N° 2195

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 juillet 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DENQUÊTE ([1]) sur limpact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur lacceptabilité sociale des politiques de transition énergétique,

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Julien AUBERT, Président,

 

et

 

Mme Marjolaine MEYNIER-MILLEFERT, Rapporteure,

 

Députés.

 

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TOME II

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

(du 12 mars au 16 mai 2019)


 

La commission denquête sur limpact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur lacceptabilité sociale des politiques de transition énergétique est composée de : M. Julien Aubert, président ; Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure ; Mmes Marie-Noëlle Battistel, Laure de La Raudière, Bénédicte Peyrol, et M. Vincent Thiébaut, viceprésidents ; M. Emmanuel Maquet, Mme Claire OPetit et M. Nicolas Turquois, secrétaires ; Mme Sophie Auconie, MM. Xavier Batut, Christophe Bouillon, Mme Anne-France Brunet, MM. Anthony Cellier, Vincent Descoeur, Mme Jennifer De Temmerman, M. Fabien Gouttefarde, Mmes Danièle Hérin, Stéphanie Kerbarh, MM. François-Michel Lambert, Jean-Charles Larsonneur, Mmes Florence Lasserre-David, Véronique Louwagie, Laurence Maillart-Méhaignerie, Mathilde Panot, M. Hervé Pellois, Mme Claire Pitollat, MM. Didier Quentin, Hubert Wulfranc, et Mme Hélène Zannier, membres.

 


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SOMMAIRE

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Pages

1. Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Duseux, président de lUnion française des industries pétrolières (UFIP) (12 mars 2019)

2. Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Plan, délégué général, et de M. Éric Layly, président fédéral de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C) (12 mars 2019)

3. Audition, ouverte à la presse, de Mme Magali Viandier, directrice sourcing, économie des offres dEDF, et de M. Patrice Bruel, directeur régulation, accompagnés de Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques (19 mars 2019)

4. Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Jourdain, directeur technique dEnedis, de M. Éric Peltier, membre de la direction financière, et de M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques (19 mars 2019)

5. Audition, ouverte à la presse, de MM. Matthieu Deconinck, chef du bureau D2 à la direction de la législation fiscale (DLF), et Michel Giraudet, adjoint au chef du bureau D2 ; et de MM. Sylvain Durand, chef de bureau, et Olivier Dufreix, adjoint au chef du bureau du développement durable à la direction du budget, au ministère de laction et des comptes publics (26 mars 2019)

6. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général de lénergie et du climat (DGEC) au ministère de la transition écologique et solidaire (26 mars 2019)

7. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de lénergie (CRE), accompagné de M. Dominique Jamme, directeur général adjoint, M. Julien Janes, directeur adjoint à la direction du développement des marchés et de la transition énergétique et de Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles (4 avril 2019)

8. Audition, ouverte à la presse, de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de lAutorité de la concurrence (4 avril 2019)

9. Audition, ouverte à la presse, de Mme Naima Idir, présidente de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et directrice des affaires réglementaires et institutionnelles d’ENI Gas and Power France, de M. Emmanuel Soulias, président d’Enercoop, de M. Vincent Maillard, directeur général de Plüm Énergie, et de M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie (4 avril 2019)

10. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des économistes de lénergie, avec la participation de Mme la Professeure Anna Creti (Université Paris-Dauphine), de M. Cédric Philibert, analyste expert des énergies renouvelables à lAgence internationale de lénergie (AIE) et de M. Nicolas Berghmans, chercheur à lInstitut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) (4 avril 2019)

11. Audition, ouverte à la presse, de M. François Brottes, Président du directoire de Réseau transport électricité (RTE), accompagné de M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles, de M. Arthur Henriot, chargé de mission au cabinet du Président, et de Mme Lola Beauvillain-de-Montreuil, attachée de presse (9 avril 2019)

12. Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard Sauvage, directeur général de GRDF, accompagné de M. Bertrand de Singly, délégué à la stratégie, et de Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles, et de M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, accompagné de M. Philippe Madiec, directeur stratégie et régulation, de M. Anthony Mazzenga, directeur gaz renouvelables, et de Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles (9 avril 2019)

13. Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, accompagnée de M. Éric Allain, président de section, et de Mme Isabelle Vincent, rapporteure (9 avril 2019)

14. Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Mongin, directeur général adjoint et secrétaire général du groupe Engie, accompagné de Mme Valérie Alain, directeur institutions France et territoires auprès du directeur général, de M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur régulation, de Mme Gwenaelle Huet, directeur général de la Business unit France renouvelables et de M. Damien de Gaulejac, attaché de presse (9 avril 2019)

15. Audition, ouverte à la presse, de M. Jonathan Lumbroso, directeur de la société LSF Énergie, accompagné de Mme Salomé Chelli, consultante (18 avril 2019)

16. Audition, ouverte à la presse, de M. Gaëtan Thoraval, directeur général dENRCERT, accompagné de M. Bastien Resse, responsable des affaires publiques (18 avril 2019)

17. Audition, ouverte à la presse, de M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE) (18 avril 2019)

18. Audition, ouverte à la presse, de M. Hugues Sartre, porte-parole de la société GEO PLC, accompagné de Mme Marina Offel de Villaucourt, responsable affaires publiques (18 avril 2019)

19. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Wiedemann, Président de lUnion des métiers du génie climatique, de la couverture et de la plomberie (UMGCCP) (18 avril 2019)

20. Audition, ouverte à la presse, de M. le Professeur Jacques Percebois, économiste (18 avril 2019)

21. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Sauquet, directeur général Strategy-innovation, directeur général de la branche Gas, renewables and power (GRP) et membre du Comité exécutif de la société Total, accompagné de M. Damien Steffan, directeur délégué relations institutionnelles France, et de Mme Evgeniya Mazalova, attachée de presse (7 mai 2019)

22. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Grandidier, fondateur et président du Groupe Valorem et de Mme Marie Bové, responsable des relations publiques (7 mai 2019)

23. Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Bour, président dEnerplan, accompagné de M. Richard Loyen, délégué général, de M. David Gréau, responsable des relations institutionnelles et de M. Antoine Huard, président du think tank France Territoire Solaire (14 mai 2019)

24. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), accompagné de M. Alexandre Roesch, délégué général, de Mme Marion Lettry, déléguée générale adjointe, de Mme Delphine Lequatre, responsable du service juridique, et de M. Alexandre de Montesquiou, consultant (14 mai 2019)

25. Audition, ouverte à la presse, de M. Patrice Cahart, membre du Groupe indépendant de réflexion sur lénergie, de M. Arnaud Casalis, membre du collectif dexperts « Énergie et vérité » et de M. Jean-Louis Butré, membres du collectif dexperts « Energie et vérité » (16 mai 2019)

26. Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Pérot, président, de France énergie éolienne (FEE), et de M. Charles Lhermitte, vice-président, accompagnés de M. Laurent Cayrel, directeur des relations institutionnelles, et de Mme Pauline Le Bertre, déléguée générale (16 mai 2019)

27. Audition commune, ouverte à la presse, de M. Patrice Cahart, membre du Groupe indépendant de réflexion sur lénergie, de MM. Arnaud Casalis et Jean-Louis Butré, membres du collectif dexperts « Energie et vérité », de M. Olivier Pérot, président de France énergie éolienne (FEE), et de M. Charles Lhermitte, vice-président de FEE (16 mai 2019)

28. Audition, ouverte à la presse, de Maître Anne Lapierre, avocate associée au bureau de Paris du cabinet Norton Rose Fulbright, expert du marché de lénergie (16 mai 2019)

29. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur, consultant en énergie (16 mai 2019)

30. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Bensasson, président-directeur général dEDF Renouvelables, accompagné de M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques, et de Mme Élodie Perret, chargée des relations institutionnelles (16 mai 2019)


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1.   Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) (12 mars 2019)

Laudition débute à dix-sept heures cinq.

Monsieur Julien Aubert, président. Notre commission d’enquête engage ce soir le cycle de ses auditions. La politique de transition énergétique vise à réduire les rejets de gaz carbonique de la France de 340 millions de tonnes actuellement à 170 millions de tonnes en 2050. Notre commission a pour projet d’apprécier dans quelle mesure les énergies renouvelables pourraient contribuer à la réalisation de cet objectif, avec quels impacts économiques, industriels et environnementaux et avec quelles conséquences sur l’acceptabilité sociale de cette politique. L’analyse par secteur montre qu’une grande partie des rejets de CO2 – quelque 39 % – concerne les transports. Ensuite viennent le secteur résidentiel, pour 24 %, les industries manufacturières avec 21 %, puis l’énergie, l’électricité principalement, avec 14 %. Il est donc pertinent que nous commencions nos auditions en entendant l’Union française des industries pétrolières (UFIP), une organisation qui représente les entreprises pétrolières sur le territoire français, regroupées en quatre chambres syndicales : la distribution, le transport pétrolier, le raffinage et l’exploration-production. Les activités pétrolières représentent 95 % de l’énergie du transport, essentiellement automobile. La question est donc de savoir comment diminuer les rejets de CO2 par kilomètre parcouru sans pénaliser la mobilité, et sans oublier que le prix des carburants a été un facteur déterminant du déclenchement de la grogne dans le pays. D’autre part, l’UFIP a appelé l’attention du Gouvernement, d’abord en juin 2018, puis en février 2019, sur l’impact du dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE), dont le coût est intégré au prix du carburant et de ce fait dans les coûts supportés par les consommateurs.

Nous avons trois interlocuteurs. M. Francis Duseux, qui préside l’UFIP depuis 2015 après en avoir été le délégué général entre 2001 et 2008, est ingénieur de l’École nationale supérieure de chimie de Paris et de l’École nationale supérieure du pétrole et des moteurs. Sa carrière s’est déroulée au sein du groupe ExxonMobil, en France et à l’étranger. Mme Isabelle Muller est déléguée générale de l’UFIP depuis 2012. Ingénieur de l’École centrale de Paris, sa carrière l’a conduite chez Elf puis Total avant qu’elle ne devienne secrétaire générale adjointe puis secrétaire générale de l’Association européenne de l’industrie pétrolière. M. Duseux et Mme Muller sont accompagnés par M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’UFIP.

Je vais vous donner la parole pour un exposé liminaire d’un quart d’heure tout au plus, puis notre rapporteure vous posera une première série de questions, auxquelles succéderont celles des autres commissaires. Auparavant, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.

(M. Francis Duseux, Mme Isabelle Muller et M. Bruno Ageorges prêtent successivement serment.)

Monsieur Francis Duseux, président de lUnion française des industries pétrolières (UFIP). C’est toujours une chance pour nous de pouvoir exposer les problématiques de notre industrie, singulièrement devant des commissions d’enquête parlementaires, qui s’attachent à déterminer la vérité des faits. Nous sommes, bien sûr, extrêmement concernés par la transition énergétique, puisque l’on prévoit une réduction d’au moins 40 % de la consommation des produits pétroliers à l’horizon 2040 ; c’est considérable. Nous avons souvent l’occasion de rencontrer des députés, des sénateurs et des membres du Gouvernement et de l’administration. À tous, nous tenons le même langage : au lieu de parler en pourcentages, dites-nous combien cela va coûter, comment vous allez financer la transition énergétique et, peut-être plus important encore, quel sera l’impact social de cette politique pour nos usines et nos dépôts ? Une réduction de 40 % de la consommation de produits pétroliers signifie a priori la baisse de 40 % du raffinage français, de l’activité des dépôts et des stations-service, et donc un problème d’approvisionnement général, surtout dans les zones rurales lointaines.

D’autre part, les carburants ont toujours été extrêmement taxés, mais le dernier plan a conduit à une augmentation considérable de la taxation ; elle touche énormément de gens puisque, tous les matins, 22 millions de Français ont absolument besoin de leur voiture, soit pour aller travailler et emmener leurs enfants à l’école, soit pour aller faire les courses, sans parler du week-end. C’est pourquoi une augmentation très violente des taxes sur les carburants entraîne immédiatement un problème de pouvoir d’achat – et il n’y a pas si longtemps, l’indicateur le plus observé en France était le prix du gazole à la pompe.

Le document qui vous a été distribué regroupe des graphiques éclairants. Le premier retrace l’évolution de la consommation de produits pétroliers énergétiques en France depuis 1972. Il est intéressant d’observer les tendances récentes. Une courbe montre le formidable accroissement de la consommation de gazole en France, mais l’on voit qu’après une augmentation continue de 2 % ou 3 % par an – les ventes de véhicules diesel ont représenté 70 % des ventes annuelles –, une inflexion se dessine. On prévoit que la tendance à la baisse de la consommation de diesel dure ; cela pose-t-il un problème ?

Le gazole consommé représente quelque 40 millions de tonnes par an, et les raffineries françaises ne sont pas capables de fabriquer ce volume considérable. Nous investissons tous pour maximiser cette production mais nous nous heurtons à une limite physique que nous ne pouvons dépasser, si bien que le gazole consommé dans notre pays est pour moitié importé. Aussi, si la consommation de gazole baisse beaucoup au cours des deux prochaines décennies, cela aura pour conséquence, dans un premier temps, la réduction des importations, qui proviennent essentiellement de Russie mais aussi, de plus en plus, des États-Unis. En effet, grâce au gaz de schiste, combustible très peu cher, les États-Unis ont relancé leur pétrochimie et, ayant modifié leur législation, ils deviennent exportateurs de produits pétroliers. L’Europe commence à recevoir de gros navires chargés de gaz américain.

Un autre fait marquant est l’effondrement de la consommation du fioul lourd. La consommation était très élevée à l’époque où l’on brûlait du fioul pour fabriquer l’électricité ; en matière de réduction des émissions, l’évolution est spectaculaire puisqu’il n’y a pratiquement plus de fioul lourd vendu en France. Seul continue de l’être le fioul « soute » qui sert aux bateaux, et dont les spécifications changeront en 2020 ; il devra être beaucoup moins soufré.

L’évolution de la consommation des carburants aéronautiques, en hausse, est également assez frappante. L’activité du secteur de l’aviation augmente de 4 % à 5 % par an, et cela devrait durer car, étant donné la concurrence, les prix des billets d’avion baissent. On s’attend donc que le nombre de voyages aériens augmente.

La baisse de la consommation dessence a été considérable, en raison de lavantage fiscal qui a été donné au diesel : la différence de prix qui en résultait – 12, voire 15 centimes par litre – était suffisante pour inciter les gens à consommer du diesel et de moins en moins dessence. Cela a posé un problème dans nos raffineries, où nous fabriquions beaucoup plus dessence que ce que nous ne pouvions en vendre sur le marché français. Nous étions donc obligés dexporter, et cela remettait en cause lavenir de nos raffineries. Aussi avons-nous toujours été favorables à un équilibre de taxation entre gazole et essence ; on nen est pas loin. Le Gouvernement précédent avait engagé ce rééquilibrage. Le mouvement sest poursuivi ces deux dernières années. Le graphique reflète la tendance nouvelle : la courbe de la consommation dessence se redresse, augmentant de 4 % à 5 % par an. Cela devrait continuer.

Si la consommation de fioul domestique a beaucoup baissé ces dernières années, il faut garder à l’esprit que 10 millions de Français se chauffent encore avec ce carburant, souvent dans des zones rurales éloignées sans accès au gaz, qui n’est donc pas une alternative plausible. Quelque 4 millions de chaudières sont encore équipées au fioul domestique et 1,5 million des 10 millions de consommateurs concernés sont dans une situation précaire. C’est pourquoi nous avons toujours incité l’État à la prudence à ce sujet. Il y a des années déjà, dans cette même salle, je me rappelle avoir invité à prendre garde au niveau des taxes sur le fioul domestique. C’est un problème majeur de pouvoir d’achat pour beaucoup de Français qui vivent dans des maisons, souvent dans des zones rurales, mal isolées ; augmenter les taxes sur ce carburant, c’est une attaque frontale contre le pouvoir d’achat de près de 4 millions de foyers et 10 millions de Français.

Vous constaterez, au vu de ce graphique, que l’essence ne représente que 20 % des carburants vendus, contre 80 % pour le gazole, pour un ensemble de 50 milliards de litres vendus par an. Ce chiffre est à peu près constant depuis quatre ou cinq ans. Actuellement, on vend moins de gazole et un peu plus d’essence, mais la variation est de l’ordre d’un pour cent. Il faut aussi garder à l’esprit que si 50 milliards de litres sont vendus chaque année et que l’on augmente les taxes de 2 centimes par litre, cela représente un milliard d’euros pour les caisses de l’État. L’effet de levier est donc considérable. !

Le deuxième graphique retrace la composition des prix respectifs du gazole et de l’essence, en moyenne, pour la période du 4 au 8 mars 2019, à partir de la cotation quotidienne du cours international du pétrole brut établie par l’agence Platts à Rotterdam.

Le prix de la matière première forme la partie basse de la colonne. Il y a une certaine corrélation avec le prix du pétrole brut, mais elle n’est pas entière en raison des effets saisonniers. Il s’agit de prix internationaux, les cargos viennent de Russie ou des États-Unis et il y a beaucoup de mouvements. En hiver, il y a un gros appel en fioul domestique au nord de la planète parce qu’il y fait froid ; mais, traditionnellement, les gens roulent moins en hiver, si bien que la consommation d’essence baisse, et le prix de l’essence est moindre qu’en été. Le graphique montre un écart du prix de la matière première selon qu’il s’agit de gazole – coté à 46 centimes – ou d’essence – cotée à 38 centimes seulement. Comme je vous l’ai expliqué, cette cotation s’inversera à mesure que l’on s’avancera vers l’été, avec l’accroissement de l’utilisation des moyens de transport et par ricochet de la consommation d’essence et un moindre besoin de fioul domestique – mais les poids lourds continueront de consommer du gazole sur toute la planète et les moteurs des voitures diesel de tourner.

Au prix de la matière première s’ajoute le coût de la distribution. Le pétrole brut arrive dans nos raffineries, au Havre par exemple. Il y est transformé en produit fini, transporté par pipelines jusqu’à la région parisienne et stocké dans des dépôts où des camions-citernes viennent charger pour livrer les stations-service. Ces opérations représentent un coût arrondi de 14 centimes par litre pour le gazole et de 15 centimes pour l’essence.

Vient ensuite un coût quasiment inexistant il y a encore trois ou quatre ans : celui des certificats d’économie d’énergie (CEE). Le dispositif, entré dans sa quatrième période, le 1er janvier 2018, pour une durée de trois ans, impose à chaque fournisseur d’énergie en France une obligation de réalisation d’économies d’énergie, obligation concrétisée par les CEE qu’il doit détenir. Pendant les trois premières périodes, le coût des certificats était assez indolore. Pour nous, fournisseurs de carburant, cela représentait moins de 2 centimes par litre, jusqu’au jour où Mme Ségolène Royal, pendant la dernière semaine de son ministère, a décidé de doubler les obligations. Nous avons fait valoir, en vain, que c’était irréaliste et que cela serait source de problèmes. Le nouveau gouvernement a maintenu le doublement des obligations et ce que nous avions prévu s’est produit : nous n’arrivons pas à fournir ces certificats d’économie d’énergie, il y a un tarissement des gisements. Le problème de fonctionnement est patent, le dispositif est monté en puissance beaucoup trop vite et beaucoup trop fort donc le prix des certificats augmente. En page 8 du document, un schéma explique le fonctionnement de ce mécanisme, dont il résulte pour l’instant que le coût des certificats, ramené au litre de carburant, est de 5,6 centimes ; il était même supérieur à 8 centimes pour le litre de carburant acheté « spot » au début du mois.

Au départ, on pouvait penser que les vendeurs d’énergie prélèveraient sur leurs marges ce coût supplémentaire, qui était alors de 1 à 2 centimes. C’est sans doute ce qui s’est passé au début mais cela n’est plus possible. Il règne en effet en France une concurrence intense dans le domaine des carburants depuis que la grande distribution a décidé, il y a vingt-cinq ans, de vendre des carburants et d’en faire un produit d’appel. Les grandes surfaces représentent 60 % du volume de carburants vendus dans ce pays, et un prix de vente faible attire les clients. Dans un premier temps, face à cette concurrence, nous avons décidé de jouer la qualité, mais notre prix au litre, à la pompe, était de 8 à 10 centimes plus élevé que dans la grande distribution et, au bout d’un certain temps, nos volumes de vente se sont écroulés.

Le prix du carburant est une donnée tellement sensible pour les 22 millions de Français contraints de se déplacer en voiture que si les stations-service ne s’alignent pas sur les prix affichés par les grandes surfaces, elles ne vendent plus. Les ministères et l’Inspection des finances le savent : notre marge nette sur les ventes de carburants est d’un centime par litre. Aussi, lorsque le prix des CEE augmente beaucoup, ce coût est répercuté dans le prix à la pompe. Nous avons alerté le Gouvernement sur ce point. Au mois de décembre dernier, nous avons eu la chance de voir M. Le Maire et M. de Rugy et nous leur avons dit qu’en plein conflit des gilets jaunes il fallait prendre garde et que, si l’on poursuivait dans cette voie, les prix à la pompe continueraient d’augmenter fortement, que le Gouvernement risquerait de se heurter à nouveau à des réactions du même type et qu’il fallait trouver, en commun, un moyen de modérer cette augmentation.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Duseux, vous en êtes à la page 3 d’un document qui en compte dix et vous avez dépassé le temps de parole qui vous était imparti. L’intérêt de votre propos m’incite à vous laisser poursuivre mais je vous invite à la concision, faute de quoi mes collègues ne pourront vous poser les questions qui leur tiennent à cœur.

M. Francis Duseux. Je vous entends, mais je tenais à appeler votre attention sur ce sujet, parce que les choses peuvent devenir dramatiques pour les petits producteurs de CEE qui, s’ils ne parviennent pas à remplir leurs obligations, sont sanctionnés par une pénalité équivalente à 15 centimes par litre qui, de plus, n’est pas déductible. Sachant cela, certains d’entre eux, constatant l’impossibilité dans laquelle ils sont de remplir les obligations qui s’imposent à eux, ont annoncé qu’ils allaient augmenter leurs prix de 15 centimes par litre !

Votre commission denquête doit avoir ce mécanisme à lesprit. Nous ne sommes pas contre le dispositif des CEE ; cest même une bonne idée, mais elle doit être appliquée doucement, lentement. Le problème de la transition énergétique est un problème détalement dans le temps : il faut faire, mais si on va trop vite, trop fort, trop cher, cela ne marchera pas !

J’en reviens à la composition du prix du carburant. Au prix de la matière première, de la distribution et du CEE s’ajoute la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ; elle est de 69 centimes pour l’essence et de 60 centimes pour le gazole. Il y a aussi deux « effets TVA » : la TVA sur le produit et les coûts de distribution d’une part, soit 10,8 centimes par litre d’essence, et la TVA sur la TICPE, soit 13,8 centimes sur l’essence également. C’est ainsi que se décompose le prix d’un litre de carburant.

Il en résulte que, le 8 mars 2019, pour un litre de gazole vendu 1,46 euro, 61 centimes correspondaient aux prix de la matière première, de la distribution, du coût des CEE, et 85 centimes à des taxes – soit 140 % du produit. Pour un litre d’essence, c’est pire encore : à 53 centimes correspondant au coût de la matière première, de la distribution et des CEE s’ajoutent 94 centimes de taxes ; l’essence est le produit le plus taxé de France.

Comme ces produits émettent des gaz à effet de serre et que l’on veut réduire ces émissions, on parle de « taxe carbone ». Nous avons fait un calcul : à quel niveau de « taxe carbone », terme à la mode, correspond donc la taxe payée sur les carburants par les usagers français ? Pour le gazole, il s’agit de 223 euros la tonne, et de 300 euros la tonne pour l’essence. Voilà à quel niveau de taxation on est.

Le graphique suivant retrace l’évolution cumulée de la TICPE et de la TVA résultant de la loi votée fin 2017, avant le mouvement des gilets jaunes. C’était considérable et tout à fait déraisonnable, et nous nous y sommes fortement opposés : l’évolution prévue aurait fait augmenter le prix du gazole à la pompe de 34 centimes par litre pendant le quinquennat, et de 38 centimes à l’horizon 2030. S’ajoutent à cela les incertitudes relatives à l’évolution du prix du brut : la consommation mondiale de pétrole augmentant, toutes les conditions sont réunies pour que son prix augmente aussi. Si on revenait au prix passé du pétrole, qui était d’environ cent dollars le baril, il en coûterait 30 centimes supplémentaires par litre à la pompe. Faites le calcul : vous arrivez assez rapidement à 2 euros le litre d’essence et de gazole à la pompe, ce qui nous semble insupportable pour le budget des Français.

Je ne m’attarderai pas sur le tableau suivant, qui répertorie les taux de TICPE selon les régions. Ensuite est décrite l’affectation de la TICPE, qui inclut, depuis deux ans, une fraction « taxe carbone ». La prévision pour 2018 était de 33,8 milliards d’euros, 12,3 milliards étant transférés aux collectivités territoriales, 7,2 milliards d’euros au compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », et 1 milliard d’euros à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour financer des projets d’infrastructures. On pourrait penser que les usagers qui payent autant de taxes aient droit qu’une partie, même modeste, du produit de ces taxes, aille à la réparation des routes et des ouvrages d’art. Qui voudrait qu’un pont s’effondre comme à Gênes ? Or, un sénateur avec lequel nous nous étions entretenus nous disait son inquiétude de ne pas avoir le financement nécessaire à la réparation de routes, dont on sait pourtant que 19 % devraient être réparées.

À la TICPE s’ajoute bien sûr la TVA à 20 %. Il ne me revient pas d’en juger, mais je lis les suggestions du grand débat en cours : sur un produit, le carburant, aussi important pour la mobilité des Français et avec des personnes qui n’ont pas d’alternative au transport automobile, on pourrait s’interroger sur le niveau de TVA à appliquer. Le carburant ne pourrait-il pas être considéré comme un produit de première nécessité ?

Je ne reviens pas sur le schéma récapitulant le dispositif des CEE dont j’ai dit l’essentiel, mais je vous invite à regarder le graphique figurant à la page 9, qui détaille l’évolution de leur coût. On constate qu’elle a été très raisonnable au cours des années 2015 à 2017, mais avec le doublement intervenu au cours de la dernière période, les choses deviennent assez dramatiques et l’on arrive à des niveaux très élevés. Si rien n’est fait, cela posera un problème réel, et ce coût va encore augmenter.

Enfin, le dernier graphique montre la taxation comparée des énergies – électricité, gaz naturel, diesel, supercarburant et fioul domestique – en France. On voit, en particulier, que le gaz naturel est peu taxé et que le fioul domestique, qui n’était pas taxé, l’est progressivement.

Madame Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Cette audition a été organisée dans des délais assez courts. Je vous remercie d’avoir réussi à vous libérer et je vous prie d’excuser l’absence de certains de nos collègues qui, s’ils n’ont pas réussi à réorganiser leurs emplois du temps, ne se désintéressent pas de nos travaux pour autant.

Dans quel pays d’Europe la situation vous paraît-elle la plus équilibrée ? Quel modèle permet une démarche positive de réduction des émissions de CO2 tout en préservant le fonctionnement correct de l’industrie pétrolière ?

M. Francis Duseux. En matière d’énergie, l’Europe est une catastrophe ! J’en veux pour exemple que les deux plus grandes économies européennes conduisent des politiques énergétiques opposées. L’Allemagne ferme son parc nucléaire, et 40 % de l’électricité provenant dans ce pays du lignite, il en résulte un désastre en matière d’émissions de gaz à effet de serre – ce pourquoi l’Allemagne envisage, ai-je lu dans la presse, la fermeture des centrales à lignite en 2038. En revanche, si le CO2 est vraiment l’ennemi, et on peut penser qu’il l’est, la France est exemplaire. Notre part des émissions mondiales est de 0,8 % grâce à notre énergie nucléaire : c’est le record absolu de tous les pays industrialisés, alors même que notre pays est la sixième économie mondiale. À entendre ce qui s’énonce au cours des COP au sujet du réchauffement climatique, nous avons tous intérêt, pour nos enfants et nos petits-enfants, à éliminer le plus possible les émissions de CO2 ; dans ce cadre, nous pouvons servir de modèle au reste du monde.

Puisque nous sommes exemplaires, il me semble totalement inutile de vouloir aller plus fort encore, en dépensant pour cela des centaines de milliards d’euros d’une manière qui compromettra le pouvoir d’achat de la population. Plus grave mais moins visible : renchérir les coûts du transport signifie augmenter les taxes et de la sorte attaquer la compétitivité des entreprises françaises de toutes tailles puisque toutes ont besoin de transports, en amont et en aval, quelle que soit leur activité – cela vaut pour l’agriculture comme pour la grande distribution. Renchérir le coût du transport est très dangereux parce que cela plombe l’économie française dans son ensemble.

Le coût de l’énergie représente dix pour cent des coûts des industriels français. Augmenter ce coût, ce qui est l’enjeu majeur de la transition énergétique, ne peut être indolore. Le problème est de définir ce que l’on est prêt à dépenser chaque année pour changer de système énergétique.

Selon l’estimation que nous avons faite avec France Industrie, il ressort du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie en discussion qu’il s’agirait de trouver 50 milliards d’euros par an pendant dix ans. Comme, semble-t-il, on n’ajoutera plus de taxes sur les carburants – je pense que cela a été compris, même le Président de la République le répète souvent – comment financerez-vous la somme considérable de 50 milliards d’euros par an ? Sur les fonds publics ? Je ne le crois pas. En outre, la France se doit-elle de montrer l’exemple au reste du monde ? Je ne le pense pas. Mais ne croyez pas que les pétroliers qui polluent et qui vendent des produits polluants se désintéressent de la question et prêchent pour leur paroisse : pas du tout. Il faut agir et nous avons des solutions, la meilleure étant l’économie d’énergie. Pour nous, ce qui changera tout, c’est de réduire la consommation de carburant.

M. le président Julien Aubert. Le temps qui nous est imparti étant limité, il vous faudra, monsieur Duseux, abréger vos réponses.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Et vous ne nous avez pas dit dans quel pays européen vous aimeriez habiter.

M. Francis Duseux. Je vous ai répondu que, sans chauvinisme, en matière d’énergie et de coûts énergétiques, la France est un modèle, et que l’on ne doit pas plomber notre grand avantage compétitif en renchérissant les coûts de notre énergie à hauteur de 50 milliards d’euros par an, un montant considérable.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je tiens néanmoins à corriger certains de vos chiffres. Vous avez indiqué que notre part des émissions mondiales est de 0,8 % ; c’est vrai, mais à l’échelle de l’Union européenne elles représentent 9 % et la France est le quatrième producteur européen de CO2. Nous ne sommes donc pas aussi impeccables que vous l’affirmez.

M. Francis Duseux. Tout dépend de votre mode de calcul. Pour ma part, je parlais de notre mode de production d’énergie, qui permet des émissions de CO2 extrêmement faibles. Je suppose que vous évoquez les émissions de CO2 liées aux produits importés.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Chacun de nous devra reprendre ses chiffres relatifs à la part de la France dans la production de CO2, mais il me semble que nous ne sommes pas aussi vertueux que vous le dites.

M. Francis Duseux. Je maintiens que pour ce qui est de la production d’énergie, la part de la France est de 0,8 % des émissions mondiales.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je parle de l’ensemble de la production de CO2 en France ; vous mentionnez uniquement la production d’énergie. Pour ce qui est du pouvoir d’achat, la dépense de chauffage d’un ménage qui se chauffe exclusivement au fioul est actuellement de 2 200 euros en moyenne, largement supérieure à la dépense – 1 600 euros en moyenne – de ceux qui se chauffent autrement. Les CEE sont principalement réinvestis dans l’isolation des logements, pour permettre justement d’en venir à un coût de chauffage moindre dans un bâtiment très bien isolé, de l’ordre de 27 euros par mois pour un logement de 160 m2 – bien loin, donc, des 2 200 euros l’an actuels. J’entends votre inquiétude relative à la bonne utilisation des CEE, mais le mécanisme est vertueux puisqu’il permet, par des investissements de ce type, d’améliorer le pouvoir d’achat des Français en réduisant d’autres dépenses : ce qu’ils payent pour le transport, ils le gagnent peut-être sur le chauffage.

M. Francis Duseux. Je le redis, nous ne sommes pas opposés au mécanisme lui-même, mais à une accélération déraisonnable qui ne permet plus de le maîtriser.

Bien sûr, le prix du fioul domestique fluctue selon le prix du pétrole. Le Premier ministre a annoncé la suppression des chaudières individuelles au fioul d’ici dix ans. Mais quelles sont les alternatives sinon une chaudière à bois ou une pompe à chaleur ? Or, une pompe à chaleur coûte 15 000 euros, auxquels s’ajoute le coût de l’évacuation et de la casse de la chaudière à fioul domestique, soit 2 000 euros supplémentaires. Même si les propriétaires des chaudières à fioul reçoivent une aide de 3 000 euros, le reste à charge sera considérable. Je ne pense pas que les ménages encore chauffés de cette manière dans des zones rurales reculées, dans des maisons mal isolées, c’est vrai, aient les moyens d’une telle dépense. Quelles que soient les mesures proposées, il faut dire la vérité sur le reste à charge et, selon moi, le remplacement des chaudières à fioul domestique par des pompes à chaleur n’est pas possible ; cela ne fonctionnera pas.

D’autre part, l’objectif est d’isoler 500 000 logements par an. L’ordre de grandeur du coût des travaux d’isolation étant de 250 euros le mètre carré, pour un pavillon de banlieue des années 1960, une de ces fameuses « passoires énergétiques », la dépense sera donc comprise entre 37 000 et 40 000 euros. Là encore, à supposer même une aide de 10 000 euros, il n’est pas certain que les propriétaires de ces maisons puissent financer un reste à charge de 30 000 euros – et il faut de 25 à 30 ans pour rembourser un emprunt de ce montant.

Dans ce contexte, permettez-moi d’en revenir un instant au fioul domestique. J’observe que l’on exclut une mesure bonne et simple, consistant à faire remplacer une vieille chaudière au fioul domestique installée il y a un quart de siècle par une chaudière moderne à haute efficacité énergétique. Ces équipements existent et ne coûtent pas plus de 5 000 euros mais, malheureusement, la loi exclut cette substitution. Cela ne va pas, et je pense que nos collègues de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C), qui représentent 22 000 emplois en France, vous le diront mieux que moi.

M. Hervé Pellois. Votre exposé liminaire m’a appris beaucoup sur l’industrie pétrolière. J’ai été cependant assez surpris que vous ne preniez pas davantage en considération la nécessité d’une transition énergétique. Mise à part votre suggestion de réduction de la consommation, votre propos était principalement critique ; franchement, si tout le monde tenait votre discours, je me demande dans quel état sera notre planète dans cinquante ans. Sur le plan technique, j’aimerais savoir si le gazole et l’essence proviennent du même pétrole et de quelle origine est le pétrole que nous importons.

M. Francis Duseux. La distillation d’un baril de pétrole fournit des gaz, de l’essence, des carburants pour l’aviation et du fioul. Pour optimiser la marge des raffineries, tous les raffineurs mélangent plusieurs pétroles bruts, trois quatre en général.

L’approvisionnement en pétrole est très diversifié. Il y a de moins en moins de contrats à terme : les grandes compagnies pétrolières font leur marché en permanence en allant au plus offrant, si bien que la palette des bruts distillés en France est très variée. Toutefois, l’essentiel provient d’Arabie Saoudite et d’Afrique, parce que le coût de transport est favorable pour nous. Il provient aussi de productions d’origine norvégienne et britannique en Mer du Nord et, traditionnellement, il y a toujours eu beaucoup de pétrole russe de l’Oural dans les mélanges.

Je n’ai pas eu le temps de développer mon propos car j’ai insisté sur les taxes, sujet qui nous préoccupe sérieusement, mais tous les pétroliers sont bien entendu convaincus de la nécessité de la transition énergétique et modifient leurs pratiques. Notre industrie, qui est depuis toujours l’industrie « du pétrole et du gaz » – oil and gas industry – va devenir celle « du gaz et du pétrole ». La consommation mondiale de pétrole va baisser ; 40 % de l’électricité produite sur la Terre l’étant aujourd’hui à partir du charbon, le bon vecteur de la transition énergétique pour chasser le charbon, premier ennemi de la planète en termes d’émissions de CO2, c’est le gaz. Tous les pétroliers que je représente se lancent dans de très lourds investissements gaziers pour faire face aux besoins futurs d’électricité.

Si, par une décision politique, on en venait à éliminer l’utilisation du charbon en instituant dans une COP une taxe carbone si élevée que plus un seul morceau de charbon n’était utilisé pour produire de l’électricité, on passerait en deçà du seuil des 2 degrés. Mais on ne peut remplacer tout le charbon par des éoliennes et des panneaux solaires.

M. Fabien Gouttefarde. Pourriez-vous adapter le schéma de décomposition des prix du litre de gazole et d’essence au litre de kérosène utilisé par les avions, détaxé en vertu des dispositions d’une convention internationale ?

M. Francis Duseux. Effectivement, une convention internationale explique l’absence de taxation, pour l’instant, du carburant pour aéronefs ; toute décision contraire devrait impérativement être européenne, et même internationale. Si la France en venait seule à taxer ces carburants, le lendemain même nous n’en vendrions plus une goutte sur notre territoire : tous les remplissages d’avion se feraient au Luxembourg, en Belgique, aux États-Unis ou en Afrique. D’autre part, si seule l’Europe prend cette décision, le coût des billets d’avion sera plombé pour les seuls Européens ; ce serait un problème énorme. Une décision de cette sorte doit être une décision internationale ou ne pas être.

Mme Sophie Auconie. La même question vaut pour le carburant utilisé par les supertankers qui importent en masse des produits d’Asie et d’ailleurs par les paquebots de croisière.

M. Francis Duseux. Ce carburant n’est pas taxé non plus pour l’instant mais il existe des normes internationales de plus en plus sévères, au long des côtes américaines notamment, pour juguler la pollution, bien réelle, due au fioul lourd. Je crois qu’un cargo pollue autant que plusieurs millions de véhicules automobiles. C’est assez choquant, et des mesures sont enclenchées qui visent à réduire cette pollution en améliorant la qualité du fioul « soute ».

Pour les navires neufs, certains croisiéristes, les plus prospères, vont passer au gaz ; cela signifie que des compagnies parmi celles que je représente ont entrepris de modifier leurs équipements d’approvisionnement dans les ports. Cette solution n’est pas parfaite parce que c’est une énergie fossile, mais c’est mieux que d’utiliser du fioul « soute ». Mais cela coûte très cher et ce n’est possible que sur les navires neufs.

Pour la flotte existante, il y a deux solutions. La première est le filtrage des émissions des navires à l’aide d’épurateurs de fumées – scrubbers en anglais. On estime que les armateurs équiperont de scrubbers entre 40 % et 50 % des bateaux dans les années qui viennent. Ils n’auront d’ailleurs pas le choix, puisque les nouvelles normes leur interdiront d’émettre des particules ; les choses s’amélioreront donc ainsi. La troisième solution consiste à substituer au fioul lourd du gazole, produit beaucoup plus léger, mais cela renchérit considérablement les coûts de transport. À nouveau, une telle mesure prise seulement en France ou en Europe plomberait immédiatement les comptes de nos armateurs. Il doit donc impérativement s’agir de mécanismes internationaux.

Mme Laure de La Raudière. Disposez-vous d’une comparaison internationale des émissions de CO2 par habitant ? Une divergence de vues étant apparue entre notre rapporteure et vous-même sur ce que l’on mesure, on saurait ainsi si la France est ou n’est pas « exemplaire ». D’autre part, j’ai cru vous entendre dire qu’une augmentation de 2 centimes par litre de carburant entraîne un accroissement de 50 milliards d’euros des recettes de l’État ; est-ce bien cela ?

M. Francis Duseux. Non, madame : j’ai indiqué que 50 milliards de litres de gazole et d’essence étant vendus chaque année, une augmentation des taxes de 2 centimes par litre entraîne une recette d’un milliard d’euros pour les finances publiques.

Je ferai parvenir dès demain à la commission d’enquête la copie d’une note récapitulant les comparaisons internationales pour éclairer notre différence d’interprétation des chiffres de production et de consommation de carburants et d’émissions totales de CO2. Ces chiffres officiels montrent, que les émissions de CO2 de la France en absolu s’élèvent, j’en suis certain, à 0,8 % des émissions mondiales. Figurera aussi dans cette note l’évaluation par habitant ; sachez, à ce sujet, que nos émissions par habitant sont deux fois inférieures à celles de l’Allemagne qui, parce qu’elle utilise beaucoup de lignite, émet beaucoup de CO2 – 9 tonnes par an et par habitant. Les émissions annuelles par habitant sont de 15 tonnes aux États-Unis et de 60 tonnes en Chine. L’Inde développant massivement des centrales au charbon, ces trois derniers pays vont représenter à eux seuls 70 % des émissions mondiales, et l’Europe 10 % seulement. Mais les calculs sont-ils exacts ? À ce jour, tous les documents que j’ai lus recensent les émissions locales, celles des voitures, des usines, de la production de ciment, etc. Ne serait-il pas justifié de tenir compte, quand on importe de Chine des jouets ou une batterie pour un véhicule électrique, les émissions de CO2 liées à leur fabrication, en imposant une taxe carbone à ces importations ?

Mme Laure de La Raudière. Vous avez souligné d’emblée que l’augmentation de la taxe sur les carburants avait entraîné un mouvement social important, mettant ainsi l’accent sur l’acceptabilité sociale de la transition énergétique. Disposez-vous d’études concernant l’élasticité de la consommation en fonction du prix ?

M. Francis Duseux. Je vous l’ai dit, les choses ont changé pour les grands pétroliers que je représente : dès que l’on s’éloigne de 4 à 5 centimes du prix pratiqué par les grandes surfaces, nos volumes de vente s’écroulent.

Mme Laure de La Raudière. Mon propos est autre. À un moment, l’année dernière, le prix du litre à la pompe était d’un euro. Jusqu’à ce que le prix monte à 1,50 euro, cela a été « accepté » par la population, mais dès que la barre de 1,55 euro a été franchie, il y a eu une crise. Pour autant, je n’ai pas l’impression que les gens aient profondément modifié leur comportement quand le prix du carburant est passé de 1 euro à 1,50 euro. L’augmentation, d’un tiers, était pourtant considérable et l’on aurait pu imaginer que le covoiturage se développe ou que l’on n’aille plus acheter sa baguette en voiture… J’aimerais donc savoir si vous avez conduit une analyse de l’élasticité du comportement et de la consommation au regard du prix du litre à la pompe.

M. Francis Duseux. La réponse se trouve dans le graphique retraçant l’évolution de la consommation de produits pétroliers énergétiques en France depuis 1972. On y voit que même quand le prix du pétrole est tombé à 30 dollars le baril, la consommation de carburant n’a quasiment pas changé. Cela s’explique par la raison simple que de nombreux Français ont besoin de leur voiture tous les jours pour aller travailler, et que le transport poids lourds, qui reflète l’économie du pays, représente 20 % de la consommation globale.

Mme Laure de La Raudière. Il n’existe donc pas d’étude précise à ce sujet ?

M. Francis Duseux. Non. La seule étude que l’on puisse faire, c’est celle de l’évolution du prix du pétrole brut ou des carburants et on voit que la consommation de carburant n’a pas changé. L’élasticité existe mais elle est extrêmement faible parce que les gens ont besoin de leur voiture, elle leur est absolument nécessaire.

M. le président Julien Aubert. J’aimerais que nous nous accordions sur les chiffres.

Le tableau figurant à la page 7 de votre document indique que la TICPE brute totale prévue en 2018 est de 33,8 milliards d’euros, et vous calculez une TVA à 20 %, soit 6,7 milliards d’euros. Mais à la page 3 figure la décomposition des prix des carburants, et vous expliquez qu’il y a un double calcul de TVA : sur le produit d’une part, sur la TICPE d’autre part. Vous nous avez dit que 2 centimes de taxe par litre entraînent 1 milliard d’euros de recettes pour l’État ; une TICPE de 69 centimes par litre d’essence représente donc 34,5 milliards d’euros de rentrées fiscales. Pour l’essence, la TVA sur le produit représente 10 centimes et la TVA sur la TICPE 13 centimes, soit 23 centimes en tout. La recette de TVA pour l’État n’est donc pas de 6,7 milliards d’euros comme indiqué précédemment mais de 11,5 milliards d’euros. J’en déduis que dans la construction du prix des carburants vous n’avez indiqué que l’un des montants de TVA prélevés, et qu’il faudrait réintégrer le deuxième dans les rentrées fiscales totales. J’aimerais que vous nous expliquiez précisément le mécanisme de cette TVA au carré.

M. Francis Duseux. Il s’agissait, pour une bonne compréhension, de distinguer toutes les composantes du prix. Nous aurions pu simplifier cette présentation en additionnant d’emblée la TVA sur produit et la TVA sur TICPE ; il n’y a pas de TVA au carré.

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de lUFIP. La TICPE étant une taxe fixe, seule compte la somme des deux TVA.

M. le président Julien Aubert. D’autre part, le coût des CEE étant inclus dans les coûts de distribution, la TVA s’applique aussi aux certificats : sans les CEE, le coût de distribution serait plus bas, et en conséquence la TVA sur le produit. Donc, les certificats constituent certes un mécanisme de financement de la rénovation mais ils produisent une recette fiscale.

Mme Isabelle Muller, déléguée générale de lUFIP. Oui.

M. le président Julien Aubert. Le coût des CEE étant de 5,63 centimes par litre, cela représente, pour l’ensemble du dispositif, quelque 2,8 milliards d’euros, inclus dans le prix du carburant et donc acquitté par l’automobiliste en plus des autres taxes.

Mme Isabelle Muller. Je précise que les 5,63 centimes mentionnés en page 3 sont un coût « spot » ; comme il est indiqué au bas du tableau de la page 9, le coût moyen du CEE est de 4 centimes. Je rappelle aussi que le dispositif bénéficie aux opérations de rénovation énergétique et d’efficacité énergétique essentiellement dans le bâtiment, mais que les obligations sont imposées pour près de 50 % sur les carburants et donc sur le transport et, par ricochet, sur les conducteurs de véhicules. Les conducteurs et le transport en général financent donc pour moitié les opérations de rénovation énergétique et d’efficacité énergétique dans le bâtiment.

M. Francis Duseux. Le gaz et l’électricité sont aussi soumis aux CEE. Pendant les premières périodes d’application du dispositif, le coût des certificats, assez bas, était estimé à 9 milliards d’euros par, dont 4,5 milliards pour le pétrole. Le renchérissement des CEE fait que le niveau de coût est désormais d’environ 4 milliards par an, soit 12 milliards en trois ans, que payent les consommateurs. Les fournisseurs d’énergie unanimes ont demandé dans une lettre commune adressée au ministre l’assouplissement du mécanisme. Nous avons besoin de plus de temps pour faire retomber les prix, afin que le consommateur ne soit pas pénalisé.

M. Bruno Ageorges. Bien sûr, il y a la manière dont nous apprécions le coût des CEE. Le prix des carburants est libre : il n’y a pas de régime de taxation contrôlé. Mais pour le gaz comme pour l’électricité, les demandes de hausses annuelles éventuelles sont toujours relatives à l’intégration des coûts liés aux CEE, coûts qui sont répercutés sur les consommateurs particuliers.

M. le président Julien Aubert. Comment le renchérissement des CEE peut-il entraîner un coût annuel de 4 milliards d’euros ? Pour 50 milliards de litres vendus, cela correspond, si l’on s’en tient à votre indication liminaire, à un coût de 8 centimes par litre ; or, à la page 3 du document, c’est un coût de 5,63 centimes par litre qui est mentionné.

M. Francis Duseux. C’est un ordre de grandeur car le calcul, regroupant toutes les énergies, est complexe. Je tenais à souligner qu’au départ le coût des CEE pour les consommateurs était de 3 milliards d’euros par an et que l’on tend maintenant plutôt vers 4 milliards d’euros, toutes énergies confondues.

M. le président Julien Aubert. Je retiens donc que le montant de 4 milliards d’euros que vous indiquez ne correspond pas uniquement au carburant mais à l’ensemble des énergies vendues. Pour en revenir au carburant, la TICPE brute totale prévue pour 2018 est de 34 milliards d’euros environ et la TVA de quelque 12 milliards d’euros, à quoi s’ajoutent environ 2 milliards d’euros de CEE, qui ne sont pas une taxe mais que les automobilistes payent. Leur facture s’élève donc en gros à 47 milliards d’euros, dont 2 milliards vont aux CEE et donc à la transition énergétique, et 7 milliards au compte d’affectation spécial « Transition énergétique ». En bref, sur 47 milliards d’euros prélevés à la pompe, environ 9 milliards, soit quelque 20 %, sont effectivement consacrés la transition énergétique.

Mme Laure de La Raudière. Prélevés à la pompe, mais aussi lors du remplissage des cuves de chauffage.

M. le président Julien Aubert. Nous aurons l’occasion de parler du chauffage tout à l’heure et, je suppose, de faire le même calcul. Confirmez-vous que moins de 25 % des sommes prélevées vont à la transition énergétique et que les 75 % restant sont affectés à d’autres usages ?

M. Bruno Ageorges. Une partie des 33 milliards d’euros dont on définit l’affectation va aux régions et une autre partie alimente le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique », dans le cadre du budget. C’est un peu plus difficile s’agissant du coût des CEE, qui ne font pas l’objet d’un compte d’affectation spéciale ; c’est un autre mode de calcul. Mais un ensemble de coûts est supporté par le distributeur de carburants, et cet ensemble intègre les surcoûts liés au dispositif des CEE.

M. le président Julien Aubert. Vous avez indiqué que votre marge est de 1 centime. Cela signifie-t-il que lorsque le coût des CEE a augmenté vous avez automatiquement augmenté d’autant le prix à la pompe ?

M. Francis Duseux. Bien sûr. C’est la discussion que nous avons eue avec M. Bruno Le Maire, qui nous disait : « La situation est tendue, nen profitez pas pour fixer de grosses marges »… Cette discussion est récurrente, je me rappelle l’avoir eue avec Mme Christine Lagarde en son temps. Les grandes surfaces ont confirmé qu’au mois de décembre dernier, elles vendaient le carburant sans aucun bénéfice du tout ; pour notre part, notre marge était de 1 centime par litre. Le ministre l’a vérifié et il nous a dit qu’il continuerait de vérifier que les marges ne s’envolent pas. Pour répondre à votre question, nous n’avons pas envie que les prix augmentent à la pompe dans le contexte des manifestations de gilets jaunes, puisque là est l’origine du conflit. Nous demandons donc instamment que le système soit modéré en allongeant la période prévue de manière à se donner du temps pour que l’on en revienne à un coût de CEE de 1 à 2 centimes par litre afin que le consommateur ne soit pas pénalisé à la pompe.

Mme Laure de La Raudière. Vous parlez de 2 centimes mais la volatilité du prix du baril est bien souvent beaucoup plus forte. Même si le produit brut ne représente qu’une petite partie du prix à la pompe, n’est-ce pas là que s’observent les plus grandes fluctuations ?

M. Francis Duseux. Dans le prix du litre de carburant, la partie « matière première » compte pour 25 % ; c’est sur cette fraction que les fluctuations du prix du baril, à la hausse comme à la baisse, ont un impact sur le prix à la pompe. Je ne dis pas que cela soit complètement neutre mais, compte tenu du poids des taxes, l’amortissement de l’augmentation du prix du baril sur le prix à la pompe est fantastique.

Mme Laure de La Raudière. Néanmoins, la fluctuation a aussi des répercussions sur l’ensemble des taxes, CEE exclus.

M. Francis Duseux. La TICPE est une taxe fixe. Seul le montant de la TVA varie avec le prix du baril.

M. le président Julien Aubert. Madame, messieurs, nous vous remercions.

Laudition sachève à dix-huit heures dix

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2.   Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Plan, délégué général, et de M. Éric Layly, président fédéral de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C) (12 mars 2019)

Laudition débute à dix-huit heures quinze.

Monsieur Julien Aubert, président. Nous accueillons maintenant M. Éric Layly, président fédéral, et M. Frédéric Plan, délégué général, de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage. La FF3C regroupe le Syndicat des combustibles et carburants qui compte 1 300 adhérents et des indépendants du pétrole, soit deux opérateurs français non membres de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) dont nous venons d’auditionner les représentants. La FF3C couvre un large champ d’activités : des distributeurs de fioul domestique, de gaz en vrac, de gaz de pétrole liquéfié (GPL), d’additif AdBlue, mais aussi de bois de chauffage, ainsi que les stations-service indépendantes et des entreprises spécialisées dans l’installation, l’entretien et la maintenance de systèmes de chauffage, soit au total de près de 2 000 entreprises. Grâce à ses syndicats territoriaux et ses délégations régionales, elle a un fort ancrage territorial.

Notre commission d’enquête essaye, dans un premier temps, de comprendre combien on prélève pour la transition dite énergétique, quels impacts cela a pour l’organisation de vos filières et la structuration industrielle sous-jacente. En toile de fond se pose, pour les territoires, le défi d’adaptation aux énergies renouvelables. Ainsi, en fin d’année dernière, le Premier ministre annonçait la disparition complète dans dix ans du chauffage individuel au fioul. Un tel objectif est-il réaliste alors que c’est encore le mode de chauffage de plus de 3,5 millions de résidences principales ? Dans vos différents métiers, quelles améliorations appelez-vous de vos vœux, par exemple, sur le chèque énergie ? Enfin, il est inutile de souligner le rôle des certificats d’économie d’énergie (CEE) – vous avez, je crois, assisté en partie à la précédente audition.

Je vous propose de faire d’abord un exposé liminaire de vingt minutes – soit les quinze minutes prévues plus les cinq minutes supplémentaires qu’ont pris vos prédécesseurs. Je ne voudrais pas vous laisser l’impression que cette commission d’enquête préfère les vendeurs de carburants aux vendeurs de chauffage ! Madame la rapporteure interviendra immédiatement après et, enfin, nous passerons aux différentes questions.

Auparavant, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Frédéric Plan et M. Éric Layly prêtent successivement serment)

M. Frédéric Plan, délégué général de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C). Je vous remercie de votre invitation. Peut-être n’aurai-je pas besoin de temps supplémentaire puisque vous avez présenté nos activités en insistant sur le maillage territorial que nous assurons. J’ajoute simplement que nos entreprises entretiennent quelque 2 000 dépôts d’hydrocarbures secondaires, en complément des stocks pétroliers primaires, pour assurer la sécurité d’approvisionnement du territoire pour l’ensemble des usagers des produits que vous avez cités – plus, à titre anecdotique, le gazole pêche, le fioul fluvial et pour partie la plaisance.

Je précise encore que nous représentons très peu de stations-service, à savoir un millier de stations dites rurales. Ces stations à très faible débit, souvent automatiques, desservent des territoires abandonnés par les grands réseaux. Souvent, ce sont les municipalités qui ont demandé à nos entreprises de les recréer afin d’éviter aux habitants de faire des kilomètres inutiles au prétexte d’un prix d’appel alléchant.

Enfin, outre 1 500 entreprises qui ont ce type d’activité principale, il existe d’autres distributeurs, comme un certain nombre de coopératives agricoles qui font de l’approvisionnement en produits pétroliers, des entreprises de matériaux ou des fournisseurs de produits phytosanitaires et d’entrants agricoles.

Organisation représentative de ce secteur de la distribution, la FF3C représente 15 000 emplois directs et un nombre d’emplois indirects que je ne suis pas en mesure de chiffrer. Le secteur fait, en gros, un chiffre d’affaires annuel de seize milliards d’euros, soit approximativement 5 milliards d’euros de taxes intérieures directes et une charge indirecte de l’ordre de 500 millions d’euros par an, toutes activités confondues : fioul domestique, carburants pour les stations rurales, approvisionnement en vrac des transporteurs publics, des collectivités territoriales, fiscalité indirecte des certificats d’économie d’énergie (CEE). Je n’inclus pas ici diverses redevances dont on ne sait si on peut les qualifier de taxes, telle que la redevance sur les stocks stratégiques ou la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants (TIRIB) qui est l’ancienne taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) biocarburants.

La fiscalité énergétique, directe ou indirecte, est devenue au fil des années le principal souci des distributeurs indépendants, loin devant les questions de logistique ou les questions commerciales. En effet, en raison des incertitudes sur le montant de la TIRIB et des CEE, le coût, pour un certain nombre d’opérateurs qui achètent à des raffineurs ou qui importent le produit, peut dépasser leurs marges opérationnelles. Donc toute erreur sur ces questions, quasiment exogènes à l’activité normale de l’entreprise, peut entraîner des déséquilibres de trésorerie mais aussi, potentiellement, de concurrence.

Au-delà des entreprises soumises aux CEE ou à cette fiscalité directe, le réseau des 1 500 distributeurs est constitué essentiellement de TPE : 90 % ont moins de dix salariés, et elles ont parfois des activités secondaires à titre de complément. Elles sont néanmoins impliquées dans la gestion de la fiscalité pétrolière parce que c’est sur elles que reposent les déclarations de balance des taux sur les différents montants régionaux de taxe intérieure sur les carburants. En effet, l’Île-de-France, la Corse et Auvergne-Rhône-Alpes ont des taux différents des autres régions. Chaque fois qu’une taxe augmente, on demande à ces entreprises de reverser la fiscalité sur les 2 000 stocks qu’elles entretiennent. De façon anecdotique, c’est aussi le cas dans les régions du nord, où subsiste une faible demande de charbon, pour le versement de la taxe intérieure sur ces produits. Ces entreprises subissent aussi les effets de la complexité fiscale, qui fait que tous leurs clients ne sont pas traités de la même façon : le transport fluvial a accès à du gazole non routier (GNR) totalement détaxé ; certains clients comme ceux qui disposent de groupes électrogènes peuvent utiliser du fioul domestique sans payer de taxe, car ce sont des équipements de sécurité.

À ce propos, nous sommes inquiets d’un retour éventuel du projet de faire passer les travaux publics et tout le secteur du bâtiment du GNR au gazole tout court. La date d’application initiale, qui était le 1er janvier 2019, a été repoussée. En effet – et c’est un message que nous vous adressons –, les adaptations logistiques nécessaires pour ce changement de produit demandent au moins un an de préparation à nos entreprises. Il serait aussi question de créer pour les transporteurs publics un gazole spécifique, moins cher que le gazole que paye l’automobiliste, pour éviter d’avoir à leur rembourser une partie de la taxe comme c’est le cas actuellement.

Mais pour nous, vendre un même produit avec deux taxes différentes, alors que nous payons la même taxe à l’achat poserait un problème énorme de trésorerie ; il nous faudrait avancer la partie de la taxe que ne paieraient plus les transporteurs publics pour nous la faire rembourser ensuite par les services de l’État. Il faut savoir que ce marché du gazole en vrac est de 6 à 7 millions de mètres cubes chaque année, contre trente‑deux à trente-trois millions de mètres cubes distribués en station-service.

J’en profite pour donner d’autres ordres de grandeur. Pour le gazole non routier, plus faiblement taxé que le gazole, car il bénéficie aux utilisateurs dans l’agriculture et les TPE, le marché est de 5 millions de mètres cubes. Le marché du fioul domestique pour le chauffage est de 7 millions de mètres cubes. Les marchés du fluvial et du gazole pêche sont pour mémoire.

S’agissant de fiscalité, nous nous permettons de faire quelques observations par type de produits ou d’usage.

La taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) – devenue taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) – avait fini par poser moins de problèmes au fil du temps, toutes les régions sétant progressivement calées sur le taux maximum. Mais pas de chance : à peine la région Poitou-Charentes, la dernière à le faire, sétait-elle « normalisée », que lÎle-de-France puis, récemment, la région Auvergne-Rhône-Alpes fixaient de nouveau un taux différent. Pour luniformisation, cest raté ! Certes, nous navons pas à discuter pour savoir si une part du produit de la taxation des produits pétroliers doit aller aux régions. Mais y a-t-il un intérêt véritable à ce que cette part soit modulable ? Cest une procédure compliquée, lourde, qui mobilise nos entreprises pour remplir des déclarations et les services des douanes pour les gérer, et cest une source potentielle de fraude.

Sur les biocarburants, les entreprises indépendantes demandent vraiment une visibilité pluriannuelle. Le dispositif change trop souvent – moins que pour les CEE, certes. De plus, le risque de déstabilisation de la concurrence existe. Cest, accessoirement, une curiosité fiscale. Cest, à ma connaissance, la seule énergie renouvelable qui ne reçoit aucune subvention de lÉtat ni des régions. On impose aux opérateurs dincorporer le coût, qui ne pèse en rien sur les fonds publics. Mais par ailleurs, cette partie renouvelable du carburant est taxée comme si cétait un produit pétrolier. Le procédé échappe à la logique, en tout cas à la nôtre.

Quant au fioul domestique, à usage de chauffage pour l’essentiel, il supporte à due proportion une taxation « contribution climat énergie », autrement dit la taxe carbone. Mais avant qu’il ne soit question de taxer les effets climatiques, ce produit l’était déjà à hauteur, TVA incluse, d’environ cinq centimes du litre. Le maintien de cette taxe historique n’est pas justifié. À ce jour, le fioul domestique intègre 7 % d’énergies renouvelables, mais c’est comme si ces 7 % n’existaient pas : tant que cette partie renouvelable du fioul domestique sera considérée comme du pétrole 100 % fossile, il n’y aura pas d’énergies renouvelables dans le fioul domestique. C’est un point de blocage, car, suite aux tests sur la substitution du fioul domestique par un combustible liquide renouvelable, sont actées des incorporations progressives de 30 % puis de 50 % à l’horizon 2030. Pour une fois qu’une énergie renouvelable n’a pas besoin de subventions, pourquoi attendre ?

Un mot sur le bois énergie : il bénéficie d’une aide fiscale directe avec une TVA réduite, et indirecte, puisque cette TVA n’est pas recouvrée, à peine 20 % du bois passant par le marché. De plus, ce marché ne peut pas être normalisé, alors que la qualité du bois brûlé influe considérablement sur les performances des appareils et surtout sur les rejets de CO2 ou de polluants atmosphériques.

J’en viens enfin – mais peut-on ici parler de fiscalité indirecte ? – aux certificats d’économie d’énergie. Je confirme les chiffres donnés par l’UFIP, que nous avons en effet entendus. Toutes énergies confondues, et à prix inchangés, le dispositif coûte 4 milliards d’euros par an aux consommateurs, 5 milliards avec la TVA. Mais il pourrait encore augmenter.

En effet, les « obligés » – les vendeurs dénergie obligés de réaliser des économies – ne parviennent plus à produire ce qui leur est demandé. Nous sommes en cours de quatrième période – elle sachève en juin, et pour linstant, si sur les CEE précarité la production égale lobligation, sur les CEE classiques, le déficit est de 50 %. Sil se maintient, il y aura donc des pénalités sur 50 %. Hypothèse, dira-t-on, mais elle est inquiétante. Car ces pénalités seront de 9 milliards deuros hors TVA, soit près de 11 milliards deuros en plus pour le consommateur. Pour tenter de rattraper la dérive actuelle, ladministration propose des actions sous engagement, sous charte, qui ont pour effet la création déconomies fictives – ce qui attire toujours les aventuriers.

La situation est difficilement gérable pour les obligés, qui ne savent pas, au moment où ils mettent leur produit sur le marché, quel est le coût réel des CEE qu’ils ont à supporter. Au surplus, ils sont exposés aux sanctions pour les malfaçons d’opérations dont la mise en œuvre leur échappe. Certes, un comité de pilotage entre l’administration et les acteurs se réunit, mais le dialogue y est limité. Certes, le Conseil supérieur de l’énergie voit passer les textes réglementaires mais in fine, l’administration en dispose.

Aussi ne serait-il pas inutile, de notre point de vue, que le Parlement étudie la possibilité, ouverte par la directive européenne, de proposer aux obligés un versement libératoire auprès d’un organisme public ou parapublic qui puisse à la fois mieux organiser les actions, les contrôler et accessoirement – je vous renvoie au dernier rapport de TRACFIN – limiter la déperdition en ligne entre ce que cela coûte aux obligés, donc aux consommateurs, et ce qui revient réellement aux bénéficiaires.

Madame Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour vos propos liminaires, qui étaient fort intéressants. S’agissant des CEE, dans la mesure où vous n’êtes pas responsables de la possibilité d’arriver à les utiliser, vous suggérez un versement à un organisme qui aurait les moyens de le faire efficacement. Le problème concerne les CEE non bonifiés. Il ne se pose pas pour les CEE précarité. Alors, faut-il augmenter la part de ces derniers ?

M. Frédéric Plan. D’abord, les États membres de l’Union sont tous soumis à la directive « Efficacité énergétique » mais n’appréhendent pas le dispositif de la même façon. Tous n’ont pas organisé les CEE comme la France, et il faut regarder ailleurs comment cela se passe. Ainsi, en Autriche, les stations-service elles-mêmes sont « obligées ». Obliger une station-service, surtout quand elle n’a pas de personnel, c’est absurde, dira-t-on. Mais l’Autriche a reconnu un peu mieux que la France l’adjonction dans les carburants d’additifs qui permettent de réduire la consommation de 3 % à 4 %. C’est de cette façon que les Autrichiens remplissent leurs objectifs relativement facilement en station-service. L’Espagne utilise un dispositif qui se rapproche de la proposition que je viens d’évoquer qui consiste à le centraliser.

Je rappelle que le dispositif des CEE a été inventé en 2003 et mis en œuvre en 2004 parce qu’il était très difficile de convaincre le secteur diffus de faire des économies d’énergie. On a considéré que seuls les acteurs énergéticiens qui avaient un contact direct avec les consommateurs pouvaient les convaincre. Mais aujourd’hui, les « obligés » n’ont pas ou plus le contact avec le consommateur ; l’essentiel des certificats d’économie d’énergie est produit par des intermédiaires qui font un boulot que les énergéticiens, apparemment, ne savent pas faire. Devant ce constat d’échec de la justification initiale, peut-être faudrait-il, je n’ose pas dire centraliser, mais rationaliser la chose.

Vous suggérez d’augmenter le nombre de CEE précarité, puisque leur production répond aux objectifs. Il y a bien des vases communicants entre les deux catégories au sens où des certificats d’économie d’énergie chez les précaires peuvent être transformés en certificats classiques, mais pas l’inverse. Seulement, il n’y a pas suffisamment de CEE précarité en excédent pour que leur transformation en CEE classiques comble le déficit de production de 50 % de ces derniers.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous pensez donc que le gisement est insuffisant, ou que les artisans – à 80 % du bâtiment – ne parviendront pas à le traiter.

S’agissant de la variation régionale du taux de TICPE, la région Auvergne-Rhône-Alpes a fait un geste qui représente une faible économie par habitant – Laurent Wauquiez l’avait lui-même qualifiée de symbolique. Peut-être que le coût pour les entreprises qui ont dû s’ajuster est-il moins symbolique. Pouvez-vous le chiffrer ?

M. Frédéric Plan. Sur ce dernier point, ce n’est pas le montant de la modulation qui engendre un traitement administratif, donc un coût : c’est la modulation elle-même, quelle que soit la région. Je ne peux pas chiffrer ce coût. Simplement, si une entreprise fait une erreur et identifie mal le taux appliqué à tel consommateur, le service des douanes la sanctionne, sans apporter véritablement la preuve du détournement d’usage, à hauteur de trois fois la différence de taxe. C’est un coût associé qui n’est pas neutre.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Et une recette fiscale.

M. Éric Layly, président fédéral de FF3C. Pour la quatrième période, le doublement des objectifs a été justifié par des travaux tout à fait sérieux, notamment de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), sur la base d’un coût des CEE de 4 000 euros le gigawattheure cumulé et actualisé (GWh CUMAC). Il est aujourd’hui de 9 000 euros sur le marché spot, le cours indicatif annoncé est de 7 500 à 8 000 euros. Malgré ce cours supérieur aux prévisions, on ne produit pas assez de CEE. C’est inquiétant. La production mensuelle atteinte à la fin de la troisième période semble être un plafond. De plus, ce qui est produit passe ensuite par un entonnoir, celui de la validation des CEE par le pôle national. Mais je ne suis pas sûr qu’on lui ait accordé les moyens et les personnels nécessaires pour faire face à une augmentation importante de l’objectif. Nous proposons donc que ce soit plutôt un organisme parapublic qui gère le dispositif.

Mme Laure de La Raudière. Vous avez mentionné le rapport de TRACFIN sans nous dire ce qu’il contenait – et je n’ai pas eu l’occasion de le lire ; vous laissez entendre que l’organisation actuelle de contrôle des CEE n’est pas satisfaisante. Pouvez-vous développer et, au fond, dire ce que vous vouliez nous dire sans nous le dire.

M. Frédéric Plan. Il y a des faits. En l’absence d’aides publiques, c’est plus délicat. Mais, à ma connaissance, le Parquet financier a un dossier entre les mains, ce qui suppose qu’il a quelques suspicions – je ne peux rien vous en dire de plus.

La production de CEE nécessite d’apporter un certain nombre de preuves administratives des réalisations effectuées. Il arrive que celui qui apporte le dossier de travaux à un « obligé », voire au délégataire d’un « obligé », fasse travailler une entreprise qui, elle-même, sous-traite. Il peut y avoir dans cette chaîne des failles qui fassent que les dossiers dits réalisés ne le soient pas vraiment. Par ailleurs, deux opérations ont été quasiment annulées parce qu’elles ouvraient trop largement la brèche à des comportements contestables : sur les lampes à basse consommation, les LED, et sur le calorifugeage, qui est un type d’isolation. De ce fait, l’administration a progressivement, aggravé les sanctions pour les demandeurs de certificats, non pour les entreprises intermédiaires ou de travaux, mais pour les « obligés » et les « éligibles ». Ceux-ci doivent, en quelque sorte, faire la police eux-mêmes. C’est très compliqué et un « obligé » n’a pas les moyens de payer des contre-visites systématiques – sur de grandes opérations industrielles soit, mais chez un particulier, non.

S’agissant du rapport de TRACFIN, c’est plus compliqué parce qu’il s’agit aussi de montages internationaux que je ne connais pas, mais vous pourrez le lire.

M. Éric Layly. Les opérations à un euro sont en vogue. Par exemple, depuis quelques années, une opération « Isolation des combles à un euro » est financée par les CEE pour les ménages précaires ou très précaires. Bien sûr l’« obligé », qui peut être le pétrolier, le distributeur de gaz, ne réalise pas l’opération lui-même. Il passe par des intermédiaires spécialisés qui s’appellent les délégataires, dont le rôle est d’amener au pôle national des certificats des dossiers d’économie d’énergie que celui-ci valide et transforme en CEE. Si le consommateur, qui constate que l’installation n’est pas très isolante, se plaint, l’installateur a beau jeu de lui rétorquer qu’il a payé 1 euro, donc il n’a rien à dire ! Et pour réduire les coûts, ces entreprises font appel à des travailleurs détachés, pas forcément des ouvriers français. Certaines entreprises ont bien le label « Reconnu Garant de l’Environnement » (RGE), mais il y a beaucoup d’opportunistes. Bref, quand on veut faire du pas cher, c’est finalement le consommateur qui paye les conséquences.

Et puis, il y a des traders de certificats d’économie d’énergie : quand on n’arrive pas à remplir son obligation, il faut bien acheter des KWh CUMAC de CEE. Mais, curieusement, si les entreprises délégataires sont en France, les traders de CEE sont au Luxembourg, à Amsterdam, à Turin. Le fonctionnement du marché est quand même bizarre.

M. Frédéric Plan. Joue aussi dans le déficit de production le fait que les « obligés » deviennent de plus en plus méfiants et prennent beaucoup moins de dossiers. Par le passé, ils étaient moins regardants, et le pôle national également. C’est une évolution dans le bon sens, mas cela aggrave le déficit.

Je n’avais pas répondu à une question du président : est-il réaliste de prévoir de se passer du fioul domestique, d’ici à dix ans ? Je dirais que, d’ici à vingt ans, à condition que l’on substitue au fioul domestique un combustible renouvelable, c’est jouable. Je l’ai dit, nos entreprises ont un marché, moins important que celui du fioul, en bois énergie. Donc nous n’avons pas d’états d’âme à ce sujet. Mais très sincèrement, pour la facilité d’utilisation et même en terme de bilan global sur la pollution – je ne parle pas ici de gaz à effet de serre – un combustible liquide renouvelable sera peut-être plus vertueux que le bois énergie.

M. Fabien Gouttefarde. Dans certains de vos argumentaires, notamment dans le communiqué de presse de votre organisation sur votre site, vous indiquez que le KWh électrique en période de pointe – qui peut être alors produit par du nucléaire, du charbon, etc. – est plus chargé en CO2 que le fioul domestique. Quest-ce qui, dans la chaîne de production, aboutit à ce résultat ?

M. Frédéric Plan. Ces chiffres ne sont pas les nôtres – nous n’avons pas l’expertise nécessaire – mais ceux de l’ADEME à partir des études, qui commencent à dater un peu, faites sur un mix électrique. Effectivement, en période de pointe hivernale, l’électricité provient majoritairement des centrales thermiques et, compte tenu de la déperdition énergétique entre le lieu de production d’électricité et sa délivrance, le taux de CO2 est alors plus important pour l’électricité, selon le calcul dit marginal de l’ADEME.

M. Vincent Thiébaut. Des installateurs m’ont saisi à propos de l’offre d’isolation à un euro. On voit venir des entreprises de l’étranger qui réalisent trois ou quatre chantiers en quatre jours dans des conditions invraisemblables. J’ai moi-même vu des installations assez catastrophiques. D’après vous, est-ce un problème de contrôle, de formation et de capacité de nos entreprises de mener à bien ces travaux ?

D’autre part, que pensez-vous de l’opération « remplacement de chaudière à un euro » ?

M. Frédéric Plan. Si les organisations d’installateurs vous ont dit ce qu’elles pensaient des opérations à un euro, je n’ai pas grand-chose à ajouter. Quand on fait du marketing et des promesses sur la base de 1 euro, il ne faut pas s’attendre à des résultats merveilleux. Chacun doit « compresser » ses coûts d’intervention pour le faire. Mais vous parliez de trois ou quatre chantiers en quelques jours ; c’est plutôt trois ou quatre chantiers par jour…

M. Vincent Thiébaut. Je pense à un fabricant de maisons individuelles qui fait trois ou quatre chantiers en quelques jours. Tout se passe à grande vitesse. J’ai vu des cas où la personne arrive le lundi matin pour faire le constat et le devis et commence les travaux le lundi après-midi.

M. Frédéric Plan. C’est cela. Dans le temps, c’était la vente des Encyclopédies Universalis, on a continué avec des panneaux photovoltaïques, puis des pompes à chaleur, depuis près de vingt ans, et avec des contre-références dont tout le monde peut prendre connaissance. Cela va peut-être recommencer, en mieux quand même car aujourd’hui les entreprises doivent avoir le label RGE.

M. Éric Layly. Le problème des opérations trop subventionnées, c’est que cela attire des aventuriers, des margoulins, et que les consommateurs paient la facture. J’ai connu le marché du photovoltaïque. Il a été tué deux fois, la première parce qu’il était tellement subventionné qu’il y a eu un très gros afflux d’entreprises, la deuxième quand le Gouvernement a supprimé les aides et qu’elles ont toutes fermé. Les gens se sont retrouvés avec des panneaux sur le toit et personne pour les changer ou les entretenir.

Vous évoquez le changement de chaudière à un euro. Je suis distributeur de fioul et j’ai une activité de chauffagiste, je peux parler de la pompe à chaleur. Elle est faite pour produire de l’eau chaude à 30 degrés et est donc bien adaptée à une maison équipée d’un plancher chauffant à basse température. Mais elle ne produit pas l’eau chaude à 55 degrés pour prendre la douche. On parle beaucoup de remplacer la chaudière au fioul par la pompe à chaleur : les gens vont être chauffés – mal – mais, pour se laver à l’eau chaude, ça marchera beaucoup moins bien. Ou alors ça coûte très cher. Dans l’immense majorité des maisons équipées d’un chauffage au fioul, on a des radiateurs. Il faut produire de l’eau chaude à 55 degrés minimum pour pouvoir chauffer les radiateurs. Une pompe à chaleur assez performante pour cela coûte au minimum 15 000 euros à 20 000 euros. Ce n’est pas celle qu’on vous installera dans l’opération à un euro. Et une pompe à chaleur a une durée de vie de dix ans plutôt que de vingt ans comme on l’entend. Si une pompe à chaleur à 1 euro dure dix ans, ce sera très bien. Mais interrogez les professionnels, installateurs et grossistes en matière de chauffage : à 1 euro, on vend du rêve.

Nous comprenons bien l’objectif de réduire les émissions de CO2. Pour cela, plutôt que d’inciter les consommateurs à changer d’énergie pour être mal chauffés, nous proposons de transformer le fioul domestique en bio-fioul, voire en combustible liquide qui n’a rien à voir avec du fioul, en utilisant des esters méthyliques d’acide gras (EMAG) qui remplacent très bien le fioul domestique dans les chaudières. Jusqu’à 10 %, voire 20 %, on peut le faire sans aucun changement sur le brûleur. Au-delà, à 30 %, il faut changer les gicleurs et quelques pièces, mais ce ne sont pas des investissements importants. On peut donc faire du bio, du renouvelable, à la place du fioul domestique, tout de suite, sans investissement pour les consommateurs et sans avoir à subventionner des énergies renouvelables de façon importante.

M. Vincent Thiébaut. Vous dites « on peut faire ». Mais comment l’État peut-il agir, et selon quel dispositif ?

M. Frédéric Plan. Dès aujourd’hui, le fioul domestique pourrait comporter 7 % d’EMAG. Ce n’est pas le cas parce que la production française d’ester méthylique coûte un peu plus cher que le pétrole et que, dans la mesure où cette partie renouvelable est taxée comme si c’était du pétrole, les opérateurs n’en mettent pas dans le fioul. La question est purement économique.

Tout à l’heure, lors de l’audition de M. Duseux, j’ai entendu dire que le fioul domestique est très cher : 2 200 euros par an pour un ménage contre 1 600 euros s’il se chauffe autrement. Oui et non. Oui car, en zone rurale et périurbaine, les bâtiments sont moins isolés, plus anciens, les équipements aussi – la durée de vie d’une chaudière au fioul joue finalement contre elle. Mais, à isolation identique, avec un équipement aussi performant, le fioul domestique ne coûtera pas plus cher que le gaz. L’écart est de moins de 10 %, mais si c’est du gaz propane, ça coûtera 50 % de moins cher, et même 70 % de moins que les convecteurs électriques.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Si je citais ces chiffres, c’était pour montrer l’intérêt de l’isolation des maisons. On disait que le CEE n’était pas un dispositif vertueux : il a quand même cette vertu d’encourager la rénovation des bâtiments et ainsi de réduire les coûts du chauffage.

Revenons au mix électrique. Selon vous, le taux de CO2 peut être plus important en hiver quand on est obligé déclencher les centrales thermiques. Mais la solution se trouve dans l’« effacement », dans le pilotage à distance : en arrêtant à un moment donné un chauffage qui a une inertie suffisante pour que le confort subsiste, on évite le recours à des centrales thermiques lors des pics. Est-ce que vous valorisez les nouvelles technologies et le chauffage intelligent ?

Sur le photovoltaïque, votre formule est très bonne : « le marché a été tué deux fois ». La filière qui fonctionnait bien a connu un coup d’arrêt violent et est en train de se reconstituer. Il faut l’encourager, et aussi apprendre de cette erreur pour ne pas recommencer avec d’autres filières.

Quant aux dispositifs à 1 euro, il est évident que ce que le consommateur paye n’est pas le prix réel de l’opération. De mon point de vue, les installateurs ne devraient pas accepter que l’on brade ainsi la valeur de leur travail. Il faut plutôt, avec plus de transparence, mettre en évidence que ce type d’opération est extrêmement subventionné, notamment grâce au CEE. Mieux vaudrait donc afficher le prix réel, barré, à côté du « à 1 euro ».

Quant au label RGE, il y a peut-être des dérives, mais un travail est en cours pour l’améliorer. Beaucoup d’entreprises vertueuses offrent des installations tout à fait correctes, les installateurs gagnent leur vie, travaillent avec des producteurs français qui leur fournissent des éléments de bonne qualité. Il ne faut donc pas une vision trop critique du dispositif, même s’il faut le maintenir sous haute surveillance.

M. Frédéric Plan. Je ne critique pas le label RGE en bloc : il a ses avantages. J’observe néanmoins qu’il est plus facile de l’obtenir en créant une entreprise, même en tant qu’autoentrepreneur. Aux entreprises installées, on demande des références de chantier. On facilite ainsi l’arrivée sur le marché d’entreprises atypiques. En second lieu, beaucoup d’installateurs ne font pas partie de grands réseaux, notamment en zone rurale. Ils n’ont pas toujours les moyens de se faire attribuer non pas une fois mais six fois le label RGE, parce qu’ils n’ont pas assez de personnel pour passer l’ensemble des certifications pour chaque segment.

Sur les « accroches » à 1 euro, le financement ne vient pas seulement des CEE. Prenons l’annonce sur les 600 000 chaudières à changer par an. Cela va coûter 1 milliard au budget de l’État en crédits d’impôt, 1,3 milliard à l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) sur le programme « Habiter mieux », et 1,3 milliard en CEE.

M. Éric Layly. Environ un million de chaudières au fioul ont plus de vingt ans. Les remplacer par une chaudière au fioul à haute performance énergétique (HPE) ou à condensation, qui a le même rendement qu’une chaudière gaz HPE, économise de 30 % à 40 % de combustible. Si en plus on isole la maison, on peut diviser par deux sa facture énergétique. Pour nous, c’est là l’enjeu. Et augmenter la part de bio dans le fioul – les essais en cours au Centre technique des industries aérauliques et thermiques (CETIAT) sont positifs – permettra de réduire les émissions de CO2.

Cela peut paraître anecdotique, mais la principauté de Monaco, extrêmement attentive à réduire ses émissions de CO2, va lancer des essais sur des chaufferies collectives au fioul dans les bâtiments publics, avec 100 % d’EMAG dès cette année. La principauté, un tout petit État certes, est plus coercitive que la France, et a pour objectif d’éliminer le fioul en 2022, avec remplacement à 100 % par les EMAG.

M. le président Julien Aubert. Vous avez entendu l’audition de M. Duseux. Êtes-vous en mesure de nous dire combien de milliards d’euros sont prélevés pour financer la transition énergétique sur le fioul ?

Selon mes calculs, début 2018, un ménage payait environ 1 700 euros pour remplir sa cuve de fioul et se chauffer ; en fin d’année, avec la hausse des prix, c’était aux alentours de 2 200 euros, soit une augmentation substantielle. Êtes-vous en mesure de donner un ordre de grandeur de l’impact que peut avoir l’évolution des prix sur le coût du chauffage pour les ménages ?

M. Frédéric Plan. Monsieur le président, permettez-nous de répondre par courrier, car nous n’avons pas tous les chiffres. En admettant que l’ensemble des fonds mobilisés par les obligés soit affecté à la transition énergétique, on peut faire le calcul que vous demandez. Mais sur la taxe carbone, je ne peux pas donner d’approximation à l’instant.

Sur la facture moyenne de chauffage pour les ménages, quelle que soit l’énergie employée, il y a des seuils psychologiques – c’est sans doute vrai aussi pour l’automobile. Quand les prix augmentent, les besoins restent les mêmes, mais les gens baissent le chauffage. Donc, si je puis dire, quand ce n’est pas cher, je me chauffe à 21 degrés et quand c’est cher, je me chauffe à 17 degrés. Aussi quand on fait une rénovation énergétique, qui, en théorie, devrait apporter une économie de 50 %, en pratique ce n’est pas le cas, car les gens qui, avant, « faisaient attention » font sans doute toujours attention, mais récupèrent le degré de confort normal qu’ils ne se permettaient plus.

M. Éric Layly. Il y a plus d’élasticité par rapport au prix sur le chauffage au fioul que sur les carburants. Pour les gens qui sont obligés de prendre leur voiture, c’est compliqué de faire du covoiturage.

M. le président Julien Aubert. Laure de La Raudière n’a pas réussi à obtenir la réponse des vendeurs de carburants. Mais vous, vous êtes au fait de l’élasticité. Cela nous intéresse beaucoup.

M. Frédéric Plan. Tout dépend de la manière de voir les choses. Si les gens se restreignent sur le confort et qu’ils retrouvent un niveau de confort attendu parce que le coût le leur permet, on ne peut pas dire que ce soit vertueux.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Effectivement, quand les gens arrêtent de se chauffer parce que ça coûte trop cher, il n’y a rien de vertueux. On connaît bien la sorte de rattrapage que vous décrivez, en particulier pour les personnes précaires. Elles ne se chauffaient pas correctement. Quand le prix baisse, leur facture reste stable : elle correspond à ce qu’ils peuvent payer pour se chauffer. Ils se chauffent mieux et retrouvent un certain « confort » – je n’aime pas du tout le terme, car on a l’impression que c’est un luxe alors que c’est un élément de base pour la santé.

M. le président Julien Aubert. Quelle est votre opinion sur la RT 2012 et l’avantage donné au chauffage par des énergies fossiles par rapport au chauffage électrique, dans le neuf ?

M. Frédéric Plan. Un avantage donné aux énergies fossiles ?

M. le président Julien Aubert : Oui, dans la réglementation thermique 2012, pour le neuf, on favorise plutôt les énergies fossiles que l’électricité, à cause du coefficient de calcul.

M. Frédéric Plan. Plutôt que d’avantage donné aux énergies fossiles, je parlerais d’une sorte de « sanction de leffet Joule ».

De toute façon, cela n’a pas d’incidence pour le fioul domestique, car on n’y fait pas appel dans l’habitat neuf. Du fait que les besoins de chauffage ont été tellement réduits que les machines utilisant le fioul domestique sont surdimensionnées, il est relativement rare d’y recourir, sauf dans des régions aux hivers particulièrement rigoureux.

En revanche, dans un certain nombre de rénovations énergétiques, mais aussi dans le neuf, l’usage de la pompe à chaleur dite réversible ne pénalise pas l’électricité, car si elle réduit la consommation sur la partie chauffage, elle entraîne une consommation sur le refroidissement qui n’existait pas et compense sûrement la baisse.

M. Vincent Thiébaut. La question des normes RT, soulevée par le président, m’intéresse beaucoup. Aujourd’hui, on le voit pour l’isolation, on subventionne des obligations de moyens. Mais pensez-vous que les obligations de résultat demandées par l’État sont suffisantes ?

M. Frédéric Plan. C’est dommage que ce soit la dernière question… Je crois que nous allons en rester là et faire part de notre point de vue à la commission par écrit.

M. Éric Layly. Si l’obligation de résultat, c’est le niveau attendu des obligations de quatrième période, c’est très ambitieux.

M. Vincent Thiébaut. Je pensais surtout aux installations dans le bâtiment. Je travaillais dans ce secteur dans les années 1990 et il y a beaucoup de normes concernant des obligations de moyens. Avec l’isolation à 1 euro, on subventionne le moyen, pas le résultat. Comme l’un de vous est aussi un installateur, je pense que vous êtes très à même de nous parler de ce sujet. Si vous nous envoyez une contribution plus tard, nous sommes preneurs, mais je pense que le sujet touche aussi aux politiques menées actuellement.

M. Éric Layly. Nous ferons une contribution écrite, pour mieux argumenter notre point de vue.

M. le président Julien Aubert. Je suis un peu déçu, car je n’ai pas eu les chiffres que je demandais. Mais je vous remercie, et nous attendons vos contributions écrites.

Laudition sachève à dix-neuf heures quinze.

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3.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Magali Viandier, directrice sourcing, économie des offres d’EDF, et de M. Patrice Bruel, directeur régulation, accompagnés de Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques (19 mars 2019)

Laudition débute à dixhuit heures cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons Mme Magali Viandier, directrice « sourcing, économie des offres » d’EDF et M. Patrice Bruel, directeur « régulation », qui sont accompagnés de Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques.

Sans plus attendre, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.

(Mme Magali Viandier, M. Patrice Bruel et Mme Véronique Loy prêtent serment.)

Nous vous accueillons avec plaisir devant cette commission d’enquête qui a débuté ses travaux il y a quinze jours. Vous représentez le producteur et fournisseur historique de l’électricité en France, EDF, qui a été confronté à plusieurs chocs.

La dérégulation du marché de l’électricité a ainsi favorisé l’émergence de fournisseurs alternatifs, qui représentent aujourd’hui près du tiers des volumes consommés. Néanmoins, EDF conserve une part importante de la clientèle des particuliers : ses tarifs réglementés concernent toujours plus des trois quarts des ménages français.

La montée en puissance des énergies renouvelables – phénomène assorti d’obligations de rachat de leur production à la charge de l’opérateur historique – a constitué un autre choc. La conséquence de ce bouleversement – à moins qu’il ne s’agisse d’une coïncidence : c’est à vous de nous le dire – a été une augmentation très sensible de la facture d’électricité des Français, du fait notamment de l’accroissement très important des taxes et prélèvements. Une partie de nos concitoyens s’attendait, tout au contraire, à ce que l’ouverture à la concurrence se traduise par une baisse du montant des factures.

L’augmentation la plus significative a été celle de la désormais très connue contribution au service public de l’énergie (CSPE) : 650 % de plus, me dit-on, depuis sa création en 2003. Vous me direz si ce chiffre est exagéré. Or 68 % du produit de la CSPE correspond à une augmentation des charges liées au soutien aux énergies renouvelables (ENR), dont 33 % pour le solaire et 17 % pour l’éolien. Les ménages français acquittent désormais, chaque année et en moyenne, plus de 100 euros de CSPE. Pour les entreprises, toujours en moyenne, le montant est de 1 300 euros par an. Chose encore plus compliquée – mais vous nous l’expliquerez –, la CSPE, bien qu’elle soit désormais décorréllée du soutien aux ENR, existe toujours.

EDF supporte à titre principal les charges dites de service public de l’énergie et a été, à ce titre, attributaire d’une part du produit de la CSPE. Nous attendons évidemment que vous nous précisiez l’évolution de ces montants, au cours des dernières années, dans le budget d’EDF. Selon les prévisions de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour 2019, les charges de service public de l’énergie s’élèvent au total à 7,8 milliards d’euros, dont 5,3 milliards pour les seules énergies renouvelables.

Nous sommes également dans un contexte marqué par un débat sur la fixation des tarifs de l’électricité : des questions se posent quant à leur augmentation, prévue le 1er juin.

Les membres de la commission d’enquête veulent comprendre pourquoi le prix de l’électricité est ce qu’il est ; ce que paient exactement les Français et pour quel objectif ; ce que les bouleversements que j’évoquais ont changé pour vous, comment vous les avez vécus ; éventuellement, quels sont les prix de gros de l’électricité – bref, comment fonctionne le marché de l’électricité.

Vous disposez de quinze minutes. Dans un deuxième temps, Mme le rapporteur vous posera des questions. Ensuite, ce sera le tour des membres de la commission. Enfin, je poserai mes propres questions, si mes collègues m’en laissent le temps.

Mme Magali Viandier, directrice « sourcing, économie des offres » dEDF. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, en préambule, et pour répondre à vos questions, il paraît utile de rappeler de quoi se compose, en France, pour un ménage, une facture d’électricité toutes taxes comprises (TTC).

Comme vous l’avez dit, sur le marché français, on trouve aussi bien des clients bénéficiant des tarifs réglementés que des clients ayant souscrit ce que l’on appelle des « offres de marché », principalement proposées par les fournisseurs dits « alternatifs ». Quand on examine en détail ce dont se compose une facture d’électricité TTC, on observe que certaines parties sont similaires pour ces deux types d’offres, y compris, dans ce qu’on appelle la « part fourniture », pour certains points spécifiques qui sont liés à la réglementation et à la régulation.

Une facture d’électricité se compose de trois blocs de taille à peu près équivalente. Le premier consiste dans ce que l’on appelle la « part fourniture », qui représente environ 35 %. Cette part comprend l’approvisionnement en électricité et en garanties de capacité, au sens strict ; les coûts commerciaux, liés à la commercialisation et à la gestion du portefeuille de clients, comprenant les certificats d’économie d’énergie (CEE) ; enfin, la marge du fournisseur. Je reviendrai sur ce premier bloc, car il peut y avoir des différences, qui méritent d’être expliquées, entre les tarifs réglementés et les offres de marché.

Le deuxième bloc, strictement identique pour tous les clients résidentiels – qu’ils soient en offres de marché ou aux tarifs réglementés –, est ce que l’on appelle la « part acheminement ». Il correspond à la rémunération de l’utilisation des réseaux publics d’électricité, qui s’exprime au travers du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), lequel est fixé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) selon des modalités prévues par la loi. Cela représente, en moyenne, 30 % d’une facture d’électricité TTC pour un client.

Le dernier bloc, qui représente un gros tiers, équivalent par la taille au premier, est constitué par les taxes. Celles-ci se répartissent en plusieurs catégories. Certaines sont fixes ; d’autres sont fonction de la consommation d’électricité. La contribution tarifaire d’acheminement (CTA) appartient à la première catégorie. Elle s’appuie sur la part fixe des coûts d’acheminement. Instituée par la loi du 9 août 2004, elle a pour vocation de financer les régimes de retraite du secteur des industries électriques et gazières. La taxe sur la consommation finale d’électricité (TLCFE), composée d’une part communale et d’une part départementale, appartient à la seconde catégorie. Son assiette est déterminée par la quantité d’électricité consommée. Son niveau, fixé annuellement, peut varier d’une commune ou d’un département à l’autre : les assemblées territoriales votent un coefficient multiplicateur. La troisième taxe, à laquelle vous avez fait référence dans votre introduction, monsieur le président, est effectivement la CSPE, qui a été mise en place il y a une quinzaine d’années. Elle s’exprime en euros par mégawattheure. Comme vous l’avez dit, elle a augmenté significativement entre les années 2010 et 2016. Son montant, inchangé depuis le 1er janvier 2016, est de 22,5 euros par mégawattheure.

Sur ces taxes, de même que sur l’ensemble des autres briques composant une facture, s’applique la TVA, en vertu de la directive européenne relative à la taxe sur la valeur ajoutée. Deux taux s’appliquent pour l’électricité : le taux réduit de 5,5 % en ce qui concerne la part fixe, qui comprend principalement l’abonnement et l’acheminement, et le taux normal de 20 % pour la partie variable de la facture.

Je voudrais, à présent, revenir sur le premier bloc car c’est là – il est important de l’avoir en tête – que peuvent intervenir des différences entre les tarifs réglementés et les offres dites de marché, en fonction des pratiques des différents fournisseurs. C’est en effet sur cette partie, dont certaines composantes ne dépendent pas de dispositions réglementaires ou législatives, que s’exerce la concurrence, avec les différents niveaux de prix et le positionnement des offres que souhaitent proposer les fournisseurs.

Toutefois, même pour la partie fourniture, des règles spécifiques s’appliquent aux tarifs réglementés : chacune de ses composantes est encadrée par la Commission de régulation de l’énergie, soit de manière directe, en application de formules de calcul, soit par un contrôle des coûts avancés par EDF. Par exemple, les coûts commerciaux d’EDF, qui sont intégrés dans les tarifs réglementés, sont présentés à la CRE et celle-ci a la faculté de les accepter ou, si elle les trouve excessifs, de les refuser. Je souhaite porter à votre connaissance, à ce propos, le fait que, malgré l’évolution du marché – que vous avez évoquée tout à l’heure, et qui se traduit par la perte d’un peu plus de 100 000 clients par mois, soit environ un million chaque année, au profit des fournisseurs en offres de marché –, les coûts commerciaux unitaires d’EDF, hors certificats d’économie d’énergie, sont stables ou en légère baisse. Cela témoigne de l’adaptation du modèle d’activité du fournisseur EDF à l’évolution du marché.

La part fourniture comprend également, je le disais, la marge du fournisseur. Dans une offre de marché, la marge résulte purement et simplement d’une décision de gestion : chaque fournisseur est libre, en fonction du niveau de prix qu’il entend proposer et des caractéristiques de l’offre qu’il commercialise, d’établir la marge qu’il souhaite dégager. S’agissant des tarifs réglementés de vente, la marge est fixée par la CRE : nous ne pouvons pas la déterminer nous-mêmes. Le décret du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité dispose que la marge doit être « raisonnable » et c’est la CRE qui fixe, dans ses délibérations tarifaires, le niveau de marge qu’EDF pourra dégager au travers de ses tarifs réglementés.

Enfin, dans la part fourniture, le gros morceau – la matière première, en quelque sorte – est constitué par l’approvisionnement en électricité. Là encore, il y a des différences entre tarifs réglementés et offres de marché puisque, s’agissant des premiers, la valorisation de l’approvisionnement en énergie et en garanties de capacité est fixée par la CRE par l’application de formules. Pour la part énergie, on considère qu’environ 70 % des volumes d’électricité consommés dans le cadre des tarifs réglementés sont valorisés au niveau prévu par l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), c’est-à-dire à un prix fixe de 42 euros par mégawattheure, quelles que soient les conditions des marchés de gros. Autrement dit, dans le cadre des tarifs réglementés, que les prix de l’électricité sur les marchés de gros soient supérieurs ou inférieurs à 42 euros, 70 % des volumes sont valorisés à ce prix ; les 30 % restants – ce que l’on appelle, dans notre jargon, le « complément marché » – sont valorisés à la moyenne des prix des deux années précédant l’année de livraison, ce qui permet d’amortir les effets de volatilité sur les marchés de gros. Ce dispositif assure donc une stabilité dans le temps. Telle est, de manière extrêmement synthétique et en essayant d’être aussi simple et explicite que possible, la manière dont se construisent les prix.

Les fournisseurs alternatifs, pour la partie énergie, ont la faculté de s’approvisionner à l’ARENH ou pas. En d’autres termes, pour la construction de leurs offres, quand les prix sur les marchés de gros sont supérieurs à 42 euros, ils ont tendance à se présenter au guichet de l’ARENH ; quand c’est l’inverse, ils se fournissent sur les marchés. Ainsi, en 2017 et 2018, on a vu se multiplier de manière significative – vous l’aurez constaté si vous avez consulté les publications de la CRE sur l’observation des marchés de détail – les fournisseurs et les offres disponibles sur le marché, car les conditions sur les marchés de gros leur permettaient d’avoir un espace économique pour entrer en concurrence avec les tarifs réglementés.

S’agissant de la facture globale d’énergie, après avoir détaillé les trois blocs, il me semble important de rappeler que les prix de détail de l’électricité en France restent très compétitifs par rapport à ceux des autres pays européens. En moyenne, et sur une longue période, les prix qui sont pratiqués sont les plus bas. En Allemagne, les prix sont de l’ordre du double par rapport à ceux que l’on observe sur les marchés en France.

M. Patrice Bruel, directeur « régulation » dEDF. Je voudrais apporter un élément de réponse à la question que vous avez posée dans votre propos liminaire, monsieur le président, au sujet de l’évolution de la contribution au service public de l’électricité. Comme vous l’avez rappelé, historiquement, il s’agissait d’une contribution prélevée sur les consommations finales d’électricité pour assurer le financement des charges de service public de l’électricité, parmi lesquelles figuraient le financement du soutien aux énergies renouvelables, la péréquation dans les zones non interconnectées (ZNI) et la solidarité. La CSPE a effectivement augmenté entre 2010 et 2015, passant de 4,5 euros par mégawattheure à 19,5 euros, pour accompagner l’évolution du montant des charges de service public.

La situation nétait pas satisfaisante pour lentreprise EDF, et ce pour deux raisons. Premièrement, du fait du retard dans la compensation : fin 2015, un déficit de 5,8 milliards deuros sétait constitué. Deuxièmement, lentreprise constatait une augmentation de la fiscalité sur le produit électricité qui, de fait, pénalisait cette énergie, alors quelle était, déjà à lépoque, lénergie la moins émettrice de CO2. Une réforme du financement des charges de service public est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Désormais, ce financement est budgété. Une partie des charges figure dans le compte daffectation spéciale « Transition énergétique » (CAS TE), qui regroupe les charges considérées comme étant directement liées au processus de transition énergétique, principalement le soutien aux énergies renouvelables et aux effacements de consommation, mais également le processus dapurement du déficit historique de compensation que jévoquais. Celui-ci fait lobjet dun échéancier qui court jusquen 2020. Le reste des charges de service public appartient au programme 345 « Service public de lénergie », qui rassemble la péréquation tarifaire dans les ZNI, le soutien à la cogénération et les dispositifs sociaux en matière délectricité et de gaz.

Depuis cette réforme, la CSPE est devenue une taxe versée au budget général. Depuis le 1er janvier 2016, elle est fixée à 22,5 euros et, bien qu’elle ait conservé le même nom, elle n’a plus de lien avec le financement des charges de service public. Celles-ci sont calculées par la CRE, qui invite l’ensemble des acteurs concernés à déclarer leurs charges, qu’elle vérifie méthodiquement puis constate d’après une comptabilité appropriée.

La CSPE, qui n’a donc plus de lien avec le soutien aux énergies renouvelables et la compensation des charges de service public, est une taxe qui pèse uniquement sur l’électricité, alors que celle-ci est décarbonée et représente un atout majeur pour réussir la transition énergétique et réaliser des économies d’énergie, notamment dans les secteurs du bâtiment et des transports. Pour EDF, l’allégement de cette fiscalité serait à la fois favorable au pouvoir d’achat des ménages et de nature à améliorer la cohérence des signaux fiscaux adressés aux consommateurs, mais aussi à atteindre les objectifs des politiques en matière d’énergie et de climat.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour vos propos liminaires.

Ma première question porte sur la taxe sur la consommation finale, qui a donc deux niveaux territoriaux : communal et départemental. Un coefficient multiplicateur permet de faire varier les taux. Quelle est actuellement l’amplitude de la variation, dans un sens comme dans l’autre ? En bref, je voudrais savoir si le niveau diffère beaucoup d’un territoire à l’autre ou si l’écart est minime.

Je voudrais également que nous évoquions votre stratégie en matière d’ENR, que vous nous disiez comment cela se profile pour vous, comment vous voyez les choses à plus ou moins long terme. Il s’agit, tout simplement, d’ouvrir le débat sur la manière dont cela s’organise et se met en œuvre au sein d’EDF. Vous êtes leader européen sur ce sujet également ; je voudrais donc connaître votre avis.

Par ailleurs, les consommateurs sont-ils réceptifs à ces changements ? Comment accompagnez-vous vos clients en matière d’efficacité énergétique ? Comment cela se met-il en œuvre, notamment à travers les certificats d’économie d’énergie (CEE) ? Quelle est, au final, la part supportée par les ménages ? S’y retrouvent-ils en termes d’économies finales ? Autrement dit, s’agit-il d’un prélèvement qui les amène à se libérer d’une partie du poids de l’énergie – ou non ?

Mme Magali Viandier. En ce qui concerne la variabilité de la taxe sur la consommation finale d’électricité, je ne suis pas en mesure de vous répondre concrètement. Je ne sais pas si tout le monde est au maximum ou si l’on observe des écarts très importants. La faculté de moduler existe, mais j’avoue ne pas connaître avec précision l’ensemble des dispositions concernant cette taxe dans l’ensemble des communes et des départements français.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pour obtenir ces informations, faut-il que nous nous adressions aux associations d’élus ?

Mme Magali Viandier. Je pourrais peut-être vous fournir des réponses complémentaires mais, à cet instant, je n’ai pas les chiffres.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’aimerais effectivement que vous nous les communiquiez.

Mme Magali Viandier. En ce qui concerne l’accompagnement des consommateurs vers l’efficacité énergétique, vous n’êtes pas sans savoir qu’il passe notamment par le dispositif des certificats d’économie d’énergie.

Celui-ci fonctionne par périodes ; nous sommes dans la quatrième, dont l’ambition est très significative en termes d’augmentation de l’accompagnement – aussi bien des clients résidentiels que des professionnels et des entreprises. Il s’agit de les inciter à investir de manière à diminuer la consommation des logements et locaux professionnels. Cela se fait au travers de dispositifs comme « Coup de pouce ». Ces derniers temps, de nombreuses annonces ont été faites afin d’accompagner les clients, notamment dans la modification de leur système de chauffage, de manière à ce qu’ils diminuent leur consommation d’énergie. Chaque client peut, en principe, mesurer l’impact de ses investissements – qu’il s’agisse de travaux d’isolation ou d’une modification du système de chauffage – sur sa consommation d’énergie et donc sur le niveau de sa facture. Nous accompagnons nos clients dès qu’ils sont prêts à s’engager dans cette démarche ; cela passe par des partenariats et des dispositifs spécifiques tels que la prime énergie. Aider nos clients à maîtriser leur consommation d’énergie fait partie de notre démarche de conseil.

La quatrième période des CEE s’annonce effectivement très ambitieuse en termes de volumes, puisque, par rapport à la période précédente, on est passé d’une obligation, pour l’ensemble des fournisseurs, de 800 à 1 600 térawattheures cumulés et actualisés (CUMAC). Qui plus est, EDF, en raison de la taille de son portefeuille, est le premier « obligé » s’agissant des CEE. Depuis quelques mois, tendanciellement, le coût de revient des CEE augmente et va, à terme, alourdir les factures d’électricité. Il est donc important, si l’on veut que l’effet des dispositifs comme « Coup de pouce » soit vraiment mesurable et bénéfique pour les clients, de travailler sur le niveau du reste à charge pour les consommateurs quand ils procèdent à des investissements visant à réaliser des économies d’énergie – qu’ils changent leurs fenêtres ou bien encore leur mode de chauffage. Le reste à charge doit être acceptable, notamment pour les ménages les plus modestes.

M. le président Julien Aubert. Avez-vous une idée du montant que paient les Français pour financer les certificats, et que vous intégrez dans les factures ?

Mme Magali Viandier. Il est difficile d’isoler cette part dans les factures, mais les CEE ont un prix de marché. Or, on est passé de 1,5 euro par mégawattheure CUMAC à la fin de 2016 à près de 9 euros au début de 2019. L’ambition pour ce qui est de l’encouragement à la réalisation d’économies d’énergie contribue à créer de la tension sur le marché, du point de vue aussi bien du niveau de primes accordées que des incitations commerciales et de l’obligation pour chaque fournisseur de ne pas être en infraction en fin de période – la pénalité étant de l’ordre de 15 euros du mégawattheure CUMAC. On observe donc, effectivement, une tension sur le prix des CEE, qui se répercute sur le tarif proposé et donc sur les factures d’électricité.

M. le président Julien Aubert. Vous n’avez donc pas de chiffres ou de données permettant de quantifier le coût pour les utilisateurs ? En effet, si je comprends bien ce que vous dites, quand je paie mon électricité, je finance la politique de CEE par l’intermédiaire d’EDF, puisque cela fait partie de la facture. La question est de savoir combien, « volontairement » – si je puis dire –, je donne pour le financement de cette politique, bien que ce ne soit pas une taxe. Vous ne pouvez pas nous indiquer un volume annuel ? Les pétroliers, par exemple, ont été capables de nous dire à quel volume cela correspondait pour eux.

Mme Magali Viandier. Je dois avoir ces chiffres quelque part. Si la question est de savoir ce que cela représente, en volume, sur le portefeuille d’EDF, pour la quatrième période, je puis tout de même vous dire qu’EDF assume à peu près la moitié de l’obligation globale en matière de CEE. Bien sûr, le « coût » d’approvisionnement des CEE varie selon les dispositifs, les mécanismes d’incitation, mais aussi les transactions dites de gré à gré – car une partie de notre approvisionnement en CEE passe par des achats auprès de sociétés. Je pourrai, là aussi, vous transmettre par la suite des données plus précises.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Nous nous rendons compte qu’il n’est pas facile pour vous de chiffrer, en centimes ou en euros, ce que représentent les CEE dans la facture totale. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir revenir vers nous avec l’information, pour nous dire clairement si, au moment où le prix des CEE s’est envolé, passant de 1,5 euro à 9 euros, il y a eu une répercussion immédiate sur la facture, ou si la différence a été prise sur vos marges – bref, comment ce coût a été réparti, et si, en définitive, c’est le consommateur final qui l’a supporté, ou bien vous.

M. Hervé Pellois. Vous avez parlé des tarifs réglementés qui existent pour EDF et des prix de marché : pouvez-vous nous indiquer quelles sont actuellement les proportions respectives de ces deux types de tarification et leur évolution au cours des dernières années ? Autrement dit, quelle est la part qui reste en réglementé et celle qui est passée à lautre régime ? Pour chacun de ces tarifs, est-ce que la composition des ressources en énergie – énergies renouvelables ou électricité produite à partir du nucléaire – est la même ? Est-il dailleurs possible de distinguer ainsi les sources dénergie ?

Mme Magali Viandier. Actuellement, il y a de l’ordre de 25 millions de clients résidentiels qui bénéficient des tarifs réglementés de vente, auxquels s’ajoutent 3 millions de clients dits « professionnels » – sachant que, pour les entreprises de taille intermédiaire, les grandes entreprises et les très grands clients, il n’y a plus de tarifs réglementés depuis plusieurs années. Les fameux tarifs jaune et vert, supprimés le 1er janvier 2016, étaient les derniers pour cette catégorie de clients.

EDF, ces deux dernières années, a perdu un peu plus d’un million de clients résidentiels par an, ce qui correspond à un rythme de 100 000 clients par mois environ. Ce rythme a d’ailleurs été en augmentation au cours de ces deux dernières années, notamment pour la raison que j’évoquais tout à l’heure : les conditions de sourcing ont fait qu’à un moment les offres de marché ont été plus compétitives que les tarifs réglementés, dont la valeur est fixe. Pour les années antérieures, le rythme était plutôt de 60 000 clients quittant chaque mois les tarifs réglementés pour souscrire à des offres de marché auprès de fournisseurs alternatifs – mais également auprès d’EDF, car nous avons, en plus des tarifs réglementés, une gamme d’offres de marché, notamment des offres dites vertes.

L’accélération vient aussi du fait que les consommateurs ont de plus en plus connaissance de l’existence d’autres fournisseurs qu’EDF, le fournisseur historique. Il y a quelques années encore, beaucoup de clients ne savaient pas forcément à qui s’adresser et comment le faire pour se fournir auprès d’une autre entreprise. Je ne saurais pas vous dire, de manière consolidée, combien, sur le marché « France », il y a de clients en offres de marché, mais cela représente quelques millions de clients résidentiels. Les informations sont publiées chaque trimestre par la CRE dans le cadre de son Observatoire des marchés de détail ; ensuite, un récapitulatif annuel est proposé.

M. Patrice Bruel. Vous avez demandé, monsieur Pellois, s’il y avait des différences dans le mix qui approvisionne les différents types de clientèle. Il n’est pas possible de tracer ainsi les kilowattheures sur le marché de l’électricité. Le coût d’approvisionnement, pour un consommateur, dépend du profil de sa consommation et non pas de la nature de ses usages. Il n’y aura pas de différenciation selon qu’il s’agit d’un industriel ou d’un particulier. Pour un profil de consommation continu tout au long de l’année, le prix de l’approvisionnement est le même quelle que soit la nature du consommateur. Si l’on peut avoir une vision, heure par heure – Réseau de transport d’électricité (RTE) publie des données très régulièrement – de ce qu’est le mix global permettant de satisfaire l’ensemble de la consommation de la France, il est totalement illusoire de prétendre affecter tel type de production à tel type de consommation.

Mme Bénédicte Peyrol. Qu’en est-il de la directive européenne qui détermine, je crois, un plancher ou un plafond de taxation de l’électricité ? Comment se situe la France ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous en dire plus sur les exonérations dont bénéficient certains secteurs d’activité ou certaines entreprises ? Nos concitoyens s’interrogent toujours sur les niches fiscales, a fortiori s’il s’agit de la transition énergétique.

Enfin, si vous souhaitez un allégement d’une fiscalité que vous jugez importante, qui pèse sur une énergie parmi les plus propres du point de vue des émissions de CO2, à quoi pensez-vous précisément ? À l’application de la TVA aux taxes, à la CSPE ? Ces questions sont très précises mais je pense que c’est important pour la compréhension globale de la facture d’électricité.

M. Patrice Bruel. Tout à l’heure, j’ai évoqué l’évolution historique de la CSPE, passée de 4,50 euros en 2010 à 19,50 euros, et relevée à 22,50 euros, le 1er janvier 2016, lorsqu’elle est devenue une taxe versée au budget général. Aujourd’hui, les conditions sont radicalement différentes, les coûts ayant baissé de manière spectaculaire, et ce n’est pas terminé ; en témoignent les derniers appels d’offres, avec un prix du mégawattheure compris entre 55 et 65 euros pour les installations au sol et entre 80 et 90 euros pour les installations sur toiture. Ce sont là des baisses très significatives par rapport à un passé pas si lointain, et elles se poursuivent. Nous avons donc un volume de charges de service public occasionné par le développement des énergies renouvelables qui continue d’augmenter, en raison du nécessaire soutien public, mais dans une mesure bien plus faible qu’auparavant.

Il existe des taux réduits de CSPE. Leur bénéfice est accordé en fonction du secteur d’activité de l’entreprise et de l’électro-intensivité. Si vous souhaitez plus de détails sur l’ampleur de ce dispositif de taux réduits, je me permets de vous inviter, madame la députée, à vous rapprocher des services de Bercy. Ce sont eux qui sont les plus au fait à la fois des critères et des montants. Nous sommes, pour notre part, mal placés pour apprécier cela. Certes, en tant que collecteurs, nous voyons des montants, mais nous n’avons qu’une vision partielle, fonction du portefeuille de clientèle que nous alimentons. Pour une vision globale des enjeux du point de vue des politiques publiques, ce qui me semble être votre préoccupation, des chiffres consolidés, que nous n’avons pas, me semblent nécessaires.

M. Hubert Wulfranc. Je reviens sur la TVA : 5,5 % sur l’ensemble de la part fixe et 20 % sur la part variable. Pourriez-vous nous préciser comment cela se décline, particulièrement en ce qui concerne la part variable ? Et ce paramètre de la TVA vous paraît-il devoir être pris en considération pour alléger la facture des ménages ?

Mme Magali Viandier. Effectivement, un taux réduit s’applique sur la part fixe de la facture : l’abonnement et la contribution tarifaire d’acheminement. Tout le reste de la facture se voit appliquer un taux unique de 20 % : la partie électricité, coûts commerciaux, etc., et les taxes soumises à la TVA à 20 %, c’est-à-dire les taxes locales sur la consommation finale d’électricité et la CSPE.

Serait-il pertinent ou utile d’ajuster les taux de TVA pour alléger la facture finale du client ? Je n’ai pas de commentaire à faire sur une question de politique fiscale. Je pense simplement que cette politique est cohérente avec la directive européenne, qui est assez « encadrante », notamment en ce qui concerne les taux et la possibilité de taux réduits. Le nombre de taux réduits qui peuvent être appliqués est effectivement limité et une fois qu’ils ont été arrêtés ce sont toujours ces mêmes taux réduits qui doivent être appliqués.

C’est aussi la directive européenne qui impose de soumettre les taxes spécifiques à l’électricité que nous évoquions à la TVA, mais il en est de même pour les autres énergies, comme le gaz. Il y a là une cohérence d’ensemble, qui peut être questionnée, mais qui est conforme à la directive européenne en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

M. le président Julien Aubert. Tout à l’heure, vous avez dit que les charges de service public continuent à augmenter faiblement. Aujourd’hui, vous l’avez dit, la CSPE ne finance plus les énergies renouvelables. La progression de la CSPE dans la facture d’électricité des Français n’est donc plus corrélée avec le soutien aux énergies vertes. Sommes-nous d’accord ?

M. Patrice Bruel. Il n’y a plus de lien entre la CSPE et le soutien aux énergies vertes depuis le 1er janvier 2016.

M. le président Julien Aubert. Nous sommes bien d’accord.

Lors de cette réforme, y eut-il un débat avec Bercy sur une éventuelle suppression de la CSPE ? C’est un petit peu l’histoire de la vignette : on crée une contribution essentiellement pour financer une politique, puis on abandonne cette contribution en tant que source de financement de cette politique, mais on la maintient et elle « disparaît », si j’ose dire, dans le budget de l’État.

A-t-il été envisagé, la contribution carbone augmentant, de réduire mécaniquement la CSPE, voire de la faire tendre vers zéro ?

M. Patrice Bruel. Lorsque j’indiquais que les charges de service public continuaient à augmenter mais bien plus lentement, c’était évidemment en ayant à l’esprit un socle de charges héritées de l’histoire et consubstantiel de contrats d’une durée de vingt ans, qui explique que le montant reste toujours significatif aujourd’hui.

M. le président Julien Aubert. En somme, vous nous dites que nous payons le passé. Imaginons le parc éolien qui a été construit en 2000, avec certains tarifs de rachat. Est-ce qu’il n’y a vraiment plus aucun lien avec la CSPE ? Ou bien bénéficie-t-il aujourd’hui de la CSPE avant de bénéficier demain de la contribution carbone ?

M. Patrice Bruel. Il n’y a vraiment plus aucun lien.

Quant à la compensation qu’EDF doit recevoir dès lors qu’elle continue bien évidemment, en tant qu’acheteur « obligé », à honorer ces contrats, elle est versée directement par Bercy, du budget de l’État, en fonction d’échanges mensuels.

Mme Bénédicte Peyrol. Par conséquent, puisque la CSPE est versée au budget général, on peut dire qu’on peut en retrouver une part dans la compensation. Je ne vous demande pas des montants mais c’est quelque chose qui peut être déduit par un raisonnement logique.

M. Patrice Bruel. Je vous laisse mener le raisonnement logique que vous développez. Pour notre part, nous constatons qu’une compensation des charges de service public que nous supportons est versée directement, financée par le budget de l’État – pour partie du compte d’affectation spéciale « Transition énergétique », pour partie d’une ligne du budget général –, et que, par ailleurs, la CSPE collectée sur les factures des consommateurs est versée directement au budget général. Ensuite, la question de l’affectation ou de la non-affectation de la ressource fiscale relève de l’État, nous y sommes totalement étrangers.

M. le président Julien Aubert. Certes, mais les montants sont-ils égaux ?

M. Patrice Bruel. Depuis la fin de l’année 2015, on constatait un retard de compensation de 5,8 milliards d’euros. C’était l’un des sujets de préoccupation qui motivait la réforme. Depuis la mise en œuvre de celle-ci, les charges supportées par EDF sont effectivement compensées, même si nous avons connu quelques petits décalages, presque anecdotiques, entre le mois de décembre et le mois de janvier ; pour l’essentiel des montants, la compensation est opérée en temps et en heure, comme elle doit l’être. Par ailleurs, un échéancier défini par arrêté doit permettre d’aboutir à l’apurement du déficit historique à la fin de l’exercice 2020 ; jusqu’à présent, cet échéancier est rigoureusement respecté.

M. le président Julien Aubert. Vous n’avez pas répondu à ma question sur les montants. À quel montant s’élève la compensation reçue de l’État ? À quel montant s’élève la CSPE ?

M. Patrice Bruel. Le montant des charges inscrites au compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » s’élève à 6,8 milliards d’euros – le montant total inscrit à ce compte étant de 7,3 milliards d’euros, car nous ne sommes pas le seul opérateur chargé de missions de service public. S’y ajoutent 2,3 milliards d’euros du budget général, dont 1,7 milliard d’euros pour la compensation des surcoûts dans les zones non interconnectées.

M. le président Julien Aubert. En 2020, il n’y aura donc plus de retard de compensation, si j’ai bien compris.

M. Patrice Bruel. Absolument.

M. le président Julien Aubert. Si je pars du principe que je maintiens aujourd’hui la CSPE, qui abonde le budget de l’État et permet ensuite, par un jeu budgétaire, de verser une compensation à EDF, la part de CSPE correspondant aux énergies renouvelables n’aura donc plus de raison d’être au-delà de 2020. Je parle bien de la part historiquement liée à ces énergies, autrefois calculée en fonction de l’aide apportée à certaines énergies, qui est restée inscrite dans les factures.

M. Patrice Bruel. Je n’ai pas dû bien me faire comprendre, monsieur le président. La compensation des charges de service public est de la première importance pour EDF puisqu’EDF honore ses contrats. Elle prend aujourd’hui la forme de transferts directs qui sont financés par le budget de l’État. Effectivement, lorsque la CSPE a changé de statut, le 1er janvier 2016, tout en gardant son nom, on aurait pu imaginer qu’elle disparaisse du jour au lendemain puisqu’elle n’avait plus de lien avec le financement des charges de service public et que sa raison d’être avait disparu. L’État a fait un choix différent et l’a maintenue, mais, comme nous le souhaitions, elle a arrêté d’augmenter. Ce prélèvement fiscal continue d’être perçu mais son montant est stable depuis le 1er janvier 2016 : 22,50 euros.

Nous accueillerons à bras ouverts son éventuelle baisse. Et c’est bien de la CSPE que je parlais tout à l’heure lorsque j’envisageais l’hypothèse d’un allégement de la fiscalité.

M. le président Julien Aubert. Le 1er janvier 2016, à la dernière date connue d’un calcul réaliste des charges au soutien des énergies renouvelables, quelle part de la CSPE représentait ce soutien aux énergies renouvelables ?

M. Patrice Bruel. Je crains de ne pas être capable de vous répondre immédiatement parce que c’est un petit peu compliqué. Il y avait à la fois une compensation, un apurement historique et un panier de charges qui ne se limitait pas aux énergies renouvelables. Pour répondre à votre question, il faut répondre par une hypothèse arbitraire à la question de savoir à quel type de charges le retard doit être imputé.

M. le président Julien Aubert. Je conçois que l’exercice soit compliqué et qu’il soit difficile de répondre de tête.

Le 1er janvier 2016, une partie de la CSPE était consacrée au soutien aux énergies renouvelables. Il aurait été possible et logique de décider de supprimer cette partie, puisque ce soutien était financé par ailleurs ; on l’a conservée, et l’État, vous devant de l’argent, peut aussi utiliser les sommes ainsi collectées pour vous rembourser. On pourrait estimer aussi qu’à partir de 2020, les comptes étant soldés, ce prélèvement perde sa justification. Je voudrais donc comprendre quelle part de la CSPE représentait ce soutien.

Par ailleurs, l’État perçoit de la TVA sur la CSPE. On aurait pu, à défaut de supprimer la part de la CSPE correspondant aux énergies renouvelables, cesser de percevoir un impôt sur une contribution qui n’avait plus lieu d’être – parce que cet impôt aussi est payé par les Français. Avez-vous une idée du montant de TVA acquitté par les Français à raison de la « CSPE énergies renouvelables » ?

M. Patrice Bruel. La TVA s’applique effectivement sur la CSPE et, d’ailleurs, sur d’autres impôts, en application du droit communautaire qui prévoit que les droits d’accise sont soumis à la TVA. La CSPE étant de 22,50 euros, le montant de TVA acquitté sera de 4,50 euros. Sur la facture d’un client au tarif bleu dont le volume moyen de consommation est de 5 mégawattheures, cela représentera un peu plus de 20 euros.

M. le président Julien Aubert. Cela nous permet d’avoir une idée, mais si vous pouviez un jour nous communiquer des chiffres globaux… L’un des objectifs de cette commission d’enquête est de savoir ce qui est prélevé par différents canaux au nom de la transition énergétique – à bon ou mauvais escient, ce n’est pas la question.

L’augmentation de la CSPE a mécaniquement alourdi la facture d’électricité pour les Français. Cela s’est-il traduit, via des mécanismes d’élasticité, par une aggravation de la précarité énergétique ? En d’autres termes, l’évolution du prix de l’électricité a-t-elle fait que certains ménages « décrochent » ? Disposez-vous d’éléments économiques ou socio-économiques à ce propos ?

M. Patrice Bruel. Je suis désolé, monsieur le président : l’entreprise EDF accorde une attention particulière aux enjeux de précarité énergétique, mais quand un client particulier est identifié comme étant en situation de précarité énergétique et que les dispositifs prévus sont mis en œuvre pour l’accompagner, il est extrêmement délicat de rechercher quel facteur l’a conduit à se retrouver en difficulté, et je pense que nous ne nous livrons vraiment pas à cet exercice.

M. le président Julien Aubert. Je vous poserai donc la question différemment : sans entrer dans le détail des situations personnelles, avez-vous constaté, au fil de l’augmentation de la facture d’électricité et par rapport à la période où elle ne comportait pas de CSPE, une augmentation substantielle du nombre de personnes qui n’étaient pas capables de la payer ?

M. Patrice Bruel. Je ne peux pas vous répondre immédiatement, mais nous pourrons regarder si nous pouvons donner des éléments.

M. le président Julien Aubert. Je vous propose donc de noter la question.

Les dernières années sont marquées à la fois par le soutien aux énergies renouvelables et par la libéralisation du marché de l’énergie, mais je souhaiterais que vous précisiez l’impact des énergies renouvelables. Leur développement a-t-il affecté le prix de base de l’électricité ? Ou bien sommes-nous en présence d’une espèce de courbe cyclique, avec une augmentation de la facture pour financer les énergies non renouvelables qui perturberait le marché de gros, ce qui entraînerait une augmentation du prix de l’électricité et une augmentation encore plus forte de la facture ?

M. Patrice Bruel. La formation du prix de gros de l’électricité résulte de la confrontation de l’ensemble de l’offre et de la demande – au niveau européen, des échanges transfrontaliers sont réalisés chaque fois qu’ils sont économiquement pertinents.

Avec le développement des nouvelles énergies renouvelables que sont l’éolien et le photovoltaïque – on ne parle pas de la production hydraulique, présente de longue date dans le parc de production –, les conditions de production vont être liées aux conditions climatiques. On peut constater sur la formation des prix de marché de gros une incidence baissière sur le prix au cours des périodes où l’offre est abondante, mais il y a aussi une « eurosaisonnalité » et des variations de jour en jour ou d’heure en heure des conditions de marché, étant entendu que, compte tenu du niveau général des prix, les acteurs vont être amenés à ajuster leur outil de production et globalement – force est de le constater en Europe – à déclasser des actifs de production plutôt qu’à en construire de nouveaux dès lors que les conditions de marché ne le permettent pas.

Le développement des énergies renouvelables est un facteur parmi d’autres. Parmi les facteurs déterminants figurent le niveau général de la demande, de première importance pour la formation des prix, le niveau du prix des commodités – le gaz, le charbon –, le prix du CO2. Le niveau général des prix résulte de l’ensemble de ces facteurs.

M. le président Julien Aubert. Constatez-vous donc, au plan européen, un impact, à la hausse ou à la baisse, du financement des énergies non renouvelables ? Ou n’est-ce pas si important par rapport à d’autres facteurs ?

M. Patrice Bruel. Il est toujours très délicat, face à un phénomène, de pondérer chacun des facteurs mais le développement de capacités installées, de quelque nature que ce soit, ne peut avoir d’effet haussier. Cependant, lorsque certaines capacités se développent, d’autres se développent moins, ou alors des capacités sont retirées dans d’autres filières. Tout cela est une alchimie.

M. le président Julien Aubert. C’est le solde qui est intéressant. Si vous êtes obligés de fermer des centrales à gaz ou à charbon, certes fossiles mais qui produisaient moins cher, et que vous les remplacez par des modes de production subventionnés, certes écologiques mais nettement plus chers, la diversification du mix peut entraîner une augmentation du prix de l’électricité. L’évolution du mix électrique a-t-elle eu un impact sur la facture d’électricité des Français ? Le financement de cette politique ayant un impact sur le pouvoir d’achat, l’impact a-t-il été double, ou bien les deux phénomènes se sont-ils neutralisés, le développement de nouveaux modes de production ayant pu compenser les taxes qui alourdissaient la facture ?

M. Patrice Bruel. Il est de la plus grande difficulté de donner une réponse quantifiée à votre question, monsieur le président. Peut-être cela mériterait-il que nous allions chercher dans les résultats d’études, mais la tendance fut plutôt à la baisse. C’est un développement massif qu’a connu une catégorie de production.

Il ne faut pas examiner la question sous le seul prisme national. Le développement fut massif dans d’autres pays d’Europe, très proches, je pense notamment à l’Allemagne, et cela a aussi pu avoir des conséquences sur les échanges aux frontières et la disponibilité de certaines ressources. Ainsi, nous rencontrons parfois, sur le marché de gros, des conditions de prix que nous n’avons pu connaître par le passé, avec des prix très bas.

M. le président Julien Aubert. Lors du rattachement des éoliennes en mer, on a décidé d’alléger le coût du soutien à l’éolien en mer via la CSPE en abaissant les tarifs de rachat. Néanmoins, d’après mes informations, on a pris en charge une partie du raccordement de ces éoliennes via le TURPE. Faut-il en déduire que celui-ci participe en partie au financement de la transition énergétique en sus et lieu de la CSPE ?

M. Patrice Bruel. Nous comprenons cela exactement comme vous, monsieur le président.

M. le président Julien Aubert. Avez-vous une idée des sommes que cela pourrait représenter et de l’impact sur la facture ? Ce pourrait être une bonne nouvelle – la CSPE ne va pas financer les énergies renouvelables – mais, en réalité, les coûts reviendront sous la forme du TURPE, qui va augmenter. J’imagine que vous n’avez pas fait le calcul…

M. Patrice Bruel. Je ne peux vous donner d’éléments chiffrés. Le seul commentaire que je souhaite faire, c’est qu’il nous a semblé, dans cette organisation des responsabilités, complètement pertinent que l’opérateur le plus compétent en matière de développement d’infrastructures de transport et de raccordement soit en charge des enjeux de maîtrise des risques. Quand vous confiez le cœur de métier à l’industriel le plus compétent, vous êtes en situation de minimiser les coûts. Cela fait partie, nous semble-t-il, des bonnes choses de ce changement d’organisation.

M. le président Julien Aubert. La TVA est perçue sur un prix intégrant le coût des certificats d’économie d’énergie. Or les droits d’accise sont soumis à la TVA. Faut-il donc considérer les CEE comme une accise ?

M. Patrice Bruel. Les CEE ne sont pas une taxe. C’est un dispositif concernant un ensemble de fournisseurs d’un ensemble d’énergies – pétrole, électricité, gaz. En fin de période, les « obligés » doivent livrer un certain volume de certificats d’économie d’énergie qui est calculé pour correspondre aux quantités d’énergie qui sont livrées. C’est le prix de ce certificat que l’on retrouve répercuté dans la facture des fournisseurs. C’est le prix d’une obligation, c’est le prix d’une contrainte, ce n’est pas une taxe, mais, dès lors que cela entre en ligne de compte dans la formation des coûts commerciaux, cela s’intègre à la construction du tarif par empilement et, in fine, la TVA s’applique à ce terme comme à l’ensemble des autres termes des coûts commerciaux, qu’il s’agisse du tarif réglementé de vente ou des offres libres, puisque l’ensemble des fournisseurs, quelle que soit la nature des contrats qui sont les leurs, sont aussi des « obligés ».

M. le président Julien Aubert. L’Europe nous laisse le choix en matière de d’économie d’énergie. Nous avions le choix entre la mise en place des CEE et un système de marché. Dans ce deuxième cas, je suppose qu’il n’y aurait pas eu de TVA perçue.

M. Patrice Bruel. Je ne sais pas répondre à cette question. On pointe du doigt les CEE et leur coût, mais ils sont avant tout un instrument de politique publique qui vise à permettre d’atteindre les objectifs de la transition énergétique, les objectifs de réduction des consommations d’énergie finales. Bien évidemment, nous sommes très attachés à ces objectifs mais notre préoccupation est de faire en sorte que les moyens mis en œuvre soient les plus efficaces possibles. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a pu nous arriver de dire que le dispositif des certificats d’économie d’énergie était perfectible et qu’il était important de faire en sorte que ses conséquences sur la facture des consommateurs soient, autant que faire se peut, maîtrisées. Mais je tenais à souligner que les enjeux de maîtrise de la consommation finale d’énergie sont bien évidemment des enjeux partagés.

M. le président Julien Aubert. Je salue votre défense du mécanisme, tout à votre honneur. Néanmoins, nous sommes bien d’accord : l’État oblige un certain nombre d’opérateurs à financer une politique d’efficacité énergétique et perçoit de facto une recette fiscale sur l’imposition qu’il a lui-même suggérée aux gens !

J’ai compris que vous ne disposiez pas forcément d’une évaluation de ce que peuvent représenter les CEE pour la facture, mais il serait quand même intéressant d’en savoir plus sur l’effet mécanique qu’ils peuvent avoir sur la TVA. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, il s’agit d’avoir une vision très claire de ce qui est exactement prélevé.

L’objectif des CEE, ce sont les économies d’énergie, et EDF se retrouve un acteur majeur du dispositif, alors que l’entreprise vend principalement une électricité décarbonée. N’est-il pas un peu injuste de faire reposer ainsi la politique des économies d’énergie sur un acteur majoritairement décarboné ? Ne devrions-nous pas viser à des économies d’énergie avec un objectif en termes d’émissions de CO2 plutôt que viser à de simples économies d’énergie sans distinguer entre EDF et Total ?

M. Patrice Bruel. Vous soulevez la question déterminante des objectifs de la politique énergétique. Nous sommes enclins à penser que le plus important est celui de la lutte contre le réchauffement climatique et donc de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Bien évidemment, moins vous consommez de l’énergie, moins vous êtes susceptible d’émettre, mais il est effectivement très important de privilégier les réductions de consommation d’énergie en ciblant les énergies les plus émettrices.

Des substitutions d’énergie sont utiles et profitables de ce point de vue, par exemple sous la forme du remplacement de véhicules qui consomment des carburants fossiles par de la mobilité électrique ou celui d’installations de chauffage utilisant du fioul ou du gaz naturel par des pompes à chaleur. Avec un recours massif à de l’énergie décarbonée et surtout de l’énergie renouvelable, les usages se développeront dans le sens d’une consommation d’électricité un peu plus élevée mais avec un effet utile majeur en termes de décarbonation de l’économie. Je suis donc d’accord avec vous, monsieur le président : il est souhaitable que les politiques publiques se concentrent les actions les plus efficaces en termes de décarbonation.

Mme Bénédicte Peyrol. Il me semble que les deux priorités sont majeures, il faut viser les deux objectifs en parallèle. On ne peut pas compenser l’un par l’autre.

M. Patrice Bruel. Je ne veux pas que mes propos soient mal compris : les deux objectifs doivent être atteints, mais, pour atteindre les objectifs d’efficacité énergétique, il faut prioritairement, nous semble-t-il, mener les actions les plus efficaces en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, au service de l’objectif global de réduction de la consommation d’énergie.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quelle part de la CSPE est consacrée à la sobriété, donc à la réduction de la consommation d’énergie ? Quelle est la part consacrée à l’installation d’équipements ? Une part de la réduction tient simplement aux usages : par exemple, les effacements ne nécessitent aucune sorte de nouveaux équipements.

Par ailleurs, qu’en est-il du coût des CEE au regard de la réduction de la facture et de l’efficacité énergétique ? Les CEE permettent-ils aujourd’hui plus d’efficacité énergétique qu’auparavant ? Pouvez-vous nous indiquer un ratio, un tendanciel ?

M. Patrice Bruel. Votre question, extrêmement précise, s’adresse à des experts des CEE, ce que nous ne sommes pas ; j’en suis désolé.

Certaines actions peuvent être accompagnées par divers dispositifs – des CEE mais aussi des crédits d’impôt transition énergétique. Quel mécanisme de soutien aura provoqué certaines démarches, certains gestes ? En pratique, c’est l’ensemble des dispositifs.

Assez souvent, cependant, certaines actions sont accomplies indépendamment de l’existence de tel ou tel dispositif de soutien. Une chaudière qui tombe en panne parce qu’elle est frappée de vétusté sera remplacée, qu’il existe un dispositif d’accompagnement ou pas, et la chaudière neuve sera d’une technologie plus avancée et plus efficace. Des économies d’énergie peuvent s’ensuivre, mais elles auraient été faites de toute façon ; c’est indépendant de l’existence du dispositif.

Comment identifier les actions effectivement suscitées par le dispositif ? Il faudrait savoir le faire pour apprécier l’efficacité d’ensemble de celui-ci, son coût, ses bénéfices, mais c’est un exercice éminemment difficile.

M. le président Julien Aubert. Nous arrivons au terme de cette audition. Il est un certain nombre de réponses dont nous comprenons parfaitement que vous ne puissiez pas nous les donner « en temps réel », mais nous souhaiterions que vous nous envoyiez des éléments facilement compréhensibles qui permettent de décomposer la facture et de savoir quels montants sont consacrés à la transition énergétique ; cela évitera une nouvelle audition et nous fera tous gagner du temps. Merci, en tout cas, pour celui que vous venez de nous consacrer.

Laudition sachève à dix-neuf heures vingt.

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4.   Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Jourdain, directeur technique d’Enedis, de M. Éric Peltier, membre de la direction financière, et de M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques (19 mars 2019)

Laudition débute à dix-neuf heures vingt-cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous recevons maintenant M. Antoine Jourdain, directeur technique d’Enedis, M. Éric Peltier, membre de la direction financière d’Enedis, et M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques.

Enedis a en charge la gestion du réseau de distribution électrique, qui représente, en France, 1,4 million de kilomètres de lignes. Si cette mission a une forte implication de service public, il ne s’agit toutefois pas d’un monopole : Enedis couvre 95 % du territoire, mais 150 entreprises locales de distribution (ELD) assurent une mission équivalente, pour environ 2 500 communes. Enedis, un acteur connu du grand public pour ses opérations de raccordement, de dépannage et de relevé de compteur, possède 36 millions de clients raccordés. Dans la mesure où c’est la question du raccordement des énergies renouvelables (EnR) – éolien et solaire – qui intéresse principalement notre commission d’enquête, vous voudrez bien, messieurs, nous indiquer quels montants d’investissements annuels sont à la charge d’Enedis pour raccorder ces sources d’énergie intermittente, ainsi que les montants estimés pour l’avenir.

Un prélèvement spécifique, perçu auprès des consommateurs d’électricité, est destiné à couvrir les coûts de gestion supportés par les gestionnaires de réseau : le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). La Commission de régulation de l’énergie (CRE), que nous ne manquerons pas d’auditionner, en définit les règles d’application et les différents barèmes. Quels sont les montants annuels perçus par Enedis au titre du TURPE ? Ce montant couvre-t-il intégralement les surplus d’investissements qu’Enedis doit assumer pour l’insertion des ENR sur les réseaux ?

Comment Réseau de transport d’électricité (RTE) et Enedis se répartissent-ils le bénéfice du TURPE pour ce qui concerne les EnR ? Quelle est l’incidence du rattachement des éoliennes et du transfert de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) vers le TURPE ? Existe-t-il des zones du territoire fragilisées par l’insertion des EnR, du fait des capacités d’accueil limitées du réseau ?

En cas de difficultés locales sur un réseau, l’effacement de certains gros consommateurs – question qui intéresse tout particulièrement Mme la rapporteure – ou bien l’écrêtement de la production constituent-ils des solutions aisées à mettre en œuvre ? Plus positivement, l’émergence des EnR a-t-elle été une opportunité pour faire progresser les technologies de réseaux électriques intelligents – les smart grids ?

Enfin, quel rôle le compteur Linky joue-t-il dans la transition énergétique ? En est-il un facilitateur ou, au contraire, un frein ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui prévoit que toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est entendue sous serment, je vais vous demander de prêter le serment.

(MM. Antoine Jourdain, Éric Peltier et Pierre Guelman prêtent successivement serment.)

Messieurs, vous avez la parole pour un exposé qui ne devra pas dépasser quinze minutes. Puis Mme la rapporteure, ainsi que les membres de la commission vous interrogeront à leur tour.

M. Antoine Jourdain, directeur technique dEnedis. Enedis exploite 1,4 million de kilomètres de lignes sur les 95 % du territoire qui sont à sa charge. Alors que le réseau a été historiquement conçu avec RTE pour écouler une production centralisée, depuis quelques années, nous assistons à une émergence significative des énergies renouvelables, en particulier de l’éolien et du photovoltaïque, lesquelles sont réparties de façon semi-centralisée.

Les fermes éoliennes, qui produisent des puissances relativement faibles, sont reliées en quasi-totalité au réseau de distribution d’Enedis, ce qui nous oblige à réaliser des investissements et des aménagements, pour apporter cette énergie jusqu’aux lieux de consommation, qui ont tendance à se concentrer, l’exode rural se poursuivant.

L’énergie photovoltaïque, quant à elle, est répartie de deux manières : l’une semi-centralisée dans des fermes solaires de forte puissance ; l’autre plus diffuse, constituée de panneaux répartis sur les toits de nos concitoyens, qui, grâce au compteur Linky, en profitent relativement simplement, puisqu’ils n’ont plus besoin de branchements supplémentaires, le compteur mesurant l’énergie dans les deux sens.

S’agissant des investissements, le dispositif initialement créé pour relier ces nouveaux moyens de production en réseau était relativement sommaire : le premier arrivé était le premier servi. Depuis quelques années existe un système pour mutualiser les coûts : les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3RENR). Un appel à projets a été lancé, afin de dimensionner les ouvrages à réaliser et de déterminer une quote-part, de sorte que chacun paie la même part du poste source des ouvrages mis en commun. Cela permet d’assurer un traitement équitable et un développement harmonieux des parcs éoliens. Dans le passé, le principe de la priorisation a suscité des contentieux : c’étaient les places qui ne coûtaient pas cher qui étaient préemptées. Le système actuel des S3RENR fonctionne assez bien et est relativement vertueux, en permettant de disposer d’une vision à assez long terme, de mutualiser les coûts et de loger chacun à la même enseigne.

Avec nos amis de RTE, nous publions chaque année, vers le mois d’avril, l’état technique et financier des S3RENR. Ce bilan permet de s’assurer que la part payée par les producteurs correspond bien aux investissements faits par les gestionnaires de réseau. En 2018, nous avons investi environ 240 millions d’euros pour raccorder l’ensemble des énergies renouvelables. Pour respecter la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui fixe, à l’horizon de 2028, une augmentation de 10 gigawatts pour l’éolien et de 9 gigawatts pour le solaire – de 25 à 34 –, nous pensons doubler notre capacité d’investissement, afin de relier progressivement les parcs. Actuellement, nous relions un peu plus de 2 gigawatts par an, et devrions arriver aux alentours de 5 gigawatts en 2028.

Parallèlement à l’intégration des énergies renouvelables, nous allons assister, dans les prochaines années, à l’émergence du véhicule électrique, qui nous permettra d’optimiser notre réseau ; car si une voiture électrique est une source de consommation, c’est aussi un stockage sur roues. Un plan d’investissement dédié est prévu.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, Enedis dépense environ 1 milliard d’euros par an pour connecter ses clients, essentiellement dans le cas de constructions neuves. L’an dernier, nous avons accueilli environ 370 000 nouveaux clients. Sur ce milliard, nos clients bénéficient d’une réfaction de 40 %, ce qui leur permet de ne pas payer la totalité du raccordement. En revanche, pour les énergies renouvelables, la réfaction est plafonnée à 5 mégawatts. Nos investissements dans les raccordements, en soutirage ou en injection, entrent dans la base active régulée (BAR). Le TURPE rémunère ensuite – insuffisamment – nos actifs selon un certain taux, ce qui permet de calculer le revenu total autorisé du distributeur. Les paiements des clients sont bien évidemment déduits du tarif : la CRE veille à ce que nous ne soyons pas rémunérés deux fois pour un investissement que nous n’avons pas payé en totalité.

Certains S3RENR ont été rapidement saturés, dans les Hauts‑de‑France et en Champagne‑Ardenne, par exemple. Plusieurs générations de S3RENR, qui s’inscrivent dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), sont apparues, afin de répondre aux besoins. Avec RTE, nous continuons de participer à leur élaboration. Nous souhaitons élaborer un mécanisme, pour disposer d’une visibilité à plus long terme. Les S3RENR ont une durée de vie assez courte, dans la mesure où ils sont très vite saturés. Or, pour construire ou consolider une ligne de transport, les chantiers durent de cinq à dix ans.

Enedis développe aussi des solutions « smart ». Comme je vous l’ai dit, 95 % des nouvelles capacités sont reliées au réseau de distribution. Il va falloir, de plus en plus, équilibrer la consommation et la production. Historiquement, pour des raisons technologiques, ce rôle était entièrement dévolu à RTE. Ce sera toujours le cas pour équilibrer la fréquence et la tension sur les lignes HTB et HTB2. En revanche, localement, les quartiers équipés de panneaux photovoltaïques auront besoin d’un équilibrage en temps réel sur le réseau, soit en renforcement, de manière massive, soit grâce à des stockages, des flexibilités ou des mécanismes de marché.

C’est là tout l’intérêt du compteur communicant Linky, qui permet de recueillir l’ensemble des données et de définir les courbes de charge du réseau. Le réseau ayant été construit de manière centralisée pour écouler la production localement, on ne disposait auparavant que de deux points de mesure par an, aux dates de relevé du compteur. La visibilité sur le réseau était alors quasiment nulle. Grâce à Linky, nous pourrons mieux canaliser les électrons, afin de garantir une optimisation maximale du réseau. La semaine dernière, alors que j’étais en Inde, avec notre filiale EDF International Networks, j’ai pu me rendre compte que cette problématique traversait tous les pays. De fait, les compteurs communicants se développent moins pour s’assurer que la facture soit bien payée et économiser le coût du relevé que pour pouvoir piloter l’ensemble du réseau en temps réel.

Enedis a l’ambition d’accompagner tous ses clients dans la connexion des nouveaux parcs éoliens ou photovoltaïques et, pour les particuliers, des panneaux sur leurs toits. L’entreprise souhaite participer au développement de l’autoconsommation individuelle, grâce au compteur Linky, et collective. Il sera en effet possible, pour un immeuble équipé en panneaux photovoltaïques, de disposer de quotes-parts quasiment en temps réel, afin de répondre de façon optimale aux clients souhaitant produire et consommer localement. Enedis a préparé un plan d’investissement pour suivre ces évolutions, aussi bien s’agissant du renouvelable, du véhicule électrique ou du stockage, qui en est à ses balbutiements.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Jourdain, pensez‑vous que les véhicules électriques seront un facteur d’augmentation de pic ou de régulation ?

M. Antoine Jourdain. Il existe différents cas de véhicules électriques. Nous avons signé un partenariat avec la Régie autonome des transports parisiens (RATP) pour les dépôts de bus parisiens. Dans le cas des grosses flottes de bus, il faudra construire des ouvrages pour disposer d’une puissance suffisante. D’autres solutions existent aussi, comme cette technologie du « biberonnage » des bus, sur le trajet, qui s’est développée à Nantes et permet de répartir la consommation.

Pour les véhicules individuels, nous pensons qu’il n’y aura pas besoin de renforcer le réseau. Nous avons fait en sorte que les normes de construction des places de parking respectent un coefficient de 0,4. Lorsque l’on construit un réseau dans une rue, on n’additionne pas les puissances de tous pour dimensionner le réseau à 100 % de la puissance maximale : des coefficients de foisonnement permettent d’optimiser les investissements. À l’exception des parkings souterrains, qui nécessiteront de construire des réseaux, partout ailleurs, cela foisonnera. Des signaux tarifaires permettront de charger la plupart des véhicules la nuit. On pourra même imaginer que, dans un parking, la première source pour recharger une voiture qui aurait absolument besoin de partir le lendemain matin, ce seront les voitures voisines. En additionnant tous ces moyens de foisonnement, il n’y aura pas besoin d’augmenter la puissance. Au niveau très local, cela se fera au cas par cas : si trois dépôts de véhicules électriques sont implantés dans un rayon de 500 mètres, il y aura sans doute besoin de construire un équipement adapté.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il faudrait donc éviter que tous les réseaux de bus électriques soient au même endroit de la métropole, mais les étaler dans les espaces ruraux.

M. Antoine Jourdain. Les dépôts de bus à Paris ne sont pas tous situés au même endroit.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Même s’il est encore tôt, quel bilan faites-vous de l’installation du compteur Linky, au regard des perspectives qu’il était censé ouvrir ?

M. Antoine Jourdain. Aujourd’hui, nous comptons environ 400 000 clients équipés d’installations individuelles de panneaux photovoltaïques, dont un peu plus de 30 000 sont en autoconsommation. Le compteur permet à ces clients de faire des économies directes sur leur facture. Un peu plus de 17 millions de compteurs ont été installés, en deux ans et demi. L’un des leviers du business plan de Linky était de réduire les pertes en électricité et de diminuer certaines interventions – lors d’un déménagement ou d’un emménagement, par exemple.

Des économies plus difficiles à chiffrer se font également jour, grâce à une observation du réseau en temps réel. Auparavant, nous ne disposions que d’une modélisation, sans jamais mesurer réellement ce qui se passait. Par conséquent, le réseau était ou surdimensionné ou sous-dimensionné. Maintenant que l’on dispose de données, on voit que l’on est globalement bien dimensionné. Mais cela permet aussi, dans le cas de nouveaux investissements, de trouver d’autres solutions, de demander, par exemple, à des gens de s’effacer – selon un système du type des « heures creuses », qui contribuait à une optimisation très importante du réseau électrique – et donc de différer des investissements. L’avantage du compteur par courant porteur en ligne (CPL), c’est qu’il traverse le réseau. Un réseau souterrain qui commence à vieillir envoie certains signaux avant de tomber en panne. En voyant apparaître les surtensions, nous pouvons prévenir des pannes – un avantage difficile à chiffrer.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pourriez-vous nous préciser la part de déperdition d’énergie sur le réseau ? Dans quelle mesure Enedis peut-elle fournir des informations utiles, de sorte à mener des politiques régionales différenciées ? Enfin, de quelle façon les nouveaux outils du réseau intelligent nous permettront-ils de mieux détecter les anomalies de consommation – les ménages en précarité énergétique ou, au contraire, un excès de consommation ?

M. Antoine Jourdain. Pour répondre à la dernière question, les données de nos clients étant confidentielles, nous n’y avons pas accès. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ainsi que d’autres organismes, veillent au respect de cette confidentialité. Les clients, eux, peuvent bien sûr examiner leurs données ou mandater expressément des personnes pour le faire. En revanche, nous pouvons disposer de données par agrégats. Nous travaillons ainsi avec des collectivités locales, pour comparer ces données par quartiers ou par îlots d’immeubles, ou des offices HLM, de manière anonymisée. Nous pouvons leur donner des logiciels d’analyse, même si ce sont surtout les fournisseurs qui le font, afin de démasquer d’éventuels problèmes d’isolation ou d’optimisation, par exemple. Même si le compteur Linky permet d’obtenir des données, nous n’interférons pas dans la vie privée de nos concitoyens.

Enedis est attachée à la péréquation régionale, ce qui exige un travail de répartition des investissements : dans le cadre du nouveau contrat de concession que nous élaborons avec tous les concédants, depuis dix-huit mois, et nous négocions un nouveau cahier des charges, dans lequel nous nous engageons à garantir des niveaux de qualité et d’investissements permettant d’offrir une vision à long terme. Nous avons présenté à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), à la CRE, à France Urbaine et à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) un plan d’investissements pour les vingt prochaines années, afin d’atteindre des niveaux de qualité respectant le décret qualité de 2008 et d’assurer un équilibre territorial.

Si Enedis a une vision globale et centralisée de ce qui lui semble pertinent pour le territoire, la déclinaison locale doit être parfaitement adaptée au terrain, que nous ne connaissons pas concrètement dans notre tour d’ivoire à La Défense. C’est pour cela que les négociations de ce cahier des charges sont menées de façon décentralisée dans les territoires. Quand un territoire souhaite faire du renouvelable ou lancer des projets particuliers, nous en tenons compte et essayons de l’accompagner de manière pertinente. Par exemple, nous travaillons, dans le Centre de la France, sur un projet de stabulations agricoles équipées de panneaux photovoltaïques, sur un réseau qui n’a pas été construit pour faire transiter de grosses puissances.

Quant au taux de perte, il est évalué à 6,5 %.

M. Hervé Pellois. Quel est le ratio entre l’investissement réalisé par Enedis et celui des syndicats départementaux notamment ? Par ailleurs, ces syndicats travaillent-ils tous de la même façon ou certains prennent-ils des initiatives dans le domaine des énergies renouvelables sur leurs fonds propres ?

M. Antoine Jourdain. Ces dernières années, Enedis a investi en moyenne entre 3,2 et 3,3 milliards d’euros par an. Avec le programme Linky, le budget a dépassé les 4 milliards en 2018. Les autorités organisatrices de la distribution d’électricité (AODE), les concédants, investissent par an environ 810 millions d’euros : 21 % du budget concernent les raccordements ; 28 % le renforcement ; 14 % l’esthétisme ; sur les 37 % restants, un tiers correspond aux montants engagés pour enterrer des fils nus, les deux autres à leurs investissements propres. Certaines AODE sont en train de changer de modèle. Par exemple, le syndicat garant du service public de la distribution des énergies en Vendée (SYDEV) développe des fermes éoliennes, en partenariat avec des sociétés d’économie mixte (SEM) et des opérateurs privés. La transition énergétique représente un nouveau relais d’activités pour les concédants.

Leurs rôles sont très variés. Les syndicats urbains ne font pas de travaux : ils nous ont confié la maîtrise d’ouvrage. En milieu rural, les concédants s’occupent essentiellement du raccordement et du renforcement. La ligne est un peu mouvante entre les activités d’Enedis et celles des concédants, ce qui fait l’objet de discussions. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau modèle de concédants, qui prend à cœur la transition énergétique et investit dans ce type d’opérations.

M. Vincent Thiébaut. Ma question concerne l’essor de la production d’énergie photovoltaïque à domicile. Avez-vous le sentiment que les ménages qui font ce choix ont tendance à consommer moins d’énergie ? Par ailleurs, quel est l’impact sur le réseau en cas de surproduction ? Vous avez expliqué que vous pouviez absorber l’énergie produite par les fermes éoliennes, mais qu’en est-il de l’énergie photovoltaïque ?

M. Antoine Jourdain. Vous m’interrogez sur l’investissement photovoltaïque diffus. Quand les particuliers qui posent quelques panneaux photovoltaïques sur leur toit consomment eux-mêmes leur production – et ce sera de plus en plus le cas avec le développement du stockage –, il y a peu d’incidence sur le réseau. Il m’est difficile de dire, en revanche, s’ils ont tendance à réduire leur consommation…

L’autoconsommation pose effectivement des questions. Même si les gens équipés de panneaux photovoltaïques peuvent avoir le sentiment d’être indépendants du réseau, il est néanmoins nécessaire que celui-ci continue d’associer les productions émanant des moyens centralisés, semi-centralisés et diffus, car nous vivons sous des latitudes où le photovoltaïque produit des quantités d’énergie très différentes en été et en hiver. À supposer que les gens construisent des installations photovoltaïques suffisantes pour passer l’hiver à Paris, vous pouvez imaginer le surplus qu’ils auront au mois d’août… Si, en revanche, ils créent des installations en fonction de leurs besoins au mois d’août, ils devront recourir au réseau durant les mois d’hiver, même s’ils ont des moyens de stockage. Le réseau de distribution reste donc un garant essentiel de la solidarité, dans l’espace et dans le temps.

S’agissant des fermes de production, nous cherchons plutôt à renforcer le réseau et à construire des postes sources, sur le modèle de ce qui a été fait pour l’éolien : la production remonte soit sur le réseau de distribution, soit sur le réseau de transport, ce qui permet de l’écouler sur l’ensemble du territoire.

M. Anthony Cellier. Dans le prolongement de l’intervention précédente, je souhaite vous interroger sur le principe de solidarité, qui fonde notre réseau. Pour certains de nos concitoyens, le Graal, aujourd’hui, c’est de consommer l’énergie qu’ils produisent sur le toit de leur maison. Si le phénomène devait se généraliser, quid de la solidarité de notre réseau ? Et quid du TURPE 5 ? Cela m’amène à vous poser une deuxième question. Le TURPE 5 doit vous permettre de faire des investissements en faveur de la transition énergétique. Ce TURPE est-il à la hauteur ? Permet-il à Enedis d’investir autant qu’elle le souhaite ? Enfin, j’aimerais connaître la position d’Enedis concernant le stockage de l’énergie, puisque je crois savoir que vous avez racheté un central de stockage il y a peu.

M. Antoine Jourdain. Aujourd’hui, le tarif, tel qu’il est conçu, comprend une part « puissance » et une part proportionnelle à la consommation. Les Français qui consomment leur propre énergie ne paient plus la part proportionnelle à la consommation : ils sont donc, pour ainsi dire, subventionnés. Nous considérons que cette subvention leur permet de rentabiliser leurs panneaux de stockage. Mais, pour le distributeur, la structure de coût est plutôt liée à la puissance. En effet, une fois que l’on a fait votre branchement et dimensionné le réseau pour que vous puissiez l’utiliser, les coûts sont quasiment identiques, que vous l’utilisiez ou non. Nous militions donc, auprès de la CRE, en faveur d’une augmentation progressive de la part « puissance » dans notre tarif.

Aujourd’hui, la part proportionnelle à la consommation représente 80 % du tarif. En théorie, nous pourrions donc perdre jusqu’à 80 % de nos revenus si tout le monde passait à l’autoconsommation, alors que notre réseau reste le même et a les mêmes missions. Une augmentation progressive de la part « puissance » permettrait de refléter plus justement nos structures de coût.

J’en viens à la question du niveau du TURPE. En tant qu’entité régulée, nous pensons évidemment que le TURPE n’est pas suffisant. Au-delà de la plaisanterie, nous avons eu des discussions avec la CRE sur le taux de rémunération des investissements que nous réalisons : le TURPE est construit de telle façon qu’il prend en compte nos investissements et nos dépenses d’exploitation et qu’il rémunère les coûts de capital. Nous veillons à être de plus en plus efficients, pour que le client ne subisse pas d’augmentation importante de tarif. Même si nous considérons que la rémunération du capital pourrait être améliorée, la méthode fait que plus on investit, plus on est rémunéré, de sorte que si on nous demande, du jour au lendemain, d’investir trois fois plus, on touchera trois fois plus de revenus. La structure nous permet donc d’investir, à partir du moment où nous avons la rémunération du capital qui nous convient.

M. Éric Peltier, membre de la direction financière dEnedis. Le TURPE couvre les charges d’un gestionnaire de réseau efficace. Cela signifie qu’il couvrira nos charges sur la durée. Si nous faisions trois fois plus d’investissements, cela pourrait perturber nos équilibres financiers à court terme, car nous aurions une avance de trésorerie trois fois plus importante à réaliser vis-à-vis du tarif. Or nous sommes rémunérés sur la durée de vie des ouvrages, qui est de quarante ans en moyenne. Mais nous assurerons la couverture de nos charges en tant que gestionnaire de réseau efficace.

M. Antoine Jourdain. Aujourd’hui, Enedis a une situation financière saine, au sein d’un groupe dont vous connaissez la situation. Le plan d’investissement qu’Enedis a soumis à la CRE et à l’ensemble des parties prenantes prévoit une trajectoire d’investissement qui est parfaitement soutenable et qui correspond aux besoins de la PPE. Si nous considérons que le niveau de rémunération des actifs est insuffisant, en revanche, nous n’avons pas de problème s’agissant de la structure.

M. Éric Peltier. Comme Antoine Jourdain l’a dit tout à l’heure, nous réalisons aujourd’hui près de 4 milliards d’euros d’investissements, ce qui prouve que nous avons une vraie capacité de financement.

M. Antoine Jourdain. Peu d’entreprises, en France, font 4 milliards d’euros d’investissements.

S’agissant du stockage d’énergie, nous n’avons pas racheté d’entreprise de stockage, mais nous faisons effectivement des expérimentations dans ce domaine. La Commission européenne, dans le cadre de ce que l’on appelle le Clean Energy Package, nous interdit pour ainsi dire de pratiquer le stockage parce qu’elle considère, à raison d’ailleurs, que celui-ci peut faire l’objet d’usages multiples : il permet de faire du trading, d’optimiser la courbe de charge des producteurs et il sert au réseau. À partir du moment où il rend plusieurs services, dont plusieurs services marchands, mieux vaut qu’un opérateur mette ces services en location ou qu’il offre une prestation.

Cela étant, nous faisons des expérimentations avec des stockages que nous achetons ou que nous louons, pour nous assurer que nous serons capables d’offrir les services dont nous aurons besoin demain. Par exemple, nous commençons à tester des stockages pour remplacer des groupes électrogènes mobiles en cas de coupure de courant ou pour éviter des travaux de renforcement à des endroits où il faudrait en faire. Nous expérimentons également le stockage pour gérer les surtensions l’été, là où il y a du photovoltaïque, quitte à le déplacer ailleurs pour gérer les sous-tensions l’hiver. Vous le voyez, nous expérimentons tous les modes d’utilisation du stockage susceptibles d’être intéressants pour le réseau, mais nous n’avons pas vocation à être un opérateur de stockage. Cela a été tranché par la Commission européenne.

M. Emmanuel Maquet. Dans le prolongement des questions de mes collègues, avez-vous une idée de ce que coûtera le matériel qu’il faudra connecter à votre réseau pour accueillir l’électricité produite par l’éolien et le photovoltaïque ? Ces énergies étant intermittentes, j’imagine qu’il faut prévoir des moyens spécifiques pour les accueillir.

M. Antoine Jourdain. Nous investissons de l’ordre de 250 millions d’euros par an pour créer des ouvrages, notamment des postes sources, et pour poser des câbles reliant nos installations. Ce montant devrait doubler dans les dix prochaines années. En parallèle, nous avons un grand programme de numérisation de l’ensemble de nos ouvrages, et nos postes sources devraient passer sous IP. Nous avons conclu un contrat majeur avec un opérateur de télécommunications pour installer la fibre dans l’ensemble de nos postes de répartition. Le programme Linky va par ailleurs générer plus de 600 milliards de données par an, ce qui va poser un gros problème de numérisation. Le projet industriel de l’entreprise prévoit un plan d’investissement de 1 milliard d’euros par an pour l’entretien du réseau historique. Nous allons doubler le réseau existant d’une infrastructure de communication – nous ne la créerons pas de toutes pièces, mais nous utiliserons la fibre des opérateurs. Cela nous permettra d’avoir une vision en temps réel de l’ensemble de nos ouvrages. La transition énergétique nous oblige à avoir un pilotage en temps réel, et donc à avoir une vision en temps réel de l’ensemble de notre réseau.

M. le président Julien Aubert. J’aimerais vous poser quelques questions sur le TURPE, dont il a peu été question dans votre présentation. Quelle est la somme perçue annuellement par Enedis au titre du TURPE ?

M. Antoine Jourdain. Cette somme s’élève à 14 milliards d’euros.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous nous indiquer quelle part de cette somme est générée par les frais de raccordement des énergies renouvelables ?

M. Antoine Jourdain. Pour faire simple, nous investissons 250 millions d’euros par an dans l’énergie renouvelable. Avec le mécanisme de réfaction, nous facturons 200 millions d’euros aux clients. L’année suivante, nous déduisons cette somme du TURPE, dans la mesure où nous allons être rémunérés pendant quarante ans pour les 250 millions d’euros que nous avons investis. Chaque année, nous touchons 6,5 % des 250 millions d’euros investis, soit 16 millions d’euros environ. Les 50 millions restants sont directement financés par le TURPE.

M. le président Julien Aubert. Vous dites que 50 millions d’euros sont directement financés par le TURPE. Pour le dire autrement, quand vous procédez au raccordement de vos éoliennes, vous payez 200 millions d’euros et le contribuable, généreusement, donne 50 millions d’euros, via sa facture d’électricité.

M. Antoine Jourdain. Le mécanisme est bien celui que vous décrivez mais, en réalité, la réfaction sur le renouvelable date seulement de 2017 et nous n’avons pas suffisamment de recul.

M. le président Julien Aubert. Vous voulez dire qu’avant 2017, tout était pris en charge par le producteur ?

M. Antoine Jourdain. En effet.

M. le président Julien Aubert. Quelle est cette somme de 16 millions d’euros, qui correspond, dites-vous, à 6,5 % des 250 millions ?

M. Antoine Jourdain. Sur ces 250 millions, nous sommes rémunérés à 6,5 %.

M. le président Julien Aubert. Puis-je traduire votre réponse en disant que le montant pris en charge par le TURPE, c’est-à-dire par la facture d’électricité des Français, pour le raccordement des nouvelles infrastructures d’énergies renouvelables, s’élève à 66 millions d’euros ?

M. Éric Peltier. Nous ne pouvons pas, en l’état, vous donner de chiffres précis. Jusqu’en 2017, les producteurs payaient l’intégralité du coût du raccordement. L’arrêté du 30 novembre 2017 a instauré une répartition des coûts entre les clients, qui paient le TURPE, et les producteurs, en fonction des niveaux de puissance installée. Sur l’année 2018, nous n’avons pas encore le recul nécessaire : certaines grosses affaires n’ont pas donné lieu à réfaction, parce qu’elles étaient antérieures au 30 novembre 2017. Pour vous donner des chiffres, il faut que nous procédions à une instruction beaucoup plus approfondie.

M. le président Julien Aubert. Je vous invite donc à nous fournir, quand vous les aurez, les chiffres de l’année 2018. Pouvez-vous nous indiquer où passe, entre RTE et Enedis, la limite dans l’accès au TURPE ?

M. Antoine Jourdain. Dans les S3RENR, nous avons introduit un système de quote-part. Après avoir estimé le coût de l’ensemble des ouvrages qui devront être réalisés pour construire tel parc éolien à tel endroit, on fixe une quote-part, qui sera la même pour tous les opérateurs – une somme au mégawattheure. Les opérateurs financent donc, à parts égales, l’ensemble du dispositif.

La quote-part, actuellement, est en train d’augmenter : au début, les gens s’installaient surtout dans des zones où les prix n’étaient pas chers, parce qu’il n’y avait pas besoin d’investir dans le réseau. Aujourd’hui, la quote-part est de plus en plus chère, parce que la densification du renouvelable impose le développement et le renforcement du réseau, et ce coût est massivement à la charge des opérateurs. La réfaction ne s’applique pas au-dessus de 5 mégawatts, or une éolienne produit 3 mégawatts, donc un parc substantiel dépasse rapidement cette limite des 5 mégawatts. Globalement, le principe du développement des parcs dans les S3RENR, c’est que les opérateurs ont à leur charge les coûts de réseau pour déployer l’énergie.

M. le président Julien Aubert. Et qu’en est-il de RTE ?

M. Antoine Jourdain. RTE fonctionne à peu près comme Enedis, s’agissant du TURPE. La quote-part définit un prix total, dont une partie revient à Enedis et l’autre à RTE. Ensuite, le même mécanisme tarifaire s’applique.

M. le président Julien Aubert. J’aimerais revenir à la question de notre collègue Anthony Cellier sur le développement de l’autoconsommation. On peut faire le choix d’asseoir le coût du raccordement soit sur la partie variable, soit sur la partie fixe. Or vous avez dit vouloir accroître la partie fixe, afin de garantir le maintien des investissements sur le réseau. Si je comprends bien, le TURPE risque donc d’augmenter. Les gens qui ont fait le choix de l’autoconsommation pouvaient espérer qu’ils allaient réduire très sensiblement leur facture. Or vous voulez facturer plus lourdement l’utilisation du réseau et la puissance. En résumé, quel sera l’effet du développement de l’autoconsommation sur les projections du TURPE ?

M. Antoine Jourdain. On peut voir le TURPE de deux manières. Du point de vue des particuliers, la question qui se pose est : comment optimiser mon TURPE ? Une réponse peut être l’autoconsommation : on ne paie plus la part proportionnelle, mais seulement la partie fixe, qui est relativement faible, ce qui permet de réaliser une économie substantielle. Du point de vue d’Enedis, la question ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes. À partir du moment où quelqu’un se déconnecte ou réduit sa part de TURPE pour le même service, cette charge est reportée sur les autres consommateurs. Nous considérons donc qu’une augmentation de la part « puissance » du TURPE permettrait à chaque client d’avoir une prestation correspondant vraiment au coût qu’il engendre chez l’opérateur. Si l’on augmente la part « puissance », une personne qui pratique l’autoconsommation fera une économie moindre, mais cela signifie aussi que ses concitoyens auront moins payé pour elle.

M. le président Julien Aubert. N’y a-t-il pas, du coup, un risque d’inversion ? Avant, sur une facture de 100 euros, je payais 20 euros pour le transport et 80 euros pour la consommation. À l’avenir, ne risque-t-on pas d’avoir un système où ma consommation ne me coûtera plus rien, mais où le prix du réseau me sera facturé beaucoup plus cher, parce qu’il faut le maintenir et le développer ? Au bout du compte, je paie à peu près la même chose, même si la structuration du tarif est différente. Ce qu’espèrent les gens qui se tournent vers l’autoconsommation, c’est qu’ils n’auront plus à payer leur électricité. Si l’électricité est gratuite mais que le réseau est beaucoup plus cher, l’intérêt sera limité pour eux…

M. Antoine Jourdain. C’est bien pour cela que tout est dans la nuance. Aujourd’hui, la répartition est de l’ordre de 20 % pour la puissance et 80 % pour la consommation. Nous souhaiterions un rééquilibrage du côté de la puissance. Dans certains pays, la part « puissance » est à 100 %. Nous ne parlons ici que de la part du TURPE, mais il ne faut pas oublier la part du fournisseur. Le tarif que nous appliquons est proportionnel au nombre d’électrons qui passent dans votre compteur, mais votre fournisseur vous facture aussi quelque chose. Le fait que la part proportionnelle à la consommation soit forte aujourd’hui incite à développer l’autoconsommation. Si elle n’était qu’une partie variable, l’incitation serait moins forte, puisqu’on n’économiserait que sur la partie des fournisseurs. C’est une question de politique publique : en tant qu’opérateur industriel, nous pensons qu’il est préférable que le système reflète au plus près le coût économique et industriel. Mais il n’est pas question de passer brutalement de la répartition actuelle à un tarif où la puissance représenterait la totalité du coût.

M. le président Julien Aubert. Je comprends de la structuration du TURPE et de la rémunération des actifs que si l’adaptation du réseau aux nécessités de la transition énergétique nécessite une explosion de vos investissements, même si vous avez aujourd’hui des finances saines, vous seriez obligés d’engager des frais extrêmement importants, qui seraient certes lissés sur quarante ans, mais qui déséquilibreraient trop vos comptes. On serait donc obligé d’augmenter le TURPE ou, en tout cas, de trouver un moyen de vous rémunérer pour les investissements que vous auriez réalisés. Pour le dire autrement, la structuration actuelle du calcul du TURPE est valable pour une transition énergétique douce et modérée, pas pour une révolution brutale du système.

M. Antoine Jourdain. C’est parce que nous nous sommes posé cette question que nous avons construit, avant même l’adoption de la PPE, un plan de développement jusqu’en 2035, qui intègre les deux éléments majeurs que sont le raccordement des EnR et le développement des véhicules électriques. Ce plan a été validé par notre conseil de surveillance et nous estimons que la structuration financière d’Enedis et du groupe devrait nous permettre de réaliser ce plan. Nous avons fait 4 milliards d’euros d’investissements l’année dernière. La part du renouvelable était de 239 millions d’euros et nous pensons doubler cette somme pour passer à plus de 500 millions d’euros par an : sur un investissement global de 4 milliards, c’est tout à fait raisonnable.

M. Éric Peltier. S’il y avait une inflexion majeure en termes d’investissement, il est exact que le TURPE lui-même ne permettrait pas d’assurer l’autofinancement des investissements d’Enedis. Nous serions probablement obligés, sur certains projets, de trouver d’autres financements.

M. Antoine Jourdain. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons voulu nous projeter à long terme, avec le plan de développement que j’ai évoqué, pour nous assurer que notre structure de financement était saine et nous garantissait une viabilité à long terme.

M. le président Julien Aubert. Le rapport de Michel Derdevet évalue-t-il ce coût ? Je songe à son analyse sur le dimensionnement des réseaux électriques intelligents
– smart grids – par rapport à la transition énergétique et sur le surcoût que cela implique. Avez-vous des données financières sur ce sujet ?

M. Antoine Jourdain. Son étude, de mémoire, était globale et portait sur toute l’Europe. Pour notre part, nous avons une étude réalisée en interne qui a été validée par le conseil de surveillance, qui comprend des représentants de l’État, notamment de l’Agence des participations de l’État (APE).

M. le président Julien Aubert. Si vous pouviez nous transmettre ce document, nous serions curieux d’en prendre connaissance.

Vous vous êtes montré très optimiste au sujet du véhicule électrique, mais il nécessite un maillage en bornes électriques plus dense que celui des pompes à essence, puisqu’il faut pouvoir recharger son véhicule électrique en tout point du territoire. Dans les zones pavillonnaires, on peut installer un dispositif spécifique, mais c’est impossible dans les zones d’habitat collectif. Avez-vous mesuré l’impact que peut avoir, sur la gestion du réseau, l’essor du véhicule électrique ? Avez-vous chiffré le coût de l’investissement que représentera, pour Enedis, un vrai plan d’infrastructure garantissant que, de Dunkerque à Marseille, on puisse circuler en voiture électrique et trouver, en moins de vingt minutes, un point de charge ?

M. Antoine Jourdain. Pour faire simple, le logement, en France, est à 50 % individuel et à 50 % collectif. Dans les logements individuels, il est relativement simple d’installer une borne électrique et cela n’implique pas de modifications du réseau. Dans les logements collectifs, il y a un vrai chantier à mener, qui sera assez complexe, pour assurer une sorte de « droit à la prise » pour chaque occupant d’une place de parking.

J’en viens aux prises sur la voie publique. Les prises de charge rapide demandent des appels de puissance assez importants : au bord de l’A6, par exemple, dans une station qui compte vingt-cinq pompes à essence, il faudrait qu’on trouve, d’ici une quinzaine d’années, une trentaine de stations de recharge électrique, ce qui suppose des appels de puissance assez importants. Nous sommes en train d’y travailler avec les opérateurs. Ceux qui sont un peu malins préemptent déjà les endroits où il y a de la puissance disponible pour pas cher. Nous avons chiffré l’ensemble des investissements pour la part du réseau Enedis, en faisant l’hypothèse qu’il y aurait 9 millions de voitures en 2035. On considère qu’on doit investir environ 350 millions d’euros par an à l’horizon 2035, sachant que l’essor du véhicule électrique est très difficile à prévoir. Nous avons fait plusieurs scénarios, mais celui que nous avons retenu pour l’instant prévoit 1 million de véhicules à la fin de l’année 2022. Nous avons prévu les investissements nécessaires, qui financeront essentiellement le raccordement de soutirage chez les clients et l’installation de bornes sur la voie publique. Les bornes, elles-mêmes, ne seront pas à la charge d’Enedis : nous mettons à disposition les raccordements, qui permettent aux gens de brancher une borne.

M. le président Julien Aubert. Nous nous reverrons sans doute au cours de cette commission d’enquête pour aborder d’autres sujets, mais je ne peux pas résister au plaisir de vous poser une dernière question sur les compteurs Linky, puisque notre commission porte aussi sur l’acceptabilité de la transition énergétique. Sur les 17 millions de Français qui ont un compteur Linky, combien ont accepté de transmettre leurs informations à Enedis, au-delà de ce qui est nécessaire pour permettre un pilotage intelligent de la consommation ?

M. Antoine Jourdain. Je suis désolé, mais je ne connais pas ce chiffre. Du reste, le système a changé et, a priori, il n’est pas nécessaire de demander leur accord aux gens. Il vaut mieux que je revienne vers vous, car je crains de vous dire des bêtises.

M. le président Julien Aubert. Voilà qui justifiera peut-être une seconde audition, pour faire le point sur les dépenses et sur l’acceptabilité.

Je vous remercie, messieurs, pour ces explications concrètes, précises et techniques. Je vous remercie par avance de nous transmettre les réponses dont vous ne disposiez pas aujourd’hui. Ce qui nous intéresse, c’est de comprendre quelle part de ce qui est prélevé au nom du TURPE pour Enedis vient financer les énergies renouvelables. Quelle est la dynamique de cette part et que peut-on prévoir à l’horizon de cinq ou dix ans ?

Laudition sachève à vingt heures trente-cinq.

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5.   Audition, ouverte à la presse, de MM. Matthieu Deconinck, chef du bureau D2 à la direction de la législation fiscale (DLF), et Michel Giraudet, adjoint au chef du bureau D2 ; et de MM. Sylvain Durand, chef de bureau, et Olivier Dufreix, adjoint au chef du bureau du développement durable à la direction du budget, au ministère de l’action et des comptes publics (26 mars 2019)

Laudition débute à dix-sept heures vingt.

M. le président Julien Aubert. Nous commençons cette séance avec retard et je vous prie de nous en excuser. C’est évidemment à mettre sur le compte du Gouvernement et de la majorité, qui n’ont pas su maîtriser l’ordre du jour !

Nous sommes très heureux d’accueillir aujourd’hui des responsables du ministère de l’économie et des finances : MM. Matthieu Deconinck et Michel Giraudet, qui représentent la direction de la législation fiscale (DLF), et MM. Sylvain Durand et Olivier Dufreix, du bureau du développement durable à la direction du budget (DB).

Les thématiques fiscales et parafiscales relèvent sans conteste du champ de réflexion de notre commission d’enquête, qui examine actuellement le chapitre des recettes, autour d’une question principale : que prélève-t-on au nom de la transition énergétique ?

Les montants et affectations de la « taxe carbone », ou plus précisément de la contribution climat énergie, ont été à l’origine du mouvement social que nous connaissons et dont les impacts vont sans doute bien au-delà de la seule expression des « gilets jaunes ».

Nous avons déjà auditionné des représentants d’EDF, puis d’Enedis. Dans le cadre de nos échanges, ont notamment été évoquées les questions de la contribution au service public de l’énergie (CSPE) et du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), mais aussi des recettes et dépenses transitant par le compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », ainsi que la question des mécanismes de compensation par l’État des charges de service public de l’énergie à EDF.

Créé par la loi de finances rectificative pour 2015, le CAS « Transition énergétique », que j’ai eu le plaisir de rapporter en commission des finances, se décompose en deux programmes : les programmes 764 « Soutien à la transition énergétique » et 765 « Engagements financiers liés à la transition énergétique ». Il sert principalement de support budgétaire au soutien aux énergies renouvelables (EnR) électriques : 5,3 milliards d’euros leur sont ainsi consacrés, soit les trois quarts de la dotation du CAS pour 2019.

Par ailleurs, d’importantes dépenses fiscales sont à prendre en compte, qu’il s’agisse du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) ou de l’éco-prêt à taux zéro (éco‑PTZ).

La Cour des comptes, dont nous entendrons également des représentants, a émis des appréciations critiques sur différents aspects de cette politique fiscale. Je ne doute pas, messieurs, que vous allez nous apporter des précisions d’ordre technique sur le fonctionnement d’une construction budgétaire et fiscale dont, pour reprendre les termes de la Cour des comptes, la lisibilité n’est pas toujours évidente.

L’une des premières préoccupations de la commission d’enquête est d’évaluer les résultats de la politique fiscale dans leur dimension économique, mais aussi sociale. Vous nous direz, je l’espère, comment la trajectoire fiscale s’inscrit en cohérence avec les grandes lignes de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

L’exercice semble a priori compliqué s’il s’agit d’engager une mutation de la fiscalité de l’énergie, traditionnellement fondée sur le volume de consommation des produits fossiles, vers une fiscalité dite « climatique et environnementale » en révisant les actuelles modalités de financement des énergies renouvelables tout en accentuant les moyens de lutte contre la pollution de l’air.

Nous allons, messieurs, commencer par écouter votre exposé liminaire. Celui-ci ne doit pas dépasser quinze minutes. Cependant, nous sommes toujours déférents vis-à-vis de l’État et si vous avez besoin, pour la bonne compréhension des représentants de la Nation que nous sommes, de dépasser cette durée, nous accéderons avec plaisir à votre demande.

Puis Mme Meynier-Millefert, en sa qualité de rapporteur, vous posera les questions qui la préoccupent, et enfin les membres de la commission d’enquête vous interrogeront. Nous terminerons cette audition par mes propres questions.

Avant de vous laisser la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment.

(MM. Deconinck, Giraudet et Durand prêtent successivement serment.)

M. Matthieu Deconinck, chef du bureau D2 à la direction de la législation fiscale (DLF). Je vous propose de commencer par une brève présentation des impôts qui frappent l’énergie. Nos collègues de la direction du budget cibleront plus spécifiquement les affectations, en particulier en matière d’électricité.

Le point essentiel sur lequel je tiens à appeler votre attention est que la fiscalité énergétique, notamment celle qui touche la consommation d’électricité, est harmonisée au niveau européen. Les deux impôts indirects les plus importants, y compris en termes de rendement, sont donc encadrés par des directives du Conseil européen. Ce sont, d’une part, le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et, d’autre part, le régime général d’accise, qui définit un cadre commun pour les tabacs, les alcools, les produits énergétiques et l’électricité.

Ce cadre harmonisé emporte trois conséquences principales. La première est l’obligation pour les États membres, au regard du droit européen, de prévoir des impôts sur ces différentes matières. La deuxième est que la mécanique de l’impôt – le fait générateur, l’exigibilité, les assiettes, les règles de déductibilité, etc. – est intégralement harmonisée et intangible. La troisième, enfin, est que le pouvoir de taux des États membres est limité, et ce de plusieurs manières : pour le nombre de tarifs différents, mais aussi pour les activités et les produits éligibles au tarif réduit. Des minimums de taxation sont également prévus. Ces différentes limitations valent pour la TVA et le régime général d’accise, notamment pour la taxation de l’énergie, produits pétroliers et électricité. Sauf exceptions minimes, sur lesquelles je reviendrai si vous le souhaitez, le produit des recettes de ces impôts n’est pas, quant à lui, encadré par le droit européen.

L’exigence de compatibilité avec le droit européen est une source de contentieux particulièrement importante et d’une jurisprudence abondante de la Cour de justice de l’Union européenne, qu’il s’agisse du droit dérivé, donc des règles spécifiques que je viens de mentionner, ou du droit primaire, à savoir les aides d’État, les impositions discriminatoires et les grandes libertés. Parmi les questions soumises à la direction de la législation fiscale, celle de savoir s’il est possible de prévoir tel tarif réduit en faveur de tel produit ou de tel usage, prévaut donc généralement.

Dans le cadre du droit européen harmonisé, l’état du droit national est, comme vous l’avez souligné, monsieur le président, quelque peu complexe puisqu’il existe, en matière de fiscalité énergétique, une multiplicité d’outils fiscaux visant à le transposer.

Pour les carburants et les combustibles, ce sont les fameuses taxes intérieures de consommation (TIC), au nombre de quatre : la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), la taxe intérieure de consommation sur les houilles, lignites et cokes, dite taxe intérieure de consommation sur le charbon (TICC), la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) et la taxe incitative relative à l’incorporation des biocarburants (TIRIB), cette dernière ayant le mérite de l’originalité, si l’on s’intéresse au soutien aux énergies renouvelables, du fait d’une technique de taxation tout à fait particulière.

En matière d’électricité, l’imposition « maîtresse » est la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), qui continue d’apparaître sur les factures sous le nom de contribution au service public de l’électricité (CSPE). En effet, lorsque la CSPE a été transformée en TICFE, on a maintenu l’ancienne dénomination pour éviter tout choc visuel aux usagers, au détriment d’une certaine clarté et d’une bonne compréhension des outils juridiques.

Trois autres taxes existent en matière d’électricité, avec la même assiette. Ce sont la taxe départementale sur la consommation finale d’électricité (TDCFE), la taxe communale sur la consommation finale d’électricité (TCCFE) et la contribution au Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ).

Au-delà de ces impositions qui frappent la consommation d’électricité, pour un total d’environ 10 milliards d’euros de recettes en cumulé, il existe une taxe sur l’abonnement au réseau électrique, la contribution tarifaire d’acheminement (CTA). Je passe sur l’ensemble des tarifs réglementés, qui ne relèvent pas du domaine de la fiscalité, notamment le TURPE et l’accès régulé au nucléaire historique (ARENH).

Sur le plan strictement fiscal, c’est-à-dire indépendamment des affectations, le soutien aux énergies renouvelables au sein de ces impôts se traduit, tout d’abord pour les carburants et les combustibles, par des tarifs réduits, notamment de TICPE pour les biocarburants, et par l’existence de la fameuse TIRIB, que j’ai mentionnée tout à l’heure.

Pour l’électricité, il n’existe pas de disposition spécifique dans le droit national afin de favoriser explicitement les énergies renouvelables, mais un dispositif de simplification administrative, d’exonération des petits producteurs, relativement fragile sur le plan juridique et régulièrement dénaturé quant à sa finalité. Des travaux sont en cours, en lien avec nos collègues du ministère de l’environnement et les professionnels, pour rendre ce dispositif conforme au droit européen.

Enfin, s’agissant de la TVA, il faut savoir que, pour les carburants et les combustibles, un verrou européen s’applique, avec un taux de 20 % sur l’intégralité du prix de vente, incluant évidemment les taxes intérieures que je viens de mentionner. Pour l’électricité, nous avons la possibilité de recourir à un taux réduit, possibilité que nous activons partiellement en droit national pour les abonnements au réseau électrique, mais pas pour les consommations. Pour un coût total de 400 millions d’euros, un taux de 5,5 % est appliqué aux abonnements à la fourniture d’électricité, les consommations étant quant à elles taxées à 20 %.

Je précise qu’à la suite d’une clarification de la jurisprudence par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le fait d’appliquer deux taux différents à une seule et même offre soulève des questions sur le plan juridique au regard du fonctionnement de la TVA.

Pour conclure sur les grands principes, et avant de laisser la parole à mon collègue pour un bref historique de la fiscalité de l’électricité, je rappellerai que le principe de neutralité fiscale de la TVA s’oppose, en théorie, à recourir à des taux différenciés pour favoriser l’énergie à raison de son origine renouvelable ou non. Le principe de neutralité fiscale impose en effet de traiter de manière identique des produits qui répondent aux mêmes besoins directs pour l’acheteur.

M. Michel Giraudet, adjoint au chef du bureau D2 à la direction de la législation fiscale (DLF). Je vous propose de prendre l’histoire en marche en 2003. Cette année-là, avec l’adoption de la directive « Énergie » 2003/96/CE, le législateur communautaire a donné à la France jusqu’au 1er janvier 2009 pour mettre sa fiscalité de l’électricité en conformité avec le droit européen. Quelle était la fiscalité française de l’électricité à l’époque ? Jusqu’en 2009, elle consistait essentiellement dans les taxes locales sur l’électricité, départementale et communale, et le FACÉ. La CSPE, créée au mois de janvier 2003 et présentée à la Commission européenne comme une taxe à finalité spécifique, n’était pas intégrée au paysage fiscal. Elle se trouvait en dehors du champ de l’accise harmonisée communautaire.

En 2009, comme l’on pouvait s’y attendre, la fiscalité française de l’électricité n’était toujours pas conforme au droit européen. Seule la menace d’un contentieux communautaire a conduit le Gouvernement, à l’occasion de la loi sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », à procéder, en juillet 2010, à la mise en conformité du droit français. Pour la petite histoire, la France a été condamnée par un arrêt en manquement de la Cour de justice du 25 octobre 2012 pour non-transposition des dispositions de l’article 18 de la directive.

Dans la loi NOME, un article a donc été adopté pour appliquer les normes communautaires aux deux taxes locales, départementale et communale, en termes de fait générateur, d’exigibilité, de champ, de redevables et d’exonération. Cet article ne touche pas à la taxe FACÉ, dont il n’est même pas question de la mettre en conformité, et oublie la CSPE.

Pour les deux taxes mises en conformité, la loi NOME trouve toutefois opportun de maintenir aux collectivités locales un pouvoir de délibération. Ce faisant, elle crée une fragilité juridique assez forte au regard du droit communautaire puisqu’en matière de fiscalité de l’énergie la directive impose un taux par produit. Or, si l’on laisse un pouvoir de délibération aux collectivités locales, pour la consommation des ménages comme pour la consommation des entreprises, il y a autant de tarifs que de collectivités locales délibérantes.

Pour le moment, la Commission a accepté de ne pas regarder ce sujet de trop près, dans la mesure où la France est capable de lui garantir légal accès des fournisseurs au marché, car la question sous-jacente est bien celle-là. Plus laccès des fournisseurs étrangers est difficile, plus la Commission considère les dispositifs nationaux dun mauvais œil. Plus laccès au marché est facile, au contraire, plus elle a tendance, dès lors que les consommateurs sont captifs sur le réseau national, à admettre les délicatesses avec la directive.

La loi NOME a eu une deuxième conséquence. Elle a créé, à côté des deux taxes locales, une petite taxe nationale appliquée uniquement sur l’électricité consommée sous une puissance de 250 kilovoltampères (kVA).

Tel était l’état du droit après la mise en conformité communautaire. L’évolution suivante a porté sur la CSPE. Cette taxe souffrait d’une fragilité juridique très forte dans la mesure où elle a été affectée au soutien de la solidarité territoriale et de la Caisse des dépôts et consignations après avoir servi à financer les énergies renouvelables. Elle a donc été attaquée et fait l’objet de nombreux contentieux, le dernier ayant porté sur sa conformité à la directive. L’arrêt de la Cour du 2 juillet 2018 a validé, dans la CSPE, la fraction relative aux énergies renouvelables, mais l’a invalidée pour les autres charges de service public exposées, notamment l’interconnexion et la cohésion territoriale.

Anticipant cet arrêt, le Gouvernement a décidé en 2015 de supprimer la CSPE dans le code de l’énergie et de créer à la place la TICFE. La taxe nationale sur l’électricité a été étendue à toutes les consommations d’électricité. Son champ a ainsi été mis en parfaite conformité avec la directive, au regard du redevable, du fait générateur, de l’exigibilité, des exonérations et même des tarifs réduits, puisqu’on a intégré dans la taxe un grand nombre de tarifs réduits au profit des entreprises intensives en énergie.

Depuis 2016, la fiscalité nationale de l’électricité se base sur l’addition de deux dispositifs qui n’en font qu’un en droit européen : d’une part, les taxes locales, communale et départementale, sur l’électricité, dont le tarif maximum est d’environ 9 euros par mégawattheure ; d’autre part, la TICFE, dont le tarif est de 22,50 euros par mégawattheure (MWh). Pour un consommateur français, le tarif total de la taxe sur l’électricité s’élève donc à une trentaine d’euros par mégawattheure.

Les autres taxes sur l’électricité, qui portent directement ou indirectement sur la consommation finale d’électricité, n’ont pas été mises en conformité. La survie de la taxe FACÉ dépend d’un éventuel dépôt de plainte, qui ne manquerait pas d’entraîner son annulation par la Cour de justice.

M. Sylvain Durand, chef du bureau du développement durable à la direction du budget. Afin de vous présenter les financements en faveur de la transition énergétique, je vais devoir sans doute solliciter un léger dépassement des quinze minutes réglementaires.

J’aimerais rappeler, avant de détailler le fonctionnement du CAS « Transition énergétique », que le budget du ministère de la transition écologique et solidaire – environ 34 milliards d’euros en incluant le budget des transports – recouvre un grand nombre de financements qui concourent, de façon directe ou indirecte, au financement de la transition énergétique.

Outre le financement des charges de service public de l’énergie, dont nous allons parler dans quelques instants et qui atteint 8 milliards d’euros en 2019, un grand nombre de dispositifs constituent des leviers pour agir. Je pense notamment à la prime à la conversion, portée par le budget général, qui représente 600 millions d’euros en 2019, mais aussi au bonus-malus automobile et à la prime à la casse, soit 264 millions d’euros, ou encore à l’intervention de plusieurs opérateurs, tels que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), dont le budget s’élève à 650 millions d’euros. D’autres ministères concourent enfin à cet objectif, notamment le ministère du logement et l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Il faut enfin mentionner un grand nombre de dépenses fiscales, dont l’une des plus emblématiques est le CITE.

Le financement de la transition énergétique, assez vaste et fourni, est synthétisé de manière transversale dans un « jaune » budgétaire dédié et annexé au projet de loi de finances. Conformément à la volonté de la représentation nationale exprimée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, ce jaune a vu ses ambitions revues à la hausse et il a été étendu. Dès le projet de loi de finances pour 2020, vous disposerez donc non seulement d’une revue complète des dépenses afférentes à la transition énergétique, mais un accent nouveau sera porté sur les impacts de la fiscalité écologique vis-à-vis des ménages et des entreprises.

Sans revenir dans le détail sur la CSPE, appliquée entre 2003 et 2015, j’aimerais souligner que ce mécanisme présentait quelques écueils, de notre point de vue. Outre les difficultés qui viennent d’être rappelées s’agissant de sa conformité au droit européen, sources d’incontestables fragilités juridiques, ses dépenses, par un mécanisme d’auto-compensation réalisée directement par les opérateurs, étaient complètement extra-budgétaires. De ce fait, elles échappaient au contrôle et à l’information du Parlement, qui ne votait pas les moyens de cette politique.

Deuxième écueil, le dispositif s’est caractérisé à partir de 2009 par un déficit de compensation chronique pour EDF. La dette, qui a atteint 5,8 milliards d’euros en 2015, a été consolidée dans le déficit public. Son remboursement par l’État a commencé en 2016 et s’achèvera en 2020.

Ces risques juridiques et l’absence de transparence dans le financement des dépenses ont conduit le Gouvernement à réformer le dispositif et à inscrire l’intégralité des dépenses en faveur du service public de l’énergie dans les lois de finances. Il y a donc, d’une part, le soutien aux énergies renouvelables, dont les dépenses figurent au CAS « Transition énergétique », et, d’autre part, le remboursement sur cinq ans de la dette historique à EDF. Dans le même temps, comme cela vient d’être rappelé, la CSPE a été supprimée et la TICFE revue à la hausse.

En 2017, une seconde réforme est intervenue. Alors que la TICFE, mal nommée CSPE sur les factures d’énergie, finançait le CAS, un risque d’interprétation juridique de la part de l’Union européenne, qui pouvait considérer cette affectation de la TICFE aux énergies renouvelables comme un droit de douane, a conduit le Gouvernement à mettre en place une nouvelle affectation. La TICFE a ainsi été affectée au budget général de l’État et à due proportion de la TICPE a été affectée au CAS. La réforme a été parfaitement équilibrée. Le CAS « Transition énergétique » est aujourd’hui financé par des énergies dites carbonées, c’est-à-dire par de la TICPE et par la TICFE affectée au budget général de l’État.

J’insiste sur le fait que cette réforme a permis d’introduire beaucoup plus de transparence dans la budgétisation et dans la programmation des dépenses de soutien aux EnR, et de donner une visibilité annuelle et pluriannuelle au Parlement.

S’agissant des aspects financiers, on ne peut que constater la très forte hausse des dépenses en faveur des énergies renouvelables au cours des dernières années. De 1,5 milliard d’euros en 2011, elles sont passées à 5,4 milliards d’euros en 2019. Elles devraient atteindre environ 7 milliards d’euros en 2022 en fonction des prix de l’énergie.

Cette réforme a par ailleurs permis de stabiliser la fiscalité portant sur l’électricité puisque la TICFE a un tarif fixe depuis 2016, alors qu’il avait très fortement crû au cours des périodes précédentes.

Le Gouvernement a mis en place plusieurs mesures de soutien notables pour les ménages les plus précaires. C’est logique puisque la TICPE, qui porte sur des dépenses des ménages, vient financer la forte hausse des EnR. Le dispositif du chèque énergie a été étendu et concerne désormais près de 6 millions de ménages. La prime à la conversion a été doublée pour les Français les plus touchés par la hausse des prix du pétrole.

J’aimerais, pour finir, expliciter le rôle de la direction du budget. Les compensations de charges pour le soutien aux énergies renouvelables sont fixées par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). La direction du budget est évidemment attentive au suivi des dépenses en matière de transition énergétique. En témoignent les renégociations relatives aux éoliennes offshore qui ont eu lieu l’année dernière. Le Gouvernement veille par ailleurs à ce que, dans le cadre de la PPE, l’accent soit mis sur les filières les plus matures. Enfin, il souhaite que l’on recoure de façon plus systématique aux appels d’offres, ces derniers permettant de garantir une efficience accrue de la dépense dans le domaine du développement des énergies renouvelables.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je vous remercie pour ces présentations. L’avalanche de sigles et de chiffres laisse quelque peu pantois quand on n’est pas spécialiste !

Je commencerai par une question générale. Nous cherchons, dans cette commission, à établir les coûts de l’action publique en matière de transition énergétique, et à savoir comment on prélève et comment on redistribue. Cependant, il me semble nécessaire de nous interroger aussi sur notre capacité à chiffrer les coûts de l’inaction. Parmi les études actuellement menées à différentes échelles, certaines avancent que la pollution de l’air représenterait un coût de 19 milliards d’euros. Une étude américaine a démontré que les problèmes de ventilation dans les bâtiments avaient un effet sur la productivité des personnes qui y travaillent. En matière de rénovation énergétique, l’inaction aurait donc un impact sur la productivité. Une autre étude, celle-là européenne, a montré que laisser vivre des gens dans des logements non rénovés, et donc inadéquats, aurait un coût annuel total de 194 milliards d’euros, sachant qu’il faudrait 295 milliards d’euros pour éradiquer le mal-logement en Europe.

Comme vous le voyez, je tente d’établir des liens entre des éléments que l’on n’a pas l’habitude de recouper. Ce thème de l’inaction m’intéresse tout particulièrement, mais nous pourrons probablement l’aborder lors d’une autre audition. Vous ne disposez sans doute pas de tous les chiffres aujourd’hui.

La question des filières mérite également d’être soulevée. Plus les filières sont vigoureuses en matière d’EnR, plus les retours pour l’État sont importants en termes de taxes. Est-il pertinent, sur le plan budgétaire, de réfléchir sur l’année, sachant que la transition énergétique s’inscrit davantage dans une logique de retour sur investissement que dans une logique d’investissement sec ?

M. Matthieu Deconinck. Sur les externalités négatives, je me permets de vous renvoyer à la direction générale du Trésor et au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), dont l’activité consiste en grande partie à effectuer ce type de chiffrage. À la DLF, comme je pense à la direction du budget, ce n’est absolument pas notre métier.

Quant à votre seconde question, j’y répondrai en soulignant l’importance qu’accordent aux trajectoires les fiscalistes et les « budgétaires ». Une vision court-termiste n’est pas adéquate. Pour des raisons politiques évidentes, il est souvent compliqué de se projeter à plus de cinq ans, mais il arrive que cela soit possible. Le dernier projet de loi de finances a ainsi permis d’adopter une trajectoire particulièrement ambitieuse en matière de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). La modification de la fiscalité qui a été décidée ne doit d’ailleurs pas entrer en vigueur immédiatement. La hausse des taxes intérieures de consommation, qui comprend la hausse de la composante carbone et le rattrapage de la fiscalité du gazole sur celle de l’essence, sera également appliquée dans la durée.

De manière générale, pour des impôts aussi lourds et aussi essentiels pour l’orientation des comportements, le message que nous essayons de faire passer est celui de la visibilité et de la lisibilité pour les acteurs économiques. Ce principe a d’ailleurs été repris par la représentation nationale lors de l’adoption, dans le cadre du dernier projet de loi de finances, de la taxe sur les gaz réfrigérants contenant des hydrofluorocarbures (HFC), puisque celle-ci n’entrera en vigueur qu’à compter de 2021.

Mme Bénédicte Peyrol. Pourriez-vous revenir sur le passage de la CSPE à la TICFE et préciser les montants et les transferts correspondant à cette opération ? Nous avons compris que la CSPE revenait pour partie dans le budget général et que la TICFE avait été créée pour respecter la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, mais je vous remercie de bien vouloir nous apporter des explications supplémentaires.

Vous avez peu abordé la contribution climat énergie (CCE) dans vos interventions. Il me paraît important, dans cette commission d’enquête, de comprendre quel est son suivi dans le budget de l’État. On sait que la TICPE est un véhicule pour porter cette mesure fiscale, mais quelle est la part de la contribution climat énergie dans le budget de l’État ? Nous devons nous poser la question, même si nous avons d’ores et déjà compris qu’il est difficile d’y répondre, les organisations non gouvernementales (ONG) ne disposant pas des mêmes chiffres que les parlementaires. Le suivi de la contribution climat énergie est compliqué car on la calcule en proportion des émissions de dioxyde de carbone (CO2) propres aux différentes énergies. Comment donc, au sein du budget de l’État, parvenez-vous à en assurer le suivi et à obtenir des chiffres clairs ?

Sur les dépenses, les Français qui suivent cette audition, et je sais qu’ils sont nombreux, doivent éprouver quelques difficultés à comprendre. Il est compliqué d’être pédagogue et intelligible sur ce sujet. J’aimerais, pour ma part, revenir sur le jaune « Financement de la transition énergétique ». Ce document est très intéressant, mais il ne permet pas de donner une vision claire des financements. Or, l’objectif de notre commission d’enquête est de rendre acceptable à la fois la fiscalité et les dépenses. Ne serait-il pas possible de disposer d’un tableau synthétique sur les recettes et les dépenses ? L’amendement que j’ai déposé sur le suivi des dépenses de la transition écologique poursuivait précisément cet objectif de simplification. Nous voulons que les Français puissent se référer facilement aux différents documents.

J’aimerais, je vous l’avoue, comprendre comment vous travaillez. Êtes-vous venus avec des chiffres ? Vous avez donné quelques éléments sur le CAS « Transition énergétique » et sur le budget du ministère de la transition écologique, mais pourriez-vous entrer dans le détail, à l’occasion de cette audition, et préciser les dépenses que vous identifiez comme expressément destinées à la transition écologique ?

M. Matthieu Deconinck. Le passage de la CSPE à la TICFE s’est déroulé en deux étapes, l’une fiscale et l’autre budgétaire. Je laisse la parole à Michel Giraudet pour la première. La direction du budget pourra ensuite revenir sur la seconde, qui concernait purement les affectations.

M. Michel Giraudet. La CSPE était inscrite dans le code de l’énergie, qui contenait d’ailleurs très peu de chose. Le mécanisme de la taxe – le fait générateur, l’exigibilité, le redevable – était exposé dans un décret du Conseil d’État. Le dispositif posait de graves questions au plan constitutionnel comme au plan européen. Excepté l’assiette du mégawattheure, la CSPE n’avait rien de commun, en effet, avec la directive « Énergie ».

Quand le Gouvernement a pris la décision d’abandonner la CSPE en raison des risques qu’elle présentait, son montant s’élevait à 19,50 euros. Comme l’ont rappelé nos collègues du budget, la CSPE augmentait automatiquement tous les ans de 3 euros, et ce pour une seule et simple raison : l’arrêté proposé par la CRE pour augmenter les prix en fonction de l’évolution réelle des charges n’était jamais signé par le ministre. Le tarif augmentait donc mécaniquement, afin d’éviter un écart trop important entre le montant des charges à financer et le montant des recettes perçues.

M. le président Julien Aubert. Vous nous expliquez donc que cette quasi-taxe augmentait naturellement sans que l’exécutif n’intervienne.

M. Michel Giraudet. La CRE proposait une augmentation de la taxe en fonction du calcul des charges exposées par les opérateurs. Le chiffre proposé devait faire l’objet d’un arrêté. À défaut de signature, la taxe augmentait mécaniquement de 3 euros.

Mme Laure de La Raudière. La proposition de la CRE était-elle supérieure ou inférieure à ces 3 euros ? Pendant combien de temps cette situation a-t-elle duré ?

M. Michel Giraudet. Je ne saurais répondre à votre seconde question. À la DLF, nous ne sommes pas gestionnaires de la CSPE. Quant aux charges calculées par la CRE, elles auraient certainement été supérieures au montant de l’augmentation automatique, celle-ci ne faisant que limiter la créance de certains opérateurs vis-à-vis de l’État, en particulier la créance d’EDF.

En 2016, le Gouvernement a décidé de transformer la CSPE, dont on ne comprenait plus très bien son fonctionnement juridiquement, en une accise conforme au droit communautaire. La mécanique de la taxe a été intégralement harmonisée et mise en conformité, et le tarif a été augmenté de 3 euros. Le montant de la CSPE en 2015 aurait été strictement le même que celui de la TICFE en 2016 si la TICFE n’avait pas remplacé la CSPE. On est ainsi passé de 19,50 euros à 22,50 euros. Depuis, le tarif de la TICFE n’a plus bougé.

M. le président Julien Aubert. Passons maintenant au volet budgétaire du passage de la CSPE à la TICFE.

M. Sylvain Durand. Je tiens tout d’abord à dire que je souscris entièrement aux propos qui ont été tenus sur la nécessité d’une plus grande lisibilité. La complexité des différents financements en matière de transition énergétique est réelle. Avant l’amendement de l’année dernière, il n’existait pas moins de trois jaunes budgétaires et un document de politique transversale, soit quatre documents budgétaires qui, mis bout à bout, rendaient difficilement compte de l’ensemble des financements dans ce secteur.

Cette lisibilité que nous appelons de nos vœux est difficile à obtenir pour plusieurs raisons, et tout d’abord parce que les financements sont variés. Il est compliqué d’additionner des soutiens aux énergies renouvelables, des aides directes, et des aides à l’achat de véhicule. Les périmètres varient. Certaines dépenses sont directement en faveur de la transition énergétique, d’autres l’accompagnent et peuvent paraître de prime abord anti-écologiques. Il est donc difficile d’obtenir un montant consolidé et, malheureusement, le diable se cache souvent dans les colonnes et les chiffres en milliards.

Notre principal objectif, après la loi de finances pour 2019, est d’aboutir à un document jaune unique, et je peux vous garantir que nous déployons tous les efforts possibles pour obtenir un document consolidé et lisible.

Quant aux chiffres, je vous remercie de bien vouloir nous préciser lesquels vous intéressent plus particulièrement. Nous disposons en effet d’un grand nombre de données, sur de nombreux périmètres et des années différentes. Je précise toutefois que j’ai additionné, dans mon exposé liminaire, les dépenses en faveur du service public de l’énergie, la prime à la casse, l’ADEME et le CITE, qui me paraissent, dans les grandes masses, les principaux dispositifs que l’on peut labéliser « transition énergétique » dans le périmètre du ministère de la transition écologique et solidaire.

De manière générale, nous constatons que les dispositifs inscrits en loi de finances au titre du budget général de l’État, sont plus lisibles pour les citoyens. Nous l’avons vu avec la réforme de la CSPE. Auparavant, ses montants échappaient complètement au Parlement et aux citoyens, qui ne retrouvaient aucune trace de ce financement dans les documents budgétaires et les débats parlementaires. Les énergies renouvelables se finançaient un peu comme par magie.

Mme Bénédicte Peyrol. Nous aimerions comprendre comment l’État comptabilise ce que rapporte la contribution climat énergie. Je sais que ce n’est pas chose simple, mais pouvez-vous nous expliquer le calcul arithmétique auquel vous procédez ?

M. Matthieu Deconinck. La contribution climat énergie n’a aucune existence juridique et budgétaire, et ceci à dessein.

La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques correspond en réalité au cumul de trois taxes, la TICPE, la TICC et la TICGN. Pour chacune d’elles existent seize catégories de produits, qui répondent aux seize catégories fiscales définies par le droit de l’Union européenne. Les États membres disposent d’une liberté totale pour la fixation du tarif de chaque catégorie. En revanche, ils sont extrêmement limités dans la mise en place de tarifs différenciés au sein de chacune d’elles.

Prenons un exemple. Le gazole à usage routier est une catégorie. Le gazole à usage non routier en est une autre. Au sein de chacune de ces deux catégories existent plusieurs produits, tels que, pour le gazole à usage routier, le B100, le B95 ou d’autres carburants encore d’origine plus ou moins renouvelable. La règle de principe est que l’on ne peut pas différencier, au sein d’une catégorie, les tarifs des différents produits, sauf exception. Ce que l’on appelle la contribution climat énergie, ou tout du moins les hausses de taxe intervenues depuis 2014, correspondent aux hausses de taxe uniformes pour chacune des seize catégories.

Or, comme chaque catégorie réunit une diversité de produits aux émissions de CO2 différentes, il n’existe pas de taxe directement proportionnelle au contenu en CO2 des produits. Le tarif de chacune des grandes catégories est donc augmenté de manière régulière depuis 2014 à hauteur de l’émission de CO2 à la combustion - telle que mesurée dans les derniers règlements du système d’échange de quotas d’émission – Emission Trading Scheme (ETS) – du principal produit de la catégorie.

Dans la catégorie des gazoles à usage routier, on prend ainsi le gazole traditionnel B7 et on regarde combien il émet à la combustion. Rappelons que les émissions de CO2 à la combustion sont très différentes des émissions sur l’ensemble du cycle de vie du produit. On ne produit pas seulement du CO2 à la combustion, sinon les biocarburants n’auraient absolument aucun intérêt. La mesure de l’émission à la combustion permet de dégager un coefficient de proportionnalité, attribué à chacune des catégories dans la hausse générale des taxes actée dans le cadre d’un processus distinct.

Au gré des politiques mises en œuvre, des dérogations à ce principe général peuvent être apportées. Ainsi, lors de la hausse de taxe votée l’année dernière, puis annulée, le gaz naturel ne faisait pas l’objet d’une mesure similaire. De même, le rattrapage gazole-essence constitue une dérogation au principe selon lequel la hausse de fiscalité doit être répartie entre les grandes catégories de produits au prorata des différents coefficients.

La composante carbone fait donc l’objet d’une démarche systématique adoptée par le législateur depuis 2014 pour répartir la hausse des tarifs entre des catégories de produits. Il peut y être dérogé selon les circonstances.

À ce dispositif vient s’ajouter la TIRIB, qui vise à créer une discrimination fiscale au sein de ces catégories pour favoriser ceux des biocarburants qui émettent le moins de dioxyde de carbone. Cette deuxième taxe a une structure tout à fait particulière, qui lui permet d’échapper à la règle de la taxation en seize catégories découlant du droit européen. La niche fiscale de la finalité spécifique a donné lieu au fameux contentieux « Messer » sur l’électricité, que vous connaissez sans doute.

M. le président Julien Aubert. Je n’en suis pas certain. Pour résumer et simplifier vos explications, l’harmonisation de la fiscalité sur les carburants au niveau européen conduit donc, lorsque sont décidées des hausses de taxe politiquement liées au combat pour la planète, à discriminer non pas sur le critère du CO2, mais en fonction des seize catégories fiscales de l’Union. Au sein d’une même catégorie fiscale, on ne fait pas de différence entre le produit qui consomme plus de CO2 et le produit qui en consomme le moins. Il existe néanmoins des limites à ce dispositif : premièrement, avec de possibles dérogations, dont vous n’avez pas expliqué comment elles pouvaient être obtenues auprès de l’Union européenne ; deuxièmement, avec la TIRIB, qui vient transversalement et légèrement corriger l’uniformisation via l’impératif CO2.

Ai-je bien résumé vos explications ?

M. Matthieu Deconinck. À deux nuances près. Tout d’abord, la répartition entre catégories prend bien en compte les émissions de CO2 à la combustion. Il s’avère que pour le principal représentant de chaque catégorie, les émissions de CO2 à la combustion sont relativement proches des émissions de CO2 au niveau réel. Des différences plus nettes apparaissent dès lors qu’il s’agit des énergies renouvelables.

Le deuxième élément correctif que je voudrais apporter concerne la TIRIB. Elle ne fonctionne pas aujourd’hui pour toutes les catégories fiscales, mais uniquement pour les catégories gazole routier, gazole non routier et essence. La TIRIB ne fait pas que corriger, elle a un impact incitatif et économique absolument considérable, beaucoup plus important que celui de la TICPE. La plus belle preuve de réussite de la TIRIB, s’agissant des comportements, est son rendement : il est de zéro million d’euros, puisque l’on taxe exactement les opérateurs à hauteur de la non-atteinte de l’objectif qu’on leur a fixé.

Concomitamment à la hausse de la TICPE, afin d’être cohérent, on augmente les objectifs d’incorporation fixés aux opérateurs. L’une des principales évolutions du dernier projet de loi de finances a d’ailleurs été de réarticuler ces deux impôts et notamment d’inscrire la tarification du CO2 dans la TIRIB. À ce stade, la mesure n’a été prise que pour deux ans, les acteurs n’ayant pas exprimé le souhait d’une visibilité plus longue, mais un tarif de 100 euros par hectolitre, bien supérieur à celui de la TICPE, existe désormais. Il augmente proportionnellement à la hausse de la composante carbone.

M. le président Julien Aubert. Je vous avoue que je n’ai pas entièrement compris votre explication. Je suis sans doute moins expert que certains dans cette salle…

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je voudrais vous remercier pour vos présentations, qui confirment la complexité de la fiscalité de la transition énergétique et justifient la mission de notre commission d’enquête : apporter un peu de lisibilité et de simplification dans ce domaine.

Vos exposés se sont centrés sur la fiscalité et ont d’emblée écarté le TURPE de la discussion. Serait-il possible d’y revenir quelques instants, puisqu’il a un impact budgétaire, notamment sur les exonérations ? La question des autoconsommateurs, en particulier, fait l’objet de discussions incessantes et aura des conséquences en volume et en masse financière.

Je soutiens la demande que ma collègue vous a faite d’un tableau clair et complet de l’ensemble des chiffres de la fiscalité de la transition énergétique.

Pourrions-nous par ailleurs, monsieur le président, disposer, dans un document synthétique, des principales données qui viennent de nous être exposées ? En quelques minutes, il n’est pas facile de tout noter.

M. le président Julien Aubert. Pour les prochaines auditions, nous demanderons que les interventions soient systématiquement accompagnées de supports, voire de diapositives.

M. Matthieu Deconinck. J’ai écarté d’emblée le TURPE car nous n’avons aucune compétence en la matière à la DLF. Il est intégralement suivi par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

M. Nicolas Turquois. Compte tenu de ma méconnaissance des sujets que nous abordons aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de tirer pleinement les fruits des différentes informations qui nous ont été données. Vos explications sont extrêmement pointues et sans doute pertinentes, mais une commission d’enquête telle que la nôtre aurait besoin d’éléments explicatifs sur les taux appliqués et les différents types de taxe. Si vous me permettez cette expression, je dois dire que j’en perds un peu mon latin.

Je m’étonne, par exemple, de la classification des carburants sur la base des émissions de CO2 à la combustion. Si je vous ai bien compris, une taxe permet un rattrapage sur le cycle de vie des produits, mais je n’ai pas noté son nom.

En tout état de cause, un document synthétique sur ces différents éléments nous permettrait de travailler en amont et de mieux vous interroger à l’occasion d’une nouvelle audition. Je vous en fais la demande, tout comme au président et à la rapporteure de cette commission.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je ressens également le besoin de disposer de documents écrits sur les informations que vous nous avez données aujourd’hui. Une seconde audition me semble nécessaire pour nous permettre d’entrer véritablement dans le sujet.

M. le président Julien Aubert. Je vous propose de procéder par étapes et de poser quelques questions afin de clarifier les choses. Il se trouve que je suis rapporteur spécial sur le budget de l’énergie et que je suis familier du CAS « Transition énergétique ».

Je commencerai par un commentaire sur le jaune. Il est très intéressant, mais n’en disposer que deux heures avant la séance n’est pas acceptable. Je l’ai dit au ministre.

Commençons par une question très simple. D’après vous, combien la France consacre-t-elle à la transition énergétique ?

M. Sylvain Durand. La question est difficile, et pour une raison simple : la transition énergétique est pilotée avec de la fiscalité écologique, donc des recettes, mais aussi avec des exceptions à cette fiscalité, donc de moindres recettes, et des dépenses, de natures très variées. Contracter ces différents montants est fort complexe.

M. le président Julien Aubert. Je vous propose de mettre de côté les dépenses et de ne parler pour commencer que de la fiscalité écologique, dont nous sommes certains que ce sont des recettes. Combien prélève-t-on aux Français au titre de la fiscalité énergétique ?

M. Michel Giraudet. De mémoire, la TICPE représente un peu plus de 25 milliards d’euros de recettes. Elles sont de 7 milliards d’euros pour l’électricité.

