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ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2019 - 2020

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 20 février 2020

 

le 20 février 2020

 

 

 

 

RAPPORT

 

au nom de

 

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
 

 

 

 

LES FONGICIDES SDHI

(INHIBITEURS DE SUCCINATE DÉSHYDROGÉNASE)

 

 

Compte rendu des auditions du 23 janvier 2020

et de la présentation des conclusions du 20 février 2020

 

 

par

 

 

M. Gérard LONGUET, sénateur, et M. Cédric VILLANI, député

 

 

 

 

 

 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Cédric VILLANI,

Premier vice-président de l’Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET,

Président de l’Office

 

 

 

 

 

 

 

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

 

Président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

Premier Vice-président

M. Cédric VILLANI, député

 

 

Vice-présidents

 

M. Didier BAICHÈRE, député

M. Roland COURTEAU, sénateur

M. Patrick HETZEL, député

M. Pierre MÉDEVIELLE, sénateur

Mme Huguette TIEGNA, députée

Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

 

 

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

M. Julien AUBERT

M. Philippe BOLO

M. Christophe BOUILLON Mme Émilie CARIOU

M. Jean-François ÉLIAOU

Mme Valéria FAURE-MUNTIAN

M. Jean-Luc FUGIT

M. Claude de GANAY

M. Thomas GASSILLOUD Mme Anne GENETET

M. Pierre HENRIET

M. Antoine HERTH

M. Jean-Paul LECOQ

M. Loïc PRUD’HOMME

M. Michel AMIEL

M. Jérôme BIGNON Mme Laure DARCOS

Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

Mme Véronique GUILLOTIN

M. Jean-Marie JANSSENS

M. Bernard JOMIER

Mme Florence LASSARADE

M. Ronan LE GLEUT

M. Rachel MAZUIR

M. Pierre OUZOULIAS

M. Stéphane PIEDNOIR Mme Angèle PRÉVILLE

M. Bruno SIDO

 

 


 

 

 

 

 

 

 

S OM M A I RE

 

 

 

Pages

 

 

CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE DU 23 JANVIER 2020 SUR LES INHIBITEURS DE SUCCINATE DÉSHYDROGÉNASE (SDHI)              5

TRAVAUX DE L’OFFICE.............................................13

  1. COMPTE RENDU DES AUDITIONS PUBLIQUES DU 23 JANVIER 2020......13
  1. AUDITION DE MME FRANCELYNE MARANO, PROFESSEUR ÉMÉRITE DE BIOLOGIE CELLULAIRE ET DE TOXICOLOGIE À L’UNIVERSITÉ PARIS-  DIDEROT, MEMBRE DU HAUT CONSEIL DE LA SANTÉ PUBLIQUE              13
  2. AUDITION DE M. PIERRE RUSTIN, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS, ET MME PAULE BÉNIT, INGÉNIEURE DE RECHERCHE À L’INSERM, AUTEURS D’UNE PUBLICATION SCIENTIFIQUE CONCLUANT À UN RISQUE POUR LES

ORGANISMES EXPOSÉS AUX SDHI....................................23

  1. AUDITION DE M. ROGER GENET, DIRECTEUR GÉNÉRAL, MME CAROLINE SEMAILLE, DIRECTRICE GÉNÉRALE DÉLÉGUÉE EN CHARGE DU PÔLE PRODUITS RÉGLEMENTÉS, DE L’AGENCE NATIONALE DE SÉCURITÉ

SANITAIRE DE L’ALIMENTATION, DE L’ENVIRONNEMENT ET DU TRAVAIL (ANSES), ET M. JEAN-ULRICH MULLOT, PHARMACIEN, PRÉSIDENT DU

GROUPE D’EXPERTISE COLLECTIVE D’URGENCE.........................33

  1. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 20 FÉVRIER 2020 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DES AUDITIONS PUBLIQUES DU 23 JANVIER 2020              51

ANNEXES.........................................................59

ANNEXE 1 PRÉSENTATION DE MME FRANCELYNE MARANO................59

ANNEXE 2 PRÉSENTATION DE MME PAULE BÉNIT ET M. PIERRE RUSTIN......65


 


 

 

 

 

CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE DU 23 JANVIER 2020 SUR LES INHIBITEURS DE SUCCINATE DÉSHYDROGÉNASE (SDHI)

 

 

L’Office a été saisi par la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale de la question posée par certains fongicides utilisés en agriculture, suspectés de constituer un danger sanitaire : les inhibiteurs de succinate déshydrogénase (SDHI). La succinate déshydrogénase (SDH) est une enzyme mitochondriale dont la déficience est associée à des maladies mitochondriales rares.

 

Au printemps 2018, un groupe de chercheurs menés par Pierre Rustin, directeur de  recherche au CNRS, responsable des équipes Inserm travaillant sur les maladies mitochondriales à l’hôpital Robert-Debré (Paris), a montré que les inhibiteurs de la SDH ne sont pas spécifiques de l’enzyme de champignons, mais qu’ils peuvent également inhiber les  enzymes humaine, de l’abeille et du ver de terre. Une alerte sanitaire a été émise auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), élargie ensuite par voie de presse.

 

Après avoir fait réaliser une expertise collective de l’alerte, l’ANSES a conclu que les éléments apportés par les travaux de ce groupe de chercheurs ne remettaient pas en  cause l’évaluation du risque inhérent  à cette classe de molécules évaluation qui a été réalisée dans le cadre réglementaire de l’autorisation de mise sur le marché et qui consiste à examiner le risque sur la santé humaine, du consommateur comme de l’exploitant agricole, et sur l’environnement, associé à ces molécules.

 

Ce désaccord entre un groupe de chercheurs et une agence sanitaire dont l’avis se base sur les conclusions d’un groupe d’experts a été fortement relayé dans la presse récemment, notamment avec le concours d’associations militant contre l’usage des pesticides.

 

Par l’organisation d’auditions successives des deux parties, ainsi que celle d’une toxicologue indépendante, et à la lumière de ses précédents travaux sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences1, l’Office a souhaité faire le point sur les risques sanitaires associés aux fongicides SDHI.

