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 N° 2410

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2019

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
 

relative à la réforme européenne du droit d’asile (n° 2343)

PAR Mme Marietta KARAMANLI et M. Ludovic MENDES

Députés

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Voir le numéro : 2343.

 


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SOMMAIRE

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Pages

I. Les enjeux d’une réforme nécessaire et complexe

A. La construction du régime d’asile européen commun fait face à ses limites

1. Le cadre évolutif du régime d’asile européen commun

2. La crise migratoire de 2015-2016 a révélé les failles de ce régime

B. Vers une nouvelle refonte du paquet asile : une voie étroite et accidentée

1. Les propositions de la Commission, base des négociations

2. Les raisons d’une négociation brouillée

II. Un plaidoyer en faveur d’une réforme ambitieuse et equilibrée du droit d’asile européen

Examen en commission

 


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Mesdames, Messieurs,

Une proposition de résolution européenne relative à la réforme du droit d’asile adoptée par la commission des Affaires européennes le 17 octobre 2019 a été renvoyée à la commission des Lois. Cette proposition de résolution est le fruit d’un rapport d’information établi par vos deux rapporteurs ([1]).

Le 23 septembre 2019, la France, l’Allemagne, l’Italie et Malte signaient à La Valette un pré-accord relatif à la mise en place d’un système de répartition des migrants débarquant à Malte ou en Italie. Bien que limitée et circonstanciée, cette initiative avait le mérite d’esquisser les bases d’une initiative européenne coordonnée et proactive en matière de migrations. Malheureusement, le Conseil « Justice et affaires intérieures », qui s’est tenu les 7 et 8 octobre derniers à Luxembourg, n’a pas permis de prolonger ce premier élan.

Vingt ans après les conclusions du Conseil européen de Tempere qui avait, pour la première fois, fondé l’ambition d’une politique européenne commune en matière d’asile et de migration, l’Union européenne ne parvient pas à réformer le régime d’asile européen dont elle s’est progressivement dotée. Ce régime a pourtant montré ses limites et ses failles lors de la crise migratoire des années 2015 et 2016. Non encore résorbées, les conséquences de cette dernière sont toujours perceptibles en Europe.

Les négociations sont, à ce jour, bloquées tant les intérêts semblent divergents entre les pays de première entrée, ceux de rebond et les États qui, par principe, sont opposés à toute avancée en matière de gestion commune des flux migratoires.

Cependant, vos rapporteurs refusent de se résigner et rejettent toute forme de fatalisme en la matière. Ils appellent de leurs vœux un mouvement des parlements nationaux de l’Union européenne afin de soutenir une réforme ambitieuse et équilibrée du droit d’asile en Europe.

En application de l’article 151‑­­6 du Règlement de l’Assemblée nationale la commission des Lois disposait d’un délai d’un mois à compter de son dépôt pour déposer son rapport sur la proposition de résolution de la commission des Affaires européennes, soit jusqu’au 18 novembre 2019. À défaut, le texte de la Commission des Affaires européennes aurait été considéré comme adopté par elle. Le choix a été fait de s’en saisir. Il se justifie par l’objet même de la proposition de résolution et par les travaux menés récemment par la commission des Lois sur ce sujet en amont du débat auquel a donné lieu, à l’Assemblée nationale, le lundi 7 octobre 2019, la Déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe ([2]).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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I.   Les enjeux d’une réforme nécessaire et complexe

A.   La construction du régime d’asile européen commun fait face à ses limites

1.   Le cadre évolutif du régime d’asile européen commun

Pour appliquer la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l’ambition de doter l’Union européenne d’un cadre commun en matière d’asile a été réalisée sur plus de deux décennies. Progressivement, l’Union s’est dotée d’un cadre législatif permettant l’instauration de normes communes et garantissant légal accès à la procédure d’asile.

Ce corpus est constitué de cinq textes principaux, qui, après avoir été introduits dans les années 2000, ont fait l’objet d’une première révision dans les années 2010.

Trois sont des directives qui ont nécessité, pour leur application, une transposition par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

● La directive « Qualification », refonte d’une directive de 2004 ([3]), date du 13 décembre 2011 ([4]). La première pierre de l’édifice fixe les critères nécessaires à l’octroi d’une protection internationale, qu’il s’agisse du statut de réfugié accordé en application de la convention de Genève ou de la protection subsidiaire octroyée lorsque le demandeur est exposé, dans son pays d’origine, aux atteintes graves mentionnées à l’article 15 de la directive ([5]).

 La directive « Procédures », adoptée le 26 juin 2013 ([6]), organise, depuis 2005 ([7]), la procédure de demande d’asile sous ses différents aspects. Elle fixe les règles en matière d’introduction et d’enregistrement d’une demande. Elle précise également les modalités et les délais d’examen de celle-ci, en apportant notamment des garanties procédurales au demandeur, telles que l’entretien individuel ou la mise en place de voies de recours.

● La directive « Accueil », adoptée, elle aussi, le 26 juin 2013 ([8]) après refonte d’une directive de 2003 ([9]), fixe les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile dans l’attente de l’examen de leur demande, en leur assurant un accès au logement, aux moyens de subsistance et aux soins de santé.

Les deux règlements, également adoptés le 26 juin 2013, sont en revanche d’application directe même s’ils peuvent être précisés par la loi.

● Le règlement « Eurodac » ([10]) est opérationnel depuis 2003 ([11]). Il met à disposition des 32 États du système « Dublin » – les 28 pays de l’Union européenne et les quatre États associés de l’espace Schengen que sont l’Islande, la Norvège, le Lichtenstein et la Suisse – une base de données commune afin de déterminer la responsabilité de l’État membre d’une demande d’asile. Lorsqu’une personne introduit sa demande en guichet unique, ses empreintes sont ainsi transmises par les services de la préfecture au système central d’Eurodac.

● Enfin, le règlement « Dublin », actuellement dans sa version « Dublin III » ([12]) qui a succédée au règlement de 2003 ([13]) et à la convention de 2000 ([14]), constitue la tête de proue du dispositif. Il affirme les principes fondamentaux du droit de l’asile européen selon lesquels :

– aucun demandeur ne peut être renvoyé d’un pays à l’autre sans que sa demande ne soit examinée, et ce en application du principe de non-refoulement énoncé par la convention de Genève ;

– le demandeur d’asile ne peut solliciter plusieurs pays européens : un seul État est responsable de sa demande. Des critères de détermination sont fixés et une procédure de transfert entre États est organisée.

Le régime d’asile européen commun s’est également doté, depuis les années 2010, de deux règlements supplémentaires, l’un portant création du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) ([15]) et l’autre établissant un fonds d’assistance aux migrations (FAMI) ([16]).

2.   La crise migratoire de 2015-2016 a révélé les failles de ce régime

Entre 2015 et 2016, l’Union européenne a été confrontée à l’arrivée de plus de 2,5 millions de demandeurs d’asile. La gestion chaotique de ce flux a mis en avant les insuffisances du régime d’asile européen commun.

● La directive « Qualification » n’a pas permis de faire suffisamment converger les législations nationales en matière d’asile.

À titre d’exemple, la notion d’asile interne, prévue à l’article 8 de la directive, a été transposée à l’article L. 713‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui dispose que « peut être rejetée la demande d’asile d’une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine si cette personne n’a aucune raison de craindre d’y être persécutée ou d’y être exposée à une atteinte grave, si elle peut, légalement et en toute sécurité, se rendre vers cette partie du territoire et si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle s’y établisse ».

Dans les faits, l’encadrement jurisprudentiel interne de cette notion ne permet pas son application par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), contrairement à d’autres pays européens. Cette situation explique, en partie, des taux de reconnaissance très variables en Europe pour une même nationalité. En 2018, le taux de protection des ressortissants afghans variait ainsi de 6 % à 98 % selon l’État responsable, les autorités allemandes appliquant notamment le concept d’asile interne en estimant sûre une partie du territoire de ce pays.

Cette différence d’appréciation est source de mouvements de rebond des demandeurs d’asile que le régime commun est censé prévenir.

● La directive « Procédures » a, quant à elle, insuffisamment rapproché les pratiques en matière de traitement de la demande d’asile.

Elle n’a tout d’abord pas favorisé l’harmonisation de l’organisation administrative de la chaîne de l’asile. Alors qu’en Allemagne, les procédures d’asile relèvent de la seule responsabilité du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral des migrations et des réfugiés), qui dépend du ministère de l’Intérieur, et le contentieux de l’asile des tribunaux de l’ordre administratif, la chaîne de l’asile fait intervenir en France une multitude de structures et d’acteurs pour le pré-accueil, l’enregistrement et l’instruction de la demande.

schéma simplifié de la procédure d’asile en France

Source : Forum réfugiés-Cosi, « Dans les pas d’un réfugié », mai 2019.

Cette question a, elle aussi, une incidence sur les disparités de traitement et d’acceptation de la demande d’asile en Europe, notamment lorsque la structure administrative ne dispose d’aucune autonomie vis-à-vis du ministère de l’Intérieur. En France, si les garanties procédurales sont importantes, notamment du fait de l’indépendance organique de l’OFPRA, les demandeurs d’asile sont cependant confrontés à de multiples acteurs pour gérer les différents aspects de leur situation.

Vos rapporteurs souhaitent également relever que la directive n’organise pas de prise en compte coordonnée de la situation particulière des personnes vulnérables, notamment des mineurs non-accompagnés ([17]). L’article 15 de la directive prévoit, au stade de l’entretien individuel du demandeur, que les États « veillent à ce que la personne chargée de mener l’entretien soit compétente pour tenir compte de la situation personnelle et générale dans laquelle s’inscrit la demande ». L’article 31 dispose qu’une priorité peut être donnée à l’examen d’une telle demande.

En droit interne, le champ de l’article L. 723‑3 du CESEDA reste limité : il dispose que l’OFPRA « peut définir les modalités particulières d'examen qu'il estime nécessaires pour l’exercice des droits d’un demandeur en raison de sa situation particulière ou de sa vulnérabilité ».

● La directive « Accueil » est, elle aussi, responsable d’une partie des mouvements internes des demandeurs d’asile dans la mesure où elle ne fixe pas de normes uniformes et identiques d’accueil qui demeurent variables selon les pays.

Le chapitre IV du titre IV du livre VII du CESEDA organise les conditions matérielles d’accueil qui comprennent le dispositif national d’accueil, à savoir 98 500 places d’hébergement pour l’année 2020, et l’allocation pour demandeur d’asile qui s’élève à 6,80 euros par jour pour une personne et 3,40 euros par jour et par personne supplémentaire dans le foyer. En l’absence d’hébergement, une majoration de 7,40 euros, par adulte, est versée.

Si l’article 19 de la directive impose que « les demandeurs reçoivent les soins médicaux nécessaires qui comportent, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves », ils bénéficient, en France, d’un accès à la sécurité sociale de droit commun, à savoir la protection universelle maladie (PUMa) et la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

● Enfin, le règlement « Dublin » cristallise les tensions et symbolise l’échec du régime d’asile européen commun basé sur le principe de responsabilité du pays de première entrée.

En France, il s’illustre par le faible taux de transfert, néanmoins en augmentation, des demandeurs placés sous procédure « Dublin », c’est-à-dire les personnes dont l’examen de la demande d’asile relève d’un autre État membre.

En 2015, 12 094 procédures avaient été initiées par la France. Le taux d’acceptation des demandes par les États responsables était de 65 % et le nombre de transferts réalisés de 525, soit 6,7 %. En 2018, le nombre de requêtes a quadruplé et s’élevait à 46 037, soit un tiers de la demande globale, pour un taux d’acceptation stable. Le taux de transfert était en hausse à 11,9 %. Il a poursuivi son augmentation au premier semestre 2019 et s’élève désormais à 17,1 %. Cette amélioration s’explique notamment par la mise en place des onze pôles régionaux spécialisés qui ont une compétence exclusive pour mener ces procédures après l’enregistrement d’une demande en guichet unique.

La mise en échec de cette procédure est principalement causée par le délai contraint durant lequel le transfert doit s’opérer. L’article 29 du règlement prévoit en effet une durée de six mois à compter de l’acceptation de la procédure par l’autre État. Elle est portée à dix-huit mois en cas de fuite du demandeur, c’est-à-dire sa non-présentation à deux convocations consécutives ou trois non-consécutives de l’administration ou son refus d’embarquer le jour du transfert. Ce sont 5 516 demandeurs qui ont été déclarés en fuite sur les sept premiers mois de l’année 2019.

Dans tous les cas, après l’expiration du délai et l’échec de la procédure de transfert, le demandeur est automatiquement requalifié et sa demande doit être examinée dans le pays de nouvelle demande.

De l’autre côté du spectre, il convient également de noter que l’organisation de la solidarité européenne envers les pays de première demande, qui n’ont d’ailleurs pas toujours été en mesure de faire face matériellement aux flux de demandeurs ou qui ont parfois refusé d’enregistrer effectivement leurs demandes, s’est elle aussi avérée défaillante.

Les conclusions, remises le 31 octobre dernier, de l’avocate générale près la Cour de justice de l’Union européenne, saisie de trois recours de la Commission ([18]) à l’encontre d’États du groupe de Višegrad ([19]) qui avaient refusé d’appliquer les « décisions de relocalisation » ([20]), adoptées par le Conseil en 2015, sont venues rappeler l’échec du plan qui avait pour ambition de relocaliser respectivement 40 000 et 120 000 demandeurs depuis la Grèce et l’Italie.

La Commission avait par la suite abaissé ses ambitions à 98 255 demandeurs. 34 689 d’entre eux avaient été relocalisés au 31 mai 2018, dont 5 029 en France qui devait en accueillir initialement 19 714.

B.   Vers une nouvelle refonte du paquet asile : une voie étroite et accidentée

1.   Les propositions de la Commission, base des négociations

Les 4 mai et 13 juillet 2016, la Commission européenne a présenté une série de propositions visant à réformer les textes du régime d’asile européen commun.

