—  1  —

N° 2268

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 septembre 2019

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE ([1]) sur la situation et les pratiques
de la grande distribution et de ses groupements
dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs,

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Thierry BENOIT, Président,

 

et

 

M. Grégory BESSON-MOREAU, Rapporteur,

 

Députés.

 

——

 

 

TOME I

RAPPORT

 

 

La commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs est composée de : M. Thierry Benoit, président ; M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur ; M. Daniel Fasquelle, Mme Cendra Motin, M. Richard Ramos, M. Stéphane Travert, vice-présidents ; M. Yves Daniel, Mme Séverine Gipson, M. François Ruffin et M. Arnaud Viala, secrétaires ; Mme Ericka Bareigts, Mme Barbara Bessot Ballot, Mme Danielle Brulebois, Mme Josiane Corneloup, Mme Michèle Crouzet, Mme Dominique David, Mme Stéphanie Do, M. Yannick Favennec Becot, M. Guillaume Garot, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Yannick Kerlogot, Mme Sandrine Le Feur, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Martine Leguille-Balloy, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Jérôme Nury, M. Hervé Pellois, M. Nicolas Turquois, M. André Villiers et M. Jean-Pierre Vigier, membres.

 

 

 

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

introduction

I. Des acteurs parties prenantes d’un modèle certes éprouvé mais contribuant aujourd’hui à une destruction de valeur

A. Un secteur marqué par le poids des rapports de force et le renouvellement des conditions d’achat et de vente

1. Des enseignes de taille inégale et diversement affectées par des contraintes de rentabilité croissantes

a. Une hiérarchie avec deux grands acteurs disposant de la plus forte capacité à peser sur le marché

b. Des groupes exposés à des problèmes de compétitivité voire de vulnérabilité financière

c. Deux autres acteurs « indépendants » et performants sur le marché français

d. Le rebond du hard discount « à la française »

2. Une grande distribution tenue de répondre à un changement des usages de consommation favorisant l’émergence de nouveaux acteurs

a. Des grandes surfaces menacées par une baisse de leur fréquentation ?

b. Une offre alternative en plein développement susceptible de créer une nouvelle concurrence ?

B. des relations commerciales favorisant une dÉflation prÉjudiciable À la pÉrennitÉ de nombreux producteurs

1. Une « guerre des prix » relancée dans un cadre normatif étoffé, tâchant de concilier liberté de négociation et formalisme contractuel

a. La loi de modernisation de l’économie : un dispositif en faveur de la concurrence ayant plus que rempli ses objectifs

b. Une déflation durable des tarifs d’achat à peine tempérée par les engagements pris dans le cadre des EGALIM

2. Des négociations commerciales toujours aussi âpres et façonnées par la recherche d’un abaissement des tarifs d’achat

a. La persistance de rapports de négociation discutables entre fournisseurs et acheteurs

b. Des pratiques commerciales peu propices à un partage équitable de la valeur ajoutée

i. Une inégale portée des engagements contractuels

ii. Des mesures de contournement des dispositifs encadrant le partage de la valeur ajoutée ?

iii. Des rapports problématiques dans la fabrication de marques distributeurs ?

II. Une économie dont les déséquilibres appellent une régulation et des partenariats renforcés dans le cadre de la loI

A. Assurer l’efficacité du cadre des relations commerciales entre grande distribution et fournisseurs

1. Améliorer les conditions d’exercice des contrôles et des poursuites

a. De nombreuses autorités de régulation

i. La DGCCRF

ii. L’Autorité de la Concurrence

iii. Le médiateur des relations commerciales

iv. La Commission d’examen des pratiques commerciales

b. Des procédures peu susceptibles d’aboutir ?

2. Garantir l’application effective des outils réglementaires

a. Des outils réglementaires nombreux…

b. … qui se heurtent à des enjeux et des rapports de force qui en limitent les effets

B. LUTTER CONTRE DES « abus de position » et inciter distributeurs et fournisseurs à des relations plus favorableS au dÉveloppement ÉquilibrÉ des affaires

1. Encadrer et prévenir des pratiques ne relevant pas du commerce

a. Empêcher l’usage indu des arrêts délibérés de commande et des déréférencements, utilisés pour faire pression sur le fournisseur dans le cadre des négociations

i. Définition et encadrement juridique des arrêts de commande et déréférencements

ii. Des pratiques utilisées comme moyen de pression, sans motivation économique

b. Favoriser l’application proportionnée des pénalités logistiques

i. Des prélèvements croissants assimilables à une source de revenus pour la grande distribution

ii. Un cadre législatif relativement impuissant mais un engagement des acteurs à lutter contre le dévoiement des pénalités

c. Limiter les pratiques consistant à allonger les délais de paiement

i. Des délais de paiement plafonnés par la loi

ii. La persistance de pratiques de contournement

2. Rapprochement à l’achat et développement de centrales de service et d’achat internationales : des phénomènes qui accentuent le déséquilibre de la relation commerciale et doivent être encadrés

a. Au niveau national, un mouvement de concentration qui se traduit par des alliances volatiles

i. Une recomposition permanente des alliances à l’achat au niveau national qui contribue à la déstabilisation des acteurs

ii. Présentation des principales centrales d’achat françaises

iii. Risques avérés et anticipés des rapprochements à l’achat

iv. Des alliances également en mutation au niveau international

v. Typologie des centrales internationales

vi. Pratiques déloyales et risques identifiés par la commission d’enquête

b. Des dérives à réguler à l’échelon européen ou national

3. Favoriser l’établissement de relations commerciales permettant un meilleur partage de valeur

Liste des propositions

EXAMEN EN COMMISSION

CONTRIBUTIONS des groupes politiques

Contribution dE Madame Ericka Bareigts et les membres du groupe socialistes et apparentés

liste des personnes auditionnÉes


—  1  —

   introduction

La création le 26 mars 2019 par l’Assemblée nationale, de la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs résulte d’une double préoccupation exprimée par le groupe LaREM et le groupe UDI-Agir et apparentés qui ont, chacun, déposé une résolution en ce sens. C’est pourquoi la commission a porté à sa présidence un membre du groupe UDI, M. Thierry Benoit, dont le rapporteur se plaît à souligner l’implication et l’appui sans faille dont il a bénéficié de sa part au long des travaux.

La commission d’enquête a pour principal objet de comprendre pourquoi le contexte des négociations commerciales annuelles au sein du triptyque « agriculteurs-producteurs / industriels-transformateurs / grands distributeurs » est, depuis des années, au centre de rumeurs et d’allégations persistantes dont toutes ne peuvent relever du fantasme. Ces négociations se déroulent dans un climat qui dépasse de beaucoup les normes couramment admises du secret des affaires. Chaque catégorie d’intervenants paraît inscrire sa position, de force ou de faiblesse, dans l’enfermement de « partenariats obligés » et les liens qui en résultent sont empreints d’une loi du silence s’apparentant à une omerta.

La commission a ainsi mené, au cours des six mois qui lui était accordés pour conduire son enquête, pas moins de 88 auditions, soit environ 180 heures d’échanges, publics ou à huis clos, avec près de 200 interlocuteurs.

De nombreux interlocuteurs de la commission d’enquête ont ainsi fait part de leur expérience d’un contexte qu’ils considèrent tout à fait spécifique à la France. Selon eux, nulle part ailleurs en Europe les négociations commerciales ne soulèvent autant de difficultés et génèrent autant de tensions parfois paroxystiques dans un climat qualifié de « délétère ». Il a même été souligné devant la commission qu’il serait plus commode de négocier avec le géant américain Walmart dont le chiffre d’affaires mondial dépasse 510 milliards de dollars qu’avec les grands distributeurs français !

Pour la commission d’enquête, il s’agissait d’abord de lever le voile sur un écosystème opaque dans un environnement économique incertain car confronté à de profondes mutations.

Nul ne peut ignorer quels sont les grands acteurs de la distribution française. Ils se répartissent traditionnellement en deux catégories : les groupes « intégrés » (Carrefour, Casino, Auchan, Cora, le grossiste Métro leader du cash and carry) et les groupes « indépendants » (E. Leclerc, Intermarché et Système U), deux qualificatifs d’usage mais peu significatifs d’un strict point de vue économique.

Chacun des groupes précités, hormis Métro, développe plusieurs types de formats allant des hypermarchés et supermarchés aux dimensions variables jusqu’à différents types de magasins de proximité, spécialisés ou non, d’ailleurs déclinés sous un grand nombre d’enseignes.

Les groupes « indépendants » fédèrent des adhérents associés qui sont rassemblés dans des groupements : chaque associé, généralement parrainé et ainsi financièrement soutenu, est propriétaire de la société d’exploitation de son ou de ses magasins, une situation qui peut également autoriser la propriété de leurs murs.

Toutefois, la distinction usuelle entre groupes « intégrés » et « indépendants » est d’autant moins évidente que des entrepreneurs individuels sont aussi présents dans la sphère d’activité de groupes dits « intégrés » au travers de « franchisés » qui dépendent d’eux pour leurs approvisionnements (Carrefour compte près de 4 000 franchisés au sein de ses enseignes de proximité, la moitié des magasins Franprix du groupe Casino sont gérés en franchise et les supermarchés d’Auchan relèvent aussi, en partie, de ce système). Pour sa part, l’« indépendant » Système U s’est récemment lié à pour ses achats, c’est-à-dire au n° 1 des groupes « intégrés ».

En revanche, il est notable que les grands groupes « intégrés », implantés dans de nombreux pays, ont une activité internationale importante alors que les groupes « indépendants » demeurent très « franco-français » ([2]).

À ces deux catégories traditionnelles, s’ajoute celle des hard discounters (Lidl et Aldi), des distributeurs appartenant à de grands groupes allemands, qui se sont développés sur le marché français à partir de la fin des années quatre-vingt. Au cours des dernières années, ils ont entrepris, en France, de faire évoluer leur modèle économique avec un positionnement plus qualitatif.

En aucune façon, la commission d’enquête n’a entendu instruire un procès à charge en engageant ses travaux sur la voie d’un « Distribashing » qui attiserait les corporatismes.

Le rapporteur sait que les grands distributeurs s’affrontent dans un contexte de concurrence exacerbée. Notre pays se caractérise, en effet, par une très forte densité commerciale. Le secteur ne bénéficie plus de rentes de situation, hormis dans des zones tout à fait spécifiques pour quelques enseignes de supermarchés (par exemple, à Paris « intra-muros »). Le modèle « gagnant » des hypermarchés qui progressait sans discontinuité jusqu’au début des années 2010 est dorénavant remis en question par une pluralité de causes ([3]).

Le rapporteur a néanmoins la conviction qu’un modèle combinant des hypermarchés et supermarchés rénovés et de nouvelles approches de la proximité constituent les voies d’une évolution favorable.

Le développement de chacun des groupes de la grande distribution s’inscrit dans une histoire particulière remontant pour les plus lointaines origines à plus de soixante années. Ce fait explique des cultures d’entreprise et des priorités stratégiques différenciées. Chaque groupe est un « paquebot » dont il est difficile de modifier sensiblement la trajectoire, du moins à court terme. Le rapporteur n’ignore pas non plus le rôle social mais aussi sociétal de la grande distribution qui emploie près de 800 000 salariés en France.

Les aspirations et les exigences des consommateurs se sont également modifiées au cours des dernières années, sans doute de façon plus tangible en deux ou trois ans qu’au cours des deux décennies précédentes. Des défis d’adaptation imposent aux distributeurs des investissements massifs, notamment mais pas exclusivement dans le digital. Cette réalité ne saurait être méconnue. D’autant que d’autres acteurs enregistrent d’ores et déjà une croissance forte dans le e-commerce de produits de grande consommation alimentaire et non alimentaire mais aussi au travers d’autres canaux, à l’exemple du hard déstockeur néerlandais Action dont la présence en France, bien que récente, s’inscrit sur une trajectoire conquérante.

Pour autant, le secteur de la grande distribution n’évolue pas dans un marché sinistré des produits de grande consommation (PGC). En 2018, les achats des ménages ont certes légèrement régressé en volume (- 0,8 %) mais enregistrent toujours une croissance en valeur (+ 1,1 %). Les statistiques d’Eurostat montrent que les Français consacrent une part relativement plus importante de leurs dépenses en achats alimentaires et de boissons non alcoolisées (13,4 %) que les Allemands (10,6 %) et les Britanniques (8,4 %).

Cette même source statistique révèle que l’indice des prix à la consommation alimentaire (base 100 UE pour 2018) est plus élevé en France que dans la moyenne européenne : 115 contre 106 pour la moyenne des pays de la zone euro et qu’il n’est que de 102 en Allemagne, 95 en Espagne et 94 au Royaume Uni.

Qui sont les fournisseurs de la grande distribution ?

À cette question des noms de grandes marques viennent spontanément à l’esprit. Mais au-delà des marques les plus connues qui pour la quasi-totalité d’entre elles appartiennent à de grands groupes et à quelques ETI de l’agroalimentaire ou fabriquant des produits dits de la catégorie DPH (« droguerie, parfumerie et hygiène »), les rayons de la grande distribution ont une multitude de sources d’approvisionnement. En nombre et diversité, les PME et TPE constituent la source majeure d’approvisionnement de la grande distribution française.

En outre, il ne faut pas oublier les nombreux agriculteurs qui négocient et livrent directement au niveau des magasins des fruits et légumes, certains fromages et autres produits frais fermiers, une réalité ancienne mais en croissance car soutenue par l’aspiration des consommateurs à trouver des produits locaux moins standardisés et frais.

Le rapporteur perçoit de façon très positive ce mode d’approvisionnement direct qui concerne même d’autres productions non strictement agricoles comme l’apparition dans les rayons de bières produites par de nouvelles brasseries locales. À l’initiative de nombreux directeurs de magasins, des « alliances locales » sont dorénavant formalisées. S’ils sont importants en termes de débouchés et de compléments de revenu pour les agriculteurs, leurs flux, bien qu’en augmentation, ne représentent néanmoins qu’une petite part du chiffre des enseignes. Et cela quand bien même l’inclinaison des consommateurs à se tourner plus qu’auparavant vers le « produit local » traduirait aussi un phénomène de défiance vis-à-vis de grandes marques qu’ils assimilent, parfois hâtivement, à une alimentation trop industrielle ou, dans le non alimentaire, à des combinaisons « chimiques » peu naturelles s’agissant de certains produits d’hygiène et d’entretien.

Les auditions de la commission d’enquête ont cependant révélé l’existence d’un permanent « bras de fer » qui oppose les grands distributeurs et les « multinationales », une appellation aux contours d’ailleurs plus imprécis qu’il n’y paraît.

En effet, les représentants des distributeurs ont quasiment tous insisté devant la commission sur le combat, légitime leurs yeux, qu’ils doivent livrer afin de résister aux prétentions tarifaires des « multinationales » (c’est-à-dire des entreprises détentrices de marques pour certaines incontournables) dont ils soulignent, en outre, les niveaux de rentabilité et de profitabilité très supérieurs à ceux des groupes de la distribution.

Le poids économique de « géants » mondiaux n’est plus à démontrer lorsqu’il s’agit de Nestlé, PepsiCo, Coca-Cola, Kraft Heinz, Unilever, Procter & Gamble, Heineken, Mars, McCain etc. dont les implantations de filiales, en France, sont néanmoins anciennes. Certains parmi ces grands acteurs sont d’ailleurs d’origine française comme Danone, L’Oréal ou encore Pernod Ricard et ont acquis de fortes positions internationales comme Lactalis, un groupe familial devenu le n° 1 européen du lait et des fromages. Il en va de même d’autres belles entreprises dont certaines relèvent plutôt de la catégorie des ETI. On citera, par exemple, Fleury-Michon, Bonduelle, la coopérative D’aucy, Panzani ou encore d’autres groupes comme Bigard, Andros sans oublier Bel et Savencia. Les 100 grandes marques nationales détenues par des groupes relevant des deux catégories précitées représentent effectivement près de la moitié du volume d’affaires traité avec la grande distribution au titre des négociations commerciales 2018-2019.

Pour autant, les PME et TPE constituent l’immense majorité des fournisseurs. On compte ainsi plus de 17 500 entreprises productrices agroalimentaires. Ces entreprises fréquemment « monoproduits » sont, à l’évidence, encore plus vulnérables que les grands groupes aux pressions émaillant les négociations commerciales, notamment lorsqu’elles se débattent pour imposer dans les rayons leur propre marque, tout en étant souvent contraintes d’exécuter des contrats de marques de distributeur (MDD) dans des conditions économiquement périlleuses sans garantie de volumes.

Par répercussion, la pression exercée par les acheteurs de la grande distribution s’avère lourde de conséquences en termes de prix payés par les industriels-transformateurs à leurs fournisseurs de matières premières, particulièrement pour ce qui concerne les filières d’élevage ou encore celles des fruits confrontées à des importations massives au moment où les productions françaises sont les plus prolifiques. D’autant que ces filières ont traversé de longues périodes de souffrance simplement entrecoupées de brèves embellies c’est-à-dire des périodes où souvent les prix à l’achat couvrent au plus juste les coûts de production. Pour autant, la grande distribution française (GMS) ne saurait être tenue pour unique responsable de la survenance des crises agricoles qui ont de multiples causes parmi lesquelles certains errements de la politique agricole commune (PAC) pour l’adaptation des structures aux marchés. En outre, s’agissant de la filière bovine, la GMS représente moins de la moitié de ses débouchés et concernant la viande bovine importée en France, le premier acheteur est la restauration hors domicile (RHD) à hauteur de 57 %. Il convient également de rappeler que la filière laitière française exporte 37 % de sa production et que ses autres débouchés s’élèvent à 38 % pour la GMS et à 30 % pour la RHD. Schématiquement, la direction d’un grand groupe de distribution français a précisé au rapporteur que sur 30 milliards d’euros d’achats, les produits bruts agricoles ne représentent qu’1 milliard d’euros, les produits de DPH (droguerie-parfumerie-hygiène) environ 6 milliards et le reste, très majoritaire, concerne les produits transformés agroalimentaires.

Mais dans les faits, le paradigme cher aux distributeurs qui consiste à « capter de la valeur » auprès des grands industriels, des « géants » supposés surpuissants, tire néanmoins toute la chaîne des prix vers le bas. Cette attitude fait fi d’une réalité : ces entreprises, jugées ainsi « trop profitables », disposent en France de sites de production, d’entrepôts et de cœurs logistiques, de pôles de R&D et de réseaux commerciaux. En affaiblissant à l’excès la marge des industriels et des transformateurs, la grande distribution perd de vue que des entreprises à vocation internationale seront amenées à effectuer des arbitrages défavorables à l’emploi et au marché français en privilégiant d’autres implantations dans des pays voisins et mieux réceptifs ([4]).

Conçue à grand renfort de publicités voire de tapages médiatiques, la « guerre des prix » toujours présentée comme favorable au pouvoir d’achat, cache, en amont, une cascade de « prix prédateurs » à l’opposé de « prix responsables ». Cette « guerre des prix » fragilise le socle productif. Elle est économiquement destructrice de valeur et, en définitive, n’est pas toujours l’amie du consommateur.

Dans ces conditions, il a paru savoureux de constater que des acheteurs de la grande distribution puissent se réclamer, devant la commission d’enquête, de « l’esprit des États généraux de l’alimentation » (EGA) qui susciterait de leur part une nouvelle « politique de discernement » !

La permanence de certains comportements infirme pourtant de telles déclarations. Rappelons ici ce que le Premier ministre Édouard Philippe avait clairement précisé : « Une des choses les plus précieuse des États généraux de l’alimentation, c’est le constat partagé que la guerre de prix détruit de la valeur » ([5]).

La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGAlim), votée en octobre 2018, vise dans une optique de rééquilibrage à mettre un terme à certaines pratiques de contournement systématique des cadres législatifs successifs, principalement la loi Galland » (1996) puis la loi de modernisation de l’économie ou LME (2008), deux textes plusieurs fois retouchés ultérieurement sans succès.

Il est toutefois prématuré de dresser un bilan de la loi EGAlim dont l’entrée en vigueur par ordonnances de certains de ses cadres d’application n’est intervenue qu’à la fin du mois d’avril 2019, s’agissant notamment de la notion essentielle de « prix abusivement bas » à classer au titre des pratiques restrictives de concurrence. Au sein du Parlement, l’évaluation de ces textes récents reviendra naturellement à des missions d’information qui effectueront un travail ciblé. L’objectif de la commission d’enquête est différent car plus global : il s’agit de dresser un état des lieux, le plus concret possible mais sans toutefois prétendre à l’exhaustivité, des relations commerciales telles que pratiquées, à ce jour, entre la grande distribution et ses fournisseurs.

La commission d’enquête a ainsi constaté l’intensification du jeu des alliances à l’achat entre les grands groupes de distribution avec pour conséquence le renforcement du rôle de centrales communes d’achat ou de référencement. Les auditions ont aussi montré l’importance croissante d’un autre étage de négociation : celui des centrales dites « de services ». Ces structures volontairement « délocalisées » à l’étranger (principalement en Belgique et en Suisse) constituent autant de centres de profits, souvent sans contreparties évidentes pour les fournisseurs contraints de payer des « services » à l’utilité contestable.

Les plus anciennes centrales internationales « de services » sont C.W.T., à partir d’une structure créée en 1991 par Promodes puis reprise par Carrefour suite à une fusion, et la centrale d’achat Patinvest, créée par Auchan au Luxembourg, puis International Retail and Trade Services (IRTS), à l’origine créée, en Suisse, conjointement par Casino et Auchan, autant de structures qui concernent des groupes ayant d’importantes activités hors de France.

Mais plus surprenant, d’autres distributeurs français pour lesquels les implantations à l’étranger sont peu significatives (E. Leclerc et Intermarché) voire résiduelles (Système U) sont désormais parties prenantes de ce phénomène d’internationalisation contractuelle alors que les négociations qu’ils conduisent avec leurs principaux fournisseurs, à ce niveau, ont des incidences sur les prix applicables au marché français.

Tout aussi inquiétant, E. Leclerc développe à partir de Bruxelles (en association avec le distributeur allemand REWE) la centrale d’achat Eurelec Trading qui négocie ouvertement les prix pour le marché français. De la sorte, il devient possible de s’affranchir de certaines règles françaises (droit de la concurrence, délais de paiement, etc.) en organisant une véritable « extraterritorialité ». Sur ce point, il y a un risque avéré de non effectivité de certains des principes posés par la loi EGAlim.

Pour conclure cette introduction, il convient de souligner qu’il n’est pas admissible de justifier sous la chape du principe du droit européen de la liberté du commerce et des prestations de services ([6]) des actions peu transparentes et inconciliables avec le droit français.

À cet égard, le rapporteur garde à l’esprit deux axes clairement exprimés par le Président de la République dans son discours de Rungis du 11 octobre 2017.

En premier lieu l’objectif des EGA était « … de permettre aux agriculteurs de vivre du juste prix payé, de permettre à tous dans la chaîne de valeurs de vivre dignement » tout en dénonçant « un marché qui vire, dérive et perd sa propre finalité ». En second lieu, le Président Macron insistait d’abord sur la nécessité d’une plus grande transparence mais aussi, en l’absence de progrès sur cette voie, « de contrôles effectifs et de sanctions véritablement appliquées ».


—  1  —

I.   Des acteurs parties prenantes d’un modèle certes éprouvé mais contribuant aujourd’hui à une destruction de valeur

La prédominance acquise sur la totalité du territoire par les grandes et moyennes surfaces (GMS) est une spécificité française ayant contribué à l’installation d’une société de consommation voire de surconsommation mais aussi, dans une certaine mesure, à la préservation du pouvoir d’achat. Ce schéma que l’on a pu croire intangible se trouve aujourd’hui au bout d’une logique avec cette question : la grande distribution sera-t-elle victime d’elle-même ?

La concentration de la grande distribution française, réelle, ne constitue cependant pas une exception en Europe car certains pays connaissent même une situation de plus forte concentration comme la Suisse (un marché protégé au bénéfice de Migros et Coop, deux distributeurs nationaux) ou encore l’Allemagne avec le « poids » de deux grands hard discounters. Il existe néanmoins des pays dans lesquels le secteur demeure plus « atomisé » comme c’est le cas de l’Italie qui a conservé des distributeurs à vocation régionale avec, en corollaire, la persistance de nombreuses structures de grossistes et d’achats.

La grande distribution française conserve néanmoins des caractéristiques très marquées. Elles ont fondé un modèle économique désormais confronté à de profondes évolutions. D’abord, du fait des modifications du comportement des consommateurs tenant, certes, à des évolutions d’ordre démographique mais, plus encore, à un retournement récent et de nature sociétale de la relation-clientèle. En revanche, l’intensité de la concurrence entre enseignes (dans chacun des différents formats de magasins) est un trait caractéristique et permanent de la grande distribution française, sans doute, dorénavant renforcé par la situation de relative fragilité de ses acteurs confrontés à des défis d’adaptation.

Un autre trait spécifique de la grande distribution française aura été, pendant près de cinquante années, une croissance marquée du sceau d’un certain gigantisme avec, par exemple, le centre commercial « à la française » développé autour d’un supermarché ou d’un hypermarché étendant les surfaces de vente au fil des ans.

Ce phénomène n’a pas été sans conséquences en termes d’aménagement du territoire dans les zones rurales mais aussi périphériques avec une dévitalisation des centres bourgs et des centres villes du fait de la disparition de centaines de milliers de commerces. Un trait révélateur : les grandes enseignes ont ainsi « trusté » la distribution des carburants (61 % du marché), disposant seules d’une capacité de vendre essence ou diesel à quasi prix coûtant, donc de transformer ces produits en un puissant facteur d’attraction au bénéfice des supermarchés et hypermarchés, avec pour conséquence, là encore, la disparition du maillage des stations-service et de leurs emplois.

A.   Un secteur marqué par le poids des rapports de force et le renouvellement des conditions d’achat et de vente

La grande distribution se compose de groupes différents par leurs origines avec des cultures d’entreprise propres et des stratégies et modes de relations commerciales spécifiques.

Quelques dates clés

En 1949, le premier magasin créé par Édouard Leclerc était une boutique de petite dimension qui comptait un assortiment réduit « à prix cassés ».

En 1963, le premier hypermarché inspiré d’un modèle nord-américain, a été ouvert sous l’enseigne Carrefour à Sainte Geneviève des Bois (Essonne) avec une surface de vente initiale de 2 500 m2 qui, aujourd’hui, paraît très modeste.

Puis, en 1969 à Englos (Nord), le fondateur du groupe Auchan, Gérard Mulliez, adjoint, pour la première fois en France, une galerie marchande de 6 000 m2 à un hypermarché dont la taille atteignait déjà 11 000 m2. Cette date, moins souvent évoquée que les deux précédentes, marque cependant l’entrée dans une nouvelle ère : celle du gigantisme caractérisé par l’accroissement irrépressible des m2 de vente dans les différents formats de magasins déclinés par les enseignes de ce qu’il était dorénavant convenu d’appeler la « grande distribution ».

1.   Des enseignes de taille inégale et diversement affectées par des contraintes de rentabilité croissantes

En octobre 2018, la France comptait, selon le recensement annuellement réalisé par LSA Expert, 26 millions de mètres carrés cumulés de surface commerciale de vente à dominante alimentaire, en légère progression (+ 1 %).

Sans prétendre à l’exhaustivité, le parc des points de vente se décompose comme suit :

2 200 hypermarchés (11,6 millions de m2 cumulés), 5 727 supermarchés (7,2 millions de m2), 3 535 magasins de hard discount (2,9 millions de m2) un secteur pour lequel la disparition de Dia a fait diminuer le nombre des implantations, 6 991 magasins de proximité dans leurs différents formats dont les anciennes supérettes (1,3 million de m2) avec une prééminence dans les catégories de la proximité des diverses enseignes de Carrefour et Casino mais aussi 1 770 magasins des réseaux spécialisés dans le bio (545 000 m2). Ce dernier segment connaît une croissance fulgurante avec une augmentation du nombre de ses magasins de + 22 % soit + 31 % de ses surfaces de vente pour la seule année 2018 (Biocoop, La Vie claire, Biomonde, Naturalia, Les Comptoirs de la bio etc.) ([7]).

À ces chiffres doivent encore être ajoutés les quelque 387 500 mètres carrés des surfaces cumulées des 490 drives dits « déportés » (les surfaces des 3 255 drives dits « accolés » sont généralement comptabilisées avec celles des hypermarchés dont ils dépendent) et encore les 820 000 m2 des grossistes du cash & carry (Métro et Promocash).

Enfin, les magasins Monoprix et les Monop’ (groupe Casino) demeurent toujours classés à part dans une catégorie « historique » dite des « enseignes et magasins populaires » alors que les deux enseignes se sont sensiblement éloignés de cette définition d’origine (417 points de vente pour 600 000 m2).

En outre, certains phénomènes récents découlent directement de l’évolution des modes de consommation comme l’émergence rapide du groupe Grand Frais qui compte désormais plus de 210 magasins pour 210 000 mètres carrés de surface de vente comme, à l’inverse, la stabilité désormais perceptible des principales enseignes de surgelés, Picard et Thiriet, qui représentent 1 164 points de vente pour 260 000 m2.

La croissance du parc de la grande distribution s’est néanmoins ralentie à partir des années 2010 avec une maîtrise de l’inflation des m2 de vente des hypermarchés (hors drives) conjuguée à de nombreux remaniements d’enseignes au sein de la catégorie des supermarchés, alors que la croissance des magasins de proximité (de 120 à 399 m2) se poursuit toujours.

En 2018, en France métropolitaine, l’ensemble du secteur à dominante alimentaire comptait, au total, 23 769 magasins (hors drives accolés) représentant une surface de 26,377 millions de mètres carrés (+ 0,92 %) par rapport à l’année précédente.

L’actuel ralentissement de la croissance des hypermarchés, en nombre et en surface de vente, ne signifie pas un effacement voire un effondrement parfois annoncé de ce modèle au demeurant ancré dans les schémas de consommation : une étude de FranceAgriMer ([8]) montre la place essentielle des hypermarchés pour l’approvisionnement alimentaire des ménages français qui y réalisent près de la moitié de leurs dépenses concernant ce poste de consommation ; les hypermarchés ayant même gagné, en dix ans, des parts de marché (47 % en 2017 contre 42 % en 2008). Cette étude fait néanmoins état de gains acquis sur la première partie de la période observée (2008-2011) et mentionne un certain essoufflement ultérieur.

De même, un phénomène plus inquiétant est le constat d’un ralentissement du rythme de fréquentation des hypermarchés, alors que ce modèle repose depuis toujours sur une consommation répétitive et la fidélité des clients à l’enseigne.

Pour 2017, l’étude précitée de FranceAgriMer révélait néanmoins que la grande distribution (en incluant ses magasins de proximité) représente toujours les trois quarts des dépenses de produits alimentaires des ménages ; le quart restant se répartit essentiellement entre les différents circuits spécialisés dont l’artisanat commercial (primeurs, boucheries, poissonneries, foires et marchés etc.) ([9]).

Au-delà de la très grande diversité du secteur, il convient de souligner que les marges nettes de la grande distribution sont structurellement faibles. Le graphique ci-dessous montre bien que les marges de la grande distribution ne peuvent pas être comparées avec celles des industriels avec lesquels ils contractent ([10]). Toutefois, leurs structures de coûts sont évidemment très différentes.

Le rapporteur regrette toutefois que ces données ne concernent que les distributeurs côtés en bourse, auquel s’ajoute l’enseigne Auchan. Par ailleurs, les données de résultats des « indépendants » sont extrêmement difficiles à trouver et à consolider, ce qui empêche de se faire une idée réelle de la situation du secteur dans son ensemble.

a.   Une hiérarchie avec deux grands acteurs disposant de la plus forte capacité à peser sur le marché

Les centres E. Leclerc et le groupe Carrefour, qui détiennent respectivement environ 21 et 20 % de parts de marché (PDM) en France, sont sans conteste les distributeurs qui ont modelé le marché français en donnant le tempo à sa croissance dans des approches « grand public ». Comme souligné précédemment ils ont, chacun, acquis historiquement une place prééminente.

Les centres E. Leclerc défendent, depuis l’ouverture de leur première boutique d’origine, le prix le plus bas… au service du consommateur. M. Michel Édouard Leclerc, le fils du fondateur de l’enseigne qui est devenu son dirigeant le plus médiatique, a fondé toute la communication du groupe sur un seul concept, celui de la « guerre des prix ». Il a ainsi inventé et mis en œuvre, en France, le comparateur de prix entre enseignes, initialement en dehors de toute charte, puis a investi l’internet sur cette thématique avec quiestlemoinscher.com, un vecteur de publicité comparative dont les « résultats » ont même été contestés en justice par des concurrents.

Cependant ces mêmes concurrents ont, eux aussi, succombé à cette pratique supposée objective mais, en réalité, très orientée ne serait-ce que par le choix volontairement limité des comparatifs d’assortiments. Dans ses messages publicitaires, Carrefour est désormais un des acteurs parmi les plus « bruyants » de la comparaison des prix entre enseignes concernant un « panier type » de produits, cela quand bien même le groupe entend s’affirmer comme « Le leader de la transition alimentaire » selon le slogan qu’il privilégie depuis 2018 dans sa campagne internationale « Act for Food ».

La « guerre des prix » imprègne ainsi toute la stratégie de la grande distribution française qui en impose les conséquences à ses fournisseurs, souvent en dehors des considérations de coûts de production.

Si E. Leclerc et Carrefour ont malheureusement fini par se rejoindre dans cette approche thématique du marché national, de profondes disparités subsistent toujours entre ces deux groupes leaders. En témoigne la structure de leurs résultats.

● En 2018, le chiffre d’affaires des centres Leclerc a légèrement progressé (+ 1,5 %) pour atteindre 37,75 milliards d’euros (TTC et hors carburants) mais 46,6 milliards carburants compris ! E. Leclerc a connu un exercice contrasté avec un ralentissement en début d’exercice et une reprise en fin d’année essentiellement soutenue par les drives.

Le groupe E. Leclerc rassemble 593 adhérents en France qui y gèrent 691 magasins (652 drives) comptant en leur sein 1 924 enseignes spécialisées (librairies et espaces culturels, bijouteries, centres auto, bricolage et jardin, 266 parapharmacies et 79 centres d’optique, etc..) qui forment autant de concepts spécialisés d’ailleurs complétés avec l’ouverture récente des premiers « Marché Bio », des magasins dédiés avec une offre élargie de marques du secteur : le bio a représenté, en 2018, 4,2 % des ventes de produits de « grande consommation et frais libres services » (PGC/FLS), avec notamment « Bio Village » qui a été la première véritable MDD « bio ».

Mais le volume d’affaires « mondial » d’E. Leclerc atteint à peine 39 milliards d’euros avec seulement 88 implantations de magasins hors de France.

Les résultats financiers (marge opérationnelle et cash-flow) du groupe E. Leclerc restent cependant inconnus, exercice après exercice, donc sujets à supputations car son statut de groupement de coopérateurs indépendants ne l’oblige pas à publier de telles données au demeurant essentielles. Cette situation ne peut être celle de Carrefour, un groupe coté en bourse (relevant de la catégorie du CAC40) et qui est ainsi tenu de publier le détail de ses résultats.

Sur ce sujet, le rapporteur se prononce en faveur d’une nouvelle obligation légale de publication des comptes consolidés pour tous les groupes de la grande distribution, y compris ceux établis sous forme coopérative. Cette publication serait obligatoire à partir d’un certain seuil de chiffre d’affaires, que le pouvoir réglementaire aurait à fixer à l’issue d’une concertation avec le secteur.

Même si cette proposition montre bien qu’il faut aller plus loin, le travail qui a déjà été effectué sur la question de la publication des comptes de toutes les entreprises de l’agro-alimentaire doit être souligné. En effet, la loi dite « EGAlim » ([11]) comprend une disposition, introduite par un amendement porté notamment par notre collègue Richard Ramos, membre de cette commission d’enquête, accentuant les sanctions contre les groupes de l’agroalimentaire qui ne publient pas leurs comptes.

Ainsi, l’article L.123-5-2 du code de commerce prévoit désormais qu’en cas de défaut de dépôt de comptes, une injonction de le faire pourra être adressée à la société en question, sous une astreinte pouvant atteindre jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires journalier par jour de retard à compter de la date fixée par injonction ([12]).

C’est d’ailleurs la pression d’une saisine du tribunal de commerce, par une association de défense des animaux, pour faire application de ces nouvelles dispositions, qui a obligé le groupe Bigard à publier très récemment une partie de ses comptes (septembre 2019), pour la première fois de son histoire.

 

Proposition n° 1 : Inscrire dans la loi l’obligation pour les groupes de la grande distribution sous forme de société coopérative, de publier les comptes consolidés à partir du moment où leurs chiffres d’affaires cumulés excèdent un certain montant que le pouvoir réglementaire aura à fixer.

● En 2018, le groupe Carrefour, présent dans près de quarante pays, a réalisé un chiffre d’affaires mondial de 84,9 milliards d’euros (+ 1,4 % à structure comparable) dont 35,6 milliards (HT) sur le marché français
(- 0,6 %). Son résultat opérationnel courant est de 1,9 milliard d’euros pour une marge opérationnelle stable de 2,5 %. Cette marge opérationnelle reste relativement faible en France (1,3 % contre 1,9 % en 2017) alors qu’en comparaison elle est plus élevée pour la zone Europe (hors France) à 3,2 % et atteint même 5,7 % pour les activités de Carrefour en Amérique du Sud.

Sous l’impulsion de son nouveau Président, M. Alexandre Bompard, le groupe s’est engagé sur la voie d’une transformation sans précédent : le Plan Carrefour 2022 repose principalement sur des mesures d’efficacité opérationnelle et financière (avec un objectif d’économies porté à 2,8 milliards d’euros).

Il s’agit de refonder la proposition commerciale des magasins, d’accélérer la mise en œuvre d’une stratégie de l’« omnicanal » assortie d’une simplification et d’une réduction des assortiments (- 15 % à l’échelle mondiale) tout en soutenant l’expansion de nouveaux formats de proximité (3 000 ouvertures prévues à l’horizon 2022).

Cette adaptation aux évolutions du marché ne sera pas sans conséquences sur les hypermarchés dont certains verront leur taille révisée à la baisse dans le cadre d’un objectif global de réduction de 400 000 m2 de surfaces commerciales parmi les moins productives. Pour autant, ce plan ne devrait pas se concrétiser par un effacement, même relatif, de l’activité des hypermarchés au sein du groupe (un format qui, pour Carrefour, compte 247 magasins et 60 000 collaborateurs pour quelque 2 millions de m2 en France). En revanche, il s’agit de mener à bien une complète reconfiguration du modèle en l’adaptant aux spécificités des zones de chalandise, en modifiant sa gestion (certains hypermarchés seront gérés en location-gérance) et en l’ouvrant à des partenariats, particulièrement dans des domaines non alimentaires, avec des shops-in-shops d’autres distributeurs à l’exemple de l’électroménager.

Carrefour entend également renforcer son offre de produits bio, déjà en forte croissance, par le déploiement progressif du concept « Bio Expérience » dans ses hypermarchés en affichant un objectif de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires du bio en 2022 (contre 1,8 milliard d’euros en 2018).

Ce plan n’est pas sans risques car la réduction des assortiments peut déstabiliser certaines habitudes de la clientèle même s’il s’agit de valoriser une offre plus qualitative et de promouvoir les produits sous marques de distributeurs (MDD).

À cet égard, le partenariat conclu, en août 2018, (hors produits frais) avec Tesco, le distributeur britannique n° 1 avec 27,2 % de parts de marché, devrait notamment permettre à Carrefour de coopérer efficacement en matière de MDD en renforçant la capacité conjointe des deux distributeurs vis-à-vis des fabricants (Tesco propose déjà dans ses rayons 50 % de MDD, beaucoup plus que Carrefour).

En outre Tesco et Carrefour, deux groupes de tailles comparables, ne sont absolument pas concurrents sur leurs différents marchés. Comme Carrefour, Tesco est confronté à des difficultés d’adaptation de son modèle et a annoncé, au Royaume Uni, des suppressions d’emplois notamment dans ses supermarchés Tesco Metro et Tesco Express ([13]).L’impact social de la refondation de Carrefour s’accompagne également de plans de départs volontaires (2 400 personnes en France) qui concernent aussi la Belgique, l’Italie et l’Argentine. Toutefois, la situation de Carrefour n’explique pas, à elle seule, l’impact désormais perceptible du mouvement de refondation et de réorganisation qui concerne la quasi-totalité des grands distributeurs.

Au premier semestre 2019 et pour la première fois de son histoire, la grande distribution française, dans son ensemble, a plus supprimé d’emplois qu’elle n’en a créés.

b.   Des groupes exposés à des problèmes de compétitivité voire de vulnérabilité financière

En termes de part de marché, les groupes Casino et Auchan ont des positions comparables (respectivement 11,2 % et 10,2 %). La tendance caractérisant leurs activités, en France, est au mieux stable et, à certaines périodes, en recul. Casino et Auchan ne sont pas à l’origine de la « guerre des prix » mais se positionnent plutôt en tant qu’« enseignes de confiance » et sur le rapport « qualité-prix ».

 Le groupe Casino est un acteur historique de la distribution française (fondé à Saint-Étienne en 1898) souvent innovant : en créant, dès 1901, la première marque de distributeur, le premier libre-service français, en 1949, puis en reprenant, en 2000, Cdiscount (lancé en 1998 et devenu le deuxième acteur du e-commerce français derrière Amazon). Le groupe Casino est coté en bourse (hors CAC 40) par l’intermédiaire de deux sociétés supports : Rallye, holding de tête, et Casino Guichard-Perrachon. Depuis 1992, Monsieur Jean-Charles Naouri en est l’actionnaire de contrôle.

En 2018, le chiffre d’affaires du groupe était de 36,6 milliards d’euros (+ 3 % à structure comparable), les activités françaises y contribuant à hauteur de 55 % (19 milliards pour le retail et 1,9 milliard pour Cdiscount). Le résultat net de l’ensemble consolidé (part du groupe) est cependant négatif (- 54 millions d’euros contre + 101 millions en 2017).

Casino est très présent dans les magasins de proximité, spécialement en milieu urbain ; un atout décliné sous différentes enseignes et divers formats : les supermarchés Casino mais aussi Monoprix et Monop’, Franprix, Leader Price etc., soit 2 979 magasins au total.

Les rentabilités particulières aux différentes enseignes du groupe sont contrastées : élevées pour Monoprix, satisfaisantes pour Franprix, faibles pour Leader Price et médiocres pour les hypermarchés dont certains sont sans doute structurellement déficitaires. Le groupe Casino qui comptait néanmoins 122 hypermarchés (fin 2018) a entrepris d’en céder une partie dans le cadre d’un plan visant à ramener la quote-part du volume d’affaires de ce format à 15 % en 2021 contre 21 % actuellement ([14]).

Casino a d’ores et déjà cédé un nombre important de magasins, dont des hypermarchés, dans le cadre d’un programme global de cessions de 2,5 milliards d’euros. Plus généralement, Casino qui peut compter sur la croissance et la rentabilité de sa présence en tant que leader ou co-leader en Amérique du Sud (Brésil, Colombie, Uruguay et Argentine), en association avec des partenaires locaux, vise à rééquilibrer son mix de formats, par catégories et par géographies, en valorisant, particulièrement en France, le modèle des magasins « Premium » et « Proximité » dont il projette 300 ouvertures d’ici 2021.

Bien qu’enregistrant une perte au 1er semestre 2019, Casino est détenteur d’un modèle qui conserve un potentiel de création de valeur : le groupe est, parmi les distributeurs européens, l’un des plus en avance dans le e-commerce et la digitalisation des process. Cdiscount, désormais proche de la rentabilité, progresse au plan commercial de manière constante (volume d’affaires en croissance de 13 % au 2ème trimestre 2019 avec une quote-part de sa marketplace de 40,1 %). Au Brésil, la filiale de commerce électronique Cnova est, elle aussi, en forte croissance. En outre, Casino a conclu des accords commerciaux rapidement entrés en vigueur avec Amazon et avec aussi Ocado, un opérateur britannique du e-commerce alimentaire très en avance dans la gestion logistique et la préparation des commandes.

Les difficultés actuelles du groupe Casino tiennent moins à son positionnement commercial qu’à la structure de contrôle de son capital qui a généré un endettement important dont il est difficile de cerner précisément l’évolution et les contours. Avec la décision prise en mai 2019 par sa direction de placer sous procédure de sauvegarde Rallye, sa holding de contrôle, le groupe a ouvert des négociations avec les banques créancières qui se dérouleront au cours d’une première période de 6 mois susceptible d’être prorogée jusqu’à 18 mois au total.

 Auchan est un groupe placé sous le contrôle de l’Association familiale Mulliez, qui compte 350 000 emplois dans le monde dont 73 800 en France pour 637 magasins sous enseigne (90 % des salariés en CDI sont détenteurs d’actions).

En 2018, Auchan holding qui chapeaute les activités de distribution d’Auchan Retail, de la banque Oney et de la foncière Ceetrus (ex-Immochan) a enregistré un résultat opérationnel courant en très forte régression (- 54 %) et un résultat net négatif (- 946 millions d’euros) alors qu’il était encore positif au terme de l’exercice précédent (+ 509 millions). Ce résultat négatif s’explique par l’importance des dépréciations d’actifs, pour plus d’un milliard d’euros.

Le chiffre d’affaires global d’Auchan Retail s’est établi à 50,3 milliards d’euros (- 3,3 % à taux de changes courants et - 2,4 % en comparable). Les activités françaises, qui représentent un peu plus du tiers de ce chiffre d’affaires, se sont élevées à 17,7 milliards d’euros (HT) en diminution de 1,3 %. Le groupe Auchan n’est pas une société cotée en bourse mais sa direction communique largement sur ses résultats et a ainsi révélé, en mars 2019, les difficultés des activités françaises qui enregistrent une forte baisse de leur excédent brut d’exploitation (- 44,1 %), plus importante que pour les activités à l’étranger.

La commission d’enquête a auditionné M. Edgard Bonte, nouveau président d’Auchan Retail depuis octobre 2018, qui a exposé les voies du redressement décidé par le groupe. Des cessions de magasins sont désormais programmées et concerneront plus des supermarchés que des hypermarchés, sauf exception comme l’hypermarché de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) appelé à passer sous l’enseigne de Lidl à partir d’octobre 2019. Le parc actuel des hypermarchés français d’Auchan exige de profondes rénovations : le Président Bonte a pointé, devant la commission, un retard en ce domaine ; le groupe ayant, au cours des dernières années, plus investi dans ses implantations à l’étranger, au demeurant très importantes (Chine, Russie et Europe de l’Est).

La dimension des hypermarchés d’Auchan est l’un des problèmes majeurs du groupe puisque dans le « Top 100 » des plus grands hypermarchés français, 42 sont exploités par l’enseigne (données 2017). Depuis 2016, Auchan a fait progressivement passer son enseigne Simply Market sous la bannière Auchan Supermarché, tout en développant la création de filières spécifiques avec le monde agricole.

Les grands axes du plan de reconquête dénommé « Renaissance » sont essentiellement fondés sur la réaffirmation qu’Auchan doit demeurer pour la clientèle une enseigne alimentaire de confiance avec un parc profondément réorganisé en privilégiant des services regroupés dans les zones de vie et non plus par formats de magasins (ouverture de « drives piétons » et d’hyper plateformes permettant de livrer les métiers de bouche aux autres magasins du groupe etc.).

Enfin, cette stratégie entend valoriser les synergies avec les autres enseignes spécialisées de l’Association familiale Mulliez (Boulanger, Décathlon, Leroy Merlin, Norauto et Kiabi) en leur ouvrant la partie non alimentaire des hypermarchés Auchan, sans pour autant exclure la présence dans ces zones marchandes d’autres groupes spécialisés, comme cela est également engagé par Carrefour.

c.   Deux autres acteurs « indépendants » et performants sur le marché français

Les groupes Intermarché et Système U (ou U Enseigne) détiennent respectivement 14,8 % et 10,5 % de parts de marché.

Leur histoire est sensiblement différente mais l’un et l’autre sont des groupements de commerçants, entrepreneurs individuels.