 

 

 

 

1 « Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance », par Philippe Bolo, Anne Genetet, députés, Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias, sénateurs. AN 1919 (15e législature) Sénat 477 (2018-2019), mai 2019.


 

 

 

  1.    La succinate déshydrogénase : rôle cellulaire, pathologies associées à sa déficience, et effets des SDHI

 

Dans toutes les cellules, à l’exclusion de bactéries, la production d’énergie utilisable est assurée par les mitochondries. Elles convertissent, au terme d’une longue chaîne de réactions, le sucre et l’oxygène en dioxyde de carbone,  en  eau  et  en  une  molécule,  l’ATP,  qui  va  jouer  le  rôle  de

« carburant »   à   l’échelle   de   la   cellule.   Ce   processus   est   dénommé

« respiration cellulaire ». La succinate déshydrogénase (SDH) est l’un des acteurs-clefs de la chaîne respiratoire mitochondriale : elle assure la transformation du succinate en fumarate, sans laquelle la chaîne ne peut fonctionner.

 

Certaines mutations du gène codant la SDH, héréditaires ou congénitales, diminuent l’activité de l’enzyme, de façon partielle ou totale. Pierre Rustin et d’autres chercheurs étudient ces anomalies mitochondriales et leurs conséquences physiologiques. Ils ont montré que des mutations affectant le gène codant la SDH pouvaient entraîner des cancers rares tels que des paragangliomes, des phéochromocytomes et des neuroblastomes, ainsi que des atteintes neurologiques (encéphalomyopathie)1.

 

Alors qu’ils recherchaient d’éventuelles substances pouvant inhiber les SDH, Pierre Rustin et Paule Bénit, ingénieure de recherche dans son équipe, ont réalisé que des molécules commercialisées comme principes actifs de fongicides avaient la capacité d’inhiber la SDH : les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI).

 

Sachant que la SDH est très conservée par l’évolution, donc que l’enzyme humaine est très proche de celles d’autres espèces, la possibilité que des molécules présentes dans l’environnement affectent la respiration cellulaire dans les espèces non ciblées par les fongicides leur est apparue vraisemblable. Cette hypothèse a suscité la crainte qu’une exposition de l’homme à ces molécules, notamment l’exposition directe pour les agriculteurs, n’entraîne des effets similaires à ceux des mutations de la SDH (cancers, maladies neurologiques).

 

 

 

 

 

 

 

1     Astuti,   et   al.   2004.   « Investigation   of   the   Role   of   SDHB   Inactivation   in   Sporadic

Phaeochromocytoma and Neuroblastoma ». British Journal of Cancer 91 (10): 1835-41 ; Brière, et al. 2005. « Succinate Dehydrogenase Deficiency in Human ». Cellular and Molecular Life Sciences

62 (19-20): 2317-24 ; Lussey-Lepoutre, et al. 2019. « Succinate Detection Using in Vivo 1H-MR

Spectroscopy Identifies Germline and Somatic SDHx Mutations in Paragangliomas ». European

Journal of Nuclear Medicine and Molecular Imaging. DOI : 10.1007/s00259-019-04633-9.


 

 

 

 

Les travaux publiés par Pierre Rustin et ses collaborateurs en novembre 2019 dans la revue scientifique PLOS One1 montrent, sur des extraits enzymatiques, que certains SDHI ont la capacité d’inhiber l’enzyme SDH de champignon (organisme cible), mais aussi d’abeille, de ver de terre, et l’enzyme humaine (organismes non-cibles), et ce, dans des proportions variables selon la molécule et l’espèce. Ces travaux montrent en outre qu’une partie des SDHI, dont les substances les plus récemment mises sur le marché, agissent également sur un autre maillon de la chaîne respiratoire mitochondriale.

 

Sur des cellules humaines en culture, les auteurs  observent  que, dans des conditions expérimentales classiques, les SDHI n’ont pas d’effet sur la viabilité des cellules. En revanche, dans des conditions expérimentales rendant les cellules dépendantes de la respiration mitochondriale pour leur apport énergétique et leur croissance, l’exposition à certains SDHI diminue la survie cellulaire.

 

Les travaux suggèrent également qu’une exposition aux SDHI pourrait augmenter le stress oxydant au sein des cellules. La formation d’espèces oxydantes est connue pour être délétère pour les cellules. L’hypothèse d’un dysfonctionnement mitochondrial associé à une augmentation du stress oxydant est l’une des plus utilisées pour expliquer le développement de maladies neurologiques telles que les maladies de Parkinson ou d’Alzheimer2, conjointement à d’autres dysfonctionnements.

 

 

 

  1. L’alerte sanitaire

 

Sur la base de ces observations au laboratoire, et avant même leur publication dans une revue scientifique, Pierre Rustin a alerté l’ANSES en octobre 2017. Estimant n’avoir pas  reçu de réponse satisfaisante, ses collaborateurs et lui ont, par le biais d’une tribune publiée par le quotidien Libération le 15 avril 2018, alerté le grand public sur le danger sanitaire que pourraient représenter les SDHI.

 

 

 

 

1 Bénit, et al. 2019. « Evolutionarily Conserved Susceptibility of the Mitochondrial Respiratory Chain to SDHI Pesticides and Its Consequence on the Impact of SDHIs on Human Cultured Cells ». PLOS ONE 14 (11): e0224132.

2 Majd et Power. 2018. « Oxidative Stress and Decreased Mitochondrial Superoxide Dismutase 2 and Peroxiredoxins 1 and 4 Based Mechanism of Concurrent Activation of AMPK and MTOR in

Alzheimer’s  Disease ».  Current  Alzheimer  Research  15  (8):  764-76 ;  Cohen.  2000.  « Oxidative

Stress, Mitochondrial Respiration, and Parkinson’s Disease ». Annals of the New York Academy of

Sciences 899 (1): 112-20 ; Henchcliffe et Beal. 2008. « Mitochondrial Biology and Oxidative Stress

in Parkinson Disease Pathogenesis ». Nature Clinical Practice Neurology 4 (11): 600-609.