● La directive « Qualification » serait remplacée par un règlement ([21]) qui vise notamment, selon la proposition formulée par la Commission :

 à « renforcer l’harmonisation des critères communs de reconnaissance des demandeurs de protection internationale » grâce à des règles plus contraignantes ;

 à « renforcer la convergence des décisions en matière d’asile dans l’ensemble de l’Union européenne » au moyen d’analyses et d’orientations contraignantes communes sur les pays d’origine réalisées par la nouvelle Agence de l’Union européenne pour l’asile ;

 et à « remédier aux mouvements secondaires » en obligeant, contrairement au principe de libre-circulation, les bénéficiaires d’une protection à demeurer dans le pays qui leur a octroyé la protection.

● La directive « Procédures » serait elle aussi remplacée par un règlement ([22]) instituant une procédure commune plus contraignante en matière de protection internationale afin, selon la Commission, de « parvenir à une harmonisation plus poussée et à une plus grande uniformité de l’issue des procédures », et, là aussi, d’éliminer « les incitations à la course à l'asile et aux mouvements secondaires entre États membres ».

Dans ce domaine, la Commission a formulé des mesures fortes qui font l’objet d’âpres négociations.

Il est tout d’abord proposé, à l’article 47, d’harmoniser progressivement et entièrement les listes de pays d’origine sûrs établies dans chaque État en les remplaçant par des listes européennes. La notion de pays d’origine sûr, introduite à l’article L. 722‑1 du CESEDA, ne disqualifie pas le demandeur d’asile qui en est issu mais permet de traiter sa demande selon une procédure accélérée.

La Commission envisage également, à l’article 45, de donner un effet direct à la disposition permettant de déclarer irrecevable toute demande sur le territoire de l’Union dès lors qu’elle peut être examinée par un « pays tiers sûr ».

Prévu par l’article 38 de la directive, ce concept n’a pas été introduit dans le droit français dans la mesure où il ferait obstacle à l’application du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République » ([23]).

C’est pourquoi le second alinéa de l’article 53‑1 de la Constitution dispose, depuis 1993, que « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif » que ceux prévus par les accords en matière d’asile que la France peut conclure en application du premier alinéa du même article.

Cette conception historique et française de l’asile a conduit à introduire, en droit interne, une voie de protection spécifique, celle de l’asile constitutionnel ([24]).

À l’inverse, la notion de pays tiers sûr figure au deuxième alinéa de l’article 16 a de la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne selon lequel l’asile ne peut être demandé « par celui qui entre sur le territoire fédéral en provenance d’un État membre des Communautés européennes ou d’un autre État tiers dans lequel est assurée l’application de la Convention relative au statut des réfugiés et de la Convention de sauvegarde des droits ».

Il est enfin proposé, à l’article 41, de systématiser et d’étendre la procédure d’asile à la frontière et de prévoir explicitement qu’elle peut s’appliquer à certaines catégories de mineurs non-accompagnés ([25]).

Cette procédure, transposée à l’article L. 213‑8‑1 du CESEDA, permet actuellement de retenir, pour une durée de quatre semaines maximum ([26]), un demandeur qui arrive irrégulièrement sur le territoire et sollicite l’asile afin de déterminer si sa demande relève de la procédure « Dublin » ou n’est pas irrecevable ou manifestement infondée.

La combinaison des dispositions du paragraphe 6 b de l’article 25 et de l’article 43 de la directive actuellement en vigueur permettent déjà à la France, en application de l’article L. 221‑1 du CESEDA, de retenir, de manière exceptionnelle, un mineur non-accompagné en zone d’attente ([27]).

 Une refonte de la directive « Accueil » ([28]) est proposée afin, selon les objectifs de la proposition, de « poursuivre l'harmonisation des conditions d’accueil », grâce à des normes opérationnelles et des indicateurs communs, toujours dans un objectif de réduction des mouvements secondaires, tout en renforçant « l'autonomie des demandeurs et leurs perspectives d’intégration éventuelle ».

● Enfin, une proposition de règlement « Dublin IV » ([29]) est également sur la table. Ses objectifs sont triples :

– réaffirmer le principe selon lequel un seul État membre est responsable de l’examen d’une demande en supprimant les dispositions relatives à la cessation temporelle de la responsabilité de l’État de la première demande ;

– garantir une forme de solidarité entre les États en introduisant un mécanisme d’attribution correcteur géré par la future Agence de l’Union et activé en période de crise migratoire ;

– mettre fin aux mouvements secondaires en obligeant les demandeurs à demander l’asile dans le pays de première entrée et à demeurer dans l’État désigné responsable de la demande.

La Commission a également présenté trois autres propositions de règlement visant à renforcer le système Eurodac ([30]), notamment pour mieux surveiller les mouvements secondaires et lutter contre l’immigration irrégulière, à créer l’Agence de l’Union européenne pour l’asile ([31]) qui remplacerait l’EASO et à substituer au règlement FAMI un règlement « Réinstallation » ([32]) afin de mettre en place une véritable procédure de transfert de demandeurs sélectionnés directement dans les pays tiers.

2.   Les raisons d’une négociation brouillée

● Un premier élément notable de complexification des négociations réside dans la transformation des dispositions du régime d’asile européen commun, composé de manière équilibrée de quatre règlements et trois directives, en un ensemble de règlements, à l’exception de la directive « Accueil » qui serait maintenue dans sa forme actuelle en raison des disparités encore trop importantes en matière de protection sociale au sein de l’Union.               

Si cette proposition va dans le bon sens et se justifie par une harmonisation qui doit être plus aboutie en matière d’asile, elle ne facilite pas les négociations entre États membres, les normes en discussion ayant vocation à être directement applicables. C’est particulièrement le cas pour le futur règlement « Procédures » dont les conséquences en droit interne seraient particulièrement importantes compte tenu des propositions de la Commission.                 

● La méthode de négociation dite par « paquet » n’a pas non plus favorisé l’aboutissement d’une réforme amorcée depuis plus de trois ans maintenant.

Les textes constituant le régime d’asile européen commun étant nécessairement interdépendants, une réforme groupée peut se justifier. À titre d’exemple, le règlement « Procédures » :

– organise l’octroi des protections définies dans le texte « Qualification » ;

– sanctionne le non-respect des obligations des demandeurs contenues dans la directive « Accueil » ;

– s’applique aux demandeurs soumis à la procédure « Dublin » ;

– et nécessite le soutien opérationnel et technique de la future agence de l’Union.

Cette méthode a cependant eu le défaut de bloquer les négociations sur les textes les plus consensuels, notamment ceux relatifs au système Eurodac et à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, en cristallisant les tensions sur les points de blocage contenus dans les propositions de règlement « Procédures » et « Dublin ».

La poursuite ou l’abandon de ce mode de négociation fait aujourd’hui l’objet d’un « bras de fer » entre la Commission et le Parlement sans que les États membres ne s’impliquent suffisamment pour trancher la question.

● En effet, les négociations sont aujourd’hui au point mort du fait de dissensions difficilement surmontables entre les États tant leurs intérêts, qu’il s’agisse de pays de première entrée, de rebond ou d’États rejetant, par principe, toute coordination européenne sur ce sujet, semblent contradictoires.

Cette situation conduit un certain nombre d’États à entreprendre des initiatives séparées et partielles. Ainsi s’explique l’initiative de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de Malte du 23 septembre 2019 à La Valette. Ces quatre pays avaient esquissé un pré-accord permettant la création d’un mécanisme temporaire de répartition automatique des demandeurs d’asile arrivés par la route de Méditerranée centrale. Cet accord n’a toutefois pas été généralisé, à l’échelle de l’Union, lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » qui a suivi. 

Surtout, elle rend difficilement lisible la conduite et les avancées des négociations qui sont pénalisées par leur caractère saccadé et limité.

C’est dans ce contexte que l’ambition de vos rapporteurs doit être appréciée : elle vise à insuffler un nouvel élan à ces négociations afin de proposer une réforme susceptible d’aboutir car ambitieuse et équilibrée. Elle est guidée par les trois impératifs qui doivent orienter cette réforme : la solidarité, l’harmonisation et le respect de la dignité et des droits humains.

II.   Un plaidoyer en faveur d’une réforme ambitieuse et equilibrée du droit d’asile européen

Les alinéas 4 à 10 de la présente proposition de résolution européenne mentionnent les sept propositions – six de règlement, une de directive – de la Commission, précédemment citées, portant réforme du régime d’asile européen commun. Elles constituent la base des négociations.

Les alinéas 11 à 13 contextualisent cette proposition. Le droit de l’asile européen vise à l’application intégrale et spécifique de la Convention de Genève (alinéa 11) dans une période où la crise migratoire n’est pas seulement européenne mais aussi internationale (alinéa 12). La mise en œuvre de ce droit relève tant d’un impératif moral pour les États membres que d’une nécessité pratique pour ces derniers (alinéa 13).

L’alinéa 14 rappelle que les mouvements secondaires, à savoir les déplacements de demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne après le dépôt de leur première demande, sont pour partie causés par un défaut de convergence des pratiques des États en matière d’asile dont les conséquences sont humaines et financières.

Les alinéas 15 à 17 reviennent sur la méthode qui doit procéder à la révision du paquet asile :

– l’alinéa 15 rappelle le caractère indispensable de cette réforme malgré les obstacles à l’aboutissement des négociations sur l’ensemble des textes compris dans ce paquet ;

– l’alinéa 16 salue le choix de procéder au moyen de règlements dont l’effectivité directe permettra une meilleure harmonisation des pratiques en matière d’asile ;

– l’alinéa 17, dont la rédaction procède d’un amendement adopté par la commission des Affaires européennes à l’initiative de M. Alexandre Holroyd, privilégie une approche globale et coordonnée des négociations plutôt qu’une adoption échelonnée et progressive des différents textes contenus dans le paquet asile.

L’alinéa 18 affirme la nécessaire solidarité des États membres pour soulager les pays de première entrée en appelant à la mise en place d’un mécanisme ambitieux de solidarité fondé sur la relocalisation des demandeurs. Cette proposition va plus loin que celle de la Commission visant à mettre en place un mécanisme d’attribution correcteur qui ne serait activé qu’en période de crise migratoire.

Les alinéas 19 à 23 concernent les modalités d’accès au territoire de l’Union :

– les alinéas 19 et 20 visent à diversifier les possibilités extra territoriales d’accès à l’asile, par l’appui des autorités consulaires établies dans les pays d’origine (alinéa 19) ou par la mise en place de visas spécifiques (alinéa 20) afin d’éviter aux personnes qui sollicitent une protection d’entreprendre des voyages dangereux et de lutter contre les réseaux de passeurs ;

– les alinéas 21 et 22 entendent assortir de contreparties cette diversification. L’alinéa 21 appelle au renforcement des outils de reconduite des déboutés de la demande d’asile, notamment grâce au soutien de l’agence Frontex. Contre l’utilisation de la procédure d’asile qui est faite par certains ressortissants de nationalités exemptées de l’obligation de visa Schengen, l’alinéa 22 appelle à une révision régulière du règlement (CE) n° 539/2001 ([33]) qui en fixe la liste et invite les États à actionner, si nécessaire, le mécanisme de suspension prévu par le même règlement ;

– l’alinéa 23, réécrit en commission des Affaires européennes à l’initiative de M. Alexandre Holroyd, entend encourager la négociation portée par la Commission et les États membres sur la généralisation de la procédure de retenue à la frontière permettant l’examen de la situation des demandeurs d’asile en situation irrégulière. Vos rapporteurs souhaitent néanmoins rappeler leur opposition à cette procédure qui permettrait de retenir, sans respect de leurs droits fondamentaux, ces personnes, y compris des mineurs non-accompagnés. 

L’alinéa 24 s’oppose à la procédure visant à rejeter la demande d’une personne sollicitant la protection d’un pays membre de l’Union au motif qu’elle aurait transité par un pays tiers qualifié de sûr dans la mesure où elle contrevient à la conception française de l’asile rappelée dans le Préambule de la Constitution de 1946. En revanche, le même alinéa soutient, dans un souci d’harmonisation, l’établissement d’une liste commune des pays d’origine sûrs, qui demeurerait néanmoins, faute de consensus sur une liste unique, complémentaire des listes nationales, dont l’application permet d’accélérer le traitement des demandes des personnes qui en sont originaires.

Les alinéas 25 et 26 soutiennent la création d’une Agence de l’Union européenne pour l’asile ambitieuse (alinéa 25) dont la mission consisterait, notamment, à harmoniser la création et la gestion de centres d’accueil pour les demandeurs d’asile sur le territoire européen (alinéa 26).

L’alinéa 27 souhaite amorcer un renforcement de la coopération judiciaire entre les États pour lutter contre le trafic des êtres humains et l’activité des passeurs.

Les alinéas 28 à 30 portent sur la prise en compte de la situation des personnes vulnérables, cette notion devant être appréciée indépendamment de la question du pays d’origine du demandeur :

– l’alinéa 28 appelle à mieux prendre en compte la situation particulière des mineurs non-accompagnés ;

– l’alinéa 29, introduit en commission des Affaires européennes à l’initiative de M. Alexandre Holroyd, propose une évaluation des dispositifs mis en place par les États membres pour se conformer à la directive « Accueil » ;

– dans ce prolongement, l’alinéa 30 jette les bases d’une nouvelle catégorie de protection pour les personnes vulnérables, distincte du droit d’asile, qui pourrait être intégrée au futur règlement « Qualification ».

 


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   Examen en commission

 

Lors de sa réunion du mercredi 13 novembre 2019, la Commission examine les articles de la proposition de résolution relative à la réforme européenne du droit d’asile (n° 2343) (Mme Marietta Karamanli et M. Ludovic Mendes, rapporteurs).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner la proposition de résolution relative à la réforme européenne du droit d’asile. Les rapporteurs en sont, pour la commission des Lois, Mme Marietta Karamanli et M. Ludovic Mendes.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Le débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe organisé le 7 octobre et le comité interministériel sur l’immigration qui s’est tenu la semaine dernière ont mis en évidence les attendus et la nécessité de la réforme du régime d’asile européen commun.