● En 2018, Intermarché et sa filiale Netto ont enregistré une progression sensible de chiffre d’affaires (+ 2,8 %) à 24,2 milliards d’euros (HT et hors carburants). Intermarché compte 1 826 points de vente en France avec des hypermarchés plutôt de taille moyenne, un grand nombre de supermarchés et une présence plus marquée de ses formats de proximité en zones rurales ou périphériques (Intermarché Contact) qu’en zones urbaines (Intermarché Express).

La société Les Mousquetaires, qui compte 3 095 adhérents dont près de 1 500 associés, recouvre un des grands acteurs de la distribution française avec un nombre important d’enseignes : Intermarché et Netto, Bricomarché, Brico cash, Roady, Rapid pare-brise, restaurants Poivre Rouge, etc. Le groupe est né d’une scission, en 1969, de 92 centres qui ont quitté le Mouvement Leclerc autour de Jean-Pierre Le Roch (dont le credo était « Le Mieux-être pour le plus grand nombre »), afin de constituer ce qui deviendra Intermarché en 1973.

Intermarché propose une gamme complète en alimentaire (marques nationales et MDD, produits locaux et saisonniers) et étoffée en non alimentaire avec certains produits techniques, du textile et une gamme « grand public » de droguerie, parfumerie, hygiène (DPH). Intermarché promeut un modèle unique dans la grande distribution, celui de « Producteurs & Commerçants » avec son pôle industriel des Agromousquetaires : Intermarché détient 62 sites de transformation alimentaire dont la laiterie Saint-Père et a développé ses marques propres comme Monique Ranou (charcuterie et traiteur) ou Jean Rozé (viandes) ou Pâtures (lait).

Ce pôle qui n’est évidemment pas adhérent à l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), mais il est rentable et constitue le 4ème ou 5ème opérateur agroalimentaire français (11 000 salariés pour un chiffre d’affaires de 4,03 milliards d’euros en 2018). Près de 20 % de son activité sont réalisés à l’extérieur du groupe (restauration hors foyer, grossistes, exportations et même certains produits sont à destination de distributeurs concurrents).

La filiale Scapêche est devenue le 1er armateur français avec 23 bateaux dont les captures couvrent 60 % des besoins d’Intermarché et de Netto (de plus, en association avec la coopérative des pécheurs de la Côte d’Opale et l’armement boulonnais Le Garrec, la Scopale a été créée et a lancé son premier bateau en 2017).

Intermarché a engagé un programme d’évolution qualitative de ses productions avec la reformulation de 850 d’entre elles et le retrait de certains allergènes de leurs recettes.

Comme E. Leclerc, le groupe Intermarché demeure peu transparent quant à ses résultats d’exploitation qui remontent à une holding financière, ITM Entreprise, au statut de SA, détentrice de la propriété de toutes les enseignes du Groupement. Leurs droits d’exploitation sont concédés contre royalties à autant de sociétés franchisées que de points de vente. Au sein de la sphère des « indépendants », le groupe se distingue cependant par l’existence d’IMMO Mousquetaires, une société foncière intégrée qui, outre sa fonction de promoteur-aménageur, à la haute main sur le parc immobilier des magasins et centres logistiques et représente probablement un important centre de profits.

 Système U (ou U Enseigne) est une coopérative de commerçants qui compte 1 500 points de vente et réalise un chiffre d’affaires 2018 en progression de 2,3 % à 19,9 milliards d’euros (HT et hors carburants) contre + 1,4 % au terme de l’exercice 2017.

Le groupe Système U, héritier d’une ancienne centrale d’achat (UNICO), est devenu l’un des acteurs les plus dynamiques de la distribution française en confortant ses positions, année après année, (à partir de sa zone de présence initiale de l’Ouest de la France) pour atteindre 10,5 % de parts de marché. Ce développement de ce distributeur doit beaucoup à l’action de M. Serge Papin, son Président jusqu’en 2018, que la commission a d’ailleurs tenu à auditionner.

Le format des supermarchés génère 70 % du chiffre d’affaires et les formats plus petits (U Express et Utile) progressent également. Un effort est engagé depuis deux ans pour une plus grande intégration des services support et, également dans une optique de synergie, une modernisation logistique avec la robotisation des entrepôts afin d’optimiser les livraisons à destination des magasins.

Au printemps 2018, Système U a rompu son alliance à l’achat avec le groupe Auchan pour se lier à Carrefour, y compris pour les négociations commerciales internationales au travers de Carrefour World Trade (C.W.T.), alors que les implantations de l’enseigne, hors de France, sont très modestes (au Maroc et quelques magasins ouverts ou en projet dans des pays de l’Afrique de l’Ouest).

Ce tropisme international n’est pas nouveau car, dès 2006 et sans avoir d’implantations à l’étranger, Système U avait adhéré à l’European Marketing Distribution (EMD), une centrale internationale basée à Zurich.

Il est à noter que Système U, bien qu’« indépendant » et de statut coopératif, adhère à la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et non à la Fédération du commerce coopératif et associé (FCA) qui rassemble notamment les groupes E. Leclerc et Intermarché.

d.   Le rebond du hard discount « à la française »

Les hard discounters allemands Lidl et Aldi ont investi le marché français à la fin des années 1980. Ayant initialement bâti une stratégie de transposition du modèle en vigueur dans leur marché d’origine (le hard discount y représente près de 40 % du marché), leur développement s’est trouvé brutalement stoppé au début de la décennie 2010. Afin de contrer un mouvement de pertes de parts de marché, les deux filiales françaises ont reconsidéré leur positionnement commercial en renouvelant les gammes de produits et en rénovant leurs magasins.

Une première adaptation du modèle avait déjà été engagée, dix ans après leur implantation en France, avec l’incorporation de marques nationales dans l’assortiment des magasins jusqu’alors « basique » et exclusivement composé de marques du distributeur. De fait, le consommateur français reste beaucoup plus attaché aux grandes marques que son homologue allemand avant tout soucieux d’un strict rapport « qualité-prix ».

Dans une seconde étape de l’adaptation de leur modèle en France, toujours en cours, Lidl a été plus rapide qu’Aldi pour modifier, à partir de 2012, le positionnement de ses magasins avec une communication « coup de poing » qui valorise même une politique de filières concernant certains produits agricoles, certes louable dans son principe, mais qui ne représente qu’une part très limitée de son chiffre d’affaires. Lidl est de tous les distributeurs celui qui enregistre, en 2019, les plus importants progrès et atteint désormais une part de marché voisine de 6 %.

Lidl France récuse désormais l’appellation « hard discounter », suivi en cela par d’autres acteurs plus ou moins présents sur ce segment de marché qui a compté d’autres enseignes dont certaines ont disparues (Ed et Dia) ou subsistent en hard discounters (pour une partie des Leader Price de Casino et les magasins Netto d’Intermarché), sans oublier les magasins Atac dont le slogan était « Atac attaque les prix » désormais renommés « Bi 1 » (avec une orientation plus qualitative) par leur propriétaire le groupe familial Schiever, par ailleurs un des plus importants « franchisés » d’Auchan. Les principaux panélistes (les sociétés Nielsen, Kantar et IRI) n’emploient plus dans leurs études l’appellation « hard discount » et lui préfèrent désormais celle de « supermarché à dominante marques propres » (SDMP) ou celle d’« enseigne à dominante marques propres » (EDMP).

Pour sa part Aldi renoue lui aussi avec une progression de son chiffre d’affaires français avec une part de marché de 2,5 % au premier semestre 2019.

Au niveau international, les deux groupes familiaux Lidl (Schwartz gruppe) et Aldi (famille Albreicht) sont des « géants » qui s’inscrivent respectivement aux 5ème et 8ème rangs mondiaux des distributeurs et devancent ainsi le britannique Tesco et le français Carrefour. Ces positions confèrent à leurs filiales françaises les capacités nécessaires à la poursuite de leur déploiement, y compris en se portant candidats aux rachats de magasins que les groupes Auchan et Casino pourraient prochainement céder ([15]). À titre d’exemple de ces capacités, Lidl est désormais, en France, le premier investisseur en dépenses de communication, devant Leclerc, Carrefour et Intermarché.

Pour sa part, Carrefour expérimente, depuis peu, l’implantation en France de Supeco, une enseigne de discount positionnée entre le supermarché et le magasin-entrepôt (à l’agencement plutôt minimaliste) assez proche du cash & carry mais ouvert au grand public. Ce concept hybride, développé en Espagne à partir de 2012, repose sur un assortiment limité (2 000 à 2 500 références) à prix bas.

2.   Une grande distribution tenue de répondre à un changement des usages de consommation favorisant l’émergence de nouveaux acteurs

Un constat : la grande distribution française n’est pas homogène.

Leurs tailles et structures juridiques ont façonné des modèles économiques distincts, ces deux facteurs expliquant, pour partie, la hiérarchie des enseignes. Il n’y pas, en effet, beaucoup de traits communs entre, d’une part, E. Leclerc ou Intermarché et, d’autre part, le groupe Cora, plus petit acteur de la « grande » distribution, principalement actif dans la partie Nord-est de la France, avec 2,6 % de parts de marché pour 61 hypermarchés et les supermarchés Match mais qui réalise néanmoins un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’euros (carburants compris) et compte 18 000 collaborateurs. Ce distributeur aux origines familiales (famille Bouriez) est désormais contrôlé par le groupe belge Louis Delhaize dont il constitue le principal actif. Tout en conservant une politique commerciale indépendante, Cora s’est toutefois lié à Carrefour pour ses achats concernant ses quelque 200 plus gros fournisseurs et les produits premier prix (produits dits « no name » et « blancs »). On notera également que Cora est à l’origine d’un des premiers sites de e-commerce français de la grande distribution avec le lancement, en 2000, d’houra.fr, toujours actif.

En France, les analystes mettent en exergue le succès du modèle des « indépendants ». Ces groupes ont effectivement su mettre à profit le régime protecteur du statut coopératif (hors de toute implantation internationale significative) et une répartition des bénéfices a priori égalitaire entre leurs adhérents. Les modèles d’E. Leclerc et d’Intermarché diffèrent cependant sur de nombreux points (même si le trait commun des deux groupes reste la complexité de leurs arcanes internes) et, par ailleurs, Système U conserve nombre de spécificités particulières au petit commerce. Mais aucun de ces groupes ne ressemble à ses homologues étrangers, eux aussi coopératifs, comme l’allemand REWE ou encore Coop Suisse qui compte 2,5 millions de sociétaires, ses clients, représentés par cinq structures régionales.

Par ailleurs, le rebond récent des deux hard discounters, Lidl et Aldi (adossés à des groupes allemands puissants) témoigne d’une certaine agilité certes facilitée par leur modèle qui n’a jamais été celui des grands hypermarchés.

a.   Des grandes surfaces menacées par une baisse de leur fréquentation ?

Un des thèmes les plus rebattus est celui du détournement massif des clients vis-à-vis de la grande distribution. Une telle affirmation doit être relativisée.

Selon l’indicateur professionnel (Nielsen-Dauvers) une baisse de la fréquentation des hypermarchés est constatée depuis 2015 : - 0,4 % en 2015,
- 0,8 % en 2016, -1,7 % en 2017 et -2,4 en 2018. En répondant à ce défi par une réduction de taille, les distributeurs peuvent contrer cette tendance.

En témoigne déjà la bonne résistance des formats (entre 3 600 et 7 499 m2) immédiatement inférieurs à ceux des hypermarchés qui ont enregistré une croissance d’activité de + 1,4 % en 2018. Dans les faits, le phénomène le plus inquiétant est le glissement des ventes non alimentaires dans les hypermarchés (- 3,8 % en 2018) alors que les courses alimentaires récurrentes demeurent l’un des traits de la fidélité de la clientèle aux hypermarchés.

● Ces tendances ont été observées à l’étranger et notamment aux États-Unis, avant même la montée du e-commerce, dès la fin des années quatre-vingt-dix, avec la faillite de Malls et Retail parks surdimensionnés et l’inaptitude à répondre aux nouvelles aspirations de la clientèle par les grands distributeurs. De véritables friches commerciales en ont résulté. Les distributeurs traditionnels (Macy’s qui possède les supermarchés Kmart, Sears, Kroger, Kohl’s) ont fermé des grandes surfaces par centaines. La société Cushman & Wakerfield, spécialiste de l’immobilier commercial, a estimé que la fréquentation des plus grands espaces commerciaux américains avait baissé de près de 50 % entre 2000 et 2013 ! Non sans difficultés, seuls les groupes les plus puissants  (Walmart, Target et Costco) ont néanmoins su répondre au défi d’adaptation qui leur est notamment posé par Amazon.

Il reste cependant exact que le public a des perceptions de plus en plus négatives vis-à-vis d’un certain type d’enseignes physiques, plus particulièrement celles qui n’ont pas su engager une profonde réorganisation dans l’accueil de la clientèle et concernant aussi la nature et la présentation des assortiments.

● Le développement des drives et celui d’autres circuits de distribution plus spécialisés semble, à ce jour, être à la base d’un renouveau voire d’une reconquête au moins partielle. Cette vision est plus particulièrement celle des centres E. Leclerc dont il convient de rappeler que leurs ventes alimentaires par internet, grâce aux drives dont ce groupe est le leader, seraient aujourd’hui huit fois supérieures à celle réalisées, en France, par Amazon, pourtant souvent présenté comme le principal danger pour la grande distribution à la française ! Le drive qui repose sur le modèle, au demeurant classique de la précommande, concilie précisément organisation digitale d’amont et espace physique de réception. Certains experts ont ainsi parlé de la « phytigitalisation » à venir du e-commerce.

Sur ce point, le rapporteur tient à souligner sa croyance dans la permanence des structures physiques à taille humaine qu’elles concernent des supermarchés ou hypermarchés rénovés ou encore des magasins de proximité à haut niveau de services. Comme M. Dominique Schelcher, président de Système U, il pense que numérique et magasins physiques sont complémentaires ([16]).

Chacun des grands distributeurs français vise à accentuer et à renouveler sa présence dans le commerce de proximité dont certains formats progressent d’ailleurs sensiblement : les points de vente de proximité de la grande distribution alimentaire représentent 13 900 implantations en 2018 contre 10 200 en 2009. Avec le développement de nouveaux concepts il s’agit d’affiner le maillage territorial des enseignes pour répondre aux attentes des consommateurs mais aussi aux évolutions de la démographie (vieillissement de la population, réduction de la taille des familles, métropolisation etc.).

Le rapporteur est également convaincu que la distribution a son rôle à jouer dans l’évolution de l’offre alimentaire française et, en particulier, dans la montée en puissance des productions biologiques. Il propose donc la création d’un fonds de soutien financé à parité par les groupes de la distribution, les opérateurs de e-commerce, les industriels transformateurs et les producteurs de boissons.

Proposition n° 2 : Étudier l’opportunité de créer un fonds de soutien au développement des productions bio ou labélisées et à la transformation des exploitations. Ce fonds sera géré et financé à parité, d'une part, par les groupes de distribution et les opérateurs de e-commerce et, d'autre part, par les industriels transformateurs et les producteurs de boissons dès lors que les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires annuel supérieur à 300 millions d'euros de produits alimentaires sur le marché français.

● L’irruption du digital et le recours croissant aux achats en ligne.

La montée en puissance des achats en ligne n’est évidemment pas sans poser des problèmes aux acteurs de la grande distribution. En ce domaine, l’accession à la taille critique suppose de lourds investissements et plusieurs années d’efforts soutenus avant d’atteindre la rentabilité. L’exemple de Cdiscount (groupe Casino) dans le non alimentaire montre que cela est possible. Le rachat, en 2011, de Télémarket (précurseur français du e-commerce alimentaire) par Système U s’est, en revanche, traduit par un échec.

Combien parmi les acteurs aujourd’hui installés réussiront-ils à s’installer durablement sur le net ? Il reste hasardeux de répondre à la question. D’autant que des hésitations stratégiques subsistent en leur sein entre offre complémentaire ou alternative s’agissant des voies à privilégier.

Casino a fait le choix des alliances avec Amazon et Ocado, en encourant la critique des milieux professionnels de favoriser l’entrisme d’acteurs étrangers puissants sur le marché français. M. Hervé Daudin, membre du comité exécutif de Casino a explicité devant la commission d’enquête l’esprit de tels partenariats, notamment avec Amazon, par une formule selon laquelle il s’agit d’une « coopétition » c’est-à-dire, selon lui, une « coopération-compétition ».

Pour leur part, Carrefour et Auchan, présents en Chine de longue date, ont fait le choix d’alliances ou d’accords avec de grands acteurs locaux respectivement Tencet et Alibaba, deux « géants » au plus haut niveau de maîtrise du commerce en ligne auquel se sont d’ailleurs adaptés plus rapidement que nulle part ailleurs les consommateurs chinois. Mais le récent retrait de Carrefour de ses activités chinoises et la réorganisation opérée par Auchan dans le management opérationnel de ses activités sur ce marché (au bénéfice, semble-t-il, de ses partenaires locaux) suscitent des interrogations.

En revanche, Carrefour et Google ont conclu, à l’été 2018, un partenariat de portée stratégique visant à créer, en France, un Lab commun afin de mettre au point de nouvelles options d’achat destinées aux consommateurs via les interfaces de Google à partir de smartphones ou d’enceintes connectées. Carrefour disposant d’une masse considérable de données sur ses clients, le but est de les utiliser au travers de fonctions d’achat simplifiées et toujours plus intuitives. Enfin, Google élaborera un programme de formation des salariés de Carrefour concernant les nouvelles possibilités de la bureautique et du Cloud.

Concernant les groupes « intégrés », leur forte présence à l’international aurait dû constituer un atout pour s’inspirer et transférer l’expérience acquise au titre de leurs partenariats tout particulièrement dans le digital.

Mais les nécessités du redressement à conduire dans l’urgence sur leur marché national aboutissent, au contraire, à l’abandon sous contrainte d’un certain nombre de leurs positions internationales (Auchan s’est ainsi séparé, au début de cette année, de ses activités en Italie et au Vietnam et Casino a quitté la Thaïlande et le Vietnam en 2016).

Un relatif recentrage sur le marché national devrait toutefois permettre à ces groupes de mieux concentrer leurs investissements de modernisation sur leur parc de magasins français, éventuellement avec des moyens confortés par le produit de leurs cessions à l’étranger, à condition que les activités cédées aient été profitables. Au regard des derniers résultats communiqués par le groupe Auchan il n’est pas certain que ce recentrage puisse rapidement se réaliser : au premier semestre 2019, Auchan a en effet enregistré une perte nette exceptionnelle de 1,5 milliard d’euros que ce distributeur met principalement sur le compte des cessions d’activités, en cours, principalement en Italie. Pourtant, la transformation par les innovations technologiques et commerciales est le défi qu’il reste à relever par tous les grands distributeurs français.

Cette voie d’un recentrage utile de l’activité passe aussi par une nécessaire remise en cause de l’extension à tout prix des surfaces de vente en France.

Proposition n° 3 : En cohérence avec les mesures gouvernementales « Action Cœur de Ville », instaurer un moratoire de deux années au moins et concernant toutes les créations et extensions de surfaces de vente. Il s’agit d’apprécier si une pause relative à l’extension des surfaces serait propice à l’adaptation de l’appareil commercial au moment où il apparaît que le modèle économique de certains formats de vente n’est plus en rapport avec les attentes des consommateurs. En outre, cette pause constituerait pour les distributeurs une opportunité de concentrer leurs investissements sur la nécessaire transformation du parc existant de magasins en l’adaptant plus rapidement aux besoins d’une nouvelle « relation-client », désormais clairement perceptible, plutôt que de s’engager encore un peu plus sur la voie d’une croissance des surfaces susceptible d’accentuer, dans de nombreuses situations, l’érosion de leurs marges.

b.   Une offre alternative en plein développement susceptible de créer une nouvelle concurrence ?

La voie ouverte par Amazon sur les produits non-alimentaires et alimentaires est à considérer même si les produits de grande consommation et frais libre-service (PGC-FLS) ne représentent toujours qu’une faible part de son activité, du moins en France. Créé en 1995 et introduit en bourse, dès 1997, pour devenir une des trois premières capitalisations boursières mondiales (avec Microsoft et Apple), Amazon est présent en France depuis le début des années 2000, d’abord en tant que site de vente en ligne de livres et produits culturels. L’élargissement de l’activité a cependant été rapide.

Selon les données les plus récentes du panéliste Kantar, Amazon est le premier acteur du commerce en ligne français avec une part de marché voisine de 20 % et un chiffre d’affaires en croissance évalué à 6,6 milliards d’euros en 2018 (+ 18 %). Amazon domine le commerce en ligne français et a investi en France plus de 2 milliards d’euros depuis 2010 (entrepôts, supply chain, robotisation). La part de marché de Cdiscount (groupe Casino), le deuxième acteur du secteur, est de 8,1°%.

 

Les résultats français d’Amazon restent toutefois à relativiser au regard de son chiffre d’affaires mondial de 232,9 milliards de dollars en 2018 (contre 19,1 milliards dix ans plus tôt) et un bénéfice net de 10,07 milliards de dollars. Aux États-Unis, Amazon détient près de 45 % de part de marché du e-commerce même si cette position est combattue par les grands distributeurs physiques (brick & mortar se transformant en click & mortar) qui désormais développent massivement, certes avec retard, leurs sites de vente en ligne. En outre, Amazon enregistre une croissance et une rentabilité en forte progression de ses activités connexes à la vente au travers de sa filiale Amazon Web Services (AWS) sur le Cloud ou encore de publicité.

La commission d’enquête a tenu à auditionner le délégué général d’Amazon France, M. Frédéric Duval, qui était accompagné de M. Yohann Bénard, directeur de la stratégie.

Force est de constater que cette audition soulève des interrogations, concernant d’abord le statut d’Amazon France qui n’est, en fait, qu’une succursale d’Amazon UE, société qualifiée d’« européenne » et basée au Luxembourg et qui centralise une part essentielle des revenus générés en France pour y subir un traitement fiscal que l’on peut qualifier sans risque d’« internationalement complexe ».

Cette situation n’est pas sans conséquences sur les relations contractuelles entre Amazon et ses fournisseurs principalement régies par le droit de la concurrence et de la consommation en vigueur au Luxembourg. Ainsi, Amazon peut largement s’affranchir des règles du droit français de la négociation commerciale même si M. Duval a précisé : « … nous pouvons entretenir des relations avec des sociétés nationales dans le cadre de droits nationaux », mais apparemment à la condition que le fournisseur en exprime expressément la demande et qu’Amazon daigne y répondre favorablement ! Dans la pratique, le droit français ne paraît occuper qu’une place résiduelle. Le délégué général d’Amazon France a également indiqué devant la commission : « … les centrales d’achat et la concentration des achats. Aujourd’hui Amazon n’en dispose pas et ne procède pas de la sorte » en ajoutant néanmoins « les équipes d’achat peuvent être en France, au Luxembourg, en Italie, en Espagne ou en Angleterre ».

En outre, les dirigeants d’Amazon France ont tenu à souligner devant la commission d’enquête un avantage qui caractériserait leur entreprise en termes de référencement « produits » par rapport à la grande distribution traditionnelle, une situation présentée comme favorable aux PME et aux TPE et résultant du « peu de barrières concernant la taille des rayonnages ».

Dans le domaine alimentaire, M. Duval a aussi insisté sur l’existence au sein de l’offre d’Amazon de la « Boutique Épicerie, Bières, Vins et Spiritueux » et sur le développement plus récent de sa « Boutique des Producteurs », un réceptacle a priori conçu pour accueillir l’offre des petits producteurs locaux et constitutif d’un circuit court en e-commerce.

La direction d’Amazon France a également tenu à souligner, en cours d’audition, la moindre sélectivité d’Amazon dans le référencement des gammes de produits en comparaison de ce que pratique la grande distribution (notamment sur sa Marketplace qui représente plus des deux tiers de ses ventes et s’avère d’ailleurs beaucoup plus profitable que ses ventes en retail direct) avec une totale liberté du fournisseur dans la fixation du prix de vente (la rémunération d’Amazon étant établie sur la base du prélèvement d’une commission moyenne de 15 % en incluant le coût des services logistiques).

Autre point mis en avant par la direction d’Amazon : l’égalité territoriale des consommateurs en termes d’offres et de prix, une donnée présentée par eux comme un atout dans la quête de réduction de la fracture territoriale.

En revanche, un grand flou subsiste sur les exigences d’Amazon vis-à-vis des vendeurs en termes de « plans promo » ou autres « opérations de mise en avant » qui s’ajoutent au pourcentage de commission.

Quel était le poids de l’alimentaire dans le total de l’activité française d’Amazon au terme de l’année 2018 ? Cette donnée n’est pas connue, pas plus d’ailleurs que le résultat net des activités françaises du groupe en raison de la construction statutaire précitée. Sur la base du chiffre d’affaires « France » évalué par Kantar, les produits alimentaires stricto sensu ne représentaient que 1 % voire 2 % des ventes sur l’exercice 2018 et, au total, les PGC-FLS dépasseraient à peine 10 % avec une part prééminente des produits de droguerie, parfumerie, hygiène (DPH). Cette évaluation ne prenant toutefois pas en compte les effets des accords conclus entre Amazon et le groupe Casino (accords dont M. Duval s’est félicité des premiers résultats).

Les activités dans l’alimentaire d’Amazon France devraient sensiblement augmenter à moyen terme, conformément à la stratégie mondiale du groupe.

En premier lieu, leur développement permet de mieux lisser et de diversifier les ventes car les achats de produits alimentaires sont répétitifs et récurrents : aux États-Unis, Amazon réalisait encore il y a peu le tiers de son chiffre d’affaires annuel au cours du 4ème trimestre de chaque année (Black Friday, Thanksgiving, Fêtes de fin d’année). De plus, le marché alimentaire mondial tel qu’évalué par le cabinet Mc Kinsey représente 5 000 milliards de dollars (2015). Enfin, c’est dans le secteur alimentaire qu’Amazon a réalisé, en 2017, sa plus importante acquisition de croissance externe avec l’achat de la chaîne américaine de produits bio et naturels Whole Foods Market. À la suite de ce rachat, il a été souvent souligné que les fournisseurs habituels de ce distributeur avaient subi de la part d’Amazon de fortes pressions à la baisse de leurs tarifs.

L’inéluctable montée en puissance d’Amazon sur le créneau de l’alimentaire est une des données à prendre en compte par la distribution traditionnelle dont les principaux acteurs français ont d’ores et déjà construit leurs propres canaux e-commerce.

Il convient donc d’établir une égalité des conditions de concurrence entre tous les acteurs, ce qui n’est actuellement pas le cas. Cet objectif est précisément celui du gouvernement avec ce qu’il est convenu d’appeler la « taxe Gafa », première étape d’une réforme fiscale et sociétale ambitieuse, à construire prioritairement à l’échelle européenne et dans le cadre de l’OCDE.

Par le récent jugement précité du Tribunal de commerce de Paris, Amazon a été condamné à une amende de 4 millions d’euros. Cette procédure trouve son origine dans l’assignation réalisée en juillet 2017 par le ministère de l’Économie et des Finances sur la base d’une enquête menée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Le Tribunal a estimé qu’Amazon avait usé de sa puissance de marché afin d’imposer à ses vendeurs tiers des clauses anticoncurrentielles. Le jugement a mis en cause le droit que s’arrogeait l’entreprise :

– de réviser le contrat "à tout moment (...) et à (son) entière disposition" ;

– de résilier le contrat avec effet immédiat "pour toute raison et à n'importe quel moment, par simple notification" ;

– d’imposer "certaines limites" au contrat selon des "facteurs de performance"(sans précisions quant à ces critères) ;

– d'interdire ou restreindre l'accès au site "à son entière discrétion".

Au-delà du cas d’espèce, le rapporteur tire deux enseignements de cette décision de justice et des quelques éléments d’expertise rassemblés par la commission d’enquête.

Le premier tient à la capacité des autorités de régulation et de la justice françaises à appréhender à sanctionner des agissements contraires au droit de la concurrence et au droit des contrats. Ce constat ne peut qu’inviter à l’action et à la vigilance à l’égard de l’ensemble des acteurs du e-commerce, Amazon pouvant potentiellement ne pas constituer un cas isolé comme l’ont montré les observations exprimées par notre collègue Mounir Mahjoubi au cours de l’audition de la direction d’Amazon France sur la brutalité de certaines méthodes de déréférencement par la plateforme ou encore sur des modifications tarifaires qui interviennent sans explication.

Néanmoins, le jugement – pas plus que les travaux de la commission d’enquête – n’offre pas nécessairement une réponse à une interrogation plus fondamentale : dans quelle mesure convient-il d’assimiler les acteurs du e-commerce à des distributeurs et quelles normes encadrant les relations commerciales peuvent s’appliquer avec pertinence dans les relations avec les vendeurs ? De fait, la question se pose tant pour l’application des règles encadrant le calendrier des négociations commerciales, la définition du tarif que pour la mise en œuvre de l’encadrement des opérations promotionnelles ou des déréférencements. Il existe d’autant plus d’incertitudes quant à la portée du droit applicable que les contrats peuvent être conclus avec les fournisseurs hors de la juridiction française et que, par ailleurs, les enseignes de la grande distribution investissent à leur tour le e-commerce.

Le second enseignement porte précisément sur la complexité du modèle d’affaire et des circuits de commercialisation que propose aujourd’hui l’e-commerce. De fait, sur un plan tant juridique que pratique, la situation d’un opérateur tel qu’Amazon diffère assez sensiblement suivant les deux rôles qu’il peut remplir ; soit commercialiser des articles (pour son propre compte et sous sa responsabilité) pour lesquels il s’approvisionne auprès d’un fournisseur ; soit permettre la mise en relation d’un fabricant ou prestataire de services avec des consommateurs par le biais de son site. Cette dernière prestation – qui, comme précédemment indiqué, donne lieu au prélèvement d’un droit dont le montant peut susciter des critiques quant à sa justification – correspond au concept de marketplace. Or, la supposée liberté accordée aux commerçants peut être battue en brèche, par exemple du fait des conditions mises à l’exposition des produits vendus ou à la poursuite de l’activité sur le site d’e-commerce.

Le Rapporteur n’ignore pas qu’une éventuelle régulation du développement de l’e-commerce renvoie à des problématiques plus générales touchant à la localisation des activités des opérateurs ou à l’équilibre de la concurrence et au développement de l’innovation.

En soi, traiter ces enjeux de manière raisonnable appelle une évaluation approfondie des conditions d’application de notre droit mais également une réflexion sur la création de nouveaux outils dont le déploiement pourrait dépasser le strict cadre national.

C’est la raison pour laquelle le rapporteur présente les deux propositions suivantes, toutes deux motivées par une préoccupation fondamentale : garantir la plus stricte égalité dans l’application des textes encadrant les relations commerciales et prévenir toute distorsion de concurrence entre la grande distribution et les opérateurs du e-commerce.

 

Proposition n° 4 :

– Veiller au respect par les opérateurs d’e-commerce des règles nationales en vigueur encadrant les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs qui leur sont applicables (notamment celles relatives à l’interdiction des marges arrières, au seuil de vente à perte, à l’encadrement des déréférencements et aux opérations promotionnelles).

– Examiner l’opportunité de nouvelles dispositions législatives ou d’une directive européenne susceptibles d’encadrer l’activité d’intermédiation des opérateurs d’e-commerce dans le secteur de la vente des produits de grande consommation.

B.   des relations commerciales favorisant une dÉflation prÉjudiciable À la pÉrennitÉ de nombreux producteurs

Dans l’esprit de la commission d’enquête, ce constat ne signifie pas que la grande distribution porte seule la responsabilité d’une situation décrite par beaucoup comme susceptible de dissuader les investissements dans un secteur essentiel de l’économie française.

De fait, beaucoup de fournisseurs se sont construits et ont parfois prospéré avec elle, alors que le dynamisme de la consommation garantissait la croissance régulière des volumes écoulés et des chiffres d’affaires. En outre, les déséquilibres des relations existant entre fournisseurs et grandes enseignes ne jouent pas nécessairement en la faveur de ces dernières : ils varient suivant la taille des acteurs et du pouvoir de négociation que peut leur procurer la fourniture de produits non substituables et disposant d’une certaine renommée auprès du grand public. Aux côtés des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), figurent en effet des entreprises nationales ou multinationales avec lesquelles la grande distribution doit souvent composer.

Mais au-delà de la légitime divergence des intérêts et de la place nécessaire du rapport de force entre partenaires, les relations commerciales pâtissent aujourd’hui de deux maux auxquels les pratiques de la grande distribution n’apparaissent pas étrangères : la relance de la guerre des prix ; la persistance de négociations commerciales toujours aussi âpres et façonnées par la recherche d’un abaissement des tarifs d’achat.

1.   Une « guerre des prix » relancée dans un cadre normatif étoffé, tâchant de concilier liberté de négociation et formalisme contractuel

L’ensemble des personnes entendues par la commission d’enquête l’ont relevé : la France se classe sans nul doute parmi les États dont la législation favorise un haut degré d’encadrement des relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs. Cette singularité résulte des interventions successives de pouvoirs publics attentifs – suivant les préoccupations de l’époque – à la préservation du pouvoir d’achat, à la sauvegarde d’une certaine diversité entre les différents circuits du commerce de détail ou encore à l’aménagement du territoire.

Pour ne considérer que la période des trente dernières années, on peut recenser pas moins de dix grands textes législatifs qui, à un degré ou à un autre, ont façonné le cadre dans lequel se déroulent encore aujourd’hui les relations commerciales entre la grande distribution et les fournisseurs.

 

L’ENCADREMENT DES RELATIONS COMMERCIALES DEPUIS 1996

Pour l’essentiel, la régulation par le législateur des relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs repose sur deux types de dispositions : d’une part, l’édiction de règles relatives à l’ouverture et à l’extension des surfaces commerciales ; d’autre part, la formalisation d’obligations contractuelles et la sanction de pratiques jugées illicites et portant atteintes au droit de la concurrence (du point de vue des tarifs, des conditions de vente d’un bien ou d’un service).

1. Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales (dite « Loi Galland »)

La loi du 1er juillet 1996 visait notamment à renforcer l’interdiction de revente à perte. À cette fin, la « loi Galland » introduit en droit la notion de « seuil de revente à perte » (SRP). Le SRP correspond au « prix unitaire figurant sur la facture » majoré de diverses taxes et du prix du transport. Cette définition exclut du calcul du SRP toute rémunération différée ou non encore acquise au moment de la transaction, c’est-à-dire l’ensemble des avantages qui constituent la marge arrière et qui sont accordés au distributeur par le fournisseur. Ces services doivent désormais faire l’objet d’une facturation séparée.

D’après les analyses, l’application de la loi Galland entraîne trois conséquences majeures :

 une augmentation des « marges arrières » : la définition du SRP limitant la capacité des distributeurs à augmenter leurs « marges avant », les distributeurs ont résolu de maintenir leur niveau de rentabilité en concentrant leurs efforts sur les avantages accordés par le fournisseur, tels que des services de coopération commerciale et des remises hors facture (rétrocommissions). D’après l’analyse de l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC), ces « marges arrières » auraient connu, entre 1998 et 2004, une augmentation de plus de 80 %. En 2004, elles représentaient entre 25 % et 45 % du prix de vente des produits.

– une inflation globale des prix de vente au consommateur : selon plusieurs auteurs, la loi Galland donnant la capacité de contrôler le prix de vente de leur produit aux fournisseurs disposant d’un fort pouvoir de négociation, le seuil de revente à perte devient « un prix plancher ». En outre, l’interdiction de la discrimination tarifaire ayant pour corollaire l’application d’un même tarif à l’ensemble des distributeurs, les fournisseurs peuvent être enclins à augmenter leurs tarifs afin de compenser la hausse du coût de la coopération commerciale. Dès lors, la loi Galland aurait ainsi conduit à une hausse convergente des prix de vente au consommateur (avec, selon une étude, une augmentation de 11,2 % pour les grandes marques contre 4,3 % pour les marques de distributeur).

 

– le développement des marques de distributeur (MDD) : la concurrence sur les prix ne pouvant s’exercer sur les grandes marques offrant un grand pouvoir de négociation à leur fournisseur, les MDD ont permis aux distributeurs de mener une politique tarifaire plus agressive. La plupart des grands groupes de distributeurs avaient déjà développé des marques distributeurs, mis à part Leclerc qui le fit à cette époque. Selon une étude Sécodip datant de 1997, les parts de marché des MDD se sont accrues de 1 à 3 points selon les catégories de produits.

2. Loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat (dite « Loi Raffarin »)

La plupart des dispositions du texte ont pour objet de réviser les règles fixées par la « loi Royer » ([17]) afin d’encadrer l’installation d’entreprises commerciales au-delà d’une certaine surface ainsi que de certaines extensions de magasins.

D’une part, la « loi Raffarin » réduit à 300 mètres carrés ([18]) la superficie au-delà de laquelle tout projet de création ou d’extension de surface commerciale et de magasins requiert l’autorisation des commissions départementales d’équipement. Elle impose en outre la réalisation d’une enquête publique préalable pour la création de magasins d’une surface supérieure à 6 000 mètres carrés. D’autre part, la loi modifie la composition et le fonctionnement des commissions départementales d’équipement commercial.

D’après l’analyse de certains auteurs, la « loi Raffarin » produirait de nombreux effets pervers. En premier lieu, les seuils retenus par le texte peuvent manquer de pertinence en ce qu’ils reposent sur une confusion entre taille des magasins et puissance d’achat. Or, le seuil de 300 mètres carrés correspond à de petits distributeurs.

En second lieu, le texte conspire à créer de nouvelles barrières à l’entrée dans un marché qui, suivant certains auteurs, s’apparente déjà à un oligopole. Dans cette optique, la loi aurait entraîné la revalorisation des surfaces déjà acquises et de la valeur des linéaires, conférant aux distributeurs la possibilité d’accroître leur pouvoir de négociation : la pression concurrentielle sur les fournisseurs, qui sont en concurrence pour l’accès au linéaire, s’en trouverait renforcée.

3. Loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises (dite « loi Dutreil »)

Le titre VI de la loi Dutreil, relatif à la modernisation des relations commerciales, vise à protéger les PME contre des pratiques commerciales jugées abusives.

D’une part, le texte précise le champ des pratiques constitutives d’un abus de dépendance économique. Par ailleurs, il renforce les sanctions applicables en cas de pratiques abusives. Il crée une Commission d’examen des pratiques commerciales.

D’autre part, il réaffirme l’obligation pour tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur de communiquer les conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou demandeur de prestations de services pour une activité professionnelle. L’article L. 441-6 du code de commerce ainsi rédigé précise leur contenu et ouvre la possibilité d’une différenciation (de leur contenu et de l’obligation de communication) suivant les catégories d’acheteur de produits ou de demandeurs de prestations de service.

La Loi Dutreil crée le « contrat de coopération commerciale » dont elle prescrit la forme et les mentions obligatoires ([19]). Elle prévoit que ce contrat doit être rédigé au plus tard le 15 février pour l’année en cours. En outre, la charge de la preuve est renversée : il incombe désormais au distributeur de justifier les services rendus au titre de la coopération commerciale ([20]).

En dernier lieu, en modifiant l’article L.442-2 du code du commerce, la « loi Dutreil » redéfinit le seuil de revente à perte (SRP) : celui-ci est désormais calculé sur la base du « SRP Galland » en le minorant « des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit, et excédant un seuil de 20 % à compter du 1er janvier 2006. Ce seuil est de 15 % à compter du 1er janvier 2007 ». Ce faisant, la loi prive les « marges arrières » de base légale et abaisse leur niveau potentiel. Le SRP ainsi défini autorise ainsi, en théorie, une baisse significative du prix de vente au consommateur.

4. Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs (dite « Loi Chatel »)

D’une part, le texte élargit le champ du seuil de revente à perte : la nouvelle définition autorise les distributeurs à inclure dans les prix l’ensemble des avantages financiers – c’est-à-dire l’intégralité de la « marge arrière » – ; elle supprime toute référence au seuil de 20 % retenu dans les règles de calcul fixées par la « loi Dutreil ».

La loi Chatel consacre ainsi le principe d’une négociation commerciale portant sur le « tarif triple net », c’est-à-dire le prix d’achat déduit de tout rabais, ristourne ou remise et de la coopération commerciale, soit un tarif qui se rapproche du prix réel payé par le distributeur ([21]). Dès lors, le distributeur peut vendre moins cher que le prix sur facture, à condition de prouver en différé que les sommes avancées au client lui sont effectivement versées ([22]).

D’autre part, en réécrivant l’article L. 441-7 du code de commerce, la « loi Chatel » supprime le « contrat de coopération commerciale » introduit en 2005. Elle le remplace par une convention unique fixant l’ensemble des conditions de vente et services négociés entre fournisseurs et distributeurs. La convention doit mentionner :

– les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services telles qu’elles résultent de la négociation commerciale dans le respect de l’article L. 441-6 ;

– les conditions dans lesquelles le distributeur ou le prestataire de services s’oblige à rendre au fournisseur, à l’occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs, tout service propre à favoriser leur commercialisation ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ;

– les conditions dans lesquelles le distributeur ou le prestataire de services s’oblige à rendre au fournisseur des services distincts de ceux visés aux alinéas précédents.

La « loi Châtel » précise qu’elle peut donner lieu à l’établissement d’un document unique ou consister en un ensemble formé par un contrat-cadre annuel et des contrats d’application. Elle impose la conclusion de sa négociation avant le 1er mars ou dans les deux mois qui suivent la passation de la première commande pour les relations commerciales établies en cours d’année.

5. Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (dite « Loi LME ») : cf. infra.

6. Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (dite « Loi Hamon »)

Quoiqu’ayant d’abord pour objet un encadrement des relations entre professionnels et consommateurs, la « loi Hamon » comporte également quelques dispositions destinées à mieux formaliser les négociations entre fournisseurs et distributeurs au plan contractuel.

Ainsi, tout en ne modifiant pas les délais de paiements, fixés à 60 jours par la loi LME ([23]), le texte prévoit le montant des amendes en cas de violation des plafonds.

En premier lieu, la « loi Hamon » précise et étend les obligations s’attachant à la conclusion de la convention écrite unique créée par les « lois Châtel et LME ». La signature doit intervenir avant le 1er mars de chaque année ou, « pour les produits ou services soumis à un cycle de consommation particulier », « deux mois avant le point de départ de la période de commercialisation ». Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 441-7 du code de commerce précise que la convention unique doit notamment mentionner :

– le barème des prix tels que communiqué dans les conditions générales de vente ayant servi de base aux négociations commerciales ;

– les conditions de l’opération de vente des productions et les éventuelles réductions de prix (rabais, remises et ristournes) ;

– les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services dans lesquelles s’effectue la coopération commerciale (en précisant pour chacune d’entre elles l’objet, la date prévue, les modalités d’exécution et rémunération).

La « loi Hamon » dispose que la rémunération des services relatifs à la revente des produits ou services aux consommateurs ou aux professionnels, ainsi que la réduction globale de prix afférente aux autres obligations destinées à favoriser la coopération commerciale, « ne doivent pas être manifestement disproportionnées par rapport à la valeur de ces obligations ».

De surcroît, le texte impose d’inscrire dans la convention une clause de renégociation des prix en cas de fluctuation des prix des matières premières agricoles et alimentaires.

En second lieu, la « loi Hamon » renvoie à des contrats de mandat confiés au distributeur ou au prestataire de services l’établissement des avantages promotionnels que, le cas échéant, le fournisseur peut s’engager à accorder en cours d’année aux consommateurs.

En application de l’article L. 441-7 du code de commerce, le distributeur ou le prestataire de services est tenu de répondre de manière circonstanciée à toute demande écrite précise du fournisseur portant sur l’exécution de la convention dans un délai de deux mois.

En dernier lieu, la « loi Hamon » consacre en droit deux nouvelles pratiques abusives : les demandes abusives de compensation de marge ; la facturation de produits à un prix différent du prix convenu.

Par ailleurs, la « loi Hamon » renforce les pouvoirs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) et de l’Autorité de la concurrence. Elle étend des pouvoirs d’enquête, alourdit les sanctions en cas de refus de coopération dans le cas des enquêtes de concurrence ; elle confère un pouvoir d’injonction aux agents habilités et permet aux agents de la DGCCRF de prononcer des amendes administratives.

7. Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « Loi Macron »).

En premier lieu, en insérant un article L. 441-7-1 dans le code de commerce, la « loi Macron » impose la conclusion d’une convention unique entre le fournisseur et le grossiste répondant aux mêmes formalismes et devant comporter les mêmes mentions que celles prescrites pour la grande distribution.

Les marques de distributeurs sont désormais concernées par la renégociation des tarifs en cas de variation du cours des matières premières, telle que prévue par la loi Hamon et inscrites à l’article L. 441-8 du Code de commerce.

En second lieu, le nouvel article L. 462-10 du même code impose désormais la notification à l’Autorité de la Concurrence – à titre informatif – « au moins deux mois avant sa mise en œuvrant, de tout accord visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs » ([24]).

Dans la rédaction adoptée par le Parlement, le texte permettait à l’Autorité de la concurrence de prononcer en France métropolitaine ([25]), sous certaines conditions, des injonctions structurelles imposant la modification des accords ou la cession d’actifs d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises, en cas d’existence d’une position dominante et de détention d’une part de marché supérieure à 50 % par cette entreprise ou ce groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail. Cette disposition a cependant été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle portait atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.

En dernier lieu, l’article 34 de la « loi Macron » porte à 5 % du chiffre d’affaires les amendes encourues en cas de pratiques restrictives de concurrence ([26]) mentionnées aux articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 du code de commerce.

8. Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin II »)

D’une part, la loi « loi Sapin II » autorise la conclusion de conventions uniques ayant une portée pluriannuelle (d’un à trois ans). La convention doit alors fixer les modalités de révision des prix. Modifiant l’article L. 441-7-1 du code de commerce, l’article 107 permet « la prise en compte d’un ou de plusieurs indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production ».

D’autre part, l’article 101 de la loi élargit le champ des pratiques restrictives de concurrence (article L 442-6 du code du commerce) en y incluant :

– le fait d’imposer dans la convention unique des clauses de révision ou de renégociation des prix par référence à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou prestations de services concernés par cette convention ;

– le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des pénalités pour retard de livraison en cas de force majeure ([27]) ;

En outre, aux termes de la « loi Sapin II », relève d’avantages sans contrepartie le financement d’opérations de promotion et la rémunération de services rendus par une centrale internationale regroupant les distributeurs.

Enfin, l’article 110 porte à 5 millions d’euros le montant maximal de l’amende civile encourue pour les pratiques restrictives de concurrence mentionnées à l’article L. 442‑6 du code de commerce ; il pose le principe de la publication systématique des jugements sanctionnant ces pratiques.

Par ailleurs, la « loi Sapin II » renforce les mesures relatives aux négociations commerciales agricoles par le biais de mécanismes de transparence sur les prix et un renforcement de la contractualisation. La loi introduit notamment, lorsque la contractualisation a été rendue obligatoire, l’obligation de conclure un accord-cadre entre les acheteurs et les organisations de producteurs, avant la conclusion de contrats individuels. L’accord-cadre porte notamment sur l’ensemble des clauses de prix, les engagements en termes de volume et les modalités de négociation périodique des volumes et des prix.

Source : Commission d’enquête.

Inspirée par les réflexions conduites dans le cadre des États généraux de l’Alimentation ([28]), la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 (dite « loi EGalim ») ([29]) marque la volonté réaffirmée des pouvoirs publics d’établir un juste équilibre dans les relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs.

La concrétisation rapide du nouvel engagement de l’État en faveur d’un assainissement des pratiques et d’un nouveau partage de la valeur ajoutée se révèle aujourd’hui indispensable, eu égard à deux constats assez largement partagés au fil des travaux de la commission : d’une part, les effets rémanents
– et pas nécessairement maîtrisés – de la loi de modernisation de l’économie ; d’autre part, une baisse durable des tarifs d’achat à peine tempérée par les engagements pris dans le cadre des États généraux de l’alimentation.

a.   La loi de modernisation de l’économie : un dispositif en faveur de la concurrence ayant plus que rempli ses objectifs

Promulguée alors que l’activité hexagonale subissait un fort ralentissement sous les effets de la crise financière de 2007, la loi de modernisation de l’économie (dite « loi LME ») ([30]) visait à accroître la croissance potentielle du pays par un développement de la concurrence. Ce faisant, les pouvoirs publics poursuivaient deux objectifs : stimuler le dynamisme de l’activité ; modérer l’augmentation des prix et conforter le pouvoir d’achat.

