N° 2683
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2020.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE ([1]) CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI instituant un système universel de retraite et LE PROJET DE LOI ORGANIQUE relatif au système universel de retraite, SUR LE PROJET DE LOI instituant un système universel de retraite
Tome ii
comptes rendus
Par M. Guillaume GOUFFIER-CHA, Rapporteur général
M. Nicolas TURQUOIS, M. Jacques MAIRE, Mme Corinne VIGNON,
Mme Carole GRANDJEAN et M. Paul CHRISTOPHE,
Rapporteurs
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Voir le numéro :
Assemblée nationale : 2623 rectifié.
La commission spéciale est composée de :
Mme Brigitte Bourguignon, présidente ;
M. Éric Girardin, Mme Célia de Lavergne, M. Boris Vallaud, M. Stéphane Viry, vice-présidents ;
M. Thibault Bazin, Mme Jeanine Dubié, Mme Albane Gaillot, M. Thierry Michels, secrétaires ;
M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général ;
M. Nicolas Turquois, rapporteur sur le titre Ier du projet de loi ordinaire ;
M. Jacques Maire, rapporteur sur le titre II du projet de loi ordinaire ;
Mme Corinne Vignon rapporteure sur le titre III du projet de loi ordinaire ;
Mme Carole Grandjean, rapporteure sur le titre IV du projet de loi ordinaire ;
M. Paul Christophe, rapporteur sur le titre V du projet de loi ordinaire ;
M. Olivier Véran, rapporteur du projet de loi organique ;
Mme Clémentine Autain, M. Didier Baichère, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Marine Brenier, M. Jean-Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Jean-René Cazeneuve, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Yves Daniel, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, M. Jean-Pierre Door, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Bruno Fuchs, M. Fabien Gouttefarde, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, Mme Danièle Hérin, M. Sacha Houlié, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, Mme Marie Lebec, Mme Monique Limon, M. Emmanuel Maquet, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean François Mbaye, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Sophie Panonacle, Mme Zivka Park, M. Aurélien Pradié, M. Adrien Quatennens, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Hervé Saulignac, M. Vincent Thiébaut, M. Philippe Vigier et M. Éric Woerth
SOMMAIRE
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Pages
Comptes rendus DE l’examen des articles
1. Réunion du lundi 3 février 2020 à 16 heures (article 1er)
2. Réunion du lundi 3 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)
3. Réunion du mardi 4 février 2020 à 17 heures (suite de l’article 1er)
4. Réunion du mardi 4 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)
5. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 1er à après l’article 1er)
6. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 15 heures (avant l’article 2 à article 3)
7. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 3 à article 4)
8. Réunion du jeudi 6 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 4 à l’article 6)
9. Réunion du jeudi 6 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 6 à l’article 7)
10. Réunion du jeudi 6 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 7 à l’article 8)
11. Réunion du vendredi 7 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 8)
12. Réunion du vendredi 7 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 8 à l’article 10)
13. Réunion du vendredi 7 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 10 à l’article 12)
14. Réunion du samedi 8 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 12 à l’article 13)
15. Réunion du samedi 8 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 13 à l’article 15)
16. Réunion du dimanche 9 février 2020 à 9 heures 30 (de l’article 16 à après l’article 17)
17. Réunion du dimanche 9 février 2020 à 15 heures (de l’article 18 à l’article 19)
18. Réunion du lundi 10 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 19 à l’article 20)
19. Réunion du lundi 10 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 20 à après l’article 22)
20. Réunion du lundi 10 février 2020 à 21 heures 30 (de l’article 23 à après l’article 24)
21. Réunion du mardi 11 février 2020 à 17 heures (article 25)
22. Réunion du mardi 11 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 25 à l’article 26)
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Comptes rendus DE l’examen des articles
1. Réunion du lundi 3 février 2020 à 16 heures (article 1er)
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous commençons cet après-midi l’examen des articles des deux projets de loi soumis à l’examen de notre commission spéciale.
Je rappelle que nous avons procédé mardi dernier à une discussion générale avec l’audition du secrétaire d’État chargé des retraites. Mercredi, nous avons entendu les représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs, puis les présidents du Conseil d’orientation des retraites (COR) et du Comité de suivi des retraites (CSR).
Les projets de loi étant inscrits à l’ordre du jour de la séance publique à compter du lundi 17 février, nous débutons donc aujourd’hui l’examen des 21 661 amendements déposés sur le projet de loi instituant un système universel.
En introduction à nos travaux, je veux rappeler que je suis attachée à conduire nos discussions dans un esprit d’ouverture et de conciliation. Nous avons tous intérêt ici à ce que nos débats soient riches, et je m’engage bien sûr à ce que tout le temps nécessaire soit pris pour ce faire. Chaque amendement pourra être défendu ; le rapporteur et, le cas échéant, le Gouvernement apporteront leurs réponses, puis, conformément à l’usage en séance publique, deux orateurs pourront s’exprimer, l’un pour l’amendement, l’autre contre.
Les échanges pourront sans doute parfois être vifs, mais je veillerai scrupuleusement à ce que chacune et chacun puisse s’exprimer dans le calme et dans l’écoute mutuelle. Nous le devons aux citoyennes et aux citoyens qui nous regardent et nous écoutent : nos débats ne seront utiles que s’ils sont de nature à les éclairer sur les enjeux qui sont au cœur de ces deux textes.
Ces enjeux sont à la fois fondamentaux, complexes et disputés. Des désaccords profonds existent, et subsisteront sans doute, mais je compte sur vous pour que la confrontation des projets, des opinions et des idées se déroule dans un esprit républicain.
Avant l’article 1er
La commission est saisie de l’amendement n° 410 de M. Patrick Hetzel.
M. Thibault Bazin. Les Français sont inquiets. Ils sont inquiets du niveau des pensions pour les retraités actuels, mais aussi pour les retraités de demain et d’après-demain. Cette inquiétude est légitime car, sans réforme, il y aura un déséquilibre financier. Selon les prévisions du COR, à législation inchangée, le déficit du système de retraite devrait être multiplié par quatre d’ici à 2022 pour atteindre environ 12 milliards d’euros.
Or, ces prévisions sont très largement sous-estimées : j’en veux pour preuve que les dépenses engagées cette année par l’État pour la retraite des fonctionnaires et pour abonder certains régimes spéciaux atteignent déjà 19,5 milliards d’euros pour cette année.
L’amendement n° 410 de notre collègue Patrick Hetzel vise donc à ce que le Gouvernement présente les résultats détaillés d’un audit financier indépendant portant sur les régimes de retraite, avant toute réforme du système de retraite.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame la présidente, mes chers collègues, je vous salue et j’espère que le débat qui s’ouvre aujourd’hui nous permettra d’apporter tous les éclaircissements nécessaires sur ce texte.
L’amendement n° 410 remet en cause les analyses du COR, ce qui ne manque pas de me surprendre, ce conseil étant composé d’experts indépendants. Pour ma part, je considère ses prévisions comme fidèles : si les hypothèses de croissance et d’inflation sur lesquelles elles reposent sont forcément sujettes à discussion, elles constituent une bonne base de travail. À l’inverse, les interrogations que vous formulez viennent en quelque sorte apporter une justification supplémentaire à la future réforme, car c’est bien en raison des évolutions démographiques à venir que le Gouvernement a été amené à proposer cette réforme.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. Gilles Carrez. L’amendement n° 410 vise à mettre en évidence la question de l’équilibre financier. Le problème de notre régime par répartition, qu’il convient de consolider, c’est qu’il y a de moins en moins d’actifs pour de plus en plus de retraités. Les réformes que les majorités de droite et du centre s’honorent d’avoir conduites en 1993, en 2003 et en 2010, ont toutes été motivées par des raisons financières, c’est-à-dire pour sauvegarder le niveau des retraites des Français.
Or, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation aussi paradoxale qu’inacceptable, où l’on engage l’examen d’un texte qui ne comporte pas les éléments financiers absolument indispensables à un texte de cette nature. Il y a de quoi être inquiet quand on sait que, depuis vingt ans, les prévisions du COR ont toujours été trop optimistes. On sait qu’à l’horizon 2025, il faudra faire face à un déficit de l’ordre de 15 milliards d’euros par an, ce qui nécessite de prendre dès maintenant la question financière à bras-le-corps : il y va de notre responsabilité.
M. Boris Vallaud. Je rappelle que le Conseil d’État a eu l’occasion de souligner, dans un avis cinglant, l’indigence du travail du Gouvernement et le caractère lacunaire des perspectives financières de ce projet de loi – des constats que nous faisons également, en les regrettant.
Il n’y a, par ailleurs, aucune étude d’impact sur les conséquences globales, macro-économiques et financières, de cette réforme, qui aura nécessairement des incidences sur le taux de chômage, sur la dépense publique et sur le produit intérieur brut (PIB). De ce fait, nous ne sommes pas en mesure de disposer d’une vue complète sur les conséquences potentielles de cette réforme.
Vous évoquez la nécessité de maintenir l’équilibre financier. Or, il est permis de s’interroger sur le fait que cette règle d’or est limitée au seul système de retraite : si elle portait sur l’ensemble de la sécurité sociale, cela permettrait de relativiser ce que vous présentez comme un déficit financier.
Enfin, ceux d’entre nous qui ont lu dans le détail le rapport du COR et le compte rendu de l’audition de son président y ont trouvé la confirmation du fait que le déficit constaté est essentiellement dû aux décisions du Gouvernement. Alors que, pour la première fois, nous avions l’occasion de conduire une réforme guidée par autre chose que par l’urgence financière, vous avez réussi à en faire une réforme purement paramétrique.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. À titre exceptionnel, je vais donner la parole à M. Mélenchon puis à M. Dharréville. Compte tenu du nombre d’amendements que nous devons examiner, je devrai ensuite faire une application stricte du principe selon lequel nous entendons un orateur pour et un orateur contre.
M. Jean-Luc Mélenchon. Si on ne peut pas donner de chiffrage plus précis, c’est qu’il est difficile d’évaluer un problème qui n’existe pas... Si quelqu’un est capable de calculer avec précision ce que seront les résultats économiques du pays en 2025, je le félicite, car la plupart des responsables sont incapables de le faire pour les six mois qui viennent !
Si on regarde de plus près la répartition entre les actifs et les inactifs, on en vient très vite à la conclusion selon laquelle une modification de la répartition de la valeur ajoutée se traduirait par un bouleversement complet des résultats dont se réclame le COR. En effet, 1 % d’augmentation des salaires produit 2,5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires à taux de cotisation constant : le problème n’existe donc pas.
Certes, le nombre d’actifs a diminué par rapport au nombre d’inactifs, mais la richesse produite a, elle, augmenté, ainsi que les bénéfices qu’il est possible d’en tirer. Par conséquent, sans rien modifier, on peut parfaitement tenir une position d’équilibre, ce qui fait s’écrouler tout le discours sur lequel repose ce projet de réforme.
M. Pierre Dharréville. On ne sait plus à quel saint se vouer, puisque si le premier argument invoqué en faveur de cette mesure, résultant des analyses du COR, était l’absence de problème financier, on nous a ensuite affirmé exactement le contraire, à savoir que la réforme était nécessaire parce qu’il y avait un problème financier... Cela dit, quand on examine la réforme qui nous est proposée, on voit qu’il y a une volonté manifeste, non seulement de maîtriser, mais aussi de réduire la part des richesses consacrée au financement de nos retraites : cette réforme a donc bien des objectifs financiers. Nous ne savons pas exactement comment les mesures proposées vont être financées, puisque cela sera décidé dans le cadre de la conférence de financement à venir et que nous en sommes donc réduits à légiférer alors que tous les éléments ne sont pas sur la table.
Enfin, je veux dire à notre collègue Carrez que, si les réformes faites précédemment ont sans doute eu des conséquences financières, elles en ont surtout eu sur la vie de nos concitoyennes et concitoyens, en abîmant considérablement le droit à la retraite.
La commission rejette l’amendement.
Titre Ier
LES PRINCIPES DU SYSTÈME UNIVERSEL DE RETRAITE
Chapitre Ier
UN SYSTÈME UNIVERSEL COMMUN À TOUS LES ASSURÉS
Section 1 : Principes généraux
Avant l’article 1er
La commission examine l’amendement n° 756 de M. Damien Abad.
M. Éric Woerth. L’amendement n° 756 a pour objet de présenter ce que pourrait être, pour nous, une autre réforme des retraites. D’abord, comme l’a dit Gilles Carrez, l’aspect financier n’a rien de secondaire : au contraire, c’est la clef pour qu’un système de retraite puisse être qualifié de juste. Un système non financé, c’est un système injuste pour toutes les générations qui vont se succéder.
Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur Mélenchon, l’aspect financier doit être pris en considération quand on examine le système de retraite. Certes, il est difficile de faire une évaluation extrêmement précise de ce que seront les chiffres dans vingt ans, mais décider de se boucher les yeux et les oreilles n’est certainement pas la bonne façon de procéder.
Pour notre part, nous proposons que l’ensemble des travailleurs français soient couverts par un régime universel de base à hauteur d’un plafond de sécurité sociale, ce régime étant complété par des systèmes complémentaires qui, comme c’est le cas aujourd’hui, prennent en compte les particularités de chaque profession.
Nous voulons d’une part réduire les périodes de transition, d’autre part supprimer les régimes spéciaux – un objectif vers lequel convergeaient les réformes précédentes. Pour ce qui est de la période de transition proposée par le Gouvernement, elle paraît interminable, ce qui fait qu’elle ne veut plus rien dire et qu’elle dévitalise complètement la réforme.
Nous souhaitons également augmenter l’âge de départ à la retraite, ce qui est une mesure plus directe et plus compréhensible par tous que de celle consistant à poursuivre l’augmentation de l’âge légal de départ. La référence à l’âge pivot
– une très vieille idée, déjà repoussée en 2010 – constitue une façon hypocrite de présenter les choses, car elle équivaut à une baisse des pensions, à une absence d’indication de l’âge réel de départ en retraite et, à terme, sans doute à une paupérisation des retraités.
Enfin, nous estimons que le système doit être complété par un dispositif de pénibilité différent de celui que vous envisagez car, si l’on veut un dispositif universel, c’est-à-dire qui fonctionne pour tout le monde, quel que soit le métier exercé – en dehors des métiers régaliens –, il faut passer par l’objectivation de l’incapacité à travailler, évaluée par la médecine du travail en fonction de la profession exercée. À défaut, vous créez une multitude de régimes spéciaux, donc d’injustices, à l’intérieur d’un régime universel qui n’en a que le nom.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Votre amendement contient quelques propositions alternatives, par exemple la réduction de la couverture du système universel à un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) ou l’ajout de régimes complémentaires autonomes.
Il comporte également de grandes similitudes avec le projet que nous présentons – ce dont je ne peux que me réjouir –, à savoir un système universel par répartition, l’extinction des régimes spéciaux, la garantie de la pérennité financière ou la mise en place d’un système universel de pénibilité – autant d’éléments qui ne manqueront pas de susciter des débats, mais sur lesquels nous nous sommes prononcés.
Cependant, je m’étonne de constater que certains de vos amendements – en l’occurrence, les amendements n° 434 et n° 457 – visent à réintroduire les quatre critères qui ont été retirés du compte professionnel de prévention (C2P) alors que vous les considériez naguère comme inapplicables, et que vous aviez d’ailleurs salué leur suppression.
M. Jean-Jacques Bridey. J’ai lu attentivement votre amendement, mes chers collègues, car le diable se cache dans les détails. En l’occurrence, ce qui pose problème dans votre proposition, ce sont les mots : « de base » : alors que nous sommes favorables à un système universel par répartition, vous prônez un système universel « de base » par répartition, en allant seulement jusqu’à un PASS.
Il y a un véritable désaccord entre nous car, pour ce qui est du système prévu par le projet de loi, il allie l’accumulation de cotisations à des taux différents selon que l’on est salarié, indépendant ou libéral, et des cotisations obligatoires déplafonnées de solidarité, toutes aux taux de 2,81 %, quels que soient le niveau de revenu et le statut. Il s’agit donc d’un système de solidarité et s’inscrivant dans la pérennité, afin d’assurer le niveau de cotisation comme celui des retraites.
Au-delà de trois PASS, nous plafonnons les cotisations, tandis que la solidarité joue toujours au taux de 2,81 %.
M. Éric Woerth. C’est déjà beaucoup !
M. Gilles Carrez. Vous n’avez pas compris notre proposition, monsieur Bridey. Jusqu’à un PASS, nous proposons effectivement un régime de base qui est le même pour le privé, le public et les indépendants. Au-delà, nous proposons des régimes complémentaires fonctionnant par répartition, comme c’est le cas actuellement de l’AGIRC-ARRCO.
Contrairement à vous, nous avons le courage de proposer, dans le droit fil de la réforme de 2010, une augmentation progressive – un trimestre par an – de l’âge légal de départ à la retraite, ayant vocation à aboutir à 64 ans en 2028 et à 65 ans en 2032. Un tel dispositif doit permettre, grâce aux marges de manœuvre ainsi dégagées, de revenir à l’équilibre et de mettre en place un véritable régime de pénibilité universel : il s’appliquera à tous selon les mêmes critères, que l’on soit couvreur, conducteur de bus de la RATP ou d’une entreprise privée, ou comptable.
Nous rejoignons la proposition du Gouvernement sur la mise en place, permise par le retour à l’équilibre, d’un minimum contributif fixé d’abord à 1 000 euros, puis à 85 % du SMIC. Nous proposons de faciliter l’emploi des seniors par des mesures d’incitation, ce qui constitue un point extrêmement important, et souhaitons nous aussi une meilleure ouverture du régime de cumul emploi-retraite. Comme vous le voyez, nos propositions sont cohérentes, en ce qu’elles sont fondées sur l’équilibre financier du régime. Enfin, nous proposons d’aller plus vite que vous sur le retour au droit commun des régimes spéciaux, que nous souhaitons atteindre en quinze ans alors que vous visez plutôt une durée de vingt-cinq à trente ans.
Je viens de vous décrire notre projet en quelques mots, ce que vous êtes incapables de faire.
M. Adrien Quatennens. Je veux répondre à notre collègue Woerth, qui a invité le président Mélenchon à envisager avec le plus grand sérieux ce que dit le COR sur le déficit potentiel prévu à l’horizon 2025. S’il ne s’agit pas de mettre de côté un déficit qui serait compris entre 8 milliards d’euros et 17 milliards d’euros, il convient de le relativiser, ne serait-ce qu’au regard de ce que représente l’ensemble du système de retraite, à savoir 330 milliards d’euros. Il ne faut pas non plus oublier d’indiquer l’origine de ce déficit qui, vous le savez comme nous, est une construction politique, puisqu’il résulte du gel du salaire des fonctionnaires, mais aussi des multiples exonérations sociales, dont l’inefficacité en matière d’emploi trouve ici sa confirmation. Les Français découvrent en effet que quand Emmanuel Macron leur annonce qu’il baisse leurs charges, il leur fait en réalité un cadeau empoisonné, puisqu’il s’agit en réalité de diminuer leurs cotisations, donc potentiellement les remboursements de l’assurance santé qu’ils pourraient percevoir ultérieurement – ou les retraites, puisque c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui.
Puisque ce déficit est une construction politique, il ne doit pas nous inquiéter outre mesure, puisqu’il y a de l’argent qui pourrait servir à le combler. Vous n’êtes pas sans savoir que, tous régimes confondus, le montant des réserves s’élève à 127 milliards d’euros et qu’il y a 42 milliards d’euros d’encours bancaires pour un régime spécial dont on ne parle jamais, celui des retraites chapeaux. Je pourrais vous donner bien d’autres exemples : ainsi a-t-on appris récemment qu’en 2019, les actionnaires du CAC40 avaient perçu 60 milliards d’euros de dividendes.
Je constate, chers collègues du groupe Les Républicains, que vos préconisations comprennent un point d’accord central avec la majorité. Une fois retiré tout le verbiage qui peut entourer cette réforme de la retraite, il ne reste finalement qu’une mesure d’âge. Faire bosser les gens plus longtemps, voilà la grande affaire, la préoccupation essentielle de ceux qui refusent le partage des richesses, alors que ce principe nous paraît essentiel en matière de retraite.
M. Sébastien Jumel. Il est intéressant de voir ce débat s’ouvrir par l’examen d’amendements de la droite, mais nous espérons tout de même que cela ne va pas faire de notre débat une sorte de prolongation du congrès interne à la droite sur la meilleure façon de placer le curseur pour casser notre système de retraite... En fin de compte, ce qui pourrait vous mettre d’accord, ce sont les déclarations des dirigeants du MEDEF faites la semaine dernière devant notre commission spéciale, avec un président de l’organisation patronale qui affirmait être prêt à discuter de tout, mais surtout de la manière dont on va pouvoir mettre à contribution les salariés pour financer votre mauvais projet.
En fait, ce n’est pas un débat technique que nous allons avoir dans les jours qui viennent, mais un débat portant sur le projet de société que nous voulons voir mis en œuvre. Les amendements de la droite d’opposition comme ceux de la droite gouvernementale visent à l’instauration d’un régime qui n’est ni universel, ni juste, ni solidaire, puisque ces amendements ne prennent pas en compte les écarts importants d’espérance de vie entre les salariés en fonction de leur profession, ni ceux qu’on constate entre les cadres et les ouvriers.
Pour notre part, c’est de ça que nous allons vous parler, et pas de l’endroit où il faut placer le curseur pour flinguer plus vite le système de répartition qui fait le socle de notre protection sociale à la française. Vous pouvez compter sur nous pour opposer à votre projet libéral un autre projet de société !
Enfin, je vous dirai, aux uns et aux autres, que c’est l’austérité qui a creusé le déficit. Le COR nous dit que les politiques d’austérité, appliquées notamment aux fonctions publiques d’État, hospitalière et territoriale, expliquent en grande partie le déficit que vous invoquez pour justifier votre mauvais projet. Ces politiques d’austérité, vous les avez menées sans discontinuer depuis que vous êtes au pouvoir, et c’est ce qu’il est de notre devoir de corriger en défendant des propositions alternatives.
Mme Valérie Rabault. Si vous vous appuyez sur une comparaison des systèmes de 2003 et de 2010 pour défendre votre amendement, monsieur Woerth, cet amendement est une proposition inédite car, pour la première fois, le malus repose sur un report de l’âge de la retraite, et non de la durée de cotisation. Dans un système basé sur la durée de cotisation, on peut estimer qu’un ouvrier ayant cotisé suffisamment longtemps va pouvoir partir en retraite. Avec votre système, une personne ayant commencé à travailler à vingt ans va devoir travailler trois ou quatre ans de plus que quelqu’un qui aurait fait des études et aurait commencé à travailler à 24 ou 25 ans, en pouvant espérer exercer un métier mieux rémunéré. Sur ce point, vous êtes en train de franchir le Rubicon, en proposant de faire reposer tout le système sur le report de l’âge réel de départ à la retraite.
Le point que vous mentionnez et qui nous pose problème, monsieur Woerth, c’est celui du fameux régime transitoire. J’aimerais que le Gouvernement et les rapporteurs puissent nous éclairer sur ce point, car nous n’avons obtenu aucune réponse au cours des auditions : pouvez-vous nous dire si tous les Français, qu’ils soient nés avant ou après 1975, vont être concernés par ce régime transitoire, et si, dès le 1er janvier 2022, ils vont voir à la fois l’assiette et le taux de leurs cotisations évoluer, alors même que vous ne leur avez pas expliqué pourquoi et comment cela se ferait ? Si vous-même et le rapporteur ne nous donnez pas de réponse précise sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, vous conviendrez que vous vous apprêtez à entraîner la France vers une destination inconnue et extrêmement dangereuse.
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est une situation intéressante que celle consistant à discuter du projet de la droite avant que d’aborder celui du Gouvernement, mais pourquoi pas...
M. Woerth m’invite à faire preuve de sérieux dans l’évaluation de la situation. Je m’en étonne venant de la part d’un président de la commission des finances qui semble se satisfaire d’une évaluation de déficit comprise entre 8 milliards d’euros et 17 milliards d’euros, c’est-à-dire d’une évaluation allant du simple au double : est-ce là une attitude sérieuse ?
Au demeurant, j’ai donné la clef du problème : pour combler le déficit, il suffit de répartir différemment la plus-value – cela ne change strictement rien à la production, seul le partage diffère. Je le répète, 1 % d’augmentation de salaire représente 2,5 milliards d’euros d’augmentation des cotisations, à taux de cotisation constant. Autrement dit, pour 3,2 % d’augmentation de salaire, il n’y a plus de trou... J’estime que mon calcul est sérieux et qu’il mérite mieux qu’une remarque acerbe.
Mais ce n’est pas tout, car voici que la droite nous propose d’évaluer des critères de pénibilité universels. C’est pour le moins surprenant quand on se souvient qu’elle a voté la suppression des critères de pénibilité dans la loi que le Gouvernement a présenté en début de législature... Quant à définir des critères de pénibilité universels, l’ancien ministre de l’enseignement professionnel que je suis vous dit que vous chercherez en vain un critère de pénibilité commun à un ouvrier couvreur, qui travaille sur les toits, et un comptable.
Je suis au regret de vous dire que votre idée consistant à faire progressivement absorber les régimes spéciaux par le régime général ne vaut pas mieux que celle d’une pénibilité universelle, puisque cela revient à dire que ce qui justifie l’existence des régimes spéciaux aurait disparu. Voulez-vous nous dire que vous avez l’intention de supprimer les conditions particulières qui font qu’un égoutier meurt en moyenne dix-sept ans avant un autre ouvrier ? Si tel est le cas, c’est remarquable, mais vous devez savoir que cela va nécessiter un budget d’équipements publics qui ne correspond ni à ce que prévoyez habituellement, ni à ce que vous proposez aujourd’hui dans le cadre du budget général de l’État, monsieur le président de la commission des finances.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je veux d’abord dire à Mme Rabault que la conférence relative à l’équilibre et au financement de notre système de retraite disposera de plusieurs mois de travail pour trouver des solutions. Je veux également la rassurer sur le fait que, contrairement à ce qu’elle a affirmé, il n’est pas prévu de faire évoluer les cotisations en 2022. Je rappelle que le système universel de retraite s’ouvrira en 2022 aux générations à partir de 2004, sur la base du niveau actuel de cotisation.
Si le texte de loi prévoit une évolution, c’est celle de la révision du niveau de l’assiette de la cotisation sociale généralisée (CSG), qui profitera surtout aux professions libérales à partir de 2022.
M. Boris Vallaud. Je souhaite tout de même que le ministre précise sa réponse : le déficit constaté par le COR vaut-il bien pour toutes les générations, y compris celles d’avant 1975 ? Par ailleurs, la conférence de financement a-t-elle bien vocation à trouver les modalités de financement de ce déficit-là ?
M. Éric Woerth. Notre projet est très différent de celui présenté par le Gouvernement, même s’ils se recoupent partiellement et portent un diagnostic commun sur certains points, ce dont je me félicite.
Le premier point sur lequel notre projet se distingue du vôtre, c’est qu’il est très clair, alors que le projet que vous présentez aux Français est incompréhensible. Le deuxième, c’est que notre projet est financé, alors que le texte que vous nous soumettez est incomplet : prévoyant une réforme qui va coûter très cher, il ne consiste cependant qu’en une réforme organisationnelle, sans mesures financières, ce qui ne s’était jamais vu ! La troisième différence entre nos deux projets, c’est que le nôtre est plus juste, car il laisse certaines professions s’organiser comme elles le souhaitent, à partir du moment où elles n’utilisent pas d’argent public.
Enfin, pour ce qui est de la pénibilité, il n’y a aucune contradiction dans notre proposition. Premièrement, les amendements que vous avez cités sont proposés par des députés à titre personnel et non des amendements émanant de notre groupe. Deuxièmement, je considère que ce qu’il faut viser, c’est l’incapacité : les trois critères auxquels vous faites référence ne sont pas intégrés dans le compte pénibilité, mais dans l’incapacité. Nous considérons que le compte pénibilité doit être essentiellement consacré à financer la transformation professionnelle, en d’autres termes que l’exposition à des facteurs de pénibilité doit donner lieu à un supplément de formation professionnelle par rapport aux autres travailleurs, afin d’être en mesure d’accéder à d’autres métiers, ce qui est bien plus juste.
Quant à la pénibilité statutaire, attachée à certains métiers, elle est profondément injuste, car elle n’intègre rien. Ainsi, elle ne permet pas de prendre en compte le fait qu’un salarié ait 3 heures de transport par jour pour se rendre sur son lieu de travail, alors même qu’on incite beaucoup aujourd’hui à la mobilité professionnelle, ce qui pourrait nous conduire à engager une réflexion sur l’intégration des questions de mobilité et de trajet – selon qu’on vit au Nord ou au Sud, un salarié n’est pas soumis aux mêmes conditions de vie au quotidien. À un moment donné, on finit par se heurter à une impossibilité de déterminer de façon juste ce qui est pénible et ce qui ne l’est pas. J’estime que ce qui peut répondre à cette difficulté, c’est le recours à la notion d’incapacité, c’est-à-dire le fait d’être usé physiquement par un métier et par l’exposition à certains critères.
La commission rejette l’amendement.
Elle est saisie des amendements identiques n° 22392 de Mme Clémentine Autain, n° 22395 de M. Alexis Corbière, n° 22397 de M. Bastien Lachaud, n° 22399 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 22403 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. Si nous avions pu amender l’exposé des motifs de ce projet de loi, nous l’aurions fait, car il présente une dimension absolument orwellienne. Nos premiers amendements, les amendements identiques n°s 22392 et suivants, consisteront à modifier l’intitulé du titre Ier, actuellement ainsi rédigé : « Les principes du système universel de retraite ». Lesdits principes n’ayant en effet rien d’universel, nous proposons que le titre Ier soit intitulé de la manière suivante : « Les principes d’un système de retraite individualisé ».
Comme l’a très bien dit le Conseil d’État, « le projet de loi ne crée pas un "régime universel de retraite" [...] À l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes [...] ».
Plus fondamentalement, c’est le mécanisme de solidarité qui est atteint par l’instauration d’un régime de points. En effet, le projet gouvernemental va individualiser la retraite en faisant en sorte que chacun perçoive une pension adaptée au plus juste de ce qu’il aura cotisé, ce qui est très éloigné du système imaginé par ceux qui ont créé le régime de retraite universel.
On peut se demander pourquoi il est ainsi décidé de basculer dans l’ère du « chacun pour soi ». La première raison, c’est sans doute le souhait du Gouvernement de faire de la France le bon élève de la règle d’or et de l’austérité budgétaire, ce qui se traduit par une mentalité très contrainte : on n’imagine jamais d’avancer du côté des recettes, la seule solution envisagée consistant à diminuer ce qui est partagé au sein de la société. La seconde, bien sûr, c’est la volonté d’ouvrir la voie aux fonds de pension et autres formes de retraite privée, ce qui est d’ailleurs prévu et encouragé par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE ») que vous avez imposée il y a quelques mois. Même les hauts cadres sont encouragés à faire sécession, puisque pour ceux percevant des revenus à partir de 10 131 euros bruts par mois, la cotisation va tomber de 28 % à 2,8 %, sans ouvrir de droits.
Puisque nous y sommes, appelons un chat un chat, et donnons à votre projet le titre qu’il mérite, celui d’un « système de retraite individualisé ».
M. Alexis Corbière. Clémentine Autain a exposé très clairement l’objet de cette série d’amendements identiques dont fait partie l’amendement n° 22395 que je défends. Effectivement, il y a tromperie sur la marchandise dès le titre de ce projet de loi, et nous estimons qu’il convient d’y mettre plus de sincérité en adoptant un autre intitulé, comme nous le proposons.
Ne mentons pas aux Français ! La formulation que nous proposons a le mérite de dire les choses telles qu’elles sont, afin que chacun puisse se faire une opinion.
M. Bastien Lachaud. Pour défendre l’amendement n° 22397, je vais vous citer un autre extrait de l’avis du Conseil d’État, déjà évoqué par Mme Autain : « Toutefois, le projet de loi ne crée pas un "régime universel de retraite" [...]. Est bien créé un "système universel" par points applicable à l’ensemble des affiliés [...] mais à l’intérieur de ce "système" existent cinq "régimes" [...]. À l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes [...]. »
Le Conseil d’État le dit clairement, le système que vous nous proposez n’est pas un système universel. Dès lors, conserver l’expression « système universel » pour désigner ce système dans l’intitulé du titre Ier est un mensonge qu’il convient de corriger.
Je sais très bien que vous vous moquez complètement de l’avis du Conseil d’État, mais celui-ci dit tout de même que l’étude d’impact de mille pages que vous avez produite est truquée, tout comme le titre Ier du projet de loi ! Il convient de corriger ces erreurs dès le début, car elles ont d’importantes conséquences. Ainsi, pour ce qui est des hauts cadres évoqués par Mme Autain, dont le taux de cotisation va passer de 28 % à 2,81 % à partir d’un revenu de 10 131 euros bruts par mois, il faut souligner que cela va nécessiter de compenser 7 milliards d’euros non cotisés. Pour cela, les hauts cadres concernés vont être invités à investir dans les fonds de pension que la loi « PACTE » a justement exonérés d’impôt à hauteur de 1,1 milliard d’euros – une somme qui va, elle, devoir être répartie sur l’ensemble des contribuables. En conclusion, ce que vous voulez faire avec ce régime qui n’a rien d’universel, c’est faire payer les plus pauvres pour les retraites des plus riches.
M. Jean-Luc Mélenchon. Quoi que vous pensiez de nos arguments, vous devriez convenir qu’il y a un devoir de sincérité dans l’énoncé de la loi. Ne trouvez‑vous pas qu’il y a quelque chose d’anormal à écrire « système universel de retraite », alors que vous savez aussi bien que nous que ce système n’est pas universel ? Comme mes collègues l’ont exposé précédemment, ce système ne s’applique pas à tout le monde puisque des régimes spéciaux et des caisses spéciales sont maintenus, puisqu’une partie de la population s’en trouve exclue – je veux parler des cadres dont les revenus sont situés au-delà de trois fois le plafond de la sécurité sociale –, ce qui nous vaut une situation assez cocasse. Le MEDEF vient en effet nous expliquer que c’est certainement l’idée la plus lamentable de ce projet, puisque les hauts cadres concernés, qui sont en compétition au niveau international, vont se tourner vers leurs employeurs pour leur demander de prendre en charge les cotisations qu’ils vont devoir verser à des fonds de pension pour essayer de maintenir le niveau de revenu qui était le leur précédemment.
Enfin, à partir du moment où, d’une part, vous prévoyez un blocage d’une fraction de la richesse de la nation produite chaque année, affectée aux retraites, et, d’autre part, vous répartissez les points entre ceux demandant la liquidation de leurs droits, vous créez un régime spécial par génération, où chacun aura intérêt à voir périr ses semblables le plus tôt possible, afin que le point vaille le plus cher possible dans la répartition.
Quoi que vous pensiez de nos arguments, je vous demande de retirer le mot « universel » de l’intitulé du titre Ier, car il n’y a pas sa place : tel est l’objet l’amendement n° 22399. Je vous rappelle qu’au départ, vous disiez tout le temps que pour un euro cotisé, il y aurait les mêmes droits : vous l’avez dit et répété sur tous les tons. Or, ce n’est pas vrai : pour un euro cotisé, quelqu’un de la génération X n’aura pas la même valeur de point que celui de la génération Y, selon que ses revenus sont situés au-delà ou en deçà de trois fois le plafond de la sécurité sociale.
M. Adrien Quatennens. Comme chacun l’aura compris en écoutant mes collègues défendre cette série d’amendements, il s’agit pour nous de plaider pour la cohérence entre le contenu du texte et ce qu’il prétend être, en l’occurrence son titre. Nous sommes maintenant habitués, depuis deux ans et demi, à ce que la majorité ait toujours soin d’habiller ses lois les plus antisociales d’un emballage très alléchant.
Ainsi, lors de l’un des premiers débats que nous ayons eus en début de législature, le texte qui nous était soumis, portant sur le code du travail, n’était pas intitulé « Détruire le code du travail », comme il aurait logiquement dû l’être, mais « Libérer les énergies » – étrangement, le rapporteur de ce texte était Laurent Pietraszewski, aujourd’hui secrétaire d’État chargé des retraites... L’objet de ce texte était de casser une règle commune s’appliquant à tous, à savoir le code du travail, pour la remplacer par une multitude de régimes spéciaux – autant qu’il existe d’entreprises – dans le cadre d’une négociation effectuée au sein de chaque entreprise. Je considère donc que vous avez été très mal inspirés de parler de « système universel » pour désigner le système de retraite que vous voulez mettre en place, votre acte fondateur n’ayant pas permis de vérifier cette intention.
Surtout, il est désormais avéré que votre projet de loi ne prévoit rien d’universel. Le Conseil d’État parle de cinq régimes, sans compter les nombreuses dérogations, mais au-delà, votre projet va avoir pour effet d’appliquer autant de régimes différents qu’il y a de générations, ni plus ni moins.
Emmanuel Macron pourrait faire preuve de cohérence et d’honnêteté en assumant son projet, c’est-à-dire en reconnaissant qu’il ne souhaite pas qu’une part plus importante de la richesse nationale soit consacrée aux retraites, ce qui nécessite que les Français travaillent toujours plus longtemps. Ainsi, vous n’auriez plus besoin de vous cacher, de truquer les études d’impact et de tromper le Parlement pour imposer un projet ne correspondant pas à vos intentions déclarées. À moins que vous ne soyez vous aussi induits en erreur par les éléments de langage du Président de la République, l’intention de la majorité n’a jamais été d’instaurer un régime universel de retraite. Pour notre part, nous savons très bien que ce n’est qu’une histoire à dormir debout, et que votre véritable intention est de faire travailler les Français plus longtemps.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vais faire une réponse de principe, au risque d’être un peu long – je serai plus concis par la suite.
S’agissant du seul titre Ier, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur, le groupe La France insoumise a déposé environ 4 640 amendements, ou plutôt 270 amendements différents, répétés dix-sept fois. Je ne sais pas si c’est le stigmate d’une méthode éducative qui était autrefois largement répandue et dont je doute de l’efficacité... Je précise que je ne mets pas en cause la liberté d’amender : mon intention est, au contraire, de permettre le débat.
Je ne pourrai pas donner un avis favorable, pour trois raisons.
D’abord, votre opposition de principe à tous les paramètres du futur système ne pourra conduire qu’à le vider de sa substance.
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est le but !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je n’y suis évidemment pas favorable.
Ensuite, vous ne souhaitez même pas sauver, dans ce texte, des dispositions dont le caractère favorable est unanimement reconnu. Je pense aux principes de solidarité et d’équité, que vous demandez de supprimer à l’article 1er, mais aussi à des avancées telles que la retraite minimale de 1 000 euros, pour une carrière complète, et l’attribution de points aux aidants. Êtes-vous sincèrement contre ces dispositions ?
Enfin, la vague d’amendements que vous avez déposés aura malheureusement des effets de bord : cela conduira à noyer le débat de fond que nous pourrions avoir au sein de cette commission. C’est d’autant plus regrettable que plusieurs groupes parlementaires, appartenant à l’opposition, sont à l’origine d’initiatives intéressantes. Je les salue d’autant plus volontiers que les délais étaient courts.
Je me contenterai d’indiquer, lorsque nous aborderons les amendements suivants, que mon avis est défavorable, pour les raisons que je viens d’indiquer.
M. Olivier Véran. Nous avons déjà consacré 10 minutes à la question de savoir comment il fallait rédiger précisément le titre Ier – changer son intitulé aurait naturellement un impact phénoménal pour l’ensemble des Français...
Je voudrais souligner en quoi nous allons passer d’un système qui est encore assez individualisé à un système universel. J’ai aujourd’hui 39 ans : j’ai cotisé à quatre régimes de retraite distincts – j’ai été tour à tour aide-soignant dans le public et le privé, médecin hospitalier et parlementaire, et j’ai également travaillé dans une mairie et dans le secteur du commerce. J’ai de grandes difficultés à savoir précisément où j’ai cotisé et quelles sont les règles applicables. Un jeune ayant le même parcours que moi aura demain la certitude que chaque heure de travail effectuée lui rapportera des points pour sa retraite – je peux vous dire qu’un paquet de semaines pendant lesquelles j’ai travaillé ne vont compter pour rien dans mon cas – et que les règles de calcul seront les mêmes. Cela donnera droit à des points, selon un système extrêmement lisible. J’ai du mal à comprendre pourquoi vous pensez que nous allons passer d’un système universel à un système individualisé. Pour moi, c’est précisément le contraire.
Néanmoins, je vous donne raison sur un aspect : nous n’allons pas créer un régime uniforme. Au cours de mes études, j’ai été aide-soignant de nuit, pendant près de trois ans, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je m’y suis brisé les reins, comme beaucoup de mes collègues, en faisant des toilettes et en amenant des personnes aux WC. Je serais très content qu’il n’y ait pas un traitement uniforme pour ces périodes de travail, qu’elles puissent rapporter davantage en matière de retraite – et qu’elles permettent d’anticiper le départ – que le travail que j’ai pu faire en mairie – c’était passionnant et important pour la collectivité, mais moins fatigant pour le dos et pour le moral. Nous ne prônons pas un système uniforme, mais universel, au sens où les règles seront les mêmes pour tous. J’aimerais avoir 20 ans et pouvoir cotiser dans tous les jobs que j’ai eus – je pourrais partir à la retraite bien plus tôt et dans de meilleures conditions.
Mme Valérie Rabault. Je voudrais vous soumettre un cas pratique, monsieur le secrétaire d’État. Prenons des jumeaux, dont un est né le 31 décembre 2004 et l’autre le 1er janvier 2005. Pouvez-vous nous confirmer que, même s’ils ont exercé le même emploi pendant la même durée, ils n’auront pas le même montant de retraite ? C’est une question très précise, qui rejoint ce que le président Mélenchon vient de dire : le niveau de la retraite dépendra de la génération concernée, et ce n’est donc pas un système universel.
Puisque vous avez sous-entendu, tout à l’heure, que tous les Français ne seraient pas concernés par le régime de transition, je voudrais rappeler ce qui est écrit à la page 382 de l’étude d’impact. « Les taux et assiettes de cotisations du système universel de retraite entreront en vigueur pour l’ensemble des assurés au 1er janvier 2025. Bien que les assurés nés avant le 1er janvier 1975 ne soient pas concernés par le système universel de retraite, ils seront redevables du même niveau de cotisations que les salariés qui en relèvent. En effet, afin d’éviter une distorsion du coût du travail entre générations, les cotisations doivent être fixées au même niveau pour l’ensemble des assurés. ». Cela signifie, si l’on exprime avec des phrases du type « sujet, verbe, complément » que tous les Français, même ceux nés avant 1975, seront concernés par votre réforme, par l’intermédiaire du régime transitoire, et que le taux et l’assiette de leurs cotisations seront modifiés en 2025
– je me suis trompée tout à l’heure, la date n’est pas 2022. J’aimerais que vous nous répondiez très précisément, monsieur le secrétaire d’État, afin d’éclairer les Français : même ceux qui sont nés avant 1975 seront-ils concernés par votre réforme ?
M. Adrien Quatennens. Je voudrais répondre à l’interpellation de M. le rapporteur, qui a parlé, à propos des nombreux amendements déposés par La France insoumise, d’une opposition de principe. Supportez que notre opposition ne soit pas de principe, mais politiquement motivée.
D’abord, il ne vous a pas échappé, sauf si vous ne regardez vraiment rien de ce qui se passe à l’extérieur de notre belle institution, que le pays est en ébullition depuis près de soixante jours contre votre projet de loi, que 61 % des Français y sont opposés et que ce texte contredit les engagements du Président de la République. Dois-je rappeler ce qui était écrit clairement, noir sur blanc, dans le programme d’Emmanuel Macron ? « Nous ne toucherons pas à l’âge de départ à la retraite, ni au niveau des pensions ». Vous allez – nos débats vont le montrer – toucher à ces deux éléments : vous comptez modifier le niveau des pensions et pousser les gens à travailler effectivement plus longtemps. Ce n’est donc pas à nous qu’il faut donner des leçons de cohérence. Vous verrez que nos nombreux amendements vont nous offrir – j’en prends l’engagement devant vous – l’occasion d’avoir des débats tout à fait riches et passionnants, qui seront éclairants pour notre assemblée et pour le pays tout entier.
Vous nous dites que nous ne prenons pas en considération les quelques dispositions favorables du texte : vous admettez donc que tout le reste est potentiellement non favorable... Vous nous demandez d’accepter l’idée que l’on va doter d’une gourde les Français que vous envoyez dans le désert.
Nous disons les choses clairement, pour notre part : notre objectif est d’obtenir ce qui est demandé dans le pays, à savoir le retrait de ce texte. Notre démarche est cohérente avec la mobilisation d’une majorité de Français pour le retrait de cette réforme.
M. Véran a mis l’accent sur la lisibilité. Je comprends qu’il ait du mal – on pourrait étudier son cas particulier, pour lui rendre la vie plus facile, s’il le souhaite – mais la lisibilité va se payer très cher dans cette affaire. Les Français devront travailler toujours plus longtemps. La réalité est claire : vous allez diminuer le niveau des pensions, puisque, à un âge donné, il faudra travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension qu’auparavant. Je ne crois pas que les Français aient envie de travailler plus longtemps au nom de la lisibilité – c’est l’alibi que vous utilisez !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je pense qu’on pourrait veiller, lorsqu’on prend la parole, à ne pas porter un jugement. Il s’agit simplement de présenter des amendements ou de donner des réponses en ce qui les concerne.
M. Régis Juanico. Il est important que l’intitulé du titre Ier reflète bien la réalité. Le Conseil d’État a été très clair : le système « universel » que vous prônez n’a rien d’universel. Il comporte cinq régimes différents et beaucoup de dérogations. On sait – car c’était l’actualité au cours de ces dernières semaines – qu’un certain nombre de catégories actives de fonctionnaires – les policiers, les sapeurs-pompiers, les gendarmes, les agents des services pénitentiaires et le personnel soignant – ainsi que d’autres catégories, notamment le personnel navigant et les routiers, vont bénéficier de dérogations à votre système universel.
Il est important de bien nommer les choses. Vous dites que vous allez supprimer l’ensemble des régimes spéciaux, mais c’est un mensonge. J’ai eu l’occasion d’interpeller Jean-Paul Delevoye, quand il était encore haut-commissaire aux retraites, sur la question du régime spécial des mineurs de fond, qui représente un des 9 milliards d’euros dont vous voulez la suppression. J’ai demandé à Jean‑Paul Delevoye si ce régime spécial, qui a été créé en 1946 et qui relève du droit à la réparation pour les anciens mineurs et les veuves, lesquelles touchent des petites pensions de réversion et vivent dans la précarité, allait être supprimé. Il m’a évidemment répondu que non, que la solidarité nationale continuerait à jouer pour payer les pensions des anciens mineurs et des veuves, à hauteur de 1 milliard d’euros. Ce régime spécial va perdurer. L’intitulé du titre Ier ne correspond donc pas à la réalité.
M. Éric Woerth. Il n’est pas question de voter en faveur de ces amendements. Ce qui est proposé n’est pas un système individualisé : il se veut universel – qu’il le soit ou non, c’est une autre question. L’individualisation serait la capitalisation – ce n’est pas le système par répartition dans lequel on se place.
L’universalité qui nous est proposée est inutilement large. Elle ne sert à rien sinon à rendre totalement illisible le système. Nous avons besoin d’un socle d’universalité et, ensuite, d’une prise en compte de la réalité des carrières. Il faut faire preuve d’un peu de bon sens : la retraite est le miroir de la carrière.
Si l’on veut éviter que ce soit totalement le cas, il faut instituer une retraite complètement sociale, une sorte de prestation sociale. Il existe déjà des mécanismes sociaux extrêmement forts dans le système actuel de retraite. Si on peut les compléter, tant mieux, mais l’universalité que vous défendez est totalement trouée – un peu de la même façon que l’impôt est troué par des niches fiscales. Ce que vous proposez n’a donc plus rien d’universel.
Vous dites que le système sera universel mais pas uniforme. Soyons honnêtes : si un Français comprend ce que cela veut dire dans son cas, il est vraiment très fort. Il y a un énorme problème de lisibilité dans cette réforme. Vous voulez embrasser à peu près tous les sujets, mais vous créez peu à peu des niches qui ressemblent, à peu de choses près, à celles qui existent aujourd’hui. Certaines personnes partiront à la retraite dans des conditions différentes : un euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits dans tous les cas.
Pour ce qui est de M. Véran, je suis persuadé qu’il y aura vraiment très peu de différence en ce qui concerne le niveau des pensions versées lorsqu’il prendra sa retraite – dans très longtemps, et ce sera probablement à l’âge de 67, 68 ou 69 ans.
Mme Clémentine Autain. Je voudrais prolonger ce qu’a dit Adrien Quatennens à propos de ce que vous appelez de l’obstruction. Nos amendements sont-ils techniques ? Lisez‑les : ils ont un caractère politique, et ils répondent, par leur nombre, à la situation actuelle.
Il existe un décalage entre ce qui se passe dans notre société – elle est en ébullition, en colère, contre la réforme que vous voulez imposer et que le Gouvernement veut faire passer en force – et le recours à la procédure accélérée, qui consiste à s’asseoir complètement sur la contestation sociale et à mépriser le travail du Parlement. Cette procédure réduit la durée de l’examen du texte – nous ne savons même pas si nous serons capables d’aller jusqu’au bout en commission avant la date prévue pour la séance publique.
Nous avons reçu, en tout, 70 articles de loi et une étude d’impact complètement truquée et faussée. Il a fallu avaler tout cela et amender en une semaine, week-end compris. On sait, par ailleurs, que c’est un texte à trous qui prévoit 29 ordonnances, réparties entre 23 articles. Ces ordonnances concernent des piliers, des points tout à fait structurants de cette transformation de notre système de retraite, comme l’a relevé le Conseil d’État.
Nous estimons que ce n’est ni sérieux, ni légitime, ni respectueux de la colère sociale. La majorité des Français expriment, d’enquête d’opinion en enquête d’opinion, leur rejet de ce projet. C’est pourquoi nous avons recours à une méthode inédite d’interpellation. Il s’agit de faire écho à ce qui se passe dans le pays réel, au-delà de l’hémicycle et du ronron assez étrange, très déphasé, que l’on entend ici.
M. Jean-Luc Mélenchon. J’ai bien noté votre prudence, madame la présidente, à propos des appréciations portées sur les amendements, et je l’approuve.
Ce que nous faisons n’est pas de l’obstruction. C’est une réponse à une situation que nous n’avons pas choisie. Je veux parler – mes collègues l’ont dit à plusieurs reprises – de cette étude d’impact de mille pages, de ce projet de loi à trous et de la procédure accélérée. Il faut bien que nous jouions notre rôle, qui consiste à être les tribuns du peuple. Je ne dis pas que tout le monde est d’accord avec nous
– ce n’est pas la question –, mais il se trouve qu’une fraction non négligeable de notre peuple est prête à subir des souffrances considérables, qu’elle s’est imposées pendant cinquante jours de grève – des feuilles de paie de zéro euro à Noël et au mois de janvier. Quoi que vous pensiez, souvenez-vous de cette réalité et de ces souffrances. C’est cela que nous exprimons avec nos moyens, en tant que parlementaires. Le Parlement est un terrain d’insoumission comme un autre.
Le rapporteur a tort de croire que parler ne sert à rien. C’est souvent l’illusion technocratique de ceux qui pensent que la démocratie est un vain bavardage, qui prend du temps. Regardez l’évolution des points de vue qui a déjà eu lieu en à peine un quart d’heure. M. Woerth dit, comme nous, que ce régime n’est pas universel et qu’un euro cotisé ne donnera pas droit aux mêmes avantages pour tout le monde.
Reprenons-nous à notre compte l’équité ? Vous mésestimez, monsieur, un siècle et demi de querelles entre nous. Nous ne sommes pas des partisans de l’équité : nous voulons l’égalité, ce qui n’est pas du tout pareil. L’égalité signifie les mêmes droits pour ceux qui ont des besoins semblables.
En ce qui concerne la lisibilité, il n’existe aucun problème, hormis pour ceux qui considèrent les régimes spéciaux depuis la planète Mars. Il suffit de téléphoner à n’importe quel agent d’un régime de retraite, que l’on relève du secteur privé ou de l’IRCANTEC, et on vous explique en 10 minutes votre situation.
M. Pierre Dharréville. Le débat que nous avons n’est pas purement formel, puisqu’il s’agit de déterminer l’objectif poursuivi. Il est intéressant d’essayer de se mettre d’accord sur ce que nous lisons dans le texte – il y a manifestement une divergence d’analyse.
On voit bien que l’intitulé du titre Ier est un slogan, utilisé maintes fois, dans l’hémicycle et ailleurs, pour expliquer, à lui tout seul, le sens de la réforme que vous proposez. Nous contestons que ce projet soit universel. On ne peut pas le parer de cette belle vertu. En réalité, vous cherchez à disqualifier le régime existant et toute autre proposition, qui ne serait pas universelle, par définition, puisque la vôtre l’est... C’est une stratégie de marketing que vous ne devriez pas vous permettre d’utiliser dans le contexte du discrédit, important, qui pèse sur la parole gouvernementale et, plus largement, sur certaines paroles politiques.
Nous appelons à faire preuve de sincérité. Il a été démontré que ce régime de retraite n’est pas universel – il existera une multiplicité de régimes, en réalité –, que c’est une logique d’individualisation, visant à rendre chacun comptable de son propre sort, qui prévaut et qu’il n’y aura pas, au bout du compte, de retraite garantie – le système, si on essaie de préciser l’analyse, est universellement fluctuant.
À chaque fois qu’une objection a émergé fortement dans le débat public, vous avez fini par dire que vous la prenez en compte, mais sans le faire réellement – les mobilisations, d’ailleurs, n’ont pas cessé. L’affichage que vous avez fait pose un problème de fond : il y a un décalage avec le contenu du texte. Ces amendements, en fin de compte, visent à vous éviter de faire de la publicité mensongère.
La commission rejette les amendements.
Elle examine en discussion commune l’amendement n° 600 de M. Jean‑Louis Masson ainsi que les amendements identiques n° 20542 de M. Sébastien Jumel et n° 21544 de M. Pierre Dharréville.
M. Thibault Bazin. S’agissant toujours de l’intitulé du titre Ier, l’amendement n° 600 tend à parler non pas d’un système « universel de retraite » mais d’un système « de retraite par répartition et par points ». Le mot « universel » semble profondément inapproprié : cela ferait croire aux Français que le système s’applique à tous les cas. Prenons garde au décalage, que l’on observe souvent en cette période jupitérienne, entre la sémantique utilisée et la réalité. Il n’y aura pas un même régime pour tous – il est faux de le dire. Au sein des cinq régimes instaurés par ce projet de loi, tout le monde ne sera pas soumis aux mêmes règles. Nous proposons de définir le système d’une manière objective, en fonction de ses caractéristiques principales, et incontestables : ce sera un système de retraite par répartition et par points.
M. Sébastien Jumel. Quand on présente des budgets dans les collectivités, il faut veiller à ce qu’ils soient sincères, équilibrés et responsables. Votre projet n’est rien de tout cela.
Il est d’ailleurs rare, lorsque les libéraux proposent un mauvais projet, qu’ils disent aux Français qu’ils vont en prendre plein la trombine, qu’on va les enfumer et que ce sera finalement moins bien qu’avant. Il suffit de regarder les différents textes que vous avez fait adopter depuis le début de la législature pour voir à quel point vos éléments de langage ont toujours utilisé des mots volés. C’est aussi le cas avec cette réforme. Il est question de solidarité, de juste redistribution, d’équité, de simplicité, de lisibilité et d’universalité, mais ce sont des mots volés.
Nous avons déposé l’amendement n° 20542 dans une logique de cohérence et de sincérité. On connaissait déjà les « Playmobil ». On sait maintenant qu’il en existe sans cœur. (Protestations sur de nombreux bancs.)
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’ai demandé que l’on respecte tout le monde. Commencez par le faire à notre égard. Il n’y a pas de gens sans cœur ici.
M. Sébastien Jumel. J’ai le sentiment de respecter les familles endeuillées qui ont suivi un précédent débat. (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Cela suffit. C’est honteux !
M. Sébastien Jumel. Lorsque nous abordons ce texte inéquitable au sujet des retraites, je pense aux doigts broyés, aux visages abîmés, aux salariés des verreries qui n’ont pas la même espérance de vie que les banquiers chez Rothschild que vous représentez.
Notre amendement a pour objet d’annoncer la couleur tout de suite, dès l’intitulé du titre Ier. Vous êtes pris en flagrant d’insincérité.
M. Pierre Dharréville. Je voudrais qu’on ne se méprenne pas sur l’objet de l’amendement n° 21544 : nous ne souhaitons évidemment pas poursuivre l’objectif indiqué. Nous voulons vous aider à préciser la vraie nature de la réforme que vous proposez. Votre projet n’est pas un système universel, mais il a provoqué un tollé qui prend cette dimension, car il concerne tout le pays. Des gens venant de divers horizons se mobilisent parce qu’ils ne veulent pas de la proposition qui est sur la table. Vous devriez les entendre.
J’ai eu l’occasion de dire que ce n’est pas un projet universel, mais « miniversel ». Aucune des promesses que vous avez faites – créer un système plus lisible, plus juste et plus sûr – n’est tenue. Il faut être clair : adoptons un intitulé conforme aux intentions de ce projet de loi et aux résultats auxquels il conduira.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous dites que ce projet n’est pas universel. Il serait même, selon M. Jumel, inéquitable. Nous n’allons pas philosopher à l’infini sur la question de l’universalité : la question est de savoir si un progrès notable va être réalisé ou non. Quand on voit qu’il y a, aujourd’hui, au moins quarante‑deux façons de calculer les retraites, que des jumelles ayant accouché bénéficient d’une majoration de huit ou de deux trimestres selon qu’elles travaillent dans le privé ou dans le public, que la prise en compte du chômage n’est pas la même selon les régimes, que la pension de réversion peut être calculée de treize manières différentes ou qu’on applique au salaire moyen un taux de 50 % dans le régime général et de 75 % dans la fonction publique – et on pourrait continuer longtemps la litanie des exemples –, on comprend que ce projet fera gagner beaucoup en universalité. Celle-ci ne sera peut-être pas parfaite – nous pourrons sans doute l’améliorer durant nos débats – mais l’objectif est de réaliser un très grand pas en avant dans ce domaine.
J’émets un avis défavorable aux amendements.
Mme Monique Limon. Je voudrais redire les choses simplement en ce qui concerne l’universalité. Les projets de loi que nous étudions visent bien à remplacer les quarante‑deux régimes de retraite actuels par un nouveau système s’appliquant à tous dans des conditions rénovées afin de corriger les nombreuses injustices qui existent. La fin progressive des régimes spéciaux, devenus synonyme d’inégalité et d’injustice, est actée par ces deux projets de loi qui proposent une réforme systémique, ambitieuse et conforme au programme présidentiel.
La création d’un système universel de retraite dans lequel chacun bénéficiera exactement des mêmes droits contribue à construire un modèle de protection sociale ancré dans le XXIe siècle. L’universalité du nouveau système rendra notre protection sociale plus durable et plus forte car elle cessera de dépendre, comme c’est le cas aujourd’hui, de la démographie des différentes professions. Parler d’universalité n’empêche pas, évidemment, de mener des réflexions sectorielles pour prendre en compte les spécificités de chacun, grâce à des aménagements adaptés.
Il est temps de clarifier et de stabiliser les règles du jeu, une fois pour toutes, en instituant, d’une manière effective, un système universel juste, transparent et fiable.
M. Alexis Corbière. Il existe un principe constitutionnel très important : il faut que les citoyens puissent comprendre la loi. Celle-ci doit être rédigée d’une manière compréhensible, sans chercher à abuser des Français. C’est l’enjeu du débat sur le titre Ier – il ne s’agit donc pas d’une question secondaire.
Il paraît acquis que ce système ne sera pas universel : tout le monde ne bénéficiera pas du même régime. Pourquoi, dès lors, mentir sur le nom ? Accepter un titre erroné entacherait l’ensemble des travaux qui vont suivre. Nous avons choisi d’être très méticuleux et nous avons déposé beaucoup d’amendements car les détails comptent. Nous sommes à un moment où on ne peut pas mentir aux Français. La manière dont ce débat est ordonné est un facteur de trouble.
Je voudrais également souligner, même si Mme Rabault n’appartient pas au même groupe que moi, que sa question, assez précise, n’a eu strictement aucune réponse pour le moment. Avouez que vous ne contribuez pas à la clarté de nos échanges. Cela en dit long sur la difficulté que vous éprouvez, peut-être, à justifier un texte injustifiable.
M. Boris Vallaud. L’amendement n° 600 semble apporter des précisions sur la réalité du texte, mais je dois dire que je suis un peu gêné par l’idée que la retraite par répartition serait maintenue en toutes choses.
Je vais vous donner un exemple simple, qui concerne la baisse du plafond
– il sera ramené de 8 à 3 PASS. Le principe de la répartition est que les actifs cotisent pour ceux qui sont inactifs. Du fait de la baisse du plafond, vous allez rendre aux futurs retraités entre 4 et 5 milliards d’euros de cotisations sociales chaque année, mais il va falloir, pendant la durée de la transition, que les actifs continuent à financer 3,7 milliards d’euros pour ceux qui ont cotisé jusqu’à 8 PASS dans l’ancien système. Il y aura donc une distorsion sur le plan de la répartition.
Le problème est qu’on ne dit pas la vérité. Beaucoup de débats sont interdits et le secrétaire d’État ne répond même pas à la question portant sur les générations antérieures à 1975. Nous devrions avoir des éléments à propos des personnes nées entre 1958 et 1975, mais rien ne figure dans l’étude d’impact. La réalité, s’agissant de la période de transition et de la résorption du déficit, est que les mesures d’ajustement vont peser prioritairement là et que cela va faire mal.
J’ai pensé au début, quand vous avez parlé d’un système plus juste, plus équitable et plus lisible, qu’il fallait faire preuve d’un peu de considération pour ce que vous proposez. La réalité objective, quand on compare ce que produira le système dans quelques années et les conditions dans lesquelles les Françaises et les Français partent aujourd’hui à la retraite, est qu’il faudra trois années de plus avant de partir à la retraite et qu’il y aura une baisse du taux de remplacement d’environ 30 %. La réalité, c’est que ce sera moins bien demain qu’aujourd’hui, mais vous ne le dites pas. C’est également vrai pour le minimum contributif : on se dit que 85 % du SMIC, finalement, ce n’est pas mal, sauf que ce sera à 64 ou à 65 ans, alors qu’aujourd’hui c’est 75 % à 62 ans. Et si on part à 62 ans, on perdra 15 % dans le système futur. Votre projet est plein de duperies.
Mme Catherine Fabre. Oui, le système que nous voulons créer est plus solidaire, plus équitable et plus juste, du point de vue des intentions et des résultats auxquels on aboutira. Les chiffres le démontrent clairement.
Prenons le niveau moyen des pensions avant et après la réforme, pour une génération donnée : après la réforme, les 25 % de retraités ayant les pensions les plus faibles verront le niveau de celles-ci augmenter de 30 %. L’écart entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches passera d’un facteur de 7 à un facteur de 5. C’est donc une réforme puissamment redistributive.
Prenons aussi le cas des femmes : est-il normal que leurs pensions soient plus faibles, de 42 %, que celles des hommes ? Nous proposons une compensation à 100 % des congés maternité, une majoration des pensions pour chaque enfant, dès le premier, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et de nouveaux droits pour les aidants, qui sont majoritairement des femmes à l’heure actuelle. Là aussi, on peut parler d’égalité et de justice. Le bilan redistributif de notre réforme est très bon.
Je voudrais également évoquer le versement d’au moins 85 % du SMIC net en cas de carrière complète : c’est un réel avantage du futur système.
Vous avez parlé de personnes partant à la retraite trois ans plus tard ; pour ma part, je voudrais revenir sur les carrières heurtées – 15 % des Français et 20 % des femmes partent aujourd’hui à 67 ans parce qu’ils n’ont pas réussi à avoir des carrières complètes. Demain, ces personnes pourront partir trois ans plus tôt.
C’est le système actuel qui est inéquitable : il fait de la redistribution à l’envers. Notre réforme a pour but de corriger cette injustice. Le futur système sera très favorable à ceux qui touchent les pensions les plus faibles, vous le savez bien.
M. Gilles Carrez. Mme Fabre prend pour des paroles d’évangile quelques exemples bien choisi qui figurent dans l’étude d’impact. Celle-ci comporte des éléments financiers lacunaires, comme l’a souligné le Conseil d’État.
Il ne faut pas parler, et c’est ce qui justifie l’excellent amendement de notre collègue Jean-Louis Masson, d’un régime universel de retraite mais d’un système universel de retraite. Il y aura, à l’intérieur de ce système, au moins cinq régimes différents – celui des salariés et des indépendants, celui des fonctionnaires, des magistrats et des militaires, celui du personnel navigant aérien, celui des salariés agricoles, celui des indépendants agricoles et celui des marins.
Selon l’avis du Conseil d’État, il y aura aussi tout un ensemble de dérogations au sein de ces multiples régimes. Prenons les régimes spéciaux, qui feront l’objet de mesures temporaires – mais c’est du temporaire qui va durer des décennies. Le nouveau système s’appliquera pour les agents non pas nés à partir de 1975 mais de 1980 pour l’ensemble du personnel de la RATP et de la SNCF, et à partir de 1985 pour les conducteurs : le nouveau régime ne s’appliquera qu’à 2,5 % des conducteurs de RER en poste aujourd’hui. Il y a une multitude de situations différentes : il est donc abusif de parler d’universalité.
Mme Clémentine Autain. Je voudrais répondre au rapporteur, qui a dit qu’on n’allait pas philosopher pendant des heures. Je vous propose de regarder un cas très pratique qui montre que le système n’est pas universel et qu’il est en outre injuste ou, comme l’ont dit nos camarades communistes, inéquitable. Prenons une génération pour laquelle l’âge d’équilibre serait de 65 ans. Une ouvrière et une cadre travaillent, toutes les deux, quarante‑trois ans : l’ouvrière, ou l’ouvrier, commence à travailler plus tôt, à 20 ans – c’est propre à ce type de carrière –, et part à la retraite à 63 ans ; dans le système à points, compte tenu de l’âge d’équilibre, cette personne a deux ans de décote, ce qui signifie 10 % de pension en moins ; le ou la cadre, qui travaille aussi quarante‑trois ans, mais qui est plutôt entré sur le marché du travail vers 24 ans, parce qu’il ou elle a fait des études, aura donc, en partant à la retraite à 67 ans, une surcote de 10 %. Quand on regarde l’écart entre les ouvriers et les cadres en matière d’espérance de vie – il est de six ans – on voit bien l’injustice profonde du système que vous voulez créer.
Comme j’aime aussi la philosophie, permettez-moi de citer Barbara Stiegler. Elle a comparé le régime que vous proposez à un jeu vidéo : en effet, chacun devra gagner, dans les différents temps de son existence, des points de vie ou de survie et on ne pourra s’en prendre qu’à soi-même si le score est trop faible. Il y a un premier jeu, dans votre système de répartition, qui est lié à la dévaluation du point – on ne sait pas, quand on commence, quelle sera la valeur de rachat du point à la fin – mais il existe aussi une autre partie qui se joue sur le marché de la capitalisation et qui fera de tout rentier un acteur compétitif. Voilà votre système.
M. Thibault Bazin. Je suis déçu par la manière dont nos travaux débutent. Peut-on, monsieur le rapporteur, mesdames Fabre et Limon, sortir des éléments de langage, de la com, pour parler très sincèrement des amendements ? Je crois que nous sommes là dans ce but. J’ai défendu une rédaction à laquelle vous n’avez pas réagi. Peut-on travailler sur le fond ? Nous sommes ici, en tant que législateurs, pour choisir les bons mots. Ils doivent correspondre à ce que vous voulez faire. Puisqu’il n’y aura pas les mêmes droits pour tout le monde, le terme « universel » est inapproprié : il faut trouver autre chose. Je vous demande de réagir à la proposition que j’ai faite. Si le débat portait sur le fond des amendements et de la réforme, nous ne pourrions qu’y gagner.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je crois, s’agissant de la qualité des débats, qu’il faut bien se comprendre. J’ai vu tout à l’heure que vous réagissiez vivement aux propos de notre collègue Sébastien Jumel au sujet d’un vote assez désastreux qui concernait le deuil des enfants. Je vous comprends : personne n’a envie de se faire accuser d’inhumanité. Vous ne le souhaitez pas plus que d’autres. Vous devez entendre, néanmoins, que nous nous inscrivons dans une longue tradition lorsque nous nous exprimons. Nous nous identifions non à ceux qui vont le mieux mais à ceux qui vont le moins bien et à ceux qui sont les moins défendus. Nous parlons – c’est notre rapport avec le passé et le futur – en pensant aux 565 personnes qui meurent au travail tous les ans et aux professions dangereuses. La lutte de notre camp politique s’identifie à la volonté de faire diminuer le temps de travail dans la journée, la semaine, le mois, l’année et la vie.
Vous êtes une élue du Pas-de-Calais, madame la présidente. C’est dans ce département que la catastrophe de Courrières a eu lieu en 1906. Vous la connaissez, comme nous tous ici. Ceux qui avaient à gérer cette catastrophe furent soupçonnés d’avoir abandonné les travailleurs à leur triste sort et de ne pas avoir conduit les recherches assez longtemps. Ils n’étaient pas contents, eux non plus, qu’on les soupçonne. C’est de la colère et de la révolte nées à ce moment-là – il y a eu une série de grèves pendant les années 1906 et 1907 – que sont issus le ministère du travail et, en 1910, une loi sur les retraites, qui prétendait également être universelle. Elle a instauré un régime par capitalisation et tolérait l’existence de régimes particuliers. Le grand Jaurès et ses amis n’en voulurent qu’à condition que l’on étende bientôt les bénéfices du système, mais tout le monde était d’accord pour dire que cela ne valait rien. On a dû attendre la Libération pour qu’enfin, grâce aux ouvriers communistes et à la CGT, on puisse installer un régime par répartition...
M. Olivier Véran. Et un peu grâce à de Gaulle, aussi.
M. Jean-Luc Mélenchon. ...qui a d’abord été géré par les seuls ouvriers. Ne l’oubliez pas.
Je voudrais enfin souligner que le rapporteur ne tient aucun compte de nos propos. Nous disons qu’il n’y a pas quarante‑deux régimes spéciaux : il en existe vingt‑trois selon le COR et dix‑huit selon le ministère du travail. Pourquoi répéter les mêmes éléments de langage, alors que vous savez qu’ils sont faux ?
M. Pierre Dharréville. Je vois bien le piège du débat dans lequel nous nous engageons. On voudrait laisser penser qu’il y aurait, d’un côté, les défenseurs du statu quo et, de l’autre, les partisans d’un nouveau système mirifique, mirobolant ou miraculeux, qui réglerait tous les problèmes. Je crois que c’est un plus compliqué, et il faut que le débat ait lieu.
Vous accusez de tous les maux le système actuel. Je pense qu’il a permis des progrès sociaux immenses – il y a eu une déflagration sociale quand il a été mis en place : il a ouvert des horizons inattendus et même impensés. J’appelle à faire preuve d’un peu de mesure dans la manière dont on envisage les choses.
Le système actuel n’a pas été appliqué comme on l’avait souhaité, puis il a été largement affaibli par les réformes qui se sont succédé. Une partie de ce que vous dénoncez résulte de ces réformes, qui ont abîmé le droit à la retraite dans notre pays. Il existe bien d’autres façons d’y remédier : nous savons qu’il existe certaines insuffisances et nous défendons des propositions pour garantir de meilleurs droits en matière de retraite.
Les propositions que vous avez mises sur la table, de votre côté, ne correspondent pas à cette logique : contrairement à ce que j’ai entendu dire, il n’y a pas de progrès au rendez-vous. En ce qui concerne la pénibilité, vous jouez au bonneteau – c’est votre habitude – ou plutôt vous donnez d’une main et vous reprenez de l’autre. Il en est de même pour les chômeurs : où est l’amélioration à leur égard dans ce que vous proposez ? Il n’y en a pas. En ce qui concerne l’affaire des 67 ans, il suffit de supprimer la décote. Pourquoi ne le faites‑vous pas ? Vous dites que vous allez diminuer l’écart entre les pensions les plus basses et les plus hautes, mais c’est faux. Il n’y aura plus de prise en compte entre 3 et 8 PASS. Je vous mets en garde : le taux de remplacement est un élément central, mais il n’en est pas question dans votre projet. Vous fixez un objectif très ambitieux lorsque vous parlez d’universalité mais vous ne vous en donnez pas les moyens.
Mme Jeanine Dubié. Je voudrais revenir sur un point précis évoqué par notre collègue Catherine Fabre, concernant les droits familiaux. Elle a dit, comme le répètent les ministres, que le nouveau système serait plus avantageux pour les familles. Or je suis persuadée que cette information est erronée. Le système actuel reconnaît en effet deux dispositifs : à la fois une majoration de trimestres accordée dès le premier enfant – avec une durée différente que l’on travaille dans le privé ou dans le public, puisque la majoration est de huit trimestres par enfant dans le privé, contre quatre trimestres dans le public –, et une majoration de la pension de retraite à partir du troisième enfant. Vous proposez une majoration de la pension de retraite de 5 % par enfant, dès le premier enfant. Mais je ne suis pas du tout certaine que cette proposition soit favorable aux familles comptant trois enfants et plus ; cette question mérite d’être approfondie.
Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous répondiez à la question très importante posée par Clémentine Autain, à partir de l’exemple d’un ouvrier et d’un cadre. L’ouvrier commence à travailler à 20 ans, cotise quarante-trois ans, et pourrait donc prendre sa retraite à 63 ans mais l’âge d’équilibre étant fixé à 65 ans, il va subir une baisse de pension de 10 % du fait de la décote que vous avez instaurée sur l’âge réel de départ à la retraite. Le cadre, quant à lui, commence à travailler à 24 ans parce qu’il ou elle a fait des études ; au bout de quarante-trois ans de cotisation, il arrive à 67 ans, c’est‑à‑dire deux ans après l’âge d’équilibre, et va donc bénéficier d’une surcote de 10 % sur sa pension de retraite. Est-ce bien cela ? Vous pouvez répondre par oui ou par non. Mais si tel est bien le cas, comment pouvez-vous appeler cela une mesure de justice ?
La commission rejette successivement les amendements.
La commission examine les amendements identiques n° 22321 de Mme Clémentine Autain, n° 22326 de M. Bastien Lachaud, n° 22328 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 22332 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. Il s’agit de rédiger ainsi l’intitulé du chapitre Ier du titre Ier du projet de loi : « un système créant un régime de retraite par assuré, système souffrant lui-même de nombreuses exceptions ». L’amendement n° 22321 vise à la clarté et à l’intelligibilité de la loi. Nous estimons en effet que les intitulés choisis ne correspondent pas au contenu du projet de loi. Je sais bien qu’en Macronie, « la guerre, c’est la paix », mais il nous paraît juste de remettre à l’endroit ce que vous mettez systématiquement à l’envers.