M. Matthieu Deconinck. Je corrige : les recettes de la fiscalité sur l’électricité, hors TVA, s’élèvent historiquement à 10 milliards d’euros, mais elles ont crû. Ces recettes se décomposent de la manière suivante : 8 milliards pour la TICFE, près de 2 milliards pour les taxes locales sur la consommation finale de l’électricité, et un solde de 400 millions d’euros pour la contribution FACÉ.

M. le président Julien Aubert. Par fiscalité énergétique, vous entendez donc toute la fiscalité basée sur l’énergie, mais toute la fiscalité basée sur l’énergie ne va pas à la transition énergétique.

M. Matthieu Deconinck. En effet. Inversement, il existe une fiscalité non énergétique qui va à la transition énergétique.

M. le président Julien Aubert. Dans la fiscalité énergétique, quels sont les prélèvements effectués au nom de la transition énergétique ? Les 25 milliards d’euros de recettes de la TICPE ne sont pas dans leur intégralité affectés à cette thématique.

M. Sylvain Durand. C’est exact. Dans la loi de finances, de manière juridiquement contraignante, une part de la TICPE est affectée au CAS « Transition énergétique ». Elle s’élevait à 6,6 milliards d’euros en 2018. Il y a aussi le malus automobile, qui finance les bonus automobiles, mais je ne dispose pas du chiffre exact. C’est à peu près tout s’agissant des dispositifs que nous suivons.

Mme Bénédicte Peyrol. Mes chers collègues, soyons prudents dans nos questions. La TICPE, à l’origine, est une taxe de rendement. Elle a toujours été présentée ainsi depuis les années 1960, ce qui signifie qu’elle n’a pas été construite pour accompagner la transition énergétique. C’est la contribution climat énergie qui a justifié le financement de la transition énergétique par la TICPE, d’où l’importance de la question que j’ai posée tout à l’heure.

Il est par ailleurs nécessaire de distinguer, dans vos interventions, ce qui relève de la fiscalité locale. Une partie de la TICPE, environ 10 milliards d’euros, est perçue par les régions. Rappelons en outre que la TICPE « Grenelle » finance la politique de transport, dans l’optique de la transition énergétique. En revanche, je ne suis pas certaine que les taxes communales et départementales soient pensées en lien avec la transition écologique. La question de l’échelon local est de toute évidence importante. Il me semblait utile de le rappeler, monsieur le président.

M. le président Julien Aubert. Nous pouvons évidemment débattre entre nous, mais pour les bons travaux de cette commission, il serait préférable qu’on me laisse dérouler mon raisonnement.

Mme Bénédicte Peyrol. Votre raisonnement est orienté !

M. le président Julien Aubert. Je ne le crois pas, mais on peut en débattre.

Dès lors qu’une partie de la TICPE est affectée à la contribution climat énergie, cette part est politiquement présentée comme le financement de la transition énergétique. C’est pourquoi, dans les 25 milliards d’euros de recettes de la TICPE, nous nous intéressons aux montants officiellement affectés à la politique de transition énergétique, d’où la nécessité de procéder par étapes car, comme vous le dites, il peut y avoir des affectations diverses et variées.

Revenons donc à la répartition de la TICPE.

M. Sylvain Durand. Le montant global de la TICPE s’élevait en 2018 à 33,3 milliards d’euros. La part revenue au budget général, soit 13,7 milliards d’euros, est complètement fongible. On ne peut donc pas retracer les dépenses auxquelles elle a donné lieu. Comme je l’ai indiqué, 6,6 milliards d’euros ont été affectés au CAS « Transition énergétique ». Enfin, 12 milliards d’euros ont été versés aux collectivités territoriales et 1 milliard d’euros à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

M. le président Julien Aubert. La part affectée à la transition énergétique s’élève donc à 6,6 milliards d’euros. S’agissant des recettes de TVA qui partent au budget général, les considérez-vous comme prélevées au titre du même périmètre ?

M. Sylvain Durand. Non.

M. le président Julien Aubert. Vous avez dit travailler actuellement à l’élaboration d’un jaune budgétaire plus lisible par les citoyens. Il est donc important que nous comprenions quelles sont vos catégories. Pour la direction du budget, qu’est-ce qui relève de la politique de transition énergétique ?

M. Sylvain Durand. J’ai bien peur que la meilleure manière de répondre à cette question soit d’examiner les dépenses en faveur de la transition énergétique. Si l’on se penche uniquement sur les affectations, on risque de perdre la fiscalité énergétique, à visée écologique ou non, qui ne serait pas affectée de façon juridiquement contraignante aux dépenses en faveur de la transition énergétique. Par ailleurs, on manque, ce faisant, les montants somme toute assez considérables des dispositifs portés par le budget général de l’État en faveur de la transition écologique.

Si la question est de savoir combien de TICPE est affecté à la transition énergétique, il est possible de répondre. Cela ne donnera toutefois qu’une vision extrêmement réduite.

Quant au jaune budgétaire, nous nous posons actuellement des questions sur le périmètre et la présentation à adopter. Avoir des chiffres n’est pas très compliqué. Toute la difficulté est de savoir les présenter de manière lisible et facile à interpréter.

M. le président Julien Aubert. Vous en conviendrez, la direction du budget peine aujourd’hui à nous donner les chiffres que nous demandons. On comprend que les députés soient eux-mêmes embarrassés quand ils doivent répondre aux citoyens.

Finalement, la contribution climat énergie n’a pas de tangibilité budgétaire et fiscale. Quant à la CSPE, dont on continue à parler, elle n’existe plus. Entre le débat politique sur la fiscalité et la réalité budgétaire, il y a une nette distorsion.

En ce qui concerne la TVA, vous la prélevez non seulement sur les accises, mais aussi sur les certificats d’économies d’énergie (CEE), puisqu’ils sont incorporés au prix de l’électricité.

M. Matthieu Deconinck. Dans ce cas, elle est généralement déductible.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous nous donner quelques explications sur les CEE ? Comment les considérez-vous juridiquement ? Vous avez regretté avec conviction que la CSPE échappe au contrôle et à l’information du Parlement, mais les CEE y échappent tout autant.

M. Matthieu Deconinck. Les CEE ne sont pas une « imposition de toute nature » au sens de l’article 34 de la Constitution. Ils n’ont pas non plus le caractère d’une redevance pour service rendu. Ils correspondent à une obligation législative et réglementaire ad hoc. Le dispositif est piloté par la DGEC, qui pourra vous apporter des précisions sur son mécanisme et son fonctionnement. Il a toutefois eu des conséquences en matière de fiscalité.

La vente d’un certificat d’économies d’énergie est assimilable à une prestation de service entre deux opérateurs économiques. À ce titre, conformément au droit européen, elle est donc assujettie à la TVA. Généralement, la personne qui achète le certificat, c’est-à-dire la prestation de service, est elle-même assujettie à la TVA pour l’ensemble des ventes qu’elle effectue. Elle peut donc déduire cette TVA.

Excepté les cas résiduels dans lesquels une entreprise soumise à une obligation d’achat de quotas ne serait pas soumise à la TVA ‑ par exemple, parce qu’il s’agirait d’une banque, d’une assurance, ou dans le cadre du régime de franchise en base de TVA ‑ la TVA sur les CEE n’est pas une charge, mais un élément de trésorerie qui participe au fonctionnement de la TVA.

M. le président Julien Aubert. EDF inclut le coût des CEE dans la facture d’électricité reçue par le contribuable.

M. Matthieu Deconinck. Tout à fait.

M. le président Julien Aubert. Les CEE contribuent donc à l’augmentation de la taxe.

M. Matthieu Deconinck. Exactement.

M. le président Julien Aubert. On prélève de la TVA sur la facture d’électricité, que le consommateur final ne peut pas défalquer. Il y a donc bien une TVA calculée par rapport aux CEE que les Français paient.

M. Matthieu Deconinck. Oui, en tant qu’elle est répercutée dans le prix au consommateur final.

M. le président Julien Aubert. Avez-vous une idée du montant de TVA produit par l’augmentation du prix de l’électricité liée à l’inclusion des CEE dans le tarif de l’électricité ?

M. Matthieu Deconinck. Je ne connais pas ce montant, mais je suis certain que la DGEC saura vous le donner. Il représenterait 20 % du montant desdits certificats dans le prix de l’électricité.

M. le président Julien Aubert. Pour la direction du budget, ce surcroît de TVA fait-il partie du périmètre de la fiscalité énergétique au sens global et de celui la transition énergétique au sens particulier ?

M. Sylvain Durand. S’il est aujourd’hui difficile de déterminer comment le CEE contribue à la fixation des coûts de l’énergie, nul doute qu’il le sera aussi demain de prévoir et d’exécuter la part de TVA au titre de ce dispositif.

De même, un grand nombre de dispositions réglementaires pèsent sur la fixation des coûts des biens et services. Il serait bien difficile de dire quelle est la part de fiscalité engrangée du fait de leur application.

M. le président Julien Aubert. La décision de normaliser la CSPE fait penser à la vignette automobile. On a créé un dispositif ad hoc basé sur la facture d’électricité pour financer les énergies renouvelables et on l’a transformé en taxe affectée au budget de l’État, celui-ci alimentant le CAS.

Puisque l’on augmentait la « taxe carbone » sur le fossile afin de financer les énergies renouvelables, a-t-on envisagé, au ministère des finances, de diminuer d’autant la CSPE, qui taxe des énergies décarbonées ? « Le prix de lélectricité baisse, celui du carburant augmente, je vais peut-être acheter une voiture électrique » : voilà ce qu’auraient pu se dire les Français.

M. Sylvain Durand. La création du CAS, adoptée en loi de finances rectificative pour 2015 et entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2016, a répondu à la logique suivante. Il s’agissait de supprimer la CSPE et de la remplacer par une hausse de TICFE. Celle-ci a donc été affectée, avec quelques autres taxes minoritaires, au CAS « Transition énergétique ». Déjà à l’époque, l’idée était d’établir un tarif fixe de TICFE – de mémoire, 22,50 euros par mégawattheure – et de faire supporter par la TICPE les futures hausses de dépenses induites par le soutien aux énergies renouvelables.

Le principe était par conséquent d’affecter de la TICFE fixe au CAS et de faire porter la hausse des dépenses de ce CAS par de la TICPE. En 2017, lorsque l’on a substitué à la CSPE de la TICPE, l’idée était de substituer cette part fixe. Il n’y a donc pas eu, dans la logique de long terme, de substitution.

Aujourd’hui, dès lors que la TICFE est affectée au budget général de l’État, on peut lui faire porter ce que l’on veut. En tout état de cause, la réforme qui a consisté à débrancher la TICFE pour l’affecter au budget général et, en contrepartie, à due concurrence, à brancher de la TICPE au CAS, s’est faite de manière complètement neutre.

M. le président Julien Aubert. Cette réforme s’est faite de manière neutre pour l’État, mais pas pour le citoyen, qui a vu augmenter ses taxes sur le fossile et se stabiliser sa facture d’électricité après une augmentation qui serait intervenue même sans la réforme.

M. Sylvain Durand. Il y a eu, en effet, une hausse de la TICPE. La TICFE est certes affectée au budget général, mais celui-ci porte une part conséquente des charges de service public de l’énergie : les tarifs sociaux, le chèque énergie, les péréquations territoriales et le soutien à la cogénération.

M. le président Julien Aubert. Mais ces charges ne représentent pas la majeure part de la TICFE.

M. Sylvain Durand. Si l’on met en regard la TICFE et les montants de charges de service public, on constate un déficit chronique jusqu’en 2015. Aujourd’hui encore, la TICFE ne couvre pas toutes les dépenses au titre des services publics de l’énergie. Il n’y a donc pas de TICFE supplémentaire qui viendrait abonder d’autres dépenses au budget général. Ce raisonnement est de toute façon purement intellectuel puisque tout est fongible dans le budget général de l’État.

Mme Laure de La Raudière. J’aimerais revenir sur la TICPE et les seize catégories que vous avez mentionnées. Un taux de carbone à la combustion est donc calculé pour chacune d’elles mais, comme vous nous l’avez expliqué, ce calcul n’est pas tout à fait juste pour les énergies renouvelables. Qu’en est-il exactement ? Comment fait-on l’évaluation des biais en matière de fiscalité pour une bonne orientation de la politique énergétique ? Le système est si complexe que je me demande comment vous réussissez, avec les autres ministères, à évaluer l’efficacité des choix de fiscalité. Dans quel organe en discutez-vous ?

M. Matthieu Deconinck. Dans le cas des biocarburants, bien que cela soit probablement fortuit, le dispositif actuel n’est pas complètement absurde dans ses fondements. Des contraintes juridiques imposent de traiter l’objet juridique TICPE comme un objet de grosse masse. La TIRIB, en revanche, est un outil beaucoup plus fin, qui permet d’entrer dans le détail. Cette différence justifie une logique en deux temps : d’une part, une gestion des grandes catégories par la TICPE et, d’autre part, une gestion des différences intra-catégories par la TIRIB.

Un biocarburant, quand on le brûle, émet autant de CO2, qu’un carburant fossile. D’ailleurs, le taux d’émission du B100 est à peu près équivalent à celui du pétrole. De fait, les biocarburants ont à peu de chose près la même composante carbone que les carburants fossiles. Les tarifs réduits dont ils font l’objet ne portent pas sur la contribution climat énergie, mais sur la TICPE.

Si les biocarburants sont intéressants sur le plan environnemental, c’est parce qu’ils ont capté du CO2 lors de leur production, qu’ils ont réémis ensuite. La prise en compte des captations des émissions de CO2 des biocarburants pendant leur cycle de vie est particulièrement complexe et donne lieu à des débats passionnants au niveau européen. Elle est au cœur du dispositif de la TIRIB.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous donner un exemple concret, dans l’une des catégories, d’application de cette logique en deux temps, TICPE et TIRIB ?

M. Matthieu Deconinck. Prenons le B7, le gazole traditionnel. Il peut contenir jusqu’à 7 % d’énergie renouvelable, ce qui signifie, dans la pratique, que l’on ne peut savoir quel est le taux réel d’énergie renouvelable du B7 à la pompe. Ce taux se situe entre 7 % et 0 %. La TICPE ne sait pas faire la différence entre les différents types de B7. Son taux est identique pour celui qui contient 7 % d’énergie renouvelable et celui qui en contient 0 %.

Tous les ans, les opérateurs pétroliers comptabilisent le total d’énergie renouvelable dans leurs biocarburants. Ils sont taxés sur la différence entre un taux de 8 % et le taux d’énergie renouvelable dans l’ensemble des énergies fossiles mises sur le marché.

En flux tendu, tous les B7 sont donc traités de la même manière au regard de la TICPE, mais l’opérateur pétrolier calcule annuellement combien d’énergie renouvelable il a mise sur le marché. Selon les cas, cela peut être 7 % dans le B7, 100 % dans le B100 ou 5 % dans l’essence E10. Après comptabilisation globale, si le montant est inférieur à 8 %, s’il s’élève par exemple à 7,5 %, l’opérateur est taxé sur 0,5 %.

M. le président Julien Aubert. En réalité, si je vous suis bien, la vraie « taxe carbone » est la TIRIB et non la TICPE.

M. Matthieu Deconinck. Il s’agit de la TIRIB pour différencier au sein des gazoles et des essences, mais de la TICPE pour différencier le gazole et l’essence, ou l’essence et le kérosène. La vraie « taxe carbone » est un cumul des deux mécanismes : l’accise normale conforme au droit européen que constitue la TICPE ; et une taxe à finalité spécifique, si particulière dans sa structure qu’elle peut déroger au cadre harmonisé, la TIRIB.

Mme Laure de La Raudière. Vous n’avez pas répondu sur l’évaluation de l’efficacité des choix en matière de fiscalité.

M. Matthieu Deconinck. Notre principale préoccupation est de parvenir à rationaliser le paysage fiscal, en effet fort complexe, pour y voir plus clair. Un groupe de travail commun à la DLF, à la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), au ministère de l’agriculture et au ministère de l’environnement, se réunit régulièrement sur le sujet spécifique des biocarburants. Il est à l’origine de la proposition faite aux parlementaires de mieux articuler la TIRIB avec la TICPE et de corriger ses malfaçons communautaires et rédactionnelles. Le travail se poursuit, car le droit européen évolue et les besoins en énergie renouvelable sont croissants. Les objectifs sont également revus à la hausse pour prendre en compte l’évolution des technologies. Les quatre administrations engagées dans l’entreprise d’amélioration du dispositif de la TIRIB ont des échanges quasi hebdomadaires.

Quand on parle de « taxe carbone », vous avez raison, monsieur le président, on devrait en toute logique prendre en compte le cumul de la TICPE et de la TIRIB, mais aussi le fait que la TIRIB s’applique aux carburants et non aux combustibles. La présence d’énergie renouvelable dans les carburants devrait apparaître dans le calcul de la composante carbone du gazole et de l’essence.

Il n’existe pas de TIRIB sur les combustibles. Le fuel domestique s’apparente au gazole, mais il ne contient pas d’énergie renouvelable. L’un et l’autre affichent pourtant la même composante carbone, alors que, grâce à la TIRIB, il peut y avoir jusqu’à 7 % d’énergie renouvelable dans le gazole.

Si l’on voulait finaliser l’articulation entre les deux impôts engagée l’année dernière, il faudrait prendre en compte, y compris dans le calcul de la hausse de la composante carbone, l’existence de la TIRIB. À défaut, un effet cumulatif intervient.

M. le président Julien Aubert. Pour résumer, il existe une différence d’approche fiscale entre les carburants et les combustibles de chauffage, la TIRIB n’existant pas pour ces derniers. On est donc moins fin dans la politique de transition décarbonée pour le chauffage que pour le transport.

M. Matthieu Deconinck. Ce qui s’explique par la réticence à autoriser l’incorporation d’huiles dans le fuel domestique, pour des raisons de sécurité. Je vous renvoie également, sur ce point, à la DGEC.

Pour être tout à fait complet, la TIRIB s’applique aux essences-carburants, aux gazoles carburants et au gazole non routier. En revanche, elle ne s’applique pas au GPL carburant, au gaz naturel carburant et aux combustibles de chauffage.

Parmi les sujets qui font aujourd’hui l’objet des réflexions interservices, figurent les conditions dans lesquelles la TIRIB pourrait être élargie à d’autres assiettes, afin de renforcer l’articulation entre les deux taxes et d’aboutir à une véritable « taxe carbone ».

M. Nicolas Turquois. Dans une optique de transition énergétique, et sur des grandes masses, la TICPE et la TICFE tentent donc de limiter la consommation finale en matière de carburant et d’électricité, indépendamment du mode de production de ces énergies. Que l’électricité provienne de l’éolienne, de la méthanisation, de la cogénération, d’un barrage ou du nucléaire, la taxe est la même. Est-ce bien cela ?

M. Matthieu Deconinck. Oui, mais comme rien n’est jamais simple, il me faut signaler deux petites subtilités. La première est qu’il existe des tarifs réduits de TICPE pour les biocarburants. Ils ne sont pas pris sur la contribution climat énergie, mais sur la part purement budgétaire de la TICPE, sa part historique. Ces tarifs réduits sont encadrés par le droit européen dans leurs montants. Or, le droit européen interdit strictement qu’ils dépendent des émissions de CO2 sous-jacentes.

En matière d’électricité, il n’y a pas, en effet, de prise en compte de l’origine renouvelable de l’énergie. Il existe toutefois, et c’est ma seconde remarque, un dispositif de simplification administrative pour les petits producteurs qui autoconsomment : quand l’électricité ne rentre pas dans le réseau, une exonération de TICFE est appliquée. Dans la majorité des cas, cette exonération concerne de l’énergie solaire, les petits producteurs d’énergie étant généralement des particuliers avec des panneaux solaires. Ce dispositif existe tant pour la TICPE que pour TICFE et consiste à octroyer des avantages fiscaux, sur une base qui n’est pas, comme dans le cas de la contribution climat énergie, paramétrée en fonction des émissions de CO2.

M. Nicolas Turquois. J’insiste sur la nécessité d’un tableau des taxes par catégories. À l’exception de la TIRIB, on taxe donc sur la consommation finale et non sur le mode de production. Les modes de production des énergies renouvelables sont uniquement encouragés par des tarifs de rachat pour l’électricité ou par des subventions à l’installation de tel ou tel équipement, mais il n’existe pas de taxe différenciée sur le mode de production.

M. Matthieu Deconinck. En France, ce n’est pas le cas en effet. En revanche, nous essayons d’améliorer le dispositif d’exonération de l’électricité solaire autoconsommée. Il s’agit d’une mesure importante pour les acteurs économiques, comme d’ailleurs pour le Parlement. Les débats sont toujours très animés quand on évoque la possibilité de toucher à cette exonération, qui conduit à rendre nul le tarif de l’électricité quand elle est autoconsommée.

Pourquoi cette exonération s’applique-t-elle uniquement quand l’électricité est autoconsommée ? Par principe, la TICFE est perçue en bout de chaîne. L’électricité est fongible dans l’électricité. Dès lors que de l’électricité rentre dans le réseau, on ne sait plus la distinguer à la sortie. En revanche, quand elle est autoconsommée, le lien entre la production et la consommation est direct. On sait alors appliquer un tarif réduit en fonction du mode de production.

M. Nicolas Turquois. Nous venons par ailleurs de découvrir que le B7 contenait au maximum 7 % d’énergie renouvelable, dans le meilleur des cas. En tant qu’agriculteur, si je choisis le B7 parce qu’il intègre des biocarburants, je ne suis pas certain, en réalité, d’utiliser un carburant qui en contient. Il s’agit quasiment d’une duperie sur l’information.

De même, quand je fais le choix de l’essence E10, malgré sa différence de prix, je pense utiliser un carburant qui contient 10 % d’éthanol. Or, vous nous dites qu’elle en contient 10 % au mieux, et non en moyenne. Le principe même est choquant.

M. le président Julien Aubert. Chers collègues, vous avez bien fait de venir dans cette commission d’enquête, qui montre que l’acceptabilité de la transition énergétique n’est pas aussi simple qu’on le pense.

M. Vincent Thiébaut. Je vais essayer à mon tour de comprendre. La TICPE est une taxe versée dans les grandes masses au budget général. Une partie de cette taxe est reversée à la transition énergétique. On peut donc l’utiliser, non pour financer la transition énergétique, mais pour influer sur les aspects comportementaux de la consommation, ce qui n’est pas négligeable. Les comportements sont un volet important de la transition énergétique, qui ne doit pas être oublié. La TICPE est payée par le consommateur final.

La TIRIB, quant à elle, correspond à une taxation de sanction, mais elle n’est pas payée par le consommateur final. Je peux entendre que vous additionniez la TICPE et la TIRIB sur le plan budgétaire, mais la TIRIB est payée par le producteur ou le fournisseur, et non par le consommateur final. Vous ai-je bien compris ?

M. Matthieu Deconinck. Pas tout à fait. Pour commencer, il est possible d’additionner les deux taxes sur le plan budgétaire, la TIRIB rapportant zéro euro. Elle induit elle-même le comportement recherché : on fait peser économiquement une charge sur le fossile ; l’opérateur, pour se libérer de cette charge, doit mettre une charge financière équivalente sur les énergies renouvelables, ce qui a un impact sur les prix. Pour se libérer de l’impôt, quand il incorpore de l’énergie renouvelable, l’opérateur augmente ses charges, c’est-à-dire qu’il augmente le prix auquel il vend le carburant.

Le mécanisme est fondamentalement le même pour la TICPE. Le redevable est le pétrolier et non le consommateur final. La TICPE constituant pour lui une charge, l’opérateur augmente ses coûts afin de pouvoir la couvrir. De même, dans le cas de la TIRIB, l’opérateur augmente ses prix pour couvrir les charges liées à l’incorporation de biocarburant.

Au total, ces taxes ont un impact sur le prix final payé par le consommateur. Elles correspondent à une imposition indirecte : les redevables sont des personnes différentes de celles qui supportent leur coût économique.

M. Vincent Thiébaut. La TIRIB, en conduisant à une augmentation des prix, permet donc de jouer sur les aspects comportementaux, tout en assurant un soutien financier aux énergies renouvelables ?

M. Matthieu Deconinck. Disons plutôt qu’elle permet d’incorporer de l’énergie renouvelable. Or il s’avère que celle-ci est plus chère que l’énergie fossile.

M. Vincent Thiébaut. Elle est donc plus incitative.

M. Matthieu Deconinck. Elle l’est beaucoup plus, en effet, que la TICPE. Sur ce point, il n’y a aucun doute.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il est actuellement envisagé de transformer le CITE en prime. Où en êtes-vous de la réflexion ? Avez-vous des recommandations sur ce sujet ?

M. Sylvain Durand. Les discussions sont en cours au niveau interministériel. Je n’y ai pas encore pris part, je ne peux donc pas me prononcer. L’objectif poursuivi par le Gouvernement et retranscrit dans les lois de finances pour 2018 et 2019, est de recentrer le CITE sur les dépenses à la plus forte efficacité énergétique par euro investi, c’est-à-dire les travaux les plus pertinents. La loi de finances votée il y a quatre mois permet l’installation d’équipements à chaleur renouvelable pour les ménages aux revenus modestes et très modestes. La dépose des cuves à fioul et les coûts de main-d’œuvre sont désormais éligibles au CITE.

M. François-Michel Lambert. Le grand débat qui se déroule actuellement en France est une réponse au mouvement des « Gilets jaunes », lui-même né du refus de la taxe carbone. J’ai participé récemment à un colloque sur les différentes expériences de taxe carbone de par le monde. Aux échecs de la France et de l’Australie s’opposent les succès de la Suède et de la Suisse. Ces deux pays ont réussi à avancer sur la fiscalité écologique en mettant en avant des flux financiers clairs et fléchés. Le citoyen comprend ce qui est prélevé et voit le retour direct ou indirect sur les infrastructures.

Nous sommes un peu perdus aujourd’hui, et nous serions bien en peine d’expliquer aux Français quels sont les flux de la fiscalité énergétique et l’usage qui est fait de leur argent. Vous avez sans doute un rôle à jouer pour aider les responsables politiques à lancer la remise à plat des flux financiers et à répondre aux attentes de transparence et de clarté des citoyens s’agissant des taxes prélevées sur leurs consommations.

M. Sylvain Durand. Ce sujet est difficile. Au nom de la lisibilité d’un financement, on peut défendre l’affectation pure et simple d’un impôt à une politique ou, à l’inverse, la nécessité de couper les liens d’affectation de l’impôt aux dépenses, de manière à examiner d’une part la fiscalité et d’autre part les dépenses.

Au-delà du débat sur la fiscalité énergétique, il me semble très difficile de construire une politique fiscale qui concoure à la fois aux objectifs d’égalité, de justice fiscale et d’optimisation économique des comportements. Il est tout aussi ardu de construire une politique budgétaire et de s’assurer de la bonne utilisation des deniers publics comme de l’efficience de la dépense. Indubitablement, dans ces équations très compliquées, les affectations créent un lien de rigidité et un degré de contrainte qui ne concourent pas, de notre point de vue, à la lisibilité de l’ensemble.

Pour un certain nombre de sujets, dont la transition énergétique fait partie, à force de créer de la tuyauterie, on en est venu à s’intéresser davantage aux tuyaux qu’aux flux. Nous entendons néanmoins la demande d’une plus grande clarté et nous mettons à disposition les instruments. Nous soulignons la simplicité qu’offre le passage par le budget général, mais il revient à la puissance publique et au Parlement de décider.

M. le président Julien Aubert. J’en déduis que vous êtes favorable à la suppression du CAS « Transition énergétique ».

M. Sylvain Durand. Ce n’est pas ce que j’ai dit. De manière générale, l’objectif est d’obtenir un système lisible et qui fait sens, en recettes et en dépenses. Dans certaines situations de déséquilibre entre les recettes et les dépenses, on ne s’attend pas à une dépense considérable, la taxe rapportant beaucoup. À l’inverse, on n’envisage pas de supprimer une taxe au seul motif que la dépense associée est faible. Le débat va bien au-delà de la fiscalité de la transition énergétique.

La création du CAS « Transition énergétique », en affectant de la fiscalité, a permis d’évaluer ce qui était consacré au financement des énergies renouvelables et quelle était la part de TICPE qui concourait directement à ce financement. En ce sens, elle a constitué un grand pas.

M. le président Julien Aubert. Faut-il, selon vous, créer de nouveaux CAS pour d’autres politiques qui concourent à la transition énergétique ? Quelle est la position de la direction du budget sur ce sujet ?

M. Sylvain Durand. La loi organique relative aux lois de finances impose l’existence d’un lien clair entre les recettes et les dépenses auxquelles elles vont concourir. On ne peut pas affecter n’importe quelle fiscalité à n’importe quelle dépense, ce qui a des incidences en termes de gestion budgétaire en cours d’année. Si l’on crée un CAS sans recettes disponibles, on court le risque de devoir arrêter la dépense en cours d’année, ou d’avoir à amender le CAS par des mécanismes réglementaires, voire par une loi de finances rectificative.

Nous en avons eu l’illustration l’année dernière avec la prime à la conversion, dont le succès a dépassé les attentes, ce qui a conduit à des tensions de trésorerie en cours d’année. Il fallait attendre que les recettes issues du malus financent la prime. Sa rebudgétisation a permis de la financer dans son intégralité et d’éviter que le problème ne se reproduise.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Ma prochaine question n’appelle pas de réponse immédiate. La logique actuelle veut que l’on cherche à faire peser sur les pollueurs toutes sortes de taxes et de contraintes supplémentaires pour financer la transition énergétique. Êtes-vous en mesure d’évaluer les effets de l’ensemble des dispositifs qui répondent à cette logique du « pollueur-payeur » ? Nous serons certainement amenés à nous revoir lors d’une prochaine audition. Je vous remercie par avance de bien vouloir nous apporter alors des éléments sur cette question.

M. le président Julien Aubert. Vous n’avez pas répondu sur le caractère extrabudgétaire des CEE.

M. Sylvain Durand. L’ancienne CSPE avait à la fois le caractère d’une taxe et d’une dépense publique. Pour les CEE, qui ne répondent à la définition ni de l’une ni de l’autre, on parle d’obligation réglementaire. Dans le droit actuel, ils ne constituent donc pas un mécanisme extrabudgétaire. Il n’en reste pas moins important, en effet, de disposer de données rendant compte de ce dispositif.

M. le président Julien Aubert. Je vous remercie de vos réponses. Cette audition aura permis de montrer la disjonction qui existe entre le débat politique et le débat fiscal et budgétaire.

Notre commission d’enquête arrêtera ses travaux au mois de juillet. Vous nous avez annoncé un jaune pour septembre ou octobre, mais vous comprendrez que nous aimerions en disposer avant. Nous attendons par ailleurs des informations précises sur les coûts de la transition énergétique, le périmètre que vous retenez et, pour reprendre la question intéressante de Mme le rapporteur, le champ de la fiscalité comportementale, qu’elle soit incitative ou punitive.

Merci de votre participation. Nous aurons peut-être l’occasion de nous revoir.

M. Nicolas Turquois. Un dernier mot, si vous me le permettez, monsieur le président. Vous avez souligné l’intérêt d’un nouveau CAS, mais il serait bon que notre commission vérifie que la transition énergétique n’est pas le « CAS du siècle » !

Laudition sachève à dix-neuf heures.

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6.   Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat (DGEC) au ministère de la transition écologique et solidaire (26 mars 2019)

Laudition débute à dix-neuf heures cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous recevons à présent M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire.

Ingénieur général des mines, M. Michel a occupé des responsabilités importantes en matière de développement durable et d’environnement puisqu’il était directeur de la prévention des pollutions et des risques avant d’être nommé à ses actuelles fonctions, à la fin de l’année 2012.

Votre direction générale, la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), a une responsabilité majeure, voire prépondérante, dans l’élaboration et, plus encore, la mise en œuvre des politiques de soutien aux énergies renouvelables (EnR).

À cet égard, la Cour des comptes a regretté, dans un rapport de mars 2018, une insuffisance de coopération avec les autres grandes directions ministérielles intéressées dans le pilotage de la politique de l’énergie et du climat, spécialement avec celles du ministère en charge des finances et de l’industrie, qui interviendraient « de manière dispersée », selon la Cour.

Pour être juste, la Cour des comptes a souligné que les moyens de la DGEC demeuraient limités face à l’ampleur de ses tâches, en comparaison d’autres pays comme les Pays-Bas, le Danemark et l’Allemagne.

La Cour des comptes a également souligné que la création du compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » constitue un progrès – en matière de traçabilité et non en matière budgétaire, puisqu’il représente une exception au principe d’unité budgétaire – sur la voie d’une meilleure coopération interministérielle, mais que le dialogue entre la DGEC et les directions du ministère chargé des finances « demeure perfectible ».

Vous voudrez bien, monsieur le directeur général, nous apporter des précisions en réponse à ces remarques. En quoi peut-on affirmer que la création du CAS « Transition énergétique » va dans le bon sens ?

Vous nous exposerez aussi votre vision de l’évolution des EnR dans notre pays et ce qui pourrait changer, en ce domaine, avec la prochaine loi sur l’énergie dont l’examen par le Parlement a été reporté.

De même, considérez-vous que des modifications doivent intervenir dans le dispositif de gestion des certificats d’économies d’énergie (CEE), dont certains des traits paraissent spéculatifs ?

Vous avez été consulté par le Conseil d’analyse économique (CAE), un organisme rattaché au Premier ministre, préalablement à la publication de ses recommandations, la semaine dernière, qui prônent la poursuite de l’augmentation de la « taxe carbone » – appelée improprement ainsi d’après les représentants de Bercy que nous avons auditionnés – ou contribution climat énergie, à la condition de mieux en affecter le produit au bénéfice des personnes ou secteurs d’activité les plus touchés par l’augmentation des prix qui en résulterait.

Plus généralement, quelle cohérence faudrait-il privilégier entre la politique fiscale et climatique et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui fait actuellement l’objet d’une redéfinition ?

Enfin, notre commission d’enquête doit aussi comprendre pourquoi l’émergence des EnR n’a pas suscité, en France, la construction de filières industrielles fortes.

Vous succédez, monsieur le directeur général, à une audition de représentants du ministère des finances, qui nous a permis de toucher du doigt l’écart entre le discours politique et l’usine à gaz de la fiscalité énergétique. Il sera intéressant d’entendre votre point de vue sur la manière dont l’évolution de cette fiscalité intervient en liaison avec Bercy.

Nous allons vous écouter au titre d’un exposé liminaire d’une quinzaine de minutes. Puis, je vous poserai des questions, et enfin Mme le rapporteur et les membres de la commission vous interrogeront.

Avant de vous laisser la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.

(M. Laurent Michel prête serment.)

M. Laurent Michel, directeur général de lénergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je commencerai par quelques mots d’introduction sur le positionnement de la politique énergétique et son financement. Après une mise en perspective des objectifs et des orientations concrètes des politiques de transition énergétique, parmi lesquelles la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la PPE, dans le cadre légal européen et français, je me focaliserai sur deux volets importants de la transition énergétique.

Le premier concerne la mise en œuvre de la diminution des consommations d’énergie, l’efficacité énergétique des différents secteurs, ainsi que l’outil transverse que constituent les certificats d’économie d’énergie (CEE). J’évoquerai également quelques autres moyens publics consacrés à la diminution des consommations d’énergie.

Le deuxième gros volet de la transition énergétique porte évidemment sur le développement des énergies renouvelables, au cœur des travaux de votre commission d’enquête et plus généralement du Parlement et du Gouvernement. J’exposerai à fois les objectifs, les orientations, les actions et les moyens de mise en œuvre, en particulier les choix de filières retenus dans le cadre du projet de PPE, ainsi que les implications financières qui en découlent, ce qui me permettra d’aborder la question d’organisation budgétaire que vous avez évoquée, et notamment la création du CAS « Transition énergétique ».

Pour finir, j’évoquerai les questions de l’accompagnement de la transition énergétique et de son acceptabilité par les ménages et les entreprises, en particulier les plus exposés au coût de la facture énergétique.

Nous évoluons dans le cadre à la fois européen et français de la contribution dite nationale de l’Union européenne à l’Accord de Paris. Cette contribution s’est traduite par un ensemble législatif issu de l’accord du Conseil européen d’octobre 2014 et par des directives donnant des outils ou fixant des objectifs aux États. Parmi les principales orientations définies par des textes législatifs au niveau européen, on peut citer l’efficacité énergétique, la performance énergétique des bâtiments, les EnR, divers règlements sur la sécurité d’approvisionnement et la préparation des crises, ainsi qu’un paquet mobilité propre qui se traduit par l’obligation d’évolution des performances des véhicules en termes d’émission de gaz à effet de serre (GES). Ce paquet est supposé suffisant pour atteindre moins 40 % d’émissions de gaz à effet de serre au niveau européen entre 2005 et 2030. En théorie, la bonne mise en œuvre des directives permettrait même d’atteindre moins 46 %. Une réflexion est donc en cours sur le possible rehaussement de l’engagement de l’Union européenne dans le cadre de l’Accord de Paris, les États parties à la Convention climat devant soumettre à nouveau leurs contributions d’ici 2020.

Les objectifs nationaux découlent à la fois de ce cadre européen et de nos dispositions législatives propres. Ils ont été adoptés, en 2015, par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Le plan climat de juillet 2017 les a renforcés en introduisant l’objectif de neutralité carbone. Quant au projet de loi énergie-climat, il procédera à plusieurs ajustements nécessaires : d’une part, pour prendre en compte le report à 2035 de l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique ; d’autre part, pour ajouter l’objectif de neutralité carbone à celui de la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre, conformément aux souhaits du Président de la République et du Gouvernement. Ce projet de loi, qui prévoit d’autres ajustements que sur les articles programmatiques, devrait être adopté en Conseil des ministres ce printemps, pour une discussion à l’Assemblée avant la fin de session, une fois les six semaines de préparation nécessaires écoulées.

En termes de planification stratégique et opérationnelle, les objectifs génériques de moins 40 % de GES d’ici 2030, de développement des énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, sont traduits dans la SNBC et dans la PPE, adoptées en 2015 et 2016, et révisées normalement dans l’année et demie qui suit chaque début de mandat. Les projets ont été publiés fin 2018 et les consultations sont en cours.

La stratégie nationale bas carbone de réduction des émissions de gaz à effet de serre s’inscrit dans le moyen terme, avec les budgets carbone jusqu’à 2033, mais aussi dans le long terme, puisqu’elle vise la décarbonation de l’économie à horizon 2050. Elle repose en réalité sur le triptyque suivant : une réduction forte des consommations d’énergie, la décarbonation totale des consommations et productions d’énergie, et une forte baisse des émissions industrielles et agricoles de gaz à effet de serre. Les émissions résiduelles, très réduites, devraient être couvertes par une croissance réaliste du puits naturel.

Tout ceci conduit à prévoir, dans un scénario qui comporte évidemment des variantes et des incertitudes, des efforts importants d’efficacité et de sobriété énergétique, et l’électrification croissante de divers usages. La consommation d’énergie électrique devrait décroître légèrement jusqu’à 2030, sous l’effet de l’efficacité énergétique, et réaugmenter ensuite du fait des transferts d’usage. Le développement du biogaz et des biocarburants pour les transports, et du biogaz pour la chaleur, dans des parts relatives qui restent à affiner, est également prévu, les deux technologies étant selon les cas concurrentes ou complémentaires. Si vous le souhaitez, je pourrai ensuite entrer dans le détail des chiffres s’agissant du développement de l’électricité et du biogaz à l’horizon 2050.

La programmation pluriannuelle de l’énergie, qui engage les actions concrètes sur une période de dix ans, comporte une feuille de route opérationnelle 2019-2028 pour la métropole continentale, d’autres PPE devant être adoptées pour les zones non interconnectées. Elle fixe un objectif global de baisse de consommation de 14 % d’ici 2028 et prévoit un effort accentué sur la baisse des consommations d’énergies fossiles : moins 40 % en 2030. L’objectif initial, qui était de moins 30 %, pourrait être repris dans la loi énergie-climat.

La réalisation de ces objectifs passera à la fois par des actions emblématiques sur des émetteurs forts, tels que les centrales à charbon, et par des efforts de fond dans les secteurs de la mobilité et du bâtiment. Le secteur du bâtiment devrait voir sa consommation d’énergie réduire de 12 %, avec une quasi-stabilité de l’électricité, une croissance des EnR thermiques ou de récupération par traitement des déchets, et une forte réduction des énergies fossiles.

Au sein de la PPE, dans un objectif de diversification et de décarbonation, les énergies renouvelables progressent. La chaleur renouvelable atteindra 160, 220 TWh en 2023, puis 250 térawattheures d’ici 2028. Le biogaz pourrait être multiplié par six d’ici 2028, mais son développement doit s’accompagner d’efforts sur les coûts. Pour les EnR électriques, la puissance installée, autour de 50 gigawatts (GW) actuellement, devrait monter à 74 GW en 2023 et atteindre une fourchette de 102 à 113 GW en 2028. Nous serions ainsi à 36 % d’énergies renouvelables dans le mix électrique en 2028, et à 45 % à l’horizon 2035.

Cet ensemble sera complété par une réflexion, qui va bientôt démarrer, sur l’après-2035. Quel sera le mix des années 2050 ? La question est en réalité de savoir quelle répartition sera possible entre les EnR et le nucléaire, mais aussi quels seront les coûts, les conditions de stockage, l’organisation et la réalisabilité industrielle et financière.

En ce qui concerne l’efficacité énergétique et les consommations, deux gros secteurs sont ciblés prioritairement, le bâtiment et la mobilité, pour lesquels nos efforts n’ont pas jusqu’ici été suffisants. Dans le bâtiment, il s’agit désormais d’accélérer les efforts de rénovation en renforçant l’accompagnement des ménages, dès les phases de diagnostic et de construction des projets, et en améliorant les dispositifs d’aides, ceux de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE). Ces aides seront ciblées davantage sur les gestes les plus efficaces. En 2020, un versement du CITE aux ménages aidés par l’ANAH, donc les plus modestes, devrait être mis en place et versé sous forme de prime, le plus rapidement possible, et non de crédit d’impôt. La mobilisation des CEE pour l’isolation et l’amélioration des chauffages est également envisagée. Plus globalement, tout un ensemble de travaux méthodologiques seront menés afin de trouver, tester et industrialiser des solutions de rénovation massifiantes, plus simples mais efficaces. Enfin, il est prévu de renforcer l’accompagnement et la formation des acteurs.

Le levier réglementaire sera également mobilisé. Pour le neuf, la réglementation environnementale 2020 (RE 2020) prendra désormais en compte les aspects construction et déconstruction, c’est-à-dire le carbone émis et l’énergie produite lors de ces phases, et pas seulement la consommation pendant l’existence des bâtiments. Le décret sur la rénovation des bâtiments tertiaires est par ailleurs attendu prochainement. Enfin, des obligations s’imposeront progressivement, tout d’abord de diagnostic au moment des mutations, puis à terme de rénovation et d’amélioration des performances pour les « passoires thermiques », logements de catégories F et G.

La mobilité propre fera l’objet d’actions en faveur de l’efficacité de la mobilité, telles que le développement du covoiturage ou l’amélioration du taux de charge des véhicules de transport. Le déploiement de la mobilité électrique pour les véhicules légers sera facilité par la réglementation européenne, qui obligera les constructeurs à produire des véhicules moins émetteurs et à proposer une part importante de véhicules électriques à partir de 2025 ou 2030. Des volets incitation et préparation sont également prévus, avec notamment la poursuite de la montée en puissance du réseau de bornes de recharge.

Lindustrie est un enjeu important et ne sera pas oubliée. Outre des audits énergétiques, le couplage de réductions de tarifs, sur le transport délectricité notamment, et des programmes defficacité énergétique sera mis en œuvre. Dès que la loi relative au plan daction pour la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, sera adoptée définitivement, les certificats déconomies dénergie pourront bénéficier aux plus gros consommateurs, dotés dinstallations soumises au système déchange de quotas démission – emission trading scheme (ETS), – ce qui leur permettra non seulement de consommer et démettre moins, mais aussi daméliorer leur compte dexploitation et leur positionnement compétitif.

Les CEE constituent un levier important pour la période 2018-2020 et pourraient représenter 1 600 térawattheures cumulés d’économies d’énergie, ainsi qu’un financement obligé de 9 à 11 milliards d’euros pour les énergéticiens. Les actions entreprises ces derniers mois visent à faciliter la production des CEE et à réduire leur prix et leur coût de production par des opérations nouvelles éligible au soutien. Des programmes d’accompagnement sont prévus, que ce soit dans la mobilité ou dans le bâtiment, avec par exemple des rénovations dans le secteur agricole ou des programmes d’action pour les navires de pêche. Il s’agit également d’attribuer plus de CEE pour le même investissement, afin de favoriser le changement de chauffage et l’isolation des combles comme des planchers.

L’un des débats de la période actuelle concerne l’allongement de la période d’obligation 2018-2020. Un retard au démarrage a été constaté chez certains acteurs. Il est donc proposé de prolonger le dispositif des CEE jusqu’à 2021 afin de soutenir les actions engagées et d’éviter aux acteurs d’avoir à réinvestir dans leur déploiement méthodologique et leur publicité. Cette mesure s’accompagnerait d’une hausse proportionnelle de l’objectif.

S’agissant toujours des CEE, l’autre volet, que nous avons eu l’occasion d’aborder, lors de diverses auditions parlementaires, est le renforcement des contrôles et la lutte anti-fraude, grâce à plusieurs mesures : l’exclusion des opérations les plus susceptibles de fraudes ; la sélectivité et l’encadrement des délégataires qui peuvent intervenir à la place des obligés ; des contrôles par tierce personne, soit sous la responsabilité des maîtres d’ouvrage, soit par les services du Pôle national des certificats d’économies d’énergie, dont les effectifs ont été, à ce titre, renforcés.

Les CEE constituent à mon sens un dispositif puissant, agile, et qui fait émerger l’innovation. Ce sont les acteurs obligés, et non l’administration, qui ont initié plusieurs opérations, parmi lesquelles l’isolation des combles à 1 euro. Il faut poursuivre le renforcement de la lisibilité du dispositif, par la prolongation de la période d’obligation, mais aussi par la transparence. Nous entendons lutter contre les malfaçons et les fraudes par des contrôles renforcés et par une collaboration accrue avec les services de Bercy.

En ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, il passera par l’intégration de la chaleur renouvelable dans les bâtiments, avec l’aide du CITE et des obligations réglementaires dans le neuf. Le renforcement du fonds chaleur, souvent évoqué, est désormais d’actualité. Le projet de PPE prévoit une trajectoire pluriannuelle mise en œuvre dès 2019. Le fonds est porté à 307 millions d’euros cette année et à 350 millions l’année prochaine. Il constitue un outil efficace pour la puissance publique, notamment en termes de rapport coût-bénéfice, qu’il s’agisse des tonnes de CO2 évitées, mais aussi de l’effet d’entraînement des projets de mobilisation de la ressource bois, de la valorisation des ressources locales et de la géothermie. Doubler le rythme en termes de tonnes d’équivalent pétrole produites nécessite de choisir des projets plus difficiles et parfois plus petits, de créer des réseaux de chaleur dans des villes moyennes, d’étendre les réseaux et de les densifier, de verdir la production et de récupérer la chaleur fatale de certaines industries pour les connecter au réseau urbain. De ce point de vue, l’exemple de Charleville-Mézières, avec PSA, est intéressant. Les projets sont plus compliqués, il faut en mener davantage, d’où le besoin de renforcer le fonds chaleur.

Le biogaz, comme je l’ai dit, devrait connaître un décollage dans les transports et la chaleur. C’est pourquoi nous souhaitons lui donner de la lisibilité, mais aussi l’assortir d’un objectif de baisse des prix. Il nous faut toutefois trouver le bon phasage. Si les prix baissaient trop vite, la filière ne pourrait pas monter en puissance, mais on ne peut pas non plus attendre à l’infini la baisse des prix. Nous cherchons en outre à rendre le dispositif de soutien au biogaz le plus souple possible. C’est pourquoi, par exemple, nous avons créé un dispositif de soutien au bio-GNV non injecté, qui figurera dans la loi d’orientation des mobilités. Il n’y a pas toujours un réseau à proximité, mais une opportunité peut parfois se présenter, pour une collectivité locale par exemple, d’injecter du biogaz dans une flotte de véhicules, d’où l’intérêt de ce dispositif. Enfin, les appels d’offres seront rendus nécessaires pour les moyens et gros projets, ce qui permettra de renforcer la concurrence.

Pour les EnR électriques, qui recueillent le plus gros volume de soutien, le ciblage se fera sur les énergies matures, l’éolien terrestre, le solaire photovoltaïque, en particulier au sol, et l’éolien en mer, qui connaît actuellement une montée en puissance. La décision a été prise de mettre fin, à ce stade, au soutien à de nouveaux projets de cogénération de biomasse, compte tenu de leur coût élevé et de leur usage non optimal de la biomasse, qu’il paraît préférable de réserver à des projets de chaleur renouvelable. Il sera également mis fin au soutien à l’hydrolien tant qu’il n’aura pas atteint sa maturité, ainsi qu’à la géothermie électrique.

L’éolien en mer connaît un développement important en Europe du Nord, avec un fort potentiel de baisse de prix, qui pourrait se traduire prochainement par les résultats de l’appel d’offres de Dunkerque, une fois les candidatures analysées par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). À noter également, l’émergence de l’éolien flottant. Avec quelques années de retard, les acteurs estiment qu’il pourrait connaître la même évolution à terme que l’éolien posé, d’où la nécessité de fixer, de manière lisible, une trajectoire de dépenses publiques compatible avec le développement de cette filière, porteuse d’un avenir industriel. Nous avons en France des acteurs qui produisent des flotteurs et des sous-stations de raccordement. Ils ne peuvent dépendre que de leur marché national, mais il y a évidemment là un enjeu.

Sur le plan budgétaire, depuis la réforme de 2016, les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, électriques et biogaz, ne font plus l’objet d’un mécanisme extrabudgétaire, la contribution au service public de l’électricité (CSPE), mais d’un compte d’affectation spéciale soumis au Parlement. Ce compte d’affectation spécial, qui retrace les projections de dépenses pour l’année, est désormais alimenté par l’affectation d’une taxe sur les énergies fossiles, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Le Parlement se prononce chaque année sur le budget de l’année suivante. Puisqu’il s’agit d’engagements de longue portée, nous proposons d’indiquer, dans les prochains documents de présentation, non seulement les dépenses pour l’année, mais également celles découlant de décisions en cours d’exercice – attributions d’appels d’offres, mégawatts restants dans les guichets ouverts – et reportées sur les années suivantes.

Dans le domaine de la maîtrise des prix, à l’exception des toutes petites puissances, je rappelle que les appels d’offres sont désormais systématiques, y compris au-dessous des seuils européens qui les rendent obligatoires. Pour le solaire, les appels d’offres commencent en France à 100 kilowatts (KW), alors que la législation européenne les rend obligatoires à 500 kW seulement. Pour notre part, nous estimons possible une concurrence dès 100 kW.

Il est important de donner de la lisibilité aux appels d’offres. Leur calendrier pour les années à venir figure dans le projet de PPE. Il est évidemment cohérent avec les objectifs qu’elle a fixés. Nous souhaitons en outre faciliter les projets, en amont et dans leur déroulement, pour les « dérisquer », les fluidifier et les sécuriser, avec dans un certain nombre de cas des procédures contentieuses accélérées. Cette fluidification et cette sécurisation permettent de diminuer les coûts.

Pour l’éolien offshore, conformément aux nouvelles procédures, l’État mènera, à partir du prochain appel d’offres sur des installations éoliennes en mer, des études sur l’environnement, la mer, les courants, la houle, les fonds marins et le vent. Elles seront fournies aux porteurs de projet dès leur première réponse à un appel d’offres afin de les aider à mesurer les risques de l’opération dans laquelle ils s’engagent, y compris en termes de coûts. C’est ce que nous appelons le « dérisquage », un concept que nous avons emprunté aux pays de l’Europe du Nord.

La focalisation sur les filières matures, ainsi que la baisse des prix, ont conduit au projet actuel d’engagement de la PPE. Le soutien public à de nouveaux projets est chiffré à 30 milliards d’euros. Les projets déjà engagés représentent quant à eux 95 milliards d’euros. Les procédures d’appels d’offres et l’évolution des technologies ont permis une production bien plus importante, pour un prix de soutien moindre. À terme, probablement à l’horizon 2028-2030, les subventions à certaines filières pourraient prendre fin, peut-être simplement remplacées par des mécanismes de garantie des prix en cas d’effondrement du marché.

J’aimerais aborder à présent la question de la précarité énergétique. Les dépenses énergétiques des ménages, transports et logement, s’élèvent en moyenne à 3 000 euros par an. Il existe bien sûr des disparités selon les classes sociales, le poids de ces dépenses étant plus important pour les ménages modestes. L’Observatoire de la précarité énergétique indique qu’un peu moins de 12 % des Français dépensent plus de 8 % de leur revenu dans l’énergie du logement. Ce taux, corrigé des variations climatiques, était légèrement inférieur à 14 % en 2013. Les dépenses énergétiques baissent donc, mais pas assez vite. Elles restent soumises aux variations du marché. Il suffit que les prix flambent pour que leur pourcentage augmente, sans oublier les 7 à 8 millions de « passoires énergétiques » de notre pays. Les actions curatives ont été renforcées, avec l’extension et la hausse du chèque énergie, qui touche désormais 5,6 millions de ménages, le programme sur le logement et la prime à la conversion des vieux véhicules.

S’agissant de la compétitivité des entreprises, en dehors des actions sur l’efficacité énergétique, elle est prise en compte par des exonérations de taxes sur l’énergie, des allocations de quotas gratuits pour le CO2, voire des compensations de coûts indirects. Outre qu’elles ont un coût pour les finances publiques, ces différentes mesures font peser une incertitude sur les entreprises. Comment leur garantir, en effet, que le dispositif d’allocation de quotas gratuits durera à l’infini ? Les quotas gratuits, au moins pour certains secteurs, vont d’ailleurs baisser au niveau européen. En ce sens, l’un des principaux enjeux auxquels fait face aujourd’hui la DGEC – outre la mobilisation des CEE, délivrés à 21 % dans l’industrie, et le fonds chaleur renouvelable pour les gros consommateurs, papeterie et chimie notamment – est de réussir à soutenir structurellement les investissements qui réduisent les consommations.

J’ai l’impression d’avoir dépassé le quart d’heure qui m’était imparti. Je vous prie de m’en excuser.

M. le président Julien Aubert. Le sujet de la transition énergétique est vaste ! Nous allons tenter de le circonscrire quelque peu.

S’agissant du projet d’engagement de la PPE, vous avez indiqué que les projets en cours représentaient 95 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 30 milliards d’euros de nouveaux projets. Ce second montant correspond-il au financement des énergies renouvelables ou au surcoût total à mobiliser dans le cadre de la PPE ?

M. Laurent Michel. J’ai donné ce chiffre lorsque je présentais l’évolution du soutien aux énergies renouvelables, électriques et biogaz. Je comparais les contrats déjà signés et engagés avec ceux prévus dans le cadre de la PPE pour un volume de production. Comme je l’ai également souligné, ce soutien devrait rapidement prendre fin pour certaines filières, et éventuellement céder la place à un mécanisme de garantie comme il en existe dans plusieurs pays, si le marché de l’électricité tombe à 30 euros le mégawattheure (MWh). Les 30 milliards d’euros de nouveaux projets concernent donc bien l’électricité et le biogaz. Ce montant vaut pour toute la durée des contrats, et pas uniquement pour les dix ans de la PPE.

Au sein du CAS « Transition énergétique », le soutien aux EnR électriques s’élève à 5,4 milliards d’euros. Reflétant la mise en service d’un volume croissant et le développement des parcs éoliens offshore, la projection pour 2022 l’estime à 6,5 milliards d’euros. Un pic est prévu en 2026 à 8 milliards d’euros, puis une décroissance rapide et forte aux tournants des années 2030, quand prendront fin les contrats solaires d’avant le moratoire de 2011, qui représentent encore aujourd’hui un montant de soutien de 2 milliards d’euros. Les contrats suivants feront l’objet d’un soutien minimal.

M. le président Julien Aubert. Je vous remercie de bien vouloir faire des réponses courtes, car nos collègues ont certainement des questions à vous poser.

Sur la base de quel calcul économique en est-on arrivé à considérer que ces 30 milliards d’euros de soutien public seraient mieux utilisés en bénéficiant au développement des énergies renouvelables ? On aurait pu tout aussi bien décider, en effet, d’affecter ce montant à la politique du logement.

Comment sait-on, par ailleurs, que l’on obtient un meilleur impact CO2 en ciblant le développement de l’énergie électrique plutôt que d’autres aspects de la transition énergétique ?

M. Laurent Michel. Nous essayons, dans chaque secteur et de manière globale, d’atteindre un objectif d’efficience et de maîtrise de la dépense publique. Le soutien à la rénovation des bâtiments représente actuellement près de 2 milliards d’euros, entre le CITE et les aides de l’ANAH, sans compter le Fonds chaleur renouvelable, qui intervient lui aussi sur les bâtiments via les réseaux de chaleur. Le soutien au logement est donc loin d’être négligeable.

M. le président Julien Aubert. Il n’est pas si important que cela quand on le compare aux 95 milliards déjà engagés pour les énergies renouvelables.

M. Laurent Michel. Mais ce sont 2 milliards par an. Le montant de 30 milliards correspond à une projection de l’ensemble des nouveaux projets sur les dix ans à venir. Il vaut en outre pour toute la durée des contrats, et pas uniquement pour la PPE.

Lorsque je parle du logement, j’entends le bâtiment en général, hors logement social
– celui-ci représente 100 000 logements par an, ce qui n’est pas rien non plus. Les 2 milliards d’euros par an correspondent donc au fonds chaleur, via les réseaux de chaleur, au CITE et aux aides de l’ANAH. Sur dix ans, et en ajoutant le logement social, l’effort public pour le logement et le bâtiment est important.

M. le président Julien Aubert. Certes, mais ce n’était pas le sens de ma question. Aujourd’hui, les énergies renouvelables électriques bénéficient d’un soutien d’environ 6 milliards d’euros, ce qui signifie que l’on dépense trois fois plus pour elles que pour la politique de rénovation des bâtiments. Il s’agit donc bien d’un choix politique puisque l’on aurait pu aussi décider d’affecter 2 milliards à l’éolien et au photovoltaïque et 6 milliards au logement.

Ma question est donc la suivante : quels calculs ont-ils été effectués pour déterminer le secteur dans lequel l’impact CO2 sera le meilleur et décider de cette répartition de milliards d’euros qui ne sont d’ailleurs pas encore collectés ? La colère des gilets jaune montre bien que l’on ne perçoit pas toujours le volume de recettes fiscales prévu au départ. Il est également important de savoir comment sont répartis les postes de dépenses.

Pourquoi, en France, quand on parle de transition énergétique, cible-t-on trois fois plus les énergies renouvelables ?

M. Laurent Michel. Nous sommes fortement tributaires des décisions du passé. La nouvelle orientation de la PPE va amener le biogaz et les énergies renouvelables électriques à des flux de 3 à 4 milliards d’euros en fonction des années. Le rapport n’est donc pas trois fois supérieur.

L’équation est en réalité difficile à résoudre. Nous sommes soumis à l’atteinte d’un ensemble d’objectifs de décarbonation, de diversification et de préparation de l’avenir. Pour le mix électrique, un choix politique a été fait, en effet : il ne dépendra plus demain à 75 % d’une seule énergie. C’est l’un des paramètres pris en compte dans la perspective de l’échéance de 2035. La conception du mix électrique à cet horizon nous apparaît réaliste, mais nous gardons ouvertes certaines options, notamment sur la part du nucléaire, à 40 % ou 50 %.

En ce qui concerne les EnR électriques, il est apparu évident que leur rythme de développement, à la fois physique et financier, ne permettait pas d’envisager une transition plus rapide, ce qui a conduit à repousser à 2035 l’objectif de réduction du nucléaire dans le mix électrique. Nous entendons profiter de la baisse des coûts des EnR, tout en donnant leur chance aux filières pas encore tout à fait matures, comme l’éolien offshore, et en conservant une possibilité de choix, dans les trois à cinq ans, sur les programmes lourds à l’horizon 2050. Car nous n’aurons plus, en 2050, les centrales électriques nucléaires actuelles.

M. le président Julien Aubert. Pour résumer, c’est le choix de diminuer la part du nucléaire qui explique les engagements en matière d’énergies renouvelables électriques.

M. Laurent Michel. C’est l’un des éléments de choix. La nécessité de maximiser le rapport coût-bénéfice en termes de CO2, l’émergence de nouvelles filières, l’optimisation de l’usage de nouvelles ressources, le choix de réserver la biomasse à la chaleur renouvelable : tous ces éléments nous ont conduits à viser une trajectoire réaliste dans les énergies électriques, et à la décision d’augmenter le fonds chaleur, car son bénéfice en termes de CO2 rejeté est intéressant. Cependant, prévoir 600 millions d’euros de dépenses pour le fonds chaleur ne servirait à rien tant que les projets ne sont pas montés en puissance.

Ces différents éléments, et le critère de faisabilité, nous ont également conduits à modifier plusieurs leviers par rapport à la trajectoire de la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous avons considéré qu’il était nécessaire de fournir un effort important et efficient dans les secteurs du transport et du bâtiment. Nous nous sommes interrogés, au niveau interministériel, sur les mesures les plus efficaces dans le bâtiment. Certains points seront sans doute tranchés dans le projet de loi de finances pour 2020.

M. le président Julien Aubert. Pourrions-nous revenir sur les dépenses que vous projetez dans le transport et le logement ? Vous avez dit beaucoup de choses et il me semble nécessaire de simplifier. Il y a donc 30 milliards supplémentaires pour les énergies renouvelables. Pour le logement, combien représente la montée en gamme de la PPE ?

M. Laurent Michel. À ce stade, compte tenu des arbitrages qui restent à faire, le logement représente environ 2 milliards d’euros par an, hors logement social.

M. le président Julien Aubert. Ce montant correspondant à la situation actuelle.

M. Laurent Michel. En effet, mais il faut y ajouter la mobilisation de 1,5 milliard d’euros de CEE. Globalement, les CEE, le CITE et l’ANAH ont un effet multiplicateur. Au total, l’effort de soutien public pour le logement approche les 3 milliards d’euros, plus le logement social, pour lequel je vous ferai parvenir des estimations précises. Avec 100 000 logements par an, on atteint relativement vite des centaines de millions d’euros.

Dans le secteur du transport, notre direction gère principalement la mobilité électrique et la prime à la conversion, c’est-à-dire le bonus pour le véhicule électrique, son environnement et le développement des infrastructures de recharge. Un effort est également prévu sur le gaz naturel véhicules (GNV). En 2019, les nouvelles mobilités font l’objet d’investissements publics à hauteur d’1 milliard d’euros, hors politique générale des transports et transports en commun, et d’une mobilisation de 100 à 150 millions d’euros pour les CEE, ce qui marque une inflexion dans le secteur des transports. Les outils réglementaire, incitatif et organisationnel sont parfois nécessaires tous en même temps. Aucun ne peut fonctionner seul.

M. le président Julien Aubert. Merci de bien vouloir nous faire des réponses courtes, faute de quoi nous risquons de manquer de temps.

Pour résumer : 6 milliards d’euros sur les énergies renouvelables, qui devraient passer progressivement à 4 milliards ; 3 milliards sur le logement ; 1 milliard sur le transport, pour le volet mobilité propre.

Les EnR bénéficient donc de 50 % du soutien public, l’autre moitié revenant au logement et au transport.

M. Laurent Michel. Hors transports en commun et ferroviaires.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je vous remercie pour ces éclairages. De toute évidence, la dynamique des dépenses destinées aux EnR connaîtra une nette évolution à l’avenir. Leur niveau actuel s’explique par le statut de filières émergentes. Une fois lancées, elles produiront plus d’énergie, à un coût moins important, et nécessiteront à terme un investissement moindre de l’État, voire, si je vous ai bien compris, plus d’investissement du tout, mais un simple mécanisme de garantie des prix. Dans le domaine des transports, en revanche, les investissements vont continuer à être nécessaires. Quant au logement, il répond à une logique intermédiaire, où ce que l’on investit revient en retour sur investissement dans l’exploitation des bâtiments.

Ce sont donc là trois logiques différentes. Ce que l’on investit sur les EnR, on en sera libéré à terme. Dans le logement, la contractualisation des efficacités énergétiques pourrait se traduire par un système de prêts autoremboursés sur l’exploitation. Dans le transport, le retour sur investissement de l’engagement public est plus difficile à évaluer. Ai-je bien compris ?

M. Laurent Michel. Les différentes problématiques comportent des convergences et des divergences. Le transport est, à ce stade, le secteur dans lequel le coût de la tonne de CO2 évité est le plus important à court terme. Les filières décarbonées sont en phase d’amorçage : filières électrique et hydrogène pour le véhicule léger ; filières gaz, biogaz ou hydrogène pour le véhicule lourd, à moins que l’électrique ne parvienne à s’imposer, ce que certains prévoient. Dans le transport, nous en sommes donc à soutenir les premiers développements et à créer une incitation réglementaire forte au niveau européen. Si les constructeurs automobiles ne sont pas soumis à l’obligation de délivrer sur le marché des véhicules moins émetteurs, aucune évolution n’est à attendre. Un cadre est nécessaire, pour la recharge en gaz et en électricité, mais aussi pour la confiance. Nous devons expliquer l’usage du véhicule électrique. De nombreuses personnes pensent à tort qu’il est adapté uniquement à la ville, alors qu’il peut très bien être utilisé en milieu rural pour des trajets de 80 kilomètres par jour.

Dans le logement et le bâtiment, les flux d’investissement resteront importants pendant encore longtemps. Les rénovations engagées dans le logement social, pourtant bien avancées, dureront encore dix ans, et quinze à vingt ans dans le parc privé locatif. Celui-ci est confronté à un défi puisqu’il s’agit d’inciter les propriétaires à investir au bénéfice des locataires. Toutefois, comme vous l’avez souligné, les logements aidés s’y retrouvent. Des évaluations très sérieuses montrent que les aides de l’ANAH – entre 20 000 et 25 000 euros par logement – permettent une baisse de consommation d’énergie de 40 %, très nette sur la facture. Quoi que nous fassions pour accélérer le rythme, et tout en cherchant toujours à réduire son coût, la rénovation du parc devrait durer encore dix à vingt-cinq ans selon les secteurs.

Pour la chaleur, la logique est encore différente. Nous investissons, puis nous trouvons un prix proche de celui des énergies fossiles, voire légèrement inférieur, grâce aux aides de l’État à l’investissement.

Le modèle le plus courant en Europe, pour les EnR électriques et biogaz, repose sur une aide annuelle qui équilibre les projets. À terme, nous devrions pouvoir obtenir, sur le marché français, des EnR avec très peu de subventions, tout en prenant en compte, bien sûr, les coûts d’adaptation du système électrique et plus tard de stockage.

Il reste cependant une incertitude pour le biogaz, les objectifs de baisse de prix, jusqu’à 45 euros le MWh, nous plaçant à un niveau plus cher que le gaz naturel sans « taxe carbone », et même avec la « taxe carbone » actuelle. En revanche, dans un horizon d’économie décarbonée, un gaz à 45 euros le MWh représenterait un coût de décarbonation tout à fait compétitif. Si nous atteignons ce prix dans les dix à quinze ans à venir, nous devrons, comme pour les biocarburants liquides, appliquer ou bien un équivalent de « taxe carbone », ou bien une réglementation rendant obligatoire l’utilisation d’un taux minimum de biogaz. La subvention sera ainsi rendue à un coût raisonnable, ou même non nécessaire.

Contrairement à l’électricité, le développement du biogaz ne s’équilibrera pas tout seul, par le jeu des technologies. On imagine mal, en effet, passer au-dessous du prix du gaz extrait. C’est donc la politique carbone qui, sous forme de réglementation ou d’équivalent valeur du carbone, amènera le biogaz à ne plus dépendre un jour du soutien public, en taxant ou en pénalisant le gaz fossile.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pouvez-vous revenir sur l’historique des politiques en matière d’énergie solaire ?

Par ailleurs, est-il plus efficace, dans la perspective de la neutralité carbone, de cibler uniquement la problématique carbone ou faut-il, comme dans le bâtiment, se focaliser également sur la consommation d’énergie, et donc la sobriété énergétique ? Peut-on poursuivre les deux objectifs sans pénaliser l’un par rapport à l’autre ? Autrement dit, neutralité carbone et/ou efficacité énergétique ?

M. Laurent Michel. La première phase de développement du solaire en France s’est caractérisée par l’émergence de la technologie et la mise en place de politiques tarifaires. Comme dans d’autres pays européens, elle a rapidement été suivie d’une baisse des prix liée à la massification et au dumping. Les projets ont pu très vite se réaliser à des coûts beaucoup moins chers que prévus. Les tarifs trop élevés par rapport à la rentabilité ont engendré un emballement du nombre de projets, qui a conduit l’État à imposer un moratoire en deux étapes. Si ma mémoire est bonne, ce moratoire est intervenu lorsque Jean-Louis Borloo, puis Nathalie Kosciusko-Morizet, étaient ministres de l’écologie, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Un coup d’arrêt a alors été porté à de nouveaux projets basés sur des tarifs aussi hauts. En revanche, il n’a jamais été question, en France, de revenir sur les contrats existants, à la différence de l’Espagne par exemple, qui paie aujourd’hui des contentieux pour décision abusive.

Au cours de la période suivante, entre 2012 à 2015, des ajustements sont intervenus pour réduire les tarifs des petites et moyennes puissances. En effet, les tarifs s’ajustent plus rapidement aux volumes, un gros volume témoignant de tarifs devenus trop intéressants. Les appels d’offres sont par ailleurs devenus systématiques pour les centrales au sol et les bâtiments au-dessus de 100 kW. Des procédures simplifiées ont été prévues entre 100 et 500 kW, 100 kW correspondant à un bâtiment de 1 000 mètres carrés environ. Au-dessus de cette puissance, les appels d’offres fixent des critères plus compliqués.

Depuis 2015 et la préparation de la première PPE, le système retenu se base sur des cahiers des charges et un calendrier pluriannuels. Les professionnels ont la possibilité de planifier industriellement leur déploiement, en fonction d’appels d’offres guichets tous les quatre mois. L’une des grandes problématiques du solaire est la recherche de sites. Depuis 2015, les professionnels sont incités à investir les terrains dégradés, par exemple décharges et anciennes friches difficiles à exploiter. La lisibilité du dispositif d’appels d’offres permet aux acteurs, industriels et collectivités locales détentrices de ce foncier, de monter des projets. La première PPE a duré trois ans, entre 2016 et 2018. La prochaine définira les appels d’offres pour la période de cinq ans 2019-2023.

Après le solaire, la France a commencé à développer les appels d’offres éolien terrestre à partir de 2016. Aujourd’hui, nous envisageons quelques projets d’éolien offshore.

Quant au diptyque redoutable que constituent la neutralité carbone et l’efficacité énergétique, je suis personnellement convaincu que l’on ne décarbonera pas si l’on ne consomme pas le moins possible d’énergie dans chaque secteur. Tôt ou tard, en effet, nous n’aurons plus assez d’énergie décarbonée en volume, ou elle deviendra très chère et nous basculerons sur le fossile. Néanmoins, les problématiques diffèrent selon les cinétiques et les secteurs. Dans certains domaines, ciblés par la PPE, il est possible d’utiliser des énergies déjà décarbonées comme l’électricité. Dans d’autres, ce n’est pas immédiatement possible et l’effort d’efficacité énergétique en carbone va rapporter beaucoup tout de suite. Dans certains cas, la combinaison d’un changement de vecteur et de l’efficacité énergétique est la meilleure voie pour avancer.

Dans le bâtiment, nous essayons d’adopter une approche pragmatique en fonction de l’état des projets, des acteurs et de leur capacité financière. Nous ne pensons pas qu’il soit contradictoire de proposer en même temps le CITE, les aides de l’ANAH, les CEE, le remplacement de l’ancienne chaudière gaz ou fioul par une chaudière gaz à 1 euro, et la rénovation du logement. Certains gestes simples permettent des économies dans les consommations d’énergie. Bien entendu, les derniers grammes de CO2 ou d’énergie coûtent toujours plus chers. Il n’est pas toujours simple de savoir quel type de rénovation, par étapes ou globale, a le meilleur rapport coût-bénéfice.

Mme Laure de La Raudière. J’aimerais revenir sur le mix énergétique choisi par la France en matière d’électricité. Quels sont les résultats de la France, dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone, par rapport aux autres pays, en ratio par habitant ?

Pour calculer les émissions de CO2 des énergies renouvelables par rapport à celles du nucléaire et de l’hydroélectricité, prend-on en compte l’ensemble de la filière, c’est-à-dire également le recyclage des installations éoliennes et photovoltaïques ?

À terme, vous venez de l’expliquer, les énergies renouvelables ne demanderont plus de subventions publiques. Pourtant, certains secteurs comme l’éolien terrestre n’ont pas atteint leur maturité industrielle dans notre pays. L’objectif de 50 % de nucléaire dans le mix énergétique n’a-t-il pas été fixé trop tôt par rapport au niveau de développement des filières énergétiques renouvelables ? La question mérite d’autant plus d’être posée que le nucléaire est également une énergie bas carbone. Avec quels critères et sur la base de quelles études, cet objectif a-t-il donc été fixé, sachant qu’il nous faut répondre aux objectifs de la stratégie nationale bas-carbone et tenir compte du coût de l’électricité pour nos citoyens ?

Après l’emballement du photovoltaïque, quelle analyse la DGEC fait-elle de la rentabilité actuelle de certains opérateurs des énergies renouvelables, en particulier dans l’éolien terrestre ? Quelle est la part des éoliennes terrestres qui font l’objet d’un appel d’offres ? Nous assistons actuellement à un emballement de l’éolien terrestre, avec le déploiement extrêmement rapide de certains promoteurs. Les subventions restent importantes et les tarifs sont aujourd’hui garantis, mais vous allez nous dire demain que ces professionnels n’auront plus besoin de soutien public. Il ne paraît pas judicieux de réduire les aides tant que la filière n’est pas mature et rentable.

À vous écouter, on a le sentiment qu’on aurait peut-être eu intérêt à fixer l’objectif de 50 % de nucléaire à une date ultérieure, pour donner du temps aux filières d’énergies renouvelables de monter en maturité. Je parle, bien entendu, du point de vue de la consommation de l’argent public.

M. Laurent Michel. Ces débats sont anciens et je me permettrai d’être franc. Je pense que si l’on fixe à 2045 ou 2050 l’objectif de 50 % de nucléaire dans le mix énergétique - ou de 51 %, ou de 52 %, peu importe –, on ne prépare pas l’avenir et on commet une très grave erreur. Je le dis en dehors de tout parti pris pro-nucléaire, anti-nucléaire ou pro-EnR.

La DEGC a mené diverses projections s’agissant du mix électrique. Comme le précédent ministre l’avait lui-même indiqué lors de diverses auditions, l’échéance de 2025 est apparue trop proche sur le plan physique et financier. La date de 2035 a fait l’objet de nombreuses simulations intégrant toutes les incertitudes existantes, notamment sur le coût du nucléaire prolongé et les capacités du nouveau nucléaire. Nous avons estimé, au regard de ces différentes études présentées en annexe du projet de PPE, que la trajectoire actuelle conduisait, vers une date située autour de 2035, à un coût équivalent de production de l’électricité et permettait de profiter de la baisse des prix des EnR électriques, qui est aujourd’hui un fait.

Deux questions restent cependant à examiner. Comment, tout d’abord, profiter de l’émergence des technologies de l’éolien offshore pour générer des retombées industrielles en France ? Ces technologies seront de plus en plus compétitives et nous avons des outils. Je pense notamment aux chantiers de l’Atlantique, qui, grâce à leurs compétences pointues, fabriquent des sous-stations électriques de raccordement. Nous possédons aussi des entreprises hors secteur des ENR qui produisent des flotteurs pour l’éolien flottant et qui pourront exporter. Nous cherchons donc à nous positionner pour faire grandir l’éolien flottant en France, ni trop vite, parce que nous payerions très cher huit parcs éoliens flottants de 1 000 mégawatts en trois ans, ni trop lentement, car alors nous n’aurions pas les compétences en France pour développer cette filière, qui sera peut-être la plus compétitive dans dix ans.

Mme Laure de La Raudière. Ma question portait sur l’éolien terrestre.

M. Laurent Michel. Oui, mais je vous expliquais quels étaient les deux sujets qui restaient à traiter.

Le second concerne notre capacité opérationnelle et financière à investir dans le nouveau nucléaire, dans le respect du droit de la concurrence. Quel nouveau nucléaire et quel coût pour les finances publiques ?

Il y a en réalité un troisième sujet, celui de l’intermittence, du stockage et de leur coût. Nous devrons examiner ces trois sujets dans les trois à cinq ans qui viennent, peut-être même avant, pour définir le mix électrique. Ma conviction personnelle est que repousser ces réflexions à un horizon plus lointain serait une grave erreur, y compris pour l’avenir de la filière nucléaire. La décision doit être prise maintenant, pour un horizon 2035-2040.

Mme Laure de La Raudière. Mais je m’interrogeais sur l’éolien terrestre, qui pose d’ailleurs aussi une question d’acceptabilité sociale. Les territoires sont de plus en plus nombreux à refuser l’implantation d’éoliennes terrestres, qui donnent rarement lieu à des appels d’offres et sont une source de rentabilité considérable. Je voulais savoir quelle était la réflexion de la DGEC à ce sujet. Vous avez parlé des projets offshore et flottants, mais pas de l’éolien terrestre.

M. Laurent Michel. La majorité des projets d’éolien terrestre bénéficient aujourd’hui des tarifs d’achat du guichet fermé fin 2016. Les petits projets de moins de six mâts et de moins de 3 MW peuvent encore bénéficier de ce tarif. En revanche, les nouveaux projets de gros parcs éoliens doivent faire l’objet d’appels d’offres. Nous préparons une réforme qui conduira à réduire encore le champ des parcs éligibles au guichet.

M. le président Julien Aubert. Dans l’éolien terrestre, quelle est la proportion de gros parcs et de petits projets non soumis à la procédure d’appel d’offres ? Du fait de cette distinction, il semblerait que l’on multiplie les petits projets éoliens, contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays, ce qui pose d’ailleurs un problème de rentabilité.

M. Laurent Michel. Les parcs actuels sont dans leur quasi-intégralité soumis aux tarifs d’achat du guichet fermé fin 2016. C’est logique vu leurs délais de réalisation. Je ne saurais vous donner le nombre de demandes d’autorisation déposées, mais nous nous apprêtons, dans un objectif de compétitivité et d’action anti-mitage, à réduire le nombre de machines autorisées à deux ou trois, et plutôt pour des extensions que pour de nouveaux parcs. Compte tenu du tarif de rachat de l’électricité produite à deux ou trois machines, il n’est plus intéressant de construire un parc nouveau. Le tarif va donc être réduit à sa portion congrue.

Il nous faudra réfléchir à l’opportunité d’un mécanisme de soutien pour l’éolien terrestre. Pour favoriser son acceptabilité, nous voulons faire émerger le repowering, c’est-à-dire la réingénierie des parcs existants. Des mécanismes transparents seront mis en place sur le même modèle que l’hydroélectricité. Soit les parcs seront entièrement nouveaux et ils entreront dans le mécanisme d’appels d’offres, soit – mais la décision n’a pas encore été prise – un mécanisme de soutien au réinvestissement sera mis en place. Pour la collectivité, le repowering des parcs éoliens constitue une solution bien meilleure et beaucoup moins chère, qui évite les problèmes d’acceptabilité, puisque l’on remet des éoliennes là où il y en avait déjà. Le renouvellement des parcs est donc un axe intéressant, qui se pratique dans d’autres pays et qui permet d’augmenter les puissances, les productibles et les durées de production sans créer de nouveaux parcs.

M. Hubert Wulfranc. Les 2 milliards d’euros affectés au logement dans le cadre de la politique d’efficacité énergétique décidée par la France correspondent, selon vous, à une soutenabilité raisonnable à moyen terme pour mettre fin aux 7 millions de « passoires thermiques » de notre pays. Mettons de côté le logement social, qui, d’après les objectifs 2018-2022, devrait achever sa rénovation thermique à la fin du quinquennat. Dans le logement privé, considérez-vous que la trajectoire est à la mesure des enjeux en termes de consommation ?

On sait que les procédés industriels sont particulièrement heurtés par la transition énergétique. Pouvez-vous nous donner des chiffres sur le coût de la transition énergétique dans les différentes filières industrielles, notamment la chimie, la papeterie et la métallurgie ?

M. Laurent Michel. En ce qui concerne le logement, je précise que le CITE représente 1,2 milliard d’euros et les aides de l’ANAH 500 millions d’euros. Ces dernières devraient passer à 800 millions et ne concernent pas uniquement la rénovation. Les CEE représentent quant à eux 1,5 milliard d’euros, y compris pour des bâtiments tertiaires.

Il est évidemment difficile de lire dans les boules de cristal et, pour un fonctionnaire, de dire s’il y a trop ou pas assez d’argent. Il me semble toutefois qu’en matière de logement, l’argent n’est pas seul nécessaire. La mobilisation, l’accompagnement et la formation sont tout aussi importants. Nous devons rechercher les gains, y compris financiers, des programmes qui testent différentes solutions de rénovation. Si on peut faire pour moins cher, il faut le faire.

Nos analyses montrent cependant qu’au-dessous des moyens engagés, nous n’arriverions pas à tenir le rythme, ni à l’augmenter. Ce n’est peut-être pas très orthodoxe de le dire, compte tenu de la rigueur attendue dans la gestion des finances publiques, mais nous devons être cohérents. Sans ces 2 milliards d’euros, hors logement social, et les CEE, sans la combinaison des aides qui permet de faire masse, nous n’y arriverons pas. Nous pouvons en revanche espérer qu’en industrialisant les process, nous réussirons à rénover un nombre de logements plus important avec le même niveau d’engagement public. Si on divisait par deux le montant des sommes investies, on ferait plus que diviser par deux le nombre de logements rénovés. Il y a donc un effort de notre collectivité nationale à fournir dans la durée, jusqu’au jour où l’on aura épuisé le stock, mais celui-ci est encore important.

Quant au coût de la transition énergétique pour l’industrie, je vais avoir du mal à trouver rapidement les éléments de chiffrage que vous me demandez dans le document de deux cents pages que j’ai avec moi, mais je vous les transmettrai ultérieurement.

Nous avons chiffré la stratégie nationale bas-carbone à long terme, ainsi que les investissements macroéconomiques dans l’industrie. Nous devons résoudre une triple et difficile équation. À court terme, compte tenu de la compétition internationale, les entreprises ont besoin de prix de l’énergie plutôt bas. Un système subventionné comporte toutefois deux dangers : d’une part, les subventions peuvent s’interrompre ; d’autre part, les entreprises ne sont pas incitées à investir. Lorsqu’elles le font, c’est sur un mode incrémental, par exemple pour réduire leur consommation d’énergie, en installant une chaudière biomasse. Pour une grosse usine de la chimie ou de la papeterie, un tel chantier représente 100 à 200 millions d’euros d’investissement. Quand la valeur carbone sera importante pour les acheteurs, les besoins d’investissement des entreprises seront élevés si elles veulent rester compétitives au niveau européen et mondial.

Les secteurs de la sidérurgie et de la cimenterie pourraient connaître des changements radicaux avec, pour la sidérurgie, la fin du charbon dans les hauts fourneaux et l’utilisation de l’électricité ou de l’hydrogène, au lieu des énergies fossiles, dans les procédés métallurgiques. Certains groupes industriels se sont résolument lancés dans un processus d’innovation, avec des projets de prototypes de plusieurs centaines de millions d’euros. Le déploiement de solutions énergétiquement plus performantes nécessitera quelques milliards d’euros d’investissement dans ces secteurs une fois la rupture technologique atteinte. Le sujet prendra alors une ampleur européenne. La transition énergétique sera massive et nécessitera la mobilisation de fonds publics. Si les investissements incrémentaux n’ont pas besoin d’être beaucoup aidés, les grosses ruptures appellent un soutien plus conséquent.

M. Vincent Thiébaut. Dans la PPE, la géothermie est aujourd’hui affectée à la production de chaleur, et donc au fonds de chaleur. Il s’avère que, dans certains territoires, la géothermie profonde permet aussi la production d’électricité, et pallie de ce fait le manque d’EnR. Dans le nouveau projet de PPE, cette opportunité ne sera malheureusement plus subventionnée. Je suis député de l’Alsace. Dans mon département, le manque de grands couloirs aériens nuit au développement des projets éoliens. Nous sommes donc handicapés par la PPE et son nouveau positionnement sur la mixité des aides.

J’aimerais vous interroger sur la territorialisation des politiques énergétiques. Nous travaillons beaucoup au niveau national, mais le meilleur niveau pour porter les énergies renouvelables n’est-il pas celui des territoires ?

Les dépenses nécessaires pour atteindre les objectifs environnementaux ont été évoquées, mais avez-vous réfléchi aux conséquences secondaires des politiques déployées, c’est-à-dire les recettes ? Je pense à celles des collectivités, aux emplois créés et au développement de nouvelles industries. Quel sera l’impact, sur le plan économique et en termes de PIB, des politiques environnementales ?

M. Laurent Michel. La géothermie est en effet un sujet difficile. Dans certains cas, elle ne permet pas la production d’électricité. L’usage chaleur est donc le meilleur. Cependant, de nombreux projets de recherche ont montré que la géothermie profonde pourrait à la fois constituer une source de chaleur et d’électricité. Quand on consomme moins de chaleur, on peut produire plus d’électricité et maintenir l’équilibre économique. Si le consommateur de chaleur est un industriel, les projets sont plus aisés et le débouché chaleur est stable. Les cogénérations ont l’intérêt de pouvoir utiliser physiquement la chaleur produite sous forme d’électricité quand il n’y a plus de consommation de chaleur l’été.

Le choix de ne plus subventionner la géothermie pour la production d’électricité n’a donc pas été simple, mais il pourrait être revu à l’avenir en fonction des propositions de la filière et des évolutions technologiques. Ce choix a résulté du constat d’un prix de rachat de l’électricité toujours cher, environ 120 euros le MWh, malgré les progrès de la géothermie profonde. D’autres filières trouvent également que leurs objectifs de prix sont trop bas. Nous avons des échanges réguliers avec la filière géothermie sur la possibilité d’une phase d’amélioration des procédés avant le déploiement ou de leviers de réduction des coûts, tels que le financement ex ante.

La géothermie pourrait-elle devenir tout à la fois une bonne productrice de chaleur et d’électricité ? Il m’est difficile de répondre, mais s’il est démontré que l’équation économique est bonne, il n’y aura pas de raison de ne pas le prendre en compte dans la PPE. Notre intention, en interrompant les subventions à la géothermie productrice d’électricité, était d’éviter que cette filière ne concentre ses financements sur l’électricité, à des tarifs très élevés, ce qui conduirait à des dépenses superfétatoires, engendrant elles-mêmes un prix artificiel de la chaleur et bloquant du même coup le développement des autres projets chaleur. L’exemple de la cogénération au gaz est instructif. Elle permettait, avec de gros tarifs d’achat de l’électricité, d’obtenir de la chaleur à un prix peu élevé, artifice qui n’est pas souhaitable. Pour conclure, la fin du soutien à la géothermie des profondeurs n’est pas à une religion. La PPE fait aujourd’hui le choix des filières matures, mais je rappelle qu’elle est revue tous les cinq ans et qu’elle s’inscrit dans un environnement technologique en constante évolution.

La territorialisation est un vaste sujet et le président me dira à juste titre que j’ai déjà été trop long. Au-delà des grands travaux nationaux, qui prennent du temps et déchaînent les passions, il est nécessaire de conforter les dynamiques territoriales et partenariales entre trois échelons : l’État, qui fixe des objectifs et dispose de moyens financiers ; la région, qui planifie les aménagements et la mobilisation des ressources ; enfin, les EPC intercommunalités. En 2019 et 2020, de nombreuses actions seront lancées pour consolider les échanges entre ces différents échelons, ce dont il faut se féliciter.

S’agissant du service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH), nous avons suggéré à nos ministres de proposer aux régions une animation conjointe. Nous envisageons de relancer plusieurs dispositifs pour encourager tous les projets de rénovation, d’EnR et de mobilité propre. Il ne sert à rien que nous inventions à la DGEC un dispositif d’aide à l’installation de bornes de recharge électrique si personne ne le connaît. L’un des gros enjeux de 2019 et 2020 sera de relancer la dynamique contractuelle.

M. le président Julien Aubert. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Le jacobin que je suis pense même qu’il faudrait clarifier les responsabilités et les financements en fixant des objectifs nationaux déclinés en objectifs régionaux, et en laissant chaque acteur maître de ses moyens.

M. Vincent Thiébaut. Vous n’avez pas répondu quant à l’impact des politiques environnementales en termes de recettes.

M. Laurent Michel. Deux évaluations macroéconomiques existent sur la PPE et la stratégie nationale bas-carbone, qui reposent à moyen terme sur le même scénario. Nous comparons actuellement le scénario « avec mesures existantes » et le scénario PPE-SNBC. Nous remettrons prochainement le rapport d’accompagnement de la stratégie nationale bas-carbone, qui détaille les résultats de cette comparaison.

Avec toute la prudence requise, à moyen et long terme, des hausses différentielles de PIB de l’ordre de 3 % apparaissent, ainsi que des créations d’emplois jusqu’à 300 000 et des variations selon les périodes d’investissement et de fonctionnement. Bien entendu, les impacts sont différents selon les filières. Je ne crois pas, en revanche, qu’on ait calculé le montant des taxes perçues par les collectivités locales, ces taxes étant différentes selon les types d’énergie, mais je vous transmettrai une réponse écrite.

M. le président Julien Aubert. Vous avez dit tout à l’heure que le coût de la tonne de CO2 évitée était le plus cher dans les transports. Voilà qui nous fournit un élément de comparaison méthodologique pour évaluer les différentes politiques de transition énergétique.

Utilisez-vous le coût de la tonne de CO2 évitée pour analyser, de manière transversale, l’impact des actions menées dans le logement, le transport et les énergies renouvelables ?

M. Laurent Michel. Nous disposons en effet de données sur les différentes politiques, outre les travaux de la commission Quinet sur la valeur tutélaire du carbone ou nos projections de long terme. Selon les valeurs que l’on attribue à l’action du carbone, certaines politiques sont plus rapides. C’est le cas du logement. Dans le transport, la valeur du carbone augmente plus fortement pour atteindre les réductions visées.

M. le président Julien Aubert. Autrement dit, il y a une élasticité sociale plus grande au coût du carbone dans le logement que dans le transport. Ou encore : la sensibilité à l’effet prix est plus grande dans le logement que dans le transport en cas d’augmentation du prix du carbone.

M. Laurent Michel. En effet. Mais nous faisons le pari, en France comme d’ailleurs en Europe et en Chine, que l’électrification du transport permettra tôt ou tard, grâce aux technologies et à la massification des productions, d’atteindre le point de bascule où le coût du véhicule décarboné s’alignera sur le coût du véhicule carboné. Ce dernier est aujourd’hui plus cher ; la tonne de CO2 évitée l’est donc également. Il faut bien sûr prendre en compte aussi l’investissement en amont sur l’innovation et la contrainte réglementaire.

M. le président Julien Aubert. Lorsque l’on investit dans l’éolien, le coût de la tonne de CO2 évitée est logiquement plus important puisque l’on substitue l’éolien au nucléaire. Il n’y a donc pas de CO2 évité. Investir dans l’éolien représente donc un coût, pour un effet CO2 limité.

M. Laurent Michel. Ce point fait l’objet de nombreux débats, selon que l’on considère la plaque française ou la plaque européenne. Le fait que la France continue à produire plus d’énergie décarbonée aide à substituer des énergies carbonées dans d’autres pays, grâce à sa capacité d’export.

M. le président Julien Aubert. Quand on exporte du nucléaire, on exporte déjà de l’énergie décarbonée.

M. Laurent Michel. Certes, mais le scénario tel qu’il existe aujourd’hui, et qui a fait débat, parie sur une augmentation des exportations, et donc sur une substitution plus forte d’électricité décarbonée sur la plaque ouest européenne.

M. le président Julien Aubert. Restons à l’échelle de la France. Si l’électricité nucléaire passe de 75 % à 50 % pour être remplacée par de l’électricité éolienne ou photovoltaïque, l’impact carbone est nul. L’argent utilisé pour la substitution, en coût de la tonne de CO2 évitée, est donc très important puisque l’effet levier sur le CO2 est faible. En revanche, si l’on investit 1 milliard d’euros pour passer du véhicule à essence au véhicule électrique, l’impact carbone est réel. Je ne comprends donc pas ce que la plaque européenne ou les exportations viennent faire ici.

M. Laurent Michel. Si vous exportez plus, vous substituez davantage d’énergies décarbonées à des énergies carbonées sur la plaque européenne. L’effet en termes de coût de la tonne de CO2 évitée est relativement faible au niveau français, mais il est plus important à l’échelle européenne.

Je rappelle que nous ne nous projetons pas uniquement à 2020 et que nous nous inscrivons aussi dans la perspective d’un mix électrique pour 2035 et 2050. Il existe évidemment de nombreuses opinions sur le meilleur mix décarboné. Je suis quant à moi persuadé que nous devons soutenir le développement des énergies renouvelables, sans exclure toutefois une option nucléaire, légitime et possible. L’un des moyens de faire baisser les prix est de préparer plusieurs options de mix électrique décarboné.

M. le président Julien Aubert. Il ne s’agit pas tant du nucléaire que de la manière dont nous construisons notre budget. On a l’impression que ce budget est infini et que l’on jongle avec les milliards d’euros. On sait bien pourtant que les choses ne sont pas si simples quand il faut prélever cet argent sur les Français. Je ne sais pas quelle trajectoire de la « taxe carbone » est prise comme hypothèse dans la PPE, mais je rappelle que cette taxe est aujourd’hui gelée. D’où ma question sur la méthodologie que vous utilisez, puisque vous avez souligné que, dans le domaine du transport, le coût de la tonne de CO2 évitée était plus élevé. J’en déduis que vous disposez d’éléments pour comparer les différentes politiques de transition énergétique. Pour chacune d’elles, la corrélation entre le coût de la tonne de CO2 évitée et l’objectif environnemental vous conduit à faire des arbitrages financiers par rapport à des objectifs budgétaires réalistes. Quel est le coût global de la PPE ?

M. Laurent Michel. Les dépenses nouvelles engagées – ensemble des EnR, Fonds chaleur et CITE – représentent 40 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 20 milliards pour la rénovation, hors logement social, et 10 milliards pour le transport. Le coût global de la PPE s’élève donc à environ 80 milliards d’euros, hors investissements dans les départements d’outre-mer (DOM), péréquation et chèque énergie.

M. le président Julien Aubert. La PPE prévoit l’augmentation des dépenses en matière de transition énergétique. Pouvez-vous nous préciser quel sera précisément le montant de cette augmentation ? À combien ces dépenses s’élevaient-elles en 2018 ?

M. Laurent Michel. En dépenses publiques, elles représentaient un peu plus de 11 milliards d’euros en 2018. Elles atteindront progressivement un montant de 12 à 13 milliards par an, puis redescendront à 6 à 8 milliards quand les EnR seront beaucoup moins chères.

M. le président Julien Aubert. Nous dépensons donc aujourd’hui 11 milliards d’euros pour la transition énergétique, dont environ 6 milliards pour les EnR et le reste pour le transport et le logement. La PPE prévoit une augmentation de ce volume, puis une baisse, mais la répartition des sommes entre le logement, le transport et les énergies renouvelables restera globalement identique : 50 % des dépenses publiques pour le soutien aux EnR, 50 % pour le transport et le logement.

M. Laurent Michel. À court terme, c’est bien cela. Une réorientation interviendra vers la fin de la PPE quand les prix des EnR auront baissé, parallèlement à la montée du biogaz, vecteur important de décarbonation.

M. le président Julien Aubert. Tous ces sujets sont pour vous évidemment très familiers, mais ils le sont moins pour nous et je cherche à comprendre la logique. La PPE fixe donc un horizon de dix ans pendant lesquels l’effort budgétaire pour la transition énergétique augmentera de quelques milliards par an. À la fin de la période, une fois passé le pic des EnR, une partie des dépenses publiques sera rebasculée sur les autres politiques.

M. Laurent Michel. Elle le sera en pourcentage. À l’intérieur des EnR, une bascule est également prévue, avec l’augmentation progressive du fonds chaleur et du biogaz, celui-ci représentant 8 milliards d’euros sur la période.

M. le président Julien Aubert. Nous partons d’une situation structurelle où les énergies électriques bénéficient du soutien le plus important.

M. Laurent Michel. Certes, mais l’effort sur le biogaz est considérable. Derrière les chiffres bruts et l’inertie des soutiens existants, il y a des réallocations importantes dans les décisions nouvelles.

M. le président Julien Aubert. On nous dit que le photovoltaïque est devenu concurrentiel, que ce secteur est désormais une industrie et que les prix baissent. La logique européenne et française est d’interdire le soutien aux industries pour ne pas fausser la concurrence. Si les énergies renouvelables électriques sont arrivées à maturité, pourquoi ne pas arrêter tous les soutiens ? Cet argent pourrait être rebasculé plus rapidement, et pas dans sept ou huit ans, sur d’autres secteurs pour lesquels le coût de la tonne de CO2 évitée est plus faible.

M. Vincent Thiébaut. Je vois où veut en venir le président, mais le sujet du nucléaire ne doit pas être examiné du seul point de vue de la décarbonation. Il faut également prendre en compte l’impact et le coût de la dénucléarisation.

M. le président Julien Aubert. Je ne parlais pas du nucléaire. J’aimerais, si possible, entendre la réponse de la DGEC.

M. Laurent Michel. Certaines filières matures approchent en effet de la compétitivité. Le mécanisme d’appel d’offres le révélera et permettra de diminuer les besoins de subventions. Toutefois, interrompre dès maintenant le soutien aux énergies renouvelables électriques mettrait un coup d’arrêt à ces filières en cassant les processus industriels de montée en puissance.

M. le président Julien Aubert. Sans parler de l’éolien, les acteurs du solaire nous disent que leur filière est compétitive. C’est comme pour le vélo : on retire les petites roues à l’arrière quand l’enfant est capable de pédaler tout seul. Vous me dites qu’on ne peut pas retirer les petites roues aux filières des énergies renouvelables. C’est donc qu’elles ne sont pas compétitives.

M. Laurent Michel. Merci de bien vouloir me laisser terminer. Vous me permettrez de ne pas vous servir la soupe et de vous faire une réponse franche.

Les filières avancent effectivement, à des marches différentes, vers la compétitivité. Il arrivera un moment, plus ou moins proche selon leur secteur et les types de projet qu’elles choisiront de développer, où elles pourront se passer de subventions. Une autre forme de régulation que le tarif d’achat, de type garantie plancher, sera peut-être alors mise en place.

Dans le solaire, pour le photovoltaïque au sol, nous ne sommes plus très loin de ce moment. Nous devrions y arriver d’ici deux à cinq ans, en fonction de la nature des projets, mais aussi de la taille de ceux qui seront choisis, les plus gros étant les moins coûteux.

Dans le bâtiment, il faudra attendre plus longtemps, les coûts d’implantation étant plus élevés. Dans l’éolien, les appels d’offres seront un bon indicateur, mais nous n’en aurons pas besoin probablement d’aides pour le repowering. L’éolien en mer dépendra beaucoup des endroits et du vent. Comme dans d’autres pays, le nombre de parcs pour lesquels aucune subvention ne sera nécessaire pourrait rapidement augmenter en France. Seuls les appels d’offres le diront. Quand l’éolien en mer aura atteint un coût peu élevé, des appels d’offres inverses seront organisés : l’État, propriétaire du domaine public maritime, demandera aux acteurs d’installer un champ à tel ou tel endroit, et touchera des redevances.

Cette question nécessite donc un pilotage fin. On ne peut pas décider de manière uniforme d’arrêter les subventions dans tous les secteurs. Le jour où cela paraîtra possible pour l’un d’eux, un cadre clair et lisible devra être donné aux acteurs afin d’éviter les phénomènes de précipitation visant à profiter au maximum des subventions publiques.

Nous devons prendre garde à ne pas interrompre trop tôt les subventions, ce qui nuirait aux dynamiques des filières et les empêcherait d’émerger. Il est difficile, quand une filière a été stoppée dans son développement, de la faire redémarrer. Veillons à ne pas nous retrouver dans une situation où nous ne saurions plus faire notre mix électrique et où nous aurions mis tous nos œufs dans un seul panier, celui du nucléaire. Le nucléaire a toute sa place dans la réflexion, mais il doit se concevoir dans un ensemble de filières et dans le cadre d’un mix équilibré.

Ceux qui seront en charge de la prochaine PPE seront directement confrontés à ces questions. Quand et comment arrêter les dispositifs de subvention ? De manière transitoire ou avec une garantie des prix en cas de circonstance exceptionnelle, l’effondrement du marché par exemple ?

M. le président Julien Aubert. Avez-vous pris en compte, dans la PPE, la question de la décroissance marginale du rendement liée à la localisation ? Compte tenu de l’épuisement progressif des sites les plus favorables au solaire et à l’éolien, les nouvelles capacités seront implantées dans des endroits plus éloignés des centres de consommation. Comment avez-vous intégré cette dimension spatiale dans le rendement économique ?

M. Laurent Michel. Le solaire n’est pas confronté à cette question. En revanche, une décision politique devra être prise pour choisir entre le maintien de la politique de ciblage sur des sites non dégradés, limitant au maximum l’utilisation de sites naturels, ou l’installation de plus grosses centrales, avec les inconvénients que cela représente en termes d’utilisation des terres agricoles notamment. Il n’y a cependant pas de problème de ressource dans le solaire comme cela peut être le cas avec le vent.

Dans notre équation économique, nous sommes restés bien en deçà des potentiels techniques des parcs éoliens terrestres et nous avons pris en compte, de manière statistique, les questions d’acceptabilité. Le progrès des technologies, à tailles égales d’éoliennes, engendre des puissances et des rendements meilleurs sur les sites existants. Nous avons donc intégré le repowering dans l’augmentation de puissance.

Dans l’éolien offshore, les spots sont très isolés. L’extension des futurs parcs sera un axe important du développement de la filière. Les six premiers parcs des appels d’offres 1 et 2 sont destinés à être un jour étendus, si bien sûr ils donnent satisfaction sur tous les critères. Les extensions permettent, dans les mêmes conditions de vent, d’énormes économies d’échelle sur le raccordement et les sous-stations. Sur la durée de la PPE, les prévisions pour l’éolien offshore ne soulèvent pas de problème de ressource en vent.

M. le président Julien Aubert. Est-il possible de calculer l’impact carbone du nucléaire, de l’éolien et du solaire, à méthodologie et durée de vie équivalentes ? Il serait intéressant de comparer le CO2 émis lors du démantèlement et du renouvellement des parcs éoliens et solaires aux émissions d’un actif nucléaire pendant toute sa durée de vie, de manière à obtenir la même unité de compte. Quand on parle d’investissement et d’impact CO2, les durées de vie des installations considérées sont souvent différentes.

Une étude du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a montré que le nucléaire était quatre fois moins émetteur de gaz à effet de serre que le solaire, mais je ne sais pas si cette évaluation portait sur la durée de vie d’un actif nucléaire. Nous butons souvent sur des questions méthodologiques. Existe-t-il un cadre de référence permettant de comparer les coûts et l’impact carbone sur une durée de vie commune ?

M. Laurent Michel. Sur l’impact carbone, il existe en effet des valeurs de référence. Elles émanent de divers organismes, parmi lesquels l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Il faut, vous avez raison, comparer ce qui est comparable, mais inclure également le démantèlement du nucléaire et la gestion de ses déchets.

Ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons. On entend un peu tout et son contraire, dans des approches parfois sujettes à caution. Les coûts doivent également être examinés en fonction de durées de vie objectives des installations. Il faut distinguer, en outre, le coût de production et le coût de soutien. La centrale nucléaire britannique d’Hinkley Point sera soutenue pendant trente-cinq ans à un certain prix, celui-ci étant distinct de son coût si elle fonctionne pendant soixante ans.

Pour le nucléaire, l’une des questions qui se posera à l’avenir sera justement de savoir quelle durée de vie raisonnable on choisira et quel coût de soutien sera nécessaire.

M. le président Julien Aubert. Serait-il possible de disposer d’une comparaison, sur la même durée de vie, entre le nucléaire - construction, démantèlement, déchets, impact carbone, coût –, l’éolien, le photovoltaïque et les autres énergies non électriques ? Cela nous permettrait d’identifier les avantages et les inconvénients des uns et des autres en termes d’impact carbone et de coût.

M. Laurent Michel. Nous pouvons vous fournir une synthèse de la littérature, mais pas de nos travaux, car ils débutent. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a mené différentes études, qui donnent des repères utiles. Il faut toutefois rester prudent s’agissant des projections de coûts des diverses filières à 2030. On peut déterminer le coût du nucléaire existant, mais il n’est pas reproductible. Le coût du nouveau nucléaire sera différent. Il est en cours d’évaluation.

M. le président Julien Aubert. Quel était le montant de l’investissement engagé par EDF pour la construction des 58 réacteurs du parc nucléaire historique ?

M. Laurent Michel. Nous devrions pouvoir retrouver ce chiffre, mais il n’est pas représentatif des coûts actuels.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Les études et les chiffres des années 1980 ne sont peut-être pas une référence très fiable.

M. le président Julien Aubert. Je ne demande pas le coût de la construction du Palais Bourbon ! Il devrait bien être possible de savoir combien nous avons dépensé, il y a quarante ans, pour construire Gravelines ou Tricastin. On m’avait donné le chiffre de 90 milliards d’euros courants, mais je ne sais pas s’il est exact. Nous avons déjà engagé 95 milliards d’euros pour les EnR, ce qui fait réfléchir. Reste que le coût de construction du parc historique, une fois prise en compte l’inflation, serait sans doute bien supérieur à 90 milliards d’euros et approcherait sans doute plutôt les 400 milliards. En tout état de cause, ce chiffre nous donnerait un premier élément de comparaison.

Je ne vois pas d’autres questions. Nous levons donc la séance en vous remerciant, monsieur le directeur général.

Laudition sachève à vingt et une heures.

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7.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), accompagné de M. Dominique Jamme, directeur général adjoint, M. Julien Janes, directeur adjoint à la direction du développement des marchés et de la transition énergétique et de Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles (4 avril 2019)

Laudition débute à neuf heures.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), accompagné de M. Dominique Jamme, directeur général adjoint, de M. Julien Janes, directeur adjoint du développement des marchés et de la transition énergétique, et de Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles.

Notre commission d’enquête se devait d’auditionner les responsables de l’autorité en charge de veiller au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz, ouverts à la concurrence depuis 2007, dans un cadre régulé.

Même si la date en a été fixée bien à l’avance, cette audition paraît d’autant plus opportune qu’elle intervient alors que la délibération de la CRE, en date du 7 février, fait l’actualité : il est proposé au Gouvernement d’augmenter de 5,9 % les tarifs réglementés de l’électricité, et ce, avant le mois de juin.

La hausse proposée serait lourde de conséquences, puisqu’elle concernerait plus de 25 millions de foyers, dans un climat social marqué par les problèmes de pouvoir d’achat, et qu’elle poserait une nouvelle fois la question de l’acceptabilité des politiques de transition énergétique, au centre des réflexions de cette commission d’enquête. En dépit d’une certaine confusion au niveau gouvernemental, il semble « acté » que cette augmentation surviendra « pendant lété », selon le propos de François de Rugy, et qu’elle tiendra compte de l’évaluation de la CRE.

Monsieur le président, monsieur le directeur général adjoint, vous voudrez bien nous rappeler dans quel cadre juridique et selon quelle méthodologie vos travaux aboutissent à préconiser une telle augmentation. Plus précisément, en quoi l’émergence des énergies renouvelables – EnR – a-t-elle des effets haussiers sur les prix de l’électricité ?

L’Autorité de la concurrence, que nous auditionnerons ce matin, a exprimé dans son avis du 27 mars son désaccord avec vos méthodes de calcul. Vos conceptions sur la nature et le rôle du dispositif de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) paraissent peu compatibles.

L’ARENH permet aux fournisseurs alternatifs d’obtenir auprès d’EDF des volumes d’électricité à des prix garantis qui, dans certaines situations de marché, sont particulièrement avantageux.

Ce désaccord était déjà perceptible dans un précédent avis de l’Autorité de la concurrence, en date du 21 janvier, relatif à un projet de décret réformant l’ARENH. Il y est reproché à la CRE de faire la « part belle » aux fournisseurs alternatifs – dont nous entendrons les représentants cet après-midi – et de ne pas restituer aux petits consommateurs les bénéfices d’un parc nucléaire historique compétitif. La transition énergétique actuelle prévoyant la diminution progressive de ce parc, nous entendrons avec intérêt vos projections et nous ne doutons pas que vous saurez trouver devant notre commission les arguments pour répondre à ces critiques.

Nous vous interrogerons aussi sur le fonctionnement du marché du gaz, qui n’est pas régi par un dispositif semblable à l’ARENH. Les nouvelles sont parfois bonnes : une baisse de 1,9 % des tarifs de vente réglementée, qui concerne 4 millions de clients, est survenue le 1er avril.

Nous ne pourrons pas faire ce matin le tour de tous les sujets sur lesquels travaille la CRE au titre de la transition énergétique. Toutefois, nous aimerions connaître les motifs qui ont conduit la CRE à engager un audit du système des certificats d’économie d’énergie (CEE), dont le coût pèse de plus en plus sur la facture des ménages. De son côté, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) se lance, plutôt tardivement, dans un « bilan approfondi et factuel du dispositif ». Avez-vous l’intention de vous rapprocher de l’ADEME pour ce travail indispensable ? Que pensez-vous de l’évaluation qui avait été réalisée par la Cour des comptes ?

Enfin, vous nous donnerez votre opinion sur le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) et sur la façon dont il intégrera les évolutions issues des récentes négociations sur l’éolien en mer.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

Monsieur Carenco, vous avez la parole pour un exposé liminaire.

M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de lénergie (CRE). Merci de nous accueillir. Vous l’avez dit, la délibération de la CRE fait l’actualité. Je formulerai ainsi les choses : moi, je ne donne pas le prix du kilo de bananes ! Je m’en tiens à mon secteur et je n’empiète pas sur le terrain du voisin ; l’avis de l’Autorité de la concurrence, que je respecte en tant qu’autorité indépendante, n’avait pas été demandé, il est ultra petita. C’est tout ce que j’ai à dire sur cette affaire, que j’ai mal vécue. Pour moi, l’incident est clos.

Je souhaite débuter mon propos en mettant en lumière les caractéristiques du système énergétique, dans l’optique de la transition énergétique. Il est convenu que celle-ci passe par le développement des énergies renouvelables. Mais à mon sens, elle devrait passer par la baisse de la consommation, car elle seule permettrait d’éviter les « violences environnementales ».

Il ne faut pas s’y tromper : grâce au mix énergétique décarboné, composé principalement de nucléaire et d’hydroélectrique, nous bénéficions déjà de faibles émissions de CO2 et d’un prix de l’électricité maîtrisé. Vous le savez, nous émettons six fois moins de CO2 que nos voisins allemands et le prix de l’électricité pour un consommateur résidentiel moyen est de l’ordre de 180 euros par mégawattheure (MWh), contre 300 euros en Allemagne.

Le développement des énergies renouvelables (EnR) électriques ne sert donc pas à réduire les émissions de CO2. Il faut le rappeler, car on dit beaucoup de mensonges à ce sujet, et encore récemment à la télévision. Cela n’a aucun sens et procède d’une forme de populisme idéologique. Pourtant, le développement des EnR est indispensable pour répondre à l’enjeu de la diversification. À moyen et long termes, la compétitivité relative des filières est totalement incertaine. Les EnR, le photovoltaïque et l’éolien en tête, ont réalisé d’importants gains de performance ces dix dernières années et se développent partout dans le monde, au point que ce qui pouvait passer pour une chimère devient une option crédible pour le mix énergétique. Je suis convaincu que le prix à la production des énergies se situera demain dans une bande comprise entre 60 euros et 80 euros le MWh.

Dans le même temps, l’industrie nucléaire soulève la question, aujourd’hui non résolue, de la gestion des déchets et fait l’objet d’exigences environnementales croissantes de la part de la population et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Nous ne pouvons pas continuer à dépendre à 75 % d’une seule et même filière de production, alors que les coûts se rapprochent et que l’énergie nucléaire devrait voir ses coûts de production augmenter.

Il est donc logique de réduire progressivement la part du nucléaire pour lui substituer des EnR – qui ne produisent pas de déchets. C’est la raison pour laquelle, je suis, à titre personnel, favorable à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui enclenche cette réduction de manière résolue et raisonnable. L’avenir ne peut pas être de produire en permanence des déchets nucléaires que nous ne savons pas traiter !

Le développement des EnR soulève des questions de coûts, de délais, de techniques, mais nous devons le faire, évidemment au meilleur coût pour la collectivité, sans sacrifier les atouts du système électrique que sont le coût à la production, la sécurité et la qualité des approvisionnements. Ce dont la CRE est comptable, me semble-t-il, c’est la garantie pour le consommateur, industriel ou domestique, du prix, de la qualité et de la sécurité.

Le développement des énergies renouvelables repose aujourd’hui encore sur le soutien des pouvoirs publics. Des erreurs de politique se sont révélées coûteuses, j’y ai moi-même participé en tant que directeur de cabinet d’un ministre. Cela a donné lieu à la bulle photovoltaïque, en 2010 notamment. Le prix du MWh était de 600 euros ; il est aujourd’hui de 48 euros. La définition d’un cadre adapté et efficace assure un meilleur usage des ressources publiques et je regrette qu’à l’époque, la CRE n’ait pas joué un rôle de garde-fou.

La CRE évalue le montant prévisionnel des charges imputables aux missions de service public, intégralement compensées par l’État, dans les conditions prévues à l’article L. 121-9 du code de l’énergie ; elle détermine le montant des reversements effectués au profit des opérateurs qui les mettent en œuvre. C’est à ce titre que la CRE participe, aux côtés de votre collègue Richard Lioger, au comité de gestion des charges publiques.

Jusqu’en 2015, c’est la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui permettait de compenser les charges du service public de l’électricité. Elle a fait l’objet d’une refonte et est devenue un instrument fiscal banal, un impôt comme un autre, dont le législateur fixe le montant sur proposition du ministre de l’économie et des finances – 22,5 euros par MWh. On confond souvent l’ancienne CSPE et la nouvelle CSPE.

Aux termes de la loi de finances rectificative de 2015, les charges de service public de l’énergie imputables au développement des énergies renouvelables sont désormais financées par le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » (CAs TE), qui n’est plus alimenté par la CSPE, mais par des taxes pesant sur les produits énergétiques les plus émetteurs de gaz à effet de serre, comme la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou la taxe intérieure sur le charbon.

La CRE est aussi chargée de mettre en œuvre la politique de soutien à la production d’électricité. À ce titre, elle émet un avis sur les arrêtés fixant les tarifs, plus élevés, de l’énergie produite par les petites installations valorisant des déchets ménagers ou des énergies renouvelables.

Enfin, si les capacités de production ne répondent pas à la programmation, le ministre recourt à des appels d’offres. La CRE, pour des raisons qui m’échappent, n’est plus chargée de ces appels d’offres ; elle n’émet qu’un avis sur le modèle du cahier des charges, puis instruit les réponses. Ainsi, la CRE rendra son avis au début du mois de mai sur les installations éoliennes en mer au large de Dunkerque.

La CRE considère que les appels d’offres sont les vecteurs les plus efficaces pour le soutien public aux filières matures : ils permettent d’adapter le soutien public aux besoins de chaque projet et offrent aux pouvoirs publics le moyen de contrôler le rythme de développement.

Aujourd’hui, le soutien public est basé sur le système dit « marché + primes » : sur un prix de 100 euros garanti, si le marché est à 60 euros, la prime est à 40 euros ; si le marché est à 50 euros, la prime est à 50 euros. Mais si le marché est à 110 euros, alors le titulaire de l’appel d’offres doit rembourser les 10 euros. Le collège de la CRE estime que c’est le meilleur système, après appel d’offres, car il est vertueux.

Cela dit, les appels d’offres ne sont pas la panacée, car ils ne peuvent fonctionner sans concurrence. Or les appels d’offres sont programmés pour les cinq ans à venir, en indiquant tous les six mois le volume, ce qui empêche la concurrence de jouer. Je suis donc opposé à l’idée que les calendriers et les quantités soient fixés une fois pour toutes.

La part du photovoltaïque dans la consommation est de 2 %. C’est peu, et vous avez raison, monsieur le président, de mettre en regard le coût et le développement de cette EnR. Mais la croissance est rapide : au 30 septembre 2018, nous avions 8,4 gigawatts-crête installés, contre 6,8 fin 2016. La CRE estime que la filière est compétitive. Elle a recommandé que des projets de grande taille soient développés pour faire baisser les prix. Le Gouvernement va lancer des appels d’offres portant sur des installations de plus de 30 mégawatts (MW), ce qui semblait autrefois indépassable.

Il est vrai qu’il faut prendre garde à ne pas exploiter les terres agricoles. Mais il existe suffisamment de bases militaires et de terrains industriels qui offrent de grandes surfaces. Sur 100 hectares, le prix de production ne sera pas le même que sur un toit de 12 mètres carrés. Cela paraît une évidence, mais on a mis du temps à le comprendre. Le prix du MWh, sur les installations les plus vertueuses est de 48 euros, soit en dessous du nucléaire, tous coûts confondus ! La filière française est compétitive, puisque les coûts de production en Allemagne se situent entre 40 et 70 euros le MWh.

Nous devons nous interroger sur le pourquoi du comment des petites installations photovoltaïques. Leur objet n’est pas de fournir beaucoup d’électricité pour pas cher ; ce n’est pas pour autant qu’il ne fallait pas les soutenir.

Pour ce qui est de l’éolien terrestre, le dernier appel d’offres a fait émerger des projets à 65 euros le MWh, toujours dans cette bande comprise entre 60 et 80 euros le MWh. Le véritable enjeu de l’éolien terrestre, c’est le repowering – la reconception du parc – et le revamping – le remplacement des machines.

En 2021-2022, nous parviendrons au terme de la contractualisation pour les premières éoliennes. En lieu et place des mats de 1,5 MW, on peut installer des mats de 3, voire de 6 MW. Il sera donc possible de produire, sur la même surface, deux à trois fois plus d’électricité. Je plaide pour que les appels d’offres de repowering soient différents des appels d’offres portant sur des installations nouvelles.

Je prône aussi un retour au marché, au-delà de la période de quinze ou vingt ans prévue par le système. Il n’y a pas de raison de continuer à soutenir les éoliennes une fois qu’elles sont amorties. Il faut composer avec le lobby anti-éolien, assez fort en France, où l’on est souvent contre tout, mais il faut aussi mettre un terme à l’obligation d’achat. Enfin, il faut que nous parvenions à sortir de la situation inédite de blocage dans laquelle se trouve l’éolien terrestre, en l’absence d’autorité environnementale.

Sur l’éolien en mer, les appels d’offres ont été lancés en 2011 et 2013. La décision avait été prise par le Premier ministre avant 2010 – j’étais alors directeur de cabinet du ministre de l’environnement. Nous sommes en 2019 : si cela continue ainsi, nous aurons un musée des projets…

Oui, l’éolien en mer a un coût. M. Gérard Rameix, chargé de piloter les discussions, a bien travaillé et la CRE a été sollicitée. Nous avons obtenu une baisse de l’enveloppe de 25 % : d’une part, les coûts de raccordement, qui devaient être pris en charge par le titulaire du marché, seront désormais financés via le TURPE ; d’autre part, nous avons obtenu une diminution des prix. Cette baisse de 25 % n’est pas négligeable : le coût du MWh atteindra 150 euros, ce qui était prévu initialement. Disons la vérité, cela est dû au retard qui nous est imputable collectivement, aux atermoiements, à l’extrême complexité des procédures. Mais sur les installations au large de Dunkerque, nous avons tiré les conséquences et le coût du kilowatt sera raisonnable, ce qui en surprendra plus d’un.

Les power purchase agreement (PPA) – contrats d’achat à long terme entre un producteur et un utilisateur – demeurent encore embryonnaires en France. Ils doivent être développés.

Je veux évoquer avec vous le stockage. Ce n’est pas seulement un moyen de pallier l’intermittence, qui est le propre des énergies renouvelables. Son intérêt est surtout de permettre la flexibilité, absolument indispensable à notre réseau. Dans le système électrique français tel qu’il est, avec notamment beaucoup de chauffage électrique, et un excellent opérateur de transport, Réseau de transport d’électricité (RTE), que je salue au passage – la flexibilité suppose des interconnexions avec l’étranger, de l’interruptibilité, des capacités d’effacement et de stockage. La CRE rappelle cette double utilité du stockage et préconise des investissements dans ce domaine. Nous avons lancé un appel à réflexion en ce sens.

Un dernier mot sur les zones insulaires non interconnectées (ZNI), où le risque est celui de la surcapacité de production. La CRE s’investit dans les PPE et refuse de compenser les charges de service public si elles ne sont pas inscrites dans les programmations. Nous discutons fermement avec les autorités territoriales compétentes pour éviter que les PPE ne prévoient des absurdités écologiques – importer de Marseille de l’huile de palme en Guadeloupe, ou encore du bois en Guyane –, qui bien souvent conduisent à produire une électricité inutile.

M. le président Julien Aubert. Il reste un mystère que vous n’avez pas résolu. Nous sommes tous d’accord pour dire que les prix de l’électricité ont fortement augmenté ces dernières années et que le TURPE, que vous avez à peine évoqué, fait débat.

Vous avez parlé d’une baisse de 25 % sur l’éolien en mer, sans préciser qu’un cadeau avait été fait aux opérateurs : le raccordement à RTE, qui devait être à leur charge, sera financé via le TURPE, intégré à la facture d’électricité. Il existe donc bien un lien entre le développement des énergies électriques vertes et le prix de l’électricité.

Ce que je ne comprends pas, c’est que, lorsque l’on a ouvert le marché de l’électricité à la concurrence, les prix, au lieu de baisser comme promis, ont augmenté. Je vois trois raisons à cela : soit il existe un défaut systémique en France qui fait que la concurrence fait augmenter les prix ; soit on s’est servi du nucléaire pour tracter le développement des énergies renouvelables, et les cadeaux divers et variés finissent par provoquer une augmentation substantielle des prix de production ; soit le développement des EnR, qui sont plus chères à la production, a eu un effet massif au plan européen, et provoqué une augmentation des prix de gros.

Pourriez-vous nous expliquer comment nous en sommes arrivés là ? Alors que nous faisons face à une crise majeure et que les Français nous disent qu’ils en ont assez de payer des factures, les prix de l’électricité vont encore augmenter sensiblement. Comment l’expliquer à nos concitoyens ? Certes, la diversification énergétique est un objectif. Mais que fait-on du pouvoir d’achat ? Pouvez-vous expliquer le lien, dans la structuration des coûts, entre le prix de l’énergie verte et le prix payé par le consommateur ?

M. Jean-François Carenco. En 2017, le prix de l’électricité en France était de 169 euros le MWh pour le client ; il était de 304 euros en Allemagne et au Danemark, de 230 euros en Espagne, de 186 euros à Chypre et de 180 euros au Royaume-Uni. En 2018, le prix a augmenté partout en Europe, de 10 % en Belgique, de 3,3 % en Allemagne, de 8 % en Espagne et en Italie. Nous proposons une augmentation de 5,9 %.

Le prix de l’électricité est constitué de trois éléments : le coût de la production, le coût du transport et de la distribution, les impôts et taxes. Leurs parts respectives sont de plus en plus inégales, puisque le coût de la production pèse de moins en moins, mais que, parallèlement, le TURPE, qui finance le transport et la distribution, augmente. Cela constitue une difficulté.

Néanmoins, je continue à défendre l’idée selon laquelle il faut faire du renouvelable, parce qu’à terme on ne peut pas continuer à dépendre à 75 % du nucléaire. C’est impossible, ni les Français ni l’ASN ne le permettront.

Cette évolution va nous faire passer d’un système composé d’une centaine de lieux de production – dix-neuf sites nucléaires, quelques grands barrages, quelques grandes usines – à un autre qui en compte de centaines de milliers, voire des millions. Vous mesurez l’ampleur du défi, et c’est ce qui amène la CRE à considérer l’autoconsommation avec circonspection. Cette attitude nous est reprochée, mais rappelons que l’autoconsommation induit une importante extension des réseaux, et qu’elle repose sur une inégalité territoriale. Il fait beau dans le Sud, cela ne doit pas dispenser de payer les taxes sur l’électricité !

Les impôts et taxes constituent le premier élément du prix de l’électricité, et nous nous contentons d’appliquer les décisions prises par le législateur en ce domaine.

Transport et distribution constituent le deuxième élément du prix. Le TURPE est cher, et il augmente, par facilité, mais aussi dans un souci de diversification et par mesure de prudence. Je tiens à saluer la qualité du dialogue que nous entretenons avec les régulés : nous les supervisons, nous les rencontrons souvent, et nous essayons de mettre en place des systèmes incitatifs.

Le troisième élément du prix, ce sont les coûts de production. Les tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité concernent la production. La CRE ne fait qu’appliquer la loi – ce qui semblera peut-être étrange en ces temps…

La réglementation sur cette question est nationale et européenne, et curieusement, le mot « Europe » ne figure pas dans le rapport de l’Autorité de la concurrence. Le marché intérieur de l’énergie est totalement intégré, et nous nous en portons très bien puisque nous exportons 15 % de notre production électrique et que nous importons seulement 5 % de notre consommation. Notre balance commerciale est nettement positive, et nous le devons à l’Europe. Les 5 % que nous importons correspondent à ce que j’ai qualifié de « flexibilités », au-delà de l’interruptibilité. Je salue à cet égard la décision de RTE, annoncée le 13 janvier dernier, de mettre en œuvre cette interruptibilité. Le système nous coûte 90 millions d’euros par an, et il a marché.

J’en viens à la réponse à votre question, monsieur le président, mais il fallait la replacer dans le tableau d’ensemble. Comment se décomposent les 5,9 % de hausse des tarifs ? Premièrement, les coûts commerciaux, les CEE et le TURPE ne participent pas de cette hausse. Les marges ont été réduites afin de compenser les CEE, pour une somme nulle.

C’est la composante du prix liée aux capacités de production qui a fortement augmenté. La flexibilité impose aux producteurs de garantir qu’en cas d’incident ou de surconsommation, ils sont capables de fournir des capacités de production supplémentaires. On finance donc des capacités de production qui servent uniquement à garantir la sécurité des approvisionnements, et c’est très récent. Dans la hausse annoncée, 2,20 euros TTC par mégawattheure sont dus à l’augmentation de la capacité, soit 1,3 point sur les 5,9 %.

Les 4,6 points restants sont dus à la production. Considérons séparément le marché normal et l’effet du plafonnement de l’ARENH. Le fonctionnement normal du marché induit une hausse de 2,4 points de pourcentage du TRV, et de 2,2 points de l’ARENH.

Le marché est tendanciellement à la hausse depuis quelque temps, après avoir été structurellement à la baisse.

M. le président Julien Aubert. Les 5,9 % de hausse sont donc dus à l’augmentation de la capacité pour 1,3 point ; pour 2,4 points à l’évolution du marché et pour 2,2 points à l’ARENH.

Procédons par étapes. Vous nous avez dit que les augmentations de capacités de production, responsables de 1,3 point de hausse, étaient très récentes. Mais de mémoire, la facture d’électricité a augmenté de 30 % à 40 % en dix ans.

M. Jean-François Carenco. Je vais vous donner les augmentations précises des tarifs de l’électricité. Prenons le cas du tarif bleu résidentiel : il a augmenté de 3 % le 15 août 2010 ; de 1,7 % en juillet 2011 ; de 2 % en juillet 2012 ; de 5 % en 2013 ; de 2,5 % en novembre 2014 ; de 2,5 % au 1er août 2015 ; puis il a baissé de 0,5 % le 1er août 2016 avant d’augmenter de 1,7 % le 1er août 2017 ; de 0,7 % le 1er février 2018 ; puis de baisser de 0,5 % le 1er août 2018. Et nous préconisons maintenant une hausse de 5,9 %.

Je ne sais pas à combien abouti ces hausses combinées, je vous donne le détail des chiffres.

Mme Laure de La Raudière. Les pourcentages ne s’additionnent pas, donc ces hausses peuvent faire un total de 35 % sur dix ans.

M. le président Julien Aubert. L’explication que vous donnez pour la hausse en 2019 vaut-elle également pour les hausses précédentes ? Pouvons-nous considérer que ce sont ces trois facteurs qui jouent, ou qu’il y a une autre tendance ?

M. Jean-François Carenco. Oui, il y a une autre tendance à l’œuvre. Ni l’augmentation des capacités, ni l’ARENH n’entraient en jeu.

M. le président Julien Aubert. Seule l’évolution du marché explique donc ces hausses ?

M. Dominique Jamme, directeur général adjoint de la Commission de régulation de lénergie (CRE). Non, c’est surtout l’évolution des taxes. Même si aujourd’hui, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) est gelée à 22,50 euros par MWh et ne vient plus compenser le surcoût des énergies renouvelables, car la mécanique budgétaire a changé, il faut se rappeler qu’elle était de 3 euros il y a une dizaine d’années. Une part très importante des hausses s’explique donc par les taxes.

Mme Laure de La Raudière. Les taxes pour les énergies renouvelables…

M. Jean-François Carenco. Non, la CSPE ne finançait pas uniquement les énergies renouvelables, la péréquation pour les ZNI représente 2 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent la cogénération et une composante sociale. Mais la majeure partie des hausses de tarif au cours des dix dernières années tient aux taxes.

M. le président Julien Aubert. Et une large partie des taxes finance les énergies renouvelables. Savez-vous dans quelle proportion ?

M. Jean-François Carenco. En gros, deux tiers de la CSPE vont aux énergies renouvelables.

Mme Laure de La Raudière. Les deux tiers de l’augmentation ?

M. Jean-François Carenco. Non, les deux tiers de la masse.

M. le président Julien Aubert. Pour résumer : 66 % des hausses de tarif passées sont liées à la part de la CSPE consacrée aux énergies renouvelables. En 2019, la hausse ne tient plus aux taxes, mais à la hausse des capacités de production, au marché et à l’effet rationnement de l’ARENH.

Lorsque vous parlez des capacités de production, vous parlez bien des capacités à fournir de l’électricité au moment du pic de consommation ? Et c’est un des problèmes, car les EnR sont, par définition, intermittentes.

M. Jean-François Carenco. Nous ne faisons pas de certificats de capacité pour régler le problème des intermittences. Les certificats de capacité sont faits pour les situations de pics de production, ou en prévision des révisions de certaines centrales nucléaires. Mais nous ne faisons pas de certificats de capacité pour les 2 % d’électricité d’origine solaire.

M. le président Julien Aubert. Pourquoi, en ce cas, est-ce apparu récemment ?

M. Dominique Jamme. C’est prévu par la loi. Le dispositif a été validé par le Parlement, au moment où les prix sur les marchés étaient extrêmement bas. Le souci était simplement d’assurer la sécurité d’approvisionnement, car en France comme en Europe, on a assisté à des fermetures et des mises sous cocon de centrales à charbon et à gaz. De fait, la production permettait de supporter un hiver normal, mais pas un hiver froid. C’est ce que l’on appelle en anglais le missing money : l’activité de production connaissait un déficit très fort. Pour assurer de façon certaine le passage de la pointe de consommation, RTE a calculé la capacité nécessaire lors des dix jours les plus froids chaque hiver. Une mécanique a ensuite été mise en place pour rémunérer ces capacités supplémentaires.

M. le président Julien Aubert. À l’avenir, si la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique augmente par rapport à celle du nucléaire et que nous n’avons pas de solution de stockage, aurons-nous besoin de capacités de production plus ou moins importantes ?

M. Dominique Jamme. C’est une question pertinente, et délicate. Les énergies renouvelables apportent leur contribution à la pointe, mais c’est une contribution statistique. Si l’on sait que les capacités « dispatchables » telles que le nucléaire, le gaz ou le charbon ont 90 % de probabilité d’être disponibles, ce pourcentage est de 10 % ou 20 % pour l’éolien. Il y a donc une contribution des énergies renouvelables, mais elle est plus faible, et c’est une contribution statistique.

M. le président Julien Aubert. Pour parler très clairement, si le pic de froid a lieu le 5 janvier et qu’il est absolument nécessaire d’avoir de l’électricité, il n’est pas certain que l’ensoleillement ou le vent permette d’en produire.

M. Jean-François Carenco. Exactement, c’est pourquoi ce qui compte, c’est un ensemble de flexibilité. RTE doit équilibrer l’offre et la demande d’électricité à chaque seconde, c’est impossible sans flexibilité. L’interruptibilité est une forme de flexibilité, et elle a été mise en œuvre le 10 janvier dernier. Autre forme d’interruptibilité, l’effacement ne marche pas en France, et il serait intéressant de savoir pourquoi.

J’en viens enfin au rôle de l’ARENH dans la hausse des tarifs. L’ARENH a été fixée à 42 euros le MWh par la loi depuis le début, et plafonnée à 100 térawattheures (TWh). À l’époque, 100 TWh paraissaient inatteignables, alors qu’il n’existait que trois ou quatre fournisseurs alternatifs. Aujourd’hui, on compte 30 ou 40 fournisseurs alternatifs. D’autre part, lorsque la commission Champsaur a décidé de ce tarif, nous étions convaincus que le prix de l’électricité allait monter à 100, voire 200 euros le MWh. Nous imaginions une tendance vers un renchérissement considérable de l’électricité. Nous pensions donc qu’il fallait que tout le monde profite de l’électricité nucléaire à 42 euros le MWh.

Pourquoi le prix de 42 euros a-t-il été finalement retenu ? Il fallait trancher à un moment, ce n’est pas toujours scientifique à la fin.

M. le président Julien Aubert. À l’image des certificats d’économies d’énergie (CEE)…

M. Jean-François Carenco. Exactement. Finalement, nous nous sommes trompés et le prix est resté inférieur à 42 euros, tandis que le nombre de fournisseurs alternatifs a augmenté. Puis arrive un moment où le prix et le nombre de fournisseurs sont tels que 42 euros le MWh n’est plus si cher, ils y trouvent un intérêt. Donc les fournisseurs alternatifs font appel à EDF pour avoir accès à l’ARENH à 42 euros plutôt que de se fournir sur le marché. Le volume soumis à l’ARENH est toujours limité à 100 TWh, mais les fournisseurs alternatifs ont demandé 133 TWh. Que faire pour les 33 TWh manquants ? La loi impose de se fournir sur le marché.

Il existait deux façons de faire pour se fournir sur le marché. Le prix du marché retenu pour le tarif régulé est lissé sur les deux dernières années. Nous aurions pu acheter ces 33 TWh au prix régulé sur le marché, ce qui aurait été un peu moins cher. Mais nous avons décidé de ne pas acheter au prix lissé, nous avons acheté ces 33 TWh en novembre/décembre, lorsque les fournisseurs alternatifs ont eu subitement besoin d’acheter. Le décret auquel nous avions travaillé et en faveur duquel nous avons milité, qui prévoit plusieurs guichets ARENH dans l’année, nous aurait permis d’obtenir un prix plus bas, mais il n’a pas été publié, pour des raisons diverses et variées. Et sans guichet, nous avons dû acheter lorsque les fournisseurs ont eu besoin d’électricité.

Il aurait été possible de considérer que les fournisseurs alternatifs allaient perdre de l’argent, et que ce n’était pas grave. Mais la loi française, toutes les décisions du Conseil d’État et toutes les directives européennes imposent d’assurer la contestabilité. Je suis convaincu que si nous avions fait perdre de l’argent aux fournisseurs alternatifs, notre décision aurait été immédiatement annulée par le Conseil d’État en référé. La jurisprudence du Conseil d’État est constante sur la contestabilité.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le besoin de provisionner des capacités pourrait être réglé, à terme, par le stockage et l’effacement. En investissant dans ces domaines, ne pourrions-nous régler la problématique de ce pourcentage ?

M. Jean-François Carenco. Cela fait partie de ce que j’appelle les flexibilités. Peut-être sommes-nous excessivement prudents…

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous pensez qu’il s’agit de « sursécurisation » ?

M. Jean-François Carenco. Selon votre ex-collègue, François Brottes, ce n’est pas le cas. Il pense qu’il faut encore maintenir la centrale à charbon de Cordemais, tandis que je pense qu’il faut la fermer tout de suite. Nous avons prouvé que notre système d’interruptibilité fonctionnait, c’est pour cela que je le mets en avant, d’autant que c’est la moins chère des solutions. Nos interconnexions fonctionnent bien, c’est une bonne chose. Nous avons quelques problèmes avec l’Allemagne, que nous appelons les loop flows. Comme ils n’ont pas une liaison nord-sud, ils n’arrivent pas à exporter leur production chez nous quand nous en avons besoin. Pour que les interconnexions soient totalement efficaces pour assurer la sécurité d’approvisionnement et la flexibilité, il faut aussi améliorer les interconnexions entre la France et l’Allemagne. C’est la multiplication de ces facteurs de flexibilité qui fera que peut-être, le marché de capacité sera moins nécessaire.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le fait que le marché européen soit interconnecté et que notre balance commerciale soit très positive a-t-il une influence sur le prix pour le consommateur, ou est-ce uniquement un bénéfice pour les entreprises ?

M. Jean-François Carenco. L’interconnexion influence les prix à la hausse comme à la baisse.

M. Dominique Jamme. Tout ce système est optimisé pour réduire l’ensemble des coûts de production à l’échelle européenne. À chaque moment, ce sont les centrales de production les moins coûteuses, les plus efficaces, qui produisent, qu’elles soient en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni ou en France.

Nous avons connu en 2018 une hausse généralisée de l’ensemble des prix de l’énergie : charbon, pétrole, gaz, même les certificats de CO2 ont triplé pour passer de 7 à 20 euros. Dans ce cas, le prix de gros augmente partout en Europe, et aussi en France, du fait de l’interconnexion. Si en moyenne, sur l’année, la France est largement exportatrice, en période de pointe, en période hivernale ou quand le marché est tendu, elle importe. Dans ces situations, les importations permettent de faire baisser les prix en France et de passer la pointe. Donc, dans l’ensemble du marché des capacités, RTE compte sur une contribution très importante des interconnexions à la pointe.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Mais lorsque nous sommes en période de pointe, n’est-ce pas aussi le cas des autres pays ? Les vagues de froid ne s’arrêtent pas aux frontières.

M. Jean-François Carenco. Nous avons une particularité très marquée, c’est le système électrique de chauffage. Nous sommes les seuls à avoir autant de radiateurs électriques, et c’est pourquoi nous prenons de plein fouet la pointe.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Donc, si nous changions les radiateurs électriques en France, nous pourrions éviter cette part d’importation ?

M. Jean-François Carenco. Et surtout s’il faisait plus chaud ! (Sourires.)

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Nous n’allons pas aller jusqu’à souhaiter le réchauffement climatique ! Je préfère changer le chauffage.

M. le président Julien Aubert. Nous sommes passés à côté d’un black-out européen il y a quelque temps, n’est-ce pas ?

M. Jean-François Carenco. Nous avons connu, non pas un black-out, mais une différence de tension qui a provoqué un retard de toutes les anciennes horloges. Je vous invite tous à lire le roman policier Black-out, qui fait froid dans le dos. Son auteur, Marc Elsberg, imagine que tout s’arrête, et que pendant trois semaines, il n’y a plus d’électricité en Europe. Ce n’est pas une hypothèse absurde. Nous surpayons la sécurité pour nous prémunir de cet événement, mais je pense qu’il faut la surpayer de bon cœur.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pouvez-vous expliciter la notion de contestabilité ?

M. Dominique Jamme. La contestabilité concerne le marché de détail, pas le marché de production. Le marché de détail est ouvert à la concurrence, donc tous les consommateurs – PME, grandes entreprises, gros industriels, consommateurs résidentiels – ont le choix de leur fournisseur. Ce marché de la fourniture de détail doit être ouvert et concurrentiel, et pour cela il faut que tous les fournisseurs aient des conditions de départ équivalentes.

Pour les consommateurs résidentiels et les petites entreprises, il y a le tarif réglementé de vente, qui concerne encore 77 % des clients résidentiels, soit 25 millions de clients. Néanmoins, plus de 7 millions de clients résidentiels ont fait le choix d’offres de marché. Ils sont alimentés par des fournisseurs, dont le fournisseur historique car EDF propose aussi des offres de marché.

La contestabilité impose que les tarifs réglementés de vente, que la CRE est chargée de proposer au Gouvernement, assurent qu’un fournisseur alternatif…

M. Jean-François Carenco. Ne fera pas faillite !

M. Dominique Jamme. … peut répliquer, s’il est efficace, le tarif réglementé de vente dans des conditions équivalentes. C’est ainsi que le Conseil d’État applique la contestabilité dans sa jurisprudence.

M. Jean-François Carenco. La formule est la suivante : la contestabilité doit être entendue comme la possibilité, pour des fournisseurs alternatifs, de proposer des offres au moins aussi compétitives que le fournisseur historique.

Nous sommes convaincus que si les tarifs que nous proposons ne répondent pas à cette condition, ils seront annulés.

Monsieur le président, vous demandiez si la concurrence faisait baisser les prix, c’est le sujet principal. Je pense que dans la situation que nous connaissons, la concurrence ne fait pas baisser les prix à court terme. Mais c’est la seule façon de profiter des innovations. Les offres des fournisseurs alternatifs construisent le monde énergétique de demain pour le consommateur. C’est lié à Linky, par exemple. Les offres tarifaires des fournisseurs alternatifs sont plus agiles, plus proches du citoyen, plus proches du consommateur, plus propices à la domotique. La charge bidirectionnelle des véhicules électriques ne sera pas possible – vehicle to grid, vehicle to building, vehicle to home – sans les fournisseurs alternatifs. La concurrence permet cette inventivité débridée, ce sont les fournisseurs alternatifs qui vont faire baisser la consommation, même si cette idée est contre-intuitive, car on ne demande pas au pompiste de faire baisser la consommation d’essence du véhicule.

J’ai souvent des divergences avec Direct Énergie, mais je reconnais qu’ils sont les meilleurs pour utiliser les données, dans le respect de la loi. Je suis convaincu que la concurrence, c’est d’abord l’innovation. Dans le système énergétique totalement incertain que nous connaissons, il faut regarder vers les étoiles et non pas vers nos pieds, comme le disait Stephen Hawking.

M. le président Julien Aubert. Nous pouvons aussi regarder les tarifs…

M. Jean-François Carenco. Nous essayons, et le débat avec EDF est dur.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’en reviens à la hausse des tarifs de 5,9 %. Pour 1,3 point, elle tient à la capacité de production, sur laquelle nous pouvons agir avec les flexibilités offertes par l’Europe, le stockage, et l’effacement.

Une autre part est liée au marché de l’ARENH, et au plafond de 100 TWh. EDF se plaint d’avoir des freeriders sur son réseau, et explique devoir toujours supporter 100 % des coûts de production, mais en ne pouvant plus les répercuter que sur 75 % des clients.

M. Jean-François Carenco. Je vais vous faire une confidence : le plus grand bénéficiaire du dépassement du plafond de l’ARENH au-delà de 100 TWh, c’est EDF. C’est EDF qui produit, et au-delà de 100 TWh, il vend au prix du marché, supérieur à l’ARENH.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Si les concurrents peuvent avoir 133 TWh au prix régulé au lieu de 100 TWh, c’est EDF qui est perdant.

M. Jean-François Carenco. Si l’on augmente le plafond, oui. Si le plafond est à 100 TWh et que la demande est à 133 TWh, les concurrents achètent au prix du marché de novembre-décembre et non pas sur un prix lissé. Ils achètent à un prix haut parce que c’est l’hiver.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. C’est bien cela, nous sommes d’accord.

EDF nous explique qu’il ne faut pas réduire leur assiette, car si l’on augmentait le plafond à 130, voire 150 ou 170 TWh, cela réduirait la possibilité de répercuter les prix de production, qui sont inclus dans le tarif auquel ils vendent au client. Le nombre de personnes sur lesquelles ces charges fixes sont répercutées serait réduit. Cela n’appelle-t-il pas à une révision du tarif réglementé ?

M. Jean-François Carenco. Cela appelle une révision complète de la régulation nucléaire.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. L’ARENH, actuellement fixé à 42 euros, devra peut-être augmenter si l’on porte le plafond à 130 ou 150 TWh, afin qu’EDF puisse revendre un peu plus cher.

Quelle est la part réelle du coût de production et celle des coûts commerciaux, en augmentation dans un marché devenu concurrentiel ? Les deux sont agrégés de manière un peu floue, si bien que l’on peut se demander si l’augmentation des coûts de production ne cache pas, en réalité, celle des coûts commerciaux.

M. Jean-François Carenco. Le système actuel de l’ARENH date de 2010. Depuis lors, le paysage a changé : nos centrales ont presque dix ans de plus ; le marché européen s’est intégré et a vu des concurrents apparaître.

Arrive le moment de financer la déstructuration de certaines usines et d’en gérer les déchets. Tout le monde est conscient qu’il faut revoir le système de régulation nucléaire. Les premières réflexions ont été lancées. Le Gouvernement aurait tout à fait pu vous proposer de passer de 100 à 133 TWh, mais il faut tout de même voir que cette question s’inscrit dans une négociation européenne. Le Gouvernement a réussi à obtenir le maintien des TRV, dans le quatrième paquet. Il existe une vraie convergence européenne autour de la nécessité de faire évoluer le système de régulation nucléaire. La variable prix et la variable quantité sont sur la table.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Concernant le prix du nucléaire, la période actuelle est idéale : le prêt de la voiture est soldé, sans qu’il n’y ait encore de réparations à faire. Mais à quel moment devrons-nous changer les plaquettes de frein ? À combien chiffrer les coûts de maintenance ? Les frais de démantèlement sont-ils prévus ? S’ils ne le sont pas, à combien les estimer ?

M. Jean-François Carenco. C’est plus à EDF qu’à moi qu’il faudrait poser la question ! Aujourd’hui, le programme de grand carénage est un bon investissement.

Mme Laure de La Raudière. Trop beau, peut-être ?

M. Jean-François Carenco. Les sociétés nationales ne sont pas obligées de perdre de l’argent, madame la députée…

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Notre commission s’intéresse au coût de la montée en puissance des EnR dans le prix de l’énergie. Ce coût, d’abord très fort, est allé en se réduisant. On peut imaginer que ce sera l’exact inverse pour le nucléaire.

M. Jean-François Carenco. C’est bien pour cela que la part du nucléaire dans le mix énergétique va se stabiliser entre 60 % et 80 %. Nous pouvons aujourd’hui faire sereinement du mix.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Sans le développement des EnR, la perspective de démantèlement ferait donc augmenter le coût.

M. Jean-François Carenco. C’est déjà pris en compte.

M. le président Julien Aubert. Des provisions ont en effet été prévues. À ce propos, je tiens à faire un peu de publicité pour le rapport que j’ai réalisé sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base.

M. Jean-François Carenco. Quant à savoir si ces provisions sont suffisantes, c’est un autre sujet…

M. le président Julien Aubert. Tout dépend, de fait, du délai. S’il fallait démanteler demain, ce ne serait pas la même chose que s’il fallait le faire dans quarante ans.

M. Hervé Pellois. Vous avez donné des prix moyens du photovoltaïque qui vont de 62 à 99 euros par MWh. Pourquoi présentez-vous une fourchette et non pas un prix moyen de 80 euros ? Cela correspond-il à des surfaces particulières ou à des dates d’installation différentes ?

M. Jean-François Carenco. Il faut d’abord distinguer le coût et le prix. À mon tour de faire un peu de publicité : en février, nous avons publié un rapport intitulé « Coûts et rentabilités du grand photovoltaïque en métropole continentale », que je vais remettre aux membres de votre commission. La notion de photovoltaïque recouvre des réalités complètement différentes : photovoltaïque pour les agriculteurs ou sur les grandes surfaces ; photovoltaïque en vente ou en autoconsommation ; et ainsi de suite. Faudrait-il circonscrire les lieux d’implantation du photovoltaïque, comme nous appelons à le faire pour le gaz, dans la mesure où le réseau de biométhane ne couvre que 30 % du territoire ? Pour l’instant, il n’en est pas question.

M. Dominique Jamme. Il existe en effet du photovoltaïque posé au sol, sur toiture ou sur ombrière de parking. Il y en a également de différentes tailles – le rapport prend en compte les installations allant de 100 kW à 30 MW. C’est pour ces raisons qu’il existe différentes catégories de coûts. Le rapport se fonde sur l’analyse de 4 600 dossiers déposés en appel d’offres en 2017 et 2018. Le coût moyen de 62 euros est celui du photovoltaïque au sol entre 10 et 30 MW, qui est le moins coûteux. Les 30 % de projets au sol de grande taille les plus compétitifs présentent aujourd’hui des coûts de production d’environ 48 euros. Les coûts les plus élevés correspondent à des installations de moindre puissance, sur toiture ou ombrière. Les coûts des petits dispositifs sur les toits des particuliers sont évalués aux alentours de 150 euros. Pour en savoir plus, je vous invite à lire notre rapport de quarante-six pages, qui est très digeste.

Mme Laure de La Raudière. Pour caricaturer, vous dites que nous produisons des énergies renouvelables à cause des déchets nucléaires. Mais avez-vous étudié l’efficacité écologique de toutes les filières du photovoltaïque et de l’éolien ? Cela me semble essentiel. Il suffit de penser au repowering de l’éolien terrestre : 10 % d’une éolienne ne seraient pas du tout recyclables, et son béton resterait dans le sol. Est-ce vrai ? Ces aspects sont-ils pris en compte ? Par ailleurs, la provision pour démantèlement est de 50 000 euros, ce qui ne correspond pas du tout au coût réel. Comme j’imagine mal les propriétaires fonciers payer le démantèlement, qui en aura la charge ?

Vous avez mentionné un coût de 65 euros dans les derniers appels d’offres. Mais quel est le coût de production actuel de la puissance installée dans l’éolien ? Et quelle part de l’éolien terrestre est-elle installée sans passer par un appel d’offres ? Un grand nombre de petits projets passent, en effet, sans appel d’offres, ce qui contribue à nourrir ce que vous avez appelé un lobby anti-éolien et que je qualifierais plutôt de faible acceptabilité sociale de l’éolien terrestre. Le lobby est plutôt du côté des promoteurs, à mon sens, que de celui de la société, qui a découvert que la présence des éoliennes pouvait avoir des conséquences sur le prix de leur maison et qu’elle imposait d’indéniables pollutions visuelles. Que préconisez-vous pour que la majorité de l’éolien terrestre soit mieux contrôlée, par le biais des appels d’offres ?

Avez-vous également regardé la rentabilité des acteurs et des promoteurs éoliens ? On parle de 150 % de rentabilité pour l’éolien terrestre. Confirmez-vous que beaucoup cèdent leur autorisation d’exploitation à de grands acteurs, à des prix très élevés de 800 000 euros par mégawattheure ? La CRE suit-elle ces sujets ?

Enfin, vous avez dit qu’il fallait sortir de l’autorité environnementale. Pourriez-vous nous préciser ce que vous vouliez dire par là ?

M. Jean-François Carenco. Un débat a eu lieu pour savoir si les préfets de région pouvaient être une autorité environnementale. Nous sommes au milieu du gué et ne savons pas quelle est l’autorité environnementale compétente, ce qui bloque tout.

Vous avez raison de vous intéresser à la pollution produite par les énergies renouvelables. On ne peut néanmoins pas comparer la pollution que représente une dalle de béton avec des déchets nucléaires, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas un sujet important. Mais mieux vaut un peu de béton en plus…

M. le président Julien Aubert. Sans vouloir vous porter offense, monsieur le président, cette question relève plutôt de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) et de l’ASN. Vous nous faites part de votre avis personnel et non pas d’une position de la CRE.

M. Jean-François Carenco. C’est l’avis de la CRE, en tant que soutien des énergies renouvelables.

Mme Laure de La Raudière. Ne pensez-vous pas qu’il serait intéressant de connaître l’efficacité écologique de l’ensemble des filières, ainsi que les unes par rapport aux autres – éolien terrestre, marin ou marin flottant et photovoltaïque, par exemple ?

M. Jean-François Carenco. Cette question ne s’inscrit pas vraiment dans le spectre de travail de la CRE. Dans les avis des appels d’offres, nous demandons systématiquement de faire augmenter la note environnementale. Nous nous battons avec la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et le Gouvernement pour cela. Le sujet est très compliqué : cette note dépendant des fournisseurs, on nous accuse de vouloir favoriser untel ou untel, par le biais de cette disposition. Près de chez vous, madame la rapporteure, des producteurs français se lancent dans la fabrication de petits mâts éoliens ; un autre fait des wafers. Il faut veiller à ce que les critères environnementaux ne soient pas considérés comme des aides d’État.

Mme Laure de La Raudière. Cela peut se régler grâce à un encadrement réglementaire !

M. Jean-François Carenco. Mais si le cadre réglementaire est attaqué, vous perdez… Je pourrai vous répondre par écrit sur la question de la note environnementale dans les appels d’offres.

M. le président Julien Aubert. Avec plaisir, monsieur le président !

M. Jean-François Carenco. L’avenir de l’éolien terrestre est dans le repowering, qui est aux mains de grands groupes rachetant massivement les petits ensembles éoliens de moins de 1,5 MW. Il y aura, à mon sens, très peu d’abandon et de démantèlement de sites. Les machines seront plutôt remplacées, puisque les sites initialement choisis demeurent pertinents.

M. Dominique Jamme. S’agissant du coût de l’éolien, le dernier appel d’offres est sorti à 65 euros, comme vous l’avez dit, madame la députée, quand le tarif d’achat tourne plutôt autour de 75 euros.

L’instabilité de l’autorité environnementale crée une insécurité juridique et nuit à la sortie de projets, sachant que les délais sont déjà de l’ordre de sept à huit ans. Il peut ainsi arriver que, dans un appel d’offres, la demande des acteurs soit inférieure à la quantité offerte, ce qui supprime toute concurrence. De fait, pour peu que vous le sachiez à l’avance, vous fixez un prix plafond, ce qui fait remonter les prix. Il est difficile d’ajuster la quantité des appels d’offres au potentiel réel de la filière, qui est pour l’instant en baisse. La CRE demande assez régulièrement de faire baisser le seuil des appels d’offres de 18 à 6 MW.

Pour ce qui est de la rentabilité et du fait que les acteurs se rachètent les uns les autres, c’est la vie de tout marché concurrentiel. Si nous n’avons pas de chiffres récents sur la rentabilité des projets éoliens, dans notre rapport sur le photovoltaïque, nous voyons que, quand la concurrence fonctionne bien, comme c’était le cas ces deux dernières années, la rentabilité peut aller de 4 à 7 %, ce qui nous paraît raisonnable.

Mme Laure de La Raudière. Je me permets de vous demander de nouveau quelle part du parc actuel a été installée sans appel d’offres ? L’appel d’offres suppose une concurrence. Mais beaucoup de parcs sont inférieurs aux 18 MW du seuil fixé.

M. Jean-François Carenco. Une majorité ! C’est pourquoi nous avons demandé de faire baisser le seuil au-delà duquel l’appel d’offres est obligatoire.

M. le président Julien Aubert. Monsieur le président, vous venez de nous dire que l’avenir est dans le repowering. Pensez-vous agrandir les petits parcs ou agrandir les mâts ?

M. Jean-François Carenco. Augmenter la capacité de production, sans agrandir le parc.

Mme Laure de La Raudière. Cela signifie-t-il que vous n’êtes pas favorable à l’installation de nouvelles éoliennes sur de nouveaux sites, mais que vous préconisez de rentabiliser les sites existants ?

M. Jean-François Carenco. Ce n’est pas à moi de me prononcer sur l’ouverture de nouveaux sites. En revanche, il est rationnel d’optimiser les parcs existants, en augmentant la puissance des mâts des éoliennes arrivées en fin de vie : cela coûtera moins cher et aura des répercussions moindres en matière d’acceptabilité.

M. Vincent Thiébaut. La tarification est parfois un argument électoral. Or, aujourd’hui, nous sommes très dépendants du nucléaire et faisons face à de vrais enjeux en matière de retraitement des déchets. Je suis persuadé que, pour garantir notre souveraineté énergétique, nous devons nous diversifier. Nous oublions en effet que le nucléaire a besoin de matières premières, qui proviennent de régions parfois soumises à des tensions politiques très fortes. Notre politique de tarification, qui est l’une des plus basses d’Europe, est-elle réellement à la hauteur des échéances auxquelles devra faire face le pays dans les décennies à venir ? Nous donnons-nous les moyens de diversifier les sources d’énergie et de garantir une vraie souveraineté énergétique ? Pour prendre le contre-pied de nos discussions : les tarifs ne sont-ils pas trop bas ? Comme l’a écrit Antoine de Saint-Exupéry, on ne doit pas tant prévoir l’avenir que le permettre.

M. Jean-François Carenco. Tout cela est en effet contradictoire. C’est sans doute cette contradiction même qui fait le bonheur de la vie politique et des décisions publiques. Il me semble que l’équilibre actuel est plutôt bon.

M. le président Julien Aubert. Mon cher collègue, je vous invite à vous pencher sur la question du dysprosium dans les éoliennes…

Mme Véronique Louwagie. S’agissant de l’augmentation du prix de l’électricité ces dix dernières années, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la part des taxes, alors que la CSPE est devenue un impôt banalisé ? Comment ce prix se décompose-t-il ? Quelle est la place des taxes dans son évolution ces dix dernières années ?

M. Jean-François Carenco. Je laisserai, à l’issue de la réunion, un tableau de la décomposition des prix au président et à la rapporteure. Au premier semestre 2019, soit après la hausse, le TURPE représente 27,1 % de la facture toutes taxes comprises ; l’énergie 27,5 %, dont 1,6 % dû à l’effet de l’écrêtement ; la capacité, 1,7 % ; les coûts commerciaux et les CEE, 6,6 % ; la contribution tarifaire d’acheminement (CTA), 2,3 % ; la CSPE, 12,5 % ; la taxe sur la consommation finale d’électricité (TFCE), 5,3 % ; et la TVA, 15 %. Les taxes représentent donc un peu plus d’un tiers de la facture.

Mme Véronique Louwagie. C’est très intéressant. Mais pourrait-on voir comment cette décomposition a évolué ces dernières années ?

M. Jean-François Carenco. Cela nécessiterait un petit peu de temps.

M. le président Julien Aubert. Nous campons jusqu’au mois de juillet !

Mme Véronique Louwagie. Je voudrais également connaître la différence de coût de production en fonction du type d’énergie. Nous avons bien entendu que, pour l’éolien terrestre, dans les derniers appels d’offres, nous étions à 65 euros le mégawattheure, mais pourriez-vous nous indiquer, pour l’année 2018, non pas le coût moyen mais le coût réel de production de l’énergie émanant du nucléaire, de l’éolien terrestre et des autres énergies non renouvelables ?

M. Dominique Jamme. Il est assez difficile de vous répondre. En effet, l’éolien et le photovoltaïque – notamment – font l’objet d’un soutien qui est d’ailleurs budgétisé : il vient désormais du budget de l’État. Vous ne retrouvez donc pas directement, que ce soit sur la facture d’électricité ou dans la hausse de 5,9 % du prix de l’électricité proposée par la CRE, l’influence de l’éolien ou du photovoltaïque, pas plus que l’effet d’une hausse ou d’une diminution du coût de production du nucléaire, de l’hydraulique, du gaz ou du charbon.

M. Jean-François Carenco. Pour dire les choses autrement, la CSPE ne varie plus.

M. Dominique Jamme. Répondre à votre question supposerait, par exemple pour le photovoltaïque, de prendre en compte tous les éléments de production, y compris ceux qui ont été mis en service en 2008, 2009 et 2010, certains à 600 euros le mégawattheure.

Mme Véronique Louwagie. C’est effectivement le sens de ma question.

Mme Laure de La Raudière. Et de la mienne !

M. Dominique Jamme. Cela doit pouvoir être calculé.

M. Jean-François Carenco. Voici les engagements qui ont d’ores et déjà été pris pour la période 2019-2043 – je vous ferai passer le document : selon les hypothèses de prix du marché, pour le solaire, entre 39 et 41 milliards d’euros ; pour l’éolien terrestre, entre 21 et 25 milliards ; pour l’éolien en mer, entre 20 et 23 milliards ; pour la cogénération, entre 7 et 8 milliards ; pour la biomasse, entre 6,2 et 6,8 milliards ; pour le biogaz, entre 4,6 et 4,9 milliards ; pour l’hydraulique – ça, ce n’est pas cher –, entre 2,8 et 3,3 milliards ; pour les autres systèmes électriques, entre 2,5 et 2,7 milliards. Ainsi, le total des charges, s’agissant des soutiens engagés – et c’est le chiffre qui compte –, à la fin de l’année 2018, varie, selon les hypothèses de prix du marché, entre 104 et 115 milliards. Fin 2019, on sera plutôt à 120 milliards. Je rappelle que, dans ces 115 milliards, le solaire avant moratoire – je bats ma coulpe : ce sont les fameux 600 euros du MWh en 2010, que j’évoquais tout à l’heure – compte pour 25 milliards ; le solaire après 2010 ne représente plus, quant à lui, que 13,9 à 15,9 milliards, alors même que les volumes n’ont plus rien à voir. Je pourrais aussi détailler les engagements année par année entre 2019 et 2043 – là encore, je vous ferai passer le document.

Mme Sophie Auconie. J’imagine que, suivant les lieux et les territoires, le rendement d’une éolienne terrestre – ou de panneaux photovoltaïques, évidemment – n’est pas le même. Pourriez-vous m’indiquer quels sont les rendements et, plus spécifiquement, s’il y a une différence entre celui des éoliennes en mer et celui des éoliennes terrestres ?

M. Dominique Jamme. Les éoliennes en mer ont un rendement bien supérieur à celui des éoliennes terrestres. Nous raisonnons souvent en nombre d’heures annuelles de production. Les meilleures éoliennes atteignent un rendement compris entre 40 % et 50 %. Pour le terrestre, on est plutôt entre 20 % et 30 %.

M. Jean-François Carenco. Quand on parle d’un rendement de 30 %, cela veut dire qu’il faut 3 mégawatts pour en produire 1.

M. Dominique Jamme. Pour le photovoltaïque, cela s’exprime en heures : on est à 1 200 heures, soit un rendement de 15 % environ en moyenne en France. Bien évidemment, dans le sud, notamment le sud-est, c’est un peu mieux – entre 18 % et 20 % – et, dans le nord, un peu moins bien. Toutefois, vous verrez, dans le rapport que nous vous transmettrons, que l’effet de l’ensoleillement est partiellement compensé par la différence de prix des terrains : dans le sud, ils sont rares – et donc chers –, alors que, dans le nord, on trouve davantage de terrains dégradés disponibles. Il y a davantage de projets qui gagnent des appels d’offres dans le sud, mais ce n’est absolument pas une razzia : il y en a aussi un certain nombre dans le nord.

Mme Sophie Auconie. Pourquoi y a-t-il 3 700 éoliennes en mer sur le littoral nord de l’Europe et une seule sur le littoral français ?

M. Jean-François Carenco. Parce qu’on a voulu construire le « musée des éoliennes en mer ». On la joue à la française.

M. le président Julien Aubert. Qu’entendez-vous par là, monsieur le président ?

M. Jean-François Carenco. Il y a tellement de règles, tellement de recours puis de recours sur les recours que nous n’y arrivons pas. Les leçons en ont été tirées pour l’appel d’offres de Dunkerque, qui est mieux ficelé, en termes de stratégie et de process, avec un dialogue compétitif préalable. Il faut évacuer toutes les questions liées aux autorisations environnementales avant de lancer l’appel d’offres.

M. Anthony Cellier. Vous êtes devant une commission d’enquête dont le champ d’investigation est tellement large qu’il est parfois un peu compliqué de le saisir : « commission denquête sur limpact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur lacceptabilité sociale des politiques de transition énergétique ». À la fin, on s’y perd et les questions posées aux invités sont parfois pleines d’imagination…

Monsieur Carenco, je voudrais revenir sur votre préambule et plus particulièrement sur l’augmentation du prix de l’électricité. L’Autorité de la concurrence, sortant peut-être un peu de son champ de compétence, pour le coup, préconise de modifier la formule de calcul des TRV, voire le dispositif de l’ARENH. J’aimerais avoir votre avis sur l’ARENH, même si vous vous êtes déjà exprimé sur le sujet : faut-il le modifier, repenser son mode de calcul – au bénéfice, bien évidemment, du consommateur, c’est-à-dire des Françaises et des Français, ce qui est la seule chose qui doit animer les membres de notre commission d’enquête, et l’ensemble des parlementaires.

Par ailleurs, comme les sujets abordés par notre commission d’enquête sont pléthore, et puisque vous avez vous-même ouvert ce champ tout à l’heure, je me permets de revenir sur les CEE : le marché des certificats d’économie d’énergie est-il, à votre avis, efficace et pertinent – encore une fois, dans la seule perspective qui doit tous nous intéresser, c’est-à-dire celle du bénéfice des consommateurs ?

Enfin – et même s’il s’agit, là encore, d’une question si vaste que je ne pense pas que vous aurez le temps d’y répondre pleinement –, s’agissant du dispositif « Place au soleil », lancé par Sébastien Lecornu quand il était secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, vous avez fait part de l’importance d’utiliser le foncier militaire, qui représente des surfaces disponibles permettant d’avoir une rentabilité importante. Les engagements pris par les armées, mais également par les grandes et moyennes surfaces (GMS) – concernant leurs plateformes logistiques –, vous semblent-ils suffisants ? Est-ce que l’on va assez vite pour voir des choses se mettre en place rapidement ?

M. Jean-François Carenco. Pour ce qui est de votre dernière question, le Gouvernement a pris l’engagement, d’ores et déjà rendu public, de supprimer, dans le prochain appel d’offres, le plafond de 30 MW. Ce sera extrêmement positif pour le prix de l’énergie renouvelable d’origine solaire. Toutefois, il faudra faire attention à la préservation des systèmes agricoles : il ne faudrait pas aller piller les terres agricoles pour y mettre des panneaux photovoltaïques : pour cela, il y a les terrains dégradés. Sous cette réserve, je pense que c’est une très bonne nouvelle.

Comme je vous l’ai dit, le dispositif de l’ARENH est censé rester en vigueur jusqu’en 2025. Il est affecté par un certain nombre d’éléments – le quatrième « paquet énergie », l’évolution du coût du démantèlement, ou encore le programme de grand carénage des centrales. Il me semble effectivement – mais l’entreprise EDF serait mieux placée que moi pour en parler – que la réflexion sur une transformation de notre système de régulation du nucléaire s’engage peu à peu. Il ne suffit pas, d’ailleurs, de mettre en cause l’ARENH, qui n’est rien d’autre qu’une expression factuelle et historiquement datée de la régulation du nucléaire dans notre pays : la question est de savoir s’il faut revoir tout le système. Il appartient au Gouvernement de le dire – encore que la CRE ait certainement exprimé son avis de temps à autre sur le sujet –, et cela d’autant plus que le pays est actionnaire majoritaire d’EDF.

Le système des CEE est désormais incompréhensible : il existe 150 fiches. Le rapport que nous allons vous transmettre montre que le problème vient d’abord de là : le système est trop complexe. Nous formulons des propositions, tout en restant dans le même cadre, pour essayer d’améliorer les choses. Je pense qu’il faut cibler l’utilisation de CEE : quand on constate un problème en particulier, il convient d’avoir recours aux CEE pour ce point précis.

Le total payable par les obligés est de 3 milliards d’euros par an.

M. Dominique Jamme. Environ, mais cela pourrait encore augmenter car le système est en surchauffe.

M. Jean-François Carenco. C’est gigantesque. De plus, ce n’est même pas de l’impôt : les sommes sont disponibles. La véritable question est la suivante : 3 milliards, certes, mais pour faire quoi ? Je m’étonne de temps en temps – nous l’avons d’ailleurs écrit – car je ne pense pas qu’en finançant 150 actions avec ces 3 milliards on satisfasse beaucoup d’objectifs.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. En effet !

M. Jean-François Carenco. Vous verrez tout cela dans le rapport que nous allons vous transmettre.

M. Julien Janes, directeur adjoint à la direction du développement des marchés et de la transition énergétique. Nous allons effectivement l’envoyer à la commission, mais il faut que nous en retirions certaines données commercialement sensibles.

M. Jean-François Carenco. Mon voisin de droite fait toujours attention à ce que je ne donne pas de données « commercialement sensibles », comme on dit dans le métier…

M. Julien Janes. Nous pouvons les donner, mais sous couvert de confidentialité, bien sûr.

M. le président Julien Aubert. L’audition est filmée : cela ne sortira pas de France, monsieur le directeur adjoint ! (Sourires.)

Mme Stéphanie Kerbarh. Le législateur a donc confié à la Commission de régulation de l’énergie la mission d’établir un profil de gestionnaire de réseau efficace. Ma question est la suivante : comment sont prises en compte, dans la tarification incitative du régulateur, les politiques industrielles des gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution d’électricité – voire de gaz – prenant en considération la politique de transition bas carbone ?

M. Jean-François Carenco. Nous avons de très bons acteurs régulés de réseaux, que ce soit pour la distribution ou le transport. Ils sont parmi les meilleurs en Europe. Toutefois, et je l’ai dit souvent, que ce soit au Gouvernement ou à d’autres, ils sont un peu bridés, aussi bien par le système OU – ownership unbundling – que par le système ITO – independent transmission operator : avec cela, quelle liberté leur donne-t-on d’aller conquérir les marchés européens ? Le modèle ITO impose des règles en matière d’indépendance par rapport aux actionnaires. Cela rend difficile la conquête de marchés européens, alors même que de petits opérateurs comme Fluxys, ou encore des acteurs chinois, rachètent des réseaux européens. Je regrette, pour ma part, qu’on ne s’attelle pas un peu plus à cette question. Une révolution doit avoir lieu dans les esprits. Nous disposons des capacités techniques : Enedis, par exemple, arrive à vendre le concept du compteur Linky en Inde et en Grèce. C’est une bonne chose. Nous travaillons nous aussi à la question.

Sur le plan financier, nous avons mis au point des mesures incitatives. L’objectif est de faire en sorte que les opérateurs n’investissent et ne dépensent pas trop, tout au moins qu’ils le fassent dans les conditions prévues au début. Depuis deux ans – surtout depuis un an, d’ailleurs –, nous essayons d’être plus tatillons et plus intrusifs s’agissant du contrôle des opérateurs de réseaux et de leur politique d’investissement. Ce n’est pas toujours simple à leur faire comprendre – chez nous non plus, d’ailleurs –, mais c’est le principe même de la régulation. Nous étudions tous les investissements et n’en acceptons plus certains. Quand les opérateurs investissent sans y être autorisés, ils sont pénalisés financièrement. De la même façon, ils doivent nous rendre compte des difficultés et des surcoûts qu’ils rencontrent dans leurs investissements. RTE, par exemple, est confronté à des oppositions liées aux enjeux environnementaux. Il est vrai que c’est compliqué ; en matière de réseaux, le premier enjeu, s’agissant de l’environnement, est de limiter les investissements – ce qui me ramène à ce que je disais s’agissant de flexibilité et de stockage. Au-delà, l’enjeu est de savoir si, au quotidien, dans leurs pratiques, les opérateurs respectent les règles de base en matière d’environnement.

M. Dominique Jamme. Évidemment, les réseaux, pour nos concitoyens, c’est avant tout le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), autrement dit une composante de la facture. Mais ils représentent bien davantage : il s’agit d’acteurs industriels absolument majeurs, notamment dans la transformation. Comment les régulons-nous ? Nous pratiquons, effectivement, une régulation incitative.

Nous venons de publier, en février, le résultat d’une consultation de l’ensemble des acteurs concernant le cadre de la régulation. Le document s’appuie sur une annexe proposant un bilan de la manière dont les choses ont évolué en dix ans. Pour résumer, les coûts ont certes augmenté, mais ils ont été globalement maîtrisés. Les charges d’exploitation des distributeurs, notamment, ont augmenté moins vite que l’inflation, malgré les transformations très importantes auxquelles les réseaux ont dû faire face. La qualité d’alimentation – ce qui est important en matière d’électricité – s’est fortement améliorée au cours de la période.

Parmi les enjeux futurs, il y a d’abord la maîtrise des investissements : le président Carenco a raison. L’investissement est une forme de drogue. S’il est très important pour assurer la qualité de service et préparer l’avenir, il existe désormais des solutions de flexibilité moins coûteuses ; il convient de les étudier. Il faut donc être certain qu’on réalise les meilleurs investissements, les plus efficaces, et qu’on a bien étudié d’autres solutions, moins coûteuses. Le second enjeu est bien sûr celui de l’innovation : les opérateurs de réseaux doivent être à la pointe. Leur métier change, de même d’ailleurs que celui des personnes qui se raccordent. L’arrivée du véhicule électrique, par exemple, représente une transformation majeure ; il faut que le système électrique y soit préparé.

M. le président Julien Aubert. Merci pour ces explications. Je vous propose d’en rester là pour cette première audition de la journée. Nous allons entendre immédiatement après vous le représentant de l’Autorité de la concurrence.

Laudition sachève à dix heures cinquante-cinq.

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8.   Audition, ouverte à la presse, de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence (4 avril 2019)

Laudition débute à dix heures cinquante-cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous recevons à présent M. Umberto Berkani, en sa qualité de rapporteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence. Son audition intervient immédiatement à la suite de l’audition des responsables de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

M. Berkani a notamment travaillé à la préparation de deux avis de l’Autorité de la concurrence qui ont retenu l’attention de notre commission : le premier, en date du 21 janvier 2019, sur un projet de décret réformant le dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), et le second, très récent, car en date du 25 mars 2019, relatif à la fixation des tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité.

Par leurs objets, ces deux avis paraissent liés. Ils révèlent de profondes divergences de méthode et d’analyse sur les situations de marché entre la CRE et l’Autorité de la concurrence. Dans son communiqué de presse officiel du 25 mars, l’Autorité de la concurrence « déconseille daugmenter les tarifs réglementés de vente sans clarifier au préalable les objectifs quils doivent poursuivre ». En cela, l’Autorité de la concurrence se déclare opposée à l’entrée en vigueur prochaine de l’augmentation calculée par la CRE. Le même communiqué de presse précise la philosophie de l’Autorité de la concurrence en affirmant qu’« augmenter les TRV et les utiliser pour pallier les limites de lARENH » fait « supporter la charge financière aux consommateurs plutôt quaux fournisseurs et semblerait donc contraire à la volonté du Parlement ». Selon l’Autorité de la concurrence, il est nécessaire, avant de procéder à l’augmentation que prône la CRE, d’engager une réflexion approfondie sur l’évolution du marché de l’électricité et d’en tirer des conséquences.

Nous souhaiterions savoir si vous considérez, par exemple, que les énergies renouvelables (EnR) ont un rôle important dans l’évolution à la hausse des tarifs réglementés, que ce soit directement, par la production et son impact sur les marchés de gros, ou indirectement, par exemple par l’effet que cela peut avoir sur le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), ou même, de manière plus générale, à travers des dispositifs comme les certificats d’économie d’énergie (CEE).

Vous voudrez bien, monsieur Berkani, nous faire part de ce qui, selon les analyses de l’Autorité de la concurrence, devrait aller dans le sens d’une meilleure adaptation du cadre juridique de la régulation aux évolutions du modèle économique du marché de l’électricité, lequel est pris entre l’évolution du mode de production et celle de la structuration du marché, avec des fournisseurs alternatifs qui se nourrissent de l’électricité nucléaire et qui proposent des offres dites « de marché ». Ces fournisseurs ont acquis 25 % des parts de marché auprès des particuliers et presque 40 % pour les sites non résidentiels à finalité professionnelle ou industrielle.

L’ARENH a été conçu, dès l’origine, comme un dispositif transitoire d’accompagnement du marché. Son terme est prévu en 2025. Ne conviendrait-il pas de ramener cette échéance à une date moins lointaine ?

Nous aimerions également que vous nous aidiez à résoudre ce mystère : comment se fait-il que la concurrence, qui est censée faire baisser les prix, provoque plutôt, si on en juge par les résultats, une augmentation ? Par ailleurs, et alors qu’on n’est pas censé subventionner des entreprises dans un marché concurrentiel, comment se fait-il que certains modes de production le soient lourdement ? Cela ne fausse-t-il pas le jeu de la concurrence ?

Plus généralement, nous sommes avides de connaître la nature des rapports que l’Autorité de la concurrence entretient avec la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), lorsque vous êtes amenés à travailler sur des questions relatives à un marché comme celui de l’électricité. En ce qui concerne l’ARENH et l’évolution des tarifs réglementés, la position de la DGEC est-elle proche de celle de la CRE, pour ne pas dire identique, ou est-elle antagoniste ? Avez-vous perçu un intérêt de la part de la DGEC pour les observations exprimées dans vos avis ?

Monsieur Berkani, nous allons, dans un premier temps, vous entendre pour un exposé liminaire de quinze minutes au maximum. Mme le rapporteur et moi-même vous poserons ensuite des questions. Puis, les autres membres de la commission d’enquête pourront poser les leurs.

Avant cela, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.

(M. Umberto Berkani prête serment.)

Monsieur Berkani, nous vous écoutons.

M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de lAutorité de la concurrence. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je ne suis pas sûr de réussir à répondre, dans mon propos liminaire, à toutes les questions qui ont d’ores et déjà soulevées, mais j’imagine que vous poserez de nouveau celles que j’aurai oubliées.

Je voudrais commencer par vous rappeler que l’Autorité de la concurrence est à la fois généraliste, en termes de secteurs couverts, et spécialisée, dans la mesure où elle se concentre sur les questions liées à la concurrence. Nous ne suivons pas au jour le jour l’intégralité des enjeux de l’électricité, mais c’est un sujet qui, dans les dernières années, nous a occupés un certain nombre de fois. En matière d’électricité, nous sommes compétents pour ce qui est de contrôler les pratiques anticoncurrentielles et les concentrations, comme pour tout autre marché ; s’agissant de notre activité consultative, nous intervenons de plusieurs manières, dans le cadre de saisines soit obligatoires soit facultatives émanant du Gouvernement ou bien, par exemple, de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, comme cela a été le cas au moment de la discussion de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME) ; enfin, nous avons une compétence un peu particulière, qui a été précisément fixée dans la loi NOME : l’Autorité de la concurrence est en charge de rendre un rapport tous les cinq ans sur le déroulement et le fonctionnement de l’ARENH, ainsi que son évolution. Le premier rapport que nous avons rendu en la matière – et qui est aussi le dernier à ce jour – date de décembre 2015.

Je vais commencer, puisque vous m’y avez invité, par évoquer les deux avis que vous avez cités. Je reviendrai toutefois, à un moment ou un autre, sur la philosophie plus générale du système de régulation.

Comme vous l’avez souligné, ces deux avis ont des points communs. Je ne pense pas qu’il faille se focaliser sur les divergences avec la CRE : il vaut mieux s’intéresser à ce qui ressort de ces avis. En l’occurrence, ce que nous apprennent nos réflexions et les discussions qui ont eu lieu au cours de l’élaboration de ces avis, c’est que le dépassement du plafond de l’ARENH témoigne du fait que le système actuel de régulation a montré ses limites.

Je reviendrai brièvement sur les caractéristiques du marché et du système français. En effet, dans notre pays, la situation est particulière, ce qui nous amène à composer pour mettre en place le système de régulation de l’électricité – du reste, on ne retrouve pas les mêmes problèmes pour le gaz. La place du nucléaire pose des questions et nécessite un fonctionnement un peu particulier. La commission Champsaur avait posé les bases de la loi NOME, et elle disait très clairement dans son rapport que, de son point de vue, le nucléaire n’était pas ce qu’on appelle une « facilité essentielle ». Dans les discussions qui se sont ensuivies – cela apparaît très clairement, par exemple, dans la décision rendue par la Commission européenne en 2012, qui examinait une grande partie du dispositif français en matière d’électricité pour déterminer s’il existait des aides d’État –, on a bien vu qu’il y avait une difficulté, ce que l’on appelle une « défaillance de marché » – le terme n’étant, d’ailleurs, pas forcément péjoratif. Le nucléaire crée des avantages non réplicables ayant des conséquences sur le fonctionnement du marché, conséquences que le droit de la concurrence, c’est-à-dire le contrôle ex post des pratiques anti-concurrentielles, ne peut ou n’entend pas résoudre.

Le droit de la concurrence, c’est-à-dire le contrôle ex post des pratiques concurrentielles, ne peut pas traiter lui-même ces conséquences. C’est dans ce type de cas que l’on a besoin d’un système de régulation.

On y a réfléchi : le système qui a été mis en place avec la loi NOME est l’ARENH, qui s’ajoute à d’autres systèmes de régulation, comme celui des tarifs réglementés de vente (TRV). Ce dispositif a un certain nombre de caractéristiques, notamment le fait qu’il est temporaire et limité en volume. Deux ou trois objectifs, selon les distinctions que l’on établit, ont été fixés. Le premier d’entre eux consiste à permettre la concurrence en aval, c’est-à-dire sur le marché de détail, dans le but – et c’est le deuxième objectif – de faire bénéficier le consommateur de la compétitivité du parc nucléaire. Le troisième objectif était de donner le temps aux fournisseurs alternatifs, aux futurs concurrents sur le marché, de mettre en place des capacités de production et de remonter la chaîne de valeur pour être capables de faire concurrence à l’opérateur historique, à la fois sur le plan de la production et sur celui du marché de détail. L’idée sous-jacente, que l’on retrouve dans une partie des débats parlementaires, était de se dire que lorsque l’on aurait atteint ce plafond, on se trouverait dans une situation où les fournisseurs alternatifs auraient vraisemblablement développé des capacités et seraient en mesure de concurrencer et de se développer d’une manière autonome.

Dès les premiers rapports et comptes rendus sur le fonctionnement de la loi NOME, notamment dès 2014 et 2015 en ce qui concerne l’Autorité de la concurrence, on a vu que le troisième objectif n’était pas atteint et que le fonctionnement de la loi n’avait pas permis une remontée de la chaîne de valeur et la mise en place de nouvelles capacités de production.

M. le président Julien Aubert. Vous parlez des énergies renouvelables (EnR), n’est-ce pas ? L’idée était d’avoir des fournisseurs qui remontent la chaîne, en produisant.

M. Umberto Berkani. Oui, je parle des EnR, mais il me semble que l’idée, dans les premières discussions, était également de savoir s’il pouvait y avoir un investissement dans des centrales nucléaires – non pour en construire de nouvelles, mais sous la forme d’un droit de tirage particulier dans des centrales nucléaires. A priori, tout semblait possible, mais on s’est vite rendu compte que ce n’était pas le cas.

En ce qui concerne l’Autorité de la concurrence, la question de savoir ce que l’on devait faire s’est posée dès 2015. Fallait-il considérer que l’ARENH était un dispositif transitoire, que l’on irait jusqu’au bout de ce dispositif mais que l’on s’arrêterait là ? Dans ce cas, il fallait commencer à anticiper une sortie progressive du dispositif. Ou bien, si l’on se rendait compte que le dispositif n’avait pas fonctionné ou, en tout cas, qu’il n’avait pas atteint tous les objectifs voulus, il fallait penser déjà au coup d’après. Dès cette époque, il nous semblait important de se positionner sur la poursuite ou non de l’ARENH.

En 2019, nous faisons face à une situation inédite dans laquelle le plafond de l’ARENH est dépassé à un moment où – cela n’a pas toujours été le cas, comme en 2016 – le prix sur les marchés de gros est supérieur à celui de l’ARENH. On voit bien qu’il y a une difficulté : ce système ne parvient pas à atteindre en même temps les différents objectifs qui lui ont été fixés. C’est une transposition du triangle d’incompatibilité : on ne peut pas avoir en même temps, dans le système actuel, un plafond qui reste fixé à ce niveau, des tarifs réglementés qui n’augmentent pas et protègent le consommateur, et des alternatifs qui peuvent entrer sur le marché et proposer des offres concurrentielles par rapport à EDF.

Le point commun entre les deux avis que nous avons rendus est que nous sommes dans une situation dans laquelle on sent bien la tension entre les objectifs de la loi. On voit qu’il y a une difficulté et que la seule façon de la surmonter, en réalité, est de passer par la loi. Les principales composantes des objectifs ou des façons d’arriver à les réaliser sont, en effet, fixées par la loi.

C’est une des difficultés avec le décret qui fait l’objet de notre premier avis. D’abord, l’esprit qui anime ce décret est présenté, en partie, comme résultant du jeu du droit de la concurrence. Sur ce point, nous essayons d’expliquer la différence entre, d’une part, les objectifs du droit de la concurrence et ce qu’il permet de faire et, d’autre part, d’autres objectifs, notamment de régulation, qui ont été fixés par la loi en France. S’il faut les changer, c’est aussi dans ce cadre. On sent qu’il y a dans le décret un changement de nature du dispositif de régulation, qui est peut-être le bon ou non – c’est peut-être une partie de ce qui pourrait être fait –, mais on voit mal comment ce changement de nature pourrait être réalisé par décret, sans débat public, sans que le Gouvernement et le Parlement se positionnent sur les objectifs que le dispositif de régulation doit atteindre. Autre problème que l’on sent poindre, on risque d’avoir avec cette logique, comme vous l’avez rappelé, une confusion entre les objectifs que les différents outils de régulation doivent atteindre, à savoir l’ARENH et les tarifs réglementés de vente.

Quelles sont nos conclusions dans le cadre du second avis ? Elles sont assez similaires aux précédentes. Pour être honnête, et compte tenu du serment que j’ai prêté, je dois rappeler que si l’Autorité de la concurrence ne s’est pas prononcée sur les tarifs réglementés de l’électricité, elle l’a fait à propos de ceux du gaz, avant le début de la procédure qui a conduit à ce que l’on en recommande la suppression prochaine. L’Autorité de la concurrence n’est pas fondamentalement, ou à l’origine, la plus favorable à ce type de tarifs car ils distordent la concurrence. C’est une exception au droit de la concurrence, et ces tarifs doivent être bien encadrés. Nous nous sommes prononcés, je le répète, sur les tarifs du gaz, mais pas sur ceux de l’électricité.

Le débat a, de toute façon, été tranché et ce n’est pas à l’Autorité de la concurrence de décider si ces tarifs doivent être maintenus ou non. Ce n’est pas son rôle. La France a défendu leur maintien et elle l’a obtenu, notamment devant le Conseil d’État. Mais il y a une difficulté : si on l’a fait, c’était pour faire bénéficier le consommateur d’une stabilité des prix et, d’une manière générale, de la compétitivité du parc nucléaire français. Or on arrive à une situation dans laquelle la mise en œuvre des différents instruments de régulation aboutirait à ce que les tarifs réglementés ne remplissent pas leur objectif. Il nous a semblé qu’il fallait discuter de cette difficulté, de manière à ce que le Gouvernement puisse se prononcer sur la question de savoir si une telle situation est effectivement une conséquence nécessaire et que, dans ce cas, on dise clairement que les tarifs réglementés, à l’heure actuelle, ne peuvent plus atteindre leur objectif, mais aussi que le Parlement puisse éventuellement se prononcer sur cette question.

Voilà ce qui nous paraît les questions essentielles dans ces deux avis. Il y a, et vous l’avez peut-être vu, des éléments juridiques, mais on peut en discuter, à la rigueur. Au-delà, et quelles que soient les réponses juridiques, il y a des éléments d’arbitrage d’un type plus politique sur ce que l’on veut faire de nos différents outils. Si ceux qui existent à l’heure actuelle conduisent, comme nous le craignons, à une situation dans laquelle les injonctions sont contradictoires, il faut remettre à plat la question en se demandant ce que l’on veut faire. Ce n’est pas l’Autorité de la concurrence qui peut réaliser ce travail, mais plutôt le Gouvernement et le Parlement. J’imagine que c’est en partie la raison pour laquelle vous m’avez demandé de venir devant vous.

M. le président Julien Aubert. Nous allons essayer de défricher un peu le terrain. Vous avez répondu très prudemment, et je vais maintenant vous poser des questions très précises.

L’Association nationale de défense des consommateurs et usagers dit que « pour maintenir la concurrence, on augmente les prix. Cela va à l’encontre de ce que l’on a présenté comme les bénéfices de la concurrence quand on a ouvert le marché. [...]. En fait, il s’agit d’augmenter le prix de l’électricité de telle sorte que le plus mauvais des fournisseurs privés puisse encore exister face à EDF. Ce n’est pas cela, la concurrence ». Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

M. Umberto Berkani. Je n’ai pas les chiffres exacts, mais il me semble que les prix en France restent encore relativement attractifs et compétitifs par rapport au reste de l’Europe. Ensuite, il faut bien distinguer deux points dans notre analyse. Il y a une partie des augmentations de prix, notamment celles dont on discute actuellement, qui sont liées à une augmentation des coûts. S’ils augmentent, il n’existe pas d’autre solution que d’augmenter les tarifs. Il y a effectivement une partie de l’augmentation qui, de notre point de vue, revient à faire payer les consommateurs pour les limites du système de régulation et donc, d’une certaine manière, à faire supporter par eux, plutôt que par les fournisseurs, les limites de l’ARENH. Si c’est ce que veut dire la deuxième partie de la citation, je suis d’accord.

M. le président Julien Aubert. Pensez-vous que la CRE abuse de son pouvoir en faisant fi des lois existantes pour imposer par voie réglementaire ce qui relève du pouvoir législatif ? C’est ce qu’indique un article de Mediapart qui analyse la dispute entre vos deux institutions et tire notamment de votre avis, très long et argumenté, sur les changements de méthode et d’analyse du marché de la part de la CRE, la citation suivante : « Ces dispositions conduiraient à privilégier un mode de fixation des tarifs réglementés de vente […] qui pourrait porter atteinte à lobjectif de modération et de stabilité des prix de lélectricité que la loi assigne à ces tarifs ».

M. Umberto Berkani. Je ne le pense pas du tout. La CRE est totalement dans son rôle, qui est de proposer un tarif. Comme je l’ai dit, le système de régulation poursuit différents objectifs. Cela arrive, et ce n’est pas toujours facile. De notre point de vue, ces objectifs sont en partie contradictoires. Cela ne posait pas de problème, et c’était finalement assez neutre, tant que le plafond de l’ARENH n’était pas dépassé, mais il faut traiter les contradictions puisque c’est maintenant le cas.

Sans entrer dans les détails techniques, sauf si vous le souhaitez, je voudrais souligner que l’article R. 337-19 du code de l’énergie contient, en lui-même, les tensions entre les différents objectifs et les différentes conceptions de notre système de régulation. La CRE doit composer avec ces tensions et ces contradictions. Elle a proposé une méthode permettant d’appliquer sa compréhension de cet article, compte tenu de l’intégralité des textes qui encadrent son travail sur les tarifs. La CRE l’a fait d’une manière extrêmement transparente, non seulement dans sa délibération mais aussi à l’occasion d’une séance qui a eu lieu au sein de l’Autorité de la concurrence dans un contexte où la CRE savait, puisqu’il y avait déjà eu un autre avis, que nous n’étions pas tout à fait sur la même ligne sur certains sujets.

La CRE doit proposer un tarif. Celui-ci, de notre point de vue, intègre une partie des contradictions du système de régulation. Notre propos n’était pas de discuter les intentions de la CRE, mais de souligner le fait que les textes sont à tout le moins ambigus et en partie contradictoires en ce qui concerne les objectifs. Il y a donc des questions qui se posent sur le plan juridique, et il n’existe pas, selon nous, une seule interprétation possible. Compte tenu des conséquences auxquelles cela conduit, il faut être sûr que l’on retient la bonne interprétation et que celle-ci est consolidée juridiquement.

Le débat va, je le répète, au-delà de la question juridique. La CRE propose un tarif compte tenu de la conception qu’elle a, et en mettant tout sur la table. Nous qui avons forcément une vision un peu différente et qui avions indiqué, dans un précédent avis, qu’il fallait faire un pont entre les TRV et l’ARENH, en regardant bien les conséquences, nous disons au Gouvernement qu’il y a derrière cette proposition tarifaire un choix qu’il faut clarifier et assumer. Ce choix est d’autant plus important que c’est la première fois qu’on se trouve dans cette situation, mais sans doute pas la dernière. La méthodologie qui va être retenue continuera à s’appliquer dans le futur. Ce n’est pas la deuxième fois qu’il faut se poser la question, mais maintenant. Et cette question est à la fois juridique et politique. Chacun doit y répondre.

M. le président Julien Aubert. D’abord, un élément de diagnostic par rapport à ce que vous avez dit. On ne fait pas la concurrence pour la concurrence, mais pour atteindre un objectif, dont je rappelle qu’il s’agissait d’avoir des prix plus bas pour le consommateur et des acteurs capables de concurrencer le nucléaire, ou en tout cas l’acteur nucléaire, avec des modes de production alternatifs. À la fin, on a une hausse des tarifs, et le premier objectif n’est donc pas tenu. Vous nous avez également dit que le deuxième objectif n’était pas atteint.

Si je reprends votre triangle d’incompatibilité, vous nous dites en fait que l’on ne peut pas avoir des tarifs réglementés, l’ARENH et la concurrence. Il m’a semblé comprendre, d’après ce que vous disiez, que les tarifs réglementés sont peut-être le fautif, ou plutôt que s’il fallait choisir et bouger sur un point, ce serait plutôt là, selon vous. J’ai l’impression que pour la CRE ce serait plutôt du côté de l’ARENH. J’ai envie de vous poser une question un peu provocatrice : vu les résultats de la concurrence, n’est-ce pas le troisième objectif qu’il faut faire sauter ?

M. Umberto Berkani. Jolie question… (Sourires). Nous n’avons pas de préférence en la matière. Je vous ai dit, pour que mes propos soient clairs et transparents, que nous avons indiqué en 2013 nos doutes, s’agissant du marché du gaz, sur les TRV et leurs conséquences pour le fonctionnement de la concurrence. Depuis, la question des TRV avait été réglée, du moins jusqu’à ce jour : le choix avait été fait, et validé juridiquement, de les maintenir dans un certain objectif et selon certaines modalités.

Il y a effectivement une première question qui se pose : quid de l’ARENH ? Dans son avis 19-A-01, de janvier 2019, l’Autorité de la concurrence a dit que la solution technique la plus simple, en première analyse, serait de modifier le plafond de l’ARENH, même si cela présente quelques difficultés. La première est qu’il faut passer par la loi, ce qui ne se fait pas comme ça, même si j’ai bien vu qu’un amendement visant à remonter le plafond de l’ARENH a été déposé dans le cadre de la discussion sur le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE). Au-delà des aspects techniques, il existe une question un peu plus globale. Lors de l’adoption de la loi NOME, on s’était demandé, notamment dans des échanges de lettres et dans les débats qui ont eu lieu, s’il faudrait augmenter le plafond à un moment. On pensait à l’époque que ce serait très lointain et même que cela n’arriverait pas, parce que tout irait bien quand on arriverait au plafond, mais la question peut se poser. Seulement, le plafond actuel repose sur un équilibre qui a été décidé lors de l’adoption de la loi NOME et, si l’on change le plafond, il est possible que cela change l’équilibre – si on modifie un tout petit peu le plafond, peut-être pas, mais si on le change beaucoup ou si l’on déplafonne complètement, on change vraiment le système.

Une première solution consisterait à modifier l’ARENH, effectivement. Le problème qui se pose, en ce moment, est que si on ne le fait pas, cela revient de fait à faire bouger les TRV et à changer leurs objectifs. Nous n’avons pas d’opinion à avoir sur ce point. Nous soulignons quel est l’objectif actuel des TRV et que si l’on augmente ces tarifs, il faut le dire et être clair sur le fait que, parmi tout ce que l’on pouvait changer, on a décidé de faire bouger les TRV. Le problème est qu’en agissant ainsi, on remet en cause leur objectif initial.

M. le président Julien Aubert. Faire bouger signifie augmenter ?

M. Umberto Berkani. Bien sûr.

Il reste votre troisième point : faut-il abandonner la concurrence ? Vous imaginez bien quelle va être ma réponse. (Sourires). Néanmoins, il y a effectivement une question à se poser, qui est sous-jacente et même presque explicite dans notre rapport de 2015 sur l’ARENH et dans nos avis actuels : quelle concurrence veut-on, et sur quel bout du marché ?

Je vais m’expliquer. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il y avait dans la loi NOME, ou en tout cas dans l’ARENH, trois objectifs – ils concernaient le consommateur, le marché de gros et le marché de détail, pour faire simple. Quand un système atteint ses limites, on doit se demander si l’on peut réaliser tous les objectifs fixés et, si on ne le peut pas, s’il faut les hiérarchiser.

Dans notre avis de janvier 2019, on voit bien que le principal « focus » pour tout le monde reste le marché de détail, quitte à ce que la concurrence soit plus régulée ou régulée différemment sur le marché de gros. C’est alors que se pose la question de savoir quel est le type de marché et le type de concurrence que l’on veut avoir : a-t-on besoin de réguler et éventuellement de limiter la concurrence sur un bout pour en avoir un peu plus ailleurs ?

Derrière, il y a la question de savoir ce que l’on fait du nucléaire. Dans le rapport de 2015 sur l’ARENH, nous avons indiqué que pour favoriser le développement et le dynamisme du marché de détail il faudrait peut-être trouver un moyen de rendre plus neutre, ou plus isolée, la question du nucléaire.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous préciser ?

M. Umberto Berkani. Je peux préciser différentes hypothèses, mais elles ont toutes des conséquences et elles doivent toutes être expertisées.

M. le président Julien Aubert. Nous essayons d’analyser les causes. Ce sont des mesures techniques, mais il faut nous expliquer – en tout cas, il faut m’expliquer : je parle en mon nom propre – ce que cela implique quand on choisit une option. Quand vous parlez de faire bouger l’ARENH, je comprends que l’on donnera accès à des fournisseurs alternatifs à une part plus importante de l’électricité nucléaire, en espérant qu’ils puissent remonter l’amont pour devenir de véritables producteurs – tout en sachant que cela n’a donc pas fonctionné. Quelque part, cela revient à considérer de plus en plus l’énergie nucléaire, alors qu’on veut en sortir, ce qui est peut-être un sujet, comme un bien d’intérêt général servant de moteur de la concurrence pour d’autres énergies. J’aimerais que vous précisiez les conséquences de ce que vous proposez – ou évoquez.

M. Umberto Berkani. Merci pour cette dernière précision. (Sourires).

La question est effectivement de savoir pourquoi on mettrait à disposition plus ou moins de nucléaire.

En ce qui concerne le point de chute, il y a une réponse technique, mais aussi juridique et politique, que je n’ai pas et qui change un peu la donne. Pour l’instant, on a vu qu’il n’a pas été possible pour les alternatifs de remonter la chaîne de valeur, notamment pour de l’énergie de base pouvant concurrencer le nucléaire. Il existe une question – et je n’ai pas la réponse, je le répète – qui est de savoir si, dans un futur plus ou moins proche, la part du nucléaire va baisser soit parce qu’on l’aura décidé juridiquement, c’est-à-dire politiquement – indépendamment du coût respectif du nucléaire et des autres énergies, on déciderait une baisse pour des raisons un peu exogènes et, dans ce cas-là, vous voyez bien qu’il serait plus facile pour les concurrents de se positionner sur l’amont – soit parce que les énergies renouvelables vont voir leur coût baisser et que, éventuellement, le nucléaire va voir ses coûts augmenter – mais cela peut être uniquement parce que le renouvelable verrait ses coûts baisser – et leur compétitivité relative évoluerait alors.

Si c’est atteignable à court ou moyen terme et si c’est en accord avec le mix énergétique projeté pour dans quelques années, on peut se dire que le système peut continuer à fonctionner d’une manière transitoire et qu’il faut juste le recalibrer, soit dans le temps soit dans les montants, ou plutôt les volumes, pour aboutir à cet objectif. Si c’est possible, on est bien dans un système transitoire, quitte à ce que la transition dure plus longtemps. Si ce n’est pas possible, ou si la perspective est tellement lointaine que l’on rencontrera des difficultés, alors il faut se poser la question de savoir si l’on doit pérenniser l’ARENH, ou son équivalent.

Il y a ensuite de nouvelles questions à se poser : vous voyez bien que si l’on pérennise l’ARENH, il reste à savoir à qui et à quoi on donne accès. Il existe différents modèles.

Le premier, et c’est sur ce plan que l’Autorité de la concurrence s’est un peu alertée en janvier 2019, consiste à considérer que, quelle que soit la façon juridique de procéder, on a du nucléaire et ensuite des fournisseurs qui se servent, y compris EDF, dans les mêmes conditions. On peut assez bien imaginer ce modèle – il y aura vraisemblablement des conséquences financières pour la gestion de la transition, mais on peut l’imaginer. Ce modèle peut être construit d’une manière clairement patrimoniale, mais aussi financière, etc.

Dans le décret que nous avons analysé en janvier dernier, on voyait un peu ce schéma se profiler. Sur plusieurs points du décret, on observait plus de symétrie par rapport à EDF. C’est un choix possible. Néanmoins, de notre point de vue, il ne se fait pas par décret. Il y aurait en tout cas cette solution, qui consiste finalement à isoler un peu le nucléaire en amont, puis à assurer une égalité entre les différents producteurs. C’est généralement l’image que l’on a en tête pour une facilité essentielle ou une boucle locale : on isole ce qui est au-dessus.

M. le président Julien Aubert. Que veut dire « isoler le nucléaire » ? C’est comme la louve romaine qui donne la tétée ?

M. Umberto Berkani. Isoler revient à considérer qu’il y a bien un marché en amont. Je ne suis pas sûr de bien saisir votre comparaison (Sourires), mais je vais quand même répondre à la question.

M. le président Julien Aubert. C’est le symbole de la louve qui donne la tétée aux petits louveteaux.

M. Umberto Berkani. EDF serait alors un louveteau à côté des concurrents alternatifs. Vous voyez bien que ce serait un changement assez radical du point de vue patrimonial. Sur le plan théorique, c’est néanmoins un des systèmes que l’on peut envisager.

L’autre système serait de considérer le nucléaire comme une sorte de bien public. Tout consommateur aurait sa part de nucléaire dans sa facture. On répartirait son coût entre tout le monde et la concurrence se ferait sur le reste. Je m’explique : au lieu d’avoir des fournisseurs qui récupèrent une part du nucléaire et la revendent ensuite, il y aurait un service public du nucléaire, ou un service public de la base, car une partie de l’hydroélectricité pourrait éventuellement en faire partie. Une partie du tarif de la facture serait fixée là-dessus, sans que cela puisse représenter, compte tenu de notre parc de production, l’intégralité. Sur l’autre partie, 25 % ou 30 % du total, on choisirait un fournisseur – les gens se fourniraient auprès du meilleur fournisseur sur cette partie.

On peut sans doute imaginer d’autres systèmes théoriques, mais l’idée est de dire, en gros, que si l’on doit pérenniser le fonctionnement de la concurrence, il faut bien admettre que le nucléaire change la donne sur le marché français et trouver une façon de le rendre neutre pour la concurrence sur le marché de détail.

M. le président Julien Aubert. Merci pour ces précisions. Je pense que mes collègues ont ainsi pu comprendre toutes les ramifications.

On arrive au dernier point de ma réflexion. Il y a deux choses que je n’arrive pas vraiment à concilier. D’un côté, on nous dit que les énergies renouvelables, ou en tout cas certaines d’entre elles, deviennent matures, que c’est une question d’années. Le président de la CRE nous a dit que tout le monde serait à un étiage compris entre 60 et 80 euros le mégawattheure. On serait plutôt tenté d’en tirer comme conséquence qu’il faut laisser l’éolien, le photovoltaïque et le nucléaire se concurrencer, en matière de prix. La logique serait de se dire, alors, qu’il faut enlever les petites roulettes – on a un tricycle aujourd’hui – pour que tout le monde soit sur un vélo. En même temps, on nous dit qu’il faut quand même y aller lentement, car c’est mature mais pas tout à fait, et on nous présente la douloureuse, qui est déjà assez élevée. D’un autre côté, vous faites le pari que le nucléaire pourrait rester compétitif, dans la deuxième option, et qu’il faudrait donc le sortir de l’équation pour ne pas distordre la concurrence. Dans ce cas, le nucléaire aurait quand même une fonction très bizarroïde. On se demande pourquoi on agirait de la sorte si l’on considère que l’on va bien vers une maturation de la concurrence. À la limite, je n’ai pas de religion sur ce sujet, mais nous avons, en tant que représentants de la Nation, une responsabilité en ce qui concerne le coût. Il y a un climat social particulier, sur le plan de l’acceptabilité. Or toutes les options ne sont pas égales si, dans un cas, la facture d’électricité augmente de 30 % et, dans l’autre, de 5 % ou 10 %. Il faut prendre en compte cet aspect.

J’aimerais comprendre si le fait d’avoir misé sur les énergies électriques vertes, dont on sait qu’on a les a subventionnées en faisant parfois des erreurs, et avec une stratégie descendante, a provoqué une augmentation naturelle du coût de l’électricité produite, ce qui expliquerait tous les problèmes… Si l’on continue, on va mécaniquement avoir une hausse du prix de l’électricité qui posera des problèmes structurels et systémiques de plus en plus importants : on n’arrivera pas à concilier un prix de l’électricité bas, notamment pour les ménages les plus précaires, le déploiement de l’énergie verte, qui coûterait très cher, et le risque pesant sur le moteur de l’ensemble – celui de voir la fameuse louve, que j’évoquais, devenir un peu rachitique parce que, entre la concurrence qu’elle subit et le fait que l’on partage, elle finit, à un moment, par ne plus arriver à alimenter tout le système. Avez-vous des éléments de réponse qui permettraient de m’éclairer ? Nous passerons ensuite aux questions du rapporteur.

M. Umberto Berkani. Si j’avais osé, j’aurais moi aussi utilisé la métaphore des roulettes et du vélo dans mon propos liminaire ! Beaucoup de vos questions méritent des réponses techniques et prospectives dont je ne dispose pas. Effectivement, même si les coûts s’harmonisent, on peut se demander s’il ne faut pas conserver les petites roulettes un peu plus longtemps, au motif que tout fonctionnera bien quand on les enlèvera... Je ne suis pas capable de vous le dire. Pourtant, c’est l’une des questions fondamentales à laquelle il faut répondre avant de se projeter dans un système de marché.

Il faut distinguer la réalité industrielle – le coût auquel on va arriver – et la réalité politique. Si, pour des raisons autres que celles du fonctionnement du marché et de la concurrence, on décide de réduire la part du nucléaire, il y aura plus de place pour d’autres producteurs et d’autres productions à moyen terme. Dans ce cadre, il n’y a pas de raison que les fournisseurs alternatifs ne récupèrent pas leur part de cette production.

Cela aura-t-il une conséquence sur les coûts ? C’est une autre question, à laquelle je ne sais pas répondre. Mais, en tout état de cause, il faut trancher le problème, tant d’un point de vue industriel – de réalité des coûts – que d’un point de vue politique – que veut-on faire avec notre mix énergétique ? Tant que nous n’aurons pas les idées claires, on ne pourra pas dire si l’ARENH ou tout autre système de régulation doit être pérennisé ou si, comme on l’avait imaginé au départ, ce système doit rester transitoire…

C’est une question difficile, mais essentielle. On peut aussi parier que cela n’interviendra pas à court terme et qu’il peut donc être utile de repenser un système de type ARENH sur le long terme. Mais cela dépasse mes compétences.

Quant au coût des EnR dans l’absolu, et à leur responsabilité dans l’augmentation de la facture, nous nous y sommes relativement peu intéressés dans nos derniers travaux comme de manière plus générale. Certes, nous avons traité quelques cas contentieux, mais ils n’avaient pas de liens directs avec les énergies renouvelables.

M. le président Julien Aubert. Vous voulez dire en 2019 ?

M. Umberto Berkani. Je fais référence à la proposition d’augmentation.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je vais vérifier si j’ai bien compris les termes du débat concernant les 100 TWh. Il s’agit de trancher une question quasi philosophique : les concurrents ont-ils besoin de plus de soutien ou de plus de temps pour arriver à maturité, au motif que l’on aurait sous-estimé le temps nécessaire dans la première configuration ? La mise en concurrence visait à aboutir à un prix plus bas et à une capacité à compenser à terme, dans une optique de transition. L’a-t-on bien évalué au démarrage ?

En effet, le dispositif est assez récent puisqu’il date de 2010. À cette époque, on pensait que le plafond de 100 TWh était très élevé et qu’il y aurait peu d’acteurs sur le marché. Or beaucoup d’acteurs se sont déployés, sur des volumes plus importants que les estimations initiales, avec des niveaux de maturité différents et une plus grande fragilité que les acteurs historiques initiaux : si six acteurs – et non deux cents – s’étaient réparti les 100 TWh, ils auraient été suffisamment robustes. Nous avons probablement sous-estimé ce foisonnement d’acteurs, leur créativité et leur innovation.

Doit-on veiller à ne pas « rendre la louve rachitique », rester à 100 TWh et demander aux fournisseurs alternatifs de monter en compétence dans ce système contraint ? Dans ce contexte, par le biais de la concurrence, seuls les meilleurs survivront.

Ou doit-on au contraire faire évoluer le système du fait de ces différences de maturité, afin de ne pas tuer l’émergence d’une concurrence plus importante, plus intéressante et plus solide à terme ?

M. Umberto Berkani. Je ne suis pas capable de vous le dire. J’ai l’impression que vous estimez que le nombre de concurrents a limité leur faculté à remonter la chaîne de valeur. Je ne suis pas sûr que ce soit lié.

Certains concurrents ont une politique active de montée en capacité. Mais quelles capacités de base leur permettent de concurrencer le niveau de compétitivité du nucléaire ? Là est le problème : il n’y en a pas beaucoup. Le nucléaire en fait partie, mais pour différentes raisons, il n’a pas été possible de monter en valeur sur le nucléaire. L’hydraulique en fait aussi partiellement partie – mais seuls 20 TWh d’hydraulique peuvent être considérés comme de la base sans débat, puisqu’il faut faire la différence entre le fil de l’eau et la pointe.

C’est donc moins une question liée au nombre d’acteurs – vous interrogerez les acteurs, peut-être auront-ils une vision plus précise que la mienne – mais une question de compétitivité et de prix de revient des différentes énergies. Si, pour des raisons presque exogènes au système de régulation, à moyen terme, dans une perspective raisonnable, les niveaux de coût se rapprochaient, cela changerait-il la donne ? Dans ce scénario, on considérera qu’au moment où le petit garçon est monté sur son vélo avec ses roulettes, la route était en pente – il n’arrivait donc pas à pédaler. Maintenant qu’il a atteint le plat, il va pouvoir avancer ! Quand il avancera, on pourra enlever ses roulettes et il ira tout droit. Je ne peux vous le dire. Cela peut marcher, auquel cas la première phase ne sera pas représentative de la suite.

En 2015, nous étions arrivés à la conclusion qu’entre 2010 et 2015 il ne s’était pas passé grand-chose du point de vue de la remontée de chaîne de valeur sur les capacités de production de base. Nous ne voyions pas exactement ce qui pourrait changer. En 2016, les prix de gros sont passés sous l’ARENH et cela n’a pas posé de difficultés.

Désormais, parce qu’ils ont été dynamiques et qu’une partie des tarifs a été supprimée, les fournisseurs alternatifs ont besoin de toute l’ARENH disponible, ce qui engendre la difficulté actuelle. Est-ce à l’ARENH de permettre aux fournisseurs alternatifs de contester les tarifs – de marché ou réglementés – d’EDF ? Doit-on rester sur le plafond initial de 100 TWh car c’est la règle du jeu et le dépasser aurait des conséquences ? Ou doit-on le remonter pour permettre à la concurrence de se développer, tout en évitant une hausse des tarifs réglementés ?

C’est la question fondamentale. Il existe au moins deux instruments de régulation sur le marché, chacun doté d’une mission propre : veut-on que chacun continue à jouer son rôle ? Si oui, il faut procéder à un ajustement ; si non, les tarifs réglementés risquent d’augmenter. S’il s’agit de signifier que les tarifs réglementés n’ont plus d’intérêt, autant l’assumer ! Dans le cas contraire, il faut procéder à un ajustement de l’ARENH. Dans les deux cas, il faut se positionner sur la hiérarchie des objectifs et les moyens pour les atteindre.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous estimez qu’entre 2010 et 2015 les choses n’ont pas tellement changé. Mais dans la mesure où les temps de sortie des projets EnR sont longs – souvent de trois ou quatre ans –, le statu quo durant cette période n’est pas étonnant. N’est-il pas un peu tôt pour faire un bilan ? Dans quelle mesure est-on capable d’évaluer la fiabilité des projections ? Ces questions recoupent la deuxième partie des travaux de notre commission d’enquête.

En résumé, rester sur ce modèle, est-ce de l’entêtement ou du bon sens – si l’on considère qu’il faut lui laisser le temps de maturer ?

M. Umberto Berkani. Le système de régulation était prévu pour une durée relativement courte. Certes, le bilan de 2015 a été réalisé rapidement – cinq ans après le démarrage du dispositif – mais cette période représente un tiers de la durée et ce n’est ni en juin 2025, ni en décembre 2024 qu’il va falloir se poser la question de la poursuite – ou non – du dispositif...

C’est pourquoi en 2015, nous avons fait le constat qu’il ne s’était pas passé grand-chose. Par ailleurs, les experts estimaient alors qu’il ne se passerait peut-être pas grand-chose, non parce que les fournisseurs alternatifs n’avaient pas essayé de développer leurs capacités de production, mais parce qu’on ne savait pas s’ils seraient en mesure de devenir compétitifs en développant ces capacités de production.

M. le président Julien Aubert. Certes, il y a un problème lié à la taille. Mais quand vous savez qu’avec l’ARENH vous pouvez obtenir un bon prix, cela vous pousse-t-il à vous structurer ? En réalité, la concurrence n’est-elle pas virtuelle ? En tout cas, elle est très particulière : il est rare d’aller acheter les tomates du voisin en lui disant : « Tu es obligé de me les vendre moins cher. Je les vendrai ensuite avec une marge, en faisant une meilleure communication que toi. ». Dans ce cas, en effet, pourquoi produire des tomates si on peut en acheter à bon prix et que votre concurrent est obligé de vous les vendre ? Le fonctionnement du système n’est-il pas partiellement vicié, ce qui expliquerait l’absence de fournisseurs associés dans une logique de production – de la production à la consommation – dans le secteur des énergies alternatives ?

M. Umberto Berkani. Pour filer la métaphore, votre question équivaut à se demander si on doit mettre des roulettes au vélo de son petit garçon ou si cela va l’empêcher de se lancer…

Devant l’Autorité de la concurrence, les acteurs prétendent que leur marché est particulier dans quasiment tous les dossiers ! En l’occurrence – et j’ai analysé différents marchés –, on peut dire que le marché français de l’électricité est particulier. D’une certaine façon, si l’électricité était la propriété d’un monopole, ce serait plus simple : on aurait une facilité essentielle et on procéderait comme pour la boucle locale.

M. le président Julien Aubert. Le monde change…

M. Umberto Berkani. Qu’il n’y ait pas de malentendu : on pourrait aussi dire « une entente, cest plus simple, tout le monde est daccord ! ». Là n’est pas la question. Moins de concurrence, serait-ce une bonne ou une mauvaise chose à court, moyen et long termes ? Quel modèle de concurrence souhaite-t-on ? Il y en a plus d’un possible.