En dehors de l’assouplissement de la réglementation des soldes, ces mesures consistent principalement à étendre la latitude donnée aux fournisseurs de négocier les conditions de vente ([31]).

En abrogeant l’interdiction des pratiques discriminatoires injustifiées portée par l’ancien article L. 442-6 du code de commerce, la LME pose le principe de la libre négociabilité des conditions générales de vente (CGV), sauf sur certains points des conditions de règlement. Si les CGV « constituent le socle de la négociation commerciale », les conditions particulières de vente (CPV), non soumises à l’obligation de communication, sont autorisées, désormais sans justification. Les négociations peuvent ainsi se solder par l’octroi de conditions tarifaires différentes entre deux clients en situation comparable, et non justifiées par des contreparties réelles. La LME supprime aussi l’obligation de justifier des conditions particulières de vente par « la spécificité des services rendus ». Ce faisant, elle revient sur le principe de non-discrimination tarifaire consacrée par l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

Néanmoins, la loi impose une convention écrite ayant deux finalités : préciser les obligations du distributeur en contrepartie des ristournes et remises consenties par le fournisseur par rapport aux CGV ; indiquer les « obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale » ([32]).

En outre, le prix des « services distincts » (autrement dit les « marges arrières ») proposés par le distributeur et couverts par la convention annuelle doit apparaître sur la facture des fournisseurs : cette dernière doit en effet indiquer « les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services » ([33]).

Par ailleurs, la LME aboutit à la suppression de la procédure d’autorisation préalable pour l’installation de commerces d’une surface inférieure à 1 000 mètres carrés de superficie pour les communes de plus de 20 000 habitants ([34]). La révision des seuils fixés par la « loi Raffarin » poursuit l’objectif de stimuler la concurrence entre distributeurs en permettant l’ouverture du marché à de nouveaux acteurs. De l’avis des observateurs, cette mesure aurait notamment favorisé l’installation des enseignes de hard-discounters tel Aldi ou Lidl.

Certes, l’impact exact de la LME sur les prix, notamment les prix alimentaires, donne lieu depuis plusieurs années à des discussions nourries.

 

Dans son rapport publié en décembre 2009, la Sénatrice Élizabeth Lamure concluait ainsi que « l’impact de la LME en matière de prix rest[ait] difficile à analyser » ([35]). Les réponses apportées alors par le ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi faisaient ainsi état d’une baisse du prix des produits de grande consommation de 0,65 % au premier semestre 2009.

En analysant l’évolution des prix entre 2006 et 2010, un rapport commandé par le ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique en 2016 ([36]) établit pour sa part que la LME a fait baisser les prix des produits alimentaires de marque nationale de 2,33 % par rapport aux prix des marques distributeurs – MDD –. D’après ces travaux, certaines catégories de produits apparaissent plus touchées comme les œufs (– 5,9 %), les confiseries (– 4,57 %), les sucres et édulcorants (– 8,53 %), la viande de porc fraîche (– 6 %), les chips
(– 9,39 %) ou les conserves (– 4,56 %).

Au-delà, il s’avère que la LME modifie très profondément la logique des négociations commerciales qui prévalait depuis lors, notamment sous l’effet de la loi Galland.

Dans le cadre de cette dernière, si un distributeur demandait des conditions sortant des CGV, le fournisseur pouvait invoquer l’existence d’une discrimination pour les refuser. Face à toutes ces restrictions, le distributeur ne pouvait diminuer le coût de ses achats qu’en facturant par ailleurs des services annexes (promotions, catalogues, actions commerciales diverses) qui allaient donner lieu à ce qu’on a appelé les « marges arrières ». Dans l’incapacité de négocier les prix des produits, il se rattrapait sur ces « marges arrières ».

L’abandon du principe de non-discrimination incite en revanche, en particulier dans le cas de produits substituables, à la conduite d’une négociation fondée sur la puissance d’achat et sur la place dans le circuit de distribution. Il en résulte, ainsi que l’a montré le rapport remis au ministère de l’Économie, de l’industrie et du numérique en 2016, un bouleversement potentiel des rapports susceptibles d’exister entre fournisseurs et distributeur propice à une baisse des prix ([37]).

b.   Une déflation durable des tarifs d’achat à peine tempérée par les engagements pris dans le cadre des EGALIM

● De fait, la période janvier 2014-janvier 2019 se caractérise, en France, par un recul continu – quoique de plus en plus atténué – des tarifs d’achat des produits de grande consommation auprès de la grande distribution.

Évolution GLOBALE de l’INFLATION DES PRODUITS DE GRANDE CONSOMMATION ET DES PRODUITS FRAIS LIBRE SERVICE ENTRE 2014 et 2019

2014

2015

2016

2017

2018

2019

- 1,8 %

- 1,5 %

- 1,3 %

- 0,6 %

- 0,3 %

+ 0,1 %

Source : Nielsen Note d’inflation – Full coverage

Comme le montre le graphique ci-après, ce constat vaut tout particulièrement pour les grandes marques. D’après les données dont ont fait état les représentants de la société Nielsen, celles-ci accusent en cinq ans une baisse cumulée de leurs prix comprise entre 13 % et 15 %. Mais le mouvement déflationniste affecte également des marques d’autres industriels.

Pour leur part, les marques distributeurs (MDD) enregistrent essentiellement des hausses de tarif ou demeurent stables au cours des cinq dernières années. D’après l’analyse développée devant la commission d’enquête par la responsable de Nielsen France, cette évolution reflète deux besoins des grandes surfaces : d’une part, compenser l’impact sur leur rentabilité de la « guerre des prix » pesant sur les ventes de grandes marques, par une sorte de « péréquation tarifaire » ; d’autre part, limiter la concurrence et l’implantation sur le marché français des hard-discounters par l’offre de produits à prix plus bas.

Évolution des prix des produits de grande consommation
et des produits frais libre service

Source : Nielsen Note d’inflation – Full Coverage- réponse au questionnaire de la commission d’enquête

Au-delà de cette tendance générale, il s’avère que la déflation observée en France entre 2014 et 2019 peut revêtir une certaine acuité pour certaines catégories de produits. Il en va ainsi en ce qui concerne les produits de grande consommation, notamment alimentaires.

D’après les chiffres de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), la baisse des prix constatée entre 2013 et 2018 pour cette filière s’élève à 6,1 % et atteint 17 % pour les grandes marques.

Évolution GLOBALE de l’INFLATION DES PRODUITS DE GRANDE CONSOMMATION ET DES PRODUITS FRAIS LIBRE SERVICE ENTRE 2014 et 2019

2013

2014

2015

2016

2017

2018

▲2013/2018

- 0,6 %

- 1,8 %

- 1,5 %

- 1,3 %

- 0,6 %

- 0,3 %

- 6,1 %

Source : Association nationale des industries alimentaires d’après une étude Nielsen.

Pour ce qui concerne les produits non-alimentaires, les représentants de l’Institut de liaison et d’études d’industries de consommation (ILEC) estiment la déflation à 13 % entre 2014 et 2018.

● Dans une certaine mesure, les premières statistiques disponibles quant à l’exercice 2019 peuvent laisser augurer de la fin de cet épisode déflationniste. Néanmoins, le redressement des prix observés se révèle limité et inégal entre catégories de produits et filières.

D’après l’étude analysée devant la commission d’enquête par les représentants de Nielsen, entre février et fin avril 2019, on constate une inflation moyenne de 0,3 % des prix au consommateur sur l’ensemble des produits de grande consommation vendus en grandes et moyennes surfaces (GMS).

Le graphique ci-après montre que cette progression tient essentiellement à l’évolution du prix des grandes marques (+ 0,3 %). Suivant l’étude réalisée par Nielsen sur un panel des 15 000 références les plus vendues, le prix des 100 premières marques nationales qui représentent 5 % du chiffre d’affaires des produits de grande consommation et frais libre-service (PGC/FLS) augmente de 5,7 %.

En revanche, les statistiques rendent compte d’une légère érosion du prix des MDD (- 0,2 %) depuis février 2019. D’après les analyses développées devant la commission, cette modération participe de la péréquation tarifaire développée par la grande distribution afin de compenser la hausse du prix des marques nationales engendrée par la pleine entrée en vigueur du relèvement du seuil de vente à perte décidée dans le cadre de la loi EGAlim ([38]).

 

Du point de vue des catégories de produits, il apparaît que certains rayons voient leur prix fortement augmenter, à l’instar du surgelé salé (+ 4,9 %), de l’épicerie salée (+ 4,6 %), de l’épicerie sucrée (+ 3,3 %) ou des boissons alcoolisées ou non alcoolisées (+ 2,9 %). En revanche, on observe une déflation sensible en ce qui concerne les rayons hygiène beauté (– 1,9 %), entretien (‑ 2,7 %) ou papier (– 2,9 %). Le recul des prix de ces rayons corrobore l’idée suivant laquelle la grande distribution tendrait à utiliser les produits « droguerie-parfumerie-hygiène » comme des produits d’appel afin de se positionner vis-à-vis de leurs compétiteurs.

On notera que s’agissant des seuls produits alimentaires vendus sous marque nationale, l’Observatoire des négociations commerciales évalue à
- 0,4 % la baisse des tarifs « 3 net » négociés entre la grande distribution et ses fournisseurs pour l’exercice 2019.

● En soi, l’évolution des prix d’achat et des prix consommateurs des produits vendus par la grande distribution peut trouver certaines justifications rationnelles.

Ainsi que l’a relevé M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution, on peut concevoir qu’« un produit qui a été amorti sur quatre ou cinq ans se vend moins cher les années suivantes » et que des baisses de coût puissent être répercutées sur le consommateur. De fait, celui-ci exige davantage de qualités, des produits plus innovants, qu’il est prêt à payer plus cher.

Du reste, comme l’ont souligné plusieurs intervenants devant la commission d’enquête, il convient de prendre en considération l’effet « matières premières ». L’évolution du cours des ventes des produits bruts
– souvent à l’échelle mondiale – affecte en effet nécessairement les modalités de production et de commercialisation d’un certain nombre de références, en particuliers dans le domaine alimentaire.

Cette évolution des cours peut constituer un argument dans la négociation commerciale, ainsi qu’on a pu le constater s’agissant des marques tributaires du cours du sucre (en chute de 50 % depuis deux ans), du café (en diminution de 19 % en 2018), ou du cours du porc (en augmentation du fait de l’épidémie de fièvre porcine en Chine), lesquels connaissent des évolutions erratiques.

● Cela étant, la déflation encore récemment observée en France dans la négociation des tarifs d’achat constitue aussi la marque d’un système de distribution très concurrentiel susceptible d’exercer une pression sur les prix.

Certes, au regard des études Eurostat, le niveau des prix des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées en France apparaît assez nettement au-dessus de la moyenne observée à l’échelle du continent européen. L’indice des prix s’élève ainsi à 115 en 2018 (pour une moyenne européenne à 100).

Mais il apparaît également que sur la période 2014-2018, la France conserve sa position intermédiaire parmi les pays dont l’indice dépasse la moyenne européenne tandis que le niveau des prix des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées progresse modérément ([39])

Du reste, ainsi que le soulignait M. Michel Biero, directeur exécutif achats et marketing de Lidl France, la comparaison entre les marchés ne va pas de soi eu égard aux différentes observées dans les habitudes de consommation, de vente et d’achat. Il convient également de prendre en considération le poids et la structure des taxes et charges propres à chaque État. Dès lors, l’évolution des indices relatifs au niveau des prix des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées ne donne pas nécessairement le moyen d’apprécier l’exacte intensité concurrentielle de chacun des systèmes de distribution européens.

 

Niveaux de prix comparatifs
des produits alimentaires et boissons non alcoolisÉes en 2018

En soi, la grande stabilité des prix constatés en France peut fournir l’indice d’une certaine capacité du système de la grande distribution, avec l’industrie agroalimentaire notamment, à absorber les effets de l’instabilité des cours agricoles. Tel est le point de vue de M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), qui estime que les tensions existantes entre industrie et grande distribution tiendraient davantage à cette nécessité qu’à des chocs concurrentiels.

● L’analyse développée par d’autres intervenants donne à penser que la modération des prix met également en lumière le pouvoir de négociation dont dispose la grande distribution face à ses fournisseurs.

Cette conclusion découle assez naturellement, en premier lieu, du constat d’un écart sensible entre l’évolution des prix d’achat évoquée précédemment et les demandes tarifaires dont il a été fait état devant la commission d’enquête : d’après les déclarations des représentants de plusieurs grandes enseignes, les hausses présentées par les fournisseurs depuis trois ans auraient abouti à une inflation des prix comprise entre 14 % et 15 %.

En second lieu, l’état du rapport de force entre fournisseurs et grandes surfaces et la propension de ces dernières à établir une concurrence fondée sur les prix peut se mesurer au résultat même des relations commerciales.

Suivant les éléments communiqués par M. Richard Panquiault, directeur général de l’ILEC, 79 % des 400 négociations observées depuis 2014 par son organisme se sont soldées par une baisse du tarif net des ventes par les industriels aux distributeurs. En ce qui concerne les produits non-alimentaires, ce taux atteint 93 % des négociations observées.

Au terme des négociations 2019, les chiffres communiqués par les représentants des grandes enseignes tendent à démontrer l’importance toujours prépondérante des accords signés en déflation. Cette tendance affecte certes l’industrie agroalimentaire et mais prend un relief tout particulier pour les fournisseurs des rayons « droguerie-parfumerie-hygiène » (DPH).

tarifs nÉgociés par quelques grandes enseignes en 2019

Source : Commission d’enquête d’après les éléments communiqués en audition.

● Au-delà de la nécessaire adaptation des enseignes aux changements observés dans les modes de consommation et l’économie des produits qu’elles distribuent, la persistance de demandes déflationnistes caractérise, à bien des égards, l’existence d’une « guerre des prix ». À qui en attribuer la responsabilité ?

La réponse ne va pas de soi et il existe bien des controverses à ce sujet. Ainsi que l’a rappelé, en réfutant toute polémique, M. Hervé Daudin, directeur des activités marchandises et président d’Achats Marchandises Casino, certains observateurs ont imputé sa relance, en 2013-2014, par la réduction drastique des prix opérée par l’enseigne Géant, propriété du groupe Casino.

En réalité, il apparaît que la « guerre des prix » a pu connaître des relances successives du fait des initiatives prises par les acteurs du secteur. Chacun peut penser ici à des opérations promotionnelles spectaculaires, telles que la vente par Intermarché, en janvier et février 2018, de pots de Nutella à un prix réduit de 70 %.

Les analyses recueillies par la commission d’enquête donnent à penser que la concurrence a pu conduire à une certaine surenchère dans la baisse des prix. Cela étant, il ne parait pas hors de propos d’estimer que la part de marché détenue par les principales enseignes françaises a pu conférer à leur politique tarifaire et promotionnelle un effet d’entraînement ou d’alignement propre et un rôle particulier dans le déroulement de la « guerre des prix ».

● Au-delà, les effets de cette concurrence entretenue sur le marché de la grande distribution posent la question de la destruction de valeur que pourraient occasionner les relations commerciales avec les fournisseurs.

Certes, cette notion a donné lieu à des appréciations divergentes devant la commission d’enquête. Du point de vue de M. Jacques Creyssel, délégué général de la FCD, la « guerre des prix » ne s’est pas traduite par une destruction de valeur, mais « par un transfert massif au profit des consommateurs et par une augmentation très forte de la consommation alimentaire ». Telle n’est pas l’analyse d’autres acteurs des relations commerciales avec la grande distribution. Ainsi, suivant les données produites par l’ILEC, la déflation des prix d’achat constatée en France entre 2014 et 2019 aurait abouti au transfert de l’équivalent de 1,8 milliard d’euros des industriels aux distributeurs (accords internationaux inclus). S’agissant plus particulièrement des produits de grande consommation alimentaires, l’ANIA évalue à 5,5 milliards d’euros le montant de la valeur perdue pour la filière qu’elle représente.

Pour sa part, le rapporteur estime que la « guerre des prix » ne saurait contribuer à la création de valeur dès lors qu’elle porte atteinte à l’équilibre économique de nombreux producteurs implantés ou investissant sur le territoire national.

Il ressort ainsi de l’état des lieux dressé par l’ensemble des industriels auditionnés que les tarifs revendiqués par les enseignes ne contribuent pas nécessairement au maintien de leur rentabilité et à l’évolution de leurs coûts de production. Ce constat s’avère relativement partagé, entre groupes d’envergure mondiale et entreprises plus nationales, entre fournisseurs de l’agroalimentaire ou du rayon DPH.

Implantés en France ou à l’étranger, les industriels ont mis en exergue devant la commission d’enquête le recul assez prononcé de leurs tarifs d’achats et de leur profitabilité, à raison de la « guerre des prix » que la grande distribution a pu contribuer à entretenir. Il en résulte pour certaines une baisse du chiffre d’affaires, une nette réduction des marges, voire l’incapacité à être rentable sur le territoire national. Or, la comparaison réalisée avec les résultats obtenus par d’autres filières de certains groupes conspire à réduire l’attractivité économique du pays. En dernier lieu, certains industriels jugent que la « guerre des prix » affecte de manière croissante leur capacité d’investissement en recherche et développement, dans le déploiement d’une force de vente quand ils n’évoquent pas des risques pour le maintien de leurs sites de production. D’autres constatent même un retentissement sur les budgets consacrés à la publicité dans les médias pour les produits de leur secteur.

Certes, la commission d’enquête ne se trouve pas en mesure d’examiner chacune des situations individuelles qui lui ont été exposées et qui, fondamentalement, peuvent dépendre de l’état des marchés et du positionnement des entreprises.

Néanmoins, la probabilité que la « guerre des prix » lancinante se solde par une destruction de valeur paraît grande dès que lors les demandes tarifaires acceptées ne tiennent pas compte de l’évolution des charges. S’il demande à être étayé filière par filière, cet écart transparaît encore dans les résultats des négociations 2019 : d’après les chiffres présentés par M. Dominique Amirault, Président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), alors que les prix d’achat enregistrent une nouvelle déflation de 0,4 % pour la filière alimentaire, les coûts augmentent de 2 % à 3 % selon les secteurs.

Ainsi que le démontrent les données analysées par Nielsen, la création de valeur qui peut aujourd’hui subsister dans les relations commerciales entre fournisseurs et grande distribution tient pour beaucoup à l’arrivée de nouveaux produits en magasins et à l’« effet de mix ». La progression des prix ne joue qu’un rôle mineur.

D’après la définition donnée par Mme Anne Haine, directrice générale de Nielsen France, l’effet « mix produit » correspond à la part de progression des prix découlant de l’évolution de la structure du panier d’achat et à sa montée en gamme. La valeur dégagée dépend de la propension à consommer davantage de produits de marques (payés un peu plus cher mais plus accessibles), de produits en promotion (rendus plus intéressants) et des produits « valorisants » par leurs prix. Le renchérissement du prix du panier – et donc la création de valeur – se justifie par l’offre de produits plus compliqués à concevoir ou dont la matière première est plus chère.

Les statistiques produites par Nielsen devant la commission d’enquête ([40]) évaluent à 2,1 % la progression de l’« effet mix » pour un « effet prix » de + 2,3 %. L’autre composante de cet agrégat, l’effet inflation (soit la variation des prix sur étiquette), se limite à 0,2 % pour les quatre premiers mois de 2019.

● En dernier lieu, il convient de constater une certaine difficulté de la part de certains acteurs de la grande distribution à traduire en actes les engagements pris auprès des filières agricoles en marge des États généraux de l’alimentation.

Certes, les grandes enseignes ne jouent pas nécessairement un rôle premier dans la chaîne de valorisation des produits.

Celle-ci repose d’abord sur les rapports économiques existant entre producteurs agricoles et industriels transformateurs – ce qui pose la question du degré d’organisation des filières et de la propension des acteurs à contractualiser leur rapport. S’agissant des produits laitiers, certains organismes auditionnés par la Commission d’enquête ont ainsi pu insister sur la relative faiblesse du nombre des contrats tripartites qui, selon eux, nuit à la transparence des relations commerciales.

En outre, une partie parfois importante de la production ne reste pas nécessairement sur le marché français et n’a pas nécessairement pour destinataire final un circuit de la grande distribution. Il en va ainsi du lait dont 40 % des volumes partent à l’exportation. On notera également que le prix d’autres produits agricoles se révèle tributaire de l’évolution des cours mondiaux. Ceci s’explique par le fait que les matières agricoles forment désormais un « marché de commodités », ainsi que l’a souligné au cours de son audition M. Philippe Chalmin, président de l’OFPM. À cet égard, on peut citer l’évolution du prix du porc.

Pour autant, les éléments recueillis par la commission d’enquête semblent attester que certains acteurs de la grande distribution ne participent pas autant qu’attendu à la revalorisation des filières agricoles.

Au-delà des quelques accords de coopération directe en filières courtes, il convient en effet de constater que les prix proposés peuvent varier sensiblement entre enseignes et ne correspondent pas nécessairement à l’évolution des coûts.

Pour ce qui concerne le lait, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL) évaluait le prix de revient moyen, validé par l’interprofession, à 396 euros les 1 000 litres. Or, aujourd’hui, le prix payé aux producteurs s’échelonne entre 325 euros et 375 euros.

Cet échelonnement tient naturellement aux tarifs obtenus auprès des industriels mais découle également des négociations commerciales entre ces derniers et la grande distribution. D’après les informations recueillies par le rapporteur, certaines enseignes, telles qu’Intermarché, ont conclu des accords permettant une revalorisation des prix effectivement perçus par les laiteries et producteurs, par rapport aux chiffres constatés en 2018 par FranceAgriMer (soit un prix payé de 338 euros pour 1 000 litres de lait).

S’agissant en revanche du porc, plusieurs intervenants dont M. Richard Girardot, président de l’ANIA, ont pu faire état, au moment de leur audition, du refus de certains distributeurs de conclure des accords en hausse sur la viande de porc, alors que le cours de cette dernière dépasse le prix d’1,50 euros le kilo.

Du reste, il apparaît que les acteurs de la grande distribution tendent à maintenir à l’égard des industries agroalimentaires les exigences et les méthodes qu’elles ont pu appliquer au plus fort de la « guerre des prix ».

Dans le secteur du lait, certains industriels reçus par la commission d’enquête ont ainsi indiqué que malgré la loi EGAlim, la négociation ne démarre pas du tarif, ou très difficilement, ni des conditions de vente du fournisseur. Aujourd’hui, la discussion porte d’abord sur le « trois net » de l’année passée ; les CGA des distributeurs sont très difficilement négociables et imposent notamment des pénalités logistiques importantes et en augmentation ([41])

Dans cette même logique, il convient de noter que certaines enseignes tendent à maintenir une pression tarifaire par des positionnements opportunistes sur des segments de marché en pleine croissance. Ce constat vaut tout particulièrement pour les produits issus de l’agriculture biologique.

Pendant quelques semaines, à l’occasion d’une opération promotionnelle, on a ainsi pu trouver chez Carrefour, dans le même linéaire, un litre de lait bio MDD à 78 centimes et un litre de lait conventionnel à 99 centimes voire 1 euro. Le lait entier bio Carrefour se vend à 99 centimes le litre. Or, le même lait entier bio Lactalis se vend 1,45 euro le litre. Le constat de prix également inférieurs au lait conventionnel a pu être établi en 2019 dans d’autres enseignes telles que les centres E. Leclerc.

D’un point de vue de la concurrence existant au sein de la grande distribution, on peut sans doute concevoir l’intérêt de prix d’appel permettant d’attirer des consommateurs de plus en plus enclins à acheter des produits bios.

Pour autant, cette politique apparaît profondément destructrice de valeur en ce qu’elle brouille les repères sur les prix propres à chacun des produits et porte préjudice au développement d’une filière industriel dont les coûts de production ne correspondent en rien avec des tarifs imposés.

2.   Des négociations commerciales toujours aussi âpres et façonnées par la recherche d’un abaissement des tarifs d’achat

Par son dispositif, la loi EGAlim vise à traduire deux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics dans un souci de rééquilibrage des relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs : d’une part, accroître la portée des dispositions légales destinées à formaliser leurs négociations ; d’autre part, proposer de nouveaux outils incitatifs pour une meilleure transparence et un partage plus juste de la valeur ajoutée.

S’agissant des relations commerciales, les principales orientations et mesures consistent à :

 organiser l’inversion de la construction du prix ([42]) : la proposition de contrat écrit doit émaner du producteur agricole et celui-ci peut donner mandat à une organisation interprofessionnelle pour ce faire ;

 donner compétence aux organisations interprofessionnelles d’élaborer et de diffuser des « indicateurs de référence » des coûts de production et des indicateurs de marché pour les aider dans les négociations commerciales ; les contrats et accords-cadres conclus avec les producteurs agricoles pour la revente de leurs produits doivent prendre en compte ces indicateurs ;

– prévoir des contrôles et de sanctions en cas de non-respect des dispositions relatives aux contrats écrits et accords-cadres ;

– créer l’office de médiateur des relations commerciales agricoles et favoriser le renforcement des procédures de médiation ([43]) ;

– intégrer une clause de renégociation de prix dans les contrats dont l’exécution excède une durée de trois mois, en cas de fortes variations du coût des matières premières et de l’énergie : la loi précise que cette clause, définie par les parties, doit prendre notamment en compte les indicateurs de référence mentionnés à l’article L. 631-24-1 du code rural ; la négociation doit être conduite de bonne foi, dans le respect du secret des affaires, ainsi que dans un délai qui ne peut être supérieur à un mois ; en l’absence d’accord, la loi impose de saisir le médiateur des relations commerciales agricoles.

– permettre le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % par ordonnance, pour une durée de deux ans ;

– établir un encadrement (en valeur et en volume) des opérations promotionnelles financées par le distributeur ou le fournisseur portant sur la vente au consommateur de denrées alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie : la loi habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin d’en définir les seuils, ainsi que les sanctions administratives permettant d’assurer l’effectivité de ces dispositions ; la mesure doit s’appliquer pour une durée de deux ans ;

 prévoir l’établissement d’un « bilan concurrentiel » en cas d’accord visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs ([44]) ;

– engager la refonte par ordonnance des dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce ([45]) : sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, le Parlement autorise le Gouvernement à prendre notamment des mesures de simplification et de coordination ; l’habilitation porte aussi sur l’élargissement du champ des dispositions relatives à l’interdiction de prix de cession abusivement bas afin de la rendre plus effective.

Chacun conviendra qu’il ne saurait être question d’extrapoler sur l’impact de ce nouveau dispositif sur la tenue des négociations commerciales 2019. Ainsi que le montrent les travaux de nos collègues Jean-Baptiste Moreau et Jérôme Nury, co-auteurs d’un premier rapport sur l’application de la loi EGAlim, la mise en place du nouveau dispositif normatif appelle encore l’édiction de quelques textes réglementaires pour être complète ([46]). Dans ces conditions, un délai apparaît sans doute nécessaire avant que les grandes enseignes et les fournisseurs n’en mesurent pleinement les droits et les obligations.

La pleine application de la loi apparaît toutefois impérative dès lors que le rapport de force que manifeste la « guerre des prix » précédemment évoquée favorise encore des pratiques d’autant plus critiquables qu’elles se révèlent peu propices à un partage équitable de la valeur.

a.   La persistance de rapports de négociation discutables entre fournisseurs et acheteurs

L’ensemble des témoignages recueillis par le Rapporteur tendent en effet à renouveler ce constat : à bien des égards, l’esprit et le déroulement des négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs en France tranchent souvent par leur âpreté et leur tension avec les discussions commerciales à l’étranger.

Pour M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) des produits alimentaires, ce particularisme français constituerait l’une des manifestations de l’absence foncière de confiance entre membres du corps social. Pour d’autres observateurs, le caractère psychodramatique des négociations et la dramaturgie qui les entoure participeraient d’une certaine culture professionnelle. Selon M. Olivier Lauriol, fondateur d’Arkose consulting, la grande distribution ferait preuve d’une certaine schizophrénie, « très axée sur la culture française, qui est méditerranéenne, relationnelle, un peu conviviale, parfois rude » et en même temps très rationnelle, notamment dans la défense de ses intérêts.

Quoi qu’il en soit, les témoignages de nombreuses personnes entendues par la commission renvoient une image assez contrastée des relations pouvant se nouer entre fournisseurs et distributeurs, notamment à l’approche de l’expiration des délais prévus par la loi pour la conclusion des négociations commerciales annuelles.

Certes, il semble que le mythe entourant le fameux « box de négociation » ait en partie vécu. D’après les éléments recueillis par la commission, les discussions entre fournisseurs et acheteurs se déroulent chez les distributeurs, dans des salles de réunion classique n’appelant pas d’observations particulières quant à leur agencement et à la température qui y règne.

Au cours de son audition, M. Jacques Creyssel, délégué général de la FCD, a indiqué que son organisation avait élaboré une charte censée être placardée dans chaque box et destinée à rappeler aux acheteurs des principes quant aux comportements qu’il convient d’adopter dans le respect des fournisseurs ([47]). Dans ce même objectif, la FCD devrait également proposer en 2020 un e-learning à l’intention de l’ensemble des acheteurs, « de manière à rappeler en permanence ces éléments dans le cadre de leur formation ».

En soi, de telles initiatives, de même que les démarches envisagées dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) peuvent utilement concourir à l’apaisement du climat général des négociations dont rend compte le bilan des contrôles réalisés par la DGCCRF pour les négociations 2019.

Toutefois, les démarches soutenues par certaines organisations interprofessionnelles et représentatives ne semblent pas exclure vraisemblablement la persistance d’échanges empreints d’une certaine dureté, voire fondés sur l’intimidation et la pression psychologiques. Suivant les observations de M. Olivier Lauriol, le box de négociation est « très clairement destiné à établir une influence psychologique, dans le cadre, recherché, des doutes permanents que l’industriel doit avoir sur sa pérennité dans l’enseigne et en même temps avec un encadrement de plus en plus précis, notamment du fait du cadre contractuel et des exigences des industriels, qui fait que la négociation doit rebasculer vers le rationnel ».

Devant la commission d’enquête, plusieurs représentants d’organismes interprofessionnels et représentants d’entreprises ont évoqué l’expression de menaces (de déréférencement ou de rupture des relations commerciales), voire de propos injurieux. La plupart évoquent une certaine dramaturgie des négociations, avec une phase paroxystique à quelques jours de la date butoir du 1er mars, avec ses échanges interrompus, ses temps d’attentes dans les locaux de la grande distribution et ses rendez-vous annulés ou reportés sine die.

En pratique, il ressort des témoignages portés à la connaissance du rapporteur une entrée de plus en plus tardive dans une véritable discussion des tarifs, ainsi qu’un manque de fluidité des échanges propres à susciter une certaine dramatisation des négociations commerciales.

Qu’il s’agisse d’entreprises de l’agroalimentaire ou du rayon « droguerie parfumerie hygiène » (DPH), la première étape consiste, entre juillet et septembre, à une revue marché. Dans ce cadre, des industriels sont appelés à examiner les résultats obtenus au cours du précédent exercice et de l’exercice en cours et à présenter leurs objectifs, leur stratégie de marché pour l’année suivante, ainsi que leurs éventuelles innovations. Les éventuelles discussions ne commencent que vers octobre, après l’envoi par les fournisseurs de leur proposition tarifaire. En application de la loi, les conditions générales de vente (CGV) doivent être envoyées avant le 1er décembre.

Devant la commission d’enquête, certaines entreprises ont indiqué n’avoir obtenu de réponse à leurs propositions et avoir engagé leurs discussions qu’en dernière extrémité. Tel est le cas d’un groupe de l’agroalimentaire dont les représentants ont été tenus de se rendre à Paris le 28 février pour mener en 48 heures la négociation du tarif annuel sur la base d’une demande adressée en janvier.

Du point de vue du rapporteur, une telle gestion du calendrier a pour conséquence de dramatiser inutilement la négociation et peut contribuer à réduire les possibilités de parvenir à des solutions négociées conformes aux intérêts des deux parties.

Dans cette optique, il estime qu’il conviendrait de favoriser une fluidité et des relations commerciales en formalisant et en anticipant mieux les échanges entre fournisseurs et distributeurs.

Ainsi que l’a rappelé M. Richard Girardot, président de l’ANIA, il s’agissait d’un usage assez répandu au sein des entreprises de la filière alimentaire. Certains signalements recueillis par le rapporteur donnent à penser qu’aujourd’hui, certains partenaires des négociations commerciales peuvent exprimer des réticences à voir consigner par écrit l’expression de désaccords ou de simples positions de négociation. Cette situation semble prévaloir indépendamment du poids économique des fournisseurs. Devant la commission d’enquête, les représentants d’une grande entreprise de l’agroalimentaire ont ainsi expliqué que certains de leurs clients « appréciaient moyennement » la pratique qui consiste à établir, à l’issue de chaque rendez-vous, un compte rendu retraçant l’ensemble des discussions et les points d’accord devant conduire à l’établissement du plan d’affaire, fût-ce par courriel.

Certes, l’établissement systématique de comptes rendus au fil des négociations peut représenter une lourdeur administrative suivant les moyens dont dispose chacune des parties. Mais le recours à l’écrit paraît également de nature à instaurer une relation commerciale plus transparente voire rationnelle. Le cas échéant, une telle pratique pourrait donner à la DGCCRF la capacité de s’assurer du respect des règles du formalisme contractuel, ainsi que de l’absence d’un déséquilibre contraire au droit de la concurrence.

C’est la raison pour laquelle le rapporteur préconise d’inscrire dans la loi l’obligation de motiver par écrit la demande de tarif, puis, dans un délai de quinze jours, la réponse sur le tarif par le distributeur qui doit assortir cette première justification d’une contre-proposition également écrite. Il s’agirait là d’une obligation établissant une juste réciprocité à la négociation commerciale et pesant donc à la fois sur le fournisseur et le distributeur.

Proposition n° 5 : Motiver par écrit la demande de tarif, puis, dans un délai de quinze jours, la réponse sur le tarif par le distributeur qui doit assortir cette première justification d’une contre-proposition également écrite.

Au-delà de comportements individuels, les pratiques critiquables encore observables dans les box invitent à s’interroger sur la politique des ressources humaines des grandes enseignes à l’égard de ceux de leurs salariés auxquels incombe la conduite effective des négociations commerciales. De fait, la situation respective des représentants des parties ne paraît pas sans conséquence sur le déroulement des échanges et peut objectivement fausser la tonalité et l’issue des discussions.

Devant la commission d’enquête, plusieurs représentants de fournisseurs – dont certains ont travaillé pour la grande distribution – ont décrit des acheteurs confrontés à des injonctions, parfois manifestement conduits à durcir leur position face à leurs interlocuteurs afin de remplir les objectifs assignés à la négociation. Selon d’autres témoignages, le comportement de certains d’entre eux pourrait même traduire une sensation de panique et certaines personnes auditionnées font même état de cas d’épuisement professionnel (burn out).

Beaucoup indiquent constater une assez grande rotation (turn over) des acheteurs, avec parfois un changement d’interlocuteur au cours d’une même négociation du côté des distributeurs. D’après les fournisseurs auditionnés possédant une certaine expérience des relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs, il s’agirait là d’un fait relativement nouveau et de plus en plus fréquent.

On objectera que ces signalements peuvent revêtir un caractère individuel et contingent. De fait, le management des acheteurs et la politique des ressources humaines varient manifestement parmi les acteurs de la grande distribution.

Toutefois, les documents recueillis par la commission d’enquête tendent à également à mettre en lumière l’existence d’incitations explicites ou implicites susceptibles de pousser les acheteurs à rechercher un abaissement des prix par tous les moyens.

En premier lieu, ces incitations peuvent prendre la forme de consignes ou lignes directrices diffusées par oral voire par écrit. Pour ce qui concerne les centrales d’achats ou de services regroupant plusieurs enseignes, notamment à l’international, les négociateurs sont censés agir sur le fondement de briefs communiqués par chacun des partenaires à l’alliance et établissant la ligne de négociation à l’égard d’un fournisseur.

Dans le cadre de ses travaux, la commission d’enquête n’a pas rassemblé les instructions diffusées à l’ensemble des acheteurs de la grande distribution. En revanche, a été produit au cours de ses auditions un document intitulé « Les Dix commandements » destinés aux acheteurs de Carrefour.

Certes, les informations recueillies ne permettent pas d’établir avec certitude ni le niveau hiérarchique dont émane ce document, ni son ancienneté ou son degré de validité. Mais son existence supposée ne peut que jeter un doute sur l’exacte portée des engagements pris par le groupe dans le cadre de sa démarche responsabilité sociale entreprise (RSE). Cette interrogation peut être exprimée à l’égard de l’ensemble des groupes de la grande distribution, si l’on en juge l’écart constaté par certaines personnes auditionnées entre les bonnes intentions exprimées dans le cadre des EGAlim et la réalité des rapports dans les box de négociation au début de l’exercice 2019.

En second lieu et de manière plus tangible, la position des acheteurs des enseignes paraît nécessairement conditionnée par les éléments de leur rémunération. De fait, ces derniers tendent à traduire les objectifs des grandes enseignes et leurs priorités dans la négociation auxquels leurs représentants doivent se conformer.

Réserve faite de la situation particulière des représentants des enseignes coopératives ([48]), le management des acheteurs repose sur le versement de primes variables dont les critères peuvent différer suivant la hiérarchie des attentes formulées par les enseignes, ainsi qu’au sein des centrales d’achat et de services.

Ainsi, d’après les éléments transmis à la commission d’enquête, l’attribution et le montant des éléments variables peuvent être appréciés au regard :

– de la contribution au développement du chiffre d’affaires et de la part de marché dans une catégorie de produits ;

– de l’évolution de la marge réalisée sur un marché au regard des objectifs assignés à la négociation ;

– du prix négocié sur un produit (à la hausse ou à la baisse suivant le positionnement de l’enseigne) ;

– du nombre de contrats (pluriannuels ou annuels) signés ;

– du respect des engagements pris par l’enseigne ou la centrale d’achat/de service à l’égard des fournisseurs ;

– de normes comportementales telles que l’esprit d’équipe, l’engagement personnel ou la défense des valeurs du groupe ou de la centrale d’achat/de service.

Au terme de ses travaux, la commission d’enquête n’a pu prendre connaissance de l’ensemble des régimes de rémunération applicables aux acheteurs. Toutefois, les exemples dont elles disposent tendent à montrer que dans la pondération affectée à ces critères, le respect d’objectifs quantitatifs axés sur la marge et le prix l’emporte nettement.

Or, ce conditionnement ne contribue pas nécessairement au développement du flux d’affaire et l’établissement d’un partenariat durable et confiant, finalité que semblent davantage poursuivre les distributeurs et les fournisseurs à l’étranger.

Aussi, le rapporteur estime indispensable une évolution de la politique salariale de la grande distribution tendant à réduire la part des éléments de rémunération variable assurée aux négociateurs en fonction de leur capacité à attendre des objectifs de tarif d’achat.

Il ne s’agit pas ici de méconnaître la responsabilité première des enseignes qui définissent les objectifs de la politique commerciale appliquée à l’égard des fournisseurs et donnent des instructions de négociation. Toutefois, conditionner le versement de compléments de salaire variable à l’obtention d’un prix en baisse ne place pas ces derniers dans la meilleure position afin de dégager des compromis acceptable et fructueux pour les deux parties. Dans une certaine mesure, une telle indexation tend à créer une « prime à la déflation » qui conduit à fausser l’évaluation de la performance des négociateurs et – potentiellement – pousse les acteurs à rigidifier leur position de manière artificielle.

Depuis quelques années, le secteur de la grande distribution réfléchit à une évolution de ses pratiques susceptibles de favoriser l’établissement de relations commerciales plus respectueuses et plus apaisées.

Dans cette démarche, le rapporteur préconise l’établissement d’une charte relative au métier de négociateur commercial fixant des lignes directrices quant à la structure de la rémunération variable et incitant à réduire la part des compléments de salaires conditionnés par la réalisation d’objectifs de prix dans les négociations avec les fournisseurs.

À défaut, sous réserve de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la liberté contractuelle, ainsi qu’à la liberté d’entreprendre ([49]), il conviendrait d’envisager la possibilité d’une disposition législative susceptible d’amener les acteurs de la grande distribution à renouveler la structure de la rémunération variable des négociateurs. A minima, cette incitation pourrait consister à ce que le législateur prévoit l’ouverture d’une négociation en vue d’une révision de l’accord de branche de la grande distribution ou de la conclusion d’un accord professionnel fixant des critères tels que la contribution à l’augmentation du chiffre d’affaires autour de la vente d’un produit.

Proposition n° 6 : Établir une charte relative au métier de négociateur des grandes surfaces incitant à réduire voire à supprimer les compléments de salaire dont le versement est conditionné par la réalisation d’objectifs relatifs aux tarifs d’achat. Le cas échéant, prévoir par la loi l’ouverture de négociations en vue d’une révision de l’accord de branche de la grande distribution ou de la conclusion d’un accord professionnel.

Rétablir un certain équilibre dans les relations commerciales implique également de limiter l’incidence négative que peut comporter, pour la capacité de négociation des fournisseurs, la rotation croissante des négociateurs de la grande distribution.

Certes, il ressort des auditions de l’ensemble des représentants des enseignes ainsi que des centrales d’achat que les contrats de travail des commerciaux comportent des clauses de confidentialité. Néanmoins, les éléments recueillis par la commission d'enquête ne permettent pas d’en mesurer l’exacte portée, ni d’exclure l’usage d’informations obtenues dans le cadre de négociations menées avec un fournisseur pour le compte d’un précédent employeur.

Devant cette incertitude, il ne parait hors de propos de réfléchir aux moyens de favoriser l’insertion plus systématique de clause de non-concurrence. Rappelons que ce type de clause tend à limiter la liberté d’un salarié d’exercer, après la rupture de son contrat, des fonctions équivalentes chez un concurrent ou à son propre compte. En l'état du droit, son insertion dans un contrat de travail relève de l’initiative d’un employeur dans la mesure où elle se justifie d’abord par la nécessité de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise.

Cela étant, du point de vue du rapporteur, l’existence d’une clause de non-concurrence peut également servir des motifs d’intérêt général et rendre concevable l’édiction d’un cadre législatif. On notera ainsi qu’en ce qui concerne les agents commerciaux, profession indépendante ([50]), l’article L. 134-14 du code de commerce rend possible l’insertion d’une clause de non-concurrence dans les contrats conclus avec les mandants.

Dans le même esprit que celui de la proposition précédente, le Rapporteur appelle les acteurs de la grande distribution à prévoir une clause de non-concurrence de manière systématique dans les contrats de travail de leur négociateur. Cet engagement pourrait parfaitement prendre sa place parmi les principes consacrés dans les chartes tendant à établir des relations commerciales plus respectueuses et apaisées.

Un autre moyen de favoriser cette pratique pourrait consister à compléter le code de commerce par une disposition consacrant expressément la possibilité d’insérer dans les contrats de travail des négociateurs des grandes surfaces.

À l’exemple de l’article L.134-14 du même code, cette disposition pourrait préciser les mentions obligatoires de cette clause, en consacrant les conditions de validité dégagées par la Cour de cassation (secteur géographique précis, durée d’application limitée, types de fonctions objet de la clause, modalités de calcul de l’indemnité justifiée par la restriction à la liberté d’exercice professionnel).

Proposition n° 7 : Favoriser l’insertion systématique de clause de non-concurrence dans les contrats de travail des négociateurs de la grande distribution par le biais d’engagements pris dans le cadre des chartes destinées à établir des relations commerciales plus respectueuses avec les fournisseurs. Inscrire la possibilité de telles clauses dans le code de commerce.

 

b.   Des pratiques commerciales peu propices à un partage équitable de la valeur ajoutée

Le 19 juillet 2019, le ministère de l’Économie et des Finances a assigné quatre entités du mouvement E. Leclerc devant le Tribunal de commerce de Paris. Outre le paiement d’une amende de 117,3 millions d’euros, il est demandé à la Justice de constater et de faire cesser des pratiques commerciales constitutives d’un « déséquilibre significatif » dans les droits et obligations des parties à un contrat de distribution. Sur la base de l’enquête menée depuis février 2018 par la DGCCRF, l’État reproche en l’occurrence aux établissements Leclerc d’utiliser leur centrale d’achat Eurelec Trading, implantée en Belgique, afin de contourner la loi française et d’imposer des baisses de tarif très importantes à leurs fournisseurs sans contreparties ([51]).

Évidemment, il n’appartient pas à la Représentation nationale de se prononcer sur le bien-fondé des griefs dont est saisi le tribunal. Mais au-delà du montant exceptionnel de l’amende, cette assignation mérite d’être signalée au moins à deux titres. En premier lieu, elle révèle la gravité des problèmes que posent aujourd’hui des alliances ou regroupements à l’achat constitués hors de nos frontières et susceptibles d’exercer des pressions considérables sur les fournisseurs de produits de grande consommation ([52]). En second lieu, l’assignation illustre la persistance de politiques ou d’agissements préjudiciables aux producteurs, qu’il s’agisse d’entreprises nationales ou multinationales.

De fait, les travaux de la commission d’enquête montrent qu’en l’état, les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs soulèvent au moins trois questions fondamentales : l’absence de clarté et d’équilibre dans les engagements au plan contractuel ; des mesures de contournement des dispositifs encadrant le partage de la valeur ajoutée ; les rapports établis dans la fabrication de marques distributeurs.

i.   Une inégale portée des engagements contractuels

Au-delà du caractère systématiquement déflationniste des demandes tarifaires ([53]), le premier écueil réside dans l’inégale portée des engagements pris par certains acteurs de grande distribution dans le cadre de la négociation commerciale et, plus précisément, quant au tarif.

D’après la situation décrite par M. Francis Armand, Médiateur des relations commerciales agricoles, les mauvaises pratiques découlant de contrats léonins, comportant des clauses pénales injustifiées, des clauses de rupture non équilibrées car identiques « pour petits et gros » tendraient à se raréfier.

Auprès de la commission d’enquête, certaines personnes auditionnées ont plutôt évoqué le refus des grandes enseignes de discuter d’éventuelles modifications dans les propositions de contrat. D’après leur analyse, il en résulte l’impossibilité d’aménager les conditions générales de vente et de prendre en considération l’évolution des coûts.

Plus fondamentalement, l’ensemble des fournisseurs interrogés soulignent l’absence de réelles contreparties aux efforts demandés sur le tarif. Selon l’analyse de Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), il s’agit là de la pratique la plus récurrente.

Apparaît également très problématique l’absence d’engagement précis quant au plan d’affaires et aux volumes faisant l’objet d’un engagement avec le distributeur.

Or, le plan d’affaire revêt une importance fondamentale en ce qu’il fixe des anticipations quant à l’exercice à venir : il est censé décrire les perspectives du marché, les objectifs du fournisseur, ainsi que la stratégie et les moyens qu’il se propose de mettre en œuvre afin de les atteindre. De même, la détermination d’un tarif rationnel ou raisonnable pour les deux parties exige nécessairement une certaine visibilité quant aux volumes écoulés. Ceux-ci conditionnent en effet très directement la marge dégagée sur la fabrication d’un produit, suivant les coûts de production fixes et variables, ainsi que les charges du fournisseur.

Les témoignages recueillis par la commission d’enquête donnent aujourd’hui à penser que la grande distribution répond aujourd’hui de manière très inégale à ce besoin de prévisibilité. Certains fournisseurs interrogés relèvent toutefois la plus grande précision et formalisation dans les documents établis par certaines enseignes notamment le groupe Carrefour.

L’importance de cette difficulté ne saurait être ignorée dès lors que le champ de la négociation et l’objet des négociations commerciales se déplacent et se complexifient. De fait, l’ensemble des fournisseurs auditionnés ne discutent plus uniquement d’un tarif dit « triple net » ([54]). Les négociations portent sur des tarifs « 4 nets », voire « 5 nets » avec la multiplication des stades de facturation et des prestations incluses, notamment dans le cadre du développement des centrales d’achat/de services à l’international ([55]).

Aussi, le rapporteur ne peut que préconiser de formaliser les engagements sur le plan d’affaires et des volumes associés afin d’asseoir la négociation des tarifs d’achat sur une base rationnelle.

