des présidents d’université des plans d’action exemplaires allant jusqu’à la préparation de l’entrée des étudiants dans la vie active.

La loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 a marqué une étape déterminante dans la politique nationale : le nombre d’élèves et d’étudiants scolarisés dans les murs des établissements a indéniablement augmenté. Néanmoins, je partage les conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de votre Assemblée après qu’elle a examiné la proposition de résolution tendant à la création de votre commission d’enquête : il nous faut dorénavant réussir le saut qualitatif et pouvoir observer, mesurer et évaluer notre politique. C’est le constat que Jean-Michel Blanquer et moi-même avons fait le 18 juillet 2018 en annonçant le plan d’action et la concertation « Ensemble pour l’école inclusive ». Ce saut qualitatif doit concerner toute la chaîne, depuis l’accueil de la petite enfance : les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), l’accès aux droits, à la compensation, à la scolarisation, à la formation, à l’enseignement supérieur, à l’emploi bien sûr, et même au logement. C’est le sens de la politique conduite depuis deux ans.

Depuis la loi de 2005, on s’est beaucoup concentré, à juste titre, sur les mesures de compensation individuelles ou collectives et sur le déploiement des MDPH – ces guichets uniques sont victimes de leur succès, avec 4,5 millions de demandes en 2018 et des délais d’instruction beaucoup trop longs, excédant bien souvent les quatre mois fixés par la loi. De ce fait, même si des progrès ont été réalisés, l’accent n’a pas été suffisamment mis sur le volet « accessibilité » de la loi, qui comprenait la scolarisation et l’accès aux études supérieures. On a fait de la présence des accompagnants la condition de la scolarisation des élèves, ce qui contredit le principe régissant leur mise en œuvre et celui de l’accessibilité universelle. L’acte II de la politique de scolarisation des élèves en situation de handicap que vous appelez de vos vœux, monsieur le rapporteur, doit être celui de l’adaptation de notre organisation sociale et de l’environnement scolaire et médico-social aux besoins éducatifs particuliers de tous les élèves en situation de handicap. Ce n’est pas l’inclusion au sens ancien d’intégration qui est visée, mais la pleine scolarisation de ces élèves et étudiants. Au-delà de la question des accompagnants, notre politique inclusive doit permettre de simplifier la vie des familles et des professionnels, d’outiller les enseignants et les établissements scolaires par la formation et l’appui médico-social et, bien sûr, de diversifier les modes de scolarisation pour permettre le juste étayage.

Ce n’est pas toujours su, mais la décision d’intégrer les auxiliaires de vie scolaire comme contractuels de l’Éducation nationale est antérieure à la date de la rentrée 2003, et leur fort déploiement sous forme d’emplois aidés est postérieur aux lois Borloo de 2005, sous le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin. Leur nombre a, depuis lors, été multiplié par six, mais une constante demeure : le contrat à durée déterminée (CDD) de court terme à temps partiel concernait 98 % d’entre eux en 2017. Si un premier pas vers la professionnalisation a été réalisé en 2013 sous le gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault, avec la création du statut d’accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH), il a fallu attendre les années 2017 et 2018 et la décision d’accélérer l’indispensable transformation des emplois aidés en AESH pour que les AESH deviennent majoritaires. La rentrée 2019 marque la fin du recrutement en emplois aidés avec une avance de deux ans sur le calendrier prévu. De CDD d’un an renouvelables six à huit fois, nous passons à un CDD de trois ans renouvelable une fois, selon le droit commun de la fonction publique pour les contractuels que sont tous les AESH, avec une cédéisation possible.

En liaison avec le CNCPH, nous avons procédé pendant presque sept mois à une grande concertation ascendante qui a rassemblé 150 participants au cours de trente réunions, permettant 90 heures d’échanges. Je rappelle les décisions et les travaux réalisés en deux ans : à la rentrée 2017, sanctuarisation du budget des accompagnants ; en décembre 2017, lancement du plan de transformation profonde du système éducatif et médico-social ; en avril 2018, remise des quarante-six propositions du CNCPH, saisi dans le cadre du plan de transformation ; en mai 2018, rapport inter-inspections sur « l’évaluation des besoins en aide humaine des élèves en situation de handicap » ; en juillet 2018, annonce des concertations et décret portant modification des conditions de recrutement des accompagnants ; en octobre 2018, colloque international « Ensemble ! Regard international sur l’éducation inclusive », avec nos amis québécois, pour rendre compte du tour d’Europe des politiques inclusives ; d’octobre 2018 à février 2019, concertation ; de février à juin 2019, chapitre « école inclusive » enrichi par les parlementaires dans le projet de loi pour une école de la confiance ; en juin 2019, annonce des mesures instituant le service public de l’école inclusive.

Cette concertation s’est aussi enrichie des remontées du grand débat et des débats parlementaires très riches en cette matière depuis la rentrée : les travaux de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et du groupe d’études sur l’autisme de l’Assemblée nationale, dont je salue la qualité ; les travaux parlementaires sur le projet de loi pour une école de la confiance ; votre engagement, monsieur le rapporteur, pour résoudre les difficultés de vos administrés – vingt dossiers que vous nous avez transmis en copie cachée et pour lesquels mon conseiller est intervenu auprès du ministère de l’Éducation nationale, de la MDPH et de l’agence régionale de santé (ARS). Parce que cette politique est coconstruite, il faut faire intervenir tous les acteurs.

Vous avez reçu déjà mon collègue Jean-Michel Blanquer – bientôt Mme Frédérique Vidal –, ainsi que Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Je centrerai donc mon propos sur l’appui médico-social, crucial.

En premier lieu, nous simplifions la vie des familles. Jusqu’à présent, les parents étaient tenus de faire la preuve du handicap de leur enfant tous les ans, même si le handicap était définitif. D’autre part, les délais des MDPH restent indéniablement beaucoup trop longs ; je l’ai constaté cette semaine encore, lors de trois déplacements au cours desquels j’ai reçu des familles. Enfin, la charge administrative qui pèse sur les équipes des MDPH ne leur permet pas de consacrer suffisamment de temps à l’accompagnement des parents.

Ces constats expliquent les mesures prises : l’attribution jusqu’à l’âge de 20 ans de l’allocation d’éducation d’un enfant handicapé (AEEH), et l’allongement des durées de notification jusqu’à cinq ans pour l’attribution du matériel pédagogique adapté (MPA) et par cycle de scolaire pour les projets personnalisés de scolarisation (PPS). Ainsi les familles ne devront-elles plus refaire un dossier tous les ans, et les jeunes handicapés à plus de 80 % devenus adultes se verront désormais attribuer des droits à vie. Nous allons ainsi renforcer la confiance entre l’école, l’administration et les familles.

Nous voulons aussi simplifier la mise en œuvre du PPS pour garantir le pilotage serein de la politique de scolarisation et le parcours scolaire de l’enfant. J’ai confié à la CNSA, en liaison avec les associations, la mise au point du livret de parcours inclusif et une réflexion sur le PPS de demain.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur, nous devons disposer de statistiques fiables pour être sûrs que notre politique est la bonne. Cela passe d’abord par le système d’information commun à l’ensemble des MDPH. En 2005, pour tenir compte de l’autonomie des départements, la liberté de choix du système informatique leur avait été laissée ; il en est résulté une disparité qui nous a fait perdre dix ans. Il y a trois ans, la décision a été prise d’un système d’information commun, trois éditeurs de logiciels couvrant l’ensemble des MDPH. La CNSA a fait un travail de dentelière sur le référentiel métier et, quand j’ai pris mes fonctions, j’ai souhaité accélérer la mise en œuvre de ce projet en investissant 25 millions d’euros supplémentaires pour aider les départements à améliorer leurs systèmes d’information respectifs, de manière qu’à la fin de l’année 2020 nous disposions enfin du système d’information commun qui permettra le pilotage au plus près des besoins et des notifications.

Nous modernisons le fonctionnement des MDPH et nous facilitons la transmission d’informations aux établissements médico-sociaux, aux caisses d’allocations familiales, à Pôle emploi, pour qu’enfin, grâce à l’automatisation des notifications, la personne handicapée ou sa famille n’ait plus à répéter sans cesse la même chose, que ses démarches et sa vie soient simplifiées. Nous sommes sur la bonne voie mais il faudra encore attendre une petite année au moins.

J’en viens aux notifications d’accompagnants et au rôle respectif des MDPH et des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Je le redis ici haut et fort : rien n’est changé pour les parents, c’est toujours la MDPH qui évaluera les besoins des enfants. La grande différence tient à ce que si l’enfant a besoin d’un accompagnement soutenu et continu, un accompagnant lui sera notifié avec un quota horaire ; sinon, c’est un accompagnement mutualisé qui sera notifié pour les trois fonctions que sont l’aide à la vie quotidienne, l’aide à l’apprentissage et l’aide à l’interaction avec les pairs. Je souhaite rassurer les parents de la manière la plus ferme : nous ne revenons nullement sur le principe de l’évaluation par la MDPH ; les PIAL sont l’instrument d’organisation et de coordination des moyens. Nous l’avons explicité dans les circulaires complémentaires que Jean-Michel Blanquer et moi-même avons envoyées aux recteurs et aux directeurs généraux des ARS après les avoir réunis pour la première fois en même temps, pour tenir le même discours à l’Éducation nationale et au secteur médico-social.

Qu’il s’agisse de l’évaluation, de la réception des familles, de la manière de notifier et d’accompagner, les disparités d’une MDPH à l’autre sont incontestables. L’enjeu est donc aussi de limiter ces fortes inégalités de traitement territoriales.

Pour réussir le saut qualitatif attendu, nous modifions également l’approche de la scolarisation des enfants en situation de handicap en permettant l’intervention des professionnels du handicap dans les écoles. La coopération se fera avec le secteur médico-social mais aussi avec les intervenants exerçant en libéral, sous convention. Cette évolution me conduit à souligner à nouveau l’importance du PPS qui, en mentionnant la nécessité de ces interventions complémentaires, permet à l’élève une scolarisation sereine dans le respect des compétences de chacun.

À partir de la rentrée 2019, nous créons donc les conditions d’un dialogue effectif et d’une interaction opérationnelle entre les autorités académiques – enseignement agricole compris – et le secteur médico-social, du niveau régional à l’établissement scolaire. Un « référent scolarisation » sera nommé dans chaque direction territoriale des ARS, en miroir de l’inspection académique. Nous associons les MDPH et les collectivités territoriales à la planification des dispositifs d’adaptation scolaire, dans le cadre d’un groupe technique départemental rénové dans sa composition et ses missions pour penser ensemble l’école de demain tant au niveau architectural que pour ce qui est des moyens humains. Nous créons des équipes mobiles d’intervention en appui des établissements scolaires pour mieux prendre en compte les besoins éducatifs particuliers ou les situations de crise et prévenir ainsi les ruptures scolaires. Nous modifions la loi pour permettre aux professionnels du handicap de travailler avec les enseignants et les établissements scolaires et renforcer les PIAL par un volet médico-social – des expérimentations vont avoir lieu et je vous ai apporté les circulaires envoyées aux ARS à ce sujet.

Nous visons la création de plateaux techniques dans les établissements scolaires comme il en existe au lycée Les Bourdonnières à Nantes ; des dispositifs médicoéducatifs d’appui aux établissements scolaires comme il y en a en Eure-et-Loir ; des classes d’autorégulation comme on en trouve en Charente et en Corrèze ; des établissements scolaires inclusifs tels l’école Anatole-France qui nous a accueillis, Jean-Michel Blanquer et moi-même, et le collège Jules-Renard de Laval que j’ai visité avec Jean-Michel Blanquer et le Président de la République l’année dernière. Le renforcement du volet médico-social au sein des unités d’enseignement est donc déjà une réalité : avant-hier encore, je visitais à Toulouse et à Albi des établissements d’enseignement gérés par l’Association de gestion d’établissements et services pour personnes en situation de handicap (AGAPEI).

