N° 2430

______

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 novembre 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de la République d’Albanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de l’accord de coopération en matière de défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre,

PAR M. Michel HERBILLON

Député

——

AVIS

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

PAR Mme Aude BONO-VANDORME

Députée

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 Voir les numéros :

 Assemblée nationale :  1631.

 Sénat : 130, 224 et 225 et T.A 57 (20182019).


 

.


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

I. Les accords de défense sont des outils conventionnels plÉbiscités

A. Les accords de défense sont de plusieurs Natures

B. La France entretient des relations de défense avec la Quasi-totalité des États

II. Le Rapprochement avec lOTAn et lUE favorise la consolidation des relations de défense avec lAlbanie

A. Pays stable, lAlbanie reste confrontée à de nombreux défis sécuritaires

1. Un pays stable

2. Des défis sécuritaires persistants

B. Modeste, la défense albanaise monte en puissance

C. La coopération de défense avec lAlbanie reste limitée et irrégulière

D. La coopération de défense devrait se consolider avec lentrée de lAlbanie dans lOTAN et son rapprochement avec lUE

1. Ladhésion à lOTAN en 2009

2. Lobtention du statut de pays candidat à ladhésion à lUE en 2014

E. Le nouvel accord ouvre la voie à un renforcement de la coopération de défense avec lAlbanie

1. Dun arrangement technique à un accord intergouvernemental

2. Les perspectives dapprofondissement de la coopération de défense

III. Chypre est un État avec Lequel la France entretient une coopération étroite qui justifie son élargissement

A. La Turquie forme une menace existentielle pour Chypre

B. La défense chypriote est principalement tournée vers la défense du territoire

C. Ladhésion européenne de Chypre sexplique par sa recherche de protection contre la Turquie

D. La coopération de défense entre la France et Chypre est dense

E. Le nouvel accord ouvre la voie à lélargissement du champ de la coopération de défense avec CHypre

1. Dun accord intergouvernemental à lautre

2. Les perspectives dapprofondissement de la coopération de défense

IV. Sur le fond, ces accords contiennent des dispositions classiques

A. Le champ de la coopération

B. La mise en œuvre et le financement de la coopération

C. Le statut des personnels

D. Lapplication des deux conventions

Travaux de la Commission

Annexe : Texte adopté par la Commission

AVIS DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

I. l’accord de coopération franco-chypriote, instrument de consolidation d’un partenariat déjà ancien

A. la République de Chypre est un partenaire militaire incontournable dans une zone stratégique

1. Un partenaire militaire historique

a. Une longue relation de défense

b. Un outil militaire orienté surtout par une posture défensive

2. Une situation géographique de plus en plus stratégique pour nos opérations et nos approvisionnements

a. Un point d’ancrage incontournable en mer Méditerranée orientale

b. Des intérêts français dans les richesses nouvelles de la zone économique exclusive de Chypre

B. L’accord de coopération du 4 avril 2017 vise à consolider et à approfondir le partenariat franco-chypriote

1. Une volonté d’approfondissement la coopération bilatérale répondant aux besoins de réassurance de la Partie chypriote

2. Un dispositif qui permet de consolider notre posture de défense dans la zone

a. Une posture qui s’adapte à l’évolution stratégique de la zone

b. Une posture équilibrée

II. l’accord de coopération franco-albanais, vecteur d’une plus grande implication de la France dans les Balkans

A. L’Albanie est passée de la position de « consommateurs de sécurité » à celle de « fournisseur de sécurité »

1. Des capacités militaires encore en cours de restructuration, mais non négligeables

2. Une politique de sécurité et de défense visant résolument l’inscription de l’Albanie dans des cadres multilatéraux de coopération

a. L’orientation multilatérale et coopérative de la politique albanaise de sécurité et de défense

b. La place majeure des États-Unis et de l’OTAN

c. Une influence américaine et une inclinaison euro-atlantique qui n’éclipsent pas une relation particulière avec la France

B. L’accord de coopération du 28 mars 2017 contribue à la stratégie d’intensification de notre présence dans les Balkans occidentaux

1. Une stratégie d’implication plus nette de la France dans les affaires militaires des Balkans occidentaux

2. Les voies d’approfondissement possibles de la coopération militaire

TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE


—  1  —

 

   Introduction

L’Assemblée nationale est saisie d’un projet de loi, adopté par le Sénat le 31 janvier 2019, autorisant la ratification de deux accords de défense, l’un avec l’Albanie signé le 28 mars 2017 et l’autre avec la République de Chypre, à savoir la partie grecque de l’île de Chypre, conclu le 4 avril 2017. Très répandus, les accords bilatéraux de défense sont des outils destinés à ouvrir des champs de coopération entre les forces armées de deux États. Aujourd’hui, rares sont les pays avec lesquels la France ne dispose pas de relation de défense, même si l’intensité de cette relation peut fortement varier d’un État à l’autre.

Le contexte sécuritaire qui caractérise, d’un côté, l’Albanie et, de l’autre, Chypre est fondamentalement différent. L’Albanie s’est progressivement muée en un pôle de stabilisation dans la région des Balkans, bien qu’elle continue à faire face à des défis sécuritaires importants, de la criminalité organisée à l’islamisme radical. Chypre, quant à elle, fait face à une menace existentielle unique incarnée par la Turquie contre laquelle toute sa politique extérieure est orientée. L’Albanie est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), tandis que Chypre est membre de l’Union européenne (UE).

La relation bilatérale de défense avec Chypre est traditionnellement plus intense que celle avec l’Albanie, moins régulière et plus limitée. Les deux accords de défense annexés au présent projet de loi ont pour objet de renforcer et d’élargir la coopération avec ces deux pays partenaires.

Ces conventions présentent l’intérêt de renforcer l’influence militaire française dans les Balkans, où l’Albanie peut être confortée dans son influence stabilisatrice, et la Méditerranée orientale, où Chypre constitue un point d’appui stratégique pour les opérations militaires françaises dans la région. Même si leurs budgets de défense restent modestes, les deux pays sont également des clients de l’industrie d’armement française. Votre rapporteur salue tout particulièrement la consolidation de la relation de défense avec Chypre face à une puissance turque dont les intérêts et les valeurs sont de plus en plus éloignés de ceux de l’Europe.

Sur le fond, ces accords de défense sont classiques. Ils ouvrent un champ de coopération entre les parties qui, d’un commun accord, sont libres de l’élargir davantage. Afin de sécuriser les forces et de faciliter le déroulement des actions de coopération, les conventions fixent les dispositions applicables aux personnels du pays d’origine présents sur le territoire de l’autre partie.

Au bénéfice de ces observations, votre rapporteur appelle à approuver les accords de défense conclus avec Chypre et l’Albanie.


—  1  —

I.   Les accords de défense sont des outils conventionnels plÉbiscités

A.   Les accords de défense sont de plusieurs Natures

La France est partie à quatre types d’accords bilatéraux de défense :

– les accords de coopération dans le domaine de la défense ou de larmement, qui fondent la coopération entre la France et d’autres États dans plusieurs champs tels que le dialogue stratégique, l’organisation et le fonctionnement des forces, la formation ou les transferts de technologie. D’une nature plus globale que les autres, ces conventions comportent le plus souvent des clauses relatives au statut des forces présentes sur le territoire de la partie d’accueil. Les accords de coopération avec l’Albanie et Chypre, conclus respectivement le 28 mars 2017 et le 4 avril 2017, dont le présent projet de loi autorise la ratification, se rattachent à cette famille de conventions de défense ;

– les accords de statut des forces ou « SOFA » (Status of forces agreement), qui fixent les droits et obligations des forces françaises présentes sur un territoire étranger, et réciproquement, le cas échéant. Ces accords ont un double objectif : apporter un statut juridique protecteur pour les forces françaises et faciliter le déroulement des exercices et des activités à l’étranger. À ce titre, un accord SOFA fixe principalement les conditions d’entrée, de séjour et de sortie du territoire de l’autre partie, les règles relatives au port de l’uniforme et au port d’armes de service, le règlement des dommages ou encore les règles de juridiction ;

– les accords relatifs à léchange dinformations ou de matériels protégés, dits « accords de sécurité », qui conditionnent la transmission d’informations classifiées entre États ou entre un État et une organisation internationale. De tels accords existent avec nos principaux partenaires de l’OTAN et de l’UE ;

– les accords relatifs à la fourniture de soutien logistique mutuel ou « MLSA » (Mutual logistics support agreement), qui visent à encadrer de façon pérenne le soutien logistique mutuel entre forces armées.

B.   La France entretient des relations de défense avec la Quasi-totalité des États

La France entretient des relations de défense au travers de certains accords multilatéraux, dont les principaux sont le traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949 et les textes se rapportant au cadre de l’OTAN.

La France est, par ailleurs, liée à de nombreux États par des accords bilatéraux de défense. Elle est notamment liée aux principaux voisins de Chypre – le Liban ([1]), la Turquie ([2]) et la Grèce ([3]) – et de l’Albanie – le Monténégro ([4]), la Macédoine du Nord ([5]) et l’Italie ([6]).

II.   Le Rapprochement avec l’OTAn et l’UE favorise la consolidation des relations de défense avec l’Albanie

A.   Pays stable, l’Albanie reste confrontée à de nombreux défis sécuritaires

1.   Un pays stable

Sur le plan intérieur, l’Albanie se caractérise aujourd’hui par sa stabilité. Après avoir été soumis à l’un des régimes communistes les plus sévères d’Europe, entre 1944 et 1992, puis avoir failli basculer dans la guerre civile, lors de la « crise des pyramides » en 1997, l’Albanie est désormais stable. Le Parti socialiste albanais et son leader, Edi Rama, Premier ministre depuis 2013 et reconduit dans ces fonctions en 2017, dominent la scène politique. La croissance de l’Albanie, pays parmi les plus pauvres des Balkans occidentaux, poursuit une dynamique positive entamée en 2015 avec un taux de croissance de 3,7 % en 2017, malgré la persistance de déséquilibres extérieurs et d’un chômage élevé.

Sur le plan extérieur, l’Albanie est engagée dans l’amélioration des relations de bon voisinage ce qui en fait un pays à l’influence stabilisatrice dans une région qui demeure fragile. Malgré une divergence de fond sur le statut du Kosovo et la prégnance d’irritants récurrents entre les deux pays, l’Albanie et la Serbie ont amélioré leurs relations de manière sensible depuis quelques années. Les relations avec la Grèce et la Macédoine du Nord connaissent, elles aussi, une amélioration notable grâce à la bonne volonté de Tirana. L’Albanie participe à l’ensemble des initiatives de coopération régionale et cherche à contribuer à la stabilisation durable des Balkans occidentaux.

2.   Des défis sécuritaires persistants

L’Albanie reste néanmoins confrontée à des défis sur le plan sécuritaire qui sont une source de préoccupation majeure pour les services de police de l’UE.

Malgré certains progrès réalisés ces dernières années, les réseaux criminels issus de la péninsule balkanique restent puissants, ce qui alimente un sentiment d’insécurité largement répandu. Le commerce illicite de drogue et d’armes, les opérations d’intimidation et de racket et la traite des personnes sont des phénomènes d’envergure dans cette région. En dépit de la prise de conscience des autorités, la montée en puissance dans la région d’une menace terroriste issue de l’islam radical nourri les inquiétudes. Près de 1 000 combattants djihadistes originaires des Balkans sont partis combattre en Irak et en Syrie en 2015.

Ces menaces sont rendues d’autant plus difficiles à combattre que la région des Balkans occidentaux est marquée par le trafic illégal d’un large stock d’armement hérité de l’ex-Yougoslavie. Par ailleurs, le développement de l’internet favorise la propagande au profit de l’extrémisme religieux aussi bien que le commerce illicite auxquels se livrent les groupes criminels.

B.   Modeste, la défense albanaise monte en puissance

Les forces armées albanaises comptent aujourd’hui 8 500 personnes, dont la moitié est affectée à des missions de soutien. L’armée de terre, qui compte moins de 2 400 personnes, est articulée autour de trois bataillons d’infanterie et doit faire l’objet d’un important effort de modernisation compte tenu des objectifs assignés à l’Albanie dans le cadre de l’OTAN. L’armée de l’air est exclusivement équipée d’hélicoptères et le niveau de compétences des équipages reste insuffisant et a même tendance à se dégrader. En l’absence d’avions, la police du ciel de l’Albanie est assurée alternativement par la Grèce et l’Italie. La marine est équipée de quatre patrouilleurs côtiers modernes.

En réponse aux questions adressées par le rapporteur, le ministère des affaires étrangères estime que « lexpérience opérationnelle acquise au cours de la dernière décennie, la participation régulière à des exercices multinationaux, la formation de cadres à létranger et lexistence dun système de formation autonome permettent aux armées albanaises de développer progressivement leurs compétences et, in fine, leur interopérabilité ». Le Quai d’Orsay estime par ailleurs que « lAlbanie sattache à safficher comme un allié responsable et solidaire », au travers des moyens qu’elle engage actuellement dans plusieurs missions et opérations en mer Méditerranée (opération Sea Guardian), en Afghanistan (opération Resolute Support), en Lettonie (dispositif de présence avancée renforcée – eFP pour enhanced Forward Presence) ou encore au Kosovo (Force pour le Kosovo – KFOR).

S’agissant des points faibles des forces armées albanaises, le ministère des affaires étrangères relève que « la forte politisation du système, la concentration des responsabilités au plus haut niveau de la chaîne hiérarchique et la désorganisation de lappareil administratif, constituent toujours des freins à une performance accrue ».

Les priorités de l’Albanie dans le domaine de la défense sont largement orientées par les objectifs capacitaires agréés avec ses alliés dans le cadre de l’OTAN. L’Alliance a fixé deux priorités de développement capacitaire à l’Albanie : celui d’un bataillon d’infanterie légère, avec ses appuis et soutien, à l’horizon 2023, et celui de systèmes d’information et de communication statiques, déployables et dotés de capacités de cyberdéfense.

Ces objectifs supposent, en pratique, un effort considérable pour la modernisation des équipements, la majeure partie des matériels en dotation, d’origine soviétique et chinoise, étant obsolètes et non interopérables. Or, le budget de la défense, aux alentours de 1,1 % du produit intérieur brut (PIB), devrait rester assez éloigné des 2 % auxquels les Alliés de l’OTAN se sont engagés à l’horizon 2024. Compte tenu de ces contraintes financières, l’effort de modernisation repose sur le soutien des partenaires de l’Albanie, notamment l’Italie et les États-Unis.

C.   La coopération de défense avec l’Albanie reste limitée et irrégulière

Comme pour les autres États des Balkans occidentaux, les États-Unis sont de loin le premier partenaire de l’Albanie. Néanmoins, contrairement aux autres États de la région, l’Albanie se distingue par sa volonté de préserver un relatif équilibre dans ses partenariats, laissant une place non négligeable pour d’autres acteurs. L’Italie occupe traditionnellement une place privilégiée et entretient des échanges très réguliers avec l’Albanie sur les sujets de défense ([7]). Malgré leur implantation historique dans ce pays, la Russie et la Chine ne sont pas de réels partenaires de l’Albanie dans le domaine de la défense.

Même si elle n’en est pas le premier partenaire, la France entretient une relation de défense avec l’Albanie, qui dispose encore d’un réseau francophone et francophile important. À ce jour, cette coopération bilatérale s’appuie sur un arrangement administratif signé le 13 mai 1996.

En matière de coopération structurelle, la formation a longtemps constitué la principale orientation avec l’accueil d’officiers albanais à l’École de guerre entre 1995 et 2015. Une coopération opérationnelle a également vu le jour avec la participation de l’Albanie à l’opération EUFOR Tchad/RCA en 2008 et l’embarquement en 2011 de deux officiers de marine albanais sur une frégate française dans le cadre de l’opération Atalante.