 

 

 

L’alerte énumère les maladies associées à une déficience génétique en SDH, suggérant qu’une exposition aux SDHI pourrait conduire aux mêmes pathologies ; d’autres maladies avec une composante mitochondriale (maladie de Parkinson, maladie de Huntington, ataxie de Friedreich) sont également citées.

 

Le 24 mai 2018, l’ANSES a mis en place un « groupe d’expertise collective d’urgence » (GECU) afin d’étudier l’alerte et d’en estimer la pertinence, au regard de la littérature scientifique disponible et de toutes les données sur les SDHI dont dispose l’Agence, dans le cadre des dossiers d’autorisation de mise sur le marché et de la phytopharmacovigilance.

 

Validé à la mi-décembre 2018, le rapport du groupe d’expertise collective d’urgence a considéré que les informations et hypothèses scientifiques   apportées   par   les   lanceurs   de   l’alerte   n’apportaient   pas

« d’éléments en faveur d’une exposition qui n’auraient pas été pris en compte dans l’évaluation des substances  actives concernées ». Cependant,  leurs travaux mettaient en évidence des « incertitudes résiduelles sur des risques qui auraient pu ne pas être pris en compte dans l’évaluation des substances actives concernées », justifiant l’énoncé de plusieurs recommandations.

 

L’avis publié par l’Agence le 15 janvier 20191 a endossé les conclusions et recommandations du groupe d’expertise collective et a écarté l’existence « d’éléments en faveur de l’existence d’une alerte  sanitaire  qui conduirait au retrait des autorisations de mise sur le marché actuellement en vigueur conformément aux cadres réglementaires nationaux et européens ».

 

La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe), sollicitée par le groupe de chercheurs en avril 2019, a rendu un avis relatif au traitement de l’alerte par l’ANSES en novembre de la même année2. Celui-ci, éclairé par l’avis de deux toxicologues indépendants, a salué la bonne gestion de l’alerte par l’Agence avec la mise en place du GECU, par le signalement auprès de l’autorité européenne compétente (EFSA) ainsi que des autres agences européennes, dans le contexte d’une réévaluation de plusieurs de ces substances actives, et le financement de travaux de recherche pour approfondir les questions soulevées.

 

 

 

 

 

 

1           https://www.anses.fr/fr/content/fongicides-inhibiteurs-de-la-succinate-

d%C3%A9shydrog%C3%A9nase-sdhi-l%E2%80%99anses-pr%C3%A9sente-les-   r%C3%A9sultats-de

2               https://www.alerte-sante-environnement-deontologie.fr/actualites/article/avis-sur-le-signalement-   de-possibles-risques-lies-a-l-utilisation-de-fongicides


 

 

 

 

  1. Une discordance entre les avisune différence de méthode

 

L’audition a permis d’entendre, d’une part, les porteurs de l’alerte, qui considèrent que leurs résultats, et ceux d’autres équipes de recherche1, devraient entraîner un retrait du marché des fongicides à base de SDHI par application du principe de précaution et, d’autre part, l’autorité sanitaire qui estime que l’évaluation du risque associé à ces substances est, à ce stade, inchangée.

 

C’est sur leur bonne connaissance des maladies mitochondriales, maladies complexes, et sur l’hypothèse d’une origine mitochondriale à plusieurs maladies neurologiques graves que les porteurs de l’alerte fondent leurs craintes. Leurs arguments reposent sur des démonstrations réalisées in vitro, sur extrait enzymatique et sur cellules en culture. Ils indiquent que des effets délétères des SDHI sur des organismes non-cibles, dont l’homme, sont possibles, dans la mesure ces substances sont capables d’inhiber la succinate déshydrogénase d’autres espèces dans les conditions expérimentales choisies.

 

Une extrapolation de ces résultats à l’exposition réelle d’un organisme entier est actuellement impossible2 et nécessiterait à tout le moins de plus amples investigations. En effet, on ne peut pas assimiler des résultats obtenus dans le cadre d’une recherche fondamentale, in vitro, et le résultat de tests toxicologiques effectués dans le but d’évaluer le risque associé à des substances. Ces derniers, réalisés dans des conditions réglementées sous l’égide de la Commission européenne et de l’OCDE, étudient notamment la toxicité des substances de manière intégrée, sur organisme entier (rat) et ce, tout au long de sa durée de vie3. L’appréciation du risque est conduite de manière à ce que les conditions réelles d’exposition soient simulées et examine plusieurs paramètres, tels que la cinétique d’absorption ou d’élimination de la substance.

 

 

 

1 Graillot et al. 2012. « Evidence of the in Vitro Genotoxicity of Methyl-Pyrazole Pesticides in Human Cells ». Mutation Research/Genetic Toxicology and Environmental Mutagenesis 748 (1):

8-16 ; Qian et al. 2019. « Effects of Penthiopyrad on the Development and Behaviour of Zebrafish in Early-Life  Stages ».  Chemosphere  214 :  184-94 ;  Simon-Delso  et  al.  2018.  « Time-to-Death

Approach to Reveal Chronic and Cumulative Toxicity of a Fungicide for Honeybees Not Revealed

with   the   Standard   Ten-Day   Test ».   Scientific   Reports   8   (1):   1-11 ;   Wang   et   al.   2020.

« Characterization  of  Boscalid-Induced  Oxidative  Stress  and  Neurodevelopmental  Toxicity  in

Zebrafish Embryos ». Chemosphere 238 : 124753 ; Yao et al. 2018. « The Embryonic Developmental

Effect of Sedaxane on Zebrafish (Danio Rerio) ». Chemosphere 197 : 299-305.

2  « Le lien entre un effet inhibiteur des fongicides sur l’activité de la SDH et une induction de

pathologie chez l’homme n’est pas recevable » a estimé l’un des toxicologues indépendants du Comité

de la prévention et de la précaution sollicités par la cnDAspe, cité par l’ANSES pendant l’audition.

3 Pour plus de détails, voir le rapport précité « Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance », par Philippe Bolo, Anne Genetet, députés, Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias, sénateurs.