Cette question essentielle n’est cependant pas nouvelle. La crise migratoire qui a mis en exergue les failles de ce régime remonte à 2015-2016 et les premières propositions de la Commission pour le réformer datent de plus de trois ans maintenant. Mais, comme vous le savez, c’est dans un second temps que la France a été touchée par la hausse des flux migratoires, notamment par des mouvements secondaires que le régime commun était censé prévenir.

Avec ma collègue Marietta Karamanli, nous travaillons sur ce sujet depuis près d’un an et demi. Nous avons produit un rapport d’information qui a servi de base à la proposition de résolution européenne, adoptée par la commission des Affaires européennes, que la commission des Lois examine ce jour.

Alors, pourquoi cette proposition de résolution ? Parce que les Européens convaincus que nous sommes ne peuvent se satisfaire du blocage actuel des négociations qui menace l’unité de l’Europe et sa capacité à apporter des réponses efficaces et communes aux défis auxquels elle est confrontée.

Le régime d’asile européen, qui s’est constitué dans les années 2000 autour de cinq textes, parmi lesquels le règlement « Dublin » et les directives « Qualification », « Procédures » et « Accueil », a déjà été réformé une première fois au début des années 2010. Il est désormais composé de quatre règlements et de trois directives qui peuvent et doivent encore évoluer.

Volontaires et optimistes, nous fondons dans cette proposition de résolution l’espoir qu’elle puisse entraîner un mouvement plus général en faveur de l’aboutissement d’une réforme équilibrée et ambitieuse du régime d’asile européen commun.

La proposition de résolution que nous vous présentons se veut porteuse de solutions. Elle s’articule pour cela autour de trois principes cardinaux : une solidarité retrouvée entre les États ; une plus grande harmonisation de nos procédures communes ; le respect de la dignité et des droits humains.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Comme l’a rappelé notre collègue, notre proposition est motivée par une triple préoccupation : donner de la cohérence à une politique qui doit prendre en compte le fait que tous les pays ne sont pas égaux face à l’arrivée de migrants demandant l’asile, certains étant exposés fortement et d’autres protégés par leur éloignement ; rendre plus efficaces les dispositifs communs à mettre en œuvre, en faisant jouer une solidarité qui a parfois manqué cruellement ; faire en sorte que les personnes qui demandent l’asile puissent faire valoir leurs droits dans des conditions d’équité et dans un délai raisonnable permettant un examen juste de leur demande.

Avant tout, l’aboutissement de cette réforme nécessite une méthode, qui est rappelée aux alinéas 15 à 17 de la proposition.

L’ambition de la Commission de transformer les directives « Qualification » et « Procédures » en règlements mérite d’être soutenue, car elle permettra une meilleure convergence des États membres en matière d’asile. De fait, les dispositions qui y seront contenues seront d’effet direct et ne nécessiteront pas de transposition. À l’avenir, le régime d’asile européen commun devrait ainsi être composé de 6 règlements et d’une seule directive, celle relative à l’accueil, textes sont mentionnés aux alinéas 4 à 10.

Cette donnée explique en partie la difficulté des négociations en cours, dans la mesure où les normes en discussion, notamment pour le futur règlement « Procédures », auront vocation à être directement applicables. Jusqu’à présent, la méthode de négociation par paquet a cristallisé les tensions autour des points de blocage contenus dans les propositions de règlements « Procédures » et « Dublin ».

Si la proposition de résolution, dans sa rédaction adoptée en commission des Affaires européennes, défend, à l’alinéa 17, une approche globale et coordonnée, je continue de penser qu’une adoption échelonnée et progressive des différents textes contenus dans le paquet asile devrait être privilégiée. Elle permettrait une adoption rapide de règlements utiles et attendus visant à réformer le système Eurodac ou à créer l’Agence européenne pour l’asile.

Pour revenir sur le fond, cette réforme doit, en premier lieu, remettre le principe de solidarité au cœur du régime d’asile européen commun. Celui-ci a gravement fait défaut depuis 2015 et 2016, en laissant les pays de première entrée souvent démunis et seuls pour assumer notre responsabilité collective.

Il nous faut aujourd’hui tirer les leçons de l’échec général des décisions de relocalisation prises à cette époque, pour le non-respect desquelles la Pologne, la Hongrie et la République tchèque sont spécifiquement poursuivies, en ce moment, devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

L’alinéa 18 défend pour cela la mise en place d’un mécanisme ambitieux de solidarité fondé sur la relocalisation des demandeurs. Nous estimons qu’il doit aller plus loin que la proposition de la Commission visant à mettre en place un mécanisme d’attribution correcteur qui ne serait activé qu’en période de crise migratoire.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Dans un deuxième temps, l’harmonisation de nos procédures doit permettre d’assurer un égal accès à celle-ci de tous les demandeurs d’asile, de rapprocher les taux de reconnaissances qui demeurent très variables suivant les pays et qui, comme le rappelle l’alinéa 14, sont en partie responsables des mouvements secondaires internes au territoire de l’Union.

Dans ce domaine, l’agence de l’Union européenne jouera, comme le souhaite l’alinéa 25, un rôle moteur et décisif.

L’alinéa 24 soutient également la proposition visant à établir une liste commune des pays d’origine sûrs, dont l’application permettra d’accélérer le traitement des demandes des personnes qui en sont originaires. Ces listes demeureraient néanmoins complémentaires des listes nationales.

En revanche, le même alinéa s’oppose fermement à la procédure visant à rejeter la demande d’une personne sollicitant la protection au sein de l’Union, au motif qu’elle aurait transité par un pays tiers qualifié de sûr. Cette disposition contrevient à la conception française de l’asile rappelée au quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Nous pensons que l’Union européenne doit également être mieux à même d’organiser le retour dans leur pays d’origine des personnes qui n’ont pas besoin de sa protection.

À cette fin, l’alinéa 21 appelle au renforcement des outils de reconduite des déboutés de la demande d’asile, notamment grâce au soutien de l’agence Frontex. Pour lutter contre les abus, l’alinéa 22 soutient une révision régulière du règlement qui fixe la liste de nationalités exemptées de l’obligation de visa Schengen et invite les États à actionner, si nécessaire, le mécanisme de suspension prévu par le même règlement.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Enfin, nous estimons que le respect de la dignité et des droits humains doit être mieux garanti.

Si l’alinéa 23, dans la rédaction adoptée par la commission des Affaires européennes, entend encourager la négociation portant sur la généralisation de la procédure de retenue à la frontière permettant l’examen de la situation des demandeurs d’asile en situation irrégulière, j’estime que cette procédure n’est pas respectueuse des droits fondamentaux, surtout lorsque son application est explicitement prévue pour les mineurs non accompagnés.

Aux alinéas 19 et 20, nous appelons à diversifier les possibilités extraterritoriales d’accès à l’asile afin d’éviter aux personnes qui sollicitent une protection d’entreprendre des voyages dangereux et de lutter contre les réseaux de passeurs. L’alinéa 26 appelle quant à lui à la création de centres d’accueil pour les demandeurs d’asile sur le territoire européen.

Enfin, les alinéas 28 à 30 portent spécifiquement sur la prise en compte de la situation des personnes vulnérables, notamment des mineurs non accompagnés, au bénéfice desquelles une nouvelle catégorie de protection, distincte du droit d’asile, pourrait être envisagée.

Pour ces personnes, en particulier, il faut nous souvenir de l’étymologie du mot asile, qui vient du grec ancien ásylos (ἄσυλος) et signifie « inviolable ». Par cette proposition de résolution européenne, l’Assemblée nationale appelle l’Union européenne à assumer sa responsabilité, morale et historique, de toujours garantir à ceux qui en ont besoin une protection contre les plus grands dangers. Cette mission nous oblige collectivement, mais elle nous honore.

M. Arnaud Viala. Au nom du groupe Les Républicains (LR), je souhaite vous poser deux questions sur ce texte dont l’élaboration remonte à plusieurs mois. Il prend de ce fait une tournure un peu différente à la lueur des débats qui se tiennent actuellement en France, mais aussi du regain des difficultés provoquées en Europe par les mouvements migratoires qui s’étaient un peu atténuées depuis 2016.

Premièrement, quelle est la position du Gouvernement sur cette proposition de résolution ? Les propos du Président de la République ont en effet fait naître des attentes. L’exécutif a-t-il donné un avis sur les préconisations que vous formulez ? Est-il susceptible de défendre la position que vous souhaitez porter au niveau européen ?

Deuxièmement, quel est l’état actuel de la réflexion et des prises de position dans les nouvelles instances – Parlement et Commission – issues des élections européennes survenues depuis le début de votre travail ? Il faudrait que nous sachions quel sort peut être envisagé pour cette proposition de résolution.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Madame et monsieur les rapporteurs, la proposition de résolution que vous nous soumettez aujourd’hui fait suite au très intéressant rapport d’information sur la réforme européenne du droit d’asile qui a été présenté en commission des Affaires européennes. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) partage largement le constat que vous venez de faire, ainsi que les objectifs et principes contenus dans cette proposition de résolution. Nous portons aussi l’idée qu’une solution doit être trouvée au niveau européen sur les questions d’asile et d’immigration.

Il y a quelques semaines, je vous présentais le compte rendu de ma participation à la conférence interparlementaire sur les questions d’asile et d’immigration organisée par la présidence finlandaise de l’Union européenne. Or la Finlande souhaitait mettre le sujet au cœur de sa présidence. Au cours du semestre de son service, quelles sont les démarches qui ont pu être d’ores et déjà engagées ? Ou, en tout cas, quelles premières concrétisations ont pu faire suite à sa volonté affichée ?

Nous devons recentrer notre politique de l’asile pour la replacer dans un cadre européen harmonisé. Cela a d’ailleurs été rappelé avec force par la présidente de la commission des Affaires étrangères lors du débat sur la politique migratoire. Face au défi migratoire qui s’annonce durable, compte tenu de la multiplicité des causes – guerres, pauvreté, changement climatique, discriminations –, nous devons avoir une réponse globale et coordonnée. De plus, nous partageons pleinement avec vous l’idée selon laquelle la solidarité entre pays membres de l’Union européenne doit guider cette réforme.

Comme vous l’avez rappelé, la Commission européenne a proposé dès 2016 un paquet asile composé de sept textes. Ce processus est malheureusement bloqué par des pays qui refusent cette solidarité. C’est insupportable. Ce n’est pas l’Europe en laquelle nous croyons. Nous avons besoin d’une Europe qui accueille dignement ceux qui ont besoin d’une protection. Comme vous, nous approuvons le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions prises, de façon à éviter le réexamen des dossiers déjà traités par un partenaire européen. Nous soutenons la création de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile. Nous souhaitons une convergence de nos procédures et de nos pratiques en matière d’asile. Comme vous, nous souhaitons qu’une liste commune de pays d’origine sûrs soit définie au niveau européen.

Concernant la méthode, nous pouvons nous interroger sur la manière de faire avancer au plus vite la discussion sur le paquet asile. Faut-il adopter un seul élément du paquet législatif, au risque d’aboutir à une réforme déséquilibrée ? Ou faut-il, au contraire, avancer sur l’ensemble du paquet, pour créer les conditions d’un consensus politique ? Votre proposition de résolution penche en faveur de cette dernière solution et nous avons tendance à vous rejoindre sur ce point.

Comme vous l’aurez compris, le groupe du MODEM soutiendra cette proposition de résolution. Afin de montrer notre détermination sur le sujet, nous devons également soutenir le Gouvernement, lui qui œuvre en vue de relancer les négociations au niveau européen. Il est urgent que l’Union européenne se rassemble autour d’une politique d’asile efficace, pragmatique et solidaire.

Mme George Pau-Langevin. Nous abordons aujourd’hui un problème très important au niveau européen : la question de l’asile. Il suffit de voir la situation à Paris, où les campements se reconstituent régulièrement, pour se rendre compte du traitement peu satisfaisant qui en est fait, non seulement dans notre pays, mais en Europe en général.

Aux yeux du groupe Socialistes et apparentés (SOC), les propositions formulées par l’équipe des corapporteurs Marietta Karamanli et Ludovic Mendes semblent de nature à aider à débloquer la situation. Tout le monde s’accorde notamment à considérer que le traitement des demandeurs d’asile relevant aujourd’hui du régime de Dublin n’est pas du tout acceptable. Alors que ce dossier est bloqué depuis plusieurs années, il faut prendre des initiatives pour arriver à avancer. Il me semble que cette proposition de résolution est de nature à produire cet effet.

M. Jean-Félix Acquaviva. La proposition de résolution est percutée par le débat, tendu, sur l’immigration. Pour le groupe Libertés et Territoires (LT), l’Assemblée nationale est, par essence, le lieu du débat ; il n’est pas de sujet dont il serait indécent de débattre, et surtout pas celui-là. Néanmoins, nous considérons que, sur une problématique aussi complexe que la réponse internationale, européenne et française à apporter aux crises migratoires et aux interrogations et inquiétudes qu’elles peuvent susciter, il est indispensable de créer les conditions d’un débat apaisé, afin qu’il soit constructif et utile.

Nous ne pouvons que regretter la méthode choisie par le Président de la République : Emmanuel Macron semble désireux d’installer un duel avec Marine Le Pen, un jeu dangereux pour notre démocratie. Aussi notre groupe abordera-t-il cet examen avec gravité et esprit de responsabilité, dans l’espoir de participer à une réponse humaine et efficace à l’accueil des demandeurs d’asile. Notre groupe est profondément attaché au droit d’asile ; si la question grave et complexe de l’immigration suscite des interrogations qui traversent l’ensemble de la représentation nationale, nous défendons ce principe de manière inconditionnelle.

Il nous semble indispensable d’œuvrer à la définition d’une politique migratoire européenne et à l’élaboration d’un régime d’asile européen commun. Cela peut passer par une harmonisation des systèmes de traitement des demandes d’asile et une prise en compte des spécificités des États membres, afin que tous participent à l’effort d’accueil en fonction de leurs capacités. Les crises migratoires sont une épreuve pour l’Union européenne, pour sa gouvernance aujourd’hui paralysée, pour ses valeurs qui ne cessent d’être contrariées et bafouées.