Soyons clairs, la France a une particularité : sa production électrique, même si, sur le détail et la fourniture, il n’y a aucune raison qu’il n’y ait pas de concurrence. Dans ce cadre, comment régule-t-on mieux ? Le système avait été imaginé pour permettre à moyen terme une concurrence sur les marchés de gros et de détail, dans l’esprit des directives. Dans l’avis de 2019, nous soulignons la complexité à anticiper. Ce n’est pas une réussite… Pour autant, certains opérateurs se sont structurés, comme Direct Énergie, racheté par Total, qui est désormais un opérateur disposant d’une force de frappe sur différents segments du marché de l’énergie.

Doit-on se rapprocher d’un système avec plusieurs opérateurs intégrés sur des segments différents ? Comment faire pour que tout fonctionne le mieux possible ? En France, la concurrence sur le marché de détail est prépondérante pour le dynamisme et le bon fonctionnement du marché. Comment régule-t-on son environnement pour que cela fonctionne le mieux possible ?

En l’état actuel de la loi NOME, nous avons fait un choix de régulation, avec des postulats, des objectifs et des moyens. Pour l’instant, les objectifs ne sont pas vraiment atteints, ce qui nous oblige à reposer l’équation : que veut-on faire et comment le fait-on ?

Le problème n’est pas simple, du fait de questions techniques sous-jacentes – pour lesquelles nous n’avons pas forcément les réponses –, de problématiques exogènes au fonctionnement concurrentiel du marché – que veut-on faire de notre mix énergétique ? – et des questions financières – quels investissements réaliser de suite et plus tard ? Enfin, il faut savoir ce que l’on fait de nos choix politiques historiques. Bien entendu, l’Autorité de la concurrence ne saurait traiter tous ces sujets. En outre, s’ils doivent être traités de façon concomitante et si l’on souhaite mettre en place un bon système, cela va prendre du temps et 2025 est proche !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Suite à la proposition de la CRE d’augmenter le tarif réglementé de 5,9 %, vous indiquez qu’une partie de la hausse dépend du plafond de l’ARENH, ce qui conduit à une sur-rémunération d’EDF. Vous partez donc du principe qu’on engraisse la louve avec ce système. Mais ne s’agit-il pas plutôt de la laisser tranquille ?

M. Umberto Berkani. Dans un système classique de régulation des prix réglementés, on ajoute simplement ce qu’on appelle une « marge raisonnable » aux coûts de l’opérateur. Mais, dans le cas présent, une partie assez importante de l’augmentation n’a rien à voir avec l’augmentation des coûts de l’opérateur : si le coût est de 10 et que j’ajoute 0,3 de marge, mais que je facture 11 pour des raisons exogènes, la différence de 0,7 est bien une sur-marge.

Vous avez raison, nous estimons que cette augmentation conduit entre autres à rémunérer davantage EDF. Notre analyse ne juge absolument pas de l’opportunité de cette décision. Bien entendu, les pouvoirs publics peuvent utiliser les tarifs réglementés – ce sont des tarifs réglementés – pour mettre en œuvre des impératifs politiques. On considérera alors que le consommateur – dont j’espère qu’il sera quand même un peu protégé – peut payer un peu plus. Mais il faut le dire ! Or ce n’est pas le cas…

M. le président Julien Aubert. Parlez-vous des tarifs réglementés ou de l’ARENH ? Affirmez-vous que l’augmentation des tarifs réglementés conduit à une sur-rémunération d’EDF ?

M. Umberto Berkani. On sait que 60 % de l’augmentation prévue résulte de l’augmentation des coûts d’EDF – incluant sa « marge raisonnable ». Cela signifie que 40 % n’est pas liée à l’augmentation des coûts d’EDF, mais à ceux de l’ARENH et aux conséquences du dépassement de l’ARENH pour les alternatifs.

M. le président Julien Aubert. Le dispositif de dépassement de l’ARENH induit selon vous une sur-rémunération pour EDF, c’est bien cela ?

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Si je comprends bien, ce sont les 33 TWh qui n’ont pu être livrés à ses concurrents qui induisent la sur-rémunération d’EDF.

M. Umberto Berkani. C’est la transposition de ce décalage dans les tarifs réglementés qui a abouti à une sur-rémunération d’EDF. Dans la proposition de tarifs, une partie de l’augmentation est justifiée de la manière suivante : compte tenu du fait que les fournisseurs alternatifs ne vont pas avoir toute l’ARENH qu’ils ont demandé, ils vont devoir acheter de l’énergie sur les marchés de gros dans des conditions dégradées – au dernier moment. Ils vont donc la payer plus cher. Afin que les tarifs réglementés ne soient pas contestables par ces alternatifs, il faut les augmenter.

Cette partie de l’augmentation des tarifs réglementés n’est plus le reflet de l’augmentation des coûts d’EDF, mais des contraintes de coût subies par les concurrents. On les fait subir par transposition aux tarifs réglementés de vente (TRV), et donc aux clients, d’EDF.

La CRE l’indique de façon très transparente dans sa délibération – même si c’est plus complexe d’un point de vue juridique et financier –, en complément des habituels coûts, les tarifs comportent une brique additionnelle : le surcoût lié à la transposition de la situation des concurrents. C’est ce que nous considérons comme un effet d’aubaine pour EDF, qui peut avoir des conséquences positives si on prend le système dans sa globalité. Mais si tel est l’objectif, il suffit de le dire, afin d’en discuter en toute transparence.

M. le président Julien Aubert. Si les fournisseurs alternatifs avaient remonté la chaîne de valeur et disposaient de leur propre mode de production, l’effet aurait-il été le même ?

M. Umberto Berkani. Non, effectivement, si leurs capacités de production étaient compétitives.

M. le président Julien Aubert. Le système tourne en rond.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Ils sont donc tous interdépendants. Dans votre avis, vous écrivez qu’avec ce système, la marge réelle passerait de 3,80 à 7,10 euros par MWh pour les tarifs bleus vendus aux ménages, soit une hausse de 87 %, et de 3,20 à 6,50 euros par MWh pour les tarifs bleus des petits producteurs, soit une hausse de 103 %. Comment passe-t-on de 5,9 % à 103 % d’augmentation pour les professionnels et 87 % pour les particuliers ?

M. Umberto Berkani. Quand votre marge passe de 3,2 % à 6,5 %, elle augmente de 3,3 points, soit 100 %.

Mme Laure de La Raudière. Dans l’absolu, c’est plus grave ! C’est incroyable : je connais peu d’entreprises où l’on constate de telles hausses !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il faut savoir à quoi sert cette marge : est-ce une auto-rémunération ? Le cadeau qu’EDF se fait à lui-même ? Quelle logique sous-tend cette hausse ?

Pourriez-vous également nous expliquer la différence entre les ménages et les petits professionnels ? L’augmentation est globale : pourquoi constate-t-on des différences de pourcentages ?

M. Umberto Berkani. La hausse n’est pas globale. La CRE valide différentes hausses de tarifs, en fonction des types de consommateurs et de différents facteurs. Nous avons choisi deux lignes dans l’avis, afin que notre propos soit le plus compréhensible possible. Il existe dix sous-catégories de tarifs réglementés – cinq pour les clients résidentiels, appelés RES1, 2, 3, 4 et 11, et cinq pour les petits professionnels, appelés PRO1, 2, 3, 4 et 11. Vous retrouvez toutes les données dans la délibération de la CRE.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je vais revenir sur l’ARENH, même si nous avons déjà beaucoup débattu du sujet. Si l’on mise sur la baisse du nucléaire telle que prévue et sur l’augmentation des EnR, on peut considérer que l’ARENH, qui était un dispositif transitoire, doit le rester, mais qu’en l’état actuel il pose des difficultés, voire qu’il est obsolète. Le relèvement du plafond des 100 TWh n’est pas la seule problématique. Derrière ce dispositif, il y a des défauts et des effets d’aubaine. Vous avez parlé des effets d’aubaine : certes, ils existent pour EDF, mais aussi pour les fournisseurs alternatifs qui actionnent l’ARENH lorsque le tarif est haut et la « délaisse » quand il est très bas – ce qui peut se comprendre. Durant cette période transitoire, considérez-vous que l’ARENH pourrait avoir un plafond et un plancher ?

Ma deuxième question sera plus provocatrice : finalement, ne demande-t-on pas à l’opérateur historique – et donc un peu à l’État qui détient encore 85 % de son capital – de subventionner des concurrents qui captent des actifs existants sans pour autant investir ? Or ce manque d’investissement amont dans les énergies alternatives a pour conséquence l’absence d’une véritable concurrence et l’échec de la troisième partie du triptyque. Cette situation peut-elle durer ? Si l’on peut considérer qu’elle était nécessaire au début de la mise en concurrence, est-ce encore le cas ? Par le biais des tarifs, ne fait-on finalement pas porter aux consommateurs le subventionnement des concurrents ?

M. Umberto Berkani. La majorité de vos questions concernent l’architecture du marché. Je tiens à être clair : l’Autorité de la concurrence n’est pas paysagiste, c’est un simple jardinier qui évite que les mauvaises herbes poussent. Lorsqu’un projet de loi est présenté, on nous demande souvent notre avis. Nous le donnons bien volontiers, mais n’avons pas ex ante d’opinion sur l’architecture du marché.

Je le répète : nous souhaitions simplement être certains que le débat sous-jacent avait été bien perçu par le Gouvernement et la représentation nationale. Grâce à la discussion au sein de cette commission, j’en suis maintenant convaincu. C’est une bonne chose.

Ensuite, il y aura des choix à faire. Nous sommes prêts à y être associés, mais je ne peux dès à présent répondre à vos questions.

Concernant les effets d’aubaine et l’arbitrage, il faut comprendre qu’après sa mise en place, les fournisseurs alternatifs ont utilisé le système de manière rationnelle et optimale. Si vous lisez nos différents avis, vous aurez constaté que l’une de nos difficultés a été de tenter de corriger les effets d’aubaine liés à toutes les situations non anticipées – soit parce que, techniquement, on ne savait pas que c’était possible, soit après que les prix du marché de gros sont passés en dessous de l’ARENH. Ces effets d’aubaine n’étaient pas voulus par les pouvoirs publics, ni à l’origine par les alternatifs, mais ils en ont profité autant qu’ils le pouvaient – c’est le jeu.

Vous avez raison, si on réforme, prolonge ou pérennise l’ARENH, cela va forcément changer sa nature, donc ses mécanismes et donc les « trous dans la raquette » que sont les effets d’aubaine. Il n’existe pas vraiment d’autres solutions, sauf à tout arrêter, comme vous le suggérez. Mais cela me semble délicat, car cela sous-entend que les fournisseurs alternatifs sont responsables de ne pas avoir remonté la chaîne de valeur, ce qui n’est pas le cas.

Mme Marie-Noëlle Battistel. C’est un constat, et vous le faites aussi.

M. Umberto Berkani. Effectivement, ils ne l’ont pas remontée. Mais nous n’estimons pas qu’ils en sont responsables. D’autres difficultés sont en cause : pour remonter la chaîne de valeur, il faut savoir dans quel type de capacités de production investir. Vous connaissez comme moi les difficultés liées aux discussions en cours dans le secteur de l’hydroélectricité. En outre, y a-t-il des possibilités dans le nucléaire ?

Pour répondre à ces questions, nous devons être clairs sur les perspectives à moyen terme – quitte à ce que ce soit un peu plus tard que 2025 – et nous devons trancher : dans quelles capacités de production les fournisseurs alternatifs pourraient-ils investir de manière compétitive, soit parce la part du nucléaire a diminué, soit parce que les coûts sont plus proches. Dans ce cas, prolonger l’ARENH ou son équivalent pourrait être intéressant.

Si ce n’est pas possible, la décision doit être plus radicale et l’architecture du marché intégralement repensée. Mais c’est là un choix politique global…

Mme Marie-Noëlle Battistel. Afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je vais reformuler mon constat, qui semblait aussi être le vôtre : ce modèle triptyque avait justement été initié pour permettre aux fournisseurs alternatifs de remonter la chaîne de valeur. Or ils n’y sont pas parvenus. N’est-ce pas que le modèle ne convient pas et ne permet pas cette remontée de la chaîne de valeur ? En conséquence, ne faut-il pas en changer totalement ?

Bien sûr, je n’attends pas de réponse de votre part sur le modèle alternatif. Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur concernant les fournisseurs alternatifs, mais simplement de constater que le modèle choisi n’a pas atteint ses objectifs.

Vous avez évoqué l’hydroélectricité. On avait envisagé une ARENH hydroélectrique – c’est-à-dire la possibilité de donner un volume productible aux fournisseurs alternatifs. Pour le moment, cela n’a pas été mis en œuvre. Au regard de l’échec de l’ARENH, peut-être ne faut-il pas aller dans ce sens, mais plutôt refondre intégralement le modèle, sur la base de la sécurisation, afin que ce bien public serve en premier lieu aux consommateurs, le complément d’énergies renouvelables – hors marché de base – pouvant, lui, être totalement ouvert afin que les fournisseurs alternatifs puissent investir sur les capacités.

M. Umberto Berkani. Je vous rejoins totalement sur la première remarque. C’est le sens du travail de l’Autorité de la concurrence depuis 2014-2015. La seule nuance – nous l’avons évoqué en début d’audition – c’est l’éventuelle perspective d’une réelle concurrence sur la production à moyen terme par les autres modes de production, dont les coûts se rapprocheraient. Nous ne l’avions pas en tête à l’époque ; il convient donc d’expertiser ce point.

Si ce n’est pas le cas, notre intuition était la bonne dès 2015 : doit-on aller au bout de l’ARENH, ou penser un nouveau système global, avec un objectif en moins ? Il s’agirait toujours de faire bénéficier le consommateur de la compétitivité du parc nucléaire et, plus largement, des capacités de production française, tout en développant une concurrence maximale sur le marché de détail, quelle que soit son architecture – qui dépendra en partie de celle qu’on donnera au marché de gros. Ces deux objectifs – sur les trois que comporte la loi NOME – sont absolument indispensables. Je suis convaincu qu’il faut mettre en place un système qui permettra de tirer tous les bienfaits de la concurrence sur le marché de détail.

Mme Laure de La Raudière. Le schéma que vous avez évoqué se rapproche-t-il d’une forme de service universel d’accès à l’électricité de base produite par les centrales nucléaires, qui serait différent de l’ARENH et obéirait à une réglementation beaucoup plus simple ? On a l’impression que le système actuel, très complexe, prive les opérateurs alternatifs d’une vision suffisante pour investir ; sans prédictibilité, ils ont davantage intérêt à utiliser les marges de manœuvre de fonctionnement qui existent.

M. Umberto Berkani. Je n’ai évoqué que deux pistes et je suis persuadé qu’il en existe d’autres. Ces systèmes tendent à isoler la production nucléaire du fonctionnement du marché, afin d’éviter qu’elle ne soit touchée par d’éventuelles défaillances.

Dans le premier schéma, l’ensemble des fournisseurs, y compris EDF, accèdent à l’énergie nucléaire et le répliquent dans leur offre aux clients : c’est une forme d’ARENH, mais totalement déplafonnée. Il est inutile de revenir sur les problèmes que cela pose, notamment au regard de la situation d’EDF et du statut actuel des centrales nucléaires.

Le second schéma consiste à isoler, de manière verticale, la production nucléaire, jusqu’à la facture du client. Cette part peut être de 70 %. L’autre part est fournie par un opérateur, qui peut être EDF, avec d’autres types de rémunération.

M. le président Julien Aubert. Cela ressemble au modèle de la sécurité sociale, avec une base et une complémentaire ; le client choisit sa mutuelle.

M. Umberto Berkani. En quelque sorte.

Mme Laure de La Raudière. Le problème, c’est que la part de l’énergie de base peut changer. Le premier système est sans doute plus simple à faire évoluer dans le temps.

M. Umberto Berkani. On peut aussi se dire qu’au fur et à mesure que la part du nucléaire baissera, la part complémentaire augmentera et le marché empiétera davantage sur le fonctionnement. Encore une fois, je mesure mal les difficultés et les conséquences de la mise en place d’un tel système ; je ne doute pas que d’autres auditions permettront de mieux vous renseigner sur la faisabilité de cette proposition.

M. Vincent Thiébaut. Ce que vous contestez, ce n’est pas tant l’augmentation des tarifs préconisée par la CRE mais la méthode de calcul retenue par la commission. L’augmentation de 5,9 % est due, pour 1,3 %, au dispositif qui assure l’approvisionnement en cas de surproduction, pour 2,4 % au marché et, pour 2,2 % au rationnement de l’ARENH. C’est bien la justification du rationnement de l’ARENH que vous critiquez.

Par ailleurs, quels sont les critères que l’Autorité de la concurrence retient lorsqu’elle évalue la concurrence ? Prenez-vous en compte les critères liés aux problématiques environnementales ?

M. Umberto Berkani. C’est en effet sur la justification et l’évaluation de la part liée au rationnement de l’ARENH que nous avons émis des doutes, car cela risque de changer le message et les objectifs assignés aux différents outils. Si l’on doit prendre en compte le rationnement, il faut le dire et l’assumer. Mais pourquoi aller dans ce sens, alors que nous nous sommes battus pour maintenir en France les tarifs réglementés de vente de l’électricité, les TRV ?

Votre deuxième question est plus large et j’y répondrai en distinguant deux situations. Dans le cadre d’une procédure contentieuse, lorsqu’il appartient à l’Autorité de la concurrence d’évaluer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle – entente ou abus de position dominante –, un motif environnemental peut justifier cette pratique s’il est démontré qu’il existe bien un intérêt pour le consommateur, que ce qui a été fait était proportionné à l’intérêt du consommateur, que la concurrence a néanmoins pu jouer, et qu’il n’existait pas de solution moins restrictive de la concurrence. La démonstration est difficile à mener, mais il est arrivé que ce motif soit retenu.

En rendant des avis, l’Autorité de la concurrence joue aussi un rôle de conseil auprès des pouvoirs publics, et au premier chef, du Gouvernement. Si elle juge qu’un texte est de nature à restreindre la concurrence, elle proposera des aménagements pour que l’objectif d’intérêt général, qui peut être de nature environnementale, puisse être atteint sans que la concurrence soit faussée – il ne s’agit pas de réguler l’intégralité du marché pour que les choses aillent mieux. Elle pourra aussi juger que l’intérêt général ne justifie pas une mesure restrictive de concurrence. Ainsi, sur la réforme ferroviaire, la question était de savoir si le projet industriel, d’intérêt général, justifiait de modifier un système jugé plus concurrentiel.

M. Anthony Cellier. Vous êtes saisis de l’augmentation des tarifs de l’électricité, très présente dans l’actualité puisque même Mediapart s’y intéresse. Je trouve d’ailleurs savoureux que le président trouve son inspiration dans ce média !

M. le président Julien Aubert. Je vous remercie de souligner mon ouverture d’esprit.

M. Anthony Cellier. Ne faudrait-il pas introduire plus de concurrence au sein même de l’ARENH ? Fixer le tarif à 42 euros avait pour objet de faire bénéficier les EnR d’un tarif compétitif, celui de l’électronucléaire. Le président de la CRE nous a expliqué que les prix de production du MWh selon le mode de production, nucléaire ou EnR, se rapprochaient et allaient peut-être bientôt se croiser. L’effet d’aubaine que représente pour les EnR le prix compétitif de l’électronucléaire va se réduire. Faut-il prévoir de moduler l’ARENH dans le temps en fonction des projections faites sur le coût du MWh nucléaire ?

M. Umberto Berkani. L’Autorité de la concurrence n’est pas en charge du calcul du montant de l’ARENH, mais je crois que c’est une tâche difficile. Moduler le prix ajoutera encore à la complexité.

L’ARENH a été mis en place parce que nous partons du principe que les concurrents doivent avoir accès à une partie de l’énergie produite au tarif du nucléaire pour être compétitifs sur le marché. Dans ce cas, nous répliquons le coût de revient de cette énergie pour EDF. Si l’ARENH n’est plus nécessaire à la compétitivité des concurrents, elle n’a plus lieu d’être.

La modulation que vous proposez consiste, j’imagine, à moduler le prix en fonction de l’utilité réelle pour les fournisseurs alternatifs ?

M. Anthony Cellier. L’échelle de temps n’est pas tout à fait la même. Le président de la CRE déclarait que le prix des MWh produits par les EnR diminuait considérablement, et allait rejoindre le prix du nucléaire.

Plus le prix de production des EnR va descendre, plus l’effet d’aubaine inhérent à l’utilisation des MWh issus de la production nucléaire va augmenter, au bénéfice des producteurs d’EnR.

M. Umberto Berkani. Il est très difficile de faire des perspectives. Si la convergence des coûts se vérifie dans les faits, et qu’elle se réalise avant 2025, cela prouvera que le système était bon, et que mis à part quelques ajustements parce que le plafond de 100 TWh n’était pas suffisant et qu’il doit être relevé le temps de passer l’obstacle, il n’y a pas de difficulté.

Dans cette hypothèse, si la modulation que vous imaginez devait se faire au détriment des alternatifs, c’est-à-dire que le prix qui leur serait offert serait de moins en moins attractif à mesure que leur rentabilité ou leur compétitivité augmente, c’est moins le prix qu’il faudrait moduler que le volume.

C’est la solution que nous envisagions, car l’Autorité de la concurrence considérait que ce système était transitoire et temporaire. Si ce n’est pas le cas, alors il est préférable de le dire rapidement, et il faut remettre les choses à plat. Mais si nous considérons bien que ce système est temporaire, il faudra gérer la transition car on ne passe pas de 100 TWh à zéro du jour au lendemain.

Après plusieurs années, la situation n’est plus du tout la même. Tous semblent dire que l’ARENH va se pérenniser, certaines déclarations politiques vont dans le sens d’une continuation de l’ARENH tant que les centrales nucléaires existent. Dans cette hypothèse, toutes les possibilités doivent être envisagées, y compris la hausse du plafond de l’ARENH.

En fonction des hypothèses que l’on formule sur l’évolution de la compétitivité relative des différentes énergies, la donne est complètement changée. Et la CRE est bien mieux placée pour avoir une opinion précise sur la question, je suis bien incapable de le dire, et ce point doit effectivement être tranché de manière claire avant de changer le système.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Parmi les opérateurs alternatifs, quelle est la part des pure players négociants, qui ne font que de l’achat-revente sans produire, et des producteurs-distributeurs qui développent une amélioration de la production ? Quels sont les pourcentages respectifs ?

Par ailleurs, est-ce que l’augmentation de TRV de 5,9 % correspond à un rattrapage des gels de tarifs passés ?

M. Umberto Berkani. Je n’ai pas les chiffres ni les ordres de grandeur pour répondre à votre première question, mais ces informations doivent figurer dans les observatoires des marchés de la CRE qui retracent quels opérateurs produisent pour quels négociants.

Pour répondre à votre deuxième question, un rattrapage est prévu dans la délibération de la CRE, mais les 5,9 % n’entrent pas en compte. Le rattrapage compense le fait que le tarif, au moins virtuellement, devrait s’appliquer depuis le 1er janvier. Ce n’est pas un rattrapage des tarifs décidés lors des années précédentes, mais du délai de mise en œuvre de la proposition tarifaire. D’ailleurs, nous y faisions référence dans notre avis car il faut vérifier dans quelle proportion se fait le rattrapage, et sur quelle base.

M. le président Julien Aubert. Vous convenez que les factures d’électricité pour les consommateurs ont augmenté depuis l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité. D’après vous, où est allé cet argent ? Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Des montants très importants ont été prélevés sur les consommateurs par les factures. Ces montants ont-ils compensé des coûts, ou ont-ils été captés par un acteur qui aurait profité de la mauvaise organisation du système de la concurrence ?

M. Umberto Berkani. Vous mentionnez les tarifs réglementés, ou tous les prix ?

M. le président Julien Aubert. Le montant de la facture a bondi de 30 à 40 % en dix ans. Donc un client qui payait 100 avant l’ouverture à la concurrence paie maintenant 130. Où est allée la différence, qui représente des dizaines de milliards d’euros ?

M. Umberto Berkani. Chaque fois que nous comparons une situation avant et après, il convient de faire le raisonnement contrefactuel permettant d’évaluer quelle serait la situation sans ouverture à la concurrence.

Ceci étant dit, une part des sommes que vous mentionnez est allée à EDF, une autre est allée à l’État, et une autre aux opérateurs alternatifs. Une grande partie des tarifs de l’électricité est constituée d’éléments régulés, tels que le TURPE. Sur la partie résiduelle, l’essentiel de l’augmentation de la facture lié au jeu de la concurrence est allé vers EDF et l’État pour l’électricité vendue au tarif réglementé ou aux offres de marché d’EDF, et aux fournisseurs alternatifs et à l’État s’agissant des offres de marché des alternatifs.

Si votre question porte sur la part qui a été affectée aux dividendes, et celle affectée aux investissements, je ne peux pas y répondre.

M. le président Julien Aubert. Je vous remercie de ces précisions, monsieur Berkani.

Laudition sachève à midi quarante.


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9.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Naima Idir, présidente de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et directrice des affaires réglementaires et institutionnelles d’ENI Gas and Power France, de M. Emmanuel Soulias, président d’Enercoop, de M. Vincent Maillard, directeur général de Plüm Énergie, et de M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie (4 avril 2019)

Laudition débute à seize heures cinquante.

M. le président Julien Aubert. L’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) rassemble la quasi-totalité des entreprises traditionnellement appelées « fournisseurs alternatifs » sur les marchés de l’électricité et du gaz.

Cette représentation conduite par Mme Naima Idir, directrice des affaires réglementaires et institutionnelles d’ENI Gas and Power France, comprend M. Emmanuel Soulias, président d’Enercoop, M. Vincent Maillard, directeur général de Plüm Énergie et M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie, que nous connaissons bien car il a souvent été auditionné par le Parlement. Il est d’ailleurs un précurseur concernant l’ouverture du marché électrique français puisqu’il a cofondé, il y a plus de quinze ans, Direct Énergie, un acteur désormais racheté par le groupe Total. Vous êtes donc une partie du total !

L’ouverture du marché de l’énergie est une donnée désormais établie en France, puisque dans les dix ans qui ont suivi 2007, les fournisseurs alternatifs avaient conquis près de 25 % des parts de marché des particuliers et 40 % des parts du marché des professionnels.

Le marché du gaz suit une même tendance. Vous nous en préciserez les parts de marché. Il est également intéressant de noter que EDF, producteur et fournisseur historique d’électricité, fournit désormais du gaz à plus de 1,5 million de clients résidentiels. Pour sa part, Engie, héritier de GDF-Suez, joue désormais un rôle non négligeable sur le marché de l’électricité.

Les dérégulations du marché de l’électricité et du gaz restent cependant foncièrement distinctes : le marché du gaz, par exemple, n’est pas régi par un dispositif comparable à celui de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), créé par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), sur laquelle nous avons travaillé ce matin.

Ce système de l’ARENH confère un droit de tirage à prix garantis aux fournisseurs alternatifs sur une partie de la production d’EDF – droit de tirage certes plafonné dans ses volumes mais qui autorise aux fournisseurs alternatifs une latitude favorable dès lors que les prix, qualifiés de « spots », dépassent les 43 euros du mégawattheure (MWh).

Je ne doute pas que vous nous ferez part de vos arguments concernant votre revendication de relever ou peut-être d’abaisser – surprenez-nous ! – le plafond de l’ARENH.

L’ANODE est également en pointe dans la critique du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), du moins tel que mis en place, au titre de sa quatrième période, à la suite d’une décision du ministre de l’époque, Mme Ségolène Royal.

La commission d’enquête a pu comprendre que les CEE pèsent désormais de façon sensible – cela reste encore à quantifier – sur les factures d’énergie des ménages.

Quelles sont vos observations sur ce dispositif depuis son élargissement ? D’autres fournisseurs d’énergie, comme l’Union française des industries pétrolières (UFIP), nous ont parlé des difficultés qu’ils rencontrent pour gérer ces certificats d’économie d’énergie. Vous en profiterez peut-être pour nous expliquer comment vous gérez ce dispositif, si vous faites appel à des prestataires spécialisés et si vous craignez un marché spéculatif des CEE.

Enfin, il semble utile à la commission d’enquête de savoir comment certains fournisseurs peuvent proposer des offres d’énergies « vertes » ou encore « 100 % renouvelables ». C’est le cas de la société Enercoop, ici représentée, et qui se conçoit comme « un acteur militant, de statut coopératif », ou encore de Plüm Énergie, également représentée.

La question que nous nous posons donc est celle-ci : quelles garanties et quels contrôles permettent de vérifier la réalité et la permanence de ces fournitures d’énergie « verte » puisque, notamment en matière d’électricité, les sources d’énergie sont mélangées ?

Madame, messieurs, nous allons d’abord vous entendre sous la forme d’un exposé liminaire de quinze minutes. Il vous est loisible de vous répartir ce temps de la manière que vous désirez – un peu comme sur le marché de l’électricité ou du gaz ! Ensuite, nous passerons aux questions. En sa qualité de rapporteure, Mme Meynier-Millefert tirera la première ; nous céderons ensuite la parole aux autres membres de la commission. Enfin, privilège du président, je terminerai.

Sagissant dune commission denquête, conformément aux dispositions de larticle 6 de lordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment.

(Mme Naima Idir, M. Emmanuel Soulias, M. Vincent Maillard, M. Fabien Choné prêtent successivement serment.)

Mme Naima Idir, présidente de lAssociation nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et directrice des affaires réglementaires et institutionnelles dENI Gas and Power France. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, nous vous remercions de votre invitation.

Je commencerai mon propos en vous présentant notre association, notre contribution sur le marché de l’énergie et notre action au titre de la transition énergétique ainsi que les propositions que nous formulons, notamment au profit de la préservation du pouvoir d’achat des Français qui est l’un des sujets qui animent votre commission.

Lassociation ANODE regroupe les fournisseurs alternatifs de gaz et délectricité, plus précisément onze fournisseurs de gaz et délectricité issus dhorizons très divers puisque, parmi nos membres, nous comptons aussi bien des filiales de grands groupes dorigine énergétique comme Total, via Direct Énergie, ou ENI, mais également des filiales dautres groupes français qui interviennent dans dautres secteurs comme GreenYellow, filiale du groupe Casino. Citons également Gaz Européen qui est une filiale de Butagaz. Nous comptons également des pure players, tels que Enercoop, Plüm, ekWateur, Énergie dIci.

Nous présentons la particularité d’offrir une grande diversité d’offres et de business models. Des fournisseurs, très ancrés dans les territoires, sont des promoteurs des énergies renouvelables (EnR) ; d’autres fournisseurs s’appuient davantage sur l’innovation en termes d’offres et de services énergétiques ; d’autres encore sont positionnés sur l’ensemble de ces thématiques. L’ANODE représente entre 80 % et 90 % de l’ensemble des consommateurs qui ont fait le choix de quitter le fournisseur historique et donc de se fournir sur le marché concurrentiel.

Concernant les apports des fournisseurs dits « alternatifs » à la concurrence et au marché de l’énergie, nous sommes l’un des seuls acteurs, pour ne pas dire le seul aujourd’hui, à faire de l’information et de la pédagogie auprès des consommateurs français. Nous faisons de la pédagogie, tout d’abord, sur la consommation en leur expliquant leur consommation, leur facture ; nous leur expliquons la possibilité qui leur est offerte depuis plus de dix ans aujourd’hui de changer de fournisseur, de changer d’offre et de trouver « chaussure à leur pied » sur le marché.

Nous sommes également – et c’est un aspect qui nous différencie le plus – l’acteur qui met en avant le facteur « innovation ». Nous développons de nouvelles offres : des offres « vertes », des offres pluriannuelles, des offres indexées, des offres à prix fixe. Nous travaillons sur des offres incitatives à la consommation qui permettent aussi bien le suivi que les effacements de la consommation.

Nous travaillons sur les services énergétiques, que ce soit l’efficacité énergétique ou l’autoconsommation. Nous considérons que nous sommes l’un des principaux vecteurs aujourd’hui de la modération des factures des Français. Vous avez eu l’occasion d’échanger avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE). La facture d’énergie TTC a fortement augmenté ces dernières années et l’un des principaux vecteurs qui a permis de réduire et de freiner cette hausse réside dans la compétition que nous offrons sur la part liée aux fournitures.

Enfin, nous avons incité par nos offres et par notre communication les fournisseurs historiques à évoluer pour proposer des offres innovantes. Des exemples très concrets au cours de ces derniers mois en attestent. Par exemple, EDF a lancé une nouvelle marque que vous avez dû voir à la télévision, l’offre Sowee, pour tout ce qui relève de la domotique. Nous avons également lancé, pour la première fois, une offre « verte électrique » et une offre plus compétitive que les tarifs réglementés, une offre qui se situe au tarif réglementé de vente (TRV) moins 5 %. Cela a été le cas pour Engie comme pour les entreprises locales de distribution.

L’association ANODE et les entreprises alternatives contribuent fortement, en tout cas œuvrent dans le sens de la transition énergétique, ce à plusieurs titres.

Tout d’abord en proposant une grande diversité d’offres innovantes au meilleur prix, mais également en investissant dans les énergies renouvelables et en étant le promoteur des offres vertes. Nous pourrons détailler ce point important. On constate que de plus en plus de clients y sont sensibles et y souscrivent. Cette appétence pour les offres « vertes » permet de préparer la fin des subventions aux énergies renouvelables dans quelques années. Pour ce faire, nous préparons le consommateur à payer pour bénéficier de cette offre « verte ».

Nous jouons un rôle quant à l’efficacité énergétique avec notamment le dispositif des certificats énergétiques et nous contribuons, c’est le souci des pouvoirs publics, au pouvoir d’achat des Français. À ce titre, je détaillerai nos trois principales propositions.

La première vise à garantir l’accès des consommateurs d’électricité à la production nucléaire historique compétitive. C’était l’un des principaux objectifs de la loi NOME de 2010 qui a instauré le dispositif ARENH. Malheureusement, en 2019, la demande d’ARENH a été supérieure au plafond de 100 térawattheures (TWh) et le volume disponible a été dépassé.

Je souhaiterais tordre le cou à une idée reçue selon laquelle l’ARENH ne bénéficie qu’aux fournisseurs alternatifs. Elle bénéficie bien aux consommateurs, aux clients des fournisseurs alternatifs. Sans un tel dispositif, on assisterait à une discrimination entre les consommateurs restés chez EDF au tarif réglementé et pouvant bénéficier de l’ARENH, et ceux qui se tournent vers le marché pour accéder à des offres « vertes », à des offres innovantes, et pour changer de fournisseur, lequel ne pourrait plus bénéficier de l’ARENH. Or, une telle discrimination n’était pas l’objectif de la loi NOME.

Nous considérons que le plafonnement de l’ARENH ne permet plus au consommateur final d’atteindre l’objectif d’accès et de bénéfices de la compétitivité du nucléaire historique. Cela conduit, de fait, à la hausse des prix de l’électricité pour les consommateurs, qu’ils soient en offre de marché ou au tarif réglementé. Pour redonner du pouvoir d’achat aux Français, une mesure très simple pourrait consister à intégrer, dans la prochaine loi sur l’énergie, un déplafonnement ou tout au moins une élévation du plafond de l’ARENH.

Une deuxième mesure importante concerne le dispositif des CEE, mis en place pour accompagner et inciter à l’efficacité énergétique auprès des consommateurs. Les fournisseurs d’énergie portent cette obligation de réaliser les mesures et l’accompagnement pour mettre en œuvre les actions d’efficacité énergique.

Aujourd’hui, le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE) traverse une phase de surchauffe. En 2016, les CEE étaient à 2 euros par MWh cumac. Selon les derniers chiffres ont été publiés par l’administration, ils sont à plus de 9 euros. Parallèlement, leur volume entre la troisième et la quatrième période a doublé. Malgré ce niveau très élevé des prix, l’ensemble des acteurs du dispositif, l’ensemble des obligés, n’atteignent que 45 % de l’obligation, plaçant l’ensemble du système en situation risquée. En effet, si à la fin de la quatrième période, fin 2020, nous n’avons pas atteint l’obligation de 1 600 TWh cumac, nous serons soumis à des pénalités de quinze euros par mégawattheure cumac. Ce coût se retrouvera sur la facture du consommateur.

Nous avons été plusieurs, aussi bien représentants des obligés que représentants des consommateurs, à avoir écrit à plusieurs reprises au ministre pour l’alerter. Dernièrement, nous lui avons demandé un allongement d’une année de la quatrième période, sans augmentation de l’obligation, afin de réduire la pression sur le dispositif et se donner légalement le temps d’un bilan pour mettre en parallèle son coût qui, selon les derniers chiffres, soit 9 euros le KWh, s’élève à plus de 4 milliards d’euros par an au regard des bénéfices pour l’ensemble de la collectivité.

Le troisième levier est fiscal. L’énergie est un secteur fortement fiscalisé. D’ailleurs, la fiscalité est l’un des principaux, voire le seul facteur de hausse du montant des factures des Français au cours des dernières années.

Quelques exemples : pour l’électricité, le poids de la fiscalité dans la facture est supérieur à un tiers. Cette proportion était historiquement un tiers « fourniture », un tiers « tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) » et un tiers « fiscalité ». Désormais, la fiscalité se rapproche progressivement des 40 %. En 2010, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) se situait à 4,50 euros le MWh pour atteindre 22,50 euros en 2016.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous nous donner une idée de la facture, pour l’électricité et pour le gaz, afin d’avoir une vue de l’évolution depuis 2010 ? Que veut dire la fin du monopole en termes d’évolution de la facture ?

Mme Naima Idir. Ce sont des éléments que nous vous transmettrons. Nous pouvons déjà vous dire que les tarifs hors taxes (HT) de l’électricité ont été quasiment stables ces dix dernières années pour la partie « fourniture » ; le TURPE a augmenté, mais dans une moindre proportion que les taxes qui, elles, ont fortement augmenté. La contribution au service public de l’électricité CSPE, ces dix dernières années, a suivi une hausse de plus de 70 %.

Le gaz a suivi à peu près la même évolution, puisque la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) était à 1,19 euro du mégawattheure en 2013 pour atteindre 8,45 euros du mégawattheure en 2018. Le taux a donc été multiplié par sept. La TIGCN est l’équivalent de la TICPE pour les carburants.

Il faut savoir que l’on souffre d’une accumulation de ces taxes. D’une part, cette taxe sur la consommation finale d’électricité ou de gaz vient s’ajouter à d’autres taxes prélevées en amont. La production d’électricité, par exemple, est elle-même soumise à l’impôt forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER). L’acheminement lui-même est assujetti à cet impôt. D’autre part, en aval, il convient d’ajouter la TVA.

Nous considérons que le levier qui consiste à jouer sur les taxes spécifiques à l’énergie est à disposition des pouvoirs publics pour limiter la hausse de l’énergie, voire pour abaisser le montant des factures et le prix pour le consommateur final. Par exemple, on peut imaginer de diminuer le niveau de la CSPE. Une telle baisse n’aurait pas d’impact sur la transition énergétique, puisque la CSPE ne sert plus au financement direct des énergies renouvelables : elle vient alimenter le budget de l’État.

Un autre levier pourrait être utilisé, celui de la TVA. Deux taux différents de TVA s’appliquent : le taux de 5,5 %, qui s’applique à l’abonnement, que ce soit pour le gaz ou l’électricité ; le taux de 20 %, qui s’applique à la part énergie et à la part consommation, là aussi pour le gaz et pour l’électricité. Pour la part « énergie, on pourrait envisager de ramener le taux de 20 % à 10 %. C’est le cas d’autres sources d’énergie, comme le bois de chauffage qui n’est taxé qu’à 10 %. Une telle baisse aurait un impact sur le budget de l’État, mais pas sur le financement de la transition énergétique. Nous avons procédé à une simulation fondée uniquement sur l’électricité. Ramener le taux de TVA à 10 % sur la part énergie permettrait de réduire le prix de l’électricité de 15 euros par MWh et coûterait environ 1,8 milliard d’euros au budget de l’État.

M. le Président Julien Aubert. Uniquement sur l’électricité ?

Mme Naima Idir. Il s’agit là d’une illustration chiffrée sur l’électricité.

M. le président Julien Aubert. La TVA sur la consommation, s’agissant des deux énergies, est de 20 %.

Mme Naima Idir. Oui, tout à fait, mais ce calcul portait uniquement sur la partie électricité.

Voilà pour ce qui est de notre propos introductif. Nous sommes à votre écoute pour répondre à vos questions.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour cet exposé très clair.

Vous attribuez aux fournisseurs alternatifs plusieurs effets positifs pour le consommateur qui se traduisent par une transparence sur les mécanismes de l’énergie et des offres plus innovantes.

Mais derrière l’innovation, existe-t-il des gains réels pour les consommateurs ? Parfois, l’innovation peut se réduire à un joli habillage et ne pas se traduire par un vrai progrès. Je voudrais que vous développiez les gains réels pour les usagers.

Vous indiquiez que la facture d’énergie TTC a augmenté et que cette augmentation a été limitée par votre intervention sur la part fourniture. Pouvez-vous développer ce point ?

S’agissant des CEE, avez-vous des obligations ?

Les onze adhérents de l’association constituent-ils l’ensemble du secteur ?

Enfin, parmi les fournisseurs alternatifs, combien sont à la fois dans la distribution et la production ou purement dans la distribution, dans l’achat-vente de l’énergie ?

Mme Naima Idir. Sur l’apport à l’information des producteurs alternatifs, un des premiers travaux que nous avons dû mener auprès des consommateurs a été de leur expliquer les chaînes gazières et électriques et les rôles et responsabilités de chacun des maillons. C’était très compliqué, nous nous heurtions à une grande confusion dans la tête du consommateur sur le « Qui-fait-quoi ? », et notamment sur la différence entre le distributeur et le fournisseur. De nombreux consommateurs pensent que changer de fournisseur implique de changer son raccordement, son installation domestique, son installation électrique et son compteur.

La situation s’est améliorée avec le temps, mais il faut garder à l’esprit le point d’où l’on part. Les activités en monopole sont réalisées par des acteurs en monopole, en particulier la partie raccordement au réseau. Quel que soit le fournisseur, le client bénéficie du même service, de la même qualité de service, il n’y a aucun changement lié au changement de fournisseur.

Ensuite, nous avons effectué un travail considérable sur le thème de la consommation, sur la facture, dont la partie « contributions et taxes ». Les Français ont une très mauvaise connaissance de leur consommation. La majorité d’entre eux ignorent leur consommation annuelle et ne savent pas optimiser leur consommation. Certains d’ailleurs ne se posent pas la question de savoir si certains moments de la journée sont plus propices à la consommation, ce qui leur permettrait de réduire leur facture d’énergie.

S’ajoutent des mauvaises compréhensions de la facture, concernant notamment la part sur laquelle il est possible de jouer, l’utilisation des taxes payées, l’utilité du TURPE, nous faisons de la pédagogie, mais il est dommage que ce soit au fournisseur de le faire. Elle aurait dû être réalisée par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, dix ans après l’ouverture du marché à la concurrence, nous sommes toujours confrontés aux mêmes questions. La crainte de changer de fournisseur demeure, alors même que les règles mises en place apportent toute sécurité au particulier, qui peut changer de fournisseur sans aucun engagement pour la suite s’il n’est pas satisfait. Il en va de même pour les tarifs réglementés, puisque la réglementation donne la possibilité au consommateur de renoncer et de revenir au tarif réglementé, sans aucune contrainte. Les conditions ont été mises en place pour permettre aux Français d’expérimenter la concurrence sans aucun risque ni contrainte, mais, dans la pratique, le passage à l’acte a été très lent, même si l’on constate une amélioration qui va de pair avec le travail de pédagogie mené.

Prenons un exemple, qui a trait à la partie innovation. La France a investi des sommes importantes pour que les distributeurs déploient des compteurs communicants autorisant la remontée d’informations précieuses sur la consommation des Français ; ces données permettent aux consommateurs de mieux maîtriser leur propre consommation. Aujourd’hui, les fournisseurs alternatifs jouent un rôle moteur dans l’utilisation et l’exploitation des données issues de ces compteurs pour faire des offres permettant d’exploiter au mieux ces nouveaux outils.

M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie. Je compléterai le panel des nouvelles offres, car beaucoup de nouveaux services sont, en effet, proposés aujourd’hui. Nos offres online, entièrement digitales, présentent l’avantage d’être faciles d’utilisation pour les consommateurs et moins chères. Sont apparues récemment des offres week-end, des offres aux heures « super creuses » pendant la nuit, des offres spécifiques pour développer le véhicule électrique, mais aussi des offres de services pour aider les consommateurs à mieux utiliser leur chauffage électrique et leur permettre des réductions de consommation de l’ordre de 10 %. Ces résultats ont été démontrés dans le cadre de projets avec l’ADEME. Du point de vue de l’innovation, les producteurs alternatifs, malgré les difficultés économiques qu’ils ont rencontrées sur ce marché avec le « Kilo Vert », ont réussi à développer un grand nombre d’innovations que les opérateurs historiques commencent d’ailleurs à dupliquer.

Je reviens d’un mot sur la question du prix, car l’innovation et la diminution du prix sont ce que l’on attend en premier de la concurrence. On entend dire très régulièrement que la concurrence n’a pas fonctionné, puisque les factures ont augmenté. Il convient de rappeler les chiffres. Depuis 2010, la facture a augmenté d’environ 30 %. La CSPE est responsable de près des deux tiers de cette augmentation… Des hausses sont liées au TURPE, d’autres aux obligations ajoutées au fournisseur depuis la mise en place des CEE. Vous constaterez – et la CRE pourra vous livrer des chiffres très précis – que la part « fourniture », celle qui relève de la responsabilité des fournisseurs, a baissé en euros constants depuis 2010. Oui, la concurrence a fait baisser l’ensemble des prix, et pas uniquement les nôtres : également ceux proposés par des opérateurs alternatifs dans le cadre d’un tarif réglementé depuis l’ouverture du marché.

M. Vincent Maillard, directeur général de Plüm Énergie. Au-delà du prix, l’enjeu réside dans la diminution de la facture et de la consommation des usagers, tant il est vrai que si nous abaissons les prix et qu’ils consomment davantage, nous aurons perdu ce qui aura été gagné au départ. L’innovation passe par là.

Nous nous sommes battus pour des offres innovantes qui poussent les clients à réduire leur consommation et qui récompensent cette baisse de consommation. Encore une fois, au-delà de la question des taxes, se pose la question de l’accès aux données.

Quel est l’historique de la consommation d’un client qui prend un abonnement chez Plüm Énergie ? Comment puis-je conseiller un client si je ne dispose que de sa consommation sur six mois alors qu’il faudrait disposer de données portant sur plusieurs années ? Nous nous battons depuis des années contre Enedis pour récupérer ces données, qui permettent de conseiller au mieux le client.

Des mesures simples pour améliorer la situation sont à prendre. Elles ne portent pas sur des taxes ou sur la création d’un nouveau système, mais sur l’accès aux données – bien sûr, avec le consentement du client. L’innovation va de pair avec un système qui la permet et qui la favorise.

Pour autant, le système concurrentiel présente des résultats. Nous donnons des récompenses à nos clients, ils sont satisfaits et réduisent leur facture.

Je formulerai un commentaire sur la notion de pure player. Nous sommes effectivement un pure player, et ce depuis le début. Il y a une échelle : on ne commence pas par construire des centrales, on commence par réussir son corps de projet qui, pour ce qui nous concerne, passe par l’économie d’énergie et le mieux-consommer.

Peut-être, un jour, adopterons-nous un modèle où nous serons producteurs ou associés à un producteur, mais il est important qu’un fournisseur qui incite son client à réduire sa consommation ne soit pas lui-même intéressé à produire. Si mon client consomme moins, j’achète moins d’énergie. Je ne perds en rien. Si je suis producteur, je deviens productiviste, en contradiction avec l’idée d’accompagner les clients dans la réduction de leur consommation.

M. le président Julien Aubert. Cela devient difficile avec les CEE. Vous incitez les usagers à ne pas consommer une énergie que vous vendez.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. C’est le paradoxe des CEE !

M. Vincent Maillard. J’aimerais être éligible à faire valoir mon système en termes de CEE. C’est un sujet que nous aborderons. Peut-être cela permettra-t-il de résoudre certaines questions. À ce jour, le système en place fonctionne, mais n’est pas éligible au système des CEE.

J’insisterai sur un dernier point. Au-delà de la question du marché, une des spécificités françaises réside dans le besoin en pointe. Nombre de débats portent sur les mérites comparés des renouvelables et de l’European Pressurized Reactor (EPR). Ni l’une ni l’autre des deux solutions ne résolvent le problème, qui consiste à fournir la France en période de pointe. On ne construit pas des centrales nucléaires pour fonctionner mille heures par an, mais entre 6 000 et 8 000 heures. Quant aux renouvelables, elles ne participent pas toujours à l’approvisionnement en période de pointe. Mais n’exagérons pas : elles sont parfois présentes.

Réduire la consommation en pointe consiste à inciter les clients à baisser leur consommation. On ne réinvente pas la roue ! Les offres EJP ont été créées par EDF dans les années 1980, Tempo en 2000. Cette formule a été totalement abandonnée par le service public. Pourquoi ? Je pose la question, mais je n’y répondrai pas à ce stade. Je veux simplement affirmer ce que nous voulons faire en soulignant que des barrières s’y opposent. Bien des mesures sont à entreprendre pour inciter et permettre aux clients d’innover, y compris sur les offres qui incitent les clients à réduire leur consommation au moment où le système énergétique est le plus tendu et où les risques de coupure et de black-out sont les plus importants.

M. le président Julien Aubert. Pourquoi avoir supprimé Tempo ?

M. Vincent Maillard. Tempo n’est pas supprimé, il existe encore pour les clients résidentiels.

M. le président Julien Aubert. Je reformule : vous avez posé une question en ajoutant que vous n’y répondriez pas. Je vous propose de vous poser la question afin que vous y répondiez !

M. Vincent Maillard. L’offre « effacement des jours de pointe » (EJP) a été créée dans les années 1980, au moment où se posaient des problèmes de développement du chauffage électrique et une alimentation nucléaire qui couvrait les besoins de base. Il fallait répondre aux besoins en pointe. On a inventé un système intelligent, l’EJP, qui était une formule très novatrice.

De nombreux débats ont porté sur les avantages et les inconvénients du chauffage électrique. Personnellement, je suis un grand adversaire du chauffage électrique, qui crée des situations de pointe et de nombreux problèmes.

EDF était très favorable au chauffage électrique et l’est encore. Pour répondre à la question du chauffage électrique, il a créé Tempo, fondé sur un principe de saisonnalité, les clients payant plus en hiver qu’en été. Cette formule présentait l’avantage de refléter les coûts. Le biais, c’est que Tempo n’était pas obligatoire et n’a pas été imposé à tout le monde, avec une conséquence : EDF ne l’a pas développé. Consultez le site d’EDF et trouvez l’offre Tempo, appelez un centre-clients et voyez s’il le propose. Il faut leur poser la question. Je n’ai pas la réponse, j’ai une interprétation. Je constate simplement que la formule n’est pas favorisée.

M. le président Julien Aubert. Ne vous arrêtez pas en si bon chemin : livrez-nous votre interprétation !

M. Vincent Maillard. EDF n’y a pas intérêt. Il veut toujours développer le chauffage électrique, mais il ne veut pas résoudre les périodes de pointe par la demande, il veut la traiter par l’offre. Il veut un système de capacité qui rapporte une rémunération, et non un système qui réduirait ses revenus.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je commencerai par une question qui fâche en évoquant un article, paru le 28 septembre dernier, suite au classement par l’organisation Greenpeace des meilleurs fournisseurs d’électricité « verte ». D’une certaine façon, la réponse est dans la question, dans le sens où le classement repose sur la production d’électricité « verte ».

Selon cet article, les offres restent illisibles, même s’il existe, comme vous l’avez rappelé en préambule, une véritable attente et une volonté des consommateurs d’accéder à une énergie verte. Toujours selon cet article, Enercoop est « vraiment vert ». En bas du classement, en très mauvaise position, on trouve Direct Énergie et, à la traîne, Plüm Énergie. Pouvez-vous nous expliquer ce classement ?

Le classement se fonde sur une méthodologie déjà éprouvée dans d’autres pays, notamment la Belgique. Il retient quatre critères : quelle électricité produisent les fournisseurs pour ceux qui sont producteurs ? Quelle est leur politique d’achat d’électricité ? Quel usage font-ils des garanties d’origine ? Quels investissements et désinvestissements ont-ils effectué et quels investissements prévoient-ils ? Peut-être l’explication de ce classement tient-elle à la nature des critères.

Pouvez-nous nous éclairer sur les garanties d’origine ? L’article explique : « Les fournisseurs se contentent généralement dacheter un certificat dit de garantie dorigine qui atteste quune quantité équivalente délectricité renouvelable à celle qui a été vendue au client a bien été injectée dans le réseau délectricité en France ou ailleurs en Europe. Cela signifie quun fournisseur doffre verte peut se contenter dacheter de lélectricité produite dans une centrale à charbon ou nucléaire du moment quil achète aussi un certificat Vert, critique lONG ». J’aimerais que vous nous éclairiez sur cet article qui est quelque peu à charge.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Maillard, vous avez la parole. Je la donnerai ensuite à M. Choné. Quant à vous, monsieur Soulias, on vous a tressé des lauriers. Donc rester silencieux ne peut pas aggraver votre cas !

M. Vincent Maillard. Je félicite Enercoop !

Je ne sais si vous avez lu le commentaire plutôt élogieux de Greenpeace : il considère que Plüm Énergie valorise les économies d’énergie – un élément qu’il n’a malheureusement pu intégrer dans son classement. Éventuellement, vous pourriez poser la question directement à ses représentants. Nous avons beaucoup échangé avec eux à ce sujet.

Nous avons choisi comme priorité l’économie d’énergie et l’accompagnement du consommateur. Nous n’avions pas indiqué notre priorité au moment de notre lancement. Or, ce classement porte sur Plüm Énergie au moment de son lancement. Nous comptions alors moins de mille clients – c’était vraiment le début. J’espère qu’un jour nous rejoindrons Enercoop. Et Enercoop reconnaîtra que nous pouvons faire encore mieux que ce qu’il fait aujourd’hui. Il reste encore beaucoup à faire – effectivement !

M. Fabien Choné. Nous contestons la méthode, notamment parce que le rachat de Direct Énergie par le groupe Total a massivement plombé sa note. Nous trouvons cela vraiment dommage parce que le groupe Direct Énergie, avant le rachat par Total – c’est encore vrai depuis le rachat – investit massivement dans les énergies renouvelables. Nous investissons plus de 200 millions d’euros dans les énergies nouvelles tous les ans, et ce depuis un moment déjà, et nous prévoyons de continuer au cours des trois ans qui viennent. Il est donc un peu dommage d’attribuer une note aussi mauvaise à un opérateur qui est aussi allant dans le domaine des énergies renouvelables.

Je trouve également dommage que, l’entreprise Direct Énergie étant devenue une filiale de Total, on considère que Direct Énergie est forcément très mauvais parce que l’on juge son action en fonction de celle du reste du groupe dans le secteur de l’énergie.

Au moment où Total décide de changer radicalement sa stratégie pour devenir un acteur responsable majeur, décarbonant significativement son activité, on continue de lui taper dessus. On considère que son activité historique ne plaide pas en sa faveur et que, de toute façon, quoi que fasse Total, il sera le dernier de la classe. C’est dommage, car c’est un très mauvais signal envoyé à ce groupe et une très mauvaise information adressée aux consommateurs qui pourraient choisir les offres « vertes » du groupe, qui fait beaucoup d’efforts pour progresser dans le sens de la transition énergétique.

J’en viens à la question des garanties d’origine, une vraie question que vous posez en de très bons termes. Le système électrique est ainsi fait que vous ne savez jamais ce que vous achetez, sauf s’il existe une ligne directe entre le producteur et le consommateur. Cela existe parfois, mais ce n’est pas une généralité en Europe. Vous achetez toujours un pot commun d’électricité que l’on appelle « grise ».

La seule manière d’aider la traçabilité de la production d’énergie renouvelable passe par la création du système des garanties d’origine. Cela ne signifie pas que le système soit parfait. En théorie, un marché qui fonctionne correctement permet un prix d’équilibre entre les garanties d’origine disponibles et les consommateurs qui sont prêts à payer un peu plus pour avoir de l’électricité réputée verte. Voilà pour la théorie. Dans les faits, cela ne marche pas très bien, parce que ces garanties d’origine émanent de l’Union européenne, alors que les réglementations, notamment en matière d’énergie verte, se décident au niveau national. Mais les énergies vertes ne sont pas seules à poser question. Pour atteindre un équilibre entre l’offre et la demande, les marchés doivent être ouverts. Il faudrait que le marché soit correctement organisé pour que le fournisseur puisse se développer loyalement et sainement, ce qui n’est pas du tout le cas en France, notamment avec la persistance des tarifs réglementés qui posent de multiples problèmes. Vous en avez débattu ce matin, peut-être y reviendra-t-on cet après-midi.

Pour l’ensemble de ces raisons, on peut critiquer le dispositif. En théorie, il peut fonctionner. Mais au lieu de critiquer le dispositif, on devrait plutôt essayer de résoudre les problématiques qui empêchent ce dispositif d’être totalement satisfaisant.

Mme Naima Idir. ENI Gas and Power France n’a pas été concerné par ce classement puisqu’il venait de se lancer dans la fourniture d’électricité lorsque le classement a été réalisé. Je voudrais toutefois apporter un complément qui va dans le sens du propos de M. Choné sur les garanties d’origine.

Je le dis avec conviction, critiquer les garanties d’origine est un mauvais procès qu’on leur fait, car ces garanties d’origine sont destinées à tracer la production de renouvelables. La valorisation des garanties d’origine permet aussi de réduire le coût des dispositifs de soutien. La France, après de nombreuses années, a décidé de valoriser sur le marché les garanties d’origine liées à la production des renouvelables françaises. Cette valorisation permet enfin de proposer au consommateur, de façon un peu plus massive, des offres vertes françaises, et de générer des recettes qui viendront en déduction du coût du soutien apporté aux renouvelables par la collectivité.

Il est important de maintenir un dispositif européen, puisque nous sommes dans un système énergétique et électrique européen. L’électricité ne fait pas l’objet de barrières à l’entrée ou à la sortie aux frontières. Une politique européenne est menée en faveur du développement des renouvelables. Il est important de s’assurer que nous pourrons tracer leur production de la même façon partout en Europe.

Nous considérons que le développement massif des renouvelables nécessite un dispositif de traçage comme le sont les garanties d’origine. Encore une fois, c’est un mauvais procès qui leur est fait.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pour faire son classement, Greenpeace s’est focalisé sur un prisme unique, celui du développement des EnR, alors qu’en réalité le système concurrentiel permet d’améliorer plusieurs volets à la fois : efficacité énergétique, développement des renouvelables, baisse des coûts grâce à des offres innovantes. Est-ce bien cela ?

Mme Naima Idir. Oui.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Merci à toutes et à tous pour ces exposés et pour les informations livrées. Nous reconnaissons la dynamique impulsée par les fournisseurs alternatifs s’agissant des offres tarifaires, mais également de toutes les innovations, telles que l’effacement – entre autres. Je crois que nous nous accordons sur ce constat, et nous vous en remercions.

Ce matin, un débat assez long a porté sur la question de l’ARENH et particulièrement sur la construction de ce modèle, qui repose à l’origine sur trois objectifs, dont le dernier consistait à remonter la chaîne de valeur. Nous avons d’ailleurs dû nous y reprendre à plusieurs reprises, nos interventions n’étaient pas forcément comprises de prime abord.

Nous constatons que ce dispositif a échoué, puisque la remontée de la chaîne de valeur, donc la transformation ou l’investissement des fournisseurs alternatifs dans les renouvelables, n’a pas été au rendez-vous. Il s’agit d’un constat, non d’un jugement. Nous nous interrogeons aujourd’hui sur les raisons de cet état de fait.

Monsieur Maillard, vous nous avez sans doute livré une partie de la réponse en disant que telle n’était pas votre vocation première et que vous préfériez être seulement fournisseur plutôt que producteur et fournisseur. Si tel est le cas, le troisième pied de ce triptyque n’était pas l’objectif à mettre en place. Vous préférez rester fournisseur alternatif et ne pas investir sur le marché des renouvelables. Mais peut-être n’avez-vous tous simplement pas eu le temps de le faire et votre objectif sera-t-il celui-là demain. La réponse n’est pas la même pour chacun d’entre vous, les objectifs non plus. Aussi, vos réponses nous éclaireront sur l’avenir de l’ARENH.

J’ai bien entendu que vous demandiez l’augmentation de son plafond. À un moment donné, il n’a pas pu être répondu suffisamment à vos demandes. Considérez-vous aujourd’hui que ce modèle triptyque soit un bon modèle, ou faut-il le modifier et, si oui, dans quel sens ?

M. Fabien Choné. Je m’inscris en faux contre l’idée d’un échec de l’ARENH. Ceux qui l’affirment ont d’autres visées que celle d’analyser loyalement l’ARENH.

Trois objectifs lui étaient assignés : premièrement, la compétitivité rendue aux consommateurs. Il s’agissait d’une inquiétude au moment de la loi NOME : l’électricité nucléaire qui serait vendue aux fournisseurs serait-elle bien rendue aux consommateurs ? Tout le monde reconnaît que cela a bien fonctionné. Deuxièmement, cela allait-il permettre de développer la concurrence ? Insuffisamment, à notre goût, mais cela a permis de relancer le développement commercial de Direct Énergie. Juste avant la création de l’ARENH, la situation économique était telle que nous avions arrêté notre développement commercial. L’ARENH a permis de relancer l’activité de fourniture au détail en aval. Force est de constater que, depuis sa mise en œuvre, le nombre de concurrents a augmenté. Ce point ne fait donc aucun doute.

Le dernier objectif était l’incitation à la production. Le fait d’être producteur peut être intéressant, peut être un droit, mais ne doit pas être une obligation. Il ne faut pas oublier que la production et la fourniture sont deux activités totalement dissociées. Je tiens à préciser une chose : la production peut soulever nombre de sujets un peu techniques et complexes de mise en œuvre de la concurrence : autour de la spécificité du nucléaire, autour des renouvelables, qui sont des filières subventionnées, autour des concessions hydroélectriques ou encore autour de la question de la sécurité de l’approvisionnement, qui est un bien public. Tout cela fait que la concurrence dans la production est certes un peu compliquée, mais que, dans la fourniture, ce devrait être très simple et immédiatement bénéfique au consommateur, à la fois en termes de prix – même si la part fourniture dans le tarif n’est pas prépondérante –, mais également en termes d’innovation.

Dire que l’ARENH n’a pas incité les opérateurs à investir dans la production, en tout cas pour ce qui nous concerne, est radicalement faux. Grâce à l’ARENH, nous avons pu relancer notre développement commercial et lancer une stratégie d’intégration vers l’amont qui nous a permis d’atteindre plus de 800 MW de production d’énergies renouvelables. Nous investissons 200 millions d’euros dans des énergies renouvelables par an actuellement. Nous avons pu également nous lancer dans la production d’électricité à partir de gaz avec des cycles combiné gaz. Nous disposons aujourd’hui de trois cycles combinés gaz, un quatrième est en projet à Landivisiau, qui représente un investissement de 450 millions d’euros.

Ne serait-ce qu’en termes d’investissement pour les trois prochaines années, le groupe investira plus d’un milliard d’euros dans les éléments liés à la transition énergétique : le renouvelable et les cycles combinés gaz qui, grâce à leur flexibilité, garantissent la sécurité de l’approvisionnement. Tout cela est rendu possible par l’ARENH. Dès lors, affirmer que l’ARENH n’a pas fonctionné est un peu étonnant.

Qu’est-ce qui, éventuellement, n’aurait pas fonctionné dans les investissements qu’on attendait suite à la création de l’ARENH ?

S’agissant des concessions hydroélectriques, ce n’est pas à vous que je dirai, madame Battistel, pourquoi nous n’avons pas le droit d’investir dedans. J’ajoute « malheureusement » dans la mesure où nous avions des projets intéressants pour augmenter le productible des concessions en faveur de la collectivité. Je vous rappelle qu’il est prévu de rendre à la collectivité le bénéfice des concessions électriques, ce qu’on appelle la rente hydroélectrique, via une redevance, de la même manière que l’on rend l’avantage de l’ARENH au dispositif ARENH.

Il y a le nucléaire mais le nucléaire est un monopole en France. Nous ne pouvons pas investir dans le nucléaire et quand bien même le pourrions-nous, je ne suis pas certain que ce serait aisé !

Dire aujourd’hui que l’ARENH n’a pas rempli ses trois objectifs, de notre point de vue, est totalement faux. On ne peut pas entendre cela !

Mme Marie-Noëlle Battistel. Mon propos n’était pas accusateur, monsieur Choné. Restons calmes. Et d’ailleurs nous ne parlions pas uniquement de Direct Énergie. Ce matin, nous dressions un constat global. Peut-être est-il erroné mais il est celui-ci : les objectifs en matière d’investissement dans la production des nouvelles énergies n’ont pas été à la hauteur des attentes de départ.

Nous voulons également étudier les éventuels freins qui n’ont pas permis d’atteindre cet objectif. Tout le monde n’est pas forcément logé à la même enseigne que Direct Énergie, qui, pour sa part, a investi dans le domaine des énergies renouvelables. Vous avez évoqué l’hydroélectricité, le nucléaire, qui est un sujet à part, mais il y a aussi les énergies renouvelables, diverses et variées. À ce titre, vous pouvez intervenir par le biais d’appels à projets ouverts à tous mais auxquels ne peuvent répondre l’ensemble des fournisseurs – je ne parle pas de Direct Énergie. Peut-être existe-t-il des freins autres ou alors il était erroné d’attendre un tel investissement de votre part au lancement du dispositif. Telle est la question que nous nous sommes posée. En partant du constat, nous nous sommes demandé si la construction de ce modèle était à l’origine d’objectifs intéressants et importants, mais peut-être n’était-ce pas les bons. Peut-être aurait-il fallu les considérer différemment. Tels sont le sujet et l’enjeu.

M. Fabien Choné. Investir dans la production est un acte très capitalistique et pour asseoir un investissement dans la production, il faut également avoir une activité déjà ancienne. Ce matin, M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence, évoquait le secteur des télécoms. Avant que les opérateurs alternatifs soient les premiers investisseurs dans les nouvelles technologies de communication – je pense à la fibre –, l’accès à la boucle locale leur a été donné mais il leur a fallu un peu de temps pour développer leur activité. Je me trompe peut-être, mais, à mon avis, au moment de la mise en œuvre de l’ARENH, les opérateurs qui en ont profité étaient, pour l’essentiel, Direct Énergie et Engie, qui, tous les deux, ont développé des investissements très importants en moyens de production, renouvelables ou hors renouvelables, dans le cadre de la transition énergétique. Je pense notamment aux combinés gaz puisque Engie a également investi dans ce domaine. Personnellement, j’espère que les nouveaux entrants auront les moyens de développer eux-mêmes des moyens de production, notamment renouvelables, Même ceux qui ne développent pas des moyens de production en propre, lient, en général, des partenariats avec des producteurs qui leur permettent de se développer et d’investir, mais peut-être que mes voisins pourront en parler mieux que moi.

M. Vincent Maillard. Dans notre modèle, nous sommes trop confortables pour dire que si le client consomme moins, cela ne nous impacte pas, puisque nous achèterons moins sur le marché. Nous avons un alignement des intérêts du client et de nous-mêmes à les accompagner dans la réduction de leur consommation, et plus généralement dans le « mieux-consommer ». Cela ne signifie pas que nous ne déciderons pas, à un moment donné, de produire, ou plus exactement de rechercher un partenaire producteur pour travailler avec lui dans la durée. Mais cela revient à la façon d’organiser l’aide au développement des énergies renouvelables.

Aujourd’hui, toutes les énergies renouvelables se développent grâce à un régime d’aide, que ce soit sous la forme d’un complément de rémunération, d’une obligation d’achat ou d’appels d’offres. Seules les productions très anciennes peuvent sortir de ce système. Mais pour développer de nouvelles installations, par définition, on doit faire du nouveau.

Si, en tant que fournisseur seul, nous voulions nous associer à un producteur, il conviendrait que celui-ci sorte du système de subventions. Sans quoi, il n’aurait pas besoin de nous ; sans subventions, nul besoin de travailler avec un fournisseur pour récupérer une subvention et développer un projet éolien ou photovoltaïque.

Si un producteur veut s’allier avec un fournisseur, d’autres questions se posent, parce que c’est la double peine. Il ne récupérera la subvention du système de complément de rémunération et devra payer, via le fournisseur, la CSPE. C’est un problème qu’il conviendra de soulever à un moment ou à un autre. Peut-être ce modèle devrait-il être pensé dans la durée. Comment accompagner des fournisseurs qui souhaitent s’allier à un producteur, dans un modèle plus intégré ? Encore une fois, nous ne chercherons pas des intégrations à cent pour cent. Nous restons dans l’idée que nos intérêts doivent être alignés sur ceux des clients et ne pas trop verser « du côté productiviste de la force », si je puis dire.

M. Emmanuel Soulias, président dEnercoop. J’espère que vous constatez la richesse que forme la diversité des profils des stratégies des entreprises qui sont rassemblées au sein de l’ANODE. Le fait que plusieurs acteurs portent des stratégies différentes est très éclairant et permet d’aller au fond des questions que vous vous posez et que nos concitoyens se posent.

Madame Battistel, vous nous avez interrogés sur notre capacité à nous porter sur la phase de la production, en amont. C’est un souhait d’Enercoop, cela fait partie de son projet. Nous sommes un peu atypiques dans le sens où nous n’avons pas de lien direct avec l’ARENH, puisque nous n’avons pas passé de contrat. La conséquence, c’est que nos tarifs sont un tout petit peu plus élevés, mais les clients qui viennent chez nous le font en connaissance de cause. C’est une vertu de la diversité des offres et de la transparence du cycle de vie de production, de la distribution et de la fourniture d’électricité. Chacun choisit son fournisseur en conséquence et en libre choix en fonction du sens qu’il veut donner à son acte de consommation. Il est important de le rappeler.

Le modèle que nous avons choisi incite les citoyens à investir dans les moyens de production : les citoyens en tant que tels, les citoyens regroupés en coopérative, en association, les citoyens constitués en société d’économie mixte, au travers de collectivités.

Nous sommes convaincus que la transition énergétique se décide sur les territoires, et elle ne se fera que si les citoyens agissent en pleine conscience sur le financement, sur la gouvernance et sur le cycle de vie de l’énergie de manière globale. Nous nous appuyons en contrat direct avec 240 producteurs qui ne nous appartiennent pas mais qui signent des contrats à moyen et long terme avec nous. La durée moyenne des contrats est de quatre ans. Nous essayons de fonctionner le plus possible avec eux dans une démarche de commerce équitable, c’est-à-dire de ne pas rémunérer uniquement au prix du marché, mais de donner une plus-value à une dimension citoyenne, à une dimension locale, à une dimension de rénovation des installations. Voilà pour le premier élément.

Second élément, avec d’autres acteurs, nous avons contribué à la création d’une structure qui s’appelle « Énergie partagée » et qui incite les citoyens à investir directement dans les moyens de production et à participer à la gouvernance de ces moyens de production. Le fait est important à deux titres : d’abord, en termes d’acceptabilité sociale des énergies renouvelables. Nous pourrons faire un focus sur l’éolien. Mais de manière générale sur cette question de la transition, l’acceptabilité sociale dans les territoires passe par l’implication financière et la gouvernance des citoyens dans les projets qui sont développés : qui vient s’installer ici ? Quel est le modèle économique ? Quel est le profit généré, à qui profite-t-il ? Ce sont des questions qui se posent et qui peuvent être des freins à l’essor et au développement des énergies renouvelables.

La troisième question est celle de la fiscalité autour de la dimension participative et d’investissement citoyen dans les énergies renouvelables. Nous considérons que l’État, au travers notamment de dispositions fiscales ad hoc, pourrait inciter à un investissement dans des actifs durables, un investissement bon pour la planète, bon pour la créance et la création d’emplois dans les territoires. L’État pourrait fiscalement soutenir ces investissements, longs et moyens, des citoyens.

M. le président Julien Aubert. En quoi investir dans les renouvelables est-il bon pour la planète ? Le président de la CRE nous a expliqué que cela n’avait strictement aucun rapport avec le CO2.

M. Emmanuel Soulias. La planète ne se limite pas à la question du CO2. On trouve les enjeux environnementaux d’un côté, les enjeux du changement climatique ou des dérèglements climatiques de l’autre. Il ne faut pas réduire cela uniquement au CO2. L’approche décarbonée est large. D’autres impacts touchent à l’amont, pendant la phase de production et d’exploitation et pendant la phase de recyclage.

Les énergies renouvelables, je suis un peu surpris de votre question, monsieur le président, s’appuient sur une source qui a priori est inépuisable, peu chère, qui est le vent, le soleil, l’eau, et sur les processus de dégradation et de méthanisation. La source en elle-même est inépuisable et non polluante. Une fois dit cela, il faut convenir du fait que tout est polluant. Pour exploiter ces sources et faire marcher des turbines, il faut développer des équipements divers et variés qui peuvent s’appuyer sur des ressources, qui sont, de manière générale, moins polluantes à l’usage, en amont et en aval, que certaines technologies, telles que le fioul, le gaz, le charbon et, dans une certaine mesure, le nucléaire.

M. le Président Julien Aubert. On parlera un jour du charbon de bois et du silicium.

Mme Naima Idir. Un dernier complément sur le sujet des investissements. Nous sommes venus à quatre, l’objectif étant de partager la diversité de ce que l’on entend par « fournisseur alternatif ».

ENI, dans son ADN, est un acteur qui se rapproche de Total. ENI a largement contribué à la sécurité d’approvisionnement et à la diversification du sourcing pour le gaz. Il est arrivé il y a plus de dix ans sur la partie fourniture d’énergie par la fourniture de gaz.

La société s’est lancée sur le marché de l’électricité à la mi-2017. Son arrivée sur le marché électricité est donc récente. À l’instar de Total, les objectifs du groupe sont très volontaristes en termes de production d’énergie renouvelable. Nous sommes en discussions avec le groupe pour nous assurer qu’il choisira de consacrer une partie de ce son budget à des projets en France. Nous pensons qu’il est important d’avoir une réglementation en France et de donner des signaux pour attirer les investissements des acteurs européens. Pour cela, le marché français de l’énergie doit être suffisamment attractif, il ne doit pas être fermé. Ses règles ne doivent pas conduire à des distorsions de concurrence entre acteurs pour permettre à l’ensemble des investisseurs, notamment européens, d’investir sur le marché français.

M. Vincent Thiébaut. Je voudrais tout d’abord m’excuser car ce que je vais faire est très impoli. Je vais poser ma question, et je devrai ensuite vous quitter parce que j’ai un impératif de déplacement, mais c’est le miracle de la vidéo : tout est enregistré, j’aurai donc plaisir à entendre vos réponses.

Ma première question porte sur la question du marché. L’objectif de l’ARENH doit vous permettre d’accéder au marché concurrentiel.

Vous dites que vous réinvestissez 3 milliards d’euros dans la transition énergétique. Cela ne signifie-t-il pas que le dispositif arrive à maturité puisqu’il vous permet de reverser trois milliards à la transition énergétique ? Mon propos n’a pas valeur de jugement, je m’interroge.

J’en viens à ma seconde question, qui reprend votre très intéressant propos, monsieur Soulias. Moi aussi, je crois beaucoup à la participation citoyenne et à la définition du bon périmètre des politiques nationales énergétiques. Je crois à la territorialisation des politiques énergétiques.

Aujourd’hui, en voulant être dans un cadre national un peu trop contraint, ne bride-t-on pas ce type d’initiatives qui sont très pertinentes du point de vue local, notamment sur certains territoires qui présentent des spécificités et qui sont plus en cohérence avec les renouvelables que d’autres ?

M. Fabien Choné. Pour répondre à votre première question sur les investissements, je précise qu’il s’agit d’un milliard d’euros par an sur les trois prochaines années et non de 3 milliards par an.

Les énergies électriques ne sont pas toutes substituables les unes aux autres. Le nucléaire, les énergies renouvelables, la production d’électricité – avec des cycles à partir de gaz et des cycles combinés gaz –, les centrales hydroélectriques ont toutes une fonction spécifique dans le mix électrique. Certaines sont dispatchables, les autres intermittentes. Certaines fonctionnent en base, d’autres en pointe, toutes ont un rôle à jouer. Aujourd’hui, nous investissons dans des moyens de production qui sont complémentaires au nucléaire mais qui ne remplacent pas le nucléaire, en tout cas pas significativement dans le mix énergétique d’aujourd’hui.

Le constat qui porte sur la nécessité d’un accès régulé à l’énergie nucléaire historique de 2010 est encore valable aujourd’hui. Tout le monde le dit. L’approvisionnement est proportionné à la part du nucléaire dans le mix. Il est aujourd’hui un peu en dessous de 70 % ; en 2035, il avoisinera les 50 %, mais nous aurons encore besoin d’ARENH, et il sera à 50 % en 2035 parce que le nucléaire ne peut être remplacé par l’ensemble de ces autres technologies, notamment d’un point de vue économique, tout cela étant lié à l’économie de la filière.

M. Emmanuel Soulias. Monsieur Thiébaut, je profite encore de votre présence pour répondre à votre seconde question. Oui, les territoires c’est important parce que l’on ne produit pas et que l’on ne consomme pas l’énergie de la même manière selon que l’on habite les Hauts-de-France ou la Nouvelle-Aquitaine.

Le débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui a été organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP), a montré que les Français sont très attachés à la dimension locale et aux circuits courts. Ils veulent être informés sur l’énergie, comme sur leur alimentation ou d’autres biens de consommation courants. Ils veulent savoir comment elle a été produite, par qui, où, en privilégiant le lien local. C’est la raison pour laquelle Enercoop s’est organisée en coopératives locales. Nous disposons d’un réseau de coopératives avec cette volonté, à terme, d’organiser des circuits courts entre les producteurs et les consommateurs. Nous voulons apporter un plus. C’est le cas de certains membres de l’ANODE qui ont choisi la dimension locale en créant un lien le plus direct possible entre des producteurs et des consommateurs. Nous y croyons fortement. Il faudrait que les politiques publiques incitent à cette spécification ou à cette liberté par territoire.

Les collectivités également sont très demandeuses. Nous travaillons beaucoup avec des sociétés d’économie mixte ou des collectivités qui sont très demandeuses de traçabilité ou d’histoires à raconter autour de la production et de la fourniture d’électricité.

Mme Naima Idir. La transition énergétique sera un succès si on laisse s’exprimer les différentes approches dans sa dimension européenne, nationale et locale.

Pour aller dans le sens que j’ai exposé sur les garanties d’origine, je pense qu’on y arrivera, notamment sur la partie renouvelable, si nous parvenons à concilier, d’une part, une approche locale, directe avec un certain nombre de Français qui sont volontaires et qui sont prêts à payer une énergie un peu plus chère parce qu’ils sont animés de convictions ; d’autre part, une approche plus large, qui permet de développer des renouvelables en maintenant les moyens de traçabilité et en donnant la possibilité aux Français de participer à cette démarche un peu plus globale.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je reviens à la territorialisation de la production. Dans ce contexte, auquel je ne suis pas défavorable, bien au contraire, comment envisagez-vous l’articulation entre la production centralisée et la production décentralisée ? On peut dire que le système centralisé est l’assurantiel de la production décentralisée, mais on pourrait tout aussi bien dire, à l’inverse, que le système décentralisé peut être, par moments, l’assurantiel de la production centralisée. Comment anticiper cette articulation ?

M. Fabien Choné. Vous avez raison de noter que le système électrique est massivement en train de se décentraliser. C’est vrai du point de vue de la production. Nous ne pourrons atteindre nos objectifs en matière de transition énergétique que si nous développons la production renouvelable, y compris de manière très décentralisée, et quand je dis « décentralisée » c’est au sein même de l’installation électrique des consommateurs – je parle d’autoconsommation. Il faudra articuler l’ensemble des moyens de production, dont certains seront très centralisés, d’autres très décentralisés, certains très dispatchtables, d’autres intermittents. À cet égard, le rôle des gestionnaires de réseaux est crucial. Ils devront continuer à assurer l’équilibre dans un contexte un peu plus compliqué, mais avec des outils plus sophistiqués qu’autrefois, tels que les outils liés à la digitalisation et au comptage.

Les gestionnaires de réseaux pourront s’appuyer sur les alliés que seront les opérateurs nouveaux entrants qui proposeront des innovations répondant aux enjeux. Je pense notamment à toutes les innovations qui seront proposées aux consommateurs pour adapter leur consommation à la production. Historiquement, la production s’adaptait à la consommation ; demain, avec le développement des énergies renouvelables de plus en plus intermittentes et grâce aux nouvelles technologies, grâce au déploiement du compteur Linky, il sera possible de proposer aux clients des services qui adapteront leur consommation à la production, ce que certains opérateurs ont déjà commencé de faire. Pour que cela fonctionne, la concurrence doit être efficace. Si les opérateurs à même de proposer ces services sont asphyxiés sur leur activité de base qu’est la fourniture, ils n’auront pas les moyens d’investir dans ces services ni dans la production.

M. Emmanuel Soulias. Je suis en accord avec le propos de Fabien Choné.

Le rôle des gestionnaires de réseau est fondamental. Il faut progresser sur la capacité à faire vivre des expérimentations locales, des boucles locales ou des expérimentations d’autoconsommation individuelle ou collective. Veiller aux enjeux de solidarité, notamment entre les consommateurs, est un rôle qui revient aux gestionnaires de réseaux et à l’État. Je pense notamment à tous les publics qui sont en situation de précarité énergétique. Ils n’auront pas forcément la capacité d’expérimenter des innovations, de s’intéresser à l’autoconsommation ou à des équipements particuliers. Il faut pouvoir faire vivre cette complémentarité entre le centralisé et le décentralisé qui répond à des besoins d’équilibre du réseau en période de pointe ou à d’autres moments. L’État doit rester vigilant afin que le consommateur ne soit pas lésé et que les plus précaires d’entre eux ne soient pas exclus de ce système, ce qui pose la question de la contribution de cette mission de service public et de la gestion des réseaux.

Mme Naima Idir. En effet, le trait d’union entre la production centralisée et décentralisée passe par les réseaux. Je formulerai un dernier point d’alerte sur la place de ces réseaux, en rappelant la nécessité de ne pas tomber dans certains extrêmes en créant des poches de production décentralisée qui ne seraient pas raccordées au réseau et qui ne payeraient pas à ce titre leur part du réseau. Le réseau étant le trait d’union, la sécurité d’approvisionnement des consommateurs, en termes de consommation ou de production décentralisée, passera par le réseau. Il est, par conséquent, important de s’assurer que le coût du réseau est payé de façon équitable par l’ensemble des consommateurs.

M. Vincent Maillard. J’insisterai sur un point soulevé par M. Choné. Le modèle traditionnel de l’utilisation d’électricité fonctionnait ainsi : on allumait son sèche-cheveux et, quelque part, une centrale produisait davantage. Il en ira différemment demain : il faudra pousser les usagers à consommer lorsque l’éolienne fonctionnera ou lorsqu’il y aura du soleil. Bien sûr, on ne leur demandera pas d’allumer leur sèche-cheveux quand il y aura du soleil, mais de brancher leur recharge de véhicule, certains équipements comme le chauffe-eau, et cela au bon moment.

Cette inversion du système actuel qui incite les clients à consommer au moment de la production et les centrales à ne pas produire quand les clients consomment est la clé. À ce jour, nous ne savons pas comment cela fonctionnera. Nous ne savons pas encore quelles seront les meilleures pratiques. À cet égard, la recherche joue son rôle. Aussi est-il important qu’un nombre suffisant d’acteurs innovent pour faire émerger les solutions les plus pertinentes.

M. le président Julien Aubert. Reprenons les chiffres. Monsieur Choné, vous avez indiqué que le montant de la facture a bondi de 30 %, dont deux tiers des CSPE.

M. Fabien Choné. Je n’ai pas dit « bondi ».

M. le président Julien Aubert. Si j’augmente votre rémunération de 30 %, on peut estimer qu’elle a bondi.

M. Fabien Choné. En dix ans ?

M. le président Julien Aubert. Cela dépend du nombre d’années.

Mme Marie-Noëlle Battistel. M. Choné est plus ambitieux que cela !

M. le président Julien Aubert. Je ne ferai pas de commentaires !

Sur le site quelle énergie.fr, j’ai trouvé d’autres chiffres. « Augmentation de la facture délectricité entre 2008 et 2018 : plus 44 %. Augmentation de la facture de gaz : plus 28 % pour le tarif B1, plus 45 % pour le tarif B0. » Comment expliquez-vous l’écart ? Ce matin, notre collègue Laure de La Raudière évoquait une progression de 35 %. Vous avancez plus 30 %. Il serait utile de clarifier les chiffres et de savoir de combien la facture a augmenté.

M. Fabien Choné. Je n’ai pas les chiffres en poche. Je vous promets de refaire les calculs. Si je me suis trompé, j’enverrai l’information à tout le monde. Mais il s’agissait des chiffres que j’ai retenus de la CRE. Mais peu importe, peut-être est-ce 40 % et non 30 %. Je me suis référé à la période 2010-2018 et non à la période 2008-2018, mais l’augmentation n’a pas été de 14 % en deux ans. La différence tient peut-être au fait de retenir les particuliers et non les particuliers ajoutés de tous les autres clients. Je ne sais pas. Mais une chose est certaine, la part fourniture liée à notre activité a baissé en euros constants. Dire que la concurrence a fait augmenter les prix est soit faux, soit mensonger.

M. le président Julien Aubert. Vous bénéficiez de l’ARENH pour l’électricité. Il n’existe pas de mécanisme comparable pour le gaz. Pourquoi faudrait-il le conserver pour l’électricité si l’on s’en passe pour le gaz ? Quelles sont les contingences pratiques qui ont poussé à organiser différemment ces deux marchés ?

M. Fabien Choné. Si l’opérateur historique disposait d’un gisement de gaz en France particulièrement compétitif et totalement inconcurrençable par des approvisionnements à l’extérieur, il serait nécessaire, à l’instar du nucléaire, de mettre en place un « sourcing », un accès à ce gisement de gaz afin de permettre la concurrence en aval de la production.

Il existe deux activités : la production et la fourniture de gaz. La production de gaz en France n’existe plus ou quasiment plus – et l’on n’en veut plus. Ce sujet ne se pose donc pas pour le gaz. S’agissant de l’électricité, non seulement le nucléaire est très compétitif mais nous voulons le faire perdurer, voire allonger la durée de vie des centrales. Cette spécificité doit être traitée pour permettre la concurrence en aval qui, encore une fois, est bénéfique au consommateur. Je suis même étonné que l’on continue à en discuter aussi longtemps après l’ouverture du marché !

M. Vincent Maillard. Il existe une explication pratique. Le gaz voyage des milliers de kilomètres, l’électricité quelques centaines de kilomètres. La production du nucléaire se situe en France, et non à 10 000 kilomètres avec des obligations d’achat à même distance.

Par ailleurs, l’énergie nucléaire est très compétitive au vu des conditions des marchés actuels. Les tarifs sont fixés sur cette base et l’on a toujours considéré que le nucléaire était un bien national dont tout le monde doit bénéficier. Je suis toujours étonné quand j’entends le président d’EDF déclarer : « Cest nous qui avons le nucléaire. » Le nucléaire appartient à tout le monde. Certains de mes clients habitent à la pointe de Givet, où est implantée la centrale de Chooz. Pourquoi dirait-on à une personne qu’elle ne peut s’abonner à Plüm Énergie ? Elle a la centrale nucléaire à côté de chez elle ; en cas de problème, elle prendrait des pastilles d’iode. Et elle serait obligée de s’abonner chez EDF pour bénéficier de la compétitivité de l’offre ? Ce n’est pas évident.

M. Fabien Choné. C’est exactement la même chose pour les concessions hydroélectriques.

M. le président Julien Aubert. NégaWatt propose 100 % d’énergies renouvelables. Quel est votre avis ? Cela correspond à l’attrition du grand gisement de gaz. Imaginons que la France ait un grand gisement de gaz et que l’on décidait en 2040-2050 que plus aucun pipeline ne partirait de ce gisement. Quel est votre avis sur ces stratégies qui visent la disparition du moteur nucléaire dans le dispositif ?

M. Fabien Choné. L’accès régulé à l’énergie nucléaire historique est absolument indispensable, en proportion de la part du nucléaire dans le mix. Aujourd’hui, la part est de 110 ; en 2035, elle sera a priori de 50 %. Le jour où elle sera à zéro, l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique ne sera plus utile. En revanche, si on atteignait 100 % d’énergie renouvelable sans aucun moyen de production flexible – nous disposerions cependant de concessions hydroélectriques qui, je l’espère, seraient partagées entre tous les consommateurs et tous les fournisseurs –, il faudrait développer de nombreuses solutions et services pour piloter la consommation des Français.

Mme Naima Idir. Soit d’autres moyens de production existeront qui pallieront l’intermittence des EnR, soit on aura réussi à développer les technologies de stockage.

M. le président Julien Aubert. En l’état, vous ne croyez pas à ce scénario, ou en tout cas vous ne le souhaitez pas ?

Mme Naima Idir. Non, nous vous livrons les conditions pour que ce scénario puisse se produire, sans remettre en cause la sécurité d’approvisionnement des consommateurs. Je ne me permettrais pas de porter de jugement de valeur.

M. le président Julien Aubert. Vous êtes un acteur du marché. Si vous étiez sur le marché du gaz et que vous aviez un accès aux grands gisements de gaz, vous pourriez émettre un avis justifié si le Gouvernement décidait de fermer le gisement de gaz à l’horizon de 2050. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur ; fondamentalement, cela vous obligerait à revoir votre modèle économique.

M. Emmanuel Soulias. Je veux bien illustrer la diversité qui vit parmi nous ; je le souligne à nouveau, c’est notre richesse.

NégaWatt fait partie des fondateurs de Enercoop. Pour répondre à votre question, nous sommes totalement en phase avec le scénario de NégaWatt. J’ajoute que ce n’est pas le seul ; le scénario de l’ADEME aboutit à peu près aux mêmes conclusions à l’horizon 2050. La réponse à cette question ne concerne pas uniquement le sujet du nucléaire. Se pose de manière plus générale le problème de l’efficacité énergétique et de la sobriété, donc de la prise en compte du lien entre résidentiel et transport et de notre capacité à investir dans des solutions de stockage innovantes susceptibles de répondre à la question de l’intermittence. Celle-ci n’est pas uniquement attachée aux renouvelables, elle peut l’être aussi au nucléaire, notamment en période de forte chaleur.

Le scénario de NégaWatt comme celui de l’ADEME revêtent un sens dans une vision globale qui envisage un mix énergétique large, des usages plus larges et qui prend en compte la transversalité entre les différentes sources de consommation d’énergie.

Je reviens d’un mot sur cette manne nucléaire qui aurait un coût moindre et que l’on pourrait donc se partager. Le coût de cette manne nucléaire doit être considéré dans son ensemble. On parle beaucoup des consommateurs et de leur pouvoir d’achat. J’entends aussi parler des contribuables citoyens qui, en payant leurs impôts, contribuent significativement à l’entretien des équipements nucléaires, qu’il s’agisse du grand carénage, du démantèlement, de la mise en sécurité ou de l’enfouissement des déchets. Je pense qu’il faut réévaluer le coût global du nucléaire, que l’on considère comme un coût aujourd’hui faible, à l’aune de l’ensemble de ces éléments.

M. le président Julien Aubert. Selon les travaux parlementaires, ce sont 40 milliards et 25 milliards d’euros. Le montant pour le renouvelables est évalué à 100 milliards d’euros. Le coût pour le consommateur n’est pas tout à fait le même.

Autre question : le tarif B0 du gaz a augmenté de 45 % ; le tarif B1 du gaz de 28 %. Je rappelle que le tarif B0 correspond à la cuisson et à l’eau chaude et le B1 au chauffage individuel.

Le tarif B0 du gaz a augmenté dans la même proportion que le tarif électrique ; en revanche, l’augmentation du tarif B1 est moins forte. Vous avez expliqué que des taxes nourrissaient l’augmentation. Entre 2008 et 2018, qu’est-ce qui justifie cette évolution divergente ?

Mme Naima Idir. Il conviendrait d’adresser cette question au régulateur si vous souhaitez obtenir une réponse très détaillée, mais je peux vous dire ce que nous en pensons.

Des évolutions « structures » ont été appliquées par le régulateur, souvent à la demande du fournisseur historique car le tarif B0 ne couvrait pas ses coûts. Lorsque la CRE fait le calcul des coûts de l’opérateur historique, elle constate une évolution en niveau. Elle peut alors décider de répartir les hausses tarifaires différemment en fonction des tarifs, l’objectif étant que chaque tarif couvre ses coûts. Un effet de rattrapage a été mis en œuvre par la CRE ces dernières années pour que le tarif B0 qui, historiquement ne couvrait pas les coûts, progressivement les couvre davantage.

M. le président Julien Aubert. L’an dernier, en 2019, certains d’entre vous, à l’exception d’Enercoop, ont été amenés à se fournir sur le marché au-delà des 100 TWh. Vous avez donc été amenés à vous fournir sur le marché de gros. Quelles ont été les pertes que vos entreprises ont subies en raison de ce dépassement du seuil de l’ARENH ? Chacune des entreprises présentes peut-elle nous donner une évaluation du coût que cela a représenté ?

M. Fabien Choné. Je réponds très simplement : cela dépendra du choix du gouvernement en matière d’évolution des tarifs réglementés. Si le Gouvernement assume la législation actuelle et intègre dans le tarif réglementé les conséquences de la mise en œuvre de l’ARENH, la réponse sera : zéro. Nous y reviendrons si vous le souhaitez. Effectivement, ce matin, les choses, en tout cas, de mon point de vue, n’étaient pas suffisamment claires.

M. le président Julien Aubert. Nous avons compris ce matin que dans l’augmentation annoncée de 5,9 %, 2,2 % représentaient l’effet de rationnement de l’ARENH. Des propos de la CRE, je retiens que l’augmentation du tarif prend en compte l’effet de rationnement. Selon vous, si c’est pris en compte, pour vous, cela devient neutre.

M. Fabien Choné. Absolument, pour toutes nos offres qui sont indexées. Ce n’est pas forcément le cas pour les fournisseurs qui n’ont pas d’offres indexées au tarif réglementé. Mais pour nous, c’est le cas.

M. le président Julien Aubert. Y aurait-il parmi vous un fournisseur qui ne serait pas indexé ?

Mme Naima Idir. Effectivement, ENI propose des offres fixes pluriannuelles. Nous garantissons un prix de l’électricité fixe pendant la durée des contrats. Cette offre a été développée pour les clients. Un certain nombre de consommateurs français, au-delà de la compétitivité d’un prix, souhaitait avoir une visibilité dans le temps. Nous proposons donc des offres à prix fixe sur des durées d’un an, deux ans, trois ans.

M. le président Julien Aubert. Mécaniquement, le fait de vous servir sur le marché de gros représente-t-il pour vous des pertes ?

Mme Naima Idir. Je suis dans l’incapacité de vous livrer des chiffres, tout dépend de l’anticipation de nos équipes en charge du sourcing vis-à-vis de ce plafond de l’ARENH. Lorsque l’on est présent sur ce marché, toute la difficulté tient à ce plafond. Nous sentions bien que nous nous en rapprochions.

Ce plafond réduit la capacité de développement de l’activité de nos entreprises. Soit on prend en compte la perspective d’un plafonnement et, dans ce cas-là, à un moment donné, on est moins compétitif, car nos prix sont comparés aux tarifs de vente réglementée qui n’intègrent pas un écrêtement ARENH. Soit on ne le prend pas en compte, et là c’est un risque que nous prenons sur nos marges, puisque le prix d’approvisionnement proposé dans notre offre ne sera pas en adéquation avec le coût de notre sourcing. En effet, au moment où nous allons demander de l’ARENH, nous allons être écrêtés et nous devrons prendre davantage d’électricité sur le marché.

En cas d’écrêtement, nous subissons un impact en amont et en aval, puisque nous sommes confrontés aujourd’hui à la même difficulté vis-à-vis de nos clients, auxquels nous proposons des offres, par exemple, à deux ans. Mais l’impact immédiat nous conduit à prévoir le volume d’ARENH que nous pourrons obtenir par nos demandes ARENH et donc l’écrêtement potentiel susceptible d’en résulter pour essayer de minimiser le risque pour l’entreprise puisque nous assumons ce risque que nous ne transférons pas à nos clients.

M. Emmanuel Soulias. Nos offres n’ont pas augmenté depuis la création de Enercoop il y a dix ans de cela, nous n’avons pas eu recours à l’ARENH. Enercoop absorbe jusqu’à présent le risque des fluctuations de marché. Même si nous fonctionnons avant en contrat direct avec les producteurs sur des durées moyennes et longues, chaque renouvellement de contrat est impacté par les évolutions du marché. En 2018, le marché a augmenté significativement, on est passé de 35 euros le MWh de base à près de 65 euros, et puis il est un peu redescendu. Cela a eu un impact sur le renouvellement de nos contrats. Cette année, nous ferons évoluer nos tarifs en raison de l’augmentation de notre coût d’approvisionnement ; de l’augmentation du coût des capacités que nous répercutons auprès de nos clients ; enfin, dans la mesure où nous dépassons cette année le seuil des 400 gigawattheures (GWh), nous sommes obligés de faire porter le coût des CEE à nos clients.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Soulias, vous représentez un peu le modèle pure player, vous êtes vraiment un modèle concurrentiel, c’est-à-dire que vous ne profitez pas des avantages offerts par l’ARENH et vous répercutez au consommateur l’intégralité des coûts réels « de la transition verte » au sens large de l’expression, avec tous ses outils. Êtes-vous viables ?

M. Emmanuel Soulias. Oui, nous sommes viables. Il existe plusieurs éléments de réponse à cette question. Il y a un effet d’échelle. Nous comptons 75 000 clients, ce qui est très peu. Nous n’avons pas encore atteint l’effet de seuil de 150 000 clients, au-delà duquel notre modèle économique atteindra sa pleine puissance. Nous sommes en train d’y parvenir.

Nous devons également intégrer le fait que nos clients viennent en toute confiance, en toute transparence s’agissant de la redistribution de l’argent que nous payons à des producteurs d’un système un peu particulier. Si d’aventure le coût d’approvisionnement devait augmenter, les clients en paieraient les conséquences.

Le coût augmente en fonction des effets de marché ; en revanche, tendanciellement, le coût de production du photovoltaïque et de l’éolien, pour ne citer que ces deux technologies, diminue très rapidement. Selon notre projection, partagée par nos clients et nos sociétaires, ce coût baissera de manière significative dans la durée et le prix baissera également.

M. le président Julien Aubert. L’État perçoit une partie du coût sous forme de taxes qui sont prélevées pour subventionner les énergies dont vous nous dites qu’elles arrivent à maturité. En abaissant les taxes et donc en aidant moins les énergies vertes, on pourrait penser que le coût d’approvisionnement baissera. Avec l’arrivée à maturité de ces énergies, le dispositif fonctionnerait « naturellement », avec peut-être un tarif moins distordu du fait de moindres taxes. S’agissant du mode de production, cela mettrait fin à des dispositifs d’aide.

D’autres acteurs, à l’instar de M. Choné, marquent la nécessité de conserver l’ARENH, mais quand je vois Enercoop, je me dis que si certains acteurs arrivent avec un modèle qui leur est particulier mais en adéquation avec les valeurs que porte le verdissement, pourquoi conserver ce dispositif ? Bien sûr, il y a ceux qui survivent et il y a ceux qui ne survivent pas, mais fondamentalement, c’est le jeu du marché.

M. Emmanuel Soulias. S’agissant des taxes, nous n’en sommes que les collecteurs ; elles ne viennent pas s’ajouter au chiffre d’affaires. Notre modèle économique ne se base que sur 30 % de la facture. Sur 100 euros que payent nos clients, nous redistribuons, via le TURPE ou les taxes, environ 70 euros. Nous n’avons la maîtrise que de 30 euros.

Si notre coût de production ou d’approvisionnement augmente en toute transparence, nous le ferons savoir à nos clients et l’impacterons sur une partie minime de la facture.

J’entends bien la réflexion qui sous-tend votre question, monsieur le président. Je me pose une question que je partage avec vous. Elle s’adresse à la collectivité des citoyens français : pourquoi s’empêcherait-on aujourd’hui de subventionner d’une manière ou d’une autre l’émergence des énergies renouvelables, alors que nous l’avons fait de manière significative il y a quelques dizaines d’années en faveur du programme électronucléaire français, avec des ambitions et des enjeux justes, à savoir l’autonomie énergétique et les multiples sujets qui en découlent et qui restent d’actualité ? Nous disposons aujourd’hui de technologies qui sont matures, qui deviennent économiquement rentables, voire très rentables, qui sont des aubaines en termes d’investissement, de créations d’emplois – on le voit dans le monde entier. Dès lors, pourquoi l’État s’interdirait-il d’investir dans ces nouvelles technologies créatrices d’emplois, bonnes pour la planète et pour la territorialisation ?

M. le président Julien Aubert. Vous dites « investir ». Créeriez-vous un opérateur public « vert » qui investirait dans ces technologies ou souhaiteriez-vous que l’on continue de subventionner tel qu’on le fait par appels d’offres ?

M. Emmanuel Soulias. Investir est un terme général, qui peut revêtir plusieurs sens. Je n’ai pas la réponse à votre question. Faut-il un opérateur ? Oui, il y a l’outil fiscal ; oui, il y a les aides ; oui, il y a l’investissement, direct ou indirect, de l’État dans des technologies, en faveur d’acteurs ou de champions nationaux.

L’État est en situation de devoir comparer et peut-être d’arbitrer différents types de coût ou différents types d’investissement entre les énergies renouvelables – je vais vite, c’est probablement très caricatural – et le maintien d’une technologie nucléaire coûteuse et qui ne présente plus aujourd’hui les mêmes avantages, notamment économiques et financiers, par rapport aux renouvelables qu’il y a encore quelques années.

Votre question relève, en l’occurrence, d’un choix politique.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Choné, peut-être pourrez-vous nous sortir de l’ambiguïté : soit le nucléaire est rentable, soit il est moins rentable. Si c’est la vache à lait, l’ARENH doit être maintenue ; si ce n’est pas le cas, il faut arrêter les subventions.

M. Fabien Choné. S’agissant des subventions en faveur des énergies renouvelables, depuis la loi de finances de 2016, la CSPE ne finance plus les énergies renouvelables, c’est-à-dire que les taxes que nous collectons au titre de la facture de l’électricité sont versées directement dans le budget de l’État.

M. le président Julien Aubert. Vous vendez du gaz chez vous.

M. Fabien Choné. Oui, mais le produit de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel ne finance pas directement les énergies renouvelables. En tout cas, la proposition que nous avions présentée sur l’électricité de baisser la CSPE ne visait pas à baisser l’aide aux énergies ouvrables.

Vous avez interrogé sur le modèle de soutien aux énergies renouvelables. La richesse de l’ANODE est d’avoir plusieurs modèles d’offres « vertes ». Le modèle d’Enercoop est un modèle de soutien fort aux offres « vertes », mais il demande plus d’efforts aux consommateurs et son périmètre est un peu moins large. Enercoop vise 150 000 clients, mais d’autres modèles de soutien aux énergies existent, un peu moins forts mais qui permettront à plus de consommateurs de participer. Je ne crois pas que l’on puisse mettre en concurrence les deux modèles ou choisir l’un ou l’autre entre un soutien fort à 150 000 clients ou un soutien, peut-être un peu moins accentué, en tout cas différent, à 1,5 million de clients, notamment parce que les consommateurs n’ont pas tous des moyens élevés pour soutenir l’énergie. Pour autant, nous pensons nécessaire que la majorité des Français, quelle que soit leur capacité à soutenir les énergies renouvelables, puissent y participer. Il est important de maintenir cette diversité de modèles. C’est pourquoi nous la soutenons.

Je n’ai pas très bien compris le sens de votre dernière question.

M. le président Julien Aubert. Le principe de l’ARENH repose sur l’idée que le nucléaire peut tracter le marché. On le maintient parce qu’on pense que l’on peut produire de l’énergie nucléaire à bas coût. Dans le même sens, on nous explique que les énergies renouvelables sont matures et que le coût du nucléaire, en réalité, n’est pas aussi bas et qu’il peut tendanciellement augmenter : la rentabilité du nucléaire serait plutôt derrière nous que devant nous. Mais on ne peut pas défendre simultanément l’idée que le nucléaire est rentable et qu’il faut maintenir un tarif historique pour financer le marché, et l’idée que le nucléaire sera de moins en moins rentable et qu’il faut investir dans les énergies « vertes ». Soit le nucléaire a un avenir, et dans ce cas il faut conserver l’ARENH et tracter le marché. Soit on considère que le nucléaire est fragile, et dans ce cas il faut peut-être arrêter de fonctionner avec l’ARENH.

M. Fabien Choné. Je crois qu’il faut distinguer le nucléaire ancien et le nucléaire nouveau. La vraie question est là.

M. le président Julien Aubert. On n’est pas obligé de faire du nucléaire nouveau. On peut faire un grand carénage et prolonger la vie des centrales de soixante ans.

M. Fabien Choné. De mon point de vue, même si le grand carénage suppose des financements élevés et soulève des questions, il est rentable sur la durée pour la collectivité.

La question de la compétitivité des énergies renouvelables se pose, selon moi, davantage en rapport au nucléaire nouveau qu’au nucléaire ancien. Des déclarations du Président de la République, je comprends qu’il est envisagé, au titre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, de relancer le nucléaire nouveau en fonction des conditions économiques du moment. La question se posera, je crois, à la fin des années 2020, mais le grand carénage est confirmé. L’ARENH et son évolution, en tout cas dans le cadre de la régulation nucléaire après 2025, ont été cités par le Président de la République.

M. Vincent Maillard. Je vais vous poser une question que vous pourrez peut-être poser à d’autres intervenants. Le propos de M. Soulias était intéressant. Même si l’on produit du renouvelable, on est très sensible à la situation des prix du marché de gros, qui sont passés de 35 à 65 euros le MWh pour descendre à 50 euros. C’est la question que vous pourriez poser à des spécialistes du sujet. En France, les coûts de production globaux ont-ils évolué de la même manière sur les différentes scènes ? Avec un mix énergétique qui comporte 400 TWh de nucléaire, pourquoi les coûts de production sont-ils passés de 35 à 65 euros le MWh ? Que s’est-il passé ? Pourquoi, globalement, les marchés ne reflètent-ils pas la situation des coûts ? C’est là un vrai problème : si on ne sait pas prévoir les conditions de marché, si les prix de marché explosent à 70 ou 80 euros le MWh, M. Soulias aura beaucoup de mal à atteindre 150 000 clients !

M. le président Julien Aubert. Merci pour cette excellente question qui restera, en quelque sorte, le point de suspension de cette audition, et merci à tous pour la diversité et la précision de vos réponses.

Laudition sachève à seize heures trente-six.

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10.   Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des économistes de l’énergie, avec la participation de Mme la Professeure Anna Creti (Université Paris-Dauphine), de M. Cédric Philibert, analyste expert des énergies renouvelables à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et de M. Nicolas Berghmans, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) (4 avril 2019)

Laudition débute à seize heures quarante.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons à présent trois personnalités du monde de l’université ou de la recherche, qui travaillent plus précisément sur les questions relatives aux marchés de l’énergie dans la transition énergétique.

Mme la Professeure Anna Creti enseigne l’économie à l’Université Paris-Dauphine et y participe aux travaux du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP), dirigé par le professeur Patrice Geoffron qui a publié très récemment dans Les Échos une tribune intitulée « Rendre la taxe carbone désirable ! » Mme Creti qui est également chercheuse senior en économie à Polytechnique, est une spécialiste des marchés du CO2 et de la concurrence entre les réseaux.

M. Cédric Philibert est analyste senior au sein de la division des Énergies renouvelables de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une organisation internationale ayant son siège à Paris. Il a notamment été, au cours de sa carrière, conseiller technique au ministère de l’Environnement, puis auprès de la présidence de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Il a également effectué des missions pour le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) qui s’enorgueillit depuis quelques semaines d’avoir un vice-président français !

M. Philibert a plus particulièrement travaillé sur les caractéristiques des énergies intermittentes et les particularités techniques du solaire et de l’éolien. Il anime également un blog personnel, intitulé Énergies et Changement climatique.

Enfin, M. Nicolas Berghmans est un jeune chercheur en politiques climatiques et énergétiques au sein de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Il est co-auteur d’une récente note de l’IDDRI, publiée en mars 2019 et intitulée « Après le gel de la taxe carbone, quelles priorités pour la transition énergétique ? ».

M. Berghmans ne manquera pas de nous présenter les grandes orientations de ce travail dont l’une des priorités est de restituer aux consommateurs la majeure partie de ce prélèvement, une proposition qui ne semble pas éloignée de l’idée, elle aussi récemment exprimée, par le professeur Patrice Geoffron.

Madame la professeure, messieurs, nous allons vous entendre, en premier lieu, lors d’un exposé liminaire d’une vingtaine de minutes que vous voudrez bien vous partager, si possible en vous complétant mutuellement, l’idée étant que « ce qui se conçoit bien sénonce clairement » et que « les mots pour le dire arrivent aisément » ! Après vos propos liminaires, les membres de la commission creuseront les sujets qui les intéressent, ce qui vous donnera toute latitude pour préciser encore la qualité et la finesse de vos analyses.

Une des préoccupations de notre commission d’enquête est de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la transition énergétique trouve, particulièrement en France, une traduction massive en termes de fiscalité, car la transition énergétique est davantage une transition fiscale qu’écologique. Ces propos, je le précise, n’appartiennent qu’à moi… Les niveaux d’imposition pèsent de plus en plus sur les consommateurs, au point de générer des doutes et, chez certains, un réel rejet de la transition écologique.

Le climat social actuel traduit pour partie ce désarroi de l’opinion. Vous comprendrez qu’il nous importe de connaître vos analyses et observations, notamment si vous disposez de comparaisons internationales. Pour l’heure, nous avons largement éclairé le sujet des recettes, ce que l’on prélève au nom de la transition énergétique. Vous constituez en quelque sorte l’aqueduc de ces deux pôles de réflexion que nous allons engager entre ce que nous dépensons et la façon dont nous le dépensons. Nous vous avons invités pour nous éclairer de manière large et transversale sur ces deux axes et sur la manière dont nous devrions appréhender notre sujet.

Le coût complet des énergies renouvelables, qui reste à définir plus précisément, est, bien évidemment, un des thèmes de réflexion de notre commission. Nous sommes particulièrement heureux de recevoir des chercheurs qui, par définition, sont peut-être plus éloignés de certains intérêts. Nous avons reçu des personnalités qui plaident depuis plusieurs années sur tel ou tel thème. Nous avons véritablement besoin, à un moment donné, d’un éclairage sur les degrés de maturité, le coût complet etc.

À la suite de votre intervention liminaire, les membres de la commission d’enquête vous interrogeront en commençant par les questions que ne manquera pas de vous poser Mme Meynier-Millefert, en sa qualité de rapporteure.

S’agissant d’une commission d’enquête, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment.

Je vous demande de lever la main droite et de dire « Je le jure ».

(Mme Anna Creti, M. Cédric Philibert et M. Nicolas Berghmans prêtent successivement serment.)

Mme Anna Creti, professeure à luniversité Paris-Dauphine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, madame la rapporteure, je débuterai mon propos en vous présentant notre association, notre contribution sur le marché de l’énergie au titre de la transition énergétique ainsi que les propositions que nous formulons, notamment sur la préservation du pouvoir d’achat des Français.

L’analyse des marchés énergétiques, dans ses parties électricité et gaz naturel, a occupé une grande partie de mes études, de mes travaux et de ma carrière.

J’ai suivi l’évolution de ces marchés dans deux perspectives : d’une part, pour comprendre les mécanismes de concurrence. J’ai commencé à m’y intéresser après l’introduction des directives de 1996 et de 1998 ouvrant la concurrence aux secteurs de l’électricité puis du gaz. À ce titre, j’ai pu comprendre la gestion complexe de ces secteurs et la difficulté qu’il y a à les rendre incontestables.

J’ai longuement travaillé sur le mécanisme d’abus de position dominante dans différents pays, dans une perspective essentiellement européenne et de comparaison avec le marché des États-Unis. L’objet de cette phase de mes travaux a été de comprendre à quel point ces marchés sont sensibles aux stratégies des acteurs, notamment les anciens monopoles verticalement intégrés – mais pas uniquement.

L’objectif « 20/20/20 » m’a amenée à intégrer dans ma vision du marché électrique les préoccupations liées à l’environnement, ce que j’ai développé par une recherche « biface » en étudiant, d’un côté, les transformations du secteur électrique et gazier au regard de ces questions, et, de l’autre, la réglementation environnementale sous l’angle du marché des quotas. J’ai donc polarisé une grande partie de mes travaux sur l’étude des énergies renouvelables, l’intégration des énergies renouvelables dans les marchés électriques en étudiant des marchés assez différents – italien, danois et français. Malgré l’appartenance de ces pays au marché unique de l’électricité, des spécificités fortes caractérisent la volonté économique et politique d’intégrer les énergies renouvelables dans ces marchés.

Ces travaux m’ont amenée à avoir une vision de la transition énergétique qui ne peut être proposée en tant que modèle unique. À titre d’exemple, pour des raisons essentiellement d’indépendance énergétique et d’importation de gaz de pays très éloignés, la transition énergétique en Italie a commencé bien avant les préoccupations contenues dans la directive de 2008.

Au moment où les énergies renouvelables ont investi ces marchés, l’Italie était déjà prête à les recevoir. Elle avait investi depuis de nombreuses années dans l’intégration des énergies renouvelables, notamment en étudiant le potentiel renouvelable, à la fois éolien et solaire. C’est ainsi que, depuis 2014, l’Italie a atteint – il est rare de pouvoir dire que l’Italie est « un bon élève » – les objectifs qui figuraient dans la directive de 2020. Aujourd’hui, se pose la question d’aller au-delà des objectifs de 32 %, qui sont ceux actuellement prescrits par la nouvelle directive. L’Italie marque une volonté forte d’intégrer les renouvelables dans le mix énergétique d’un pays qui est essentiellement consommateur de gaz. Sa consommation est très pauvre en matières fossiles. Il consomme du charbon en faible proportion.

Par ailleurs, l’électricité en Italie présente une particularité par rapport à la France s’agissant des prix. Je consacrerai le temps qui me reste à cette question pertinente et utile à nos réflexions.

Les énergies renouvelables portent leurs effets tout au long de la filière. Des coûts sont liés à l’investissement, d’autres sont liés, de façon plus subtile, à la modification du paysage énergétique en termes d’acteurs, d’autres encore au financement de ces investissements. La France a opéré une transition fiscale. L’Italie n’a pas utilisé de la même façon l’instrument fiscal.

Un deuxième effet se répercute en amont. Quel est l’apport de ces énergies dans les marchés de l’électricité ? L’Italie a bénéficié d’un avantage sous la forme d’une baisse des prix de l’électricité. En dix ans, en moyenne, les prix de l’électricité sont passés, sur les marchés amont, de 70 et 80 euros par mégawattheure (MWh) à moins de 30 euros aujourd’hui, s’alignant ainsi quasiment sur les prix français.

S’il faut évaluer les coûts et les avantages de l’intégration des énergies renouvelables, il convient de ne pas oublier d’évaluer les bénéfices en amont sur l’ensemble de la filière, aussi bien que les coûts pour les consommateurs en aval. Cette dernière question m’a intéressée. J’ai étudié les mécanismes de diffusion des énergies renouvelables au niveau du consommateur final, en me polarisant plus spécifiquement sur les marchés français et les petits consommateurs, et donc sur les incitations auprès de ces petits consommateurs, notamment résidentiels, à s’équiper de panneaux solaires. J’ai étudié plusieurs types de littérature, non pas seulement économique mais également sociologique, qui révèlent qu’un consommateur français qui s’équipe de panneaux solaires ne le fait pas pour obtenir uniquement un gain, y compris futur, sur sa facture d’électricité actuelle, mais aussi parce qu’un fournisseur aura réussi à le convaincre qu’il s’agit d’un investissement intéressant et parce qu’il est animé d’une conscience verte.

M. Cédric Philibert, analyste expert des énergies renouvelables à lAgence internationale de lénergie (AIE). Monsieur le président, vous avez posé deux questions. Je choisis de répondre en priorité à la seconde, qui relève davantage de mon champ de compétences actuelles que sont les énergies renouvelables.

L’Agence internationale de l’énergie surveille ce marché d’assez près. Sa publication annuelle consiste en un rapport de marché rapportant ce qui s’est passé au cours de la dernière année ou des deux dernières et en une prévision pour les cinq années à venir, assortie d’une analyse de sensibilité. L’Agence a donc une bonne vision du contexte.

Nous participons aussi à des exercices plus prospectifs, qui sont des scénarios se fondant sur des hypothèses, qui ne sont donc pas des prévisions.

Parmi ces scénarios, citons les scénarios à long terme, notamment un scénario dit de développement durable par lequel nous essayons de répondre aux besoins de l’humanité en énergie, ce en termes de coûts, d’accès à l’énergie, de réduction de la pollution atmosphérique à l’intérieur des locaux ou dans les milieux urbains, et de réduire les émissions de gaz à effet de serre, grosso modo compatibles, à une limitation du réchauffement de deux degrés. Nous avons publié et publierons des scénarios plus ambitieux qui cherchent à se rapprocher d’une augmentation d’un degré et demi.

Dans tous ces scénarios, les énergies renouvelables ainsi que les économies d’énergie jouent un rôle décisif : elles représentent entre les deux tiers et les trois quarts de la production mondiale d’électricité à l’échéance 2040 ou 2050.

D’autres scénarios s’appuient sur une augmentation de la production nucléaire au plan mondial, sur une part non négligeable de thermique fossile avec la capture et le stockage de CO2, et de fuel switching, c’est-à-dire plus de gaz et moins de charbon – en proportion, beaucoup moins de charbon. Mais dans toutes les hypothèses, l’essentiel de la production électrique mondiale sera assuré par les énergies renouvelables. Parmi ces énergies renouvelables, quatre sont majeures.

La bioénergie n’est pas forcément majeure dans l’électricité, mais l’est dans le bilan énergétique global. Elle représente aujourd’hui à peu près la moitié de la production de la contribution des énergies renouvelables au bilan énergétique mondial. J’évoque la bioénergie sous toutes ses formes : liquide, solide, via l’électricité, via les transports, et surtout via la chaleur – la chaleur industrielle en particulier.

Ensuite, nous avons l’hydroélectricité, qui ne date pas d’aujourd’hui mais qui reste une énergie en croissance, notamment grâce aux grands barrages dans les pays émergents. Elle représente à peu près 20 %.

Enfin, les « deux petits nouveaux » que sont l’éolien et le solaire sont sur des pentes de croissance extrêmement fortes et représenteront à terme 20 % à 25 % de la production électrique mondiale.

Ces scénarios sont des scénarios d’optimisation économique sous contrainte. Par exemple, on pose une contrainte de CO2 et on cherche les solutions les plus économiques. De ce point de vue, à long terme, les renouvelables font partie du panier des mesures économiques indispensables pour atteindre les objectifs que l’humanité s’est fixés à Paris en 2015 dans le cadre de la COP21. Il existe des variantes mais elles sont plus ou moins mineures. Les autres scénarios, ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme d’autres instituts, convergent en ce sens.

Comment se fait-il que les renouvelables, qui, il y a quelques années, paraissaient si coûteux, figurent à une place aussi importante dans des bilans qui sont économiquement les moins coûteux ? La raison tient à l’effondrement des coûts. Je m’en explique dans la mesure où vous avez évoqué la notion de coût complet. Nous mesurons le coût actualisé de ces énergies, ou plutôt leur coût lively, c’est-à-dire réparti sur la durée de vie, technique ou économique, des investissements. Ce coût s’est effondré ces dernières années : de 40 % pour l’éolien et de 75 % pour le solaire photovoltaïque, ce qui est considérable. En dix ans, l’effondrement est de plus de 80 %.

Bien sûr, il faut distinguer le coût comptable du coût économique. C’est ce dernier qui est déterminant. Il convient de définir combien coûtera, dans les trente ans à venir, une installation que nous mettons en service aujourd’hui, sachant qu’au départ l’investissement est important, mais les dépenses de mise en œuvre extrêmement faibles dans le cas du solaire et assez faibles dans le cas de l’éolien et de l’hydraulique. Cela s’oppose au coût comptable. Quel est aujourd’hui le coût d’un kilowattheure (KWh) solaire ou éolien dans le contexte français, compte tenu des infrastructures construites dans le passé ? Il existe une énorme différence entre ces deux coûts en raison de la très grande rapidité de la baisse des coûts des énergies renouvelables ces dernières années, notamment du solaire.

Aujourd’hui, en France, le solaire est produit par des installations qui ont été créées, conçues et financées il y a quatre ans, cinq ans, six ans, quand l’électricité coûtait quatre, cinq, six fois plus cher. Des engagements ont été pris pour rémunérer cette électricité sur la base de tarifs élevés, qui s’élevaient en France à plus de 300 euros par MWh alors que le KWh mis aux enchères aujourd’hui dans les centrales au sol trouve des offres à 55 euros, voire inférieures. On retrouve les mêmes prix un peu partout, le phénomène est mondial. Selon l’ensoleillement, les prix oscillent entre 25 euros, parfois moins, et 55 ou 60 euros maximum. Je parle des grandes centrales au sol. Le prix est plus élevé si l’énergie est produite par de petites centrales. Mais on arrive, pour les énergies massives, à des coûts extrêmement compétitifs. Le coût comptable moyen du KWh solaire avoisine aujourd’hui 200 euros. Vous pouvez trouver ces données dans un rapport de la Cour des comptes. Le coût prend en compte des KWh qui ont été rémunérés au départ à 360 euros le MWh. Il est important d’opérer cette distinction.

Quand vous nous interrogez sur le coût complet, j’imagine que vous nous interrogez sur les coûts éventuellement induits par la variabilité du solaire et de l’éolien. La question est tout à fait légitime.

Notre division compte une unité spécialisée dans l’intégration des énergies renouvelables. L’interaction entre ces énergies et le reste du système est éventuellement source de problèmes, la variabilité des énergies renouvelables n’étant pas seule en cause. Je m’explique : nous sommes confrontés à une variabilité naturelle de la demande, qui diffère le jour et la nuit, en hiver et en été.

Le système est déjà doté d’une certaine flexibilité, apportée par les centrales électriques, le thermique, l’hydroélectricité, les interconnexions, la présence de réseaux, certains systèmes de stockage, tels que les centrales de transfert d’énergie par pompage, importantes en France puisqu’elles produisent près de cinq gigawatts. Aujourd’hui, le KWh marginal éolien ou photovoltaïque ajouté dans le système n’a, en gros, aucun coût d’insertion. Il induit des coûts de connexion, qui sont supportés par les développeurs, mais n’induit aucun coût lié à la variabilité. La question est de savoir quand des investissements supplémentaires commencent à poser des problèmes particuliers d’insertion. D’après les expériences étrangères, les problèmes peuvent survenir au-delà d’un taux de pénétration de 20 % ou 30 % dans la consommation annuelle, sauf exception, sauf poches localisées, sauf implantation de l’ensemble des structures photovoltaïques dans un seul département. Globalement, il faut que les réseaux suivent, mais cela ne représente qu’une toute petite part des investissements dans les réseaux. Pour l’heure, il n’y a pas de coûts spécifiques d’insertion, et il n’y en aura pas avant d’atteindre un taux de pénétration de 20 % ou 30 %.

M. Nicolas Berghmans, chercheur à lInstitut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). J’ai également travaillé sur les questions liées aux énergies renouvelables et je souscris largement à ce qui vient d’être dit.

Je répondrai à la question portant sur la taxe carbone, en lien avec l’article que nous avons publié à l’IDDRI. Comme la société d’une façon générale, nous avons été interpellés en tant que chercheurs sur ce qui s’est passé autour de cette question et nous nous sommes demandé pourquoi nous étions arrivés à une situation de gel.

La taxe carbone, qui est souvent présentée par les économistes comme une solution idéale, une solution à moindre coût, n’est pas facilement comprise par le citoyen. Parallèlement, il attend des actions visant à réduire les émissions de CO2 et au fait que la France respecte ses engagements climatiques.

Nous avons donc saisi l’occasion pour revisiter un peu le débat sur les avantages et les inconvénients de la taxe carbone.

La taxe carbone est un instrument utile et central de la transition, parce qu’il permet de changer les prix relatifs, d’investir dans des solutions vertueuses et de faire évoluer les comportements.

Néanmoins, la taxe carbone présente des limites, assez bien connues. L’hypothèse de la taxe carbone est appelée, en termes économiques, l’« élasticité prix », la capacité des gens à s’adapter à ce prix. Premier constat : tout le monde n’est pas égal face à cette capacité d’adaptation. La taxe carbone est régressive, elle touche une plus grande part des revenus des gens qui perçoivent le moins de revenus. Pour les 10 % de Français les plus modestes, elle représente 15 % de leurs revenus ; en comparaison, elle représente beaucoup moins pour les Français les plus aisés.

Deuxième constat : la possibilité de s’adapter dépend d’arbitrages collectifs – présence de transports en commun à proximité de son domicile, possibilité de se connecter à un réseau de chaleur.

Troisième constat : la taxe carbone n’est pas la seule taxe sur l’énergie. Il faut prendre en compte l’ensemble de la facture pour déterminer l’impact sur les ménages. Nous constatons que la France a bien rattrapé son retard en matière de taxation des carburants par rapport à d’autres pays qui ont mis en place une taxe carbone. Il ne faut donc pas s’attacher uniquement au prix de la taxe carbone, mais à l’ensemble de la taxation. Cela nous amène à dire que la taxe carbone est importante, mais que son gel, en soi, ne doit pas être dramatique pour la transition.

Il faut, au contraire, travailler à d’autres conditions nécessaires à la mise en place de la transition écologique. À cet égard, nous avons repéré quatre priorités.

Premièrement, il faut investir dans la transition écologique, qui réclame des moyens supplémentaires. Un think tank publie des panoramas sur les financements climatiques qui montrent que des investissements font défaut à la transition, notamment dans le bâtiment et les transports. Cela suppose de dégager les moyens pour y arriver. Autre exemple : le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM). Si l’on veut pousser ou aider les gens à modifier leur façon de se déplacer, il faut investir pour encourager des moyens alternatifs comme le vélo. Cela demandera de mobiliser des moyens – également sur les budgets publics. Comme je le disais précédemment, les gens ne peuvent pas faire tous les arbitrages par eux-mêmes.

Deuxièmement, la nécessité s’impose d’éviter de placer nos concitoyens les plus modestes dans une situation contrainte en raison de la transition. Vous citiez la tribune de M. le Professeur Geoffron. Il existe un consensus assez fort à l’heure actuelle entre de nombreux acteurs et experts sur la nécessité de réfléchir à une redistribution des recettes de cette taxe vers les citoyens, en particulier les plus modestes. Peut-être cela nécessite-t-il d’organiser un débat : la mesure portera-t-elle sur les 30 % ou 50 % de personnes les plus modestes ? En tout cas, une proposition existe, et on note, en se référant aux exemples à l’étranger, que cela participe à l’acceptation de cette mesure.

Troisième point : il y a un intérêt économique à supprimer les exemptions de la taxe carbone, nombreuses dans certains secteurs. C’est le cas du secteur de l’aviation et de celui du bâtiment et des travaux publics (BTP). D’un point de vue strictement environnemental, la meilleure manière de procéder consiste à étendre ce signal à l’ensemble des secteurs. C’est aussi une question de justice sociale.

Enfin, il conviendrait d’envoyer des signaux sur la transition aux secteurs. Des exercices nationaux sur la stratégie nationale bas carbone visent à placer la France sur une trajectoire de neutralité carbone en 2050. Que cela implique-t-il à l’échelle des secteurs et des individus ? Quelques signaux ont été émis. Par exemple, il est annoncé, pour 2040, la fin des véhicules thermiques, mais à quel moment un individu devra-t-il passer au véhicule électrique ou rénover son logement ? Ce sont des éléments utiles pour organiser les filières et pour que les gens anticipent leur changement de comportement, au-delà du fait d’imposer un prix.

M. le président Julien Aubert. Je voudrais clarifier un point. Nous sommes confrontés à une petite contradiction. Nous avons reçu, ce matin même, le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui nous a expliqué qu’investir dans les énergies vertes électriques ne contribue pas à l’objectif de réduction du CO2. Il ajoute qu’en France le nucléaire est décarboné, et qu’investir dans des éoliennes ou le photovoltaïque n’a pas d’impact sur le CO2. Par ailleurs, nous appliquons une taxe carbone qui finance le développement de ces énergies en disant aux usagers qu’elle sert à la planète. S’il s’agit d’un choix autre de diversification énergétique, pourquoi l’habiller d’une approche environnementale ? Vous avez déclaré que nos scénarios futurs prenaient en compte la bioénergie, l’hydroélectricité, l’éolien et le solaire. Tout dépend à quoi ils se substituent. Au niveau mondial, on parie sur une substitution des énergies fossiles vers des énergies renouvelables. En France, ce n’est pas le cas puisque la transition est plutôt vue sous l’angle du nucléaire vers les énergies renouvelables.

Je voudrais que vous réagissiez à cette première question : quel est l’objectif de la transition énergétique ? Pourquoi, finalement, « transitionne-t-on » ? J’avais longtemps cru que c’était pour sauver la planète. Or, je me rends compte, un peu comme Brassens, que l’on s’est trompé d’idée... Je voudrais avoir votre point de vue.

J’y joins une seconde question : pourquoi introduire la concurrence ? J’avais compris que c’était pour faire baisser les prix. Mais, en discutant avec les différents acteurs, on s’aperçoit que, globalement, les prix de l’électricité n’ont pas forcément baissé en France. D’ailleurs, personne n’est capable d’expliquer comment nous sommes passés de 65 à 35 euros le MWh au niveau européen, alors qu’en France les coûts de production n’ont pas évolué dans les mêmes proportions ? D’où vient cette augmentation des prix. Est-elle due, éventuellement, à des investissements subventionnés dans les énergies « vertes » ? Vous aurez compris que c’est un questionnement intériorisé… J’aimerais que vous puissiez réagir et éventuellement m’expliquer pourquoi on pratique la concurrence et pourquoi on fait la transition énergétique, afin que tout cela soit cohérent pour le citoyen.

Mme Anna Creti. Si nous portons un regard croisé sur l’impact de la concurrence et sur l’impact des renouvelables sur les prix de l’électricité dans une perspective historique de vingt ans en Europe, qu’observons-nous ?

L’impact des énergies renouvelables a été plus fort que celui de la concurrence. Le marché électrique est très complexe et y introduire la concurrence n’a pas été aisé. Pendant dix ans, on a tapé sur les doigts des anciens opérateurs historiques. Il s’agit d’un secteur très intensif en capital. Il s’est constitué pour être un marché où la concurrence ne peut être très forte et très dispersée comme l’avait imaginé la Commission européenne quand ont été élaborées ses directives ; elles ont en fait été plaquées sur le modèle des télécommunications. Or, on n’arrivera jamais à avoir une concurrence aussi dispersée.

L’intensité de la baisse du prix de l’électricité a donc été relative. Les anciens opérateurs dominants ont opéré un mouvement de leurs parts de marché primaire de leur pays national vers les autres pays de l’Europe, avec des investissements croisés et spécifiques sur certaines technologies jusqu’au moment de l’introduction des énergies renouvelables qui ont un peu modifié les panoramas, à la fois de la concurrence et de la formation du prix de l’électricité.

La position de ces opérateurs historiques a été bousculée par l’entrée de nouveaux opérateurs parce que les investissements dans les énergies renouvelables ont été subventionnés. Elle a également été bousculée par le mouvement des opérateurs internationaux, notamment dans la filière des énergies renouvelables. Je pense à l’éolien et au photovoltaïque. Les énergies renouvelables peuvent présenter des défauts, dont l’intermittence. Il n’en reste pas moins qu’on a constaté une baisse du prix sur tous les marchés européens de l’énergie et une petite augmentation de la volatilité, qui est inhérente au marché de l’électricité.

Si l’on étudie les prix de l’électricité à partir de 2008, 2009, 2010, on constate deux phénomènes : la baisse et l’alignement du prix de l’électricité dans des pays qui ont un mix de départ relativement différent. Cela répond en partie à votre question, qui est de savoir pourquoi nous faisons tout cela. L’objectif européen est très important, il vise à la fois la concurrence et le verdissement du secteur de l’électricité. Bien sûr, les modèles ne sont pas toujours adaptés aux deux objectifs en même temps. Mais, selon moi, la réponse est claire : si l’on se reporte au montage des prix de l’électricité en amont, là où les opérateurs échangent – offre et demande –, les prix ont baissé. La composante « hors énergie » du prix pour le consommateur final, en revanche, a augmenté, en différenciant les prix pour les industriels et ceux pour les résidentiels. Les premiers sont peu touchés par la fiscalité, qu’il s’agisse de la répercussion des subventions aux énergies renouvelables ou d’autres formes de fiscalité comme la TVA. Les prix pour les industriels ont donc très fortement baissé, ce qui est une bonne chose pour la compétitivité, et les prix pour le consommateur final européen sont restés stables ; s’ils ont un peu augmenté au cours des quatre dernières années, c’est en raison de mécanismes différents de taxation.

Je terminerai en citant l’exemple du Danemark, qui est intéressant. Le Danemark a un mix énergétique composé à 95 % de renouvelables. Il a beaucoup investi dans l’éolien et utilise l’hydraulique de la Norvège et de la Suède pour pallier l’intermittence des autres énergies renouvelables. Le prix au consommateur final danois figure parmi les plus élevés en Europe parce que la fiscalité énergétique est concentrée sur le consommateur final résidentiel, les industriels ne payant quasiment aucune taxe sur l’énergie.

Si l’on se reporte aux statistiques, le prix moyen du KWh en Europe est estimé à 20 centimes d’euro. La France se situe juste en dessous et le Danemark quasiment au double.

M. le président Julien Aubert. Donc, ce n’est pas lié au choix énergétique, mais au choix fiscal ?

Mme Anna Creti. Oui.

M. le président Julien Aubert. Vous confirmez aussi qu’en mettant en place la concurrence, la Commission européenne avait l’intention de faire baisser les prix ?

Mme Anna Creti. Cela n’a jamais été formulé ainsi. L’objectif des directives sur la concurrence était de permettre aux consommateurs européens d’accéder aux mêmes conditions d’achat de l’électricité partout en Europe. Il s’agissait d’un alignement des prix plutôt que d’une volonté de faire baisser le prix de l’électricité, qui n’est écrite nulle part.

M. le président Julien Aubert. Les prix en France étaient déjà très bas.

Mme Anna Creti. Ce n’étaient pas les plus bas en Europe. Aujourd’hui, les prix les plus bas sont ceux de certains pays de l’Est qui, il est vrai, avaient des prix historiquement bas.

M. le président Julien Aubert. Lorsque les prix augmentent tendanciellement en France, on peut dire que la concurrence a rempli son objectif. Si l’idée était de les harmoniser, on constate que certains ont baissé et que ceux de la France ont augmenté.

Mme Anna Creti. Les prix s’alignent, en effet, pour le consommateur final.

M. le président Julien Aubert. Dans la pensée de la Commission, l’objectif du verdissement était-il la diminution des émissions de CO2 ou la diversification industrielle ?

Mme Anna Creti. La diminution du CO2. C’était un objectif explicite de la directive de 2008.

M. Cédric Philibert. Monsieur le président, je reviens à votre première question : qu’est-ce que la transition ? L’objectif est-il le climat ? D’un point de vue mondial et européen, il y a aucun doute, c’est bien le climat.

La France est un cas assez original dans le monde, avec peu d’exemples comparables, sauf peut-être, d’une certaine façon, la Belgique ou la Suède, qui comptent une part de nucléaire assez importante. L’Allemagne, après Tchernobyl, est revenue à sa décision antérieure d’abandonner le nucléaire. La décision n’a pas été prise sur un coup de tête après Tchernobyl : c’était un retour à une décision transpartisane antérieure. Les renouvelables, en essor en Allemagne, ont progressivement remplacé le nucléaire mais n’ont pas permis la décroissance de la consommation d’énergies fossiles, du moins jusqu’à présent. On a même enregistré une légère augmentation de 2 % pendant deux années consécutives. Ce n’est pas considérable, mais c’était une augmentation et non une réduction. Les Allemands ont donc choisi de réduire le nucléaire avant de s’occuper des émissions de CO2. En France, on a décidé de mettre en place des éoliennes et du solaire pour remplacer le nucléaire. Selon moi, il faut s’attacher à la perspective des trente années qui viennent.

On a construit un parc impressionnant en un temps extrêmement court. Personne ne pense possible de réitérer le même exploit aujourd’hui avec les renouvelables ou quelque autre source d’énergie décarbonée que ce soit. Personne n’imagine qu’on va faire du nucléaire neuf, encore moins dans des quantités comparables à celles du passé. Une des questions est donc de savoir combien de temps on peut prolonger les centrales actuelles, dont l’âge moyen avoisine aujourd’hui les trente ans. On va certainement les prolonger, sous réserve des investissements supplémentaires qu’exigera l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour amener les centrales actuelles au niveau de sécurité, plus élevé, qui avait été exigé au moment de la conception de l’European Pressurized Reactor (EPR), et dont je ne pense pas qu’il puisse ni doive être réduit. On parle des investissements du grand carénage à hauteur de 40 milliards d’euros. Le montant des investissements ne sera sans doute pas le même dans toutes les centrales. J’exprime là une opinion personnelle et non pas une vue officielle. Lorsque l’on se réfère à ce qui s’est passé dans le monde en matière de centrales nucléaires, on constate qu’en général, c’est, in fine, l’exploitant qui les arrête, rarement l’autorité responsable de la sûreté nucléaire. En général, celle-ci autorise la poursuite sous réserve, par exemple du remplacement des générateurs de vapeur ou autres, pour un coût de 1 ou 2 milliards d’euros. On peut donc garantir dix ans de fonctionnement, mais cela reste à la merci d’un incident qui ferait que l’autorisation serait retirée du jour au lendemain. In fine, les exploitants ne souhaitent pas prendre ce risque, trop onéreux par rapport aux bénéfices.

La situation d’autres centrales est meilleure, qui ne nécessitent que 300 millions ou 500 millions d’euros d’investissements. L’exploitant sera heureux de le faire et de prolonger ainsi leur fonctionnement. Tout cela entraînera une décroissance progressive du nucléaire, que cela participe ou non d’un objectif politique, tout simplement parce que c’est inscrit dans les faits et qu’il peut difficilement en être autrement sur un plan pratique. On en prolongera certaines, non toutes, ce qui engendrera un déficit d’énergie. La question est de savoir si ce déficit d’énergie sera complété par d’autres énergies sans carbone, ou si l’on remettra plus de carbone dans le système, par exemple avec des centrales à gaz.

M. le président Julien Aubert. Vous excluez donc le nouveau nucléaire.

M. Cédric Philibert. Non, je ne l’exclus pas. À l’heure actuelle, le nouveau nucléaire est beaucoup plus cher que les énergies renouvelables. Pour prendre l’exemple de l’EPR de Hinkley Point, sur un marché transparent sur trente-cinq ans, le coût est à plus de 100 euros. C’est cher, comparé au prix des renouvelables qui, y compris pour l’éolien offshore en Mer du Nord, dont les Anglais sont les leaders, atteint 70 euros.

D’une certaine manière, à court terme en tout cas, tant que le niveau de pénétration des énergies renouvelables n’aura pas dépassé les 50 %, ce qui supposerait éventuellement des coûts d’intégration importants, les renouvelables constituent l’offre économique qui s’imposera.

La transition est une bonne solution pour éviter de remettre du carbone dans le système dans les dix, vingt, trente ans qui viennent, à mesure que la part du nucléaire décroîtra inexorablement en France. Si nos scénarios suggèrent qu’elle va augmenter, c’est parce que d’autres pays passeront éventuellement de 1,5 % à 1, 2 ou 3 % de nucléaire dans leur mix.

M. le président Julien Aubert. Vous avez expliqué que le solaire était très cher il y a quelques années. Si j’avais déclaré il y a quelques années que le solaire ou l’éolien ne pourrait remplacer le nucléaire parce que trop onéreux, on m’aurait répondu quatre ans plus tard que les prix ont baissé… Pouvons-nous nous fonder sur les coûts des premiers EPR pour justifier le coût du nouveau nucléaire, sachant que les Chinois vont en construire et que, si l’on construisait dix en France, il est probable que le dixième n’aura pas le coût du premier, au même titre que le démantèlement ?

M. Cédric Philibert. Oui, encore que l’expérience historique du nucléaire montre plutôt une hausse régulière du coût qu’une baisse drastique.

M. le président Julien Aubert. Savez-vous combien a coûté le parc nucléaire français ?

M. Cédric Philibert. Non, mais il se mesure en milliards d’euros.

En raison de l’accroissement continu des exigences de sécurité après les catastrophes de Three Mile Island, de Tchernobyl et de Fukushima, nous avons plutôt constaté une augmentation continue des coûts. Quand on est passé d’un palier de 900 MW à un palier de 1 300 MW, sans doute a-t-on assisté à une réduction des coûts au MW. On ne peut pas exclure une réduction des coûts si nous produisons beaucoup de réacteurs du même type. Je pense que les Chinois vont construire d’autres EPR, ils vont aussi construire leur propre modèle de pressurized water reactor (PWR), qui sera plus économique mais qui ne correspond pas à nos exigences de sûreté. Il est possible que l’on assiste à des réductions de coût lié à la sûreté, mais je ne sais pas si elles seront du même ordre que celles que connaît le solaire ou l’éolien.

M. Nicolas Berghmans. C’est dans une optique de long terme qu’il faut évaluer les questions de décarbonation. Ce qui vient d’être dit me paraît partagé.

Comme l’a expliqué Mme Creti, nous sommes sur un marché électrique européen interconnecté. Les énergies renouvelables ne se substituent pas nécessairement au nucléaire, mais elles peuvent aider à substituer des synergies fossiles au-delà de nos frontières. Nous sommes, à mon sens, dans une perspective de décarbonation.

Je reviens à votre question sur la facture des ménages. Les prix de l’énergie sont élevés, mais ce n’est pas le seul facteur qui impacte la facture des ménages. Le consommateur veut bénéficier des services que rend l’énergie. Cela dépend aussi beaucoup de l’efficacité du fournisseur de services selon qu’est concernée sa maison, sa voiture, etc. Dans cette optique, on ne peut pas se limiter aux prix pour évaluer la facture des ménages, il faut aussi s’attacher à la consommation, par exemple, des bâtiments. Le sujet-clé en Europe et pour la France est la rénovation énergétique. Rénover les logements permet de vivre dans un monde où l’on peut supporter des prix de l’énergie plus élevés parce qu’on en consomme moins.

Vous avez indiqué que la taxe carbone est affectée aux énergies renouvelables (Enr). Ce n’était pas le cas jusqu’à récemment. Les EnR étaient financées par une taxe sur l’électricité, la contribution au service public de l’électricité (CSPE), née d’un jeu d’arbitrages. L’État a décidé que les recettes de la taxe carbone seraient destinées aux énergies renouvelables. Dans les faits, les contrats ont été passés avec les exploitants et une large part de la rémunération des producteurs d’énergies renouvelables, hors marché électrique – car ils se rémunèrent aussi par le marché électrique –, est issue des coûts des contrats passés. Si, demain, on décidait de ne plus financer les énergies renouvelables par la taxe carbone, il faudrait trouver une autre ressource pour les financer. Une partie est liée aux futurs développements des EnR, mais elle est relativement modeste en raison de la forte baisse des coûts des énergies renouvelables ces dernières années.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteur. Je suis ravie de vous entendre parler de la rénovation énergétique des bâtiments.

Dans le secteur du bâtiment, on parle du label « E+ C- », pour désigner des bâtiments à énergie positive et bas carbone. Un débat est ouvert pour savoir s’il faut favoriser l’objectif C- par rapport à l’objectif E+ ou s’il faut viser les deux en même temps. En d’autres termes : courir les deux lièvres risque-t-il ou non d’affaiblir l’objectif carbone ? décarbonation ? J’aimerais avoir votre avis.

Il existe en effet un paradoxe de double effet : les personnes précaires sont victimes des coûts liés au changement climatique et de ceux liés à l’inaction face au changement climatique. Ces deux aspects sont-ils évalués aujourd’hui ? Y a-t-il des études sur ce sujet ? Puisqu’il est question d’acceptabilité, que faire si le coût de l’inaction se révélait plus important que le coût de l’action ?

Plutôt que de dépenses liées à la transition énergétique, je préfère, pour ma part, parler d’investissements. Vous avez opéré une distinction entre le coût comptable et le coût économique. Cela remet en question notre lecture annuelle des dépenses relatives à la transition énergétique, domaine dans lequel le retour sur investissements se fait sur des durées plus longues. La contrainte européenne doit-elle demeurer à 3 %, dépenses d’investissement compris ? Ne devrions-nous pas libérer de cette contrainte les collectivités territoriales qui voudraient investir ? Sur ce sujet, le retour sur investissement peut être rapide et d’une durée plus facile à évaluer qu’elle ne l’a été.

M. Cédric Philibert. Vos questions contiennent en elles-mêmes beaucoup d’éléments de réponse, madame !

Vous avez raison, il faut parler de l’investissement.

La transition énergétique consiste à passer d’un système de dépenses récurrentes de combustibles à un système fait d’investissements dans les économies d’énergie et dans des technologies qui, par nature, sont assez capitalistiques, qu’il s’agisse du nucléaire ou des renouvelables. Si le coût initial est élevé ou très élevé, les dépenses récurrentes sont en revanche extrêmement faibles. C’est ce qui crée cette difficulté optique à propos des coûts de l’électricité : à un moment, le prix de marché s’effondre quand la part du renouvelable s’élève dans la production.

De plus en plus souvent, le coût marginal de production de l’énergie renouvelable est quasiment nul. En même temps, des mécanismes ont été instaurés pour financer l’investissement de départ sous la forme d’une taxe sur l’électricité. La partie relative à la taxe sur l’électricité a donc augmenté alors que la partie énergie sur le marché de l’électricité a diminué.

M. le président Julien Aubert. C’est le coût du passé.

M. Cédric Philibert. De fait, c’est largement le coût du passé, c’est-à-dire que si l’on continue d’investir fortement dans les renouvelables, même en recourant à des systèmes de taxe carbone, même en fléchant les recettes de la CSPE, l’apport sera très faible par rapport à l’investissement passé, qui a été d’une tout autre ampleur. Pour l’avenir, il faut effectivement parler d’investissements lourds, la question étant de savoir comment financer ces investissements.

J’entends bien la question portant sur les 3 %, mais elle sort quelque peu de mon champ de compétence, car il faut définir ce qu’est un investissement et ce qu’est une dépense de fonctionnement ? Le salaire d’un professeur est-il une dépense de fonctionnement ? Un équipement sportif qui ne sera utilisé qu’une seule fois pour un grand événement est-il un investissement ? On pourrait dire que c’est exactement l’inverse. Il est, par conséquent, difficile de distinguer une dépense de fonctionnement d’une dépense d’investissement.

Pour les collectivités locales, une solution a été trouvée il y a très longtemps, sous la forme du tiers financement, qui a permis d’orienter l’investissement privé pour contourner les difficultés qui existaient entre le titre 3 et le titre 4 des chapitres budgétaires relatifs au financement des investissements. Les collectivités ne pouvaient pas facilement financer des investissements, contrairement aux dépenses de fonctionnement récurrentes. On a donc inventé le tiers financement, qui a permis de rénover de nombreux bâtiments publics et de les adapter aux normes énergétiques. Cela suppose de prendre des précautions, car ces opérations engendrent parfois de petites « fuites » de financement. Il n’en reste pas moins que c’est un moyen d’orienter l’épargne privée vers des investissements utiles.

Le faible loyer de l’argent aujourd’hui, le niveau extrêmement bas des taux d’intérêt, démontrent la présence, dans le monde, d’une abondance d’épargne qui ne demande qu’à se porter sur des investissements longs mais sûrs. On le constate aujourd’hui avec le faible coût des énergies renouvelables. J’en parlais il y a peu avec un banquier qui finance ce type d’investissement en Espagne, où les énergies renouvelables sont désormais un investissement privé totalement rentable. Les gens investissent et vendent l’électricité sur le marché de l’électricité ou via des accords bilatéraux avec des acheteurs. Il n’existe aucun système public de subventions ou de financements cachés, et le solaire est à 30 ou 35 euros le MWh.

Cela s’explique, certes, par la bonne ressource espagnole, mais aussi par le très faible coût du capital exigé pour y parvenir. L’Espagne signe en effet un accord d’achat sur quinze ans, à un prix garanti pour des quantités garanties et une technologie totalement garantie. Elle sait donc exactement quel sera le retour sur investissement. Elle trouve auprès des banques des prêts aux mêmes taux que ceux qui s’appliquent à l’achat d’un logement, soit 1,5 %. Elle finance ainsi du solaire avec un coût moyen pondéré du capital de l’ordre de 3,5 % ou 4 %, taux qui couvre à la fois la rémunération de la part d’investissements propres et la rémunération du banquier. L’épargne abonde, il faut donc trouver le moyen de la diriger vers la transition énergétique. Il ne s’agit pas forcément de dépenses publiques.

Mme Anna Creti. Qui investit dans quoi ? La transition énergétique est une transition territoriale. C’est une logique nouvelle, qui ne prévalait pas dans la conception du secteur de l’électricité ou du gaz. C’est ainsi que les ressources mobilisables sont des ressources locales. C’est vrai, il existe des contraintes, mais il existe aussi des opportunités. Les plans territoriaux énergie-climat (PTEC) en sont un exemple.

Nous disposons de nouveaux instruments, de nouvelles conceptions, de nouvelles façons de revitaliser les territoires, de les rapprocher des citoyens, de proposer des modèles de vie différents. Voilà pour la potentialité. Il convient ensuite de contrôler les effets redistributifs et d’éviter que l’activisme de certains territoires ne soit qu’un exemple isolé.

Avoir accès au PTEC suppose d’être une agglomération, donc d’atteindre un certain niveau d’agrégation, mais certains effets peuvent « percoler » jusqu’au citoyen. Il n’y a pas seulement des dépenses et des investissements, il y a aussi de nouvelles opportunités, qu’il s’agisse de bâtiments ou de nouveaux modes de vie sobres en carbone.

Les investisseurs ne sont pas ceux du passé. L’investissement peut être diffus et porté par des financements verts. Cyniquement, je dirais qu’il y a de l’argent à gagner, qui viendra soutenir des investissements revêtant une dimension intéressante parce qu’ils sont adaptables, et d’une taille moindre que celle, massive, du nucléaire.

J’ajoute qu’il est très difficile de comparer les investissements dans le nucléaire et les investissements dans les renouvelables. Aujourd’hui, si vous demandez à un opérateur neutre, autre que l’opérateur dominant qui a construit son passé dans ce secteur, s’il veut investir dans le nucléaire, votre proposition ne suscitera pas un grand enthousiasme, pour toute une série de raisons que je pourrais détailler.

Les montages financiers pour les énergies renouvelables, dans une optique de marché, sont en revanche perçus avec intérêt, et attirent des investissements, petits ou grands.

M. Nicolas Berghmans. S’agissant de l’expérimentation du label « E+ C- », je n’apporterai pas un avis très expert. Je dirai cependant que cela concerne les bâtiments neufs.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Faut-il prioriser les économies d’énergie ou se focaliser sur le carbone ? Pensez-vous que l’on sera plus efficace si l’on se focalise sur le carbone, ou que la synergie ne sera que meilleure si l’on se focalise à la fois sur le carbone et l’efficacité énergétique ?

M. Nicolas Berghmans. Je pense qu’il faut traiter les deux aspects en même temps. L’efficacité énergétique relevant de l’enveloppe des bâtiments, nous saurons rapidement si nous parvenons à améliorer la performance du parc de bâtiments ou s’il est préférable de passer à une solution plus axée sur le switch technologique vers une consommation d’énergie moins réduite mais plus décarbonée. Pour autant, il me semble important de porter l’accent sur ces deux aspects qui sont complémentaires.

S’agissant de la rénovation énergétique, nombre de mécanismes innovants ont été instaurés, en faveur des bâtiments publics notamment, mais le cœur du sujet est de mobiliser des acteurs très décentralisés afin que la décision d’investir dans la rénovation énergétique soit prise par le propriétaire d’un logement, par les copropriétés, etc. À cet égard, le calcul économique n’est pas seul à entrer en jeu ; la question de l’organisation de la filière et de la visibilité des dispositifs est essentielle pour le citoyen. L’article de l’IDDRI sur la taxe carbone en fait état. Il est important de montrer qu’il existe une prise de conscience de ces enjeux. Il faut les rendre visibles, mettre en place une aide globale pour inciter les citoyens à agir, non que l’État doive payer pour tout, mais parce qu’un citoyen ne prend pas spontanément ses décisions en tenant compte du long terme au même titre que la puissance publique. C’est pourquoi celle-ci doit organiser les filières et apporter une aide qui peut prendre différentes formes : prime, prêt préférentiel – on peut discuter de la forme. Il convient également, c’est essentiel, d’associer le citoyen au résultat final. Une fois la rénovation faite, le consommateur sera face à sa facture énergétique. Cette aide doit donc être associée à une obligation de résultat, ce qui n’est pas forcément le cas dans le dispositif français actuel. Voilà pour la réflexion sur le bâtiment.

S’agissant des inégalités, de nombreux chercheurs travaillent sur le sujet. Je pourrai vous fournir les travaux de l’École d’économie de Paris et du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED).

Mme Laure de La Raudière. Monsieur Philibert, vous avez dit que le scénario prenait en compte quatre énergies renouvelables majeures : la bioénergie, l’hydroélectricité, l’éolien et le solaire. Vous avez précisé que 50 % de la contribution passait par la bioénergie, 20 % à 25 % par l’hydroélectricité et 20 % à 25 % pour l’éolien comme pour le solaire – soit un total, si l’on vous suit, de 125 %.

M. Cédric Philibert. La bioénergie participe à hauteur de 50 % de la contribution des renouvelables à l’approvisionnement énergétique global de l’humanité – il ne s’agit pas uniquement de l’électricité. Il ne s’agit pas de 50 % de l’énergie, mais de la contribution des renouvelables.

Si nous envisageons l’avenir de l’électricité, les trois technologies que sont l’hydroélectricité, le solaire, l’éolien contribuent à peu près à égalité, aux environs de 20 % chacun, au bilan électrique global à long terme.

Mme Laure de La Raudière. Ma deuxième question, importante pour la commission d’enquête, concerne la baisse des prix des énergies renouvelables comparée au prix du nucléaire en France. Par rapport au parc existant et installé, à quel moment les courbes se croiseront-elles ? Le prix d’un appel d’offres sur le solaire se situe aujourd’hui à 65 euros le MW. Le parc existant, lui, tourne plutôt aux alentours de 200 euros. À quel moment pouvons-nous imaginer que les courbes se croiseront et, surtout, à quel rythme faudra-t-il implémenter l’énergie renouvelable ? Il ne sert à rien d’aller trop vite si les prix continuent de baisser et que le coût du nucléaire augmente. Peut-être convient-il de prévoir cette séquence dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui intègre ces calculs économiques.

Ma troisième question concerne l’investissement en matière d’énergies renouvelables, donc d’investissement d’argent public. Si on parle d’investissement, on peut parler de rentabilité. Quelle serait la rentabilité d’un euro d’argent public investi dans les renouvelables aujourd’hui, si l’on se réfère aux coûts actuels, en comparaison d’un euro d’argent public investi dans la rénovation des bâtiments ? Quelle est la meilleure rentabilité de la dépense publique de notre pays, entre rénovation des bâtiments et énergies renouvelables ?

M. Cédric Philibert. Il faut comparer des choses comparables, c’est-à-dire des coûts économiques. Si nous devons préparer de nouvelles énergies pour remplacer les anciennes, il convient de comparer les coûts des constructions actuelles, que ce soit dans le nucléaire, dans le thermique, ou dans le solaire ou l’éolien qui sont à construire. Celles du solaire et de l’éolien sont aujourd’hui moins onéreuses que celles du nucléaire. Excusez-moi, mais il n’y a pas beaucoup de sens à comparer l’électricité et ce qui est amorti, car l’hydraulique, par exemple, est de loin l’énergie la moins chère : elle supporte très peu de coûts de fonctionnement, contrairement au nucléaire.

Mme Laure de La Raudière. Il faut prendre en compte la durée de vie et le coût du grand carénage. Je ne parle pas du nouveau nucléaire, mais du nucléaire actuel, en intégrant le coût du grand carénage.

M. Cédric Philibert. Ce coût serait probablement très différent d’une centrale à l’autre. On ne le dit pas assez, mais l’état des centrales varie grandement de l’une à l’autre. Pour l’heure, l’ASN n’a pas encore publié les critères généraux qui s’appliqueront au grand carénage, mais quand on examinera l’état de chacune des centrales en vue de prolonger leur durée d’exploitation, on s’apercevra que la rénovation de certaines d’entre elles coûtera 500 millions d’euros, contre 1,5 milliard pour d’autres. Il n’y aura donc pas un coût du nucléaire, mais des coûts différents. Il sera économique de prolonger certaines centrales et anti-économique d’en conserver d’autres. Je suis prêt à parier aujourd’hui que c’est l’exploitant qui décidera lui-même d’en arrêter certaines parce qu’il sera confronté à un coût trop élevé du grand carénage. Il faudra remplacer le parc, mais je ne peux pas vous dire à quel rythme ni même exactement comment cela se passera. C’est très au-delà de ma compétence.

Une autre question se pose par rapport aux combustibles fossiles, avec ou sans taxation. La réponse est délicate car, au fur et à mesure de la transition énergétique dans le monde, les coûts des énergies fossiles peuvent baisser. Il y a dix ans, les partisans des EnR affichaient toujours des coûts en décroissance. Ils avaient parfaitement raison, les coûts ont même décru plus vite qu’ils ne l’avaient espéré. Et ils affichaient des coûts croissants du pétrole et des fossiles en raison de la rareté. Mais la rareté est un mirage : plus on s’en rapproche, plus elle s’éloigne. Plus on produit de renouvelables, et plus cette rareté de l’énergie fossile s’éloigne, car les renouvelables abaissent le coût des fossiles. C’est involontairement se tirer une balle dans le pied ! Si l’on ne taxe pas le carbone, je ne peux pas vous dire si les courbes se croiseront, ce qui nous ramène à la question de la taxe carbone.

Mme Laure de La Raudière. Sur le plan de la rentabilité, qu’en est-il de l’argent public investi dans les renouvelables par rapport à celui investi dans la rénovation de bâtiments ?

Mme Anna Creti. L’énergie renouvelable est rentable dans une optique de marché, ce n’est pas spécifiquement un problème qui se pose à l’État. L’investisseur investira dans les renouvelables. Les critères reposeront sur la parité réseau. Les coûts de l’investissement dans les énergies renouvelables sont-ils similaires au coût de l’électricité produite par les énergies fossiles et que l’on peut acheter sur les réseaux ? Nous avons quasiment atteint cette parité réseau. Dans la mesure où nous sommes en retrait et en retard sur les objectifs de rénovation des bâtiments, il faudrait …

Mme Laure de La Raudière. Diminuer les subventions aux renouvelables ?

M. le président Julien Aubert. Ces énergies vertes électriques étant matures, la décision publique devrait être d’orienter l’argent public, non pas vers le subventionnement des énergies « vertes » électriques mais plutôt vers d’autres priorités, comme le bâtiment.

Mme Anna Creti. C’est cela.

Mme Laure de La Raudière. Finalement, c’était une bonne question !

M. le président Julien Aubert. C’était une excellente question, madame de La Raudière, comme toutes vos questions !

M. Nicolas Berghmans. Les contrats de renouvelables passés prenant fin, nous connaîtrons mécaniquement une baisse des besoins de financement public pour ces énergies, qui est inhérente à la conception des contrats.

M. le président Julien Aubert. Êtes-vous tous d’accord avec ce constat ? Pardonnez-moi d’insister, mais c’est l’une des questions que nous nous posons, d’autant que certains nous disent : « Oh ! malheureux, surtout pas ! »

Mme Anna Creti. Cela dépend de qui investira.

M. Cédric Philibert. Ce qui est nécessaire n’est pas tant l’argent public qu’un cadre politique permettant le financement des renouvelables, ce qui n’est pas la même chose. En fait, les consommateurs d’électricité ou d’énergie, en finançant l’investissement, éventuellement par le jeu de la taxe carbone, pourront disposer à terme d’une électricité dont le coût marginal sera nul. C’est une façon d’investir. On peut dire, si l’on veut, qu’il s’agit d’argent public. Mais si l’on dit cela, je fais une mise en garde : non, il ne faut pas supprimer tout argent public, car les renouvelables ne peuvent pas se financer en totalité sur le seul marché de gros de l’électricité, car lorsque l’ensemble des sources d’énergie sont mobilisées, le prix de l’électricité de gros s’effondre. Même s’il s’agit de l’énergie la moins chère, l’énergie renouvelable suppose un cadre politique et financier qui permette d’en poursuivre le développement.

Mme Anna Creti. Et il faudra toujours aider les petits consommateurs. Les subventions pour installer les panneaux solaires des petits consommateurs sont toujours nécessaires.

M. le président Julien Aubert. Vous voulez dire les toits solaires ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous avez évoqué des directives européennes, notamment celle relative aux marchés de concessions, et la déstabilisation des opérateurs historiques de chacun des pays européens. La France a été mise en demeure de mettre en concurrence l’hydroélectricité ; il y a une quinzaine de jours, sept autres pays ont été mis en demeure. Ma question est simple. Nous n’allons pas entrer dans le détail des enjeux à la fois énergétiques et de réciprocité qui font que l’on peut y être totalement opposé – et c’est mon cas. Mais pensez-vous que cette ouverture du marché bénéficierait aux consommateurs, alors que des éléments nous montrent que, de par sa flexibilité et sa capacité de stockage, le marché de l’hydroélectricité est un pilier majeur de l’équilibre du système électrique ? Si l’on déstabilise cet équilibre, connaîtrons-nous in fine une baisse de tarif ? Ce n’est pas ce que je crois, mais je voudrais avoir votre avis.

(Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente de la commission denquête, remplace M. Julien Aubert à la présidence.)

Mme Anna Creti. Si les mécanismes prescrits par la mise en demeure, qui sont une mise en concession suivant des critères environnementaux et techniques, sont respectés, il n’y a pas de raison de s’inquiéter de la déstabilisation des marchés. Le bon fonctionnement des centrales hydroélectriques ne dépend pas de tel ou tel opérateur, car le mécanisme repose sur des arbitrages de marché. Qu’il s’agisse d’un opérateur X ou Y, cela devrait suffire pour réguler l’apport, surtout dans un monde où il y a des renouvelables. L’hydroélectrique, utilisé à bon escient, est de plus en plus précieux. Par ailleurs, avec le renouvellement des concessions, une forte pression pèse sur les critères environnementaux, qui n’étaient pas à l’ordre du jour quand ces centrales ont été construites. C’est un dossier difficile. Si plusieurs pays ont tardé à mettre en œuvre la concurrence, c’est parce qu’il faut déterminer les centrales à mettre en concurrence, les logiques de bassin et les synergies à créer au sein du système.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Vous dites que des obligations seront imposées quel que soit l’opérateur. Peut-être, si ce n’est que l’on enregistre une désoptimisation dès lors que plusieurs opérateurs sont sur une même chaîne hydraulique, ce qui entraîne probablement une augmentation des prix. Qu’en pensez-vous ?

Vous dites qu’il faudra sélectionner les ouvrages à mettre en concurrence. Telle n’est plus la demande de la Commission européenne ; elle demande la mise en concurrence des ouvrages. Dès lors qu’ils arrivent à échéance de concession, on ne choisit pas. Dans la mesure où ils ont été construits de manière très étalée dans le temps, un ouvrage au milieu d’une chaîne hydroélectrique peut être mis en concurrence telle année, et le suivant quinze années plus tard. Il peut donc arriver que, pendant plusieurs années, plusieurs opérateurs soient sur la même chaîne d’ouvrages.

La question de la réciprocité entre les pays est plus politique. Quels pays s’ouvriraient à la concurrence ? Quels pays ne s’ouvriraient pas ? Et qui pourrait investir sur les marchés des autres ?

M. Cédric Philibert. Je ne sais pas s’il faut forcément désespérer d’une coordination par les prix – à condition, bien sûr, que les marchés de l’électricité répondent à l’ensemble des attributs. L’hydroélectricité comprend l’énergie, des services annexes et la capacité de blackstart – c’est-à-dire celle de redémarrer un réseau qui s’est effondré. L’hydroélectricité est l’un des garants de la stabilité parce qu’il y a des machines tournantes, ce qui n’est pas le cas, étrangement, de l’éolien et certainement pas du photovoltaïque.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Être le garant de la stabilité, n’est-ce pas une mission de service public ?

M. Cédric Philibert. Oui et non car, encore une fois, on peut se fonder sur des mécanismes de marché ; en soi, ce n’est pas impossible, à condition qu’ils soient assez complets, c’est-à-dire qu’ils expriment l’ensemble des attributs de l’électricité, et pas seulement de l’énergie à l’instant T. L’enjeu est aussi de faire émerger ou non des marchés de capacité – on peut en discuter. Il y a des débats interminables sur la nécessité d’avoir des marchés « énergie seulement » ou des marchés plus complets. Je pense qu’il faut des marchés complets. En Espagne, des exploitants d’éoliennes ont répondu à des enchères pour des services de régulation tout à fait explicites, des réserves primaires et secondaires. Même les renouvelables peuvent participer à ces marchés, a fortiori le secteur de l’hydraulique qui est très bien équipé pour y participer. De toutes les énergies renouvelables, l’hydraulique est la plus flexible et celle qui offre le plus d’attributs.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Nous n’allons pas engager un grand débat sur l’hydroélectricité, mais je rappellerai simplement qu’elle présente une particularité. Trop souvent, on la considère uniquement sous l’angle de la production, mais elle est aussi un enjeu pour l’eau et la gestion de l’eau, les « multi-usages » et la ressource. Cela en fait une production qui ne repose pas uniquement sur sa production d’énergie : c’est un bien commun de long terme. C’est une particularité qu’il convient de prendre en compte.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je veux vous remercier, madame, messieurs, pour toutes les précisions apportées. N’hésitez pas à nous transmettre d’autres contributions ou éléments qui pourraient nous avoir échappé. À la fin de nos auditions, nos travaux porteront sur un comparatif européen. Si vous aviez des idées ou si vous jugez utile que nous rencontrions certaines personnes susceptibles d’éclairer intelligemment nos débats, nous sommes preneurs de vos suggestions en la matière.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Merci à tous pour vos contributions.

Laudition sachève à dix-huit heures dix.

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11.   Audition, ouverte à la presse, de M. François Brottes, Président du directoire de Réseau transport électricité (RTE), accompagné de M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles, de M. Arthur Henriot, chargé de mission au cabinet du Président, et de Mme Lola Beauvillain-de-Montreuil, attachée de presse (9 avril 2019)

Laudition débute à neuf heures.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons M. François Brottes, notre ancien collègue député, président du directoire de RTE, accompagné de M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles, de M. Arthur Henriot, chargé de mission à la présidence de RTE et de Mme Lola Beauvillain de Montreuil, attachée de presse.

Monsieur le président, vous avez été nommé à la tête de RTE à l’été 2015, après le vote de la loi de transition énergétique, qui nous avait occupés de longues nuits.

RTE est l’entreprise publique en charge de la gestion du réseau de transport d’électricité à haute et très haute tension. À ce titre, elle doit veiller en permanence à l’équilibre entre la production d’électricité, ou plus précisément sa disponibilité sur le réseau, et la consommation nationale. La montée en puissance des énergies renouvelables (EnR), majoritairement intermittentes, représente un défi d’adaptation du réseau de RTE et justifie à elle seule cette audition. Elle suppose, pour votre entreprise, de programmer d’importants investissements. Vous nous direz à combien ils s’élèvent par année – coûts annuels déjà engagés et prévisions sur l’effort financier à moyen terme.

L’émergence des EnR vous a-t-elle réservé de mauvaises surprises ? RTE a-t-il été amenée à effectuer des opérations techniques dans l’urgence pour contrer des perturbations dues à l’insertion d’EnR sur le réseau ? Y a-t-il des régions françaises ou des zones dans lesquelles cette insertion demeure problématique ?

L’évolution de la part du TURPE dévolue à RTE est-elle en rapport avec ses nouveaux besoins d’investissement ? En quoi les taux de réfaction tarifaire fixés au titre d’une ordonnance du 30 novembre 2017 relative aux coûts de raccordement aux réseaux concernent-ils RTE ?

Nous avons auditionné la CRE la semaine dernière : pensez-vous qu’elle prête une oreille attentive à vos demandes ? L’insertion sur le réseau n’est-elle pas « la grande oubliée », « la Belle au bois dormant », lorsque l’on évoque la question du coût complet des EnR ?

Est-il exact que la CRE s’est déclarée hostile à certains projets d’interconnexion ? Dans l’affirmative, les positions de la CRE et de RTE étaient-elles opposées ?

Le développement des interconnexions entre voisins européens représente-t-il la solution clé pour résoudre au mieux les problèmes liés à linsertion des EnR ? Quelles sont vos priorités en ce domaine ? Linsertion dEnR par un pays voisin – lAllemagne, au hasard – atelle posé des problèmes en interconnexion ?

Monsieur Brottes, nous écouterons votre exposé liminaire durant une quinzaine de minutes ; les membres de la commission d’enquête, à commencer par la rapporteure, notre collègue Mme Meynier-Millefert, vous interrogeront à leur tour.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter serment.

(M. Brottes prête serment.)

M. François Brottes, président du directoire de RTE. Ayant prêté serment de dire toute la vérité, je préfère vous prévenir de suite : je n’aurai pas assez d’une heure trente pour répondre à l’ensemble de vos questions ! Mon propos liminaire se veut didactique et pédagogique ; aussi n’aborderai-je le thème de la flexibilité qu’en réponse aux questions que les députés voudront bien me poser.

RTE n’est pas un acteur parmi d’autres ; nous sommes en situation de monopole. Ce n’est pas un gros mot : il ne peut y avoir plusieurs opérateurs de lignes à très haute tension en France, pas plus que nous ne pouvons organiser à plusieurs l’équilibre du système. De façon permanente, seconde après seconde, RTE doit veiller à ce qu’il n’y ait pas de black-out – le dernier est survenu en 2006. C’est un combat quotidien que nous menons, à l’échelle européenne, puisque le réseau électrique européen est intégré et complètement maillé. Nous disposons de quatre secondes pour éviter le black-out.

Dans un monde en perpétuelle transformation, quel serait l’impact d’une transition énergétique sans les énergies renouvelables ? C’est une question que vous n’avez pas formulée ainsi, monsieur le président, mais à laquelle je souhaite répondre.

Commençons par rappeler que la consommation en France est stable depuis six ans. Quoi qu’on en dise, nous avons fait quelques progrès, grâce à une meilleure efficacité énergétique, aux modifications apportées aux équipements ménagers, aux nouvelles ampoules, à l’isolation des logements. Cela ne va peut-être pas assez vite, mais cela commence à produire ses effets. Ne l’oublions pas, la maîtrise de la demande d’énergie est la première des énergies renouvelables. Si jamais un infléchissement survenait et que la consommation repartait à la hausse, la situation serait encore plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Il faut le reconnaître, la production d’électricité est affectée par le vieillissement des installations de production plus traditionnelles et par la fermeture progressive des centrales thermiques polluantes, un choix politique de la lutte contre le changement climatique. La fermeture des centrales au fioul et au charbon, depuis 2012, a représenté 13 gigawatts. La fermeture annoncée de Fessenheim et, potentiellement, de cinq tranches au charbon représenterait 5 GW supplémentaires. Or le pic de consommation en 2018 était de 96,66 GW. On aura donc fermé l’équivalent de 19 % des besoins aux moments des pics de consommation.

Les interconnexions, sur lesquelles je reviendrai si j’en ai le temps, ont un potentiel de 11 GW, mais il faut imaginer devoir partager avec nos voisins : il peut arriver qu’ils en aient besoin en même temps que nous. Cela donne une idée du gap auquel nous sommes confrontés : même si la consommation reste somme toute raisonnable, la situation risque de se compliquer si l’on se dégrée de moyens de production sans leur substituer d’autres éléments.

Les États européens sont eux aussi confrontés à ce phénomène : la Grande-Bretagne a réduit son parc au charbon de 13 GW depuis 2012, l’Allemagne veut réduire son parc au charbon lignite de 15 GW d’ici à 2025, avec une sortie annoncée en 2038, l’Italie veut réduire son parc au fioul de 15 GW d’ici à 2025 et la fermeture en 2020 de dix centrales au charbon a été annoncée en Espagne.

Autrement dit, nos marges de manœuvre se réduisent fortement. Les alternatives sont limitées et compliquées à mettre en œuvre. Le gisement hydraulique reste très faible : même si 130 000 stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) peuvent être construites dans le monde, je ne suis pas certain qu’il puisse y en avoir beaucoup en France. Les centrales thermiques ne font pas partie de l’avenir car elles sont polluantes. Quant au parc nucléaire, il vieillit et ses performances diminuent. Dans les cinq ans qui viennent, 32 visites décennales sont programmées, dont 17 sur des centrales quarantenaires. Chacune durera au minimum trois mois, le plus souvent plus de six mois. Or quand les réacteurs sont visités par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ils ne sont pas disponibles pour le réseau. Le Gouvernement se prononcera sur l’opportunité de lancer un programme de renouvellement des installations nucléaires à l’issue du programme de travail présenté par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en 2021.

Le développement du solaire et de l’éolien répond aujourd’hui aux enjeux de sécurité de l’approvisionnement et de sûreté du système électrique. Ne pas avoir de solaire et d’éolien nous coûterait sûrement très cher. On peut toujours espérer baisser encore la consommation, mais nous ne sommes déjà pas si mauvais élèves dans ce domaine.

On compte sept fois plus d’éoliennes qu’il y a dix ans – 15,1 GW fin 2018 – et 1 000 fois plus de panneaux solaires photovoltaïques. Les progrès technologiques, notamment dans l’éolien, sont nombreux : le facteur de charge, autrement dit, pour parler clair, la productivité, est de 25 % pour les nouvelles installations terrestres – et sur certains territoires, comme l’Occitanie où les vents sont réguliers, il atteint 35 % – alors qu’il était autrefois estimé entre 18 et 20 %. Il peut être de 45 % pour l’éolien en mer, comme le montre l’expérience dans les autres pays. Vous savez que l’éolien en mer n’est pas encore développé en France, aucun des recours intentés n’ayant pour l’instant été totalement purgé. Citons enfin des EnR émergentes, loin d’être à maturité, comme l’hydrolien – les énergies marines et fluviales.

Je souhaite vous faire part de quelques évidences, qui ne sont pas intuitives. D’abord, il ne peut y avoir de valorisation de la production des énergies renouvelables sans réseau de distribution et de transport. Trop souvent, les producteurs, forts de l’accord des élus et de la population, demandent à être raccordés rapidement, sans songer que le premier poste électrique auquel leur installation serait raccordable peut se trouver à 50 ou 70 kilomètres de distance, que cela suppose des travaux de raccordement, des délais pour trouver les voies et moyens juridiques d’éviter les recours, etc. Autant de considérations qui souvent ne faisaient pas partie des pensées premières des promoteurs.

Ensuite, ce n’est pas parce que les installations sont raccordées au réseau de distribution – ce qui est le cas de plus de 92 % des capacités en GW – que l’on n’a pas besoin du réseau de transport. Il faut savoir que, lorsque la consommation n’est pas suffisante pour écouler la production locale, le réseau de distribution refoule la production vers le réseau de transport, chargé de l’équilibre de l’ensemble. La part de l’énergie refoulée est de 25 %, en hausse de 40 % en 2018 par rapport à 2016. En décembre 2017, le refoulement a été de 180 % supérieur à ce qu’il était en décembre 2016.

Le monde change, le modèle également : à mesure que les productions décentralisées se multiplient, le réseau de transport se voit sollicité d’une manière différente et inédite. On me dira qu’on autoconsomme ; je sais que les députés débattent souvent de l’autoconsommation. Il faut savoir que les auto-consommateurs ne sont pas coupés du monde ni du réseau : ils l’utilisent moins, ce qui les amène à penser qu’ils devraient moins payer ; à ceci près qu’ils ont besoin d’y avoir accès à tout moment… Le réseau de transport ou de distribution doit donc être disponible en permanence, ce qui suppose des charges fixes. L’autoconsommation n’est pas une façon de réduire le coût des nouvelles lignes ; elle permet uniquement d’éviter de payer des taxes sur la propre électricité. Il y a donc un effet de transfert vers les autres consommateurs, puisque le fonctionnement des réseaux induit essentiellement des charges fixes. Le bilan prévisionnel de 2017 montre que si 4 millions de foyers étaient équipés d’un système d’autoproduction en 2035, le gain pour chacun d’entre eux serait d’environ 100 euros par an, mais que le surcoût pour les foyers qui ne pourront pas s’équiper atteindra 17 euros par an. Quant au surcoût net pour le système électrique, il sera de 150 millions d’euros. Cela pose des questions d’équité, dont le débat récent montre qu’elles sont centrales. La péréquation, un élément important de notre pacte républicain, demeure d’actualité. Pour ma part, je suis fier que RTE assume et cette mission régalienne de fournir le même service au même prix et sur l’ensemble du territoire. C’est une notion qu’il nous faut impérativement préserver, fût-ce à l’aune de volontés d’une autoconsommation qui n’est pas totalement indépendante.

Les coûts du raccordement des EnR au réseau sont identifiés dans les S3RENR (schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables). Ces schémas, qui supposent une concertation très large avec les distributeurs et l’ensemble des producteurs, sont élaborés en cohésion avec les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires – SRADDET.

Il faut commencer par relier le parc de production considéré au réseau de transport et de distribution. Les coûts de raccordement sont pris en charge à 100 % par le producteur, dès lors que l’installation fait plus de 5 MW. Cela concerne environ 94 % des capacités d’éoliennes et un tiers des capacités photovoltaïques. Les installations plus petites bénéficient d’un taux de réfaction de 40 %, couvert par le TURPE.

Mais le raccordement des installations suppose souvent, pour évacuer les nouvelles capacités de production, de créer de nouveaux ouvrages dédiés aux énergies renouvelables sur le réseau de distribution ou de transport. Ces ouvrages sont identifiés dans le cadre du S3RENR. Les coûts sont pris en charge par tous les producteurs, qui paient la quote-part au prorata de la capacité qu’ils ont installée, tout au moins pour les installations terrestres. La quote-part est évaluée et arrêtée à l’échelle de chaque région ; de ce fait, elle diffère de l’une à l’autre. Cela pourrait poser problème, mais je crois savoir que la question n’a jamais été soumise au Conseil constitutionnel.

Enfin, les travaux de renforcement des ouvrages du réseau qui ne sont pas dédiés uniquement aux EnR sont financés via le TURPE.

Les vingt et un premiers schémas S3RENR, élaborés entre 2012 et 2016, prévoient, pour la France continentale, la création d’ouvrages dédiés pour un montant de 772 millions d’euros, dont 317 millions d’euros pour les ouvrages RTE, financés par la quote-part. Fin 2018, 53 % de ces montants avaient été dépensés ou engagés. Les travaux de renforcement d’ouvrages dédiés, financés via le TURPE, atteignent 261 millions d’euros, dont 189 millions pour les ouvrages RTE. Fin 2018, 56 % de ces montants avaient été dépensés ou engagés.

Ces schémas sont dimensionnés pour accueillir 26 GW de production d’énergie renouvelable. La quote-part « transport et distribution » varie entre 0 euro le MW, quand aucun aménagement supplémentaire n’est réalisé, et 70 000 euros le MW. Le coût total des investissements pour le raccordement au réseau des énergies renouvelables, financé par le TURPE, représente 4,3 milliards d’euros par an, soit 8 % du tarif de vente résidentiel.

RTE a investi 1,4 milliard d’euros en 2018 – la moyenne de nos investissements annuels, toutes énergies confondues, est située entre 1,4 et 1,5 milliard d’euros – pour remplacer les infrastructures vieillissantes, en développer de nouvelles et mettre en place des outils d’intelligence numérique – j’y reviendrai. Ces investissements ne sont pas couverts instantanément par le tarif ; la règle veut qu’ils soient amortis sur la durée de vie de l’actif, qui est de quarante-cinq ans pour les ouvrages de raccordement en mer. Le dispositif du TURPE autorise une séance de rattrapage tous les quatre ans, voire année après année : le régulateur sait faire preuve du pragmatisme nécessaire, il prend en compte les évolutions auxquelles nous sommes confrontés et peut déplacer les curseurs en fonction de nouveaux éléments.

Les coûts identifiés dans le cadre des S3RENR ne représentent pas l’intégralité des coûts de l’adaptation du réseau, puisque certains projets ne sont pas dédiés à 100 % à l’accueil des EnR. Les coûts liés aux projets d’éolien en mer posé ne sont pas inclus dans les S3RENR ; autrement dit, ils ne sont pas soumis au régime de droit commun, à l’inverse des projets d’éolien flottant – qui flotte encore, si l’on peut dire.

Au total, les coûts d’adaptation du réseau de RTE au nouveau mix énergétique seront de 2,1 milliards d’euros sur la période 2019-2022, dont 1,2 milliard pour l’éolien en mer. Les producteurs rembourseront 300 millions d’euros ; le reste sera répercuté sur les tarifs, donc sur les consommateurs, via le TURPE.

Je rappelle que les règles des premiers appels d’offres concernant l’éolien en mer ont été modifiées : le raccordement des parcs, autrefois financé par la CSPE sous son ancienne forme, est désormais « turpé » et assumé par RTE. La partie financée aujourd’hui est la partie « transport ». Le glissement n’est pas que sémantique.

RTE estime que la dynamique actuelle d’investissements est adaptée jusqu’à une cinquantaine de GW – 25 GW sont aujourd’hui installés –, sous réserve que des leviers d’optimisation, comme les solutions numériques auxquelles nous sommes attachés, soient mis en place. En effet, la réalisation de nouvelles infrastructures demande beaucoup de temps, compte tenu des oppositions qu’elle suscite ; les progrès numériques, eux, apportent de nouvelles capacités de réactivité et de flexibilité.

Ces investissements représentent 70 % des objectifs de la PPE option haute – 35 GW d’éolien terrestre et 45 GW de photovoltaïque en 2028 – et 100 % des objectifs de la PPE option basse – 34 GW d’éolien terrestre et 35 GW de photovoltaïque. Cela signifie que si la PPE tient sa trajectoire, au-delà des besoins liés aux seules adaptations structurelles requises pour le branchement de nouvelles sources d’énergies renouvelables, il faudra prévoir quelques bricoles en plus…

Quelles sont les sources d’économies ? La règle est d’anticiper pour optimiser. C’est l’avantage d’être un monopole : nous sommes une infrastructure vitale pour le pays et nous sommes seuls chargés de l’équilibre entre l’offre et la demande. C’est donc à nous qu’il nous incombe de gérer les flux variables de production. L’avantage de cette situation de monopole est que cela nous permet de planifier, de mutualiser les installations ; ce faisant, nous pouvons réduire les coûts, les délais et surtout les impacts environnementaux. Si chacun se raccordait là où bon lui semble, à l’heure qu’il veut et au prix qui lui convient, cela risquerait d’être dommageable pour l’ensemble de la collectivité. C’est à nous de veiller au grain, avec les fameux S3RENR.

Je profite de l’occasion pour vous soumettre une proposition que j’ai déjà formulée lors d’une autre audition à l’Assemblée nationale : il serait bon d’accorder le temps d’élaboration du SRADDET avec celui du S3RENR. Ce dernier schéma apporte du rationnel à la réflexion. En prévoyant ce qui est possible à une échéance de quatre ou cinq ans, il peut apporter aux élus qui bâtissent le SRADDET des éléments concrets et accessibles au débat.

Grâce à l’anticipation et à la mutualisation, nous gagnons en transparence et en prévisibilité des coûts. La mutualisation, y compris pour les parcs éoliens en mer, est un bien commun qu’il faut préserver. Chacun rêverait d’avoir son poste électrique, mais dès l’instant où nous nous en occupons, un poste électrique peut servir à plusieurs parcs, ce qui permet d’optimiser les équipements.

Comme je l’ai expliqué, c’est le TURPE qui financera les coûts de raccordement et de transport de l’éolien en mer, qui s’élèvent à 300 millions d’euros en moyenne pour un parc de 500 MW, auxquels il convient d’ajouter le coût d’un poste en mer, de l’ordre de 100 millions d’euros. La part du transport et du raccordement, de 400 millions d’euros pour un parc estimé à 1,8 milliard d’euros, est significative. Le fait qu’elle soit prise désormais en charge par le TURPE, donc le tarif – ce qui est le cas dans la quasi-totalité des autres pays d’Europe – permettra aux candidats du projet au large de Dunkerque de faire une offre de tarif moins élevée.

Ces actifs seront amortis sur quarante-cinq ans avant d’être éventuellement démantelés. Le raccordement d’un parc éolien en mer, suppose, comme pour les liaisons sous-marines, d’obtenir de l’État l’autorisation d’utiliser le domaine maritime. À l’origine, on pensait devoir provisionner les coûts liés au démantèlement dès la première année, ce qui renchérissait le coût et accréditait l’hypothèse que la concession de vingt ans ne serait pas renouvelée. Nous sommes parvenus à un accord très pragmatique, et j’en remercie les services de l’État : trois ans avant la fin de la concession, nous aurons rendez-vous pour évaluer, selon les conséquences sur l’environnement, la nécessité ou non de démanteler. Je suis de ceux qui pensent que l’on provoque parfois plus de dégâts en démantelant qu’en laissant les choses en l’état, lorsque les câbles sont ensouillés par exemple. Nous saurons alors si le parc pourra encore être exploité. Le coût du démantèlement, qui sera forcément « turpé », n’est pas intégré dans les prix que je vous ai indiqués.

Dans la loi pour un État au service d’une société de confiance – ESSOC –, vous avez confirmé le rôle de « mutualisateur » de RTE. L’effet de série et de hub provoqué par la mutualisation aura un impact significatif sur les coûts.

Je sais les parlementaires passionnés par les questions de concertation, de débat démocratique et de transparence. Dans ce domaine, nous ne sommes jamais déçus ! Tout raccordement suppose une « concertation Fontaine » – du nom de l’auteur de la circulaire –, dont la première phase est dédiée à la présentation de l’aire d’étude et la seconde à la détermination du fuseau de moindre impact du projet dans le territoire ; suit la procédure d’obtention de la déclaration d’utilité publique, qui suppose plusieurs mois d’un débat compliqué, la validation ou non du commissaire enquêteur, qui peut recommander de construire des ouvrages complémentaires ; ajoutez-y toutes les autorisations environnementales, éventuellement les prescriptions d’archéologie préventive – les sous-sols, y compris marins, sont riches en France – et les dérogations à la protection des espèces protégées pour réaliser des travaux à certaines saisons, mais pas à d’autres… la liste est interminable, et par le fait génératrice de surcoûts et délais qui s’allongent à l’infini.

C’est le quotidien de RTE : nous gérons en permanence 200 contentieux, car nous sommes toujours les premiers arrivés dans les projets d’installation de parcs. Je rappelle que l’éolien en mer est toujours pénalisé par les recours : aucune procédure n’est close pour le moment.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour votre propos liminaire.

J’aimerais revenir sur deux points que vous vouliez développer, sans en avoir eu l’occasion, à savoir la flexibilité et l’intelligence numérique, en y ajoutant une question relative au stockage. Je laisserai ensuite la parole à mes collègues, avant de poser quelques questions complémentaires.

M. François Brottes. Vous êtes de l’Isère, madame la rapporteure, n’est-ce pas ? (Sourires). Cela se sent.

M. le président Julien Aubert. À questions courtes, réponses courtes, évidemment.

M. François Brottes. Vous exagérez, monsieur le président (Sourires) : traiter la question de la flexibilité en peu de temps… Mais je vais quand même essayer.

La flexibilité est d’abord l’obligation, pour nous, d’équiper le réseau en capteurs et en intelligence artificielle en back-up, dans des proportions considérables. Nous gérons 300 000 données par seconde aujourd’hui, et il y en aura 3 millions après-demain. On ne peut pas le faire à la main. Tout va donc être automatisé au maximum pour anticiper l’arrivée du vent, l’hygrométrie, la chaleur et l’usure prématurée de tel ou tel équipement. On est en train de ficher la totalité de nos équipements. Je rappelle qu’il y a quasiment 3 000 postes électriques et 105 000 kilomètres de lignes : ce n’est pas un petit boulot… Si on ne le fait pas, et si on ne peut pas, en outre, réaliser des infrastructures, on n’arrivera pas à gérer le comportement des nouveaux entrants. D’autant que les anciens ne se comportent pas de la même façon qu’auparavant – je ne veux pas accuser uniquement les nouveaux acteurs. De fait, nous sommes confrontés à une situation qui nous oblige à bien des acrobaties.

Le fait, par exemple, de pouvoir écrêter 1 % d’une énergie dont on n’a pas besoin dans le réseau, et qui pourrait venir, par exemple, de l’éolien, permet de réaliser un gain significatif : on divise par deux les coûts d’adaptation. Il est inutile de surdimensionner une infrastructure pour véhiculer des électrons dont on n’a pas besoin, sinon deux ou trois fois par an : c’est complètement idiot. Les producteurs de renouvelable ont compris qu’ils étaient des partenaires du système et ils jouent le jeu. Ils sont d’ailleurs rémunérés au prorata de ce qu’ils perdent, quand on écrête, mais cela coûte moins cher à la collectivité que de laisser arriver un pic de production. Et ce n’est qu’un exemple des manières dont nous faisons en sorte que l’hybridation numérique du réseau électrique nous sauve la vie quand il s’agit de gérer l’équilibre.

La flexibilité est aussi liée à l’interconnexion. Vous n’en avez pas parlé, madame la rapporteure, mais le président de votre commission en a dit quelques mots. Je ne vois pas ce que l’on ferait sans les interconnexions avec les pays voisins. Nous en avons aujourd’hui 50 et il en existe 420 dans toute la zone européenne. Pendant une dizaine, voire une vingtaine de jours par an, ce qui n’est pas beaucoup, nous sommes sauvés par les importations, alors que nous sommes des exportateurs nets, très fortement. Ce n’est pas intuitif : les gens se disent que l’on n’a pas besoin de production complémentaire puisque nous sommes largement exportateurs – on a même battu cette année un record d’exportation. Mais ce ne sont que des moyennes : cela ne résout pas le problème qui se pose en temps réel, à la seconde près. Ceux qui raisonnent, les commentateurs, les experts économistes et tous ceux qui ont un avis sur ces questions oublient parfois de raisonner sur le temps réel, sur ce que nous vivons. Notre sport consiste à gérer seconde par seconde. Les interconnexions sont un élément de flexibilité.

J’en arrive à l’effacement, qui ne figurait pas dans votre question. Je pense que nous avons là un gisement important, de l’ordre de 3 GW. Il faut y ajouter ce que l’on appelle l’interruptibilité, qui représente 1,5 GW – cela concerne 21 sites industriels, que l’on arrête en une seconde. Nous l’avons fait pour éviter un black-out le 9 janvier dernier, à 21 heures 03 – de mémoire. Heureusement que nous avions cette possibilité sous le pied. Sinon, il aurait été compliqué de maintenir la fréquence à 50 Hz sur l’ensemble du réseau européen. Le problème ne se trouvait pas chez nous, mais comme tout le monde attrape la grippe quand l’un d’entre nous éternue, on est bien obligé d’avoir des mesures de solidarité.

L’effacement est un gisement qui n’est pas encore à son maximum dans le secteur tertiaire et, par exemple, dans les équipements électroménagers. Je vous invite à auditionner des constructeurs français, si vous en avez le temps, qui travaillent sur l’idée consistant à introduire dans les réfrigérateurs, les congélateurs et d’autres équipements fonctionnant en permanence des éléments de pilotage. Si on arrête cinq minutes un réfrigérateur, ce n’est un problème ni pour celui-ci ni pour ce qu’il contient. Si l’on multiplie cinq minutes d’arrêt par des millions de réfrigérateurs, on obtient une capacité de pilotage assez remarquable sur le plan de l’interruptibilité. Il faut pousser plus loin ce type de raisonnement. L’industrie commence à s’y intéresser, elle est volontaire. Nous sommes tout à fait disposés à aider une entrée sur le marché de l’effacement. Il faudra peut-être certaines adaptations, étant entendu que notre problème est la pointe, le matin et le soir : tout ce qui pourra limer cette pointe nous évitera des productions complémentaires. Cela représente un chantier considérable. J’ai le sentiment que le Gouvernement en a parfaitement conscience et qu’un certain nombre de propositions pourraient être faites. On voit qu’il y a des gisements qui ne sont pas complètement exploités. Le modèle économique n’est pas nécessairement facile car cela suppose de faire du porte-à-porte. Mais si c’est le constructeur qui met en place le système en amont, c’est moins compliqué que d’aller frapper à la porte de tout un chacun pour installer un petit capteur dans les réfrigérateurs.

Il y a aussi les gestes écocitoyens. Nous pratiquons Écowatt en Bretagne et dans la région Sud – est-ce bien ce qu’il faut dire, monsieur le président ?

M. le président Julien Aubert. Vous êtes bien renseigné (Sourires).

M. François Brottes. Je ne voudrais surtout pas dire PACA, car sinon…

Dans ces péninsules historiquement électriques, même si c’est un peu moins vrai pour la dernière, les citoyens – plusieurs dizaines de milliers – sont au rendez-vous quand on leur envoie un petit message par SMS : ils acceptent de laver un peu plus tard à la machine leur vaisselle ou leur linge, ce qui représente 1 ou 2 % de la consommation. Ce n’est pas mal : enlever 2 % en période de pic permet souvent de passer la difficulté.

En ce qui concerne le stockage, il faut évoquer les différentes techniques plutôt que parler de cette question de manière générale. Les technologies se caractérisent notamment par différents dimensionnements, selon la puissance de la capacité de stockage d’énergie. L’énergie, c’est le stock ; la puissance, c’est la capacité à charger ou à décharger le stock rapidement. C’est très important : on ne peut pas comparer deux stockages si l’on ne regarde pas comment ils libèrent l’énergie, à quelle vitesse et avec quelle puissance. En fonction du ratio puissance/énergie des batteries, les moyens de stockage peuvent rendre différents services aux réseaux.

RTE s’intéresse à l’ensemble des technologies. Nous avons, bien entendu, des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) dans le réseau, qui représentent environ 4,5 GW – Mme Battistel le sait bien ; mais les nouveaux gisements sont assez limités. Des batteries lithium-ion sont en cours de raccordement au réseau, notamment pour participer au réglage de la fréquence, avec des capacités de stockage de plusieurs dizaines de minutes. Je rappelle que l’électricité est l’énergie, la puissance, la fréquence et la tension : il faut que tout ce petit monde fonctionne selon des normes bien précises si l’on ne veut pas que le réseau s’écroule. Ceux qui entrent sur le réseau, y compris dans le cadre du déstockage, doivent épouser l’intérêt commun qui est lié à ces curseurs. Certains de nos clients s’intéressent aussi à l’installation de volants d’inertie – on en fabrique en France, d’excellente qualité – mais ils ne stockent pas beaucoup et libèrent très vite – en sept secondes. Cela peut néanmoins permettre de régler des problèmes de tension. Certains industriels ne se privent pas de s’y intéresser, mais on voit bien qu’il s’agit d’un usage marginal par rapport à d’autres techniques.

RTE a obtenu l’autorisation du régulateur, qui est pragmatique, je l’ai dit, pour installer des batteries sur le réseau afin de gérer des problématiques locales : c’est le projet RINGO. Nous sommes en train d’installer des batteries en trois points du territoire continental pour stocker du trop-plein d’énergie qui arrive dans le réseau à un moment où l’on n’en a pas besoin dans une région, tout en déstockant ailleurs le même volume dans le même temps. On le fait car, sinon, les producteurs pourraient dire que RTE perturbe le marché. En réalité, cela ne change rien à la demande de production au niveau global : c’est seulement une façon de ne pas avoir à réaliser des infrastructures. C’est pourquoi nous parlons de « lignes virtuelles » dans notre jargon. Avec l’accord de la CRE, nous avons permis l’émergence, ou la valorisation, de la filière industrielle française du stockage, qui compte peu d’acteurs, il faut le reconnaître. Nous allons pouvoir tester en vraie grandeur. Le régulateur nous a demandé de mettre la part de stockage que nous n’utiliserions pas pour nos propres besoins à la disposition des acteurs de production, afin qu’ils aient un hub de stockage à prix coûtant, sous le contrôle du régulateur. C’est en cours.

L’hydrogène, c’est un peu une tarte à la crème, si vous voulez bien me pardonner cette vulgarité, et cela prête à bien des confusions.

Celle-ci porte d’abord sur les différentes sources d’hydrogène. Il y a de l’hydrogène « gris », pas propre, produit à partir du méthane selon un processus de vaporeformage émetteur de CO2, de l’hydrogène « bleu », produit selon le même processus de vaporeformage mais avec une capture du CO2 émis – c’est presque de l’hydrogène propre –, et de l’hydrogène « vert », complètement propre, produit par électrolyse après d’électricité issue d’énergie renouvelable.

Il existe aussi une confusion en ce qui concerne les usages. On distingue les usages directs actuels, dans l’industrie, comme la fabrication d’engrais ou d’ammoniac, les usages directs futurs, par exemple la mobilité grâce à l’hydrogène, et les usages indirects via une injection dans le réseau de gaz, avec du méthane dans de faibles proportions – de 2 à 10 %. Dans ce dernier cas, on l’injecte après transformation en méthane de synthèse – c’est ce que l’on appelle la méthanation – en utilisant les infrastructures actuelles, avec beaucoup de perte.

Nous sommes proactifs sur l’ensemble des éléments de stockage, car il ne faut pas perdre de temps pour comprendre. Nous avons un partenariat avec GRTgaz à Fos-sur-Mer pour tester la mise en œuvre de l’hydrogène dans le réseau de gaz – c’est le « Power-to-Gas ».

Il y a une confusion, je l’ai dit, sur les différentes justifications des développements de l’hydrogène. On parle de « verdir » le système gazier. L’alternative serait l’électrification des usages. Il est question de soutenir la flexibilité du système électrique en apportant une solution de stockage-déstockage – c’est ce que j’ai évoqué. J’y crois, à une échelle de temps qui n’est sûrement pas de cinq ans, mais le prototype va nous permettre de savoir si cela tient la route sur le plan économique et industriel. Les équipes de RTE considèrent qu’il n’y a pas d’intérêt à intégrer cela dans le système avant 2035, mais si nous attendons cette date pour comprendre le fonctionnement et pour être performant, on risque d’avoir des problèmes. Il ne s’agit pas d’une solution immédiate aux problèmes que nous rencontrons, c’est vrai, mais il y a là potentiellement une solution d’avenir. C’est pourquoi nous travaillons sur le projet « Jupiter 1 000 ». Pour ce qui est des industriels qui se raccordent directement aux réseaux de transport, je signale que deux unités de H2V ont déjà été raccordées, à Dunkerque et en Normandie, à Port-Jérôme – ce sont des fabricants d’hydrogène. Nous ne sommes pas face à quelque chose qui relèverait du mythe : cela devient une réalité qui commence à prendre corps.

J’ai senti que vous vouliez aussi m’interroger sur le véhicule électrique du point de vue de la flexibilité. Nous estimons qu’il y aura environ 16 millions de véhicules électriques en 2035. En tant que gestionnaires du réseau et garants de l’équilibre du système électrique, nous disons que cela peut être une chance considérable, à condition que le pilotage soit vertueux. Si tout le monde recharge où il veut, quand il veut, à la vitesse qu’il veut et pour obtenir le volume qu’il veut, on n’y arrivera pas : ce sera très compliqué. Pour donner une idée de la consommation d’énergie, 16 millions de véhicules représentent 35 térawattheures, soit l’équivalent de ce que consomme la région Nouvelle-Aquitaine – mais c’est moins que le chauffage électrique. Quel serait l’impact des appels de puissance sur le réseau et des pointes de consommation ? L’enjeu est là : un million de véhicules électriques représentent une pointe de près de 700 MWh s’il n’y a pas de pilotage. Nous étudions comment faire pour que ce soit une chance plutôt qu’une source d’embêtements – nous en parlerons fin mai.

Seize millions de véhicules électriques, ce sont 16 millions de batteries que l’on peut piloter pour soutenir le réseau. C’est l’équivalent en énergie de dix fois les STEP dont on dispose aujourd’hui. Il faut bien avoir conscience que c’est colossal, si c’est bien piloté. L’intérêt est de pouvoir stocker et déstocker : on stocke quand il y a une abondance d’électricité, typiquement la nuit, et on déstocke dans des moments où une question de pointe va peut-être demeurer. Si l’on pilote bien, on peut réaliser entre 1 et 1,5 milliard d’euros d’économies par an pour le système électrique européen. Il y a donc un enjeu de pilotage. Le législateur et ceux qui font les règlements devront certainement adopter une approche un peu coercitive afin que ce ne soit pas « open bar » – pardonnez-moi cette expression triviale. Sinon, nous ne réaliserons pas les gains considérables que je suis en train d’évoquer.

Je pourrais vous en dire encore beaucoup sur la flexibilité, mais je pense que j’ai déjà abusé du temps qui m’était imparti…

Mme Marie-Noëlle Battistel. Merci beaucoup pour tous ces éléments. Je vais vous poser quelques questions rapides.

Vous avez été mandaté par le Gouvernement pour faire des analyses complémentaires, publiées il y a quelques jours, sur l’équilibre entre l’offre et la demande pendant la période 2019-2023. J’avoue ne pas avoir encore lu ce document. Avez-vous fait des recommandations et peut-il y avoir une incidence sur le coût, selon que ces recommandations sont suivies ou non ?

Vous avez souligné à juste titre que le développement des ENR répond à un enjeu de sécurité et de sûreté du système électrique et que l’on va aussi avoir besoin, finalement, de plus en plus d’interconnexions dans ce cadre. À combien évaluez-vous les interconnexions supplémentaires au regard de cette évolution et de la complexité de la coordination des échanges entre pays ? Nous avons visité avant-hier le site de CORESO à Bruxelles, qui s’occupe de tous les échanges entre les pays. Cela dépend aussi beaucoup des politiques qu’ils mènent et de leur volonté de développer les ENR. Existe-t-il un « delta » positif entre le besoin de suréquipement éventuel en interconnexions et les bénéfices de ce développement en termes de sécurité et d’économies dans la réalisation d’équipements ? Autrement dit, quel est le « delta » en matière de coût en ce qui concerne les interconnexions ?

S’agissant de la production centralisée et décentralisée et de l’articulation dans ce domaine, vous avez fait état d’une attention particulière à la question de la péréquation : RTE se doit aussi de veiller à son respect. Si l’on n’y prête pas suffisamment garde, pourrait-il y avoir un déséquilibre entre la production centralisée et celle décentralisée, c’est-à-dire une mauvaise articulation génératrice de surcoûts ?

Pour ce qui est de l’effacement et de l’interruptibilité chez les industriels, considérez-vous que la rémunération est suffisante à ce stade ? On sait qu’il coûte vraiment très cher d’importer quand on en a besoin. L’effacement et l’interruptibilité sont rémunérés toute l’année même si l’on ne s’en sert pas, mais cette rémunération est-elle suffisante ? Si elle était plus élevée, ferait-on par ailleurs des économies ?

Concernant les STEP, vous avez considéré qu’il n’y a pas beaucoup de potentiel en France pour en développer davantage ; néanmoins, il y en reste un peu. Considérez-vous qu’il faut aller dans cette direction ? L’hydroélectricité n’est pas suffisamment évoquée dans la PPE, ou en tout cas elle semble le parent pauvre des énergies renouvelables.

M. le président Julien Aubert. Ces questions étaient très riches. Je suggère d’aller droit au but, comme on dit dans la deuxième ville de France (Sourires).

M. François Brottes. Je remercie Mme Battistel pour ces cinquante questions… (Sourires). J’imagine qu’elle acceptera des réponses un peu synthétiques.

S’agissant du rapport que nous venons de remettre, à la demande du Gouvernement, sur les hypothèses-tests concernant les délais, les retards d’ouverture de Flamanville et Landivisiau, les interconnexions et d’autres sujets encore, je vous renvoie à la conférence de presse du ministre et à notre rapport lui-même, qui est en ligne. Nous avons dit clairement quels sont les champs du possible et ceux de l’impossible. C’est un travail d’objectivation complète et très rationnelle de ce qui peut se passer dans telles et telles circonstances. Nous avons fait cet exercice. Comme il existe toute une série d’hypothèses, je ne vais pas les développer ici – je n’en ai pas vraiment le temps. Le rapport, je le redis, est en ligne et accessible à tous, puisque nous sommes un service public.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Qu’en est-il des coûts ?

M. François Brottes. Nous avons d’abord travaillé sur les circonstances dans lesquelles on peut être garant au plan national, et pas seulement dans la région Ouest, du maintien de l’équilibre du réseau, ou non. Mais on peut aussi parler des coûts : je vous ai montré que l’on chiffrait des choses. Je voudrais d’ailleurs corriger une bêtise que j’ai dite tout à l’heure sous serment : le montant de 1,8 milliard que j’ai évoqué ne correspond pas au coût d’un parc. Nous n’avons pas le droit d’en savoir le coût, car il est soumis au secret des affaires. Il s’agit, en réalité, du cumul de ce tout ce que nous coûte le raccordement. Je préfère donc corriger : cela m’évitera d’aller en prison pour cause de mensonge devant une commission d’enquête (Sourires).

Le premier point n’est pas tant le prix que les circonstances dans lesquelles on est capable de maintenir le service. J’ai l’immodestie de penser que je préside une entreprise dont tout le monde a besoin dans l’ensemble du territoire, 24 heures sur 24. Cela crée des obligations. Il y a des coûts, bien sûr, mais le rapport vise d’abord à dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Il y a tout de même quelques éléments chiffrés.

S’agissant des interconnexions et de la complexité des échanges, merci d’être allé voir CORESO. Nous sommes un des membres fondateurs de CORESO et son directeur est un salarié de RTE. CORESO travaille à une concertation permanente entre les « mix » électriques dans l’Europe de l’Ouest afin d’anticiper un manque de vent ici, un manque de soleil là, ou la fermeture ponctuelle d’un parc nucléaire. Ce travail nous permet de mieux comprendre ce qui va se passer et donc de mieux gérer en temps réel. Heureusement qu’il y a des interconnexions pour permettre une anticipation mutualisée.

Vous avez évoqué le coût des interconnexions. Oui, une interconnexion coûte cher. Nous sommes en train de lancer une interconnexion entre Bordeaux et Bilbao ou à peu près, qui passera par le Golfe de Gascogne, pour un coût d’environ 2 milliards d’euros ; on en est au stade de l’appel d’offres Il y a aussi un projet de 550 kilomètres entre l’Irlande et la Bretagne qui devrait coûter 1 milliard d’euros. Nous sommes en train de terminer une interconnexion de 190 kilomètres entre l’Italie et la France, à peu près dans la même fourchette de prix. Par ailleurs, nous construisons une nouvelle interconnexion entre le Royaume-Uni et la France – les électrons font peu de politique. On raccorde et on est assez content, de temps en temps, d’avoir des solutions de secours chez les Suisses, les Britanniques, les Espagnols, souvent, ou les Allemands, beaucoup – l’électricité chez eux coûte parfois moins cher, pour des raisons sur lesquels je reviendrai si vous m’interrogez.

L’Europe fait obligation aux États d’avoir un pourcentage d’interconnexion par rapport à leur production. Le premier motif invoqué est de rendre fluide le marché. Il est vrai que plus il y a d’acteurs qui peuvent jouer sur le marché de l’électricité, plus il y a d’interconnexion possible, et que moins l’intermittence ou la variabilité des renouvelables est grande – je pense à l’éolien –, plus il y a d’interconnexion aussi. Comme il y a toujours du vent quelque part, on est sûr qu’il y a quand même de l’énergie « intermittente » dans le réseau. Il y a aussi la solidarité entre les pays : certains ont une production un peu en deçà de leurs besoins, et heureusement que les interconnexions sont là.

Est-ce cher ou non ? Comme vous l’avez dit, monsieur le président, la CRE, c’est-à-dire le régulateur, regarde la situation et s’investit beaucoup dans la négociation. Nous avons obtenu de la Commission européenne une subvention de 572 ou 576 millions d’euros pour l’interconnexion avec Bilbao : la Commission a considéré que c’était un acte très important de solidarité avec la péninsule ibérique, à savoir l’Espagne et le Portugal. Il y a à la fois des coûts réels, une volonté politique et une réalité, sur le plan technique et sur celui de la solidarité, sans laquelle on aurait du mal à faire évoluer nos « mix » énergétiques. Même nous, qui sommes le plus grand exportateur d’Europe, nous avons vraiment besoin des autres de temps en temps. Quel est le prix à payer d’un black-out ? C’est aussi une question que je pourrais vous renvoyer.

L’interruptibilité est-elle suffisamment rémunérée ? Soyons prudents : cette audition est publique et peut-être la regarde-t-on à la Commission européenne… On a reproché à la France d’avoir un dispositif qui peut ressembler à une aide d’État. Vous connaissez l’antienne… J’ai même appris que certaines institutions françaises estimaient, lors d’auditions que vous présidiez, madame Battistel, que c’était peut-être cher payé – à l’inverse de ce que vous avancez, pour votre part – au motif que les performances en termes d’économies d’énergie ne seraient pas à la hauteur de la somme versée. Pour avoir été un peu l’auteur de ce méfait dans une vie antérieure, sur le plan législatif, je voudrais faire un rappel : cette pratique existe dans la totalité des pays européens, notamment l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, dans des proportions financières souvent plus importantes.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous préciser, pour l’éducation de tous les membres de cette commission ?

M. François Brottes. Afin de ne pas dire une bêtise, je préfère vous envoyer une note. J’avais d’ailleurs eu beaucoup de mal, à l’époque, à connaître les prix. Tout cela est un peu compliqué… Il doit rester quelques archives à la commission des affaires économiques, auxquelles je vous renvoie.

Cette contestation nous a amenés à plaider, à RTE, qu’il s’agissait plus d’un pré-délestage que d’une interruptibilité. En gros, on déleste des industriels qui sont d’accord pour l’être plutôt que des citoyens qui n’ont rien demandé. Quand on est un peu ric-rac au niveau de l’offre et de la demande, il ne nous reste plus qu’à couper le courant de 20 % des consommateurs d’électricité. Nous avons dit à la Commission européenne qu’il valait mieux délester des gens qui ont donné leur accord plutôt qu’aller embêter des Européens qui n’ont rien demandé.

Cela concerne vingt et un sites, ce qui n’est pas beaucoup, pour à peu près 90 millions d’euros. Est-ce suffisant ? Les industriels diront que non, la Commission que c’est beaucoup trop. La preuve est faite en tout cas, et nous n’avons pas forcé le trait, que cela peut être très utile.

La contrainte, rappelons-le, dure entre 1 et 5 secondes ; mais on coupe sans prévenir. Je voudrais le rappeler à ceux qui se sont exprimés sur ce sujet sans forcément connaître les détails, devant la mission que vous coprésidiez, madame Battistel : cela suppose d’adapter son mode de production industrielle pour être sûr que l’interruption soudaine du process ne crée pas de casse. Ce n’est tant un travail visant à économiser de l’énergie qu’à préserver l’outil industriel. On a expérimenté ce dispositif : il y a eu quelques « bobos » chez un industriel, mais lui-même a reconnu qu’il n’avait peut-être pas pris toutes les précautions nécessaires. En tout cas, c’est extrêmement pratique d’avoir un tel dispositif sous la main : c’est presque l’équivalent d’un réacteur nucléaire et demi. On ne peut certes pas interrompre pendant trois heures, mais dix minutes, vingt minutes, une heure tout au plus. Ou alors, il faudrait trouver un autre système et cela renchérirait considérablement les coûts. Je suis, en tout cas, très partisan de ce dispositif car il est très utile et il aide beaucoup à la sérénité.

Il n’est pas dans la culture des équipes de RTE de couper. C’est d’ailleurs un automate qui le fait. Il ne s’agit pas d’un acte humain, car on n’a pas le temps de faire un brain storming ou une réunion pour gérer le problème des 50 Hz : si on ne réagit pas en trois secondes, on est sûr d’avoir une catastrophe. Cela se fait automatiquement, en fonction de réglages préétablis, et cela a montré son utilité.

Je ne répondrai donc pas vraiment à la question de savoir si la rémunération est assez élevée. Sans doute faudrait-il la revaloriser si l’on demandait des arrêts plus longs.

Mme Laure de La Raudière. Je voudrais vous poser une question sur l’éolien terrestre. Avez-vous mesuré l’impact, pour les investissements, des raccordements récents qui sont à la charge de RTE, voire des producteurs – puisque, in fine, ce sont les Français qui vont payer, soit par le biais d’une taxe, soit par le prix de l’électricité –, du fait de l’absence de toute planification territoriale pour l’installation des éoliennes terrestres ? Elles s’implantent là où les promoteurs trouvent un accord avec les maires, les agriculteurs ou les propriétaires fonciers, là où il y a du vent, bien sûr, mais pas en fonction de l’organisation du réseau.

Je pose cette question pour deux raisons. D’abord, nous avons supprimé les zones de développement éolien (ZDE), qui permettaient d’avoir une certaine planification. Ensuite, l’acceptabilité sociale de l’éolien terrestre est devenue nulle, compte tenu des pratiques des promoteurs. C’est un peu l’anarchie dans nos territoires. Plusieurs grands élus, comme Dominique Bussereau et Xavier Bertrand, ont lancé des alertes sur ce sujet. J’aimerais savoir combien coûte réellement le raccordement de tous ces petits projets éoliens dans l’ensemble du territoire – qu’ils soient supportés par RTE ou par les producteurs, dans la mesure où, au bout du compte, ce sont tout de même les Français qui paient.

M. François Brottes. Comme je l’ai indiqué, le raccordement coûte 300 millions d’euros sur un montant total de 3 milliards. J’ai également indiqué le coût des quotes-parts et le coût qui revient à RTE.

Mme Laure de La Raudière. Ma question n’est pas celle-ci, monsieur le président. Quelle est l’incidence de l’absence de planification directoriale ? À quel pourcentage s’élève le surcoût ?

M. François Brottes. Je regrette de devoir vous contredire, madame la députée : tout cela est bel est bien planifié. Les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) définissent les zones dans lesquels des parcs éoliens peuvent ou non être implantés. Aucune installation n’est possible là où le schéma interdit l’implantation d’éoliennes. De même, lorsqu’une commune ou une communauté de communes refuse la présence d’une installation classée sur une partie de son territoire, elle a la main pour interdire l’implantation d’éoliennes. En clair, les territoires ne sont pas empêchés d’émettre un avis – je le précise car cette question suscite parfois un peu d’hypocrisie.

Mme Laure de La Raudière. Je ne suis pas sûre que le SRADDET soit un document d’urbanisme opposable et suffisamment élevé dans la hiérarchie des normes. Ensuite, il n’est pas possible, en instruisant un plan local d’urbanisme (PLU), d’interdire l’éolien sur la totalité du territoire d’une collectivité. C’est la situation qui prévaut aujourd’hui. Même si tel n’était pas le cas, il n’y a aucune planification : nombre de PLU sont mis en œuvre sans même que la question de l’éolien ne soit abordée par les élus sur le plan local, souvent par méconnaissance. Concrètement, il n’y a donc pas de planification.