 

 

 

 

L’Agence convient que les tests in vitro actuels sont effectivement réalisés dans des conditions qui ne permettent pas de révéler un effet néfaste des SDHI. Elle estime cependant que l’utilisation d’un modèle animal entier intégrant tous les mécanismes de toxicité susceptibles d’avoir lieu dans l’organisme reste valable pour évaluer le risque associé à ces substances.

 

Également, les experts ont conclu que certains points soulevés par les chercheurs relevaient de questions toujours débattues dans la communauté scientifique, à savoir l’« effet cocktail », caractérisant le fait que les conséquences sanitaires de l’exposition à plusieurs molécules pourraient être plus grandes que la somme des expositions à ces différentes substances, ou bien la possibilité que des effets cancérigènes existent sans qu’ils soient dus à des mutations de l’ADN (génotoxicité). Même si ces hypothèses ont des fondements scientifiques, il n’existerait pas à ce jour de « méthode scientifique reconnue, rigoureuse et reproductible » permettant d’évaluer ces effets.

 

 

 

  1.   Des questions scientifiques qui méritent un approfondissement et une prise en compte au niveau international

 

Les résultats publiés par les chercheurs dans la revue PLOS One soulèvent plusieurs points intéressants. Premièrement, l’utilisation de conditions expérimentales restrictives permet de mettre en évidence une toxicité mitochondriale relative à la chaîne respiratoire. Bien que ces conditions ne soient pas représentatives des conditions réelles d’exposition aux SDHI, il pourrait être utile d’inclure des tests spécifiques de mitotoxicité à la batterie de tests réglementaires concernant les substances pour lesquelles une exposition serait susceptible de constituer un risque d’atteinte mitochondriale.

 

Deuxièmement, la même atteinte mitochondriale n’ayant pas les mêmes répercussions sur la survie des cellules, selon qu’elles soient saines ou issues d’un patient dont la maladie est associée à une fragilité mitochondriale, il y a lieu d’étudier la possibilité que les tests réglementaires soient également réalisés sur des tissus provenant d’organismes sensibles.

 

Troisièmement, un résultat suggère que les SDHI induisent une augmentation du stress oxydant au sein des cellules. Il mériterait validation et approfondissement par d’autres travaux, puisqu’il est admis qu’un excès de stress oxydant puisse être délétère.

 

Les chercheurs ont manifesté d’autres inquiétudes, qui, sans avoir été à ce stade appuyées par des résultats expérimentaux,  appellent également  un  approfondissement.  Ainsi,  l’audition  a  été  l’occasion  de


 

 

 

constater  la  nécessité  que  la  recherche  avance  sur  des  questions  qui dépassent celle des SDHI :

 

-  la thèse d’un effet cocktail relatif aux expositions multiples, via l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons ou les aliments que nous ingérons, que des travaux tentent de modéliser par la notion d’exposome ;

 

-  et la thèse de mécanismes cancérigènes qui ne relèvent pas de la génotoxicité, mais qui seraient dus à des mécanismes épigénétiques.

 

Les conclusions du rapport de l’Office sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences ont rappelé qu’il  est nécessaire que la science réglementaire tienne compte des avancées de la recherche fondamentale, comme cela a été le cas pour les perturbateurs endocriniens. Cet ajustement doit être fait en continu, mais sur des bases scientifiques solides, qui renvoient au temps long de la recherche.

 

L’Office salue l’implication de l’ANSES dans le financement de projets de recherche sur l’existence d’effets cancérigènes non mutagènes1. L’Office salue également l’implication des organismes de recherche français sur la question plus large de l’exposome, et encourage le développement de tests rigoureux, fiables et validés par la communauté scientifique pour mesurer l’impact des expositions multiples.

 

L’Office recommande de solliciter l’OCDE afin que le Groupe de travail sur les produits chimiques, les pesticides et la biotechnologie étudie la pertinence d’incorporer des tests spécifiques de mitotoxicité aux tests réglementaires, et la possibilité de définir des groupes à risques pour chaque catégorie de substances phytopharmaceutiques, voire chaque catégorie de substances chimiques, qui pourraient donner lieu à des tests supplémentaires.

 

 

 

  1. Conclusions

 

Le groupe d’experts sollicité par l’ANSES a conclu qu’il n’était pas légitime de retirer de façon préventive les autorisations de mise sur le marché des fongicides SDHI, estimant, début 2019, qu’il n’y avait pas de signal qui n’aurait pas été pris en compte dans l’évaluation du rapport bénéfice/risques des substances actives. Il a d’ailleurs été rappelé par Francelyne Marano pendant l’audition, que les fongicides sont utilisés en

 

1 Notamment, le financement d’un projet mené par Xavier Coumoul et Laurence Huc, co-auteure de la publication dans la revue PLOS One, faisant actuellement l’objet d’une thèse de doctorat intitulée : « Impact des fongicides SDHi sur les régulations épigénétiques et la reprogrammation métabolique : rôle dans la tumorigenèse ? »


 

 

 

 

agriculture pour lutter contre des champignons qui peuvent être toxiques pour l’homme, mais l’intérêt des SDHI n’a pas été précisément examiné lors de cette audition.

 

Les travaux du groupe de chercheurs soulèvent des points intéressants, dont certains nécessitent d’être validés et approfondis. Ils ne semblent toutefois pas suffisants pour légitimer une alerte sanitaire à la hauteur des craintes exprimées par voie de presse.

 

La science doit avancer sur l’effet cocktail et sur les mécanismes cancérigènes non mutagènes : elle doit augmenter l’étendue des connaissances sur ces effets et développer des tests fiables et rigoureux qui permettent de les tester.

 

L’Office recommande que les toxicologues responsables de l’établissement des lignes directrices à l’échelle internationale se saisissent pleinement des potentiels effets mitotoxiques des substances phytopharmaceutiques, afin de mieux les évaluer et de mieux protéger les populations qui pourraient y être sensibles.