Nous déplorons les désaccords profonds au sein de l’Union : la France s’oppose parfois violemment à nos partenaires supposés, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque ou la Slovaquie. Il est plus qu’urgent d’harmoniser nos règles et de se demander pourquoi il existe de telles disparités dans les taux d’acceptation des demandes d’asile, selon les pays de provenance ou d’accueil. Le règlement « Dublin III » doit être réformé et la solidarité entre pays de l’Union doit s’imposer. Il y va du sens même de l’adhésion au projet européen.

Nous devons être plus vigilants sur la coopération avec les pays tiers, notamment la Turquie et la Libye. Enfin, nous regrettons que l’Union européenne ne soit pas davantage à l’avant-garde sur la question des migrations climatiques.

Que l’Assemblée nationale débatte de cette proposition de résolution, sur le fond de laquelle nous sommes totalement d’accord, témoigne malheureusement d’une forme d’impuissance de la France à faire avancer ce sujet de manière concrète au niveau européen.

Notre groupe regrette que les territoires ne soient pas suffisamment associés à la politique d’accueil des réfugiés. Ils sont pourtant sollicités au-delà de leurs capacités lorsque leur localisation les désigne comme porte d’entrée sur le sol européen. A contrario, en ne consultant pas les collectivités territoriales sur ces questions, l’État se prive des intelligences et des générosités locales, dont nous manquons pour réussir le défi de l’accueil et de l’intégration des réfugiés. Pour le moment, cette dimension est absente du texte.

M. Michel Zumkeller. Parler de l’immigration n’est jamais évident. Entre angélisme et agitation des peurs, entre inhumanité et naïveté, nous ne devons pas dessiner une utopie improbable, mais ne jamais perdre de vue non plus qu’il s’agit de femmes et d’hommes qui portent chacun en eux leur histoire. Il est temps de penser une politique migratoire structurelle, de long terme. En l’espace de trente ans, le paysage migratoire s’est considérablement transformé : avec la globalisation, les flux migratoires mixtes se sont accélérés, la catégorisation entre pays de départ, pays de transit et pays d’accueil s’est révélée poreuse et les profils des migrants se sont diversifiés. Les défis actuels et à venir sont de taille. À force de réagir sans anticiper, nous faisons face à des dysfonctionnements majeurs.

Les pays membres de l’Union européenne sont incapables de se mettre d’accord sur une réforme commune du droit d’asile. Comme le rapport l’explique, nous avons aboli nos frontières intérieures sans jamais nous accorder sur la gestion des frontières extérieures. Les quelques tentatives de bricolage n’ont pas abouti, la procédure « Dublin » en est une illustration.

Les pays développés et en paix que sont les membres de l’Union doivent s’organiser pour trouver un système viable pour tous. Il est temps que les États donnent à l’Europe la compétence et les moyens d’une politique de l’asile cohérente, avec des critères communs, une répartition juste des flux, une liste uniforme des pays d’origine sûrs.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants (UDI-AGIR) salue ce texte. Résolument européens, nous avions déjà formulé certaines des propositions qu’il contient, si bien que nous n’y trouvons rien de très neuf : il est urgent de créer une agence de l’Union européenne pour l’asile et d’intensifier la lutte contre les passeurs et les trafics d’êtres humains. Les accords de coopération renforcée sont peut-être le début d’une solution. Il nous faut avancer avec ceux qui y sont prêts.

La création d’un visa spécifique pour les personnes demandant l’asile est un changement de paradigme important. Bien que cela puisse constituer une piste de réflexion, les risques de créer un appel d’air sont nombreux. Il faudrait pouvoir poser des conditions d’accès, telles que la mise en danger avéré et imminent d’une personne. Créer un droit spécifique à la vulnérabilité sans tenir compte du pays d’origine est étranger à la notion de réfugié de la convention de Genève. Cela mériterait une étude à part. Notre groupe soutient la démarche, mais refuse de se contenter de réflexions qui resteront lettre morte. Nous voterons le texte, en souhaitant que ses préconisations soient portées à un niveau européen.

M. Ugo Bernalicis. Je ne sais trop comment commencer mon intervention, tant je trouve que la situation est hypocrite. En effet, l’examen de ce texte a été percuté par des annonces, mais aussi par l’adoption d’amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, notamment sur l’aide médicale d’État. Si bien que ce texte, chers collègues de la majorité, est lacunaire : il n’évoque pas les contreparties à la demande d’asile, comme les mesures permettant de limiter le « tourisme médical », ou la mise en place de quotas d’immigration. Peut-être que cette proposition de résolution, en fin de compte, ne sert qu’à vous faire plaisir, à vous donner bonne conscience ? Mais j’en doute.

Ce texte parle de l’asile, et du coup, on n’y évoque pas les autres voies d’immigration. Je lis, à l’alinéa 21, que l’Assemblée « estime que la contrepartie de ces modes d’accès légaux doit être le renforcement des moyens consacrés au retour des personnes déboutées de l’asile, notamment par le biais de l’agence Frontex ». Peut-être ai-je raté un épisode ? Il me semble pourtant que ce n’est pas parce qu’une personne est déboutée de sa demande qu’elle ne peut pas être accueillie, à un autre titre ! La demande d’asile n’est pas le seul moyen d’entrer sur le territoire ! Personne ici, je crois, ne défendra le contraire.

Voyez donc comment ce texte peut être interprété et comment ceux que je considère comme des adversaires politiques, à savoir la droite et l’extrême droite de l’hémicycle, peuvent rebondir à bon compte et se retrouver dans cette résolution. Et pourtant, ce n’est pas un texte qui a vocation à créer du consensus sur le sujet.

Des questions, que le groupe de La France insoumise (FI) considère comme centrales, n’y sont pas abordées. Se coordonne-t-on au niveau européen pour éviter des milliers de morts en Méditerranée ? Propose-t-on de maintenir le sauvetage en mer ? Une flotte européenne a-t-elle été constituée pour sauver les migrants du naufrage ? Non ! Rien de tout cela !

Alors, bien sûr, on peut toujours dire qu’il faut un accueil digne – tout le monde se retrouve dans de telles déclarations – mais cela me semble terriblement hypocrite. Je me joins donc à la question posée par notre collègue du groupe LR : quelle est la position du Gouvernement, quelle est celle de la majorité sur ce texte ? On n’y comprend plus rien !

Comme à notre habitude, nous avons fait l’effort de rédiger des amendements pour défendre une autre vision de l’asile et de l’accueil. On ne peut à chaque fois s’exonérer de se poser la question des causes des migrations, et de la responsabilité des pays et de l’Union européenne dans ces départs.

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Je remercie les rapporteurs pour ce travail de qualité qui nous permet de repenser le débat autour du droit de l’asile à l’échelle européenne. Remédier à l’échec sur les questions migratoires doit être, pour la nouvelle Commission et pour le nouveau Parlement européens, la priorité de ce début de législature. Ce doit être aussi la priorité de la France en Europe.

Reconnaissons-le avec lucidité : l’absence d’une politique migratoire européenne efficace et concertée a eu des effets dévastateurs. Elle a fait de la Méditerranée un cimetière, ce qui est une honte absolue pour les pays européens. Elle a causé des dégâts et des séismes politiques dans les États membres, à commencer par le Brexit. Elle a entraîné l’émergence des droites xénophobes et populistes.

Lorsque l’on parle de politique migratoire, le bon niveau est européen. De ce point de vue, ce texte est tout à fait pertinent. Les élections européennes ont permis de mettre sur la table les propositions des formations politiques. Le Président de la République s’était déjà exprimé lors du discours de la Sorbonne, il a, depuis, avancé d’autres propositions. Le temps de l’action est venu.

C’est ce que vous proposez avec ce texte, même s’il faut reconnaître que toutes les conditions ne sont pas réunies en Europe pour avancer aussi rapidement que nous le souhaiterions. Nous ne devons relâcher aucun effort afin d’harmoniser les politiques d’asile en Europe, renforcer la solidarité entre les États membres pour mieux répartir les réfugiés et remettre à plat les accords de Dublin, rendus inopérants par le déséquilibre des pratiques nationales.

Cela nous occupera ces prochains mois. Nous devons explorer les options qui sont sur la table, munis de cette boussole constante que constituent nos traditions d’accueil et le respect de la dignité des personnes. Vous exposez clairement ces principes et ces options. Le groupe La République en Marche (LaREM) soutiendra ce texte.

Pour finir, j’ai une question à vous poser, madame et monsieur les rapporteurs. Nous avons tous constaté le blocage du Conseil sur la question migratoire, causé notamment par la surenchère des gouvernements hostiles à toute forme d’immigration, prêts à saborder toute velléité d’harmonisation. Dans l’hypothèse où ces blocages perdureraient, seriez-vous favorables à ce que plusieurs États volontaires se regroupent autour d’un pacte afin d’organiser l’accueil et la répartition égale des réfugiés entre pays signataires, quitte à sortir temporairement des traités pour surmonter les renoncements imposés par la règle à l’unanimité ? Ce « traité de Lampedusa » est une proposition qui a été formulée par Enrico Letta, ancien chef du gouvernement italien. Je soumets cette idée à votre réflexion.

Mme Emmanuelle Ménard. La crise migratoire est une épreuve pour l’Union européenne. Les nations européennes ont réagi de façon très différente à l’arrivée des réfugiés. Aujourd’hui, nous avons un problème avec le droit d’asile en France. Il se trouve largement dévoyé, comme l’a admis le Président de la République lui-même : le nombre des demandeurs d’asile augmente en France, alors qu’il a baissé de 10 % ailleurs en Europe entre 2017 et 2018 ; les demandes d’asile déposées en France représentent 21 % des demandes d’asile déposées en Europe. Sans renoncer à notre souveraineté en la matière, il est nécessaire de revoir le droit d’asile pour l’harmoniser au niveau européen.

Quelques chiffres illustrent cette nécessité. Les Pays-Bas ont désigné trente-deux pays sûrs quand la France en a désigné seize et l’Allemagne cinq. La France accorde une protection à 83 % des Afghans qui en font la demande et à 5 % des Géorgiens, quand l’Allemagne en protège respectivement 40 % et 0,4 %. En 2018, Europol a dénombré 65 000 passeurs, qui alimentent les mouvements migratoires en Europe, soit deux fois plus qu’en 2015, au plus fort de la crise migratoire – et encore, il s’agit des passeurs qui figurent dans les bases de données. Cela illustre l’explosion de cette activité !

Évidemment, la réponse « Frontex » n’est pas suffisante. On nous explique que, dans quelque temps, cette agence pourra compter sur 10 000 personnels supplémentaires pour surveiller nos frontières et lutter contre l’immigration illégale. Mais ce chiffre ne sera atteint qu’en 2027. Avouez qu’il pèse bien peu face aux 65 000 passeurs sans scrupules !

Il me semble important d’harmoniser les prestations sociales allouées aux demandeurs d’asile. Celles qui sont offertes par la France sont réputées parmi les plus généreuses en Europe et alimentent ce tourisme migratoire contre lequel nous souhaitons lutter. Il est nécessaire aussi d’harmoniser nos politiques en ce qui concerne les mineurs non accompagnés, trop diverses au sein de l’Union européenne.

Marie-France Lorho et moi-même sommes tout à fait d’accord pour une harmonisation des législations nationales en matière d’asile au sein de l’Union européenne. C’est indispensable mais cela doit être fait dans le respect des particularités nationales. Les pays sortis du communisme, par exemple, n’accueillent pas les demandeurs d’asile de la même manière que les anciennes puissances coloniales. Face à la crise migratoire, la mémoire des nations est encore bien vivante !

M. Olivier Marleix. Je veux à mon tour saluer le travail des rapporteurs, Mme Karamanli ayant toujours fait preuve d’une grande expertise sur le sujet, tout comme M. Mendes.

Le compte n’y est pas : ce texte penche, par bien des aspects, pour ce qui tendrait à accroître la demande d’asile en Europe. Lorsque vous réaffirmez la nécessité d’un mécanisme ambitieux de solidarité entre les pays européens, vous tenez pour un état de fait indépassable que l’Union européenne a renoncé à des frontières efficaces. Vous proposez aussi, et c’est un sacré paradoxe, de renforcer les voies d’immigration légales, afin d’éviter l’utilisation de la procédure de demande d’asile comme biais détourné d’immigration. Toujours dans l’idée d’accompagner le mouvement, sans chercher à l’interrompre, vous proposez d’offrir des visas spécifiques pour les demandeurs d’asile. Enfin, vous êtes opposés à la reconnaissance de pays tiers sûrs, une position dont j’espérais qu’elle était portée par la France en Europe. Visiblement, ce n’est pas le cas.

La lutte contre les trafics d’êtres humains devrait être une priorité absolue puisque l’activité des réseaux de passeurs a des conséquences tragiques et insoutenables, avec ce que l’on peut appeler des « naufrages organisés » en Méditerranée. Vous renvoyez la lutte à une coopération entre les États, alors qu’il faudrait réaffirmer le rôle de l’Europe, notamment de Frontex, qui devrait être infiniment plus volontaire.

Ce texte, très clairement, ne vise pas à créer de rupture. Le problème se pose à l’ensemble de l’Europe, et la diplomatie française, il faut bien le constater, a échoué à faire partager son point de vue ; mais il est aussi, et dans l’immédiat, français, puisque la demande d’asile a explosé en France ces deux dernières années, alors qu’elle recule partout ailleurs en Europe, ce qui constitue une anomalie.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. J’aimerais rappeler, en réaction à plusieurs interventions, qu’il est question ici non pas des flux migratoires mais du droit d’asile : notre rapport porte exclusivement sur le paquet asile et ne concerne pas la politique migratoire de l’Union européenne. Ce sont deux sujets bien différents. Parce que le droit d’asile est parfois dévoyé par certaines communautés, d’autres voies de migration temporaires ou définitives sont proposées dans ce document.