M. François Brottes. Sous réserve de vérification, les zones que le SRADDET ne désigne pas parmi celles qui peuvent accueillir de l’éolien ne le pourront pas – car dans le cas contraire, ces schémas régionaux ne serviraient à rien. Selon moi, ils sont prescriptifs. Cela étant, ils portent sur des zones assez larges et n’entrent pas dans le détail. C’est lors de l’élaboration des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3RENR) que nous effectuons avec le distributeur l’examen détaillé de la liste des projets pour déterminer s’ils sont raccordables, dans quels délais et à quel prix. Autrement dit, RTE encourage la mutualisation et la responsabilisation, grâce au calcul des quotes-parts. Les projets délirants, très coûteux et difficiles à raccorder au réseau, par exemple, sont freinés naturellement. Pour nous, la planification est obligatoire ; sans elle, nous ne pouvons pas accueillir les projets sur le réseau. Cette planification se fait dans un cadre respectueux du SRADDET pour éviter toute approche désordonnée.

En ce qui concerne les PLU, il ne s’agit pas de plans interdisant globalement l’éolien ; il peut néanmoins être prévu d’interdire les installations classées dans certaines zones de développement économique, dont les éoliennes, mais pas seulement. En clair, les territoires ont la main tout à la fois grâce aux SRADDET et grâce aux PLU. S’y ajoute le S3RENR – c’est le préfet, de mémoire, qui valide le montant de la quote-part. Le processus est donc sous contrôle de manière à ce qu’il ne soit pas fait tout et n’importe quoi. En tout état de cause, je ne saurai laisser dire que l’anarchie complète prévaut.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Les élus sont-ils consultés même lorsque les installations sont en deçà d’une certaine taille ?

M. François Brottes. Les SRADDET autorisent ou interdisent ; le critère du volume n’intervient pas.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Concrètement, comment envisagez-vous la coordination entre le SRADDET et le S3RENR ?

M. François Brottes. Mon avis – que ne partagent pas toujours les professionnels – est qu’il ne faut pas se passer de l’implication des élus. Nous peinons déjà à faire accepter les installations au niveau local ; certains, de surcroît, souhaitent la suppression des SRADDET. Nous faisons une proposition différente : il faut maintenir les SRADDET, qui ont leur importance dans la hiérarchie des normes puisqu’ils ont été instaurés par la loi.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Ils ne sont pas prescriptifs.

M. François Brottes. Lorsqu’un SRADDET ne prévoit pas de possibilité d’installation à tel endroit, alors l’installation n’est pas possible. Certes, le SRADDET ne prescrit ni le nombre de gigawatts ni la localisation exacte des installations, mais il identifie dans le territoire des endroits où l’implantation d’unités de production d’énergies renouvelables est possible et d’autres où elle ne l’est pas. Encore une fois et sous réserve de vérification, il n’est donc pas possible d’en implanter sans l’autorisation prévue dans le SRADDET. J’espère pouvoir vous confirmer rapidement ce point important.

Mme Laure de La Raudière. Très important !

M. François Brottes. Dans le cas contraire, à quoi servirait-il d’établir des SRADDET ?

Mme Laure de La Raudière. Rappelez-vous nos échanges de 2014, monsieur le président Brottes : à l’époque, vous affirmiez que les schémas de cohérence territoriale (SCOT) protégeaient les territoires dans lesquels ils n’autorisaient pas l’installation d’éoliennes mais, dans la hiérarchie des normes ; or ce n’est pas le cas.

M. François Brottes. Malgré tous mes efforts, il peut m’arriver de dire des bêtises… Les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUI), pour ne pas parler des SCOT, peuvent désigner des zones dans lesquelles l’implantation d’installations classées n’est pas autorisée ; ils sont à la main des élus et cette réalité n’a pas changé. Nous avons deux possibilités de modifier la décision mais tous les recours possibles et imaginables ouvrent la voie aux procédures les plus dilatoires… De ce fait, il est beaucoup plus rapide de fermer un parc que d’en ouvrir un. Nous faisons face à une baisse potentielle de 18 gigawatts et si nous ne trouvons pas rapidement des solutions de rechange, nous ne pourrons pas compter que sur les interconnexions – mais je ferme cette parenthèse déjà ouverte tout à l’heure.

Quant aux S3RENR, ils servent à dire le possible, à quelle vitesse et à quel prix. Nous faisons donc la proposition suivante : pendant que les élus régionaux se penchent sur l’élaboration du SRADDET, contribuons-y au moyen du S3RENR afin qu’ils mènent une réflexion politique sur le champ des possibles qui soit au moins compatible avec le champ des probables. Aujourd’hui, au contraire, le SRADDET est élaboré avant le S3RENR ; cela ne me semble pas pertinent. Nous plaidons pour la concomitance des deux documents et j’invite le législateur à aller dans le même sens. Ce faisant, nous commencerions par livrer le champ des possibles sur le plan technique, et nous en saisirions la région afin qu’elle ait une base de réflexion. Elle mènerait ensuite son travail politique dans le cadre du SRADDET et livrerait son avis, suite à quoi nous reprendrions la main pour élaborer un S3RENR compatible avec les décisions de la région. Tout porte à croire qu’une fois alertée sur la faisabilité technique des projets, la région ne se contente pas d’une réflexion politique uniquement virtuelle – il est difficile de raisonner sans réseau technique implanté.

Mme Véronique Louwagie. Vous nous avez indiqué le montant des investissements nécessaires pour mettre en place les ouvrages de production d’énergie renouvelable, mais vous avez également dit que plus la production est décentralisée, plus le réseau de distribution est utilisé. Outre les investissements initiaux, existe-t-il un surcoût d’utilisation lié à la décentralisation croissante de la production ?

D’autre part, vous nous avez tendu une perche en indiquant que les coûts sont moindres en Allemagne. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. François Brottes. Permettez-moi d’abord de confirmer à Mme de La Raudière que les schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) n’étaient pas prescriptifs ; en revanche, les SRADDET le sont.

Mme Laure de La Raudière. Ou le seront !

M. François Brottes. Un SRADDET adopté est prescriptif.

Mme Laure de La Raudière. Peut-être, mais aujourd’hui c’est l’anarchie : ces documents n’existent pas !

M. François Brottes. La décentralisation progressive de la production, madame Louwagie, sollicite davantage le réseau de transport, et non de distribution. Autrefois, le réseau de transport servait à acheminer depuis les grands centres de production vers les réseaux de distribution une énergie que l’on n’avait pas en local. Aujourd’hui, cette logique s’inverse à mesure que se développe la production décentralisée. C’est donc un nouveau métier.

Mme Véronique Louwagie. Y a-t-il un surcoût ?

M. François Brottes. Les contraintes nouvelles génèrent forcément un surcoût, encore que : lorsque certaines centrales de production historiques manquent à l’appel, les productions locales sont bien utiles pour s’y substituer ! Dès lors que l’on dégrée certains moyens de production, parce qu’ils sont polluants ou vieillissants, il est très utile de disposer d’une production décentralisée pour prendre le relais. Le réseau s’adapte ensuite pour maintenir son équilibre. Il faut donc dresser un bilan coût-bénéfices en tenant compte de l’évolution des productions, y compris les plus traditionnelles. Je ne peux guère vous répondre que ceci : des adaptations au réseau sont nécessaires mais les choses seraient sans doute pires autrement.

Mme Véronique Louwagie. Résumons : il y a un surcoût mais il est nécessaire.

M. François Brottes. Oui, à ceci près que nous ne pouvons plus raisonner comme il y a vingt ans à partir du parc traditionnel existant. Il y a effectivement un surcoût, mais il aurait sans doute été supérieur sans cette adaptation.

Mme Véronique Louwagie. Qu’en est-il des coûts en Allemagne ?

M. François Brottes. Il arrive que le secteur éolien allemand paie pour que nous absorbions sa surproduction ; c’est l’effet de marché. Le fonctionnement des interconnexions repose sur deux facteurs : le premier tient au fait que certains pays, comme la France, sont en déficit de production pendant dix à vingt jours par an, lors des pics. Deuxième facteur : l’énergie est moins chère ailleurs. Je vous renvoie à la rubrique « éco2mix » du site internet de RTE, qui présente l’état en temps réel des échanges et indique le prix de l’électricité dans chaque pays. Les acheteurs achètent ensuite l’électricité là où elle est la moins chère.

La question du prix fait débat : poids du charbon, subventionnement des énergies renouvelables – un argument qui a du sens… Pour toutes ces raisons, la France importe souvent de l’électricité en provenance d’Allemagne.

M. le président Julien Aubert. Revenons aux chiffres et soyons clairs, monsieur le président. Vous avez indiqué que le surcoût lié aux énergies renouvelables pour 2019-2022 s’élevait à 2,1 milliards d’euros, dont 1,2 milliard au titre de l’éolien en mer et 300 millions sont remboursés par les producteurs. Le surcoût total des énergies renouvelables pour cette période s’élève donc à 1,8 milliard. Cependant, vous avez évoqué un autre montant de 1,8 milliard qui correspond au raccordement d’un parc éolien.

M. François Brottes. Ce montant de 1,8 milliard couvre la totalité du coût lié aux ENR.

M. le président Julien Aubert. Soit, les choses sont claires. Reprenons : l’éolien en mer représente 1,2 milliard sur un total de 2,1 milliards et, partant du principe que les producteurs de ce secteur remboursent à RTE à peu près dans les mêmes proportions que les autres, le surcoût de l’éolien en mer doit donc s’élever à environ 1 milliard, selon une règle de trois des plus basiques.

M. François Brottes. Non, ce n’est pas le cas.

M. le président Julien Aubert. Autrement dit, le montant de 1,2 milliard qui correspond à l’éolien en mer est un coût brut, sans remboursement aucun. Résumons : sur un surcoût total de 1,8 milliard lié aux ENR, 1,2 milliard provient de l’éolien en mer. Est-ce le cas ?

M. François Brottes. Oui.

M. le président Julien Aubert. Très bien. Ma deuxième question découle de la première : au-dessus de 5 mégawatts, la prise en charge du raccordement, nous avez-vous dit, incombe à l’opérateur d’ENR, ce qui représente 94 % des unités de production. Qu’en est-il du surcoût de 1 milliard pour l’éolien que nous venons d’évoquer ? D’autre part, l’éolien en mer n’est pas pris en charge par l’opérateur mais quid des autres éoliens ?

M. François Brottes. En ce qui concerne les parcs d’une puissance supérieure à 5 mégawatts, l’opérateur supporte 100 % des coûts de raccordement. Pratiquement 95 % des parcs éoliens et 33 % des parcs photovoltaïques sont dans ce cas de figure ; les autres n’y sont pas et paient en gros 40 % des coûts de raccordement au lieu de leur intégralité.

M. le président Julien Aubert. Autrement dit, les 5 % de parcs éoliens dont l’opérateur ne couvre pas la totalité des frais de raccordement génèrent 1,2 milliard d’euros de surcoût pour le seul éolien en mer et sans doute une autre part pour l’éolien terrestre.

M. François Brottes. Ils remboursent 300 millions sur un total de 2,1 milliards.

M. le président Julien Aubert. Certes, mais ce montant de 300 millions englobe l’éolien en mer, l’éolien terrestre et le photovoltaïque. Quelle est la part de chacun de ces trois secteurs ?

M. François Brottes. Je ne peux vous faire une réponse improvisée sur ce point ; je vous adresserai une réponse écrite. Je sais néanmoins avec certitude que la plus grosse part de ce montant est assumée par l’éolien.

M. le président Julien Aubert. Il reste néanmoins une charge importante pour RTE.

M. François Brottes. Oui. Mais il y a une question que vous ne me posez pas, monsieur le président : a-t-il fallu ou faut-il encore adapter le réseau aux autres sources de production d’énergie, et combien cela a-t-il coûté ? Vous seriez sans doute surpris par la comparaison.

M. le président Julien Aubert. Je n’avais pas cette question à l’esprit. Pour comprendre la transition énergétique, cependant, on raisonne souvent en coûts de production. Il faut aussi rappeler que les choix qui sont faits ne se fondent pas seulement sur le critère de la production mais aussi sur celui de l’organisation. Toute la difficulté consiste à identifier les surcoûts générés par la modification de l’organisation électrique. Pour 2019-2022, ce surcoût est de 600 millions d’euros par an, mais il risque d’augmenter à court terme en cas d’amplification de l’éolien, comme le prévoit clairement la PPE.

Ma deuxième question porte sur l’évolution du prix de sortie de l’éolien en mer ou de l’éolien terrestre. J’ai cru comprendre que ce coût ne tient pas compte du fait qu’en « turpant » une partie des coûts, on les transfère de la production vers le transport. Autrement dit, le « turpage » de l’éolien en mer, notamment à Dunkerque, se traduit par un meilleur ratio économique pour les opérateurs. Sans trahir votre pensée, j’ai également cru comprendre qu’en réalité, le provisionnement du démantèlement n’est pas inclus dans le coût de production puisqu’il est décalé à trois années avant la fin de la concession. En clair, la construction d’un parc à 60 euros par mégawattheure n’engage pas sur le démantèlement et que le « turpage » d’une partie du coût a permis d’alléger la facture. Est-ce bien le cas ?

M. François Brottes. Je n’ai pas connaissance du coût de production. Vous avez néanmoins raison de rappeler que le coût de raccordement – voire celui de la plateforme – est « turpé ». C’est donc au titre de ce tarif d’utilisation qu’est assumé le coût de cette partie du démantèlement, qui n’incombe donc pas au producteur – lequel a tout de même à sa charge le coût du démantèlement du parc, étant précisé qu’il l’intègre certainement dans sa demande de tarif.

J’entends votre raisonnement et je connais l’objectif de cette commission. Vous aurez néanmoins à cœur de vous pencher sur cette question : avons-nous besoin des ENR alors que nous dégréons des moyens polluants ou traditionnels qui ne sont plus au rendez-vous ? Je maintiens ce raisonnement que j’ai tenu en début d’audition. Le raisonnement en termes de coût doit tenir compte du coût dans son ensemble.

On nous dit que l’interruptibilité coûte 90 millions d’euros, mais ce coût est couvert par le tarif. Autrement dit, ce sont en partie les ménages qui paient cette disposition. À ceux qui s’en choquent, je réponds que si les industriels disparaissent ou cessent de rendre ce service, le coût résiduel sera le même et les ménages paieront encore plus ! Il faut donc accepter cette mutualisation.

Si nous n’avions pas les ENR, en particulier l’éolien en mer dont le facteur de charge, de l’ordre de 45 %, est significatif – et en faveur duquel je plaide car il me semble que nous en avons besoin – et que nous dégréions dans le même temps les énergies carbonées, c’est toute l’économie d’ensemble qui s’en trouverait menacée. Je ne peux me substituer à votre commission et mon propos porte sur le raccordement, mais je me dois de vous encourager à adopter une approche d’ensemble.

M. le président Julien Aubert. Nous nous y employons, comme cela a été fait à propos d’autres énergies.

Ma question suivante porte sur l’objectif. Vous aviez été en première ligne de l’élaboration de la loi de transition énergétique, qui a notamment modifié les objectifs de la politique énergétique. L’article L. 100-4 du code de l’énergie prévoit que la politique énergétique vise entre autres à « réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Lors de son audition devant cette commission d’enquête, le président de la commission de régulation de l’énergie nous a déclaré d’emblée que le développement des énergies renouvelables ne poursuivait pas un objectif carbone. Vous avez quant à vous parlé de sécurisation du réseau. Pensez-vous que tous ces investissements visent encore un objectif carbone, ce qui justifiait un surcoût, ou que d’autres dimensions ont pris le pas sur cet objectif initial prévu dans la loi relative à la transition énergétique et qu’il est désormais plutôt question de s’adapter à l’évolution du marché de l’électricité et de sécuriser les réseaux ?

M. François Brottes. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut toujours se fixer des objectifs ambitieux car le volontarisme aide à trouver une trajectoire.

M. le président Julien Aubert. C’est en effet ce que disait le général de Gaulle ; je ne peux donc que plussoyer…

M. François Brottes. Cela tombe bien : j’ai beaucoup de respect pour le général de Gaulle. Cela étant, il est tout aussi vrai qu’il est rare d’atteindre les objectifs que l’on se fixe, quel que soit le domaine concerné.

J’ai indiqué tout à l’heure que la fermeture des centrales à fioul et à charbon représentait un potentiel de 13 gigawatts, à quoi s’ajoutent cinq tranches de centrales à charbon, soit 3 gigawatts supplémentaires. Ce sont donc bien 16 gigawatts de production très carbonée qui disparaissent. Je vous ai également dit que nous étions dans une situation de plus grande vulnérabilité pour deux raisons : non seulement ces unités appelées à fermer représentent un volume de production significatif, mais elles se caractérisaient par un facteur de charge de 100 %, ce qui n’est le cas ni du nucléaire, où il est de l’ordre de 70 % à 80 %, ni des ENR où il est très variable. Enfin, aux yeux du gestionnaire du système électrique, les centrales au fioul ou au charbon sont extrêmement pratiques dans la mesure où elles peuvent être déclenchées très rapidement et fournir un service dans les meilleurs délais. RTE n’a naturellement pas d’autre obligation que d’adhérer à la politique nationale en matière énergétique et je comprends parfaitement le souci de décarboner, mais la décarbonation suppose, en plus des mesures d’efficacité énergétique, que certaines ENR soient au rendez-vous. C’est ainsi que j’ai commencé mon propos, car telle la situation à laquelle nous sommes confrontés.

M. le président Julien Aubert. C’est pourquoi je vous posais la question. Au fond, n’y a-t-il pas deux phases dans cette transition ? La première consiste à fermer des centrales à fioul ou à charbon et à les remplacer par de l’énergie intermittente qui garantit la décarbonation, ce qui génère un coût lié à la modification du réseau qu’il faut mettre en regard de l’objectif carbone. Dans un deuxième temps, une fois les énergies les plus carbonées remplacées par du nucléaire – donc de l’énergie décarbonée –, le calcul économique est-il le même dès lors que l’objectif carbone a disparu ?

M. François Brottes. Ce que je sais, c’est que la construction d’une nouvelle centrale thermique ou nucléaire génère un coût de raccordement. Nous sommes bien placés pour savoir que quel que soit le mode d’énergie choisi, il faudra un raccordement au réseau. Il faut ensuite faire des comparaisons : les montants comparés, que je tiens à votre disposition, sont assez raisonnables.

M. le président Julien Aubert. Je suis preneur, en effet, des coûts de raccordement des parcs éoliens maritimes et terrestres comparés à ceux d’une centrale nucléaire.

Ma dernière question porte sur la notion intéressante de taux de refoulement qui, en fait, est aussi un indicateur de la qualité de la gestion du réseau. L’un des objectifs du développement d’énergies, y compris des énergies intermittentes, consiste à éviter le refoulement. Ou bien l’électricité fonctionnerait-elle comme l’eau : une fois le réservoir vidé, il faut éviter que l’eau soit refoulée dans les canaux ? Je vous vois froncer les sourcils ; permettez-moi donc de préciser ma pensée. Est-il selon vous utile d’examiner les séries longues de ce taux de refoulement qui, encore une fois, pourrait caractériser la qualité de la gestion de l’évolution du système électrique ? Un autre indicateur dont on ne parle jamais, c’est celui de la qualité de la gestion du nucléaire : peut-être faudrait-il évaluer l’efficacité d’un réacteur pour s’adapter aux capacités du réseau. Quoi qu’il en soit, revenons au taux de refoulement : est-ce un bon indicateur ?

M. François Brottes. Je ne crois pas que l’adaptation au réseau soit un motif d’arrêt de réacteur nucléaire… Les réacteurs ne sont arrêtés que pour maintenance ou conformément aux obligations de visites prévues dans les textes en vigueur et imposées par l’Autorité de sûreté nucléaire. Ensuite, l’opérateur maîtrise rarement la durée des arrêts, qui dépend plutôt du contrôleur. Les périodes pendant lesquelles ces arrêts ont lieu peuvent en effet avoir des incidences parfois difficiles sur le réseau. Nous avons vécu un hiver compliqué car Flamanville I et II n’étaient pas au rendez-vous, au point qu’il a fallu réquisitionner la centrale à charbon de Cordemais.

Le terme de « refoulement » n’est pas joli mais je n’y peux rien : c’est le terme consacré pour évoquer les électrons qui quittent le réseau de distribution pour le réseau de transport. Nous sommes chargés de l’équilibre du réseau. Les distributeurs se débarrassent de leurs électrons en trop et les renvoient vers le réseau de transport, ce qui est normal ; il nous revient ensuite de les évacuer en faisant notre propre cuisine. Nous sommes payés pour cela, ce n’est pas un drame. Je vous ai parlé de changement de paradigme puisque la production locale a considérablement augmenté. C’est plutôt un bon signe de la montée en puissance de la production locale ; cela nous oblige certes à conduire un exercice différent, mais ne sommes-nous pas payés pour cela ?

M. le président Julien Aubert. Vous avez parlé d’une hausse de 180 % du taux de refoulement.

M. François Brottes. En effet, entre décembre 2016 et décembre 2017.

M. le président Julien Aubert. Autrement dit, plus la distribution refoule l’électricité, mieux c’est ?

M. François Brottes. Non, mais c’est le signe d’une production décentralisée croissante. Est-ce mieux ? Manquer de production pour répondre à l’offre est ennuyeux, car il faut utiliser toutes les réserves. Mais la surproduction d’électricité pose aussi des problèmes. Ce n’est ni mieux ni pire.

M. le président Julien Aubert. L’objectif n’est donc pas de parvenir à un équilibre neutre sur l’ensemble du réseau.

M. François Brottes. C’est impossible.

M. Vincent Thiébaut. Pour vous résumer, si surcoût il y a par rapport à la diversification des moyens de production et notamment par rapport à la décentralisation de la production, ce surcoût est aussi un investissement sur l’avenir. Deux visions s’opposent : soit on s’arrête à une appréciation banale de ce que coûte l’électricité aujourd’hui sans prévoir l’avenir, soit on adopte, comme toute bonne entreprise, une logique de R&D en se disant qu’il faut investir dans l’avenir et que ce surcoût en fait partie.

La France est un des pays qui utilisent le plus le chauffage électrique. Vous avez évoqué les dix à vingt jours de pic par an. Pensez-vous qu’il faille envisager des alternatives au chauffage électrique, ou bien une politique de rénovation thermique plus offensive permettrait-elle de répondre à ces problématiques de pointe ?

M. François Brottes. Je partage votre analyse sur la nécessité de s’inscrire dans une logique d’avenir, sinon nous y perdrons beaucoup. Le raccordement de Flamanville a été un vrai sujet…

M. le président Julien Aubert. N’hésitez pas à en parler, même si la question ne vous a pas été posée.

M. François Brottes. Le coût de raccordement a été assez significatif. Toute nouvelle production a ses contraintes…

M. le président Julien Aubert. Connaissez-vous le coût du raccordement de Flamanville ?

M. François Brottes. Il a été de 343 millions d’euros, rachat des maisons comprises.

S’agissant du chauffage électrique, nous représentons à nous seuls 50 % de la thermosensibilité européenne. Pendant les pointes de consommation, notamment en hiver, nous sommes très thermosensibles : un degré en moins, c’est automatiquement 2 400 mégawatts en plus, soit la consommation de Paris intra muros.

Je suis mal placé pour prendre position sur le débat « chauffage électrique ou non ». En termes d’investissement, le chauffage électrique est une modalité relativement accessible pour ceux qui construisent les appartements. Je constate également que les modes de chauffage électrique font des progrès significatifs et que, bien que nous soyons très thermosensibles, la consommation électrique n’augmente pas, car nous avons avancé en matière d’efficacité énergétique, y compris avec la RT 2012 dans les nouveaux appartements.

Nous pouvons réaliser des économies significatives sur le chauffage en continuant l’effort d’isolation thermique.

M. Vincent Thiébaut. Ma question ne visait pas à condamner le chauffage électrique, mais à connaître son impact.

M. François Brottes. Entre les grille-pain à l’ancienne sous des fenêtres pratiquement ouvertes et les radiateurs modernes dans un appartement bien isolé, les choses ont bien changé. Quel que soit le mode de chauffage, quand on isole bien, on réalise des économies. Reste que nous sommes très thermosensibles et je pense que cela peut durer.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’ai plusieurs questions complémentaires.

Tout d’abord, vous avez énormément parlé de l’effacement, en vous basant principalement sur les industriels. Or la possibilité de connexion à la smart grid des chauffages des particuliers pourrait dégager des potentiels d’effacement. Pourquoi en avez‑vous moins parlé ? Est-ce parce que c’est encore trop diffus, pas encore en place ? Qu’est-ce qui représente le plus grand potentiel de volume final : les industriels, avec les microcoupures, ou le parc des particuliers, où l’on peut espérer une plus grande souplesse sans risque de voir leur confort de chauffage se dégrader ?

M. François Brottes. Je dis souvent que RTE est l’agrégateur des smarts grids. Cela signifie que, dès l’instant où l’on valorise, en soutien au système et à son équilibre, l’effacement réalisé grâce au pilotage via des smart grids, on fait gagner beaucoup d’argent à ceux qui ont des micro-initiatives. Si l’on utilise cela uniquement pour réaliser des économies d’énergie, on ne parvient pas au retour sur investissement nécessaire. C’est parce que l’agrégation de petits gestes peut apporter au système de la flexibilité, et donc plus de sûreté, que l’on y arrive. Le problème, c’est que si les modèles technique et économique existent, les acteurs ne sont pas là.

Je défends, et cela n’engage que moi, l’idée que le métier d’agrégateur doit être un métier à part entière, alors qu’aujourd’hui tout le monde peut l’être, y compris ceux qui fournissent de l’énergie. Du coup, le choix de vendre de l’effacement plutôt que de la production est réalisé à l’aune de l’intérêt, du business model de l’opérateur, et non de l’intérêt du système. C’est pourquoi j’ai évoqué les appareils électroménagers, le tertiaire, où nous avons des mines d’or d’effacement.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Une des préconisations pourrait être d’obliger à se regrouper en collectifs ?

M. François Brottes. Nous sommes en économie de marché et la loi risquerait de ne pas être validée si elle était trop coercitive… Nous pouvons peut-être encourager.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Autre question : je ne comprends pas très bien la théorie des prix négatifs. Y a-t-il un lien avec la question du refoulement ? Les deux sont-ils liés

M. François Brottes. Si votre production devient surabondante, si cela coûte plus cher d’arrêter vos machines ou si cela doit mettre en péril votre système de production, vous préférerez évacuer votre production, donc la donner, voire payer pour qu’on vous l’évacue… Surtout lorsque tous les systèmes ne sont pas pilotables, comme c’est le cas dans les anciens modes de production éolienne. C’est comme cela que se fabrique un prix négatif.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Dans bien des endroits, on peut brûler de l’énergie à perte. Qu’est-ce qui rend si difficile de libérer l’énergie en trop ? Je ne comprends pas la logique économique derrière le fait de payer pour libérer son énergie.

M. François Brottes. Cela pose plus de problèmes techniques et coûte au final plus cher d’arrêter la production que de la maintenir.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le producteur ne pourrait-il pas mettre en place un sas libératoire ?

M. François Brottes. Avec le stockage, nous aurons demain un potentiel important pour éviter cet écueil. Je suis de ceux qui pensent qu’il aurait fallu dès l’origine associer stockage et production variable, mais ce ne sont pas les choix qui ont été faits. À présent que nous sommes à peu près matures sur les technologies de stockage, ce genre de situation devrait disparaître.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez également évoqué l’acceptabilité et les recours. Vous avez développé plusieurs outils, comme Eco2mix, pour communiquer sur la transparence du modèle. Est-ce pour vous un moyen d’éviter les recours et les coûts qui leur sont liés ?

M. François Brottes. Les coûts liés aux recours sont très élevés ; nous gérons 200 contentieux, des chantiers sont arrêtés, et il faut parfois s’y reprendre à dix fois pour parvenir à nos fins. Qui plus est, nous sommes sanctionnés par le régulateur quand nous dépassons les prix d’objectif ; or le plus souvent nous les dépassons à cause des recours. Cela prend des proportions immenses. Quels que soient les efforts de transparence, et c’est notre métier que de l’être, nous sommes confrontés à des recours dilatoires. Certains sont de bonne foi et quand on nous dit que nous pourrions faire mieux en nous y prenant autrement, nous l’entendons et nous changeons éventuellement les choses, mais d’autres recours sont motivés par un refus de principe et la seule volonté de nous mettre des bâtons dans les roues.

Le temps juridictionnel est très long. Il est tout de même incroyable que, sur le parc offshore, alors que les contrats ont été signés en 2012, aucun recours n’a encore été purgé en 2019. Cela va plus vite pour fermer que pour ouvrir, et ce sera vrai pour n’importe quel autre mode de production : vous avez les anti-hydrauliques, les anti-éoliens, les antinucléaires, et ce sont parfois les mêmes… Et nous, nous nous retrouvons toujours en première ligne, car chaque fois qu’un parc est à raccorder, nous devons faire un poste électrique.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Avez-vous des évaluations du coût de ces recours, liés à la faible acceptabilité, sur le développement des ENR ? On voit des levées de bouclier, par exemple sur la méthanisation, avec des arguments assez faux, comme quand on invoque l’odeur. Le coût administratif de ces blocages très longs est-il chiffré ?

M. François Brottes. Je n’ai pas le chiffre ici, mais il faut chiffrer à la fois le surcoût de travaux, les pénalités, le manque à gagner pour la production et l’équilibre du système, les frais de justice… C’est un chiffrage qui doit être global.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le coût des études, aussi, car il faut relancer des études à chaque fois.

M. François Brottes. Nous nous heurtons aux mêmes problèmes pour le raccordement du CIGÉO pour l’enfouissement des déchets que pour un parc photovoltaïque ou éolien dans l’Aveyron…

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Dans une interview, vous avez déclaré que les interconnexions « donnent la possibilité de mutualiser les moyens de production en faisant fonctionner ceux qui offrent le meilleur prix. Le réseau, colonne vertébrale de l’Europe de l’électricité, permet ainsi de bénéficier d’une électricité plus économique, plus sûre et moins carbonée. » On est donc sur le triptyque « économique », pour que cela coûte moins cher, « plus sûre », pour la fiabilité, et « moins carbonée », car, grâce au système européen de répartition, on ne déclenche les outils les plus carbonés qu’en dernier recours. Est-ce un peu cela, l’idée ?

M. François Brottes. C’est l’idée et, comme je l’ai dit, cela réduit l’intermittence ou la variabilité. Dans l’éolien, plus les parcs foisonnent, plus ils sont reliés à un réseau, plus il y a de l’éolien tout le temps sur le réseau. Ce n’est pas possible avec le photovoltaïque car il fait nuit à peu près partout en même temps en Europe… Il existe d’excellents rapports de parlementaires européens sur le sujet.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je vous demanderai volontiers leurs noms, pour d’éventuelles auditions.

Sait-on combien cette logique de grille européenne de l’électricité a permis d’économiser en carbone grâce au système de raccordement et à la flexibilité ?

M. François Brottes. C’est un exercice qui reste à faire mais je peux vous garantir que c’est une réussite européenne que d’avoir su mettre en place un réseau électrique maillé. Cela sécurise la montée en puissance du renouvelable et facilite la vie pour se décarboner. J’ai pris l’initiative d’un texte, signé aujourd’hui par treize CEO gestionnaires de transport d’électricité en Europe qui représentent plus de la majorité des gestionnaires de réseaux : ce texte rappelle aux candidats aux élections européennes que les gestionnaires des réseaux de transport sont chargés de la sûreté des systèmes mais pas de la sécurité de l’approvisionnement. Cette donnée est à la main des États et les États ne se parlent pas assez pour coordonner leur mix électrique. Si les choses ne s’améliorent pas sur ce plan demain, nous pourrons nous retrouver en grande difficulté.

M. le président Julien Aubert. Vous nous avez cité le coût de raccordement de l’EPR de Flamanville. Pouvez-vous donner le coût du raccordement d’un parc éolien en mer pour RTE ? Vous avez donné tout à l’heure un coût global.

M. François Brottes. C’est 300 millions, plus le coût du poste, pour une capacité de 500 mégawatts.

M. le président Julien Aubert. Merci, monsieur le président, pour votre disponibilité et vos réponses longues et précises.

Laudition sachève à onze heures cinquante.

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12.   Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard Sauvage, directeur général de GRDF, accompagné de M. Bertrand de Singly, délégué à la stratégie, et de Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles, et de M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, accompagné de M. Philippe Madiec, directeur stratégie et régulation, de M. Anthony Mazzenga, directeur gaz renouvelables, et de Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles (9 avril 2019)

Laudition débute à onze heures cinquante-cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons à présent des responsables de Gaz Réseau de France (GRDF), entreprise qui assure l’essentiel de la distribution de gaz en France et est donc l’équivalent d’ENEDIS pour l’électricité, et de GRTgaz, entreprise responsable du réseau de transport de gaz à haute pression, l’équivalent de RTE.

Il s’agit, pour GRDF, de M. Édouard Sauvage, directeur général, M. Bertrand de Singly, délégué à la stratégie, et Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles, et, pour GRTgaz, de M. Thierry Trouvé, directeur général, M. Philippe Madiec, directeur « stratégie et régulation », M. Anthony Mazzenga, directeur « gaz renouvelables », et Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles.

Le gaz naturel est une énergie fossile, à l’exception des biogaz dont celui issu de méthanisation principalement d’origine agricole. Sa consommation enregistre une croissance soutenue en Europe.

Nous nous sommes aperçus qu’il existait des questions croisées sur l’électricité ; c’est pourquoi nous avons décidé de regrouper les deux auditions pour le gaz, ce qui nous évitera de répéter deux fois les mêmes questions et nous permettra de comparer immédiatement les réponses – même si nous savons que distribution et transport fonctionnent main dans la main.

Vous nous direz quels sont, à grands traits, les caractéristiques et éventuelles spécificités du marché français, notamment le rôle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) – que nous avons également auditionnée – dans le processus de fixation des prix, et en quoi ce marché, lui aussi ouvert à la concurrence depuis 2007, se distingue du marché de l’électricité, dont notre commission a déjà rencontré certains des principaux acteurs et a pu mesurer l’ampleur de sa qualité concurrentielle, qui force l’admiration.

Une différence fondamentale avec l’électricité est que le gaz est une ressource importée à 98 %, la production française restant très faible. Concernant les importations de gaz, nous nous interrogeons sur la part des contrats à long terme avec des pays producteurs et la part acquise par les fournisseurs français, notamment les fournisseurs alternatifs, sur le marché libre ou « spot ». Plus généralement, les liens entretenus par chacune de vos entreprises avec les fournisseurs alternatifs de gaz et, le cas échéant, les questions qui font problème sont susceptibles d’éveiller l’attention des membres de la commission…

Notre commission d’enquête s’intéresse tout particulièrement aux énergies renouvelables (ENR). L’insertion dans les réseaux d’une ENR telle que le gaz issu de la méthanisation est-elle un facteur de perturbation de vos réseaux, particulièrement au niveau des interconnexions européennes ?

Il est utile à la commission d’enquête de connaître ce que coûte l’insertion des gaz renouvelables à vos entreprises en investissements nouveaux. Comment dégagez-vous les capacités de financement vous permettant de réaliser ces investissements et quels sont les coûts programmés pour les années à venir ?

Vos deux entreprises disposeront exactement du même temps de parole qu’Enedis et RTE auditionnées séparément. Vous aurez, messieurs les directeurs généraux, quinze minutes chacun pour un exposé liminaire, que vous pouvez bien sûr partager avec les experts qui vous accompagnent.

S’agissant d’une commission d’enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

(M. Édouard Sauvage et M. Thierry Trouvé prêtent serment.)

Je vous laisse la parole.

M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz. Je voudrais tout d’abord rappeler un certain nombre de fondamentaux qu’il est bon d’avoir en tête.

Premièrement, si l’on consomme en France environ 500 térawattheures d’énergie sous forme d’électricité, on en consomme pratiquement autant – entre 450 et 500 térawattheures – sous forme de gaz. Il y a donc autant d’enjeux à s’intéresser à l’électricité qu’au gaz.

Deuxièmement, puisque vous vous focalisez sur les énergies renouvelables, il est important d’examiner la problématique des énergies renouvelables du point de vue du gaz et pas seulement de celui de l’électricité, d’autant plus que la caractéristique du système gazier est que la pointe de consommation, élément extrêmement important quand on dimensionne un système énergétique, est entre 1,5 et 1,7 fois plus « heurtante » que la pointe de consommation du système électrique. Autrement dit, quand la pointe d’hiver chez RTE atteint 100 gigawatts, – record historique enregistré en 2012 –, nous enregistrons, le même jour, entre 150 et 170 gigawatts si l’on inclut le deuxième transporteur qui existe en France. Il est extrêmement important d’avoir cela en tête : la question de la pointe est cruciale.

Le troisième élément qu’il faut avoir en tête, c’est la question du stockage. Dans le système gazier, nous disposons de stockages souterrains qui permettent de stocker un tiers de la consommation annuelle de la France en gaz, soit l’équivalent d’un tiers de la consommation annuelle en électricité. C’est extrêmement important à un moment où l’on a des problématiques d’intermittence à gérer, avec un certain nombre de nouvelles énergies renouvelables électriques.

Comme vous l’avez dit, le gaz est une énergie fossile. Si l’objectif est de décarboner notre système énergétique, il faut s’intéresser tout particulièrement au secteur du gaz car, alors que le système électrique est déjà largement décarboné grâce au nucléaire, le secteur du gaz utilise encore 99,9 % de gaz fossiles, émetteurs de gaz à effet de serre, même si le gaz naturel est l’énergie fossile qui émet le moins de CO2, comparé au pétrole ou au charbon.

La première idée qui peut venir à l’esprit quand on réfléchit à la manière de décarboner ces 500 térawattheures, c’est de se dire que, puisque l’électricité est largement décarbonée, il suffit de remplacer le gaz par l’électricité pour résoudre le problème. C’est une idée que l’on entend parfois, un peu plus en France qu’ailleurs ; elle a circulé en Europe il y a quelques années mais n’a plus vraiment de succès dans la plupart des États européens et au niveau de Bruxelles. Quand on y réfléchit sérieusement, on s’aperçoit qu’augmenter de manière significative la consommation d’électricité et, du coup, encore plus significativement la pointe de consommation, car il faudrait remplacer la pointe gazière par une pointe équivalente, pose des tas de problèmes.

Beaucoup d’études ont été publiées, avec certes des périmètres différents, parfois ciblées sur certains pays, par exemple l’Allemagne, parfois ciblées au niveau européen. La dernière parue au niveau européen a été réalisée par le consultant Navigant ; on y compare deux situations, l’une dans laquelle on essaye de se passer le plus possible du gaz en le remplaçant par de l’électricité, l’autre dans laquelle on essaie de décarboner le gaz, donc de remplacer le gaz fossile par du biométhane ou de l’hydrogène, et on regarde la différence de coût. La conclusion de cette étude est intéressante : à l’horizon 2050, dans un monde totalement décarboné en gaz et en électricité, selon qu’on a électrifié au maximum ou que l’on a décarboné le gaz, la différence de prix pour la collectivité au niveau européen est de 200 milliards d’euros par an – en ordre de grandeur s’entend. Et cela se comprend : comme je le disais tout à l’heure, si on électrifie tout, il faut remplacer les systèmes de chauffage des gens équipés de chauffage au gaz, probablement renforcer les réseaux électriques de distribution et de transport, revoir le système de production… Tout cela représente énormément de charges additionnelles. Notre message consiste donc à dire que, si l’on veut décarboner l’énergie en France, il faut décarboner le système gazier plutôt que de le supprimer.

Il est intéressant de regarder ce que l’on consacre comme argent à la décarbonation du gaz. En 2018, on y a consacré, par le biais du soutien au biométhane, 64 millions d’euros, une technologie encore relativement peu diffusée, sachant que le gaz, au travers de la taxe carbone qu’il paye pour alimenter le compte d’affectation spéciale (CAS), a contribué l’an dernier à hauteur de 2,2 milliards d’euros.

M. le président Julien Aubert. Ces 2,2 milliards d’euros s’entendent pour le chauffage, le transport et le reste ?

M. Thierry Trouvé. Tous usages, en effet.

Ainsi, seulement 64 millions sur ces 2,2 milliards ont servi à décarboner le gaz ; le reste est consacré en réalité à des énergies renouvelables électriques, c’est-à-dire à décarboner une énergie qui l’est déjà largement. Ne ferait-on pas mieux d’utiliser cet argent à décarboner le gaz en priorité plutôt que de décarboner une énergie qui l’est déjà largement ?

Il faut avoir en tête que le gaz vert amène avec lui un certain nombre d’externalités. Du point de vue du réseau en particulier, c’est une énergie dont la production est stable : contrairement à l’éolien ou au photovoltaïque, on produit toujours la même quantité toute l’année. Qui plus est, elle est stockable : notre système permet, j’en ai parlé, de stocker le tiers de la consommation annuelle, et donc constituer des stocks pour l’hiver pendant l’été. On ne peut donc pas comparer directement le prix des énergies renouvelables électriques et des énergies gaz sur ce simple critère « énergie ».

Le gaz renouvelable, c’est en France aujourd’hui essentiellement le biométhane, par méthanisation, mais d’autres technologies sont en cours de développement : ainsi la pyrogazéification, qui consiste à chauffer des déchets, des combustibles solides de récupération ou des déchets de bois, pour en extraire le gaz. C’est une technologie intéressante, utilisée dès le XIXe siècle et qui revient aujourd’hui de manière plus moderne. Elle devrait venir épauler la méthanisation. Derrière se profile l’hydrogène ; il existe des scénarios dans lesquels l’hydrogène, qui est une molécule non carbonée, vient se substituer partiellement au méthane.

Une des questions que vous avez posées porte sur le coût d’adaptation des réseaux. Là aussi, nous avons une bonne nouvelle : nos réseaux sont largement dimensionnés. Depuis dix ans, à la demande des pouvoirs publics, européens et nationaux, à la demande des utilisateurs de gaz, nous avons énormément investi dans le réseau de transport pour le renforcer et permettre l’ouverture des marchés. Nous avons investi à peu près 6 milliards d’euros en dix ans : ce grand programme, désormais achevé, aura permis de créer, là où l’on avait des petits marchés morcelés, un marché unique du gaz en France, très interconnecté avec les pays voisins.

Pour ce qui est des coûts de raccordement les installations de biométhane, nous sommes, pour donner un ordre de grandeur, sur un rapport dix en moins : autrement dit, parce que notre réseau est puissant, nous estimons que, pour accueillir 30 térawattheures, soit à peu près l’équivalent de 10 % de la consommation de gaz à l’horizon 2030, conformément au projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), il faut, au niveau du transport, à peu près 600 millions d’euros d’investissement jusqu’en 2030. Divisé par une dizaine d’années, vous voyez donc que ce n’est pas énorme : une soixantaine de millions par an. À comparer à l’année dernière, où nous avons mis en service un ouvrage de 700 millions d’euros, qu’il nous a fallu deux ans pour poser et qui a permis de réaliser cette grande fusion et de créer le marché français. L’ordre de grandeur des dépenses de réseaux qu’il faut consentir pour accueillir la production de biométhane est donc bien inférieur aux sommes que nous venons d’investir depuis dix ans dans le réseau afin de permettre l’ouverture des marchés. Cette question est donc pour nous plutôt secondaire.

M. Édouard Sauvage, directeur général de GRDF. Lorsqu’on analyse un système énergétique, il ne faut pas perdre de vue, au-delà de la consommation annuelle, la problématique de la pointe énergétique liée à l’ensemble des usages à un instant T. Or le constat est simple : la pointe hivernale en France est globalement quatre fois plus élevée que la consommation d’été, ce qui pose d’emblée la question du stockage de l’énergie, question d’autant plus cruciale que l’on s’inscrit dans une logique de décarbonation.

Permettez-moi ici une incidente de pur bon sens : si nous avons besoin en France de plus d’énergie en hiver qu’en été, c’est tout simplement qu’il y a moins de soleil en hiver qu’en été… Ce qui, selon moi, donne une idée de ce qui ne peut pas être une solution pour atteindre la décarbonation totale, quand bien même on peut continuer de développer la production d’énergie thermique ou électrique à partir de solaire !

Cette pointe hivernale, il existe différents moyens de l’atténuer, grâce notamment à des opérations d’efficacité énergétique, en particulier dans le secteur du bâtiment. Néanmoins, on ne la fera jamais totalement disparaître pour des raisons évidentes : quelle que soit l’évolution du réchauffement climatique, je ne sache pas que l’orientation de l’axe de la Terre par rapport au Soleil soit susceptible de se modifier dans les prochaines décennies…

Cela étant dit, compte tenu de la part prépondérante du gaz dans l’équilibre énergétique de notre pays, si l’on souhaite décarboner notre consommation énergétique, il est indispensable d’envisager la décarbonation du gaz.

Permettez-moi de vous livrer ici quelques ordres de grandeur, qui illustrent le risque qui existe, au-delà des contraintes de stockage saisonnier, à trop se polariser sur une électrification des usages. Dans les années 2016-2017, la consommation de gaz servant à produire de l’électricité – environ 73 ou 74 térawattheures – a représenté pratiquement la moitié de la consommation de gaz dans le secteur résidentiel, soit 155 térawattheures.

Sachant que le rendement de la production d’électricité à partir de gaz centralisé offre un rendement deux fois moindre que celui de la production d’énergie à partir de chaudières à gaz performantes qui chauffent directement un logement, on aboutit au paradoxe suivant : pour économiser la consommation de gaz dans le pays, il est préférable, en l’état actuel des choses, d’isoler les logements chauffés à l’électricité plutôt que les logements chauffés au gaz… Cette photographie peut évidemment changer dans les années à venir mais, dès lors que l’on parle de réduire au plus vite, et non en 2050, les meilleurs effets de levier se retrouvent dans l’amélioration de l’efficacité énergétique partout, mais tout spécialement dans les usages électriques : on a donc besoin d’un volant très significatif de gaz, y compris en base annuelle, pour faire fonctionner le système électrique.

M. le président Julien Aubert. Pourriez-vous reprendre votre démonstration sur l’isolation et les chaudières ?

M. Édouard Sauvage. Dans un logement, le rendement d’une molécule de gaz utilisée dans une chaudière à condensation est pratiquement de 100 %. Mais si vous la brûlez dans une centrale à gaz pour produire de l’électricité, le rendement tombe à 50 % – les plus performantes, assez minoritaires, ne dépassent pas 60 %. Ce à quoi il faut ajouter les pertes liées à l’effet Joule sur le réseau électrique, même si elles sont assez marginales. Globalement donc, le rendement d’une molécule de gaz est deux fois plus élevé si vous brûlez cette molécule directement dans le logement que si vous la brûlez de manière centralisée dans une centrale électrique.

On sait ensuite que la transition énergétique coûte cher. Pour décarboner, on dispose de deux solutions : soit réduire la consommation, soit décarboner les vecteurs. Toute solution consistant à investir de l’argent pour passer d’un vecteur à un autre n’offrant pas de gain immédiat en termes de bilan carbone, dans un souci d’efficacité de la dépense, qu’elle soit publique ou privée, nous recommandons donc de se concentrer sur les vecteurs existants pour s’efforcer soit de les décarboner efficacement, soit de réduire leur consommation d’énergie, qu’il s’agisse de fioul, de charbon, d’électricité ou de gaz. Mais basculer d’un vecteur à un autre n’est a priori pas de nature à améliorer le bilan carbone.

Enfin, il faudrait développer davantage l’analyse des différentes politiques énergétiques menées en coût par tonne de CO2 ou par tonne de gaz à effet de serre évitées. Or la programmation pluriannuelle de l’énergie ne propose aucun bilan de ce type pour les différentes mesures proposées, qu’il s’agisse du développement des énergies renouvelables
– encore faudrait-il débattre de la répartition prévue entre gaz et électricité renouvelables –, de l’amélioration de l’efficacité énergétique ou des certificats d’énergie électrique (CEE). Certes, ces bilans sont compliqués à réaliser, et il y aura toujours des experts pour débattre de l’opportunité de raisonner en coût moyen ou en coût marginal, mais ne pas les faire est une erreur : c’est la certitude de ne pas opter pour les meilleures politiques publiques.

La seconde erreur consiste à ne pas tenir compte dans le bilan carbone de l’ensemble du cycle de vie d’un produit. Or les données sont connues : on sait, par exemple, que le biométhane, le nucléaire et l’éolien présentent des résultats à peu près similaires, soit une vingtaine de grammes de CO2 par kilowattheure, tandis que le photovoltaïque atteint cinquante-cinq grammes de CO2, dans la mesure où une partie des panneaux solaires est fabriquée dans un pays où le mix électrique est très carboné. Nous plaidons donc pour des débats beaucoup plus soutenus, animés par le ministère ou le régulateur, sur l’impact des politiques menées en termes d’émissions de CO2.

De ce point de vue, sommes convaincus, à GRDF, que le développement de la méthanisation doit être fortement encouragée, et ce pour plusieurs raisons.

Pour commencer, comme l’a rappelé Thierry Trouvé, les coûts d’investissement sur le réseau ne posent pas de problème à proprement parler. Nous avons envisagé, avec l’ADEME, le scénario, extrême en termes d’investissements et en termes d’unités à raccorder, d’une production réalisée en totalité à partir de gaz renouvelable : dans un coût de revient qui tournait autour de 100 euros par mégawattheures, la part liée aux réseaux était de l’ordre de 3 euros… En vérité, l’enjeu est bien davantage dans la production et, comme pour GRTgaz, toutes nos simulations effectuées à partir de l’hypothèse des 10 % de gaz renouvelables à l’horizon de la PPE convergent vers des montants d’investissement stables par rapport à notre niveau actuel, parfaitement en ligne avec nos investissements historiques. En d’autres termes, le fait de disposer d’un réseau efficace et pour partie déjà amorti doit nous permettre de substituer aux investissements de développement du réseau des investissements en faveur de la méthanisation, à coût inchangé pour le consommateur, s’agissant des tarifs d’accès au réseau de distribution.

En ce qui concerne enfin le coût lui-même du gaz renouvelable, la filière prioritaire est évidemment celle du recyclage des déchets, dont nous maîtrisons la technologie, qu’il s’agisse de méthaniser les boues des stations d’épuration, les déchets ménagers putrescibles ou les déchets agricoles, qui représentent 80 % du potentiel de la filière.

Sur ce dernier point, nous avons considéré qu’il fallait associer à nos réflexions aussi bien le Fonds mondial pour la nature (WWF) que la FNSEA ainsi qu’un certain nombre d’associations environnementales, dans la mesure où l’approche de la méthanisation en termes d’impact environnemental est indissociable du développement d’une agriculture durable : non seulement elle permet le recyclage des déchets et favorise donc la réduction des gaz à effet de serre, mais elle a également l’avantage de réduire les engrais azotés, grâce à l’utilisation des digestats. Il est donc essentiel de prendre en compte ces externalités positives lorsqu’on évalue l’intérêt de cette filière par rapport aux autres.

En termes de compétitivité stricto sensu ensuite, elle apparaît également tout à fait compétitive par rapport à d’autres filières renouvelables : selon les chiffres de la CRE, le tarif de rachat du mégawattheure produit est en légère progression depuis une dizaine d’années, il est en diminution pour le photovoltaïque, mais demeure très élevé – autour de 300 euros le mégawattheure, contre 90 euros pour l’éolien ; quant au gaz renouvelable, son tarif de rachat est de 95 euros par mégawattheure, et son coût de production proche de celui de l’éolien.

Il faut bien distinguer ici le coût de production du mégawattheure et sa valeur. Or nous disposons pour le gaz d’infrastructures permettant de le stocker sans difficultés, ce qui fait que, globalement, compte tenu de la flexibilité des réseaux et du fait qu’il est techniquement simple d’installer des compresseurs « rebours » permettant de renvoyer le gaz produit vers le stockage, il est possible de l’utiliser à n’importe quel moment de l’année pour un coût additionnel quasiment minime.

Si le gaz se stocke sans difficulté, on sait au contraire que le stockage de l’électricité renouvelable pose un problème majeur : à titre d’illustration, sur ces six derniers mois, les prix du marché de gros de l’électricité ont varié en France entre 250 euros, à la pointe de dix-neuf heures en novembre, et des prix négatifs, dimanche en huit à quinze heures. On a donc affaire à des prix extrêmement volatils, alors que, pour le gaz, les prix des marchés de gros sont restés stables sur les six derniers mois, entre 15 et 24 euros. De ce fait, le coût de production du gaz correspond peu ou prou à sa valeur, alors que la valeur de l’électrique renouvelable dépendra évidemment du prix de marché au moment de la production. À cet égard, le gaz renouvelable est moins cher aujourd’hui que l’énergie renouvelable dernière génération : l’éolien a légèrement augmenté avec les nouvelles mises en service de 2018.

S’il est donc exact que le gaz renouvelable est plus cher que le gaz importé – 90 euros contre 20 euros –, en revanche, dans l’optique de la décarbonation, il est aujourd’hui tout à fait compétitif par rapport aux renouvelables électriques, a fortiori si l’on prend en compte les externalités positives pour un modèle agricole durable. Nous sommes donc convaincus que c’est cette énergie que les pouvoirs publics auraient intérêt à subventionner le plus largement.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’aimerais que vous reveniez sur la méthanisation, la pyrogazéification et le power to gas, qui représentent respectivement 30, 40 et 30 % des gisements, pour distinguer les avantages et les problématiques propres à chacune des filières.

Par ailleurs, le modèle français présente la spécificité de séparer les fonctions de vente et de distribution du gaz, ce qui n’est pas le cas dans le reste de l’Europe, à croire un article paru dans la newsletter de Batirama : « Dans le paysage européen, GRDF est un objet inhabituel. Louverture à la concurrence des marchés de lénergie a partout séparé les fonctions de vente et de distribution du gaz. Ailleurs en Europe, il existe dans chaque pays une ou plusieurs entreprises dont la mission consiste uniquement à distribuer le gaz pour le compte des vendeurs. ». Comment se justifie cette singularité, quels en sont les intérêts et les contraintes ?

M. Thierry Trouvé. En ce qui concerne les trois filières de production de gaz renouvelable, vos chiffres reprennent ceux de l’étude prospective de l’ADEME parue l’an dernier et axée sur l’hypothèse d’un gaz d’origine verte à 100 % à l’horizon 2050, produit à partir des trois technologies que vous avez citées : la méthanisation, la pyrogazéification et le power to gas.

La méthanisation consiste à récupérer des déchets – boues de station d’épuration, déchets ménagers ou agricoles, voire cultures intermédiaires à vocation énergétique entre deux cultures à vocation alimentaire – et à les faire fermenter dans un méthaniseur pour produire un méthane qui, après épuration, est exactement le même que le méthane d’origine fossile qui circule aujourd’hui dans le réseau. Il s’agit d’une technologie qui, bien qu’elle soit plus récente que l’éolien ou le photovoltaïque, est plus que mûre, puisque les premiers mètres cubes de gaz issus de ce type de méthanisation ont été introduits dans le réseau il y a maintenant sept ou huit ans.

La seconde technologie, la pyrogazéification, n’est pas encore industrialisée à l’heure actuelle mais demeure, en France ou en Europe, au stade de démonstrateurs ou de pilotes, sur lesquels travaille d’ailleurs GRTgaz. Il s’agit pourtant d’une vieille technologie, puisque c’est celle que l’on utilisait dans les usines à gaz. En effet, avant d’utiliser du gaz naturel extrait du sous-sol, la France utilisait du gaz de ville, c’est-à-dire un gaz manufacturé fabriqué dans des usines à gaz. Ces usines utilisaient des matières carbonées – le charbon, puis le pétrole – que l’on chauffait pour en tirer le gaz envoyé dans les réseaux. Dans le cas du gaz renouvelable, la technologie est la même, mais c’est la matière première qui change : au lieu de matières fossiles, on utilise de la matière renouvelable ou des déchets, notamment les combustibles solides de récupération parmi lesquels les plastiques qui posent de vrais enjeux environnementaux, mais également le bois de récupération, dont on ne sait souvent que faire et que l’on enfouit, ce qui est une aberration écologique. Une fois chauffées, ces matières produisent un gaz qui, comme dans le cas précédent, peut être injecté dans les réseaux.

Dans son étude, l’ADEME, évalue à 30 % la part de gaz produit par pyrogazéification en 2050. Pour l’heure, la pyrogazéification est encore en phase de développement, même si certains syndicats de traitement d’ordures ménagères s’y intéressent de plus en plus et envisagent de mettre en place des installations de ce type dans les années qui viennent.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. L’ADEME table sur une production de gaz renouvelable à 100 % en 2050, mais à quel pourcentage en est-on aujourd’hui ?

M. Thierry Trouvé. Aujourd’hui, les quantités de biogaz injectées dans les réseaux sont extrêmement faibles, inférieures à 1 % ; il s’agit uniquement de gaz issu de la méthanisation.

La troisième technologie dont parle l’ADEME dans son rapport, c’est le power to gaz, dont le développement est lié à celui des énergies électriques renouvelables et à de potentiels excédents – c’est déjà le cas dans le nord de l’Allemagne, où certaines éoliennes sont arrêtées la moitié du temps faute de débouchés, le réseau ne permettant pas d’acheminer la production vers les zones de consommation. Il est donc envisagé de transformer cette énergie électrique surabondante en gaz, via une électrolyse de l’eau, qui transforme l’eau en hydrogène et en oxygène, l’hydrogène pouvant ensuite être utilisé doit directement, soit transformé en méthane de synthèse en le combinant avec du CO2 capté soit dans une installation de biométhane, soit à la sortie d’une cheminée d’usine : autrement dit, le procédé est neutre en carbone.

M. le président Julien Aubert. Parce qu’il utilise un CO2 recyclé ?

M. Thierry Trouvé. Exactement. En fait, le CO2 fatal, au lieu d’être rejeté par une cheminée d’usine sera utilisé par combinaison avec l’hydrogène pour la production de méthane qui, en brûlant, dégagera le même CO2, mais de manière différée.

On peut également utiliser l’hydrogène en tant que tel à des fins thermiques, pour produire de l’électricité ou encore dans les transports comme substitut du méthane.

J’ajoute, dans une perspective plus prospective que certains chercheurs travaillent actuellement sur d’autres filières liées au gaz décarboné, notamment chez les gaziers norvégiens, qui ont un projet assez avancé de création d’hydrogène à partir de gaz naturel, le CO2 étant capté et renvoyé vers des gisements souterrains.

Nous-mêmes sommes engagés, avec d’autres acteurs, dans des recherches sur un procédé consistant à casser la molécule de méthane (CH4) avec une torche à plasma, pour obtenir, d’un côté, de l’hydrogène et, de l’autre, du carbone solide, ce qui résout le problème du stockage du CO2, car il est beaucoup plus simple de stocker un solide qu’un gaz.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quels sont les autres acteurs impliqués dans ces recherches ?

M. Thierry Trouvé. Gazprom y réfléchit. Pour ce qui nous concerne, nous travaillons sur une technologie développée par l’École des mines, qui va d’ailleurs être mise en service cette année aux États-Unis. Reste à savoir si elle apporte une plus-value en matière de verdissement des gaz.

M. le président Julien Aubert. Pourriez-vous rappeler les coûts de production pour chacune des trois technologies citées dans l’étude de l’ADEME, car je suppose que les coûts que vous avez donnés tout à l’heure ne concernent que la méthanisation ?

M. Thierry Trouvé. Les deux autres technologies ne sont en effet pas encore opérationnelles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas encore en phase d’exploitation. Cela étant, avec la pyrogazéification, le coût tourne aux alentours de 150 euros le mégawattheure, sachant que le coût du photovoltaïque solaire qui, dans certains cas, descend jusqu’à 50 euros, était à ses débuts de 700 euros le mégawattheure. En matière de gaz renouvelable, nous sommes encore au début des courbes d’apprentissage.

Les coûts du power to gas sont encore supérieurs – aux environs de 200 euros le mégawattheure – sachant, là encore, qu’il y a toujours cette histoire de courbe d’apprentissage ; de surcroît, nous ne sommes pas encore fixés sur ce que sera la technologie gagnante pour l’hydrogène.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pour la méthanisation en revanche, les coûts sont les coûts d’exploitation ?

M. Thierry Trouvé. Oui, ce sont les coûts constatés à partir des installations et du prix de rachat fixé par le Gouvernement et validé par la CRE, sachant qu’en matière de méthanisation aussi, nous avons la perspective d’une baisse des coûts.

M. Édouard Sauvage. Lorsqu’on parle de 95 euros, il s’agit d’un tarif de rachat moyen, puisque, en fonction de la taille des projets et de l’origine des produits méthanisés, ce tarif varie entre un peu moins de 140 euros et un peu plus de 40 euros par mégawattheure : pour une méthanisation en décharge, il est de 40 euros ; pour ce qui concerne de grosses installations, il est au-dessus de 60 euros le mégawattheure. Le calcul du tarif de rachat est remarquablement complexe, car il dépend tout à la fois des intrants utilisés – produits de décharges, de stations d’épuration ou de l’agriculture – et de la capacité de production du méthaniseur.

S’agissant des coûts, j’attire de nouveau votre attention sur le fait que ce ne doit être qu’un facteur discriminant parmi d’autres, car l’essentiel est avant tout le modèle de développement que l’on souhaite privilégier : il est évident, par exemple, que les installations de production développées pour le recyclage de fermes à taille humaine seront plus petites et moins efficaces qu’un méthaniseur unique, adossé à une ferme gigantesque type « ferme des mille vaches » ; elles seront plus appropriées néanmoins au développement d’une agriculture durable.

M. Thierry Trouvé. Dans son étude, l’ADEME a identifié un gisement de pyrogazeification à partir de combustibles solides de récupération dont le coût serait inférieur à 50 euros. Cela rejoint d’autres études européennes, qui convergent vers la perspective d’une baisse des coûts.

M. le président. Mais pour quel volume ?

M. Thierry Trouvé. De mémoire, il s’agit de quelques dizaines de TWh, ce qui représente toujours près de 10 % de la consommation de gaz. Aujourd’hui, aucune technologie n’apporte toutes les solutions pour la transition énergétique.

Mme la rapporteure. La technologie power to gas permet de transformer l’électricité en hydrogène, mais cette transformation entraîne une importante déperdition, c’est bien cela ?

M. Thierry Trouvé. Il y a deux façons de procéder. Si l’on se contente de produire de l’hydrogène, le rendement est de l’ordre de 80 %. C’est assez bon dans le monde de l’énergie : le rendement est de 30 % dans les centrales nucléaires, et de 50 à 60 % pour le cycle combiné gaz.

En revanche, pour faire de la méthanation, donc produire du méthane à partir de cet hydrogène, il faut en passer par une deuxième étape dont le rendement se situe également aux environs de 80 %. La succession de ces deux étapes dégrade le rendement pour aboutir à des niveaux proches du cycle combiné gaz aujourd’hui. Ce sont des rendements acceptables, mais ils entraînent des coûts.

Mme la rapporteure. Donc quel est le rendement au final ?

M. Thierry Trouvé. Avec la méthanation, il est de 60 %. Mais la question de savoir comment utiliser l’hydrogène n’est toujours pas résolue. Beaucoup de pays y travaillent, notamment le Japon qui croit beaucoup à cette technologie. Personne ne peut prédire la façon dont les choses vont évoluer ; mais ce n’est pas une raison pour ne pas nous y intéresser et ne regarder que là où il y a de la lumière sous le lampadaire, c’est-à-dire l’électricité…

Mme la rapporteure. Pouvez-vous évaluer le coût des recours contre les projets de méthaniseurs ? Dans les campagnes, une demande existe, un certain nombre de projets se développent, mais l’acceptabilité de ces installations n’est pas garantie : elles se heurtent à une certaine frilosité des habitants, la mobilisation citoyenne n’est pas facile à gérer et elle se fonde sur beaucoup d’informations erronées. Avez-vous chiffré les surcoûts qui en découlent ?

En fait, vous avez fait état de milliards d’euros d’amélioration de la balance commerciale si l’on arrivait à produire 100 % de gaz d’origine renouvelable en 2050. Pourriez-vous être plus précis ?

M. Thierry Trouvé. L’étude du cabinet Navigant se place à l’échelle européenne. Elle fait état d’une économie de 200 milliards d’euros, mais qui ne porte pas uniquement sur la balance commerciale.

L’étude compare deux scénarios permettant de décarboner à 100 %. Dans le premier, faute de solutions pour décarboner le gaz, celui-ci est remplacé par l’électricité. Ce qui induit un certain nombre de dépenses : il faut remplacer les chauffages au gaz par du chauffage électrique, adapter les réseaux électriques et le système de production pour faire face à la pointe… Je vous ai dit que la France consommait autant d’énergie en gaz qu’en électricité, mais en hiver, la consommation est bien plus importante et il faut dimensionner le système en conséquence. Tout cela entraîne des dépenses.

L’autre scénario consiste à verdir le gaz, avec les solutions que nous venons d’évoquer. Ce qui entraîne aussi des dépenses, puisque le gaz renouvelable coûte plus cher que le gaz fossile.

Après comparaison, l’étude conclut qu’à l’échelle européenne, le scénario d’électrification intégrale coûterait 200 milliards d’euros de plus par an à l’Europe que le verdissement du gaz.

S’agissant de la balance commerciale, si l’on remplace le gaz importé de Norvège, d’Algérie, de Russie et du Qatar par du gaz vert produit localement par nos agriculteurs, ce sera bénéfique non seulement pour nos agriculteurs, mais aussi pour la balance commerciale de la France. Il s’agit d’une des externalités citées par M. Sauvage, mais elle n’est pas prise en compte dans le chiffre de 200 milliards que je citais tout à l’heure. De mémoire, nous importons entre 10 et 15 milliards d’euros de gaz naturel en France ; si nous produisons 100 % de gaz vert, c’est autant que nous pouvons espérer économiser sur la balance commerciale.

M. Édouard Sauvage. Nous sommes le lendemain du 8 avril, date importante pour les industries électriques et gazières car elle marque l’anniversaire de la loi du 8 avril 1946 qui a décidé de la nationalisation des entreprises privées de distribution d’électricité et de gaz, tout en maintenant un modèle concessif. Nous vivons encore avec ce modèle, dans lequel les autorités concédantes ont le choix de leur concessionnaire dès lors qu’elles gardent le concessionnaire qui existait en 1946. Sachant que là où il n’existait pas de desserte du gaz, nous fonctionnons aujourd’hui avec des délégations de service public classiques, avec appels d’offres et concurrence sur le choix du concessionnaire.

Le modèle de distributeur national unique est-il efficace ? Il n’est pas toujours facile d’établir des comparaisons internationales avec les entreprises locales de distribution ou d’autres distributeurs, notamment avec les Stadtwerke en Allemagne, car leur comptabilité ne sépare pas toujours nettement gaz, électricité et les autres services qu’ils peuvent rendre tels que les réseaux de chaleur. Mais toutes les études de benchmarking du régulateur montrent que nous sommes plus efficaces que ceux auxquels nous sommes comparés.

Lors de nos discussions avec le régulateur sur les tarifs, le consultant qui travaillait pour la CRE avait établi une courbe de régression en fonction du nombre de clients laissant apparaître que le coût unitaire des petits distributeurs était très élevé, et comme nous avons beaucoup de clients, il en déduisait que notre coût unitaire devait être très bas. Si évidemment nous sommes plus efficaces que de petits distributeurs, le modèle a des limites, on ne peut imaginer appliquer systématiquement un facteur dix. Compte tenu de la robustesse du réseau gazier et du fait que les consommations énergétiques, notamment dans le résidentiel, sont en réduction régulière grâce à l’efficacité énergétique, chaque client nouveau représente un coût marginal presque nul pour le réseau. Nous avons donc un modèle extrêmement vertueux et efficace, et nous sommes convaincus que son maintien sera une bonne solution en termes de pouvoir d’achat.

J’en profite pour rappeler que l’efficacité énergétique est la clé de la décarbonation. Remplacer les vieilles chaudières à gaz par des chaudières plus efficaces offre un gain immédiat aux consommateurs en réduisant leur consommation d’environ 30 %. Si la France avait le parc de chaudières à gaz des Pays-Bas, nous économiserions, pas loin de 50 TWh, soit presque 10 % de la consommation. Nous avons calculé l’efficacité du coût de remplacement d’une ancienne chaudière gaz ou – mieux encore – d’une chaudière fioul par une chaudière à haute performance énergétique, et la tonne de CO2 évitée revient entre 40 et 60 euros.

Nous sommes absolument convaincus que si nous pouvions mener cette analyse du coût en euros pour une tonne de CO2 évitée pour les différentes politiques possibles, le remplacement de vieilles chaudières par des chaudières neuves apparaîtrait comme l’une des mesures les plus efficaces. À cet égard, nous nous réjouissons que le Gouvernement ait mis en place un CEE « Coup de pouce », l’équivalent d’une prime à la casse des vieilles chaudières, et nous sommes tout à fait convaincus que dans les zones desservies en gaz, remplacer les chaudières à fioul par des chaudières à gaz sera la solution la plus efficace pour réduire le bilan carbone et éviter de créer une tension sur la pointe du réseau électrique.

L’acceptabilité des projets de méthanisation souffre toujours du même phénomène : on est toujours d’accord en général, mais jamais quand cela se fait à côté de chez soi… Je rappelle que les conclusions du débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie plaçaient assez nettement la géothermie et le biogaz en tête parmi celles qui doivent être développées et accélérées. Les taux de réponses selon lesquelles ces filières devaient être stoppées étaient très faibles, de l’ordre de 2 à 3 %, tandis que d’autres connaissaient des taux autour de 10 %. Ces deux filières sont donc plébiscitées par nos concitoyens en général.

La filière de la méthanisation est également fortement soutenue par les régions : six régions figuraient parmi les signataires de la récente tribune publiée pour soutenir le biométhane. Cette tribune a été préparée très rapidement, faute de quoi je ne doute pas que d’autres régions auraient souhaité s’y joindre car toutes veulent développer significativement le biométhane dans leur schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). La somme des ambitions affirmées dans ces schémas est plus importante que les annonces actuelles de la PPE.

Pour ce qui est de l’acceptation au plan local stricto sensu, on constate parfois des phénomènes locaux de rejet, mais relativement limités. Sur la centaine de méthaniseurs en fonctionnement, je n’ai pas connaissance d’un projet véritablement bloqué ou fortement ralenti par des recours. Si le projet est bien expliqué en amont – nous avons un partenariat avec les chambres d’agriculture pour mieux conseiller les agriculteurs à ce sujet – il est possible d’expliquer aux riverains que les odeurs seront moins gênantes qu’avant parce que les digestats produisent moins d’odeurs que les boues d’épandage. Le procédé est parfaitement contrôlé, l’obstacle visuel est très limité si le méthaniseur est bien placé – cela ne prend pas plus de places qu’une grange agricole. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de réactions de rejet, mais elles sont aujourd’hui minimes par rapport à l’ensemble des projets. Là aussi, la course à la réduction des coûts ne doit pas se traduire par une baisse de la qualité des projets. Il me semble donc très important que, dans les réflexions à venir sur les tarifs de rachat, nous prenions soin d’intégrer des bonus en cas de financement participatif ou pour les projets particulièrement bien intégrés dans leur paysage et s’insérant dans une agriculture durable et soutenable.

M. le président. Merci de ces présentations. Vous nous dites que si nous passions à 100 % de gaz renouvelable, le coût pèserait essentiellement sur la production et pas sur le réseau, qui ne représente que 3 % des coûts. Ces 3 % correspondent-ils au coût du raccordement ?

M. Édouard Sauvage. Raccordement, extension de réseau et compresseur rebours vers le réseau de transport, donc la totalité de ce qu’il faut dépenser pour passer d’un réseau de points d’entrée limités sur le territoire à une multiplicité de producteurs décentralisés.

M. le président. On pourrait objecter à votre argument sur les 200 milliards d’euros par an d’économie en Europe que des stratégies bonnes à l’échelle européennes s’avèrent parfois mauvaises marginalement. Par exemple, il est possible que l’impact CO2 soit fort dans un pays qui n’a pas de nucléaire, mais nul dans un pays qui compte un important parc nucléaire.

Cette analyse à l’échelle européenne s’adapte-t-elle au système français ? La France est-elle représentative de ce qui se passe au niveau européen ?

M. Thierry Trouvé. Vous avez raison de mentionner que la France a un parc de production d’électricité différent de beaucoup d’autres, du fait de son énergie nucléaire qui est décarbonée. On peut imaginer que les conclusions que j’ai citées soient un peu moins favorables pour la France que pour d’autres pays qui utilisent beaucoup le charbon.

Cela étant, il serait très imprudent de mettre tous ses œufs dans le même panier, et donc de tout miser sur l’électrique, nucléaire ou autre. Il faut bien mesurer la fragilité qui en résulte, notamment la problématique de la pointe. J’ai mentionné la pointe de la consommation de gaz, mais nous pourrions aussi parler de la pointe de la consommation de fioul, dont nous cherchons à nous débarrasser. La gestion de la pointe pour un gestionnaire de réseau électrique est un véritable casse-tête : or la pointe est aujourd’hui extrêmement élevée en France car nous avons fait le choix il y a quelques années de donner une large place au chauffage électrique, qui représente la moitié de la pointe en Europe.

M. le président. Sachant que le black-out gazier n’existe pas. Les conséquences d’une mauvaise gestion de la pointe ne sont pas les mêmes.

M. Thierry Trouvé. Ce ne sont pas les mêmes, mais notre métier de gestionnaire de réseaux est de veiller à tout instant, comme le font nos collègues électriciens, à l’équilibre entre l’offre et la demande. Mais les constantes de temps sur un réseau de gaz sont beaucoup plus lentes que sur un réseau d’électricité ; et surtout, nous avons des stocks sous les pieds, ce qui nous permet d’envisager les choses avec plus de sérénité que nos collègues électriciens. Malgré tout, il nous faut toujours équilibrer l’offre et la demande, mais si la production est locale, c’est plus facile à faire.

Ensuite, je ne suis pas spécialiste de l’électricité, mais nous devons mesurer les investissements qui seront nécessaires pour le grand carénage des centrales nucléaires et les nouvelles centrales. Si nous nous placions dans l’hypothèse d’un système électrique qui remplace toutes les autres énergies, il faudrait construire beaucoup de centrales nucléaires ou d’énergies renouvelables, et tout cela a un coût qu’il sera compliqué de payer.

M. le président. J’ai l’impression que ce n’est pas le scénario retenu : la PPE retient une part pour le gaz. La tendance n’est-elle pas de couvrir les nouveaux besoins avec des énergies intermittentes et de modifier le système électrique pour intégrer plus d’énergie électrique intermittente, en maintenant la proportion du gaz dans le bouquet énergétique, ou en augmentant légèrement sa part ?

S’il faut comparer deux options comme le fait l’étude à l’échelle européenne, ne faudrait-il pas plutôt chercher quel serait le coût pour couvrir les nouveaux besoins avec du gaz, ou avec de l’électricité nucléaire, ou de l’électricité intermittente ? N’est-ce pas plutôt cette étude qu’il faudrait faire, et à l’échelle de la France, plutôt qu’une étude européenne sur l’hypothèse d’une électrification à 100 % ?

M. Thierry Trouvé. Ma présentation était forcément simplificatrice, le scénario ne parlait pas d’électrifier à 100 %, mais d’installer l’électricité partout où c’est vraiment possible, et de ne continuer à utiliser le gaz que lorsque l’électricité n’a pas de sens, ou est techniquement impossible, notamment dans l’industrie lourde ou les transports lourds pour lesquels nous ne savons pas utiliser l’électricité. Le scénario n’est pas 0 % de gaz et 100 % d’électricité, mais la plus grande proportion d’électricité possible.

M. le président. Entre 2008 et 2018, la facture d’électricité en France a bondi de 48 %. La facture de gaz a augmenté de 45 % pour le tarif B0, et de 28 % pour le tarif B1.

L’augmentation de la facture d’électricité des années passées est essentiellement due au financement des énergies vertes électriques. Vous nous avez expliqué que dans le même temps, nous n’avions pas autant investi dans le gaz. Dès lors, comment expliquer que la facture de gaz ait augmenté dans les mêmes proportions que celle d’électricité ?

M. Thierry Trouvé. Le prix du gaz, aujourd’hui, dépend essentiellement du prix de la molécule tel qu’il est fixé par les marchés internationaux. Ce prix fluctue, parfois à la hausse, parfois à la baisse ; il a augmenté ces dernières années avant de connaître une baisse de 2 à 3 % au 1er avril. Les deux années précédentes, le prix avait beaucoup baissé. Plus le gaz sera produit localement, plus son prix sera stable, car il ne dépendra plus des prix de marché et de la volonté de tel ou tel grand producteur de gaz russe, norvégien ou algérien.

Les plans du Gouvernement prévoient d’augmenter le prix du gaz de manière significative pour payer les énergies renouvelables électriques. Nous ne sommes pas opposés à ce que le gaz supporte une taxe carbone – si les gilets jaunes y consentent –, mais dans ce cas, consacrons cet argent à décarboner une énergie qui a besoin de l’être, plutôt qu’à une énergie déjà décarbonée.

M. le président. Je vous ai bien compris, mais avant de nous projeter dans l’avenir, nous essayons de comprendre le passé.

On a beaucoup parlé d’électricité dans ce pays ; les énergies fossiles ont été laissées de côté à l’heure de penser la transition énergétique. La facture d’électricité a massivement augmenté, notamment par le jeu de la CSPE, car c’était la manière de financer ladite transition énergétique.

Mais dans le même temps, la facture de gaz aussi a augmenté, alors qu’elle n’était pas encore affectée par la TICGN. Et il n’est pas question de volatilité du prix du gaz, mais de la tendance moyenne. Et la tendance moyenne est de + 28 % et + 45 %, indépendamment de la volatilité du prix du gaz, par ailleurs bien moindre que celle de l’électricité qui oscille entre des prix négatifs et 250 euros du MWh dans la même année.

M. Édouard Sauvage. Pour juger de l’évolution du prix de la facture, il vaut mieux juger le tarif B1, qui correspond à un usage du gaz pour le chauffage. Le B0 s’applique aux tout petits consommateurs, qui historiquement payaient peu au regard de leur coût sur le système. Pour simplifier, le régulateur a souhaité faire évoluer la facture pour que la partie abonnement prenne de l’importance par rapport à la partie résidentielle. Cela vaut autant pour les distributeurs que pour les fournisseurs. Le coût de gestion d’un client est à peu près le même quelle que soit sa consommation, et les tarifs ont convergé. Nous vous enverrons des éléments plus précis pour documenter ces aspects.

La hausse des taxes, et l’instauration d’une TICGN à un niveau beaucoup plus élevé pèsent aussi dans cette hausse des prix. Nous vous enverrons des éléments complémentaires après cette audition.

De plus, même si la hausse est globalement plus contenue que celle du TURPE, les tarifs des réseaux de transport et de distribution ont également augmenté. M. Trouvé rappelait les investissements très importants demandés aux gestionnaires de réseaux de transports pour passer à une zone de tarif unique, qui se répercutent dans la facture.

S’agissant de la volatilité du prix, le gaz a été extrêmement stable sur les marchés internationaux et sur le marché de gros en France ces derniers temps, ce qui n’a pas toujours été le cas. De même, nous avons connu des prix du pétrole beaucoup plus élevés, et ils sont en ce moment dans une phase de stabilité. Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que ce prix sera stable pour les vingt prochaines années, même si un certain nombre d’éléments sur les réserves prouvées et l’amélioration de la compétitivité du développement de certaines réserves nous incite à le penser. Nous ne sommes jamais à l’abri d’aléas géopolitiques.

M. le président. La TICGN a augmenté sur dix ans, était-ce dans l’objectif de lutter contre les émissions de CO2, ou un pur effet fiscal ? Pouvez-vous nous expliquer la transformation en cours ?

M. Thierry Trouvé. Le changement en cours porte plutôt sur le nom… Quant à l’objet de cette mesure, il faut plutôt poser la question aux gouvernements successifs.

Aujourd’hui, la TICGN représente 8 euros du MWh. Le prix sur le marché de gros est d’environ 20 euros du MWh. Le rapport n’est pas négligeable.

M. Édouard Sauvage. J’ajoute que sur les six dernières années, le prix du gaz est resté stable.

M. le président. Si je résume, l’usager paie des montants de plus en plus importants sur ses factures d’électricité et de gaz, du fait d’un système fiscal qui s’est alourdi et qui a été à un moment donné habillé de la volonté de financer la transition énergétique.

Néanmoins, d’après vous, du point de vue des dépenses, une transition énergétique utilisant la décarbonation du gaz coûterait moins cher en termes de raccordement, de transformation du réseau, de production, que ce qui est fait actuellement.

On aurait pu imaginer que les taxes sur l’électricité soient progressivement réduites car cette énergie est décarbonée, et que l’on augmente celles sur le gaz, qui ne l’est pas ; mais ce n’est pas la solution qui a été retenue. On a le choix entre deux transitions énergétiques, on n’a pas fait de choix à la base permettant d’orienter les usages, ni arrêté exactement l’effet recherché. Pour vous, la transition électrique ne décarbone pas, tandis que la transition par le gaz décarbone.

M. Édouard Sauvage. Ajoutons que raisonner indépendamment des usages ne peut pas amener aux bons choix économiques. Je ne vous ferais pas la même réponse sur l’utilisation des différentes sources d’énergie renouvelable dans le Golfe Persique ou en France : les besoins ne sont pas les mêmes et les ressources offertes par le vent, l’ensoleillement ou la biomasse sont également différentes.

De la même manière, pour décarboner la chaleur, utiliser de la biomasse, du réseau de chaleur ou du gaz renouvelable est beaucoup plus économique que de passer par un vecteur électrique, qui n’est pas fait pour cela.

Je mentionnais les prix des marchés de gros, qui ont varié entre un prix négatif et plus de 150 euros en six mois. Aujourd’hui, le prix des marchés de gros en hiver est significativement plus élevé qu’en été, entre 15 et 20 euros du MWh, ce qui est tout à fait normal. Or ce n’est pas répercuté dans le tarif réglementé électrique : le client final paie le KWh au même prix à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, tous les jours de l’année. Le signal envoyé au consommateur est très mauvais. Vous estimez qu’il est important d’envoyer de bons signaux au consommateur pour permettre la décarbonation, et je vous rejoins ; encore faut-il trouver le moyen de prendre en compte le fait que le prix de l’électricité sur les marchés de gros n’est pas du tout la même en fonction de l’heure de la journée et du jour de l’année. Et cela va s’aggraver avec le développement des énergies renouvelables solaires ou éoliennes, qui vont encore augmenter cette volatilité.

Voilà qui ramène au débat sur les moyens d’améliorer l’efficacité énergétique par l’effacement de la demande. Il n’y a aucune incitation à décaler sa consommation si elle est payée au même prix à toute heure du jour et de la nuit, toute l’année. Aujourd’hui, les outils vers le client final n’existent pas pour les réseaux électriques. De facto, ils n’existent pas non plus pour le gaz, mais le problème ne se pose pas, dans la mesure où il n’y a pas de variation du prix du gaz dans la journée, et la variation entre l’hiver et l’été est limitée, le coût du stockage étant réduit à quelques euros.

M. Thierry Trouvé. Je suis tout à fait d’accord avec votre synthèse, monsieur le président. Au départ, la CSPE était prévue pour que le consommateur électrique paie pour la production d’électricité renouvelable. Mais comme cette solution ne suffisait plus car la production d’électricité renouvelable coûtait très cher, les gouvernements successifs ont mis en place un système permettant de faire payer le consommateur de gaz pour la production d’électricité renouvelable.

Si nous nous plaçons du côté de la consommation, j’ai cru comprendre que vous vous estimiez que l’électricité étant déjà décarbonée, il serait préférable qu’elle soit faiblement taxée et que l’on taxe fortement les énergies carbonées.

M. le président. Vous avez bien interprété…

M. Thierry Trouvé. Je ne comprends déjà pas que le gaz fossile paie pour décarboner l’électricité, vous imaginez d’alourdir sa fiscalité et d’alléger celle de l’électricité ! Cette solution rétroagirait sur la production. En répondant au signal économique, les consommateurs vont se tourner vers l’électricité et se détourner du gaz. Et de nouveau, nous serons confrontés à la problématique monstrueuse de la gestion de la pointe. Cela aurait pour effet d’augmenter de manière très significative le prix du système électrique. Cette solution coûte plus cher.

M. Édouard Sauvage. Monsieur le président, votre raisonnement ferait sens économiquement si des signaux adaptés étaient adressés aux consommateurs en matière de prix. Or, aujourd’hui, le prix du CO2 n’est pas le même selon que vous l’appliquez à une centrale à charbon qui produit de l’électricité ou au consommateur final qui brûle du gaz dans sa chaudière. Le premier est sur le marché Emission Trading Scheme (ETS), où le prix du CO2 est de l’ordre d’une dizaine d’euros, alors que la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) atteint, elle, déjà les 40 euros… Pour que votre raisonnement soit valable, il faudrait imposer le même prix du CO2 au sein de toutes les filières : ainsi, en taxant de plus en plus le CO2, ses producteurs comme ses utilisateurs prendraient progressivement les bonnes décisions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Ensuite, votre raisonnement ne peut fonctionner que si on adresse aux consommateurs utilisant de l’électricité pour se chauffer en hiver des signaux les informant clairement sur la réalité du signal prix et du signal carbone. Or ce n’est pas le cas : les tarifs réglementés prévoyant un prix unique, appliqué toute l’année – n’allez pas croire que je sois en train d’en souhaiter la suppression –, celui qui se chauffe électriquement n’est pas suffisamment conscient de ce que cela implique en matière de prix et d’empreinte carbone. Son choix individuel est pertinent sur le plan économique, puisqu’on ne lui fait pas payer personnellement l’incidence de son choix en matière d’empreinte carbone : le coût correspondant est payé par l’ensemble des utilisateurs par l’application d’un tarif totalement péréqué, géographiquement et fiscalement, par le biais d’une répartition sur tous les clients de l’électricité.

M. le président Julien Aubert. Je comprends bien votre argument, que j’achète, mais cela me conduit à vous reposer la même question sous une autre forme.

Mettons-nous un instant à la place de l’usager, qui paye déjà une grosse facture d’électricité et une grosse facture de gaz : on peut difficilement envisager de lui expliquer qu’après avoir investi 100 milliards d’euros sur les ENR, on va développer le gaz afin de réduire l’impact carbone ! Comment voulez-vous lui faire accepter une nouvelle augmentation des taxes pour financer le soutien à la filière gaz ?

Certes, le recours au gaz produit en France viendrait se substituer à des importations d’énergies fossiles, ce qui engendrerait quelques gains en matière de balance commerciale, mais cela ne réglerait pas complètement le problème.

Dès lors qu’on s’en remet à votre argument, selon lequel la transition par le gaz est meilleure en termes d’émissions de CO2 que la transition par l’électricité, quelles solutions envisagez-vous pour réorienter la transition ? En d’autres termes, en admettant que le Gouvernement soit d’accord avec vous, ce qui ne semble pas vraiment être le cas au vu de la PPE, où le gaz est un peu le parent pauvre des énergies – pour reprendre les termes employés par la Cour des comptes, les moyens déployés ne semblent pas à la hauteur de vos ambitions et des gisements de productivité sur lesquels vous comptiez –, comment le changement que vous appelez de vos vœux peut-il s’opérer sans que l’usager se retrouve taxé deux, voire trois fois ?

M. Thierry Trouvé. Derrière la question que vous posez, jen entrevois une autre : lusager le citoyen, le contribuable, sont-ils prêts à payer pour la transition énergétique, cest-à-dire pour décarboner lénergie à lhorizon 2050 ? Or, cette question ne me paraît pas complètement réglée, même à lissue du grand débat, puisque si les gens se disent favorables à la transition énergétique, ils refusent catégoriquement que cela se traduise par une augmentation des taxes. Chacun doit prendre conscience du fait que décarboner lénergie – quil sagisse du gaz, de lélectricité, du pétrole ou du charbon –, cela coûte de largent…

Dès lors, soit on le fait, et il faut alors qu’on détermine le moyen de répartir le coût qui en résulte, soit on ne le fait pas. En défendant le gaz vert, on se place dans l’hypothèse où on veut le faire à l’horizon 2050 ; pour cela, on estime qu’il faut essayer d’emprunter la voie la moins coûteuse pour la collectivité – la répartition du coût global constituant alors une deuxième question.

Si vous optez pour une transition énergétique en installant des panneaux solaires dans les campagnes – une solution qui ne me paraît être celle que vous envisagez –, vous allez devoir acheter des panneaux photovoltaïques aux Chinois, ce qui va aggraver le déficit de la balance commerciale sans créer d’activité locale.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Les panneaux, nous pouvons aussi les produire nous-mêmes…

M. Thierry Trouvé. À l’inverse, si vous optez pour le biométhane, vous créez de l’emploi dans les campagnes, vous sauvez des exploitations agricoles et vous réglez des problèmes de déchets. Tout cela a une valeur, contrairement à ce que semblent penser les fonctionnaires de Bercy, qui ne regardent que le prix du mégawattheure : si la première solution est à 50 euros et la seconde à 60 euros, ils vont se précipiter sur la première. Sans oublier les autres aspects du problème, notamment au fait que le biométhane se stocke beaucoup plus facilement que l’énergie tirée de l’énergie solaire.

Au-delà même de mes fonctions, en tant que simple citoyen, je ne peux m’empêcher de penser que les politiques énergétiques qui procurent des bénéfices dans d’autres domaines porteurs de vrais enjeux, tels que l’aménagement du territoire, sont forcément plus intéressantes…

M. le président Julien Aubert. Vous admettrez que tout le monde ne partage pas votre diagnostic. Ainsi le président de la CRE nous a déclaré que, si les opérateurs d’énergie réalisaient des investissements dans le cadre de la transition énergétique, ce n’était pas dans l’objectif principal de décarboner : dès lors, tout votre raisonnement s’écroule !

En admettant même qu’on achète votre raisonnement – en partant du principe selon lequel le biométhane présente des avantages spécifiques, notamment la création d’emplois en milieu rural –, vous ne nous dites pas comment vous procédez au basculement : certes, si on ne peut pas augmenter, on peut réallouer, mais encore faut-il savoir comment !

M. Vincent Thiébaut. Je commencerai par rappeler que l’environnement, ce n’est pas que les gaz à effet de serre…

M. le président Julien Aubert. Vous avez tout à fait raison de le souligner – la présence de CO2 est d’ailleurs nécessaire dans l’environnement, puisque c’est lui permet la photosynthèse…

M. Vincent Thiébaut. Vous avez bien retenu vos cours de sciences de la vie et de la terre, monsieur le président !

Je suis un peu gêné depuis le début de cette audition de constater que nos interlocuteurs semblent se cantonner à une logique d’opposition entre l’électrique et le gaz. Alors qu’en 2014, l’ADEME, GRDF, et GRTgaz avaient fait paraître une étude portant sur le power to gas, concluant à la nécessité de travailler en collaboration avec le secteur de l’électricité – ce qui me paraissait une bonne idée –, il semble que vous soyez passés à une logique d’opposition frontale entre les deux énergies.

J’entends bien ce que vous dites sur le coût de la taxe carbone et sur le fait que sa répartition ne se fasse pas de façon optimale mais, dès lors qu’on admet la nécessité de retenir un mix énergétique, il me semble que la question du coût n’est pas la seule à prendre en considération : les choix à faire doivent tenir compte de différents facteurs et d’un équilibre global à maintenir, ce qui implique que les différents acteurs sachent travailler ensemble.

Par ailleurs, on sait que le gaz présente des risques particuliers en termes de sécurité, notamment dans les villes – chacun se souvient de l’accident dramatique survenu à Paris il y a quelques mois.

Enfin, la loi de décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement a fixé de nouveaux objectifs en matière de stockage du gaz naturel, puisque nous sommes passés de 90 TWh en 2017 à 138 TWh en 2018. Cet objectif a-t-il été atteint, et comprend-il le stockage du gaz issu de la méthanisation ? Sur le plan technique, comment le gaz produit à la campagne est-il acheminé vers les sites de stockage ? Le réseau permettant cet acheminement est-il déjà en place, ou faut-il prévoir des investissements destinés à permettre son installation ?

M. Thierry Trouvé. Pour ce qui est de l’opposition entre le gaz et l’électricité, Édouard Sauvage et moi-même sommes convaincus que la transition énergétique passe par une approche système, une vision holistique et une bonne complémentarité entre le gaz et l’électricité. J’en veux pour preuve que, pour ce qui est des activités de transport, on n’a jamais aussi bien travaillé avec RTE que depuis ces dernières années. François Brottes n’est plus là pour le confirmer, mais je peux vous dire que nous avons énormément renforcé nos coopérations. Nous avons ainsi un projet de construction de power to gas à Fos-sur-Mer associant plusieurs acteurs, notamment RTE, qui nous a rejoints depuis plus de deux ans. J’ai visité le chantier en compagnie de François Brottes il y a quelques mois, et ce projet l’intéresse beaucoup. Philippe Madiec, ici présent, travaille, en étroite collaboration, sur les questions de réseaux, avec les équipes de RTE. Nous sommes persuadés qu’il est possible de réaliser des économies en associant nos efforts pour atteindre les optimums plutôt qu’en travaillant chacun de son côté. Nous appliquons le même principe au niveau européen puisque, sous l’impulsion de la Commission européenne, les associations européennes de transporteurs de gaz et d’électricité élaborent de plus en plus souvent des scénarios communs afin de déterminer des optimums.

Un autre exemple de notre complémentarité est la mise au point de chaudières hybrides associant gaz et électricité : c’est grâce à des solutions de ce type que nous réussirons une transition énergétique coûtant le moins cher possible.

Il est possible que certains acteurs de la production d’électricité confrontés à des problématiques de gestion de parc développent pour cette raison des idées différentes, mais c’est une exception : sur le principe, les principaux acteurs du gaz et de l’électricité sont totalement en phase, même s’il reste beaucoup de travail à accomplir.

Le stockage est une question importante, à laquelle je répondrai sous deux angles différents.

Premièrement, la loi que vous avez votée en 2017 ainsi que ses textes d’application ont permis de résoudre un problème préoccupant du point de vue du gestionnaire de réseau de transport que nous sommes. Durant l’été et l’hiver derniers, les stockages ont été très bien remplis, et les opérateurs de stockage viennent de procéder à la deuxième campagne de vente en vue de l’hiver prochain – le remplissage a d’ailleurs déjà commencé –, qui leur a permis de vendre aux enchères la totalité de leurs capacités : de ce point de vue, la réforme produit donc ses effets. Comme l’a souhaité le législateur, un complément est ensuite reversé par les opérateurs de transport aux opérateurs de stockage, ce qui leur permet de boucler leur budget. Grâce à la mise en place de ce système, nous n’avons plus autant d’inquiétudes que par le passé, car nous démarrons la campagne d’hiver en ayant déjà sous nos pieds le gaz que nous allons devoir fournir.

Deuxièmement, le stockage du biométhane est techniquement possible. Les opérateurs de stockage ont procédé à des études montrant qu’ils sont capables d’accueillir du biométhane dans leur système de stockage. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas de manière très concrète en raison du fait que peu d’installations de biométhane sont déjà raccordées au réseau permettant le stockage de la production. Si le biométhane est donc le plus souvent directement injecté dans le réseau de distribution, il arrive qu’en été, la consommation de gaz soit plus faible sur un petit réseau de distribution, ce qui peut aboutir à la constitution d’excédents. Transporteurs et distributeurs ont donc conçu ensemble des systèmes dits de rebours qui permettent de renvoyer l’énergie du réseau de transport à basse pression vers le réseau de distribution, où la pression est plus forte, grâce à de petits compresseurs – le coût correspondant est déjà intégré dans les chiffres que nous vous avons donnés tout à l’heure. Nous sommes actuellement en train de construire les deux premiers rebours dans l’ouest de la France, et prévoyons d’en mettre en place beaucoup d’autres, en collaboration avec les distributeurs. Ainsi, nous dessinons progressivement les réseaux qui vont permettre de collecter la production de méthane et de l’acheminer vers les sites de stockage.

J’insiste sur la nécessité de prendre dès aujourd’hui les bonnes décisions. Si le signal politique émis, c’est qu’on n’a pas besoin du biométhane et que cette énergie n’est pas une solution d’avenir, on risque de voir les infrastructures de stockage, qui sont une chance pour la transition énergétique, fermer les unes après les autres, et ce seront autant d’investissements perdus pour la collectivité. En outre, le fait d’être en mesure de stocker un tiers de la production représente une capacité décisive, sur laquelle le réseau électrique a d’ailleurs intérêt à s’adosser, notamment sous la forme de systèmes hybrides au stade de l’utilisation finale, car de telles solutions permettent de lisser l’effet de pointe que j’évoquais tout à l’heure.

M. Vincent Thiébaut. On compte de nombreux projets de biométhanisation en Alsace et, en tant que député du Bas-Rhin, je m’interroge sur le maillage de ces projets, au financement desquels l’ADEME participe largement – je crois que le Grand-Est représente actuellement 75 % des projets de biométhanisation en France. Est-il cohérent d’avoir des installations distantes les unes des autres de dix à quinze kilomètres, et ne faudrait-il pas prévoir des projets moins nombreux, mais plus importants ?

M. Édouard Sauvage. C’est ce que nous essayons de faire, notamment dans le Bas-Rhin, où Réseaux gaz naturel de Strasbourg (R-GDS) s’efforce de développer le biométhane. Cela renvoie un peu à la question que j’ai évoquée précédemment de l’optimum à trouver entre la proximité du réseau et la taille du projet, qui est aussi celle de l’équilibre à trouver pour concilier acceptabilité et efficacité.

Nous effectuons sur ce point un travail au plus près du terrain, et les équipes GRDF s’efforcent d’accompagner au mieux les porteurs de projets et de les faire bénéficier de la meilleure connaissance possible de la réalité. Tout cela a évidemment vocation à être complété par la transcription réglementaire du droit à l’injection, dont le principe a été voté par le Parlement il y a six mois, et qui va nous obliger à prouver au régulateur que chaque projet constitue bien l’aboutissement de la recherche d’un optimum économique en termes de desserte, ce qui passe par un dialogue avec les porteurs de projets et peut impliquer que deux projets se rapprochent afin de mutualiser leurs moyens, notamment pour ce qui est des réseaux – quand on peut tirer un seul tuyau au lieu de deux, c’est mieux pour tout le monde !

Cette idée de la recherche d’un optimum économique global me permet de faire la transition avec la question posée par M. le président sur la mise en œuvre concrète du basculement. L’une des difficultés de ce sujet, c’est de déterminer ce que l’on cherche à obtenir avant tout : s’agit-il de procurer un bénéfice à l’État et au contribuable, ou à l’économie en général ? S’il semble assez évident que l’efficacité énergétique profite en priorité au client, qui va consommer moins et récupérer ainsi du pouvoir d’achat
– préoccupation majeure en ce moment –, cela va également permettre d’importer moins d’énergie, ce qui est bon pour le solde commercial. Cela dit, une baisse de la consommation de gaz va également se traduire par une perte de recettes fiscales…

Certains arbitrages ont été rendus en faveur des énergies renouvelables électriques en suivant une vision uniquement budgétaire – ces énergies ne coûtent pas beaucoup plus cher que l’électricité produite par d’autres sources – alors que, pour le gaz, on n’a pas pu appliquer le même raisonnement, l’écart à combler par le contribuable étant beaucoup plus important entre, d’une part, un gaz importé coûtant deux fois et demie à trois fois moins cher que l’électricité et, d’autre part, un gaz provenant de sources renouvelables. Le débat est en fait pollué par cette question : faut-il raisonner en termes budgétaires ou en termes macroéconomiques ? Nous estimons pour notre part que la bonne approche consisterait à raisonner en termes macroéconomiques pour, au bout du compte, se demander quel est le coût global en euros par tonne de CO2 évitée, que le résultat soit obtenu au moyen d’un investissement purement privé ou complété par des investissements publics.

Pour vous donner un ordre de grandeur, la PPE prévoit 8 milliards d’euros sur le biométhane et beaucoup plus – bien plus que ne le justifierait le poids du passé, car même les engagements futurs sont très élevés – sur l’électricité. J’ai été frappé par l’écart de 30 milliards d’euros entre les deux scénarios de prix, alors que personne ne peut garantir de manière certaine quels seront les prix de marché de l’électricité dans les années qui viennent ; même si la PPE a essayé de quantifier un prix de marché du solaire et de l’éolien, il subsiste une énorme marge d’erreur en la matière, qui devrait inciter à privilégier une approche macroéconomique globale.

M. le président Julien Aubert. Si vous disposez de scénarios intégrant le coût de la tonne de CO2 évitée, qui permettraient de comparer toutes les hypothèses en tenant compte de l’intégralité des coûts, je vous invite à les communiquer à notre commission d’enquête, qui en prendra connaissance avec un grand intérêt…

Mme Laure de La Raudière. Il faut vraiment tenir compte de tous les coûts, y compris de celui du démantèlement des panneaux solaires et des éoliennes, qui n’est pas neutre !

M. le président Julien Aubert. Il est effectivement très difficile d’obtenir des informations précises sur ce point, alors qu’elles nous seraient très utiles.

M. Édouard Sauvage. Chaque acteur a beaucoup de mal à obtenir ces renseignements lorsqu’il agit isolément, du fait de l’interpénétration des différents systèmes : ainsi, il est très difficile de déterminer ce qu’un kilowattheure économisé en électricité peut rapporter en CO2, cette valeur évoluant d’ailleurs constamment. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux un débat animé par le régulateur, les ministères et l’ADEME – cette dernière étant la plus avancée pour ce qui est des calculs en cycle de vie – où l’on pourrait tenter de faire converger les arguments des uns et des autres, afin de tenter de déterminer une fourchette raisonnable qui pourrait éclairer le politique sur les coûts, donc l’aider dans ses choix en matière énergétique. J’insiste sur le fait qu’à côté du coût budgétaire pour l’État et les collectivités locales, il y a aussi un coût macroéconomique pour la collectivité, qui n’est pas forcément le même.

Mme Laure de La Raudière. C’était précisément la question que je voulais poser… Nous avons auditionné des économistes qui nous ont vanté les énergies renouvelables électriques. Si vous en connaissez d’autres qui travaillent sur la même thématique, je vous invite à nous communiquer leurs noms, afin que nous puissions également les entendre.

M. Vincent Thiébaut. Pouvez-vous nous préciser ce qu’apporte aujourd’hui la biométhanisation aux collectivités territoriales ?

M. Édouard Sauvage. Je dirai que si les installations agricoles ne sont pas une source extraordinaire de recettes fiscales pour les collectivités, ces dernières les soutiennent tout de même…

Mme Laure de La Raudière. D’ailleurs, il y a tout de même l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER)…

M. le président Julien Aubert. Si on devait réorienter la politique actuelle, quel serait d’après vous le niveau d’investissement public ou de soutien public adéquat pour verdir la production de gaz français ? Vous nous avez indiqué dépenser des sommes assez élevées, mais peut-être cela ne suffit-il pas…

M. Thierry Trouvé. Comme l’a dit tout à l’heure Édouard Sauvage, à l’horizon 2028, la PPE prévoit un soutien aux énergies renouvelables s’élevant à environ 8 milliards d’euros. Sur cette somme, il est prévu de consacrer 700 millions d’euros au gaz ; tout le reste va à l’électricité, déjà décarbonée. En conservant la même échéance, il nous semble qu’il ne serait pas anormal de multiplier par deux ou trois l’effort consacré au gaz – ce serait d’autant moins indécent qu’il y a plus à gagner en décarbonant le gaz, puisque ce n’est plus à faire pour l’électricité.

M. le président Julien Aubert. Dans la mesure où on substitue du gaz produit en France à du gaz importé, il y a sans doute une part du coût public qui se trouve minorée, du fait de la moindre importation de gaz fossile. Si vous devez justifier ce rééquilibrage, il serait donc intéressant que vous puissiez le faire au moyen d’une analyse économique annexe qui permettrait de déterminer ce qui relève réellement du soutien public et ce qui, d’un point de vue macroéconomique, va pouvoir être récupéré par la baisse des importations.

M. Édouard Sauvage. Sur ce point, le cabinet E-CUBE Strategy Consultant a réalisé une étude que nous pourrons vous communiquer, d’où il ressort que, lorsqu’on produit du biométhane, le plus important c’est que la valeur ajoutée est 100 % européenne et très massivement française – seuls certains éléments, notamment les filtres, provenant de pays voisins. En tout état de cause, il n’y a aucune importation d’origine extracommunautaire et la quasi-totalité de la valeur ajoutée revient aux territoires. Je ne connais d’ailleurs aucun cas d’agriculteur qui, après avoir reçu des aides pour l’installation d’un méthaniseur, se serait empressé de vendre son entreprise et de s’exiler dans un paradis fiscal…

L’argent investi dans les territoires ruraux ne l’est donc jamais à fonds perdus – pour peu que l’on s’assure que les aides vont bien à des exploitations conçues sur le modèle du développement durable et sont destinées à soutenir des exploitations veillant à préserver la valeur des sols. Nous travaillons sur ces sujets avec l’INRA et le WWF, afin de nous assurer que les sommes investies ont bien vocation à s’intégrer dans un cycle du carbone et de l’azote respectueux des sols.

D’un point de vue macroéconomique, le retour est globalement positif si on tient compte des émissions de carbone évitées et de l’amélioration de la balance commerciale. Quant à la contrainte budgétaire, dont on ne peut faire abstraction, elle doit s’apprécier en prenant en considération l’effet de levier produit par l’action de l’État sur la richesse créée. Par exemple, si le remplacement d’une chaudière est probablement l’une des mesures les plus efficaces en termes de bilan carbone, à très court terme, une telle opération va de facto se traduire par une baisse des recettes fiscales – exception faite de la TVA perçue lors de l’achat. L’équation macroéconomique et l’équation budgétaire ne sont donc pas forcément équivalentes, à moins d’avoir une vision keynésienne des choses selon laquelle la valeur ajoutée finira bien par être récupérée, puisqu’elle va à des acteurs implantés sur le territoire… C’est bien ce qui ressort de l’étude réalisée par E-CUBE, étant précisé que dans d’autres filières, la valeur ajoutée n’est jamais 100 % locale, comme elle peut l’être dans le cas de la méthanisation.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Si je comprends bien, vous ne prônez pas du tout une vision mono-énergie, mais préconisez de recourir à la bonne énergie, au bon moment, au bon endroit et au bon prix. Je parle de la bonne énergie parce que, selon les usages et les besoins, telle ou telle source d’énergie produira de meilleurs résultats. Ainsi, en Espagne, on observe un pic de consommation en été en raison de la nécessité de lutter contre la chaleur – il n’est pas exclu que ce soit le cas un jour chez nous : c’est donc à ce moment qu’il est le plus intéressant de faire appel au solaire. En France, le pic se situe plutôt en hiver, où nous dépendons du parc de chauffage électrique.

Pour ce qui est de la notion de bon endroit, on ne peut pas considérer que le marché est complètement uniforme : il me semble que, même si le réseau européen fonctionne bien, nous restons dans une logique de circuit court de l’énergie – vous pourrez éventuellement nous le confirmer.

Enfin, en ce qui concerne le bon prix au bon moment, on se souvient de l’offre Tempo d’EDF, qui prévoyait des prix différents en fonction des différents moments de l’année, auxquels correspondaient des besoins plus ou moins importants. Beaucoup trop complexe, ce dispositif n’a finalement jamais vraiment pris auprès des consommateurs. Selon vous, serait-il opportun de réfléchir à un système similaire, mais mieux conçu, afin de tenter de gagner en efficacité sur l’adaptation du prix au moment où il est appliqué ?

M. Édouard Sauvage. Je regrette que nous n’ayons pas eu l’occasion d’aborder davantage l’aspect sociétal des choses au cours de cette audition, car c’est un aspect qui joue souvent un rôle clé pour la mise en œuvre réussie d’un dispositif. Tout le monde s’accorde à reconnaître que la voie la plus soutenable est celle de l’efficacité et de la frugalité énergétiques. Or, selon l’ADEME, un grand nombre de rénovations énergétiques réalisées n’améliorent pas la classe énergétique des bâtiments rénovés, ce qui est paradoxal ; par ailleurs, des sondages ont montré que, pour la plupart des Français, on rénove surtout pour se faire plaisir, pour l’agrément ; économiser l’énergie, ce n’est pas leur souci, c’est celui des pouvoirs publics. Du coup, ils ne s’engagent dans de telles opérations que lorsqu’il existe des dispositifs incitatifs, sous la forme de subventions ou d’avantages fiscaux.

Cette façon de penser est très paradoxale, car le premier bénéficiaire d’une diminution de la consommation d’énergie est bien l’occupant du logement concerné ! Il s’agit là d’une problématique majeure en termes d’acceptabilité des projets de renouvelables, et il y a indéniablement un travail à faire pour améliorer l’appropriation par l’ensemble de la société de l’intérêt de la frugalité – je crois que cela fait partie des premières restitutions du Grand débat, que je n’ai pas eu le temps d’examiner dans le détail –, une frugalité envisagée dans son acception environnementale la plus large, et dont la frugalité énergétique n’est qu’une des composantes. Dans ce domaine, les choses s’améliorent, et il n’est pas exclu que, dans un futur plus ou moins proche, on puisse avoir une approche plus efficace, ce qui permettrait aux aides de produire un effet de levier beaucoup plus puissant.

Enfin, pour ce qui est de la réallocation des moyens qui a été évoquée, au-delà des moyens eux-mêmes, la stabilité des dispositifs est essentielle. Quand vous avez un crédit d’impôt transition énergétique qui fait l’objet de modifications incessantes – chaque année, on supprime ci ou ça, on baisse tel ou tel taux, et les textes d’application des lois ayant vocation à préciser les choses mettent des mois à être publiés –, on aboutit à un système qui est le pire qu’on puisse imaginer. En effet, face à une telle incertitude, les seuls à se lancer dans la réalisation d’un tel projet sont ceux qui n’avaient pas réellement besoin de l’aide, puisqu’ils ne savaient pas cela leur rapporterait… Au final, vous vous retrouvez dans un système doublement pervers, puisqu’on dépense l’argent du contribuable sans aucun effet incitatif !

La stabilité des politiques d’incitation est primordiale pour que les acteurs concernés s’engagent. Cela vaut pour la méthanisation, où la production de gaz issu de cette filière coûte aujourd’hui 90 euros le mégawattheure : les prix vont baisser régulièrement, mais seulement à condition que les acteurs de la filière puissent compter sur une certaine stabilité des règles du jeu. Le stop and go qu’ils ont connu au cours des dernières années – notamment quand on leur a imposé de diminuer leurs coûts de production d’un tiers en trois ans –, ne peut que favoriser la multiplication à court terme de projets de qualité médiocre et réalisés dans de mauvaises conditions, donc voués à l’échec. Il faut s’adresser aux acteurs de la filière en les considérant comme les industriels responsables qu’ils sont, et en leur permettant de disposer d’une visibilité grâce à laquelle ils seront en mesure de s’améliorer progressivement.

M. Thierry Trouvé. J’espère que vous n’avez pas retenu de notre intervention que nous plaidons pour gazéifier toute l’économie française… Pour nous, l’idée de complémentarité entre le gaz, l’électricité, mais aussi la chaleur, est essentielle.

À terme, notre vision de la décarbonation correspond d’ailleurs à un mix comprenant moins de gaz et davantage d’électricité. En effet, le gaz porte ses économies en lui-même, puisque la mesure la plus efficace consiste à changer les anciennes chaudières, ce qui permet de réaliser immédiatement 30 % d’économie en termes de consommation d’énergie. Nous prévoyons donc peu de nouveaux usages du gaz – ils ne sont actuellement envisagés que dans le secteur des transports –, mais plutôt une baisse de la consommation, alors que les usages de l’électricité seront certainement amenés à se multiplier dans les années qui viennent. Ainsi, l’équilibre entre le gaz et l’électricité devrait se déformer un peu, pour rejoindre une vision actuellement défendue au niveau européen. Jeter le gaz avec l’eau du bain serait une grave erreur ! Si nous voulons décarboner l’économie, nous devons d’abord nous demander quel est le chemin le moins cher pour y parvenir. Pour cela, il faut se référer à cet indicateur qu’est le prix de la tonne de CO2 évitée, ce qui doit logiquement nous conduire à la conclusion selon laquelle c’est le gaz qui constitue la solution à retenir.

M. le président Julien Aubert. Messieurs, je vous remercie d’avoir éclairé notre commission d’enquête. Vous avez fourni au rapporteur spécial du budget de l’énergie que je suis un excellent indicateur pour mesurer l’effet d’aubaine, lorsque nous avez expliqué qu’en raison de l’instabilité du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), seules les personnes n’en ayant pas besoin y avaient recours : cela va me permettre de chiffrer assez précisément ce que cet effet d’aubaine nous a coûté.

Je vous suis reconnaissant d’avoir su exposer avec clarté vos deux points de vue et de nous avoir également fourni des clés méthodologiques. Nous sommes preneurs des éléments d’information que vous voudrez bien nous communiquer au sujet du prix de la tonne de CO2 évitée et de la façon de l’inclure dans le raisonnement sur l’évolution des coûts, ainsi que sur les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour réorienter gaz et électricité de façon à réconcilier la vision budgétaire – en la matière, celle de Bercy n’est pas toujours très claire – et la vision macroéconomique, qui est celle qui nous intéresse prioritairement : tant il est vrai que le budget de demain, c’est l’économie d’aujourd’hui.

Laudition sachève à douze heures quarante-cinq.

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13.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, accompagnée de M. Éric Allain, président de section, et de Mme Isabelle Vincent, rapporteure (9 avril 2019)

Laudition débute à dix-sept heures cinq.

M. le président Julien Aubert. Pour la reprise de notre journée d’audition, je suis particulièrement heureux d’accueillir des magistrats de la Cour des comptes, Mme Catherine de Kersauson, présidente de la 2e chambre, et M. Éric Allain, président de section. Je précise à l’attention de mes collègues que chaque chambre comporte plusieurs sections.

Depuis l’année dernière, le champ d’investigation de la deuxième chambre porte sur l’énergie, les transports, les télécommunications, l’agriculture, la mer et l’environnement. Bien évidemment, la Cour des comptes n’a pas manqué de porter un regard vigilant sur la politique de développement des énergies renouvelables (EnR), avec la publication d’un rapport thématique en juillet 2013 et d’un rapport d’évaluation consacré aux certificats d’économies d’énergie (CEE) en octobre de la même année.

S’agissant d’une commission d’enquête portant sur l’acceptabilité sociale et la transparence du financement de la transition énergétique, il était évidemment logique de demander à la principale institution chargée de l’usage des deniers publics son avis sur les politiques susmentionnées.

Plus récemment, à la demande de nos collègues sénateurs de la commission des finances, la Cour des comptes a publié en mars 2018 une communication sur le pilotage global de la politique de soutien au développement des énergies renouvelables, en lien avec les évolutions résultant de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTE) et le premier exercice de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Cette communication s’articule autour de constats, en particulier sur le double objectif de la stratégie de développement des énergies renouvelables, à la fois au titre du changement climatique et en vue de la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité, sur la part des décisions du passé dans les charges assumées et sur la part de celles relatives aux EnR électriques. Peut-être en profiterez-vous pour nous rappeler des éléments chiffrés, éventuellement actualisés.

Cette communication formule également des propositions en termes de transparence et de bonnes pratiques dans la mise en œuvre du soutien aux EnR. Néanmoins, le contexte dans lequel s’inscrivent ces propositions a évolué en ce qui concerne la trajectoire d’augmentation de la composante carbone et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, qui a rencontré la jacquerie fiscale que l’on connaît.

Nous allons, Mme la présidente, vous écouter au titre d’un exposé liminaire de quinze minutes, qui sera suivi d’un échange de questions-réponses.

Il existe normalement, lors de toute audition par une commission d’enquête, une formule particulière pour prêter serment de « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». Néanmoins, à l’occasion de l’audition d’un membre de la Cour des comptes par une commission d’enquête, la question relative au serment a été posée s’agissant de l’audition de votre collègue M. Christian Descheemaeker, qui avait dûment invoqué le fait qu’étant magistrat assermenté, il n’y avait pas lieu de lui faire prêter serment. Le bureau de la commission n’ayant pas été préalablement consulté sur ce point, le président de ladite commission d’enquête, M. Daniel Goldberg, avait alors estimé qu’il n’était effectivement pas nécessaire de soumettre ce magistrat financier à l’obligation du serment, ce qui n’avait fait l’objet d’aucune remarque de la part des députés présents. Cette pratique a par la suite été confirmée, lors de l’audition conjointe de trois membres de la Cour des comptes par une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité, dont le président, M. Hervé Gaymard, avait spontanément décidé de l’exemption de serment, en usant d’arguments similaires. Considérant mon origine professionnelle et la jurisprudence qui fait date, vous comprendrez, mes chers collègues, que j’assume le fait de poursuivre cette tradition consistant à ne pas demander aux magistrats assermentés de prêter serment devant la commission d’enquête. Je rappelle en effet qu’au moment de leur installation, les magistrats font le serment de respecter loyalement la collégialité que vous représentez aujourd’hui.

Madame la présidente, vous avez la parole pour quinze minutes. Nous vous écoutons.

Mme Catherine de Kersauson, présidente de la 2e chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, vous avez, par une lettre du 26 mars 2019 adressée au premier président de la Cour des comptes, souhaité que des représentants de la Cour puissent vous présenter « les principales observations et recommandations relatives au pilotage global de la politique de soutien aux énergies renouvelables, telles qu’elles ressortent des vérifications et délibérations conduites par la Cour des comptes ». Le premier président a souhaité que je le représente, accompagnée d’Éric Allain, président de la section « Énergie », qui m’assistera pour répondre à vos questions.

Durant la période récente, la Cour a publié plusieurs rapports traitant des questions qui intéressent votre commission d’enquête. Le 16 mars 2018, elle a ainsi remis au président de la commission des finances du Sénat un rapport relatif au soutien aux énergies renouvelables, qui lui avait été demandé en décembre 2016 et porte sur la période 2013-2017. Ce rapport effectue la synthèse de trois contrôles réalisés en 2017, portant l’un sur le soutien aux énergies électriques, l’autre sur le soutien aux EnR chaleur et le troisième sur le soutien à la filière des EnR électriques. Par ailleurs, les notes d’exécution budgétaire relatives au compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », ainsi qu’à la mission « Écologie, développement et mobilité durable » et en particulier au programme 345 « Service public de l’énergie » complètent et actualisent certains des éléments figurant dans le rapport de mars 2018.

Je souhaite également vous signaler le référé du premier président du 22 décembre 2017 relatif à l’évaluation de la mise en œuvre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), qui a occupé une partie de vos auditions et a été adressé au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l’économie et des finances, ces derniers y ayant répondu conjointement le 14 mars 2018.

La Cour a en outre effectué en octobre 2013 une communication au Premier ministre sur les certificats d’économies d’énergie, qui a fait l’objet d’un suivi dans le cadre d’une insertion au rapport public annuel de 2016.

J’ajoute que la Cour assure un suivi annuel de ses recommandations, dont le résultat est synthétisé chaque année dans le rapport public annuel. Les résultats les plus récents de ce suivi pourront également nourrir les réponses à vos questions éventuelles.

Je vous signale également d’autres rapports de la Cour susceptibles d’éclairer vos travaux : le rapport préparé par la cinquième chambre et remis à la commission des finances de l’Assemblée nationale en mars 2019 sur les dépenses fiscales en faveur du logement, ou encore le rapport de la cinquième chambre de la Cour remis à la commission des finances du Sénat en février 2018 sur le programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Citons également, parmi les travaux les plus récents, une insertion au rapport public annuel de 2018 relative à Linky et aux autres compteurs communicants.

Permettez-moi deux remarques liminaires. Je tiens tout d’abord à préciser que la Cour ne peut s’exprimer que sur des sujets qu’elle a instruits complètement, après avoir mené à son terme la procédure contradictoire avec les organismes relevant de son champ de compétences. Par ailleurs, la date de nos publications sur le sujet particulier intéressant votre commission d’enquête est un élément tout à fait important s’agissant d’un contexte très évolutif. Certains de nos travaux demandent ainsi à être actualisés.

Je vais, à partir du rapport de mars 2018 et des notes d’exécution budgétaire précédemment mentionnées, essayer de répondre aux interrogations de votre commission sur les objectifs, l’impact économique et industriel et le financement des énergies renouvelables.

Concernant les objectifs poursuivis par la politique énergétique, notre rapport de mars 2018 sur le soutien aux EnR avait mis en évidence le retard persistant, déjà documenté dans le rapport précédent de 2013, entre les objectifs assignés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte et la place des EnR dans le mix énergétique. Il a également mis en lumière la non-compatibilité entre l’objectif et la trajectoire de développement des EnR de 32 % de la consommation brute d’énergie en 2030, arrêtée en 2016, et l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique en 2025. La Cour constatait dans ce rapport que l’objectif premier de la politique énergétique ainsi tracée était de réduire la place du nucléaire dans le mix énergétique plutôt que de lutter contre le réchauffement climatique, dans la mesure où les deux objectifs assignés ne réduisent pas les émissions de gaz à effet de serre. Pour y contribuer, la politique énergétique aurait dû se concentrer sur les EnR thermiques en substitution principalement des énergies fossiles, fortement émettrices de dioxyde de carbone.

La Cour a en outre, dans son rapport de mars 2018 sur les EnR, cherché à apprécier l’impact économique et industriel des énergies renouvelables. Son appréciation est la suivante : faute d’avoir établi une stratégie claire et des dispositifs de soutien stables et cohérents, le tissu industriel français a en définitive peu profité du développement des EnR. Constatant que la France, contrairement à d’autres États européens, n’était pas parvenue à se doter de champions dans ce secteur, la Cour exprimait diverses recommandations. Elle préconisait ainsi, à l’occasion de la révision de la PPE prévue initialement en 2018, mais intervenant de fait en 2019, de définir une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d’énergies renouvelables électriques et l’objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire dans le mix, et de clarifier les objectifs industriels français associés au développement des EnR. Il est difficile d’apprécier à ce stade la suite donnée à cette double recommandation, la PPE n’étant à ce jour qu’un projet dont l’adoption ne pourra intervenir avant la discussion et l’adoption de la petite loi sur la transition énergétique, dont le projet sera prochainement présenté par le Gouvernement.

Concernant les modalités, la maîtrise et la transparence des financements des politiques de transition énergétique, je rappellerai en introduction quelques éléments clés sur les différentes modalités de soutien par l’État et leur répartition. Le coût budgétaire du soutien est nettement en faveur des EnR électriques, dans un rapport de 1 à 10 environ. Les modes de soutien sont différents, fondés sur des subventions à l’investissement et des dispositifs fiscaux pour le thermique : je pense au fonds chaleur pour les subventions à l’investissement et, pour les dispositifs fiscaux, au crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et au taux réduit de TVA. Pour l’électrique, les soutiens sont basés sur des subventions d’exploitation, sous la forme de compensations et d’obligations d’achat visant à garantir un niveau de prix aux producteurs, l’État prenant à sa charge le risque pris. Le soutien à la production d’EnR électriques est désormais alloué après appel d’offres. Les soutiens aux EnR sont, depuis 2015, financés par le contribuable et retracés dans deux supports budgétaires. Le premier est le compte d’affectation spéciale « transition énergétique », financé en recette par une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui assure le financement du soutien aux EnR électriques et au biométhane, des charges liées au remboursement aux opérateurs du déficit de compensation de leur charge de service public de l’électricité cumulé au 31 décembre 2015 et des charges d’effacement de consommation. Le second instrument est le programme 345 « Service public de l’énergie », qui finance notamment les intérêts de la dette auprès des opérateurs, les dispositifs propres aux zones non interconnectées, le chèque énergie, le budget du médiateur de l’électricité et quelques autres éléments.

Le rapport de la Cour des comptes de mars 2018 sur les EnR et l’examen de l’exécution du budget de l’État ont conduit à formuler des observations et recommandations à l’adresse des pouvoirs publics. Le premier constat est celui d’une forte dynamique des dépenses publiques de soutien aux EnR, avec 5,3 milliards d’euros en 2016 et une projection pour 2023 estimée à l’époque à 7,5 milliards d’euros. La Cour notait également une forte concentration sur le soutien aux EnR électriques, avec 4,4 milliards d’euros sur 5,3 milliards d’euros en 2016. La Cour soulignait en outre le poids des engagements passés, les charges contractées avant 2011 représentant environ deux tiers du volume de soutien annuel en 2017. Elle relevait également la disproportion entre certains montants de soutien et la contribution aux objectifs de développement des EnR, notamment pour le photovoltaïque et l’éolien offshore. Ce déséquilibre en faveur du soutien aux EnR électriques était rappelé dans ce rapport, de même que les insuffisances du dispositif de connaissance des coûts de production. Le rapport de la Cour pointait enfin, parmi les trois principaux vecteurs de soutien public aux EnR – le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), le Fonds chaleur et la compensation des charges de service public – la place particulière de cette compensation récemment mise à la charge du contribuable et dont les dynamiques sont imparfaitement retracées dans le CAS et le programme 345.

Nous en tirions les recommandations suivantes : il importait tout d’abord selon nous de renforcer l’efficacité et l’efficience du soutien au développement des EnR par un net renforcement de la transparence quant aux déterminants des choix opérés et par une meilleure association du Parlement à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR. À cet égard, si la création du compte d’affectation spéciale transition énergétique a constitué un progrès, ceci ne permet pas de faire apparaître l’ensemble des coûts de long terme et se limite à donner une vision annuelle, si bien que le Parlement n’est pas en situation de se prononcer sur les nouveaux engagements, ni d’apprécier la dynamique d’évolution des charges du fait des engagements passés ou nouveaux. La Cour préconisait également de publier le calcul des coûts de production et des prix actuels et prévisionnels de l’ensemble du mix énergétique programmé dans la PPE et de l’utiliser pour contenir le volume des soutiens publics associés aux objectifs de la politique énergétique à court, moyen et long terme. La Cour recommandait de créer, à l’image du Conseil d’orientation des retraites (COR) et en remplacement d’autres instances existantes, un comité chargé d’éclairer les choix gouvernementaux relatifs à l’avenir de la politique de l’énergie : cette instance de pilotage interministérielle serait placée auprès du premier ministre, considérant que la conduite de la politique de soutien aux EnR s’appuyait presque exclusivement sur la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et justifierait un dialogue interministériel renforcé.

À notre connaissance, les suites données à ces recommandations sont les suivantes. Sur le premier point visant à mieux associer le Parlement, la Cour a, dans le cadre de ses travaux sur l’exécution budgétaire, été amenée à préciser ses critiques sur l’absence de transparence et les pistes pour y remédier. Nous constatons que l’information du Parlement sur le fonctionnement du dispositif de compensation de charges du service public de l’énergie reste incomplète : en effet, le rapport annuel de performances (RAP) 2017 mentionne l’existence de charges à compenser et le projet annuel de performances (PAP) 2019, même s’il apporte des informations un peu plus détaillées sur le chaînage, ne détaille pas la répartition des paiements entre exercices.

Concernant la publication des coûts, de leurs modalités de calcul et de la mise en transparence des engagements de long terme, la Cour constate que la situation n’a pas évolué : les travaux conduits par les instances administratives ne sont pas publics et n’associent pas le Parlement, en dépit de la nomination au sein du comité de gestion des charges du service public de l’électricité d’un représentant de l’Assemblée nationale.

Pour ce qui est de la gouvernance, de l’instauration d’une instance analogue au COR et du renforcement du pilotage interministériel, la Cour ne dispose pas formellement d’éléments permettant d’établir que ses recommandations ont été suivies. A été ajouté aux instances existantes un Haut conseil pour le climat, composé de treize experts, qui ne remplit pas exactement les missions attendues d’un conseil d’orientation de l’énergie, de par sa composition, mais aussi sa mission, qui est centrée sur la lutte contre le réchauffement climatique et n’embrasse donc pas toutes les composantes d’une politique en faveur des EnR.

M. le président Julien Aubert. Merci, madame la présidente. Je vais céder la parole à Mme la rapporteure.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour vos propos. Pourriez-vous tout d’abord nous faire part de vos recommandations relativement au dispositif des CEE ?

M. Éric Allain, président de la section « Énergie » de la Cour des comptes. Je souhaite rappeler en préambule que les investigations de la Cour sur ce sujet sont relativement anciennes, puisqu’elles ont fait l’objet d’une insertion au rapport public annuel de 2013 et d’un suivi en 2016. Il ne m’est pas interdit de vous indiquer que nous envisageons de revenir assez rapidement sur cette question. Toutefois, en l’état actuel des constats et recommandations de la Cour, les dernières données remontent à 2016. Les constats effectués en 2013 et ayant fait l’objet d’un suivi en 2016 pointaient les insuffisances des modalités de contrôle et d’évaluation de ce dispositif, qui donnaient matière à un certain nombre de dérives de la part des éligibles ou des obligés et conduisaient à ce que le dispositif ne garantisse pas l’atteinte des objectifs assignés. Nous avions à cet égard formulé plusieurs recommandations, dont le dernier suivi ne permet pas de penser que la situation a grandement progressé.

Concernant les études sur les économies réellement obtenues grâce aux CEE, nous avions formulé, en 2013 comme en 2016, la recommandation qu’elles soient rendues obligatoires ; or ceci n’a toujours pas été mis en œuvre. Nous savons, comme vous, qu’une évaluation a été lancée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) à l’automne 2018, dont les résultats ne sont, me semble-t-il, pas encore disponibles. Ceci ne répond toutefois pas formellement à la recommandation visant à rendre ces études obligatoires.

Il était également préconisé d’engager des contrôles a posteriori par sondage, qui n’avaient toujours pas été mis en œuvre en 2016, et de développer des procédures de contrôle a posteriori sur les justifications d’attribution de certificats. Nous avons constaté en 2016 que les contrôles restaient quantitativement insuffisants. Concernant les contrôles a posteriori sur les justifications d’attribution des certificats, nous avons observé en 2017 que le dispositif législatif et organisationnel avait été complété et apparaissait formellement mis en œuvre ; reste à vérifier qu’il l’est effectivement, ce qui est une autre question. En tout état de cause, les éléments réglementaires ont été développés, suite à la recommandation de la Cour.

Je n’entrerai pas, sauf si vous le souhaitez, dans le détail des quelque douze recommandations formulées et de leur suivi, dans la mesure notamment où, comme signalé précédemment, nous ne disposons pas, pour certaines d’entre elles, d’informations actualisées à date. Certaines ont en outre un caractère relativement technique. Il nous paraît en tout cas nécessaire, compte tenu de l’importance et de l’originalité de ce dispositif, qu’il fasse l’objet d’un réexamen de la part de la Cour, ce qui est a priori prévu dans le cadre de la programmation de nos travaux.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. La notion de plancher pour les CEE figurait-elle dans vos recommandations ? Si la notion de plafond vient avec la pénalité à laquelle sont soumis les obligés, la question d’un plancher pour éviter que le prix des CEE ne baisse trop et risque de mettre à mal le système est souvent évoquée : cet aspect était-il abordé dans vos préconisations ?

M. Éric Allain. Non, ceci ne faisait pas partie des recommandations initiales de la Cour des comptes.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quelles sont, selon les évaluations et analyses prospectives que vous avez pu mener, les conséquences de la transition énergétique sur l’emploi en France ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous avons traité de ce sujet au travers du rapport sur le soutien aux EnR, lequel comporte des informations sur les retombées économiques du développement des EnR et notamment l’impact sur l’emploi, reprenant des estimations effectuées par l’ADEME. Un graphique montre ainsi l’existence d’un impact en termes d’emploi entre 2006 et 2016, passant de 60 000 à 80 000 emplois liés à la filière des EnR. Je vous renvoie à la page 37 du rapport.

M. Éric Allain. Ceci ne constitue qu’une partie de la réponse à votre question ; la Cour n’a en effet pas étudié en tant que tel l’impact en termes d’emploi de la transition énergétique. Les travaux que nous avons menés sont essentiellement basés sur des constats dressés par l’ADEME. L’un des principaux constats effectués sur ce sujet résidait dans la faiblesse des outils de suivi de l’impact du soutien aux EnR en matière d’emploi et plus globalement sur l’économie et le tissu industriel. Ce constat est à rapprocher de celui fait par la Cour des comptes dans son rapport précité sur les dispenses fiscales en faveur du logement, qui montre de manière générale sur ce sujet un déficit en termes d’évaluation des impacts des dispositifs fiscaux, y compris de ceux, dont le CITE, qui contribuent à la transition énergétique, dont on est aujourd’hui bien en peine d’indiquer quelles sont leur véritable efficacité et leur efficience réelle, concernant notamment les retours sur l’emploi et l’activité économique du pays.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Avez-vous, dans le cadre des études que vous avez conduites, réfléchi à la question des coûts de l’inaction ? La transition énergétique a un coût, qui doit être calculé en considérant l’ensemble de la chaîne, depuis la construction jusqu’au démantèlement ou à la déconstruction, avec tous les impacts indirects que ceci peut avoir. Si l’on veut être absolument exhaustif, il faudrait de la même façon être en mesure de chiffrer les coûts de l’inaction. De tels travaux ont-ils été menés ? Si non, envisagez-vous de les conduire ?

Mme Catherine de Kersauson. Non, nous n’avons pas mené de tels travaux.

M. Éric Allain. La Cour, parmi ses différents outils et modes d’action, développe l’évaluation de politiques publiques au sens pur du terme. Les travaux que nous menons, y compris le rapport de synthèse sur les EnR sur lequel nous nous appuyons pour conduire ces échanges, sont des enquêtes à portée évaluative et ne constituent pas en tant que tels des évaluations, dans le sens où ils ne font pas appel par exemple à des modèles économétriques, à des panels d’experts ou à des comités d’usagers. Pour autant, l’une des orientations que la Cour souhaite prendre vise à développer ce pan d’activité. Bien évidemment, nous comptons appliquer ceci dans les domaines de l’énergie et de la transition énergétique.

Mme Laure de La Raudière. Ma question concerne les subventions d’argent public entre les filières. Avez-vous comparé un euro d’argent public dépensé sur l’éolien terrestre, le photovoltaïque ou les énergies thermiques en termes d’efficacité au regard de l’objectif recherché et du coût complet de la filière, incluant le démantèlement ?

Avez-vous par ailleurs effectué une comparaison entre un euro d’argent public investi par exemple pour réaliser des économies d’énergie par la rénovation thermique de bâtiments et un euro d’argent public investi dans les énergies renouvelables ? J’ai l’impression que l’on poursuit toujours deux objectifs en France, à savoir à la fois le taux d’énergies renouvelables et la réduction des émissions de CO2. Avez-vous effectué des analyses et produit des recommandations relativement à ce double objectif ?

Mme Catherine de Kersauson. Je vais commencer à répondre à partir de notre rapport sur le soutien aux énergies renouvelables et laisser Éric Allain poursuivre. Nous expliquions dans ce document que le soutien au photovoltaïque coûterait aux finances publiques, à l’époque où nous avions rédigé ce texte, 38,4 milliards d’euros sur vingt ans, pour un volume de production représentant 0,7 % du mix électrique. Nous soulignions également qu’en matière d’éolien offshore, la pleine réalisation des appels d’offres lancés en 2011 et 2013 pèserait 2 milliards d’euros par an sur vingt ans, pour un volume de production représentant à terme 2 % du mix électrique. Nous mettions ainsi en évidence la disproportion entre le coût pour les finances publiques de ces investissements et leur part dans le mix électrique. D’une manière générale, la Cour a pointé le déséquilibre entre le coût pour les finances publiques du soutien aux EnR électriques vs. les EnR thermiques. Nous n’avons toutefois pas réalisé d’étude globale permettant de répondre strictement à votre question.

M. Éric Allain. Il importe aussi d’apprécier la dynamique des coûts. La Cour a ainsi constaté dans son rapport sur le soutien aux EnR que les coûts au mégawattheure installé diminuaient pour un grand nombre de techniques. Ceci est par exemple particulièrement frappant sur le photovoltaïque, un peu moins sans doute pour des techniques moins matures comme l’éolien offshore, qui a fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit d’un élément à prendre en considération. Il existe aujourd’hui une forme de dynamique à la baisse du coût de ces installations. En règle générale, ceci entre désormais dans le cadre d’appels d’offres : les projets retenus sont ainsi les plus compétitifs en termes de prix au mégawattheure installé. Les porteurs de ces projets, qui sont des sociétés du secteur privé, intègrent en toute logique dans ces coûts les amortissements de leurs installations, la maintenance, etc. On est donc en droit de penser, en première analyse, qu’ils intègrent y compris l’éventuel démantèlement ultime ou, plus vraisemblablement, le renouvellement de l’installation. On se situe bien a priori dans une logique de coût complet tel que soumis par le porteur de projet à l’adresse des autorités publiques, qui choisissent ou non de retenir la proposition en question. La tendance est globalement à la baisse, sachant évidemment que, selon les techniques, les situations peuvent s’avérer extrêmement contrastées.

Concernant votre question relative au prix de la tonne de CO2 évitée selon le dispositif mis en place – typiquement développement des EnR vs économies de consommation thermique ou électrique pour chauffer un logement –, la Cour n’a pas produit de travaux en la matière. Ceci mériterait en effet la prise en compte de travaux complémentaires, sachant que, comme l’a rappelé la présidente dans son propos liminaire, nous avons constaté que sur la production d’énergie elle-même, sans parler du secteur du logement qui mériterait évidemment des développements à part entière, avait été privilégiée la substitution EnR thermiques - nucléaire par rapport à une véritable réduction des émissions de gaz à effet de serre. Bien qu’il soit assez rare que la Cour des comptes propose d’augmenter les dépenses publiques, le rapport de synthèse sur les EnR recommandait en l’occurrence à l’État d’augmenter les moyens consacrés au fonds chaleur. Ceci nous paraissait parfaitement légitime, compte tenu des objectifs que par ailleurs le législateur avait assignés à l’action publique en la matière.

Mme Véronique Louwagie. Merci pour ces informations. Ce matin, il nous a été suggéré lors d’une audition de retenir comme indicateur pour évaluer les politiques publiques le coût de la tonne de CO2 évitée. Avez-vous déjà conduit des analyses ou des réflexions en ce sens ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous n’avons pas produit de telles analyses.

M. Éric Allain. Nous avons en revanche un certain nombre de pistes de réflexion en matière d’évaluation. Je ne suis pas certain que ceci doive constituer un critère exclusif d’évaluation, mais il est clair que ceci devrait en être un élément important, concernant par exemple la politique de transition énergétique menée dans les secteurs de l’industrie, du logement ou des transports.

M. Anthony Cellier. Je souhaiterais revenir sur vos propos concernant l’éolien offshore. Vous avez pointé une disproportion entre les charges financières et le volume de production dans les années à venir. Vous mentionnez notamment dans le rapport les appels d’offres relatifs à l’éolien offshore, qui coûteraient 2 milliards d’euros pendant vingt ans. Avez-vous pris en compte la renégociation effectuée par le gouvernement l’an dernier, tant sur la production, avec un passage de 200 euros à 150 euros le mégawattheure, qu’en termes de renégociation globale de la filière ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous n’avons, par définition, pas pris en compte cet élément, puisque la renégociation a été l’une des conséquences de notre rapport et est intervenue à l’été 2018.

M. Anthony Cellier. Regardez-vous ceci d’un œil favorable ? Les décisions prises au niveau du gouvernement et les renégociations effectuées répondent-elles aux attentes formulées dans le rapport de la Cour des comptes ?

Mme Catherine de Kersauson. Ceci va dans le bon sens. Nous n’avons toutefois pas expertisé cette renégociation.

M. le président Julien Aubert. Rassurez-vous, monsieur Cellier, quelqu’un s’en est chargé, et vous disposerez en juin du rapport que je suis en train d’élaborer sur les éoliennes en tant que rapporteur spécial du budget de l’énergie. Je précise par ailleurs que c’est M. Rameix, de la Cour des comptes, qui a supervisé l’opération de renégociation.

M. Anthony Cellier. Il est spécifié dans le rapport que, pour les EnR électriques, l’État a d’abord mis en place des tarifs garantis, l’engageant financièrement lourdement sur le long terme. Les charges contractées à la suite de décisions antérieures à 2011 représentent ainsi près de deux tiers du volume annuel de soutien supporté aujourd’hui par les finances publiques. Le rapport fait état de 5,3 milliards d’euros de dépense publique de soutien aux EnR, dont 3,6 milliards d’euros ne correspondant pas à un soutien actuel, mais à des charges antérieures. Pouvez-vous me donner une temporalité ? Depuis quand est-on passé sur ce volume ? Quel est le montant exact de ces charges ? Quel est le tendanciel ?

M. Éric Allain. Nous nous sommes efforcés de nous projeter dans les prochaines années, avec une convention consistant à regarder ce qui a été engagé jusqu’en 2011 et à apprécier l’impact budgétaire, la dernière échéance du graphique dont je dispose se situant en 2040. Il apparaît qu’un plafond est atteint aux alentours de 7 milliards d’euros pour la totalité des engagements pris jusqu’en 2017 inclus et que, fort heureusement, la courbe décroît ensuite progressivement. L’effet stock pèse assez lourdement sur la trajectoire. On observe toutefois que les dispositifs ont évolué et engagent un peu moins lourdement les finances publiques sur des périodes extrêmement longues et à des niveaux très élevés que ceci ne fut le cas au cours des années 2000-2010. Pour autant, l’État est engagé. Une renégociation des conditions de soutien peut évidemment intervenir, comme pour l’éolien offshore, mais ceci apparaît toutefois très exceptionnel. La part des engagements contractés avant 2011 diminue en 2018, avec 3,6 milliards d’euros sur 5,2 milliards d’euros. Si l’on se projette en 2027, cette part ne sera plus que de 2,8 milliards d’euros sur 6,9 milliards d’euros. La tendance est celle-ci.

Il faut par ailleurs savoir qu’aujourd’hui les mécanismes sont un peu différents. Il s’agit de mécanismes de compensation de prix, réputés moins coûteux pour les finances publiques, mais qui induisent un transfert du risque de marché des opérateurs privés vers l’État. Ceci correspond au principe même de l’incitation et constitue l’une des difficultés de la mise en transparence de ces questions. Il est en effet difficile de se projeter dans l’avenir et d’anticiper l’évolution de ces charges, puisqu’elles dépendent, dans une mesure assez importante s’agissant en tout cas de l’électrique, de l’évolution des marchés de l’électricité.

Mme Catherine de Kersauson. Le montant des charges prévisionnelles sur longue période, estimé dans notre rapport à 121 milliards d’euros en euros courants entre 2018 et 2046, est actualisé par la commission de régulation de l’énergie (CRE). Il est de 104 à 115 milliards d’euros fin 2018 et 120 milliards d’euros en 2019.

M. le président Julien Aubert. Le recours à des appels d’offres vise à limiter le coût de soutien des EnR électriques : tout dépend en fait des projections faites par rapport au prix de l’électricité. Plus ce prix se rapproche de celui pour lequel on s’est engagé, plus le soutien aux EnR est faible. Si le prix de l’électricité baissait massivement, l’engagement de l’État deviendrait alors très fort. Dans certains pays, notamment au Brésil, on ne communique pas sur le volume des appels d’offres, ce type de donnée étant susceptible d’informer les demandeurs qui, connaissant la distribution qui sera faite par la suite, pourraient éventuellement conclure des ententes concurrentielles. Avez-vous analysé ce dispositif d’appel d’offres par rapport à une hypothèse transnationale ? Avez-vous effectué un parangonnage international ? Vous aviez pointé le fait qu’il s’agissait pour l’État de réduire le coût. Ceci impliquerait d’aller vers un système que les Britanniques qualifient de complement for difference, c’est-à-dire de complément de rémunération garanti permettant de quantifier le soutien de l’État. Avez-vous analysé ceci ?

M. Éric Allain. Nous n’avons pas analysé cet aspect sous l’angle de la mesure de l’efficacité. Nous avons simplement constaté que cela se développait et faisait partie des évolutions récentes des modalités de soutien. Cette démarche nous semble intéressante en première analyse, dans la mesure où elle est susceptible de réduire le coût global du soutien.

M. le président Julien Aubert. Concernant les objectifs, vous avez expliqué que la France avait fait le choix, au travers des moyens employés, de ne pas privilégier l’objectif carbone. Or selon moi, la transition énergétique a avant tout pour but de lutter contre le réchauffement climatique. Sur les sommes que vous avez mises en avant, quel pourcentage irait selon vous à l’objectif carbone par opposition aux autres objectifs ?

M. Éric Allain. Pour le thermique, le rapport est d’environ 1 à 10. Les chiffres donnés dans le rapport, qui mériteraient d’être actualisés, faisaient état en 2016, sur un soutien total d’un peu moins de 5,3 milliards d’euros, de 4,5 milliards d’euros alloués à l’électrique et 689 millions d’euros au thermique. Si l’on raisonne en grandes masses, on peut considérer que les sommes dévolues au thermique bénéficient à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit en tout cas d’une hypothèse de travail qui paraît assez robuste. Il conviendrait d’ajouter à cela les dépenses fiscales qui peuvent cibler le thermique : nous avons évoqué précédemment le CITE, mais il convient de considérer aussi les dépenses fiscales liées à l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ).

M. le président Julien Aubert. En fait, lorsque l’on additionne les grandes masses que représentent le soutien au thermique et le CITE, on obtient finalement une somme voisine de 1,4 ou 1,5 milliard d’euros consacré à l’objectif CO2.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. N’oublie-t-on pas la question de la sobriété, et avec elle la part d’incidence sur les pics, lorsque l’on est par exemple sur de l’effacement, qui évite des dégagements de CO2 par un non-recours aux centrales thermiques ?

M. Éric Allain. Probablement, mais cela dépasse le champ des investigations que nous avons menées. Il conviendrait en effet d’apprécier le pourcentage en fonction des différents vecteurs énergétiques, afin de voir lesquels parmi eux contribuent en année moyenne à l’effacement, pour rester sur l’exemple que vous citez, et moduler, pondérer le coût global de l’effacement par le recours à ces vecteurs. Je ne pense toutefois pas que ceci représenterait des sommes considérables, de nature à conduire à revisiter l’image d’ensemble de l’impact relatif du carboné.

M. le président Julien Aubert. Dans la sobriété énergétique, figure la réduction d’énergie. L’un des intervenants entendus ce matin nous indiquait qu’il était différent de réduire une consommation au gaz et à l’électricité. L’objectif de maîtrise de l’énergie peut donc avoir un impact carbone ou ne pas en avoir. Or il me semble que l’on ne discrimine pas forcément, aujourd’hui, parmi les outils de sobriété énergétique. Dans les outils de CEE, il n’existe aucune prime différenciée selon que vous fassiez de l’efficacité énergétique pour réduire les émissions de CO2 ou pas. Grosso modo, 1,5 milliard d’euros concerne l’objectif CO2, contre trois fois plus pour le soutien à l’électrique. L’une des difficultés tient au fait que l’on dispose d’outils qui se superposent. Avez-vous étudié, en matière d’efficacité, le doublonnement potentiel ? Avez-vous par exemple regardé si, entre les CEE et le CITE, deux dépenses ne se superposaient pas ? Comment avez-vous abordé ce sujet, plus complexe que celui du soutien direct ?

Mme Catherine de Kersauson. Nous n’avons pas examiné cet aspect. Dans le rapport sur les EnR, nous avons en effet raisonné globalement et non instrument par instrument, en analysant les interactions ou les effets comparés, s’annulant éventuellement, de ces différents soutiens. Ce sont à ce stade des travaux que nous n’avons pas conduits.

M. le président Julien Aubert. Les CEE sont un outil de l’État extrêmement pratique, que l’on retrouve partout, dans l’électricité, le gaz, le pétrole, qui compte dans la facture, sur lequel l’État perçoit des taxes et dont il fixe lui-même le volume, ceci induisant une augmentation et un prélèvement, dans la mesure où tout ceci est répercuté auprès des consommateurs. Puisque vous avez mentionné le fait que, sur le soutien aux EnR, le Parlement n’avait pas son mot à dire, ne pensez-vous pas qu’il existe un sujet sur les CEE, dont il nous est dit qu’il ne s’agit pas d’une taxe, d’une quasi-taxe, d’une accise, sachant que le ministre décide, dans le secret de son ministère, d’augmenter un volume, ce qui produit mécaniquement, de facto, une augmentation pour les obligés, une répercussion financière pour les consommateurs finaux ? Il existe de plus un conflit d’intérêts, puisque lorsque le ministère de l’écologie augmente les CEE, le ministère des finances perçoit une TVA sur cette augmentation. Or le Parlement n’est en rien consulté. Il nous a d’ailleurs été dit, concernant précisément les CEE, que sur la période actuelle, les obligés peinaient à remplir leurs objectifs. Comment, sans perdre la nature particulière des CEE, qui est intéressante dans les aspects marchés et que personne ne conteste, le Parlement pourrait-il être associé aux décisions ? On voit bien, sur les EnR, comment essayer de contrôler le volume, avec éventuellement des systèmes de complement for difference ou en tout cas le vote de volume maximum d’aides aux EnR. Mais comment procéder relativement aux CEE ?

M. Éric Allain. Vous posez là une question difficile, à laquelle je ne saurais répondre. Les CEE sont un objet étrange, ni budgétaire, ni fiscal, dont même la qualification en termes comptables peut susciter quelques interrogations. La question du levier permettant d’intégrer cet outil dans une politique énergétique complètement débattue m’échappe à ce stade. Ce pourrait être éventuellement l’objet de futures investigations de la Cour.

M. le président Julien Aubert. Ma dernière question porte sur le contrôle interne et la manière dont vous avez évalué les CEE. Le rapport d’évaluation de 2013 a été rapporté par Mme Pappalardo, présidente de l’ADEME de 2003 à 2008. Or les CEE, mis en place précisément par l’ADEME, ont été lancés en 2006. Y a-t-il eu, lors de l’examen de l’évaluation de 2013, une procédure particulière, dans la mesure où Mme Pappalardo a rapporté sur ce sujet qu’elle connaissait, puisqu’elle avait contribué à lancer le dispositif ? Des mesures spécifiques ont-elles été prises afin d’éviter un processus de juge et partie ?

Mme Catherine de Kersauson. J’ignore si des observations de ce type ont été formulées lors de l’adoption de ce rapport, mais me permets de vous rappeler que les rapports de la Cour des comptes font l’objet d’une procédure contradictoire et collégiale. Ainsi, la communication au premier ministre de 2013 a donné lieu à une délibération collégiale : il s’agit donc d’un rapport de la Cour, non d’un rapport de Mme Pappalardo.

M. Vincent Thiébaut. En dehors des EnR, il est bien question d’un mix énergétique global, dont les EnR ne sont qu’une partie. Vous nous avez communiqué des coûts relativement à la partie EnR. Je sais que la Cour des comptes a aussi travaillé sur les problématiques des autres énergies, qu’il s’agisse notamment du démantèlement ou de la prolongation des centrales nucléaires. Ce coût est également supporté par les contribuables. Avez-vous pu effectuer une comparaison entre ce que coûtent d’une part les EnR, qui sont des énergies émergentes, pour certaines encore en phase d’innovation et de perfectionnement, et ont logiquement besoin de soutien, d’autre part le maintien de l’énergie nucléaire ? L’idée n’est pas nécessairement d’opposer les deux, mais d’avoir un aperçu de ce que coûte l’un par rapport à l’autre. Je pense en effet que l’avantage des EnR est que si l’on parvient, à un moment donné, à un coût de marché intéressant, comme dans le secteur du photovoltaïque où les coûts ont bien baissé depuis dix ans, alors on aura moins de problématique dans la prolongation ou en tout cas dans le renouvellement.

M. Éric Allain. La Cour des comptes s’est en effet penchée en 2012, ce qui constituait un travail alors assez original et inédit, sur l’appréciation du coût de l’électricité nucléaire, qui représente aujourd’hui trois quarts de la production électrique nationale. Ces travaux ont été réactualisés en 2014 et il est prévu qu’ils le soient régulièrement. L’approche de la Cour est une approche en coût complet, qui n’est pas directement à relier au coût de marché, ni même au prix de vente de l’électricité du parc nucléaire historique, à laquelle la présidente a fait allusion précédemment dans le cadre du dispositif de l’ARENH, qui est à 42 euros le mégawattheure. Lorsque nous avons évalué le coût complet en 2014, il s’établissait aux alentours de 65 euros le mégawattheure. On parle bien ici du parc nucléaire existant, soit les 58 réacteurs nucléaires aujourd’hui en activité.

Le deuxième sujet est d’apprécier les différents vecteurs et leurs positionnements relatifs. Concernant les EnR, les coûts ont pu être largement supérieurs à 100 euros du mégawattheure et le sont d’ailleurs restés pour certaines techniques, tandis qu’ils sont en décroissance forte pour d’autres : tout dépend de l’évolution des différentes technologies et des économies d’échelle. Dans cette question de ce que les spécialistes qualifient de « foisonnement », qui renvoie à la manière dont on articule les différentes sources d’énergie pour assurer une régularité de l’approvisionnement et un équilibrage permanent du marché entre l’offre et la demande d’électricité, il faut considérer que ces énergies n’ont pas les mêmes caractéristiques : certaines, comme le nucléaire, mais aussi les centrales à gaz et à charbon, sur lesquelles je passerai dans la mesure où il est prévu que ces modes de production disparaissent à court ou moyen terme, sont dites « pilotables », ce qui n’est pas le cas des EnR. Des appréciations peuvent être menées sur la part des énergies non pilotables susceptibles d’être acceptées dans le mix électrique sans que cela n’ait forcément de conséquence sur la capacité des gestionnaires de réseaux à assurer en permanence l’adéquation entre l’offre et la demande. On entend dire aujourd’hui que 20 % à 30 % d’EnR ne posent pas de difficulté particulière. Au-delà, ceci peut générer des difficultés ou nécessiter des investissements supplémentaires, qui seraient répercutés sur le consommateur, par le biais notamment du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Il ne s’agit pas de questions que la Cour a réellement investiguées en tant que telles.

L’aspect des coûts est évidemment important et a été développé dans notre rapport sur les EnR, pour indiquer que la problématique des coûts de revient devait être mieux prise en compte dans les choix faits par la France lorsqu’elle décide de développer tel ou tel type d’énergie renouvelable. Pour autant, ceci est à comparer avec d’autres vecteurs énergétiques qui assurent aujourd’hui une base de production solide.

M. Vincent Thiébaut. Lorsque vous parlez de coût complet, je suppose que ceci inclut la production, la maintenance, le démantèlement, le stockage, etc.

M. Éric Allain. Absolument : ce coût inclut, en fonction des informations disponibles et de la manière dont elles sont retracées dans les comptes des exploitants, principalement EDF, les opérations de fin de cycle, c’est-à-dire la gestion des opérations de démantèlement, donc le provisionnement effectué chaque année par EDF pour assurer sa capacité à démanteler les installations une fois qu’elles seront en fin de vie, ainsi que la gestion des déchets telle qu’elle est aujourd’hui estimée.

M. Vincent Thiébaut. À 65 euros le mégawattheure, la tarification actuelle va-t-elle permettre de couvrir l’ensemble de ce coût complet ? Ne faudra-t-il pas, à un moment donné, faire appel à l’argent public pour assurer l’ensemble des opérations ?

M. Éric Allain. J’ai pris soin de préciser précédemment que le coût complet et le prix de vente étaient deux éléments différents, qu’il ne fallait pas comparer strictement l’un à l’autre. Un prix de vente se raisonne plutôt en coût marginal, tandis qu’un coût complet, par construction, ne le peut pas. Il ne s’agit pas d’un travail instruit par la Cour, si bien qu’il me faut être très prudent sur ce sujet. Le tarif de l’ARENH a été conçu, à l’origine, pour couvrir les coûts de production de l’électricité nucléaire d’EDF et n’a pas évolué depuis quelques années déjà. Je rappelle toutefois que nous n’avons pas instruit ce sujet. Il existe de même aujourd’hui une problématique sur l’évolution de l’ARENH, qui peut en effet poser question. On parle bien là du parc historique ; la question se pose bien évidemment dans des termes similaires sur le principe, mais assez différents en termes de masse financière, pour un futur parc nucléaire. Il y aurait là aussi un dispositif de prix à imaginer.

M. Anthony Cellier. Il est affirmé dans le rapport que « larchitecture budgétaire actuelle ne permet pas en effet au Parlement ni de se prononcer sur les nouveaux engagements, ni dapprécier la dynamique consolidée dévolution des charges du fait des engagements passés ou nouveaux. Le Parlement devrait donc être mieux associé à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR ». J’ai sollicité l’année dernière la co-signature d’une centaine de parlementaires invitant à une meilleure implication du Parlement quant à la programmation pluriannuelle de l’énergie ; les CEE pourraient entrer pleinement dans ce type de réflexion. Nous avions évoqué l’hypothèse d’une loi programmatique, un peu comme une loi de programmation militaire. Avez-vous réfléchi à cet aspect ? Avez-vous des pistes à nous faire partager dans ce domaine ?

Mme Catherine de Kersauson. Comme vous l’avez lu dans le rapport, nous avons formulé une orientation sur ce sujet, visant à ce que le Parlement soit « mieux associé à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR », mais sans évoquer l’outil qui serait le plus adapté.

M. le président Julien Aubert. Toutes proportions gardées, ce sujet est assez voisin de celui des retraites : il s’agit d’une dépense certaine, lointaine et dont l’évaluation dépend de différents paramètres, tels que l’âge de la retraite pour l’un ou le prix de l’électricité sur le marché de gros pour l’autre. Vous constatez dans votre rapport que le Parlement voit passer le flux annuel, mais n’a de vision ni sur l’amont, ni sur l’aval, ni sur le long terme. Vous aviez d’ailleurs annoncé à ce propos des chiffres quelque peu effrayants, de l’ordre de 120 milliards d’euros. Ne pourrait-on s’inspirer de l’architecture imaginée dans le cadre des retraites pour disposer des engagements « hors bilan » que représentent les engagements de l’État, pour lesquels on est certain que la dépense arrivera ? Existe-t-il au contraire entre les deux situations des éléments qui diffèrent et rendraient impossible de s’inspirer du cadre des retraites pour disposer d’une visibilité budgétaire dans ce domaine ?

M. Éric Allain. Nous ne nous sommes pas nécessairement inspirés du système des retraites, mais avons critiqué la logique annuelle, dans laquelle le Parlement ne fait que constater l’évolution des coûts sans influer sur le niveau des engagements. Il s’agit d’une logique dans laquelle les autorisations d’engagement (AE) sont égales aux crédits de paiement (CP) pour le CAS, principal vecteur retraçant la dépense budgétaire associée au soutien aux EnR. Nous avons formulé à ce propos non une recommandation définissant un schéma précis, comme la Cour le fait parfois, mais une orientation, dans la mesure où nous estimons qu’il existe plusieurs façons d’atteindre le but. Une manière consisterait à déterminer un niveau d’AE sur quinze ou vingt ans, en fonction des appels d’offres sur lesquels l’État contracterait, à suivre l’évolution de ce montant d’AE et les profils de décaissement assortis en fonction des évolutions des marchés de l’électricité. Aujourd’hui, ces éléments de dépense et de projection de la dépense sont suivis de fait et il n’y a là aucune critique à formuler à l’égard des administrations compétentes. La question est de savoir comment partager ceci et comment le transcrire dans un outil adapté. Le CAS ne conviendrait évidemment pas et il faudrait trouver un autre support budgétaire pour à la fois transcrire les engagements et dépenses associées et soumettre ce vecteur budgétaire au Parlement, afin que ce dernier puisse en débattre.

Cela peut prendre différentes formes. L’un des membres de votre commission évoquait une loi de programmation. Face à ces différentes possibilités, la Cour ne s’est pas sentie totalement assurée et légitime pour indiquer le vecteur le mieux adapté ou la meilleure manière de procéder. En revanche, aucun élément identifié dans le corpus juridique français ne s’oppose fermement à ce que nous puissions par exemple évaluer un montant pluriannuel d’autorisations d’engagement. Ceci existe déjà pour certains types de projets, comme les partenariats public-privé (PPP), et on pourrait très bien imaginer que ceci puisse être mis en œuvre dans le domaine de l’énergie, compte tenu des particularités des modalités de soutien.

Mme Catherine de Kersauson. Dans notre rapport, nous soulignions que la PPE était adoptée par décret et était trop imprécise en matière d’impact sur les soutiens par les finances publiques. Nous n’en avons pas fait une recommandation, mais il ressort clairement du rapport que l’une des solutions pourrait être que le Parlement puisse se prononcer sur les éléments de programmation contenus dans la PPE et que cette dernière soit plus précise s’agissant des soutiens publics liés aux objectifs affichés.

M. Anthony Cellier. Je me permets de préciser à l’attention de nos concitoyens qui regarderaient cette audition retransmise sur le site de l’Assemblée nationale que les parlementaires ne sont malgré tout pas complètement démunis et peuvent agir a posteriori, dans le cadre de leur mission de contrôle.

M. le président Julien Aubert. Une fois que le train est passé, donc.

Estimez-vous que la maquette budgétaire actuelle concernant la politique de transition énergétique est optimale au regard de la lisibilité pour le citoyen, lorsque l’on considère les objectifs de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et des programmes tels que le programme 345 auquel vous avez fait allusion ? Ces programmes correspondent-ils à l’esprit de la loi ou y aurait-il un travail de toilettage à effectuer ? Auriez-vous éventuellement des suggestions à formuler dans ce domaine ?

M. Éric Allain. Nous évoquions précédemment le remboursement de la compensation de CSPE auprès des exploitants, EDF principalement, antérieure à 2015. Une partie de cette charge relève du programme 345 et l’autre du CAS « Transition énergétique ». Il y a là en effet un vrai problème de lisibilité. Il existe des modalités différentes dans la manière dont les charges sont aujourd’hui reflétées, budgétisées et in fine décaissées entre le programme 345 et le CAS. Il y a donc là à un problème de maquette entre le programme 345 et un élément de la mission « Écologie, transport et développement durable », dans la mesure où le CAS est disjoint. On pourrait également compléter par les dépenses fiscales. Il n’est donc pas certain que ce schéma offre une visibilité complète et facilite la lecture, l’appropriation, l’évaluation et le contrôle des éléments concernés.

Mme Catherine de Kersauson. Concernant ce constat d’une lisibilité insuffisante des documents budgétaires à cet égard, sachez que vous trouverez des éléments dans les notes d’exécution budgétaires correspondantes, qui vont être communiquées prochainement au Parlement.

M. le président Julien Aubert. Il existe donc des gisements d’amélioration non exploités.

Il me reste, madame la présidente, monsieur le président, à vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré et les détails que vous avez bien voulu apporter à cette commission d’enquête.

Laudition sachève à dix-huit heures trente.

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14.   Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Mongin, directeur général adjoint et secrétaire général du groupe Engie, accompagné de Mme Valérie Alain, directeur institutions France et territoires auprès du directeur général, de M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur régulation, de Mme Gwenaelle Huet, directeur général de la Business unit France renouvelables et de M. Damien de Gaulejac, attaché de presse (9 avril 2019)

Laudition débute à dix-huit heures trente-cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons, pour terminer cette journée d’audition, une délégation du groupe Engie composée de M. Pierre Mongin, préfet, directeur général adjoint et secrétaire général du groupe Engie, accompagné de Mme Valérie Alain, directeur institutions France et territoires auprès du directeur général, de M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur régulation, de Mme Gwenaëlle Huet, directrice générale de la business unit France renouvelables, et de M. Damien de Gaulejac, attaché de presse.

Engie est aujourd’hui un groupe d’envergure mondiale dans le secteur énergétique, et plus précisément dans la production d’électricité et de gaz naturel ainsi que dans leurs infrastructures. Fort de 160 000 collaborateurs et d’un chiffre d’affaires de plus de 60 milliards d’euros, le groupe développe également de nombreuses solutions de service à destination des entreprises et des collectivités publiques.

Engie a élaboré une nouvelle stratégie dans son plan 2019-2021, visant à devenir le leader mondial de la transition zéro carbone « en tant que service ». Nous serons évidemment ravis de vous entendre la détailler.

Qu’est-ce qui a conduit le groupe à nourrir l’ambition de devenir le « leader mondial de la transition énergétique », comme votre directrice générale, Mme Isabelle Kocher, l’a mis en avant ? Qu’entendez-vous d’ailleurs précisément par « transition énergétique », terme couramment utilisé, mais dont la commission d’enquête a pu réaliser au cours des différentes auditions qu’elle a conduites qu’il recouvrait différentes acceptions suivant que l’on place cette transition du côté du carbone ou pas ?

Quelle proportion les projets d’énergies renouvelables vont-ils désormais occuper dans votre portefeuille d’affaires, votre mix, si on peut le présenter ainsi ? Comment entendez-vous les rendre suffisamment profitables ?

Je rappelle, en effet, que le bénéfice net du groupe a accusé un recul de 22 %, soit 1 milliard d’euros, notamment en raison de l’arrêt de réacteurs nucléaires belges de votre filiale Electrabel.

Où souhaitez-vous accentuer vos investissements parmi les énergies bas carbone que sont l’hydraulique, l’éolien, le solaire, la géothermie, la biomasse, mais aussi le gaz, qui est votre cœur de métier ? Comment d’ailleurs analysez-vous les différents investissements, avec quels modèles économiques ? Quels éléments vous poussent à privilégier l’un plutôt que l’autre ? Nous serons très heureux d’entendre vos analyses, en coût complet ou suivant le périmètre que vous aurez retenu.

Cette stratégie de développement d’une offre de services va-t-elle conduire le groupe à s’éloigner du marché des particuliers pour se concentrer sur le marché « entreprises » ?

Monsieur Mongin, nous allons vous écouter au titre d’un exposé liminaire de quinze minutes. Puis les membres de la commission d’enquête vous interrogeront, en commençant par notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert.

Avant que vous preniez la parole, il m’appartient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

Monsieur le directeur général adjoint et secrétaire général du groupe, vous avez la parole.

M. Pierre Mongin, directeur général adjoint et secrétaire général du groupe. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de l’intérêt que vous portez au groupe Engie dans le cadre des travaux de votre commission.

La transition énergétique est au cœur de notre stratégie. La première preuve en est que nous avons divisé par deux, entre 2012 et 2018, les émissions de CO2 dont nous étions les responsables directs, pour l’ensemble du groupe dans le monde. Notre ambition est en effet de rendre possible le passage à une autre énergie, compétitive et à terme sans carbone, pour tous les clients, partout dans le monde. Voici la définition de la transition énergétique, simple pour l’instant, à laquelle je me réfère.

La définition de la nouvelle stratégie d’Engie, exposée voici trois semaines environ par la directrice générale du groupe, Mme Isabelle Kocher, vise justement à adapter nos modèles d’affaire, nos capacités de gagner de l’argent pour être clair, à cet exercice de projection dans un monde de demain dans lequel on produira et consommera de l’énergie autrement. Ce pari est tout à fait atteignable, dans la mesure où le groupe dispose dans son ADN et sa capacité de projection de ressources humaines très spécifiques, d’éléments lui permettant de jouer ce rôle.

Engie est le leader incontesté du renouvelable en France, avec 7,2 gigawatts (GW) de capacité installée en éolien, solaire, mais surtout pour moitié en hydraulique, grâce notamment à la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la Société hydro électrique du midi (SHEM). Le mix énergétique de production électrique d’Engie en est déjà à 70 % d’origine renouvelable et nous entendons aller encore au-delà.

Engie est également fortement engagée dans des projets d’énergies marines renouvelables, que ce soit sur l’éolien en mer posé, avec les projets du Tréport et de Noirmoutier, ou l’éolien flottant, au large de Leucate.

Engie est aussi le premier fournisseur d’offre d’électricité verte à ses clients et premier challenger d’EDF dans la vente d’électricité en France. Nous fournissons ainsi de l’électricité verte à 2,2 millions de nos clients.

N’oublions pas le biogaz : nous nous sommes engagés à mobiliser 800 millions d’euros d’ici cinq ans et 2 milliards d’euros d’ici 2030 pour développer des projets en biométhane, en coopération avec le monde agricole. C’est toutefois déjà une réalité, puisque nous disposons de neuf méthaniseurs en fonctionnement, dont six en injection de biométhane et trois en cogénération, ce qui représente la consommation de 12 000 foyers. Cinq projets sont par ailleurs en construction et cinquante en développement. Le groupe a pour objectif d’accompagner l’industrialisation de la filière, pour baisser les coûts d’environ 30 % d’ici 2030 et d’atteindre la parité avec le gaz naturel, en termes de prix et compte tenu bien entendu de la valorisation du carbone, élément qu’il importe d’ajouter à la comparaison. L’objectif est d’atteindre 1,5 térawattheure (TWh) injectés dans nos réseaux en 2023.

Engie est aussi un acteur de la géothermie en France, avec plusieurs réseaux de chaleur en opération et en construction, dont certains outre-mer, et une position de leader en Ile-de-France, avec dix réseaux en opération pour 100 mégawattheures (MWh). Ainsi, en mars 2018, a été inaugurée une nouvelle centrale de géothermie qui alimente 85 % du réseau de chaleur de Dammarie-les-Lys, en Seine-et-Marne, en énergies d’origine renouvelable et permet de réduire de plus de 7 000 tonnes par an les émissions de CO2, soit presque l’équivalent de 3 800 véhicules circulant constamment.

La transition énergétique doit être bien structurée par l’État, afin de disposer d’un cadre visible pour tous les acteurs et de règles, notamment fiscales, pour atteindre les objectifs ; mais indépendamment de l’État, elle est de plus en plus aujourd’hui tirée par les entreprises, dont la nôtre, et par les collectivités territoriales, sous l’impulsion des clients et des citoyens. L’équation à résoudre est cependant complexe : comment réaliser la transition vers le zéro carbone tout en préservant notre compétitivité économique, celle du pays, mais aussi le pouvoir d’achat des Français et en trouvant les financements nécessaires ?

La première mesure d’efficacité écologique et économique réside dans les économies d’énergie. On omet trop souvent de le rappeler. L’efficacité énergétique doit être une priorité absolue, puisque nous devons diviser par deux d’ici à 2050 la consommation énergétique finale de la France. L’efficacité énergétique permise par la réalisation d’économies d’énergie dans tous les secteurs d’activité est indispensable à la réussite de cette transition énergétique et particulièrement bénéfique pour le pouvoir d’achat des citoyens, la compétitivité des entreprises et l’environnement.

Permettez-moi de faire mention à cette occasion d’un sujet réglementaire et législatif. Parmi les outils existants en matière d’économies d’énergie, figurent les fameux certificats d’économies d’énergie (CEE), qui permettent théoriquement de mener des actions de maîtrise de l’énergie telles que travaux d’amélioration des installations de chauffage, actions de sensibilisation et d’information des acteurs. La vérité est que les investissements des particuliers en matière d’économies d’énergie devraient trouver leur propre rentabilité sans ces certificats. Je ne parle pas ici, bien évidemment, de l’attribution de ces CEE pour des raisons sociales, mais collectivement, en termes économiques. L’augmentation des gisements de projets éligibles dans le cadre de ces CEE gérés par l’administration, tels que les changements de chaudière et le développement de ces certificats dans l’industrie, devrait avoir pour effet de mieux maîtriser les coûts des CEE. Je vous rappelle que les fournisseurs d’énergie doivent racheter ces certificats aux enchères ou sur le marché, quand ils ne sont pas capables eux-mêmes de produire les actions préconisées par l’administration. On a ainsi assisté au doublement du prix de ces certificats en quelques mois, passé à 9 euros le MWh « cumac », c’est-à-dire « cumulé actualisé », à cause du nombre insuffisant d’actions éligibles autorisées décidées par l’État par rapport aux objectifs à atteindre, d’un contrôle des opérateurs insuffisant et de la répercussion de cet impôt qui ne dit pas son nom sur le consommateur. Comme vous le constatez, mon propos est assez sévère.

Notre ambition est d’offrir à nos clients une approche et des solutions globales consistant, après une analyse fine de leurs besoins, à remettre à plat les usages de l’énergie, pour réduire drastiquement les consommations, remplacer des équipements anciens par des équipements intelligents et sobres, alimenter l’ensemble avec de l’énergie décarbonée, sur la base du profil de consommation des clients que le digital permet notamment d’analyser précisément, et financer le tout à un prix compétitif pour le client. Sachez que, chez Engie, 43 000 salariés travaillent en France sur de telles solutions clients d’efficacité énergétique. Il s’agit là d’une spécificité du groupe, depuis son origine.

De telles solutions requièrent de combiner plusieurs approches : la stratégie, la conception, l’ingénierie, la construction d’actifs sobres en énergie, de plateformes digitales, l’exploitation, le financement et un engagement de résultats. Une bonne illustration de notre démarche réside dans l’initiative, que nous avons suggérée, qui a été retenue et au sein de laquelle nous agissons activement, du « coup de pouce », c’est-à-dire du pack chaudière à 1 euro pour les ménages modestes, lancé en début d’année. Il s’agit d’un véritable succès, puisque nous avons enregistré à ce jour plus de 8 000 devis signés. Naturellement, ces aides, à l’attention notamment des ménages modestes et très modestes, qui correspondent à deux catégories définies par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), avec des seuils de revenus précis, bénéficient de la subvention de l’ANAH et de certificats d’économies d’énergie que nous affectons à ces projets, ce qui nous permet d’offrir à ces familles, qui disposent d’installations de chauffages périmées, polluantes et très coûteuses, de réaliser des économies de l’ordre de 30 % par an sur leur consommation. Une mesure comme celle-ci est donc un levier de transition énergétique, mais aussi de gain direct de pouvoir d’achat, en particulier dans ce cas pour des foyers modestes. Pour faciliter le montage de ces dossiers, nous avons accepté toute la complexité administrative. Nous gérons ainsi pour nos clients le recouvrement des aides de l’ANAH, ce qui est loin d’être simple, et le montage complet des dossiers, afin que ceux qui souscrivent ces opérations d’économies d’énergie bénéficient des conditions d’accès les plus simples possibles. Voici un exemple concret de ce qui nous apparaît comme la solution optimale pour utiliser les moyens publics existant dans le cadre des CEE tout en développant des capacités à créer du pouvoir d’achat chez nos concitoyens.

ENGIE inscrit sa stratégie en cohérence avec la politique énergétique du pays, qui repose pour nous sur trois piliers : satisfaire tous les besoins énergétiques au moindre coût, garantir la sécurité d’approvisionnement du pays et lutter efficacement contre le changement climatique. Pour atteindre ces objectifs, le groupe a développé en France un mix énergétique ambitieux et équilibré entre électricité, gaz – dont le biogaz –, chaleur verdie par la biomasse, recyclage des déchets et géothermie.

La politique énergétique qui ressortira en termes d’objectifs de la PPE doit aussi être cohérente avec la politique industrielle, au travers notamment du comité stratégique de filière « Industries des nouveaux systèmes énergétiques », créé par le premier ministre et auquel Mme Kocher participe personnellement. Il a pour priorités de développer les industries des nouveaux systèmes énergétiques en France, afin de réussir la transition énergétique tout en développant l’emploi dans notre pays. Cela vaut pour tout ce qui concerne l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, dont le biométhane et l’éolien en mer par exemple, le stockage d’énergie, les réseaux de chaleur territoriaux et le numérique.

Prenons l’exemple de l’éolien en mer. Avec la filière impulsée notamment par Engie du Havre au Tréport, ce sont 750 emplois directs, notamment pour la fabrication des turbines, autant d’emplois indirects, dans le génie civil et autres composants, et une centaine d’emplois permanents dans l’exploitation et la maintenance des parcs qui seront créés.

Le verdissement du mix énergétique est la condition de l’atteinte de nos engagements nationaux. Il est souhaitable, dans ce contexte, de mettre l’accent sur les énergies renouvelables les plus compétitives, à savoir l’éolien et le photovoltaïque, et sur les plus prometteuses d’entre elles, notamment l’éolien en mer, demain l’éolien flottant, et le biogaz. Nous appelons également de nos vœux le développement des réseaux de chaleur et de froid, qui présentent l’avantage de mutualiser des moyens collectifs au profit d’un territoire et émettent 116 grammes par kilowattheure (KWh) de CO2, ce qui est bien inférieur à ce qui est nécessaire pour fabriquer de l’électricité.

Les mesures de soutien restent nécessaires afin que les entreprises réalisent les investissements indispensables pour atteindre les objectifs sur lesquels la France s’est engagée auprès de l’Union européenne. Il convient toutefois de considérer que ces mesures cesseront dès l’arrivée à maturité des technologies concernées. Dès la prochaine période de la programmation pluriannuelle de l’énergie, de 2019 à 2023, une partie des énergies renouvelables n’engendreront plus d’impact sur les finances publiques et seront même contributrices au budget de l’État. Le coût de production est en effet aujourd’hui proche des prix de marché de gros de l’électricité pour le photovoltaïque et l’éolien terrestre et maritime ; ainsi, le mécanisme de soutien passera rapidement du mode subventionné à un mode contributeur, grâce à la mise en place en 2016 du fameux système du contrat pour différence, appelé en France « complément de rémunération ».

Le coût pour le budget de l’État est dû en grande partie aux contrats passés, qui étaient bien sûr nécessaires au moment du lancement de ces filières industrielles et de ces nouvelles technologies. Il est vrai que le poids du passé dans les coûts de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) est majeur.

Engie constate par ailleurs que ce verdissement est attendu par les industriels eux-mêmes, qui de plus en plus nous demandent une fourniture d’énergies renouvelables garantie contractuellement sur le long terme, que l’on qualifie en anglais de power purchase agreement, et se préparent à prendre en charge le surcoût éventuel du verdissement de leur énergie par rapport au prix de marché. Nous constatons chez nos grands clients industriels, pour lesquels nous travaillons en efficacité énergétique, non seulement qu’ils souhaitent de plus en plus acheter de l’énergie verte, mais aussi qu’ils veulent connaître sa provenance, avoir une connaissance fine de sa traçabilité. Nous butons là sur un problème : en effet, aujourd’hui, les certificats d’origine sont la propriété de l’État, puisque les industriels qui bénéficient de tarifs garantis n’ont plus le droit, en France, d’émettre des certificats d’origine valorisés. Ces derniers sont récupérés par l’État, auquel nous devrions les racheter si nous voulions les revendre à nos clients. L’État réfléchit d’ailleurs à ce propos à l’organisation d’un système d’enchères. Ce système est peut-être vertueux en théorie ; il présente toutefois le grave inconvénient de rendre impossible tout fléchage géographique de l’énergie verte sur les grandes surfaces d’un canton par exemple à partir d’une production d’énergie verte dans le département, sauf à distraire des systèmes de prix garantis et à vendre directement, exclusivement, à ces industriels, ce qui se fait beaucoup dans certains pays étrangers mais reste en France une pratique compliquée économiquement tant que l’on n’est pas tout à fait au prix de marché.

Comme Réseau de transport d’électricité (RTE) vous l’a indiqué dans cette enceinte, Engie considère en outre qu’un mix totalement électrique ne permettrait pas de garantir un niveau de sécurité d’approvisionnement satisfaisant. On entend beaucoup parler de l’électrification de l’énergie. Or aucune étude n’a montré qu’un mix 100 % électrique était atteignable sans un risque majeur de rupture d’approvisionnement.

Le gaz, qui est de plus en plus renouvelable, est la solution pour permettre l’ajustement entre l’offre et la demande d’énergie, au moins jusqu’en 2050. La France a la chance d’avoir un réseau de gaz exceptionnel, qui se trouve être la propriété d’Engie. Ce réseau est accompagné d’un système de stockage unique au monde, sous forme de stockages souterrains tout au long du réseau, qui permettent de stocker d’énormes volumes d’énergie. Nous sommes en situation d’offrir cette sécurité de stockage à l’ensemble du système gazier français. Le législateur s’en est d’ailleurs emparé, puisqu’il a décidé l’année dernière de réguler ce système de stockage, ce dont nous lui sommes très reconnaissants. Les jours de pointe, d’extrême froid, à certaines heures d’hiver, la consommation d’énergie en France est majoritairement gazière et non pas électrique. Si nous ne disposions pas de cette ressource gazière, nous aurions un problème majeur pour équilibrer le système. C’est la raison pour laquelle nous militons activement, dans la mesure où nous sommes favorables à la neutralité carbone et aux objectifs que la France se fixe pour 2050, pour le verdissement de ce gaz, dont nous pensons, de manière réaliste, qu’il deviendra, grâce au biométhane, demain au méthane de synthèse et après-demain à l’hydrogène, la solution complémentaire de l’électricité. Le développement du biométhane fait actuellement l’objet d’un soutien public élevé, de l’ordre de 300 millions d’euros par an. L’objectif quantitatif à horizon 2023 est de multiplier par huit à dix le volume de biogaz produit en France, avec un maintien du niveau des aides, avant, comme nous nous y sommes engagés avec l’ensemble de la profession, que ces aides puissent décroître à partir de 2023, car nous aurons alors atteint, avec le développement du biogaz mature, une filière industrielle capable, par l’effet d’échelle, de baisser ses coûts. Nous sommes donc très confiants, à condition, dans la PPE, de focaliser le maximum de production de centres de biogaz nouveaux dans la première période, pour permettre d’obtenir l’effet de baisse des coûts industriels que nous avons connus sur toutes les filières de renouvelables, de manière accélérée.

Ainsi, pour les EnR électriques, la décroissance des coûts est continue et permet d’espérer qu’elle rejoigne rapidement, à l’horizon 2030, les prix de marché. La résorption de la dette passée, notamment celle d’EDF, sera achevée aux alentours de 2035, selon les technologies. Ainsi, plus on produit de renouvelables, plus cela conduit à une baisse de la proportion d’argent public dans l’électricité consommée.

Il est nécessaire de définir des mesures de développement du biométhane injecté dans les réseaux qui permettent de réussir son industrialisation et de développer, par l’intermédiaire notamment d’un accord, dont nous sommes très fiers, passé avec les professionnels de l’agriculture au Salon de l’agriculture, toute une filière de ressources et revenus pour le monde rural, en complément des revenus agricoles. Le soutien au biométhane est l’une des mesures les plus efficaces pour décarboner, à condition de l’injecter et non de le brûler directement pour faire de l’électricité. Il s’agit d’un point très important.

Les actions d’efficacité énergétique entrant dans le dispositif des certificats d’économies d’énergie devraient être revues, pour que le prix des CEE soit acceptable et ne conduise pas à une forte hausse des tarifs, dans la mesure où ils sont incorporés dans les coûts qui constituent les tarifs ; sinon, il faudra anticiper un rythme de rénovation des logements existants très inférieur à celui exigé par la PPE, car il sera difficile de mobiliser les occupants comme les professionnels.

Je voudrais enfin ajouter que la transition énergétique ne devrait jamais se faire au détriment de la sécurité d’approvisionnement. Les Français ont bénéficié au cours des dernières décennies d’un très haut niveau de sécurité d’approvisionnement énergétique, auquel ils sont à juste titre particulièrement attachés. Ce résultat n’est pour autant pas garanti pour le futur, comme vous l’a signalé RTE. Une capacité de production électrique de 90 GW va en effet être fermée en Europe, sur la plaque centre-ouest européenne. Il est important de se mettre à l’abri des conséquences du programme des visites décennales d’un parc nucléaire vieillissant, d’organiser une nouvelle régulation du nucléaire au profit du consommateur, bénéficiant d’un développement raisonnable de la concurrence, avec une mesure d’urgence consistant en un déplafonnement de l’ARENH. Il faudrait de même veiller à la bonne atteinte de l’objectif de la PPE, pour contribuer à la diminution de la pointe électrique, alors que l’électrification massive, à 100 %, notamment avec la croissance prévisible dans l’automobile, va poser un problème. Il faut s’opposer à la tentation des avocats du tout électrique et notamment celle consistant à vouloir modifier la réglementation thermique des bâtiments, sujet qui circule beaucoup aujourd’hui dans les milieux professionnels et dans le lobbying, en particulier la future RE2020, qui générerait de vrais problèmes sur la couverture de pointe, par un retour au tout radiateur électrique, ce qui représente selon nous une réelle menace.

La France s’est engagée dans la bonne voie, en entraînant dans l’Accord de Paris les principaux pays du monde et en donnant l’exemple en Europe d’une planification raisonnable de la transition énergétique. Engie, leader des producteurs électriques indépendants dans le monde et des solutions d’efficacité énergétique pour les industriels et les territoires, s’inscrit résolument dans cette perspective, qui nécessite de changer d’échelle pour le renouvelable d’ici 2028.

Voici ce que je souhaitais indiquer en introduction de cette audition, en vous remerciant encore de nous avoir permis d’exposer en quoi la stratégie d’Engie recoupe autant que possible les priorités nationales.

M. le président Julien Aubert. Je précise que les questions vont permettre de développer les éventuels points que vous n’auriez pas pu évoquer dans ce propos liminaire.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour votre exposé. Vous avez mentionné à la toute fin de vos propos la réglementation thermique des bâtiments, la RE2020. En quoi cela poserait-il un problème en termes de couverture de pointe ? Pourriez-vous préciser ce point ?

M. Pierre Mongin. Il existe aujourd’hui une certaine ébullition professionnelle visant à essayer de modifier le coefficient de conversion thermique, élément qui permet, pour un bâtiment neuf, de fixer la norme d’isolation de l’immeuble, et notamment des moyens de chauffage, obligatoire dans le cadre d’un permis de construire. Ces projets de modification des normes existantes auraient pour effet d’inciter à produire davantage de moyens de chauffage directement électriques dans les logements, par simple effet arithmétique, alors qu’en réalité cela n’intègre pas le coût de la pointe. Nous savons malheureusement, bien que la France ait la chance d’avoir une énergie très décarbonée grâce à la base nucléaire, qu’en période de pointe, il est impératif de faire appel à des moyens beaucoup plus émetteurs et polluants, notamment ceux situés en dehors de nos frontières. Ce raisonnement nous conduit à penser que l’équilibre trouvé dans le domaine des coefficients qui servent de base au régime de la construction en France sont bons et n’incitent pas inutilement à aller vers une situation telle que celle que nous avons connue dans les années 1980, avec les fameux radiateurs « grille-pain ». Nous vous transmettrons volontiers une note plus détaillée à ce sujet.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je n’ai pas compris vos propos relatifs au CEE, dont vous disiez qu’il devrait être revu pour être acceptable. Pourriez-vous revenir sur ce point ?

M. Pierre Mongin. Pardonnez mon manque de clarté, dû à une volonté de concision. Les CEE sont aujourd’hui une obligation pour les fournisseurs d’énergie, qui doivent acheter des certificats à hauteur de leur fourniture d’énergie aux clients. Une entreprise comme Engie produit ses propres CEE. Notre filiale Engie Home service comprend 3 000 salariés répartis sur l’ensemble du territoire, qui effectuent par exemple la pose et l’entretien des chaudières de gaz chez les particuliers. Lorsque l’on remplace une vieille chaudière, très consommatrice d’énergie, par une chaudière moderne qui permet de réaliser des économies d’énergie tout en émettant moins de CO2, nous utilisons nos propres CEE, puisque nous sommes fournisseurs. Nos concurrents ont bien entendu la possibilité de procéder de même.

Il faut savoir par ailleurs que les sujets sont fixés par des fiches d’opération, élaborées par la direction générale de l’énergie et qui correspondent à des gestes très précis, dans le bâtiment, l’entretien, l’isolation. Or aujourd’hui, les travaux admis au financement des CEE ne sont pas assez ouverts sur les sujets notamment de remplacement des équipements de chauffage. Cela a été effectué récemment avec l’action « Coup de pouce » exceptionnelle sur les chaudières, qui a eu un succès immédiat. Jusqu’alors, tout ce qui ne produisait pas d’économie nette, mais pouvait s’apparenter à de la production d’énergie, était exclu du dispositif. De même, nous n’avons malheureusement pas en France aujourd’hui l’offre suffisante, dans le monde artisanal, avec des gens compétents, pour effectuer des isolations dans toutes les maisons qui auraient droit à des certificats d’économies d’énergie. Nous sommes donc en difficulté pour couvrir des obligations qui ont été fortement augmentées par l’État, lequel a doublé les obligations pour les fournisseurs, par rapport à une capacité faible de délivrer ces économies d’énergie sur le terrain. Ce déséquilibre fait monter le prix du certificat, qui est une sorte d’impôt pour le fournisseur, que ce dernier répercute sur le prix qu’il fait payer à ses clients. Cela fait d’ailleurs partie des coûts obligatoires. Il ne s’agit donc pas d’une bonne solution : soit l’on a des exigences excessives en matière de certificats en termes de volume, ce qui est possible, soit elles sont mal réparties techniquement par sujet, soit il faudrait davantage de mobilisation, ce que nous faisons en embauchant de jeunes apprentis et en leur apprenant le métier, afin qu’ils puissent nous accompagner sur le terrain dans les travaux nouveaux lorsque des demandes se font jour, comme dans le cas de ces fameuses chaudières. Il s’agit ainsi d’un levier pour l’emploi tout à fait intéressant pour les territoires, mais qui n’est pas complètement utilisé aujourd’hui.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je souhaiterais justement revenir sur le dispositif de chaudière à 1 euro, qui semble assez vertueux à de nombreux points de vue. Il comporte toutefois deux risques : le premier consiste en une difficulté, sous l’effet de la demande, à fournir des équipements qualitatifs en nombre suffisant, le deuxième dans la garantie de disposer d’installateurs fiables, susceptibles d’effectuer le travail de manière efficace et véritablement correcte. Comment travaillez-vous pour éviter ces deux écueils ?

M. Pierre Mongin. À vrai dire, j’ignore comment fonctionnent les concurrents dans ce domaine. Chez Engie, nous ne proposons cette solution à nos clients que si nous avons la certitude de pouvoir la délivrer dans les meilleures conditions. Lorsque nous avons pris connaissance des débats autour du coût de l’énergie et de la taxe carbone, nous nous sommes très rapidement mobilisés et avons repéré, chez des industriels français, notamment en Bretagne, des fournisseurs de très grande qualité, en capacité d’accélérer fortement leurs chaînes de production de chaudières. Nous avons ainsi anticipé la production en France de ces équipements pour nos clients.

Nous avons en outre essayé d’accompagner la croissance exceptionnelle d’activité que cette offre a occasionnée au sein du service clients par de nombreuses embauches, notamment par le biais de l’apprentissage.

Enfin, une file d’attente se crée, afin de réguler les interventions chez les clients. Mais nous ne rencontrons pas aujourd’hui de souci majeur pour délivrer ce service.

Notre difficulté tient au fait que, ayant pris le risque de récupérer à notre charge des subventions publiques de l’Anah, nous sommes confrontés à un gros découvert de l’Anah à notre égard, qui se réglera évidemment puisqu’il s’agit de droits ouverts, mais dont le traitement pose aujourd’hui un problème de trésorerie à l’Anah.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez évoqué la problématique d’efficacité énergétique. Il est en effet important, lorsque vous intervenez chez des particuliers, que vous leur parliez des enjeux autour de l’isolation. Il faut mettre en avant le binôme enveloppe – élément. Est-ce bien un aspect que vous valorisez auprès de vos clients ?

M. Pierre Mongin. Je vous confirme que bien que nous ne soyons pas, sauf pour des bâtiments industriels de très grande taille, des spécialistes de la question de l’isolation, les consignes données à nos équipes sont évidemment de promouvoir l’isolation. Changer la chaudière permet en effet de gagner 25 % à 30 % de pouvoir d’achat et d’énergie, mais coupler cette opération avec une amélioration de l’isolation peut être source d’un gain supérieur.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pourriez-vous revenir sur la question du complément de rémunération lié au solaire ? Vous avez indiqué qu’une bascule se produisait à un moment donné, permettant de passer du mode subventionné au mode contributeur. Je ne cerne pas totalement la partie concernant le complément de rémunération et souhaiterais que vous m’éclairiez sur ce point.

M. Pierre Mongin. On est passé d’un prix garanti immuable à un système beaucoup plus exigeant, qui prévoit que l’aide du budget de l’État par le compte d’affectation spéciale n’intervient que pour couvrir la différence entre le prix de marché, s’il est inférieur, et le prix de revient accepté, validé par appel d’offres après appel à la concurrence des fournisseurs d’énergies renouvelables. Si l’on considère les parcs solaires par exemple, le prix de marché est aujourd’hui inférieur des coûts des fournisseurs ; concernant les résultats des appels d’offres lancés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour avoir de la production française de solaire, nous savons que si nous prenons les « forwards inflatés », c’est-à-dire les prix prévisionnels achetés à terme sur le marché, qui sont des indications du futur non théoriques, que des gens sont prêts à payer en termes de transaction de marché, et que l’on prévoit une inflation de 2 % par an de ces prix, ce qui correspond à une prévision assez générale de la profession, alors, pour un parc solaire créé en 2019, l’État commencera à encaisser de l’argent à partir de 2029, puisque si le prix de marché devient supérieur au prix de revient qui est celui du contrat passé par appel d’offres de la CRE, alors le producteur rendra de l’argent à l’État. Ce phénomène fait que, dans un premier temps, une subvention publique est allouée, et dans un second temps, à partir du moment où les courbes se croisent, une restitution est effectuée au budget de l’État. L’opération devient alors contributrice nette au budget de l’État.

M. le président Julien Aubert. À condition que le prix du marché devienne supérieur au prix de revient. Que se passe-t-il si le prix du marché baisse fortement ? Il n’y a pas alors de limitation du coût pour l’État.

M. Pierre Mongin. L’État garantit le prix de revient de cette génération de solaire après appel d’offres. Or à chaque appel d’offres, les prix baissent, parce que les technologies le permettent.

M. le président Julien Aubert. Il nous a été indiqué au contraire que lors des derniers appels d’offres, le prix avait augmenté.

M. Pierre Mongin. Absolument pas : lors de l’appel d’offres de la CRE de 2015, le mégawattheure était en France à 100 euros, alors que lors de l’appel d’offres de 2018 il était à 52 euros. La tendance sur les prix des appels d’offres est à la baisse.

M. le président Julien Aubert. Les représentants de GRDF, que nous avons auditionnés ce matin, nous ont transmis une courbe des appels d’offres montrant une récente remontée des prix, en raison notamment du fait que l’on ne trouvait pas preneur dans le domaine éolien par rapport au volume proposé.

Mme Laure de la Raudière. Ma question prolonge celle-ci et porte en particulier sur l’éolien terrestre. Il existe une partie ne nécessitant pas d’appel d’offres, lorsque la puissance installée est inférieure à 18 MW. Dans ce cas, quel est le prix ?

M. Pierre Mongin. Une légère remontée s’est en effet produite récemment, qui traduit peut-être la difficulté de déployer les énergies renouvelables dans le pays. Il s’agit d’un sujet qu’il convient d’aborder sérieusement. Mais pour l’instant, je me réfère aux propos du président de la CRE, qui a indiqué que l’on se situait dans un bandeau de 60 à 80 euros du mégawattheure pour toutes les énergies renouvelables ayant un effet de masse.

Pour ce qui est de l’offshore, l’État a fait sa propre éducation de la levée des risques. En réalité, les financements sont la clé des coûts pour l’offshore. Or tous les risques ont été laissés aux opérateurs, y compris des risques de recours. Les coûts ont donc crû pour cette raison. Si l’État garantit par exemple avec RTE le seul fait de raccorder aux lignes électriques terrestres au moment où l’installation est terminée, alors ce seul fait permet de faire baisser fortement le prix, en enlevant un risque majeur pour l’opérateur et les financeurs. Aujourd’hui, il n’existe pas de prix connu pour l’offshore, car l’appel d’offres public de l’État sur Dunkerque, pour lequel Engie a concouru, n’est pas encore dépouillé et est en cours d’examen. Mais je pense qu’il n’y a aucune raison que les coûts ne se situent pas dans le bandeau évoqué par M. Carenco.

Nous sommes dans une situation où chaque technologie décroît en prix à une vitesse différente. Le solaire est le domaine dans lequel les prix ont le plus décru, en raison notamment de l’importation de panneaux chinois et de l’amélioration des technologies. L’éolien décroît aussi, grâce à l’amélioration de la qualité des turbines, qui font moins de bruit et sont plus puissantes. L’offshore diminue aussi car on est en train, comme je vous l’expliquais, de « dérisquer » l’environnement autour des projets.

Je suis pour ma part très confiant vis-à-vis du croisement des courbes, à un horizon variable selon les technologies. Le photovoltaïque sera probablement l’une des premières énergies pour laquelle le croisement va s’opérer.

Vous avez, monsieur le président, posé la question des prix de marché : que se passerait-il s’il advenait qu’ils baissent ? Honnêtement, aucune étude sérieuse sur la plaque européenne ne prévoit aujourd’hui de baisse de prix, en raison de la pénurie d’énergie électrique dont je vous ai parlé et qui va se faire sentir à partir de 2023-2024. Le déclassement des centrales à charbon allemandes, qui est programmé, tout comme la fermeture d’un certain nombre de sites nucléaires en Europe et le déclassement de certaines vieilles centrales à gaz, font que l’on se dirige selon nous vers un maintien des prix. Je ne crois pas que ce soit le risque principal, au contraire. Notre sentiment est plutôt qu’en dehors de la couche de nucléaire de production française d’électricité, qui constitue le socle de cette production pour de nombreuses années encore, il est très important de disposer d’une deuxième couche composée d’énergies renouvelables, qui soit suffisamment massive pour sécuriser l’approvisionnement électrique de la France et éviter une flambée des prix pour le consommateur.

C’est là notre conviction. L’intérêt de cette deuxième couche d’EnR, qui viendrait s’additionner à celle du nucléaire, serait de permettre le foisonnement. En effet, nos éoliennes en Bretagne ne tournent pas en même temps que celles installées dans la région Provence-Alpes-Côte-D’azur : le climat français est complexe et cette diversité fait que tous les équipements ne fonctionnent pas en même temps. On a donc tout intérêt à organiser le foisonnement des technologies et des sites pour être statistiquement sûr qu’une source d’énergies renouvelables fonctionne toujours quelque part.

M. le président Julien Aubert. Vous me permettrez de souligner que c’est la conséquence de l’intermittence. Par définition, si nous n’avions pas affaire à des énergies intermittentes, le fait que les sources de production se situent en Bretagne ou en Provence ne ferait aucune différence.

Mme Gwenaëlle Huet, directrice générale de la business unit France renouvelable dEngie. Dans le solaire, nous avons effectivement constaté une tendance à la baisse au cours des quatre dernières années, au fur et à mesure que les appels d’offres ont été lancés, avec des volumes bien identifiés permettant aux développeurs de préparer leurs propositions. Même si le dernier appel d’offres a montré une légère remontée, l’important est de considérer la tendance de fond, qui est globalement à la baisse. Cela s’est traduit par une division par deux des prix aux appels d’offres, qui sont passés de 100 à 52 euros.

La situation de l’éolien terrestre est un peu différente, dans la mesure où l’on ne dispose pas d’un retour d’expérience sur les appels d’offres, plus récents que ceux lancés dans le solaire par exemple. Comme vous le savez, il existe deux mécanismes fonctionnant en parallèle, à savoir un guichet ouvert pour les petits parcs et des appels d’offres dont le premier prix a émargé à 65,40 euros du mégawattheure, ce qui montre un positionnement de l’éolien terrestre dans la fourchette de 60 à 80 euros le MWh évoquée par Jean-François Carenco. Il faudra sans doute toutefois que davantage d’appels d’offres soient lancés pour avoir une vision précise de la tendance à plus long terme. Pour ce qui est de l’éolien en mer, nous ne disposons pas encore de track record, puisque l’appel d’offres le plus récent est celui de Dunkerque, pour lequel les prix n’ont pas encore été communiqués.

M. Hervé Pellois. La loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 prévoyait de porter la part des EnR à 10 % de la consommation de gaz. Or la nouvelle PPE de 2019 donne sur ce même sujet le chiffre de 7 %, témoignant d’un certain désagrément pour la filière, qui croyait au développement de la méthanisation. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les raisons de ce revirement ? S’agit-il de problèmes liés au prix de revient ? Est-ce dû à la difficulté de développer des outils ou encore à celle d’atteindre les réseaux de gaz, qui ne se situent pas nécessairement à proximité des installations ? Avez-vous des éléments d’explication ?

M. Pierre Mongin. Engie partage la déception des professionnels que vous évoquez, liée à une baisse d’ambition en matière de biogaz. Le gisement de biogaz en France est colossal. Une étude très sérieuse et exhaustive de l’ADEME, effectuée voici deux ou trois ans, montre que ce gisement dépasse nos besoins en biogaz. La question est de parvenir à mobiliser le monde agricole et à lui faire prendre conscience de l’intérêt de participer à cette nouvelle action collective de l’agriculture, impliquant de se rassembler pour acheminer si possible la ressource au point d’injection. Or ce n’est pas encore acquis dans le monde agricole. Il faut sensibiliser nos agriculteurs à cet enjeu, notamment pour éviter qu’ils fassent du recyclage direct sur les exploitations, avec des instruments peu efficaces, assez dangereux et qui nous empêcheraient collectivement, nationalement, d’atteindre cet objectif de 10 %. Un long chemin reste donc à parcourir. Engie va essayer de travailler avec les territoires, en s’appuyant sur les représentants du monde agricole, les chambres d’agriculture, voire les élus, pour convaincre les agriculteurs de s’impliquer dans cette action collective de récolte des matières nécessaires et mises en œuvre des cultures correspondantes. Cette démarche permet en effet de procéder à des cultures intermédiaires, dans des territoires comme la Beauce où les champs, inutilisés une fois que le blé a été récolté, pourraient fort bien être mis à profit pour faire des cultures intermédiaires destinées au biogaz, qui présenteraient par ailleurs l’avantage de piéger l’azote. Cela suppose une véritable révolution du monde agricole et des pratiques culturales. Nous avons ainsi conclu une alliance avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), afin de travailler sur les préconisations correspondantes.

Nous sommes donc quelque peu déçus que l’ambition nationale ait été revue à la baisse, passant de 10 % à 7 %. Nous n’étions pas demandeurs de cette évolution. Cela cache manifestement une décision budgétaire, visant à limiter les coûts pour la collectivité ; un objectif de 10 % a dû paraître trop cher dans les arbitrages. Ce point de vue est respectable, mais à budget identique, notre conviction est qu’il faut mettre en œuvre cette démarche en début de période, et ce afin de faire le plus possible la démonstration que cela fonctionne pour entraîner ainsi le monde agricole et disposer d’outils de moins en moins chers. Aujourd’hui, les méthaniseurs viennent presque tous d’Allemagne, alors que l’on pourrait en fabriquer en France. Il faut créer cette filière, sur le modèle de ce qui a été mis en œuvre pour les turbines de l’offshore. Investissons l’argent au début, déclenchons une baisse des prix et nous pourrons ensuite aller plus facilement vers l’objectif des 10 %.

Il faut en outre avoir en tête l’existence d’une solution européenne, bien que la question n’ait pas encore été abordée à cette échelle : cela concerne le taux d’incorporation obligatoire. Je vous rappelle qu’a été créée partout en Europe l’obligation de mettre dans l’essence ou le diesel des voitures un peu de biocarburants. Peut-être faudra-t-il un jour pour le gaz parvenir également à une obligation d’incorporation de biogaz dans les réseaux gaziers, de manière à inciter sans subvention à la création d’une filière permettant de satisfaire cette obligation. Aujourd’hui, ce sujet ne peut être traité qu’à l’échelle européenne ; la France ne peut prendre une telle décision isolément, d’autant que les réseaux sont européens.

M. Vincent Thiébaut. Aujourd’hui, l’État a, comme vous l’avez expliqué, besoin de soutenir les EnR pour permettre notamment le développement des filières industrielles. Ce soutien est essentiel au démarrage. Disposez-vous d’estimations permettant de savoir quelles pourraient être les filières les plus rapidement autosuffisantes, c’est-à-dire en capacité de ne plus bénéficier de soutien public et de financer le renouvellement des équipements dans la durée ? Avez-vous effectué ce travail pour chacune des énergies ?

Mme Gwenaëlle Huet. Pour évaluer la durabilité d’une action de subvention pour une technologie donnée, on regarde la comparaison par rapport au prix de marché, à la capacité à pouvoir contracter avec un acheteur pendant une durée longue le rachat de toute la production d’électricité. Dans d’autres pays du monde, on voit déjà ce phénomène se produire : certains parcs se construisent sans subvention, uniquement tirés par un contrat de rachat de toute la production d’électricité. Cela existe notamment aux États-Unis, où de grands industriels sont prêts à racheter la production. La question est de savoir quand cela va advenir en France. Pour en avoir une idée, on compare les prix de marché et le coût de la technologie : au moment où les courbes se croisent, alors cela incite fortement les industriels à contracter de l’énergie verte et pour nous à construire des parcs totalement liés à ces contrats d’achat d’électricité, sans subvention. Notre message consiste à dire qu’avec la baisse du coût des technologies renouvelables et l’augmentation des prix de marché, on n’en est plus très loin. Donner une date et une technologie est plus difficile.

M. le président Julien Aubert. La question n’est pas seulement celle du « quand », mais aussi celle du « pourquoi » : pourquoi cela arrive-t-il dans d’autres pays et pas en France ?

M. Vincent Thiébaut. C’était précisément l’objet de ma question : aujourd’hui, nous avons en France un tarif régulé, autour de 42 euros. Malgré tout, assurer le renouvellement ou la prolongation des équipements impliquerait d’avoir un coût réel de 60 euros : l’écart entre les deux montants est, d’une certaine façon, payé par le contribuable. Ce tarif de 42 euros ne devrait-il pas être débloqué pour parvenir au véritable coût de l’énergie, permettant d’envisager un renouvellement ?

M. Pierre Mongin. Vous avez raison ; c’est d’ailleurs pour cela que j’ai évoqué le prix de l’ARENH, qui je le rappelle est un prix de gros, alors que les prix dont on parle sont des prix finaux. Concernant l’ARENH, EDF a une obligation, en vertu de la loi du 7 décembre 2010 portant sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », de vendre un certain volume d’électricité nucléaire chaque année au marché. L’existence d’un monopole vertical s’assortit ainsi d’une obligation de partager les quantités de gros avec le marché pour qu’une concurrence puisse ensuite s’instaurer au profit du consommateur. Aujourd’hui, l’ARENH ne couvre en réalité selon nous qu’une quantité trop limitée de la production nucléaire ; nous considérons ainsi qu’il faudrait débloquer dans le mix énergétique le plafond global, quantitatif, de cette ARENH, afin de faire baisser le prix pour le consommateur final. Aujourd’hui, cette ARENH est plafonnée, alors même que des fournisseurs devant fournir du courant à leurs clients ne trouvent pas l’ARENH suffisante, puisqu’ils sont contingentés, et doivent racheter sur le marché, donc chez les traders, le courant qui leur manque. Ce n’est donc pas le contribuable qui paie la différence, mais le consommateur.

M. Vincent Thiébaut. Je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Lorsque nous avons auditionné des magistrats de la Cour des comptes, ces derniers nous ont expliqué que pour assurer le coût complet du cycle de vie du nucléaire, incluant notamment le démantèlement, le traitement des sols, il faudrait que le coût soit aujourd’hui de 60 euros le MWh. Adopter ce tarif conduirait à se retrouver dans une logique que connaissent aujourd’hui d’autres pays. Or en France actuellement, la différence entre le tarif régulé et ces 60 euros doit être financée : notre tarif régulé, bien qu’il présente certains avantages, ne nous empêche-t-il pas à terme de parvenir au croisement des courbes ?

M. Pierre Mongin. Il est très compliqué de répondre à cette question. Nous disposons en France d’un producteur national qui produit du courant nucléaire. Le coût de 42 euros a été calculé sur la base de nombreuses études économiques et était censé correspondre au coût de revient d’EDF. Si les coûts d’EDF ont augmenté, peut-être faudrait-il le réajuster. Je n’ai aucun avis sur cette question. Mais en réalité, puisque l’on se situe dans le cadre d’une production monopolistique d’électricité sur la base nucléaire et que l’on a tout intérêt, en tant que Français, à l’utiliser, il faut au fond saturer le marché avec le nucléaire en première instance. Cela constitue la base de consommation. Le prix doit correspondre au coût, augmenté des marges nécessaires à EDF pour couvrir ses risques. J’ignore s’il doit être de 50 ou 60 euros. Le principe est qu’il ne doit pas y avoir de limitation à la saturation de la vente en gros au marché de cette production qui est, d’une certaine manière, un bien de la nation. Ensuite, si l’on parvenait à monter à 60 euros, les courbes se croiseraient dans un délai relativement bref, car on se situerait alors dans la limite basse du « bandeau » défini par M. Carenco. Est-ce le bon chiffre ? Je suis bien incapable de le dire.

Nous constatons pour notre part que ces courbes commencent à se croiser dans le cadre du contrat pour différence, sur le solaire.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous considérez que la maturité de la filière gaz vert est atteignable aux objectifs en 2030. Le palier défini pour 2023 vous semble-t-il également possible à atteindre ? Il me semble en effet que l’on peine un peu à démarrer. Je souhaiterais avoir votre point de vue à ce sujet.

À partir de 2030, la filière est considérée comme mature et ne nécessitant plus de soutien public. Le complément de rémunération et le passage à ce dispositif correspondant à un tarif garanti immuable visaient, dans la loi de transition, à obtenir une dynamique plus rapide du développement des EnR et un croisement des courbes. Je pense que l’on est globalement proche de ce croisement, qui interviendra vraisemblablement dans moins de dix ans pour le solaire.

Le gisement de biogaz, que vous qualifiez de « colossal », serait-il mobilisable en respectant l’utilisation limitée des cultures intermédiaires, c’est-à-dire en prenant en compte la réglementation en vigueur aujourd’hui ? Ne faudrait-il pas en outre une surveillance accrue, dans la mesure où l’on constate que dans certains domaines on qualifie beaucoup de choses de « cultures intermédiaires » ?

M. Pierre Mongin. Je partage totalement vos analyses, qui reprennent assez largement les nôtres.

Mme Gwenaëlle Huet. La dynamique de gaz vert, et notamment de biométhane, s’enclenche maintenant. On observe par exemple que le nombre de méthaniseurs a beaucoup crû entre 2017 et 2018. La capacité a progressé de 75 % entre ces deux années, pour atteindre aujourd’hui 1,2 TWh injecté par an et 76 installations qui injectent dans le réseau. Notre objectif est de contribuer à cette dynamique de filière. Lorsque l’on démarre, avec peu de méthaniseurs, les coûts sont forcément plus élevés : notre but est donc d’industrialiser la démarche, avec une typologie de méthaniseurs, et de faire ainsi progressivement baisser les coûts. Il ne s’agit certainement pas pour nous de vivre sur une rente, mais bien d’industrialiser cette activité. C’est la raison pour laquelle nous avons par exemple conclu un partenariat avec la Fédération nationale des coopératives d’utilisation de matériel agricole en commun (FNCUMA), la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ou encore l’INRA, afin de travailler avec eux sur les nouvelles technologies de méthanisation. Notre objectif est d’enclencher ce mouvement de filière. Certains méthaniseurs sont aujourd’hui en construction et 80 projets en cours de développement.

Quelle est la cible en 2023 ? Au niveau de la filière, nous avons calculé que 8 térawattheures sont atteignables avec le gisement disponible. Nous nous engageons par ailleurs à enclencher une réduction des coûts de l’ordre de 2 à 3 % par an, en bénéficiant du régime actuel de guichet ouvert pour les petits projets et en réservant les grands appels d’offres pour les projets de plus grande ampleur. L’objectif est de faire baisser les coûts progressivement, grâce à l’industrialisation. Or cela nécessite du volume. C’est la raison pour laquelle nous tenons à conserver l’objectif de 8 térawattheures, car cela participera au volume nécessaire à l’industrialisation de la filière.

Concernant l’étude détaillée menée avec l’ADEME notamment, nous pourrons vous en communiquer la référence. Certains modèles ont pu être développés ailleurs. Notre objectif est d’être très vigilant sur la non-utilisation des surfaces agricoles notamment. Il ne faut pas engendrer de conflit d’usage.

Mme Laure de La Raudière. Il a été beaucoup question dans cet échange de prix de production et assez peu de rentabilité, pour les producteurs, de toutes ces énergies renouvelables. Quelle est la rentabilité moyenne d’un parc éolien de 6 éoliennes ou de 18 MW avant appel d’offres, en obligation ouverte, ou celle d’une installation photovoltaïque ?

J’entends parfois dire sur le terrain que certains grands producteurs tels qu’Engie rachètent des projets éoliens purgés de tout recours. À quel prix moyen rachetez-vous ces projets au mégawatt ? J’entends parler de prix très importants, ce qui supposerait l’existence d’une forte rentabilité attendue par la suite. Qu’en est-il ?

Comment le prix de démantèlement des éoliennes est-il par ailleurs budgété ?

M. Pierre Mongin. Nous avons, chez Engie comme dans tous les grands groupes industriels français, des règles d’analyse des risques et de la rentabilité estimée, pour chaque projet, afin de décider du bien-fondé ou non d’investir l’argent du groupe et de nos actionnaires. La règle générale est de ne nous engager dans aucun projet qui ne couvre pas, sur son cycle de vie, l’ensemble du coût du capital du groupe, auquel est ajoutée une marge de sécurité correspondant au résultat attendu, brut, pour l’entreprise. Nous n’acceptons aucune forme de projet ne répondant pas à ces critères. Certains projets vont au-delà de nos espérances, d’autres sont décevants. Au total, Engie investit ainsi plus de 6 milliards d’euros dans de nombreux projets partout dans le monde. Notre décision d’investir dans les énergies renouvelables tient au fait que nous croyons à la rentabilité, dans le long terme, de ces installations.

Vous posiez également la question de la durée de vie, au travers de votre interrogation sur le démantèlement. En réalité, beaucoup d’installations dureront plus longtemps que la durée des contrats garantis par l’État en termes de rachat de courant. Nous sommes obligés, lorsque nous effectuons des estimations prévisionnelles de rentabilité, d’anticiper le prix auquel, dans quinze ans, nous vendrons l’électricité supplémentaire pendant les cinq ou six ans de vie supplémentaires des installations. Une part du risque que nous prenons en tant qu’entrepreneur tient à cet aspect. Le démantèlement coûte très peu cher pour l’éolien par rapport au coût du projet.

Nous rachetons par ailleurs certains projets installés voici quelques années parce qu’il est possible aujourd’hui de procéder à un changement des turbines, en démantelant les vieilles installations et, avec les autorisations déjà accordées, selon des règles administratives précises, à mettre de nouvelles installations beaucoup plus efficaces, qui augmentent la production électrique avec des niveaux de vent plus bas et présentent également l’avantage d’être moins bruyantes et moins polluantes. Le rachat de parcs existants est donc fondé chez nous sur la perspective d’un repowering, c’est-à-dire la possibilité de procéder à un changement de capacité, ce qui peut expliquer les prix d’achat des installations.

Mme Laure de La Raudière. Permettez-moi de préciser ma question. Dans la mesure où cela concerne de l’argent public, il est assez logique que l’on s’intéresse à la question de la rentabilité ultérieure, afin d’éviter l’existence de bulles de rentabilité trop importantes. Ma question ne concernait donc pas le risque pour l’investisseur.

Concernant les projets de rachat, mon propos ne visait pas le repowering, mais le rachat d’éoliennes non encore installées, de projets purgés de tout recours, dans lesquels un promoteur éolien développe le projet, négocie l’aspect foncier, puis vend à un producteur plus important la capacité d’exploiter, alors même que les éoliennes ne sont pas encore installées.

Mme Gwenaëlle Huet. Concernant le démantèlement, sachez qu’une garantie financière de démantèlement, émise par l’exploitant, est obligatoire. Elle est de 50 000 euros par éolienne. Nous allons pour notre part un peu plus loin et travaillons sur le recyclage des éoliennes.

Mme Laure de La Raudière. J’ai lu sur le site d’une préfecture un devis de démantèlement d’éolienne de 400 000 euros. Le différentiel avec la garantie de 50 000 euros est donc considérable. Il est logique que nous posions ce type de questions, dans la mesure où cela participe du coût complet.

Mme Gwenaëlle Huet. Dans tous les cas, la responsabilité est celle de l’exploitant : il est de son ressort de remettre le site en état. Cet élément est donc bien évidemment inclus dans le calcul de la rentabilité intrinsèque.

Vous parlez de bulle ; mais on peut dire aujourd’hui à l’opposé que les prix ont tellement baissé, la compétition a été tellement forte, qu’un nouveau modèle s’est développé, dans lequel un partenariat est noué avec un fonds, un financier, capable d’avoir des niveaux de rentabilité très compétitifs, afin de nous permettre de remporter des projets dans les appels d’offres, en faisant baisser les prix. Nous sommes aujourd’hui obligés de développer ce type de modèle pour gagner en compétitivité, parce que les prix ont justement baissé très fortement et très rapidement.

M. Vincent Descœur. Concernant le biogaz, on a compris que vous privilégiiez clairement l’injection dans le réseau, ce qui peut s’avérer difficile au regard d’un certain nombre de gisements. Je pense notamment au Massif central. Vous semblez beaucoup moins enthousiaste s’agissant de la production d’électricité à partir de ce biogaz. Doutez-vous de la pertinence de ce modèle économique de production d’électricité ?

Pour ce qui est des certificats d’économies d’énergie, pourrait-on avoir une idée de leur poids dans les tarifs que vous proposez à vos clients ?

M. Pierre Mongin. Je connais bien la problématique des territoires agricoles isolés et pense qu’il existe en effet des zones où l’on ne parviendra pas à récolter la matière et à la transporter jusqu’au point d’injection sans des coûts prohibitifs. Il est donc vraisemblable qu’un deuxième modèle se développe, qui n’est pas celui d’Engie : il consistera à s’organiser de manière collective, car le coût des investissements initiaux est élevé, sans aller jusqu’au point de raccordement éventuel, pour développer des méthaniseurs disséminés, dont l’efficacité ne sera toutefois pas forcément formidable. Il faut toutefois éviter l’individuel absolu, dont les coûts seront exorbitants, ce qui risquera fort de créer de la déception chez les agriculteurs qui vont s’endetter pour installer des systèmes qu’ils ne parviendront pas à rentabiliser. Il faut à tout prix éviter que les agriculteurs ne s’engagent dans des voies trop périlleuses.

Concernant les CEE, je suis malheureusement incapable de vous donner leur pourcentage exact en termes de répercussion sur les tarifs. Je vous transmettrai toutefois l’information dès demain si vous le souhaitez. Il me semble que cela se situe autour de 2 %.

M. le président Julien Aubert. Vous avez parlé de recyclage à propos des éoliennes. Or les pales des éoliennes sont en polymère. Comment procédez-vous pour recycler cela ?

Mme Gwenaëlle Huet. On ne sait pas, aujourd’hui, recycler le polymère. Nous travaillons toutefois avec Suez afin de réaliser un premier pilote et de pouvoir partager avec la profession sur la capacité à recycler ces pales. Suez est mobilisé sur le sujet, afin de pouvoir créer une filière autour de cette problématique.

M. le président Julien Aubert. Imaginons que vous ne trouviez pas de solution avant la fin des parcs éoliens : qu’adviendrait-il des déchets des pales en polymère ?

Mme Gwenaëlle Huet. Aujourd’hui, 90 % des éoliennes sont recyclées : béton, acier, aluminium, cuivre. Nous travaillons actuellement, comme je viens de l’indiquer, sur la question du recyclage des pales. L’objectif est de produire des coproduits, comme des éléments de voies de chemin de fer par exemple. Nous allons partager les coûts avec Suez sur ce travail. Aujourd’hui, les pales sont broyées. L’objectif du recyclage est de pouvoir défaire le polymère pour ensuite le revaloriser.

M. le président Julien Aubert. Les éléments broyés doivent donc être stockés.

Concernant le repowering, j’avais cru comprendre qu’il n’était pas possible de conserver le socle de béton initial et qu’il fallait construire un autre socle pour installer le nouveau pylône.

Mme Gwenaëlle Huet. Tout dépend de la taille des éoliennes. Les fondations ne peuvent effectivement pas être les mêmes si l’on parle d’éoliennes de 850 kilowatts (KW) ou de 3 MW. Aujourd’hui, on trouve toutefois des débouchés sur site ou hors site, auprès des cimenteries, pour fabriquer des enrobés bitumineux, etc.

M. le président Julien Aubert. Vous avez donc prévu de recycler les socles de béton.

Mme Gwenaëlle Huet. C’est effectivement tout à fait possible.

M. le président Julien Aubert. Est-ce intégré dans le coût ?

Mme Gwenaëlle Huet. Nous prévoyons en effet dans nos coûts le recyclage des éoliennes, y compris de cette partie-là.

M. le président Julien Aubert. Vous avez indiqué que les courbes allaient se croiser en 2030. Or le soutien aux EnR a commencé en 2000. Cela correspondrait donc à trente ans d’aides publiques. Vous savez comme moi que ces industries sont largement importées. Vous comprendrez donc la prudence nécessaire : imaginez que vous vous trompiez et que la maturité ne survienne pas en 2030, mais en 2040. L’aide aura alors duré quarante ans.

L’argent public n’est pas infini. Or vous déplorez par ailleurs le faible soutien au gaz et le fait que la PPE soit très largement électrique. Si l’on réfléchit à un rééquilibrage, les gaziers ont par exemple plaidé ce matin pour une plus grande ambition, avec une transition passant davantage par le gaz. Cela signifierait un transfert des financements publics d’un domaine vers l’autre. Si l’on doit toutefois attendre 2030 et l’arrivée à maturité des EnR électriques, le risque est, puisque l’on ne peut pas augmenter les impôts, que l’on reste dans les faits avec des ambitions mort-nées en matière de gaz, faute de pouvoir trouver les fonds nécessaires. Comment résolvez-vous cette redoutable dualité ?

M. Pierre Mongin. C’est un risque et la raison pour laquelle nous essayons de convaincre l’opinion et le gouvernement de la nécessité de bien équilibrer le mix énergétique français. Si les soutiens étaient excessivement concentrés sur l’électrique, on parviendrait à la situation, évoquée précédemment par Mme de la Raudière, de bulles de rentabilité excessive. Honnêtement, les appels d’offres et la concurrence à l’œuvre aujourd’hui en France pour la production font que ce n’est absolument pas le cas. L’État, étant actionnaire d’Engie, est vigilant quant à la rentabilité de ce groupe. Cela renvoie à des marges raisonnables, mais certainement pas à un nouveau gisement de rente pour le groupe. La question est celle du partage de l’argent public. Il appartient à l’État de choisir les filières qu’il entend prioriser. Or la position de l’Europe consiste au contraire à considérer que l’État ne doit pas choisir les filières et qu’il faut laisser place à une neutralité technologique : dans cette logique, il appartient aux filières de démontrer elles-mêmes leur capacité à s’« autoporter » le plus vite possible. Avec un concours public identique par KWh, il revient aux industriels de déployer les meilleures technologies. Cette vision n’est toutefois pas dans les gènes français. Nous avons, en France, le goût de la planification. Le problème est que nous orientons ainsi des cloisonnements de financements au lieu d’organiser un système neutre.

Concernant le biogaz, je crois que l’argent consacré à la filière est insuffisant. Ces financements permettront toutefois de démarrer raisonnablement. Cela suffira pour démontrer qu’en France, il est possible de parvenir à développer le biogaz. Nous sommes, au sein du groupe Engie, assez confiants de ce point de vue. Pour autant, le poids que nous traînons en termes de finances publiques relativement aux énergies renouvelables est le passé. Les technologies étaient coûteuses au départ. EDF a ouvert les vannes sur de petits projets, si bien qu’il existe aujourd’hui une dette de l’État vers EDF, qu’il faut rembourser et qui représente un volume très conséquent des sommes investies dans la transition énergétique et payées par le contribuable consommateur. Nous avons effectué des estimations, qui laissent à penser que la dette héritée du passé sera soldée aux alentours de 2035. Si l’idée est alors de continuer à investir sur un même niveau de financement, ce qui n’est pas certain, on pourrait, une fois débarrassés de ce boulet financier énorme, avancer très vite dans le développement de nouvelles technologies, y compris dans le domaine du gaz ou de l’hydrogène. Les premières années de développement des EnR ont été très coûteuses en France.

M. le président Julien Aubert. Ne devrait-on pas, par conséquent, en tirant leçon des erreurs du passé, plafonner le montant d’aides budgétaires ? L’État pourrait ainsi se retirer au-delà d’une certaine somme. Je me rappelle avoir rencontré en 2008 M. Mouratoglou, président d’EDF Énergies nouvelles, qui m’avait expliqué, graphique à l’appui, que nous serions prochainement gagnants. Dix ans plus tard, ses calculs ne se sont pas révélés exacts. Quel serait l’impact, pour un acteur comme Engie, d’une décision consistant à conserver, sur l’éolien, sur le photovoltaïque, le principe d’un complément de rémunération versé par l’État, mais en le plafonnant ?

Mme Gwenaëlle Huet. Il existe déjà des plafonds de prix dans les appels d’offres.

M. le président Julien Aubert. Plafond de prix n’est pas plafond d’engagement. Si demain le prix du marché descend très bas et que cela représente un coût d’un, deux ou dix milliards d’euros pour l’État, ce dernier sera dans l’obligation de compléter. Lorsque la foudre tombe sur un circuit électrique, le disjoncteur entre en action. Ne manque-t-il pas un disjoncteur dans le système de transition électrique ?

M. Pierre Mongin. À quel rythme peut-on aller et avec quels moyens l’État peut-il soutenir ce rythme ? La réalité est que l’offre et les capacités d’investissements de groupes comme le nôtre et nos concurrents, déterminent la volumétrie. Aujourd’hui, le cap est naturel. Il n’existe pas partout des sites susceptibles d’accueillir des éoliennes terrestres. J’ai été, en tant qu’ancien préfet d’Auvergne, le premier à établir un plan régional d’implantation des éoliennes : entre les endroits où le vent fait défaut et ceux où il vaut mieux s’abstenir, on observe finalement une rareté relative de l’espace disponible. Cela constitue un facteur limitant au financement des éoliennes terrestres. Je pense que les capacités de production et de vent en mer sont infiniment supérieures à ce que l’on peut rencontrer sur terre. Pour l’instant, ce sont les appels d’offres de l’État qui fixent les volumes. Dunkerque est le dernier appel d’offres en date et nous n’en avons pas d’autres en perspective pour l’instant. Je ne suis donc pas très inquiet relativement à un hypothétique risque d’emballement de volume qui coûterait très cher au budget de l’État.

Quant à la baisse des prix de l’électricité, l’expérience du vieillissement des centrales belges montre que le taux d’indisponibilité s’accroît. Voici dix ans, le taux de disponibilité dans l’énergie nucléaire y était supérieur à 90 % ; il est aujourd’hui inférieur à 80 %.

M. le président Julien Aubert. Y a-t-il eu un grand carénage en Belgique ?

M. Pierre Mongin. Absolument. Cela a d’ailleurs été la cause des petites difficultés techniques que nous avons rencontrées cet hiver. Il s’agit en effet de travaux extrêmement complexes, qui obligent à revoir de nombreux systèmes à l’intérieur des centrales. Tout cela conduit à ce que la disponibilité d’un parc de centrales nucléaires vieillissant ne sera pas celle que l’on a connue par le passé. Cela invite à ne pas être trop frileux sur une production alternative pour la France. Un jour, les centrales vont disparaître.

M. le président Julien Aubert. Si l’on appliquait cela au nouveau nucléaire, qui est plus cher que l’ancien, on rencontrerait exactement la même problématique d’analyse que pour l’éolien en mer : le début coûte cher. Il ne faut pas se baser sur le prix du réacteur européen pressurisé (EPR) de Flamanville et en conclure que tous les nouveaux EPR auraient le même coût. Si l’on veut appliquer de manière parfaitement égale les modèles économiques, il faut le faire dans tous les cas.

Ma dernière question concerne les CEE : vous avez indiqué, me semble-t-il, qu’il faudrait sortir du dispositif les particuliers, qui devraient se débrouiller sans les CEE pour faire leurs travaux chez eux. Ai-je bien compris ? Cela pose de façon sous-jacente un problème de contrôle : l’État s’est aperçu, via TRACFIN, que des détournements avaient eu lieu. Or il est très compliqué de justifier auprès du pôle de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) que les travaux ont bel et bien été réalisés : si c’est envisageable pour un immeuble de quarante étages, en revanche il n’est guère envisageable de se rendre chez tous les particuliers concernés pour procéder à des vérifications comble par comble et fenêtre par fenêtre. Est-ce bien de cela qu’il s’agit, ou plaidez-vous de manière générale pour une réorientation et une reconcentration de l’exercice des CEE, qui permettrait peut-être de déflater le volume qui nous a été légué par Mme Royal ?

M. Pierre Mongin. Je pense que les CEE constituent une injection très artificielle d’une subvention pour des travaux qui devraient objectivement pouvoir s’effectuer spontanément sans recourir à une subvention, puisqu’ils sont censés générer une économie d’énergie produisant finalement une ressource pour le client. On devrait se passer théoriquement d’une subvention pour ce type d’amélioration. Je suis tout à fait d’accord pour que le CEE devienne un instrument de politique sociale : il est évidemment logique d’aider les gens qui n’ont pas les moyens de financer de tels travaux. Cela a du sens. S’il s’agit au contraire d’un dispositif indifférencié, sans limitation de ressources, alors je ne vois pas l’intérêt de financer des travaux qui se justifient par eux-mêmes dans un budget de particulier, dans la mesure où les économies générées à terme vont permettre de financer les travaux. Je trouve par ailleurs que les CEE sont aujourd’hui mal calibrés, mal ciblés et ne correspondent pas à une capacité d’offre permettant de les déployer suffisamment. On organise ainsi la rareté par la montée des prix de ces certificats et l’on aboutit ensuite à des financements d’intermédiaires, dont on ne sait pas toujours très bien ce qu’ils font de cet argent et qui produisent du papier à l’administration pour indiquer qu’ils ont fait des choses.

M. le président Julien Aubert. Nous vous remercions, mesdames, messieurs, du temps que vous nous avez consacré. N’hésitez pas, au-delà de cette audition, à adresser au président ou à Mme la rapporteure toute information que vous jugeriez utile de nous communiquer.

Laudition sachève à vingt heures quinze.

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15.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jonathan Lumbroso, directeur de la société LSF Énergie, accompagné de Mme Salomé Chelli, consultante (18 avril 2019)

Laudition débute à neuf heures trente.

M. le président Julien Aubert. Nous recevons, ce matin, en première audition de cette journée, le responsable d’une entreprise spécialisée dans la collecte et l’achat des certificats d’économies d’énergie, M. Jonathan Lumbroso, directeur de la société LSF Énergie, qui est accompagné par Mme Salomé Chelli, consultante.

Vous allez d’abord nous présenter l’origine et le mode de fonctionnement de votre société qui, si nous l’avons bien compris, joue notamment le rôle d’un intermédiaire financier.

Il existe, en effet, un marché des certificats d’économies d’énergie (CEE). D’après ce que nous ont dit des fournisseurs d’énergie, ce marché est devenu tendu, voire spéculatif, cela depuis que Mme Royal a décidé de doubler l’objectif de CEE au titre de la quatrième période qui couvre les années 2018 à 2020.

En leur qualité d’« obligés », les fournisseurs d’énergie seraient ainsi confrontés à des difficultés, précisément pour satisfaire en totalité à leurs obligations en matière de CEE.

Le dispositif des CEE existe, de fait, depuis une dizaine d’années. Il nous a paru utile de vous entendre sur les évolutions de ce dispositif depuis l’origine.

Quel est, aujourd’hui, le prix d’un CEE sur le marché ? La tendance est-elle à une irrépressible augmentation ? Pour avoir déjà rédigé un rapport sur le sujet, je me rappelle de précédentes auditions où c’était plutôt l’inverse.

Comment votre société se rémunère-t-elle lorsqu’elle achète des CEE pour le compte de tiers ? Ces tiers, qui sont des fournisseurs d’énergie, à qui vous proposez « des démarches simplifiées de valorisation de [leurs] certificats d’économies d’énergie », d’après ce que l’on peut lire sur internet. Vous pourrez d’ailleurs nous éclairer sur la diversité de l’écosystème de ces obligés. Cela va du gros au petit, en passant par de l’électricité ou du fossile, du carburant ou pas du carburant.

Quel est ce mode de gestion et de « valorisation » des CEE et quelles sont vos relations, par exemple, avec les fournisseurs alternatifs d’énergie, électricité et gaz, dont la commission a déjà auditionné certains des représentants ?

Vous comprendrez l’intérêt de notre commission d’enquête pour mieux connaître comment fonctionne le système des CEE dans toutes ses dimensions.

Les CEE ont, en effet, un caractère hybride. Ils ne constituent pas une nouvelle catégorie de taxes bien qu’ils prennent la forme d’un prélèvement supplémentaire. Car leurs prix, dont on nous dit qu’ils sont à la hausse, se répercutent en définitive sur la facture énergétique des consommateurs. Les CEE ont donc une part de responsabilité dans l’augmentation des coûts de l’énergie que les consommateurs supportent de plus en plus mal. Or l’un des maîtres mots de cette commission d’enquête est l’acceptabilité.

Madame, monsieur, nous allons d’abord vous entendre au titre d’un exposé liminaire de quinze minutes au maximum.

Vous serez interrogé ensuite par ma collègue, Mme Meynier-Millefert, en sa qualité de rapporteure de la commission d’enquête, puis par moi-même et les membres de la commission.

S’agissant d’une commission d’enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

(M. Jonathan Lumbroso et Mme Salomé Chelli prêtent successivement serment.)

M. Jonathan Lumbroso, directeur de la société LSF Énergie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi d’abord de vous remercier de nous écouter ce matin et d’avoir fait un peu de place dans vos travaux parlementaires intenses pour évoquer ensemble les certificats d’économies d’énergie. Je présenterai l’entreprise que je représente, LSF Énergie, et ferai un état des lieux du dispositif, avant de proposer quelques pistes de réflexion sur son optimisation.

LSF Énergie est une entreprise spécialisée dans l’émission et l’achat de certificats d’économies d’énergie. Par son activité, elle est impliquée dans la lutte contre la précarité énergétique et s’engage pour un modèle CEE plus vertueux, notamment à l’égard des consommateurs.

Nous développons à ce titre des outils informatiques permettant un meilleur suivi des procédures CEE et le respect des délais de rétractation bénéficiant aux consommateurs. LSF Énergie n’est, sans nul doute, pas le plus gros acteur des CEE, mais souhaite avoir un impact positif sur les évolutions politiques entourant la lutte contre la précarité énergétique et la transition énergétique incluant la valorisation des artisans locaux.

La démarche de LSF Énergie est fondée sur une analyse préalable de l’environnement politique, des résultats des premières périodes du dispositif CEE et sur une connaissance du terrain. Aujourd’hui, LSF souhaite porter des propositions pour valoriser le dispositif existant et en optimiser les résultats.

Je suis accompagné de Mme Salomé Chelli, du cabinet RPP Group, qui nous accompagne dans cette démarche d’analyse et de valorisation politique.

Mme Salomé Chelli, consultante. Permettez-moi de me présenter. Je suis Salomé Chelli, du cabinet RPP Group, un cabinet de conseil en affaires publiques. Nous accompagnons la société LSF depuis plusieurs mois dans cette démarche.

M. Jonathan Lumbroso. Je ne doute pas que vous soyez familiarisés avec le dispositif des CEE, mais permettez-moi quelques rappels afin d’étayer notre réflexion.

La maîtrise de la consommation énergétique a été érigée en priorité de nos politiques publiques. Dans un premier temps, la rénovation énergétique des bâtiments, premier maillon de la chaîne, représente un enjeu environnemental et social. La plus grande partie des énergies consommées actuellement est produite à partir de ressources non renouvelables – pétrole, gaz naturel, charbon, combustible nucléaire – dont l’usage génère des émissions de gaz à effet de serre et des polluants atmosphériques qui participent au changement climatique. En France, le secteur du bâtiment est le premier poste de consommation d’énergie devant les secteurs du transport et de l’industrie. Or le chauffage représente les deux tiers de la consommation d’énergie du logement. Nous pouvons nous féliciter de la part importante prise par la rénovation énergétique des bâtiments dans les priorités, parce qu’elle participe largement à la transition écologique et à la protection de l’environnement en limitant le gaspillage énergétique.

Le besoin de rénovation énergétique repose non seulement sur une nécessité environnementale mais aussi sur une réalité sociétale : 3,3 millions de ménages représentent 6,7 millions d’individus qui sont en situation de précarité. Il s’agit principalement de ménages en situation de précarité économique et sociale. En 2015, 10 % des ménages les plus modestes consacraient 11 % de leurs revenus aux dépenses d’énergie, contre 4 % en moyenne. En somme, moins on a de moyens et plus on doit dépenser pour se chauffer.

Les ménages en situation de précarité énergétique font moins souvent de travaux que les autres. Aux contraintes de financement s’ajoutent des difficultés d’accès à l’information, freinant la rénovation énergétique des logements des ménages modestes. Face à ces défis, la France s’est saisie du problème et mène une politique nationale volontariste visant à réduire fortement et rapidement les consommations énergétiques et les émissions associées en direction de l’ensemble des acteurs économiques, notamment ceux du bâtiment.

Des fiches techniques par matériau ont été développées par le Gouvernement, montrant des qualités thermiques minimales attendues qui génèrent autant de certificats d’économies d’énergie. C’est dans ce contexte qu’a été mis en place le dispositif des certificats, dont la quatrième période a débuté en janvier 2018, avec des objectifs quasiment doublés, comme vous l’avez dit, par rapport au rythme antérieur, ce qui relance la mobilisation.

Cette quatrième période suscite de nombreuses attentes, dans la mesure où des progrès restent à fournir. Près d’un logement sur deux est en situation de surconsommation énergétique, et 7 millions de logements sont considérés comme des passoires thermiques.

En résumé, la lutte pour la rénovation énergétique des logements constitue un outil majeur du changement climatique. Une mauvaise performance énergétique dans les logements constitue une double peine pour les ménages qui sont déjà en situation de précarité sociale et économique. L’ensemble des acteurs doivent se saisir du sujet pour contribuer à renforcer la lutte contre la précarité énergétique. C’est l’objet de notre venue aujourd’hui et nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer à ce sujet et d’avoir une approche collaborative.

Pour répondre au besoin d’équilibre entre la transition écologique et la lutte contre la précarité, a été mis en place le dispositif des certificats dont je rappellerai brièvement le fonctionnement. Les fiches d’opérations standardisées définies par arrêté sont élaborées pour faciliter le montage d’actions d’économies d’énergie. Elles sont classées par secteur –résidentiel, tertiaire, industriel, transports – et définissent pour les opérations les plus fréquentes les montants forfaitaires d’économies d’énergie en kilowattheures (KWh) cumulés actualisés (CUMAC). Les CEE sont attribués sous certaines conditions par les services du ministère chargé de l’énergie aux acteurs éligibles réalisant des opérations d’économies d’énergie.

En bref, pour l’équilibre, le dispositif des CEE constitue l’un des principaux instruments de la politique publique.

Toutefois, le potentiel du dispositif des certificats d’économies d’énergie ne nous paraît pas optimisé, à l’heure actuelle. L’information relative au dispositif est particulièrement technique. En résulte une connaissance partielle des consommateurs qui ne savent pas réellement quelles aides financières sont à leur disposition pour mener leurs travaux de rénovation énergétique. Un sondage réalisé en novembre 2018 montre que seuls 5 % des Français connaissent les certificats d’économie d’énergie. Le ministère de la Transition écologique et solidaire, mais également les plateformes territoriales de la rénovation énergétique pourraient offrir aux consommateurs une information et un accompagnement supplémentaires dans leurs démarches.

Enfin, dans la conclusion des contrats, il apparaît que la plupart des dossiers et formulaires sont remplis sous format papier aux différentes étapes du dispositif : offre de prime, accord de rôle actif et incitatif, signature des devis. Nous avons fait le choix de la digitalisation de l’ensemble de la procédure. Les résultats de la digitalisation sont jusqu’à présent très positifs. La digitalisation permet d’augmenter la traçabilité, de limiter autant que possible les erreurs humaines et d’avoir une gestion continue et centralisée des dossiers, c’est-à-dire de travailler en flux tendu.

Nous disposons aujourd’hui de matériaux plus écologiques et en amélioration constante, permettant une consommation énergétique toujours plus vertueuse. Or les fiches d’opérations standardisées actuelles qui visent à proposer aux particuliers et aux collectivités des travaux à coût réduit ne tiennent pas compte de ces matériaux de meilleure qualité. De ce fait, pour offrir le même dispositif dans les mêmes conditions, avec des matériaux de meilleure qualité, il serait pertinent de valoriser les fiches d’opérations en fonction de la qualité des matériaux. Cela permettrait d’élever la qualité des travaux tout en contribuant à l’atteinte de l’objectif d’équité d’accès aux travaux de rénovation énergétique.

Soucieux de proposer un accompagnement accru aux consommateurs et devant le succès du premier dispositif « Coup de pouce économie d’énergie », terminé en mars 2018, le Gouvernement a décidé de prolonger cette aide. Ce nouveau dispositif prévoit la bonification de certaines opérations engagées du 1er avril 2019 au 31 décembre 2020, pour lesquelles l’énergéticien, et l’énergéticien uniquement, s’engage à respecter les engagements « coup de pouce chauffage » et « coup de pouce isolation ». Deux types de travaux sont éligibles : le « coup de pouce » chauffage concerne les remplacements de chaudières et le « coup de pouce isolation » vient clôturer une grande phase d’isolation nationale. Tous les ménages peuvent bénéficier de cette offre. Les montants des primes attribuées seront cependant différenciés en fonction de leur niveau de ressources. Bien entendu, les plus modestes bénéficieront des primes les plus importantes.

Nous avons constaté que la mise en œuvre du programme « Coup de pouce économie d’énergie » s’accompagnait d’un contrôle renforcé, ce qui a entraîné un retour terrain extrêmement positif à la fois sur les techniques de mise en œuvre et la qualité des travaux réalisés. Plus de contrôles systématiques sont imposés et plus la qualité de mise en œuvre de la massification du programme a des effets bénéfiques et rapides.

L’état des lieux que nous avons réalisé sur la mise en œuvre du dispositif nous a permis d’identifier des pistes d’amélioration afin d’optimiser le potentiel des CEE pour les prochaines périodes. Ces propositions sont articulées autour de trois axes : la mise en œuvre du dispositif, le financement et la digitalisation.

S’agissant de la mise en œuvre, il faut : développer l’information sur le dispositif des CEE de manière à ce que davantage de ménages puissent en bénéficier et offrir une meilleure compréhension de ce qui est proposé ; adapter les fiches d’opérations standardisées au niveau des matériaux de meilleure qualité, afin de démocratiser l’accès à une rénovation de qualité et durable. Concrètement, cela veut dire calculer le montant forfaitaire des KWh « CUMAC » attaché à chaque fiche d’opération standardisée selon la qualité des matériaux, ce qui permettrait de favoriser l’utilisation de matériaux plus efficaces sur le plan énergétique et de stimuler la recherche et le développement dans ce domaine.

Concernant le financement, il convient de poursuivre la massification initiée pour soutenir les particuliers dans leurs travaux de rénovation énergétiques et d’identifier de nouveaux mécanismes de financement de la rénovation énergétique sans passer par le crédit, même à taux zéro, pour les ménages en précarité. Il ne faut pas supprimer le crédit à taux zéro pour tout le monde mais, dans le contexte d’une massification des propositions de CEE, inciter les acteurs à éviter de passer par un crédit, même à taux zéro.

Enfin, nous souhaiterions une généralisation du recours à la numérisation pour les procédés de contractualisation afin d’augmenter la traçabilité, de limiter les risques d’antidatages des documents et d’assurer le respect des délais de rétractation auxquels ont droit les consommateurs. Cela permettrait aussi de faciliter et de fluidifier le contrôle du pôle national des certificats d’économie d’énergie (PNCEE), en réponse notamment à ses moyens relativement limités, comme vous l’avez si bien évoqué, Monsieur le président.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Lumbroso, je vous propose de procéder par un jeu rapide de questions-réponses.

En évoquant à l’instant les risques d’antidatages et le respect des délais de rétractation, vous faites sans doute allusion au démarcharge effectué par des gens qui viennent proposer à domicile de manière impromptue d’isoler des combles en quelques heures pour 1 euro, autrement dit à l’information du consommateur, aux moyens de contrôle des travaux et aux bonnes procédures. Comment informez-vous les consommateurs sur les bonnes pratiques de démarchage ?

M. Jonathan Lumbroso. Nous n’informons pas les consommateurs sur les bonnes pratiques de démarchage, car nous ne sommes pas en mesure d’échanger avec l’ensemble des ménages français.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Proposez-vous des offres de ce type ?

M. Jonathan Lumbroso. Directement aux particuliers, non.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous évoquiez les mécanismes de financement, et j’ai cru comprendre que vous cibliez prioritairement les ménages les plus précaires. Or vous souhaitez aboutir à des mécanismes sans reste à charge, c’est-à-dire des systèmes à 1 euro.

Mme Salomé Chelli. L’endettement des ménages précaires pour financer la rénovation pose une question politique et presque philosophique : est-ce aux citoyens de financer la rénovation et la transition énergétique ? Sans doute, mais pas uniquement. L’information des consommateurs est indispensable pour éviter d’aggraver la situation des ménages précaires. Il faut les informer sur le coût réel – rien ne coûte un euro, encore moins des travaux de rénovation – et sur les mécanismes de financement du dispositif, afin qu’il en soit fait une utilisation responsable et vertueuse.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Interagissez-vous à un moment donné avec les particuliers ?

M. Jonathan Lumbroso. Nous intervenons uniquement en termes de « B2B » et jamais directement auprès des particuliers. Ce n’est pas notre rôle.

Comme je l’ai dit, nous estimons que l’État pourrait informer davantage les ménages et ne pas laisser le rôle actif et incitatif aux seuls énergéticiens, afin de remettre en partie les clés des certificats aux particuliers, qui doivent être avertis de ce à quoi ils ont droit. À notre avis, c’est le rôle de l’État de faire preuve de pédagogie en ce domaine.

Quant au démarchage abusif et à l’isolation à 1 euro, nous avons constaté que l’encadrement par une inspection du Comité français d’accréditation (COFRAC) toutes les dix opérations, imposé dans le cadre du « Coup de pouce », avait eu une incidence immédiate sur la mise en œuvre.

M. le président Julien Aubert. Comment s’effectue concrètement le contrôle du COFRAC ?

M. Jonathan Lumbroso. Toutes les dix opérations, l’artisan installateur envoie un inspecteur du COFRAC contrôler la bonne réalisation des travaux. C’est nous qui définissons qui il doit aller voir.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Afin de m’éclairer davantage, pourriez-vous citer un exemple d’offre en vue d’une mise en relation « business to business » ?

M. Jonathan Lumbroso. Nous avons deux métiers. Nous sommes courtiers en certificats d’économie d’énergie, marché que nous avons approché en venant d’un univers purement financier, à savoir un fonds d’investissement spécialisé dans l’énergie. Puis nous avons proposé de devenir mandataires d’énergéticiens. Nous formalisons les dossiers pour les entreprises installatrices, qu’elles fassent de l’isolation ou pas – il peut s’agir aussi de bureaux d’études – et nous valorisons les certificats déjà émis par le pôle national pour les vendre aux obligés. Nous agissons donc en plein sur le marché primaire et sur le marché secondaire.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Concernant la partie purement financière, une pratique consisterait à réaliser des travaux et à conserver les CEE le temps qu’ils prennent de la valeur. Plus on attendrait et plus on exercerait de pression sur les obligés pour les inciter à acheter des CEE plus chers. Avec un plafond à 15 euros le mégawattheure (MWh) et un prix de 9 euros aujourd’hui, on peut avoir intérêt à attendre qu’il monte à 10, 11 ou 12 euros pour les revendre. Quelles sont les marges de manœuvre possibles en la matière ? Combien de temps peut-on garder des CEE et combien de temps après travaux peut-on les valoriser ? Avez-vous connaissance de telles pratiques ?

M. Jonathan Lumbroso. Dans le monde dans lequel nous vivons, on ne peut pas empêcher quelqu’un de posséder quelque chose et de le garder pour le revendre s’il le souhaite. Je possède ce cahier, si je veux le vendre, je le vends, si je ne veux pas le vendre, je ne le vends pas. Le droit à la possession est inhérent au capitalisme. Compte tenu de cette contrainte, on ne peut pas imposer aux gens de vendre et d’acheter comme on le souhaiterait.

Est-ce que des acteurs peuvent demander au PNCEE d’émettre des certificats, les payer, les garder ? L’installateur qui a réalisé les travaux ou le bénéficiaire qui les a payés peut-il les garder ? Il faut d’abord savoir de qui on parle. Les seules entités ayant intérêt à le faire sont les délégataires. Est-ce que certains s’organisent entre eux pour le faire ? À ma connaissance, non. Ce serait gros. Je doute que certains en gardent pour eux-mêmes en attente de les vendre, car ce n’est pas leur business model. Ce serait techniquement possible, mais économiquement absurde.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Économiquement, l’offre à 1 euro était déjà rentable quand les certificats d’économies d’énergie valaient 3 euros le MWh. Aujourd’hui ils valent 9 euros, soit 6 euros d’écart.

M. Jonathan Lumbroso. Non ! Dans l’offre « Coup de pouce », ce qui compte, c’est le prix à l’unité. L’offre « coup de pouce » induit une réduction globale des certificats émis et une moindre valorisation puisque le chiffre d’affaires égale le volume multiplié par le prix. Avec moins de volume, même si le prix est augmenté, le chiffre d’affaires global émis sur une opération est inférieur.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il me semble que les offres à 1 euro visent à payer l’ensemble des travaux, c’est-à-dire la fourniture des éléments plus l’installation, à un prix traduit en KWh « CUMAC », entièrement couvert par l’efficacité énergétique.

M. Jonathan Lumbroso. C’est exact.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Or à l’époque où les certificats d’économies valaient 3 euros, le dispositif était rentable et efficace.

M. Jonathan Lumbroso. Ce n’est pas le même dispositif, la même fiche et ce ne sont pas les mêmes volumes. Quand les certificats valaient 3 euros, il ne s’agissait pas des mêmes KWh « CUMAC » par opération. Alors qu’ils valent aujourd’hui 9 euros, pour un ménage précaire réalisant une opération à 1 euro, le chiffre d’affaires, en fonction de certains critères et sous certaines réserves d’éligibilité, est différent.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pour simplifier et sachant que vous vous exprimez sous serment, l’écart entre l’offre d’isolation des combles à 1 euro à l’époque où les CEE valaient 3 euros, et celle d’aujourd’hui, avec des CEE valant 9 euros, ne permet-il pas d’amplifier la marge d’un acteur de la chaîne ?

M. Jonathan Lumbroso. Je vais reformuler. Avant le 1er avril 2019, un mètre carré standard valait 45 à 50 euros, voire un peu plus. Aujourd’hui, pour un ménage en situation de précarité énergétique, en zone climatique H1, il vaut 30 à 33 euros, parfois un peu plus. Il y a tout de même une différence de 20 euros depuis le début du mois. De mémoire, je ne pourrai pas vous dire quelle était la valorisation du KWh « CUMAC » quand les certificats valaient 3 euros, mais le résultat final en termes de chiffres d’affaires n’est pas le même.

Vous soulevez un point intéressant. Nous n’avons pas les éléments nécessaires pour lisser et établir des comparaisons de résultats entre des certificats à 3 euros, 6 euros et 9 euros. Mais aujourd’hui, tous les échanges ne se font pas à 9 euros. Je vous invite à consulter le nombre des transactions sur le site emmy.fr. Vous constaterez qu’elles se comptent en dizaines, voire à près d’une centaine au prix que vous venez d’indiquer, tandis que sur le marché primaire de certificats non encore émis, le prix n’est pas le même.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le marché primaire, c’est bien le prix basique du certificat d’économies d’énergie, sans spéculation, et le marché secondaire, celui où l’on commence à renchérir parce que les obligés, craignant de ne pas atteindre leur volume, sont prêts à les acheter plus cher ? En outre, le titulaire d’un contrat pour un térawattheure (TWh) d’économie d’énergie, peut dire à tel obligé : j’ai un contrat de CEE à 9 euros, si vous voulez que je vous l’apporte plutôt qu’à un autre, payez 10 euros !

M. Jonathan Lumbroso. C’est le principe de l’offre et de la demande. Des délégataires ou d’autres acteurs éligibles proposent la vente de certificats à des énergéticiens, lesquels ont le libre choix d’acheter ou de ne pas acheter. Ils peuvent produire pour eux-mêmes. Si le prix augmente, c’est qu’il y a moins d’offres. Mais, à ma connaissance, il n’y a pas d’acteur suffisamment puissant pour influer à lui seul sur le prix.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous n’avez pas les informations relatives aux offres à 1 euro que je demandais. Vous n’êtes pas directement concerné, nous creuserons ce point lors d’autres auditions dans la journée. Cela étant, vous dites qu’il est techniquement possible de faire de la trésorerie de CEE, après des opérations extrêmement rentables. En caricaturant, en admettant que des CEE pour des opérations d’isolation de combles à 1 euro soient extrêmement rentables, la marge dégagée permettrait de payer deux fois l’opération directement auprès des installateurs. S’il était possible qu’une opération CEE me permette d’avoir plus que le prix des CEE, je pourrais conserver la deuxième opération réalisée et déjà rentable tout en ayant payé tout le monde et ne la valoriser que plus tard.

M. Jonathan Lumbroso. Il faudrait en avoir les sous, donc une volonté économique, donc un business model. Je n’en connais pas de tel. De plus, vous pourriez faire de même avec des actions sur le marché du minerai de fer ou sur n’importe quel autre marché. À mon sens, vouloir profiter, à la faveur d’une offre qui se raréfie, d’une hausse parce qu’après avoir acheté le 1er du mois, le prix serait remonté à la fin du mois, serait de la mauvaise gestion. En termes de gestion des risques, ce serait étrange.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Ce serait risqué s’ils ne considéraient pas que plus ils attendent et plus la valeur des certificats d’économies d’énergie augmente, compte tenu de l’approche de la fin de la période et de l’inquiétude grandissante des obligés de les payer 15 euros. Pouvez-vous me confirmer cette inquiétude ?

M. Jonathan Lumbroso. Je la confirme.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Des acteurs de CEE sont partisans de la fixation d’un couloir de prix pour éviter l’envolée ou la chute des prix des CEE. Aujourd’hui le plafond est de 15 euros mais ils estiment qu’on devrait fixer un prix plancher pour éviter que les entreprises intermédiaires s’arrêtent net, comme cela s’était produit quand le prix des CEE était tombé à 1,50 euro. Aujourd’hui, il a beaucoup monté et certains disent qu’un plafond à 15 euros incite à le faire monter très haut. Ils souhaiteraient garder une forme de fluctuation. A priori, personne n’est d’accord sur l’idée d’un prix fixe mais on évoque un plancher à 6 euros et un plafond à 10 euros. En avez-vous entendu parler ? Quels sont les arguments pour ou contre cette marge de fluctuation réduite ? Quelles difficultés un prix fixe engendrerait-il ?

M. Jonathan Lumbroso. À ma connaissance, il n’existe aucune manipulation du marché et nous ne devrions pas empêcher le jeu de l’offre et de la demande. Nous savons que le prix maximum théorique est de 15 euros. La seule raison pour laquelle le prix monterait à 15 euros serait, comme pour n’importe quelle matière première, la raréfaction du gisement. Se poserait alors la question de savoir si les certificats d’économies d’énergie ont encore du sens. Lorsqu’on aura isolé toutes les maisons, pour le plus grand des postes, et amélioré tous les éléments industriels, on pourra se demander s’il y a encore des gisements et le prix atteindra 15 euros, peut-être plus. Sera-t-il alors toujours intéressant pour les énergéticiens d’acheter des certificats d’économies d’énergie ? Ils feront sûrement pression sur vous pour annuler le dispositif. Dénoncer aujourd’hui une manipulation de prix de marché est faisable de votre part, mais est-ce que les acteurs s’entendent entre eux pour manipuler le prix du marché ? À ma connaissance, non. Plus les certificats sont chers et plus les opérations deviennent rentables pour les ménages en précarité énergétique. Les conditions de pression entre l’achat et la vente n’agissent pas dans un seul sens. Les intérêts ne vont pas dans un seul sens.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous évoquez la raréfaction du gisement, mais on est encore loin d’atteindre le niveau prévu de rénovation en label bâtiment basse consommation (BBC) pour 2050. La raréfaction du gisement résulterait plutôt de la capacité des opérateurs à s’organiser pour fournir chaque année ou pour la période fixée la capacité demandée. Les énergéticiens se demandent si le volume ne serait pas trop important pour que le marché soit capable de le fournir, faute de suffisamment d’artisans, de coordination et de massification des offres. La raréfaction n’est pas uniquement due au gisement de rénovation du parc français, elle est aussi liée à la capacité de production.

M. Jonathan Lumbroso. À mon humble avis, les deux vont de pair. Le gisement, ce ne sont pas seulement les maisons à isoler. Si des ménages ne souhaitent pas réaliser de travaux d’isolation, les considérez-vous comme faisant partie du gisement ou considérez-vous le gisement comme la capacité de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur à produire des certificats d’économies d’énergie ? Comment définir le gisement ? À mon sens, le gisement doit être défini comme la capacité des acteurs à produire des certificats. On saura qu’il n’y a plus de gisement quand on ne sera plus capable d’aller en chercher.

M. le président Julien Aubert. Normalement, en présence d’un grand gisement, le prix devrait tendre à la baisse. Avec la démultiplication des opérations, il devrait être facile de trouver des CEE.

M. Jonathan Lumbroso. On en revient à la définition du gisement.

M. le président Julien Aubert. Comme vous l’avez expliqué, le gisement, ce sont les logements à rénover. On n’en manque pas, en France. Vous avez parlé de millions de ménages en précarité énergétique et l’objectif de 500 000 logements à rénover chaque année jusqu’en 2050 a été fixé. Le gisement est donc extrêmement important. Pourtant, parallèlement, le prix monte. Pourquoi le prix monte-t-il alors que le gisement est immense ?

M. Jonathan Lumbroso. Vous donnez du gisement une définition brute. Or il faut les moyens nécessaires pour opérer, c’est-à-dire former les hommes à la réalisation des travaux d’isolation, fabriquer et acheter le matériel. Tout cela fait partie du gisement. Parmi les milliers de personnes qui travaillent dans cette industrie, combien sont capables de faire ces travaux et de produire à des niveaux de qualité suffisants ? C’est cela, le gisement !

M. le président Julien Aubert. Vous m’incitez à employer la métaphore du pétrole, avec ses réserves potentielles mais économiquement non valorisables. L’augmentation du prix du CEE correspondrait à une augmentation tendancielle de la dépense de modernisation de l’équipement de production qui vous permettrait d’atteindre ce gisement. Si l’on en est déjà à ce stade, cela signifie qu’on ne met pas assez d’argent pour moderniser l’appareil de production, et la courbe de CEE devrait être ascendante au risque, à un moment donné, de heurter le plafond.

M. Jonathan Lumbroso. Vous établissez un lien pertinent, mais le formidable outil de production pétrolier est le fruit de plus d’une centaine d’années de travail, alors que les CEE sont tout jeunes. Il faut du temps. Nos capacités par rapport au prix ne sont pas liées uniquement au gisement. Quels dossiers le pôle est-il capable de valider et de contrôler ? Quels moyens sont attribués au pôle ? Il a une forte capacité d’influence sur l’offre et la demande, puisqu’il est un goulet d’étranglement. S’il ne délivre pas de lots, les énergéticiens ne peuvent récupérer les certificats qu’ils sont censés obtenir et les lots attendent au pôle. Si, demain matin, le pôle validait tout ce qui arrive chez lui, le prix changerait drastiquement. Ensuite, le fait que les fiches soient réduites ou même améliorées signifie plus de KWh « CUMAC » pour une opération, ce qui a une influence. Enfin, les contrôles ont aussi une influence. En dehors des problématiques de traçabilité, utiliser du papier a une influence sur le prix, le papier enlève de la dynamique. Quand un installateur doit envoyer par la Poste les dossiers à l’entité qui valorise pour lui, cela représente des journées, des business days.

M. le président Julien Aubert. J’entends bien votre logique de marché mais le problème, c’est que votre pôle n’est pas une banque centrale. Vous décrivez un marché d’échange de coupons que vous considérez comme insuffisamment fluide et offrant la possibilité, par digitalisation, de développer un véritable business. Votre pôle est capable de contrôler la « masse monétaire » des CEE qu’il émet. Il pourrait aussi décider, pour faire baisser les prix, à l’instar d’une banque centrale, de racheter des CEE à vil prix, et l’on peut se demander si c’est le rôle d’une entité d’État de jouer et de créer de la valeur. En effet, au-delà de la gestion du financement des opérations, des gens peuvent créer de la valeur sur la « spéculation » des CEE.

Je voudrais bien comprendre l’écosystème. Combien y a-t-il d’obligés ?

M. Jonathan Lumbroso. Les obligés non délégataires sont une centaine.

M. le président Julien Aubert. Qu’entendez-vous par « obligé non délégataire » ?

M. Jonathan Lumbroso. Un énergéticien qui met de l’énergie à la disposition de consommateurs.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous en citer un exemple ?

M. Jonathan Lumbroso. Total.

M. le président Julien Aubert. Et qu’est-ce qu’un « obligé délégataire » ?

M. Jonathan Lumbroso. C’est une société qui a contracté avec un énergéticien pour prendre sa charge de certificats d’économies d’énergie ou une partie définie par l’unité KWh « CUMAC », et qui a obtenu l’acceptation du pôle national pour ce faire et devenir lui-même obligé.

M. le président Julien Aubert. L’obligé délégataire est donc un acteur qui n’est pas énergéticien mais qui propose de jouer le rôle d’intermédiaire ?

M. Jonathan Lumbroso. Oui.

M. le président Julien Aubert. EDF est un obligé non délégataire ?

M. Jonathan Lumbroso. Tout à fait.

M. le président Julien Aubert. Combien y a-t-il d’obligés délégataires ?

M. Jonathan Lumbroso. Un peu plus d’une dizaine.

M. le président Julien Aubert. Nous n’en demandons pas le nombre exact. Nous voulons avoir une idée de l’écosystème.

Parlez-nous des mandataires.

M. Jonathan Lumbroso. Ils ont une particularité. Nous agissons sous le mandat de l’énergéticien, les garanties de paiement étant faites par lui. Nous sommes en quelque sorte des commerciaux de l’énergéticien pour lui trouver des certificats d’économies d’énergie. Il a un prix plus intéressant. On est loin des 9 euros !

M. le président Julien Aubert. Le mandataire travaille pour des obligés non délégataires ?

M. Jonathan Lumbroso. Oui.

M. le président Julien Aubert. Travaillez-vous uniquement pour des obligés non délégataires ?

M. Jonathan Lumbroso. Nous travaillons uniquement pour des obligés énergéticiens.

Mme Salomé Chelli. Des obligés purs !

M. le président Julien Aubert. Vous travaillez donc pour des obligés non délégataires ?

M. Jonathan Lumbroso. Effectivement.

M. le président Julien Aubert. Qui sont tous des énergéticiens ?

M. Jonathan Lumbroso. Oui.

M. le président Julien Aubert. Le mandataire va donc chercher les CEE.

Combien y a-t-il de mandataires ?

M. Jonathan Lumbroso. On ne le sait pas. Les responsables du pôle le savent.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je crois savoir que les mandataires sont en train de s’organiser en association.

M. Jonathan Lumbroso. Nous essayons de fédérer l’ensemble des mandataires en association. Le mandataire est une entité un peu plus vertueuse, dans la mesure où elle ne prend pas le risque financier. Nous faisons seulement un travail de commercialisation et de vérification de la conformité de l’ensemble des dossiers, qui est refait par les énergéticiens. Nous n’avons donc pas la capacité de faire de la spéculation, même si tout n’est pas blanc ou noir. Cette structure a uniquement la capacité de commercialiser une offre pour valoriser des primes CEE et de vérifier le rôle actif et incitatif des certificats d’économies d’énergie dans les dossiers qui lui sont fournis.

M. le président Julien Aubert. Quels sont les vis-à-vis du mandataire ?

M. Jonathan Lumbroso. Des bureaux d’études, des installateurs, des artisans.

M. le président Julien Aubert. Et ceux du courtier ?

M. Jonathan Lumbroso. Le courtier a en face de lui des acteurs éligibles, c’est-à-dire les obligés, plus les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux. Il achète des certificats à ces acteurs pour les revendre aux énergéticiens.

M. le président Julien Aubert. Vous êtes donc mandataire courtier ?

M. Jonathan Lumbroso. Exactement.

M. le président Julien Aubert. En consultant société.com, je constate que vous avez zéro salarié.

M. Jonathan Lumbroso. Parce que nous sommes une jeune société.

M. le président Julien Aubert. Mais vous êtes tout de même salarié de l’entreprise ?

M. Jonathan Lumbroso. Non.

Mme Salomé Chelli. Moi non plus !

M. le président Julien Aubert. Vous n’êtes pas salarié de LSF Énergie ?

M. Jonathan Lumbroso. Je travaille pour le groupe RPP.

M. le président Julien Aubert. Sur le site, il est indiqué : directeur LSF Énergie.

M. Jonathan Lumbroso. J’en suis dirigeant non salarié. C’est mon choix personnel.

M. le président Julien Aubert. Vous êtes tout seul ?

M. Jonathan Lumbroso. Je ne suis pas tout seul. Nous avons des salariés inscrits à l’URSSAF, mais pas sur société.com.

M. le président Julien Aubert. Quand avez-vous débuté ?

M. Jonathan Lumbroso. LSF Énergie a débuté officiellement en mars 2018.

M. le président Julien Aubert. Est-il facile de créer une activité de mandataire ?

M. Jonathan Lumbroso. Pas du tout !

M. le président Julien Aubert. Il faut connaître…

M. Jonathan Lumbroso. Je viens de l’univers de l’énergie. J’achetais et vendais des actions dans l’énergie. J’achetais et vendais des matières premières pour une société. J’étais gérant de fonds pour une société ayant sous gestion 2 milliards d’euros.

M. le président Julien Aubert. Dès lors, on autorise les mandataires et les courtiers à intervenir sur un quasi-marché sans réglementation particulière. On ne vous a pas demandé de fournir votre casier judiciaire ou un diplôme ?

M. Jonathan Lumbroso. Non.

Si vous avez conclu un accord avec un énergéticien, vous pouvez devenir mandataire. Il faut que l’énergéticien vous fasse confiance et que vous lui montriez que vous avez les moyens de produire des certificats d’économies d’énergie.

M. le président Julien Aubert. Sachant qu’il n’est pas besoin pour cela de beaucoup de capital.

M. Jonathan Lumbroso. On n’a pas nécessairement besoin de beaucoup de capital pour cela puisque, je le répète, nous ne portons pas le risque financier. La question est de savoir si on est capable de le faire. Nous pensons en être amplement capables avec les outils de la digitalisation. Nous nous sommes donné les moyens de recruter des gens. À la base, notre métier, c’est de découvrir une chaîne de valeur, d’être analystes sur le marché économique, de comprendre comment cela fonctionne et de l’implémenter.

M. le président Julien Aubert. En revanche, vis-à-vis de ceux qui sont dans les maisons pour faire des rénovations, vous avez un contact assez distancié.

M. Jonathan Lumbroso. Notre contact est distancié, mais nous avons tout de même un contact.

M. le président Julien Aubert. Ce n’est pas vous qui contrôlez.

M. Jonathan Lumbroso. Le COFRAC est nécessaire et suffisant pour vérifier l’ensemble des maisons. De ce point de vue, le nouveau programme « Coup de pouce » est une bonne idée, puisqu’une maison sur dix est contrôlée.

M. Vincent Thiébaut. Permettez-moi tout d’abord de reformuler ce que j’ai entendu afin d’avoir la vision la plus simple et la plus compréhensible possible. Je reviendrai sur le gisement. Nous avons aujourd’hui, d’un côté, environ 3,3 millions de foyers en précarité énergétique dont le logement est à rénover et, de l’autre côté, des énergéticiens qui ont l’obligation d’acheter des CEE dans le cadre des rénovations thermiques. La fluctuation du prix résulte de l’écart entre le volume à rénover et notre capacité réelle à produire, faute d’entreprises, de personnels et de main-d’œuvre suffisants. Pour faire baisser le prix des CEE, il faudrait augmenter notre capacité à former les gens afin d’avoir davantage d’entreprises pertinentes, capables de réaliser des rénovations.

M. Jonathan Lumbroso. Tout à fait !

M. Vincent Thiébaut. Au final, les CEE sont payés par l’utilisateur, donc le consommateur ?

M. Jonathan Lumbroso. Oui.

M. Vincent Thiébaut. J’en viens aux questions.

Les acteurs, courtiers, délégataires, mandataires et autres, sont nombreux. Comme toute entreprise, vous devez avoir des résultats bénéficiaires. Si on multiplie les acteurs, chacun prend sa marge. Au final, c’est le consommateur qui paie l’ensemble des coûts. Cette multiplication d’acteurs n’augmente-t-elle pas la charge de l’utilisateur final ?

M. Jonathan Lumbroso. Je ne connais personne qui donne de l’argent à quelqu’un gratuitement. C’est l’ensemble des éléments de la chaîne de valeur – courtiers, mandataires, délégataires, énergéticiens, installateurs d’isolation, installateurs de chaudières - qui créent, in fine, les certificats d’économies d’énergie, donc une matière première. Toutefois le schéma est inverse à celui du pétrole. De nombreux éléments de la chaîne de valeur viennent se positionner. L’offre et la demandent définissent le prix de l’objet final. Si ces acteurs viennent se greffer, c’est qu’il existe un besoin. Il existe un besoin de courtier parce que les acteurs qui souhaitent vendre des certificats d’économies d’énergie n’ont pas trouvé des contreparties à des prix assez intéressants pour eux. Ils n’en ont pas forcément le temps.

M. Vincent Thiébaut. L’objectif final, c’est la baisse de la consommation d’énergie et un gain pour le consommateur. La valorisation du CEE se fait par le biais d’un bureau d’études. Mais l’économie d’énergie valorisant les CEE est-elle théorique ou constatée ? Certains bâtiments rénovés en label BBC affichent certes une baisse de consommation théorique d’énergie de 30 % mais, quand on y retourne un an ou deux après, on constate que les habitudes et les comportements se traduisent par un retour au niveau de consommation antérieur, voire au-delà. La valorisation des CEE prend-elle en compte l’efficacité énergétique réelle et constatée ou l’efficacité théorique ? On en revient ainsi à la question du contrôle.

M. Jonathan Lumbroso. Je ne peux répondre à la question. Il peut exister une différence entre l’efficacité réelle et l’efficacité théorique pour des raisons de comportement. Il existe des programmes d’éducation. Mieux vaudrait améliorer l’éducation plutôt que de remettre en cause un mécanisme de transition énergétique.

M. Vincent Thiébaut. Si je comprends bien, après un certain nombre d’années de CEE, la valorisation de la baisse de consommation d’énergie est plus théorique que réelle ?

M. Jonathan Lumbroso. La question dépasse mon champ de compétences. Cela appelle un important travail de vérification.

M. le président Julien Aubert. Je vous remercie, Monsieur Lumbroso.

Laudition sachève à dix heures trente-cinq.

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*     *

16.   Audition, ouverte à la presse, de M. Gaëtan Thoraval, directeur général d’ENR’CERT, accompagné de M. Bastien Resse, responsable des affaires publiques (18 avril 2019)

Laudition débute à dix heures quarante.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons deux responsables de la société ENR’CERT, qui se présente sur son site internet comme « un producteur d’économies ». Il s’agit de MM. Gaëtan Thoraval, son directeur général, et Bastien Resse, son directeur des affaires publiques.

Vous voudrez bien, Messieurs, nous préciser, l’origine et les axes de développement d’ENR’CERT, qui se présente aussi sur son site internet en tant qu’acteur spécialisé dans les « services en efficacité énergétique ».

À ce titre, vous déployez des activités de conseil mais aussi de gestion des certificats d’économies d’énergie (CEE) pour le compte de tiers, en l’occurrence des sociétés ayant pour activité la fourniture d’énergie.

Vous faites état, sur ce point, de votre qualité d’intermédiaire en tant que « structure agréée ». Comment et par qui est attribué cet agrément vous permettant d’intervenir sur le marché des CEE ? Vous voudrez bien nous présenter les caractéristiques de fonctionnement de ce marché en décrivant notamment le rôle et la place que votre société y occupe ?

Votre site internet fait également état de votre implication dans la « lutte contre la précarité énergétique » : là encore, quelle est votre contribution à cette politique globale et d’intérêt général ?

En outre, en quoi consistent vos activités de conseil ? À qui s’adressent vos conseils ? À des fournisseurs alternatifs d’énergie ou, au contraire, à des clients consommateurs que vous aidez à choisir entre les offres de différents fournisseurs d’énergie ?

Une autre de vos activités retient plus spécialement l’attention de la commission : votre société est également un acteur des énergies renouvelables (EnR) en soutenant des projets d’installations photovoltaïques de production ?

Au regard du thème de notre commission d’enquête, nous aimerions en savoir plus sur cet autre plan de vos activités ?

Êtes-vous « conseiller technique » pour le montage des dossiers photovoltaïques et/ou soutenez-vous financièrement des projets dans ce type d’énergies renouvelables, par exemple, en tant qu’actionnaire ? Pourquoi le photovoltaïque et pas l’éolien ou la biomasse ?

Messieurs, nous allons d’abord vous écouter au titre d’un exposé liminaire de quinze minutes au maximum. Puis, les membres de la commission vous poseront des questions, avec, en premier lieu, celles que ne manquera pas de vous poser notre collègue Mme Meynier-Millefert, en sa qualité de rapporteure de la commission d’enquête.

S’agissant d’une commission d’enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

(M. Gaëtan Thoraval et M. Bastien Resse prêtent successivement serment.)

M. Gaëtan Thoraval, directeur général dENRCERT. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, merci de nous permettre de nous exprimer sur ce sujet qui nous tient à cœur.

Notre ambition au sein de cette commission est de pouvoir échanger sur la meilleure manière de faire progresser l’efficacité énergétique en France. ENR’CERT est un groupe familial fondé en 2011 et bâti sur l’idée qu’il existe une place en France pour des spécialistes indépendants de l’efficacité énergétique. Nous employons une cinquantaine de personnes.

L’efficacité énergétique est une politique publique particulière. Elle implique directement chacun des acteurs : nos concitoyens, dans leur consommation de tous les jours, les industriels, pour qui l’énergie est un facteur de compétitivité, nos collectivités locales, dans la gestion de leurs services publics, ainsi que les entreprises de la rénovation énergétique.

La France, dans la droite ligne des traités européens et des Accords de Paris, s’est fixé plusieurs objectifs ambitieux, notamment celui d’accroître de 20 %, d’ici à la fin de l’année prochaine, l’efficacité énergétique par rapport à 2005. C’est une nécessité pour réduire notre impact carbone et opérer une transition vers un modèle plus durable dans un monde aux ressources limitées.

Notre pays a fait d’énormes progrès en la matière. L’intensité énergétique finale, c’est-à-dire la quantité d’énergie nécessaire pour un point de PIB, s’est améliorée de 30 % entre 1990 et 2017. La France possède ainsi aujourd’hui une des intensités énergétiques finales les plus faibles de l’Union européenne et est l’un des pays les plus volontaristes en la matière.

Le certificat d’économies d’énergie (CEE) en a été le meilleur instrument. Dans son plan national d’action en matière d’efficacité énergétique 2017, la France estime que les CEE seront à l’origine de 65 % des économies d’énergie annuelles en 2020, en faisant son principal outil de l’efficacité énergétique. C’est un des rares outils qui suit le principe « pollueur-payeur ». Il oblige les distributeurs d’énergie à financer des travaux d’économie d’énergie proportionnellement aux types et aux volumes d’énergie qu’ils distribuent, via l’achat des CEE générés par leurs travaux. Il importe de comprendre que le CEE a un rôle incitatif.

L’objectif est de faire financer aux énergéticiens le surcoût d’opérations d’économie d’énergie qui ne sont pas obligatoires et qui sont particulièrement performantes par rapport à une norme de parc ou de marché. Le CEE a uniquement pour but de financer des travaux permettant des économies d’énergie finales, et non pas la substitution à des énergies propres ni la réduction d’émissions de CO2.

Par ailleurs, les certificats d’économies d’énergie ont un objectif plus implicite, celui d’impliquer les énergéticiens dans la transition énergétique et de faire évoluer leur métier depuis fournisseur d’énergie à fournisseur de solutions énergétiques.

En outre, ils permettent de créer des opérateurs d’efficacité énergétique qui sont directement intéressés à l’économie d’énergie qu’ils font réaliser à leurs clients.

Il convient toutefois de séparer la collecte des certificats d’économies d’énergie et leur utilisation. Il existe trois moyens pour les énergéticiens de collecter des CEE : financer des travaux d’économie d’énergie en propre auprès de leurs clients ; acheter des certificats d’économies d’énergie sur le registre Emmy, alimenté par deux types d’acteurs, des acteurs éligibles – collectivités publiques – et des acteurs délégataires ; déléguer tout ou partie de son obligation d’acheter des certificats d’économies d’énergie à des acteurs délégataires. C’est d’ailleurs le propre des délégataires.

Au moins 20 % de leur obligation de financement de travaux d’économie d’énergie doivent être réalisés auprès de ménages modestes. Par ce biais, le certificat d’économies d’énergie a également une visée sociale. Le coût des CEE est ensuite reporté sur la facture énergétique des ménages par les énergéticiens à hauteur d’environ 2 % de la facture énergétique des ménages.

Après avoir compris comment sont collectés ces budgets, voyons comment sont-ils utilisés ?

Le CEE finance des types de travaux définis par un catalogue d’actions, lequel a été défini par le ministère, qui en a validé les économies d’énergie standardisées ainsi que les conditions d’éligibilité. À ce titre, le ministère peut orienter sa politique énergétique vers des vecteurs de réduction de la consommation énergétique souhaitée. Le ministère est aussi le garant de la délivrance de ces certificats d’économies d’énergie. Il peut à ce titre contrôler la production des certificats d’économies d’énergie.

Nous avons dit que le coût du CEE représentait environ 2 % de la facture énergétique des ménages. Selon leur facture, il peut représenter 100 à 150 euros par ménage.

Il rapporte également aux ménages. Quel est l’effet de levier des certificats d’économie d’énergie ? Je prendrai un exemple. L’isolation de 100 mètres carrés de combles peut rapporter 2 160 euros à un ménage en situation de précarité énergétique et 1 080 euros pour un ménage plus aisé. On voit bien l’effet de levier qui existe entre un coût compris entre 100 et 150 euros par an et un gain de 2 000 euros sur le coût des travaux. Je ne mesure pas ici le gain opéré par les économies d’énergie obtenues par les actions réalisées.

Le dispositif est équilibré. Il est « seulement » nécessaire de rendre accessible ces travaux à tous nos concitoyens ? Pour ce faire, il convient de les en informer, d’avoir la capacité de réaliser des travaux et que nos concitoyens aient la capacité de réaliser des travaux d’économies d’énergie sans souffrir d’un investissement trop élevé, pour les moins aisés d’entre eux.

À l’échelle macroscopique, ce dispositif aujourd’hui plébiscité par de nombreux acteurs de l’efficacité énergétique reste encore trop méconnu. Il est important de rappeler quelques chiffres, notamment sur son efficacité. Il nécessite 1 million d’euros de fonds publics par an pour 2 milliards d’euros de travaux d’économies d’énergie financés chaque année, réalisant une économie d’énergie de 2 milliards d’euros par an. On voit bien l’effet de levier qui existe entre un investissement public, des travaux réalisés et des économies d’énergie réalisées. Pour répondre à une question sur la performance du dispositif, on arrive ici à mesurer qu’entre 2006 et 2014, il aurait permis d’économiser 612 térawattheures (TWh). Plus précisément, 1,4 million de logements en ont bénéficié, et l’on a remplacé pour 1,2 gigawatt (GW) de moteurs électriques dans l’industrie, soit l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire, 3 millions de mètres carrés de serres ont été équipés de systèmes de chauffage performants dans l’agriculture. Il a touché tous les domaines d’activité, tous les types de ménages et a permis de faire réaliser des économies d’énergie.

Enfin, il joue un rôle moteur dans le développement d’une filière de la rénovation énergétique, puisqu’il implique l’ensemble des parties prenantes : fabricants, distributeurs, artisans, délégataires, bureaux d’études, énergéticiens. Il a créé beaucoup d’emplois dans ces domaines.

En cela, il nous paraît être le meilleur outil pour accélérer la transition énergétique. Il n’a pas d’équivalent. Cela ne veut pas dire qu’il est parfait. Des critiques sont régulièrement adressées au dispositif, certaines à tort, d’autres à raison. Ces critiques, nous les entendons d’autant plus qu’elles concernent des ménages en précarité énergétique qui, plus que quiconque, doivent être convaincus et mobilisés autour de l’efficacité énergétique. Ces faiblesses sont inhérentes à un dispositif qui s’est déployé très rapidement, avec un objectif qui a été multiplié par trente depuis sa création, il y a treize ans.

Nous sommes d’ailleurs dans une période particulière du dispositif. Le prix du CEE est très élevé, peut-être trop élevé, 9 euros le mégawattheure (MWh), lié à une production lente. Depuis le début du dispositif, il y a treize ans, le prix moyen pondéré des échanges est de 3,36 euros le MWh.

Il est nécessaire de comprendre le mécanisme des CEE, puisqu’il permet de rendre compte de la juste réalité du coût de la transition énergétique. Il est en cela beaucoup plus juste qu’un impôt ou une taxe. En effet, si le prix du CEE est trop faible, le CEE est trop peu incitatif, en sorte que trop peu de travaux vont être réalisés, donc son prix va augmenter. À l’inverse, avec un prix très élevé, le CEE aura un rôle très incitatif et permettra de réaliser beaucoup de travaux d’économies d’énergie. Mécaniquement, le jeu de l’offre et de la demande conduira à une baisse du prix.

Ce prix de 9 euros ne veut pas dire que le dispositif soit trop ambitieux. On n’est jamais trop ambitieux pour répondre au changement climatique. En revanche, il a besoin d’être optimisé, mieux calibré pour proposer une meilleure justice sociale, une performance accrue, une simplification pour en faire un projet collectif simple et désirable.

Des améliorations peuvent et doivent être apportées sur les points suivants : définir des règles incontestables et plus claires, notamment prévoir la possibilité d’un rescrit de l’administration sur les questions posées quant à l’interprétation des actions éligibles ; créer un observatoire pour analyser l’adéquation entre une production d’économies d’énergie et un objectif. C’est peut-être une des erreurs qui a été commise lors du passage de la troisième à la quatrième période. Doubler les effectifs produit une inertie, nécessite un temps pour que toutes les parties prenantes puissent s’adapter aux objectifs fixés. Autre amélioration possible : continuer de renforcer les exigences en termes de performances, aussi bien sur une vision par action que sur une vision globale de l’ordre dans lequel ces actions doivent être menées ou intégrer la rénovation globale comme une action du dispositif.

Les délégataires et ENR’CERT sont prêts à travailler dans ce but. Pour répondre à une de vos questions, les délégataires ne sont pas de simples intermédiaires mais des acteurs centraux au sein d’un système où chacun a son rôle à jouer. De manière générale, ils jouent un rôle d’experts en efficacité énergétique. Pour la plupart, ils sont la porte d’entrée d’un parcours de rénovation énergétique auprès d’un particulier. Dans le cadre des CEE, ils sont aussi bien le garant de la conformité des dossiers auprès de l’administration que le garant des consommateurs auprès desquels ils travaillent de la distribution d’une prime.

Le délégataire doit être considéré comme un partenaire de l’efficacité énergétique pour l’ensemble des parties prenantes : consommateurs, collectivités, artisans, énergéticiens.

Tenir un discours critique est nécessaire et ne doit pas éroder notre volonté d’agir en matière d’efficacité énergétique. Le CEE est un atout considérable. Il a besoin d’être soutenu et porté par tous. Nous avons beaucoup de propositions pour améliorer le dispositif. Nous sommes pour ce faire à la disposition du Parlement et de cette commission d’enquête pour apporter des éléments de nature à massifier la rénovation énergétique sans compromettre la performance.

Je rebondirai sur une de vos interrogations au sujet de notre production d’énergie renouvelable. C’est une activité historique que nous ne réalisons plus aujourd’hui et dont nous avons cédé les actifs. Nous ne sommes plus producteurs d’énergie renouvelable. Cela dit, nous considérons qu’il est tout à fait possible d’être à la fois producteur et opérateur d’efficacité énergétique.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci pour votre propos liminaire clair et efficace.

Je vais d’abord vous demander de commenter cette phrase qu’on entend parfois : l’efficacité énergétique est la première des EnR.

M. Gaëtan Thoraval. L’énergie la moins polluante, c’est celle qu’on ne consomme pas. Il faut, d’abord, réduire notre consommation d’énergie, ensuite, produire de la manière la plus renouvelable possible le reste de notre consommation. Je séparerai le sujet de l’efficacité énergétique et le sujet des énergies renouvelables.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Que pensez-vous de la tentation de financer des EnR avec le dispositif des CEE ?

M. Gaëtan Thoraval. Cela revient à utiliser un budget important pour d’autres propos que l’efficacité énergétique. Par nature, le certificat d’économies d’énergie vise à réduire la consommation d’énergie finale. S’il y a une réelle diminution de l’énergie finale, on peut se poser la question, mais la seule substitution d’une énergie polluante à une énergie renouvelable ne constitue pas une économie d’énergie.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Développer des EnR au moyen d’un dispositif destiné, comme son nom l’indique, à réaliser des économies d’énergie, ne contribue-t-il pas à créer de l’opacité de nature à porter atteinte à l’acceptabilité du système des CEE ?

M. Gaëtan Thoraval. Sans doute. Si l’on veut à la fois accompagner les ménages dans la réduction de leur facture énergétique et réduire les émissions de CO2, il convient avant tout de réduire la consommation d’énergie. C’est l’objet de l’outil des certificats.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Merci d’avoir précisé que le coût moyen des CEE s’établissait à 3,36 euros le mégawattheure, chiffre que je n’avais pas. Sachant qu’on en est aujourd’hui à 9 euros, j’en déduis qu’on est tombé parfois bien plus bas. Quels ont été les effets sur le marché de ces fortes baisses et de ces fortes hausses ? Des coûts très bas menacent-ils l’efficacité du système ? Y a-t-il un risque d’engraissement des structures intermédiaires quand les prix des CEE sont très élevés ? On évoque parfois la possibilité d’un couloir de prix des CEE avec un prix plancher et un prix plafond. Le recommanderiez-vous ?

M. Gaëtan Thoraval. Pour accélérer la réalisation d’économies d’énergie, trois éléments sont à prendre en compte : le prix du certificat d’économie d’énergie, l’obligation pour les énergéticiens de réaliser des économies d’énergie et les actions à leur disposition pour ce faire. Si l’objectif est trop faible, les énergéticiens sont moins impliqués dans la réalisation d’économies d’énergie et on en réalise moins. C’est le principe du CEE. Il y a un plancher et il y a un plafond. Il est donc important d’impliquer les énergéticiens de la manière la plus ambitieuse possible.

Concernant le prix du certificat d’énergie, nous avons connu des périodes où il était à 1 euro le MWh cumulé actualisé, dit « CUMAC », ce qui rendait le dispositif bien moins incitatif et conduisait à une diminution du nombre d’actions réalisées. Pour avoir un prix juste, un prix de couloir ne nous paraît pas une bonne idée. L’important est de s’assurer que le prix des certificats d’économies d’énergie et le budget qui leur est alloué permettent de réaliser des actions d’économies d’énergie. On pourrait considérer un couloir compris entre 5 et 7 euros comme intéressant, alors que plus tard, un couloir compris entre 3 et 5 euros suffirait ou, au contraire, qu’un couloir compris entre 7 et 9 euros serait nécessaire. Le principe du certificat d’économies d’énergie vise à rendre compte de la réalité du coût de la transition énergétique. Le système fonctionne quand on a assez d’actions pour atteindre les objectifs. Il importe de mesurer non le gisement d’économies global mais la capacité disponible en France pour réaliser ces actions d’économies d’énergie.

Quant à l’« engraissement » de certaines structures, quand le prix est en hausse, les délégataires sont doublement encadrés. Pour les énergéticiens, le coût du certificat d’économies d’énergie impacte directement la compétitivité de leur offre de vente d’énergie. En tant que délégataires, nous sommes adossés à leur contrainte de ne pas pouvoir exploser les prix de l’énergie. On a donc un plafond. Le plancher est constitué par le fait que les collectivités, les industriels ou les bénéficiaires peuvent comparer le montant des primes, donc chercher la prime la plus élevée. Nous nous situons dans cet étau, entre la compétitivité de l’offre de réalisation et la compétitivité de l’offre de vente auprès d’un énergéticien.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous dites que, lorsque le CEE était à 1 euro, les actions de rénovation ou d’efficacité énergétiques étaient freinées. Or, quand on perd une année parce que le prix des CEE est tombé à 1 euro, on est en sous-production de l’outil et on ne peut jamais être en surproduction, puisqu’on est limité par la capacité du marché à générer de l’efficacité énergétique. Quels sont les leviers qui permettraient d’améliorer la capacité de l’outil à générer de l’efficacité énergétique ?

M. Gaëtan Thoraval. Il convient de souligner l’inertie du système. La quatrième période a commencé en janvier 2018. En juin 2018, quelque dix structures délégataires avaient reçu leur agrément. En fin d’année 2018, elles étaient un peu moins de vingt. Un certain nombre de structures délégataires n’ont pas pu commencer à réellement produire avant la fin de l’année 2018. Dans une organisation mieux cadencée, l’ensemble des acteurs méritant d’être délégataires auraient pu l’être dès janvier 2018. La production est encore un peu lente, mais elle est en augmentation.

Il faut mesurer en permanence la capacité du marché de la rénovation énergétique à produire les certificats d’économies d’énergie nécessaires. À cet effet, nous avons déjà proposé la création d’un observatoire du certificat d’économies d’énergie composé d’experts de la rénovation énergétique, qui démontrerait que les objectifs sont atteignables en l’état actuel des choses ou proposerait des améliorations pour les atteindre. La formation des artisans à la rénovation énergétique reste un sujet central. Il faut rendre ce métier désirable afin de réaliser réellement des actions d’économies d’énergie. La problématique est la même pour les fabricants d’isolants et de pompes à chaleur dont certains ont une capacité de production limitée.

Enfin, il existe un certain nombre de problématiques administratives, tant en ce qui concerne l’instruction des dossiers que la création de nouvelles opportunités d’actions. Nous avons rappelé en introduction que le coût public était de 1 million d’euros pour 2 milliards d’euros d’économies d’énergie générés, et nous pouvons nous en féliciter. Afin d’accélérer la transition énergétique, il conviendrait de mettre en œuvre davantage de moyens auprès de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et du pôle national des certificats d’économies d’énergie (PNCEE), qui a pour mission d’instruire les dossiers de demandes.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous considérez la problématique administrative comme un frein à l’efficacité du dispositif. Je pense à la capacité de produire les fiches. Bizarrement, certaines fiches sont bloquées et d’autres validées beaucoup plus vite. Il y aurait un problème d’équité de traitement et de capacité à produire les fiches.

Estimez-vous que les programmes d’accompagnement, dont la formation des artisans, devraient être développés dans la mesure où le marché de l’efficacité énergétique est encore émergent, quitte à les réduire ultérieurement lorsque la filière aura été lancée ? Alors que l’on n’arrive pas à réaliser les volumes demandés, on serre la vis sur les programmes d’accompagnement qui permettraient d’augmenter la capacité à agir pour l’amélioration de l’efficacité énergétique.

M. Gaëtan Thoraval. Je ne parlerai pas de problème d’équité au sujet de la production des fiches. Aujourd’hui, de nouvelles actions éligibles sont réalisées de manière volontariste par des acteurs, fabricants, énergéticiens ou bureaux d’études. On pourrait envisager que le ministère définisse des orientations par périodes de six mois et incite les différentes parties prenantes à créer des actions dans un domaine particulier, ce qui permettrait de lancer des appels à programmes et de dynamiser les propositions d’actions.

Dans le processus de validation, on constate sinon de l’inéquité, du moins une limitation du volume d’actions qui peuvent être étudiées par la DGEC. Peut-être sont-elles trop nombreuses, faute d’orientation, pour que la DGEC puisse les étudier toutes. Il conviendrait, à long terme, d’augmenter les effectifs de la DGEC et, à court terme, de limiter son champ d’action, afin qu’elle puisse étudier toutes les propositions présentées et les instruire rapidement.

Les freins administratifs sont principalement liés à l’instabilité car les règles ne sont pas toujours claires. On pose des questions auxquelles on n’obtient pas de réponse. L’instabilité retient un peu le développement des offres. En outre, je le répète, il y a eu un frein administratif à l’éligibilité d’acteurs délégataires capables de produire des certificats d’économies d’énergie.

Concernant les programmes des CEE, votre remarque est pertinente. À ce jour, le programme est de 50 térawattheures (TWh) « CUMAC », alors que le plafond est de 120 ou 140 TWh. D’évidence, on n’atteint pas le plafond des programmes.

Les programmes ont plusieurs utilités. Par exemple, ENR’CERT finance un programme visant à former des groupements d’artisans en vue de réaliser de la rénovation globale. Porté par le dispositif opérationnel de rénovation énergétique des maisons individuelles (DOREMI), il est intéressant dans la mesure où il s’apparente à de la recherche pour améliorer l’efficacité énergétique. Les programmes présentent l’intérêt de pousser des sujets un peu plus loin que la normale.

Les programmes ont aussi un rôle d’éducation et d’information. Nous saluons des initiatives importantes visant à former les élèves à l’efficacité énergétique. Là encore, les effectifs sont insuffisants pour instruire l’ensemble des programmes. C’est un point sur lequel nous devons avancer et qui va dans le sens de l’histoire. À côté des actions d’économies d’énergie, d’autres, non mesurables, d’ordre comportemental, sont à réaliser. Elles sont aujourd’hui très peu concernées par les certificats, alors qu’il y a énormément d’économies d’énergie à réaliser dans ce domaine.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. L’insuffisance des effectifs pour traiter un sujet qui touche de nombreux domaines ne favorise-t-elle pas les gros volumes, les gros acteurs ? Compte tenu de la paperasse nécessaire et des complications administratives, les artisans n’essaient même plus de valoriser directement les CEE. Ils agissent éventuellement en partenariat avec de plus gros qu’eux, avec parfois une retenue sur les CEE pour eux ou pour leurs clients. Le système exclut de facto des petits acteurs qui pourraient être innovants et vertueux.

M. Gaëtan Thoraval. Compte tenu du délai d’instruction du dossier, des délégataires et des acteurs plus petits sont obligés de payer la prime avant d’être eux-mêmes payés par des énergéticiens, ce qui limite le champ d’action de certains délégataires. Il existe d’autres manières de travailler avec des énergéticiens, mais dans ce cadre, le délégataire est soumis à la bonne volonté de l’énergéticien.

Un travail de simplification peut être mené afin de rendre l’outil certificat d’économies d’énergie plus utilisable et de mieux impliquer l’ensemble des acteurs du dispositif. Cela a déjà été initié par les délégataires et les énergéticiens, mais on doit pouvoir aller plus loin.

En outre, un effort de communication est nécessaire. La plupart de nos concitoyens ayant utilisé le certificat d’économies d’énergie pour réaliser une isolation de combles à 1 euro ignorent quel dispositif soutient cette offre. Il faut encourager le particulier à s’engager dans un parcours de rénovation énergétique, lui expliquer les étapes successives et inciter des artisans à intégrer le dispositif.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Les offres à 1 euro sont vertueuses dans la mesure où elles permettent de gommer la problématique du reste à charge chez les plus précaires. Toutefois, les gens éclairés pensent qu’il est impossible de faire réaliser des travaux pour 1 euro, tandis que ceux qui vont plus facilement vers ces offres sont les plus exposés aux arnaques. Comment, d’une part, éviter la peur de l’arnaque, et d’autre part, sécuriser les publics les plus fragiles ?

M. Gaëtan Thoraval. Il convient d’abord d’observer que les offres dites à 1 euro ne coûtent pas réellement 1 euro. Elles coûtent X milliers d’euros et sont financées à la même hauteur par une prime de certificat d’économies d’énergie. En réalité, il s’agit, par exemple, de 3 000 euros moins 3 000 euros, qui égalent 1 euro. Sur ce point, il y a un manque d’information des particuliers.

Il faut séparer le fond et la forme. Sur la forme, nous condamnons fermement les pratiques commerciales agressives, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le démarchage téléphonique permet d’informer certains ménages qui n’ont pas accès à internet ou qui ne sont pas dans une démarche volontariste de rénovation énergétique. Toutefois ces pratiques doivent être fermement encadrées, et les territoires et les services publics doivent s’impliquer dans l’identification des ménages qui pourraient bénéficier de ces aides. Nous saluons certaines démarches en cours. Cependant, ces territoires et services publics n’ont pas les moyens nécessaires pour contacter l’ensemble de ces ménages, et des acteurs comme les énergéticiens et les délégataires doivent aussi identifier des ménages qui auraient besoin de travaux d’économies d’énergie. En outre, le service public, les territoires, les délégataires, tous les experts de l’efficacité énergétique peuvent compléter l’information d’un ménage qui aurait été démarché téléphoniquement afin de l’orienter vers les meilleures pratiques.

Sur le fond, les actions d’économie d’énergie qui bénéficient de certificats d’économies d’énergie sont très encadrées, non par nous mais par le ministère qui en a défini les conditions d’éligibilité. Une faiblesse dans la troisième partie du dispositif a été corrigée par la mise en place d’un contrôle du respect de règles de l’art dans le cadre de l’offre « Coup de pouce ». Une plus forte implication de l’ensemble des acteurs dans la vérification de la mise en œuvre des actions d’économies d’énergie a pallié ce manque.

Enfin, on peut reprocher à l’offre à 1 euro de n’être pas très énergétiquement performante au sein d’un parcours de rénovation. Certes, il vaut mieux isoler sa maison avant de remplacer sa chaudière mais les collectivités, les territoires et les délégataires doivent conseiller les ménages et les conduire dans un parcours de rénovation énergétique cohérent. Le dispositif des CEE devrait inciter davantage les ménages à s’orienter sinon vers une rénovation complète, du moins vers une rénovation par étapes avec un ordonnancement précis. Nous nous tenons à la disposition de la DGEC pour étudier une bonification de travaux mieux ordonnancés permettant une économie d’énergie plus importante en fin de chaîne.

M. Vincent Thiébaut. Je poserai une question que j’ai posée tout à l’heure à vos prédécesseurs. Vous avez cité le chiffre de 2 milliards d’euros économisés sur la consommation d’énergie avec 2 milliards d’euros de travaux. La valorisation d’un certificat d’économies d’énergie est basée un certain nombre de fiches opérationnelles ou d’actions validées par le ministère, mais cela reste théorique. On ne sait pas si cette consommation d’énergie est réellement constatée sur le terrain.

Par ailleurs, je citerai un cas qui m’a été remonté par un citoyen de ma circonscription. Grâce à des travaux d’isolation de rampants de toiture réalisés sans certificats d’économies d’énergie, il avait atteint un coefficient de résistance thermique de 2,7. Pour étaler la charge financière, il a engagé un peu plus tard une seconde phase de travaux qui lui a permis d’obtenir un coefficient réel de 3,5, soit un coefficient global de 6,2. Mais il s’est vu refuser le certificat d’économies d’énergie sous prétexte que le R de la deuxième phase est inférieur à 6. Il aurait fallu qu’il passe à 8,7 pour obtenir la prise en compte. Une telle interprétation n’est-elle pas de nature à casser des initiatives personnelles ?

M. Gaëtan Thoraval. Nous avons demandé la réalisation d’une étude plus approfondie sur les économies d’énergie réellement réalisées grâce aux certificats d’économies d’énergie. De manière prosaïque, la DGEC valide un calcul assez simple. En multipliant la conductivité thermique multipliée par l’épaisseur, vous obtenez une résistance thermique et une économie d’énergie liée à la température au sein de l’habitat et à la température extérieure.

Avec des opérations assez simples, il est difficile de remettre en question l’économie d’énergie réelle obtenue par des travaux. Pour d’autres opérations, c’est plus compliqué. C’est le principe de la standardisation. Il s’agit d’atteindre le diffus et de permettre au ménage qui va réaliser des travaux de savoir de manière fiable l’économie d’énergie qu’il va réaliser et le montant de la prime dont il va bénéficier.

M. Vincent Thiébaut. Qu’en est-il de la fiabilité des chiffres ? Si 10 % à 15 % d’incertitude sont concevables, 70 % le sont moins. En avez-vous une idée ?

M. Gaëtan Thoraval. Nous avons une idée que nous vous avons indiquée, et un certain nombre de chiffres sont parus. Une étude plus approfondie est nécessaire mais on n’a guère de doute sur le montant de certaines économies d’énergie réalisées. Toutefois, il est compliqué d’aller prendre les mesures. On s’est d’ailleurs demandé si l’on ne pourrait pas baser les certificats d’économies d’énergie sur une mesure avant et après, mais c’est impossible. On peut mettre en place un compteur énergétique pour déterminer l’économie d’énergie sur cette seule action, mais cela ne permet pas au ménage de connaître à l’avance le montant de la prime dont il va pouvoir bénéficier. Si le calcul théorique est juste et la mise en œuvre bien faite, les économies d’énergie seront atteintes.

La France, est d’ailleurs l’un des meilleurs élèves de l’Union européenne en matière de baisse d’intensité énergétique. Nous sommes un des pays qui utilise le mieux le certificat d’économies d’énergie, contrairement à l’Italie, où 60 % des certificats d’économies d’énergie sont générés dans l’industrie, alors que 60 % de la consommation d’énergie en Italie ne proviennent pas de ce secteur. Ainsi, ce dispositif est payé par tous, alors qu’il est principalement destiné aux industriels. En France, à l’inverse, plus de 80 % des certificats d’économies d’énergie sont générés dans le résidentiel.

La standardisation nécessite des conditions d’entrée définies. Dès lors qu’on ne mesure pas l’avant et l’après, l’initiative personnelle ne peut pas être valorisée. Cela permet de cadrer certaines initiatives qui, même si elles génèrent des économies d’énergie, sont peu performantes dans un processus global de rénovation énergétique. Ainsi, changer une chaudière n’a pas de sens si l’isolation est réalisée ensuite. On pourrait imaginer que le dispositif prévoie la réalisation de travaux d’isolation avant le remplacement de la chaudière. En ce cas, une initiative personnelle visant à remplacer la chaudière puis d’isoler ne serait pas éligible, faute de parcours cohérent. Les actions sont définies de manière à être cohérentes.

M. Vincent Thiébaut. Dans le cas cité, il s’agissait bien de travaux d’isolation, sauf qu’ils ont été effectués en deux temps. Une première isolation avait abouti à un « R » de 2,7 et une deuxième phase, s’inscrivant dans la même logique, à un « R » de 6,2. C’est la problématique des bouquets de travaux, que je connais pour avoir échangé avec les initiateurs du dispositif Oktave, dans la région Grand-Est. Je comprends qu’on veuille financer tout d’un coup, mais il y a des restes à charge important. Mon cas n’entre pas dans le cadre défini, mais il a donné un résultat plus intéressant que si les travaux avaient été réalisés en une seule fois.

M. Gaëtan Thoraval. Le financement du reste à charge est un sujet intéressant. Le certificat d’économies d’énergie permet de compenser le surcoût par rapport à une action dite classique, mais les organismes bancaires devraient être plus attentifs au reste à charge, notamment au travers de l’éco-prêt à taux zéro. Une démarche d’attachement à la pierre, notamment pour les locataires, permettrait aux ménages comme celui que vous citez de financer ce reste à charge par les économies d’énergie réalisées. Ce que vous évoquez relève moins d’une problématique CEE que du besoin de soutien financier qui aurait été nécessaire pour réaliser l’action d’économie d’énergie intégrale dès la première fois. Le sujet a d’ailleurs été mentionné dans une note de la Banque de France qui relevait que quelque 80 % des achats de voitures bénéficient d’un prêt bancaire contre seulement 20 % des rénovations énergétiques.

M. Bastien Resse, responsable des affaires publiques dENRCERT. Faire évoluer la culture des acteurs bancaires est un vrai enjeu. Pour en revenir à la note de la Banque de France, les prêts destinés à financer les travaux de rénovation énergétique devraient être plus intéressants pour les ménages puisqu’ils améliorent leur solvabilité en réduisant leur facture. Or cette dimension n’est nullement prise en compte par les acteurs bancaires, puisqu’il est plus difficile pour un ménage d’obtenir un prêt pour rénover sa maison, pourtant générateur de vraies économies, que pour changer de voiture. Le sujet est complémentaire du problème du reste à charge.

M. le président Julien Aubert. Je poserai les questions conclusives.

Dans votre exposé, vous avez dit que les CEE sont l’application du principe pollueur-payeur. Mais où est la pollution quand on économise de l’énergie électrique décarbonée ?

M. Gaëtan Thoraval. Il existe plusieurs types de pollution, même pour une énergie décarbonée. La première procède de la création des centrales de production, qui a un coût carbone. La deuxième consiste dans le retraitement des déchets radioactifs.

M. le président Julien Aubert. Vous visez une énergie particulière !

M. Gaëtan Thoraval. Oui.

M. le président Julien Aubert. Toutes les productions d’énergie n’induisent pas des déchets radioactifs.

M. Gaëtan Thoraval. Il faut aussi inscrire l’outil certificat d’économies d’énergie dans un paquet climat visant trois objectifs : réduire les émissions de CO2, par le biais du marché des quotas carbone ; produire 20 % d’énergie renouvelable en plus par l’outil Garantie d’origine, et le certificat d’économies d’énergie, qui vise à réduire la consommation d’énergie finale et non pas à compenser une pollution.

M. le président Julien Aubert. Mais comme vous disiez que les CEE étaient l’application du principe pollueur-payeur, considérez-vous que toute énergie est une pollution ?

M. Gaëtan Thoraval. Oui.

M. le président Julien Aubert. Mais pour appliquer le principe pollueur-payeur, il faudrait discriminer les CEE en fonction du niveau de pollution. En traitant toute énergie de la même manière, vous n’encouragez pas des comportements incitatifs ou vertueux.

M. Gaëtan Thoraval. L’objectif des certificats d’économies d’énergie n’est pas de promouvoir les énergies renouvelables mais de diminuer la consommation énergétique finale du parc français. Le terme « pollueur » peut être remplacé par l’expression « distributeur-pollueur ».

M. le président Julien Aubert. Si vous conservez ce terme de pollueur, ne faudrait-il pas orienter l’effet des CEE sur des actions de nature à réduire les activités polluantes ?

M. Gaëtan Thoraval. Non, car le marché des quotas de carbone le permet. Le dispositif des certificats d’économie d’énergie part du principe que l’énergie la moins polluante est celle qu’on ne consomme pas et que toute production ou consommation d’énergie est polluante. Il s’agit donc de réduire la consommation d’énergie globale.

M. le président Julien Aubert. En quoi la réduction d’énergie permet-elle de lutter contre le changement climatique à défaut de l’objectif de réduction des émissions de CO2 ? Vous dites qu’il faut être très ambitieux par rapport au changement climatique. Si vous enlevez de la dimension des CEE la discrimination par rapport au CO2, comment entendez-vous lutter contre le changement climatique ?

M. Gaëtan Thoraval. Je poserai la question différemment. Aujourd’hui, le particulier qui consomme de l’énergie en connaît-il toujours l’origine ? Il existe des offres vertes liées à des achats d’énergie avec garantie d’origine, mais il est n’est pas aisé pour un particulier de connaître l’origine de son énergie. Le certificat d’économies d’énergie vise à toucher tous les particuliers afin de les inciter à de meilleures pratiques de consommation énergétique. En touchant ainsi le diffus, on réduit forcément la consommation d’énergie polluante par impact, puisqu’on diminue l’ensemble des consommations.

M. le président Julien Aubert. Mais est-ce efficace ?

M. Gaëtan Thoraval. Oui.

M. le président Julien Aubert. Vous ne précisez pas. Vous dites qu’il y a forcément un impact, que je pourrais atteindre mes objectifs « CUMAC » en ayant massivement diminué l’énergie consommée par les radiateurs électriques alimentés par de l’énergie nucléaire ou verte sans le moindre effet sur le bilan carbone tout en affichant un très bon résultat CEE. D’autres nous ont dit que les fiches devraient prendre en compte des matériaux de meilleure qualité. On voit bien qu’il y a une masse énorme. S’agissant d’une politique publique, pourquoi ne pas vouloir la centrer sur certains types d’actions ? Vous dites qu’il existe d’autres outils ; je pourrais vous répondre qu’il existe aussi le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et qu’on a bien deux outils pour un même objectif. Qu’est-ce qui empêcherait d’avoir deux outils contre les émissions de CO2 ?

M. Gaëtan Thoraval. Cela s’est fait assez naturellement, puisque 30 % de la facture énergétique des ménages sont issus du transport, qui est une activité polluante, et 30 % du chauffage. La principale action prévue par les fiches à avoir été réalisée est le remplacement de chaudières au profit d’équipements plus performants, ce qui a permis de réduire naturellement les émissions de CO2, puisque la consommation de combustible est prégnante au sein de la consommation globale d’un ménage. De plus, la validation des actions par le ministère permet aussi d’assurer un équilibre : faut-il viser plutôt une consommation électrique ou une consommation combustible ? La création de cet observatoire permettrait également de définir quelles actions produire et avec quelles conséquences en termes de consommation électrique ou combustible ?

M. le président Julien Aubert. Dans votre exposé, vous avez dit que l’isolation de 100 mètres carrés de combles permettait à un ménage en précarité de réaliser une économie de 2 160 euros. Vous connaissez mieux que moi les profils des ménages en précarité énergétique, mais connaissez-vous beaucoup de ménages en précarité énergétique vivant dans une habitation avec 100 mètres carrés de combles ?

M. Gaëtan Thoraval. Cela existe. J’ai pris un exemple pour simplifier. Je pourrais faire de même avec 50 mètres carrés, ce qui donnerait environ 1 000 euros de prime contre un coût de 100 euros par an autofinancé.

M. le président Julien Aubert. Les ménages en précarité énergétique ne vivent-ils pas plutôt dans un T1 ou dans un T2 sans combles ?

M. Gaëtan Thoraval. La situation est différente dans les zones périphériques et dans les territoires, où il y a des maisons. Vous évoquez aussi l’implication du locataire dans la démarche des certificats d’économies d’énergie. Dans le système du certificat d’économies d’énergie, tout maître d’ouvrage, qu’il soit locataire ou propriétaire, peut bénéficier de primes d’économies d’énergie. Il est important d’étudier d’autres initiatives, tel que l’attachement à la pierre, pour permettre aux locataires d’impliquer leur propriétaire, leur bailleur, leur syndic dans la réalisation de travaux d’économies d’énergie.

M. le président Julien Aubert. Pour le ménage en précarité énergétique, il y a, d’un côté, un coût, et de l’autre, un retour. Vous calculez le retour sur 100 mètres carrés de combles, mais je ne suis pas certain que votre exemple ne soit pas théorique et que le retour réel soit bien plus faible. En revanche, le coût est calculable, puisque c’est le coût d’augmentation de la facture d’électricité, tempéré par les chèques énergie ou la facture de gaz ou de fioul. Le ménage en situation de précarité énergétique le paie, du moins en partie.

M. Gaëtan Thoraval. Le coût est aussi calculé sur un logement de plusieurs mètres carrés, puisque 2 % rapportés à 100 euros représentent tout de même une facture annuelle de 5 000 euros. Effectivement, je ne suis pas sûr qu’un ménage vivant dans un T1 ait une facture de 5 000 euros. Ce sont des ratios que je voulais vous communiquer, mais on peut revoir les calculs sur un autre type de ménage.

M. le président Julien Aubert. Vous avez dit aussi qu’on avait réalisé une économie de 612 TWh entre 2006 et 2014. Dès lors, on aurait dû assister à une augmentation du pouvoir d’achat et même, puisque les gens en situation de précarité énergétique sont particulièrement visés, une amélioration notable. Or ce n’est pas le cas. Deux explications sont possibles : soit on n’a pas réalisé une économie de 612 TWh, et on en revient au calcul théorique évoqué par mon collègue, soit quelqu’un a accaparé le gain.

M. Gaëtan Thoraval. Pour comparer des éléments comparables, il faut parler de la facture énergétique des ménages en euro et non d’une économie en térawatts-heures. Entre 2006 et 2016, le prix de l’énergie a fortement augmenté. Si le territoire national réalise 1 % d’économie d’énergie et si, parallèlement, le prix de l’énergie augmente de 1 %, l’effet est annulé. En outre, au fil du temps sont apparus de nouveaux postes de consommation. En particulier, l’utilisation du numérique, qui représente environ 10 % de la consommation électrique en France mais qui comptait pour beaucoup moins en 2006, vient s’ajouter à la facture énergétique des ménages. Pour évaluer le gain en pouvoir d’achat, il faut prendre en compte beaucoup plus d’indicateurs, notamment l’intensité énergétique qui s’est améliorée, comme je le précisais en introduction.

M. le président Julien Aubert. Une autre explication ne serait-elle pas que l’augmentation significative du volume des certificats d’économies d’énergie se répercute sur la facture ? On constate des effets de diminution de la consommation. Quand je payais mon électricité 10 et que j’en consommais 100, ma facture était de 1 000, et maintenant, grâce aux économies d’énergie, j’en consomme 80, mais comme le prix est passé à 15 euros, je paie 1 200, soit un solde qui n’est pas exactement celui auquel on s’attendait. Est-ce que, dans la construction du financement de cette politique, a fortiori si elle est mal ciblée ou si ses effets sont diffus, l’effet volume n’est pas mangé par l’effet prix ? Avez-vous des études à ce sujet ? Trouvez-vous que c’est suffisamment poussé ?

M. Gaëtan Thoraval. Nous n’avons pas d’étude sur le sujet. Je le répète, le coût du certificat d’économies d’énergie dans la facture représente environ 2 % aujourd’hui. Sachant que le prix est de 9 euros le MWh et qu’il a été historiquement plutôt de l’ordre de 3 euros, le coût serait plutôt de 1 % de la facture énergétique.

M. le président Julien Aubert. Votre prix moyen de 3,36 euros est intéressant, mais il est calculé sur une période où les volumes étaient différents.

M. Gaëtan Thoraval. Nous avons pondéré les résultats !

M. le président Julien Aubert. Vous avez pondéré à due proportion du temps. Il n’en reste pas moins que vous comparez des éléments non comparables. C’est comme si je comparais le prix du pétrole en 1910, le prix du pétrole en 1950 et le prix du pétrole aujourd’hui. Les volumes et les structures de marché sont très différents. Il y a tout de même une grosse différence entre la période actuelle et les autres. Même en volume, l’augmentation est exponentielle.

M. Gaëtan Thoraval. Même chose pour le pouvoir d’achat. Il faudrait également le prendre en compte dans le calcul que vous évoquez tout à l’heure. Nous avons lissé sur dix ans.

M. le président Julien Aubert. Ce qui m’intéresse, c’est la dernière période. Comme la contribution au service public de l’électricité (CSPE), le système des CEE a longtemps été discret. Tant qu’il ne représentait pas des gros volumes, les gens ne s’inquiétaient pas. Le jour où cela commence à représenter 2 % de la facture, où il y a un volume suffisant et où le prix des CEE augmente, on commence à s’y intéresser. Quand on commence à voir des volumes importants, donc un impact sur les prix supérieur à l’épaisseur du trait, il y a un risque, du fait du mauvais ciblage ou de la grande ventilation de cette politique. Vos 612 TWh sont répartis sur un nombre élevé de gens. Vous avez cité le chiffre de 1,4 million de logements. Rapporté à l’échelle micro, on peut avoir une baisse de 10 % ou 15 % du volume, mais par ailleurs la facture d’électricité a augmenté de plus de 45 %, pas seulement du fait des CEE, mais aussi des taxes.

M. Gaëtan Thoraval. Il existe un risque de mauvais ciblage, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, puisque l’obligation précarité est plus que remplie. Concernant le ciblage des ménages en précarité énergétique, l’objectif est atteint. Concernant le ciblage des ménages de manière générale, plus de 80 % des certificats d’économies d’énergie étant générés dans le bâtiment résidentiel, on peut estimer que le ciblage à destination des ménages est bien opéré.

Nous estimons que le prix du certificat d’économies d’énergie est trop élevé et pèse lourdement sur la facture énergétique des ménages. Il convient de le rééquilibrer par la création de nouveaux canaux de production de certificats d’économies d’énergie et la réduction de certains freins administratifs.

M. le président Julien Aubert. Vous avez dit : « le délégataire, c’est la porte d’entrée pour l’efficacité énergétique ».

M. Gaëtan Thoraval. Je rappellerai que le délégataire a deux rôles. Il est le garant de la qualité auprès de l’administration. Il dépose les dossiers en son nom et il en est responsable. Il a aussi la responsabilité du versement de la prime au consommateur, particulier ou non.

M. le président Julien Aubert. Qui exerce le contrôle ?

M. Gaëtan Thoraval. Nous passons par des organismes spécialisés. Nous avons plusieurs niveaux de contrôle. Il y a d’abord des contrôles du traitement des dossiers, consistant en la vérification systématique des cadastres, des dossiers techniques et administratifs. C’est un travail assez lourd. Chez nous, sur cinquante personnes, vingt se destinent à ce travail. Trois autres personnes dédiées à la qualité interviennent auprès d’organismes pour appeler les bénéficiaires et vérifier que les travaux ont bien été réalisés. Par ailleurs, nous faisons intervenir des organismes ayant un agrément COFRAC pour réaliser des contrôles sur site, afin de vérifier la bonne réalisation et la juste déclaration des travaux.

M. le président Julien Aubert. C’est donc déclaratif ?

M. Gaëtan Thoraval. Le dispositif des CEE est déclaratif.

Nous appelons les gens et une deuxième vérification est effectuée par un bureau de contrôle agréé par la COFRAC.

M. le président Julien Aubert. Par rapport au volume global d’opérations, combien de rénovations sont effectivement contrôlées par quelqu’un qui vient à la maison ?

M. Gaëtan Thoraval. Entre 20 % et 30 % du volume.

M. le président Julien Aubert. Vous vous réjouissiez tout à l’heure que l’on fasse beaucoup de résidentiel en France, mais c’est plus difficile à contrôler.

M. Gaëtan Thoraval. Tout à fait.

M. le président Julien Aubert. S’il y a des fraudes ou de mauvaises rénovations, elles peuvent atteindre le taux de 70 %.

M. Gaëtan Thoraval. Nous devrions essayer d’en contrôler 50 %. L’important est l’échantillonnage. Nous travaillons avec des prestataires. La déclaration implique le maître d’œuvre et du maître d’ouvrage. L’échantillonnage des dossiers que nous contrôlons chez les prestataires que nous sélectionnons représente un travail important. Nous sommes en responsables devant l’administration. Nous avons tout intérêt à ce que le contrôle soit le plus efficace possible pour notre relation avec l’administration et pour notre relation avec les énergéticiens à qui nous vendons les certificats d’économies d’énergie.

M. le président Julien Aubert. Connaissez-vous des délégataires qui aient fait l’objet de sanctions pécuniaires ou dont la responsabilité pénale ait été engagée par l’administration ?

M. Gaëtan Thoraval. Les sanctions sont publiées au Journal officiel. J’avoue ne pas les regarder.

M. le président Julien Aubert. Quel est le risque ?

M. Gaëtan Thoraval. Une sanction pécuniaire, l’annulation des certificats d’économies d’énergie. La publication ne précise pas l’origine de la sanction. Il est juste fait mention du volume annulé et du montant de la sanction pécuniaire.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Combien de temps le risque d’annulation des CEE concerne-t-il les obligés ou les délégataires ?

M. Gaëtan Thoraval. Deux périodes pleines, c’est-à-dire six ou dix ans

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Cela peut représenter des volumes considérables et un grand risque pour la pérennité de l’activité des entreprises. Comment y font-elles face ? Est-il pris en compte par des assurances ? Est-ce que cela peut mettre en danger les énergéticiens et les délégataires ?

M. Gaëtan Thoraval. Compte tenu de la surface financière des différents acteurs, cela met plus en danger les délégataires, à charge pour eux de mettre en place des process qualités qui leur permettent de réduire au maximum ce risque. Couvrir son activité sur six ans est extrêmement compliqué. Que l’on puisse revenir jusqu’à six ans sur des dossiers est d’ailleurs une des problématiques du dispositif. Un tel risque est impossible à provisionner. Cela oblige les délégataires à prendre quelques risques. Nous avons déjà abordé ce point en envisageant une durée de prescription du certificat d’économies d’énergie ou de donner les moyens à l’administration de réaliser des contrôles dans un temps plus court.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Les règles du jeu liées au risque sont-elles bien claires ou sont-elles fluctuantes ?

M. Gaëtan Thoraval. C’est l’objet du projet de loi énergie en cours d’élaboration. Quelques règles du certificat d’économies d’énergie sont dans un certain flou juridique. Je l’évoquais en introduction, il s’agit de clarifier des règles afin qu’elles soient incontestables. Un travail est aussi à réaliser à ce sujet.

M. le président Julien Aubert. Merci beaucoup pour votre participation.

Laudition sachève à onze heures cinquante.

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17.   Audition, ouverte à la presse, de M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE) (18 avril 2019)

Laudition débute à onze heures cinquante-cinq.

M. le président Julien Aubert. En cette fin de matinée, nous recevons les responsables de la Fédération des services énergies environnement (FEDENE), qui est une organisation professionnelle représentative rassemblant un grand nombre d’entreprises opérant dans le spectre des activités de l’efficacité énergétique.

Les responsables de la FEDENE présents devant nous sont : M. Pascal Roger, qui préside l’organisation depuis 2016 ; M. Frédéric Gharbi-Mazieux, responsable des affaires institutionnelles, juridiques et territoriales de la FEDENE, et M. Nicolas Trouvé, conseiller.

Messieurs, votre organisation intéresse la commission d’enquête car nombre de vos adhérents sont, par leurs activités, directement impliqués dans les énergies renouvelables (EnR), même lorsqu’ils ne sont pas directement producteurs.

Les entreprises que vous représentez ont, pour la plupart, une taille importante. Certaines d’entre elles sont présentes sur tout le territoire, comme Cofely, filiale d’Engie qui est l’entreprise d’origine du président Roger, ou encore Dalkia, filiale d’EDF, à laquelle appartient M. Kieffer, qui n’a pu être parmi nous.

La commission d’enquête souhaite ainsi mieux connaître les développements actuels des technologies mises en œuvre par vos entreprises dans le soutien aux différentes filières d’EnR.

Outre les spécialisations traditionnelles de vos entreprises, notamment dans les générations successives de pompes à chaleur ou encore dans la gestion de réseaux de chaleur ou de froid, quelles grandes orientations vous paraissent constituer de véritables marchés solvables, dans les domaines du biogaz, de la biomasse, de la géothermie, voire de l’hydrogène, mais aussi de la récupération d’énergies déjà produites comme la récupération de la chaleur des data centers ou centres de données, dans la langue de Molière, ou encore de celle produites par de grands sites industriels ?

En quoi les deux piliers des EnR que sont l’éolien et le photovoltaïque représentent-ils des marchés porteurs pour les entreprises membres de la FEDENE ?

Diriez-vous que les entreprises françaises sont à la pointe, en Europe, en termes de solutions d’efficacité énergétique dédiées à la production des EnR, comme, par exemple, dans les solutions de stockage ? Disposez-vous d’exemples probants ?

Concernant l’effort financier des pouvoirs publics en faveur des EnR, quel est l’état des réflexions et propositions de la FEDENE ? Selon vous, à destination de quels types d’EnR faudrait-il accentuer cet effort ?

Pour ce que nous savons des orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), quels points vous semblent essentiels à retenir, et certaines orientations de la PPE vous déçoivent-elles ?

Enfin, considérez-vous que « tout est bon à prendre » pour vos entreprises dans les EnR, ou bien qu’il existe des impasses ou des fausses routes dans lesquelles s’engouffrent néanmoins certaines entreprises, parce qu’elles bénéficieraient d’un effet d’aubaine du fait des soutiens financiers publics à telle filière ou à telle technologie, empêchant ainsi une optimisation à la fois de vos prospects et des finances publiques ?

Messieurs, nous allons, dans un premier temps, vous écouter au titre d’un exposé de présentation de quinze minutes. Puis, les membres de la commission vous interrogeront à leur tour, en commençant par Mme Meynier-Millefert, en sa qualité de rapporteure de la commission d’enquête.

S’agissant d’une commission d’enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE). Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de nous écouter sur ce sujet important pour nous. Si vous le permettez, je n’aborderai pas toutes les questions que vous avez listées, préférant mettre l’accent sur la partie finale de votre questionnaire, avant de revenir peut-être ensuite sur certaines questions.

J’ai prévu de faire une intervention liminaire en trois points. Je rappellerai, d’abord, les domaines de compétence et de contribution de la FEDENE au regard des sujets que vous avez évoqués, mettant ainsi en perspective des messages que nous portons sur ces sujets depuis plusieurs années. J’indiquerai, ensuite, quels éléments nous tirons de ce moment charnière de préparation de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en réponse aux questions qui intéressent la commission d’enquête. Enfin, je ferai un focus sur la composante économique et financière, aspect clé de la problématique de la transition énergétique qui provoque un certain nombre de difficultés.

Les adhérents de la FEDENE sont des entreprises de services qui assemblent des solutions, montent des projets pour lesquels elles doivent trouver un équilibre financier. De ce fait, elles ont une compétence particulière en matière de conditions économiques, financières, contractuelles, commerciales et techniques de nature à permettre l’émergence de projets contribuant à la transition énergétique.

Nos domaines de compétence et de légitimité couvrent deux grands domaines : les économies d’énergie dans les bâtiments et la chaleur renouvelable et de récupération. Nous ne sommes pas compétents en matière de production électrique, à l’exception de la cogénération. Nous n’avons pas d’avis autorisé sur les questions relatives aux problématiques énergétiques électriques, mais nous sommes amenés à nous interroger sur la cohérence d’ensemble des dispositifs.

Puisque vous avez rappelé que nous sommes une filiale de deux grands groupes, je préciserai que plus de la moitié de nos entreprises adhérentes ont moins de dix salariés. Les grandes sociétés qui appartiennent à ces grands groupes faisaient partie de la FEDENE bien avant d’être filiales de groupes énergétiques. La FEDENE s’inscrit dans un développement logique, car ces grands producteurs d’énergie considèrent la partie services comme un développement naturel de leurs activités. C’est dans ce contexte qu’ils ont rejoint, au travers d’acquisitions ou de fusions, les sociétés que vous avez mentionnées dans votre introduction.

Sur les sujets que vous avez évoqués, nous avons formalisé un certain nombre de d’analyses et de contributions avec les moyens limités qui sont ceux d’une petite fédération. Nous ne réalisons pas des analyses macroéconomiques fouillées, nous reprenons les chiffres qui nous sont fournis pour les mettre en perspective et réaliser des calculs de coin de table. Veuillez nous excuser si nous réfléchissons sur des ordres de grandeurs plutôt que sur des chiffres précis. Nous nous appuyons sur les données publiées par Datalab, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), c’est-à-dire les grands acteurs du domaine.

Nous avons publié, il y a un peu plus de trois ans, un livre blanc qui reprend beaucoup des sujets abordés aujourd’hui. Nous y invitions clairement à considérer la photographie du domaine de l’énergie en termes de consommation finale, à savoir qu’un peu de moins de la moitié est représenté par la chaleur, un peu moins d’un tiers par les carburants et un peu plus de 25 % par les usages spécifiques de l’électricité. Que l’importance accordée à ces sujets soit inversement proportionnelle à leur volume ne manque pas de nous interpeller depuis de nombreuses années.

Nous appelions aussi l’attention sur l’aspect économique. Pour voir des projets se réaliser, il faut en trouver les moyens économiques. Cela s’applique de façon générale aux études réalisées dans notre pays. Beaucoup de scénarios sont construits sans prévoir un euro. Cela est en train de changer. J’y reviendrai dans mes commentaires sur la PPE. Nous l’avons vu encore récemment, la prise en compte de la dimension économique est importante. J’y reviendrai.

Dans ce contexte, nous produisons régulièrement des contributions. Dans le livre blanc, donc, nous avons formulé des propositions d’actions concrètes, par segment de marché et par domaine d’activité. Dans le cadre de la préparation de la PPE, nous avons rédigé, dans les « cahiers d’acteurs », d’importants documents de synthèse, formatés sur quatre pages. Nous avons également contribué à la création du Club de la chaleur renouvelable. Face au constat que le sujet de la chaleur, dont le potentiel très important portait, à l’époque, la majorité des objectifs EnR de la France, était, sinon oublié, du moins insuffisamment soutenu, nous avons jugé utile que tous les acteurs de la filière parlent d’une voix commune. À la fin de l’année dernière, nous avons organisé une semaine de la chaleur renouvelable. Nous continuons à prendre des initiatives dans ce domaine afin de faire connaître les éléments constitutifs de cette filière et en quoi elle constitue une véritable opportunité.

Ces analyses et ces conclusions étaient partagées par nombre d’autres acteurs. Je citerai la Cour des comptes, dans son rapport d’avril 2018, la direction générale du Trésor (DGT), dans un rapport de juin 2018 relatif à l’allocation des ressources, et le rapport de l’équipe du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), sur les systèmes d’aide au développement de la chaleur, publié à la même époque. Plus récemment, dans le cadre des réactions à la PPE, le Conseil national de la transition écologique (CNTE) et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont lancé des messages identiques à ceux que nous portons depuis plusieurs années.

Ces messages étaient les suivants. Les deux grands leviers de la transition énergétique sont les économies d’énergie et le verdissement des énergies. Par rapport à l’objectif de la PPE de 8 millions de tonnes d’équivalent pétrole (TEP), la chaleur en représentait 4,9, soit 60 %. À l’époque, nous étions déjà en retard sur ces deux grands leviers au regard des engagements internationaux de notre pays et de nos engagements nationaux. Il y avait globalement un manque de cohérence dans l’allocation des soutiens financiers pour l’ensemble de ces politiques publiques. Cela reste malheureusement d’actualité.

Dans ce moment charnière, nous faisons un point d’avancement après cinq ans avant le démarrage d’une nouvelle période. Nous notons avec satisfaction dans les pages introductives de la nouvelle PPE qu’une inflexion est enfin donnée dans le sens que nous souhaitions et qui a malheureusement révélé son actualité dans les mouvements sociaux récents. Les deux grandes priorités affirmées sont la décarbonation et la maîtrise des coûts collectifs. En effet, des pistes visent à prioriser les économies d’énergies les plus carbonées et à substituer aux énergies fossiles des énergies décarbonées. Cela signifie concrètement que l’accent doit être mis sur la chaleur et les transports, dont les sources d’énergie sont carbonées, l’électricité en France étant, comme chacun le sait, décarbonée à plus de 90 %.

Le second nouveau point important est la maîtrise des coûts collectifs, non seulement pour les collectivités, les clients individuels et le pouvoir d’achat des ménages, mais également pour la compétitivité des entreprises, sujet majeur qui figure enfin en première ligne. On voit resurgir assez logiquement la chaleur renouvelable et la rénovation des bâtiments, non en fonction du discours traditionnel sur la rénovation globale en label bâtiments basse consommation (BBC), mais en prenant appui sur les leviers technologiques et comportementaux, leviers les plus économiquement efficients. C’était l’une de propositions de la FEDENE, via le Syndicat national de l’exploitation climatique et de la maintenance (SNEC), spécialisé dans ce domaine.

Les moyens d’atteindre ces grands objectifs environnementaux et économiques sont ceux que nous préconisons depuis un certain temps : le développement de la chaleur renouvelable et de récupération, et une démarche séquencée de rénovation énergétique déclinée par segments. Le paradoxe, voire la dichotomie, de cette PPE est la contradiction entre cette inflexion « politique » et la déclinaison chiffrée, un grand écart qui s’explique par la lourdeur et la difficulté de l’exercice. Une inflexion a été donnée à la fin de l’année dernière, à la suite des événements intervenus, mais on ne refait pas un exercice comme celui de la PPE d’un claquement de doigts. Au vu de la réaction de la DGEC, l’exercice n’est pas conclu, et nous estimons qu’il nécessite des aménagements bien plus importants que ceux aujourd’hui envisagés.

La déclinaison chiffrée révèle un scénario très fortement électrique. Je le répète, les deux grands objectifs sont la décarbonation et la maîtrise des coûts collectifs. Or aujourd’hui ces éléments n’émergent pas naturellement de la réflexion. Par suite des retards accumulés dans les deux actions, entre 2015 et aujourd’hui, les courbes ont été recalées. Dans cette programmation, on constate une translation homothétique des objectifs : dans une première période de cinq ans, sont proposés des efforts atteignables, l’accélération des efforts devant s’opérer dans la seconde période, c’est-à-dire dans seulement cinq ans. Nous pensons qu’on devrait agir à plus court terme pour recoller aux objectifs.

La contribution électrique aux EnR, qui représentait un gros tiers des objectifs de la première PPE, en représente aujourd’hui plus de la moitié. En valeur absolue, les objectifs pour la chaleur renouvelable sont sensiblement modifiés. L’électricité renouvelable rattrape le retard et devient un vecteur important d’orientation, ce qui n’est pas évident à la première lecture du document. La contribution de la partie « transports » aux EnR, est bien plus faible, puisqu’elle passe de 13 % ou 14 % à 7 %.

Le sujet étant la décarbonation, nous nous attendions à trouver une analyse carbone. Or, on ne trouve pas de chiffres globaux ni d’évaluation de la part carbone liée à la production électrique. Ce sujet suscite pourtant des discussions techniques sur les coefficients primaires d’énergie et sur les facteurs d’émissions. Pour mesurer le contenu carbone de l’électricité, il convient de prendre en compte la saisonnalité. Les chiffres publiés à ce sujet révèlent des émissions de carbone d’environ 210 grammes de CO2 par kilowattheure (KWh) en hiver, incluant la partie chauffage, contre une moyenne annuelle de 80 grammes. Le regard diffère quand on examine les sujets sous l’angle de la décarbonation.

Concernant les économies d’énergie, il est question de milliers de logements, alors qu’il nous semblerait plus simple de parler de térawatts-heures économisés. Cela ne serait pas sans conséquences sur le déploiement des plans d’action concrets.

À ce jour, une grosse partie de la PPE n’est pas financée. Elle avait été construite sur la base d’une trajectoire carbone aujourd’hui suspendue dans le cadre de la contribution climat énergie (CCE). Cette valeur carbone qui était reflétée au travers d’une taxe continue d’impacter les deux leviers. Elle impacte de façon évidente la chaleur renouvelable et de récupération, puisqu’elle entre en concurrence directe avec le prix des énergies fossiles, et de façon indirecte tous les projets d’économies d’énergie, puisque la première source de financement des investissements d’économies d’énergie est la valeur même des économies d’énergie. Si elle ne progresse pas, sa valeur est moindre et les équilibres économiques des projets d’économies d’énergie sont bouleversés.

Le dernier point est d’ordre psychologique. L’anticipation sur l’évolution future des coûts est un élément important dans la prise de décision de nos clients, collectivités, personnes physiques ou industriels. Dans les énergies fossiles, le scénario est devenu flat, alors qu’il y a quelques années, nous étions dans un scénario haussier, à cause des fameux pics gaziers et pétroliers, qui ne sont plus d’actualité ou qui ne le sont plus de la même façon. La suspension de cette trajectoire n’offre plus de perspective d’accroissement de prix de ces énergies, ce qui représente un frein pour les clients qui anticipent les évolutions. Les questionnements sur les moyens alloués sont partagés par les rapports du CESE et du CNTE que j’évoquais tout à l’heure.

J’en viens aux aspects économiques et financiers, élément majeur dans le domaine de la chaleur renouvelable. Tous les projets de chaleur renouvelable sont en compétition avec des projets d’énergies fossiles. Ce que j’ai dit sur le coût relatif des uns et des autres et l’anticipation d’une perspective de croissance représente des leviers essentiels. Au sujet de l’arrêt de la contribution climat énergie, nous avons réalisé un graphique que nous tenons à votre disposition. Nous sommes partis d’un prix du gaz pour un ménage ayant un niveau moyen de consommation. En 2014, le prix de base de la molécule D3, c’est-à-dire pour les clients qui consomment plus de 50 mégawattheures (MWh), était d’environ 60 euros, plus 1 euro de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN). En 2018, par suite du fameux décrochage du prix des énergies fossiles, ce prix est passé à 48 euros. Dans la première partie de cette phase, la contribution climat énergie comptait pour 8 euros le MWh, de sorte qu’on est passé de 61 à 56 euros. Ainsi, les solutions de chaleur renouvelable sont aujourd’hui 5 euros moins compétitives qu’elles ne l’étaient en 2014. C’est le cas depuis 2015 et 2016. Depuis cette époque, nous appelons l’attention des pouvoirs publics sur un déficit de compétitivité non compensé. Quand les pouvoirs publics ne répondent à cette question qu’au travers du doublement du fonds chaleur, ils ne disent pas comment rétablir un niveau de compétitivité suffisant pour les projets de chaleur renouvelable.

Il en est de même pour les projets d’économies d’énergie, mais le temps me manque pour aborder le sujet dans mon exposé liminaire.

Enfin, l’équilibre économique est une condition indispensable à l’émergence des projets, et il faut s’inscrire dans une perspective dynamique. Les projets d’économies d’énergie, comme les projets de chaleur renouvelable, sont des leviers de croissance verte. Notre loi est intitulée « loi de transition énergétique pour la croissance verte », ce qui sous-entend d’injecter de l’argent dans l’économie. Chaque fois qu’on réalisera un projet d’économie d’énergie ou de chaleur verte, on remplacera des importations d’énergies fossiles par des investissements, la mobilisation de ressources locales comme la biomasse, le solaire ou la géothermie, et la création d’emplois.

La politique actuelle est strictement budgétaire et statique. Nous passons notre temps à regarder les ressources du budget de l’État. Il faut s’inscrire dans une perspective dynamique. Il vaudrait la peine de faire des calculs. J’ai le sentiment que les moyens injectés dans les projets de chaleur renouvelable ou d’économies d’énergie, à travers les emplois induits et la TVA qui en découle, produiront un retour sur investissement à une échéance que je ne sais pas mesurer mais qui ne doit pas être très longue. On pourrait donc envisager de s’engager dans cette logique. Mme Parly, aujourd’hui ministre des armées, rappelait que tout euro injecté dans la dépense militaire a des retombées économiques. C’est sans doute le cas.

Je vous remercie de votre attention, tout en ayant conscience d’avoir été parfois un peu rapide, voire caricatural.

M. le président Julien Aubert. C’était passionnant.

Vous mettez l’accent sur l’intérêt à réduire la dépendance aux énergies fossiles, mais elle n’a guère baissé, ces dernières années, représentant, bon an mal an, 40 à 50 milliards d’euros. Parallèlement, on a injecté des milliards d’euros en certificats d’économie d’énergie. Estimez-vous que la volonté de se substituer aux énergies fossiles a été opérante ?

M. Pascal Roger. Notre première réponse, c’est : non. J’ai dit que l’on n’avait pas injecté suffisamment d’argent pour les leviers que sont la chaleur renouvelable, notamment pour combler le déficit de compétitivité, et la partie technique et comportementale des économies d’énergie. Les mécanismes n’ont pas été conçus comme cela.

Le sujet, c’est notre système de soutien. En tant qu’entrepreneurs, nous sommes des gens à courte vue, un peu basiques. Nous travaillons sur des business plans, nous regardons comment réaliser les équilibres, mais nous ne sommes pas en mesure de proposer des grandes politiques. Il nous semble néanmoins que ce côté pragmatique et paysan, et quelques règles de bon sens, mériteraient d’être un peu mieux pris en compte dans la définition des stratégies. À l’issue d’une période de mise en œuvre, on doit constater de ce qui s’est passé et ce qui ne s’est pas passé, puis se demander pourquoi. C’est d’ailleurs la question que vous posez. Je reconnais que cela ne s’est pas passé, puisque les retards se sont accumulés. En matière de chaleur renouvelable, on a peu réduit nos importations d’énergie fossile. Je ne dispose pas des chiffres précis, mais les ordres de grandeur sont bien ceux que vous indiquez. Dans le même temps, des moyens financiers considérables ont été mobilisés à travers différents mécanismes.

Avec un objectif d’EnR fixé à 60 % de chaleur renouvelable et à un tiers d’électricité renouvelable, nous regrettons depuis des années l’insuffisance du soutien et on nous répond qu’il n’y a pas d’argent. Or nous constatons que de l’argent, il y en a quand même. Selon les chiffres de la PPE, on a injecté environ 95 milliards d’euros d’engagements de dépenses pour développer la filière EnR électrique, contre 3 milliards d’euros pour le fonds chaleur. Si l’on ajoute les autres aides estimées entre 2 et 3 milliards d’euros, cela représente au total 5 à 6 milliards d’euros.

M. le président Julien Aubert. Vous estimez que le fonds chaleur est insuffisant et qu’il serait plus efficace, pour différentes raisons, d’inverser la priorité de la dépense. Puisque l’objet de cette commission d’enquête est de déterminer où va l’argent et s’il est bien dépensé, si l’on prenait cette direction, que faudrait-il faire concrètement pour développer la chaleur, quels outils faudrait-il mettre en place, quels montants ou volumes estimeriez-vous utile de mettre en œuvre ?

M. Pascal Roger. Je rappellerai le bon fonctionnement du mécanisme de soutien à la chaleur renouvelable à travers le fonds chaleur, lequel a d’ailleurs été salué comme étant le plus efficace en termes d’euros par tonne de CO2 évitée.

M. le président Julien Aubert. Salué par qui ?

M. Pascal Roger. Tous les rapports, celui de la Cour des comptes et ceux de l’ADEME, disent que le prix en euro par tonne de CO2 ainsi évitée est bien inférieur à celui d’autres solutions. Le mécanisme fonctionne bien. Il s’agit d’une subvention à l’investissement, ce qui est sans doute une faiblesse psychologique du dispositif, car certains pensent que c’est de l’argent donné aux investisseurs capitalistes, alors que c’est exactement l’inverse. C’est le travail quotidien de l’ADEME de calculer les aides au titre du fonds chaleur. Pour qu’un projet de chaleur renouvelable soit compétitif, le prix pour le client final doit être 5 % moins élevé qu’avec l’énergie fossile de référence qui est aujourd’hui le gaz.

Lorsque le prix des énergies fossiles a chuté, le niveau des aides de l’ADEME a été « capé » par le « plafond de verre », des règles européennes fixant un niveau d’aide maximum par rapport aux montants d’investissements. L’ADEME a légèrement renforcé le niveau des aides, mais elle a été bloquée par ce plafond. À l’époque, nous avions mis en place avec l’ADEME un mécanisme d’avances remboursables visant à compléter le dispositif et à rétablir la fameuse compétitivité relative. Cela s’est finalement retourné contre nous, car les avances remboursables sont devenues une partie de la subvention, et la disposition a été supprimée l’année dernière. Finalement, la question se pose sous forme de dotations budgétaires. Quand on raisonne en dotations budgétaires, on ne raisonne pas en fonction des critères que vous évoquez mais en fonction de l’argent disponible. Le traitement n’est pas de même nature selon les différents types de support. Nous constatons seulement la différence des chiffres. La méthodologie doit-elle primer sur l’objectif ?

Puisque la trajectoire pluriannuelle de taxation carbone a été abandonnée, nous sommes conduits à rétablir l’équilibre compétitif de 2014 en 2021. Nous avions un déficit de 5 euros, mais comme cela croissait, nous nous attendions à retrouver des conditions économiques équivalentes en 2021. Ce n’était pas un problème car les projets de chaleur mettent plusieurs années à émerger. Comme nous nous situons aujourd’hui dans une trajectoire flat, le déficit de compétitivité se maintient et nos clients n’anticipent plus de hausse. Ce double effet complique le passage à l’acte et le développement de projets de chaleur renouvelable, notamment de réseaux de chaleur. Tout le monde en est conscient. Nous comprenons que le sujet taxation est extrêmement sensible.

M. le président Julien Aubert. Vous dites qu’il faudrait augmenter le prix des énergies fossiles ?

M. Pascal Roger. Il y a deux façons de rétablir la compétitivité : augmenter le prix des énergies concurrentes ou apporter plus d’aide.

M. le président Julien Aubert. Mais vous dites que les aides sont « capées » au niveau européen.

M. Pascal Roger. Nous en sommes sortis. Elles étaient « capées » en 2014. Entre 2014 et aujourd’hui, nous avons récupéré une partie de la courbe.

M. le président Julien Aubert. Structurellement, si demain le prix du gaz devait baisser, vous retomberiez exactement sur le même sujet.

M. Pascal Roger. Vous avez raison, nous ne sommes pas dans un scénario de nouvelle baisse du prix du gaz.

M. le président Julien Aubert. L’aide maximale que nous pouvons vous apporter est limitée. Vous avez commencé en disant qu’on ne donne pas assez d’argent au fonds chaleur.

M. Pascal Roger. Pas au fonds chaleur, aux projets chaleur !

M. le président Julien Aubert. Même si on en triplait le montant, vous seriez « capé » par l’Europe.

M. Pascal Roger. Sous réserve que le prix du gaz ne s’effondre pas, nous pensons être en mesure d’agir.

M. le président Julien Aubert. Quelle est la différence entre le fonds chaleur et les aides chaleur ?

M. Pascal Roger. Avec le fonds chaleur, on donne une enveloppe et les autorités françaises doivent se débrouiller, ce qui a une incidence immédiate sur le mode de gestion. On considère le niveau d’aide à attribuer en fonction de la dotation budgétaire, alors qu’il vaudrait mieux déterminer le niveau d’aide nécessaire pour voir les projets émerger. Puisqu’on veut développer X projets pour atteindre la courbe de transition, pourquoi ne pas se demander de façon pragmatique de quel montant financier on a besoin ? On veut faire tant de millions de tep d’économie sur la chaleur renouvelable par an. Pour favoriser ces projets et les rendre compétitifs, il faudrait mettre tant d’euros par MWh produit en chaleur renouvelable, et le niveau d’aide devrait en résulter. C’est d’ailleurs ce qui se passe en matière d’électricité renouvelable : on fixe un tarif et on regarde combien de projets sortent.

Nous étions dans la logique d’un système « capé ». Compte tenu de la remontée du prix des énergies fossiles et de la TICGN, nous pensons que le plafond de verre européen n’est plus un obstacle, car nous n’aurons pas besoin de remonter à un niveau tel que nous risquions d’y être confrontés.

M. le président Julien Aubert. Qu’est-ce qui vous a empêché de rendre des projets chaleur éligibles aux financements actuels comme l’éolien ou le solaire ?

M. Pascal Roger. Le mécanisme en place reposant sur des aides à la subvention au travers de dotations budgétaires à l’ADEME. Les projets électriques ont été fondés sur des tarifs de rachat sur une durée donnée. On fixait un tarif de rachat et on regardait combien de projets devenaient éligibles. Il n’y avait pas de limite en volume total. On faisait un calcul et on cherchait à ajuster.

M. le président Julien Aubert. On ne peut pas appliquer de tarif de rachat pour la chaleur ?

M. Pascal Roger. On le pourrait tout à fait. C’est une question de volonté politique.

M. le président Julien Aubert. C’est la question que je pose. Vous dites qu’on dépense 95 milliards d’euros pour l’électrique et que vous êtes « capés » par l’Union européenne qui interdit les subventions.

M. Pascal Roger. Nous avons été capés !

M. le président Julien Aubert. Mais quand l’État décide d’injecter des milliards d’euros dans l’éolien ou le photovoltaïque…

M. Pascal Roger. Ce n’est pas une décision budgétaire…

M. le président Julien Aubert. Mais cela aurait pu être requalifié en aide d’État. Il se trouve que l’Europe a décidé que ce ne sont pas des aides d’État. Dès lors, pourquoi n’a-t-on pas inclus la chaleur, au même titre que d’autres types d’énergie ? Vous auriez partagé le volume et cela ne vous aurait pas singularisés. La chaleur, ce n’est pas exactement identique à la production électrique. Quelque chose m’aurait-il échappé ?

M. Pascal Roger. Non ! Je ne pense pas qu’on se soit posé les questions en ce sens. Le mécanisme du fonds chaleur était intrinsèquement efficace. Le moteur fonctionnait bien mais à un moment donné, il a manqué de carburant, c’est-à-dire d’aide par projet pour rétablir la compétitivité. Plutôt que de se demander comment ajouter du carburant, on s’est demandé comment changer le moteur. On ne suit pas du tout la même logique. Nous ne sommes pas en situation de pouvoir influer sur le sujet. Nous approuvons ce qui est fait pour l’électricité. Nous l’évoquons parce qu’on affirme qu’il n’y a pas assez d’argent pour la chaleur renouvelable.

M. le président Julien Aubert. Vous dites qu’en termes de rendement à l’euro de la tonne de CO2, vous avez une approche carbone. Vous décrivez tous les bienfaits de la chaleur. Les certificats d’économies d’énergie (CEE) ne sont pas centrés sur le CO2, mais avez-vous envisagé un fléchage visant à un abaissement de l’investissement dans la chaleur par un subventionnement par des CEE ?

M. Pascal Roger. Des groupes de travail ont été constitués sous l’égide de la commissaire générale au développement durable, notamment au sujet des réseaux de chaleur, auxquels la PPE fixe des objectifs spécifiques. Mais le rythme de développement de production de la chaleur verte à travers les réseaux est aujourd’hui d’environ 70 000 tep par an, alors que pour rejoindre la trajectoire prévue, ce chiffre devrait être multiplié par 2,5. Jusqu’à une date récente, nous pensions être en mesure, en agissant sur la trajectoire carbone, d’améliorer la compétitivité relative des projets et de recoller au sujet. Or, même si nous avons toujours demandé une augmentation du niveau d’aide dans les méthodes de calcul de l’ADEME, ce scénario ne fonctionnait qu’avec une trajectoire. À partir du moment où il n’y en a plus, nous devons trouver collectivement le moyen de multiplier par 2,5 le rythme de développement de la chaleur renouvelable. Nous nous demandons si on ne pourrait pas utiliser une partie du mécanisme des CEE, dont on voit aujourd’hui le prix s’envoler et qui représentent une ressource financière. Il est sans doute nécessaire de stabiliser les prix des CEE. Nous y réfléchissons. Nous espérons que ces sujets seront abordés dans ces groupes de travail.

(M. Vincent Thiébaut remplace M. Julien Aubert à la présidence.)

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Un certain nombre de dispositifs CEE incitent au remplacement des chaudières à fioul peu vertueuses par d’autres modèles. Quelle est la place de la chaleur renouvelable dans cette évolution ? Ce qui est fait aujourd’hui est-il satisfaisant ?

M. Pascal Roger. La nouvelle inflexion de la PPE devrait avoir des impacts, dont celui de favoriser l’installation des chaudières à plus hautes performances. Les professionnels sont d’accord pour dire que les algorithmes de calcul des CEE sont fixés une fois pour toutes, quelle que soit la valeur des CEE, alors que pour subventionner le remplacement d’un émetteur de chaleur par un émetteur de chaleur plus performant, il convient de définir une somme d’argent et non un nombre de MWh « cumulés actualisés » (CUMAC) multiplié par un certain facteur. Ce mécanisme présente l’inconvénient d’avoir été entièrement conçu en fonction des obligations et aucunement en fonction des gisements d’économies.

Un des gisements d’économies qui a bien fonctionné jusqu’en deuxième période, reconnu comme étant le plus efficient en termes de délai de retour sur investissement, est ce qui est appelé dans la nouvelle PPE les leviers technologiques et comportementaux. Ils sont parfaitement représentés dans une analyse de l’observatoire des contrats de performance énergétique qui montre que les actions de modernisation technique des équipements, de pilotage et de sensibilisation permettent un délai de retour sur investissement de dix à douze ans et des niveaux d’économie de 20 % à 25 %.

Par conséquent, la rénovation énergétique comporte plusieurs pavés dont les logiques ne sont pas exactement comparables. Ce levier, qui est presque d’économie circulaire, a été fortement impacté à la baisse à cause de l’effondrement du prix des CEE et parce que les niveaux d’aide par types de projets de cette nature ont été divisés par deux, il y a quelques années.

À travers les CEE, on va d’abord subventionner des changements de chaudières. Se pose alors la question du mix énergétique ou de l’énergie disponible. Quelle est la bonne solution pour changer une chaudière ? Est-ce une chaudière fioul, une pompe à chaleur, de la géothermie, du solaire thermique, du gaz ou de la biomasse ? Toutes ces solutions sont alors envisageables pour le remplacement de l’émetteur de chaleur. Il n’y a pas une solution unique. Le changement des chaudières fioul donnera sans doute lieu au développement de chaudières biomasse, mais pas uniquement. Les autres solutions technologiques auront leur place.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le solaire thermique aussi ?

M. Pascal Roger. Il faut avoir en tête les ordres de grandeur. S’agissant d’EnR thermiques, les grandes ressources sont, d’abord, la biomasse, ensuite, la récupération de chaleur, dont les potentialités ne sont pas, à notre sens, suffisamment prises en compte dans la PEE, et, enfin, à un degré moindre, la géothermie et le solaire. Le choix dépend du régime de température de fonctionnement du bâtiment et d’autres facteurs. Ces solutions ne sont pas à la même échelle : certaines représentent 50 % des enjeux, quand d’autres en représentent 3 % à 5 %.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. En France ?

M. Pascal Roger. Oui.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’ai appris avec intérêt que si les réseaux de chaleur ne représentent que 5 % en France, il en va très différemment, dans d’autres pays souvent cités en exemple en matière de transition énergétique : 60 % au Danemark, 95 % en Islande, 52 % en Pologne, 50 % en Suède et en Norvège. En France, ce sont encore de petits pourcentages, et on peut en déduire que les marges de manœuvre sont considérables.

M. Pascal Roger. Il existe de très importants gisements de réseaux de chaleur. Dans le cadre des réflexions conduites pour la préparation de la première PPE, nous avions travaillé sur ces gisements, conjointement avec la DGEC, l’ADEME et les différents acteurs de la filière. Nous envisageons la multiplication par cinq de la quantité de chaleur renouvelable délivrée par les réseaux. Ceux-ci ne représentent aujourd’hui que 5 % de la vente de chaleur alors que le potentiel est beaucoup plus important. Cela passera par deux leviers. Le premier, dont la mise en place a commencé, est le verdissement des réseaux existants. Le second, qui nécessitera plus d’aide car il est moins directement économiquement viable, est l’extension, la densification et le développement de nouveaux réseaux. Il y a trois ou quatre ans, nous avons fait réaliser une étude par un bureau d’études spécialisé, montrant, ville par ville, les potentiels de développement de réseaux de chaleur.

Ces réseaux se sont beaucoup plus développés dans les pays du Nord, parce que, quand un réseau de chaleur passe au pied de leur maison, les habitants s’y raccordent systématiquement. En France, le raccordement à un réseau de chaleur est un choix individuel et l’on en compare d’abord la compétitivité par rapport aux autres solutions. C’est une liberté que nous ne contestons pas. De plus, dans les pays du Nord, les prix de l’énergie fossile étant sans commune mesure avec les nôtres, on entre mécaniquement dans un cercle vertueux. C’est la solution économiquement la plus vertueuse et la plus individuellement la moins coûteuse, en sorte que tout le monde s’y rallie. En France, on est plutôt dans un cercle vicieux.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pourriez-vous nous faire parvenir un document écrit sur l’écart de compétitivité de 5 euros ?

M. Pascal Roger. Volontiers.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Des travaux sont engagés en vue de récupérer la chaleur fatale de différentes origines – industrielle, incinération de déchets ménagers, data centers -, source d’énergie qui s’évapore. Quelles sont les perspectives dans ce domaine ? La récupération de la chaleur fatale éviterait d’importer des énergies fossiles, notamment pour le chauffage. Vous disiez que selon les périodes de l’année, le contenu carbone variait beaucoup en fonction des importations hivernales.

M. Pascal Roger. La pointe électrique se produit en hiver et correspond à des besoins de chaleur. Les énergies fossiles prennent alors le relais.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Lesquelles sont carbonées ! Le chauffage électrique en hiver crée des pics qui doivent être compensés par le fonctionnement des centrales carbonées.

M. Pascal Roger. Je partage cette analyse, même si c’est sans doute plus compliqué et si le gestionnaire du réseau électrique doit faire face à d’autres contraintes.

Il existe plusieurs gisements de chaleur fatale.

Le premier est la chaleur fatale industrielle, dont le volume, considérable, est estimé par l’ADEME à 50 térawattheures (TWh). On appelle fatale la chaleur perdue et renvoyée à plus de cent degrés. Elle peut être plus ou moins bien réutilisée en fonction de son régime de température.

Un autre gisement est celui des unités de valorisation énergétique. Il résulte, d’une part, du fait que les unités de valorisation énergétique sortent des obligations de tarifs de rachat et auront, de ce fait, plus intérêt à produire de la chaleur que de l’électricité. D’autre part, un certain nombre d’unités de valorisation énergétique peuvent être optimisées en termes de récupération de chaleur et surtout être connectées à un réseau. Ces solutions de chaleur fatale nécessitent un réseau de récupération. Au cours des dernières années, d’importants travaux d’interconnexion d’unités de valorisation énergétiques avec des réseaux de chaleur ont été financés par l’ADEME. Ces solutions sont réalistes, comme l’attestent d’autres projets.

Les projets industriels se heurtent à une difficulté sur laquelle nous travaillons également avec l’ADEME. Un industriel vend généralement de la chaleur à un ou plusieurs industriels dans le cadre d’une réalisation amortissable sur une durée de quinze ou vingt ans. Si plus personne ne produit ou ne consomme de chaleur, qui rembourse l’investissement dans la réalisation de ce tuyau ? Depuis plusieurs années, nous soutenons la création d’un fonds de garantie, parce que nous pensons que s’il est mutualisé, le risque global n’est pas très élevé, alors que pris individuellement, il est insoutenable. Nous trouvons d’ailleurs que, sur ce gisement, l’ambition de la PPE n’est pas aussi grande qu’elle pourrait l’être. De tels projets peuvent voir le jour assez rapidement et, contrairement aux autres systèmes de chaleur renouvelable, à condition d’être financés dans de bonnes conditions, ils peuvent être compétitifs.

La récupération de chaleur en basse température, comme celle produite par les data centers, celle des eaux usées ou la géothermie, peut être utile, par exemple, pour l’exploitation d’une piscine. Les data centers doivent répondre à une problématique particulière. Produisant de la chaleur toute l’année, il faut trouver un consommateur de chaleur pendant l’été. Ces projets ne sont pas toujours faciles à monter mais ils ont un vrai potentiel. Toutefois, au regard des objectifs en millions de tep de la PPE, leur contribution n’est pas massive. L’arbre ne doit pas cacher la forêt.

M. Vincent Thiébaut, président. À l’écoute de votre audition et à la lecture des documents que vous avez produits pour le grand débat national, il apparaît que vous faites souvent état d’aides et de subventions. Or l’un des sujets de la commission d’enquête est l’acceptabilité sociale. À qui faire supporter ces impôts et taxes supplémentaires pour alimenter les subventions ? Je veux bien que l’État favorise l’émergence des énergies renouvelables mais, à un moment donné, elles doivent pouvoir vivre sans subvention, comme c’est déjà le cas dans certains pays. Est-ce envisageable en France et, si oui, à partir de quand ? Quels sont les freins à l’atteinte de l’autofinancement ?

M. Pascal Roger. Nous sommes des entreprises privées. Compte tenu de la magnitude du sujet de la transition énergétique, nous sommes spontanément partisans de la mobilisation maximale des moyens du marché. C’est d’ailleurs ce que nous faisons. Les projets d’économies d’énergie ou de chaleur renouvelable que nous montons sont avant tout financés par de l’investissement privé. Nous avons toujours dit que le premier levier est constitué par les équilibres de marché, lesquels dépendent du prix relatif des énergies. Nous ne demandons pas des aides pour demander des aides, nous ne demandons pas des taxes pour demandes des taxes, nous disons qu’il y a des énergies pour lesquelles il faut rétablir un équilibre économique. Mettons-nous d’accord sur l’équilibre économique à rétablir puis demandons-nous comment, sachant que le décisionnaire n’est pas nous mais l’État. Nous pouvons apporter des idées sur le « comment ». Avec le doublement du fonds chaleur, on n’a rien réglé. La question est plutôt de savoir comment rétablir l’équilibre économique qui permettra l’émergence de solutions d’économies d’énergie.

Quant à l’acceptation sociale, il convient de regarder quelles sont les solutions qui, en dehors de tout système d’aide, offrent le meilleur coût global à la tonne de CO2 évitée, car ce sont celles qui pèseront le moins sur le portefeuille des clients ou des contribuables. En considérant le problème sous cet angle, les études que j’ai citées montrent clairement que certaines solutions ont un coût collectif plus compétitif que d’autres en termes d’euros par tonne de CO2 économisée, que ce soit sous forme d’économies d’énergie ou d’EnR. Je ne reviendrai pas sur ces deux pistes que j’ai déjà évoquées. Si l’on veut se soucier du portefeuille du contribuable-client, il faut travailler sur le coût global de ces solutions et les mettre en œuvre.

Nous réclamons depuis des années de favoriser les solutions le plus efficientes dans l’environnement économique et nous constatons que ce ne sont pas celles qui sont aidées. Ce n’est pas un discours de quémandeur d’aides, c’est la position d’un contributeur qui connaît bien les règles et le fonctionnement du marché et qui sait ce qui incite les clients à se décider ou à ne pas se décider. Nous vous donnons la recette. Vous y croyez ou vous n’y croyez pas, vous la prenez ou vous ne la prenez pas, ce n’est plus notre responsabilité. Nous avons des convictions personnelles que nous défendrons de façon parfois passionnée. Je crois beaucoup aux enjeux de transition énergétique et climatique.

M. Vincent Thiébaut, président. Dans votre contribution au grand débat nationale, vous appelez à activer fortement le grand levier comportemental et celui de l’amélioration de l’efficience des bâtiments. La France présente la particularité d’avoir encore des tarifs régulés par l’État. Vous souhaitez obtenir un subventionnement comparable à celui de l’électricité, mais ce tarif régulé n’oblige-t-il pas à prévoir de fortes subventions ? Le gain obtenu sur la facture d’électricité ou de gaz est payé par l’impôt et les taxes et peut-être pas encore assez. Le tarif régulé n’est-il pas un blocage ?

M. Pascal Roger. La réponse est oui. Que ce soit par une taxe ou par une subvention, in fine, c’est toujours le Français qui paie. C’est la raison pour laquelle nous considérons que nous ne sommes pas légitimes à préconiser telle ou telle solution et que cela relève clairement du domaine de l’État. C’est pourquoi nous nous positionnons toujours sur l’équilibre économique, quel que soit le mécanisme de subvention.

Le mécanisme du fonds chaleur est bon. La question est de savoir si l’on aboutit aux équilibres économiques permettant l’émergence des projets. Aujourd’hui, la réponse est non.

Concernant l’évolution attendue des tarifs régulés dans le domaine de la chaleur, l’absence de prévisibilité, qui était considérée comme un obstacle et qui avait conduit les gouvernements précédents et celui-ci à donner une valeur au carbone, dans un projet environnemental partagé par la population, ne signifie pas que cet argent soit consacré à la dépense publique. Donner une valeur au carbone est une façon de prélever de l’argent destiné à rééquilibrer économiquement des mécanismes. Ce n’est pas parce qu’on capte de l’argent à un endroit qu’on est obligé de le dépenser. Une des causes du rejet de la taxe carbone c’est qu’elle a été perçue comme une taxe de plus. On n’a pas expliqué que cet argent serait rendu sous la forme d’un allégement d’impôt par ailleurs, ce qui aurait facilité son acceptabilité. Nous sommes bien conscients qu’aujourd’hui, les gens ne peuvent plus supporter cette augmentation. Le tarif est aujourd’hui à 42 euros. D’ailleurs, la PPE prévoit un scénario d’augmentation du prix de l’électricité de 42 à 56 euros. Là où le sujet est inabordable sur la partie chaleur, il n’est pas abordé sur la partie électrique. On a toujours le sentiment, depuis plusieurs années, de traitements différenciés. D’un côté, on voit une politique de bulldozer et, de notre côté, nous travaillons à la petite cuillère.

Les projets se feront avec plus de lisibilité et de prévisibilité. C’est vrai pour tout projet d’investissement. Il n’y a pas de transition énergétique sans investissement, il n’y a pas d’économie d’énergie sans investissement, il n’y a pas de chaleur verte sans investissement, il n’y a pas d’EnR électrique sans investissement. Parmi les différentes solutions, certaines sont plus ou moins matures. Il faut en aider certaines à devenir matures, ce qui explique les politiques engagées dans les dernières années. D’autres, comme la biomasse ou le photovoltaïque, sont plus matures. La politique publique intervient pour accompagner les différents sujets en fonction de leur degré de maturation, de leur coût global, de leur contribution en termes de ressources et surtout de leur adéquation aux objectifs. Si la priorité est la décarbonation, ce qui ne veut pas dire que les autres objectifs tels que la sécurité d’approvisionnement, la réduction de la part du nucléaire ou la biodiversité n’existent pas, il y a un certain nombre de conclusions à en tirer. Tel est notre message.

M. Vincent Thiébaut, président. Toujours dans votre contribution au grand débat national, vous abordez la politique des territoires. En tant qu’élu du Bas-Rhin, je suis convaincu qu’il faut rendre les grandes politiques nationales moins contraignantes et laisser les territoires faire le choix de leurs propres politiques énergétiques en fonction de leurs spécificités et de leurs problématiques. En Alsace, nous avons plus intérêt à faire de la géothermie profonde que du solaire. Que faut-il améliorer dans le dispositif fonds chaleur pour permettre aux territoires et aux collectivités de se saisir du sujet ?

M. Pascal Roger. Les fiches de la FEDENE sont peut-être arrivées un peu tard dans le grand débat national. En participant à des discussions sur le terrain, nous nous sommes aperçus que les gens avaient assez peu d’informations pour nourrir leur réflexion. Pour éviter de tomber dans des discussions de café du Commerce, il nous semblait important d’apporter un éclairage. Ce ne sont donc pas des fiches de position FEDENE, mais des synthèses d’information que nous avons voulues les plus objectives possible pour éclairer le débat. Nous avons fait preuve de prudence car nous ne sommes pas certains de détenir la vérité.

La partie territoriale est insuffisamment abordée dans la PPE. Dans le cadre de la loi NOTRe, la stratégie énergie-climat relève désormais de la responsabilité des régions, les grands objectifs étant fixés au niveau national. Cette évolution de la responsabilité a été saluée par notre fédération. Par nature, nos projets de chaleur ou d’économies d’énergie sont des projets locaux. La chaleur ne se transporte pas sur des kilomètres, contrairement aux grandes énergies pour lesquelles il convient de gérer à la fois des problèmes d’approvisionnement, de stockage et de distribution. Nos problématiques sont strictement locales. Il est clair que les ressources, non seulement par région mais aussi par ville ou par communauté urbaine, ne sont pas les mêmes et que les solutions ne sont pas identiques d’un endroit à l’autre.

La philosophie de nos adhérents est bien de proposer des solutions qui descendent dans les territoires et qui devraient déjà y être descendues. Mais la somme des objectifs individuels déclinés au niveau régional atteint-elle l’objectif national ? À ce jour, nous avons plus que des doutes. Les objectifs régionaux seront définis en fonction des impulsions macroéconomiques de facilitation et de promotion. Tous les signaux sur le niveau et la forme de soutien ou la prévisibilité doivent être lancés au niveau national. À défaut, ils se déclineront au niveau régional avec une ambition un peu différente. Cela ne pourra se déterminer uniquement en affectant des ratios aux uns et aux autres.

Enfin, un mécanisme intéressant, proche de celui que vous évoquiez tout à l’heure, avait été défini pour les projets industriels et tertiaires de biomasse. Il s’agissait de l’appel à projets national biomasse chaleur industrie agriculture tertiaire (BCIAT), piloté par l’ADEME. Les industriels ayant des chaufferies alimentées par des énergies diverses et variées qui voudraient passer à un projet biomasse, pouvaient présenter un projet et demander une aide. Le principal critère d’adjudication des aides de l’ADEME était le nombre d’euros d’aide demandé par tonne de CO2 évitée. Cela répondait à la logique de recherche d’optimisation économique globale que vous évoquiez. C’est un exemple intéressant. Nous réfléchissons à la façon de le décliner pour des appels à projets de rénovation énergétique des bâtiments. Pourquoi ne pas lancer des appels à projets sur la rénovation tertiaire des bâtiments ? Des mécanismes de ce type peuvent contribuer à ouvrir des pistes nouvelles.

M. Vincent Thiébaut, président. Monsieur Roger, merci pour cette audition et pour la clarté de vos propos.

Laudition sachève à treize heures cinq.

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18.   Audition, ouverte à la presse, de M. Hugues Sartre, porte-parole de la société GEO PLC, accompagné de Mme Marina Offel de Villaucourt, responsable affaires publiques (18 avril 2019)

Laudition débute à quatorze heures cinquante.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons à présent M. Hugues Sartre, porte-parole de GEO PLC, accompagné de Mme Marina Offel de Villaucourt, responsable des affaires publiques.

La société GEO PLC a sollicité notre commission dès sa constitution pour être auditionnée. Madame et monsieur, nous pouvons donc estimer que vous nous communiquerez des informations précieuses, sans vous limiter aux éléments de langage qu’un responsable et un porte-parole ont dans leur besace. Aussi avons-nous répondu favorablement à votre sollicitation.

GEO PLC, filiale de GEO France Finance, a été créée en 2008 dans le but de promouvoir, grâce aux certificats d’économies d’énergie (CEE), des actions d’économies d’énergie, et a été reconnu en 2010 « structure collective » dans le cadre du dispositif des CEE. Vous nous direz quels sont le rôle et la place de votre société dans le dispositif des CEE.

Son site internet indique que « GEO PLC a pu distribuer, en 2013, sous la forme de primes financières et d’avoirs aux différents bénéficiaires éligibles, 12 millions d’euros ». Bien que cette information date quelque peu, notre commission souhaiterait que vous lui donniez des précisions sur ces flux financiers. D’où viennent ces 12 millions d’euros, et où vont-ils ? GEO PLC joue-t-il le rôle d’un courtier ou d’un intermédiaire financier ? Comment votre société se rémunère-t-elle, et quels sont ses principaux clients ?

GEO PLC a également un rôle actif dans la rénovation énergétique ou thermique de logements. Votre société mène-t-elle des actions visant à favoriser l’autoconsommation énergétique de particuliers à partir de leur production éolienne ou photovoltaïque ?

Participez-vous, en outre, à des opérations, auprès du grand public, relayées par des campagnes publicitaires comme le remplacement des chaudières au fioul pour 1 voire zéro euro, ou – sujet qui intéresse tout particulièrement Mme la rapporteure – l’isolation des combles des maisons pour 1 euro ? Nous voudrions aussi connaître votre sentiment sur la qualité des travaux réalisés à ce prix et que vous nous disiez comment, selon vous, il est possible de s’assurer du sérieux de leur exécution.

Vous venez par ailleurs de lancer la marque Hellio qui regroupe la plupart de vos activités dans les domaines, diffus, de la transition énergétique. Avec cette marque, poursuivez-vous l’objectif d’améliorer la lisibilité de vos actions ? Le grand public connaît-il cette marque ?

Enfin, nous souhaiterions savoir si vos activités se font en lien avec les collectivités territoriales et si certaines font directement appel à vos services, en tant que clientes.

Comme vous le voyez, nos questions sont nombreuses. Elles vous encouragent à éventuellement réorienter votre présentation pour y répondre.

Nous écouterons d’abord votre exposé liminaire qui ne devra pas dépasser quinze minutes. Je rappelle, à toutes fins utiles, que les minutes sont composées de soixante secondes et non, comme certains le croient, du double ! Puis Mme la rapporteure et les membres de la commission vous interrogeront.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter préalablement serment.

(M. Hugues Sartre et Mme Marina Offel de Villaucourt prêtent serment.)

Vous avez la parole.

M. Hugues Sartre, porte-parole de la société GEO PLC. J’ai en effet demandé à être entendu par la commission d’enquête sur la question des CEE, dont GEO PLC est depuis dix ans un acteur et un spécialiste. Je n’évoquerai donc pas les autres coûts pesant sur la facture énergétique des Français.

Comme vous l’avez indiqué, GEO PLC est une structure délégataire : elle reçoit la délégation d’obligations d’économies d’énergie de la part de fournisseurs qui nous la confient afin que nous la réalisions pour leur compte.

Historiquement, nous sommes présents dans le secteur business to business (« B2B ») où nous travaillons avec des artisans, des négoces et des entreprises de distribution de matériaux. En 2009, nous avons pris le virage du business to consumer (« B2C »), avec le projet MesAmpoulesGratuites.fr, notre entreprise s’est pour la première fois adressée directement aux particuliers. Nous avons par la suite conduit des opérations semblables pour les combles et, dernièrement, les chaudières à granulés de bois.

Vous avez noté que nous avons créé une nouvelle marque, Hellio, destinée à établir un pont entre ces offres. En effet, alors que l’opération « Mes ampoules gratuites » bénéficie aujourd’hui d’une certaine notoriété, tel n’est pas le cas de « Mes combles gratuits ». Or, si nous les avions appelées « Mes ampoules gratuites par Hellio » et « Mes combles gratuits par Hellio », cette dernière opération serait aujourd’hui largement connue. Aussi la marque Hellio chapeautera-t-elle l’ensemble de nos offres destinées au grand public.

Je vous ai remis un document, que j’ai souhaité aussi synthétique et simple que possible, sur le dispositif des CEE, notamment son coût. En l’examinant, nous verrons que le prix des CEE est non pas déterminé mais déterminable, en abordant ensuite le coût du dispositif sur la facture d’énergie nationale, et enfin l’utilisation qui est faite de ces sommes.

Nombre d’entre vous étant experts du dispositif des économies d’énergie, vous savez certainement que le CEE est un mécanisme d’obligations qui impose aux fournisseurs d’énergie de réaliser des actions d’économie d’énergie au prorata de leurs ventes. S’ils n’atteignent pas l’objectif qu’ont fixé les pouvoirs publics, ils doivent s’acquitter d’une pénalité, d’un montant maximal de 15 euros par mégawattheure « cumulé actualisé » (MWhc), qui peut être répercutée sur la facture des Français.

Le code de l’énergie fixe la quantité de MWhc qu’un fournisseur d’énergie doit obtenir par unité d’énergie vendue. Ainsi, pour 1 000 litres de gazole vendus, un fournisseur doit obtenir 5,344 MWhc, dont un quart consacré aux ménages en situation de précarité énergétique. Le tableau 1 donne aussi le montant des obligations pour 1 MWhc d’électricité, 1 MWhc de gaz naturel et 1 000 litres de fioul. Par conséquent, si 1 MWhc coûte 1 euro, le coût des CEE est de 5,344 euros pour 1 000 litres vendus, soit 0,53 centime d’euro par litre vendu.

Le tableau 2 représente l’impact du coût des CEE selon le montant du MWhc : pour 1 litre de gazole, il est par exemple de 0,0064 euro toutes taxes comprises (TTC) si le coût des CEE est de 1 euro par MWhc. Cet impact est établi en euros TTC car, comme l’ont indiqué plusieurs personnes que votre commission a auditionnées, le coût des CEE est répercuté sur le prix de vente de l’énergie dans sa base hors taxes, et la TVA s’applique donc sur cette base.

Le tableau 3 reprend ces données en donnant cette fois limpact des CEE en centimes deuro par litre ou par kWh. Lors de lune des auditions qua menées votre commission – il sagissait, je crois, de celle du président de lUnion française des industries pétrolières (UFIP) –, limpact du coût des CEE a été évalué à 5,63 centimes deuro TTC par litre. Daprès ce tableau, qui sappuie sur le coefficient dobligation fixé par le code de lénergie, un impact de 5,63 centimes deuros correspond, pour 1 litre de gazole, à un coût du CEE situé entre 8 et 9 euros TTC par MWhc. La somme quaujourdhui vous devrez acquitter si vous décidez dacheter 1 MWhc se situe effectivement dans cet intervalle de prix.

Un fournisseur répercutera dans son prix de vente entre 1 euro et 15 euros par MWhc en fonction, d’une part, de sa capacité à obtenir des CEE et, d’autre part, des dépenses qu’il a assumées pour les obtenir.

Comment un fournisseur d’énergie peut-il obtenir des CEE ? Gaëtan Thoraval vous a exposé, ce matin, les trois solutions que prévoit la réglementation. J’indiquerai, pour ma part, les quatre solutions effectivement employées, qui sont récapitulées dans le tableau 4.

Celui-ci montre que, pour obtenir des CEE, un fournisseur d’énergie peut soit en acheter à une structure délégataire, soit financer un programme CEE, soit financer une entreprise du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) versant une prime aux consommateurs, soit financer directement cette prime. Pour chacune de ces solutions, le prix des CEE varie selon les acteurs mais aussi dans le temps. Ainsi, EDF n’achète pas les CEE au même prix que Direct Énergie, et les prix des CEE en novembre diffèrent de ce qu’ils étaient en janvier, le marché des CEE étant libre.

Pour satisfaire à leurs obligations, les vendeurs d’énergie utilisent quasiment tous ces quatre leviers. Certains recourent par exemple beaucoup au marché et à la prime aux consommateurs, peu au financement de programme et un peu au financement d’entreprises du BTP. Chaque vendeur d’énergie utilise ainsi une combinaison différente de ces outils. Le moment auquel l’achat de CEE est réalisé importe également, puisque, si les CEE sont acquis sur le marché, lorsqu’ils ne coûtent pas cher, l’obligation est satisfaite pour un moindre coût que s’ils sont achetés à un moment où ils sont plus onéreux.

Les vendeurs d’énergie satisfont donc leurs obligations à un coût différent, et ce coût n’est pas assimilable à une taxe forfaitaire comme la contribution au service public de l’électricité (CSPE) : il correspond à une obligation de résultat, et l’on compte sur la capacité des acteurs privés à satisfaire ces obligations au meilleur coût, afin que la répercussion des CEE sur les prix de l’énergie soit aussi faible que possible.

Les CEE sont ainsi un dispositif relativement hybride dans lequel coexistent, dun côté, un mécanisme coercitif fixé par lÉtat et, de lautre, une liberté laissée aux acteurs qui, pour atteindre leur obligation de résultat, peuvent sy prendre comme ils lentendent. Ils choisissent en effet entre 150 fiches dopérations standardisées. Ce nombre, qui pourrait paraître excessivement élevé, tient à ce que les économies dénergie diffèrent dans le tertiaire, le résidentiel, lindustrie et le transport. La pompe à chaleur installée dans lagriculture, dans lindustrie ou chez Mme Martin ne permet pas déconomiser la même quantité dénergie, ce dont ces fiches dopérations standardisées tiennent compte. Toutefois, sil existe 150 fiches, les opérations déconomie dénergie sont, quant à elles, moins nombreuses.

Aucun fournisseur d’énergie n’a, en 2018, satisfait son obligation d’économie d’énergie au prix de 5,63 centimes d’euro TTC par litre de gazole. Quant à savoir si ce montant a été répercuté sur le prix à la pompe, cela nécessiterait de demander à chaque distributeur de carburant le coût qu’il a répercuté sur le prix à la pompe au titre des CEE pour chaque mois de l’année écoulée.

Comment un fournisseur d’énergie décide-t-il des coûts qu’il répercutera dans le prix de vente ? Dans le cas des tarifs réglementés, l’article L. 221-5 du code de l’énergie prévoit que la Commission de régulation de l’énergie (CRE), en lien avec les fournisseurs, évalue le montant des CEE, donc le coût répercuté sur le prix de vente. En revanche, pour les énergies dont le prix est fixé librement et pour les CEE, chaque fournisseur d’énergie détermine le coût à répercuter.

À cet effet, les fournisseurs dénergie prennent en compte deux facteurs : le prix que leur a coûté lobtention de ces CEE, qui dépend des quatre leviers évoqués précédemment ; et leur stratégie commerciale, qui les conduit à majorer ou minorer le prix des CEE. Ils peuvent, par exemple, le majorer sils estiment que le coût des CEE augmentera à lavenir et quil importe donc quils provisionnent. Ils peuvent, au contraire, minorer ce coût dans le but de prendre des parts de marché, ou parce quils gèrent mieux leur obligation CEE.

Les vendeurs d’énergie satisfont ainsi leur obligation en répercutant des coûts différents. Par conséquent, l’unique moyen pour que cette commission d’enquête sache combien le dispositif coûte à chaque consommateur est, comme je l’ai indiqué, de convoquer la centaine d’obligés concernés et de demander à chacun le coût qu’il a répercuté, mois par mois, sur la facture d’énergie de ses clients. Leur réponse devra de surcroît être très précise, et spécifier notamment si le calcul de ce coût inclut les salaires des personnels traitant les dossiers CEE.

J’en viens au coût du dispositif sur la facture d’énergie nationale. À moins d’obtenir les chiffres des fournisseurs d’énergie, la méthode d’évaluation la plus fiable se fonde, comme l’a fait ce matin le représentant de la société ENR’CERT, sur le prix moyen d’achat des CEE enregistré sur le registre national des CEE.

Sur 2018, ce prix moyen, pondéré des volumes échangés, était de 5,93 euros par MWhc. Rapporté à l’obligation de 533 térawattheures cumulés actualisés (TWhc) pour l’année 2018, cela représente un coût de 3,68 milliards d’euros TTC que les fournisseurs répercutent sur la facture d’énergie de l’ensemble des consommateurs français, qu’ils soient des particuliers, des industries ou relèvent des activités du secteur tertiaire.

Ainsi, l’Assemblée nationale, en tant que consommateur d’énergie, a participé au financement de ces 3,68 milliards d’euros. D’après l’estimation qu’il est possible de faire de sa consommation de gaz et d’électricité en laissant de côté sa consommation de carburant, on peut considérer que l’Assemblée, en 2018, a financé les CEE à hauteur d’environ 50 000 euros TTC. L’Assemblée nationale est en effet un gros consommateur d’énergie.

M. le président Julien Aubert. Si l’Assemblée n’a pas voté la taxe, elle l’a payée !

M. Hugues Sartre. Nous y reviendrons.

Considérons maintenant l’utilisation qui est faite de ces sommes. Les règles comptables et fiscales n’ont, pour le dispositif CEE, été fixées de façon claire qu’assez récemment. Désormais, il est possible d’affirmer que l’argent prélevé aux consommateurs d’énergie est utilisé pour trois types de dépenses : le paiement des taxes, le financement des primes CEE et le financement de l’écosystème.

Je m’attarderai sur le cas des taxes, en regrettant que vous ayez déjà auditionné les interlocuteurs du ministère de l’économie et des finances et en charge de la fiscalité, car plusieurs problèmes relevant de leurs champs de compétence se posent.

D’abord, comme je l’ai indiqué, le coût de l’obligation CEE est répercuté sur le montant hors taxe de vente de l’énergie, et il faut donc ajouter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Or la prime que les fournisseurs d’énergie versent pour obtenir des CEE est hors du champ d’application de la TVA, donc non déductible. Ainsi, au titre de l’obligation CEE, 20 % de la somme prélevée sert à financer directement la TVA, alors que l’obligé ne peut déduire la TVA des dépenses qu’il assume pour satisfaire cette obligation.

Ensuite, lorsque des travaux sont réalisés chez Mme Martin pour 1 000 euros hors taxes (HT), une TVA au taux réduit de 5,5 % s’applique : le coût de ces travaux, toutes taxes comprises (TTC), est donc de 1 055 euros. La prime CEE se rapportant au montant de l’opération après application de la TVA, il faut verser 1 055 euros de prime CEE. Ce sont ainsi 55 euros de TVA – 200 euros si l’opération est réalisée chez une personne morale – qui sont dus à l’État pour une opération portant sur 1 000 euros de travaux. Si la prime CEE s’appliquait au montant de ces travaux hors taxe, elle s’appliquerait sur une base de 1 000 euros de travaux, et la TVA collectée serait nulle.

Enfin, les CEE portant sur des équipements privés, les personnes morales qui reçoivent ces subventions les comptabilisent parmi les recettes exceptionnelles, soumises en conséquence à l’impôt sur les sociétés. Ainsi, lorsqu’un fournisseur d’énergie règle les travaux d’un groupe industriel, environ 30 % de la somme restante est soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) – l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) considère en effet que le taux moyen de l’IS en France est de 30 %.

Les experts du dispositif CEE estiment ainsi que 33 % de la facture d’énergie du consommateur final finance les taxes, 54 % les primes CEE des bénéficiaires et 13 % l’écosystème CEE. Si on rapporte ces taux aux 3,68 milliards que les fournisseurs ont répercutés en 2018 sur les consommateurs, on peut considérer que 1,2 milliard a servi à financer les taxes, environ 2 milliards – exactement, 1,985 milliard – à payer les primes CEE versées aux consommateurs ayant réalisé des travaux d’économie d’énergie, et environ 500 millions à financer l’écosystème CEE.

Cet écosystème comprend les salariés des fournisseurs d’énergie chargés de la gestion de l’obligation CEE : pour les grands fournisseurs historiques nationaux, cette masse salariale représente plusieurs centaines de personnes. Mais l’écosystème CEE comporte surtout des sociétés de services comme la nôtre et des entreprises du secteur du bâtiment, dédiées au CEE. Or ce sont justement ces sociétés qui innovent dans le domaine des économies d’énergie. Financer l’écosystème CEE revient donc à financer l’innovation dans la rénovation énergétique. En effet, ce n’est pas l’État qui a imaginé l’isolation des combles à 1 euro, mais une structure délégataire. De même, notre entreprise a inventé le principe des ampoules et des chaudières à granulés de bois gratuites qui a permis à des ménages qui, auparavant, ne le faisaient pas, d’agir en vue de réaliser des économies d’énergie.

J’ajouterai que le CEE est le seul dispositif français à avoir un objectif coercitif. Depuis les années 2000, l’État se fixe un objectif de plusieurs centaines de milliers de rénovations par an – 500 000, dernièrement. Bien qu’il n’atteigne jamais cet objectif, il ne paie pas, me semble-t-il, de pénalités. Les fournisseurs d’énergie, en revanche, en paient, s’ils sont dans ce cas : je crois qu’il était important de le rappeler.

Il ne faut pas non plus oublier que le dispositif CEE s’adresse également aux locataires : il est même le seul dispositif de financement de la rénovation énergétique qui leur permette d’isoler les combles de leur domicile ou de changer leur chaudière.

Enfin, les particuliers qui réalisent ces rénovations énergétiques sont des personnes qui n’auraient pas eu les moyens de les faire si elles n’étaient pas financées à 100 %. Comme on le sait, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) bénéficie surtout aux personnes classées dans les neuvième et dixième déciles de la population, qui ont les moyens de faire des travaux. Ceux qui n’en ont pas les moyens bénéficient du dispositif CEE.

Pour conclure, le mécanisme des CEE opère une péréquation : tous les consommateurs d’énergie le financent, et tous peuvent en profiter à l’unique condition de s’engager dans des actions d’économie d’énergie. Il remplit parfaitement sa mission car il est incitatif et convainc des personnes de passer à l’acte. Durant des décennies, rien n’a été fait pour le parc de maisons dont les combles n’étaient pas isolés : grâce aux CEE, les personnes concernées commencent à faire ces rénovations.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je vous remercie et vous félicite pour ces chiffres très clairs. Si vous pouviez me communiquer ultérieurement un second volet consacré à ce qui, dans le dispositif CEE, relève du « boursicotage », il m’intéresserait particulièrement.

Ma première question portera sur les différences entre les dispositifs. Pourquoi certains coûtent-ils 1 euro tandis que d’autres sont gratuits, comme votre offre sur les chaudières à granulés de bois ? Les entreprises proposant ces offres gratuites font-elles seulement de la surenchère dans une stratégie de communication ?

M. Hugues Sartre. Il existe une différence importante entre les chaudières gratuites que nous proposons et les chaudières ou pompes à chaleur à 1 euro.

Notre chaudière biomasse gratuite n’est financée que par les CEE, qui sont des aides privées, alors que toutes les offres à 1 euro associent un financement par ce dispositif CEE et un financement par les aides publiques qu’accorde l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Financer à 100 %, grâce aux CEE, l’installation d’une chaudière biomasse en remplacement d’une chaudière fioul nous permet de toucher plus de ménages. En effet, l’offre de l’ANAH est conditionnée à plusieurs critères : être propriétaire occupant, avoir une chaudière de plus de quinze ans et s’engager à rester six ans dans le bâtiment bénéficiant de l’offre, entre autres.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Votre offre est également plus vertueuse pour les finances de l’État. Toutefois, les particuliers qui font appel aux dispositifs entièrement financés sont souvent les plus précaires. Si les offres gratuites sont satisfaisantes en ce qu’elles touchent ces personnes, elles ont aussi pour effet de les placer dans une situation de plus grande fragilité dans la mesure où ils ont parfois du mal à choisir entre les offres qui leur sont faites ou à vérifier que les travaux ont été faits correctement.

L’ANAH garantit un tel contrôle. Je voudrais savoir comment il vous est possible d’assurer que les travaux réalisés chez les personnes qui choisissent votre offre seront faits de manière soignée, et qu’elles n’auront donc pas de mauvaise surprise.

M. Hugues Sartre. Votre question fait écho à celle de M. le président sur le sérieux des travaux réalisés dans le cadre de ces offres gratuites. Elle est d’autant plus légitime qu’en 2016 et 2017 des agissements frauduleux ont détourné le dispositif des CEE.

Le ministère de la transition écologique a agi rapidement et avec efficacité contre ces fraudes en lançant la charte « Coup de pouce économies d’énergie » qui consiste à bonifier les volumes de CEE obtenus par les acteurs du dispositif CEE s’engageant à verser des primes significatives et à faire contrôler par l’État la qualité des travaux réalisés.

Aujourd’hui, un particulier voulant être sûr de bénéficier de travaux de qualité peut s’adresser à l’une des entreprises signataires de cette charte, dont la liste figure sur le site du ministère de la transition écologique. Idéalement, il contactera GEO France Finance.

L’exemple des maisons de Savoie et de Haute-Savoie, dont la toiture dépasse souvent les murs extérieurs, montre pourquoi il est important de s’adresser à une entreprise signataire de la charte « Coup de pouce ». Faut-il, dans ces maisons, isoler le débord de toit, au-dessous duquel se trouve de l’air ? Une entreprise signataire de la charte « Coup de pouce » sait traiter ce type de situation.

Cet exemple manifeste également à quelle condition le service public de l’efficacité énergétique fonctionne : il faut que des acteurs signent des chartes d’engagement, comme la charte « Coup de pouce » ou la charte « Engagé pour faire », et qu’un contrôle drastique soit exercé par l’État. Se trouve ainsi réalisé un subtil équilibre entre l’action de professionnels de confiance maîtrisant les systèmes de financement et celle des pouvoirs publics, qui vérifient la qualité des travaux réalisés chez les particuliers.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le type d’offre gratuite que vous proposez est particulièrement intéressant pour les particuliers car elle leur permet de faire des économies d’énergie et donc de réduire leur facture de chauffage. En conséquence, elle doit séduire un grand nombre de ménages. Comment votre entreprise fait-elle pour ne pas se trouver en difficulté du fait de ruptures d’approvisionnement ? Votre offre ne crée-t-elle pas des tensions dans le secteur de la production industrielle ?

Ne risque-t-elle pas non plus de susciter des installateurs en grand nombre qui, après avoir réalisé des travaux pendant deux ou trois ans, déposeront le bilan ou cesseront leur activité ? Dans ce cas, les travaux réalisés ne seraient plus couverts par la garantie décennale.

M. Hugues Sartre. Fabriquer des chaudières est, en France, un métier d’industriel. Ainsi, le fabricant de chaudières à granulés de bois avec lequel nous travaillons est HS France, un industriel alsacien.

Or un industriel n’accepte pas que le matériel qu’il produit soit installé par des artisans qui ne sont pas formés. En effet, si une chaudière fabriquée par HS France vient à tomber en panne, le client ne considérera pas que c’est l’installateur qui a mal fait son travail : il jugera plutôt que HS France vend de la camelote ! Les industriels veillent donc à ce que leur matériel soit posé par des artisans compétents.

En ce qui nous concerne, nous veillons, en étroite collaboration avec HS France, à ce que la mise en service des chaudières à granulés de bois soit assurée par des personnes agréées par cette entreprise. En particulier, tous nos installateurs de chaudières ont suivi une formation de cinq jours à Molsheim, qui permet de s’assurer qu’ils connaissent bien ces équipements.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je souhaite également savoir si GEO PLC ne risque pas, à un moment donné, de crouler sous les demandes. Or, si les demandes d’installation de chaudières faites à votre entreprise devenaient si nombreuses qu’elle ne pouvait plus les satisfaire, sa crédibilité en souffrirait.

M. Hugues Sartre. Afin de gérer correctement la demande pour cette opération, notre entreprise évite de reproduire les erreurs que nous avions faites lors du lancement de l’offre MesAmpoulesGratuites.fr.

Monsieur le président, vous avez demandé si nous réalisons des opérations de communication auprès du grand public. Nous l’avons fait par le passé pour notre offre d’ampoules LED gratuites, et nos serveurs sont tombés en panne dès le premier passage de cette offre à la télévision.

L’offre qui concerne l’installation gratuite de chaudières biomasses n’a pas été lancée en fanfare dans la mesure où nous n’avons pas besoin d’être sollicités. Nous préférons nous adresser à des particuliers ayant déjà réalisé l’isolation de leurs combles, car il est cohérent, du point de vue thermique, de changer la chaudière une fois que le domicile est correctement isolé.

Si nous proposons pour le moment ce service aux seuls clients Hellio, c’est aussi parce que nous n’avons pas encore suffisamment d’installateurs de chaudières à granulés de bois pour couvrir la totalité du territoire national. Pour y parvenir, nous aurions besoin de disposer de 500 équipes de deux personnes, soit 1 000 installateurs. Nous n’avons pour le moment qu’une quarantaine ou une cinquantaine d’équipes sur le terrain. Nous souhaitons en avoir dix fois plus, ce qui nous rendra capables d’installer chaque année 100 000 chaudières à granulés de bois en remplacement des chaudières au fioul.

Si tout se passe comme nous l’espérons, nous pourrons constater dans un an ou deux ans, lorsque nous nous reverrons, que la balance commerciale de notre pays en matière d’importation de fioul s’est modifiée. L’ambition de ce projet est en effet de transformer le paysage énergétique français.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je voudrais également connaître les difficultés susceptibles de mettre en danger votre entreprise. Vous avez démarché vous-même le fournisseur et vous ne dépendez pas des aides de l’État : sur ces deux plans, vous n’avez donc pas d’inquiétude à avoir. En revanche, une évolution brusque du prix des CEE ne pourrait-elle pas mettre GEO PLC en difficulté ?

M. Hugues Sartre. Le cours actuel des CEE nous permet de financer entièrement cette offre gratuite. S’il devait augmenter de façon importante, nous modifierions notre offre pour proposer un reste à charge que nous nous efforcerions de faire correspondre aux économies qu’un ménage réalise en remplaçant sa chaudière au fioul par une chaudière à granulés de bois. Pour une famille de quatre personnes, ces économies représentent environ 35 % de sa facture de chauffage, donc entre 600 et 800 euros.

Nous ne souhaitons pas que le périmètre de l’obligation donne lieu à des changements législatifs ou réglementaires, sauf éventuellement en ce qui concerne sa durée que nous souhaitons voir allongée d’un an, voire de trois ans. Nous manquons en effet aujourd’hui de visibilité dans la mesure où nous ignorons ce qui se passera au terme de la quatrième période d’obligation, en 2021.

Un fournisseur d’électricité ou de gaz qui vend des contrats d’une durée de trois ans signe en 2019 des contrats pour fournir ses clients en énergie en 2019, 2020 et 2021. Les coefficients d’obligation des différentes énergies étant connus pour 2019 et 2020 – ils sont indiqués dans le tableau 1 –, il lui est très facile de calculer, pour ces deux années, le coût des CEE qu’il répercutera sur son prix de vente. En revanche, il ne peut faire ce calcul pour 2021, puisque les coefficients pour 2020 n’ont pas encore été fixés par la réglementation applicable. Pour que ces offres puissent continuer d’exister, il faudrait que nous ayons une meilleure visibilité sur l’avenir !

Monsieur le président, j’avais laissé de côté deux de vos questions, auxquelles je vais répondre maintenant. L’un d’elles portait sur le travail que nous faisons avec les collectivités territoriales. Nous leur expliquons tout d’abord comment fonctionne le dispositif CEE et comment en bénéficier. Depuis dix ans, nous avons passé beaucoup de temps à exposer aux élus les usages qu’ils peuvent faire de ce dispositif et à leur indiquer les décisions que le conseil municipal doit prendre pour en bénéficier.

Nous avons également soutenu les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) en finançant à hauteur d’environ 40 millions d’euros les travaux engagés par les collectivités qui avaient choisi de travailler avec notre entreprise.

Vous avez aussi demandé à quoi correspondent les 12 millions que GEO PLC distribue aux bénéficiaires éligibles, et comment se décompose son chiffre d’affaires.

Le chiffre d’affaires de notre entreprise correspond uniquement à la vente des certificats d’énergie. Il est d’autant plus facile à établir que nous n’émettons que très peu de factures. Nous travaillons avec l’ensemble des fournisseurs d’énergie présents mais principalement avec les plus grosses entreprises du secteur, ce qui représente une dizaine ou une douzaine d’entreprises. Nous transférons aux fournisseurs d’énergie des CEE qui leur permettent de satisfaire leur obligation ; l’argent qu’ils nous versent en contrepartie constitue notre chiffre d’affaires, et nous redistribuons les sommes disponibles sous forme de primes pour financer les chaudières.

M. le président Julien Aubert. À combien s’élève, aujourd’hui, votre chiffre d’affaires ?

M. Hugues Sartre. Je ne connais pas le chiffre d’affaires de GEO PLC en 2018, mais son chiffre d’affaires de 2017 était, me semble-t-il, approximativement de 220 millions d’euros.

M. le président Julien Aubert. Et à combien s’élevait, en 2017, le montant des primes que vous avez versées aux bénéficiaires éligibles ?

M. Hugues Sartre. Je ne peux malheureusement pas vous donner de chiffre, mais c’est 80 % à 90 % du montant du chiffre d’affaires de GEO PLC qui, en 2017, a ainsi été redistribué.

M. le président Julien Aubert. Votre entreprise aurait donc redistribué en 2017 environ 190 millions d’euros de primes. Est-ce à dire qu’elle représente près de la moitié de l’écosystème des CEE ?

M. Hugues Sartre. J’ai en effet indiqué que la facture d’énergie des consommateurs finançait chaque année l’écosystème CEE pour environ 500 millions d’euros. Mais il ne s’agit pas là du chiffre d’affaires des structures délégataires, qui sert à financer non seulement les primes CEE mais aussi l’entreprise.

M. le président Julien Aubert. Je ne vois pas bien à quoi correspondent ces 500 millions.

M. Hugues Sartre. Il s’agit de la part qui finance l’écosystème.

M. le président Julien Aubert. Inclut-elle les primes CEE ?

M. Hugues Sartre. Non. Le financement des primes CEE, qui représente près de 2 milliards d’euros, est distinct de celui de l’écosystème CEE, qui est approximativement de 500 millions d’euros.

On peut considérer que le financement de notre entreprise s’élève à environ 20 millions d’euros sur ces 500 millions.

M. le président Julien Aubert. Très bien. Si je reprends les chiffres que vous avez donnés, le chiffre d’affaires de GEO PLC était de 37 millions d’euros en 2013 et il est, en 2017, de 220 millions d’euros.

M. Hugues Sartre. C’est cela.

M. le président Julien Aubert. Peu d’entreprises réalisent en quatre ans une croissance aussi forte ! J’en déduis que le marché des CEE est dynamique et que GEO PLC a plutôt tiré avantage de l’augmentation de la quatrième période.

M. Hugues Sartre. La hausse du prix des CEE est l’un des deux facteurs qui expliquent cette courbe de croissance spectaculaire. En 2015, 1 mégawattheure cumulé actualisé (MWhc) se vendait 1,20 euro, et il se vend aujourd’hui 9 euros.

M. le président Julien Aubert. Si je ne me trompe, le prix du MWhc avait baissé en 2015.

M. Hugues Sartre. Le prix des CEE a en effet connu sa plus forte baisse durant la période 2015-2016. En conséquence, notre entreprise a considérablement augmenté sa quantité de CEE produits et occupé une place croissante dans le secteur « B2C ».

M. le président Julien Aubert. Peut-on dès lors considérer qu’il est dans l’intérêt de votre entreprise que le volume des CEE demandés augmente encore lors de la cinquième période ?

M. Hugues Sartre. N’étant ni le Gouvernement ni le Parlement français, je n’ai pas à définir les objectifs de la nation en matière d’économies d’énergie. En revanche, je suis en droit de revendiquer plus de clarté et de lisibilité.

Peu importe que le pouvoir exécutif fixe le volume des CEE pour la période 2021-2023 à 1 600, à 900 ou à 2 000 TWhc, du moment qu’il nous en informe à l’avance. Car on ne peut pas nous demander de créer un écosystème – GEO PLC a aujourd’hui près de 200 salariés –, de recruter des salariés en CDI, et soudain nous dire que les coefficients d’obligation allant diminuer en 2021, il va nous falloir produire beaucoup moins de CEE et trouver une solution pour les salariés que nous avons embauchés !

M. le président Julien Aubert. Ma question portait sur l’augmentation du volume de CEE, dont la décision revient au ministère de la transition écologique.

M. Hugues Sartre. Vous vouliez savoir si notre entreprise a bénéficié de la hausse du cours du CEE.

M. le président Julien Aubert. Et je souhaite également vous demander si le fait que le ministère augmente ou diminue ce volume est sans conséquence pour votre entreprise ou si, au contraire, certaines de ses décisions pourraient vous tuer, même si vous en étiez averti à l’avance.

M. Hugues Sartre. C’est ce qui a failli se passer entre 2015 et 2017, lors de la troisième période, lorsque les objectifs fixés n’étaient pas suffisamment élevés au regard des quantités d’actions d’économie d’énergie réalisées par le passé. Comme les fournisseurs d’énergie avaient une forte avance sur les objectifs, ils n’achetaient plus de CEE. Le cours du CEE s’est effondré et, puisque la vente des CEE constitue la totalité de notre chiffre d’affaires, payer nos salariés a été très difficile.

M. le président Julien Aubert. Je voudrais revenir sur la structure de votre modèle économique. En 2013, votre chiffre d’affaires était de 37 millions d’euros, et vous versiez 12 millions d’euros de primes, ce qui correspond approximativement à 30 % de votre chiffre d’affaires. J’en déduis que le montant restant constitue votre rémunération.

En 2017, votre chiffre d’affaires atteignait 220 millions d’euros, et vous avez indiqué que 80 % à 90 % de ce montant a été reversé aux bénéficiaires du dispositif CEE sous forme de primes.

On aurait tendance à penser que la proportion des primes rapportée au chiffre d’affaires devrait demeurer stable, ou éventuellement augmenter pour atteindre deux tiers du chiffre d’affaires lorsque celui-ci progresse de façon importante, le tiers restant finançant votre entreprise. Tel n’est pas le cas. Pouvez-vous nous en donner la raison ?

M. Hugues Sartre. Aujourd’hui, pour produire 1 TWhc, par exemple dans l’industrie, il faut verser environ 7,5 millions d’euros de primes. Il y a deux ans, pour obtenir la même quantité de MWhc, 2 millions d’euros de primes suffisaient.

Le montant des primes donne lieu, en effet, à une compétition. Aujourd’hui, une centaine de fournisseurs d’énergie cherchent à satisfaire leur obligation d’économie d’énergie alors que le dispositif est en déficit et qu’il est devenu difficile d’obtenir des CEE. Aussi, lorsqu’un consommateur a un projet d’économies d’énergie, il va faire le tour des différents fournisseurs et confier la réalisation de son projet à celui qui offrira la prime la plus importante. C’est particulièrement vrai du milieu industriel qui connaît très bien le dispositif des CEE et est capable de calculer la quantité de kilowattheures cumulés actualisés (KWhc) que produira son projet d’économies d’énergie.

Je ne vous cacherai pas qu’en tant que structure délégataire ne disposant pas des moyens financiers des fournisseurs d’énergie, nous avons beaucoup de mal à faire face à cette surenchère.

Ainsi, lorsque le cours des CEE monte, le montant des primes augmente aussi. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que, dans l’industrie et le secteur tertiaire où les travaux de rénovation énergétique durent en moyenne quinze mois, les primes ne seront données que l’année qui suit celle durant laquelle l’accord sur leur montant a été signé. Par conséquent, si le marché des CEE progresse, la hausse du prix des CEE nous offre une marge supplémentaire pour financer les travaux ; mais s’il baisse, notre entreprise essuie une perte.

Actuellement, le prix des CEE augmente et est devenu si élevé qu’il est désormais très difficile, pour notre structure délégataire, de les acquérir. Nous laissons donc les fournisseurs d’énergie financer les plus importantes actions d’économie d’énergie en direction des consommateurs.

M. le président Julien Aubert. Votre chiffre d’affaires, nous l’avons vu, a augmenté, mais comment votre rentabilité évolue-t-elle quand le cours des CEE est en hausse ?

M. Hugues Sartre. Le risque financier devient alors plus important pour notre entreprise. Quant au consommateur d’énergie, sa facture s’alourdit.

Personne ne se souciait du dispositif CEE tant que son incidence sur la facture d’énergie ne se faisait pas sentir. Aujourd’hui qu’elle peut représenter 5 centimes d’euro par litre, on commence à s’inquiéter des effets de ce dispositif.

M. le président Julien Aubert. J’en reviens à votre rentabilité. Est-elle plus faible aujourd’hui qu’en 2013, lorsque le prix des CEE était plus bas ?

M. Hugues Sartre. Pour une même opération d’économie d’énergie, les montants des primes distribuées sont aujourd’hui plus élevés.

M. le président Julien Aubert. En 2013, votre entreprise avait 110 collaborateurs, et vous en avez aujourd’hui 200. Vous n’avez donc, pourrait-on dire, « que » doublé le nombre de vos collaborateurs, alors que votre chiffre d’affaires a été multiplié par six.

M. Hugues Sartre. Comme je l’ai expliqué, cette différence de progression est due au fait que, sur les marchés primaires, le cours des primes a beaucoup augmenté.

M. le président Julien Aubert. Certes. Toutefois, 80 % de 220 millions d’euros représentant un peu moins de 180 millions d’euros, ce sont tout de même plus de 40 millions d’euros qui sont revenus en 2017 à votre entreprise, montant qui est supérieur à votre chiffre d’affaires total de 2013.

Vous disposiez en 2013 de 25 millions d’euros pour 110 collaborateurs et, en 2017, de 40 millions d’euros pour 200 collaborateurs. Normalement, votre rentabilité devrait être meilleure.

Je souhaite aussi vous interroger sur le coût du dispositif CEE. Vous avez calculé qu’il s’élevait en 2018 à 3,68 milliards d’euros TTC. En quoi votre estimation, qui se fonde sur le prix moyen d’achat des CEE, permet-elle de connaître le coût effectivement répercuté par les fournisseurs d’énergie sur les prix facturés aux consommateurs ?

M. Hugues Sartre. Les fournisseurs d’énergie utilisent le marché primaire – les quatre leviers dont il a été question – pour obtenir des CEE. Comme ce marché primaire se reflète dans le marché secondaire des CEE, le prix moyen d’échange des CEE permet d’estimer le montant que les fournisseurs d’énergie ont dépensé pour ce dispositif.

Le chiffre de 3,68 milliards d’euros n’est donc qu’une approximation. Celle-ci doit cependant être assez juste, car les personnes que vous avez auditionnées ont toutes avancé un chiffre compris entre 3 et 4 milliards.

La seule solution pleinement satisfaisante pour connaître le coût du dispositif serait, ainsi que je l’ai dit, de convoquer la centaine d’obligés et de demander à chacun combien il a répercuté dans le prix de l’énergie au titre des CEE.

M. le président Julien Aubert. Un esprit mal intentionné pourrait faire valoir qu’il s’agit quasiment d’une forme de prélèvement qui échappe au contrôle du Parlement et dont, de surcroît, personne ne connaît précisément l’impact sur la base taxable.

M. Hugues Sartre. Un fournisseur d’énergie serait capable de vous l’indiquer.

M. le président Julien Aubert. Oui, mais à condition de convoquer, comme vous l’avez dit, la centaine d’obligés. Imaginez que, pour connaître l’impact d’une augmentation de la TVA, par exemple, il faille convoquer toutes les entreprises et leur demander comment elles ont modifié leurs prix !

M. Hugues Sartre. La beauté du dispositif CEE tient justement à ce que personne ne paie le même prix !

Avec le dispositif CEE, il a été demandé aux fournisseurs d’énergie de devenir compétitifs dans un domaine, le financement des économies d’énergie, qu’ils estimaient ne pas relever de leurs compétences. Les avoir fait changer d’avis sur ce sujet est d’ailleurs la première vertu du dispositif CEE.

Aucune des personnes que vous avez auditionnées ne vous a sans doute dit qu’elle était opposée au dispositif CEE, et que les fournisseurs ne devraient pas financer des actions d’économie d’énergie.

M. le président Julien Aubert. En effet. Toutefois, nous avons surtout auditionné des personnes qui avaient bâti leur modèle économique sur les CEE !

M. Hugues Sartre. Je pensais, en fait, aux grands fournisseurs. Parmi les services qu’ils ont créés figurent les services à la réduction de la facture d’énergie, que financent en partie les CEE. Ce dispositif a donc fortement contribué à modifier le « business model » des fournisseurs d’énergie.

Je reviens sur le fait que les consommateurs d’énergie ne paient pas tous le même prix. Autour de Carpentras, charmante ville que je connais bien, trois stations essence se livrent une guerre sur le prix des carburants qui concerne jusqu’au troisième chiffre après la virgule ! Ces fournisseurs de carburant m’ont expliqué que s’ils proposent leur gazole à 1,484 euro alors qu’il coûte 1,481 euro chez leurs concurrents, le trafic des clients dans leur magasin diminue de 20 %. Les consommateurs se disent en effet que si le prix du carburant est élevé, les produits vendus en magasin doivent être chers. Le panneau de prix des carburants est ainsi, pour le magasin, assimilable à une grande vitrine.

Comme les fournisseurs se livrent une guerre sans merci, ils s’acharnent à payer leurs CEE le moins cher possible et à faire preuve d’ingéniosité pour les collecter et pour réaliser le plus grand nombre d’actions d’économie d’énergie pour un coût aussi faible que possible. Ce dispositif est donc très sain.

L’efficacité du dispositif CEE est ainsi garantie, d’une part, par sa dimension coercitive, puisqu’il peut donner lieu à des pénalités, et par la guerre que se font les fournisseurs pour réaliser plus d’économies d’énergie.

M. le président Julien Aubert. Ce que vous avancez plaiderait pour que le coût des CEE ne soit pas répercuté sur les prix.

M. Hugues Sartre. Je pense que certains fournisseurs ne le répercutent pas.

M. le président Julien Aubert. La marge commerciale de ces entreprises devrait donc diminuer d’autant.

M. Hugues Sartre. Tel n’est pas nécessairement le cas, dans la mesure où ne pas répercuter ce coût peut aussi permettre d’attirer des consommateurs.

M. le président Julien Aubert. Certes. Néanmoins, si l’on part du principe qu’existe un parc des fournisseurs d’énergie, on doit admettre que certains acteurs y perdent.

M. Hugues Sartre. Il faut aussi tenir compte de la réalité économique : il est impossible à une entreprise qui dépense des centaines de millions d’euros pour obtenir des CEE de ne pas répercuter un tel coût.

M. le président Julien Aubert. Quoi qu’il en soit, il serait tout de même intéressant de savoir qui bénéficie du dispositif CEE et qui y perd.

M. Hugues Sartre. Le premier bénéficiaire du dispositif est le consommateur, grâce aux primes, et le deuxième l’État, avec les taxes.

M. le président Julien Aubert. À condition, toutefois, que le consommateur ne se voie pas répercuter la hausse du prix de l’électricité ou de l’essence, particulièrement s’il n’est pas automobiliste !

M. Hugues Sartre. Vous avez raison : le coût du dispositif CEE est répercuté plusieurs fois dans la facture de gaz ou d’électricité ainsi que dans le prix du carburant des consommateurs.

M. le président Julien Aubert. Vous avez parlé de la beauté de ce dispositif, mais l’un de ses inconvénients est qu’il produit des effets de redistribution que nul ne connaît précisément.

Il est par exemple possible que, dans des zones où ne peut se dérouler une bataille des prix, des consommateurs achètent l’essence et l’électricité à un tarif élevé tout en étant un public éligible, dirais-je, à des économies d’énergie, en sorte qu’ils paient la politique qu’on leur offre !

D’un côté, les consommateurs achètent des ampoules à 1 euro, et de l’autre ils voient le prix de l’essence augmenter.

M. Hugues Sartre. Ce que vous décrivez est le principe même de la péréquation !

M. le président Julien Aubert. On peut parler de péréquation quand les riches paient pour les pauvres, non lorsque les pauvres paient la politique en leur faveur ou lorsqu’ils paient pour les riches.

M. Hugues Sartre. Je pensais, pour ma part, à la péréquation que réalise le réseau de distribution de l’électricité : bien que la production d’électricité soit déficitaire dans certaines régions, la péréquation réalisée à l’échelle nationale leur permet de bénéficier de l’électricité dont elles ont besoin.

Les tarifs sociaux de l’énergie donnent également lieu à une péréquation, des sommes minimes étant prélevées sur la facture d’énergie des consommateurs afin que certains paient la leur moins cher. Ainsi, le manque à gagner que représente, pour les fournisseurs, le tarif de première nécessité, est payé par tous les consommateurs qui ne sont pas bénéficiaires de ces tarifs sociaux.

M. le président Julien Aubert. Dans les cas que vous prenez comme exemples, les effets des redistributions sont connus, alors qu’on ignore si le coût du dispositif CEE est répercuté sur le consommateur final. Cette répercussion varie en effet d’une entreprise à l’autre, et d’une région ou d’un territoire à l’autre !

M. Hugues Sartre. Qu’il en soit ainsi a été décidé par le Parlement, puisque le système des CEE a été créé en 2006 à la suite de l’adoption de la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique (POPE), et confirmé en 2010 par la loi « Grenelle II ».

M. le président Julien Aubert. Le Parlement ne décide pas du volume des CEE demandés.

M. Hugues Sartre. Mais le volume des CEE, ce n’est, passez-moi l’expression, que de la « cuisine » ! J’espère que la loi n’a pas vocation à fixer les coefficients d’obligation par type d’énergie, et je ne vois pas en quoi ils représentent, pour l’État, une décision stratégique.

La mission du Parlement est de définir la politique énergétique et la politique d’efficacité énergétique du pays. Il détermine des objectifs que le Gouvernement est, pour sa part, chargé d’atteindre, notamment en fixant des coefficients d’obligation.

M. le président Julien Aubert. Pour vous, il est donc normal qu’un ministre fixe un coefficient d’obligation pouvant entraîner une augmentation du cours des CEE et une modification de la rentabilité des agents, avec des effets redistributifs inconnus, sans que le Parlement soit associé à cette décision ! Le Parlement devrait pourtant avoir une vision d’ensemble sur les prélèvements. Rien ne s’oppose d’ailleurs à ce qu’il adopte un dispositif, puis vote des taux.

On ne saurait nier que, lorsqu’une ancienne ministre de l’environnement augmente le volume des CEE demandés et qu’en conséquence le prix des CEE passe de 3 à 9 euros par MWhc, des effets en cascade sont produits.

M. Hugues Sartre. Le Parlement ne pourrait pas les anticiper.

M. le président Julien Aubert. Mme Royal, apparemment, le pouvait.

M. Hugues Sartre. Si le prix des CEE est aujourd’hui si élevé, ce n’est pas parce que le coefficient d’obligation serait trop élevé, mais parce qu’en 2015-2016, quand le prix des CEE a fortement baissé, beaucoup d’acteurs ont cessé d’en produire.

Les niveaux d’obligation que fixe le Gouvernement sont ambitieux, mais ils ne sauraient nous surprendre car, depuis dix ans, nous avons été habitués à ce que ces objectifs soient doublés, comme ce fut le cas pour la quatrième période de fonctionnement du dispositif CEE, voire multipliés par sept, comme cela avait été décidé pour la période précédente.

Le seul véritable problème que rencontre le dispositif vient de la production des CEE, qui est insuffisante. Toutefois, la machine à produire des CEE s’est remise en marche et un équilibre a été quasiment atteint entre l’objectif théorique et la capacité à produire ces certificats. Leur prix devrait donc se tasser.

Des milliards ont été dépensés dans la politique du logement depuis les années 2000 sans que les objectifs fixés par la loi n’aient jamais été atteints ! En comparaison, le dispositif CEE coûte relativement peu cher aux consommateurs d’énergie et permet à Mme Martin d’isoler ses combles et d’abandonner le fioul.

Il a pour corollaire une compétition entre les acteurs du secteur des économies d’énergie : le démarchage agressif, dont il a été question ce matin, est la conséquence du fait que des entreprises ont très envie d’isoler les combles de Mme Martin !

Mme Sophie Auconie. Merci pour ces explications. On mesure combien tout ce qui concerne le dispositif CEE est complexe, pour ne pas dire flou. Or une personne célèbre a dit : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! »

Un grand nombre de questions portant sur les aspects économiques et financiers du dispositif ont été posées. Concernant sa dimension philosophique, je remarque que financer la conversion des chaudières permet de lutter contre l’effet de serre, ce qui est salutaire, tout en aidant les producteurs d’énergie à remplir leur quota de CEE et, par conséquent, à échapper aux pénalités financières.

Ceci dit, nous savons que le remplacement de ces chaudières est réalisé dans des logements qui, pour certains, sont des passoires thermiques. Je souhaite donc savoir si l’enjeu du dispositif est financier et sert principalement l’économie des écosystèmes CEE, ou s’il correspond à une authentique volonté de combattre le réchauffement climatique.

M. Hugues Sartre. Le dispositif CEE est un mécanisme de financement des économies d’énergie. La principale raison pour laquelle notre pays cherche à économiser l’énergie est qu’à l’exception des énergies renouvelables, la France ne produit pas d’énergie. Nous importons notre uranium et notre pétrole. Nous avons donc tous intérêt à être moins dépendants des importations d’énergie. Le dispositif CEE y contribue.

En revanche, il n’a pas pour objectif de réduire la production de gaz à effet de serre, ni de financer les énergies renouvelables, les routes solaires ou toute autre lubie du même acabit. Ce mécanisme finance donc uniquement des actions d’économie d’énergie.

Par ailleurs, j’ai expliqué que nous proposons aujourd’hui notre offre de chaudières à granulés de bois à des ménages chez qui nous avons déjà effectué l’isolation des combles. Néanmoins, nous avons fait le choix d’une chaudière dont la puissance est modulable, afin qu’elle puisse être de nouveau réglée pour s’adapter au logement si l’isolation de celui-ci devait être faite dans un second temps.

Notre objectif est la maison Hellio, dont l’isolation a été refaite et la chaudière changée. Quand ces travaux sont faits, c’est en effet 95 % de la rénovation énergétique qui se trouve réalisée.

Mme Sophie Auconie. Combien d’entreprises ont-elles un objectif semblable au vôtre ? On ne peut en effet lutter contre le réchauffement climatique sans réaliser aussi l’isolation du logement.

M. Hugues Sartre. Sur vingt-cinq structures délégataires concernées, quatre ou cinq sont très présentes sur le marché du « B2C » et partagent notre volonté de réaliser le plus grand nombre possible d’opérations d’économie d’énergie chez Mme Martin et de récupérer ainsi des CEE.

Mme Laure de La Raudière, vice-présidente de la commission, remplace M. Julien Aubert à la présidence.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pour bien rénover un logement, il faut s’occuper de l’enveloppe avant de s’occuper des éléments de chauffage.

De quelles informations disposez-vous quand vous proposez à un particulier de remplacer sa chaudière ? Allez-vous voir si l’isolation de son domicile a été réalisée ?

M. Hugues Sartre. Installer une chaudière à granulés de bois doit se faire en tenant compte du logement et des besoins de ses occupants. Ainsi, la chaudière que nous proposons possède un silo qu’il faut remplir avec des sacs de granulés. Un sac de granulés pèse 15 kilos et il faut, pour alimenter la chaudière, être capable de le porter au niveau de ses épaules. Nous n’allons pas demander à une personne de 80 ans de remplir son silo toutes les semaines !

Nous vérifions aussi l’isolation du logement, notamment de ses combles. Nous dépêchons l’un de nos salariés pour réaliser cette visite technique. Notre intérêt est en effet de connaître précisément ce qui a été réalisé dans le logement ; et si les combles n’ont pas été isolés, nous envoyons sur place une équipe pour s’en charger.

Encore une fois, nous proposons aujourd’hui notre offre de chaudière gratuite aux seules personnes dont nous avons déjà isolé les combles. Si certaines des personnes qui s’inscrivent sur le site internet MaChaudiereGratuite.fr n’ont pas réalisé cette isolation, nous la faisons pour leur compte.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Merci beaucoup. Si vous n’avez pas d’autre question, nous allons procéder à l’audition prévue ensuite.

Laudition sachève à quinze heures cinquante-cinq.

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19.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Wiedemann, Président de l’Union des métiers du génie climatique, de la couverture et de la plomberie (UMGCCP) (18 avril 2019)

Laudition débute à seize heures.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Nous accueillons Jean-Luc Wiedemann et Pascal Housset, respectivement président et premier vice-président de l’Union des métiers du génie climatique, de la couverture et de la plomberie (UMGCCP). Cette dernière est affiliée à la Fédération française du bâtiment (FFB), qui représente un très grand nombre d’entreprises, majoritairement des petites structures.

Monsieur Wiedemann, vous dirigez une entreprise familiale spécialisée dans les toitures, qui exécute notamment des travaux d’isolation et de pose de panneaux photovoltaïques. Monsieur Housset, vous êtes pour votre part gérant d’une entreprise qui propose des solutions thermiques pour l’habitat. Vous êtes tous deux des chefs d’entreprise et des hommes de terrain.

Dans le domaine des énergies renouvelables, vos activités respectives vous portent sans doute plus naturellement vers des travaux commandés par des particuliers, voire par certaines collectivités, plutôt que vers la clientèle des grands producteurs d’énergie éolienne ou solaire. Toutefois, ce créneau d’activité retient aussi l’attention de notre commission. Notre première question sera simple : que représentent les énergies renouvelables pour vos métiers ? Sont-elles un défi, une opportunité ou une source nouvelle d’affaires ? Ces marchés impliquent-ils de nouveaux besoins de formation pour vos salariés ?

Nous souhaiterions par ailleurs connaître votre avis sur des opérations très médiatisées comme l’isolation des combles ou le changement de chaudière à un euro. Sont-elles favorables pour vos activités ? À quelle concurrence faites-vous face dans ce domaine ? Ces opérations sont, en réalité, payées collectivement au travers du dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE), sur lequel il y aurait, certes, beaucoup à dire.

Pierre Mongin, l’un des dirigeants d’Engie, a ici même amplement parlé de l’opération « coup de pouce » au changement d’anciennes chaudières. Quelle est votre réaction vis-à-vis d’un géant comme Engie, qui vient empiéter sur vos marchés ? Acceptez-vous d’être un sous-traitant d’Engie pour ce type de travaux largement subventionnés ? De mauvais entrepreneurs ne se sont-ils pas engouffrés dans ce type d’activité, avec pour conséquences des travaux bâclés et une concurrence dévoyée à l’égard des vrais professionnels ?

Enfin, pensez-vous que la labellisation « reconnu garant de l’environnement » (RGE) est une garantie suffisante de bonne exécution des travaux et de traitement d’éventuels recours postérieurs ?

Avant de vous donner la parole, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Housset et Wiedemann prêtent successivement serment.)

M. Jean-Luc Wiedemann, président de lUnion des métiers du génie climatique, de la couverture et de la plomberie (UMGCCP). L’UMGCCP représente 14 500 entreprises présentes sur l’ensemble du territoire national. Nous serons très bientôt rejoints par le Syndicat des sociétés coopératives et participatives (SCOP), ce qui accroîtra encore le nombre de nos adhérents.

Je dirige une entreprise de couverture, zinguerie, isolation de toitures, bardage et isolation de façades, qui intervient aussi quelque peu dans le photovoltaïque. Elle travaille donc sur l’enveloppe extérieure des bâtiments. Pour sa part, l’entreprise de Pascal Housset est spécialisée dans le génie climatique.

Madame la présidente, vous avez abordé un sujet qui nous touche tout particulièrement et nous tient à cœur, la communication appuyée dont a fait l’objet l’opération d’isolation à un euro. Depuis deux ans qu’elle est lancée, cette opération a permis à de nombreux acteurs malhonnêtes – que j’appelle des « écobandits » – de s’engouffrer dans la brèche. Une fois leurs travaux terminés, les particuliers se retrouvent avec une « passoire énergétique ». Pour lutter contre ce phénomène, l’UMGCCP réfléchit à la possibilité d’établir un contrôle à deux égards : d’une part, sous la forme d’un fichier que le client remplirait avant que le CEE soit versé à l’artisan, d’autre part, sous la forme d’un audit réalisé sur place en cas de non-respect des règles signalé par le client.

Je vous livre ici même, preuves à l’appui, un exemple d’une pratique anormale comme il en existe tant. Il concerne l’entreprise Isonova. Celle-ci a réalisé une visite de chantier le vendredi 4 avril et a soumis un devis au client dès le lundi suivant – à croire que durant le week-end, elle a trouvé un sous-traitant et tout le matériel nécessaire. Elle a produit une facture avec la fourniture seule au montant de 23,24 euros l’unité – alors que le matériel coûte 6,95 euros – et un coût de la main-d’œuvre à 5 euros de l’heure. Il s’agit d’une fraude non seulement au CEE, mais encore au crédit d’impôt. En effet, le client perçoit le crédit d’impôt sur la fourniture de matériel.

Ces pratiques sont quotidiennes et se multiplient. La nouvelle campagne sur le changement de chaudière à un euro produit des effets similaires.

En matière d’isolation des combles, ces entreprises malhonnêtes interviennent avec une machine à souffler et installent leur matériel sans même poser de pare-vapeur. Cela entraîne ultérieurement une condensation, une prolifération de champignons et une dégradation de la qualité de l’air risquant de se transformer, à terme, en problème de santé publique.

Cette situation mérite d’être traitée rapidement, afin que l’argent soit dépensé correctement et que les prestations soient de qualité.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Selon votre estimation, quelle est la part des chantiers réalisés de la sorte, et quelle est la part des chantiers réalisés correctement ?

M. Jean-Luc Wiedemann. J’estime que les « écobandits » représentent 40 % à 60 % des chantiers.

M. Pascal Housset, premier vice-président de lUnion des métiers du génie climatique, de la couverture et de la plomberie (UMGCCP). Le constat édifiant dressé par Jean-Luc Wiedemann vaut également pour les activités de génie climatique.

Je dirige depuis vingt-cinq ans une entreprise qui réalise ses prestations en propre, sans recourir à des sous-traitants. Nous avons donc une expérience du métier, et n’avons pas attendu l’avènement des énergies renouvelables pour investir ce champ. Pour ce qui me concerne, j’exerce depuis 30 ans dans ce domaine d’activité.

Nous avons bien compris quelle était la volonté des pouvoirs publics en ce début d’année. Nul doute que le mouvement des « gilets jaunes » a pesé sur les décisions. J’estime qu’il est éminemment souhaitable de permettre à des populations modestes d’accéder à des systèmes de chauffage alliant confort et performance. Il faut toutefois prendre garde à la manière d’y procéder, sans quoi nous risquons de connaître les mêmes dérives que celles qu’a évoquées Jean-Luc Wiedemann. En début d’année ont fleuri des annonces plus qu’alléchantes, promettant des chaudières et des pompes à chaleur à un euro. La volonté d’industrialiser un système afin de massifier les travaux, dans le noble but d’engager une transition énergétique, ne doit pas avoir pour effet d’abaisser la qualité des installations.

Depuis de nombreuses années, nos corporations entretiennent des relations assez proches avec des énergéticiens comme Engie. Nous voyons toutefois ceux-ci créer des filiales dans nos activités. Nos entités n’entendent pas devenir des sous-traitantes d’Engie ni d’autres énergéticiens. La position de la FFB et de l’UMGCCP est claire à cet égard. Nous ne souhaitons pas devenir de simples entreprises de pose. Nous voulons au contraire mettre en œuvre nos savoir-faire de fourniture et de pose auprès du client final.

Il est pertinent de viser une meilleure maîtrise des coûts. Chaque fois qu’est proposé un crédit d’impôt ou un accompagnement de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), il faut veiller au risque de dérive de prix en sens inverse.

Notre union travaille sur une maîtrise des coûts, en collaboration avec les industriels et les distributeurs. En ce sens, nous avons élaboré avec le groupe Total une offre de pompes à chaleur relevant du dispositif PRIM’3E, qui contribuera à la massification des travaux tout en contentant les coûts. Elle sera bientôt mise en place. Nous avons donc étendu le spectre au-delà d’Engie, considérant que le nombre de nos entreprises, leurs savoir-faire et leur large présence sur le territoire nous le permettaient. Les entreprises du bâtiment sont présentes dans 91 % des communes de France. Ce maillage extraordinaire nous investit d’un rôle sociétal, puisque nous sommes des pourvoyeurs d’emploi et de formation.

Au regard de la transition énergétique et de l’objectif de massifier les travaux de rénovation, nous souhaitons redoubler de prudence dans les méthodes, afin que l’accessibilité tarifaire n’entraîne pas des problèmes de réalisation des prestations.

La démarche que nous avons mise en place en seulement deux mois recouvre la qualification de nos entreprises via la labellisation RGE. À terme, nous ne sommes pas opposés à un « RGE+ », pour améliorer encore la qualité de nos prestations et professionnaliser davantage nos entreprises. Encore faudra-t-il que nous ne supportions pas des contraintes supplémentaires trop importantes. Les audits, les contrôles et la formation ont en effet un coût. Il faudra s’assurer que celui-ci est bien pris en charge et reste maîtrisé pour nos artisans. Sur nos 14 500 entreprises, 80 % sont des petites structures, qui devront être accompagnées.

Nous avons souhaité, de surcroît, instaurer une certification des produits. Les capacités industrielles ont en effet leurs limites, et ne pourront pas nécessairement répondre à une massification des installations. Le matériel utilisé sera de qualité dans un premier temps, mais nous risquons de voir apparaître dans un second temps des ventes opportunistes de produits « exotiques » ne possédant pas de certification de qualité ni de performance. C’est pourquoi nous exigeons désormais que les machines posées par nos entreprises RGE – les pompes à chaleur notamment – soient certifiées et remplissent des exigences de performance. Nous éviterons ainsi que des machines de mauvaise qualité soient posées chez les populations les plus modestes.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Le label RGE est-il imposé aux chaudières posées dans le cadre de l’opération à un euro ?