Certes, l’article L. 441-4 du code de commerce impose déjà aux fournisseurs et distributeurs de produits de grande distribution de faire figurer le chiffre d’affaires prévisionnel dans la convention unique qu’ils doivent conclure au terme de la négociation commerciale ([56]). Il définit du reste le « plan d’affaires de la relation commerciale » comme résultant de l’association de ce chiffre d’affaires prévisionnel et des obligations convenues entre ces deux parties.

Toutefois, les prescriptions de l’article L.441-3 du même code quant à l’objet des obligations censées figurer dans la convention présentent une portée très générale. En effet, elles visent de manière générale « les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services, y compris les réductions de prix, et le cas échéant les types de situation dans lesquelles et les modalités selon lesquelles des conditions dérogatoires de l’opération de vente sont susceptibles d’être appliquées ».

Du point de vue du rapporteur, cette mention gagnerait à être précisée afin de donner toute sa portée au plan d’affaire en lui associant expressément une notion de volumes.

Un même besoin de prévisibilité et d’engagement peut se concevoir en ce qui concerne les innovations. Ainsi qu’ont pu le rapporter plusieurs industriels interrogés par la commission, proposer de nouveaux produits exige, de la part des fournisseurs, des investissements préalables souvent assez conséquents en matière de recherche et de développement. Mais la commercialisation de ces articles suppose également pour la grande distribution un certain nombre d’arbitrages dans l’évolution de l’assortiment proposé aux clients en cours d’exercice, les linéaires n’étant pas extensibles.

Dans l’esprit du rapporteur, les précisions ainsi apportées aux engagements pris dans la convention unique devraient néanmoins permettre aux distributeurs et fournisseurs de convenir de stipulations contractuelles ménageant une certaine capacité d’adaptation en fonction de l’évolution des conditions de fabrication et de la consommation des produits.

Proposition  8 : Formaliser les engagements sur le plan d’affaire, les volumes et les innovations afin d’asseoir la négociation des tarifs d’achat sur une base rationnelle.

 

La seconde difficulté au plan conventionnel découle de la propension de certains acteurs de la grande distribution à essayer de réviser périodiquement leurs engagements. D’après l’état des lieux dressé devant la commission d’enquête, cette tentation s’exprime moins par l’absence d’accords signés à la date butoir fixée par la loi que par des « demandes reconventionnelles » après le 1er mars qui peuvent prendre un tour plus ou moins systématique.

Les demandes de certains acteurs de la distribution peuvent porter sur ce que l’on appelle des « compensations de marge ». Cette pratique consiste à exiger d’un fournisseur une contrepartie nouvelle ou une somme d’argent, au motif de conditions plus favorables accordées à une autre enseigne.

Elle a déjà donné lieu à un certain nombre d’assignations de distributeurs devant le tribunal de commerce de la part de la DGCCRF, dont celle décidée en juin 2018 et ayant pour objet les pratiques restrictives de concurrence imputables à GALEC, la centrale d’achat d’E. Leclerc.

L’affaire de la « taxe Lidl »

En juin 2018, le ministère de l’Économie et des Finances a rendu publique l’ouverture d’une procédure devant le Tribunal de commerce de Paris pour pratiques restrictives de concurrence à l’encontre de Galec, centrale d’achat du mouvement E. Leclerc.

Sur la base d’une enquête réalisée par la DGCCRF entre 2015 et 2017, le ministère soupçonne la centrale d’avoir imposé des remises de 10 %, sans contrepartie, sur les contrats de plusieurs produits alimentaires de grandes marques, pendant trois années consécutives. Non prévu par les accords conclus avec les 20 fournisseurs concernés, ce prélèvement serait motivé par les liens d’affaires établis avec l’enseigne Lidl.

Sans préjuger du jugement du Tribunal de commerce, ces faits illustrent les réactions désordonnées que peut susciter une concurrence âpre entre distributeurs dotés d’avantages comparatifs inégaux suivant leur positionnement sur le marché national et leur ouverture au marché européen. Ce constat d’ordre général ne rend que plus nécessaire une action des pouvoirs publics susceptibles de favoriser la relocalisation des négociations commerciales en France ([57]).

Source : LSA Commerce et consommation.

 

Un autre motif de réouverture des négociations commerciales hors des prévisions du contrat initial tient à la proposition par les fournisseurs d’une innovation.

D’après l’analyse de plusieurs personnes auditionnées dont M. Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et des entrepreneurs de France (FEEF), il arrive que des distributeurs refusent le référencement d’un nouveau produit sous réserve d’obtenir une contrepartie, par exemple par le biais d’une dégradation. Cela étant, la remise en cause des engagements pris n’est pas seulement le fait des distributeurs. Suivant les faits rapportés par les représentants d’un groupe de distribution, l’introduction d’un nouveau produit peut également donner lieu à des arrêts de livraison de la part d’un fournisseur en cours d’exercice, en dépit des contrats signés.

Dans une certaine mesure, ce type de demande peut obéir à des contraintes pratiques telles que la taille de l’assortiment. Mais elle contrevient au formalisme contractuel imposé par deux articles essentiels du code de commerce : l’article L. 441-4 du code de commerce pour ce qui concerne les contrats relatifs aux produits de grande consommation ; l’article L. 441-8 pour ce qui est des contrats de plus de trois mois portant sur la vente des produits agricoles et alimentaires figurant sur une liste fixée par décret, dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires.

S’agissant de ce dernier article, M. Francis Armand, Médiateur des relations commerciales agricoles, a estimé que certaines de ses dispositions revêtaient un caractère problématique dans la mesure où elles autorisaient la remise en cause de l’ensemble de l’accord négocié, y compris le plan d’affaires. De son point de vue, il conviendrait d’établir « un dispositif de révision simple, notamment aujourd’hui pour le secteur porcin, dans lequel les coûts ne cessent d’augmenter ».

De manière plus générale, on peut sans doute considérer que les dispositions en vigueur n’assurent pas toujours un cadre adapté pour une révision circonscrite et pertinente des accords conclus entre fournisseurs et grande distribution.

Dans l’esprit du rapporteur, il importe en réalité de concilier deux objectifs : d’une part, ménager la capacité des partenaires commerciaux à s’adapter aux aléas de la vie économique ; d’autre part, préserver les fondements essentiels de l’équilibre dégagé par la négociation, notamment le plan d’affaire. C’est dans cette optique qu’il estime nécessaire de mieux encadrer par la loi la possibilité de réviser ou renégocier les accords conclus entre distributeurs et fournisseurs dans le cadre des articles L. 441-4 et L. 441-8 du code de commerce.

Proposition n° 9 : Mieux encadrer par la loi la possibilité de réviser ou renégocier les accords conclus entre distributeurs et fournisseurs dans le cadre des articles L.441-4 et L.441-8 du code de commerce en fonction de l’atteinte ou non des objectifs fixés contractuellement. 

ii.   Des mesures de contournement des dispositifs encadrant le partage de la valeur ajoutée ?

À la suite des États généraux de l’Alimentation et dans le cadre de la loi dite « ÉGAlim », les pouvoirs publics ont mis en place deux mécanismes destinés à assurer un meilleur partage de la valeur ajoutée.

● Le premier consiste en l’encadrement des promotions. L’ordonnance du 12 décembre 2018 ([58]) prévoit en l’occurrence que les opérations promotionnelles sur les produits alimentaires ([59]) ne sont autorisées que dans la limite d’un double plafond :

– en valeur, avec l’interdiction de promotions dépassant 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente ;

 

– en volume, l’ordonnance prescrivant que les avantages promotionnels accordés par le fournisseur ou le distributeur ne peuvent dépasser un seuil de 25 % applicable à trois agrégats convenus entre fournisseurs et distributeurs : soit le chiffre d’affaires prévisionnel ; soit le volume prévisionnel énoncé par un contrat prévisionnel portant sur la conception ou la production de produits alimentaires, ou encore des engagements de volume portant sur des produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l’aquaculture.

Certains des interlocuteurs de la commission d’enquête ont pu estimer que la mise en place de ce dispositif peut comporter quelques effets indésirables sur le positionnement et la gestion commerciale de certaines marques.

À supposer que cette anticipation se vérifie, il n’en parait pas moins de nature à prévenir des opérations aussi déstabilisatrices pour les fournisseurs que la vente de produits alimentaires de grande consommation ayant suscité la polémique en 2018. Suivant le premier bilan statistique établi par Nielsen, la loi semble bien appliquée en magasins, notamment du point de vue du taux de remise. Les chiffres cités par Mme Anne Haine, directrice générale, font état, sur les six derniers mois, de 44 % d’opérations avec des taux de remise inférieurs à 35 % (contre 44 % de remises à un taux supérieur à 35 %). La part du chiffre d’affaires sous promotion au 21 avril 2019 recule pour l’ensemble des rayons, avec, comparé à 2018, une diminution de :

– 0,8 %  en ce qui concerne les produits de grande consommation frais libres services – PGC FLS – (20,3 % du CA) ;

– 0,9 % pour les produits grande consommation hors « droguerie, parfumerie, hygiène » (19,5 % du CA) ;

– 0,4 % s’agissant du rayon « droguerie, parfumerie, hygiène ».

Cela étant, ainsi que l’ont relevé plusieurs des personnes auditionnées par la commission d’enquête, tels que M. Richard Panquiault, directeur général de l’ILEC, le développement de nouvelles offres commerciales à l’attention du consommateur pourrait assez rapidement minorer la portée de l’encadrement des promotions.

Il en va ainsi du « cagnotage ». Cette technique de fidélisation consiste pour les distributeurs à proposer l’achat de certains produits « des réductions » dont le montant peut être reporté sur une carte de fidélité ou une carte de paiement privative ([60]).

 

D’après l’analyse exposée par Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la pratique n’entre pas nécessairement dans les prévisions de la loi ÉGAlim, l’article 3 de l’ordonnance précitée du 12 décembre 2018 vise les « avantages promotionnels immédiats ou différés ayant pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ». Dès lors, ses dispositions ne s’appliquent que si la réduction créditée sur la carte fidélité découle de l’achat d’un produit déterminé ; en revanche, la somme inscrite sur la carte en contrepartie d’un montant global d’achats portant sur un rayon, sans rattachement à un produit spécifique, ne donne pas lieu à encadrement.

Dans ses lignes directrices publiées le 8 juillet 2019 ([61]), la DGCRRF estime également que ne relèvent pas du champ de l’encadrement porté par la loi :

– l’offre d’un produit différent, y compris alimentaire, pour un ou plusieurs produits identiques achetés (soit une vente avec prime) ;

– les avantages promotionnels portant sur des produits périssables dès lors qu’ils sont menacés d’altération rapide, à condition que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente.

À l’évidence, les opérations promotionnelles constituent un aspect essentiel des relations commerciales. En effet, elles conditionnent naturellement l’évolution des parts de marché entre acteurs de la grande distribution. Mais elles affectent également le partage de la valeur ajoutée entre les enseignes et leurs fournisseurs.

Aussi, le Rapporteur appelle les pouvoirs publics à veiller à l’application très stricte des dispositions de l’ordonnance du 12 décembre 2018 et à garantir l’actualisation de l’encadrement des promotions.

L’importance de cet enjeu rend nécessaire la multiplication des contrôles de la DGCCRF et un travail d’évaluation approfondie des conditions de mise en œuvre de l’ordonnance.

Elle invite aussi à mettre l’accent sur le respect des engagements pris entre fournisseurs et distributeurs. Le VII de l’article L.441-4 du code de commerce renvoie en effet à « des [contrats de] mandats confiés aux distributeurs ou au prestataire de services » la détermination des « conditions dans lesquelles, le cas échéant, le fournisseur s’engage à accorder aux consommateurs, en cours d’année, des avantages promotionnels sur ses produits ou services ». En vertu de ces dispositions, « [] chacun de ces contrats de mandat précise, notamment, le montant et la nature des avantages promotionnels accordés, la période d’octroi et les modalités de mise en œuvre de ces avantages ainsi que les modalités de reddition de comptes par le distributeur au fournisseur ».

Dans la mesure où les avantages promotionnels font partie des points de tension récurrents de la négociation commerciale et exigent des investissements assez substantiels de la part des fournisseurs, il importe que les autorités de contrôle veillent à l’équilibre des conventions conclues.

Proposition n° 10 : Veiller à l’application très stricte des dispositions de l’ordonnance du 12 décembre 2018 et à garantir l’actualisation de l’encadrement des promotions.

 

● La seconde mesure de la loi EGAlim destinée à assurer un meilleur partage de la valeur ajoutée réside dans le relèvement du seuil de vente à perte (SRP).

Rappelons que la notion trouve son origine dans la loi Galland du 1er juillet 1996. Le SRP correspond au « prix unitaire figurant sur la facture » majorée de diverses taxes et du prix du transport ([62]). L’article 2 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 procède au relèvement de 10 % SRP en prévoyant, pour une période de deux ans à compter du 1er février 2019 ([63]), l’affectation d’un coefficient de 1,10 au prix d’achat effectif défini au deuxième alinéa du I de l’article L. 442-5 du code de commerce.

Contrairement aux avertissements alarmistes de certains acteurs de la grande distribution, l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif n’a pas donné lieu à une augmentation spectaculaire des prix à la consommation.

Dans les éléments communiqués à la commission d’enquête, Nielson évalue à 0.3 % l’inflation constatée dans les rayons de la grande distribution, les baisses de prix sur les marques distributeurs ne compensant pas complètement les hausses sur les marques nationales. Comme indiqué précédemment, seuls les produits les plus vendus enregistrent une sensible évolution à la hausse de leur étiquette. Ainsi, d’après les chiffres fournis par les représentants du Galec, sur les 2 300 produits des établissements E. Leclerc concernés par le relèvement du SRP, on constate une hausse des prix de 7 %.

D’après le premier bilan établi par Nielsen, l’impact modéré de la mesure sur les étiquettes peut s’expliquer par plusieurs facteurs :

– le nombre finalement restreint de produits vendus à un prix proche du SRP avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance ;

– l’exclusion des articles des rayons « droguerie, parfumerie, hygiène », le relèvement du seuil ne valant que pour les seuls produits alimentaires ;

– l’impact inégal de la loi sur le prix des marques distributeurs (MDD), certaines d’entre elles étant directement fabriquées dans l’outil de production des grandes enseignes et, à ce titre, ne faisant pas l’objet d’une revente justifiant le relèvement du SRP.

Dès lors, la question posée reste celle de l’impact exact de la mesure sur la répartition de la valeur ajoutée.

Tel que conçu au dépôt du projet de loi EGAlim ([64]), le relèvement du SRP « vise à renforcer l’équilibre général de la négociation au profit des entreprises de taille petite ou moyenne, grâce à une meilleure péréquation entre produits ». Cet objectif se révèle plus difficilement atteignable dès lors que les acteurs de la grande distribution s’efforcent de contrebalancer l’inflation observée sur les marques nationales par une baisse du prix des MDD.

Or, une telle politique de la part de la grande distribution ne contribue pas au partage de la valeur ajoutée en faveur des fournisseurs disposant de marges raisonnables sans être importantes. Par ailleurs, elle peut contribuer à tendre davantage les négociations sur un tarif acceptable pour les distributeurs et fournisseurs.

Dans ces conditions, il apparaît sans doute nécessaire d’évaluer l’impact du relèvement du seuil sur les relations commerciales entre la grande distribution et les fournisseurs. Dans l’esprit du rapporteur, ce travail doit être mené rapidement, dans la mesure du possible avant les prochaines négociations commerciales.

Il pourrait également donner lieu à une étude plus prospective concernant la possibilité d’étendre le champ d’application du SRP les articles « droguerie, parfumerie, hygiène ».

Les travaux de la commission, ainsi que les premières mesures de l’évolution des prix, en attestent : depuis l’entrée en vigueur de la loi EGAlim, la grande distribution tend aujourd’hui à multiplier les opérations promotionnelles parfois d’une ampleur conséquente sur le rayon DPH. Cette politique semble poursuivre deux objectifs : d’une part, disposer de nouveaux produits d’appel afin de se distinguer de la concurrence ; d’autre part, compenser les éventuelles hausses entraînées par le relèvement du SRP.

Or, les éléments recueillis auprès d’un certain nombre de fournisseurs donnent à penser que les marges réalisées sur les produits vendus en grande surface s'amenuisent très sensiblement jusqu’à devenir parfois nulles ou insignifiantes au regard des investissements consentis.

Comparaison n’est pas raison. Mais dès lors que l’encadrement des promotions et le relèvement du SRP visaient à assurer une juste répartition de la valeur, il ne paraît pas nécessairement justifié – et pertinent au plan économique – d’exclure de leur champ d’application les produits du rayon DPH.

Proposition n° 11 : Évaluer avant les prochaines négociations commerciales, l’impact du relèvement du seuil de revente à perte (SRP) sur les relations commerciales entre la grande distribution et les fournisseurs.

 

Proposition n° 12 : Envisager d’inclure dans le champ d’application du dispositif relatif au relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et dans l’encadrement des promotions les produits du rayon « droguerie, parfumerie, hygiène » (DPH).

Dans l’évaluation de l’efficacité de l’encadrement des promotions, il conviendrait en dernier lieu de mesurer les effets exacts de la pratique du « cagnotage ». Du point de vue du rapporteur, la question posée porte essentiellement des opérations à caractère promotionnel donnant droit au bénéfice d’une somme d’argent inscrite sur une carte de fidélité en contrepartie d’un montant d’achat global.

Certes, cette pratique apparaît en passe de rentrer dans les usages de consommation. Du reste, elle parait de nature à contribuer à l’attractivité des enseignes et à maximiser leurs avantages comparatifs dans la vente de certains produits en ce qu’elle offre une liberté de choix aux consommateurs dans l’usage des avoirs dont ils bénéficient.

Cela étant, on peut se demander dans quelle mesure le « cagnotage non affecté » ne crée pas de facto la possibilité d’un financement de promotion sur certains produits au-delà des mandats conclus avec certains fournisseurs, et ce grâce aux avantages obtenus auprès d’autres industriels. Au-delà, se pose la question plus générale – mise en exergue par les États généraux de l’alimentation – de la perte de repère des consommateurs quant à la valeur réelle des produits.

Si ces effets devaient être avérés au terme du travail d’évaluation qu’il appelle de ses vœux, le rapporteur préconise d’examiner la possibilité de deux types de mesures destinées à mieux encadrer la pratique du « cagnotage » non affecté.

Sous réserve des exigences constitutionnelles découlant de la liberté de l'industrie et du commerce, cet encadrement pourrait consister à n’autoriser par la loi que le « cagnotage » affecté. En l’occurrence, les consommateurs pourraient disposer d’un avoir sous la forme d’un montant inscrit sur une carte de fidélité ou sur une carte de crédit privative à raison de l’achat d’un article déterminé ; ils ne pourraient utiliser que pour l’achat d’un produit du même rayon. De fait, cette mesure reviendrait à cantonner très strictement une pratique commerciale en vogue qui rencontre la faveur des clients des grandes surfaces. Toutefois, elle faciliterait une certaine traçabilité des opérations promotionnelles.

Une autre modalité d’encadrement du « cagnotage » pourrait tenir à la fixation dans la loi d’un plafond en valeur et en volume des achats, à l’instar du dispositif applicable aux opérations promotionnelles en vertu de la loi EGAlim. À l’évidence, contrôler le respect d’un tel dispositif peut soulever des difficultés pratiques. Néanmoins, il comporterait l’avantage de ne pas restreindre de manière excessive la politique commerciale des grandes enseignes et la liberté du consommateur.

Proposition n° 13 : Mesurer les effets de la pratique du « cagnotage » sur l’efficacité de l’encadrement des promotions portées par la loi EGALim dans le cadre d’une mission d’information parlementaire ou confiée à la DGCCRF, dans un délai maximum d’une année.

Examiner l’utilité d’une réglementation de l’octroi de tels avoirs ou remises, soit en les conditionnant à l’achat de produits déterminés, soit en les limitant en volume ou en valeur.

iii.   Des rapports problématiques dans la fabrication de marques distributeurs ?

Dans son acception contemporaine, le concept marque de distributeur (MDD) a pris son essor en France au cours des années 1970, lorsque Carrefour lance ses « produits libres ».

Les produits sous marque de distributeur (MDD)

Une marque de distributeur (ou MDD) désigne une marque créée et détenue par une enseigne de distribution. Son exploitation donne lieu à la commercialisation de produits fabriqués sur demande par des industriels indépendants ou, plus rarement, par des filiales de productions appartenant à l’enseigne.

Lorsque la production des marques de distributeur est confiée à un industriel indépendant, la production obéit à un cahier des charges précis, établi par le distributeur lui-même. Dans ce cas, les marques de distributeurs sont le plus souvent fabriquées par des PME. Elles peuvent également être produites par des fabricants de marques nationales qui sont directement concurrentes de ces MDD.

Il existe également des produits sous marque de distributeur fabriqués par une filiale de production du groupe de distribution la commercialisant. Il en va ainsi au sein du groupe Intermarché : celui distingue les « Produits à Nos Marques » (PNM), fabriquées sous marque distributeur par des producteurs extérieurs, des « Produits de Nos Filiales » (PNF) qui sortent de ses propres usines. Le groupe Décathlon fournit un autre exemple de grande enseigne proposant des marques développées et produites par et pour elle-même.

La marque de distributeur est par ailleurs définie depuis 2001 par le code de la consommation.

Source : https ://www.definitions-marketing.com/definition

Après un recul régulier de leur part de marché, les MDD bénéficient depuis 2018 d’un regain de croissance qu’illustre le graphique ci-après. Ainsi que l’ont souligné plusieurs des intervenants devant la commission d’enquête, les MDD – fournies à 98 % par les PME ([65]) –, occupent une place relativement importante dans les rayons des grandes surfaces : il existe pour les acteurs de la grande distribution un intérêt stratégique à réinvestir dans leur développement.

 

Private label share in France

Comme précédemment expliqué, la maîtrise du prix de ces produits concourt à la péréquation tarifaire pratiquée par les grandes enseignes face à l’inflation sur le prix des grandes marques. Sur le plan de l’image et de l’adaptation aux évolutions des habitudes de consommation, les MDD constituent un facteur d’attractivité : les produits proposés offrent de nombreuses innovations et répondent à des standards de plus en plus exigeants (tels que l’absence de gluten, les qualités nutritives, le respect des critères du développement durable etc.). En proposant de tels produits, les grandes et moyennes surfaces s’efforcent de s’assurer la clientèle de consommateurs en quête de qualité à un prix inférieur à celui des marques fabricants.

Aussi, les MDD constituent un instrument important du positionnement des acteurs de la grande distribution et un sujet de discussion majeur des relations commerciales avec les fournisseurs.

En l’occurrence, ainsi que l’a indiqué M. Richard Panquiault, directeur général de l’ILEC, la question de la coexistence entre la fourniture d’une marque nationale et celle d’un produit sous marque distributeur constitue une question récurrente. Les signalements portés à la connaissance de la Commission d’enquête font assez largement écho à ce diagnostic.

De nombreux fournisseurs auditionnés ont ainsi fait part des difficultés – parfois croissantes – qui s’attachent à la production des MDD pour le compte de la grande distribution.

D’une part, les témoignages recueillis mettent en lumière le caractère parfois incertain du retour sur les investissements consentis. Certains industriels ont ainsi attiré l’attention des commissaires sur l’importance des dépenses exposées en recherche et développement alors que l’attribution de la fabrication des produits donne lieu à appel d’offres. Or, selon le mot de l’un d’entre eux, « le travail préparatoire de fabriquer et concevoir un produit prend du temps, et c’est toujours un travail gratuit ». D’autres évoquent même la décision de ne plus fabriquer de MDD à défaut de pouvoir couvrir les charges variables de production telles que les fluides.

Au fond, l’ensemble de ces éléments montre que la pression exercée dans la négociation tarifaire entre la grande distribution et ses fournisseurs pèse également sur les conditions de production des MDD. L’analyse de l’impact de la déflation par Nielsen France ne conduit pas à une autre conclusion. D’après les propos tenus par Mme Anne Haine, directrice générale de Nielsen France, « la pression mise par la distribution sur les fabricants, mais aussi sur elle-même, sur les MDD, s’est faite au détriment de l’investissement dans les innovations ».

D’autre part, dans le cadre de la négociation commerciale, séparer les enjeux et intérêts qui entourent respectivement la production d’une marque nationale propre et la fourniture de produits sous MDD ne va manifestement pas de soi. Des auditions réalisées par la commission d’enquête, ressortent deux problèmes principaux, évoqués à des degrés divers par des fournisseurs de l’industrie agroalimentaire ou du rayon « droguerie, parfumerie, hygiène ».

Les négociations commerciales entre distributeurs et fournisseurs trouvent un premier motif de tension dans l’existence d’une concurrence entre produits de marque et produit en MDD. Celle-ci peut conduire les grandes enseignes à formuler des exigences démesurées aboutissant à faire des produits fabriqués pour leur compte par des fournisseurs un substitut aux propres références de leurs partenaires.

Tel est le constat qui ressort des propos tenus par les représentants d’un groupe industriel de l’agroalimentaire. Ceux-ci ont expliqué avoir résolu de cesser la production de MDD en France parce qu’« ils [les distributeurs] veulent en tant que fabricant de marques avoir le même produit que la marque mais ne pas payer le prix de la marque ».

Un second écueil tient à la propension de certains acteurs de la grande distribution à lier les négociations menées par des entités distinctes d’un groupe susceptibles de fournir à la fois des références propres et des MDD.

Plusieurs industriels auditionnés ont ainsi indiqué qu’au cours de récentes négociations, des distributeurs avaient conditionné l’obtention d’un accord sur le prix demandé pour la fourniture de produits sous marque distributeur aux résultats de discussions menées sur d’autres segments de l’offre de leur entreprise. Les témoignages recueillis concernent tant de grands groupes industriels que des PME qui se trouvent ainsi placées devant des arbitrages difficiles.

Du point de vue du Rapporteur, la question peut être posée d’un renforcement du formalisme contractuel dans la conclusion des accords comprenant la fourniture de produits sous marque distributeur.

En pratique, l’existence d’un contrat séparé ne paraît pas devoir soustraire les fournisseurs aux pressions auxquelles peut donner lieu la négociation des conditions générales de vente et d’un accord-cadre. Dans les faits, un rapport de force pourrait conduire à lier la conclusion des accords relatifs aux MDD à celle des accords portant sur d’autres produits.

En revanche, dans la même optique que celle de la proposition portant sur le plan d’affaire, il pourrait être utile de renforcer les mentions prévues à l’article L. 441-4 du code de commerce à propos des engagements pris. Comme pour les produits de marque nationale, il importe de fixer des engagements en termes de chiffre d’affaires prévisionnel, de volume à écouler ou d’innovations que distributeurs et fournisseurs pourraient s’engager à commercialiser.

Du point de vue du rapporteur, une telle précision pourrait contribuer à davantage de transparence et à l’exercice des contrôles destinés à prévenir l’existence de déséquilibres significatifs dans les obligations contractuelles. Elle concourait à la protection des intérêts respectifs – qui présentent à ses yeux le même degré de légitimité – des distributeurs et des industriels.

 

Proposition n° 14 : Assujettir les accords relatifs à la fourniture de produits de marque distributeur (MDD) au même formalisme contractuel que les produits de marque :

– Préciser les mentions de la convention unique prévues à l’article L. 441-4 du code de commerce à propos des engagements convenus entre la grande distribution et ses fournisseurs pour la fourniture de produits sous marque de distributeur en prévoyant l’insertion systématique de clauses relatives au chiffre d’affaires prévisionnel, aux volumes, à l’innovation ;

– Conformément à l’obligation consacrée à l’article L. 441-4 du code de commerce, rendre obligatoire la réponse du distributeur suite à la réception des conditions générales de vente ;

– Rendre obligatoire la mention des conditions générales de vente dans le contrat de fourniture.

II.   Une économie dont les déséquilibres appellent une régulation et des partenariats renforcés dans le cadre de la loI

A.   Assurer l’efficacité du cadre des relations commerciales entre grande distribution et fournisseurs

L’État s’est doté d’instances de régulation pour encadrer les phénomènes de concentration et les négociations commerciales, deux points particulièrement intéressants lorsque l’on considère les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs. L’Autorité de la concurrence (AdlC) contrôle les phénomènes de concentration et les pratiques anticoncurrentielles tandis que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle plus particulièrement les pratiques restrictives de concurrence. En complément de ces deux entités régulatrices qui disposent d’un fort pouvoir de sanction, notamment pécuniaire, ont été développées deux voies favorisant la discussion entre les parties prenantes et la médiation : le Médiateur des relations commerciales agricoles et la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC). Ces autorités fonctionnent en synergie sur ces différents sujets et permettent un encadrement relativement complet des relations commerciales. Cependant, des moyens limités face à de nouveaux enjeux expliquent en partie la lenteur des procédures.

Ces autorités de régulation appliquent le droit français en matière d’encadrement des pratiques commerciales. La grande majorité des personnes auditionnées reconnaissent la richesse de ce dernier. En effet, le droit français encadre aussi bien la transparence des relations commerciales et les différentes étapes de la contractualisation que les pratiques commerciales déloyales pouvant avoir lieu entre entreprises, telles que les pratiques restrictives de concurrence. Ainsi, parmi les personnes auditionnées, aucune demande pour une nouvelle loi (sinon des précisions) encadrant les relations commerciales n’a été formulée. Au contraire, une majorité d’entre eux, notamment parmi les représentants des industries agroalimentaires entendues, estiment que la succession des lois à un rythme rapide a entraîné à certaines périodes des difficultés de lisibilité et d’application.

En revanche, les auditionnés demandent une application effective des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. En effet, malgré la possibilité offerte par le code de commerce de prononcer des montants d’amendes civiles élevés, ces derniers sont relativement faibles et considérés comme peu dissuasifs du fait des enjeux économiques dans le secteur de la grande distribution. D’autre part, le rapport de force complique le travail des autorités de régulation qui ont peu d’éléments concrets à leur disposition.

1.   Améliorer les conditions d’exercice des contrôles et des poursuites

a.   De nombreuses autorités de régulation

Au cours des réformes législatives successives, l’État s’est doté de nombreuses instances de régulation aux rôles précis et distincts. Le déploiement et les pouvoirs des autorités de régulation sont relativement spécifiques à la France et ont peu d’équivalent en Europe.

i.   La DGCCRF

La DGCCRF a été créée par décret le 5 novembre 1985 ([66]) et dépend du ministère de l’Économie et des Finances. La DGCCRF a pour rôle de garantir les conditions d’un fonctionnement équilibré et transparent des marchés, notamment au travers de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et les pratiques commerciales déloyales, définies au titre IV du livre IV du code de commerce. Environ 140 agents (en équivalents temps plein) travaillent sur ce sujet. Sur le premier aspect, la DGCCRF travaille en lien étroit avec l’Autorité de la Concurrence (AdlC) qui est notifiée avant le déclenchement des enquêtes et informée des résultats sauf si elle décide de prendre l’enquête à sa charge. La DGCCRF apporte également son aide à l’Autorité de la concurrence lors des enquêtes menées sur les territoires. Au terme de ces enquêtes, la DGCCRF peut introduire au nom du ministre de l’Économie et des Finances l’action devant le tribunal de commerce compétent.

L’originalité française du fonctionnement de la DGCCRF est la déconcentration de ces services dans les territoires, au sein des Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE, au nombre de 13) et des DIECCTE en outre-mer, au nombre de 5. Les DIRECCTEs comprennent entre autres un pôle « Concurrence, Consommation, Répression des Fraudes et Métrologie » qui permet de faire remonter à la DGCCRF des informations données par les acteurs régionaux.

Les responsables auditionnés ont souligné l’importance de ces services déconcentrés qui permettent de détecter des dysfonctionnements locaux.

L’Institut de liaison des études économiques (ILEC) a tenu à faire remarquer lors de son audition que deux pratiques illicites avaient fortement reculé, grâce aux services de la DGCCRF. Cela concerne les signatures des contrats après la date butoir officielle du 1er mars et les renégociations systématiques ainsi que les déréférencements abusifs qui, s’ils sont toujours en vigueur, sont bien moins présents.

ii.   L’Autorité de la Concurrence

Depuis sa création par la loi LME du 4 août 2008, l’Autorité de la Concurrence (AdlC) s’est vue octroyer des pouvoirs renforcés.

Une première commission technique a été créée en 1953 avec pour mission de rendre des avis sur les ententes illicites et les abus de position dominante, le ministre pouvant décider par la suite d’engager des poursuites. Entre 1977 et 1996, la commission technique, devenue Conseil de la concurrence, s’est vue attribuer des missions élargies : conseiller le gouvernement sur toute question relative à la concurrence ; donner des avis sur les opérations de concentration ainsi que contrôler les pratiques de prix abusivement bas. En parallèle, les possibilités de saisine sont élargies et le pouvoir de sanction est transféré du ministre au Conseil de la concurrence.

La loi LME n° 2008-776 du 4 août 2008 crée l’Autorité de la concurrence et la dote des pouvoirs du Conseil de la concurrence. De plus, l’AdlC contrôle désormais les opérations de concentration et est autonome pour mener des enquêtes et s’autosaisir afin de rendre un avis ou formuler des recommandations relatives au fonctionnement concurrentiel des marchés.

En 2015, la loi n° 2015-990 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait pour ambition d’élargir les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence. Cette loi a cependant été censurée par le Conseil Constitutionnel sur plusieurs points. Premièrement, la loi introduit un mécanisme d’injonction structurelle pour le contrôle des positions dominantes détenues dans le commerce de détail. L’article 11 du projet de loi transmis par le gouvernement prévoit qu’en cas de détention de plus de 50 % des parts de marché dans une zone de chalandise par une entreprise exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail. Si les prix ou les marges pratiquées sont élevés par rapport à la moyenne du secteur et qu’une position dominante est constatée, l’AdlC peut demander des engagements aux acteurs. Si les engagements ne sont pas suffisants, l’AdlC peut modifier les actes ayant abouti à cette situation ou bien les enjoindre de procéder à la cession d’actifs. Cette disposition a été censurée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2015-715 du 5 août 2015. La loi de 2015 prévoit également que dans le secteur de la distribution, les opérations de groupements à l’achat, de référencement de produits ou de vente de services aux fournisseurs doivent être notifiées au moins deux mois avant sa mise en œuvre.

L’Autorité de la concurrence est compétente sur trois points. Le premier est le pouvoir d’étudier les concentrations et leur impact sur le consommateur. Le deuxième est un pouvoir de répression des pratiques anti‑concurrentielles, conformément aux dispositions du code de commerce. À ce titre, l’AdlC contrôle les ententes, les abus de domination et les prix abusivement bas. L’AdlC peut être saisie ou s’autosaisir pour effectuer des opérations de visite et saisies. Elle peut intervenir également à l’étranger, à la demande de la Commission Européenne. L’AdlC peut prononcer des injonctions et infliger des sanctions pécuniaires, dont le montant maximal s’élève à 10 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise. Le troisième pouvoir de l’Autorité de la Concurrence est un pouvoir d’avis. Elle a notamment rendu en mars 2015 ([67]) un avis relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution. En termes de moyens humains, l’AdlC emploie 200 personnes qui examinent environ 130 opérations de concentration, réalisent 70 enquêtes et élaborent plus d’une centaine d’avis.

On peut toutefois déplorer la limitation des pouvoirs de l’Autorité de la Concurrence dans deux champs d’action.

Premièrement, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015 prévoit l’obligation de notification à l’AdlC de « tout accord visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs » ([68]), sans que cette notification ne nécessite par la suite une autorisation. L’AdlC n’a pas le pouvoir de contrôler ces accords au titre du contrôle des concentrations mais peut en revanche rendre un avis et signaler les clauses de l’accord pouvant soulever des préoccupations. En effet, juridiquement un rapprochement à l’achat se distingue d’une opération de concentration. Des débats ont eu lieu à plusieurs reprises, en 2015 puis en 2018, afin de décider si les rapprochements à l’achat devaient faire l’objet d’une autorisation de l’Autorité de la Concurrence au même titre qu’une opération de concentration, sans aboutir.

Toutefois, la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite EGAlim) a considérablement renforcé les pouvoirs de l’AdlC dans le cadre des groupements à l’achat. Tout d’abord, le délai de notification a été porté à quatre mois au lieu de deux. L’AdlC réalise un bilan concurrentiel de sa propre initiative ou à la demande du ministre en appréciant si « l’accord apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser d’éventuelles atteintes à la concurrence, en prenant en compte son impact tant pour les producteurs, les transformateurs et les distributeurs que pour les consommateurs. » (article L.462-10 du code de commerce). Si des atteintes à la concurrence sont constatées, l’AdlC peut exiger des parties prenantes des mesures significatives, elle peut également s’autosaisir ou prendre des mesures conservatoires.

Permettre à l’Autorité de la concurrence de contrôler les accords visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs au même titre que les opérations de concentration semble aujourd’hui nécessaire. Les effets sur la concurrence de toute modification de ces accords portant sur l’identité des parties prenantes à ceux-ci devraient également faire l’objet d’une notification et d’un avis de l’Autorité de la concurrence.

Proposition n° 15 : Soumettre les accords visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs à une obligation d’autorisation de l’Autorité de la concurrence, au même titre que les opérations de concentration. Les modifications relatives à l’identité des parties prenantes à l’accord devront également être soumises à l’Autorité de la concurrence et faire l’objet d’un avis.

Le second point est la limitation des pouvoirs de l’AdlC au titre de l’injonction structurelle, telle que prévue par la loi du 6 août 2015. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif que ses dispositions portaient une atteinte manifestement disproportionnée au droit de propriété et au droit de la concurrence au vu des objectifs poursuivis ([69]). Le Conseil lui reproche notamment son application trop large, à savoir à l’ensemble du secteur du commerce de détail sur le territoire de la France métropolitaine. L’injonction structurelle existe en outre-mer depuis 2012, du fait des spécificités du secteur de la grande distribution et des problématiques de concentration dans les territoires ultramarins. L’injonction structurelle est prévue par la directive européenne ECN+.

La directive européenne, ECN+ (European Competition Network) a été publiée le 14 janvier 2019 et permettra de renforcer considérablement les pouvoirs de l’AdlC. La transposition de cette directive, visant à « doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur » ([70]) a cependant été repoussée.

Le Conseil Constitutionnel dans la décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019 invalide pour un motif de procédure l’article 211, habilitant le gouvernement à transposer par ordonnance la directive ECN+.

La directive prévoit un certain nombre de mesures visant à s’assurer du bon fonctionnement des autorités de régulation. Chaque État membre devra s’assurer que les autorités de régulation disposent de garanties d’indépendance et d’impartialité, notamment de ses membres. La directive prévoit également un principe d’opportunité des poursuites qui permettra à l’AdlC de rejeter certaines saisines en fonction de ses priorités et ainsi de mieux optimiser ses ressources. Actuellement, les conditions de rejet des saisines sont relativement étroites et sont prévues par le code de commerce. Les États membres devront également veiller à ce que les autorités disposent d’un nombre suffisant de personnels qualifiés ainsi que de ressources financières, techniques et technologiques suffisantes. Les autorités devront être autorisées à mener des enquêtes, et peuvent également émettre des avis sur les lois et décrets. Sur le plan des pouvoirs d’enquête, la directive affirme le droit des autorités nationales à procéder à toutes inspections inopinées et à obtenir des entreprises les documents et informations nécessaires à leurs enquêtes. La directive renforce considérablement les pouvoirs de l’AdlC en matière de décision. L’AdlC pourra se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires ou mesures provisoires d’urgence : actuellement ces mesures peuvent être imposées uniquement si elles sont demandées dans le cadre de la saisine. De plus, la directive prévoit que dans le cadre de procédures contentieuses concernant des pratiques anticoncurrentielles, les autorités de régulation peuvent imposer des mesures correctives de nature comportementale ou structurelle tel que la cession d’actif ou de filiales. Au niveau européen, la directive harmonise les mécanismes de régulation de la concurrence, notamment les montants des sanctions dont le plafond minimum est fixé à 10 % du chiffre d’affaires mondial.

Proposition n° 16 : Transposer au plus tard en mars 2020 la directive ECN+ dans le droit français : cette directive vise à mettre en place un Réseau européen de la concurrence (REC), cadre de coopération renforcée entre autorités nationales de contrôle dont les pouvoirs seront accrus notamment sur les entités commerciales (notamment les centrales d’achat et de services) « délocalisées » avec un dispositif de sanctions plus dissuasif.

Une enquête de l’AdlC, dont les conclusions seront rendues prochainement, est en cours et permettra d’appréhender les rapprochements à l’achat les plus récents. Suite à la notification au printemps 2018 à l’Autorité de la Concurrence des rapprochements effectués par Auchan, Casino, Metro et Schiever d’une part et Carrefour, Système U puis Tesco d’autre part, une enquête a été ouverte sur chacun de ces accords afin d’évaluer leur impact concurrentiel ([71]).

iii.   Le médiateur des relations commerciales

Le médiateur a été institué en 2010. Sa compétence ne concernait, à ses débuts, que les filières pour lesquelles la contractualisation était obligatoire, telles que le lait de vache ou les fruits et légumes.

Une succession de lois et de dispositions législatives a élargi les compétences du médiateur jusqu’à lui permettre aujourd’hui d’intervenir sur tout type de différent à condition que cela concerne la cession d’un produit agricole ou alimentaire.

Le médiateur a pour rôle principal d’engager une médiation relative à la conclusion de contrats portant sur la vente d’un produit agricole ou alimentaire. Le médiateur peut dès lors recommander la suppression ou la modification des projets de contrats ou de clauses qu’il estime non conformes à la loi. Il a également un rôle devant la justice. La loi EGAlim a renforcé la portée de la médiation en la rendant obligatoire avant la saisine d’un juge sur un litige entre professionnels. D’autre part, si un tribunal est saisi suite à l’échec d’une médiation, le juge statuera en tenant compte des recommandations du médiateur. Le médiateur peut également saisir le ministre chargé de l’économie sur des pratiques jugées abusives ou déséquilibrées.

Le médiateur est également actif dans la compréhension et la communication portant sur les négociations agricoles. L’observatoire des relations commerciales a été constitué à ce titre, afin de permettre aux parties prenantes de se rencontrer pour échanger sur les négociations. Le médiateur peut également s’autosaisir pour émettre un avis sur toute question relative aux relations contractuelles. Il peut également décider de rendre publiques certaines de ses décisions et avis, après information préalable des parties.

Il reste que les recommandations du médiateur ne sont pas obligatoires et que celui-ci n’a pas un rôle d’arbitrage. Lors du discours du président de la République pour les États Généraux de l’Alimentation, le 11 octobre 2017, celui-ci avait déclaré « Nous renforcerons aussi le rôle du médiateur des relations commerciales agricoles. Nous devons pouvoir agir plus rapidement, plus efficacement avec un véritable arbitrage dont la décision vaudrait référé. » ([72]). D’autre part, le médiateur dispose de moyens limités : quatre médiateurs délégués et des renforts temporaires. Un réseau de médiateurs internes aux enseignes de la grande distribution a été développé avec pour but de traiter en première instance les litiges. Ainsi, entre une cinquantaine et une centaine de problèmes sont réglés sans que le médiateur des relations commerciales agricoles n’ait été saisi. L’un des objectifs est finalement de développer la médiation dans les entreprises elles-mêmes pour travailler à l’émergence d’une culture de la médiation.

Cela étant, le renforcement des moyens du médiateur des relations commerciales ne doit pas priver ce dernier de la relative souplesse des procédures qu’il met en œuvre.

Proposition n° 17 : Renforcer les moyens du médiateur des relations commerciales agricoles et mettre en place un dispositif d’arbitrage par la création d’une commission d’arbitrage distincte.

iv.   La Commission d’examen des pratiques commerciales

La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) a été créée par la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. La CEPC est une structure originale puisqu’elle regroupe différents acteurs : elle est composée à parts égales de représentants des fournisseurs (ANIA, ILEC notamment) et de représentants des grossistes et distributeurs (FCD notamment). Sont également présents des personnalités qualifiées, ainsi que des magistrats, des parlementaires et des représentants de l’administration (DGCCRF par exemple). La CEPC a pour objectif de répondre à des saisines et rendre des avis sur des questions ou documents concernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs et revendeurs qui lui sont fournis. Ces demandes d’avis peuvent être déposées par des professionnels, des organisations professionnelles, des avocats, des juridictions…

La CEPC peut également adopter des recommandations pour le développement des bonnes pratiques commerciales. En 2018, la CEPC a publié 11 avis sur les 12 qui ont été adoptés. À titre d’exemple, la CEPC a élaboré en 2018 un Guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques ([73]), suite à la saisine du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et de la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances sur la question de la légalité de certaines pratiques ([74]).

La CEPC permet de créer un cadre moins conflictuel où fournisseurs et distributeurs peuvent se rencontrer en présence de personnalités neutres. La CEPC a pour objectif de privilégier une forme de soft law, constituée de lignes directives, de recommandations ou de guides de bonnes pratiques. Ces règles plus générales peuvent compléter la voie réglementaire. Il est essentiel de renforcer les moyens de la CEPC pour encourager cette voie qui est saluée par les professionnels.

Proposition n° 18 : Renforcer les moyens de la commission d’examen des pratiques commerciales.

Pour terminer sur la question des autorités, le rapporteur attire l’attention sur le rôle important que devrait tenir l’Observatoire de la formation des prix et des marges pour assurer une juste répartition de la valeur. Le travail effectué au cours de cette commission d’enquête montre bien que ce comité n’a pas atteint cet objectif, du moins pas autant que cela serait souhaitable.

Aussi, le rapporteur ne peut qu’insister sur la nécessité de faire émerger un Observatoire de la formation des prix et des marges qui soit réellement indépendant, véritablement équilibré et assurément neutre politiquement.

b.   Des procédures peu susceptibles d’aboutir ?

Les autorités de régulation disposent de pouvoirs limités au vu du nombre d’acteurs impliqués et de la complexité des systèmes d’alliance entre enseignes, notamment au niveau européen.

Les différentes entités responsables du contrôle et de la régulation des négociations commerciales disposent de faibles moyens au vu de l’ampleur du cadre des relations entre le secteur de la grande distribution et ses fournisseurs. La DGCCRF et l’AdlC disposent d’un nombre d’enquêteurs qui peut sembler important. Toutefois, il est indispensable de le mettre en parallèle avec le nombre d’industriels chez lesquels effectuer des contrôles et la difficulté des enquêtes. De plus, un certain nombre d’industriels auditionnés ont également fait part d’enquêtes effectuées par la DGCCRF, sans qu’il n’y ait eu pour l’instant de conclusion. La lenteur des procédures peut s’expliquer par la difficulté des enquêtes et des effectifs réduits.

Proposition n° 19 : Renforcer les moyens humains et financiers de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Notamment, un groupe de travail (cellule opérationnelle) devrait être créé, spécialisé dans les problématiques « concurrence et relations contractuelles ». Cette cellule opérationnelle serait l’interlocuteur privilégié des industriels et des services déconcentrés des DIRRECTEs et DIECCTEs. Une fois saisie, la cellule opérationnelle aurait à rendre un avis dans les six mois suivant la saisie.

Une partie du travail d’enquête menée par la DGCCRF pourrait être déléguée à un prestataire privé afin de permettre aux effectifs de cette direction de se consacrer aux tâches les plus sensibles.

De surcroît, le temps de la justice est extrêmement long. À titre d’exemple, Système U a été assigné au tribunal de commerce en 2004 tandis que la Cour de cassation a rendu son jugement en 2018, comprenant notamment la restitution aux fournisseurs d’un peu plus de 76 millions d’euros d’avantages indûment perçus. Il est donc nécessaire de renforcer également les voies qui permettent de résoudre les problèmes bien en amont, pour des raisons d’efficacité mais aussi de coût, pour les fournisseurs notamment. Le médiateur des relations commerciales agricoles fait face à un nombre croissant de demandes, du fait de nombreux succès et d’une communication importante. Malgré tous les avantages que présente cette voie, il est difficile de penser qu’elle puisse gagner en importance avec cinq médiateurs dédiés. De même, les organes tels que la CEPC qui permettent des échanges entre les associations représentatives des différentes parties prenantes permettent de désamorcer un certain nombre de conflits en amont.