M. Bernalicis, vous n’avez cité qu’une partie de la proposition de résolution européenne, qu’il faut au contraire envisager dans sa totalité. Les éléments que vous avez relevés ont pour contrepartie, en fin de texte, la nécessité de développer des voies différentes et complémentaires du droit d’asile. Le passeport talent a déjà cours au sein de l’Union européenne ; le visa humanitaire est en discussion. Il convient en effet d’éviter aux populations en provenance d’Afrique subsaharienne de traverser la Méditerranée ou le continent africain. Concernant les migrations originaires du Moyen-Orient, notamment les personnes arrivant de Syrie, la problématique est différente, car elles relèvent davantage de la relocalisation.

Si les demandeurs d’asile en provenance de Géorgie ou d’Afghanistan sont accueillis différemment selon le pays européen où ils se trouvent, c’est qu’il n’existe pas de liste européenne de pays d’origine sûrs. Il faudrait créer une liste commune complémentaire des listes nationales.

M. Viala, notre rapport est un travail de parlementaires ; il a été présenté à l’exécutif qui en a tiré ce qu’il souhaitait. Nous travaillons ici dans une logique non pas nationale mais européenne, et c’est là ce qui nous importe le plus.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Il faut avant toute considération faire cet effort intellectuel : il s’agit d’une proposition de résolution de la commission des Affaires européennes rédigée en réaction à plusieurs textes émanant de l’Union européenne. Nous ne sommes pas là pour discuter d’une résolution de politique nationale, même si cette discussion s’intègre dans un contexte national. Parfois travaux nationaux et européens se complètent sans se coordonner parfaitement, et un texte européen est discuté en décalage avec le débat national.

MM. Marleix, Viala et Bernalicis, je partage une partie des vues que vous avez exprimées, en particulier le fait que la France ne peut pas imposer sa vision ; il faut cesser de croire que nous sommes seuls au sein de l’Union européenne. C’est le paradoxe du verre qui est à la fois à moitié vide et à moitié plein, et comme souvent dans nos existences, il faut avancer pas à pas. Dans cet esprit, la présente proposition de résolution vise à envoyer un message à l’Union, au Parlement nouvellement élu pour qu’il se saisisse de ce sujet. Il est anormal que les élections européennes se soient tenues voilà quelques mois sans qu’on ait tranché de manière claire sur le paquet asile, soit sept textes, dont certains faisaient l’objet d’un consensus tandis que d’autres bloquaient les discussions. Il est nécessaire de trouver un autre mode de fonctionnement au sein de l’Europe, une autre voie, telle que celle tracée par notre collègue Élodie Jacquier-Laforge dans son avis budgétaire sur l’immigration, l’asile et l’intégration.

Je vous renvoie au rapport de la commission des Affaires européennes, qui contient une liste de propositions plus précise que la présente résolution, un texte sur lequel nous avons plutôt recherché un consensus. Un point de désaccord demeure ; nous aurons l’occasion d’y revenir avec l’examen des amendements. Ce travail aura permis à tout le moins de ne plus faire cette confusion malheureusement trop fréquente entre asile et immigration, puisque nous nous sommes concentrés sur le paquet asile et sur les principes garantis par les conventions internationales en matière de droits de l’homme et de protection des personnes vulnérables.

M. Viala, je suis députée depuis treize ans, et j’ai siégé dans l’opposition comme dans la majorité. Je considère que, en tant que parlementaires, nous sommes indépendants et pouvons porter une vision différente de celle du Gouvernement. Il me semble même que c’est le rôle du Parlement qui, sans cela, pourrait tout aussi bien être supprimé, car alors le Gouvernement déciderait de tout.

Mme Ménard, la liste des pays d’origine sûrs relève bien de la politique nationale, car il n’existe pas de liste commune européenne qui, si elle existait, permettrait de traiter la question de manière conjointe entre tous les États européens. C’est la raison pour laquelle nous soutenons l’établissement d’une liste commune complémentaire des listes nationales, solution qui répondrait en partie à votre préoccupation.

Gardons bien à l’esprit que nous avons un message à envoyer à la Commission et au Parlement européens sur le paquet asile, et qu’il ne s’agit pas d’une discussion sur la politique nationale d’immigration.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. À la question de Pieyre-Alexandre Anglade sur la proposition d’Enrico Letta, je répondrai à la fois oui et non. D’un côté, nous aurions besoin que plusieurs pays s’assoient autour d’une table pour s’accorder sur un mécanisme solidaire et responsable, et, de l’autre, cela risquerait de remettre en question tout le système européen sur les politiques d’asile et de flux migratoires. Si nous ne parvenons pas à un accord à vingt-sept demain, la situation risque alors d’être compliquée. Dans le cadre de l’accord de La Valette, quatre pays de l’Union, dont la France, ont décidé conjointement d’accompagner les demandeurs d’asile à la descente des bateaux accostant en Italie ou à Malte, mais aucun consensus ne se dessine au sein de l’Union européenne, ni sur un mécanisme financier de solidarité ou une éventuelle relocalisation des demandeurs ni sur une harmonisation politique. Nous avons pu constater la disparité des politiques nationales avec le cas de la Grèce, qui a estimé que les demandeurs d’asile ou les migrants arrivant d’un hotspot ou d’une zone d’urgence migratoire pouvaient être reconnus comme vulnérables, rendant caduc l’accord avec la Turquie. Chacun fait donc ce qu’il veut chez lui, mais une bonne partie de la politique européenne gagnerait à être harmonisée.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

Article unique

La Commission examine l’amendement CL28 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Le présent amendement vise à supprimer l’alinéa 6 de la proposition de résolution, soit la référence au règlement Eurodac. Nous estimons en effet que ce règlement présente plusieurs difficultés quant à la confidentialité des données relatives aux personnes persécutées politiquement. Nous constatons d’ailleurs que les évolutions technologiques portent de plus en plus loin le fichage des personnes, avec pour objectif quasi unique de mieux les expulser.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Je comprends votre préoccupation, mais ce n’est ni le lieu ni le texte pour introduire cette modification. Une résolution ne peut supprimer un règlement européen existant. J’ai néanmoins bien entendu le message qu’il faudra transmettre à la Commission et au Parlement européen lors d’une éventuelle révision du règlement visé. L’avis est donc défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL50 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à revenir sur la procédure « Dublin III », aujourd’hui largement dévoyée. Les personnes formulant leur première demande en France sont 37 % à être déjà passées par d’autres pays de l’Union européenne. Or, selon la procédure, la demande devrait être déposée dans le pays européen de première entrée. Nous proposons par cet amendement un réexamen, une réforme de la procédure.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. La proposition de révision du règlement « Dublin » est mentionnée à l’alinéa 4 et la persistance des mouvements secondaires rappelée à l’alinéa 14. Votre demande est donc satisfaite par la résolution. L’avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL29 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Afin de pointer certaines causes de migrations forcées, nous proposons par cet amendement d’insérer à l’alinéa 13, après le mot « européennes », les mots : « d’accueillir de manière digne les personnes fuyant notamment les guerres, les persécutions politiques, économiques, sociales, ainsi que la déstabilisation de nombreux États dues entre autres au réchauffement climatique, aux politiques destructrices de libre-échange, à la captation oligarchique du pouvoir et des richesses, à l’absence de fonctionnement démocratique ». Il nous paraît essentiel d’accueillir de manière digne les populations victimes de migrations forcées.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Les motifs que vous souhaitez voir intégrés dans le droit d’asile de l’Union européenne dépassent largement les critères d’octroi d’une protection internationale, qu’il s’agisse du statut de réfugié accordé en application de la convention de Genève ou de la protection subsidiaire octroyée par la directive « Qualification ». Même si nous comprenons votre position, ces motifs sont difficilement intégrables à notre régime d’asile commun. L’avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle se saisit de l’amendement CL9 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement vise à insérer à l’alinéa 13 la notion de possibilité d’accueil des États membres, car si en matière de droit d’asile les pays ont l’obligation morale d’accueillir, ils ne peuvent le faire que selon leurs possibilités. Il faut donc poser la question de la capacité de la France à accueillir et à intégrer les personnes désirant vivre sur le sol national. Cette question est d’autant plus urgente que, entre 2017 et 2018, le nombre de demandeurs d’asile, qui a baissé de 10 % en Europe, a augmenté en France. Personne ne veut accueillir qui que ce soit sous un pont porte de la Chapelle. Si je salue la volonté du Gouvernement de délocaliser les personnes qui y étaient installées, comme ce fut fait la semaine dernière, il faut poser la question de l’endroit où les héberger ; dans des gymnases, dans des hôtels ? C’est ce qui provoque évidemment la colère des riverains, comme celle des municipalités, auxquelles bien souvent on ne demande pas leur avis.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Le droit d’asile constitue une obligation morale, historique et conventionnelle qui s’impose aux États membres de l’Union européenne. Son application ne saurait par conséquent être conditionnée à leurs capacités d’accueil. Parler en France, un pays d’environ 70 millions d’habitants, d’une capacité de 98 500 places d’hébergement pour 130 000 demandeurs n’est vraiment pas à la hauteur de l’enjeu. L’avis est donc défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard. Si l’on n’anticipe pas assez les capacités d’accueil, si l’on ne conditionne pas l’octroi de l’asile à ces mêmes capacités, on en arrive à des situations comme celles de Calais ou de la porte de la Chapelle, où des personnes s’installent dans des conditions indignes qui ne sont absolument pas satisfaisantes.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Mme Ménard, je tiens à rappeler qu’il est question ici du droit d’asile, et non pas des flux migratoires…

Mme Emmanuelle Ménard. Il y avait bien des demandeurs d’asile porte de la Chapelle !

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Il y avait non seulement des demandeurs d’asile, mais aussi des « dublinés » et des personnes qui avaient obtenu le statut de réfugié ; il ne faut donc pas tout mélanger. La capacité d’accueil dépend des politiques nationales, mais l’octroi de l’asile n’est pas conditionné aux nombres de places d’hébergement disponibles. Les flux ne sont d’ailleurs pas prévisibles. Votre amendement est sans rapport avec le contenu de la proposition de résolution ; l’avis est par conséquent défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL58 des corapporteurs.

La Commission examine l’amendement CL10 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit ici d’anticiper les conséquences de la guerre au Moyen-Orient, notamment depuis l’intervention turque en Syrie. Le président turc n’a-t-il pas récemment menacé l’Europe d’ouvrir les portes et d’envoyer environ 3,6 millions de migrants si son opération était présentée comme une invasion ? L’Europe acceptera-t-elle à nouveau le chantage turc en payant 6 milliards d’euros comme elle l’a déjà fait en signant l’accord de 2016 ? Il convient d’anticiper ce risque pour éviter une nouvelle vague migratoire similaire à celle de 2015.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Les flux migratoires nous semblent extrêmement difficiles à prévoir et à anticiper. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de bâtir un régime d’asile commun robuste et cohérent qui sera résilient lors du prochain pic, situation que tout le monde souhaite éviter, le précédent ayant été la conséquence de la guerre en Syrie. Malgré les menaces du président Erdoğan, il y a des accords en vigueur. En outre, il est peu probable que 3 millions de migrants soient demain déplacés, et ce d’autant moins qu’une bonne partie d’entre eux ont obtenu la nationalité turque. J’ai pu le constater sur place, car je me suis rendu en Turquie l’année dernière dans le cadre de mon rapport pour la commission des Affaires étrangères. L’avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL1 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Évoquer la divergence des pratiques de traitement des flux migratoires entre les États membres ne contribue pas au développement d’une diplomatie apaisée avec nos partenaires européens. Si des pays comme les membres du groupe de Visegrád refusent de faire subir à leurs populations des flux d’immigration massifs, ce n’est pas le cas de l’État français. On peut s’en réjouir ou le déplorer, mais on ne peut en aucun cas condamner les décisions d’États souverains en leurs terres. Nous ne pouvons encourager la libre circulation dans l’espace Schengen au mépris des politiques nationales et espérer que, face au déferlement migratoire, tous s’accorderont sur la bonne politique à mener. La politique bruxelloise n’est pas celle de tous les États membres ; accuser les pays en désaccord avec cette politique de tous les maux n’y changera rien.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Les divergences de pratiques entre les États membres de l’Union européenne contribuent précisément aux mouvements secondaires. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux une politique commune de l’asile. L’avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL30 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement vise à compléter l’alinéa 14, afin de rappeler que « l’immense majorité des prises en charge relève des pays d’origine des personnes exilées, des pays voisins et des pays du Sud ». Comme l’a rappelé Marietta Karamanli, nous sommes un grand pays, qui comptera bientôt 70 millions d’habitants. Or si l’on regarde froidement les chiffres, en particulier le coût de l’accueil par les pays du Sud et le nombre de personnes que nous accueillons en France et en Europe, on constate que ce sont les pays du Sud qui subissent les principales difficultés. Nous ferions mieux d’accueillir dignement tout le monde.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Votre amendement ne présente pas de lien avec l’alinéa 14, qui a trait aux mouvements secondaires au sein de l’Union européenne, et en dénature la portée. Nous y sommes défavorables.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL16 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Virginie Guiraudon, directrice de recherche au CNRS, en poste au centre d’études européennes et comparées de Sciences Po Paris, a affirmé : « La réforme du règlement de Dublin, qui régit les demandes d’asile au niveau européen, a échoué à plusieurs reprises. Les dysfonctionnements se manifestent par le rétablissement des frontières intérieures au sein de l’espace Schengen. La France a rétabli les siennes depuis maintenant quatre ans, en invoquant habilement un risque à l’ordre public au moment de la COP 21 et après les attentats de novembre 2015. » Devant cet échec, il me semble qu’il faudrait réfléchir à une politique migratoire différente de celle qui est pratiquée actuellement au lieu de reprendre l’ensemble des textes européens du paquet asile.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Le terme « nécessaire », employé dans la proposition de résolution, nous semble juridiquement préférable. Aussi sommes-nous défavorables à votre amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en arrive à l’amendement CL11 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement de repli.