M. Pascal Housset. Il l’est systématiquement. Nous sommes moins inquiets des « écobandits » en ce qui concerne les chaudières, car le recours au gaz impose une forte traçabilité. Dans ce domaine, nous subissons plutôt une concurrence accrue de la part des grands groupes. Nous ne souhaitons pas que des acteurs comme Engie – dont nous ne mettons pas en doute le savoir-faire – occupent une position de monopole. C’est ce que nous redoutons. Les annonces fortes lancées en début d’année nous ont obligés à réagir, j’en conviens. Cependant, dès lors que nous avons pris des dispositions pour nous conformer à la volonté des pouvoirs publics de massifier de bonne manière les travaux de chaudières au gaz, nous souhaitons avoir notre place aux côtés des grands groupes.

Nous restons très vigilants quant aux pompes à chaleur. Des délégataires de CEE ayant pignon sur rue massifient les demandes de travaux. Je ne suis pas persuadé que le modèle économique proposé par ces structures garantisse une qualité de long terme. Lorsqu’une entreprise de génie climatique pose une chaudière ou une pompe à chaleur, elle engage sa garantie décennale, hors pièces d’usure. Or, certaines structures sous-traitent auprès de poseurs engageant eux-mêmes leur garantie décennale, avec des prix de pose qui me semblent incohérents. Le risque est que ces sous-traitants aient disparu deux ou trois ans plus tard. Si un client rencontre un problème ultérieurement, il n’aura pas de recours.

Pour notre part, nous obligeons nos installateurs à s’engager à assurer deux ans de maintenance sur les produits qu’ils posent, chaudières et pompes à chaleur. En effet, on ne saurait installer du matériel technique dans des foyers fragiles sans les aider à en assurer le suivi. Nous avons d’ailleurs eu cette discussion avec l’ANAH.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Lorsqu’un client bénéficie d’une garantie décennale auprès d’une entreprise qui a fait faillite, les travaux repris par une société tierce sont normalement pris en charge par un fonds de garantie.

M. Pascal Housset. Certes, mais ce principe n’est pas sain.

M. Jean-Luc Wiedemann. Quand l’entreprise n’existe plus, il est compliqué de faire prendre en charge les travaux par le fonds de garantie.

M. Pascal Housset. Cet aspect est très important. Il convient toujours de prendre en compte le cycle de vie d’une installation et sa maintenance dans le long terme.

Mme Laure de La Raudière, présidente. L’objectif annoncé par le Premier ministre d’éradiquer les chaudières au fioul d’ici à dix ans vous paraît-il accessible ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Il peut l’être, à certaines conditions. Sur les 3 millions de chaudières au fioul que compte la France, 1 million sont situées à proximité de réseaux de gaz naturel, et 2 millions peuvent être équipées d’autres systèmes – pompe à chaleur ou bois. La réponse dépendra largement de la politique énergétique du pays en matière de rénovation du parc existant. Quel mix énergétique pouvons-nous mettre en œuvre ? Les régions denses ont accès sans difficulté à la puissance nécessaire pour les réseaux d’électricité et de gaz. En milieu périurbain ou rural en revanche, il n’existe pas nécessairement de réseaux de gaz ni de réseaux électriques permettant d’installer des pompes à chaleur. Il est par exemple impossible d’en poser dans toute une frange Est de la Seine-et-Marne. Toutefois, les habitants de zones rurales n’ayant pas la possibilité de se doter d’un système complet de pompe à chaleur peuvent recourir à des systèmes hybrides. Il existe donc un panel de solutions, dont les entreprises RGE ont l’expertise.

Nos membres ne sont pas des artisans opportunistes. Ils connaissent bien leur région et savent quels systèmes peuvent y être installés. Actuellement, nous recevons 300 demandes Qualipac par semaine. Cela témoigne de la volonté de nos artisans de se former. Nous y répondons en partenariat avec les industriels, dans une logique de filière.

Le travail que nous mènerons ensemble peut permettre d’atteindre l’objectif de remplacement des chaudières au fioul d’ici à dix ans, à condition que chacun y contribue et que les pratiques soient bien cadrées. Prenons garde à ce que ne soient pas vendus des systèmes qui ne donneraient pas satisfaction à terme. Concernant les pompes à chaleur, nous avons tiré les enseignements de ce qui s’est produit il y a dix ans. Nous y sommes vigilants, d’autant que ces opérations mobilisent des fonds publics. Nous nous réjouissons qu’il existe des accompagnements et des aides en la matière, car cela fournira de l’activité à nos entreprises, et par conséquent des emplois et des formations pour les jeunes. Cependant, il faudra veiller à la qualité des pratiques. Notre fédération travaille en ce sens.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je constate qu’il existe une difficulté dans le contrôle final des travaux. À qui incombe la responsabilité d’effectuer ce contrôle ? Faut-il la confier au pôle national des CEE (PNCEE), à la filière ou au dispositif RGE ? Selon les points de vue, ce dernier serait soit trop faible, soit trop ambitieux. Le pôle national des CEE a apparemment élaboré des mesures pour renforcer les contrôles. Une charte Coup de pouce y aurait grandement contribué. Est-ce votre avis ? De son côté, que fait le dispositif RGE pour s’améliorer ? Percevez-vous des changements ?

M. Pascal Housset. Nous avons pris en compte les changements dès 2018. Lorsque les obligés nous ont fait part de leur obligation de mieux contrôler et encadrer les CEE au regard de la véracité administrative et de la qualité des travaux, l’UMGCCP a élaboré une proposition, qui a d’ailleurs été reprise par l’ensemble des organisations professionnelles.

Aujourd’hui, les contrôles sont effectués par des structures reconnues par le Comité français d’accréditation (COFRAC) : Qualibat, Qualit’EnR et Qualifelec. Cela vaut surtout pour les pompes à chaleur. Les installations au gaz font déjà l’objet d’un certain nombre d’audits très suivis, avec HabitA+ et Qualigaz, ayant permis d’obtenir des résultats probants de qualité depuis plusieurs décennies. Nous devons nous inspirer de ce qui a été mis en œuvre avec le gaz, et l’étendre au reste des travaux. Les entreprises qui travaillent bien doivent être contrôlées, mais n’ont pas besoin d’être surchargées d’audits. En revanche, celles pour lesquelles nous constatons des non-conformités ou des problèmes administratifs doivent être soumises à un audit renforcé et être accompagnées. Si elles refusent de s’y plier, elles seront exclues du jeu.

Nous avons demandé à Qualibat, Qualit’EnR et Qualifelec s’ils étaient prêts à intégrer dans leur audit les points complémentaires demandés par les obligés : volet administratif, véracité des mesures, etc. Ils ont répondu favorablement. La prise en charge financière en serait assurée par les obligés. Cela ne surchargerait donc pas les entreprises, et éviterait de surcroît de multiplier les audits sur un même sujet. Si nous voulons responsabiliser plus encore les entreprises, sans nécessairement créer de nouvelles contraintes, il est préférable de miser sur une montée en compétences et en rigueur. Les audits ne doivent pas être plus nombreux, mais mieux ciblés. Nous sommes prêts à travailler avec vous en ce sens. Tel est le discours porté par notre fédération, mais aussi, je crois pouvoir le dire, par la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB).

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. En résumé, la responsabilité du pôle national des CEE – concrètement, de la Direction générale de l’énergie et du climat –est de vérifier l’absence de fraude administrative, c’est-à-dire de s’assurer que les travaux financés par le CEE ont effectivement lieu. En revanche le contrôle de la qualité des travaux reviendrait plutôt aux organismes de qualification des professionnels. Qu’en est-il des entreprises qui se prétendent labellisées RGE sans l’être ? Ont-elles accès à des dispositifs CEE ? Lorsque leur véritable statut est découvert, les aides CEE tombent-elles ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Ce sujet concerne en grande partie les travaux d’isolation. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour ce qui est du replacement des chaudières à un euro. Nous envisageons de mettre en place un questionnaire que le client enverrait à l’obligé pour lui faire part de son degré de satisfaction. Par ailleurs, la facture doit mentionner le numéro de certification RGE de l’entreprise, et celle-ci doit fournir des justificatifs.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Comment une entreprise qui se prétend faussement RGE parvient-elle à se faire financer les certificats d’énergie ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Il est probable que dans certains cas, le contrôle ne soit pas correctement effectué. Les factures sont remboursées sans réelle vérification.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Nous savons que des fraudeurs qui se prétendent RGE assurent à leurs clients qu’ils auront droit à des CEE. En revanche, nous ignorons si leurs clients reçoivent ou non l’argent des CEE.

M. Pascal Housset. Depuis le début de l’année, nous constatons que les dossiers de clients éligibles aux CEE sont étroitement suivis. Il est désormais demandé de produire des justificatifs qui n’étaient pas toujours réclamés il y a un ou deux ans. Même les banques se montrent très précautionneuses vis-à-vis de clients qui souhaitent monter des dossiers de travaux éligibles aux CEE. Elles demandent les justificatifs de certification RGE de l’entreprise prestataire. Une prise de conscience s’opère donc à tous les niveaux. C’est une condition indispensable au bon fonctionnement du dispositif. Si les « écobandits » s’aperçoivent qu’ils seront inévitablement débusqués à une étape ou une autre, ils mettront fin à leurs pratiques.

Notre union a noué des partenariats avec Total, Sonergia et EDF. Nous avons organisé plusieurs réunions sur la traçabilité des dossiers. Il importe également de mener un travail avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Celle-ci doit être présente lors des grands salons, en particulier à la Foire de Paris. J’ai récemment assisté à une foire-exposition, durant laquelle nous avons contrôlé trois entreprises pour vérifier leur affiliation au RGE. Des doutes persistent pour l’une d’entre elles. Nous encourageons le secteur à procéder à des vérifications lorsqu’il a des suspicions.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Les énergéticiens s’inquiètent des volumes de CEE qui leur sont demandés, arguant que le gisement est insuffisant. Pourtant, le travail à mener dans le secteur du bâtiment paraît d’une ampleur considérable. N’y a-t-il pas une incohérence entre l’inquiétude des énergéticiens à réaliser le volume de CEE demandé et les ambitions de rénovation énergétique – sachant que ce secteur représente quelque 80 % des besoins en CEE ? Le problème tient-il au gisement lui-même ou plutôt aux capacités de l’outil de production ? Dans ce dernier cas, le blocage réside-t-il dans la formation de votre personnel ou dans le recrutement dans vos filières ?

M. Pascal Housset. Le débat sur la massification des travaux et les volumes de CEE a déjà eu lieu l’année dernière. C’est d’ailleurs toute la difficulté du sujet. Les montants de CEE n’étaient pas des plus motivants. Bien souvent, pour les chaudières notamment, les artisans ne prenaient pas le temps de monter le dossier et laissaient leur client y procéder. Aujourd’hui, la donne a changé car les niveaux de CEE sont nettement plus importants. Pour avoir participé à des réunions avec des entreprises RGE de différentes corporations, il s’avère que celles-ci sont désireuses de recourir aux CEE.

Hier, nous avions affaire à des structures commerciales très virulentes, mais qui ne disposaient pas nécessairement des personnels techniques aptes à procéder de bonne manière. Inversement, une myriade d’artisans sont d’excellents professionnels mais n’ont pas nécessairement la compétence commerciale nécessaire pour gérer les CEE. Il revient à la Fédération et aux organismes professionnels de former leurs artisans en ce sens. Nous nous y employons. Pendant plus d’un an, des réunions thématiques hebdomadaires seront organisées dans l’ensemble du territoire afin de former les artisans.

Dans l’optique d’une industrialisation, nous avons mis en œuvre, avec notre pack, un système aussi simple que possible pour les artisans. Il est doté d’un point d’entrée unique et assure la gestion du CEE : vérification de la véracité du dossier, lien avec l’ANAH, mais aussi avance de trésorerie pour l’artisan.

Jusque-là, les artisans trouvaient complexes les dossiers « Habiter mieux agilité » ou « Habiter mieux sérénité » de l’ANAH. Le temps d’attente entre le dépôt du dossier et la réalisation des travaux était très long, tout comme le délai de paiement. Cela constituait autant de freins à la massification des travaux. Aujourd’hui, ces problèmes sont dépassés. Nous avons adopté un mode agile. Le temps de traitement des dossiers est désormais très court. Un délégataire permet d’activer et de massifier ces démarches. Le processus est simple pour l’artisan, qui bénéficie en outre d’une avance de trésorerie. Nous avons donc mis en place les outils adéquats. Les professionnels doivent désormais s’en emparer. Nous les formons à cet effet.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous n’avez donc pas d’inquiétude sur la capacité à fournir un nombre suffisant de CEE aux obligés. Selon vous, la filière est capable de se structurer pour livrer des volumes suffisants.

M. Pascal Housset. En effet. Nous avons travaillé en ce sens, dans un souci de décloisonnement. Jusque-là, même si nous travaillions dans une logique de filière, un cloisonnement persistait entre les industriels et les distributeurs. Chacun voyait ses propres intérêts, sans embrasser une cause commune. Aujourd’hui, nous contribuons tous à une démarche partagée. Le travail que nous avons mené nous a permis d’embarquer les industriels et les distributeurs à notre bord, afin que nous atteignions le cap ensemble.

M. Jean-Luc Wiedemann. Dans tous les cas, la qualité reste le maître-mot.

Mme Claire OPetit. Quel rôle jouent les chambres de métiers et de l’artisanat vis-à-vis des « écobandits », qui bâclent leurs prestations ou ne les terminent pas ? Des plaintes ont-elles été déposées contre ces acteurs ? Il me semble que ces chambres devraient endosser un rôle de vérification, d’autant que la sécurité est en jeu. Elles peuvent retirer leur agrément aux artisans qui ne travaillent pas correctement. Peut-être devrions-nous recevoir le président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA) à ce sujet ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Les chambres de métiers et de l’artisanat dispensent aux entrepreneurs des stages de préparation à l’installation, mais n’interviennent guère dans le suivi des entreprises. Le président de l’APCMA vous en dirait davantage. Je précise que je suis par ailleurs élu de la chambre de métiers et de l’artisanat d’Alsace.

Mme Laure de La Raudière, présidente. En tant qu’artisan, vous avez nécessairement des liens avec les chambres de métiers et de l’artisanat. En avez-vous vu porter plainte contre des artisans « écobandits » ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Je n’ai pas connaissance de telles plaintes. En revanche, notre fédération s’est portée partie civile et a fait intervenir la DIRECCTE à plusieurs reprises pour des cas de cette nature.

Mme Claire OPetit. C’est pourtant le rôle premier des chambres consulaires ; il faut s’en saisir. Les artisans cotisent à la chambre de métiers et de l’artisanat.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Est-ce le rôle des chambres de métiers et de l’artisanat ou celui de la fédération ?

Mme Claire OPetit. C’est aussi celui des chambres de métiers et de l’artisanat.

M. Jean-Luc Wiedemann. J’en ferai part au président et au bureau de l’APCMA.

Mme Sophie Auconie. La France a pour réputation d’avoir des procédures administratives très complexes. Comment qualifieriez-vous le degré d’exigence des procédures déclaratives du dispositif dont il est question aujourd’hui ?

Rappelons que toutes ces démarches ont pour objet de réduire la facture énergétique française et de lutter contre le réchauffement climatique. À cet égard, est-il pertinent de remplacer des chaudières très consommatrices en énergie par des appareils plus performants, sans travailler parallèlement sur l’isolation thermique des logements ? N’est-il pas de votre rôle, en tant que professionnels, de privilégier dans un premier temps l’isolation thermique d’une habitation, avant d’en changer la chaudière ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Une entreprise qualifiée RGE a pour rôle d’analyser l’ensemble des paramètres d’un bâtiment. S’il est plus opportun de réaliser une isolation que de changer une chaudière, nous sommes obligés d’en informer le client.

M. Pascal Housset. La notion de confort et de bien-être au domicile est très importante, à l’heure où l’acceptation sociale de la transition énergétique est questionnée. Un certain nombre de nos concitoyens, outre qu’ils traversent des périodes difficiles, vivent dans des logements mal chauffés ou sont obligés de couper leur chauffage car ils consomment trop d’énergie. Le dispositif actuel est très favorable au remplacement de matériels thermiques de production de chaleur. Les études ont prouvé que cette solution apportait un retour sur investissement rapide. Elle n’empêche pas, pour autant, de proposer des solutions plus globales. Parallèlement à la mise en œuvre des solutions « Habiter mieux agilité », le programme « Habiter mieux sérénité » se poursuit. De toute évidence, si nous installons une excellente chaudière ou un système performant dans une « passoire thermique », nous n’obtiendrons pas le niveau de confort et les économies d’énergies attendus. Ces deux volets vont nécessairement de pair.

Quant aux procédures administratives, elles ne constituent plus une difficulté pour les entreprises depuis que nous avons mis en place une structure capable de les traiter. Pour autant, les démarches ne sont pas simplifiées. Au contraire, nous devons même renforcer les contrôles pour traquer les artisans opportunistes. De toute évidence, il est important que la procédure soit la plus légère possible pour l’entreprise et pour l’utilisateur.

M. Vincent Thiébaut. La valorisation des CEE et l’estimation des économies d’énergie restent largement théoriques, se fondant notamment sur les isolants installés. Dans la mesure où l’obligation de résultat tend à se substituer à l’obligation de moyens, ne faudrait-il pas mesurer les véritables économies d’énergie constatées ?

Par ailleurs, les politiques nationales qui sont déployées permettent-elles de prendre en compte les spécificités territoriales ? Les problématiques ne sont pas identiques en Alsace et dans le sud de la France, par exemple.

M. Jean-Luc Wiedemann. Nous devons en effet cibler un résultat plutôt que la mise en œuvre de moyens. Ma société a cinquante ans d’expérience. Lorsque je réalise une isolation de toiture, de façade ou de combles, j’effectue systématiquement une étude thermique pour le client. Cela nous permet notamment de mesurer le point de rosée, et ainsi d’éviter de futurs problèmes de condensation, susceptibles de devenir un enjeu de santé publique. Notez que l’audit RGE impose une étude thermique, mais pas l’audit CEE. Ce sujet pourrait y être ajouté. Cela renforcerait encore l’obligation de résultat.

M. Pascal Housset. La démarche que nous avons mise en place vise à impliquer davantage l’utilisateur dans la maintenance de son système, certes, mais aussi dans les bonnes pratiques à adopter. Les travaux d’isolation modifient le contexte d’un habitat. Par conséquent, l’usage en est différent.

Il est compliqué de prendre des engagements en matière de consommation énergétique. En effet, une personne à qui l’on installe un système plus économique a souvent tendance à chauffer davantage son habitat, ce qu’elle ne se serait pas permis auparavant. C’est pourquoi il est important d’impliquer le client dans la bonne utilisation de son système de chauffage. Les applications virtuelles permettant de gérer son chauffage depuis son téléphone portable, qui tendent à se standardiser, sont très utiles à cet égard. Dans un même souci de responsabiliser les utilisateurs, nous avons créé une offre spécifique avec deux assureurs, dont la SMABTP, grâce à laquelle l’entreprise peut prendre des engagements sur les performances et les consommations effectives.

Le RGE oblige à mener des études thermiques préalables. Or les résultats dépendent des conditions d’utilisation du système. La possibilité de faire du commissionnement, c’est-à-dire d’assurer le suivi de l’installation, permet d’induire de bons usages. Cela contribuera à responsabiliser les utilisateurs et incitera les entreprises à s’engager davantage sur le niveau de consommation final.

M. Jean-Luc Wiedemann. Pour répondre à votre question sur les particularités régionales, monsieur Thiébaut, je précise qu’un isolant protège aussi bien du chaud que du froid. Lorsque le même isolant est posé à Marseille et à Lille, il permet de réduire la climatisation dans le premier cas et de réduire le chauffage dans le second.

Par ailleurs, la prochaine réglementation thermique intégrera des paramètres tels que l’exposition au soleil.

M. Vincent Thiébaut. Estimez-vous que la France possède les capacités techniques et humaines nécessaires pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés en termes de rénovation thermique des logements et des bâtiments ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Je le pense. Nous mettons d’ailleurs en place des nouvelles formations, portant notamment sur la maintenance des installations.

M. Pascal Housset. Nous regrettons que les dispositifs d’accompagnement ne donnent pas une place suffisante aux pompes à chaleur air-air. Pourtant, les pics de température sont de plus en plus fréquents l’été, et notre pays entend favoriser le maintien des personnes âgées à domicile.

Un certain nombre de foyers, notamment parmi les plus fragiles, sont équipés de convecteurs électriques extrêmement consommateurs en énergie. Pour eux, la climatisation est souvent la bonne solution : elle est performante et procure du confort hiver comme été, au moindre coût.

Enfin, il est regrettable que la maintenance ne soit pas obligatoire pour les pompes à chaleur.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. La transformation du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) en prime semble témoigner d’un recentrage du dispositif vers les publics les plus précaires. Est-il pertinent, selon vous, de focaliser les aides sur les foyers précaires dans un premier temps ? Faut-il plutôt traiter l’ensemble des publics concomitamment ?

M. Jean-Luc Wiedemann. Pour atteindre les objectifs énergétiques qui ont été fixés, il me paraît préférable que le CITE s’adresse à l’ensemble des publics, comme c’est le cas aujourd’hui. Les foyers précaires ont en effet accès à d’autres aides, comme les « Coup de pouce ». La stabilité du CITE offre aussi une visibilité aux artisans.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Le dispositif d’aide actuel présente-t-il des lacunes ? Je pense notamment aux bailleurs qui n’engagent pas de travaux au motif qu’ils ne sont pas éligibles à des aides, et qui maintiennent leurs locataires dans une situation de précarité énergétique.

M. Pascal Housset. Des réflexions sont en cours sur un meilleur accompagnement des bailleurs sociaux.

Par ailleurs, l’accompagnement se focalise aujourd’hui sur les résidences principales. Un dispositif allégé pourrait être dédié aux résidences secondaires. Faute d’aides, leurs propriétaires renoncent souvent à y conduire des travaux de rénovation énergétique. Ce patrimoine mérite pourtant d’être entretenu.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Nous avons auditionné des sociétés qui jouent un rôle d’intermédiaire dans l’achat et la collecte des CEE et qui finalisent des dossiers financés au moyen de ces derniers. Avez-vous des relations avec ce type d’intermédiaires qui se présentent comme des délégataires, notamment pour faire payer des travaux exécutés par vos entreprises ?

M. Pascal Housset. Depuis déjà quelques années, l’un de nos obligés, Sonergia, délégataire de CEE, traite une partie de nos certificats d’économies d’énergie. Cela ne pose pas de difficulté.

Nous nous félicitons que le nombre de délégataires se soit réduit. Peut-être devrait-il encore diminuer quelque peu. Nous aimerions que les délégataires soient soumis au même niveau d’obligation et de contrôle que le sont nos entreprises artisanales.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Pascal Housset. Prenons l’exemple d’Effy. Nos corporations comprennent difficilement que de tels procédés soient soutenus, alors qu’ils vont à l’encontre de toutes les valeurs du monde du bâtiment et de l’objectif de qualité. Un délégataire doit rester dans son rôle et gérer le volet administratif des dossiers de CEE. Lorsqu’il va plus loin, il se rapproche d’un rôle de maître d’œuvre. Il achète du matériel qu’il revend à des particuliers, et fait intervenir des sous-traitants dont nous pouvons douter qu’ils soient tous labellisés RGE – mais qui prennent néanmoins des engagements de garantie décennale. Ce fonctionnement me paraît assez absurde.

Nous ne sommes opposés ni à la massification des opérations ni au travail avec les délégataires. Ces derniers sont nécessaires, et nous avons besoin de structures capables de générer les CEE. En revanche, il faut éviter un mélange des genres. Sinon, le délégataire doit être requalifié en entreprise qui commercialise des systèmes.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Selon vous, un délégataire ne devrait donc pas avoir le droit d’acheter des produits et de nouer un partenariat avec un monteur pour réaliser la prestation complète, car il serait juge et partie.

M. Pascal Housset. C’est une évidence.

M. Jean-Luc Wiedemann. Certains se contentent d’acheter des machines et les font installer par des sous-traitants.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il faut toutefois reconnaître une vertu au modèle des délégataires, dans le cadre des offres à un euro. Une chaudière peut valoir 400 euros à la sortie d’usine, mais être facturée 2 500 euros au client. Le montant de l’aide assumée par l’État s’en trouve nettement accru – et ce, avant que l’artisan ait été payé pour réaliser l’installation. Il est donc bienvenu qu’en faisant jouer un effet de volume, les délégataires négocient le prix d’achat et court-circuitent les intermédiaires. Ils parviennent à faire baisser le prix des éléments, alors que les dispositifs d’aide d’État tendent plutôt à les rehausser.

Ce système présente toutefois deux écueils. D’une part, les délégataires peuvent être tentés d’acheter des produits très peu chers et d’une qualité discutable. D’autre part, ils font parfois peser une pression trop importante sur les installateurs. Il devrait être possible de trouver un système intermédiaire, qui permette de maîtriser le prix des éléments et de garantir à l’artisan un prix d’installation suffisant pour qu’il travaille dans de bonnes conditions.

M. Pascal Housset. Ce système intermédiaire est précisément celui sur lequel nous travaillons et vers lequel nous tendons. C’est tout l’esprit du dispositif PRIM’3E que nous avons élaboré avec Total. Nous avons passé des accords avec des distributeurs et des fabricants afin que nos artisans aient accès à des produits de qualité – chaudières et pompes à chaleur – à des prix négociés et raisonnables, compatibles avec un reste à charge à un euro. En revanche, nous nous refusons d’imposer un prix de pose à nos installateurs. Cela pourrait d’ailleurs être considéré comme une entente.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Arrivez-vous aux mêmes coûts que les délégataires que nous évoquions précédemment, et dont vous dénonciez les pratiques ?

M. Pascal Housset. Pour les chaudières, oui. Pour les pompes à chaleur, la situation est plus compliquée en raison des prestations dites « annexes », mais essentielles, qui n’apparaissent pas chez les délégataires. Aujourd’hui, il n’est pas concevable d’installer une pompe à chaleur neuve sur une installation de chauffage qui n’a pas été nettoyée, rincée et désembuée. Cette prestation n’est optionnelle qu’en apparence. En effet, la qualité de l’eau fait partie des conditions générales de garantie des industriels.

L’offre à 1 euro a eu le mérite d’obliger l’ensemble de la filière à faire des efforts pour atteindre des prix plus justes. Nous avons ainsi évité les travers que nous avons connus par le passé avec les crédits d’impôt de 50 % : le prix des machines s’envolait et celui de la pose se réduisait au minimum. Le dispositif actuel est davantage contenu et maîtrisé. Il est adapté aux publics les plus modestes. Nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous en ce sens. Des actions ont déjà été menées en Ile-de-France avec des bailleurs sociaux, à des prix maîtrisés.

Il me paraît souhaitable de maintenir le crédit d’impôt sur une frange de la population, parallèlement à l’offre à un euro destinée aux plus modestes. Le marché doit rester équilibré. Les artisans ne seront pas disposés à faire des efforts en faveur des publics modestes s’ils n’ont pas de contrepartie auprès du reste de la population.

Laudition sachève à dix-sept heures quinze.

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20.   Audition, ouverte à la presse, de M. le Professeur Jacques Percebois, économiste (18 avril 2019)

Laudition débute à dix-sept heures trente.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Je vous prie d’excuser le président de la commission d’enquête, Julien Aubert, qui a été contraint de prendre un train plus tôt que prévu ce soir. Je vous prie également d’excuser le faible nombre de participants à cette audition, liée au fait que nous sommes en période de suspension parlementaire.

Pour clore notre journée d’auditions, nous recevons M. Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier, économiste de l’énergie, coresponsable du pôle « Transitions énergétiques » à la chaire « Économie du climat » de l’université Paris-Dauphine.

Une étude récente commandée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) conclut à la possibilité d’un mix électrique presque totalement composé d’énergies renouvelables (EnR) : 85 % en 2050 et 95 % en 2060. Des études d’esprit comparable, mais réalisées avec d’autres modèles, concluent, elles, que les EnR ne peuvent économiquement évincer les centrales pilotables. Cela peut nous rendre perplexes quant aux choix politiques. En l’occurrence, le choix politique d’ignorer cette considération ne peut intervenir qu’en continuant à subventionner les EnR, même lorsque leur prix de revient moyen aura diminué. Ces subventions entraîneront un surcoût certain pour le consommateur. Ce constat entraîne plusieurs interrogations.

Les premières concernent l’apport de la science économique. Quelle est la robustesse de modélisations, dont l’un des paramètres relatifs au comportement du consommateur, par exemple, s’est fracassé sur la révolte fiscale ? L’universitaire doit-il se borner à prendre acte des choix publics, ou bien son rôle consiste-t-il à s’interroger sur leur rationalité ?

Ensuite, avec le recul, que l’économie politique et l’histoire économique nous apprennent-elles sur le lien entre énergie et croissance ?

Par ailleurs, sur la rationalité des choix d’investissements, que recouvrirait la distinction entre une énergie « ancienne » et une énergie « nouvelle » ? A-t-elle un même un sens ? Le choix n’est-il pas plutôt entre technologie éprouvée et innovation, par exemple en matière de stockage de l’électricité ?

En définitive, il nous intéresse de vous entendre sur la modélisation économique et sur les différentes études citées. Nous souhaitons également bénéficier de votre éclairage sur la rationalité des choix qui ont été effectués, au regard tant des études d’économie que vous avez conduites dans ce domaine que du lien avec le comportement des consommateurs.

Monsieur le professeur, nous allons d’abord vous écouter au titre d’un exposé liminaire de quinze minutes au maximum, avant un échange avec les membres de la commission.

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment.

(M. Jacques Percebois prête serment.)

M. Jacques Percebois. En tant qu’universitaire – je suis professeur émérite à l’université de Montpellier – je tenterai de vous donner un point de vue sur la rationalité de la politique énergétique, principalement centrée sur l’électricité.

Je préciserai d’emblée que lorsque l’on parle d’énergies renouvelables, il ne faut pas se limiter à l’électricité. En effet, il existe des renouvelables thermiques – je pense au bois, au biogaz ou au biocarburant – dont le rôle n’est pas négligeable aujourd’hui et peut devenir relativement important demain. Or, si l’on se focalise sur l’énergie électrique, on ne s’intéresse qu’à une partie de la politique énergétique. N’oublions pas qu’en prenant comme référence la consommation finale d’énergie en France, l’électricité ne représente que 23 % de la consommation, contre 20 % pour le gaz et 45 % pour les produits pétroliers. Par conséquent, si l’on veut réduire l’impact des émissions de gaz à effet de serre, il faut surtout penser au secteur des transports et au secteur domestique, et ne pas systématiquement se focaliser sur l’électricité.

En électricité, les renouvelables sont essentiellement lhydraulique, qui représente 12,5 % de la production globale, le solaire à hauteur de 2 %, et léolien dont la part se chiffre à 5 % – soit un total de 19 % environ. La programmation pluriannuelle de lénergie (PPE) prévoit quils devraient représenter 40 % de la production délectricité à lhorizon de 2030 et que, corrélativement, la part du nucléaire devrait passer de 72 % à 50 % à lhorizon de 2035. Cest un choix politique, conséquence de contraintes à la fois politiques, géographiques et historiques desquelles la politique énergétique française a toujours résulté. Et pour cause, la France na pas la chance davoir beaucoup de ressources naturelles. Après avoir mis fin à lexploitation massive du charbon, il a donc fallu faire appel aux ressources nationales et lindépendance énergétique sest largement appuyée – en tout cas depuis les chocs pétroliers – sur lélectricité nucléaire. Cela a permis à notre pays de retrouver un taux dindépendance non négligeable, puisque lindépendance énergétique, en termes dénergie primaire, est désormais de lordre de 50 %, contre à peine 25 % lors du choc pétrolier. Il me semblait important de le souligner.

Dans le même temps qu’on libéralisait le secteur de l’électricité en Europe, on a considéré – l’Europe dans son ensemble et chacun des États membres – qu’il fallait développer les renouvelables qui étaient des énergies décarbonées, en particulier les renouvelables électriques auxquelles je faisais référence. Puisque nous étions dans un contexte de marché, il a été décidé qu’il fallait faire une exception au marché en fixant des prix d’achat garantis – feed-in tariff. En principe, ceux-ci couvrent le coût de production, lequel est plus élevé que le prix du marché, permettant à celui qui produit de l’électricité renouvelable de développer le marché. Ces prix ont été fixés à un niveau assez élevé, et l’on n’avait pas anticipé que les coûts baisseraient aussi vite. De sorte que l’on s’est retrouvé avec des surcoûts relativement importants. Il faut bien voir que la différence entre le prix d’achat garanti aux producteurs d’électricité renouvelable et celui du marché de gros, fixé heure par heure sur un marché spot, c’est-à-dire un marché d’équilibre entre l’offre et la demande, est relativement conséquente. Elle a d’ailleurs entraîné des rentes pour certains, dans la mesure où ce système a été mis en place sans contrôle des quantités. On a fixé un prix sans vérifier que l’on avait toujours vraiment besoin de la quantité mise sur le marché. Le résultat est que le surcoût est financé par le consommateur d’électricité à travers la fameuse contribution au service public de l’énergie (CSPE). Et cette CSPE n’a pas cessé de croître, si bien que depuis 2017, on a fait une sorte de swap : la CSPE, qui est maintenant stabilisée et qui a été plafonnée à 22,50 euros par mégawattheure (MWh), est versée au budget général de l’État, et c’est une partie de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE), en l’occurrence les produits pétroliers, qui finance désormais le surcoût des renouvelables. Et ce, pour une raison juridique. En effet, Bruxelles a considéré que la CSPE n’était pas conforme aux directives européennes. Je précise, en outre, qu’on l’appelle toujours CSPE alors qu’on devrait l’appeler taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Tout cela est assez complexe ! Toujours est-il que le consommateur paie la différence et que cette différence est assez importante puisqu’elle est de l’ordre de 5 milliards d’euros par an. La Cour des comptes, dans un rapport de 2018, a montré que si l’on faisait le cumul de tous les contrats signés jusqu’en 2040, cela représenterait tout de même 121 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable.

L’autre inconvénient de ce système est qu’on a assisté à un effet pervers sur le marché de gros. En effet, puisque cette électricité renouvelable est financée hors marché et injectée sur le marché de gros, elle fait baisser les prix de gros. Et paradoxalement, alors que le prix de gros baisse sur le marché spot, le prix payé par le consommateur final augmente – ce qui lui semble difficilement compréhensible. C’est la logique du fonctionnement du marché de gros, qui s’appuie sur ce que l’on appelle l’ordre de mérite – merit order – : on appelle les centrales en fonction de l’ordre de mérite, et le coût marginal, c’est-à-dire le prix auquel l’électricité participe aux enchères, est nul. Il y a même eu, parfois, des prix négatifs. C’est arrivé d’abord en Allemagne, mais quelques fois en France également. Encore récemment, des prix très légèrement négatifs ont été observés. On est obligé de payer quelqu’un pour vous débarrasser de cette électricité excédentaire ! Et pour cause, n’oublions pas que la contrainte de l’électricité est que l’on ne peut pas injecter plus qu’on soutire, ou soutirer plus qu’on injecte sur le réseau. Un équilibre physique doit être respecté.

Ce système a conduit à modifier les aides accordées aux renouvelables, dans un bon sens. Cela a été le cas en Europe. Ce sont les Allemands qui ont commencé, en considérant qu’il fallait progressivement abandonner les prix d’achat garantis soit au profit des feed-in premium, système dans lequel le producteur d’électricité vend au prix du marché mais obtient une prime en compensation, soit au profit des enchères. Les enchères constituent le meilleur système, qui est actuellement privilégié en France. Maintenant que les coûts de l’électricité renouvelable ont fortement chuté, ceux qui veulent injecter sur le réseau doivent participer à des enchères. C’est le cas pour les gros investissements dans des centrales solaires, de l’éolien terrestre ou de l’éolien en mer. En revanche, les particuliers qui installent des panneaux solaires sur leur toit n’ont pas la possibilité d’y participer.

Un autre système se développe également, le power purchase agreement (PPA), qui permet à certains gros consommateurs d’acheter directement à des producteurs d’électricité renouvelable. Il est assez populaire aux États-Unis et dans les pays nordiques. Je crois que c’est un bon système.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

M. Jacques Percebois. C’est un accord d’achat d’électricité Un gros consommateur qui souhaite montrer qu’il utilise de l’électricité renouvelable, par exemple, peut en acheter directement auprès d’un producteur. C’est le cas de Google qui, pour montrer qu’il utilise de l’électricité renouvelable, a passé un contrat bilatéral sur 10 ans avec un producteur d’électricité solaire, avec un prix fixé d’un commun accord. Cela évite de passer par la logique de prix garanti par l’État.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Une entreprise publique avec un gros volume de consommation peut donc directement s’arranger sur le marché pour être fournie en électricité renouvelable sur une période donnée ?

M. Jacques Percebois. Oui.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Et elle négocie le prix ?

M. Jacques Percebois. Elle le négocie de façon bilatérale. Évidemment, compte tenu du pouvoir de négociation des acheteurs et des vendeurs, il importe que ces accords soient passés entre gros opérateurs. L’on ne verrait pas un particulier se lancer dans ce type d’opération. Ce système permet à l’acheteur de montrer qu’il est vertueux, puisqu’il achète de l’électricité renouvelable sur longue période. Certes, des clauses d’indexation peuvent être prévues, qui prévoient que l’accord soit revu périodiquement. Mais c’est un accord entre parties. Le contrat librement négocié. Les deux parties se mettent d’accord sur les règles du jeu. Je crois que c’est un bon système.

Je considère également qu’il est important de développer l’autoconsommation, tout en prenant garde de ne pas la surfinancer. À la différence de l’Italie ou de l’Allemagne, la France compte peu d’autoconsommateurs – environ 40 000. Dès lors qu’ils ne pourront pas, sauf exception, toujours utiliser l’électricité qu’ils produisent, les autoconsommateurs ont besoin du réseau. Souvent, on les aide à y rester connectés. C’est ainsi qu’ils sont exonérés de la CSPE et de certaines taxes, en France. Ils peuvent également être aidés pour acheter leur équipement. C’est vertueux, puisque cela permet de développer l’autoconsommation. Mais il ne faut pas sous-estimer le fait que ces aides sont financées par d’autres et que, par conséquent, tout le monde ne peut pas recourir à l’autoconsommation. En outre, lorsque l’autoconsommation se fera à grande échelle, il faudra que l’autoconsommateur, qui sera aussi autoproducteur, reste connecté au réseau, donc le finance de façon correcte.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. C’est la position de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), si je ne me trompe pas.

M. Jacques Percebois. En effet, et elle est justifiée. Aujourd’hui en France – je vais y venir – le tarif d’accès au réseau est à 80 % fonction du kilowattheure (KWh) soutiré, et à 20 % seulement fonction de la puissance. Ainsi, un autoproducteur qui fait appel au réseau ne paie le réseau que lorsqu’il achète des KWh. Toutefois, il y reste connecté en permanence. Cela signifie qu’on lui garantit la puissance en permanence. Il existe donc un effet pervers : le consommateur modeste, qui n’a pas les moyens de mettre du photovoltaïque, paie le réseau tout le temps – il paie donc pour l’autre. C’est une subvention croisée.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. N’y aurait-il pas une autre idée ?

Mme Laure de La Raudière, présidente. Je voudrais que M. Percebois termine son propos liminaire avant que nous passions aux questions.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’entends bien, mais les propos de M. Percebois sont très techniques. J’ai parfois besoin de détails complémentaires.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Nous allons malgré tout procéder ainsi, comme nous l’avons fait avec toutes les personnes auditionnées.

M. Jacques Percebois. Je pense que le développement de l’autoconsommation passera par une réforme du tarif d’accès au réseau de transport et, plus encore, au réseau de distribution dans la mesure où 95 % de l’électricité renouvelable est injectée sur ce réseau. Je suis prêt à y revenir pour en discuter.

Il faut aussi envisager de développer le stockage. Il existe deux systèmes principaux, le premier étant la batterie. Il est important que la France développe des batteries. Ce sera même une nécessité dès lors qu’il sera fait appel aux véhicules électriques. En l’occurrence, il faut que l’Europe et la France comprennent bien que l’avenir est probablement au véhicule électrique, lequel passe par une industrie des batteries. Si l’Europe ne met pas en place une industrie des batteries, son industrie automobile sera condamnée, à terme. Pour leur part, les Chinois ont compris qu’il fallait développer à grande échelle le véhicule électrique. Ainsi, parmi les dix premiers producteurs de batteries dans le monde se trouvent sept chinois, deux coréens et un japonais – aucun n’est européen. C’est la raison pour laquelle l’idée d’un « Airbus des batteries » est importante. En tout état de cause, nous sommes très en retard. D’autant que l’avantage des batteries pour les véhicules électriques est qu’elles peuvent servir dans une deuxième vie comme stockage d’électricité pour les particuliers.

L’autre système est le power to gas, qui consiste à faire l’électrolyse de l’eau quand il y a trop d’électricité renouvelable à certaines heures. Comme on ne sait pas la stocker autrement qu’en stockant de l’eau – c’est le rôle des barrages –, passer par l’hydrogène constitue une solution. Celui-là peut être injecté dans une certaine proportion dans le réseau de gaz ou être utilisé pour d’autres usages, par exemple pour la mobilité. D’aucuns pensent ainsi qu’il y a un avenir pour les véhicules à hydrogène. Un arbitrage politique sera important à effectuer dans le futur – j’ignore s’il le sera par le politique ou par le marché. Il y aura trois systèmes principaux : le véhicule électrique, le véhicule à gaz naturel, et le véhicule à hydrogène. Il existe déjà des trains à hydrogène, et l’on peut concevoir qu’il y ait de la place pour le véhicule à hydrogène. Reste à savoir quelle sera la part de marché de chacun des trois systèmes. Si je devais me prononcer, sans être devin dans ce domaine, je dirais que le véhicule électrique devrait s’imposer pour des raisons de facilité. C’est aussi lui qui fait actuellement l’objet d’investissements, notamment en Asie. En tout état de cause, il est important d’être conscient de la nécessité de faire du stockage.

Lorsqu’on étudie de façon plus générale la politique énergétique et l’insertion des renouvelables par rapport aux autres énergies, il faut aussi avoir conscience que, dans l’électricité aujourd’hui, on oppose un peu les énergies intermittentes – dites non-pilotables, car elles produisent quand il y a du soleil ou du vent – et les centrales pilotables, c’est-à-dire que l’on peut appeler quand on en a besoin, si l’on parvient à stocker.

Il faut aussi tenir compte d’autres facteurs, comme l’empreinte carbone. Cela impose de savoir d’où viennent les équipements. S’ils sont fabriqués en Asie à partir d’électricité carbonée et si l’on doit les transporter, le bilan carbone n’est pas très bon. Il importe donc d’avoir une vision d’ensemble, dite d’analyse du cycle de vie (ACV), et de tenir compte des impacts industriels, y compris, de façon indirecte, les emplois concernés. On peut aussi parler de la dépendance à l’égard de certains métaux et terres rares même si, à mon avis, cet élément n’est pas déterminant. Leur fourniture est actuellement largement dominée par la Chine – qui a fait beaucoup de dumping –, mais il existe un potentiel non négligeable un peu partout dans le monde. C’est plutôt une question de prix. Si l’on en a besoin, on saura aller en chercher. Enfin, un autre point important est le coût de l’intermittence. En l’occurrence, je considère que l’effort doit porter sur le coût du stockage.

Pour terminer mon propos, je serais tenté de considérer qu’il y a de la place pour un potentiel d’électricité renouvelable à côté de l’énergie nucléaire. Il faut bien avoir conscience que lorsqu’on remplace de l’électricité nucléaire par de l’électricité renouvelable, cela ne change rien sur le plan du bilan carbone. Et pour cause : on remplace du décarboné par du décarboné. Je pense donc que l’atout de la France reste son parc nucléaire qui, à l’horizon 2035, doit couvrir environ 50 % de la production d’électricité.

Je pense aussi que la grande révolution industrielle que l’on attend sera celle du stockage.

Une autre question se posera nécessairement aux économistes et aux politiques : celle de l’arbitrage entre les grands réseaux interconnectés et les petits réseaux locaux. Aujourd’hui, il est tentant de favoriser les microgrids, qui permettront à chacun de produire de l’électricité dans son coin et de la diffuser au travers de blockchains. Mais il ne faut pas perdre de vue que les grands réseaux interconnectés à l’échelle européenne, et peut-être demain à l’échelle mondiale, ont aussi des vertus – ne serait-ce que celle du foisonnement : la puissance installée sur le réseau est nettement inférieure à la somme des puissances locales. En effet, tout le monde n’appelle pas le réseau au même moment et à pleine puissance. On joue donc sur la loi des grands nombres. On n’a pas besoin d’un réseau qui serait la somme de tous les contrats signés par tous les Français. Heureusement, parce que l’on tient compte du foisonnement, la puissance installée en France est très inférieure à la somme de toutes les puissances installées chez les particuliers et les industriels.

Enfin, et c’est peut-être le point le plus important, une vision industrielle des choix énergétiques est indispensable en particulier dans le domaine de l’électricité renouvelable même si l’on peut aussi l’avoir pour le nucléaire. Peut-être d’ailleurs que le fait de réduire un peu la voilure en matière de nucléaire est une opportunité, en fermant certaines centrales, d’en construire d’autres plus performantes. Le savoir-faire industriel français peut être valorisé, de ce point de vue, à la fois dans le domaine des renouvelables et dans celui du nucléaire.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Je vous remercie. J’ai plusieurs questions, concernant notamment votre dernier point. Vous considérez qu’il convient d’avoir une vision ACV et de prendre en compte l’empreinte carbone dans l’ensemble du cycle de vie. Avez-vous effectué des comparaisons entre les filières, de l’achat jusqu’au démantèlement et à la gestion des déchets ?

Par ailleurs, vous avez parlé de rentes. Qui en a bénéficié, précisément ? Est-ce le cas de structures françaises ? Ont-elles généré de l’emploi ?

Enfin, existe-t-il une relation entre le prix de l’énergie et la croissance ?

M. Jacques Percebois. Je n’ai pas mené de travaux dans le domaine de l’analyse ACV, même si je me suis renseigné. Seules des études parcellaires ont été conduites, car il est très difficile de faire des analyses ACV. En effet, cela impose de savoir d’où viennent et où vont tous les produits, comment ils ont été fabriqués et quelle est leur structure carbone. C’est assez compliqué. Je ne connais pas de document qui prendrait le cas de toutes les filières et qui ferait une analyse exhaustive. S’il est souhaitable qu’il y ait davantage de travaux sur l’ACV, il existe une complexité statistique. C’est la raison pour laquelle on calcule uniquement les émissions nationales de carbone.

Les Français, par exemple, émettent peu de CO2. Mais dans la mesure où ils achètent des produits avec beaucoup de CO2, il faudrait leur imputer la quantité de CO2 émise par la Chine lorsqu’elle a fabriqué ces produits que nous importons. Et, au contraire, défalquer le CO2 inclus dans nos exportations. Cela peut être effectué au cas par cas, mais il est très difficile de l’analyser globalement.

Concernant les rentes, on a souvent dit que les prix garantis d’achat ont eu un peu le même effet que la politique agricole commune (PAC). C’est d’ailleurs un argument que j’ai longuement développé dans un ouvrage. Au départ, la PAC est partie d’un bon sentiment. Il fallait des prix garantis élevés afin que les agriculteurs européens puissent vivre correctement de leur production. Il ne faut jamais oublier qu’à l’époque l’Europe était importatrice nette de produits agricoles. Un système d’écluse avait alors été mis en place : à chaque fois qu’un produit étranger entrait en Europe, il était taxé pour monter au niveau du prix européen ; et à chaque fois qu’un produit européen était vendu sur le marché international, on le subventionnait pour qu’il descende au niveau du prix international. C’était vertueux tant qu’il y avait plus de produits importés que de produits exportés – car il y avait plus de taxes que de subventions. Mais le jour où ce rapport s’est retourné, les agriculteurs ont continué à produire puisqu’ils avaient des prix garantis, sans que cela réponde à un besoin. Il a alors fallu subventionner massivement les excédents à l’exportation. C’est la raison pour laquelle une grande partie du budget européen passait dans les subventions aux exportations. On a donc abandonné ce système, en considérant qu’il valait mieux subventionner les agriculteurs en tant que tels, plutôt que les exportations.

Nous avons fait la même erreur avec les prix garantis d’achat, à la différence près que si le beurre se stocke, ce n’est pas le cas de l’électricité – et l’on a donc des prix négatifs. Il faut toutefois reconnaître que ce système a quand même eu des vertus, puisqu’il a permis de baisser les coûts de production des renouvelables. Il faut aussi dire que la Chine y a beaucoup contribué par le dumping, qui a mis en péril l’industrie européenne du photovoltaïque et, dans une moindre mesure, de l’éolien.

Par ailleurs, ont bénéficié de rentes ceux qui ont eu au départ des prix garantis très élevés alors qu’ils avaient des coûts relativement bas. Ces prix étaient qui plus est garantis sur quinze ans, sans que l’on ait prévu d’indexation. Il n’existe pas d’étude exhaustive sur les effets redistributifs, mais il est sûr que certains gros agriculteurs ont bénéficié de ce système. C’est le cas de ceux qui ont mis du photovoltaïque dans leurs champs, mais aussi du secteur tertiaire – les supermarchés comme les industriels, y compris les producteurs d’électricité. Ainsi, le groupe EDF a bénéficié du système, car il est également producteur d’électricité renouvelable, notamment par le biais de ses filiales.

La rente existe lorsque le revenu est totalement déconnecté du coût. Mais il était très difficile d’anticiper la chute des coûts de production du photovoltaïque, laquelle a été véritablement massive. Aujourd’hui, ces rentes ont tendance à disparaître. Les subventions n’ont d’ailleurs plus vraiment de raison d’être, sauf cas exceptionnel pour les particuliers qui veulent être aidés dans ce domaine – mais le prix du marché est suffisant.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Faut-il les aider ? Est-il pertinent de subventionner des petites productions ?

Vous avez également évoqué le système des enchères et des appels à projets pour les grosses installations. Il existe encore des projets d’éolien terrestre, qui passent systématiquement en dessous de la barre de l’appel d’offres ou des enchères. Est-il intéressant de conserver des projets de cette nature, d’un point de vue économique ?

M. Jacques Percebois. La barre est fixée au niveau européen à 500 kilowatts (KW). En dessous, il y a toujours des feed-in tariffs ou des feed-in premiums. Au-dessus, c’est plutôt le système des enchères.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Pour l’éolien, la limite est fixée plus haut.

M. Jacques Percebois. En effet.

Je ne suis pas partisan du maintien des subventions à très long terme. D’autant que les coûts ayant baissé, la parité réseau est à peu près atteinte.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Nous ferions donc mieux de les stopper dès maintenant ?

M. Jacques Percebois. Oui, relativement. Je pense que nous n’en avons plus tellement besoin. Les subventions ont joué leur rôle. Elles ont aidé au développement. Mais je ne suis pas certain qu’il faille maintenir durablement des subventions. Je suis plutôt favorable à l’aide à la recherche-développement, y compris dans le domaine du nouveau photovoltaïque, pour faire émerger de nouvelles technologies. Il faut aider les industriels qui mettent au point de nouvelles techniques de photovoltaïque qui pourraient relancer une industrie européenne, voire une industrie française.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Quid du lien entre prix de l’énergie et croissance ?

M. Jacques Percebois. Le bas prix de l’énergie, notamment de l’électricité, constitue indiscutablement un atout pour les industriels. Pour la croissance économique, un bas prix de l’énergie est important, notamment pour les secteurs gros consommateurs d’énergie et d’électricité – ceux pour lesquels l’énergie représente plus de 10 % des coûts de revient. C’est le cas de l’industrie de l’aluminium, du verre ou de la pâte à papier qui, en général, recherchent le meilleur système et font de l’efficacité. Pour elles, le bas prix de l’énergie est un facteur favorable. À tel point qu’un pays comme l’Allemagne, où le prix du kWh est près du double du prix français, aide beaucoup ses industriels en les exonérant d’un certain nombre de taxes et en les subventionnant. C’est un élément important pour les particuliers également. Le budget moyen des Français pour l’énergie représente 9 % du revenu – à moitié pour la mobilité et à moitié pour le logement. Mais pour les Français en situation de précarité énergétique, il représente le double.

Le coût de l’énergie est un poste important dans certaines branches industrielles. Avoir une électricité bon marché est donc un élément favorable. Mais il l’est aussi pour le secteur domestique, car il ne faut pas perdre de vue que ce poste peut aller jusqu’à 20 % dès lors qu’on additionne la part du logement et celle de la mobilité, même si l’on a toujours tendance à parler du logement et à sous-estimer la mobilité.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je suis désolée de vous avoir interrompu pendant votre propos liminaire, très intéressant. Je pense que j’ai oublié la moitié de mes questions, mais je vous les ferai parvenir a posteriori, après avoir lu le compte rendu de votre audition.

Vous avez indiqué que 9 % des revenus sont dédiés à l’énergie – 4,5 % pour le logement et 4,5 % pour le transport. Mais il s’agit là de moyennes, ainsi que vous l’avez souligné. Qu’en est-il de la péréquation entre la problématique du logement et celle du transport ? Vous avez récemment écrit sur la transition énergétique, sur le grand débat et sur ce qui a déclenché la colère dans le monde rural, au travers du mouvement des « gilets jaunes ». N’est-ce pas que nous avons oublié de faire la péréquation entre un traitement du logement plus difficile d’accès dans les centres-villes et plus accessible dans les ruralités d’une part, mais un coût du transport moins élevé dans les villes et plus élevé dans les ruralités d’autre part ? Un déséquilibre s’est-il créé, qui engendrerait une sorte de double pleine dans les ruralités ?

M. Jacques Percebois. La définition de la précarité énergétique, qui nous vient d’Angleterre, oublie complètement la mobilité : est en situation de précarité énergétique un ménage qui dépense plus de 10 % de son revenu pour son logement. C’est la définition standard en Europe. De nombreux ménages se trouvent dans cette situation, le plus souvent dans des zones rurales ou en périphérie des villes, dans des logements mal isolés. Ils paient alors très cher pour leur chauffage. En outre, ils ne peuvent se déplacer qu’en voiture. Le législateur s’est souvent préoccupé de la précarité dans le logement, sans tenir compte du coût des déplacements pour des raisons professionnelles.

Taxer l’essence est vertueux sur le plan de la consommation. Mais pour quelqu’un qui dispose d’un véhicule ancien très consommateur et qui ne peut pas en changer, et encore moins opter pour un véhicule électrique, c’est la double peine. C’est une préoccupation réelle. C’est la raison pour laquelle le chèque énergie tient désormais compte de la mobilité. Mais pendant longtemps, il existait des tarifs sociaux pour le gaz et l’électricité – ce qui excluait complètement les personnes qui se chauffaient au fioul. Or elles sont nombreuses dans la banlieue parisienne, où les habitations ont été construites dans les années 1970. Ces personnes paient cher pour le chauffage.

Et si elles se déplacent en voiture, elles paient beaucoup pour l’essence. Il n’est pas rare que des ménages aux revenus modestes dépensent un budget de 20 % uniquement pour financer leur habitat et leur mobilité. Dans ce contexte, il convient d’adopter une vision d’ensemble de la précarité.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Comment expliquez-vous cette tendance à se focaliser sur le logement plutôt que sur le transport ? Est-ce parce que l’on sait mieux répondre à la problématique du logement qu’à celle du transport ? Ou bien est-ce le serpent qui se mord la queue : on ne sait pas répondre à la problématique du transport parce qu’on s’en occupe moins, donc on conduit moins de recherche dans ce domaine ?

M. Jacques Percebois. Il est vrai qu’il est a priori plus facile de s’occuper du logement que de s’occuper de la mobilité. Depuis la loi de 1946, la France a une tradition de péréquation spatiale des tarifs. L’idée est qu’il peut y avoir des prix de l’électricité différents aux heures pleines et aux heures creuses – cela paraît logique – mais que l’on ne doit pas être pénalisé si l’on habite en zone périphérique ou rurale. Si vous vivez à La Réunion, vous payez le même tarif qu’en métropole. C’est la solidarité nationale. Le coût de cette péréquation spatiale n’est pas très élevé. Puis, comme cela ne suffisait pas, on a mis en place des tarifs sociaux là où l’État avait la main, c’est-à-dire essentiellement pour le gaz et l’électricité. C’était plus difficile avec le pétrole et, par conséquent, on ne s’en est pas tellement occupé. Pourtant, nombre de Français se chauffent au fioul.

Pour la mobilité, la réponse est plus complexe. On peut citer le développement des transports collectifs. Mais souvent, dans ces régions, les transports collectifs sont défaillants et il faut utiliser son véhicule personnel. Or le législateur ne s’est pas trop occupé de cette situation, qui fait qu’avec l’augmentation du prix de l’essence une part de plus en plus élevée du budget des ménages passe dans la mobilité. Ce sujet mérite d’être étudié, étant entendu qu’il ne faut pas penser que la réponse par le véhicule électrique soit adaptée. En effet, son coût est relativement élevé et les ménages aux revenus modestes n’ont pas les moyens, même si on les aide, d’y accéder. Se pose, en outre, le problème des bornes de recharge. Un coup de baguette magique ne permettra pas de faire passer au véhicule électrique les personnes aux revenus modestes. En l’état actuel des choses, tout le monde ne peut pas se payer une Tesla !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. La logique d’efficacité énergétique peut-elle être générale alors même que toutes les filières n’ont pas les mêmes objectifs ? La désindustrialisation a fait significativement chuter la consommation d’énergie dans le secteur industriel, par exemple. Finalement, la crise économique est source d’efficacité énergétique – laquelle ne peut pas être considérée comme vertueuse, contrairement à celle que l’on devrait viser dans d’autres domaines, en particulier le logement.

M. Jacques Percebois. Il est exact qu’on cite parfois en exemple la France, dont les émissions de CO2 ont baissé dans le secteur industriel, en omettant de préciser que l’industrie ne représente plus aujourd’hui que 15 % de la consommation finale d’énergie. Qui plus est, les industriels ont toujours considéré l’énergie comme un coût. Ils ont donc fait de l’efficacité. Il est possible de les aider un peu, mais ils n’ont pas attendu les mesures réglementaires pour faire de l’efficacité énergétique. Le fait que l’on consomme parfois moins d’énergie ou qu’on émette moins de CO2 ou de gaz à effet de serre dans le secteur industriel n’est pas nécessairement un bon signal. Cela traduit simplement la disparition d’une partie de l’industrie.

Aujourd’hui, le premier secteur émetteur de CO2 est le transport, qui représente 38 % du total. L’accent doit donc porter sur lui. C’est là que la difficulté commence ! En effet, quel est le bon facteur ? En augmentant le prix de l’essence, on retrouvera le même problème social. Je suis plutôt favorable à ce qu’il y ait un prix du carbone, à condition de prévoir des compensations pour les personnes qui ne peuvent pas payer le surcoût. En tout cas, il faut bien avoir conscience que le secteur du transport doit être la cible, et que le potentiel y reste relativement important.

Par ailleurs, des efforts sont consentis dans les bâtiments. Nous savons construire des bâtiments à énergie positive, ou en tout cas à énergie zéro consommation. Mais le rythme de renouvellement du parc des logements en France est de 1 % par an. C’est relativement lent. Il ne faut donc pas se faire d’illusion. Même si l’on se vante en mettant en avant tel ou tel immeuble, cela reste relativement modeste au regard de l’ensemble du parc.

Il importe d’associer des mesures financières – les prix, les taxes – à des mesures réglementaires. En l’occurrence, les normes définies pour l’habitat sont extrêmement performantes. D’ailleurs, en France, l’efficacité énergétique dans le bâtiment a souvent été la conséquence de normes beaucoup plus contraignantes. Je crois que c’est une bonne chose. Il ne faut pas penser que le prix seul peut envoyer le bon signal. D’autant que s’il est bien appréhendé par l’industriel, le particulier peine à comprendre sa facture et à savoir ce qu’il paie.

La variable prix est évidemment importante. Mais, dans ce domaine et en tout cas dans un premier temps, la variable de régulation l’est plus encore. Les nouvelles technologies du numérique peuvent être utiles, dans ce domaine. En effet, si l’on remet une information en temps réel au consommateur avec les compteurs intelligents comme Linky, celui-ci peut avoir conscience de ce que cela lui coûte, donc réagir. Cela étant, tous les consommateurs ne sont pas nécessairement des grands spécialistes du numérique. Il ne faut pas oublier la fracture numérique. En tout état de cause, il faut aider le consommateur à comprendre sa facture. Dans ce domaine, je crois aux vertus du prix, mais aussi à celles de la réglementation.

M. Vincent Thiébaut. Je voudrais revenir sur le sujet du coût. Il existe deux types d’électricité en France : les EnR et l’électricité nucléaire. Si les premières sont largement subventionnées, ou en tout cas subventionnées, c’est parce qu’il existe sur le marché un écart avec la seconde. Les subventions permettent de gommer une partie de cet écart. La véritable question, aujourd’hui, est celle du seuil de référence pour calculer cet écart. En l’occurrence, il est fixé par la CRE aux alentours de 42 euros du MWh : tant que le coût de l’énergie renouvelable est supérieur, l’État subventionne. Mais quel est le coût réel de ces 42 euros ? Le coût du nucléaire comprend aussi l’installation, la mise en œuvre, le démantèlement et le stockage, c’est-à-dire le cycle de vie complet. Or les rapports de la Cour des comptes montrent que dans certains cas, la limite ne devrait pas être de 42 euros mais de 60 ou 70 euros, voire plus dans certains cas. Ainsi, on subventionne les EnR parce que leur coût est supérieur à 42 euros. Mais il manque, dans cette équation économique, le financement des coûts futurs – notamment ceux du démantèlement.

Je ne suis pas antinucléaire, mais je voudrais m’assurer que nous avons le bon équilibre et la bonne équation. La France n’est-elle pas piégée par son principe de tarifs réglementés ? Je ne dis pas qu’il faut augmenter le prix de l’électricité de 15 %. Mais nous envoyons à la population le message selon lequel le tarif de notre électricité est le plus bas tout en sachant que nous manquerons d’argent pour assurer le renouvellement et le démantèlement des centrales nucléaires – argent que le consommateur, donc le contribuable, devra payer à un moment ou un autre. Quelle est votre opinion sur ce point ?

M. Jacques Percebois. Si vous le permettez, je dissocierai le coût du nucléaire et l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH).

En tant que membre de la commission Champsaur, j’ai eu l’occasion d’étudier de près le sujet de l’ARENH. La Cour des comptes, dont tout le monde considère qu’elle fait autorité, indique que le coût moyen de production du MWh nucléaire, pour les 58 réacteurs qui existent en France, représente de 50 à 60 euros sur la durée de vie. Normalement, ce coût comprend celui de déconstruction des réacteurs en fin de vie et celui du stockage des déchets. Mais la Cour s’avère prudente sur ce point, en considérant qu’EDF a légalement l’obligation de constituer des provisions pour le démantèlement et pour le stockage des déchets. À l’époque, la ministre Mme Royal avait arrêté le coût du stockage à 25 milliards d’euros. D’autres, comme l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), prévoyaient un coût supérieur. Aujourd’hui, il est officiellement arrêté à 25 milliards d’euros. Mais, la Cour des comptes le dit bien, s’il est faux d’affirmer que l’on n’en tient pas compte, il n’est pas certain en revanche que les provisions suffiront. En effet, personne n’est aujourd’hui capable de dire que le coût de déconstruction sera bien celui qui a été anticipé. Le producteur argumente que l’on saura déconstruire les centrales en bénéficiant d’économies d’échelle, à l’instar de ce qui s’est passé pour leur construction. Ce n’est pas nécessairement garanti. Quant au coût de stockage, il est trop tôt pour se prononcer. En tout cas, il est faux de dire que l’on n’en tient pas compte.

Pour l’ARENH, la logique est différente. Il ne faut pas perdre de vue le contexte. Lorsque le marché s’est ouvert le 1er janvier 2000, les industriels ont pu quitter EDF dans de bonnes conditions dans la mesure où le prix du pétrole était bas – et donc celui de l’électricité faite avec du pétrole et du gaz l’était également. Ils étaient très contents ! Mais à partir de 2004, le prix du pétrole a monté, de même que ceux du gaz et de l’électricité. Les industriels se sont alors plaints et ont souhaité revenir aux tarifs réglementés de vente (TRV) – TRV vert et TRV jaune. Il leur a été répondu que ce n’était pas possible. La loi et la directive sont très précises à ce sujet : il est interdit de revenir en arrière. Par conséquent, le législateur a voté le tarif réglementé transitoire d’ajustement de marché (TARTAM), calé sur le TRV jaune et le TRV vert avec 10 %, 20 % et 30 % de plus. Évidemment, la Commission de Bruxelles a considéré que cela ne respectait pas les directives et correspondait à une subvention d’État – puisque le surcoût du TARTAM était financé par EDF. Une action en justice a donc été conduite contre la France.

C’est alors que le Gouvernement a créé la commission Champsaur, composée de parlementaires et d’experts, dont j’étais. À l’époque, l’objectif visait à maintenir des prix de l’électricité calés sur celui du nucléaire français. Après tout, les Français ont payé pour le nucléaire, il faut bien qu’ils en profitent ! Si c’est pour payer le prix du marché international, ce n’était pas la peine de faire cet effort en faveur du nucléaire. Dès lors, comment faire en sorte que le consommateur, industriel ou particulier, continue à bénéficier de ce tarif, tout en permettant aux concurrents d’EDF – qui n’ont pas de nucléaire et qui ne peuvent légalement pas en produire – d’entrer sur le marché ? Deux solutions étaient envisageables. La première consistait à taxer EDF, qui disposait d’un avantage compétitif, en prélevant une rente nucléaire de rareté. C’est le système qui a été adopté en Belgique. En France, en revanche, la commission Champsaur a retenu la seconde solution : obliger EDF à vendre près de 25 % de sa production, c’est-à-dire 100 TWh, à prix coûtant. Il convient de préciser ici que le prix coûtant n’est pas le prix moyen, puisqu’une grande partie du parc est amortie. Il s’agissait de permettre aux concurrents d’EDF de se sourcer sur la base du nucléaire EDF à prix identique au prix de revient pour cet acteur. Le rôle de la deuxième commission Champsaur a donc consisté à étudier les coûts du nucléaire pour EDF, pour finalement proposer un prix de 39 euros le MWh ou du moins une fourchette comprise entre 30 et 40 euros. Comme le rapport a été remis au moment de la catastrophe de Fukushima, le ministre de l’époque a décidé qu’il serait de 40 euros pour les six derniers mois de 2011, puis de 42 euros à compter de 2012. Ce n’est pas la CRE qui l’a décidé, mais le ministre. Depuis, il est resté à 42 euros.

Nous attendions un décret, qui n’est paru que très récemment et qui n’est d’ailleurs toujours pas officiel, précisant la façon dont la CRE devait calculer le niveau de l’ARENH. Mais nous n’avons pas eu vraiment besoin de nous préoccuper de l’ARENH dans la mesure où les prix du marché de gros ont chuté – possibilité que la commission Champsaur n’avait pas vraiment prévue, car nous étions en surcapacité avec beaucoup d’injection d’électricité renouvelable et une demande d’électricité relativement stable. L’erreur a été de croire que la demande d’électricité augmenterait : elle est stable depuis dix ans en France. Elle a même légèrement baissé. Cela signifie que l’on n’avait pas vraiment besoin de nouveaux équipements.

Comme il y a eu beaucoup d’injection en Europe, notamment de la part des Allemands, puisque les marchés sont interconnectés, les prix sur le marché de gros ont baissé. Et à certains moments, les concurrents d’EDF n’avaient pas besoin d’acheter de l’ARENH. D’autant qu’il s’agit de ce que l’on appelle une option gratuite : ils ne la demandent que quand ils en ont besoin – ce qui, d’ailleurs, est discutable. En principe en effet, une option doit avoir une contrepartie. Ici, l’acheteur décide d’acheter ou non de l’ARENH. Et s’il n’en achète pas, il laisse le producteur se débrouiller avec son électricité.

Toutefois, depuis 2019, le contexte a changé puisque les producteurs alternatifs anticipent la montée du prix sur le marché de gros et ont demandé de l’ARENH. Pour la première fois cette année, la demande d’ARENH a été de 130 TWh alors qu’elle est d’ordinaire plafonnée à 100. La CRE a été obligée de mettre en œuvre une stratégie de prorata pour baisser les revendications de chacun. Que faire, maintenant ?

Les alternatifs considèrent qu’il faut plus d’ARENH et demandent jusqu’à 150 TWh. Mais il faut être cohérent : si l’on demande à EDF de baisser la production nucléaire, on ne peut pas en même temps l’obliger à vendre plus d’électricité nucléaire à ce prix-là !

D’autres considèrent qu’il faut augmenter le niveau de l’ARENH. Mais avec quel seuil et par rapport à quel prix ? Le coût moyen est une chose. Le niveau de l’ARENH en est un autre. Et il existe aussi le coût cash, qui permet à EDF de faire face à la gestion de son parc qui ne dépasse pas 32 à 33 euros. Ainsi, quand EDF vend son électricité au-dessus de 32 euros sur le marché, elle récupère en quelque sorte sa mise. En revanche, cela ne lui permettra pas de financer de nouveaux équipements demain. C’est cela, le problème. Aujourd’hui, les prix du marché couvrent les coûts de l’existant, même quand ils sont bas. Mais ils ne permettront pas de construire de nouveaux équipements. Certes, on peut répondre que ce n’est pas dramatique tant que la demande n’augmente pas et qu’on reste en surcapacité. Mais si la demande augmente, il sera difficile de faire face à de nouveaux investissements.

M. Vincent Thiébaut. L’arrivée du véhicule électrique, que vous avez évoquée, posera d’importants problèmes.

M. Jacques Percebois. En effet, de même que les usages connectés. C’est la raison pour laquelle dans la PPE, on prévoit que la consommation finale baissera fortement – je ne suis pas aussi optimiste sur ce point, même si cette baisse est souhaitable – et que la demande d’électricité devrait croître avec les nouveaux usages, ce qui est logique.

Mme Claire OPetit. Dans une perspective d’autoconsommation croissante et dans la mesure où, vous l’avez rappelé, l’électricité ne se stocke pas, du moins pour le moment, les autoconsommateurs qui se transforment en producteurs en fonction des éléments climatiques ne risquent-ils pas de déséquilibrer les réseaux ? Pensez-vous que les compteurs Linky en cours de déploiement peuvent réellement contribuer à l’équilibre du réseau global de distribution, dans cette perspective d’autoconsommation croissante ?

Vous avez également parlé du coût très élevé des véhicules électriques. Il faudrait aussi citer l’impossibilité de les revendre après quatre ou cinq ans compte tenu des avancées opérées en matière de batterie. Ne faudrait-il pas demander aux constructeurs de prévoir un emplacement permettant de changer de batterie et d’installer une nouvelle batterie, plus petite, sur un même véhicule ? Cela pourrait favoriser l’acquisition de véhicules électriques.

M. Jacques Percebois. Indiscutablement, l’autoconsommation et l’autoproduction d’électricité intermittente posent des problèmes au gestionnaire du réseau. En effet, 95 % des injections d’électricité renouvelable se font sur le réseau de distribution. Mais à certains moments, quand trop d’électricité entre sur ce réseau, il faut la remonter sur le réseau de transport. En principe, le réseau est fait pour aller du sommet vers la base, pas l’inverse. Remonter l’électricité a donc un coût. D’autres coûts tiennent au fait qu’il existe des variations assez importantes. Il faut d’ailleurs développer le réseau de distribution à certains endroits, pour pouvoir récupérer cette électricité renouvelable. En résumé, le gestionnaire du réseau de distribution, Enedis en l’occurrence, doit tenir compte des coûts liés à l’autoconsommation et l’autoproduction.

À cela s’ajoute le fait que l’autoproducteur décide de faire appel au réseau quand cela l’arrange. Il faut donc au moins un tarif de secours, pour éviter ce que l’on appelle la « spirale de la mort » : tout le monde aura intérêt à mettre de l’autoproduction sur sa maison, et les pauvres ruraux qui n’auront pas les moyens de mettre du photovoltaïque paieront pour tout le monde sur le réseau. Cela n’est pas tout à fait logique. Il faut tenir compte de cet aspect redistributif. Cela suppose de mener une réflexion sur la tarification d’accès au réseau, le fameux tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).

Par ailleurs, il est vrai que les nouveaux outils numériques, parmi lesquels le compteur Linky, permettent d’arbitrer à distance : obliger à de l’effacement à certains moments et à certains types de stockage, pour une meilleure gestion. Aujourd’hui, le maître mot est la flexibilité sur le réseau, qui passe par une flexibilité de la production thermique classique, par l’effacement plus marqué de la demande à certaines heures et par du stockage/déstockage. Actuellement, le stockage est hydraulique à 95 %. Nous avons la chance, en France, d’avoir 12,5 % d’électricité hydraulique et beaucoup de stockages, grâce aux barrages. Mais y a-t-il encore un potentiel de stations de pompage, c’est-à-dire de barrages permettant de stocker l’électricité ? À mon avis, oui – sur le papier, du moins. Mais il n’est pas très facile de construire des barrages aujourd’hui, tant l’opposition est forte : nous ne construirions pas aujourd’hui les barrages que nous avons construits dans les années 1950. Personne ne le conteste.

Pour le reste, je partage vos propos concernant le véhicule électrique. Aujourd’hui, la plupart des bornes sont installées chez les particuliers. Un effort plus important doit être consenti pour développer les bornes publiques. Il faut aussi anticiper qu’il y aura beaucoup de progrès techniques. En l’occurrence, je considère que les personnes modestes ne doivent pas se lancer dans l’acquisition de ce type de véhicule, car elles peineront à faire face aux progrès techniques dans les prochaines années. Il me semble que c’est le rôle de la puissance publique d’anticiper les progrès qui peuvent être attendus dans ce domaine.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez évoqué la tendance à aller vers des microgrids et de la production locale, avec des micro réseaux à l’intérieur du réseau, qui se heurterait à la volonté d’aller vers une Europe de l’énergie qui serait un macro réseau. D’aucuns considèrent qu’il faut revenir à une France de l’énergie, car notre pays sait produire une électricité peu coûteuse. N’aurions-nous pas intérêt à revenir à une logique nationale ? Quel intérêt y a-t-il à être sur le réseau européen ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Jacques Percebois. Avant la loi de nationalisation de 1946, la France comptait près de 1 500 entreprises d’électricité et les prix variaient largement d’une région à l’autre. Dans la région de Grenoble, par exemple, le prix de l’électricité était plus faible grâce à l’hydraulique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle de gros industriels s’y sont installés. En créant la péréquation spatiale, qui est à mon avis une bonne chose, la loi de nationalisation a permis une neutralité du territoire et l’interconnexion du réseau français.

Par ailleurs, les électriciens européens ont compris la nécessité de s’interconnecter avant même la création de l’Europe. L’Europe de l’électricité a précédé l’Europe économique dans la mesure où dès les années 1950, l’Union de coopération des producteurs et transporteurs d’électricité (UCPTE) permettait de faire du secours mutuel en interconnectant le réseau. À l’époque, il ne s’agissait pas de se vendre massivement de l’électricité, mais d’assurer la sécurité du réseau : plus il est interconnecté, plus l’on peut faire appel au réseau d’à côté en cas de difficultés. Certes, si un réseau allemand était fragile à un certain moment, par exemple, cette fragilité pouvait se répercuter sur le réseau français. Mais les interconnexions avaient globalement du bon.

Avec la création de lEurope économique, linterconnexion des réseaux sest traduite par une volonté dexporter et dimporter de lélectricité. Les industriels allemands ont considéré quils devaient pouvoir acheter directement à EDF pour bénéficier de tarifs plus bas. Cest cela, lEurope ! Évidemment, lon pourrait considérer que dans la mesure où nous avons la chance davoir de lélectricité moins chère que les autres, nous devrions nous replier sur notre réseau national. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne solution. À certains moments en effet, nous sommes bien contents dacheter de lélectricité aux Allemands, ne serait-ce quen période de pointe. Il arrive même que nous arrêtions des centrales en France pour acheter de lélectricité allemande moins chère car lélectricité renouvelable est très développée dans ce pays. En définitive, nous avons donc intérêt à rester interconnectés.

Jajoute que nous parlons aujourdhui des microgrids, mais que je reste dubitatif sur ce point. En effet, je reviens au problème du foisonnement : le grand mérite du réseau interconnecté est le foisonnement. Si deux ou trois consommateurs ont chacun besoin de 10 kW et si chacun produit son électricité, il faut construire trois fois 10 kW. Mais sils sont interconnectés, vous pouvez ne construire que deux fois 10 kW, car tout le monde nappellera pas le réseau au même moment – à lexception de la pointe. Aujourdhui, certains envisagent même des réseaux mondiaux interconnectés. Il existe ainsi un projet chinois de la route de la soie électrique, un peu pharaonique mais qui mérite dêtre pris au sérieux, qui consiste à envisager un réseau à ultra haute tension pour envoyer de lélectricité partout en Europe. En effet, le nord-ouest de la Chine dispose de beaucoup délectricité renouvelable, parfois même trop. En outre, plus la tension est élevée, moins il y a de perte en ligne.

Où est la solution ? Je n’ai pas la réponse ! En tout état de cause, je pense qu’il y a de la place pour les réseaux locaux et les réseaux interconnectés. Je reste simplement un peu réservé quant aux grands réseaux interconnectés. Je pense aux projets Désert Tech qui consistaient à installer des équipements photovoltaïques dans le Sahara pour alimenter l’Europe : on craint parfois la dépendance à l’égard du gaz russe, mais celle à l’égard de l’électricité du Sahara serait, à mon avis, dramatique. En effet, si l’on peut stocker le gaz, il est possible de couper l’électricité de façon instantanée. Je signale, à cet égard, que chaque pays est maître chez lui. Aujourd’hui, le pays qui dépend le plus des importations est l’Italie, avec un taux supérieur à 10 %. Mais la production d’électricité est d’abord nationale. C’est d’ailleurs ce qui explique que les coûts de production de l’électricité sont très différents d’un pays à l’autre.

En somme, je ne suis pas certain que le repli sur soi soit la bonne solution.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Vous avez indiqué que, cette année, les acteurs avaient anticipé une hausse des prix de gros sur le marché parce que nous sommes en surcapacité. L’ARENH répond-il à cette volatilité ? Ne faut-il pas le réformer ? Quelles sont les autres pistes que l’on pourrait envisager pour mieux réguler le jeu des prix de marché vis-à-vis d’un ARENH fixe.

M. Jacques Percebois. Je pense que l’ARENH a joué son rôle. Tout le monde le reconnaît. Ce dispositif a en effet permis aux alternatifs, c’est-à-dire aux concurrents d’EDF, d’entrer sur le marché. Il faut être présent sur le marché de l’électricité. Les pétroliers s’y mettent. Ainsi, Total anticipe le développement du véhicule électrique. Les GAFA s’y intéressent aussi. Et pour cause, qui dit véhicule électrique dit application numérique.

Dans ce contexte, EDF doit-elle continuer à aider les alternatifs, avec un ARENH à 42 euros ? À mon avis, il existe d’autres solutions. La première consiste à considérer que l’ARENH a joué son rôle et qu’il n’est pas utile de le maintenir. Mais il faut alors se montrer cohérent. La logique de l’ARENH visait aussi à calculer le tarif réglementé pour les particuliers, dit TRV Bleu. Ainsi, si l’on arrête l’ARENH, il faut aussi supprimer ce tarif. Le jaune et le vert ont déjà été supprimés, et il faudrait logiquement mettre un terme au bleu.

Pour ma part, supprimer l’ARENH ne me gênerait pas. Ce dispositif a joué son rôle. Normalement, la loi dispose qu’il doit aller jusqu’en 2025.

L’autre solution envisagée consiste à faire 100 % d’ARENH, avec une entreprise régulée totalement publique au sien d’EDF, dans laquelle le nucléaire serait sanctuarisé. Tout le monde pourrait alors acheter de l’ARENH … EDF comme les autres. Le risque que certains y voient, politiquement, est que cette sanctuarisation du nucléaire soit la première étape vers la fin du nucléaire en France.

Personnellement, je pense que l’ARENH a joué son rôle et qu’il ne serait pas dramatique de la supprimer. Les alternatifs, quant à eux, y sont opposés.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Si l’on supprime l’ARENH et le TRV bleu, cela conduira-t-il à une augmentation ou à une baisse des prix ? Que dit l’économiste sur ce sujet ?

M. Jacques Percebois. Aujourd’hui, les tarifs en offre de marché sont plus bas que les tarifs réglementés de vente.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Et à moyen terme ?

M. Jacques Percebois. Certains ont le sentiment qu’ils sont protégés parce qu’ils sont au TRV. Mais il peut arriver que des offres de marché soient en dessous de ce tarif. Les prix risquent-ils d’augmenter à moyen terme, notamment si ceux du pétrole et gaz s’accroissent ? Ce risque existe toujours. Mais, même si la Commission européenne accepte en principe que la France maintienne un TRV bleu, le Conseil d’État considère qu’il faut le supprimer pour le gaz. Ne faudra-t-il pas le supprimer, à terme, pour l’électricité ? C’est un sujet politiquement très délicat. Certains y verraient le signal qu’on abandonne un tarif pour les particuliers.

En tout état de cause, supprimer l’ARENH sans mettre fin au TRV bleu serait contradictoire. La commission Champsaur et la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », les avaient d’ailleurs associés.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Je vous remercie pour cette audition.

Laudition sachève à dix-huit heures quarante-cinq.

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21.   Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Sauquet, directeur général Strategy-innovation, directeur général de la branche Gas, renewables and power (GRP) et membre du Comité exécutif de la société Total, accompagné de M. Damien Steffan, directeur délégué relations institutionnelles France, et de Mme Evgeniya Mazalova, attachée de presse (7 mai 2019)

Laudition débute à dix-sept heures.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons aujourd’hui Philippe Sauquet et Damien Steffan, représentants du groupe Total. Messieurs, nous vous demanderons comment une compagnie pétrolière et gazière mondiale comme Total adapte sa stratégie, à moyen terme, à un contexte où le pic pétrolier est sans cesse annoncé et repoussé, où l’inquiétude climatique nourrit des politiques de décarbonation des énergies primaires et secondaires, et où les constructeurs automobiles s’engagent toujours davantage dans le véhicule électrique.

Total est la quatrième compagnie pétrolière et gazière mondiale, en passe de devenir le deuxième acteur international du gaz naturel liquéfié. Ce groupe sert 8 millions de clients chaque jour et est le leader européen de la distribution de carburant. Dans vingt ans, le gaz naturel pourrait représenter 60 % du mix de production d’hydrocarbures de Total.

Le gaz naturel est l’énergie fossile qui émet le moins de gaz à effet de serre. Il est, sinon l’énergie déterminante de la transition en cours, du moins une énergie sur laquelle il conviendrait de se pencher. Il permet de produire de la chaleur et de l’électricité tout en émettant moins de gaz carbonique (CO2) que ne le fait charbon. Ajoutons qu’il peut également être utilisé comme carburant.

Les réalités auxquelles renvoie le mot carburant évoluent. Elles recouvrent ainsi l’incorporation de biocomposants dans le carburant, permettant de fournir des biocarburants, dont le biodiesel, mais aussi la recherche de carburants dits propres pour le transport aérien, ou encore l’utilisation de nouveaux types de carburant, comme le gaz naturel pour les poids lourds ou le gaz naturel liquéfié (GNL) de soute dans l’industrie des porte-conteneurs.

Enfin, Total s’investit dans le développement des énergies renouvelables, en particulier dans le solaire photovoltaïque, ainsi que dans le stockage d’électricité avec sa filiale Saft.

Il sera donc aujourd’hui question de stratégie d’adaptation et de changements technologiques. Quel est le mix énergétique de Total dans le mix énergétique global marqué par la montée en puissance de l’énergie électrique ? Quel sens y aurait-il à opposer une « ancienne » à une « nouvelle » énergie ? Dans les politiques volontaristes de subvention, que serait-il raisonnable ou chimérique de mettre en œuvre pour passer outre l’inertie de modèles technologiques ayant fait leurs preuves ? En particulier, le levier politique se montre-t-il raisonnable lorsqu’il prétend accélérer l’arrivée à maturité de solutions techniques se trouvant encore au stade de la recherche, mais trop souvent présentées comme prochainement accessibles, comme le stockage d’électricité ou l’hydrogène ?

Enfin, messieurs Sauquet et Steffan, quel est votre point de vue sur la tarification du carbone ?

Avant de vous donner la parole, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demanderai de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Philippe Sauquet et Damien Steffan prêtent successivement serment.)

M. Philippe Sauquet, directeur général « Stratégie et innovation », directeur général de la branche Gas, Renewables and Power (GRP) et membre du comité exécutif de la société Total. Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités dans le cadre de cette commission, et de nous donner ainsi de l’occasion de souligner l’importance que revêtent pour nous les énergies renouvelables.

Les énergies renouvelables sont au cœur de la stratégie du groupe Total, et ne constituent en rien, pour lui, une nouveauté. Voilà déjà quarante ans que nous sommes actifs dans l’énergie solaire. L’aventure des énergies renouvelables a donc commencé pour nous il y a longtemps. Elle ne répond en rien à un effet de mode, mais correspond à une conviction que le groupe s’est forgée à travers son engagement presque centenaire à l’échelle planétaire, selon laquelle le monde a besoin d’énergie. Nous avons en outre la conviction qu’il n’existe pas d’énergie idéale, et qu’il convient de faire évoluer le mix énergétique en prenant en compte la demande et l’offre permettant d’y répondre avec ses limites, ses contraintes de disponibilité et de coût et, bien sûr, les enjeux environnementaux afférents.

À ce stade de son histoire, le groupe Total doit résoudre une équation dont les deux principaux termes sont les suivants : d’une part, une population mondiale en croissance aspirant à l’énergie et à un certain confort de vie, d’autre part, la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre – notamment du secteur énergétique – pour limiter le réchauffement climatique. Total, qui est souvent décrit comme un groupe pétrolier – voire, dans le meilleur des cas, pétrolier et gazier – entend contribuer à résoudre cette équation. La définition qui nous correspond le mieux est celle d’un groupe énergétique qui intègre les enjeux climatiques dans sa stratégie, et qui a pour ambition d’apporter à ses clients une énergie abordable, disponible et propre, quelle que soit sa nature. Le pétrole, difficilement contournable dans le transport et la chimie, le gaz, énergie fossile la moins émettrice de CO2 et très abondante sur la planète, mais aussi l’électricité à bas carbone produite à partir de gaz ou d’énergie renouvelable, font aujourd’hui partie de notre cœur de métier. À ce titre, Total est un acteur à part entière de la transition énergétique, que je préfère d’ailleurs qualifier d’évolution. L’évolution du mix énergétique est en effet un processus de longue haleine qui a commencé avec l’histoire de l’humanité et se poursuivra avec elle.

Total étant un groupe mondial, sa stratégie l’est tout autant. En matière de carbone, son enjeu est de limiter les émissions à l’échelle de la planète et non d’un seul pays. Le groupe prend en compte les besoins de ses clients dans chacun des 130 pays où il opère. Nous intégrons bien entendu les objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés par les États lors de la conférence internationale de 2015 sur le climat, soit 35 milliards de tonnes de CO2 émises à un horizon de vingt ans, à comparer aux 35 milliards de tonnes émises en 2010 et aux 75 milliards de tonnes qui seraient émises en 2035 si les tendances actuelles n’étaient pas inversées.

Nous prenons également en compte les scénarios de mix énergétique susceptibles d’atteindre ces objectifs. Les scénarios à faible émission de carbone publiés par les experts – par exemple, le sustainable development scenario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – font ressortir trois enseignements incontournables. Tout d’abord, nous devrons déployer une efficacité énergétique considérable pour maintenir une consommation d’énergie stable, tout en satisfaisant les besoins d’une population en croissance. Nous devrons ensuite développer des énergies renouvelables non émettrices de CO2. Enfin, nous devrons faire évoluer le mix d’énergies fossiles vers le gaz, lequel est deux fois moins émetteur de CO2 que le charbon. Ajoutons que la captation d’une partie, même limitée, des émissions de CO2 constituera un besoin incontournable à l’horizon de 2035.

Total est pleinement convaincu qu’il doit prendre en compte ces trois axes. N’oublions pas, pour autant, que le mix énergétique de ces scénarios correspond à une évolution et non à une révolution. Cette évolution n’a rien de facile. Elle implique des efforts gigantesques de développement de nouvelles technologies ainsi que de construction d’infrastructures de production, de transformation et de transport d’énergie. Cette évolution est nécessairement progressive. Selon les scénarios précités, la part des énergies renouvelables de dernière génération – solaire et éolien – passerait de 2 % à seulement 11 % du mix mondial à un horizon de 20 ans. La part de la biomasse moderne, principalement des biocarburants, passerait de 5 % à 9 % du mix mondial à l’horizon de 2035-2040. Les biocarburants ne font certes pas l’unanimité, mais permettent de réduire les émissions de CO2. Quant à la part de l’hydroélectricité, elle passerait de 3 % à 4 % à la même échéance, le nombre de sites pouvant accueillir des équipements de production hydraulique étant limité sur la planète. À l’échelle mondiale, la part du nucléaire passerait de 5 % à 9 %. Pour en venir aux énergies fossiles, la part du charbon devrait se contracter fortement, passant de 27 % à 15 % du mix mondial. Le pétrole devrait également diminuer, sa part passant de 32 % à 26 % du mix mondial. Enfin, la part du gaz devrait croître, pour passer de 22 % à 25 % du mix mondial.

En tant qu’acteur responsable, Total continue de développer un mix vertueux. Nous avons mis fin à notre activité de charbon dès 2015. Nous croyons à la nécessité des énergies renouvelables, mais aussi à une part accrue du gaz, à une efficacité énergétique renforcée et à des puits de carbone plus nombreux. Cependant, ne demandez pas à Total de cesser son activité pétrolière ! La planète aura encore besoin de pétrole pendant des décennies. Si des acteurs, tels que Total, cessaient de produire du pétrole, le prix du carburant à la pompe connaîtrait une flambée.

J’en viens aux actions menées par Total en matière de transition énergétique. Notre premier axe, peut-être le plus important à nos yeux, est le combat contre le charbon au profit d’une électricité faiblement émissive de CO2, issue du gaz ou d’énergies renouvelables. Pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, il nous paraît prioritaire de restreindre l’usage du charbon. Celui-ci constitue aujourd’hui la première source mondiale d’électricité, mais aussi la principale source d’émissions de CO2 du secteur énergétique. Il peut être remplacé par du gaz ou des énergies renouvelables. Certes, le gaz est une énergie fossile. Il est toutefois deux fois moins émissif de CO2 que le charbon lorsqu’il est utilisé pour la génération électrique.

Total est favorable à un prix du carbone qui envoie un signal incitatif aux utilisateurs. Sur la planète, le charbon est souvent moins coûteux que le gaz. Cesser d’y recourir aura un coût économique et social. Nous sommes favorables à un signal économique qui accélérerait l’abandon ou le déclin du charbon via un prix du carbone. Un « signal prix » de 20 dollars la tonne de CO2, relativement raisonnable, suffit à susciter un basculement du charbon vers le gaz dans la production d’électricité. C’est le moyen le moins coûteux et le plus rapide de réduire massivement les émissions de CO2, d’autant que des centrales à cycle combiné gaz existent mais ne sont pas utilisées à plein, à la différence des centrales à charbon. Un signal prix ad hoc permettrait donc de réduire considérablement les émissions de carbone. Nous en avons fait le constat en Europe, notamment au Royaume-Uni mais aussi aux États-Unis, et pourrions assister au même phénomène dans d’autres pays, en particulier en Allemagne.

Un signal-prix de 20 dollars supplémentaires par tonne de CO2 provoquerait une transition vers les énergies renouvelables, notamment le solaire et l’éolien. Ce serait certes plus coûteux, et ces énergies présentent une contrainte d’intermittence. Enfin, un signal-prix cinq fois plus élevé serait nécessaire pour provoquer un basculement du charbon vers le solaire ou l’éolien couplé à des batteries, ce qui permettrait de s’affranchir du problème de l’intermittence. Le combat contre le charbon est donc essentiel, et nous le menons dans tous les pays où nous intervenons, depuis l’Europe jusqu’à la Chine, en passant par le Japon, la Corée, l’Inde et l’Afrique.

Passons au deuxième axe grâce auquel nous entendons gagner en efficacité et rendre un meilleur service à nos clients. Nous souhaitons leur apporter nous-mêmes et directement l’énergie et les services dont ils ont besoin. L’Europe et la France fournissent la meilleure illustration de la manière dont nous voulons intégrer, sur toute la chaîne, la production d’énergies faiblement émissives en carbone. En France par exemple, nous avons entrepris d’intégrer ces activités jusqu’aux clients finaux, tout au long de la chaîne du gaz, jusqu’à l’électricité. Nous sommes conscients que nos clients consommeront une part croissante d’énergie sous forme d’électricité, celle-ci étant d’un usage facile et évitant toute pollution locale. L’électricité fait indéniablement partie de nos activités de base. Aujourd’hui, Total compte quelque 5 millions de clients en gaz et électricité en Europe. Pour la seule France, nous visons en la matière une part de marché de 15 % à un horizon de cinq ans, correspondant à 6 millions de clients résidentiels.

Nous souhaitons produire une part croissante de l’électricité que nous commercialisons, en nous limitant strictement à une électricité faiblement émissive en carbone et en excluant le nucléaire. Nous entendons ainsi ne produire de l’électricité qu’à partir de gaz et de sources renouvelables, solaires, éoliennes et hydrauliques. Nous disposons de quatre centrales à cycle combiné gaz en Europe de l’Ouest, pour une capacité de 1,6 gigawatt (GW). Nous gagnerons deux centrales supplémentaires lorsque l’accord de cession entre Uniper et EPH sera finalisé, pour une capacité de 800 mégawatts (MW). Nous avons entrepris la construction d’une centrale à Landivisiau, à hauteur de 400 MW, qui aidera à sécuriser l’approvisionnement électrique de la Bretagne. Nous disposons également d’une base de production d’électricité renouvelable.

Notre aventure dans le solaire a commencé il y a quarante ans avec la production de panneaux photovoltaïques et l’alimentation en électricité solaire de villages africains non connectés au réseau. Nous avons considérablement accéléré cette dynamique en 2011 en acquérant une part majoritaire du capital de l’équipementier américain SunPower. Ce dernier était alors l’un des leaders des cellules et des panneaux solaires, mais avait été fragilisé par la réduction des soutiens publics aux énergies renouvelables postérieure à la crise de 2009. Il nous semblait important d’être un fabricant de cellules photovoltaïques pour contribuer à une baisse des coûts de cette technologie et assurer son succès. Les résultats ont été probants sur la chaîne photovoltaïque, puisque les coûts y ont été divisés par dix. La compétitivité de l’énergie solaire est désormais assurée.

Dans les années 2015-2016, nous avons affirmé notre ambition de devenir un producteur d’électricité solaire, au-delà d’un fabricant de cellules et de panneaux photovoltaïques. Afin d’accélérer l’essor de la production d’électricité renouvelable, solaire et éolienne, nous avons décidé de créer l’entité Total Solar et de développer, en partenariat, la société Eren, devenue Total Eren. Depuis notre rachat de Direct Énergie en 2018, nous avons intégré au sein du groupe les activités de la société Quadran. Grâce à cette dernière, nous disposons en France d’une capacité combinée – éolien terrestre et photovoltaïque – de quelque 700 MW. À l’échelle mondiale, nous visons une puissance de 7 GW en solaire et éolien terrestre à un horizon de cinq ans. L’éolien marin s’y ajoutera.

L’éolien marin constitue d’ailleurs notre troisième axe de développement. Nous avons appréhendé ce domaine avec des doutes manifestes durant de nombreuses années. En effet, les coûts de construction et d’entretien de ces infrastructures nous paraissaient prohibitifs. Nous n’envisagions pas de solliciter des subventions au niveau élevé qui était requis pour développer ces projets. Depuis, les technologies ont évolué. Nous sommes convaincus qu’elles permettent désormais de développer des projets d’éolien marin à un coût compétitif. C’est ainsi que nous avons remis récemment une offre conjointe avec Orsted – groupe danois qui occupe la première place mondiale de l’éolien marin avec 30 % de parts de marché – ainsi qu’avec le belge Elicio, pour le projet de parc éolien en mer au large de Dunkerque. En parallèle, nous étudions l’installation d’une batterie de grande puissance – 25 MW – à proximité du site, afin de contribuer à l’équilibre du réseau électrique.

Ceci nous conduit à notre quatrième axe, les batteries. L’intermittence des énergies renouvelables telles que le solaire et l’éolien prend une importance croissante à mesure que croît la part d’électricité produite à partir de ces sources. L’intermittence n’est pas problématique lorsque 5 % du mix électrique sont produits à partir de solaire et d’éolien, mais le devient véritablement si l’on entend porter cette proportion à 30 % ou 40 %.

Il existe aujourd’hui trois solutions économiquement envisageables pour pallier cette intermittence, le gaz au premier chef. Ainsi, les centrales à cycle combiné gaz permettent de compenser presque en temps réel les variations des énergies renouvelables. La deuxième solution est hydraulique. Les stations de transfert d’énergie par pompage permettent en effet de pomper et stocker de l’eau pendant la journée, puis de la turbiner pour produire de l’électricité durant la nuit. Ce moyen est néanmoins limité par la disponibilité des sites. La troisième solution réside dans les batteries. Total a souhaité devenir un acteur industriel dans ce domaine. C’est pourquoi, en 2016, il a acquis Saft, leader des batteries de spécialité pour l’espace, la défense et les télécommunications.

Lorsque nous en avons fait l’acquisition, Saft était peu présent dans le stockage d’énergie stationnaire. Nous avons souhaité développer activement ce domaine. Nous y visons aujourd’hui deux priorités. La première est un programme de recherche et développement dans le domaine des batteries lithium-ion à électrolyte solide, que nous menons avec des partenaires européens tels que Solvay, BASF, Siemens et Umicore. Ce programme vise à commercialiser, aux environs de 2025, des batteries plus sûres et plus denses en énergie, assurant une autonomie accrue. La deuxième priorité est d’améliorer encore la technologie actuelle des batteries lithium-ion à base d’électrolyte liquide, pour en accroître la sécurité et la densité, tout en réduisant leur coût autant que possible. À cet effet, nous avons créé une joint-venture en Chine avec la société Tianneng. Elle nous donne accès à un outil de grande capacité – soit 2 gigawattheures (GWh) de capacité de production annuelle, facilement extensibles à 4 GWh – pour produire à coûts bas. Elle nous procure en outre l’accès à l’important marché chinois.

Passons au cinquième axe qui guide le groupe Total, le véhicule électrique. Nous y croyons fermement et avons la conviction qu’il se développera, de façon prioritaire en milieu urbain où il contribue à réduire la pollution locale et les nuisances sonores, sans susciter trop de contrainte d’autonomie pour les utilisateurs. Nous entendons d’abord appréhender le véhicule électrique par le prisme de l’offre d’énergie, en offrant à nos clients la possibilité de s’approvisionner chez Total, qu’ils aient un véhicule thermique – essence, diesel ou gaz –, hybride ou électrique. Notre priorité est de leur donner accès à des bornes de recharge dans nos stations. Nous avons déjà engagé un travail en ce sens, en visant un maillage de bornes de recharge au sein de notre réseau de stations-service tous les 150 kilomètres en Europe de l’Ouest. À terme, 1 000 bornes à très haute puissance seront installées dans environ 300 stations. Naturellement, nous étudions aussi la façon d’offrir à nos clients la possibilité de s’approvisionner sur d’autres sites, notamment à leur domicile. Nous avons ainsi repris la société G2mobility, spécialisée dans l’installation et la gestion de bornes de recharge électrique, qui gère aujourd’hui 10 000 points de charge dans le domaine public en France, installés au sein de collectivités publiques et d’entreprises. Notez enfin que les constructeurs automobiles, soumis à l’obligation de compter dans leurs ventes une large part de véhicules électriques dès 2025, s’inquiètent de leur capacité à se procurer des batteries et à faire face, en la matière, à la concurrence chinoise.

Notre sixième axe est celui des biocarburants. Nous avons toujours considéré qu’ils constituaient un moyen rapide, disponible et efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous incorporons depuis longtemps des biocarburants dans les carburants fossiles, en accord et en cohérence avec les politiques, notamment européennes, qui régissent ce domaine. Je ne résisterai pas à citer un projet qui nous tient à cœur et défraie aujourd’hui la chronique, la création d’une capacité de production de biocarburants à La Mède, dans les Bouches-du-Rhône. Nous avons présenté ce projet en 2015 en vue de reconvertir une raffinerie de pétrole. Il a reçu à l’époque les encouragements et l’approbation des autorités. Il consiste à traiter des huiles végétales pour produire des biodiesels de haute qualité, parfaitement miscibles avec les carburants pétroliers, sans limite maximale d’incorporation. Cet approvisionnement était et reste envisagé, de façon prioritaire, à partir d’huiles usagées, dans une logique d’économie circulaire. Cependant, bien que nous y ayons travaillé avec les partenaires les plus compétents, notamment Suez, le potentiel reste limité par rapport aux enjeux. Nous savions donc d’emblée que nous devrions compléter l’approvisionnement par d’autres huiles végétales, dont de l’huile de palme. Cette dernière est la plus économique sur les marchés, car elle présente le meilleur rendement à l’hectare. En cela, elle minimise l’impact sur les surfaces de production. Dès le départ, nous avions pris l’engagement de nous approvisionner exclusivement en huile de palme certifiée durable. Des certifications existent en effet pour garantir que l’approvisionnement est effectué auprès de producteurs qui s’engagent à respecter un ensemble de contraintes, notamment en matière de déforestation. Les évolutions législatives récentes nous placent dans une position extrêmement difficile. Les industriels ont besoin d’une législation stable afin d’avoir la visibilité nécessaire pour procéder à des investissements et préserver leurs emplois. Or les dernières décisions ayant été prises, si elles sont maintenues, font peser une menace sur les 250 postes que nous souhaitions maintenir à La Mède. Je suis prêt à répondre à vos questions sur ce sujet.

Le septième axe de notre stratégie de réduction des émissions de CO2 réside dans les puits de carbone. Nous y travaillons à travers un grand projet de stockage de carbone en Norvège, après le pilote que nous avons conduit avec succès à Lacq il y a quelques années. Nous souhaitons en outre engager un développement plus important des puits naturels, en particulier dans les forêts.

Il y a bien d’autres domaines dans lesquels j’aurais pu vous présenter la position du groupe Total, comme le biogaz, l’hydraulique ou encore l’hydrogène – lequel n’est pas une énergie mais un vecteur propre, à l’instar de l’électricité. Toutefois, le temps nous presse, et je me propose de répondre à vos éventuelles questions sur ces sujets.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Lors d’une précédente audition, nous avons eu la surprise d’apprendre que la part des biocomposants dans les biocarburants était assez variable, sans véritable garantie pour les clients. Quelle en est la lisibilité pour les consommateurs ?

M. Philippe Sauquet. Lorsque les premières réglementations européennes ont paru sur l’incorporation de biocomposants dans les biocarburants, il n’existait aucune norme. Des biocarburants ont été développés à base d’éthanol dans l’essence, et à base d’huile végétale dans le diesel. Un débat a ensuite eu cours sur la concurrence qui s’exerçait entre les cultures destinées à l’alimentation et celles qui étaient destinées aux biocarburants. Les surfaces disponibles pour les activités agricoles sont en effet, par définition, contraintes. Est ainsi apparu le concept de biocarburant de deuxième génération, censé ne pas entrer en concurrence avec l’alimentation humaine. Il consiste à utiliser la lignocellulose. Or cette biomasse de deuxième génération est très coûteuse, plus encore que la première. Elle correspond à la partie des plantes qui résiste le plus à l’agression et à la déconstruction de son squelette en carbone. Nous y travaillons néanmoins, en particulier dans le cadre du projet pilote BioTfuel à Dunkerque. Ses coûts sont sans commune mesure avec ceux de la première génération. Notez, pour finir, que les réglementations européennes différencient les parts de biocarburants de première et de deuxième génération pouvant être incorporées.

Le dernier débat introduit en France à l’occasion du projet de La Mède est d’une autre nature. Il consiste à attaquer le principe même selon lequel les biocarburants pourraient contribuer à la réduction des émissions de CO2. En la matière, les réglementations sont inexistantes. Nous peinons à trouver une base rationnelle aux législations prises dans certains pays, y compris en France. Aussi nous trouvons-nous dans une situation d’inconfort. Un procès médiatique a été intenté à l’huile de palme, en partie pour ses qualités gustatives – domaine dans lequel je suis incompétent. Quoi qu’il en soit, l’huile de palme est employée de longue date dans le domaine énergétique. Les premiers agriculteurs français à avoir développé la filière des biocarburants à base d’esters d’huile végétale importent depuis longtemps de l’huile de palme. Total n’est donc en rien pionnier en la matière, contrairement à ce qui a pu être dit. Sur le fond, la discussion est complexe. Les pays producteurs d’huile de palme manifestent leur incompréhension quant aux récriminations qui leur sont faites : ils affirment que s’ils devaient passer à l’huile de colza, ils utiliseraient davantage de surfaces, de pesticides et d’engrais. La Malaisie et l’Indonésie sont manifestement trop éloignées de nos contrées pour arriver à s’y faire entendre. Des pays africains produisent aussi de l’huile de palme et préfèrent rester silencieux dans ce débat. À ce sujet, je vous encourage à écouter les experts du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Les grands spécialistes de l’huile de palme et des semences de palmiers à huile sont en effet français et représentés par cet organisme.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je crois avoir compris que les biocarburants résultaient de l’incorporation de biocomposants dans des carburants classiques. Or, le pourcentage de ces biocomposants semble être variable à la pompe. Les consommateurs ont donc le sentiment d’acheter un carburant vertueux, mais n’ont pas d’assurance sur sa composition.

M. Philippe Sauquet. Il existe une incitation économique évidente à maximiser le pourcentage d’huile végétale dans le diesel ou d’éthanol dans l’essence. Les acteurs ont tout intérêt à atteindre le taux maximal d’incorporation, qui est compris entre 8 % et 9 % selon les pays.

M. le président Julien Aubert. Ce calcul s’effectue néanmoins en moyenne. Lorsqu’un consommateur fait le plein à une station-service, il ne peut pas être certain que le biocarburant qu’il met effectivement dans son réservoir contient 9 % de biocomposants.

M. Philippe Sauquet. En effet. Le même phénomène vaut pour l’électricité : les électrons sont les mêmes, qu’ils soient produits à partir d’électricité, de charbon, de nucléaire ou d’énergie renouvelable. Nous procédons à des raisonnements en moyenne. Il n’est donc pas possible de garantir qu’un consommateur précis met dans son réservoir un biocarburant atteignant le pourcentage maximal d’incorporation.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Sauquet, vous semblez opposer un certain effet de mode, appelant une accélération, à une logique de transition plus progressive qui est selon vous en œuvre. Quelle forme prend cet effet de mode, et comment se manifeste-t-il dans les différentes régions du monde ?

M. Philippe Sauquet. Total est véritablement engagé à développer les nouvelles énergies, notamment renouvelables. Nous sommes fondamentalement agnostiques en termes d’énergie. Nous résistons à un effet de mode qui affirmerait, de façon simpliste, que la solution réside exclusivement dans le solaire ou l’éolien. L’acceptabilité de l’éolien varie selon les pays et les régions. Le solaire, pour sa part, est plutôt bien perçu. Gardons-nous pour autant de croire qu’en cinq ou dix ans, il sera possible de basculer l’ensemble du mix énergétique de la planète vers l’énergie solaire. Cela induirait un goulot d’étranglement dans l’accès aux matières premières, et soulèverait un réel problème d’intermittence.

Nous devons tenir un cap sans en dévier, afin de ne pas gaspiller les investissements et les subventions lourds requis dans ces domaines. Il faut savoir s’adapter à l’environnement spécifique de chaque pays pour concilier l’ambition de réduire les émissions de CO2 et la capacité à proposer une offre énergétique abordable pour les clients. Un coût trop élevé de l’énergie engendrerait de réelles difficultés avec les consommateurs, voire avec les électeurs.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur le directeur général, vous avez évoqué le risque de suppression de 250 emplois dans votre installation de La Mède. À l’inverse, combien d’emplois envisagez-vous de créer grâce au développement des énergies renouvelables ?

M. Philippe Sauquet. De toute évidence, le développement de nouvelles énergies s’accompagne de la création d’emplois. Dans le domaine de l’efficacité énergétique par exemple, Total a acquis en 2017 la société GreenFlex, dont l’effectif est passé de 200 à 350 employés. Notez qu’une partie des emplois liés au développement de nouvelles énergies n’est pas nécessairement localisée dans les pays qui les consomment. Hier, les panneaux et cellules solaires étaient largement fabriqués en Europe, notamment en Allemagne qui en fut le premier marché mondial. Désormais, la Chine assure l’essentiel de cette production au plan mondial. Les emplois afférents à ces technologies peuvent donc être délocalisés. L’installation physique des équipements, elle, ne le peut pas. Force est de constater que le monde occidental a perdu la bataille des composants du photovoltaïque au profit de la Chine. Si nous n’y prenons garde, il en sera de même pour les batteries. La délocalisation de la fabrication des éoliennes serait en revanche plus difficile, leurs composants étant volumineux. Au total, des emplois seront donc créés, mais je suis loin d’être certain qu’ils compenseront les emplois qui auront disparu sous l’effet de la transition énergétique.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je m’intéresse au rôle de proximité que peuvent jouer les stations-service dans les territoires, notamment dans les zones rurales. Ce réseau peut-il avoir un effet vertueux dans la nécessaire diffusion d’information sur l’efficacité énergétique et sur les solutions permettant de consommer moins d’énergie ?

M. Philippe Sauquet. Nous avons décidé de mettre un coup d’arrêt à la réduction du nombre de nos stations-service en France. Lorsque la consommation de carburant diminue, certaines de ces installations ne sont plus guère rentables et doivent être fermées. Néanmoins, nous sommes conscients que les stations-service contribuent au lien social qui est nécessaire pour préserver la vitalité de certains territoires. Nous avons estimé qu’un groupe comme Total se devait d’être un acteur responsable et d’accepter une forme de surcoût en maintenant une implantation locale au plus près des populations et des clients.

Pouvons-nous tirer parti de ce réseau pour éduquer les consommateurs en matière d’efficacité énergétique ? Par définition, les clients qui fréquentent nos stations-service possèdent un véhicule. L’efficacité énergétique de celui-ci tient dans une certaine mesure au carburant. Grâce au produit Excellium que nous avons développé, nos clients peuvent rouler davantage pour le même volume de carburant. En la matière cependant, la principale source d’efficacité énergétique tient à la réduction de la consommation des moteurs par les constructeurs automobiles.

Nous essayons également d’utiliser notre réseau de stations-service pour sensibiliser nos clients à nos autres activités, comme l’électricité. La campagne de lancement de la nouvelle marque Total Direct Énergie propose d’aider les consommateurs à accentuer encore leurs efforts – déjà importants – d’efficacité énergétique. À titre d’exemple, notre boîtier Atome, pouvant être fixé sur un compteur Linky, permet à nos clients de suivre en temps réel la consommation électrique de leur foyer sur leur téléphone portable. Nous nous efforçons donc de nouer une relation avec nos consommateurs pour diffuser des messages pédagogiques, et les stations-service peuvent constituer un relais à cet égard. Nous entendons en particulier valoriser notre bouquet d’énergies et sa possible contribution à l’efficacité énergétique. Nous proposons ainsi une réduction sur le prix de nos carburants aux clients de notre offre électrique. Cette éducation sera longue, car la transformation d’un groupe comme Total et l’évolution de son image demanderont du temps.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. En faisant référence aux stations-service, je pensais plutôt à une pédagogie qui porterait sur l’écoconduite, c’est-à-dire sur les pratiques permettant aux usagers de la route de réduire leur consommation de carburant. Il peut s’agir de veiller à avoir des pneus suffisamment gonflés, par exemple. Il semble que le bon usage d’un véhicule puisse réduire jusqu’à 20 % ou 30 % la facture de carburant.

M. Philippe Sauquet. Nos stations-service sont dotées de bornes de gonflage des pneus, et nous rappelons aux usagers que ce facteur a une influence sur leur consommation de carburant. Nous avons par ailleurs mené plusieurs types d’actions dans le domaine de l’écoconduite, mais je ne suis pas certain que Total soit perçu comme un acteur crédible en la matière. Nous pouvons et devons néanmoins persévérer.

Mme Laure de La Raudière. Certaines de vos remarques, monsieur Sauquet, semblent entrer en contradiction avec les propos de personnalités que nous avons auditionnées précédemment, en particulier sur l’intermittence. Vous avez souligné que celle-ci pouvait être aisément pilotée lorsque les énergies intermittentes représentaient 5 % de la production électrique, mais plus difficilement quand elles en atteignaient 30 %. Au contraire, certains des interlocuteurs qui vous ont précédé semblaient affirmer que l’intermittence ne posait problème que lorsque la part des énergies intermittentes était faible, à 5 %. Lorsqu’elle se monte à 30 % en revanche, le foisonnement des sources permettrait de compenser les éventuelles carences : quand le vent ne souffle pas dans le Nord, probablement souffle-t-il dans le Sud ; et quand il ne souffle pas en France, probablement souffle-t-il en Allemagne. Les systèmes étant interconnectés, nous a-t-on expliqué, le foisonnement d’énergies intermittentes lisse le caractère problématique de l’intermittence. Cette théorie du foisonnement repose-t-elle sur des bases scientifiques avérées, ou est-elle empirique ?

M. Philippe Sauquet. La situation de chaque pays ou de chaque réseau est spécifique. Ainsi, le foisonnement ne vaut pas dans un village d’Afrique non connecté au réseau, doté de panneaux solaires sans batteries. Ses habitants n’ont pas d’électricité la nuit.

L’électricité étant difficile à stocker, la plupart des réseaux ont surdimensionné leur capacité de production afin de faire face aux pointes. Suivant les pays, ces dernières peuvent survenir une ou deux heures par an. La France a misé sur le chauffage électrique, peut-être à tort, ce qui l’a conduite à installer une surcapacité importante pour passer la pointe d’hiver. Lorsque les énergies renouvelables ont été introduites, cette gigantesque surcapacité permettait de piloter leur intermittence. Une fois encore, chaque réseau a une configuration spécifique. L’Allemagne a défendu la théorie selon laquelle le réseau serait suffisamment alimenté l’hiver, lorsque la demande est forte, par les vents soufflant dans le Nord. Or, tel n’a pas toujours été le cas. Le réseau européen, si interconnecté soit-il, a d’ailleurs connu une faiblesse à la suite d’un léger incident.

Mme Laure de La Raudière. Pour nous en tenir à la France et à l’Europe, la théorie du foisonnement est-elle empirique, ou repose-t-elle sur un raisonnement scientifique ? Certains interlocuteurs nous ont affirmé que lorsque la part des énergies renouvelables atteindrait 30 %, le problème de l’intermittence serait gommé par le foisonnement. Cette affirmation est-elle documentée par des arguments scientifiques, ou se contente-t-on, en l’exprimant, de relayer une position allemande qui montre d’ailleurs ses limites ?

M. Philippe Sauquet. Mon avis est que ce raisonnement résulte de statistiques météorologiques faisant que, dans la plupart des cas, le foisonnement fonctionne. Toutefois, un pays développé comme le nôtre présente une telle dépendance à l’électricité que le coût de la défaillance n’est pas acceptable. Pouvons-nous nous reposer sur des bases statistiques laissant penser que la situation sera satisfaisante à 90 % du temps ? Ces statistiques ont leur part d’incertitude. Lorsqu’un bel anticyclone se présente en plein hiver, le froid génère des besoins élevés de consommation électrique, et le vent fait défaut, tout comme la production éolienne. La nuit, le solaire ne fonctionne pas. Le foisonnement est alors inopérant.

M. Nicolas Turquois. Monsieur Sauquet, n’est-il pas schizophrénique pour un groupe comme Total, dont le chiffre d’affaires dépend essentiellement d’activités liées au pétrole, de développer des énergies renouvelables pouvant aller à l’encontre de son modèle de rentabilité dominant ?

M. Philippe Sauquet. C’est une question très pertinente, qui reflète l’attitude qu’avaient une bonne part de nos employés jusqu’à une période récente. Pourquoi développer des énergies renouvelables qui affecteront le chiffre d’affaires réalisé par le groupe dans son cœur de métier ? Nous avons dépassé ce dilemme. En effet, nous sommes convaincus que ce qui importe, dans la durée, est de satisfaire nos clients. Si nous ne développons pas les énergies répondant à leurs attentes, les activités du groupe finiront par décliner. Nous avons la capacité et le temps de développer nous-mêmes, dans l’anticipation, les compétences et les activités qui nous permettront d’opérer cette transition. Le pétrole représente plus de la moitié de notre chiffre d’affaires. Le gaz vient le compléter jusqu’à 80 % ou 90 %. Toutefois, cette part est appelée à diminuer, et sera remplacée par de nouvelles activités.

Total vient d’annoncer un programme de remplacement de chaudières. Dans ce cadre, il démarchera ses clients consommateurs de fioul pour leur expliquer qu’ils peuvent réaliser des économies, tout en étant plus vertueux, en passant à des chaudières faiblement émissives en carbone : gaz ou pompes à chaleur électriques. Inutile de préciser que la démarche n’est pas totalement naturelle pour nos commerciaux ! Il en va néanmoins de la survie du groupe. Ce choix stratégique est structurant pour Total. Nous sommes fondamentalement convaincus qu’il est dans notre intérêt de prendre ce virage.

M. Nicolas Turquois. Monsieur Sauquet, à vous entendre décliner les différents axes suivis par Total – gaz, éolien, photovoltaïque, biocarburants… –, nous pourrions le comparer à un joueur qui placerait la même mise sur tous les numéros. Peut-il en sortir gagnant ? Certains modèles vous paraissent-ils plus pertinents que d’autres pour la France en termes de rendement énergétique ? Quid des biocarburants et de l’hydrogène ? Notez que l’éolien rencontre des problèmes d’acceptation de la part de certains de nos concitoyens. Il convient aussi d’intégrer les conséquences de chacune des solutions pour la filière, et de les appréhender jusqu’en aval, à l’égard du recyclage. Je pense ici, entre autres, aux panneaux solaires. Total identifie-t-il un modèle énergétique dans lequel il lui semble plus pertinent d’investir ?

M. Philippe Sauquet. Nous sommes guidés par le coût économique des différentes énergies, auquel nous intégrons les coûts du CO2 et du CO2 évité. Le groupe étant présent dans 130 pays, il ne saurait faire un choix qui s’appliquerait à tous. Nous sommes au contraire appelés à assurer une diversité de mix énergétique. Nous veillons de longue date à nous concentrer sur les énergies susceptibles d’être à terme rentables sans subvention. Cela nous a conduits à écarter l’éolien marin il y a quelques années. Nous avons pourtant été près de remettre des offres dans ce domaine. Elles prévoyaient un coût minimum de 150 à 200 euros par mégawattheure (MWh), alors que le prix de marché de l’électricité était de 50 euros par MWh. Nous ne pouvions pas nous y lancer sans un espoir de diminution rapide de ce coût. Aujourd’hui, force est de constater que l’industrie a réussi à l’abaisser. C’est pourquoi nous nous intéressons à nouveau à cette technologie.

Nous écartons donc les solutions trop coûteuses. C’est le cas du biogaz. En soi, cette énergie est fort intéressante. Cependant, son modèle économique le limite à des quantités réduites. Je peine à voir comment le procédé de production du biogaz pourrait être industrialisé de façon à le rendre compétitif sur le plan économique.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Sauquet, parlez-vous ici de biogaz par méthanisation, pyrogazéification ou hydrogène ?

M. Philippe Sauquet. Chacune de ces solutions pose des problèmes distincts. De toute évidence, la méthanisation est trop coûteuse. Nous n’investissons pas massivement dans l’hydrogène, mais ne l’écartons pas pour autant. Le raffineur que nous sommes est d’ailleurs le plus grand producteur d’hydrogène au niveau mondial, puisque nous l’utilisons pour désulfurer nos carburants. Certaines de nos stations-service proposent aussi de l’hydrogène en Allemagne. Aujourd’hui toutefois, nous n’identifions pas de progrès technologique qui permettrait de créer une filière d’hydrogène renouvelable compétitive à un horizon de dix ou quinze ans. Les électrolyseurs sont onéreux et ont un très mauvais rendement énergétique. Ils impliquent de consommer de l’énergie pour produire de l’hydrogène. Peut-être en sera-t-il autrement dans deux ou trois décennies. C’est pourquoi nous n’écartons pas totalement la solution de l’hydrogène comme biocarburant. Nous restons aux aguets des évolutions technologiques, et focalisons nos investissements sur celles qui nous semblent matures ou proches de la maturité sur le plan économique.

La France est un cas extrêmement spécifique. Elle a la chance d’avoir été dotée d’un outil nucléaire à une époque où cette énergie était relativement économique. Notez incidemment que c’est le surdimensionnement de l’outil nucléaire qui a conduit notre pays à favoriser le chauffage électrique. L’outil nucléaire dont nous avons hérité est peu émetteur de CO2. Il doit être utilisé au maximum. Quant à construire de nouvelles installations nucléaires, la réponse est beaucoup moins évidente. Ce serait en effet extrêmement coûteux, sans compter les exigences de fiabilité à remplir. Cette énergie présente aussi d’autres inconvénients, parmi lesquels ses déchets mais aussi le risque de prolifération de combustibles pouvant conduire certains pays à accéder à l’arme nucléaire.

Il est censé de développer l’éolien et le solaire en France. La France a eu raison de ne pas s’empresser d’investir dans l’éolien marin. Les technologies de nouvelle génération qui apparaissent actuellement changent la donne. J’estime même que les projets qui viennent d’être confirmés par le gouvernement affichent des prix trop élevés.

Il doit par ailleurs être mis fin au charbon.

Enfin, il me paraît important que la France maintienne une production de gaz afin de conférer une certaine souplesse au réseau électrique et de contribuer à l’équilibrer. Les pays limitrophes ne seront pas toujours disponibles pour nous aider. Lorsque l’Allemagne aura cessé sa production nucléaire, la part d’énergie contrôlable y diminuera fortement. Ce pays entend également supprimer le charbon à l’horizon de 2037, date qui me paraît d’ailleurs assez éloignée compte tenu des enjeux écologiques. Quoi qui en soit, l’Allemagne sera de plus en plus contrainte sur le plan énergétique. Nous ne pourrons plus nécessairement compter sur elle pour équilibrer notre réseau électrique, comme nous avons pu le faire dans le passé. Outre le gaz, le nucléaire peut nous y aider, mais il manque de souplesse.

M. le président Julien Aubert. Lorsqu’un conducteur achète du biocarburant, son pourcentage de biocomposants est-il indiqué d’une quelconque manière dans le nom du produit ?

M. Philippe Sauquet. C’est le cas pour l’éthanol. Un produit constitué largement d’éthanol est commercialisé mais ne correspond pas aux capacités de tous les moteurs. Il est fait obligation d’indiquer son pourcentage de biocomposants. En revanche, les carburants classiques que sont le super 95, le super 98 et le diesel ne possèdent pas d’étiquetage sur ce taux. La réglementation française leur impose de comporter en moyenne un certain pourcentage de biocomposants.

M. le président Julien Aubert. Pour inciter les automobilistes à se tourner vers ce type de carburant, le législateur devrait-il imposer que cette information soit communiquée ?

M. Philippe Sauquet. Il est utile d’informer les consommateurs que le produit qu’ils mettent dans leur réservoir contient des biocomposants. Cette information mériterait d’être davantage mise en valeur. Toutefois, il serait compliqué d’assurer une traçabilité précise de chaque goutte d’essence.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Sauquet, pensez-vous que la taxation sur les biocarburants est suffisamment incitative par rapport à celle qui concerne les carburants classiques ?

M. Philippe Sauquet. Oui. Il existe aujourd’hui une incitation économique évidente à atteindre le taux maximal d’incorporation de biocarburants prévu par la législation. Le problème est plutôt désormais d’augmenter le taux d’incorporation, si telle est l’ambition.

M. le président Julien Aubert. La TVA varie-t-elle selon que l’on achète un biocarburant ou un carburant classique ?

M. Philippe Sauquet. Pas à ma connaissance. En revanche, un fabriquant qui n’incorpore pas les volumes de biocarburants prévus par la loi endure des pénalités.

M. le président Julien Aubert. L’État devrait-il instaurer une quelconque incitation pour développer les biocarburants en France, au détriment du carburant fossile ?

M. Philippe Sauquet. Le système actuel fonctionne. Si l’objectif du gouvernement est d’accroître la part de biocarburant consommée en France, l’outil le plus évident est d’augmenter le taux d’incorporation.

M. le président Julien Aubert. Quelle part occupe le biocarburant dans la consommation totale de carburant ?

M. Philippe Sauquet. Cette part est de l’ordre de 6 % à 8 %.

M. le président Julien Aubert. Elle est donc relativement marginale.

M. Philippe Sauquet. En effet, notamment pour des raisons technologiques. À titre d’illustration, le biodiesel est un ester méthylique d’huile végétale issu d’une filière chimique. Les esters n’ont pas la même composition chimique que les carburants fossiles, et peuvent entraîner des désordres dans les moteurs si leur taux dépasse 8 % à 9 % de la composition du carburant. Les constructeurs automobiles ont toujours défendu une limitation du pourcentage d’ester dans les carburants. Le projet de La Mède a la spécificité de produire un biodiesel qui correspond chimiquement à la composition d’un produit pétrolier, et qui est donc miscible sans limite. Si cette filière technologique se développait, nous pourrions augmenter significativement les taux d’incorporation.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Sauquet, vous avez évoqué l’huile de palme pour expliquer l’impact que pouvait avoir un sujet connexe sur le développement d’une filière industrielle. A contrario, nous ne voyons pas émerger de débat, en France, sur la façon dont les cellules photovoltaïques sont produites en Chine. Selon vous, ce processus de fabrication remplit-il toutes les conditions nécessaires pour assurer une sauvegarde de la biodiversité, des sols et des paysages ?

M. Philippe Sauquet. Je ne crois pas que les producteurs chinois de cellules photovoltaïques soient significativement moins respectueux dans leur approvisionnement en matières premières que les fabricants non-chinois. Du reste, ces derniers ont quasiment disparu. Total fait partie des rares rescapés qui essaient de survivre face à la concurrence chinoise. Le gouvernement chinois a tant subventionné la production de cellules photovoltaïques que cette industrie a été quasiment éradiquée dans le reste du monde.

M. le président Julien Aubert. La fabrication de cellules photovoltaïques induit-elle le recours au charbon de bois ?

M. Philippe Sauquet. Pas que je sache.

M. le président Julien Aubert. Dans la fabrication de ses cellules photovoltaïques, Total n’utilise donc pas de procédé industriel qui serait défavorable à la planète, monsieur Sauquet ?

M. Philippe Sauquet. Non. Les cellules de SunPower sont produites en Malaisie et aux Philippines. Elles sont ensuite assemblées sous forme de panneaux. Nous avons réussi jusqu’à présent à maintenir nos unités de panneaux hors d’Asie. Nous en comptons notamment deux en France, que nous soutenons à bout de bras. Ce process de production ne comporte pas de tare environnementale.

M. le président Julien Aubert. Il me semblait pourtant que cette production avait recours au charbon. Si vous affirmez le contraire, je veux bien vous croire, monsieur Sauquet.

M. Philippe Sauquet. Tout processus de fabrication consomme de l’énergie et de l’électricité. Or la Chine produit son électricité à partir de charbon. Par ce biais, la fabrication de panneaux photovoltaïques en Chine induit des émissions de CO2. Ce n’est toutefois pas un composant majeur de cette production.

Plus généralement, la production de toutes les énergies renouvelables consomme elle-même de l’énergie.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Sauquet, vous avez signalé que Total dotait ses stations-service de bornes de recharge électrique. Vous avez ajouté que d’autres bornes s’y ajouteraient, notamment via G2mobility. Si la recharge de véhicules électriques n’était effectuée que dans les stations-service, le maillage de celles-ci devrait-il être le même que celui des pompes à essence ?

M. Philippe Sauquet. Absolument pas. En l’état actuel de la technologie, le véhicule électrique est appelé à se développer prioritairement en milieu urbain, où le compromis entre ses bénéfices et ses contraintes est le plus favorable. Pour le transport extra-urbain, le problème de l’autonomie se pose davantage. Nous pouvons imaginer que les propriétaires d’un véhicule électrique souhaiteront l’utiliser pour partir en week-end. Il serait dommage qu’ils n’aient pas la possibilité de le recharger. Nous estimons que 10 % à 15 % de l’électricité destinée à charger les véhicules seront fournis par les stations-service. Pour le reste, le temps de charge étant assez long, l’immense majorité de cette énergie sera puisée soit au domicile des utilisateurs, où les véhicules passeront la nuit, soit sur leur lieu de travail. Dans le réseau de stations-service, le temps que les automobilistes consacreront à la recharge sera plus court. Il serait néanmoins dommage que nous ne leur offrions pas ce service.

M. le président Julien Aubert. Les stations-service offriront donc plutôt une recharge d’appoint qu’elles ne constitueront le squelette d’un réseau d’infrastructures. J’en viens à mon autre question. D’après vous, monsieur Sauquet, faut-il cesser de subventionner les énergies vertes électriques intermittentes matures comme le solaire et l’éolien terrestre ?

M. Philippe Sauquet. Ces technologies sont proches de la maturité, mais ne l’atteignent pas encore tout à fait. Or, dès que les subventions se réduisent, le rythme de progression de ces énergies ralentit considérablement. Il y a quelques années, abstraction faite de l’intermittence, nous étions convaincus qu’à l’horizon de 2018 ou 2019, nous n’aurions plus besoin de subvention. Depuis, le prix du pétrole a fortement chuté. En conséquence, les énergies fossiles ont retrouvé de la compétitivité. Ce faisant, la compétitivité des énergies renouvelables a été reportée dans le temps.

Si l’on souhaitait développer les énergies renouvelables de façon accélérée et importante, il faudrait traiter le problème de l’intermittence, ce qui n’est pas possible sans subvention.

M. le président Julien Aubert. Devons-nous comprendre que tant qu’il n’existera pas de solution de stockage, il faudra continuer à subventionner les énergies vertes électriques ?

M. Philippe Sauquet. Aujourd’hui, lorsqu’on couple des batteries à des panneaux solaires ou à de l’éolien terrestre pour obtenir deux à trois heures d’autonomie supplémentaires, cela porte le coût de l’électricité à 200 euros par MWh, quand le prix du marché est de 50 euros par MWh.

Mme Laure de La Raudière. Il nous a été dit que les nouvelles éoliennes terrestres produisaient une électricité aux alentours de 50 euros par MWh. Cela laisse penser que nous pourrions supprimer les subventions pour les nouveaux projets.

M. Philippe Sauquet. Ce prix est tout à fait exact, sachant toutefois qu’il s’agit d’une énergie intermittente.

Mme Laure de La Raudière. C’est là qu’intervient la théorie du foisonnement.

M. Philippe Sauquet. Le prix du marché a longtemps été de l’ordre de 35 à 40 euros le MWh. Il est aujourd’hui de 50 euros le MWh. De nombreux développeurs de projets solaires et éoliens, qui étaient ravis d’avoir défini leur tarif avec un prix de reprise fixe, seront moins à l’aise le jour où ils dépendront des conditions du marché.

Mme Laure de La Raudière. Nous devons aussi mettre fin à une situation où des entreprises privées jouissent d’une garantie de résultats astronomiques financés par de l’argent public. Je précise que je ne vise pas ici le groupe Total. Si les subventions étaient supprimées, il y aurait certes moins de chasseurs de primes, mais le marché s’en trouverait peut-être rationalisé.

M. Philippe Sauquet. Pour notre projet de parc éolien maritime au large de Dunkerque, nous n’avons eu besoin d’aucun mécanisme de subvention. Total continuerait de développer les énergies renouvelables même si les subventions disparaissaient. Cependant, je vois de nombreux acteurs poursuivre des projets sans avoir une capacité financière suffisante pour prendre le risque d’un prix de marché.

M. le président Julien Aubert. Je retiens de vos propos, monsieur Sauquet, qu’au moins un acteur économique serait capable de produire des énergies renouvelables sans subvention. Par ailleurs, l’existence de dispositifs d’aide incite des acteurs qui n’ont pas une viabilité financière suffisante à se lancer dans de tels projets. Sans incitation, ils ne le feraient pas. Je note que même en présence d’une incitation, Total a décidé dans un premier temps de ne pas opérer dans l’éolien marin. Cela nous interroge sur l’objectif des incitations. Si une incitation même généreuse ne suffit pas à convaincre un acteur d’adopter une position risquée, alors que dans d’autres cas ce même acteur peut se passer d’incitation, comment justifier le dispositif actuel ?

M. Philippe Sauquet. Il suffirait de fixer un prix du carbone adéquat pour inciter au développement de nombreuses énergies renouvelables non émettrices de CO2. C’était d’ailleurs le principe du système d’échange de quotas d’émissions européen. Il s’est trouvé que pendant plusieurs années, le prix fixé dans ce cadre étant trop faible, la contrainte n’était pas suffisante. Maintenant que le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen dépasse 20 euros, le signal économique est suffisant.

M. le président Julien Aubert. Le prix du carburant est aujourd’hui plus élevé qu’avant la crise des « gilets jaunes », à 1,48 ou 1,58 euro le litre selon les produits. L’une des préoccupations de notre commission porte sur la sensibilité des Français au financement de la transition énergétique, laquelle passe notamment par le carburant. Diverses possibilités sont sur la table : taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) flottante, taxe carbone remaniée… Quelle est votre opinion sur ces sujets, monsieur Sauquet ?

M. Philippe Sauquet. Le prix du carburant à la pompe est constitué de deux tiers de taxes. Ce niveau est supérieur à celui qui est appliqué dans de nombreux autres pays. Reste un élément volatil : le prix du baril de pétrole. Nous l’avons vu fluctuer entre plus de 100 euros et 50 euros, voire 30 euros. Il est aujourd’hui de 70 euros. Ces fluctuations sont difficiles à suivre et à comprendre pour les consommateurs. De mon point de vue, le principe de la TIPP flottante est loin d’être idiot. Ce dispositif peut permettre de lisser les prix et d’éviter que les consommateurs soient soumis à une volatilité. Il existe néanmoins des pays où la volatilité est de mise et où le signal économique est donné directement aux citoyens : lorsque le prix du pétrole est élevé, celui de l’essence l’est également, ce qui conduit à moins consommer.

M. le président Julien Aubert. Faudrait-il instaurer une taxe carbone flottante ?

M. Philippe Sauquet. Nous avons eu une taxe de cette nature avec le système d’échange de quotas d’émissions européen : le prix s’ajustait pour atteindre l’objectif d’émissions de CO2 fixé par l’Europe. Sous l’effet d’une croissance économique inférieure aux anticipations, entre autres facteurs, les émissions de CO2 ont assez facilement rempli l’objectif européen. Logiquement, le signal-prix a baissé à un niveau relativement faible. D’aucuns en ont conclu que ce système ne fonctionnait pas. La raison était simplement que nous étions en train d’atteindre les objectifs quantitatifs. Une taxe fixe présente le mérite d’être plus lisible. Elle demande néanmoins de piloter l’autre terme de l’équation, à savoir la quantité. L’équation comporte en effet deux contraintes. Soit on fixe la quantité de CO2 pouvant être émise, et le prix de celui-ci s’adapte pour que cet objectif soit rempli – quitte à s’effondrer lorsque la cible est atteinte –, soit on fixe un prix du CO2 dans le but de contenir les émissions. Les deux logiques fonctionnent, mais leur effet d’affichage est différent.

M. le président Julien Aubert. Nous vous remercions pour vos explications, monsieur Sauquet. Nous aimerions prendre connaissance des analyses que vous menez sur le coût de la tonne de CO2 évité par type d’énergie. Nous pourrions ainsi comparer les conséquences environnementales que vous attribuez, en tant qu’investisseur avisé, aux différentes énergies.

Laudition sachève à dix-huit heures trente-cinq.

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22.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Grandidier, fondateur et président du Groupe Valorem et de Mme Marie Bové, responsable des relations publiques (7 mai 2019)

Laudition débute à dix-huit heures quarante.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Grandidier, c’est en 1994 que vous avez créé le bureau d’études en énergies vertes Valorem, qui s’est spécialisé en 2001 dans le développement des parcs éoliens. En 2007-2008, Valorem a élargi ses compétences à la méthanisation, à l’énergie des vagues et au photovoltaïque, et est devenu producteur d’énergies vertes. Il s’est doté de deux filiales à 100 % : Valrea, spécialisée dans la construction d’unités de production d’énergies renouvelables, et Valemo, spécialisée dans la conduite et la maintenance de parcs pour tous types d’énergies vertes. Valorem exerce par ailleurs une activité internationale en matière de projets de parcs éoliens ; il intervient en Ukraine, en Roumanie et en Finlande.

Le groupe Valorem a l’ambition de « contribuer à un nouveau monde électrique à travers la remise en cause du rapport centralisé à l’énergie, la cohabitation entre la production d’énergies vertes et la biodiversité, ainsi que le recours aux entreprises locales ». Monsieur Grandidier, cette « remise en cause du rapport centralisé à l’énergie » implique-t-elle une offre excluant toute énergie d’origine nucléaire et 100 % renouvelable, éventuellement au travers de contrats d’approvisionnement offrant une garantie à long terme ? Par la « remise en cause du rapport centralisé à l’énergie », désignez-vous également la relation au réseau ? Quel est l’enjeu du renouvellement des parcs éoliens ? Le démantèlement d’une éolienne donne-t-il lieu au retrait complet de son socle en béton ? Est-il possible d’agrandir un mât ? Que pensez-vous de la proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) d’élaborer un appel d’offres particulier pour le renouvellement des parcs ? Comment envisagez-vous les éventuels conflits dans l’utilisation des sols, si les parcs éoliens ou les centrales solaires devaient se développer pour aboutir à une énergie 100 % renouvelable ? La conversion des friches industrielles, militaires ou agricoles résout-elle la question ? Que faire des vieilles serres dotées de panneaux photovoltaïques, sous lesquelles il n’est plus possible de pratiquer l’agriculture ? De quoi est-il concrètement question lorsque Valorem fait état de la volonté « d’améliorer la cohabitation entre production d’énergies vertes et biodiversité pour une recolonisation des milieux naturels par les espèces » ? Est-ce à dire que les parcs éoliens sont favorables pour la biodiversité ?

Avant de répondre à ces nombreuses questions, Monsieur Grandidier et Madame Bové, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demanderai de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Bové et M. Grandidier prêtent serment.)

M. Jean-Yves Grandidier, fondateur et président du groupe Valorem. Je vous remercie de nous avoir invités à présenter le bureau d’études Valorem et notre vision de la transition écologique et énergétique.

J’ai fondé l’entreprise Valorem en 1994. Il s’agissait initialement d’un bureau d’études spécialisé dans les énergies renouvelables et la maîtrise de l’énergie. Lorsqu’un cadre réglementaire attractif a été instauré en la matière, notre modèle d’affaires s’est rapidement concentré sur le développement de projets éoliens, c’est-à-dire sur la conduite d’études nécessaires à l’obtention d’autorisations de construire et d’exploiter ces installations.

L’entreprise ayant à l’époque un capital familial, nous ne pouvions assurer le développement concomitant de nombreux projets sur des durées longues. Nous réalisions donc les premières phases des développements et trouvions des investisseurs capables de financer les suivantes. Nous percevions une prime de succès lorsque nous obtenions l’ensemble des autorisations leur permettant de construire et d’exploiter une installation. Tel fut notre fonctionnement jusqu’en 2007.

Nous avons ensuite changé de modèle d’affaires, pour devenir un producteur d’électricité. À cet effet, nous avons réalisé une première levée de fonds en 2007, suivie d’une deuxième en 2008 auprès du Crédit Agricole et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), lesquels ont mis à notre disposition 23 millions d’euros. Cette somme représentait les fonds propres requis par les banques pour financer des projets éoliens à hauteur de 100 mégawatts (MW), pour un coût total de 150 millions d’euros. À partir de cette époque, le groupe s’est développé dans les métiers de la construction via sa filiale Valrea ainsi que dans les métiers d’opération et de maintenance via sa filiale Valemo. Aujourd’hui, Valorem est un opérateur totalement intégré sur la chaîne de valeur de la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, depuis le développement de projets jusqu’à l’exploitation et la maintenance d’installations. En parallèle, nous avons diversifié les activités du groupe dans d’autres filières que l’éolien, en particulier le photovoltaïque et l’hydraulique.

En 2016, le fonds du Crédit Agricole a cédé la place à l’investisseur anglais 3i Infrastructure à hauteur de 25 % de notre capital. 3i Infrastructure a apporté des fonds sous forme obligataire, avec l’objectif de développer 500 mégawatts (MW) d’énergies renouvelables en exploitation à l’horizon de 2020 et de diversifier notre mix de production. Malgré le caractère hautement capitalistique des énergies renouvelables, les actionnaires historiques – dont je suis le principal – gardent le contrôle du groupe Valorem et ont la volonté de le conserver aussi longtemps que possible, de manière indépendante. Il fut néanmoins très difficile d’organiser la sortie du fonds du Crédit Agricole tout en conservant cette indépendance.

Aujourd’hui, Valorem compte 220 salariés. Nous avons prévu d’embaucher une quarantaine de collaborateurs en 2019, soit un accroissement de l’effectif de 20 %. Fin 2018, notre parc installé ou en construction représentait environ 400 MW. Les installations que nous possédons en totalité ou partiellement produisent quelque 650 gigawattheures (GWh) par an, soit l’équivalent de la consommation électrique de 300 000 habitants.

En 2018, notre chiffre d’affaires consolidé s’est établi à 65 millions d’euros, dont 44 millions d’euros proviennent de la production d’électricité. Notre total de bilan se monte à 500 millions d’euros. Les retombées de nos activités sur le territoire représentent plus de 10 % du chiffre d’affaires que nous réalisons dans l’électricité, soit 4,5 millions d’euros : loyers et indemnités versés aux agriculteurs, taxes locales, etc. Une petite trentaine d’établissements publics de coopération intercommunale en bénéficient. En cela, les énergies renouvelables participent à la vitalité des zones rurales. Les agriculteurs disent récolter le vent comme ils le font du blé ! Ces installations constituent une source de richesse pour les territoires et contribuent au maintien de services publics. Grâce à ces retombées, nous voyons des communes périurbaines, où s’installent des jeunes n’ayant pas les moyens de vivre en centre-ville, s’équiper de crèches ou maintenir leur école et leur bureau de poste.

À l’horizon de 2024, nous visons 2 300 MW installés, que nous posséderons à 60 %, dont 25 % en solaire et 30 % à l’international. Nous venons de finaliser une belle opération, aux côtés d’un investisseur anglais, pour la construction d’un parc finlandais de plus de 70 MW. Il n’atteindra pas moins de 4 000 heures équivalent pleine puissance (HEPP), avec des coûts de production très faibles. Il comportera des machines de 150 mètres de diamètre, sur des mâts de 135 et 155 mètres de hauteur. La hauteur en bout de pale pourra donc atteindre 230 mètres. Nous produirons ainsi des quantités d’énergie extrêmement importantes, avec des facteurs de charge très élevés et pour un coût réduit.

Le rayonnement des énergéticiens français à l’étranger est réel, qu’il s’agisse des plus grands comme EDF, Engie, Total ou Eren, ou des entreprises de taille intermédiaire (ETI) comme Valorem, Quadran ou Akuo. Ces acteurs sont très présents à l’international, où ils mettent à profit la tradition française d’ingénierie dans les grands projets. C’est un atout pour la balance commerciale et la balance des paiements de notre pays. Nous souffrons pour autant d’un handicap, en particulier par rapport à l’Allemagne où les conditions financières accordées aux opérateurs sont sans commune mesure avec les nôtres. Avec la Kreditanstalt für Wiederaufbau, l’Allemagne a mis en place une véritable « machine de guerre » pour offrir à ses entreprises des conditions qui les rendent imbattables dans les appels d’offres.

En matière de recherche et développement, nous avons développé, il y a longtemps déjà, des solutions alternatives au renforcement du réseau en milieu rural afin d’y diminuer le coût de l’électrification. Une ligne de crédit avait été créée à cet effet en 1994. Nous avons conclu avec EDF des contrats d’équipementier puis des tarifs afin d’installer ce type de produits sur les réseaux à basse tension.

En 2018, nous avons implanté les premières éoliennes cycloniques dans les outre-mer, à Sainte-Rose en Guadeloupe. Ces éoliennes ne se rabattent pas quand arrivent des cyclones, mais résistent peu ou prou.

Nous proposons également de l’éolien pilotable. En effet, le cahier des charges que nous impose EDF exclut l’intermittence : nous devons établir et respecter un programme de production heure par heure, du jour pour le lendemain. Nous y procédons au moyen de batteries. Nous faisons donc de l’éolien et du photovoltaïque des énergies pilotables. Le CEA Tech, direction de la recherche technologique du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, nous accompagne dans la mise au point d’un système de management de l’énergie.

J’ajoute que nous développons des projets de production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables, en particulier pour des applications de transport.

Enfin, nous travaillons actuellement sur l’innovation Cryosolar consistant à produire du froid à partir d’énergie solaire. Son principe est de stocker les excédents d’énergie solaire produits en journée dans une batterie de froid, qui n’est autre que de la glace. Les frigories sont ensuite restituées pour compenser les pertes de la chambre froide pendant la nuit. Ce produit pourrait connaître des développements majeurs en France et dans le monde, en particulier pour permettre aux pêcheries et à l’agro-industrie de frigorifier leurs denrées à très faible coût. Il en est en effet bien moins onéreux de stocker de l’énergie dans de la glace que dans des batteries d’accumulateurs.

Mme Marie Bové, responsable des relations publiques du groupe Valorem. Valorem fête cette année ses vingt-cinq ans. Nos 220 salariés sont mobilisés dans différentes agences en France – notamment à Nantes, Carcassonne, Dijon, Amiens, en Guadeloupe et bientôt à Aix-en-Provence – mais aussi en Colombie, au Maroc, en Finlande ou encore en Grèce. Notre personnel est présent au quotidien sur les territoires, au plus près des parcs que nous créons et exploitons. Ceci m’invite à vous livrer une réflexion sur la façon dont nous conduisons nos projets avec les acteurs des territoires. Lorsque nous sommes en confrontation avec les élus locaux, les paysans et les professionnels des services, nous sommes obligés de nous interroger sur les modalités de développement des énergies renouvelables et sur la manière dont les citoyens, les élus et les collectivités peuvent y participer et en retirer un intérêt. Ce bénéfice tient certes aux atouts que présentent les énergies vertes pour le climat et l’environnement. Toutefois, il ne suffit pas de produire différemment de l’énergie pour répondre à la question climatique et environnementale, et encore moins à celle de la biodiversité. Il faut également réfléchir à la façon de construire les parcs, aux précautions à prendre ou encore à la capacité d’une installation à lutter contre l’imperméabilisation des sols.

J’illustrerai cette réflexion sur la protection de la biodiversité par l’exemple de nos centrales photovoltaïques implantées dans le Médoc. En 1999 et 2009, des tempêtes ont détruit la forêt landaise, plus grande forêt industrielle d’Europe, dont l’exploitation participait aux revenus communaux. Pour compenser cette perte de ressources, les communes ont réfléchi à des solutions alternatives. Elles ont eu l’idée d’accueillir une centrale photovoltaïque avec un bail temporaire. Dans le même temps, la forêt serait replantée sur le double ou le triple de sa surface initiale, avec des essences résistant davantage aux tempêtes. Les parcs photovoltaïques contribueraient même à régénérer cette zone humide. À condition d’être suffisamment espacés les uns des autres, les panneaux pourraient suivre la courbe du soleil et assurer une photosynthèse permanente pendant les quatre saisons. Les plantes emblématiques de cette forêt, et notamment les espèces protégées, pourraient ainsi reconquérir ce milieu. Cette solution était inédite. Pour la mettre en œuvre, nous avons été accompagnés par les services de l’État et par des bureaux d’études qui ont répertorié les espèces en présence. Il s’est avéré qu’un papillon qui était en voie de disparition est revenu y faire son habitat.

Les projets d’énergies renouvelables ne sont donc pas nécessairement synonymes de consommation d’espace et d’artificialisation des sols. Nous savons discuter avec les acteurs des territoires et les élus locaux pour faire un bon usage de l’espace, favorable à l’écologie, à la production d’énergie et à l’emploi.

Dans la commune de Sainte-Hélène, toujours dans le Médoc, Valorem a décidé de faire bénéficier très largement les entreprises et les fournisseurs locaux de l’investissement de 30 millions d’euros qu’il réalisait. À 60 %, cet investissement est revenu entre les mains de fournisseurs de panneaux photovoltaïques du Lot-et-Garonne, de fournisseurs de supports de Gironde, ainsi que de l’ensemble des entreprises locales de voirie et réseaux divers. Nous ajoutons aujourd’hui une pièce à cet édifice avec une clause d’insertion. Ainsi, la maîtrise d’ouvrage Valorem oblige sa filiale de construction Valrea et l’ensemble des sous-traitants à réserver au moins 7 % des heures de travail à des personnes sans emploi vivant à proximité du chantier.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Grandidier, combien d’éoliennes le groupe Valorem gère-t-il aujourd’hui ?

M. Jean-Yves Grandidier. En tant que propriétaire ou copropriétaire, nous avons environ 400 MW d’énergies renouvelables en exploitation et en construction. Une petite partie de ce parc est photovoltaïque. Pour le reste, nous comptons 150 à 170 mâts en France. Nous construirons et mettrons en service 17 mâts en Finlande en 2020. En parallèle, Valemo exploite des installations pour des tiers.

M. le président Julien Aubert. Pour le moment, Valemo est donc essentiellement présent en France pour ce qui est de l’éolien.

M. Jean-Yves Grandidier. En effet.

M. le président Julien Aubert. Vous ne gérez pas de parc éolien en Grèce ou en Finlande, par exemple.

M. Jean-Yves Grandidier. Pas encore. Notre activité d’exploitation et de production d’électricité éolienne s’effectue pour le moment en France. La Finlande s’y ajoutera dans un peu plus d’un an via une centrale éolienne dans laquelle nous investissons. Valrea en réalise la construction et Valemo en assurera l’exploitation.

M. le président Julien Aubert. Monsieur le président, vous avez indiqué que votre chiffre d’affaires consolidé se montait à 65 millions d’euros, dont 44 millions d’euros liés à l’activité électrique. Que recouvrent les 21 millions d’euros restants ?

M. Jean-Yves Grandidier. Les règles comptables sont ainsi faites que notre chiffre d’affaires consolidé illustre assez imparfaitement la réalité de notre exploitation. Les 21 millions d’euros de chiffre d’affaires qui ne sont pas liés à la production d’électricité recouvrent des services réalisés pour des tiers. Il s’agit par exemple de l’exploitation et de la maintenance assurées par Valemo pour d’autres fabricants d’éoliennes, investisseurs ou producteurs d’énergie. Il en est de même lorsque Valrea construit tout ou partie d’une installation pour autrui. En Guadeloupe par exemple, nous partageons notre parc éolien avec la Caisse des dépôts et consignations et avec une société d’économie mixte (SEM) d’énergie locale. Toujours au titre des services, nous réalisons des développements pour des tiers. Toutes ces activités entrent dans le chiffre d’affaires consolidé.

M. le président Julien Aubert. Quelle fraction du chiffre d’affaires de Valorem est réalisée à l’international ?

M. Jean-Yves Grandidier. Jusqu’à récemment, nous avons surtout procédé à des développements à l’international. Ce poste induisait donc des coûts plutôt que des revenus. En 2018, notre chiffre d’affaires était principalement réalisé en France. En 2019 toutefois, 25 % à 30 % de notre chiffre d’affaires seront réalisés à l’international, grâce à une opération que nous venons de finaliser.

M. le président Julien Aubert. Sur votre chiffre d’affaires de 44 millions d’euros lié à l’électricité, quelle est la part du solaire ?

M. Jean-Yves Grandidier. Elle est de l’ordre de 1,5 à 2 millions d’euros. Fin 2018, sur les 250 MW nets que nous exploitions, 17 à 18 MW concernaient le solaire, soit moins de 10 %. Notez que le solaire a une productivité plus faible que l’éolien. Il se situe à 1 400 EHPP, contre 2 400 à 2 500 EHPP pour les parcs éoliens.

M. le président Julien Aubert. De fait, l’éolien est-il plus rentable ?

M. Jean-Yves Grandidier. Le solaire demande des investissements moindres par rapport à l’éolien, et ses coûts d’opération sont plus faibles. Pour autant, au prix auquel nous vendons l’électricité, la rentabilité du solaire est inférieure à celle de l’éolien.

M. le président Julien Aubert. Lors des auditions que nous avons menées, le solaire nous a pourtant été présenté comme la panacée, ses coûts ayant considérablement baissé. Je note que moins de 10 % du parc de Valorem concerne le solaire, et que cette activité représente moins de 5 % de son chiffre d’affaires. Nous aurions pu nous attendre à ce que cette part soit plutôt de l’ordre de 15 % du chiffre d’affaires.

Quel résultat dégagez-vous sur votre chiffre d’affaires issu de l’éolien ?

M. Jean-Yves Grandidier. En 2018, le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA) atteignait 36 millions d’euros pour l’ensemble de nos activités, y compris les services. Le résultat après impôts du groupe s’établit à 10 millions d’euros. L’EBITDA issu de l’activité électrique est de l’ordre de 27 millions d’euros.

M. le président Julien Aubert. Monsieur le président, avez-vous calculé le résultat de vos autres activités de production ? L’objet de ma question est de comprendre l’équilibre économique d’un acteur comme Valorem qui opère dans l’éolien et le solaire. Vous avez expliqué que l’éolien était un peu plus rentable que le solaire. Quelle part de votre résultat est liée à l’activité éolienne ?

M. Jean-Yves Grandidier. Elle est d’environ 5 millions d’euros pour nos 250 MW nets, à raison de 20 000 euros par MW. Je vous communiquerai ces chiffres exacts.

M. le président Julien Aubert. Dans l’éolien, vous réalisez donc 5 millions d’euros de résultat pour 43 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cette rentabilité vous paraît-elle satisfaisante ? Vous avez souligné que vous souhaitiez accroître la part de l’activité solaire. Au contraire, nous pourrions nous attendre à ce que vous vous concentriez sur l’éolien, au motif qu’il est plus rentable. Quelle appréciation portez-vous sur la rentabilité de l’éolien, et notamment sur les contraintes législatives ou réglementaires susceptibles de la minimiser ? Est-ce parce que vous êtes insatisfait de cette rentabilité que vous faites le choix économique de vous rééquilibrer sur le solaire ?

M. Jean-Yves Grandidier. Nous avons la volonté de rester un acteur indépendant de production d’électricité. Pour y parvenir et devenir une belle ETI dans la production d’énergie électrique à partir de sources renouvelables en France et ailleurs, il est indispensable que nous agrandissions notre portefeuille d’installations en production, pour atteindre une masse critique suffisante. Nous devons aussi diversifier nos filières pour jouer sur la complémentarité et le foisonnement des énergies au gré des saisons. C’est ainsi que nous pourrons lisser le chiffre d’affaires et limiter les écarts, qui représentent un coût pour l’entreprise. Nous devons en outre flexibiliser notre parc de façon à pouvoir ralentir ou accélérer la production, sans être pénalisés lors de la vente sur le marché. Tels sont nos trois grands enjeux : le volume, la diversification du mix et la flexibilisation du parc électrique.

M. le président Julien Aubert. Combien de parcs de moins de 6 mâts avez-vous ? Je crois savoir que certaines règles diffèrent selon la taille des parcs.

M. Jean-Yves Grandidier. Nous ne sommes pas soumis à cette différenciation, si vous faites référence à la loi de programmation du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi « Grenelle 1 ». Nos 25 installations comptent six éoliennes en moyenne, soit 10 à 12 MW. L’un des parcs où nous opérons – que nous ne possédons pas en totalité – atteint 45 MW. Nous construisons actuellement un parc de 10 machines de 3,6 MW chacune dans la Somme, soit 36 MW au total. Enfin, quatre ou cinq de nos parcs ont trois machines de 2 MW.

M. le président Julien Aubert. Vous avez donc plutôt des petits parcs.

M. Jean-Yves Grandidier. En effet. Avant l’entrée en vigueur de la loi Grenelle, la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité nous limitait à 12 MW pour l’éolien. Les parcs que nous avons développés dans les années 2000 et mis en service à partir de 2010 relèvent de ce cadre.

M. le président Julien Aubert. Selon vous, monsieur Grandidier, la disparition du tarif garanti de rachat, venant en aide à l’éolien terrestre notamment, serait-elle de nature à fragiliser votre modèle économique ? Au contraire, les filières éolienne et solaire sont-elles arrivées à un stade de maturité – auquel cas votre enjeu est surtout de trouver des investisseurs capitalistiques suffisamment robustes ?

M. Jean-Yves Grandidier. C’est une question fondamentale. Je suis un ardent défenseur des mécanismes de prix garanti. J’emploie ici le terme utilisé par Jean-Bernard Lévy, président-directeur d’EDF, pour désigner le contrat signé entre cette entreprise et le gouvernement anglais pour la construction de centrales nucléaires. Comme le secteur nucléaire, nous avons besoin de visibilité, car nos activités demandent d’importants investissements capitalistiques. Nous avons besoin d’une stabilité de nos revenus pendant la durée d’amortissement de nos installations, c’est-à-dire vingt ou vingt-cinq ans. Il est essentiel que nous puissions sécuriser nos revenus afin que les banques nous accordent des prêts dans de bonnes conditions. Je défends ardemment ce système.

Dans le cadre de notre projet en Finlande, nous vendrons l’énergie sur le marché. Nous connaissons donc cette problématique et l’expérimentons. Nous signons actuellement des contrats d’achat d’électricité avec des industriels, mais c’est un pis-aller. Nous nous y prêtons car la Finlande ne possède pas de mécanisme de prix garanti, à la différence de la France, de l’Allemagne ou de la Grèce. Notez que le mécanisme de prix garanti est également employé pour la centrale nucléaire de Hinkley Point en Grande-Bretagne. C’est le dispositif optimal. Il permet de tirer parti d’un foisonnement de la production sur un espace géographique large, à l’échelle d’un pays.

Lorsque je signe un contrat d’achat d’électricité avec un industriel, je fais savoir aux banquiers auprès desquels je sollicite un financement que je revendrai l’électricité à un prix donné pendant dix ou quinze ans. Admettons que je vende l’électricité à 0,40 euro le MWh à mon client. Je dois aussi supporter des frais de profilage, c’est-à-dire d’adaptation de la production à la demande. Ils me coûtent 3 à 4 euros par MWh. Au contraire, lorsqu’un mécanisme de prix garanti est appliqué à l’échelle d’un pays, le foisonnement entre en jeu. C’est alors l’équilibre entre la production et la consommation qui détermine le prix.

M. le président Julien Aubert. Maintenant que votre parc est amorti, pourrions-nous considérer que vous n’avez plus besoin d’aides ? Désormais, vous n’êtes plus soumis à la même contrainte capitalistique pour le prolongement ou le renouvellement de vos parcs.

Par ailleurs, monsieur le président, pourquoi développez-vous un projet en Finlande où s’exerce la loi de la compétition, et non en Allemagne où les prix sont garantis ? Je crois d’ailleurs que vous n’avez pas de bureau en Allemagne.

M. Jean-Yves Grandidier. Nous nous sommes implantés en Finlande à une époque où ce pays appliquait un système de tarif garanti, dans la limite de 2 000 MW. Cet objectif a été atteint, après quoi le nouveau gouvernement a annoncé un changement de système. Pour autant, nous sommes restés en Finlande car nous avons estimé que ce pays présentait des conditions favorables au développement de l’énergie éolienne grâce à ses grands espaces, ses vents puissants hautement productifs et la possibilité d’y produire de l’électricité à des coûts faibles.

Je prônerai un système de prix garanti tant que le mécanisme de marché de l’électricité n’aura pas été modifié. Jusqu’à la fin des années 1990, le marché n’était pas libéralisé. Il n’existait pas de bourse de l’électricité. Des opérateurs historiques vendaient l’électricité de manière régulée. La libéralisation a été l’occasion d’instaurer un mécanisme de marché, mais sur la base d’installations déjà amorties et ne subissant que des coûts marginaux de production : achat de combustible pour les énergies fossiles, entretien et maintenance. Aujourd’hui, les acteurs sont sélectionnés sur l’ordre de mérite à l’aune de leur coût marginal de production. Dans la mesure où l’éolien et le solaire n’emploient pas de combustible, leurs coûts marginaux de production sont très faibles, proches de zéro. Nous avons donc tendance à faire baisser le prix spot moyen sur l’année. C’est ce qu’on appelle « l’effet d’ordre de mérite ».

En revanche, nous sommes confrontés à des difficultés si nous avons besoin d’amortir nos installations. À cet égard, nous assistons en Europe à un phénomène de « cannibalisation » : plus il y a d’éolien dans le Nord et plus il y aura de solaire dans le Sud, plus le prix de l’électricité de marché baissera. En conséquence, le prix de capture ne cessera de diminuer par rapport au prix du marché. C’est une double peine. Il est fait en sorte que les prix de l’électricité baissent sur le marché, et le prix de capture est plus bas encore que ce prix spot.

Pour quitter valablement le mécanisme de prix garanti, il faudra mettre en place un autre mécanisme de marché, dès que les énergies renouvelables de flux, comme le solaire et l’éolien, prendront une part importante dans le mix électrique.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Grandidier, Valorem affiche la volonté de construire ses projets en concertation avec les territoires. À ce titre, vous mettez en place des financements participatifs. Vous inspirez-vous de modèles de cette nature existant dans d’autres pays ? Cette démarche induit-elle une meilleure acceptabilité de vos projets ? Avez-vous des préconisations à faire sur la bonne manière de rendre vos installations acceptables ?

M. Jean-Yves Grandidier. Valorem est un pionnier du financement participatif. Dès 2010, j’ai dédié un ingénieur à ces questions. Cela nous a conduits à étudier plusieurs modèles. Nous avons également participé à la mise en place des mécanismes de bonus que comportent aujourd’hui les appels d’offres, dans l’éolien et surtout dans le solaire.

En 2018, nous avons réalisé 15 % des levées de fonds participatives totales dans les énergies renouvelables. Nous étions leader en la matière. Depuis 2010, nous avons levé plus de 10 millions d’euros dans ce cadre. L’idée nous en est venue lors de réunions publiques où les habitants revendiquaient une électricité gratuite en contrepartie de la présence d’éoliennes. Cette solution n’était pas envisageable à l’époque, car nous vendions toute notre électricité à EDF à un tarif d’obligation d’achat. Nous avons donc imaginé une autre solution grâce à laquelle nos projets profiteraient directement aux habitants. Désormais, ils peuvent faire des placements dans ce type d’installation presque sans risque, à des rendements bien supérieurs à ceux que propose la Caisse d’épargne.

(Mme Laure de La Raudière, vice-présidente de la commission denquête, remplace M. Julien Aubert à la présidence.)

Pour développer nos projets, nous organisons des ateliers techniques de concertation avec les acteurs des territoires afin de trouver les meilleures solutions d’implantation des parcs éoliens et d’améliorer leur acceptabilité.

Nous veillons de surcroît à ce que nos parcs éoliens n’aient pas un impact négatif sur la biodiversité. En Charente-Maritime par exemple se présentent d’importants enjeux ornithologiques. L’agriculture intensive a décimé les populations d’outardes canes peutières, qui nichaient dans les blés et étaient broyées par les moissonneuses-batteuses. Nous avons prévu un budget d’accompagnement et de compensation de 1,4 million d’euros pour développer sur 100 hectares, via des contrats d’agriculture durable, des zones favorables à cette espèce menacée.

J’ai récemment signé une convention avec CDC Biodiversité (groupe Caisse des dépôts) pour mettre en place des mesures compensatoires relatives à des oiseaux endémiques de la forêt landaise. Parallèlement aux parcs photovoltaïques, la Caisse des dépôts créera des zones favorables à la fauvette pitchou et à d’autres espèces.

Enfin, nous introduisons des clauses d’insertion dans nos projets. C’est notamment le cas pour notre parc photovoltaïque implanté dans une ancienne base militaire américaine près de Troyes. Lorsque les maires des communes proches voient des chômeurs de longue durée retrouver du travail grâce à nous, ils s’ouvrent au dialogue. C’est un sésame. Ayant été administrateur d’un plan local d’insertion pour l’emploi à Bègles, j’avais eu connaissance de telles clauses dans les marchés publics. Il m’a paru intéressant de les transposer au photovoltaïque. Le montage de panneaux solaires peut en effet être proposé à des travailleurs peu qualifiés. Marie Bové a mis en place ce dispositif dès 2016-2017 dans nos parcs du Médoc. Il améliore grandement l’acceptabilité de nos réalisations. Les structures d’insertion et les communes se réjouissent de ces débouchés professionnels offerts à des personnes ayant subi des difficultés de la vie et s’étant éloignées de l’emploi. La démarche est fort appréciée localement.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Grandidier, pourriez-vous présenter plus en détail les innovations que vous développez en matière de stockage et de pilotage de l’intermittence des énergies ? Où en sont ces technologies, et quelles perspectives d’évolution identifiez-vous ? Qu’en est-il de votre projet d’hydrogène ? Enfin, comment fonctionne votre solution Cryosolar ?

M. Jean-Yves Grandidier. Nous nous dirigeons vers une électrification de la société. L’électricité représente aujourd’hui 25 % de la consommation finale. À en croire l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, cette part pourrait atteindre 50 % en 2050. Ce phénomène d’électrification des consommations, doublé d’une rénovation thermique des bâtiments anciens, permettra de réduire drastiquement nos émissions de CO2. Nous pouvons supposer que le système européen de production d’électricité sera largement décarboné en 2050.

À cette même échéance, l’éolien et le solaire pourraient représenter 70 % à 80 % de notre mix électrique. En France, ces deux énergies pourraient à terme remplacer le nucléaire. Je les associe volontairement car elles sont complémentaires au fil des heures et des saisons.

Il ne sera pas besoin, pour autant, de recouvrir notre pays de panneaux solaires et d’éoliennes. Quelque 18 000 éoliennes terrestres seront nécessaires pour que cette énergie atteigne 30 % du mix électrique. L’éolien maritime connaîtra pour sa part un fort développement. Quant au solaire, outre les toitures et les zones déjà occupées par l’homme, nous aurons besoin d’équiper 0,3 % de la surface nationale, soit 160 000 hectares, pour atteindre 80 GW à des coûts de production imbattables.

L’éolien et le solaire présentent un potentiel de développement considérable, sans affecter véritablement le territoire. Il faut mettre en regard la cible de 18 000 éoliennes terrestres avec les 35 000 châteaux d’eau qui existent en France. Ces deux énergies sont aussi celles qui offrent le prix de revient le plus faible.

Pour tirer le meilleur parti de ces avantages, nous devrons adapter nos modes de consommation. Ainsi, 70 % à 80 % de nos consommations d’électricité peuvent être décalées ou stockées dans les usages.

L’éclairage et les appareils électroménagers représentent une part infime de notre consommation. Celle-ci est principalement mobilisée par la production de froid et de chaleur. La meilleure solution, pour profiter des nouvelles électricités à bas coût, est d’effectuer un stockage dans l’usage. C’est le principe du ballon d’eau chaude électrique. Il a été conçu, à l’époque, pour écouler les surplus de production nucléaire la nuit. Stocker de l’électricité sous forme d’usage – en l’occurrence, sous forme d’eau chaude – ne coûte que 30 euros le MWh, quand le stockage d’électricité dans une batterie coûte 200 euros le MWh. Ce prix chutera certes à mesure que progresseront les batteries, mais le différentiel avec le stockage dans l’usage restera prégnant. Ce dernier permet en outre de s’affranchir de l’enjeu environnemental du recyclage des batteries.

Ce qui vaut pour le stockage d’eau chaude vaut aussi pour le froid. Notre solution Cryosolar reproduit somme toute le principe de la glacière, en tirant parti de la frigorie latente. Demain, nos réfrigérateurs individuels ou industriels seront équipés de systèmes à froid latent. Ils fonctionneront au plus fort de l’ensoleillement, entre 11 heures et 17 heures, absorberont les excédents de production d’énergie solaire et les stockeront dans les usages. Nous n’aurons alors que faiblement besoin d’utiliser l’électricité pendant la nuit. Ces solutions sont peu coûteuses.

L’enjeu fondamental est de permettre à nos concitoyens, en même temps qu’ils isolent leur logement, de s’équiper de moyens de stockage dans les usages – de chauffe-eau thermodynamiques, par exemple. Ils pourront ainsi profiter pleinement d’énergies renouvelables peu onéreuses. Si nous ambitionnons une transition énergétique à bas coût, il sera impératif de développer le stockage dans les usages. Les politiques publiques doivent absolument favoriser cette solution. Peut-être y a-t-il d’ailleurs des emplois industriels à la clé.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Grandidier, vous paraît-il plus compliqué de développer des projets en France ou à l’étranger ? La localisation d’un projet en France entraîne-t-elle de facto un surcoût ?

M. Jean-Yves Grandidier. La France est le pays au monde où il est le plus compliqué de développer des projets. En Finlande, en Roumanie ou en Ukraine, l’exercice est plus facile.

Prenons l’exemple de la Finlande. Après y avoir noué un partenariat en 2014, nous y construirons une installation dès 2020. Six ans à peine auront été nécessaires entre le début du développement et sa mise en œuvre. La Finlande ne possède que deux degrés de juridiction, tandis qu’en France, le contentieux des éoliennes faisait l’objet de trois degrés de juridiction jusqu’au décret du 29 novembre 2018. Depuis lors, ce contentieux est jugé en premier ressort par les cours administratives d’appel, ce qui devrait accélérer le processus. En l’état, un recours en France met deux ans en moyenne à être traité par une juridiction. En Finlande, cette durée est moitié moindre. L’Allemagne a spécialisé la cour de Brême dans ces sujets. Peut-être la France devrait-elle faire en sorte que des magistrats des cours administratives d’appel se spécialisent dans les questions éoliennes. Cela ne pourrait qu’accélérer la mise en œuvre des projets. Le bilan économique en serait positif.

La France est un pays idéal pour produire des énergies renouvelables : ses façades l’exposent au vent, ses régimes atlantique et méditerranéen se complètent et offrent un très bon foisonnement. Réseau de transport d’électricité (RTE) estime la capacité de substitution de notre pays à 3 000 MW pour 10 000 MW d’éolien installé. Nos voisins européens ne disposent pas d’un tel atout. Nous pouvons en outre produire une énergie hydraulique grâce à nos montagnes, mais aussi solaire dans le Sud. Étant le plus grand pays de l’Europe de l’Ouest, nous disposons d’espaces où la densité est raisonnable. Nous avons aussi des forêts et des déchets agricoles.

Autre avantage non négligeable, nous sommes situés au cœur de la plaque électrique européenne. Nous pouvons par conséquent exporter nos excédents en Europe. L’Allemagne est obligée d’installer une ligne à très haute tension, de plus de 400 000 volts, pour rapatrier l’excédent de production de ses éoliennes du nord du pays vers Stuttgart et les centres industriels du sud. L’Espagne produira de l’énergie solaire très peu chère en Andalousie, mais comment celle-ci franchira-t-elle les Pyrénées ? La France, pour sa part, est le pays d’Europe le plus interconnecté avec ses voisins. Notre capacité d’interconnexion se monte à 18 GW. C’est un atout considérable qui fait de nous un exportateur potentiel d’énergies renouvelables.

Admettons qu’à terme, la France exporte 100 térawattheures grâce aux énergies renouvelables – éolien, solaire et hydraulique – à raison de 50 euros le MWh. Cela représentera 5 milliards d’euros d’excédents dans la balance commerciale. Aujourd’hui, nous gâchons nos atouts. Nous sommes pusillanimes en matière d’éolien. Voyons grand ! Dans l’éolien, la réussite passe nécessairement par des projets d’ampleur. Si Valorem arrive à produire de l’électricité éolienne à 40 euros par MWh en Finlande, c’est parce que nous pouvons y installer de très hauts mâts et des machines fortement toilées. En France, nous sommes soumis à des limitations de hauteur. Il faut mettre fin à cette attitude circonspecte vis-à-vis de l’éolien. Plus nous pourrons recourir à des grandes turbines, moins nous aurons besoin d’en implanter. Or l’impact visuel des turbines tient à leur nombre et non à leur hauteur. Je vous mets au défi de différencier des éoliennes de 100, 130 ou 140 mètres !

De nombreux territoires français sont propices à l’éolien, à commencer par les grandes plaines qui entourent la capitale. La ceinture de Paris est la zone qui compte le plus d’installations éoliennes terrestres en France. Il n’est pas même nécessaire de développer du réseau pour en tirer profit. L’Allemagne consacre 30 milliards d’euros à la création de réseau pour accompagner la transition énergétique. Sur l’ensemble de son territoire, la France aura besoin d’un budget cinq ou dix fois moindre. Nous gâchons nos atouts, ce qui nous conduit à produire une énergie électrique trop chère. Avec des éoliennes de 2 MW de puissance et 80 mètres de hauteur, je dois vendre l’électricité à 70 euros le MWh sur vingt ans pour qu’un projet soit viable, alors que je la propose à 40 euros le MWh en Finlande. Je le répète, si la France revoyait ses contraintes de puissance des machines, nous aurions besoin d’implanter moins d’éoliennes, l’impact de celles-ci serait atténué, et les coûts de production seraient plus faibles.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’en reviens à ma question initiale, monsieur Grandidier. Lorsque vous soumettez le même projet en France et à l’étranger, anticipez-vous un surcoût dans notre pays, lié aux lenteurs d’élaboration et de traitement des dossiers ?

M. Jean-Yves Grandidier. Oui. Cela tient en partie au fait que les projets français sont plus petits. Or le coût de développement n’est pas proportionnel au nombre de MW qui seront produits. Le surcoût français s’explique aussi par la durée de développement des projets, notamment s’il faut faire face à des recours. La France impose en outre des exigences plus marquées qu’ailleurs. En matière acoustique en particulier, elles sont les plus fortes au monde. Il nous arrive de devoir ralentir ou arrêter nos turbines pour les respecter. Pourtant, une fois les éoliennes installées, les riverains ne s’en plaignent généralement plus. Notez que nous sommes soumis au régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

M. Nicolas Turquois. Monsieur Grandidier, je vous invite à revoir la biologie de l’outarde. En tant qu’agriculteur, je peux vous assurer que cet oiseau n’est pas décimé lors de la moisson des blés, comme vous l’affirmez. L’outarde apprécie les légumineuses, tout particulièrement les luzernes qui ont largement disparu de notre territoire. C’est plutôt le recul de ces cultures qui induit le déclin de cette espèce.

Je suis intervenu lors d’une réunion publique consacrée à un projet de Valorem dans le nord de la Vienne, non pour défendre spécifiquement cette installation, mais pour expliquer pourquoi les énergies éoliennes étaient soutenues par les gouvernements successifs. Je suis a priori plutôt favorable à l’éolien, mais j’entends aussi certains arguments de ses détracteurs.

Les territoires que je connais où sont implantées des éoliennes ont souvent une population très modeste. Certains habitants concourent aux projets de financement participatif, mais d’autres n’en ont pas les moyens. Ils estiment subir le désagrément visuel, voire sonore, d’éoliennes qui satisfont des consommations non pas locales, mais urbaines. Le financement participatif me semble plutôt relever d’un achat des bonnes consciences. Tous nos concitoyens ne peuvent pas en bénéficier. Vous avez évoqué, monsieur Grandidier, la revendication d’une électricité gratuite en contrepartie de la présence d’éoliennes. Ne faudrait-il pas prévoir au moins des financements pour aider les riverains de vos installations à isoler leur logement, par exemple à poser des doubles vitrages pour se protéger des nuisances sonores des éoliennes ?

J’en viens à la question des socles en béton des éoliennes. Je crois savoir qu’en cas de démantèlement d’une installation, la réglementation impose de retirer le béton sur un ou deux mètres de profondeur, pas davantage. Or un sol reconstitué sur une surface de béton ne fonctionne pas correctement d’un point de vue agronomique.

Je m’interroge enfin sur la garantie financière liée au démantèlement des éoliennes. Si les exploitants font défaut, le risque est que des propriétaires bailleurs se retrouvent, quinze ou vingt ans plus tard, avec des éoliennes inemployées dans leurs champs.

M. Jean-Yves Grandidier. Je reconnais, monsieur Turquois, que certaines de nos opérations de financement participatif ont plutôt mobilisé des habitants de la région parisienne. Nous avons pris l’habitude de les réserver, assez rapidement après leur ouverture, aux riverains de nos projets. Dans les appels d’offres, solaires en particulier, le financement participatif est désormais réservé au département qui accueille l’installation et aux départements limitrophes.

Prenons l’exemple du parc photovoltaïque que nous construisons aux environs de Troyes. La SEM Énergie de Troyes a investi dans le projet. En parallèle, nous avons recherché 700 000 euros d’investissement participatif. Ce ne fut pas sans difficulté, car nous n’avions plus affaire à des technophiles parisiens prompts à investir dans ces sujets. Cependant, nos clauses d’insertion et la communication que nous avons menée sur le projet ont incité les habitants et les agriculteurs à contribuer au financement participatif. Les incitations à ce type de financement qui existent actuellement pour l’éolien, et plus encore pour le solaire, élargissent le spectre des participants, au-delà des grandes métropoles.

M. Nicolas Turquois. Monsieur Grandidier, ma question faisait référence aux voisins directs des éoliennes, qui en subissent l’impact visuel. En contrepartie, quel retour tirent-ils de ces installations ? Peut-être leur collectivité y trouve-t-elle un bénéfice, mais ce n’est pas même assuré. Il arrive en effet que les projets soient situés en bordure d’une commune voisine. Cette dernière en subit les inconvénients, sans profiter de leurs éventuelles retombées.

M. Jean-Yves Grandidier. Notre projet éolien de La Luzette, à la frontière entre le Cantal et le Lot, illustre votre préoccupation, monsieur Turquois. Nous avons vendu 35 % du parc à la coopérative des Fermes de Figeac. Celle-ci a réparti l’investissement participatif sur le territoire entourant le parc. Elle était déjà impliquée dans les énergies renouvelables, certains de ses adhérents s’étant équipés de toits photovoltaïques. Elle a souhaité investir dans notre parc. Trois cents personnes ont répondu à l’appel, pour près de 3 millions d’euros. Malheureusement, cette coopérative a surtout organisé des réunions publiques dans la région de Figeac, oubliant une partie des personnes susceptibles d’être intéressées. Quoi qu’il en soit, cet exemple révèle l’attrait de nos concitoyens pour ce type de financement participatif. Outre les particuliers, des industriels comme Andros, implanté dans le Lot, ont investi dans ce parc.

Mme Marie Bové. Nous souhaitions que ce projet de financement participatif inclue des jeunes agriculteurs, bien qu’ils n’aient pas encore une épargne suffisante pour y contribuer. La coopérative des Fermes de Figeac a négocié un prêt à leur intention auprès des banques. De fait, leur investissement leur rapporte davantage que les mensualités qu’ils doivent verser. Des dynamiques se mettent en place dans le monde rural pour accueillir le maximum de personnes dans ces projets. Ainsi, 110 paysans et plus de 200 habitants des deux communes concernées ont pris part au projet de La Luzette. Des solutions existent pour élargir la participation. Je rencontre même dans le Lot des paysans qui regrettent de ne pas s’être engagés dans l’aventure.

M. Jean-Yves Grandidier. Dans le cadre du projet de La Luzette, nous avons mis en place un investissement dont le rendement est sécurisé pour les agriculteurs. Ils sont assurés d’une rentabilité à un horizon de quinze ans. À cette échéance, une option d’achat nous oblige à acquérir leur participation à un prix qui leur garantit une certaine rentabilité.

Par ailleurs, nous travaillons avec Enercoop sur la possibilité de vendre l’électricité à des prix préférentiels aux habitants situés autour de nos parcs. Nous ne pouvions pas y procéder tant que nous étions soumis à des tarifs d’obligation d’achat. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de transition énergétique pour la croissance verte, nous vendons l’électricité au marché et percevons un complément de rémunération. Nous pouvons donc envisager que via une marque blanche, une ferme éolienne fasse bénéficier ses riverains de prix préférentiels, en recourant à un opérateur et à un fournisseur d’énergie électrique comme Enercoop.

J’en arrive au socle en béton des éoliennes. Il est possible de retirer intégralement ces fondations. Nous y avons procédé pour une machine. L’opération est certes plus coûteuse qu’un retrait partiel. Cela étant, le démantèlement d’un parc éolien coûte 50 000 à 75 000 euros par MW, soit 3 % à 5 % du coût de construction. Ce prix reste donc relativement faible, sans commune mesure avec celui du démantèlement des installations nucléaires.

Les préfets sont chargés de vérifier tous les ans que nous présentons bien des garanties de démantèlement. Si nous faisons défaut, ils ont le pouvoir de retirer nos autorisations. Ceci vaut jusqu’à la fin de vie des parcs. Même si l’opérateur initial n’est plus présent lorsqu’un parc doit être démantelé, la garantie et le système assurantiel persistent.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Cette garantie ne se monte qu’à 50 000 euros.

M. Jean-Yves Grandidier. Elle est basée sur une valeur de 50 000 euros par éolienne. Peut-être cette valeur devrait-elle être rehaussée, à hauteur de 100 000 euros pour une éolienne de 2 MW et de 150 000 euros pour une éolienne de 3 MW.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Nous avons connaissance de devis de démantèlement d’éoliennes largement supérieurs à 50 000 euros par MW.

M. François-Michel Lambert. Je m’étonne des éléments de calcul que vous avancez sur le démantèlement des éoliennes, monsieur Grandidier. En effet, ils sont loin de prendre en compte la globalité des impacts de ces installations et les perspectives d’innovation qui s’offrent à nous. Qui sait si, dans dix ou vingt ans, le béton n’aura pas une nouvelle valeur ? Si les matériaux de construction viennent à manquer, les socles d’éoliennes pourraient être réemployés dans la fabrication de ponts ou d’immeubles. Ces installations seraient donc valorisées plutôt qu’elles ne coûteraient.

Monsieur Grandidier, vous n’avez pas évoqué le gaz. De grands transporteurs comme GRTgaz anticipent qu’en 2050, le gaz pourrait ne plus émettre de CO2. Vous y intéressez-vous ? Qu’en est-il de l’hydrogène ?

Par ailleurs, quelle est votre perception de la décentralisation des politiques publiques en matière énergétique ? Comment, selon vous, investir pleinement les territoires et les décideurs locaux de sujets de développement des énergies renouvelables ?

J’en viens aux innovations. La technologie de la chaîne de blocs est-elle susceptible de créer une rupture et d’instaurer un tout autre modèle économique dans le domaine énergétique, au-delà de la seule production d’énergie ? Ceci nous renvoie à l’économie de la fonctionnalité et aux possibles changements de paradigme que pourrait connaître ce secteur : partage d’énergies d’hyperproximité, autoconsommation, etc. Comment intégrez-vous ces points de rupture dans vos stratégies, monsieur le président ? Qu’attendez-vous des élus et du législateur ? Faut-il faire évoluer le financement participatif en conséquence ? Celui-ci pourrait-il être intégré aux appels d’offres de marchés publics, de telle sorte que les collectivités puissent y recourir pour développer des projets de production d’énergie décentralisée ?

À vous écouter enfin, monsieur Grandidier, il semble que votre frein principal réside dans notre modèle de comptabilité. Vous êtes sans cesse renvoyé à des comparaisons typiques d’une comptabilité incapable de valoriser l’apport positif de votre production énergétique. Cette comptabilité se focalise sur les flux financiers et néglige les impacts extra-financiers, qu’ils soient sociaux ou environnementaux. Il existe certes quelques indicateurs de responsabilité sociale et environnementale. Au-delà, et à l’instar d’une expérimentation menée en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, n’est-il pas nécessaire de faire émerger une nouvelle forme de comptabilité intégrée qui traduise, dans un bilan unique, l’ensemble des facteurs en jeu, monétaires et non monétaires ? Vos actions de préservation des espaces naturels et d’insertion professionnelle viendraient ainsi renforcer le bilan de votre structure. Cette approche démontrerait qu’au-delà de la production d’électricité, vous apportez un bénéfice aux territoires. Les financeurs publics ou privés pourraient s’en trouver rassurés.

M. Jean-Yves Grandidier. Valorem a élaboré un cahier dacteur en 2018 dans le cadre du débat sur la programmation pluriannuelle de lénergie (PPE). À lhorizon de 2035, nous nous sommes positionnés sur un scénario dit « watt renforcé par les énergies renouvelables ». Il vise le développement des énergies renouvelables, de flux en particulier. Un accent serait mis sur le solaire ainsi que sur léolien marin. Pour ce dernier, nous tablons sur un accroissement de 1,5 GW par an, contre les 0,6 GW prévus dans lactuel projet de PPE.

Nous avons conservé, dans notre modèle, les 6 GW de gaz que nous produisons actuellement. En effet, le nouveau monde électrique imposera de changer de vision. Nous ne raisonnerons plus en production de base, de semi-base et de pointe, mais en énergies renouvelables de flux – éolien et solaire principalement, hydraulique dans une moindre mesure – et en besoins d’appoint. Le gaz fournira précisément un appoint. Cette énergie sera probablement davantage renouvelable en 2035 qu’aujourd’hui.

Durant une large partie de l’année, nous aurons des surplus de production d’électricité éolienne et solaire. Nous pourrons en profiter pour fabriquer de l’hydrogène. À ce jour, l’essentiel du million de tonnes d’hydrogène utilisées pour des usages industriels en France provient du reformage du méthane. Cette opération produit 10 millions de tonnes de gaz à effet de serre. Grâce à nos surplus d’énergie non carbonée – nucléaire aujourd’hui, renouvelable demain – nous pouvons produire un hydrogène peu émetteur de gaz à effet de serre, via l’électrolyse de l’eau. Ce gaz pourra être utilisé dans l’industrie. Nous pourrions ensuite envisager qu’une partie de cet hydrogène soit injectée dans les transports.

À cela s’ajoutent la conversation d’électricité en gaz – power to gas – et l’opération inverse – gas to power. L’hydrogène pourrait être introduit directement dans les réseaux de gaz. Cette solution présente certes des difficultés. À la campagne toutefois, elle pourrait être combinée avec du méthane ayant été séparé du biogaz, et qui serait réinjecté. L’électrolyse de l’eau offrirait alors la possibilité de faire du gas to power. Demain, ces installations de production de gaz renouvelable et d’injection de gaz pourront être équipées de centrales d’appoint qui fonctionneront quelques centaines d’heures par an, lors des pointes de consommation. Le gaz ainsi mobilisé sera de plus en plus renouvelable. Des systèmes de facturation nette pourront tracer cette caractéristique.

Selon notre scénario pour 2035, nous aurons besoin de 10 GW d’appoint. C’est pourquoi nous proposons, plutôt que de fermer les centrales à charbon, de les transformer en centrales fonctionnant avec des combustibles verts. EDF développe en ce sens une solution dite Ecocombust dans la centrale de Cordemais. Il espère faire fonctionner deux tranches de 600 MW durant 500 heures par an grâce à un combustible vert alternatif au charbon mais présentant exactement les mêmes caractéristiques. Cela lui permettra de maintenir une partie des emplois de la centrale de Cordemais tout au long de l’année, puisqu’il faudra fabriquer ce combustible vert. L’investissement est déjà réalisé, et les tranches ont été rénovées. J’y vois une façon intéressante de répondre aux besoins d’appoint. Une étude du Conseil économique et social environnemental régional des Pays-de-la-Loire montre que le coût marginal de cette production serait de 120 euros par MWh. Il est certes élevé, mais cette énergie viendrait uniquement combler les pointes 500 heures par an. Aujourd’hui, 500 heures par an, la France paie l’électricité à un prix supérieur.

J’en arrive à votre question sur la décentralisation, monsieur Lambert. Dans notre modèle, nous prévoyons que les centrales photovoltaïques soient pilotables. Elles écrêteraient une partie de leur production dans la journée pour ensuite participer à la pointe du soir, grâce à un stockage dans des batteries. Nous connaîtrons une volatilité des prix : une fois le soleil couché, l’électricité sera plus chère. Sachant que le prix des batteries baissera, il y aura une logique économique à stocker une partie de la production solaire – et ce, d’autant que nous économiserons sur des coûts de réseau. Dans le sud de la France, les capacités d’accueil de photovoltaïque sont saturées. Cette énergie mettra du temps à se développer dans cette zone. Ce développement serait très coûteux s’il visait un fonctionnement 1 400 heures par an. Des investissements raisonnables peuvent permettre d’atteindre un fonctionnement 2 500 heures par an.

La SEM Énergie de Troyes a investi il y a dix ans déjà dans un parc éolien. Depuis, elle a également investi dans notre parc photovoltaïque. Des acteurs de ce type nous accompagnent de longue date. Nous montons actuellement un partenariat avec la métropole de Bordeaux, qui a créé une SEM Energie. Elle ambitionne d’être un territoire à énergie positive en 2050. La métropole seule n’a pas les moyens d’atteindre cet objectif, pour des raisons de densité notamment. Elle recourra donc à la contribution des territoires voisins. Nous souhaitons que les potentiels éoliens et solaires de ceux-ci, des Landes notamment, soient mobilisés dans des partenariats associant une SEM locale de production d’énergie et la SEM Énergie de Bordeaux. Cela contribuera à une nouvelle solidarité entre les territoires urbains et ruraux, qui ont besoin les uns des autres.

Quant à la chaîne de blocs, monsieur Lambert, elle est essentiellement associée à l’autoconsommation. Cette dernière figure dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Je milite pour que nous allions plus loin et pour que la consommation en circuit court soit favorisée par la loi. Vous pouvez nous y aider. Nous peinons à faire admettre qu’un périmètre d’autoconsommation soit largement exonéré du tarif d’utilisation des réseaux publics l’électricité (TURPE).

L’autoconsommation constitue bel et bien un changement de paradigme. Demain, nos réfrigérateurs fonctionneront grâce à l’électricité solaire produite sur les toits de nos maisons à la mi-journée. Nous stockerons aussi l’énergie dans les usages. Bien qu’elle ne fonctionne que dans la journée, la production solaire satisfera une grande partie de nos besoins en électricité, en autoconsommation.

Mme Marie Bové. La comptabilité intégrée que vous évoquez, monsieur Lambert, pose la question des services rendus par la nature. Au-delà de la séquestration du CO2, ces services sont très nombreux : la biodiversité contribue à la pollinisation des cultures, la perméabilité des sols induit des coûts évités en termes d’inondation et d’incendie, sans compter la valeur récréative des espaces naturels. Certaines associations de protection de l’environnement s’efforcent de chiffrer ces services rendus par la nature. WWF France y a procédé pour le projet Fermes d’avenir dans l’Essonne, par exemple.

Dans lénergie, cette approche nen est quaux balbutiements. Nous ne disposons pas détalon auquel nous puissions nous référer. À ce jour, nous pouvons simplement valoriser le bénéfice social des clauses dinsertion de nos projets. Plus largement, un travail mériterait dêtre mené pour prendre en compte lapport global des énergies renouvelables à lenvironnement et aux populations. Cette réflexion est entamée avec les directions régionales de lenvironnement, de laménagement et du logement. Nous aurons besoin du soutien des politiques pour trouver un accord sur les critères devant être retenus à ce titre. Il faudra notamment juger si une installation dénergie renouvelable est un élément durbanisation et dimperméabilisation des sols. Sachez quune centrale photovoltaïque, dès lors quelle est construite dans certaines conditions, ne contribue ni à lartificialisation ni à limperméabilisation dune terre. Au contraire, elle peut rendre des services. Ces arguments sont à construire avec les acteurs politiques et les associations, afin que les opérateurs sachent si leurs projets sont éligibles ou non aux appels doffres, notamment à ceux de la CRE.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Monsieur Grandidier, vous avez comparé les éoliennes aux châteaux d’eau. Je souligne que ces derniers ne sont hauts que de 25 mètres, qu’ils ne sont pas en rotation et ne clignotent pas la nuit. Ils ne présentent donc pas les mêmes nuisances que les éoliennes.

Par ailleurs, certains interlocuteurs que nous avons auditionnés ont expliqué qu’un développement trop marqué de l’autoconsommation et des circuits courts irait à l’encontre des principes de péréquation et de tarif unique. En effet, la part de péréquation qui existe aujourd’hui dans le tarif de l’électricité serait supportée par un plus faible nombre de personnes. Cela représenterait une injustice, notamment dans la couverture du TURPE.

M. Jean-Yves Grandidier. Nous aurons toujours besoin du réseau, que ce soit pour évacuer les surplus de production ou pour satisfaire les besoins de consommation. De mon point de vue – et je crois savoir que le président de RTE le partage –, la part fixe du TURPE augmentera certainement. En revanche, la part liée à l’énergie pourrait décroître. Les citoyens payeront la mise à disposition d’un service dont ils pourront s’emparer ou non. Un foyer souscrira un abonnement de 1 kW ; la majeure partie du temps, il n’a guère besoin de plus. Il aura facilement la possibilité d’appeler davantage de courant, par exemple entre 11 heures et 16 heures, quand des surplus d’énergie solaire pourront être autoconsommés localement, sans surcoût. Demain, le TURPE dépendra peut-être moins de l’énergie, et davantage de la puissance, de la capacité et des services mis à la disposition des usagers par le réseau.

Laudition sachève à vingt heures vingt.

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23.   Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Bour, président d’Enerplan, accompagné de M. Richard Loyen, délégué général, de M. David Gréau, responsable des relations institutionnelles et de M. Antoine Huard, président du think tank France Territoire Solaire (14 mai 2019)

Laudition débute à dix-sept heures cinq.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Mes chers collègues, nous accueillons ce soir les représentants du syndicat des professionnels de l’énergie solaire, Énerplan : M. Daniel Bour, son président, est accompagné de M. Richard Loyen, délégué général, de M. David Gréau, responsable des relations institutionnelles, et de M. Antoine Huard, président du think tank France territoire solaire.

Messieurs, nous allons beaucoup discuter d’autoconsommation ce soir, puisque, a priori, l’activité des professionnels que vous fédérez vise à fournir de la chaleur ou de l’électricité localement. Elle vise également à alimenter le bouquet électrique national et local au moyen des centrales de production.

Vous indiquez qu’Énerplan s’ouvre aux questions de stockage, d’électromobilité et de numérisation de l’énergie. Vous présentez votre activité comme suit : « Notre détermination, c’est faire aboutir rapidement une offre d’électricité et de chaleur solaires compétitive pour les Français et créatrice de valeur dans les territoires. Notre engagement : formuler des propositions crédibles et agir afin d’amplifier la dynamique du solaire au niveau national et dans les régions. »

Après avoir envisagé l’autoconsommation sur le plan technique, vous estimez que des taux élevés d’autoconsommation pourraient être atteints sans avoir recours au stockage. Mais aussi que dans l’habitat individuel, les pics de consommation du matin et du soir pourraient être aisément déplacés aux heures solaires, grâce à des dispositifs de pilotage intelligents de la demande permettant d’optimiser le taux de rentabilité.

Vous nous direz comment vous arrivez à ces objectifs. De nombreuses personnes que nous avons auditionnées nous ont expliqué que le solaire ne servait pas à grand-chose la nuit, et qu’il s’agissait d’une énergie, par essence, non pilotable. Je vous indique cela en transcrivant de façon un peu caricaturale et rapide des propos qui ont été tenus par des personnes provenant de filières énergétiques différentes de la vôtre. Vous nous expliquerez comment il est possible d’arriver à piloter cette énergie.

Vous donnez aussi une dimension politique et sociale à l’autoconsommation. Un point important pour cette commission, car les personnes qui pratiquent l’autoconsommation ne financent pas nécessairement la péréquation tarifaire de l’accès au réseau ; comment résoudre cette question ?

Où en serons-nous dans cinq ans, horizon que vous avez retenu pour une faisabilité technique en matière de stockage ?

Comment créer des réseaux décentralisés ? Dans ce cas, la somme des puissances nécessaires pour couvrir les pointes de consommation décentralisées ne sera-t-elle pas supérieure à la puissance de pointe requise par un réseau centralisé ?

Enfin, la présentation avantageuse de l’autoconsommation et du stockage ne fait-elle pas l’impasse sur la péréquation permise par un réseau centralisé ?

Monsieur Bour, je vous propose de nous présenter un exposé liminaire de quinze minutes, notre rapporteure et les membres de la commission d’enquête vous poseront ensuite des questions.

Messieurs, avant de vous donner la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rient que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(MM. Bour et Loyen prêtent serment)

M. Daniel Bour, président dÉrneplan. Madame la présidente, je commencerai par vous présenter la filière photovoltaïque dans son ensemble. Je m’appuierai, pour cela, sur un certain nombre de slides.

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe, pour le solaire, des objectifs ambitieux à l’horizon 2028. La part du solaire dans la production électrique passerait de 2 %, à 10 % en dix ans. Ces chiffres nous semblent réalistes et réalisables, pour plusieurs raisons.

La première est l’évolution des prix : le prix de l’électricité solaire photovoltaïque a chuté sur l’ensemble des segments du marché – le résidentiel, moins 12,5 %, les grandes toitures, moins16,1 % par an et les centrales au sol, moins 18,3 % par an.

Seconde raison : historiquement, le solaire avait un coût élevé pour la contribution au service public de l’électricité (CSPE) – qui a été absorbée en 2016 par la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Aujourd’hui, les volumes des centrales solaires raccordées en 2018 représentent un engagement de 50 millions d’euros par an pour les charges publiques, contre 613 millions par an en 2011.

Les chiffres indiqués sur le slide ne sont pas ceux des nouvelles centrales, mais ceux des centrales qui ont gagné des appels d’offres il y a deux ans. Je n’entrerai pas dans le détail, je souhaitais simplement vous montrer la chute très forte des tarifs, notamment pour les centrales au sol.

Par tranche de cent mégawatts, entre 2011 et 2018, les aides publiques ont été divisées par dix pour les plus grandes centrales, un peu moins fortement pour les toitures et le résidentiel.

Les lauréats des derniers appels d’offres verront leurs centrales raccordées d’ici à deux ans. Le prix aura encore baissé.

Actuellement, le prix moyen de marché est de cinquante-huit euros et quatre-vingt-six centimes par mégawattheure pour les centrales au sol et le coût du soutien public n’est plus que de 6,67 euros par mégawattheure, soit un coût annuel de 867 700 euros pour cent mégawatts. J’insiste sur ce point : les centrales au sol, par rapport au prix de marché, ne bénéficient que d’un très faible soutien public. Et non seulement elles vont coûter de moins en moins cher, mais elles feront un jour gagner de l’argent à l’État.

Je vous arrête tout de suite si vous songez à supprimer les aides publiques ! Elles sont fondamentales, le prix de marché n’étant ni constant ni bien connu. En garantissant un prix, l’État favorise énormément la diminution des coûts.

Le prix moyen de marché pour les centrales en toiture, qui ont emporté les derniers appels d’offres, est de 84,65 euros par mégawattheure, le coût du soutien public pour chaque mégawatt est de 32,46 euros par mégawattheure, soit un coût annuel de 3 732 000 euros pour cent mégawatts.

Cependant, les centrales au sol génèrent des recettes fiscales récurrentes pour la collectivité, pour un montant total de 1 400 000 euros par an pour cent mégawatts : imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), taxe foncière, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), cotisation foncière des entreprises (CFE) et impôt sur les sociétés.

Ce qui signifie que, sur la base du prix de marché actuel, les centrales au sol qui ont emporté les derniers appels d’offres génèrent un bénéfice pour la collectivité de 500 000 euros par an.

Il s’agit là d’un changement de paradigme. La compétitivité du solaire a progressivement permis de coûter moins cher et, aujourd’hui, d’être dans une phase plus positive.

Nous l’expliquons de façon plus explicite encore, avec le tableau suivant. Le soutien de l’État est de garantir un prix donné au producteur. En contrepartie, celui-ci se doit de mettre sur le marché chaque kilowattheure produit.

Cependant le prix de marché évolue chaque jour. Si, entre 2017 et 2018, l’État a perdu de manière permanente de l’argent, à certaines périodes, de l’argent lui a été reversé ; et plus nous avancerons dans le temps, plus les versements seront importants. En effet, les centrales solaires au sol produisent une électricité à un prix fixe sur vingt ans, dont le niveau est d’ores et déjà, sur certaines périodes, inférieur au prix du marché.

N’en déduisez pas, là aussi, que nous puissions nous passer des appels d’offres. Une énergie s’amortit sur vingt ans, nous avons donc besoin de visibilité. Si nous étions sur un marché classique, sans garantie de l’État, le coût financier serait plus que doublé. Sans visibilité, chacun prendrait plus de précautions – les banques, les investisseurs, etc. C’est bien grâce à cette garantie de l’État, que les investisseurs et les financiers se sentent en sécurité et acceptent des taux extrêmement bas. Ce qui explique la compétitivité du solaire.

Aujourd’hui, quand l’État investit dans le solaire, il ne s’agit plus d’une aide, mais bien d’un investissement, puisqu’il bénéficiera d’un retour – les courbes le montrent déjà.

Cependant, le solaire est l’énergie la moins chère de toutes les énergies ; si le prix de marché était plus bas, beaucoup d’autres énergies seraient en difficulté. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de moments de crise – parfois le marché est négatif. Les prévisions présentées par la PPE indiquent une augmentation régulière du prix de marché.

Nous pouvons en parler durant des heures, peu de personnes peuvent réellement deviner quel sera le prix de marché futur.

Venons-en aux coûts globaux des énergies renouvelables (EnR), et en particulier, au coût du solaire. L’essentiel des charges de service public consacrées au soutien des EnR correspond à des contrats déjà engagés, dont le poids va décroître dans les années à venir. S’agissant du solaire, c’est bien ce coût historique que nous sommes en train de payer, et non pas les nouvelles centrales.

Par ailleurs, les spécificités du contexte français conduisent à des prix de l’électricité solaire plus élevés qu’ailleurs, notamment en Allemagne. Bien entendu, certaines d’entre elles sont tout à fait logiques, notamment dans le cadre de la transition énergétique.

Nous avons décomposé le prix de l’électricité d’un projet de centrale solaire au sol, qui est de 56,8 euros. Sont compris dans ce prix les éléments suivants : d’abord, le critère carbone, qui a une raison d’être dans le cadre de la transition énergétique.

Ensuite, la S3RENR. La France a choisi de faire supporter aux EnR tous les coûts de l’amélioration et d’adaptation au réseau, contrairement à d’autres pays européens, où le coût est pris en charge par la collectivité. Les fournisseurs sont inquiets, une explosion de ce poste étant prévue dans les dix années qui viennent.

Enfin, l’IFER, un impôt qui a été décidé il y a une dizaine d’années, et justifié par la volonté de bien ancrer les EnR dans les territoires. Il s’agit en réalité d’un impôt qui pèse très lourd dans le solaire, puisque son taux est le même pour une centrale qui produit le mégawattheure à 400 euros que pour une centrale qui le produit à quatre ou cinq euros.

Le taux d’IFER payé par les producteurs d’énergies solaires et éoliennes est le double du nucléaire et du thermique, alors que le solaire produit, en nombre d’heures, moins que toutes les autres énergies. Par ailleurs, il nous semble que l’IFER devrait faire l’objet d’un débat afin de s’assurer qu’il est fléché correctement, les communes rurales, dans lesquelles sont implantées les centrales, n’en bénéficiant quasiment pas – contrairement aux intercommunalités, agglomérations et départements.

Sans toutes ces spécificités, le prix moyen passerait de 56,8 à 45,8 euros, soit une différence significative. Il ne s’agit pas pour nous de contester ces décisions, ce sont des choix réglementaires, politiques. Je vous demande simplement de les prendre en compte, lorsque vous procédez à des comparaisons, notamment avec d’autres pays européens.

Dans cette première partie, nous nous sommes efforcés de vous expliquer le coût financier du solaire pour la collectivité ; un coût qui devient extrêmement réduit – quasi nul pour les centrales au sol. Nous avons fait, en termes de compétitivité, l’essentiel du chemin.

Dans un deuxième temps, nous vous présenterons l’activité de la filière et notamment les emplois qui ont été créés et à venir. Les chiffres que nous avons repris dans notre présentation proviennent d’une étude effectuée, en liaison avec notre syndicat, par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et la société Care&Consult. Elle vise à mettre en perspective les emplois qui seront créés, en application de la PPE – à horizon 2023.

Dans un premier temps, suite au moratoire, qui a été très violent, l’emploi a fortement diminué – il a été divisé par deux. Ce qui démontre, encore une fois, que lorsqu’on coupe la visibilité économique d’une activité, les conséquences en termes d’emplois sont dramatiques. Puis, dès qu’il a été remis de la visibilité sur le solaire, nous avons recommencé à recruter – et cela s’accélère. Le nombre d’emplois va quasiment doubler entre 2016 et 2023 – plus 10 000 emplois –, et nous estimons être capables d’en créer 20 000 supplémentaires d’ici à 2028. Le nombre d’emplois indirects est important, et il est parfois difficile de les mesurer.

Notre troisième partie tend à vous présenter quelques idées reçues sur l’énergie solaire photovoltaïque, ce que j’appelle le « péché originel » du solaire. Cette énergie a connu un engouement incroyable dans les années 2009-2010, mais a fait l’objet d’un moratoire. Certaines idées reçues se sont développées ; si certaines, à l’époque, étaient vraies, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous souhaitons donc revenir sur les principales.

Premièrement : « tous les panneaux solaires viennent de Chine » et coûtent extrêmement cher. S’il est vrai que le Chine est le premier producteur mondial de panneaux solaires, elle produit avant tout pour ses propres besoins. Un panneau est composé de différents éléments – cellules, plaquettes, cadre… Les plaquettes proviennent principalement de Norvège et en partie de la France. Il s’agit de la partie la plus énergétivore, la plus importante si nous voulons baisser notre empreinte carbone. Or la Norvège, grâce à ses barrages a une empreinte carbone extrêmement faible.

Les cellules, quant à elles, proviennent en majorité de Corée du Sud. Enfin, le montage, l’addition de toutes les cellules, est une étape importante mais méprisée, alors que c’est à ce moment-là qu’il est possible de faire des économies et de l’ergonomie. Les modules sont principalement assemblés en France, il faut le souligner.

Deuxièmement : « un panneau solaire permet d’économiser moins de CO2 qu’il n’en a été produit lors de sa fabrication ». Le temps de retour énergétique d’un panneau solaire est inférieur à trois ans et son temps de retour carbone en France se situe entre un et cinq ans.

Par ailleurs, selon la PPE, l’accroissement des capacités EnR – passer de 2 % à 10 % – ne nécessite pas de back-up. Et c’est le réseau de transport de l’électricité (RTE) qui l’affirme.

Troisièmement : « l’intermittence de l’énergie solaire la rend peu intéressante, car elle ne produit que 15 % du temps ». Dans la réalité, un panneau solaire produit de l’électricité 47 % du temps. L’énergie solaire est, certes, variable, mais prédictible. Sa gestion ne pose aucun problème, et peut être incluse dans la distribution jusqu’à 10 % sans back-up.

L’énergie solaire contribue à une transition énergétique harmonieuse, puisqu’elle coche à peu près toutes les cases demandées : retombée sur l’emploi ; retombée pour les collectivités, les centrales étant construites sur des communes rurales ; coût du soutien porté par le consommateur ; bénéfices environnementaux ; occupation des sols ; revalorisation du patrimoine terrien et immobilier ; participation des populations aux enjeux énergie-climat.

Concernant l’occupation des sols, l’enjeu pour les années à venir est de passer de huit gigawatts à quarante. Nous aurons besoin pour ce faire, selon la PPE, de deux mille hectares par an ; c’est à la fois peu et beaucoup. C’est la raison pour laquelle, nous privilégierons les terrains artificialisés. D’ailleurs, 73 % des lauréats des appels d’offres proposaient des terrains artificialisés.

Quels sont les enjeux pour atteindre les objectifs, de façon harmonieuse, et quels sont les points qui doivent être réglés pour y arriver ? J’en citerai trois. D’abord, les permis de construire, un système qui fonctionne mal en France.

Ensuite, la symbiose avec l’agriculture : comment pouvons-nous être un allié pour les agriculteurs, leur faire bénéficier d’un revenu, sans perturber l’agriculture – notamment sans utiliser les terres agricoles ?

Enfin, le respect de la concurrence. Le photovoltaïque, qui était jusque-là une activité de petites et moyennes entreprises (PME) et d’entreprises de petite taille (ETI), voient arriver les grands groupes – ce que nous pouvons considérer comme une marque de reconnaissance. De sorte que nous serons vigilants quant à ce que tous les acteurs puissent répondre de manière transparente et homogène aux appels d’offres.

En effet, les acteurs doivent, en général, répondre à un premier appel d’offres qui leur permet d’acquérir des terrains, avant de répondre à celui de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Si, par exemple, les terrains de l’armée étaient attribués à un ou deux opérateurs seulement, nous taperons sur la table pour évoquer le non-respect de la concurrence.

Quel futur pour le solaire ? D’abord, nous ne devons pas, pendant une dizaine d’années, être obnubilés par l’intermittence, puisque 10 % peuvent être absorbés par le réseau. Mais si nous ne faisons rien d’ici à 2028, alors nous aurons un problème. Nous devons donc absolument anticiper, sachant que le coût du solaire va continuer à baisser et que nous ne voyons aucune raison pour que l’appétence de la population pour cette énergie diminue.

Différentes questions doivent être réglées pour mettre fin à l’intermittence. D’abord, la digitalisation permettra que les usages de l’utilisation de l’électricité cadrent avec les moments de production solaire. Cela peut se faire chez soi, mais également à une plus grande échelle – au niveau des entreprises, et au niveau national. Une digitalisation que nous devons prévoir dès aujourd’hui, car elle prendra du temps.

Ensuite, la question du stockage. Électricité de France (EDF) a déjà annoncé que deux gigawatts de capacité supplémentaire peuvent être envisagés. Par ailleurs, il existe différentes façons de stocker : la batterie, mais également, chez soi, dans notre ballon d’eau chaude ou notre voiture.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Je vous remercie, monsieur le président. Avant de laisser la parole à la rapporteure, j’aurais quelques questions à vous poser.

L’énergie solaire a déjà dépensé 25 milliards d’euros de subventions publiques et 25 autres milliards sont déjà engagés : confirmez-vous ces chiffres ?

M. Daniel Bour. Ces 25 milliards d’euros représentent l’historique. Cet historique commencera à diminuer dans dix ans, soit à partir de 2029. Les centrales qui ont vingt ans ne sont plus soutenues par l’État. Mais oui, cet ordre de grandeur me paraît correspondre.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Les appels d’offres se font sur un prix garanti pour combien d’années ?

M. Daniel Bour. Vingt ans.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Quelle est la durée de vie d’une installation solaire au sol ?

M. Daniel Bour. Quarante ans.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Ce qui veut dire que, au-delà de vingt ans, vous n’avez plus besoin que le prix soit garanti ?

M. Daniel Bour. Tout à fait, les investissements sont amortis.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Quel sera alors l’impact sur le prix du marché ? Vous nous avez indiqué que le prix garanti favorisait la baisse du coût du fait de la visibilité donnée grâce à l’État – qui rassure les investisseurs – et que le prix de marché va augmenter. Ce qui n’a rien d’évident, puisque les prix de marché négatifs sont souvent la conséquence d’une surproduction d’électricité, du fait de trop d’énergies non pilotables.

M. Daniel Bour. Le terme « non pilotable » ne me semble pas approprié.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Intermittente.

M. Daniel Bour. Oui, je préfère, ce n’est pas tout à fait la même chose.

La question de l’accroissement de l’utilisation de l’énergie solaire se pose déjà, mais en 2028 elle sera primordiale : à midi au mois d’août, la production sera importante.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Sauf s’il s’agit d’un jour de grand vent.

M. Daniel Bour. Oui, cela peut arriver. Mais il faudrait qu’il pleuve sur toute l’Europe, et même si c’était le cas, la gêne serait minime, le solaire ne représentant que 2 % de la consommation – ce qui peut difficilement faire grimper le prix de marché.

Cependant, à terme, il s’agira d’une vraie question, et c’est la raison pour laquelle, un lissage sera demandé. Je pense que, à un moment donné, les contrats passés avec différents distributeurs, prévoiront de lisser, de décaler dans le temps, pour qu’il y ait des électrons à certaines plages horaires et pas à d’autres.

Il s’agit là de la question de la digitalisation. Quand l’énergie solaire et les autres EnR prendront de l’importance, il y aura tout un travail à réaliser pour éviter que le prix de marché fasse n’importe quoi.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Et qui doit s’occuper de la digitalisation ?

M. Daniel Bour. Cela se fait naturellement. Le RTE est déjà en train d’y travailler. Et il le fait en collaboration avec nous. Il est de l’intérêt de tout le monde d’éviter que les prix du marché ne s’emballent.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Je souhaiterais revenir sur un point que je n’ai pas bien compris.

La mécanique des appels d’offres vous garantit un prix sur vingt ans. Mais il s’agit de grandes surfaces. Comment cela se passe-t-il pour une grange, par exemple, une maison qui s’équipe et contracte avec un installateur ? Comment le prix de rachat est-il défini ?

M. Daniel Bour. Les appels d’offres commencent à partir de cent kilowatts, ce qui représente un grand hangar agricole. En dessous, le tarif est fixé par arrêté. Une personne qui souhaite poser un panneau bénéficiera du tarif en cours pour une durée de vingt ans.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Ce tarif est-il renouvelé par la CRE régulièrement ?

M. Daniel Bour. Il est revu tous les trimestres, et en général à la baisse.

Mme Laure de la Raudière, présidente. À combien est-il par rapport au prix des appels d’offres ?

M. Daniel Bour. Il est d’environ 100 euros pour les installations de trente-six à cent kilowatts ; de 120 euros, pour les installations de neuf à trente-six kilowatts ; et de cent cinquante euros pour le résidentiel de moins de neuf kilowatts.

Les prix des appels d’offres sont de quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze euros le mégawattheure, en toiture à partir de cent kilowatts, et de cinquante-huit euros au sol.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Je vous remercie.

Madame la rapporteure, je vous cède la parole.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Bour, je vous remercie pour votre présentation.

Je souhaiterais tout d’abord revenir sur le slide qui évoque le S3RENR. Je n’ai pas bien compris ce que vous payez à ce titre. Vous avez indiqué que la France avait choisi de faire supporter aux producteurs tous les coûts de l’amélioration et d’adaptation au réseau, à savoir le raccordement au réseau, contrairement à d’autres pays européens.

Cela a-t-il un lien avec l’autoconsommation, les free riders qui ne financent pas la péréquation tarifaire de l’accès au réseau – de fait, l’État fait porter ce coût sur les producteurs ?