Il est indispensable de renforcer les moyens des autorités de régulation. Cela est nécessaire aussi bien en amont, pour prévenir les dysfonctionnements, qu’en aval, en renforçant le nombre de contrôle afin de garantir l’efficacité des procédures, lorsqu’une pratique déloyale est soupçonnée ou constatée.

Les autorités de régulation disposent de peu de moyens pour appréhender les alliances internationales. Au niveau européen, c’est la direction générale de la concurrence (DG concurrence) à la Commission européenne qui est responsable de la surveillance des concentrations. La DG concurrence estime que la concentration a eu de nombreux effets positifs, dont des prix bas pour le consommateur et une plus grande facilité pour les fournisseurs de distribuer leurs produits. Dans son audition devant la commission d’enquête, la DG concurrence a souligné le pouvoir de négociation que détenaient certains industriels du fait de leur présence majoritaire sur un segment du marché. Toutefois, ces alliances à l’achat peuvent être vectrices de trois problèmes : une coordination des prix (notamment du fait des remodelages fréquents d’alliances), une réduction de la concurrence entre des distributeurs qui sont concurrents en aval pour la vente au consommateur, des conséquences néfastes sur l’offre en amont qui forcent les fournisseurs à dégrader leur prix ou diminuer leurs innovations. Des enquêtes de concentration ont été menées en France. Sur les centrales internationales, la DG concurrence assure inspecter leur fonctionnement. Pour l’instant, aucune conclusion n’a été rendue sur ce sujet.

L’AdlC coopère activement avec la Commission européenne sur ces sujets. Toutefois, l’AdlC et la DGCCRF sont compétentes en France et n’ont à ce jour rendu aucune conclusion concernant les centrales internationales. En effet, ces deux entités disposent de moyens d’action limités à l’échelon européen. L’Autorité de la concurrence peut collaborer avec la Commission européenne pour effectuer des opérations de visite et saisie.

En sus du nécessaire renforcement des moyens et de l’indispensable modernisation des structures des autorités de régulation, le rapporteur est convaincu qu’il faut un portage politique de premier plan pour ces questions. Sans vision et sans responsabilité politiques portées par un membre du gouvernement, la grande majorité des acteurs se retrouve prise en étau entre des ministères représentant des intérêts divergents, sans porter une vision d’ensemble de la consommation et plus largement des relations commerciales.

Proposition n° 20 : Créer un ministère délégué aux questions de consommation et de relations commerciales, rattaché au Premier ministre ou aux ministres de l’Économie et de l’Agriculture.

2.   Garantir l’application effective des outils réglementaires

Le cadre législatif et réglementaire encadrant les relations commerciales et les pratiques commerciales déloyales est particulièrement riche en France.

De plus, une récente directive européenne a permis d’introduire le droit des pratiques anticoncurrentielles au niveau européen et d’en garantir un meilleur encadrement. Toutefois, les enjeux spécifiques au secteur de la grande distribution et à ses relations avec ses fournisseurs expliquent que les dispositions législatives soient peu effectives.

a.   Des outils réglementaires nombreux…

Au niveau européen, une directive du 17 avril 2019 portant sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire introduit pour la première fois le droit des pratiques anticoncurrentielles au niveau européen. La directive dresse une « liste noire » des pratiques interdites dans les relations commerciales. La directive prévoit également un mécanisme de coopération entre les autorités européennes chargées de contrôles des pratiques anticoncurrentielles. Un certain nombre de ces dispositions, principalement en ce qui concerne les pratiques restrictives de concurrence, figurent déjà dans le code de commerce français.

En France, les relations commerciales sont encadrées de façon précise par le code de commerce. Plus précisément, le livre IV, le titre IV à propos de la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d’autres pratiques prohibées se décompose en deux chapitres.

Le premier chapitre pour la transparence dans les relations commerciales traite notamment des conditions générales de vente, des conventions écrites et des clauses de renégociations ainsi que de la facturation et des délais de paiement.

Le chapitre II traite des pratiques commerciales déloyales entre entreprises, notamment les pratiques restrictives de concurrence. Le détail des infractions prévues par le code de commerce et les sanctions associées sont donnés infra. En particulier l’article L.442-4 du code de commerce prévoit des montants d’amendes très importants pour certaines infractions. L’amende civile ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants : 5 millions d’euros, le triple du montant des avantages indûment perçus ou encore 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. D’autre part, la restitution des sommes indûment perçues est exigée.

Les auditionnés, bien que reconnaissant l’efficacité théorique de ces dispositifs, en déplorent l’ineffectivité. En ce qui concerne les amendes, les possibilités prévues par le code de commerce sont peu souvent exploitées dans toute leur envergure.

En effet, les montants des sommes indûment perçus à restituer sont importants (83 millions d’euros dans le cas de la « taxe Lidl » exigée par le groupe Leclerc, 76 millions d’euros dans le cas d’avantages sans contreparties pour Système U). En revanche, les montants des amendes civiles sont faibles par rapport à ce qui est prévu par la loi. Dans le cas de la « taxe Lidl », le montant de l’amende demandée par le ministre de l’économie s’élève à 25 millions d’euros. Il faudra attendre la décision du tribunal de commerce pour connaître le montant de l’amende civile finalement retenue. Dans le cas de Système U, le ministre de l’économie avait demandé lors du jugement en appel une amende civile d’un million d’euros (pour des sommes indûment perçues de 76 millions d’euros). Ce montant n’a pas été retenu par la Cour de cassation, qui a finalement prononcé une amende civile de 100 000 €, l’amende initialement demandée par le ministre de l’économie (le chiffre d’affaires de Système U en 2018 est d’environ 20 milliards d’euros). Il a été souligné en audition que le montant des amendes doit être rapporté à la marge du distributeur, relativement faible, et non pas à son chiffre d’affaires. Toutefois, la récente assignation du groupe Leclerc pour ses agissements en Belgique, en juillet 2019, marque un tournant important. C’est plus précisément les entités du Galec, d’Eurelec et de la SCABEL qui sont accusées d’user de moyens de pression illégaux pour faire baisser les prix, notamment par un contournement de la loi française. Le ministère a réclamé 117 millions d’euros d’amende, soit trois fois le montant des sommes indûment perçues.

D’autre part, les distributeurs encourent, en plus du montant de l’amende, un risque réputationnel. En effet, lors du discours de Rungis, en octobre 2017, le Président de la république avait déclaré que « Le dispositif anglo-saxon dit du « name and shame », qui consiste à nommer publiquement les acteurs qui ne respecteraient pas ces nouvelles règles, sera rendu possible et ce dispositif a pu, dans d’autres domaines – je pense à celui des délais de paiement – montrer sa pleine efficacité. Il sera aussi retenu pour ce qui est des relations commerciales agricoles. » Conformément à cela, la récente loi PACTE prévoit des conditions renforcées de « name and shame ». Les amendes prononcées pourront être publiées sur le site de la DGCCRF. De plus, en matière de délais de paiement, les amendes doivent être publiées sur le site internet de la DGCCRF ainsi que le support habilité à recevoir des annonces légales que l’entreprise aura choisi dans le département où elle est domiciliée.

Il est intéressant de mentionner que certains auditionnés ont évoqué la possibilité des distributeurs de répercuter le montant des amendes sur les sommes discutées en négociation l’année suivante.

b.   … qui se heurtent à des enjeux et des rapports de force qui en limitent les effets

Nous avons vu que les montants des amendes payées par les distributeurs sont peu élevés. Deux autres facteurs expliquent que les obligations prévues par la loi ne peuvent être appliquées dans toute leur rigueur.

Le premier facteur est le caractère non dissuasif des amendes prononcées et l’absence de proportionnalité des amendes, au vu des montants générés dans le secteur de la distribution. Il a été soulevé lors des auditions que les enseignes de distribution pourraient effectuer un arbitrage entre l’opération commerciale réalisée et le risque de sanction encouru. Par exemple, Intermarché a accepté le paiement d’une amende d’un montant de 375 000 € lors de la vente de produits, dont le Nutella, avec de fortes promotions allant jusqu’à - 70 %. C’est le montant maximal prévu par le code de commerce pour une personne morale enfreignant l’interdiction de revente à perte. L’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) et l’ILEC estiment qu’une telle opération a permis à Intermarché de gagner 0,5 à 0,6 part de marché, représentant 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’amende représente dès lors pour Intermarché 0,1 % du chiffre d’affaires généré lors de l’opération. Il apparaît essentiel d’exploiter pleinement les dispositions prévues par le code de commerce afin de revaloriser, et éventuellement renforcer, le montant des amendes prononcées pour leur donner un caractère dissuasif.

 

Article

Infraction

Intérêt à agir /

Publicité de la sanction

Sanctions encourues

L.442-4

L.442-1 :

1)      obtention par le distributeur de la part de son fournisseur d’un avantage disproportionné ou sans contrepartie ;

2)      obligations imposées au fournisseur créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

3)      rupture brutale des relations commerciales en l’absence d’un préavis écrit.

L442-2 : revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive ;

L442-3 :

Article I.                     remises, ristournes et coopération commerciale rétroactives ;

Article II.                   clauses permettant de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant.

L442-7 : prohibition des prix de cession abusivement bas (il est alors tenu compte notamment des indicateurs de coûts de production ou, le cas échéant, de tous autres indicateurs disponibles dont ceux établis par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires).

L442-8 : encadrement des enchères inversées à distance, notamment par voie électronique, prohibées sauf dans les cas prévus par le texte.

Intérêt à agir devant la juridiction civile ou commerciale compétente :

- pour obtenir la cessation des pratiques : toute personne justifiant d’un intérêt ;

- pour obtenir la cessation des pratiques, la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indus : la victime des pratiques, le ministère public, le ministre chargé de l'économie.

 

 

Publication, diffusion ou affichage systématique (modalité précisée par la juridiction).

L’amende civile ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants :

a.        cinq millions d'euros ;

b.       le triple du montant des avantages indûment perçus ou obtenus ;

c.        5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

La restitution des sommes indûment perçues est exigée.

 

Résumé du dispositif de l’article L. 442-4 du code de commerce.

 

Proposition n° 21 : Renforcer si nécessaire les sanctions prévues à l’article L. 442-4 du code de commerce sur la base d’un barème établi en pourcentage du chiffre d’affaires.

 

Le second facteur est relativement spécifique à la structuration du secteur de la grande distribution et aux rapports de force qui s’y exercent. Il a été souligné lors des auditions que peu d’industriels osent porter plainte auprès des autorités de régulation. Cela s’explique par ce qui est appelé « passivité rationnelle des victimes » par M. Nicolas Ferrier, professeur agrégé des facultés de droit, auditionné par la commission d’enquête, qui est le fait que les victimes ont davantage intérêt à ne pas agir qu’à porter plainte.

Du fait du rapport de force existant dans le secteur de la distribution, les fournisseurs craignent des mesures de rétorsion qui pourraient affecter une part importante de leur chiffre d’affaires.

De nombreux dispositifs ont été mis en place pour permettre l’assignation en justice et la réalisation d’enquêtes en l’absence de plaintes formelles. Ainsi, la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne peut s’autosaisir, elle reconnaît même n’agir que par autosaisine. De même, l’AdlC peut s’autosaisir et la DGCCRF peut procéder à des assignations au nom du ministre de l’économie et des finances. Le médiateur peut également saisir le ministre de l’économie et des finances sur des pratiques jugées abusives ou déséquilibrées afin que le ministre introduise une action en justice.

Au-delà de la capacité des autorités de régulation de s’autosaisir se pose la question d’inciter les parties prenantes à porter plainte ou à signaler les dysfonctionnements. D’autre part, lorsque ces dysfonctionnements sont repérés ou signalés à la DGCCRF ou l’AdlC, la difficulté est de rassembler des éléments concrets qui justifient l’ouverture d’une enquête. Une première piste pourrait être d’améliorer les modalités d’encadrement des lanceurs d’alerte. Ces derniers sont protégés par le droit français. Toutefois, l’AdlC ne dispose pas des moyens de les indemniser. Lors de la présentation du bilan annuel 2018 de l’AdlC, Madame De Silva, sa présidente, a souligné l’importance de disposer de moyens supplémentaires en permettant la dénonciation de pratiques anticoncurrentielles. En effet, la procédure de clémence existe déjà pour les personnes morales, permettant à une entreprise de bénéficier d’une sanction réduite lorsqu’elle se dénonce. La volonté de l’AdlC est d’aller plus loin sur ce point en permettant l’indemnisation des personnes physiques qui constatent une infraction au droit de la concurrence, si celle-ci débouche sur une sanction. Le mécanisme de calcul de cette indemnisation n’est pas développé par l’AdlC qui envisage une rémunération proportionnellement au montant de l’amende. Une seconde piste est la mise en place d’espaces sécurisés où peuvent être déposés des éléments de preuve. L’objectif est de diminuer la responsabilité des différents acteurs dans la notification des irrégularités. Le second objectif est de fournir et de faciliter la collecte d’informations et de preuves pour la DGCCRF. Par exemple, afin de recueillir des éléments, la Commission européenne a mis en place des conditions de protection des lanceurs d’alerte, ainsi qu’une « boîte » permettant de recueillir les témoignages sans que l’origine des informations ne soit connue.

Il serait possible d’envisager une plainte déposée par plusieurs industriels contre le même distributeur, ce qui permettrait de rééquilibrer le rapport de force. Il est aussi important à ce stade de mentionner les organisations professionnelles, tels l’ANIA, l’ILEC ou la FEEF qui peuvent inciter leurs adhérents à porter plainte et apporter leur soutien aux organismes de régulation lors des enquêtes.

Au-delà de la protection des lanceurs d’alerte se pose la question de leur indemnisation. À titre d’exemple, les lanceurs d’alerte fiscaux sont indemnisés. La mesure, introduite à titre expérimental en 2017, a été pérennisée par décret début 2019. Le décret n° 2017‑601 du 21 avril 2017 pris pour l’application de l’article 109 de la loi n° 2016‑1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 prévoyait que les personnes adressant de façon spontanée et non anonyme des informations à l’administration fiscale pouvaient être indemnisées. Le montant est déterminé après avoir évalué l’intérêt fiscal des informations.

 

Proposition n° 22 : Indemniser les lanceurs d’alerte qui signaleraient des dysfonctionnements dans les relations entre les distributeurs et leurs fournisseurs, au même titre que les lanceurs d’alerte fiscaux.

 

Proposition n° 23 : Instituer au ministère de l’Économie un portail garantissant l’anonymat des fournisseurs ou des distributeurs dénonçant des pratiques manifestement illégales dans les relations commerciales entre ces deux acteurs (supply ou managing compliance)

La protection des lanceurs d’alerte en France et en Europe

Deux lois protègent les lanceurs d’alerte en France : la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, modifiée par la loi organique n° 2016-1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte. Une proposition de directive européenne a été votée en avril 2019 par le Parlement européen visant à offrir une protection aux personnes dénonçant des infractions au droit de l’Union Européenne. Sur certains aspects la directive va au-delà du droit français, bien que reprenant certains aspects de la loi du 9 décembre 2016.

B.   LUTTER CONTRE DES « abus de position » et inciter distributeurs et fournisseurs à des relations plus favorableS au dÉveloppement ÉquilibrÉ des affaires

La commission d’enquête n’a nullement pour objectif de remettre en cause ou de mettre en difficulté le modèle français de grande distribution. Ce rapport d’enquête constitue une étape dans la réflexion visant à mettre un terme à des pratiques – et peut-être des structures – qui contribuent aujourd’hui à tendre les relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs et font obstacle à une répartition plus équitable de la valeur.

Dans cette perspective, il convient de mettre fin à un certain nombre de pratiques abusives aujourd’hui insuffisamment encadrées : la menace ou la décision d’arrêt de commande visant à exercer une pression sur le fournisseur dans le cadre des négociations, la menace ou la décision de déréférencement dans le même but, la limitation des pénalités logistiques qui ont été décrites par certains fournisseurs comme excessives, les délais de paiement parfois tardifs.

Il convient également de consacrer une attention toute particulière aux rapprochements à l’achat, susceptibles d’accentuer le déséquilibre de la relation entre distributeurs et fournisseurs mais aussi de permettre, au travers de ces rapprochements, la circulation d’informations entre distributeurs favorisant l’alignement des partenaires sur les prix les plus bas.

Plus préoccupante encore, la création de centrales d’achat et de services, formant un véritable écosystème qui gravite autour de la grande distribution française, tout en étant parfaitement cloisonnées, extrêmement opaques et insaisissables pour les pouvoirs publics français (ces structures sont installées en Belgique ou en Suisse), a retenu l’attention du rapporteur et suscité son inquiétude. Ce rapport constitue une première tentative d’approcher et de comprendre ce système de centrales internationales qui devront, dans un avenir proche, faire l’objet d’une investigation plus poussée de la part des pouvoirs publics.

1.   Encadrer et prévenir des pratiques ne relevant pas du commerce

Ce déséquilibre entre fournisseurs et distributeurs, notamment au stade des négociations d’achat, est susceptible de conduire à des pratiques commerciales déloyales imposées dans le cadre d’opérations de vente. Les protections imaginées par le législateur au fil des nombreuses réformes qui ont touché ce domaine sont insuffisantes et en tout cas contournées, comme cela a été souligné à de nombreuses reprises au cours des auditions auxquelles la commission d’enquête a procédé.

Il importe donc d’apporter des précisions ou des ajustements techniques susceptibles de permettre de mieux sanctionner les pratiques abusives et déloyales. Ces évolutions éventuelles du droit national ne sauraient être réalisées sans tirer toutes les conséquences de la directive européenne du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire ([75]). Si elle ne doit pas imposer des modifications fortes du cadre législatif français, le plus avancé en la matière, sa transposition pourrait être l’occasion d’opérer de nécessaires ajustements.

La directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire

La Commission européenne a présenté en avril 2018 une proposition de directive visant à interdire certaines pratiques commerciales déloyales. (adoptée le 17 avril 2019).

La régulation introduite par cette directive se limite au secteur de la chaîne de distribution des produits agricoles et alimentaires, c’est donc une réglementation sectorielle. Par ailleurs, elle se concentre sur les situations de déséquilibre, sur la protection des fournisseurs plus faibles contre des acheteurs plus forts. En effet, parce qu’elle lie fortement les divergences de pouvoir de négociation entre distributeurs et fournisseurs aux poids économiques de ces derniers, la protection de la directive est conditionnée à la démonstration préalable d’un déséquilibre, d’une différence de poids économique entre fournisseur et acheteur, basée sur la taille relative des opérateurs et selon une approche progressive. L’article 1er de la directive restreint ainsi son champ d’application en fonction des divergences de chiffres d’affaires de l’acheteur et du fournisseur. Seuls ceux dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 350 millions d’euros sont concernés par les protections introduites.

La directive ne prévoit pas d’interdiction générale. Elle établit une liste de pratiques qui sont présumées déloyales de manière irréfragable, et donc strictement interdites, et d’autres qui sont réglementées.

 Neuf pratiques sont entièrement interdites par l’article 3 de la directive : le paiement de la marchandise plus de trente jours après sa livraison si elle est périssable ou plus de soixante jours après pour les non périssables ; les annulations de commandes trop tardives (un délai inférieur à trente jours étant considéré comme une brève échéance) ; les modifications unilatérales des conditions d’un accord de fourniture ; les demandes de paiements sans lien avec la vente des produits ; les facturations de détérioration ou de perte de produits qui ont en réalité eu lieu postérieurement à la livraison ; le refus de l’acheteur de confirmer les conditions de l’accord de fourniture pris avec le fournisseur ; la divulgation des secrets d’affaires du fournisseur ; la mise en œuvre (ou la menace de procéder à la mise en œuvre) de représailles commerciales à l’encontre du fournisseur si celui-ci fait usage de ses droits ; la mise à la charge du fournisseur du coût des plaintes de clients alors que ce dernier n’est pas fautif.

 Six autres pratiques sont interdites, sauf si elles ont été convenues « en termes clairs et dépourvus d’ambiguïté » dans un accord entre le fournisseur et l’acheteur. Il s’agit de la prise en charge par le fournisseur de coûts supportés par la grande distribution : renvoi des invendus, stockage des produits, actions promotionnelles du distributeur, publicité, commercialisation ou personnel chargé d’aménager les locaux de vente.

 Cette distinction est supposée laisser une marge de manœuvre aux acteurs de la grande distribution sur laquelle M. Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, a insisté lors de son audition devant la commission d’enquête le 17 juin dernier : « Avec notre approche, les institutions européennes cherchent à éliminer les pratiques manifestement abusives qui sont généralement inefficaces. En même temps, cette approche laisse aux partenaires la possibilité de se mettre d’accord sur des pratiques – telles que les contributions à des promotions – qui peuvent être efficaces et bénéfiques pour les petits partenaires ».

Les États membres doivent désigner une autorité d’application de ses mesures. Elles auront de larges pouvoirs : agir à la suite d’une plainte, enquêter, mettre fin à une infraction, infliger des amendes ou des sanctions et publier les décisions prises.

Cette directive constitue une harmonisation minimale, c’est-à-dire que les États membres sont libres de prévoir des règles plus strictes que celles prévues. Ils transposeront la directive en droit national d’ici le 1er mai 2021 et la mettront en œuvre au plus tard six mois après.

L’adoption de cette directive témoigne que l’enjeu de la réglementation des pratiques déloyales est aussi important que celui de l’application des règles de la concurrence aux acteurs de la grande distribution, évoqué plus loin dans le rapport. C’est ce qu’a souligné, lors de son audition devant la commission d’enquête, M. Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne : « Indépendamment des alliances et des distributeurs, la taille de certains opérateurs dans la chaîne agroalimentaire leur donne un pouvoir de négociation par rapport aux petits fournisseurs, qui peut être mal utilisé et conduire à des pratiques commerciales abusives. Celles-ci doivent être appréhendées par la directive et les règles concernant les pratiques déloyales et pas nécessairement par les règles de concurrence ».

a.   Empêcher l’usage indu des arrêts délibérés de commande et des déréférencements, utilisés pour faire pression sur le fournisseur dans le cadre des négociations

i.   Définition et encadrement juridique des arrêts de commande et déréférencements

Les arrêts de commande, comme leur nom l’indique, correspondent à des situations où le distributeur décide de mettre soudainement un terme aux commandes adressées à un fournisseur avec lequel il est pourtant lié par contrat. En raison de l’encadrement légal de ces pratiques et plus précisément de leur prohibition, elles prennent des formes dissimulées, le distributeur prétextant, par exemple, des problèmes informatiques l’empêchant de passer des commandes. C’est ainsi que certains fournisseurs ont pu qualifier les arrêts de commande de « déréférencements sournois ».

Les déréférencements renvoient, en revanche, à un cadre juridique clair et une pratique qui peut, dans certains cas, être tout à fait licite et justifiée. Un distributeur fait alors le choix de supprimer de ses linéaires le produit d’un fournisseur. Il s’agit d’une condition d’exercice de la liberté contractuelle et de la liberté commerciale pour l’acheteur qui doit détenir cette possibilité de modifier le contenu de ses rayons dans un objectif purement commercial. Le maintien de déréférencements fondés sur des motivations économiques est donc indispensable. Cette pratique peut en effet parfois s’avérer nécessaire pour permettre à chaque distributeur l’exercice de sa liberté de commercer et de contracter, nécessité soulignée par M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) lors de son audition devant la commission d’enquête : « On parle de déréférencement, mais il faut considérer le nombre total de références : leur niveau sans doute trop élevé – elles ont augmenté de 13 % entre 2014 et 2018 – a poussé certaines enseignes à en diminuer le nombre ».

Le déréférencement peut toutefois s’avérer abusif lorsque le retrait des produits d’un fournisseur ne se fonde sur aucune raison objective, voire est utilisé comme moyen de pression dans le cadre des négociations. Cette pratique représente un danger, en particulier pour les PME, puisque les linéaires des distributeurs sont le plus souvent les uniques débouchés commerciaux disponibles pour les fournisseurs.

La loi française prohibe le déréférencement abusif sur le fondement du droit des pratiques anticoncurrentielles, d’abord. Le déréférencement ne doit pas être l’outil d’un abus de position dominante ou d’un abus de dépendance économique ([76]). De même lorsque les déréférencements résultent d’une action concertée, ils sont susceptibles d’être sanctionnés sur le fondement de l’interdiction des ententes.

La loi française sanctionne également les déréférencements abusifs sur la base du droit des pratiques restrictives de concurrence. Sur ce sujet, le rapporteur émet le regret que la refonte du code de commerce intervenue par une ordonnance du 24 avril 2019 ([77]) ait supprimé la référence aux « menaces » de rupture brutale des relations commerciales, dont peuvent faire l’objet les fournisseurs, dans le code de commerce ([78]). Même si la commission d’examen des pratiques commerciales avait atténué cette interdiction, la symbolique de ce retrait n’est pas heureuse. Le rapporteur propose donc de rétablir la référence à cette pratique dans la loi, proposition qui s’ajoute à la clarification générale qu’il appelle de ses vœux plus loin dans le rapport.

L’interdiction de la rupture brutale des relations commerciales est toutefois heureusement maintenue. Elle prévoit qu’« engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels » ([79]). Ce délit civil a été créé par la loi Galland ([80]) précisément pour lutter contre les déréférencements abusifs qui sont apparus avec l’essor de la grande distribution et notamment le développement des hypermarchés. Modifié plusieurs fois depuis, il est aujourd’hui avant tout un outil d’anticipation des changements dans les relations commerciales. Ce cadre juridique fait l’objet d’un contentieux important, tant ses termes sont sujets à interprétations divergentes. Il en résulte une protection juridique peu lisible et aussi peu propice à la sécurité juridique qu’à son appropriation par les victimes. La récente réforme du droit des relations commerciales déjà évoquée n’a pas apporté de solution sur ce sujet. Si elle renforce, certes, la sécurité juridique, en prévoyant notamment que « la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois », elle ne définit toujours pas les notions, qui restent ainsi relativement floues.

ii.   Des pratiques utilisées comme moyen de pression, sans motivation économique

Les déréférencements effectifs diminuent, comme cela a été souligné par M. Richard Panquiault, directeur général de l’Institut de liaison et d’études des industries de consommation (ILEC) lors de son audition devant la commission d’enquête : « (…) en 2016, 75 % de nos adhérents étaient concernés par des mesures de déréférencement, en moyenne dans trois enseignes. L’incidence sur le business représentait 4,5 points de chiffre d’affaires. En 2017, ces indicateurs sont respectivement passés à 25 %, 1 à 1,5 enseigne en moyenne et 1,5 point de chiffre d’affaires (…) le phénomène n’est plus aussi marquant que par le passé ».

Pour autant, plusieurs fournisseurs nous ont fait part de pratiques d’arrêts ou de ralentissements délibérés de commande, ainsi que de déréférencements, que nous pouvons largement qualifier d’abusifs. Malgré la baisse du nombre de déréférencements effectifs, la pratique de menaces suffirait à exercer une pression sur les fournisseurs. La réalité de ces menaces, confirmée par plusieurs vendeurs, a été notamment mise en avant par M. Richard Girardot, président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), qui a affirmé lors de son audition devant la commission d’enquête, que « tout cela intervient sous une forme de pression et même de chantage au déréférencement des entreprises, (…) les PME vivent parfois avec des menaces de déréférencement assez fortes. Le déréférencement total est extrêmement rare, mais il existe des déréférencements partiels, temporaires ou touchant une partie de la gamme des produits d’un industriel, de façon définitive ou ponctuelle, le temps de la négociation. Il existe aussi ce que nous appelons des « déréférencements sournois », sans véritable argumentation, dont l’industriel n’est pas prévenu et qu’il découvre en cours de négociation ». Le ralentissement des commandes sans explications crédibles a également été fréquemment présenté aux membres de la commission comme un des moyens de pression le plus couramment pratiqué.

En outre, ces déréférencements interviennent souvent au moment du début des négociations, ce qui constitue un indice supplémentaire d’une totale absence de motivation économique, mais bel et bien de la mise en place d’une stratégie qui cherche à profiter du déséquilibre existant entre le pouvoir de négociation des fournisseurs et celui des acteurs de la grande distribution, au moyen de pratiques déloyales. Cette temporalité a notamment été soulignée, lors de son audition devant la commission d’enquête, par M. Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF) : « le fournisseur est déréférencé dès le début de la négociation, ce qui le déstabilise ».

Ces cessations de commande et ces déréférencements abusifs ont ainsi pour objectif d’exercer une pression sur les fournisseurs, notamment au moment des négociations commerciales, afin de les inciter à accepter les volontés tarifaires de la grande distribution. Ces pratiques sont donc loin de reposer systématiquement sur des motivations économiques et pourraient ainsi entrer dans le cadre juridique des ruptures brutales des relations commerciales établies. Mais l’existence de celui-ci n’apporte visiblement aucune solution aux victimes. Outre le manque de lisibilité du cadre juridique, c’est l’absence de plaintes par peur de représailles qui explique cette situation.

Le rapporteur est convaincu de la nécessité de responsabiliser les acteurs, en créant une obligation pour le fournisseur de signaler à l’administration les déréférencements abusifs dont il est la victime. Même si cette nouvelle obligation serait, dans les faits, difficilement opposable aux victimes, son existence symbolique permettrait peut-être une meilleure responsabilisation de tous les acteurs.

Proposition n° 24 : Créer une obligation de signalement à l’administration de déréférencements abusifs pour le fournisseur, à travers un portail internet qui garantirait l’anonymat de la procédure.

 

Le rapporteur préconise également un nécessaire renforcement du cadre juridique prohibant la rupture brutale des relations commerciales établies, en y ajoutant une obligation systématique de motivation des déréférencements et arrêts de commande, dont la DGCCRF aurait la connaissance. Cette information systématique de l’autorité de contrôle lui permettrait de mieux cerner les éventuels abus et ainsi de les limiter. Elle annihilerait aussi le moyen de pression que les menaces de déréférencements constituent puisque toute application concrète d’une rupture de relations commerciales, qu’elle soit initiée par le fournisseur ou par le distributeur, aurait désormais pour préalable une motivation obligatoire dont la DGCCRF aurait connaissance et qui lui permettrait d’agir en cas de pratique déloyale. Ce renforcement – nécessairement accompagné d’une clarification du cadre juridique de la rupture brutale des relations commerciales établies – pourrait profiter du véhicule législatif que représentera la transposition de la directive 2019/633 sur les pratiques commerciales déloyales.

Proposition n° 25 : Mieux lutter contre les arrêts de commande et déréférencements abusifs

– Clarifier les notions de l’article L 442-1 du code de commerce pour le rendre plus lisible et moins sujet à contentieux ;

– Rétablir notamment la référence aux « menaces » de rupture brutale des relations commerciales établies dans cet article ;

– Imposer notamment un délai minimal de six mois de préavis écrit, le droit actuel prévoyant un « préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels » ;

– Imposer une motivation écrite de toutes les ruptures de relations commerciales qui serait transmise au fournisseur ou à l’acheteur concerné ainsi qu’à la DGCCRF afin qu’elle dispose systématiquement des éléments constitutifs d’une éventuelle pratique commerciale déloyale dont elle pourrait se saisir.

Lors de son audition devant la commission d’enquête, le directeur général de l’ILEC, M. Richard Panquiault, a affirmé que « les pratiques illicites mutent
 vers l’international, vers les pénalités, vers la logistique ». Cette indispensable proposition sur la rupture brutale des relations commerciales ne doit donc pas nous faire oublier que la pratique concrète des déréférencements s’est réduite au profit de nouvelles pratiques commerciales illicites.

b.   Favoriser l’application proportionnée des pénalités logistiques

i.   Des prélèvements croissants assimilables à une source de revenus pour la grande distribution

Les pénalités logistiques sont des sanctions pécuniaires, prenant la forme de prélèvements imposés aux fournisseurs par les distributeurs si ces derniers ne sont pas satisfaits de leur qualité de service. Elles sont notamment exigées par les groupes de la grande distribution s’ils jugent que les produits ont été livrés en retard.

Il y a unanimité sur la croissance démesurée qu’ont connue le nombre et le montant de ces pénalités logistiques au cours de ces dernières années. Ce constat était mis en avant dès 2017 par Jean-Philippe Girard, alors président de l’ANIA, dans une interview ([81]) : « la grande nouveauté 2017, c’est l’explosion des pénalités logistiques. Une livraison effectuée avec quelques minutes de retard peut correspondre à une amende de plusieurs milliers d’euros. Ces pénalités deviennent de nouveaux revenus pour la distribution. C’est un dévoiement de la relation commerciale ». La persistance de telles pratiques a encore été mise en avant dans de nombreuses auditions de la commission d’enquête, notamment celle de M. Dominique Amirault, président de la FEEF qui a rappelé que les fournisseurs « subi[ssent] à l’heure actuelle une inflation des pénalités logistiques sans corrélation entre les préjudices subis par la grande distribution et le montant des pénalités payées par les fournisseurs ».

Cette situation est favorisée par les exigences disproportionnées de la grande distribution qui rendent quasiment automatique l’application de pénalités logistiques. C’est ainsi que certains distributeurs fixent dans les conditions générales d’achat des taux de service ([82]) de 100 %, ce qui implique que toutes les commandes doivent être livrées sans aucune difficulté, aucune anomalie, même minime, et sans le moindre retard, quelle que soit la raison. Or, pour de nombreux acteurs que nous avons auditionnés, l’atteinte de ce taux de service est quasiment impossible. Cela laisse supposer une pratique volontaire des distributeurs pour s’accaparer une nouvelle source de revenu. M. Richard Panquiault, directeur général de l’ILEC, est allé jusqu’à avouer penser que « que certains distributeurs budgètent des millions d’euros au titre des pénalités logistiques qu’ils vont infliger dès que lors que personne sur Terre n’est humainement capable d’atteindre 100 % de taux de service ». Certains acteurs parlent même d’un « 6 net », qui serait constitué de l’application de pénalités logistiques, tant cette pratique serait devenue systématique.

Afin de protéger les fournisseurs des demandes disproportionnées des distributeurs, le rapporteur propose d’inscrire dans la loi un plafond de taux de service qui pourrait être de 97 %.

Proposition n° 26 : Interdire de définir contractuellement un taux de service supérieur à 97 %.

Ces pénalités mettent en difficulté de nombreuses entreprises, notamment les plus petites d’entre elles. Elles sont d’autant plus injustes que de nombreuses pratiques nous ont été rapportées témoignant moins de la sanction d’un abus que d’un dévoiement de cette possibilité laissée au distributeur. Certains exemples d’abus manifestes ont été présentés à la commission d’enquête, les entreprises se voyant par exemple appliquer de mauvaise foi des pénalités de retard alors que leur camion est déjà arrivé sur le parking du magasin, situation par exemple rapportée par M. Richard Girardot lors de son audition devant la commission d’enquête : « En effet, les camions attendent dans la file d’attente et ils se voient appliquer des pénalités de retard ».

Face à ces décisions souvent peu justifiées, les fournisseurs ont bien sûr la possibilité de contester la pénalité et de demander un remboursement. Toutefois, toujours en raison de l’asymétrie de pouvoir de négociation, il est fastidieux pour un vendeur de réclamer un remboursement, situation là encore dénoncée par M. Richard Panquiault, toujours dans son audition devant la commission d’enquête, « une partie peut être récupérée après discussion et renégociation. Mais il devient très difficile de contester une pénalité et de récupérer l’argent quand on estime qu’il a été indûment ponctionné ». Le rapporteur considère donc qu’il faudrait obliger le distributeur à apporter une preuve vérifiable du manquement du fournisseur, sans quoi la pénalité ne pourrait être appliquée.

Toutefois, il ne faut pas que cette nouvelle exigence ne débouche sur une situation où les manquements des fournisseurs ne seraient plus sanctionnés. Les ruptures de stocks en linéaire (appelées communément « ruptures rayons ») ont en effet des conséquences non négligeables pour la grande distribution, nuisant à son image et pesant sur son chiffre d’affaires. Ainsi, le rapporteur préconise une réflexion qui pourrait avoir lieu autour de la commission d’examen des pratiques commerciales sur les manières de sanctionner justement les ruptures de stocks en linéaire. L’objectif du rapporteur est bien évidemment de faire émerger une réciprocité dans l’amélioration des pratiques. Les recommandations visent en effet la protection des fournisseurs, comme celle des distributeurs, afin d’atteindre l’objectif essentiel que constitue la protection des consommateurs.

Proposition n° 27 : Conditionner l’application de pénalités à l’existence de preuve d’un manquement et favoriser des applications justes de pénalités

– Obliger le distributeur à apporter la preuve du manquement du fournisseur pour lui appliquer une pénalité ;

–  Demander à la CEPC une réflexion sur les meilleures manières de pénaliser « les ruptures rayons » ;

– Réfléchir aux outils rendant possible cette nouvelle exigence (photographie, bordereau signé par le livreur avec mention de l’heure, outils technologiques fiables sur les horaires dont seraient dotés les transporteurs, etc.).

 

ii.   Un cadre législatif relativement impuissant mais un engagement des acteurs à lutter contre le dévoiement des pénalités

Face à cette pratique croissante et déloyale, le cadre législatif français actuel paraît impuissant. Devant ce constat, le ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, M. Didier Guillaume, et la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des finances, Mme Agnès Pannier-Runacher, ont saisi en juillet 2018 la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) en lui soumettant la question de la légalité de certaines pratiques relatives aux clauses de pénalités logistiques. La CEPC a ainsi établi, en concertation avec les acteurs, un guide de bonnes pratiques ([83]).

Le Guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques établi par la Commission d’examen des pratiques commerciales

Dans son avis rendu public le 6 février 2019, la commission liste les comportements attendus sous la forme de 15 recommandations de bonnes pratiques.

Parmi elles, la nécessaire « prise en compte des conditions logistiques » par tous les acteurs dans les conditions générales de vente et d’achat, avant même la conclusion du contrat d’approvisionnement prévoyant des pénalités logistiques. La CEPC insiste également sur la « nécessité de convenir d’un taux de service adapté à la relation (…) prévoyant une marge de tolérance contractuelle ». Le taux de service devra ainsi dépendre de la nature des produits, du schéma logistique retenu par les parties et des caractéristiques des entreprises. Cette recommandation paraît logique puisque les pénalités sur des produits périssables, difficilement stockables, devraient être logiquement plus élevées que sur des produits moins frais.

De même, la commission recommande de faire preuve d’une certaine tolérance dans les pénalités liées aux retards de livraison. Concernant les montants, elle considère qu’ils ne devraient être « ni manifestement excessi[fs], ni manifestement dérisoires ». Ce guide insiste aussi sur des indispensables exonérations de pénalités en cas de circonstances externes aux fournisseurs et aux distributeurs, même en dehors de la force majeure (blocages de sites industriels, crise sanitaire, pénurie de matière première, etc.).

Plus généralement, la CEPC insiste aussi sur la nécessité d’engager un dialogue entre l’acheteur et le fournisseur. La concertation préalable doit par exemple être privilégiée face à l’application systématique de pénalités. Le respect du taux de service doit quant à lui être apprécié de manière contradictoire. Elle préconise également d’appuyer les procédures sur des échanges documentés entre parties et d’encadrer l’application de pénalités dans des délais précis.

 

Le rapporteur préconise, a minima, d’encourager la diffusion de ce Guide de bonnes pratiques et d’en faire une base de travail et de décision pour les autorités de régulation, comme c’est déjà en partie le cas.

 

Proposition n° 28 : Renforcer l’importance du Guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques de la commission d’examen des pratiques commerciales

– Diffuser et vulgariser les recommandations du guide des bonnes pratiques ;

– Enjoindre à la DGCCRF de se baser sur les recommandations de ce guide pour assurer son contrôle et cerner les pratiques manifestement déloyales ou suspectées de l’être.

 

Il faut toutefois aller plus loin. Certaines exigences, que les recommandations du Guide de bonnes pratiques introduisent, doivent être clairement inscrites dans la loi. Si le rapporteur estime qu’il ne faut pas remettre en cause le principe même des pénalités logistiques, légitimes en cas d’abus, il convient en effet de les encadrer.

Proposition n° 29 : Encadrer les pénalités logistiques

– Limiter le montant des pénalités logistiques à un pourcentage défini du prix d’achat des produits concernés ;

– Limiter l’application de pénalités logistiques aux situations causant des ruptures de stock en magasin ;

– Engager une réflexion sur les éléments du Guide qui auraient leur place dans la loi.

c.   Limiter les pratiques consistant à allonger les délais de paiement

i.   Des délais de paiement plafonnés par la loi

Les retards de paiement sont des pratiques préjudiciables pour les fournisseurs, notamment les plus petits d’entre eux, ceux qui n’ont pas forcément accès aux financements de court terme auprès des banques pour compenser. Les conséquences de la multiplication des retards de paiement sur la trésorerie des entreprises, et donc sur leur existence, sont en effet majeures.

Le respect des délais de paiement des fournisseurs par la grande distribution est aujourd’hui beaucoup mieux garanti qu’avant, grâce à un cadre juridique clair et une action déterminée de la DGCCRF.

La loi plafonne en effet strictement les délais de paiement qui « sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, (…) ne peuvent dépasser trente jours après la date de réception des marchandises (…) », « le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne [pouvant] dépasser soixante jours après la date d’émission de la facture » ([84]). L’action des autorités de régulation a été très forte sur ce sujet, contribuant à réduire le nombre de retards de paiement, pratique commerciale déloyale qui était encore très répandue il y a quelques années. Ce recul du non-respect des délais de paiement par la grande distribution a été confirmé par plusieurs fournisseurs lors de leur audition devant la commission.

Pour autant et malgré cette atténuation, certains acteurs de la grande distribution usent de pratiques permettant le contournement de la loi afin d’allonger les délais de paiement.

ii.   La persistance de pratiques de contournement

Un nombre restreint de fournisseurs nous a fait part d’une pratique de contournement de la loi en ce qui concerne les délais de paiement : le « stock déporté » ([85]). Il s’agit, pour l’acteur de la grande distribution qui s’adonne à cette pratique, de faire livrer les produits par le fournisseur dans un entrepôt extérieur dans lequel ils sont stockés. Le distributeur se sert alors au fur et à mesure de ses besoins dans cet entrepôt pour alimenter ses rayons. Il ne règle cependant le fournisseur qu’au moment où les produits sortent de l’entrepôt pour aller vers ses magasins. Parce qu’il y a alors un décalage entre la livraison par le vendeur et l’acquisition concrète de la marchandise par l’acheteur, cette pratique permet de repousser le point de départ du délai légal de paiement. Elle a donc pour conséquence évidente un décalage plus grand que celui prévu par la loi entre le moment où le fournisseur livre sa marchandise et celui où il est payé.

Cette pratique de « délais cachés » n’est pas sanctionnée par la loi. Elle constitue pourtant un contournement évident de la législation, renforcé par d’éventuelles menaces de déréférencement si le fournisseur refuse cette pratique de stockage dans un entrepôt intermédiaire.

En outre, le stock appartient encore au fournisseur tant que le client ne s’est pas servi dans l’entrepôt, ce qui soulève des problèmes délicats en matière de propriété et d’assurance.

Certes, cette pratique n’a été soulevée qu’à la marge par les fournisseurs, mais cela ne dispense pas les autorités d’une nécessaire action sur cette question. Le rapporteur propose ainsi d’inscrire dans la loi que le point de départ du délai légal de paiement est la date de première livraison après « sortie d’usine » du fournisseur.

Proposition n° 30 : Inscrire à l’article L 441-10 du code de commerce que la date de déclenchement des délais légaux de paiement correspond à la date de la première livraison à la sortie des locaux du fournisseur.

 

2.   Rapprochement à l’achat et développement de centrales de service et d’achat internationales : des phénomènes qui accentuent le déséquilibre de la relation commerciale et doivent être encadrés

Deux phénomènes, anciens mais qui ont eu tendance à connaître une forte accélération au cours des dernières années, doivent être distingués : le rapprochement à l’achat de plusieurs distributeurs au niveau national et le développement, au niveau international, de centrales offrant aux industriels des services (AgeCore, C.W.T., Coopernic et Coopelec) et, plus récemment, de centrales d’achat européennes (par exemple, Eurelec Trading).

a.   Au niveau national, un mouvement de concentration qui se traduit par des alliances volatiles

L’Autorité de la concurrence (AdlC) propose la définition suivante des centrales d’achat et de référencement issues de rapprochement entre différents acteurs de la grande distribution : « Les centrales d’achat et de référencement ont pour objectif de négocier, au profit de plusieurs distributeurs, des conditions d’achat plus avantageuses que celles que chacun d’eux pourrait obtenir individuellement s’il traitait isolément avec les fournisseurs. Les centrales d’achat nationales concernent tant les groupes intégrés que les regroupements d’indépendants, ces derniers disposant également de centrales d’achat au niveau régional » ([86]).

i.   Une recomposition permanente des alliances à l’achat au niveau national qui contribue à la déstabilisation des acteurs

Si les rapprochements à l’achat ne sont nullement une nouveauté dans le secteur de la grande distribution, le phénomène tend à s’accélérer à partir de 2014, dans un contexte de baisse des prix susceptible de faire pression sur les marges des distributeurs. Les premiers accords semblent avoir eu, sur les suivants, un effet d’entraînement, les enseignes craignant de ne pas parvenir à demeurer compétitif face à une concurrence alliée à l’achat.

Dès 1999, Système U et Leclerc s’étaient rapprochés au sein de l’union de la coopérative Lucie destinée au traitement en commun de l’approvisionnement en carburant, du référencement national des grandes marques PGC et des premiers prix alimentaires. La centrale disparaît en 2006, sans avoir atteint les objectifs fixés au moment de sa création.

Au cours des dernières années, les rapprochements à l’achat se sont multipliés, au prix d’une certaine confusion et au risque d’un partage d’informations préjudiciable à la concurrence :

– En 2014, Système U et Auchan d’une part ; Intermarché et Casino d’autre part au sein de la centrale INCA-A ; Carrefour et Cora, enfin, forment des alliances à l’achat, visant, dans la plupart des cas à la négociation en commun de produits à marque nationale à l’exclusion des PME et des entreprises fournissant des produits frais traditionnels.

– En 2018, Intermarché et Casino se séparent, Casino rejoignant pour un temps Système U et Auchan.

– Cette dernière alliance est de courte durée puisqu’en avril 2018, Système U rompt son alliance avec Auchan et Casino pour se rapprocher de Carrefour, Cora et Match ;

– À compter du 1er janvier 2019, un partenariat à l’achat entre Intermarché et Francap distribution est conclu. Francap distribution est la centrale d’achat de 14 sociétés régionales et fournit environ 4 200 magasins de proximité indépendants affiliés dont 1 900 sous enseigne, notamment Coccinelle, Coccimarket et G20 ainsi que certains grossistes régionaux, pour un chiffre d’affaires annuel en magasins non négligeable (2,3 milliards euros).

Cette recomposition permanente débouche, à l’heure où ce rapport est publié, sur une situation des rapprochements à l’achat au niveau national qui peut être ainsi décrite, d’après les chiffres 2019 communiqués à la commission d’enquête par Nielsen :

– Les Mousquetaires et Francap représentent 16 % des parts de marché ;

– La centrale Horizon (Auchan / Casino / Métro / Schiever) représente 20 % des parts de marché ;

– E. Leclerc représente 20,3 % des parts de marché ;

– La centrale Envergure (Carrefour / Système U / Cora / Match) représente 33,3 % des parts de marché.

À ces rapprochements à l’achat destinés à permettre la négociation des achats de produits à marque nationale, s’ajoutent d’autres alliances dans le secteur non-alimentaire, conclues pour la plupart en 2016 :

 Casino et Conforama ;

 Auchan et Boulanger ;

 Carrefour avec Fnac et Darty.

ii.   Présentation des principales centrales d’achat françaises

Les trente-sept entreprises entendues dans le cadre de la commission d’enquête, dont la liste figure en annexe, ont indiqué que les négociations commerciales qui avaient lieu avec des structures au niveau national, se tenaient avec quatre centrales principales dont trois – Horizon, Envergure et Intermarché – relevaient de rapprochements à l’achat très récents entre distributeurs tandis que la quatrième, le Galec, appartenait au seul groupe Leclerc.

 

 

 Horizon (Auchan / Casino / Métro / Schiever) :

La centrale Horizon est une société à responsabilité limitée (SARL) et a été créée en septembre 2018. La structure est dédiée à la négociation et n’achète donc pas directement de produits, les achats physiques revenant aux enseignes. Les négociations sont menées à partir de consignes (dites « briefs ») concernant les éléments au sujet desquels des engagements peuvent être pris vis‑à‑vis des fournisseurs – leviers commerciaux, services et contreparties, en particulier – et délivrés par chacune des enseignes.