Suivant l’avis défavorable des corapporteurs, la Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL12 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. La proposition de résolution européenne se réjouit du choix de recourir majoritairement à des règlements afin de mener à bien cette réforme, dans la mesure où leur applicabilité directe est porteuse de clarté et d’efficacité. Si la célérité est nécessaire dans le contexte migratoire tendu que nous connaissons, les règlements, à l’inverse des directives, empêchent tout débat parlementaire dans les États membres de l’Union européenne. Ils ne sont donc pas souhaitables parce qu’ils nient la souveraineté des pays.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Avis défavorable. Nous sommes précisément en train de débattre : c’est la preuve que les parlements se saisissent de la question. De nombreuses possibilités leur sont offertes pour ce faire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL59 des corapporteurs.

Elle est saisie de l’amendement CL19 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’Union européenne et, en son sein, la France, ne peuvent pas continuer à accueillir autant de personnes migrantes, qui prétendent au statut de réfugié alors que, bien souvent, elles proviennent de pays sûrs. Il convient de repenser les politiques de reconduite à la frontière pour qu’elles soient plus effectives. En effet, le nombre de détections d’entrées illégales dans l’Union européenne est toujours trop important : il se serait élevé, pour les trois premiers trimestres de 2019, à plus de 88 000. Or, en ce qui concerne la France, le taux de retours effectifs est estimé à seulement 10 %.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Avis défavorable. Cette question est traitée à l’alinéa 21. Nous estimons que la contrepartie des modes d’accès légaux doit être le renforcement des moyens consacrés au retour des personnes déboutées de l’asile, notamment par le biais de l’agence Frontex, qui devrait être dotée d’un effectif de 10 000 agents d’ici à 2024 – et non 2027 –, comme l’indique la présidence de la Commission européenne.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL39 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons d’insérer un alinéa consacré à l’effectivité de l’obligation d’assistance et de sauvetage aux personnes en détresse en mer. Il faut en effet rappeler que la résolution s’inscrit dans un contexte particulier. Nous avons vu comment les débats entre pays européens, notamment ceux du pourtour méditerranéen, se sont crispés sur certains sujets : on se demandait qui accueillait tel ou tel bateau, que l’on suspectait d’être les alliés objectifs des passeurs, voire d’être aux mains des passeurs eux-mêmes. Je vous renvoie au discours de notre ministre de l’Intérieur aux côtés de l’ancien ministre italien de l’Intérieur qui nous a laissée, pour employer un euphémisme, un peu perplexes. Nous souhaitons réaffirmer l’obligation d’assistance et de sauvetage aux personnes en détresse en mer et rappeler que ceux qui sauvent ces dernières ne sont pas les complices des passeurs, ni les responsables d’un prétendu d’appel d’air : ils sauvent des vies, un point c’est tout.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Nous souhaitons évidemment qu’il en soit ainsi. Les règles du droit international doivent s’imposer en la matière, mais elles ne relèvent pas de la réforme du régime du droit d’asile. Ce sont deux choses différentes. En outre, les difficultés que vous évoquez n’ont pas empêché les États de réagir lors de plusieurs crises : le préaccord conclu à La Valette le 23 septembre 2019 en témoigne, même si nous pouvons regretter qu’il n’ait pas été généralisé à l’échelle européenne. Les propositions d’Enrico Letta peuvent donner lieu à discussion, mais la disposition que vous défendez, je le répète, ne saurait relever de la réforme du régime de l’asile européen commun. C’est pourquoi nous avons formulé un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements identiques CL20 de Mme Emmanuelle Ménard et CL45 de M. Éric Ciotti.

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement CL20 a pour objet de supprimer l’alinéa 18, qui vise à créer des quotas d’accueil de migrants par pays membre pour mieux répartir ces personnes entre les premiers pays qui les ont accueillies et les autres pays membres. En effet, cette politique a complètement échoué, comme l’illustre le fait que les récentes négociations à Malte n’incluent plus la question des quotas. Il a été prévu que les demandeurs d’asile soient relocalisés dans des pays volontaires : il me semble que cette politique est plus respectueuse de la souveraineté des États et qu’il convient de l’encourager.

M. Éric Ciotti. L’amendement CL45 vise à s’opposer au principe de répartition des demandeurs d’asile, pour plusieurs raisons. D’abord, celui-ci est contraire à la souveraineté nationale des États, qui doivent pouvoir choisir librement qui ils accueillent sur leur sol, sans contrainte. Ensuite, ce principe nuit à l’efficacité et à la régulation des flux migratoires. Vous avez souligné, M. le rapporteur, que la politique de l’asile n’avait rien à voir avec la politique migratoire : je ne peux que contester votre appréciation. Ces politiques sont évidemment liées, puisque les flux migratoires se nourrissent en grande partie, à l’heure actuelle, du dévoiement de la noble procédure de l’asile ; l’entrée dans l’Union européenne de 1,2 million de personnes en 2015 et en 2016 en résultait très directement. En France, malgré la générosité dont il est fait preuve dans le cadre de l’examen des dossiers, deux tiers des demandeurs d’asile sont déboutés ; les taux sont encore supérieurs dans d’autres pays plus stricts. Nous devons manifester la volonté de mieux réguler les flux. Vous affirmiez qu’on ne peut prévenir ces derniers, mais on a le devoir de les réguler. On ne peut pas répartir les demandes, aujourd’hui, sans action préalable à la source. Les quotas imposés traduisent une défaite de l’Union européenne, en ce que celle-ci se révèle incapable de réguler les flux migratoires. Je considère donc qu’il faut supprimer cet alinéa et s’opposer très fermement aux quotas, quelle que soit leur forme. En effet, ces derniers ne peuvent que conduire à une augmentation perpétuelle des flux et sont contraires au principe de la souveraineté nationale.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Avis défavorable. Vous venez de comparer le sort que la France et le reste de l’Union européenne ont réservé aux 1,2 million de demandes d’asile en 2015. Or, les populations concernées et les politiques mises en œuvre sont très diverses. Une part notable de ces personnes ont d’ailleurs obtenu l’asile et la protection liée au statut de réfugié. Cela montre qu’on fait face à différentes problématiques. Ces personnes ne se sont pas rendues majoritairement en France, mais principalement en Allemagne et en Autriche, ainsi que, pour une bonne partie d’entre elles, en Grèce et en Italie.

Mme Ménard, le préaccord conclu à Malte est partiel et limité à quatre États ; il porte uniquement sur les personnes migrantes secourues en mer Méditerranée. À l’échelle de l’Union, nous devons continuer de soutenir un mécanisme ambitieux et réellement solidaire. Il s’agit là de la condition première pour réaliser un régime d’asile européen qui soit véritablement commun.

M. Ciotti, le régime de l’asile européen commun ne peut reposer uniquement sur le principe de responsabilité des pays de première entrée. Comme nous l’avons vu en 2015 et en 2016, l’Italie et la Grèce n’ont pu faire face, seules, à la hausse des flux migratoires. Il est donc essentiel de réaffirmer le principe de solidarité pour protéger le droit d’asile européen commun.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Dans le cadre de la répartition fixée entre membres de l’Union européenne, il était demandé à la France d’accueillir 30 000 personnes au titre de la relocalisation. Ce seuil a ensuite diminué, pour atteindre 19 000 personnes, dont seules un peu plus de 5 000 ont été effectivement accueillies. Regardons les chiffres en face et cessons d’agiter des chimères.

M. Olivier Marleix. Je souhaiterais que les rapporteurs nous livrent une analyse juridique du sujet que viennent de soulever Éric Ciotti et Emmanuelle Ménard. Un projet de règlement qui imposerait aux États membres d’accueillir des demandeurs d’asile, soit une négation aussi étendue de la souveraineté de chacun de ces pays sur leur politique d’accueil, serait-il conforme aux traités ? Pouvez-vous nous fournir un éclairage juridique sur cette question ?

M. Ludovic Mendes, corapporteur. La proposition de la Commission sur la répartition et la relocalisation des demandeurs d’asile ne concerne que les périodes de crise. Par exemple, la situation qu’on a connue en 2015 a été considérée comme telle, compte tenu de l’arrivée d’un nombre considérable de demandeurs d’asile en peu de temps. Le « mécanisme ambitieux de solidarité » qui vous est proposé ne signifie pas que chacun devra fournir le même effort. Plusieurs pays de l’Est refusent d’accueillir des demandeurs d’asile supplémentaires, arguant du fait qu’ils viennent déjà en aide à des ressortissants ukrainiens, russes ou d’autres pays. Nous proposons, par ce texte, de renforcer la solidarité en accompagnant le développement de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile ainsi que de Frontex, en affectant à cette dernière des garde-côtes et des gardes-frontières, et en apportant à ces institutions les financements nécessaires à leur développement en Europe.

M. Éric Ciotti. M. le rapporteur, vous nous dites que l’afflux de 1,2 million de personnes dans l’Union européenne en quelques mois, en 2015 et en 2016, n’a rien à voir avec la situation actuelle. Ce qui s’est passé alors a d’abord été le fruit de l’inconséquence des responsables européens, en particulier de l’Allemagne, qui a lancé un message d’ouverture généralisée ayant conduit à la multiplication des flux et des drames en Méditerranée. Rappelons-nous en effet que c’est à partir de la diffusion de ce message que sont survenus des phénomènes tragiques : en 2015 et en 2016, on a dénombré plus de 10 000 morts en Méditerranée. Les événements qui se sont déroulés à cette période sont peut-être d’une autre nature que les faits actuels mais, ce qui est certain, c’est qu’ils sont le fruit d’une inconséquence et d’une irresponsabilité politique majeures. Vous nous dites que ces flux migratoires étaient uniquement constitués de demandeurs d’asile : permettez-moi d’en douter très fortement. Je voudrais vous rappeler, alors que nous commémorons, en ce 13 novembre, la tragédie des attentats de Paris, que la plupart de leurs auteurs étaient arrivés par les flux de 2015. Ne l’oublions pas, ne péchons pas par naïveté.

Mme Emmanuelle Ménard. Vous affirmez que la réglementation proposée par la Commission s’appliquerait uniquement en période de crise. Quelle est la définition juridique d’une période de crise migratoire ? Y a-t-il un seuil à partir duquel on peut parler d’une crise migratoire et, le cas échéant, quel est-il ?

M. Ludovic Mendes, corapporteur. L’Agence de l’Union européenne pour l’asile déterminera ce qu’il faut entendre par « crise ». Aux termes de la proposition de résolution, l’Assemblée nationale « estime qu’un mécanisme ambitieux de solidarité doit être au cœur de la réforme ». On n’entend donc rien imposer juridiquement ; on adresse à l’Union européenne le message selon lequel il faut trouver une solution en matière de solidarité et de réformes ; c’est à elle de définir la crise et la manière dont elle entend agir.

M. Ciotti, je ne commenterai pas l’association que vous avez faite entre les attentats et les flux migratoires.

La Commission rejette ces amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL60 des corapporteurs.

Suivant l’avis défavorable des corapporteurs, elle rejette l’amendement CL31 de Mme Danièle Obono.

Elle examine ensuite l’amendement CL2 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Je m’inquiète de la systématisation de la procédure d’asile, qui perd de vue la vocation originelle de ce droit ancestral. Il est nécessaire de rappeler que c’est parce qu’ils courent, au sein de leur pays d’origine, un péril pour leur intégrité physique que les immigrés viennent dans nos pays. En l’état, vous organisez la relocalisation des demandeurs au sein du pays d’accueil, mais jamais n’envisagez un retour sur le territoire dont ils sont originaires. Ce retour est pourtant salvateur, tant pour l’identité des personnes immigrées que pour celles des membres du pays d’accueil, qui ne peut supporter des vagues migratoires infinies. Ne nous méprenons pas : en accueillant sans limite, nous risquons une installation définitive risquée, tant pour les accueillis que pour les accueillants.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Défavorable. En aucun cas, les personnes qui ont obtenu une protection internationale ne sauraient être relocalisées dans leur pays d’origine. Ce serait contraire à la convention de Genève et cela mettrait en grave danger ces personnes, qui ont vocation à s’intégrer dans leur pays d’accueil.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL61 des corapporteurs.

Elle en vient à l’amendement CL32 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement a pour objet de préciser que la possibilité de demander l’asile depuis l’étranger ne saurait être la norme, et qu’il est possible de continuer à le faire sur le territoire européen. Les agents consulaires ne sont en effet ni des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), ni de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Nous souhaitons rappeler que cette facilité ne doit pas conduire à restreindre le droit de demander l’asile.

Par ailleurs, je vais devoir quitter la commission ; pourriez-vous, Mme la présidente, considérer que mes amendements sont défendus ? Je pense en particulier à l’amendement CL27, qui tire son origine du refus opposé, au mépris de la loi, à la demande de la députée européenne Manon Aubry de pénétrer dans un centre de rétention administrative (CRA), ce qui n’est pas acceptable dans un État de droit.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. M. Bernalicis, je suis au regret de devoir refuser votre demande, car le signataire d’un amendement doit être présent en commission pour que celui-ci soit défendu.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. M. Bernalicis, l’alinéa 19 n’a pas vocation à conférer aux autorités consulaires un rôle de filtre mais uniquement une fonction d’appui et de soutien à la démarche européenne. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL21 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement vise à compléter l’alinéa 19 pour faire des hotspots positionnés hors des frontières de l’Union européenne la voie privilégiée de la politique migratoire européenne. En juillet 2017, le Président de la République a déclaré qu’il comptait créer des hotspots en Libye et au Niger, avant d’indiquer : « Ce n’est pas possible aujourd’hui, mais ce peut être le cas à courte échéance […]. Dès fin août, nous aurons une mission de l’OFPRA pour voir comment il est possible de mettre tout cela en place. » Qu’en est-il aujourd’hui de cette promesse ? La politique des hotspots est pourtant la plus appropriée pour lutter contre une immigration irrégulière et en faveur d’une immigration choisie.