La fermeture de la mission de défense résidente à Tirana en 2008, motivée par le souci de réaliser des économies, n’a pas permis de développer davantage la coopération de défense, en dépit de la signature du contrat d’acquisition d’hélicoptères COUGAR en 2009 et de la mise en place d’un officier coopérant auprès de l’armée de l’air albanaise de 2011 à 2014 pour accompagner ce contrat et permettre aux Albanais d’opérer cette flotte de manière autonome.

Le transfert de Rome à Zagreb de la mission de défense compétente pour l’Albanie à la fin de l’année 2016 a permis de relancer la coopération bilatérale. Depuis lors, celle-ci porte surtout sur un soutien à la gestion de la flotte d’hélicoptères (maintenance, procédures de pilotage), des actions dans le domaine maritime (escales de bâtiments de la Marine nationale et, à cette occasion, formation des compétences des plongeurs démineurs albanais) et le développement du dialogue stratégique.

Dressant le bilan de cette coopération, le ministère des affaires étrangères estime que, « malgré le volume relativement faible dactivités, on peut souligner la bonne interactivité avec ce partenaire qui nhésite pas (cas suffisamment rare dans la région) à répondre à nos sollicitations et à communiquer ses besoins, pour développer utilement notre coopération bilatérale ». La réouverture de la mission de défense à Tirana, le 1er juillet 2019, devrait logiquement amener à accroître le niveau et l’intensité de la relation de défense.

D.   La coopération de défense devrait se consolider avec l’entrée de l’Albanie dans l’OTAN et son rapprochement avec l’UE

1.   L’adhésion à l’OTAN en 2009

L’adhésion à l’OTAN était une priorité de la politique étrangère albanaise, appuyée sur un consensus partagé par les partis politiques et la population. Les efforts déployés pour lutter contre la corruption et le crime organisé, d’une part, et, d’autre part, la volonté des autorités albanaises de rejoindre l’Alliance, démontrée par la hausse prévue des dépenses de défense et la participation à plusieurs forces multinationales, ont permis à l’Albanie de devenir membre à part entière de l’OTAN le 1er avril 2009.

Dix ans après cette adhésion, les engagements opérationnels de l’Albanie, avec une centaine de soldats déployés dans les opérations de l’Alliance en 2017, sont plutôt bien perçus eu égard à la taille de ses forces armées. En revanche, les ressources budgétaires et capacitaires consenties par l’Albanie restent faibles, en dépit de ses déclarations et ses engagements au sein de l’Alliance. Avec 1,1 % de son PIB consacré à la défense, un chiffre orienté à la baisse, le budget de l’Albanie est le troisième moins important de l’Alliance. En dépit des objectifs de développement capacitaire fixés par l’OTAN, l’Albanie ne consacre qu’une faible proportion de son budget de défense à la recherche et développement (R&D) et aux équipements majeurs.

2.   L’obtention du statut de pays candidat à l’adhésion à l’UE en 2014

Comme les autres pays des Balkans occidentaux, l’Albanie s’est vue reconnaître une « perspective européenne » lors du sommet de Thessalonique en 2003. Elle a obtenu le statut de pays candidat en 2014.

En avril 2018, la Commission a recommandé l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Les ministres des affaires étrangères de l’UE réunis au sein du Conseil ont souligné les progrès réalisés par l’Albanie sur la voie de son rapprochement européen mais ont reporté la décision sur l’ouverture des négociations d’adhésion au mois de juin, puis de nouveau au mois de septembre 2019, sous réserve des progrès attendus, notamment sur la réforme de la justice et la lutte contre la corruption.

Au Conseil européen du 18 octobre dernier, la France a toutefois opposé son veto à l’ouverture dès aujourd’hui des négociations avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, repoussant de facto la perspective d’adhésion de ces deux pays.

E.   Le nouvel accord ouvre la voie à un renforcement de la coopération de défense avec l’Albanie

1.   D’un arrangement technique à un accord intergouvernemental

Le nouvel accord de défense avec l’Albanie, conclu le 28 mars 2017, est destiné à se substituer à l’arrangement technique précité du 13 mai 1996. Aux termes de l’étude d’impact accompagnant le présent projet de loi, cet arrangement technique a été « rendu obsolète par lentrée de lAlbanie dans lOTAN en 2009 », tandis que certaines de ses stipulations « ne correspondaient plus aux standards retenus aujourdhui avec nos partenaires européens » car leur portée était « par nature plus limitée ». Conséquence de la dynamique initiée par l’adhésion de l’Albanie à l’OTAN et du rapprochement de l’UE, le nouvel accord permet « détendre la coopération et dintégrer les capacités albanaises, notamment dans le cadre des opérations de lOTAN ». Il s’insère dans un effort de rénovation du cadre juridique de la coopération de défense avec les États d’Europe centrale et orientale (Slovaquie, Serbie, Croatie).

Si l’Albanie ne revêt pas d’intérêt opérationnel majeur pour la France, ce pays a une influence stabilisatrice dans la zone des Balkans, grâce notamment à l’importante population albanophone implantée au Kosovo, en Macédoine du Nord et au Monténégro. L’étude d’impact prévoit ainsi que, « sur le plan géopolitique, laccord permettra également de développer des coopérations qui pourraient devenir nécessaires alors que la stabilité des Balkans redevient un sujet de préoccupation ». 

2.   Les perspectives d’approfondissement de la coopération de défense

Cet accord inscrit dans la durée l’influence militaire française en Albanie. Il devrait permettre une coopération plus étroite sur des sujets d’intérêt majeur pour les deux États (lutte contre le radicalisme, stabilisation des Balkans, sécurisation des espaces maritimes). Sur les théâtres extérieurs, la coopération avec l’Albanie est susceptible de se renforcer en Afrique, à l’instar de la coopération nouée au Tchad en 2008.

Par ailleurs, cet accord constitue un socle de coopération qui pourrait, à moyen terme, favoriser nos exportations de matériels français vers l’Albanie. En 2009, l’Albanie avait fait l’acquisition de cinq hélicoptères COUGAR et de deux hélicoptères Airbus H145 (90 millions d’euros). Plus récemment, en 2017, un contrat relatif à l’achat de systèmes NARWHAL (canons télé opérés de 20 millimètres) destinés à équiper les patrouilleurs côtiers a été conclu par l’Albanie avec la société Nexter (5,5 millions d’euros). D’autres opportunités sont susceptibles d’émerger dans la mesure où l’Albanie demeure l’un des rares pays de la région à se fournir encore de façon substantielle auprès de l’industrie d’armement française. Les pistes les plus prometteuses concernent les feux indirects, la défense sol-air de très courte portée et le domaine nucléaire radiologique biologique chimique (NRBC).

III.   Chypre est un État avec Lequel la France entretient une coopération étroite qui justifie son élargissement

A.   La Turquie forme une menace existentielle pour Chypre

Chypre a acquis son indépendance par rapport au Royaume-Uni en 1960. En 1974, en réponse à un coup d’État organisé par la Grèce des colonels en vue d’un rattachement de l’île, la Turquie est intervenue militairement pour protéger les Chypriotes turcs. Les transferts de population consécutifs à cette intervention ont abouti à une séparation géographique des deux communautés : au Sud, la communauté chypriote grecque au sein de la « République de Chypre » ; au Nord, la communauté chypriote turque, constituant une « République turque de Chypre Nord », autoproclamée en 1983, reconnue uniquement par la Turquie. La démarcation entre ces deux zones est appelée la « ligne verte » et sa protection est assurée par une force d’interposition de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Les tentatives de réunifier l’île de Chypre ont systématiquement échoué depuis 1974. En 2004, le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a soumis un projet de règlement à un double référendum, mais le « plan Annan » a été massivement rejeté par les Chypriotes grecs. Dix ans plus tard, en avril 2015, l’arrivée au pouvoir de l’actuel dirigeant de la communauté chypriote turque, Mustafa Akıncı, a enclenché une dynamique positive pour les négociations qui a débouché sur la conférence de Crans-Montana (Suisse) en juillet 2017. Cette conférence s’est toutefois soldée par un échec compte tenu de la difficulté des parties à s’entendre sur le stationnement des forces turques sur l’île.

Pour rappel, la particularité – et la difficulté – des négociations chypriotes est d’avoir lieu à un double niveau : derrière la négociation entre les parties chypriotes-grecques et chypriotes-turques se déroule une négociation qui associe les trois puissances qui, en vertu de la constitution de 1960, sont garantes de l’État chypriote, à savoir la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni. De par sa Constitution même, Chypre est un État dont la souveraineté est limitée.

L’échec de la conférence de Crans-Montana en juillet 2017 a conduit au gel de facto des négociations. L’isolement croissant de M. Akıncı, qui n’a plus la confiance d’Ankara, la crise liée aux forages dans la zone économique exclusive chypriote, la montée des tensions sur l’île et la réélection en juin 2018 du président Erdoğan ne permettent pas d’envisager avec optimisme une reprise des négociations.

Une dynamique positive est apparue à la fin de l’année 2018. En octobre, le Secrétaire général des Nations unies, M. António Guterres, a souligné que, malgré l’absence de progrès, la perspective d’un règlement restait possible, le statu quo n’étant jugé soutenable par aucune des parties. Une rencontre entre les deux présidents Níkos Anastasiades et Mustafa Akıncı a permis l’ouverture, en novembre 2018, de deux nouveaux points de passages sur la « ligne verte ». Les perspectives de reprise des négociations apparaissent pourtant faibles aux acteurs du sud de l’île et beaucoup estiment que le président Anastasiades semble préférer à la réunification un développement économique fondé sur le potentiel gazier de Chypre.

La France continue d’appuyer les efforts de la République de Chypre dans sa recherche, avec la communauté chypriote turque, d’une solution juste et durable pour la réunification de l’île, sous la forme d’une fédération bizonale et bicommunautaire, selon les principes édictés par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et dans le respect de l’acquis communautaire.

B.   La défense chypriote est principalement tournée vers la défense du territoire

L’armée chypriote, appelée garde nationale chypriote, se compose d’environ 12 000 personnes, dont près de 10 500 pour l’armée de terre. La mission principale de ces forces est la protection du territoire face aux forces turques stationnées en République turque de Chypre Nord. Cette défense du territoire, dont une partie est perçue comme étant occupée par la Turquie depuis plus de quarante ans, est réduite principalement à sa dimension terrestre.

Même si aucun document officiel ne l’atteste, un programme de modernisation de la garde nationale a été initié et une évolution de la doctrine d’emploi des forces est engagée. Afin de protéger une zone économique exclusive riche en hydrocarbures, dans laquelle la Turquie entreprend des forages pétroliers, en violation directe des conventions internationales régissant le droit de la mer, Chypre cherche désormais à renforcer la composante maritime de ses forces.

C.   L’adhésion européenne de Chypre s’explique par sa recherche de protection contre la Turquie

Chypre s’implique faiblement dans les processus d’approfondissement de l’UE, sauf lorsque les chantiers engagés peuvent lui fournir un avantage dans son rapport de force vis-à-vis de la Turquie. À ce titre, Chypre soutient le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et se montre généralement bienveillante à l’égard des propositions françaises, même si elle n’est pas elle-même force de proposition dans ce domaine.

En matière capacitaire, les Chypriotes participent à plusieurs initiatives de l’Agence européenne de défense (AED), mais le renforcement de l’industrie de défense européenne ne fait l’objet ni d’un intérêt ni d’un investissement de leur part, dans la mesure où Nicosie ne dispose que d’une industrie de défense très limitée. Dans le domaine opérationnel, la faiblesse de son budget de défense ne lui permet qu’une participation symbolique aux missions et aux opérations de la PSDC, notamment les opérations navales Atalante et Sophia.

Chypre se montre très favorable à la coopération structurée permanente (CSP) créée en 2018 pour permettre à un noyau d’États de l’UE de développer leur collaboration dans le domaine de la défense. Dans ce cadre récent, celle-ci a proposé plusieurs projets : coopération pour la protection des infrastructures énergétiques, partage de renseignement maritime, mise en réseau d’infrastructures de défense dans la périphérie de l’UE, création d’un centre d’entraînement UE.

En échange de son soutien à l’Europe de la défense, Chypre attend une protection de la part des États membres contre la Turquie. Cette protection est d’autant plus indispensable que Chypre ne peut l’espérer de la part de l’OTAN dont elle n’est pas membre, eu égard au différend qui l’oppose à la Turquie. De ce fait, à l’heure actuelle, Chypre ne fait partie d’aucun programme de l’OTAN. Toutefois, à moyen terme, une potentielle adhésion de Chypre à l’OTAN n’est pas impossible, notamment si les relations venaient à se détériorer davantage entre les États-Unis et la Turquie ou, dans une tout autre hypothèse, si les négociations interchypriotes débouchaient sur une partition officielle de l’île.

D.   La coopération de défense entre la France et Chypre est dense

La Grèce est le principal partenaire militaire de la République de Chypre et devance de très loin les autres États. Dans ses réponses aux questions du rapporteur, le ministère des affaires étrangères affirme qu’en raison de la proximité géographique et culturelle entre la Grèce et Chypre, « limbrication est absolue entre les deux armées ». La France est le deuxième partenaire militaire de la République de Chypre, devant le Royaume-Uni, qui compte pourtant deux bases souveraines sur l’île. Chypre compte fortement sur l’appui français, en complément de son appartenance à l’UE, pour contrebalancer la présence turque au sein de l’OTAN. Cette coopération dans le domaine de la défense est inscrite dans l’agenda stratégique franco-chypriote signé en octobre 2016.

Compte tenu de la position stratégique de l’île, Chypre constitue un point d’appui important dans la conduite des opérations militaires françaises en Méditerranée orientale ou pour des escales lors d’opérations françaises. Les ports chypriotes peuvent accueillir des porte-aéronefs et sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) ([8]). Par ailleurs, Chypre est une plateforme essentielle dans la perspective d’évacuations de ressortissants depuis le Liban en cas de crise majeure dans la région.

La relation de défense avec Chypre repose en grande partie sur la formation, l’entraînement des personnels et les exercices militaires. La France participe à la formation d’officiers chypriotes à l’École de guerre. Dans le domaine terrestre, l’entraînement des personnels concerne principalement les forces spéciales, et en matière aérienne, les aéronefs français sont régulièrement accueillis sur la base chypriote de Paphos pour des entraînements. Particulièrement développé, l’entraînement naval est centré sur des exercices de sauvetage et d’évacuation, des exercices d’évacuation de ressortissants ainsi que des exercices d’entraînement communs avec les batteries côtières et les navires chypriotes. La France a notamment participé, au premier semestre de l’année 2018, à l’exercice d’évacuation de ressortissants Argonaut.

Globalement très limitée, la coopération structurelle de défense s’inscrit dans une logique d’influence destinée à valoriser l’expertise française et à favoriser le positionnement des entreprises françaises à Chypre. Ces actions de coopération concernent surtout des formations en France – en 2018, un stagiaire chypriote a participé à la session annuelle de l’Institut des Hautes Études de défense nationale (IHEDN). Par ailleurs, des cours de français sont dispensés au profit des forces armées chypriotes par le biais de crédits délégués.

La crise financière et les moyens limités des forces armées chypriotes ont récemment retardé le développement de la coopération militaire bilatérale. Cette coopération est aujourd’hui en phase de redynamisation, ainsi qu’en témoigne la réouverture de la mission de défense chypriote à Paris en novembre 2017.