 

 

 

TRAVAUX DE L’OFFICE

 

 

 

I.     COMPTE  RENDU  DES  AUDITIONS  PUBLIQUES  DU  23  JANVIER 2020

 

  1. AUDITION DE MME FRANCELYNE MARANO, PROFESSEUR ÉMÉRITE DE BIOLOGIE CELLULAIRE ET DE TOXICOLOGIE À L’UNIVERSITÉ PARIS-DIDEROT, MEMBRE DU HAUT CONSEIL DE LA  SANTÉ PUBLIQUE

 

  1. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. Bienvenue à tous pour cette matinée d’auditions, dont je vous rappelle qu’elle est publique. Les auditions peuvent être regardées en direct sur le site Internet du Sénat. Elles font également l’objet d’une publication sur Facebook. Les internautes ont la possibilité de poser des questions à partir de la plateforme dont les coordonnées vous sont données sur notre site.

 

Le sujet qui nous réunit ce matin est sensible, c’est celui des SDHI, ou inhibiteurs de succinate déshydrogénase.

 

L’origine de cette audition est une demande de la présidente de la commission du développement  durable  de  l’Assemblée  nationale, Madame Barbara Pompili, qui a souhaité que nous examinions ce sujet suite à des tribunes publiées dans la presse par des chercheurs appelant à la suspension de l’utilisation de pesticides agricoles contenant des SDHI, tandis que l’Agence  nationale  de sécurité  sanitaire  de  l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), chargée de l’évaluation du risque associé à ces pesticides, considère que le sujet ne fait pas l’objet d’une urgence absolue.

 

Avec Cédric Villani, nous avons souhaité organiser cette audition publique afin que l’interrogation puisse progresser et que les personnes auxquelles cette question pose souci puissent bénéficier de l’éclairage de l’Office parlementaire.

 

L’Assemblée nationale a entendu le directeur général de l’ANSES le 6 novembre dernier dans le cadre d’un groupe d’études. Ces travaux ne bénéficient pas d’un compte rendu officiel. Pourtant, un compte rendu a été diffusé dans la presse, suscitant de nouvelles interrogations. Très clairement, un débat public inorganisé s’est ouvert. Nous avons décidé de faire un débat public plus organisé.


 

 

 

 

Le thème des risques sanitaires et environnementaux liés à l’agriculture est extraordinairement sensible. Nous le savons très bien à l’Office puisque nous avons traité ce sujet en mai 2019 dans un rapport signé par quatre de nos collègues. Ce n’est pas le glyphosate en tant que tel que nous avions analysé, mais le fonctionnement des agences et des dispositifs d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux en France et en Europe. Nous avions mis en évidence les difficultés à trouver le chemin de la confiance entre scientifiques, politiques et société civile. À cette occasion, nous avions évoqué la question des SDHI. Nous avions rappelé que l’ANSES s’était mobilisée en déclenchant une expertise d’urgence, dont le rapport publié en début d’année 2019 concluait à l’absence d’alerte sanitaire justifiant un retrait du marché des SDHI.

 

Différentes auditions nous attendent ce matin, dans un esprit pacifique. Nous avons estimé qu’il serait plus intéressant d’entendre les intervenants les uns après les autres, tant la tension peut être forte. Nous entendrons ceux qui ont attiré l’attention de l’opinion sur les dangers éventuels des SDHI, à savoir Pierre Rustin et Paule Bénit, ainsi que des représentants de l’ANSES,  dont son directeur général Roger Genet. Nous avons également la chance d’avoir parmi nous Francelyne Marano, professeur émérite de biologie cellulaire et de toxicologie,  qui  nous apportera son appui et son regard d’expert, alors que les SDHI pourraient remettre en cause les conditions de la respiration cellulaire.

 

Nous organisons cette audition pour que certaines personnes puissent s’exprimer. Il est donc très important que nous les écoutions. Nous ne sommes pas une agence d’évaluation. Nous n’avons pas à refaire le travail des organismes européens et français. La seule vraie question qui se pose à nous est la suivante : les mécanismes d’évaluation des risques tels qu’ils sont aujourd’hui mis en œuvre sont-ils suffisamment adaptés et pertinents ?

 

Avant de céder la parole à Madame Marano, je me tourne vers Cédric Villani, qui est très impliqué dans la réflexion sur les pesticides et la place des SDHI. Cédric Villani est bien mieux placé que moi pour faire un point de situation sur le débat qui s’est ouvert à l’Assemblée nationale.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Monsieur le Président, vous avez dit l’essentiel dans votre discours introductif. Nous sommes sur un sujet essentiel, qui s’inscrit dans le débat général sur l’agriculture et la nécessaire transition vers une réduction des pesticides et des fongicides. Le débat public s’est fait de manière désorganisée et passionnée, avec des lettres ouvertes, des tribunes et des saisines. Nous savons à quel point le rôle et la légitimité des agences européennes ou nationales ont été particulièrement discutés ces dernières années. Personne ne conteste le fait qu’il faille des organismes capables d’émettre des avis en réactivité de manière satisfaisante.  Il  en  va  de  notre  rôle  de  contrôler,  d’évaluer  et  de  faire  des


 

 

 

recommandations sur la place de ces organismes. Ce débat s’inscrit aussi dans le contexte d’une réflexion sur l’intégrité scientifique. Il est important de rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions d’évaluation.

 

Nous allons aujourd’hui entendre parler de choses extrêmement techniques. Pour certains d’entre nous, ce sont des lointains souvenirs de collège. Pour d’autres, ce sont des questions de culture scientifique passionnantes. N’oublions pas que derrière, il y a un débat citoyen et des enjeux de santé publique. Il nous faudra nous livrer à l’exercice délicat de comprendre et d’interroger des experts sur des sujets techniques, tout en gardant en tête la nécessité de prendre les meilleures décisions pour le débat public et de faire en sorte que le débat puisse être compris et entendu par tous les citoyens.

 

Les saisines sont venues de plusieurs origines. Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, a tenu à mettre ce débat sur la table. J’ai eu l’occasion de rencontrer Pierre Rustin, qui m’a fait part de ses découvertes et inquiétudes. Nous avons aussi été saisis par nos collègues Pierre Laurent et Pierre Dharéville. Une lettre de 4 pages fait partie du dossier. Notre collègue Loïc Prud’homme s’est également mobilisé.