À titre d’exemple, l’Allemagne a dépensé l’an dernier 23 milliards d’euros pour l’intégration dans son territoire de plus de 1 million de réfugiés et pour combattre dans les pays d’origine les causes d’émigration, selon un document officiel du ministère des finances allemand. Sur ces 23 milliards, 7,9 milliards ont financé des mesures à l’étranger afin d’inciter les populations à ne pas chercher à gagner l’Europe ; cela représente une hausse de 16 % par rapport à l’année précédente.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. La proposition de résolution privilégie d’autres moyens pour diversifier les possibilités extraterritoriales d’accès à l’asile, avec l’appui des autorités consulaires ou par la création de visas spécifiques. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL42 de la corapporteure.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. L’objet de cet amendement est de travailler avec l’Union européenne à la création de voies légales de migration préservant le droit d’asile et assurant la protection des personnes.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Sagesse.

M. Guillaume Vuilletet. Le groupe LaREM votera en faveur de cet amendement. Le Parlement européen a demandé à la Commission de formuler une nouvelle proposition de texte en cas d’échec. La présidente de la Commission a, dès juillet, dans son discours de candidature, proposé un « nouveau pacte sur la migration et l’asile, avec notamment la réouverture des discussions pour la réforme des règles de Dublin ». Il est absolument normal de viser le rôle législatif dans cette proposition de résolution.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CL3 de Mme Marie-France Lorho et CL46 de M. Éric Ciotti.

Mme Marie-France Lorho. La formulation de l’alinéa 20 est vague : doit-on considérer qu’il existe de « bonnes conditions » pour déposer une demande d’asile et que les conditions actuelles de dépôt ne sont pas bonnes ? En l’état, la distribution de visas d’entrée spécifiques à laquelle vous aspirez risque de créer un nouvel entonnoir migratoire en encourageant l’immigration sauvage et illégale.

Par ailleurs, la notion de « visa spécifique » pourrait engendrer une hiérarchisation des personnes. L’absence de précision du terme risque également de multiplier les situations particulières, sur lesquelles notre droit n’a pas à se prononcer, et de créer des niches juridiques malsaines pour notre système juridique. L’amendement CL3 vise donc à supprimer cet alinéa peu clair et, à bien des égards, tendancieux.

M. Éric Ciotti. J’avoue ne pas trop comprendre, sur la forme comme sur le fond, cette disposition qui introduit subrepticement une nouvelle procédure d’entrée dans le territoire national, s’ajoutant ou se substituant à la procédure d’asile actuelle, avec l’octroi d’un visa de nature imprécise. Je trouve cette porte ouverte extraordinairement dangereuse dans la mesure où elle inaugure un nouveau vecteur migratoire quasiment sans contrôle.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Les « bonnes conditions » de dépôt des demandes d’asile font référence aux conditions de voyage extrêmement périlleuses : nous sommes tous d’accord pour éviter que des personnes décèdent en Méditerranée et pour empêcher les filières des passeurs de prospérer. Nous demandons à l’Union européenne de proposer une réflexion sur un visa adapté, afin que la demande d’asile puisse être étudiée dans de bonnes conditions.

M. Éric Ciotti. Je comprends l’esprit de votre réponse et, à certains égards, je peux le partager. Naturellement, il est préférable d’examiner la demande d’une personne dans le pays où elle se trouve avant de la laisser s’aventurer dans un voyage périlleux, à l’issue parfois dramatique, qui en outre favorise le commerce des passeurs.

Je suis favorable à ce que l’on examine les demandes d’asile au plus près des zones de conflit. Cela nécessite que l’OFPRA envoie des officiers de protection dans les consulats et dans les ambassades, afin que l’examen soit fait sur place. Mais, en l’occurrence, vous proposez d’accorder un visa à tout le monde, sans examen préalable : une fois que ces personnes seront arrivées sur le territoire national ou européen, elles formuleront leur demande d’asile, laquelle sera refusée dans au moins deux tiers des cas, mais resteront définitivement puisque 95 % des déboutés se maintiennent. Nous devons donc traiter le problème avec humanité mais à la source, avec une véritable procédure d’examen, plutôt que d’accorder un blanc-seing à chacun.

Mme George Pau-Langevin. Certes, les conditions d’examen des demandes d’asile ne sont pas totalement satisfaisantes aujourd’hui : ainsi, en Guyane, la préfecture est tellement engorgée qu’elle a dû fermer deux mois d’affilée. J’ai toutefois du mal à comprendre pourquoi une personne demanderait un visa dans son pays d’origine. Très fréquemment, le demandeur d’asile part parce qu’il est en difficulté dans son pays d’origine : déposer une demande d’asile au vu et su des autorités de son pays ne risque-t-il pas de le mettre en danger ?

M. Ludovic Mendes, corapporteur. L’alinéa 20 « propose ainsi qu’une réflexion s’engage au sein de l’Union européenne sur la possibilité d’offrir des visas d’entrée sur le territoire spécifiques, destinés à permettre le dépôt de demandes d’asile dans de bonnes conditions ». Nous ne disons pas que cela doit intervenir dans le pays d’origine : le dépôt peut être fait dans un pays de transit.

M. Ciotti souhaite que la demande d’asile soit traitée dans les pays d’origine ou de transit. Or, en cas de refus, il n’est pas certain que le demandeur d’asile, même débouté, ne vienne pas jusqu’en Europe pour déposer une nouvelle demande. De plus, quid du fait qu’il a des droits en Europe pour contester une décision qui le débouterait du droit d’asile ? Comment pourrait-il exercer ses droits dans son pays de transit ou d’origine, étant donné que le système judiciaire n’est pas le même ? Nous n’avons pas de politique d’extraterritorialité des lois sur ce point.

Nous proposons donc à l’Union européenne de réfléchir à un visa adapté. C’est déjà le cas quand l’OFPRA se rend dans certains campements pour assurer une mission de protection des personnes : nous nous inscrivons à peu près dans la même démarche, tout en cherchant à la simplifier. Avec cette résolution européenne, nous souhaitons développer de nouvelles voies légales et lutter contre les filières de passeurs, afin que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) et Frontex jouent demain un rôle important dans ce domaine.

Mme George Pau-Langevin. L’ambiguïté vient de ce que vous avez évoqué le soutien des autorités consulaires européennes présentes dans les pays d’origine : la combinaison pays de transit et pays d’origine n’est peut-être pas totalement claire.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine l’amendement CL22 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je le retire.

L’amendement CL22 est retiré.

La Commission se saisit de l’amendement CL24 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Les moyens consacrés au retour des personnes déboutées de l’asile en France doivent être renforcés. En 2017, sur les plus de 87 000 personnes ayant reçu une obligation de quitter le territoire français, seules 14 000 ont effectivement été renvoyées, soit dans leur pays d’origine, soit dans le pays déclaré responsable de leur prise en charge. En 2018, près de 10 % de déboutés du droit d’asile ont été reconduits à la frontière. Il est évidemment urgent d’y remédier.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Avis défavorable : la rédaction initiale, qui répond à votre demande, nous paraît préférable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL47 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Le présent amendement vise à réinstaller au cœur de nos procédures d’examen le principe du placement en CRA des auteurs de demandes manifestement infondées. La procédure d’asile, noble et essentielle, est très largement dévoyée : elle est en effet devenue la porte d’entrée légale pour l’immigration illégale, en provenance notamment de « pays d’origine sûrs » ; la décision de l’OFPRA dressant la liste de ces pays est d’ailleurs souvent contestée devant le Conseil d’État par les associations.

Or, chaque année, les pays occupant les premières places des statistiques de l’OFPRA sont des pays d’origine sûrs, comme l’Albanie ou la Géorgie : c’est la conséquence de fraudes manifestes. Il est donc important d’instaurer une procédure beaucoup moins naïve, prenant très rapidement en charge, par un examen simplifié, le suivi de ces dossiers qui sont quasiment tous frauduleux, les taux de protection accordés aux ressortissants de ces pays étant extrêmement faibles. Face à ce dévoiement manifeste de l’asile, je propose que les ressortissants de ces pays d’origine sûrs soient systématiquement placés en CRA pour garantir que, à l’issue de la procédure accélérée, la reconduite dans le pays d’origine s’effectuera de façon certaine. Dans le cas contraire, si nous laissons entrer librement ces ressortissants, nous savons bien qu’ils s’installeront durablement dans le pays d’accueil et qu’ils ne seront jamais expulsés, le taux de reconduite étant extrêmement faible.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Nous traitons ici d’une politique d’asile européenne et non pas d’une politique d’asile nationale. De plus, cela irait à l’encontre de l’article 31 de la Convention de Genève, selon lequel nul ne doit être placé en rétention pour le seul motif qu’il demande une protection internationale. Le placement en rétention de demandeurs d’asile est extrêmement limité et la supposition « a priori », sans autre fondement et avant l’examen de la demande, du caractère infondé de celle-ci ne respecterait pas cette convention. Avis totalement défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL55 des corapporteurs.

La Commission examine l’amendement CL4 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. L’objet de cet amendement est d’opérer un examen particulièrement attentif des motifs réels de la demande, qui doivent être argumentés en fonction de la situation politique du pays d’origine et du statut des personnes concernées au sein de leur société. En dépit d’une situation politique dégradée, toutes les personnes issues de pays soupçonnés tangents politiquement ne courent pas de périls vitaux. Il est par ailleurs vain de penser que l’Union européenne a la possibilité d’accueillir l’ensemble des réfugiés politiques de notre planète. Il faut faire preuve de pragmatisme. Parmi les flux migratoires, il est des personnes dont la protection n’est pas la principale motivation : l’asile à des fins économiques est un motif récurrent. Cette année, 612 personnes sont mortes dans la rue : il est impensable de prétendre que nous pouvons accueillir davantage de personnes et les protéger sur notre territoire.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. L’OFPRA et la CNDA assurent déjà une application complète et stricte des textes relatifs à l’octroi d’une protection internationale. Nous comprenons ce que vous dites mais il y a un léger décalage avec l’alinéa 22. Avis défavorable. Si nous pouvions éviter, par ailleurs, les comparaisons entre les personnes vulnérables et en difficulté et les personnes demandant une protection, ce serait une grande avancée !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL52 de la corapporteure et CL54 du corapporteur.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. L’amendement CL52 a pour objet de s’opposer à la procédure de demande d’asile à la frontière. Je veux vous lire le texte de la directive « Procédures » car il est essentiel que vous ayez à l’esprit les règles qui s’appliquent actuellement : « Les États membres peuvent prévoir des procédures conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II afin de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur [la] recevabilité d’une demande [et] le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31 […]. Les États membres veillent à ce que toute décision dans le cadre des procédures prévues au paragraphe 1 soit prise dans un délai raisonnable. Si aucune décision n’a été prise dans un délai de quatre semaines, le demandeur se voit accorder le droit d’entrer sur le territoire […]. Lorsque l’afflux d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant une demande de protection internationale à la frontière ou dans une zone de transit rend impossible, en pratique, l’application des dispositions du paragraphe 1, ces procédures peuvent également être appliquées […]. »

Nous devons donc prendre conscience que si nous laissons ces règles en l’état, il sera possible de retenir pour une longue période, supérieure à quatre semaines, des personnes dont les droits fondamentaux ne seront pas forcément respectés. Pour cette raison, le présent amendement vise à s’opposer fermement à l’extension de la procédure aux frontières extérieures prévue dans le projet de règlement « Procédures ».

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Nous sommes d’accord sur un point : il faut porter une attention particulière au respect des droits fondamentaux dans la procédure aux frontières extérieures. De mon côté, je présente une rédaction différente de l’alinéa 23 : « Demande qu’une attention particulière soit portée au respect des droits fondamentaux dans la procédure aux frontières extérieures de l’Union européenne, prévue dans le projet de règlement dit « Procédures » conformément aux conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018. » Contrairement à l’amendement CL52, qui s’oppose fermement, l’amendement CL54 demande une attention particulière au respect des droits fondamentaux.

M. Guillaume Vuilletet. Sans grande surprise, le groupe LaREM préfère la rédaction de M. le corapporteur à celle de Mme la corapporteure. Sur le fond, bien accueillir, avoir une politique cohérente, des dispositifs efficaces en matière d’accueil et de traitement des demandes d’asile, c’est d’abord permettre une bonne intégration de tous ceux qui méritent l’asile. L’un des problèmes tient aux limites du règlement de Dublin : si jamais nous renonçons à l’accueil à la frontière, sachant que, par ailleurs, l’accord de Schengen permet la libre circulation des personnes, cela signifie que nous connaîtrons une accélération fantastique de tous les problèmes posés par le règlement de Dublin.

S’il faut en effet accorder une attention toute particulière au respect des droits fondamentaux, nous ne pouvons pas aller jusqu’à une opposition ferme à cet outil, qui est absolument nécessaire. Avis défavorable à l’amendement CL52 et favorable à l’amendement CL54.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. La mise en rétention systématique des migrants au seul motif qu’ils soient demandeurs d’asile me semblait déjà problématique sous la précédente majorité. Je reste donc fidèle à ma position et maintient mon amendement.

La Commission rejette l’amendement CL52, puis elle adopte l’amendement CL54.

En conséquence, les amendements CL48 de M. Éric Ciotti et CL25 de Mme Emmanuelle Ménard tombent.

La Commission est saisie de l’amendement CL5 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Rien, pas même le fait que les migrants n’y transitent que de manière éphémère, ne peut justifier que l’on renonce à qualifier certains pays de « pays tiers sûrs ». L’abandon de cette notion va à l’encontre du bon sens, à l’encontre de cette solidarité perpétuellement prônée en matière d’accueil. Pourquoi supprimer cette notion de « pays tiers sûr » alors qu’elle pourrait soulager le fardeau migratoire subi par certains membres de l’Union européenne ? Cela va à l’encontre du protocole de New York.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Avis défavorable. Quel que soit son parcours, « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ». La notion de « pays tiers sûrs » ne saurait donc être introduite dans notre droit interne. Elle est contraire au Préambule de la Constitution de 1946 ou à l’article 53-1 de notre Constitution.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL6 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Multiplier les agences, les organismes et les commissions visant à faire appliquer des règles sur lesquelles il revient à chaque État membre de statuer est superflu. Il y a autant de perceptions du droit d’asile qu’il y a de pays membres de l’Union européenne, et la création d’une agence visant à proposer une perspective commune sur la question ne viendra en aucun cas atténuer nos divergences sur le sujet.