La centrale compte quarante personnes dont une vingtaine de négociateurs.

La centrale Horizon est structurée autour de deux activités :

– Les marques de distributeur (MDD) qui fonctionnent par appel d’offres et se limitent à une famille réduite de produits dits « non-différenciants » tels les pâtes ou le riz ;

– La négociation avec les grandes marques qui concerne un périmètre réduit comprenant 113 fournisseurs devant remplir les deux critères cumulatifs suivants : le chiffre d’affaires mondial de l’entreprise concernée doit s’élever, au minimum, à 300 millions d’euros et l’industriel doit avoir un courant d’affaires minimal, avec Auchan et Casino, de 10 millions d’euros. Ces négociations sont organisées autour de quatre marchés qui sont les suivants : 1/ le frais industriel laitier et non-laitier ; 2/ l’épicerie sucrée et salée ; 3/ les produits liquides et les surgelés ; 4/ le marché « droguerie, parfumerie et hygiène » (DPH) et le non‑alimentaire. La négociation n’intègre ni la logistique, ni les délais de paiement.

Lors de leur audition, les représentants d’Horizon ont souligné que la création de la centrale répondait à une volonté de fonder une relation plus coopérative entre distributeurs et industriels. Dans cette perspective, sept engagements ont été pris par la centrale, des engagements qui semblent susceptibles de créer en la matière une dynamique vertueuse et doivent être saluées :

 offrir une plus grande visibilité en amont des négociations aux industriels sur les leviers commerciaux qu’ils pourront activer ;

– anticiper la signature des accords de manière à conclure autant de contrats que possible en amont de la date du 1er mars ;

– développer les contrats pluriannuels ;

– intégrer davantage à la discussion les variations des matières premières ;

– assurer le suivi des négociations au travers de rendez-vous avec les industriels permettant de suivre la bonne mise en œuvre des accords signés ;

– la mise en place d’un comité d’observation des négociations menées au sein d’Horizon, auquel sont notamment parties l’ANIA et l’ILEC ;

– un effort fait pour valoriser l’innovation et la volonté, lors de la prochaine campagne de négociations, de mener les négociations concernant les innovations en amont de celles relatives aux prix. Celles qui auront été sélectionnées par les enseignes feront l’objet d’une communication en amont aux fournisseurs concernés et une négociation préalable aboutira à la signature d’un accord-cadre.

MM. Abel Mercier et Franck Derniame, respectivement directeur délégué aux achats et directeur juridique de la centrale, ont souligné d’une part l’étanchéité des structures Horizon et Horizon Internationale et, d’autre part, le caractère très strict des clauses de confidentialité auxquelles sont soumis les acheteurs de la structure.

 Envergure (Carrefour / Système U / Cora / Match) :

Envergure a été créée en octobre 2018, concrétisant la conclusion d’un partenariat à l’achat par Carrefour et Système U au mois de mars de la même année. Il s’agit d’une société par actions simplifiées (SAS) détenue à parts égales par Carrefour et U. Elle est en charge de la négociation des produits de grandes marques nationales et internationales, soit 83 fournisseurs, dont 70 officient sur le marché des produits de grande consommation (PGC). La centrale n’achète elle-même aucun produit : les groupes se chargent directement de ces achats.

Envergure est donc une centrale chargée de négocier avec les fournisseurs les plans d’affaires pour Carrefour et U Enseigne. Les plans d’affaires décrivent, aux dires des représentants d’Envergure entendus par la commission d’enquête, sur une période d’un an, les gammes de produits, leur diffusion dans chacun des formats de magasins – Hyper U, Super U, Carrefour Market ou Carrefour City – les innovations qui seront retenues et diffusées, le chiffre d’affaires projeté et le volume prévisionnel. Les enseignes ne mènent pas de négociations en parallèle.

L’objectif affiché d’Envergure est de rationaliser les échanges avec les fournisseurs et, en contrepartie, ainsi que l’exprimait M. Stéphane Vaudoit, président d’Envergure : « bénéficier de prix d’achat compétitifs », cet objectif étant qualifié de « raison d’être de [la] centrale ».

« Envergure ne dispose pas de box mais de grandes salles de réunion, climatisées, avec eau, café et matériel de projection à disposition. Les mots « intimidation », « maltraitance », « harcèlement » qui ont été prononcés lors de ces auditions ne correspondent pas davantage à nos pratiques » a également tenu à souligner M. Stéphane Vaudois lors de son audition.

Les représentants de la centrale ont, par ailleurs souligné, que le partenariat entre les deux enseignes comportait plusieurs volets, dont le rapprochement à l’achat. Néanmoins, un effort d’étanchéité entre les deux enseignes a été effectué : Envergure dispose de locaux propres, d’un outil informatique différent de celui de ses enseignes et comportant des verrous destinés à éviter les erreurs d’aiguillage de documents concernant l’une ou l’autre enseigne. L’ensemble des négociateurs de la centrale a, par ailleurs, d’après les affirmations de M. Cazorla, signé un contrat de confidentialité.

Ces représentants ont également affirmé n’avoir aucune relation directe avec C.W.T. la centrale internationale de Carrefour.

● Intermarché Alimentaire International et Francap :

Après avoir quitté l’alliance aux achats avec Casino, Intermarché s’est rapproché de Francap Distribution, une centrale de référencement de distributeurs indépendants, pour négocier ses achats avec les marques nationales et internationales à compter du 1er janvier 2019. Le périmètre de cette centrale inclut les grandes marques de produits de grande consommation, mais exclut les MDD, les produits de PME et les produits frais agricoles. M. Thierry Cotillard, le président d’Intermarché, a ainsi affirmé, dans une interview récente « qu’aucune structure commune n’est créée entre Francap Distribution et Intermarché. Il ne s’agit en aucune manière d’une alliance à l’achat ou d’une centrale d’achat commune : en termes techniques, il s’agit d’une affiliation d’approvisionnement. Et Intermarché n’interviendra pas dans la politique commerciale de Francap Distribution. Dès la prochaine campagne de négociations, les structures d’Intermarché achèteront aussi pour Francap Distribution » ([87]).

● Le Galec :

La centrale de référencement de Leclerc, se distingue des centrales précédemment évoquées puisqu’elle est une société coopérative à laquelle adhèrent les centres E. Leclerc et n’est pas le fruit d’une alliance entre différents groupes. La coopérative nationale Galec compte 900 salariés mais une grande partie des adhérents E. Leclerc, c’est-à-dire des directeurs de magasin, prennent part aux travaux du Galec, notamment en matière de négociation commerciale, mais aussi en matière de marketing (définition de l’offre ou définition des assortiments, par exemple).

Le Galec n’est pas, à proprement parler, une centrale d’achat, mais une centrale de référencement. Les coopératives régionales, au nombre de seize, qui se chargent de procéder aux achats à la demande des directeurs de centres. Le Galec compte également une direction dédiée à la communication et une direction chargée des outils informatiques de la structure.

iii.   Risques avérés et anticipés des rapprochements à l’achat

L’encadrement des rapprochements à l’achat par l’Autorité de la concurrence

 

Saisie pour avis par le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique et par la commission des affaires économiques du Sénat, en 2015, sur la question de l’impact concurrentiel des rapprochements de centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis (n° 15-A-06) le 31 mars 2015 relatif à ces enjeux. Les rapprochements dont les conséquences sont étudiées sont ceux entre Système U et Auchan, Intermarché et Casino, Carrefour et Cora, advenus au cours de l’année 2014.

L’Autorité souligne qu’aucun de ces accords n’entre dans le champ du contrôle des concentrations, ce qui néanmoins n’empêche pas leur examen sous l’angle des pratiques anticoncurrentielles et en particulier des règles relatives aux ententes. Dans le cadre d’une saisine pour avis (et non d’une procédure contentieuse pleinement contradictoire), l’Autorité rappelle qu’il ne lui revient pas de qualifier les comportements spécifiques de tel ou tel acteur économique.

Dans son avis, l’Autorité de la concurrence rappelle néanmoins que les lignes directrices horizontales de la Commission européenne fixent un « seuil de sécurité » pour les rapprochements à l’achat, estiment que lorsque la part de marché cumulée des parties à un accord de coopération à l’achat n’excède pas 15 % tant sur les marchés amont que sur les marchés aval, il est probable que les conditions d’exemption visées à l’article 101, paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne seront remplies. En revanche, lorsque ce seuil de 15 % est dépassé, les effets favorables à la concurrence et les effets restrictifs sur la concurrence doivent être évalués.

L’Autorité identifie un certain nombre de risques attachés à la conclusion de ces alliances :

– une complexité des négociations accentuée par la distinction entre plusieurs catégories de fournisseurs, qui multiplient les strates de négociation, et opèrent des segmentations nouvelles entre différents aspects de la négociation pour certains d’entre eux ;

– des risques concurrentiels sur les marchés aval : échanges d’informations, symétrie des conditions d’achat, réduction de la mobilité interenseigne ;

– des risques concurrentiels sur les marchés amont : risques de limitation de l’offre, de réduction de la qualité ou de l’incitation de certains fournisseurs à innover ou investir ; risque d’éviction des fournisseurs les plus fragiles.

Certaines pratiques dont ce rapport fait état (voir 1 du présent B) avaient également été identifiées par l’Autorité de la concurrence : les déréférencements et les exigences d’avantages sans contrepartie.

*

*    *

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (loi dite « Macron ») introduit dans le code de commerce un nouvel article L. 462-10 qui dispose que doit être communiqué à l’Autorité de la concurrence, à titre d’information, au moins quatre mois avant sa mise en œuvre, tout accord entre des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation, ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d’achat d’entreprises de commerce de détail, visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs. Un bilan concurrentiel de l’accord est établi par l’AdlC et, en cas d’atteintes à la concurrence, les parties doivent prendre des mesures visant à y remédier dans des délais fixés par l’Autorité.

*

*   *

C’est dans ce cadre que l’Adlc a ouvert une enquête, en juillet 2018, sur les accords, entre les groupes Auchan, Casino, Métro et Schiever d’une part, entre les groupes Carrefour et Système U d’autre part. Ces accords, comme le souligne l’AdlC dans son communiqué de presse, ont un périmètre plus large que ceux conclus en 2014 puisqu’ils comportent un volet international, et qu’ils incluent non seulement des produits à marque de distributeurs (MDD).

Les conclusions de cette enquête n’ont pas été rendues à l’heure où ce rapport est publié.

Ces rapprochements à l’achat invitent à s’interroger sur la notion de concurrence : comment ne pas voir une anomalie dans le fait que des concurrents à la vente effectuent leurs négociations ou leurs achats en commun ? Dans certains cas, il a été avancé que ces rapprochements ne constituaient qu’un volet d’une coopération plus poussée. Dans la grande majorité des cas, néanmoins, ces alliances semblent davantage relever d’une forme d’opportunisme que d’une stratégie globale de coopération – le caractère volatile des rapprochements en témoigne.

Les mouvements de rapprochement, entre distributeurs, à l’achat contribuent également à une déstabilisation des fournisseurs qui sont confrontés à des alliances variables lors des négociations. Ces mutations rapides, qui entraînent nécessairement une mobilité des négociateurs avaient fait craindre à l’Autorité de la concurrence des partages d’informations préjudiciables au fournisseur. De nombreux industriels entendus dans le cadre d’auditions à huis clos ont souligné que les rapprochements avaient conduit à des demandes systématiques d’alignement des prix. Ces rapprochements sont également susceptibles de conduire à un alignement sur le moins-disant en matière de contreparties octroyées aux fournisseurs par le distributeur. Ainsi, M. Lionel Barbaras, lors de son audition par la commission d’enquête le mercredi 10 juillet, admettait que Provera (Cora et Match), dont il est le directeur général, avait « effectivement bénéficié des conditions d’Interdis », c’est-à-dire des mêmes prix que Carrefour.

Extraits (anonymes)
comptes rendus d’auditions de fournisseurs menées à huis clos

« Les changements réguliers au sein des alliances génèrent un vrai souci de non-respect de la confidentialité des négociations, renforcé par des mouvements permanents de personnes entre les enseignes. Cela crée une perméabilité, que nous ne nous autoriserions pas d’un point de vue industriel, à travers les différentes structures de contrats et de concurrence que nous pouvons voir. Nous sommes forcément perdants dans la négociation, parce que soit il y a une demande d’uniformisation des prix d’achat entre enseignes, soit ce sont les mêmes dérives, mais au détriment de nos stratégies que nous devrions avoir de différenciation entre les enseignes, pour différents types de prestations de services rendus. »

« Cela témoigne malheureusement de notre incapacité à « passer » les tarifs, renforcée par la mise en place des super centrales en 2015. Depuis cette date, les commerçants sont réunis par groupes de deux, changent tous les deux ans de partenaires en nous demandant des baisses de prix, sans que cela fasse pour autant progresser les marchés. »

« D’autre part, il se fait des rapprochements de centrales d’achat qui n’ont d’autre but que de faire baisser nos prix sans apporter de volumes supplémentaires, ce qui ne change strictement rien pour les industriels. Au lieu de vendre à deux centrales, nous devons vendre au prix le plus bas en conservant les mêmes volumes ; c’est une contrainte. »

« La nouveauté vient du phénomène d’alliance, qui marie des enseignes comme Système U et Carrefour, qui n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre mais utilisent leur poids cumulé pour ne parler que de prix. »

« Nous négocions exclusivement avec des centrales françaises (…) l’un des points qui pose problème, ce sont ces rapprochements et ces changements d’enseignes qui vont une fois avec l’un et l’autre fois avec l’autre. Cela pose un vrai problème. Même s’il n’y a soi-disant pas de connaissance des accords, il y a une très claire demande d’alignement sur les prix les plus bas. »

Les rapprochements, enfin, ont conféré aux enseignes regroupées une puissance de négociation démultipliée à laquelle les industriels peuvent difficilement résister. « En dépit de notre taille nous ne représentons cependant que 2 % à 3 % des achats des distributeurs en France. À l’inverse, nos plus grands clients peuvent représenter jusqu’à 40 % de nos achats » affirmait ainsi un industriel entendu à huis clos ([88]). Le même industriel poursuivait : « Échouer et ne pas trouver d’accord, même mauvais, est difficilement envisageable tant les répercussions sur l’emploi, la filière et nos propres fournisseurs sont importantes (…) Cette répercussion et cette pression à la baisse ont des conséquences sur l’emploi, sur nos investissements, sur nos capacités à innover et sur les autres fournisseurs du groupe qui, eux aussi, peuvent subir cette enchère en cascade et ces problématiques. ».

 

Au niveau international, le développement de centrales d’achats et de services au fonctionnement opaque et dont l’action échappe totalement à la législation française.

iv.   Des alliances également en mutation au niveau international

Les alliances internationales, entre distributeurs européens, ou la « délocalisation » de certaines centrales de service dans des pays tiers tels que la Belgique ou la Suisse n’ont cessé de se multiplier au cours des deux dernières décennies.

En 1989, était créée, pour le compte de Casino, de Markant (Allemagne), de Supergro (Danemark) et d’Euromadi (Espagne), EMD (European Marketing Distribution) basée en Suisse, et consacrée essentiellement à l’achat de MDD et de biens non revendables.

En 1998, Intermarché crée Agenor, une centrale d’achat internationale, installée à proximité de Zurich.

En 2005, Edeka (Allemagne) rejoint Eroski (Espagne) et Les Mousquetaires (France) au sein de la centrale Alidis, créée en 2003, s’alliant à l’achat mais conservant leur indépendance capitalistique.

En 2006, Leclerc (France), Rewe (Allemagne), Conad (Italie) et Coop (Suisse) forment, sous le nom de Coopernic, une alliance entre des distributeurs « indépendants », destinée à permettre l’achat de produits pour les quatre enseignes et à négocier avec les multinationales et les industriels des prestations spécifiques communes.

En septembre 2013, Colruyt, Conad, le groupe Coop et Rewe Group, quittent la centrale Coopernic pour fonder une autre alliance, baptisée Core.

En juin 2015, Rewe quitte Core pour rejoindre Leclerc au sein de Coopernic, renforcée entre-temps par l’arrivée de Delhaize (Belge) ([89]) et Coop Italia (Italie).

En août 2015, les membres de l’alliance Core (anciens partenaires et alliés de Leclerc) rejoignent Intermarché au sein de l’alliance Alidis qui devient la première alliance de distributeurs implantée dans huit pays (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Suisse, Pologne et Portugal). Pour les négociations commerciales 2016, une nouvelle structure, AgeCore se substitue à Core et à Agenor.

En juin 2016, E. Leclerc et Rewe officialisent la création d’Eurelec Trading, centrale d’achat commune sous forme coopérative installée à Bruxelles. Leur coopération internationale se poursuit par ailleurs au sein de Coopernic, conjointement avec Delhaize et Coop Italia.

En 2018, Casino, Auchan, Metro et Schiever mettent en place, parallèlement à une structure française Horizon, une structure internationale, dite Horizon International. En conséquence, Casino quitte EMD.

Ces changements fréquents de partenaires confèrent à l’ensemble une complexité et un manque de lisibilité, préjudiciable tant aux acteurs économiques, qu’aux observateurs et qu’à l’administration.

v.   Typologie des centrales internationales

Les éléments développés ci-après ne prétendent pas permettre de dresser un tableau exhaustif du fonctionnement de l’ensemble des centrales internationales. Les délais dans lesquels s’inscrivent les travaux de la commission étant contraints, celle-ci a choisi de concentrer ses investigations sur les entités dont les pratiques ont été le plus fréquemment et le plus unanimement dénoncées par les fournisseurs.

La commission d’enquête a ainsi souhaité entendre les représentants de trois entités internationales, toutes installées à Bruxelles, dont Leclerc est membre. L’ensemble forme une « nébuleuse », cloisonnée et relativement opaque, au sein de laquelle les responsabilités sont extrêmement difficiles à attribuer. Quatre entités méritent d’être décrites :

1/ Eurelec Trading est une centrale d’achat commune sous forme coopérative basée à Bruxelles et fondée en 2016. Le groupe allemand Rewe et le groupe français E. Leclerc en sont coactionnaires à parts égales. La centrale est chargée de négocier pour les deux groupes les prix des grandes marques a minima européennes et le plus souvent mondiales. Les achats sont effectués pour E. Leclerc en France et au Portugal. La structure, chargée des achats à proprement parler – contrairement aux centrales de services qui seront décrites dans la suite du présent rapport – centralise commandes, factures et paiements. La centrale emploie 13 personnes de diverses nationalités.

Le principe sur lequel repose le développement d’Eurelec est celui d’un élargissement progressif annuel à de nouveaux industriels. Ainsi, en 2017, pour sa première année d’activité, la centrale comptait quatre industriels avec lesquels elle était chargée de négocier, puis dix nouveaux industriels en 2018 et dix groupes supplémentaires en 2019 ont été intégrés aux négociations.

Le montant des produits achetés, pour sa première année d’activité, était de 812 millions d’euros, puis 2,8 milliards en 2018 et plus de 5 milliards d’euros attendus pour l’année 2019.

Dans ce cadre, les industriels sont invités par la centrale à entrer en négociations. Cette négociation se substitue à celles qui avaient cours auparavant au niveau national.

Eurelec étant une société de droit belge, le contrat proposé est un contrat de droit belge. Eurelec ne négocie que les prix : les plans d’affaires et les promotions ne sont pas du ressort de cette entité.

En ce qui concerne le calendrier des négociations, M. Olivier Petit, directeur général adjoint d’Eurelec, a indiqué à la commission que celles-ci étaient initiées dès le mois de septembre, avec plus de deux tiers des contrats signés avant le 31 décembre pour 2018 et un tiers discuté au mois de janvier et, au plus tard, au début du mois de février.

M. Olivier Petit a également indiqué que la montée en puissance de la centrale ne devrait se poursuivre que sur les deux à trois prochaines années afin d’atteindre un nombre maximal d’industriels en négociation de 40 à 50 groupes.

2/ La commission d’enquête n’a pas directement entendu de représentants de la Scabel mais le rôle de celle-ci ne peut être dissocié de celui d’Eurelec. C’est en effet à cette entité également installée en Belgique qu’Eurelec revend, sans prélever de commission, les produits achetés auprès des fournisseurs pour le compte de Leclerc. Une structure allemande similaire existe pour Rewe.

3/ La commission d’enquête a, en revanche, reçu les représentants de Coopernic. Cette structure, qualifiée par M. Laurent Collot, son directeur général, d’« alliance stratégique » a été créée en 2006. Elle regroupe Rewe, Leclerc, Delhaize et Coop Italia. La structure compte 11 salariés mais fonctionne, comme le Galec, selon un principe coopératif qui permet l’investissement en son sein de responsables coopérateurs adhérents.

Les activités de Coopernic se structurent autour de trois principaux champs d’action. Le premier consiste en la coordination de la négociation et l’exécution de contrats internationaux de prestation de service destinés aux grandes marques internationales sur différentes catégories – l’épicerie, les liquides, le frais, les surgelés, la parfumerie, la droguerie et le non alimentaire notamment. Coopernic est ainsi chargé d’organiser les réunions permettant de fixer le cadre et de définir les prestations qui font l’objet d’un contrat. La structure est également chargée du suivi au niveau local des engagements pris à Bruxelles. Ces services portent principalement sur des activités additionnelles telles que le développement de produits – promotions, merchandasing, cross-category –, le développement de la relation – médiation, revue d’affaires – et le support à l’innovation, destiné à accélérer la mise en rayons des innovations. 105 fournisseurs ont un contrat dans ce cadre avec Coopernic. M. Laurent Collot a affirmé devant la commission d’enquête que les fournisseurs pouvaient sans difficulté refuser les services proposés par Coopernic et indiqué qu’il avait, pour sa part, eu à refuser deux fournisseurs qui souhaitaient contractualiser avec la structure. La deuxième mission de Coopernic concerne les MDD des associés coopérateurs : la centrale coordonne les appels d’offres internationaux, jouant un rôle de plateforme de sourcing européenne.

Ces appels d’offres concernent aussi bien les produits transformés, tels que les glaces, citées en exemple, que des produits plus bruts, comme le riz. Enfin, le troisième champ d’action de Coopernic tient dans les appels d’offres pour les achats indirects (produits nécessaires exploitation des magasins tels que les gants, les ampoules, les caddies ou les gondoles).

4/ La commission, enfin, a entendu les représentants de Coopelec.

Créée en 2013, cette entité est également installée à Bruxelles. Coopelec est l’interlocuteur unique des adhérents Leclerc au sein de Coopernic. Coopelec propose ainsi des services supports pour les coopérateurs Leclerc en Espagne, au Portugal, en France, en Pologne et en Slovénie. Elle compte 6 salariés, mais 50 à 60 coopérateurs apportent leur concours à l’exécution de ses missions – certains y consacrant un tiers de leur temps. Certains services proposés sont propres à Coopelec – le data sharing, en particulier ou encore la coordination et la facilitation stratégique. Les contrats sont signés de gré à gré pour une durée comprise d’un à quatre ans – cette dernière durée étant exceptionnelle. La facturation des différents services définis pour un même industriel au sein d’un contrat est globale. La rémunération de ces services correspond à une fraction du chiffre d’affaires européen de l’industriel concerné. L’objectif de ces services, aux dires de M. Alexandre Masiak, directeur de Coopelec, est de permettre aux industriels « la qualification de la performance de leurs produits au sein des réseaux Leclerc ».

La commission s’est également intéressée à deux structures internationales dont Intermarché est partie prenante : AgeCore et Intermarché Belgique.

1/ AgeCore, qui succède à Agenor et à Core, est une centrale de services, qui ne procède donc pas à l’achat de produits. AgeCore vend des services aux à 71 entreprises multinationales. Elle est installée à Genève (Suisse). La commission d’enquête a rencontré les plus grandes difficultés pour obtenir sur cette centrale les informations nécessaires à la rédaction de son rapport d’enquête. Les représentants d’Intermarché interrogés par la commission d’enquête ont indiqué, sans plus de précision, qu’AgeCore comptait 10 à 15 salariés. M. Thierry Cotillard, Président d’Intermarché, a également affirmé aux membres de la commission « que l’intégralité de ce qui est facturé aux industriels [par AgeCore] se retrouve dans les comptes d’Intermarché au niveau France ».

La dérobade de M. Gianluigi Ferrari, directeur général
de la société suisse AgeCore SA

 

La commission d’enquête a établi un constat de carence, le 4 septembre 2019, s’agissant de l’audition de M. Gianluigi Ferrari dûment convoqué en sa qualité de directeur général de la centrale dite de services AgeCore SA, société de droit suisse basée à Genève. M. Ferrari ne s’est pas présenté devant notre commission.

Cette audition s’imposait à l’évidence en raison du nombre de fois où les noms d’AgeCore et de son dirigeant ont été cités par les fournisseurs entendus par la commission d’enquête.

La société AgeCore a été mise en place au début de l’année 2016. Le groupe français Intermarché est l’un de ses fondateurs et compte parmi ses actionnaires les plus actifs aux côtés de représentants des groupes Eroski (Espagne), Conad (Italie), Colruyt (Belgique) et de Coop suisse.

Au cours de son audition, le 8 juillet dernier, Thierry Cotillard, Président d’Intermarché, s’était d’abord gardé d’évoquer les activités d’AgeCore et il a fallu que Thierry Benoit, président de la commission d’enquête, lui rappelle sa fonction d’administrateur de cette société « extraterritorialisée ».

Pourtant, le lendemain 9 juillet au cours d’une audition distincte, les propos de M. Gwenn Van Ooteghem, directeur des achats « marques nationales » d’Intermarché, confirmaient bien l’existence d’un lien entre les négociations tenues à Genève avec de grands fournisseurs et les négociations de prix conduites par ses équipes, en France, avec ces mêmes fournisseurs. En d’autres termes, il est clairement apparu que le débouché de négociations françaises pouvait être subordonné à la soumission des fournisseurs aux exigences financières d’AgeCore qui leur vend des services dont les tarifs et même l’utilité ont été contestés par nombre d’entre eux devant la commission. Sans que le rapporteur puisse juger de la réalité de la situation, le mot de « racket » a été employé par plusieurs interlocuteurs de la commission.

La discrète présence en Suisse d’Intermarché (qui n’exerce aucune activité de distribution dans ce pays) remonte au début des années 2000 avec la création d’une première centrale dite de services conjointement créée avec le seul groupe espagnol Eroski

M. Gianluigi Ferrari est un professionnel expérimenté de la grande distribution européenne puisqu’il a exercé, avant sa nomination à la tête d’AgeCore, des responsabilités de haut niveau dans des groupes du secteur mais a aussi été pendant cinq ans, du côté des fournisseurs industriels, directeur des comptes mondiaux (global accounts director) de la société italienne Barilla.

Fort de sa connaissance du secteur, M. Ferrari entouré d’un tout petit nombre de collaborateurs, « invite » les grands fournisseurs à venir négocier chez AgeCore des contrats « de services » dont les montants sont généralement élevés car établis sur la base du chiffre d’affaires annuel de l’industriel.

Les prestations ainsi facturées (toutes payables par virements en Suisse) portent principalement sur des promesses de coopération commerciale à caractère promotionnel (sans garantie de volumes) voire sur l’organisation de rencontres dites « top to top » dont les industriels ont dit ne pas être particulièrement demandeurs !

Comment Monsieur Ferrari a-t-il pu se soustraire à son obligation de déférer à la convocation de la commission d’enquête ?

M. Ferrari a d’abord été normalement convoqué par lettre recommandée (doublée par des mails) pour le 15 juillet, dans la continuité logique des auditions successives de M. Thierry Cotillard, président d’Intermarché puis de M. Gwenn Van Ooteghem. Sa réponse, tardive, est intervenue par le biais de deux cabinets d’avocats d’affaires, l’un français, l’autre suisse. A priori, M. Ferrari tenait à faire savoir qu’il ne récusait pas la convocation mais que des dispositions légales en vigueur ([90]) lui faisaient obligation d’obtenir, au préalable, une autorisation des autorités gouvernementales suisses.

Cette perception juridique peut paraître contestable mais, en gage de bonne volonté, la commission d’enquête a reporté la date de convocation de M. Ferrari au 4 septembre et a adressé une lettre justificative de sa demande d’audition à M. Ignazio Cassis, Conseiller fédéral, en sa qualité de Chef du Département fédéral des affaires étrangères (courrier du 26 juillet). Ce courrier a été officiellement transmis par la voie diplomatique à ce membre du gouvernement suisse, courrier immédiatement appuyé par une note verbale de notre ambassade de Berne. Cette demande d’entraide administrative internationale visait à bien démontrer que cette convocation d’une personne privée établie en Suisse ne portait nullement atteinte à la souveraineté comme aux intérêts de ce pays et ne présentait pas le caractère d’injonction illégale au sens du droit international.

À cet égard, le rapporteur tient à souligner l’implication des cabinets de M. Jean-Yves Le Drian ; ministre de l’Europe et des affaires étrangères et de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État.

La réponse des autorités suisses n’est intervenue par courrier que le 29 août, quelques jours seulement avant la nouvelle date de l’audition. La réponse négative donnée par le Département fédéral suisse de la Justice ne s’appuie pas sur le caractère fondé ou non de la convocation mais estime : « En matière civile et pénale, il existe des bases légales internationales et/ou nationales permettant de donner suite à des demandes de notification d’actes. Tel n’est toutefois pas le cas pour la présente demande faite dans le cadre d’une procédure menée par une commission d’enquête parlementaire ».

Il apparaît que les autorités suisses ont été quelque peu gênées par cette position puisqu’au lendemain de leur réponse écrite ils ont expliqué oralement à notre poste diplomatique à Berne qu’une solution pourrait peut-être s’avérer possible à la condition que « l’audition se passe dans un cadre différent de celui d’une commission d’enquête, et qui serait intégrée dans une procédure plus générale » ([91]). L’interprétation de cette déclaration est difficile. Il semble toutefois que les autorités suisses pourraient adopter une attitude plus réceptive si la société AgeCore, un de ses actionnaires et/ou M. Ferrari lui-même faisaient l’objet de poursuites en France, par exemple pour des manquements au droit fiscal.

Le sentiment partagé par le président et le rapporteur de la commission d’enquête est que Gianluigi Ferrari, fort bien conseillé, a instrumentalisé le droit suisse pour engager une démarche dilatoire afin de se soustraire à son obligation de déférer à la convocation de la commission d’enquête.

Cette dérobade est d’autant plus choquante que d’autres responsables de centrales internationales ont pu normalement être auditionnés par la commission d’enquête. Il en a été ainsi, le 9 juillet, du directeur général de Carrefour World Trade (C.W.T.) dont le siège des activités est à Genève comme c’est le cas d’AgeCore. Il en a été de même pour les directions de Coopernic et de Coopelec, dans le cadre d’auditions successives, le 22 juillet, alors que ces entités « délocalisées » à Bruxelles relèvent du groupe français E. Leclerc.

Le rapporteur tenait tout particulièrement à exposer en détail ce qui n’est pas une péripétie mais relève, à son sens, d’arguties pseudo-juridiques.

L’activité des centrales internationales de services des groupes de distribution français est une question essentielle. Si leur existence se justifie pour un groupe comme Carrefour, présent dans près de quarante pays, elle est contestable pour des groupes de distribution essentiellement « franco-français ». Mais plus encore, la croissance constatée de leurs activités interroge car elle génère des centres de profits dont les affectations comptables et fiscales restent obscures d’autant qu’ils résultent souvent de facturations peu lisibles. La dérobade de M. Ferrari est plus que maladroite, elle est contre-productive. En effet, elle laisse à penser que le groupe Intermarché chercherait à cacher la réalité de son implication au travers de sa participation dans la société suisse AgeCore ? Le rapporteur ne peut ainsi avoir de certitude s’agissant de l’affirmation des dirigeants du groupe devant la commission au sujet des profits encaissés par cette structure : « Cela redescend aux consommateurs ».

 

2/ Intermarché Belgique ou « ITM Belgium » est également une entité chargée de négocier des services qui lui sont rémunérés. Son périmètre diffère de celui d’AgeCore : AgeCore vend des services dans le cadre d’une alliance de six distributeurs européens, tandis qu’Intermarché Belgique a pour périmètre les pays dans lesquels Intermarché est implanté (en France et, en réalité pour une faible partie de son chiffre d’affaires, en Belgique, en Pologne et au Portugal).

 

3/ Enfin, la commission d’enquête a entendu les représentants de la centrale de services de Carrefour : Carrefour World Trade (C.W.T.).

C.W.T. est une filiale détenue à 100 % par le groupe Carrefour. C.W.T., installée à Genève, a succédé à la centrale P.W.T. (créée en 1991 par le groupe Promodès) lorsque Carrefour et Promodès ont fusionné en 2000. Elle compte une vingtaine de salariés, tous collaborateurs salariés de Carrefour. La centrale a également des « partenaires » : le britannique Tesco, ainsi que Cora Match et Système U.

C.W.T. est une centrale de services chargée de vendre à des industriels des « services multi-pays » ([92]). Ces services peuvent être classés en trois catégories :

a) « le développement et la coordination internationale multi-pays, qui visent à soutenir les stratégies des industriels partout dans le monde » ([93]) ;

b) l’échange au travers d’un portail informatique de données de vente et logistique multi-pays ;

c) « la coordination et le suivi d’initiatives spécifiques multi-pays ». Les représentants de C.W.T. ont également insisté sur le fait que ces services s’adressaient aux cent plus grands groupes industriels internationaux.

vi.   Pratiques déloyales et risques identifiés par la commission d’enquête

Les industriels entendus par la commission d’enquête ont rapporté, documents à l’appui et avec une grande cohérence, un certain nombre de pratiques condamnables mises en œuvre par ces centrales d’achats et de services. Seules les pratiques les plus fréquemment citées et celles pour lesquelles les industriels ont fourni des preuves matérielles sont ici répertoriées. Les auditions des industriels ayant eu lieu à huis clos, aucun nom d’entreprise, ni aucun chiffre permettant l’identification d’un groupe particulier ne sont ici cités.

La première pratique dénoncée par un nombre significatif d’industriels entendus par la commission d’enquête consiste en ce qui pourrait être nommé la « taxe Eurelec ». De nombreux fournisseurs, approchés par Eurelec ou entrés en relation contractuelle avec cette centrale, se sont vus signifier, de la part d’AgeCore, une augmentation très significative des sommes versées à l’entité dans le cadre des contrats passés avec elle. Ainsi, sans aucune contrepartie, du seul fait d’être entré (ou sur le point d’entrer) dans une relation contractuelle avec Eurelec, des industriels ont vu leur contribution à AgeCore doubler – passant ainsi, dans plusieurs des cas présentés devant la commission, de 0,45 à 0,9 % de leur chiffre d’affaires mondial.

Il apparaît, en second lieu, que la signature d’un contrat avec une centrale de services européenne soit devenue un préalable à l’ouverture des négociations au niveau national. Un industriel entendu à huis clos a ainsi déclaré, résumant une situation décrite par nombre de ses pairs : « Une centrale comme AgeCore est devenue une sorte de péage : tant que l’accord AgeCore n’est pas réglé, il ne peut pas y avoir de négociation locale. Cela a constitué la réponse d’Intermarché à son absence d’alliance au local : elle a fait levier sur sa centrale internationale pour avoir du poids dans la négociation ».

Malgré les affirmations des distributeurs assurant que des clauses de confidentialité particulièrement strictes caractérisaient les contrats des négociateurs des différentes centrales, plusieurs cas de diffusions d’informations confidentielles ont été rapportés par les industriels. Ainsi, dans le cadre de négociations menées avec C.W.T., des fournisseurs ont constaté que des alignements de conditions avaient été demandés pour Carrefour et ses différents partenaires.

L’absence de proportionnalité entre les services rendus par les centrales et le montant de leur facturation aux industriels a été systématiquement soulevée devant la commission d’enquête. La consistance de ses services a été mise en cause, certains industriels allant jusqu’à parler, dans certains cas, de services fictifs. Plusieurs fournisseurs entendus par la commission ont d’ailleurs fait état de propos tenus par M. Gianluigi Ferrari, directeur général d’AgeCore, qui aurait ainsi reconnu, sur le ton de la raillerie, l’absence de contrepartie au prix élevé payé par les industriels à sa centrale ! Dans le cadre de C.W.T., par ailleurs, le prix demandé pour des services jugés très peu utiles pourrait représenter 2 à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

La difficulté, voire l’impossibilité de refuser les services proposés par ces centrales d’achat a également été mise en exergue. Des situations ubuesques ont été évoquées : le cas, par exemple, de fournisseurs contraints de payer pour des services supposés accélérer leur croissance à l’international, alors même que leur chiffre d’affaires était exclusivement réalisé en France. Dans certains cas, si une entreprise refusait un service donné, la centrale augmentait le prix d’autres services de manière à obtenir le versement de la même somme.

Plus grave encore, des pressions ont pu être exercées au niveau national pour forcer à la conclusion d’accords internationaux. Le cas d’AgeCore, à cet égard, a été cité à de multiples reprises. Plusieurs exemples de déréférencements massifs ou d’arrêts de commande brutaux, au niveau national, de la part des différentes enseignes membres de la centrale, ont ainsi été présentés à la commission. Ayant trouvé dans la presse un écho important, le cas du groupe Nestlé ayant fait l’objet en 2018 d’arrêts massifs de commande provisoires de la part d’Intermarché est emblématique.

Le mode de facturation de ces services renforce la suspicion des observateurs quant à la qualité réelle des services délivrés. Il s’agit, en effet, le plus souvent, de facturations à l’intitulé sibyllin ne permettant pas d’identifier précisément les services rémunérés.

Les fournisseurs de la grande distribution sont ainsi amenés, dans le cas de C.W.T., à effectuer leur paiement sous forme de virement bancaire mensuel sur un compte bancaire suisse appartenant à la société. La facture indique simplement le numéro de l’acompte  huitième acompte »), sans plus de précision.

Ces structures, enfin, permettent d’échapper au cadre juridique et fiscal français. Les dirigeants des enseignes entendus dans le cadre de la commission ont assuré, sous serment, que ces centrales ne servaient en aucun cas à la mise en œuvre de pratiques d’optimisation fiscale.

La commission d’enquête tient néanmoins à souligner l’opacité de telles structures et insiste pour que des investigations soient poussées plus avant par les services compétents. En ce qui concerne le contournement de la loi française, la localisation de ces centrales à l’étranger permet évidemment de s’affranchir de certaines obligations, notamment en matière de respect du calendrier des négociations. Ainsi que le soulignait, lors de son audition, M. Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E. Leclerc : « en France, la négociation est contrainte dans le temps, il y a une date limite qui fait que la négociation se passe entre la réception par le Galec des conditions générales du fournisseur et le 28 février, date limite de la négociation. Ce n’est pas le cas dans les autres structures […] ce type de contrainte n’existe pas en Belgique ».

b.   Des dérives à réguler à l’échelon européen ou national

Ces dérives, particulièrement graves, doivent faire l’objet d’une réaction politique nationale et européenne à la hauteur des enjeux qu’elles représentent.

Le rapporteur rappelle que dès 2007 (lors de l’examen par le parlement de la loi Chatel) puis au cours de l’année 2008, Jean Arthuis, en sa qualité de président de la commission des finances du Sénat, avait soulevé la question des accords de coopération commerciale négociés au niveau de centrales basées à l’étranger et du caractère faible voire fictif de leurs contreparties au bénéfice des fournisseurs. Face à ces marges arrières d’un nouveau type et la loi du silence entourant leur négociation, M. Arthuis appelait de ses vœux une réaction des pouvoirs publics. Force est de constater qu’il n’en a rien été.

En considérant à présent le développement spectaculaire de telles entités et le volume croissant de leur facturation adressée à un nombre important de fournisseurs, il convient, en premier lieu, de déterminer un seuil ([94]) pour que les rapprochements de distributeurs au sein d’une centrale n’excèdent pas une certaine part de marché afin d’éviter que les fournisseurs se trouvent dans une situation de dépendance trop forte vis-à-vis de leurs acheteurs.

Proposition n° 31 : Encadrer la création de centrales d’achat et/ou de services et d’alliances à l’achat dès lors que la part de marché cumulée de ses membres paraît de nature à porter atteinte à la libre concurrence et à l’équilibre des relations commerciales sur le marché des produits alimentaires et non alimentaires. Le dépassement de ce niveau d’activité sur le marché sera déterminé par l’Autorité de la concurrence sur la base d’une étude d’impact.

 

Dans cette perspective, il est également proposé l’inscription d’une nouvelle infraction dans le code de commerce. Le droit actuel ne permet, en effet, que de répondre partiellement aux difficultés auxquelles un fournisseur se trouve confronté dans sa négociation avec ses distributeurs.

L’abus de dépendance économique (art. L. 420-2 du code de commerce), en particulier, est identifié au moyen de trois critères cumulatifs : l’existence d’une situation de dépendance économique, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure de la concurrence sur le marché. Dans les faits, l’abus de dépendance économique est caractérisé, dans la jurisprudence de l’Autorité de la concurrence et de la Cour d’appel de Paris au moyen d’un critère qui ne figure plus dans l’article de code mais qui demeure déterminant : l’absence, pour le fournisseur, de solution équivalente. Très strictes, les conditions de l’article L. 420-2 sont rarement remplies. L’état de dépendance ou l’atteinte au marché sont, en effet, extrêmement difficiles à démontrer. Il est rare qu’une entreprise réalise l’essentiel de son activité avec un partenaire unique et soit privée de toute alternative en cas de rupture de ses relations avec lui. Il est, en revanche, fréquent qu’un fournisseur dépende d’un acheteur pour une part substantielle de son activité et se trouve en position de faiblesse pour négocier. Dans ce cadre, il n’est pas exclu que l’acheteur – ici, le distributeur – tire avantage de cette situation pour exercer une pression sur son fournisseur afin d’obtenir les prix les plus bas. Il pourrait donc être envisagé d’inscrire dans le code de commerce, au titre des pratiques restrictives de concurrence, une infraction d’abus de position d’achat caractérisée par une relation d’achat particulièrement favorable à l’acheteur, sans qu’elle puisse être qualifiée de dépendance économique, l’exploitation abusive de cette position et une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure du marché.

Proposition n° 32 : Inscrire dans le code de commerce, au titre des pratiques restrictives de concurrence, une infraction consistant en l’abus de position d’achat caractérisée par une relation d’achat particulièrement favorable à l’acheteur, sans qu’elle puisse être qualifiée de dépendance économique, l’exploitation abusive de cette position et une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure du marché.

La réalité et la consistance des services facturés aux industriels devraient être plus aisément mesurables, ce que pourrait permettre une obligation de recenser ces services et d’établir un barème des prix exigés des fournisseurs pour chacun d’eux.

Proposition n° 33 : Répertorier les services de coopération commerciale proposés aux fournisseurs par les distributeurs – au niveau français comme international – et établir un barème des prix exigés pour ces services.

Il n’est, par ailleurs, pas acceptable qu’un ensemble de services fasse l’objet d’une seule facturation globale payée par acompte mensuel.

Proposition n° 34 : Rendre obligatoire que chaque service délivré à un industriel fasse l’objet d’une facturation distincte indiquant clairement l’objet de la rémunération.

 

Dans cette même optique, il s’avère indispensable de renforcer, au plan fiscal, la transparence des flux financiers entourant l’« activité » des centrales d’achats établis hors de nos frontières.

Certes, les éléments recueillis par le rapporteur auprès de la Direction générale des Finances publiques donnent à penser que l’ensemble des bénéfices dégagés par ces alliances retourne aux acteurs français de la grande distribution à due concurrence de leur part dans les alliances. Dès lors, l’existence des centrales d’achats à l’étranger n’occasionnerait aucune perte de recettes pour les finances publiques françaises.

Si ce jugement apparaît fondé s’agissant du recouvrement de l’impôt dû, il ne tient pas nécessairement compte de l’impact négatif que comporte, au plan économique, la facturation de prestations sans réelle valeur ajoutée en fonction du chiffre d’affaires français des fournisseurs. De facto, cette facturation constitue un prélèvement susceptible de porter préjudice au dynamisme des producteurs français. Ce constat ne rend que plus nécessaire un strict contrôle par les services compétents de la consistance des services qu’ils sont souvent tenus de souscrire en contrepartie du maintien et/ou du développement d’une relation d’affaires.

Du point de vue du rapporteur, le contrôle doit être mené au regard des règles proscrivant les pratiques restrictives de concurrence, notamment les dispositions de l’article L. 442-1 du code de commerce. Certaines prestations paraissent relever d’avantages ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ou encore constituer des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Sur le plan du droit fiscal, la seule réelle possibilité de requalifier une prestation dénuée de tout intérêt pour l’activité des entreprises tient à la caractérisation d’un « acte anormal de gestion ».

 

 

Cette notion désigne un accompli dans l'intérêt d'un tiers par rapport à l'entreprise ou qui n'apporte à cette entreprise qu'un intérêt minime hors de proportion avec l'avantage que le tiers peut en retirer ([95]). Il peut consister en une dépense ou en une perte à la charge de l'entreprise, ou qui prive cette dernière d'une recette, sans que l'acte soit justifié par les intérêts de l'exploitation commerciale, ce qui justifie que la charge ou le produit qui en résulte soit réintégré dans le résultat imposable, qui est augmenté d'autant.

Au titre des dispositions du code général des impôts relatives à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur le bénéfice des sociétés, en tant que personnes morales, les entreprises sont tenues d’établir des déclarations de bénéfice ou de déficit ([96]), et suivant leur situation, de fournir certaines pièces limitativement énumérées. Un principe plus général du droit fiscal impose aux redevables de l’IS de conserver toute pièce justificative du paiement d’une dépense constitutive d’une charge susceptible de donner droit à déduction du bénéfice imposable. Ces documents peuvent être demandés dans le cadre d’un contrôle fiscal. Or, ainsi que l’ont laissé entendre les représentants de la Direction générale des Finances publiques, les services de l’administration fiscale peuvent se heurter à la difficulté majeure que constitue l’absence des pièces justificatives.

Sous réserve d’une étude plus approfondie, il ne parait hors de propos de considérer que suivant leur consistance, les services facturés par les centrales pourraient constituer soit une charge déductible à bon droit, soit un « acte anormal de gestion » pour les fournisseurs.

Afin de permettre ce contrôle, le rapporteur préconise l’établissement de deux obligations expresses pour les fournisseurs et les distributeurs qui peuvent être alternatives ou complémentaires : d’une part, déclarer aux services fiscaux tout contrat conclu et/ou toute prestation souscrite auprès d’une centrale établie hors du territoire national ; d’autre part, tenir à la disposition des services fiscaux les contrats et pièces justificatives des prestations facturées par ces structures.

La mise en œuvre de ces mesures pourrait nécessiter le cas échéant une modification du code général des impôts voire du code de commerce. Plus vraisemblablement, une mention expresse dans les textes infra-réglementaires ou l'édiction d’une instruction semble de nature à permettre l’établissement d’obligations déclaratives proportionnées, susceptibles d’être adaptées aux pratiques entourant les négociations commerciales.

Proposition n° 35 : Faire obligations aux distributeurs et aux fournisseurs de : déclarer aux services fiscaux tout contrat conclu et/ou toute prestation souscrite auprès d’une centrale d’achat ou de services établie hors du territoire national ; de tenir à leur disposition les contrats et pièces justificatives des prestations facturées par ces structures.

 

Le lien entre la vente de services dits « internationaux » et le développement à l’international du fournisseur concerné, grâce « à l’appui » du distributeur, doit pouvoir être démontré, afin d’éviter les situations aberrantes évoquées précédemment.

Proposition n° 36 : Ne pas fonder la détermination des prix des services internationaux délivrés au fournisseur par un distributeur sur le chiffre d’affaires du fournisseur, mais bien le rendre proportionnel au développement à l’international de l’entreprise permise par ledit contrat.

 

La création et le fonctionnement des centrales d’achat et de services internationales doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’Union européenne.

Proposition n° 37 : Encadrer la création et l’activité des centrales d’achat et/ou de services par une directive européenne.