 

Le sujet est dans l’air du temps. Plusieurs prises de position nous ont incités à le mettre sur la table de l’OPECST. Nous sommes toujours prêts à mettre de tels sujets sur la table. Cette audition est ouverte au public. Je me chargerai de recenser et de relayer les questions que poseront les internautes.

 

Je n’ai rien de plus à dire. Nous pouvons nous lancer dans le débat.

 

Mme Francelyne Marano, professeur émérite de biologie cellulaire et de toxicologie à l’université Paris-Diderot, membre du Haut Conseil de la santé publique. Merci à tous. C’est un grand honneur pour moi de participer à une telle audition. Il est très important que les experts puissent s’exprimer.

 

Je n’ai pas prévu de vous faire un cours de biologie cellulaire. Je m’efforcerai plutôt de vous présenter la place qu’occupe cette famille de fongicides que sont les SDHI dans les pesticides. Des autorisations de mise sur le marché ont été données pour certaines molécules de cette famille depuis très longtemps. Que faut-il faire lorsque de nouvelles données arrivent ? Que devons-nous faire de ces données ?

 

Je suis vice-présidente de la commission sur les risques environnementaux au Haut Conseil de la santé publique. Je fais également partie de la commission de prévention et de précaution du ministère de la transition écologique et solidaire. Nous avons été sollicités en tant que groupe d’experts pour répondre à la question suivante : que devons-nous


 

 

 

 

faire lorsqu’une alerte arrive après autorisation de mise sur le marché de molécules ?

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. L’équipe Rustin a dévoilé ses résultats expérimentaux dans une publication scientifique en novembre 2019. Le même mois, la Commission nationale déontologie et alerte en santé publique et environnement a réagi suite au signalement qui lui avait été adressé par Pierre Rustin, et a statué sur la façon dont l’alerte a été traitée par les autorités sanitaires.

 

Mme Francelyne Marano. Effectivement. Au CPP, il nous est demandé d’utiliser cet exemple pour regarder de quelle manière traiter ce type d’alerte.

 

Pour commencer, il m’a semblé nécessaire de replacer les fongicides, dont les SDHI, dans un ensemble. On ne sait pas toujours à quoi correspond le terme de pesticide. Les produits phytopharmaceutiques (ou phytosanitaires) sont utilisés pour la protection des plantes. C’est dans cette catégorie que l’on trouve les substances chimiques de synthèse, dont les fongicides et les SDHI, mais également les insecticides, les herbicides et d’autres produits. À côté de  cela, nous avons les produits biocides, dans lesquels on trouve des SDHI : désinfectants, produits de protection du bois, etc. Sous le terme de pesticide se cache tout un ensemble de familles et de molécules qui n’ont absolument pas les mêmes fonctions et qui ne sont pas utilisées dans le domaine agricole. C’est pourquoi les experts parlent de produits phytopharmaceutiques.

 

Dans les pesticides pris au sens large, ce sont les matières actives qui ont été étudiées dans le cas des publications et des  alertes  relatives  aux SDHI. Ces matières ont un effet direct sur la cible. Dans un pesticide, qu’il soit utilisé  en agrochimie  ou autre,  vous avez une  ou plusieurs matières actives. Vous avez également des adjuvants. Souvent, il n’en est pas tenu compte, alors qu’ils peuvent avoir des effets tout à fait importants. C’est par exemple le cas du glyphosate. Les publications de scientifiques ont souvent étudié les matières actives et pas les formulations, c’est le cas des travaux publiés récemment par l’équipe de Pierre Rustin.

 

Comment les produits phytopharmaceutiques sont-ils évalués sur le plan réglementaire ? Comment les autorisations sont-elles données ? Il existe évidemment un dossier sur leur efficacité. Il faut que ces produits soient efficaces sur la cible. Les risques pour le travailleur sont également évalués, de même que les risques pour le consommateur et l’environnement. Ainsi, les abeilles sont une cible particulièrement sensible. Tout ceci apparaît dans des règlements européens depuis 1991 ; des modifications ont été apportées en 2011. Ce travail est effectué par les agences nationales et européennes.


 

 

 

Depuis relativement peu de temps, la procédure européenne d’autorisation pour les fongicides, comme pour les autres produits phytopharmaceutiques et les biocides, se fait par zone. Il existe trois zones : nord, centre et sud ; la France appartient à la zone sud. Chaque État-membre formule ses propres demandes, mais in fine, l’autorisation de mise sur le marché des produits s’effectue au niveau européen.

 

Les fongicides qui sont utilisés en agrochimie et en agriculture luttent contre les pourritures qui attaquent les fruits, les légumes, la vigne, le blé, le maïs ou les semences. Ces moisissures sont des champignons unicellulaires, ou inférieurs, qui peuvent former des filaments. Ces champignons provoquent des maladies chez les plantes,  mais  également chez l’homme (par exemple les mycoses). D’ailleurs, des SDHI sont utilisés comme médicaments pour lutter contre les mycoses, mais ce ne sont pas ces catégories de molécules qui vont nous intéresser aujourd’hui. Les champignons inférieurs peuvent provoquer de graves intoxications chez l’homme. Les toxicologues connaissent très bien, et depuis longtemps, les mycotoxines, qui sont des substances produites par des champignons qui peuvent être extrêmement toxiques. En particulier, nous avons beaucoup étudié les aflatoxines, qui sont une famille de mycotoxines : ce sont les plus puissants cancérigènes du foie que nous connaissons. Il faut avoir conscience que la lutte contre les maladies d’origine fongique des végétaux peut être une protection de la santé humaine.