E.   Le nouvel accord ouvre la voie à l’élargissement du champ de la coopération de défense avec CHypre

1.   D’un accord intergouvernemental à l’autre

Conformément à son article 8, le nouvel accord de défense avec Chypre, signé le 4 avril 2017, abroge et remplace le précédent accord de coopération du 28 février 2007. Selon l’étude d’impact annexée au projet de loi, l’objectif principal du nouvel accord est de « marquer dans la durée lengagement de la France et de Chypre, ainsi que de renforcer et détendre le champ de la coopération de défense ». En effet, ce nouvel accord résulte d’une demande de la part des autorités chypriotes d’élargir la coopération à deux nouveaux domaines :

– d’une part, « la formation et léchange de connaissances et dexpériences concernant le rôle des forces armées dans le domaine de la sécurité énergétique, de la sûreté maritime, de lalerte précoce, de lévacuation de ressortissants et de la gestion de crises » (article 1er (h) de l’accord avec Chypre). Du côté chypriote, l’objectif consistait à développer la coopération avec la France dans un contexte de menaces de terrorisme, de piraterie ou d’autres actes d’hostilité ainsi qu’en cas de catastrophes naturelles ou industrielles. Du côté français, ce nouveau champ de coopération permet de répondre au contexte de hausse préoccupante de l’insécurité au Levant et de besoins accrus en matière d’évacuation des ressortissants ([9]) ;

– d’autre part, « lapport de facilités opérationnelles et de soutien logistique aux forces armées, après accord des Parties au cas par cas » (article 1er (j) de l’accord avec Chypre).

2.   Les perspectives d’approfondissement de la coopération de défense

Comme nous l’avons vu, Chypre présente un intérêt opérationnel qui en fait un point d’appui stratégique pour les opérations françaises en Méditerranée orientale et au Levant. En l’occurrence, le contexte sécuritaire au Proche-Orient ainsi que la situation politico-militaire en Turquie plaident en faveur de l’approfondissement des relations avec Chypre.

Par ailleurs, ce nouvel accord permet de nourrir une relation qui pourrait favoriser nos exportations d’armement vers Chypre à l’avenir. Chypre se distingue déjà parmi les États de la zone par sa quantité de matériels français. Les perspectives d’exportation vers Chypre concernent notamment les systèmes d’artillerie CAESAR et les patrouilleurs de haute mer.

IV.   Sur le fond, ces accords contiennent des dispositions classiques

En préambule, les deux accords font référence aux objectifs et principes de la Charte des Nations unies, aux accords sur le statut des forces de l’UE (dit « SOFA UE ») et de l’OTAN (dit « SOFA OTAN ») et aux accords bilatéraux liant déjà les États signataires dans le domaine de la défense. Selon l’étude d’impact, ces références permettent d’affirmer le fait que ces deux accords sont « pleinement compatibles avec, dune part les engagements pris par la France dans le cadre des Nations Unies (articles 2 et 51 de la Charte des Nations unies), et dautre part, avec ses engagements dans le cadre de lOTAN et de lUE ».

A.   Le champ de la coopération

Les deux accords (article 1er de l’accord avec Chypre et articles 2, 3 et 4 de l’accord avec l’Albanie) définissent les domaines dans lesquels les parties développent une coopération militaire et technique ainsi que les formes que peut prendre cette coopération. Ces deux accords évoquent notamment :

– l’échange d’expériences et de connaissance ;

– la coopération dans le domaine de l’armement ;

– l’organisation de visites ;

– la réalisation d’exercices ;

– la formation des personnels.

De manière spécifique, l’accord avec l’Albanie prévoit, à son article 11, la possibilité de mettre en place des coopérants techniques militaires auprès des autorités de l’autre partie. Si l’accord avec Chypre ne comporte pas cette mention, il ouvre un champ de coopération plus étendu, qui intègre :

– une coopération dans le domaine de la recherche militaire, scientifique et technique ;

– le développement de la coopération dans le cadre de la PSDC, notamment en matière d’organisation, entraînement, armements et transport des forces en cas d’opérations militaires de l’UE ;

– la formation et l’échange de connaissances et d’expérience concernant le rôle des forces armées dans les domaines de la sécurité énergétique, de la sûreté maritime, de l’alerte précoce, de l’évacuation de ressortissants et de la gestion de crise ;

– et, au cas par cas, l’apport de facilités opérationnelles et de soutien logistique aux forces armées.

Au-delà des champs de coopération ainsi énumérés, les deux accords prévoient que la coopération peut être développée dans tout domaine défini par entente mutuelle entre les parties. Ainsi, si les champs de coopération prévus par ces deux accords n’incluent pas explicitement le domaine du renseignement et de la cyberdéfense, les deux parties pourront, si elles le souhaitent, coopérer dans ces domaines complémentaires.

Seul l’accord conclu avec l’Albanie prévoit, à son article 6, une limite à la coopération : les membres du personnel de la partie d’origine ne peuvent en aucun cas participer à des opérations de maintien ou de rétablissement de l’ordre public ou de la sécurité sur le territoire de la partie d’accueil. Interrogé sur cette clause, le ministère des affaires étrangères estime que « cette stipulation est habituellement insérée dans les accords internationaux pour préserver notre souveraineté et protéger les personnels français déployés dans le cadre dune activité de coopération sur le territoire de lautre partie. Elle vise à éviter que des personnels qui se trouveraient, par exemple, en échange dans les forces armées de lÉtat daccueil ne soient impliqués dans des opérations nationales engageant ces forces armées ».

La coopération avec Chypre et l’Albanie prendra de nombreuses formes, et notamment la forme d’échange d’informations et de matériels classifiés qu’il est nécessaire de sécuriser. Aussi, les deux accords prévoient que ces échanges s’effectueront respectivement dans le cadre de l’accord relatif à l’échange et la protection réciproque des informations classifiées signé avec Chypre le 22 janvier 2010 (article 6 de l’accord avec Chypre) et de l’accord relatif à l’échange et la protection réciproque des informations classifiées signé avec l’Albanie le 3 mai 2011 (article 10 de l’accord avec l’Albanie).

B.   La mise en œuvre et le financement de la coopération

Les deux accords établissent un cadre pour le pilotage de la coopération. L’article 5 de l’accord avec l’Albanie prévoit la tenue de réunions bilatérales entre les représentants des ministères en charge de la défense et de la sécurité des parties et pose le principe de l’établissement de plans annuels de coopération. L’article 2 de l’accord signé avec Chypre prévoit la préparation et la validation des programmes de coopération tous les deux ans. Dans les deux cas, la mise en œuvre de l’accord peut être précisée par voie d’accords entre les parties.

Les deux accords fixent également les règles de financement de la coopération. Contrairement à l’arrangement technique franco-albanais de 1996 qui faisait supporter la majorité des coûts inhérents aux activités à la partie d’accueil, le nouvel accord stipule, à son article 7, que chaque partie prend à sa charge les frais induits par sa participation aux activités communes, bien qu’il ménage certaines exceptions, décidées au cas par cas, en particulier pour les stages. L’article 4 de l’accord avec Chypre dispose que chaque partie prend à sa charge ses propres coûts de participation aux activités de coopération prévues dans le cadre de l’accord, à moins que les parties n’en conviennent autrement. L’étude d’impact dispose que « les présents accords nemportent pas de conséquences financières notables », le coût des actions de coopération restant assez faible.

C.   Le statut des personnels

Afin de régler les questions relatives au statut des personnels, les deux accords effectuent des renvois, respectivement, au « SOFA OTAN » pour l’Albanie ([10]) et au « SOFA UE » pour Chypre. Si l’accord avec Chypre n’effectue pas, de manière explicite, un renvoi général au « SOFA UE », l’article 12 de l’accord avec l’Albanie précise que les membres du personnel et les personnes à leur charge se verront appliquer les stipulations du « SOFA OTAN ».

S’agissant des prestations de santé, l’article 5 de l’accord avec Chypre stipule que les membres du personnel de la partie d’envoi ont accès aux soins médicaux et dentaires fournis par le service de santé des armées, dans les mêmes conditions que les personnels de la partie d’accueil. En principe, ces soins sont remboursés par la partie d’origine. L’accord avec l’Albanie effectue, à son article 8, un renvoi à l’article IX du SOFA OTAN qui fixe une règle comparable, tandis que l’article 13 prévoit les dispositions applicables en cas de décès.

Les deux accords fixent des règles relatives au règlement des demandes d’indemnités en cas de dommages survenant dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord. L’article 14 de l’accord avec l’Albanie se réfère à l’application de l’article VIII du SOFA OFAN, qui fixe notamment un principe de renonciation mutuelle à toute indemnisation en cas de dommage causé aux personnels et aux biens d’une autre partie à l’occasion d’activités de coopération et prévoit les conditions de règlement des dommages aux tiers. L’article 3 de l’accord avec Chypre renvoie aux dispositions de l’article 17 du SOFA UE, qui prévoit les privilèges de juridiction des autorités de séjour et d’origine dans le cas d’infractions commises par un personnel dans le cadre de la coopération, ainsi que de l’article 18, qui précise le mode de règlement des dommages applicables entre les parties au SOFA UE.

Enfin, les conventions déterminent les règles d’imposition des revenus des personnels présents sur le territoire de l’autre partie. En application de la convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales, conclue avec l’Albanie le 24 décembre 2002 et en conformité avec l’article X du « SOFA OTAN », l’article 9 de l’accord signé avec l’Albanie précise que la domiciliation fiscale des membres du personnel et de leurs personnes à charges présents sur le territoire de l’État d’accueil est maintenue dans l’État d’origine. Si l’accord franco-chypriote ne comporte aucune stipulation portant sur l’impôt sur le revenu, il vise expressément dans son préambule la convention « SOFA UE » dont l’article 16 prévoit également le maintien de la résidence fiscale des personnels dans leur État d’origine aux fins d’application de la convention fiscale bilatérale.

D.   L’application des deux conventions

En vertu de l’article 8 de l’accord avec Chypre et de l’article 16 de l’accord avec l’Albanie, les deux accords prennent effet le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la seconde notification écrite. Si la partie albanaise a achevé les procédures internes de ratification le 4 septembre 2018, Chypre n’avait pas encore notifié son approbation de l’accord au 1er novembre 2019. Les accords sont conclus tous deux pour une durée de dix ans renouvelables pour des périodes identiques par tacite reconduction.

Les deux conventions stipulent que les différends relatifs à leur application ou à leur interprétation sont réglés par voie de négociations entre les parties (article 7 de l’accord avec Chypre et article 15 de l’accord avec l’Albanie).


Travaux de la Commission

Au cours de sa première séance du mercredi 20 novembre 2019, la commission examine le présent rapport.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous allons examiner deux projets de loi dont le premier, au rapport de Michel Herbillon, autorise la ratification de deux accords de coopération en matière de défense avec l’Albanie et Chypre. Ce projet de loi a été adopté par le Sénat le 31 janvier dernier. Je salue la présence parmi nous d’Aude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis de ce projet de loi au nom de la commission de la défense de notre assemblée. Le second projet de loi, au rapport de Mireille Clapot, porte sur l’accession de la Macédoine du Nord au traité de l’Atlantique Nord. Il a été adopté par le Sénat le 17 octobre dernier et sera examiné en séance publique demain, le 21 novembre 2019.

Les deux accords de coopération en matière de défense avec l’Albanie et Chypre ont pour vocation de développer la coopération avec les forces armées de ces deux États. Rares sont les pays avec lesquels la France ne dispose pas de relations de défense, même si celles-ci peuvent varier dans leur ampleur. En l’occurrence, la coopération avec la République de Chypre est plus intense que celle avec l’Albanie. Chypre est un point d’appui important pour nos opérations en Méditerranée orientale et le pays fait partie, en cas de crise majeure au Levant, du dispositif d’évacuation de nos ressortissants. L’accord avec l’Albanie permettra, quant à lui, de renforcer nos relations de défense avec ce pays, qui a une influence stabilisatrice dans la région des Balkans, grâce notamment à l’importante population albanophone présente au Kosovo, au Monténégro et en Macédoine du Nord.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Je vous présente deux accords de défense conclus début 2017, l’un avec l’Albanie et l’autre avec la République de Chypre. Pour rappel, la République de Chypre désigne la partie grecque de Chypre et non la partie turque, qu’aucun État ne reconnaît, à l’exception de la Turquie.

La France dispose de relations de défense avec un grand nombre de pays dans le monde, même si l’intensité de ces relations peut varier. Ces relations sont prévues soit par des accords multilatéraux, dont le plus important est le traité de l’Atlantique Nord, soit par des accords bilatéraux, comme ceux dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Ces accords bilatéraux de défense sont des outils conventionnels classiques. Ils ont pour vocation d’ouvrir des champs de coopération avec les forces armées d’un autre État. Concrètement, ils énumèrent une série de domaines ouverts à la coopération comme l’armement ou les entraînements militaires. Ils contiennent souvent une clause qui permet aux deux parties de développer leur coopération au-delà de ce qui est prévu dans l’accord. C’est ici le cas.

Ces dispositions sont complétées par de nombreuses règles applicables au personnel présent sur le territoire de la partie d’accueil. Elles sont destinées à sécuriser juridiquement les forces déployées à l’étranger d’une part et, d’autre part, à faciliter le déroulement des actions de coopération. Elles règlent notamment la prise en charge des frais de santé, l’indemnisation des dommages et l’imposition des revenus des personnels présents à l’étranger.

La particularité de ces deux accords tient davantage aux pays avec lesquels ils ont été conclus qu’à leurs dispositions propres.

En ce qui concerne Chypre, la coopération de défense est traditionnellement plus intense que celle avec l’Albanie. La République de Chypre est divisée depuis l’intervention militaire turque en 1974 destinée à faire échec à la tentative du régime grec d’alors, le régime des colonels, de rattacher l’île de Chypre à la Grèce. Les multiples tentatives de négociation, du plan « Annan » de 2004 à la conférence de Crans-Montana de 2017, ont échoué.

En attendant la réunification de l’île, les Chypriotes grecs font face à une menace existentielle incarnée par la Turquie. Toute la défense chypriote grecque est orientée vers la protection du territoire contre les Turcs. Aujourd’hui, Chypre tente de renforcer ses forces maritimes pour protéger sa zone économique exclusive (ZEE), riche en hydrocarbures et dans laquelle la Turquie entreprend des forages pétroliers, en violation directe de la souveraineté chypriote et européenne. Chypre est, en effet, membre de l’Union européenne.

La France a développé une coopération militaire très dense avec la République de Chypre qui prend la forme d’entraînements et d’exercices conjoints. Nous sommes le deuxième partenaire militaire de ce pays, derrière la Grèce et devant le Royaume-Uni qui dispose pourtant de deux bases militaires sur l’île.

Pour la France, Chypre présente un double intérêt. D’abord, cette île constitue un point d’appui important pour conduire des opérations militaires en Méditerranée orientale et pour réaliser des escales lors des opérations hors de la région. Les ports chypriotes peuvent notamment accueillir des sous-marins nucléaires d’attaque. D’autre part, Chypre est une plateforme essentielle dans la perspective d’une évacuation de nos ressortissants, notamment depuis le Liban.

L’évolution du contexte sécuritaire au Moyen-Orient et de la situation politico-militaire en Turquie justifie aujourd’hui l’approfondissement de notre coopération de défense avec Chypre, en particulier dans deux domaines, la gestion de crise et le soutien opérationnel.

Après une histoire mouvementée sous le communisme, l’Albanie s’est stabilisée économiquement et politiquement. L’Albanie continue de faire face à des défis sécuritaires importants, notamment la criminalité organisée et l’islamisme radical. L’Albanie partage ces défis avec les Balkans dans leur ensemble. À titre d’illustration, ce sont près de mille combattants originaires des Balkans qui sont partis faire le djihad en Syrie et en Irak.

La défense albanaise reste modeste et représente 1,1 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Néanmoins, cette défense se modernise sous l’effet des objectifs capacitaires fixés par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). L’Albanie a rejoint l’OTAN en 2009. Il faut saluer l’engagement de ce pays dans plusieurs opérations militaires internationales, de l’Afghanistan au Kosovo en passant par l’est de l’Europe.