M. Bastien Lachaud. L’amendement n° 22326 vise à réécrire l’intitulé du chapitre Ier. Nous substituons aux mots « un système universel commun à tous les assurés », les mots « un système créant un régime de retraite par assuré, système souffrant lui-même de nombreuses exceptions ». Je me réfère à l’avis du Conseil d’État – page 16, paragraphe 28 – qui « relève enfin que l’objectif selon lequel ‘‘chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous’’ reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi ». Il explique bien que ce système n’est pas commun à tous les assurés, puisque les droits ouverts ne seront pas les mêmes pour tous. En modifiant l’intitulé du chapitre, il s’agit donc de le clarifier et de le rendre plus compréhensible. Il faut rappeler ce que signifie la notion d’universalité : elle renvoie à ce qui est valable pour tout cas, sans aucune exception. Or force est de constater qu’à partir du moment où vous acceptez des exceptions – et vous le faites, que ce soit pour les pompiers, les gendarmes, les policiers ou les personnels navigants aériens –, vous avouez vous-mêmes que votre système n’est pas universel. Il faut donc que vous le transcriviez dans le texte.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien entendu, vous considérerez que c’est une bataille de mots ; mais quelle autre bataille peut-on mener ici ? Dans un Parlement, on parle, et dans un texte, il y a des mots. Nous demandons de la précision et de la sincérité dans les termes.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez répondu que ce système, quoique totalement individualisé – raison pour laquelle nous proposons de changer le titre du chapitre Ier –, comporte tout de même des aspects équitables ou égalitaires, et que nous devrions en convenir. Vous évoquiez une pension de retraite minimale de 1 000 euros garantie pour ceux ayant effectué une carrière complète ; naturellement, vous n’êtes pas en état de nous expliquer ce qu’est une retraite complète dans le cadre d’un système qui fonctionne par points. Mais admettons qu’un instant, on en accepte l’idée. Si j’interpellais tout à l’heure notre présidente en tant qu’élue du Pas-de-Calais, c’est parce que je voulais aborder la question des retraites en 1910 et vous faire remarquer, monsieur le rapporteur, quel progrès immense vous nous proposez. À cette époque, l’État garantissait – comme vous-même dites que vous le faites aujourd’hui – une pension de retraite minimale de 180 francs, comparable aux 1 000 euros de votre projet. Vous nous proposez ainsi de travailler treize ans de plus qu’en 1910 pour obtenir ces 1 000 euros. Comment croire dès lors que votre système soit équitable, et universel ? Il fonctionnera à la tête du client.
Je voudrais aussi dire un mot des cadres supérieurs – peut-être cela vous semblera‑t‑il étonnant de ma part. Si je m’intéresse à eux, c’est que le traitement qui leur est réservé a à voir avec la compétitivité de l’économie française. Sur la partie de leur rémunération supérieure à trois fois le montant du plafond annuel de la sécurité sociale, les cadres ne cotiseront plus en effet qu’au titre de leur participation à la solidarité nationale, à hauteur de 2,81 %. Pour compléter leur retraite, il leur faudra donc s’adresser à des fonds de pension. Cela signifie que leur contribution au bien commun sera supprimée – cela représente 7 milliards d’euros ; et qu’ils vont devoir dès maintenant – et non en 2025 – cotiser à des fonds de pension, dans des proportions qui vont entraîner une diminution considérable de leur participation à l’économie nationale. Par conséquent, ce régime à la tête du client – les cadres décideront chacun, tête par tête, du niveau de leur pension de retraite – n’est pas universel, mais absolument et totalement individualisé.
M. Adrien Quatennens. Chers collègues de la majorité, vous devriez éviter de systématiquement comparer le système actuel avec le système que vous voulez mettre en place. En procédant ainsi, vous espérez certainement nous convaincre ; mais nous ne sommes pas des partisans du système actuel, et nous considérons que compte tenu des trente années de réformes libérales qu’il a subies, il est déjà trop plein de trous et de coups de canif. De notre point de vue, les gens partent déjà trop tard et trop pauvres. Faisons donc l’économie de cette comparaison qui ne sert pas nos débats.
Surtout, l’amendement n° 22332 veut indiquer que si le projet de loi est adopté, il y aura au moins autant de régimes de retraite différents que de générations. Vous avez voulu faire peur aux Français en évoquant les quarante-deux régimes de retraite distincts que comporterait le système actuel, chiffre censé leur donner de l’urticaire. Mais je ne comprends toujours pas d’où vient ce chiffre – et M. le secrétaire d’État ne nous a fourni aucune réponse à ce sujet. Comme vous, je prends au sérieux les travaux du COR, qui n’en trouve que vingt‑trois ; quant au ministère des solidarités et de la santé, qui produit aussi des statistiques en la matière, il n’en dénombre que dix-huit. Sauf à considérer que M. Delevoye a ajouté autant de régimes qu’il a oublié de lignes dans sa déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, je ne vois toujours pas d’où viennent ces quarante-deux régimes. J’ai observé la manipulation effectuée concernant le régime de retraite complémentaire des salariés AGIRC-ARRCO. C’est un régime résultant de la fusion entre deux régimes préexistants, AGIRC et ARRCO ; or pour atteindre ce chiffre prétendument insupportable de quarante-deux, on l’a décloisonné et comptabilisé les deux – AGIRC et ARCO – séparément. Ces quarante-deux régimes viennent donc de nulle part, sinon des bouches d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe.
Vous n’avez toujours pas répondu à la question de nos collègues socialistes, s’agissant des Français nés avant 1975. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que l’objet de la conférence de financement du système de retraite, qui se tient actuellement, est strictement décorrélé de nos discussions sur le projet de loi ? Cette conférence n’a pour objet que de trouver les 12 milliards d’euros jugés nécessaires pour combler le déficit projeté par le COR d’ici à 2027, et permettant de financer les retraites de la génération née avant 1975, à qui ne s’appliquera pas le système de retraite par points. Pouvez‑vous le confirmer ?
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. S’agissant des quarante-deux régimes de retraite du système actuel, je vous invite à consulter le document établi sous la responsabilité du secrétariat de notre commission spéciale, qui vous a été transmis et qui expose à partir de la page 12 les quarante‑deux combinaisons possibles d’affiliation en matière de retraite, en tenant compte du régime de base et du régime complémentaire – il ne sépare pas AGIRC et ARRCO.
Ensuite, M. Quatennens, vous nous reprochez de faire une comparaison entre notre projet et le système actuellement en place ; c’est pourtant le principe même de l’action politique que d’établir un constat sur une situation donnée – ce que le Gouvernement et le haut-commissaire aux retraites ont fait, en analysant les défauts et les manquements du système actuel et en essayant d’apporter une réponse qui vienne corriger ces défauts.
Nous posons les fondations d’un système universel commun à tous les assurés ; nous ne modifierons donc pas le titre du chapitre Ier, et notre avis sur les amendements est défavorable.
M. Sébastien Jumel. Monsieur le secrétaire d’État, je veux profiter de votre présence et vous aider à sortir de votre embarras. Vous avez du mal à répondre à la question posée portant sur l’exemple de jumeaux ; je vous propose d’y répondre en prenant l’exemple de jumelles – même si, qu’il s’agisse de garçons ou de filles, le raisonnement est le même. Ces deux jumelles ont été séparées de leurs parents à la naissance. L’une d’entre elles vit dans le luxe, le calme et la volupté, ses parents d’adoption ont les moyens de l’élever et de la nourrir, et de financer ses études ; elle accomplit pendant quarante-trois ans une carrière de cadre supérieur chez Rothschild. L’autre jumelle a moins de chance : elle vit au fin fond de la vallée de la Bresle, et les revenus de ses parents ne lui permettent pas d’être logée convenablement – je le précise car l’espérance de vie en bonne santé n’est pas seulement liée au métier exercé, mais aussi aux conditions de vie endurées dès la naissance ; elle effectuera une carrière hachée, faite de petits boulots précaires mais, parce qu’elle est courageuse, elle aura elle aussi, malgré tout, travaillé quarante-trois ans. Est-ce qu’avec le mauvais projet que vous proposez, ces deux jumelles, qui auront été traitées de manière universelle, bénéficieront équitablement des mêmes droits à la retraite, sans décote et sans surcote ? La question est simple, monsieur le secrétaire d’État, et il vaut mieux y répondre maintenant plutôt qu’attendre la fin de nos débats.
M. Éric Woerth. Nous nous opposerons à ces amendements, mais ils posent des questions qui méritent de l’être. Parler de quarante-deux régimes, c’est une pure entreprise de communication, qui n’a rien à voir avec la réalité des choses. On met ensemble d’énormes cageots de poires et des toutes petites fraises. La vérité, c’est que 90 à 95 % des affiliés passent par huit régimes pendant leur vie – et c’est déjà beaucoup. Si l’on prend la caisse des salariés du privé, celle des fonctionnaires, le régime des indépendants et celui des agriculteurs, la grande majorité des Français sont couverts. Voir la réforme des retraites au travers de toute une série de régimes qui n’ont rien de « systémique », pour reprendre votre expression, ne me paraît pas pertinent. Le régime de retraite des personnels de l’Opéra national de Paris n’est pas systémique. Il peut interroger, notamment ceux qui n’en relèvent pas et qui exercent pourtant le métier de danseur, ou plus généralement celui de sportif. La véritable question qui se pose dans leur cas, ce n’est pas celle de l’injustice de la retraite : c’est celle de la reconversion professionnelle. Il faut préparer chaque individu à évoluer au cours de sa carrière. Il est évident qu’un danseur ou un sportif ne pourra pas continuer sa carrière au-delà d’un certain âge. Or vous ne traitez ce problème nulle part dans votre projet de loi. Votre insistance sur les quarante-deux régimes n’est qu’une manière d’embrouiller les choses. D’ailleurs, comme le dit le Conseil d’État – et c’est la réalité –, vous recréez finalement au moins autant de régimes que ceux existant pour 95 % des Français.
M. Pierre Dharréville. Au cours de ce débat, un certain nombre de questions très précises vont être posées, soulevant des différences entre certains cas et certaines situations. Le Conseil constitutionnel sera très attentif à ce que des réponses claires soient apportées, pour que le Parlement puisse voter de manière éclairée. Notre discussion devrait avoir cette utilité.
S’agissant de la philosophie du système de retraite, je crois que votre projet de loi cherche à imposer une rupture de sens et de droit. Ce que vous nous proposez me fait penser aux publicités pour le nouvel Omo : comme elle, votre projet est paré de toutes les vertus. Bornons-nous à comparer deux formules : « chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits » ; et « à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Il y a là deux philosophies différentes. Cette rupture fondamentale mérite un débat de fond.
La question du taux de remplacement n’est pas neutre. Vous ne l’abordez pas, et elle ne fait pas partie des objectifs de votre projet de loi. Si nous en parlons, c’est que, comme le dit l’économiste Bernard Friot, la retraite représente en réalité un « salaire continué ». En la rapprochant de l’idée d’un minima social, vous en modifiez la conception établie ; c’est une rupture de sens considérable.
Enfin, vous parlez de progrès. Où est le progrès quand il est inscrit dans le texte que l’âge légal du départ à la retraite va reculer un peu plus à chaque génération ? Tout cela mérite un débat approfondi.
M. Adrien Quatennens. En effet, il faut impérativement revenir sur l’idée selon laquelle le système que vous proposez permettrait la mise en place d’un régime unique et universel. Il y aura bien autant de régimes différents que de générations, et c’est pourquoi le Conseil d’État, en évoquant cinq régimes auxquels s’ajoutent les régimes dérogatoires, sous‑évalue la situation que vous allez créer. Votre texte dit explicitement que l’âge d’équilibre est voué à se décaler au fil des générations. Tout le monde a compris pourquoi : votre objectif est de contracter la part des richesses produites consacrée aux retraites, et le niveau des pensions sera votre variable d’ajustement. Pour ne pas dire aux gens qu’ils gagneront moins en partant au même âge, vous leur dites que leur pension sera la même s’ils travaillent plus longtemps. En réalité, c’est la même chose. Ces amendements visent donc la cohérence : vous avez le droit de penser qu’il est inéluctable de travailler plus longtemps ; la droite le dit et l’assume, elle pense qu’il faut prendre une mesure d’âge. Votre projet de loi n’est en fait rien d’autre qu’une vaste mesure d’âge. Une fois retiré tout ce verbiage inutile sur l’universalité, dont on vérifie d’ailleurs grâce au Conseil d’État qu’elle n’existe pas, et qu’un euro cotisé n’ouvre pas les mêmes droits pour tous, on se rend compte que l’arbre cache la seule forêt que vous maintenez, et qui se résume à l’idée qu’il va falloir travailler inéluctablement plus longtemps, sans tenir compte du fait que la productivité a augmenté.
Quand vous évoquez l’évolution du ratio entre actifs et retraités, vous oubliez de dire qu’un actif produit aujourd’hui de manière incommensurablement plus importante que par exemple dans les années 1970 – jusqu’à trois fois plus, c’est énorme. Où va cette part de la richesse produite par le travail humain ? Le système par points est le meilleur outil au service d’un objectif précis, celui qui vise à contracter la dépense liée aux retraites dans l’espoir que les gens se détournent du système par répartition. Incontestablement, le système que vous proposez est une étape intermédiaire vers un régime par capitalisation. Certes, le système par points reste par répartition, mais c’est l’étape nécessaire pour passer à la capitalisation que vous encouragez comme jamais.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite l’amendement n° 759 de M. Patrick Hetzel.
M. Jean-Pierre Door. La définition de l’universalité bat de l’aile depuis un certain temps. Chaque jour, on observe en la matière de nouvelles entorses par rapport au projet initial, qui se voulait universel mais finit par multiplier les exceptions, en particulier sur l’âge de départ, en fonction des professions.
Pour nous, l’essentiel est d’harmoniser les modes de calcul entre le secteur privé et le secteur public. C’est le sens de l’amendement n° 759.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’harmonisation des modes de calcul entre les différents régimes, et notamment entre le privé et le public, se trouve au cœur de ce projet de loi. Elle est abordée au chapitre II, au moment où est définie l’unité de mesure du point, qui donnera lieu à un système équitable, lisible et garantissant un certain niveau de vie à ses bénéficiaires par son indexation dynamique.
Je vous propose de retirer votre amendement, qui ne vise pas le bon chapitre et conduirait à alourdir la rédaction de celui-ci.
M. Adrien Quatennens. Je m’associe aux propos de M. le rapporteur qui suggère à notre collègue de retirer son amendement, non parce qu’il ne se trouve pas à la bonne place, mais parce que la différence de mode de calcul entre le privé et le public se justifie par le fait que les carrières n’y sont pas les mêmes : dans le privé, la carrière n’est pas linéaire, elle peut être interrompue et hachée, alors que dans le public, le système d’avancement d’échelon fait que les six derniers mois sont normalement les plus favorables.
Vous n’êtes pas non plus sans savoir qu’auparavant, dans le privé, la pension de retraite était calculée à partir des dix meilleures années ; depuis la réforme des retraites de 1993, elle l’est sur la base des vingt-cinq meilleures années.
Le changement de mode de calcul précise l’intention du Gouvernement, et valide l’idée selon laquelle il y aura une écrasante majorité de perdants. Tout le monde peut comprendre que si l’on calcule la pension de retraite non plus sur la base des six derniers mois – dans le public – ou des vingt-cinq meilleures années – dans le privé –, mais sur l’ensemble de la carrière, la plupart des gens y perdront. Un élève de primaire saura tout de suite qu’il est plus favorable pour lui qu’on calcule sa moyenne à partir de son dernier bulletin qui a été particulièrement bon plutôt que sur l’ensemble de sa scolarité.
Vouloir à tout prix cette harmonisation est donc une très mauvaise idée : la différence entre les modes de calcul se justifie.
M. Boris Vallaud. À mon sens, le débat s’engage assez mal. Il est très ennuyeux que M. le secrétaire d’État reste mutique pendant l’examen des amendements alors que des questions précises lui sont posées. La représentation nationale a besoin d’être éclairée. Mardi dernier, déjà, nous lui avons posé beaucoup de questions et nous avons obtenu très peu de réponses, à une heure bien tardive. De nombreuses questions fondamentales sont esquivées. Le taux de remplacement des retraites va chuter de façon drastique, et l’écart entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs va retrouver son niveau des années 1980 ; nous allons donc gommer quarante ans de progrès. Et 30 % des pensionnés – 40 % des femmes – le seront au minimum contributif. Est-ce un progrès ? N’esquivons pas ce débat ! Vous évoquez de prétendus progrès. Mais vous durcissez la situation de ceux qui ont vécu des périodes de chômage, de même que l’accès au dispositif pour carrière longue, et ce que vous proposez à propos de la pénibilité est indigent. Il y a treize ans de différence d’espérance de vie entre les 5 % de Français les plus riches et les 5 % les plus pauvres. On a le sentiment que vous vivez dans un monde imaginaire. La réalité, c’est que vous avez regardé ce projet comme une boule à neige ; vous l’avez agité, et vous ne savez pas où la neige retombe. Vous êtes incapables de nous dire où il mène. Quand nous parlons d’universalité, ce n’est pas pour nous amuser. Le Conseil d’État vous a dit que vous ne pouviez pas revendiquer la notion de « système universel commun ». Ces mots sont vidés de leur sens. Pendant des décennies, les nouveaux régimes que vous créez coexisteront avec les anciens ; il y aura donc beaucoup plus de régimes qu’il n’y en a aujourd’hui. Vous avez promis plus de simplicité et de lisibilité, mais personne n’est capable aujourd’hui de dire quel sera le montant de sa pension de retraite. Vous n’avez pas répondu aux cas d’espèce ni non plus à la question de savoir pourquoi vous aviez tout calculé à partir de la génération née en 1975, sur un âge d’équilibre fixé à 65 ans, alors que la loi dit l’inverse. Nous avons besoin de ces réponses.
M. Éric Woerth. Le fait que M. le secrétaire d’État ne réponde pas me convient. Les commissions existent aussi pour que nous puissions débattre entre parlementaires. La présence des ministres en commission n’est d’ailleurs pas obligatoire, même si elle peut être parfois utile.
L’Assemblée nationale a déjà voté, il y a quelques années, un article – l’article 16 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites – prévoyant que la France allait étudier « les conditions de mise en place d’un régime universel par points ». Cet objectif est inscrit dans la loi. Or force est de constater qu’en 2013, le débat n’a pas été lancé comme il devait l’être. Il se trouve aujourd’hui à nouveau posé. Que voulait-on dire à l’époque en évoquant un régime « universel » ? Il ne s’agissait pas d’unifier l’ensemble des catégories de personnes, sans exception, mais bien d’un universalisme englobant les salariés du privé et la fonction publique, soit les deux régimes les plus importants. En effet, selon nous, un informaticien, qu’il travaille dans une entreprise ou dans un ministère – le ministère de l’intérieur ou celui des affaires sociales, par exemple –, doit être traité de la même manière en matière de retraite. L’erreur du Gouvernement est d’avoir maladroitement et inutilement étendu cet objectif à l’infini, à tous les Français – même ceux qui ne demandaient rien à personne, et ils sont très nombreux –, le rendant illisible. Mais la mise en œuvre d’un universalisme entre la fonction publique et les salariés relevant du régime général de la caisse nationale d’assurance vieillesse me semble être indispensable. Cette mesure a un coût très élevé, mais elle me paraît parfaitement juste, car l’existence d’une différence de régime entre salariés de la fonction publique et salariés du privé relève de l’injustice. Seule la pénibilité
– une pénibilité objective – peut justifier le fait de rompre avec cet objectif.
M. Jean-Pierre Door. Une large partie de l’opinion publique est en effet favorable à un rapprochement entre le public et le privé en matière de régime de retraite. Mais cela fait des années que l’on recule sur ce sujet. Monsieur le secrétaire d’État, vous entendez aussi cette volonté généralisée de rapprocher le secteur privé du secteur public. Peut-être cet objectif est-il inscrit plus loin dans le projet de loi, mais il nous semblait nécessaire de préciser dès le début du texte cette exigence d’harmonisation. Je maintiens l’amendement qui a été déposé par mon collègue Patrick Hetzel.
M. le secrétaire d’État. Je suis défavorable à l’amendement n° 759, mais j’entends bien l’aspiration de Jean-Pierre Door en la matière. Il a lu le projet de loi avec attention, et il sait qu’on y retrouve ce qu’il souhaite : nous y avons clairement exposé le fait que l’ensemble des assurés, qu’ils travaillent dans le secteur public ou dans le secteur privé, seront concernés par ce système universel.
J’ai pris quelques instants pour relire la page de garde du projet de loi qui vous est soumis : elle évoque bien un « projet de loi instituant un système universel de retraite », ce qui répond à une partie des questions posées depuis que la commission a commencé à se réunir.
En tant que jeune ancien député, je partage l’avis de M. Woerth sur le fait que les commissions sont aussi le lieu de l’expression de la représentation nationale, et que le rôle du Gouvernement est certes de l’éclairer, mais aussi d’écouter ce qui s’y dit ; c’est l’état d’esprit qui m’anime.
Cela dit, quelques éléments méritent que je réagisse. Pour reprendre l’exemple des jumeaux, ou des jumelles – j’ai bien compris qu’il y avait en ce moment un intérêt particulier pour les grossesses gémellaires –, la construction d’un système universel de retraite amènera l’un – ou l’une – et l’autre, lorsqu’ils auront le même niveau de cotisation, la même carrière et un âge identique, à obtenir un même niveau de pension. C’est bien parce que ce n’est pas le cas aujourd’hui que nous vous proposons cette grande transformation du système de retraite. En effet, jusqu’à présent, si l’une et l’autre avaient mené des carrières relativement similaires, mais dans des organismes soumis à des régimes différents – que ce soit dans une entreprise dotée d’un régime spécial, dans le privé ou dans la fonction publique –, elles auraient certainement eu des niveaux de cotisation différents et, assurément, des niveaux de pension différents.
C’est bien ce que nous voulons éviter dans le cadre de ce projet universel. N’ayons pas peur d’utiliser ce mot. Il a un fondement, qui est de rassembler l’ensemble de nos concitoyens autour d’un projet important dans le cadre de notre capacité à vivre ensemble, à faire République ensemble : celui qui consiste à créer une égalité de tous devant la retraite. J’entends certes les critiques et les inquiétudes exprimées, au fond desquelles je perçois une volonté collective de réussir ensemble cette transformation et d’éviter que des situations particulières ne soient pas prises en compte – même si la loi doit traiter de l’intérêt général et s’il nous faut être vigilants à propos de ces situations particulières. Mais c’est une belle ambition que nous devons tous porter.
La commission rejette l’amendement.
La commission examine les amendements identiques n° 1118 de Mme Clémentine Autain, n° 1123 de M. Bastien Lachaud, n° 1125 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1129 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. Nous continuons à corriger la manière dont vos titres sont rédigés. En l’occurrence, il s’agit de la section 1 du chapitre Ier du titre Ier, pour le moment intitulée : « Principes généraux », ce qui est extrêmement flou. Nous proposons le titre suivant : « Incantations générales de façon à donner une apparence d’humanisme à une réforme délétère ». Sans vouloir raviver la polémique lancée tout à l’heure par mon camarade Sébastien Jumel sur la question de l’humanité, nous sommes au cœur du sujet. S’agit-il d’une réforme, au sens où elle constituerait un progrès, ou d’une contre-réforme menant à une régression ?
Dans ce paragraphe, les mots utilisés ne correspondent pas à la réalité du projet. Vous reprenez le terme d’équité, que vous préférez à celui d’égalité. Que chacune et chacun réfléchisse à la différence entre ces deux termes. L’égalité était le terme choisi en 1789 dans la Déclaration – universelle, c’est le cas de le dire – des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ce n’est pas un hasard si on a progressivement décidé de lui substituer celui d’équité. C’est une forme de renoncement, car l’équité est un sous-produit de l’égalité : elle part du principe qu’il est impossible de ne pas avoir d’inégalités, et qu’il faut donc se contenter d’en compenser les injustices, tout en suivant une logique méritocratique, mettant en avant les mérites de certains. Cela n’a rien à voir avec l’égalité réelle. Cette logique ne prend pas en compte la réalité des inégalités sociales. C’est de ce principe que vous partez, et c’est pourquoi vous vous trompez.
M. Bastien Lachaud. Ces principes généraux camouflent bien un projet délétère. Il suffit de regarder le nombre et la répartition de certains mots utilisés dans ce projet. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites que ce régime est universel parce que c’est écrit. Le mot universel apparaît en effet 346 fois ; celui d’égalité, seulement sept fois. On trouve 109 fois le mot ordonnance, quatre fois le mot débat ; 156 fois le mot activité, aucune fois le mot repos ; 133 fois le mot travail ou travailleur, mais seulement deux fois le mot précarité, et une fois le mot pauvreté. Ce décompte montre bien quelles sont les priorités du Gouvernement. Le mot femme apparaît seulement treize fois ; pourtant, c’est un projet délétère pour les droits des femmes. Celles-ci vont être les principales victimes de cette réforme, d’abord par la suppression des méthodes de calcul qui permettaient un lissage des carrières heurtées – avec le passage d’un calcul de la pension de retraite fondé sur les vingt-cinq meilleures années, ou six derniers mois dans le public, à un calcul fondé sur la carrière complète. Les femmes sont majoritaires parmi les fonctionnaires, et ce sont elles qui vont subir le plus les mesures de convergence que le Gouvernement prépare. Je pourrais également évoquer les pensions de réversion, qui ne seront plus versées aux femmes divorcées. Selon une version provisoire de l’étude d’impact, les femmes aux salaires bas avec deux ou trois enfants seraient les plus défavorisées par le projet de loi, avec des baisses de pension allant de 50 à 300 euros par mois. Voilà un projet délétère, et voilà le sens de mon amendement n° 1123.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez compris qu’à ce moment de nos interventions, nous avons décidé de convoquer l’humour. J’ai lu les principes généraux – ils feront tout à l’heure l’objet d’amendements – et je ne les trouve pas si généraux. Ils ont même l’air assez étroitement ciblés, et n’y apparaît pas ce qui me semble être un principe général dans l’organisation du travail – je parle ici sous le contrôle de connaisseurs. Nous nous identifions depuis un peu plus d’un siècle à la diminution du temps de travail et, comme j’ai eu l’honneur de participer aux débats sur les 35 heures, je ne peux pas ne pas y penser à ce moment. Certes, il y a toujours eu une majorité conservatrice pour considérer que le temps de travail n’était jamais assez long – à l’évidence, cela a quelque chose à voir avec la volonté d’accumulation. Mais le premier des principes généraux que l’on devrait poser est le suivant : puisque la machine et l’intelligence sont disponibles, elles doivent remplacer la peine de l’être humain au travail. Ce n’est pas évoqué une seule fois dans vos principes généraux ; par conséquent, ils n’en sont pas.
Le moment est venu de rappeler qui a introduit de véritables principes généraux de réduction du temps de travail. La question de la retraite est pour nous associée à celle de la réduction du temps de travail, et c’est parce que nous avons réduit le temps de travail dans la journée, dans la semaine, dans l’année et dans la vie que nous avons vécu plus longtemps – au cours du dernier siècle, nous avons gagné trente ans d’espérance de vie, et ce progrès s’est accompli à mesure que le temps de travail diminuait. Dans la semaine, c’est nous – la semaine de 40 heures en 1936, puis celle de 39 heures en 1981, et celle de 35 heures sous le gouvernement de Lionel Jospin ; dans l’année, c’est nous – les congés payés introduits par le Front populaire en 1936, puis à la Libération, et rallongés en 1981 ; dans la vie, c’est encore nous – sans nous, ni la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910, ni celle sur l’assurance vieillesse de 1946, ni celle sur la retraite à 60 ans de 1981, n’auraient été votées. Le pays a-t-il été ruiné à l’une de ces occasions ? Non, et la population en a bénéficié.
M. Adrien Quatennens. Cette série d’amendements cherche à mettre en cohérence le contenu du projet et ses intitulés. En réalité, depuis que nos débats ont démarré, nous avançons très rapidement : il est désormais établi qu’il n’y a pas d’universalité. Le Conseil d’État nous l’avait déjà dit, et M. le Président Macron lui-même avait récemment déclaré qu’« universel ne veut pas dire que c’est le même pour tout le monde » – nous avions alors compris de quoi il retournait. Je suggère donc, puisque nous pouvons tomber d’accord sur le fait qu’il n’y a pas d’universalité, de retirer ce terme non seulement du texte, mais de nos prises de parole.
Cessez de croire, monsieur le secrétaire d’État, qu’à force de les répéter, les éléments de langage finissent par s’imprimer dans les esprits. Cela fait des mois que votre gouvernement rabâche que la réforme est « plus juste, plus simple, pour tous », et c’est tout l’inverse que les Français comprennent.
Vous avez vous-même renoncé à l’universalité à mesure que la mobilisation grandissait. Dès qu’une profession menaçait de basculer dans la grève, vous vous êtes empressés de la rassurer en affirmant que la réforme ne la concernait pas. Nous n’avons d’ailleurs toujours pas compris votre logique : en quoi une profession devrait être rassurée de ne pas se voir appliquer une réforme que vous estimez si formidable ? Cela nous éclaire sur vos intentions : vous ne comptez nullement mettre en œuvre un système « plus juste, plus simple, pour tous », cette formule n’est qu’un simple habillage.
Après deux heures de débat, peut-être est-il temps de s’accorder sur le fait que votre projet de loi ne vise aucunement l’universalité, pas plus que la casse du code du travail n’a permis de « libérer les énergies ».
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons un rapport différent au travail. Il peut certes être source de pénibilité – des progrès restent à faire – mais il est aussi facteur d’épanouissement et d’intégration sociale. De nombreux cas de personnes vivant mal une fin de carrière brutale me viennent à l’esprit. À cet égard, réfléchir à un départ progressif peut avoir du sens.
Par ailleurs, je précise qu’un article du code de la sécurité sociale, dans la rédaction issue de la « loi Touraine » du 20 janvier 2014, fixe déjà l’équité comme objectif du système de retraite.
Cette série d’amendements identiques propose de remplacer les mots « Principes généraux » par « Incantations générales de façon à donner une apparence d’humanisme à une réforme délétère ». Je ne me reconnais dans aucun des termes de cette proposition : mon avis est défavorable.
Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai posé une question précise et simple tout à l’heure et j’aurais espéré une réponse. Prenons le cas de deux jumelles, l’une née le 31 décembre 2004, l’autre le 1er janvier 2005. Nous confirmez-vous qu’elles n’auront pas la même pension de retraite alors qu’elles auront exercé la même activité professionnelle, pour un même salaire et pour une même durée de travail ?
La commission rejette les amendements.
Article 1er : Création d’un système universel de retraite par répartition
La commission est saisie des amendements de suppression n° 1 de M. Stéphane Viry, n° 542 de M. Pierre Dharréville, n° 796 de Mme Clémentine Autain, n° 801 de M. Bastien Lachaud, n° 803 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 807 de M. Adrien Quatennens, n° 20966 de Mme Valérie Rabault et n° 21084 de M. Boris Vallaud.
M. Éric Woerth. Notre amendement n° 1 propose de supprimer l’article 1er car il nous apparaît nécessaire de simplifier la réforme des retraites et de la rendre plus efficace sur le plan à la fois social et financier car ces deux dimensions sont à nos yeux indissociables.
L’énorme défaut de votre projet de loi, certains diraient même le scandale de votre projet de loi, c’est qu’il ne propose aucune mesure de financement. La représentation nationale devrait pouvoir examiner un texte complet. Comment aboutir à l’équilibre en 2027, comme vous le souhaitez ? Mystère. Comment le système s’équilibrera ensuite ? Double mystère.
L’étude d’impact nous aide peut-être à comprendre votre démarche. Elle prend pour hypothèse un âge d’équilibre fixé à soixante-cinq ans alors que le Gouvernement parle d’un âge d’équilibre à soixante-quatre ans. Pourquoi une telle augmentation ? Nous vous demandons depuis deux mois quel chemin vous comptez suivre mais vous ne nous l’indiquez pas.
Je note enfin que c’est la première des réformes de retraite à ne pas opérer de recul de l’âge légal. C’est peut-être facile à expliquer mais c’est financièrement impossible à réaliser puisque vous abaissez dans le même temps la deuxième borne d’âge, celle du taux plein, aujourd’hui fixée à 67 ans, pour la faire coïncider avec l’âge d’équilibre, de 65 ans. Or l’âge d’équilibre se situera à 67 ans à un moment donné, notamment lorsque beaucoup de femmes prendront leur retraite.
M. Pierre Dharréville. La mise en place d’un système universel de retraite par points constitue un bouleversement majeur de notre système de retraite hérité du Conseil national de la Résistance. Cette réforme « systémique » est avant tout une réforme paramétrique permanente qui conduira à affaiblir le droit à la retraite de nos concitoyens par l’allongement de la durée de vie au travail et la baisse programmée des pensions. Les dispositifs de solidarité qui fondent notre contrat social – droit familiaux, réversion, prise en compte du chômage – sont, en outre, rabotés au nom d’un seul objectif : la réduction de la dépense publique. Enfin, cette réforme est nocive car elle ouvre des espaces à la capitalisation. C’est donc le pilier de notre pacte social qui est gravement remis en cause.
Nous tenons une preuve supplémentaire de son caractère régressif dans cet article 1er qui prévoit un engagement du Gouvernement à revaloriser les rémunérations des enseignants pour compenser la baisse anticipée de leurs pensions dans le système à points. Rappelons que cette disposition a été jugée inconstitutionnelle par le Conseil d’État puisqu’elle n’a aucune valeur contraignante : elle n’assure en rien que les enseignants seront revalorisés dans les prochaines années. La meilleure manière de garantir le niveau des pensions des enseignants est d’augmenter le point d’indice des fonctionnaires, ce que le gouvernement actuel s’est refusé à faire. Mieux payer les personnels de l’éducation nationale et plus largement les agents publics doit constituer un objectif à part entière et non une contrepartie. En liant augmentation des rémunérations et réforme des retraites, vous n’avez fait que réveiller des aspirations chez les uns et chez les autres.
Finalement, vous allez transformer l’âge légal en âge de départ à la retraite anticipée avec une décote.
Mme Clémentine Autain. Nous constatons l’écart entre ce que vous rabâchez et la réalité concrète de votre projet de loi et nous contestons l’affirmation selon laquelle la réforme renforce la solidarité entre les assurés. C’est tout l’inverse qui se produira puisqu’une entreprise de régression sans pareille est à l’œuvre. Si votre système est si bon, on se demande d’ailleurs bien pourquoi vous voulez épargner les policiers ou les militaires, monsieur le secrétaire d’État.
Nous attendons toujours votre réponse au sujet de la comparaison entre un ouvrier et un cadre ayant tous les deux travaillé quarante-trois ans. Citons un autre exemple de l’injustice née de l’application des recettes néo-libérales à notre régime de retraite. Dans le système actuel, la retraite correspondant à la période de chômage est calculée sur la base du salaire antérieur ; dans votre nouveau système, la valeur du point sera fondée sur les indemnités de chômage. Pas besoin d’avoir fait HEC ou Sciences Po pour comprendre que la pension sera diminuée puisque les indemnités de chômage sont inférieures au salaire perçu antérieurement.
M. Bastien Lachaud. Avec cet article 1er, nous sommes en plein cœur de la rhétorique macronique du « en même temps ». Reprenons ses termes.
Le système universel de retraite doit répondre à l’objectif d’équité, mais en même temps les pensions élevées des fonctionnaires qui correspondaient à des salaires différés ne seront pas maintenues.
Ce projet renforce la solidarité entre assurés, mais en même temps incite à la capitalisation des plus riches, dont une partie des cotisations échappera au régime général.
Le système doit permettre de garantir un niveau de vie satisfaisant, mais en même temps organise une baisse des revenus durant la vie active puisque les personnes au-dessus de 50 ans ont beaucoup plus de difficultés à retrouver un emploi. Leurs pensions, avec le système par points, seront donc durablement affectées.
Ce projet doit renforcer la liberté dans le choix de départ en retraite des assurés, mais en même temps va inciter les personnes à travailler plus longtemps, en reculant l’âge auquel elles pourront partir avec une retraite sans décote. Drôle de vision de la liberté !
Le projet doit répondre à un objectif de soutenabilité économique et d’équilibre financier, mais en même temps ne fait plus rentrer certaines cotisations dans le système général, celles correspondant à des revenus de plus de 10 000 euros par mois.
Enfin, ce système doit être lisible et permettre aux assurés d’anticiper l’impact d’un changement professionnel sur le montant de leurs droits, mais en même temps la valeur du point ne pourra pas être connue à l’avance puisqu’elle sera fixée par le conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle.
Bref, en même temps, chaque personne aura un régime différencié en fonction de son parcours.
M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la présidente, vous ne serez pas étonnée de m’entendre reprendre l’argument à mes yeux central de la diminution du temps de travail. Mais avant de le développer, je voudrais dire un mot à notre rapporteur. Il affirme que nous n’avons pas la même conception du travail, mettant en avant le fait que le travail peut être facteur d’accomplissement. Certes mais là n’est pas notre principale divergence. Nous considérons que seul le travail crée de la richesse. C’est la raison pour laquelle il doit être protégé, bien rémunéré et la richesse qu’il produit correctement partagée. La plupart des gens aiment leur travail mais ils trouvent toujours moyen d’introduire un espace de liberté pour le tailler à leur mesure. Le travail, qu’il plaise ou non à celui qui l’exerce, suppose temps contraint et lien de subordination, essence du contrat de travail. Ceux qui militent pour la réduction du temps de travail militent en réalité pour l’augmentation du temps choisi. Les gens, quand ils partent à la retraite, ne restent pas couchés en attendant la mort ; ils multiplient les occupations, qui les accaparent souvent plus que leur activité professionnelle antérieure, tout simplement parce qu’elles constituent du temps choisi.
N’allez pas croire que ce que je suis en train de vous dire soit pure rhétorique. La réduction du temps de travail est le seul moyen dont nous disposons pour améliorer les conditions de vie de nos compatriotes. Il arrive un moment où le travailleur est gagné par l’usure physique et psychologique et c’est à notre société, en édictant des règles dans le code du travail ou le code de la santé, de fixer une limite à l’astreinte au travail. C’est ainsi qu’au cours du siècle passé, les Français ont gagné trente ans d’espérance de vie. Avez-vous réalisé, chers collègues, que, pour la première fois depuis au moins un siècle, l’espérance de vie stagnait ? Dans certains grands pays que nous citons en modèle comme les États-Unis d’Amérique, elle recule même, tout comme l’espérance de vie en bonne santé.
En allongeant le temps de travail de nos compatriotes, nous ne ferons que déporter vers les caisses de chômage la prise en charge de leur existence matérielle parce qu’ils ne trouvent pas de travail et déplacer vers l’assurance maladie des charges qui auraient pu lui être évitées si les conditions d’une vie meilleure avaient été réunies.
M. Adrien Quatennens. Cet article 1er est un écran de fumée qu’il importe de dissiper par souci de sincérité. Parmi les principes généraux qu’il énumère, il réaffirme le financement par répartition mais passe sous silence le fait que vous encouragez la capitalisation. Les Français ont bien compris qu’ils auraient toujours le droit de partir à l’âge légal de 62 ans mais qu’il n’est pas dans leur intérêt de le faire, à moins d’avoir souscrit à des dispositifs de capitalisation pour éviter la décote que vous voulez leur infliger. En outre, la diminution du plafond pour les hauts revenus va constituer une incitation supplémentaire à la capitalisation.
L’article 1er indique que « le système universel de retraite doit permettre de garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités » mais vous ne précisez jamais ce que vous entendez par là. Selon nous, il doit s’établir pour une carrière complète au moins au niveau du SMIC car en dessous du seuil de pauvreté, on survit plus qu’on ne vit.
À l’autre question fondamentale que se posent les Français – « à quel âge me sera garanti ce niveau de vie satisfaisant » –, vous répondez a minima 64 ans, soit au-delà de l’espérance de vie en bonne santé, et votre projet de loi nous montre que cette limite peut être toujours repoussée. Compte tenu des hausses de productivité et de l’espérance de vie en bonne santé, nous considérons que c’est à 60 ans qu’un assuré devrait partir à taux plein.
L’article 1er évoque à nouveau le caractère universel du système de retraite qui, nous l’avons montré, est un leurre. Il dit encore que le projet de loi a pour but de renforcer la liberté dans le choix de départ en retraite. Mais peut-on parler de liberté face à la menace de la décote ?
Monsieur le rapporteur, si vous trouvez le temps long, je vous soumettrai un document qui montre que, pour financer le retour à l’équilibre, il existe bien d’autres possibilités que de faire travailler les gens toujours plus longtemps.
M. Régis Juanico. L’article 1er organise l’augmentation de trois ans de l’âge réel du départ en retraite mais aussi la baisse programmée du taux de remplacement de 30 %, autrement dit une réduction du niveau de vie des futurs retraités. Il met en place un système injuste de malus extrêmement dissuasif et porte l’âge d’équilibre à 65 ans, âge appelé à être reculé en fonction notamment de l’évolution de l’espérance de vie.
Il ne prend pas en compte l’espérance de vie en bonne santé qui est aujourd’hui de 63 ans et cinq mois. Le patron du MEDEF nous a indiqué la semaine dernière que l’âge moyen de liquidation dans le secteur privé était de 63 ans et sept mois mais dans le secteur public, il est inférieur, ce qui place l’âge moyen de départ en retraite autour de 62 ans.
L’article reprend l’engagement du Gouvernement de revaloriser la rémunération des enseignants et des chercheurs pour compenser la baisse anticipée de leurs pensions. Autrement dit, vous reconnaissez que ces fonctionnaires sont les grands perdants de cette réforme des retraites. Le Conseil d’État ayant qualifié cette disposition d’inconstitutionnelle, qu’allez-vous faire ?
Je terminerai en appelant votre attention sur un cas exposé à la page 108 du rapport de la commission. Un agent public né en 1974 qui partirait à la retraite à 65 ans, soit en 2039, aura vu ses cotisations de retraite augmenter de 8 euros par mois pendant quatorze ans, sans aucun droit nouveau ou majoration de sa pension. Qu’en pensez-vous ?
M. Boris Vallaud. Première question : quelle est la portée normative de ces principes généraux ? Il est à craindre qu’ils n’en aient aucune et que dès lors, cet article 1er soit frappé d’inconstitutionnalité.
Ces principes sont-ils fondés ?
Le premier est l’équité. Vous affirmez qu’un euro cotisé ouvrira les mêmes droits à chacun. Toutefois, vous ne précisez pas ce que vous entendez par « mêmes droits ». Cela a‑t‑il une portée normative ? En outre, vous ne prenez pas en compte les différences d’espérance de vie selon les carrières. Enfin, pour les revenus situés entre une fois et trois fois le PASS, les droits à la retraite diffèrent selon que l’assuré est un travailleur indépendant ou un salarié.
Le deuxième principe est la solidarité entre les assurés. Aucune garantie n’est pourtant donnée pour assurer aux retraités un niveau de vie satisfaisant. La seule règle d’or que vous posez est financière. Vous ne dites rien de l’évolution du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs dans la durée. Rien non plus de l’évolution du taux de remplacement, qui va chuter.
Le troisième est la liberté. Mais peut-on parler de liberté quand une personne, y compris quand elle relève du minimum contributif, est obligée soit de travailler plus longtemps, soit de renoncer à une part significative de sa pension ?
Quatrième principe : la lisibilité. Elle est contestée par le Conseil d’État qui estime que le nouveau système « retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système ».
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ces amendements de suppression me permettent de remettre en perspective plusieurs enjeux trop souvent déformés.
D’abord, les principes et les objectifs que contient l’article 1er ne sont pas dépourvus de portée normative : ils orienteront au quotidien le pilotage du système universel.
Ensuite, je me demande comment il est possible de se satisfaire du système actuel, qui est très complexe pour la grande majorité de nos concitoyens. Il les oblige à faire des choix qui ne sont pas optimaux en matière d’orientation et de cessation de carrière. Proposer des règles plus simples, plus lisibles et plus communes – si vous préférez ce terme à « universelles » – constitue à cet égard une grande avancée.
Rappelons qu’aujourd’hui, les femmes touchent en moyenne 40 % de retraite de moins que les hommes. Bon nombre de nos concitoyens perçoivent des pensions de l’ordre de 700 à 800 euros – et là, c’est l’agriculteur qui vous parle. Essayer de leur apporter une réponse est un objectif qui est, je crois, tout à notre honneur.
Avis défavorable à ces amendements de suppression.
M. Pierre Dharréville. La situation des agriculteurs est en effet préoccupante, monsieur le rapporteur. Dois-je rappeler que le Gouvernement s’est opposé au Sénat à une proposition de loi d’André Chassaigne adoptée à l’unanimité sous la précédente législature dans notre assemblée ? Elle répondait pourtant à une partie du problème. Dois-je souligner que le projet de loi ne comporte aucune solution pour les retraités actuels du monde agricole ?
Selon vous, le nouveau système apporterait une lisibilité extraordinaire. Cela reste à démontrer. Je dirai même que la lisibilité est moindre, compte tenu de la complexité des différents systèmes qui s’enchevêtrent.
M. Boris Vallaud. Je poursuivrai mon propos en évoquant les enseignants. Quel crédit apporter à l’engagement que vous prenez d’augmenter leurs rémunérations ? Vous comptez le remplir grâce à une loi de programmation. Or le Conseil d’État souligne que l’injonction à légiférer est inconstitutionnelle. Et dans l’étude d’impact, vous avez le culot d’avancer que l’augmentation de pouvoir d’achat des retraités passera par une augmentation de 0,3 point par an de la part de la prime pour les enseignants pendant cinquante ans.
M. Sébastien Jumel. Les ficelles que vous utilisez sont un peu grosses.
L’instauration d’un minimum retraite aux alentours de 85 % du SMIC est subordonnée à plusieurs conditions : avoir 64 ans, contre 62 ans aujourd’hui ; avoir effectué une carrière complète, ce qui exclut 40 % des femmes ; avoir cotisé au moins 600 heures chaque année, ce qui exclut les temps partiels.
Quant aux agriculteurs, vous vous êtes servis d’eux comme d’un leurre pour mieux nous faire avaler la couleuvre. Vous leur proposez d’accéder à l’allocation de solidarité aux personnes âgées, mais en posant des conditions de ressources et en prévoyant des remboursements au moment de la succession. De plus, cette mesure ne concernera pas les trois millions d’agriculteurs ayant déjà liquidé leurs retraites, condamnés à vivre en dessous du seuil de pauvreté.
Tout est leurre dans cet article 1er, qui mérite d’être réécrit.
La commission rejette les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques n° 1135 de Mme Clémentine Autain, n° 1142 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1146 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. Nous avons décidé de déposer des amendements de suppression de chaque alinéa de l’article 1er pour réaffirmer notre opposition à la philosophie du projet de loi et à la duplicité du fameux « en même temps » qui l’imprègne tout entier.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cet article 1er est censé décliner « les grands principes qui fondent le système universel de retraite, ainsi que les objectifs sociaux et économiques qui lui sont assignés ». En fait de grands principes, il s’agit plutôt de modes d’organisation. Quant à l’universalité du système, nous avons vu qu’elle n’existait pas. « Objectifs sociaux et économiques » : la formulation me paraît incomplète, compte tenu de votre réaction aux propos de mon collègue Sébastien Jumel sur l’inhumanité de votre comportement politique. Je suis persuadé que vous voudriez ajouter « humains ». Je ne plaisante pas, le Programme des Nations unies pour le développement a mis au point en 1992 un indice de développement humain, dont l’une des composantes principales est l’espérance de vie. Plus elle est longue, plus elle permet de formuler des projets, de les voir aboutir, et donc de concourir au bien commun. En réalité, vous n’envisagez aucun objectif de progrès ou de développement humain dans votre réforme qui passe à côté de l’essentiel de ce qu’on attend d’un régime de retraite : qu’il dise simplement que la vie peut être belle en dehors du travail.
M. Adrien Quatennens. Nos amendements visent à supprimer le premier alinéa.
D’abord, parce qu’il fait de nouveau référence à l’universalité du nouveau système, alors que nous avons montré qu’elle était absente de la réforme. Ensuite parce qu’il oublie de dire que le projet de loi est un texte à trous qui renvoie à des ordonnances dans des proportions rarement atteintes – vingt-neuf au total ! Ce sont autant d’enjeux qui ne pourront pas être débattus au sein de notre assemblée. Enfin, vous évoquez les « objectifs sociaux et économiques » alors que le seul objectif que vous poursuivez est de faire travailler les Français toujours plus longtemps, au-delà de l’espérance de vie en bonne santé.
Faire travailler les Français plus longtemps ne va pas dans le sens de l’histoire, compte tenu des hausses de productivité – Jean-Luc Mélenchon a bien montré comment les avancées sociales avaient permis de les libérer du travail. En outre, cela ne fera qu’aggraver le chômage des séniors alors qu’aujourd’hui, à l’âge de la retraite, ils ne sont déjà qu’un sur deux à occuper un emploi. Notre pays compte 300 000 chômeurs de plus de 60 ans. Autrement dit, vous ne ferez que transférer le déficit potentiel des caisses de retraite vers l’assurance chômage.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Rappelons les termes de l’alinéa 1 : « I – Le livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifié ». Je dois dire que j’ai du mal à percevoir la portée politique de vos amendements de suppression. Avis défavorable.
M. Jean-Paul Mattei. J’avoue que j’avais du mal à comprendre le sens de ces amendements. Vous avez parfaitement le droit de relancer la discussion générale mais, sans parler d’obstruction parlementaire, je dirai qu’on perçoit le ridicule de certaines de vos propositions.
Je tiens à faire entendre d’autres voix dans ce débat : certains estiment ici que l’article 1er est bien écrit et qu’il pose de bons principes.
La commission rejette les amendements.
Elle est saisie des amendements identiques n° 1345 de Mme Clémentine Autain, n° 1352 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1356 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. Parlons de ridicule : les mille pages de l’étude d’impact fournissent des études de cas erronées, susceptibles de fausser le jugement des parlementaires, mais aussi cocasses – pensons à ces aides-soignantes au salaire mirobolant qu’évoquait ma collègue Caroline Fiat.
Vous réaffirmez le principe de la retraite par répartition et de la solidarité entre les générations. L’un des nombreux problèmes que votre nouveau système pose, c’est qu’il passe d’un système à prestations définies, où l’assuré connaît le taux de remplacement, à un système de cotisations définies. Chaque personne qui cotise connaît la valeur du point au moment de son acquisition mais ignore sa valeur de service, ce qui l’empêche de faire des anticipations.
M. Jean-Luc Mélenchon. J’admets parfaitement, monsieur Mattei, que vous puissiez trouver cet article 1er bien écrit même si nous aurions aimé que vous nous expliquiez pourquoi.
Je vais vous dire amicalement pourquoi nous avons choisi de déposer de tels amendements. Nous avons entendu toutes les rumeurs – y aura-t-il un 49-3 ? cette commission va-t-elle interrompre l’examen du texte ? – et nous nous sentons en insécurité dans ce débat. Je m’exprime en tant que président d’un groupe d’opposition qui veut s’identifier à une lutte dure. Vous le savez aussi bien que moi, ces soixante jours de grève sont un moment spécial dans l’histoire du pays et nous voulons tenir dignement notre rôle en reprenant à chaque article la totalité de notre argumentaire. Attendez-vous donc à des répétitions.
Je me saisis de toutes les occasions de supprimer ce que qui me paraît présenter un risque. S’agissant de système de retraite, la Commission européenne est sur notre dos depuis au moins dix ans. Elle est arrivée à ses fins dans pratiquement tous les pays ; il n’y a plus que ce maudit village gaulois qui résiste, ce qui pousse certains à dire que notre pays est irréformable – comme s’il y avait une obligation à réformer. Nous craignons que la retraite par capitalisation ne se profile à l’horizon. Affirmer que « les actifs d’aujourd’hui financent par leurs cotisations les retraites d’aujourd’hui » et que ce principe est « intangible » ne suffit pas à bloquer ce processus. À n’importe quel moment, les points peuvent être mis en réserve.
M. Adrien Quatennens. Si nous avons déposé des amendements pour supprimer alinéa par alinéa les articles de ce projet de loi, c’est par cohérence avec l’opposition qu’exprime une majorité de Français. L’argument selon lequel ce projet de loi respecte l’engagement du programme présidentiel de ne pas modifier l’âge de la retraite est tombé. Certes, vous ne touchez pas à l’âge légal, mais vous augmentez l’âge effectif en diminuant le montant des pensions.
M. le secrétaire d’État ne nous a toujours pas répondu au sujet de la conférence de financement. Elle ne porte pas sur le nouveau système mais sur les générations nées avant 1975. Vous demandez aux partenaires sociaux de dégager 12 milliards d’euros d’économies avant même l’entrée en vigueur du système par points. Le débat sur l’âge pivot qui a lieu ces dernières semaines ne concerne pas ce projet de loi. Tout le monde a compris que l’âge d’équilibre demeurait.
Ce que vous présentez aux parlementaires et aux Français est insincère.
Je reviendrai sur le fait que l’étude d’impact est faussée comme l’ensemble des cas types présentés aux Français pour expliquer la réforme.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos amendements visent à supprimer l’alinéa suivant : « 1° Après l’article L. 111-2-1, il est inséré un article L. 111-2-1-1 ainsi rédigé ». Mme Autain y a vu une allusion à la valeur du point, M. Mélenchon à la capitalisation et M. Quatennens à l’âge de départ. Nous ne devons pas avoir le même texte sous les yeux.
Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
La commission examine les amendements identiques n° 1362 de Mme Clémentine Autain, n° 1369 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1373 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1362 a pour objet de supprimer l’alinéa 3. Celui-ci vise à insérer, dans le code de la sécurité sociale, un article L. 111-2-1-1 ainsi rédigé : « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite qui, par son caractère obligatoire et le choix d’un financement par répartition exprime la solidarité entre les générations, unies dans un pacte social. » Nous ne sommes évidemment pas d’accord puisque nous ne cessons de contester son « universalité », comme l’ont fait le Conseil d’État et de très nombreuses personnes, majoritaires dans notre pays. Deuxième mensonge éhonté, vous touchez au système par répartition. Avec la loi « PACTE », vous avez préparé en outre le terrain au régime par capitalisation et à la privatisation du financement des retraites. Nous estimons enfin que votre système aggravera au contraire la situation actuelle et que le pacte social est totalement laminé par votre projet de loi.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous donne acte, monsieur le rapporteur, que je m’étais trompé d’alinéa. Vous me dites que j’ai lu « capitalisation » alors qu’il n’en est pas question dans le texte. Comme j’ai tenté de vous l’expliquer précédemment, le fait de parler de répartition n’empêche pas la capitalisation. Vous serez d’accord avec moi pour dire que même un système de capitalisation est un système qui répartit, parce qu’aucun système ne peut échapper à la démographie ! Quand la génération X prendra sa retraite, elle se partagera ce qu’il y a : le système de retraite est donc sensible à la démographie. Voilà pourquoi je dis qu’il ne suffit pas d’affirmer l’attachement à un système de répartition. Je prends le pari – j’espère ne pas être là pour voir ça ! – que l’étape suivante de la Commission et des autres organes européens consistera à dire aux Français : « Maintenant que vous avez instauré le système par points, il va falloir stocker les points pendant un moment pour en faire de la capitalisation, de manière à injecter de l’argent dans l’économie. » C’est exactement ce qu’a dit M. Le Maire lorsqu’il a défendu l’idée qu’il fallait développer la capitalisation au service de l’industrie du pays. Et ne nous dites pas qu’elle n’est pas prévue dans ce texte puisque vous poussez précisément les cadres supérieurs à aller vers la capitalisation ! Nous verrons, à l’article 64, comment vous comptez en régaler le pays.
M. Adrien Quatennens. L’alinéa 3 contient au moins deux informations mensongères. La première, c’est l’instauration de ce fameux système universel : il n’en est rien ! Le Conseil d’État l’a souligné et nous vous avons démontré que vous allez créer autant de régimes différents que de générations. Mais surtout, l’universalité, c’est le pari de la jalousie entre les Français. L’intention réelle d’Emmanuel Macron est de limiter la part des richesses consacrée aux retraites, mais comme ce n’est pas acceptable pour le grand public, il dit : « Jalousez-vous les uns les autres », espérant que la jalousie des Français entre eux sera supérieure à l’aspiration générale à un bon niveau de retraite pour tous. Je rappelle au passage que les régimes spéciaux ne concernent que 3 % de la population active de notre pays ; or nous en avons beaucoup parlé dans le débat qui nous occupe.
La deuxième information mensongère concerne la répartition. Chacun a compris que votre système par points obligera toujours les actifs d’aujourd’hui à payer pour les retraités d’aujourd’hui. Je l’ai déjà expliqué, c’est l’étape intermédiaire nécessaire pour passer demain à un système par capitalisation. De plus, vous n’attendez pas de passer à un système de retraite par capitalisation pour encourager les Français à y recourir : s’ils veulent partir dès l’âge légal de départ sans avoir à subir la décote, ils ont plutôt intérêt à faire appel à leur banquier ou à leur assureur pour compléter leurs revenus !
Pire encore, vous adressez un message clair aux hauts revenus : en baissant le plafond à partir duquel ils ne font plus acquisition de droits nouveaux à la retraite, vous les incitez à se tourner vers un système par capitalisation. Ce faisant, et c’est absolument incroyable, le fait d’abaisser ce plafond pour les hauts revenus creusera un trou de 3,5 milliards par an dans les caisses de retraite. Oui, c’est effectivement un message clair que vous leur adressez : « Vous qui avez du fric, vous qui avez du pognon, arrêtez de le laisser dormir dans ce système rétrograde qu’est la sécurité sociale, et allez voir nos amis de BlackRock, qui se tiennent prêts à vous accueillir ! »
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos amendements visent à supprimer l’alinéa 3. Je ne vous conteste pas le droit de rejeter les outils que nous vous proposons d’adopter pour atteindre les objectifs. Toutefois, dès le début du texte, vous proposez de supprimer un objectif que nous pourrions partager avec vous, partis de gauche. « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite qui, par son caractère obligatoire et le choix d’un financement par répartition, exprime la solidarité entre les générations, unies dans un pacte social. » À défaut d’être d’accord sur les moyens, nous aurions pu nous retrouver sur cet objectif. Je suis donc défavorable à ces amendements.
M. Pierre Dharréville. Quand on lit la suite du texte, on se rend bien compte qu’il y a un hiatus : c’est la raison principale de la critique faite à cet alinéa. Affirmer des principes généraux est une bonne chose mais quand on analyse les actes accomplis par le Gouvernement depuis 2017, on se rend compte qu’ils ne correspondent pas tout à fait à ces principes.
La réforme que vous nous proposez est une fusée à trois étages. Premier étage : l’augmentation de la CSG pour les retraités, qui revenait à baisser leurs pensions – on se souvient de votre entêtement à cet égard. Deuxième étage : la loi « PACTE », avec la création de nouveaux produits d’épargne retraite et la volonté de les développer. Troisième étage : l’affaiblissement de notre système solidaire et d’un droit garanti à la retraite. Et je crains un quatrième étage car je ne suis pas sûr que vous souhaitiez vous en arrêter là...
Dernière remarque : tout cela s’inscrit dans une cohérence politique incontestable. Vous avez commencé par vous attaquer au droit du travail, au droit à la formation, à l’assurance maladie et à l’assurance chômage : vous vous attaquez désormais à la retraite.
M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, si nous souhaitons la suppression de cet alinéa, c’est justement par souci de cohérence avec le reste de votre texte, que nous avons bien lu. Vos intentions sont toujours louables : libérer les énergies, très franchement, cela m’enthousiasme ! Je trouvais cela très intéressant. Le problème, c’est que quand on vérifie vos actes, on en est très loin ! De même que vous avez voulu détruire le code du travail pour en faire un par entreprise, vous prétendez désormais mettre en place un système universel et maintenir le système par répartition. En réalité, cet alinéa n’est justifié que parce qu’il serait difficile à Emmanuel Macron de dévoiler ses véritables intentions aux Français.
Si vous ne voulez pas supprimer cet alinéa, nous pouvons le rédiger autrement : « La Nation française désormais ne consacrera pas plus de 14 % de sa richesse nationale aux retraites. Pour atteindre cet objectif, bien que la productivité ait augmenté et que la richesse produite n’ait jamais été aussi mal répartie, les Français devront travailler toujours plus longtemps et au-delà de l’espérance de vie en bonne santé. » Vous avez le droit de penser que c’est ce qu’il faut faire pour notre pays, vous avez le droit de penser que c’est la bonne solution, mais ne le cachez pas ! Ne maquillez pas cela en parlant d’un système universel ou d’un encouragement à la répartition !
Les assureurs et les banques ne vous rendent d’ailleurs pas service. Ils n’arrêtent pas en effet de déclarer leur flamme à votre projet de loi dans toute la presse économique, éclairant ainsi vos intentions : oui, le système de M. Macron est une aubaine pour les retraites par capitalisation ! Il n’y a pas un matin sans que l’on entende, à la radio ou à la télévision, de la publicité pour une banque ou un assureur qui propose de compléter votre retraite à points. Ce que vous faites est clair, alors assumez-le, tout simplement !
Mme Célia de Lavergne. Ces amendements visent à supprimer la réaffirmation solennelle de l’attachement de la nation au principe de répartition. Le groupe majoritaire ne votera évidemment pas ces amendements car le principe de répartition est la base de la solidarité entre les générations et la condition nécessaire pour éviter le recours à la capitalisation, comme cela existe dans d’autres pays.
Le fait que ce système sera obligatoire pour 100 % des Français et qu’il touchera les revenus de 99 % d’entre eux, avec une cotisation de solidarité pour le pourcentage restant, signifie que nous sommes en train de créer un immense système public qui permettra d’assurer à la fois le niveau de vie et la solidarité à l’égard des accidents de vie : nous créons ainsi un nouveau système plus solidaire. Je réaffirme donc que le système par répartition obligatoire pour tous est une excellente solution ; les Français le savent, ils y sont attachés et, comme ils nous écoutent, je tiens à le rappeler au nom de tous.
M. Boris Vallaud. Il importe de sécuriser le texte. Vous ne pouvez pas affirmer votre attachement aux principes d’universalité et de répartition alors qu’ils sont battus en brèche par l’observation méticuleuse du reste des articles et de ce que vous avez accompli depuis deux ans et demi.
Vous avez commencé par faire en sorte qu’un euro cotisé ne produise pas les mêmes droits, en indexant de façon différente les retraités au-dessus et en dessous de 2 000 euros de pension. Vous fixez un principe et, dès que vous en avez l’occasion, vous y dérogez ! Vous prétendez avoir supprimé quarante-deux régimes spéciaux alors que vous en avez créé des dizaines ! On passera des régimes spéciaux à des régimes spécieux, car ceux que vous prétendez être les gagnants de la réforme ne le seront pas ! Il faut donc contester votre formulation : si un certain nombre de différences de traitement étaient admises historiquement dans les anciens régimes, le Conseil d’État, dans son avis, souligne que le principe d’égalité n’est pas assuré dans les différences que vous avez consacrées. Comment peut-on par exemple comprendre que les aiguilleurs du ciel puissent partir à la retraite avant les infirmières et les aides-soignantes ? Du point de vue de la pénibilité de ces métiers, l’un vaut au moins l’autre ! On en arrive à des situations aberrantes et absolument injustifiées.
M. Sébastien Jumel. Quand le Premier ministre a entamé son grand oral sur les retraites, je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il est brillant ! » Il parlait au cœur des Français en leur rappelant leur attachement à la répartition, aux solidarités entre les générations ; il a même fait appel au sang et aux larmes du Conseil national de la Résistance, alors que l’un de ses objectifs est de flinguer le statut que Marcel Paul a mis en place pour les électriciens gaziers, et que l’autre est de dénaturer le projet solidaire d’Ambroise Croizat.
Nous voulons faire tomber les masques et vous confronter à vos propres turpitudes. Je prendrai un exemple : vous réaffirmez votre attachement à la solidarité entre les générations. Lorsque vous exonérez les cadres à partir d’un certain niveau de revenus, vous privez les retraités de leurs contributions, enfonçant ainsi un coin dans la solidarité entre les générations. Vous réaffirmez solennellement l’attachement à un système universel alors que vous ne cessez de repousser les dates de fusion de tous les organismes de retraite. L’universalité n’est donc pas au rendez-vous.
En amendant ce titre Ier, nous vous mettons face à vos contre-vérités, vos mots volés, alors que votre projet vise instaurer progressivement un système de retraite par capitalisation. La secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher a parlé de Smarties : mais c’est le début de la fin, les Smarties, en matière de retraite par répartition, parce que c’est le début de la capitalisation !
La commission rejette les amendements.
Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 5060 de Mme Clémentine Autain, n° 5067 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5071 de M. Adrien Quatennens ainsi que les amendements n° 2 de M. Stéphane Viry et n° 22588 de M. Sébastien Jumel.
Mme Clémentine Autain. Si nous avons déposé de nombreux amendements de suppression d’alinéas, nous défendons également des amendements permettant de valoriser notre contre-projet. En l’occurrence, l’amendement n° 5060 a pour objet de substituer aux alinéas 3 à 15 les alinéas suivants :
« Art. L. 111‑2‑1‑1. – La Nation affirme solennellement son attachement au caractère solidaire et obligatoire du système de retraites, ainsi qu’à la préservation du droit de partir à l’âge de 60 ans, garantissant ainsi une retraite agréable et un temps libre profitable. » Je rappelle que l’espérance de vie en bonne santé est de 63 ans : c’est dire l’intérêt du projet de société que nous soutenons.
« Elle garantit à toutes et tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, parce qu’il a atteint l’âge décent de 60 ans, ou avant ce terme, en raison de la pénibilité subie lors de l’activité professionnelle, en raison de son état physique ou mental, ou d’une carrière commencée précocement, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » C’est une façon d’exprimer très clairement l’objectif que nous recherchons.
« Les différents paramètres à disposition des organisations de salarié et des organisations patronales afin d’assurer l’application de ces principes ne peuvent revenir sur ces limites d’âge de départ volontaire. » Cette disposition nous permet de sortir de votre cadre budgétaire contraint. On voit bien qu’avec vous, les partenaires sociaux, qui sont garants de l’équilibre, sans aucune logique de recettes, pourraient remettre en cause les bornes d’âge que nous souhaiterions fixer. Le présent amendement vise donc à les graver dans le marbre.
M. Jean-Luc Mélenchon. La nouvelle rédaction proposée par l’amendement n° 5067 vise à ramener la retraite à 60 ans au cœur de la discussion. Ne tournons pas autour du pot : c’est cela que nous voulons faire ! Nous voulons entendre pourquoi la retraite à 60 ans était possible en 1981 avec trente-sept annuités et demie, et pourquoi elle n’est plus possible aujourd’hui. Y a-t-il eu une catastrophe ? Le pays est-il plus pauvre ? Non ! Selon vous, c’est parce que les gens vivent plus longtemps, mais vous vous trompez ! Les gens vivent plus longtemps parce qu’ils se sont précisément arrêtés de travailler à 60 ans avec trente‑sept annuités et demie ! Nous avons pris à l’époque une mesure de santé publique en prenant une mesure sociale de retraite. Dans notre esprit, le progrès social est un aliment du progrès économique : nous ne nous retrouverons pas sur ce point parce que vous pensez que c’est seulement s’il y a du progrès économique qu’il peut y avoir du progrès social. Nous voulons donc relancer le sujet de la retraite à 60 ans : c’est l’œuvre historique de notre famille politique au sens large, qui a été réalisée en 1981 – sauf erreur, madame la présidente, vous étiez à l’époque d’accord avec cette idée ! Nous en sommes tous au même point : nous pensons que 60 ans est un bon âge pour partir à la retraite parce que les gens ne sont pas épuisés.
Je vous ai rappelé un peu plus tôt l’histoire de 1910 : figurez-vous qu’une bonne partie des salariés ne voulaient pas alors entendre parler de cette cotisation obligatoire qu’on leur infligeait pour partir à la retraite. Ils refusaient en effet de payer la retraite pour les morts, parce qu’eux-mêmes seraient morts quand ils auraient le droit de partir à la retraite à 65 ans. Or nous sommes progressivement en train de rétablir la retraite pour les morts : les gens partiront à la retraite au-delà de l’âge moyen d’espérance de vie en bonne santé, qui est de 63 ans. Ce n’est pas admissible, après que le pays a fait tant de progrès et accumulé autant de richesses ! La retraite, c’est 60 ans et pas un an de plus !
M. Adrien Quatennens. Il s’agit pour nous de répondre à la commande passée par le Premier ministre, qui s’est dit prêt à entendre toutes les propositions pour assurer l’équilibre financier du système. Pour cela, il existe d’autres modalités que le fait de décaler, génération après génération, l’âge de départ à la retraite. Vous poursuivez un objectif arbitraire, comptable, budgétaire avec ces 14 % du PIB consacrés au financement des retraites, lesquels en outre diminueront, selon le Conseil d’État. Or votre variable d’ajustement, c’est la vie des gens et l’âge auquel ils pourront partir à la retraite. Nous vous appelons donc à faire exactement le contraire. Quelle idée se fait un grand pays comme la France de ce troisième âge de la vie qu’est la retraite ? Pour nous, compte tenu de ce qu’est l’espérance de vie en bonne santé, les gens doivent pouvoir partir à 60 ans, avec aucune pension sous le SMIC pour une carrière complète et personne sous le seuil de pauvreté.
Comment allons-nous financer, nous demanderez-vous ? Il faut au préalable se demander s’il est souhaitable de partir à la retraite à un âge décent avec un bon niveau de pension. Ensuite, la politique dicte sa loi et nous mettons la comptabilité au service de notre objectif politique. Financer la retraite à 60 ans ne nécessite que deux points de PIB en plus d’ici à 2040 : très franchement, cela n’a rien d’impossible, surtout quand on sait ce qu’est la répartition de la richesse produite dans notre pays ! Au moment même où nous débattons des retraites, nous apprenons dans un rapport d’Oxfam qu’en France, sept milliardaires possèdent autant que 30 % de la population : oui, nous avons un problème de répartition des richesses. Il est possible de financer la retraite à un âge décent avec un bon niveau de pension.
Mme Constance Le Grip. Par l’amendement n° 2, le groupe Les Républicains souhaite modifier substantiellement la rédaction de l’article 1er. Nous avions, mais en vain, souhaité modifier les principes généraux de cette réforme des retraites. Nous réitérons donc notre proposition de projet de réforme des retraites alternatif en nous appuyant sur les textes existants, de façon à aboutir à une rédaction plus lisible et améliorée.
Les grands axes de ce projet alternatif seraient les suivants : tout d’abord, la mise en place d’un régime universel de base, jusqu’à un PASS. Nous souhaitons en effet maintenir les régimes complémentaires, qui ne coûtent pas d’argent au contribuable français et qui, à travers les caisses autonomes, permettent à certaines professions de faire face à la nécessité d’assurer un régime de retraite décent à celles et ceux qui leur sont affiliés.
Nous souhaitons également écrire à nouveau noir sur blanc ce qui constitue la condition essentielle de la sécurité du futur régime de retraites : sa pérennité financière. Je réitère notre forte opposition à ce que l’Assemblée nationale soit saisie d’un texte qui ne garantisse pas le financement du système des retraites : cela nous semble non seulement indigne de la représentation nationale mais surtout de nature à renforcer l’angoisse de nos compatriotes. La pérennité financière doit donc être inscrite dans le texte de loi avec des mécanismes précis de financement.
M. Sébastien Jumel. Vous avez compris qu’il s’agit pour nous de réécrire l’article 1er. François Morel a dit dans sa chronique sur France Inter : « Tâchons, dans la mesure du possible et afin d’assainir les caisses de l’État, de mourir tôt ! Travaillons toute la vie, puis mourrons avant d’envisager ces années superflues ! [...] » Si je l’avais entendue avant de rédiger l’amendement, je l’aurais reprise à mon compte car c’est une belle traduction de l’article 1er.
Nous proposons donc, avec l’amendement 22588, une rédaction par l’absurde : la Nation assume pleinement son attachement à un système inéquitable de retraite ; elle encourage ceux qui peuvent y échapper à recourir à la retraite par capitalisation ; elle grave dans le marbre l’inégalité entre les sexes et entre les générations ; elle se fixe comme objectif de résorber les dernières traces du programme du Conseil national de la Résistance ; elle se fixe l’objectif clair de dégradation du niveau de vie des retraités et de versement d’une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active.
Google propose à ceux qui ne parlent pas bien une langue étrangère le service Google Traduction : je lui ai donc soumis votre projet rédigé dans la langue des Marcheurs, et voilà le résultat ! Je le trouve assez fidèle à ce que nous avons compris de votre projet.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Concernant les amendements de La France insoumise, M. Mélenchon se demande ce qui a changé depuis 1981 : l’augmentation de l’espérance de vie est manifeste, tout comme l’entrée tardive sur le marché du travail. Les Français ont conscience que l’on ne peut pas réduire la durée du travail à chaque bout : il faut en tenir compte, tout comme il est nécessaire de tenir compte de la qualité de vie et de la répartition entre le temps de travail et le temps de loisir. Avis défavorable.
Concernant l’amendement n° 2 du groupe Les Républicains, il correspond exactement à l’amendement que vous aviez déposé avant l’article 1er, à l’exception de l’enjeu de la pénibilité. Je ne reviendrai pas sur le fond ; avis défavorable.
Quant à M. Jumel, je lui conseille de vérifier la version de Google Traduction car ce n’est pas l’objectif de notre projet. Nous constatons l’insuffisance du système actuel ; les outils peuvent peut-être être améliorés mais le cadre général apporte une bonne réponse aux difficultés que le système actuel rencontre. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
La commission se saisit de l’amendement n° 22057 de M. Sébastien Jumel.
M. Pierre Dharréville. Le présent amendement a été pour partie défendu à l’instant par Sébastien Jumel. Il a pour objet de vous aider à mieux formuler vos intentions car « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Nous avons en effet constaté que les outils que vous avez mis à disposition ne correspondent pas du tout à vos intentions, ou alors il faudra nous démontrer en quoi le système que vous mettez en place répond aux enjeux. Pour l’instant, il n’en est rien.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je m’inscris en faux contre votre lecture de la réforme. Vous parlez d’iniquité : nous préférons l’application d’un corpus universel, ou le plus homogène possible si le mot « universel » vous gêne, de règles et la prise en compte de situations spécifiques. Vous évoquez l’injustice : nous préférons l’extension du compte professionnel de prévention de la « loi Touraine » à la fonction publique, l’attribution de droits aux aidants ou la retraite minimale à 1 000 euros. Vous évoquez le financement individuel : nous préférons la mutualisation de l’ensemble des ressources face au défi démographique. Vous évoquez la capitalisation : nous préférons l’affirmation solennelle de l’attachement de la nation à la répartition. Je vous rappelle que le seuil des 3 PASS couvre 99 % de nos concitoyens. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement n° 21525 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Le présent amendement a pour objet de remplacer le mot « universel » par le mot « inéquitable », qui me semble plus approprié pour décrire vos intentions.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques nos 14652 de M. Pierre Dharréville et 14653 de M. Sébastien Jumel.
M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14652 vise à apporter une précision sur la nature du système de retraite, qui doit être à prestations définies. Or votre projet de loi prévoit un système à cotisations définies, c’est-à-dire que vous définissez au départ la masse globale des richesses produites consacrée aux retraites – une masse décroissante – et que vous honorez ensuite ce que vous pouvez, sans garantie d’un véritable taux de remplacement. Nous préférons donc le système inverse, à prestations définies, qui se fixe un objectif en la matière : nous proposons de l’inscrire dans la loi.
M. Sébastien Jumel. Les règles garantissant le taux de remplacement ne sont pas gravées dans le marbre de la loi. Le niveau des prestations n’est pas non plus garanti dans le projet que vous présentez. Nous avons la certitude que, in fine, cette réforme dégradera le niveau des pensions et l’accès aux prestations telles qu’elles sont aujourd’hui définies. Tel est le sens de l’amendement n° 14653.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous remercie pour ces amendements, qui me permettent de mettre un terme à un faux débat entre régime à cotisations définies et régime à prestations définies. Le système actuel, marqué par de nombreuses réformes, n’est pas entièrement un régime à prestations définies : depuis 1987, les réformes des différents gouvernements ont conduit à modifier l’indexation des droits, l’indexation des pensions liquidées, l’âge d’ouverture des droits, l’âge du taux plein, la durée d’assurance. Il n’y a donc pas de prestations définies dans notre régime par annuité.
À l’inverse, le meilleur moyen de garantir de bonnes pensions est d’assurer un équilibre financier durable et un pilotage fin, avec de bonnes capacités de projection, un volant important de cotisations – 82 % – renforcé par des ressources fiscales stables – CSG, taxe sur les salaires. Le système proposé ne sera pas un régime à cotisations définies mais un système qui anticipe mieux et s’appuie sur des cotisations équitablement réparties. Avis défavorable.
M. Adrien Quatennens. Pour appuyer la démonstration de nos collègues communistes, l’objectif a été de plafonner la part des richesses consacrée aux retraites ; Jean‑Paul Delevoye avait même évoqué un plafond de 14 %. Depuis, nous avons appris par le Conseil d’État que ce projet de loi aurait pour effet de faire diminuer cette part des richesses consacrée aux retraites. Les cotisations et l’âge de départ seront donc bien la variable d’ajustement. Votre objectif n’est pas de dire aux gens : « Vous partirez à tel âge, avec tel niveau de pension », puisqu’il s’agit précisément de votre variable d’ajustement. C’est toute la différence entre un système à prestations définies, dont l’objectif est bien de soulager la vie des gens et d’y adapter la comptabilité, et un système à cotisations définies, qui se débrouille avec le niveau de cotisations défini – et tant pis si ce n’est pas suffisant !