 

Les agriculteurs utilisent des fongicides pour lutter contre ces maladies. Il en existe de très nombreux. Tous ont une cible au niveau de la cellule. L’idée consiste à détruire les cellules qui constituent les moisissures qui attaquent les végétaux. Les SDHI appartiennent à la catégorie des inhibiteurs de la respiration cellulaire. Il existe également des inhibiteurs de la division cellulaire, des inhibiteurs de la biosynthèse des stérols, des perturbateurs de la synthèse des protéines et des perturbateurs du métabolisme des glucides. Il faut bien comprendre que bien que ce que l’on souhaite provoquer, c’est la mort de la cellule champignon, ces cibles cellulaires se retrouvent dans toutes les cellules du vivant. La question des SDHI relève donc d’un contexte général dans lequel d’autres cibles peuvent être tout aussi préoccupantes.

 

Les mitochondries sont ce qui nous permet de vivre. Elles sont l’usine à respiration de la cellule. Elles produisent ce que les biologistes nomment énergie cellulaire à partir du glucose et de l’oxygène. Une cascade de réactions conduit à la formation de molécules d’ATP, ces molécules hautement énergétiques qui sont utilisées dans toutes les réactions des fonctions cellulaires, notamment pour permettre la synthèse des protéines ou de l’ADN. Les réactions chimiques de la chaîne respiratoire conduisent à la formation de ces molécules ATP, ce sont ces réactions qui sont inhibées par les SDHI. On parle d’inhibiteurs de la chaîne respiratoire.


 

 

 

 

Les SDHI interviennent sur un élément, voire deux éléments pour les nouvelles molécules, de cette chaîne respiratoire : il s’agit du complexe II, avec une enzyme qui s’appelle la succinate déshydrogénase. Pour arriver jusqu’au complexe V, il existe une succession de réactions. Les molécules dites inhibiteurs du complexe II arrêtent la chaîne respiratoire : elles empêchent que la chaîne de réaction se fasse jusqu’au complexe V, celui qui est responsable de la production de la molécule hautement énergétique qu’est l’ATP.

 

Il existe toute une série de SDHI. Les premières ont été synthétisées en 1966. Il semblerait qu’elles ne soient plus guère utilisées. Des évolutions sont ensuite intervenues. Le mécanisme d’inhibition du SDHI sur l’enzyme est le suivant : la molécule chimique synthétisée par les chimistes (un des SDHI) se fixe sur l’enzyme et l’empêche de fonctionner. Il s’agit d’une compétition entre la molécule biologique qui est naturellement utilisée dans la chaîne respiratoire (le succinate) et le SDHI, et cette compétition est remportée par le SDHI.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Les mécanismes que vous évoquez ne sont pas du tout spécifiques aux champignons. Nous les retrouvons dans toutes les cellules eucaryotes.

 

Mme Francelyne Marano. Effectivement.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Des molécules peuvent-elles être autorisées uniquement dans certains pays ?

 

Mme Francelyne Marano. Oui. Je ne suis pas une spécialiste des SDHI, pas plus que des fongicides d’une manière générale. Je connais tout de même un peu le fonctionnement de la réglementation autour des pesticides. Certaines molécules peuvent être autorisées en France et pas dans d’autres pays. Cette question est plutôt à adresser à l’ANSES. Des molécules sont retirées en permanence, soit parce que les producteurs ne sont plus intéressés par leur commercialisation, soit parce que les autorités réglementaires en ont décidé ainsi car elles ont découvert de nouveaux problèmes.

 

De nouvelles molécules sont arrivées. Elles agissent sur le complexe II de la chaîne respiratoire, mais également sur le complexe III. Elles sont donc plus efficaces. Ces nouvelles molécules ont été complètement réévaluées. Ont-elles fait l’objet d’un dossier d’autorisation de mise sur le marché ou s’est-on contenté de compléter  les dossiers des anciennes molécules ? Je ne le sais pas. Il faudra poser cette question à Messieurs Genet et Mullot.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Nous le ferons.


 

 

 

Mme Francelyne Marano. Je terminerai mon propos avec l’évaluation toxicologique des produits phytosanitaires, dont les fongicides. Les tests réglementaires sont, dans leur grande majorité, effectués sur des animaux, même s’il a été question de méthodes alternatives dans le cadre d’un autre rapport de l’OPECST, dont les tests cellulaires de génotoxicité, qui sont très lourds.

 

Les tests réglementaires sont essentiellement effectués sur le rat. Ils permettent de déterminer les doses journalières admissibles (DJA), doses maximales sans effet pour la santé. Ce travail est effectué par des experts en commission. Tout le problème consiste à savoir si cette dose journalière admissible est suffisante. Ne se passe-t-il pas d’autres choses, à des concentrations inférieures à celles qui ont été déterminées au moment de l’autorisation de mise sur le marché ? Les molécules qui sont utilisées depuis de nombreuses années sont-elles réévaluées ?

 

La toxicologie réglementaire utilise surtout des méthodes in vivo. Les toxicologues « modernes » souhaitent que des mécanismes d’action soient introduits dans les évaluations réglementaires. Cela se fait déjà systématiquement dans le médicament. L’utilisation de méthodes in vitro et in silico est également de plus en plus demandée pour les phytosanitaires, de manière à éviter l’utilisation d’animaux dans les tests réglementaires.

 

Des études in vitro ont été réalisées dans le cadre des nouvelles données sur les SDHI. Ces études portent sur des cultures de cellules et des extraits cellulaires, ce qui pose la question de l’extrapolation de ces données obtenues in vitro à un organisme entier. Cela pose également la question de l’introduction de nouveaux tests, qui évalueraient la mitotoxicité, c’est-à-dire la toxicité spécifique des molécules pour la mitochondrie ? Ce débat dépasse largement la question des SDHI. Souvent, ces molécules n’agissent pas directement sur l’ADN. Elles peuvent  intervenir  dans la promotion de la cellule transformée, qui peut évoluer vers un mécanisme de cancérogénèse. Les effets épigénétiques nous intéressent particulièrement.

 

Merci de votre attention. J’espère ne pas avoir été trop technique.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Merci à vous pour cette présentation. Vous parlez d’évaluation in vivo et in vitro. Les évaluations posent également question d’un point de vue épidémiologique. J’aimerais vous entendre sur ce point.

 

Par ailleurs, vous parlez d’évaluation toxicologique. Avec les phytosanitaires, nous ne pouvons pas nier la question environnementale.