Il est de la responsabilité de chaque pays de faire respecter ses lois souveraines et de définir la place de l’asile sur son territoire. Une doctrine commune ne peut procéder d’un nouvel organisme, qui risque de n’être qu’un nouvel outil coûteux et dépassé.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Avec EASO, l’Union européenne dispose déjà d’une agence, et je peux vous assurer que les Grecs sont très heureux de l’avoir à leurs côtés, parce que ça leur permet d’aller beaucoup plus vite dans l’examen des procédures.

La création de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile est très attendue, et son action sera particulièrement utile pour harmoniser les pratiques et les procédures en matière d’asile. Elle participera au renforcement de notre régime d’asile européen commun.

On a évoqué des listes communes, des procédures d’accompagnement de Frontex. Sans l’Agence, rien de tout cela ne fonctionnera comme on l’entend. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL14 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit de préciser que l’Agence de l’Union Européenne pour l’asile devra être respectueuse de la souveraineté des États membres. Cela va mieux en le disant, et je propose donc de l’écrire noir sur blanc.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Avis défavorable. Nous devons assumer que cette agence puisse s’affirmer. Jusqu’ici les États membres n’ont pas réussi à avancer ; faisons-lui donc confiance.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL62 des corapporteurs.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL15 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je propose la suppression de l’alinéa 26, qui vise à « encourager la réflexion autour de la création de centres d’accueil sur le territoire de l’Union européenne, dont les conditions de gestion seraient harmonisées et au sein desquels l’information et l’exercice effectif du droit d’asile seraient garantis ».

Si l’intention est louable, ces centres d’accueil pourraient se trouver directement sous l’autorité de l’Union européenne, ce qui pourrait porter atteinte à la souveraineté des États membres.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Mme Ménard, je vous le rappelle encore une fois, nous défendons l’harmonisation de nos politiques en matière d’asile, et nous ne changerons pas d’avis sur ce sujet. Avis défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard. Je l’ai bien compris, et je poursuis le même but que vous, mais par des moyens différents. Je défends, comme vous, l’harmonisation, mais dans le respect des États membres, de leur souveraineté, des législations nationales et de ce que souhaitent les nations qui composent l’Union européenne. Ce que je propose, c’est une harmonisation par le haut, et non par le bas.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Rassurez-vous, nous harmonisons bien par le haut, même si cela ne correspond pas à votre appréciation.

Je rappelle que l’Union européenne n’impose rien, puisque les membres de la Commission sont choisis par les États membres et que le Parlement européen est démocratiquement élu. Nous allons donc dans le même sens, madame Ménard.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL41 de la corapporteure.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Cet amendement précise la rédaction initiale de la proposition de résolution pour supprimer toute ambiguïté quant à la nature des centres d’accueil européens pour demandeurs d’asile. Il s’agit bien de centres d’accueil ouverts et non de centres fermés, comme il en existe dans d’autres pays de l’Union européenne, comme la Grèce ou l’Italie.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Sagesse.

M. Guillaume Vuilletet. Je salue la délicatesse du rapporteur, mais j’aurai, pour ma part, un avis plus tranché, malheureusement défavorable.

En la matière, le diable est dans les détails, et les précisions rédactionnelles peuvent introduire davantage de confusion que de clarté. En effet, votre précision nourrirait une confusion entre les centres situés aux frontières extérieures de l’Union, qui tendent à être fermés afin de faciliter le suivi des demandes, et les centres d’accueil, tels que les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) en France, qui sont déjà des centres d’accueil et d’accompagnement ouverts, gérés principalement par les associations.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Il ne s’agit pas de parler des centres ouverts en France, mais des centres ouverts en Europe.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL7 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Les réseaux de passeurs qui encouragent l’immigration massive et mettent en danger la vie d’autrui doivent être condamnés par tous les moyens. Les premières mesures à leur encontre relèvent de la responsabilité de chaque État membre de l’Union européenne, puisque ce sont leurs lois nationales qui sont garantes de leur sécurité. Je m’inquiète donc de la mise en place d’une coopération ad hoc. Il est certes nécessaire que les États membres entretiennent des liens, de manière à mieux combattre les responsables de ces activités criminelles ; en aucun cas cependant cette coopération ne doit se substituer aux décisions souveraines des pays membres. C’est la raison de cet amendement, qui rappelle la primauté des services de sécurité nationaux sur les instances supranationales.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Cet alinéa ne vise pas à retirer aux services de sécurités nationaux leurs compétences en matière de lutte contre les passeurs et le trafic d’êtres humains. Demain, la police aux frontières (PAF) ne disparaîtra pas avec Frontex, nos agents de police judiciaire non plus. Au contraire, nous souhaitons renforcer leurs capacités à intervenir sur l’ensemble du territoire européen, ce qui exige aujourd’hui, dans certains cas, l’existence d’accords binationaux. C’est la raison pour laquelle nous voulons le renforcement d’Europol et le renforcement de la coopération judiciaire entre les États membres afin de pouvoir lutter correctement contre les filières de passeurs. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL53 du corapporteur.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. Il s’agit de substituer au mot « commun », le mot « précis », ce qui fait toute la différence quand on parle de mineurs non accompagnés.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL18 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Au-delà de votre réponse défavorable que j’anticipe, je voudrais, encore une fois, affirmer la souveraineté des États membres en ce qui concerne ici la question des mineurs non accompagnés, particulièrement cruciale en France, puisqu’en vingt ans, le nombre de mineurs non accompagnés sur notre territoire est passé de 264 à 40 000, ce qui représente un coût de 2 milliards d’euros par an.

Entre fin 2015 et fin 2018, le nombre de mineurs étrangers pris en charge par les départements a quadruplé ; ce sont quasi exclusivement des jeunes hommes, qui viennent principalement d’Afrique subsaharienne et qui arrivent parfois via des filières de faux mineurs isolés. Il est donc indispensable de mettre en place une politique concertée avec les autres pays de l’Union européenne mais, je le répète, dans le respect de la souveraineté de chaque État membre.

Suivant l’avis défavorable des corapporteurs, la Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL49 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cette proposition de résolution vise à mieux prendre en compte la problématique des mineurs étrangers non accompagnés. C’est une bonne chose, car ces mineurs posent aujourd’hui un problème majeur. Les chiffres ont été rappelés : 40 000 mineurs isolés sur le territoire national, pour un coût global de 2 milliards d’euros. Cette charge est en grande part supportée par les départements, pour qui elle est un poids intolérable.

Nous devons donc mettre en place des procédures et des accords avec les pays d’origine, car il est illogique que nous accueillions des mineurs non accompagnés en provenance de pays disposant d’institutions qui fonctionnent : c’est à eux de s’occuper de ces mineurs et de les protéger, et non à nous.

J’ai présidé le département des Alpes-Maritimes pendant plusieurs années et j’ai pu constater que les structures de protection de l’enfance accueillaient des mineurs venus du Maroc, de Tunisie, d’Algérie, ou de Côte d’Ivoire, autant de pays structurés auxquels la France n’a aucune raison de se substituer.

Je souhaiterais par ailleurs – et c’est l’objet de cet amendement – que les cas de ces mineurs soient mieux évalués, car il y a beaucoup de faux mineurs et la fraude est importante.

Enfin, la question de leur prise en charge doit être revue, car je soutiens que c’est à l’État et non aux départements de l’assumer.

M. Ludovic Mendes, corapporteur. La question de la prise en charge des mineurs par les départements ou l’État ne relève pas du régime d’asile européen commun et n’a donc pas sa place dans cette proposition de résolution européenne. Je vous suggère de rédiger une proposition de loi que nous pourrons examiner dans le cadre d’une journée réservée dévolue à votre groupe. Avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo. Cette réponse ne peut pas nous satisfaire. Éric Ciotti a évoqué, à titre d’illustration de son propos, le poids insupportable que ces mineurs font peser sur les départements, mais la vraie question, qui a toute sa place dans cette résolution, est celle du caractère avéré ou non de la minorité de ces personnes. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour confirmer que ces mineurs isolés sont bien mineurs, sans quoi il va se produire un appel d’air qui encouragera le développement de filières clandestines. Tel est le but de cet amendement, que nous devrions tous être capables d’examiner de manière sereine.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL57 des corapporteurs.

Elle en vient ensuite aux amendements identiques CL8 de Mme Marie-France Lorho, CL17 de Mme Emmanuelle Ménard et CL51 de M. Éric Ciotti.

Mme Marie-France Lorho. Les dispositifs européens viennent déjà garantir la prise en compte de facteurs de vulnérabilité qui ne seraient pas liés au pays d’origine du demandeur. Ainsi la directive « Accueil » mentionne d’autres facteurs que le pays d’origine. Dans son article 21, elle dispose que les États membres doivent tenir compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine. Plutôt que de créer de nouveaux dispositifs, consolidons ceux qui existent déjà.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement vise à la suppression de l’alinéa 30, qui propose « une réflexion autour d’une protection européenne distincte et complémentaire du droit d’asile, qui devrait être offerte à des personnes dont la vulnérabilité n’est pas nécessairement liée à leur pays d’origine » mais permet en fait d’élargir le droit d’asile européen, alors même que les pays membres n’arrivent pas à s’entendre sur le droit en vigueur aujourd’hui.

 Élargir les possibilités d’accueil au sein de l’Union européenne ne me semble donc pas souhaitable, à l’heure où une vague migratoire importante risque à nouveau d’arriver, en provenance de Turquie notamment.

M. Éric Ciotti. Le présent amendement propose de supprimer la disposition invitant à une réflexion sur une protection européenne distincte et complémentaire du droit d’asile.

Il me semble que, ce faisant, vous introduisez un canal d’immigration, ce qui me paraît extrêmement dangereux et qui risque d’apporter beaucoup plus de difficultés que de solutions. Nous sommes donc totalement opposés à cette nouvelle forme d’asile que vous proposez.

Mme Marietta Karamanli, corapporteure. Je voudrais rassurer les uns et les autres. Il n’est en aucun cas question d’ouvrir des canaux d’immigration clandestins mais d’ouvrir une réflexion sur l’asile.

Cela étant, je rappelle que, si la Convention de Genève dispose que « le terme de réfugié s’applique à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », elle précise néanmoins que cette protection est accordée à la personne qui « se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Nous pensons qu’il est de notre devoir de garantir aux personnes les plus fragiles l’accès à la protection internationale et souhaitons qu’une réflexion soit engagée sur la prise en compte des vulnérabilités qui ne seraient pas liées au pays d’origine mais, par exemple, à l’homosexualité ou, pour des femmes maltraitées en Afrique, à l’excision. Avis défavorable.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle adopte l’article unique de la proposition de résolution, modifié, et, par voie de conséquence, la proposition de résolution modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution européenne relative à la réforme européenne du droit d’asile dont le texte figure dans le document annexé au présent rapport.

 

 


([1]) Rapport d’information n° 2342 de M. Ludovic Mendes et Mme Marietta Karamanli sur la réforme européenne du droit d’asile.

([2]) Voir, en particulier, lors des réunions du mercredi 25 septembre 2019, les auditions de Mme Dominique Kimmerlin, présidente de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), et, par visioconférence, de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), ainsi que le compte rendu du déroulement de la Conférence interparlementaire sur les questions de l’asile et de l’immigration (Helsinki, 8 – 9 septembre 2019, Mme Élodie Jacquier-Laforge).

([3]) Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

([4]) Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

([5]) Il s’agit de « la peine de mort ou l’exécution », de « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » ou « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

([6]) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

([7]) Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.

([8]) Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

([9]) Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres.

([10]) Règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013.

([11]) Règlement (CE) nº 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin.

([12]) Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride.

([13]) Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers.

([14]) Convention relative à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres des Communautés européennes.

([15]) Règlement (UE) n° 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 portant création d'un Bureau européen d'appui en matière d'asile.

([16]) Règlement (UE) n° 516/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 portant création du Fonds « Asile, migration et intégration ».

([17]) La directive « Accueil » désigne comme personnes vulnérables les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine.

([18]) C-715/17 Commission/Pologne, C-718/17 Commission/Hongrie, C-719/17 Commission/République tchèque.

([19]) Ce groupe d’États de l’Est, partisans d’une politique migratoire restrictive, est composé de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque et de la Slovaquie.  

([20]) Décision (UE) 2015/1523 du Conseil du 14 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce et décision (UE) 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce.

([21]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 466 final.

([22]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 467 final.

([23]) Cette conception a été rappelée par le Conseil d’État dans son avis du 16 mai 2018 portant sur l’application de la notion de pays tiers sûr.

([24]) L’article L. 711­‑1 du CESEDA prévoit que la qualité de réfugié est notamment « reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ».

([25]) Les a à d du paragraphe 5 visent les demandeurs mineurs : en provenance d’un pays d’origine sûr ; représentant un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre, ou ayant fait l’objet d’une décision d’éloignement forcé pour des motifs graves de sécurité nationale ou d’ordre public en vertu du droit national ; pour lesquels un pays tiers peut être considéré comme un pays sûr ou enfin ayant induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses informations ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable.

([26]) Le CESEDA prévoit une procédure de prolongation du maintien en zone d’attente, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, pour une durée pouvant aller jusqu’à trente jours en dernier ressort.

([27]) Cette disposition s’applique au mineur : qui provient d’un pays d’origine sûr ; qui a déposé une demande de réexamen qui n’est pas irrecevable ; qui a présenté de faux documents d'identité ou de voyage, fourni de fausses indications ou dissimulé des informations ou des documents concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin de l'induire en erreur ou a présenté plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes ou enfin dont la présence constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État.

([28]) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 465 final.

([29]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 270 final.

([30]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 272 final.

([31]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 271 final.

([32]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 468 final.

([33]) Règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation.