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N° 2618

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 janvier 2020.

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises,

 

 

 

 

 

Par MPierre MOREL-À-L’HUISSIER,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  2211.

 

 


 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

avant-propos

Principaux apports de LA commission

commentaire des articles

Article 1er  Protection du patrimoine sensoriel des campagnes

Article 1er bis (nouveau) Inventorier le patrimoine rural

Article 1er ter (nouveau) Introduire la notion de trouble anormal de voisinage dans le code civil

Article 2 (supprimé) Gage

compte rendu des débats en commission

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 15 heures ()

I. Discussion générale

II. Examen des articles

Article 1er Protection du patrimoine sensoriel des campagnes

Après l’article 1er

Article 2 Gage

Annexe : Liste des textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi


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   avant-propos

Sujet léger en apparence, voire amusant pour certains, la question de l’acceptation des manifestations sensorielles du mode de vie rural est une source de préoccupation dans nos villages ruraux.

Chant du coq, tintement des cloches, braiement de l’âne, odeur du fumier ou du crottin, coassements des grenouilles : autant de bruits et d’effluves qui font partie intégrante de la vie rurale. Ils donnent pourtant lieu à de nombreux conflits de voisinage, dont certains ont été médiatisés comme les cloches de Bondons, le coq de l’île d’Oléron ou, tout récemment, les vaches de Lacapelle-Viescamp et le cheval de trait de Boisseron. Les actions en justice sont souvent intentées par des vacanciers ou des « néoruraux », qui ne supportent pas ce genre de nuisances.

La multiplication de ces conflits inquiète les maires ruraux, qui se trouvent pris à partie, à tel point que de nombreuses communes ont apposé un panneau à l’entrée de leur village conseillant aux visiteurs n’appréciant pas les odeurs et les bruits de la campagne de passer leur chemin. Ces tensions sont révélatrices des changements à l’œuvre dans notre société, en particulier l’extension des zones périurbaines dans les campagnes.

La présente proposition de loi, signée par soixante-dix députés appartenant à différents groupes politiques, vise deux objectifs :

– reconnaître la valeur intrinsèque de notre patrimoine rural et de son authenticité, en protégeant un mode de vie. Le chant du coq, le bruit des cigales, l’odeur du fumier, ne sont pas des nuisances mais des caractéristiques intrinsèques et authentiques de la vie rurale qu’il faut valoriser ;

– lutter contre les contentieux de voisinage portés par les personnes qui s’installent à la campagne sans en accepter les caractéristiques intrinsèques.

Cette proposition de loi crée ainsi une nouvelle catégorie de patrimoine, celle du patrimoine sensoriel constitué des odeurs et des sons propres à la campagne et la vie rurale. Les émissions sonores et olfactives faisant partie de ce patrimoine sensoriel des campagnes ne peuvent pas faire l’objet d’un recours pour trouble de voisinage.

Les dispositions proposées étant assez innovantes, le rapporteur et premier signataire de cette proposition de loi a souhaité soumettre ce texte à l’avis du Conseil d’État, sur le fondement du cinquième alinéa de l’article 39 de la Constitution.

Dans son avis du 16 janvier 2020, le Conseil d’État a émis des réserves sur plusieurs dispositions du texte. Afin de tenir compte de ces remarques, le rapporteur a proposé à la commission des amendements qui modifient le dispositif juridique initial tout en conservant les mêmes objectifs principaux : reconnaître un patrimoine sensoriel des campagnes d’une part et éviter les recours pour trouble de voisinage liés aux émissions sonores et olfactives rurales d’autre part.

Ainsi, la commission a adopté un texte largement réécrit qui conserve néanmoins les objectifs initiaux de la proposition de loi déposée.

 


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Principaux apports de LA commission

Lors de son examen de la présente proposition de loi, le mercredi 22 janvier 2020, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a adopté les modifications suivantes.

À l’article 1er, la commission a adopté un amendement du rapporteur remplaçant les dispositions proposées initialement par une inscription des sons et odeurs qui caractérisent les milieux naturels dans le patrimoine commun de la Nation protégé par l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

La commission a introduit un article 1er bis permettant la prise en compte, dans l’inventaire général du patrimoine culturel réalisé par les régions, des activités, pratiques et savoir-faire agricoles dans les territoires ruraux.

La commission a introduit un article 1er ter demandant un rapport au Gouvernement étudiant la possibilité de faire entrer la notion prétorienne de trouble anormal de voisinage dans le code civil et étudiant les critères d’appréciation du caractère anormal du trouble.

Enfin, le Gouvernement ayant levé le gage financier de la proposition de loi, l’article 2 a été supprimé.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

 

 


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   commentaire des articles

Article 1er
Protection du patrimoine sensoriel des campagnes

Adopté par la commission avec modifications

L’article 1er crée la notion de patrimoine sensoriel des campagnes et écarte les émissions sonores et olfactives qui en font partie des troubles anormaux de voisinage susceptibles d’ouvrir droit à réparation.

La commission des affaires culturelles a remplacé cette notion par l’inscription des sons et odeurs des milieux naturels dans le patrimoine commun de la Nation défini par le code de l’environnement.

I.   La création de la notion de patrimoine sensoriel des campagnes

A.   Le Droit existant

La notion de patrimoine est définie par l’article L. 1 du code du patrimoine :

-         le premier alinéa éclaire sa portée première, « matérielle », puisque le patrimoine s’entend de « lensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique » ;

-         le second alinéa étend la portée de la notion au patrimoine immatériel, dont il prévoit qu’« Il sentend également des éléments du patrimoine culturel immatériel, au sens de larticle 2 de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à Paris le 17 octobre 2003. »

La définition en droit français du patrimoine immatériel est donc entièrement renvoyée à celle posée par lUNESCO : « On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes, et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et les groupes, en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment didentité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine ».

Le paragraphe 2 de l’article 2 de cette convention précise que « Le “patrimoine culturel immatériel”, tel quil est défini au paragraphe 1 ci-dessus, se manifeste notamment dans les domaines suivants :

« (a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ;

« (b) les arts du spectacle ;

« (c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ;

« (d) les connaissances et pratiques concernant la nature et lunivers ;

« (e) les savoir-faire liés à lartisanat traditionnel. »

L’identification de ce qui relève ou non des pratiques culturelles immatérielles repose, selon les termes de la Convention, sur l’existence, centrale, de communautés détentrices de savoir-faire, savoirs et pratiques, qui les reconnaissent elles-mêmes comme un élément de leur patrimoine. Ainsi, dans le patrimoine immatériel de l’UNESCO, l’on trouve des fêtes, des danses, des musiques, des métiers d’art ou artisanaux, etc. Les éléments classés au sein du patrimoine culturel immatériel supposent toujours une activité humaine.

Les bruits de la campagne, qui sont pour l’essentiel des bruits d’animaux, ne peuvent donc pas être classés au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

De même, ils ne pourraient probablement pas être classés à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel car, bien que ce dernier comporte beaucoup plus d’éléments français que le patrimoine mondial (433 au lieu de 17), la définition est la même. En effet, l’article 11 de la convention de 2003 précitée, ratifiée par la France en 2006, stipule qu’« il appartient à chaque État partie :

« (a) de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire ;

« (b) parmi les mesures de sauvegarde visées à larticle 2, paragraphe 3, didentifier et de définir les différents éléments du patrimoine culturel immatériel présents sur son territoire, avec la participation des communautés, des groupes et des organisations non gouvernementales pertinentes ».

L’article 12 de la convention rend obligatoire la tenue d’un inventaire.

Riche aujourd’hui de quelques 433 fiches d’inventaire, cet outil documentaire national s’accroît chaque année d’une quarantaine éléments nouveaux. Comme dans l’inventaire mondial, on y trouve des danses, des fêtes, des musiques, des jeux traditionnels, des savoir-faire. Il y a toujours une intention humaine dans ces éléments, d’où l’impossibilité d’y classer les émissions sonores et olfactives des campagnes.

B.   Les dispositions de la proposition de loi

La notion de patrimoine immatériel ne pouvant être utilisée, il est proposé de créer une nouvelle catégorie de patrimoine, celle du « patrimoine sensoriel ».

L’alinéa 3 de l’article premier de la présente proposition de loi complète l’article L. 1 du code du patrimoine par un alinéa qui crée la notion de « patrimoine sensoriel des campagnes ». Il renvoie sa constitution à un nouveau titre VI du livre VI du code du patrimoine, crée par les alinéas 7 et 8.

L’alinéa 9 crée l’article L. 660-1 du code du patrimoine qui définit ainsi le patrimoine sensoriel des campagnes : « les émissions sonores et olfactives des espaces et milieux naturels terrestres et marins, des sites, aménagés ou non, ainsi que des êtres vivants qui présentent au regard de la ruralité un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation ». Ces émissions peuvent à tout moment faire l’objet d’une inscription au titre du patrimoine sensoriel des campagnes. Ainsi, peuvent en faire partie les bruits et odeurs des animaux élevés et sauvages ou les odeurs liées aux activités agricoles. « Lintérêt suffisant au regard de la ruralité » signifie que ces sons et ces odeurs participent du caractère authentique de la vie rurale. Ainsi, le bruit des vagues ne pourrait pas faire l’objet d’un classement.

L’alinéa 10 crée l’article L. 660-2 du code du patrimoine qui fixe la procédure d’inscription au patrimoine sensoriel des campagnes. Il dispose que l’inscription est effectuée par le préfet, soit d’office, soit à la demande d’une commission départementale créée à l’article L. 660-3, soit à la demande d’une personne justifiant d’un intérêt à le faire.

L’alinéa 11 précise que la décision administrative est prise après avis de la commission départementale créée à l’article L. 660-3.

L’alinéa 12 crée l’article L. 660-3 qui instaure une commission départementale du patrimoine sensoriel des campagnes constituée d’élus locaux et nationaux, de représentants de l’État, de représentants d’associations de défense du patrimoine rural et de personnalités qualifiées. Son président est choisi parmi les élus (alinéa 14), remplacé par le préfet de région en cas d’empêchement.

Cette commission est établie sur le modèle de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture prévue à l’article L. 611-2 du code du patrimoine.

La commission donne son avis sur les demandes de classement au titre du patrimoine sensoriel des campagnes. L’alinéa 13 prévoit aussi qu’elle peut proposer toute mesure propre à assurer la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine sensoriel des campagnes.

Si ce classement au titre du patrimoine sensoriel vise à protéger le caractère authentique de la vie rurale dans les conflits de voisinage, il doit aussi contribuer à valoriser ce qui fait l’authenticité de la vie rurale.

Le choix d’une commission départementale permet d’inscrire les émissions sonores et olfactives dignes d’être préservées dans un territoire. Ainsi, ne sera pas protégé le chant du coq en tant que tel et n’importe où, mais les émissions sonores des volailles dans un département voire dans un territoire plus circonscrit, le chant des cigales dans les départements provençaux, le son des clarines dans telle vallée des Alpes, etc.

C.   Les modifications proposées par le rapporteur à la suite de l’avis du Conseil d’état

Dans son avis du 16 janvier 2020, le Conseil d’État souligne le champ très vaste ouvert par la définition de patrimoine sensoriel des campagnes et l’insécurité juridique qui risque d’en découler.

Par ailleurs, il n’estime pas opportun d’insérer cette notion dans le code du patrimoine car il ne s’agit pas de faits de l’homme alors que l’objet du code du patrimoine est de « protéger les œuvres de lhomme les plus dignes dintérêt », selon les termes employés par le Conseil d’État.

Le rapporteur et premier signataire de la présente proposition de loi a entendu les remarques du rapporteur du Conseil d’État selon lesquelles le patrimoine est le fait de l’homme et le chant d’un animal n’y a pas sa place, mais il lui semble que les caractéristiques sonores et olfactives propres à la campagne font partie de notre « patrimoine rural » dans le sens où il s’agit de sa perception par l’homme. Il ne s’agit pas uniquement de la protection de la nature mais aussi de celle d’un certain mode de vie, d’une authenticité de la vie rurale que les habitants des campagnes souhaitent préserver d’une forme d’aseptisation voulue par des « néoruraux ».

Toutefois, le rapporteur entend les arguments du Conseil d’État sur le terrain de la bonne administration. La création d’une nouvelle commission départementale ne serait pas de nature à simplifier l’organisation administrative. Aussi propose-t-il de retenir deux propositions du Conseil d’État qui remplaceraient les dispositions des alinéas 1 à 15.

1.   Reconnaître les sons et odeurs de la campagne comme faisant partie du patrimoine commun de la Nation

La première phrase du I de l’article L. 110-1 du code de l’environnement dispose que « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de lair, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation ».

Le rapporteur propose de reprendre la suggestion du Conseil d’État consistant à affirmer la dimension sensorielle du patrimoine naturel en complétant l’article L. 110-1 du code de l’environnement par une mention des sons et des odeurs qui caractérisent les milieux naturels terrestres et marins.

2.   Créer un inventaire général du patrimoine sensoriel des campagnes

Le Conseil d’État propose également de remplacer la procédure de classement proposée par la présente proposition de loi par un inventaire général du patrimoine sensoriel des campagnes françaises qui serait réalisé par les régions, sur le modèle de l’inventaire général du patrimoine culturel prévu par l’article 95 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Il serait constitué « des bruits, effluves et autres manifestations sensibles résultant de lexploitation de la nature par lhomme en zone rurale ». L’élaboration et la tenue de cet inventaire seraient, comme celui du patrimoine culturel, confiées à chaque région et à la collectivité de Corse.

Les maires pourraient s’emparer de cet inventaire pour défendre la ruralité dans leur commune. Ainsi, le Conseil d’État rappelle que les rapports de présentation des plans locaux d’urbanisme doivent, en application de l’article L. 151-4 du code de l’urbanisme, expliquer « les choix retenus pour établir le projet daménagement et de développement durables ». Ces rapports, ainsi que les rapports de présentation des cartes communales prévus par l’article L. 161-1 du même code, pourraient mentionner le patrimoine sensoriel des campagnes pour mettre en valeur la biodiversité et faire comprendre les enjeux liés à la ruralité dans le développement communal.

*

La commission a adopté l’amendement du rapporteur remplaçant les dispositions de l’article 1er par une inscription des sons et odeurs qui caractérisent les milieux naturels dans le patrimoine commun de la Nation protégé par l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

La question de l’inventaire fait l’objet du nouvel article 1er bis.

II.   La prévention des contentieux de voisinage en milieu rural

A.   Le Droit existant

1.   La notion de trouble anormal de voisinage

Les bruits générés par le comportement d’une personne ou d’un animal peuvent causer un trouble anormal de voisinage, se manifestant de jour ou de nuit. Les nuisances olfactives (barbecue, ordures, fumier, etc.) peuvent aussi causer un tel trouble. En journée, le bruit peut causer un trouble anormal de voisinage dès lors qu’il est répétitif, intensif, ou qu’il dure dans le temps. Lorsque les bruits sont commis la nuit, on parle de tapage nocturne ; l’infraction est alors constituée même lorsque le bruit n’est pas répétitif, ni intensif, ni qu’il dure dans le temps, mais à condition que l’auteur du tapage ait conscience du trouble et qu’il ne prenne pas les mesures nécessaires pour y remédier.

La notion de trouble anormal de voisinage ne résulte pas directement de la loi. Elle a été progressivement construite par la Cour de cassation, depuis un arrêt fondateur du 27 novembre 1844 marqué par la volonté de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger les voisins de bruits insupportables provenant d’une usine, et celle de permettre aux industries de développer leur activité. Après avoir reconnu en 1971 que cette notion est indépendante de l’existence d’une faute ([1]), la Cour de cassation a formulé, le 19 novembre 1986, un principe autonome, indépendant des articles 544 et 1382 du code civil auparavant visés, selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » ([2]).

Ce principe vient limiter la portée du droit de propriété, défini par l’article 544 du code civil et protégé par l’article 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans un arrêt du 23 octobre 2003, la Cour de cassation a jugé que cette limitation ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par la convention précitée ([3]).

La Cour de cassation laisse aux juges du fond le soin d’apprécier souverainement à partir de quel degré de nuisance les bruits, fumées et autres odeurs émanant d’un voisin dépassent le seuil de la normalité et permettent ainsi d’engager cette responsabilité. Le caractère normal ou anormal du trouble est apprécié par les juges du fond « en fonction des circonstances de temps et de lieu » (Cass. 3ème civ. 3 novembre 1977, n° 76-11.047). Parmi ces circonstances, la jurisprudence judiciaire prend habituellement en compte, notamment dans les litiges impliquant des animaux de basse-cour, « le caractère rural dune commune ».

2.   La jurisprudence en matière de troubles ruraux

Il existe relativement peu de jurisprudence au sujet des nuisances sonores de caractère rural. Pour apprécier le caractère anormal du trouble de voisinage, le juge se prononce au cas par cas. Souvent, il réclame une expertise ([4]). Dans un arrêt du 15 janvier 2008, la cour d’appel de Lyon confirme le rejet par le tribunal de grande instance de Montbrison d’un référé demandant de faire cesser le chant du coq, au motif que la seule présence d’un coq ne suffit pas à démontrer un trouble manifestement illicite ([5]).

Aucun arrêt n’invoque l’existence d’un « patrimoine rural » mais certaines décisions tiennent compte des caractéristiques intrinsèques de la ruralité. C’est le cas d’un arrêt rendu le 1er juin 2006 par la cour d’appel de Bordeaux, qui considère qu’« il est constant que la commune de Saint Michel de Rivière est une commune rurale dont nombre dhabitants possèdent des élevages familiaux de volailles. Aussi compte tenu de labsence de démonstration du caractère anormal des troubles invoqués, du caractère rural de la commune où ils se sont installés et de labsence de toute faute de la part de Monsieur Y…, les époux X… ont été à bon droit déboutés par le premier juge ». Dans un autre arrêt (précité), la même cour dit expressément que « Le fait que le caractère rural de la commune de Parempuyre samenuise ne peut avoir pour effet de supprimer toutes les exploitations agricoles en raison des nuisances quelles sont susceptibles de générer. » ([6])

Un savoureux arrêt de la cour d’appel de Riom ([7]) qui se fondait sur le caractère intrinsèque à la ruralité des caquètements pour donner raison à l’auteur des nuisances, a cependant été cassé par la Cour de cassation ([8]), au motif qu’il se bornait à des considérations trop générales sans rechercher si le cas d’espèce constituait un trouble anormal de voisinage.

En sens inverse, bien qu’admiratifs devant les performances vocales d’un coq exerçant ses talents dans le bourg de Melay (Saône-et-Loire), les juges de la cour d’appel de Dijon ont donné raison au plaignant, estimant que les propriétaires du volatile pouvaient sans difficulté lui offrir un atelier de chant situé ailleurs qu’entre deux murs dont on pouvait raisonnablement « redouter quils ne forment caisse de résonance ».

3.   La protection de l’antériorité de certaines activités

Aux termes de l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation, « Les dommages causés aux occupants dun bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, nentraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou lacte authentique constatant laliénation ou la prise de bail établi postérieurement à lexistence des activités les occasionnant dès lors que ces activités sexercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et quelles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. »

Cette disposition empêche les riverains de demander réparation des troubles de voisinage que leur causent les activités visées dès lors que celles-ci existaient avant leur installation et qu’elles s’exercent en conformité avec les lois. On parle généralement du principe d’antériorité ou de pré-occupation.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur cet article, le Conseil constitutionnel, par décision du 8 avril 2011, a décidé que l’article
L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation n’était pas contraire à la Constitution (2011-116 QPC).

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel observe notamment que la jurisprudence judiciaire a développé une interprétation restrictive de l’article L. 112-16 précité.

Le Conseil d’État propose d’en assouplir l’application pour les seules activités agricoles par trois moyens : en opposant l’exonération de responsabilité à tous les plaignants et non plus seulement aux seuls occupants d’un bâtiment, en indiquant que les activités se sont poursuivies « sans modification substantielle » et non plus seulement « dans les mêmes conditions » et en instaurant un régime de preuve objective et non de charge de la preuve supportée par le seul exploitant agricole.

Considérant qu’il serait délicat de réserver cet assouplissement aux seules activités agricoles, le rapporteur a toutefois écarté ces propositions.

4.   Le cas particulier des cloches des églises

La question des sonneries de cloches est encadrée par l’article 27 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, qui dispose, au titre de la police des cultes, que « Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de lassociation cultuelle, par arrêté préfectoral ».

Les conflits relatifs aux cloches des églises relèvent donc de la responsabilité première du maire.

Le rapporteur considère que les sonneries de cloches font partie de la vie des bourgs de campagne et qu’il est souhaitable de les préserver. Cependant, il estime que ce texte éprouvé est équilibré et qu’il n’est pas nécessaire de le modifier.

B.   Les dispositions de la proposition de loi

L’alinéa 16 de l’article premier de la présente proposition de loi crée un article L. 660-4 du code du patrimoine qui dispose que les nuisances sonores et olfactives relevant des émissions inscrites au patrimoine sensoriel des campagnes ne peuvent être considérées comme des troubles anormaux de voisinage.

Il est à noter que cette dernière disposition, qui ferme aux plaideurs la possibilité de contester d’éventuelles nuisances sur le fondement du trouble anormal de voisinage, ne prive pas ceux-ci de toute possibilité de recours. Elle ne méconnaît donc pas le droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et de l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’impossibilité d’invoquer un trouble anormal de voisinage fait échapper les nuisances contestées au champ spécifique de responsabilité sans faute qu’a progressivement ouvert la Cour de cassation, mais laisse libre la voie de la mise en cause d’une responsabilité pour faute, notamment au regard des exigences posées, en matière de nuisances sonores, par les articles L. 1336-1 et R. 1336-4 à R. 1336-13 du code de la santé publique et, en matière de nuisances olfactives, par les articles L. 220-1 et L. 220-2 du code de l’environnement.

C.   Les modifications proposées par le rapporteur à la suite de l’avis du Conseil d’état

Le Conseil d’État a cependant émis des réserves sur cette disposition qui pourrait, dans certains cas, heurter le principe du droit au recours effectif.

Il suggère d’étendre l’usage et l’obligation de recourir à la conciliation pour les conflits de voisinage.

L’article 3 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice a modifié l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, désormais ainsi rédigé :

« Lorsque la demande tend au paiement dune somme nexcédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal de grande instance doit, à peine dirrecevabilité que le juge peut prononcer doffice, être précédée, au choix des parties, dune tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, dune tentative de médiation, telle que définie à larticle 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à lorganisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou dune tentative de procédure participative, sauf :

« 1° Si lune des parties au moins sollicite lhomologation dun accord ;

« 2° Lorsque lexercice dun recours préalable est imposé auprès de lauteur de la décision ;

« 3° Si labsence de recours à lun des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment lindisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ;

« 4° Si le juge ou lautorité administrative doit, en application dune disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.

« Un décret en Conseil dÉtat définit les modalités dapplication du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en-deçà duquel les litiges sont soumis à lobligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne sapplique pas aux litiges relatifs à lapplication des dispositions mentionnées à larticle L. 314-26 du code de la consommation. »

Ainsi, la saisine du tribunal de grande instance relative à un conflit de voisinage doit être obligatoirement précédée d’une tentative de conciliation. Cependant, le décret d’application prévu par l’article 4 précité a précisé à l’article 750-1 du code de procédure civile les conflits de voisinage concernés comme « lune des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de lorganisation judiciaire ». Ainsi, seules les opérations de bornage, d’élagage ou de curage ou encore la délimitation de servitudes de mitoyenneté sont concernées par l’obligation d’une tentative préalable de conciliation.

Le rapporteur souhaite que le pouvoir réglementaire y ajoute les conflits de voisinage liés à une activité rurale ou à un mode de vie rural, comme le suggère le Conseil d’État dans son avis sur la présente proposition de loi.

*

Adoptant l’amendement du rapporteur remplaçant les dispositions de l’article 1er, la commission a supprimé l’alinéa 16 de la présente proposition de loi portant sur les troubles de voisinage. En revanche, la commission a adopté un article additionnel prévoyant un rapport sur la notion de trouble anormal de voisinage (cf. article 1er ter).

Article 1er bis (nouveau)
Inventorier le patrimoine rural

Introduit par la commission

L’article 1er bis permet la prise en compte, dans l’inventaire général du patrimoine culturel réalisé par les régions, des activités, pratiques et savoir-faire agricoles dans les territoires ruraux.

Tenant compte de l’avis du Conseil d’État, le rapporteur a proposé à la commission de remplacer la procédure d’inscription au patrimoine sensoriel des campagnes prévue à l’article 1er de la présente proposition de loi par une prise en compte, dans l’inventaire général du patrimoine culturel défini par l’article 95 de la loi n° 2004‑809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, des activités, pratiques et savoir-faire agricoles dans les territoires ruraux.

Ces données doivent permettre d’enrichir les documents d’urbanisme afin de valoriser et préserver le caractère rural de ces territoires.

 

Article 1er ter (nouveau)
Introduire la notion de trouble anormal de voisinage dans le code civil

Introduit par la commission

L’article 1er ter demande un rapport au Gouvernement étudiant la possibilité de faire entrer la notion prétorienne de trouble anormal de voisinage dans le code civil.

La jurisprudence élaborée par les cours d’appel et la Cour de cassation sur les troubles anormaux de voisinage prévoit la prise en compte des circonstances de temps et de lieux et permet de considérer, par exemple, que le chant d’un coq est un trouble « normal » à la campagne.

Cependant, la commission estime qu’il serait utile d’introduire cette notion et ses critères d’appréciation dans le droit positif, pour s’assurer de son application homogène sur l’ensemble du territoire national, dans un contexte où le périurbain a tendance à grignoter les zones rurales.

La chancellerie travaille depuis plusieurs années à une réforme du droit de la responsabilité civile visant à intégrer dans le code civil un certain nombre de principes dégagés par la jurisprudence.

Dans le projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017 par M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, à la suite de la consultation publique menée d’avril à juillet 2016, il était ainsi proposé de créer un chapitre sur la responsabilité extracontractuelle, qui constituerait une nouvelle catégorie à côté de la responsabilité pour faute et de la responsabilité pour fait des choses dont on a la garde. Ce chapitre comprendrait un unique article 1244 ainsi rédigé : « Le propriétaire, le locataire, le bénéficiaire dun titre ayant pour objet principal de lautoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître douvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs, qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, répond de plein droit du dommage résultant de ce trouble. Lorsquune activité dommageable a été autorisée par voie administrative, le juge peut cependant accorder des dommages et intérêts ou ordonner les mesures raisonnables permettant de faire cesser le trouble ».

La commission a donc adopté un amendement demandant au Gouvernement un rapport sur la possibilité d’introduire le trouble anormal de voisinage dans le code civil et sur la manière dont les circonstances de temps et de lieu, en particulier l’environnement rural, peuvent être prises en compte.

Article 2 (supprimé)
Gage

Supprimé par la commission

L’article 2 prévoit un gage pour compenser les charges éventuelles créées par les dispositions de l’article premier.

En créant une commission départementale consultée lors de la procédure d’inscription au patrimoine sensoriel des campagnes, le dispositif envisagé est susceptible de créer des charges pour l’État. Une compensation en recettes est donc nécessaire pour permettre le dépôt de la présente proposition de loi.

M. le ministre de la culture ayant indiqué l’intention du Gouvernement de lever le gage, la commission a supprimé cet article.

 


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   compte rendu des débats en commission

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 15 heures ([9])

La commission des Affaires culturelles et de lÉducation examine la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ( 2211).

I.   Discussion générale

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Monsieur le président, je vous remercie d’accueillir un commissaire aux lois, qui n’a pas l’habitude de siéger dans votre commission ! J’en suis heureux, d’autant que cette proposition de loi va marquer la ruralité.

Nous allons aborder un sujet que certains vont qualifier de léger, voire d’amusant, mais qui souligne surtout combien notre société évolue, combien les relations humaines se complexifient, allant jusqu’à porter atteinte à la vie rurale. Il s’agit des bruits et odeurs de la campagne. En voici un aperçu : l’abeille bourdonne, l’aigle trompette, la caille cacabe, le canard cancane, le cheval hennit, la cigale craquette ou stridule, la fauvette zinzinule, les vaches meuglent, et sonnent comme les églises et les temples, le rossignol et le coq chantent.

Dans le même temps, la campagne regorge d’odeurs et d’effluves divers de la terre après la pluie, de parfums de fleurs, d’émanations de nectars, intrinsèques à la nature auxquelles se mêlent les odeurs liées à l’activité humaine, celles du fumier et du lisier. Ce sont des réalités rurales.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Et ça sent bon !

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Certains adorent, quand d’autres ne supportent pas, ou plutôt ne supportent plus. Phénomène de société, individualisation rampante, judiciarisation de la vie en commun, André Torre, économiste et directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’explique, les disputes font partie de la vie en société. Nous assistons à une intolérance croissante entre riverains. Nous observons une montée de la conflictualité partout depuis trente ans, allant de pair avec la judiciarisation de la société. L’autre raison tient à une société moins cohérente qu’à l’époque de nos grands-parents. Plusieurs cultures se côtoient et cela génère davantage d’opposition entre les voisins : conflits avec des agriculteurs, opposition quant à l’utilisation des sols qui surgissent dans l’élaboration des plans locaux d’urbanisme (PLU) et des schémas de cohérence, conflits près des usines de traitement de déchets ou de production d’énergie, ainsi qu’à proximité des tracés de TGV.

J’ajouterai que la campagne véhicule une image d’Épinal trop souvent répandue : la nature, le silence, les petites fleurs, en oubliant les activités humaines ! Or, en tant que législateur, il nous appartient d’appréhender les problèmes récurrents et de les régler. Ma proposition de loi est cosignée par soixante et onze députés de tous bords – que je tiens à remercier. Elle a été enregistrée le 11 septembre 2019.

Elle s’inscrit dans une double volonté : protéger le patrimoine et la biodiversité qui nous entourent et instaurer les bases solides d’un dialogue entre des personnes qui ont des modes de vie différents et qui ne se comprennent pas toujours.

Elle vise les bruits et odeurs du monde rural et touche à la notion de trouble anormal de voisinage, strictement jurisprudentielle en l’état actuel du droit. Nous sommes conscients qu’elle ne recouvre pas tous les aspects de la vie qui peuvent entraîner des conflits, et donc potentiellement des actions judiciaires, mais elle permet de faire un pas vers une meilleure appréciation des litiges du quotidien. Elle fait surtout écho à de nombreuses affaires judiciaires qui ont alimenté les prétoires et la presse ces dernières années.

Vous avez forcément entendu parler de l’affaire du coq Maurice : l’animal était visé par une plainte de voisins qui l’accusaient de perturber leur sommeil aux aurores et d’être une nuisance sonore. Les plaignants, propriétaires d’une résidence de vacances à Saint-Pierre d’Oléron, demandaient à sa propriétaire, Corinne Fesseau, d’éloigner ou de faire taire l’animal sous quinze jours. Le tribunal correctionnel de Rochefort, saisi de ce trouble de voisinage, a donné raison à Corinne Fesseau et a ordonné aux plaignants de verser à la propriétaire 1 000 euros de dommages et intérêts.

Mais vous avez peut-être moins entendu parler de l’affaire des déjections d’abeilles : le maire de Pignols, dans le Puy-de-Dôme, a reçu des plaintes contre les abeilles d’un couple d’apiculteurs récemment installés car les déjections de ces insectes peuvent former des petites billes jaunes ou noires qui salissaient leur linge et leur mobilier de jardin – il s’agit ni plus ni moins que de pollen ! Une solution amiable est en cours dans cette affaire.

Enfin, comment ne pas évoquer l’affaire de la cloche de l’église aux Bondons, à côté de Florac, dans les Cévennes – dans mon département : elle gênait un vacancier. Dans le Var, le maire du Beausset et une gérante d’entreprise ont été sollicités pour éradiquer les cigales dans les champs proches de la maison d’un habitant ne supportant pas leur bruit…

S’il est difficile de quantifier le phénomène judiciaire en l’absence de données fiables, comme le souligne le Conseil d’État, le ministère de la justice nous a indiqué que 1 800 dépôts de plainte pour dommages liés à l’environnement ont été recensés, et que la Cour de cassation a examiné 490 recours pour troubles anormaux de voisinage, qui ne sont pas tous liés à la ruralité.

La multiplication de ces conflits inquiète les maires ruraux qui se trouvent pris à partie, à tel point que de nombreuses communes ont apposé un panneau à l’entrée de leur village précisant que, si les vacanciers ou hôtes de passage n’étaient pas satisfaits, notamment de la présence d’animaux, ils pouvaient passer leur chemin…

En déposant cette proposition de loi, je souhaite ouvrir un débat sur la notion de patrimoine sensoriel rural. Il n’était nullement question pour moi de figer une rédaction définitive, bien au contraire. Je souhaitais une véritable avancée législative normative – et non l’adoption d’une résolution, qui aurait peu apporté en droit positif français. Les dispositions que je propose étant innovantes, j’ai souhaité soumettre le texte de la proposition de loi au Conseil d’État, comme je l’avais fait pour la proposition de loi relative aux sapeurs-pompiers volontaires en 2011. Trois réunions se sont ainsi tenues, en présence des ministères concernés – culture, transition écologique, chancellerie, cohésion des territoires – et du secrétariat général du Gouvernement. Ce mode de travail novateur a été salué par le Conseil d’État.

Dans son avis du 16 janvier, ce dernier a émis des réserves concernant plusieurs dispositions du texte d’origine, tout en rappelant que, si l’objectif poursuivi peut sembler anodin, il recouvre en réalité des questions profondes touchant tant à l’identité qu’au vivre ensemble. Le Conseil d’État rappelle qu’il revient au législateur de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement, du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, conformément à l’article 34 de la Constitution.

Nous avons souhaité tenir compte des vingt-neuf points soulevés par le Conseil d’État et rédigé des amendements qui modifient le dispositif juridique, tout en conservant les mêmes objectifs : reconnaître le patrimoine sensoriel des campagnes, tout en évitant les recours pour trouble de voisinage liés aux émissions sonores et olfactives rurales.

Nous souhaitions reconnaître dans la loi que le patrimoine sensoriel des campagnes est constitué de sons et d’odeurs caractéristiques de la vie rurale. Il est apparu que la base juridique initialement retenue – une modification du code du patrimoine – et la notion de patrimoine sensoriel pouvaient entraîner des difficultés d’appréciation et une insécurité juridique. En conséquence, suivant les recommandations du Conseil d’État, je vous propose d’inscrire les sons et les odeurs de la campagne dans le code de l’environnement, à l’article L. 110-1 relatif au patrimoine commun de la Nation.

En ce que concernent le contenu de ce patrimoine sensoriel et le classement de ses différentes composantes, ma proposition de loi prévoyait la création de commissions départementales, ce qui n’était pas de nature à simplifier l’organisation administrative et pouvait également conduire à des distorsions d’analyses département par département.

Je vous proposerai donc par amendement de confier cet inventaire aux services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, déjà chargés d’étudier et de qualifier l’identité culturelle des territoires. Ils prendraient désormais en compte les activités, pratiques et savoir-faire agricoles dans les territoires ruraux. L’inventaire général a été créé par un décret en 1964, à l’initiative d’André Malraux. Il est piloté par la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et, depuis 2005, sa mise en œuvre est confiée aux régions. Nous proposons également que les données de cet inventaire puissent concourir à l’élaboration des documents d’urbanisme, si les élus le souhaitent, afin de valoriser et de préserver le caractère rural des territoires concernés.

Concernant la notion de trouble anormal de voisinage, il nous a été proposé de solliciter le Gouvernement aux fins de dépôt d’un rapport visant à cristalliser les critères de cette notion jurisprudentielle et de préciser que le juge peut tenir compte dans son appréciation de l’environnement dans lequel s’inscrivent la nuisance et le trouble, ainsi que de son antériorité.

Pour conclure, je suis très attaché aux procédures de médiation – nous l’avons abordé avec le Conseil d’État. Depuis la récente loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, la saisine du tribunal de grande instance – désormais tribunal judiciaire – relative à un conflit de voisinage doit être obligatoirement précédée d’une tentative de conciliation. Cependant, dans le décret d’application, le Gouvernement a restreint ce recours aux litiges concernant les limites de terrain. J’appelle de mes vœux que les troubles liés aux bruits et odeurs en zone rurale puissent également faire l’objet d’une procédure de conciliation avant saisine des tribunaux.

La proposition de loi ne vient pas empêcher tout recours devant le juge. En effet, selon les termes de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, toute personne dont les droits et libertés ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale. Le trouble anormal de voisinage reste caractérisable lorsqu’il a été délibérément produit, de façon régulière et ou par malice – ainsi, si un voisin souhaite tondre sa pelouse à sept heures du matin ou qu’un autre qui utilise sa tronçonneuse à l’aube, la volonté de nuire est manifeste.

Le patrimoine rural appartient à l’ensemble de la collectivité ; il n’est en rien exclusif aux ruraux. Il est d’ailleurs bien souvent recherché par la plupart des citadins qui viennent se reposer à la campagne et ne s’en plaignent pas. Il est le résultat d’un passé bien présent, que nous cherchons partout à protéger et à valoriser. Qu’il soit du fait de l’homme ou naturel, il façonne l’image de nos campagnes, mais plus largement de toute la France. Il nous lie et renforce notre identité, à l’intérieur de nos frontières et à l’international. Pour conserver ces lieux de mémoire, il faut les préserver en plaçant notre démarche dans le contexte global de la valorisation du patrimoine du pays et du respect de la biodiversité qui nous entoure.

Ma proposition de loi pose les bases nécessaires à cette ambition : un premier maillon – la définition et la connaissance de ce patrimoine ; un deuxième
– le partage – et un troisième – sa préservation. Il est essentiel de considérer cette dernière sous l’œil du développement responsable. Il ne s’agit nullement de figer des notions et d’empêcher des aménagements futurs. Le patrimoine évolue avec nous ; nous devons capitaliser sur ses spécificités pour nous développer de façon durable et respectable.

Ce travail ne sera couronné de succès que par nos actions, allant dans le sens d’un meilleur vivre-ensemble. C’est d’ailleurs le cœur du travail de votre commission !

M. Franck Riester, ministre de la culture. Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est important. Même si je crois que les élus du monde urbain sont également conscients de l’importance de préserver les spécificités du monde rural, j’en suis d’autant plus convaincu que je viens d’une circonscription rurale et que je suis fier de ce département de Seine‑et‑Marne, urbain et rural. Ayant été maire de la bonne ville de Coulommiers, je connais particulièrement bien les bruits et les odeurs des bons produits de nos territoires !

Ces bruits et ces odeurs sont une part de notre identité, une part de notre pays. Il est donc important de le reconnaître. Monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup travaillé, dans l’état d’esprit constructif que l’on vous connaît. L’attente des élus locaux – notamment des maires – est forte. Vous évoquiez les affiches à l’entrée des communes rurales. Je sais que les maires sont souvent pris à partie par certains, qui arrivent dans leur village et n’ont pas compris qu’ils étaient dans une zone rurale dont il fallait préserver ou respecter les spécificités.

C’est pourquoi le Gouvernement, soutenu par sa majorité et – je l’espère – la majorité d’entre vous, a fait le choix de participer à la recherche de la meilleure rédaction juridique. Je vous remercie de l’avoir souligné. Je salue votre initiative d’avoir soumis la proposition de loi à l’avis du Conseil d’État : le travail fourni a été très utile, j’en remercie le Conseil d’État. Nous avons proposé de nous appuyer sur l’inventaire général du patrimoine culturel. Il n’a pas vocation à figer nos campagnes, mais à reconnaître leurs richesses à travers un travail de documentation technique et scientifique. Il permettra d’enrichir les documents d’urbanisme, afin de valoriser et préserver le caractère rural de ces territoires. Cet inventaire permettra également aux décideurs locaux de prendre leurs décisions en connaissance de cause, notamment en matière d’aménagement du territoire.

Mesdames et messieurs les députés, défendre nos territoires, leur richesse, leur diversité et leurs spécificités, est une priorité absolue du Gouvernement : il est donc favorable, comme la majorité, à cette proposition de loi.

Je remercie le président de la commission, Bruno Studer, ainsi que vous‑même, monsieur le rapporteur, pour le travail constructif mené tant avec la majorité qu’avec les députés – je pense notamment à Sandrine Mörch – et les différents ministères en vue de trouver la rédaction la plus juste, et donc celle la plus à même d’assurer avec efficacité la défense de la ruralité.

M. le président Bruno Studer. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Sandrine Mörch. Qu’on les considère comme un délice ou comme une nuisance, les bruits et les odeurs de la campagne constituent une source inépuisable de discussions : ils sont non pas anecdotiques, mais révélateurs de nos mutations sociétales.

Ces dernières années, ce partage un peu forcé de la nature a fait fleurir les complaintes et les conflits de voisinage, parfois même au-delà de nos frontières, en Angleterre, en Espagne et en Allemagne. M. le rapporteur l’a rappelé : il a été question d’empêcher les cloches de Bondons de sonner, d’assécher la mare aux grenouilles de Grignols, de faire taire le coq de l’île d’Oléron ou de désinsectiser les champs de cigales dans le sud.

Les actions en justice sont souvent intentées par des touristes, des néoruraux ou des voisins ne supportant plus l’activité d’autrui. Elles sont habituellement envisagées sur le fondement juridique des troubles anormaux de voisinage, notion uniquement jurisprudentielle.

Cette proposition de loi, présentée par Pierre Morel-À-L’Huissier et cosignée par soixante et onze de nos collègues de tous bords – vise à définir et à protéger le patrimoine « sensoriel » des campagnes françaises, terme qui n’existe pas dans notre droit positif.

Ce texte constitue en quelque sorte à la fois un antidote aux recours en justice excessifs formés contre les bruits et les odeurs de la campagne, c’est-à-dire à l’hyper‑judiciarisation de notre société, ainsi qu’un geste de soutien à l’égard des maires, chez qui vont d’abord se plaindre nombre de nos concitoyens.

Le rapporteur vit et travaille dans une de nos ruralités les plus authentiques. Je représente quant à moi le périurbain : je suis en effet une citadine venue chercher un coin de campagne en banlieue toulousaine. C’est conjointement que nous défendons le chant du coq et celui des cigales, le carillon des cloches, le croassement des grenouilles et l’odeur du fumier : autant de bruits et d’effluves qui font partie intégrante de la vie rurale, de notre littérature et de notre créativité contemporaine.

Le patrimoine immatériel des campagnes françaises, ainsi que la biodiversité en général sont menacés : préserver notre nature ne se résume pas à supprimer nos produits Tupperware et nos objets en plastique.

Habitante d’une zone périurbaine, je vois année après année s’aggraver le naufrage immobilier des campagnes proches des grandes agglomérations. La couronne de Toulouse, victime de son succès, a ainsi été défigurée par des ZAC, des ZUP et autres zones commerciales, entraînant la désolation de champs transformés en lotissements à la vitesse de l’afflux des nouveaux arrivants, si bien que lorsque je tombe, au détour d’une petite route passant à travers champs – et non à travers Auchan –, sur un troupeau de vaches qui résiste encore à l’envahisseur-lotisseur, ces odeurs animales me rassurent. Elles m’ancrent à une terre, à un pays et – qui sait ? – à une identité. Et je salue mentalement l’agriculteur résistant. Quand j’entends un coq, il ne me dérange pas : il me rend plus vivante. Quant au clocher, il m’arrime à une communauté d’habitants, à un village, à la France : un tel sentiment n’est ni catholique, ni religieux, mais culturel. Les vaches, les coqs et les cloches sont nos racines. Ils peuvent sembler appartenir au passé et relever d’un combat d’arrière-garde, ils seront pourtant bientôt, à nouveau, à l’avant-garde. On sent en effet poindre ce besoin, cette tendance et ce retour. Ces petits indices de la nature sont aujourd’hui très diversement interprétés : ils sont vus soit comme une pierre d’achoppement, soit comme une occasion d’émerveillement.

Ce travail législatif est le fruit d’un réel consensus visant à préserver notre patrimoine naturel et notre biodiversité, ainsi qu’à améliorer nos liens sociaux. Je salue encore une fois cette collaboration transpartisane qui nous a permis d’aboutir au présent texte en faveur de nos campagnes et de jeter les bases d’un meilleur vivre ensemble, ou du moins d’instaurer un dialogue entre des modes de vie qui n’ont plus rien à voir les uns avec les autres. Il rend également un hommage discret qui dit en quelque sorte : restez, résistez, nous avons besoin de vos bruits et de vos odeurs.

Mme Annie Genevard. Permettez-moi tout d’abord, monsieur le rapporteur, de vous remercier pour cette proposition de loi profondément originale en ce qu’elle élargit la notion même de patrimoine au domaine sensoriel.

Elle envoie un signal fort de soutien aux territoires ruraux malmenés ces derniers temps entre « l’agribashing » et les multiples actions en justice intentées contre ces bruits et contre ces odeurs, dont au passage la description a offert des pages si poétiques à la littérature.

L’année 2019 a été émaillée par des litiges de voisinage abondamment commentés : un coq condamné en justice en raison du caractère trop matinal de son chant en Charente‑Maritime, un village assigné en justice par l’un de ses habitants afin que la cloche de l’église soit mise en sourdine, une propriétaire de canards appelée à comparaître devant le tribunal de Dax pour nuisances sonores, des grenouilles menacées de disparition par des voisins en Gironde, des cigales dans le viseur de vacanciers armés d’insecticides dans le Var ou dans le Gard, du crottin de cheval de trait au tribunal de Colmar.

Ces trop nombreuses affaires judiciaires témoignent du manque de respect et de considération dont font preuve certains de nos concitoyens à l’égard de la ruralité, de nos territoires ruraux, comme à l’égard de nos agriculteurs, de nos viticulteurs ainsi que de leurs animaux et de nos modes de vie. L’accroissement de ces plaintes d’un genre nouveau nous indigne et oppose les villageois, empêchés de travailler pour certains, gênés dans leur cohabitation pour tous.

Cette situation met également et malheureusement en exergue l’égoïsme irresponsable de ceux qui veulent vivre à la campagne sans respecter ceux qui y étaient avant eux. Ces actions en justice, qui tendent à se multiplier, sont souvent intentées par des vacanciers ou par des néoruraux qui ne supportent pas ce qu’ils considèrent comme des nuisances : cela se vérifie hélas trop souvent puisque les maires sont sans cesse sollicités pour des faits de ce type.

Pour vous citer, monsieur Morel-À-L’Huissier, « ce sont toutes les valeurs et l’authenticité de la campagne qui sont remises en cause. » Élue municipale dans un territoire rural, j’ai bien sûr, et comme vous tous, plaisir à remarquer la présence de touristes ou de nouveaux habitants qui dynamisent nos villes et nos villages. Mais la condition première est le respect de tout ce qui identifie le territoire : son mode de vie, ses habitants, mais aussi ses animaux, ses bruits, ses activités professionnelles ainsi que leurs odeurs et leurs émissions sonores. On ne vit pas à la ville comme on vit à la campagne.

Monsieur le rapporteur, je me félicite des amendements que vous avez déposés à la suite de votre collaboration avec le Conseil d’État, les administrations compétentes et les cabinets ministériels : leur adoption permettrait en effet la création d’un inventaire des terroirs, établi département par département, qui figerait dans les pages du code du patrimoine – ou de l’environnement – l’identité du patrimoine rural.

Ainsi, les promeneurs ne pourraient plus s’étonner de la présence de cigales dans le Sud, ou de celle des vaches montbéliardes dans le Doubs grâce auxquelles nous dégustons de délicieux Comté, Mont d’Or ou autres Morbier.

Les décisions de justice seront rendues en respectant les notions d’identité du patrimoine et d’antériorité. Les composantes de la ruralité seraient ainsi prises en compte en fonction des territoires et de leurs spécificités. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’autoriser n’importe quoi mais de respecter les traditions et les métiers et de dissuader ceux qui considèrent que lutter contre les bruits et les odeurs inhérents à nos territoires ruraux est un droit.

Oui, la France est ce pays merveilleux, aux multiples richesses, dans lequel les cigales chantent, les vaches meuglent et les fermes émettent des odeurs.

Chers collègues, il est de notre devoir de protéger nos concitoyens des actions visant à nuire à leurs activités, mais surtout d’œuvrer en faveur de ce qu’il est convenu d’appeler le bien vivre ensemble, dans la mesure où la multiplication de ces conflits rend la vie impossible à trop de Français et oppose des modes de vie, des traditions ou des voisins, incapables de s’accepter, pointant du doigt des hommes et des femmes dont le seul tort est de vivre et de travailler à la campagne. Parfois des animaux sont même directement mis en cause !

Cette proposition de loi est donc profondément utile. Certes, on peut s’étonner d’avoir à légiférer en la matière, mais, parfois, face à la bêtise et à l’égoïsme, seule la force de la loi permet de lutter.

Mme Sophie Mette. Nous sommes nombreux à nous soucier ici de ce qui caractérise la vie rurale, son patrimoine et son charme, aujourd’hui remis en cause et contestés par des demandes émanant de néoruraux.

Loin d’être négligeables, ces faits sont de plus en plus nombreux et portent sur des éléments qui font partie intrinsèque de la vie à la campagne, et non pas, comme certains voudraient le faire croire, d’une sorte de folklore campagnard. C’est d’ailleurs pourquoi ces demandes suscitent de la part de ceux qui vivent dans ces territoires des réactions parfois vives, nourries par l’incompréhension. Il y a donc lieu de nous intéresser à ce sujet et il est bon de pouvoir en débattre. Restait à trouver le moyen de le faire. Si votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, comportait des dispositions intéressantes, elle ne nous semblait pas être gage d’efficacité.

Nous saluons donc votre initiative visant à soumettre votre texte à l’avis du Conseil d’État, qui en effet a formulé des remarques pertinentes éclairant nos travaux ainsi que la position que nous devons prendre.

Ainsi, en complétant l’article L. 110-1 du code de l’environnement, comme le propose l’un des amendements, vous permettez, en la rattachant au patrimoine naturel, une définition plus précise et plus pertinente de la notion de patrimoine sensoriel. Je crois qu’une réflexion autour du code rural pourrait également avoir son utilité : il s’agit en tout cas d’un sujet qu’il faut continuer à explorer.

De même, la prise en compte dans l’inventaire général du patrimoine culturel, prévu par l’article 95 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, nous semble être une voie utile et efficace.

Reste la question de la qualification d’un trouble anormal de voisinage qui mérite une étude approfondie que vous suggérez dans votre dernier amendement et que nous soutenons. Il conviendra donc que nous poursuivions ce travail, quitte à compléter le dispositif à l’avenir.

En tout état de cause, nous sommes convaincus du bon sens de cette proposition de loi qui met en évidence un souci que partagent beaucoup de maires de petites communes : nous souhaitons ainsi leur envoyer un message de soutien. Dans ma circonscription d’ailleurs, un maire a créé une association, L’écho de nos campagnes, après avoir subi certains désagréments. Il avait écrit un courrier au président de la République à ce sujet dans le cadre du Grand débat.

Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés soutiendra avec grand plaisir cette proposition de loi, sous réserve du vote des amendements proposés par notre rapporteur.

Mme Béatrice Descamps. La mise en valeur du patrimoine rural est un point prégnant de notre niche parlementaire : après avoir étudié une première proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, nous en venons à une seconde visant à définir et à protéger le patrimoine sensoriel de campagnes françaises.

Si ce sujet peut paraître anecdotique de prime abord, il s’agit en réalité d’un texte aux enjeux profonds. De plus en plus de recours sont en effet intentés contre des propriétaires d’animaux, responsables de ce que leurs auteurs qualifient de nuisances sonores, sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.

L’ampleur médiatique dont a bénéficié le traitement de ces affaires, de plus en plus nombreuses, a produit une caisse de résonance à l’indignation de nos compatriotes. Telle l’affaire du coq Maurice qui a vu un couple de vacanciers intenter un recours contre la propriétaire dudit volatile car celui-ci avait la mauvaise idée… de chanter à l’aube. Ces plaignants ont considéré le chant de ce coq comme une nuisance sonore constitutive d’un trouble anormal du voisinage. Ce gallinacé est ainsi devenu l’emblème d’une ruralité menacée et a bénéficié d’un écho médiatique tonitruant : un article à son propos a même été publié dans l’édition du New York Times du 23 juin 2019 !

Nous pourrions multiplier les exemples retraçant des situations similaires, moins médiatisées mais tout aussi incompréhensibles : le caquetage des canards, les cloches d’une église de village ou le mugissement des vaches dans les prés.

La préservation de ce patrimoine dit sensoriel devient une nécessité pour la sauvegarde du caractère rural de nos campagnes car celles-ci ne sauraient se résumer à un lieu de villégiature propice aux citadins. Les bruits et effluves propres à la ruralité ne peuvent être assimilés à des nuisances puisqu’ils en constituent l’essence même.

Nous saluons votre travail, monsieur le rapporteur, car il nous permet, d’une part, de rappeler notre attachement à la ruralité et, d’autre part, de préserver et de valoriser ce que sont nos campagnes.

L’intérêt de votre saisine du Conseil d’État, grâce au concours du Président de l’Assemblée nationale, est à souligner, d’autant que vous avez pris en considération toutes les remarques qu’il a formulées afin d’enrichir ce texte. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, seules trente et une propositions de loi ont bénéficié de cette procédure : c’est très peu, alors même que l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi ont été élevées au rang d’objectifs à valeur constitutionnelle par une décision du Conseil constitutionnel du 6 décembre 1999.

Concernant l’article 1er, la consécration du patrimoine sensoriel dans notre droit positif nous paraît être une nécessité afin de protéger un patrimoine de plus en plus menacé. Sa valorisation par l’enrichissement des missions des services régionaux de l’Inventaire général du patrimoine culturel va dans le bon sens. Même dépourvu de portée normative, il permettrait d’identifier le patrimoine sensoriel propre à chaque région. Le juge pourrait également s’en saisir à l’appui de jugements similaires à ceux que nous venons d’évoquer.

Enfin, nous partageons votre volonté, monsieur le rapporteur, de codifier la notion prétorienne de troubles anormaux du voisinage et d’en fixer les critères
– notamment environnementaux – d’appréciation. En inscrivant ces principes dégagés par la jurisprudence dans la loi, nous nous assurerons de la préservation de l’essence même de nos campagnes.

Le Groupe UDI, Agir et Indépendants se prononcera pour cette proposition de loi qui est un très beau message envoyé à nos campagnes.

M. Paul Molac. Il est effectivement assez curieux, et presque incongru, de rédiger une loi sur les bruits et les odeurs des campagnes françaises : même les Monty Python – pour ceux qui connaissent un peu l’humour absurde britannique – n’y avaient pas pensé ! (Sourires.) Et pourtant, nous sommes confrontés à un véritable problème : j’ai d’ailleurs cosigné cette proposition de loi.

Cela me fait penser à ce droit féodal au Moyen Âge qui imposait de battre l’eau la nuit pour faire taire les grenouilles à la saison des amours. Même s’il n’est pas forcément attesté, Michelet en avait fait l’un de ses violons d’Ingres car il lui permettait de montrer combien la société seigneuriale était quelque chose d’affreux. Il semble cependant qu’il en ait été fait peu usage.

En est-on là ? Il est quand même curieux de voir ce pauvre coq Maurice renvoyé devant la cour tout simplement parce qu’il chante. Ou que le nouvel occupant d’une maison dans un bourg se plaigne que les cloches sonnent. Et que dire de la trayeuse mise en marche à six heures trente le dimanche ? Eh oui, il faut traire les vaches deux fois par jour, sept jours sur sept !

Tout cela part d’une conception fantasmée et idéalisée de la campagne, qui serait par essence un havre de paix. Or à part les paysages de haute montagne, il n’existe plus en France, et depuis belle lurette, de paysages naturels : ceux-ci ont été façonnés par l’homme, y compris, bien sûr, à la campagne. Ainsi, le bocage n’a rien de naturel : les arbres ne poussent pas spontanément à la queue leu leu. Que viennent chercher ces gens qui s’installent à la campagne ? Cela en dit long sur la coupure avec l’ancien monde, celui de la campagne où l’on voyait le grand-père trucider le lapin ou le poulet. Tout cela nous ramène finalement à une certaine humanité.

Je trouve même incroyable que les juges poursuivent sur la base de tels faits : laisserait-on par exemple quelqu’un qui s’installerait à proximité du boulevard périphérique poursuivre l’État au motif que des voitures y passent en faisant du bruit ? Je ne le crois pas. Dernièrement, des plaisanciers se sont plaints du bruit fait par le goéland, espèce protégée mais il est vrai bruyante. Vont-ils dès lors poursuivre l’État au motif qu’il ne réussit pas à les priver de leur voix ? Où tout cela va-t-il s’arrêter ? Il y a là quelque chose qui dépasse mon entendement.

Loin de moi l’idée de donner des instructions aux juges – je suis bien trop attaché à la séparation des pouvoirs pour le faire. Mais cette proposition de loi me paraît nécessaire lorsque certains en viennent à vouloir régler ce qui est naturel. Eh bien non, ce n’est pas possible ! Il en va de même de la pluie : impossible de décider s’il doit pleuvoir la nuit ou le jour !

M. le président Bruno Studer. Pour la bonne tenue de nos débats, je précise que le coq chante, coqueline ou coquerique. (Sourires.)

Mme Marie-George Buffet. Habitante depuis toujours de villes de banlieue, je ne prends pas cette proposition de loi à la légère : elle traduit en effet une difficulté à vivre ensemble, dans la ruralité mais également dans le monde des villes, une intolérance aux activités différentes des siennes ainsi qu’à certains modes de vie.

Le patrimoine sensoriel, c’est-à-dire les bruits et les odeurs, n’est pas négligeable. De plus en plus d’historiens se saisissent d’ailleurs de cette question pour retracer la vie de nos compatriotes il y a quelques centaines d’années, dans les villes et la ruralité.

Certains éléments doivent cependant être précisés, comme vous l’avez reconnu, monsieur le rapporteur. Je pense à la notion de ruralité, et à celle de désirabilité. En effet, le partage entre zones réellement rurales et zones loties accueillant les habitants des grandes villes petit à petit chassés par le prix des loyers devient problématique.

Ne faisons pas toutefois de ce texte un objet d’opposition entre, d’un côté, les ruraux, qui seraient des gens formidables, et, de l’autre, les urbains, habitant des lotissements et n’acceptant pas d’entendre ceci ou de sentir cela. Une telle opposition serait non seulement factice mais dangereuse. Il faut entretenir le vivre ensemble tant en ville qu’à la campagne. Et ceux qui changent de lieu d’habitation doivent respecter les bruits et les odeurs des activités avoisinantes.

Le groupe GDR votera cette proposition de loi en insistant sur le fait que le vivre ensemble vaut tant pour les urbains que pour les ruraux.

M. le président Bruno Studer. Nous en venons aux questions.

M. Stéphane Testé. Monsieur le rapporteur, cette proposition de loi a pour objectif de dresser, dans chaque département, l’inventaire de tous les bruits et odeurs considérés comme constitutifs d’un patrimoine sensoriel. Cette qualification serait opposable en cas de poursuites judiciaires engagées sur le fondement d’un trouble anormal de voisinage, régulièrement invoqué dans leur cadre.

Pouvez-vous tout d’abord nous indiquer combien de plaintes liées à ce patrimoine sensoriel des campagnes françaises ont été déposées dans le monde rural au cours de ces cinq dernières années ? Par ailleurs, avez-vous estimé le nombre de plaignants qui pourraient être déboutés de leurs poursuites du fait de l’entrée en vigueur de la loi ?

Mme Agnès Thill. Je suis à la fois interrogative et dubitative, à l’instar de mon collègue Paul Molac, comme moi signataire de cette proposition de loi. J’en comprends néanmoins la portée éminemment politique et symbolique. Ce texte reflète en effet le paradoxe de notre époque qui souhaite urbaniser la ruralité et ruraliser le milieu urbain.

Je tiens à remercier vivement notre collègue Morel-À-L’Huissier de cette initiative, car ce texte envoie un message fort : le chant du coq, le tintement des cloches ou l’odeur des fermes font effectivement partie intégrante de l’ADN de notre pays et de nos campagnes et constituent un héritage immémorial qui lie notre passé à notre présent. Cependant, j’aimerais nuancer mon propos, car je trouve désolant que l’on soit réduit à devoir préciser des choses aussi évidentes, que l’Assemblée nationale doive légiférer pour protéger des choses aussi naturelles que le braiment des ânes et l’odeur du fumier.

Surtout, cette proposition de loi renvoie à une réalité beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît : elle met en évidence le déracinement d’une partie croissante de la population ainsi que l’inquiétante judiciarisation des rapports sociaux. Si les Français ne savent plus ce qu’est une campagne, la nature ou un village, je crains qu’un texte de loi ne soit pas suffisant pour leur faire retrouver le sens du réel.

Je soutiens ce texte de bon sens visant à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes, mais conclurai mon propos en posant néanmoins cette question : n’est‑il pas absurde de devoir préciser par la loi les évidences naturelles ?

Mme Jacqueline Dubois. De plus en plus souvent, des situations pourtant naturelles à la campagne sont remises en question. Dans mon département, les grenouilles de Grignols ont défrayé les chroniques pendant sept ans. Ces créatures innocentes sont le symbole de l’intolérance urbaine aux bruits ruraux. Alors que la mare abrite désormais cinq espèces protégées, leurs propriétaires sont condamnés par la justice à la combler.

Votre proposition de loi me paraît avoir du sens, car elle vise à la fois la réalisation d’un inventaire général du patrimoine sensoriel de nos campagnes et l’appel à la conciliation en cas de conflit de voisinage lié à une activité ou à un mode de vie ruraux.

Si l’exemple des grenouilles est très lié à la nature, les conflits impliquent le plus souvent des activités agricoles. À ce titre, j’aimerais porter à votre connaissance l’initiative de la chambre d’agriculture de Dordogne. Celle-ci a pour projet cette année d’élaborer une charte de bon voisinage en partenariat avec des élus, des citoyens et des agriculteurs, ce qui me paraît une piste intéressante pour éviter les conflits et apaiser les relations entre ces acteurs. Elle pose incidemment la question de l’intérêt d’un texte de loi qui apparaît fantaisiste à certains et dangereux à d’autres. J’aimerais connaître votre point de vue sur le sujet, monsieur le rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Avant de répondre aux questions, j’aimerais remercier Sandrine Mörch de son implication depuis le début de l’élaboration de ce texte, en particulier pour en faire comprendre le caractère normatif et l’importance. Je salue pour les mêmes raisons Annie Genevard, qui a accompagné cette démarche dès l’origine, et apporté des éléments d’appréciation pertinents sur la ruralité.

Madame Mette, vous avez précisément retracé l’évolution du texte, et mis en évidence l’important travail fait par le Conseil d’État, auquel j’avais souhaité soumettre pour avis cette proposition avant son examen en commission en raison de sa complexité. Un vrai travail légistique a été réalisé. La notion de patrimoine sensoriel sera notamment insérée non pas dans le code du patrimoine, mais dans celui de l’environnement.

Chère collègue Béatrice Descamps, je vous remercie de votre soutien sur ce texte, très important pour la ruralité.

Je vous l’accorde, monsieur Molac : s’il fallait aussi se plaindre des bruits de la ville, il y aurait beaucoup à faire !

Madame Buffet, vous avez pointé le problème de l’intolérance. L’objectif de ce texte n’est pas d’opposer néoruraux et ruraux. Il est d’établir l’existence de spécificités propres à la ruralité, de sons et d’odeurs intrinsèques, de les inventorier et de les intégrer dans le droit positif.

Je ne pourrai pas répondre précisément à vos deux questions, monsieur Testé. Le ministère de la justice ne disposait pas d’éléments concrets, et vous savez qu’il est difficile pour un parlementaire de faire une étude d’impact sur une proposition de loi. Nous avons essayé de quantifier les plaintes déjà déposées, mais c’est très difficile. Près de 1 800 demandes au titre des nuisances environnementales sont recensés par la chancellerie et 490 recours concernant les troubles anormaux de voisinage auraient été soumis à la Cour de cassation, mais les litiges peuvent être traités par les tribunaux d’instance ou par une procédure de conciliation avec le procureur de la République et un maire, lequel est souvent l’arbitre de proximité.

En intégrant ces notions dans un texte de loi, nous permettons au juge de fonder ses décisions sur une base patrimoniale en appliquant le principe d’antériorité. Si, dans dix ans, un riverain se plaint du bruit que font les cigales sur un territoire comme celui de la Provence, le juge pourra lui opposer que la cigale figure à l’inventaire général du patrimoine et qu’elle est un élément intrinsèque de l’identité des campagnes qu’il serait malvenu de contester.

Chère Agnès Thill, la démarche vous paraît absurde, mais c’est un premier pas, comme je l’indiquais dans mon propos liminaire. Ces dispositions sont novatrices : intégrer dans le droit français les notions de patrimoine sensoriel des campagnes, d’émissions sonores et olfactives est un début. Nous avons été étroitement accompagnés par le ministère, en raison de la complexité du sujet. Le dispositif adopté par l’UNESCO en 2003 au travers de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ayant un objet un peu différent, nous avons choisi comme véhicule législatif le code de l’environnement pour préciser un aspect du patrimoine rural.

La charte mentionnée par Jacqueline Dubois me paraît une excellente initiative, comme toutes celles qui s’appuieraient sur la complémentarité entre les agriculteurs et les citoyens. On l’a vu sur les ressources en eau, les chambres d’agriculture parviennent à régler un certain nombre de conflits au moyen de cet outil, qui aurait d’ailleurs eu sa place dans la proposition de loi.

M. le président Bruno Studer. Avec le changement climatique, on peut imaginer qu’il y aura bientôt des cigales en Bretagne !

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. C’est en établissant l’inventaire qu’on pourra le déterminer. La cigale est en tout cas mise à l’honneur par un groupe de musiciens de Provence qui leur a dédié ce titre : « Touche pas aux cigales ». Je ne résiste pas à la tentation de vous en faire écouter un extrait, même si c’est un peu cru.

M. le président Bruno Studer. Après avoir fait la une au côté du général Georgelin, je serai donc en première page aux côtés des cigales ! (Sourires.)

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Ce serait une belle image : la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale s’ouvre à la musique pour défendre le caractère patrimonial de la ruralité.

M. le président Bruno Studer. Pour en revenir au texte, je partage les inquiétudes exprimées par certains de nos collègues quant à la situation qui nous conduit à légiférer sur un tel sujet. L’objet de cette proposition est toutefois de faciliter la tâche aux maires, et cette seule raison me paraît justifier son adoption, dans la droite ligne de la toute récente loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui a fait l’objet d’un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Je constate avec plaisir que tous les députés de cette commission souscrivent à la fois aux objectifs fixés et au dispositif retenu.

Certes, le texte ne permet pas de régler tous les problèmes posés, et il convient d’être attentif à ne pas donner le sentiment de dresser urbains, néoruraux et ruraux les uns contre les autres. La France est une, même si elle est diverse.

L’inventaire général du patrimoine culturel a été fondé par André Malraux en 1964. Ses missions ont été décentralisées et confiées aux régions en 2004, et ce sont aujourd’hui les services régionaux de l’inventaire qui en assurent la gestion.

L’État a toutefois conservé une partie de ses missions : il fixe la méthodologie des opérations d’inventaire, il accompagne les services régionaux dans la valorisation et la mutualisation des données produites et assure le contrôle scientifique et technique des inventaires. Il assure en outre, au travers de la direction des patrimoines, le secrétariat du Conseil national de l’inventaire général du patrimoine culturel, qui regroupe notamment les différents services régionaux de l’inventaire. Ces derniers sont sollicités par les collectivités territoriales lorsque sont menées des études préalables pour les plans locaux d’urbanisme (PLU), par exemple, ou pour les sites patrimoniaux remarquables. Il est également fait appel à ces services pour les campagnes thématiques – patrimoine scolaire, artisanat – ou pour la préparation d’un certain nombre de décisions, notamment dans le cadre des campagnes pour la préservation du patrimoine culturel immatériel.

Il y a donc une belle articulation entre les missions dévolues à l’État, en l’occurrence à la direction générale des patrimoines, et celles des services décentralisés dans les régions. Cette précision me paraissait utile pour que chacun de vous ait bien en tête le fonctionnement du dispositif actuel d’inventaire du patrimoine.

Mme Jacqueline Dubois. J’ai une réserve au sujet de l’application du principe d’antériorité. Permettez-moi d’illustrer mon propos par un exemple où il s’agira à nouveau de grenouilles. Je vis à la campagne, et nous avons commencé d’entendre les grenouilles quand le ruisseau qui jusqu’alors était pollué par des effluents venant d’un élevage de canards ne l’a plus été. Les batraciens étant très fragiles, ils ne pouvaient survivre dans ce milieu dégradé, mais ils y ont aujourd’hui élu domicile.

M. Franck Riester, ministre de la culture. L’inventaire peut être réévalué à tout moment, selon l’évolution des bruits et des odeurs.

 

 

 

 


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II.   Examen des articles

Article 1er
Protection du patrimoine sensoriel des campagnes

La commission examine l’amendement AC2 du rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier, rapporteur. Cet amendement propose une nouvelle rédaction de l’article 1er. L’insertion intervient non plus dans le code du patrimoine mais dans le code de l’environnement : nous complétons l’article L. 110‑1 par la mention des sons et des odeurs qui caractérisent les milieux naturels terrestres et marins.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé.

Après l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement AC3 du rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Cet amendement vise à prendre en compte les territoires ruraux dans l’inventaire général du patrimoine culturel dont M. le ministre vient de rappeler la philosophie. Ces données récoltées par les services des régions permettront d’avoir une vision globale du patrimoine culturel.

M. Franck Riester. Nous avons travaillé en concertation avec l’association Régions de France sur cette articulation.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC4 du rapporteur.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Une réforme profonde de la responsabilité civile étant à l’étude, nous demandons au ministère de la justice un rapport d’analyse des jurisprudences sur les troubles anormaux de voisinage pour avoir un aperçu de l’ensemble des critères objectifs qui concourent à l’appréciation par le juge du caractère anormal du trouble. Il s’agit aussi d’intégrer dans ces critères qu’il peut tenir compte de l’environnement, notamment la notion de ruralité. Le ministère a donné un accord de principe.

La commission adopte l’amendement.

Article 2
Gage

M. le président Bruno Studer. Le Gouvernement confirme-t-il qu’il lève le gage ?

M. Franck Riester, ministre de la culture. Le gage est levé.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 

 

 

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*     *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte adopté par la commission : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/ta-commission/r2618-a0.pdf

– Texte comparatif : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r2618-aCOMPA.pdf

 


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   Annexe :
Liste des textes susceptibles d’Être abrogÉs
ou modifiÉs À l’occasion de l’examen
de la proposition de loi

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées ou abrogées

Article

Codes et lois

Numéro darticle

1

Code de l’environnement

L. 110-1

 

 


([1]) Cass. Civ. 3ème chambre, 4 février 1971, n° 69-12.327.

([2]) Cass. Civ., 2ème chambre, 19 novembre 1986, n° 84-16.379.

([3]) Cass. Civ., 2ème chambre, 23 octobre 2003, n° 02-16.303.

([4]) Cour d’appel de Bastia, chambre civile, 30 novembre 2011, n° 10-00.213.

([5]) Cour d’appel de Lyon, 8ème chambre civile, 15 janvier 2008, n° 06-02.427.

([6]) Cour d’appel de Bordeaux, 23 mai 2006, précité.

([7]) http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2007/02/25/attendu-que-la-poule-est-un-animal-anodin-et-stupide/

([8]) Cass. Civ., 2ème chambre, 18 juin 1997, n° 95-20.652.

([9]) Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8638437_5e285305b192d.commission-des-affaires-culturelles--examen-de-propositions-de-lois-sur-le-patrimoine-22-janvier-2020