La France ne fait certes pas partie des partenaires majeurs de l’Albanie sur le plan militaire. Toutefois, si l’Albanie ne présente pas d’intérêt opérationnel pour la France, elle présente une importance stratégique compte tenu de sa localisation et de l’influence stabilisatrice de ce pays sur les Balkans. Ces dernières années, l’Albanie a beaucoup œuvré à l’amélioration de ses relations avec ses voisins, la Serbie, la Macédoine du Nord et la Grèce.

Il y a aujourd’hui une « fenêtre d’opportunité » pour développer nos relations de coopération en matière de défense avec l’Albanie, parce que ce pays veut diversifier ses alliances et qu’il dispose d’un réseau francophone et francophile favorable à nos intérêts. Surtout, alors que la France vient de fermer la porte de l’Union européenne à l’Albanie et à la Macédoine du Nord, il faut signifier l’importance que nous attachons au renforcement des liens avec ce pays. Cet accord de coopération fait suite à la réouverture de la mission de défense à Tirana, qui avait été fermée en 2008. La ratification de cet accord permettra d’avancer sur des sujets d’intérêt commun comme la lutte contre la radicalisation, la sécurisation des espaces maritimes ou la stabilisation des Balkans.

Ces deux conventions présentent donc l’intérêt de renforcer l’influence française dans les Balkans et en Méditerranée orientale. Même si leur budget de défense reste modeste, les deux pays sont également des clients de l’industrie d’armement française.

Compte tenu des bénéfices dont sont porteurs ces deux accords, j’invite notre commission à en autoriser la ratification.

Mme Aude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis. Il n’est pas fréquent que la commission de la défense se saisisse pour avis des textes dont la commission des affaires étrangères est saisie au fond. Nous avons cependant décidé de le faire davantage dans les formes prévues par le Règlement révisé au printemps dernier. Votre rapporteure pour avis ne peut que regretter que ses conclusions ne fassent plus l’objet d’un rapport spécifique. Prenons-en notre parti : une annexe au rapport au fond du rapporteur est déjà une très bonne chose.

Je le répète : la commission de la défense a choisi de se saisir pour avis des accords de défense dont la ratification est autorisée par le Parlement. Nous considérons que ces accords méritent d’être étudiés sous un angle militaire en complément de l’excellent travail de la commission des affaires étrangères. Cela paraît d’autant plus important dans un contexte où la coopération entre pays se résume de moins en moins au jeu des grands blocs.

Les deux accords n’ont pas la même portée. L’accord franco-chypriote vient consolider une relation déjà bien ancrée, tandis que l’accord franco-albanais s’inscrit dans une logique d’accroissement de notre présence dans les Balkans occidentaux.

La France est le deuxième partenaire militaire de Chypre. Cette coopération est mutuellement bénéfique. Les Chypriotes grecs sont demandeurs de signes de réassurance et d’échanges en matière opérationnelle, organique et capacitaire en vue d’entretenir leurs capacités militaires. Nos armées, elles, ont des intérêts très directs pour plusieurs de leurs fonctions stratégiques : intervention, prévention, protection mais aussi connaissance et anticipation. Chypre est en effet la porte du Levant.

L’accord de 2007 avait été conclu sur la base du retour d’expérience de l’opération d’évacuation de ressortissants (« REVESAC ») lors de la crise libanaise de 2006. Il s’agit ici de défendre nos intérêts contre les pressions turques dans la ZEE de Chypre, où Total partage avec l’italien ENI l’essentiel des zones de forages d’hydrocarbures. Les Turcs conduisent des manœuvres d’intimidation musclées, notamment contre des bateaux français ou italiens. Pour répondre à ces intimidations, les facilités logistiques consenties par Chypre nous sont fort utiles. Le trafic militaire est de plus en plus fort en Méditerranée orientale. L’un des enjeux de cet accord est aussi d’éviter tout effet d’éviction à notre détriment.

Sur l’Albanie, je souligne simplement l’intérêt pour nos armées de réinvestir une part de leur effort de rayonnement dans les Balkans. L’Albanie est devenue un fournisseur de sécurité, auprès duquel les États-Unis ont une influence considérable. Afin que les Albanais rééquilibrent leurs relations en faveur des Européens, il faut entretenir avec eux des liens quotidiens. Le retour de la France au sein de la force européenne « Althea » y contribue, de même que la réouverture d’un poste d’attaché de défense à Tirana.

À mes yeux, l’effort doit désormais porter sur la réouverture de places pour les stagiaires étrangers dans nos écoles militaires, à tous les stades de la formation. Ces places ont été fermées pour réaliser des économies assez dérisoires. On s’est ainsi privé d’un levier d’influence à long-terme dans le monde.

Mme Liliana Tanguy. Ces accords de défense visent à renforcer nos relations bilatérales avec deux pays clés pour l’avenir de l’Europe. Nous entretenons déjà d’étroites relations avec ces deux pays, tant dans le cadre de l’OTAN avec l’Albanie que de l’Union européenne avec Chypre. En ce sens, l’adoption de ces deux accords paraît pertinente à plusieurs égards.

Concernant l’Albanie, rappelons que la France est à l’initiative de cet accord qui s’inscrit dans un projet de rénovation du cadre juridique de coopération de défense avec les États d’Europe centrale et orientale. En matière de politique de défense, l’Albanie consacre 1,1 % de son PIB à son budget de défense et le pays a pour objectif de développer ses capacités militaires. À cela s’ajoute la volonté albanaise de moderniser ses équipements de défense, ce qui pourrait ouvrir des opportunités pour l’industrie de défense française.

Concernant Chypre, l’accord remplace un précédent accord de coopération datant de 2017 et, là aussi, le nouvel accord se justifie à plusieurs égards. La relance du programme d’acquisition de matériels engagé par Chypre pourrait lui aussi représenter une opportunité pour l’industrie de la défense française. De plus, si Chypre n’est pas membre de l’OTAN, ce pays participe à l’Europe de la défense dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune et soutient nombre d’initiatives dans ce cadre. L’emplacement stratégique du pays et les enjeux géopolitiques au Moyen-Orient et en Turquie incitent au maintien de ces bonnes relations. Enfin, l’accord permet de redynamiser les relations bilatérales entre nos deux pays.

Le nouveau cadre définit par ces deux accords permettra donc de renforcer l’influence française dans la région. Par conséquent, au nom du groupe La République en Marche, j’invite notre commission à adopter ce projet de loi.

M. Didier Quentin. S’agissant de l’accord avec Chypre, pouvez-vous préciser les réactions attendues de la part des autorités d’Ankara ? Quelles sont les conditions actuelles de passage de la zone chypriote grecque à la zone chypriote turque ? Vous avez également parlé de plateforme d’évacuation en cas de crise : quelles sont les dispositions prises dans ce domaine compte tenu des événements se déroulant au Moyen-Orient ?

Sur l’Albanie, que pouvez-vous dire de la situation politique dans ce pays ? Les conditions politiques d’un tel accord sont-elles réunies au regard des fragilités que connaît le pays ? Quel sera l’impact d’un tel accord alors que nous essayons en parallèle de retrouver des relations apaisées avec les Balkans et notamment la Serbie ? L’Albanie peut-elle vraiment avoir une influence stabilisatrice dans cette région ?

M. Frédéric Petit. Il faut rappeler que ces accords bilatéraux ont pour toile de fond des accords multilatéraux.

En ce qui concerne l’Albanie, le pays est beaucoup plus stable que ce que l’on croit. Il serait intéressant d’évaluer les accords bilatéraux qui existent dans les Balkans. Par ailleurs, il faut rappeler que l’Albanie est tournée vers la mer, avec une tradition de port et d’industrie maritime importante, d’où l’intérêt de développer nos relations avec ce pays.

Tout a été dit sur Chypre. Compte tenu de la situation en Syrie et en Turquie, il est fondamental que nous restions présents dans cette région.

Je soutiens l’idée de faire venir des militaires étrangers et de les former dans nos écoles. Le groupe Modem soutient évidemment ces accords.

M. Alain David. S’il est justifié de conclure des accords militaires, j’estime préférable de conclure des accords qui ne se limitent pas à un seul domaine. Aussi, dans le cas de l’Albanie, pensez-vous que ce texte puisse représenter un premier pas vers la prise en compte des efforts indéniables réalisés par les autorités albanaises pour d’adhérer à l’Union européenne ou, au contraire, est-ce une façon de limiter la coopération à des domaines précis afin de couper court à toute perspective d’intégration ?

Concernant la République de Chypre, l’accord pourrait-il permettre d’arrimer plus fermement Chypre à la politique de sécurité et de défense commune ? En effet, la situation tendue avec la Turquie ne conduit-elle pas parfois les autorités chypriotes à se rapprocher des positions turques au détriment des positions européennes ?

M. Christophe Naegelen. On parle d’un sujet finalement assez basique : il s’agit de renforcer la coopération dans le domaine de la défense. Cependant, les deux cas présentés sont très différents.

Géographiquement, Chypre est très proche de la Turquie et de la Russie. Quelles pourraient être les conséquences de la signature d’un tel accord vis-à-vis de ces deux pays ?

Par ailleurs, a-t-on déjà signé de tels accords avec les pays voisins de l’Albanie ? On sait, en effet, que les pays de la région ont tendance à analyser ce type d’accord.

Mme Frédérique Dumas. Le contexte géopolitique actuel nous pousse à réaliser un effort de défense au niveau national mais aussi à développer nos coopérations en matière de défense. Ce projet de loi, déjà adopté par le Sénat, est cohérent puisqu’il s’inscrit dans la lignée d’autres procédures bilatérales et multilatérales qui permettront de construire une solide coopération en matière de défense dans cette région. L’Albanie est membre de l’OTAN depuis 2009 et Chypre est membre de l’Union européenne depuis 2004. Les deux accords bilatéraux renforceront les coopérations déjà existantes et contribueront à la stabilité des régions concernées.

Concernant l’Albanie, votre rapport, comme celui du Sénat, met en exergue le vieillissement des équipements albanais et l’insuffisance des efforts budgétaires réalisés par l’Albanie en matière de défense. La coopération avec la France dans ce domaine pourrait permettre de faire évoluer en partie cette situation.

Concernant Chypre, l’accord est fondé sur la réciprocité comme en atteste son article 4. Chypre étant un pays insulaire, l’élaboration d’une stratégie maritime solide est indispensable. Son rôle dans l’élaboration de la stratégie de sûreté maritime de l’Union européenne a été important. L’accord permettra donc de renforcer les connaissances de la France concernant certains domaines militaires spécifiques, et inversement.

Ces deux accords ne peuvent que contribuer à l’apaisement d’éventuels conflits dans cette région. La coopération franco-albanaise permettra également des échanges de connaissances dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et le radicalisme. Chypre, où l’armée turque est présente depuis 1974, a largement participé à la construction de l’Europe de la défense, ce qui lui permet de profiter d’une protection européenne accrue. Cet accord bilatéral devrait permettre à Chypre de renforcer les conditions de cette protection. C’est pourquoi le groupe Libertés et Territoires votera en faveur de ces accords.

M. Jean-Paul Lecoq. Je suis surpris de voir, dans un même texte, deux accords aussi différents, conclus sur deux sujets différents, avec deux pays aussi différents. Deux accords de ce type devraient faire l’objet de deux projets de loi distincts.

Entre Chypre et la Turquie, quel choix fera la France ? Par ailleurs, alors que les accords de défense sont censés favoriser la paix, l’accord avec Chypre favorise le « business », en particulier celui des hydrocarbures. C’est la même chose en ce qui concerne l’Albanie. La France désire cet accord non pas pour la paix mais pour les ventes d’armes.

Le groupe de la Gauche démocrate et république (GDR) ne peut pas soutenir des accords avec de tels objectifs. Les accords de défense doivent soutenir la paix. Nous considérons, par ailleurs, que le Règlement de l’Assemblée nationale doit être révisé afin que ces accords soient signés après avoir obtenu l’avis préalable du Parlement et ne fassent pas seulement l’objet d’un vote a posteriori pour autoriser la ratification.

M. Jean-Louis Bourlanges. Nous sommes dans une situation paradoxale. L’Union européenne a ouvert des négociations en vue d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne, alors que ce pays a envahi un de ses membres. Nous sommes par ailleurs régis par des accords de solidarité avec la Turquie, notamment le traité de l’Atlantique Nord fondé sur l’article 5. Quelle est l’incidence de ce type d’accord de coopération avec Chypre par rapport à des engagements confus que nous avons avec son adversaire, la Turquie ?

Sur l’Albanie, il faut rappeler l’importance des enjeux de sécurité en matière de lutte contre le crime organisé. En quoi ces accords de coopération prennent-ils en compte les enjeux sécuritaires ?

Mme Valérie Boyer. Ce rapport parle enfin de la présence turque à Chypre. Cela fait vingt ans que Chypre a rejoint l’Union européenne, en tant que territoire divisé.

De par sa position géostratégique, Chypre, véritable carrefour commercial entre l’Orient et l’Occident, a toujours attisé les convoitises. Mais depuis 1974, Chypre est divisé par une ligne de démarcation longue de 180 kilomètres contrôlée par les Nations unies. Je rappelle que, le 15 novembre dernier, Ankara a célébré l’anniversaire de la délivrance de la république turque de Chypre du Nord, reconnue seulement par la Turquie.

Les citoyens qui vivent dans cette partie Nord de Chypre ont pourtant un passeport européen et peuvent voter aux élections européennes. Voilà des années que plusieurs parlementaires dénoncent cette situation dans une indifférence générale. La Turquie a passé avec l’Union européenne un accord de « sous-traitance » des djihadistes et des réfugiés qui ouvre la voie à tous les chantages. Je rappelle aussi que la Turquie interdit toujours l’accès aux ports et aéroports turcs aux bateaux et aéronefs ayant transité par Chypre.

Pour justifier son opposition aux activités des entreprises étrangères qui prospectent dans les eaux chypriotes, Erdoğan explique « défendre les droits inaliénables de la communauté chypriote turque sur les ressources naturelles de lensemble de Chypre », y compris la partie non occupée par l’armée turque. La Turquie est aujourd’hui loin d’obtempérer aux demandes européennes visant à cesser de menacer Chypre. La Turquie a envoyé début octobre un navire de forage pétrolier en violation de la ZEE de Chypre.

La France est le deuxième partenaire militaire de Chypre, après la Grèce. Chypre compte sur l’appui français pour maintenir une présence militaire dans la région.

Comment avons-nous pu commencer à négocier l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, alors que ce pays occupait un pays européen et que, dans la partie occupée de Chypre, des choses abominables se passaient, notamment du trafic d’êtres humains et de la prostitution ? Aujourd’hui, Erdoğan opère aussi un nettoyage ethnique des Kurdes et reste flou sur sa position vis-à-vis de l’État islamique. Notre commission devrait adopter une résolution, afin de condamner unanimement l’occupation militaire de Chypre.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je rejoins mes collègues sur le problème de la criminalité organisée en Albanie et de l’immigration, une grande partie des déboutés du droit d’asile étant albanais. Y a-t-il eu, en contrepartie de cet accord de défense, une négociation, afin que l’Albanie reprenne ces déboutés du droit d’asile ?

Sur Chypre et la Turquie, on peut signer un accord avec Chypre mais on ne peut pas continuer à jouer la faiblesse avec Erdoğan. Personne ne rappelle que des produits turcs sont exonérés de tous droits de douanes dans l’Union européenne. L’Union européenne a un élément de pression considérable sur l’économie turque si elle avait la volonté d’agir.

Or, on a cédé sur l’occupation turque et nous payons cher le retour des djihadistes en Europe. Erdoğan se sert de ce retour pour faire pression sur l’Union européenne. La violation des eaux territoriales de Chypre s’ajoute à ce problème.

Par ailleurs, la Turquie finance la construction d’une des plus grandes mosquées d’Europe en Alsace et fait pression sur des maires de la région lorsqu’il n’y a pas un comportement de soumission à l’égard de la communauté représentant Erdoğan en France. Il ne s’agit donc pas seulement d’une ingérence à Chypre, mais d’une ingérence sur notre territoire. Il faut arrêter la soumission à Erdoğan sans pour autant confondre Erdoğan et la Turquie.

Michel Herbillon, rapporteur. S’agissant de l’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord à l’Union européenne, une décision a été prise lors du dernier Conseil européen. La France a donné l’impression d’opposer son veto, puis le Gouvernement a semblé vouloir nuancer cette position par la suite. La ligne de l’exécutif n’est plus très claire aujourd’hui. Tous les avis ne sont pas les mêmes, mais il me semble que la position française est celle d’une opposition à l’entrée de l’Albanie et de la Macédoine du Nord dans l’Union européenne.

Tant qu’on ne fera pas de la pédagogie aux citoyens sur l’Europe, on ne pourra régler cette question de l’élargissement. Nous ne l’avons pas fait en 2005 et cette fuite en avant continue aujourd’hui. Ce n’est pas en faisant entrer des pays dans l’Union européenne de manière confidentielle que l’on réconciliera les citoyens avec les questions européennes. Cette question de l’élargissement, notamment celle qui concerne l’adhésion des Balkans, doit être replacée dans le débat public.

Bien sûr, ces accords favoriseront les ventes d’armement français, mais l’objectif n’est pas en premier lieu de faire du « business ».

Comme la rapporteure pour avis, je pense qu’il faut renforcer la formation des militaires de ces pays dans notre École de guerre et dans les écoles d’application. On a, dans ce domaine, une expertise française que nous devons promouvoir.

En ce qui concerne les voisins de Chypre, la France a signé des accords de défense avec le Liban, la Turquie et la Grèce. La France a également conclu des accords avec les voisins de l’Albanie, le Monténégro, la Macédoine du Nord et l’Italie.

Mme Aude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis. Pour être précis, il n’y a pas eu d’échange d’élèves albanais depuis quatre ans et il s’agit d’une vraie demande de l’Albanie. On a perdu ce réseau d’échanges d’élèves, qui favorisait la confiance entre nos armées. Il faut y travailler d’autant plus que le coût n’est pas excessif.

Jean-Paul Lecoq, il n’y a pas que les ventes d’armes. Le partenariat avec l’Albanie permet aussi d’obtenir du renseignement, ce qui permet de stabiliser la région.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Jean-Paul Lecoq, le Gouvernement seul a l’initiative des projets de lois et de leur forme. Contraindre le Gouvernement passerait, non pas par une révision du Règlement de notre assemblée, mais par une réforme constitutionnelle.

La commission adopte larticle 1er et puis larticle 2.

Elle adopte ensuite le projet de loi sans modification.

 

 


   Annexe : Texte adopté par la Commission

 

Article 1er

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de la République d’Albanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense, signé à Paris le 28 mars 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

Article 2

Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération en matière de défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre, signé à Paris le 4 avril 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 1631).


—  1  —

   AVIS DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE
ET DES FORCES ARMÉES


—  1  —

 

 

La commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis du projet de loi (n° 1631), adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de la République d’Albanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de l’accord de coopération en matière de défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre.

Elle a en effet considéré, d’une part, qu’elle ne saurait pleinement exercer sa mission de contrôle de notre politique de défense sans étudier de façon approfondie les coopérations bilatérales que noue notre pays en la matière et, d’autre part, qu’une analyse de ces accords au prisme qui est le sien – celui des intérêts de la défense nationale – pourrait apporter à notre Assemblée un éclairage complémentaire et utile à la compréhension des enjeux qui s’attachent à ces coopérations.

C’est dans cette optique que la rapporteure pour avis a conduit ses travaux, et qu’elle en présente ici les résultats. Il ne s’agit pas, pour elle, de revenir sur le contexte international général ou de commenter une à une les stipulations des accords en question, ce qui relève bien entendu des compétences de la commission saisie au fond. La rapporteure pour avis s’est attachée, au contraire, à une étude spécifique des enjeux de ces coopérations pour notre politique de défense nationale.

Suivant son avis, la commission de la Défense nationale et des forces armées a émis un avis favorable à l’adoption du présent projet de loi.

I.   l’accord de coopération franco-chypriote, instrument de consolidation d’un partenariat déjà ancien

La coopération franco-chypriote dans le domaine de la défense est ancienne et vue par les états-majors des deux Parties comme étant solide et fructueuse. Elle est mutuellement bénéfique : l’appui français a contribué à la mise sur pied de l’outil de défense chypriote, tout en permettant à la France de trouver auprès de ce pays ami et allié un relais sûr pour ses opérations en mer Méditerranée orientale et au Levant.

A.   la République de Chypre est un partenaire militaire incontournable dans une zone stratégique

Avec l’occupation d’un tiers environ de l’île de Chypre par la Turquie depuis 1974, la République de Chypre a dû mettre sur pied des forces armées orientées par une posture essentiellement défensive. De façon cohérente avec la démographie du pays, ces forces ont un format modeste ; ne serait-ce que pour équiper et entraîner ses forces, le pays a donc développé des partenariats militaires. Il s’est très tôt tourné vers la France, qui a trouvé en retour un grand intérêt opérationnel à coopérer avec un partenaire fiable, dans une zone où les enjeux stratégiques conduisent régulièrement nos armées à se déployer.

1.   Un partenaire militaire historique

a.   Une longue relation de défense

La France est depuis longtemps le deuxième partenaire militaire de Chypre – après la Grèce.

S. E. M. Pantias Eliades, Ambassadeur de la République de Chypre en France, a souligné que la relation de défense franco-chypriote remonte à aux années 1980, à une époque où Chypre avait besoin d’acquérir des armements mais essuyait les refus d’autres pays, soulignant la qualité de cette relation.

D’ailleurs, les forces chypriotes utilisent nombre de matériels français – on citera notamment des chars lourds AMX-30, dont Chypre a utilisé jusqu’à 154 exemplaires. Cette relation d’armement se poursuit encore aujourd’hui. Selon les informations fournies à la rapporteure pour avis, les prospects de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) à Chypre pour 2020 sont tout à fait substantiels : on les évalue à 250 millions d'euros, incluant notamment des radars et des missiles Exocet, Mistral 3 et MMP.

b.   Un outil militaire orienté surtout par une posture défensive

Selon les explications de l’ambassadeur de Chypre, les armées chypriotes comptent environ 15 000 hommes, dont 12 000 dans l’armée de terre, 1 500 dans la marine et 1 500 dans les forces aériennes et anti-aériennes. La République de Chypre ne dispose ni d’une armée de l’air de grande envergure – principalement des capacités anti-aériennes –, ni d’une marine océanique ‒ elle ne met en œuvre que des patrouilleurs. Dans le contexte de l’occupation d’un tiers de son territoire par la Turquie, elle a en effet privilégié, pour l’organisation de son système de défense des moyens défensifs contre les moyens navals, aériens ou terrestres ennemis ‒ on rappellera que Chypre fait partie du « club Exocet ».

La République de Chypre a donc une politique de défense « à sa mesure », orientée vers la défensive, face aux forces massées par la Turquie dans le nord de l’île depuis 1974.

La Turquie, elle, entretient en effet jusqu’à 33 000 militaires turcs dans le tiers de l’île qu’elle occupe – qu’elle se trouve seule à reconnaître comme État sous le nom de République turque de Chypre du Nord (RTCN) –, auxquels sont adjoints 3 000 Chypriotes du nord. Ces forces comprennent notamment une brigade blindée et deux divisions d’infanterie mécanisée, ainsi que des batteries d’artillerie de campagne. L’attaché de défense chypriote a évalué à 300 engins le nombre de chars de combat turcs placés sur la ligne de démarcation, dont 42 véhicules blindés lourds fournis par un pays européen. Selon lui, la Turquie entretient également dans le nord de l’île des moyens aériens permettant de frapper le sud en sept minutes, et d’imposer un blocus naval en sept heures seulement.

L’asymétrie des forces en présence explique tant la posture très nettement défensive des forces chypriote, que le souhait de la Partie chypriote de nouer des relations de coopération militaire avec des puissances européennes. L’intérêt militaire que trouve la France dans ce partenariat tient moins à l’apport des forces chypriotes aux opérations françaises et européennes qu’à la position géographique très privilégiée de l’île dans une région où la France possède des intérêts.

2.   Une situation géographique de plus en plus stratégique pour nos opérations et nos approvisionnements

La situation géographique de l’île de Chypre présente un intérêt évident par sa proximité du Levant – on rappellera que Nicosie est même située plus à l’est qu’Ankara. La récente découverte de gisements d’hydrocarbures a encore renforcé l’intérêt stratégique de la zone.

a.   Un point d’ancrage incontournable en mer Méditerranée orientale

Comme l’a fait valoir l’état-major des armées, Chypre occupe une place importante dans notre stratégie militaire pour la Méditerranée, qui repose sur quelques points d’appui – principalement Chypre, Malte et la Grèce –, notamment pour les opérations d’évacuation de résidents (RESEVAC) au Proche et au Moyen Orient. Cette place explique d’ailleurs que l’appui logistique tienne une part importante dans l’accord intergouvernemental.

M. l’ambassadeur, qui a indiqué avoir été personnellement en charge de la négociation de l’accord depuis 2006, a rappelé que les Parties avaient engagé ces discussions après la crise libanaise de 2006. En effet, lors des événements en question, 78 000 ressortissants européens ont dû être évacués du Liban par les armées françaises, la voie chypriote étant la seule envisageable ; cette crise a ainsi montré combien la position de Chypre, territoire européen le plus septentrional, était incontournable dans la gestion des crises du Proche-Orient. Or, à cette époque, aucun accord ne régissait de telles opérations, qui ont dû être conduites dans les circonstances d’autant plus compliquées que la saison touristique battait alors son plein, saturant les capacités du pays en hébergement et en moyens de transport.

C’est ainsi que, le 28 février 2007, a été signé un premier accord de coopération en matière de défense entre la France et Chypre. M. l’ambassadeur a souligné que les relations bilatérales et militaires franco-chypriotes ont connu à la suite de cet accord « un remarquable essor », dont il s’est félicité. L’accord d’avril 2017, dont est demandée aujourd’hui la ratification par le Parlement, est appelé à se substituer à cet accord de 2007.

Ainsi, en 2018, Chypre a accueilli 108 atterrissages et décollages d’aéronefs militaires français, six exercices bilatéraux et 31 appontages de navires militaires français ; l’activité, dans les premiers mois de l’année en cours, est marquée par davantage d’exercices (dix-sept), seulement 18 atterrissages et décollages et d’ores et déjà le même nombre d’appontages qu’en 2018. L’ambassadeur de Chypre a précisé que toutes les prestations fournies à la base aérienne de Paphos étant offertes à la France, le coût en est nul pour le Trésor français.

b.   Des intérêts français dans les richesses nouvelles de la zone économique exclusive de Chypre

La découverte récente de gisements d’hydrocarbures en Méditerranée orientale, y compris dans la zone économique exclusive (ZEE) de la République de Chypre, a contribué à une modification des équilibres géostratégiques en Méditerranée orientale.

Chypre a en effet privilégié, dans l’exploitation de ces ressources, deux partenariats avec la France et l’Italie, deux autres parcelles de sa ZEE étant réservées à des Américains. Total et l’Italien ENI ont ainsi obtenu des concessions pour l’exploration et l’exploitation de champs d’hydrocarbures au large des côtes méridionales de l’île ‒ de même, d’ailleurs, que Total l’a fait en Égypte.

Néanmoins, par nature, l’existence de telles richesses ne laisse pas indifférents certains États moins bienveillants que d’autres. En particulier, a fait valoir l’ambassadeur de Chypre, les Turcs font du droit international maritime une lecture très personnelle ‒ et contestable , arguant que les îles telles que Chypre n’ont pas plateau continental, donc pas de ZEE. En outre, il met en exergue un paradoxe dans la lecture faite par la Turquie du droit de Montego Bay ([11]), dans la mesure où elle se fonde sur l’interprétation susmentionnée pour dénier à Chypre le droit de revendiquer une ZEE, alors que les Turcs soutiennent, « de façon paradoxale et arbitraire », les revendications de droits souverains exprimées par l’autorité de fait se disant République turque de Chypre du Nord sur une ZEE, qui d’ailleurs empiéteraient au sud-est de l’île sur celle appartenant à la République de Chypre.

L’enjeu de cette contestation est majeur à deux égards au moins :

‒ il peut frapper directement les intérêts économiques de la France. Ainsi, le 19 septembre 2019, la Turquie a publié une déclaration officielle mettant en garde Total et ENI contre ce que la Turquie voit comme une exploitation de ressources sans autorisation dans ce qu’elle considère comme sa zone économique exclusive ou celle de la RTCN. Selon l’ambassadeur de Chypre, les Turcs auraient fait circuler cette déclaration à l’assemblée générale des Nations-Unies ;

‒ niant l’existence de plateaux continentaux pour les îles, la Turquie chercherait à se construire une zone d’influence de grande ampleur en Méditerranée. Selon l’ambassadeur de Chypre, elle discuterait d’ailleurs actuellement avec les autorités libyennes de la délimitation de leurs ZEE respectives. De façon générale, on peut d’ailleurs estimer que le retrait américain du Proche-Orient, bien amorcé, crée un appel d’air dont des puissances régionales comme la Turquie ne manqueront pas de tirer profit. C’est là l’un des prismes auxquels l’on peut analyser, entre autres développements récents de l’actualité stratégique, l’invasion turque du nord de la Syrie.

Les pressions turques dans la ZEE de Chypre prennent une tournure clairement militaire et pourraient menacer directement nos intérêts. Ces pressions se manifestent notamment par des manœuvres d’intimidation autour des plateformes pétrolières offshore au large de l’île. En février 2018, les Italiens ont envoyé une frégate défendre une zone de prospection concédée à ENI ; face à cinq frégates turques, elle a dû se résoudre à une manœuvre de demi-tour. En juillet 2017, un navire affrété par Total a été approché dans les mêmes conditions, auprès d’une des plateformes du groupe français ; une frégate française croisait aux alentours et a su prendre les mesures nécessaires pour que ce soient les navires militaires turcs qui fassent demi-tour.

B.   L’accord de coopération du 4 avril 2017 vise à consolider et à approfondir le partenariat franco-chypriote

1.   Une volonté d’approfondissement la coopération bilatérale répondant aux besoins de réassurance de la Partie chypriote

La montée des tensions sur la Méditerranée orientale et à ses abords, et particulièrement les pressions turques, ne peuvent que conduire les Chypriotes à être davantage que par le passé demandeurs de signes de réassurance. C’est en ce sens que l’on peut analyser les possibilités d’approfondissement de la coopération militaire franco-chypriote qu’ouvre l’accord intergouvernemental.

Celui-ci prévoit l’élaboration de plans d’action franco-chypriotes de coopération militaire portant sur une période de deux ans. Cet accord est d’ailleurs ambitieux à cet égard, mentionnant la participation à des exercices ainsi que les transferts de forces et d’unités. Les plans biannuels pourront intégrer aussi des actions de formation et d’échange de connaissance et d’expérience en matière de sécurité énergétique, de sûreté maritime, d’alerte précoce, d’évacuation des ressortissants et de gestion de crise. Ces actions feront l’objet d’un plan élaboré tous les deux ans.