J’entends parfois l’argument qui nous est opposé : 14 % du PIB suffiraient à amortir les départs en retraite des prochaines décennies. Mais la part de PIB est ainsi plafonnée alors que la part des seniors dans la population de ce pays continue à augmenter. Chacun comprend donc que votre annonce programme la baisse des pensions. Certes, vous dites que les pensions ne baisseront pas, mais tout le monde comprend que s’il faut travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension, c’est bien que le niveau de pension a baissé. Vous parlez du temps de travail plutôt que du niveau des pensions, mais cela revient exactement au même. Ces amendements sont donc tout à fait justifiés.
M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, je crains que votre réponse n’éteigne pas le débat. Je n’ai jamais défendu la modification des indexations, les baisses de pensions au gré des réformes, etc. – bien au contraire ! La dégradation qu’a connue notre système de retraite depuis quelques décennies est d’ailleurs une partie du problème.
Je vous retourne donc la question : à quel endroit dans le texte fixez-vous les garanties sur le taux de remplacement et sur un véritable droit à la retraite ? Cela ne figure nulle part. Nous sommes dans une réforme paramétrique permanente, où la variable d’ajustement est l’âge de départ et, de ce fait, le niveau des pensions. L’objectif fixé dans l’étude d’impact, c’est qu’au moins 50 % des gens travaillent jusqu’à l’âge d’équilibre : les 50 % restants partiront donc avec une décote et leurs pensions baisseront. Vous avez joué sur ces paramètres mais vous ne fixez aucun objectif réel de droit à la retraite : c’est bien le problème.
Par ailleurs, concernant la prévisibilité, divers outils ont permis d’obtenir des éléments extrêmement précis sur la stabilité financière et sur l’avenir financier du système. Le dernier rapport du COR en est un exemple.
M. Boris Vallaud. Ces amendements ont le mérite de poser assez nettement les termes du débat. Les 14 % constituent un plafond : or l’étude d’impact évalue ce taux à 12,9 %, alors même que le nombre de retraités va augmenter de façon considérable. Pour faire simple, vous réduisez la part du gâteau et le nombre de ceux qui demanderont une part va croître : pas besoin d’être un grand mathématicien pour comprendre que la part sera plus petite ! Mais c’est un sujet que vous esquivez : votre seule règle d’or, qui figure dans la loi organique et non dans la loi ordinaire, c’est l’équilibre financier du système. Cela signifie que, par exemple, si nous devions connaître une crise avec un choc asymétrique, comme en 2008, la seule variable d’ajustement serait le niveau des pensions ou l’âge de départ à la retraite. Vous ne dites pas en revanche comment évolueront le taux de remplacement et le niveau relatif des retraités par rapport aux actifs. La réalité, c’est que tous ceux qui partiront à la retraite verront ce taux de remplacement baisser substantiellement et que, en outre, ils devront partir plus tard. La réforme ne peut pas être juste dans ces conditions.
Vous pouvez esquiver le débat mais les termes de « justice » et de « progrès » sont vains : derrière ces paroles, il n’y a rien. Avec le minimum contributif, vous entrez à 85 % du SMIC mais vingt ans plus tard, compte tenu de la règle de l’indexation, vous serez à 70 % du SMIC, parce qu’il y aura eu un décrochage entre les pensions et le SMIC, comme il y aura eu un décrochage entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs. Voilà la réalité objective. Ce que vous semblez donner d’une main, vous le reprenez de l’autre.
M. Sébastien Jumel. Nous avons démontré que votre réforme anticipe et accentue la baisse du taux de remplacement prévue par le rapport du COR. Nous avons également montré, à l’aide d’arguments qui ne souffrent aucune objection, que le système à points que vous préconisez n’offre aucune garantie aux salariés sur le niveau de leur retraite, puisque vous ne fixez aucune cible, aucun objectif, ni aucune garantie pour le taux de remplacement. Enfin, et vous le reconnaissez vous-mêmes dans le rapport qui a inspiré ce texte, « le rendement définitif ne pourra être acté qu’en 2024, en fonction des hypothèses économiques qui prévaudront alors ». Autrement dit, vos promesses sur le rendement garanti sont des promesses de Gascons.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite l’amendement n° 20533 de M. Matthieu Orphelin.
Mme Albane Gaillot. Le système universel de retraite incarne une ambition forte de solidarité, où la société tout entière participe au financement de la branche vieillesse de l’assurance maladie, et donc à la retraite de ses aînés. S’il va de soi que notre responsabilité est de garantir l’équilibre et la pérennité de notre système de retraite pour les jeunes générations, nous consacrons aussi, dans ce texte, la solidarité au sein de chaque génération.
Indépendamment des statuts, des branches, des métiers, le système universel marque le rassemblement de la société tout entière derrière le principe d’une solidarité au sein de chaque génération. Chacun participe à la solidarité nationale pour tous. Cet amendement vise à rappeler ce qui fait la force de ce projet de loi, à savoir la solidarité entre les générations, mais aussi au sein même de chaque génération.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous remercie pour cet amendement et je vous rejoins totalement : la solidarité s’exprime à la fois entre les générations et au sein des générations. Mais ces deux formes de solidarité figurent déjà à l’article 1er, puisqu’il est fait mention de la « solidarité entre les générations » à l’alinéa 3 et d’un « objectif de solidarité au sein de chaque génération » à l’alinéa 6. Je vous invite à retirer votre amendement, car il est satisfait par la rédaction actuelle de l’article.
M. le secrétaire d’État. Dans le prolongement des propos du rapporteur, je veux rassurer les auteurs de cet amendement et leur dire que la volonté du Gouvernement est bien de garantir la solidarité intergénérationnelle. C’est d’ailleurs l’un des fondements du système que nous nous proposons de reconstruire. De plus en plus de jeunes disent ne plus croire dans le système par répartition. Or nous, nous voulons le voir perdurer, parce qu’il fait l’honneur de notre société et de notre République. J’espère que mes mots vous auront rassurés ; sachez en tout cas que tout cela figure dans le texte et que je fais la même lecture que le rapporteur de l’alinéa 6.
M. Gérard Cherpion. Cette solidarité au sein d’une même génération existe déjà dans le régime actuel de retraite, par exemple au sein de l’AGIRC‑ARRCO, où la somme reversée ne correspond pas toujours exactement à la cotisation. Ce système, qui fonctionne, risque pourtant de disparaître, puisque votre texte prévoit la fusion l’AGIRC-ARRCO au sein du régime universel. C’est tout un système social qui risque de disparaître.
M. Sébastien Jumel. Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas le droit d’invoquer les inquiétudes de la jeunesse quant à la pérennité de notre système de retraite par répartition pour justifier sa remise en cause. C’est insupportable ! C’est comme si vous disiez à une personne qui a peur en permanence : « Rassure-toi, on va supprimer tous les policiers ! » C’est complètement surréaliste et c’est insupportable ! Vous avez évoqué les agriculteurs pour flinguer les régimes spéciaux. Et maintenant, vous invoquez les inquiétudes de la jeunesse pour remettre en cause le régime par répartition ! Les inquiétudes des jeunes sont réelles et légitimes : mes enfants s’inquiètent pour l’avenir, surtout quand ils vous écoutent. Mais n’utilisez pas ces inquiétudes légitimes pour justifier cette mauvaise réforme !
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement n° 760 de M. Patrick Hetzel.
M. Jean-Pierre Door. Depuis deux ans, nos retraités ont subi de plein fouet l’augmentation de la CSG puis la désindexation de leurs pensions de retraite, ce qui a réduit leur pouvoir d’achat. Et chat échaudé craint l’eau froide.
Avec cet amendement, nous proposons donc que le montant des pensions de retraite ne puisse pas diminuer du fait de décisions gouvernementales, de mesures économiques ou de changements de politique fiscale.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les éléments concernant l’évolution des retraites et des pensions sont évoqués plus loin, aux articles 9, 11 et 55. Ce dernier définit les marges de manœuvre de la future Caisse nationale de retraite universelle. Avis défavorable.
M. Lionel Causse. J’aimerais faire quelques remarques sur l’article 1er et sur le projet de loi dans son ensemble.
Premièrement, je rappelle que les pensions augmentent en fonction de l’inflation. Deuxièmement, il est prévu que la valeur du point évolue en fonction de l’augmentation des salaires qui, généralement, est supérieure à celle de l’inflation.
Ce texte confie par ailleurs la gouvernance du système aux partenaires sociaux, qui auront pour mission d’assurer son équilibre sur des périodes de cinq ans. Le régime AGIRC-ARRCO, qui est lui-même géré par les partenaires sociaux, a fait ses preuves : au cours de la dernière décennie, la valeur du point n’a pas baissé.
Enfin, nous réaffirmons le principe du système par répartition, comme cela a été dit à maintes reprises.
L’article 1er est donc beaucoup plus protecteur que le droit actuel. Il me semble important de faire confiance à la gouvernance et aux partenaires sociaux qui auront à gérer ce système.
M. Pierre Dharréville. L’indexation des retraites est une question très importante, mais le discours de la majorité est souvent ambigu à ce sujet. Ce projet de loi prévoit bien, à terme, une indexation du point sur l’évolution des salaires, mais pas une indexation des pensions. Ce n’est pas la même chose, mais vous entretenez cette confusion dans le débat public. Je me permets donc de souligner que vous n’avez pas prévu, pour l’instant, d’indexer les pensions sur les salaires.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué l’inquiétude de la jeunesse et je voudrais prolonger les propos de mon collègue Sébastien Jumel. Vous reprenez à votre compte l’idée selon laquelle le système actuel serait en péril, alors même que le COR nous a dit que ce n’était pas le cas. Le fait que vous vous fondiez sur des fake news pour défendre votre projet de loi est tout de même problématique ! Je vous invite par ailleurs à mesurer la portée de votre argument : si le fait que le système actuel suscite des inquiétudes suffit à l’invalider, alors vous devriez immédiatement abandonner le vôtre !
M. Thibault Bazin. Je veux souligner l’intérêt de l’amendement qu’a défendu notre collègue Jean-Pierre Door. Au cours des dernières années, nos retraités ont vécu la sous‑indexation des pensions comme une profonde injustice, dans la mesure où ils n’avaient plus aucun moyen d’agir sur leur pouvoir d’achat.
Monsieur le rapporteur, vous avez répondu sur la forme, mais pas sur le fond. Vous avez renvoyé aux articles 9, 11 et 55 du projet de loi, mais si nous ne posons pas quelques grands principes dès l’article 1er, nous resterons dans le flou. Et chacun sait que quand c’est flou, il y a un loup.
Votre manière ambiguë de formuler les choses nous fait passer à côté d’un débat de fond. Votre démonstration repose sur la valeur d’acquisition du point, mais ce qui compte, c’est sa valeur de service, au moment de la liquidation de la retraite. Qu’en sera-t-il ? Il faut que vous nous rassuriez à ce sujet.
M. Boris Vallaud. L’indexation des pensions et celle du point sont des questions très importantes.
L’indexation des pensions sur l’inflation était déjà inscrite dans le code de la sécurité sociale et cela n’a pas empêché le Gouvernement d’y déroger pour prendre dans la poche des grands-mères de quoi payer les augmentations de pouvoir d’achat que les employeurs refusaient à leurs salariés.
Quant à la prétendue indexation du point sur les salaires, elle est toute relative... Jusqu’en 2045, le taux d’augmentation de la valeur du point sera compris entre celui de l’inflation et celui des salaires. Après 2045, ce principe sera tout sauf une règle d’or, puisqu’on pourra y déroger pour garantir la vraie « règle d’or », celle de l’équilibre économique du système. Vous avez la règle d’or à géométrie variable : vous ne l’inscrivez dans le marbre que lorsqu’elle permet de faire des économies.
M. Sébastien Jumel. J’aimerais vous soumettre cette analyse des Économistes atterrés, qui ont décortiqué votre texte : « La plupart des salariés ont, dans l’ensemble de leur carrière, des hausses de salaire plus fortes que celle du salaire moyen qui est pris en compte pour valoriser le point de retraite, de sorte que leur salaire de fin de carrière est supérieur au salaire moyen de leur carrière revalorisé avec le salaire moyen de l’ensemble des salariés. Avec une hausse moyenne de salaire de 0,5 % par an de plus que le salaire moyen, le salaire de fin de carrière est supérieur de 11 % au salaire moyen revalorisé. » Je vois que certains sont perdus, mais les Français le sont aussi !
Qui sait ce qui peut arriver d’ici à 2045 ? Les Présidents de la République qui se seront succédé auront peut-être remis en cause, les uns après les autres, les promesses non réalisables que vous faites aujourd’hui. Les Économistes atterrés, en tout cas, font la démonstration qu’avec ce référentiel, vous dévalorisez le niveau des pensions.
M. Adrien Quatennens. Le niveau des pensions va baisser : c’est un fait. S’il faut travailler plus longtemps pour obtenir le même niveau de pension, c’est bien qu’à âge égal, le niveau des pensions va baisser.
J’en viens à la question de la valeur du point. On entend souvent que votre projet de loi sacralise la valeur du point et que celle-ci ne baissera pas : ce principe serait gravé dans le marbre de la loi. Mais j’insiste sur le fait que la valeur du point n’offre absolument aucune garantie sur le niveau des pensions, parce qu’il faut effectivement distinguer entre la valeur d’acquisition et la valeur de service du point. Entre les deux, il y a un coefficient de conversion. Or vous pourrez ajuster les différents paramètres, notamment en fonction de l’espérance de vie.
Un de nos collègues a dit qu’adopter le système par points, c’était faire un pari morbide, et je crois qu’il a eu une bonne intuition. Au sein d’une même génération, il vaut mieux que les autres meurent tôt, pour que la part du gâteau qui vous revient soit plus grande. La valeur d’acquisition et la valeur de service sont différentes et le coefficient de conversion peut varier. Vous pouvez donc modifier tous les paramètres. Mais ce sur quoi vous ne pouvez pas vous engager, c’est sur le montant des pensions : vous ne pouvez pas vous engager sur des taux de remplacement, précisément parce que c’est la variable d’ajustement qui vous permettra de respecter votre règle d’or budgétaire, celle des 14 % de PIB.
La valeur du point n’offre aucune garantie. La valeur d’acquisition du point ne baissera pas, mais les pensions, elles, pourront très bien chuter. C’est d’ailleurs ce qui va se produire.
M. Gérard Cherpion. J’ai eu beaucoup de plaisir à entendre un député de la majorité nous dire que le régime AGIRC-ARRCO était bien géré et à l’équilibre depuis dix ans. Mais cela m’amène à poser deux questions. Pourquoi, tout d’abord, fondre le régime AGIRC-ARRCO dans le régime universel, puisque cela va le faire disparaître ? Deuxièmement, pourquoi abandonner la gouvernance paritaire qui est actuellement celle de l’AGIRC-ARRCO ?
Mme Clémentine Autain. J’aimerais enfoncer le clou. Le régime par répartition que vous voulez instaurer, c’est plus ou moins celui de l’AGIRC‑ARRCO. Alors, pourquoi ne pas réfléchir à partir de ce régime, que nous connaissons et sur lequel nous avons du recul ? Pourquoi ne pas avoir un vrai débat à ce sujet ? Le secrétaire d’État n’a répondu à aucune des questions que nous avons soulevées, alors qu’elles mériteraient qu’on en débatte.
Les arguments que nous exposons depuis tout à l’heure, ce sont ceux que nous entendons au sein de la société et dans les mobilisations sociales. Les différentes réformes qui ont eu lieu depuis 1993 ont entraîné une libéralisation de notre économie et une dégradation du système des retraites. Quand on a fait le choix d’indexer les pensions, non plus sur les salaires, mais sur l’inflation, on a fait baisser les pensions. Nous avons du recul sur AGIRC-ARRCO et nous savons que le montant des pensions a fini par baisser au sein de ce régime.
Vous êtes en train d’amplifier des mesures sur lesquelles nous avons déjà du recul et une vraie visibilité. Ne faisons pas comme si nous partions de zéro et comme si nous ne savions pas que lorsqu’on favorise le régime économique libéral, on réduit les pensions.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 1424 de Mme Clémentine Autain, n° 1431 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1435 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1424 vise à supprimer l’alinéa 4, qui introduit les objectifs que « la Nation assigne au système de retraite ». Les six objectifs que vous fixez – l’équité, la solidarité, la garantie d’un niveau de vie satisfaisant, la liberté de choix du moment du départ, l’objectif de soutenabilité économique et l’objectif de lisibilité – sont insincères. En effet, le système que vous proposez est inéquitable et sexiste et ne promeut pas la solidarité, ni entre les générations, ni entre les retraités eux-mêmes. Il forcera les personnes à se maintenir en activité le plus longtemps possible et organisera une individualisation qui rendra, de fait, le système illisible.
Vous devriez exposer clairement vos objectifs, et d’abord celui de faire faire des économies à l’État, car c’est bien la règle d’or qui dicte le calendrier et le contenu de cette réforme. Si vous sacralisez la part du PIB consacrée aux retraites, c’est dans le but de faire des économies. Par ailleurs, vous ouvrez la voie au système par capitalisation : chacun sait que la baisse des pensions et le manque de lisibilité du système vont amplifier la privatisation de l’assurance retraite. Tels sont vos vrais objectifs !
M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 1431 vise également à supprimer l’alinéa 4, car je ne crois pas que vous proposiez, avec ce texte, un système universel de retraite.
J’aimerais que nous sortions enfin du non-dit qui entoure la question de la capitalisation. Je veux bien croire que nombre d’entre vous y sont hostiles et que ce n’est pas ce que prévoit ce texte, mais l’intelligence commande de voir ce qui, dans un moment politique, en prépare un autre. Si la retraite par capitalisation était une incongruité totale, vous pourriez m’accuser d’être incongru, mais nous sommes en plein dedans ! Nous sommes dans une période où, partout, sur tous les terrains, un système cherche à marchandiser ce qui autrefois n’était pas dans la sphère marchande. Il y a encore vingt ou trente ans, personne n’imaginait que la santé ferait un jour partie de la sphère marchande !
Les retraites représentent 312 milliards d’euros. On peut donc comprendre que ceux qui pensent que la meilleure place, pour l’argent, c’est dans la sphère marchande, s’y intéressent de près. En décidant de sortir du système les 350 000 personnes dont les revenus dépassent trois fois le plafond de sécurité sociale, vous retirez 7 milliards de financement au régime général, tout en obligeant ces personnes à cotiser à des régimes par capitalisation. C’est inévitable : elles vont forcément chercher à protéger leurs revenus de remplacement. Non seulement le système économique français va y perdre, mais vous favorisez la logique de la capitalisation.
Le ministre Bruno Le Maire n’a pas eu vos pudeurs : il a dit qu’il était favorable au système des assurances et qu’il souhaitait leur développement. Ce ne sont pas des lubies, c’est écrit dans votre texte et c’est en marche dans tout l’Europe.
M. Adrien Quatennens. Avec l’alinéa 4, vous prétendez une nouvelle fois que le système que vous nous proposez est universel. Or nous avons montré, au cours de nos quelque 4 heures de débat, qu’il y aura autant de régimes spéciaux que de générations. Le Conseil d’État a lui-même indiqué qu’il y aurait au moins cinq régimes différents, sans compter les dérogations. Cet alinéa, qui fait référence à un système « universel », mérite donc d’être supprimé.
Vous faites ensuite la liste des objectifs visés par ce projet de loi, mais aucun d’eux ne correspond réellement à ce que vous êtes en train de faire. Il faudrait plutôt écrire que votre objectif est de faire travailler les Français plus longtemps, pour ne pas avoir à organiser le partage de la richesse produite, que vous favorisez la capitalisation par l’abaissement du plafond pour les hauts revenus et que vous voulez limiter la part des richesses consacrées aux retraites. Tels sont vos vrais objectifs : c’est pourquoi j’appelle à supprimer l’alinéa 4.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vais me contenter de rappeler les objectifs énoncés à l’article 1er : équité, solidarité, garantie d’un niveau de vie satisfaisant, liberté de choix pour les assurés, soutenabilité économique et lisibilité des droits. Je pense que nous pouvons nous mettre d’accord sur ces objectifs. Nous pourrons ensuite, au fil de nos débats et de l’examen des articles, débattre de la meilleure manière de les atteindre. Avis défavorable sur ces trois amendements.
M. Sacha Houlié. Chers collègues, votre argument me paraît totalement inapproprié. Vous qui appelez constamment au plafonnement des revenus et des salaires, vous vous opposez aujourd’hui au plafonnement des pensions de retraite pour les plus hauts revenus. Il y a là une incohérence que je dénonce et que je ne comprends pas. Les plus hauts revenus verseront une cotisation de solidarité, dont on pourra discuter le montant et qui n’ouvrira pas de droits : c’est une bonne mesure, qui a une vraie dimension redistributive. Vous avez beaucoup cité l’étude d’impact, mais vous avez omis de dire qu’elle juge ce projet de loi puissamment redistributif.
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine l’amendement n° 21527 de M. Sébastien Jumel.
M. Pierre Dharréville. Vous répétez le mot « universel » dans tout votre texte, comme un slogan. Et nous vous invitons, à chaque fois qu’il apparaît, à préciser votre pensée.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je note la cohérence du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sur cette question. Je reste moi aussi cohérent et j’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. Boris Vallaud. J’aimerais dire un mot de la redistributivité et de la réduction des inégalités. Dès lors que vous faites sortir du système de retraite les 1 % de Français les plus riches, vous améliorez mécaniquement la redistributivité en réduisant les écarts de pensions. C’est mécanique, mais cela ne change rien. Est‑ce un progrès d’avoir 60 % des pensionnés dans un filet de sécurité et 40 % des femmes ? C’est un nivellement par le bas. Je ne crois pas que cette réforme apporte des progrès de ce point de vue.
M. Adrien Quatennens. Il me semble que l’argument de l’universalité n’a pas résisté à ces quatre heures de débat et, de ce point de vue, j’estime que nous avançons bien. Je regrette toutefois que nos collègues de la majorité interviennent aussi peu dans nos débats. J’espère que, dans la soirée et dans les prochains jours, nous aurons des échanges plus nourris. Nous avons le désagréable sentiment que vous attendez que ça se passe.
Si j’étais à votre place, convaincu que ce nouveau système va être formidable, je mettrais un peu plus de cœur et d’enthousiasme à le défendre. Qu’attendez-vous pour monter au créneau et pour défendre votre système, qui est si juste et si simple que la France en a tellement envie ? Nous avons l’habitude des meetings et nous pouvons parler longtemps, mais nous aimerions qu’une vraie confrontation ait lieu : ce serait plus intéressant.
La commission rejette l’amendement.
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2. Réunion du lundi 3 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)
Mme Brigitte Bourguignon, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné cet après-midi 183 amendements. Il ne nous en reste donc que 21 263 à examiner...
M. Thierry Benoit. Tout va bien !
Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition
La commission examine l’amendement n° 21083 de Mme Valérie Rabault.
M. Régis Juanico. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 5 et 8 de l’article 1er. L’alinéa 5 fixe un « objectif d’équité » et précise que « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous dans les conditions définies par la loi ». L’alinéa 8, quant à lui, définit un « objectif de liberté de choix pour les assurés », notamment en ce qui concerne la date de départ à la retraite. Le premier de ces deux alinéas, nous l’avons dit, ne correspond pas à la réalité : chaque euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits ; cela dépendra des caractéristiques de la carrière de chacun, notamment en cas d’interruptions. Les personnes nées avant 1975 verront‑elles, à partir de 2025, le taux et l’assiette de cotisation modifiés, en l’occurrence augmenter ? Valérie Rabault et Boris Vallaud ont déjà posé tout à l’heure cette question extrêmement précise concernant le régime transitoire ; nous n’avons pas reçu de réponse.
Quant à la prétendue liberté de chacun de partir à la retraite à l’âge qu’il souhaite, on voit bien ce qu’il en est. Par exemple, un ouvrier ayant commencé à travailler à l’âge de 20 ans et qui cotiserait quarante-trois ans ne pourrait partir à la retraite qu’à partir de 65 ans, si l’âge pivot est fixé à ce niveau, et n’aurait donc aucune liberté de choix. De surcroît, il y aurait là une inégalité sociale majeure, car un cadre qui commencerait à travailler à 24 ans et qui cotiserait quarante-trois ans partirait à 67 ans, non seulement sans malus, mais au contraire avec un bonus de 10 %.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons supprimer ces deux alinéas.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis surpris que vous proposiez la suppression de ces alinéas alors que vous en partagez les objectifs. Que vous ne partagiez pas les moyens proposés pour les atteindre, je l’entends, mais je vous invite à travailler sur ces moyens plutôt qu’à essayer de supprimer les objectifs eux-mêmes, d’autant que vous les approuvez. Avis défavorable.
M. Boris Vallaud. Si nous avons présenté cet amendement, ce n’est parce que nous ne partageons pas les objectifs, c’est parce que nous pensons qu’ils ne sont pas servis par votre réforme. Je vous en donnerai un seul exemple. Vous affirmez qu’un euro cotisé donne les mêmes droits à tout le monde, mais ce n’est pas vrai pour les indépendants entre un et trois plafonds de la sécurité sociale : la part des cotisations créatrices de droits dans le total des cotisations acquittées est plus faible pour eux que pour les salariés. Leurs droits à retraite le seront donc eux aussi. Monsieur le rapporteur, comment justifiez-vous cet écart par rapport à la règle fixée ? Ne craignez-vous pas que le Conseil constitutionnel censure la disposition au titre de l’égalité ?
M. Pierre Dharréville. Cet amendement met en évidence ce qui constitue l’intention avérée du texte, à savoir non seulement perpétuer des inégalités existantes, mais les aggraver.
Mme Valérie Rabault. Je suis évidemment en accord avec ce que vient d’être dit par mes collègues. Il est question, dans l’alinéa 8, d’un « objectif de liberté de choix pour les assurés » ; je voudrais savoir, monsieur le secrétaire d’État, dans quelle mesure cette liberté de choix est effective. En effet, votre formule de calcul de la pension versée est la suivante : le nombre de points acquis est multiplié par la valeur du point, moins le malus, lequel dépend de l’âge de départ à la retraite, avec un âge pivot fixé à 65 ans. Comment voulez-vous – je reprends le même exemple que précédemment – qu’un ouvrier qui a commencé à travailler à 20 ans et qui a cotisé quarante-trois ans parte à 63 ans à la retraite, même s’il a toutes ses années de cotisation, dès lors qu’il risque de subir une décote de 10 % sur sa pension
– laquelle, d’ailleurs, même complète, n’est pas très élevée ? Pour cet ouvrier, la liberté de choix n’existe pas. Dans ces conditions, écrire dans l’alinéa 8 que chacun aura la liberté de choix me paraît mensonger. Nous proposons donc sa suppression. Encore une fois, si vous souhaitez que la liberté de choix existe réellement, il faut à tout le moins que vous renonciez au malus – je ne reviens pas sur les autres difficultés qu’a soulevées Boris Vallaud, notamment au regard des différences existant entre les indépendants et les salariés ; on pourrait aussi évoquer les agriculteurs, qui, eux non plus, ne seront pas traités de la même manière.
M. Sébastien Jumel. Nous avons fait une pause dans nos travaux, mais mon inquiétude ne fait qu’augmenter : dix-huit mois de concertation simulée, un dialogue social avorté, une étude d’impact tronquée, un débat parlementaire mal emmanché... Je me demande quelle est, au bout du compte, votre stratégie. M. le secrétaire d’État a visiblement fait vœu de silence, la majorité vœu d’obéissance, et nous, nous défendons nos amendements, mais nous sommes un peu comme des boxeurs qui taperaient dans des sacs vides – je suis sûr que la métaphore parlerait au Premier ministre. (Sourires.) Je suis inquiet parce que, du fait de votre démarche, les corps constitués sont humiliés, et les organisations syndicales, malgré soixante jours de mobilisation, rendues inutiles, tout autant d’ailleurs que les parlementaires. Je vous demande donc quelle est votre stratégie. Allons-nous arriver en séance avec un texte identique à celui de départ ? D’ailleurs, j’ai bien peur que nous n’ayons pas le temps d’examiner les 22 000 amendements qui ont été déposés. Si, en plus, vous nous dites de fermer notre gueule – car j’ai bien vu le geste que l’un d’entre vous vient de faire –, si vous voulez museler l’opposition, cela devient vraiment problématique.
Mme Monique Limon. Mon geste illustrait ce que vous disiez de notre silence, vous n’étiez pas visé !
M. Sébastien Jumel. Mes questions sont donc simples : avez-vous acté comme stratégie ultime le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution ? Avez‑vous opté pour un texte dans lequel tout est joué d’avance ? Vous moquez‑vous du dialogue ? Avez-vous décidé de faire l’impasse sur les discussions ? Je suis intéressé par les réponses de la commission, mais aussi par celles de M. le secrétaire d’État.
Mme Clémentine Autain. Pour prolonger les interventions de Boris Vallaud, Régis Juanico, Valérie Rabault et Sébastien Jumel, je voudrais d’abord réitérer les deux questions précises que j’ai posées tout à l’heure. La première concernait la différence entre l’ouvrier et le cadre. Même si l’un et l’autre travaillent quarante-trois ans, dans la mesure où ils n’auront pas commencé au même âge, l’ouvrier sera pénalisé par votre système, qui lui fera perdre 10 % de sa pension, tandis que le cadre sera favorisé, car il bénéficiera d’une surcote. Pouvez‑vous nous dire un mot à ce propos, monsieur le secrétaire d’État ? C’est le moins que l’on puisse attendre dans un cadre démocratique : obtenir des réponses aux questions précises que nous posons.
Ma seconde question concernait la retraite des chômeurs. Je rappelle que, dans le système actuel, le calcul est fait sur la base du dernier salaire et non pas sur les indemnités. Avec votre système, c’est le contraire, ce qui entraînera évidemment un manque à gagner. Là aussi, pourrions-nous avoir une réponse précise ?
J’ajoute un mot à propos d’un autre sujet sensible : le principe selon lequel chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous. Vous n’arrêtez pas de le rabâcher, vous le répétez sur tous les tons. Or il est évident qu’en fonction de la génération à laquelle on appartient, un euro cotisé n’ouvrira pas les mêmes droits, puisque l’âge d’équilibre va évoluer. Autrement dit, au moment où une personne partira à la retraite, le point cotisé n’aura pas la même valeur que pour une personne appartenant à une autre génération. Au vu de ces éléments, l’alinéa 5 est tout simplement mensonger.
La commission rejette l’amendement n° 21083.
Elle en vient aux amendements identiques n° 1475 de Mme Clémentine Autain, n° 1482 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 1483 de Mme Danièle Obono et n° 21163 de Mme Valérie Rabault.
Mme Clémentine Autain. Honnêtement, si nous ne recevons aucune réponse à nos questions, cela va mal finir.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Défendez-vous votre amendement, madame Autain ?
Mme Clémentine Autain. Je veux bien défendre mon amendement mais, en principe, nous devrions défendre des amendements face à une majorité défendant, elle, son texte, et à des ministres censés répondre à nos interrogations. En l’occurrence, nos interrogations ne sont pas seulement celles des députés insoumis, communistes ou socialistes : ce sont aussi les questions que se posent les gens, qui sont inquiets pour leur avenir et pour leur retraite. Vous vous moquez de nous ; le problème est qu’à travers nous, c’est aussi des Français que vous vous moquez, lesquels sont majoritairement opposés à votre projet. Je veux bien défendre l’amendement n° 1475, qui vise à supprimer l’alinéa 5, mais la manière dont nous débattons dans cette commission pose un problème démocratique.
J’exposerai mes arguments très rapidement, et mes collègues compléteront. Nous voulons supprimer l’alinéa 5 parce qu’il est mensonger : il n’est pas vrai qu’un euro cotisé ouvrira les mêmes droits pour tous. Il faut également se rendre compte du fait que le calcul se fera désormais, dans le privé, non plus sur les vingt-cinq meilleures années mais sur toute la carrière et, dans le public, non plus sur les six derniers mois mais sur toute la carrière. Cela pose un véritable problème. En effet, par définition, si vous calculez sur une période plus longue, ceux qui ont des carrières hachées et des salaires bas vont nécessairement y perdre. Je ne vois donc pas comment on peut parler d’équité et de justice, dès lors que le système va conduire à une diminution du niveau des pensions.
M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 1482 est lui aussi un amendement de suppression, dont la raison va vous paraître évidente : nous sommes en désaccord pratiquement avec un mot sur deux. Il est nécessaire de demander la suppression d’un texte auquel on ne croit pas, en tout cas quand on se sent un devoir de sincérité à l’égard de ceux qui nous ont envoyés ici.
Je vous demande, collègues, de bien regarder ce que vous écrivez : il est question, à l’alinéa 5, d’un « objectif d’équité ». Je ne vous infligerai pas de nouveau le débat que nous avons eu tout à l’heure sur l’équité et l’égalité ; toujours est-il qu’un objectif d’équité, ce n’est pas un objectif d’égalité. Pourtant, à la fin de la phrase, on passe de l’équité à l’égalité, puisqu’il est écrit que « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous » – ce qui, naturellement, n’est pas vrai ; tout le monde l’a dit, y compris ceux qui sont partisans du système à points –, et ce, est-il précisé pour finir, « dans les conditions définies par la loi ». Autrement dit, nous passons de l’équité à l’égalité, pour terminer dans le brouillard.
Vous avez établi qu’il n’y aurait ni équité ni égalité. En effet, c’est la fin des régimes spéciaux : si vous en avez maintenu un certain nombre, vous en avez supprimé beaucoup, et toutes les personnes concernées vont y perdre. Par ailleurs, nous l’avons dit, vous expulsez du système tous ceux qui sont au-dessus de trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale. En outre, vous instaurez des méthodes de calcul différentes selon que l’on est dans le privé ou dans le public. Enfin, nous n’avons pas encore compris en quoi consiste une carrière complète dans le cadre d’un système à points.
Dans l’alinéa 5, on trouve une phrase de deux lignes comportant trois notions oxymoriques : ce sont des énoncés collés les uns à côté des autres par la magie de la grammaire et de la syntaxe, mais pas par celle de la politique.
Mme Danièle Obono. Je me joins aux interpellations de mes collègues. J’en profite également pour rappeler que, si nous sommes réunis ici, c’est parce que votre majorité et votre gouvernement l’ont voulu. En dépit des conditions de l’examen du texte, quelque peu problématiques, nous avons fait le travail de lire très attentivement le projet de loi et l’étude d’impact, aussi rocambolesques que soient ses composantes. Nous avons étudié le texte alinéa par alinéa. S’agissant de l’alinéa 5, Jean-Luc Mélenchon vient de démontrer l’incohérence totale entre, d’une part, ce que vous prétendez avoir inscrit dans le texte, à savoir l’universalité, l’égalité et tutti quanti, d’autre part, la réalité de ce que signifie ce qui est écrit. Nous proposons donc la suppression de cet alinéa, et nous l’expliquons à travers tous ces amendements. En vérité, rien de ce que vous prétendez avoir écrit n’est aujourd’hui établi dans le projet de loi. Il va bien falloir que vous nous donniez des réponses, faute de quoi votre silence sera l’aveu de l’inanité des travaux menés pendant plus de deux ans, qui nous ont pourtant été présentés comme un exemple formidable de dialogue social. Si vous avez dialogué avec les syndicats de la même manière que vous le faites avec les parlementaires, on comprend pourquoi cela a fini en eau de boudin, au point que le seul syndicat qui vous présentait un visage avenant s’est lui‑même trouvé dans l’impossibilité de vous soutenir jusqu’au bout. Il va falloir que vous nous donniez des réponses, car votre silence confirmera les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de l’alinéa 5 et, plus largement, de l’ensemble des dispositions du projet de loi. Nous espérons qu’au cours des nombreuses heures que nous allons passer ensemble, vous nous donnerez des réponses précises.
Mme Valérie Rabault. L’amendement n° 21163 vise lui aussi à supprimer l’alinéa 5 de l’article 1er. Je l’ai dit, vous faites croire que le système universel va être plus lisible et que le montant de la pension sera égal au nombre de points acquis pendant la carrière, multiplié par la valeur du point. En réalité, on découvre au fur et à mesure qu’il faudra déduire le malus – dans le projet de loi, il est question de « coefficient d’ajustement » ; je pense pour ma part qu’il vaut mieux l’appeler « malus », pour que chacun comprenne bien de quoi il s’agit.
Il se trouve que ce malus est fondé sur l’âge réel de départ à la retraite. Depuis le début des travaux de cette commission, nous vous avons interrogés au moins dix fois, en vain, sur la situation de l’ouvrier qui commence à travailler à 20 ans, qui cotise quarante-trois ans et souhaite donc partir à la retraite à 63 ans, soit deux ans avant d’atteindre le fameux âge d’équilibre qui, à ce stade, figure dans le texte. De ce fait, cet ouvrier perd 10 % de sa pension. Un cadre qui a fait des études et a donc commencé à travailler à 24 ans, cotise quarante-trois ans et part à la retraite à 67 ans, c’est-à-dire deux ans de plus par rapport à l’âge d’équilibre, bénéficie quant à lui d’un bonus de 10 % sur le montant de sa retraite. Il faut que vous nous disiez, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, comment un tel système peut, à vos yeux, produire de la justice. En effet, sur la base de l’exemple que nous reprenons sans arrêt depuis tout à l’heure, il est tout bonnement impensable que votre majorité puisse considérer que le système établit une quelconque justice entre l’ensemble des assurés.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Sur la forme, madame Autain, madame Rabault, vous dites que nous ne vous répondons pas ; mais, dans cet article, nous en sommes aux objectifs du système proposé, tandis que vous nous parlez des moyens permettant de les mettre en œuvre. Vous contestez ces moyens, c’est tout à fait votre droit, mais je vous invite à nous interpeller à nouveau au moment où nous aborderons la question : nous vous donnerons alors des réponses sur le fond. Nous n’allons pas débattre de ce point avant d’en arriver aux articles du texte qui s’y rapportent.
Madame Autain, les 19 000 amendements que votre groupe a déposés noient le débat. Nous n’allons pas répéter 19 000 fois les mêmes explications : cela nuirait à la qualité des réponses que nous apportons aux autres groupes.
S’agissant des éléments techniques, monsieur le secrétaire d’État pourra s’exprimer dès à présent s’il le souhaite mais, je le répète, il me semble qu’il faut les aborder au moment de l’examen des articles qui s’y rapportent. L’article 1er, quant à lui, traite des objectifs, lesquels ont été fixés à partir du constat que nous faisons sur le système actuel. Or celui-ci est source d’iniquités : certaines durées d’activité, parce qu’elles correspondent à des revenus inférieurs à 150 heures au SMIC, ne permettent pas de valider des trimestres, ce que nous trouvons inéquitable ; certains polypensionnés peuvent acquérir plus de quatre trimestres par an, ce que nous trouvons surprenant ; certains trimestres accordés au titre de la majoration de durée d’assurance ne valident pas de droits à retraite, ce que nous trouvons inéquitable – de même, d’ailleurs, que le fait que cette majoration permette de bénéficier de huit trimestres dans le privé, contre deux dans le public ; les taux de rendement du point peuvent varier du simple au double suivant la caisse de retraite, ce que nous trouvons inéquitable ; enfin, et cet exemple est peut-être celui qui me tient le plus à cœur, quand une femme s’arrête de travailler pendant dix ans, elle doit attendre jusqu’à 67 ans pour faire valider sa retraite sans décote, ce que nous trouvons profondément inéquitable. Tel est le constat que nous dressons. Nous essayons de construire un nouveau système, qui a certainement des limites, que vous pointerez le moment venu, et sur lesquelles nous pourrons essayer de travailler. En attendant, je suis donc absolument défavorable à la suppression de l’alinéa 5.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’entends bien les questions qui sont posées. Je ne voudrais pas répéter ce que vient de dire M. le rapporteur mais, de fait, nous essayons d’examiner les articles du texte dans l’ordre. Or, alors que nous en sommes au chapitre Ier du titre Ier, vous me posez des questions sur la transition, qui sera abordée bien plus loin dans le texte. Ce que je trouve respectueux du Parlement – ce n’est pas vous faire offense que de vous le dire –, c’est d’intervenir au moment utile, d’une manière qui soit en lien avec le contenu du texte. Si vous m’interrogez sur tous les sujets au motif que nous en sommes au titre Ier, qui pose les principes généraux, nous pouvons y passer beaucoup de temps. Peut-être pourrions‑nous convenir d’aborder les thèmes qui vous intéressent – ce que je comprends – dans la partie du texte afférente ?
Cela dit, je veux bien revenir sur certains éléments. D’abord, madame Rabault, vous m’interrogiez tout à l’heure sur les générations 2004 et 2005, vous inquiétant d’une naissance qui aurait lieu le 31 décembre 2004 et d’une autre qui surviendrait le 1er janvier 2005. En réalité, si ces deux personnes entrent dans la vie active à 18 ans, elles auront des cotisations identiques, au même taux, dans le système universel de retraite. Je pense que vous vouliez plutôt parler des années 2003 et 2004, et que vous craigniez qu’une personne née en 2004 ne soit tout de suite dans le système universel de retraite, quand une personne née en 2003 n’y serait qu’en 2025. Le niveau de cotisation sera le même, mais la première de ces personnes se créera des droits dans le cadre du système actuel et rejoindra le système universel en 2025, quand la seconde – celle qui appartient à la génération 2004 – y sera d’emblée.
Votre deuxième réflexion, reprise par Mme Autain, portait sur le départ à 62 ans. Vous avez, l’une et l’autre – même si je ne dis pas que telle était votre intention –, opposé deux catégories sociales, en l’occurrence les cadres et les ouvriers. Et si nous examinions les choses factuellement ? C’est une erreur de croire qu’un niveau de qualification plus bas vous permet d’entrer directement sur le marché de l’emploi ; c’est même un peu le contraire. Vous faites l’hypothèse selon laquelle les ouvriers commencent à travailler très tôt. Malheureusement, force est de constater que l’âge moyen d’entrée dans la vie active est de 21 ans pour les ouvriers – et de 22 ans pour les cadres. La différence essentielle entre ces deux catégories socioprofessionnelles est que, dans l’une, à près de 80 %, on trouve très vite du travail – je parle de ceux ayant fait des études longues –, alors que, dans l’autre, on met du temps à y arriver.
Votre comparaison ne tient donc pas au vu des faits : un ouvrier commence à travailler non pas à 20 ans mais à 21 ans, et un cadre à 22 ans, non à 24 ans. En revanche, puisque je comprends votre logique, je vais la prolonger, cette fois-ci sur la base de faits objectifs : 21 ans plus 43 font 64 ans, ce qui, je vous le rappelle, est ni plus ni moins que l’application de la réforme dite « Touraine », votée en 2014. L’ouvrier en question travaillera donc jusqu’à 64 ans – en admettant d’ailleurs qu’il reste ouvrier toute sa vie, ce qui n’est pas forcément une hypothèse que je ferais : la dynamique des carrières professionnelles est telle que ce n’est pas nécessairement ainsi que les choses se passent et, quoi qu’il en soit, on peut souhaiter que les personnes qui commencent par exercer des métiers dont l’accès est plus immédiat puissent évoluer et endosser par la suite des responsabilités. Quant au cadre, arrivé à 22 ans sur le marché du travail, il devrait lui aussi travailler quarante-trois ans du fait de la « réforme Touraine », ce qui veut dire qu’il partirait à 65 ans. L’étude d’impact comporte un certain nombre d’hypothèses de cet ordre.
Quoi qu’il en soit, vous le voyez, la dynamique ne serait pas du tout celle que vous avez décrite. Je comprends parfaitement, d’ailleurs, pourquoi vous avez évoqué l’âge de 20 ans : ce faisant, vous pensiez pouvoir ouvrir le débat sur les décotes et les surcotes. Il se trouve que la situation que vous avez décrite ne correspond pas, objectivement, à ce qui se passe sur le marché de l’emploi ; c’est incontestable et factuel. Même si mon regard n’est pas forcément le même que le vôtre, nous pourrions peut-être nous rejoindre sur un point, à savoir la réalité de ce que vivent un certain nombre de personnes dans le système actuel, que M. le rapporteur a rappelée tout à l’heure – je pense en particulier aux personnes qui doivent travailler jusqu’à 67 ans, âge à partir duquel la décote est annulée. Puisque vous vous référez au système actuel, je pense que vous avez tout cela bien en tête.
S’il n’y a pas, contrairement à ce que vous vouliez peut-être souligner, d’opposition entre les catégories socioprofessionnelles s’agissant de l’entrée dans la vie active, on observe, en revanche, en ce qui concerne l’âge d’annulation de la décote, que ce ne sont pas les cadres supérieurs ou les professions libérales qui travaillent aussi longtemps : ce sont, pour l’essentiel, ceux de nos concitoyens ayant les revenus les plus faibles, car ils y sont obligés. Je vais vous donner quelques chiffres – en effet, là encore, il s’agit d’un constat objectif : je ne suis pas intéressé par les pétitions de principe, j’essaye d’étudier les statistiques qui sont à ma disposition. Ce sont les personnes ayant eu les carrières les plus heurtées qui partent à 67 ans. C’est un monde que je connais bien, mes parents ayant été concernés : 28 % des artisans et 15 % des salariés sont dans ce cas – mais 19 % des femmes salariées puisque, vous le savez, c’est un phénomène qui touche plus particulièrement les femmes. Or, selon l’AGIRC-ARRCO, l’âge moyen de départ à la retraite pour les cadres se situe plutôt aux alentours de 62 ans. Vous le voyez, la réalité n’est pas aussi simple qu’on peut le croire quand on s’en tient à des exemples destinés à opposer les uns aux autres – je n’ai pas dit que c’était là le fond de votre pensée. Du reste, nous pouvons tous souhaiter que les gens évoluent au cours de leur carrière et accèdent à davantage de responsabilités, même si ce n’est pas le cas de tout le monde. Quoi qu’il en soit, l’évolution professionnelle, cela existe et, en la matière, il faut en rester sereinement aux faits.
Vous avez évoqué tout à l’heure un autre aspect, Madame Autain, lorsque vous vous êtes inquiétée de l’universalité. Vous m’avez dit en substance : « J’aimerais bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous m’expliquiez pourquoi, si votre système universel de retraite est si bon, vous ne l’appliquez pas aussi aux policiers et aux militaires » – je ne voudrais pas déformer vos propos, mais je crois que c’était à peu près leur teneur. Or il n’y a pas de débat à ce sujet : les policiers et les miliaires sont bien dans le système universel de retraite ; simplement, ils bénéficient de dispositions particulières, ce que je vais vous expliquer bien volontiers. J’estime que le fait de risquer sa vie pour protéger celle de ses concitoyens et de veiller à l’intégrité de son pays mérite d’être pris en compte. Cela me paraît tout à fait raisonnable. Par ailleurs, au-delà d’un certain âge, on n’a pas nécessairement les ressources physiques pour partir en mission au Sahel
– notamment au Mali. De la même manière, il est important d’avoir des policiers en situation de faire leur travail, c’est-à-dire jouissant de l’intégralité de leurs moyens. Il y a donc effectivement des différences, mais elles sont liées à l’activité exercée, et ont été précisées dès le début. De plus, elles concernent l’âge de départ : cela n’a rien à voir avec le fait d’être ou pas inclus dans le système universel de retraite.
Mme Catherine Fabre. Je souhaite verser à mon tour quelques éléments au débat. En effet, certains arguments de l’opposition, qui peuvent sembler justes à première vue, se révèlent infondés quand on examine les faits. M. le secrétaire d’État vient de parler de l’âge réel de départ à la retraite des cadres et des ouvriers, et de rappeler quelles sont les catégories socioprofessionnelles les plus concernées par le départ à 67 ans. On voit que ce sont les plus précaires qui sont touchés, et de loin.
Vous dites qu’il vaut mieux indexer les points de solidarité correspondant aux périodes de chômage sur le salaire plutôt que sur les indemnités versées. Or celles-ci sont beaucoup plus redistributives : dès lors que les indemnités ont un plancher et un plafond, il est plus égalitaire de déterminer les points de solidarité sur cette base. Là encore, il faut donc faire attention, car la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît.
Enfin, vous dites que le fait de se fonder sur les six derniers mois
– s’agissant du public – ou les vingt-cinq dernières années – dans le privé – est plus favorable aux carrières heurtées que la prise en compte de la totalité de la carrière, mais c’est absolument faux. Le problème est que les pensions de retraite et les droits à la retraite sont indexés sur l’inflation. Nous voulons, quant à nous, les indexer sur les salaires. Les personnes dont les carrières et les salaires ne progressent pas, c’est-à-dire, une fois encore, les plus précaires, auront ainsi de meilleures pensions, dans la mesure où les points acquis en début de carrière vaudront autant que les points acquis en fin de carrière, ce qui n’est pas le cas dans le système actuel – c’est d’ailleurs une injustice criante ; je pense que nous serons d’accord sur ce point, et j’aimerais bien vous entendre dénoncer cette injustice, qui existe d’ailleurs depuis de nombreuses années.
M. Boris Vallaud. Je voudrais d’abord féliciter M. le secrétaire d’État, parce qu’une fois qu’il a répondu à nos questions, nous ne les comprenons plus nous-mêmes.
M. Olivier Véran. Quelle arrogance !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’aimerais que le débat soit un peu plus posé, monsieur Vallaud.
M. Boris Vallaud. Il est tout à fait posé, madame la présidente. Ma remarque était parfaitement objective. D’ailleurs, je ne critiquais pas tant les réponses de M. le secrétaire d’État que mes questions, vous auriez pu le noter.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous avais posé une question dans l’hémicycle, en m’appuyant sur l’exemple de deux personnes – Laurent et Édouard, si je me souviens bien –, nées toutes les deux en 2005 et pour lesquelles s’appliquait le même âge pivot, à savoir 67 ans. Peu importe que l’un soit cadre et l’autre ouvrier : Laurent commençait à travailler à 20 ans et avait nécessairement une décote, alors qu’Édouard, qui avait travaillé à partir de l’âge de 25 ans, avait nécessairement une surcote. Voilà qui est factuel et objectif. Vous ne pouvez pas le contester. Ensuite, vous parlez des carrières heurtées. Selon vous, il serait mieux de prendre toute la carrière plutôt que les vingt-cinq meilleures années. Comment serait-ce possible, notamment pour les jeunes, dont le début de carrière est nécessairement marqué par des contrats précaires et de longues périodes de chômage non indemnisé ? Dans votre réforme, vous ne créez pas de points pour le chômage non indemnisé.
M. Jacques Marilossian. Si !
M. Boris Vallaud. Par ailleurs, vous avez dégradé les conditions pour les chômeurs indemnisés : le calcul sera fait non pas sur le dernier salaire mais sur l’allocation. Par conséquent, quand on sera un vieux chômeur – compte tenu du taux d’emploi des seniors, le cas de figure sera fréquent –, on aura à choisir entre être au chômage et être un retraité subissant une décote potentiellement très importante. En outre, vous dites que vous voulez une indexation sur les salaires, mais ce ne sera pas une règle d’or : seul l’équilibre financier du système est considéré comme tel. D’ailleurs, si c’était un désir ardent, pourquoi ne l’avez‑vous pas fait plus tôt ? Or, tout au contraire, vous avez sous-indexé par rapport à l’inflation. Comment pourrions-nous donc vous croire ?
M. Charles de Courson. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai deux petites questions à vous poser à propos de l’alinéa 5. La première porte sur l’« euro cotisé » : pourriez-vous nous préciser si cela inclut bien les cotisations salariales et patronales, voire les cotisations payées par des tiers – il existe un certain nombre de cas : par exemple, pour les médecins, les cotisations sont directement prises en charge ? La seconde concerne une promesse faite par le Président de la République pendant sa campagne : il avait parlé, à l’époque, d’un système par points associé à des comptes notionnels. Or l’idée de comptes notionnels semble avoir disparu du projet gouvernemental. Pourriez-vous nous confirmer que le Gouvernement y a renoncé ?
M. Jean-Luc Mélenchon. L’une de nos collègues nous disait il y a un instant, pointant du doigt tel ou tel point qui ne fonctionne pas bien dans le régime actuel, qu’elle aimerait nous entendre les dénoncer. Eh bien, entendez-nous, madame, car nous n’avons jamais dit que le régime actuel était parfait, qu’il n’y avait rien à y toucher. C’est même tout le contraire. Je résume souvent notre position par la formule suivante : selon nous, les gens partent trop tard – car nous sommes pour un départ à la retraite à 60 ans – et trop pauvres, sans parler bien sûr des autres aspects. Ce qui est intéressant dans votre remarque, collègue, c’est que vous abordez les effets d’un projet concernant les retraites sur les carrières et sur la projection que chacun a de sa propre existence professionnelle. Autrement dit, on s’aperçoit qu’en toutes circonstances l’aval déforme l’amont. Je vais vous en donner immédiatement un exemple.
Le rapporteur a dit, en substance, que nous avions déposé 19 000 amendements et qu’il n’allait pas nous répondre 19 000 fois la même chose. Mais, cher rapporteur, ces 19 000 amendements ne sont pas identiques ; ne craignez donc pas de diversifier vos réponses. Imaginez quelle tête vous auriez fait si vous aviez été le rapporteur du projet de loi privatisant EDF, sur lequel 130 000 amendements avaient été déposés... Quelques-uns de nos collègues, présents dans cette pièce, y étaient.
Pour prolonger mon propos et le finir, qu’est-ce qui change dans la carrière de quelqu’un du fait du régime de retraite que vous allez introduire ? Eh bien, c’est qu’une carrière n’a plus de sens : si vous avez commencé en bas de l’échelle des salaires et des qualifications, qu’en cours de route vous avez amélioré votre position et que vous terminez dans l’encadrement, par exemple, cela est effacé au moment où vous prenez votre retraite, puisqu’on reprend toute votre carrière au lieu de se fonder uniquement sur la partie correspondant à votre promotion. La conséquence en est que cela détruit un modèle : à quoi bon être apprenti au niveau V, si c’est pour ensuite ne pas pouvoir progresser dans l’entreprise ?
M. Jacques Marilossian. Cela n’a aucun rapport !
M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Un certain nombre de questions ont été adressées à M. le secrétaire d’État, et il y a répondu. Pour la qualité de nos débats, il me semble fort regrettable que ces réponses suscitent des réactions comme celle que nous avons entendue : l’orateur disait qu’il était perdu, qu’il ne comprenait plus rien, et cela alors que M. le secrétaire d’État a tout simplement décrit la réalité du système actuel, ses injustices et les objectifs que poursuit le projet de loi, qui consistent à proposer un certain nombre de solutions. La moindre des choses est que nos échanges restent corrects, même si les réponses apportées ne satisfont pas l’un ou l’autre d’entre nous. La réalité est que ceux de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui ont les carrières les plus difficiles et les plus heurtées, de même que les salaires les plus bas, partent après 65 ans – et bien souvent même à 67 ans – pour bénéficier du taux plein, et non à 60 ans. C’est bien à cela que nous essayons d’apporter des réponses.
M. Éric Woerth. Madame Rabault renvoie en fait au débat entre durée de cotisation et âge de départ. Même si cela le sera un peu moins à l’avenir, il me paraît très utile, aujourd’hui, de conserver l’un comme l’autre, pour une bonne raison, qui va perdurer : il faut remédier à l’iniquité entre ceux qui sont entrés tôt et ceux qui sont entrés sur le marché du travail plus tard, pour de bonnes raisons, car ils suivaient des études visant à leur permettre d’acquérir une qualification, participant en cela à l’élévation du niveau de qualification de l’emploi en France. Ils n’ont donc pas passé ces années en vacances.
Pour d’autres raisons, que l’on peut d’ailleurs parfois regretter, certains entrent tôt sur ce même marché et les carrières longues, commencées jusqu’à l’âge de 20 ans, couvrent ces cas. On entre à cet âge-là sur le marché du travail, ou l’on suit des études pour y entrer ultérieurement. Il est donc logique que l’âge légal soit un âge effectif de départ à la retraite – quel que soit l’âge d’entrée dans une
carrière –, la pension correspondante subissant une décote si cette carrière n’est pas complète. On a le droit, lorsque l’on a atteint cet âge, de prendre sa retraite : cela me paraît extrêmement important. Les exemples cités dans l’amendement de notre collègue Valérie Rabault sont exacts.
Au fond, cet âge d’équilibre, qui ne figure pas dans le texte – il y est en réalité omniprésent, sans y être mentionné –, est discuté actuellement, ainsi que toutes les autres mesures d’équilibre financier, dans la pièce d’à côté, c’est-à-dire avec les partenaires sociaux : nous ne pouvons donc pas en débattre et cela n’est pas normal. Pourtant, à l’évidence, tout tourne autour de cette disposition. Qu’un problème d’âge se pose dans le domaine des retraites, c’est dans sa nature même : c’est d’ailleurs un des seuls que se posent les Français. Répondre par l’âge pivot revient à répondre par le niveau de pension : en réalité, vous abaissez la pension à laquelle avaient droit les Français ayant effectué une carrière complète avant d’atteindre cet âge.
M. Sébastien Jumel. Boris Vallaud a, plus brillamment que je ne serai capable de le faire, battu en brèche votre argumentation relative à l’indexation des pensions sur les salaires ainsi qu’au report, que vous avez décidé à l’horizon 2040, d’une mesure si positive pour les retraités.
Je m’attarde sur l’argument développé par l’une de nos collègues sur la référence aux six derniers mois de la carrière des fonctionnaires, ce qui n’est pas positif, et aux vingt-cinq dernières années des salariés du privé, ce qui est préjudiciable.
Elle est aux oiseaux : dans la fonction publique en effet, sauf si l’on commet une faute grave, l’évolution des échelons et des grades, la capacité à passer des concours, comme la possibilité offerte à l’autorité compétente de donner, y compris avant la retraite, un coup de pouce, fait que les six derniers mois sont toujours plus positifs que les six premiers, ou que les vingt-cinq dernières années.
Par conséquent, c’est classé : votre mesure va pénaliser les fonctionnaires. L’intégration des primes va d’ailleurs pénaliser davantage les femmes que les hommes : cela est démontré.
Il en va de même, bien sûr, des salariés du privé : les femmes seront également fortement pénalisées par votre réforme puisqu’à l’évidence, les questions des enfants et du temps partiel imposé sont plus problématiques en début de vie professionnelle qu’à la fin.
Mis à part, évidemment, un salarié qui serait victime d’un licenciement
– les seniors, que vous invitez à travailler plus longtemps, vont en être victimes –, les carrières sont, au bout du compte, consolidées. Le remettre en cause va donc également pénaliser les salariés du privé : votre réforme est une réforme perdant-perdant !
La commission rejette les amendements.
Elle est saisie de l’amendement n° 22601 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Il s’agit de discuter, et même de contester, cette formule facile – qui a servi de slogan mais qui n’est, en réalité pas respectée par le texte qui nous est proposé, car c’est impossible – utilisée pour présenter et défendre en définitive ce projet de loi : chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits.
Vous vous êtes rendus à l’évidence et avez choisi de conserver le slogan tout en ne l’appliquant pas. Nous avons d’ailleurs dit que nous ne souhaitions pas que notre système de retraites s’inspire d’une telle philosophie.
Aller au bout de celle-ci conduirait en effet à rompre avec l’idée qu’un bon taux de remplacement est nécessaire et à entrer dans une logique selon laquelle chacun doit retrouver, au bout du compte, ce qu’il a versé au cours de sa carrière. Même si vous n’allez pas au bout de cette logique, c’est bien cette philosophie qui sous-tend votre proposition.
Vous avez beau nous expliquer qu’il existerait d’un côté le système actuel, qui est infernal, et de l’autre celui que vous proposez, qui est paradisiaque, cette rhétorique ne trompe pas grand monde. Le système actuel présente bien des défauts, notamment parce qu’il a été dégradé, je l’ai expliqué. Le problème est que vous n’expliquez pas en quoi la formule que vous proposez permettrait de faire mieux. En réalité, vous nous vantez les subterfuges que vous imaginez vous-même pour corriger les défauts de votre nouveau système et vous les présentez comme autant de trucs miraculeux qui permettraient de relever les défis actuels. Cette autojustification ne fonctionnant pas, vous finissez par vous prendre les pieds dans le tapis.
L’iniquité des mesures que vous proposez a été démontrée, notamment pour les femmes. S’agissant des chômeurs, ce qui a été dit ne me semble pas tout à fait conforme à ce qui figure dans le texte : j’y reviendrai.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cher collègue Dharréville, nous n’avons je crois jamais dit que le système actuel était infernal ni que celui que nous proposons serait paradisiaque. Le premier rencontre un certain nombre de difficultés, notamment liées à la démographie de plusieurs régimes, le second vise à atténuer un certain nombre de difficultés que traverse notre société : il faut remettre les choses à leur place.
S’agissant de la notion d’iniquité et des exemples qui ont été pris, si l’on valorise les carrières continues et croissantes, d’autres, qui sont nombreuses – et qui comportent des trous dus à leur arrêt brutal suite à un accident, de nature professionnelle ou médicale –, sont assez mal prises en compte dans le dispositif actuel.
Le système par points reflétera mieux ce type de carrière et permettra de se montrer plus : tel est l’objectif de cette réforme. Vous évoquiez les carrières ascendantes : les droits acquis par celles et ceux qui seraient déjà en activité et qui seront donc concernés en 2025 par celle-ci le resteront en fonction des règles actuelles.
M. Pierre Dharréville. Le bon système sera donc préservé.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. À compter de cette échéance, si leur carrière est croissante en termes de salaire, l’application de cette réforme se traduira par un certain nombre de points dont le nombre augmentera année après année : ce point ne pose donc pas de difficulté.
Si l’on ne menait pas cette réforme, une personne ayant la chance d’avoir suivi une carrière très linéaire et très croissante ne rencontrerait pas de problème tandis que perdurerait le système actuel, défavorable à quiconque a une carrière heurtée ou plate. M. le secrétaire d’État le confirmera sûrement, nous disposerons, en termes de financement, de la même somme à répartir. Une redistribution s’opérera donc au profit des personnes aujourd’hui plus défavorisées. Nous assumons donc pleinement de rechercher cette équité qui, si elle n’est peut-être pas optimale, nous semble traduire, le Conseil d’État l’a souligné, un réel progrès.
Je suis donc, évidemment, défavorable à l’amendement de notre collègue Pierre Dharréville.
M. Olivier Véran. Députés de l’opposition et membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nos collègues Pierre Dharréville et Sébastien Jumel sont constructifs et n’ont pas inondé le débat parlementaire d’amendements.
M. Pierre Dharréville. N’essayez pas de nous diviser !
M. Olivier Véran. Ils posent de véritables questions et nous soumettent de réelles réflexions. Je les sais en outre d’une probité morale à toute épreuve.
Une fois ce compliment fait, je voudrais, chers collègues, que vous m’expliquiez par quel miracle – il s’agit bien d’un miracle – vous faites disparaître des euros. Comme l’a dit le rapporteur, la nation consacre aujourd’hui 310 milliards d’euros aux retraites des 17 millions de Français pensionnés.
On prévoit d’indexer l’évolution des pensions de retraite sur les salaires et de leur consacrer une part du PIB a minima constante dans la durée, c’est-à-dire une part de la richesse de la nation. Question toute bête : si, comme vous l’expliquez, les salariés du privé sont tous perdants, comme leurs homologues du public, où ira l’argent ?
Aujourd’hui comme demain, 310 milliards iront aux retraites des 17 millions de Français retraités : la seule chose que l’on sait, c’est que les plus hauts revenus – les 1 % – ne seront, eux, pas gagnants puisque lorsqu’ils percevront plus de 10 000 euros par mois, ils sortiront du système de solidarité nationale. Puisque tout le monde serait perdant, où va l’argent ?
J’ai voté la « réforme Touraine » de 2013-2014, qui a retardé l’âge de départ à la retraite – chaque année de cotisation le retardant d’un trimestre – car c’était nécessaire. Je vais ressortir au cours de ce débat certains des arguments avancés à l’époque par mon propre groupe, non pas pour me déjuger, mais pour aller dans le même sens.
Comment pouvez-vous affirmer qu’il n’existe ni équité ni justice sociale alors que, vous qui êtes tellement attachés à la lettre de l’avis du Conseil d’État, devriez y lire que l’effet redistributif de ce projet de loi atteint à 30 %, ce qui n’a jamais été fait auparavant dans aucune réforme des retraites ?
Mesdames et messieurs du groupe Les Républicains qui en revendiquez la paternité, vous n’avez pas été jusqu’à présent à l’origine d’une quelconque redistribution en la matière.
M. Thibault Bazin. Mais si !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, on ne peut pas à la fois demander à la majorité de s’exprimer et l’interrompre à chaque fois qu’elle le fait... Je veux que tout le monde puisse s’exprimer tranquillement, sans être interrompu : j’y veille.
M. Pierre Dharréville. Le choix que vous faites revient à tenir compte de toute la carrière pour le calcul de la retraite, alors qu’aujourd’hui le calcul de la pension des salariés du privé s’opère, dans le cadre du régime général, à partir des vingt-cinq meilleures années.
Nous critiquons un tel choix : nous sommes pour notre part favorable, et depuis très longtemps, à ce que ce calcul s’opère sur les dix meilleures années et nous sommes donc, logiquement, opposés à l’allongement de la base de calcul, qui pèsera ceux dont les carrières sont mitées ou trouées, puisque, mécaniquement, leurs plus mauvaises années seront désormais prises en compte. Comment pouvez-vous prétendre le contraire ?
De même, s’agissant du chômage, le calcul sur les vingt-cinq meilleures années neutralise aujourd’hui tout ou partie des périodes d’interruption involontaire d’activité. Et je passe sur les conséquences croisées de la réforme de l’assurance chômage, que vous avez précédemment imposée, et de celle que nous examinons. La volonté qui les sous-tend est très claire.
Olivier Véran nous demande : où passe l’argent ? Il évident – c’est inscrit dans le texte – que l’objectif est non seulement de contraindre mais de faire baisser la part de richesses produites consacrée aux retraites jusqu’à 12,9 % du PIB.
M. Olivier Véran. C’est un effet de la démographie !
M. Pierre Dharréville. Cela figure dans l’étude d’impact. Peut-être contient-elle des informations fausses. Hélas celle-ci me semble vraie.
Nous ne partageons pas cet objectif, car nous pensons qu’il faut dépenser plus d’argent pour répondre à un certain nombre d’enjeux, notamment l’égalité entre les femmes et les hommes et la prise en compte des années d’études dans le calcul de la retraite.
M. Boris Vallaud. Vous prétendez d’abord que le nouveau système prendrait mieux en considération tant les carrières hachées que les périodes de chômage. Las, j’ai montré à quel point il durcira les conditions créatrices de droits.
Vous affirmez ensuite qu’on se construira la meilleure des pensions dans la meilleure des carrières. Or la réforme de l’assurance chômage intervenue il y a quelques mois, qui s’est faite contre les partenaires sociaux, a produit 40 % de chômage supplémentaire.
Mme Pénicaud nous avait dit : attention les yeux, vous allez voir ce que vous allez voir, c’est la plus grande réforme de progrès depuis René Coty ! Tel n’est pas vraiment le cas, puisque, à cause de cette réforme, il est devenu plus difficile de se créer des droits à indemnisation ou de les maintenir.
La coexistence des deux réformes fait que tous seront, en réalité, perdants.
Vous faites valoir que le nouveau système de retraites serait plus redistributif en ce qu’il écraserait les carrières ascendantes au bénéfice des carrières heurtées. Pourtant, vos études de cas montrent que les salariés gagnant 120 000 euros par an seront gagnants. Comment est-ce possible ? Honnêtement, je ne l’ai pas compris, sauf à ce que les cas en question soient bidonnés, ce qui assez probable.
Monsieur Véran nous a dit que les pensions seraient indexées sur les salaires. Ce n’est pas le cas, elles le seront sur l’inflation : c’est la valeur du point qui sera indexée sur les salaires. D’ailleurs, compte tenu de la valeur de rachat des points, il vaudra mieux voir son salaire augmenter au même niveau que la moyenne des salaires plutôt qu’en deçà car, dans ce dernier cas, le pouvoir d’achat desdits points diminuerait dans le temps. Un euro cotisé ne créera donc évidemment pas les mêmes droits.
Contre l’avis de nombre d’entre nous, vous affirmez, cher collègue, que tout le monde y gagnera. Or votre étude d’impact montre qu’en 2050 la part des retraites dans le PIB tombera à 12,9 % alors que le nombre de retraités aura augmenté. Concrètement, cela signifie que le taux de remplacement diminuera fortement et que la seule façon de compenser cela sera de travailler plus longtemps.
M. Jacques Marilossian. Vous ne savez pas compter !
M. Boris Vallaud. Le choix fondamental que propose votre réforme est donc le suivant : soit travailler plus, soit gagner moins. Enfin, si vous excluez les plus riches de la redistribution, il est sûr que cela réduit les écarts...
Mme Clémentine Autain. Puisque M. le secrétaire d’État a bien voulu me répondre à leur sujet, je reviens sur le cas des policiers et des militaires : si le régime par points leur est appliqué, ils échapperont au régime général.
Je rappelle que cette réforme a été présentée, dans le débat public, comme indispensable, notamment parce qu’il fallait mettre fin aux régimes spéciaux. Il apparaît donc comme hallucinant que nous nous retrouvions maintenant à débattre du cas de certains de nos concitoyens qui, au sein du système général dit universel, disposeraient non pas de régimes spéciaux, mais en tout cas de régimes spécifiques, ce qui revient à peu près au même.
Je voulais pointer l’absurdité de la démarche consistant à démanteler l’ensemble du régime au nom de la fin des régimes spéciaux tout en revenant
– évidemment, par la fenêtre – sur celle-ci. On voit bien que des conditions spécifiques à un certain nombre de travailleurs justifient qu’ils disposent d’un régime qui, par définition, soit également spécifique.
S’agissant de l’âge d’entrée sur le marché du travail, je vous donne raison sur un point : en effet, aujourd’hui, compte tenu des difficultés rencontrées par les publics les moins diplômés pour entrer sur le marché du travail, il n’est pas faux de dire qu’ils y entrent parfois plus tardivement, ce qui explique qu’ils n’auront pas cotisé pendant un certain nombre d’années. Il est ainsi possible qu’ils atteignent l’âge de 65 ou 66 ans sans que leur carrière ne soit complète. Mais dans quel état un ouvrier devant porter des charges lourdes, une hôtesse de caisse, qui certes ne seront pas soumis à la décote que j’évoquais tout à l’heure, atteindront l’âge de 63, 64 ou 65 ans ?
Vous nous dites enfin que le montant global de 310 milliards d’euros resterait inchangé. Je rappelle tout de même que selon l’étude d’impact, si 13,8 % du PIB sont aujourd’hui consacrés aux retraites, cette part chutera à 13,3 % en 2040 et à 12,9 % en 2050, tandis que la population de retraités s’accroîtra. Je suis désolée, mais une telle évolution équivaut à une baisse.
M. Jean-Pierre Door. Je réponds à notre collègue Olivier Véran : il a fait un bel exposé, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César. Ce n’est pas Mme Touraine qui a repoussé l’âge légal de départ de la retraite de 60 à 62 ans : c’est, avec Éric Woerth aux manettes, le gouvernement Fillon.
À l’époque, en 2010, nous étions présents : cette réforme a permis, vous le savez, d’équilibrer les comptes de la branche vieillesse dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Si cet âge n’avait pas été repoussé, cette branche n’aurait pu trouver un tel équilibre.
M. Sébastien Jumel. Notre débat commence à devenir intéressant au fond, puisque les Marcheurs posent des questions à l’opposition : il va donc pouvoir prospérer.
Vous avez obtenu, monsieur Véran, la réponse à votre question : où va l’argent ? Lorsque l’on augmente le nombre de retraités et que l’on réduit le poids des retraites dans le PIB en le faisant passer de 14 % à 12,9 %, une règle de trois assez simple permet – je suis un peu con, mais j’y arrive – à comprendre que la part de la richesse que la nation consacre aux retraites baisse.
Le président du MEDEF, qui a au bout du compte dicté la loi, nous a indiqué que trois leviers pouvaient être actionnés : le taux, l’assiette et la durée de cotisation. Mais il n’a ouvert qu’une seule porte, ladite durée, c’est-à-dire l’âge de départ à la retraite, car il considère en fait que seuls les salariés doivent contribuer à l’effort.
Cela montre bien qui sera perdant et qui sera gagnant.
M. Olivier Véran. Ah, il y aura donc des gagnants ?
M. Sébastien Jumel. Tout ce que nous essayons de démontrer ce soir est qu’à âge égal de départ, le taux de remplacement – donc le niveau de pension – ne sera au bout du compte pas le même.
Vous avez ainsi obtenu, Monsieur le rapporteur, la réponse à vos trois questions.
Si le fric n’est en effet pas un problème, pourquoi n’avez-vous pas pris en considération le diagnostic raisonnable du Conseil d’orientation des retraites (COR) faisant état du caractère conjoncturel du déficit ?
Vous êtes en outre responsables d’une partie du déficit, à hauteur de 7 milliards d’euros, en raison des emplois publics que vous avez supprimés. Des mesures correctrices auraient donc pu être prises pour le stabiliser, le résorber et préserver ainsi notre système de retraites par répartition.
M. Jacques Marilossian. Je suis très embêté : on nous répète à l’envi que les retraites vont baisser parce que leur part relative dans le PIB passerait de 14 % à 13 %. L’un de nos concitoyens m’a écrit à ce sujet que les gens qui affirment une telle chose sont ou de mauvaise foi ou nuls en mathématiques. Si je ne vous ferai pas l’injure d’affirmer que vous êtes de mauvaise foi, je dois admettre que vous êtes nuls en mathématiques.
Je m’explique : tout le monde devrait comprendre, monsieur Jumel, que lorsque l’on passe en part relative de 14 % à 13 %, cela signifie simplement que la proportion en question diminue par rapport au diviseur.
M. Sébastien Jumel. Il faut en parler à Villani...
M. Jacques Marilossian. Or il suffit que la croissance du PIB soit simplement supérieure à celle des dépenses de retraites pour que ce même ratio diminue : ces dépenses peuvent donc parfaitement augmenter à un rythme élevé, permettant de voir toutes les pensions augmenter, quand bien même le nombre de pensionnés augmenterait.
Une telle évolution ne fera donc pas baisser les pensions, tout simplement parce que dans le même temps le PIB augmentera plus vite : c’est mathématique. Vous ne pouvez pas dire le contraire !
Mme Valérie Rabault. Je ne peux pas laisser passer le raisonnement qui vient d’être tenu : il est pour le coup et de mauvaise foi et mathématiquement extrêmement faux.
Vous espérez tout d’abord, cher collègue, que la croissance va augmenter. Or manque de chance, la croissance a, au quatrième trimestre 2019, pour la première fois depuis bien longtemps, été négative, l’Institut national de la statistique et des études économiques l’a annoncé il y a deux jours, à – 0,1 % du PIB. Cela signifie qu’au cours de ce trimestre, l’économie française n’a même pas été stable : elle a détruit de la richesse et votre dénominateur, que vous pensiez voir augmenter, a de la sorte diminué.
Par ailleurs, baisser d’un point la part du PIB consacrée aux retraites équivaut à 25 milliards d’euros en moins.
M. Jacques Marilossian. C’est faux !
Mme Valérie Rabault. Vous pouvez tourner les choses comme vous voulez, une telle baisse équivaut à 25 milliards d’euros de moins. Je sais que vous n’aimez pas les chiffres, je pense que, comme l’a suggéré Sébastien Jumel, Cédric Villani se ferait un plaisir de vous expliquer celui-ci, qui ne vous plaît pas mais qui est tiré de votre étude d’impact.
La commission rejette l’amendement.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 395 de M. Stéphane Viry et n° 21618 de Mme Émilie Bonnivard.
M. Thibault Bazin. Nous étudions une modification du livre Ier du code de la sécurité sociale qu’il ne faut pas confondre avec les éléments de langage préparés pour les repas de Noël des Marcheurs...
La rédaction de l’alinéa 5 imaginée par le Gouvernement, à savoir que « [...] chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous [...] » relève surtout du slogan politique et de la com politique, qui n’ont rien à faire dans la loi. Le Conseil d’État lui-même la déplore, puisqu’il a, dans la troisième partie de son avis sur le projet loi, dénoncé un tel abus de langage. Il juge qu’un tel objectif « [...] reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi [...] ». Cela a le mérite d’être clair.
C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains souhaite voir cet alinéa 5 réécrit de la façon suivante, en maintenant le principe de l’équité devant les cotisations : « [...] Un objectif d’équité, afin de garantir aux assurés "les mêmes droits selon leurs cotisations" ».
Mme Émilie Bonnivard. L’idée est, comme vient de le dire excellemment mon collègue Thibault Bazin, que les textes de loi et le droit ne comportent pas d’éléments de propagande politique et restent neutres.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Même si je comprends la philosophie de ces amendements, la formulation du projet de loi – chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits – me paraît beaucoup plus parlante et illustre mieux les grands principes retenus. Avis défavorable.
M. Thibault Bazin. Il est profondément faux d’écrire dès le départ que chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits : chaque euro cotisé n’ouvrira pas les mêmes droits, on le voit bien tout au long du texte. Vous ne pouvez pas faire d’une telle affirmation un principe initial. Nous ne parlons pas dans l’absolu : si c’était le cas, cela changerait tout le reste du projet de loi. Dans une telle hypothèse, vous pourriez revoir tous les articles. Nous ne nous reverrions alors que dans quelques mois.
M. Patrick Mignola. Il s’agit d’un principe !
M. Thibault Bazin. Non : vous écrivez quelque chose qui ne se vérifie pas. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais le Conseil d’État, qui n’est pas marié avec nous : il considère, après avoir étudié le projet de loi, que vous avez commis un abus de langage.
M. Brahim Hammouche. Quelle page de l’avis ?
M. Thibault Bazin. Si le mépris règne ici, ce n’est franchement pas à l’honneur de notre assemblée.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Bazin, depuis tout à l’heure vous interrompez également les orateurs. Je voudrais que nous nous respections : je le demande à tous les groupes. L’on n’interrompt pas un orateur. Il reste 21 000 amendements : vous aurez tout loisir de vous défouler.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 14654 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Il traite du même sujet. Voyant qu’il existe une aspiration à entrer dans la finesse des choses, il s’agit de préciser que chaque euro cotisé ouvrira « des droits pour tous, dans le respect des spécificités des métiers et des sujétions de services publics, dans les conditions définies par la loi ». Une telle rédaction se rapprocherait un peu plus de la réalité : il nous semble que c’est nécessaire. J’ai d’ailleurs déjà émis un certain nombre de critiques à l’endroit de ce principe qui nous semble extrêmement discutable.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je comprends bien votre intention, cher collègue, mais nous avons pour notre part considéré que les règles d’acquisition des points ne devaient pas varier en fonction des métiers. Il ne faut cependant pas nier leurs spécificités : un certain nombre de critères permet d’en tenir compte, mais cela ne vaut pas pour le calcul des points. Je suis donc défavorable à l’amendement.
M. Pierre Dharréville. Je ne comprends pas bien le sens de cette réponse, dans la mesure où vous allez prendre en considération un certain nombre d’éléments liés à la pénibilité, ce qui me semble tout à fait nécessaire. Or la pénibilité est elle-même liée à l’exercice de certains métiers : la rédaction que j’ai proposée correspond à une telle prise en considération. Je ne comprends donc pas votre refus de l’inscrire au nombre des principes initiaux, puisque vous allez la mettre en œuvre pour partie – insuffisamment, il est vrai, à mon goût – dans la suite du projet de loi. Je vois bien que vous souhaitez faire un peu de marketing : il me semble cependant que ce n’est pas le lieu.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement n° 21271 de M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud. Nous proposons, à l’alinéa 5, d’insérer les mots suivants : « au regard de leur espérance de vie en bonne santé ». Nous avons déjà eu l’occasion d’indiquer, à la suite du rapport de Mme Nathalie Blanpain, que treize années d’espérance de vie séparent les 5 % de Français les plus riches des 5 % les plus pauvres. L’espérance de vie en bonne santé est aujourd’hui de 62 ans. Arrivé à 60 ans, un ouvrier a une espérance de vie inférieure de dix ans à celle d’un cadre : il ne saurait naturellement y avoir de réforme juste qui ne prenne en considération cette dimension. De ce point de vue, le projet du Gouvernement, bien que conforme aux décisions qu’il a prises en 2017, est très insuffisant et très décevant.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je profite de l’amendement pour faire un point sur l’espérance de vie en bonne santé en général : si l’intention est louable, sa prise en considération est assez difficile.
On a en outre évoqué l’espérance de vie selon la catégorie socioprofessionnelle. Elle peut être liée aux conditions d’exercice du métier ou à l’hygiène de vie d’un certain nombre de nos concitoyens, qui peut assez notablement l’influencer.
Je réponds à la remarque faite tout à l’heure par Éric Woerth à propos de la retraite notionnelle, qui s’appuie également sur les catégories : il serait possible de s’engager dans cette voie mais cela impliquerait de prendre en compte des critères parfois compliqués à agréger les uns aux autres.
Le premier argument ayant trait à l’espérance de vie en bonne santé est que, dans l’hypothèse où nous la prendrions en considération, nous défavoriserions massivement les femmes dont l’espérance de vie est plus longue que celle des hommes. Il semble que ce n’est pas l’objet de cette réforme qui vise au contraire à résorber les différences entre les hommes et les femmes.
Je suis par conséquent défavorable à l’amendement.
M. Régis Juanico. J’entends dans la bouche du rapporteur certains arguments déjà entendus il y a quelques années lors du débat sur la pénibilité, selon lesquels les différences d’espérance de vie en bonne santé seraient dues à des comportements sociaux en matière d’hygiène de vie. De tels arguments ont récemment été battus en brèche et il y a désormais un consensus en la matière.
Les chiffres tant de la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail que de l’Institut national d’études démographiques (INED) sont extrêmement clairs : aujourd’hui, l’écart d’espérance de vie en bonne santé à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de dix ans, alors que l’écart d’espérance de vie n’est que de six ans. Un tel écart est donc phénoménal.
Cela signifie que ne pas prendre en considération une telle donnée dans le système que vous êtes en train d’élaborer et qui conduira au fur et à mesure à reculer systématiquement et mécaniquement l’âge réel de départ à la retraite, reviendra à pénaliser nos concitoyens les plus modestes, en particulier les ouvriers et les employés qui sont les catégories les plus touchées par cet écart d’espérance de vie en bonne santé.
Je ne comprends donc pas bien l’argument fondé sur l’hygiène de vie : peut‑être allez-vous nous l’expliquer en détail.
M. Sébastien Jumel. Je suis d’accord avec le rapporteur sur un point : il est clair que toutes les études en santé publique montrent que l’espérance de vie en bonne santé n’est pas la même en fonction du niveau d’études, du salaire et du type de logement dans lequel on habite. En gros, que vous soyez riche et puissant ou pauvre et misérable, vos vies ne seront pas les mêmes, et cela vaut dès la naissance, pour les mômes, bien avant qu’ils commencent à travailler. Si l’on ajoute à cela la pénibilité du travail, les écarts d’espérance de vie se creusent de manière colossale.
Un exemple très concret, qui fera entrer la vie de nos territoires dans cette salle : le flaconnage de luxe, c’est-à-dire la fabrication des flacons de parfum de toutes marques chez moi, dans la vallée de la Bresle. Au bout chaud, c’est-à-dire au pied du four, dans un environnement hostile marqué par le bruit, la chaleur et l’insalubrité, le conducteur de machine doit assurer la transformation d’une goutte de verre en un flacon de pharmacie ou de parfumerie pour le compte des plus grandes marques. 8 heures par jour, cet opérateur se trouve – premier facteur de pénibilité – exposé aux fumées de graissage produites lors de la lubrification des moules. Au bout froid, le trieur de verre – ou plutôt la trieuse, car ce sont des métiers essentiellement exercés par des femmes – doit, tout en respectant la cadence de travail, contrôler chaque pièce produite selon le cahier des charges imposé par le client, au rythme auquel le tapis la transporte. Outre le côté répétitif et rébarbatif de la tâche, les opératrices concernées sont exposées aux troubles musculo-squelettiques liés aux gestes répétitifs imposés par leur poste.
Voilà quelques-uns des éléments de pénibilité, que votre réforme de 2017 a d’ailleurs contribué à exclure, qui aggravent les écarts d’espérance de vie en bonne santé. C’est donc de cela dont il s’agit lorsque l’on parle de pénibilité.
M. Boris Vallaud. Je suis, je dois le dire, un peu choqué par la réponse du rapporteur : nous parlons espérance de vie, il répond hygiène de vie. Est-ce à dire que chacun serait responsable de son espérance de vie, qu’il n’existerait pas une prévalence du cancer chez les salariés de l’industrie exposés aux produits chimiques, et qu’un égoutier n’aurait pas une espérance de vie inférieure de dix‑sept ans à la moyenne ?
Nous ne nous situons pas ici, même si d’autres pays la pratiquent, dans l’optique d’une notation du comportement social des individus : je ne pense pas qu’il s’agisse du modèle auquel nous aspirons. Nous vous parlons de pénibilité et d’espérance de vie, et de rien d’autre.
Mme Cendra Motin. Si cet indicateur existe effectivement, il est essentiellement utilisé par la DARES uniquement dans le cadre d’études sociologiques, car il a un point faible : il est déclaratif. On pose la question : êtes‑vous limité depuis au moins six mois à cause d’un problème de santé dans les actions que les gens font habituellement ? Trois réponses s’offrent aux personnes interrogées : oui, fortement ; oui, limité ; non, pas limité du tout. Il s’agit donc bien d’un élément déclaratif qui ne repose sur aucune donnée scientifique : vous voyez que, bien qu’intéressant d’un point de vue sociologique dans le cadre d’études, cet indicateur n’est pas suffisamment robuste pour être utilisé comme paramètre de décompte dans le cadre d’un système de retraites.
M. Éric Woerth. Nous aurons ce débat ultérieurement. Comment fait-on dans d’autres pays du même niveau que le nôtre ? Une telle étude recèle bien des surprises : en Europe notamment, les régimes de retraite tiennent compte un peu, mais nettement moins, des caractères sociaux. Beaucoup de mesures correctrices interviennent dans le système actuel, et c’est heureux.
L’espérance de vie en bonne santé est bien d’une donnée déclarative, par conséquent éminemment discutable. Il existe mille manières de parler d’espérance de vie, par exemple par génération. Il faudrait, pour bien la mesurer, intégrer la différence entre les hommes et les femmes ou entre le Nord et le Sud, ce qui pourrait conduire à échafauder des systèmes totalement absurdes et éminemment contestables sur le plan de la justice.
On peut toujours dire, comme le fait M. Vallaud, et il a sans doute raison, qu’à tel métier est attachée une pénibilité supplémentaire et que c’est pour cette raison qu’existe un compte pénibilité valant pour la retraite. Mais ce compte ne peut pas être généralisé car tous les métiers seraient alors considérés comme pénibles. Il ne serait par exemple pas possible de prendre en considération le fait, pour se rendre à son travail, d’attendre 3 heures un train qui n’arrive jamais. Cela ne marchera pas et c’est une pénibilité objective pour l’ensemble de la société qui doit être définie.
Enfin, des mesures correctrices existent : telles celles relatives aux carrières longues, que j’ai évoquées. Les ouvriers ont souvent commencé à travailler plus tôt que les cadres ; ils bénéficient, pour la plupart d’entre eux, du dispositif carrières longues, qui permet de partir plus tôt à la retraite.
La combinaison de la durée et du taux de cotisation d’une part, de l’âge légal d’entrée dans la vie active d’autre part, permet également d’en tenir en compte et de faire une différence entre le salarié qui, parce qu’il a suivi des études, est entré plus tard dans la vie active et celui qui n’en a pas suivi. On doit par conséquent tenir compte de nombre de phénomènes.
Plus notre système de retraite sera sophistiqué, plus on le rendra totalement illisible et totalement injuste.
M. le rapporteur général. Vous avez raison, chers collègues, nous pouvons et nous devons en débattre, car la problématique émerge. Mais reconnaissez aussi que la notion d’espérance de vie en bonne santé n’est, pour l’instant, pas techniquement viable car elle repose sur du déclaratif.
En outre, le rapporteur l’a souligné, nous ne savons pas mesurer l’ampleur des effets de bord. C’est le cas pour les femmes, qui ont une espérance de vie plus élevée que les hommes, ou pour certaines catégories socioprofessionnelles. Ainsi, les enseignants et les professeurs, dont l’espérance de vie est la plus élevée, verraient leur pension diminuer si nous tenions compte de l’espérance de vie en bonne santé. Je ne suis pas sûr que ce soit votre objectif, chers collègues.
Avant toute chose, le projet de loi et le futur système visent à mieux prendre en compte les évolutions d’espérance de vie et la pénibilité.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle passe aux amendements identiques n° 13171 de M. Éric Woerth et n° 21724 de M. Thibault Bazin.
M. Éric Woerth. L’amendement n° 13171 vise à ce que l’équilibre financier du système universel soit une priorité. Notre débat est surréaliste : tous les amendements évoquent soit l’âge de départ en retraite, soit le financement du système. Or ces deux sujets sont à peine effleurés dans le projet de loi. Il ne s’agit pas d’une réunion publique sur les retraites ! Nous sommes à l’Assemblée nationale et devrions pouvoir analyser un dispositif complet : des objectifs et, en face, des actions pour les atteindre, leur coût et leurs modalités de financement pour atteindre l’équilibre. En effet, pour reprendre des expressions souvent entendues, en cas de déséquilibre, ce sont les marchés financiers qui financent, par le biais du financement du déficit. Veut-on mettre le régime par répartition dans leurs mains ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne façon de procéder...
Nous devons donc équilibrer ce système et nous montrer responsables. Le Gouvernement aurait dû présenter un projet de loi global. Ce n’est pas le cas... Mais, même sans disposer de toutes les mesures de recettes, vous devriez avoir une idée du coût complet du système et pouvoir répondre à certaines questions : quel est le taux de cotisation de l’État par rapport aux autres employeurs pour équilibrer le régime public ? Plus globalement, pour équilibrer ce régime universel, combien cotisera l’État – donc le contribuable ? Comment utiliserez-vous les réserves des autres fonds ? Comment allez-vous financer le système dédié aux hauts cadres, qui devra payer leurs pensions sans jamais plus recevoir leurs cotisations ?
Vous voulez que le système soit plus redistributif. Je vous rappelle qu’il l’est déjà – M. Véran a cité les statistiques actuelles : 30 % du système l’est ; c’est considérable ! Vous voulez accroître la redistributivité, tant mieux. Mais est-ce possible à l’intérieur du volume financier ? Je ne le crois pas. Comment allez-vous faire ? La seule variable d’ajustement sera le niveau des pensions. C’est tout ce que l’on arrive à comprendre en lisant votre projet de loi : le niveau des pensions va progressivement diminuer...
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous souhaitez insérer l’objectif de soutenabilité économique et financière dès l’alinéa 5. Sur le fond, vous faites de cette soutenabilité économique l’objectif premier du système universel et de la réforme. Si c’est un objectif important, la réforme s’accompagne surtout d’objectifs qualitatifs. La soutenabilité n’est pas le préalable, c’est une conséquence.
Sur la forme, vous reprenez cet alinéa dans sa rédaction antérieure au Conseil des ministres. Entre-temps, le Conseil d’État a apporté deux précisions : une référence aux cotisations, et non aux seules contributions, ces deux prélèvements correspondant à des catégories juridiques distinctes. En outre, le nouveau dispositif prévoit une répartition de ces prélèvements entre assurés et employeurs, et non simplement entre assurés comme dans votre amendement.
En conséquence, j’émets un avis défavorable.
M. Pierre Dharréville. Je voudrais rassurer nos collègues membres des Républicains : le verrouillage financier est bien assuré. C’est même le socle de la réforme !
Je suis d’accord avec Éric Woerth, nous connaissons les variables d’ajustement du nouveau système : c’est l’âge de départ, « âge d’équilibre », qui va être repoussé tant et plus, et le niveau des pensions avec la variation de la valeur du point, valeur d’achat ou de service. Tout est parfaitement organisé et nous savons les effets d’une telle réforme paramétrique permanente.
Monsieur Gouffier-Cha, vous avez critiqué le caractère déclaratif de l’espérance de vie en bonne santé. Permettez-moi de revenir sur ce débat important : lorsqu’on demande à des femmes et des hommes s’ils se sentent en bonne santé, je pense qu’ils répondent sincèrement. Même subjective, c’est donc une indication à prendre en compte, d’autant que votre âge d’équilibre est supérieur à l’espérance de vie en bonne santé... En outre, vous ne devez pas oublier un fait, incontestable : 50 % des personnes qui partent à la retraite ne travaillent déjà plus ; il est indéniable que cela correspond à une forme d’usure.
M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Woerth entretient la confusion entre l’objet du projet de loi et des ordonnances d’une part, et la conférence de financement, d’autre part. Le projet de loi pose des principes politiques clairs – ce qui nous différencie de nos prédécesseurs – en termes de redistribution, d’égalité hommes-femmes ou de pénibilité. La transition entre l’ancien et ce nouveau système fera quant à elle l’objet d’ordonnances. Or vous plaidez pour en connaître le contenu avant même que nous ayons défini les principes !
S’agissant du financement à l’horizon 2027, nous respectons la négociation avec les partenaires sociaux et estimons qu’il faut donner toute sa place à la démocratie sociale pour réussir l’atterrissage à cette date, mais aussi pour négocier la transition.
M. Éric Woerth. Vous parlez de respect, mais il arrive bien tard, au dernier moment. Où est la concertation ? Comment expliquez-vous la situation sociale, que nous sommes les premiers à déplorer ? Ce chahut social est le reflet d’une souffrance dont ni notre pays, ni nos concitoyens, n’ont besoin. Depuis deux ans, ne pouviez-vous pas prévoir comment le système allait s’équilibrer ? Nous savons tous depuis dix ans qu’il allait être à nouveau déficitaire à partir de 2020-2025, en fonction des conditions économiques.
Il fallait simplement l’accepter et ne pas considérer que tout ce qui concerne le financement et l’âge de départ en retraite était poussière à mettre sous le tapis jusqu’au dernier moment. Le dernier moment, c’est aujourd’hui, en commission. Or vous nous proposez un texte incomplet et de grands principes. Croyez-vous que les Français sont attentifs aux grands principes ? Ils veulent simplement savoir à quel âge et avec quel niveau de pension ils partiront en retraite ! C’est cela l’essentiel. Et vous n’êtes pas capables d’y répondre !
M. Thibault Bazin. Nous sommes face à un problème de confiance dans le système, de crédibilité et de responsabilité : vous ne pouvez pas faire des promesses sans dire comment vous allez les financer. On ne peut brandir la justice sociale sans s’en donner les moyens. Quel équilibre proposez-vous, entre ceux appelés à faire des efforts et ceux qui pourront en bénéficier ? Le cloisonnement que vous opérez est risqué. Ne va-t-on pas vers des lendemains qui déchantent ?
On ne pourra sauver et pérenniser notre système par répartition sans une approche globale des dépenses et des recettes, mais surtout sans hypothèses fiables. Quelle est votre vision de la politique familiale ? Quels seront les cotisants de demain ? Sera-t-on capable de gérer la dépendance, dont la réforme est tant attendue, dans ce nouveau système ?
La commission rejette les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques n° 1781 de Mme Clémentine Autain et n° 1789 de Mme Danièle Obono.
Mme Clémentine Autain. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 6 relatif à la solidarité car vous dévoyez ce terme. L’alinéa prévoit par exemple de contribuer à la « résorption des écarts de retraites entre les femmes et les hommes ». C’est le refrain de la Macronie : les femmes seraient les grandes gagnantes de la réforme. C’est une vaste fumisterie ! Qu’en est-il du refus d’attribuer aux femmes divorcées des pensions de réversion, ce qui revient à les maintenir, par nécessité économique, dans des couples qui ne leur conviennent plus ? Ne supprimez-vous pas dans le secteur privé le calcul des pensions sur la base des vingt-cinq meilleures années, qui permettait de limiter l’impact des carrières structurellement plus heurtées des femmes sur le montant de leur pension ? Qu’en est-il de la suppression du calcul sur la base des six derniers mois pour les fonctionnaires, parmi lesquels les femmes sont majoritaires, notamment dans les emplois les moins bien rémunérés ? La majoration, proportionnée au salaire, qui pourra être attribuée aux hommes dès la naissance du premier enfant si les couples font ce choix, va-t-elle dans ce sens ?
Les femmes sont plus souvent au chômage que les hommes ; elles subissent plus le temps partiel et des carrières hachées, car elles s’interrompent pour cause de maternité. Elles vont donc pâtir plus gravement de votre réforme. Dans ce contexte, invoquer la solidarité et l’égalité est inapproprié.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Cela ne s’invente pas, Mme Obono va défendre l’amendement qui porte le numéro 1789 !
Mme Danièle Obono. Il va dans le même sens.
Le rapporteur et le ministre ont usé du prétexte que le projet de loi portait sur de grands principes pour ne pas répondre à nos questions et rejeter nos amendements. Mais les grands principes ne sont pas que des mots ! Qu’entendez‑vous par « solidarité » ? Comment va-t-elle se déployer ? Nous ne le voyons pas. La solidarité existe déjà dans le système actuel : comment l’améliorez‑vous ?
Vous allez en fait aggraver les inégalités sociales et de genre. Nous avons beau faire nos calculs dans tous les sens, nous ne comprenons pas – et nous ne sommes pas les seuls... – comment l’objectif de solidarité sera mieux servi après la réforme, pour les femmes avec enfants ou pour les femmes seules par exemple. Même les mille pages de l’étude d’impact ne permettent pas d’arriver à cette conclusion.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis particulièrement perturbé par cette série d’amendements qui supprime l’objectif de solidarité. Nous aurions pu débattre du périmètre de l’objectif ou de l’objectif lui‑même, mais quel signal envoyez-vous aux citoyens qui nous regardent en supprimant le principe ? Le débat est bloqué par des milliers d’amendements du même type...
Madame Autain, vous évoquez les chômeurs, notamment les chômeuses. Je vous rappelle que nous venons de loin. La politique gouvernementale est cohérente. Nous pourrions sûrement faire mieux, mais les chiffres sont encourageants. Certes, ce n’est pas parce que l’on sort du chômage que l’on sort de la précarité. Mais nous avons adopté des dispositifs qui prennent désormais de l’ampleur et devraient contribuer à résoudre le problème.
Cela répond également aux interrogations de M. Woerth sur le financement : grâce à cette évolution, les cotisations vont évoluer favorablement et permettre un rééquilibrage du système.
Je suis défavorable à ces amendements.
Mme Célia de Lavergne. Je partage l’analyse du rapporteur : il s’agit d’un principe fondateur du nouveau système de retraite. Cette solidarité s’exprimera entre les générations. Elle visera à pallier les accidents de la vie, les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, etc. Nous pouvons débattre de chacun des moyens de cette solidarité, mais non en supprimer le principe ! C’est un objectif essentiel à la réussite de la réforme.
Mme Clémentine Autain. Nous sommes parfaitement cohérents : nous souhaitons supprimer tous les articles d’un projet de loi qui façonne un nouveau régime contraire à la solidarité et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Vous ne pouvez donc pas nous demander de valider un principe philosophique et politique que l’on ne retrouve nulle part dans le projet ? Ce serait absolument incohérent et dangereux pour notre démocratie. C’est d’ailleurs ce qui dévalue le rôle du Parlement : votre projet de loi emploie des mots et affirme des principes qui sont ensuite, dans la pratique, totalement mis en pièces.
M. Éric Woerth. Même si on a presque honte de le dire, il faut le reconnaître : le système que nous avons construit au fil des années, avec ses différents régimes, est très solidaire. En effet, il déforme la retraite par rapport à la carrière. En conséquence, la pension de retraite n’est pas le reflet exact de toutes les inégalités de carrière.
Ces inégalités, nous devons tout faire pour les traiter pendant la carrière, le plus tôt possible, en agissant sur la formation, les règles de délivrance des prestations sociales, qui peuvent parfois éloigner du marché du travail, l’employabilité, la garde des enfants, plus ou moins facile, plus ou moins chère. Tous ces paramètres vont orienter les choix de carrière et aboutir à une retraite plus ou moins faible, simple miroir d’une faible rémunération. Le minimum contributif augmente, c’est une bonne chose, même si ce n’est pas la première fois. En outre, il n’était pas nécessaire d’accompagner cette mesure d’une réforme d’une telle ampleur, à laquelle plus personne ne comprend rien.
Mme Danièle Obono. Une fois n’est pas coutume, je suis parfaitement d’accord avec notre collègue Woerth. La République en Marche n’a pas inventé le principe de solidarité de notre système de retraite. Elle est au cœur du régime actuel, que vous remettez en cause, et au cœur du programme du Conseil national de la Résistance. Certes, elle a été dégradée, mais elle existe.
Les mots ont un sens, monsieur le rapporteur ! On ne peut pas simplement parler de « solidarité », de « libération des énergies », de « flexibilité gagnante ». Votre projet de loi est digne de l’univers d’Orwell, à l’image de votre politique depuis deux ans et demi. Vous employez des mots qui sonnent bien et faites en réalité tout le contraire. C’est ce que nous rejetons : le principe macronien
– orwellien – de la solidarité est contraire à celui, fondateur, de notre système en 1945, que nous souhaitons renforcer. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet alinéa.
Vous prenez les gens pour des imbéciles : vous revendiquez un principe que vous vous évertuez à détruire en pratique. C’est une insulte à l’intelligence, une insulte aux conquêtes de la solidarité qui ont construit ce système.
Mme Sophie Panonacle. Vous évoquez tous les inégalités femmes‑hommes. Je vous invite à lire la contribution de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes au projet de loi, qui démontre que la réforme va réduire les inégalités entre les femmes et les hommes : 5 % dès le premier enfant ; pour le conjoint survivant, la réversion de 70 % des pensions touchées du vivant du conjoint ; 85 % du SMIC pour tous les salariés liquidant leurs droits à pension et nés à partir de 1975, etc. Bien entendu, nous serons vigilants sur certains points – nous les aborderons ultérieurement – mais le projet de loi contribue objectivement à l’amélioration de l’égalité femmes-hommes. Vous avez raison, il s’agit avant tout de réduire les inégalités salariales. Nous y travaillons depuis plusieurs mois et notre groupe n’a pas à rougir de ce qui a été fait !
M. le rapporteur général. Je rassure notre collègue Danièle Obono : La République en Marche n’a pas la prétention d’avoir inventé la solidarité. Mais nous souhaitons la renforcer, comme vous tous. Vous nous avez renvoyés en 1945 mais, rappelez-vous, déjà à l’époque, on voulait construire un régime universel. Cela n’avait pas pu aboutir. Nous allons le faire.
Vous nous accusez de vider le mot « solidarité » de son sens et de ne rien prévoir derrière les mots. Mais il y a également des faits : le système universel de retraite va renforcer les effets redistributifs et permettre à 30 % de nos concitoyens de partir plus tôt à la retraite à taux plein. Nous améliorons aussi l’égalité de pensions entre femmes et hommes. Je vous invite à lire le très bon rapport de notre collègue Sophie Panonacle, remis à la délégation aux droits des femmes en début de semaine.
Madame Autain, vous soulevez un point important – nous y reviendrons au titre III. La réforme va nous permettre d’aborder la question de l’explosion des inégalités entre les femmes et les hommes au moment du divorce, grâce à un système de partage des points.
Enfin, dans le système actuel, 24 % de nos concitoyens n’ont pas accès à l’intégralité de leur pension et 7 % n’ont accès à aucune pension. Avec le système universel, tous auront accès à l’intégralité de leur pension.
M. Sébastien Jumel. Dans son édition du 24 janvier, Le Parisien a analysé dans les détails l’étude d’impact annexée au projet de loi. Selon le journal, les mères sont « loin d’être gagnantes avec la réforme ». Il indique : « dans de nombreux cas, le nouveau système par points sera moins favorable aux mères de famille si elles prennent leur retraite entre 62 et 65 ans ». Sur les six cas types présentés dans l’étude d’impact, « seuls deux profils tirent leur épingle du jeu en cas de départ avant 65 ans ». Les quatre autres, notamment les classes moyennes et les classes modestes, seront fortement pénalisées. C’est d’autant plus inquiétant qu’on soupçonne votre étude d’avoir pris les six cas les plus favorables – c’est dire !
Les femmes sont perdantes et ce n’est pas L’Humanité ou les « cocos » qui le disent ! C’est Le Parisien, par le biais d’une analyse objective et détaillée de votre étude d’impact. D’ailleurs, tous les économistes font la démonstration que les femmes seront les grandes perdantes de votre projet de réforme...
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite l’amendement n° 22602 de M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. Votre référence au programme du Conseil national de la Résistance m’a heurté. Ambroise Croizat et les résistants ont écrit Les Jours heureux, vous nous préparez des lendemains tristes...
Ambroise Croizat disait « dans une France libérée, nous libérerons le peuple des angoisses du lendemain ! ». Depuis que vous avez présenté votre projet de réforme des retraites, les angoisses du lendemain explosent : 61 % des Français sont profondément inquiets de votre réforme. Le ministre de l’intérieur l’a rappelé, depuis que vous êtes aux responsabilités, 56 000 manifestations ont émaillé notre quotidien.
Par cohérence, nous proposons d’inscrire dans le marbre de la loi le fait que vous vous détachez complètement des objectifs du Conseil national de la Résistance. Il faut afficher clairement la couleur !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Jumel, je vous remercie d’avoir parlé d’Ambroise Croizat. Cette réforme m’a permis de revisiter mon histoire de la sécurité sociale et de découvrir le rôle fondamental de ce dernier et d’Alexandre Parodi dans sa création.
M. Sébastien Jumel. Il a découvert Ambroise Croizat !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ça suffit !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le 8 août 1946, devant l’Assemblée nationale constituante, Ambroise Croizat, alors ministre communiste du travail et de la sécurité sociale, affirmait : « la sécurité sociale est une unité. Ce résultat ne peut être atteint par une multiplicité d’institutions entre lesquelles il est impossible d’assurer une coordination suffisante. L’unité de la sécurité sociale est la condition nécessaire de son efficacité. » C’est la justification même de l’universalité et d’une coordination bien plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui.
En outre, au même moment, la CGT était à l’origine de la mise en place de l’AGIRC, premier système par points. Quelques années plus tard, c’est Force ouvrière qui portait la création de l’ARRCO, nouveau système par points. Ces systèmes de gouvernance sont plus simples et plus équilibrés. Ils ont apporté des solutions de compléments pour des retraites particulièrement faibles. On ne peut pas nier l’histoire, elle est révélatrice !
Je suis défavorable à votre amendement.
M. Olivier Véran. Pour l’anecdote, savez-vous qu’Ambroise Croizat a été le ministre chargé de mettre en œuvre les ordonnances de création de la sécurité sociale ? Avec Pierre Laroque, il a eu un rôle absolument décisif.
Monsieur Jumel, l’histoire a du sens ! Pierre Laroque et, surtout, Ambroise Croizat, affirmaient déjà que la sécurité sociale devait sécuriser le travailleur et toute sa famille, afin qu’il puisse rapporter à cette dernière des moyens de subsistance. Bien sûr, on n’avait pas encore pensé au risque dépendance – à l’époque, on mourait beaucoup plus jeune et on ne profitait pas de sa retraite comme aujourd’hui. Mais le travailleur était protégé du risque d’accidents professionnels, de maladies professionnelles, de maladie. On était encore assez loin des allocations familiales et de la politique familiale, mais on avait déjà perçu que la sécurité sociale serait amenée à se développer.
Dans ses discours – c’est intéressant – Ambroise Croizat disait que le marché et le monde du travail évolueraient, que les risques sociaux évolueraient et qu’il faudrait que la sécurité sociale évolue avec eux. Cela explique la création ultérieure du risque famille et, demain, du risque dépendance, ainsi que la fiscalisation progressive de la protection sociale.
Depuis Ambroise Croizat, le monde a évolué, monsieur Jumel, et lui avait été capable de l’anticiper.
M. Pierre Dharréville. Je veux bien entendre l’exégèse des grands textes historiques, notamment ceux d’Ambroise Croizat, mais j’aimerais qu’on respecte sa mémoire...
S’agissant des ordonnances, on peut toujours comparer la Libération, la fin de l’occupation, un pays désorganisé qu’il fallait reconstruire, et la période actuelle, mais nous ne sommes pas dans la même situation ! Si le Gouvernement a légiféré par ordonnances à l’époque, c’est que les espaces de délibération dont nous disposons n’existaient pas. L’artifice est donc facile !
Vous citez un des grands discours d’Ambroise Croizat sur l’unité de la sécurité sociale, à laquelle vous portez atteinte avec ce projet de loi, en remettant en cause l’unité de l’action face à l’ensemble des risques cités à l’instant par Olivier Véran : risque maladie, risque d’accident du travail, risques liés à la vieillesse et prise en compte de certains passages de la vie. Vous n’êtes pas les exécuteurs testamentaires d’Ambroise Croizat, vous en êtes les exécuteurs tout court !
Comme Ambroise Croizat, nous plaidons pour un système beaucoup plus large et plus universel. Comme lui, nous pensons que la sécurité sociale doit évoluer et mieux prendre en charge certains risques. Mais ce n’est pas le chemin que vous prenez, ni celui que vous avez suivi depuis deux ans et demi !
Mme Danièle Obono. Nos camarades communistes ont raison : on atteint un niveau hallucinant dans l’inversion des références en Macronie ! Peut-être ne vous en rendez-vous pas compte quand vous vous félicitez de légiférer par ordonnances, mais vous vous mettez dans la position d’un gouvernement issu d’une guerre – une guerre de classe que vous achevez peut-être –, alors qu’il n’existait pas de représentation démocratique.
M. Jean-François Mbaye. C’est débile !
Mme Danièle Obono. C’est vraiment révélateur de votre état d’esprit. Votre réponse justifie encore plus notre demande de suppression de ces principes que vous dévoyez ! Vous parlez d’universalité mais, à l’époque, on visait le meilleur pour tous, y compris les fameux régimes spéciaux. En stigmatisant et en détruisant les régimes spéciaux, votre universalité est moins-disante. C’est tout le contraire de ce à quoi rêvait et de ce pour quoi se sont battus et ont travaillé la majorité des pères fondateurs de la sécurité sociale.
Chacune de vos interventions justifie que nous supprimions alinéa par alinéa, principe dévoyé après principe dévoyé, l’ensemble de ce projet de loi.
Mme Clémentine Autain. Je voudrais vous lire des extraits de la lettre ouverte de Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils d’Ambroise Croizat. (Murmures.)
M. Sébastien Jumel. Quel est le problème ?
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Il n’y a pas de problème, tout le monde s’écoute. Monsieur Jumel, vous interrompez aussi les autres tout le temps !
Mme Clémentine Autain. La lettre ouverte s’adresse au sénateur Julien Bargeton qui a cité la même phrase d’Ambroise Croizat que vous : « Que vous fassiez référence à Croizat est une démarche qui vous appartient, mais que vous cherchiez à l’utiliser pour donner du crédit à vos turpitudes de démantèlement du système qu’il a mis en place, c’est une infâme imposture. »
Il ajoute : « Le projet de réforme des retraites que vous portez est la déconstruction du système de retraite par répartition basé sur la solidarité nationale et intergénérationnelle. C’est une opération de nivellement des retraites par le bas et l’ouverture du système à la retraite par capitalisation. Une originalité du système Croizat, c’était justement de mettre les cotisations à l’abri des appétits de la finance en général et de l’assurance privée en particulier. Votre postulat qui consiste à faire sauter ces verrous ne vous permet pas de vous revendiquer de l’héritage de Croizat. Lui n’a jamais pris le parti des privilégiés et des assurances privées. Votre culot n’a d’égal que votre duplicité. »
M. Sébastien Jumel. Pour en rajouter, sans en surajouter, je ne suis pas certain que la légitimité politique d’aujourd’hui soit tout à fait la même que celle, fruit du sang et des larmes de la Libération. En outre, cela m’aura sans doute échappé, mais je n’ai pas souvenir que les ordonnances de 1945 ont provoqué des manifestations massives contre leur adoption...
M. Olivier Véran. Des mouvements sociaux en 1945 !
M. Sébastien Jumel. Je vous l’accorde, comparaison n’est pas raison avec les ordonnances prévues par le présent projet de loi, monsieur Véran ! Sur le fond, l’attachement d’Ambroise Croizat à mettre la plupart des salariés sous la protection du régime général n’a pas interdit au gouvernement auquel il appartenait de créer des régimes spécifiques.
Je pense notamment à l’un de ceux que vous allez flinguer avec votre réforme. Il avait été théorisé par Marcel Paul, dans le sang et les larmes du camp de Buchenwald, je veux parler du statut des électriciens et gaziers. Citer Ambroise Croizat, dénaturer sa pensée et extrapoler pour justifier votre réforme constitue une contre-vérité, une aberration, voire un blasphème politique.
La commission rejette l’amendement.
Elle passe à l’amendement n° 14655 de M. Sébastien Jumel.
M. Pierre Dharréville. Il s’agit de rappeler que la solidarité induite par notre système de retraite ne s’applique pas uniquement au sein de chaque génération, mais entre toutes les générations, comme c’est prévu dans notre système actuel, même imparfaitement.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons déjà eu le débat. Les dispositions permettant de satisfaire votre demande se trouvent aux alinéas 3 et 6. Je vous remercie donc de bien vouloir retirer votre amendement. Sinon, j’y serai défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement n° 22117 de M. Philippe Vigier.
Mme Jeanine Dubié. Cet amendement vise à faire de la lutte contre les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes un objectif à part entière du système universel de retraite. Il a pour objet de l’inscrire en tant que tel dans la loi, en lui consacrant un alinéa spécifique après l’alinéa 6. Selon le COR, en 2016, les pensions de droit direct perçues par les femmes étaient inférieures de près de 40 % à celles versées aux hommes. Cet écart demeure de 24 % si on prend en compte la moyenne globale des pensions, y compris les pensions de réversion. Il nous paraît essentiel d’affirmer que la lutte contre les inégalités de retraite est un objectif de justice sociale. Évidemment, cela a été rappelé, il n’appartient pas au seul système de retraite de mettre fin aux inégalités – notamment de carrière et de salaires – entre les hommes et les femmes, mais celui-ci peut les compenser.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je remercie Mme Dubié et son groupe de présenter cet amendement, qui a trait à l’un des sujets qui ont motivé la réforme des retraites. On constate en effet un écart de 40 % entre les pensions perçues par les hommes et les femmes. La réduction de ces inégalités me semble, comme vous, indispensable, mais elle doit être complémentaire de la politique menée pour mettre fin aux écarts de rémunération. Par ailleurs, il ne nous apparaît pas opportun de dissocier cette priorité des autres enjeux inscrits à l’alinéa 6, telles les interruptions et les réductions d’activité pour éduquer les enfants. Je vous demande donc de retirer votre amendement, même si j’en partage évidemment la philosophie.
M. Charles de Courson. La rédaction du projet de loi n’est pas satisfaisante, car elle évoque la « résorption des écarts de retraites », ce qui sous-entend qu’on se satisferait de ne les réduire que faiblement. Plutôt que de vous assigner cet objectif très imprécis, vous pourriez viser la « résorption intégrale » ou une finalité du même ordre. Par cet amendement, dont je suis cosignataire, nous nous efforçons de préciser cette disposition.
Mme Albane Gaillot. Je vous rejoins totalement, madame Dubié, monsieur le rapporteur : le système que nous construisons – qui se caractérise par sa dimension solidaire – doit participer à la résorption de ces inégalités, en particulier de l’écart de 42 % entre les pensions perçues par les hommes et les femmes. La rédaction actuelle du début de l’alinéa 6 – « Un objectif de solidarité, au sein de chaque génération, notamment par la résorption des écarts de retraites entre les femmes et les hommes [...] » me semble à cet égard tout à fait satisfaisante. Tout au long de nos débats, nous aurons l’occasion de préciser les mesures qui participeront à la résorption des inégalités. À titre d’illustration, le système de retraite par points prendra mieux en compte l’ensemble des aléas de carrière, en prévoyant, par exemple, un minimum de retraite à 85 % du SMIC, en attribuant des majorations pour chaque enfant ou encore en compensant le temps partiel subi par la possibilité de cotiser à taux plein.
M. le secrétaire d’État. J’ai bien entendu vos propositions, et je suis tout à fait prêt à échanger avec vous pour voir s’il est possible d’améliorer le texte d’ici à la séance. Dans l’immédiat, je vous invite, à l’instar du rapporteur, à retirer votre amendement.
Mme Jeanine Dubié. Je note que le rapporteur comme le secrétaire d’État reconnaissent que c’est un point important du projet de loi. Mon expérience de députée, depuis 2012, m’a montré qu’il n’était pas toujours opportun d’employer le mot « notamment » – qui figure au début de l’alinéa 6 – dans la loi. Je ne retire pas l’amendement, qui vise à la justice sociale. S’il ne recevait pas l’assentiment de la commission, je répondrais à l’invitation de M. le secrétaire d’État de travailler à une autre rédaction.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement n° 20535 de M. Matthieu Orphelin.
Mme Albane Gaillot. Il est défendu.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme vient de le dire le secrétaire d’État, le texte peut sans doute être amélioré. Je ne saurais parler en son nom, mais il me semble qu’on pourrait le retravailler pour mettre davantage en valeur l’objectif de la lutte contre les inégalités. Cela étant, si le système de retraite doit s’assigner un certain nombre d’objectifs, c’est avant tout dans la vie professionnelle qu’il faut chercher à résoudre les inégalités. On ne peut pas corriger, au stade de la retraite, l’ensemble des différences et des injustices qui se sont accumulées au cours de la carrière. Sur le fond, je partage votre avis ; sur la forme, si le secrétaire d’État en était d’accord, le texte pourrait être retravaillé d’ici à la séance.
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à la discussion commune des amendements identiques n° 21537 de M. Boris Vallaud et n° 21635 de M. Thibault Bazin ainsi que des amendements identiques n° 14584 de M. Marc Le Fur et n° 22092 de M. Philippe Vigier.
M. Régis Juanico. Il s’agit de mieux reconnaître le rôle des aidants familiaux dans notre société et d’affirmer la nécessité de la prise en compte de leur rôle dans le système dit « universel » de retraite. Comme le rappelle le collectif interassociatif des aidants familiaux, on dénombre entre 8 et 11 millions d’aidants, souvent des femmes, qui sont fréquemment dans l’obligation de mettre entre parenthèses leur carrière, de manière temporaire ou définitive, dès lors que le handicap survient dans leur famille. Près d’un quart d’entre eux y consacrent plus de 20 heures par semaine. Compte tenu de la mission sociale des aidants, qui pallient souvent la carence de la prise en charge par l’État, il est nécessaire que la solidarité nationale prenne en compte leur situation dans le système dit « universel » de retraite.
M. Thibault Bazin. L’amendement n° 21635 vise à répondre à la nécessité de renforcer la solidarité entre les assurés. Si l’exposé des motifs du projet de loi prévoit que le système universel doit également compenser, en vue de la retraite, l’impact sur la carrière des parents de l’arrivée d’un enfant, le texte ne tient pas compte de l’incidence sur la vie professionnelle de l’aide apportée par un aidant à une personne handicapée, une personne âgée en situation de perte d’autonomie ou une personne malade. L’objet de l’amendement est de mentionner explicitement les aidants à l’alinéa 6.
Mme Marie-Christine Dalloz. Afficher une volonté d’universalité et de solidarité me paraît une bonne chose. Toutefois, la rédaction de l’article 1er ressemble à un inventaire à la Prévert. Il n’accorde pas une place suffisante au handicap pour la détermination des droits à la retraite. Aussi l’amendement de Marc Le Fur propose-t-il de prendre en considération, de manière réelle et affirmée, la notion de handicap.
Mme Jeanine Dubié. Le deuxième objectif assigné par le projet de loi au système universel de retraite est de renforcer la solidarité entre les assurés. La solidarité a toujours été au cœur de notre système de retraite, qui est constitué de plusieurs régimes. Ce devra être encore davantage le cas dans le système universel, qui a pour ambition d’effacer les logiques professionnelles. Or, l’article 1er ne définit pas précisément les situations qui devront relever des mécanismes de solidarité. Nous proposons de mentionner explicitement dans le texte la situation de proche aidant et le handicap. Au-delà de l’aspect symbolique, il s’agit de prévoir que le pilotage du futur système intégrera des mécanismes de solidarité envers les personnes concernées par un handicap ou ayant un rôle de proche aidant.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les propos que viennent de tenir nos collègues sont en parfaite cohérence avec l’objectif de solidarité du système universel. Les périodes d’interruption d’activité peuvent certes être justifiées par l’éducation des enfants, mais aussi par l’aide apportée à une personne en situation de handicap ou à une personne âgée dépendante. Je donne un avis favorable aux amendements présentés par M. Juanico et M. Bazin, qui font référence, de manière générique, à l’« aidant » ; si ces deux amendements étaient adoptés, les deux suivants seraient satisfaits. Je précise que la réforme prévoit l’attribution de points aux aidants.
M. le secrétaire d’État. J’émets également un avis favorable aux amendements de M. Vallaud et de M. Bazin. Je ne suis pas certain qu’il soit juridiquement nécessaire d’apporter ces précisions, mais je comprends l’esprit qui vous anime.
Mme Marie-Christine Dalloz. Le signal est fort !
M. le secrétaire d’État. Je l’entends, et c’est la raison pour laquelle je suis favorable à ces initiatives.
Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Longtemps oubliés, les 8 à 11 millions d’aidants que compte notre pays sont, depuis le début de la législature, l’objet de toute notre attention. De nombreuses mesures ont déjà été intégrées à la stratégie nationale de mobilisation et de soutien en faveur des aidants, comme l’indemnisation du congé de proche aidant, l’assouplissement du congé de présence parentale ou encore l’aménagement des rythmes d’études pour les étudiants aidants. L’article 43 du projet de loi prend en considération la situation des aidants dans le nouveau système universel de retraite. Il prévoit de leur attribuer des points de solidarité, conformément à l’engagement du Président de la République. Nous voterons les amendements identiques de précision nos 21537 et 21635, qui vont dans le sens de notre engagement pour une reconnaissance plus affirmée des aidants dans notre pays.
M. Sébastien Jumel. C’est un grand pas pour l’homme mais un petit pas pour l’humanité... Mme Cloarec‑Le Nabour vient d’ailleurs de dire que, dans son esprit, il s’agit d’amendements de précision. Cela étant, ils vont dans le bon sens et prolongent le rapport de la commission d’enquête que j’avais commis sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République, adopté à l’unanimité en 2019, qui insistait sur la nécessité de tenir compte des ruptures professionnelles subies par les familles aidant un enfant en situation de handicap. L’affichage de cet objectif ne dit toutefois pas ce que seront les droits concrets, réels des aidants en matière d’accès à la retraite.
M. Pierre Dharréville. Ça va mieux en l’écrivant, même si on sait ce qu’il en est des grands principes affirmés dans cette partie du texte, dont on vient de passer quelques heures à critiquer la portée. Il faudra vérifier sur quels droits effectifs cela débouche. On doit évidemment prendre en considération cet enjeu majeur, qui concerne au bas mot 11 millions de personnes dans notre pays. Ceci dit, on va nous expliquer que, grâce aux vertus du système par points, on va enfin tenir compte de la situation des aidants. Or des mesures avaient déjà été proposées dans le cadre actuel. Une proposition de loi, débattue – et balayée – à l’Assemblée nationale il y a deux ans prévoyait la prise en compte de la situation des aidants au titre de leurs droits à la retraite. Un rappel historique permet de montrer comment les choses s’emboîtent. Peut-être des avancées – tout à fait nécessaires – seront-elles réalisées en faveur des aidants, mais on est encore au début du chemin.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Dharréville, je salue les travaux que vous-même et M. Christophe avez menés. Lorsqu’on va dans le même sens, cela permet d’obtenir des résultats.
Mme Jeanine Dubié. Je retire notre amendement, car sa première partie sera satisfaite si les deux premiers amendements sont adoptés. Je regrette toutefois que vous n’ayez pas eu la même attention pour les personnes en situation de handicap. Il aurait été nécessaire de mentionner le handicap à l’alinéa 6, juste avant les mots « à leur état de santé ».
L’amendement n° 22092 est retiré.
La commission adopte les amendements n° 21537 et n° 21635.
En conséquence, l’amendement n° 14584 tombe.
La commission est saisie de l’amendement n° 14657 de M. Sébastien Jumel.
M. Pierre Dharréville. Cet amendement vise à inscrire dans la loi la « prise en compte des périodes de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle ». Il faut repenser la notion de carrière complète et y intégrer les périodes de privation d’emploi subies. C’est un changement de paradigme que nous avons introduit dans le débat en déposant la proposition de loi pour une retraite universellement juste.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le système universel tiendra compte des périodes d’interruption d’activité, au titre, par exemple, du chômage, par le biais du futur Fonds de solidarité vieillesse universel. L’acquisition de ces droits ne saurait toutefois être comprise, à mon sens, dans cette série de grands principes. Elle relève tout autant de la politique de l’emploi et de la lutte contre le chômage. Demande de retrait.
M. Sébastien Jumel. Le Conseil d’État a relevé, vous le savez, dans un avis dont vous n’avez pas fini d’entendre parler, que le projet de réforme ne prend pas en considération les périodes de chômage non indemnisé – pour ne citer que cet exemple – dans le calcul des interruptions de carrière. Il ajoute que le traitement des périodes de chômage indemnisé renvoie à des inégalités entre catégories professionnelles.
Cet amendement vise à corriger ces inégalités par la prise en compte des « périodes de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle ».
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement n° 14656 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Dans le même esprit, nous proposons que soient prises en compte, dans le calcul d’une carrière complète, les années d’études et de formation, lesquelles permettent de recevoir une qualification et d’accéder à l’emploi. Cette mesure s’inscrit dans l’objectif plus large de reconnaissance du travail et des métiers. Tout cela doit se conjuguer, y compris pour le calcul des droits à la retraite.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’appelle votre attention sur le fait que le système universel permettra au gouvernement actuel, comme aux suivants, d’accorder tel ou tel point suivant l’importance qu’il accordera à un domaine particulier. L’organisation actuelle, en quarante-deux régimes, très difficilement pilotable, n’offre pas une telle souplesse.
S’agissant plus particulièrement de votre amendement, les périodes d’études et de formation permettront d’acquérir des points dans le système universel, à l’initiative des assurés. Il ne s’agit toutefois que d’une faculté, qui ne trouve à mon sens pas sa place au sein des principes génériques du système universel. Par ailleurs, je rappelle que les périodes d’apprentissage permettront d’acquérir des points gratuits pour l’assuré. Demande de retrait.
M. Pierre Dharréville. Je ne partage pas le point de vue du rapporteur quant à l’impossibilité d’appliquer cette disposition dans le cadre actuel. Je l’invite à consulter la proposition de loi que nous avons déposée, qui contient tous les éléments pour le faire.
La commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement n° 21528 de M. Pierre Dharréville.
Puis elle examine l’amendement n° 543 de M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. Cet amendement vise à inscrire la pénibilité – sujet dont nous avons beaucoup discuté – comme un objectif déterminant, en garantissant « aux assurés concernés par des métiers pénibles, des carrières longues ou qui connaissent des difficultés en raison de leur état de santé ou de leur carrière, un droit à anticiper leur départ en retraite ». La pénibilité deviendrait ainsi un principe fondamental de votre projet de loi.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le projet de loi prend en compte l’état de santé et les départs anticipés, notamment pour les carrières longues. Sa rédaction est plus ouverte que la vôtre, qui semble distinguer l’enjeu des métiers pénibles de celui des problèmes de santé. Je ne suis pas convaincu que votre amendement apporterait plus de clarifications, et vous propose de le retirer.
La commission rejette l’amendement.
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3. Réunion du mardi 4 février 2020 à 17 heures (suite de l’article 1er)
Mme Brigitte Bourguignon, présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné hier 245 amendements ; il nous reste donc 20 804 amendements à examiner.
M. Éric Woerth. Madame la présidente, je voudrais vous interroger sur les conditions d’examen du texte. Vous venez de l’indiquer, nous n’avons examiné pour le moment que 1 % des amendements en discussion. On peut donc légitimement s’interroger sur la capacité de notre commission à en voir le bout. D’ailleurs, vous-même donnez le sentiment que nous n’y parviendrons pas.
Dans ces conditions, considérez-vous que nous serons amenés à siéger ce weekend, voire la semaine prochaine ? À défaut, que se passera-t-il si vous décidez d’arrêter nos débats vendredi soir sans que nous ayons examiné l’ensemble du texte ? Déciderez-vous que le texte examiné en séance sera celui du Gouvernement, sans aucun amendement ?
En outre, ce texte est incomplet. On a le sentiment d’être à un repas de famille, avec d’un côté la table des enfants, où on s’amuse, et, de l’autre, celle des parents, où il est question des sujets sérieux. À la table des parents, donc, le Gouvernement et les syndicats négocient sur le financement du texte, et à la table des enfants, les députés parlementent sans savoir comment les mesures discutées seront financées.
Aux yeux du groupe Les Républicains, la façon dont notre débat est organisé pose donc plusieurs problèmes.
M. Pierre Dharréville. Ma question porte sur les amendements ayant été déclarés irrecevables. Je souhaite protester solennellement, car certains d’entre eux ont pour objet le cœur du dispositif, notamment l’âge d’équilibre. En d’autres termes, nous ne pouvons pas amender le texte sur cet aspect, ce qui est un problème. Je ne vois d’ailleurs pas sur quel critère se fonde l’irrecevabilité, car le système n’étant pas encore créé, il n’y a pas création de charge. Le Règlement restreint déjà largement le droit d’amendement. On ne peut donc accepter que l’irrecevabilité financière soit appliquée de cette façon. Il me semble qu’il faudrait au contraire ouvrir la discussion.
M. Boris Vallaud. Je suis certain que vous êtes comme nous tous soucieuse de la qualité de nos débats, madame la présidente, et vous comprendrez que nous ayons besoin d’avoir une certaine visibilité sur vos intentions, ou sur celles de la majorité et du Gouvernement. Beaucoup de rumeurs bruissent ; pourriez-vous lever le doute sur certaines hypothèses ? Un débat long serait, en tout cas, préférable à un débat tronqué ou escamoté.
M. Adrien Quatennens. J’aimerais exprimer la déception du groupe La France insoumise après les échanges qui ont eu lieu hier après-midi et hier soir. Plus de 21 000 amendements restent à examiner, qui seraient autant d’occasions pour la majorité de défendre avec cœur son projet de loi, mais je constate qu’il y a dans les rangs de celle-ci peu d’enthousiasme à le faire.
Je me dois aussi de vous interpeller directement en votre qualité, madame la présidente, car vous n’êtes pas sans savoir que l’un des documents sur lesquels nos travaux se fondent, à savoir la magnifique étude d’impact qui a été remise aux parlementaires, a été truqué. Nous l’avons dénoncé hier à plusieurs reprises et, étrangement, cela n’a étonné personne. Vous-même n’avez rien trouvé à y redire. L’ensemble des cas-types envisagés dans l’étude ont pourtant été faussés par le gel de l’âge d’équilibre, de façon à faire croire que le système par points est plus favorable. Or ce sont sur ces cas que nous serons amenés à débattre. Dans le rapport Delevoye, c’est le système actuel qui avait été minoré pour aboutir au même effet mensonger.
Vous semblez déplorer la lenteur avec laquelle la discussion avance, mais nous ferons en sorte de la ralentir davantage encore si nous n’obtenons pas les réponses à nos questions. Je rappelle que ce projet de loi, non seulement est contesté par une majorité de nos concitoyens, mais aussi contredit les engagements présidentiels. Nous sommes las du ronronnement habituel : si vous voulez que cette discussion aille à son terme, vous devrez monter au créneau et défendre ce projet de loi argument contre argument. Nous ne laisserons pas cette commission défiler tranquillement alors que le pays est en ébullition au sujet des retraites.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous aurez l’occasion de le répéter tout au long de la soirée et toute cette semaine.
M. Adrien Quatennens. Comptez sur nous !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Concernant l’organisation de nos échanges, en tant que présidente de cette commission, et nonobstant le nombre d’amendements restant en discussion et la lenteur de nos travaux, je suivrai la procédure et ferai examiner les amendements l’un après l’autre. Il est donc assez vraisemblable que nous siégions ce week-end, et peut-être aussi lundi et mardi ; nous aviserons ensuite, au fil de l’avancée des débats.
S’agissant des cas types de l’étude d’impact, ils ont été évoqués en conférence des présidents, et la question a été tranchée. Vous avez toujours la possibilité d’aller au bout de votre démarche en déférant le texte au Conseil constitutionnel, et je ne doute pas que vous le ferez.
Permettez-moi néanmoins de vous faire remarquer que je ne suis pas responsable du nombre d’amendements déposés ou restant en discussion. Si vous souhaitez que nous puissions débattre du fond de ce projet, et pas seulement de sa forme, peut-être faudra-t-il renoncer à défendre les amendements qui ne mériteraient pas de l’être, mais ce choix vous appartient.
Je réunirai le bureau à l’issue de nos débats de l’après-midi, vers 19 heures 45, de façon que nous arrêtions formellement le nombre de prises de parole et leur durée. J’ai laissé chacun s’exprimer librement hier, mais je pourrais décider qu’il en soit autrement, par exemple en ne laissant la parole qu’à un orateur pour et à un orateur contre, comme cela se pratique en commission des finances. J’ai préféré laisser le débat s’installer, afin que chacun puisse exposer ses arguments, et je souhaite que nous puissions poursuivre ainsi, ce qui repose sur vous.
Sur la recevabilité financière des amendements, monsieur Dharréville, je vais laisser le président Woerth vous répondre.
M. Éric Woerth. Permettez-moi de préciser au préalable qu’en commission des finances, chacun est libre de s’exprimer. La règle que vous nous prêtez serait d’ailleurs assez difficile à appliquer, madame la présidente, car les arguments contre un amendement sont souvent multiples, les oppositions étant très différentes.
Je vous ai interrogée précisément sur la façon dont vous-même interpréterez le Règlement si nous n’arrivons pas au bout de l’examen du texte, ce qui est tout à fait possible.
Au sujet de l’application de l’article 40 de la Constitution, la présidente de la commission spéciale m’a consulté, comme de coutume, sur la recevabilité d’un grand nombre d’amendements. Je me suis efforcé de concilier l’exigence de recevabilité financière et le respect de l’initiative parlementaire, comme le faisait le président Gilles Carrez. Dès lors qu’il y a doute, il profite au député.
Le projet du Gouvernement vise à instaurer un système nouveau par rapport au droit en vigueur. Les points ne sont pas l’équivalent des trimestres. Chaque fois qu’un amendement avait pour objet d’améliorer les droits à pension de ce nouveau système, il a été considéré comme créant une charge nouvelle. Lorsque la comparaison avec le système actuel était possible, j’ai déclaré recevables des amendements qui n’ouvraient pas de nouveaux droits par rapport à la situation actuelle. Par exemple, j’ai considéré que le fait de maintenir la prise en compte des six derniers mois de traitement pour les fonctionnaires n’était possible qu’à condition d’exclure les primes ; à défaut, on va au-delà de la situation actuelle et du projet de loi du Gouvernement, ce qui est un motif d’irrecevabilité.
Les amendements visant à supprimer un article sont toujours recevables ; ceux qui visent à supprimer un alinéa doivent être examinés au cas par cas. Je m’y suis employé durant de nombreuses heures compte tenu du nombre d’amendements à examiner.
Le fait qu’il y ait à la fois un projet de loi et un projet de loi organique ouvre la possibilité de déposer plus d’amendements, mais la règle constitutionnelle s’applique invariablement.
M. Damien Abad. Il me paraît nécessaire que nous soyons bien informés sur le déroulement de notre débat et sur la façon dont il pourrait se conclure, car c’est important.
Vous avez pu constater que nous sommes une opposition responsable qui ne fait pas de l’obstruction. Nous avons déposé environ mille amendements pour cent députés, soit une moyenne de dix amendements par député, ce qui, sur un texte comme celui-ci, est tout à fait respectable et louable. Nous avons un contre-projet, et nous ne sommes pas là pour bloquer le pays ni le Parlement. Nous contestons toutefois l’ensemble des modalités de la réforme proposée.
Vous envisagez que nous siégions ce weekend, lundi et mardi. Avez-vous, en tant que présidente de la commission spéciale, la volonté d’aller jusqu’au bout de l’examen de ce texte ? À défaut, si le temps venait à manquer en raison des délais à respecter, notamment pour l’examen dans l’hémicycle, cela signifierait-il que la discussion que nous aurons eue sera nulle et non avenue ? Reviendra-t-on au texte gouvernemental en considérant qu’aucun amendement, pas même celui de notre collègue Bazin, n’a été adopté ? Compte tenu de l’enjeu de nos débats, il serait regrettable que tout le temps et l’énergie qui y auront été consacrés s’avèrent inutiles.
M. Thibault Bazin. Je souhaite, pour ma part, que la réunion du bureau que vous avez annoncée aborde, outre les modalités de répartition du temps de parole, cette question fondamentale : que prévoit la procédure si nous n’arrivons pas au bout de l’examen du texte ? Autrement dit, à quoi sert notre travail au sein de cette commission ? La volonté cachée du Gouvernement ne serait-elle pas qu’on ne change rien au texte et qu’on n’évoque pas les sujets de fond ? Ce serait profondément dommageable, car nous souhaitons qu’un débat ait lieu sur chacune des modalités de la réforme. Le texte comporte, en effet, plusieurs imprécisions que le Conseil d’État a relevées.
M. Sébastien Jumel. Ces questions ne sont pas neutres. La concertation a échoué, le dialogue social a avorté, et le débat parlementaire risque de s’avérer improductif. La question de la procédure d’examen du texte touche donc directement à la solidité juridique de la loi.
Sur l’irrecevabilité financière, je n’ai pas l’expérience de notre collègue Éric Woerth, mais j’avais cru comprendre que l’article 40 était opposable aux amendements créant une dépense nouvelle ou diminuant une ressource existante. Or les amendements jugés irrecevables touchent à l’âge d’équilibre. S’il existe des éléments tangibles pour affirmer que la modification de ce critère entraîne automatiquement une hausse des dépenses ou une baisse des recettes, il serait souhaitable que le président de la commission des finances les transmette à la commission spéciale. À défaut, ces amendements doivent être discutés.
J’ajoute que le fait de soumettre nos propositions au filtre financier alors même que la question du financement du projet de loi échappe à la compétence du Parlement renforce notre frustration et ne nous permet pas de trancher en connaissance de cause. Nous vous demandons donc de rétablir la recevabilité d’amendements qui portent sur des questions de fond. Il s’agit non pas d’un procédé d’obstruction, mais d’une tentative de débattre du fond. L’âge d’équilibre a été au cœur des préoccupations des organisations syndicales, c’est un sujet central du débat.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’ai bien écouté vos remarques, chers collègues ; nous reviendrons sur ces questions lors de la réunion du bureau.
Monsieur Woerth, en votre qualité de président de la commission des finances, vous connaissez parfaitement la manière de procéder. Étant parlementaire avant tout, j’aime quand le travail parlementaire paie, quand des amendements déposés sont retenus et qu’on ne revient pas sur ce qui a été voté. J’espère donc que nous pourrons aller au bout de l’examen de ce texte, ce qui dépendra de l’attitude de chacun d’entre vous. Il est souhaitable que la parole circule davantage au vu du nombre d’amendements à discuter. Il y va de notre crédibilité à l’extérieur de ces murs.
Ma volonté est très claire : j’ouvrirai le nombre de jours nécessaire à ce que nous discutions ce texte jusqu’au bout.
M. Éric Woerth. J’aimerais néanmoins connaître votre interprétation du Règlement quant à l’éventualité que nous n’arrivions pas au bout de nos travaux, madame la présidente.
Monsieur Jumel, il m’est impossible de donner une réponse d’ensemble sur l’irrecevabilité de plusieurs centaines d’amendements. Je peux, en revanche, vous donner les motifs précis d’irrecevabilité de chaque amendement sur lequel vous vous interrogez. Si des erreurs ont été commises, ce dont je doute, elles seront corrigées.
Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition
La commission examine les amendements identiques n° 1799 de M. Ugo Bernalicis, n° 1801 de M. Alexis Corbière, n° 1809 de M. Adrien Quatennens et n° 1813 de M. François Ruffin.
M. Ugo Bernalicis. Nous reprenons notre discussion sur l’objectif assigné au système universel de retraite à l’alinéa 7 de l’article 1er : celui « de garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités, et de versement d’une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ». Non seulement l’étude d’impact est truquée, mais on nous trompe aussi dans le projet de loi lui-même en y insérant des affirmations aussi mensongères que celle-ci, car on voit bien, dans les articles qui suivent, qu’il n’en est rien.
Prenons l’exemple des avocats, qui vient d’être abordé à la séance de questions au Gouvernement. Actuellement, en cas de carrière hachée, ces professionnels sont assurés de partir à la retraite avec un revenu plancher de 1 400 euros environ, tandis que votre projet de régime universel prétendument juste prévoit un plancher de 1 000 euros. Pensez-vous vraiment atteindre ainsi l’objectif d’un niveau de vie satisfaisant pour les retraités ? À l’évidence, pour les avocats, on est loin du compte !
Vous prévoyez, en outre, un taux de remplacement de 85 % du SMIC pour une carrière complète. Et vous osez appeler cela une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ? Vous vous moquez du monde !
Voilà donc l’alternative : soit vous changez tout le reste du texte pour qu’il soit cohérent avec l’alinéa 7 de l’article 1er, soit vous supprimez cet alinéa.
M. Alexis Corbière. L’amendement vise à supprimer cet alinéa, par lequel vous prétendez garantir un niveau de vie satisfaisant. Or, nous en avons déjà débattu hier, un niveau de vie satisfaisant ne saurait être inférieur au SMIC. Le seul objectif chiffré que vous inscrivez dans le projet est pourtant celui d’une pension équivalente à 85 % du SMIC pour une carrière complète. Cette incohérence n’est pas respectueuse pour les lecteurs, ni pour les citoyens qui suivraient notre débat.
Il serait donc sain de supprimer cet alinéa qui ne correspond pas au véritable contenu du texte : la réforme ne garantira pas un niveau de vie décent aux retraités, bien au contraire !
M. Adrien Quatennens. Je le répète, il est particulièrement difficile d’apprécier le contenu d’un texte mité ; vingt-neuf ordonnances, ce sont autant de trous dans le projet de loi, autant de sujets dont nous ne pouvons pas discuter, sur lesquels nous ne pouvons qu’habiliter le Gouvernement à légiférer.
Alors que l’étude d’impact a été truquée, il est question dans l’alinéa 7 de garantir un niveau de vie satisfaisant et de verser une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active. Les deux questions essentielles que se posent les Français sont précisément les suivantes : à quel âge ils pourront partir en retraite, et avec quel niveau de vie. Compte tenu des objectifs qui sont les vôtres dans cette réforme, vous vous contentez de répondre qu’on partira toujours plus tard, à un âge supérieur à l’espérance de vie en bonne santé, et vous n’offrez aucune garantie quant au revenu, car ce sera la variable d’ajustement.
Les générations connaîtront, l’une après l’autre, une baisse des pensions qui sera fonction de leur part dans la population totale et de l’espérance de vie. Vous entendez ainsi pousser les gens à travailler plus longtemps, et il n’y a là rien de satisfaisant.
L’ensemble du projet de loi est faussé, et nous ne pouvons continuer de discuter d’un texte insincère.
M. François Ruffin. Vous prétendez dans cet alinéa assurer un niveau de vie satisfaisant pour les retraités, mais comment comptez-vous vous y prendre ? Alors qu’on sait qu’il va y avoir des centaines de milliers de retraités supplémentaires, votre objectif est de faire baisser la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) en la faisant passer de 14 % à 13 %. C’est la quadrature du cercle !
Je crains que le résultat mathématique de ce problème ne soit le même que celui que vous avez obtenu avec la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et vos autres mesures du même type, c’est-à-dire 400 000 pauvres de plus en France. Tel sera l’aboutissement de votre réforme.
En dix ans, les montants versés aux plus de 60 ans au titre du revenu de solidarité active ont augmenté de 157 %. Pourquoi ? Parce que l’allocation de retraite méritée est remplacée par une allocation de pauvreté. Voilà la perspective que vous tracez. Dans ces conditions, nous sommes donc impatients d’entendre vos explications quant à la garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je reprendrai les explications données hier soir, car MM. Ruffin, Bernalicis et Corbière n’étaient pas présents.
Il est toujours possible de contester les outils et les moyens choisis pour mettre en œuvre un dispositif, mais l’article 1er rassemble les objectifs que nous nous donnons. L’amendement proposé vise ainsi à supprimer l’alinéa 7 de l’article, c’est-à-dire l’objectif de garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités.
M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas beau de mentir !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je ne conteste pas le droit à multiplier les amendements individuels, mais je déplore que, par cette manœuvre, on détourne le fonctionnement de notre assemblée, on abîme le rôle du Parlement, on empêche les autres oppositions de s’exprimer.
M. Bazin s’interrogeait tout à l’heure sur une hypothétique volonté cachée du Gouvernement d’empêcher que l’examen du texte arrive à son terme. Il n’y a pas loin à penser que le Gouvernement s’est entendu avec le groupe La France insoumise pour exécuter ce dessein... Je vais mener mon enquête !
Au vu des difficultés que rencontrent les retraités, et de celles qui sont à craindre pour les futurs retraités...
M. Adrien Quatennens. Avec votre projet, elles sont certaines !
M. Nicolas Turquois. ...nous ne sommes pas à la hauteur. Nos propositions sont peut-être inadaptées selon votre cadre d’analyse, mais il serait plus approprié que nous travaillions ensemble, au lieu de perdre du temps avec des punchlines, car ces amendements de suppression d’objectifs empêchent la discussion des idées susceptibles d’améliorer véritablement le texte.
L’avis est donc défavorable, et le sera sur tous les amendements de même inspiration.
M. Boris Vallaud. Après avoir entendu les explications de M. le rapporteur, je constate que la notion de niveau de vie satisfaisant est manifestement dépourvue de portée normative, ce qui rend l’alinéa 7 inconstitutionnel. Dans sa décision du 21 avril 2005, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs censuré pour ce motif un article de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, dite « loi Fillon », qui fixait pour objectif la réussite de tous les élèves.
En outre, la notion de niveau de vie satisfaisant est ici à l’état gazeux, compte tenu du fait que vous prévoyez dans l’étude d’impact une part réduite de PIB consacrée aux retraites à l’horizon de 2050 alors que le nombre de retraités va augmenter.
Vous avez interdit le débat sur le niveau de vie des retraités relativement à celui des actifs. Or le taux de remplacement va baisser de façon très importante tandis que l’âge de départ à la retraite va augmenter. Quant au minimum de pension, il sera de 85 % du SMIC à l’entrée en vigueur du régime universel, mais compte tenu des règles de revalorisation du salaire minimum – qui permettent, pour l’instant, d’en préserver le niveau – on sera peut-être à 75 % du SMIC vingt ans plus tard.
Au total, donc, contrairement à l’objectif qu’il énonce, votre texte de loi ne garantit pas un niveau de vie satisfaisant aux retraités.
M. Adrien Quatennens. Si nous souhaitons supprimer l’alinéa 7, c’est précisément parce qu’il ne correspond pas du tout à vos objectifs réels, qui sont de limiter la part des richesses consacrées aux retraites. Votre objectif, c’est de faire en sorte que les Français travaillent toujours plus longtemps, c’est d’encourager la capitalisation, et rien d’autre. Le reste n’est qu’un écran de fumée.
Vous nous reprochez de nous appuyer sur des punchlines, monsieur le rapporteur, mais c’est vous qui paradez avec votre réforme universelle, juste, simple et pour tous, qui prétendez qu’un euro donnera lieu aux mêmes droits. Toutes ces formules étaient vaines : vous avez perdu la bataille de l’opinion.
Vous êtes bien mal placé pour nous donner des leçons. Vous affirmez que nous abîmons le rôle du Parlement, mais c’est le Gouvernement qui a transmis aux parlementaires une étude d’impact truquée. Alors que l’exécutif a un devoir de sincérité vis-à-vis du Parlement et des Français, nous examinons un texte à trous construit sur la base de cas-types faussés !
Nous jouons ici notre rôle d’opposition parlementaire. Quant à vous, votre dessein est de faire travailler les Français plus longtemps, alors assumez-le. Et ne venez pas dire autre chose. Vous avez truqué l’étude d’impact pour faire croire que la réforme était favorable. Le Parlement est méprisé dans le cadre de cette réforme, et vous le savez.
Sortez du bois, collègues Marcheurs ! Défendez votre réforme des retraites, si formidable, si juste ! Vous êtes silencieux ; avez-vous reçu des instructions ?
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22451 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Nous avons fait plusieurs propositions de réécriture de l’alinéa 7, qui nous paraît, à nous aussi, en complet décalage avec le reste du texte.
Pour rappel, il s’agit de fixer un « objectif de garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités, et de versement d’une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ». Rien n’est toutefois précisément défini – ni le niveau de vie satisfaisant ni la retraite en rapport avec les revenus perçus. Le taux de remplacement n’est pas non plus inscrit dans le texte. En revanche, les objectifs sont très clairement énoncés concernant l’équilibre financier et la maîtrise des dépenses. Voilà qui nous renseigne sur la réelle visée de cette réforme.
Nous proposons donc ici que vos objectifs initiaux soient mis en conformité avec le reste du texte. Mon collègue Sébastien Jumel présentera plus tard les objectifs que nous aurions souhaité y voir inscrits.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avec la rédaction proposée – « le système universel de retraite doit permettre de garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités, reflétant les revenus perçus pendant la vie active » –, ce gouvernement et ceux qui lui succéderont pourront définir précisément, en fonction de leurs objectifs sociaux, ce que pourrait être ce niveau.
S’agissant de la définition du « niveau de vie satisfaisant », je rappelle à M. Vallaud, qui, me semble-t-il, a occupé des responsabilités sous la précédente législature, les termes de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale tel qu’issu de la « loi Touraine » : « La Nation assigne au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre (les générations et au sein de chaque génération [...] et par la garantie d’un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités ». La précision des termes qui valait il y a cinq ans vaut encore aujourd’hui. Avant d’intervenir, il faut vérifier les textes existants.
Enfin, monsieur Dharréville, J’ai envie de dire : « Chiche ! Adoptons votre amendement et inscrivons à l’article 1er : "un objectif de dégradation du niveau de vie des retraités, et de versement d’une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active" ». Les aspirations du Parti communiste pour les retraités et les conditions sociales dans lesquelles il veut engager notre pays ont bien changé !
Avis défavorable.
M. François Ruffin. Monsieur le rapporteur, allez-y, votez un tel objectif ! Ce que nous vous demandons, c’est de la sincérité entre les objectifs que vous fixez et les moyens que vous mettez en face.
Je pose ma question pour la deuxième fois, mais peut-être l’entendrez-vous huit cents fois : comment ferez-vous pour garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités ? Alors qu’il va y avoir des centaines de milliers de retraités supplémentaires, vous expliquez très clairement dans votre projet de loi que vous allez baisser la part du PIB consacrée aux retraites. Le gâteau sera plus petit, il y a aura plus de personnes à manger dessus, mais vous prétendez que les parts seront les mêmes. Il y a là un mystère que j’aimerais vraiment que vous éclaircissiez !
Ce midi, j’ai constaté, avec des représentants de la Coordination rurale que j’ai reçus pour évoquer les états généraux de l’alimentation, qu’il y avait un fossé énorme entre les objectifs affichés et les moyens réellement consacrés : cela n’avait plus rien à voir. Cette fois, nous vous demandons de la cohérence entre vos objectifs et les moyens à mettre en œuvre.