3.   Favoriser l’établissement de relations commerciales permettant un meilleur partage de valeur

Le calendrier des négociations commerciales, enserré dans les délais prévus à l’article L. 441-4 du code de commerce, prévoit que les contrats doivent être signés au plus tard le 1er mars de chaque année. Les conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs doivent, par ailleurs, être adressées au distributeur trois mois avant cette date butoir, soit le 1er décembre. Le 1er mars coïncide, à quelques jours près, avec la date d’ouverture du Salon de l’agriculture qui offre aux accords ainsi conclus une véritable caisse de résonance, un point souligné devant la commission d’enquête par M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Mais en fait, les négociations s’achèvent, dans bien des cas, très tardivement et même dans la nuit du 28 février au 1er mars, au prix de tensions qui pourraient être évitées. Le rapporteur estime ainsi que les négociations sont trop longues et que leur calendrier est inadapté. Il propose donc de les enserrer dans des délais plus brefs et créant une incitation psychologique à conclure les accords avant la date butoir, sans précipitation. Les négociations pourraient ainsi s’achever au plus tard le 15 décembre avec obligation pour le fournisseur de communiquer ses conditions générales de vente au distributeur au plus tard le 15 septembre.

Proposition  38 : Resserrer le calendrier des négociations commerciales annuelles qui devront s’achever au plus tard le 15 décembre avec obligation pour le fournisseur de communiquer ses conditions générales de vente au distributeur au plus tard le 15 septembre.

Ensuite, dans le prolongement des états généraux de l’alimentation (EGA) et de la loi dite « EGAlim », le développement des contrats tripartites dans les secteurs où ceux-ci apparaissent pertinents et, surtout des contrats pluriannuels, doit se poursuivre et être encouragé (proposition n°). Enfin, l’établissement des indicateurs coûts de production doit devenir une obligation, les blocages rencontrés en la matière pour la viande bovine n’étant pas acceptables.

Proposition n° 39 : Dans l’intérêt des producteurs, imposer l’établissement des indicateurs de coût de production prévus par la loi dite « EGAlim ».

 

Pour la formation des prix, et afin de garantir une juste répartition de la valeur créée, il importe avant tout d’objectiver la construction des prix en fonction de ses variables constitutives. Ainsi, le rapporteur préconise la mise en place d’un index des prix qui rende compte de l’évolution des matières premières agricoles et non-agricoles, des coûts de l’énergie, des coûts salariaux, ou encore qui prenne en compte le coût de la RSE, afin de pouvoir répercuter ces hausses de coûts de production sur le prix. De tels index existent, de longue date, dans d’autres secteurs. Ainsi, au sein de l’Index Bâtiment, l’indice BT01 (indice national du bâtiment) constitue un exemple intéressant : en vigueur depuis 1974, il concerne la totalité des activités du bâtiment – tous corps d’état confondu – et est publié tous les mois par l’Insee, puis au Journal officiel de la République française. L’indice publié correspond à une évaluation des coûts datant de quatre mois. L’indice est mentionné dans les contrats de construction de maisons individuelles et de vente d’habitation en l’état futur d’achèvement.

Pour s’assurer que cet outil ne profite pas uniquement aux industriels pour ce qui concerne les produits transformés, le rapporteur préconise la mise en place d’un tiers de confiance privé, validé par les industriels et la grande distribution, tel un commissaire aux comptes. Ce dernier s’assurerait qu’en cas d’évolution favorable du prix permettant une plus forte rémunération des industriels, les agriculteurs connaissent eux aussi cette évolution favorable de leur rémunération.

Proposition n° 40 : Créer un index, publié et actualisé mensuellement par l’Insee, permettant de modifier les prix parallèlement à son évolution et, en cas de variation importante, entraînant une renégociation obligatoire entre distributeurs et fournisseurs.  

 

 

 

Enfin, il semble important au rapporteur d’encadrer plus fermement l’usage des mentions « made in France », « produit français » ou « fabriqué en France » tant pour les produits alimentaires – pour lesquels l’indication de l’origine géographique est obligatoire – que non alimentaires. Cette indication d’origine ne s’inscrit pas dans le cadre de labels, ni ne fait intervenir aucun organisme certificateur indépendant. Actuellement, une marchandise est considérée comme originaire du pays où a lieu la dernière transformation substantielle ou représentant un stade de fabrication important. Les critères retenus pour déterminer l’origine d’un produit sont les suivants :

       une transformation ou ouvraison spécifique ;

       un changement de la position tarifaire du produit ;

       un critère de valeur ajoutée (par exemple, un certain pourcentage du prix du produit en sortie d’usine) ([97]).

Dans certains cas, la combinaison de plusieurs de ces critères est exigée. L’indication d’une origine trompeuse constitue une infraction qui peut être sanctionnée de 2 ans de prison et d'une amende de 37 500 €.

Le rapporteur souhaite aller plus loin en exigeant que la mention d’origine France soit réservée aux seuls produits dont une part significative des composants a été produite en France et dont l’ensemble des transformations substantielles a également eu lieu sur le territoire français.

Cette proposition est formulée dans l’intérêt du consommateur et pour une meilleure compréhension de l’évolution des prix de produits transformés en France à partir de matières premières françaises. Il s’agit de rendre plus lisibles, pour le consommateur, les conditions de production des biens qu’il achète et de favoriser le transfert de valeur de l’aval à l’amont, conformément à l’esprit des états généraux de l’alimentation et de la loi dite « EGAlim ». Cet effort de pédagogie devrait permettre une meilleure compréhension – et acceptation – de la part des consommateurs d’un « prix juste » c’est-à-dire rémunérateur pour l’ensemble de la chaîne de production.

 

Proposition n° 41 : Afin d’informer et de responsabiliser le consommateur dans son acte d’achat, réserver la mention d’origine France aux seuls produits dont une part significative des composants, représentant au moins 50 % de la matière première brute, a été produite en France et dont l’ensemble des transformations substantielles a également été réalisé sur le territoire français.


—  1  —

   Liste des propositions

 

Proposition n° 1 : Inscrire dans la loi l’obligation pour les groupes de la grande distribution sous forme de société coopérative, de publier les comptes consolidés à partir du moment où leurs chiffres d’affaires cumulés excèdent un certain montant que le pouvoir réglementaire aura à fixer.

 

Proposition n° 2 : Étudier l’opportunité de créer un fonds de soutien au développement des productions bio ou labélisées et à la transformation des exploitations. Ce fonds sera géré et financé à parité, d'une part, par les groupes de distribution et les opérateurs de e-commerce et, d'autre part, par les industriels transformateurs et les producteurs de boissons dès lors que les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires annuel supérieur à 300 millions d'euros de produits alimentaires sur le marché français.

 

Proposition n° 3 : En cohérence avec les mesures gouvernementales « Action Cœur de Ville », instaurer un moratoire de deux années au moins et concernant toutes les créations et extensions de surfaces de vente. Il s’agit d’apprécier si une pause relative à l’extension des surfaces serait propice à l’adaptation de l’appareil commercial au moment où il apparaît que le modèle économique de certains formats de vente n’est plus en rapport avec les attentes des consommateurs. En outre, cette pause constituerait pour les distributeurs une opportunité de concentrer leurs investissements sur la nécessaire transformation du parc existant de magasins en l’adaptant plus rapidement aux besoins d’une nouvelle « relation-client », désormais clairement perceptible, plutôt que de s’engager encore un peu plus sur la voie d’une croissance des surfaces susceptible d’accentuer, dans de nombreuses situations, l’érosion de leurs marges.

 

Proposition n° 4 :

– Veiller au respect par les opérateurs d’e-commerce des règles nationales en vigueur encadrant les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs qui leur sont applicables (notamment celles relatives à l’interdiction des marges arrières, au seuil de vente à perte, à l’encadrement des déréférencements et aux opérations promotionnelles).

– Examiner l’opportunité de nouvelles dispositions législatives ou d’une directive européenne susceptibles d’encadrer l’activité d’intermédiation des opérateurs d’e-commerce dans le secteur de la vente des produits de grande consommation.

 

Proposition n° 5 : Motiver par écrit la demande de tarif, puis, dans un délai de quinze jours, la réponse sur le tarif par le distributeur qui doit assortir cette première justification d’une contre-proposition également écrite.

 

Proposition n° 6 : Établir une charte relative au métier de négociateur des grandes surfaces incitant à réduire voire à supprimer les compléments de salaire dont le versement est conditionné par la réalisation d’objectifs relatifs aux tarifs d’achat. Le cas échéant, prévoir par la loi l’ouverture de négociations en vue d’une révision de l’accord de branche de la grande distribution ou de la conclusion d’un accord professionnel.

 

Proposition n° 7 : Favoriser l’insertion systématique de clause de non-concurrence dans les contrats de travail des négociateurs de la grande distribution par le biais d’engagements pris dans le cadre des chartes destinées à établir des relations commerciales plus respectueuses avec les fournisseurs. Inscrire la possibilité de telles clauses dans le code de commerce.

 

Proposition  8 : Formaliser les engagements sur le plan d’affaire, les volumes et les innovations afin d’asseoir la négociation des tarifs d’achat sur une base rationnelle.

 

Proposition n° 9 : Mieux encadrer par la loi la possibilité de réviser ou renégocier les accords conclus entre distributeurs et fournisseurs dans le cadre des articles L.441-4 et L.441-8 du code de commerce en fonction de l’atteinte ou non des objectifs fixés contractuellement. 

 

Proposition n° 10 : Veiller à l’application très stricte des dispositions de l’ordonnance du 12 décembre 2018 et à garantir l’actualisation de l’encadrement des promotions.

 

Proposition n° 11 : Évaluer avant les prochaines négociations commerciales, l’impact du relèvement du seuil sur les relations commerciales entre la grande distribution et les fournisseurs.

 

Proposition n° 12 : Envisager d’inclure dans le champ d’application du dispositif relatif au relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et dans l’encadrement des promotions les produits du rayon « droguerie, parfumerie, hygiène » (DPH).

 

Proposition n° 13 : Mesurer les effets de la pratique du « cagnotage » sur l’efficacité de l’encadrement des promotions portées par la loi EGALim dans le cadre d’une mission d’information parlementaire ou confiée à la DGCCRF, dans un délai maximum d’une année.

Examiner l’utilité d’une réglementation de l’octroi de tels avoirs ou remises, soit en les conditionnant à l’achat de produits déterminés, soit en les limitant en volume ou en valeur.

 

Proposition n° 14 : Assujettir les accords relatifs à la fourniture de produits de marque distributeur (MDD) au même formalisme contractuel que les produits de marque :

– Préciser les mentions de la convention unique prévues à l’article L. 441-4 du code de commerce à propos des engagements convenus entre la grande distribution et ses fournisseurs pour la fourniture de produits sous marque de distributeur en prévoyant l’insertion systématique de clauses relatives au chiffre d’affaires prévisionnel, aux volumes, à l’innovation ;

– Conformément à l’obligation consacrée à l’article L. 441-4 du code de commerce, rendre obligatoire la réponse du distributeur suite à la réception des conditions générales de vente ;

– Rendre obligatoire la mention des conditions générales de vente dans le contrat de fourniture.

 

Proposition n° 15 : Soumettre les accords visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs à une obligation d’autorisation de l’Autorité de la concurrence, au même titre que les opérations de concentration. Les modifications relatives à l’identité des parties prenantes à l’accord devront également être soumises à l’Autorité de la concurrence et faire l’objet d’un avis.

 

Proposition n° 16 : Transposer au plus tard en mars 2020 la directive ECN+ dans le droit français : cette directive vise à mettre en place un Réseau européen de la concurrence (REC), cadre de coopération renforcée entre autorités nationales de contrôle dont les pouvoirs seront accrus notamment sur les entités commerciales (notamment les centrales d’achat et de services) « délocalisées » avec un dispositif de sanctions plus dissuasif.

 

Proposition n° 17 : Renforcer les moyens du médiateur des relations commerciales agricoles et mettre en place un dispositif d’arbitrage par la création d’une commission d’arbitrage distincte.

 

Proposition n° 18 : Renforcer les moyens de la commission d’examen des pratiques commerciales.

 

Proposition n° 19 : Renforcer les moyens humains et financiers de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Notamment, un groupe de travail (cellule opérationnelle) devrait être créé, spécialisé dans les problématiques « concurrence et relations contractuelles ». Cette cellule opérationnelle serait l’interlocuteur privilégié des industriels et des services déconcentrés des DIRRECTEs et DIECCTEs. Une fois saisie, la cellule opérationnelle aurait à rendre un avis dans les six mois suivant la saisie.

Une partie du travail d’enquête menée par la DGCCRF pourrait être déléguée à un prestataire privé afin de permettre aux effectifs de cette direction de se consacrer aux tâches les plus sensibles.

 

Proposition n° 20 : Créer un ministère délégué aux questions de consommation et de relations commerciales, rattaché au Premier ministre ou aux ministres de l’Économie et de l’Agriculture.

 

Proposition n° 21 : Renforcer si nécessaire les sanctions prévues à l’article L. 442-4 du code de commerce sur la base d’un barème en pourcentage du chiffre d’affaires.

 

Proposition n° 22 : Indemniser les lanceurs d’alerte qui signaleraient des dysfonctionnements dans les relations entre les distributeurs et leurs fournisseurs, au même titre que les lanceurs d’alerte fiscaux.

 

Proposition n° 23 : Instituer au ministère de l’Économie un portail garantissant l’anonymat des fournisseurs ou des distributeurs dénonçant des pratiques manifestement illégales dans les relations commerciales entre ces deux acteurs (supply ou managing compliance)

 

Proposition n° 24 : Créer une obligation de signalement à l’administration de déréférencements abusifs pour le fournisseur, à travers un portail internet qui garantirait l’anonymat de la procédure.

 

Proposition n° 25 : Mieux lutter contre les arrêts de commande et déréférencements abusifs

– Clarifier les notions de l’article L 442-1 du code de commerce pour le rendre plus lisible et moins sujet à contentieux ;

– Rétablir notamment la référence aux « menaces » de rupture brutale des relations commerciales établies dans cet article ;

– Imposer notamment un délai minimal de six mois de préavis écrit, le droit actuel prévoyant un « préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels » ;

– Imposer une motivation écrite de toutes les ruptures de relations commerciales qui serait transmise au fournisseur ou à l’acheteur concerné ainsi qu’à la DGCCRF afin qu’elle dispose systématiquement des éléments constitutifs d’une éventuelle pratique commerciale déloyale dont elle pourrait se saisir.

 

Proposition n° 26 : Interdire de définir contractuellement un taux de service supérieur à 97 %.

 

Proposition n° 27 : Conditionner l’application de pénalités à l’existence de preuve d’un manquement et favoriser des applications justes de pénalités

– Obliger le distributeur à apporter la preuve du manquement du fournisseur pour lui appliquer une pénalité ;

– Demander à la CEPC une réflexion sur les meilleures manières de pénaliser « les ruptures rayons » ;

– Réfléchir aux outils rendant possible cette nouvelle exigence (photographie, bordereau signé par le livreur avec mention de l’heure, outils technologiques fiables sur les horaires dont seraient dotés les transporteurs, etc.).

 

Proposition n° 28 : Renforcer l’importance du Guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques de la Commission d’examen des pratiques commerciales

– Diffuser et vulgariser les recommandations du guide des bonnes pratiques ;

– Enjoindre à la DGCCRF de se baser sur les recommandations de ce guide pour assurer son contrôle et cerner les pratiques manifestement déloyales ou suspectées de l’être.

 

Proposition n° 29 : Encadrer les pénalités logistiques

– Limiter le montant des pénalités logistiques à un pourcentage défini du prix d’achat des produits concernés ;

– Limiter l’application de pénalités logistiques aux situations causant des ruptures de stock en magasin ;

– Engager une réflexion sur les éléments du Guide qui auraient leur place dans la loi.

 

Proposition n° 30 : Inscrire à l’article L 441-10 du code de commerce que la date de déclenchement des délais légaux de paiement correspond à la date de la première livraison la à la sortie des locaux du fournisseur.

 

Proposition n° 31 : Encadrer la création de centrales d’achat et/ou de services et d’alliances à l’achat dès lors que la part de marché cumulée de ses membres paraît de nature à porter atteinte à la libre concurrence et à l’équilibre des relations commerciales sur le marché des produits alimentaires et non alimentaires. Le dépassement de ce niveau d’activité sur le marché sera déterminé par l’Autorité de la concurrence sur la base d’une étude d’impact.

 

Proposition n° 32 : Inscrire dans le code de commerce, au titre des pratiques restrictives de  concurrence, une infraction consistant en l’abus de position d’achat caractérisée par une relation d’achat particulièrement favorable à l’acheteur, sans qu’elle puisse être qualifiée de dépendance économique, l’exploitation abusive de cette position et une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure du marché.

 

Proposition n° 33 : Répertorier les services de coopération commerciale proposés aux fournisseurs par les distributeurs – au niveau français comme international – et établir un barème des prix exigés pour ces services.

 

Proposition n° 34 : Rendre obligatoire que chaque service délivré à un industriel fasse l’objet d’une facturation distincte indiquant clairement l’objet de la rémunération.

 

Proposition n° 35 : Faire obligations aux distributeurs et aux fournisseurs de : déclarer aux services fiscaux tout contrat conclu et/ou toute prestation souscrite auprès d’une centrale d’achat ou de services établie hors du territoire national ; de tenir à leur disposition les contrats et pièces justificatives des prestations facturées par ces structures.

 

Proposition n° 36 : Ne pas fonder la détermination des prix des services internationaux délivrés au fournisseur par un distributeur sur le chiffre d’affaires du fournisseur, mais bien le rendre proportionnel au développement à l’international de l’entreprise permise par ledit contrat.

 

Proposition n° 37 : Encadrer la création et l’activité des centrales d’achat et/ou de services par une directive européenne.

 

Proposition n° 38 : Resserrer le calendrier des négociations commerciales annuelles qui devront s’achever au plus tard le 15 décembre avec obligation pour le fournisseur de communiquer ses conditions générales de vente au distributeur au plus tard le 15 septembre.

 

Proposition n° 39 : Dans l’intérêt des producteurs, imposer l’établissement des indicateurs de coût de production prévus par la loi dite « EGAlim ».

 

Proposition n° 40 : Créer un index, publié et actualisé mensuellement par l’Insee, permettant de modifier les prix parallèlement à son évolution et, en cas de variation importante, entraînant une renégociation obligatoire entre distributeurs et fournisseurs.  

 

Proposition n° 41 : Afin d’informer et de responsabiliser le consommateur dans son acte d’achat, réserver la mention d’origine France aux seuls produits dont une part significative des composants, représentant au moins 50 % de la matière première brute, a été produite en France et dont l’ensemble des transformations substantielles a également été réalisé sur le territoire français.

 


—  1  —

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 25 septembre 2018, la commission d’enquête, sous la présidence de M. Thierry Benoit, a procédé à l’examen du rapport présenté par M. Grégory Besson-Moreau.

La séance est ouverte à dix heures cinq.

M. le président Thierry Benoit. Mes chers collègues, nous arrivons au terme de nos travaux. Nous allons procéder ce matin à l’examen et à l’adoption du rapport, qui découle des cent quatre-vingts heures d’audition auxquelles nous avons procédé, soit quatre-vingt-huit auditions, au cours desquelles nous avons entendu près de deux cents interlocuteurs.

Le « noyau dur » des commissaires ayant participé à ces auditions – noyau que je qualifierai de « cœur du réacteur » – a permis, grâce à son assiduité, à des questions et à des propositions pertinentes, la production d’un travail d’une grande qualité.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie d’être là pour l’adoption de notre rapport, à la suite de quoi se tiendra, à douze heures trente, notre conférence de presse.

Ce rapport dont je vous remercie tous d’avoir respecté la confidentialité, comporte au total quarante et une propositions. Outre quelques modifications marginales par rapport à la version que vous avez eue entre les mains, ce rapport comporte également désormais une proposition émanant de notre président et consistant en l’établissement d’un moratoire sur l’augmentation des surfaces de vente dans la grande distribution.

Nous avions initialement songé à limiter ces extensions de surfaces de vente, avant de faire le choix de les interdire complètement pour un temps. Il s’agit d’être en adéquation avec le plan gouvernemental « Action cœur de ville » et de rappeler à la grande distribution qu’il est important pour les consommateurs de pouvoir faire une partie de leurs courses en centre-ville. Cela me semble donc une excellente proposition, mais qui risque de faire grand bruit car c’est sans doute la plus clivante.

Nous avons également ajouté en annexe, à la fin du rapport, une contribution de Mme Ericka Bareigts, au nom du groupe Socialiste et apparentés.

Toutes vos remarques seront les bienvenues, étant entendu qu’il ne s’agit pas ici de rédiger une proposition de loi mais de lancer des idées, qui ne demandent qu’à être retravaillées. Nous avons tenu à pointer ce qui ne fonctionnait pas, avec l’espoir que les ministères concernés, sans doute bien dotés en juristes, sauront s’en emparer.

M. le président Thierry Benoit. Je tiens à saluer, avant de donner la parole à nos collègues, le travail du rapporteur et des administrateurs. Le rapport se lit bien, il est très compréhensible et stratégiquement bien construit. Les propositions du rapporteur sont conformes à ce qui s’est dégagé des auditions successives, et je tiens à le remercier d’avoir tenu compte de mes suggestions.

J’avais déjà présidé, sous la précédente législature, une commission d’enquête. Or, contrairement à cette fois-ci, la rapporteure est moi avions alors divergé sur nos conclusions. Ce n’est pas le cas avec Grégory Besson-Moreau, avec lequel je suis en totale convergence de vues. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas jugé utile d’ajouter ma propre contribution à ce rapport, que je fais mien. Il devrait permettre d’accroître la transparence des négociations commerciales, de renforcer les sanctions mais également de responsabiliser l’ensemble des acteurs. À l’échelle nationale comme à l’échelle européenne, il devrait permettre la mise en place de nouveaux outils permettant de lutter contre les ententes à l’achat et contre les abus de position dominante.

Mme Ericka Bareigts. Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour ce travail de très grande qualité. Ma contribution a été motivée par le constat qu’aucun des interlocuteurs que nous avons eus, à l’exception de M. Christophe Girardier, ne maîtrisait les problématiques ultramarines.

Il me semblait donc essentiel de rappeler que, pour ce qui concerne le moratoire sur l’extension de la grande distribution, l’Observatoire des prix, des marges et des revenus de La Réunion a décidé de se pencher depuis quatre ou cinq mois sur la situation dans l’île, ainsi que l’a officiellement annoncé le préfet, il y a une semaine.

En parallèle, nous soutenons les neuf cents commerces de proximité dont dispose encore La Réunion et que nous voulons redynamiser, ce qui va dans le sens du plan « Action cœur de ville ».

Enfin, comme l’a mis en exergue M. Christophe Girardier que nous avons auditionné, les marges arrières excessives et les promotions inconsidérées réclamées aux producteurs locaux enclenchent un cercle vicieux qui fait que non seulement les prix ne baissent pas pour les consommateurs locaux mais que la production locale est évincée des rayons.

Compte tenu des sommes considérables qui sont en jeu, s’agissant notamment des montants sollicités dans le cadre du programme européen POSEI – programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité –, les propositions contenues dans le rapport me paraissent aller dans le bon sens.

Mme Cendra Motin. Je salue à mon tour le travail accompli par le rapporteur. Le rapport contient des propositions équilibrées, qui tiennent compte de l’ensemble des points de vue que nous avons recueillis en auditionnant tous les acteurs de la filière, producteurs, distributeurs ou industriels. Loin d’opposer ces acteurs les uns aux autres en désignant un coupable, ces propositions insistent surtout sur la responsabilisation des acteurs sans accentuer les sanctions plus qu’il ne le faut. Elles répondent, ce faisant, au vœu de tous d’améliorer le cadre de leur collaboration et le fonctionnement du système.

Je salue en particulier les mesures qui visent à mieux encadrer les contrats et à renforcer la transparence des négociations et de leur déroulement.

Certaines propositions enfin devront être défendues au niveau de l’Union européenne, notamment en matière de concentration des centrales d’achat et de services.

Quant aux mesures qui relèvent du pouvoir réglementaire, nous devons collectivement faire en sorte que Mme la secrétaire d’État, Agnès Pannier-Runacher, s’en saisisse et leur donne corps.

Mme Martine Leguille-Balloy. Au risque d’être redondante, je salue à mon tour ce rapport qui retient l’essentiel de notre travail d’auditions pour proposer une analyse accessible à tous de la situation.

La juriste que je suis s’interroge, cela étant, sur la proposition n° 30, qui fait partie de celles qui pourraient très rapidement être mises en œuvre : à quoi correspond « … la date de la première livraison après la sortie des locaux du fournisseur » ?

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. J’ai échangé avec Bercy la semaine dernière au sujet du déclenchement des délais légaux de paiement. Il est très clair pour eux qu’il s’agit des stocks déportés, c’est-à-dire qu’à partir du moment où un produit sort de la zone de stockage de l’entrepôt ou de l’usine d’un industriel, le délai de facturation doit être enclenché. Aujourd’hui, il y a trop de stocks déportés, entreposés dans des centrales régionales de distribution, sans que la facturation ait été déclenchée.

Mme Martine Leguille-Balloy. L’expression « à la sortie » serait dans ce cas plus appropriée.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Nous n’en sommes qu’au stade des propositions, et nous adopterons évidemment une formulation juridiquement correcte dans les différents véhicules législatifs ou réglementaires. L’essentiel est que nous avons l’accord de Bercy.

M. Arnaud Viala. Je veux m’associer aux propos tenus par mes collègues sur la qualité de ce travail et la richesse des auditions réalisées, qui nous ont permis d’avoir une vision panoramique des enjeux et des difficultés.

Toutes ces questions, nous devons les aborder en dehors de tout esprit partisan. À cet égard, notre famille politique a déjà largement concédé que la loi de modernisation de l’économie (LME) comportait un certain nombre de défauts – dont nous avons ici une nouvelle preuve – et que plusieurs d’entre nous souhaitaient revenir sur certaines dispositions qui portent préjudice à des acteurs économiques majeurs de notre pays.

Les premières évaluations que nous avons de la loi ÉGAlim ont également permis d’identifier certaines faiblesses, qu’il serait préférable de corriger plus rapidement que nous ne l’avons fait pour la LME, car le monde agricole a besoin de mesures concrètes.

J’en viens à présent à deux réserves. La première porte sur la proposition n° 17 et sur les moyens donnés au médiateur. Vous proposez une avancée, à laquelle je souscris, tout en considérant qu’il ne peut s’agir que d’un pis-aller, car j’aurais souhaité que nous allions plus loin et que nous donnions de manière explicite au médiateur les moyens de saisir la justice lorsque la médiation a échoué, afin de ne pas laisser traîner le contentieux, au détriment, le plus souvent, du producteur.

En ce qui concerne ensuite la proposition n° 19, j’approuve l’idée de renforcer les moyens des services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) car, si nous ne le faisons pas, le reste des propositions sera purement incantatoire, faute d’évaluation et de contrôle.

En revanche, confier une partie des tâches de la DGCCRF à un acteur privé est pour moi très problématique. L’avoir ainsi glissé dans cette proposition de manière un peu subreptice – loin de moi cependant l’idée d’y voir de votre part une sournoiserie – me paraît à tout le moins un peu hâtif. C’est là ma principale réserve sur le rapport.

J’en termine par deux questions : pouvez-vous nous dire quel atterrissage et législatif rapide on peut envisager pour tout ou partie des propositions qui sont faites dans ce rapport ? En second lieu, quel est l’état des discussions avec les ministres en charge de ces dossiers pour le volet européen ?

Quoi qu’il en soit, je voterai ce rapport car, à mes yeux, ce qu’il contient de positif l’emporte sur les deux réserves que j’ai émises.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Compte tenu du nombre et de la longueur de nos auditions, qui nous placent dans le peloton de tête des commissions d’enquête, nous avons eu le loisir d’entendre le panel d’intervenants le plus large possible, malgré les critiques qui pourront nous être adressées sur tel ou tel oubli.

En ce qui concerne la LME, je salue l’honnêteté avec laquelle vous soulignez ses défaillances. Cela étant, « renverser la vapeur » ne servirait à rien et aboutirait surtout à détruire de la valeur. Pour parvenir à une position équilibrée, je souhaite donc, contrairement au ministre Didier Guillaume, qui entend maintenir le calendrier d’origine pour le bilan, une évaluation rapide du relèvement du seuil de revente à perte (SRP), si possible avant le 1er semestre 2020, afin, le cas échéant, de redresser la barre.

En ce qui concerne la proposition n° 17 sur le rôle et le pouvoir du médiateur, il faut la considérer comme une étape intermédiaire correspondant à une demande transpartisane qui avait émergé au cours de nos débats sur la loi ÉGAlim. À l’époque, la garde des Sceaux avait jugé qu’un travail de fond était encore nécessaire pour accroître les pouvoirs de la commission d’arbitrage, solution qui avait pourtant les faveurs du ministre de l’agriculture de l’époque, mais également de Bercy. Il me semble qu’avec nos travaux, cette commission d’arbitrage dotée de pouvoirs propres devrait pouvoir voir le jour. Cela me paraît une solution préférable à celle consistant à accroître les pouvoirs du médiateur : cela risquerait en effet d’en détourner les industriels et d’avoir donc l’effet inverse de celui escompté.

En ce qui concerne la proposition n° 19 et le renforcement des moyens de la DGCCRF, j’ai déjà eu l’occasion, en tant que rapporteur de la commission d’enquête sur Lactalis, de défendre un fonctionnement en silo. Confier les contrôles vétérinaires à la seule Direction générale de l’alimentation (DGAL) permettrait notamment de libérer une part du budget de la DGCCRF et de parvenir à une meilleure gestion des équipes. Ma proposition tend ainsi à recentrer les missions de la DGCCRF sur les relations contractuelles. Quant aux prestataires privés, il ne s’agit pas de déléguer l’intégralité des tâches à des acteurs privés mais de pouvoir faire appel à des commissaires aux comptes, c’est-à-dire à des personnes habilitées, pour procéder aux audits de certains contrats. Ils n’auraient en aucun cas un pouvoir de sanction.

Le rapport propose ensuite que la transposition de la directive européenne ECN+, pour laquelle nous disposons d’un délai jusqu’en février 2021, se fasse avant juin 2020, de façon à ce qu’elle s’applique avant le début des prochaines négociations.

M. le président Thierry Benoit. Vous aurez observé que le rapport est objectif sur la LME, puisqu’il lui reconnaît le mérite d’avoir stimulé la concurrence et conduit à une baisse des prix. Il souligne en revanche qu’elle n’a pas supprimé le déséquilibre dans les relations commerciales.

M. Daniel Fasquelle. À mon tour, je vous félicite pour ce travail, avant de vous livrer quelques remarques.

Une de vos propositions suggère de renforcer les moyens de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) : s’agit-il de renforcer ses moyens humains à périmètre constant, ou s’agit-il de renforcer ses moyens au sens de ses capacités d’agir ? En d’autres termes, envisagez-vous d’étendre le cadre de son action ? Ne risque-t-on pas, dans ce cas, d’empiéter sur les compétences de l’Autorité de la concurrence ou même des tribunaux de commerce ? Faire bouger les lignes risque de provoquer un « effet mikado », et il me semble qu’il faudrait préciser le sens de cette proposition.

Concernant ensuite les propositions n° 31 et n° 32, qui visent à encadrer la création des centrales d’achat et à qualifier d’infraction l’abus de position d’achat particulièrement favorable à l’acheteur – le terme d’infraction mériterait d’ailleurs d’être précisé pour spécifier s’il s’agit d’une infraction pénale –, il me semble qu’elles confondent deux aspects de la question, le comportement des acteurs et la structure du marché.

Au sujet des comportements, vous avez vu juste : l’abus de dépendance économique ne fonctionne pas, pour la simple raison qu’il est mal placé dans le code de commerce. Le code distingue en effet les pratiques restrictives, qui sont condamnées per se, et les pratiques anticoncurrentielles, qui supposent la mesure d’un effet sur la concurrence. Or l’abus de dépendance économique est catégorisé comme une pratique anticoncurrentielle, ce qui implique de démontrer un effet sur le marché, démonstration d’autant plus compliquée à faire que lorsque cela ne concerne qu’une entreprise, l’effet sur le marché est quasi nul.

C’est donc une bonne chose de créer, à côté de l’abus de dépendance économique un abus de position d’achat, mais il faudra veiller à l’inscrire, dans le code du commerce, au rang des pratiques restrictives de concurrence et non parmi les pratiques anticoncurrentielles.

Vous ne mentionnez pas les pratiques de prix abusivement bas, qui sont également classées parmi les pratiques anticoncurrentielles par le code de commerce. Or un boulanger victime de prix abusivement bas pratiqués par une grande surface ne pourra jamais démontrer qu’il y a là une atteinte au marché. Il conviendrait donc de déplacer ces pratiques pour les inscrire parmi les pratiques restrictives.

Cela étant dit sur les comportements, je m’étonne que vous n’abordiez pas la question de la structure du marché. En effet, nous sommes en face d’un marché très particulier, où quatre acteurs – les grandes centrales d’achat – détiennent 25 % du marché. Or les outils dont nous disposons ne sont pas conçus pour cela et ne nous donnent aucune prise sur eux. Pourtant, agir sur les seuls comportements ne suffira pas et ne pourra nous dispenser de modifier la structure du marché. À ce stade, surgit une autre difficulté, puisqu’on ne peut agir sur la structure du marché qu’au moment où s’opèrent des rapprochements et, en l’espèce, ces rapprochements ont déjà eu lieu.

La loi Macron comportait une très bonne disposition, à savoir la possibilité pour l’Autorité de la concurrence de procéder à une injonction structurelle. Cette mesure a malheureusement été écartée par le Conseil constitutionnel, alors qu’un dispositif semblable existe dans les territoires d’outre-mer. Ne pourrait-on pas demander dans le rapport à ce que cette question des injonctions structurelles soit reconsidérée ?

Quant à l’abus de position dominante, s’il n’est guère opérant, c’est qu’on ne constate pas d’abus de position dominante, au sens où l’entend jusqu’à présent. Il me semble donc que pour permettre à l’Autorité de la concurrence d’agir sur la structure du marché, nous devrions proposer que l’on réfléchisse à une nouvelle définition de la position dominante, adaptée à un marché aussi atypique que celui qui nous intéresse. Tant que subsistera la situation oligopolistique que nous connaissons, vous pourrez certes agir sur les comportements, mais cela ne fera évoluer les choses qu’à la marge.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Monsieur Fasquelle, certaines de vos demandes sont déjà intégrées dans le rapport.

Je pense comme vous que l’abus de position dominante ne suffit pas, c’est pourquoi nous avons travaillé avec les services de l’Assemblée sur la possibilité d’inscrire dans le code du commerce une infraction définie comme : « l’abus de position d’achat, caractérisée par une relation d’achat particulièrement favorable à l’acheteur ». Certains fonctionnaires de Bercy m’ont expliqué qu’une telle incrimination existait auparavant mais avait été supprimée en 2008 par la loi LME, car il était beaucoup plus simple de saisir la justice pour des abus de la grande distribution.

Nous souhaitons donc réintégrer cette disposition, en restant attentifs car les travaux de la DGCCRF, au cours des six derniers mois, montrent qu’il est possible d’appliquer des pénalités à la grande distribution sans cette disposition. Mais le jugement n’a pas encore été rendu, il ne s’agit pour l’instant que d’une demande des pouvoirs publics. Cette disposition constitue notre proposition n° 32, il faut absolument la mettre en place.

Lorsqu’il était ministre de l’économie, M. Macron avait pris une excellente décision en imposant la notification des créations de centrales d’achat. Notre rapport va plus loin en prévoyant que ces créations soient validées par l’Autorité de la concurrence. Sans validation, pas de regroupement possible, et l’Autorité de la concurrence doit dire si la création d’une centrale d’achat est possible ou pas. En 2015, son rapport expliquait gentiment qu’au-dessus de 15 % de part de marché, il existait une position dominante, mais sans l’avoir clairement caractérisée. Je souhaite que l’Autorité de la concurrence prenne ses responsabilités et communique un seuil au-delà duquel elle encadrera la création d’une centrale d’achat. Le rapport propose donc que ces créations soient autorisées par un écrit, non une simple notification.

Par ailleurs, les groupes de distribution divorcent aussi vite qu’ils se marient, et il faut également exiger une notification des divorces dans ces centrales d’achat, afin que les pouvoirs publics soient au courant et puissent préparer le futur mariage, car les séparations sont très souvent suivies d’une union avec un autre.

Nous souhaitons donc un encadrement réel et concret des centrales d’achat : une autorisation écrite pour leur création et une notification de leurs divorces. Beaucoup des demandes de M. Fasquelle ont donc été prises en compte. S’agissant du transfert de dispositions du code du commerce vers d’autres codes, nous pourrons nous adapter en fonction des véhicules législatifs pour mettre en place ces propositions.

M. le président Thierry Benoit. Monsieur Fasquelle, j’ai fait la même observation que vous au rapporteur il y a quelque temps. Je souhaite que nous fixions un seuil, conformément aux amendements que nous avions défendus lors des débats de la loi ÉGAlim. J’ai eu de vifs échanges avec Alexandre Bompard et avec d’autres dirigeants de la grande distribution à ce sujet, et après en avoir parlé avec le rapporteur, j’ai réalisé que nous n’étions pas en capacité de déterminer ce seuil.

Nous ne présentons pas ici une proposition ou un projet de loi, mais un rapport, et je me satisfais de la proposition du rapporteur tendant à soumettre à autorisation la création des centrales. Nous allons vers la définition d’un seuil, et la proposition n° 31 prévoit : « Le dépassement de ce niveau d’activité sur le marché sera déterminé par l’Autorité de la concurrence sur la base d’une étude d’impact. »

Il est donc raisonnable de ne pas définir de notre propre chef ce seuil à 15 ou 20 % dans le rapport, car lorsque nous allons le rendre public, nos propositions devront être suffisamment étayées. On reproche suffisamment aux parlementaires d’être parfois approximatifs : ouvrons la voie, nous partageons l’objectif, à terme, de fixer un seuil précis au-delà duquel il ne sera plus possible de procéder à des regroupements.

M. Daniel Fasquelle. Vous encadrez la création de nouvelles centrales d’achat, donc vous évitez que le mal empire. Mais s’il y avait aujourd’hui de nouveaux rapprochements entre centrales d’achat, ils feraient certainement l’objet d’un contrôle de la part de l’Autorité de la concurrence.

Vous rendez ce contrôle obligatoire, c’est très bien, mais vous ne donnez pas à l’Autorité de la concurrence la possibilité de modifier la structure du marché telle qu’elle existe. Or cela se fait ailleurs : aux États-Unis, il y a aujourd’hui un débat sur le démantèlement des GAFA et dans le passé, l’autorité américaine de la concurrence y a démantelé de grands groupes qui bloquaient la concurrence.

Aujourd’hui, nous ne pouvons être satisfaits de l’existence de seulement quatre centrales d’achat. Vous proposez de figer la situation actuelle, mais cela fait vingt ou trente ans que nous constatons le déséquilibre du rapport de force. Vous pourrez intervenir tant que vous voudrez dans la relation entre la grande distribution et les producteurs, le déséquilibre est trop important. Tant que la structure du marché n’aura pas changé, entraînant une modification du rapport de forces, nous ne nous en sortirons pas ! C’est sur ce point que le rapport est incomplet, et c’est pourquoi je propose de rouvrir le débat sur les injonctions structurelles, bien que le Conseil constitutionnel les ait rejetées de la loi de 2015. C’est à l’Autorité de la concurrence qu’il reviendra de définir le seuil précis, mais nous ne pouvons pas nous contenter d’empêcher que la situation existante n’empire.

Nous pourrions donc mentionner les injonctions structurelles aux propositions nos 31 et 32.

Mme Martine Leguille-Balloy. J’ai travaillé avec un économiste auteur d’une thèse sur cette question, et selon lui, la seule solution pour remédier à l’existence de seulement quatre centrales d’achat est la libéralisation, permettant à tout le monde de s’installer.

Nous nous rendons compte que Tesco, qui aurait pu créer une concurrence étrangère, est arrivé en 2018 en intégrant la centrale d’achat de Carrefour. Cette situation est très paradoxale.

M. Jean-Baptiste Moreau. Je ne peux que me joindre au concert de félicitations sur les travaux de cette commission, de son président et de son rapporteur.

En réponse aux observations de M. Fasquelle, la loi ÉGAlim ajoute à la loi Macron un contrôle ex post des concentrations de centrales d’achat, en laissant la possibilité à l’Autorité de la concurrence de préconiser la dissolution de ces accords. Je regrette que l’Autorité de la concurrence ne m’ait absolument pas répondu sur ce point lors de son audition, et qu’elle ne se soit pas saisie de cet outil jusqu’à présent.

La loi Macron a donc été complétée à cet égard, si ce n’est pas suffisant, il faut peut-être renforcer le texte et aller plus loin, mais M. Travert et le président Benoit se souviennent sans doute de nos discussions à l’époque avec Mme Delphine Gény-Stephann à Bercy.

L’ensemble de vos propositions complète de façon utile la loi ÉGAlim. Je ne peux qu’être d’accord avec votre proposition n° 19 afin d’augmenter les moyens de la DGCCRF : je l’avais proposé dans un amendement, qui avait été accepté. Mais je vous souhaite bon courage pour faire accepter cette mesure par Bercy, personnellement je me suis heurté à un mur. Le renforcement des moyens de la DGCCRF est néanmoins un impératif presque absolu.

S’agissant de la proposition n° 39, visant à imposer l’établissement des indicateurs de coût de production, je ne suis pas sûr qu’elle soit conforme aux normes constitutionnelles et européennes. Le droit de la concurrence européen doit encore évoluer, car certaines de ces propositions vont se heurter au veto de la Commission, notamment des services de la DG Concurrence qui sont assez fermés. Mais sur le principe, nous sommes, bien sûr, d’accord.

L’une des propositions fortes de ce rapport, pour moi, est la proposition n° 40 sur les index des prix, dont l’évolution pourrait entraîner une renégociation, car elle va dans l’intérêt des producteurs.

Enfin, je vous félicite de ne pas avoir stigmatisé les uns ou les autres, contrairement à la caricature que certaines personnes auditionnées ont faite. Nous ne désignons pas un responsable dans la filière, le rapport adopte une vision globale.

M. le président Thierry Benoit. Nous sommes parlementaires et chacun de nous est en situation d’agir. Le sujet soulevé par M. Fasquelle doit être suivi, dans la continuité de la loi ÉGAlim.

Mme Séverine Gipson. Je félicite le président, le rapporteur et tous mes collègues de la commission d’enquête qui se sont mobilisés et ont participé assidûment aux auditions, dont certaines ont été, disons-le, assez tendues. Le monde agricole est pressé de prendre connaissance de ce rapport, car il attendait beaucoup de la loi ÉGAlim.

Lors des auditions, j’ai constaté que les industriels avaient des modèles économiques et bénéficiaient des effets d’économies d’échelle leur donnant des moyens afin de faire face à la pression de la grande distribution. Le poids de certains produits, incontournables, est aussi un levier de négociation non négligeable.

Je pense cependant que les propositions formulées répondent pleinement aux difficultés rencontrées tant par le monde agricole que par les industriels, ce qui n’était pas acquis puisque ce sont des demandes différentes émanant d’organisations distinctes. Elles seront un complément utile à la loi ÉGAlim, et je suis impatiente de les voir mises en œuvre.

M. Jean-Pierre Vigier. Permettez qu’à mon tour, je salue l’excellent travail réalisé par cette commission. L’ensemble des personnes concernées ont été auditionnées et nous avons eu des discussions de fond qui nous ont permis de retrouver la réalité du terrain. Les échanges ont parfois été tendus, mais toutes les facettes de la question ont été étudiées dans le détail et je voterai ce rapport.

Je formule ici trois vœux.

Tout d’abord, j’espère que nous finirons par obtenir une totale transparence sur les différentes relations entre les producteurs, les transformateurs industriels et les distributeurs, car ce n’est pas encore le cas.

Je souhaite aussi un rééquilibrage dans la construction des prix, qui est très attendu par les producteurs et les agriculteurs. La construction des prix doit permettre de donner une véritable valeur ajoutée aux produits agricoles.

Mon troisième vœu tient au sujet abordé par M. Fasquelle : depuis des années l’organisation mise en place laisse quatre centrales d’achat maîtriser le marché. On les voit même parfois s’associer deux par deux pour casser la concurrence, tirer les prix vers le bas et maîtriser le marché. J’espère que grâce à cette commission d’enquête, nous arriverons à modifier cette organisation pour que chacun s’y retrouve. Sous quelle forme législative allez-vous concrétiser les conclusions de cette belle commission d’enquête ?

M. le président Thierry Benoit. Ces propositions pourront être concrétisées dans une proposition de loi ou des amendements. S’agissant de la décartellisation que réclame M. Fasquelle, chacun de nous peut présenter un amendement, ou présenter une proposition de loi spécifique avec d’autres députés. Le Gouvernement devra également se saisir de certaines de nos propositions.

Je sens une certaine unanimité entre nous. Les commissions d’enquêtes telles que celle-ci sont l’un des cœurs du métier de député, et ce travail n’est pas valorisé. Nous y avons consacré des heures, et elles ne sont pas décomptées par le site nosdéputés.fr. Tout le monde se fiche des heures que vous avez passées ici, mieux valait faire le cirque dans d’autres salles de cette maison que d’être assidus et consciencieux au sein de cette commission ! Nous devrions valoriser ce travail et rappeler les 180 heures d’audition, les 200 interlocuteurs et les 88 auditions effectuées !

M. Guillaume Garot. Merci, monsieur le président et monsieur le rapporteur, d’avoir su conduire nos travaux avec une telle qualité d’écoute, permettant d’aller au fond des choses.

Au moment de présenter ce rapport, il faut rappeler le droit existant, pour maximiser ses dispositions et équilibrer le rapport de forces. Avec Ericka Bareigts, nous soutiendrons ce rapport, à quelques observations près : comme le disait M. Viala, certaines formulations sont gênantes. Ainsi, s’agissant des compétences de la DGCCRF, il est question d’une délégation de certaines tâches à des prestataires privés. Il faut réaffirmer aujourd’hui l’importance du régalien, le contrôle de certaines pratiques opéré par la DGCCRF est une des compétences de l’État, et il ne faut pas prêter le flanc à des critiques sur l’indépendance de ce contrôle. Monsieur le rapporteur, vous avez expliqué qu’il s’agissait de s’appuyer sur les travaux des commissaires aux comptes, c’est en effet une profession qui fait un excellent travail dans notre pays. Il faut préciser la formulation de sorte que nous affirmions bien le rôle de l’État dans sa fonction de contrôle. Il est simplement proposé de s’appuyer sur les données de cabinets comptables, sans remettre en cause les missions de la DGCCRF.

Merci néanmoins pour ces semaines de travail, et espérons que nous pourrons convaincre ceux qui exercent les responsabilités exécutives au niveau européen et au niveau national d’adapter le droit. Pour ce qui nous concerne, nous les y aiderons.

Mme Barbara Bessot Ballot. Les remerciements ont été appuyés, pour ma part je vous remercie d’avoir osé avoir des échanges parfois tendus, afin d’aller au fond. C’est alors que nous avons vu où était le travail nécessaire. Vous n’êtes pas restés dans votre zone de confort, et je suis contente d’avoir été parmi vous pour faire ce travail.

Je n’ai aucune restriction technique, je souhaite seulement que ce travail ne prenne pas la poussière ! Qu’il soit valorisé, qu’il ait des répercussions. Alors nous pourrons dire que nous avons bien fait d’y participer, même si ce n’est pas reflété dans les chiffres de nosdéputés.fr !

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. S’agissant de la délégation de pouvoirs d’enquête de la DGCCRF à des acteurs privés, je crois que si l’on doublait les moyens de l’Autorité de la concurrence dans le domaine contractuel, le résultat que nous avons connu depuis deux ans – 17 000 industriels et zéro plainte – serait exactement le même. En revanche, la plupart de ces 17 000 industriels ont des commissaires aux comptes, ces derniers devraient avoir la possibilité, voire l’obligation, de transmettre à la DGCCRF toute dérive contractuelle.

M. Guillaume Garot. Il faut l’écrire ainsi !

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Le rapport reste un peu flou pour s’épargner les foudres de différentes organisations, je préfère m’en tenir à une proposition globale.