Nous ne négligeons pas pour autant les élèves scolarisés dans les établissements médico-sociaux ou qui ont besoin d’un appui médico-social très soutenu à l’école. Ainsi, 106 000 enfants et jeunes âgés de moins de 20 ans en situation de handicap sont inscrits dans les établissements médico-sociaux – dont 6 000 au titre de l’amendement dit « Creton », pour lesquels il nous faudra trouver des solutions. Quelque 73 500 enfants sont d’âge scolaire ; 45 000 sont scolarisés en unités d’enseignement internes, 18 500 dans un établissement scolaire, souvent proche – en scolarité partagée, unité d’enseignement élémentaire ou autre dispositif – et 11 000 sont peu ou pas scolarisés, c’est-à-dire moins de neuf heures par semaine. L’ouverture, d’ici 2021, de 1 400 places en établissement médico-social, est programmée.

Notre objectif, à terme, est que tous les élèves puissent avoir un temps de scolarisation adaptée, où qu’ils soient, selon leur projet ou celui de leur famille. Pour cela, nous doublons les unités d’enseignement dans les murs de l’école ; nous faisons participer les parents à la communauté éducative ; nous développons les unités d’enseignement dans les établissements médico-sociaux – cela figure dans le programme des travaux que conduiront conjointement l’Éducation nationale et les ARS.

Nous pouvons aussi changer la donne grâce à l’intervention précoce. Le plan « maternelle » et la stratégie « autisme » au sein des troubles du neurodéveloppement visent à rendre cet objectif atteignable. Nous voulons tripler les unités d’enseignement maternelle autisme (UEMA) pour atteindre le nombre de 300 en 2022, avec un maillage fin du territoire. Nous créons 45 unités d’enseignement élémentaire autisme (UEEA) en complément du développement des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) et des classes d’autorégulation. Nous intervenons aussi en amont de l’école avec le bonus inclusif en crèche. J’ajoute que l’abaissement à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire sera un vrai levier d’accélération de la scolarisation des petits en situation de handicap. Vous le savez, beaucoup se joue avant six ans ; l’étayage précoce prévient les sur-handicaps et permet de remettre l’enfant en apprentissage.

Nous souhaitons donc une différenciation pédagogique en classe, pour laquelle nous pouvons actionner des dispositifs variés. Tous les parents que je rencontre me le disent : ils veulent que leur enfant handicapé entre à l’école de la République et y trouve les réponses les mieux adaptées à sa situation, en fonction de ses besoins particuliers en matière éducative. Ce n’est pas parce que tous les apprentissages ne peuvent se faire dans la classe d’âge de l’élève que nous abandonnons la logique inclusive en dehors de ces temps. Nous devons à tous les enfants l’étayage juste, adapté à leurs besoins, pour qu’ils puissent progresser là où ils se trouvent.

Le 4 juin dernier, Jean-Michel Blanquer et moi-même avons réuni les élus locaux pour associer les collectivités territoriales à cette nouvelle donne. Ce qui fait capoter l’école inclusive, ce sont des grains de sable et, indéniablement, le besoin de locaux ; aussi devons-nous travailler en amont avec les communes. Elles ont été déjà très sollicitées pour les dédoublements de classe ; pour autant, il faut penser l’école inclusive avec des salles de rééducation et inventer des salles évolutives. Nous devons donc accompagner les collectivités locales. La proposition de créer un groupe d’architecture de l’école inclusive de demain avec des élus locaux est très intéressante ; si vous, parlementaires, voulez y participer, vous contribuerez à anticiper les besoins.

Nous allons construire, pour la rentrée 2020, un dispositif « clés en main » pour les communes, permettant aux AESH qui travaillent dans le premier degré de bénéficier à terme d’un temps de service complet. La semaine étant de vingt-quatre heures à l’école primaire, les contrats proposés aux AESH ne peuvent être des contrats à temps plein. Pour autant, certains enfants ont besoin d’un accompagnement soutenu et continu qui concerne aussi l’accès à la cantine et les activités périscolaires et extra-scolaires. Nous devons donc organiser « le deuxième temps employeur », ce qui est trop compliqué pour les petites communes. Un groupe de travail s’est attelé à cette tâche avec des fédérations d’associations qui, souvent, portent déjà le deuxième temps employeur.

Je rappelle enfin que les communes peuvent s’appuyer sur la mesure « Fonds publics et territoires » des caisses d’allocations familiales (CAF), dont le budget a été augmenté de 60 % pour la période 2018-2022 ; quelque 100 millions d’euros sont ainsi consacrés au développement d’une politique inclusive d’accès aux activités périscolaires et extra-scolaires, avec des pôles de ressources et des renforts d’équipe si besoin est.

Telle est notre ambition en faveur de l’école inclusive de demain et tels sont les moyens, le processus et le chemin que nous avons choisis pour y arriver.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour cet exposé très complet.

Mme Géraldine Bannier. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir évoqué l’enseignement agricole, dont les personnels ont souvent l’impression de pas avoir les mêmes conditions de travail et les mêmes statuts que ceux de l’Éducation nationale. Ce matin, le recteur de la région académique Pays de la Loire est venu installer un PIAL dans le collège où j’enseignais avant mon élection. Les enseignants et les AESH lui ont dit que le travail d’équipe se fait bien, mais que les temps « informels » posent un problème : se réunir prend du temps, et ce temps n’est pas nécessairement formalisé. Les autres remarques portaient pour beaucoup sur l’effectif des classes. Il est difficile d’inclure un nouvel élève handicapé en plus dans des classes de vingt-neuf élèves au collège ou dans des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) – qui comptent théoriquement quinze élèves mais, bien plus souvent, seize ou dix-sept ; les enseignants soulignent que malgré la présence des AESH, les moyens humains nécessaires à l’accompagnement des élèves sont encore insuffisants. Vous y avez peut-être répondu en prévoyant une plus grande proximité avec le secteur médico-social mais, pour l’instant, le problème existe. D’autre part, comment remédier aux considérables disparités territoriales constatées entre les MDPH, qu’il s’agisse de leur fonctionnement ou de leurs moyens ?

Mme Danièle Cazarian. Madame la ministre, j’étais à vos côtés hier, lors de l’inauguration de la maison de répit de la métropole de Lyon. Cela me conduit à évoquer le statut des aidants car nous avons entendu des témoignages directs sur ce que vivent les huit millions de personnes qui accompagnent leurs enfants ou leurs conjoints en situation de handicap ; ces aidants sont 160 000 dans la seule métropole lyonnaise. Ne peut-on faire essaimer des maisons de répit partout sur le territoire national ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie, madame la ministre, pour la considération que vous accordez à notre commission, dont témoigne le sérieux avec lequel vous avez exposé les politiques entrant dans votre champ de responsabilité. Je vous suis aussi reconnaissant d’avoir dit que le rapport de la commission d’enquête, que nous avons d’emblée exclu du champ politicien, nourrira votre réflexion et les décisions à venir.

Le déploiement de maisons de répit, comme il en existe dans le champ des personnes âgées dépendantes, est nécessaire aux aidants familiaux de personnes handicapées. Plus largement, la spécificité de leur situation justifie aussi, comme l’avait suggéré mon collègue Pierre Dharréville dans une proposition de loi, la création d’un statut particulier, voire la validation de l’expertise acquise par les parents mobilisés autour de leur enfant.

Vous avez redit faire une priorité du doublement des unités d’enseignement externalisées d’ici 2022. Fort bien, si ce n’est que ni le ministère de l’Éducation nationale ni vos propres services ne sont en mesure de nous dire combien de ces unités existent aujourd’hui et combien d’élèves y sont scolarisés. Comment peut-on afficher pour objectif un doublement sans savoir sur quelle base on part ?

Quelques exemples et une expérimentation très intéressante mais, me semble-t-il, peu conforme à la loi, mise en œuvre dans l’académie de Créteil, ont suscité une vive appréhension : celle que les notifications d’accompagnement mutualisé deviennent la règle et les notifications d’accompagnement individualisé l’exception. J’ai donc apprécié votre mise au point, le fait que vous réaffirmiez la compétence des MDPH pour décider le périmètre des notifications avec l’indication de critères précis. Il nous a en effet été rapporté que dans l’académie de Créteil, l’accompagnement est mutualisé jusqu’à vingt-trois heures d’aide humaine et que l’on passe à l’aide individualisée seulement lorsque la quotité horaire dépasse ces vingt-trois heures ; ce critère ne me semble pas correspondre à ceux que vous avez vous-même rappelés.

L’annonce d’objectifs chiffrés pour le renforcement de la capacité de l’Éducation nationale à accueillir les élèves en situation de handicap provoque l’inquiétude en donnant à penser que nous allons désinstitutionnaliser à marche forcée – pour faire simple, en finir avec la prise en charge des enfants dans les instituts médicoéducatifs (IME). Vous avez dit que tel n’est pas votre objectif, et réaffirmé la nécessité d’un équilibre. J’aimerais connaître votre avis sur une proposition formulée devant nous, qui consiste à favoriser les parcours scolaires partagés. Cette souplesse donnerait une perspective d’avenir aux instituts de jeunes sourds qui semblent fragilisés.

Enfin, le Gouvernement a annoncé vouloir simplifier le PPS ; mais qu’en est-il du document unique censé se substituer au PPS, à son document de mise en œuvre et au guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation, évoqué dans le cadre de la concertation « Ensemble pour une école inclusive » ? Plus largement, la simplification du PPS est une idée juste, mais il est tout aussi juste de veiller à ce que ce document existe réellement partout. Or, nos travaux ont révélé que, dans de nombreux départements, il n’y en a pas, ce qui rend difficile l’application des prescriptions.

M. Bertrand Bouyx. Le rapporteur a raison : on sent l’inquiétude poindre dans certaines familles à l’idée que le parcours de leur enfant serait désinstitutionnalisé ; comment pouvez-vous les rassurer ? D’autre part, le nombre d’heures d’enseignement proposées dans les IME est parfois insuffisant. Comment y remédier ?

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Je serai franche : je suis gênée d’entendre dire « c’est une classe de 23 élèves et, en plus, un élève handicapé ». Les élèves handicapés font partie des 24 élèves de la classe ; on doit cesser de les considérer comment venant « en plus ». Dire : « Ma classe est pleine, je ne le prends pas » n’est plus de mise. Ces enfants sont dans le groupe scolaire depuis la petite section de maternelle, ils ont un parcours scolaire ; on ne peut plus dire : « C’est compliqué de les prendre en plus » alors qu’ils font partie de l’ensemble des enfants scolarisés à l’école, au collège et au lycée. Cela doit être réaffirmé haut et fort.

Pour autant, nous ne devons pas nous voiler la face : s’il y a des besoins d’adaptation, il faut y répondre, ce qui peut signifier que l’enseignant doit être appuyé par des adaptations pédagogiques. C’est pourquoi nous mettons en place des « enseignants ressources » spécialisés ; de pair à pair, il est plus facile d’aider à mettre en place une pédagogie adaptée. Ils seront cent, soit un par département, à raison de cinquante cette année et de cinquante l’an prochain. D’autre part, la plateforme de ressources numériques Cap vers l’école inclusive pourra aussi outiller l’enseignant en quête de ressources pédagogiques utiles à la scolarisation de tous les élèves. En 2019, les familles ne veulent plus entendre que leur enfant en situation de handicap vient « en plus ». Nous devons donc nous adapter collectivement pour réussir leur scolarisation.

La disparité entre les MDPH est indéniable ; elle l’est aussi entre les PIAL. Aussi l’Éducation nationale a-t-elle décidé de déployer les PIAL renforcés en partant des territoires, si bien que leur cahier des charges sera certainement révisé au cours des mois qui viennent en fonction de la culture de chaque territoire. J’ai visité avec Jean-Michel Blanquer le PIAL inter-niveaux de Garges-lès-Gonesse, où un coordonnateur conjugue les PIAL de niveau scolaire. C’est une manière de faire ; tout dépend de l’étendue du territoire, et l’on peut aussi choisir une plus grande proximité. L’intelligence collective, la connaissance du territoire qu’ont les recteurs et les inspecteurs d’académie, appuyés par les référents de scolarisation des ARS, doivent nous permettre de réussir. Nous devons définir un cadre laissant aux collectivités la souplesse d’agir au plus près des écoles, des collèges et des lycées.

La maison de répit de la métropole lyonnaise est, je l’espère, la première du déploiement possible d’une par région. Cette maison n’est pas que de répit : elle dispose d’une équipe mobile d’évaluation qui se déplace à domicile pour mesurer les difficultés, apprécier l’ergonomie et évaluer comment l’on peut remobiliser les aidants. Le séjour de répit est proposé aux enfants et aux adultes, aux aidants et aux aidés, seuls ou ensemble, dans une grande souplesse. Il y a un « bon de tirage » de trente jours par an et la qualité des locaux est extraordinaire. Il s’agit d’un partenariat public-privé, un investissement que l’on analyse pour pouvoir le modéliser. J’en appelle à toutes les bonnes volontés qui ont envie de se lancer dans le déploiement de maisons de répit, qui sont de très beaux outils.

Dans le même temps, nous devons en effet travailler à l’accompagnement des aidants. Pour beaucoup, les familles avec lesquelles je me suis entretenue lors de l’inauguration de la maison de répit sont encore à la maison, sans solution ou avec des solutions très partielles, difficiles à mettre en œuvre. Nous voulons pouvoir accompagner ces aidants ; des expériences ont déjà lieu avec des « assistants de projet de vie » qui aident les familles à assembler des solutions. Il faut y travailler avec les associations gestionnaires du secteur médico-social, penser différemment les solutions et accompagner les parcours ; on ne peut délivrer une notification à la famille en se limitant à lui dire d’aller voir tel établissement ou tel service. L’enjeu, considérable, est de s’assurer que les solutions données dans la notification, qui peuvent être multiples, sont suivies d’effet. C’est ce que les parents me disent quand je tiens des permanences dans les MDPH : « J’ai reçu une notification pour trois établissements, je n’y arrive pas, je ne comprends pas, c’est trop compliqué ». Il nous faut, en collaboration avec les associations de familles et les opérateurs gestionnaires, faire émerger le nouveau métier de coordonnateur de parcours, d’assembleur, d’assistant de projet de vie. C’est indispensable si nous voulons réussir la mise en route des processus nouveaux que sont le sur-mesure et le temps partagé.

Pour répondre plus complètement à votre question au sujet des aidants, il nous faut effectivement travailler sur l’arrêt de travail, la baisse du temps de travail, la reprise du travail, la qualification validée de l’indéniable expertise qu’ils ont acquise. On peut aussi envisager une bonification leur permettant de suivre une formation différente. Nous devons aussi favoriser leur accès à la santé, car les aidants doivent se préserver. La maison de répit de la métropole lyonnaise offre d’ailleurs la possibilité de faire du yoga et de la sophrologie aux aidants comme aux aidés ; tout est pensé en route pour remettre le « couple aidant-aidé ».

Accès aux soins, accès à la santé, formation, reconnaissance de l’expertise : ce sont autant de sujets sur lesquels nous devons nous pencher ensemble, mais je ne sais s’il faut aller jusqu’à créer un statut. Ce n’est pas enfermer l’aidant dans un statut qui m’importe, mais trouver des solutions lui permettant de sortir de son statut d’aidant de fait. J’ai rencontré une jeune fille de 19 ans qui accompagnait son père, victime d’un accident vasculaire cérébral ; la vie de cette jeune fille lui est volée. Lundi prochain aura lieu le premier congrès des jeunes aidants. Nous devons aider ces 50 000 jeunes gens, parmi lesquels des étudiants parfois obligés de mettre leurs études entre parenthèses, à sortir de leur rôle d’aidant, en trouvant des solutions d’accompagnement. Il nous faut donc définir une politique complète tenant compte de tous ces sujets, y compris une bonification pour la retraite quand la situation a pour conséquence des trous dans leur vie professionnelle.

En 2015, la France comptait 500 unités d’enseignement externalisées (UEE) et 116 UEMA et UEEA, soit 616 unités d’enseignement tous types de handicap confondus. Cela représente plus de 5 400 élèves, dont 800 en UEEA ; quelque 9 000 élèves sont en temps partagé entre médico-social et école. La structuration ARS-Éducation nationale nous donnera une vision beaucoup plus fine de toutes les conventions qui doivent encore être signées pour accélérer l’externalisation. Le temps partagé est une voie très intéressante, les familles nous le disent, mais des grains de sable grippent le système. Il faut notamment déterminer à qui revient la responsabilité des transports : est-on, dans ce cas, dans le droit commun, ou dans le droit spécifique du transport des élèves handicapés ? Peut-on envisager – en tout cas dans les zones urbaines – le recours aux transports en commun, avec un accompagnant ? Une réflexion visant à faciliter le temps partagé par l’autonomie accompagnée dans les transports est engagée avec les associations et les départements, qui ont souvent conservé la responsabilité des transports scolaires d’enfants handicapés alors que la région a autorité sur les transports scolaires – on peut d’ailleurs s’interroger sur cette particularité.

Environ 30 % des effectifs du médico-social sont dans les murs de l’école, à temps plein ou à temps partagé. La conjonction avec le médico-social existe donc déjà, et je tiens à rassurer les familles, tout comme les établissements médico-sociaux : il n’est aucunement question de les fermer, mais bien de les ouvrir. Les unités d’enseignement autisme ne sont pas concevables sans la coopération du médico-social sortant de ses murs pour aller dans l’école. La démarche est exactement le même que pour l’emploi accompagné : l’ouverture vers le milieu ordinaire grâce à l’expertise du médico-social. C’est le choix de vie des parents qui compte avant tout, mais pour sécuriser les parcours il faut ouvrir la palette des possibles et montrer que l’accompagnement vers l’école, l’accompagnement dans les transports et, pour les plus grands, l’accompagnement dans le logement, sont possibles grâce à l'appui du médico-social. La conception des choses et la manière de faire changent, mais le dispositif intégré des instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (DITEP) fonctionne déjà ainsi ; il serait intéressant de le généraliser au sein de l’école, ce qui sécuriserait la fluidité des parcours partagés en permettant des allers-retours. Le DITEP évite aux familles de devoir repasser devant la MDPH : ce sont le médico-social et l’école qui travaillent sur le projet. La sérénité des parents passe par un PPS solide qui, en expliquant précisément le processus d’aller et retour entre médico-social et école, permet la scolarisation.

Voilà qui m’amène aux PPS, et je dirai crûment que pour l’instant, toutes les MDPH ne suivent pas le dispositif législatif prévu, qu’il faut simplifier. Le regard pluridisciplinaire doit rester à la MDPH, mais il faut améliorer la réactivité et pour cela définir les modalités d’adaptation pédagogique avant même que le PPS soit achevé, pour qu’elles s’appliquent dès que l’enfant est dans l’école. C’est le principe qui fonde le grand service public de l’école inclusive que nous bâtissons, fort des PIAL et de leurs ressources médico-sociales. Pour répondre à tous les besoins éducatifs particuliers, il nous faut simplifier les allers-retours entre les acteurs, parvenir d’abord à ce que le PPS s’impose puis à ce qu’il soit partagé par tous, ce qui permettra toutes les adaptations préconisées. L’allongement des notifications sur la durée des cycles scolaires sera un grand gain de temps pour les équipes pluridisciplinaires des MDPH, qui pourront ainsi se consacrer davantage à leur rôle d’assembleur et d’accompagnement des notifications au lieu de devoir procéder à des évaluations incessantes bien que redondantes. Chacun y gagnera.

Vous avez évoqué l’inquiétude des instituts nationaux de jeunes sourds (INJS). J’ai reçu en avril les organisations syndicales et les familles et j’ai donné mission à M. Jean-Yves Hocquet d’accompagner ces instituts dans la révision de leur projet d’établissement. Je prône l’inclusion dans les deux sens. Il faut déterminer comment ces institutions, qui ont de très beaux plateaux techniques, peuvent servir aussi leur environnement, et vice-versa. Chaque établissement y travaille dans le cadre de son projet pédagogique, pour permettre la scolarisation en temps partagé, dans les deux sens. J’ai participé hier, à l’Université Lumière Lyon 2, à la remise des Trophées Lumière pour l’entreprise inclusive créés à l’initiative de M. Charles Gardou ; nous avons remis un trophée à un ESAT qui a accueilli une entreprise en son sein. La complémentarité, la porosité des demandes, l’apport de chacun : c’est ainsi, en coopération, que se construit la société inclusive.

Mme Blandine Brocard. Notre vision de l’école inclusive évolue dans le bon sens et je m’en réjouis. Comme l’a dit hier le ministre de l’Éducation nationale, une révolution copernicienne est à l’œuvre. Vous l’avez souligné, le Gouvernement ne cherche pas l’intégration mais la pleine scolarisation des enfants handicapés ; je vous en remercie. Vous avez beaucoup évoqué les parents qui, confrontés à la difficulté du handicap, doivent trouver où frapper puis franchir des portes beaucoup trop difficiles à pousser pour se trouver, selon les mots que nous avons entendus, confrontés à des cases dans lesquelles on essaie de faire entrer des numéros – leurs enfants. Pourquoi ne pas faire confiance à ces parents, qui sont les premiers concernés et qui inventent des structures, des parcours et des solutions évidemment bonnes pour leurs enfants, même si ce ne sont peut-être pas celles que l’on avait envisagées ? Comment faire coopérer la multitude d’acteurs concernés – collectivités, institutions dont vous avez dit la grande disparité, associations, familles – et mettre tout le monde autour de la table pour en finir avec des dysfonctionnements récurrents ? Comment aider les établissements scolaires qui accueillent déjà de manière pertinente des élèves en situation de handicap, tels les collèges Elie Vignal et Nescens de Caluire ?

Mme Béatrice Piron. Ayant interrogé des familles, j’ai reçu de nombreux témoignages dont beaucoup portent sur la disparité de la gestion des dossiers selon les MDPH, ce qui pose la question de l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire. On m’a parlé de complexité administrative : les familles, lorsqu’elles changent de département, doivent reproduire les mêmes démarches auprès de la nouvelle MDPH dont elles dépendent. On m’a aussi exposé le cas de familles qui, résidant en bordure du département, souhaitent postuler à l’école la plus proche de leur domicile, ce qui n’est pas admis car elle est située dans le département limitrophe. La diversité des approches selon les MDPH suscite l’étonnement – comme si, pour un congé maternité, les délais ou les droits différaient selon que l’on travaille à Marseille ou à Paris.

Enfin, je prendrai contact avec vos services au sujet de plusieurs dossiers d’accès à des classes externalisées, bloqués sans que l’on comprenne pourquoi puisque tout le monde est d’accord.

Mme Béatrice Descamps. Vous souhaitez développer – je dirais plutôt permettre, car je n’ai pas le sentiment que cela se pratique beaucoup – l’intervention dans les écoles des services médico-sociaux et des professionnels libéraux. Cela me paraît très positif, à condition que chacun veuille bien coopérer. En mon ancienne qualité de directrice d’école, j’ai plusieurs fois eu affaire à une orthophoniste qui me refusait toute information au motif qu’elle était tenue au secret professionnel ; pour que l’enfant soit au centre des échanges, cela ne devrait plus être. Par ailleurs, comment aider les enseignants des écoles maternelles à détecter qu’un enfant présente un trouble, pour éviter des dépistages tardifs ? Je n’aime pas parler de handicap social, mais si un enfant ne peut pas être aidé par sa famille, il doit pouvoir l’être à l’école. Quel est votre avis à ce sujet ? Où, d’autre part, en est la réflexion sur le deuxième employeur pour les AESH ? Enfin, que pensez-vous de la prise en compte des troubles du déficit de l’attention ?

Mme Cécile Rilhac. Comment l’ouverture des PIAL aux personnels des services médico-sociaux et aux professionnels de santé, prévue dans le projet de loi pour une école de la confiance, fonctionnera-telle pratiquement ? Le texte prévoit aussi que des AESH en poste puissent devenir accompagnants référents ; quelles seront leurs modalités de recrutement ? Se fera-t-il à l’échelon du département, du PIAL, de l’école ? Concernant les jeunes sourds, je suis très attachée aux programmes bilingues français-langue des signes française ; pourront-ils se poursuivre et même se développer ? Enfin, l’élaboration des PPS varie considérablement selon les MDPH : certains départements proposent des instruments très variés, associant à l’accompagnement humain des outils tels que des ordinateurs ou des tablettes, voire l’accompagnement d’un animal. À ce sujet, j’ai dû solliciter vos services à propos d’un enfant autiste dont le chien était interdit d’entrée dans son établissement scolaire. On parle beaucoup de l’accompagnement humain mais, pour certains enfants, l’accompagnement par un animal aussi doit être inscrit dans le PPS ; qu’en pensez-vous ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’approuve votre « coup de gueule », madame la ministre : un enfant en situation de handicap accueilli dans une classe n’est pas un enfant « en plus ». Cela dit, en dédoublant les classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire renforcée, le ministre a fait un lien entre effectif, vulnérabilité et réussite scolaire. Comment prendrez-vous en compte la vulnérabilité particulière, non pas des enfants « que l’on prend en plus » mais des enfants que l’école a vocation à accueillir dans les conditions optimales, au moment de déterminer les effectifs ou d’établir les dotations globales horaires des collèges ?

Vous considérez les enseignants référents comme un dispositif pivot. Très bien, mais vous allez leur donner des missions nouvelles ; limiterez-vous en même temps le nombre de dossiers qu’ils vont traiter, sachant que nous avons eu connaissance de nombres préoccupants de dossiers traités par enseignant ?

Un élan est donné à la création de nouvelles ULIS. Soit. Mais selon les chiffres dont je dispose, l’effectif de l’ULIS de Martinique est tel qu’il y a un accompagnant pour 17,91 élèves, alors que la circulaire prévoit que l’effectif des ULIS doit être proportionné à raison d’un accompagnant pour dix à douze élèves. Ne risque-t-on pas, en accroissant le nombre des ULIS sans augmenter parallèlement leurs moyens humains, de porter le nombre d’élèves par accompagnant au-delà du raisonnable ?

Je juge folle une société où ceux qui s’occupent des êtres humains sont souvent la variable d’ajustement, qu’ils soient agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), aides à domicile, aides-soignants ou AESH. Vous présentez comme une avancée le passage à trois ans, puis à six ans, des contrats d’AESH, ce que personne ne nie. Mais la marche à franchir est haute car, actuellement, 1 % seulement des contrats sont des contrats de trois ans. D’autre part, reconnaîtrez-vous les acquis professionnels de ceux qui sont en poste depuis plus de six ans, pour accélérer la cédéisation et donner un premier signe de reconnaissance à un métier très beau mais difficile ?

Enfin, est-ce que les temps de formation, de travail pluridisciplinaire, de travail d’équipe et le temps de répit nécessaire pour être plus efficace seront intégrés dans le temps de service des AESH ?

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Ces nombreuses questions montrent que vous êtes de fins connaisseurs de tous les rouages de la scolarisation. Dans notre vision de l’école inclusive, la place des parents est centrale. Aussi ai-je le projet de monter un réseau de groupes de parents experts, en valorisant le réseau d’expertise parentale qui existe déjà, de façon informelle, sur les réseaux sociaux. Le groupe « Focus parents » qui a travaillé sur la concertation et que j’ai reçu récemment pourrait guider les autres parents au plus près, en appui de la MDPH. Déjà, à la Maison landaise des personnes handicapées, les associations de parents tiennent une permanence ouverte. À Toulouse, où des parents se sentaient extrêmement isolés – l’isolement social est un fait indéniable –, la directrice de la MDPH a décidé de constituer des groupes de libre parole pour permettre l’échange de bonnes adresses et surtout permettre aux parents ne plus se sentir seuls. Pour redevenir un parent d’élève « tout court », un parent d’enfant handicapé a besoin de l’appui de ses pairs, de parents experts qui expliqueront quelles sont les solutions possibles.

Comme vous l’avez dit très justement, les parents ont souvent le sentiment que leur enfant n’entre pas dans la bonne case – cela été dit très nettement lors de l’inauguration de la maison de répit. C’est tout l’enjeu de la transformation des établissements médico-sociaux : pouvoir offrir une palette de solutions et en finir avec les agréments par type de handicap puisque l’état de santé des enfants ne correspond plus forcément à des agréments qui ont été donnés il y a quinze ou vingt ans et que les associations gestionnaires ont trouvé d’autres aménagements. Des prestations qui, aujourd’hui, ne sont pas servies dans l’établissement pourraient l’être ; c’est l’esprit qui sous-tend les pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE). Souvent, c’est le militantisme des parents qui permet de trouver des solutions. Il nous faut pouvoir les accompagner, les rassurer et prendre le relais financièrement ; les PCPE sont une manière de le faire. Hier encore, à Lyon, une association qui compte des éducateurs spécialisés dans l’autisme m’a dit s’épuiser à trouver des financements. Il faut admettre que les solutions possibles sont désormais protéiformes car elles répondent à des besoins de plus en plus complexes : passer au droit commun accompagné conduit à repenser les pratiques de travail.

Les disparités territoriales sont réelles et posent problème. La coopération des acteurs est le maître mot pour éviter à la fois les trous dans la raquette et la superposition des financements. Les établissements tels que le collège-lycée Elie-Vignal ont été des établissements expérimentaux il y a longtemps déjà. Il faut pouvoir accompagner ces dispositifs qui participent de la richesse de nos territoires.

La mission des enseignants référents de scolarisation de l’Éducation nationale est d’accompagner le parcours scolaire, de suivre la progression de l’enfant, de suivre la famille et de faire le lien entre la MDPH et l’établissement scolaire. Leur rôle diffère de celui du coordonnateur de parcours, tourné vers les parents sans solution, dont j’ai parlé précédemment. Il est exact que dans certains territoires, la charge des enseignants référents de scolarisation est beaucoup trop lourde. Le renforcement des ressources des PIAL, avec l’appui du médico-social, allégera cette charge, mais le ministre de l’Éducation nationale vous répondrait mieux que je ne puis le faire à propos de l’évolution du nombre de dossiers qui leur sont affectés.

Le règlement des établissements scolaires doit fixer les modalités de l’intervention des professionnels de santé à l’école. À mon sens, le secret professionnel n’est plus de mise : il doit céder au secret partagé par les équipes éducatives, les équipes de scolarisation et les équipes pluridisciplinaires. Mais le maître mot, c’est l’accord du parent, qui rend tout possible : c’est à lui de dire qu’il veut que l’orthophoniste travaille avec l’enseignant ou que l’accompagnant assiste à la rééducation. C’est pourquoi le PPS est indispensable, et pourquoi ce doit être un document détaillant les modalités pratiques de la mise en œuvre du projet.

Cela étant, je vous l’ai dit, des grains de sable font buter les beaux projets : des directeurs d’école expliquent ainsi qu’ils n’ont plus de gardien pour ouvrir la porte quand un professionnel sonne. C’est pourquoi j’insiste sur l’architecture et le design des établissements d’enseignement de demain : il faut imaginer des systèmes d’ouverture des locaux ainsi conçus que les professionnels conventionnés pourront entrer et sortir seuls de l’établissement.

Que des professionnels viennent appuyer l’école dans le dépistage précoce des troubles, c’est l’enjeu des équipes mobiles d’appui que nous allons mettre en place avec les ARS ; elles ne se substitueront ni aux soignants, ni aux éducateurs, mais assisteront la communauté éducative pour enclencher cette dynamique.

Notre stratégie nationale relative à l’autisme inclut les troubles de l’attention dans les troubles du neurodéveloppement en vue d’une intervention précoce. Ils concernent 5 % de la génération considérée et supposent des adaptations pédagogiques indispensables, dont l’enseignant trouvera des exemples dans la ressource d’appui numérique, avec l’appui éventuel des équipes mobiles et des PIAL renforcés.

Les PIAL renforcés, justement, vont faire l’objet d’une expérimentation par département avant d’être développés en 2020 avec un cahier des charges précisé. Les choses seraient beaucoup plus simples si le médico-social était organisé comme l’Éducation nationale, avec une structure administrative unique par académie, mais ce n’est pas le cas : sur un même territoire, il peut y avoir de dix à vingt associations gestionnaires, certes sous la tutelle de l’ARS, mais souvent organisées par agrément, par type de handicap. Nous devons donc trouver un acteur polyvalent, ou qui accepte de faire appel à des tiers quand il n’a pas la réponse pour certains types de handicap. Les ARS vont travailler avec les associations gestionnaires à cette architecture nouvelle. L’année 2019 sera une année d’expérimentation, ce qui nous permettra, en janvier 2020, d’élaborer puis de diffuser un cahier des charges affiné. En réalité, il existe déjà des exemples de PIAL renforcé, tel le lycée Les Bourdonnières de Nantes déjà mentionné ; cela montre que nous savons faire, une fois trouvée l’association gestionnaire idoine. Le dispositif, expérimental dans un premier temps, montera en puissance de façon certainement hétérogène puisque les organisations territoriales sont diverses.

Aujourd’hui, dans l’enseignement secondaire, 3 % seulement des contrats d’accompagnant sont à temps plein ; l’objectif du ministre est de parvenir à 30 % grâce à l’organisation en PIAL. Il souhaite que les accompagnants travaillant dans le second degré deviennent des accompagnants ressources, ayant des temps fléchés sur les formations et la préparation des adaptations. Pour les accompagnants des élèves de l’enseignement élémentaire, nous devons réfléchir à la question du second employeur pour permettre aux enfants qui ont un besoin d’un accompagnement soutenu et continu d’accéder à la cantine, aux centres de loisirs, aux voyages, etc.

Actuellement, vingt pôles d’enseignement des jeunes sourds (PEJS) sont en activité. Le ministère de l’Éducation nationale veut les déployer et une réunion est organisée le 2 juillet prochain avec les associations concernées pour définir comment mailler le territoire avec tous les dispositifs existants.