M. Daniel Bour. Sachez, tout d’abord, que les petites centrales de moins de cent kilowatts ne sont pas soumises aux mêmes taxations. Elles ne paient pas, par exemple, ni le S3RENR ni l’IFER. Elles ne participent donc pas à l’amélioration et à l’adaptation du réseau, mais objectivement, elles ne pèsent pas lourd sur le réseau. En revanche, elles paient leur raccordement.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Dans d’autres pays européens, le coût de raccordement est prix en charge par la collectivité. Les distributeurs ne contribuent-ils pas, par un autre moyen, à ce coût ?

M. Daniel Bour. In fine, l’utilisation du réseau est payée par le consommateur. Mais le prix ce rachat est plus faible.

M. Richard Loyen, délégué général dÉnerplan. Les producteurs de grande centrale paient leur accès au réseau sur vingt ans, alors que leur structure a une durée de vie de quarante ans. Une question se pose alors : l’accès au réseau doit-il être financé par le S3RENR ou par les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), qui financent les infrastructures réseaux ?

Je voudrais par ailleurs revenir sur vos propos, madame la rapporteure, lorsque vous dites que les autoconsommateurs sont des free riders du réseau. Je rappellerai que l’autoconsommation représente 0,01 % de la consommation électrique des Français. Je vous laisse donc imaginer son impact économique.

En revanche, d’autres free riders ont beaucoup plus d’impact sur le réseau. Je veux parler de l’installation de 100 000 pompes à chaleur et 100 000 chauffe-eaux thermodynamiques par an, qui font baisser la consommation d’électricité de façon importante et de façon beaucoup plus significative que l’autoconsommation. Avons-nous un jour accusé ces consommateurs de moins contribuer au TURPE et à la péréquation tarifaire ? Je ne le pense pas. Cela voudrait-il dire qu’il y a une bonne façon d’économiser l’énergie et une mauvaise ?

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’entends votre remarque, mais les situations ne sont pas comparables, les personnes s’équipant en pompes à chaleur ou en chauffe-eaux thermodynamiques paient quoi qu’il arrive l’utilisation du réseau. Alors que dans l’autoconsommation, il y a le fantasme d’être totalement indépendants du réseau.

M. Richard Loyen. Actuellement, l’autoconsommation représente 20 à 30 % de la consommation totale d’un consommateur, ce qui signifie qu’il reste tributaire du réseau pour 70 à 80 % de sa consommation et paye donc sa part fixe de TURPE dans son abonnement ; seule sa part de flux va un peu baisser.

Par ailleurs, l’autoconsommation pourrait bien avoir des effets positifs qu’il reste à évaluer. Ce matin, nous travaillions avec l’AVERE sur la réduction d’investissements dans le réseau, pour favoriser l’électromobilité. Produire localement évitera de renforcer le réseau au niveau local. Il s’agira d’une économie de TURPE.

Par ailleurs, nous allons contribuer à limiter la pointe d’été au niveau de la climatisation. Le changement climatique fait que nous subissons de plus en plus de canicules, l’énergie solaire pourra ainsi soulager le réseau.

Enfin, le photovoltaïque avec stockage coûte moins cher que la production thermique dans les zones non interconnectées. Nous pouvons donc, d’ores et déjà, en mobilisant activement le photovoltaïque, avec et sans stockage, faire baisser le coût de la continuité territoriale ; aujourd’hui, la CSPE sert à subventionner le CO2 dans les îles.

Voilà des effets qu’il conviendrait de mettre à l’actif de l’autoconsommation.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez donc le sentiment que le débat, sur l’autoconsommation est tronqué, avec des arguments uniquement à sa charge. De fait, pouvez-vous, nous envoyer des études et des éléments chiffrés, afin que nous puissions creuser la question ?

M. Daniel Bour. Bien entendu. En effet beaucoup de choses sont dites sur l’autoconsommation, alors qu’elle ne représente quasiment rien. En tant que professionnels, nous voyons bien qu’il n’existe aucun soutien particulier en faveur de l’autoconsommation. Et les objectifs de la PPE pour 2028 sont déjà atteints.

Nous constatons néanmoins une volonté des Français à l’autoconsommation, à la fois dans les enquêtes et dans les chiffres.

Ce qui est important à savoir, c’est que nous prenons du retard, notamment à l’égard des industriels qui, un jour ou l’autre, feront de l’autoconsommation, pour des raisons d’économie – aucune autorisation n’est requise. Notre frilosité va donc, à terme, se retourner contre nous.

Cependant, je n’en ai pas parlé dans mon propos liminaire, car il ne s’agit absolument pas de l’enjeu du photovoltaïque, il n’y a aucun soutien à l’autoconsommation et elle ne représente rien ; il est donc inutile de passer des heures à débattre de ce sujet.

M. Richard Loyen. Je finirai avec les éléments que nous pouvons mettre à l’actif de l’autoconsommation. Le dernier point est la dimension sociale de la lutte contre l’intensité de la précarité énergétique qui va aller croissant avec les augmentations à venir du coût de l’électricité. Aujourd’hui, un kilowatt permet d’économiser 150 euros sur la facture d’électricité d’une personne précaire. À savoir un chèque énergie par an. Le service public de l’électricité est rendu en nature localement et directement. Demain, l’économie sera de deux cents euros, ce qui veut dire qu’un kilowatt va générer six mille euros d’économie sur la durée de vie de l’installation ; une somme importante pour des personnes précaires. Il s’agit d’une autre façon de rendre un service public de l’électricité, une solidarité territoriale à l’échelle locale.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je souhaiterais vous interroger sur la compatibilité entre le solaire et l’éolien, s’agissant de la réduction de l’intermittence.

Une partie de la réponse à l’intermittence est de s’appuyer sur le foisonnement et la complémentarité entre l’éolien et le solaire. En effet, et je parle sous votre contrôle, quand il y a du vent, il y a moins de soleil, et inversement. Le foisonnement pallierait les fluctuations aléatoires de la production d’EnR. Le confirmez-vous et pouvez-vous l’accompagner d’une manière ou d’une autre ?

M. Daniel Bour. Oui, il s’agit d’un constat. Il y a plus de vent en hiver, et parfois la nuit, et plus de soleil en été. De fait, ces énergies se complètent assez bien. Mais il appartient au RTE, le gestionnaire du réseau, de gérer les énergies – le solaire étant plus prédictible que l’éolien.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Certaines personnes que nous avons auditionnées, nous ont conseillé, s’agissant des EnR, de penser « big is beautiful » et non « small is beautiful ». Qu’en pensez-vous ?

M. Daniel Bour. Comme pour tout, il y a des tailles appropriées, qui sont une résultante de plusieurs facteurs. Bien évidemment, plus les centrales seront importantes, plus les prix seront bas. Cependant, à un certain moment, le phénomène d’échelle devient très limité : il y a peu de différences entre une centrale de vingt mégawatts et de cinquante mégawatts.

En revanche, une centrale de cinquante mégawatts pose davantage de problèmes. D’abord, de raccordement : il faudra trouver une ligne qui supporte cette puissance. Ensuite, d’acceptabilité : pour cinquante mégawatts, nous avons besoin de cinquante ou soixante hectares. Même si la population est très favorable au solaire, si le projet est mal géré, elle risque de ne plus l’être.

Je ne suis donc pas certain que la notion de « big is beautiful » s’applique dans le solaire, même si une taille est plus appropriée qu’une autre, notamment au sol. En toiture, aucune taille n’est vraiment significative.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. L’historique de la filière solaire nous permet de tirer des enseignements. Elle a, tout d’abord, été très fortement accompagnée par les politiques publiques, avant d’être lâchée. La « bulle solaire » s’est alors arrêtée net et les emplois ont été divisés par deux ; ce qui a tué les capacités d’innovation de la filière. La recherche et développement (R&D) – ainsi que les investissements – ont largement ralenti, ce qui a permis à d’autres pays de devancer la France, alors qu’elle était dans une logique de pointe.

Aujourd’hui, l’engouement pour le solaire est de retour et l’État ne pourra pas y mettre un frein, le prix des panneaux ayant baissé de manière très importante. Cependant, nous constatons également le retour d’« éco-délinquants » qui ont fait, à l’époque, du tort à la filière. Je me souviens des mises en garde contre les installateurs non compétents et les installations défectueuses.

Comment, selon vous, lutter contre ces fraudes ? L’objectif est d’accompagner une filière saine et non pas de pouvoir acheter son panneau voltaïque à la boulangerie du coin.

M. Daniel Bour. Lorsque l’engouement pour le solaire s’est accéléré, nous avons tardé à réagir. La profession, et notamment notre syndicat, avait alerté les pouvoirs publics pour le mettre en garde contre cette « bulle solaire », leur conseillant de baisser les prix ; or ils ont augmenté. Nous n’avons pas été bons, soyons clairs. Et cela a coûté très cher à la filière solaire : dépôts de bilan, perte d’emplois… Mais aussi au contribuable, à travers du soutien de l’État, qui peut être considéré comme abusif.

Un échec qui nous a été attribué, et nous en prenons notre part. Cependant, d’autres acteurs devraient également prendre leurs responsabilités, dans le monde de gestion – les spéculateurs étaient accompagnés par des personnes insouciantes et incapables de réagir en temps et en heure.

Le deuxième point, c’est le moratoire. Que nous avons compris. En revanche, la suspension de cette activité a duré trop longtemps et a contraint à mettre toute une profession en mode survie. Ce qui a été une catastrophe. De nombreux talents sont partis, des jeunes passionnés, formés en France, se sont retrouvés sans emploi et ont dû se retirer ; un énorme gâchis.

Le moratoire n’a pas été bien géré. Je rappellerai que le solaire était, à cette époque, considéré comme un « gadget écolo » et non comme une énergie sérieuse. Il nous a fallu des années, notamment à travers la baisse de nos coûts – car il n’y a pas que les panneaux qui ont baissé – pour redevenir compétitifs et reconnus, par l’ensemble des gros énergéticiens, comme une énergie du futur.

Ce secteur étant subventionné par l’État, il est fondamental que l’administration, les élus et les professionnels se réunissent et collaborent – ce qui a été fait pour la PPE – pour définir ce qui est faisable et ce qui a un coût trop élevé. Or ces dernières années, nous avons noté une évolution considérable de l’attitude de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), à notre égard. Nous travaillons en partenariat et cela se passe bien, même si nous ne sommes pas toujours d’accord sur les solutions adoptées.

M. Richard Loyen. S’agissant des éco-délinquants, Énerplan était très favorable, et a été entendu par le ministère sur cette question, à ce que le nouvel arrêté tarifaire de mai 2017 inscrive l’exigence Reconnu garant de l’environnement (RGE) dans le domaine du photovoltaïque. Désormais, l’installateur doit être qualifié RGE pour que le client puisse bénéficier des aides publiques. Jusqu’alors, n’importe qui pouvait faire n’importe quoi, et le client recevait de l’aide publique, ou pas, selon le fonctionnement de son installation.

Aujourd’hui, les éco-délinquants se sont reconvertis sur le marché de l’autoconsommation sans aide – ils font du porte-à-porte, vendent dans les foires, etc. Pour les arrêter, il conviendrait que les organismes de crédit, qui font l’objet d’une jurisprudence de la Cour de cassation de plus en plus sévère à leur encontre, exigent que l’entreprise soit qualifiée RGE pour accorder un prêt à une installation photovoltaïque.

Par ailleurs, un installateur novice, qualifié RGE, est contrôlé lors de sa première ou deuxième installation, avant la mise en service – nous avons un partenariat avec Consuel. Nous disposons aujourd’hui de l’un des dispositifs le plus sérieux pour contrôler le photovoltaïque : Enedis identifie l’entreprise qui déclare son installation, une attestation de conformité est délivrée par Consuel et nous allons contrôler l’installateur.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Conditionner l’obtention d’un crédit à la qualification RGE de l’installateur n’est pas encore mis en place ?

M. Richard Loyen. Non, pas encore. Mais il n’y a rien de compliqué, les organismes de crédit peuvent le faire de façon volontaire. Nous avons déjà réussi à leur faire accepter d’exiger l’attestation Consuel.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Concernant l’innovation dans le solaire, de grandes marges de progrès restent. Pensez-vous que nous investissons suffisamment dans la R&D ?

M. Daniel Bour. Nous en sommes au balbutiement, même au niveau de la production d’un panneau solaire. Les marges de progrès sont énormes, mais n’auront pas forcément lieu avec la technique actuelle. D’ailleurs, la future baisse du prix du solaire sera liée à de nouvelles technologies. Le prochain saut technologique entraînera à la fois une baisse du prix des panneaux, mais de tout le reste. Les panneaux seront plus puissants, nous aurons donc besoin de moins de supports, de moins de balance of system, etc., ce qui baissera le coût de façon importante.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Je vous remercie, messieurs. Je vais maintenant donner la parole aux membres de la commission.

M. Vincent Thiébaut. Je vous remercie, messieurs, pour toutes vos explications riches et détaillées.

Je souhaiterais vous interroger sur la question territoriale, l’enjeu des EnR étant de produire de l’énergie façon « dentelle », d’apporter des réponses territoriales et non de remettre en cause le nucléaire.

La France a une approche très nationale dans les politiques énergétiques. Comment pourrions-nous permettre aux territoires de se saisir de ce sujet, au niveau du cadre normatif, et éventuellement législatif ?

M. Daniel Bour. D’abord, et nous sommes en train d’essayer de faire bouger les choses au niveau des redevances, les communes devraient pouvoir bénéficier de l’IFER de façon plus importante.

Ensuite, les territoires auraient tout à gagner à mieux accepter les EnR. D’autant que nous avons besoin d’être relayés au niveau local, pour obtenir des hectares, et donc des permis.

Par ailleurs, des terrains communaux sont souvent peu ou pas utilisés. Or une centrale solaire est un plus pour une collectivité locale.

Enfin, les EnR vont entraîner la création d’emplois locaux. Une centrale au sol de vingt, vingt-cinq mégawatts installée dans un territoire, fera travailler le berger – ses moutons viendront entretenir la centrale – mais également les entreprises locales de maintenance, de surveillance... De l’argent sera ainsi réinjecté dans un endroit isolé.

La question de la régionalisation est une question philosophique et politique : l’énergie doit-elle être la même pour toute la France ou est-il possible d’investir de façon différente selon les régions – régionaliser l’énergie ? Nous n’avons pas à intervenir dans ce choix. Nous devons nous adapter aux décisions politiques.

Si la politique énergétique se décide au niveau national, presque tout le reste est local – je pense aux permis – et se réalise avec le soutien des élus locaux. De fait, le solaire est une énergie locale.

M. Nicolas Turquois. Je voudrais tout d’abord vous présenter mes excuses, ma présence ayant été, comme l’énergie solaire, intermittente. J’ai donc peut-être loupé quelques éléments d’information.

Vous souhaitez installer des panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles ?

M. Daniel Bour. Non, non pas du tout.

M. Nicolas Turquois. Je suis agriculteur, j’ai élaboré un projet photovoltaïque – pour un coût de 500 000 euros –, reçu les autorisations en 2010 et installé la centrale de cent kilowatts, en 2011. En 2013, les panneaux, français, ont commencé à défaillir et mon installation n’a fonctionné que deux ans et demi. Faire face à la partie juridique a été très difficile pour moi ; le dossier vient d’être soldé.

Selon des d’avocats, beaucoup d’affaires explosent et des agriculteurs, porteurs de projet, se retrouvent dans de réelles difficultés.

Quel votre avis ? Car on nous vend des installations d’une durée de vie de vingt ans, qui ne tiennent que quelques années. Les panneaux de ma centrale étaient de fabrication française, pour d’autres, il s’agissait de fournisseurs chinois, qui n’existent plus.

Il s’agit d’une vraie source d’inquiétude, sur le terrain. Les agriculteurs hésitent vraiment à investir dans le solaire, même si les coûts d’investissement sont bien moins élevés qu’en 2010.

Mme Laure de la Raudière, présidente. La durée de vie d’une centrale est même censée être de quarante ans.

M. Daniel Bour. Nous avons déjà entendu cette histoire, et nous la craignons toujours. Elle s’inscrit dans l’historique de la filière, ce que j’appelle le « péché originel ».

Au démarrage, l’engouement pour le solaire était important, et de nombreux fabricants ont produit des panneaux de mauvaise qualité. En outre, des règlements français, assez bizarres, relatifs aux toitures, ont été élaborés ; par exemple, les panneaux photovoltaïques devaient assurer l’étanchéité – une source de problèmes qui n’est toujours pas réglée.

J’espérais que l’historique de la filière était aujourd’hui soldé, que les panneaux produits fonctionnaient désormais pour une durée de quarante ans et que la question de l’étanchéité avait été réglée par les assurances – quand les installateurs de l’époque étaient sérieux et donc assurés.

Je sais qu’il reste quelques installateurs qui ne sont pas sérieux, mais nous n’attendons quasiment plus ce type d’histoire pour les nouvelles installations. Toute personne souhaitant une installation photovoltaïque doit s’assurer de la qualification de son installateur.

M. Nicolas Turquois. Il avait toutes les qualités requises, un fabricant de renommée nationale. Il existe toujours, il a été repris par EdF.

M. Richard Loyen. Mais son passif n’a pas été repris.

Mme Laure de la Raudière, présidente. La question se pose d’ajouter une garantie supplémentaire dans la loi.

M. Nicolas Turquois. Votre projet prévoit toute une variété d’installations, qui peut paraître importante pour le porteur individuel, mais qui reste limitée. Si un gros faiseur a la capacité d’avoir une protection juridique ad hoc, il n’en va pas de même pour un grand nombre d’agriculteurs. Il est très difficile d’entrer dans ce genre de procédure, et cela peut être un frein – faire une évaluation, faire appel à un distributeur d’énergie local.

M. Daniel Bour. Je reconnais que la procédure est complexe. Je vous répondrai « bienvenu en France » ! Mais, très objectivement, il n’est pas très compliqué de trouver un vrai professionnel qui vous accompagne tout au long de l’élaboration du projet.

M. Nicolas Turquois. Le premier cabinet juridique auquel je me suis adressé à refuser mon dossier, au motif que l’un de ses associés travaillait avec l’installateur – qui exerce au niveau national. J’ai essuyé un certain nombre de refus avant de trouver un cabinet qui n’était pas lié à cet installateur – qui dispose de plusieurs filiales. Il s’agit d’une vraie difficulté.

Il s’agissait de ma première affaire juridique, et j’ai mis du temps à trouver une solution à mon problème. D’autres personnes, qui n’ont peut-être pas les ressources qui étaient les miennes, connaissent de réelles difficultés.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Dans certaines filières, mais peut-être pas la vôtre, on assèche les compétences professionnelles par les professionnels de la filière ; c’est ce que veut dire M. Turquois.

M. Emmanuel Maquet. Je souhaiterais pour ma part évoquer l’idée reçue selon laquelle, un panneau solaire est très performant les premières années, puis beaucoup moins. Vous avez indiqué une durée de vie de quarante ans. Quel est son rendement après quarante ans de fonctionnement, reste-t-il à 100 % de ses capacités ?

Ma seconde question concerne les éoliennes. Nous rencontrons, aujourd’hui, de nombreuses difficultés – et j’en suis très heureux – pour installer des éoliennes terrestres, quand celles-ci sont trop proches, par exemple, de bâtiments historiques, classés – et parfois avec l’avis des architectes des bâtiments de France (ABF).

Je ne sous-entends pas qu’il conviendrait d’installer des panneaux solaires sur certaines toitures. J’ai été à la tête d’une collectivité qui comptait six cents maisons classées, et parfois les arrières, les îlots n’étaient pas visibles. Avez-vous un retour des ABF sur cette question ?

Dans le cadre de la mise en place d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur, j’avais essayé de travailler et de sensibiliser l’ABF, mais il n’a pas été sensible.

M. Daniel Bour. Concernant la performance des panneaux solaires, tous les grands fournisseurs garantissent un taux de 80 % de production, durant vingt-cinq ans – certains trente ans – par rapport à ce qui était prévu historiquement. C’est une garantie, ce qui veut dire qu’après vingt-cinq ans, ils produiront certainement beaucoup plus.

La baisse prise en considération par les financiers, qui ne sont pas les plus aventureux, est de 0,5 % par an. D’ailleurs, tous les business plans prévoient cette baisse de production dans le chiffre d’affaires.

Les ABF sont un sujet intéressant. L’égalité territoriale n’existe pas, car il y a de très bons ABF, très imaginatifs avec les panneaux solaires, et d’autres qui y sont, par principe, totalement opposés. Et comme nous passons sous leurs fourches caudines, parfois nous avançons, parfois pas du tout.

M. Vincent Thiébaut. Je souhaiterais revenir sur le début de vos propos et notamment sur le coût du mégawattheure. Vous nous avez dit que le soutien de l’État vous donne la visibilité nécessaire pour développer l’énergie solaire.

Le prix proposé pour les derniers d’appels offres est de quelque cinquante-huit euros le mégawattheure. On parle beaucoup en ce moment de l’acceptation du coût du décarboné, du coût de l’impact sur le budget public.

Des études montrent que, s’agissant du nucléaire, dont nous ne pourrons pas nous passer totalement, le coût est de soixante euros le mégawattheure – il est de soixante-dix euros à Flamanville.

Pouvons-nous affirmer que les investissements que nous faisons actuellement sur les EnR sont un pari sur l’avenir de pouvoir disposé d’un coût de l’énergie acceptable par l’ensemble de la population ?

M. Daniel Bour. La réponse est mathématique : de fait, le solaire produit aujourd’hui aboutit à une acceptabilité de la population, puisqu’il n’est pas plus cher que les énergies existantes. Nous jouons notre rôle : nous sommes compétitifs et nous avons des avantages s’agissant de l’énergie décarbonée propre.

Reste la question de l’intermittence à régler. Mais en produisant 10 % d’énergie solaire, nous considérons faire bénéficier la collectivité d’une énergie très compétitive et qui se mixe très bien avec l’existant.

Si le coût du solaire, associé à celui du stockage, est plus performant que n’importe quelle autre énergie, des questions se poseront inévitablement. Or des rapports de l’ADEME prévoient que l’énergie solaire, coût du stockage compris, sera d’ici à 2050 la plus performante.

La courbe du solaire le montre bien. Cela ne veut pas dire que nous ne connaîtrons pas des fluctuations, mais elle n’a aucune raison de s’arrêter. Le prix va baisser de façon régulière, nous allons donc participer à l’allègement des factures des Français.

Le calcul est complexe à réaliser, car actuellement le solaire se rajoute par rapport à d’autres énergies. Il conviendra de déterminer ce qui pourrait être exporté, calculer la proportion de charbon ou de thermique que nous remplaçons, etc.

La question deviendra plus complexe quand nous commencerons à toucher d’autres éléments, notamment le nucléaire.

Mme Danièle Hérin. Connaissez-vous des expériences de participation de collectivités, d’agriculteurs ou de caves coopératives, à la gouvernance d’une installation solaire – comme c’est le cas pour des projets d’éolienne ? Si oui, quels retours en avez-vous ?

M. Daniel Bour. Oui, cela existe aussi dans le solaire, c’est que ce nous appelons le participatif. Ouvrir le capital pour faire du participatif nous fait gagner des points supplémentaires dans un appel d’offres.

Dans le solaire, ce sont en général des sociétés d’économie mixte (SEM) qui prennent une participation, ou des citoyens du département ou des départements limitrophes qui investissent dans une installation. Cela se fait beaucoup. Il me semble que la majorité des derniers appels d’offres ont prévu du participatif.

C’est pour nous important, car ce maillage local renforce l’acceptabilité et nous ouvre un certain nombre de portes, les maires étant assez friands de ce procédé – même s’ils le sont un peu moins quand il faut payer. Mais quand nous allons présenter une centrale et que nous expliquons l’intérêt du participatif, nous sommes toujours très bien accueillis.

Mme Laure de la Raudière, présidente. Messieurs, je vous remercie.

Laudition sachève dix-huit heures trente-cinq.

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24.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), accompagné de M. Alexandre Roesch, délégué général, de Mme Marion Lettry, déléguée générale adjointe, de Mme Delphine Lequatre, responsable du service juridique, et de M. Alexandre de Montesquiou, consultant (14 mai 2019)

Laudition débute à dix-huit heures quarante-deux.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Mes chers collègues, nous accueillons ce soir les représentants du Syndicat des énergies renouvelables (SER), M. Jean-Louis Bal, son président, accompagné de M. Alexandre Roesch, délégué général, de Mme Marion Lettry, déléguée générale adjointe, et de M. Alexandre de Montesquiou, consultant.

En 2018, la production d’électricité d’origine renouvelable a atteint 108,7 térawattheures (TWh), dont 58 % liés à la production hydraulique, 10 % au solaire et 28 % à l’éolien. Il s’agit d’énergies aux caractéristiques très différentes les unes les autres, l’hydraulique étant une énergie renouvelable (EnR) pilotable, pouvant être stockée et mobilisée à tout moment de la journée, qu’il y ait du vent ou du soleil, et qu’on peut utiliser lors des pics de consommation.

Il est intéressant pour nous de connaître votre vision de ce mix électrique, et en particulier le pourcentage envisageable à terme – qui pourrait être inscrit dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Je souhaiterais, par ailleurs, que vous nous parliez d’une énergie renouvelable dont on parle peu, le biogaz, énergie stockable et donc mobilisable durant la gestion des pointes hivernales, en particulier.

Enfin, quelle appréciation appelle de votre part l’affirmation de l’Académie des sciences du 19 avril 2017, à propos de la transition énergétique : « La part totale des énergies renouvelables dans le mix électrique ne pourra pas aller au-delà de 30 % ou 40 % sans conduire à un coût exorbitant de l’électricité et à des émissions croissantes de gaz à effet de serre et à la remise en question de la sécurité de la fourniture générale de l’électricité » ?

Monsieur Bal, je vous propose de nous présenter un propos liminaire d’une quinzaine de minutes, puis les membres de la commission vous poseront un certain nombre de questions.

Avant de vous donner la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rient que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(M. Jean-Louis Bal prête serment.)

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, j’introduirai le sujet global des énergies renouvelables, sans me concentrer uniquement sur le secteur électrique. Mais, avant, je tirerai un rapide bilan en matière de développement des énergies renouvelables dans les différents secteurs ayant bénéficié d’un soutien public : la production de chaleur, les transports, l’électricité et le gaz.

Je vous présenterai ensuite un historique sur l’évolution du soutien public et de la compétitivité des énergies renouvelables. Et, enfin, j’appellerai votre attention sur les enjeux de politique industrielle, liés au développement des énergies renouvelables.

Premièrement, le bilan. La chaleur, c’est 50 % de notre consommation d’énergie finale. Or nous en parlons très peu, même si la loi de transition énergétique, la PPE de 2016 et le projet de PPE actuel se focalisent davantage sur elle.

Aujourd’hui, la production de chaleur est majoritairement carbonée. Seulement 20 % de nos besoins en chaleur sont couverts par des sources d’énergie renouvelables. Il conviendrait donc d’accélérer cette transition, d’autant que les politiques publiques en ce domaine sont particulièrement efficaces. Nous devons accélérer, parce que la loi nous fixe un objectif de 38 % d’ici à 2030.

S’agissant de la production de chaleur pour l’industrie, l’habitat collectif, les réseaux de chaleur, le tertiaire, le principal levier – développement de la chaleur et du froid renouvelables – est le fonds chaleur, qui a été mis à disposition de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) depuis 2009. La performance de ce dispositif, en termes de fonds publics dépensés, a été reconnue à maintes reprises, notamment par la Cour des comptes, avec un coût moyen du soutien public de 3,6 euros par mégawattheure (MWh) pour tous les projets qui ont été développés entre 2009 et 2018.

Sur cette période, 4 800 opérations d’investissement ont été subventionnées par le fonds chaleur pour un montant total de 2 milliards d’euros, ce qui a généré près de 7 milliards d’euros d’investissement. Ces investissements se substituent exclusivement à des énergies fossiles – gaz ou fioul. Si nous considérons un prix du baril de pétrole importé de 50 euros – ce qui est largement en dessous du prix actuel –, l’économie nationale, qui est associée à la réduction des importations des énergies fossiles, correspond à 875 millions d’euros par an. Cela signifie que pour sa mise initiale de 2 milliards, l’État a un retour d’investissement en seulement deux, trois ans.

Le projet de PPE prévoit très logiquement que les moyens financiers alloués au fonds chaleur soient augmentés selon une trajectoire d’autorisations d’engagement définie jusqu’en 2022. L’ordre de grandeur du budget du fonds chaleur, qui est voté au sein du budget général de l’ADEME, était jusqu’à présent de 215 millions d’euros ; le projet de PPE prévoit de le faire passer à 307 millions d’euros en 2019 et à 350 millions d’euros en 2020.

Ces moyens additionnels avaient été alloués sur la base d’une augmentation future de la contribution climat-énergie – la taxe carbone. Alors que tous les industriels, les consommateurs, les collectivités commençaient déjà à intégrer l’impact présent et futur de l’évolution de cette contribution dans leurs décisions d’investissement, le gel de cette trajectoire et les interrogations plus fondamentales que les suites du grand débat national font peser sur son avenir risquent de freiner, voire de bloquer certains projets.

Il est donc tout à fait essentiel que le Gouvernement donne rapidement de nouveaux signes sur la visibilité, sur l’évolution de la contribution climat-énergie après 2019. Il est clair que si cette évolution devait être remise en cause, l’évolution de l’enveloppe du fonds chaleur devrait être revue en conséquence.

Le prix attribué au carbone, qu’il s’agisse des grands consommateurs ou des consommateurs individuels, est fondamental ; c’est la pierre angulaire d’une politique de lutte contre le changement climatique pour changer le comportement des consommateurs. Il ne vous a évidemment pas échappé qu’il puisse poser des problèmes sociaux.

De fait, de nombreuses contributions ont récemment été publiées par un certain nombre d’organismes sur l’évolution de la contribution climat-énergie qui suggèrent que les recettes de cette contribution soient affectées à la transition énergétique, et ciblées en particulier, sur les ménages les plus dépendants des combustibles fossiles, mais aussi sur les collectivités territoriales, à qui la loi de transition énergétique confie un rôle de leader dans la mise en œuvre de la transition énergétique.

La transition énergétique dans le domaine de la chaleur doit aussi se gagner dans le secteur résidentiel. Les ménages consacraient, en 2016, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), plus d’argent aux postes chauffage et éclairage qu’aux dépenses de carburant. Or les énergies renouvelables permettent, dans ce domaine, de manière très concrète, d’agir sur le pouvoir d’achat, en réduisant la facture de chauffage : le chauffage au bois, qui a des formes beaucoup plus modernes que ce que nous pouvons imaginer, les pompes à chaleur, le raccordement à des réseaux de chaleur vertueux – qui utilisent des énergies renouvelables –, le solaire thermique qui permet d’accéder à des sources de chaleur de plus en plus compétitives, et dont le coût d’utilisation est stable pour les années à venir.

Ces énergies bénéficient d’un cadre complet d’aides afin de réduire le reste à charge pour les ménages : le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), l’écoprêt à taux zéro, les aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), le chèque énergie, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à taux réduit et, enfin, les certificats d’économies d’énergie.

L’enjeu est de faire connaître ces différents outils aux Français et de les rendre beaucoup plus facilement accessibles. Et il me semble que les recettes de la contribution climat-énergie devraient être utilisées pour la diffusion de cette information.

Pour mémoire, le coût du soutien public dans le secteur de la chaleur renouvelable reste aujourd’hui très mesuré : 567 millions d’euros aux EnR thermiques en 2016, et 270 millions d’euros pour le CITE, soit environ 16 % de l’enveloppe globale.

Dans les transports, les EnR couvraient, fin 2016, 8,6 % de nos besoins, essentiellement à partir de biocarburants liquides, dits de première génération ; une partie est couverte par de l’électricité renouvelable qui n’est pas comptabilisée dans le secteur de l’électricité.

L’objectif de la loi de transition énergétique est de parvenir à 15 % d’EnR. Et les derniers chiffres, datant de 2017, sont de 9,1 %. Il reste donc beaucoup de développements à réaliser et nous devrons jouer sur toute une gamme de technologies. La base reste cependant les biocarburants de première génération, basés sur des cultures de type alimentaire.

Un certain nombre d’incitations fiscales favorisent l’incorporation de ces biocarburants dans les carburants routiers ; une obligation d’incorporation, d’abord appelée la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), puis la taxe incitative à l’incorporation de biocarburants (TIIB). Le développement de ces biocarburants ne pèse pas directement sur le budget de l’État. Je rappellerai que l’huile de palme est exclue des biocarburants dont l’incorporation est encouragée par cette taxe.

Ces biocarburants répondent par ailleurs à des hauts standards de durabilité et sont issus d’une agriculture européenne, innovante, développée dans le cadre d’une politique agricole commune (PAC) prenant en compte la protection des sols, la biodiversité et l’environnement de façon plus générale. Ce sont 30 000 emplois non délocalisables qui assurent la compétitivité de la biomasse agricole française.

S’agissant du gaz renouvelable, qui est uniquement du biométhane, il est anecdotique dans la consommation, puisqu’il représentait, en 2018, 0,15 % – 0,7 TWh – de la consommation de gaz naturel, sur soixante-seize sites qui injectent du biométhane dans le réseau. Mais sept cents projets sont aujourd’hui inscrits en file d’attente dans le registre de gestion des capacités d’injection.

Cette filière de gaz renouvelable à la particularité de répondre à trois débouchés énergétiques : électricité, chaleur et carburant – il est même possible de faire rouler des voitures. Elle présente de nombreuses externalités positives et constitue un atout pour l’agriculture française et les territoires ruraux. Dans ce domaine, la loi de transition énergétique a fixé un objectif de 10 % d’incorporation à l’horizon 2030, avec un point de passage en 2023 qui est de 8 TWh. Le projet de la PPE réduit assez notablement l’objectif intermédiaire de 2023.

Concernant l’électricité, le panorama que nous publions chaque année avec les gestionnaires de réseaux indique que nous produisons actuellement, à partir de sources renouvelables, 22,7 % de l’électricité consommée en France.

Le soutien public a permis d’obtenir, et c’est un constat essentiel, des baisses significatives de compétitivité de ces nouvelles énergies renouvelables. Vous avez parlé de l’hydraulique qui est le socle sur lequel nous allons nous appuyer pour les développements futurs.

Et les développements futurs, viendront de l’éolien terrestre, de l’éolien maritime et du solaire photovoltaïque. Pour l’éolien terrestre, les derniers appels d’offres ont permis de dégager des projets à 65 euros du MWh ; pour le solaire photovoltaïque, on est en moyenne à 55 euros du MWh ; pour l’éolien en mer, si certains projets étaient assez coûteux sur les six premiers sélectionnés par appels d’offres au début des années 2010, nous allons bientôt connaître les résultats du projet de Dunkerque, qui devraient démontrer que nous avons atteint un très haut niveau de compétitivité.

Voilà ce que ce que je puis dire sur la compétitivité des EnR. J’ajouterai que la très grande majorité du soutien public dont bénéficie l’électricité renouvelable provient essentiellement des engagements du passé.

Le coût du passé pour l’ensemble des renouvelables électriques, ce sont 95 milliards d’euros ; pour les engagements pris dans le cadre de la PPE, ce sont 30 milliards d’euros, pour des volumes du même ordre.

Ce soutien public a été évalué par la Cour des comptes, qui donne un chiffre un peu différent : 121 milliards d’euros contre 95 milliards dans la PPE. Vous constatez qu’il peut y avoir des variations assez importantes dans les évaluations, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, la Cour des comptes n’a évidemment pas pu prendre en compte la renégociation dès six projets d’éolien en mer. Alors qu’elle avait pris comme base un coût du de 200 euros le MWh, la renégociation a abouti à un tarif de l’ordre de 140 euros ; la différence est significative. Ensuite, les hypothèses de prix de marché d’électricité. Le coût du soutien public, c’est la différence entre le tarif accordé et le prix de marché. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) se fonde, pour sa dernière évaluation, sur un prix de marché 2018 de 35,91 euros le MWh, alors que, en réalité, le prix moyen 2018 était de 50 euros. Dans le projet de PPE, les évaluations menées par le Gouvernement sont basées sur un prix de marché de 56 euros en 2028, d’où la grande variabilité que nous avons sur le coût du soutien public.

S’agissant de l’historique, du poids du passé, il va commencer à s’estomper en 2025. Le projet de la PPE fait mention de l’évolution des dépenses annuelles de charges de service public liées à ces énergies renouvelables, et indique que la décroissance va débuter en 2025.

Au-delà des montants engagés, plusieurs évolutions importantes sont à rappeler. La Cour des comptes soulignait le fait que le soutien public apporté aux EnR électriques et aux EnR thermiques était fortement déséquilibré. Le projet de PPE, qui est aujourd’hui en discussion, montre que les engagements pour les années à venir sont beaucoup mieux équilibrés entre EnR électriques et EnR thermiques et gaz, avec des enveloppes budgétaires annuelles qui sont du même ordre pour la chaleur, le gaz injecté et les nouveaux équipements d’EnR électriques.

Il est important de rappeler l’évolution des mécanismes de soutien. Pour les EnR électriques, nous sommes passés du système des tarifs d’achat, fixés par décret et arrêté, dans le cadre d’une obligation imposée à Électricité de France (EDF), à un système d’obligation de vendre son électricité sur le marché et de recevoir un complément de rémunération – le nouveau dispositif de soutien.

Un tel système permet aux producteurs de se frotter à la réalité du marché et d’optimiser leur démarche, avec un mécanisme qui leur interdit, de fait, de vendre leur production lorsque les prix de marché sont négatifs.

Parallèlement à cette évolution, il y a, depuis 2017 pour l’éolien, et depuis plus longtemps pour le photovoltaïque, la méthode des appels d’offres qui réduit le besoin de soutien public.

Cette politique de soutien public est aujourd’hui très encadrée, avec une volonté de maîtriser la dépense publique, à travers le choix de recourir principalement à des énergies renouvelables qui sont à un bon niveau de maturité. Nous considérons qu’il s’agit d’une bonne orientation, mais il ne faudrait néanmoins pas négliger certaines technologies émergentes qui ont besoin d’un soutien au développement technologique ; je pense notamment à la filière de l’hydrolien qui est très mal traitée dans le projet de PPE ; je pense aussi à la géothermie électrique ou à la cogénération biomasse, qui en sont totalement absentes.

Je voudrais souligner le besoin d’accompagner cette transition énergétique d’efforts de structuration de filières industrielles. La Cour des comptes estimait en mars 2018 que faute d’avoir établi une stratégie claire des dispositifs de soutien stables et cohérents, le tissu industriel français a peu profité du développement des énergies renouvelables.

Néanmoins, nous comptons 100 000 emplois en France, dans le domaine des énergies renouvelables. Nous disposons de grands énergéticiens parmi les plus importants du monde, qui ont tous choisi de développer des stratégies ambitieuses en termes d’énergie renouvelable, en France comme à l’étranger. Nous disposons également de centres de recherche de tout premier ordre, tels que comme l’Institut national de l’énergie solaire (INES) à Chambéry où l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France (IPVF) à Palaiseau. Nos développeurs de projets, qui sont en majorité des entreprises de taille intermédiaire (ETI), et que nous soutenons, sont très bien positionnés à l’international.

En matière d’équipementiers, nous avons réussi, malgré les stop and go, que nous avons connu ces dernières années, à attirer quelques leaders mondiaux sur le territoire français. Par exemple, la plus grande pale éolienne du monde sera produite à Cherbourg, par une filiale de General Electric.

Enfin, et, c’est très important, la France dispose d’un tissu de petites et moyennes entreprises (PME) et d’ETI très innovant dans le secteur des énergies renouvelables. J’ai cité l’hydrolien, mais il y a également l’éolien, avec un programme d’accompagnement qui a été mené par le SER, nommé Windustry France ; nous avons accompagné efficacement soixante-dix PME grâce au soutien des pouvoirs publics, à travers notamment des investissements d’avenir.

Nous nous félicitons que, sous l’impulsion du Premier ministre, plusieurs comités stratégiques de filière (CSF) ont été mis en place. L’un d’entre eux concerne les nouveaux systèmes énergétiques – un comité stratégique qui va signer son contrat de filière avec l’État, à la fin de ce mois. Il est important de s’inspirer des pratiques qui ont fonctionné dans d’autres pays. L’exemple du Royaume-Uni est particulièrement intéressant, car il montre que la première étape pour améliorer le contenu local est de savoir le mesurer, puis de communiquer de manière intelligente sur son évolution auprès des différentes parties prenantes.

Tels sont les travaux que nous allons mener dans le cadre des CSF, et en particulier sur les filières éolien en mer, solaire photovoltaïque et gaz renouvelable. Le SER est très favorable, dans le cadre de CSF, à la mise en place de véritables actions de structuration de filières qui doivent s’accompagner des mesures très concrètes – que nous devrons retrouver dans les mesures d’accompagnement du développement des filières. Je pense, en particulier, au bilan carbone, qui fait partie des critères exigés des appels d’offres solaires. Le critère carbone a permis à nos producteurs français de garder une part importante du développement photovoltaïque sur notre territoire.

Ce sont là quelques pistes qui nécessitent que la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie prévoie des volumes et des rythmes de développement suffisamment ambitieux et sans trous d’air pour conforter de futurs investissements industriels.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Je vous remercie, monsieur le président.

Vous avez mentionné le fonds chaleur et le fait que le projet de la PPE prévoit de le faire passer à 307 millions d’euros en 2019. Pensez-vous que si nous doublions cette somme, il y aurait suffisamment de projets pour utiliser les subventions ? Il existe peu de domaines subventionnés par des fonds publics avec une rentabilité à moins de trois ans.

Concernant les EnR, vous nous avez indiqué que lorsque le tarif est en dessous du prix du marché, la production est arrêtée. Une personne que nous avons auditionnée nous a expliqué que, dans un tel cas, elle reversait de l’argent à l’État. Alors que font en réalité les producteurs d’EnR : arrêtent-ils leur production ou reversent-ils de l’argent à l’État ?

Enfin, que proposez-vous pour les énergies non traitées par la PPE – vous avez évoqué l’hydraulique ?

Je ne manquerai pas de rapporter au président Aubert que vous avez abondamment cité les chiffres de la Cour des comptes. Il y sera, j’en suis sûre, très sensible.

M. Jean-Louis Bal. Si nous devions doubler le fonds chaleur, nous n’aurions pas suffisamment de projets pour dépenser intelligemment cet argent. L’augmentation doit se faire progressivement. Pour que l’ADEME fasse monter suffisamment de projets, un certain nombre de conditions sont exigées. D’abord, l’évolution de la contribution climat-énergie, les investisseurs devant avoir bien en tête que les prix des combustibles fossiles vont augmenter.

Ensuite, l’ADEME et des moyens humains suffisants sont indispensables pour faire monter les projets, assister les collectivités, les acteurs du territoire dans l’élaboration des projets. Or aujourd’hui, nous constatons le phénomène inverse : les effectifs de l’ADEME diminuent depuis plusieurs années.

Augmenter le fonds chaleur, oui. Le doubler d’une année sur l’autre, non.

Concernant votre deuxième question, je pense qu’il y a une confusion. J’ai parlé de « prix négatifs sur le marché ». Il peut arriver, pour différentes raisons – les centrales ne peuvent pas être arrêtées, une consommation insuffisante, une production éolienne allemande excédentaire… –, que le prix du marché de gros de l’électricité soit négatif. Dans un tel cas, grâce au nouveau mécanisme de soutien, le producteur français a tout intérêt à arrêter sa production. Daniel Bour a dû vous dire que, avec la question de complément de rémunération, si le prix du marché est supérieur au tarif garanti, vous devez rembourser la différence.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Dans ce cas, le producteur d’énergie n’a-t-il pas intérêt à arrêter sa production ?

M. Jean-Louis Bal. Non, sinon il ne va rien gagner.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Mais s’il est obligé de reverser de l’argent, il en perd ?

M. Jean-Louis Bal. Le mécanisme du complément de rémunération garantit au producteur un niveau de rémunération. Il faut éviter, si le prix du marché dépasse ce niveau de rémunération, qu’il y ait une surrentabilité pour le producteur.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Je n’ai pas compris ce que nous a expliqué M. Bour, alors.

M. Jean-Louis Bal. S’agissant des filières qui ont été mal traitées dans le projet de la PPE, déjà un certain nombre de PME ont développé des technologies, qui doivent encore subir des tests, à la fois économiques et techniques. Deux entreprises ont mis des hydroliennes à l’eau : l’entreprise Sabella, à Ouessant, et la société Hydroquest, à Paimpol-Bréhat. La prochaine étape sera de développer des fermes pilotes, visant à tester la production réelle d’un ensemble d’hydroliennes.

Des projets qui ne doivent pas être uniquement soutenus par un tarif d’achat de l’électricité ; il s’agit d’un investissement qui ressort de la recherche-développement (R&D). Le programme d’investissement d’avenir (PIA), qui est en partie géré par l’ADEME, devrait pouvoir supporter ces développements technologiques.

J’ai également mentionné la géothermie électrique. Dans le cadre de la PPE, nous pensons qu’il serait possible de l’améliorer en adoptant un objectif relativement modeste pour le développement de cette géothermie électrique, sachant que, pour environ 30 mégawatts, des projets ont déjà signé un contrat dans le cadre de la PPE.

Concernant la géothermie profonde, un programme de recherche est en cours avec Eramet et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies (CEA) qui vise à exploiter le lithium qui se trouve en profondeur. La dizaine de projets identifiés en géothermie permettraient de fournir 6 % du marché mondial du lithium.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Je vous remercie. Avant de laisser la parole à la rapporteure, je vous informe que je serai dans l’obligation de vous quitter et que je laisserai la présidence à M. Thiébaut. Je vous prie de bien vouloir m’excuser.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Bal, pensez-vous que nous investissons suffisamment en R&D sur les EnR, notamment par rapport au nucléaire, secteur dans lequel la R&D se porte bien ?

M. Jean-Louis Bal. Je me garderai bien de faire des comparaisons avec le nucléaire, mais je puis vous parler de nos besoins en R&D. L’ADEME a conduit bon nombre de projets de R&D, non pas fondamentale, mais pré-commerciale, devant permettre d’amener sur le marché de nouvelles technologiques. Je pense aux pales d’éolienne que nous pouvons assembler sur place, à de nouvelles méthodes pour construire des mâts en béton ou encore à des technologies très performantes dans le solaire. D’ailleurs, si les investisseurs avaient confiance dans le marché, nous pourrions à nouveau développer des capacités de production en France. Les choses ne sont pas fermées.

Les besoins de R&D concernent les équipements de production d’énergie, non seulement sur l’hydrolien et la méthanisation, mais aussi sur le stockage d’électricité et de chaleur, – un besoin qui apparaîtra en 2028-2030 –, et la digitalisation, qui permet de gérer et d’intégrer les EnR dans les différents réseaux.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. La question du stockage sera primordiale en 2030 ; pourquoi attendre cette date pour s’en occuper ? D’autant que l’intermittence des EnR est déjà une question qui appelle une solution.

M. Jean-Louis Bal. Je n’ai pas dit que nous devions attendre 2028-2030 pour nous en occuper. Je dis simplement, que nous n’avons pas besoin d’implanter des unités de stockage avant 2028. Si nous attendons cette date pour investir dans le stockage, nous aurons des temps de réponse trop longs.

Par ailleurs, même si nous n’avons pas besoin de stockage dans l’immédiat, en métropole, nous en avons besoin dans nos territoires d’outre-mer. Toute une série de projets se sont développés en vue de stocker l’énergie, sur batterie, sur des mini stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Un projet de 7 mégawatts va être lancé en Martinique.

Une profusion de projets innovants existe sur la question du stockage. Nous estimons que le coût des batteries, en investissement, est de l’ordre de 200 euros par kilowattheure (KWh) ; il était de 1 000 euros il y a cinq ans. EDF estime qu’il faudrait descendre à 100 euros pour que l’on puisse trouver des modèles économiques sur le territoire continental. Maintenant, la batterie n’est pas l’unique solution, nous pouvons également développer des STEP hydrauliques qui permettront de répondre à une partie de ce besoin en stockage qui surviendra au-delà de 2028.

À plus long terme, nous nous tournerons probablement vers l’hydrogène, qui a la grande vertu de pouvoir faire du stockage inter-saisonnier. Les batteries permettent de stocker pour une journée ou une semaine, les STEP, pour plusieurs semaines. Maintenant, nous ne savons pas très bien quand l’économie du stockage par hydrogène sera à la hauteur.

Dans le scénario 100 % EnR que l’ADEME a étudié, le stockage inter-saisonnier ne serait nécessaire qu’à partir de 80 % de taux de pénétration des EnR. Nous avons donc le temps. Nous aurons certainement d’autres applications de l’hydrogène, telles que la mobilité, avant que nous l’utilisions pour stocker l’énergie électrique.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez indiqué que les Français avaient des compétences en EnR. Pouvez-vous développer ce sujet et nous dire de quelles EnR en particulier, et comment nous nous situons par rapport aux autres pays européens ? Quelles sont nos forces et nos faiblesses ?

M. Jean-Louis Bal. Nous avons d’excellentes compétences en R&D, mais nous ne disposons pas d’équipementiers – ni de grands fabricants d’éoliennes ou de photovoltaïque, même si notre tissu industriel est loin d’être négligeable. En termes d’ingénierie, et notamment de gestion par le numérique, nous avons de grandes forces, aussi bien dans les PME, que dans les grands groupes.

Il serait intéressant que nous nous améliorions dans les filières émergentes, où toutes les places ne sont pas encore prises, afin d’y attirer de grands industriels. Je pense notamment à l’éolien en mer – posé ou flottant. Si nous arrivons, enfin, à débloquer les six premiers parcs qui ont été adjugés en 2012 et 2014, nous aurons une usine au Havre, une à Saint-Nazaire et une à Cherbourg pour les pales.

S’agissant de l’éolien flottant, nous disposons également d’une profusion de projets. À 90 %, une éolienne flottante ou posée, c’est la même chose, nous remplaçons simplement les fondations par un flotteur. Or, sur la technologie de flotteurs, plusieurs entreprises françaises, petites et grandes, se sont positionnées.

Quant à la méthanisation, il n’existe pas de filière française – nous utilisons des équipements allemands ou danois – alors que nous disposons de tout le potentiel nécessaire. Mais c’est bien l’objectif que nous nous donnons dans le cadre du CSF des nouveaux systèmes énergétiques, dont nous ne doutons pas que la présidente, Isabelle Kocher, aura une attention particulière pour la méthanisation.

Un objectif que nous nous fixons également pour le photovoltaïque et léolien en mer.

(M. Vincent Thiébaut, vice-président de la commission denquête, remplace Mme Laure de La Raudière à la présidence).

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Savez-vous, pour chaque filière EnR, quelle est la part de la production française, combien d’emplois directs ont été générés, et quelles sont les prospectives ? Pensez-vous pouvoir nous transmettre cette information ?

Il difficile de dresser le bilan des ENR à un instant T, car nous ne pouvons pas mesurer le potentiel de développement, qui est important, et nous devons tenir compte de l’historique pour évaluer les rentabilités et les effets financiers.

M. Jean-Louis Bal. Nous allons lancer une étude sur cette question, mais nous aurons les résultats trop tardivement, votre commission aura certainement rendu ses travaux. Néanmoins, des chiffres existent, puisque l’ADEME publie chaque année une étude intitulée « Marché et emplois », qui analyse, filière par filière, les emplois dans la fabrication d’équipements, dans l’installation et dans l’exploitation des centrales – le chiffre de 100 000 emplois que je vous ai cité tout à l’heure provient de cette étude.

La filière éolienne, terrestre et maritime, représente aujourd’hui 18 000 emplois, répartis au sein de 800 entreprises, et exporte une part significative de sa production, pour un montant de 660 millions d’euros par an – chiffre de l’ADEME.

Nous vous transmettrons la dernière étude de l’ADEME.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Mais avez-vous les mêmes chiffres que l’ADEME ? Menez-vous également des études pour confirmer ces chiffres ou pour obtenir un autre éclairage ?

M. Jean-Louis Bal. Le syndicat est sensibilisé à la valeur ajoutée locale – c’est l’objectif des CSF. Il nous est souvent reproché – parfois abusivement – de développer les EnR sur le territoire français avec du matériel importé de Chine, du Danemark ou d’Allemagne. Il y a une certaine réalité, mais elle est très exagérée.

C’est la raison pour laquelle, nous voulons mettre en place des outils d’évaluation sur la valeur ajoutée locale, dans chacune des filières. Et voir ensuite comment nous pouvons travailler à améliorer la balance commerciale de chaque filière, et le développement de l’emploi.

Nous disposons, dans le photovoltaïque, de l’un des meilleurs centres de recherche au monde. Il est donc très étonnant que nous n’ayons pas réussi à développer une industrie du photovoltaïque à la hauteur des développements qui nous attendent. Dans la PPE, le photovoltaïque représente près de 3 000 mégawatts par an – nous en sommes aujourd’hui à 900.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. C’est l’histoire du photovoltaïque en France, cette filière a été tuée en plein essor et a dû se reconstruire. Si nous avons gardé les compétences R&D, nous avons arrêté la partie industrielle et production dans son élan.

Quels sont les principaux freins que vous avez pu identifier au développement des EnR ? Avez-vous chiffré le coût du poids administratif de l’élaboration des projets – qui n’est que très rarement chiffré dans les projets ? De même, dans certains pays, les études sont mutualisées entre les différents porteurs de projet – ce qui n’est pas le cas en France.

M. Jean-Louis Bal. Les freins varient selon les filières.

S’agissant des projets d’éoliennes en mer, par exemple, ils sont issus de décisions prises dans le cadre du Grenelle de l’environnement, en 2008 ; pourtant aucune éolienne ne tourne actuellement – sauf l’éolienne flottante en essai au large du Croisic.

Les six projets, qui ont été développés, sont issus des appels d’offres – lancés en 2011 et 2013, et adjugés en 2012 et 2014. Malheureusement, des recours ont été déposés contre ces projets. Après avoir été déboutés par la cour d’appel de Nantes, les requérants ont déposé un nouveau recours devant le Conseil d’État. Ce dernier dispose d’ailleurs du dossier de Saint-Nazaire depuis un an et demi et nous attendons toujours sa décision.

Un type de projet coûte cher au développeur, mais l’investissement de l’industriel, Alstom devenu General Electric, à Saint-Nazaire, est encore plus lourd à porter. Voilà le type de frein auquel les EnR doivent faire face.

En ce qui concerne l’éolien terrestre, le temps de développement d’un projet est en moyenne de sept à huit ans. Et chaque recours le rallonge de un an et demi à deux ans. Or le taux de recours sur l’éolien terrestre est de l’ordre de 70 %.

Vous allez peut-être me dire qu’il s’agit d’une question d’acceptabilité. Eh bien non. Une personne seule peut déposer un recours contre un projet éolien. Le recours systématique est une stratégie utilisée par les associations anti-éolienne ; une guérilla juridique menée sur l’éolien.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Avez-vous des recommandations à nous présenter pour éviter cela ? Par exemple, proposer qu’un recours ne puisse être déposé que par un collectif de tant de personnes ; ou que soit constituée une cour spécialisée ?

M. Jean-Louis Bal. Nous avons déjà beaucoup réfléchi, sans trouver de solutions, pour, non pas empêcher les recours, ce n’est pas possible, mais être plus sélectifs.

Dans le cadre du groupe de travail installé par Sébastien Lecornu sur la simplification de l’éolien, il a été décidé de supprimer un niveau de juridiction – les requérants vont directement en cour d’appel.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Selon vous, les énergies les plus matures ont-elles encore besoin du soutien de l’État ?

M. Jean-Louis Bal. Les énergies les plus matures sont compétitives, si nous les comparons aux prix de marché tels que nous les estimons pour les quinze ou vingt ans à venir. Néanmoins, quand un investisseur réalise un investissement aussi capitalistique – je pense notamment au solaire et à l’éolien – il a surtout besoin d’une garantie sur la rémunération, sur les recettes à long terme.

Ce qui est différent pour la chaleur, où le mécanisme de soutien est une subvention à l’investissement.

Sans vouloir faire de comparaison malheureuse, si nous voulions développer de nouvelles productions nucléaires, nous aurions exactement le même problème.

M. Fabien Gouttefarde. Monsieur Bal, dans vos propos introductifs, vous avez indiqué quil serait utile dinformer le grand public de lexistence des aides – CITE, écoprêt, etc.

J’ai assisté récemment, dans mon territoire, à une formation de la Fédération française du bâtiment (FFB) délivrée à ses adhérents sur les aides à la rénovation énergétique : les aides de l’ANAH, le chèque énergie, le certification d’économie d’énergie – il faut d’ailleurs sortir de polytechnique pour comprendre –, le dispositif « coup de pouce » et le CITE. À la fin de la matinée, nos artisans s’arrachaient les cheveux.

Pensez-vous que tous ces mécanismes sont compréhensibles pour le grand public ? Sinon, avez-vous une position sur leur rénovation ?

M. Jean-Louis Bal. Informer les citoyens sur les mécanismes d’aide est l’une des conclusions du débat qui s’est tenu sur le projet de PPE, le G400, organisé par la Commission nationale des débats publics (CNDP).

Quatre cents citoyens ont été sélectionnés, parmi 35 000, représentatifs du tissu social, géographique, etc. pour débattre et donner un avis sur la politique énergétique française. Or parmi ces quatre cents personnes, seule une infime minorité connaissait les dispositifs que vous venez de citer. Le plus connu était le crédit d’impôt et beaucoup étaient convaincus que pour en bénéficier, il fallait payer des impôts ; ce qui est faux, il ne s’agit pas d’une déduction fiscale.

Votre question concerne la complexité de l’ensemble de ces mécanismes d’aide. Comme vous, il me semble qu’elles ne sont pas nécessairement perceptibles par l’artisan de base. En revanche, nous voyons apparaître sur le marché, et il faudrait l’encourager, des entreprises spécialisées pour agglomérer toutes ces aides – qui ne sont pas toutes compatibles entre elles.

Cependant, il est indispensable que l’État communique beaucoup plus ; cela aurait peut-être évité certaines crises sociales, les dépenses pour le consommateur de base étant avant tout liées à l’énergie consommée pour son logement. En aidant un certain nombre de foyers, nous aurions peut-être pu éviter toutes ces contraintes subies, liées au prix de l’énergie.

Nous devons nous demander si les espaces infos énergies sont bien dimensionnés, à la hauteur des besoins de la transition énergétique. Il en existe trois cents ou quatre cents, ce qui est largement insuffisant. Je l’ai évoqué pour l’ADEME, mais réduire les effectifs sur le terrain n’est pas la meilleure façon de faciliter la transition énergétique.

M. Vincent Thiébaut, président. Il conviendrait d’impliquer davantage les collectivités territoriales, comme c’est le cas en Alsace.

M. Nicolas Turquois. Ma première question est d’ordre philosophique. Je suis producteur de photovoltaïque. Or la surface nécessaire pour une production modeste est importante. Les EnR, telles que nous les connaissons, peuvent-elles réellement répondre à l’enjeu énergétique de la France ?

Une centrale nucléaire, avec toutes les difficultés d’implantation que nous connaissons, utilise quelques dizaines d’hectares, alors qu’il faudrait des forêts d’éoliennes et je ne sais combien d’hectares de panneaux photovoltaïques pour remplacer un réacteur. N’est-ce pas là une difficulté congénitale ?

Par ailleurs, votre syndicat représente l’ensemble des énergies renouvelables. Je suppose qu’elles ne sont pas toutes au même degré de maturité. Vous avez évoqué votre regret que l’hydrolien ou la géothermie électrique ne soient pas assez mis en avant dans le projet de PPE ; mais nous ne pouvons pas courir tous les lièvres à la fois. Au vu de vos connaissances, quelles EnR ont les plus grandes potentialités ? Sur lesquelles devons-nous parier ? Lesquelles doivent être davantage accompagnées par la puissance publique ?

Enfin, la semaine dernière, nous avons reçu le président du groupe Valorem. Nous l’avons interrogé sur la question de l’intermittence. Selon lui, le coût du stockage sous forme de batterie est prohibitif et il y aurait un intérêt à stocker dans les usages – concrètement, dans les chauffe-eaux thermodynamiques. N’avons-nous pas intérêt à faire fonctionner ces chauffe-eaux comme une réserve d’énergie d’eau chaude, à des moments où l’électricité ne vaut rien – ou est à un prix négatif ?

M. Jean-Louis Bal. Concernant la production modeste d’énergie solaire, je vous répondrai en me référant à mon expérience, puisque je viens d’installer une trentaine de mètres carrés de panneaux photovoltaïques et qu’ils suffisent très largement à couvrir ma consommation. Je fais de l’autoconsommation et je vais vendre le surplus à EDF, qui a une obligation de rachat. En outre, pour maximiser ma consommation, je fais du stockage sur les usages – j’ai installé un chauffe-eau thermodynamique.

Mais nous pouvons faire mieux, le chauffe-eau thermodynamique n’est pas la seule solution. Jean-Pierre Grandidier, le président de Valorem, a dû vous en parler, nous pouvons stocker également sur le froid.

L’intermittence est un terme que je n’aime pas, l’ADEME parle de variabilité ; l’intermittence, c’est quand on ne peut pas prévoir la production d’un générateur éolien ou photovoltaïque, or c’est extrêmement prévisible.

Je n’ai donc pas évoqué tous les moyens de pallier cette variabilité. Outre les batteries, dont le coût du stockage est encore trop élevé par rapport au prix de l’énergie – mais cela ne le sera pas éternellement, et il n’est pas trop élevé dans les départements d’outre-mer –, il y a en effet le stockage sur les usages, le foisonnement, les interconnexions… Bientôt, le développement à grande échelle du véhicule électrique permettra d’absorber les excédents d’éolien et de photovoltaïque ; vous avez reçu un représentant d’Enedis qui a dû vous l’expliquer.

Quant à remplacer le nucléaire, il ne s’agit pas aujourd’hui d’un objectif. Si cela devait arriver un jour – je fais référence au scénario 100 % EnR de l’ADEME –, ce sera par un mix de solutions EnR. Nous ne miserons jamais tout sur l’éolien ou le photovoltaïque. Il y aura une complémentarité avec l’hydraulique, la biomasse, la géothermie…

Toutes les filières ne sont effectivement pas au même niveau de maturité. Le soutien de la puissance publique doit donc être adapté, à la fois, à leur potentiel de développement et à leur niveau de maturité.

Par exemple, nous ne demandons pas de lancer des appels d’offres sur l’hydrolien. Tout un parcours de développement technologique est nécessaire avant de pouvoir faire du développement à grande échelle.

La méthanisation est encore à un autre niveau de maturité. Nous devons accompagner le développement de la filière par cette structuration que j’évoquais tout à l’heure.

M. Emmanuel Maquet. Monsieur le président, vous défendez les six parcs d’éoliennes en mer ; j’ai été confronté à l’un d’entre eux. Vous avez rappelé que le tarif de rachat de l’électricité avait baissé, passant de 210 à 150 euros le MWh. Cela étant dit, un parc d’éoliennes en mer coûte près de 1,8 milliard d’euros, dont 400 millions sont liés au frais de raccordement et qui ont été transférés sur le Réseau de transport d’électricité (RTE), financé par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Nous ne sommes donc plus dans le modèle économique d’origine.

Nous produisons encore de l’énergie à 150 euros le MWh, ce qui est exorbitant au regard de ce que nous entendons, depuis le début de cette commission d’enquête – des prix entre 60 et 80 euros.

Vous avez également évoqué l’éolien flottant au large du Croisic, qui n’a pas du tout le même impact sur l’environnement et notamment sur les écosystèmes. Le parc du Tréport est situé en face de chez moi, en plein milieu d’un parc marin et d’une zone pêche, c’est vous dire si les gens sont vent debout contre ce parc, qui n’a pas été suffisamment réfléchi quant à son installation et son implantation. De sorte que les citoyens sont à la limite de l’acceptabilité de ce parc, mais également des parcs terrestres ; il s’agit d’une vraie question sociétale. Les Hauts-de-France comptent 600 éoliennes sur les 9 000 installées en France.

Est-il encore raisonnable aujourd’hui de racheter cette électricité à 150 euros le MWh ? Ne serait-il pas plus intelligent de mettre le paquet sur l’éolien flottant et de développer une vraie filière ? Nous aurions ainsi une vraie avance technologique, que nous ne possédons pas avec l’éolien posé.

M. Jean-Louis Bal. S’agissant du prix de l’électricité à 60 ou 80 euros du MWh – parfois même moins –, vous faites référence aux parcs de l’Europe du Nord.

M. Emmanuel Maquet. À Dunkerque également.

M. Jean-Louis Bal. Si vous avez des informations, je suis preneur.

S’agissant des projets dont vous parlez, je vous l’ai précisé tout l’heure, ils ont été adjugés en 2012 et 2014, avec les technologiques qui existaient à ce moment-là, et que le cahier des charges nous interdit de faire évoluer. Il nous est impossible de prendre en compte les progrès qui ont été réalisés depuis.

Après une négociation menée par le Président de la République lui-même, celle-ci a abouti à un tarif moyen de 140 euros par MWh, hors coût de raccordement. Les parcs qui s’installent en Grande-Bretagne aujourd’hui, à partir de projets élaborés il y a six ou sept ans, pratiquent des tarifs allant de 150 à 180 euros le MWh.

Les prix annoncés, de 60 à 80 euros, pour les appels d’offres aux Pays-Bas, au Danemark ou en Allemagne, concernent des parcs qui se réaliseront, dans les mêmes conditions que Dunkerque d’ailleurs, avec des technologies qui sont encore en cours de développement.

S’agissant du projet du Tréport, et je ne sais pas s’il se réalisera un jour, mais il a montré ce qu’il ne fallait pas faire. La concertation a été menée, après adjudication par l’État, pour une zone qui était figée, que nous ne pouvions pas faire évoluer. J’en ai beaucoup discuté avec les pêcheurs qui, si nous avions pu bouger ce parc de quelques mille marins, ne seraient pas opposés à ce projet.

Cette question a été prise en compte dans les réglementations pour les nouveaux parcs. Nous bénéficierons de plus de souplesse, non seulement, sur la détermination des zones, mais aussi sur la prise en compte des évolutions technologiques pendant la durée du développement du projet.

Concernant l’éolien flottant, cette technologie est encore en développement, il est donc difficile de cerner avec précision les coûts auxquels nous allons aboutir. Je l’ai expliqué plus haut, l’éolien flottant est à 90 % identique à l’éolien posé. Les différentes études menées par un grand nombre d’institutions montrent que l’éolien flottant pourrait déboucher sur les mêmes coûts d’ici à 2030. Le potentiel de développement et industriel est donc appréciable. Je rappellerai juste que les pêcheurs ne peuvent pas pêcher à l’intérieur du parc.

M. Vincent Thiébaut, président. Concernant les EnR, et notamment leur coût – vous avez évoqué un prix de 55 euros le MWh pour l’énergie solaire –, vous avez bien compris qu’il s’agit d’un vrai sujet sociétal, les subventions étant financées par les impôts et les taxes. L’État subventionne le delta entre le prix de marché et le prix moyen.

Le prix du nucléaire est estimé à 42 euros alors que, selon la Cour des comptes, mais aussi de rapports de différents experts, le coût réel du nucléaire serait de 60 à 80 euros. Est-il possible d’affirmer que, investir dans les EnR, serait la garantie, en termes d’acceptabilité, de disposer d’une énergie abordable ?

Je préciserai que je ne suis pas défavorable au nucléaire, nous en avons besoin pour assurer une continuité de service. Cependant, si nous devons dessiner, pour demain, l’infrastructure énergétique de la France, le socle sera le nucléaire et les EnR la dentelle fine – notamment dans les collectivités locales.

Par ailleurs, nous devrions-nous pas permettre aux territoires de se saisir davantage des politiques nationales ? Si oui, comment ?

Je souhaiterais également connaître votre avis sur la question du solaire en termes de thermique ?

Enfin, ma dernière question concerne la géothermie. Je suis député d’Alsace, je suis donc très concerné par la géothermie profonde, et notamment par les projets menés en la matière en Alsace ; tous n’ont pas la même configuration. Certains visent à produire de la chaleur, avec de l’électricité en complément, d’autres visent à produire uniquement de l’électricité – qui est aujourd’hui à 250 euros le MWh.

Ne faudrait-il pas privilégier les premiers projets, et ne produire de l’électricité qu’en complément de la chaleur ? D’autant que, avec le lithium, ce serait 100 % des besoins nationaux qui seraient couverts.

M. Jean-Louis Bal. En matière de géothermie, je suis entièrement d’accord avec vous, il convient bien évidemment de valoriser la chaleur. Ce qui ne doit pas nous empêcher de produire de l’électricité. Il est vrai que le tarif est aujourd’hui de 246 euros le MWh, mais les professionnels de la géothermie se sont engagés à ramener ce coût à 100 euros, en 2028.

Je connais bien la question de la géothermie en Alsace, puisque dans une précédente vie, je travaillais à l’ADEME et j’ai mené un projet pour que l’usine Roquette à Beinheim soit alimentée en chaleur.

La géothermie, avec cette occasion de valoriser du lithium, est une vraie opportunité pour le développement de la filière et le développement industriel.

S’agissant du solaire thermique, il a connu très peu de développement, ces dernières années, même dans le cadre du fonds chaleur. Néanmoins, nous assistons, depuis deux, trois ans, à l’apparition de très grandes installations – parfois plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés de capteurs solaires. Des installations qui ont vocation à répondre à des besoins industriels ou de réseaux de chaleur. Réalisées avec des modules solaires de très grandes surfaces, de l’ordre de quinze mètres carrés par capteur, le prix de ces installations solaires thermiques a été divisé par trois. Il s’agit donc d’une opportunité de relancer le marché du solaire thermique en France.

Nous avons d’ailleurs déposé, cet après-midi, au Conseil supérieur de l’énergie (CSE), un amendement, dans le cadre de l’examen de la PPE, en ce sens.

En ce qui concerne les territoires, ils ont, avec les syndicats d’énergie, toutes les capacités pour se saisir de la transition énergétique à leur niveau. Nous travaillons d’ailleurs beaucoup avec la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), dans ce cadre. Elles sont très bien placées, par leurs connaissances des consommations énergétiques, des gisements dans les différentes énergies renouvelables, pour mener des projets à l’échelle du territoire et le faire en collaboration avec le secteur industriel que je représente aujourd’hui.

M. Vincent Thiébaut, président. En termes de normes ou de cadre réglementaire, selon vous, tous les éléments sont déjà réunis pour que les collectivités puissent développer leur politique territoriale ?

M. Jean-Louis Bal. Des petites améliorations pourraient être apportées, notamment dans le photovoltaïque, qui est très prisé dans les territoires. Par exemple, la procédure d’appel d’offres commence dès le seuil de 100 kWh, ce qui est rédhibitoire pour une installation qui coûtera quelque 150 000 euros ; ce n’est pas très raisonnable. Nous prônons, depuis longtemps, de rétablir un guichet pour le solaire photovoltaïque, jusqu’à 500 kWh, ce que permettent les règles d’encadrement communautaires sur les aides d’État.

Par ailleurs, la question des ressources est importante. Les collectivités doivent faire le point sur leurs ressources, leurs besoins, leurs capacités d’évacuation de leur énergie par les réseaux, etc. Une compétence que détiennent les syndicats d’énergie. Nous menons, d’ailleurs, avec certains de nos adhérents, des projets intéressants sur cette question, dans lesquels ils combinent les différentes énergies renouvelables.

M. Vincent Thiébaut, président. Alstom, basé en Alsace, est capable de produire un train à hydrogène – 500 kilomètres en bimode, électrique et hydrogène, et une autonomie de 1 000 kilomètres en hydrogène pure.

M. Jean-Louis Bal. Concernant le futur des EnR en termes de coût, aujourd’hui, elles sont déjà à un niveau très acceptable, mais nous pourrions encore diminuer en allégeant certaines réglementations. Nous parlions de la durée d’un projet éolien. De même, pour les autres EnR, chaque année qui passe augmente le coût, qui se répercute dans le prix de l’énergie.

Les EnR vont encore progresser dans les années à venir et nous gagnerons plusieurs euros par mégawatheure. Nous verrons également apparaître d’autres sources d’énergie renouvelable, comme le gaz, qui est aujourd’hui extrêmement marginal.

Les EnR sont une garantie de stabilité des prix sur le futur. Je serais incapable de vous dire à quel mix nous allons arriver en 2050, mais nous devons y aller progressivement. La direction générale de l’énergie (DGE) – vous avez reçu M. Laurent Michel – souhaite commencer à réfléchir sur l’après 2035 – la PPE allant jusqu’en 2028.

Les études menées par l’ADEME démontrent qu’un mix avec beaucoup d’EnR est une garantie de stabilité des coûts, voire de réduction.

M. Vincent Thiébaut, président. D’autant que nous savons déjà qu’il nous manque 33 milliards d’euros pour recycler l’ensemble du parc nucléaire actuel.

Monsieur Bal, je vous remercie pour la clarté de vos propos.

Laudition sachève dix-huit heures trente-cinq.

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25.   Audition, ouverte à la presse, de M. Patrice Cahart, membre du Groupe indépendant de réflexion sur lénergie, de M. Arnaud Casalis, membre du collectif dexperts « Énergie et vérité » et de M. Jean-Louis Butré, membres du collectif dexperts « Energie et vérité » (16 mai 2019)

Laudition débute à neuf heures cinq.

M. le président Julien Aubert. Chers collègues, nous consacrons les auditions de cette matinée à la dimension économique de l’électricité éolienne. Notre objectif est d’entendre des points de vue différents et d’aller au fond des choses, au regard de polémiques qui ont agité les médias. Nous allons ainsi, à ma demande, procéder de façon originale par rapport à nos précédentes auditions.

Durant la première heure, nous entendrons M. Patrice Cahart, inspecteur des finances honoraire, membre du Groupe indépendant de réflexion sur l’énergie, et deux membres du collectif d’experts « Energie et vérité », M. Arnaud Casalis, professionnel de l’analyse des comptes des sociétés et M. Jean-Louis Butré, qui s’est déjà exprimé à plusieurs reprises devant le groupe d’étude sur les filières industrielles énergétiques, que j’ai le plaisir de présider.

Durant la deuxième heure d’audition, nous accueillerons les représentants de France énergie éolienne (FEE), M. Olivier Pérot, président, et M. Charles Lhermitte, vice-président.

Le troisième temps de cette matinée sera consacré à une audition commune, qui nous permettra de poser des questions complémentaires et aux deux camps en présence d’y répondre et d’échanger des arguments.

Je vous propose, M. Cahart, de prendre la parole pour une présentation de dix minutes axée sur la comparaison du coût des énergies renouvelables (EnR) et du nucléaire. M. Casalis pourra ensuite, pendant dix minutes également, présenter son exposé sur l’analyse de l’utilisation des fonds publics par leurs bénéficiaires. M. Butré interviendra enfin pendant cinq minutes, afin de compléter les propos des précédents orateurs. Nous vous poserons ensuite des questions.

Avant de vous céder la parole, je vais vous demander, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite par conséquent à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Cahart, Casalis et Butré prêtent serment)

M. Cahart, vous avez la parole.

M. Patrice Cahart. Merci, M. le président. Je vais essayer de traiter deux questions fondamentales.

La première est de savoir s’il est raisonnable, durant la période nous séparant de l’année 2035, de sacrifier près d’un tiers de notre potentiel nucléaire et de la production correspondante et de le remplacer par du renouvelable. Ma réponse est négative. L’Assemblée nationale va bientôt avoir à discuter d’un projet de loi « énergie », dont la disposition principale consiste à déplacer l’échéance de 2025 à 2035 ; pour autant, le contenu même de l’échéance n’est pas modifié, puisqu’il s’agirait toujours de sacrifier un tiers du potentiel nucléaire, alors qu’il pourrait durer et produire encore longtemps. Mes amis et moi avons réalisé un chiffrage, qui figure dans le dossier que je vous ai remis tout à l’heure en plusieurs exemplaires. Nous avons tout d’abord estimé la puissance renouvelable qui serait nécessaire pour atteindre l’objectif fixé à l’horizon 2035. Les données utilisées sont celles de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), que nous avons extrapolées jusqu’en 2035. Nous avons ensuite multiplié les puissances nécessaires ainsi obtenues par les coûts unitaires de chaque type d’équipement fournis par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) dans un rapport de 2016. Nous avons ajouté à ceci le coût d’adaptation du réseau de transport et de distribution, qui devra être très largement modifié dans le cas d’un développement massif du recours aux énergies renouvelables. L’autre jour devant vous, le président du Réseau de transport d’électricité (RTE), M. Brottes, a indiqué que l’aménagement du réseau coûtait, uniquement pour les EnR, 4,3 milliards d’euros par an, ce qui est monumental. Nous avons repris ce chiffre et l’avons multiplié par les 17 années qui restent à courir jusqu’à 2035. Le résultat de ces calculs s’établit à 184 milliards d’euros, qui correspond au coût du développement des EnR nécessaires pour remplacer une partie du nucléaire.

À ce coût, nous opposons une alternative qui consisterait tout simplement à prolonger la vie des centrales nucléaires. Aux États-Unis, les centrales utilisent la même technique que celles du parc français et sont prolongées de façon systématique jusqu’à l’âge de 60 ans. Il est même question d’allonger leur durée d’utilisation à 80 ans. Nous nous sommes appuyés pour faire notre calcul sur des données de la Cour des comptes, qui a évalué les dépenses de sécurité, qualifiées de « grand carénage », nécessaires à cette prolongation des centrales nucléaires. Le chiffre obtenu sur 17 ans est de 25 milliards d’euros.

La soustraction entre les deux chiffres obtenus, à savoir 184 milliards d’euros d’un côté et 25 milliards d’euros de l’autre, donne un résultat de 159 milliards d’euros, correspondant au surcoût net des EnR sur la période 2019 – 2035. Pour mémoire, s’ajouterait à ces 159 milliards d’euros l’incidence des décisions déjà prises en faveur des énergies renouvelables mais non encore exécutées fin 2017, que la Cour des comptes a chiffrée à 121 milliards d’euros, à la charge des consommateurs français.

Les chiffres obtenus sont considérables. Il est clair que si l’on dépense de tels montants, il ne restera plus de ressources suffisantes pour financer les autres actions en faveur du climat qui, elles, sont véritablement utiles, dans le domaine des transports ou de l’isolation des bâtiments. Ce surcoût de 159 milliards d’euros serait une perte sèche pour la collectivité des Français : ceci ne présenterait aucun avantage pour l’économie. D’habitude, tout investissement prévu correspond en contrepartie à une production : or il n’existe ici aucune production nouvelle, puisque l’évaluation est effectuée à production constante. Il s’agira donc de 159 milliards d’euros perdus, sans aucun retour sur investissement, ni aucun profit pour le climat, contrairement à ce qu’une partie du public continue de croire : notre énergie électrique est en effet déjà décarbonée au maximum et il n’existe quasiment plus de sources fossiles. Il n’est pas envisageable de descendre sous le seuil actuel, dans la mesure où il est nécessaire de maintenir un minimum d’énergie pilotable, afin de pallier la très grande intermittence de l’éolien et, accessoirement, du photovoltaïque.

Il nous paraîtrait ainsi tout à fait déraisonnable d’adopter cette loi « énergie », avec l’échéance à 2035.

La deuxième question fondamentale à laquelle nous nous sommes intéressées est la suivante : à supposer que les objections que je viens de vous présenter ne convainquent pas et que l’on souhaite tout de même opérer la substitution entre une partie du nucléaire et des EnR, est-il raisonnable, parmi les énergies renouvelables, de mettre l’accent sur l’éolien, notamment terrestre ? Les EnR sont très diverses et présentent des avantages et des inconvénients qui varient de l’une à l’autre. L’éolien, surtout terrestre, est de loin la forme d’énergie renouvelable qui comporte le plus d’inconvénients. Il s’agit d’une forme d’énergie particulièrement agressive : actuellement les éoliennes terrestres implantées couramment dans nos campagnes mesurent 180 mètres de haut, soit 60 % de la hauteur de la Tour Eiffel. Un projet à l’étude dans l’Yonne concerne même des installations de 240 mètres de haut. Nous avons procédé à une évaluation, que vous retrouverez dans le dossier, qui montre que si la loi « énergie » qui va vous être proposée est adoptée et exécutée, toutes les zones rurales de France se trouveront à moins de six kilomètres d’une grande éolienne, ce qui induirait une transformation majeure du paysage français. Nous avons choisi cette distance de six kilomètres car elle correspond au rayon d’affichage des enquêtes publiques, dans lequel les communes et les particuliers doivent être consultés. Ce périmètre est d’ailleurs très insuffisant compte tenu de la croissance en hauteur des éoliennes et devrait être au moins de dix kilomètres maintenant ; nous l’avons néanmoins retenu puisqu’il s’agit encore actuellement du chiffre officiel.

Ceci conduit à considérer de préférence d’autres énergies renouvelables, en premier lieu le photovoltaïque, qui présente certains inconvénients, mais est beaucoup moins agressif que l’éolien terrestre car il ne se voit pas de loin et coûte nettement moins cher. Vous trouverez ainsi dans le dossier la copie d’un communiqué du ministre François de Rugy de novembre 2018 expliquant que sur les seize appels d’offres lancés mettant en concurrence l’éolien terrestre et le photovoltaïque, dans neuf régions y compris des régions peu ensoleillées comme les Hauts-de-France, le photovoltaïque a été déclaré vainqueur dans 100 % des cas par rapport à l’éolien terrestre, car nettement moins cher. Après un tel communiqué, les personnes informées s’attendaient à l’arrêt complet des opérations d’éolien terrestre dans l’ensemble du territoire français : pourquoi continuer alors que cette énergie est excessivement chère, très agressive et qu’il existe de multiples possibilités pour développer le photovoltaïque dans notre pays, notamment dans sa moitié sud ? Or contre toute attente, les programmes éoliens se poursuivent comme si de rien n’était. Ceci est absolument sidérant. Je crois en effet que le photovoltaïque a vocation à remplacer très largement, voire complètement, l’éolien terrestre dans les programmes.

Il convient également de considérer d’autres sources d’énergie comme la géothermie en faible profondeur, qu’il est possible de mettre en œuvre dans la quasi-totalité de la France, dans la mesure où il suffit de disposer d’une nappe phréatique.

Je tiens également à mettre l’accent sur une forme d’énergie que j’aime beaucoup, qui consiste en la récupération de la chaleur des égouts. Ce procédé ne présente aucun inconvénient d’ordre esthétique. Une expérience prometteuse avait été menée notamment dans un quartier de Nanterre, qui était chauffé par ce moyen. Hélas, pour des raisons que je n’ai pas comprises, les pouvoirs publics ne se sont pas du tout intéressés à cette forme d’énergie, si bien que le promoteur a rencontré des ennuis financiers. Actuellement, il semble donc que cette filière prometteuse soit stoppée.

Ma conclusion est qu’il est urgent d’arrêter toutes les aides publiques apportées à l’éolien. Ceci concerne essentiellement l’éolien terrestre, l’éolien maritime appelant davantage de discussions, dans la mesure où son développement s’accompagne d’un espoir de création d’emplois en France, ce qui n’est pas le cas de l’éolien terrestre. La Grande-Bretagne, l’Espagne et le Québec ont déjà pris la décision de cesser toute aide à l’éolien terrestre et ne s’en portent pas plus mal. Vous trouverez dans le dossier un article du journal Les Échos concernant trois parcs éoliens récents qui vont être réalisés en mer allemande sans aucune aide. Si des parcs ancrés en mer peuvent être réalisés sans aide, ceci semble a fortiori possible pour des groupes éoliens terrestres, dont l’installation et l’entretien sont moins coûteux. Tout ceci plaide pour un arrêt immédiat de toutes aides à l’éolien, au moins terrestre.

Merci de votre attention.

M. Arnaud Casalis. L’expérience que je vais vous présenter résulte des demandes formulées localement par les associations. Il existe en effet un millier d’associations regroupant des riverains qui subissent les nuisances des éoliennes. Les promoteurs des projets éoliens vantent à ces populations l’intérêt de l’énergie éolienne terrestre, grâce notamment à des prospectus produits à grands frais, dont le contenu témoigne de nombreux mensonges par omission. Les habitants sont donc forcés à subir les conséquences d’un dispositif dont on leur explique qu’il va aider des entreprises en voie de démarrage et contribuer à sauver la planète.

Cette situation a suscité de nombreuses questions et nous avons cherché à savoir qui étaient les promoteurs et quelles étaient leurs motivations pour implanter ces projets, lesquels ne sont à l’évidence pas bénéfiques pour la population locale.

Nous allons essayer de percer rapidement ces mystères, en rappelant tout d’abord quelques ordres de grandeur. Ainsi en 2016, la Cour des comptes a souligné que sur les 5,3 milliards d’euros de dépenses alloués aux EnR, seuls 10 % étaient affectés aux énergies thermiques et 90 % aux énergies électriques. Ces engagements, pris à compter de 2018 jusqu’à l’échéance des contrats, se retrouvent dans la somme absolument énorme de 121 milliards d’euros évoquée précédemment par M. Cahart. 94 % des charges prévisionnelles en matière d’EnR sont d’ores et déjà engagées. La plupart des fonds affectés à ces énergies électriques concernent l’éolien terrestre. Ceci montre, par rapport aux ordres de grandeur que nous venons de situer, que ces fonds sont alloués prioritairement à des énergies intermittentes, dont on connaît le caractère difficile à exploiter dans la mesure où l’électricité ne parvient pas au point de service où moment où ceci est souhaité. Il faut donc absorber une électricité dont la probabilité d’arriver au point de service est d’environ 6 %. Il s’agit donc d’une très mauvaise électricité, qui ne devrait de ce fait pas valoir très cher. Elle concentre pourtant l’essentiel des moyens financiers. Je vous rappelle que l’éolien terrestre représente 1,5 % seulement de l’énergie totale consommée en France et 4,5 % de l’énergie électrique, alors que l’on nous présente la situation sous un jour bien plus avantageux, pour des raisons évidemment liées aux intérêts qu’ont les promoteurs à développer cette activité.

Les sommes considérables que nous venons d’évoquer sont en fait limitées à une affectation extrêmement réduite, pour un bénéfice collectif totalement négligeable. Il est évident, comme le soulignait M. Cahart, que si l’on affectait les mêmes sommes à des économies d’énergie dans des bâtiments notamment ou dans l’aménagement du transport, l’effet de démultiplication de ces fonds serait sans commune mesure avec ce gâchis financier lié à l’utilisation de ces montants pour les seules énergies éoliennes.

Ceci nous a conduits à nous interroger sur la destination des sommes en jeu : pourquoi les promoteurs sont-ils si motivés par la récolte de fonds financiers issus des éoliennes ? Nous avons choisi d’aborder cette question par le biais de quelques exemples.

Le premier concerne une personne physique, en l’occurrence M. Moratoglou, qui a vendu sa société à EDF Energies renouvelables et a, à titre personnel, gagné environ 1 milliard d’euros par le dispositif des aides d’État que nous connaissons. Cette somme frappe l’imagination. Il est toujours surprenant de constater que l’on aide des entreprises à démarrer et qu’à la sortie ceci se traduit par le fait qu’une personne physique récolte une telle somme et aille la placer au Luxembourg pour dégager des financements pour de nouvelles opérations.

J’ai par ailleurs eu la chance de travailler sur le cas de la société EOLE-RES, devenue aujourd’hui Renewable Energy Systems (RES), filiale française d’un groupe anglais basé à Guernesey, détenu par la famille de Sir McAlpine, dont on ne connaît pas très bien les tenants et les aboutissants. Il apparaît assez clairement que tout ce qui concerne l’éolien terrestre, mais aussi peut-être l’éolien au sens plus large du terme, termine de toute façon un jour ou l’autre dans un paradis fiscal. Nous sommes ici dans le cas de Guernesey. Cette opération est intéressante car elle met en évidence les mécanismes par lesquels une société peut se constituer en ayant contracté sur des projets industriels éoliens. Il existait dans le Midi de la France une petite société nommée RES, qui disposait de 500 000 euros de capital initial. En 2008, cette société a été valorisée 245 millions d’euros et des fonds ont ainsi pu être apportés à une nouvelle société intermédiaire, qui a été constituée avec un capital de 45 millions d’euros, simplement par apport du fonds de commerce déjà établi en ayant souscrit des contrats avec des collectivités locales. Cet exemple illustre le fait qu’il est possible de s’enrichir de façon massive simplement en souscrivant des contrats avec des collectivités locales. Les 200 millions d’euros restant après l’affectation des 45 millions d’euros au capital de la nouvelle société ont été gardés pour être ensuite distribués aux actionnaires et ont bénéficié en France du régime fiscal de faveur appliqué aux apports de ce type. La rentabilité de la société était de 23,8 millions d’euros en 2017, tandis que le capital social n’était que de 10,8 millions d’euros. Le rendement de cette société est donc de 220 % du capital social. À titre de comparaison, je vous rappelle que le Livret A est rémunéré à un taux de 0,75 %. Ceci signifie que cette société bénéficie d’un niveau de rémunération 293 fois supérieur à celui d’un Livret A. Ceci montre clairement que l’énergie éolienne terrestre est exploitée à des fins essentiellement financières, avec des rendements absolument incroyables. Ce profit est égal par ailleurs, le montant déposé en moyenne sur les livrets d’épargne en France étant de 4 500 euros, à 700 000 fois cette valeur moyenne. Cette société a par la suite réitéré le même type d’opération, les 40 millions d’euros de valorisation de la nouvelle société ayant permis à leur tour de faire des appels sur les marchés financiers, ce qui a rapporté à la société holding quelque 300 millions de livres de placements financiers, auxquels elle peut garantir sur les marchés financiers 8,4 % de rendement annuel pendant vingt ans. Ce sont les contribuables qui paient et l’argent va, par défiscalisation, à l’étranger, où il contribue à nourrir encore de la spéculation financière internationale. Voici le schéma général.

Il s’agit d’un sujet très grave, avec des enjeux en termes de démocratie. Le juge sicilien Giovanni Falcone indiquait ainsi la chose suivante : « Suis largent et tu trouveras la mafia ». Le procureur anti-mafia Roberto Scarpinato déclarait quant à lui : « Après le gaz, la mafia sest intéressée à lénergie éolienne et photovoltaïque et nous avons découvert quil y avait même eu des accords passés entre la mafia italienne et la mafia russe pour pouvoir contrôler ce secteur de lénergie qui est stratégique. Il y a bien un risque que des fonds européens, des fonds publics, finissent dans les poches de la mafia. Cest arrivé en Italie. Vous allez le connaître également chez vous ».

Au moment où le gouvernement accélère dans la voie d’un développement mal maîtrisé des EnR, en dehors de tout contrôle, y compris parlementaire, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, la question est vraiment de savoir si nous voulons un monde de l’énergie qui soit un monde mafieux.

M. Jean-Louis Butré. Je suis ravi d’être ici, à la fois en tant que membre du collectif d’experts « Energie et vérité » et président de la Fédération environnement durable, qui regroupe près de 1 400 associations représentant entre 40 000 et 50 000 personnes de la France entière qui subissent ou vont être confrontés à l’installation de parcs éoliens.

M. le président Julien Aubert. Je tiens à vous rappeler, M. Butré, que cette audition est consacrée aux aspects économiques et financiers de l’éolien. La question de l’acceptabilité sociale fera probablement l’objet d’auditions spécifiques. Il est important de bien séparer les sujets.

M. Jean-Louis Butré. Doù vient largent investi dans léolien ? Il provient des factures délectricité des Français, par le biais notamment de la contribution au service public de lélectricité (CSPE). Tous les calculs montrent que les factures délectricité devraient globalement doubler. Pourquoi continue-t-on, dans ce contexte, à implanter des éoliennes ? Comme me lont signalé les représentants de la Commission de régulation de lénergie (CRE), où jai été auditionné à plusieurs reprises, les prix de rachat de cette électricité sont actuellement totalement anormaux, pour ne pas dire scandaleux. Ceci dure depuis 2001. Je puis comprendre que, lorsque lon souhaite favoriser le développement dune industrie, il soit envisagé de lui donner un « coup de pouce » au démarrage. Mais ce système est aujourdhui en vigueur depuis près de 19 ans et largent qui le finance est prélevé sur la facture énergétique des Français. Je vous rappelle que lon estime entre 8 et 10 millions le nombre de personnes qui ont en France des difficultés à séclairer, se chauffer et circuler.

On observe en outre l’existence dans ce système d’anomalies incroyables. Je pense notamment à la règle dite « des six mâts », dont les promoteurs ont réussi à obtenir le maintien grâce à leurs actions de lobbying. Ainsi, lorsque les parcs implantés comptent jusqu’à six mâts, ils continuent à bénéficier des anciens tarifs et lorsqu’ils en comptent plus de six, des appels d’offres sont lancés. Les promoteurs contournent ceci en implantant plusieurs parcs de six mâts. Ces multiples anomalies sont dues au fait que les promoteurs éoliens profitent depuis 2001, d’une façon ou d’une autre, du système mis en place par le gouvernement. Ils ont tout d’abord pénétré dans le dispositif par le biais de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Je rappelle par exemple que Jean-Louis Bal, ancien directeur de L’ADEME, est devenu président du Syndicat des énergies renouvelables, après André Antolini. Ceci est ensuite remonté via le ministère de l’environnement, si bien que toutes les lois votées depuis lors sont en faveur des promoteurs éoliens. Les sommes dont ils disposent peuvent être une source légitime d’inquiétude.

Je demande simplement aujourd’hui aux parlementaires de jouer leur rôle d’élus nationaux indépendants d’un lobby qui a actuellement tous les pouvoirs, au point que les dernières décisions prises par le ministère de l’environnement suite aux propositions du secrétaire d’État Sébastien Lecornu consistent, face à la résistance opposée par de nombreux riverains à l’implantation d’éoliennes – je rappelle que 70 % des projets sont aujourd’hui attaqués –, à prendre des arrêtés supprimant l’échelon des tribunaux administratifs, afin d’empêcher les citoyens de se défendre. Ceci est absolument inqualifiable.

L’éolien terrestre bénéficie actuellement de tarifs, de niveaux de rentabilité et de droits hallucinants, pour un résultat qui n’est pas à la hauteur. Je vous invite à lire la dernière édition du magazine allemand Der Spiegel, qui consacre à ce sujet un dossier de 17 pages, dans lequel il est démontré que l’éolien est un incroyable fiasco : les Allemands ont implanté tellement d’éoliennes que soit l’électricité produite ne sert à rien car elle est disponible à un moment où ils n’en ont pas besoin, soit les besoins ne peuvent être couverts par manque de vent. La collecte pose également problème, dans la mesure où les éoliennes sont essentiellement situées dans le nord du pays, tandis que l’industrie est plutôt localisée dans le sud. Ceci nécessite donc de tirer des lignes à haute tension, dont les citoyens ne veulent pas. L’éolien est donc, économiquement et structurellement, un problème majeur que l’on est en train d’installer en France.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez indiqué que 70 % des projets étaient attaqués et souligné que la population était très fortement opposée à ces implantations. Considérez-vous que l’on puisse déduire de ce pourcentage de pourvois que 70 % de la population est opposée au développement de l’éolien ?

M. Jean-Louis Butré. On comprend aisément que les personnes qui résident en ville et auxquelles on répète inlassablement, par un matraquage publicitaire hallucinant, que l’éolien va sauver la planète en limitant les émissions de CO2 et permettre de produire de l’électricité gratuite puisque le vent ne coûte rien n’ont aucune raison de s’opposer aux éoliennes. De loin, les éoliennes semblent plutôt sympathiques.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous affirmez donc que les habitants des communes rurales résidant près des éoliennes s’y opposeraient, tandis que les citadins y seraient favorables ?

M. Jean-Louis Butré. Absolument. Les communes rurales françaises sont indéniablement les premières atteintes.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’ai sous les yeux une enquête réalisée en 2018 auprès de populations habitant à moins de cinq kilomètres d’éoliennes, qui indique que 91 % des personnes interrogées estiment ces sujets importants et que 80 % d’entre elles ont une bonne image de l’éolienne. Les jeunes sont quant à eux 84 % à en avoir une très bonne image. Il semble donc que plus les gens sont près des mâts, plus ils y sont favorables.

M. Jean-Louis Butré. On se moque des gens.

M. le président Julien Aubert. Pouvez-vous, M. Butré, indiquer à Mme la rapporteure la source dont vous tirez ce chiffre de 70 % ?

M. Jean-Louis Butré. Nous voyons passer les projets à partir du moment où une demande de permis a été déposée et observons le nombre considérable d’associations qui se créent et attaquent ces permis. Aujourd’hui, 70 % d’entre eux sont contestés.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Ce n’est pas ce que dit cette enquête, ni ce que constatent les maires de villes concernées. J’ai l’impression que plus on est proche du mât de l’éolienne, plus l’émotion est forte, dans le sens soit d’une adhésion importante, soit d’un rejet fort. Il suffit en outre d’une personne pour déposer un recours.

M. Jean-Louis Butré. Il s’agit là du résultat du marketing sauvage que mènent les entreprises du secteur éolien, qui investissent des milliards d’euros en communication. À partir du moment où l’on éprouve le besoin de convaincre, il n’est pas difficile, moyennant finances, de diligenter des études et de trouver des spécialistes qui tiendront le discours qui vous arrange. Je suis pour ma part confronté tous les jours à des personnes en détresse, qui viennent par exemple de découvrir qu’un parc éolien risquait d’être construit près de chez elles et se désolent parce que le bien immobilier qu’elles viennent d’acquérir dans la zone concernée va perdre de ce fait 30 % de sa valeur.

M. le président Julien Aubert. Je suis au regret de vous dire, M. Butré, que ceci ne concerne pas le sujet de l’audition d’aujourd’hui, que nous souhaitons consacrer exclusivement aux aspects économiques du secteur éolien.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Ce sujet suscite assurément des réactions très émotionnelles. Je répète par ailleurs qu’il suffit d’une personne opposée à une éolienne pour déposer un recours contre un projet.

M. Jean-Louis Butré. Je répondrai à cette question dans le cadre de l’audition consacrée à l’acceptabilité sociale des éoliennes, si vous m’y conviez.

M. Vincent Thiébaut. Nous avons bien compris votre aversion vis-à-vis de l’éolien. Je souhaiterais revenir dans le champ de l’économie et notamment de l’acceptabilité du coût de l’énergie par les citoyens français. L’État a initié une PPE, dans laquelle les sommes engagées sont deux fois plus nombreuses actuellement sur le solaire que sur l’éolien.

Mme Laure de La Raudière. Ceci est dû à la « bulle solaire ».

M. Vincent Thiébaut. Aujourd’hui, le coût fixé par le dispositif d’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) est de 42 euros le mégawattheure, tandis que le coût du marché est actuellement aux alentours de 50 à 52 euros. Les offres de contrat passées avec l’État sur les énergies renouvelables permettent de calculer la différence entre le coût du contrat, de l’ordre de 50 à 55 euros pour le solaire et 60 à 65 euros pour l’éolien, et le coût du marché et l’État finance le delta. Si toutefois le coût du marché devient supérieur à celui du contrat, alors le producteur reverse de l’argent à l’État.

Aujourd’hui, la PPE est fixée pour 2028 avec un coût de 56 euros le mégawattheure. Sachant que l’on est déjà aujourd’hui à 52 euros, il y a de fortes chances, au vu des tendances, que ce chiffre de 56 euros soit dépassé.

Vous avez affirmé que l’entretien et la prolongation du parc nucléaire coûteraient moins cher que de développer les EnR. Or les chiffres dont je dispose concernant le nucléaire estiment entre 100 et 200 milliards d’euros les dépenses nécessaires pour maintenir et faire évoluer le parc. Il m’a par ailleurs été confirmé qu’avec un coût actuel de 42 euros le mégawattheure, l’électricité vendue ne permettait pas de couvrir les coûts requis pour le maintien et le développement du parc nucléaire actuellement. Dans une logique purement économique, le développement des énergies renouvelables ne serait-il pas une garantie de pouvoir maintenir un coût acceptable pour la population au niveau de l’énergie ? Il faut savoir que la Cour des comptes estime que le coût de rachat concernant l’électricité nucléaire devrait être de 60 euros le mégawattheure. Certaines études estiment même qu’il faudrait monter jusqu’à 80 euros.

J’aurais souhaité vous entendre sur ce sujet, dans la logique de diversification. Je ne remets absolument pas en cause le nucléaire, qui constitue une colonne vertébrale dont nous avons besoin. Le développement des EnR nous permettrait aussi de maintenir ce coût ainsi que son acceptabilité au niveau de la population.

M. Patrice Cahart. Concernant le nucléaire, vous trouverez le détail de notre chiffrage dans le dossier que nous vous avons remis. En résumé, nous avons pris le chiffre relatif au coût du grand carénage nécessaire pour prolonger la vie des centrales donné par la Cour des comptes, dont on ne peut douter du sérieux, qui est de 4,16 milliards d’euros par an. Nous avons actualisé ce chiffre à 5 milliards d’euros par an. Il ne faut toutefois en retenir qu’un petit tiers, dans la mesure où la programmation actuelle prévoit que deux tiers du potentiel nucléaire soient reconduits. Le débat porte donc sur un tiers de 5 milliards d’euros. Si l’on considère cette dépense sur une durée de 17 ans, on aboutit au chiffre de 25 milliards d’euros, ce qui est très modeste comparé aux 184 milliards d’euros que coûteraient les EnR pour produire la même quantité d’électricité durant la même période.

M. Vincent Thiébaut. Je souhaiterais vraiment savoir d’où vient le chiffre de 184 milliards d’euros que vous avancez concernant le coût des EnR. Les sommes engagées actuellement sont en effet de l’ordre de 95 milliards d’euros, avec 30 milliards d’euros envisagés jusqu’en 2028, dans l’hypothèse où l’on resterait à un coût du marché à 56 euros le mégawattheure jusqu’à cette date, ce qui est peu probable au vu des tendances. Le chiffre global se situerait donc vraisemblablement entre 100 et 120 milliards d’euros.

M. Patrice Cahart. Nous ne parlons pas de la même chose. Le chiffre de 184 milliards d’euros correspond au coût de l’investissement nécessaire pour que les EnR produisent la quantité d’électricité attendue. Nous n’avons pas considéré seulement le coût des éoliennes et des centrales photovoltaïques, mais aussi celui lié au réseau. Je vous invite à consulter le dossier fourni. Je puis par ailleurs tout à fait, si vous le souhaitez, vous envoyer par voie électronique la note comportant le chiffrage détaillé.

M. Hervé Pellois. Il y a quelques semaines encore, j’ignorais l’existence de votre association. Vous vous êtes manifestés auprès de nous et nous avez adressé plusieurs dossiers, que j’ai lus au fur et à mesure qu’ils nous parvenaient. J’ai ainsi compris assez vite l’objet de votre collectif. Je souhaiterais savoir comment est née votre association. En entendant l’exposé de M. Cahart, je me suis demandé si vous étiez des anti-éolien ou des pro-nucléaire.

J’ai par ailleurs essayé de situer ceci par rapport à notre problème national : est-il normal que notre approvisionnement énergétique soit quasiment dépendant du nucléaire ? Je suis gêné par le fait que vous restiez sur une situation du passé et que vous n’essayiez pas d’entrer dans une vision véritablement prospective, tenant compte des enjeux de demain. Notre pays possède une originalité qui a peut-être été intéressante, mais est également risquée et pose un certain nombre de problèmes. Je vous entends dire qu’il est possible de conserver des centrales en fonctionnement pendant 60 ou 80 ans : pourquoi pas 100 ans bientôt ? J’ignore si tout ceci est très sérieux, d’autant que de nombreux débats sur la gestion des déchets nucléaires et la déconstruction de ces sites existent aujourd’hui. Je suis élu breton et nous sommes encore en train d’essayer de nous débarrasser de la pauvre petite centrale de Brennilis. Je suis loin de penser que l’équilibre se trouvera dans des positions aussi sectaires que celles que vous et d’autres défendez.

J’ai néanmoins été intéressé par les chiffres que vous nous avez communiqués et qu’il conviendra toutefois pour certains de vérifier. Je souhaiterais savoir comment s’est constituée votre association et quelle est votre indépendance, aux uns et aux autres, vis-à-vis du secteur nucléaire notamment.

M. Patrice Cahart. Il n’y a pas d’association : nous sommes simplement un collectif de chercheurs libres et bénévoles. Nous ne faisons que coopérer ensemble et n’avons aucun lien ni avec EDF, ni avec le groupe de pression nucléaire. Nous ne faisons que constater, au vu des chiffres que je vous ai indiqués précédemment, qu’il est beaucoup plus raisonnable de prolonger les centrales que de développer les EnR. Les Américains, qui ne sont tout de même pas fous, procèdent de la sorte et prolongent massivement l’utilisation de leurs centrales jusqu’à 60 ans : pourquoi ne ferions-nous pas de même ?

Permettez-moi par ailleurs de vous faire part d’un double éclairage personnel expliquant ma présence devant vous aujourd’hui : je suis tout d’abord inspecteur général des finances de formation et de ce fait sensibilisé à la lutte contre les gaspillages. Étant retraité, je poursuis cette démarche et constate, dans le domaine de l’éolien terrestre notamment, l’existence d’un gaspillage phénoménal, ce qui explique ma mobilisation. Je suis en outre vice-président d’une association de monuments historiques, nommée « La demeure historique », reconnue d’utilité publique, qui regroupe 3 000 monuments privés. Or nous constatons actuellement dans ce cadre que les éoliennes, qui perturbent les perspectives, sont l’ennemi numéro un des monuments historiques. Tout ceci explique que je sois ici aujourd’hui.

M. Xavier Batut. Je pense qu’il ne faut pas opposer nucléaire et énergies renouvelables. Je suis issu d’un territoire où les deux coexistent, puisqu’il compte 104 éoliennes, bientôt 50 supplémentaires, et une centrale nucléaire dont l’acceptabilité par les riverains est assez satisfaisante.

Concernant la règle des six mâts avec les anciens et les nouveaux tarifs, on s’aperçoit aujourd’hui que les éoliennes ont été installées sur le territoire pour des raisons d’acceptabilité sociale, mais aussi peut-être économique. Si jamais demain le but est de relier l’ensemble de ces parcs, quelle règle va s’appliquer ?

Ma deuxième question est la suivante : en termes d’acceptabilité économique des éoliennes, quel est, depuis 19 ans, l’intérêt qu’en retirent les collectivités et les propriétaires fonciers ?

M. Jean-Louis Butré. Je me suis toujours demandé pour quelle raison les promoteurs éoliens n’achètent pas les terrains, mais les louent. Il faut savoir que la location d’un terrain pour y installer une éolienne est de l’ordre de 8 000 à 12 000 euros, selon les zones et la résistance. Il apparaît que les éoliennes implantées en France proviennent toutes d’Allemagne ou du Danemark et nous avons été effarés de la quantité de matériaux, dont 2 500 tonnes de béton, que ceci nécessitait. Ce sont au total 35 millions de tonnes de béton qui vont arriver dans nos champs. S’y ajoutent les mâts, les nacelles, les pales confectionnées en plastiques spéciaux très difficilement recyclables. Si l’on empilait les pales de 55 mètres des 15 000 éoliennes, on obtiendrait la distance entre Paris et Moscou. Ceci soulève la question de la gestion des matériaux en fin de cycle de vie de l’éolienne. On nous rétorque généralement que les promoteurs provisionnent dans cette perspective à hauteur de 50 000 euros par éolienne : or lorsque l’on sait qu’il s’agit le plus souvent de sociétés sans capital, qui risquent de faire faillite, on est en droit de s’interroger. Permettez-moi de m’adresser à vous en tant qu’ancien directeur d’usine du groupe Rhône-Poulenc et de sites Seveso : comment retraiter, recycler tous ces matériaux ? D’une part on ne sait pas faire, d’autre part ceci implique des sommes gigantesques. Que vont faire les promoteurs, sociétés sans capital, au bout de vingt ans ? Ils vont laisser la machine sur le terrain. Qui va payer ? Qui va recycler ? Les derniers chiffres dont je dispose indiquent que l’on sait actuellement recycler environ 16 % des matériaux composant une éolienne. C’est ainsi que certaines pales finissent leur course dans des décharges africaines. Une autre technique consiste, lorsque l’éolienne vieillit, à la vendre à des pays du tiers-monde, qui s’en débrouilleront. On entend souvent parler de repowering : que fait-on, dans ce cas, de l’ancienne éolienne ? Du point de vue économique, le système est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense.

M. Xavier Batut. Comment les parcs éoliens sont-ils, économiquement, acceptés aujourd’hui sur le territoire ? Quel est l’intérêt pour les propriétaires fonciers, pour les collectivités ? Quels sont les arguments des promoteurs pour « vendre » leurs projets ?

M. Jean-Louis Butré. L’argent achète tout. Ces promoteurs sont en train de prendre le contrôle du territoire. Si vous allez voir actuellement un agriculteur et lui proposez qu’il vous loue, pour 10 000 à 12 000 euros par an, une parcelle de terrain pour y installer une éolienne, il signe forcément. De même, les communes rurales sont confrontées aujourd’hui à un appauvrissement : si vous faites miroiter aux municipalités la perception d’une taxe, tout en leur disant qu’elles vont contribuer en plus à sauver la planète, alors les conseils municipaux votent l’implantation.

M. Xavier Batut. Vous êtes donc en train de nous expliquer que les éoliennes permettent de compenser une partie des baisses de dotation auxquelles les communes sont confrontées depuis une dizaine d’années, ainsi que les baisses de revenus des agriculteurs.

M. Jean-Louis Butré. Ceci est effectivement beaucoup plus rentable que de semer du maïs.

M. Arnaud Casalis. La carte de la pauvreté en France est à peu près superposable à celle de l’implantation des éoliennes. Lorsqu’un promoteur signe un contrat et investit 3 000 euros, de façon purement symbolique d’ailleurs puisqu’un euro d’investissement suffit, il peut obtenir à la fin, pour un mégawatt installé, un rendement évalué entre 0,4 et 4,1 millions d’euros de dividende sur la durée de vie de l’éolienne. Le simple fait de signer des contrats rapporte des sommes fabuleuses, que le promoteur utilise à sa guise. Il peut en garder une partie pour lui et aller voir des propriétaires terriens et quelques élus, qui seront a priori favorables au projet, sans voir les conséquences dommageables pour leur commune, sachant qu’une fois l’éolienne implantée, plus personne ne voudra vivre dans cette commune. Il faut savoir en outre que l’industrie éolienne n’apporte pas d’emplois. Contrairement à ce que prétendent les promoteurs, l’emploi lié aux énergies renouvelable est une véritable Bérézina. La France n’a connu que des échecs sur les grands projets champions annoncés, qui ne se sont traduits que par du gâchis d’argent public. Je pense notamment aux cas d’Alstom ou d’Aréva, qui se sont terminés dans les conditions que l’on connaît, avec des licenciements massifs. On subventionne en revanche l’emploi à l’étranger : la société Vestas devait par exemple licencier en 2012 quelque 2 500 salariés, mais l’État, par ses contrats et l’acquisition de matériel, a permis à cette entreprise, trois ans plus tard, de dégager un milliard d’euros de trésorerie.

M. le président Julien Aubert. Concernant le calcul du coût, vous nous avez expliqué le chiffre de 184 milliards d’euros nécessaires pour les EnR, que vous avez comparé à la somme de 25 milliards d’euros obtenue à partir des données fournies par la Cour des comptes relativement à la prolongation des centrales nucléaires. Pourquoi ne pas avoir pris également un chiffre de la Cour des comptes en matière de coût des énergies renouvelables ? N’a-t-elle produit aucune étude sur le sujet ou n’étiez-vous pas d’accord avec le chiffrage proposé ?

M. Patrice Cahart. Je n’ai pas trouvé dans les nombreuses et excellentes publications de la Cour des comptes de chiffrage récent du coût des renouvelables. Il faut dire que notre estimation est toute récente, puisque nous avons attendu l’annonce du projet de loi « Energie », qui précisait les intentions et l’horizon 2035. Nous savons depuis peu qu’il faudrait installer suffisamment d’éoliennes et de capteurs photovoltaïques pour remplacer 21/71e de la production nucléaire. Nos estimations sont basées sur des chiffres publics, issus notamment du projet de décret de programmation pour l’éolien, qui donne une progression en investissement pour le photovoltaïque et l’éolien. Dans la mesure où la programmation s’arrête en 2028, nous avons extrapolé jusqu’en 2035. Concernant le coût unitaire des éoliennes, tant terrestres que maritimes, et des installations photovoltaïques, nous avons repris les chiffres produits par l’ADEME dans son rapport de 2016.

M. le président Julien Aubert. Qu’appelez-vous « coût unitaire » ?

M. Patrice Cahart. Un mégawatt dans l’éolien coûte 1,5 million d’euros. Ce chiffre est admis par tout le monde.

M. le président Julien Aubert. Avez-vous considéré le coût de construction ou le coût de subventionnement de l’éolienne ?

M. Patrice Cahart. Il s’agit du coût d’investissement, qui sera supporté par la collectivité des consommateurs et des contribuables.

M. le président Julien Aubert. Le coût de subventionnement de l’éolienne peut varier. Si je suis le raisonnement de M. Butré, implanter des parcs de six éoliennes ou de cent éoliennes est différent, puisque les règles de subventionnement ne sont pas les mêmes selon la taille des parcs. Comment pouvez-vous par conséquent effectuer un chiffrage sans fourchette, alors que vous ignorez la structuration toponymique des parcs ?

M. Patrice Cahart. Nous n’avons pas calculé le coût de subventionnement, mais d’investissement, étant entendu que ce dernier sera inévitablement reporté en totalité sur la collectivité des consommateurs et des contribuables.

M. le président Julien Aubert. Ce coût est engagé par des entreprises privées.

M. Patrice Cahart. L’argent est emprunté aux banques et les emprunts sont remboursés par les promoteurs éoliens de deux manières, à savoir grâce au courant qu’ils parviennent à vendre et aux compléments de rémunérations versés.

M. le président Julien Aubert. En réalité, le chiffre de 184 milliards d’euros que vous mentionnez n’est pas uniquement budgétaire, mais composé d’une partie de coût budgétaire et d’une partie de coût prélevé sur la facture d’électricité, c’est-à-dire économique et financier.

M. Patrice Cahart. Parfaitement, il s’agit du coût pour la collectivité, aussi bien État que particuliers.

M. le président Julien Aubert. L’hypothèse sous-jacente de votre calcul est que, comme ces entreprises ne disposent pas de fonds propres et sont essentiellement, si je reprends votre argument, des sociétés dont la capacité de déploiement est liée au fort niveau de subvention dont elles bénéficient, le coût des éoliennes va être supporté par le contribuable ou le consommateur. Lorsque vous considérez le coût comparé de prolongation du parc nucléaire, s’agissant d’une entreprise publique qui le paie sur ses fonds propres, il s’agit d’un coût principalement budgétaire.

M. Patrice Cahart. Il se retrouve aussi forcément dans les tarifs de l’électricité et est donc aussi à la charge des consommateurs, si bien que ces deux coûts sont comparables.

M. le président Julien Aubert. Vous avez également indiqué que le photovoltaïque serait plus compétitif que l’éolien terrestre. Ne pensez-vous pas que dans le domaine de la consommation d’espace, le solaire occuperait plus de place que l’éolien ?

M. Patrice Cahart. L’éolien occupe une place énorme, puisqu’il accapare l’espace en hauteur. Le photovoltaïque peut, selon qu’il est installé sur les toits ou pas, prendre plus ou moins de place. Mais la place ne manque pas : il serait par exemple envisageable de couvrir les grands causses de panneaux photovoltaïques.

M. le président Julien Aubert. À mégawatt égal de production, quel type de dispositif a le plus d’emprise au sol ?

M. Patrice Cahart. Je n’ai pas étudié précisément la question, mais je pense que l’on pourrait très bien couvrir le causse du Larzac d’installations photovoltaïques.

M. le président Julien Aubert. Je souhaiterais, M. Casalis, revenir sur l’exemple chiffré que vous nous avez donné. Si j’ai bien compris, le groupe RES, avec 500 000 euros de capital de départ avait été valorisé de 245 millions d’euros parce que les contrats ont été signés avec les collectivités locales. Pourriez-vous préciser par quel mécanisme ?

M. Arnaud Casalis. La mécanique de l’éolien terrestre est la suivante : lorsqu’un promoteur signe un contrat, il sait que le dispositif des tarifs garantis et la durée de garantie de 15, 20 ou 25 ans vont lui assurer une rente quasi certaine, qui peut aller jusqu’à 4 millions d’euros de dividende potentiel dans la durée. Le seul fait de signer permet de garantir un revenu futur considérable, que le promoteur peut utiliser comme il le souhaite. Ceci rejoint le principe du fonds de commerce, lequel n’est que l’actualisation des flux financiers futurs.

M. le président Julien Aubert. Concernant l’entreprise RES, vous avez indiqué que 45 millions d’euros étaient de nouveau affectés au capital d’une société : pourriez-vous préciser ?

M. Arnaud Casalis. La société, qui avait 500 000 euros de capital au départ, a été valorisée, grâce aux techniques que je viens d’exposer, pour un montant de 245 millions d’euros, qui correspondent à l’ensemble des revenus attendus sur la période. Sur cette somme, la société a décidé d’affecter 45 millions d’euros au capital de la nouvelle société.

M. le président Julien Aubert. Quel est le rôle de cette nouvelle société ?

M. Arnaud Casalis. On peut imaginer, si l’on se réfère aux techniques financières habituelles, que ceci va permettre de constituer une société facialement plus riche que la première, présentant une assise financière beaucoup plus forte, donc d’avoir, par effet de levier, une capacité d’emprunt démultipliée auprès des banques.

M. le président Julien Aubert. Peut-on véritablement reprocher à une entreprise de valoriser un gain ? Ceci est plus transparent de se valoriser à 45 millions d’euros que de continuer à prétendre que l’on est une société à 500 000 euros de capital.

M. Arnaud Casalis. Elle aurait aussi pu valoriser les 245 millions d’euros. Mais au fond, le sujet n’est pas là, mais dans le fait qu’un investissement de quelques euros peut permettre de faire fortune. On compte actuellement en France quelque 106 opérateurs, qui font fortune sur la base d’un système qui fonctionne aux dépens du contribuable et du consommateur, donc de l’État, mais aussi des autres filières. En effet, l’argent affecté à ces dividendes, qui sont tous exportés dans des paradis fiscaux et qui enrichissent les marchés financiers internationaux, est de l’argent que les Français vont verser pendant vingt ans et qui ne sera pas investi dans des filières utiles en France.

M. le président Julien Aubert. Vous pensez donc que EDF Energies nouvelles envoie les dividendes qu’elle tire de l’éolien dans des paradis fiscaux ?

M. Arnaud Casalis. EDF Energies nouvelles est peut-être un cas à part. Je ne l’ai pas étudié en détail.

M. le président Julien Aubert. Vous avez évoqué la mafia : disposez-vous d’éléments permettant d’affirmer que la mafia, italienne ou russe, profite du système français ?

M. Jean-Louis Butré. Je suis allé à Palerme en 2009 ou 2010 avec le président Giscard d’Estaing, au moment où l’Italie était très inquiète car la Camorra achetait des terrains pour y installer des éoliennes. J’avais alors présenté la situation en France, le but étant d’aider les Italiens à faire le ménage dans leur système. Ce congrès, intitulé « Landscape under attack », avait conduit le gouvernement italien et les juges à mener une grande enquête, qui s’est traduite par l’emprisonnement de plusieurs personnalités, dont le président du syndicat italien des énergies renouvelables. Des alertes internationales avaient alors été lancées pour attirer l’attention sur ce risque : beaucoup d’argent circule dans le domaine de l’éolien et il est évident que ceci peut donner lieu à du blanchiment d’argent et de la fuite de capitaux vers des paradis fiscaux. Nous ne sommes ni des juges, ni des enquêteurs : nous faisons simplement part de constatations. Un article paru récemment dans Les Échos évoque ce même système mafieux.

M. le président Julien Aubert. Il me semblait que la règle des six mâts avait été revue dernièrement.

Mme Laure de La Raudière. Elle est en effet passée de six à cinq mâts.

M. Patrice Cahart. Auparavant, il fallait implanter au minimum cinq mâts ; ceci a été supprimé. Mais le seuil des six mâts pour les appels d’offres a été maintenu.

Mme Laure de La Raudière. Vous faites erreur : le seuil pour les appels d’offres a été abaissé en 2018 à cinq mâts et 18 mégawatts.

M. Patrice Cahart. Je maintiens que l’on peut implanter six mâts sans appel d’offres.

Mme Laure de La Raudière. Nous vérifierons.

M. Vincent Thiébaut. Le questionnement concernant la manière dont l’argent est investi peut s’appliquer à de nombreux autres domaines et n’est pas propre à l’éolien. Il ne me semble pas possible d’affirmer que le secteur des énergies renouvelables est aujourd’hui aux mains de réseaux mafieux.

Je n’ai en outre pas compris votre démarche relativement au chiffre de 184 milliards d’euros que vous avancez. Vous indiquez que ceci sera à la charge du consommateur ; or il en va de même pour le nucléaire. J’aurais pour ma part souhaité connaître le coût réel, en termes de subventions publiques. Quelle est la part des subventions dans ces 184 milliards d’euros ?

M. Patrice Cahart. Nous nous sommes intéressés au poids que ceci allait représenter pour l’ensemble de la collectivité, incluant l’État et les consommateurs. Le partage entre les subventions et les sommes restant à la charge des particuliers n’est pas facile à établir. Nous avons donc préféré raisonner de manière globale.

M. Vincent Thiébaut. Dans ce cas, le chiffre de 25 milliards d’euros concernant le nucléaire est faux.

M. Patrice Cahart. Je me suis déjà expliqué à ce propos : nous nous sommes appuyés sur les sommes figurant dans les rapports de la Cour des comptes, que nous avons arrondis à 5 milliards d’euros par an. Nous avons ensuite considéré un petit tiers de ces 5 milliards, correspondant au remplacement potentiel d’un tiers de la production du parc nucléaire par des renouvelables. Les deux autres tiers ne sont pas remis en cause, quoi qu’il arrive.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez indiqué que le chiffre correspondant aux EnR avait été obtenu en ajoutant tous les coûts de l’ensemble de la filière, jusqu’en 2035. Or concernant le nucléaire, vous n’incluez dans les coûts que le coût d’un tiers du grand carénage. Vous comparez ainsi des éléments qui ne sont pas exactement de même nature. Si l’on considérait l’ensemble des investissements réalisés depuis que le nucléaire existe en France et que l’on compare le chiffre obtenu à celui correspondant aux montants investis dans le développement des EnR, et plus particulièrement des éoliennes, depuis qu’elles existent en France, je pense que l’on n’arriverait pas exactement aux mêmes chiffres.

Vous avez par ailleurs indiqué que l’on ne savait pas recycler les éoliennes. Or certaines entreprises en France sont aujourd’hui en train de se développer dans ce domaine et de créer des emplois.

Si le recyclage des éoliennes vous semble constituer un problème majeur, que dire par ailleurs des déchets nucléaires enterrés dans le sol, que l’on ne sait pas recycler ?

M. Patrice Cahart. Les deux chiffres sont rigoureusement comparables : ce sont dans les deux cas les chiffres correspondant aux investissements sur la période allant de 2019 à 2035. Nous n’avons effectué nos calculs qu’à partir d’un tiers du coût du grand carénage car nous sommes face à une alternative à deux branches : soit l’on développe un programme d’EnR qui va coûter 184 milliards d’euros en investissements nouveaux, soit on prolonge les centrales avec 25 milliards d’euros de carénage pour obtenir la même quantité d’électricité. Les deux autres tiers du grand carénage ne sont pas en cause.

M. Jean-Louis Butré. Il me semble également important de tenir compte du fait que l’éolien est une énergie intermittente. Ceci suppose donc de disposer de la capacité de continuer à produire de l’électricité lorsqu’il n’y a pas de vent. Les Allemands utilisent pour ce faire des centrales à charbon. Ceci pose aussi le problème du réseau.

Concernant le recyclage, tout est envisageable ; il s’agit avant tout d’une question d’argent. Qui va payer ? Prenez le cas d’un agriculteur qui a loué du terrain pendant vingt ans à 10 000 euros l’année pour que l’on y installe une éolienne : les 200 000 euros ainsi gagnés sont ridicules comparés aux sommes nécessaires pour traiter le béton et les additifs, le mât, les pales. Aujourd’hui, la Fédération environnement durable attaque l’État français pour non-prise en compte de ce recyclage.

Il est souvent question, lorsque l’on évoque le nucléaire, de questions de sécurité et de risques, en lien notamment avec les déchets : régler totalement ceci supposerait que l’éolien soit capable de remplacer intégralement le nucléaire. Ainsi, les problèmes liés à la production de déchets nucléaires seraient résolus. Mais à partir du moment où l’on conserve une part de nucléaire, qu’elle soit de 50 % ou de 100 % ne change rien. Il s’agit d’une question que nous aurons à traiter, quoi qu’il arrive.

Mme Laure de La Raudière. Je voudrais m’excuser vis-à-vis de vous, M. Cahart, et des collègues présents : je viens de vérifier et il apparaît en effet que depuis 2017 l’arrêté de la CRE fixe le seuil pour les appels d’offres non pas à cinq mais à six mâts. Je précise que les parcs jusqu’à six mâts correspondent à l’accès au tarif guichet, qui est à 74 euros par mégawatt, alors que les tarifs par appels d’offres sont à 60 ou 65 euros par mégawatt.

Je confirme par ailleurs que l’on voit actuellement sur le territoire de très nombreux projets se situant hors de l’appel d’offres, c’est-à-dire à cinq ou six mâts, quitte à ce que le même promoteur conduise simultanément plusieurs projets de ce type sur un département.

Laudition sachève à dix heures trente.

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26.   Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Pérot, président, de France énergie éolienne (FEE), et de M. Charles Lhermitte, vice-président, accompagnés de M. Laurent Cayrel, directeur des relations institutionnelles, et de Mme Pauline Le Bertre, déléguée générale (16 mai 2019)

Laudition débute à dix heures trente-cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous recevons à présent des représentants de France énergie éolienne (FEE) : M. Olivier Pérot, président, M. Charles Lhermitte, vice-président, Mme Pauline Le Bertre, déléguée, et M. Laurent Cayrel, directeur des relations institutionnelles. Nous sommes très heureux de vous accueillir, d’autant que votre institution m’avait interpellé sur Facebook à propos de cette commission d’enquête.

Nous vous proposons de prendre la parole pour un exposé liminaire de dix à quinze minutes, à la suite duquel les membres de cette commission pourront vous poser des questions.

Je vous rappelle que la troisième partie de cette matinée sera consacrée à une audition conjointe avec des membres d’un collectif qui critique l’éolien, afin que nous puissions y voir plus clair dans les divers arguments avancés de part et d’autre.

Avant de vous céder la parole, je vais vous demander, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. J’invite les personnes qui vont prendre la parole lors de cette audition à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Pérot et Lhermitte prêtent serment.)

Monsieur Pérot, vous avez la parole.

M. Olivier Pérot. Merci, monsieur le président, de nous avoir invités. Je vais vous présenter un bref exposé liminaire, qui sera complété par Charles Lhermitte. Nous serons bien évidemment très heureux de répondre ensuite à vos questions.

France énergie éolienne est l’association des professionnels de l’éolien en France. Nous comptons à ce jour 320 entreprises adhérentes, actives dans l’ensemble des segments de la chaîne de valeur : il s’agit aussi bien d’exploitants producteurs, que des développeurs, des constructeurs d’éoliennes, des fabricants de composants, des sociétés intervenant dans la construction, le génie civil, le génie électrique, des bureaux d’études, des institutions financières, etc. Ces entreprises sont par ailleurs de tailles très différentes : certaines, comme Engie ou Société générale, sont très grandes et très connues, tandis que d’autres ne comptent que quelques salariés.

Aujourd’hui, la production d’électricité éolienne représente environ 6 % de la consommation électrique française. Il s’agit de la deuxième source d’énergie renouvelable en France, après l’hydroélectricité. Environ 1 500 parcs éoliens terrestres sont en service sur l’ensemble du territoire, ce qui représente quelque 8 000 éoliennes.

Le prix moyen de l’électricité tel que résultant des deux derniers appels d’offres est de l’ordre de 66 euros du mégawattheure (MWh) pour les contrats sur vingt ans. Je précise qu’il inclut l’ensemble des coûts de raccordement.

En termes d’emplois et de retombées économiques, l’éolien représente 18 000 emplois actifs, directs et indirects en France, répartis dans 1 070 entreprises. De très nombreuses entreprises interviennent donc dans ce secteur. Le taux de croissance des emplois est de l’ordre de 8 % par an au cours des dernières années : environ 4 emplois sont ainsi créés par jour dans le secteur.

Concernant la question de l’acceptabilité sociale, dont nous savons qu’elle est l’une de vos préoccupations, les études montrent qu’environ 80 % des riverains ont une bonne image de l’éolien.

On estime enfin à 168 millions d’euros par an les retombées fiscales sur l’ensemble des collectivités locales.

Concernant l’éolien offshore, la situation est sensiblement différente et plus contrastée. Il existe en France un potentiel énorme, qui dispose du deuxième gisement de vent et de la deuxième façade maritime en Europe. Des investissements importants ont déjà été effectués dans ce domaine par les territoires qui ont de grandes attentes à ce sujet. Une filière industrielle est en construction. Comme vous le savez probablement, six parcs « posés » ont été attribués en 2012 et 2014 et quatre fermes éoliennes pilotes flottantes en 2016. De nombreuses études ont été menées et nous attendons rapidement les premières constructions. Il existe une forte attente vis-à-vis de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), jugée insuffisante dans ce domaine par les professionnels mais aussi par de nombreuses collectivités.

L’éolien est une énergie propre, sûre, de plus en plus compétitive, avec un coût complet et transparent, qui couvre l’ensemble du cycle de vie. Cette énergie est de surcroît créatrice d’emplois, fiable pour le réseau électrique, qui contribue à la sécurité d’approvisionnement et présente des caractéristiques d’acceptabilité bien meilleures de notre point de vue que l’image qui peut parfois en être donnée par divers intervenants. Au niveau économique, la filière est mature et compétitive.

En matière réglementaire, je souhaiterais insister essentiellement sur trois éléments économiques. Il faut tout d’abord souligner qu’il existe un système de prix garantis à long terme : cette industrie étant fortement capitalistique, il est très important d’avoir une visibilité sur la durée. Cela permet d’obtenir des financements bancaires et est l’un des facteurs permettant de réduire le prix.

Le niveau de prix à proprement parler est défini par mise en concurrence des projets, par le dispositif des appels d’offres. On est aujourd’hui à 66 euros le MWh sur 20 ans. Il s’agit d’un coût complet, qui comprend notamment l’ensemble des coûts de raccordement, encore appelé « quote-part de raccordement », évoquée lors d’une précédente audition par François Brottes. En comparaison, des technologies comme celles de la centrale de Hinkley Point, par exemple, sont deux fois plus onéreuses sur 35 ans.

Comment se fait cette rémunération ? Le producteur vend son électricité sur le marché quotidien, le marché spot, et perçoit un complément de rémunération correspondant à la différence entre le prix auquel il a remporté l’appel d’offres et le prix de marché.

Le financement s’effectue par le mécanisme de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). L’éolien représente aujourd’hui 17 % du total de la CSPE. Le chiffre global est quasiment stable dans les prévisions de la PPE, avec pourtant un volume en augmentation significative, ce qui témoigne de la compétitivité de plus en plus importante de l’éolien.

Un autre aspect économique concerne la création d’emplois. Je souhaiterais insister particulièrement sur ce point. L’éolien est une industrie aujourd’hui très européenne et doit le rester. Il faut savoir qu’une éolienne est constituée de très nombreux composants mécaniques, électriques, électrotechniques, de câbles, etc. La valeur de l’éolienne est donc vraiment le fait de ces composants ; la partie relative à l’assemblage ne représente qu’un faible pourcentage de la valeur ajoutée. Bien que ce soit peu connu, il existe en France de nombreux industriels qui sont positionnés dans la chaîne de valeur de l’éolien et vendent aux constructeurs, en France et au-delà. Je souhaiterais citer par exemple les sociétés Mersen, à Amiens, qui produit des composants de génératrices, Schneider, à Mâcon, qui fabrique de nombreux composants électromécaniques et électrotechniques, dont des cellules, Chomarat, basé en Ardèche, qui produit des textiles industriels pour les pales, Rollix Defontaine, en Vendée, qui fait des roulements, Stromag, à Nevers, qui fait des freins, la société LM qui construit à Cherbourg une usine de pales, etc. La France compte aussi des ensembliers présents industriellement sur le territoire : citons Poma, GE ou Siemens Gamesa, qui construit une usine au Havre. Il existe aussi, dans le domaine de l’offshore, des sociétés très actives, comme STX, qui a beaucoup de succès et fait des sous-stations électriques, Louis Dreyfus Armateurs, Bourbon ou Naval Energies, qui se positionnent sur un marché européen, voire mondial. Ce secteur englobe aussi des activités de travaux de construction et mobilise ainsi des sociétés de génie civil. La maintenance est également un point important : environ 5 000 personnes, réparties entre 80 bases sur l’ensemble du territoire, travaillent aujourd’hui dans ce domaine et contribuent fortement au maintien de l’activité locale et au rajeunissement de la population en milieu rural. Toutes ces entreprises représentent, comme je vous l’indiquais précédemment, quelque 18 000 emplois, recensés dans le cadre d’études que nous publions chaque année dans notre observatoire du secteur.

L’éolien génère également une activité de formation considérable. De nombreux centres se sont créés.

Ainsi, l’éolien est en forte croissance et se diversifie. La dynamique à l’œuvre, relativement peu médiatisée, n’est pas nécessairement très spectaculaire ; mais je vous invite à visiter des usines ou des centres de maintenance d’éoliennes pour vous rendre compte concrètement de la réalité technique, industrielle et humaine de cette activité.

Je souhaiterais m’intéresser à présent à la question de la sécurité d’approvisionnement et de la fiabilité. L’éolien représente aujourd’hui 6 % de la consommation électrique française et 12 % à l’échelle européenne. Le scénario correspondant à la PPE conduirait à terme à ce que ce chiffre atteigne 20 %. Les scénarios RTE à 2035 vont jusqu’à 35 % ou 36 % d’éolien dans le mix électrique français. Nous pourrons développer si vous le souhaitez et expliquer en quoi cela contribue à la sécurité d’approvisionnement. Permettez-moi de citer le Réseau de transport d’électricité (RTE), expert du domaine puisqu’il lui appartient d’équilibrer le réseau entre consommation et production, qui indique dans son rapport la chose suivante : « Développer un système reposant à 70 % sur des EnR ne conduit en aucun cas à ‘doubler’ la capacité renouvelable par des moyens thermiques. Les argumentaires alarmistes consistant à considérer nécessaire le développement de moyens de secours systématiques font fi d’une part de l’interconnexion de la France avec ses voisins, qui permet de mutualiser les flexibilités, d’autre part d’une analyse de la contribution statistique de l’éolien et du photovoltaïque à la sécurité d’approvisionnement ». Il me semble important de faire confiance aux vrais experts du sujet.

En matière d’acceptabilité de l’éolien, je souhaiterais souligner que la réalité de terrain est beaucoup plus nuancée et positive que l’image qui en est donnée par certains.

M. le président Julien Aubert. Il m’appartient de vous prévenir que cette audition porte essentiellement sur les aspects économiques de l’éolien. Nous organiserons sans doute ultérieurement d’autres auditions consacrées à l’acceptabilité sociale des EnR.

M. Olivier Pérot. Puis-je néanmoins citer quelques chiffres ?

M. le président Julien Aubert. Si vous le souhaitez.

M. Olivier Pérot. Nous ne prétendons pas que cela épuise la question, mais le dernier sondage effectué à notre demande par Harris Interactive sur le sujet montre que 73 % des Français ont une bonne ou très bonne image de l’éolien. Il est par ailleurs très intéressant d’observer la dynamique que crée l’implantation : lorsque l’on considère un échantillon de riverains d’éoliennes, le 73 % devient 80 %. Quand on interroge plus en détail ces riverains, il apparaît que 9 % d’entre eux déclarent avoir eu un avis négatif au moment de l’annonce de l’implantation d’un parc éolien et que 50 % d’entre eux ont finalement changé d’avis par la suite. Autrement dit, le fait de connaître, de comprendre et de côtoyer l’éolien contribue à améliorer l’image que l’on peut en avoir. Confrontées à la réalité, les appréhensions à l’égard des éoliennes se dissipent. Cela contribue à dégonfler un certain nombre de fantasmes, de peurs, voire d’intimidations agités par un certain nombre d’associations qui en font leur fonds de commerce. Ce phénomène est d’ailleurs confirmé par l’Académie de médecine dans son rapport, dans lequel est indiquée la chose suivante : « La diffusion, via notamment les médias, les réseaux sociaux, voire certains lobbies, d’informations non scientifiques accréditant des rumeurs pathogéniques non fondées sont des facteurs qui contribuent fortement à susciter des sentiments de contrariété, d’insatisfaction, voire de révolte. »

M. le président Julien Aubert. L’extrait que vous venez de citer concerne-t-il spécifiquement l’éolien ?

M. Olivier Pérot. Absolument. Je vais laisser Charles Lhermitte développer ces aspects de réalité de terrain et apporter des compléments pratiques sur ce sujet.

M. Charles Lhermitte. Mon exposé va concerner dans un premier temps la réalité économique du développement des projets, en rappelant tout d’abord certains jalons et étapes.

Aujourd’hui, le développement d’un parc éolien prend entre cinq et quinze ans dans les cas extrêmes et se décompose, dans la durée, en différentes phases. La première est une étape de prospection, d’identification et de qualification des sites, qui permettra par la suite la concrétisation des premiers contacts avec les élus et les propriétaires des terrains sur lesquels est pressentie l’installation d’éoliennes. Ce premier temps dure un an, un an et demi, voire deux ans.

La deuxième étape, beaucoup plus longue, est constituée d’une douzaine d’études techniques et environnementales indépendantes. Conduites sur le site, ces études permettent de joindre à la demande d’autorisation environnementale unique les études d’impact aujourd’hui analysées par les services de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Le dossier pourra ensuite être déposé, instruit et s’accompagnera en fin de période d’instruction d’une enquête publique dans laquelle les riverains du potentiel parc éolien auront la possibilité de s’exprimer auprès du commissaire enquêteur.

Il convient de noter que pendant toute cette période d’étude et de développement, est mené également auprès des riverains un processus de concertation, sous forme soit de permanence, soit de constitution de comité local de suivi. Ces dispositifs permettent d’adapter l’implantation des éoliennes en tenant compte des préoccupations locales qui n’auraient pas été appréhendées ou qui doivent être appréhendées dans le cadre des études d’impact.

Comme vous le savez, un certain nombre de projets font aujourd’hui face à des recours : recours de tiers sur autorisation ou recours administratifs portés par certains de nos adhérents face à des refus d’autorisation délivrés par les préfets. Ces contentieux font que la durée de développement de ces projets se rallonge de trois, cinq, voire sept ans. Vous n’êtes pas sans savoir par ailleurs que, dans le cadre des préconisations du groupe de travail constitué par M. Lecornu, un niveau de juridiction a été supprimé pour essayer de simplifier et raccourcir ces périodes de contentieux.

Une fois sorti des contentieux, on aboutit, si le projet est autorisé et purgé, à une période de construction qui dure 10 à 12 mois environ, puis une phase d’exploitation, qui durait précédemment un minimum de 15 ans et aujourd’hui 20 ans au moins. Rien ne nous interdit toutefois de poursuivre l’exploitation d’un parc éolien au-delà de la durée du contrat d’achat signé.

Je souhaiterais revenir brièvement sur la notion d’acceptabilité. Olivier Pérot a cité dans son exposé les résultats de l’étude Harris. Il est vrai que nous disposons aujourd’hui d’un recul sur les parcs éoliens installés dès 2001, 2002 et 2004. Nous sommes même actuellement dans une période de renouvellement, de repowering de certaines installations. Ce temps de recul est nécessaire et suffisant pour appréhender l’acceptation de ces parcs éoliens. On note aujourd’hui que les collectivités qui accueillent des parcs éoliens depuis plus d’une dizaine d’années sont fortement volontaires pour que soient mis en place des repowerings, lesquels permettent d’ailleurs dans la plupart des cas d’améliorer les impacts produits par la première génération d’éoliennes construites en 2001 ou 2002.

En termes de relation avec les élus, il faut savoir que 10 % du chiffre d’affaires du parc éolien aujourd’hui constituent des retombées locales directes. Ces 10 % correspondent pour trois quarts à de la fiscalité, via l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et autres taxes foncières. Un quart environ revient sous forme de revenus locatifs, puisqu’il s’agit dans la quasi-totalité des cas de baux emphytéotiques, pour des occupations temporaires : des loyers sont versés aux propriétaires des terrains et, lorsqu’il s’agit du monde agricole, aux propriétaires et aux exploitants.

La construction du parc éolien génère également de l’activité économique en phase d’exploitation et de construction. La priorité est donnée aux entreprises locales pour tous les lots de voirie et réseaux divers (VRD), génie civil, câblier, fibre optique, fourniture de postes, construction de mâts. La plupart du temps, les éoliennes qui nous sont fournies par les turbiniers nous laissent la possibilité d’acquérir des mâts fabriqués en France, en acier ou en béton. La majorité des entreprises qui aujourd’hui construisent et exploitent des parcs éoliens disposent ainsi d’un réseau d’entreprises locales leur permettant de mener à bien les projets. 18 000 emplois sont concernés en France.

En termes de retombées économiques et fiscales, le chiffre de 168 millions d’euros a été évoqué précédemment. Nous vous fournirons dans une note un exemple concret, sur un parc éolien type, d’une machine, qui génère 12,8 millions d’euros de fiscalité au cours de son contrat d’achat. Il s’agit actuellement de l’un des principaux critères en discussion avec les élus. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que lors de la suppression de la taxe professionnelle, bon nombre de communes se sont retrouvées extrêmement frustrées de devoir accueillir des installations de production d’EnR sans en obtenir de retombées fiscales directes. Depuis le 1er janvier 2019, la situation a été rétablie, puisque pour les parcs éoliens entrant en service à partir de cette date, les collectivités d’accueil percevront à nouveau directement 20 % de l’IFER, qui auparavant était dédiée au bloc communal, donc transitait par la communauté de communes. Il faut savoir par ailleurs que l’IFER représente environ 70 % de la fiscalité dans son ensemble.

Concernant les relations avec les élus et l’acceptabilité des parcs, FEE s’est aujourd’hui engagée à diffuser auprès de ses adhérents un guide des bonnes pratiques. France énergie éolienne regroupe des développeurs de parcs éoliens qui ne conservent pas forcément les actifs, des turbiniers, des exploitants de parcs éoliens. Ce guide a été diffusé auprès de l’ensemble des adhérents, que nous incitons à développer plus en amont les phases de concertation, afin que riverains et collectivités participent au processus de définition des implantations des parcs éoliens. C’est extrêmement important. Aujourd’hui, les démarches d’opposition aux parcs éoliens sont d’une certaine manière héritées des pratiques du passé.

En matière environnementale, il me semble important d’évoquer la réversibilité de l’éolien, en battant en brèche quelques idées reçues, notamment sur le démontage d’un parc et la question du repowering. J’ai pu visionner certaines des auditions que vous avez réalisées ces derniers jours et ai été très surpris que soit évoqué le cas d’un devis de démantèlement, qui a été subtilisé à mon entreprise de manière frauduleuse puis mis en ligne par le site de la préfecture. Or le devis de démantèlement émis par la société Cardem concerne un sinistre d’une éolienne endommagée par le feu, qui ne pouvait de ce fait être démantelée par les moyens conventionnels et qu’il a fallu cisailler avec des explosifs entre une ligne à haute tension et une conduite de gaz. Le préfet des Ardennes, avec lequel j’ai étroitement travaillé à l’époque, nous avait demandé de recourir à des méthodes extrêmement conservatrices, qui ont fait que le devis était environ sept à huit fois supérieur à celui d’un démantèlement classique. Je tenais à le préciser et suis à votre disposition pour vous présenter le devis dans ses moindres détails.

M. le président Julien Aubert. Pourriez-vous rappeler le chiffre global de ce devis ?

M. Charles Lhermitte. Il était d’environ 600 000 euros.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quel est le prix moyen observé pour démanteler une éolienne ?

M. Charles Lhermitte. Il dépend de la réutilisation potentielle de certains composants, qui peuvent être revendus. On peut estimer que le démantèlement d’une éolienne coûte entre 30 000 et 120 000 euros, selon la taille de l’éolienne et la recommercialisation éventuelle de certains composants. Une éolienne, lorsqu’elle est démontée, peut générer deux types de revenus a posteriori. Le premier est généré par le recyclage de la matière : on peut recycler l’acier, mais aussi le béton de la fondation, que l’on va pouvoir valoriser. Pour ce qui est de l’acier, le revenu obtenu dépend très fortement des cours mondiaux de l’acier, si bien que le montant est très fluctuant d’une opération de démantèlement à une autre. Pour le béton, nous savons aujourd’hui combien nous pouvons valoriser les granulats de concassage. En revanche, un énorme facteur de fluctuation tient au critère suivant : si l’éolienne est très présente sur le marché et qu’il existe des besoins de gros composants tels que pales, génératrice ou démultiplicateur, alors on va pouvoir valoriser ces composants entre 30 000 et 70 000 euros environ pour peu que l’on trouve un client quelque part en Europe ou ailleurs dans le monde. Ainsi, le démantèlement de certaines éoliennes ne génère que de la rentrée de revalorisation des matières, alors que d’autres vont pouvoir bénéficier d’un prix de revente de gros composants.

À titre personnel, je travaille pour la filière EnR du groupe Total et ai écouté votre audition de M. Sauquet. Quadran, dont je suis directeur général adjoint et directeur du développement est l’une des rares sociétés disposant d’une longue expérience du démantèlement, outre-mer et en métropole. Nous gérons actuellement sept opérations de démantèlement et en avons effectué quatre l’année dernière, en Bretagne, dans l’Aude, dans la Marne, en Guadeloupe et prochainement à l’île de La Réunion. Nous maîtrisons plutôt bien ces interventions, qui sont globalement assez simples. Généralement, le démantèlement s’effectue en parallèle de l’opération de reconstruction de nouvelles éoliennes, lorsque nous avons la possibilité d’effectuer du repowering. Il faut savoir que les adhérents de FEE n’ont pas d’obligation légale de démonter l’intégralité de la fondation. Certaines sociétés le font néanmoins. Il est en effet très simple et pas beaucoup plus coûteux de démonter un massif dans son intégralité que de respecter les 80 ou 100 centimètres d’arasement prévus dans la loi.

Je souhaitais à présent évoquer l’aspect du paysage, qui est aujourd’hui extrêmement important dans le développement des projets. Nous sommes confrontés à différentes problématiques de territoires, telles que le classement de biens par l’Unesco, qui s’est multiplié ces dernières années sur différentes appellations de vignobles et divers sites et lieux de mémoire, la protection des édifices et des paysages. Nous nous trouvons ainsi, dans les régions Hauts-de-France et Grand-Est, qui accueillent le plus d’éoliennes en France, dans une situation de cohabitation de l’éolien avec le patrimoine, du fait précisément de la densification des parcs.

J’aimerais revenir pour terminer sur la répartition territoriale des projets. Aujourd’hui, l’analyse économique adoptée par les porteurs de projets se base exclusivement sur le prix, dans la mesure où nous sommes en concurrence dans le cadre des appels d’offres. L’objectif est de vendre le kilowattheure le moins cher possible et le prix est le seul facteur qui va permettre de départager un parc éolien, qu’il soit situé en Nouvelle-Aquitaine, en Bourgogne-Franche-Comté ou en Hauts-de-France. Or la question de la répartition territoriale est très importante. Aujourd’hui, les capacités éoliennes installées dans les régions envisagées dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) ne correspondent pas exactement à la réalité de la répartition géographique des parcs éoliens lauréats des appels d’offres. Sans doute y a-t-il une réflexion à avoir sur ce sujet, de manière à pouvoir proposer une répartition peut-être plus harmonieuse au niveau du territoire national.

Je vous remercie.

M. le président Julien Aubert. Nous allons à présent entamer le cycle des questions. Les premières questions que je souhaite vous poser sont essentiellement factuelles et n’appellent pas de longs développements. Connaissez-vous tout d’abord la superficie du territoire métropolitain qui, pour des raisons réglementaires liées par exemple à la présence de stations militaires ou d’équipements divers, ne peut pas accueillir d’éoliennes ?

M. Charles Lhermitte. Il me semble que la réponse précise est 47 %. Dans tous les cas, on peut dire que près de la moitié du territoire métropolitain est soumis à des servitudes aéronautiques, radars, contraintes paysagères ou environnementales qui interdisent totalement l’implantation d’éoliennes.

M. le président Julien Aubert. Un arrêté relatif à la prise en charge des coûts de raccordement au réseau public d’électricité a été pris le 30 novembre 2017 : qu’a-t-il changé pour votre industrie ?

M. Charles Lhermitte. La prise en charge des coûts de raccordement est aujourd’hui intégralement assumée par la filière, via les quotes-parts des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR). Nous sommes dans les deuxième et troisième cycles de révision de ces schémas, qui aujourd’hui nous font assumer la totalité des coûts au sein des postes de transformation et des raccordements électriques entre nos postes de livraison et les postes d’entrée sur le réseau RTE ou Enedis.

Mme Laure de La Raudière. Existe-t-il une différence entre les éoliennes implantées avec appel d’offres et celles soumises au tarif du guichet ?

M. Charles Lhermitte. Absolument pas. Qu’il s’agisse d’une demande complète de contrat de complément de rémunération (DCCR) 2017, c’est-à-dire du guichet ouvert classique à 72 euros, ou en mécanisme d’appel d’offres, lorsque nous faisons nos demandes de raccordement auprès des gestionnaires de réseau, les règles sont exactement les mêmes.

M. Olivier Pérot. Les principes pour le raccordement s’appliquent à tous les parcs de la même manière, indépendamment de leur régime économique.

M. le président Julien Aubert. Vous avez indiqué qu’il existait 1 500 parcs. Combien d’entre eux comportent moins de six éoliennes ?

M. Charles Lhermitte. Une grande majorité de ces parcs comptent moins de six éoliennes, pour des raisons historiques. Les anciennes règles d’implantation faisaient en effet qu’il était nécessaire d’avoir des parcs de moins de six éoliennes, distantes chacune de plus de 1 500 mètres. Une grande partie du parc existant est ainsi issue de l’historique.

M. le président Julien Aubert. Quelle était la logique de cette règle et pourquoi a-t-elle changé ?

M. Charles Lhermitte. À l’époque, l’idée était d’avoir des installations de taille modérée. Le tarif était ainsi garanti pour des installations de six éoliennes maximum.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. La distance de plus de 1 500 mètres requise entre chaque éolienne était probablement un critère d’acceptabilité des populations.

M. Charles Lhermitte. Je ne saurais vous le confirmer.

M. Olivier Pérot. Aujourd’hui, les parcs en service sont en quasi-totalité régis par des mécanismes économiques antérieurs à 2016. Le régime économique actuel, mis en place en 2017, ne concerne que les parcs installés depuis lors, c’est-à-dire une faible proportion des 1 500 parcs existants.

M. le président Julien Aubert. Si la règle consistait à implanter des parcs de six éoliennes, distantes de 1 500 mètres, aucune éolienne construite avant 2016 ne devrait déroger à cette règle.

M. Charles Lhermitte. En fait, la réalité technique de l’installation éolienne est que cinq à six éoliennes sont raccordées sur un même câble ; on peut difficilement en mettre davantage. Dans les faits, lorsque nous développions par le passé des parcs de 12, 16 ou 18 machines, cela correspondait à trois entités juridiques, que nous étions dans l’obligation de séparer l’une de l’autre de 1 500 mètres pour pouvoir prétendre au contrat d’achat. Aujourd’hui, deux mécanismes fonctionnent en parallèle : un de guichet ouvert qui permet de bénéficier d’un tarif garanti d’environ 70 euros plus les primes de gestion pour les parcs de moins de six éoliennes et, dès que l’ensemble éolien dépasse six éoliennes ou que l’une des éoliennes dépasse 3 mégawatts (MW), un mécanisme d’appel d’offres. Au moment où je vous parle, la plupart des projets basculent automatiquement dans le mécanisme d’appel d’offres, soit parce que les éoliennes font plus de 3 MW, soit parce que le parc compte plus de six machines.

M. le président Julien Aubert. Pourriez-vous nous donner un pourcentage ?

M. Olivier Pérot. Il faudrait demander cette information aux administrations. Nous pourrions effectuer des sondages auprès de nos adhérents pour avoir une idée, mais nous ne disposons pas de chiffres précis.

M. le président Julien Aubert. Si le gouvernement décidait de renégocier et de considérer les trois entités de six éoliennes comme un parc de dix-huit, financé par conséquent selon un mécanisme similaire à celui des appels d’offres, ce qui correspondrait à une baisse du subventionnement, cette perspective vous semblerait-elle impossible ou compliquée à gérer pour vous au plan économique ? Quels seraient les arguments en faveur ou en défaveur d’une telle position de l’État ?

M. Charles Lhermitte. Cela me paraît très fictif. Il s’agit vraiment d’une situation du passé, car aujourd’hui des contrats sont signés. Pour ce qui est de l’éolien offshore, les conditions sont un peu différentes, puisque les parcs n’ont pas été entièrement définis ni financés. Les autres parcs ont été financés, construits et sont en exploitation sur la base des contrats conclus avec l’État.

M. le président Julien Aubert. En combien d’années amortit-on le coût de l’investissement de départ nécessaire pour construire un parc de dix éoliennes par exemple ?

M. Charles Lhermitte. Il existe plusieurs cas de figure. Certains parcs ont des contrats de 15 ans, d’autres de 20 ans. On se situe aujourd’hui sur des durées d’amortissement égales à celle de la durée du contrat d’achat.

M. le président Julien Aubert. Savez-vous, comptablement, financièrement, à partir de quand l’opération devient rentable ?

M. Charles Lhermitte. Cela est très dépendant des installations. N’oublions pas que chaque parc éolien est unique : il existe des parcs de trois machines avec 11 kilomètres de raccordement, d’autres de six machines avec 4 kilomètres de raccordement, certains à 2 200 heures en pleine puissance en gisement éolien, d’autres à 3 000 heures. Les réalités sont très diverses.

Concernant le volet des tarifs garantis et de la fin des guichets ouverts, n’oublions pas que malgré les évolutions technologiques, l’augmentation de la taille des rotors et de la performance des éoliennes, il existe d’énormément d’endroits en France où l’on est capé en termes de hauteur, ce qui oblige à installer des machines de taille relativement modeste. Les rentabilités sont donc très différentes d’un parc éolien à un autre et pour ce qui est des mécanismes d’appels d’offres, tout le monde est nivelé pour produire un tarif de rachat le plus faible possible.

M. le président Julien Aubert. Quel est l’éloignement en kilomètres des six premiers parcs offshore et du parc de Dunkerque par rapport aux côtes ?

M. Charles Lhermitte. La distance est de 17 kilomètres.

M. le président Julien Aubert. Verriez-vous un inconvénient à ce que l’on fixe cette distance à 50 kilomètres ? Serait-ce possible techniquement ?

M. Charles Lhermitte. L’un des nerfs de la guerre est le coût du raccordement électrique. En mer, ce coût explose au fur et à mesure que l’on s’éloigne des côtes. Une distance de 50 kilomètres me semble totalement déraisonnable ; en tout cas cela ferait augmenter de façon considérable le coût du kilowattheure.

M. le président Julien Aubert. À quelle distance se situe l’éolien offshore flottant ?

M. Charles Lhermitte. Les sites de Méditerranée sont également à une quinzaine de kilomètres. En Méditerranée, il y a des bas-fonds jusqu’à 4 ou 5 kilomètres des côtes ; ensuite la profondeur est de 300 ou 400 mètres. L’idée est donc de maintenir la distance de 15 ou 20 kilomètres des côtes, car il n’est pas possible de faire des parcs posés à 5 kilomètres des côtes.

M. le président Julien Aubert. Quel est le pourcentage des composants éoliens fabriqués en France, en valeur ?

M. Olivier Pérot. Ce chiffre est variable selon les types de machines, qui n’ont pas tous les mêmes composants. Aujourd’hui, les industriels français qui fabriquent ces composants sont mis en compétition sur les différents lots de fabrication. Globalement, on peut considérer que ce chiffre est voisin de 50 %, notamment lorsque le mât est fabriqué en France.

M. le président Julien Aubert. Le mât est le composant qui coûte le plus cher ?

M. Olivier Pérot. Oui. Là encore, le coût dépend de la taille et de la technologie employée.

M. Charles Lhermitte. Cela coûte plusieurs centaines de milliers d’euros. La direction générale des entreprises du ministère de l’économie et des finances estime que 65 % de la valeur ajoutée de l’éolienne, sur l’ensemble du cycle de vie, c’est-à-dire incluant la construction et les phases d’exploitation, est française.

M. le président Julien Aubert. Vous avez indiqué que le coût de démantèlement d’une éolienne était de 30 000 à 120 000 euros. Il me semble que le provisionnement actuel est de 50 000 euros.

M. Charles Lhermitte. La garantie de démantèlement est effectivement de 50 000 euros et s’effectue sous la forme d’une consignation ou de la mise en place d’une assurance.

M. le président Julien Aubert. Imaginons que je sois un acteur du domaine et que j’aie dix éoliennes à démanteler, pour un coût unitaire de 100 000 euros, sachant que j’ai provisionné 50 000 euros pour chacune d’entre elles. Comment le différentiel est-il financé ?

M. Charles Lhermitte. La société qui va devoir assurer le démantèlement disposera d’un certain niveau de trésorerie sur ses comptes ; elle fera donc l’appoint direct en trésorerie, associé à la garantie de démantèlement provisionnée, afin d’atteindre la somme de 100 000 euros.

M. le président Julien Aubert. Le provisionnement du surcoût s’effectue donc en fin de cycle ?

M. Charles Lhermitte. Actuellement, les éoliennes que nous sommes en train de démanteler arrivent en fin de contrat d’achat ancienne version, de 15 ans, l’idée étant de les remplacer par des machines plus récentes, moins bruyantes et permettant de produire des kilowattheures nettement moins chers. Nous n’attendons pas nécessairement que l’éolienne soit obsolète pour la démonter ; nous la démantelons dès la fin du contrat d’achat. La plupart de mes concurrents ou collègues procèdent de la même manière. Lorsque l’on démonte un parc éolien, on fait effectuer des cotations par des tiers sur la revalorisation matières et l’éventuelle revente de composants. La prise en compte de tous ces éléments nous permet de savoir si la garantie provisionnée est supérieure ou inférieure à la somme nécessaire pour financer le démantèlement. Si elle est inférieure, nous utilisons la trésorerie de la société pour faire l’appoint, qui se chiffre à quelques dizaines de milliers d’euros par machine.

M. le président Julien Aubert. Dans le domaine du nucléaire, on oblige à provisionner dès le départ, avec un coût actualisé. Comment la somme de 50 000 euros a-t-elle été définie ? Correspond-elle au prix moyen ?

M. Charles Lhermitte. L’exemple du nucléaire ne me paraît pas tout à fait adapté, dans la mesure où il met en jeu des taux d’actualisation qui n’existent pas sur le marché économique et sont totalement fictifs. En fait, très peu d’argent est provisionné et l’on suppute que cela représentera, en 2100, une somme d’argent phénoménale. Nous ne sommes pas tout à fait dans le même cadre.

M. Olivier Pérot. S’il était demandé aux autres énergies, dont celle que vous citez, de constituer de vraies garanties, comme celle que les acteurs de l’éolien doivent consigner, avez-vous une idée de ce que cela représenterait pour EDF ? Aujourd’hui, l’estimation est de 500 millions d’euros par réacteur, soit 28 milliards d’euros au total.

M. le président Julien Aubert. Le risque n’est pas le même. Dans le cas de l’éolien, nous sommes en présence d’entreprises privées : si à la fin du cycle celles-ci font défaut, qui va payer ? Dans le cas du nucléaire, il s’agit d’une entreprise capitalisée à 90 % par l’État.

M. Charles Lhermitte. Lorsque la garantie de démantèlement a été mise en place, on installait des éoliennes de 1,5 à 2 MW et 120 mètres de hauteur. Aujourd’hui, elles font plutôt 3,5 ou 3,6 MW et parfois 180 mètres de haut. Plutôt qu’une garantie de démantèlement forfaitaire de 50 000 euros qui recouvre des réalités très différentes, nous avons fait la proposition d’une garantie de 25 000 euros par MW, ce qui permettrait d’avoir un provisionnement adapté à la réalité de chaque projet. Il faut toutefois être conscient que quelle que soit la règle mise en place, elle ne recouvrira pas toutes les situations.

M. le président Julien Aubert. Vous avez souligné que vous pouviez recycler l’acier et le béton. Or il nous avait été indiqué dans le domaine du nucléaire que le recyclage du béton ou de l’acier ne permettait pas de gain économique par rapport à l’enfouissement de ces déchets. Des experts nous avaient expliqué que s’il était évidemment bien de recycler d’un point de vue environnemental, cela ne se justifiait pas économiquement : il semblerait ainsi que le recyclage ne fasse pas nécessairement gagner d’argent. Or vous semblez dire que pour les éoliennes, cela peut permettre d’abaisser la facture du démantèlement.

M. Charles Lhermitte. Cela correspond à une réalité, que nous constatons dans les chantiers que nous menons. Aujourd’hui, les techniques à mettre en œuvre sont simples : il suffit d’une centrale à béton, comme pour un démantèlement d’usine. On effectue un tri des ferrailles et des blocs de béton, puis on se met d’accord avec des sociétés comme Colas ou Eiffage sur la granulométrie qui leur est nécessaire. Le prix du rachat n’est évidemment pas très élevé, mais cela vient néanmoins en déduction du coût de démantèlement du massif.

M. le président Julien Aubert. Que se passe-t-il lorsque vous ne pouvez pas recycler ?

M. Charles Lhermitte. On peut toujours recycler.

M. le président Julien Aubert. Comment recyclez-vous les pales en polymères ?

M. Charles Lhermitte. Aujourd’hui, les pales font l’objet d’une valorisation énergétique : elles sont brûlées en cimenterie. Le fameux devis évoqué précédemment a été utilisé pour souligner que les pales n’avaient pas été recyclées : en l’occurrence, la démarche adoptée l’a été sur injonction du préfet et nous avons dû trouver à la hâte un site de stockage de matériaux. Les pales ont été concassées et stockées comme déchets inertes. Mais dans l’immense majorité des cas, il est procédé à de la valorisation énergétique en cimenterie.

M. le président Julien Aubert. On entend souvent évoquer la complémentarité entre le nucléaire et les EnR. Je me suis aperçu en écoutant votre argumentaire que vous mettiez souvent les deux modèles en opposition, en comparant notamment les coûts. Envisagez-vous par conséquent le développement de votre énergie en complémentarité avec le nucléaire ou plutôt en substitution, au motif que le modèle économique du nucléaire serait mauvais ?

M. Olivier Pérot. Nous sommes experts de l’éolien, pas du nucléaire.

M. le président Julien Aubert. Vous avez pourtant un avis concernant le coût du démantèlement.

M. Olivier Pérot. Je ne fais que reprendre les coûts communiqués par EDF. Nous nous inscrivons en France dans le cadre de la loi de transition énergétique, qui a fixé un cadre et décidé d’une part de réduire les moyens de production électrique thermiques, d’autre part de baisser à terme la part du nucléaire dans la production électrique française. Il s’agit d’une décision politique, stratégique.

M. le président Julien Aubert. Je connais le cadre réglementaire et législatif et souhaiterais connaître votre opinion et votre positionnement vis-à-vis du nucléaire.

M. Olivier Pérot. Je retiens les propos entendus lors de précédentes auditions dans la bouche de Laurent Michel, Jean-François Carenco ou François Brottes sur le fait qu’il existe un certain nombre d’inconnues, voire d’impasses dans le domaine du nucléaire. Il existe dans l’éolien une réelle perspective de compétitivité et d’amélioration de cette compétitivité. Nous sommes sur une courbe de prix décroissante, alors que l’on constate de fait que d’autres énergies sont au contraire sur des courbes de prix ascendantes, si bien que les deux courbes sont en train de se croiser. Cela nous semble constituer un élément important à considérer.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Existe-t-il aujourd’hui pour les entreprises du secteur une obligation d’aller jusqu’au démantèlement et au recyclage des éoliennes ?

M. Charles Lhermitte. Nous sommes effectivement soumis à une obligation de démantèlement, excepté sur le massif, c’est-à-dire la partie en béton de l’installation, pour lequel la loi n’impose pas le démantèlement intégral, mais un arasement à une certaine profondeur lorsque l’on situe dans des terres agricoles et à une autre profondeur quand le parc éolien est implanté en forêt. Aujourd’hui, un exploitant de parc éolien en fin de vie peut tout à fait laisser une base en béton. Pour autant, beaucoup de mes confrères, tout comme la société que je codirige, pratiquent déjà par anticipation le démantèlement intégral.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez indiqué que procéder au démantèlement intégral ou partiel n’était pas très différent en termes de coût. Pensez-vous par conséquent que la loi devrait aller plus loin et demander le retrait complet du bloc de béton ?

M. Charles Lhermitte. Pour quelques dizaines de milliers d’euros supplémentaires, nous considérons que rendre une parcelle agricole dans son état initial avec aucun vestige de l’installation relève d’un respect du monde agricole et des propriétaires des terrains avec lesquels nous avons signé. Nous avons ainsi fait le choix d’aller au-delà de ce que la loi exige. Je ne fais que partager mon expérience et ne suis pas en mesure de vous dire s’il faudrait légiférer en ce sens.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il ne vous semblerait donc pas absurde d’aller plus loin et de mettre fin à la polémique sur la présence de béton dans le sol. Le risque parfois évoqué tient également au fait que si l’entreprise est défaillante, personne ne sera dans l’obligation de procéder à cette démarche. C’est d’ailleurs la raison qui a justifié la mise en place de la consignation d’une garantie de démantèlement à hauteur de 50 000 euros, afin de s’assurer que cet argent soit effectivement disponible en fin de cycle. L’un des débats tient au fait que les sommes consignées seraient insuffisantes par rapport à l’ensemble des coûts de démantèlement et que les surcoûts éventuels pourraient, dans le cas où l’entreprise serait défaillante, être à la charge des collectivités par exemple.

M. Olivier Pérot. Cela rejoint effectivement le débat actuel sur le montant provisionné, qui n’est plus nécessairement en phase avec la multiplicité des situations actuelles. Charles Lhermitte indiquait d’ailleurs à ce sujet la proposition formulée par la profession, visant à ne plus effectuer le calcul par mât, mais par MW.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Dans le secteur du bâtiment, que je connais bien, il arrive que les filières mettent en place un système de garantie collective, mutualisée, si bien que lorsqu’une entreprise est défaillante pour un élément ou un autre, le reste de la filière prend le relais. Ce système serait-il intéressant dans votre domaine d’activité ?

M. Charles Lhermitte. Je ne sais pas si c’est nécessaire. Il est sûr en revanche que des filières sont en train de s’organiser afin de spécialiser les acteurs, de mieux maîtriser ces coûts et de généraliser le démantèlement des parcs éoliens. Ce segment est en train de devenir une filière à part entière. Je pense que la mesure de progressivité que nous proposons, avec une prise en compte de la puissance de l’éolienne, qui est a priori le facteur le plus représentatif du coût de démantèlement futur, suffirait à garantir l’effectivité du démantèlement du parc en fin de vie.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez détaillé le dispositif des tarifs de rachat et expliqué que lorsque le prix devenait plus rentable que le tarif fixé au contrat, vous reversiez de l’argent. Ai-je bien compris ?

M. Charles Lhermitte. Absolument. Nous nous sommes d’ailleurs trouvés dans cette situation au mois de mars, puisque le tarif moyen sur le marché libre est passé à 70 euros, dépassant ainsi les coûts auxquels l’électricité nous est rachetée. Le mécanisme est alors le même que dans le solaire : nous devons rembourser le trop-perçu, ce qui devient une bonne affaire pour l’acheteur obligé. Il est d’ailleurs probable que cette situation se produise de plus en plus souvent.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous nous avez indiqué représenter l’ensemble des professionnels de la filière, c’est-à-dire des entreprises de tailles très diverses. L’éolien est-il un secteur très lucratif aujourd’hui ? Dégagez-vous des marges de résultat largement supérieures à la moyenne ? Le pourcentage de progression et d’enrichissement des entreprises est-il très supérieur à celui constaté dans d’autres secteurs ? Il s’agit en effet de l’un des arguments avancés par les intervenants de la table ronde précédente, qui ont souligné que la rentabilité de ce secteur d’activité était phénoménale, au point que celui-ci attirait essentiellement des financiers soucieux de réaliser des opérations très lucratives.

M. Olivier Pérot. La situation est très diverse et contrastée d’une entreprise à l’autre. Certains acteurs ont fait de mauvaises affaires, tandis que d’autres ont bien réussi. Cela correspond à la vie classique de tout secteur économique, avec des réussites et des échecs. Il me serait difficile de vous donner une vision moyenne de la situation du secteur. Cela fait appel à des données dont nous ne disposons pas au niveau de la profession.

M. Charles Lhermitte. Je suis très impliqué dans des sociétés locales et me permets de souligner que le secteur des énergies renouvelables est surtout aujourd’hui un relais de croissance pour de nombreuses sociétés avec lesquelles nous travaillons. Dans le domaine du VRD et du génie civil par exemple, certaines filiales de grosses sociétés connaissent des creux dans leurs carnets de commandes et sont très heureuses que les énergies renouvelables leur fournissent un relais de croissance à moyen terme.

Mme Laure de La Raudière. Concernant le démantèlement, il serait intéressant que vous puissiez nous faire parvenir des factures de démantèlement, au-delà de celle publiée sur le site de la préfecture de l’Aisne. Cela permettrait à la commission d’enquête de se faire une idée plus précise de la situation.

Plusieurs personnes auditionnées ont évoqué cette question du coût du démantèlement et du provisionnement nécessaire. Le PDG de Valorem a par exemple formulé une proposition de consignation différente de la vôtre, à hauteur me semble-t-il de 50 000 euros par MW, alors que vous suggérez 25 000 euros. Cet élément me paraît pouvoir être un enjeu de discussion.

Concernant la question du raccordement, je crois me souvenir que les représentants de RTE nous ont indiqué qu’il existait une charge pour leur entreprise dans le cadre du raccordement des implantations éoliennes, à hauteur de 4 milliards d’euros par an. Or vous avez indiqué que vous preniez en charge la totalité du coût. Ces deux points de vue semblent contradictoires. Pourriez-vous éclaircir ce point ?

Le troisième sujet que je souhaite aborder fait suite à l’audition du président de la CRE, auquel nous faisions remarquer que les mâts de l’éolien terrestre avaient pris de la hauteur et que le contexte d’acceptabilité sociale avait évolué. Votre sondage concerne les éoliennes de 120 mètres de haut des parcs existants, localisés dans les endroits où il était sans doute plus facile pour vous, en termes d’acceptabilité sociale, de les implanter. Par exemple, dans mon département, l’Eure-et-Loir, les premières éoliennes ont été installées en pleine Beauce, où la densité de population est extrêmement faible et où il n’existe pas de hameaux, les habitations étant regroupées autour des bourgs. Dans d’autres territoires, où l’habitat est plus diffus, on commence seulement à voir arriver des projets éoliens. Je pense que l’acceptabilité peut dépendre des zones où sont installées les éoliennes. Les premières implantations posaient de ce point de vue sans doute moins de problèmes que les projets plus récents. M. Carenco a très largement évoqué l’éolien offshore et peu l’éolien terrestre, au sujet duquel il a toutefois souligné qu’il convenait de se concentrer essentiellement sur le repowering, pour des raisons notamment économiques. Quel est votre avis sur cette option, qui permettrait d’augmenter très fortement la puissance éolienne ?

M. Olivier Pérot. Je n’ai pas vu l’audition du président de Valorem et puis seulement vous indiquer que nous avons discuté en interne dans la profession d’un prix au MW, afin d’avoir une plus grande adaptabilité en fonction de la taille et de la puissance de la machine à démanteler. Je vous confirme que nous sommes tombés d’accord sur la somme de 25 000 euros par MW. Je pense que Jean-Yves Grandidier avait en tête, lorsqu’il vous a communiqué ce chiffre, le montant de la garantie pour une machine de 2 MW, qui serait effectivement de 50 000 euros. Il faudrait vérifier auprès de lui.

Concernant votre dernier point, je ne peux évidemment pas m’exprimer à la place de Jean-François Carenco, ni interpréter ses propos. Je peux juste indiquer que son sujet est de réfléchir à la réglementation à venir. Il voit donc comme un point important la clarification de la question du repowering, qui constitue en effet un enjeu considérable en termes de puissance installée. Je confirme également que l’acceptabilité des parcs existant étant très bonne, il est important de pouvoir capitaliser sur cet aspect, mais aussi sur l’existence d’un réseau de raccordement, d’un foncier, sur la bonne compréhension locale des enjeux de l’éolien.

M. Charles Lhermitte. Il faut savoir que lorsque nous établissons un projet de repowering, nous devons constituer un nouveau dossier. S’il s’agit d’un petit dossier, nous pouvons aller au guichet ouvert, sinon il doit partir en appel d’offres. Nous repartons dans tous les cas sur un nouveau contrat. Si, après instruction ministérielle, la modification est jugée non notable, alors elle ne nécessite pas d’autorisation. Dans le cas contraire, elle doit faire l’objet d’une nouvelle autorisation.

Tout le monde attend aujourd’hui du repowering une augmentation en matière de puissance installée : n’oublions pas cependant qu’un tiers environ des parcs installés sont soumis à des contraintes tellement fortes, en termes de hauteur, en raison de la présence de couloirs de circulation de l’armée ou de l’aviation civile, de radars, que sais-je, que le repowering ne peut s’y accompagner que d’une très faible modification de la hauteur du mât ou de la taille du rotor. La puissance installée ne sera par ailleurs pas forcément phénoménale. Il s’agira plutôt en fait d’un renouvellement de technologie, avec des éoliennes plus silencieuses, des mécanismes permettant éventuellement du réglage tension ou de l’apport de services au réseau.

Dans le cas de parcs où il est possible d’installer des éoliennes de plus grande taille et de puissance supérieure, on peut en revanche obtenir des gains de puissance par éolienne très importants. Cela s’accompagne toutefois dans certains cas d’une diminution du nombre d’éoliennes. Imaginons par exemple une ligne de douze éoliennes, avec un écartement donné : elles vont être remplacées par six éoliennes, beaucoup plus hautes et plus espacées les unes des autres, en raison des pertes par effet de sillage. Le repowering est donc nécessaire pour le confort des riverains et pour produire du kilowattheure nettement moins cher, mais ne répondra pas en soi aux objectifs de puissance de la PPE.

M. le président Julien Aubert. Utilise-t-on, lors du repowering, le même bloc de béton ?

M. Charles Lhermitte. Dans l’immense majorité des cas, on ne peut pas réutiliser le massif existant : l’installation d’une éolienne de taille différente implique de mettre en place un nouveau socle de béton. Dans un parc de dix éoliennes par exemple, chaque massif est de taille différente. Chaque éolienne fait l’objet d’une étude géotechnique spécifique, qui conditionne la mise en place d’un massif d’une taille donnée.

Concernant le raccordement, il faut savoir que pour toutes les installations supérieures à 5 MW, la totalité des coûts, incluant le poste de livraison, le câble électrique allant jusqu’au poste RTE ou Enedis et éventuellement l’installation de transformateurs dans ce poste, est prise en compte par le producteur. Cela constitue justement le sujet des S3REnR à venir. Nous essayons de planifier avec les gestionnaires de réseaux, région par région, les postes à renforcer, ceux dans lesquels il faut installer des transformateurs, les endroits où il convient de renforcer des lignes à haute tension. Mais je vous assure que la totalité de ces coûts figure dans la quote-part S3REnR.

En revanche, les renforcements de très grandes lignes sont pris en charge par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Sur la période 2019 – 2022, les chiffres de raccordements prévisionnels dont je dispose font état en la matière d’une somme de 2 milliards d’euros, dont la moitié pour l’offshore et l’autre moitié pour l’onshore. L’éolien terrestre représenterait ainsi environ 300 millions d’euros par an restant à la charge des gestionnaires de réseaux, sachant que tous ces renforcements, une fois effectués, ne sont pas à notre seul bénéfice. Cela peut par exemple permettre le raccordement ultérieur de centrales solaires ou autres. Une fois que l’infrastructure est là, elle peut être réutilisée par d’autres opérateurs.

M. le président Julien Aubert. Je vous propose d’arrêter là nos échanges, afin de passer à la troisième phase de cette matinée d’auditions.

Laudition sachève à onze heures cinquante.

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27.   Audition commune, ouverte à la presse, de M. Patrice Cahart, membre du Groupe indépendant de réflexion sur l’énergie, de MM. Arnaud Casalis et Jean-Louis Butré, membres du collectif d’experts « Energie et vérité », de M. Olivier Pérot, président de France énergie éolienne (FEE), et de M. Charles Lhermitte, vice-président de FEE (16 mai 2019)

Laudition débute à onze heures cinquante-cinq.

M. le président Julien Aubert. Afin que cette audition commune soit la plus équitable possible, nous allons minuter les temps de parole des uns et des autres.

L’un des arguments avancés par le collectif d’experts « Energie et vérité » est que la comparaison, au regard des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), entre le coût d’un grand carénage nucléaire sur un tiers du parc, estimé à 25 milliards d’euros, et le coût d’un remplacement de ce même tiers par des énergies renouvelables toutes sources confondues, évalué à 184 milliards d’euros, laisse apparaître une disproportion en faveur d’une prolongation du parc nucléaire. L’éolien terrestre, qui constitue selon eux une grande partie des coûts déjà engagés, leur apparaît ainsi comme une folie au plan économique, non seulement par rapport au nucléaire, mais aussi à d’autres énergies renouvelables comme le photovoltaïque.

Je souhaite donner tout d’abord la parole à M. Cahart pour qu’il détaille la manière dont a été effectué le chiffrage de ces deux options, puis aux représentants de France énergie éolienne pour lui répondre.

M. Patrice Cahart. Nous sommes partis du projet de loi sur l’énergie qui vient d’être annoncé et qui indique que d’ici 2035 la part du nucléaire dans la production française d’électricité devra être ramenée à 50 %, ce qui revient à diminuer le potentiel nucléaire d’environ 21 centrales sur 71. Nous avons essayé de chiffrer cette opération de substitution en partant des données présentes dans le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui indique une progression souhaitée de l’éolien, mais aussi du photovoltaïque, jusqu’en 2028. Nous avons prolongé les chiffres jusqu’en 2035, échéance fixée par la loi. Nous avons ensuite multiplié les capacités supplémentaires de renouvelables ainsi chiffrées par les coûts unitaires de ces équipements, trouvés dans le rapport 2016 de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Nous avons ainsi obtenu un coût d’investissement, auquel nous avons ajouté les coûts de réseau liés à l’adaptation et à la diversification du réseau des énergies renouvelables (EnR) en France. Nous sommes ainsi parvenus à un total de 184 milliards d’euros pour la période allant de 2019 à 2035. Ces coûts seraient nécessairement supportés par le contribuable et le consommateur français, puisque les promoteurs que vous représentez vont emprunter tout cet argent auprès des banques et que ces emprunts seront remboursés soit par les ventes de courant, soit par les aides publiques qui leur seront versées. Je n’inclus pas dans ce chiffre l’incidence des décisions passées en matière d’EnR, que la Cour des comptes a estimé à 121 milliards d’euros, somme que le consommateur et le contribuable français devront aussi supporter durant les quinze ou vingt ans à venir.

Nous avons comparé ce coût à l’autre option possible. Je tiens à préciser d’emblée que je n’ai aucun lien avec EDF, ni avec Areva. Je suis inspecteur général des finances de formation, donc formé pour dénoncer les gaspillages, qui se révèlent souvent au travers de comparaisons. J’ai donc, de manière tout à fait indépendante et libre, réfléchi au chiffrage d’une prolongation éventuelle du parc nucléaire. Comme vous le savez, les Américains prolongent sans aucun problème leurs centrales jusqu’à l’âge de 60 ans et envisagent même d’aller jusqu’à 80 ans. Nos centrales procédant de la même technique, pourquoi ne ferions-nous pas de même ? J’ai donc imaginé la prolongation de notre parc de façon à produire la même quantité de courant électrique que le supplément d’EnR que je viens d’évoquer. J’ai utilisé pour ce faire des chiffres issus de travaux de la Cour des comptes, actualisés à 5 milliards d’euros par an, dont je n’ai pris qu’un tiers en considération, dans la mesure où la problématique que je viens d’exposer ne porterait que sur un tiers du parc nucléaire, les deux autres tiers n’étant pas en cause. Nous arrivons ainsi, sur 17 années, c’est-à-dire d’ici 2035, à un montant de 25 milliards d’euros, chiffre très modeste au regard des 184 milliards d’euros correspondant au coût des EnR sur la même période.

Nous nous permettons ainsi d’affirmer que la proposition faite au Parlement sous forme de projet de loi sur l’énergie n’est pas une bonne idée.

M. Olivier Pérot. Je tiens tout d’abord à souligner que nous ne sommes pas nécessairement les bons interlocuteurs pour ce sujet, dans la mesure où nous ne sommes pas experts du mix énergétique français. Cette question concerne plutôt l’administration et le gouvernement.

Cela étant, nous pouvons néanmoins apporter quelques éléments de réponse. Je comprends de la problématique du nucléaire que l’on se situe dans un cycle industriel non maîtrisé, avec un certain nombre d’inconnues en matière de démantèlement, de recyclage ultime des déchets. En termes de coût, le coût du nucléaire amorti est, d’après la Cour des comptes, d’environ 60 euros. Les coûts vont croissant dans le domaine du nucléaire. Je pense que cela fait consensus. Des entreprises du secteur en difficulté ont été recapitalisées dans les années passées, alors qu’à l’inverse, les énergies renouvelables, du fait des investissements effectués, répondent à une problématique d’avenir. En effet, les EnR sont des énergies propres, sûres, renouvelables : elles présentent une vertu intrinsèque. Elles ne produisent aucun effet sur le climat, ni déchet dangereux. S’ajoutent à cela des courbes de prix décroissantes. Je pense que cela constitue d’ailleurs l’un des éléments importants dans la décision stratégique et politique du gouvernement.

Aujourd’hui, comme vous le savez, 75 % à 80 % de l’électricité en France est d’origine nucléaire. Je crois qu’il est toujours préférable de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, notamment en raison des inconnues que je viens d’évoquer. Si par ailleurs un accident nucléaire majeur venait à se produire dans le monde dans les cinq, dix, quinze ou vingt ans à venir, ce que l’on ne peut pas exclure, cela provoquerait inévitablement un changement très fort de l’opinion en France, avec des coûts induits très importants. Je pense par conséquent que le bon sens plaide stratégiquement en faveur d’une diversification du risque énergétique.

M. le président Julien Aubert. Votre proposition consisterait donc à minorer les coûts du nucléaire. Je constate par ailleurs que vous ne contestez pas le chiffre avancé de 184 milliards d’euros d’investissements nécessaires jusqu’en 2035 pour permettre aux EnR d’atteindre les objectifs fixés dans le projet de loi sur l’énergie.

M. Olivier Pérot. Je n’ai pas d’avis sur la question, puisqu’il s’agit d’une question que nous n’avons pas étudiée dans le détail.

M. le président Julien Aubert. La question sous-jacente est de savoir à combien revient le déploiement de votre industrie notamment. Lors de la PPE, vous défendiez une augmentation plus importante du potentiel éolien. Or l’argument du coût tel qu’il vient d’être présenté par M. Cahart ne plaide pas en faveur d’un grand plan éolien. Je suppose que lorsque vous allez convaincre le gouvernement, vous avancez certains arguments.

M. Olivier Pérot. Les coûts des filières renouvelables, dont ceux de l’éolien, sont complètement transparents. Sans doute y aurait-il matière en revanche à constituer une commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire.

M. le président Julien Aubert. Elle existe déjà.

M. Olivier Pérot. Dans l’éolien, les projets se font par appels d’offres et il s’agit de coûts complets, incluant notamment le démantèlement, dont nous avons abondamment parlé lors de notre audition. Les coûts sont ainsi parfaitement connus. Nous avons vu, ces derniers mois, que le coût de l’électricité sur le marché a significativement augmenté, si bien que cela constituera à terme une excellente affaire pour l’État, dans la mesure où la différence entre le prix de marché et le prix souscrit sur les contrats sera remboursée à l’État par les promoteurs. Économiquement, les arguments sont nombreux à plaider en faveur du développement des énergies renouvelables. Cela constitue d’ailleurs d’une des raisons pour lesquelles les EnR se développent dans le monde entier. Il s’agit aujourd’hui d’une réalité extrêmement forte. Il est important d’avoir dans ce domaine de l’ambition, une volonté et une vision de ce que sera le système énergétique des cinquante prochaines années, vision qui ne peut se fonder sur ce qu’était le modèle voici cinquante ans.

J’ajoute que, dans ce contexte de transition énergétique, l’éolien ne prétend pas être dominant dans le mix électrique. Nous pensons simplement qu’il sera utile au mix français de bénéficier d’une forte pénétration de l’éolien, loin toutefois d’être équivalente à celle du nucléaire. Nous allons vers un mix énergétique diversifié. L’éolien n’est, dans ce cadre, qu’une partie de la solution pour le système électrique. Il existe bien évidemment des enjeux dans d’autres domaines, comme l’efficacité énergétique des bâtiments ou la mobilité. La transition énergétique est une stratégie globale, répondant à des enjeux globaux.

M. le président Julien Aubert. Vous avez tout de même évoqué des études dans lesquelles les EnR représentaient 35 % à 36 % du mix électrique français.

M. Olivier Pérot. Il s’agit en effet d’un taux de pénétration important ; toutefois, l’éolien ne prétend pas avoir une position dominante, comme c’est le cas aujourd’hui en France pour le nucléaire, qui constitue une anomalie.

M. Arnaud Casalis. M. Pérot semble confondre de façon un peu inquiétante deux éléments fondamentaux que sont le prix et le coût. Il prétend ainsi que les coûts de l’éolien sont connus. Or seuls les prix le sont, puisqu’ils sont fixés par décision réglementaire et législative. Les coûts sont très difficiles à chiffrer : lorsque l’on essaie de les connaître, on se trouve face à une dissimulation massive des informations en la matière.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pourriez-vous être plus précis quant aux coûts que vous estimez dissimulés ?

M. Arnaud Casalis. Lorsqu’il est dit que le coût de l’électricité est de 74 euros du mégawattheure (MWh), cela ne correspond en réalité pas à un coût, mais à un coût auquel s’ajoute de la marge.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’entends cette démonstration, mais vous parlez de coûts dissimulés : pourriez-vous préciser ?

M. Arnaud Casalis. Les coûts dissimulés sont à trouver tout d’abord dans la question du démantèlement, dont on sait que les chiffres affichés ne prennent pas en compte l’ensemble des sommes qui se rapportent en réalité à ces opérations. On ne sait d’ailleurs pas en général, dans les comptes des entreprises, pour quel montant cela est pris en considération. S’ajoutent à cela les frais de réseaux, pris en charge par le réseau de transport d’électricité (RTE). Si l’on veut avoir une notion du coût, il faudrait inclure ces chiffres dans le calcul. Or ce n’est généralement pas pris en compte dans la rentabilité des entreprises. Cela porte pourtant sur des sommes énormes. Il faudrait également considérer les transferts de profits de sociétés vers les industriels producteurs d’éoliennes ou vers d’autres sociétés étrangères effectuant de la prestation de services, de la maintenance, etc. Tout cela est extrêmement diffus.

M. Olivier Pérot. Ce que vous décrivez s’appelle l’économie de marché.

M. Arnaud Casalis. Je suis navré de vous le dire, mais il s’agit d’une aberration économique.

M. Charles Lhermitte. Le démantèlement n’est absolument pas un élément caché. Ma société a déjà procédé à des dizaines de démantèlements d’éoliennes et dispose de factures très précises. A été évoqué précédemment le cas d’une facture très particulière, publiée voici quelque temps. Mais si vous souhaitez savoir combien coûte le démantèlement d’un massif de 435 mètres carrés en béton, je puis vous répondre sans hésiter 54 000 euros et vous communiquer la facture correspondante. Je ne vois pas vraiment où est le problème.

Concernant le réseau, vous dites que tous les coûts ne sont pas pris en compte. Aujourd’hui, le prix d’un mégawatt (MW) installé est globalement de 1,5 million d’euros : ce coût comprend la fourniture de la turbine, la voirie et réseaux divers (VRD), le raccordement jusqu’à notre poste de livraison, le raccordement Enedis, le renforcement des capacités de transformation Enedis ou RTE via la quote-part des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), et le démantèlement. Le 1,5 euro du watt éolien installé constitue donc un coût complet.

M. Patrice Cahart. Il manque le raccordement, très important, entre le poste de livraison et le poste source.

M. Charles Lhermitte. Pas du tout : il est inclus dans ce coût, comme je viens de l’indiquer, et est pris en charge via le mécanisme de quote-part S3REnR. Les ouvrages de renforcement HTA-HTB et les capacités de transformation sont pris en compte dans le calcul de ces quotes-parts. Je vous confirme que les quotes-parts S3REnR ont été revues à la hausse dans certaines régions comme les Hauts-de-France et le Grand-Est, où elles avoisinent aujourd’hui les 100 000 euros du MW. Nous nous acquittons de ces coûts, qui sont intégrés dans les 1,5 euro du watt installé.

M. Arnaud Casalis. Pouvez-vous rapporter cette notion de coût à votre prix de vente réglementaire ?

M. Charles Lhermitte. Dans le cadre des appels d’offres, le prix de vente est aujourd’hui de 65 euros le MWh, avec des coûts qui ne cessent de baisser. Dans quelques années, on atteindra peut-être les 60, voire 55 euros le MWh. En tout état de cause, l’éolien sera nettement moins cher que d’autres sources d’énergies que vous avez citées auparavant.

M. Arnaud Casalis. Vous confirmez bien avoir aujourd’hui des marges bénéficiaires, des profits, ne justifiant en rien le soutien public apporté à vos entreprises.

M. Charles Lhermitte. Nous avons évoqué précédemment un mécanisme extrêmement important, sur lequel je souhaiterais revenir. Aujourd’hui, nous sommes rémunérés sur la base du complément de rémunération. Nous vendons l’électricité sur le marché. Si notre coût garanti est supérieur au coût du marché, nous percevons un complément de rémunération ; en revanche, lorsque le coût du marché est supérieur à notre prix garanti, ce qui se produit de plus en plus souvent, nous remboursons la différence, ce qui constitue une bonne affaire pour le contribuable.

M. Arnaud Casalis. Vous savez très bien que l’essentiel du parc aujourd’hui ne fonctionne pas avec ce dispositif. Vous êtes donc en train de tenir un propos que je considère comme trompeur vis-à-vis de mesdames et messieurs les parlementaires, dans la mesure où le pourcentage de parcs éoliens fonctionnant sur la base de ce système est absolument négligeable. Tout est fait par ailleurs pour que ce soit également le cas dans le futur, notamment avec les limitations de puissance et le nombre d’éoliennes. Votre propos n’est pas pertinent.

M. Charles Lhermitte. Veuillez m’excuser, je n’en ai pas d’autre.

M. Vincent Thiébaut. Je viens de relire le document dans lequel vous donnez le chiffre de 184 milliards d’euros concernant le développement des EnR d’ici 2035 et indiquez que ce coût sera à la charge de la société. J’avoue ne pas comprendre. Vous évoquez en effet les subventions visant à permettre l’émergence d’une industrie et le coût payé par le consommateur. À titre personnel, je ne suis pas choqué par le fait que le consommateur paie sa consommation. Il m’intéresserait en revanche de connaître la part de ces 184 milliards restant à la charge du contribuable.

Vous comparez par ailleurs ce chiffre aux 25 milliards du grand carénage nucléaire. Où sont les coûts du démantèlement à terme du parc nucléaire, auxquels il faudrait associer les coûts de stockage des déchets, etc. ? Aujourd’hui, plus d’un tiers du parc nucléaire a plus de quarante ans : il va falloir, à un moment donné, le renouveler.

Ma question n’est aucunement polémique et répond simplement à une volonté de ma part de comprendre le mécanisme de votre raisonnement.

M. Jean-Louis Butré. L’un de vos propos m’a profondément choqué, M. Pérot. Vous avez en effet indiqué qu’il allait très probablement se produire un nouvel accident nucléaire dans le monde. Le fait d’être à 50 % de nucléaire dans le mix énergétique en France plutôt qu’à 75 % ne changera rien de ce point de vue : si l’on suit votre logique, il faudrait, pour éliminer ce risque, arrêter tout de suite l’ensemble du recours au nucléaire.

M. Olivier Pérot. Il s’agit simplement de bon sens : il ne me semble pas pertinent de mettre tous ses œufs dans le même panier.

M. Jean-Louis Butré. Selon vos propos, il faudrait arrêter immédiatement le nucléaire.

La Fédération Environnement durable s’intéresse beaucoup par ailleurs à la question du démantèlement, que nous avons étudiée. Je suis totalement en porte-à-faux avec les propos que vous avez tenus.

M. Charles Lhermitte. Avez-vous démantelé des parcs vous-même ? La profession dispose en effet d’une expérience réelle et concrète. Nous savons de quoi nous parlons.

M. Jean-Louis Butré. Non, mais j’ai été directeur d’usine Rhône-Poulenc. Il suffit de faire le total. Le président Macron a indiqué que l’on allait tripler le nombre d’éoliennes en France. Mettons que l’on en installe 15 000 : imaginez le nombre de tonnes de béton nécessaires, auxquelles il faut ajouter les mâts, les nacelles, les pales. Si l’on effectue le calcul complet, en tonnes, de cet ensemble, on atteint des chiffres phénoménaux. Si l’on considère uniquement le béton, cela correspond à des camions-toupies qui, mis bout à bout, couvriraient la moitié du tour de la terre. On est ainsi en train de bétonner la France. Tout est possible : on peut tout à fait enlever le béton du sol ensuite. Ce n’est toutefois pas prévu dans les contrats. On peut traiter chimiquement tous les matériaux : mais tout dépend des procédés utilisés, de leur coût et des précautions nécessaires. J’ai lu dans LUsine nouvelle un article indiquant que l’on enfouissait les pales d’éoliennes. Il faut savoir en effet que ces pales sont constituées de matériaux spéciaux, de plus en plus modernes donc de plus en plus difficiles à traiter. On ne dispose pas aujourd’hui de procédés permettant de les recycler correctement, même si quelques start-up travaillent sur le sujet. C’est une affaire d’argent.

Lorsque l’on cumule tous ces éléments, on ne peut que constater que l’on n’est aujourd’hui qu’au tout début du processus. Vous êtes en train de mettre sur le territoire français des quantités colossales de matériaux, sans avoir le début d’un procédé adapté à un retraitement ultérieur intégral. Dans tous les cas, les 50 000 euros provisionnés sont ridicules au regard des sommes nécessaires. Je dis aujourd’hui aux agriculteurs qui acceptent que l’on implante des éoliennes dans leurs champs que c’est une erreur. En effet, une éolienne leur rapportera environ 10 000 euros par an pendant 20 ans, soit 200 000 euros au total. Or vos entreprises sont des sociétés sans capital, qui ne sont pas responsables du terrain. Le jour où ces sociétés s’en iront, il appartiendra à l’agriculteur de traiter lui-même le problème du démantèlement des éoliennes présentes sur sa parcelle. Or les 200 000 euros gagnés ne lui suffiront pas pour financer le recyclage du béton, des pales et de l’ensemble des matériaux composant l’éolienne, dont certains très difficiles à retraiter. Les Allemands règlent la question en entreposant les pales de leurs éoliennes dans les décharges africaines. Mais on peut aussi envisager pire, c’est-à-dire de vendre les éoliennes usées à des pays du tiers-monde, de façon à se débarrasser du problème.

M. Charles Lhermitte. Les pays du tiers-monde achètent aujourd’hui des éoliennes chinoises et absolument pas des éoliennes de réforme.

M. Olivier Pérot. Je tiens à préciser que nous ne demandons pas spécialement d’arrêt ou de baisse du recours au nucléaire. Des orientations stratégiques sont fixées par le gouvernement et nous ne faisons que nous inscrire dans ce cadre. Je me suis borné à indiquer les raisons pour lesquelles ces choix stratégiques nous semblaient logiques, compréhensibles et raisonnables.

M. Jean-Louis Butré. On ne peut menacer comme vous le faites d’un troisième accident nucléaire mondial et baser son industrie sur cet argument.

M. Olivier Pérot. Vous avez mal compris mes propos. J’ai simplement souligné qu’il s’agissait d’un risque intrinsèque.

M. Jean-Louis Butré. S’il s’agit d’un risque, alors il ne faut pas le prendre et stopper le recours au nucléaire.

M. Olivier Pérot. Je me borne à signaler qu’il s’agit d’un risque, qu’il faut intégrer dans la stratégie.

M. le président Julien Aubert. À votre place, je parlerais de l’éolien plutôt que du nucléaire. J’ai participé à trois commissions d’enquête et trois missions parlementaires sur la question du nucléaire et ai veillé à ne pas intégrer cette dimension dans la présente commission.

M. Charles Lhermitte. Je travaille dans le secteur de l’éolien depuis 18 ans, ai mis en service mes premières centrales en 2001 et géré mes premiers démantèlements en 2016. J’ai ainsi déjà procédé au démantèlement d’une douzaine de parcs éoliens, en Guadeloupe, dans l’Aude, en Bretagne, dans la Marne. Si vous me demandez combien coûte le démantèlement, éolienne par éolienne et parc par parc, j’en connais très précisément le montant, puisque j’ai validé les factures.

Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai en outre jamais entendu dire ou constaté qu’un agriculteur se soit retrouvé in fine avec la responsabilité du démantèlement d’une éolienne. Lorsque nous contractons avec un agriculteur ou une collectivité, cela prend la forme d’un bail emphytéotique, avec une constitution de droits réels, un fonds dominant, un fonds servant. Nous mettons en place des garanties de démantèlement et disposons de trésorerie dans nos sociétés. Vous avez indiqué tout à l’heure que nos sociétés ne disposaient souvent que de 1 euro de capital : je suis désolé de vous contredire, mais il se trouve que la plupart des sociétés éoliennes aujourd’hui appartiennent à des grands groupes. En ce qui me concerne, la caution s’appelle Total. Le risque de cessation de paiement n’est donc pas un argument.

Concernant plus précisément le démantèlement, les pales sont actuellement broyées avant de partir en cimenterie, dans un processus de valorisation énergétique. Ce n’est certes pas parfait, je vous l’accorde. Nous aimerions faire mieux. Des équipes y travaillent, dans le sud de la France, et cherchent un procédé permettant d’utiliser la fibre de verre, qui est un matériau très basique contrairement à ce que vous affirmez, pour fabriquer des briques réfractaires permettant de stocker de la chaleur. Les expérimentations sont certes peu abouties pour l’instant, mais il est faux de prétendre que l’on enfouit les pales et qu’elles ne sont l’objet d’aucune valorisation. Vous mentez en affirmant cela et je peux vous le prouver.

M. Jean-Louis Butré. Cela signifie que les journaux allemands mentent.

M. Charles Lhermitte. Je ne vous parle pas des journaux allemands, mais de la réalité des parcs éoliens en France.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je souhaiterais que l’on s’éloigne du sujet du nucléaire pour se focaliser sur la question de l’éolien. Quelles recommandations législatives feriez-vous pour rendre plus juste pour le consommateur le soutien aux énergies éoliennes ? Que conseilleriez-vous pour que l’acceptabilité soit meilleure et le système plus juste, en considérant que la volonté politique aujourd’hui est bien de soutenir cette filière éolienne ? Que pourrait-on selon vous améliorer à ce stade ?

M. Arnaud Casalis. Permettez-moi une digression préliminaire. Vous indiquiez précédemment que les EnR étaient sûres. À ma connaissance, la meilleure énergie renouvelable est l’hydraulique, qui est pilotable, stockable, etc. Or je vous rappelle simplement que la plus grande catastrophe énergétique en France est la rupture du barrage de Fréjus : une région entière a été inondée et l’on a déploré 500 morts. Il ne s’agissait donc pas là d’un risque hypothétique, mais avéré. Je vous invite donc à éviter de faire des comparaisons en termes de risque et d’affirmer que les EnR sont sûres.

Il me semble par ailleurs nécessaire de rappeler la différence fondamentale entre énergies intermittentes et énergies stockables et pilotables. Nous savons très bien que l’intermittence dans la production est le problème majeur de la filière éolienne. La logique du prix doit en tenir compte, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une probabilité d’utilisation de 6 % aux points d’arrivée aux heures de pointe, compte tenu d’un rendement de 21 % et d’une durée de 6 heures d’heures de pointe, fait que l’énergie intermittente est largement surpayée par rapport au prix normal du marché, qui devrait être très inférieur. Le problème du soutien passe par une comparaison honnête entre des énergies de qualité comparable. Ce soutien qui permet aujourd’hui à des entrepreneurs de l’éolien de gagner des fortunes en assurant une production de qualité plus que médiocre est un système auquel il faut mettre fin prioritairement, car il ruine le consommateur et la France et fausse la concurrence entre les différentes EnR.

M. Patrice Cahart. Vous nous demandez, madame la rapporteure, quelle serait notre recommandation dans le cas où il serait décidé de continuer à promouvoir l’énergie éolienne : elle serait de cesser complètement les aides à l’éolien, notamment terrestre, et de reporter cet effort sur les autres EnR, en particulier le photovoltaïque. En novembre 2018, un communiqué du ministre François de Rugy indiquait que les seize appels d’offres opposant, dans neuf régions, l’éolien terrestre au photovoltaïque, avaient été remportés par le photovoltaïque en termes de prix. Il convient d’ajouter par ailleurs que le photovoltaïque, en plus d’un prix intéressant, est beaucoup moins agressif envers les paysages que l’éolien terrestre. Cela ne laisse donc pas de place au doute : il faut sacrifier l’éolien terrestre au profit des autres énergies renouvelables.

J’ai également des réponses à apporter à M. Thiébaut, qui nous a dit souhaiter disposer de chiffres prévisionnels de subventions. C’est très difficile, car il est nécessaire pour ce faire de figurer l’évolution des prix de l’électricité sur 17 ans. J’ignore si quelqu’un est capable de le faire ; je ne le suis pas. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de ne pas effectuer de distinction entre le contribuable et le consommateur. Les 184 milliards d’euros dont j’ai parlé correspondent à un coût d’investissement, qui sera mis inévitablement à la charge du contribuable ou du consommateur, c’est-à-dire dans les deux cas de la collectivité.

M. Thiébaut s’inquiétait par ailleurs du démantèlement des centrales nucléaires. La prise en compte de cet élément est un argument puissant en faveur des thèses que je vous présente. En effet, le démantèlement des centrales nucléaires actuelles aura lieu de toute façon. Il s’agit d’un fait, d’une nécessité acquise, qui se situe en dehors de notre problématique. Que la loi sur l’énergie soit votée ou non, il faudra bien démanteler ces centrales un jour. La date est très importante, parce que si l’on démantelait maintenant, ce qui serait une conséquence de ce qui est souhaité par les professionnels de l’éolien, le coût de démantèlement serait immédiat et maximum. Si en revanche on démantèle les centrales dans 20 ans, alors il sera possible d’évaluer le coût grâce à un taux d’actualisation. Si l’on retient par exemple un taux d’actualisation de 10 % sur 20 ans, le coût sera diminué de 85 %. Il existe donc un très grand intérêt à différer le plus possible cette charge de démantèlement, qui est certes inévitable et acquise, mais dont la date reste à fixer.

M. Jean-Louis Butré. Je suis choqué par le fait que le système d’aide à l’éolien, mis en place par le ministre Yves Cochet en 2001, rendant obligatoire l’achat prioritaire de cette électricité par rapport aux autres et imposant un tarif garanti, fonctionne toujours, même s’il a été quelque peu amélioré par l’instauration des procédures d’appel d’offres. La règle des six mâts reste néanmoins majoritaire dans les contrats actuels. Cela fait 18 ans que ce dispositif est en vigueur : je comprends que l’on aide au démarrage d’une industrie, mais il me semble suspect que, 18 ans plus tard, cette dernière continue à mendier des subventions et à vouloir faire perdurer ce système.

Lorsque l’on considère par ailleurs les bénéfices réalisés dans ce secteur par certaines sociétés, voire certaines personnes, on peut être inquiet, dans la mesure où l’argent est ponctionné sur les factures d’électricité françaises ou sur d’autres taxes. Les prix de l’électricité payés par les consommateurs ne cessent d’augmenter, ce qui conduit à l’appauvrissement non seulement des particuliers, mais aussi d’un certain nombre d’industriels qui consomment de l’énergie et de l’électricité. 18 ans plus tard, ce système continue à ponctionner de l’argent, bien qu’il soit rentable, et ce de plus en plus. Arrêtons par conséquent de le subventionner.

Mme Laure de La Raudière. Vous indiquez que le prix de rachat est aujourd’hui de 65 euros environ par MW suite aux appels d’offres. Les éoliennes concernées par les appels d’offres en cours seront installées au mieux dans quatre ou cinq ans.

M. Charles Lhermitte. Nous sommes soumis à une obligation de mise en service sous 36 mois.

Mme Laure de La Raudière. Merci pour cette précision. Quel est aujourd’hui le prix moyen du mégawatt contractualisé sur l’existant ? Les 65 euros évoqués concernent en effet des projets à venir, non des éoliennes en service.

Vous nous avez expliqué que si le prix du marché était supérieur à votre prix de rachat, vous étiez dans l’obligation de rembourser la différence. Ai-je bien compris et est-ce déjà arrivé pour l’éolien terrestre ?

M. Charles Lhermitte. La situation s’est produite en mars 2019.

M. le président Julien Aubert. Combien avez-vous remboursé ? Comment cela se passe-t-il concrètement ?

M. Charles Lhermitte. Une facturation mensuelle est effectuée sur le parc éolien. S’il arrive que l’on se retrouve dans une situation dans laquelle les cours de marché sont supérieurs aux coûts de référence, alors il faut, le mois suivant, déduire cette plus-value de la facturation que l’on adresse.

Mme Laure de La Raudière. Cette situation se produit sur des marchés spot. Mais si cela venait à durer, on pourrait imaginer que vous décidiez d’arrêter vos éoliennes plutôt que de reverser de l’argent à l’État.

M. Olivier Pérot. Dans le système actuel, l’élément majeur pour une industrie très capitalistique comme l’éolien est de disposer d’une visibilité sur les prix. Les mécanismes utilisés actuellement sont ceux mis en place au niveau de l’Europe. Avoir un prix stable, visible, sur vingt ans est un atout, sachant que les marchés spot sont relativement fluctuants. Cela permet à la filière de financer les investissements et d’avoir des coûts financiers raisonnables, donc d’être compétitive.

Le niveau de prix est obtenu aujourd’hui après un processus d’appel d’offres, c’est-à-dire de mise en compétition des projets. Nous commençons à nous situer sur une courbe de prix décroissante, tendance qui va vraisemblablement se confirmer dans les prochaines années. Imaginons qu’un producteur obtienne un prix de 60 euros du MWh : si, un mois donné, le prix du marché est à 50 euros, alors le producteur percevra une compensation de 10 euros, correspondant à la différence constatée. Si le mois suivant, le prix de marché est à 70 euros, alors il remboursera 10 euros à l’État. Ainsi, quoi qu’il arrive, le producteur perçoit toujours 60 euros, correspondant au prix défini dans le contrat. Le revenu est constant dans la durée. Les derniers appels d’offres sont à 66 euros. Imaginons que le prix de marché tombe à 46 euros : le complément de rémunération sera de 20 euros. Si les prochaines installations par appels d’offres sont à 56 euros, le différentiel sera de 10 euros, c’est-à-dire divisé par deux. L’effet sur l’aide est donc très fortement lié, au niveau de l’appel d’offres, au prix de marché. Si demain le prix du marché est égal au prix du contrat, alors l’aide deviendra nulle, voire négative si le prix de marché augmente. Cela explique que l’on puisse envisager, dans l’avenir, de faire des volumes importants d’éolien terrestre pour un même niveau de subvention. L’aide était effectivement plus élevée pour des technologies antérieures ; on observe un amenuisement avec le temps.

Mme Laure de La Raudière. Quel est le prix garanti moyen du parc installé ?

M. Olivier Pérot. Il faudrait demander à la direction générale de l’énergie et du climat.

M. Charles Lhermitte. Les premiers contrats étaient à 80 euros.

Mme Laure de La Raudière. C’est encore le cas : j’ai été informée du fait qu’un parc qui n’est pas encore installé va bénéficier de ce même prix.

M. Charles Lhermitte. Il ne faut pas oublier que le gisement éolien dépassait 2 400 heures équivalentes pleine puissance et que, de 2010 à 2015, l’électricité était deux fois moins chère.

Mme Laure de La Raudière. Le prix garanti moyen du parc installé aujourd’hui doit être, étant donné le poids de l’historique, aux alentours de 80 euros.

M. Arnaud Casalis. Permettez-moi d’apporter une précision. Le rapport de la commission de régulation de l’énergie (CRE) indique que le prix d’achat moyen par EDF est de 91 euros.

M. Charles Lhermitte. C’est indexé chaque année. Ainsi, les premiers contrats signés à 80 euros sont peut-être aujourd’hui rémunérés à 91 ou 92 euros.

M. Arnaud Casalis. EDF indique que, dans la quasi-totalité des cas, son prix d’achat moyen en 2018 est de 91,2 euros. Je ne l’ai pas inventé : ce chiffre figure dans les plaquettes de la CRE et d’EDF.

M. Charles Lhermitte. C’est la raison pour laquelle on bascule vers des appels d’offres.

M. Arnaud Casalis. Lequel dispositif d’appels d’offres, qui n’est d’ailleurs pas encore opérant dans la base installée, a pour objectif de garantir le profit des entrepreneurs, avec un système de lissage.

M. Olivier Pérot. Cela nous permet de bénéficier d’une stabilité, très importante pour notre industrie.

Mme Laure de La Raudière. Le prix moyen garanti du parc installé est donc de 91 euros. Or la PPE prévoit de tripler la puissance installée, sur une moyenne établie à 60 euros par MW. On ne peut donc pas dire que le prix garanti de l’éolien est de 65 euros. En effet, sur le parc installé, même à terme, le montant ne sera jamais celui-ci.

M. Olivier Pérot. Il faut tenir compte du fait que le parc installé a une certaine durée de vie. Ainsi, les éoliennes implantées en 2001 commencent à être démontées.

Mme Laure de La Raudière. Globalement, dans les années qui viennent, le poids de l’historique sera important. Or je constate que toutes les présentations qui nous sont faites évoquent le futur sans tenir compte de la base installée.

M. Olivier Pérot. Les chiffres sont connus et publics. J’ai sous les yeux un tableau de la PPE qui présente effectivement les dépenses engagées face aux dépenses à engager pour atteindre l’objectif de 2028.

M. le président Julien Aubert. Je crois qu’il y a là deux sujets. Le premier concerne les dépenses passées, sur lesquelles la Cour des comptes a mené un travail : nous savons que cela a coûté très cher. Le second aspect est le futur : pourquoi les récents appels d’offres éoliens n’ont-ils pas trouvé preneur, alors même que vous nous indiquez que le secteur est mature et compétitif ? Si par ailleurs ce secteur est effectivement mature et compétitif, pourquoi est-il nécessaire de continuer à le soutenir de la sorte ? Le nucléaire a bénéficié d’un avantage en matière spatiale, dans la mesure où les centrales ont été implantées à un temps où l’acceptabilité sociale n’était pas un critère. Vous avez, tout comme le solaire, bénéficié d’une prime économique. Or il existe aujourd’hui de nombreuses nouvelles énergies qui demandent à être aidées. Sachant que le montant des fonds alloués n’est pas extensible, il est impératif de faire des choix. Il est donc très important pour nous de comprendre les raisons pour lesquelles il faudrait continuer à aider le secteur éolien.

M. Olivier Pérot. Concernant les appels d’offres, il faut savoir qu’il est nécessaire, pour pouvoir faire acte de candidature, de disposer d’un projet autorisé. Or une « panne » des autorisations s’est produite en 2018, due au fait que le décret mettant en place l’autorité environnementale chargée de donner un avis sur les autorisations a été annulé en Conseil d’État en décembre 2017. Depuis lors, le système d’autorité environnementale est défaillant et gouvernement et législateur n’ont toujours pas pris les mesures permettent de remédier à cet état de fait. La loi « énergie » va toutefois permettre, dans ses dispositions secondaires, de modifier un article de loi et ainsi de prendre un arrêté ou un décret mettant fin à cette difficulté. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de vide juridique quant au processus d’autorisation. La conséquence, confirmée par la commission de régulation de l’énergie et la direction générale de l’énergie et du climat, est que les appels d’offres de 2018 n’ont pas été souscrits, par défaut d’autorisation. Il s’agit donc d’un problème de réglementation, qui illustre bien la complexité administrative à laquelle doivent faire face quotidiennement les porteurs de projets et les exploitants.

M. le président Julien Aubert. Lorsque l’on parle de demande de contrat au titre des arrêtés tarifaires, cela concerne-t-il tous les projets ou seulement ceux de moins de six éoliennes ?

M. Olivier Pérot. Il existe aujourd’hui un double mécanisme : les appels d’offres pour le tout-venant et un système de guichet ouvert pour les projets de six mâts ou moins, avec des machines faisant moins de 3 MW. Il faut savoir que cette situation est transitoire, dans la mesure où le dispositif de guichet ouvert devrait s’éteindre en 2020.

M. le président Julien Aubert. La demande de contrat au titre des arrêtés tarifaires concerne-t-elle tous les contrats ?

M. Charles Lhermitte. Absolument. Il faut demander un contrat d’achat à EDF Obligation d’achat (EDF OA), que l’on soit en guichet ouvert ou en appel d’offres. Dans le cas du guichet ouvert, le tarif actuel est de 72 euros, sachant qu’une fois dépassée une certaine volumétrie d’électricité produite par le parc, le reste de l’électricité est vendu à 40 euros le mégawattheure.

M. Olivier Pérot. Il s’agit de 72 euros majorés. Nous avons regardé notamment les projets du premier appel d’offres de fin 2017 et considéré un projet moyen : ce dernier est à 65 euros. S’il avait été en guichet ouvert, sa rémunération, compte tenu du plafonnement, aurait été de 68 euros.

M. le président Julien Aubert. Au départ, vous étiez confrontés à de nombreux recours. Le législateur est intervenu, si j’ai bien compris, pour lever les procédures et faire en sorte que cela coûte moins cher. Lorsque l’on regarde le nombre de contrats signés depuis 2001 par EDF OA par type d’arrêté tarifaire dans le domaine éolien, on constate que ce chiffre s’établit à 1393 : arrêté du 8 juin 2001, 114 contrats ; arrêté de 2006, 154 ; arrêté de 2008, 751 ; arrêté de 2014, 344 ; à partir de 2016, 29 ; arrêté du 6 mai 2017, 1. La courbe ainsi obtenue monte progressivement, puis décroît à partir de 2008, jusqu’à parvenir à un seul contrat signé en 2017. Cette évolution me paraît relativement contre-intuitive par rapport à ce que j’ai compris de vos explications. J’avais en effet a priori le sentiment qu’avec la plus grande maturité et la meilleure compétitivité du secteur, il se produirait une augmentation constante du nombre de contrats, d’autant que tous les signaux ont été mis en place pour faciliter votre industrie. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

M. Charles Lhermitte. Je pense que c’est purement administratif. La rédaction des contrats est en effet bloquée chez EDF depuis un certain temps, pour des raisons administratives. Je vous assure que nous signons des demandes de contrats de complément de rémunération (DCCR) régulièrement et qu’il n’y a pas de baisse significative du nombre de contrats.