Les Chypriotes sont d’ailleurs les premiers Européens à avoir, à notre demande, effectué un don de 100 000 munitions AK 47 au profit de la mission EUTM-RCA, munitions transportées en juin dernier par la France, ce qui constitue une application concrète de l’accord.

Pour ce qui est en revanche d’éventuelles opérations d’évacuation des ressortissants européens, un autre accord intergouvernemental franco-chypriote spécifique est en discussion depuis 2013 ; il inclura un volet « SOFA » (pour Status of Forces Agreement, accord sur le statut des forces) fixant le régime juridique applicable aux quelque 3 000 militaires Français qu’il est prévu de pouvoir dépêcher à Chypre sur place pour de telles missions.

La France, dans ce cadre, peut entretenir avec Chypre une coopération riche, sans pour autant avoir les mains liées davantage qu’elle ne pourrait le vouloir en cas d’escalade entre Chypre et la Turquie ; une installation permanente de forces à terre un déploiement naval permanent au large de l’île, que l’accord ne prévoit pas, présenterait ce risque.

2.   Un dispositif qui permet de consolider notre posture de défense dans la zone

a.   Une posture qui s’adapte à l’évolution stratégique de la zone

Deux principales lignes de forces géostratégiques sous-tendent notre relation avec Chypre :

‒ les pressions turques, qui se traduisent notamment par les manœuvres d’intimidation susmentionnées autour d’installations pétrolières offshore au large de l’île. Reste à savoir si les Turcs s’en prendront un jour aux forages de Total dans le « bloc 7 » des zones de prospection. Celui-ci est situé hors de la zone de revendication des Turcs, mais ceux-ci disposeraient des moyens militaires d’une telle entreprise et la proximité de leurs côtes leur confère une « capacité à durer » certains. Par ailleurs, dans le grand jeu des affaires de la région, entre lesquelles il n’est pas exclu que la Turquie établisse des corrélations, les Turcs disposent de nombreux leviers, parmi lesquels la gestion des migrants fuyant le Proche et le Moyen Orient vers l’Europe n’est pas des moindre ;

‒ la densification des présences étrangères autour de Chypre, notamment de la part des Russes et des Américains. L’enjeu de cette évolution tient à ce qu’il ne faudrait pas que cette présence de plus en plus pressante en vienne à obérer notre accès aux facilités logistiques offerte par Chypre en appui à nos opérations.

La question de l’accès des Français aux installations militaires de Chypre, outre la présence croissante des Russes et des Américains, présente deux aspects particuliers à souligner :

– les Britanniques, ancienne puissance coloniale disposant encore de vastes bases permanentes sur l’île, pourraient avoir pour réflexe de voir notre partenariat privilégié avec Chypre non comme complémentaire de leur présence, mais comme concurrent. Ce risque n’est pas à négliger dans le contexte d’incertitudes entourant la relation future des Britanniques avec les Européens ;

– le projet d’extension de la base navale de Mari, sur sa côte méridionale, entre Larnaca et Limassol, vise à offrir des capacités de déploiement naval accrues au profit des puissances européennes. Pour ce projet, qui représente un investissement de presque 300 millions d’euros, Chypre avait initialement sollicité un financement français en contrepartie de facilités portuaires accrues. Toutefois, un tel investissement représente une dépense trop importante pour le ministère des Armées, dès lors que ce dernier n’envisage pas la création d’une base navale permanente ou un déploiement naval permanent à Chypre. Le projet a donc été versé au nombre des programmes financés au titre de la coopération structurée permanente, mais un financement bilatéral d’au moins 28 millions d'euros est encore recherché. À condition de trouver une formule financière satisfaisante – par exemple un prêt étatique assorti d’offre de formation d’officiers, l’extension de la base navale de Mari permettrait de s’affranchir en partie des contraintes liées à la privatisation du port de Larnaca, et à celle, future, du port de Limassol, lesquelles impliquent pour les escales françaises des coûts accrus et une liberté d’action plus réduite.

b.   Une posture équilibrée

Dans la ZEE chypriote, notre posture de défense est définie suivant les quatre objectifs suivants :

‒ contribuer à éviter une dégradation de la situation sécuritaire entre Chypre et la Turquie qui pourrait impliquer la France ;

‒ encourager autant que possible le dialogue entre les différents acteurs (publics et privés) présents dans la zone ;

‒ veiller, en particulier vis-à-vis d’Ankara, à ce que nos actions aux côtés de Chypre, de l’Égypte et d’Israël, ne paraissent pas dirigées contre la Turquie ;

‒ faire respecter pleinement le droit international, notamment le droit maritime.

S’agissant en particulier de la posture à adopter en réponse aux actions turques dans la ZEE chypriote, deux écueils sont à éviter :

‒ entretenir dans la zone une présence militaire significative mais insuffisante pour soutenir un « bras de fer » avec les Turcs, près de leurs côtes : condamner des moyens français à l’inaction reviendrait à un aveu d’échec dont le précédent italien en mer offre un exemple peu désirable ;

‒ une militarisation excessive, qui pourrait aboutir à une escalade rapide voire une confrontation avec la Turquie.

Selon l’état-major des armées, toutes les options militaires sont donc étudiées, parmi lesquels on citera des exercices trilatéraux avec les Chypriotes et les Italiens, ou encore une intensification des récents exercices franco-chypriotes à proximité immédiate des zones de prospection turques, suivant une logique de réciprocité.

En tout état de cause, en consolidant les bases de notre accès aux infrastructures chypriotes et en prévoyant l’organisation d’exercices conjoints, l’accord intergouvernemental franco-chypriote contribue à consolider ce partenariat.

II.   l’accord de coopération franco-albanais, vecteur d’une plus grande implication de la France dans les Balkans

L’accord intergouvernemental relatif à la coopération dans le domaine de la défense signé avec l’Albanie le 28 mars 2017 répond à deux visées :

– rénover le cadre juridique de notre coopération bilatérale avec l’Albanie, largement caduc depuis l’adhésion de celle-ci à l’OTAN ;

– donner un nouvel élan à la relation bilatérale de défense avec cet acteur-clé de la sécurité des Balkans occidentaux.

A.   L’Albanie est passée de la position de « consommateurs de sécurité » à celle de « fournisseur de sécurité »

Comme le fait valoir l’état-major des armées, on peut voir les Albanais comme étant désormais passés du statut de « consommateurs de sécurité » à celui de « fournisseur de sécurité », après les périodes de déstabilisation qu’ont traversées plusieurs pays des Balkans dans les années 1990.

1.   Des capacités militaires encore en cours de restructuration, mais non négligeables

Si l’Albanie ne possède plus les mêmes effectifs militaires qu’au temps du régime communiste – où les armées comptaient près de 120 000 hommes –, les capacités militaires albanaises ne sont pas pour autant négligeables.

Selon l’état-major des armées, les forces albanaises comptent environ 8 500 hommes, dont près de la moitié occupées à des fonctions de soutien et d’état-major ; en cela, le processus d’adaptation des forces aux standards de l’OTAN doit être vu comme étant encore en cours. Les composantes aériennes et maritimes ont des formats réduits, avec respectivement 500 aviateurs et 640 marins, l’Albanie ne possédant d’ailleurs pas d’avion de combat.

L’armée de terre albanaise compte 2 400 hommes, répartis en quatre bataillons, dont un bataillon de forces spéciales. Une cinquantaine de personnels des forces spéciales albanaises est d’ailleurs engagée dans l’opération américaine Inherent Resolve en Irak et en Syrie, intégrée au sein d’une force italienne.

L’industrie française a eu une part importante dans les acquisitions albanaises d’armement, notamment avec un contrat d’acquisition d’hélicoptères Cougar – le plus important contrat d’armement jamais conclu par l’Albanie, pour 90 millions d'euros. Mais l’industrie américaine prend auprès des Albanais une place grandissante à notre détriment ; par exemple, les États-Unis leur fourniront deux ou trois hélicoptères Black Hawk à des conditions financières très avantageuses – celles du programme European Recapitalization Incentive Program (ERIP) –, ce qui devrait conduire les Albanais à ne plus employer leurs Cougar qu’à des missions de sécurité civile.

Il est à noter que l’Albanie n’entretient plus de poste d’attaché de défense à Paris, pour des raisons décrites par S. E. M. Dritan Tola, ambassadeur d’Albanie en France, comme étant de nature strictement budgétaires. À l’inverse, la France a rouvert, en 2019, un poste d’attaché militaire en Albanie.

2.   Une politique de sécurité et de défense visant résolument l’inscription de l’Albanie dans des cadres multilatéraux de coopération

La politique de sécurité et de défense de l’Albanie peut être analysée comme étant orientée par un effort résolu d’inscription du pays dans des cadres multilatéraux de coopération. Si l’influence américaine est prédominante en la matière, elle n’éclipse pourtant pas des relations historiques et particulières entre l’Albanie et la France.

a.   L’orientation multilatérale et coopérative de la politique albanaise de sécurité et de défense

Selon les explications de son ambassadeur en France, les espoirs ‒ pour l’heure déçus ‒ d’adhésion à l’Union européenne orientent l’ensemble de la politique étrangère albanaise, y compris en matière de sécurité et de défense. Le pays est en effet entouré d’États-membres de l’Union, et l’adhésion est vue comme un facteur déterminant pour la stabilisation de la zone. M. Dritan Tola a notamment fait valoir à ce titre que l’Albanie s’applique à :

– coordonner sa politique étrangère sur celle de l’Union ;

– jouer un rôle stabilisateur dans les Balkans occidentaux, y compris dans le dialogue entre le Kosovo et la Serbie en vue d’un accord final. L’ambassadeur a également souligné l’importance qu’accorde l’Albanie à la coopération régionale dans les Balkans occidentaux et, en particulier, à « l’axe de coopération entre l’Albanie et la Serbie » ;

– contribuer aux opérations multinationales, que ce soit les opérations de maintien de la paix (comme tel a été le cas au Tchad), ou les opérations conduites sous la bannière de l’OTAN.

Par ailleurs, en matière de défense, l’Albanie participe à une coopération régionale intense. À titre d’exemple, on citera la Defence Cooperation Initiative, qui réunit plusieurs pays de la zone sous les auspices de l’Italie comme nation-cadre, avec pour objectif de définir des pistes d’entraînement ou d’exercices croisés.

b.   La place majeure des États-Unis et de l’OTAN

La politique de défense de l’Albanie fait une large place à l’OTAN – et, à travers l’Alliance, à la relation avec les États-Unis. D’ailleurs, outre les États-Unis, les principaux partenaires locaux sont l’Italie et la Grèce, membres de l’OTAN et de l’UE ; l’Albanie a soutenu l’adhésion à l’OTAN du Monténégro (en 2017) et de la Macédoine du Nord, attendue lors du prochain Sommet de l’OTAN à Londres, les 3 et 4 décembre 2019.

Dans les engagements de leurs forces, les Albanais ainsi mettent clairement l’accent sur leur relation avec les États-Unis et sur les opérations de l’OTAN plutôt que sur celles de l’Union européenne. L’Albanie s’apprête d’ailleurs, dans le cadre de la Charte Adriatique, à engager quelques effectifs dans la mission de l’OTAN en Irak (NM-I, pour NATO-mission Iraq). L’OTAN a décidé en 2018 d’installer sous peu une base de stationnement et d’approvisionnement en Albanie.

c.   Une influence américaine et une inclinaison euro-atlantique qui n’éclipsent pas une relation particulière avec la France

Avec 300 000 locuteurs du français sur près de trois millions d’habitants, l’Albanie est plus francophone que nombre d’autres pays des Balkans. Cela contribue, selon l’état-major des armées, à ce que les Albanais soient clairement demandeurs de coopération avec la France. La France est ainsi pour l’Albanie « un partenaire de premier choix tant au plan bilatéral que dans des horizons plus multilatéraux », aux niveaux de l’Union européenne comme de l’ONU, comme l’a déclaré l’ambassadeur.

La relation franco-albanaise s’inscrit dans le long terme. En effet, a expliqué l’ambassadeur, dès la chute du communisme, la France a toujours joué un rôle particulier dans le processus d’ouverture de l’Albanie à l’Occident, avec l’horizon d’une intégration à l’ensemble européen.

Cette relation a très tôt trouvé à s’illustrer en matière de défense. Un premier arrangement technique, en date du 13 mai 1996, a été conclu entre les ministères français et albanais de la défense. Il a établi le cadre d’une coopération de défense franco-albanaise portant notamment sur les matières suivantes :

– la stratégie et les concepts de défense et de sécurité, en particulier pour leur application en Europe et dans les Balkans ;

– l’organisation et le fonctionnement des forces armées ;

– l’histoire et le sport militaires.

Cette coopération s’est traduite par des missions de conseil et d’appui, des visites croisées, l’accueil de stagiaires albanais en formation à l’École de guerre jusqu’en 2015, ou encore des escales annuelles de navires français ainsi que d’avions de l’armée de l’air. De plus, sur le plan opérationnel, lors des opérations de l’OTAN au Kosovo, l’Albanie a accueilli des militaires français.

La crise irakienne de 2003 a suscité des débats en Albanie, une part de l’opinion publique étant proche des positions françaises ; néanmoins, le pays s’est aligné sur la position de l’UE et de l’ONU, plus inclinée à suivre les États-Unis que la France. Depuis, la coopération politique n’en a pas été moins riche.

La rapporteure pour avis souligne également la dimension mémorielle de cette coopération, rappelant que la ville de Korça, en Albanie, accueille un cimetière militaire français où se trouvent 640 tombes soldats français morts en Albanie entre 1916 et 1918.

B.   L’accord de coopération du 28 mars 2017 contribue à la stratégie d’intensification de notre présence dans les Balkans occidentaux

L’accord intergouvernemental dont est demandée la ratification est appelé à se substituer à l’arrangement technique de 1996. La partie albanaise a achevé les procédures internes de ratification de l’accord du 28 mars 2017 par une décision du Conseil des ministres en date du 4 septembre 2018.

Cette révision des textes encadrant notre coopération militaire avec l’Albanie répond en réalité à deux objectifs :

‒ soutenir notre réinvestissement militaire dans les Balkans occidentaux ;

‒ mettre à jour les instruments juridiques existants pour tenir compte de l’adhésion de l’Albanie à l’OTAN. C’est à ce titre que l’accord renvoie au Status of Force Agreement (SOFA) de l’OTAN pour fixer les règles applicables aux militaires français en Albanie.

1.   Une stratégie d’implication plus nette de la France dans les affaires militaires des Balkans occidentaux

L’état-major des armées explique que la conclusion de l’accord intergouvernemental franco-albanais doit être replacée dans le contexte de la stratégie interministérielle pour les Balkans occidentaux, qui comprend un volet ‒ certes modeste ‒ consacré à la défense. Ce volet se traduit, par exemple, par la réouverture d’une mission de défense en Albanie et un retour des armées françaises dans la mission Althea[12].

Dans le cadre de cette stratégie, l’effort militaire porte sur trois partenaires principaux : la Croatie, la Serbie et l’Albanie.

Concernant en particulier l’Albanie, cet effort s’est traduit par des mesures récentes :

– le vice-amiral Henri Schrike, officier général chargé des relations internationales militaires à l’état-major des armées, a effectué une visite en Albanie en avril 2019 ;

– une mission de défense française a été rouverte à Tirana l’été 2019, avec une zone de compétence intégrant les pays albanophones : Monténégro, République de Macédoine du Nord et Kosovo ;

– une réunion d’état-major interarmées franco-albanaise, la première depuis 2012, s’est déroulée la semaine précédant l’examen du présent projet de loi par la commission de la Défense nationale et des forces armées. Cette dernière visait à déterminer les pistes futures de coopération bilatérale, que les deux Parties ont pour ambition d’intensifier ;

– des escales françaises régulières dans les ports albanais, qui constituent des occasions d’exercices conjoints, par exemple pour les plongeurs-démineurs ;

– des observateurs français devraient ainsi assister en 2020 à l’exercice Albanian Effort.