Les différences de gestion des MDPH et les inégalités de traitement qu’elles entraînent sont un sujet de préoccupation majeur. Aujourd’hui, le délai de réponse, pour un enfant, peut varier de six mois selon les MDPH considérées – et plus encore pour les adultes. Il est donc indispensable d’accompagner les MDPH pour qu’elles améliorent de façon homogène leur qualification en système d’information, et c’est pourquoi, je vous l’ai dit, j’ai demandé à la CNSA, dès mon entrée en fonction, de faire du système d’information des MDPH une priorité. Mais il faut aussi former les agents pour qu’une culture commune se crée et que les équipes pluridisciplinaires montent ensemble en qualification. On a déjà demandé aux MDPH de s’adapter à de très nombreux textes différents ; maintenant, il faut parvenir à une réponse homogène. Surtout, il faut supprimer les frontières entre départements. Il n’est plus concevable que, parce que vous habitez une certaine commune, vous ne puissiez avoir accès à un établissement médico-social situé près de chez vous mais dans le département voisin. Cette assignation à résidence contrevient à l’utile péréquation des moyens de l’aide sociale entre départements que rien, dans les textes, n’empêche. Pour les enfants, les deux sujets de blocage majeurs sont effectivement les frontières départementales et les frais de transport. C’est un problème de péréquation entre départements puisque la politique relative aux personnes handicapées est partagée entre l’État et les départements.

Le dédoublement des classes profite aux élèves handicapés, c’est indéniable. Cela dit, ils font partie des effectifs ! Lors de l’élaboration de la loi de 2005, les parents avaient réclamé – ce qui était politiquement incorrect – que l’on dise qu’un enfant handicapé « vaut » deux ou trois enfants non handicapés ; ce fut l’un des freins à la scolarisation des enfants handicapés – dont nous savons tous qu’il faut plus de temps pour les enseigner. Faire passer les contrats des AESH à 35 heures dans l’enseignement secondaire est une façon de reconnaître que l’accompagnement réussi repose aussi sur tout un temps « périphérique » d’adaptations, de réunions, d’échanges avec les parents et les professionnels. M. Blanquer pense que l’organisation des PIAL permettra d’offrir un contrat à temps complet à 30 % des AESH du second degré, ce qui marquerait la reconnaissance, absente pour l’instant, de leur valeur ajoutée.

Pour ce qui est de la coopération avec le secteur médico-social, il est très compliqué pour les enseignants que d’autres adultes viennent travailler dans leur classe. C’est dire toute l’importance des formations conjointes – AESH-enseignants, équipes médico-sociales-AESH, etc. – qui se mettent en place. Nous l’avons constaté au PIAL inter-niveaux de Garges-lès-Gonesse, et cela dit l’importance de ces structures.

Je suppose que le ministre de l’Éducation nationale a répondu à vos questions portant sur la professionnalisation et je n’aborderai pas le sujet des statuts administratifs. Je puis dire, en revanche, que la professionnalisation des accompagnants exprime la reconnaissance, demandée depuis plus de vingt ans par ces contractuels, de leur appartenance à la communauté de l’Éducation nationale – cela se traduit, par exemple, par une adresse électronique. Certes, il faudra attendre encore six ans la cédéisation, mais c’est là le droit commun de la fonction publique.

Chacun en est conscient – le ministre en premier lieu : dans une ULIS, on ne peut confier plus de douze élèves à un auxiliaire de vie scolaire collectif (AVS-co) ; au-delà, on met l’ULIS en péril. Nous devons donc nous donner les moyens de réussir car dans la nouvelle stratégie de scolarisation, charger les ULIS n’a plus de sens ; le renforcement du maillage du territoire en ULIS vise précisément à augmenter l’offre. Cela étant, une difficulté peut naître des indéniables problèmes de recrutement des enseignants dans certains territoires.

Les textes existent, Je pense que nous réussirons cette école inclusive, en respectant l’ensemble et la richesse de tous les dispositifs de scolarisation, tout en donnant aux groupes scolaires, aux collèges et aux inspecteurs d’académie la faculté d’organiser au plus près la gestion des accompagnants. C’est tout l’enjeu des PIAL.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je remercie mes collègues pour leurs questions et vous remercie, madame la ministre, de vos réponses et votre volonté ambitieuse. Nous entrons dans une nouvelle étape et nous ne pourrons réussir ce changement de culture que collectivement, en nous appuyant sur des formations communes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie à mon tour, madame la ministre, pour la qualité de nos échanges et le soin que vous avez pris d’apporter des réponses précises à nos questions. Nous vous présenterons notre rapport achevé, dont j’espère que nous porterons ensemble, le plus loin possible, les recommandations.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Je vous remercie de vos travaux et de la confiance que vous me témoignez. Ces questions sont l’affaire de tous ; notre réussite commune suppose que nous nous mobilisions ensemble.


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   Mercredi 10 juillet 2019

Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation

 

M. le président Bertrand Bouyx. Madame la ministre, notre commission d’enquête achève ses travaux par votre audition. Outre le plaisir que nous avons à vous recevoir, il était indispensable que nous vous entendions puisque nous nous intéressons à la situation des élèves en situation de handicap, non seulement à l’école, mais aussi dans l’enseignement supérieur. Vous êtes accompagnée par M. Lloyd Cerqueira, conseiller parlementaire, collectivités territoriales et immobilier, M. Jérôme Teillard, chef de projet Réforme de l'accès à l'enseignement supérieur – Parcoursup, et Mme Fabienne Corre, chargée de mission Handicap à la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, (sous-direction de la vie étudiante).

La loi de 2005 a amorcé un mouvement qui a conduit à la signature de chartes universités-handicap et grandes écoles-handicap, ainsi qu’à la création de missions handicap. Toutefois, certaines de nos auditions nous ont montré qu’il restait beaucoup à faire pour les étudiants en situation de handicap.

Avant que vous ne preniez la parole pour un exposé d’une quinzaine de minutes qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander, ainsi qu’aux personnes vous accompagnant susceptibles de s’exprimer, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Frédérique Vidal, M. Lloyd Cerqueira, M. Jérôme Teillard et Mme Fabienne Corre prêtent successivement serment.)

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Madame la ministre, j’ai beaucoup insisté pour que l’on vous reçoive, et je vous remercie d’avoir accepté le principe de cette audition. Après avoir auditionné le ministre de l’éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, et la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Mme Sophie Cluzel, il importait que notre commission entende également la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. C’est une manière de souligner l’importance de votre ministère et c’est aussi une forme de reconnaissance pour notre commission d’enquête. Je vous remercie encore de vous être libérée pour cela.

Les travaux de notre commission d’enquête touchent à leur fin, puisque l’examen du rapport aura lieu le 18 juillet. Ils font apparaître que les efforts colossaux accomplis dans le domaine de l’inclusion des jeunes en situation de handicap depuis la loi de 2005 perdent en substance, au plan quantitatif comme au plan qualitatif, à mesure que l’on progresse dans le niveau d’études. Compte tenu du statut spécifique des universités, qui sont en partie autonomes, mais aussi des grandes écoles, comment l’État peut-il mener une politique d’accompagnement efficace dans l’enseignement supérieur ? Comment faire en sorte que les objectifs ambitieux que nous nous fixons se traduisent concrètement dans l’ensemble des écoles et des universités, partout sur le territoire ?

Parmi les enjeux importants, je mentionnerai l’accessibilité des bâtiments universitaires, mais aussi le déploiement des schémas directeurs du handicap, qui ne se fait pas à la même vitesse dans toutes les universités. Toutes ces questions ramènent évidemment à la question des moyens budgétaires dont vous disposez. Nous vous interrogerons sur tous ces sujets, mais l’usage veut que vous commenciez par vous exprimer, pour nous dire comment vous appréhendez cet important et beau sujet, en vous fondant sur les points d’intérêt particulier dont nous vous avons fait part.

Pour finir ce propos introductif, je veux vous dire ce que j’ai déjà dit à M. Jean‑Michel Blanquer et à Mme Sophie Cluzel. En tant que rapporteur, j’ai voulu éviter de donner à cette commission d’enquête une tournure politicienne ou d’en faire un instrument d’affichage. Mon propos était d’établir un diagnostic partagé et parfaitement étayé en vue d’élaborer les propositions les plus consensuelles possibles pour faire avancer la cause de l’inclusion des enfants de la République, de la maternelle à l’université. Je crois pouvoir dire que l’état d’esprit qui a présidé au déroulement de nos travaux a été conforme à ce souhait initial. C’est aussi dans cet état d’esprit que nous vous recevons ce soir.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter l’état des lieux des politiques inclusives dans l’enseignement supérieur. Je suis pleinement engagée sur ce sujet, car je suis persuadée que c’est en rendant notre enseignement plus inclusif que nous parviendrons à faire leur juste place à toutes celles et tous ceux qui, parmi nos concitoyens, sont en situation de handicap. Cette question me tient particulièrement à cœur en tant que ministre, mais également en tant que professeure et ancienne présidente d’université.

Comme nombre d’entre vous, je mesure les effets de la loi de février 2005 dans la vie de nos établissements publics et, en l’espèce, de nos établissements d’enseignement supérieur. Mais je mesure également le chemin qu’il nous reste à parcourir. Depuis le mois d’octobre 2017, je veille au déploiement du plan Étudiants, dont la finalité est de permettre à chaque étudiant de trouver dans l’enseignement supérieur le chemin et les conditions matérielles de sa réussite. Il concerne tous les étudiants, y compris ceux qui sont en situation de handicap, et ces derniers font l’objet d’une attention toute particulière de la part de mon ministère et de l’ensemble de la communauté de l’enseignement supérieur. C’est notamment le cas dans la mise en œuvre de Parcoursup, sur laquelle je reviendrai.

Pour rappel, entre 2004 et 2018, la population d’étudiants en situation de handicap a été multipliée par quatre : ils étaient 7 500 à la rentrée de 2004 et ils sont plus de 29 000 aujourd’hui. Vous avez raison de signaler que ce n’est toujours pas suffisant, mais cette hausse significative témoigne du travail qui a été fait pour rendre l’enseignement supérieur plus inclusif. Nous pouvons nous féliciter de cette tendance, qui est supérieure à la hausse spontanée de la démographie étudiante, mais le travail doit évidemment se poursuivre avec l’ensemble de la communauté de l’enseignement supérieur. Il faut améliorer à la fois les conditions d’accès et le déroulement de la scolarité des étudiants en situation de handicap.

Permettez-moi de revenir sur le travail qui a été accompli depuis 2005 au sein des établissements d’enseignement supérieur. La loi de février 2005 a facilité l’accès des étudiants handicapés à l’université, sur le plan tant de l’accessibilité physique que de l’accès au savoir. L’objectif de la loi était de rendre les étudiants autonomes, tout en leur proposant des mesures concrètes d’accompagnement. Il s’agissait initialement de doter les établissements des outils techniques nécessaires à une meilleure inclusion dans les formations : cela englobait à la fois des ordinateurs, des dispositifs audiovisuels, des logiciels permettant, par exemple, de grossir les caractères, mais aussi le développement de l’accompagnement humain. Un premier pas significatif a donc été fait il y a quatorze ans. Par la suite, dans le cadre de l’affirmation de leur autonomie, les universités ont cherché à changer d’échelle et elles ont fait de l’inclusion un enjeu majeur, bien au-delà des obligations de la loi de 2005.

Dès 2007, une première charte université-handicap a été signée entre la Conférence des présidents d’université (CPU) et le ministère. Son objectif était de créer des dispositifs d’accueil adaptés à tous les étudiants en situation de handicap, en développant des services dédiés au sein de toutes les universités. Les universités ont créé des équipes plurielles chargées de définir, en partenariat avec les équipes pédagogiques et médicales, les accompagnateurs et l’étudiant lui-même, un plan d’accompagnement de l’étudiant handicapé (PAEH). Il s’agissait de fixer les modalités d’études, mais aussi de vie étudiante, et d’aller jusqu’à l’accompagnement vers l’insertion professionnelle. Chaque université s’est ainsi dotée d’un référent handicap chargé de de coordonner les actions prescrites dans le schéma directeur de l’établissement.

La charte a été renouvelée et approfondie en 2012, et elle a donné lieu à la publication, par la CPU, d’un guide pratique d’accueil des étudiants en situation de handicap. La charte de 2012 a introduit de nouveaux objectifs pour les universités : développer les politiques d’insertion professionnelle, mettre en place des outils de formation et de recherche articulés autour du handicap, travailler à l’accessibilité des bâtiments, mais aussi au développement des politiques de ressources humaines dans les universités pour donner leur place aux personnels en situation de handicap.

Une étape supplémentaire a été franchie avec la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi Fioraso ». Elle impose, en effet, à chaque établissement d’enseignement supérieur de définir un schéma directeur pluriannuel du handicap intégrant les quatre objectifs de la charte de 2012. Plus de quatre-vingts universités en sont dotées et nous veillons à ce que les dernières y travaillent, l’objectif étant de nous approcher des 100 % avant la fin de l’année 2020.

La dynamique enclenchée il y a un peu plus de quatorze ans se poursuit aujourd’hui au sein des établissements. Le 12 février 2019, j’ai eu le plaisir de signer la deuxième charte handicap de la Conférence des grandes écoles (CGE) – la première l’avait été en 2008. Cette charte a ouvert la voie à la remise de treize bourses d’encouragement à la mobilité internationale à des étudiants en situation de handicap. La cérémonie a eu lieu à l’Assemblée nationale, sous le haut patronage de son président.

L’inclusion mobilise aussi bien les universités que les grandes écoles : le 28 mai 2019, j’ai assisté, avec ma collègue Sophie Cluzel, à la signature de la convention de partenariat entre la Conférence des présidents d’université et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Ce partenariat vient approfondir le travail engagé de longue date par les établissements, notamment à travers l’accompagnement des politiques de ressources humaines. Il fait surtout le pari que c’est en intégrant les enjeux de l’inclusion dans le contenu des formations elles-mêmes que nous parviendrons à construire une société réellement plus inclusive.

Je tiens à mentionner, à titre d’exemple, le projet « Aspie friendly », coordonné par l’université fédérale de Toulouse et le professeur Bertrand Monthubert, qui a été récompensé dans le cadre de l’appel à projets « Nouveaux cursus universitaires » du Programme d’investissements d’avenir. Il a pour objectif d’adapter les cursus, le contenu des formations et les modalités d’accompagnement des étudiants avec trouble du spectre de l’autisme. Ce projet associe quinze établissements d’enseignement supérieur qui s’engagent dans cet accompagnement, mais aussi trois entreprises qui s'impliquent sur la question de l’insertion professionnelle. Grâce aux fonds de ces nouveaux cursus universitaires, le programme initialement axé autour des formations scientifiques a vocation à s’élargir à d’autres champs disciplinaires.

Matériellement, outre le diagnostic et l’aide à l’orientation pendant les études, ce programme permet aussi de sensibiliser les personnels aux besoins spécifiques de ces étudiants. Il leur apporte un soutien en matière de logement et favorise la création de binômes avec d’autres étudiants pour mieux les accompagner dans l’enseignement supérieur. Enfin, l’expertise des entreprises partenaires permet de leur offrir un coaching spécifique pour faciliter leur insertion professionnelle, tout en valorisant la très grande qualité de ces étudiants sur le marché de l’emploi.

Ce programme est une bonne illustration des principes qui sous-tendent la politique inclusive des établissements d’enseignement supérieur. Tous les étudiants, qu’ils soient ou non en situation de handicap, suivent les mêmes parcours, mais des aménagements particuliers ou des adaptations sont ouverts à ceux qui en ont besoin, selon la nature de leur situation et selon leurs souhaits. En 2018, 27 % des étudiants concernés ont demandé un aménagement de parcours en raison de leur situation de handicap.

Un pas supplémentaire a été fait avec le nouvel arrêté relatif au diplôme national de licence, publié en juillet 2018 : les aménagements de parcours sont, de fait, ouverts à tous les étudiants, sans distinction entre ceux qui sont en situation de handicap et ceux qui ne le sont pas. Ce nouvel arrêté va plus loin dans la construction de parcours modulaires en permettant, dès le premier cycle, de se spécialiser progressivement et de valider à son rythme les crédits nécessaires pour l’obtention d’une licence. C’est aussi parce que les étudiants en situation de handicap auront, comme l’ensemble des autres étudiants, la capacité de construire leur parcours, que leur inclusion sera plus grande.

Cet arrêté préserve évidemment l’acquis des quatorze dernières années en matière d'accompagnement humain pour l’accès au savoir et les différentes formes d’aides pédagogiques accordées dans le cadre du plan d’accompagnement de l’étudiant handicapé. Des chartes doivent être signées cette année avec la CPU et la CGE : à travers elles, les établissements renouvelleront leur engagement en la matière. Cet accompagnement est assuré, soit par des personnes dédiées, soit par des étudiants d’un niveau supérieur à celui de l’étudiant accompagné. Il peut aussi s’agir de prestataires extérieurs dans certains établissements, lorsque c’est nécessaire.

Un peu moins de 72 % des étudiants en situation de handicap ne sollicitent pas d’aide humaine. Pour la grande majorité d’entre eux, une assistance technique, des appareils spécifiques, la modulation des parcours suffisent pour qu’ils se sentent parfaitement intégrés dans leur cursus. Parmi ceux qui sollicitent un tel accompagnement, 18,7 % sollicitent une aide à la prise de notes et un peu plus de 6 % un soutien pédagogique ou un tutorat spécifique. Seuls 2,9 % d’entre eux ont recours à un accompagnement renforcé – je songe notamment à l’aide au déplacement. Il ne faut pas confondre l’accompagnement renforcé avec les aides à la vie quotidienne, qui sont financées dans le cadre de la prestation de compensation du handicap (PCH). Nous réalisons chaque année, au sein du ministère, une enquête de suivi sur cette inclusion. D’après les réponses obtenues au questionnaire national, 4,5 % des étudiants en situation de handicap bénéficient, au quotidien, d’un auxiliaire de vie.

Enfin, pour les étudiants hospitalisés ou empêchés de se rendre dans l’établissement, il existe des dispositifs d’accompagnement par visioconférence, une aide à la prise de notes, mais aussi un dispositif de cours en ligne et des formations à distance, dont certaines se font en collaboration avec le Centre national d’enseignement à distance (CNED). Grâce à ces dispositifs, ils peuvent poursuivre leur parcours universitaire et passer leurs examens en milieu hospitalier. En 2018, hors sections de technicien supérieur (STS) et classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), 3 % des étudiants suivaient ainsi leur formation à distance.

Ces dispositifs n’ont pas seulement permis d’accroître le nombre d’étudiants en situation de handicap, ils ont aussi favorisé leur réussite. Nous partions d’une situation très inégalitaire en 2005, puisque la progression des étudiants en situation de handicap était ralentie, sinon entravée, par rapport à ce que l’on pouvait observer pour l’ensemble de la population. Pour le dire plus clairement, les étudiants en situation de handicap étaient très représentés en premier cycle, jusqu’en troisième année, mais sous-représentés en deuxième cycle, notamment en master 2. Depuis le développement des schémas directeurs du handicap au sein des établissements, ces écarts se sont considérablement réduits. Entre 2012 et 2018, l’écart de représentation des étudiants en situation de handicap par rapport à la population générale est passé de 10 à 3 % en L1. Durant la même période, cet écart est passé de 5,6 à 1,6 % en L3 et de 6,8 à 4,3 % en master 2.

Nous prêtons aussi une attention toute particulière au troisième cycle, y compris dans les études médicales. À cet égard, je rappelle que votre assemblée a adopté, lors de l’examen du projet de loi relatif à la transformation et à l’organisation de notre système de santé, un amendement de M. Gaël Le Bohec qui permettra aux internes de médecine en situation de handicap d’effectuer leur stage au plus près de chez eux pour continuer à bénéficier de l’accompagnement dont ils peuvent avoir besoin au quotidien.

Si ces dispositifs d’accompagnement dans les universités jouent un rôle et si la réussite des étudiants en situation de handicap s’améliore, nous avons aussi le devoir collectif – et c’est mon rôle en tant que ministre – de faciliter leur accès aux études supérieures. Pour cela, nous devons travailler sur leur orientation et lever les freins qu’ils mettent eux-mêmes à leurs ambitions : l’autocensure dissuade certains lycéens en situation de handicap de se projeter dans les études supérieures. Faire de l’accès à l’enseignement supérieur un levier d’inclusion sociale est aussi l’un des aspects les plus fondamentaux de Parcoursup.

Avec la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, vous avez reconnu un droit nouveau aux étudiants en situation de handicap : le droit au réexamen de leur candidature à l’entrée en premier cycle. Tous les candidats en situation de handicap peuvent, s’ils le souhaitent, solliciter des commissions d’accès à l’enseignement supérieur (CAES), qui sont présidées par les recteurs, le réexamen de leur demande de poursuite d’études. Ce droit au réexamen assure un équilibre entre l’accès de tous les élèves qui le souhaitent à l’enseignement supérieur, d’une part, et la prise en compte des situations spécifiques, d’autre part. Cette situation concerne tout candidat ayant été refusé dans toutes les formations pour lesquelles il avait formulé des vœux et qui ne souhaite pas se porter candidat à d’autres formations, eu égard à ses besoins spécifiques.

S’agissant spécifiquement du handicap ou du trouble de santé invalidant, sur 504 demandes de droit au réexamen adressées aux CAES, 471 propositions ont été faites et 408 ont été acceptées – soit un peu plus de 80 % des demandes. Le respect de cet équilibre s’accompagne naturellement d’une action en amont, fondée sur un dialogue renforcé entre les familles d’élèves en situation de handicap et les formations d’enseignement supérieur. C’est pourquoi j’ai demandé aux recteurs, dans une instruction du 28 mars 2018, de faire en sorte que les équipes pluridisciplinaires puissent, avec l’accord des candidats et de leurs familles, intervenir auprès des établissements pour favoriser la prise en compte de leur demande. Pour la campagne 2019, j’ai souhaité que la deuxième année de mise en œuvre soit l’occasion d’améliorer encore l’information donnée et d’aller plus loin dans l’accompagnement. C’est une démarche d’ensemble et c’est pourquoi, le 25 octobre 2018, lors du second comité interministériel du handicap, le Gouvernement s’est engagé à accompagner l’entrée et les choix d’orientation pour améliorer l’accès à l’enseignement supérieur. J’ai donc adressé une nouvelle instruction aux recteurs dès le mois de novembre pour garantir que ces nouvelles dispositions puissent être largement diffusées.

Un référent handicap pour l’accès à chaque établissement a été désigné, afin que cet enjeu soit pris en compte tout au long de la procédure de préinscription, au plus près des formations. Dans le même esprit, une nouvelle fiche de liaison a été mise en place pour la campagne 2019, afin de permettre aux candidats d’anticiper les demandes d’accompagnement et de réussir leur rentrée dans l’enseignement supérieur. Le candidat estimant qu’il aura besoin d’un accompagnement peut, dès l’acceptation de sa proposition, solliciter le référent handicap, afin de faciliter l’analyse de ses besoins et d’anticiper les réponses à prévoir pour la rentrée. Plusieurs fonctionnalités ont été intégrées à la plateforme, afin de mieux informer les candidats en situation de handicap sur chacune des 14 500 formations référencées cette année. Un chat dédié a été ouvert, ainsi qu’un numéro vert, et une rubrique spécifique concentre, sur la plateforme, toutes les informations utiles aux candidats.

La mise en œuvre du droit au réexamen a été simplifiée et il est désormais possible d’activer cette démarche via la rubrique « contact » de Parcoursup : elle permet au candidat d’entrer directement en contact avec la commission d’accès à l’enseignement supérieur de son académie. Il va de soi que ces mesures ont fait l’objet d’une concertation avec les associations membres de la commission « éducation » du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et qu’elles ont été élaborées en lien avec le Défenseur des droits.

Voilà, pour résumer, les grandes lignes de la politique inclusive dans l’enseignement supérieur : plus de souplesse dans les cursus pour tous, un accompagnement plus humain au quotidien et un accès à l’enseignement supérieur plus inclusif.

M. Bertrand Bouyx, président. Madame la ministre, vous avez prononcé le mot « autocensure » et c’est effectivement une attitude que l’on peut observer au quotidien chez les étudiants en situation de handicap. Comment envisagez-vous d’améliorer la visibilité de l’enseignement supérieur pour ces jeunes qui, parfois, s’autocensurent et s’interdisent certains choix ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie, madame la ministre, pour cette présentation complète.

D’après nos chiffres, les schémas directeurs du handicap concernent 80 % des universités. On peut considérer que c’est un bon résultat mais, a contrario, cela signifie que, six ans après leur introduction, 20 % de nos universités n’en ont toujours pas. Comment envisagez-vous de poursuivre cet effort, d’accélérer leur déploiement et d’élargir le dispositif aux grandes écoles ? Il semble, en effet, que les grandes écoles présentent un taux bien inférieur.

Vous avez pris des dispositions pour améliorer l’aménagement des examens, mais les auditions que nous avons menées nous donnent le sentiment qu’il serait nécessaire de disposer d’un texte renforçant la cohérence des règles en la matière. Un grand nombre d’associations et d'étudiants nous ont dit avoir toujours le sentiment de devoir quémander une faveur, alors que les aménagements introduits durant l’année universitaire devraient, de facto, être prolongés aux examens, sans que les étudiants aient à en faire la demande.

Je ne peux pas faire l’impasse sur la question des moyens consacrés au handicap, notamment en direction des associations qui ont vocation à faire déborder l’inclusion sur les loisirs, le logement et l’ouverture culturelle, tout aussi essentiels à l’épanouissement des étudiants. Envisagez-vous de réévaluer les budgets alloués aux universités pour tenir compte de la proportion croissante d’étudiants en situation de handicap, que vous avez vous-même soulignée ?

M. Bertrand Bouyx, président. J’aimerais prolonger les questions du rapporteur quant aux moyens.

Certaines grandes écoles craignent que la réforme annoncée du mécénat ne tarisse ce qui constitue pour elles une source de financement importante. Dans le même ordre d’idée, l’obligation qui serait désormais faite aux entreprises d’appliquer réellement le taux de 6 % de personnel en situation de handicap entraînerait de facto, pour certaines écoles, la perte de la compensation prévue en cas de non-respect de ce taux.

S’agissant des chartes, vous avez parlé de celles qui s’appliquent dans les grandes écoles et de celles qui s’appliquent dans les universités. Existe-il un corpus commun, une transversalité, ou bien observe-t-on des différences entre ces deux types de charte ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. J’interviens à nouveau avec des questions qui ont émergé au cours des auditions précédentes et qui me paraissent essentielles.

La place du travail personnel dans la vie étudiante s’accroît évidemment à mesure que l’on avance dans les études. Vous avez décrit des dispositifs d’accompagnement, comme l’accompagnement à la prise de notes ; que pensez-vous de l’idée d’introduire un accompagnement au travail personnel ?

Sur le plan budgétaire, quelle progression des moyens prévoyez-vous pour remplir vos objectifs d’amélioration de l’accompagnement des étudiants en situation de handicap ?

Vous avez souligné – et je partage cette opinion – l’avancée que représente la procédure de réexamen de Parcoursup au moment de l’entrée en premier cycle. Vous avez également mentionné que le passage en master constitue une rupture. Que pensez-vous de l’idée d’étendre la procédure de réexamen de Parcoursup aux étudiants en master ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je commencerai par l’autocensure, qui est sous-jacente à beaucoup d’autres questions que vous avez évoquées. La meilleure façon de la vaincre est d’être extrêmement accueillants et ne jamais faire sentir à ces étudiants qu’ils seraient des poids. La difficulté, c’est de faire en sorte qu’ils se sentent bien au sein du système commun à tous les étudiants. Certains éprouvent de la gêne vis-à-vis de dispositifs mis en place spécialement pour eux alors qu’ils veulent juste être des étudiants comme les autres. C’est la raison pour laquelle des associations insistent pour qu’il n’y ait pas de transmission systématique d’informations sur une situation de handicap lors du passage du lycée à l’enseignement supérieur. Certains étudiants profitent de ce changement pour ne plus faire état de ce statut, car ils n’ont pas envie que le handicap soit un stigmate apposé sur leur front de façon définitive.

De manière générale, l’autocensure est liée à la crainte des jeunes de l’accueil qui leur sera fait. J’ai coutume de dire : « Venez comme vous êtes, car c’est à l’enseignement supérieur de partir de ce que vous êtes pour vous amener le plus loin possible ». La formation à distance ou les examens à distance concernent autant les sportifs de haut niveau que les étudiants en situation de handicap, et cela change le regard que l’on porte sur eux comme la manière dont ils se perçoivent eux-mêmes. Mais les changements de mentalité prennent du temps, nous le savons.

S’agissant des schémas directeurs du handicap, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) et la Conférence des présidents d’université se mobilisent pour faciliter les démarches des universités qui n’en sont pas encore dotées. S’il y a encore 20 % des établissements dans ce cas, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas voulu en mettre en place mais parce que cela suppose d’être en mesure d’avoir une vision complète de ce qu’est l’établissement et d’être doté d’outils adéquats, notamment dans le domaine des ressources humaines. Nous comptons sur un accompagnement bienveillant, fait de compréhension et de respect pour l’autonomie des établissements, pour atteindre l’objectif de 100 % à la fin de l’année 2020.

La signature d’une charte avec la Conférence des grandes écoles a été une étape importante, car une partie des grandes écoles n’est pas sous la tutelle du ministère. Seules 40 % dépendent de mon ministère, mais comme elles regroupent 75 % des étudiants, cela nous permet de toucher un grand volume. Nous encourageons ces établissements à faire de l’accueil des étudiants en situation de handicap une « marque de fabrique » qui valorise leur propre image.

L’aménagement des examens renvoie encore au problème de l’autocensure. La plupart des établissements accompagnent les étudiants en situation de handicap au moment des examens puisqu’ils les connaissent depuis le début de l’année universitaire. La mise en place d’un tiers-temps est quasiment automatique. La mise à disposition d’un assistant pour les aider à rédiger est une question particulièrement délicate : que cette personne ne connaisse rien à la discipline ou bien qu’elle la maîtrise, des difficultés se posent – même si elles sont de nature différente. Je pense que les problèmes se règlent majoritairement au sein des établissements puisqu’en dix ans, ne sont remontés au ministère qu’une vingtaine de réclamations et une dizaine de contentieux.

Pour les budgets, la question majeure pour les établissements est la mise en accessibilité des bâtiments, qui est au cœur des schémas directeurs du handicap, des schémas patrimoniaux et des schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI). Des agendas d’accessibilité sont mis en place pour permettre de mesurer les efforts à consentir. Les enquêtes montrent que le parc de l’enseignement supérieur et de la recherche est à 67 % fonctionnel, c’est-à-dire accessible. La proportion de bâtiments totalement inaccessibles est passée, entre 2012 et 2018, de 18 % à 12 %. Hors contrats de plan État-région (CPER), plan Campus et budgets dédiés de chaque université, 135 millions d’euros ont été consacrés à l’accessibilité des universités et des écoles dans le budget du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire ». Depuis 2005, une enveloppe de 7,5 millions d’euros est allouée pour mettre en place des aides spécifiques destinées aux étudiants dans les universités. Dans les écoles, un peu moins de 700 élèves bénéficient de dispositifs de soutien spécifiques, dont le coût est d’environ 300 euros par personne, ce qui est faible. Il faut poursuivre les efforts en vue de consacrer des crédits supplémentaires à l’accessibilité.

Les chartes signées soit avec la Conférence des grandes écoles soit avec les universités affirment des valeurs communes. Si le ministère peut dicter certains principes aux établissements qui dépendent de lui, pour ceux qui appartiennent au secteur privé, il doit plutôt déployer un travail de persuasion. Néanmoins, tout le monde est convaincu qu’il est important de faire des efforts.

S’agissant de l’extension du droit au réexamen instauré dans le premier cycle au niveau du master, nous devons examiner si la nécessité s’en fait sentir. Je n’ai pas d’avis préconçu. La procédure est relativement récente – nous n’en sommes qu’à la troisième année d’application. Nous tentons de l’améliorer année après année. Elle est compliquée à mettre en place puisqu’elle suppose l’intervention des recteurs qui ne connaissent pas forcément les dossiers.

D’après un recensement de la DGESIP, la représentation des étudiants en situation de handicap dans les masters s’améliore. Le principe de l’examen du dossier à l’échelle académique permet de donner toutes leurs chances à ces étudiants, d’autant que les universités cherchent à attirer ceux qui sont excellents. Il y a 14 % des étudiants handicapés diplômés du premier cycle qui sont inscrits en master 1, ce qui se rapproche des chiffres observés pour la population étudiante générale – 13 %. Aujourd’hui, il n’y a pas de seuil d’exclusion entre le premier et le deuxième cycle pour les étudiants en situation de handicap. La difficulté principale, à laquelle tous les étudiants sont confrontés, est de s’insérer dès le départ dans un cycle de réussite. Je suis favorable à une amélioration continue et nous sommes prêts à travailler à un droit de poursuivre ses études plus inclusif.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Le rapport donnera des éléments de diagnostic à ce sujet.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je le lirai avec grand intérêt.

Vous avez évoqué l’accompagnement des étudiants dans leur travail personnel. Sachez qu’en juin dernier, nous avons mis en place un groupe de travail réunissant la DGESIP, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), des associations et des établissements pour préparer un plan d’action pour la rentrée et identifier des difficultés particulières. Il se penche notamment sur la question du transport, qui prend un temps tel que cela empiète sur le travail personnel et sur l’aide à domicile. J’ai demandé qu’il établisse un cahier des charges de manière que nous puissions apporter des réponses adéquates. Il me semble important que ce travail soit mené conjointement par l’État et les collectivités, qui doivent être associées à cette réflexion, en particulier pour tout ce qui concerne les transports.

Je dois vous demander, monsieur le président, de repréciser votre question sur les 6 %.

M. Bertrand Bouyx, président. Avec les modifications des règles entourant l’obligation d’employer 6 % de personnes en situation de handicap dans les entreprises et les changements affectant le mécénat, nous craignons un tarissement de certaines sources de financement de l’enseignement supérieur. La Conférence des grandes écoles a envisagé la création d’un fonds dédié à l’accessibilité aux études supérieures. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Les entreprises ne respectant pas leur obligation d’employer 6 % de travailleurs handicapés doivent, en effet, payer une taxe à l’Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (AGEFIPH), mais comme elles sont de plus en plus nombreuses à s’y conformer – et c’est bien ! –, il y a moins de financements. Cela pose la question des fonds dédiés.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. C’est un sujet dont j’ai longuement discuté avec Sophie Cluzel, qui est, bien sûr, ravie de la diminution du nombre des amendes, car cela signifie qu’il y a une augmentation du nombre de personnes en situation de handicap employées. J’examinerai cette question plus particulièrement.