M. Éric Woerth. Hormis qu’il s’agit là d’un amendement de provocation, le groupe Les Républicains comprend de votre texte que la variable d’ajustement – il en faut toujours une – dans le système que vous proposez, c’est la baisse des pensions. L’âge pivot engage la baisse des pensions, contrairement au recul de l’âge légal qui entraîne un décalage des droits. Avec un âge pivot, beaucoup de personnes décideront de partir, parce qu’elles en ont le droit, avec une pension dégradée par rapport au système actuel, un malus à vie. La baisse des pensions, c’est le cœur de la variable d’ajustement de ce que vous proposez.
M. Sébastien Jumel. Exactement !
M. Éric Woerth. Pour notre part, nous proposons de repousser l’âge légal de départ à la retraite, ce qui n’est pas du tout la même chose.
M. Pierre Dharréville. J’ai effectivement souligné la faiblesse insigne des objectifs que vous fixez. Mais nous voulons aller plus loin en vous proposant d’assumer les conséquences directes de votre texte. Cet amendement de coordination ou de précision, en quelque sorte, vise à inscrire dans la loi ce que sera réellement son résultat : la dégradation du niveau de vie des retraités avec le versement d’une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active. Le mécanisme que vous nous proposez, c’est non seulement l’allongement de la durée de travail pour avoir droit à sa retraite, mais également la baisse très nette du niveau des pensions pour toute une partie de la population. Nous vous demandons simplement d’avoir la cohérence d’inscrire vos objectifs dans ce texte, plutôt que de faire semblant.
M. Jean-Paul Mattei. Depuis hier soir, on tourne en rond dans une discussion générale sans fin. Vous placez le débat sur le terrain des principes et présentez des amendements de provocation, sachant fort bien que s’ils étaient adoptés, vous ne voteriez pas la loi. Soyons sérieux !
L’article 1er pose les grands principes. J’ai hâte que l’on en vienne à l’examen des articles suivants afin que l’on aborde les amendements sur le fond. Ceux que nous examinons actuellement sont ridicules et ne font que ralentir les débats
M. Adrien Quatennens. Ce qui est ridicule, c’est ce projet de loi !
M. Jean-Paul Mattei. On ne peut pas dire que le débat parlementaire soit serein. C’est lamentable !
La commission rejette l’amendement.
Puis la commission examine l’amendement n° 14658 de M. Pierre Dharréville.
M. Sébastien Jumel. Vous gouvernez par ordonnances ! Depuis que vous êtes aux responsabilités, il y a eu 56 000 manifestations. Alors que la France est fractionnée, divisée, bâillonnée, humiliée, vous nous donnez des leçons de démocratie : ça suffit ! On joue notre rôle de parlementaires. (Protestations parmi les députés du groupe La République en Marche.)
Après un amendement de provocation, nous vous proposons un amendement de consolidation, qui vise à substituer à l’objectif de garantie d’un niveau de vie satisfaisant celui d’améliorer le niveau de vie. Votre projet ne garantit pas le taux de remplacement ; la réduction du poids des retraites dans le PIB, qui passe de 14 à 12,8 %, a une conséquence sur le niveau des pensions. Contrairement à ce que dit Éric Woerth, les gens ne choisiront pas de partir plus tôt à la retraite, ils y seront contraints parce que certains métiers ne permettent pas aux salariés de travailler comme votre loi va les y obliger. In fine, votre projet va dégrader les conditions de pension. Notre amendement constructif vise à s’en prémunir.
J’ajoute que l’indexation du niveau des pensions sur le niveau des salaires moyens est reportée à perpète – en 2048. Elle n’offre donc pas, elle non plus, de garantie satisfaisante en matière de niveau de vie de nos pensionnés.
Vous refusez l’amendement de provocation, et je l’entends. Mais je vous demande d’adopter cet amendement constructif.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’objectif est tout à fait louable et nous avons le même. Nous voulons améliorer le niveau de vie des retraités car, si leur revenu moyen en France représente 106 % du revenu moyen de la population active – c’est le meilleur rapport parmi les pays européens –, au sein de cette moyenne, un certain nombre de retraités touchent des pensions excessivement modestes. C’est pourquoi nous proposons de fixer le minimum de retraite à 85 % du SMIC, ce qui est certes toujours modeste, mais c’est une progression par rapport aux 70 % d’aujourd’hui. Notre objectif est plutôt d’aboutir à une meilleure répartition des pensions, d’où notre préférence pour les termes « niveau de vie satisfaisant », étant entendu que nous nous retrouvons sur la philosophie.
Avis défavorable.
M. Alexis Corbière. S’il y a des amendements de provocation, j’ai dans les mains un document de provocation : celui de mille pages que nous avons reçu il y a quatre jours, dont nous devrions, pour le maîtriser, lire une quarantaine de pages par heure pendant 10 heures... Tout cela n’est pas sérieux ! Évidemment, personne ici n’a lu cette étude d’impact et personne ne la maîtrise. Mon collègue Adrien Quatennens, qui l’a lue plus en détail que moi, a dit ce que la presse a révélé, à savoir que nombre de chiffres sont erronés et que les études d’impact sont biaisées. Voilà ce contre quoi nous protestons !
Je défends cet amendement parce que les conditions dans lesquelles nous travaillons doivent être dénoncées. Vous inscrivez des objectifs qui ne se révèlent pas dans les documents tels que vous nous les présentez, quand on les lit dans le détail. Nos amendements ne sont pas de provocation mais de bons sens. La provocation, ce sont les conditions déplorables, inacceptables, et méprisantes pour toute représentation parlementaire sérieuse, dans lesquelles vous avez placé ce débat. On ne peut pas travailler sereinement à cause du Gouvernement. D’ailleurs, vous ne voulez pas qu’on travaille mais qu’on obéisse et qu’on vote hors de toute connaissance de cause ce projet de loi.
Par sympathie à votre égard, nous avons déposé beaucoup d’amendements pour que vous ayez le temps de réfléchir sur ce scandale démocratique. Au terme de quinze jours de réflexion, vous pourrez ainsi reconnaître que les conditions n’étaient pas réunies pour ce travail et nous pourrons nous rassembler pour représenter ceux qui manifestent actuellement, qui sont majoritaires.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Corbière, pour cette charmante attention dont nous vous savons vraiment gré.
Je vais maintenant demander un peu de sérieux à ceux qui réclament un débat parlementaire sérieux, et de cesser de brandir des accessoires – ils ont bien été vus sur la vidéo. J’aimerais que l’on discute posément, comme on l’a fait hier soir, et que l’on s’écoute.
M. Pierre Dharréville. Nous sommes au cœur du problème avec le taux de remplacement sur lequel il n’y a aucune garantie. La réponse que vous avez faite, monsieur le rapporteur, mérite d’être discutée. D’abord, le niveau actuel de retraite n’est pas garanti par les termes « niveau de vie satisfaisant ». Ensuite, vous avez sous-entendu que certains allaient y perdre. Cela mérite des explications. Notre formulation nous semble offrir un objectif beaucoup plus souhaitable pour les salariés et les retraités de notre pays.
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement n° 22458 de M. Pierre Dharréville.
M. Sébastien Jumel. Vous avez raison de dire que le système de retraite imparfait que nous connaissons a permis de résorber la précarité, voire l’extrême pauvreté dans laquelle les retraités se trouvent depuis 1970, même si des poches d’extrême pauvreté persistent, comme c’est le cas pour les agriculteurs que je connais bien, comme vous. On peut considérer que le système par répartition que vous allez flinguer a permis une élévation du niveau de vie des retraités.
Vous dites partager la philosophie qui consiste à vouloir améliorer le niveau de vie des retraités, mais vous ne voulez pas l’inscrire dans le marbre de la loi parce que la seule chose que vous êtes capables de garantir, après votre vachement bonne réforme, c’est un niveau de vie simplement satisfaisant. Cela ne veut rien dire !
Soit vous pouvez nous démontrer que les taux de remplacement seront garantis, que le niveau de pension moyen de chaque retraité sera augmenté, que les femmes ne seront pas pénalisées, que les carrières hachées, les carrières précaires s’en sortiront grandies, que les 3 millions d’agriculteurs à qui vous avez fait des promesses verront leur niveau de vie amélioré et le minimum retraite mis en œuvre, y compris de manière rétroactive pour ceux qui sont déjà à la retraite, et alors vous nous aurez convaincus et nous nous reprocherons de nous être opposés à votre projet. Soit, comme je le crois et comme le démontre à chaque minute le débat sérieux que nous avons depuis plusieurs jours, vous ne le pouvez pas, et cela légitime notre amendement.
Monsieur le rapporteur, vous êtes bien sympathique de dire que vous partagez nos objectifs, mais si cela vous empêche de les inscrire dans la loi, soyez-le moins et montrez‑vous plus pragmatique !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Ruffin, la taille du gâteau est dynamique puisqu’elle est corrigée de la croissance chaque année. Dans les diverses hypothèses, il est communément admis que, en période de croissance, la taille du gâteau augmente plus rapidement que celle des pensions, d’où la part relative plus faible de ces dernières dans les prévisions, y compris celles du Conseil d’orientation des retraites (COR).
En outre, dans le dernier rapport du COR, un tableau montre que la proportion des pensions moyennes, qui représente aujourd’hui 106 % du revenu moyen des Français, dans un contexte de croissance à 1 % ou 1,3 %, et sans réforme, s’écroulerait puisque les revenus progresseraient plus rapidement qu’évoqué. Nous proposons de tenir compte de l’évolution du revenu moyen pour caler le niveau des pensions.
Nous assumons que la réforme proposée par le Gouvernement soit extrêmement redistributive. Cela implique que certaines professions gagneront moins en proportion que les autres. Assurément, ce sont celles dont les revenus sont les plus élevés qui y perdront, pour autant qu’on doive parler de perte. Mais puisqu’on renforce la solidarité nationale, au final c’est un gain pour tous.
Monsieur Jumel, je suis d’accord avec vous, si nous sommes le pays européen où les revenus des retraités sont les plus élevés en proportion des revenus moyens constatés, il existe néanmoins de forts écarts. Tout l’enjeu de cette réforme est d’y remédier. Vous avez cité les agriculteurs, auxquels je suis particulièrement attaché. Comment moins de 400 000 agriculteurs actifs pourraient-ils assumer, de façon équitable et honnête, une retraite à 1,6 million de retraités agricoles ? Ce n’est pas possible !
Imaginons, dans votre logique, que les informaticiens réclament l’instauration d’un régime qui leur soit propre. Actuellement, ils sont très nombreux, manifestement mieux payés que la moyenne des actifs, et très peu sont retraités. Si on votait un tel système aujourd’hui, la caisse de retraite des informaticiens engrangerait très rapidement des réserves pendant que d’autres accumuleraient des déficits. Des systèmes de correction existent, mais ils fonctionnent très mal – c’est ce qu’a indiqué le président du COR, la semaine dernière. Comme nous ne savons pas quelle profession nous-mêmes ou nos enfants exercerons demain, la mutualisation est la meilleure façon d’assurer une garantie de retraite la plus équitable et la plus satisfaisante possible à nos futurs concitoyens.
Compte tenu de ces éléments, j’émets un avis défavorable.
Mme Catherine Fabre. En alignant le niveau de vie des retraités sur celui des actifs, le résultat est qu’on abaisse le niveau de vie des retraités, puisqu’aujourd’hui, le niveau de vie moyen des plus de 65 ans est supérieur de 6 points à celui de l’ensemble des Français. C’est le résultat d’un choix de société que nous avons fait depuis longtemps et dont nous sommes fiers. Avec notre réforme, nous le réaffirmons. En outre, le taux de pauvreté des retraités est de 7 % quand celui des Français est de 14 %. Nous avons l’ambition de conserver le même niveau consacré aux retraites, tout en opérant une redistribution en faveur de ces 7 % les plus pauvres. C’est ce que nous faisons en proposant de porter le montant minimum de la retraite à 85 % du SMIC net.
En résumé, votre amendement appauvrirait les retraités. Je ne pense pas que telle soit votre intention. Notre système est bien plus favorable, et je vous conseille de ne pas voter votre amendement.
M. Ugo Bernalicis. Selon le rapporteur, les grands perdants de cette réforme des retraites seront les plus riches de ce pays, parce qu’ils vont devoir faire preuve de solidarité. Reprenons le cas concret de nos amis les avocats. Leur caisse autonome fonctionne sur le principe que plus ils gagnent, plus ils cotisent. Aujourd’hui, pour les avocats qui s’installent, pour les plus pauvres, le taux de cotisation est de 14 %. Avec votre réforme, il passera à 28 %. À l’inverse, les plus gros cabinets d’avocats, ceux qui ont un taux supérieur à 28 %, cotiseront moins demain. Je ne suis pas sûr que ce cas de figure faisait partie de l’étude d’impact.
M. Pierre Dharréville. De toute façon, elle est truquée !
M. Ugo Bernalicis. En effet...
Vous parlez du meilleur taux de remplacement d’Europe. C’est vrai, et c’est pourquoi vous voulez faire en sorte qu’il soit moins bon. De fait, notre pays a une autre spécificité : son marché des retraites par capitalisation est assez peu dynamique. Pour libérer les énergies sur ce marché, quoi de mieux que d’appauvrir les retraités, faire en sorte que le taux de remplacement soit plus faible ? La voie sera ainsi toute tracée à votre assureur pour venir vous proposer un nouveau produit assurantiel offrant un meilleur taux de remplacement ou global. Ce sera génial !
Quant à la ressource dynamique du PIB si vous y incluez l’inflation et tout le reste, sachant que notre PIB n’augmente pas de 14 points ni même de 5 par an, je crains que l’on ne finisse par être plus pauvres à la retraite.
M. Pierre Dharréville. En réalité, votre objectif est d’abaisser le taux de remplacement. Une étude menée par l’économiste Henri Sterdyniak montre même qu’avec votre système, il baissera de 22 %. C’est pourquoi nous proposons que le niveau de vie des retraités soit comparable à celui des actifs, qu’il n’y ait pas de rupture dans l’existence. C’est le concept de la retraite comme salaire continué, la reconnaissance du salarié qui cesse d’avoir un travail prescrit.
Je vous le dis très tranquillement, l’écart entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs va s’aggraver à grand pas, car toutes les réformes que vous avez produites continuent à dégrader le travail, le salaire. Aussi, je suis d’accord avec vous : faisons quelque chose pour nous attaquer à ce problème.
M. Boris Vallaud. Je fais le pari que chacun ici est de bonne foi, mais notre discussion révèle une incompréhension majeure. Une députée de la majorité a dit que le projet permettra de maintenir durablement le niveau de vie relatif des pensionnés à 106 % de celui des actifs. C’est parfaitement faux au regard des études du COR et de ce que nous a dit son président lors de son audition, qui a fait état de 75 % : comme la part du PIB augmente, le taux de remplacement va baisser durablement. Le niveau de vie relatif des retraités va baisser fortement par rapport à celui des actifs. Et cela vaudra pour tout le monde, en particulier pour ceux qui perçoivent le minimum contributif. Avec votre projet, 30 % des pensionnés seront dans ce filet de sécurité. C’est une trappe à basses pensions. Cela concernera 40 % des femmes. Comment peut-on considérer que c’est un progrès ? Je ne crois pas que ça en soit un. Dire la vérité sur ces projections, c’est important, et cela montre l’indigence de l’étude d’impact. Je maintiens les chiffres que je viens de citer.
M. Éric Woerth. L’amendement est tout à fait théorique. La vérité, c’est que vous ne pouvez pas maintenir le niveau des pensions si vous ne repoussez pas l’âge légal de départ à la retraite. Celui qui pense le contraire a totalement tort.
La République en Marche réduit l’âge de départ à la retraite à taux plein en le faisant passer de 67 à 64 ans, ce qui est une grande première – aucun pays ne l’a fait. L’équilibre financier est la première des justices d’un système de retraite. Vous ne pouvez pas laisser les marchés financiers financer le déficit des retraites, ne rien dire et ne rien faire ou prendre des demi-mesures. Seul l’allongement légal, clair vis-à-vis des Français, permet de régler le problème. Vous pouvez toujours faire tourner un moteur social à l’intérieur du système de retraite – il tourne déjà à plein, à hauteur de 30 % des sommes engagées –, mais la seule question responsable que vous devez vous poser, c’est la capacité à le faire en acceptant l’idée qu’on travaillera plus longtemps avec, par correction, des systèmes de pénibilité qui ne créent pas de nouveaux régimes spéciaux.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. La notion de revenu satisfaisant a dérivé sur un débat autour du produit intérieur brut. Que s’est-il passé ces dix dernières années ? Les dépenses liées aux retraites sont demeurées à un niveau relativement stable de 13,7 % du PIB, ce que chacun peut vérifier sur le site internet du COR. Autres éléments incontestables et vérifiables à la même source : sur la même période, il y a eu 2 millions de retraités supplémentaires, ce qui a porté leur nombre à 16,1 millions au 31 décembre 2017, contre 14,2 millions en 2008 ; en dix ans, la pension brute d’un retraité a augmenté de 20 %.
Nous venons de poser la simple réalité du fonctionnement de notre dispositif par répartition. Il fonctionne de façon dynamique ; le PIB se développe et notre pays est en situation d’avoir davantage de retraités, avec des niveaux de vie qui progressent. C’est ce que nous venons de démontrer collectivement sur les dix dernières années.
M. Sébastien Jumel. Le silence sur le taux de remplacement est assourdissant !
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement n° 22553 de Mme Martine Wonner.
Mme Albane Gaillot. Cet amendement vise à affermir un système socialement juste en s’assurant que l’objectif soit bien de garantir un niveau de vie digne à tous les assurés du système universel de retraite.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous partageons la même intention, mais le débat me semble un peu sémantique. De mon point de vue, un « niveau de vie digne » suggère un niveau juste au-dessus de l’acceptable, tandis que « satisfaisant » renvoie au revenu perçu pendant la vie active. Voilà pourquoi je préfère, à titre personnel, le mot « satisfaisant » à celui de « digne ».
M. Pierre Dharréville. C’est sans doute un débat sémantique, mais c’est aussi un débat politique pour savoir si nous en restons à une conception de la retraite telle que je l’ai décrite – un droit garanti, un salaire continué – ou si nous n’en faisons plus qu’une sorte de droit minimum qui serait complété par d’autres dispositifs.
Je suis favorable à ce qu’on garantisse un véritable droit à la retraite et que cela soit énoncé dans les objectifs du système, d’autant que de nombreux retraités ont vu leur situation se dégrader ces dernières années. Les retraités ont manifesté à de très nombreuses reprises pour défendre leur pouvoir d’achat, ce qui a conduit notamment au bouillonnement social que nous connaissons.
Par ailleurs, je crois que l’on peut indexer les pensions sur l’évolution des salaires sans avoir recours à la machinerie que vous nous soumettez, et nous l’expliquons dans notre proposition de loi tendant à garantir le pouvoir d’achat des retraités. Nous défendons comme autre mesure de porter le minimum de pension au niveau du SMIC plutôt que de le laisser à 85 %.
M. François Ruffin. Garantir un niveau de vie satisfaisant, décent ou digne, telle est la question que pose cet amendement. Je rejoins le camarade Vallaud du Parti socialiste qui vous interroge sur le taux de remplacement. De la même manière que les camarades Dharréville ou Jumel, je préférerais qu’on garantisse un niveau de vie, voire qu’on l’améliore. C’est un indicateur beaucoup plus fiable.
Par ailleurs, je suis blessé quand je vous entends dire que notre attitude abîme le Parlement, que nous ne travaillons pas sérieusement et que nous attentons à la dignité ou à la crédibilité de l’Assemblée nationale. Quel culot de votre part ! Passe encore que le Conseil d’État a montré que votre étude d’impact était bidon, qu’on nous soumet un texte à trous avec des ordonnances, et que nous devons étudier plus de mille pages en procédure accélérée. Mais c’était la commission des affaires sociales qui était chargée d’examiner la proposition de loi visant à modifier les modalités de congé de deuil pour le décès d’un enfant, qui a été discutée dans l’hémicycle il y a moins d’une semaine.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Revenez-en au texte sur les retraites !
M. François Ruffin. Je ne suis pas hors sujet. L’attitude crédible est de notre côté, le travail est de notre côté. Ce qui abîme le plus le Parlement, ce sont des votes de godillots !
M. Ugo Bernalicis. Eh oui !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je donne maintenant la parole à M. Thierry Michels...
M. François Ruffin. Je n’ai pas terminé, madame la présidente !
M. Alexis Corbière. Ce n’est pas à vous de décider ce que disent les députés, madame la présidente !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. En tout cas, je décide de suspendre la séance !
(Suspension de séance)
M. Thierry Michels. La formule « niveau de vie satisfaisant » est utilisée dans le code de la sécurité sociale et la charte sociale européenne. C’est donc par cohérence que le Gouvernement souhaite employer ce terme. Nous devons discuter ici de la façon dont nous allons parvenir à garantir ce niveau de retraite satisfaisant et à accomplir des avancées telle la retraite minimum à 1 000 euros dès 2022, grâce à cette réforme.
M. le secrétaire d’État. Madame Gaillot, quel sens confère-t-on au mot « satisfaisant » ? Pour ma part, je regarde ce que promet le Gouvernement aux Français : un minimum de pension à hauteur de 85 % du SMIC, étant entendu que le SMIC est un élément dynamique, qui évolue de par la loi, chaque année. Il s’agit donc d’un minimum de pension évolutif.
Certes, j’entends que l’engagement pris par le Gouvernement pourrait s’élargir par les mots. Mais nous en sommes ici aux principes généraux, et j’entendais quelques députés exprimer leur envie de discuter du texte sur le fond. Le présent débat trouvera peut-être à se prolonger à ce moment-là. Comme l’a dit M. Michels, le terme « satisfaisant » est repris du code de la sécurité sociale. Je crois surtout qu’il renvoie à ce qui est attendu et qui est dans le texte. J’espère que nous allons pouvoir en débattre très rapidement ensemble.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle étudie les amendements identiques n° 21538 de M. Boris Vallaud et n° 22087 de M. Philippe Vigier.
M. Régis Juanico. Nous souhaitons améliorer le système actuel des retraites, qui se caractérise par un haut niveau de taux de remplacement puisqu’il est de 75 %, ainsi que par l’un des plus faibles taux de pauvreté au monde, autour de 7,5 %. Lors de son audition, la semaine dernière, le président du COR a indiqué que le niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs était de 106 %, ajoutant que celui-ci allait évoluer avec ou sans réforme, et que d’ici à 2050, il baissera à 75 %, soit une perte de niveau de vie relatif de 30 %.
Comme l’a dit hier notre collègue Valérie Rabault, la part des pensions dans le PIB passera de 14 % aujourd’hui à 13 % demain, ce qui représentera 25 milliards d’euros en moins pour les retraités. Quant au minimum contributif, s’il est bien de 85 % au départ, comme l’a indiqué M. Boris Vallaud, au vu des règles d’indexation, il baissera à 75 %. Enfin, avec l’âge pivot et le recul de trois ans du départ à la retraite, et la baisse du taux de remplacement, on va vers une paupérisation des retraités. C’est pourquoi cet amendement vise à indexer le niveau de vie relatif des retraités sur celui des actifs.
Mme Jeanine Dubié. Le nouveau système nourrit une angoisse chez nos concitoyens du fait que le montant de leur retraite est inconnu. Dans le système actuel, la base de calcul du taux de remplacement est fixée et connue – les salaires des vingt-cinq meilleures années pour les salariés du privé, 70 % du traitement au dernier indice pour les agents de la fonction publique. Le nouveau système ne fournit pas ce repère.
Pour sécuriser le dispositif et rassurer nos concitoyens, l’amendement n° 22087 introduit un lien entre le montant de la retraite et les revenus des actifs. En remplaçant la notion de niveau de vie satisfaisant, qui ne veut pas dire grand-chose, par celle de niveau de vie comparable à celui des actifs, on évite que des retraités ne se retrouvent avec des pensions trop faibles et que des actifs dont la carrière a été précaire ne soient obligés d’allonger leur période de cotisation, sachant que le taux d’emploi dans la tranche salariale des 55-64 ans n’est que de 52 %.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je salue votre volonté d’établir une comparaison entre les revenus des retraités et ceux des actifs. Je rappelle toutefois que la notion de revenu satisfaisant figure, non seulement dans la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites qu’a fait adopter Marisol Touraine, mais également dans la Charte sociale européenne.
Actuellement, pour les salariés du régime général, par exemple, on retient 50 % du salaire moyen des vingt-cinq meilleures années, lesquelles, depuis la réforme Balladur en 1993, sont revalorisées tous les ans en fonction du taux de l’inflation. Aucune majorité n’est revenue sur cette indexation des salaires. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l’inflation a augmenté de 40 % entre 1993 et 2018, tandis que les salaires moyens évoluaient de 70 % sur la même période. L’écart est donc de 30 points.
Dans le projet de loi, nous prévoyons de revaloriser les points suivant l’évolution des revenus pour que, au cours du temps, le nombre de points corresponde aux salaires. Un SMIC vaudra autant en 2025 qu’en 2050, et il n’y aura pas de perte relative du revenu dans le calcul, entre le début et la fin d’une carrière. Par ce biais, nous contribuons à garantir un calcul des retraites plus satisfaisant que la règle actuelle, qui se fonde sur une indexation sur l’inflation. Je maintiens que, dans ces conditions, le terme « satisfaisant » est préférable.
Avis défavorable.
M. François Ruffin. Mesurez le miracle politique auquel on est en train de toucher ! Pendant des millénaires, pour les classes populaires, vieillesse signifiait pauvreté. On vieillissait dans l’indigence, dans les hospices ou en étant à la charge de sa famille. Cette malédiction millénaire a été brisée en 1945, lorsque le ministre des travailleurs Ambroise Croizat, dans son vaste plan de sécurité sociale, déclara que « la retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie ». Ses décisions ne se sont concrétisées que dans les années 1970, compte tenu du délai qui court entre les décisions que l’on prend sur les retraites et leurs conséquences visibles. Il en ira de même avec votre réforme : les décisions sont prises aujourd’hui, mais ce sont les générations à venir qui en subiront les conséquences.
Dans les années 1970, le taux de pauvreté des personnes de plus de 60 ans a été divisé par quatre, passant de 35 % à 7,5 % en une décennie. C’est ce miracle politique que l’on démantèle depuis les réformes Balladur, Fillon, Raffarin, et, maintenant, Macron. Il n’y a pas de doute sur ce fait puisque vous refusez les mots de « garantie » ou d’« amélioration » du niveau de vie. François Fillon le disait, quand on instaure un système à point – sans compter qu’en plus, vous inscrivez que vous entendez baisser la part des retraites dans le PIB –, l’objectif est clairement de baisser le niveau de vie des retraités.
M. Boris Vallaud. Le rapporteur n’a pas pris le soin d’apporter certaines précisions. La majorité a, dit-il, décidé d’indexer la valeur du point sur les salaires. Or, avant 2045, l’indice sera compris entre l’évolution de l’inflation et celle des salaires ; durant cette période, il va donc se dégrader. Après 2045, la revalorisation s’effectuera selon l’évolution des salaires, sous réserve de l’équilibre financier du système – la seule véritable règle d’or.
Vous avez répondu à la question de savoir ce qu’est le niveau de vie satisfaisant pour les retraités. Pour vous, c’est le minimum contributif. La meilleure preuve en est que le nombre de ceux qui seront dans ce filet de sécurité, dans cette trappe à basses pensions, explosera : 30 % des pensionnés et 40 % des femmes.
Mme Jeanine Dubié. Monsieur le rapporteur, nous vous parlons de taux de remplacement, et vous nous répondez par l’indexation. Ce n’est pas le sujet.
Aujourd’hui, l’absence de certitude sur la valeur du point inquiète les Français. Ils ne peuvent pas se projeter et évaluer le montant de leur retraite. Comme l’a dit Boris Vallaud, la seule donnée chiffrée fournie à ce jour, c’est le minimum de 1 000 euros pour une retraite à taux plein.
Je comprends que vous ne souhaitiez pas modifier la rédaction de l’alinéa. Je vous demande cependant de réfléchir à notre formulation. Nous ne faisons pas référence au niveau de vie des actifs pour le plaisir, mais pour que la réforme soit mieux comprise et mieux acceptée, et qu’elle crée moins d’incertitudes.
Mme Catherine Fabre. Les données du COR indiquent que, sans réforme, le taux de remplacement baisse fortement à l’horizon 2050. Or, d’après l’étude d’impact, la réforme permet de consolider ce taux, notamment du fait de l’indexation du point sur les salaires.
M. Boris Vallaud. Ce n’est pas vrai !
Mme Catherine Fabre. Cette indexation n’existe pas aujourd’hui, et c’est la raison pour laquelle, vous le savez, les pensions se réduisent comme peau de chagrin, de manière automatique, sans qu’on s’en rende compte. Nous allons changer les choses en les indexant sur les salaires mais aussi, et nous l’assumons, en demandant aux Français de travailler un peu plus pour consolider ce taux de remplacement.
Les chiffres existent donc : ils figurent dans les études du COR et dans l’étude d’impact.
M. Pierre Dharréville. Vous avez désindexé les pensions depuis trois ans, ne vous étonnez donc pas qu’il y ait un problème ! Vous proposez aujourd’hui de les réindexer autrement, sur les salaires, ce que nous proposons depuis des années. Cela figure dans une proposition de loi que j’ai déposée en novembre 2018.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 1390 de M. Adrien Quatennens.
M. Adrien Quatennens. Les Français se demandent avec quel niveau de pension ils pourront vivre à la retraite. À cette question, nous répondons : jamais en dessous du SMIC pour une carrière complète. Là où vous évoquez une hypothétique pension de 1 000 euros, avec toutes les difficultés à définir ce qu’est une carrière complète dans le système à point, nous considérons qu’en dessous du seuil de pauvreté, on ne vit pas, on survit. Par conséquent, un des objectifs politiques que nous pourrions nous fixer est de faire en sorte qu’aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté, quand bien même sa carrière aurait été très hachée.
J’en profite pour informer nos collègues qu’au lieu de l’étude d’impact truquée de mille pages qui nous a été remise, nous tenons à leur disposition un document d’une quarantaine de pages qui se veut un contre-projet sérieux, chiffré, financé, non truqué, permettant d’atteindre l’équilibre financier des retraites sans avoir besoin de faire travailler les Français plus longtemps, ce qui, admettez-le, est le seul dessein de votre projet de loi. Or cela ne correspond pas à ce qu’il convient de faire.
La productivité a augmenté ; le partage de la richesse produite n’a jamais été aussi inéquitable. Travailler plus longtemps, c’est aggraver le chômage, le Conseil d’État le confirme, comme il a confirmé l’essentiel des arguments de l’opposition parlementaire taillant en pièces l’ensemble de vos éléments de langage sur l’universalité, et tout le reste.
L’amendement vise à se doter d’un objectif qui est politique, non comptable, celui de soulager la vie des gens et de faire en sorte que, dans ce pays, aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté. Voilà un objectif ambitieux et tout à fait raisonnable.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 749 de M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille Isaac-Sibille. Je vous propose d’envisager la retraite sous un autre angle, non pas celui de la période de travail mais celui du souhait des Français d’accéder au paradis de la retraite, à une nouvelle tranche de vie longue et heureuse, vécue dans de bonnes conditions physiques et matérielles. Il s’agirait d’un moment heureux durant lequel les bénéficiaires ont une espérance de vie en bonne santé de dix à quinze ans, et un revenu correct.
Pour le concrétiser en termes législatifs, l’amendement introduit un âge pivot variable selon l’espérance de vie en bonne santé, et spécifique à chaque catégorie professionnelle. En la matière, en effet, les écarts sont énormes et connus. En France, les cadres de sexe masculin bénéficient d’une espérance de vie sans incapacité de 69 ans. Elle n’est que de 59 ans, soit dix années de moins, pour un ouvrier, alors que l’espérance de vie totale s’élève à 76 ans.
Ces inégalités sociales de santé n’ont pas reculé depuis le début des années 1970. Les actuaires d’assurance peuvent facilement, et sans se tromper, calculer le risque d’une personne qui souhaite souscrire une assurance ou une mutuelle, alors que le calcul de la pénibilité est bien plus difficile. Intégrer dans notre réflexion l’espérance de vie en bonne santé, sans incapacité, pour déterminer un âge de départ à la retraite permettrait de concilier deux impératifs : maintenir la pérennité de notre système par répartition et permettre à tous les Français de bénéficier du même nombre d’années de retraite dans de bonnes conditions physiques et matérielles.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je sais que ce sujet vous tient à cœur, cher collègue Isaac-Sibille. Nous avons eu hier un débat assez similaire sur la difficulté d’intégrer les carrières des polypensionnés et sur l’effet de bord qui affecterait les femmes. Intégrer un tel indicateur reviendrait, en effet, à repousser l’âge de retraite des femmes, au motif que leur espérance de vie en bonne santé est supérieure à celle des hommes. L’intention est louable, mais la mise en œuvre serait compliquée. Je vous demande de retirer votre amendement.
L’amendement est retiré.
La commission est saisie de l’amendement n° 21822 de M. Julien Aubert.
Mme Constance Le Grip. Il est défendu.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.
M. Thibault Bazin. Je comprends que l’on veuille passer vite sur les amendements du groupe Les Républicains, mais ils méritent quand même un argument de la part du rapporteur et du secrétaire d’État. Il importe que nous puissions nous arrêter sur le niveau futur des pensions, la question fondamentale étant de savoir comment faire en sorte qu’il ne baisse pas à l’avenir. À cet égard, inscrire comme objectif le refus de toute baisse du pouvoir d’achat des retraités est essentiel.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’article 55 du projet de loi indique clairement que « le coefficient de revalorisation annuelle des retraites [...] ne peut être inférieur à un ». Aucune baisse n’est donc possible et votre amendement est satisfait. Aussi vous demandé-je de le retirer.
M. Boris Vallaud. L’article 55 interdit une baisse nominale, mais une diminution du pouvoir d’achat est possible.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle est saisie des amendements identiques n° 14659 de M. Sébastien Jumel et n° 21269 de M. Boris Vallaud.
M. Sébastien Jumel. La faculté qu’ont les libéraux de présenter les contraintes comme une nouvelle liberté ou un nouveau droit me déconcerte toujours un peu. En affichant la liberté de choix de partir à la retraite, vous faites l’impasse sur une réalité sociale majeure. Voyez les gars chargés de la collecte des ordures ménagères, qui ont rapidement le corps broyé par la difficulté de leur travail, et d’autant plus s’ils n’adoptent pas les bonnes postures ; les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui s’occupent de nos mômes – touchés par les congés maladie et les arrêts de travail, ils n’atteignent pas l’âge de la retraite en bonne santé ; les chaudronniers soudeurs des chantiers navals, qui sont atteints de cancers de l’amiante ; les ouvriers à la chaîne, dont la santé et les conditions de vie sont bousculées par les tâches répétées qu’ils effectuent. Je pourrais multiplier les exemples à l’envi. Pensez‑vous que ces gens-là vous prendront au sérieux si vous leur dites qu’ils ont la liberté de choisir entre prendre leur retraite à 65 ans et partir avant ? Votre projet de loi ne leur laisse comme choix que de partir plus tard, donc de travailler plus longtemps et de s’abîmer encore davantage, ou de partir plus tôt, avec une décote sur le niveau de leurs pensions. Cette liberté de choix est une provocation, une humiliation !
M. Régis Juanico. L’amendement n° 21269 tend à supprimer l’alinéa 8, qui est une publicité mensongère : il n’y aura pas de liberté de choix pour les Français.
Avec votre réforme, nos concitoyens sont dans un brouillard épais. Nous l’avons vu tout à l’heure avec le taux de remplacement, qui est actuellement l’un des meilleurs au monde : vous êtes incapables de nous assurer qu’il restera à un haut niveau pour l’ensemble des Français. Nous l’avons aussi vu avec le taux de pauvreté, qui est actuellement l’un des plus faibles au monde. Aujourd’hui, les Français ne savent pas dans quelles conditions ils pourront partir à la retraite et avec quel montant de pension. D’ailleurs, mettre, comme vous l’avez indiqué, un simulateur à la disposition de nos concitoyens seulement après l’adoption définitive du projet de loi, contribue grandement à nourrir le scepticisme.
La liberté de choix suppose une absence de contrainte. À l’évidence, l’âge d’équilibre ou l’âge pivot – c’est la même chose –, nous enferme dans une mécanique redoutable par laquelle le choix de partir à la retraite sera d’abord commandé par un calcul économique. Nous l’avons montré hier avec le cas de l’ouvrier qui commence sa vie active à 20 ou 21 ans : avec quarante-trois ans de cotisations, il devra attendre 65 ans pour partir à la retraite au taux plein ; s’il part avant, il subira une décote, de 5 % ou 10 %, alors que le cadre supérieur, qui commencerait sa vie active à 25 ans, pourrait obtenir une surcote s’il cotise au-delà de l’âge d’équilibre. Voilà l’inégalité majeure : il n’y aura pas de liberté de choix.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les exemples cités par M. Jumel relèvent de la prise en compte de la pénibilité dans le droit du travail. La réforme de Mme Touraine l’a abordée. Nous proposons de faire de même pour la fonction publique, où la pénibilité n’était pas prise en compte. Il existe sûrement encore des injustices, mais ce sujet progresse tout de même.
On peut aussi faire valoir le compte pénibilité, qui donne la possibilité d’engranger, dès le début de carrière, des points permettant de suivre des formations pour se reconvertir et évoluer vers des métiers moins pénibles, ou partir jusqu’à deux ans plus tôt à la retraite.
Au-delà de ces aspects, la liberté s’exerce évidemment dans le cadre contraint de l’âge minimum de liquidation à 62 ans, avec une décote correspondant à la situation de la personne. Aujourd’hui, selon le déroulement de leur carrière, nos concitoyens font le choix, pour les uns, de partir plus tôt sans avoir le nombre de trimestres requis pour un taux plein, quitte à subir une proratisation, les autres, de partir plus tard parce que la proratisation est trop importante ou parce qu’ils veulent travailler plus longtemps.
Nous voulons à la fois laisser partir plus tôt ceux qui le souhaitent en sachant qu’ils auront des pensions réduites et inciter ceux qui le veulent et le peuvent à travailler plus longtemps, non seulement en rajoutant un bonus après l’âge d’équilibre, mais aussi en laissant la possibilité de cumuler emploi et retraite, et d’acquérir de nouveaux droits, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent. Bien que le cadre reste contraint, les éléments de choix seront plus nombreux qu’aujourd’hui.
Reste qu’il subsiste des questions sur la qualité de vie au travail, notamment en fin de carrière. Ces sujets occuperont le ministère du travail dans les années qui viendront.
M. Adrien Quatennens. Si j’en crois les explications du rapporteur, cet alinéa présente finalement un objectif de liberté dans un cadre contraint de choix. C’est là la définition de la liberté en Macronie : vous êtes libre de choisir, mais le pistolet sur la tempe, sous une contrainte absolue.
Tout le monde a bien compris que tout en laissant le droit de partir à l’âge légal de départ de 62 ans, votre projet de loi touche à l’âge de départ effectif, puisqu’il vaudrait mieux ne pas partir à cet âge légal. On en revient donc toujours au fameux âge d’équilibre. Cet âge, qu’il soit d’équilibre ou pivot, n’a absolument pas disparu du projet de loi, même provisoirement. Seuls ne sont pas concernés par ce débat les Françaises et les Français qui ne se verront pas appliquer le système par points, c’est-à-dire la génération née avant 1975, puisqu’Édouard Philippe a renoncé à l’appliquer aux personnes nées à partir de 1963. Par contre, celles et ceux qui partiront à la retraite dès 2027 auront à se préoccuper d’un âge d’équilibre à 64 ans. La réalité, c’est que vous appliquez à ces Français la conséquence principale qu’aurait provoqué pour eux l’application de ce système par point. Tous les Français sont donc bien concernés, et tous y perdront.
Cet alinéa n’a donc pas lieu d’être : il n’y a pas de liberté dans ce cadre contraint. La liberté dans un cadre contraint, voilà bien un concept fumeux ! Le projet de loi l’est déjà beaucoup, du fait de l’étude d’impact truquée. Il n’y a pas de liberté dans ce contexte, puisque, tout le monde l’a compris, l’âge pivot se décalera, génération après génération. Plus on avancera, plus il faudra travailler, toujours plus longtemps, et au-delà de l’espérance de vie en bonne santé.
Mme Monique Limon. Comme le rapporteur, j’entends vos remarques, qui concernent davantage la prise en compte de la pénibilité en fonction des métiers exercés. Nous aborderons ce sujet plus tard dans le texte. La ministre du travail et les partenaires sociaux étudient ces aspects en ce moment même, pour voir comment mieux considérer ce qui relève de la prévention, de la reconversion ou de la réparation, et le traduire en points.
Le groupe La République en Marche estime que le système universel de retraite sera plus lisible et transparent pour chacun. À tout moment, un citoyen pourra savoir où il en est de ses points, et mieux choisir son parcours professionnel et sa vie. C’est pourquoi nous pensons que cette possibilité – pourquoi ne pas l’appeler liberté ? – donnée à chacun de faire des choix plus éclairés tout au long d’un parcours est un avantage.
Notre volonté est aussi de permettre aux personnes qui ont des carrières hachées, principalement des femmes, de pouvoir partir plus tôt. Aujourd’hui, une décote s’applique jusqu’à leurs 67 ans. Si elles travaillent trois ans de moins, c’est toujours ça de gagné.
Nous voulons aussi donner la possibilité – la liberté – aux retraités qui ont liquidé leur retraite, de travailler à nouveau. Travailler, ce n’est pas toujours la galère. C’est aussi pouvoir rencontrer des gens, créer du lien social, tout en bénéficiant de points supplémentaires.
M. Éric Woerth. Nous n’arrêtons pas d’évoquer l’âge pivot, alors qu’il ne figure pas dans le texte, mais plutôt dans la conférence de financement. Cela donne au débat une tournure assez baroque et caricaturale.
Notre système de retraite est fondé sur l’obligation, avec un régime et des cotisations obligatoires. Depuis toujours, en tout cas depuis plus de soixante ou soixante-dix ans, on pense que les Français ne mettront pas volontairement de l’argent de côté ou qu’ils ne pourront pas le faire, en tout cas, qu’ils ne le prévoiront pas. Le système obligatoire tend donc à préserver l’avenir des Français. D’une certaine manière, les cotisations sont des revenus différés.
La notion même d’âge pivot est contraire à ce principe. Fixer un âge légal de départ, tout en conseillant de ne pas partir à cet âge-là, c’est une fausse liberté qui est laissée aux Français, car ceux qui partiront à 62 ans – puisque c’est l’âge que vous conservez – subiront une super décote, bien plus qu’un prorata temporis ou un malus, qui fera d’eux des retraités super pauvres, pendant des années, vingt-cinq ou trente ans. L’idée, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. L’âge pivot avait déjà été rejeté, il y a dix ans. L’étude d’impact du projet de loi indiquait alors : « le Gouvernement écarte toutefois une telle option car elle est incompatible avec l’objectif de ne pas baisser les pensions de retraite ». C’est pourquoi le présent texte est essentiellement orienté vers la baisse des retraites.
M. Sébastien Jumel. Je ne m’attendais pas à être, un jour, d’accord avec Éric Woerth ! Sa démonstration est imparable. Quant au rapporteur, il a inventé le concept de la liberté de choix sous contrainte. Je propose de l’inscrire tel quel dans la loi.
Revenons à des faits objectifs. Parmi la génération née en 1954, quatre personnes sur dix n’étaient plus en emploi au moment de la liquidation de leur retraite ; 19 % étaient au chômage – par liberté de choix, j’imagine ; 7 %, en arrêt maladie ou invalidité – là encore, je suppose qu’elles l’avaient choisi ; 3 %, en préretraite – un choix peut-être plus assumé ; 13 % étaient absentes du marché du travail, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Cela renvoie au débat que nous avons eu sur le taux de faible employabilité des seniors.
En reculant l’âge de la retraite, vous n’augmentez pas la liberté de choix, vous aggravez les conditions de non-choix de celui à qui vous demandez, comme dans le sketch de Pierre Palmade, s’il préfère se couper l’oreille droite, c’est-à-dire accepter une décote lourde qui le conduira à être durablement pauvre pendant sa retraite. Et ce ne sera pas seulement pendant deux ans, contrairement à ce qu’a affirmé la porte-parole du Gouvernement, mais jusqu’à la fin, « jusqu’à la mort », pour reprendre François Morel, ou continuer de travailler plus longtemps.
Vous entendez mes remarques sur la pénibilité, dites-vous ; nous verrons. Mais il y a aussi un choix de société. Il faut convenir que des personnes en bonne santé, qui se plaisent dans leur travail, ont aussi envie, à un moment donné, après quarante-trois ans de cotisations, de s’occuper de leurs petits-enfants, de voyager, d’être utile à la vie associative, de s’engager dans la vie de leur commune, bref d’être des retraités actifs, et pas, comme vous le dites, des poids, une génération dorée qui coûte cher et dont il faudrait se débarrasser au plus vite.
M. Boris Vallaud. Les parlementaires de la majorité nous ont rapporté l’extraordinaire travail qui était en train d’être accompli. Je rappelle tout de même que l’un de leurs actes fondateurs a consisté à supprimer le compte personnel de prévention de la pénibilité, et à en retirer quatre critères qu’ils n’entendent pas réintroduire dans le projet. Cela a fait sortir du bénéfice de la pénibilité tous les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, l’essentiel des ouvriers de l’industrie, les égoutiers et les caissières.
S’agissant de la pénibilité, le texte prévoit simplement de baisser de deux ans l’âge d’équilibre pour les salariés qui y auraient été exposés. La seule façon de partir plus tôt pour un salarié qui se trouverait dans un travail très pénible sera donc l’incapacité.
Pour les carrières longues, vous diminuez l’âge pivot mais, pour partir à 60 ans, le salarié devra consentir à une décote de deux fois 5 %. Pour avoir droit à la surcote, en revanche, il faudra travailler six ans de plus. Drôle de conception de l’égalité et de la liberté !
Au fond, en parlant de liberté de choix sous contrainte, vous faites la démonstration qu’il y aura deux libertés : celle de ceux qui peuvent être libres, et celle de ceux qui ne le pourront pas et qui devront travailler plus longtemps, à moins d’être des retraités pauvres.
M. le secrétaire d’État. Quelques mots de ce qui nous différencie du président Éric Woerth sur la façon de transformer notre système de retraite. Le programme du groupe Les Républicains préconise de porter l’âge légal à 65 ans. Ce n’est évidemment pas notre vision. Pour notre part, nous invoquons une liberté de choix, qui s’exprime, dans le projet de loi, à la fois par le maintien, conformément à l’engagement du Président de la République, de l’âge de départ à la retraite à 62 ans, et par la possibilité d’aménager autour d’un âge d’équilibre des surcotes ou des décotes. Cela peut certes paraître éloigné de la position des Républicains : cela tombe bien, nous n’avions pas le même programme !
Nous pensons qu’il est préférable d’inciter les Français à travailler un peu plus longtemps, en fonction de la progression de l’espérance de vie, plutôt que d’imposer à tous un âge légal à 65 ans. Ces mesures soulèvent des questions, notamment celle de la personnalisation de l’âge d’équilibre, qui nous ont été posées depuis plusieurs semaines. C’est le débat qui a pu se tenir entre les notions de durée comme référence collective, ou celle d’âge d’équilibre. Le Gouvernement a choisi l’âge d’équilibre, tout en précisant qu’il était disponible pour examiner les conditions de sa personnalisation, à la fois au travers de la pénibilité – nous pourrons en débattre lorsque nous aborderons ce chapitre – et des carrières longues.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22452 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Nous considérons que, dans sa rédaction actuelle, le projet va plutôt obliger ceux qui le peuvent à travailler plus longtemps. Vous l’avez, d’ailleurs, dit vous-même, monsieur le rapporteur, en parlant de liberté sous contrainte. Il n’est même plus question de « travailler plus pour gagner plus », mais de « travailler plus pour gagner pareil », autrement dit pour avoir droit à une retraite normale. C’est là une conception de la retraite profondément régressive.
Il faut, au contraire, établir un véritable droit car, une fois à la retraite, on peut être utile à la société autrement. Dans cette libération du travail prescrit, il y a pour autant du travail qui perdure sous d’autres formes. Un nouvel âge de la vie s’ouvre. C’est ce que nous souhaitons à tous.
Pour nous, la liberté de choix que vous proposez est en bois, puisque soumise à réelle punition à travers cette décote que vous imposez à celles et ceux qui ne voudraient pas travailler jusqu’à l’âge d’équilibre. La présentation très avantageuse que vous faites ne nous convient pas ; elle ne nous semble pas correspondre à la réalité.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les amendements se succèdent autour des mêmes sujets. L’affirmation de Boris Vallaud sur l’incapacité permanente est fausse : l’âge d’équilibre sera évidemment abaissé à l’âge de départ de l’assuré. Il ne pourra pas y avoir de décote. La règle actuellement en vigueur continuera donc de s’appliquer.
S’agissant du fantasme des réformes qui font baisser le pouvoir d’achat des retraités, l’INSEE a réalisé une étude sur ce sujet à partir de 1996, soit trois ans après la réforme Balladur : alors que 10 % des retraités vivaient sous le seuil de pauvreté en 1996, ils n’étaient plus que 7 % en 2015, malgré les différentes réformes qui ont eu lieu ; par contre, le taux de précarité chez les jeunes avait progressé. On peut toujours mettre en doute les résultats, mais une autre étude insérée dans le rapport de Jean-Paul Delevoye a montré que, d’après un sondage, les actifs considéraient qu’en devant payer davantage pour financer les études de leurs enfants et les retraites, ils se trouvaient confrontés à de vraies difficultés financières. Les Français le comprennent bien, il n’est pas possible que la durée des études ou celle des retraites s’allonge sans qu’elle pèse sur leur propre pouvoir d’achat. Il faut travailler cet équilibre, pour que la situation de chaque catégorie sociale soit la plus favorable possible.
Avis défavorable.
M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. S’agissant des départs anticipés, nous proposons de faire en sorte que ce qui existe aujourd’hui pour le régime général soit élargi à l’ensemble des bénéficiaires du système universel de retraite. J’en prendrai trois exemples très concrets, que vous retrouverez dans le présent projet de loi.
L’inaptitude, aujourd’hui réservée aux salariés du régime général, sera étendue à tous les assurés, et permettra de partir à 62 ans, à taux plein. De la même façon, l’incapacité permanente, avec une invalidité de 10 %, ainsi que le compte professionnel de prévention étendu, prenant en compte la pénibilité, permettront à l’ensemble des bénéficiaires du régime universel de partir en retraite dès 60 ans, à taux plein.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, vous reprenez la thèse, que j’ai déjà lue ici et là, de la guerre des générations. Vous dites que le système coûte plus cher aux actifs, parce qu’il faut prendre en charge des études plus longues. Prouvez-le ! Trouvez une statistique montrant qu’avoir des retraités en bonne santé, qui peuvent participer à la vie commune, aider leurs enfants et leurs petits-enfants, coûte plus cher que la situation actuelle.
Pourquoi présenter comme une charge que nous aurions à regretter le fait que la pauvreté a été réduite parmi les retraités ? La vieillesse a été une malédiction pendant des générations. C’est par le système par répartition que les gens ont commencé à avoir une vie digne. Depuis les années 1970, nous avons divisé par quatre le taux de pauvreté des retraités, qui est passé de 13 % à 9 % entre 2009 et maintenant. C’est un immense succès de notre système !
Au contraire, chez nos voisins allemands, que l’on nous invite sans cesse à imiter, le nombre de retraités pauvres a explosé dans les dernières années. Bon sang, apprécions notre victoire ! Nous avons enfin réussi quelque chose en matière d’égalité, qui mérite qu’on ne la présente pas comme une charge pour nous.
J’entends bien que toute liberté est encadrée : une liberté absolue n’existe pas, hormis la liberté de conscience. Vous parlez d’une liberté de choix, sous réserve d’un âge minimum – ce n’est déjà pas rien, comme contrainte ! – et en fonction du montant de la retraite. Nous avons tous, si ce n’est notre situation personnelle, quelque parent, quelque ami dont nous savons qu’il n’a pas de liberté. Quand on doit choisir à 50 ou 100 euros près, on n’est pas libre ; on reste au boulot, dût-on y crever, pour avoir cette somme. Les gens serrent les dents, ils souffrent mais ne s’écoutent pas. C’est contre cela que nous allons, car le texte ne donne pas une liberté, mais seulement une double contrainte.
M. Sébastien Jumel. Nos débats sont suivis par des gens qui regardent, qui écoutent attentivement. C’est bon pour la démocratie parlementaire. Dans mon territoire, par exemple, il y a Nathalie, qui est trieuse de verres. En une journée, elle a calculé qu’elle peut manipuler pas loin d’une tonne de flacons de parfum de luxe. Même avec un poste de travail aménagé –c’est le cas dans sa boîte, parce que le syndicat y est puissant –, même avec des séances de kiné une fois par semaine, c’est « raide », c’est dur. Elle m’a demandé si le gros pavé dont on parle depuis le début tenait compte de ces situations. Je lui ai répondu que non.
Elle m’a également demandé si elle serait libre de choisir de ne pas trimer jusqu’à 65 ans en déplaçant quotidiennement une tonne de flacons de parfum : je suis bien en peine de lui répondre si elle disposera ou non de la liberté de vivre convenablement, dignement, en bénéficiant de conditions de vie – comment avez‑vous dit ? – « satisfaisantes ».
J’ai donc besoin que vous m’éclairiez, monsieur le rapporteur : cette liberté de choix sera-t-elle possible, dans quelles conditions ? Nathalie Vasseur, trieuse de verres dans la vallée de la Bresle, aura-t-elle la liberté de choisir de ne pas mourir au travail ?
La commission rejette l’amendement.
M. Sébastien Jumel. Je lui répondrai donc que je n’ai pas eu de réponse.
Puis la commission examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 1444 de M. Alexis Corbière, n° 1445 de Mme Caroline Fiat, n° 1448 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1452 de M. Adrien Quatennens, ainsi que l’amendement n° 14660 de M. Pierre Dharréville.
M. Alexis Corbière. Cet amendement est déterminant dans notre débat : il est temps, en effet, de fixer clairement dans la loi un âge de départ à la retraite et de refuser votre rhétorique consistant à laisser une pseudo-liberté de choix.
Avec les travaux du regretté M. Delevoye, nous avons tous bien compris que vous proposez un âge fluctuant, un âge mystère appelé à évoluer avec le temps dans le sens d’une augmentation de la durée du temps de travail. L’âge de départ de la génération qui partira à la retraite dans les années 2080 sera d’au moins 67 ans, ce qui constitue une régression totale.
C’est un débat de fond : toute l’histoire du mouvement ouvrier et de la République sociale a tendu à ce que le temps de travail ne soit pas augmenté pour bénéficier d’une retraite complète. En l’occurrence, il n’y a aucune « liberté » dans ce que vous proposez, non au sens d’un dirigeant du mouvement ouvrier mais au sens d’un père dominicain, Lacordaire, l’une des figures du catholicisme social, selon qui « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
Il est temps que la loi affranchisse les travailleurs en fixant l’âge de départ à 60 ans, tel que nous le proposons, plutôt que de défendre la liberté de partir à 67 ou, pourquoi pas, demain, à 70 ans ! Légiférons en faisant taire cette ambiguïté et adoptons cet amendement qui dira à des millions de travailleurs qu’ils pourront enfin bénéficier, à 60 ans, d’une retraite bien méritée !
Mme Caroline Fiat. La semaine dernière, monsieur le secrétaire d’État, vous avez oublié de me répondre à propos du cas de Marie, exposé sur le simulateur que vous avez mis en ligne pour calculer le montant des retraites. Infirmière née en 2002, elle aurait commencé à travailler à 23 ans, en 2025, et prendrait sa retraite en 2068, son revenu équivalant à 30 000 euros annuels pendant toute sa carrière, soit 2 500 euros par mois. Je vous avais proposé un questionnaire à choix multiples avec trois propositions : a) vous nous mentiez pour que l’on croie que Marie aura une retraite digne en assurant qu’elle gagne 2 500 euros mensuels ; b) vous annonciez que Mme la ministre Buzyn augmenterait enfin les salaires des personnels hospitaliers en les payant 2 500 euros mensuels ; c) vous misiez sur l’arrivée au pouvoir de La France insoumise en 2025, de manière que les personnels hospitaliers soient payés dignement.
Vous n’aviez pas répondu. Reprenant le cas de Marie, je constate qu’elle prendra sa retraite en 2068, à 66 ans, après avoir subi les conditions de travail dont je vous parle depuis deux ans et demi : les patients sont maltraités, nous n’avons pas les moyens de travailler dignement, nous manquons de brancards, des moyens nécessaires aux soins. Onze mois que mes collègues sont en grève, vous savez, celles que vous ignorez parce qu’elles sont réquisitionnées et qu’on ne les voit pas dans la rue !
Pouvez-vous confirmer une telle simulation, monsieur le secrétaire d’État, et dire à mes collègues qu’elles partiront à la retraite à 66 ans ? Si tel n’est pas le cas, appelez donc à voter l’amendement n° 1445 proposant un départ à un âge digne après avoir travaillé dans des conditions dignes !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je tiens à me montrer un peu solennel à propos de cet amendement visant à introduire à l’alinéa 8 l’âge minimum de 60 ans pour partir à la retraite. Il m’a en effet semblé qu’hier, vous avez été surpris et que vous n’avez pas pris cela pour une véritable proposition. J’affirme donc solennellement que deux formations politiques au moins, dans l’hémicycle – La France insoumise et les communistes – réclament la retraite à 60 ans après quarante annuités, ce qui, d’ailleurs, est encore trop. C’est en effet pour nous un objectif de civilisation.
J’étais bien jeune homme que j’allais, mon Programme commun à la main, en Franche-Comté, de porte en porte. Les gens qui me recevaient se félicitaient que, contrairement à eux, les jeunes croyaient à la retraite à 60 ans. Celle-ci était alors bien plus tardive et, parfois, leurs propres parents n’en avaient pas bénéficié. Et nous avons fini par avoir le dernier mot ! La retraite à 60 ans semblait si inimaginable, si magique que cela vaut la peine de l’avoir fait pour tous ces gens. Avez-vous entendu dire que le pays avait été ruiné ?
L’espérance de vie en bonne santé aujourd’hui est, dit-on, de 63 ans et quelques. Et c’est l’âge que vous voulez fixer pour qu’il soit possible de partir à la retraite ! Ces trois ans valent la peine d’être disputés, que l’on se batte pour eux ! Je le répète, rien n’oblige à faire travailler les gens plus longtemps ! Il vous suffirait de décider, par exemple, que les femmes sont payées comme les hommes, d’augmenter de un, deux ou trois points le niveau des salaires ou de répartir autrement la masse immense des richesses produites, et vous pouvez financer le départ à 60 ans ! La retraite à 60 ans reviendra dans ce pays, en même temps que nous, lorsque nous serons au pouvoir !
M. Adrien Quatennens. Cet amendement identique n° 1452 illustre la différence de nos logiques. La vôtre est comptable, austéritaire, budgétaire : il s’agit de faire chuter la part des richesses produites consacrée aux retraites, la variable d’ajustement pour ce faire étant la vie des gens en jouant sur l’âge de départ à taux plein. De surcroît, vous encouragez ainsi la capitalisation comme jamais. La nôtre est à l’opposé. Il s’agit de répondre à cette question fondamentale : à quel âge doit‑on partir ? Quelle idée la France se fait-elle de l’âge décent pour partir en retraite après une vie de travail ?
Quand on sait que l’espérance de vie en bonne santé est de 63 ans, alors, oui, 60 ans est un objectif désirable, n’est-ce pas ? Je vous pose la question, en sachant qu’il en est une autre qui vous angoisse, qui concerne le financement. À celle-là, nous sommes, quant à nous, très à l’aise pour répondre.
Est-il donc désirable, du point de vue du progrès humain, de limiter le temps de travail ? L’histoire sociale de notre pays montre que oui. Rassurez-vous, la productivité a augmenté : un actif, aujourd’hui, produit bien plus qu’auparavant ! À quoi bon travailler plus longtemps que ce qui est nécessaire pour satisfaire nos besoins ?
J’en arrive à la question qui vous angoisse : comment financer ? Le président Mélenchon vous a dit à l’instant que la hausse de cotisations qu’induirait une égalité salariale entre les femmes et les hommes permettrait de financer la retraite à 60 ans à court terme. Pour les moyen et long termes, toutes les projections économiques montrent que l’augmentation des salaires et des cotisations – ces dernières augmentant moins rapidement que les premiers –financerait la retraite à 60 ans.
Oui, l’objectif doit être de soulager les gens et de libérer du temps ! Mais vous faites tout l’inverse : vous mettez la vie des gens au service d’objectifs comptables. Ce n’est pas cela un bon, un juste, un simple projet de réforme des retraites pour tous ! Avec vous, il ne reste rien.
M. Pierre Dharréville. Par l’amendement n° 14660, nous essayons de limiter la portée négative et les insuffisances de la loi.
L’alinéa 8 fait état d’« un objectif de liberté de choix pour les assurés, leur permettant, sous réserve d’un âge minimum, de décider de leur date de départ à la retraite en fonction du montant de leur retraite ». Au passage, nous remarquons que vous ôtez toute pertinence à l’âge légal de départ, qui est de 62 ans, avec la création d’un âge d’équilibre qui finira par le supplanter. Dans ces conditions, l’âge légal n’est pas autre chose qu’un âge de départ anticipé avec une décote.
Nous proposons, quant à nous, d’inscrire dans la loi, non pas un âge minimum, mais un « âge garantissant un départ en bonne santé ». J’en conviens, c’est assez bancal – nous avons d’ailleurs formulé d’autres propositions –, mais nous réintroduisons cette notion, car vous avez essayé de la balayer.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis d’accord avec vous sur un point, monsieur Mélenchon. Le système de répartition tel que nous le connaissons a remporté un immense succès, depuis l’après-guerre, en réduisant la pauvreté des retraités. C’est justement parce que nous le constatons que nous tenons à le pérenniser. Cependant, si succès il y a, d’importantes poches de pauvreté demeurent dans certaines catégories, car ce système par répartition et par corporations crée des difficultés pour toutes celles qui connaissent des problèmes démographiques. Nous voulons donc mutualiser ces différentes corporations afin que la nation assure un système solidaire à l’ensemble de nos retraités.
Vous avez également déclaré, monsieur Mélenchon, qu’il suffit de fixer l’âge de départ à 60 ans, qu’il suffit d’augmenter la proportion des impôts et là, je ne suis évidemment plus d’accord. Nous considérons, quant à nous, qu’il suffit d’un peu de bon sens. Il permet de constater que l’âge d’entrée dans la vie active recule, que l’espérance de vie augmente.
Vous allez me dire que vous n’avez pas eu le temps de prendre connaissance de l’intégralité de l’étude d’impact, mais vous trouverez, à la page 39, un diagramme sur l’espérance de vie après la sortie du marché du travail dans tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques : la France y est la mieux placée, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, ce dont nous pouvons être fiers. Il est compliqué, alors que de nombreux pays engagent un certain nombre de réformes, que la France soit la seule à s’en exonérer. Je souhaite que nous conservions cette première place, mais il faut aussi regarder ce qui se passe chez tous nos voisins. Nous réformons pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie.
Dernier constat de bon sens à travers une observation personnelle, ce dont je ne suis pas coutumier. J’ai perdu ma dernière grand-mère il y a un mois. Mon épouse et moi avions observé, quelque temps auparavant, que tous nos enfants font des études, que nos parents respectifs sont à la retraite et que c’était aussi le cas de ma grand-mère, qui représentait alors la génération d’avant. Deux actifs, ainsi, supportaient trois générations. Le système solidaire en vigueur dans notre pays nous donne la chance de pouvoir le faire en offrant à ces dernières un niveau de vie satisfaisant, mais un certain nombre de nos concitoyens comprend bien qu’il peut être difficile pour eux-mêmes, s’ils n’ont pas la chance d’avoir le même niveau de vie que nous, d’assumer le maintien d’un niveau de vie correct de trois générations.
Un peu de bon sens permet donc de constater la nécessité d’un partage équilibré entre l’augmentation de l’espérance de vie et l’augmentation de la durée de la vie active.
Avis défavorable à l’ensemble des amendements.
M. Éric Woerth. Il serait certes possible d’inscrire un âge dans la loi – 63 ans dans trois ans, 64 ans, plus tard, etc. –, mais fixer un retour à l’âge de 60 ans me semble un peu démagogique et, surtout, anachronique et dangereux pour un système par répartition. Cela reviendrait à faire porter sur les actifs une charge qu’ils ne doivent ni ne peuvent supporter, et cela reviendrait à diminuer le montant des pensions.
Comment les autres pays procèdent-ils ? Ils y arrivent plutôt bien. Nous avons suffisamment de dispositifs, que nous pouvons améliorer – comme l’ont fait tous les gouvernements et comme le fera celui-ci, car cette réforme comporte des points positifs en matière de justice et d’équilibre. Chaque Gouvernement y contribue donc, mais il faut aussi qu’il y contribue en trouvant des financements.
Toutes ces questions se posent en raison d’une bonne nouvelle : nous vivons plus longtemps ! Il convient simplement d’en tirer les conclusions en trouvant un équilibre entre le temps de travail et le temps de la retraite. Il y a quelques années, le temps de la retraite, grossièrement, était le temps de mourir. Vous rendez-vous compte de ce qui a été fait depuis lors ? Vous rendez-vous compte à quel point on peut désormais profiter de ce temps ? La question n’est pas uniquement celle, sur laquelle vous vous arc-boutez, d’une bonne santé ou non. Vous semblez totalement ignorer les dispositifs liés à la pénibilité ou aux carrières longues !
Vous méconnaissez le système de retraite, de même que la nécessité du travail, et vous voulez anéantir toute justice intergénérationnelle alors qu’elle est très importante. Vous n’avez pas le droit de mettre autant de charges sur le dos des générations qui nous succèderont.
M. Charles de Courson. Cet alinéa 8 est-il bien rédigé ? Je ne le crois pas.
Nous évoquons un âge minimum mais, avec les quarante-deux régimes existants que nous connaissons, il est déjà très différent en fonction des catégories ! L’avis du Conseil d’État illustre excellemment qu’en l’état du texte, le régime universel est un ensemble de régimes particuliers. Il serait donc préférable d’inscrire dans la loi « d’un âge minimum différencié », d’autant plus que telle est l’intention du Gouvernement – si je l’ai bien comprise. Il ne faudrait pas que le texte interdise une telle possibilité, n’est-ce pas, monsieur le secrétaire d’État !
Je lis l’amendement de notre collègue Corbière a contrario : il vise à montrer qu’il est impossible de fixer un âge minimum standard. Il serait donc préférable d’évoquer un âge minimum « différencié ».
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous finissons par nous dire des choses et peut-être, à la fin, nous comprendrons-nous, quitte à faire des choix différents.
Selon notre rapporteur, si je l’ai bien compris, le système en vigueur a permis de parvenir à un beau résultat : l’éradication progressive de la pauvreté chez les retraités – nous étions en effet sur le point d’en venir à bout –, même si les disparités sont considérables. Je vous ferai remarquer, à ce propos, que ces disparités ont-elles-mêmes une histoire. Les corporations qui ne voulaient pas participer au régime général se sont rendu compte en cours de route de leur immense erreur. À l’époque, on leur prêchait la liberté individuelle et tout le bla-bla. Au final, les salariés, c’est‑à‑dire les ouvriers des villes, ont pris en charge les retraites des autres ce qui, d’une certaine manière, ne me dérange pas parce que la justice y avait sa part : pendant des générations, les paysans français ont payé par la baisse des produits agricoles la majoration du pouvoir d’achat des ouvriers. C’est la vérité vraie, et c’est comme cela que cet amortisseur social a permis de contenir la situation.
Deux collègues ont dit qu’il n’était pas possible de charger les actifs par une prise en charge écrasante, mais à revenus constants ! Si vous déplacez le curseur, il en sera tout autrement ! Aujourd’hui, un salarié français produit trois fois plus qu’en 1970, mais le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital est passée de 70 %-30 % en 1982, à l’acmé de notre politique, à 60 %-40 % – j’admets que 1982 fut une année extraordinaire en raison de l’application du Programme commun. Si l’on déplace le curseur d’un ou deux points, le problème est réglé ! Ce ne sont pas les actifs qui ont à prendre cette charge sur le dos : c’est la répartition de la plus‑value entre le capital et le travail !
De grâce, ne faisons pas comme si la taille du gâteau était invariable !
M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vous avez reconnu que le système en vigueur a fait reculer la pauvreté et sans doute même permis d’augmenter l’espérance de vie en bonne santé – vous avez fait part des chiffres de l’INSEE. Il est donc incompréhensible de l’attaquer alors qu’il avait quelques vertus !
Le problème, cet alinéa en témoigne, c’est que le texte ne comporte aucune assurance quant au taux de remplacement et à l’âge de départ. Ce que vous proposez, ce sont deux variables d’ajustement. Or vous oubliez l’antagonisme qui existe dans la société et qui sépare, grossièrement, ceux qui possèdent et ceux qui travaillent. Vous ne voulez pas vous attaquer à toute une masse d’argent qui échappe à la contribution aux besoins communs. Vous raisonnez à périmètre constant et vous voulez même le réduire pour que la propriété de quelques-uns continue de s’accroître. Nous, nous disons qu’il est possible de financer un véritable droit à la retraite si l’on s’en donne les moyens, au lieu de continuer à assécher les ressources de la sécurité sociale, de la protection sociale et de la retraite.
Le désaccord entre nous est total : nous pensons qu’il est possible de garantir le droit à la retraite à 60 ans.
M. le rapporteur général. Dans ce débat passionnant, notre rapporteur considère, me semble-t-il, que l’important c’est de protéger notre système de retraite et de tout faire pour qu’il perdure. À cette fin, il faut regarder notre société telle qu’elle est aujourd’hui et pas telle que l’on voudrait qu’elle soit.
Oui, c’est une réalité, nous sommes confrontés à un vieillissement de notre population, de l’ensemble des populations des pays occidentaux. J’ajoute que ce vieillissement, contrairement à ce que j’ai entendu à plusieurs reprises, ne s’explique pas uniquement par l’abaissement de l’âge de la retraite mais aussi par des progrès médicaux, dans le monde entier. C’est cela qui a accru l’espérance de vie et il faut le prendre en compte pour améliorer notre système, tout en luttant contre les inégalités qui l’affectent.
À entendre les uns et les autres, notamment à gauche, j’ai l’impression que tout le monde, aujourd’hui, part à 62 ans. Ce n’est pas le cas ! C’est en effet l’âge légal, mais l’âge moyen de départ se situe à 63,5 ans, si on exclut les départs anticipés ; 25 % de nos concitoyens partent à la retraite entre 64 et 67 ans, 67 ans étant l’âge d’annulation de la décote – notre système tel qu’il est aujourd’hui en contient bel et bien déjà une.
Dans le système que nous instaurons, en revanche, nous voulons abaisser l’âge de la décote à l’âge d’équilibre qui sera défini, ce qui permettra aux 30 % de nos concitoyens qui, souvent, ont connu les carrières les plus difficiles et ont les pensions les plus basses – les études, en tout cas, l’attestent –, de partir plus tôt avec une pension à taux plein.
La commission rejette successivement les amendements.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous suspendons nos travaux pour tenir la réunion de bureau dont nous avons décidé en début de séance.
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4. Réunion du mardi 4 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 311 amendements ; il nous en reste donc 20 135 à examiner.
Conformément à ce qui a été décidé lors de notre séance de l’après-midi, j’ai réuni le bureau de notre commission. Le bureau a constaté qu’en l’état des travaux de la commission spéciale, il ne peut être exclu que la discussion du projet de loi ordinaire se poursuive jusqu’au mardi 11 février inclus, y compris les samedi 8 et dimanche 9 février, et que la discussion du projet de loi organique se tienne le mardi 12 février.
Le bureau a décidé que dans les séries d’amendements identiques déposés par un même groupe, chaque amendement pourra être défendu par son auteur, pour une durée ne pouvant excéder une minute.
Enfin, le bureau a convenu de faire à nouveau le point vendredi 7 février sur les modalités d’organisation et le calendrier des travaux de la commission spéciale.
M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la présidente, j’entends protester contre cette décision au nom du groupe La France insoumise. Elle est contraire à ce que vous avez annoncé il y a une journée à peine : nous n’en sommes qu’au deuxième jour de discussion, et vous voilà déjà conduits à raccourcir le temps de parole de l’opposition.
En toute hypothèse, aucune discussion d’aucune sorte ne tiendra dans le délai prévu, nous le savons depuis la première heure du premier jour. Nous avions adapté nos arguments en conséquence afin de vous présenter, à chaque amendement défendu, un aspect particulier de notre raisonnement.
À quoi bon réduire le temps de parole ? Cela ne raccourcira pas la procédure et n’aura aucun résultat. Parler en une minute est un défi, contraire au bon sens, qui réserve la parole à ceux capables de développer un argument dans un délai si court. J’ai été parlementaire européen, je suis à votre disposition pour parler 30 secondes s’il le faut, mais ce ne sont pas de bonnes conditions pour échanger.
Il me semblait que nous menions un vrai échange intellectuel sur le fond du dossier. Comment allons-nous faire avec un temps de parole d’une minute, quel est le sens d’une telle décision, madame la présidente ? C’est incompréhensible.
M. Adrien Quatennens. Depuis le début de nos travaux, les parlementaires de la majorité nous assènent régulièrement des leçons de démocratie. Je rappelle que nous discutons d’un texte contesté par une majorité de Français, qui ne correspond pas aux engagements de la campagne présidentielle, et qu’une étude d’impact truquée nous a été remise.
M. Jean-Jacques Bridey. À croire qu’elle vous embête, cette étude d’impact !
M. Adrien Quatennens. Et après 24 heures de débats au cours desquels nous avons peu entendu la majorité parlementaire, vous prétendez octroyer le droit de continuer à défendre les amendements, mais vous réduisez de moitié le temps de parole pour le faire.
Vous disiez cet après-midi que cette façon de faire serait plus respectueuse pour nos concitoyens qui suivent nos débats. Il se trouve qu’à l’instant où le bureau de la commission prenait cette décision, nous nous sommes chargés de la faire connaître, car il n’est pas question que les conditions de ce débat ne soient pas connues hors de ces couloirs. À l’heure qu’il est, votre décision de diviser par deux le temps de parole des parlementaires circule sur les réseaux sociaux...
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est devenu une habitude !
M. Adrien Quatennens. Chacun pourra juger du niveau de mépris manifesté à l’égard du Parlement dans ce débat essentiel sur les retraites.
M. Jean-Jacques Bridey. Et vos 20 000 amendements, ce n’est pas du mépris ?
M. Ugo Bernalicis. Non, c’est du travail !
M. Thibault Bazin. Madame la présidente, les services de l’Assemblée ont-ils réalisé une simulation, en prenant en compte ces nouvelles règles de temps de parole et les séances ouvertes samedi et dimanche, afin de déterminer si nous serons en mesure d’examiner le projet de loi, avec le sérieux requis, d’ici à lundi soir ?
Si ce n’est pas le cas, tous les amendements adoptés d’ici là tomberaient et nous en reviendrions à la version initiale du texte du Gouvernement : notre travail n’aurait servi à rien. Pourquoi cette date butoir ? Si nous avons besoin de deux ou trois jours de plus, pourquoi ne pas nous donner le temps nécessaire pour faire une réforme sérieuse et sincère ?
M. Sébastien Jumel. Le Gouvernement a décidé de recourir à la procédure accélérée. Il a décidé de renvoyer à vingt-neuf ordonnances, privant ainsi le Parlement de sa capacité à modifier et enrichir la loi dans le champ de ces ordonnances. Une étude d’impact, tronquée et pipée, nous a été livrée, mais dans des conditions qui ne permettent pas son analyse.
Vous créez les conditions pour alimenter un recours devant le Conseil constitutionnel, et nous ferons aisément la démonstration que les débats n’ont pas été éclairés, que les droits fondamentaux attachés individuellement à chacun des députés – droits d’amendement et droit de défendre ses amendements – n’ont pas été respectés. Après l’avis du Conseil d’État, vous nous donnez des arguments supplémentaires. C’est tant mieux pour nous, car ils nous permettront de nous opposer à votre texte, mais je tiens à vous mettre en garde.
Je m’oppose à la décision du bureau de cette commission spéciale, mais j’aimerais que vous nous la précisiez : vous prévoyez un temps de parole d’une minute pour les amendements identiques présentés par un même groupe ; est-ce à dire que pour les autres amendements, nous aurons toujours droit à 2 minutes ?
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. En effet.
M. Sébastien Jumel. C’est moins pire que si c’était mieux, comme disait ma grand‑mère... Reste que le scénario est écrit, au bout du compte : vous allez tenter de faire passer en force un projet rejeté par l’opinion publique. Nous ne savons pas encore si vous allez recourir au vote bloqué, ou à l’article 49, alinéa 3, sans doute cherchez-vous encore le meilleur moyen. Mais que vous soyez dans la confidence ou non, vous êtes l’instrument de cette manœuvre. Nous allons débattre pendant plusieurs jours pour, in fine, revenir au texte dans sa version originale, c’est-à-dire celle issue du rapport Delevoye, qui n’a tenu aucun compte des discussions avec les organisations syndicales, ni de la concertation en cours sur les financements.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Jumel.
M. Sébastien Jumel. Le chronomètre n’est pas déclenché, vous n’avez aucun repère pour estimer mon temps de parole.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mon repère, ce sont les demandes de parole des autres députés, et je les respecte.
M. Sébastien Jumel. Je termine mon argumentation. Je respecte profondément mes collègues, et je souhaite qu’ils bénéficient du même temps de parole que moi, voire plus s’ils ont des choses à dire – ce qui n’est pas évident vu le vœu de silence, d’obéissance et d’allégeance des membres de la majorité.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous aimerions bien en tout cas ne plus nous faire insulter à longueur de temps.
M. Sébastien Jumel. Ai-je insulté qui que ce soit ?
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous n’arrêtez pas !
M. Sébastien Jumel. Repassez l’enregistrement vidéo, comme on le fait lors des matchs de football...
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Qui a parlé de vœu d’allégeance ?
M. Sébastien Jumel. Allégeance, ce n’est pas une insulte, pas plus qu’obéissance !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est une insulte, tout comme les « Playmobil sans cœur » hier. J’ai dû vous reprendre à de multiples reprises.
M. Sébastien Jumel. Playmobil, ce n’est pas un gros mot, c’est un jouet !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Arrêtons de jouer, justement. Si vous demandez le respect, faites-en preuve à l’égard des autres.
M. Sébastien Jumel. J’ai le plus grand respect pour vous, madame la présidente, mais je m’oppose fortement.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ce n’est pas une raison !
M. Alexis Corbière. Chacun d’entre nous est censé maîtriser en deux ou trois jours les mille pages de l’étude d’impact, ce qui est rigoureusement impossible et traduit les conditions terribles dans lesquelles nous sommes placés. Nous avons commencé nos travaux depuis à peine une journée et vous réduisez déjà le temps de parole des parlementaires de moitié. Peut-être allez-vous le ramener demain à quelques secondes ? Malgré cela, les délais qui nous sont imposés ne pourront pas être tenus.
Soyons raisonnables : tout cela ne rime à rien, ce n’est pas de notre fait ; c’est par la volonté du Gouvernement que nous sommes placés dans des conditions impossibles. Le Gouvernement a mis le pays sens dessus dessous et veut passer en force. Nous sommes dix‑sept parlementaires...
M. Jean-Jacques Bridey. Et nous trois cents !
M. Alexis Corbière. Je parle au nom du groupe La France insoumise. Suite à cette décision du bureau, nous viendrons encore plus nombreux au sein de cette commission afin de défendre l’ensemble de nos amendements. Rien ne nous affaiblira.
Et malgré cette réduction du temps de parole, les délais qui nous sont imposés ne permettront pas d’étudier l’ensemble des amendements. Il n’est pas possible que ce texte soit étudié dans les quinze jours qui viennent, quelles que soient les brimades faites à l’ensemble des députés, et particulièrement à ceux de l’opposition. Ces conditions de travail ne sont pas raisonnables, elles sont méprisantes, madame la présidente, je vous invite à en tirer les conséquences : cessez de réduire le temps de parole des députés et de brimer le travail parlementaire.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Corbière, c’est une décision du bureau qu’il me revient de respecter. Et vous ne serez brimés d’aucune façon puisque vous vous êtes organisés autrement : dont acte.
Je respecte toutes les nuances au sein de cette commission spéciale, vous n’y êtes pas seuls. Certains souhaitent défendre d’autres amendements que les vôtres, ils ont aussi travaillé sur ce texte. Vous n’empêcherez pas les autres députés de cette commission spéciale de défendre leurs propres amendements, même si cela vous fait mal aux oreilles !
M. Boris Vallaud. Madame la présidente, cette décision n’a pas été prise à l’unanimité du bureau. Je me suis opposé à cette restriction au droit d’amendement.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Vallaud, vous avez voté pour limiter à une minute le temps de parole en défense des amendements identiques.
M. Boris Vallaud. Non, j’ai voté contre ! Consultez donc le compte rendu, il y a des témoins ! Respectez au moins le vote du vice-président de votre bureau, sinon je démissionne. Je ne serai pas votre pantin !
Le problème de fond, c’est le temps programmé et la procédure accélérée qui nous est imposée. La Conférence des présidents pouvait faire d’autres choix, cela n’a pas été le cas, il faut le déplorer. Il est loisible à chaque député de prendre la parole sur chaque amendement, y compris ceux dont il n’est pas signataire.
Nos débats au cours de l’après-midi étaient de qualité ; nous avons pu aller au fond des choses en suivant les règles habituelles. Il n’y avait pas de motif impérieux pour réduire le temps de parole.
M. Stéphane Viry. Compte tenu des premières heures d’examen du texte par notre commission spéciale, cette réunion de bureau s’imposait pour trouver une façon d’avancer. Nous nous sommes portés candidats à cette commission spéciale pour faire en sorte que nos travaux aient du sens, et des conséquences. Si nous n’avons pas le temps d’achever nos travaux, nous craignons que tout cela ne serve à rien. Le calendrier est court, les délais restreints, et nous pouvons nous interroger sur ce qu’il adviendra des amendements adoptés et de ceux qui n’ont pas été examinés.
Le groupe Les Républicains souhaite présenter un contre-projet à cette réforme du système de retraite, et nous espérons que nous aurons les moyens de nous exprimer au cours des travaux de cette commission spéciale. À défaut, ce ne serait qu’un marché de dupes, une pure théâtralisation, et nous ne tiendrions pas notre rang. Nous avons des choses à dire sur cette réforme et nous espérons pouvoir le faire dans les heures qui viendront.
Ajoutons que si nous prolongions nos travaux jusqu’au mercredi 12, le délai de dépôt des amendements pour la séance, fixé au jeudi 13, serait excessivement court.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Dans cette hypothèse, le délai de dépôt des amendements devrait être décalé.
M. Jean-Pierre Door. Nous sommes pour une réforme des retraites, mais pas la même que la vôtre. Nous avons fait part de nos propositions, qui sont pour l’instant restées lettre morte.
Pourquoi prolonger nos débats jusqu’à la semaine prochaine alors que la conférence sur le financement engagé avant-hier ne donnera ses réponses que le 6 avril, lors de la prochaine assemblée plénière ? Nous débattons d’un projet non financé, totalement insincère. À quoi bon débattre de ces 20 000 amendements de blocage ?
M. Thierry Michels. Chacun d’entre nous a intérêt à ce que la commission mène ses travaux de la manière la plus complète possible, et les dispositions prises par le bureau sont de nature à favoriser l’examen le plus complet du texte.
M. Éric Coquerel. J’arrive au sein de cette commission, j’apprends que le temps de parole y est réduit... Je n’y vois pas de lien causal, mais je suis néanmoins surpris.
Mes chers collègues de La République en Marche, vous venez de connaître un accident avec le rejet du congé parental en cas de décès d’un enfant ; voilà que vous vous apprêtez, sur une réforme structurelle qui constitue un des piliers du patrimoine social français, à passer en procédure accélérée, faisant fi de l’opposition au sein de cette assemblée.
Vous prétendez que les dizaines de milliers d’amendements brouillent le calendrier prévu. Pour mémoire, 136 000 amendements avaient été déposés pour l’examen du projet de loi de privatisation de Gaz de France en 2006 : nous sommes très loin du compte.
Faire passer une réforme des retraites en procédure accélérée est déjà largement critiquable. Vous nous demandez d’assimiler une étude d’impact immense en quelques jours, vous prévoyez le recours à des ordonnances pour définir de grandes parties de la réforme une fois cette loi adoptée et, dès le début, vous réduisez le temps de parole des députés !
Je peux vous dire la suite : en dépit des assurances que vous avez données et du souhait de certains députés, vous aller recourir à l’article 49, alinéa 3, pour tenir votre calendrier. C’est écrit ! Mais cela ne fonctionnera pas, car beaucoup de gens s’intéressent aux travaux de cette commission et constatent qu’une fois de plus, vous faites en sorte de raccourcir les débats et de faire taire l’opposition, qu’elle s’exprime à l’Assemblée ou dans la rue. À votre place, je réunirais à nouveau le bureau pour réfléchir aux conséquences de cette division par deux du temps de parole. Pour débattre d’un projet de loi exceptionnel, vous ne pouvez pas prendre de mesures d’exception.
M. Pierre Dharréville. Nous avons un problème pour examiner ce texte dans de bonnes conditions. Une solution assez simple consisterait à suggérer habilement au Gouvernement de renoncer à faire commencer les travaux dans l’hémicycle le 17 février et d’abandonner la procédure accélérée afin de laisser le temps nécessaire au débat sur une réforme qui nous engage pour les décennies à venir. Si le Gouvernement décidait de desserrer le calendrier, tout le monde y gagnerait.
M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Je regrette la manière dont nos travaux ont commencé, par des propos irrespectueux envers notre présidente et irrespectueux des décisions du bureau de cette commission. N’en déplaise à certains, en démocratie, des règles définissent notre mode de fonctionnement, nous ne sommes pas en anarchie.
M. Ugo Bernalicis. Vous êtes sûrs que nous ne sommes pas dans une ZAD ?
M. le rapporteur général. La ZAD, c’est ce que vous proposez, nous proposons autre chose. Vous prétendez que le débat n’aura pas lieu, mais nous avons 20 135 amendements à discuter, et nous discuterons article par article, jusqu’au bout. Peut‑être que certains répéteront en boucle les mêmes arguments, mais le groupe La République en Marche prend aussi la parole pour défendre ce projet, de manière certes moins répétitive.
J’espère que nous allons réussir à avancer, car comme le disait Stéphane Viry, il faut débattre sur le fond, projet contre projet. Tous les groupes d’opposition n’ont pas la même stratégie ; l’un d’entre eux a choisi de déposer 19 000 amendements pour dégrader la qualité de nos travaux et empêcher le débat légitime entre la majorité et l’opposition. J’espère que nous en reviendrons le plus rapidement possible à un débat de fond, et non de slogans.
M. Olivier Véran. Si nous faisons un peu de mathématiques, 18 000 amendements présentés par La France insoumise, à raison d’une minute de temps de parole pour chacun, cela fait 18 000 minutes uniquement pour la présentation des amendements de LFI, autrement dit 300 heures de débat. En comptant 10 heures de débat par jour, et en admettant que nous siégions tous les week-ends, le groupe LFI a un temps de parole de 30 jours !
Je ne voudrais pas que les Français considèrent que nous sommes en train de vous priver de parole. L’un d’entre vous parlait de ZAD, nous ne sommes pas en train de Zigouiller Allégrement les Débats ! En revanche, je pense qu’un certain zèle peut abîmer la démocratie.
Les députés du groupe La France insoumise ont 300 heures de temps de parole, uniquement pour présenter leurs amendements : il est évident que nous ne sommes pas en train de les priver de temps de parole.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous allons maintenant reprendre nos travaux, et poursuivre l’examen des articles du projet de loi.
Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition
La commission se saisit de l’amendement n° 14661 de M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. C’est avec un profond respect, comme depuis le début des débats, que je vais défendre cet amendement, qui tend à supprimer la fin de l’alinéa 8.
Avec ce mauvais projet, vous tentez de convaincre qu’il va falloir travailler plus, plus longtemps, pour finalement gagner moins. Nous condamnons la mécanique qui nous fera travailler plus longtemps sans aucune garantie sur le taux de remplacement, le niveau des pensions et la prise en compte des critères de pénibilité.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Contrairement à ce qu’indique votre exposé sommaire, la rédaction du projet de loi ne correspond pas à une manœuvre, mais à la simple possibilité pour les assurés de décider librement de leur date de départ.
La méthode par points, plus lisible et compréhensible, permet d’estimer assez longtemps à l’avance le montant de la retraite dont on pourra bénéficier, dans la mesure où, à salaire égal, le nombre de points sera égal chaque année. Allez demander à un Français de 50 ans quel sera l’ordre de grandeur de sa retraite : il n’en a aucune idée. C’est en comprenant le système que l’on peut choisir la décision optimale pour soi en fonction de son projet de vie personnel. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis. Je trouve assez dingue cette manière de concevoir l’âge du départ à la retraite en fonction du montant de la pension ! Dans cet alinéa, vous expliquez assez crûment qu’on aura le choix : ou bien partir dans des conditions parfois difficiles, avec des pensions plus faibles, ou continuer à bosser pour toucher une retraite plus élevée.
Qu’en penserait l’ancien directeur général de la police nationale, M. Éric Morvan ? Il vient de prendre sa retraite anticipée car il en avait plein le dos d’assumer la politique de votre Gouvernement, ce maintien de l’ordre chaotique, le préfet Lallement qui vient marcher sur ses plates-bandes... Il ne savait plus à quoi il servait, et il a finalement liquidé sa retraite alors qu’il aurait pu travailler plus longtemps. Selon vous, il a fait une croix sur une retraite plus élevée en toute liberté de choix, c’est librement qu’il est parti plus tôt pour gagner moins... Est-ce votre conception de la liberté ? Si M. Morvan avait eu de bonnes conditions de travail, si tout se passait bien dans le pays, serait-il parti dans ces conditions ? Évidemment non. Il est totalement hypocrite de parler dans la même phrase de liberté de choix et de date de départ à la retraite en fonction du montant de la retraite. Les camarades communistes ont donc raison de supprimer le dernier élément de la phrase : si le montant de la retraite est le seul critère pour s’en aller, c’est dire l’idée que vous avez de ce que devrait être la retraite...
M. Sébastien Jumel. Monsieur le rapporteur, vous avez expliqué que cette liberté de choix est une liberté sous contrainte : on aura le choix entre amputer son niveau de pension par l’application d’une décote si l’on veut partir avec des conditions d’espérance de vie raisonnables, ou bien travailler plus longtemps pour partir avec un niveau de retraite satisfaisant, mais en prenant le risque d’aggraver sa situation de santé... Preuve est faite que ce libre choix n’existe pas. Votre projet a bien été résumé par le MEDEF : il s’agit de faire porter aux salariés tout l’effort de la contribution.
La commission rejette l’amendement.
Elle est saisie de huit amendements identiques n° 1459 de M. Ugo Bernalicis, n° 1460 de M. Éric Coquerel, n° 1461 de M. Alexis Corbière, n° 1462 de Mme Caroline Fiat, n° 1464 de M. Michel Larive, n° 1465 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 1468 de M. Loïc Prud’homme et n° 1469 de M. Adrien Quatennens.
M. Ugo Bernalicis. Dans l’hypothèse malheureuse où ce projet de loi serait promulgué, nous souhaitons que le Gouvernement remette un rapport visant à instaurer l’âge minimal légal de départ à taux plein à 60 ans.
Est-il possible de partir à taux plein à 60 ans, avec les paramètres que nous avons sous les yeux ? Avons-nous les moyens de le faire ? C’est la question que nous creusons dans le contre-projet de La France insoumise, que vous pouvez retrouver en ligne.
Vous avez parlé de l’inflation et du produit intérieur brut (PIB), qui augmentent tous les ans d’à peine 2 %. Mais il y a des revenus qui augmentent bien plus vite tous les ans, ce sont les dividendes des entreprises du CAC40 : ça crache du 12 % ! De l’argent, il y en a, pour financer la retraite à 60 ans par exemple.
M. Éric Coquerel. Ces amendements soulèvent la question civilisationnelle derrière cette réforme. Depuis des décennies, voire un siècle, la productivité par travailleur, matérielle et intellectuelle ne cesse de croître, et la richesse de même.
Parallèlement à la hausse des profits, on s’échine à ce que chacun travaille plus : on remet en question la durée hebdomadaire du travail est remise en cause, et maintenant ce fléchissement séculaire de l’âge du départ à la retraite : on peut donc parler d’un recul civilisationnel.
Une fois les richesses produites, va-t-on demander aux gens de travailler plus longtemps, ou au contraire de permettre à tout le monde d’en profiter en diminuant le temps de travail ? C’est toute une question de civilisation, qui nous oppose fondamentalement et qui illustre votre réforme et votre loi.
M. Alexis Corbière. Je ne doute pas que la commission adoptera cet amendement qui va dans la logique des choses. C’est presque un amendement de repli : si par malheur votre projet de loi était adopté, le débat doit continuer.
La marche de l’histoire, depuis toujours, voit l’être humain chercher à se libérer des contraintes du travail, à réduire le temps de travail et à créer les conditions pour jouir d’une période de vie digne, sans être trop abîmé au sortir de sa vie professionnelle. Vous en êtes tellement conscients qu’Emmanuel Macron s’était engagé lors de la campagne présidentielle à ne pas modifier l’âge de départ à la retraite : je vous renvoie à la page 13 de son programme. Aucun Président de la République n’a été élu en déclarant qu’il ferait travailler les Français plus longtemps, et vous vous étiez engagés à ne pas le faire. Les conditions d’un retour à la retraite à 60 ans à taux plein existent ; il vous faudrait beaucoup de mauvaise foi pour repousser cette demande de rapport.
Mme Caroline Fiat. Comme l’ont dit mes collègues, ces amendements demandent un rapport au Gouvernement ; peut-être y trouverai-je la réponse à ma question récurrente ? Et peut-être sera-t-il possible d’y expliquer à Marie, infirmière, née en 2002, qui aura commencé à travailler à 23 ans en 2025 et pris sa retraite en 2068, à 66 ans, comment on pourrait faire pour qu’elle n’ait pas à travailler jusqu’à 66 ans. Et ça, ce n’était pas prévu dans votre programme aux législatives !
Je repose ma question en 30 secondes car je ne désespère pas d’obtenir une réponse : Est-ce que : a) vous vous êtes trompés dans le simulateur et Marie ne peut pas gagner 2 500 euros ; b) Mme Buzyn va augmenter les salaires des infirmières à 2 500 euros ; c) vous misez sur le fait que nous soyons au pouvoir en 2025 pour qu’elle gagne alors 2 500 euros ?
M. Michel Larive. Ce projet de loi est contesté parce que contestable, dans cette assemblée, dans la rue, et même au Conseil d’État ; il est réactionnaire et inabouti. Il faut donc revenir à la raison et le retirer au profit d’une alternative plus réaliste.
Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport visant à instaurer l’âge minimal de départ à la retraite à taux plein à 60 ans.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce pays a connu la retraite à 60 ans et les gens en étaient extraordinairement heureux. Le rapporteur en convient, le système des retraites a permis d’éradiquer un fléau qui sévissait depuis longtemps : la vieillesse dans la misère. Ce régime aura permis de diviser la misère par quatre.
Je ne voudrais pas manquer de rappeler que tout cela a été obtenu grâce, et exclusivement grâce aux luttes ouvrières et syndicales et aux gouvernements de la gauche : 1910 et les premières lois sur les retraites ouvrières et paysannes, prises après l’immense catastrophe de la mine de Courrières ; 1945 et le Conseil national de la Résistance ; 1981. Rien n’est jamais venu à nous, sinon par la lutte et le combat, et il est bien triste de constater qu’il nous faut en 2020 recommencer la lutte de 1910 !
M. Loïc Prud’homme. Nous pensons que c’est bien à 60 ans qu’il faut quitter son travail, d’autant que le taux d’activité des seniors est en deçà de ce que vous voulez nous faire croire : la moitié sont déjà sans emploi, virés de leur boîte parce que trop âgés ou payés trop cher. Allonger sans fin la durée du travail n’a aucun sens puisque cela revient à allonger la durée du chômage. Ce n’est pas cohérent non plus avec ce que nous savons de l’espérance de vie en bonne santé : ce que vous proposez, c’est de partir les pieds devant. Enfin, alors que vous prétendez lutter contre le chômage, allonger à l’envi et sans limite la durée du travail, c’est reculer d’autant le moment où les demandeurs d’emploi pourront accéder au marché.
M. Adrien Quatennens. J’espère que le débat sur le financement des retraites, qui se tient ce soir dans l’hémicycle, sera plus interactif que celui que nous avons en commission. Il m’a donné l’occasion de faire, devant Mme Buzyn, la démonstration qu’il était tout à fait possible de financer la retraite à 60 ans sans se faire trop violence, tout simplement en partageant mieux la richesse produite. Cela passe à court terme par l’égalité salariale entre les femmes et les hommes – grande cause du quinquennat, nous disait-on –, à moyen et long termes par l’augmentation des salaires et des cotisations. Faire travailler les gens plus longtemps ne peut être l’unique recours ; le Conseil d’État confirme d’ailleurs que cela contribuera à aggraver le chômage des seniors – on compte 300 000 chômeurs de plus de 60 ans, et un actif sur deux n’a plus d’emploi arrivé à l’âge de la retraite.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est mon premier mandat de député. Jusque-là conseiller municipal, j’avais l’habitude de participer à des discussions où l’on livrait argument contre argument, avant de prendre une décision. Je pensais que l’Assemblée était le lieu de débats de même nature, mais à une échelle différente, sur les enjeux de société. Mais pour se faire entendre, des députés répètent comme une antienne les mêmes arguments, privant notre assemblée de la possibilité d’échanger. D’autres projets, différents du nôtre, existent pourtant ; il serait intéressant de les écouter et de les analyser.
Je me limiterai désormais à indiquer le sens de mon avis sur les amendements du groupe La France insoumise. N’est-il pas surprenant, lorsque l’on ne dispose pas de temps suffisant pour lire une étude d’impact, de trouver le moyen de déposer 19 000 amendements – ou plutôt dix-sept fois 1 200 amendements – ? Cette attitude est contraire au fonctionnement de la démocratie et n’est pas du tout à la hauteur de la réflexion collective que nous devons avoir sur les retraites.
Avis défavorable.
M. Éric Woerth. Je m’en voudrais de troubler ce dialogue entre La France insoumise et la majorité, aussi ne m’autoriserai-je que deux ou trois mots. Pour commencer, contrairement à ce que l’on nous soutient, la productivité du travail ne progresse plus dans la plupart des grands pays, et depuis pas mal de temps. Ensuite, la répartition entre le travail et le capital est à peu près stable, quoi que vous en pensiez. Enfin, le nombre d’heures de travail par habitant est chez nous est un des plus bas du monde. Et cependant, les Français partent à la retraite à un âge raisonnable et bénéficient d’un des systèmes les plus redistributifs du monde. Et le peuple français serait à vous croire le plus malheureux de la terre ! N’y a-t-il pas là quelque paradoxe ?
Les solutions que vous proposez, monsieur Mélenchon, sont des voies sans issue et vos amendements, 19 000 chimères. Vous nous parlez de Marie, de Pierre ou de Jean, qui travailleront beaucoup et partiront sans doute beaucoup trop tard ; mais Marie, Pierre ou Jean, comme nous-mêmes, travaillent 35 heures par semaine et ont droit à cinq semaines de congés payés, ce qui n’est pas le cas dans bien des pays. Cessons donc de noircir le tableau !
Nous parlons juste de l’âge de départ à la retraite ; nous pourrions nous réjouir en consacrant que nous vivons tous plus longtemps, parce que nous vieillissons tous plus longtemps, et en bonne santé pour la plupart. Et pour ceux dont ce n’est pas le cas, il existe des dispositifs pour les carrières longues, pour la pénibilité, etc. La France est un des pays où les écarts sont les plus faibles, avant et après redistribution, et c’est tant mieux. Je ne nie pas qu’il faille faire progresser davantage la justice sociale, je dis qu’elle existe et qu’en aucun cas cela justifie que l’on s’exonère d’un financement raisonnable et durable.
M. Sacha Houlié. Puisque M. Mélenchon a convoqué l’histoire, peut-être nous faut‑il rappeler que le système universel par points est directement inspiré des travaux de Michel Rocard, et torpillé par François Mitterrand ? Et puisqu’il faut contextualiser, rappelons que, lorsque l’âge légal de départ à la retraite fut fixé à 60 ans, l’espérance de vie en bonne santé n’était pas aussi élevée, la durée hebdomadaire du temps de travail était plus longue, et la productivité des salariés n’était pas moindre.
Conformément aux engagements présidentiels, l’âge légal de départ à 60 ans est conservé, tout comme le dispositif de retraite anticipée, dès lors que la personne aura commencé à travailler et cotisé cinq trimestres avant l’âge de 20 ans. Nous proposerons de modifier certains critères, sur la majorité notamment. Ces amendements n’ont aucun sens.
M. Adrien Quatennens. Monsieur Woerth, que votre groupe, qui dispose de bien plus de moyens que le nôtre, n’ait pas souhaité déposer davantage d’amendements est une chose, mais dire que les 19 000 amendements de La France insoumise sont autant de chimères en est une autre. Avec une tout aussi mauvaise foi, je pourrais vous rétorquer que l’idée selon laquelle une mesure d’âge est la seule solution est une chimère. Vous vous êtes personnellement illustré dans une réforme des retraites qui visait justement à faire travailler davantage les Français, tolérez que d’autres défendent des solutions différentes ! Oui, il est techniquement possible, à condition de partager les richesses, de financer un système de retraite à 60 ans. Je concède que vous le contestiez, mais faites-le dans le détail !
Mme Valérie Rabault. Monsieur Houlié, ce que vous venez de dire est inexact. Dans le système que vous proposez, la pension est égale au nombre de points, multiplié par la valeur du point, moins le malus ; or, pour la première fois de notre histoire, le malus n’est plus indexé sur la durée de cotisation mais sur l’âge réel de départ à la retraite. De ce fait, un ouvrier ayant commencé à travailler à 20 ans et cotisé quarante-trois annuités subira deux années de malus s’il part à 63 ans, soit une minoration de 10 %, tandis qu’un salarié ayant commencé à travailler à 24 ans et cotisé quarante-trois annuités partira à 67 ans avec deux années de bonus, soit une majoration de 10 %. Vous mentez sur les mots : tout en prétendant maintenir l’âge légal de départ à la retraite, vous utilisez l’âge réel comme âge pivot.
M. Sébastien Jumel. Depuis le début de nos respectueux débats, quelque chose me taraude. J’ai donc recherché la profession de foi des Marcheurs, où figuraient dix engagements nationaux. Permettez-moi de donner lecture du sixième : « Conforter notre système de protection sociale en uniformisant à terme les régimes de retraites, en préservant l’âge de départ à la retraite et en revalorisant la prime d’activité de 100 euros par mois. »
Vous prétendiez préserver l’âge de départ à la retraite, mais avec l’âge d’équilibre, l’âge pivot et la minoration, vous vous trouvez en flagrant délit de mensonge ! Vous n’avez pas fait campagne en disant aux électeurs : « On va vous taper sur la carafe, on va aggraver votre précarité, on va dégrader vos pensions et allonger la durée de cotisation, on va vous permettre de partir à 65 ans. » Vous n’avez pas été élus sur ce programme, rien de ce que vous proposez ne figurait dans vos professions de foi. Je dépasse mon temps de parole, madame la présidente, mais il faut bien plus d’une minute pour dénoncer autant de mensonges ! Nous ferons tout pour empêcher cette réforme !
La commission rejette les amendements identiques.
Elle en vient à l’examen des amendements identiques n° 1816 de M. Ugo Bernalicis, n° 1818 de M. Alexis Corbière, n° 1819 de Mme Caroline Fiat, n° 1821 de M. Michel Larive, n° 1822 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 1825 de M. Loïc Prud’homme, n° 1826 de M. Adrien Quatennens et n° 21164 de Mme Valérie Rabault.
M. Ugo Bernalicis. À l’alinéa 9, que nous proposons de supprimer, il est indiqué que le système doit répondre à un objectif de soutenabilité économique et d’équilibre financier. Il a été dit, dans le débat public, qu’il fallait limiter la dépense à 14 % du PIB. On a vu que le PIB n’était pas aussi dynamique que ce que l’on pourrait escompter et qu’il ne compenserait pas l’augmentation, dynamique pour le coup, du nombre de retraités. Cette insoutenabilité économique sera bien celle supportée par les gens, qui vont juste devenir pauvres. Mais peut‑être que, par un heureux hasard, ils ne pourront même pas faire valoir leurs droits à la retraite ? Avec une espérance de vie en bonne santé en recul, ils bosseront jusqu’à 65, 66 ou 68 ans pour ne pas se voir appliquer le fameux malus et mourront en poste. C’est parfaitement cynique.
M. Alexis Corbière. Tout compte fait, cet alinéa fait éclater la vérité : votre seul objectif est la soutenabilité économique et l’équilibre financier, vous n’avez aucunement pour dessein de construire une société où temps de travail et temps de retraite seraient justement répartis. Les seules contraintes que vous posez s’appliquent aux dépenses, qui ne devront pas dépasser une certaine part de PIB : cela entraînera mécaniquement une dégradation des pensions actuelles. Nous voulons une réflexion sur la place donnée au temps de travail : il est économiquement possible de faire bénéficier les Français d’un troisième temps de vie, à 60 ans.
Mme Caroline Fiat. Marie, infirmière, aurait bien besoin d’une « soutenabilité » physique et psychologique et de moyens pour s’occuper dignement de ses patients. Surtout, elle voudrait savoir si elle gagnera 2 500 euros par mois et si elle devra attendre 66 ans pour partir à la retraite. Pour le moment, Marie est en classe de première, elle n’a pas pu passer les épreuves communes de contrôle continu – c’était compliqué, les gendarmes étaient mobilisés –, elle s’est connectée à nos débats et aimerait bien une réponse à ses questions.
M. Michel Larive. Madame la présidente, vous vous demandez pourquoi nous manifestons notre opposition en défendant 19 000 amendements : c’est parce que c’est possible, et légal. Le Gouvernement use de la même rhétorique pour justifier la destruction massive de notre modèle social tant envié. Il le fait parce que c’est possible. Vous divisez notre temps de parole par deux, parce que c’est possible. Nous nous opposons, parce que c’est encore possible. Cela s’appelle la démocratie. Nous souhaitons la suppression de cet alinéa, et de tous les autres.
M. Jean-Luc Mélenchon. La soutenabilité économique et l’équilibre financier sont des vues idéologiques. Ne nous dites pas le contraire, vous n’avez strictement rien inventé, vous êtes les exécutants de décisions prises ailleurs. C’est la Commission européenne qui demande que les systèmes de retraite par capitalisation européens deviennent des systèmes de retraite à points. La réforme de 2014 est issue d’une recommandation de 2013, tout comme celle de 2010 s’inspirait d’un texte européen. C’est vous, monsieur Woerth, qui avez amené les gens à travailler jusqu’à 62 ans. Je m’étonne que vous n’en ayez pas de remords : vous êtes un homme sensible et vous savez bien que si l’espérance de vie, pour la première fois, stagne et que l’espérance de vie en bonne santé recule, c’est parce que l’on use encore davantage les gens au travail ! Avec votre ami M. Balladur en 1993, M. Juppé en 1995, M. Fillon en 2003 et Mme Touraine en 2014, vous avez précédé le destructeur final, M. Macron. Ce que vous êtes en train de faire, c’est de l’idéologie !
M. Loïc Prud’homme. Je voudrais revenir sur l’évolution du rapport entre nombre d’actifs et nombre de retraités, dont l’alinéa 9 prévoit qu’elle doit être prise en compte par le pilotage du système. Vous répétez à l’envi qu’il y avait quatre actifs pour un retraité il y a cinquante ans et que nous ne sommes plus que 1,7 actif pour un retraité, ce qui justifie les contraintes. Mais c’est un mensonge, du moins par omission, car vous ne dites pas que, dans le même temps, la productivité a été multipliée par trois : du coup, le ratio est passé de quatre à 5,1 pour un, soit une augmentation de 25 %.
M. Adrien Quatennens. Pour justifier ce projet de loi, la majorité convoque souvent l’idée selon laquelle il pourrait y avoir un déficit de 8 à 17 milliards d’euros d’ici à 2025. Pour commencer, il convient d’en relativiser le poids, en le rapportant aux 330 milliards de budget. J’aimerais vous rassurer en rappelant aussi que les différents fonds de réserve s’élèvent à 127 milliards, ce qui laisse de quoi voir venir. Et cela ne suffisait pas pour apaiser vos craintes, je pourrais vous parler du régime spécial des très riches, les retraites chapeaux, dont les encours bancaires atteignent 42 milliards. Et s’il en fallait encore, j’évoquerais les 60 milliards de dividendes versés aux actionnaires en 2019.
Une meilleure répartition de la richesse devrait nous permettre de financer convenablement les retraites. Les gens, habitués qu’ils sont à voir la richesse aussi mal partagée dans ce pays, ne se laissent pas impressionner par quelques milliards de déficit !
Mme Marie-Noëlle Battistel. À l’heure actuelle, les pensions versées sont financées à 80 % par les cotisations retraites versées par les actifs, à 20 % par l’État et la branche famille. Dans cet alinéa, le Gouvernement ne précise pas s’il entend ou non maintenir cette partie du financement, qui s’élevait tout de même à 65 milliards d’euros en 2018. Cela fait partie des multiples données absentes de ce texte ; il est important que l’on nous réponde sur cette question majeure.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Battistel, l’équilibre financier et la soutenabilité économique ne sont ni une obsession comptable ni une option. Il ne s’agit pas davantage de l’alpha et de l’oméga de cette réforme, c’est pourquoi nous avons rejeté l’amendement du groupe Les Républicains qui visait à placer cet objectif dans les premiers alinéas.
En revanche, nous estimons que l’équilibre financier est la condition de la préservation d’un système par répartition. Les enquêtes montrent que ce sont les jeunes qui croient le moins en l’avenir de ce système, car ils ont l’impression qu’ils devront régler non seulement les pensions actuelles, mais aussi assumer les dettes des générations précédentes. Nous avons décidé que l’objectif d’équilibre financier devait être atteint sur un temps relativement court – cinq ans – car c’est la condition sine qua non de la viabilité du système.
Avis défavorable.
M. Thibault Bazin. Je ne suis pas d’accord avec le rapporteur : l’équilibre financier constitue bien l’alpha et l’oméga du système. Sans équilibre, les pensions risquent de baisser et les mesures nouvelles de justice sociale – elles sont nombreuses ici – ne seront plus crédibles. Certes, on attribuera des points, mais leur valeur étant susceptible de diminuer, ce sera profondément hypocrite. L’inconnue sur le volet financement biaise le débat et le rend quasiment impossible. Afficher un objectif ne suffit pas : en toute responsabilité, il faut préciser le financement. Pour le groupe Les Républicains, l’équilibre financier et la justice sociale sont étroitement liés et nous devons pouvoir débattre sereinement des deux.
M. le rapporteur général. Notre vision de l’Europe et celle de M. Mélenchon sont opposées ; je ne peux le laisser dire que c’est l’Union européenne qui nous impose cette réforme et voir ce discours anti-européen infuser nos débats. Bien que les membres de La République en Marche soient attachés à l’Union européenne, à sa construction, à son approfondissement et aux valeurs de progrès, d’humanité et de paix qui la fondent, nous affirmons que ce n’est pas la Commission qui nous pousse à cette réforme.
Comme l’a rappelé Sacha Houlié, l’idée de cette réforme est bien plus ancienne : elle est d’origine rocardienne, elle a été longtemps portée par la CFDT, travaillée par des économistes de renom, comme Thomas Piketty ou Antoine Bozio, et analysée par le Conseil d’orientation des retraites (COR). Ce n’est pas l’Union européenne qui a demandé un rapport au COR en 2010. Cette réflexion était déjà à l’œuvre dans les réformes de 2010 et de 2013. Le système universel nous permettra enfin de sortir des réformettes engagées tous les trois ou quatre ans sans jamais parvenir à restaurer l’équilibre.
Mme Valérie Rabault. Jamais le Gouvernement et le haut-commissaire précédent n’ont répondu à la question essentielle de savoir si les 20 % apportés par l’État et la branche famille seront conservés. On parle quand même de 60 milliards d’euros ! Monsieur le secrétaire d’État, vous devez nous apporter une réponse sur ces 60 milliards d’euros, sans quoi nos débats seront vains !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je remercie le collègue qui nous fait l’amitié de discuter avec nous car nous allons finir par parler avec les murs ! Le secrétaire d’État, lui, ne s’exprime pas, il n’a rien à dire...
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Si vous permettez, j’allais lui passer la parole !
M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la présidente, je dis ce que je veux ! J’ai une vie parlementaire aussi longue que la vôtre...
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Bien plus longue !
M. Jean-Luc Mélenchon.... et j’ai l’habitude d’entendre les ministres défendre leurs projets de loi.
Le rapporteur a décidé qu’il ne nous répondrait pas, au motif que nous ferions de l’obstruction. Il nous faut donc faire les questions et les réponses. Aucune réponse sur l’augmentation des salaires proposée par M. Quatennens, aucune réponse sur la hausse des cotisations avancée par M. Bernalicis, pas davantage de réponse sur ma proposition de mieux partager les richesses. Que reste-t-il alors comme paramètre, messieurs, mesdames les grands amis de la soutenabilité financière ? Un seul : la durée au travail. Vous allez donc voter une mesure complètement à rebours de ce qui se passe depuis un siècle : le temps de travail au long de la vie augmentera, sans que l’on se soucie de ce que les gens endurent. Voilà la grande trouvaille de la Macronie !
Mme Célia de Lavergne. L’objectif de soutenabilité économique et d’équilibre financier est d’abord une question de responsabilité, c’est un gage de durabilité. Si nous ne l’adoptions pas, chers collègues, cela signifierait que nous acceptons de voir le déséquilibre se creuser progressivement. Vais-je demander à mes enfants de payer, en plus de la pension de leurs grands-parents et de leurs parents, la dette que nous aurons laissée ? L’équilibre financier est la condition du fonctionnement du système, c’est le gage de la confiance.
De plus, cette soutenabilité est tout à fait compatible avec la solidarité. Les 14 % du PIB que nous consacrons au système de retraite ont permis d’assurer, ces dix dernières années, la pension de deux millions de retraités supplémentaires et une hausse des pensions brutes de 30 %. Alors oui, en 2040, avec 13,3 % du PIB, nous pourrons à la fois financer le niveau de pension actuel et la solidarité.
M. Hubert Wulfranc. La soutenabilité économique et l’équilibre financier sont une clef de voûte idéologique, mais ils participent aussi d’une approche très pragmatique, dans la mesure où cette règle d’or permettra de toucher à l’ensemble des paramètres relatifs à l’indexation des pensions, à l’âge effectif de la retraite, à la valeur du point et donc au niveau des pensions. C’est l’arme dont vous dotez les gouvernements libéraux pour ajuster à la baisse les retraites, au prix d’une vision très court-termiste que vous déclinez à l’article 55. Cette référence à la soutenabilité économique et à l’équilibre financier est la marque flagrante d’une démarche libérale !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. La reprise des arguments, déjà utilisés la veille, m’oblige à apporter une réponse en partie semblable à celle que j’ai donnée hier.
Le débat sur la part de la richesse nationale consacrée aux retraites est toujours aussi stérile. Comme je l’ai déjà dit, et il suffit d’être de bonne volonté pour aller sur le site du COR vérifier mes dires, le nombre de retraités a crû de 2 millions ces dix dernières années, tandis que les pensions brutes augmentaient de 20 % et que la part du PIB consacrée aux retraites demeurait en dessous des 14 %, à 13,7 %. Il est vain de faire jouer en permanence cette mécanique intellectuelle et de remettre sur la table un débat dont il est prouvé qu’il est sans sujet.
La question de l’équilibre financier n’est pas taboue dans un système par répartition. Il ne fait pas de doute que tous ici, nous souhaitons voir perdurer le système de retraite par répartition. Alors que nous partageons tous cette idée, comment pourrions-nous refuser de regarder la vérité en face ? Pour que la solidarité soit durable, pour que les plus jeunes acceptent de cotiser pour leurs aînés, encore faut-il que le système soit garanti et stable dans le temps. Lorsque le COR donne une indication moyenne en prévoyant un déficit de 12 milliards d’euros en 2025, cela signifie qu’un déficit aura été aussi constaté en 2024, en 2023, en 2022, en 2021 et 2020.
M. Loïc Prud’homme. C’est pourquoi des réserves ont été constituées !
M. le secrétaire d’État. Ceux qui se livrent un peu facilement à des calculs macroéconomiques en additionnant la performance des entreprises, les exonérations et d’autres sources éventuelles de financement oublient tout simplement d’additionner les déficits successifs... Il n’est nul besoin d’être un grand spécialiste des retraites mais de faire preuve de rigueur intellectuelle.
M. Adrien Quatennens. Et publier une étude d’impact truquée, c’est aussi faire preuve de rigueur intellectuelle ? (Protestations sur les bancs du groupe La République en Marche.)
M. le secrétaire d’État. Enfin, madame Rabault, vous m’avez interrogé à plusieurs reprises, et avec pertinence, sur le rôle et la contribution de l’État. Il ne vous a pas échappé que les taux de cotisation de l’État sont significativement plus élevés aujourd’hui ; il est important, pour l’équilibre du système de retraite, que la contribution de l’État reste, au moment de la bascule, équivalente à ce qu’elle est à l’heure actuelle. La normalisation de l’assiette et du taux de cotisation de l’État aurait un effet de 47,4 milliards d’euros, une somme qui correspond aux dispositifs de solidarité pris en charge directement, comme les avantages familiaux ; s’y ajouteront les dotations d’équilibre ou leurs recettes fiscales qui seront affectées aux régimes spéciaux, pour 8,5 milliards. Soyez rassurée, il ne s’agit pas d’une entreprise de désengagement de l’État ; celui-ci qui maintient son concours pour assurer les équilibres.
La commission rejette les amendements identiques.
Elle examine ensuite l’amendement n° 14663 de M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. La seule pérennité financière d’un système de retraite par répartition n’est pas un objectif suffisant en soi. Nous jugeons plus pertinent de reprendre la formulation du code de la sécurité sociale, qui prévoit que « la pérennité financière est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital ». Nous en revenons au débat de tout à l’heure : il existait d’autres leviers pour financer les retraites, l’assiette de la cotisation et le taux, mais vous avez choisi de ne jouer que sur la durée et de ne viser que les salariés dans votre mauvais projet.
Je profite de cette intervention pour demander aux collègues qui auraient retrouvé leur profession de foi de me la faire parvenir, afin que je puisse la relire attentivement...
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Bazin, nous considérons qu’il faut avoir des ambitions, sociales en l’occurrence, mais aussi les moyens de les financer. C’est un « en même temps » que nous revendiquons volontiers. Notre projet est de préserver le modèle par répartition, grâce à la mutualisation de l’ensemble des carrières et des cotisations des Français et au financement.
Madame Rabault, l’État apporte des contributions d’équilibre qui, demain, avec la participation au système de retraite universel seront différentes, puisque le taux de cotisation sera similaire à celui en vigueur dans le privé. L’État s’est engagé à contribuer à la même hauteur que ses engagements initiaux. Aujourd’hui, l’État ne cotise pas à un système de retraite mais paye en direct les pensions des fonctionnaires retraités. Ramené à l’équivalent des salariés actifs, c’est comme si l’État cotisait parfois à hauteur de 30 ou 70 % selon les catégories. La somme totale ira abonder le budget de la Caisse nationale de retraite universelle, nous y reviendrons dans la partie financement.
Nous défendons l’idée d’un équilibre financier au service d’un projet social : c’est la raison pour laquelle je suis défavorable à ces amendements.
M. Adrien Quatennens. Monsieur le ministre, votre argumentaire était assez laborieux. Comme vous êtes assez silencieux, nous buvons vos paroles lorsque vous vous exprimez, mais supportez que, dans cette affaire, personne n’ait raison ou tort. Pour ma part, je ne remets pas en cause vos propos, sauf lorsque vous truquez les études d’impact. C’est vous qui assénez des arguments stériles : vous parlez d’universalité, mais cela n’existe pas ; vous parlez d’une réforme juste et simple, cela n’existe pas. Vous êtes soucieux, je l’entends, de la soutenabilité financière ; mais il n’est pas un député dans cette salle qui ne l’est pas.
Je vous ai remis notre contre-projet ; il ne repose pas sur les mêmes options, mais il est financièrement soutenable. Nous souhaitons financer le départ à la retraite des Français à un âge décent et avec un bon niveau de pension ; il n’est pas nécessaire pour cela qu’ils travaillent plus longtemps. Nos vues s’opposent, mais ne nous taxez pas de faire un travail qui serait faussé.
Par ailleurs, vous ne m’avez pas répondu monsieur le ministre : avez-vous oui ou non gelé l’âge d’équilibre dans l’étude d’impact, ce qui revient à la truquer ?
M. Régis Juanico. Ambroise Croizat a été beaucoup cité hier soir. J’ignore quelles consignes circulent au sein du groupe La République en Marche, mais il semblerait que ce soit le tour de Michel Rocard ce soir. Établir une filiation entre la contre-réforme que vous engagez sur les retraites et Michel Rocard... Je l’ai un peu côtoyé, Jean-Luc Mélenchon le connaissait très bien et le seul député de La République en Marche qui l’ait un peu connu est Jacques Maire.
Jamais Michel Rocard n’a fait allusion au système que vous allez instaurer, pas même dans son Livre blanc en 1991. Jamais il n’aurait engagé une réforme telle que celle-ci : c’était un farouche défenseur du dialogue et du compromis social. Jamais il n’aurait lancé une contre-réforme provoquant dix semaines de mobilisation syndicale. Lors de leur audition la semaine dernière, les syndicats de salariés nous ont tous dit qu’ils n’étaient en aucun cas demandeurs de cette réforme. Enfin, Michel Rocard respectait profondément le Parlement : jamais il ne l’aurait ainsi court-circuité ni produit une étude d’impact aussi indigente.
M. Fabien Di Filippo. Le rapporteur et la majorité ne peuvent pour l’instant se prévaloir d’une quelconque vision sociale, puisqu’ils sont incapables de nous expliquer comment les réformes qu’ils envisagent seront financées et équilibrées. La seule réforme qui avait le mérite d’équilibrer les pensions sans augmenter les cotisations, les taxes ou les impôts – je dis cela à l’intention des Insoumis –, c’était le projet des Républicains. La seule générosité sociale qui ne renvoie pas le fardeau sur la dette ou les générations futures est pour l’instant du côté des Républicains, comme l’avait démontré Thibault Bazin. Le projet des Républicains sera le seul valable jusqu’à ce que vous soyez capables de nous expliquer précisément le financement de la réforme et d’en assumer certaines mesures.
Par ailleurs, il ne faut pas entendre en valeur absolue l’allongement du temps de travail : on vit de plus en plus longtemps, le temps de travail doit être considéré à l’aune de cette durée, en temps relatif.
M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je suis content de constater que la stabilité financière des régimes fait consensus. Je suis aussi ravi de voir que tout le monde est d’accord pour que le dispositif soit financé par des contributions équitablement réparties entre les générations. Vous serez donc d’accord avec nous pour supprimer les régimes spéciaux des députés, des sénateurs, de la SNCF ou des industries électriques et gazières. Vous serez également d’accord pour faire en sorte que les revenus du capital soient aussi soumis à contribution, puisque les cotisations patronales et syndicales représentent 75 % du financement, alors que les financements directs publics de l’État en représentent 25 %.
Je vois se dessiner un immense enjeu de convergence ; cela me réjouit d’autant que des personnalités importantes – notamment MM. Thomas Piketty et Thomas Cazenave – se sont déclarées favorables à ce projet. À la fin de votre réflexion, je suis certain que vous vous accorderez avec nous sur l’alinéa 9 tel qu’il est rédigé initialement.
M. le rapporteur général. Si je vous ai bien compris, monsieur Juanico, lors de leurs auditions, les organisations syndicales se seraient prononcées unanimement contre le système universel. Manifestement, nous n’avons pas assisté aux mêmes auditions. Il y avait en effet des divergences entre les organisations syndicales : je vous invite à regarder l’enregistrement. Certaines d’entre elles réfléchissent depuis un certain temps à un système universel – il est vrai que certains membres du Parti socialiste s’y opposaient depuis longtemps.
M. Pierre Dharréville. Le rapporteur général lance un intéressant débat. J’avais suggéré que nous puissions échanger, avant de démarrer l’examen des amendements, sur ce que nous retenions des auditions de la semaine dernière, afin qu’elles n’aient pas été une simple formalité. Visiblement, nous n’en avons pas retenu la même chose. Aucune des organisations syndicales n’a exprimé de franc soutien à ce projet. Sans aucun doute, il y a des désaccords entre elles ; ils sont d’ailleurs publics. J’ai néanmoins entendu beaucoup de critiques et aucune louange. Nous lirons en effet les comptes rendus de ces auditions, mais je ne crois pas que vous puissiez vous prévaloir, en la matière, de quelque soutien que ce soit à ce stade.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement n° 22453 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Le précédent amendement avait pour but de rédiger correctement les objectifs relatifs au budget. Celui-ci est un amendement de repli qui a pour objectif de préciser votre pensée : faire croire à l’urgente nécessité d’une réforme et préparer les esprits à la montée en charge de la capitalisation.
Lors de son audition, le président du COR a expliqué qu’aucun péril ne pesait sur le système actuel et qu’il n’y avait pas de justification financière à la réforme proposée.
Le texte propose un verrouillage total conforme à la règle d’or. Le cœur de votre projet se trouve dans l’alinéa 9 ; la soutenabilité financière en représente l’alpha et l’oméga, d’où le verrouillage à un an, le verrouillage à cinq ans et le verrouillage à quarante ans. L’adaptation se fait avec les variables d’ajustement que vous connaissez – principalement l’âge de départ à la retraite et le niveau des pensions. Nous contestons fondamentalement le cœur de votre projet.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cet amendement appartient à la série de ceux qui font sourire : vous nous proposez d’intégrer un « objectif de maquillage des conditions d’équilibre financier »... Nous y sommes évidemment défavorables.
M. Boris Vallaud. S’agissant des compensations, pourriez-vous nous dire ce qu’il adviendra des 2,6 milliards d’euros qui manqueront à l’assurance maladie suite à la modification des assiettes de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) des indépendants ?
Vous avez répondu au sujet des contributions de l’État : la situation sera-t-elle la même pour les employeurs que sont les collectivités locales et les hôpitaux ? Si je comprends bien le tableau 20 de l’étude d’impact, il manquera 5,5 milliards en année pleine ; ce gain sera-t-il laissé à la disposition des collectivités ou des hôpitaux ? Dans l’affirmative, qui supportera la charge de compenser cette perte pour le système de retraite ? Est-ce l’État ?
Enfin, la suppression de la cotisation pour les salaires situés entre trois et huit plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS) créera un vide durable, de l’ordre de 3,7 milliards par an, pour financer les pensions de ceux qui avaient déjà contribué jusqu’à 8 PASS.
M. Éric Coquerel. Le discours du Gouvernement sur l’équilibre des finances a beaucoup évolué. Il y a peu, M. Laurent Pietraszewski expliquait sur les ondes de France Info, que la question n’était pas celle d’un équilibre comptable, mais celle d’une plus grande égalité entre les Français. En réalité, vous vous trompez sur ces deux points : nous reparlerons de l’égalité. S’agissant de l’équilibre, vous êtes incapables d’estimer le coût des périodes de transition. La fameuse exonération pour les salaires supérieurs à 10 000 euros coûtera plus de 3 milliards par an entre 2025 et 2040 ; je ne parle pas de ceux qui ne bénéficieront pas des cotisations, mais de ceux qui demanderont leur dû en fonction des cotisations passées, alors même que les cotisations ne seront plus perçues. Cela représente au total 72 milliards. Vous avez raison de ne plus insister sur ce point. Non seulement votre système est inégalitaire, mais il coûtera beaucoup d’argent.
M. Hubert Wulfranc. Je voudrais citer l’amendement suggéré par la CFDT concernant la déclinaison opérationnelle de la règle d’or : « [...] le respect d’un équilibre financier par le solde cumulé supérieur ou égal à zéro sur une période de cinq années. Ce mécanisme porte sur un court terme et tend à être pro-cyclique. En cas de conjoncture défavorable, cela revient à constater une baisse des ressources du système universel de retraite (SUR) et à observer potentiellement un déficit conjoncturel. Le mécanisme de la règle d’or sur cinq ans peut donc impliquer de réduire les dépenses de retraites et d’ajuster les paramètres impliqués à l’article 55 […] en période de ralentissement économique au détriment du mécanisme d’amortisseur social ». Comment cela se traduira-t-il dans la déclinaison opérationnelle de votre projet de loi ?
M. Sacha Houlié. L’article 55 qu’Hubert Wulfranc vient d’évoquer prévoit un cycle de cinq ans ; la CFDT a observé que ce cycle pourrait être de dix ans afin d’être anticyclique plutôt que pro-cyclique. L’article 55 n’a donc rien à voir avec le présent alinéa.
Monsieur Coquerel, vous avez exprimé une très vive critique du plafonnement des cotisations pour les salaires supérieurs à 3 PASS. Cette mesure correspond au plafonnement des montants des revenus de substitution versés. Vous appelez de vos vœux le plafonnement des salaires : nous le réalisons concernant les pensions de retraite puisque nous ne verserons pas de pensions supérieures à 10 000 euros dans le nouveau système. Nous concrétisons une mesure qui figurait dans votre programme : vous pourriez vous en satisfaire.
M. Jean-Pierre Door. À l’alinéa 9, il est question de la constitution de réserves pour accompagner les évolutions démographiques et économiques. Vous avez rencontré les caisses autonomes à plusieurs reprises, monsieur le secrétaire d’État, et vous avez évoqué la possibilité de conserver leurs caisses de réserve. Or lundi 3 février 2020 sur France 2, Sibeth Ndiaye a indiqué que les réserves des avocats seraient utilisées pour compenser en partie la hausse de leurs cotisations. Pouvez-vous confirmer les propos de votre collègue ? Maintenez‑vous vos positions au sujet des caisses autonomes ?
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 21918 de M. Emmanuel Maquet.
M. Julien Dive. Cet amendement peut paraître cosmétique, mais il est plein de bon sens et de perspectives. La soutenabilité financière telle qu’elle est prévue dans l’alinéa 9 de l’article 1er représente le minimum syndical ; le financement est bien l’alpha et l’oméga du projet. Cet amendement vise à garantir l’équilibre financier du régime à long terme et selon la variation des agrégats économiques, en l’associant à un objectif de performance, qui fait sens avec la logique de croissance économique, d’inflation et d’évaluation à la hausse ou à la baisse du pouvoir d’achat de nos compatriotes.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La soutenabilité financière est une condition absolument nécessaire à notre projet, mais elle n’est pas suffisante. Nous défendons avant tout un projet de société ; nous souhaitons le financer afin d’en assurer la pérennité. Par conséquent, je suis défavorable à cet amendement.
M. Thibault Bazin. Jean-Pierre Door vous a posé une question précise. Il est important pour la représentation nationale qu’une réponse précise y soit apportée.
Monsieur le rapporteur, la réforme présente des éléments intéressants, tels que le minimum contributif et le cumul emploi-retraite. Mais afficher sans cesse vos ambitions sans dire comment vous les financerez ne les rend pas crédibles. Le déficit à venir est estimé à plus de 12 milliards d’euros d’ici à 2025, sans même comptabiliser les nouvelles mesures. Il y a un risque de déséquilibre entre les conditions de financement de ces mesures et ce qui est demandé pour en bénéficier. De plus, le système produira des perdants, et ce, de façon injuste ; je pense notamment aux caisses autonomes. Il me semble donc pertinent d’apporter des garanties, comme vous l’a demandé Jean-Pierre Door.
M. Ugo Bernalicis. Grâce aux Républicains, nous avons le traducteur des véritables objectifs de La République en Marche... Selon eux, la soutenabilité demande une performance économique et une croissance infinie. Or nous savons très bien que le changement climatique nous impose de considérer un peu différemment les objectifs économiques ; le partage de la richesse peut être une option, tout aussi soutenable ou performante que ce qu’ils décrivent.
Quant aux réserves des caisses autonomes, cher collègue Door, elles ne seront pas touchées : on se contentera de leur appliquer violemment la réforme, sans phase de transition. Et comme aux avocats, on expliquera que la réserve servira à lisser l’augmentation du montant des cotisations : ce faisant, on ne vole pas le pognon, mais finalement, cela revient à peu près au même.
Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons tous besoin d’un éclairage sur le régime de transition et sur le régime final que vous voulez atteindre. Sinon, pour reprendre ce terme qui convient assez bien, vous maquillez des choses, ce qui est insupportable lorsqu’il s’agit d’éclairer la représentation nationale.
Boris Vallaud vous a posé une question sur la compensation de la modification de l’assiette de CSG. Vous dites aux avocats de ne pas s’inquiéter, car la baisse de la CSG compensera le doublement du montant de leurs cotisations ; vous avouerez qu’il y a plus simple. Vous ne nous dites pas combien représente cette compensation ni si la CSG qui manquera dans les caisses de la sécurité sociale sera elle-même compensée par autre chose.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement n° 14662 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Cet amendement a pour but de tempérer l’objectif affiché de soutenabilité économique. Nous examinons un chapitre qui définit les objectifs assignés par la Nation au système universel, parmi lesquels se trouve la soutenabilité économique, au même titre que la garantie des niveaux de vie. Nous proposons d’inclure l’idée que la soutenabilité économique respecte la justice sociale : cela mange d’autant moins de pain que les objectifs affichés en sont déjà très éloignés.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’objectif de justice sociale irrigue l’ensemble de ce projet. Nous nous fixons des objectifs d’équité, de solidarité, de garantie de niveau de vie et de liberté dans le choix de départ à la retraite ; vous pourrez discuter des outils à disposition. Nous nous fixons également des objectifs dans les articles suivants.
Si l’organisation des amendements permettait d’en discuter, nous pourrions progresser utilement dans la compréhension de la réforme et de la maîtrise des enjeux. Des contre-vérités ont été formulées à plusieurs reprises, mais sans rapport direct avec l’article examiné. Essayons d’étudier ces enjeux et ces outils au moment où ils seront abordés dans le texte de loi.
Défavorable.
M. Boris Vallaud. Nos questions sont précises et devraient appeler des réponses un tant soit peu précises. Sans réponse, on ne peut pas considérer que la représentation nationale est suffisamment éclairée pour prendre une décision en conscience. Je vais poursuivre mes questions ; vous y répondrez quand vous le jugerez bon.
Nous parlons d’équilibre financier : comment les évolutions des cotisations s’articuleront avec les exonérations de cotisations employeurs actuellement en vigueur ? Quels seront demain les taux de cotisation effectifs selon le niveau de rémunération ? Dans le régime universel, les salariés du secteur privé bénéficient d’exonérations : certains employeurs publics pourraient-ils revendiquer ce bénéfice ? Des exonérations de cotisation vieillesse ne sont actuellement pas compensées : qu’en sera-t-il dans le futur régime ?
Compte tenu de votre temps de préparation – deux ans et demi tout de même – je ne comprendrais pas que vous ne soyez pas capables de me répondre.
M. Stéphane Viry. Il va de soi que cette réforme doit faire preuve de justice ; c’est l’occasion de remettre sur la table des inégalités et des situations anormales.
La question des retraites est somme toute simple : il s’agit de répondre à des besoins qui iront croissant. Pour ce faire, il faut s’interroger sur les ressources. Sans nécessairement crier au maquillage, force est d’admettre que la soutenabilité financière et la pérennité de l’équilibre du système sont essentielles : tout le reste n’est que littérature. On peut se payer de grands mots en parlant de justice : il faut avant tout s’assurer de ce qu’il en est.
Nous vous avons interrogé sur les réserves, monsieur le ministre, notamment sur celles des régimes autonomes. Nous avons besoin de vous entendre ; les Français sont dans la rue et attendent des éléments précis.
M. Pierre Dharréville. Nous avons les moyens aujourd’hui d’instaurer un système équilibré avec pour objectif la justice sociale. Celle-ci ne peut être sacrifiée au profit de la soutenabilité financière ; l’amendement que je défends ne dit rien d’autre.
Nous avons émis une réserve concernant l’alinéa 4 : un objectif de liberté de choix pour les assurés sous réserve d’un âge minimum, etc. Il me semble donc tout à fait acceptable de procéder de la même façon et de pondérer cet alinéa.
M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, votre seule réponse à l’opposition consiste à répéter que nos arguments sont faux, mais c’est vous qui assénez de faux arguments et qui truquez les cas-types en gelant l’âge d’équilibre. Le Conseil d’État l’a dit : l’universalité, c’est faux, le fait qu’un euro de cotisation ouvrira les mêmes droits, c’est faux. C’est tout le verbiage auquel vous habituez les Français depuis des mois qui est faux ; je vous trouve bien mal placé pour contester les chiffres de l’opposition ! Est-ce qu’il y a 127 milliards d’euros dans les réserves de différents régimes ? Oui. Est-ce qu’il y a 42 milliards d’encours bancaires pour les régimes des retraites chapeaux ? Oui. Est-ce que 60 milliards de dividendes ont été versés aux actionnaires ? Oui. Est-ce qu’on peut financer la retraite à 60 ans en assurant l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ? Oui. Est-ce qu’on peut financer une retraite à un âge digne avec un bon niveau de pension, en augmentant les salaires et les cotisations ? Oui. Tout cela est vrai.
Dites que vous n’êtes pas d’accord, dites la vérité aux Français, expliquez-leur que vous ne voulez pas consacrer plus de richesse à leurs retraites et qu’ils devront bosser toujours plus longtemps, mais cessez de répéter que ce que nous disons est faux !
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 20536 de M. Matthieu Orphelin.
M. Jean-François Cesarini. Cet amendement vise à inscrire dans les objectifs généraux relatifs à l’équilibre financier du système universel de retraite la dimension solidaire des cotisations et des contributions des assurés et des employeurs. Cette solidarité peut se traduire notamment par la création de mécanismes redistributifs comme l’instauration d’une progressivité sur le taux de cotisation de solidarité ou encore par une modulation de la valeur d’achat du point en fonction des tranches de revenu.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Une fois n’est pas coutume, je suis favorable à cet amendement. Il est bon de réaffirmer cette dimension solidaire.
M. le secrétaire d’État. Je ne suis pas persuadé qu’il est juridiquement indispensable d’intégrer cette modification, mais je pense qu’elle a du sens. Je serai donc favorable à cet amendement.
S’agissant des réserves, le Premier ministre s’est exprimé à de nombreuses reprises. Je vous renvoie simplement au titre IV, qui précise que le Fonds de réserve universel se compose uniquement du Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Je le répète, les réserves constituées par les caisses autonomes leur appartiennent, tout comme la décision concernant leur utilisation.
M. Charles de Courson. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous expliquer, avant le vote de l’article, la différence entre les cotisations et les contributions ? Votre texte parle de cotisations et contributions équitablement réparties entre les assurés comme entre les assurés et les employeurs. Quelles assiettes pourraient avoir des contributions ainsi définies ? En droit constitutionnel il n’y a que deux catégories : les impositions de toute nature et les cotisations sociales. Je ne comprends pas très bien votre rédaction.
Mme Valérie Rabault. La question de Charles de Courson est extrêmement intéressante ; je vous ai moi-même demandé tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, si l’État procéderait à de nouvelles compensations, mais sans prononcer le mot de contribution, qui n’existe pas en droit constitutionnel. Le Conseil constitutionnel pourrait être tenté de dire qu’une telle compensation, au statut totalement hybride, n’a pas de réalité en droit.
Mme Marie-Christine Dalloz. Si l’on s’en tient à une lecture grammaticale, on peut imaginer à quoi correspond la contribution à caractère solidaire. Mais en droit comme en fiscalité, une telle contribution n’a ni définition ni fondement. Il est intéressant de faire de la communication, mais un texte de loi exige de la précision.
L’exposé sommaire de l’amendement précise : « Cette solidarité peut se traduire notamment par la mise en place de mécanismes redistributifs comme l’instauration d’une progressivité sur le taux de cotisation de solidarité, ou encore par une modulation de la valeur d’achat du point en fonction des tranches de revenu. » C’est inquiétant, alors même que l’on n’a aucune vision de l’équilibre financier du texte et qu’on ne sait pas à quoi s’attendre. Il est question d’une « contribution à caractère solidaire » qui crée un déséquilibre. C’est comme si l’on ne votait que les recettes – ou les dépenses – d’un budget, sans savoir si l’on est à l’équilibre : on est à l’aveugle !
M. le secrétaire d’État. La CSG, comme toutes les contributions, fait partie des impositions de toute nature ; c’est ce qui la distingue des cotisations, telles que les cotisations vieillesse. Il n’y a là aucune nouveauté.
La commission adopte l’amendement.
La commission examine l’amendement n° 22554 de Mme Martine Wonner.
M. Jean-François Cesarini. Cet amendement a pour but de moduler l’âge du départ à la retraite en fonction de l’espérance de vie en bonne santé. Cela permettrait de créer un système universel dynamique et non statique en déterminant un âge pivot pour tous. L’espérance de vie en bonne santé doit être répartie entre la retraite et l’activité professionnelle, comme le prévoit l’article 10.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je comprends la philosophie de la démarche, qui a fait l’objet d’un débat cet après-midi. La notion d’espérance de vie en bonne santé est très subjective et notamment corrélée à des habitudes de vie ; de nombreuses enquêtes à ce sujet ont été publiées. L’intention est bonne et il faut approfondir au maximum les notions démographiques pour mieux piloter le système. Cependant, cette notion est difficile à appliquer de façon juste entre les uns et les autres. Je suis défavorable à cet amendement, même si j’en partage la philosophie.
M. Jean-François Cesarini. L’article 10 traite de la répartition de l’espérance de vie en bonne santé : deux tiers pour l’activité professionnelle et un tiers pour la retraite. On sait calculer l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé. La vraie injustice, c’est lorsque l’on constate que, selon les métiers, l’espérance de vie en bonne santé peut varier de dix ans, et le fait de partir au même âge est injuste, avec la même pension, n’y change rien. Il faut pouvoir moduler en fonction des catégories socioprofessionnelles, et l’espérance de vie en bonne santé me semble être le bon baromètre.
M. Adrien Quatennens. Signifier que vous modulerez le système en fonction de l’espérance de vie d’une génération éclaire vos intentions : avec le système par points, il faudra espérer que les concitoyens de sa génération meurent tôt pour avoir une meilleure part du gâteau. L’espérance de vie tout court stagne désormais ; quant à l’espérance de vie en bonne santé, elle est de 63 ans. Il sera bien inspiré celui qui pourra démontrer que les pesticides, la pollution, voire la 5G n’auront pas d’impact sur l’espérance de vie en bonne santé. Enfin, faire partir tout le monde de la même ligne de départ n’apporte pas de solution aux écarts d’espérance de vie qui existent au sein d’une génération. Entre un cadre et un ouvrier, il y a six ans d’écart d’espérance de vie ; entre les 10 % les plus riches et les 10 % les moins riches, cet écart peut atteindre treize ans.
Moduler le système en fonction de l’espérance de vie revient à faire un pari très hasardeux, et surtout un pari dangereux.
Mme Cendra Motin. L’espérance de vie en bonne santé présente un travers : elle ne concerne pas une génération, mais un groupe de personnes, et se fonde sur une base déclarative. Nous prenons des décisions qui changent la situation en la matière : ainsi, nous avons voté le 30 janvier 2020 une belle proposition de loi qui changera la vie de milliers de personnes souffrant d’affections de longue durée. Celles-ci répondront désormais différemment à la question suivante : est-ce qu’un problème de santé est à l’origine d’un accès limité à des activités courantes ? Elles pourront maintenant travailler normalement et ce faisant, leur espérance de vie en bonne santé augmentera. Nous pouvons nous en féliciter.
Mme Marie-Christine Dalloz. Parler de l’espérance de vie amène effectivement à s’intéresser à des groupes de personnes. L’espérance de vie en France varie en fonction des métiers, mais aussi selon les régions. Il y aura donc différents régimes au sein du régime universel : c’est un vrai paradoxe.
M. Sébastien Jumel. Plus on avance dans la législature, plus la jambe gauche d’En Marche ! raccourcit et plus la majorité boite... Cet amendement issu de ses rangs nous en offre une nouvelle illustration. De fait, il vise à prendre en compte une réalité que vous refusez de voir : selon qu’on a été ouvrier ou qu’on a baigné dans le luxe, le calme et la volupté, l’espérance de vie en bonne santé n’est pas la même.
Si, parfois, nous nous énervons, madame la présidente, ce n’est pas parce que nous vous manquons de respect – nous vous respectons beaucoup –, c’est parce que nous avons dans la tronche les gens qui vivent à nos côtés. Je pense à Bob, ce cheminot mort prématurément, ou à ce chaudronnier-soudeur du chantier naval flingué par le cancer de l’amiante. On m’explique que l’espérance de vie en bonne santé étant déclarative, elle est difficile à appréhender. Mais les mecs flingués par le boulot, la mort leur est tombée dessus sans prévenir ! L’espérance de vie en bonne santé mérite d’être prise en compte. Pensez à votre jambe gauche !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Jumel, je n’ai aucune leçon à recevoir : mon père était chaudronnier et il est mort à 64 ans.
M. Sébastien Jumel. Le mien aussi. Je ne vous donne pas de leçon, madame la présidente : ne le prenez pas pour vous !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous nous faites part de votre expérience, je vous fais part de la mienne. Nous ne sommes pas hors-sol !
M. Sébastien Jumel. Il semble que si !
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement n° 21529 de M. Sébastien Jumel.
M. Pierre Dharréville. Défendu !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La majorité est déterminée à rappeler les enjeux de cette réforme. En effet, je veux bien admettre que le changement soit complexe ; c’est pourquoi nous envisageons d’étaler sa mise en œuvre sur quinze à vingt ans. Mais n’oublions pas qu’actuellement, certains agriculteurs perçoivent une pension de 800 euros, que la maternité donne droit à huit trimestres supplémentaires dans le privé et à deux trimestres dans le public, que le montant de la pension est calculé sur vingt-cinq années d’un côté et sur six mois de l’autre, que le taux de conversion est de 50 % dans le régime général et de 75 % dans la fonction publique et que le chômage est décompté ou non comme une période d’activité, selon les régimes.
Ces différences témoignent de l’iniquité profonde du système actuel, iniquité à laquelle nous vous proposons de remédier grâce à des outils que vous pouvez éventuellement améliorer et dont nous pouvons en tout cas discuter. Or, cet enjeu est – hélas ! – noyé dans des débats qui tournent en rond, à cause d’amendements tels que celui-là, qui vise à remplacer un mot par un autre. Substituer « inéquitable » à « universel » n’a aucun sens ; cela ne grandit pas le débat parlementaire ni ne résout les problèmes de nos concitoyens.
Avis défavorable, bien entendu.
M. Ugo Bernalicis. Il est vrai que remplacer un mot par un autre n’a pas grande importance, dès lors que l’étude d’impact elle-même est truquée. À quoi bon discuter ? Faisons plutôt confiance aux ordonnances... Reconnaissez, monsieur le rapporteur, que vous êtes à court d’arguments.
L’amendement de nos collègues est, certes, un peu provocateur, mais il dit la vérité : le système de retraite que vous nous proposez est inéquitable. Du reste, vous le savez, puisque vous passez votre temps à promettre des points gratuits à telle ou telle profession ! De fait, l’espérance de vie en bonne santé n’est pas la même selon que l’on est éboueur, égoutier ou policier.
Quant à la soutenabilité économique, c’est le fond de l’affaire : est-ce à dire que les retraités sont un poids mort ?
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis. Madame la présidente, vous avez indiqué que le temps de parole était limité à une minute uniquement pour les orateurs d’un même groupe défendant des amendements identiques. Tel n’est pas le cas, en l’espèce.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ce n’est pas sérieux. M. Quatennens respecte les règles, lui.
M. Ugo Bernalicis. Je veux bien les respecter ; encore faut-il qu’elles ne changent pas.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Elles ne changent pas : depuis tout à l’heure, chacun s’exprime une minute.
M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, je constate, non sans malice, que j’ai obtenu de vous une réponse plus longue que celles que vous m’avez faites lorsque j’ai défendu mes amendements. Quoi qu’il en soit, votre démonstration ne tient pas. Les problèmes que vous avez mentionnés – et que personne ne conteste, surtout pas nous – seront résolus, non pas par un système par points, mais par d’autres mécanismes qui peuvent parfaitement être instaurés dans le cadre du système actuel. Je vous renvoie, sur ce point, à la proposition de loi que nous avons déposée il y a quelques jours.
Mme Monique Limon. En 2018, l’espérance de vie sans incapacité était de 64,5 ans pour les femmes et de 63,4 pour les hommes, soit un écart de neuf mois. Par ailleurs, les enseignants, par exemple, ont une longue espérance de vie en bonne santé. Faut-il en conclure que les femmes ou les profs doivent travailler plus longtemps ? Je ne le crois pas. Les inégalités d’espérance de vie selon les métiers doivent être traitées dans le cadre de la pénibilité, dont la prise en compte offrira la possibilité de partir à la retraite avant 62 ans. En effet, l’espérance de vie ou l’espérance de vie en bonne santé liée aux catégories professionnelles ne prend pas en compte la multiplicité des statuts au cours d’une carrière : on peut commencer ouvrier et finir cadre.
Mme Valérie Rabault. Je souhaite revenir sur la question des équilibres financiers. Il est indiqué, à la page 179 de l’étude d’impact que, « dans le futur système, la contribution de l’État au système de retraite serait maintenue en 2025 ». Ce serait une réponse à la première partie de la question. Mais il est précisé : « Elle évoluera ensuite selon la nature et la dynamique des dépenses qu’elle vise à couvrir (droits assimilables au droit commun [...]). Elle intégrera donc progressivement les conséquences financières pour l’État de la suppression des régimes spéciaux et de certaines catégories actives. » En clair, cela signifie que la contribution de l’État diminuera.
Monsieur le secrétaire d’État, vous devez nous dire quel sera, selon vos projections, le montant de cette diminution, année par année. Vous ne pouvez pas évoquer l’âge d’équilibre en 2037 et ne nous donner aucun chiffre. Pour l’instant, nous ne savons pas ce qui se passera après 2025 : c’est le saut dans l’inconnu !
La commission rejette l’amendement.
Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 538 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Par cet amendement, nous proposons d’inscrire les gains de productivité à l’alinéa 9. Depuis 1950, d’importants gains de productivité ont été réalisés, qui se traduisent par une augmentation de la richesse produite par rapport au nombre d’heures travaillées. Un actif produit actuellement plus de richesses, et les produit plus rapidement, qu’en 1950. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, le PIB par habitant a ainsi été multiplié par 3,4 hors inflation entre 1960 et 2017. Au cours de la même période, le temps de travail s’est nettement réduit.
Ces constats démontrent que les retraites ont été financées tout en réduisant le temps de travail. Or, elles pourront continuer à l’être à l’avenir, puisque la richesse par habitant va continuer à croître. Le pilotage du système de retraite doit donc tenir compte non seulement de l’évolution à long terme du rapport entre le nombre des actifs et celui des retraités, mais aussi des gains de productivité.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Jumel, vous devriez être inquiet : après avoir souscrit aux propos de M. Woerth, voilà que votre collègue M. Dharréville évoque les gains de productivité. L’emploi de cette sémantique serait-il le signe d’une dérive politique ? (Sourires.)
Plus sérieusement, il est évident que les gains de productivité peuvent être, au même titre que la progression des salaires, le taux d’inflation ou le taux de croissance, un élément du pilotage et du financement du système. Mais nous ne pouvons pas pour autant apporter à Mme Rabault une réponse précise sur ce que sera ce financement dans quinze ans. Il s’agit, ici, de définir un cadre dans lequel le Gouvernement et les majorités qui lui succéderont s’inscriront pour piloter le plus finement possible un système de retraite le plus équitable possible.
Même si nous ne souhaitions pas retenir cette notion dans le texte, les gains de productivité sont évidemment un des éléments du pilotage du système. C’est pourquoi j’émets finalement un avis favorable à cet amendement.
M. Adrien Quatennens. La question des gains de productivité est centrale dans le débat sur le financement des retraites. En effet, au fur et à mesure que la productivité a augmenté, s’est développée la revendication d’une diminution du temps de travail ; c’est le sens du progrès. En effet, dès lors que la quantité de travail humain nécessaire pour produire la même quantité de richesse baisse, la véritable question est celle de la répartition de celle-ci. Sinon, pourquoi travailler plus ? Pour enrichir qui ?
Par ailleurs, nous sommes soumis à l’impératif écologique. La majorité en appelle à une croissance économique exponentielle. Or, elle sait non seulement qu’une telle croissance n’est pas économiquement possible mais, surtout, qu’elle n’est pas souhaitable. Je pose donc à nouveau la question, qui est peut-être d’ordre philosophique mais qui est centrale dans notre débat : à quoi bon travailler plus longtemps que le temps nécessaire pour produire ce dont nous avons besoin ?
M. Sébastien Jumel. Monsieur le rapporteur, pour un « coco », le fait de parler de gains de productivité n’est pas un blasphème ; c’est une réalité objective, liée à l’apparition de nouvelles méthodes, aux efforts des salariés, à la robotique, etc. Mais la question pour le « coco » est de savoir si ces gains de productivité profitent au capital ou, dans le cadre d’une répartition juste et équitable de l’effort, à la valeur travail. Je vous rassure donc : il n’y a pas de dérive politique de mon camarade Dharréville. Même si elle n’a rien de révolutionnaire, nous sommes sensibles à la prise en compte des gains de productivité dans le pilotage du système.
M. Thibault Bazin. Pour la troisième fois depuis le début de l’examen du texte, le rapporteur se déclare favorable à un amendement. Mais à quoi cela servira-t-il puisque, de toute façon, la commission n’achèvera sans doute pas l’examen du projet de loi, de sorte que nous examinerons, en séance publique, le texte du Gouvernement ? C’est à se demander quel est le sens de nos travaux !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La question a été tranchée tout à l’heure.
M. le secrétaire d’État. Il est vrai que les gains de productivité sont une des variables prises en compte dans les hypothèses du COR. Ainsi, je le reconnais, monsieur Dharréville, votre amendement peut compléter utilement le texte. Avis favorable, donc.
Madame Rabault, vous avez bien lu l’étude d’impact – je me réjouis de pouvoir discuter avec des députés qui en ont fait une lecture attentive. Je vous confirme que l’État compensera à l’euro près toutes les dépenses induites notamment par les retraites des fonctionnaires. Évidemment, compte tenu de l’extinction progressive de ces engagements, la dotation diminuera à due proportion. Tel est le sens de la phrase que vous avez citée.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 553, n° 555, n° 554, n° 556 et n° 557 de M. Jean-François Cesarini.
M. Jean-François Cesarini. Si nous voulons éviter de devoir proposer tous les dix ans une nouvelle réforme afin de reporter l’âge du départ à taux plein, il faut que le système soit dynamique et évolue dans le temps en fonction de l’espérance de vie en bonne santé à partir de 65 ans. En effet, après cet âge, les écarts sont beaucoup plus resserrés entre les hommes et les femmes mais demeurent très importants entre les différentes catégories socioprofessionnelles. En intégrant dans le régime universel une pondération selon le métier exercé, nous élaborerons une véritable réforme systémique pour les soixante à cent ans à venir. Si l’espérance de vie en bonne santé stagne, l’âge de départ à la retraite reste le même ; en revanche, s’il augmente, l’âge de départ est reporté.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous confirme que la prise en compte de l’espérance de vie sera bien au cœur du pilotage du futur système – je vous renvoie, sur ce point, à la rédaction de l’article 10. Cependant, les différents dispositifs que vous proposez me semblent préciser ce pilotage de manière excessive. J’ajoute qu’en matière d’espérance de vie, s’il est évident que les différences entre catégories socioprofessionnelles peuvent être marquées, votre analyse présente une limite : la consommation de tabac est également un facteur important qui mériterait d’être pris en compte par notre assemblée.
Je partage votre préoccupation, mais il faudrait que nous disposions de données plus précises et indiscutables. Je vous demande donc de bien vouloir retirer vos amendements.
M. Jean-François Cesarini. S’agissant des données chiffrées, le ministère des solidarités et de la santé produit, chaque année, des statistiques sur l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans. Par ailleurs, croyez-vous sincèrement, monsieur le rapporteur, que les ouvriers meurent plus tôt parce qu’ils fument davantage ?
M. Ugo Bernalicis. Les amendements de M. Cesarini sont intéressants.
Les ouvriers fument beaucoup moins qu’auparavant car ils n’ont plus les moyens de s’acheter un paquet de clopes. De là à en déduire que la baisse de l’espérance de vie en bonne santé liée au tabac devienne un jour l’apanage des plus hauts revenus...
Quoi qu’il en soit, si nous voulons que les gens puissent vivre leur vie de retraité de manière digne et décente et contribuer à l’intérêt général – un membre du Gouvernement lui‑même reconnaissait que les associations et les retraités permettent à l’État de réaliser des économies en faisant le travail qu’il ne peut pas faire –, permettons-leur de partir à la retraite tôt et en bonne santé.
Mme Cendra Motin. L’Observatoire des inégalités confirme – hélas ! – les propos de notre rapporteur : plus de 38 % des ouvriers sont des fumeurs habituels. Par ailleurs, les partenaires sociaux disposeront de tous les leviers nécessaires pour rendre l’âge de départ à la retraite dynamique et prendre en compte la pénibilité des métiers, sans s’arrêter aux seules catégories socioprofessionnelles : peut-on dire, par exemple, que tous les cadres ont une vie calme et tranquille ? Non, certains d’entre eux sont soumis à de fortes pressions et exercent un métier pénible. Raisonnons donc par métier plutôt que par catégorie socioprofessionnelle et, surtout, laissons faire les partenaires sociaux, qui connaissent bien les sujétions liées aux différents métiers, mais également la façon dont ceux-ci peuvent évoluer.
M. Sébastien Jumel. Par précaution, j’indique d’emblée que mon propos ne vise à mettre en cause ni la présidente ni qui que ce soit d’autre. Je parle simplement avec mes tripes et mon cœur. Connaissez-vous la chanson intitulée Du gris ?
« Tu n’fumes pas ! Oh ben, t’en a de la chance
« C’est que la vie, pour toi, c’est du velours
« Le tabac, c’est le baume de la souffrance
« Quand on fume, le fardeau est moins lourd. »
Ces paroles renvoient à une réalité objective, celle des personnes qui ont une vie de galères, des revenus faibles, un logement indigne... Les observatoires régionaux de la santé le montrent : dans ch’Nord sans doute, comme chez moi, les facteurs de mauvaise santé se cumulent : taux de morbidité, maladies professionnelles, tabac, alcool... C’est cela, la réalité économique et sociale de nos territoires ! Sur quelle planète vit-on pour ne pas la voir ? L’espérance de vie en bonne santé dépend des moyens financiers dont on dispose : en fonction des thunes qu’on a, on ne mange pas la même chose, on n’habite pas au même endroit, on n’a pas le même niveau d’éducation. Et si l’on ajoute à ces paramètres un boulot pénible qui n’est pas aussi épanouissant que celui d’une personne qui a grandi à Neuilly ou chez Rothschild, on conçoit aisément que l’espérance de vie de ces personnes soit moindre. Ce n’est tout de même pas difficile à comprendre !
M. Stéphane Viry. Il eût été opportun, me semble-t-il, de réfléchir, dans le cadre de ce projet de loi, à un régime universel de pénibilité qui prenne en charge tous les Français, quel que soit leur statut, les salariés comme les travailleurs indépendants, plutôt que d’en rester à un dispositif tronçonné qui apporte une réponse métier par métier en fonction de critères dont on sait qu’ils suscitent la controverse.
M. le secrétaire d’État. J’entends ce que vous dites, monsieur Viry. Mais, au fond, c’est bien ce que nous proposons dans ce projet de loi : un régime universel de la pénibilité. En effet, l’accès au compte professionnel de prévention sera ouvert à l’ensemble des actifs, qu’ils soient fonctionnaires, salariés des régimes spéciaux ou du privé. Quant aux travailleurs indépendants, il faudrait qu’ils évaluent eux‑mêmes la pénibilité de leur métier, ce qui complique la situation. Néanmoins, ce projet d’universalité de la pénibilité correspond à l’esprit du texte.
M. Thibault Bazin. Il faut l’objectiver !
La commission rejette successivement les amendements.
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* *
5. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 1er à après l’article 1er)
Mme Brigitte Bourguignon, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné 364 amendements ; il en reste 20 080.
Avant de commencer, je voudrais adresser mes excuses à M. Vallaud car, vérification faite, il avait effectivement voté contre la limitation du temps de parole lors de la réunion du bureau de la commission qui s’est tenue hier.
M. Boris Vallaud. Je vous remercie très sincèrement, madame la présidente.
Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition
La commission examine les amendements identiques n° 1832 de Mme Clémentine Autain et n° 1836 de Mme Caroline Fiat.
Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1832 vise à supprimer l’alinéa 10. Celui-ci inscrit la lisibilité parmi les objectifs du système, ce qui est presque amusant tant, en l’espèce, le terme est mensonger. En effet, dans votre système, il y aura autant de régimes que de générations, puisque l’âge d’équilibre est évolutif ; quant à l’universalité, que vous avez beaucoup brandie, c’est également un leurre, puisque des régimes spéciaux seront introduits pour les policiers, les militaires, les personnels navigants, les routiers, les avocats – j’en passe. Vous avez jeté par la fenêtre les régimes spéciaux, tant décriés, mais en réalité ils reviennent. Quant à l’étude d’impact, censée permettre d’y voir clair, son contenu est tel qu’elle rend en fait les choses encore plus illisibles – ainsi, l’âge pivot y est fixé à 65 ans ad vitam aeternam, ce qui ne sera pas le cas. Enfin, le Conseil d’État, dans son avis, évoque les vingt-neuf ordonnances, qui rendent la loi totalement illisible, et met en cause le fait que la valeur d’acquisition du point ne sera pas la même que sa valeur de service. Autrement dit, on connaît la valeur du point au moment où on l’engrange, mais pas celle qu’il aura au moment de le convertir en rente.
Mme Caroline Fiat. Pourquoi vouloir supprimer l’alinéa 10 ? Il vise à instaurer un « objectif de lisibilité des droits constitués par les assurés tout au long de leur vie active ». Nous n’aurions demandé qu’à vous croire, n’était le fait que, depuis plusieurs jours, nous vous posons les mêmes questions et citons des exemples, et n’avons toujours pas reçu de réponses. Quand on prétend à la lisibilité, on donne des réponses. Je prends donc à nouveau l’exemple de Marie – si cela vous agace, il ne tient qu’à vous de me répondre –, infirmière, censée gagner 2 500 euros tout au long de sa vie et partir à la retraite à 66 ans. Vous êtes-vous trompé dans la simulation, monsieur le secrétaire d’État ? Si c’est le cas, dites-le. Aucune infirmière ne touche cela – mais peut-être Mme la ministre de la solidarité et de la santé va-t-elle les augmenter ?
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le fait de fixer des objectifs au système de retraite, notamment celui d’être lisible, fait partie de nos ambitions. Peut-être ces objectifs ne seront-ils pas à la hauteur de ce que certains espèrent. Toujours est-il que cela permettra à d’autres, par la suite, d’essayer d’améliorer le système. En attendant, et puisqu’il était question d’une infirmière, il est nécessaire de faire un certain nombre de piqûres de rappel.
Actuellement, dans le public, le salaire de référence retenu pour le calcul est celui des six derniers mois et, dans le privé, ce sont les vingt-cinq meilleures années qui sont retenues. Les majorations de durée d’assurance peuvent atteindre huit trimestres dans le privé, contre deux trimestres dans le public. Le chômage n’est pas toujours pris en compte de la même façon dans le calcul des durées d’activité. Tout cela, même pour des experts, peut être difficile à interpréter ; pour l’essentiel de nos concitoyens, c’est complètement opaque. Ils n’y comprennent rien, et font parfois de mauvais choix au moment de partir à la retraite, par exemple parce qu’ils croient avoir tous leurs trimestres alors que ce n’est pas le cas, ou encore parce qu’ils se trompent sur le salaire de référence. Il existe à cet égard, chez nos concitoyens, une méconnaissance et une incompréhension profondes. Nous voulons gagner en lisibilité par un système à points accordant des droits aussi similaires que possible – je ne dirai pas universels – aux uns et aux autres s’agissant du mode d’attribution et de liquidation. Je suis donc absolument défavorable à ces amendements.
M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup critiqué l’état actuel des choses, du point de vue de la lisibilité, mais vous n’avez pas beaucoup défendu le système que vous proposez. Or je considère pour ma part qu’il n’apportera pas de lisibilité supplémentaire. Par ailleurs, les quelques anomalies que vous avez citées, notamment le nombre différent de trimestres obtenus dans le privé et dans le public au titre de la majoration de durée d’assurance – respectivement huit et deux –, peuvent tout à fait être corrigées : dès aujourd’hui, si vous le voulez, vous pouvez prendre des dispositions pour mettre les choses d’équerre. Il faudrait que nous réussissions à avoir un débat dans lequel, au bout du compte, nous sachions de quoi nous parlons. Or les éléments que vous apportez n’ont pas trait, en définitive, à la modification fondamentale du système que vous proposez : ce ne sont que des éléments pouvant faire l’objet de corrections.
M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, je suis un peu gêné par votre réponse s’agissant du cas très particulier des infirmiers et infirmières. Vous avez évoqué les salariés du privé et les fonctionnaires, mais vous n’avez pas parlé des infirmiers libéraux, catégorie qui n’est pourtant pas négligeable, et qui s’inquiète beaucoup. Ils dépendent actuellement de la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (CARPIMKO). On voit bien, à en juger d’après les simulations, qu’ils sont fortement perdants. Dans le cadre du groupe d’études sur les professions paramédicales, nous avons rencontré un certain nombre de leurs représentants, que le nouveau système inquiétait beaucoup. Pourriez-vous nous rassurer ? Il ne faut pas oublier les infirmiers et infirmières libéraux, qui jouent un rôle essentiel dans le maillage territorial : ils assurent, dans nos territoires, la santé de proximité dont nous avons tant besoin.
Mme Clémentine Autain. J’insiste sur l’illisibilité du système : au moment où vous engrangez des points, vous ne savez pas quelle sera leur valeur quand vous partirez à la retraite, et il est impossible de le savoir puisque l’âge d’équilibre va être régulièrement modifié. Autrement dit, ni la valeur du point ni les surcotes et les décotes ne peuvent être anticipées par les salariés. On n’accroît donc pas la lisibilité ; au contraire, on rend la confusion beaucoup plus grande. Il y a aussi le problème de la transition dont nous n’avons pas encore parlé ce matin. Vous avez séparé les générations – le régime ne sera pas le même selon que vous serez né avant ou après 1975 –, sans que l’on sache précisément à quelle sauce les uns et les autres vont être mangés ; cela aussi, c’est totalement illisible. Je ne parle même pas des vingt-neuf ordonnances, qui portent sur des éléments structurants de la réforme.
M. Jean-Paul Mattei. Je suis un peu étonné que l’on veuille supprimer l’alinéa 10, parce que c’est une des mesures les plus intéressantes, qui va effectivement permettre à chaque futur retraité de savoir où il en est. Je rappelle que le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) a été beaucoup critiqué lui aussi. Or cela marche bien : on a une bonne visibilité sur le prélèvement, effectué en fonction d’un taux. L’alinéa 10 est une mesure de bon sens, qui donnera de la visibilité. Je pense donc que c’est un très bon alinéa, qu’il faut absolument maintenir.
M. Boris Vallaud. Je voudrais d’abord rappeler que le Conseil d’État lui‑même, dans son avis, a considéré que votre futur système était moins lisible que le système actuel – c’est écrit tel quel. Mais libre à vous de considérer le contraire. Ensuite, une chose me trouble à propos des cas types – même si nous les contestons car nous considérons qu’ils sont tronqués et même, pour tout dire, truqués : comment êtes-vous en mesure de faire des simulations sans connaître le contenu des ordonnances ? En effet, la réalisation d’un certain nombre des simulations figurant dans l’étude d’impact suppose que les ordonnances soient déjà écrites. Si tel est le cas, pourquoi ne les avons-nous pas ?
Il était question des infirmiers. Nous avons besoin de comprendre la cohérence de ce que vous faites : d’un côté, vous avez exclu le métier d’infirmier de la catégorie active – ce qui a supprimé pour ceux qui l’exercent la possibilité de s’arrêter plus tôt –, et dégradé leurs droits à la retraite, quand, de l’autre, vous avez maintenu les droits des aiguilleurs du ciel. Nous nous retrouvons donc dans la situation où les aiguilleurs du ciel pourront partir à la retraite avant les infirmiers.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je voudrais commencer par vous rassurer, monsieur Bazin, s’il en était besoin : nous avons travaillé très en amont sur la question avec toutes les professions libérales, y compris les infirmiers et infirmières libéraux, en l’occurrence avec les syndicats représentatifs – à commencer par la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Cette organisation, tout en étant extrêmement vigilante quant aux effets de la réforme – je vous le dis en toute transparence –, a bien compris les impacts positifs qu’elle aurait dans le temps, notamment sur le niveau des pensions. Elle a également été rassurée par les mesures qui ont été proposées, et que vous retrouverez dans le texte, en particulier les évolutions de l’assiette de la contribution sociale généralisée (CSG). Chaque fois que nous nous exprimons, nous devons être clairs.
De fait, vous avez raison de pointer le fait qu’il existe des différences. D’ailleurs, en vous écoutant, monsieur le député, je me disais que, pour les infirmiers et infirmières, l’utilité de la réforme est particulièrement évidente : c’est précisément parce que, dans cette profession, il y a des temps de vie différents – on peut exercer à un moment donné dans le secteur privé, puis dans le secteur public, puis en libéral ; peu importe dans quel ordre, naturellement – que le système universel de retraite est intéressant. Actuellement, selon le cadre où ils exercent, les cotisations se font auprès de caisses différentes, avec des règles de liquidation différentes, ce qui n’existera plus à l’avenir. Le système universel de retraite procurera une véritable simplification, une lisibilité de la pension pour les personnes ayant exercé en libéral, dans le privé, dans le public ou ayant alterné entre ces modes d’exercice.
S’agissant des infirmiers et infirmières, je rappelle encore que la suppression de la catégorie active a été prise en 2010. Il n’y a donc pas, dans ce texte, d’éléments nouveaux. Comme vous le savez, Mme la ministre des solidarités et de la santé mène des concertations avec les représentants des infirmiers et infirmières exerçant dans la fonction publique, de la même façon que le fait Olivier Dussopt pour la fonction publique dans son ensemble. Enfin, sur la prise en compte universelle de la pénibilité, c’est-à-dire aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, ce projet de loi apporte un élément de réponse. Le Gouvernement a veillé en effet à proposer une baisse du seuil des critères de pénibilité, parmi lesquels figurent les rythmes de travail, ce qui fait que les infirmiers et les aides-soignants sont évidemment concernés. Nous ferons en sorte d’intégrer cette dimension au moment de la personnalisation de l’âge d’équilibre, pour tenir compte de la réalité de leur métier.
La commission rejette les amendements.
Elle est saisie de l’amendement n° 22454 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 22454 est un peu caustique ; nous l’avons déposé pour vous aider à préciser vos intentions. Il s’agit d’inscrire dans le texte un « objectif d’individualisation des droits aux dépens des mécanismes de solidarité » qui gouvernent notre système de retraite, car c’est bien ce qui se passerait si le projet de loi devait être adopté. Naturellement, nous ne partageons pas cet objectif. Nous vous présenterons par la suite un certain nombre de propositions correspondant davantage aux objectifs que nous souhaiterions assigner au système de retraite. L’objectif de lisibilité est au cœur de l’alinéa 10, mais vous ne faites pas la démonstration que votre système est plus lisible que le système actuel, car vous vous trouvez dans l’incapacité de répondre aux cas concrets et précis qui vous ont été soumis depuis le début de nos discussions. Tout cela est assez troublant et va nourrir les questionnements qui sont sans doute déjà ceux du Conseil constitutionnel.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Pour cet alinéa comme pour les précédents, je resterai fidèle à mon argumentaire : nous nous donnons ici des objectifs, et nous aimerions discuter avec vous des outils permettant de les mettre en œuvre, qui sont détaillés plus loin dans le texte. Peut-être faut-il effectivement les améliorer mais, à ce stade, vous devriez nous savoir gré de fixer un objectif que nous pourrions à peu près tous partager, à savoir la lisibilité.
Vous parlez d’une individualisation des droits. Comment la réforme pourrait-elle favoriser l’individualisation des droits, dès lors que, au contraire, nous mutualisons le système ? Nous proposons en effet que l’architecture de l’ensemble du réseau repose sur une caisse de retraite unique, la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) ; nous travaillons à établir autant de règles communes que possible – et, en tout état de cause, il y en aura beaucoup plus qu’à l’heure actuelle ; nous mutualisons les ressources et homogénéisons les droits à retraite. Autrement dit, nous progressons sur le chemin de l’égalité. Il me paraît donc dommage qu’un parti de gauche comme celui auquel vous appartenez, qui a une longue tradition de luttes sociales pour plus d’égalité, défende un amendement tel que celui-ci.
Avis défavorable.
M. Sébastien Jumel. La question de la lisibilité est vraiment centrale, et l’opposition – j’insiste sur ce fait – n’est pas la seule à le dire. Je viens de relire l’avis du Conseil d’État. Cinq régimes différents, un traitement différencié selon que les assurés seront nés avant ou après 1975, des mécanismes de transition peu perceptibles : tout cela, estime-t-il, est inintelligible. Autrement dit, le Conseil d’État est encore plus sévère que nous ! C’est évidemment un problème pour vous. La constitutionnalité du texte est d’ailleurs en cause, puisqu’il est impératif que le Parlement, lorsqu’il acte un projet de loi, ait une lisibilité s’agissant de ses conséquences financières et normatives. Or, je le répète, votre texte est inintelligible. Ce ne sont pas les communistes, les socialistes ou les insoumis qui vous le disent : c’est la plus haute juridiction de notre pays.
Mme Clémentine Autain. Excusez-moi de vous le dire, monsieur Turquois, mais la remarque que vous venez de faire est un peu perverse. Vous nous dites que le projet de loi fixe un certain nombre d’objectifs au système de retraite, parmi lesquels ceux d’être lisible et solidaire et de garantir un niveau de vie satisfaisant pour les retraités, et vous nous reprochez de ne pas voter en leur faveur. Or nous ne saurions adopter des objectifs qui ne correspondent pas à la réalité du texte. En effet, celui-ci aura pour conséquence que les personnes qui souhaitent savoir ce qu’elles toucheront une fois à la retraite ne le pourront pas. À cet égard, l’étude d’impact est même mensongère : une infirmière est censée toucher 2 500 euros, ce qui, manifestement, ne correspond pas à la réalité. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous ne répondez pas sur ce sujet – comme sur bien d’autres encore. Il y a donc un véritable problème de visibilité ; les Français ne peuvent pas avoir confiance dans votre nouveau système, car celui-ci, excusez-moi de vous le dire, est totalement illisible, point à la ligne.
M. Régis Juanico. Vous parlez de lisibilité, mais vous plongez les Français dans un brouillard épais, un brouillard londonien : ceux de nos concitoyens qui suivent nos débats depuis deux jours, et qui constatent qu’aucune réponse précise n’est apportée à nos questions sur les conditions de départ à la retraite sont-ils plus éclairés ? Non. Vous êtes en train de fabriquer une véritable usine à gaz et, qui plus est, le système sera extrêmement anxiogène. À cela s’ajoute la question de l’âge d’équilibre : celui-ci sera évolutif, ce qui sera également très anxiogène par rapport au système actuel. Le Conseil d’État n’a pas seulement dénoncé dans son avis le manque de visibilité d’ensemble et les projections financières lacunaires : il a aussi dit très précisément que le nouveau système « retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point ».
Mme Catherine Fabre. C’est quand même incroyable : vous vous offusquez que nous gardions cinq régimes, alors que, dans le système actuel, il y en a quarante-deux. Qui plus est, disons-le honnêtement, aucun de nos concitoyens ne comprend à quoi il a droit et comment il a réussi à se créer des droits à retraite. En moyenne, chaque Français dépend de trois régimes différents. L’avantage principal du système à points est justement la lisibilité. C’est ce que disent ceux qui l’ont conçu, ceux qui l’ont soutenu – que ce soient Antoine Bozio, Thomas Piketty ou la CFDT –, mais aussi l’ensemble des personnes, chez Les Républicains, qui s’y sont intéressées. Je crois vraiment que, dans votre position, il entre beaucoup de posture politicienne.
M. Thibault Bazin. Je ne peux que m’inscrire en faux par rapport à vos propos, madame Fabre : on ne peut pas dire que tous les régimes actuels sont illisibles. Dans un certain nombre d’entre eux, les règles sont claires, il y a de la visibilité, et les assurés savent combien ils toucheront à la retraite. Il était important de le rappeler.
Je voudrais souligner un problème de fond : alors que, dans les régimes à points existants, on sait quelle sera l’évolution du point, dans votre système, on ne sait pas quelle sera la valeur de service par rapport à la valeur d’acquisition. Vous allez donc devoir prendre des engagements fermes et de nature à nous rassurer.
M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Monsieur Bazin, vous prétendez que le système actuel est lisible et que nos concitoyennes et concitoyens s’y retrouvent. Ce n’est pas vrai : ils sont perdus. C’est ce que nous a dit, parmi d’autres, le président du Conseil supérieur des retraites (CSR) durant son audition. Une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a même pointé, il y a quelques mois, le fait que 24 % de nos concitoyens ne liquident pas l’intégralité de leur retraite – 7 % n’en liquident même aucune. Il y a donc un véritable problème d’accès aux droits. Or cette situation est liée au fait que, dans le système actuel, les pensions de retraite sont effectivement, en moyenne, versées par trois caisses différentes : nous sommes généralement polypensionnés. Le système universel viendra réparer ce qui constitue une injustice profonde.
M. Thierry Benoit. Je voulais réagir aux propos de notre collègue Thibault Bazin, que j’apprécie et dont les observations sont souvent pertinentes. On peut tout reprocher au système par points, sauf de ne pas être lisible. Personnellement, en tant que député centriste, je soutiens l’instauration d’un régime universel de retraite par points depuis au moins trois législatures et trois élections présidentielles, notamment celle de 2007, à travers la candidature de François Bayrou. Ce qui est certain, c’est que, pour ce qui est de la lisibilité, rien ne peut être pire que le système de retraite actuel. On peut avoir une vague idée, deux à trois avant de partir, de la pension qu’on touchera, mais il est faux de dire que la situation est claire car, selon qu’on est indépendant, commerçant, ouvrier ou agent de la fonction publique, le système est totalement différent. Il n’y a donc aucune lisibilité et rien, je le répète, ne sera pire, de ce point de vue, que la situation actuelle.
M. le secrétaire d’État. Je voudrais répondre à M. Bazin en m’appuyant sur ce qui vient d’être dit par M. Benoit. Puisque la situation des infirmières semble vous intéresser beaucoup – ce qui est aussi mon cas, d’ailleurs –, je reprendrai le même exemple que tout à l’heure. Quand une infirmière part à la retraite après avoir travaillé quinze ans l’hôpital, quinze ans dans une clinique privée et douze ans dans telle ou telle entreprise et dans un autre service de santé, soit quarante-deux ans de carrière, combien va-t-elle toucher dans le cadre des quatre régimes différents au sein desquels elle a cotisé ? Ne voyez là aucune taquinerie de ma part, monsieur Bazin, car je n’ai pas l’intention de répondre à votre question par une autre question. Disons-le franchement, les choses sont exactement telles que M. Benoit vient de les décrire, c’est-à-dire illisibles. Or, s’il n’est pas possible de donner une réponse simple à la question que je viens de poser, c’est précisément parce que les parcours professionnels ressemblent souvent à ce que je viens de décrire. Nous pourrions à la rigueur vous rejoindre, monsieur Bazin, s’agissant de parcours simples, comme celui que j’ai eu la chance d’avoir, c’est-à-dire ceux de personnes qui entrent dans une entreprise à l’âge de 22 ans et qui en sortent à 62 ou à 63 ans après y avoir fait la totalité de leur carrière, mais cela ne correspond plus, en cette première moitié du XXIe siècle, à la réalité de ce que vivent la plupart des gens – et ce sera encore plus vrai à l’avenir.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement n° 21270 de M. Boris Vallaud.
M. Hervé Saulignac. Chacun a bien compris que ce projet de loi était censé rendre le système de retraite plus clair, plus juste et plus solide, mais qu’en réalité celui-ci sera plus opaque, plus injuste et plus fragile. S’agissant de la lisibilité, je pense notamment aux générations d’assurés nés entre 1975 et 2003 : ils relèveront de plusieurs systèmes, voire de plusieurs régimes, et si, de surcroît, certains de ces régimes font l’objet de dispositifs transitoires de convergence, la reconstitution des droits sera pour le moins rock’n’roll. Ils seront tout bonnement dans l’incapacité de vérifier leurs droits. Nous pensons donc que la lisibilité que vous mettez en avant dans vos discours et dans votre communication est tout à fait fallacieuse. L’objet de cet amendement est de faire en sorte que la lisibilité des droits soit effective pour les assurés nés à compter du 1er janvier 2004.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je pense que nous gagnerons en lisibilité quand nous travaillerons sur les outils plutôt que d’en rester aux principes. Si nous adoptions votre amendement, l’alinéa 10 serait rédigé de la façon suivante : « Un objectif de lisibilité des droits constitués par les assurés nés à partir du 1er janvier 2004 ». Autrement dit, ceux qui sont nés entre 1975 et 2003 seraient concernés par la réforme mais l’objectif de lisibilité ne vaudrait pas pour eux. Du simple point de vue de la cohérence, ce que vous proposez n’a pas beaucoup de sens. Cela participe du flou que vous voulez entretenir : au lieu de travailler sur les outils déclinés dans les articles suivants, on en reste aux principes généraux.
Avis défavorable.
M. Boris Vallaud. Mon collègue Régis Juanico n’a pas eu le temps de finir de vous lire l’avis du Conseil d’État. Celui-ci estime que le nouveau système « retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système ». C’est bien là tout le problème, et c’est le cœur même de votre démarche ; il serait compliqué de dénier cette réalité. Par ailleurs, mon collègue Hervé Saulignac l’a dit : les modalités des périodes de transition sont tellement obscures que vous n’avez pas même été capables de les expliquer dans le projet de loi. C’est dire la confusion qui présidera, pour un certain nombre de pensionnés, à la mise en œuvre de votre réforme pendant la période de transition.
Mme Clémentine Autain. Notre collègue de La République en Marche, Mme Fabre, a énuméré des économistes censés soutenir le projet de loi, mais c’était avant d’en connaître la teneur. Antoine Bozio, par exemple, a publié aujourd’hui dans Le Monde une tribune dans laquelle, précisément, il met en cause les impasses et les incertitudes du texte : « cette étude d’impact, qui devait apporter clarté et transparence, ne va malheureusement pas donner tous les éléments pour permettre un débat serein ». Quant à Thomas Piketty, voici ce qu’il a écrit récemment : « L’absence d’une analyse détaillée des effets redistributifs interroge et alimente le soupçon de dissimulation des effets réels de la réforme proposée. » Vous pratiquez donc de façon récurrente la manipulation et le mensonge, même au sein de cette commission, et vous ne répondez pas aux questions que nous vous posons, y compris lorsqu’elles sont fondées sur l’analyse du Conseil d’État.
M. Stéphane Viry. La question de la lisibilité est effectivement centrale et essentielle, d’autant qu’elle a été utilisée – et peut-être même un peu galvaudée – par la majorité pour vendre ce projet de réforme. J’en profite pour dire que mon collègue Thibault Bazin ne méritait pas l’opprobre dont vous l’avez couvert pour les observations qu’il a faites. Le système actuel n’est peut-être pas parfait, mais toutes les caisses ont mis en place des outils permettant de donner des informations aux ayants droit. Que les Français soient inquiets, qu’ils aient le sentiment que le système est opaque, soit, mais il est tout à fait excessif, et même un peu trop facile, pour tout dire, de fonder tout entier la réforme sur l’idée selon laquelle, à l’heure actuelle, le mécanisme serait illisible. Je m’inscris en faux par rapport à cette démarche.
La commission rejette l’amendement.
Elle est saisie de l’amendement n° 21917 de M. Emmanuel Maquet.
M. Emmanuel Maquet. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »), le Gouvernement voyait dans l’épargne retraite « un élément massif de la simplification [...] pour transformer la vie des salariés et leur permettre d’être mieux rémunérés au travail ». Ceux qui partagent ce constat ne pourront qu’être déçus de voir que la question est absente du présent projet de loi. Au vu de l’importance de l’épargne retraite pour la modernisation de notre économie – sans oublier qu’elle représente un complément de pouvoir d’achat pour nos concitoyens –, je propose de l’inscrire en tant qu’objectif à part entière de la réforme.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’alinéa que vous proposez de créer à travers cet amendement est en phase avec certaines des valeurs régulièrement défendues par votre groupe, qui consistent à favoriser la capitalisation. Avec le mécanisme que nous créons, 99 % des actifs et 96 % des revenus seront concernés, car ils se situent en dessous de la limite fixée, à savoir trois fois le PASS. Nous voulons résolument consolider le mécanisme par répartition, qui nous semble beaucoup plus stable que la capitalisation. Celle‑ci, en effet, repose sur des outils boursiers qui peuvent certes se révéler intéressants, mais ne donnent aucun gage de sécurité. Enfin, un objectif d’indépendance des assurés nous semble contradictoire avec l’objectif de solidarité que nous devons avoir les uns envers les autres. Avis défavorable.
M. Jacques Maire. Voilà des décennies que les produits d’épargne retraite existent, et ils ont été encadrés fiscalement par les gouvernements successifs. Ces dispositifs ne sont donc pas du tout source de conflit entre nous. En revanche, le fait d’inscrire dans le texte un objectif d’indépendance des assurés, alors même que ces derniers sont, pour une bonne part, complètement dépendants du régime de répartition, ne correspond pas au message que nous souhaitons envoyer, car cela va à l’encontre du principe même d’une sécurité universelle pour les assurés. Certains assurés peuvent effectivement poursuivre l’objectif de s’assurer un complément de revenu, mais cela ne concerne que quelques-uns d’entre eux.
M. Emmanuel Maquet. À travers cet amendement, je voulais simplement faire en sorte qu’il y ait une cohérence entre ce texte et la loi « PACTE », laquelle prévoit des outils de ce type. Au demeurant, je le disais, l’épargne salariale est destinée à soutenir le pouvoir d’achat. Je vous invite donc à veiller à la cohérence des différents textes que vous nous proposez.
M. Sébastien Jumel. Vous devriez rassurer notre collègue Emmanuel Maquet, car il a raison : la loi « PACTE » constitue l’amorce de la capitalisation. De ce point de vue, votre projet est cohérent. La baisse de la rémunération du livret A envoie elle aussi aux Français le signal qu’il faut se porter vers la capitalisation et l’individualisation de leurs retraites. Ce qui est bien, avec la droite, c’est qu’elle décrypte l’idéologie du projet, et qu’elle vous propose d’aller au bout de votre logique libérale. Rassurez donc notre collègue Emmanuel Maquet ; quant à nous, nous allons évidemment nous opposer à l’amendement qu’il vient de défendre.
La commission rejette l’amendement.
Elle en arrive l’amendement n° 12941 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 12941 vise à vous permettre d’inscrire véritablement un élément de visibilité dans le projet, en l’occurrence un « objectif de parité du niveau de vie entre les retraités et les actifs ». Cela renvoie à la question du salaire continué, telle que je l’ai exposée hier. Vous avez évacué par la fenêtre la notion de taux de remplacement ; nous voulons, pour notre part, la faire rentrer par la grande porte.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Dharréville, votre amendement, tel que je l’ai compris, ne correspond pas à ce que vous venez d’expliquer. J’ai l’impression, en effet, que vous nous avez parlé de la continuité du niveau de vie, pour une personne, entre l’activité et la retraite. Or, tel que je comprends votre amendement, celui-ci vise à fixer l’objectif d’une parité entre les retraités et les actifs. Actuellement, en moyenne, le revenu des retraités est supérieur de 6 % à celui de l’ensemble de la population. Fixer un objectif de parité entre les retraités et les actifs, cela veut-il dire qu’il faut baisser le niveau moyen des retraites ? Je ne pense pas que telle soit exactement votre intention. J’en profite toutefois pour rappeler que les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) – dont j’ai l’impression, à écouter les uns et les autres, qu’elles sont communément acceptées – indiquent que, faute de réforme, le niveau de vie des retraités connaîtra un décrochage, ce à quoi nous souhaitons précisément remédier.
Avis défavorable.
Mme Clémentine Autain. Certaines projections reposent en réalité sur les effets négatifs des lois qui ont été adoptées, notamment depuis 1993. Il ne vous aura pas échappé que le fait d’indexer les retraites sur l’inflation et non plus sur les salaires paupérise les retraités. Par ailleurs, il vaut mieux parler de « niveau de vie » que de « revenu ». Le niveau de vie moyen des retraités, en l’occurrence, est effectivement supérieur de 5,3 % à celui des actifs, mais la différence est quand même très faible si l’on considère que ces personnes ont travaillé toute leur vie. Elles méritent évidemment de vivre de façon décente. Or nous nous dirigeons vers une paupérisation des retraités, et il est clair que votre réforme, loin de corriger les méfaits des contre-réformes précédentes, ne fera qu’aggraver la situation. Pourrions-nous avoir votre avis en ce qui concerne l’indexation sur l’inflation plutôt que sur les salaires ?
M. Sacha Houlié. Plusieurs choses intéressantes viennent d’être dites, à commencer par celle-ci : si on ne fait rien, effectivement, le niveau de la pension des retraités actuels et futurs va se dégrader. Voilà qui, en soi, justifie le projet de loi que nous défendons. Celui-ci prévoit l’indexation des pensions sur l’évolution des salaires et non sur l’inflation, ce qui permettra de faire en sorte que les pensions augmentent plus vite qu’elles ne le faisaient jusqu’à présent. Je proposais même, pour ma part, de considérer le niveau de l’inflation comme un plancher si l’indexation sur les salaires n’était pas suffisante. Par ailleurs, grâce à la réforme, les pensions les plus faibles, celles des personnes ayant les parcours les plus heurtés, les plus décousus, et qui ouvrent donc moins de droits à retraite, vont augmenter, comme l’indique l’étude d’impact, que vous critiquez tant. De ce fait, le caractère redistributif du système va augmenter de façon manifeste.
M. Boris Vallaud. Le COR dit effectivement, nul n’en disconvient, que, faute de réforme, le taux de remplacement va diminuer, et que le niveau de vie des pensionnés va décrocher par rapport à celui des actifs. Le phénomène se mesure très simplement : il suffit de faire le rapport entre la part de produit intérieur brut (PIB) consacrée aux retraites et le nombre de retraités. Mais votre réforme ne change absolument rien à cet équilibre, et nous allons retrouver l’écart qu’il y avait dans les années 1980. Autrement dit, et nous devrions tous nous en inquiéter, les effets de quarante années d’alignement du niveau de vie entre les actifs et les pensionnés vont se trouver gommés.
M. Pierre Dharréville. Je partage naturellement ce qui vient d’être dit par Boris Vallaud. Les députés communistes pensent qu’il faut une réforme. D’ailleurs, nous en proposons une. Dès novembre 2018, pour ce qui me concerne, j’avais déposé une proposition de loi sur le sujet pour garantir le pouvoir d’achat des retraités, et nous en avons déposé une nouvelle, beaucoup plus complète, il y a quelques jours. Nous sommes donc tout à fait convaincus de la nécessité d’une réforme des retraites. Là où il y a une entourloupe, c’est que vous nous expliquez qu’il faut une réforme et que celle que vous proposez permet de régler les problèmes. Or tel n’est pas le cas ; nous pensons même qu’elle va aggraver la situation. M. Houlié a parlé d’indexer les pensions sur les salaires, mais ce n’est pas ce qui figure dans votre proposition : je vous invite à relire le texte.
La commission rejette l’amendement.
La commission en vient à l’amendement n° 541 de M. Pierre Dharréville.
M. Sébastien Jumel. Pierre Dharréville complétera mes propos si besoin. Au cours de nos auditions, quasi unanimement, les organisations syndicales ont déploré que le nouveau mode de gouvernance affaiblisse leur participation, et donc celle des travailleurs, à la définition des objectifs du système. Lors de l’audition du COR la semaine dernière – que vous avez condamné à disparaître, tout en lui rendant hommage, c’était surréaliste –, son président fait le même constat. Vous allez rayer de la carte cet organisme qui associait de manière ouverte et paritaire les partenaires sociaux au diagnostic de long terme et à la stratégie.
Vous leur demandez de se mettre d’accord sur la gouvernance, sans créer les conditions de cet accord. Cela permettra ensuite à l’exécutif et au Président de la République – et non au Parlement, affaibli – de reprendre la main. Notre amendement vise à remettre le paritarisme et la participation des travailleurs au cœur du système de gouvernance des retraites.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Rassurez-vous, monsieur Jumel, au titre IV qui concerne la gouvernance de la CNRU, vous constaterez que son conseil d’administration est entièrement confié aux partenaires sociaux, salariés et employeurs, comme c’est l’usage.
Vous avez évoqué la question de l’indexation des pensions : soyons clairs, la valeur d’acquisition et la valeur de service du point seront indexées à terme sur les salaires. Une fois liquidée, la pension sera, elle, indexée sur l’inflation, sauf décision contraire de la CNRU.
Quelle que soit la période d’activité, il faut que les points soient équivalents. Ainsi, un SMIC perçu en 2025 ou en 2050 doit représenter la même proportion de points. Mais la pension constitue un pouvoir d’achat. Or ce dernier est affecté par l’inflation. La pension sera donc réévaluée chaque année suivant l’inflation.
Mme Clémentine Autain. Je vais rafraîchir la mémoire de nos collègues sur toutes ces lois qui ont dégradé la situation des retraités. En 1993, Édouard Balladur décide d’indexer les pensions sur l’inflation, et non plus sur l’évolution des salaires, ce qui pénalise les retraités. À la même époque, cent soixante trimestres, contre cent cinquante auparavant, deviennent nécessaires pour bénéficier d’une pension à taux plein. Enfin, la pension est désormais calculée sur les vingt-cinq meilleures années, au lieu de dix.
En 1996, la « loi Juppé » met fin de la démocratie sociale. En 2003, la réforme Fillon allonge la durée de cotisation, qui passe à cent soixante-quatre trimestres. En 2008, Xavier Bertrand nivelle par le bas et aligne les régimes spéciaux sur le privé.
En 2010, M. Woerth allonge à nouveau la durée – à cent soixante-six trimestres –, recule l’âge minimal de départ en retraite à 62 ans et l’âge légal à 67 ans. En 2014, un nouvel allongement de la durée de cotisation est décidé.
Et nous voilà en 2019, avec la situation que l’on connaît et votre régime à points qui va encore détériorer la situation !
M. Boris Vallaud. Il faut être précis, monsieur le rapporteur : vous parlez des modalités d’indexation, mais aucune règle d’or ne vient garantir l’indexation que vous décrivez. Jusqu’en 2045, l’indexation du point sera ajustée, entre l’inflation et l’augmentation des salaires. La valeur de 0,55 euro du point peut donc s’éroder. Après 2045, le conseil d’administration de la CNRU pourra également déroger au principe pour respecter l’équilibre financier du système. Nous ne pouvons donc pas prendre l’engagement devant les Français d’une garantie ad vitam aeternam ! En outre, même lorsque l’indexation sur l’inflation est inscrite dans le code de la sécurité sociale, comme c’est le cas aujourd’hui, vous y dérogez, comme depuis deux ans et demi...
M. Sébastien Jumel. L’article 56 réduit les pouvoirs du conseil d’administration : un comité d’experts non paritaire – le comité d’expertise des retraites – pilotera le système, le rôle du conseil d’administration se limitant à proposer des paramètres. In fine, le Gouvernement prendra la décision, sur avis des « experts ».
La hiérarchie et les règles de pilotage sont également très originales, voire étonnantes d’un point de vue économique, puisque l’équilibre de court terme
– annuel – prévaudra sur l’équilibre pluriannuel.
Pour résumer, la délibération sera actée en conseil d’administration. Elle devra ensuite être validée par décret, après avis du comité d’expertise. Si aucun accord n’est trouvé sur la règle d’or, le Gouvernement décidera seul. C’est ce que vous appelez une gouvernance partagée à laquelle les travailleurs participent ! Vous souriez à mes explications ; c’est dire si vous y croyez !
M. Éric Girardin. Madame Autain, pourquoi a-t-on connu une succession de réformes depuis une vingtaine d’années ? Tout simplement pour conforter le système actuel de retraite. Sur quoi repose-t-il ? Un bilan actifs-retraités favorable et une performance économique régulière. À partir du moment où l’une des deux conditions n’est pas remplie, il faut réformer le système. Je vous rappelle que les réformes sont toutes intervenues après la mise en place de la retraite à 60 ans en 1980, puisqu’elle a modifié l’équilibre actifs-retraités.
M. Gérard Cherpion. Monsieur le rapporteur, vous nous renvoyez au titre IV pour débattre de la gouvernance et vous affirmez qu’elle est entièrement confiée aux partenaires sociaux. Mais ce ne sont pas les termes du projet de loi ! L’article 56 dispose que la CNRU est un établissement public national à caractère administratif et qu’elle est soumise au contrôle de l’État. Où sont les partenaires sociaux ? Pourriez-vous nous apporter des précisions ?
M. le secrétaire d’État. Monsieur Vallaud, vous avez dénoncé ces politiques qui, parfois, sont amenées à minorer la pension de nos aînés. Par curiosité, j’ai recherché les mesures prises entre 2013 et 2016, par une majorité dont vous étiez proche. En 2013, la revalorisation a été de 1,3 %. En 2014, le gouvernement de l’époque a décidé de décaler la revalorisation d’avril à octobre, soit six mois supplémentaires sans réévaluation. En octobre, cette dernière a été forfaitaire, de 40 euros. Au 1er octobre 2015, la revalorisation a été de 0,1 % et, en 2016, de 0 %. Certes, l’inflation était quasi nulle, mais vous auriez pu faire un geste, si j’en crois votre volonté actuelle.
M. Boris Vallaud. Je n’étais pas parlementaire !
La commission rejette l’amendement.
Puis elle passe à l’amendement n° 539 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Lors de la création de la sécurité sociale, l’un des enjeux fondamentaux était de savoir qui allait en exercer le contrôle et en assurer la gestion. C’était l’une des batailles d’Ambroise Croizat, et de quelques autres : faire en sorte que les travailleurs eux-mêmes soient les gestionnaires. Petit à petit, le rôle des organisations syndicales et des représentants de salariés a nettement reculé. Vous êtes en train de franchir une nouvelle étape, d’où notre précédent amendement.
Le présent amendement vise à afficher un objectif de réduction du travail prescrit, afin de garantir un vrai temps de retraite, libéré de ce travail prescrit. Le travail ne s’arrête pas pour autant : il en existe beaucoup d’autres formes et toutes ne sont pas reconnues ou sanctionnées par un contrat de travail.
Le contrat de travail a constitué un progrès par rapport au travail journalier – je vous renvoie à Uber, par exemple, même si l’on constate un retour en arrière. Mais, à l’âge de la retraite, les femmes et les hommes qui le souhaitent doivent pouvoir en être libéré, tout en continuant à exercer d’autres formes de travail profitables à la société, dans d’autres domaines ou d’autres secteurs. Nous souhaitons en conséquence que la retraite soit une forme de salaire continué.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’entends vos arguments, monsieur Dharréville. J’entends également votre plaidoyer pour le travail social, d’implication dans les associations, au moment de la retraite. Mais il serait souhaitable de ne pas le limiter à cette période de la vie.
Pour ma part, j’estime qu’il est dommage d’assimiler le travail à une contrainte car on peut s’y épanouir, s’intégrer socialement et faire œuvre de citoyenneté en travaillant. Le travail permet la production de richesses. Il permet à nos enfants d’aller à l’école. Il nous permet de financer un service public de qualité et des conditions de départ en retraite, peut‑être plus progressives, peut-être aménagées, mais de qualité.
La mission du Gouvernement, comme celle des suivants, est d’améliorer les conditions de travail les plus pénibles. Nous souhaitons en tenir davantage compte dans le projet de loi. Mais je refuse l’idée que le travail n’est qu’une forme de sanction.
M. Boris Vallaud. Je suis ravi de voir que le secrétaire d’État est capable de précision. Je note qu’il est plus habile à rechercher les responsabilités passées qu’à assumer les siennes et à répondre aux interrogations sur son projet de loi. Mais je conçois que ce soit plus difficile...
Merci, monsieur le secrétaire d’État, quand nous vous poserons des questions, d’avoir le souci d’y répondre avec autant de diligence.
M. Jean-Paul Mattei. Je reviens sur la gouvernance. Notre discussion est intéressante car nous abordons le fond du projet de loi, ce qui nous permettra peut-être de gagner du temps dans la suite de l’examen du texte. Le paritarisme au sein du conseil d’administration de la CNRU, au centre du dispositif, sera régi par le nouvel article L. 199-3 du code de la sécurité sociale. Lisez le texte : je ne vois pas en quoi ce n’est pas paritaire !
M. François Ruffin. La planète et les hommes ont besoin de repos. Quel est le sens du combat ouvrier depuis le XIXe siècle ? Il vise à libérer du travail : les enfants d’abord ; avec le dimanche chômé ensuite – que votre majorité remet en cause ; avec le principe des trois fois huit – 8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de loisirs ; avec le samedi à l’anglaise, puis les congés payés et enfin les retraites.
Or votre réforme vise à allonger la durée de travail et à réduire encore davantage le temps de la retraite. Vous revenez sur un conquis social et ne prenez pas en compte l’écologie : au burn out des hommes répond celui de la planète. En conséquence, je le répète, la planète et les hommes ont besoin de repos ! Travailler moins, consommer moins devrait faire partie des objectifs de votre réforme. Sinon, quel sens a-t-elle ? Nous ne l’avons toujours pas compris alors qu’elle est supposée être sur la table depuis deux ans !
M. Pierre Dharréville. Notre débat est important. Je plaide pour la réduction du temps de travail prescrit. Or, vous l’augmentez. Ce n’est pas le sens de l’histoire : nous devons repasser la marche avant. Monsieur le rapporteur, cela ne signifie pas qu’il faille opposer deux visions caricaturales du travail. Je suis d’accord, on peut s’épanouir dans le travail prescrit, mais cela reste du travail prescrit !
Vous êtes favorable au travail non prescrit, y compris pendant la vie active. Je suis d’accord à 200 %, mais vous n’en créez pas les conditions. Regardez toutes les lois votées depuis deux ans et demi, y compris les ordonnances réformant le code du travail. Je ne suis pas non plus certain que le présent projet de loi aille dans cette direction...
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement n° 540 de M. Pierre Dharréville.
M. Sébastien Jumel. Pour combattre les préjugés – nous serions prétendument attachés au statu quo –, je rappelle que nous déplorons les inégalités touchant les femmes dans le système actuel : leur pension de droit direct est inférieure de 42 % à celles des hommes, 20 % d’entre elles sont obligées d’attendre 67 ans pour éviter la décote – ce qui signifie que 80 % d’entre elles partent en retraite avec une décote. Ces inégalités se creusent. Mais, en intégrant les périodes à temps partiel, en ne prenant pas en compte les interruptions les plus fréquentes pour charges familiales ou les périodes de chômage, votre réforme va considérablement aggraver la situation des femmes.
Si on ajoute les attaques sur les droits familiaux, la suppression de la majoration de durée d’assurance ou la suppression de la majoration de pension de 10 %, qu’on offre désormais à l’option du père ou de la mère, les femmes seront évidemment davantage pénalisées encore par cette mauvaise réforme. En complétant l’alinéa, notre amendement vise à inscrire l’égalité de retraite entre les hommes et les femmes comme objectif politique majeur de la réforme.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’entends votre souhait. Mais l’alinéa 6 fixe déjà un objectif de résorption des écarts de retraite entre les femmes et les hommes. Plus fondamentalement, nous pensons que les inégalités de pension reflètent d’abord celles de la vie professionnelle. En 2017, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail avait ainsi relevé que 83 % des femmes de 25 à 49 ans étaient en activité en France, soit 10 points de moins que les hommes. Sur la même tranche d’âge, le taux de temps partiel atteignait 28 %, chez les femmes, contre 6 % pour les hommes. Le taux d’activité des femmes était de 88 % sans enfant, de 85 % avec un enfant et de 64 % avec trois enfants ou plus, la baisse étant encore plus prononcée quand les enfants étaient en bas âge. Pour un homme et une femme dont les salaires sont identiques autour de 25 ans, après la naissance d’un enfant, la différence de salaire atteint 20 %.
Des réformes sont engagées, mais nous devons faire l’effort de résorber les inégalités durant la vie professionnelle et nous fixer des objectifs clairs – ainsi nous accordons une majoration dès le premier enfant puisque nous avons constaté que chaque enfant « coûte » 5 % de salaire aux femmes.
En conséquence, je suis défavorable à votre amendement.
Mme Clémentine Autain. Je vous remercie de nous brosser la situation existante. Nous aussi sommes inquiets des inégalités qui se développent entre les hommes et les femmes au cours de leur vie professionnelle, puis à la retraite. Mais vous ne nous expliquez pas comment votre nouveau régime répondra au problème. Les femmes ne seront pas les grandes gagnantes, contrairement à ce que vous affirmez ; elles vont y perdre considérablement !
Je vais ajouter à la liste des questions auxquelles nous n’avons aucune réponse que rien ne nous permet de comprendre à quelle sauce vont être mangées les personnes qui bénéficient actuellement d’une pension de réversion. Cette mécanique, certes imparfaite, a le mérite de combler une situation profondément inégalitaire.
Je reviendrai ultérieurement sur le mensonge proféré par la ministre en réponse à une de mes questions concernant la différence entre l’actuelle majoration pour durée d’assurance et la majoration de 5 % à venir.
M. le secrétaire d’État. Il faut toujours évoquer la question de la pension de réversion avec grande prudence, et grand respect, car elle concerne un conjoint survivant et être celui ou celle qui reste seul dans un couple n’est jamais facile. Il n’est pas sain de faire peur à nos concitoyens...
Notre volonté est d’assurer un revenu cohérent au conjoint survivant. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur différentes études, notamment celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui estiment qu’en conservant 70 % du revenu du couple, le niveau de revenu du conjoint survivant est comparable à son niveau de vie passé. D’où la proposition du Gouvernement : à partir de 55 ans, et sans conditions de ressources, le conjoint survivant touchera une pension de réversion permettant d’atteindre ce niveau de revenu. Le dispositif a donc évolué depuis la remise du rapport de Jean-Paul Delevoye et il est unanimement salué.
Madame Autain, ces dispositions ne s’appliquent bien entendu pas à ceux qui perçoivent déjà des pensions de réversion.
M. Cherpion faisait remarquer que nous décrivons la situation future, celle de 2037. C’est bien l’objet de notre débat. Les transitions, qui ont donné lieu à de nombreuses questions, seront abordées au titre V, sur le rapport de Paul Christophe. J’espère que nous pourrons l’atteindre et en débattre dans le détail.
Monsieur le député, je ne vous avais pas répondu sur la gouvernance, mais M. Mattei l’a rappelé : nous avons fait le choix de renforcer les pouvoirs des partenaires sociaux dans le pilotage du système. Certes, nous le faisons dans un contexte différent du contexte actuel. Nous souhaitons que le fonctionnement de la CNRU se rapproche plus de celui de l’AGIRC-ARRCO que de celui de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.
Vous nous le rappelez régulièrement depuis deux jours, il s’agit d’un budget important – autour de 14 % du PIB et plus de 300 milliards d’euros. Il est donc normal de prévoir un encadrement par le Parlement et le Gouvernement. C’est ce que nous faisons, tout en laissant des espaces très clairs de gouvernance aux partenaires sociaux.
M. Gérard Cherpion. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous référez à l’AGIRC-ARRCO. Certes, c’est un système par points, mais il inclut une surcotisation affectée à l’action sociale, qui disparaît dans le nouveau système... En outre, l’AGIRC-ARRCO est uniquement administrée par les partenaires sociaux. Ce n’est pas un établissement public. Cette organisation strictement paritaire a démontré son efficacité : non seulement elle est à l’équilibre, mais elle dispose de six mois de réserves, prévues dans ses statuts. Je ne comprends donc pas votre réponse...
La commission rejette l’amendement.
Elle passe aux amendements identiques n° 1849 de Mme Clémentine Autain, n° 1853 de Mme Caroline Fiat, n° 1860 de M. Adrien Quatennens et n° 1864 de M. François Ruffin.
Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1849 vise à supprimer la référence aux indicateurs de suivi, qui doivent être définis par décret. Comment vous faire confiance pour définir par décret les conditions de suivi quand on voit la tête de votre étude d’impact ? Vos capacités de dissimulation et de manipulation des mots et des chiffres sont hallucinantes ! (Exclamations sur les bancs de la majorité) Nous préférerions donc que la loi définisse ces indicateurs. Cela vous remue ; je suis ravie de vous avoir réveillés !
Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 1853 est similaire. Vous voulez que les indicateurs de suivi des objectifs soient définis par décret. Vous ne souhaitez donc pas que nous puissions contribuer avec vous à leur définition. Comme beaucoup de nos amis qui manifestent contre le projet de loi, nous protestons contre notre mise à l’écart de décisions importantes.
M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 1860 est identique. Le fameux âge d’équilibre sera évidemment la seule variable d’ajustement permettant de piloter le nouveau système des retraites. Les garanties proposées sur la valeur du point, et donc le niveau des pensions, n’en sont pas. Le point aura certes une valeur d’acquisition, mais également une valeur de service et, entre l’acquisition et la liquidation, le coefficient de conversion et d’autres paramètres, comme l’espérance de vie, pourront être modifiés. Vous n’offrez donc aucune garantie. La seule variable d’ajustement, ce seront les travailleurs, les Françaises et les Français eux-mêmes !
M. François Ruffin. L’amendement n° 1864 a le même objet. Il faut replacer cette réforme dans son contexte : Emmanuel Macron, président des riches, Robin des Bois à l’envers, la jouait façon brutale. (Protestations sur les bancs de la majorité).
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ne cédez pas à la provocation...
M. François Ruffin. Emmanuel Macron, c’est d’abord la suppression de l’impôt sur la fortune, la flat tax et l’exit tax, d’un côté, et la hausse de la CSG pour les retraités, la baisse des aides personnelles au logement pour les locataires et la suppression des emplois aidés, de l’autre. C’était franc, direct, massif, et réalisé à la demande de l’AFEP et du MEDEF ; on comprenait.
Désormais, vous poursuivez cette politique sous des dehors plus retors, avec un habillage techniciste, pour que les gens n’y comprennent rien. Le Monde a publié une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui souligne que la politique économique d’Emmanuel Macron profite aux plus aisés. Nous n’y sommes toujours pas habitués ! Les 5 % des ménages les plus riches ont récolté 4,5 milliards d’euros, tandis que le 5 % les plus pauvres ont vu leurs revenus baisser de 240 euros. La France compte 400 000 pauvres en plus en 2018 et le niveau de vie va encore diminuer avec votre réforme !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos amendements proposent de supprimer les indicateurs de suivi. J’y suis défavorable car c’est la base de tout pilotage politique : faire des constats et en déduire les actions à mener. La référence au décret vise simplement à apporter les précisions réglementaires nécessaires. Les indicateurs de suivi seront déclinés en fonction des objectifs fixés dans la loi : objectif d’équité, objectifs de répartition de salaire entre catégories sociales, entre hommes et femmes, objectif de solidarité, objectif de garantie d’un niveau satisfaisant de pension, etc. Ce Gouvernement, et ceux qui lui succéderont, pourront définir les indicateurs ou les adapter en fonction de leurs objectifs politiques.
Mme Autain parlait de régression sociale suite aux différentes réformes du système de retraite – c’est une forme d’indicateur de suivi. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a publié une étude indiquant qu’à l’époque de la première réforme importante, celle de M. Balladur, le taux de pauvreté chez les retraités était de 10 %. Après les différentes réformes, que vous décriez, mais qui ont, à mon sens, été portées avec courage par d’autres majorités, ce taux est passé à 7 %. Vous le constatez : on peut faire des réformes socialement gagnantes tout en pérennisant un système auquel tous les Français sont attachés.
M. Stéphane Viry. Pour aller dans le sens de l’intervention de mon collègue Gérard Cherpion sur l’AGIRC-ARRCO, nous sommes au cœur du débat : ce régime, que vous invoquez comme modèle, a toujours eu un comportement responsable du seul fait des partenaires sociaux. Ils ont su poser des règles pour constituer des excédents et assurer, à terme, le paiement des pensions. Ils ont su aussi évoluer avec le temps. Votre réforme écarte au contraire les partenaires sociaux. Vous donnez un coup d’arrêt à la démocratie sociale et, que ce soit par décret ou par la loi, c’est une marque de défiance envers celles et ceux qui sont les usagers et les contributeurs du système. Je ne suis pas favorable aux amendements de La France insoumise, mais j’estime que cette réforme constitue une étatisation de la protection sociale.
M. Régis Juanico. Vous nous avez indiqué que les femmes seraient les grandes gagnantes de votre réforme. Mais que nous dit l’économiste Mathilde Guergoat-Larivière ce matin dans Le Monde : « Les femmes ont tout bonnement disparu des cas-types présentés dans l’étude finale ! [...] Les six cas-types présentés pour les salariés du privé correspondent ainsi à des trajectoires typiquement... masculines : cinq carrières complètes et une "carrière heurtée" caractérisée par un chômage de longue durée à partir de quarante-deux ans. On est très loin des carrières féminines caractérisées par des interruptions d’activité de plus en plus longues en fonction du nombre d’enfants, de reprises d’emploi, souvent à temps partiel, des passages par le chômage, etc. »
Plus problématique, elle souligne que le calcul des pensions de ces six cas-types a été réalisé sans prendre en compte les maternités. Quand on sait qu’en France, près de neuf femmes sur dix en ont et qu’elles ont un impact fort sur les carrières, nous avons une preuve supplémentaire que l’étude d’impact est pipée !
Mme Clémentine Autain. Dans le prolongement de M. Juanico, je reviens sur la question que je n’ai pas pu poser – une minute pour intervenir, c’est bien court pour des questions aussi techniques...
En l’état actuel du droit, deux paramètres visent à compenser le manque à gagner des femmes lié à leurs maternités : leur pension est majorée de 10 % pour trois enfants – vous l’augmenterez désormais de 5 % dès le premier enfant – mais, surtout, les maternités sont prises en compte dans la durée de cotisation. Ainsi, un enfant fait « gagner » une année de cotisation et deux enfants en font gagner quatre. Comment cela sera-t-il compensé dans le nouveau système ? En effet, vos majorations ne compenseront pas la disparition de ce dernier paramètre.
La commission rejette les amendements.
Puis est saisie, en discussion commune, des amendements n° 21274 de M. Boris Vallaud et n° 21167 de Mme Valérie Rabault.
M. Boris Vallaud. Nous avons lu, comme vous, le rapport du Conseil d’État. Compte tenu des nombreuses erreurs, lacunes et imprécisions qu’il a relevées lors de l’examen préalable du projet, il apparaît essentiel que le Gouvernement soit accompagné et assisté par cette haute juridiction administrative lors de la préparation des décrets et autres actes réglementaires qui compléteront la loi. Il y va de la sécurité juridique des assurés et de l’ensemble des acteurs concernés. C’est la raison pour laquelle nous demandons que le décret soit pris en Conseil d’État, après consultation des organisations représentatives des employeurs et des différentes catégories d’assurés. J’ajouterai, même si ce n’est pas dans l’amendement, que ces consultations mériteraient d’être opérées très en amont. Comme le Conseil d’État l’a relevé, les délais que vous avez pratiqués ne vous ont pas permis de prendre en considération les avis et les remarques qui ont été formulés.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les indicateurs de suivi ont pour objet d’éclairer le conseil d’administration de la CNRU et de faciliter sa prise de décision : ils ne conduiront en aucun cas à une décision automatique. Vous proposez de solliciter le Conseil d’État sur des sujets qui ne relèvent pas du cœur de sa mission. Je n’ai pas souvenir qu’en 2014, lorsqu’ont été définis de tels indicateurs, destinés à permettre le pilotage par le CSR, la majorité d’alors ait jugé utile de renvoyer à un décret en Conseil d’État ou à une consultation des partenaires sociaux. Je suis même convaincu de l’inverse, et vous renvoie au décret simple n° 2014-654 du 20 juin 2014 relatif au CSR.
Avis défavorable sur les deux amendements.
M. Philippe Gosselin. Nos collègues ont tout à fait raison. Le Conseil d’État est le conseiller juridique du Gouvernement. À la lecture de certains avis, on se dit qu’il est préférable que le Gouvernement soit bien encadré... Ces propositions me paraissent donc de bon sens. On pourrait presque souhaiter que ces dispositions figurent dans le texte de loi lui‑même et non dans des décrets. On subit déjà un dessaisissement assez prononcé du fait des ordonnances.
Pour revenir à un débat précédent, le texte soulève une vraie difficulté concernant les femmes. Nous ne savons pas à quoi nous en tenir exactement, puisqu’on ne peut plus se référer aux cas-types qui nous étaient soumis jusqu’à une date récente, comme Le Monde l’a souligné – Le Canard enchaîné s’en était fait l’écho en son temps. Le texte ne contient pas réellement de dispositions sur les enfants : quid des mères ? Qu’en est-il, par ailleurs, de la progression au mérite ? Marc Le Fur a souligné une difficulté concernant celles et ceux qui, commençant ouvriers, terminent cadres. Puisqu’on ne prendra plus en compte les vingt-cinq meilleures années, ils ne verront pas leur progression reconnue et traîneront comme un boulet les premières années de cotisations. Il n’a pas été répondu à ces questions.
Mme Célia de Lavergne. Le projet de loi affirme six grands principes qui nous ont déjà valu, parmi d’autres sujets, près de 12 heures de débat. Les indicateurs de suivi doivent contribuer au pilotage du système, qui est confié aux partenaires sociaux, réunis au sein du conseil d’administration de la CNRU. Il est essentiel que les indicateurs apportent une contribution à la réflexion. Pourquoi les décrets les définissant ne seront-ils pas adoptés en Conseil d’État ? La haute juridiction administrative nous dit elle‑même que cela ne se justifie pas pour un certain nombre de décrets, car on risque l’embolie du système. Or le système universel aura besoin de flexibilité. Les indicateurs, à l’instar de la société, vont évoluer ; il est essentiel qu’ils soient définis le plus rapidement possible. En outre, c’est ne pas faire confiance aux partenaires sociaux que de vouloir à tout prix s’en remettre à une autre instance.
M. Pierre Dharréville. Vous avez besoin de sécuriser votre projet, qui a déjà reçu un gros tacle, d’entrée de jeu, de la plus haute juridiction administrative, et se trouve très fragilisé sur le plan juridique. Il ne rassure pas. Le Conseil d’État n’est pas seul à s’inquiéter : c’est le cas, également, d’une grande partie de la société française. Nous débattons ici des indicateurs qui permettront le pilotage. Or on va se trouver rapidement en situation de pilotage automatique, ce qui conférera un rôle décisif aux indicateurs. Dans le cadre d’une logique de repli – car ce n’est évidemment pas comme cela que nous souhaiterions que le système fonctionne –, je suggère donc qu’on soumette ces décrets au Conseil d’État. Il paraîtrait impensable que ce ne soit pas le cas, alors que le Parlement est dessaisi par les décrets et les ordonnances et que les grands principes qui viennent d’être évoqués sont très insuffisants et ne permettent pas d’y voir clair sur les indicateurs.
M. Boris Vallaud. Je voudrais insister à mon tour sur la nécessité de cet accompagnement. Après le Conseil d’État, c’est la Commission européenne qui émet de vives réserves sur les éléments financiers de la réforme, selon le cabinet de la présidente von der Leyen. Je sais que, comme nous, vous soutenez l’apprentissage : ayez conscience que vous avez besoin de tuteurs.
M. François Ruffin. François Fillon a mis au jour la logique du régime de retraite par points en affirmant, lors de la campagne présidentielle : « Le système par points, en réalité, ça permet une chose, qu’aucun homme politique n’avoue : [...] baisser chaque année la valeur des points et donc diminuer le niveau des pensions. » Il nous faut donc un maximum de garde-fous partout pour éviter que ça n’aboutisse à la baisse généralisée des pensions et à un grand n’importe quoi. Après l’avis du Conseil d’État sur votre projet, et alors que, même les intellectuels qui se montraient favorables au système par points le jugent à présent catastrophique, on doit s’assurer que ça ne se deviendra pas un grand bazar. On parle quand même d’une des principales conquêtes sociales des Français au XXe siècle, qui a permis de diviser par quatre le niveau de pauvreté chez les personnes âgées. Pour la préserver, le camarade Dharréville demande qu’une sorte de base minimale nous soit accordée.
M. le secrétaire d’État. Comme Clémentine Autain, je suis très demandeur d’un échange avec la commission spéciale sur la réalité des pensions perçues par les femmes dans le système actuel et sur ce qu’elles pourraient toucher dans le futur régime. Pour ce faire, il faudrait que nous puissions avancer dans le débat et discuter de l’article 44, qui est consacré à ce sujet.
Permettez-moi de vous livrer d’ores et déjà quelques pistes de réflexion. La majoration de la durée d’assurance que vous avez évoquée ne sert à rien, à l’heure actuelle, dans 20 % des cas. Par ailleurs, comme vous avez dû le constater lors de la préparation du débat en commission, elle ne donne lieu au versement d’aucun salaire et n’a donc aucune incidence sur la pension. En outre, le taux actuel d’activité des femmes diffère de ce qu’il était il y a cinquante ans – j’en parle en connaissance de cause, moi qui ai deux filles, qui sont aujourd’hui deux jeunes femmes. Nous devrons appréhender cela ensemble, plus précisément, en examinant l’article 44.
Je ne pense pas que les opposants au système plus solidaire que nous voulons bâtir aient la volonté d’inquiéter ; il me semble qu’ils sont eux-mêmes inquiets. Ils expriment, par leurs questions, leurs propres préoccupations plus que celles de nos concitoyens. Répétons que le système actuel de retraite par points et par répartition existe, et qu’il fonctionne très bien. Il ne suscite aucune difficulté. Il pèse pour près de la moitié de la pension perçue chaque mois par les retraités anciennement salariés. Et, tenez-vous bien, cette pension est calculée sur l’intégralité de la carrière. Autrement dit, nous proposons de faire vivre pour tous les Français un dispositif qui s’applique avec succès à 70 % de ceux qui ont eu un parcours de salarié. L’intérêt du débat est de nous permettre de confronter nos idées, mais il faut avoir conscience de ce qui fonctionne déjà bien, et le rappeler. Quand le projet du Gouvernement reprend des mécanismes qui donnent satisfaction, on pourrait unanimement reconnaître ici que c’est une bonne idée.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle examine ensuite l’amendement n° 21531 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Je regrette que vous n’ayez pas adopté les amendements précédents, car ils visaient à remédier à une réalité à laquelle nous sommes confrontés trop souvent, et depuis trop longtemps, que l’on pourrait qualifier de volonté de s’affranchir du droit, y compris lorsqu’il est rappelé par le Conseil d’État. On voit bien que ça vous gêne, et vous en témoignez encore une fois.
Je ne crois évidemment pas que le système que vous nous proposez sera plus solidaire. Je ne me fais pas simplement l’écho de mes propres inquiétudes : je constate qu’elles sont largement partagées dans la société. Vous voulez étendre la logique des retraites complémentaires, que vous avez au préalable repensée, au système de base. Nous exprimons la volonté inverse : après avoir restauré les principes de la retraite de base – qui ont été profondément abîmés –, nous entendons les appliquer à l’ensemble des régimes de retraite. Deux visions s’affrontent.
Nous jugeons le système inéquitable, comme l’illustre notre amendement n° 21531. Raisonner comme vous le faites, continuer à peser sur les salaires et les pensions empêche aussi, à nos yeux, les femmes et les hommes de notre pays de relever le défi de la transition écologique. Cela réclame en effet des moyens et exige la conduite de politiques publiques. On ne peut pas se livrer à des injonctions permanentes sans donner les moyens aux gens de contribuer à cette action. Atteindre un niveau de retraite satisfaisant, grâce à un taux de remplacement suffisamment élevé, est un objectif qui doit aussi permettre de garantir cela.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. On est dans l’humour de répétition, donc défavorable.
Mme Clémentine Autain. Monsieur le secrétaire d’État, je m’étonne que vous partagiez ma préoccupation d’avoir des réponses sur les pensions de réversion. Cela paraît même ahurissant, alors que vous êtes membre du Gouvernement et que vous nous demandez de nous prononcer sur le projet de loi. Par ailleurs, vous n’avez pas répondu à ma question sur la durée de cotisation. Deux leviers permettent de compenser les inégalités : la durée de cotisation et la majoration de pension. Dans le système actuel, le fait d’avoir un enfant vous donne droit au bénéfice de deux ans de cotisations supplémentaires. Comment cela sera-t-il compensé à l’avenir ?
M. Éric Woerth. Les membres de notre groupe auraient pu voter l’amendement s’il avait eu pour objet d’ajouter, après le mot « universel » les mots « de base », au lieu de proposer d’écrire « système universel inéquitable ». Le système universel, à nos yeux, devrait valoir jusqu’à 1 PASS pour couvrir la plupart des Français au moyen d’un régime partagé. Au-delà, nous préconisons de laisser vivre les régimes complémentaires. On peut d’ailleurs se demander si les agents de la fonction publique et les travailleurs salariés ne doivent pas partager le même système complémentaire. Pour le reste des Français, les systèmes complémentaires doivent constituer le strict reflet des problèmes qu’ils peuvent rencontrer dans leur carrière. On peut citer les avocats – pour faire écho à l’actualité – mais aussi de nombreuses autres professions. C’est une des erreurs fondamentales de votre réforme, qui la rend totalement illisible. À vouloir couvrir tout le monde, on couvre mal tout le monde.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle est saisie de l’amendement n° 14664 de M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Cet amendement prévoit que les décrets définissant les indicateurs de suivi seront pris « après concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ». Vous allez nous dire qu’il n’est pas besoin de l’écrire pour le faire. Nous pensons au contraire que c’est nécessaire, même si ça ne suffira pas. On ne peut retirer aucune satisfaction de la manière dont vous avez mené, jusqu’ici, la concertation, ni des résultats que vous avez obtenus. Il nous semble donc essentiel que ces décrets soient au moins discutés par les organisations syndicales, dans le cadre de la démocratie sociale.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La plupart des indicateurs existent déjà ; ils ont été adoptés sous les législatures précédentes. La majorité d’entre eux sont suivis par l’INSEE et présentent un caractère tout à fait neutre. Il n’est pas nécessaire d’instituer la procédure que vous préconisez. Si les partenaires sociaux de la CNRU jugent pertinent, à un moment donné, d’adopter un nouvel indicateur, ils le feront. Il n’est pas souhaitable de rigidifier les modalités de définition des indicateurs. Il faut faire confiance au futur conseil d’administration pour choisir ceux qui lui paraîtront les plus pertinents, en fonction des objectifs qu’il s’assignera.
Défavorable.
M. Gérard Cherpion. Je peux comprendre l’inquiétude que traduit cet amendement. M. le secrétaire d’État nous a livré, dans sa réponse, la clé du système. Il a dit que le régime actuel de gestion des retraites complémentaires fonctionnait très bien, ce que nous reconnaissons également. Cela dit, il y avait deux possibilités : soit on faisait le choix de ce système et on confiait toute la gestion du régime de retraite aux partenaires sociaux – cet amendement n’aurait alors plus eu d’objet ; soit on étatisait le système : c’est le choix que vous avez fait.
M. Pierre Dharréville. Votre refus illustre l’étatisation que vient de décrire Gérard Cherpion. Vous allez tout remettre à plat ; vous devrez rendre des arbitrages. Pourquoi ne pas indiquer clairement que ceux-ci se feront dans le cadre de la concertation avec les partenaires sociaux, les organisations syndicales ? Ce refus est soit incompréhensible, soit la manifestation d’une volonté d’écarter les organisations des discussions essentielles. Une telle échappatoire n’est pas acceptable.
M. Éric Coquerel. Votre réponse, monsieur Turquois, est confondante. Vous nous dites qu’il faut faire confiance au conseil d’administration de la CNRU – dont on ne connaît même pas la composition, puisque le texte ne la définit pas de manière détaillée – tout en s’en remettant à vous pour la désignation de ses membres. Non seulement c’est une étatisation, mais c’est la pire qui soit, car elle est fondamentalement non démocratique : elle est technocratique et obéit uniquement aux règles d’or que vous avez fixées. Vous ne voulez pas de la disposition proposée par l’amendement, vous imposez des décrets. Vous refusez d’écrire – ce qui me fait penser qu’il y a un loup – que la définition des indicateurs se fera en concertation avec les organisations syndicales. Bref, vous êtes en train d’admettre que la réforme va non seulement changer profondément la gestion du système de retraite français mais que, de surcroît, elle va le faire de manière non démocratique et technocratique.
M. le secrétaire d’État. J’ai exprimé tout à l’heure la conviction du Gouvernement et ai exposé la manière dont on avait pensé la composition du conseil d’administration – je vous renvoie aux alinéas 14 à 16 de l’article 49. Le projet de loi contient donc des dispositions claires en la matière ; il présente les grandes catégories auxquelles appartiendront les membres du conseil d’administration. Cela me semble de nature à vous satisfaire. Aussi, je vous propose de retirer votre amendement.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle en vient aux amendements identiques n° 1396 de Mme Clémentine Autain, n° 1397 de M. Éric Coquerel, n° 1399 de Mme Caroline Fiat et n° 1406 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1396 vise à ce que le Parlement se voie remettre un rapport non truqué sur la possibilité d’instaurer un montant minimum de pension à l’âge légal de départ, fixé à 60 % du revenu médian. Nous voulons que plus un seul, plus une seule retraitée ne vive en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 1 041 euros. Nous sommes en effet très inquiets des effets de votre contre-réforme, qui va accroître la paupérisation des retraités. À titre d’exemple, en Allemagne, la situation a été terriblement aggravée après l’application de la réforme par points. Selon Eurostat, en 2018, 19 % des Allemands de plus de 65 ans connaissaient un risque de pauvreté : ce chiffre, qui excède la moyenne de la zone euro, est supérieur de 3 points à celui de 2009.
M. Éric Coquerel. L’amendement n° 1397 demande un rapport concernant la possibilité d’instaurer un montant minimal de pension égal à 60 % du revenu médian – ce qui correspond au seuil de pauvreté, soit 1 041 euros – pour toute personne ayant atteint l’âge légal du départ en retraite – sans exiger qu’elle totalise un certain nombre d’années de cotisation. Il ne nous paraît pas normal que, dans la sixième puissance économique mondiale, des gens vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui plus est lorsqu’ils ont atteint l’âge légal de départ à la retraite. Vous allez nous demander où chercher l’argent. Nous vous répondons qu’il est possible d’augmenter les cotisations, de supprimer, surtout, les 52 milliards d’exonérations totales que vous appliquez aux cotisations sociales à l’année, et enfin, pourquoi pas, de redistribuer la richesse entre le travail et le capital. En la matière, il y a largement de quoi faire. L’OFCE montre, dans une étude publiée ce matin, que, depuis trois ans, vous avez reversé un quart des gains fiscaux aux 5 % les plus riches au détriment des 5 % les plus pauvres et des retraités. Nous proposons un modèle inverse.
Mme Caroline Fiat. Vous ne pouvez qu’être favorables à notre amendement car il vise à permettre l’application d’une mesure du programme de M. Macron. Nous proposons de nous assurer que ceux qui n’ont rien aient suffisamment. Nous souhaitons appliquer le fameux « ruissellement » que vous proposez. Nous demandons un rapport pour être sûrs que ce dernier fonctionne. Vous nous en parlez depuis deux ans et demi mais nous n’en voyons pas nettement la concrétisation.
M. Adrien Quatennens. Il est clair – surtout au vu des nouvelles qui tombent ce matin – que le ruissellement promis par le Président de la République défie les lois de la gravité, car il se produit à l’envers : des moins aisés vers les plus riches. On voit le résultat sous nos yeux : en France, sept milliardaires possèdent autant que 30 % de la population. On ne relance pas l’économie et l’activité d’un pays avec une telle inégalité de répartition de la richesse. Vous allez me demander le rapport avec les retraites. Leur mode de financement est précisément un levier pour améliorer le partage de la richesse produite. Comme l’ont dit mes collègues, par l’augmentation des salaires et des cotisations, on peut parfaitement financer un système de retraite qui fixerait un âge de départ raisonnable, compte tenu de l’espérance de vie, et offrirait un niveau de pension décent. Personne, dans notre pays, quel que soit le stade qu’il a atteint dans sa carrière, ne devrait tomber sous le seuil de pauvreté. Placé dans cette situation, en effet, on ne vit plus mais on survit, comme vous le savez pertinemment.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La succession des interventions de M. Cherpion et des membres de La France insoumise me conforte dans l’idée que nous avons une position équilibrée. M. Cherpion nous reproche d’étatiser le système – un de ses collègues, l’autre jour, m’avait dit qu’on réinventait le Komintern. De son côté, M. Quatennens considère qu’on privatise, qu’on favorise les plus riches et qu’on va développer les systèmes par capitalisation. Je me dis qu’on se trouve dans un juste milieu, ce qui est l’objet de mon engagement politique.
M. Adrien Quatennens. Un extrême milieu !
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’extrême-centre, si vous préférez...
Madame Autain, même si je trouve l’Allemagne séduisante par certains aspects, nous sommes en France et nous ne comptons pas adopter le système allemand. Par ailleurs, vous parlez des réformes qui appauvrissent. Comme je l’indiquais tout à l’heure, à la suite de la première réforme de M. Balladur, en 1993, l’INSEE a publié une étude, trois ans plus tard, montrant que 10 % des retraités étaient en situation de pauvreté. Or, à la suite des réformes qui ont été engagées
– « malgré elles », devrais-je dire, pour reprendre vos critiques –, ce chiffre est aujourd’hui descendu à 7 %. C’est la preuve qu’on peut concilier des réformes
– décidées par des majorités précédentes – pour garantir la pérennité financière du système et contribuer à diminuer le taux de pauvreté en France – il faut naturellement continuer à aller dans ce sens. Vous souhaitez que nous nous fixions pour objectif de garantir un minimum de pension égal à 60 % du revenu médian, niveau correspondant au seuil de pauvreté. Nous pourrions effectivement nous assigner pour but de suivre cette tendance. Je signale que depuis 2018, nous avons fait passer le minimum vieillesse de 800 à 900 euros. C’est une progression certes encore insuffisante, mais significative en l’espace de deux ans. Nous agissons en fonction des capacités de la société à financer ces efforts. Sous cette réserve, on peut se fixer l’objectif de progresser en ce sens.
Défavorable.
M. Gérard Cherpion. Les chiffres qui ont été donnés ce matin sont plutôt flatteurs pour l’Allemagne, qui a été citée dans le débat. Notre voisin présente en effet un excédent budgétaire, alors que nous accusons un déficit de 92 milliards cette année. Pour revenir à l’alinéa 11, monsieur le secrétaire d’État, je crains que la gouvernance que vous nous proposez reproduise le système appliqué à France compétences, à savoir un système tripartite comportant le même nombre de personnes, qu’il s’agisse des partenaires sociaux ou des représentants de l’État. Mais comme on donne plus de voix à ces derniers, l’État prédomine.
M. Sébastien Jumel. C’est un débat intéressant, qui va marquer de plusieurs taches indélébiles le quinquennat. Flagrant délit d’illégalité : Conseil d’État 2, Gouvernement 0. Flagrant délit d’inhumanité – ce qui s’est passé jeudi restera dans toutes les têtes. Et, aujourd’hui, flagrant délit d’inégalité : sur les 17 milliards d’euros distribués depuis le début de la législature, 4,5 milliards ont bénéficié aux 5 % les plus riches. Ces taches indélébiles vont vous conduire dans les prochains jours à un flagrant délit d’autoritarisme : une fois de plus, vous allez vous asseoir sur les désaccords de l’opinion et du Parlement. Ce tournant majeur, grave pour la démocratie, va marquer le mandat d’Emmanuel Macron.
M. Jacques Maire. Je voudrais rappeler à ceux de nos collègues qui auraient la mémoire courte quelques actions que nous avons menées : la suppression des cotisations salariales maladie et chômage – soit 0,75 % et 2,4 % –, l’exonération de 300 000 personnes de la hausse de la CSG, contrairement à ce qui avait été prévu à l’origine, la baisse des impôts de 6 milliards d’euros pour les ménages, la réduction de 30 % de la taxe d’habitation, l’augmentation du minimum vieillesse ou encore, pour ne citer que celles-ci, l’accroissement du revenu de solidarité active. Une centaine de mesures ont été adoptées en deux ans pour rééquilibrer la politique sociale, qui ont concerné assez largement la vie quotidienne des Français, et trouvent aujourd’hui leur prolongement dans le projet de loi. Nous n’avons honte de rien.
La commission rejette les amendements.
La commission examine les amendements identiques n° 1866 de Mme Clémentine Autain, n° 1868 de M. Éric Coquerel, n° 1870 de Mme Caroline Fiat, n° 1873 de M. Jean‑Luc Mélenchon et n° 1877 de M. Adrien Quatennens.
Mme Clémentine Autain. C’est un amendement de suppression particulièrement important. En effet, à l’alinéa 12, vous proposez d’abroger le II de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. [...] La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération [...] ». Or vous nous proposez de supprimer ce passage. Voilà qui est assez clair. Je ne vois pas comment on peut mieux comprendre la forfaiture qui inspire votre système et le fait que vous voulez en finir avec tous les mécanismes de solidarité et les fondements de notre régime par répartition.
M. Éric Coquerel. Je ne dirai pas mieux que Clémentine Autain. En supprimant cet alinéa, vous avouez le crime, tout simplement. Il est bien question, contrairement à ce que vous affirmez depuis des jours, de supprimer le système de retraite par répartition, fondé sur une solidarité intergénérationnelle, au profit d’un régime individualisé. D’ailleurs, le chef de l’État l’a dit, en expliquant qu’il y aurait pratiquement autant de retraites par points que de Français. On ne connaîtra donc plus du tout un système collectif de solidarité intergénérationnelle. Ce ne sont plus ces principes qui seront pris en compte, mais des critères d’équilibre financier
– comprenez « d’austérité » – et la volonté de ne pas alourdir ce que vous nommez le « coût » du travail et que nous appelons le « prix » du travail. En supprimant cet alinéa, vous révélez à chacun ce que vous êtes en train de faire, c’est-à-dire engager la disparition de l’un des deux piliers du patrimoine social français.
Mme Caroline Fiat. En complément, je voudrais préciser que les deuxième et troisième paragraphes du II de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale offrent la possibilité de partir plus tôt à la retraite lorsqu’on a connu une carrière longue ou pénible. Ces dispositions définissent un « objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération » et permettent la « prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle ». Nous demandons la suppression de l’alinéa 12, qui acte la disparition, totalement inadmissible, de ces dispositions.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il y a tant à dire. On ne comprend pas pourquoi vous supprimez cette sorte de monument national. Ce n’est peut-être pas de la grande littérature, mais cela affirme quelque chose d’essentiel : c’est par son union sociale que les Français se constituent en tant que peuple et que nation. Il est essentiel de se souvenir de ça. L’unité de la patrie n’est pas seulement fondée sur des grands principes et des grandes déclarations. Elle repose aussi sur une intime et quasi charnelle répartition de l’effort sur toutes les épaules et du partage de la richesse entre tous. Voilà ce qui est écrit dans ces paragraphes, et que vous supprimez. Il faut sans doute y voir la marque de la quasi-certitude idéologique qui vous anime : ne valent que les relations individuelles, ce qui vaut pour soi-même est bon, et non pas ce qui est bon pour tous. Le texte que vous entendez abroger décrit ce qui est bon pour tous, autrement dit, ce qui constitue l’essence de la République, de la res publica, de la chose commune.
M. Adrien Quatennens. On sait qu’en général, les plus mauvaises entreprises législatives ne sont pas réalisées en une fois. Quand il s’est agi de démanteler des monopoles d’État et des grands services publics, on a commencé par privatiser, puis on a ouvert à la concurrence. Habituellement, quand on privatise, on commence par dire qu’on n’ouvrira pas à la concurrence – ou l’inverse. En l’occurrence, vous faites de même, en saucissonnant votre projet en différents objectifs. Chacun a compris que, même s’il mimait un système par capitalisation, votre régime par points va demeurer, pour un temps du moins, un système par répartition, au sens où les actifs d’aujourd’hui paieront pour les retraités d’aujourd’hui. Une chose est sûre, néanmoins : si, demain, votre intention était de passer à la retraite par capitalisation, une étape intermédiaire serait nécessairement l’institution d’un régime à points. En abrogeant l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale, vous entendez faire disparaître le grand principe de répartition caractérisant le système actuel. Vous vous ménagez donc l’occasion de passer définitivement, demain ou après-demain, à un système par capitalisation.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il s’agit là de l’épisode le plus marquant de mauvaise foi ou de manque de maîtrise de votre mission de député. Vous dénoncez le fait que le II de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale est abrogé. Or, au deuxième alinéa de l’article 1er du projet de loi, après l’article L. 111-2-1 – qui mélangeait la protection sociale sous l’angle de la santé et de la retraite – nous créons un article L. 111‑2‑1-1, aux termes duquel « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite [...] ». Nous ne faisons donc que déplacer les dispositions que vous nous reprochez d’avoir retirées, pour les mettre en valeur dans une partie consacrée spécifiquement au système de retraite. C’est le travail de base d’un député que de structurer la lecture d’un texte de loi. Ce n’est pas 1 à 0, mais 10 à 0 pour la défense de notre projet de loi.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous n’avez pas le monopole de la mauvaise foi !
M. Éric Woerth. Mes chers collègues Insoumis, au fil de vos interventions, j’ai le sentiment que vous souhaitez substituer au système par répartition un régime de protection sociale, quelque peu déconnecté des réalités, qui romprait tous les liens avec la carrière et le travail. Le système de prestations sociales que vous appelez de vos vœux ne correspond pas à la retraite, telle que nous la connaissons. La retraite est liée à la carrière, même si certains éléments du système permettent de gommer des injustices. On doit laisser à nos concitoyens la possibilité de préparer leur retraite tout au long de la carrière. On peut les y aider, mais cela passe surtout par le travail. J’ai également le sentiment que vous considérez le travail comme une aliénation, et qu’il faudrait le quitter le plus vite possible. Ce sont deux conceptions différentes. La manière dont vous voulez financer les retraites conduirait à réduire à néant la compétitivité de notre pays, ce qui entraînerait une augmentation massive du chômage. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure façon de financer le modèle social français. Tout cela tourne en rond, ne fonctionne pas, est en réalité du faux humanisme. Nous nous opposons évidemment très catégoriquement à l’ensemble de ces amendements.
M. Sacha Houlié. Comme M. le rapporteur l’a montré, tout ce que nous reprochaient de supprimer les Insoumis figure à l’alinéa 3 de l’article 1er du projet de loi. Peut-être se sont‑ils eux-mêmes perdus dans le nombre immense d’amendements qu’ils nous proposent ? Je vous rappelle, mes chers collègues de La France insoumise, que vos amendements de suppression de l’alinéa 3 n’ont pas rencontré de succès. Les amendements que nous examinons actuellement n’ont plus aucun intérêt car ils sont dénués de sens et de fondement. Je vous suggère donc les retirer.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur Houlié, pourquoi ne pas vérifier avant de parler ? Quant au rapporteur, je vois qu’une fois de plus, il réclame pour lui‑même un privilège : celui de la mauvaise foi. Il est faux de dire que ce qui se trouve dans l’alinéa que vous supprimez apparaît plus loin. On retrouve, en réalité, six phrases sur dix, auxquelles il manque le mot « répartition ». Il est écrit dans le projet de loi : « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite qui, par son caractère obligatoire et le choix d’un financement par répartition, exprime la solidarité entre les générations, unies dans un pacte social. » Vous avez supprimé le mot « répartition » et démoli toute la rédaction détaillée, passant de quatre paragraphes à une pauvre ligne qui n’a pas toute la saveur, la richesse et la finesse de ce qui se trouvait dans le texte initial.
M. Jean-Paul Mattei. Monsieur Mélenchon, vous savez pourtant lire ! Le choix d’un financement par répartition, c’est l’alinéa 3 de l’article 1er ! Nous avons bien compris votre méthode : des amendements de posture. Il ne s’agit, dans ce cas, que d’une question rédactionnelle, afin d’être le plus sérieux possible, ce que ne sont assurément pas vos amendements.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 2183 de Mme Clémentine Autain, n° 2185 de M. Éric Coquerel et n° 2187 de Mme Caroline Fiat.
Mme Clémentine Autain. Cet amendement de suppression est particulièrement important, puisque vous proposez de remplacer « allocations vieillesse » par « prestations de retraite ». Or les mots ont un sens. Selon la définition du Petit Robert, une allocation est une somme d’argent consentie par la sécurité sociale ou par un organisme similaire à différents titres de la législation sociale, alors qu’une prestation est l’action de fournir un bien ou un service contre un paiement. Ce changement lexical résume à lui seul la philosophie de votre réforme ! Il ne s’agit plus d’avoir droit à un temps de répit après une vie de travail, mais de percevoir une pension relative aux points cumulés. Les personnes toucheront donc au plus près de ce qu’elles ont cotisé. Je ne vois pas comment on peut mieux signifier les adieux que vous faites au mécanisme de solidarité. C’est pourquoi nous nous opposons à la forfaiture que vous êtes en train de nous imposer.
M. Éric Coquerel. Nous voulons conserver le système français intergénérationnel, qui ne repose pas sur l’octroi d’une prestation, mais bien sur une allocation attribuée à des retraités grâce au travail collectif fourni, parce que nous avons estimé collectivement qu’il était normal, à partir d’un certain âge, que la société assure une allocation à ceux qui n’ont plus les moyens de continuer à travailler, afin de leur assurer la vieillesse la plus heureuse possible. Or le terme de prestation suppose un échange, une marchandisation.
Mme Caroline Fiat. Comme l’a dit Clémentine Autain, nous ne souhaitons pas remplacer les termes « allocations vieillesse » par « prestations de retraite ».
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Notre référence, madame Autain, ce n’est pas le Petit Robert, mais le code de la sécurité sociale.
Avis défavorable.
M. Thibault Bazin. Si le projet est de donner la même retraite à tous, en imposant un égalitarisme par le bas, ce n’est plus de la répartition... S’agissant de la solidarité, je crains, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que votre système rende notre société beaucoup plus individualiste. La logique de répartition des points risque de fragiliser certains droits familiaux. Pis encore, si c’est une individualisation des droits qui est retenue, cela réduira les droits conjugaux et pénalisera le pouvoir d’achat du foyer.
M. le secrétaire d’État. Monsieur Mélenchon, vous vous inquiétez de la finesse de la rédaction de l’article 1er. Je veux, au contraire, vous renvoyer à sa richesse. Je vous crois, lorsque vous affirmez vouloir défendre le régime par répartition. En réalité, la simple lecture de l’alinéa 3 devrait vous rassurer.
Monsieur Bazin, je ne demande pas mieux que de débattre des sujets, au bon endroit dans le texte, sans qu’il soit fait recours à des exemples farfelus ou incohérents. Nous pourrons en parler lors de l’examen du titre III.
M. Thibault Bazin. Mais arriverons‑nous jamais au titre III, monsieur le secrétaire d’État ?
M. le secrétaire d’État. Je fais l’hypothèse que oui !
La commission rejette les amendements.
Puis elle passe à l’examen des amendements identiques n° 22248 du rapporteur général et n° 5205 de M. Pierre Dharréville.
M. le rapporteur général. L’amendement vise à supprimer les alinéas 14 et 15, relatifs à deux lois de programmation tendant à la revalorisation des salaires des enseignants et des enseignants‑chercheurs, de sorte que cet engagement très fort de la majorité trouve sa place dans un article distinct.
M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 5205 vise également à supprimer ces dispositions jugées inconstitutionnelles par le Conseil d’État. Tout cela témoigne d’un système qui ne fonctionne pas, étant donné que vous êtes obligés de prendre des dispositions particulières pour en corriger les effets négatifs. Il faut tenir compte des structures de rémunération et de carrière différentes, comme c’est le cas actuellement. Par ailleurs, même s’il faut augmenter la rémunération des agents de l’éducation nationale, afin de reconnaître leur travail, il paraît nécessaire de décorréler la question des revenus de l’enjeu des retraites.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que M. Dharréville, avis favorable. J’ai déposé cet amendement avec le rapporteur général, pour mettre en avant l’importance du rôle des enseignants.
Mme Clémentine Autain. Visiblement, vous reculez, parce que le Conseil d’État a signifié que l’injonction à faire une loi postérieure pour revaloriser le salaire des enseignants serait inconstitutionnelle. Votre recul montre le niveau d’impréparation du projet de loi ! Je vous signale, si cela vous avait échappé dans votre bulle macroniste, que le niveau de colère des enseignants est très élevé face à votre contre‑réforme. Je vais prendre un exemple, parce qu’il faut être concret : un professeur certifié né en 1953 qui prendrait sa retraite en 2020 aurait une pension de 2 197 euros, ce qui représente une perte de 743 euros par mois !
M. Jacques Marilossian. Mais il n’est pas concerné par la réforme !
Mme Clémentine Autain. Prenez le micro, on ne vous entend pas ! Cette attitude des députés macronistes est insupportable !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Autain, les invectives ne servent à rien ! Nous sommes députés de la Nation, comme vous. Je vous demande de cesser ce genre de procédés. Tout comme je demande à chacun, depuis hier, de ne pas interrompe les orateurs.
Mme Clémentine Autain. Je dis seulement que de nombreux députés commentent nos propos pendant que nous parlons, sans pour autant prendre le micro pour exprimer leur point de vue et défendre cette si mirifique réforme. Qu’ils nous laissent nous exprimer !
Alors que les pertes pourront être de 800 euros, l’augmentation proposée, sans la moindre garantie, ne vient certainement pas compenser les pertes colossales que vont subir les enseignants.
M. Charles de Courson. Monsieur le secrétaire d’État, les alinéas 14 et 15 sont‑ils conformes à la Constitution ? On peut lire, au paragraphe 29 de l’avis du Conseil d’État : « Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution. »
Par ailleurs, ces deux alinéas posent un problème de fond. La majorité des fonctionnaires des trois fonctions publiques ont peu de primes ou n’en ont pas. Le système à points va donc faire baisser les retraites des fonctionnaires modestes, mais augmentera voire doublera celles des hauts fonctionnaires, qui ont jusqu’à 100 % de primes. Le Gouvernement essaie de régler le problème, en réévaluant dans le temps les rémunérations. Avez‑vous inventorié l’ensemble des situations ? Quel serait le coût ? Comment le financez‑vous ?
M. Jean-Pierre Door. La question de la constitutionnalité des deux alinéas est importante, mais également celle du financement. Vous vous êtes engagés à augmenter les salaires d’une classe de fonctionnaires, mais pourquoi pas les autres ? Qui plus est, pourquoi inscrire des augmentations de salaires à l’intérieur d’une réforme des retraites, alors que cela n’a absolument rien à voir ? Vous cherchez seulement à vous assurer un peu de calme dans le monde des enseignants et des chercheurs...
M. Sébastien Jumel. Charles de Courson a raison. L’intégration des primes va privilégier les hauts fonctionnaires au détriment des catégories C. Il aurait d’ailleurs pu ajouter que l’intégration des primes aggravera les inégalités entre les hommes et les femmes, puisque, selon un récent rapport, le manque à gagner moyen des femmes en matière de primes représente 20 % de l’ensemble des écarts de rémunération. Enfin, nous faisons, depuis le début, la démonstration que cette réforme va dégrader le niveau des pensions. Si vous le corrigez pour les enseignants, nous disposons d’une étude d’impact non truquée, réalisée par le collectif Nos retraites, qui applique votre réforme aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles. Ils perdront entre 7,15 et 3,65 %, s’ils partent à 65 ans ou avant. Pour gagner de l’argent, il leur faudra partir à 67 ans ! Vous devriez aussi réparer, pour ces catégories, le préjudice que représente la mise en œuvre de votre réforme.
Mme Céline Calvez. À l’occasion de la réforme des retraites, nous nous attaquons enfin à une forte injustice : la non‑revalorisation depuis des années du salaire des enseignants, des chercheurs et des enseignants‑chercheurs. Or vous nous demandez de passer à côté d’une telle occasion ! Pour nous, il est important d’investir dans l’éducation de nos enfants ; il est nécessaire d’organiser, pour les prochaines années, la revalorisation du salaire des enseignants, laquelle sera accompagnée d’une réflexion sur leurs carrières. Pendant des années, on s’est drapé dans l’excuse de la bonne retraite. Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’assurer le niveau et les conditions décentes d’un bon enseignement dès le début de carrière.
M. le secrétaire d’État. Monsieur de Courson, il n’y a pas de problème de constitutionnalité : la disposition semble normative, parce qu’elle renvoie à des lois financières ultérieures.
S’agissant des fonctionnaires les plus modestes, la dynamique même du système leur sera favorable, étant donné qu’il permet aux futurs retraités les plus modestes, touchant une retraite de moins de 1 400 euros, de bénéficier d’un gros effet redistributif. La réflexion menée sur les enseignants ne concerne pas que les primes et les rémunérations, mais également leurs carrières.
Pour ce qui est du coût, je crois vous avoir déjà répondu, monsieur de Courson, lors de mon audition, et je n’ai pas changé d’avis : entre 0,3 et 0,4 point de PIB. Il faut bien comprendre le choix du Gouvernement, qui saisit l’occasion de récrire le contrat social qu’a la Nation avec ses enseignants, selon la formule de Jean‑Paul Delevoye.
Monsieur Gouffier‑Cha, je comprends que vous souhaitiez donner plus de visibilité à cette disposition, en en faisant un article à part.
M. Thibault Bazin. C’est de la com !
M. le secrétaire d’État. Néanmoins, je pense qu’elle a également beaucoup de sens à sa place actuelle, étant donné que l’on y retrouve les éléments fondamentaux de ce que nous défendons, comme l’égalité ou la solidarité. Cet ensemble constitue un message fort vis‑à‑vis de nos enseignants et rappelle l’engagement solennel et irrévocable du Gouvernement de revoir les rémunérations. Sagesse.
M. le rapporteur général. Ces deux lois de programmation sont particulièrement importantes. Clémentine Autain nous renvoyait tout à l’heure à notre bulle. Pour ce qui est de ce sujet, nous allons y rester et assumer notre choix jusqu’au bout. En Allemagne, à l’école primaire, la rémunération moyenne d’un enseignant, après quinze ans d’expérience, s’élève à 67 279 euros et, dans le secondaire, à 76 962 euros. En France, elle est de 34 048 euros en primaire et de 35 504 euros dans le secondaire. La dernière revalorisation remonte à 1989 ! Trente années d’une démission collective ! Le choix a été fait de ne pas payer nos enseignants, de ne pas revaloriser ce beau métier, si important, de ne pas rediscuter avec eux le contrat social dont vous parliez, monsieur le secrétaire d’État. Nous, nous garantissons le maintien du niveau de pension actuel, qui se situe, en moyenne, à 2 600 euros, et nous veillerons à réduire les écarts actuels. Monsieur Dharréville, vous avez proposé de revaloriser le point d’indice. Mais il faut aller plus loin et mener une vraie politique de revalorisation des salaires, de 20 %. Les deux lois de programmation sont essentielles et seront inscrites dans le texte, dans un nouvel article 1er bis.
M. Éric Woerth. Je comprends bien que vous souhaitiez vous réconcilier avec les enseignants. Mais les augmentez‑vous vraiment ? Cela n’est pas si clair. En réalité, il s’agit d’une augmentation‑compensation. Vous les augmentez pour qu’ils puissent avoir à peu près la même retraite. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une reconnaissance extraordinaire de la fonction d’enseignant ! Je préférerais un débat sur l’augmentation réelle des enseignants, lors de l’examen du budget, et sur leur place dans la société. Mais ce n’est pas du tout le cas ici !
Par ailleurs, vous avez répondu en pourcentage de PIB mais quel est le coût réel de cette augmentation ? Selon quel calendrier va‑t‑elle se dérouler ?
Mme Clémentine Autain. Il a pu s’exprimer une minute vingt !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Autain, nous n’allons pas jouer à ce jeu ! Le sujet est important. D’ailleurs, je redonne la parole à ceux qui la demandent, alors que je n’y étais pas obligée.
M. Sébastien Jumel. Commençons par nous souvenir de l’histoire... Le Premier ministre fait ses annonces ; puis, patatras, les premières simulations montrent que les enseignants sont défoncés. On monte alors à la va‑vite un système de compensation. J’aimerais, par ailleurs, que le président de la commission des finances m’éclaire. De quelle façon la revalorisation sera‑t‑elle touchée par l’impôt sur le revenu ? Quel sera l’impact réel des primes sur le pouvoir d’achat ?
À moi qui ne suis pas très intelligent et qui essaie chaque jour d’apprendre un peu plus, j’aimerais que vous expliquiez, monsieur le secrétaire d’État, comment, pour la fonction publique territoriale, la suppression de la référence aux six derniers mois pour le calcul de la pension se traduira par une augmentation de pension ? Pour avoir été maire, je sais que les maires nomment au grade supérieur, avant les six derniers mois, certains agents touchant un petit salaire pour donner un coup de pouce à leurs retraites.
M. Éric Coquerel. Monsieur Pietraszewski, vous êtes fort présomptueux de balayer ainsi le risque d’inconstitutionnalité ! L’avis du Conseil d’État est tout de même clair ! Vous nous faites voter des dispositions en prévision d’une loi, dont nous ne connaissons pas le contenu, mais sur laquelle nous devrions vous faire confiance, ainsi que les enseignants. Non seulement cela me semble très léonin, mais surtout je vous garantis que ce sera jugé inconstitutionnel. C’est peut‑être pour cela que vous avez pris les devants et annoncé la suppression de l’alinéa 14.
Monsieur Gouffier‑Cha, essayer de nous faire croire que tout cela est une revalorisation du métier d’enseignant, alors même que vous continuez de geler le point d’indice des fonctionnaires et que vous allez répondre à une inégalité de fait, qui prouve d’ailleurs que votre système n’a rien d’universel, en bricolant quelque chose pour la suite, ça ne peut pas marcher ! Venez avec moi à la porte d’un lycée et allez expliquer aux enseignants que vous êtes en train de revaloriser leur métier, alors que vous créez une usine à gaz. En réalité, après le vote de la loi, ils auront moins de retraite, comme les autres fonctionnaires !
M. Philippe Vigier. Le week‑end dernier, j’ai rencontré une jeune certifiée d’histoire‑géographie, qui gagne 1,15 SMIC, à 27 ans, après quatre ans d’expérience. Alors que le métier d’enseignant est difficile et qu’il manque d’attractivité, vous devez établir une règle de confiance et leur garantir qu’ils ne seront pas perdants pour leur retraite. La comparaison des niveaux de rémunération des enseignants en Europe est également assez édifiante. On ne peut pas agiter le spectre d’une diminution des retraites, sans la moindre perspective de revalorisation des salaires. Ce serait prendre le risque d’un effondrement de tout notre système éducatif. Alors qu’il y existe déjà des concours avec moins de candidats que de postes, il est urgent de réagir !
M. Hervé Saulignac. Les syndicats enseignants suivent attentivement nos débats, et je ne suis pas certain qu’ils soient en cet instant très rassurés sur leur sort... Hier, lors de la séance de questions au Gouvernement, notre présidente, Valérie Rabault, a appelé l’attention du Gouvernement sur la pénalisation que risquaient les enseignants, en l’absence de mesure correctrice. Lorsque l’hypothèse de la revalorisation a été avancée, il s’agissait d’une dépense de 12 milliards d’euros pour une augmentation de 25 % de leur rémunération. Vous êtes dans une impasse. Pour préserver le niveau de la retraite des enseignants et des chercheurs, vous allez devoir admettre l’existence d’un régime spécifique supplémentaire. Je ne vois pas comment vous allez pouvoir vous en tirer autrement. Si vous avez une idée, faites-nous en part dès maintenant, car cela rassurerait les enseignants qui nous écoutent.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’amendement n° 2217 de Mme Clémentine Autain et les seize amendements identiques, l’amendement n° 21275 de M. Boris Vallaud, l’amendement n° 194 de M. Dino Cinieri, l’amendement n° 21532 de M. Sébastien Jumel, l’amendement n° 22572 de Mme Martine Wonner et l’amendement n° 5077 de Mme Clémentine Autain ainsi que les seize amendements identiques, tombent.
La commission examine ensuite l’amendement n° 22609 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo. L’amendement vise à inscrire dans le marbre que les réserves financières des régimes de base et complémentaire des professions indépendantes et libérales demeurent leur propriété et ne peuvent faire l’objet d’un transfert au bénéfice d’une caisse commune. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement s’y est engagé, mais cela va parfois mieux en l’écrivant.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je rejoins totalement votre intention : il est hors de question de ponctionner les réserves financières constituées par les différents régimes de retraite, qui relèvent de la propriété privée, en quelque sorte. Elles n’ont donc aucune vocation à abonder un quelconque pot commun. Néanmoins, l’adoption de votre amendement conduirait à empêcher l’application d’une disposition à l’article 58, permettant le transfert de trois mois de fonds de roulement à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui deviendra la banque de l’ensemble du système.
Je demande le retrait.
Mme Valérie Rabault. Cet amendement est essentiel, dans la mesure où le Gouvernement n’a donné aucune garantie. Quand bien même il en donnerait, les seules garanties qui doivent exister sont celles inscrites dans la loi. En réponse à mon courrier, le Premier ministre m’a indiqué que les réserves des régimes des professions indépendantes et libérales s’élevaient à 30 milliards d’euros. Il est hors de question qu’elles soient siphonnées par le système. Sa réponse ne m’a pas rassurée.
S’agissant des enseignants, le rapporteur général a fait supprimer les alinéas 14 et 15, sans donner la moindre garantie. Un enseignant qui part à la retraite aujourd’hui bénéficie en moyenne de 2 300 euros par mois. Avec votre système, il va tomber à tomber 2 040 euros. S’il est hors classe, il passera de 2 600 euros à moins de 2 100 euros. Pour que les enseignants puissent conserver leur niveau de retraite actuel, il faut revaloriser leur salaire entre 17 et 35 % dès le début de carrière. Or ni le Gouvernement ni la majorité ne s’y sont engagés.
M. Sébastien Jumel. Je pense qu’il faut prendre au sérieux l’amendement de la collègue qui a succédé à Édouard Philippe... Elle est toujours bien informée, et sa vigilance toujours éclairée. À Dieppe, on dit : « À chacun son pain, chacun son hareng. » Un amendement nous permettant de graver dans le marbre de la loi le fait que ces réserves ne seront ni spoliées ni fongibles me semble de nature à rassurer.
M. Charles de Courson. Quelle analyse faites‑vous, en droit constitutionnel, de la nature juridique de ces réserves ? Monsieur le rapporteur, vous avez dit – et je partage votre sentiment – que ce sont des fonds privés. Vous avez reconnu que Mme Firmin Le Bodo avait raison sur le fond, sous réserve des alinéas 27 et 28 de l’article 58 sur l’écrêtement des fonds de roulement. Mais comment pouvez‑vous les écrêter si ce sont des fonds privés ? Si vous utilisez une partie de ces réserves, qui sont des fonds privés, en droit constitutionnel, cela s’appelle une expropriation, ce qui suppose une indemnisation des détenteurs des réserves. Pourriez‑vous nous dire qui sont les propriétaires de ces fonds privés ? Il me semble que ce sont ceux qui ont cotisé. En cas d’extinction de ces régimes, tant de base que complémentaires, il faudra restituer ces réserves à leurs propriétaires. Où en êtes‑vous de votre réflexion à ce sujet ?
M. Thibault Bazin. C’est un sujet essentiel, qui inquiète légitimement les caisses de retraite des régimes bien gérés, qui n’ont pas demandé d’argent à l’État et contribuent même à équilibrer les autres régimes. Vos termes ne sont pas clairs. Constitutionnellement, la propriété est leur. Allez‑vous les contraindre à un usage spécifique de ces réserves pour financer la transition ? Je ne suis pas sûr que vous en ayez le droit constitutionnellement...
Par ailleurs, ces régimes auront-ils à financer le fonds de trésorerie du futur système ? Ce serait injuste et inéquitable, et je ne suis pas sûr que ce soit constitutionnellement possible. Pouvez-vous nous donner des garanties claires sur la question des réserves ?
M. Jean-Paul Mattei. Je vais soutenir cet amendement à titre personnel. Il n’est pas contradictoire avec le reste du texte et n’empêchera pas de négocier par la suite. Poser le principe de la propriété de ces réserves facilitera les négociations et le travail ultérieur. Nous pourrons faire évoluer le système au sein d’un régime universel.
M. le secrétaire d’État. Ce travail est intéressant, et je me suis replongé dans le texte de la loi, l’avis du Conseil d’État et les éléments de l’étude d’impact pour vous répondre au mieux.
Madame Firmin Le Bodo, votre amendement me semble satisfait par le projet de loi. Soyons clairs : les réserves sont constituées par des cotisations qui ont été rendues obligatoires par la loi – ce sont donc des fonds publics –, dont les caisses sont propriétaires et dont elles décideront en toute autonomie de l’affectation. Ces sommes doivent être affectées à la gestion des régimes qui les ont perçues, cela ne fait pas débat.
Thibault Bazin rappelait les dispositions constitutionnelles sur le droit de propriété, il a raison. Pour rassurer chacun de vous, je vais m’appuyer sur l’avis du Conseil d’État dont on parle tant depuis trois jours. En page 57, il détermine que les dispositions portant sur le fonds de roulement ne portent pas atteinte au droit de propriété. Ce dispositif est donc bien sécurisé juridiquement.
Au cours de nos réflexions, nous avions suggéré que les caisses puissent décider d’affecter ces sommes, pour une période transitoire, à une éventuelle augmentation des cotisations vieillesse. Mais cette décision leur appartient pleinement, en aucun cas le Gouvernement n’imposera quoi que ce soit – il ne le peut d’ailleurs pas. Je le répète, ces caisses gèrent en toute autonomie les sommes qui ont été constituées.
Le projet de loi est très explicite : seul le Fonds de réserve pour les retraites actuel viendra abonder le Fonds de réserves universel.
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à deux amendements identiques n° 14648 de M. Lionel Causse et n° 22089 de M. Philippe Vigier.
M. Lionel Causse. Cet amendement tend à compléter l’article 1er afin de garantir à l’ensemble des agents publics des trois versants une retraite comparable à celle qu’ils auraient perçu avant l’entrée en vigueur du nouveau système.
M. Philippe Vigier. Monsieur le secrétaire d’État, nous ne sommes pas là pour vous ennuyer, l’amendement précédent, repoussé à deux voix près, avait pour objet d’instaurer la confiance. Celui-ci est de la même veine : il traduit l’engagement du Gouvernement en prévoyant explicitement qu’une garantie sera apportée aux agents publics sur le niveau de leurs retraites.
Il ne s’agit pas de dispositions techniques compliquées : nous garantissons qu’ils n’auront pas moins avec le nouveau système qu’avec le système précédent. Cet amendement a une forte portée symbolique, puisqu’il concerne 2,5 millions de personnes des fonctions publiques territoriales, hospitalière et d’État. Donner aux agents de catégorie C de la fonction publique territoriale, dont les rémunérations sont faibles et qui touchent très peu de primes, l’assurance qu’ils ne subiront pas de baisse du niveau de leur retraite est un message important, le même que vous auriez pu adresser aux professions libérales.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Permettez-moi de revenir brièvement sur l’amendement n° 22609. L’article 50 du projet de loi, dans ses alinéas 20 et 22, précise les conditions dans lesquelles le directeur général de la CNRU prépare l’intégration des caisses de retraite, en excluant explicitement les réserves des régimes. Ce point est donc clairement prévu.
J’en reviens aux deux amendements identiques en discussion. Évidemment, les fonctionnaires ne doivent pas perdre de droits, mais cela doit être vrai pour tous les salariés. Ce texte va garantir que tous les droits acquis seront maintenus, pour les fonctionnaires, les enseignants ou les salariés du secteur privé. Le Gouvernement s’y est clairement engagé, à plusieurs reprises. Il n’y a pas un enjeu spécifique pour les enseignants. Tous les salariés concernés par la bascule dans le nouveau régime ne perdront pas de droits.
Je demande donc le retrait de ces amendements, tout en partageant votre préoccupation.
L’amendement n° 14648 est retiré.
M. Fabien Di Filippo. Les interrogations soulevées par Mme Rabault et M. Woerth et les réponses apportées par le secrétaire d’État sont plutôt de nature à nous inquiéter. L’augmentation des rémunérations pour les enseignants accompagnant cette réforme des retraites représentera rapidement entre 15 et 20 milliards d’euros par an. Or je pense, monsieur le secrétaire d’État, qu’en cet instant, vous êtes incapable de nous dire comment ces dépenses seront financées.
S’agissant de l’ensemble de la fonction publique, allez-vous les laisser pour compte, ou faudra-t-il trouver 15 à 20 milliards d’euros supplémentaires ? Quelles cotisations, quelles taxes comptez-vous augmenter pour financer cela ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo. Comme l’a dit M. Vigier, cet amendement et le précédent ont pour objet de rassurer. Ce projet de loi est anxiogène, ce qui est légitime s’agissant du départ à la retraite, moment compliqué. S’il est possible de rassurer les gens, comme le permet l’amendement de M. Vigier, faisons-le.
M. Charles de Courson. L’amendement de M. Vigier complète logiquement le vote sur la suppression des alinéas 14 et 15. Il est équitable, puisqu’il prévoit que le Gouvernement examinera l’ensemble des situations des trois fonctions publiques, et pas uniquement celle des enseignants et des chercheurs. L’adopter serait une mesure de justice entre tous les fonctionnaires, tandis que le repousser ferait courir un vrai risque : les demandes reconventionnelles vont pleuvoir. Quelle réponse donnerez-vous alors ? Pourquoi prévoir une revalorisation pour les enseignants et les chercheurs, mais pas pour les autres catégories dans la même situation ? Votre position serait intenable.
Mme Clémentine Autain. Le député Causse, de la majorité, a décidé de retirer son amendement alors qu’il était très intéressant. En creux, il montrait que vous reconnaissiez les méfaits du calcul, non plus sur les six derniers mois, mais sur l’ensemble de la carrière des fonctionnaires plutôt que sur les six derniers mois.
Je reviens sur mon exemple précédent : un professeur certifié né en 1953 qui prendra sa retraite en 2020 ne sera effectivement pas concerné par la réforme, et percevra donc 2 197 euros. Mais si l’on transpose sa situation dans le nouveau système, il perdra 743 euros. Voilà la réalité ! Vous savez très bien que les fonctionnaires vont perdre à cette réforme.
M. Causse a retiré son amendement de manière zélée et docile, mais l’inquiétude a gagné les bancs de la majorité. Elle sait pertinemment que le manque à gagner va être considérable pour les fonctionnaires, et que l’engagement du Gouvernement à compenser est nul.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Chaque député est libre de son choix.
M. Sébastien Jumel. Nous débattons des conséquences de la réforme, des simulations au cas par cas : nous disons que la situation va se dégrader tandis que la majorité soutient qu’elle va s’améliorer.
Si vous en êtes vraiment convaincus, chers collègues, adopter l’amendement de M. Vigier ne mange pas de pain, puisqu’il vise simplement à écrire dans la loi la garantie que la situation ne peut pas se détériorer avec le nouveau système. Puisque vous êtes sûrs que votre réforme est extraordinaire, et qu’elle va permettre de régler toutes les inégalités et de vivre mieux adoptez donc cet amendement qui vise à rassurer tout le monde ! Si vous ne l’adoptiez pas, vous seriez pris la main dans le sac. Et l’anxiété sera au rendez-vous !
M. Jean-Paul Mattei. Je voterai bien cet amendement, mais, à la lecture de l’avis du Conseil d’État, il apparaît qu’il soulève le même risque d’inconstitutionnalité qui nous a amenés à supprimer les alinéas 14 et 15. Dans quel cadre juridique allons-nous l’appliquer ? La prudence commande donc de retirer cet amendement.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous arrivons au vote sur le dernier amendement à l’article 1er. Le travail, qui a été intense, sur cet article nous permet d’acter des objectifs importants qui vont structurer l’ensemble de notre réforme. C’est une bonne nouvelle et je voulais le souligner.
Je prends conscience d’un effet de bord de notre réforme : à écouter certains de nos opposants de gauche, pour les commissaires de la commission spéciale, c’est « dé-primes » assurées ! (Sourires.) Je voulais juste détendre un peu l’atmosphère... Cette réforme des retraites soulève des enjeux importants. Il faut certes en discuter, mais certaines des interpellations ne sont pas à la hauteur.
M. le secrétaire d’État. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment explicite. Il existe une spécificité des enseignants et des chercheurs en comparaison aux autres fonctionnaires de catégorie A. C’est ce que le Gouvernement veut marquer, et qui a fait l’objet d’un débat et d’une prise de position de ma part. Certains demandent combien cela va coûter : nous assumons qu’il s’agit d’un investissement de la Nation envers tous ceux qui permettent l’émancipation de nos jeunes. Sur le fond, ce sujet fait consensus.
L’amendement proposé porte sur les autres catégories de fonctionnaires. Les travaux préparatoires et l’étude d’impact ont permis d’étudier un grand nombre de situations. Les fonctionnaires qui touchent peu de primes ont des carrières relativement plates ; c’est notamment le cas des catégories C dans la fonction publique territoriale. Mais ces fonctionnaires sont structurellement bénéficiaires du nouveau système universel de retraite. Les effets redistributifs entraîneront une augmentation significative de leur niveau de retraite.
J’entends votre volonté de créer de la confiance, monsieur Vigier. Pour réussir collectivement cette grande transformation de notre système de retraite, il est en effet fondamental de créer les conditions de la confiance. C’est pourquoi le Gouvernement entend adresser un message clair aux enseignants, aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs dont la situation est décalée par rapport aux autres fonctionnaires de catégorie A. Quant aux fonctionnaires peu primés, la dynamique du système leur est très favorable. Voilà pourquoi je propose le retrait de cet amendement.
La commission rejette l’amendement n° 22089.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Article 1er bis (nouveau) : Lois de programmation relatives aux personnels enseignants, enseignants‑chercheurs et chercheurs
La commission est saisie de l’amendement n° 22249 du rapporteur général.
M. le rapporteur général. Cet amendement tire les conséquences de la suppression des alinéas 14 et 15 de l’article 1er, relatifs aux deux lois de programmation, en réintroduisant ces mesures dans un nouvel article 1er bis. Je suis convaincu que nous adopterons cet amendement car nous sommes tous attachés à la revalorisation des rémunérations des enseignants et des chercheurs.
Pour répondre à notre collègue Coquerel, je l’invite moi-même dans ma circonscription pour y visiter les établissements scolaires. Nous comprenons les inquiétudes du monde enseignant, elles sont bien légitimes puisqu’aucune réponse ne leur est apportée depuis trente ans. Nous travaillons précisément à apporter des solutions, notamment pour répondre aux attentes de revalorisation des carrières.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons beaucoup échangé avec le rapporteur général à ce sujet. Le décalage entre la rémunération de nos enseignants et celle en vigueur dans les pays voisins est en effet le résultat d’une longue sous-valorisation de cette profession. Bien évidemment, nous ne pouvons pas régler ce problème en deux coups de crayon, mais nous nous engageons clairement à procéder à une revalorisation importante et à un rattrapage vis-à-vis des autres fonctionnaires de catégorie A pour revenir à un équilibre.
Avis favorable.
M. Thibault Bazin. Ce n’est pas avec cet article que vous allez régler la question de la rémunération des fonctionnaires. Cet amendement du rapporteur général est en tout cas révélateur, ce n’est pas qu’une opération de communication : vous avez peur de la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions qui figuraient à l’article 1er.
Il a fallu attendre le troisième jour pour que le rapporteur général présente un amendement ! Seize amendements seulement ont été déposés par les six rapporteurs sur ce texte qui compte soixante-cinq articles ! C’est à se demander si la majorité compte réellement examiner tout ce projet, ou si les rapporteurs considèrent que le travail en commission ne sert à rien...
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Bazin, je vous demande de respecter le travail des parlementaires.
M. Thibault Bazin. Peut-être que les rapporteurs n’ont simplement pas eu le temps de faire un travail sérieux ? Je m’interroge sur la sincérité de votre volonté d’examiner l’ensemble du projet. Si tout cela n’était qu’un faux-semblant, cela pourrait intéresser le Conseil constitutionnel.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Bazin, si vous considérez que votre travail est un faux-semblant, c’est votre problème.
Mme Clémentine Autain. Vous avez précédemment supprimé ces dispositions pour les réintroduire ici : nous revenons donc au point de départ. Vous êtes sur le point d’adopter des dispositions inconstitutionnelles, comme l’a expliqué le Conseil d’État.
Sur le fond, le gel du point d’indice court depuis neuf ans. Non seulement les enseignants français ont les salaires les plus bas des pays d’Europe occidentale, mais ceux-ci n’ont pas été revalorisés depuis neuf ans. Pour compenser les méfaits de votre régime de retraite, vous allez donc revaloriser les salaires mais à quel niveau ? Il semble que le montant prévu soit extrêmement faible. Les enseignants devront donc renoncer à une revalorisation correspondant à la reconnaissance de leur métier et au manque à gagner accumulé pendant tant d’années. Pour eux, c’est la double peine. Je comprends qu’ils soient très en colère et fassent grève depuis un moment. Et cela ne va pas s’arrêter.
M. Pierre Dharréville. Nous avons là l’aveu de l’inadaptation du système que vous proposez à toute une série de carrières et de situations, dans la fonction publique, mais aussi pour les avocats ou les infirmières libérales. Votre système ne fonctionne pas et vous êtes obligés de prévoir des exceptions. Vous devriez en tirer la leçon qui s’impose.
Vos annonces ne rassurent pas, elles inquiètent, au contraire. En effet, la parole du Gouvernement est démonétisée, après toutes les arnaques, les entourloupes et les tours de passe-passe que nous avons constatés depuis deux ans et demi. Il a ainsi été plus ou moins dit que la revalorisation aurait pour contrepartie une discussion sur le métier d’enseignant, qu’on leur demanderait de travailler plus, ce qui alimente l’inquiétude au sein de l’éducation nationale.
Enfin, ces annonces préoccupent également toutes les professions qui n’entrent pas dans le périmètre de vos correctifs. Le débat n’est pas clos et il vous faudra apporter les précisions nécessaires.
M. Hervé Saulignac. Je souhaite que l’on m’assure que cet amendement est conforme à la Constitution. Je ne comprends plus vos pratiques. Vous répondez en effet à l’observation du Conseil d’État par un amendement qui encourt les mêmes griefs du point de vue constitutionnel. J’ai le sentiment que nous sommes dans l’affichage et que cet amendement sera finalement rejeté par le Conseil constitutionnel.
M. Olivier Véran. « Cachez ce progrès social que je ne saurais voir ! » Depuis avant-hier, à chaque avancée sociale forte du texte, vous répondez qu’elle ne marchera jamais. Depuis le début de l’examen de ce texte, vous appliquez une méthode anti-Coué qui montre bien que nous allons dans le bon sens.
Les rémunérations des enseignants ont été revalorisées par la gauche au début des années 1990 et depuis, quasiment plus rien. Au cours des cinq années du dernier mandat socialiste, j’aurais aimé que les rémunérations des enseignants soient revalorisées, j’aurais adoré voter un amendement en ce sens, j’aurais sauté de joie si l’on m’avait annoncé que 500 millions d’euros seraient injectés l’année prochaine pour les rémunérations des enseignants, et que 10 milliards allaient être consacrés à leur carrière. Les enseignants vont percevoir une meilleure rémunération pendant leur période d’activité, et une même pension de retraite. Cela vous embête, pour nous c’est un plaisir !
M. le rapporteur général. Je suis surpris des excuses données par les uns et les autres sur une telle disposition, c’est un peu « courage, fuyons ! » C’est l’attitude qui a prévalu pendant trente ans au sujet des enseignants. C’est pourquoi les inquiétudes sont fortes. Nous apportons aujourd’hui des réponses. Je suis certain que vous serez tous mobilisés pour que ces lois de programmation soient les plus solides et les plus progressistes possible.
M. Éric Woerth. Cet amendement de la majorité a de fortes chances d’être adopté. Il me semble naturel que le débat dure un petit peu plus sur les amendements dont l’adoption est certaine. Je reconnais que ceux de nos collègues de La France insoumise ont peu de chances de l’être. Là, il y aura une conséquence – même si nous allons probablement en revenir au texte du Gouvernement...
M. le secrétaire d’État. Compte tenu des choix précédents de la commission, il est indispensable de réintroduire ces dispositions. Les mettre en valeur dans un nouvel article 1er bis, comme le propose la commission, a du sens.
J’espère que nous trouverons les voies de l’unanimité, car les enseignants comprendraient mal que des voix au sein de cette commission s’opposent à cet amendement qui tend à refonder le contrat social entre l’État et les enseignants, et à revaloriser leur rémunération.
M. Éric Woerth. Il n’est pas financé, ce n’est pas responsable !
La commission adopte l’amendement n° 22249.
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6. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 15 heures (avant l’article 2 à article 3)
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous allons poursuivre l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite.
Nous avons examiné 507 amendements, il nous en reste 19 931 à examiner.
M. Boris Vallaud. Madame la présidente, je souhaite faire un rappel au Règlement sur le fondement de l’article 86, alinéa 5 du Règlement, portant sur les conditions de recevabilité des amendements en commission.
Ce matin, la majorité a adopté l’amendement n° 22249 du rapporteur général et du rapporteur, qui prévoit que la mise en place du système universel de retraite s’accompagne, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes permettant de garantir le niveau de pension des personnels enseignants fonctionnaires. Le premier alinéa de cet amendement est rigoureusement identique aux dispositions incriminées par le Conseil d’État dans son avis : « Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution. »
Madame la présidente, je crois qu’il n’est pas de bonne politique et pas très honnête à l’endroit des enseignants que votre majorité, instruite de l’avis du Conseil d’État, fasse sciemment adopter un amendement inconstitutionnel, dont le seul but est de donner l’impression que le problème a été réglé alors qu’il persiste.
Par ailleurs, la mise en débat de cet article constitue une violation constitutionnelle qu’il vous appartenait de prévenir. Dans ses décisions du 22 janvier 1990, du 4 mai 2000 et du 7 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a estimé que de telles injections ne trouvent de base juridique ni dans l’article 34, ni dans aucune autre disposition de la Constitution, et portent atteinte au droit d’initiative des lois conféré par son article 39 au Premier ministre. Dès lors, cet amendement devait être déclaré irrecevable, comme l’ont été tous les amendements portant injonction et déposés sur ce texte, comme sur n’importe quel autre texte de loi. Le groupe Socialistes et apparentés ne peut que s’émouvoir de ce tour de passe-passe qui finira par rattraper le Gouvernement et, au bout du compte, l’ensemble des enseignants – qui ont encore un peu d’espoir dans les promesses qui leur ont été faites, même s’ils commencent à douter fortement.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je prends acte de votre remarque, monsieur Vallaud.
Nous avons déjà débattu sur l’amendement que vous évoquez, c’est pourquoi je me contenterai de donner la parole au rapporteur s’il le souhaite, après quoi nous poursuivrons nos travaux.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je rappelle à M. Vallaud, qui le sait très certainement, que si le Conseil d’État fournit des avis au Gouvernement, il n’a pas le même rôle que le Conseil constitutionnel. Nous avons pris note de l’avis du Conseil d’État et en tirerons les conclusions qui s’imposent mais, pour le moment, cet avis n’apporte rien de particulier.
M. Adrien Quatennens. Ce que vient de dire M. Vallaud confirme le risque que votre projet de loi soit inconstitutionnel, ce qui pourrait réduire à néant l’ensemble des travaux parlementaires le concernant. On sait désormais que ce sera le cas des travaux de la commission spéciale, dans la mesure où elle n’aura jamais assez de temps pour examiner la totalité du texte dans les délais qui lui sont impartis.
Plusieurs députés du groupe La République en Marche. À qui la faute ?
M. Adrien Quatennens. À qui la faute, si ce n’est à ce Gouvernement et à son obstination ? En tout état de cause, force est de constater que nos travaux ne suscitent pas un grand intérêt de la part de la majorité, qui joue assez peu le jeu du débat. Si on ajoute à cela le fait que les amendements adoptés sont entachés d’un risque inconstitutionnel, on se demande à quoi servent nos réunions – c’est peut-être la raison qui fait que les travaux de cette commission ne semblent pas intéresser grand monde : en tout cas, il y a de moins en moins de députés à y prendre part... (Exclamations sur les bancs des députés du groupe La République en Marche.)
Mme Cendra Motin. Vous êtes vous-même un peu seul en ce moment, cher collègue... Où sont les autres députés de votre groupe ?
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Quatennens, ce sont là des appréciations qui n’ont rien à voir avec la recevabilité des amendements. Nous allons donc reprendre le cours de nos travaux.
M. Adrien Quatennens. À quoi bon ?
La commission poursuit l’examen des articles du projet de loi instituant un système universel de retraite.
Avant l’article 2
La commission est saisie de l’amendement n° 2545 de M. Adrien Quatennens.
M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 2545 vise à mettre en conformité le titre de la section 2 avec ce qu’elle contient réellement, en rédigeant ainsi l’intitulé de cette section : « Une réforme bâclée aux champs d’application temporels comme matériels délibérément flous ». En effet, il s’agit indéniablement d’une réforme bâclée : le Conseil d’État, qui a passé en revue l’ensemble des éléments de langage le composant, indique clairement que rien de ce qui a été mis en avant par le Gouvernement ne fonctionne et souligne, surtout, le caractère lacunaire du financement de la réforme proposée.
Sur cette question du financement, qui constitue bien le point central du débat, nos collègues de la majorité ne semblent envisager qu’une solution : faire travailler les Français plus longtemps, alors que l’opposition s’emploie à démontrer que ce n’est pas inéluctable et qu’il y a d’autres choses à faire. En résumé, c’est bien une réforme bâclée, et nous vous invitons à le dire clairement dans l’intitulé de la section 2.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Section 2 : Champ d’application
Article 2 : Champ d’application du système universel de retraite (dispositions communes)
La commission examine les amendements identiques n° 545 de M. Sébastien Jumel, n° 3017 de M. Adrien Quatennens et n° 21085 de M. Boris Vallaud.
M. Hubert Wulfranc. Au prétexte d’une simplification du système de retraite, l’article 2 procède à un nivellement par le bas des droits à la retraite entre les différents régimes existants. La logique du moins-disant social qui imprègne cette réforme fera de nombreux perdants : les femmes, la majorité des 22 millions de salariés du régime général, les professionnels libéraux, les 400 000 agents des régimes spéciaux et les 4,4 millions de fonctionnaires, notamment ceux appartenant aux catégories actives.
En outre, la mise en place d’un système universel crée des régimes de retraite à la carte, à rebours des objectifs de justice sociale et de simplification. Ce sont plusieurs dizaines de régimes de retraite qui cohabiteront dans le système universel, voire des centaines avec les régimes par capitalisation.
Pour toutes ces raisons, l’amendement n° 545 vise à la suppression de l’article 2.
M. Adrien Quatennens. L’article 2, qui a pour objet de définir le champ d’application de la réforme, évoque au passage quarante-deux régimes différents, dont chacun aura compris qu’ils n’existent pas. Je rappelle en effet que le Conseil d’orientation des retraites (COR) n’en connaît que vingt-trois, et le ministère de la santé dix-huit seulement, ce qui montre bien qu’on grossit artificiellement le nombre de régimes spéciaux afin de le faire paraître plus important et de renforcer ainsi l’idée qu’une simplification serait nécessaire.
Surtout, l’article 2 contient une entourloupe, consistant à réaffirmer l’idée que la réforme ne va s’appliquer qu’aux Français nés à partir de 1975. Or, comme nous en avons obtenu confirmation à plusieurs reprises auprès de M. le secrétaire d’État, le retrait provisoire de l’âge pivot concerne également des personnes nées avant 1975 – vraisemblablement dès 1959. Cet article illustre bien le caractère insincère du champ d’application de la loi, dont chacun doit savoir qu’elle concerne en réalité également les Français nés avant 1975, puisque lors du retrait provisoire de l’âge pivot à 64 ans, le Gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de trouver 12,5 milliards d’euros d’économies pour les personnes nées avant 1975.
Nous vous proposons donc d’adopter l’amendement n° 3017, qui a pour objet de supprimer l’article 2.
M. Boris Vallaud. L’amendement n° 21085 vise également à la suppression de l’article 2.
Alors que vous prétendiez supprimer quarante-deux régimes spéciaux, vous avez créé des centaines de régimes spécieux, ce qui fait que plus personne n’est capable de dire ce qu’il va advenir de sa pension. Mes chers collègues, je vous suggère la lecture fort instructive de l’analyse de l’étude d’impact publiée dans Le Monde d’aujourd’hui : plusieurs économistes, dont Antoine Bozio, y dénoncent le côté lapidaire, lacunaire, pour ne pas dire tronqué et truqué, de ladite étude d’impact.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous évoquez un nivellement par le bas, monsieur Wulfranc : je vous dirai que, pour ma part, je suis plutôt content que les agriculteurs, les commerçants et les artisans puissent bénéficier d’une retraite d’au moins 1 000 euros.
Je suis content que les femmes, dont les interruptions de carrière liées à la maternité et à l’éducation des enfants, puissent également bénéficier de la réforme.
Je suis content que les périodes de chômage puissent être mieux intégrées dans le parcours professionnel et donner lieu à l’obtention de points – même si, bien sûr, la situation des demandeurs d’emploi restera compliquée.
Pour toutes ces catégories de personnes, la réforme va constituer une source de progrès, dont il serait dommage de les priver.
Je suis également un peu étonné de voir que, dans les rangs de la gauche, censée avoir pour objectif politique de porter une forme d’universalité, on défend des régimes différents, des droits différents et des particularismes qui sont à l’opposé du fonctionnement de notre société, qui se veut plus égalitaire.
Rappelons au passage que lorsqu’on parle de quarante-deux régimes de retraite, cela correspond aux quarante-deux combinaisons possibles entre régime de base et régime complémentaire.
Enfin, pour ce qui est des dates d’affiliation, monsieur Quattenens, je constate que vous persistez à mélanger ce qui relève du rééquilibrage du régime actuel, un élément prévu par la conférence de financement, et le projet de futur système universel dont nous débattons. Ce faisant, vous contribuez à entretenir le flou que vous prétendez combattre, empêchant ainsi nos concitoyens de percevoir clairement les enjeux de cette réforme.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la suppression de l’article 2.
M. Gilles Carrez. Monsieur le rapporteur, l’emploi de l’adjectif « universel » pour désigner le système qui nous est proposé est un peu excessif, pour ne pas dire abusif... En effet, il est certain que vont être constitués de façon pérenne une multitude de régimes distincts, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis. Par ailleurs, le slogan unificateur selon lequel « un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous » a été corrigé à la demande du Conseil d’État, qui a précisé que ce principe devait être mis en œuvre selon des modalités fixées par la loi. Sans aller jusqu’à risquer de constituer une rupture du principe d’égalité, il devra bel et bien être mis en application suivant différentes modalités.
La durée prévue pour le système transitoire est exagérément longue ; pendant des décennies, on verra continuer à coexister, au sein par exemple de la RATP et de la SNCF des régimes spéciaux et plusieurs régimes différant du régime général selon que les agents seront nés avant 1975, avant 1980 ou avant 1985. Nos collègues ont donc raison de souligner les limites de l’emploi du mot « universel ».
M. Régis Juanico. Il y a un devoir de sincérité dans l’exposé des différents articles, notamment dans l’article 2, qui évoque un système universel alors que le Conseil d’État précise bien qu’il y aura cinq régimes différents, auxquels s’appliqueront des règles dérogatoires.
La vérité, c’est que vous n’avez pas supprimé les régimes spéciaux. Vous n’avez pas supprimé le régime spécial des marins-pêcheurs, par exemple, et personne n’imagine que vous le fassiez.
De même, dans le cadre du régime spécial des mines, que j’ai déjà cité, les mineurs de fond ont obtenu en 1946 à la fois la gratuité totale des soins mais aussi, en contrepartie de la pénibilité et de la dangerosité de leur métier où beaucoup ont malheureusement laissé leur vie, un système de retraite obéissant à des modalités particulières. Aujourd’hui, il y a encore 240 000 bénéficiaires de ce régime – d’anciens mineurs, mais aussi des veuves touchant des pensions de réversion d’un très faible montant, qui sont dans la précarité –, pour un coût annuel de 1 milliard d’euros environ. Le secrétaire d’État a précisé que cette somme serait prise en charge par la solidarité nationale, ce qui montre bien, s’il en est besoin, que vous ne supprimerez pas le régime spécial des mines : même en l’absence de nouveaux entrants dans ce régime spécial, vous devrez le maintenir jusqu’à la disparition du dernier bénéficiaire.
M. Hubert Wulfranc. Je ne peux laisser le rapporteur dire que le nouveau système par points va sensiblement améliorer la situation des demandeurs d’emploi. Certes, vous attribuez des points aux allocataires du chômage, ce qui est pour vous l’occasion de prétendre faire preuve de solidarité, mais vous ne le faites qu’après avoir limité l’accès aux allocations et limité leur montant ! La CFDT vous a d’ailleurs rappelé sa proposition consistant à se référer au dernier revenu de la période travaillée. De même, il semble que vous vouliez instituer un délai de carence de trente jours sur les congés maladie. Vous pouvez difficilement vous prévaloir de l’argument de la solidarité à l’appui de l’universalité.
M. Adrien Quatennens. Une fois pour toutes, je veux demander à M. le rapporteur de se contenter de contre-argumenter et de cesser de balayer les arguments de l’opposition au motif qu’il s’agirait de fausses informations constituant une manipulation de l’opinion. Pour ce qui est de manipuler l’opinion, vous êtes les grands champions... (Rires et exclamations.)
M. Thibault Bazin. Disons que vous êtes à égalité, c’est bien le drame ! Vous êtes les idiots utiles du macronisme !
M. Adrien Quatennens. C’est vous qui avez créé autant de régimes spéciaux qu’il existe d’entreprises, c’est vous qui vous apprêtez à créer autant de régimes spéciaux qu’il y a de générations, c’est vous qui nous parlez d’universalité alors qu’il n’en est rien, c’est vous qui nous parlez d’un euro qui conférerait les mêmes droits alors qu’il n’en est absolument rien ! Donc, les accusations de lancer de fausses informations, ça suffit !
Puisque la répétition fixe la notion, je rappelle également que vous nous avez fourni une étude d’impact truquée, puisque vous avez gelé... (« Ah ! » sur les bancs des députés du groupe La République en Marche.) Vous vous marrez, mais ça suffit maintenant de nous prendre pour des imbéciles et de vous moquer de nous ! (Protestations sur les bancs des députés du groupe La République en Marche).
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Personne ne se moque de vous, monsieur Quattenens.
M. Sébastien Jumel. Écoutez beugler le troupeau !
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je demande à chacun de reprendre son calme – à commencer par vous, monsieur Jumel.
M. Jean-Jacques Bridey. Je vais essayer de faire revenir la sérénité dans ce débat en rétablissant la vérité sur notre projet, que certains de nos collègues s’ingénient à déformer.
Les Français sont-ils satisfaits du système de retraite actuel ? La réponse est non. Ils jugent en effet à 72 % que ce système ne leur garantit pas de bénéficier d’une retraite correcte. Ils sont 68 % à le trouver trop complexe, 74 % le jugent trop injuste à 79 % et 74 % qu’il n’est pas adapté à leur parcours professionnel. Enfin, 79 % d’entre eux considèrent qu’il n’est pas viable à long terme. Ce sondage datant de fin 2018 n’a pas été réalisé par La République en Marche et il n’est pas issu de l’étude d’impact : on le doit à l’institut d’études indépendant Odoxa, que chacun connaît.
Ces chiffres montrent bien – et je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point – qu’il faut remettre à plat le système de retraite ; c’est ce que nous faisons. Si les périodes de transition que nous prévoyons sont critiquées par certains, il ne faut pas perdre de vue que ce système, nous le fondons pour soixante ou soixante‑dix ans, c’est-à-dire pour au moins deux ou trois générations. Il est donc normal de prendre le temps d’une transition sur dix ou quinze ans.
La commission rejette les amendements identiques.
Elle est saisie de l’amendement n° 2562 de M. Adrien Quatennens.
M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 2562 a pour objet de supprimer l’alinéa 1 de l’article 2. Cela fait plusieurs fois que nous vous disons que l’universalité qui est l’alibi de ce projet n’a en réalité aucune existence, et adjurons une nouvelle fois la majorité de cesser d’employer ce terme. Dites ce que vous faites, et non l’inverse : le système que vous proposez n’est pas universel puisque, selon les conclusions du Conseil d’État, il comporte au moins cinq régimes différents – sans compter les nombreuses dérogations – et autant de régimes que de générations, puisque l’âge d’équilibre va se décaler un peu plus à chaque génération, contrairement à ce qu’affirme votre étude d’impact truquée pour donner l’impression que le système est plus favorable qu’il ne l’est en réalité.
Nous proposons donc la suppression de l’alinéa 1, dont les termes ne correspondent absolument pas aux effets que va produire votre projet de loi.
M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Une de vos collègues s’est référée ce matin au Petit Robert ; je vous invite à en faire de même : vous pourrez ainsi vérifier que « universel » ne signifie pas « uniforme ». Il existe des différences entre les métiers, et si le système que nous proposons vise à couvrir tout le monde avec un corps de règles communes s’appliquant aux régimes de retraite de base et complémentaire, il tient également compte des particularités des métiers.
Par ailleurs, pour revenir sur des propos qui ont été tenus tout à l’heure, nous envisageons une réforme systémique, ce qui, par définition, nécessite une période de transition suffisamment longue pour faire converger les différents systèmes actuels vers le régime universel que nous appelons de nos vœux.
Avis défavorable.
Mme Valérie Rabault. Comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, le système proposé n’a d’universel que le nom et, à en croire les six pages de l’analyse consacrée aujourd’hui par Le Monde à votre réforme des retraites, nous ne sommes pas les seuls à le penser : des économistes – et pas seulement de gauche – font aussi ce constat : Jean-Paul Fitoussi y affirme, page 30, ainsi que « l’illusion technocratique a tourné au déni de l’exigence de solidarité » et que « dans un système universel, la base doit être la solidarité ». Or cette exigence de solidarité ne fait pas partie de votre projet de loi. Nous le répétons depuis deux jours, mais nous ne sommes désormais plus les seuls, puisque d’autres que nous commencent à le dire publiquement.
Mme Cendra Motin. Pourquoi ne lisez-vous pas aussi la page 33 du même journal ?
M. Pierre Dharréville. On dirait que vous voulez raconter une belle histoire, mais que vous n’en avez pas les moyens, parce que le texte ne contient pas ce que vous souhaitez lui faire dire. Ainsi, monsieur le rapporteur, quand vous égrenez les points sur lesquels le texte constituerait un progrès, on a l’impression d’assister à un jeu de bonneteau, où les choses sont toujours plus compliquées qu’il n’y paraît. Je me permets de vous rappeler que certains des éléments que vous avez cités ne relèvent pas de la nouvelle réforme systémique dont vous parlez, mais de paramètres qu’il suffirait de corriger dans le régime actuel – ce que nous demandons parfois depuis très longtemps.
Par ailleurs, vous insistez sur le fait que vous n’avez pas parlé d’un système uniforme, mais d’un système universel. Or, et c’est tout ce qui compte, la définition que vous donnez de votre système correspond très exactement à l’existant... Il faudrait examiner les effets concrets des propositions contenues dans votre projet, ce qui permettrait de se rendre compte des lourds problèmes qu’il pose.
Si elle contient beaucoup d’approximations, l’étude d’impact contient cependant une explication intéressante en page 149 : « les taux de remplacement, soit la différence entre le dernier revenu d’activité et la retraite, des agents publics sont équivalents à ceux des salariés malgré ses règles différentes ». Vous dites sus aux privilèges, mais en visant des privilèges que vous estimez appartenir à des retraités comme vous et moi ! Ce faisant, vous vous trompez de cible, car les vrais privilégiés de notre société ne sont pas ces retraités.
M. Éric Woerth. Ce que vous proposez n’est pas un système universel, et nous n’avons de toute façon pas besoin d’un système universel pour régler la question des retraites. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système équilibré sur le plan financier et qui traite les gens de la même manière sur une partie de la rémunération. Nous avons besoin des systèmes complémentaires ; il n’y a donc aucune raison de les supprimer – ni eux, ni les systèmes autonomes. C’est donc une réforme assez inutile, en tout cas inutilement provocatrice pour certaines professions, que vous nous proposez.
Nous avons besoin d’un système universel qui couvre une partie de la rémunération, peut-être à hauteur d’un plafond, en laissant vivre ensuite les différences entre les professions. L’idée de base de votre réforme, consistant à dire qu’il faut simplifier le puzzle incompréhensible constitué par les quarante-deux régimes, est une idée fausse : en réalité, cinq ou six régimes, sept tout au plus, couvrent 95 % de la population, et le reste n’a rien de systémique – les cinq ou six régimes en question ne le sont d’ailleurs pas tous.
Il suffisait de faire converger un certain nombre de règles et sans doute, comme nous le proposons, de faire fusionner le public et le privé jusqu’à un plafond – et éventuellement au-delà – et de régler ensuite la question des régimes spéciaux dans une transition d’une durée acceptable, et non pas interminable comme celle prévue par le texte. À partir du moment où vous augmentiez l’âge de la retraite, vous aviez un système capable de vivre pendant longtemps, et de plus en plus juste. Vous avez, au contraire, fait le choix de bâtir votre système sur quelque chose d’inexplicable, qu’aucun Français ne peut s’approprier. Il n’y avait aucune raison de provoquer de nombreuses catégories de nos concitoyens, comme vous l’avez fait. La retraite, c’est tout de même le reflet des carrières, et nous regrettons que l’ayez perdu de vue.
M. Dominique Da Silva. Le système universel de retraite se fonde sur la solidarité interprofessionnelle, et je m’étonne de constater que ceux qui prônent la solidarité ne comprennent pas, en réalité, le sens profond de ce système. Vous préférez en fait conserver des régimes professionnels qui se caractérisent par des démographies favorables pour certains, et totalement défavorables pour d’autres. Pour notre part, nous estimons qu’il faut placer tous les Français dans un même système, afin d’obtenir une démographie favorable pour tous.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement n° 21533 de M. Pierre Dharréville.
M. Sébastien Jumel. Si les termes de l’amendement n° 21533 peuvent sembler un peu récurrents, ce n’est pas pour autant un amendement d’obstruction. Il serait sage que notre commission adopte un amendement pour que le calendrier s’arrête, ce qui permettrait de mettre fin au déluge de mauvaises nouvelles que vous subissez quotidiennement... En ce moment, pas une journée ne se passe sans que vous en preniez plein la carafe à propos de votre mauvais projet, ce qui vient confirmer ce que nous disons à ce sujet depuis plusieurs semaines !
C’est le Conseil d’État qui a ouvert le bal en affirmant que votre projet était inintelligible et pipé. Aujourd’hui, c’est un quotidien national sérieux – je parle du Monde, pas de L’Huma... – qui, sur la base de son expertise et de données étayées, vous fait le même procès que celui que nous vous faisons depuis plusieurs jours, affirmant que vos études de cas sont tronquées et confirmant tout ce que nous disons sur les effets dramatiques que votre réforme va avoir sur les fonctionn