Même modestes si l’on les prend séparément, ces activités contribuent à nourrir une relation de défense bilatérale gagnant en intensité.

L’ambassadeur d’Albanie a expliqué qu’aux yeux de la Partie albanaise, l’accord du 28 mars 2017 s’inscrivait dans un cadre plus large d’approfondissement des relations franco-albanaise, avec deux partenariats techniques plus poussés dans les secteurs de la défense et de la sécurité intérieure.

2.   Les voies d’approfondissement possibles de la coopération militaire

Sur le plan militaire, les voies d’approfondissement de la coopération franco-albanaise pourraient être les suivantes :

– déjà, la bonne mise en œuvre de l’accord, dont le texte prévoit que des plans d’action seront établis tous les ans avec l’Albanie. Les premiers envois d’observateurs militaires français à des exercices sont ainsi prévus dans moins d’un an ;

– un engagement albanais accru dans la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne ou dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, en priorité (aux yeux de la France) dans la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) ou dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali ;

– à long terme et à condition d’avoir augmenté sensiblement sa présence militaire, en particulier à travers des exercices croisés, la France pourrait trouver une place dans certains cadres de coopération régionaux, notamment la Defence Coopération Initiative mentionnée précédemment.

La rapporteure relève que le texte de l’accord paraît inspiré par un niveau d’ambition modéré, en ce qu’il prévoit plutôt la présence d’observateurs militaires que de la participation à des manœuvres et des exercices militaires. Cependant, selon l’état-major des armées, les stipulations de l’accord n’interdiraient pas à la France de déployer plus d’une section si la partie albanaise y était favorable.

De même, l’accord intergouvernemental aurait pu utilement mentionner la PSDC, où l’on cherche à s’attirer l’appui albanais, ne serait-ce qu’à titre symbolique. Il faut cependant reconnaître que le refus français d’ouvrir des négociations d’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne ne constitue pas le contexte le plus favorable qui soit à une telle initiative.


   TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE

Le mercredi 13 novembre 2019, la commission examine pour avis, sur le rapport de Mme Aude Bono-Vandorme, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de la République d’Albanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de l’accord de coopération en matière de défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre.

Mme la présidente Françoise Dumas. Notre ordre du jour appelle l’examen pour avis de deux projets de loi. Le premier concerne deux accords de coopération en matière de défense, l’un avec la République d’Albanie, l’autre avec la République de Chypre. Nous avons nommé Mme Aude Bono-Vandorme comme rapporteure pour avis. Mme Bono‑Vandorme est par ailleurs vice-présidente du groupe d’amitié France-Chypre.

Mme Aude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis. Il me revient ce matin de vous présenter le projet de loi autorisant l’approbation de deux accords de coopération en matière de défense, l’un avec la République de Chypre et l’autre avec celle d’Albanie, afin que notre commission émette un avis sur ce texte, dont nos collègues des Affaires étrangères se saisiront mercredi prochain.

Permettez-moi, en préambule, de vous dire combien il importe à mes yeux que notre commission se saisisse pour avis de ce type d’accords. Non que la commission des Affaires étrangères ait jamais manqué d’y accorder une attention soutenue, bien au contraire, mais je crois que ces accords méritent également un examen sous un angle de vue quelque peu différent de celui des Affaires étrangères.

Je crois sincèrement qu’il y a une spécificité « défense » dans l’approche de ces questions et qu’il est de notre responsabilité d’y travailler, en complément de l’approche générale, « tous azimuts » des Affaires étrangères.

Une analyse des accords de coopération militaire au prisme des enjeux de défense me semble d’autant plus importante que, d’une part, la coopération est au cœur de notre posture de défense et que, d’autre part, elle se résume de moins en moins au jeu des grandes alliances, des grands blocs. Je ne veux pas empiéter sur ce que notre collègue Philippe Folliot dira de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), bien entendu, ou sur les débats de nos tables rondes des 20 et 27 novembre. Cela étant, il me semble, schématiquement, que l’évolution du monde appelle notre pays à tisser des partenariats bilatéraux ou régionaux diversifiés, et entretenir des relations privilégiées de coopération avec nombre de partenaires différents.

Tel est le cas avec Chypre comme avec l’Albanie. Sans qu’il faille y voir de ma part le signe d’une préférence ou la marque d’une préséance, je commencerai par l’accord franco-chypriote.

Cet accord est somme toute de facture classique. Il se substitue à un précédent accord datant de 2007, et comporte des clauses assez habituelles dans ce genre d’instruments. Son intérêt tient plutôt à ce qu’il marque une volonté de resserrement du partenariat franco-chypriote dans un contexte stratégique de plus en plus tendu. Le principal facteur de tension, ce sont évidemment les pressions turques qui se traduisent notamment par des manœuvres navales d’intimidation autour des plateformes pétrolières offshore au large de l’île.

En effet, d’importants gisements gaziers ont été découverts au large de Chypre, ce qui a contribué à une modification des équilibres géostratégiques en Méditerranée orientale. Chypre a privilégié, pour l’exploitation de ces gisements, deux partenaires : la France et l’Italie, pour lesquelles Total et ENI ont obtenu des concessions.

L’existence de telles richesses a conduit les Turcs à faire du droit international maritime une lecture très personnelle, et contestable, arguant que les îles telles que Chypre n’ont pas de plateau continental, donc pas de zone économique exclusive (ZEE).

De surcroît, la lecture faite par la Turquie du droit de Montego Bay comporte un paradoxe. Tout en déniant à Chypre le droit de revendiquer une ZEE, les Turcs estiment que la zone qu’ils occupent depuis 1974 au nord de l’île, et qu’ils sont les seuls à reconnaître sous le nom de République turque de Chypre du Nord (RTCN), aurait le droit de revendiquer des droits souverains sur une ZEE qui mord sur celle de Chypre.

C’est ainsi que la marine turque a tenté, en juillet 2017, de contraindre un navire de Total à faire demi-tour, alors qu’il se rendait dans une zone de prospection offshore qui a été concédée aux Français. Une frégate française croisant aux alentours a su prendre les mesures nécessaires pour que ce soient les Turcs qui fassent demi-tour. Plus récemment, ce sont cinq navires turcs qui ont entrepris la même manœuvre d’intimidation à l’encontre d’un navire italien, qui a dû céder.

De telles manœuvres violent le droit international et compromettent nos intérêts. Ne serait-ce qu’à ce titre, notre marine doit pouvoir opérer dans la zone pour protéger les intérêts de la France.

D’ailleurs, l’accès aux installations militaires chypriotes est de la plus grande utilité dans l’ensemble de nos opérations en Méditerranée orientale. Tous les ans, notre marine y fait escale et notre armée de l’air utilise des bases chypriotes.

En outre, la géographie de l’île, qui est montagneuse, présente moult intérêts pour l’appui de nos opérations en Méditerranée orientale, au Levant et même au-delà.

L’accord ouvre des voies d’approfondissement de cette coopération. Il a en effet l’originalité de mettre l’accent sur l’apport de facilités opérationnelles et de soutien logistique. Les Chypriotes sont d’ailleurs les premiers Européens à avoir assuré le transport de munitions françaises, ce qui constitue une application concrète de l’accord, appelé à se renouveler. La position de Chypre en fait en outre un point d’appui incontournable pour les opérations d’évacuation de nos ressortissants dans cette région en cas de crise. Nous nous souvenons tous de la crise libanaise en 2006, quand la France avait dû évacuer en urgence 78 000 ressortissants. Il faut bien sûr espérer que de telles opérations n’aient plus à être conduites dans cette zone à l’avenir, mais il serait à mes yeux très imprudent de ne pas s’y préparer.

En outre, l’accord franco-chypriote prévoit des actions de formation ainsi que d’échange de connaissances et d’expérience en matière de sécurité énergétique, de sûreté maritime, d’alerte précoce et de gestion de crise. De façon générale, la coopération devrait permettre de soutenir la constitution de forces chypriotes projetables, et stimuler l’engagement des Chypriotes à nos côtés, en opération.

Notons d’ailleurs, sans que cela ait bien entendu de liens directs, que Chypre est également un client important de l’industrie française. Pour 2020, les prospects sont évalués à 250 millions d’euros. C’est ainsi que la coopération est « gagnant-gagnant ».

Concernant maintenant l’accord franco-albanais, si l’on s’en tient à sa lettre, son niveau d’ambition est moindre que par exemple, celui de l’accord franco-chypriote. En apparence, il s’agit surtout d’une mise à jour d’un premier engagement technique franco-albanais de coopération militaire conclu en 1996, notamment pour tenir compte de l’adhésion de l’Albanie à l’OTAN en 2004.

L’accord prend davantage de sens si on le lit à l’aune de l’évolution géopolitique des Balkans occidentaux, comme un levier au service d’une stratégie de réinvestissement de notre pays dans la région. En effet, notre stratégie interministérielle pour les Balkans occidentaux comprend un volet militaire, certes modeste, qui se traduit par exemple, par un retour de nos armées dans la mission Althea.

Globalement, si les Albanais ne disposent pas de forces armées considérables, ils développent résolument des capacités crédibles. L’Albanie est ainsi passée en 20 ans du statut de « consommateur de sécurité » à celui de « fournisseur de sécurité ». Cette évolution ouvre des possibilités nouvelles de coopération, dans lesquelles il est de notre intérêt que notre pays ait toute sa part.

Or pour l’heure, dans les engagements de leurs forces, les Albanais mettent clairement l’accent sur leur relation avec les États-Unis et sur les opérations de l’OTAN, plutôt que sur celles de la France ou de l’Union européenne. Ainsi, l’Albanie a déjà engagé ses forces spéciales dans la coalition américaine en Syrie et en Irak, et s’apprête d’ailleurs à engager quelques effectifs dans la mission de l’OTAN en Irak.

De même, alors que l’industrie française a eu une part importante dans les acquisitions albanaises d’armement, notamment avec un contrat d’achat d’hélicoptères Cougar pour près de 80 millions d’euros qui reste le plus important jamais conclu par l’Albanie, l’industrie américaine prend une place grandissante à notre détriment.

Par exemple, les États-Unis fourniront à l’Albanie trois hélicoptères Black Hawk à titre vraisemblablement gratuit, ce qui conduirait logiquement les Albanais à ne plus employer leurs Cougar pour des missions de sécurité civile. Pourtant, avec 300 000 locuteurs du français sur trois millions d’habitants, l’Albanie est plus francophone que nombre d’autres pays des Balkans. Les Albanais sont clairement demandeurs de coopération avec la France. Sur le plan militaire en particulier, les voies d’approfondissement de la coopération pourraient être les suivantes. D’abord, la pleine mise en œuvre de l’accord, qui prévoit que des plans d’action seront établis tous les ans. Les premiers envois d’observateurs militaires français sont ainsi prévus dans moins d’un an. Ensuite, les forces albanaises sont tout à fait aptes à engager des contingents dans certaines des opérations que nous soutenons, et pourraient trouver un intérêt à le faire par exemple dans la force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) ou dans la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Enfin, à plus long terme, la France pourrait trouver une place dans certains cadres de coopération régionale, notamment la Defence Cooperation Initiative que les Italiens ont mise en place avec plusieurs pays des Balkans.

Voilà en quoi cet accord de défense peut contribuer à relancer et à nourrir une coopération franco-albanaise à laquelle nous trouvons mutuellement intérêt. Naturellement, l’opposition exprimée par la France à l’ouverture de négociations d’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne ne constitue pas l’élément de contexte le plus porteur qui soit. Je tire cependant de mes travaux le sentiment que les Albanais en ont bien compris les ressorts, et que la coopération en matière de défense peut aider à « aller de l’avant ».

En ce surlendemain du 11 novembre, je tiens à rappeler, avant de conclure, qu’un cimetière militaire français se trouve dans la ville albanaise de Korça, regroupant 640 tombes de soldats de l’armée française tombés en Albanie entre 1916 et 1918. À nos morts, le salut de notre commission.

Pour conclure, c’est bien sûr un avis favorable que j’émets à l’adoption du projet de loi, tout en souhaitant attirer votre attention sur un point de vigilance, qui vaut pour Chypre comme pour l’Albanie, et pour bien d’autres de nos partenaires.

La coopération, notamment dans le domaine militaire, est aussi une affaire d’homme à homme. Elle n’est jamais aussi fructueuse que lorsque les militaires se connaissent, partagent des références et une culture militaire commune.

Or en raison de l’impécuniosité de la Défense pendant de longues années, nous avons considérablement réduit le nombre de places de stagiaires offertes à des officiers étrangers dans nos écoles militaires. J’entends par là non seulement le centre des hautes études militaires (CHEM) et l’École de guerre, mais aussi Saint-Cyr, l'École navale et l’École de l’air, ainsi que les écoles d’application.

À moyen terme, le résultat est assurément « perdant-perdant » : d’une part, nos jeunes officiers perdent des occasions de fréquenter leurs homologues, alors même qu’ils sont appelés à opérer de plus en plus en format interallié ; d’autre part, nous asséchons ainsi un vivier d’officiers francophones et francophiles, et perdons ipso facto un réseau précieux.

Bien entendu, tout cela ne se perd pas du jour au lendemain, mais cela fait aujourd’hui une dizaine voire une quinzaine d’années que cette mécanique est à l’œuvre et nous commençons aujourd’hui à en payer le prix.

Il y a certainement là un sujet de travail pour notre commission. D’ailleurs, notre commission gagnerait tout à fait à se déplacer en Albanie et à Chypre pour y prendre très concrètement la mesure des enjeux de défense, d’influence et de coopération.

Mme la présidente Françoise Dumas. J’entends tout à fait vos préoccupations et le sens de ce que vous venez de dire s’agissant de la coopération militaire. Je crois que rien ne remplace les relations humaines, et que nous devons absolument maintenir des occasions de les favoriser.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Y a-t-il un pendant européen à l’accord franco-chypriote dont la ratification nous est demandée, notamment pour ce qui concerne les forages dans la ZEE chypriote ?

M. Thibault Bazin. L’accord avec l’Albanie participe à la stabilisation des Balkans, souhaitée par tous, et démontre la volonté de notre pays d’y contribuer. L’accord avec Chypre est lui aussi le bienvenu dans le contexte actuel que vous avez rappelé. Vous avez évoqué le caractère montagneux de l’île ; en quoi ce caractère montagneux est-il intéressant pour nous ?

Mme Séverine Gipson. Nous sommes maintenant trente ans après la chute du mur de Berlin, et il demeure un mur en Europe qui divise l’île de Chypre et sa capitale, Nicosie. Il est appelé « la ligne verte » ‒ les Turcs l’appellent « ligne Attila » ‒ et il sépare deux entités : les 200 000 Chypriotes turcs au nord et les 700 000 Chypriotes grecs au sud. Quelle peut être l’effet de l’accord franco-chypriote dans cette situation géopolitique ?

M. Joachim Son-Forget. J’ai une question sur l’Albanie. Le point commun entre ces deux accords est finalement que nous sommes aux confins de l’influence de l’Union européenne, là où la question se pose de savoir si l’on veut devenir européen, ou si l’on veut le rester. Parmi ces perspectives, néanmoins, je vois une sorte de contradiction entre la beauté d’accords bilatéraux signés et les derniers signaux envoyés.