Mme Nathalie Sarles. J’aimerais, madame la ministre, vous faire part du témoignage d’un jeune homme myopathe en fauteuil roulant que j’ai rencontré et dont la situation combine deux sujets sur lesquels nous entendons faire porter notre effort : l’inclusion et les formations en alternance. Lorsqu’il a trouvé un stage dans un lieu éloigné de quelques kilomètres de son université, il a été confronté à un double problème de logement et de transport. Sur le campus, lui a été proposé un logement d’une surface supérieure pour qu’il puisse se déplacer mais qui lui a été surfacturé, ce qui ne me paraît pas normal. Ne devrait-il pas exister des logements adaptés qui soient proposés au même tarif que les autres ? Par ailleurs, il devait se rendre non seulement de son domicile à l’université mais aussi de l’université à son lieu de stage et de son lieu de stage à son domicile. Or, dans la mesure où il était majeur, il ne pouvait plus bénéficier de notifications de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et il n’y avait pas de financements pour qu’une personne le conduise dans un véhicule adapté.

Mme Cécile Rilhac. Madame la ministre, j’aimerais appeler votre attention sur le problème des concours. La durée réglementaire de certaines épreuves est dépassée lorsqu’y sont appliqués des tiers-temps, notamment pour l’agrégation. Or de plus en plus de personnes handicapées accèdent à ce niveau d’études.

Par ailleurs, rendre les bâtiments accessibles n’est pas suffisant. En cas de changements de cours ou de salles, les étudiants en situation de handicap devraient être prévenus systématiquement par SMS plutôt que d’avoir à monter et descendre des étages pour rien avec des cannes ou un fauteuil roulant. Cela leur éviterait de perdre de précieuses minutes de cours et leur épargnerait une fatigue supplémentaire. La notion d’accessibilité universelle est de plus en plus mise en avant, au-delà de l’accessibilité physique. Ne pourrait-on pas, par exemple, généraliser les notifications par texto qui sont pratiquées dans certaines universités ?

Enfin, j’aimerais savoir comment peut se concrétiser l’aide à la mobilité dans la vie quotidienne des étudiants en situation de handicap.

Mme Béatrice Piron. Le 4 juillet dernier, des bourses à la mobilité internationale financées par l’Association Mission Handicap ont été remises à treize lauréats à l’hôtel de Lassay en présence de M. Richard Ferrand et de Mme Sophie Cluzel. Leur montant total, de 30 000 euros, pourrait paraître confortable mais il faut savoir qu’une fois partagé, il ne couvre que 5 % des coûts supplémentaires dus au handicap de certains étudiants. De manière générale, à l’heure où la mobilité internationale – en particulier les échanges Erasmus – fait de plus en plus partie intégrante du parcours d’études, que proposez-vous pour aider les étudiants en situation de handicap qui séjournent à l’étranger ? Ils doivent parfois payer des billets d’avion pour venir rechercher en France des traitements médicaux qu’ils ne peuvent emporter pour la durée entière de leur séjour. Ils ont aussi besoin d’assistants dont le salaire n’est pas pris en charge par le pays d’accueil. Où en est-on de la création du statut international de l’étudiant en situation de handicap (SIESH) ? Il permettrait peut-être aux étudiants de bénéficier de droits sur leur lieu d’études à l’étranger.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Quelle prospective budgétaire imaginez-vous pour améliorer le financement des CROUS (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) et pour favoriser une meilleure inclusion, en termes de logement, mais aussi d’activités culturelles et de loisirs sportifs ?

Nous avons entendu Mme Amandine Torresan, étudiante en école supérieure de professorat et d’éducation, qui nous a tous émus profondément. Elle a commencé son audition en expliquant que son parcours avait été celui du combattant, l’histoire du pot de terre contre le pot de fer : « C’est “Marche ou crève” […], comme si on faisait une course à pied et qu’on nous demandait de ne jamais nous arrêter, de ne jamais respirer […] j’ai l’impression d’être seule au milieu de l’océan. »

Cette jeune femme, qui est allée jusqu’au bout en obtenant son diplôme, a pourtant, pour l’instant, renoncé à exercer le beau métier d’enseignant. Je me permets de vous renvoyer, Madame la ministre – ou les membres de votre cabinet –, à son audition. Vous verrez qu’elle ne contredit pas ce que nous nous sommes dit, mais apporte un éclairage particulier sur la réalité vécue par les étudiants.

Dernier élément, la médecine scolaire est le parent pauvre de l’éducation nationale. Je ne vois, cependant, pas là d’absence de volonté politique. Il est tout simplement compliqué de rendre la médecine scolaire attractive pour les médecins, à quoi s’ajoute la problématique globale de la démographie médicale. Il en va de même pour la médecine universitaire. Pourtant, elle est vitale dans le champ qui nous occupe. Quelles dispositions, quelle approche, quelle politique envisagez-vous de mettre en œuvre pour renforcer la médecine universitaire ?

M. Bertrand Bouyx, président. Je précise que l’audition de Madame Torresan s’est déroulée par vidéoconférence et que le seul document disponible est le compte rendu écrit mis en ligne sur le portail de la commission d’enquête.

Madame la ministre, comment votre ministère contrôle-t-il la bonne exécution, dans les établissements publics et privés, des dispositions visant à l’acceptation des étudiants en situation de handicap ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je vais regrouper les sujets de logement, d’aide à la mobilité et d’accompagnement dans le cadre des transports. Une fois de plus, je ne vous dirai pas que les choses sont parfaites, loin de là, mais je vais vous présenter ce que nous avons essayé de mettre en place.

Le plan de financement des CROUS comprend un grand programme d’aménagement pour rendre tous les logements accessibles aux étudiants en situation de handicap pour 2022. Quant à la question de savoir si le logement dont vous m’avez parlé aurait été surfacturé, je n’ai pas de réponse. En tout cas, on a prévu l’accessibilité

En matière de mobilité et d’accompagnement, un peu plus de 2 000 jeunes effectuant leur service civique seront dédiés à l’accompagnement des étudiants en situation de handicap dans les établissements. La mise en place a commencé à la rentrée 2018-2019 et se fait progressivement. À travers le service civique, nous offrons du temps d’accompagnement, l’idée étant de mettre en contact les étudiants avec d’autres étudiants. Cela fonctionne, en général, beaucoup mieux ainsi et, outre le côté beaucoup plus agréable, cela participe également à l’intégration dans la vie étudiante.

Quant à l’information relative aux changements de salles, bien évidemment – et heureusement, au XXIe siècle ! –, on peut la diffuser par les téléphones portables. Je ne sais pas à quel établissement Mme Rilhac faisait allusion tout à l’heure, mais on ne peut qu’encourager les établissements à mettre en place un système d’information qui évite aux étudiants d’avoir à monter trois étages pour savoir où a été déplacé leur cours. Là encore, c’est un aspect qu’il faut encourager de manière générale : cela aidera certes beaucoup les étudiants en situation de handicap, mais aussi tous les autres. En tout cas, je retiens la remarque et j’aborderai le sujet à la Conférence des présidents d’université. C’est à chaque établissement de décider de la mise en place de systèmes d’information, certains étant plus enclins que d’autres à utiliser les outils numériques.

Le tiers-temps, selon le code de l’éducation, s’applique aux examens comme aux concours, et le Conseil d’État l’a confirmé en 1991. Il peut toutefois arriver que l’étudiant ne souhaite pas le prendre. Je pense, madame Rilhac, que vous faisiez référence à des durées d’épreuves qui sont déjà extrêmement longues, de sorte qu’il est difficile de les prolonger encore d’un tiers du temps.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est le cas de certaines épreuves d’agrégation, pour lesquelles le tiers-temps n’est pas la bonne réponse.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il faudra probablement conduire un travail spécifique sur le sujet.

L’aide à la mobilité internationale pour les étudiants prend différentes formes, y compris au niveau européen, dans le cadre des financements Erasmus. Ce que nous défendons auprès de la Commission européenne, c’est que ces aides ne soient plus les mêmes pour tout le monde, c’est-à-dire qu’il y ait une graduation dans le montant de l’aide à la mobilité. Aujourd’hui, quand vous n’avez pas les moyens de compléter les aides à la mobilité, vu leur montant, vous ne bougez pas. Pour le prochain programme, nous voudrions qu’il puisse y avoir un montant de base, auquel s’ajoute un montant adapté, modulé en fonction des revenus.

Vous dites que les bourses d’aide à la mobilité internationale ne couvrent pas la totalité des frais pour les étudiants en situation de handicap, mais cela vaut malheureusement pour toutes les bourses de ce type. Nous avons demandé, cette année, dans le budget prévisionnel, que de l’argent soit spécifiquement consacré à la modulation de cette aide à la mobilité internationale. Cette dernière est un sujet important, et nous la porterons au niveau de l’Europe. Elle est parfaite aujourd’hui pour ceux qui ont seulement besoin d’un petit coup de pouce, mais pour ceux qui ont besoin de se faire financer leur mobilité, on est encore loin du compte. Je ne désespère pas qu’on trouve des solutions à ce problème, qui est, en tout cas, général et pas spécifique aux étudiants en situation de handicap.

Pour ce qui est de l’aspect médical, les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMPPS) sont la raison d’être de la contribution Vie étudiante et de campus. Cette année, un peu plus de 120 millions d’euros ont été collectés et répartis entre les établissements et les CROUS. Ils permettent de travailler à la mise en place de maisons de santé complètes au sein des établissements et d’améliorer la vie culturelle et la vie sportive sur les campus. Là encore, cette amélioration bénéficie à l’ensemble des étudiants, y compris, bien sûr, aux étudiants en situation de handicap.

Avec la mise en place du service sanitaire, nous travaillons aussi à traiter plus de sujets de prévention, tant dans les établissements scolaires que dans les établissements d’enseignement supérieur. Il s’agit d’envoyer des étudiants des filières médicales et paramédicales formés à la prévention assurer cette prévention dans les collèges, dans les lycées ou dans les établissements d’enseignement supérieur. Nous travaillons beaucoup sur le sujet avec les associations étudiantes. Telles sont les réponses que nous apportons à travers la contribution Vie étudiante et de campus

Par ailleurs, dans le plan « 60 000 logements étudiants », une part des logements en question sera rendue directement accessible aux personnes en situation de handicap.

Pour ce qui est du contrôle, je dispose, au niveau du ministère, de l’information relative au taux d’inscrits en situation de handicap, à condition que les étudiants se soient déclarés. En partant du principe qu’ils sont à peu près le même pourcentage à se déclarer chaque année, on voit ce taux augmenter. Le contrôle rectoral vise à vérifier que les travaux sont faits en matière d’accessibilité.

Très sincèrement, l’immense majorité des établissements d’enseignement supérieur intègrent cette question à leur propre stratégie. Je ne suis pas obligée de les pousser tous les jours. Il me faut plutôt trouver, de mon côté, des solutions pour les accompagner. Ils ont envie d’agir, et c’est le principal. À nous de trouver les moyens de les accompagner au mieux.

M. le président Bertrand Bouyx. C’est ainsi que nous clôturons le programme d’auditions de notre commission d’enquête. Merci, madame la ministre.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. L’état d’esprit qui règne dans la commission me rend confiant sur l’adoption de notre rapport, le 18 juillet. Il comptera un grand nombre de propositions, notamment dans votre champ de compétence, madame la ministre. Je ne manquerai pas de vous le remettre officiellement, en espérant que nos propositions, qui sont le plus pragmatiques possible, sauront vous convaincre, dans l’intérêt des étudiants.