Mais je ne souhaite en rien réduire les moyens de la DGCCRF. Au contraire, je pense qu’il faut les renforcer pour remplir leur véritable mission : la gestion du problème. Au sein même de ces entreprises industrielles, de nombreuses personnes voient les problèmes, ce sont eux qu’il faut aider. C’est la raison de la création d’un portail qui assurera un certain anonymat aux lanceurs d’alerte ou aux industriels qui souhaitent transférer des documents auprès de la DGCCRF. Il faut considérer la mécanique globale et l’intégralité des mécanismes proposés dans le rapport qui permettront d’établir une relation de confiance. Voilà la vision que je porterai lors de la suite législative qui sera donnée à ce rapport.

Madame Bessot Ballot, je vous assure qu’il ne prendra pas la poussière ! Nous nous connaissons assez pour savoir que je suis assez « teigneux ». Sur les quarante propositions du rapport de la commission d’enquête « Lactalis », dont j’étais également rapporteur, les trois quarts ont été adoptées dans divers véhicules législatifs. Quant au dernier quart, une proposition de loi est en cours de négociation au sein de notre groupe politique.

M. Yves Daniel. Je salue à mon tour l’excellent travail réalisé par le président, le rapporteur, et aussi les services de l’Assemblée. Il démontre l’intérêt de compiler les compétences des uns et des autres.

Ce rapport est très attendu par les paysans qui souffrent de ces déséquilibres depuis de nombreuses années. Il faut vraiment que ce rapport soit utile, et qu’il ne reste pas au fond d’un tiroir.

S’agissant plus précisément des propositions n° 37, 38 et 39 sur la formation des prix, nous avons évoqué l’Observatoire de la formation des prix et des marges lors des auditions, mais je ne vois pas dans le rapport d’éléments portant sur le rôle et les missions de cet outil. Il ne sert à rien de compiler un grand nombre d’informations et d’analyses si elles ne sont pas ensuite intégrées à l’ensemble des outils.

M. le président Thierry Benoit. Nous allons naturellement corriger cette erreur !

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Je vais être très honnête : mon avis est très partagé sur l’utilité de l’Observatoire de la formation des prix et des marges, et sur la responsabilité de son président actuel. Aujourd’hui, un président de l’OFPM devrait être politiquement plus neutre que celui que nous connaissons. J’émets de très fortes réserves sur ses qualités pour présider cet observatoire, et je l’explique par écrit dans le rapport. Il s’agit de ma vision et il est possible de ne pas la partager, je n’en ai pas fait une proposition.

L’Observatoire est utile pour faire un instantané d’une situation et en parler deux ans après, en publiant un rapport nous apprenant, par exemple, qu’un producteur de lait gagne deux fois et demie le SMIC ! Je suis fortement opposé aux propos du président de l’OFPM, et je propose autre chose : utiliser des données statistiques réelles et concrètes collectées par l’INSEE. C’est l’objet de la proposition n° 40, qui permettrait d’établir un index prenant quatre éléments en compte : l’indicateur de coûts de production et son évolution, les charges des entreprises selon les filières, les coûts de l’énergie et un indicateur sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE). Les industriels se voient imposer des augmentations des tarifs de l’énergie et la prise en compte des demandes sociétales et environnementales de nos concitoyens, nous demandons la prise en compte d’indicateurs de coûts de production, mais il n’y a aucun indice permettant de justifier auprès de la grande distribution que le prix monte ou descende.

Je propose de responsabiliser les acteurs : les pouvoirs publics doivent sortir des négociations entre un distributeur et son industriel, mais il faut leur donner les outils et la réglementation nécessaire pour qu’ils puissent s’entendre. La confiance se gagne, mais de temps en temps, elle peut s’imposer.

 

 

La commission adopte le rapport à l’unanimité et autorise sa publication.

 

La séance est levée à onze heures.

 

 

 

 


—  1  —

   CONTRIBUTIONS des groupes politiques

 

Contribution dE Madame Ericka Bareigts
et les membres du groupe socialistes et apparentés

 

Comptant près de 10 000 grandes surfaces alimentaires et plus de 25 000 points de vente des millions de mètres carrés de magasins, le secteur de la grande distribution réalise un chiffre d’affaires cumulé de plus de 100 milliards d’euros en 2018 en France. Ce modèle de consommation qui s’est fortement transformé depuis les années 1960 impacte tant notre mode de vie que l’aménagement de notre territoire, étalant de manière considérable l’emprise du bâti sur le milieu naturel à la périphérie de nos villes, le projet du triangle de Gonesse, dit EuropaCity en est l’exemple le plus symbolique avec 280 hectares d’emprise sur un sol jusque-là naturel.

Ce mode de consommation, avec la mondialisation et la force grandissante du capitalisme effréné s’est accéléré produisant un double phénomène : des grandes surfaces, locomotives de centres commerciaux, de plus en plus grandes, vendant de plus en plus de produits, de moins en moins chers, acteurs d’une guerre concurrentielle afin d’y attirer et fidéliser le consommateur, lui-même devenu coupable involontaire de la pression croissante faite sur les acteurs en amont de la chaîne (produits de moins grande qualité, baisse des revenus avec asphyxie des plus petits producteurs, etc.).

Si cette réalité vaut pour l’ensemble du territoire national, les effets pervers de celle-ci, sont encore plus dévastateurs dans nombre de territoires aux marchés restreints et contraints (insularité, éloignement, géologie, densité de population, importations,...) à l’image des départements ultramarins ou les monopoles et oligopoles ont, notamment au cours de ces dernières décennies, favorisé dans la plupart des cas, le dernier acteur de la chaîne de distribution. C’était le cas pour la téléphonie ou pour les banques, c’est encore le cas pour les produits pétroliers, le bâtiment ou la grande distribution pour ne citer qu’eux.

Ainsi, l’Île de La Réunion, région et département, est située à plus de 10 000 kilomètres de l’Hexagone, 860 000 habitants (1 000 000 de Réunionnais en 2030), principalement concentrés le long de la côte, 2e région en densité humaine après l’Île-de-France, propice à la construction de nombreuses grandes surfaces se fournissant auprès de deux seuls grossistes appartenant à deux grands groupes distributeurs. Les acteurs de la grande distribution y effectuent des marges commerciales de l’ordre de 25 à 40% selon les produits, soit égales ou légèrement supérieures à celles de l’Hexagone notamment par le biais perdurant des “marges arrières” - cf. rapport de Christophe Girardier commandé par l’Office des prix, des marges et des revenus de La Réunion (OPMR) remis en juin 2019 - ce qui est d’autant plus dramatique que plus de 40% de la population réunionnaise vit sous le seuil de pauvreté. Le marché de la grande distribution y représente 1,5 milliards de chiffre d’affaires sur 1,770 milliards de chiffres d’affaires sur le secteur de l’alimentaire soit 85% du secteur. Les produits locaux/péi n’y sont que peu mis en valeur alors que les filières s’efforcent de se structurer et se développer depuis plusieurs décennies. Cette situation se fait en conséquence au bénéfice des importations et des intermédiaires au détriment du développement de l’emploi local et du développement économique.

“Le caractère concentrateur et dominateur par essence du format des très grandes surfaces (Hypermarchés) a en effet conféré (...) qu’ils captent, une capacité de négociation sans commune mesure avec celle de autres canaux de distribution, imposant ainsi un rapport de force très déséquilibré avec les fournisseurs, à l’exception des grandes marques internationales pour lesquelles le rapport est inversé de par leur taille” (Rapport Girardier).

Le rapport de force Grande distribution/producteurs locaux est en conséquence très déséquilibré. Les exemples sont nombreux. Beaucoup de petits producteurs ne connaissent pas à l’avance le produit de vente de leurs fruits et légumes ou viandes : ni leur revenu, ni la décomposition du prix payé par le consommateur et les différences marges intermédiaires. Le rapport de Christophe Girardier, auditionné par la commission d’enquête, est une nouvelle fois éclairant sur les conséquences mortifères de ce rapport de force pour le développement local : “Le modèle économique de développement de ces acteurs de la production locale, est enfin très largement fondé sur la logique des promotions incessantes, comme sur celle des marges arrières, dans la relation commerciale avec la grande distribution, une logique dangereuse et aux effets pervers sur le comportement des consommateurs et en termes de paupérisation du marché (cf. analyse du modèle économique de la relation commerciale industriels/distributeurs). Un modèle économique que ces acteurs déplorent tout en le favorisant par leur stratégie, considérant que de telles logiques, perçues comme inévitables, constituent leur seul levier pour développer leur volume et saturer leur outil industriel.”

Le constat des conséquences de notre modèle de consommation, mis en exergue à l’occasion de ce rapport sur une situation locale, vaut également sur l’ensemble du territoire national. Il faut ajouter à ces conséquences les impacts négatifs dévastateurs sur l’aménagement du territoire et les emplois locaux (salariés des secteurs primaire et tertiaire), les grandes surfaces employant proportionnellement moins de salariés au regard du mètre carré ou du volume vendu. Les élus que nous sommes, avons, pour ces deux conséquences, notre part de responsabilité sur les autorisations de nouvelles grandes surfaces, invasives sur l’espace naturel au regard des millions de m2 pris sur la nature et dénaturant, au sens propre comme au figuré, la sortie de nos villes et agglomérations, de 2 000 à 11 000 000 d’habitants. Pire, ce modèle de consommation est l’origine d’actes dévastateurs pour notre planète et la santé humaine (déforestations, pollution des sols, démembrement responsable d’inondations meurtrières, etc.).

C’est également la consommation mondialisée qui a permis l’essor des produits de dégagement. Il coûte moins cher à l’industriel de “dégager” à “prix cassés” des morceaux de viandes “invendables” en Hexagone ou en Europe car de mauvaise qualité, qu’à 10 000 kms, comme aux Réunionnais par exemple, que tout autre alternative. Les producteurs réunionnais ne peuvent, avec ces pratiques, être concurrentiels sur leur propre marché. Les consommateurs, eux, (ndlr 40 % vivent sous le seuil de pauvreté) n’ont pas d’autres choix que de consommer ce qui leur est, d’une part, proposé, d’autre part, le plus accessible à leur pouvoir d’achat. Cela, avec les conséquences sur leur mode d’alimentation et leur santé. C’est ce même principe qui a prévalu avec l’importation de produits aux taux de sucre et de matières grasses dans les départements ultramarins dépassant très fortement ceux observés sur le reste du territoire national conduisant aujourd’hui à des taux de diabète et d’obésité fortement plus importants qu’en Hexagone. Si une loi a été votée en 2013 pour aligner ces taux avec ceux en vigueur dans l’Hexagone, quid de son application et des contrôles. Personne ne peut douter des conséquences humaines et sanitaires dramatiques que la solidarité nationale, d’ailleurs, se doit de prendre en charge à défaut de ceux qui en sont à l’origine.

Ainsi, tout un système mortifère s’entretient sans pour autant que la plupart d’entre nous, citoyens, conditionnés dans ce conformisme consumériste depuis des décennies, nous en sommes rendu compte. Les grands groupes de la grande distribution et certains grands industriels ont coopté notre mode de consommation, d’alimentation et participent à une guerre des prix au détriment des citoyens consommateurs. Ce modèle ne contribue ni au développement et la structuration de filières locales, ni à la création d’emplois.

Dans les territoires ultramarins, cette problématique est plus prégnante. À La Réunion, l’enjeu concurrentiel et ses conséquences sont d’actualité depuis l’annonce cet été de la cession de plusieurs grandes structures commerciales. Cette décision est à l’origine d’une guerre au sein de ce secteur oligopolistique qui pourrait aboutir à une nouvelle concentration du marché. Si l’ADLC devra se prononcer au regard de la loi sur la régulation économique Outre-mer de 2012, si des lois visant à sanctionner ou interdire les projets anti-concurrentiels existent, elles sont manifestement insuffisantes. La puissance grandissante des multinationales se fait, la plupart du temps au détriment de l’intérêt général (environnement, emploi, santé, conditions de travail, etc.). Les GAFA, l’industrie automobile, les industries agroalimentaires, pharmaceutiques, pour ne citer qu’eux, prouvent que ce chemin de la financiarisation de l’alimentation et de la grande distribution, à l’image des autres secteurs, sera inéluctable tant que ce modèle ne sera pas freiné juridiquement ou par la remise en cause drastique des consomm’acteurs.

Si la loi dite EGALIM votée a pour but de rendre plus transparente les négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs, son application récente ne permet pas encore d’en connaître réellement les bienfaits. En outre, force est de constater qu’elle ne sera pas suffisante pour réduire de manière significative l’ensemble des méfaits du modèle actuel.

Parce que nous avons ces constats, il est temps d’agir, et la France océanique, comme dans de nombreux autres domaines, peut être le lieu ressource d’expériences et d’innovations qui pourraient devenir un nouveau modèle profitable pour tous.

Premièrement, il nous faut d’urgence enrayer la surenchère commerciale et mettre en place un moratoire, a minima pour tout nouveau projet de commerce d’une surface de plus de 1500/2000 m2 comme évoqué le 29 mai 2019 à l’occasion de l’audition de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), proposé par C. Girardier le 10 juin dernier puis évoquée à nouveau le 19 septembre dernier par Annick Girardin, Ministre des Outre-mer à l’occasion d’une visite officielle à La Réunion. Le renforcement des moyens de la Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIECCTE) semble également nécessaire au regard de leurs nombreuses missions.

Il existe à La Réunion encore plus de 900 commerces alimentaires de proximité mais leur force de frappe ne leur permet pas actuellement à la fois d’être attractifs pour le consommateur final tout en permettant une juste rémunération des producteurs locaux. Il convient dès lors que cette formidable force de frappe puisse se regrouper en coopérative(s) d’achat. Ils seraient dès lors plus compétitifs en termes de prix de vente sur les grandes marques nationales et internationales tout en favorisant l’essor de la production locale à l’avantage de circuits courts, des consommateurs et de l’emploi.

Enfin, la pratique des marges arrières, qui pèse fortement sur les producteurs et les intermédiaires, mécanisme injustifiable, qui malgré leur encadrement législatif à deux reprises entre 2006 et 2008 perdure au détriment du consommateur et de l’amont de la chaîne, au seul profit des grands groupes. “Des marges arrière excessives, avec des effets pervers sur l’augmentation artificielle du niveau des prix de vente aux consommateurs” (rapport Girardier).

Seule une remise en cause de ce modèle permettra une approche bénéfique tant qualitative que quantitative au nom de l’intérêt général, représenté principalement par les consommateurs - soit l’ensemble des consommateurs - pour les petits acteurs du marché de la distribution alimentaire (petits producteurs et commerçants) - mais également pour la protection de nos terres et espaces naturels. C’est pourquoi il nous faut légiférer, renforcer la loi du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l'économie, par exemple, rapidement pour les territoires ultramarins, dont les habitants sont les premières victimes du modèle actuel tant pour rééquilibrer les rapports entre les différents acteurs de la grande distributions (distributeurs, intermédiaires et petits producteurs, etc.) que pour les enjeux forts pour les territoires isolés de l’Hexagone et dont les populations sont les victimes les plus meurtries de ce modèle (sécurité sanitaire et santé, emploi, souveraineté alimentaire,...). Nul ne peut plus douter aujourd’hui que les circuits courts favorisant la production et l’emploi local, plus respectueux de l’environnement et de notre santé, n’est pas un modèle plus vertueux qui nous oblige.

 

 


—  1  —

   liste des personnes auditionnÉes

(par ordre chronologique)

 

Mardi 30 avril 2019

Confédération paysanne

M. Nicolas Girod, secrétaire national

Coordination rurale

M. Bernard Oudard, administrateur

Jeudi 2 mai 2019

Jeunes agriculteurs (JA)

M. Baptiste Gatouillat, vice-président

M. Bastien Debras, conseiller productions animales.

Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF)

M. Pierre Thomas, président

M. Raymond Girardi, vice-président

Mme Lucie Lafforgue, vice-présidente

Syndicat du réseau des entreprises BIO agroalimentaires – transformateurs et distributeurs (SYNABIO)

M. Jean-Marc Lévêque, président

M. Charles Pernin, délégué général

Mardi 7 mai 2019

Interprofession nationale porcine (INAPORC)

M. Guillaume Roué, président

M. Didier Delzescaux, directeur

Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)

M. Patrick Benezit, secrétaire général adjoint chargé du dossier des relations commerciales

M. Benjamin Guillaumé, chef de service économie des filières

M. Antoine Suau, directeur du département économie et développement durable

M. Guillaume Lidon, responsable des affaires publiques

 

Jeudi 9 mai 2019

Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (INTERFEL)

M. Laurent Grandin, président

M. Daniel Sauvaitre, secrétaire général

M. Louis Orenga, directeur général

Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB)

Mme Stéphanie Pageot, secrétaire nationale « relations avec les acteurs économiques »

M. Jean-François Vincent, secrétaire national « élevage »

Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA)

M. Claude Cochonneau, président

Mme Françoise Crété, présidente de la Chambre d’agriculture de la Somme et référente pour le dossier des relations commerciales au sein de l’APCA

M. Thierry Fellmann, directeur « économie, agriculture et territoires »

M. Enzo Reulet, chargé de mission « affaires publiques »

Lundi 13 mai 2019

Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL)

Mme Marie-Thérèse Bonneau, vice-présidente

M. Vincent Brack, directeur

Jeudi 16 mai 2019

Nielsen France

Mme Anne Haine, directrice générale

Coop de France

M. Dominique Chargé, président de Coop de France

M. Arnaud Degoulet, président de Coop de France « Agroalimentaire »

M. Thibault Buissonnière, directeur adjoint en charge des relations commerciales

Mme Barbara Mauvilain-Guillot, responsable des relations publiques

Association de coordination du frais alimentaire (ACOFAL)

M. Bruno Dupont, président

M. Patrick Trillon, secrétaire

Mme Florence Rossillion, administratrice

Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM)

M. Philippe Chalmin, président

M. Philippe Paquotte, secrétaire général

Mme Amandine Hourt, chargée de mission à l’OFPM (FranceAgriMer)

Mme Mylène Testut-Neves, directrice « Marchés, études et prospective » (FranceAgriMer)

Lundi 20 mai 2019

Arkose consulting

M. Olivier Lauriol, fondateur du cabinet de conseil en management

Jeudi 23 mai 2019

Presse spécialisée, LSA Conso

M. Yves Puget, directeur de la rédaction

Mme Murielle Chagny, Professeure de droit à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, directeur du master de droit de la concurrence et de droit des contrats

M. Francis Amand, médiateur des relations commerciales

Lundi 27 mai 2019

M. Nicolas Ferrier, agrégé des facultés, Professeur à l'Université Montpellier et directeur du master 2 de droit de la distribution et des contrats d'affaires

Cabinet d’avocats Fidal

M. Hervé Lecaillon, avocat

M. Philippe Vanni, avocat associé

Mardi 28 mai 2019

Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV)

M. Dominique Langlois, président

M. Marc Pagès, directeur général

accompagnés de Mme Marine Colli, chargée des relations institutionnelles

Fédération nationale bovine (FNB)

M. Bruno Dufayet, président

accompagné de Mme Marine Colli, chargée des relations institutionnelles

Mercredi 29 mai 2019

Institut de liaison et d’études des industries de consommation (ILEC)

M. Richard Panquiault, directeur général

M. Daniel Diot, secrétaire général

Association nationale des industries alimentaires (ANIA)

M. Richard Girardot, président

Mme Catherine Chapalain, directrice générale

accompagnés de M. Antoine Quentin, directeur des affaires publiques

Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

M. Dominique Amirault, président

accompagné de Mme Diane Aubert, directrice de cabinet du président

Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

M. Jacques Creyssel, délégué général

M. Hugues Beyler, directeur agriculture et filières

M. Jacques Davy, directeur des affaires juridiques et fiscales

Mme Sophie Amoros, chargée de mission affaires publiques et communication

Lundi 3 juin 2019

Fédération du négoce agricole et agroalimentaire (FC2A)

M. Frédéric Carré, président

M. Gérard Poyer, vice-président

M. Marc Morellato, administrateur

Mardi 4 juin 2019

Autorité de la concurrence

Mme Isabelle de Silva, présidente

M. Stanislas Martin, rapporteur général

M. Joël Tozzi, rapporteur général adjoint.

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale

accompagnée de :

Mme Marie-Audrey Courtois, adjointe au chef du bureau « Commerce et relations commerciales »

M. Pierre Rebeyrol, chef du bureau 3C « Commerce et relations commerciales »

M. Laurent Jacquier, adjoint au chef du bureau « Commerce et relations commerciales »

M. Alexandre Chevallier, directeur adjoint de cabinet

Mercredi 5 juin 2019

Organisation des producteurs de lait Lactalis Grand Ouest (OPLGO)

M. Jean-Michel Yvard, président

Mme Christine Lairy, directrice

DANONE

M. François Eyraud, directeur général

M. Philippe Lamboley, directeur commercial Danone Produits frais France

Mme Muriel Pasquier-Verdin, directrice du pôle droit des affaires et concurrence

Mme Véronique Ferjou-Gaven, directrice des affaires institutionnelles

Mme Karine de Crescenzo, responsable senior des affaires publiques Danone France

Jeudi 6 juin 2019

Groupe SAVENCIA

M. Jean-Paul Torris, directeur général

M. Antoine Autran, directeur général « Europe de l’ouest » du groupe

Sodiaal

M. Damien Lacombe, président

M. Alain Venant-Valery, directeur commercial chez Sodiaal Fromages

Groupe BEL France

Mme Béatrice de Noray, directrice générale

Mme Muriel Zevaco, directrice « Propriété intellectuelle et droit des affaires Europe »

« C’est qui le patron »

M. Laurent Pasquier, co-fondateur de la marque « C’est qui le Patron ?! », et président de la Société des consommateurs

Mme Elsa Satilmis, responsable commercial de la société des consommateurs

Mardi 11 juin 2019

Groupe Fleury Michon

M. Régis Lebrun, directeur général

M. David Garbous, directeur marketing stratégique

Groupe Bigard

M. Jean-Paul Bigard, président

M. Jean-Marie Joutel, directeur général

Groupe Herta

M. Dominique Vairon, directeur commercial

Mme Sonia Szewezuk, directrice juridique pôle économique Nestlé en France.

Mercredi 12 juin 2019

Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (FICT)

M. Bernard Vallat, président-directeur général

M. Fabien Castanier, délégué général

Groupe LDC

M. Denis Lambert, président-directeur général

M. Christophe Lambert, directeur commercial

Jeudi 13 juin 2019

Bonduelle

M. Guillaume Debrosse, directeur général

Mme Anne-Marie Geryl, directrice commerciale Bonduelle BELL Retail France

M. Patrick Bruguier, directeur commercial Bonduelle Frais France & Belux

Groupe D'aucy

M. Serge Le Bartz, président du Groupe D’aucy et de la coopérative Cecab

M. Pierre Sifflet, directeur de la branche D’aucy Long Life

M. Nicolas Facon, directeur général « Business unit légumes France ».

Mondelez International en France

M. Mathias Dosne, directeur général

M. Théodore Sabran, directeur des centrales nationales

Lundi 17 juin 2019

Direction générale de la concurrence de la Commission européenne

M. Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust

M. Philippe Chauve, chef de la « task force » alimentaire au sein de la direction E (marchés et cas IV: industries de base, secteur manufacturier et agriculture)

accompagnés de Mme Annette Kliemann, administratrice

Groupe Barilla France

M. Miloud Benaouda, président

Mme Tiphaine Roy, directrice des clients nationaux

Mardi 18 juin 2019

Kellog’s France

M. Éric Le Cerf, président-directeur général

M. Guy Brieven, directeur des clients internationaux.

Mercredi 19 juin 2019

Groupe Avril

M. Olivier Delamea, directeur général d’Avril Végétal

M. Ghislain de Rolland, directeur général délégué au commercial et marketing filières œufs

Mme Marie Saglio, drecteur général de Lesieur

Groupe Carlberg

M. João Abecasis, président de Kronenbourg

M. Frédéric Renauld, vice-président « finance »

Mme Laurence Le Jeunne, directrice des clients nationaux

Heineken France

M. Pascal Sabrié, président

M. Christophe Ribault, directeur commercial sur la partie GMS

Mme Catherine Fillet, directrice juridique

Groupe AB InBev

M. Arnaud Claeys, directeur commercial grande distribution

M. Olivier Puech, responsable juridique et relations publiques de la société AB InBev France

Jeudi 20 juin 2019

Biolait

M. Ludovic Billard, président

M. Jean-Luc Denis, premier vice-président

M. Jacques Chiron, administrateur

 

Audition sous X du président d’une entreprise industrielle

 

Groupe Lactalis

M. Emmanuel Besnier, président

M. Christophe Hannebicque, directeur commercial

M. François Lebreton, directeur général de la division de Lactalis-Nestlé Ultra Frais

M. Michel Nalet, directeur de la communication et des relations extérieures

 

Lundi 24 juin 2019

Mars Food France

Mme Stéphanie Domange, présidente-directrice générale de Mars Food France

M. Olivier Pechereau, président-directeur général de Mars Petcare France

M. Fabien Tintet, directeur commercial de Mars Food France

accompagnés de Mme Nassima Giampino, responsable juridique Mars Petcare & Food France

M. Christophe Girardier, consultant indépendant coordinateur de la rédaction d’un rapport sur l’impact de la grande distribution en outre-mer

Groupe Panzani France Épicerie

M. Hervé Petitcolas, directeur général

M. Sébastien Beauquis, directeur commercial GMS

Mardi 25 juin 2019

Pepsico France

M. Bruno Thevenin, directeur général

M. Thomas Decroix, directeur commercial

Mme Sophie Perrin, directeur juridique

Accompagnés de :

Mme Alix Voglimacci-Stephanopoli, responsable juridique

Mme Caroline Missika, directeur des affaires publiques, de la communication et de la RSE

Procter and Gamble France

M. Benjamin Binot, président

accompagné de M. François de la Faire, directeur juridique & affaires publiques

Mercredi 26 juin 2019

Pernod-Ricard

M. Philippe Savinel, président-directeur général des sociétés de distribution Ricard SA et Pernod SA

M. Olivier Rouche, directeur de la distribution internationale

M. Laurent Scheer, directeur des affaires publiques

Nestlé Céréales (Société CPF snc)

M. Nicolas Delteil, directeur général

M. Lilian Altefrohne, directeur commercial

Henkel France

M. Yvan Bonneton, directeur général, détergents et produits d’entretien

M. Frédéric Bonifacy, directeur général, cosmétiques grand public

M. Alexandre Gonin, directeur commercial, détergents et produits d’entretien

 

Jeudi 27 juin 2019

Audition sous X du président d’une entreprise industrielle

Ferrero

M. Jean-Baptiste Santoul, président de Ferrero France Commerciale

M. Nicolas Neykov, directeur commercial

Mme Valérie Quesnel, directrice juridique

L’Oréal

M. Vianney Derville, directeur général Europe de l’Ouest, membre du Comité exécutif

M. Hervé Navellou, directeur général France

Mme Céline Brucker, directrice générale de la division produits grand public France

M. Geoffroy Blanc, directeur commercial France

Unilever France

M. Nicolas Liabeuf, président

M. François-Xavier Apostolo, vice-président en charge des ventes

Mme Emmanuelle Couïc-Dubois, directrice juridique

Groupe Léa nature

M. Charles Kloboukoff, président fondateur

M. Éric Guilhem, directeur commercial de la société Naturenvie (produits alimentaires)

M. Georges Petit, directeur commercial de la société Distrinat (produits « DPH »)

Mme Virginie Le Gall, juriste, société Groupe Léa Nature

Lundi 1er juillet 2019

Centrale d’achat Envergure

M. Stéphane Vaudoit, président

M. Bruno Cazorla, directeur général

Audition, à huis-clos, de M. X, adhérent à un groupe de distribution

Mardi 2 juillet 2019

Bacardi Martini France

M. Thomas D’hont, directeur commercial France

Mme Aude-Marie Cartron, directeur juridique Europe du Sud

Groupe U Enseigne

M. Dominique Schelcher, président-directeur général

Mme Isabelle Kessler, directrice juridique

M. Pascal Millory, directeur commercial

M. Thierry Desouches, responsable des relations extérieures

 

Mercredi 3 juillet 2019

Horizon-Achats

M. Abel Mercier, directeur délégué aux achats

M. Franck Derniame, directeur juridique

Jeudi 4 juillet 2019

Société ALMA-sources

M. Luc Baeyens, directeur général

M. Laurent Fouillet, directeur commercial

Groupe Galapagos

M. Christian Tacquard, fondateur et président-directeur général

M. Antoine Le Frêche, directeur commercial (GMS marque nationale/ Loc Maria Biscuits)

Mme Emma Sautou, responsable commerciale « Alpina-Savoie »

M. Serge Papin, ancien président du groupement Système U

Lundi 8 juillet 2019

Mac Cain Alimentaire

Mme Leslie Camus, directrice commerciale Retail France

Mme Tafaha Asrir, directrice MDD et Industrie Europe continentale

Intermarché – Les mousquetaires

M. Thierry Cotillard, président d’Intermarché et Netto

M. Claude Genetay, directeur général Intermarché et Netto

M. Frédéric Thuillier, directeur des affaires publiques

Mardi 9 juillet 2019

Carrefour World Trade (CWT)

M. Éric Dubouchet, directeur général

M. Sylvain Ferry, directeur marques nationales du groupe

Intermarché

M. Gwenn Van Ooteghem, directeur des achats marques nationales Intermarché

France OPLAIT

M. Denis Berranger, agriculteur et président

M. Pierre Moineau, agriculteur et Secrétaire

Mercredi 10 juillet 2019

LIDL France

M. Michel Biero, directeur exécutif achats et marketing

CORA France

M. Ludovic Châtelais, directeur général

M. Lionel Barbaras, directeur général exécutif de la société Provera

Mme Annabelle Guidi, directrice juridique

Jeudi 11 juillet 2019

Galec

M. Olivier Huet, président du directoire

M. Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement

M. Sébastien Chellet, directeur général du Galec

Groupe Carrefour

M. Alexandre Bompard, président-directeur général

accompagné de :

M. Laurent Vallée, secrétaire général

M. Pascal Clouzard, directeur exécutif de Carrefour France

M. Jérôme Hamrit, directeur marchandises de Carrefour France

Groupe Casino

M. Hervé Daudin, membre du comité exécutif, président achats marchandises accompagné de :

M. Jean-Yves Haagen, directeur juridique

Mme Esther Bitton, directrice juridique « marchandises et concurrence »

M. Claude Risac, directeur des relations extérieures

Lundi 15 juillet 2019

Centrale d’achat Eurelec Trading SCRL (Belgique)

M. Olivier Petit, directeur général adjoint

accompagné de :

M. Stéphane Henry, administrateur

M. Jérémie Vilain, directeur de la relation client chez Rewe, directeur général d’Eurelec à compter du 1er août 2019

Mercredi 17 juillet 2019

Auchan Retail

M. Edgard Bonte, président

M. Jean-Denis Deweine, directeur général d’Auchan Retail France

M. Franck Geretzhuber, secrétaire général d’Auchan Retail France

Jean Hénaff S.A.

M. Loïc Hénaff, président du directoire (par visioconférence)

Lundi 22 juillet 2019

Coopelec

M. Alexandre Masiak, directeur

Mme Anne Magré, adhérente Leclerc à Varsovie

Coopernic SCRL

M. Laurent Collot, general manager

M. Frédéric Louis, avocat responsable de la conformité juridique de Coopernic SCRL

Mardi 23 juillet 2019

Amazon France

M. Frédéric Duval, délégué général

accompagné de M. Yohann Bénard, directeur de la stratégie

Mercredi 24 juillet 2019

Association des centres distributeurs E. Leclerc

M. Michel-Édouard Leclerc, président

accompagné de :

M. Alexandre Tuaillon, directeur des affaires publiques

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des finances

accompagnée de :

Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

Mme Aigline de Ginestous, chef de cabinet, conseillère parlementaire et territoires

M. Malo Carton, conseiller entreprises et participations de l’État

M. Pierre Chambu, chef de service

Mme Joanna Ghorayeb, sous-directrice

M. Pierre Rebeyrol, chef de bureau

M. Maxime Piat, inspecteur CCRF

Jeudi 25 juillet 2019

Audition, à huis clos, de M. X.

Mardi 3 septembre 2019

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

accompagné de :

Mme Bénédicte Bergeaud, conseillère en charge des relations avec le parlement, les élus et les territoires,

Mme Nathalie Barbe, conseillère en charge des filières animales, de la forêt et de la performance économique des entreprises agricoles et agroalimentaires

 

 


([1]) La composition de cette commission d’enquête figure au verso de la présente page.

([2]) Carrefour réalise plus que la moitié de son chiffre d’affaires hors de France. Pour leur part, Auchan et Casino, en dépit d’arbitrages récents, conservent respectivement de fortes présences en Chine, en Russie et en Europe centrale mais aussi pour Casino en Amérique du sud. En revanche, la prise de contrôle par Intermarché des activités allemandes de Spar, revendues en 2005, aura été un des plus grands échecs de l’internationalisation de la distribution française.

([3]) Source LSA Expert : les hypermarchés représentent aujourd’hui et à eux seuls près de 11,7 millions de m2 installés.

([4]) Pour la première fois depuis 1945, le solde commercial agroalimentaire de la France a été négatif, en 2018, vis-à-vis des pays de l’UE, alors qu’il était positif à 6,3 milliards d’euros en 2011.

([5]) Discours à Bercy, le 21 décembre 2017

([6])  Un principe qui ne lie d’ailleurs que partiellement un pays comme la Suisse qui n’est pas membre de l’UE et qui n’a pas ratifié l’accord sur l’Espace économique européen (EEE).

([7]) Intermarché à pris une participation minoritaire dans le réseau Les Comptoirs de la bio et Carrefour a annoncé, en juillet 2018, le rachat de So.bio. De son coté, Naturalia appartient au groupe Casino.

([8]) Évolution des dépenses de consommation des ménages dans les circuits de distribution de 2008 à 2017 ; étude publiée en septembre 2018.

([9]) L’étude susmentionnée classe les magasins bio dans les circuits dits spécialisés alors que la grande distribution contrôle ou s’associe d’ores et déjà à certains des principaux acteurs du bio tout en augmentant ses ventes bio en hyper et supermarchés de façon spectaculaire.

([10])  (1)Mondelez, Procter, Coca-Cola, Heineken, General Mills, Unilever, PepsiCo, Nestlé / (2) Seb, Remy Cointreau, Pernod Ricard, L'Oréal, Fleury Michon, Danone, Bonduelle, Bel, Bongrain/Savencia / (3) Carrefour, Auchan, Casino

([11]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous

([12])  Plus précisément, l’article L123-5-2 dispose que « « Lorsque les dirigeants d'une société commerciale transformant des produits agricoles, commercialisant des produits alimentaires, exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d'achat d'entreprises de commerce de détail ne procèdent pas au dépôt des comptes dans les conditions et délais prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23, le président du tribunal de commerce peut adresser à cette société une injonction de le faire à bref délai sous astreinte. Le montant de cette astreinte ne peut excéder 2 % du chiffre d'affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société au titre de cette activité, par jour de retard à compter de la date fixée par l'injonction ».

([13]) L’autorité en charge de la concurrence au Royaume Uni (Competition and Markets Authority) a refusé, en avril 2019, la fusion projetée entre les deux principaux concurrents de Tesco, les distributeurs Sainsbury’s et Asda (filiale de l’américain Walmart) qui détiennent chacun près de 15 % du marché, au motif qu’une telle opération aurait un effet trop restrictif sur l’offre proposée aux consommateurs.

([14]) Casino est sans doute de tous les distributeurs celui pour lequel les hypermarchés n’occupent plus une place majeure dans la stratégie, du moins en France. En témoigne la déclaration de son Président, M. Jean-Charles Naouri : « L’hypermarché est un format déclinant » (Le Monde du 15 mars 2019).

([15]) Source : Global Powers of Retailing publié par Deloitte ; 22ème édition (2019)

([16])  « Non, ce n’est pas l’apocalypse de la grande distribution en France » ; tribune de M. Schelcher dans le quotidien Les Échos du 15 mai 2019

([17])  Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat

([18]) Contre 3 000 et 1 500 mètres carrés dans les communes de plus de 40 000 habitants et 2 000 et 1 000 mètres carrés dans les communes d’une population inférieure à 40 000 habitants

([19])  En application de l’article L.441-7 du code de commerce, il s’agit d’une « convention par laquelle un distributeur ou un prestataire de services s’oblige envers un fournisseur à lui rendre, à l’occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs, des services propres à favoriser leur commercialisation qui ne relèvent pas des obligations d’achat et de vente ».

([20]) http://www.journaldunet.com/management/marketing-commercial/actualite/07/reforme-loi-galland/2.shtml

([21]) L’autorité de la Concurrence souligne que le tarif triple net n’intègre pas les nouveaux instruments promotionnels (NIP) ni les avantages perçus au titre des alliances internationales à l’achat, c’est-à-dire des tarifs quatre et cinq fois nette. (Cf. Avis n°18-A-14 du 23 novembre 2018 de l’Autorité de la Concurrence,  relatif au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/18a14.pdf, p. 9 et 10)

([22]) https://www.codes-et-lois.fr/feeds/wikipedia/_e0eda925ccec5b580107fc446c9c31e2

([23]) En application de l’article L. 441-6  du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi LME « le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture »

([24]) L’obligation vaut pour tout accord « entre des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales, exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation, ou intervenant dans le secteur de la grande distribution comme centrale de référencement ou d’achat d’entreprises de commerce de détail ».

([25]) L’Autorité de la concurrence dispose toujours de la faculté de prononcer de telles injonctions en outre-mer depuis la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Cette disposition vise à tenir compte des spécificités du secteur de la grande distribution et des problématiques de concentration dans les territoires ultra-marins.

([26]) Avant l’entrée en vigueur de la loi, leur montant initial ne pouvait être supérieur à 2 millions d’euros ou au triple des sommes indûment perçues.

([27]) En matière contractuelle, l’article 1218 du code civil définit la force majeure comme «un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

([28]) Objet d’un engagement pris par le Chef de l’État au cours de sa campagne présidentielle, les États généraux de l’Alimentation se sont déroulés du 20 juillet au 21 décembre 2017. Ils ont donné lieu à l’organisation d’ateliers à l’échelle nationale, régionale et locale, ainsi qu’à une consultation publique.

([29]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous

([30]) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie

([31]) Article 92 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. En contrepartie, la LME renforce l’interdiction de pratiques abusives par la modification de l’article L. 442-6 du code de commerce.

([32]) Premier alinéa du I de l’article L. 441-7 du code de commerce dans la rédaction issue la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie

([33]) 3° du I de l’article L. 441-7 du code de commerce dans la rédaction issue la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie

([34]) La loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat (dite « loi Raffarin ») soumettait à l’autorisation préalable d’une commission départementale d’équipement commercial la réalisation de tout projet aboutissant à la création ou à l’extension d’une surface commerciale au-delà de 300 mètres carrés.

([35]) Rapport d´information n° 174 (2009-2010) fait au nom du groupe de travail sur l’application de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, constitué par la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, présenté par Mme Élisabeth LAMURE, Sénateur, déposé à la Présidence du Sénat le 16 décembre 2009, p. 30-31

([36]) Marie Laure Allain, Claire Chambolle, Stéphane Turolla, Évaluation des effets de la loi de modernisation économique et des stratégies d’alliance à l’achat des distributeurs, rapport remis dans le cadre d’une mission pour le compte du ministère de l’Économie et des Finances, décembre 2016 (remis le 20 décembre 2016, à MM. Michel Sapin et Stéphane Le Foll au cours du comité de suivi annuel des relations commerciales)

([37]) Op. cité, pp. 37 à 45.

([38]) Article 2 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires. L’ordonnance est prise en application de l’article 15 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

([39]) Eurostat, « Les niveaux des prix des produits alimentaires en 2018 variaient de 66 % de la moyenne européenne en Roumanie à 130 % au Danemark » ; communiqué de presse 101/2019 du 20 juin 2019

([40]) Nielsen Scan Track, « Évolution Ventes PGC + FLS en Hypers + Supers + SDMP + drives + Proximité en CAD P4-2019 », Données arrêtées au 21 avril 2019

([41]) Cf. supra pp. 102 à 106

([42]) L’article 1er modifie la rédaction de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche.

([43]) Articles L. 631-27 et L. 637-27-1 du code rural et de la pêche maritime (cf. infra. pp. 86-87)

([44]) Article L. 462-10 du code de commerce (II à VIII)

([45]) « De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d’autres pratiques prohibées »

([46]) Rapport d’information (n° 1981), déposé en application de l’article 145-7 alinéa 1 du règlement, par la commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et présenté par MM. Jean-Baptiste Moreau et Jérôme Nury, déposé(e) le mercredi 29 mai 2019, page 9 : « À ce jour, six ordonnances comportant vingt-sept dispositions ont été publiées dans le délai prévu par la loi, six mois après sa promulgation, sur un total de trente-et-une dispositions d’habilitation prévues par la loi dans son ensemble. Sur ces ordonnances, le taux de mise en œuvre de la loi atteint 84 %. Quatre autres dispositifs sont attendus d’ici l’automne 2019 »

([47]) Fédération du commerce et de la distribution « Nos engagements pour des relations commerciales plus respectueuses et apaisées », octobre 2016 :

 (http://www.fcd.fr/media/filer_public_thumbnails/filer_public/01/da/01daa145-e82c-4454-a7dc-4efc595ed5f9/charte-pour-les-neegociations-commerciales.png__300x424_q95_crop_subsampling-2_upscale.jpg )

([48]) Suivant les contrats conclus au sein des groupes indépendants, la participation aux activités de l’enseigne constitue une obligation pas nécessairement rémunérée en tant que telle.

([49]) Voir en ce sens la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 DC, Loi relative à la sécurisation de l'emploi

([50])  Selon la définition donnée par l’article L. 134-1 du code de commerce, « [l]'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ».

([51]) Ministère de l’Économie et des Finances, « Bruno LE MAIRE et Agnès PANNIER-RUNACHER ont décidé d’assigner le mouvement E. LECLERC pour des pratiques commerciales abusives commises par sa centrale d’achat belge », communiqué de presse du 22 juillet 2019 (N° 1354). Les entités du mouvement E. Leclerc faisant l’objet de l’assignation sont Eurelec Trading, Scabel, Galec et Acdlec.

°https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/presse/communique/2019/1354-2019-07-22-cp-assignation.pdf.

([52]) Cette question fait l’objet des développements de la seconde partie (cf. infra pp. 107 à 125).

([53]) D’après l’étude réalisée par l’Association nationale des industries alimentaires auprès des membres, 77 % des entreprises ont été confrontées à des demandes de déflation de principe pour l’exercice 2019 (contre 81 % en 2018) ; 47 % des entreprises consultées ont signé en déflation (avec des tarifs en baisse d’en moyenne 1,4 %).

([54]) Le "triple net" correspond au prix réellement payé par le distributeur, après remise sur facture d’achat, remise de ristournes différées et de la coopération commerciale.

([55]) Cf. supra pp. 107 à 125

([56]) En application de l’article L. 441-3 du code de commerce

([57]) Cf. infra les développements relatifs aux centrales d’achat (pp. 107 à 125)

([58]) Ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

([59]) L’article 3 de l’ordonnance ne s’applique pas aux produits du rayon « droguerie, parfumerie, hygiène ».

([60]) https://www.definitions-marketing.com/definition/cagnottage/ .

([61]) https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/lignes-directrices-relatives-a-lencadrement-des-promotions.

([62]) Cf. supra p. 38.

([63]) En application du décret n° 2018-1304 du 28 décembre 2018 fixant l’entrée en vigueur de l’article 2 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

([64]) Cf. Étude d’impact, Projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, NOR : AGRX1736303L/Bleue-1, 30 janvier 2018, pp. 64‑66.

(http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/equilibre_relations_commerciales_agriculture?etape=15-AN1-DEPOT).

([65]) Selon les chiffres produits par M. Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF).

([66]) Décret n° 85-1152 du 5 novembre 1985 portant création d'une direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au ministère de l'économie, des finances et du budget par suppression d'une direction générale, d'une direction, d'une mission et d'un service, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006064741

([67]) Avis n° 15-A-06 du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution, disponible sur :

 http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/15a06.pdf

([68]) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, article 37 

 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030978561&categorieLien=id

([69]) Décision n° 2015-715 dc du 5 août 2015, loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, disponible sur https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2015/2015715dc.htm  

([70]) Directive (UE) 2019/1 du parlement européen et du conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des états membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/txt/?uri=uriserv:oj.l_.2019.011.01.0003.01.fra  

([71]) Communiqué de presse de l’Autorité de la Concurrence du 16 juillet 2018, disponible sur http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=683&id_article=3225&lang=fr

([72]) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/10/11/discours-du-president-de-la-republique-aux-etats-generaux-de-l-alimentation

([73]) Recommandation n°19-1 relative à un guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques, Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, disponible sur https://www.economie.gouv.fr/cepc/recommandation-ndeg-19-1-relative-a-guide-des-bonnes-pratiques-en-matiere-penalites-logistiques;

([74]) https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cepc/rapports/ra-cepc-2018.pdf

([75]) Directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil.

([76]) Article L 420-2 du code de commerce : « Est prohibée (…) l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante (…). Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente (…) ».

([77]) Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, prise conformément à l’habilitation de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Loi EGAlim ».

([78]) Jusqu’au 26 avril 2019, l’article L442-6 du code de commerce disposait qu’ « engage la responsabilité  de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (…) d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ».

([79]) Article L.442-1 du code de commerce.

([80]) Loi nº 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales.

([81]) Interview du 23 février 2017 au magazine Libre-Service Actualités (LSA)

([82]) Le taux de service se définit comme « le rapport entre ce qui est commandé et ce qui est livré. Il traduit un engagement contractuel réciproque de qualité de service, mesuré par des indicateurs objectifs déterminés conjointement » (Recommandation n° 19-1 de la commission d’examen des pratiques commerciales, relative à un guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques).

([83]) Recommandation n° 19-1de la commission d’examen des pratiques commerciales de la commission d’examen des pratiques commerciales, relative à un guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques

([84]) Article L.441-10 du code de commerce qui précise également que « par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois après la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier ».

([85]) Également appelé « stock déporté », « stock consignation », ou encore pratique de « l’entreposage avancé ».

([86]) Autorité de la concurrence, avis n° 15-A-06 du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution

([87]) PARIGI (Jérôme), « Francap confie ses achats de grandes marques à Intermarché », LSA, 12 juillet 2019

([88]) Les pourcentages ont été modifiés pour ne pas permettre l’identification du groupe concerné, mais les ordres de grandeur ont été conservés afin de permettre au lecteur de prendre la mesure de la situation de dépendance dans laquelle ces fournisseurs peuvent se trouver vis-à-vis de groupes alliés à l’achat.

([89]) Groupe devenu Ahold-Delhaize du fait de la fusion en 2016 du groupe belge et du groupe néerlandais Ahold.

([90])  Article 271 paragraphe 1 du code pénal suisse : « Celui qui, sans y être autorisé, aura procédé sur le territoire suisse pour un État étranger à des actes qui relèvent des pouvoirs publics, celui qui aura procédé à de tels actes pour un parti étranger ou une autre organisation de l’étranger, celui qui aura favorisé de tels actes, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire et, dans les cas graves, d’une peine privative de liberté d’un an au moins ».

([91])  Source : mail transmis au secrétariat de la commission d’enquête par la Mission des conventions et de l’entraide judiciaire de la Direction des français de l’étranger et de l’administration consulaire du Quai d’Orsay.

([92]) Compte rendu de l’audition de MM. Éric Dubouchet et Sylvain Ferry, le mardi 9 juillet à 10 heures

([93]) Idem

([94]) Le « seuil de sécurité » de 15 %, mentionné par les Lignes directrices horizontales de la Commission européenne et rappelé dans l’avis de 2015 rendu par l’AdlC pourrait servir de point de départ à une réflexion plus poussée (voir aussi le A du II du présent rapport).

([95])  CE, section, 10 juillet 1992, n° 110213 et 110214).

([96])  Cf. notamment l’article 223 du code général des impôts.

([97]) Direction générale des entreprises, Guide du marquage d’origine, édition mars 2018, p. 12