Je regrette la décision du président Emmanuel Macron, lors du dernier Conseil européen, d’opposer son refus à l’ouverture de négociations d’adhésion à l’Union avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Cette décision a été très mal prise en Albanie. S’il s’agit d’une perspective d’ouverture des négociations sous de meilleurs auspices, je veux bien. Cela étant, il y a une sorte de discrepancy, comme on dit en anglais, entre, d’une part, les efforts faits pour coopérer plus avec l’Albanie ainsi que le fait de le dire et, d’autre part, le sentiment que l’Europe ferme ses portes. De même que nous parlons d’influence turque à Chypre, je pense que nous pouvons parler aussi de l’influence turque dans les Balkans occidentaux. Demain, la question se posera de savoir quel rôle pourront jouer la France et l’Union européenne dans ces pays, si nous ne poursuivons pas des efforts de coopération étroite.

Mme Aude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis. Madame Bureau-Bonnard, Chypre étant un État membre de l’Union européenne, ce pays et l’Union n’ont pas à conclure d’accord spécifique en matière de défense. Quant aux conditions d’exploitation des ressources d’une ZEE, elles sont fixées par le droit maritime international.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Merci de votre réponse ; pourriez-vous préciser quelle est la position des autres Européens sur les questions de défense intéressant Chypre ?

Mme Aude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis. L’Union européenne soutient notre lecture du droit maritime international et pas du tout celle de la Turquie. Plus largement, d’ailleurs, une motion de soutien à Chypre a été adoptée lors de la dernière session de l’assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Les choses ont été dites clairement.

Concernant, Monsieur Bazin, le caractère montagneux de l’île de Chypre, j’indiquerai simplement que le massif du Troodos culmine à 2 000 mètres environ. Les Chypriotes y ont installé des radars, et les Britanniques aussi.

Vous avez raison, Madame Gipson, on oublie trop souvent que, trente ans après la chute du mur de Berlin, il reste une seule ville qui est divisée en deux par un mur, c’est Nicosie. Les discussions nord-sud se poursuivent depuis très longtemps, que ce soit directement ou sous les auspices de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui maintient des casques bleus à Chypre depuis près de quarante-cinq ans. Le but est évidemment une réunification du nord et du sud, de la partie turque et de la partie chypriote. Cela étant, soyons réalistes, la Turquie n’y semble pas du tout prête.

Monsieur Son-Forget, en ce qui concerne les Albanais, ils ont compris qu’ils ont encore des progrès à faire pour envisager une adhésion à l’Union européenne. Mais, dans leurs relations avec les Européens, ce n’est pas « tout ou rien », adhésion ou exclusion ; en effet, même sans ouverture de négociations d’adhésion, nous pouvons coopérer de façon fructueuse. Les échanges que nous avons eus avec l’ambassadeur d’Albanie étaient d’ailleurs très constructifs ; nous sommes sur la bonne voie, il faut travailler encore et toujours, mais il n’y a pas de tension particulière.

M. Thomas Gassilloud. Notre commission est réunie pour émettre un avis qui doit éclairer le vote de notre Assemblée en séance publique sur ce projet de loi de ratification, et je voudrais dire avant tout que, si la commission des Affaires étrangères est saisie de ce texte sur le fond, je trouve extrêmement intéressant que la commission de la Défense s’en saisisse elle aussi, puisqu’effectivement les angles de vue de nos deux commissions sont extrêmement complémentaires. Par ailleurs, cette saisine nous permet de réaliser un travail de fond sur la coopération avec l’Albanie et avec Chypre, d’avoir des échanges à ce sujet et d’ouvrir ainsi de nouvelles perspectives pour nos travaux.

Ma question portera davantage sur la République de Chypre, qui est membre de l’Union européenne, qui a une position territoriale géostratégique extrêmement intéressante à l’est de la Méditerranée, qui possède des gisements énergétiques et entretient des relations étroites notamment avec la France et l’Italie. Il faut rappeler que le droit maritime ne règle pas tout et que beaucoup de relations se régulent également par la force. Cela rejoint d’ailleurs nos propres préoccupations, que ce soit pour la protection de notre vaste ZEE ou pour la défense de nos intérêts en haute mer. Notre marine, à cet égard, joue un rôle de première importance dans la défense de nos intérêts.

À l’occasion d’un embarquement sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, j’ai d’ailleurs eu l’occasion de voir comment le centre de renseignements de la force navale travaillait pour analyser d’une manière extrêmement fine l’ensemble des positions des navires de tous pavillons.

Par ailleurs, je rejoins tout à fait, Madame la rapporteure pour avis, ce que vous dîtes de la nécessité de renforcer les échanges de stagiaires dans les écoles militaires. J’ai été frappé de voir à quel point ces échanges étaient des préalables aux coopérations de défense, notamment lorsque j’ai travaillé sur l’accord franco-belge de coopération dans le domaine de la mobilité terrestre, dit « capacité motorisée » (CaMo). En effet, la conclusion de cet accord de partenariat a été rendue possible par une relation de confiance étroite et profonde qui existe entre la Belgique et la France. Or, depuis une quinzaine d’années, les réductions budgétaires ont conduit à « optimiser » le fonctionnement de nos écoles militaires, y compris en réduisant le nombre de places offertes à des stagiaires étrangers. Il s’agit vraiment d’une mauvaise décision ; il conviendrait d’avoir une vision de plus long terme des enjeux de la coopération à tous les stades de la formation.

Vous avez parlé de ce que contenait cet accord : facilités opérationnelles, soutien logistique, formations, échanges. J’aimerais savoir comment a été évalué l’impact pour nos forces de la mise en œuvre de cet accord. Qu’est-ce que cet accord va changer pour nos forces ? Quelles armées vont y contribuer ?

Mme Laurence Trastour-Isnart. Avez-vous des données récentes permettant d’apprécier la place faite aux Albanais dans nos écoles militaires ?

D’ailleurs, puisque l’Albanie est membre de l’OTAN, y a-t-il des formations communes aux différentes armées de l’Alliance ? La culture professionnelle commune dont vous souligniez qu’il importe de la cultiver ne peut-elle trouver dans l’OTAN un cadre propice à son développement ?

Mme Sereine Mauborgne. En tant que cheffe de la délégation française à l’assemblée parlementaire de l’OSCE, où tant Chypre que l’Albanie siègent depuis longtemps – Mme Bono-Vandorme est d’ailleurs vice-présidente de la même organisation – je peux témoigner de l’intérêt que nous avons à approfondir, y compris via la diplomatie parlementaire, les relations que nous entretenons avec des pays qui ne font pas partie du bloc européen actuel, notamment pour encourager l’adoption de bonnes pratiques par exemple sur le plan des règles électorales. De telles relations permettent en effet d’aller au-delà de l’aspect purement formel des choses : on peut très bien créer des structures donnant les apparences d’une démocratie, mais ne pas en faire un usage véritablement démocratique. L’accompagnement de nombre de pays suppose un suivi étroit, suivant une feuille de route jalonnée d’étapes progressives, à chacune desquelles correspondent des objectifs et des moyens. C’est ainsi progressivement, une fois de telles étapes franchies, que peuvent s’envisager des modalités raisonnables d’association à certaines organisations internationales.

M. Bastien Lachaud. Ces deux accords peuvent paraître de la même nature. Toutefois, les implications de chacun diffèrent très nettement.

Le premier, passé avec l’Albanie, s’inscrit dans la logique d’élargissement de l’OTAN à l’est. L’Albanie est membre de l’OTAN depuis 2009. De ce fait, les accords que nous signons avec l’Albanie s’inscrivent pleinement dans le cadre de l’Alliance. Bien évidemment, c’est la raison pour laquelle nous n’y sommes pas favorables. Je m’interroge réellement sur l’objectif final de notre coopération avec l’Albanie. Cet accord n’est-il pas lié à un objectif de contrôle de l’immigration clandestine ? N’est-ce pas un peu du bâton et de la carotte que nous jouons avec l’Albanie, en faisant miroiter une possible adhésion à l’Union européenne ? C’est pour cela que nous sommes opposés à cet accord.

À l’inverse, l’accord avec Chypre est totalement différent. Tout d’abord, Chypre étant d’ores et déjà membre de l’Union européenne, il n’entre pas dans notre relation la perspective d’une course à l’adhésion. De la même manière, Chypre n’est pas membre de l’OTAN, étant donné qu’elle est plutôt considérée comme un adversaire, au moins par la Turquie d’Erdogan qui, elle, est membre de l’OTAN. Il y a d’ailleurs une sorte de contradiction interne au sein de l’OTAN, où certains membres sont considérés comme des ennemis potentiels, tandis que certains non-membres sont des alliés.

Chypre représente un enjeu stratégique majeur en Méditerranée orientale. La France a d’ores et déjà déployé des frégates pour patrouiller dans le secteur et se prémunir d’une potentielle agression turque. Nous sommes donc favorables à cet accord.

M. Christophe Blanchet. Il y a quinze jours, le Premier ministre a annoncé vingt mesures pour une meilleure politique d’immigration, d’intégration et d’assimilation. Parmi ces mesures, figurait l’idée d’améliorer nos instruments bilatéraux de coopération avec nos partenaires et avec les pays de provenance. Ma question concernera donc l’Albanie. Sans qu’il remplace notre dispositif d’aide au développement, évidemment, comment cet accord peut-il peser sur la délivrance de passeports consulaires pour les Albanais qui sont aujourd’hui sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français ?

M. Stéphane Trompille. Vous avez évoqué la coopération entre l’Albanie et les États-Unis en matière d’armement, notamment dans le domaine des hélicoptères. Je voudrais savoir quelles perspectives de coopération l’accord franco-albanais pourrait ouvrir dans le domaine de l’armement. Je trouve en effet assez inquiétant que les pays de l’est de l’Europe se tournent de façon privilégiée avec les Américains pour leurs fournitures en équipements militaires.

Mme Aude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis. Monsieur Gassilloud, nous sommes tout à fait d’accord : une analyse des accords de défense au prisme des intérêts de la défense nationale est tout à fait important dans ce genre de projets de coopération. C’est tout le sens de notre saisine pour avis ; je pense aussi qu’il est important que nous attachions à suivre la mise en œuvre de ces coopérations.

Nous sommes tout à fait d’accord également pour ce qui concerne la coopération militaire dans le champ de la formation ; il faut vraiment que l’on travaille sur la coopération à l’échelle d’« homme à homme ». En outre, l’ouverture de nos écoles à des stagiaires étrangers est particulièrement importante pour les militaires de pays avec lesquels la France n’a pas de frontière. Pour l'anecdote, Nicosie est plus à l’est qu’Ankara.

Quant à l’impact qu’aura l’accord franco-chypriote pour nos forces, il s’agit principalement d’un accès que nous accordent les Chypriotes à leurs bases navales et aériennes et ce, je le souligne, à titre gracieux. Or ces bases ont une position stratégique très intéressante pour nombre de nos opérations ; la coopération franco-chypriote est donc fondamentale pour nos armées en Méditerranée et au Levant.

Madame Trastour-Isnart, concernant la formation d’officiers albanais, l’offre française est très limitée ; elle représente à peu près une place tous les quatre ans à l’École de guerre. Cela est trop peu. Je dois cependant souligner que, l’été dernier, la France a rouvert un poste d’attaché de défense à Tirana ; c’est une petite avancée.

Quant à savoir si des formations au niveau de l’OTAN pourraient pallier la réduction de l’offre française, je crois vraiment qu’elles ne peuvent pas remplacer un cadre bilatéral. À l’OTAN, en effet, un Albanais ne se fera que des amis américains. Or, comme je le disais, c’est par les relations d'homme à homme que nos armées peuvent tisser des liens, et cela est fondamental.

Messieurs Lachaud et Blanchet, l’immigration n’entre pas dans le champ de l’accord dont nous sommes saisis et, franchement, je ne crois pas qu’il y ait d’arrière-pensée dans la conclusion de cet accord. Certes, à chacun son opinion. Mais, fondamentalement, de quoi parlons-nous ? D’observateurs français à des manœuvres militaires albanaises, cela ne va pas plus loin. Tout au plus la relance de la coopération militaire permet-elle d’« aller de l’avant » après le refus d’ouvrir des négociations d’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne. Ne cherchons pas d’intentions cachées là où il n’y en a pas.

Madame Mauborgne, je suis tout à fait d’accord avec votre approche des choses. Nous y travaillons. J’en profite pour saluer le travail qui est fait à l’assemblée parlementaire de OSCE, à votre initiative et grâce à votre implication. L’approche que vous décrivez en matière de coopération politique fait davantage écho à la stratégie interministérielle que la France met en œuvre aux Balkans occidentaux qu’à l’accord qui nous est soumis aujourd’hui.

Monsieur Blanchet, le sort des Albanais faisant l’objet en France d’une obligation de quitter le territoire est hors du champ de cet accord.

J’en viens à la question de Monsieur Trompille concernant les perspectives d’exportations françaises d’armement vers les deux pays dont nous parlons ce matin. Cette dimension n’est pas au cœur des deux accords, mais je peux vous indiquer, concernant Chypre, que les 250 millions d’euros de prospects que j’évoquais pour 2020 englobent un ensemble de marchés : des radars, des missiles Exocet et Mistral 3, ainsi que des missiles moyenne portée (MMP).

Concernant l’Albanie, vous soulignez à très juste titre les effets pervers de la diplomatie du don de matériel américain. Elle a un côté pernicieux et nuit à ce que nous pouvons faire, mais c’est à nous qu’il tient d’agir et de contrer l’influence de l’industrie américaine à nos frontières. Notez cependant que les Albanais nous achètent quand même des matériels militaires ; par exemple, les canons de leurs patrouilleurs sont de fabrication française. En outre, je crois qu’ils sont conscients de la plus grande dimension capacitaire que pourrait revêtir de notre coopération.

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous allons mettre aux voix ce projet de loi, avec un avis favorable de la rapporteure.

La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi sans modification.


([1]) Accord relatif à la coopération dans le domaine de la défense signé le 20 novembre 2008, entré en vigueur le 24 mars 2017.

([2]) Accord relatif à la coopération militaire et de défense signé le 13 janvier 2000, entré en vigueur le 31 juillet 2000, et accord de sécurité relatif à l’échange d’informations classifiées dans le domaine de l’armement signé le 18 septembre 1992.

([3]) Accord général de sécurité régissant les échanges d’informations protégées signé le 8 mars 1977.

([4]) Accord général de sécurité relatif à l’échange et à la protection réciproque d’informations classifiées signé le 21 décembre 2017, non encore entré en vigueur.

([5]) Accord général de sécurité relatif à l’échange et à la protection réciproque des informations classifiées signé le 5 juillet 2010.

([6]) Accord relatif à la coopération dans le domaine des matériels de défense signé le 9 octobre 1983 ; accord général de sécurité relatif à l’échange et la protection d’informations classifiées signé le 25 juillet 2006 ; accord intergouvernemental relatif à la coopération en matière de défense aérienne contre les menaces aériennes non militaires signé le 4 octobre 2005.

([7]) À titre d’illustration, la ministre de la défense italienne, Mme Elisabetta Trenta, était la seule ministre de la défense d’un État membre de l’Alliance à être présente à Tirana lors du dixième anniversaire de l’adhésion de l’Albanie à l’OTAN en mars 2019.

([8]) Près d’une trentaine d’escales annuelles ont lieu à Chypre et, le 1er avril 2019, a eu lieu l’escale du groupe aéronaval.

([9]) À ce titre, un projet d’accord intergouvernemental relatif à l’évacuation de ressortissants fait également l’objet de discussions avec Chypre.

([10]) Pour mémoire, la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense a étendu l’application du « SOFA OTAN » sur le territoire français à l’ensemble des activités de coopération bilatérale entre la France et l’Albanie.

([11])  Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982.

[12]  La force de l’Union européenne Althea (ou EUFOR Althea) est une mission de l’Union en Bosnie-Herzégovine qui a succédé, le 2 décembre 2004, à la Force de stabilisation de l'OTAN, qui, elle-même, a succédé à l’IFOR en 1996. La participation française à cette force a porté le nom d’opération Astrée.