M. le président Julien Aubert. La moindre réponse aux appels d’offres éoliens est donc due exclusivement selon vous à la défaillance de l’autorité environnementale ?

M. Olivier Pérot. Absolument, dans la mesure où il est obligatoire d’obtenir une autorisation pour candidater à un appel d’offres. Le gouvernement a d’ailleurs, de manière dérogatoire, autorisé la participation aux dernières vagues d’appels d’offres sur simple présentation d’un certificat de dépôt de demande d’autorisation.

M. le président Julien Aubert. Je laisse la parole à Mme la rapporteure, qui souhaite vous soumettre à un « vrai ou faux ? »

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je vais m’appuyer sur des propos tenus lors de vos auditions. Il a été dit par exemple en substance que lorsqu’une éolienne est installée quelque part, les gens ne peuvent plus revendre leurs biens immobiliers, dont la valeur s’écroule. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Charles Lhermitte. Différentes études ont été menées sur la dévalorisation éventuelle de l’immobilier à proximité des parcs éoliens. Or aucune d’entre elles n’a à ce jour établi de lien de cause à effet entre l’implantation d’éoliennes sur un territoire donné et la chute de la valeur de l’immobilier sur ce même territoire. Il existe à ce sujet un rapport de l’ADEME ; un autre va être mis à jour très prochainement.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pourriez-vous nous communiquer ces éléments ?

M. Charles Lhermitte. Bien sûr.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Certains d’entre vous ont par ailleurs indiqué que l’on avait enlevé aux riverains la possibilité de se défendre contre les installations. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

M. Jean-Louis Butré. Cela concerne deux décrets préparés par Sébastien Lecornu et une commission à laquelle nous n’avons pas participé, ce que nous déplorons. Cela a abouti à la signature, par François de Rugy, de deux arrêtés. Le premier supprimait la possibilité pour les associations d’aller devant les tribunaux administratifs. Or les personnes résidant dans les hameaux près desquels on envisage d’implanter des éoliennes ne sont, la plupart du temps, pas très riches. La seule façon pour elles de se défendre était de se constituer en association et de porter l’affaire devant le tribunal administratif, instance de proximité, devant laquelle il n’est pas nécessaire d’avoir d’avocat, ce qui leur permettait de déposer un recours. Supprimer cette possibilité implique de s’adresser directement aux cours d’appel, plus loin géographiquement et avec des procédures plus coûteuses, puisqu’elles réclament l’intervention d’un avocat. En pratique, cette décision enlève aux riverains qui souhaitent contester l’installation d’une éolienne près de chez eux la possibilité de le faire. Cet arrêté, absolument scandaleux, est d’ailleurs attaqué par la Fédération environnement durable et d’autres associations en Conseil d’État. Nous considérons en effet que ce texte est totalement antidémocratique.

Le deuxième arrêté a consisté à cristalliser les moyens. En effet, les rapports des promoteurs sur les projets éoliens comptent environ 3 000 pages. Jusqu’alors, nous disposions de quatre mois pour en prendre connaissance avec nos avocats. Or cet arrêté a raccourci le délai à deux mois.

Ces arrêtés sont scandaleux pour la démocratie française. Ils sont le fruit du lobbying effectué par les promoteurs.

Concernant les questions immobilières, on peut mener des études et les payer, comme de nombreux promoteurs l’ont fait, en sollicitant de grands instituts de sondages et des gens qui ne connaissent rien à la question.

M. Charles Lhermitte. En l’occurrence, l’étude à laquelle nous avons fait référence a été réalisée par l’ADEME.

M. Jean-Louis Butré. L’ADEME est une officine des promoteurs éoliens depuis que Jean-Louis Bal, directeur de l’éolien, est devenu président du syndicat des énergies renouvelables. Il existe une collusion entre l’ADEME et les promoteurs éoliens.

M. Olivier Pérot. Je vous laisse la responsabilité de vos propos.

M. Vincent Thiébaut. Vos propos mettant en cause l’impartialité d’une agence de l’État ne sont pas tolérables dans le cadre d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Je préfère quitter cette salle. Je peux entendre que les stratégies mises en place ne vous conviennent pas ou suscitent des questionnements de votre part ; mais vos accusations sont très graves.

M. Jean-Louis Butré. Mes propos ne concernaient pas l’ensemble de l’ADEME, mais seulement sa partie éolienne.

M. le président Julien Aubert. Je me permets de vous rappeler que vous vous exprimez sous serment et que votre responsabilité pourrait être engagée si vous portez des accusations contre des personnes.

M. Jean-Louis Butré. Je m’exprime au nom de la Fédération Environnement durable et de ma longue expérience.

M. Olivier Pérot. Je souhaiterais revenir sur la question des recours. L’État a constaté une situation assez singulière, caractérisée par des recours systématiques, presque « industrialisés » pourrait-on dire, contre les projets d’installation de parcs éoliens. Cela constituait un véritable abus de droit, une forme d’obstruction à la justice. L’État a par conséquent cherché à permettre d’accélérer le traitement des recours, dans le souci de l’intérêt général, en proposant la suppression d’un degré de juridiction. Je pense que votre action s’est retournée contre vous : ces abus ont conduit le Gouvernement à prendre une mesure de ce type. Vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-mêmes. L’existence de kits fournis systématiquement aux opposants, tout comme les procédés d’intimidation des élus, sont autant de pratiques d’ailleurs dénoncées par l’Académie de médecine comme étant anxiogènes. Manipuler des peurs et effectuer de la désinformation n’est pas la bonne méthode ; cela s’est retourné contre les intérêts que vous défendez, souvent d’ailleurs plutôt privés que relevant de l’intérêt général. Il est important d’être raisonnables et rationnels.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez indiqué que 70 % des dossiers donnaient lieu à des recours. Or il est fait état par ailleurs d’un taux d’acceptabilité de près de 80 % chez les personnes résidant près des parcs éoliens. Ces chiffres paraissent contradictoires.

Qu’entendez-vous par ailleurs lorsque vous parlez de kits distribués aux opposants ? Cela supposerait l’existence de groupes organisés derrière les individus.

M. Olivier Pérot. Il suffit de consulter les sites, publics, de certaines associations, qui expliquent aux gens qu’ils doivent déposer des recours de façon systématique, détaillent la procédure à suivre et donnent des argumentaires. Il existe, derrière les riverains sur le sort desquels M. Butré essaie de nous faire pleurer, toute une organisation « industrielle », qui fait que les taux de recours sont très élevés et sans rapport direct avec la réalité du terrain que nous avons cherché à vous présenter. Il existe une distorsion entre le miroir que tendent un certain nombre d’associations et la réalité que nous constatons sur le terrain. Le taux de recours contre les projets éoliens est effectivement de 70 % environ, d’après les chiffres officiels fournis par l’administration. Or il faut savoir que 95 % d’entre eux échouent, ce qui montre leur caractère factice et témoigne du fait qu’ils constituent une obstruction à la justice.

M. le président Julien Aubert. Niez-vous l’existence d’un problème vis-à-vis de l’éolien ? Pensez-vous que les riverains sont spontanément enthousiastes à l’idée qu’un parc éolien soit installé près de chez eux ? J’ai vécu cette situation à un kilomètre de chez moi. Étant juge et partie, je ne me suis évidemment pas mêlé au débat. Or j’ai vu arriver une pétition contre les éoliennes comportant 3 000 signatures dans un canton de 5 000 habitants. Vous nous avez indiqué que plus les gens résidaient près de l’éolienne, plus ils en avaient une bonne image. Cette idée est relativement contre-intuitive.

M. Olivier Pérot. Il faut d’abord souligner que les questions d’acceptabilité sociale d’infrastructures sont générales dans la société aujourd’hui et ne sont pas propres au domaine éolien. Quel que soit le projet, cela suscite débat et oppositions.

Il faut laisser les professionnels, les élus, les riverains travailler ensemble. Certains projets sont ainsi modifiés après concertation. La réglementation est par ailleurs extrêmement exigeante et pointue. Comme l’indiquait M. Butré, les dossiers que nous devons déposer sont très volumineux. De nombreuses études sont effectuées et de nombreux avis, de diverses commissions et services de l’État, requis avant que, in fine, l’autorisation soit accordée ou non par le préfet, qui représente l’intérêt général et prend sa décision en toute connaissance de cause. Il peut bien entendu, ponctuellement, y avoir des oppositions. Laissons les professionnels de l’éolien, les élus, les représentants de l’administration traiter ces questions. Il n’est pas forcément nécessaire qu’interviennent des associations qui mènent leur action comme une croisade et font métier de susciter chez les riverains des oppositions et des réactions anxiogènes, fantasmées pour beaucoup, qui créent de la division. Ce sont ces pratiques que nous dénonçons. La réalité du terrain est ce qu’elle est : elle peut être plus ou moins favorable.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Faut-il nécessairement être directement concerné pour déposer un recours contre un projet éolien ?

M. Charles Lhermitte. Il faut avoir un intérêt à agir et le prouver.

N’oublions pas en outre que la plupart des projets présents aujourd’hui dans les mécanismes d’appels d’offres prévoient la mise en place de financements participatifs. Plus de 150 sociétés d’économie mixte (SEM) se sont créées en France et les collectivités sont en train de s’accaparer les projets. Parmi les investisseurs de l’industrie éolienne, on compte aujourd’hui au premier rang les collectivités locales. Ces éléments constituent des facteurs d’acceptabilité des projets.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Organisez-vous un démarchage systématique auprès des riverains des éoliennes, pour les convaincre que ces projets sont une mauvaise idée et leur expliquer comment déposer un recours ?

L’un d’entre vous a par ailleurs mentionné avoir travaillé dans le secteur nucléaire : est-ce le cas de nombreux membres de votre association ?

M. Jean-Louis Butré. Les associations de riverains se constituent d’elles-mêmes. Nous ne sommes pas les agresseurs ; les agresseurs sont les promoteurs éoliens qui essaient d’implanter de grandes machines de 200 mètres de haut près des habitations. Nous ne recevons pas de financements, contrairement à vous. Nous sommes tous bénévoles. La seule façon de lutter passe par la voie des associations. Vouloir raboter leurs droits est ignoble.

M. Arnaud Casalis. Une telle démarche est de surcroît anticonstitutionnelle.

M. le président Julien Aubert. Merci de bien vouloir répondre à la question de Mme la rapporteure sur vos liens éventuels avec le secteur nucléaire.

M. Jean-Louis Butré. Je tiens à préciser que nous regroupons toutes sortes de gens, depuis des zadistes qui se battent contre des parcs éoliens du sud de la France jusqu’à des personnes d’extrême-droite, des pro et des anti-nucléaires. Nous ne souhaitons pas parler de ce sujet. Ce n’est pas notre problème.

M. Patrice Cahart. Je puis vous assurer que je n’ai jamais eu le moindre contact et n’ai jamais travaillé, de près ou de loin, avec le secteur nucléaire. Je crois pouvoir dire que M. Casalis non plus.

M. le président Julien Aubert. Votre question, madame la rapporteure, concernait-elle le collectif que nous auditionnons, ou la fédération que préside M. Butré par ailleurs ?

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Elle s’adressait au collectif « Energie et vérité ».

M. Jean-Louis Butré. Le collectif réunit des gens de toutes les origines, des pro-nucléaires comme des anti-nucléaires.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Qu’en est-il de la Fédération environnement durable ?

M. Jean-Louis Butré. Elle est totalement apolitique et ne s’occupe pas du nucléaire.

M. Patrice Cahart. Nos interlocuteurs indiquent que la dépréciation immobilière n’existe pas : c’est contraire au bon sens. J’ai déposé précédemment au dossier une note rédigée par « Demeure historique », consistant en une étude sur des décisions de jurisprudence, qui montre qu’il existe couramment des dépréciations de l’ordre de 40 %.

M. le président Julien Aubert. Merci beaucoup pour vos contributions à cette audition un peu particulière.

M. Olivier Pérot. Serait-il possible de formuler quelques mots de conclusion ?

M. le président Julien Aubert. Si vos interlocuteurs en sont d’accord.

M. Patrice Cahart. Bien sûr.

M. Olivier Pérot. Nous vous remercions de nous avoir permis de nous exprimer et espérons avoir répondu à vos questions et contribué ainsi à clarifier des zones d’ombre éventuelles.

Je pense qu’il est vraiment nécessaire de s’inscrire dans une vision à long terme. Nous sommes en train de construire le système énergétique du XXIe siècle et il n’est pas possible pour ce faire de réfléchir en restant bloqués sur des choix du passé. Tout cela s’inscrit dans une stratégie de transition énergétique, dans laquelle l’éolien n’est que l’une des solutions. Nous ne prétendons pas, en effet, être la solution unique, mais une solution, économique, compétitive et créatrice d’emplois.

M. le président Julien Aubert. Merci beaucoup. J’espère que vous êtes satisfaits de l’impartialité avec laquelle ce débat a été conduit. Il vous aura, je le souhaite, permis d’exposer vos arguments, dans le meilleur climat de courtoisie possible compte tenu du caractère clivant du sujet et dans la limite du temps imparti.

Laudition sachève à treize heures dix.

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28.   Audition, ouverte à la presse, de Maître Anne Lapierre, avocate associée au bureau de Paris du cabinet Norton Rose Fulbright, expert du marché de l’énergie (16 mai 2019)

Laudition débute à quatorze heures quarante.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons maître Anne Lapierre pour notre première audition de cet après-midi.

Maître, vous êtes membre du comité exécutif de Norton Rose Fulbright. Vous êtes coresponsable de la pratique énergie mondiale de ce cabinet, associée au bureau de Paris et coresponsable du bureau de Casablanca.

Vous êtes une experte du marché de l’énergie. C’est à ce titre que votre nom a été proposé pour une audition. Vous avez participé à de nombreuses opérations de développement de projet de construction, de financement, d’acquisition et de transfert dans le domaine des énergies renouvelables, et dans les secteurs gaziers et pétroliers.

La transition énergétique est, comme son nom l’indique, le passage d’un état de choses à un autre. Votre expérience en France et à l’étranger vous permet d’avoir un regard comparatif qui nous intéresse.

Quelles sont les spécificités du marché de l’énergie français par rapport aux autres marchés ? Quels enseignements en tirer pour la transition énergétique en France ?

Existe-t-il différents types de transition énergétique ou bien s’y engage-t-on pour les mêmes raisons, en utilisant les mêmes moyens pour aboutir au même bouquet énergétique ?

La transition énergétique allie le recours à la subvention publique et le recours au crédit financier. Quels critères sont retenus par les établissements de crédit pour apporter leur financement aux différents types de projet ? S’agit-il nécessairement d’un cofinancement ?

Puisque vous avez une vision de long terme sur les énergies renouvelables, faut-il arrêter de subventionner certaines énergies dont on nous dit, d’un côté, qu’elles sont matures et compétitives et, de l’autre côté, qu’arrêter aujourd’hui la perfusion poserait un problème ? Est-ce franco-français ou est-ce que certains gouvernements étrangers ont fait des choix différents ?

Je vous propose de débuter par un exposé liminaire d’une quinzaine de minutes, puis nous vous interrogerons.

S’agissant d’une commission d’enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

(Maître Anne Lapierre prête serment.)

Maître Anne Lapierre, avocate associée au bureau de Paris du cabinet Norton Rose Fulbright. Monsieur le président, madame la rapporteure, je suis une avocate spécialisée dans le secteur de l’énergie, avec deux casquettes.

J’exerce en France, au Maroc et en Afrique subsaharienne une activité propre d’accompagnement de développement et de financement de projets énergétiques. Le développement consiste en l’assistance à la sécurité du foncier, des autorisations, à négocier des contrats de construction. Le financement consiste ensuite à trouver les moyens pour construire ces actifs et à s’assurer qu’ils soient opérés pendant plusieurs dizaines d’années.

J’ai également le plaisir d’avoir un rôle de management de la pratique énergie mondialement. Le cabinet Norton Rose Fulbright, fortement spécialisé dans le secteur de l’énergie, compte 56 bureaux dans le monde. Pour la pratique énergie elle-même, il compte environ mille avocats spécialisés dans le monde. Cela me donne, je crois, une vision assez bonne des pratiques à l’étranger. Nous y reviendrons, si vous le souhaitez.

S’agissant du marché français, je me présente devant vous animée de trois convictions.

La première, et cela correspond à l’objet même de votre commission d’enquête, c’est que la subvention est nécessaire - je le dis en tant qu’expert chargé du financement de projets. Elle est nécessaire, parce que dans le secteur de l’énergie, les prix sont extrêmement volatils, et la méthode actuellement retenue pour financer ce développement est celle du « financement de projet sans recours ». Elle n’est pas spécifique aux énergies renouvelables. Très bordée et proche de ce qui a été mis en œuvre pour les partenariats publics privés (PPP), elle consiste à financer au moins 80 % de l’investissement initial par dette bancaire. Les 20 % restants sont financés sur fonds propres. La signature n’est pas importante en soi, puisqu’est principalement considérée la rentabilité propre du projet.

Ma première conviction forte est qu’il faut maintenir la subvention pour permettre les finances de projets sans recours à long terme. J’y reviendrai en détail ultérieurement, me limitant à annoncer les sujets que j’envisage d’aborder.

Ma deuxième conviction, c’est que la politique énergétique, eu égard au type d’actifs concernés, nécessite une vision de long terme. L’ennemi est donc le court-termisme. La visibilité requise va bien au-delà et du cours de Bourse et d’une mandature. Il est important pour tous les acteurs, quels qu’ils soient, qu’un cadre légal et réglementaire adapté donne une visibilité à long terme sur les actifs en question. Dans le cas des énergies renouvelables, ces actifs sont de vingt ou trente ans pour le solaire ou l’éolien, probablement de cinquante ans pour l’hydraulique et de plus de soixante ans pour le nucléaire. On a donc besoin d’une visibilité très longue sur les coûts et les possibilités de les amortir.

Il faut donc une politique claire et de long terme. Je me permettrai de citer un exemple concernant l’éolien offshore et les choix faits à l’époque, lesquels expliquent, au moins pour partie, les prix négociés et obtenus par la France dans les premiers appels d’offres.

Ma troisième conviction porte sur une suggestion pratique et concrète dont la prise en compte, notamment par votre commission, introduirait, par un léger changement législatif rapide à mettre en œuvre, un profond changement dans le paysage du financement et du développement des énergies renouvelables. Il vise à accorder aux entreprises françaises la possibilité d’acheter de l’énergie verte directement aux producteurs tout en continuant à faire bénéficier leurs parcs du complément de rémunération, par le biais d’une question technique sur la garantie d’origine sur lequel je reviendrai. La loi ne le permet pas aujourd’hui, contrairement aux autres pays d’Europe, et cela pourrait être aisément corrigé.

J’en reviens au financement de projets sans recours. Cette méthode de financement classique que l’on retrouve dans d’autres secteurs économiques a pour objectif de préserver les ressources du bilan de l’acteur et, pour la banque, en auditant le projet, de s’assurer de son remboursement par les revenus exclusivement générés par le projet. L’actionnaire ne peut donc être appelé en garantie. L’intégralité des énergies renouvelables est aujourd’hui financée sur ce modèle, en France et ailleurs. Ce financement ne peut être réalisé que si le banquier a une visibilité à long terme. Au départ, la France avait fait le choix d’un tarif qui a permis le financement des différentes capacités existant en France aujourd’hui. On connaissait le prix. À partir du moment où on avait une vision sur la technologie et sur le gisement disponible, le banquier pouvait être relativement confortable sur les revenus qui seraient générés et sur la capacité de l’emprunteur à le rembourser.

Cette première technique permet de sassurer de léquilibre économique intrinsèque, donc de préserver les fonds propres. Elle nest pas utilisée exclusivement par les petits acteurs qui nauraient pas le bilan. EDF, Total, Engie financent lintégralité des développements dénergie renouvelable en financements de projets et absolument pas sur le bilan.

Toutefois cette technique n’est compatible avec l’envie de prêter du banquier qu’en présence d’une visibilité à long terme. Quel que soit le niveau de la subvention, et c’est à l’État de l’adapter en fonction du coût, il revient à l’État de lisser les fluctuations du marché et de garantir un revenu moyen suffisant pour s’assurer que les banques commerciales soient en position de prêter. Si tel n’est pas le cas on est comme dans la situation du nucléaire où les développements de capacité se font sur le bilan de l’investisseur, donc, le cas échéant, sur son actionnaire, puisque les montants et les durées de ces projets ne sont pas compatibles avec la mise en place de financements projets sans recours.

La grande différence, c’est que les capacités supplémentaires d’énergie renouvelable sont développées dans le monde avec de l’argent privé. C’est possible à partir du moment où l’État assure un lissage de la volatilité du prix de l’énergie. Je me suis permis de conserver mon téléphone portable à porter de main afin d’appeler votre attention sur la réalité de cette volatilité grâce à l’excellente application conçue par RTE, éCO2mix. Cette application, disponible pour tous, publie en live l’intégralité de la production et de la consommation française, des exports, vers où, du prix de marché en France et du prix de marché à l’étranger. Regardons, par exemple, la courbe du prix spot, aujourd’hui, à 14 heures. Ce matin, après avoir commencé à 34 euros le mégawattheure (MWh), vers 11 heures il est monté à 50 euros. Au début de notre réunion, il était d’environ 32 euros, il est monté à 35 euros et, au moment où je vous parle, il est d’environ 36 euros. Si le CAC 40 avait des fluctuations de 40 % toutes les cinq minutes, grandes seraient les difficultés des entreprises à lever des fonds ! Dieu merci, il n’en est pas ainsi. Il s’agit du marché spot, les prix des énergies renouvelables sont sur le marché de gros où, certes, la volatilité est moindre mais elle est moyennée. Il n’en reste pas moins que c’est extrêmement représentatif de la situation.

Quand le prix du marché de gros est à 50 euros, on peut penser que c’est formidable et que les énergies renouvelables n’ont plus besoin de subvention puisqu’on n’est pas très loin des prix ressortant aujourd’hui des appels d’offres. Cependant, l’année dernière, le prix du marché de gros était à 35 euros. Qu’en sera-t-il l’année prochaine, le mois prochain et le mois suivant ? Le banquier n’est là que pour faire son travail de prêteur et prendre un risque sur un projet qu’il a analysé. Le rôle de la subvention est de lisser cette volatilité. C’est la seule manière de lever des fonds privés. C’est pourquoi la subvention est requise.

En outre, suivant le type de génération, son niveau peut-être plus ou moins adapté. Au début, en France, la subvention pour le solaire était de 540 euros le MWh. Aujourd’hui, des appels d’offres ressortent à 50 euros. Le prix a considérablement baissé et le soutien a eu l’effet escompté. Grâce à l’investissement mondial, les volumes ont divisé par dix les prix du solaire.

Le soutien est indispensable pour lisser la volatilité. C’est mon premier message en tant qu’expert qui fait du financement et qui travaille tous les jours avec les banquiers.

À ce titre, je me permettrai de faire une suggestion à la commission. Il serait opportun d’entendre les grandes banques françaises dominantes sur le marché mondial du financement de projet sans recours, qu’il s’agisse de BNP Paribas, Société générale ou Calyon. Elles vous fourniront des chiffres très parlants et sur l’activité en France et sur l’activité ailleurs, puisqu’elles sont leaders dans le monde entier. En tant qu’experte juridique, c’est pour moi le juge arbitre. Est-ce qu’on a l’argent pour construire ces projets ? Est-ce que le banquier est prêt à le prêter ? Il serait intéressant que vous entendiez les banquiers à cet égard.

Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne la vision. Aujourd’hui le secteur de l’énergie a besoin d’une vision à long terme. C’est vrai pour la défense, c’est vrai pour l’éducation, mais cela l’est aussi pour l’énergie. La vision court-termiste est très destructrice de valeur. Il me semble qu’en France, on a fait des choix de soutien qui n’ont pas été entièrement suivis et mis en œuvre avec les moyens requis et on n’a pas obtenu le résultat que l’on était en droit d’attendre. Cela alimente beaucoup le lobby anti-éolien parce que, dans certains secteurs, les résultats peuvent être décevants, notamment pour l’offshore, notamment au regard de l’appel d’offres de 2012.

Je rappelle aussi que l’appel d’offres de 2004, dans lequel onze projets étaient soumis et un seul a été retenu, n’a pas donné lieu à construction. J’étais conseil des banques à l’époque. Le tarif était de 103 euros le MWh hors coûts publics, hors taxes, hors loyer. Puisqu’à l’époque, il n’y avait pas les mécanismes existant actuellement, on ne savait pas quel serait le niveau du loyer sur le domaine public maritime ni les impôts applicables à ce type de projet. On était donc, all in all, à environ 120 euros le MWh. Ce projet n’a pas pu voir le jour parce qu’à l’époque, le montant était insuffisant.

M. le président Julien Aubert. Quel montant ?

Maître Anne Lapierre. Le montant du tarif aidé accordé à l’époque.

Les appels d’offres 2011-2012 donnent lieu à une renégociation des prix. Quand on regarde les appels d’offres qui sortent aujourd’hui en offshore, on est en droit de se demander pourquoi le France payait un tarif aussi élevé pour ces premiers appels d’offres. Le gouvernement s’en est d’ailleurs ému et a entamé avec les opérateurs du secteur une renégociation qui a abouti.

Quelques éléments factuels qu’il est bon de rappeler.

Pour avoir le prix le plus bas, il faut faire concourir les candidats exclusivement sur le critère du prix. Quand on regarde les appels d’offres 2011-2012, sur les cinq zones d’origine qui avaient été accordées, on constate que le prix représente 40 % des critères retenus. Par conséquent, pour 60 %, l’État français a fait le choix, bien entendu légitime, de solliciter des candidats et d’accompagner le développement d’une filière, autant que le prix, puisque 40 % portaient sur la création d’emplois et d’usines nouvelles en France et 20 % sur le volet environnemental. En comparant les projets qui sortent en Europe du Nord avec les projets qui sortent en France, il faut garder en tête que pour 60 %, en France le prix annoncé ne couvre pas exclusivement le prix du kilowattheure (KWh) et du projet, mais un accompagnement plus global qui avait été sollicité à l’époque par le gouvernement.

Autre élément, le temps coûte, pour deux raisons. Parce que les autorisations ont des temps limités, dix ans s’étant écoulés, il faut redemander des autorisations. L’industrie a considérablement évolué également. L’appel d’offres de 2004 avait abouti à l’installation de machines de 5 mégawatts (MW), comme pour les premiers appels d’offres. Aujourd’hui l’industrie a beaucoup évolué, les machines sont très différentes et les autorisations qui avaient été accordées à l’époque ne leur correspondent plus. Le temps a un coût puisque, si on reste dans le même schéma, la machine qui va être installée sera sinon obsolète, du moins pas aussi performante qu’elle pourrait l’être à investissement égal.

Il me paraît important que le cadre légal et réglementaire soit adapté, qu’il y ait une visibilité à long terme et des engagements fermes, quelle que soit la politique choisie. Je ne milite pas pour le renouvelable ou pour le nucléaire, mais pour ce dernier, ce sera encore plus important. S’il est décidé d’y aller, il faudra trouver des solutions de long terme pour rassurer ne serait-ce que l’État, puisque la poche sera sans doute beaucoup plus profonde, même en cas de dépassement. On peut le voir pour Flamanville et pour les trois réacteurs en cours de construction. On constate le triplement ou le quadruplement des coûts de construction des EPR de nouvelle génération en Chine, en France ou en Finlande, et on a dix ans de retard. On verra si le volume induit une amélioration, s’il est décidé de lancer un programme complémentaire.

La question de la visibilité est fondamentale. Même sur le temps court des énergies renouvelables, « court », c’est vingt ou trente ans. Il est très compliqué, et pour les opérateurs et pour les financiers, de s’engager si des objectifs et des mesures de mise en œuvre ne sont pas clairement fixés. Sans mesures de mise en œuvre et sans moyens, l’objectif n’est pas de nature à satisfaire un investisseur et encore moins un banquier. Il importe d’avoir à l’esprit la visibilité. Ces dix dernières années, le secteur des renouvelables a vécu dans une instabilité chronique qui n’a certainement pas aidé à obtenir d’aussi bons résultats qu’on l’aurait pu. Par exemple, l’intégralité des arrêtés tarifaires de 2001, 2006, 2008, 2010, a été attaquée devant les tribunaux, et un certain nombre de dispositions ne sont pas mises en place.

Enfin, le point qui peut être modifié sans délai pour améliorer le cadre légal et réglementaire concerne la garantie d’origine. Comme le complément de rémunération a été mis en place en remplacement du tarif, manière dont la subvention aujourd’hui s’exerce, le législateur a prévu, à tort me semble-t-il, que le complément de rémunération entraîne le transfert de la garantie d’origine au bénéfice de l’État. Il a annoncé des enchères qui n’ont encore jamais eu lieu, mais je crois comprendre qu’elles seraient prévues pour la rentrée. En conséquence, les entreprises françaises qui ont des programmes d’achat, d’investissement et de consommation d’énergie verte importants et déclarés s’approvisionnent à l’étranger puisque, comme la garantie d’origine suit la subvention et non pas le KWh, une entreprise qui achèterait de l’énergie verte à un parc qui, par ailleurs, bénéficie de compléments de rémunération, ne pourrait pas acter qu’elle consomme de l’énergie verte, puisque la garantie d’origine est partie avec la subvention, de sorte que dans le registre des garanties d’origine, le KWh consommé n’est plus vert.

Donc, aujourd’hui, l’intégralité des grandes entreprises françaises – Aéroports de Paris (ADP), La Poste, Danone, Nestlé, Chanel… -, grosses consommatrices d’énergie, s’est clairement positionnée pour acheter de l’énergie verte directement à des producteurs d’énergie, principalement auprès des pays nordiques. Je tiens à dire que la Commission européenne a reconnu la validité d’un complément de rémunération, que c’est une garantie d’origine, au bénéfice soit du producteur, soit de l’acheteur du KWh vert, et que le France et l’Allemagne sont les deux seuls pays en Europe où cela n’est pas possible. Le « paquet énergie-climat » qui est sur la table de la Commission européenne prévoit que c’est possible, et il est expliqué pourquoi c’est possible dans le texte qui est sur la table depuis plusieurs années. Je pense qu’il serait bien que la France s’ajuste rapidement pour ne pas être le dernier pays en Europe, derrière l’Allemagne, à permettre ce type de mécanisme. Les Hollandais bénéficient aujourd’hui d’un parc offshore sans subvention, pour des raisons très particulières liées à ce parc. Dans la mesure où il existe un autre parc à proximité, les coûts de maintenance et de raccordement sont beaucoup plus faibles. Les Pays-Bas ont fait preuve d’un engagement sans faille, puisque le parc voisin a été construit en 2005. Depuis, le soutien est sans faille, qui est rendu possible par la présence d’un acteur de long terme qui achète et récupère la garantie. Ils ont pu le faire sans subvention. Orsted, l’opérateur, a indiqué que c’était en raison de ces conditions particulières, mais, pour les autres parcs offshore en Europe, les off-takers sont des entreprises privées qui récupèrent la garantie alors que la subvention est versée aux producteurs.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pouvez-vous revenir sur la possibilité pour une entreprise française d’acheter directement au producteur ?

Maître Anne Lapierre. Techniquement, il n’y a pas d’impossibilité. Une société peut se sourcer où elle veut et acheter du KWh à un parc éolien ou à un parc solaire. En raison de la volatilité à laquelle je faisais référence, sans complément de rémunération, aucune entreprise n’ira, d’autant qu’on parle d’un positionnement à l’achat sur quinze ans ou sur vingt ans. Cela s’appelle le « corporate PPA » et cela existe partout dans le monde sauf en France et en Allemagne. La subvention est requise pour permettre le lissage et s’assurer que le prix moyen auquel s’engage l’entreprise est acceptable. S’il y a une prise de risque de la part de l’entreprise, il y a une visibilité sur les coûts et un pari fait sur le prix de l’énergie à long terme. Chez nous, ce n’est pas fait, ou seulement à la marge, sur des tout petits volumes, dans le Sud-Est de la France, sur des parcs solaires profitables hors complément de rémunération en raison de l’importance de l’ensoleillement. Mais cela ne peut absolument pas permettre au marché français de se développer conformément aux objectifs que nous avons souscrits. Si l’on veut aider le développement, les opérateurs doivent avoir un acquéreur qui s’engage à un prix fixe à long terme. Le complément de rémunération a mis les acteurs sur le marché. Il lisse et assure un filet qui permet aux banquiers de s’engager. Mais en pratique, en raison de la volatilité, les agrégateurs – un parc de 12 MW ne peut aller seul sur le marché et il contracte avec un agrégateur qui vend et achète des volumes sur le marché – ne sont pas capables de s’engager au-delà de trois ans. Tous les contrats d’agrégation actuels sont des contrats de trois, voire quatre ans. Les agrégateurs sont de grands acteurs. C’est Agregio, l’agrégateur d’EDF, c’est Uniper. Ils ont un bilan et sont capables d’aller sur le marché, mais ils ne prennent pas de risque au-delà de trois ans, faute de visibilité sur le prix du marché.

Nous serions donc plus confortables vis-à-vis du banquier si on pouvait lui dire, par exemple : j’ai le complément de rémunération pour cette quotité-là et La Poste va m’acheter pendant vingt ans mon électricité à tel prix du KWh. J’obtiendrais une baisse importante du coût de financement, parce que je donnerais de la visibilité sur les revenus. La Poste le fera seulement si elle peut dire qu’elle remplit ses obligations RSE et qu’elle achète de l’énergie verte. Pour démontrer qu’on achète et qu’on consomme de l’énergie verte, il faut présenter des garanties d’origine. Pour chaque MWh d’éolien ou de solaire produit, est émise une garantie d’origine. C’est un produit qui se « trade ». On enregistre toute la production verte dans le registre. On sait combien de KWh ou de MWh verts la France a produit. Cela sert aussi aux obligations de reporting de la France au regard de ses objectifs européens, pour savoir où en est notre pourcentage de production renouvelable dans le bouquet global par rapport aux engagements que nous avons souscrits. Cette garantie permet de déterminer si le KWh est vert ou gris. Dès qu’il est dans le tuyau, on ne peut connaître la source d’un électron. Un électron vert est rigoureusement identique à un électron carboné. Pour justifier du caractère vertueux de sa consommation, il faut être capable de démontrer qu’on est propriétaire des garanties d’origine en quantités correspondantes. Cela est contrôlé par un registre. La problématique, c’est que la subvention, donc le complément de rémunération, emporte automatiquement le transfert de la garantie d’origine à l’État. Donc la garantie d’origine devient attachée à la subvention et non au KWh.

M. le président Julien Aubert. La garantie d’origine suit la subvention et non le KWh ?

Maître Anne Lapierre. Pour chaque MWh produit par le parc éolien ou solaire, un certificat de garantie d’origine est émis. La question est de savoir à qui il appartient. En cas de complément de rémunération, la loi dit, d’où la nécessité d’une modification législative, que l’État est propriétaire de ce certificat de garantie d’origine émis par le parc éolien ou solaire, parce que ce parc est déclaré comme bénéficiant du complément de rémunération. L’État n’achète par des KWh, il donne un complément de rémunération en soutien. Le producteur doit vendre sa production sur le marché, ce qu’il fait par le biais d’un agrégateur. Sauf qu’à ce moment-là, il n’a plus la garantie d’origine. Il n’en est pas titulaire puisqu’elle a été émise directement au nom de l’État. Par conséquent, en réalité, le producteur éolien ne vend pas de l’énergie verte, techniquement au regard de nos obligations de reporting, notamment au regard des obligations de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Elles ne peuvent pas l’enregistrer dans leurs propres comptes.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. L’énergie est produite verte, mais parce que l’État est propriétaire de la garantie d’origine, le producteur ne peut pas faire valoir que c’est une énergie verte parce qu’ils n’ont pas le bon associé ?

Maître Anne Lapierre. Exactement. Ce n’est pas attaché aux KWh.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Le KWh est donc passé d’énergie verte à énergie grise uniquement parce que le certificat qui va avec a été perdu, lequel reste aux mains de l’État, qui ne le valorise pas ?

Maître Anne Lapierre. Les opérateurs se sont plaints de cette situation, puisque cela n’a jamais été valorisé. Avant, cela s’appelait certificat vert, maintenant cela s’appelle garantie d’origine, mais c’est la même chose. Depuis 2000, cela n’a jamais été valorisé par l’État, ou plutôt par EDF, à l’époque propriétaire de tous les certificats verts émis dans le cadre du prix d’achat, puisqu’ils payaient non seulement un KWh mais aussi un tarif avec une subvention. Tout est transféré, à savoir le KWh et les « droits attachés ».

C’est aujourd’hui un marché distinct. Une grosse majorité des garanties d’origine vertes qui circulent ou qui sont attribuées à de la consommation verte en France sont des garanties d’origine qui ont été achetées sur les marchés et produites par les barrages hydrauliques des pays nordiques, parce qu’on a décorrélé le KWh de la garantie. Ce n’est pas forcément un mal, sauf que la France est le seul pays où, si on bénéficie d’une subvention, on ne peut pas conserver sa garantie d’origine ou l’attribuer directement à son acheteur. Ce serait l’idéal car les producteurs éoliens n’ont pas besoin d’être propriétaires de la garantie d’origine. On pourrait les faire remettre directement au consommateur, donc à La Poste, par exemple.

Mais aujourd’hui, ce n’est pas possible. Le renouvelable est sur le marché, conformément à la loi. Ce marché sait trouver des acheteurs de KWh gris à trois ans et, tous les trois ans, il faut de nouveau trouver une solution de sortie sans prix garanti. Ce serait beaucoup mieux si l’on avait une vision financière à long terme par un prix garanti pour des entreprises qui achèteraient au long cours, à un prix fixe indexé et pourraient justifier ce qu’elles consomment. C’est très important pour les opérateurs français. Aujourd’hui, l’opérateur français qui veut agir en conformité avec la responsabilité sociale des entreprises est dans une démarche beaucoup plus verte que ne le demande la loi. Il veut pouvoir dire qu’il consomme la production du parc éolien qui est à côté de son usine. Or il ne peut pas le faire aujourd’hui. Pour remplir ses obligations, il achète des garanties d’origine sur les marchés ou directement des certificats de KWh verts fournis par des gens qui ne vendent que de l’électricité verte mais qui, sauf pour un ou deux d’entre eux, les plus petits, se sourcent de cette façon sur les marchés de garanties d’origine.

Il y a un petit sujet qui me paraît facile à régler. Aujourd’hui, dans mon cabinet, nous faisons des contrats « corporate PPA » de long terme avec de la subvention en Angleterre, dans les pays nordiques, en Espagne, au Portugal et aux Pays-Bas, mais je ne peux pas en faire chez moi. La semaine dernière, j’ai eu le plaisir d’animer au Sénat une formation sur les « corporate PPA » à laquelle participaient 200 grands acheteurs français de la grande distribution très consommatrice d’électricité, comme Auchan, Métro, Picard – les grands producteurs d’acier ne sont pas les seuls gros consommateurs d’énergie L’intégralité de ces entreprises souhaite savoir comment acheter de l’énergie verte directement auprès des opérateurs, notamment à des unités de production proches de leur lieu d’implantation. C’est important non seulement économiquement mais aussi dans le cadre de leur démarche très valorisée par leurs propres employés. Cela contribue à l’engagement de la population locale, mais aussi des salariés du groupe qui sont fiers de savoir qu’ils consomment du KWh de telle ou telle unité de production voisine.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Aujourd’hui, les entreprises sont-elles obligées de justifier qu’elles achètent un pourcentage d’énergie verte ?

Maître Anne Lapierre. Pas du tout ! C’est un choix.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Mais un choix qui les valorise en termes de communication et d’image.

Maître Anne Lapierre. Tout à fait ! Vous êtes au fait de l’initiative RE100 regroupant environ 150 entreprises qui se sont engagées à consommer 100 % d’énergie verte. Tel est l’objectif.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il suffirait, par un biais législatif, de permettre qu’une énergie verte soit bien valorisée comme étant verte.

Maître Anne Lapierre. La direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) était réticente à ce sujet parce qu’à l’origine, elle craignait que ce soit perçu comme une double rémunération : complément de rémunération, plus garantie d’origine valorisée sur le marché. Ce n’était pas du tout la demande des opérateurs. À l’époque, ils avaient exprimé le besoin de la garantie d’origine pour permettre à leurs clients d’acheter leur énergie. Et s’il y avait eu une valorisation de cette garantie d’origine, on aurait pu imaginer un mécanisme de versement des profits éventuellement réalisés au titre de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) afin d’en minorer le montant. Cette crainte a justifié la position d’origine. La situation actuelle résulte uniquement du schéma voté et construit puisque, entre-temps, comme je l’indiquais au début, la Commission européenne, dans le paquet énergie-climat qui est sur la table, a clairement précisé qu’elle considérerait que la garantie d’origine n’était pas une subvention complémentaire à une subvention existante et qu’elle créerait une rente indue si elle était laissée au bénéfice du producteur, en plus de l’aide qu’elle aurait par ailleurs validée dans le cadre des procédures européennes.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Les deux sont complètement différentes. La valeur énergie et la valeur de ce bon vert. Les deux ont des vies économiques séparées ?

Maître Anne Lapierre. Oui !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. L’un a une valeur de « médaille verte » et, de l’autre côté, c’est de l’énergie. Les deux ne sont pas liées. L’énergie verte et la « médaille verte » vivent chacun dans son coin leur vie économique.

Maître Anne Lapierre. Elles le peuvent ou elles ne le peuvent pas. Je vous parle de la valeur de marché. Il y a aujourd’hui un marché des garanties d’origine. Ce n’est pas énorme mais cela suit le modèle de l’offre et de la demande. La garantie d’origine a bien une valeur et on peut légitimement penser qu’elle en aura de plus en plus. Aujourd’hui, elle ne vaut pas grand-chose. Comme nous sommes dans des schémas d’investissement à quinze ou vingt ans, on pouvait peut-être craindre que dans dix ans, cela vaudrait tellement cher que ce serait indu. L’objectif des opérateurs et des entreprises françaises n’est pas de s’approprier une valeur, s’il devait y en avoir une, mais de vendre et acheter de l’énergie verte. Des mécanismes comme celui que je proposais peuvent être utilisés. On avait demandé à EDF de s’occuper de l’obligation d’achat, ce qu’il a fait pendant dix ans. Il était rémunéré pour le coût de gestion de cette obligation d’achat et le reste était payé par la contribution au service public de l’électricité (CSPE). On peut imaginer de nommer un opérateur pour se faire, lequel serait indemnisé pour son travail sur le marché et reverserait 100 % du reste, sans profit, à la CSPE.

Cela a une valeur, parce que l’objectif des acteurs et des entreprises est de pouvoir dire qu’ils achètent de l’énergie verte. Cette valeur est sans doute représentée dans le prix de long terme que l’acheteur est prêt à payer, qui n’est pas le prix de marché. C’est pourquoi la rémunération est nécessaire. Cela dépend aussi de votre vision du prix de marché sur vingt ans.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Comme on ne peut pas flécher l’énergie parce qu’on consomme juste un volume, on va demander aux producteurs d’énergie nouvelle de générer un équivalent vert, et on achètera la plus-value équivalent vert à part.

M. le président Julien Aubert. On achète de l’électricité à l’étranger.

Maître Anne Lapierre. Les acteurs n’achètent pas forcément l’électricité à l’étranger, ils achètent surtout les garanties d’origine. Si je m’engage à consommer 30 % d’énergie verte, soit j’achète à des opérateurs étrangers de l’énergie et des garanties d’origine à hauteur de 30 % de ma consommation, soit j’achète à mon fournisseur habituel 100 % de ma consommation et 30 % de garanties d’origine sur le marché, ce qui a un coût.

M. le président Julien Aubert. Dans ces conditions, l’étranger ne vous vend pas de l’électricité mais uniquement la garantie d’origine ?

Maître Anne Lapierre. Il peut faire les deux, mais il peut ne vendre que de la garantie d’origine. C’est ainsi que s’approvisionne la majorité de ceux qui vendent de l’énergie verte aujourd’hui, à commencer par les grands opérateurs.

M. le président Julien Aubert. Vous me faites peur. Imaginons que je veuille acheter du jambon de qualité produit à Bayonne. Des gens disent qu’ils achètent du jambon à Bayonne, mais comme on refuse de leur dire qu’il est de Bayonne, ils demandent à des producteurs de jambon d’Aoste de leur vendre la marque Aoste. Je peux donc consommer du jambon de Bayonne sans savoir qu’il vient d’Aoste puisqu’il a le label de qualité. Il y a donc des gens qui vendent du jambon d’Aoste et qui, à côté, vendent leur marque d’Aoste.

Maître Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Rassurez-vous, il n’y a que du jambon de Bayonne. Cela s’appelle de l’électron. Il n’y a qu’un type d’électricité. Dès lors, comment connaître la source ?

M. le président Julien Aubert. Comment puis-je vendre une garantie d’origine sur une électricité que je n’ai pas vendue ?

Maître Anne Lapierre. Si, vous l’avez vendue !

M. le président Julien Aubert. Si je suis un producteur italien d’énergie verte et si un Français souhaite m’acheter des garanties d’origine sans que je lui aie vendu d’électricité, je peux lui vendre des garanties d’origine qui reflètent le fait qu’il a acheté de l’électricité verte à un opérateur français. Qu’est-ce que je lui vends ? Cette électricité ne vient pas de chez moi.

Maître Anne Lapierre. C’est pourquoi je trouverais tout à fait légitime que les entreprises françaises puissent acheter leur électron accompagné de sa garantie d’origine auprès du parc éolien ou solaire implanté à côté de chez eux. Dès lors, tout serait du jambon de Bayonne !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il n’y a qu’une seule qualité de jambon-électron, mais cela s’apparenterait plutôt à l’idée du bien-être animal. Certains diront qu’ils valorisent à part un type d’électricité. Certains vont vendre de l’énergie verte sur le marché de l’énergie grise sans le valoriser et garder à part ce qui était attaché à leur énergie verte pour le valoriser peut-être à des coûts plus intéressants.

Maître Anne Lapierre. Ou peut-être pas !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Ils ont donc intérêt à vendre leur énergie sur le marché de l’énergie grise quand celui-ci est plus intéressant et de garder les bons verts pour les vendre sur ce marché-là quand il est plus intéressant, plutôt que de garder les deux corrélés.

Maître Anne Lapierre. C’est vrai, mais c’est le genre de pari que vous pouvez prendre quand vous n’avez plus de banquier et que vous avez amorti votre projet à 100 %. Vous pouvez alors faire des arbitrages sur le marché spot.

C’est le système mis en place au niveau européen, comme tous les certificats.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. S’ils ont intérêt à le vendre à part, ils vont perdre la garantie verte sur une partie. Il n’y a pas plus de bons verts que d’énergie verte produite. Les deux volumes sont…

Maître Anne Lapierre. …Identiques !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Cela veut dire qu’ils vont vendre de l’énergie réellement verte comme si elle était grise en abandonnant cette plus-value pour la garder de l’autre côté.

M. le président Julien Aubert. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !

Maître Anne Lapierre. En production renouvelable à plus de 70 %, les pays du Nord ont donc un excédent et produisent plus de garanties qu’ils n’ont d’acquéreurs.

M. le président Julien Aubert. Sauf qu’il peut y avoir un mouvement spéculatif.

Maître Anne Lapierre. Tout à fait !

M. le président Julien Aubert. On produit de l’électricité « verte » pour un objectif environnemental – il faudrait d’ailleurs débattre de ce qu’on entend par « vert » - et on s’aperçoit que des acteurs ont réussi à mettre en place un commerce dérivé des titres d’origine du produit, un marché dérivé du bon vert.

Maître Anne Lapierre. Pas les acteurs ! La Commission européenne et les États membres ont mis en place un marché qui fonctionne ainsi. Je voudrais juste que les acteurs français puissent acheter de l’électron vert à côté de chez eux.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Cela veut dire qu’on peut produire vert et ne pas avoir le label qui va avec.

Maître Anne Lapierre. On l’a perdu !

M. le président Julien Aubert. Vous avez expliqué qu’il y avait, d’un côté, des bons, et, d’un autre côté, la production verte. Vous avez dit qu’EDF ou l’État – c’était un peu flou - a la garantie d’origine. Or EDF a imposé une obligation d’achat.

Maître Anne Lapierre. L’obligation d’achat était propriété d’EDF, mais depuis le dispositif du complément de rémunération, elle est propriété de l’État.

M. le président Julien Aubert. Où vont aujourd’hui ces bons de garantie d’origine ? Est-ce qu’EDF récupère, du fait de l’organisation du système électrique, des garanties d’origine des énergies renouvelables ?

Maître Anne Lapierre. Non. En tout cas, elles n’ont jamais été valorisées.

M. le président Julien Aubert. Ce n’est pas la question que je vous ai posée. Est-ce qu’EDF est propriétaire des garanties d’origine du fait de l’organisation du système électrique ?

Maître Anne Lapierre. Oui, à l’époque. Pour tous les contrats en cours avec tarif d’achat, donc les vieux contrats.

M. le président Julien Aubert. Dans le système des appels d’offres, qui sera propriétaire.

Maître Anne Lapierre. L’État.

M. le président Julien Aubert. Vous dites que ce n’est pas valorisé. Sous-entendu : EDF ne revend pas.

Maître Anne Lapierre. Je vous invite à leur poser la question. Tout ce que je peux vous dire en tant qu’expert qui travaille avec les différents opérateurs, c’est que je n’ai pas vu de mécanisme de mise en vente ou de valorisation.

M. le président Julien Aubert. Si on considère que ces garanties d’origine ont une valeur marchande, ce que vous semblez pointer, dans la mesure où EDF est propriétaire d’une partie des garanties d’origine, et pour cause, puisque le législateur l’a obligé à racheter l’électricité verte, si on lui enlevait cette garantie qui a une valeur, qu’il pourrait revendre sur un marché, ce qu’il fait peut-être – on ne lui a pas posé la question – on opère un transfert de valeur. Cela revient à obliger EDF à racheter l’électricité verte et à lui dire : le seul gain que vous auriez pu obtenir en rachetant une garantie d’origine, vous ne l’aurez plus. Jusqu’à présent, aucun des opérateurs que nous avons auditionnés, qu’il s’agisse d’opérateurs d’énergie verte ou EDF, ne nous a mentionné ce sujet. Si on modifie la loi sur la partie ancienne, EDF est perdant.

Maître Anne Lapierre. Non. Le perdant pourrait être, le cas échéant, l’État, puisque les contrats en cours sous obligation d’achat se poursuivent et emportent l’acquisition du KWh. Ces contrats ne concernent pas mon propos. Mon propos touche l’intégralité des capacités additionnelles que nous souhaiterions voir sortir de terre dans le cadre des objectifs. Ce sont donc nécessairement des parcs en complément de rémunération. Ce sont des parcs dont la garantie d’origine va à l’État. Cela ne remet pas en cause le stock sur lequel est assis EDF et qu’il vend peut-être à ses clients.

M. le président Julien Aubert. Vous dites que vous ne visez pas le système qui existait avant, dans lequel EDF rachetait à prix garanti, mais le système nouveau d’appel d’offres mis en place à partir de 2016-2017, qui concerne donc l’État.

Maître Anne Lapierre. Oui !

M. le président Julien Aubert. Néanmoins, le problème demeure. L’État, qui est désargenté, pourrait très bien décider de revendre ces garanties d’origine.

Maître Anne Lapierre. C’est ce qu’il a l’intention de faire. En tout cas, c’est ce qu’il a annoncé.

M. le président Julien Aubert. Au début des Caractères, La Bruyère écrit : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté. ». L’État qui subventionne allègrement un certain type d’électricité pourrait abaisser son coût en disant : « Je vous ai subventionné, vous, éolien, mais la garantie d’origine étant à moi, je vais la revendre afin d’alléger le coût. » Il y aura donc bien un transfert de valeur du public vers le privé.

Maître Anne Lapierre. Cela dépend du montage du système. On pourrait trouver un mécanisme dans lequel la valeur serait reversée à la CSPE.

M. le président Julien Aubert. Qui ne sert plus à cela.

Maître Anne Lapierre. Il s’agirait de limiter le coût de subvention. L’acheteur consommateur de cette énergie verte ne cherche pas à trouver une position marché favorable sur la garantie d’origine mais à dire qu’il consomme du KWh vert. Il n’est pas en quête de la valeur de la garantie, il est en quête de sa labellisation. On peut donc tout à fait imaginer que l’opérateur consommateur ait l’obligation de vendre et de verser le produit de cette vente aux fins de réduire la subvention. Il y a deux éléments : la labellisation du KWh et la valeur qu’on peut y attacher ou pas.

M. le président Julien Aubert. Vous dites qu’on pourrait rattacher la garantie d’origine, le label vert au KWh. L’acheteur aurait son label. En revanche, quand il le vendrait, il serait obligé de rétrocéder à l’État le produit de cette vente.

Maître Anne Lapierre. On pourrait imaginer qu’un organisme, qui pourrait d’ailleurs être EDF, se charge, comme dans le cadre des enchères, de collecter, de céder et de remettre au pot de la CSPE l’intégralité des produits à partir du moment où, dans le registre, l’entreprise sera nommée comme étant la consommatrice du KWh vert concerné.

M. le président Julien Aubert. Ce serait moins complexe si on n’avait pas bâti un marché financier dérivé de l’électricité. Autant je trouve très bien l’idée de produire de l’énergie verte, autant je m’étonne qu’on puisse en faire commerce sur un marché dérivé. Cela me fait penser au dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE).

Maître Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je ne comprends pas très bien les jeux boursiers autour des CEE.

Maître Anne Lapierre. Je ne suis pas compétente pour vous répondre. Je fais du financement de projets sans recours. Je ne suis pas très au fait des CEE.

M. le président Julien Aubert. Vous avez parlé de la volatilité du prix spot.

Maître Anne Lapierre. Du prix spot et du prix tout court !

M. le président Julien Aubert. Depuis dix ans, cette volatilité s’accroît-elle ou se réduit-elle ?

Maître Anne Lapierre. Elle est identique. En théorie, elle a vocation à se réduire par l’augmentation du foisonnement. Le prix de l’électricité est très corrélé à la saisonnalité, à la température et à l’équilibre offre-demande. Cela fait partie de l’ADN de ce type de marché.

M. le président Julien Aubert. Quand il n’y avait pas d’énergie renouvelable, le coût de production et le marché de la demande étaient stables. Grâce à des séries statistiques, on arrivait à peu près à prévoir les pics de demande. En revanche, je considérais intuitivement que plus il y a d’énergies intermittentes et plus la volatilité devrait s’accroître, puisqu’au moment où il n’y a plus de vent, le prix augmente. Vous dites que non, grâce au foisonnement. Cet argument est avancé par ceux qui considèrent que l’intermittence, ce n’est pas si grave, mais le problème avec un marché spot, c’est qu’on est toujours à la marge. Cela nous fait une belle jambe de savoir que statistiquement, le prix sur l’année est de 45 euros le MW si le 22 février, à 22 heures, le prix est monté à 90 euros et si, le 23 octobre, il est descendu à 20 euros. Nous sommes vraiment sur la marge, ce qui désorganise les capacités et oblige à réveiller des centrales endormies. C’est là où se trouve le coût caché de l’organisation. Si vous dites que le foisonnement devrait réduire la volatilité mais qu’on ne le constate pas, je peux en déduire que l’argument est en termes statistiques et en théorie mais pas en pratique.

Maître Anne Lapierre. Dans une vision moyennée et lissée, c’est absolument vrai, mais une gestion du réseau à la seconde près est nécessaire, car l’intermittence est réelle. La volatilité est sans nul doute due à la production, mais surtout et avant tout à la demande. L’entreprise Réseau de transport d’électricité (RTE) a un rôle central d’ajustement à jouer. Comme vous, j’entends tout et n’importe quoi sur le sujet. Les anti-éoliens disent qu’il faut mettre une centrale à gaz derrière chaque éolienne. Je n’en sais rien, je suis avocate. Je lis le seul acteur qui me paraît crédible, à savoir RTE, qui dit comment il voit l’intégration des renouvelables dans son réseau et les surcoûts. C’est à celui qui va porter les coûts liés à cette volatilité et à l’intégration des actifs qu’il faut demander quel est le problème, si problème il y a. Tout devient smart : smart grid, smart meter, on est dans une importante transition du « pack » énergétique, une transition digitale et de distribution de l’énergie avec beaucoup moins de centralisation. À ma grande surprise, je lis dans un rapport publié hier par RTE avec l’Association nationale pour le développement du véhicule électrique (AVERE), que la prévision de 20 % à 40 % de voitures électriques en France à l’horizon 2035 ne lui pose aucun problème de réseau.

M. le président Julien Aubert. À votre grande surprise ?

Maître Anne Lapierre. Oui, puisqu’il y a trois ans, on pouvait lire, pas nécessairement de leur part, que la croissance du véhicule électrique allait engendrer des coûts d’équilibrage de réseau si élevés qu’on serait incapable de les intégrer.

M. le président Julien Aubert. Je vous pose la question parce que vous avez dit que, compte tenu de la volatilité, l’État doit lisser le marché pour permettre aux banques de prêter.

Maître Anne Lapierre. Oui !

M. le président Julien Aubert. Savoir si le développement de certaines énergies intermittentes peut accroître la volatilité n’est pas seulement un sujet théorique. Pour le solaire, on peut prévoir l’alternance de la nuit et du jour, tandis que pour l’éolien, le vent étant compliqué à prévoir, on évoque le foisonnement. Mais plus on développe le potentiel éolien, plus il y a de volatilité, plus on doit lisser le marché et plus les États doivent s’engager pour la compenser, ce qui risque de finir par poser un problème de financement public. La limite pourrait ne pas être technique mais en termes de risques pour les finances publiques. C’est pourquoi je voudrais connaître votre point de vue, vous qui n’êtes ni productrice ni responsable des finances publiques.

Maître Anne Lapierre. Cela dit, il faut prendre mes réponses avec réserve sur ce sujet, puisque je ne suis pas une spécialiste des finances publiques. Je crois ce que disent la Cour des comptes et RTE sur les coûts d’ajustement. L’intermittence a sans doute un coût. A-t-elle le coût réel des capacités installées ? Clairement pas. Est-ce qu’il y a du foisonnement ? Oui. D’ailleurs, je ne comprends même pas qu’on se demande si le foisonnement est théorique ou pas. La question est de savoir jusqu’à quel point il fonctionne. RTE équilibre son réseau en permanence, chaque seconde, tous les jours et toutes les nuits que dieu fait. Il suffit de regarder la manière dont il le fait. Il utilise ce qu’il a. Effectivement, de temps à autre, il déclenche un groupe d’urgence, mais surtout il utilise les interconnexions. On est en Europe sur une plaque électrique qui, par le smart grid, est voué à se développer. Donc, on voit bien que le coût de l’intermittence n’est peut-être pas neutre, mais sans doute pas non plus aussi important que certains le disent de par l’existence du foisonnement.

Dans l’industrie dans laquelle je travaille depuis vingt ans, je suis frappée de constater à quel point cela a changé. La France a mis en place un système de soutien du solaire à 540 euros le MWh. Aujourd’hui le prix est dix fois inférieur. Ce n’était pas en 1912 mais il y a dix ans. Aujourd’hui on met en place du stockage, de l’hydrogène. On n’a pas de solution économique aujourd’hui, en tout cas en France.

Je ferai un aparté. Il est intéressant de garder à l’esprit la spécificité de la France, Avant que je commence à travailler, nous en étions 80 % de nucléaire et nous en sommes aujourd’hui à environ 70 % et 15 % d’hydraulique, le reste en renouvelable et autres. Dans le reste du monde, le nucléaire représente environ 18 % de la production, le complément étant fourni par du charbon, du fioul, du renouvelable, etc. Vous m’avez demandé si, à bouquet énergétique différent, la même solution donnerait le même résultat. La réponse est « non ». Il suffit de regarder la France et l’Allemagne, qui a beaucoup de nucléaire, beaucoup de charbon. On ne peut pas toujours mettre en place les mêmes solutions. Il est d’ailleurs intéressant de regarder la manière dont on s’entraide en permanence. Nous leur vendons du KW nucléaire et nous leur achetons du KW charbon. Il faut garder à l’esprit qu’en dehors de l’Europe et des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la subvention n’existe pas. Dans le reste du monde, les énergies renouvelables sont toutes, depuis bien longtemps, à parité réseau.

Je suis cogérante du bureau de Casablanca. Aujourd’hui, la production solaire au Maroc est six fois moins chère que la production charbon et trois fois moins chère que la production thermique. Des programmes solaires à concentration avec stockage y sont développés. Il y a aujourd’hui huit heures de stockage. Dans le solaire à concentration, il y a un liquide caloporteur, huile ou sel fondu, que l’on chauffe. Quand il fait nuit, à l’heure de pointe au Maroc, on a créé de l’énergie avec du soleil.

M. le président Julien Aubert. Quel pourcentage du mix électrique cela représente-t-il ?

Maître Anne Lapierre. L’objectif 2020 de capacité installée renouvelable est de 42 % et l’objectif 2030 de 53 %.

M. le président Julien Aubert. Pour fournir 50 % de l’électricité ?

Maître Anne Lapierre. Non. Mais une bonne partie. Le Maroc a du solaire douze heures par jour et huit heures de stockage. Pour un projet situé à Ouarzazate, Il y a suffisamment de soleil pour alimenter en même temps le réseau et le stockage. On s’oriente vers des solutions qui ne sont pas adaptées pour la France en raison de son niveau d’ensoleillement. Toutefois le marché de l’énergie n’est pas un marché français mais un marché mondial. Par exemple, Orsted, premier opérateur mondial d’éolien offshore, était partenaire d’EDF dans les appels d’offres 1 et 2 mais est parti, car le projet français était trop compliqué et trop cher et parce que leurs capitaux propres étaient sans doute mieux investis ailleurs. Ils sont d’ailleurs en train de sortir le premier parc éolien offshore aux États-Unis.

La compétition d’équipements, de capitaux et de financements est mondiale. Il faut faire attention à ce qu’on fait de ce point de vue. Le défaut d’attractivité conduit les opérateurs à investir ailleurs. D’ailleurs, Total et Engie sont dans une transition très forte et dans des investissements très élevés.

M. le président Julien Aubert. C’est un peu contradictoire, puisque vous disiez que chaque pays a son mix énergétique. Comme nous sommes singuliers, devons-nous suivre notre propre chemin de transition énergétique, ce qui supposerait de ne pas copier l’Allemagne, voire nous demander si au plan européen il serait intéressant d’avoir des mix énergétiques différents ? Imaginons que tout le monde fasse de l’éolien à 40 %, que se passerait-il le jour où il y aurait une panne de vent en Europe.

Maître Anne Lapierre. Cela n’arriverait pas car il y a des façades maritimes différentes.

M. le président Julien Aubert. Statistiquement, la Bourse monte et baisse, ce qui, à 99,99 %, ne pose pas de problème Dans le secteur électrique, d’une part, compte tenu des interconnexions, un problème peut se communiquer à toute l’Europe, et, d’autre part, que se passe-t-il les trente secondes ou la minute où il n’y a pas d’offre face à la demande, pas de rapidité suffisante et où l’on risque un black-out total ? Les conséquences économiques sont énormes. Dans votre argumentaire, vous semblez plaider pour que chaque pays ait sa voie tout en disant que si nous ne faisons pas comme les autres nous risquons de voir les capitaux s’investir ailleurs.

Maître Anne Lapierre. Je pense qu’il ne faut pas faire comme les autres. Chacun doit suivre sa voie. Dans tous les pays émergents, les renouvelables sont très profitables en raison des expositions au dollar qu’induisent le pétrole, le fioul et le gaz. Je partage votre avis : le mix devrait être européen, mais c’est une question d’indépendance nationale. Le choix est très différent suivant la situation. Quelque 1,3 milliard de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’électricité. Dans de nombre de pays, l’intermittence n’est pas un sujet. Le sujet est d’avoir un peu d’électricité de temps en temps. Les grands pays ne font pas de nucléaire, car construire des réseaux à leur taille serait trop long, trop lourd, trop cher. La réponse est très différente selon les pays. En revanche, si on a besoin en France d’un opérateur agissant sur d’autres marchés et si nous ne sommes pas assez attractifs, il ne viendra pas chez nous.

Cela dit, quoi que l’on pense de l’éolien, il relève d’une vision à long terme et le nucléaire d’une vision à encore plus long terme. Je ne suis pas sûre que notre débat soit toujours adapté, parce que le développement d’une centrale nucléaire prend dix ans et sa construction dix ans, soit la durée de vie d’un parc éolien ou solaire.

En outre, il y a dix ans, on installait des machines d’un mégawatt. Aujourd’hui, on constate un accroissement de la production, quelles que soient les énergies, et un développement mondial du stockage. Au regard de ce que j’ai vécu ces dix dernières années, il ne me semble pas déraisonnable de penser que d’ici dix ans, on trouvera d’autres solutions à des coûts acceptables. Je m’interroge donc sur l’opportunité de m’engager dans une technologie qui, aussi fiable soit-elle, et elle l’est, m’emmène à soixante ans dans vingt ans, donc à quatre-vingts ans. Est-ce que, d’ici quatre-vingts ans, on n’aura pas trouvé d’autre solution ? Je suis sûre que si. Je suis convaincue que la grande révolution de demain, c’est l’hydrogène. Ce ne sera pas économiquement rentable tout de suite, il faudra créer de grandes flottes. Le contribuable français n’a peut-être pas besoin de s’engager sur quatre-vingts ans.

M. le président Julien Aubert. Dans le domaine énergétique, je peux comprendre que l’on ait des convictions et que l’on avance des prévisions statistiques, mais n’oubliez pas qu’il y a dix ans, lorsqu’on faisait des projections au sujet du pétrole, on affirmait qu’en 2020, les États-Unis seraient importateurs nets d’énergie fossile. Aujourd’hui ils sont exportateurs de gaz de schiste dans le monde entier.

Maître Anne Lapierre. En 2020, ils seront le plus gros exportateur mondial, devant l’Arabie saoudite.

M. le président Julien Aubert. Il faut donc modérer le propos. Si j’avais du pétrole, j’aurais pu envisager de le vendre aux États-Unis dix ans de plus, date à laquelle je pensais qu’ils seraient importateurs nets.

En matière de technologie, je partage l’idée qu’à un moment donné, on saura faire du stockage, la question est de savoir quand. Quand on voit à quel rythme une batterie de téléphone portable peut se décharger rapidement, on mesure la complexité de réaliser du stockage à l’échelle d’une ville. Mais cette incertitude pèse sur nombre d’autres domaines, qu’il s’agisse de la fusion nucléaire dont on nous dit qu’elle est pour quarante ou soixante ans, de l’hydrogène, dont on nous dit qu’elle est la révolution à venir et qu’on ne doit pas s’engager dans les véhicules électriques parce qu’on ne pourra pas financer deux types d’infrastructures, du gaz - on nous dit que l’hydrogène c’est bien, mais il est une solution immédiate – ou des biocarburants, dont on nous dit que d’ici cinq à dix ans, grâce aux algues, on produira des biocarburants verts. À un moment donné, on se doit d’établir une stratégie qui, à défaut d’être réversible, soit suffisamment flexible pour encaisser les chocs de technologie, avec le risque inverse – songeons à la jurisprudence Minitel – lié au fait de mettre tous ses œufs dans le même panier. Si, en 2019, persuadé que le stockage électrique sera opérationnel d’ici dix ans, j’arrête la recherche en matière de nucléaire, je prends le risque de rencontrer dans dix ans un problème de tuilage.

Toutefois, j’ai relevé que vous avez dit que le nucléaire était financé sur fonds propres parce que trop coûteux, contrairement aux énergies renouvelables, pour lesquelles on a recours à de l’endettement privé. La question étant aussi celle du subventionnement, j’en profiterai pour vous poser deux questions en même temps.

L’un de nos problèmes, c’est qu’on commence à attendre les limites de l’acceptabilité politique du financement de la transition énergétique. On prélève 7 à 8 milliards d’euros par an, et je doute que l’on puisse dire aux Français qu’on va prélever le double sur leur dépense en matière d’automobile parce qu’on ne sait pas s’il vaut mieux investir sur les éoliennes ou sur l’hydrogène. Il va falloir faire des choix. L’une des questions est de savoir si, considérant, comme vous le dites, que l’éolien ou le solaire sont très compétitifs dans d’autres pays, il faut arrêter de les financer pour faire porter l’effort ailleurs, avec le risque de tuer une industrie naissante. Pensez-vous qu’il est temps de mettre un terme à ce système de financement ? Vous avez plutôt plaidé pour la stabilité. Je comprends bien l’intérêt de la volatilité, mais au plan économique, avez-vous des éléments de comparaison ?

Deuxièmement, la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) nous a dit : n’y pensez pas, car au train où vont les choses, d’ici quelques années, le nucléaire devra émarger lui aussi à ces mécanismes d’aide via le marché, ce qui semble contredire votre argument selon lequel le nucléaire est à part et est financé sur fonds public. Je pense que le nucléaire n’est pas une activité comme les autres et que, dans le secteur privé, vous ne trouverez aucun assureur, aucune banque qui accepte d’investir pour cinquante ans dans un projet présentant un danger important même si les risques sont maîtrisés. Comment voyez-vous les choses ?

Maître Anne Lapierre. J’avais commencé à répondre à la première question. Le financement de projets ne se fait que sur des actifs autofinancés offrant une visibilité sur le retour et non sur des actifs de marché. Un certain nombre d’acteurs avec de gros bilans pourraient prendre ce risque. Aujourd’hui, personne ne peut se permettre cela, personne ne le fait, ni en France ni ailleurs. Dans les pays où il n’y a pas de subvention, il y a des contrats d’achat à long terme. C’est toujours la même question. Dans les pays en voie de développement, les financements sont opérés par des banques non commerciales, ce qui ne permet pas de puiser dans la même poche de cash privée, importante au niveau mondial. Ils sont réalisés par des banques de développement, tels qu’OPIC-ASC, les Américains, l’Agence française de développement (AFD), Proparco, la Banque européenne d’investissement (BEI). Dès qu’il y a du risque dans les endroits dépourvus des systèmes de sécurité que nous connaissons aujourd’hui, comme les réseaux distants, il n’y a pas de financement de projet sans recours. Il est fait sur le même modèle mais par des banques publiques, qui investissent de l’argent public.

M. le président Julien Aubert. En Europe, que voyez-vous ?

Maître Anne Lapierre. En Europe, la mise en œuvre est spécifique à chaque pays membre mais dans le cadre de la même législation, et le financement est réalisé par les mêmes banques.

M. le président Julien Aubert. Y a-t-il des mécanismes de chiffre d’affaires garantis ?

Maître Anne Lapierre. Bien sûr ! Au Royaume-Uni, existe le Contract for Difference (CfD). À ma connaissance, aucun des pays n’est au prix de marché.

M. le président Julien Aubert. On nous a dit ce matin que la Grande-Bretagne avait cessé ses aides à l’éolien terrestre.

Maître Anne Lapierre. Je l’ignore. Ce n’est pas mon marché personnel. Je suis en charge de la practice. J’ai une grosse équipe à Londres qui s’occupe de cela et je suis surprise de ce que j’entends. Il est possible que ce soit prévu dans le temps.

M. le président Julien Aubert. Deux facteurs de stabilité interviennent dans le processus : pour celui qui produit l’électricité, il y a le prix pour lequel l’État investit et il y a le fait d’avoir un acheteur. Dès lors que c’est compétitif et mature et qu’il y a des pays où les tarifs sont plus bas, pourquoi l’État ne sponsoriserait-il pas quelque chose de moins coûteux ? Il pourrait dire à La Poste d’acheter de l’électricité produite par tel champ éolien, et avoir ainsi un client à un prix garanti sans engager les finances publiques.

Maître Anne Lapierre. ADP et la SNCF se positionnent aussi.

M. le président Julien Aubert. Mais on ne sait plus si ADP est public ou privé. On n’a pas forcément les mêmes réponses dans cette équipe, mais j’espère que le peuple va trancher.

A-t-on besoin d’avoir « ceinture et bretelles » ? En vous écoutant, j’ai le sentiment que vous réclamez deux systèmes d’assurance : par la différence de prix portée par l’État et par la longévité de l’achat.

Maître Anne Lapierre. Oui !

M. le président Julien Aubert. Ne pourrait-on se contenter de la ceinture ? L’État ne garantirait plus rien, sachant qu’en revanche, on aiderait de l’autre côté.

Maître Anne Lapierre. C’est l’objectif ultime. Mais aujourd’hui, aucun opérateur ne va acheter pour la totalité du prix et sans complément de rémunération.

M. le président Julien Aubert. Ce que je ne comprends pas, puisqu’on me dit que les prix baissent et que la filière est mature. Il peut y avoir une variabilité.

Maître Anne Lapierre. Ce n’est pas un problème !

M. le président Julien Aubert. Mais une variabilité, c’est tantôt haut et tantôt bas. Il y a des moments où l’on y perd et d’autres où on y gagne.

Maître Anne Lapierre. C’est une position d’opérateur, pas une position de banquier. Le banquier a besoin d’un cash-flow permettant de s’assurer du remboursement de la dette à des échéances précises. Des opérateurs privés seraient-ils prêts à prendre ce risque ? Sans aucun doute. Mais le problème est de savoir comment financer. C’est ultra-capitalistique !

M. le président Julien Aubert. En ce cas, j’ai une question encore plus dure. Pourquoi a-t-on laissé le secteur privé s’emparer de ce domaine ? Si c’est vraiment fortement capitalistique, si l’État doit garantir, pourquoi, de la même manière qu’un EDF fait du nucléaire, ces projets, à partir d’un certain niveau, ne seraient-ils pas montés uniquement par des opérateurs publics ? Compte tenu de la variabilité et de l’incertitude liées à ce secteur et de la timidité des banques privées, pourquoi n’est-ce pas public ? Si l’État doit venir en nounou pendant de longues années, cela ne relève pas uniquement de l’initiative privée !

Maître Anne Lapierre. L’État n’a ni les moyens ni la compétence de le faire. Le développement de ce genre de projet demande du temps, de l’intégration dans les territoires. De plus, je ne suis pas sûre que l’État ait vocation à être producteur d’électricité…

M. le président Julien Aubert. Pas directement, mais il l’est par EDF.

Maître Anne Lapierre. …en concurrence avec EDF.

Je pense que l’État n’a pas les moyens et que nous avons d’autres besoins. C’est tellement vrai que même sur les actifs publics comme les hôpitaux, les écoles, les frégates, l’État fait financer, par le mécanisme du partenariat public-privé (PPP), ses propres infrastructures stratégiques par les banquiers privés en financement de projets sans recours. Cela dégage toute cette trésorerie du budget de l’État.

M. le président Julien Aubert. Avec…

Maître Anne Lapierre. … Une garantie !

M. le président Julien Aubert. …un coût in fine, parce que les PPP, c’est compliqué.

Je voudrais maintenant vous poser une question sur le modèle capitalistique des entreprises de l’éolien. Ce matin, lors d’une audition, nous avons parlé de l’entreprise RES, que je connais bien, puisqu’elle est dans mon département. Grâce à un modèle de chiffre d’affaires garanti par des moyens divers et variés, son capital initial de 10 millions d’euros a été valorisé à 245 millions d’euros et elle a pu créer une seconde entreprise de 45 millions d’euros, les 200 millions d’euros restants n’ayant pas été placés dans l’entreprise fille ou cousine, mais à l’étranger. Beaucoup d’opérateurs privés qui, à partir de capitaux de base encore plus faibles – quelques milliers d’euros – parviennent à bénéficier largement d’un système d’aides publiques, une partie du gain ainsi obtenu partant dans des paradis fiscaux voire dans des circuits plus douteux. La personne auditionnée citait l’Italie où la mafia avait investi le marché.

Vous qui êtes dans une position stratégique, qu’avez-vous à dire sur ce modèle de structuration ? Vous paraît-il choquant que le modèle de l’éolien français permette une rentabilité égale à 220 % du capital social et un rendement aux actionnaires supérieur à 8 % ? Pensez-vous qu’il existe deux types d’entreprises dans l’éolien et que ce n’est qu’une partie de l’écosystème ? Pensez-vous qu’une partie de cet écosystème aurait des liens ou des financements douteux ?

Maître Anne Lapierre. Je n’imagine pas que l’objet de cette commission d’enquête soit de « balancer ».

M. le président Julien Aubert. N’hésitez pas à « balancer » des opérateurs. Tout figurera au compte rendu !

Maître Anne Lapierre. Plus sérieusement, je crois que c’est une ligne d’activité qui génère un certain nombre de fantasmes. Elle génère des profits mais aussi des pertes.

Il y a plusieurs types d’opérateurs. Il y a d’abord les gens qui font du développement. C’est le cas de l’entreprise RES, à l’origine un bureau d’études qui a été acheté par le groupe McAlpine. Le développement est assuré en France et ailleurs dans le monde par de toutes petites structures ancrées dans le territoire. Les grosses sont handicapées pour faire ce type de démarche. C’est la raison pour laquelle, comme ils ont d’importants besoins de croissance, Total, Engie et d’autres achètent énormément sur le marché des développeurs afin de récupérer le « pipe-line » en cours de développement. Au départ, je le répète, c’est beaucoup d’approche de territoire, d’intégration. Des acteurs comme Valorem y sont très attachés. Ces gens n’ont absolument pas les moyens financiers de construire ce qu’ils ont développé. En général, ils le vendent à quelqu’un ayant les moyens et la stature financière nécessaires pour rencontrer un banquier.

Il y a ensuite les très gros, qui ont du mal à faire du développement et qui rachètent beaucoup de « pipe-lines » et qui sont de grands portefeuilles. On trouve parmi eux beaucoup d’utilities et des spécialistes du secteur et qui ont bien grandi. On trouve beaucoup d’étrangers, ce qui génère une sorte de racisme économique qui me stupéfie. Le président Giscard d’Estaing a parlé, devant l’institut Montaigne, du « lobby germano-danois ». Ces deux pays qui ont soutenu depuis le début les énergies renouvelables et permis l’émergence d’une filière sont aujourd’hui dominants dans le monde des équipementiers.

Il y a donc plusieurs types de gens, qui gagnent leur vie différemment : soit, ils développent pour leur compte, construisent et exploitent, soit, ils développent et vendent.

Par ailleurs, les fonds investis ne le sont pas par le capital social. Je ne connais pas le statut de RES, à l’heure actuelle, mais il se trouve qu’en France, nous avons une autre spécificité que le nucléaire, assez handicapante, qui est le statut des industries électriques et gazières, lié à la contribution à la retraite des fonctionnaires de cette industrie. Si vous avez le code NAF – nomenclature d’activité française – dans votre création d’entreprise de production d’électricité, ce qui est le cas de l’intégralité des sociétés qui portent de l’éolien et du solaire, vous n’enregistrez pas vos salariés dans cette structure, parce que les coûts sont largement anti-compétitifs. C’est pourquoi tous les salariés figurent dans la société mère, qui est généralement la société de développement régie par la convention collective Syntec, qui contribue normalement aux différents organismes. Les maisons mères n’ont donc pas besoin d’être ultra capitalisées, puisque ce sont des sociétés de développement.

Ensuite, faire un financement de projet sans recours, c’est assurer l’investissement à 100 % dans la structure et le repaiement exclusivement par les produits de l’actif. On dira, par exemple, que l’actif vaut 30 millions d’euros, je mets toutes les autorisations dans une structure toute neuve que je crée, je mets un peu de capital. En général, les fonds propres sont apportés en comptes-courants d’associés et pas en capital. On a cette espèce de petit vase clos qu’est la société de projet, qui est généralement une filiale à 100 %. Mais comme il n’y a pas de recours, elle est isolée. Toute la valeur est dans la structure contrôlée par le banquier, puisque, dans la documentation de financement, il a un droit de regard sur l’intégralité des documents de projet. On ne peut rien toucher, il contrôle les flux sur les différents comptes bancaires pour s’assurer que sa dette est garantie. Dans ce type de structuration avec une société holding et en dessous, un tas de sociétés « filles », qui sont des sociétés de projets portant des actifs, soit en développement, soit en production, la valeur réside évidemment dans l’équipe qui a eu la compétence de le faire, mais la valeur économique de l’actif se trouve dans la société de projet, capitalisée ou pas. Du point de vue du droit des affaires et du droit français des sociétés, les fonds propres sont soit du capital, soit des comptes-courants d’associés. Ce sont généralement des comptes-courants d’associés, beaucoup plus flexibles par rapport aux besoins. Souvent la banque dit : « Je veux bien mettre 80 % si vous mettez 20 % en même temps que moi ». Si je tire 10 millions d’euros sur la dette bancaire, j’alimente le compte d’actionnaire sans être obligé de mettre 100 % des fonds propres au début de la construction. Je vais injecter l’argent de l’actionnaire parallèlement à l’argent de la banque. C’est beaucoup plus souple que de faire des augmentations de capital, qui requièrent, en droit des sociétés, un certain formalisme.

Par conséquent, pour moi, la capitalisation n’est pas un critère. La question est plutôt de savoir combien de personnes ont travaillé pendant combien d’années pour développer ce qui a été vendu. Quelle marge a été faite et est-elle légitime ? Elle est légitime car obtenue dans le cadre d’un marché, sous réserve de ce que vous indiquiez. Il est vrai qu’il a été dit que la mafia avait développé et financé des énergies renouvelables dans le sud de l’Italie pour faire du blanchiment. Il n’y avait pas d’équilibre économique dans les projets, mais cela permettait de blanchir de l’argent issu d’autres activités.

Pour le reste, notamment pour RES qui est un acteur extrêmement respectable, je n’ai pas été confrontée à des sujets de cette nature. L’argent a été gagné légalement et les profits réalisés légalement. La question est de savoir si l’importance du soutien justifie que le gouvernement ou le citoyen le jugent excessif. On connaît le coût de l’équipement à un moment donné. Le coût du KWh dépend du nombre d’heures pendant lesquelles cet équipement fonctionne. À investissement égal, on a beaucoup plus de marge sur un parc à 10 000 heures que sur un parc à 2 200 heures. Les questions de l’implantation et du raccordement sont des questions-clés. En Allemagne, on a récemment pris le parti de pondérer l’aide en fonction de la nature du site, les sites moyennement ventés étant plus soutenus que les sites plus ventés, afin d’assurer une meilleure répartition du développement sur le territoire et d’éviter toute rente indue. Il y a ainsi adéquation entre la subvention et les capex, en corrélation entre le nombre d’heures et les coûts. L’exercice avait d’ailleurs été demandé par les opérateurs, ce qui n’est pas encore le cas en France. Un parc un peu ancien implanté dans une zone ultra-ventée en France est sans doute très profitable. Un parc qui s’est pris dix ans de recours, 300 000 euros de raccordement et implanté dans une région moins ventée n’a sans doute guère plus de 5 % de return.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous avez dit qu’en France 60 % du prix ne couvre pas le projet lui-même mais les obligations annexes.

Maître Anne Lapierre. Ce commentaire concerne exclusivement l’éolien offshore dans les appels d’offres 1 et 2, pour expliquer pourquoi aujourd’hui le prix en France est très différent du prix constaté ailleurs. D’une part, le temps est passé – huit ans – et, d’autre part, à l’époque, le cahier des charges imposait aux opérateurs de construire des usines en France.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quels sont les freins qui existent en France et qui n’existent pas à l’étranger, qui rendent l’implantation de projets en France plus compliquée qu’ailleurs ?

Maître Anne Lapierre. Dieu merci, cela s’est beaucoup réduit et le cadre s’est beaucoup amélioré, même si on ne le constate pas encore dans les faits. En France, il y a déjà une problématique fiscale. Avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), ce qui était avant la taxe professionnelle est réparti entre le département, la région, l’EPCI et la commune. La commune d’accueil ou l’EPCI est donc loin de percevoir 100 % des taxes payées par le parc. En outre, la ressource fiscale est redistribuée entre les communes membres de l’EPCI en fonction du nombre d’habitants. Par définition, les parcs éoliens sont implantés dans des communes ayant peu d’habitants pour éviter les nuisances proches des habitations. Il existe donc un frein fiscal extrêmement handicapant. Quand vous avez un développement à faire, il n’est pas facile d’expliquer au maire pressenti pour porter le projet que l’argent partira chez le voisin qui ne verra pas l’éolienne.

À cela s’ajoute l’absence de vision à long terme assumée par le gouvernement. On vit dans une incertitude telle qu’il est très difficile de mettre en œuvre des mécanismes de volume, de développement, de construction.

J’ai parlé de la garantie d’origine. Il faut reconnaître que beaucoup a été fait, notamment la suppression du premier degré de juridiction dans l’éolien. Comme je l’ai indiqué, les projets offshore font l’objet de 100 % de recours et les projets onshore, 70 %. En moyenne, n’importe quelle activité économique assujettie à des autorisations de l’État fait l’objet de 20 % à 30 % de recours, et 95 % de ces 100 % et 70 % sont tranchés en faveur des développeurs. Il y a une opposition ferme et le temps coûte de l’argent. Le fait qu’en France, il faille sept à dix ans pour développer un parc, contre trois à cinq ans dans les autres pays d’Europe, est un vrai frein. Je salue l’amélioration administrative mais je pense qu’on peut encore faire mieux.

M. Vincent Thiébaut. Actuellement, on prévoit principalement des contrats sur vingt ans basés sur le critère du prix. Ne faudrait-il pas envisager une durée différente et assortir les profits générés d’une obligation de réinvestissement dans le secteur de l’énergie ou dans la recherche et développement ? Cela pourrait être une manière de développer à vision à long terme. Je partage votre point de vue : vingt ans, dans l’énergie, c’est très court.

Maître Anne Lapierre. Ce serait une bonne chose mais comment cela serait-il financé ? La réponse est financière. Si j’ai un emprunt à dix ans pour financer le même actif, contre un emprunt à quinze ans, il faudra que le prix affiché soit beaucoup plus élevé afin que le banquier soit sécurisé pour le remboursement dans la période. À partir du moment où l’on envisage des solutions autres dans la durée, par exemple vingt ans, on peut être suivi par les banquiers. Mais si on a des obligations d’investissement à qui reviennent-elles ? À l’emprunteur ? À l’actionnaire ? Comment ce dernier est-il sécurisé ou rémunéré pour ses obligations ? À partir du moment où personne ne veut s’engager, on met tout dans la société de projet. On met les éléments en termes de subvention, en termes de KWh, on fait rembourser le banquier, on essaie de faire sa marge et c’est bouclé comme ça. Si on veut le faire différemment, il va falloir investir et on ne sera plus dans le financement d’un projet sans recours et un special purpose vehicle (SPV), on sera avec des engagements d’actionnaires portés dans le temps qui devront être financés. C’est en cela qu’il faut une vision stratégique.

Si je prends l’exemple du Maroc et du plan solaire pour la Méditerranée – 2 gigawattheures (GWh) de solaire -, ils ont imposé un centre de recherche-développement et ils font des appels d’offres sur toutes les technologies : solaire à concentration parabolique, solaire à concentration tour. Ce dernier, correspondant à l’appel d’offres n° 3 est le plus cher, mais il y a un centre de recherche-développement sur site où toutes les technologies sont présentes. Ils ont accepté de payer un premium dans le prix du KWh pour le faire et être libres de leurs choix pour les vingt ans à venir. C’est un choix qui a un coût, mais un coût nécessairement public. En tout cas, c’est ainsi financé au Maroc.

Après, la question est celle de la répartition du risque. Si l’État souhaite avoir recours au financement privé, ce qui permet de démultiplier ce qu’on fait, il doit y avoir une répartition juste des responsabilités et des rôles. Sans vision sur ce point, il ne se passe pas grand-chose, et la seule façon de faire avancer les choses, c’est le financement public. Mais le levier n’est pas du tout le même. Et quand on regarde les besoins en trillions pour le secteur de l’énergie dans le monde, et je rappelle que nous sommes en compétition avec d’autres pour les investissements, il est impératif d’avoir recours à la finance commerciale, ce qui passe nécessairement par un partage des rôles et des risques entre le privé et le public, donc par une vision à long terme. Faute de quoi il n’y a pas d’accès à cette manne privée. Quelle est la vision et quel est le rôle de chacun ? Si ce n’est pas défini, la seule solution, c’est le financement par une société contrôlée par l’État.

M. le président Julien Aubert. Merci de votre présence et de votre participation.

Laudition sachève seize heures vingt-cinq.

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29.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur, consultant en énergie (16 mai 2019)

Laudition débute à seize heures vingt-cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons pour notre deuxième audition de l’après-midi M. Jean-Marc Jancovici.

Monsieur Jancovici, vous êtes expert des sujets d’énergie-climat.

Vous êtes associé fondateur du cabinet Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans la transition énergétique et l’adaptation au changement climatique. Vous êtes également président-fondateur du groupe de réflexion « The Shift Project », qui réfléchit aux conséquences du changement climatique et de la raréfaction des énergies fossiles. Vous enseignez à Mines ParisTech.

Notre commission d’enquête a notamment pour objet l’impact environnemental des énergies renouvelables. De ce point de vue, une interrogation globale peut porter sur le point de savoir, entre les différents types d’énergies renouvelables, quelle énergie il serait pertinent de privilégier, si l’on retient la décarbonation comme premier objectif de la transition énergétique.

La réponse sera-t-elle la même si l’on donne à la transition énergétique un objectif de réduction, parfois de suppression, du recours à l’énergie nucléaire ? Dans cette hypothèse, le gaz ne deviendrait-il pas, de fait, l’énergie de la transition énergétique ?

Que penser de la politique actuelle menée depuis dix ans, largement fondée sur les énergies électriques éoliennes et photovoltaïques ? Faut-il changer de braquet ? Faut-il qu’il y ait un shift dans la transition énergétique à la française ?

Monsieur Jancovici, nous allons vous écouter pour un exposé liminaire de quinze minutes. Puis les membres de la commission d’enquête vous interrogeront à leur tour avec, d’abord, les questions de notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert.

S’agissant d’une commission d’enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

(M. Jean-Marc Jancovici prête serment.)

M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur, consultant en énergie. Monsieur le président, madame et messieurs les députés, afin de tenter de répondre à votre question relative à la décarbonation de l’énergie, je planterai le décor du paysage énergétique en France, en m’appuyant sur la projection d’un PowerPoint.

Le premier diagramme représente la consommation d’énergie finale en France, c’est-à-dire l’énergie payée par le consommateur final. C’est une énergie qui franchit le compteur d’un particulier, d’une industrie, d’une administration ou d’une association et qui alimente une machine. Si cette machine se trouve dans le secteur industriel, elle figure dans la colonne « industrie », si elle sert à transporter, elle figure dans la colonne « transport », si elle est dans un bâtiment de travail ou personnel, elle figure dans la colonne « tertiaire ou résidentiel », et si elle est dans les champs, elle figure dans la colonne « agriculture ». L’échelle est graduée en milliards de kilowattheures, c’est-à-dire en térawattheures.

En pointant l’énergie qui alimente une machine et dont la source primaire est issue des combustibles fossiles, vous constatez que le nucléaire, qui mobilise 95 % de l’espace médiatique sur le sujet, représente une fraction minoritaire de l’énergie finale. Il représente donc, comme le disent certains, 95 % du débat pour très loin de 95 % de la situation de départ. En France, l’essentiel des vecteurs énergétiques qui alimentent une machine est issu des énergies fossiles, comme dans les autres pays de l’OCDE. La grosse différence, c’est que si notre électricité est largement décarbonée, notre énergie finale ne l’est pas beaucoup moins qu’ailleurs.

Un autre diagramme explique pourquoi une large partie de l’argent est consacrée à des modes de production qui ne décarbonent pas le mix français, alors même qu’on parle de transition climatique. Quand on demande aux Français si le nucléaire contribue un peu ou beaucoup aux émissions de gaz à effet de serre, 80 % environ répondent oui. Par conséquent, 80 % de vos électeurs pensent que casser en deux un noyau d’uranium équivaut à oxyder un atome de carbone. C’est sans doute une faillite médiatique. C’est, en tout cas, une source de confusion importante qui peut expliquer, pour beaucoup de gens, que, pour lutter contre le changement climatique, il est logique de réduire la part du nucléaire. Le chiffre a tendance à augmenter et l’opinion est plus développée dans la fraction de population la plus sensible aux questions d’environnement, c’est-à-dire les femmes et les jeunes.

La page suivante montre la part du mix énergétique constituée d’énergie sans carbone, c’est-à-dire l’énergie primaire prélevée dans l’environnement, dans les pays ayant les cinquante ou soixante mix les plus décarbonés de la planète. Le pays qui arrive en tête, l’Islande, est marginal par sa population. Suivent des pays très richement dotés en montagne : la Norvège, la Suède et la Suisse. La France est le premier des pays un peu plats et le premier pays du G20 en termes de décarbonation de son mix actuel. Autrement dit, si nous n’avions pas le nucléaire, nous n’en aurions qu’une faible part. Si nous avions consacré, à l’instar des Allemands, des centaines de milliards d’euros aux éoliennes, nous serions péniblement au niveau de l’Allemagne et de la Belgique, des pays plats et sans possibilité d’alimenter des barrages de montagne. Si on considère la part du décarboné dans le mix, il est discutable que la France est en retard sur l’Allemagne.

Un diagramme décompose en séries historiques les émissions de CO2 au cours des cinquante dernières années. Le maximum historique des émissions domestiques en France est enregistré au moment des chocs pétroliers. Depuis, ces émissions ont tendance à baisser, ce qui suscite une question intéressante, voire un peu douloureuse pour le « métier » que vous faites : comment faire la part des choses entre des évolutions qui ne doivent strictement rien à des décisions politiques et des évolutions redevables à l’intelligence de la législation du pays ?

Ce diagramme montre également que l’essentiel des émissions de CO2 en France provient d’abord du pétrole, puis du gaz, puis du charbon. Si l’on veut s’attaquer à la question climat dans le secteur énergétique, nos problèmes sont, en numéro un, le pétrole, en numéro deux le gaz, et en numéro trois le charbon. Le nucléaire n’apparaît pas sur ce diagramme, pas plus que l’hydroélectricité, si l’on raisonne du point de vue du climat.

Intéressons-nous donc au pétrole, au gaz et au charbon.

Concernant le pétrole utilisé en France, ne prêtez pas attention à la discontinuité entre résidentiel et tertiaire, qui reflète un artefact statistique, une partie de la consommation ayant basculé brutalement d’une catégorie à l’autre. La somme des deux, qui représente les bâtiments, est plus intéressante. Au moment des chocs pétroliers, il y avait beaucoup de pétrole dans les bâtiments avec le chauffage au fioul. Une large partie a disparu ou a été remplacée par du gaz et de l’électricité. Il y avait du pétrole dans les transports et ce segment a énormément augmenté. Il y avait du pétrole dans l’industrie, notamment pour les usages chaleur où, là aussi, il a été pour beaucoup remplacé par du gaz, voire du charbon.

M. Vincent Thiébaut. Qu’en est-il de l’agriculture ?

M. Jean-Marc Jancovici. Aujourd’hui l’agriculture en consomme à peu près autant que le tertiaire, c’est-à-dire les locaux professionnels. Elle n’est pas totalement dépétrolisée et a également une importante dépendance aval au pétrole, puisqu’entre le tiers et la moitié des camions transportent ce qui se mange. On note donc une dépendance massive au pétrole de l’alimentation des villes. Si l’on supprimait le pétrole la nuit prochaine, les deux tiers des Parisiens mourraient de faim. Le pays est donc dépendant du pétrole, notamment pour la survie à court terme, c’est-à-dire l’alimentation, comme dans tous les pays urbanisés de l’OCDE. Si on s’intéresse au CO2, on s’intéresse d’abord au pétrole, et si on s’intéresse d’abord au pétrole, on s’intéresse d’abord aux transports.

Vous constatez également que la quantité de pétrole utilisée en France a commencé à diminuer depuis le début des années 2000. Cela ne doit absolument rien à la politique de la France en matière de climat mais cela doit tout au fait que la mer du Nord a franchi son pic de production en 2000, que le monde a franchi son pic de production sur le conventionnel en 2008 et que la capacité de la France à importer plus de pétrole, quand bien même elle le voudrait, est extrêmement limitée. Même si on se moque du climat, l’avenir du pays s’écrira avec de moins en moins de pétrole. Nous avons été un peu réalimentés, ces dernières années, par le boom des shale oil aux États-Unis, mais cela ne durera pas. Il serait intéressant de créer une commission d’enquête ou une mission d’information pour clarifier les idées sur notre approvisionnement pétrolier futur.

Nous utilisons aussi du gaz, d’abord pour les bâtiments. Plus de 50 % du gaz utilisé en France sont consacrés au chauffage, un gros tiers à l’industrie et 10 % à 15 % à des usages chaleur et électricité, dont environ la moitié pour l’électricité. Si on veut s’intéresser au gaz et au pétrole en France, on doit s’intéresser aux transports et aux bâtiments.

Enfin, nous utilisons du charbon pour la sidérurgie, à raison d’une moitié, pour l’électricité et un peu pour l’industrie, à raison de l’autre moitié. Par conséquent, paradoxalement, avant de s’intéresser aux centrales à charbon, il faudrait s’intéresser aux hauts-fourneaux. Dans l’est de la France, tant qu’à mettre des gens sur le carreau, il conviendrait de se demander s’il vaut mieux fermer Florange ou s’il vaut mieux fermer Fessenheim.

Nous avons maintenant des énergies renouvelables en France, à hauteur de 240 millions de tonnes d’équivalent pétrole pour l’ensemble de la consommation française. Les deux premières en France comme dans le monde sont le bois et l’hydroélectricité. Suivent une multiplicité d’autres parfois en croissance rapide mais qui représentent encore aujourd’hui des valeurs absolues marginales. Dans les moins marginales, on relève le biodiesel, une énergie partiellement renouvelable, puisqu’on y retrouve les intrants fossiles que sont l’énergie de motorisation des tracteurs et le gaz servant à la fabrication des engrais azotés. Si l’on ajoute le changement d’affectation des terres, c’est-à-dire la déforestation au profit de cultures destinées à l’approvisionnement énergétique, le bilan carbone est pire que si on utilisait du pétrole ! Le résultat de l’équation sur les carburants d’origine agricole dépend beaucoup du point de savoir si on a valorisé des terres qui ne servaient à rien ou si on a dû prendre sur des écosystèmes, directement ou indirectement, car si on prend sur les cultures alimentaires, ces dernières peuvent prendre elles-mêmes sur la forêt.

M. le président Julien Aubert. Ce sont les biocarburants de première génération.

M. Jean-Marc Jancovici. Oui, mais même en France, on peut se demander ce qu’on aurait fait de la terre si on n’avait pas fait cela. On aurait pu, par exemple, développer des puits de carbone. La question n’est pas absurde, même pour les biocarburants de première génération.

Le diagramme suivant montre les résultats de l’éolien, qui est bien connu, et ceux des pompes à chaleur, qui sont moins bien connues. Est considérée comme relevant de l’énergie renouvelable la chaleur transférée du sol ou de l’air dans le logement. Une pompe à chaleur est un réfrigérateur inversé, la partie froide étant tournée vers l’extérieur. C’est un système de transfert de calories de part et d’autre d’une paroi, qui offre un bon rendement. Quand on transfère des calories, on utilise moins d’énergie que celle contenue dans les calories transférées. C’est pourquoi cela s’appelle une pompe. Une directive européenne indique même que l’on doit considérer que la part renouvelable de l’énergie des pompes à chaleur est égale à la chaleur transférée moins l’électricité utilisée pour le transfert. Les pompes à chaleur figurent parmi les EnR.

Dans l’ensemble des EnR en France, le solaire est raisonnablement marginal, ce qui ne l’empêche pas de capter pour son développement quasiment la moitié du soutien via les impôts de nos concitoyens. Si l’objectif est la décarbonation, on peut légitimement se demander s’il est pertinent d’y consacrer notre argent en premier.

M. le président Julien Aubert. Le soutien public du solaire est supérieur à celui de l’éolien ?

M. Jean-Marc Jancovici. Oui ! C’est également le cas en Allemagne.

L’introduction de l’éolien et du solaire induit des effets de bord. Vous vous rappelez cette blague de notre jeunesse qui consistait à répondre que cela dépendait du sens du vent. En l’occurrence, le prix de marché de l’électricité dépend vraiment du sens du vent ou, plus exactement, de son intensité.

Un autre graphique, relatif à l’année 2016, réalisé à partir de données disponibles dans l’espace public compilées par un ingénieur danois spécialiste de l’intégration de l’éolien dans le réseau, figure en abscisse la production éolienne en Allemagne pour l’heure considérée, soit 8 760 heures sur l’année, et en ordonnée, le prix de marché de l’électricité au même moment. Il montre, sans erreur d’interprétation possible, que plus la production éolienne horaire est élevée et plus le prix de marché, au même moment, est faible. La puissance installée en Allemagne est d’environ 50 GWh et, quand le facteur de charge dépasse 20 %, on voit apparaître des prix négatifs. Il y a une heure où il a atteint – 130 euros. Cela signifie qu’il est moins coûteux pour le système de payer le consommateur pour utiliser de l’électricité dont il n’a pas besoin que de débrancher et rebrancher le système.

M. le président Julien Aubert. C’est 20 % de quoi ?

M. Jean-Marc Jancovici. De la puissance installée. Avec 50 GWh de capacité installée, si la puissance effective du parc dépasse 10 GWh, des prix négatifs apparaissent en effet de bord.

Le calcul des rapports puissance éolienne horaire/prix de marché dans les autres pays qui ont de l’éolien donne exactement le même résultat.

Cela signifie que lorsqu’il y a beaucoup de vent, donc beaucoup de production éolienne, les prix de marché sont bas. Cet effet a été émis en évidence dans un article publié récemment par deux économistes qui observent que cet effet n’est pas pris en compte dans les modèles 100 % EnR. Lorsqu’il y a beaucoup de vent, les producteurs vendent leur électricité en dessous du prix moyen du marché. Si le marché s’effondre, quand il y a beaucoup de vent, le prix moyen annuel du marché est supérieur au prix moyen annuel quand il y a du vent, en sorte que l’on ne peut supposer que les producteurs vendent au prix moyen de marché sur l’année. Pour que le système fonctionne bien, il faudrait qu’ils vendent leur production au prix moyen de marché, quand il y a du vent. Même si le prix de revient d’un mégawattheure éolien en Allemagne est de 40 ou 50 euros, dès que la puissance injectée dépasse les 15 GW, le prix ne dépasse jamais 50 euros, et les producteurs perdent de l’argent.

Dès lors, il n’est pas du tout sûr que dans le marché tel qu’il est organisé aujourd’hui, on puisse se passer de subventions, même si la part de l’éolien dans le parc installé devenait très significative. Plus elle sera significative, plus l’effet yoyo se fera sentir, sous l’effet d’un marché qui déprime quand il y a du vent. Autrement dit, on est loin d’être sûr de pouvoir arrêter les subventions quand il y aura beaucoup d’éolien. Il n’y aura pas de foisonnement, ou plutôt, pas suffisamment.

M. le président Julien Aubert. Cela veut dire que plus on fait de l’éolien et plus on a besoin de subvention.

M. Jean-Marc Jancovici. Plus il y aura d’épisodes de production d’électricité supérieure à ce que le marché peut absorber et plus les prix seront bas.

M. le président Julien Aubert. Cela veut dire que le prix de revient de 60 euros le mégawattheure mentionné est le prix moyen de rentabilité mais pas le prix correspondant à la période où il y a du vent.

M. Jean-Marc Jancovici. Tout à fait.

Cet effet résulte aussi du fait qu’on ne demande pas aux producteurs de rendre leurs kilowattheures pilotables. On leur propose de fournir du kilowattheure quand le vent souffle, alors qu’on demande aux centrales classiques de fournir du kilowattheure quand on a besoin d’allumer la lumière. Jusqu’à présent, le réseau s’est développé avec des sources pilotables : le train de 8 heures part à 8 heures et pas quand il y a du vent ; la commission se réunit à 16 h 15 et pas quand il y a du vent ; vos enfants font leurs devoirs en hiver quand ils ont leurs devoirs à faire, et pas quand il y a du vent ; votre réfrigérateur fonctionne pleinement au mois d’août, et pas quand il y a du vent ; vous faites votre lessive le week-end et pas quand il y a du vent. C’est ainsi qu’a été conçu le système électrique. Un peu d’effacement est possible, mais pas tant que cela et une partie résulte du déclenchement de groupes électrogènes par des industriels.

Si vous voulez remplacer une source pilotable par de l’éolien ou du solaire en conservant la même organisation du système, sans mettre plus de coût à la charge des consommateurs d’électricité ou de ceux qui font fonctionner le réseau, c’est-à-dire, sans demander au consommateur d’investir dans des batteries et au réseau d’investir dans des moyens de stockage, vous devez, soit demander aux fournisseurs d’électricité non pilotable de prendre en charge des moyens de stockage pour rendre l’électricité de nouveau pilotable, mais dans ces conditions, il est évident qu’on ne peut produire à 60 euros le mégawattheure mais trois à six fois plus cher, soit vous gardez vos capacités pilotages en back-up, exactement comme cela s’est produit en Allemagne. Mon pari, c’est que si on développe l’éolien et le solaire en France, on ne baissera pas significativement la puissance nucléaire ; on baissera le facteur de charge mais pas la puissance installée. Il convient de comparer le coût complet de l’éolien et du solaire au coût du combustible évité dans le moyen pilotable dont vous ne vous servez pas quand il y a du vent ou du soleil.

En résumé, vous gardez le moyen pilotable dont vous avez besoin pour que le train de 8 heures parte à 8 heures le jour où il n’y a ni vent ni soleil et vous ne vous en servez pas quand il y en a. Vous économisez ainsi la part variable de production. Dans une centrale à gaz, celle-ci représente 60 % du coût du kilowattheure, et il faut acheter le gaz entre 40 et 60 euros. Dans une centrale à charbon, c’est beaucoup plus bas et, dans une centrale nucléaire, le montant du combustible économisé est d’environ un euro le mégawattheure, soit à peu près rien. Les arrêts de tranche ne modifient pas la programmation. Vous enfournez un peu moins d’uranium au début mais l’effet est minime. Si vous arrêtez les centrales nucléaires quand il y a du vent et du soleil, pour que le vent et le soleil deviennent compétitifs en France, leur coût de production doit être inférieur à quelques euros le mégawattheure. Là où il n’y a que du gaz, c’est à 50 euros, là où il y a du charbon, à 20 euros ; là où il y a du nucléaire ou des barrages, c’est à « zéro plus », c’est-à-dire jamais.

Quand la presse répète que le coût de l’éolien est inférieur au coût du nouveau nucléaire, elle compare des choux et des carottes, c’est-à-dire une source pilotable et une source non pilotable. L’électricité étant un électron en mouvement, elle ne se stocke pas en tant que telle, sauf dans les supraconducteurs. Il faut la transformer pour la « stocker ». Il faut la transformer en eau remontée en altitude, dans des barrages réversibles, ou en composés chimiques, dans les batteries. Dans un réseau, la production et la consommation s’équilibrent à tout instant et la fréquence est stable. Des modes de production non pilotables ne peuvent être comparés qu’avec des combustibles économisés tout en ayant gardé des moyens pilotables. On ne peut donc considérer que la part variable économisée. C’est la raison pour laquelle, quand on ajoute au système à coûts fixes qu’est le nucléaire, que l’on devra garder, un autre système à coûts fixes comme l’éolien ou le solaire, la facture globale augmente à mesure de la quantité d’éolien et de solaire ajoutée dans le système, car il n’y a pas substitution mais superposition.

M. le président Julien Aubert. Donc, quand on parle de complémentarité…

M. Jean-Marc Jancovici. Ce n’est pas une complémentarité mais une superposition. J’y reviendrai.

Un autre graphique montre la production éolienne et solaire en Allemagne. Plus la production horaire éolienne et solaire est importante et plus le prix de marché est bas. D’ailleurs, Alpig l’a appris à ses dépens en Suisse.

Le graphique suivant montre la production éolienne heure par heure et les exportations allemandes heure par heure. Plus la production éolienne est élevée et plus les exportations horaires sont élevées. Autrement dit, quand le vent souffle, l’Allemagne exporte de manière fatale. Or je montrerai ensuite qu’il n’y a pas de foisonnement au sens où on l’entend habituellement. Quand il y a une dépression en Europe, il y a du vent chez tout le monde et quand il y a un anticyclone, il n’y a de vent chez personne.

On le voit sur le graphique suivant montrant, heure par heure, le facteur de charge du parc éolien allemand, c’est-à-dire la puissance réelle par rapport à la puissance installée, et, pour la même heure, le facteur de charge du parc éolien français. On constate que lorsqu’il y a peu de vent en Allemagne, lorsque la puissance réelle représente une faible fraction de la puissance installée, il n’y a pas non plus beaucoup de vent en France. Je doute qu’on puisse compter sur le vent des voisins quand on n’en a pas chez nous. Que ceux qui disent que c’est possible misent leur propre argent sur ce pari !

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Il devrait y avoir deux couleurs de points, une pour l’Allemagne et une pour la France. Je comprends mal le graphique.

M. Jean-Marc Jancovici. Il y a 8 760 heures dans l’année. Chaque point représente une heure. J’ai considéré la puissance réelle du parc français en pourcentage de la puissance installée et au même moment, la puissance réelle du parc allemand en pourcentage de la puissance installée. S’il existait un effet « quand il n’y a pas de vent chez nous, il y en a chez les voisins », les deux seraient à peu près équilibrés. Ce serait un vrai foisonnement. Il y aurait toujours du vent quelque part, pas au même endroit, et l’espace entre les deux serait entièrement occupé. On pourrait alors bâtir les interconnexions qui conviennent et l’ensemble du parc franco-allemand serait garanti. Mais le graphique montre qu’au moment où il n’y a pas de vent chez les uns, il n’y a pas de vent non plus chez les autres.

M. le président Julien Aubert. Je me ferai l’avocat du diable. Vous le faites uniquement pour la France et l’Allemagne ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je l’ai fait aussi pour la France et l’Espagne, pour l’Espagne et l’Allemagne.

M. le président Julien Aubert. Toujours en bilatéral ? Pourquoi ne pas le faire sur une dizaine de pays en même temps ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je l’ai fait aussi. Je n’ai pas apporté la courbe, je pourrai vous l’envoyer. Cela donne le même résultat. La production de l’ensemble des éoliennes européennes peut descendre à moins de 5 % de la puissance installée en Europe.

M. le président Julien Aubert. Nous aurions besoin de ce graphique si nous devons critiquer le foisonnement.

M. Jean-Marc Jancovici. Je vous l’enverrai.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Avez-vous fait de même avec éolien et solaire pour savoir s’il y a foisonnement entre les deux types d’énergie ?

M. Jean-Marc Jancovici. Il y a un peu de foisonnement entre éolien et solaire, parce qu’il y a plutôt plus d’éolien l’hiver et plutôt plus de solaire l’été, mais on retrouve tout de même cette tendance lourde. Il va de même pour le solaire : il est minuit partout en Europe à peu près au même moment, et la production solaire arrive chez tout le monde à peu près même moment.

Un autre graphique concerne la France et l’Espagne, la France et le Royaume-Uni, et les régimes les plus décorrélés en Europe, ceux de l’Espagne et de l’Allemagne. En outre, pour profiter pleinement du foisonnement en Europe, il faudrait tirer quelques gigawatts de lignes d’interconnexion entre l’Espagne et la Finlande. Je rappelle que depuis que la France s’est engagée dans la neutralité, nous avons quarante ou cinquante ans, disent les textes officiels, pour réduire à zéro les gaz à effet de serre. En s’y prenant bien, c’est le temps qu’il faut pour construire 10 % des capacités d’interconnexion nécessaires et 10 % des éoliennes nécessaires pour approcher de la consommation électrique actuelle avec juste ce genre de moyen.

Je conclurai par une petite règle de trois pour donner un ordre de grandeur des différences d’investissement entre un système 100 % nucléaire et un système 100 % éolien. D’aucuns me font remarquer qu’en France, les barrages concourent à la flexibilité, ce qui est vrai, mais on sait aussi, avec le nucléaire, faire du suivi de charge. On sait réduire la puissance d’un réacteur de 80 % en trente minutes. Ce n’est pas vrai dans toutes les centrales dans le monde, mais le nucléaire français sait faire de la variation de charge au même rythme qu’une centrale à gaz.

M. le président Julien Aubert. Cela ne dégrade pas sa rentabilité ?

M. Jean-Marc Jancovici. Cela dégrade un peu sa rentabilité, parce que le facteur de charge moyen diminue.

M. le président Julien Aubert. Cela a-t-il un effet sur la vétusté du matériel ?

M. Jean-Marc Jancovici. Cela accélère aussi un peu la vétusté du matériel et oblige à remplacer des éléments un peu plus souvent. Il n’empêche que, s’agissant d’une énergie pilotable, le nucléaire, même un peu plus cher à cause du suivi de charge, reste moins cher que l’éolien et le solaire, pour lesquels il faut prévoir du stockage.

Le facteur de charge d’un système nucléaire qui fait du suivi saisonnier est de 70 à 80 %, contre environ 20 % pour l’éolien terrestre et 25 % pour l’offshore, mais celui-ci est beaucoup plus cher. Par conséquent, à consommation finale identique, on doit investir dans trois fois plus de puissance avec de l’éolien qu’avec du nucléaire, puisque la puissance moyenne du dispositif est trois fois plus faible. De plus, la durée de vie des éoliennes est de vingt à trente ans et celle du nucléaire de soixante ans, soit un facteur de deux à trois. Aux États-Unis, toutes les centrales ont été autorisées pour soixante ans et certains exploitants commencent à demander des autorisations pour quatre-vingt. Cela signifie qu’il faut renouveler les investissements au bout de trente ans. Il n’y a pas d’adaptation au réseau à prévoir en restant en nucléaire, alors l’installation d’éoliennes partout nécessiterait des raccordements partout. Leur coût n’est pas proportionnel à la puissance installée, il croît plus vite. Le réseau existant est fait de tuyaux à forte capacité, mais passer au tout éolien signifierait de passer d’une puissance installée de 100 GW à 400 ou 500 GW, et le réseau n’est pas dimensionné pour cela. « Upgrader » le réseau engendrerait des coûts, chiffrables à 50 %.

À cela s’ajoute le stockage. J’ai retenu l’hypothèse de pomper l’eau du lac Léman pour noyer des vallées alpines et créer de grands barrages réversibles, car elle est la moins coûteuse. Le coût du stockage par batterie coûterait dix fois plus cher.

M. le président Julien Aubert. À quoi correspondent les 10 % pour le nucléaire ?

M. Jean-Marc Jancovici. Même un système 100 % nucléaire nécessite un minimum de stockage, en raison des variations de charge. En éolien, il faudra stocker, en moyenne annuelle, 50 % de la production, soit un kilowattheure sur deux, ce qui a deux conséquences. Le stockage fait perdre 30 % à 40 % de ce qui a été stocké. Il faut faire transiter l’électricité dans le réseau de l’éolienne à la station de pompage, avec une perte de 5 %, puis pomper l’eau de bas en haut, au prix d’une perte de 20 % à 25 %, puis la turbiner dans l’autre sens, au prix d’une perte de 10 %, avant de la transporter dans l’autre sens dans le réseau. Par rapport à une centrale pilotable, si vous avez besoin de stocker l’électricité, vous perdez 30 à 40 % au passage, ce qui signifie qu’il faut surdimensionner le parc de 30 à 40 % pour la partie à stocker. Il faut ajouter les éoliennes qui ne servent qu’à produire l’électricité qui est perdue pendant le stockage.

Vous devez aussi construire les stations de pompage. Pour construire ses barrages réversibles, il faut négocier avec la Suisse pour pomper l’eau du lac Léman et avec les riverains pour noyer des vallées. Quand on voit ce qu’a donné le projet de barrage de Sivens ! Et je n’ai même pas mis le coût des compagnies de CRS.

En revanche, la puissance installée en éolien est moins coûteuse : 1 000 à 1 500 euros le kilowatt installé, alors que le nucléaire, trop cher aujourd’hui, coûte 6 000 euros, mais deux séries optimisées coûteront 3 000 euros. Le facteur de gain est de 2 à 4 en faveur de l’éolien. Il n’empêche que si vous faites la somme des facteurs multiplicatifs et diviseurs de part et d’autre, dans le meilleur des cas, un système éolien plus le stockage demandent cinq fois plus d’investissement qu’un système nucléaire, et dans le pire des cas, trente fois plus d’investissements. Là où la reconstruction à neuf du système nucléaire français, même avec un nucléaire cher, coûte 250 milliards d’euros, dans le meilleur des cas, un système éolien plus stockage en coûte 1 500 milliards d’euros, et dans le pire des, 10 000 milliards d’euros. Je ne suis pas sûr qu’on ait cet argent.

M. Vincent Thiébaut. Pourquoi ne parlez-vous que de l’éolien ?

M. Jean-Marc Jancovici. En appliquant la même règle de trois avec le solaire, jaboutis à un résultat encore un peu plus défavorable, avec un facteur multiplicatif de 10 à 40.

Cela signifie que, contrairement à une idée répandue, dans l’électricité, le nucléaire est une solution du pauvre et pas une solution du riche. On accrédite l’idée que le nucléaire est une solution du riche parce qu’on ne fait que comparer des choux et des carottes, c’est-à-dire une électricité pilotable et une électricité non pilotable. Mais si on met sur un pied d’égalité les services rendus, on comprend que l’éolien et le solaire requièrent considérablement plus d’investissements pour la même quantité d’électricité produite que le nucléaire. Est-ce qu’on a tout cet argent ?

M. Vincent Thiébaut. Avez-vous évalué le coût environnemental ?

M. Jean-Marc Jancovici. Le coût environnemental ne s’évalue pas en euro mais nuisance par nuisance. J’y reviendrai.

Je finirai par l’exemple de l’Allemagne. Un graphique montre l’évolution des capacités installées en éolien et en solaire en Allemagne. Ils sont passés de pas grand-chose dans les années 2000 à plus de 100 gigawatts. Si le raisonnement tenu en France selon lequel cela chasserait du nucléaire et des capacités pilotables est avéré, on devrait voir les capacités pilotables allemandes diminuer sur la même période. Les Allemands devraient avoir aujourd’hui, en combiné, moins de charbon, de nucléaire et de gaz et d’hydroélectricité qu’en 2002. Or ils en ont la même quantité. Ils ont moins de nucléaire et plus de gaz. Ils n’ont pas réduit leur consommation électrique. Les moyens pilotables – pétrole, charbon, gaz, hydroélectricité – avaient produit quasiment 500 térawattheures d’électricité en 2003 et ils en ont produit moins de 400 en 2019. Les Allemands ont gardé leurs centrales pilotables, un peu changé la nature du parc – un peu moins de nucléaire, un peu plus de gaz – et ils les font moins tourner, puisque le facteur de charge a baissé de plus de 20 %. Et comme les lois de Kirchhoff de conservation de l’énergie s’appliquent pareillement en France, je suis prêt à parier que si en France, on développe l’éolien et le solaire, on ne supprimera pas les capacités nucléaires, on s’en servira moins. Ce faisant, on cumulera d’un seul coup tous les inconvénients, puisqu’on dépensera de l’argent dans des énergies renouvelables sans effet sur les émissions de gaz à effet de serre du pays. On augmentera les importations, car en passant d’un mégawattheure nucléaire à un mégawattheure solaire ou éolien, on passe d’un à vingt ou trente euros d’importation par mégawattheure, ce qui crée de l’emploi dans la filière mais en détruit globalement, et on augmentera le risque nucléaire, puisqu’on devra garder un parc qui gagnera moins d’argent si le prix du mégawattheure reste le même, puisqu’on s’en servira moins. Comme le système nucléaire est à coût fixe, en gardant un système à coût fixe auquel on donne moins d’argent, la probabilité que les risques soient mieux gérés n’est pas très élevée.

Par conséquent, à mon sens, développer en France les énergies renouvelables électriques ne présente pas le moindre intérêt sur aucun plan. Les seules bonnes énergies renouvelables dont on doit s’occuper en France, ce sont les énergies renouvelables chaleur. Les énergies renouvelables électriques n’ont strictement aucun intérêt, sauf pour les antinucléaires. C’est la raison historique pour laquelle on s’y est attaqué. Au moment du Grenelle Environnement, Nicolas Sarkozy ayant dit qu’on ne toucherait pas au nucléaire, les antinucléaires ont menacé de revenir par la fenêtre, on a accepté de parler tout de même d’énergies renouvelables. On a ainsi décidé de développer l’éolien et le solaire, c’est-à-dire les énergies concurrentes du nucléaire, auxquelles on a consacré des milliards d’euros. À l’époque, cette structuration n’a pas été décidée pour une raison d’ordre climatique mais sous l’influence des antinucléaires.

Je finirai sur un petit quizz. Sur ce graphique, une courbe traduit la quantité de CO2 émise par quantité d’énergie primaire, soit la totalité du mix énergétique en Allemagne. Comme je suis taquin, j’ai masqué l’abscisse et les années. Dites-moi de quand date le début des 22 % d’émissions de CO2. Eh bien, cela date du début de la flèche et c’est invisible sur la tendance. Autrement dit, ce que les Allemands ont fait ne change pas la tendance de la décarbonation de leur mix énergétique primaire, qui était déjà à l’œuvre, lentement mais déjà à l’œuvre. Cette blague leur a déjà coûté – ils s’en moquent puisqu’ils ont un solde exportateur de 10 % sur le PIB – quelques centaines de milliards d’euros investis. Ils n’ont pas fini de les payer mais c’est la valeur à neuf de ce qu’ils ont installé. Pour la même quantité d’argent en euro 2017, et même pour moitié moins si l’on fait l’impasse sur la reconstruction à neuf, vous mesurez l’effet discernable du programme nucléaire sur le contenu carbone du mix énergétique français.

M. le président Julien Aubert. L’investissement de 300 milliards d’euros mentionné dans le graphique représente-t-il le coût du parc ?

M. Jean-Marc Jancovici. Non, le coût historique est de 120 milliards d’euros. J’ai indiqué le coût de reconstruction à neuf. J’ai voulu comparer des éléments comparables. J’ai regardé ce que les Allemands avaient investi depuis le début des années 2000 et j’ai considéré que si nous avions dû réaliser le parc nucléaire depuis le début des années 2000, comme on a rajouté des règles de sûreté dans tous les sens, cela nous coûterait plutôt 250 milliards d’euros.

M. le président Julien Aubert. J’avais vu le chiffre de 75 milliards d’euros publié par la Cour des comptes.

M. Jean-Marc Jancovici. J’ai vu d’autres chiffres autour de 120 milliards d’euros, mais 100 milliards d’euros, c’est l’ordre de grandeur, et ce ne sont pas les 1 500 à 10 000 dont j’ai parlé tout à l’heure.

Le coût historique du parc nucléaire français est de 100 milliards d’euros et j’estime le coût de reconstruction à neuf avec les normes d’aujourd’hui, le coût de l’EPR aujourd’hui, même bien fait en série, entre 200 et 300 milliards d’euros.

Ce graphique porte sur l’exemple espagnol. En même temps que les Espagnols construisaient, depuis 1990, 25 gigawattheures d’éolien, ils ont construit 25 gigawattheures de centrales à gaz. Comme ils ne pouvaient pas compter sur l’éolien comme puissance pilotable, ils ont construit dans le même temps l’éolien et le back-up pilotable. Ils auraient construit à la place 25 gigawattheures de nucléaire, ils auraient sans doute aujourd’hui moins d’éolien mais aussi moins d’émissions de CO2 et moins d’importations de gaz.

L’analyse de la situation de l’Allemagne et de l’Espagne me conduisent à conclure clairement qu’augmenter les énergies non pilotables dans un réseau électrique ne permet pas de baisser significativement la capacité pilotable.

M. le président Julien Aubert. Vous avez grandement dépassé le temps qui vous était imparti, mais la responsabilité m’en incombe car j’ai trouvé la présentation pertinente.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Jancovici, le sujet, ce sont donc les transports et les bâtiments.

M. Jean-Marc Jancovici. Si l’on veut décarboner, c’est très exactement de cela dont on doit s’occuper.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Dans les bâtiments, c’est principalement la chaleur qui est carbonée et, dans les transports, à peu près tout. Quelles solutions proposez-vous pour les bâtiments et pour le transport en vue de la décarbonation ? Pour les bâtiments, j’ai quelques idées sur les réseaux de chaleur renouvelable. Votre slide sur la part des EnR en France mettait tout en bas le solaire thermique. Or celui-ci présente l’avantage de remplacer une énergie carbonée par une énergie totalement décarbonée et à un coût assez peu élevé.

M. Jean-Marc Jancovici. Le solaire thermique pose une question de convention comptable. On a coutume d’y mettre les chauffe-eaux solaires et les systèmes de chauffage intégralement solaires, mais on pourrait y intégrer les vérandas et les baies vitrées orientées au sud. Si vous créez des ouvertures dans un logement existant pour profiter de la chaleur l’hiver en ajoutant un auvent pour ne pas être accablé par la chaleur l’été, vous faites appel à du solaire thermique sans entrer dans les statistiques. Les statistiques sur le solaire thermique sont trompeuses.

Le solaire thermique reste assez coûteux. Quand on regarde le prix du gaz, l’énergie carbonée concurrente, il faut avoir la foi pour installer un chauffe-eau solaire. Ce n’est pas le cas en Guadeloupe, en Nouvelle-Calédonie et dans les outre-mer en général, où vous avez intérêt à installer un chauffe-eau solaire.

Pour le bâtiment, je répondrai en ingénieur puis en législateur. En ingénieur, je dirai qu’il faut s’attaquer au parc existant et non durcir les réglementations pour le neuf. On construit chaque année l’équivalent de 1 % du parc de logements existant, mais ce n’est pas du renouvellement, c’est de l’accroissement. Le renouvellement réel, les bâtiments ou maisons détruits pour les remplacer par du neuf sont inférieurs à 1 %. On ne peut donc pas compter sur le renouvellement de l’existant par du neuf pour lequel on imposerait des normes de performances dures. Il faut donc s’attaquer directement à l’existant et sortir du chauffage le gaz et le fioul.

On peut le faire en maintenant du gaz et du fioul et en réduisant la consommation par l’isolation ou le remplacement de l’appareil de chauffage. Or personne ne change sa chaudière avant qu’elle soit vieille ou cassée. Certains remplacent la chaudière lors de l’achat de leur logement. Mais personne ne se lève le lundi matin en disant qu’il va changer sa chaudière.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Y compris quand le prix du fioul s’envole et quand la facture devient très lourde ?

M. Jean-Marc Jancovici. Soit ils habitent la campagne et se chauffent au bois, soit ils branchent un petit radiateur soufflant, soit ils se « pèlent ». Ils mettent un pull, ou deux ou trois. Une bonne partie des précaires énergétiques du pays se chauffe d’ailleurs au fioul.

Ma réponse de législateur, c’est que la rentabilité intrinsèque des économies d’énergie dans le bâtiment est à horizon de temps beaucoup trop long pour que les gens agissent pour des raisons strictement économiques. Ils ne le font que s’ils y sont obligés. Le législateur doit donc dire au propriétaire : vous devrez, dans les trente ans qui viennent, isoler votre toit. À ceux qui ont une chaudière à fioul, il doit dire : dans les trois ans qui viennent, il sera interdit de remplacer la chaudière à fioul par une chaudière à fioul. Elle peut être remplacée par une pompe à chaleur accessible n’importe où. On passe ainsi de l’énergie fossile à l’énergie renouvelable, et du renouvelable de proximité, alors que l’énergie éolienne n’est pas plus locale que celle issue du barrage de Serre-Ponçon, puisqu’elle entre dans le réseau et alimente tout le réseau. Si l’éolien était local, les Allemands n’auraient pas besoin de tirer des lignes électriques, alors que la pompe à chaleur est vraiment locale. Si je suis raccordé au gaz, je peux la remplacer transitoirement par un chauffage à gaz. C’est déjà mieux que le chauffage au fioul mais mieux vaudrait la remplacer par une pompe à chaleur.

Je vais maintenant vous proposer un petit calcul. Vous savez que la France a décidé de se lancer dans l’éolien offshore. Quelque 25 milliards d’euros d’argent public – vos impôts, les miens et ceux de ceux qui nous regardent – vont financer ce dispositif qui a encore moins d’intérêt que l’éolien terrestre. S’il est quelque chose qu’il faut arrêter tout de suite, c’est bien cela. Avec ces 25 milliards d’euros, on pourrait offrir 6 000 euros de prime de conversion à la pompe à chaleur aux 4 millions de ménages français qui sont chauffés au fioul, qui sont souvent des ruraux souvent précaires et souvent des gilets jaunes. Ce serait une subvention aux énergies renouvelables pour laquelle je voterais des deux mains. Je veux bien qu’on augmente mon taux d’imposition pour financer cela, mais pas qu’on me prélève un centime pour payer l’éolien offshore, qui est un truc de Shadoks.

On peut aussi le remplacer par de l’isolation. Comme la rentabilité économique n’est pas évidente, il faut l’imposer. On pourrait proposer quelques dispositifs d’obligation très simples. Par exemple, pour tous les ravalements de bâtiments qui n’ont pas de caractère architectural, on pourrait rendre obligatoire l’isolation par l’extérieur, car le coût principal d’un ravalement c’est l’échafaudage. L’isolant représente 10 % du coût de l’opération, ce qui est très rentable au regard des économies d’énergie générées. Pour les collèges en béton conçus dans les années 1970, il faudrait rendre obligatoire l’isolation par l’extérieur à l’occasion du ravalement.

Dans le bâtiment, il faut donc décarboner l’appareil de chauffage et inclure l’isolation dans des opérations que les gens devront faire de toute façon. Durcir les obligations sur le neuf n’a strictement aucun intérêt.

En ce qui concerne les transports il convient de distinguer la mobilité du quotidien et la mobilité longue distance. La mobilité longue distance est essentiellement une mobilité de loisirs, de l’ordre du « luxe », alors que la mobilité du quotidien concerne des actions essentielles, comme se rendre au travail, emmener les enfants à l’école, faire les courses. Ces deux mobilités se traitent très différemment. Si l’on peut substituer une partie de la mobilité locale par du vélo, c’est inimaginable pour de la mobilité longue distance.

Pour la courte distance, les marges de manœuvre peuvent être de rester dans le pétrole en mutualisant les transports en commun, notamment les bus, ou rester dans le collectif mais faire du collectif lourd, comme le ferré. Mais le ferré est souvent long et non rentable. Le collectif léger, c’est-à-dire le bus, est souvent la réponse pertinente. Le covoiturage est toujours du collectif au pétrole mais aussi changement de chaîne de traction par le passage à l’électricité. Si on fait le calcul, on s’aperçoit qu’il vaut beaucoup mieux, dans un premier temps, investir dans les transports en commun légers au frais de la collectivité, c’est-à-dire les bus, le covoiturage et dans une mesure réglementaire relative à la consommation des voitures, et dans un deuxième temps seulement, électrifier tout cela. On aura ainsi besoin de moins d’électricité et surtout de moins de puissance appelée. Le problème posé par l’électrification totale du parc, c’est moins le volume total d’électricité consommé dans l’année que les appels de puissance engendrés par les pics de charge, c’est-à-dire, par exemple, la veille 1er août pour partir en vacances.

M. le président Julien Aubert. Vous évoquiez le transport de courte distance…

M. Jean-Marc Jancovici. C’était une incidente pour dire que si on électrifie toutes les voitures, les gens voudront aussi s’en servir pour la longue distance. Or si on électrifie le parc automobile aux conditions actuelles de puissance, on risque de se heurter à l’impossibilité physique de recharger à certains moments dans l’année.

S’agissant de la courte distance, un dernier point essentiel est l’accélération du rythme de baisse de la consommation des véhicules neufs vendus sur le marché. Un outil européen dit presque la même chose au sujet des émissions de CO2 des voitures. Le CO2 qui sort d’une voiture n’est rien d’autre que le pétrole qui y entre. Plus on durcit les émissions de CO2 en conditions réelle, plus on réduit, de fait, la consommation de pétrole de la voiture. En 2030, plus une voiture vendue ne devrait dépasser la consommation réelle de deux litres aux cent kilomètres. Si cela conduit les gens qui avaient des Espace et des modèles plus gros à ne plus en avoir, tant pis ! Il restera des voitures pour la mobilité du quotidien, dans lesquelles on n’a pas besoin de faire entrer tous les enfants, la grand-mère et le chien.

M. le président Julien Aubert. Votre recommandation n’est pas très favorable à une politique nataliste !

M. Jean-Marc Jancovici. On ne saurait tenir dans une « boîte finie » une population en expansion indéfinie. Nous devons avoir un débat difficile, douloureux, sensible en vue de déterminer s’il est pertinent, dans le monde fini qui est le nôtre, de continuer à avoir une politique nataliste. Ma réponse est « non ».

Concernant la mobilité longue distance, vous devez raccourcir les distances. Vous pouvez toujours partir en vacances en allant un peu moins loin ou mixer les moyens de déplacement. Si vous achetez un petit véhicule pour la mobilité du quotidien et que vous avez beaucoup de gens à déplacer pour les vacances, vous pouvez acheter trois places de train pour le départ. Cela vous reviendra de toute façon beaucoup moins cher que d’acheter un gros véhicule qui est vide l’essentiel de l’année. Si les gens étaient rationnels dans leurs achats de voiture, ils achèteraient une toute petite voiture et, lorsqu’ils auraient besoin de se déplacer à cinq, feraient voyager trois personnes par le train.

Pour la longue distance, les solutions passent par le remplacement de l’avion par le train et par le raccourcissement des distances.

Concernant le mix énergétique, je suis favorable à tout ce qui permet de remplacer du pétrole et du gaz par de l’électricité nucléaire. Je suis donc favorable au remplacement du chauffage au fioul et au gaz par des pompes à chaleur. Remplacer des véhicules thermiques par des véhicules électriques quand l’électricité est issue d’une production à bas carbone et qu’il en est de même pour la batterie, je l’approuve. Pour le chauffage, on peut utiliser avec parcimonie l’énergie renouvelable qu’est la biomasse. Le chauffage au bois reste donc pertinent. Les biocarburants entrent en conflit avec les surfaces agricoles. Si, dans le même temps, on veut rendre l’agriculture française un peu plus extensive pour utiliser moins d’intrants, de produits phytosanitaires, moins d’engrais, à iso-production, on a besoin de plus de surface. Il y a là un sujet de réflexion si on veut à la fois désintensifier l’agriculture et prévoir plus de surface pour des cultures énergétiques.

Le biogaz est une énergie renouvelable intéressante. Son usage premier ne devrait évidemment pas être la production d’électricité, ce qui concurrencerait l’énergie nucléaire et ne présenterait, comme l’éolien et le solaire, aucun intérêt, mais de servir de carburant pour les engins agricoles. Les premiers intéressés à s’abstraire du pétrole sont ceux qui participent à la chaîne alimentaire. C’est pourquoi je considère que le machinisme agricole devrait être le premier bénéficiaire du biogaz. Les fabricants savent faire des gros moteurs à gaz, qui sont les mêmes que les moteurs de bus. S’il en reste, on peut produire un peu de gaz de réseau pour faire la cuisine, mais faire de l’électricité au biogaz n’a pas de sens pour moi. Il vaut bien mieux utiliser du nucléaire. Faire du biogaz pour se chauffer a peu de sens, il vaut beaucoup mieux passer à la pompe à chaleur.

En résumé, les énergies renouvelables qui sont, à mon sens, vraiment pertinentes sont la pompe à chaleur et, de manière raisonnée, la biomasse, plus, dans les bâtiments, le solaire thermique, c’est-à-dire les ouvertures au sud, les vérandas.

M. le président Julien Aubert. Pas l’hydrogène ?

M. Jean-Marc Jancovici. L’hydrogène n’est pas une énergie primaire. On n’en trouve pas dans la nature, c’est un vecteur comme l’électricité. L’hydrogène n’est qu’un moyen de conversion et de stockage d’une autre énergie. Nous savons en faire de grandes quantités parce qu’il en existe deux grandes utilisations industrielles, dont la désulfuration des carburants. Dans toutes les raffineries des pays occidentaux, il y a des unités de production d’hydrogène mises en place par Air liquide ou par ses concurrents. Mais c’est de la production d’hydrogène fossile. C’est de l’hydrogène qu’on va chercher dans du méthane, c’est-à-dire dans du gaz naturel. La formule chimique du méthane est CH4, soit un atome de carbone et quatre atomes d’hydrogène. On joue au Lego à l’envers pour récupérer, d’un côté, le carbone sous forme oxydée de CO2 qui part dans l’atmosphère, et, de l’autre côté, de l’hydrogène. On le fait par chauffage réalisé avec une autre partie du gaz naturel. Cela émet plein de CO2. La deuxième source de production d’hydrogène importante dans les pays occidentaux est la chimie de l’ammoniaque. On prend de l’hydrogène, on l’associe avec l’azote de l’air pour faire de l’ammoniaque, à la base de la chimie des engrais.

On sait très bien faire de l’hydrogène en grande quantité avec du gaz mais au prix de l’envoi de beaucoup de CO2. Si on veut se servir de l’hydrogène comme vecteur, il faudrait le faire avec des énergies sans carbone, c’est-à-dire essentiellement des énergies électriques. Pour être intéressant, l’hydrogène doit être plus intéressant que la chaîne électricité. Au début de l’histoire de l’hydrogène, il y a l’électricité. Certains disent qu’en installant plein d’éoliennes, on pourra électrolyser de l’eau quand il y aura du vent, ce qui produira de l’hydrogène qu’on transportera et utilisera. C’est physiquement possible mais cela reste beaucoup moins intéressant que des centrales nucléaires pilotables. Dès lors, on n’a besoin ni des éoliennes ni de faire de l’hydrogène pour stocker l’énergie dont on n’a pas besoin quand il y a du vent. L’ensemble éolien plus stockage d’hydrogène est une variante de ce que je vous ai présenté tout à l’heure. On réalise le stockage sous forme d’hydrogène au lieu de le faire sous forme de barrages réversibles.

M. le président Julien Aubert. Toute votre argumentation sur l’opposition entre pilotable et non pilotable repose sur l’absence de stockage.

M. Jean-Marc Jancovici. Oui.

M. le président Julien Aubert. Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont dit que le stockage arriverait d’ici quelques années.

M. Jean-Marc Jancovici. Très bien !

M. le président Julien Aubert. Avant d’investir dans une industrie nucléaire qui nous engage pour cinquante ans, il serait plus intéressant de continuer à investir dans la recherche.

M. Jean-Marc Jancovici. Dans les prochaines années, on ne va rien investir du tout, parce qu’on va faire le grand carénage et je ne suis pas sûr qu’on décidera la construction d’une énorme quantité de réacteurs neufs. Puisqu’ils disent que ce sera rentable d’ici quelques années, proposez-leur de vous revoir d’ici quelques années. Puisque le stockage ne coûtera rien, vous leur proposerez de le mettre à leur charge. Dites-leur : « Lorsque l’éolien stocké vaudra 60 euros le mégawattheure, on vous en achètera. Puisque cela ne coûte rien, vous ne pourrez qu’être d’accord ». Je ne suis pas complètement sûr qu’ils répondront oui.

M. le président Julien Aubert. Je vous en laisse la responsabilité !

Nous avons auditionné pas mal de monde et entendu toutes sortes de scénarios et de positions. Vous êtes le premier à décrire de manière aussi claire et catégorique l’inanité de la stratégie aujourd’hui poursuivie. Pourtant, des représentants d’agences de l’État, dont c’est la spécialité, nous ont plutôt confortés dans l’idée qu’on allait dans la bonne direction.

M. Jean-Marc Jancovici. Quelles étaient les personnes en question ?

M. le président Julien Aubert. Nous avons auditionné M. Carenco, président de la commission de régulation de l’énergie (CRE) et M. Brottes, président du réseau de transport de l’électricité (RTE), ainsi que des responsables de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Comme cette dernière est le pilote de la locomotive des énergies renouvelables, sa position peut se comprendre. Mais je ne comprends pas pourquoi deux autres organismes comme RTE et la CRE, qui ont une vision transversale du sujet, n’aboutissent pas au même diagnostic. RTE dit plutôt : on sait faire, on va pouvoir gérer le foisonnement et l’intermittence. M. Carenco, le président de la CRE nous a dit : « On ne fait pas des énergies renouvelables pour l’objectif CO2, il faut diversifier, je ne crois pas à l’avenir du nucléaire ». Comment expliquez-vous ce hiatus entre votre réflexion académique et la réflexion administrative ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je ne souscris pas à l’idée que toute diversification est pertinente. Si on coupe une de mes jambes pour la remplacer par une jambe de bois, j’ai diversifié mes appuis mais je ne suis pas sûr que ma situation globale soit améliorée. On peut très bien diversifier en remplaçant ce qu’on a par moins bien. C’est exactement ce que je viens de soutenir pendant une heure et demie.

Vous me posez une question difficile, parce que je n’ai le choix qu’entre ne prendre aucun risque en disant « joker » et contredire ces éminentes personnes sur la base de ce que je crois en savoir. Vous n’êtes pas sans savoir quel était le précédent employeur de M. Brottes.

M. le président Julien Aubert. À ma connaissance, il était député et il n’avait pas d’employeur.

M. Jean-Marc Jancovici. Il était dans cette maison. Il était même président de la commission des affaires économiques, en fonction lors du vote de la loi de transition énergétique. Je comprends ce qu’il aurait à perdre à expliquer aujourd’hui que l’objectif de l’article 1er de la loi de transition énergétique n’est plus pertinent. Même s’il le pense, je ne suis pas sûr qu’il vous le dira.

Dans les documents de RTE comme dans ceux de l’ADEME, comme dans les contrats d’assurance, il est intéressant de lire les petites lignes. Vous êtes bien placés pour savoir que les gros titres de la presse reproduisent les communiqués de presse. Il suffit de bien rédiger les communiqués de presse pour que la presse dise des choses sympathiques.

Il faudrait demander à ces gens-là s’ils parieraient jusqu’au dernier euro de leurs économies que cela peut marcher. Si on avait un nombre infini de milliards d’euros devant nous, on pourrait faire un système avec 50 % de nucléaire et beaucoup d’éolien.

M. le président Julien Aubert. Qu’y a-t-il dans les petites lignes de RTE ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je lis dans les petites lignes les conditions limites. Par exemple, il faut regarder de très près la part des importations. J’ai montré tout à l’heure que si les pays suivent la même évolution que la nôtre, il n’est pas sûr qu’ils aient de l’électricité à exporter quand nous en avons besoin. Je ne sais pas si ce bouclage a été fait ou pas.

Autre exemple, dans le scénario 60 % et 100 % EnR de l’ADEME, une des hypothèses retenues est que 60 % de la consommation du pays est effaçable. Si on vous le demande gentiment, est-ce que vous ne ferez pas votre lessive, débrancherez votre frigo, n’emprunterez pas l’ascenseur, ne prendrez pas le train, et si vous êtes industriel, est-ce que vous arrêterez les machines, sans investissement à la charge du consommateur ? J’ai quelques doutes. On y trouve donc des conditions limites qui sont des hypothèses. Mais on peut postuler une hypothèse totalement invraisemblable. Je peux très bien imaginer ce que je ferais si j’étais capable de voler. Je peux écrire un livre de deux cents pages sur le sujet. Mais si je voulais transposer cela dans le monde réel, vous seriez en droit de challenger l’hypothèse de départ. Il faut réaliser un long et fastidieux travail de revue des hypothèses ou des conditions limites, ce que la presse n’a absolument pas le temps de faire. Je n’ai pas lu toute la production de tous ces gens. J’ai bien regardé le scénario 100 % EnR de l’ADEME. Il n’a pour moi aucune vraisemblance, il est tautologique. Il est dit d’entrée : « supposons que les EnR ne vaillent pas cher, que les coûts de réseaux ne soient pas significatifs, que le consommateur puisse s’ajuster sans investissement aux fluctuations de la production ». Il n’est pas très difficile d’écrire ce genre de propos.

Je ne pense pas que M. Carenco ait fait de longues études sur la physique de l’électricité. Il dit ce qu’il sait. Je vous ai parlé de physique, dont découle la partie économique. Je ne vous ai surtout pas parlé de politique. Je ne vous ai pas dit : parce qu’on a déclaré qu’on allait le faire, on va le faire. J’ai montré quelques évolutions historiques, celles de l’Allemagne et de l’Espagne, qui n’accréditent aucunement les hypothèses considérées comme vraisemblables de certains discours publics français, notamment celui prétendant qu’on peut réduire la capacité nucléaire en augmentant les EnR électriques. J’ai trouvé l’argument inverse en observant l’évolution des pays qui nous entourent. À chaque fois que je le fais remarquer à des tenants de ce point de vue, ils n’ont aucun argumentaire construit à opposer, de nature à prouver qu’ils sont plus intelligents que les autres.

Passer à 50 % de nucléaire en installant partout des éoliennes et des panneaux solaires ne pose pas de problème technique, ce qui peut expliquer la réponse de M. Brottes. On peut conserver les centrales nucléaires dont on se servira moins, ajouter des éoliennes et des panneaux solaires, faire monter en puissance le réseau pour compenser l’évolution, mais à la question est de savoir ce que cela apporterait, ma réponse est : « rien ».

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quelle sera l’évolution de la consommation électrique dans les années qui viennent ? Si l’on doit augmenter la production à partir de la structuration actuelle en consacrant les moyens nécessaires à un grand carénage, les installations nucléaires resteront-elles compétitives par rapport aux EnR ?

M. Jean-Marc Jancovici. Pour augmenter la puissance garantie, vous devez augmenter la puissance pilotable, même si vous installez des éoliennes. J’ai montré à partir de l’exemple espagnol que l’on ne peut y répondre à l’augmentation de la consommation électrique uniquement par des éoliennes supplémentaires. Si l’on augmente la consommation d’électricité via l’électrification du transport, notamment pour la recharge des voitures ou par le développement des pompes à chaleur, on a besoin d’une puissance garantie.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Quelle est la tendance de l’évolution du volume d’électricité consommée ? Certains avaient parié sur une augmentation de la demande d’énergie qui n’a pas eu lieu. Peut-on considérer qu’elle va rester stable ?

M. Jean-Marc Jancovici. Hors électrification des usages, je pense qu’elle ne va pas augmenter et qu’elle va même légèrement baisser. Toutes choses égales par ailleurs, d’ici à ce que vous mouriez, l’économie française devrait se contracter. L’économie n’est qu’un vaste système de transformation – elle transforme des pierres de carrière en béton, des fibres de coton en vêtements, des marchandises qui étaient ici en marchandises qui sont là. Or, en physique, la transformation se traduit par de l’énergie. Et avant d’être un sujet de discussion passionnant, ici, l’énergie est une grandeur physique. C’est pourquoi elle est soumise à des lois qui ne dépendent pas de nous. Or en physique, on quantifie la transformation par l’énergie.

Si la productivité du travail dans les pays occidentaux a augmenté, ce n’est pas parce que nous avons acquis, comme Shiva, huit bras et 253 jambes, c’est que nous nous sommes adjoint des machines pour travailler à notre place. La consommation d’énergie correspond à l’augmentation du parc des machines. J’ai montré tout à l’heure que l’énergie finale consommée en France est celle du pétrole, via les transports, qui sont un maillon indispensable de la machine économique. Or d’ici à ce que vous mouriez, l’offre de pétrole disponible pour les Européens évoluera à la baisse, entraînant une baisse du PIB. Et lorsque le PIB baisse, des boucles de rétroaction apparaissent, et les gens ont moins de moyens pour acheter des appareils qui consomment de l’électricité.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Vous considérez la désindustrialisation comme irréversible ?

M. Jean-Marc Jancovici. Elle est irréversible au sens du flux énergétique. Entre 1974 et 2007, le produit industriel français a doublé. Il n’y a donc pas eu de désindustrialisation en France après les chocs pétroliers. L’Europe a atteint son maximum secondaire d’approvisionnement énergétique en 2006. Depuis 2006, la production industrielle européenne a tendance à décliner, en miroir de la quantité d’énergie entrant en Europe.

Une autre raison pour laquelle il serait dangereux d’abandonner le nucléaire au profit d’énergies renouvelables qui ne seraient pas au niveau attendu puisque le volume de capitaux nécessaire est beaucoup trop élevé, c’est qu’on lâcherait la proie pour l’ombre. En se privant d’un approvisionnement énergétique, donc de machines en fonctionnement, le PIB se contracterait encore plus vite. En se trompant d’objectif dans l’arbitrage entre nucléaire et EnR, on accélérerait la contraction économique. Si tel est l’objectif, je n’ai rien à redire. J’ai voulu signifier que la seule chose qui me gêne dans ces débats, c’est de vouloir le beurre et l’argent du beurre ou d’attribuer à une forme d’énergie, dont je rappelle qu’elle est une grandeur physique, des caractéristiques physiques qu’elle n’a pas. Mais si l’on me dit que l’on a compris que l’on allait contracter l’économie, je peux l’admettre.

M. le président Julien Aubert. Derrière le modèle idéologique des EnR, il y a un modèle politique qui est plutôt celui de la décroissance.

M. Jean-Marc Jancovici. Pas pour tout le monde. Ce n’est pas le cas de la majorité des promoteurs des EnR électriques que je rencontre.

M. le président Julien Aubert. Ceux qui sont défavorables au nucléaire, notamment les écologistes, se fondent sur la théorie de la décroissance. Or un des arguments de l’idéologie écologiste pour justifier de consommer moins et décroître, c’est que le monde est fini et limité. Il est perturbant que vous adhériez à l’idée d’une « boîte finie », puisque ceux qui combattent cette vision et le malthusianisme démographique estiment que nous sommes dans un univers infini, que le végétal est infini, s’autogénère, se reproduit, se développe et que si les algues permettent de faire demain du biocarburant, la ressource nécessaire sera toujours disponible. Comment vous positionnez-vous dans ce débat ?

M. Jean-Marc Jancovici. Nous avons évoqué le développement futur de techniques de stockage. Quand on gère prudemment, on compte sur les forces dont on est sûr en se disant qu’en cas de bonne surprise on saura toujours en faire quelque chose. En tant que chef d’entreprise, c’est ainsi que je raisonne. Je ne souhaite pas dépenser tout mon argent aujourd’hui en espérant gagner demain au Loto, je préfère compter sur ce dont je suis sûr en essayant d’obtenir un peu mieux. Si tel est le cas, j’en profiterai, si tel n’est pas le cas, je n’aurai pas pris de risques inconsidérés. Faisons avec les moyens du bord. Je n’ai pas besoin de progrès majeurs dans le stockage pour remplacer le fioul par des pompes à chaleur ; je n’ai pas besoin de moyens de stockage massifs pour remplacer une partie du gaz par des pompes à chaleur.

J’ai montré tout à l’heure que la consommation de gaz de la France avait commencé à décliner en 2005, époque à laquelle la mer du Nord avait passé son pic de production. Quelque 60 % du gaz européen en provenaient, contre 50 % aujourd’hui. La Norvège, dernier grand pays de la mer du Nord n’ayant pas passé son pic de production, le passera dans les années qui viennent, après quoi la production dégringolera encore plus vite. Il n’y aura pas de plus en plus de gaz en Europe, il y en aura de moins en moins. Ceux qui disent que le gaz est l’énergie de la transition n’ont peut-être pas raison, car il n’est pas sûr que nous en aurons de plus en plus.

Je suis aussi un décroissantiste, non que cela me fasse envie mais parce que je ne vois pas comment y échapper. Pour moi, il faut gérer à l’économie. C’est précisément pourquoi je suis partisan du nucléaire, car c’est un moyen économique quand on considère le système complet. Je pense donc que le nucléaire est un amortisseur de la décroissance. En s’en privant, on risque de tomber en se faisant plus mal.

M. le président Julien Aubert. Vous avez dit que la première chose à faire serait de stopper l’éolien offshore, mais vous avez ajouté que cela ne serait pas fait. Je vois une forme de pessimisme dans vos propos. Imaginons que cette commission d’enquête puisse avoir un impact et modifier le cours de l’histoire, quels sont selon vous les risques majeurs qui pèsent sur l’économie française si nous poursuivons sur cette lancée, si nous échouons ou si nous ne sommes pas d’accord sur le diagnostic ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je dirai plutôt : « qui pèsent sur la société française », car je ne réduis pas la France à son économie. Le risque majeur, c’est de perdre une course contre la montre. La question du changement climatique et celle de la déplétion des énergies fossiles sont des courses contre la montre. Après avoir passé le pic de production dans la mer du Nord, année après année, elle diminue. Si vous n’êtes pas capable de vous organiser pour vous contenter de ce qui continue de sortir, vous prenez des claques. De même, le changement climatique est un processus cumulatif. Année après année, les gaz à effet de serre s’accumulent dans l’atmosphère. Je rappelle qu’il faut plus de dix mille ans pour épurer un surplus de CO2 envoyé dans l’atmosphère ! Dix mille ans de déstabilisation mondiale irréversible ! À côté de cela, les déchets nucléaires sont peu de chose.

De plus, selon une étude scientifique récente, en dépassant deux degrés de réchauffement, ce qui est probable, on déclenche irréversiblement la déstabilisation de la calotte antarctique de l’ouest. Si on y ajoute le Groenland qui a commencé à fondre, on est parti pour avoir, à une échelle de temps qu’on pensait être de quelques siècles et dont on dit aujourd’hui qu’on ne le connaît pas, plus de neuf mètres de hauteur d’eau dans l’océan mondial ! Bangkok sous l’eau, Shanghai sous l’eau, Dunkerque sous l’eau, Miami sous l’eau, une partie de New York sous l’eau.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. À quelle échéance ?

M. Jean-Marc Jancovici. Quelques siècles, pensait-on, mais aujourd’hui, on ne sait pas.

M. le président Julien Aubert. Le mont Ventoux est à 1 900 mètres !

M. Jean-Marc Jancovici. Dans cette course contre la montre, je considère qu’il faut faire feu de tout bois. Quand je mets en balance le nucléaire avec les risques du changement climatique ou de la déstabilisation sociale qui résulterait d’une économie qui se contracterait trop vite, il n’y a pas photo pour moi. Si j’ai un peu peur pour mes enfants avec le changement climatique induit par les combustibles fossiles, je me moque des déchets nucléaires.

Dans cette course contre la montre que nous sommes en train de perdre, éolien offshore inclus, on avait consacré 150 milliards d’euros à la fin de 2018, soit les 121 milliards d’euros chiffrés par la Cour des comptes, plus les 25 milliards d’euros de l’offshore.

M. le président Julien Aubert. Non, car le chiffre de la Cour des comptes prend en compte l’offshore à 40 milliards d’euros. Ce sont donc plutôt 100 milliards d’euros, plus les 37 milliards d’euros de dépenses prévues dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

M. Jean-Marc Jancovici. On est quand même à 140 milliards d’euros.

M. le président Julien Aubert. On sera !

M. Jean-Marc Jancovici. Avec cet argent, j’aurais pu payer une pompe à chaleur.

M. le président Julien Aubert. À 6 000 euros, vous l’avez déjà dit !

M. Jean-Marc Jancovici. Non, la totalité de la pompe à 10 à 15 millions de ménages français. J’aurais sorti la totalité du fioul et les deux tiers du gaz et gagné une partie de ma course contre la montre. J’aurais évité 15 % des importations de pétrole, donc, selon les années, de 3 à 6 milliards d’euros, voire 9 milliards d’euros. J’aurais évité la moitié des importations de gaz, créées macroéconomiquement de l’emploi et évité du CO2. Les arbitrages en cours nous privent d’une chance d’y parvenir. Si nous ne le faisons pas, comme le gaz et le pétrole qui entrent en Europe vont continuer à décliner, nous aurons de moins en moins d’énergie de chauffage, de toute façon, qui aura été remplacé par rien, nous aurons de moins en moins de transport, de toute façon, qui aura été remplacé par rien. Nous aurons la tentation de recourir aux énergies fossiles là où il n’y en a pas, pour construire des dispositifs de production électrique quand on verra que les renouvelables ne fonctionnent pas. Nous ne sommes pas trop concernés puisque nous importons tout, mais les Allemands et les Polonais, qui ont beaucoup de charbon, peuvent très bien ajouter des unités à charbon.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. C’est un combat global, mais la France a-t-elle quelque chose à y gagner ?

M. Jean-Marc Jancovici. Oui, parce que, la France important tout, même si vous ne croyez pas au changement climatique, dès lors que vous savez que la zone va être de plus en plus contrainte en termes d’approvisionnement en énergies fossiles, vous avez intérêt à vous en débarrasser le plus vite possible.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. La France peut-elle gagner le combat contre le CO2 ?

M. Jean-Marc Jancovici. Nous ne le gagnerons jamais seuls. Mais la France n’est pas encore un pays totalement inaudible en Europe. Sauf qu’aujourd’hui, ce n’est pas notre combat. Aujourd’hui, notre combat en Europe, c’est le déficit budgétaire, lequel m’intéresse moins que le changement climatique. J’ai aussi un peu moins peur pour mes enfants à cause du déficit budgétaire. Si les gens de ma génération doivent être pendus parce qu’on ne rembourse pas la dette, nous serons pendus, mais ce sera moins grave que le changement climatique.

On peut très bien décider que la lutte contre les émissions de CO2 et pour la réduction de la dépendance de l’économie aux énergies fossiles est la colonne vertébrale du renouveau européen. Je suis très favorable à cette idée, parce qu’un projet s’incarne dans un objet. Si vous parlez aux gens qui vous entourent des 3 % de déficit budgétaire, ils répondent qu’ils ne savent pas trop de quoi il s’agit. En outre, les gens fonctionnent par mimétisme, car c’est ainsi qu’on élève nos enfants. On croit à tort que si l’on fait choses intelligentes, personne ne nous imitera. Dans mon univers professionnel, on a fait quelque chose qui est très loin d’être suffisant mais qui est un bon début, à savoir l’article 173 de la loi de transition sur l’empreinte carbone. De nombreux pays commencent à nous imiter.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Jancovici, je vous remercie pour cette très riche présentation.

Laudition sachève dix-huit heures cinq.

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30.   Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Bensasson, président-directeur général d’EDF Renouvelables, accompagné de M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques, et de Mme Élodie Perret, chargée des relations institutionnelles (16 mai 2019)

Laudition débute à dix-huit heures cinq.

M. le président Julien Aubert. Nous accueillons pour notre dernière audition de la journée les représentants d’EDF Renouvelables.

M. Bruno Bensasson est président-directeur général d’EDF Renouvelables. Il est accompagné de M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques, et de Mme Élodie Perret, chargée des relations institutionnelles.

Le groupe EDF se présente comme un énergéticien intégré, présent sur l’ensemble des métiers et ayant développé un mix de production diversifié, basé sur l’énergie nucléaire, l’hydraulique, les énergies nouvelles renouvelables et le thermique.

Le groupe s’est fixé une stratégie « Cap 2030 », qui prévoit notamment de doubler sa production d’énergies renouvelables d’ici 2030.

Aujourd’hui, l’éolien terrestre est la principale filière renouvelable du mix d’EDF, avec 80 % de la puissance installée à ce titre, le solaire en représentant 19 %.

À la fin de 2017, le groupe EDF a lancé un plan solaire pour développer 30 gigawattheures d’énergie solaire d’ici 2035, soit quatre fois les capacités de production d’énergie solaire en France lors de son lancement.

Au début de 2018, c’est un plan stockage électrique qui a été lancé.

Comment envisagez-vous l’évolution des différentes filières dans les années à venir entre l’éolien terrestre, l’éolien en mer, le solaire, les énergies marines et le stockage d’énergie ?

S’agissant des parcs de production importants, les conditions relatives de développement ne conduisent-elles pas à penser que l’option photovoltaïque est potentiellement plus prometteuse que l’éolien en France ? Si c’est le cas, comment envisagez-vous la question de l’affectation de nouvelles superficies foncières pour une production d’énergie solaire de grande capacité ? Que recouvre le développement du photovoltaïque flottant ?

Quelle est votre appréciation sur la filière de l’éolien en mer ?

Quelle est votre appréciation sur la question du recyclage des pales d’éoliennes ?

Monsieur Bensasson, nous allons vous écouter pour un exposé liminaire de quinze minutes. Puis les membres de la commission d’enquête vous interrogeront à leur tour avec, d’abord, les questions de notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert.

S’agissant d’une commission d’enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(M. Bruno Bensasson et Mme Élodie Perret prêtent successivement serment.)

M. Bruno Bensasson, président-directeur général dEDF Renouvelables. Monsieur le président, madame la rapporteure, EDF Renouvelables recouvre à la fois l’hydraulique, l’éolien et le solaire. Je resituerai d’abord notre action dans le cadre plus large de la transition énergétique telle que la perçoit EDF.

Je ne peux entamer mon intervention sans évoquer l’efficacité énergétique, voie dans laquelle notre groupe s’engage résolument. La chaleur renouvelable est également un élément très important, porté par mes collègues de Dalkia. Je pense aussi au programme de chauffage durable lancé récemment. Bien entendu, le nucléaire et les réseaux de distribution font partie de la transition énergétique.

J’en viens à notre stratégie énergies renouvelables (EnR). Comme vous l’avez dit, Monsieur le président, elle a été fixée en 2015 par le programme « Cap 2030 » qui vise à doubler notre puissance pour la faire passer de 25 à 50 GW net par une croissance de 10 % par an, ce qui est important dans des économies qui croissent plus lentement.

Cette croissance, nous la ferons avec un double rééquilibrage.

Le premier rééquilibrage sera opéré entre technologies. Notre première énergie renouvelable reste et restera l’hydroélectricité. Hydroélectricité et éolien restent au cœur de notre mix, surtout l’hydroélectricité, avec un peu plus de 20 000 MW hydrauliques exploités par notre groupe. Nous opérerons un rééquilibrage progressif depuis l’éolien vers le solaire. Nous avions historiquement 80 % d’éolien, aujourd’hui, dans le flux, le rapport est plutôt de 50/50 entre éolien et solaire. Nous opérerons aussi un rééquilibrage entre éolien terrestre et éolien maritime.

Le second rééquilibrage est géographique. Paradoxalement, notre groupe était d’abord présent en Amérique du Nord, aux États-Unis d’Amérique. Nous resterons importants en Amérique du Nord, mais nous nous rééquilibrons vers une série de pays émergents et vers l’Europe, en particulier la France, avec notamment le plan solaire que vous avez cité, Monsieur le président, qui prendra toute son ampleur à partir de 2020.

Nous sommes le premier électricien par la puissance renouvelable installée en France. Nous sommes d’ailleurs aussi le premier électricien par la puissance renouvelable installée en Europe. Au niveau mondial, nous sommes dans le peloton de tête, mais reconnaissons que l’italien ENEL, par exemple, est un peu devant nous.

Cette position française est d’abord faite d’hydroélectricité, qui est la première des électricités renouvelables. C’est une électricité formidable, ancrée dans les territoires, compétitive, souvent flexible. Il reste du potentiel. Vous savez sans doute que notre groupe poursuit des projets, comme à La Coche, en Savoie, mais aussi l’important projet de station de transfert d’électricité par pompage à la Truyère, dans l’Aveyron, qui représente 1 milliard d’euros d’investissement et 2 000 emplois. Sous réserve de l’accord des autorités françaises et communautaires, nous souhaiterions vivement le réaliser.

Après l’hydraulique, l’éolien terrestre représente 1 300 MW dans notre parc français. S’y ajoutent nos projets maritimes. Nous avons été les lauréats de projets à Saint-Nazaire, Fécamp et Courseulles. J’espère que nous pourrons bientôt passer à une nouvelle étape après une décision du Conseil d’État. En matière d’éolien terrestre et maritime, nous nous inscrivons naturellement dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et des appels d’offres. Beaucoup de progrès ont été réalisés ces dernières années par les pouvoirs publics dans la façon de promouvoir ces technologies. Les appels d’offres offrent un assez bon équilibre entre le souhait légitime des pouvoirs publics d’obtenir le meilleur prix et la possibilité pour les investisseurs de réaliser des investissements à long terme avec une sécurité de prix, à la hausse et à la baisse, comme à peu près toutes les technologies, qu’elles soient renouvelables, nucléaires ou fossiles, le demandent aujourd’hui.

Nous avons été un très grand acteur du solaire. Nous le sommes toujours dans le solaire pour toiture, dont nous sommes le premier acteur, avec notamment l’offre « Mon soleil & moi ». Sur le solaire au sol, nous avons été très forts hors de France mais, paradoxalement, pour des raisons que je pourrais développer, depuis 2012, nous avons levé le pied en France. Avec le plan solaire décidé par Jean-Bernard Lévy à la fin de 2017, notre intention est de redevenir un leader du solaire en France. Là aussi, les procédures ont fait des progrès. Les questions de la taille et du foncier restent des points d’attention pour beaucoup d’acteurs. La PPE, qui prévoit de l’ordre de 50 000 MW à l’horizon 2028, fixe un objectif qui appelle environ 50 000 hectares, soit 500 kilomètres carrés. C’est à la fois beaucoup et à l’échelle de notre pays. Nous voulons croire que c’est possible. Les évolutions en cours de réflexion pour l’éolien, sur le repowering ou pour le solaire sur la taille typique des projets nous paraissent aller dans le bon sens.

Je terminerai mon propos introductif en évoquant les enjeux de croissance, qui sont d’ordre économique, industriel et environnemental.

Concernant l’enjeu économique, il est vrai que les énergies renouvelables électriques ont coûté cher et que cela se ressent toujours sur les finances publiques. Après la contribution au service public de l’électricité (CSPE) à une époque, c’est maintenant la contribution climat énergie (CCE), et vous le savez bien mieux que nous. Mais il convient de souligner que les coûts de ces énergies, qu’il s’agisse de l’éolien ou du solaire, ont beaucoup baissé. Il y a quelques jours, le président de la commission de régulation de l’énergie (CRE) parlait d’une gamme de prix de 60 à 80 euros par mégawattheure, et l’on constate même des appels d’offres solaires ou éoliens légèrement inférieurs. Dans un coût du solaire de 55 euros par mégawattheure, il y a encore environ 15 euros par mégawattheure de taxe locale. Oui, il y a eu un coût. Les décisions passées ont encore un coût aujourd’hui, en particulier un coût allemand - les Allemands ont beaucoup payé l’apprentissage du solaire – mais elles ont permis l’émergence d’une filière. Aujourd’hui, force est de constater que le solaire et l’éolien sont proches de la monnaie, ici, en France, et, a fortiori, dans d’autres endroits du monde. Et si on imaginait un bon prix du CO2, elles seraient encore plus proches de la monnaie.

Le Parlement avait fixé l’objectif de 20 % de renouvelables en 2020 et de 32 % en 2030, dont 40 % d’électricité en 2030 et, naturellement, notre groupe s’inscrit dans ce cadre législatif. Une PPE qui prévoit davantage d’électricité décarbonée nucléaire – je le dis clairement – et renouvelable nous paraît aller dans le bon sens, quand on considère les euros publics par tonne de CO2 évités.

L’enjeu est aussi industriel. Selon les chiffres publics de la Cour des comptes et de l’ADEME, la part de valeur ajoutée française dans les filières renouvelables serait de 35 à 45 %. C’est à la fois plus que ce qu’on imagine, moins que le cas du nucléaire ou de l’hydraulique et plus que les énergies fossiles. En tant que propriétaire de Photowatt qui, à Bourgoin-Jallieu, dans l’Isère, emploie quelque deux cents personnes pour produire des panneaux photovoltaïques, nous ne pouvons que souhaiter que les autorités françaises et communautaires défendent leur industrie, au même titre que les autorités chinoises, indiennes, américaines le font sans hésitation.

Je finirai par les enjeux environnementaux, que nous considérons comme très importants. J’évoquerai sans exhaustivité les paysages, la biodiversité et les déchets.

S’agissant des paysages, il va de soi qu’il y a des enjeux autour de l’éolien terrestre et maritime. Parmi nos savoir-faire figurent le choix des sites et la concertation. Il faut avoir beaucoup d’humilité dans ce domaine. Nous nous efforçons d’avoir cette humilité et de pratiquer la concertation. Sans être parfaites, nos relations avec les territoires nous paraissent bonnes. C’est notamment le cas en ce qui concerne les projets éoliens maritimes, pour lesquels les choses se passent relativement bien. Cela ne veut pas dire que c’est facile partout, mais partout nous voulons cette concertation, dont nous reconnaissons la légitimité. Nous y sommes attentifs, même dans des cas sensibles, comme actuellement au Blayais.

La biodiversité est un autre sujet. Pour le solaire ou l’éolien, terrestre ou maritime, il y a des enjeux de faune, de flore. Cela fait partie aussi des savoir-faire de nos équipes que d’identifier, prévenir, limiter les risques pour la faune et pour la flore.

Enfin, si les déchets représentent des filières relativement jeunes, il est déjà temps de penser au recyclage. Pour le solaire, 95 % du contenu d’un panneau solaire peuvent être recyclés, les 5 % restants ne l’étant pas principalement pour des raisons économiques et non pour des raisons technologiques ou de dangerosité. Pour l’éolien, 97 % peuvent être réutilisés ou recyclés. Ce qui ne l’est pas est valorisé sous forme d’énergie, ce qui est mieux que rien. Ce sont les parties composites des pales qui, pour le moment, n’ont pas d’autre exutoire. Au total, le coût de démantèlement d’une éolienne est estimé à 50 000 euros, c’est-à-dire environ moins de 5 % de son coût total, selon sa puissance. Il est naturellement intégré et provisionné dans nos plans d’affaires.

M. le président Julien Aubert. Lorsque EDF a commencé à s’intéresser aux énergies renouvelables, quel était le portefeuille de l’ancienne SIFF ? Quelle est l’augmentation du potentiel depuis dix à quinze ans ?

M. Bruno Bensasson. Je ne dispose pas de tout l’historique mais pour les dernières années, je peux vous dire que nous avons connu un rythme soutenu depuis le lancement de « Cap 2030 ». Pour les trois dernières années, nous avons ajouté à notre portefeuille, qui est aujourd’hui, à travers le monde, de 8 500 MW net, de l’ordre de 800 MW net, soit 10 %, par an. Pour les trois années précédentes, le rythme était sensiblement identique. Nous avons donc continué à croître à bon rythme, selon des modèles un peu différents. Il y a eu des époques très « solaires », puis « éoliennes » et nous revenons vers le solaire maintenant qu’il est vraiment à bon coût. Il y a eu des époques très nord-américaines et nous revenons aujourd’hui vers les pays émergents et l’Europe. S’agissant du solaire, il y a eu beaucoup de toiture et nous avons aujourd’hui un mix plus équilibré entre toiture et sol. Sans revenir à 2004 et à la création de SIFF, l’aventure commune a permis à EDF de faire de ces nouvelles énergies renouvelables, en plus de l’hydraulique qui est au cœur de notre mix, un élément à part entière du mix, en complémentarité du nucléaire dans notre pays-cœur, la France, et souvent en avant-garde dans beaucoup de pays du monde, notamment en Amérique du Nord, en Amérique latine, aujourd’hui au Maroc, au Moyen-Orient, en Inde, en Chine.

M. le président Julien Aubert. Quelle est aujourd’hui la valeur de l’entreprise ?

M. Bruno Bensasson. EDF Renouvelables n’étant plus cotée, je ne saurais vous en indiquer la valeur. Nous avons 8 000 MW net, avec une rentabilité tout à fait décente qui, pour reprendre les termes de la loi française, est adaptée, compte tenu du risque. Nos modèles d’affaires sont à risque modéré, donc à rentabilité modérée.

M. le président Julien Aubert. Quelle était la valeur d’acquisition originelle ?

M. Bruno Bensasson. Nous vous l’indiquerons par écrit. J’aurais pu dire, et ce n’est pas une excuse, que j’ai rejoint et dirige EDF Renouvelables depuis un an et je n’ai pas repris la valeur d’acquisition de 2008.

M. le président Julien Aubert. De mémoire, l’entreprise était possédée par M. Mouratoglou et on avait évoqué un prix de rachat d’un milliard d’euros, ce qui semblait énorme au regard de 8 000 MW. Comme vous avez eu une forte progression d’installation, nous essayons de comprendre, dans cette commission d’enquête, le mécanisme de formation de la valeur ajoutée d’entreprises du renouvelable.

M. Bruno Bensasson. Mettons qu’un mégawatt éolien vaille un million d’euros, tandis que les coûts d’un mégawatt solaire ont beaucoup baissé. Il est difficile d’intégrer tous ces coûts puisque, sur cette quinzaine d’années, ils ont beaucoup baissé, mais ce sont aujourd’hui, ces ordres de grandeur. EDF Renouvelables peut faire cette croissance par sa valeur ajoutée et parce que le groupe EDF a pris le parti de financer cette croissance renouvelable dans un rééquilibrage de son mix. Par conséquent, EDF Renouvelables croît à la fois en autofinancement et par le soutien de son actionnaire EDF rééquilibrant son mix, ceci dans des conditions d’investissement raisonnables, rentables, mais sans rentabilité excessive.

La valeur ajoutée de nos équipes réside dans la capacité à bien choisir et sécuriser des sites, à bien concevoir, dessiner, accompagner la construction, exploiter, maintenir des installations, à bien négocier et acheter des équipements et, en dernier ressort, à bien financer et parfois céder nos actifs, tout ce qui fait le savoir-faire de nos équipes.

M. le président Julien Aubert. Les mécanismes d’aide et de tarifs de rachat qui existaient pour les petits parcs éoliens donnent une visibilité sur plusieurs années, avec un revenu garanti. Cela ne produit pas mécaniquement, sous forme de valorisation actualisée nette, une augmentation de la valeur de l’entreprise. Posséder cinquante éoliennes dont on sait que, pendant vingt ans, elles donneront lieu à un prix de rachat, cela se monnaie.

M. Bruno Bensasson. Cela a bien sûr de la valeur, que ce soit avec un tarif administré ou un tarif après appel d’offres. L’avantage d’intérêt général de l’appel d’offres, c’est qu’il permet aux États, en France et ailleurs, de créer la compétition et aux investisseurs d’être sécurisés. Ce bénéfice de la sécurité, quand la concurrence joue, se traduit par moins de risque, donc par un coût du risque moindre, donc par moins de coûts. Quand on répond à un appel d’offres dans une tension concurrentielle, le fait que le prix soit sécurisé pour une partie de la durée de vie de l’installation réduit le coût du risque, ce qui bénéficie au consommateur, qu’il soit consommateur d’électricité ou contribuable. L’appel d’offres et le tarif administré sur la durée de l’appel d’offres offrent un bon équilibre.

Je crois pouvoir dire au titre du groupe que les porteurs de toutes les technologies à travers le monde sont attachés à la sécurité. Quand vous investissez pour vingt, trente, quarante, voire soixante ans, vous avez besoin de sécurité. Les prix de marché de l’électricité donnent une visibilité à deux ou trois ans, ce qui n’est même pas la durée d’installation. Que l’on opère dans l’hydraulique, l’éolien ou le nucléaire, on cherche à obtenir des prix pas trop volatils.

M. le président Julien Aubert. Si on supprimait les mécanismes d’aide en laissant jouer purement le marché, sans élastique pour rattraper la volatilité, votre entreprise resterait-elle viable ?

M. Bruno Bensasson. À travers le monde, aujourd’hui, qu’il s’agisse de renouvelables, de nucléaire ou de thermique, et même au-delà de l’énergie électrique, très peu d’investissements à vingt, trente, quarante ou soixante ans se font sur la base de prix de marché volatils. En France, nous nous inscrivons naturellement dans le cadre de la PPE. Nous voulons contribuer à ces 40 % d’électricité renouvelable. Des mécanismes de type appels d’offres permettent d’obtenir ces renouvelables au meilleur prix. Le fait que l’investisseur soit sécurisé, ce qui est un transfert de risque – il est sécurisé si le prix baisse mais celui-ci peut aussi monter – a plutôt tendance à réduire le risque perçu, donc le coût du risque, donc le coût.

M. le président Julien Aubert. À vous écouter, la nature inhérente des énergies intermittentes et la longueur des investissements font que, de toute façon, un subventionnement public ou un mécanisme de garantie sera toujours d’actualité ?

M. Bruno Bensasson. C’est ce qu’on observe à travers le monde. Je ne dirai pas que c’est spécifique aux énergies intermittentes, parce que les centrales à gaz ont recherché une rémunération de capacité. Il est notoire que notre entreprise, s’agissant du nucléaire, cherche un mécanisme de régulation qui soit plus équitable, qui équilibre la solidité financière de notre entreprise et les enjeux des consommateurs dans un corridor de prix, surtout dans la mesure où il s’agit d’investissements à très long terme, soumis à concurrence. Le prix spot a des vertus. Il permet de placer l’électricité au bon moment dans la journée, dans la semaine, voire dans l’année, mais dans aucun pays du monde il n’a permis de diriger des investissements.

M. le président Julien Aubert. Alors que certains experts ont soutenu ici l’idée que la volatilité des prix rendait nécessaire le lissage par un système public, pour vous, c’est plutôt lié au fait que l’investissement porte sur une longue période de temps et soit fortement capitalistique.

M. Bruno Bensasson. Cela n’est pas contradictoire. C’est moins lié au fait que les prix bougent dans l’année, qu’à l’incertitude à moyen et long terme, laquelle vaut pour tous les actifs longs, voire beaucoup d’autres secteurs de l’économie. Je me permettrai de nuancer le mot de « subvention ». Quand, au Brésil ou au Moyen-Orient, un appel d’offres prévoit des prix garantis, qui ressortent à 20, 25 ou 30 euros le mégawattheure, comme c’est le cas en Inde, j’appelle plutôt cela un système de régulation et d’appel d’offres public qu’un subventionnement. Dans nos systèmes électriques, compte tenu de la baisse du coût des renouvelables, il est efficace de lancer ces appels d’offres.

M. le président Julien Aubert. Il y a tout de même un coût.

M. Bruno Bensasson. L’électricité a toujours un coût.

M. le président Julien Aubert. Un coût pour les finances publiques ! Avec un financement par la CSPE ou la contribution climat énergie, il y a bel et bien à un moment donné quelqu’un qui paie.

M. Bruno Bensasson. Ce coût, tel qu’on le voit aujourd’hui dans les finances publiques françaises, est beaucoup lié aux investissements passés de la période 2000-2012. Concernant le Brésil, il y a bien un mécanisme par lequel les Brésiliens paient l’électricité, mais l’auraient-ils payée moins chère sans ces renouvelables ? Je ne le crois pas. Si on regarde les prix de l’électricité qui ressortent des tarifs, j’admets que tant qu’on est encore dans les 50 à 60 euros le mégawattheure, il y a non seulement une sécurité mais un soutien public. Celui-ci est sans doute nécessaire si on veut atteindre les 32 ou 40 % d’électricité renouvelable à l’horizon 2030.

Quand on compare avec d’autres solutions, il y a évidemment de la place pour l’efficacité énergétique, le bois-chaleur, les biocarburants ou le biogaz, mais il faut considérer l’euro public par tonne de CO2 économisé. L’éolien maritime va aussi se rapprocher de la monnaie. Sans faire trop de technique, si on souhaite que le prix du CO2 ne soit pas à 20 euros, comme il l’est sur les marchés, mais plus près de ce que France Stratégie a proposé ou de ce que le Parlement a voté au travers de la contribution climat énergie, cela représente en France, compte tenu des liens, 10 euros par mégawattheure. On se rapproche de la monnaie et surtout, à titre d’entreprise, on s’inscrit dans la loi telle qu’elle est fixée.

M. le président Julien Aubert. Je ne vous parle pas de la loi, que je connais bien pour l’avoir suffisamment combattue. La facture d’électricité a augmenté de 44 %. Vous dites : « Les consommateurs l’auraient-ils payée moins cher » ? Ma réponse est « oui ». Une CSPE est passée par là, qui a principalement servi à financer des énergies intermittentes vertes. Par définition, il est plus cher pour le consommateur d’avoir un tel mix.

M. Bruno Bensasson. Il est sûr que financer du solaire à 500 ou 600 euros le mégawattheure - vous en avez parlé ici, on l’a appelé « la bulle » - a eu un coût que les Français continuent de payer. Mais je m’inscris dans le présent et dans le futur.

M. le président Julien Aubert. Après que nous avons beaucoup payé pour l’émergence d’une filière, puisque vous avez expliqué que les prix s’orientaient tendanciellement vers le prix du marché, qu’est-ce qui justifie qu’on continue à subventionner ou, si vous préférez, à aider ou à garantir ? J’essaie de définir les conditions qui permettraient d’arrêter. Soit c’est lié à l’intermittence, et comme les énergies seront toujours intermittentes, on pourra arrêter quand le stockage sera devenu possible, soit c’est lié au fait qu’il s’agit d’un investissement long, et on n’arrêtera jamais. Si on arrêtait aujourd’hui, parviendriez-vous à faire sans ?

M. Bruno Bensasson. Je ne tenterais pas l’expérience. Dès lors que le Parlement a fixé une trajectoire, les appels d’offres permettent d’obtenir le meilleur coût. Je note de nouveau que ce n’est pas spécifique aux intermittents.

Au-delà des enjeux technologiques, nous croyons beaucoup au stockage et nous en ferons. Mais comme il vit des écarts, où les prix sont encore plus volatils que la moyenne, il sera difficile de faire du stockage face au marché.

Quant aux investissements longs, que l’on songe, par exemple, aux autoroutes ou aux aéroports, peu sont soumis aux prix des commodités de tous les jours. On pourrait citer le pétrole, sauf que son prix est assez bien tenu.

M. le président Julien Aubert. On n’a pas confié les autoroutes aux entreprises privées en leur garantissant un prix. On les a d’abord fabriquées, puis on les a concédées.

M. Bruno Bensasson. En tout cas, je note qu’il est rare que les investissements longs soient soumis au prix de marché. C’est un peu le cas de l’immobilier.

M. le président Julien Aubert. Je n’ai pas bien compris à quel moment, selon vous, on peut arrêter le subventionnement, mais je vais arrêter avec cette question.

Quand on dit que l’éolien revient à 60 euros le mégawattheure, ce coût intègre-t-il le coût du stockage de l’énergie intermittente afin de la libérer au moment idoine ?

M. Bruno Bensasson. Aujourd’hui, le coût de l’éolien et du solaire tel qu’il ressort des appels d’offres intègre le coût des machines. S’il n’y a pas de stockage, il n’y a pas de coût de stockage intégré. Si on ajoutait du stockage, on l’intégrerait. Comme vous le suggérez, cela aurait un coût en plus mais aussi un bénéfice en plus qui serait de fournir de l’électricité de quinze heures à dix-neuf heures. Mais en l’état actuel de l’écart de prix entre quinze heures et dix-neuf heures, malheureusement, une batterie n’est pas encore rentable. Cela dit, comme les batteries connaissent une baisse de prix de l’ordre de 15 % par an, comme le solaire l’a connu, ce jour viendra peut-être.

M. le président Julien Aubert. Vous êtes dans une position intéressante, non pas en tant qu’EDF Renouvelables mais en tant que partie du groupe EDF. On parle beaucoup de complémentarité entre le nucléaire et les énergies vertes, et l’on invite à ne pas les opposer. Lors de notre précédente audition, M. Jancovici, un expert de l’énergie, nous expliquait que c’était de la fumisterie et qu’en comparant des énergies pilotables et des énergies non pilotables, on comparait des choux et des carottes et qu’on allait additionner les coûts fixes de l’énergie pilotables, qu’on utiliserait moins mais qu’on serait obligé de garder, et une énergie non pilotable qu’on n’utiliserait pas toujours au bon moment en l’absence de stockage, en sorte qu’on augmenterait ainsi indéfiniment la facture d’électricité. Quel est votre argument en faveur de la complémentarité, hormis le fait que la main gauche peut financer le nucléaire et la main droite, les énergies renouvelables ?

M. Bruno Bensasson. Je n’ai pas eu la chance d’entendre Jean-Marc Jancovici. Par ailleurs, je m’inscris dans la politique de complémentarité du groupe. Si vous avez regardé mon parcours professionnel, vous comprendrez que je ne taperai pas sur le nucléaire tel qu’il existe.

M. le président Julien Aubert. Justement, vous avez un excellent parcours pour défendre la complémentarité que M. Jancovici a démolie.

M. Bruno Bensasson. En ce qui concerne les renouvelables, il importe de reconnaître, et EDF s’inscrit dans ce champ, que la France a pris le parti de diversifier son mix électrique et, si l’on suit la projection de la PPE, de plus d’électricité, ce qui nous paraît très bien. La France a choisi de diversifier son mix pour tendre vers 50 % de nucléaire, si la loi est votée, en 2035, plutôt qu’en 2025. Notre groupe s’est exprimé sur ce décalage. Une fois ce décalage acté, il faut préférer avoir, à côté du nucléaire, des renouvelables plutôt que du charbon et du gaz. Notre pays a choisi de sortir rapidement du charbon et de ne plus faire de gaz. Nous nous inscrivons dans la loi. Je ne reviens pas sur l’année 2010, mais le développement des renouvelables solaires et éoliens, avec 55 % de solaire, est très proche du marché.

Je ne doute pas que M. Jancovici soit désireux d’avoir un vrai prix du carbone. Les experts estiment qu’il devrait être de 100 euros par tonne de CO2. Je n’ignore pas les enjeux intergénérationnels. Or si vous payez 100 euros par tonne de CO2, c’est-à-dire 80 euros de plus qu’aujourd’hui, vous augmentez le prix français de l’électricité de 40 euros par mégawattheure. Je vous assure que l’éolien et le solaire sont compétitifs face au marché, en dépit de leur intermittence, que je reconnais. Peut-être qu’un jour le stockage aidera mais en attendant, face au marché, dans de telles conditions, ils seraient compétitifs. Ces dernières années, le solaire et l’éolien, en France et dans le reste de l’Europe, se seront développés d’abord, et c’est heureux, au détriment du charbon et un peu du gaz. Aujourd’hui, la plupart du temps, les prix en Europe et en France sont faits par une centrale charbon ou gaz allemande et pas française.

M. le président Julien Aubert. Le cadre législatif prescrit de faire du renouvelable. Le groupe EDF a fait le choix d’investir dans cette filière. Mais imaginons que je sois un producteur de diligences et que le législateur dise qu’il faille introduire la voiture. Vous décideriez d’avoir une branche qui continue à faire des diligences et une branche qui commence à faire des voitures. M. Jancovici estime qu’il n’y a pas complémentarité et que ce doit être l’un ou l’autre. Il peut être contradictoire d’avoir dans la même entreprise des producteurs de produits concurrents. Soit il y a complémentarité et M. Jancovici a tort, soit votre analyse économique conduit à considérer que ce ne sont ni les mêmes usages ni les mêmes personnes et qu’on peut très bien développer les deux. Puisque vous avez fait le choix de développer les deux, vous croyez en la complémentarité. D’un autre côté, on nous dit que cela nuit au modèle économique du nucléaire. Je n’imagine pas une minute qu’EDF puisse développer une activité dont elle saurait pertinemment qu’elle casse son modèle d’origine. Les représentants de Total nous ont expliqué pourquoi ils investissaient dans les énergies de demain. Quelle est votre défense ? En quoi pour vous est-ce complémentaire ?

M. Bruno Bensasson. De même que certains acteurs font du pétrole, du gaz et de l’électricité, de même, pour produire de l’électricité, pouvons-nous faire du nucléaire et des renouvelables. La question de l’intérêt de la diversité et de la complémentarité d’un mix nucléaire-renouvelables, relève d’abord des pouvoirs publics. Ce sont les pouvoirs publics qui fixent le mix. En tant qu’EDF, nous avons fait le choix de nous inscrire dans le mix français.

Pour prendre une autre métaphore, est-ce qu’il a mieux valu que Kodak se concentre sur le film argentique menacé par le numérique, ou est-ce que Kodak n’aurait pas pu garder une expertise argentique et une expertise numérique ? Aujourd’hui, les diligences ont disparu, mais nous croyons en un futur qui ressemble à celui dessiné par la PPE, avec à la fois du nucléaire et des renouvelables. Nous savons que nous pouvons créer de la valeur dans ces deux domaines. Notre groupe a bien l’intention de rester le leader de l’électricité en France et, dans un mix avec 50 % de nucléaire et 50 % de renouvelables, nous avons l’intention d’être un leader dans les renouvelables.

M. le président Julien Aubert. On nous a également pointé le fait que les garanties d’origine sur l’électricité verte ne suivaient pas le kilowattheure acheté par l’acheteur mais allaient dans l’escarcelle de l’État, pour les appels d’offres, ou dans l’escarcelle d’EDF, pour les tarifs de rachat, et que ces garanties d’origine n’étaient pas forcément valorisées par EDF, mais revendues sur un marché dérivé des garanties d’origine. Quel est votre point de vue sur le mécanisme des garanties d’origine qui, du fait de la loi, ne suivent pas le kilowattheure acheté. Si La Poste achète de l’électricité verte à un parc éolien terrestre, c’est l’État ou EDF qui a la garantie verte. Comme La Poste a un kilowattheure gris, elle est obligée d’acheter sa garantie d’origine à un voisin étranger ou directement de l’électricité à un voisin étranger.

M. Bruno Bensasson. L’intention du législateur ou du réglementeur a été d’éviter des effets d’aubaine par lesquels les producteurs de renouvelables auraient été rémunérés deux fois : une première fois par un tarif garanti au titre d’un guichet ouvert ou d’un appel d’offres, une seconde fois par la revente de garanties d’origine. Si des développements renouvelables sont faits sans le soutien de personne, ce qui peut être le cas dans l’hydraulique, le producteur a sa garantie et en dispose.

Mme Élodie Perret, chargée des relations institutionnelles dEDF Renouvelables. Jusqu’en 2017, si un producteur d’énergie renouvelable valorisait sa production sur le marché des garanties d’origine, sa rémunération était déduite du tarif d’achat, afin que celui-ci soit toujours le même. Depuis 2017, la loi prévoit que si un producteur d’énergie renouvelable veut valoriser ses garanties d’origine sur le marché, il doit renoncer à son contrat d’achat ou à son contrat de complément de rémunération. Il n’a donc aucun intérêt à le faire. Une installation qui est sous contrat d’achat ou de complément de rémunération doit être référencée électroniquement sur un registre qui appartient à l’État. Cette garantie d’origine n’appartient pas au producteur, puisqu’il y a autant de garanties d’origine que de productions renouvelables. Les garanties d’origine figurent donc sur le registre de l’État qui lance des enchères, lesquelles peuvent être achetées par n’importe quel industriel souhaitant dire qu’il s’approvisionne avec de l’électricité renouvelable. On paie un supplément par suite de l’achat de cette différence. Les revenus de ces enchères générés par l’État viennent alimenter le compte d’affectation spéciale destiné à financer la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables.

M. le président Julien Aubert. Le compte d’affectation spéciale est ainsi alimenté ?

Mme Élodie Perret. En partie. Pas pour une grosse part.

M. le président Julien Aubert. C’est fondu dans le transfert budgétaire. Tout est mélangé.

Mme Élodie Perret. C’est une partie assez faible.

M. le président Julien Aubert. L’État le revend et affecte le produit de la vente au compte d’affectation spéciale.

Mme Élodie Perret. L’État met mensuellement aux enchères ces garanties d’origine et en tire des revenus qui sont affectés à ce compte.

M. le président Julien Aubert. Ne trouvez-vous pas que c’est une usine à gaz ? Imaginez que je produise du jambon de Bayonne, produit auquel est attaché un label de qualité. Je vends mon jambon mais le label de qualité ne part pas avec le jambon. Je le donne à celui qui a subventionné la production, lequel revend le label à je ne sais pas qui, au motif que, dans la production globale de jambon, il y a 10 % de jambon de Bayonne et que le label peut être revendu à quelqu’un qui peut consommer du jambon pas du tout de Bayonne et pas bio. On marche sur la tête ! Un tel dispositif vous semble-t-il logique ?

M. Bruno Bensasson. Nous nous inscrivons dans le cadre législatif et règlementaire.

M. le président Julien Aubert. Depuis le début, vous nous dites que vous suivez le cadre législatif à la lettre. Je vous en félicite mais nous sommes ici pour le faire changer.

M. Bruno Bensasson. S’agissant de la PPE, nous avons participé à la construction d’une vision et il est bien que les parties y participent. Mais une fois le cadre posé, nous nous inscrivons dedans. Éviter les doubles comptes est un principe. Le Parlement avait posé le principe d’une rentabilité normale. Il faut éviter les rentabilités anormales. Mais il y a peut-être moyen de faire plus simple.

M. le président Julien Aubert. Si on supprimait l’aide publique, ce que vous n’appelez pas subvention mais ce que je qualifie du gros mot de « subvention », en rémunérant les acteurs par la garantie d’origine, cela ne le remplirait pas de joie, parce que c’est visiblement un revenu très mince.

M. Bruno Bensasson. Vous maniez aussi bien la métaphore que l’euphémisme. Cela ne les remplirait pas de joie, parce qu’on se retrouverait avec la forte volatilité du prix de marché, sans doute accrue car l’équilibre entre l’offre et la demande dépend de la demande de garanties d’origine. De fait, aujourd’hui, le prix de la garantie ne permettrait pas du tout de rémunérer. Cela pourrait s’envisager si les clients avaient envie de payer très cher la garantie, mais on en est loin.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Estimez-vous qu’on investit suffisamment aujourd’hui dans la recherche, aussi bien pour les EnR que pour le stockage ?

M. Bruno Bensasson. Nous avons à notre actif un effort important et historique dans le domaine de la recherche et du développement électrique, sans doute peu égalé dans le pays, à hauteur de 600 millions d’euros par an. Il est diversifié mais le stockage et les énergies renouvelables en font partie. J’en atteste puisque j’en suis un client.

Nous travaillons avec le commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), nous contribuons au financement de l’institut photovoltaïque d’Ile-de-France (IPVF). Nous avons des programmes communs. Est-ce suffisant ? En tout cas, le solaire a fait de très gros progrès, mais la question est de savoir si nous pourrions avoir plus d’industrie en France. Le stockage a fait des progrès mais il n’a pas encore atteint un niveau compétitif.

Le groupe travaille aussi sur l’électrification de l’économie. Il est bien de faire des renouvelables électriques ou de l’électricité décarbonée avec le nucléaire, mais si les courbes de CO2 en France mais surtout à travers le monde n’ont pas l’inflexion voulue, c’est parce que les transports et le bâtiment ne fonctionnent pas uniquement, loin s’en faut, avec de l’électricité renouvelable. Stockage, véhicules électriques, rénovation des bâtiments sont autant de domaines dans lesquels les technologies ne sont pas encore économiquement faciles. Qui dit : « pas facile économiquement » dit : « subventions, budget de l’État et résistances ».

(M. Vincent Thiébaut, vice-président de la commission, remplace M. Julien Aubert à la présidence.)

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Puisque vous investissez beaucoup dans la recherche, quels sont vos pourcentages d’investissement dans ces différentes solutions ? Cette répartition correspond-elle à ce que font ceux qui investissent dans la recherche ?

M. Bruno Bensasson. Je ne peux m’exprimer que sur la partie des renouvelables. Pour le reste, nous vous fournirons des éléments ultérieurement.

Dans le domaine des renouvelables nous travaillons sur le stockage, l’optimisation solaire plus stockage, l’évolution des panneaux, l’optimisation des champs – le président a cité le solaire flottant –, le solaire bifacial, quand les deux faces du panneau produisent de l’électricité. Nous travaillons aussi sur l’éolien, notamment l’éolien maritime pour optimiser nos fondations, l’hydraulique, l’optimisation industrielle de nos actifs hydrauliques et les enjeux environnementaux autour de l’hydraulique. Je n’en ai pas les pourcentages précis ni le rapport avec le reste des recherches de notre groupe.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Que faites-vous pour le stockage du solaire ?

M. Bruno Bensasson. Nous travaillons surtout sur la résistance, la durabilité, le cyclage et le recyclage des batteries, mais plus en utilisateurs qu’en fabricants. Nous ne nous définissons pas comme un fabricant de batteries.

Store and Forecast, une spin off qui est sortie de la R & D, travaille sur la partie logiciel du stockage, sur le power management system (PMS), c’est-à-dire l’optimisation des blocs de batteries, en température, en charge et décharge, et sur l’energy management system (EMS), qui articule le stockage avec la demande du client, la production solaire, voire une réserve diesel. Cela fait partie de nos travaux de R & D, plutôt sur la partie soft que sur la manufacture de batteries.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Où en sont vos recherches sur les smart grids et d’autres solutions de stockage dans le chaud, le froid, le sol et les fonds marins ?

M. Bruno Bensasson. Je préfère ne pas m’avancer sur ces sujets, compte tenu du respect de la séparation fonctionnelle. Les smart grids sont l’activité de commerce d’Enedis, notre filiale de distribution. Les sujets relatifs à la chaleur sont l’apanage de mes collègues de Dalkia. L’hydraulique, l’éolien et le solaire sont mes cœurs d’activité.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Estimez-vous que les EnR thermiques destinées à remplacer les consommations carbonées liées au chauffage sont assez soutenues ?

M. Bruno Bensasson. Comme je l’ai indiqué, l’émission de carbone provient de plus en plus du logement et du transport, et je n’ai pas oublié la chaleur renouvelable dans mon introduction. Nous avons toujours soutenu le fonds chaleur, qui va dans la bonne direction. Les pompes à chaleur font l’objet de notre programme « Mon chauffage durable ». L’investissement étant rentable dans la durée, nous aidons nos concitoyens à sortir du fioul au profit des pompes à chaleur. Cela réduit le marché du fioul mais je note que cela n’empêche pas les pétroliers de s’y intéresser. Dalkia contribue au développement du biogaz. Nous n’ignorons pas le débat sur le rythme de baisse du coût du biogaz. Les pouvoirs publics ont beaucoup appris des bulles précédentes. Il faut être attentif et lui laisser sa chance tout en veillant à ce que l’euro public par tonne de CO2 économisée reste mesuré. Cela relève du choix des pouvoirs publics. Mais pour la chaleur et les réseaux de chaleur, beaucoup de dispositifs sont mis en place. La chaleur renouvelable, c’est important.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. On entend dire de plus en plus que la première des EnR, c’est l’économie d’énergie. Qu’en pensez-vous ?

M. Bruno Bensasson. Les mots ont leur importance et j’ai commencé par parler d’efficacité énergétique. C’est un autre programme. Ce sont des efforts anciens faits par notre maison. La campagne d’information et de communication que nous venons de lancer est ciblée sur l’efficacité énergétique, à partir du slogan « Le bonheur consomme généralement peu d’électricité ». Notre groupe entend ainsi montrer l’importance de l’économie d’énergie. Il est l’un des premiers investisseurs dans les certificats d’économies d’énergie (CEE). Il vient de lancer Easybail EDF, qui veut aller plus loin dans l’économie d’énergie.

Comme les mots ont leur sens, j’appellerai plutôt cela une économie d’énergie. Comme toute solution, son coût doit être mesuré. S’il était facile de rénover 500 000 logements pour les amener à 50 kWh par mètre carré et par an, cela aurait déjà été fait. Ces investissements ne sont pas réalisés assez vite, que les immeubles soient publics ou privés, en raison du coût de l’investissement. Dans ce grand gisement, il y a des actions faciles d’accès, tel que le remplacement des chaudières au fioul par des pompes à chaleur. Il y a des gestes simples. Il y a de l’isolation. C’est une très bonne politique dans laquelle EDF est fortement investi, mais je ne la qualifierai pas d’énergie renouvelable.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. On a l’impression que la sobriété énergétique a deux formes, dont la forme noble serait la production d’électricité, quelle qu’elle soit. La sobriété électrique ne sera pas prise en compte tant qu’on ne concevra pas que c’est une forme de production. Or la sobriété est une forme de production d’énergie disponible pour autre chose.

M. Jancovici a estimé que, le développement des EnR électriques, qui ne contribue aucunement à la lutte contre le réchauffement climatique, ne devrait pas faire l’objet d’investissements publics, lesquels devraient être uniquement dédiés aux investissements liés à la lutte contre le CO2.

M. Bruno Bensoussan. Je reviendrai brièvement sur le point précédent. Il est important de communiquer et d’agir sur l’efficacité énergétique, mais cela passe-t-il par du renouvelable ? Le mot est joli et je le porte, mais l’efficacité énergétique et la sobriété se voient encore moins que l’électricité. L’isolation, le remplacement des fenêtres entreront dans le PIB, mais tourner le bouton, régler correctement le chauffage et la climatisation contribueront à la satisfaction des gens mais pas directement au PIB. Si on intégrait un vrai prix du CO2, peut-être que cela se verrait mieux.

Même si M. Jancovici est un grand expert, je ne considère pas qu’il reflète l’alpha et l’oméga de la politique énergétique. Je m’inscris dans la loi, laquelle a mis singulièrement en avant l’électricité renouvelable. Dans les 32 % de 2030, il y a 40 % d’électricité renouvelable. Ces chiffres ne sont peut-être pas assez connus mais ce sont ceux de la loi. Il y a également pas mal de chaleur et moins de biocarburants. Il ne m’appartient pas de refaire la loi, mais les électricités renouvelables ont vu beaucoup baisser leurs prix. Cette loi comporte un volet diversification du mix. Il ne m’appartient évidemment pas de commenter le choix du législateur de passer de 75 % à 50 % de nucléaire. Je redis que la France n’est pas isolée. Elle vit électriquement en Europe. La plupart du temps, ce qui fait le prix de l’électricité en France, ce sont les voisins, c’est-à-dire le charbon et le gaz. Si M. Jancovici regarde bien, il verra une forte corrélation entre le prix de l’électricité et le prix du CO2, pas au Danemark mais en France, qui tient au fait qu’il y a un vrai couplage. D’où sans doute un intérêt à développer les renouvelables en France, outre le choix du législateur.

M. Vincent Thiébaut, président. Je voudrais vous interroger sur la stratégie d’EDF en matière d’énergies renouvelables. Avec le nucléaire, nous avons la chance d’avoir une production d’énergie décarbonée. Avec le développement des énergies renouvelables, le vrai sujet n’est pas de décarboner, mais la mixité énergétique. Nous rencontrons depuis quelques mois, en France, un problème d’acceptabilité des impositions et des taxes. L’État subventionne fortement le développement des énergies renouvelables par différents dispositifs sur la base d’un prix de marché d’environ 52 euros le mégawattheure. Les nouveaux contrats sont intéressants puisqu’ils intègrent un coût moyen de 60 à 65 euros pour l’éolien et de 55 euros pour le solaire, sachant que le coût de marché est aujourd’hui de 62 euros. En 2028, il est fort possible qu’on soit au-delà des 55 euros du coût du marché, en sorte que les contrats qui coûtent aujourd’hui pourraient rapporter de l’argent à l’État.

Je m’interroge sur la raison des subventions, car des pays développent les énergies renouvelables, pour différentes raisons, certes, pas toujours en fonction des mêmes problématiques sociales, économiques et géopolitiques que nous, mais sans subvention. Aujourd’hui, ne sommes-nous pas dans l’obligation de subventionner les EnR parce que notre tarification d’électricité n’est pas assez élevée ? De plus, cette tarification, qui a été remise en cause par la Cour des comptes, ne permet pas non plus la prise en compte du démantèlement et du renouvellement d’une partie du parc nucléaire actuel. Celle-ci indique qu’il faudrait vendre l’électricité nucléaire 60 euros le mégawatt, sachant que s’agissant de l’EPR de Flamanville, les premières estimations font état de 70 euros, en tenant compte du fait que c’est le premier projet de réacteur de ce type. La tarification actuelle permet-elle de renouveler notre colonne vertébrale qu’est le nucléaire ?

Enfin, est-ce que pour EDF, le développement des énergies renouvelables n’est pas le moyen de faire mieux accepter un niveau de tarification de l’électricité que si la production était tout nucléaire ?

M. Bruno Bensasson. Je reprendrai vos trois questions, sur la tarification, les subventions et la garantie d’un coût acceptable.

Concernant les subventions, peu nombreux sont les pays dans lesquels les énergies renouvelables se développent toutes seules. D’ailleurs, peu nombreux sont les pays dans lesquels les moyens de production électrique se développent sur la simple base d’un signal marché. Les pays dans lesquels l’électricité renouvelable est sans hésitation la plus compétitive, tels que le Brésil, le Maroc, les Émirats Arabes Unis, l’Inde ou la Chine, ont tous mis en place des mécanismes régulatoires, qu’on les appelle subventions ou pas. Quand, au Brésil ou aux Émirats un appel d’offres solaire sort à 20 dollars par mégawattheure, il bénéficie pour vingt ans d’un tarif garanti. Cela tombe bien parce qu’il n’y a pas de prix de marché aux Émirats arabes unis. Mais s’il y en avait un, il serait peut-être au-dessous ou en dessous mais il serait volatil et incertain.

Les appels d’offres, et des pays comme le Brésil ou les Pays-Bas en ont lancé plus tôt que nous, ont le mérite de faire jouer la concurrence, parce que les gens se bagarrent pour proposer un prix qui gagne, tandis que les tarifs administrés n’avaient pas cette vertu. Tantôt trop bas, il ne se passait rien, tantôt trop hauts, il y avait des bulles puis des surcoûts. Ils évitent à l’investisseur l’incertitude sur les prix à long terme, autrement dit le coût du risque. Dans le cadre d’un appel d’offres, cela permet de baisser le prix proposé. Les régimes de prix libres sont plutôt l’exception. Je songe à des structures d’appels d’offres, d’ailleurs pas si simples que cela, aux Pays-Bas ou en Allemagne, dans lesquels des gens pensent qu’ils pourront rémunérer les investissements sur la base des prix de marché. Cela présente au moins un inconvénient, à savoir que le gagnant n’est pas nécessairement le meilleur industriel mais souvent le plus optimiste sur les prix de marché. À la fin, quand il fait ses comptes, il s’aperçoit qu’il a détruit de la valeur. Les appels d’offres sont un schéma intéressant.

Ce qu’il manque au système électrique, et pas seulement renouvelable, c’est un prix du CO2 à la mesure des enjeux climatiques. Aujourd’hui, paradoxalement, on a en France, quatre prix du CO2 : le prix qui est la contribution climat énergie, le prix sur le marché européen, le prix à zéro par dérogation et le prix implicite dans toutes les politiques qui n’utilisent pas le prix du CO2 mais des normes. Je ne dis pas que c’est facile pour les générations présentes, je crois que les renouvelables électriques peuvent y contribuer en apportant des solutions à un coût compétitif. Mais cette incohérence des prix du CO2 est un sujet qui pèse sur le système et représente un petit dysfonctionnement.

Pour les acteurs des énergies renouvelables, la référence qui compte, c’est le marché de gros, car on vend son électricité soit sur le marché de gros, soit à un client susceptible d’acheter sur le marché de gros. Je ne mettrais pas cela en lien avec le tarif bleu tel qu’il existe, ni avec le tarif nucléaire dont vous savez que notre groupe souhaite vivement qu’il soit revu. Cela fait partie des chantiers qu’en novembre, le chef de l’État a confiés à Jean-Bernard Lévy, qui a encore récemment qualifié le dispositif très asymétrique d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) de « vrai péril » pour notre entreprise. D’ailleurs, avec une certaine cohérence, nous souhaitons que le nucléaire soit rémunéré à un coût qui permette l’investissement dans la durée, comme vous l’avez dit, avec une visibilité, sans être soumis aux aléas du marché, en préservant à la fois la solidité financière de l’entreprise et l’intérêt des consommateurs, ménages et entreprises, dans un corridor de prix croissant avec l’inflation. Il est quand même original que l’ARENH ait été fixé en euros courants et n’ait même pas suivi l’inflation depuis sa création en 2010. De notre point de vue, il y a beaucoup d’amélioration à apporter du côté des tarifs, sans faire de lien direct avec le renouvelable.

Enfin, je suis d’accord avec vous sur le troisième point : notre stratégie des renouvelables est une stratégie de diversification - nucléaire plus renouvelables -, conformément au choix du Parlement. C’est sans doute, mais vous le savez mieux que moi, une des conditions d’acceptabilité et d’acceptation du mix électrique dans la durée. Je n’ai pas plus de commentaires à faire sur la diversité. Elle est une force dans les mix énergétiques, comme dans les entreprises et comme dans les sociétés.

M. Vincent Thiébaut, président. La diversification de votre mix ne permet-elle pas aussi de minimiser les coûts potentiels de renouvellement, démantèlement, voire de stockage de la partie nucléaire ?

M. Bruno Bensasson. Je ne le dirai comme ça. Les coûts des déchets et du démantèlement nucléaire sont ce qu’ils sont. Ils ont fait l’objet de loi et d’un suivi attentif du Parlement et de la Cour des comptes. Le nucléaire a ses mérites propres, y compris au regard des coûts. Il a évidemment ses enjeux qu’il ne faut pas minimiser. Il y a évidemment des enjeux autour des déchets et de la sûreté, mais notre entreprise les gère avec excellence depuis des décennies. Le nucléaire doit être apprécié pour ses mérites - compétitif, français, sans carbone - et pour ses enjeux de sûreté et de déchets. Nous assumerons ces responsabilités quoi qu’il en soit. Et à côté de cela, nous développons des renouvelables.

M. Vincent Thiébaut, président. Je ne dis pas qu’il faut passer aux 100 % non-nucléaire, mais le fait de passer de 25 à 50 % avec la stratégie fixée ne donne-t-il pas un peu plus de respiration au groupe EDF, auquel nous tenons tous ?

M. Bruno Bensasson. En tout cas, je peux vous assurer que la stratégie « Cap 2030 » fixée en 2015 donne beaucoup de souffle aux agents d’EDF et aux agents d’EDF Renouvelables. Il y a beaucoup d’enthousiasme autour des renouvelables dans le groupe, parce que le groupe ressemble à la France, où il y a aussi une envie de renouvelable.

M. Vincent Thiébaut, président. Je suis député du Bas-Rhin, cette belle région d’Alsace. Une très belle filiale que je connais bien, Électricité de Strasbourg, développe la géothermie profonde. Nous évoquions le fonds chaleur. Il semble toutefois possible que la prochaine PPE remette en question la géothermie profonde. Je reconnais qu’avec un coût de 240 euros le mégawattheure, très loin du solaire à 55 euros, on peut s’interroger sur la géothermie profonde pour la pure production d’électricité. Quelle est votre position à ce sujet ? Vous concerne-t-il d’ailleurs directement ?

M. Bruno Bensasson. En tant qu’EDF Renouvelables, non. Ce n’est pas directement ma part et je préfère ne pas trop m’avancer. Le Groupe, à chaque fois qu’il le peut, apprécie la cogénération, qui est cette production mixte d’électricité et de chaleur.

M. Vincent Thiébaut, président. On a coutume de comparer l’énergie renouvelable avec les énergies installées. Dans le cadre des travaux de la commission d’enquête, nous avons évoqué les externalités potentielles, notamment avec l’hydraulique en énergie secondaire. Il existe un projet visant à produire de l’hydrogène à partir d’un barrage hydraulique, le long du Rhin. Avez-vous travaillé sur ces externalités ? Qu’est-ce que cela peut apporter en plus de la simple production d’électricité ?

M. Bruno Bensasson. Si vous me lancez sur les externalités de l’hydraulique, cela va être long, parce que j’en vois beaucoup.

M. Vincent Thiébaut, président. Sur les EnR de manière globale !

M. Bruno Bensasson. La première des externalités, c’est la réduction des émissions de CO2 à partir de l’hydraulique. Il existe beaucoup d’usages publics de l’eau, de l’eau potable, de l’irrigation, du tourisme ou de la navigation. Il y a évidemment d’importants enjeux de sûreté et de sécurité, qui sont des externalités au sens propre. Il y a des enjeux importants d’ancrage territorial qui relèvent un peu moins de l’externalité, parce que l’hydraulique, l’éolien et le solaire sont des énergies très décentralisées qui irriguent nos territoires, drainent de l’emploi dans les territoires – territoires de montagne et de vallées, s’agissant du Rhin. Nous investissons 400 millions d’euros par an dans l’hydroélectricité en France et il est prévu pour le Rhin un important programme de rénovation des équipements dont nous discuterons prochainement. Cela a beaucoup de contenu local et de retombées locales.

Au-delà de ces externalités, il y a un intérêt dans la flexibilité de l’hydraulique.

M. Vincent Thiébaut, président. Ou dans les EnR de manière globale !

M. Bruno Bensasson. Il y a un champ d’étude sur les liens avec le stockage, qui peut revêtir la forme de batteries, d’hydraulique ou d’hydrogène. Le groupe travaille sur ces différents champs. Nous continuons de travailler pour l’hydrogène sur le Rhin.

M. Vincent Thiébaut, président. Nous avons aujourd’hui des politiques énergétiques nationales. Je crois fortement à une politique nationale qui donne une colonne vertébrale, avec garantie de continuité, dans laquelle on retrouve tous les sujets, notamment les réseaux et la production nucléaire ; mais je crois aussi beaucoup à la part territoriale, qui a été un peu remise en cause, il faut l’avouer, par l’audition précédente. Que pensez-vous de la vision stratégique d’une politique élaborée du point de vue national ? Est-ce qu’on ne pourrait pas favoriser un peu plus le local ou le territorial pour faire émerger de nouvelles énergies renouvelables ou de nouveaux usages ?

M. Bruno Bensasson. Une partie de la politique doit être communautaire, nationale, régionale, municipale et même individuelle. Nous sommes chacun porteurs d’une politique énergétique. À l’évidence, au niveau municipal, intercommunal, il y a des choses à faire.

Bien entendu, en tant qu’EDF, nous nous inscrivons dans une péréquation, car nous avons une histoire ancienne plutôt nationale. Parallèlement, les énergies décentralisées nécessitent une proximité de terrain et bénéficient de la force d’initiative du terrain. Notre entreprise, toute nationale qu’elle soit, a développé la proximité territoriale. J’ai eu plaisir, ces derniers mois, à rencontrer des élus qui m’ont dit que le lien avec les territoires était bon et s’améliorait.

Des éléments relèveront sans doute toujours du national. Toutefois, et je ne vous apprends rien, si des décisions sont prises localement, il faut veiller à ne pas s’inscrire dans le schéma « je décide, tu paies ». Cela dit, dans les sujets à notre sens croissants, relatifs à l’urbanisme, au logement et au transport, les décisions énergétiques relèvent de choix territoriaux. L’électricité ne se transporte pas aussi simplement que les céréales mais elle se transporte, la chaleur se transporte moins bien, mais les routes ne se transportent pas du tout. Ce sont des sujets éminemment locaux. Par exemple, notre groupe a travaillé sur le projet de « smart city », à Dijon, avec la ville. Les solutions peuvent bénéficier à d’autres, mais cela se passe à Dijon. Il en est de même du déploiement des bornes de recharge. Pour en revenir à l’éolien et au solaire, tous les territoires n’ont pas les mêmes ressources, les mêmes gisements, les mêmes enjeux paysagers. Nous nous inscrivons dans ce cadre. Nous savons bien que l’acceptation est très importante. Nous savons aussi qu’il y a très peu de projets, très peu d’activités humaines et très peu d’activités économiques qui fassent l’unanimité. Vous trouvez souvent au moins un opposant qui suffit, en démocratie, et c’est très bien, à introduire un recours.

M. Vincent Thiébaut, président. J’aurais encore plein de questions à vous poser, mais nous allons en rester là. Concernant les usages, j’aurais voulu vous interroger sur la prise en main à distance des installations des clients. On doit ainsi pouvoir faire mieux en termes d’énergie sans produire davantage.

M. Bruno Bensasson. Nous reviendrons, puisque nous avons aussi des offres dans ce domaine, notamment avec notre équipement Sowee.

M. Vincent Thiébaut, président. Ce sera avec grand plaisir.

Merci beaucoup pour la qualité de vos réponses.

Laudition sachève à dix-neuf heures trente-cinq.

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([1]) La composition de cette commission d’enquête figure au verso de la présente page.