 

 

 

 

Mme Francelyne Marano. Je n’ai évoqué que la manière dont se fait l’autorisation de mise sur le marché de ce genre de molécule et ce qu’il se passe en cas d’alerte. On peut souhaiter ne pas en arriver jusqu’à une alerte épidémiologique. On pourrait se poser de graves questions si des effets adverses apparaissaient sur des populations humaines. Cela peut se produire. Nous l’avons vu avec les insecticides, avec des pathologies qui apparaissent chez les agriculteurs.  Il  faut vraiment éviter d’en arriver là,  d’où l’idée  de prendre en compte les alertes qui sont émises.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Les premiers SDHI datent des années 60. Nous devrions donc disposer d’un certain recul.

 

Mme Francelyne Marano. Bien sûr, mais je ne peux pas vous en dire beaucoup plus car je ne suis pas une spécialiste des SDHI.

 

Le volet environnemental est évidemment très important. Il est obligatoire d’en tenir compte dans la mise sur le marché de produits phytosanitaires. J’ai participé au Grenelle de l’Environnement en tant que représentante de l’État. J’y ai demandé la diminution de 50 % de l’utilisation des produits phytosanitaires.

 

M. Loïc Prud’homme, député. Je suis ce dossier de près. Selon la littérature internationale, il existe dix mécanismes biologiques de carcinogénicité.  Sont-ils  utilisés  en  toxicologie  réglementaire ?  Par  ailleurs, 8 SDHI sur 11 provoquent des tumeurs sans génotoxicité. Avez-vous une explication sur ce phénomène ?

 

Mme Francelyne Marano. Concernant la cancérogénicité, les dossiers réglementaires prévoient que des tests de mutagénèse sont effectués sur des bactéries et des cellules isolées. Ils visent à voir si la substance provoque des altérations du génome. Quelques tests in vitro sont obligatoires dans les dossiers de mise sur le marché.

 

L’étude de la cancérogénèse se fait également  in vivo,  en l’occurrence, sur le rat pendant deux ans. Selon le type de produit, elle peut se faire par voie orale ou respiratoire. Il n’existe pas de recherche  aussi précise que ce que vous venez de dire. En cas de doute, nous pouvons regarder s’il existe une perturbation. Ce n’est pas systématique. Je n’ai pas vu les dossiers de SDHI. Je ne sais donc pas ce qui a été recherché. Vous pourrez poser cette question à Monsieur Genet.

 

Il peut exister des molécules qui n’ont pas d’effet mutagène, donc qui n’agissent pas directement sur la molécule d’ADN, mais qui sont tout de même promoteur de tumeur. Il s’agit du second stade de la cancérogénèse, celui qui voit la cellule mutée devenir une cellule cancéreuse. Peut-être que


 

 

 

Monsieur Rustin pourra mieux vous répondre que moi concernant le rôle cancérogène des SDHI. Je ne sais pas si les SDHI agissent selon ce mécanisme.

 

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. C’est la raison pour laquelle je propose à présent aux membres de l’Office d’écouter Monsieur Rustin et Madame Bénit.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Juste avant, j’aimerais que nous évoquions une autre question de fond sur l’usage des fongicides. Cette question a été transmise par le public. Que pouvez-vous nous dire de la virulence et de l’impact sanitaire des toxines produites par les champignons, notamment en cas d’agriculture sans fongicides ?

 

Mme Francelyne Marano. Certaines moisissures produisent ces toxines. Ces moisissures ne sont pas forcément celles que ciblent les SDHI. Elles peuvent se développer dans des silos contenant des arachides. C’est pour cela que nous n’acceptons pas les importations d’arachides venant de certains pays d’Afrique subsaharienne. Ces mycotoxines sont particulièrement dangereuses pour la santé humaine. Il peut également y avoir des contaminations dans les silos à blé ou à maïs. Ces mycotoxines peuvent avoir des impacts sanitaires non- négligeables. Elles ont été découvertes dans les années 70-80. Nous avons beaucoup travaillé sur le sujet pour comprendre leur mécanisme d’action. De ce point de vue, il est utile de pouvoir protéger les semences qui sont utilisées pour l’alimentation, y compris animale.

 

M. Pierre Rustin, directeur de recherche émérite du CNRS. Permettez-moi d’intervenir sur cette question extrêmement importante. Pour lutter contre des micro-organismes, la voie chimique n’a de sens que lorsque l’infection est présente. Le traitement préventif crée un risque monstrueux de création de résistances, comme c’est le cas pour les antibiotiques utilisés chez l’homme. L’idée d’utiliser des pesticides pour lutter contre les micro- organismes de manière préventive n’est pas pertinente sur le long terme. Il existe d’autres techniques pour lutter contre la pourriture qui attaque les organismes végétaux. Il peut simplement s’agir d’aérer les milieux. Malheureusement, nous sommes passés en silos fermés, dans lesquels la pourriture des éléments est augmentée dans des proportions énormes. Il faut éviter au maximum d’utiliser des pesticides pour lutter contre les toxines. Sur le long terme, cela se révèlera catastrophique.


 


 

 

 

 

 

  1. AUDITION DE M. PIERRE RUSTIN, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS, ET MME PAULE BÉNIT, INGÉNIEURE DE RECHERCHE À L’INSERM, AUTEURS D’UNE PUBLICATION SCIENTIFIQUE CONCLUANT À UN RISQUE POUR LES ORGANISMES EXPOSÉS AUX SDHI

 

  1.        Gérard Longuet,  sénateur,  président  de  l’Office. Monsieur Rustin, vous avez publié récemment un travail qui conclut à un risque pour les organismes exposés aux SDHI. Pouvez-vous nous en parler plus précisément ?

 

M. Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS. Tout ce que je vais vous dire est public et scientifiquement solide. J’ai préparé à votre attention un dossier avec toutes les références scientifiques. Tellement de choses sont dites que nous ne savons plus ce qui a une validité scientifique réelle.

 

Les SDHI sont des agents qui bloquent la respiration cellulaire qui se déroule dans les mitochondries. Toutes les cellules vivantes possèdent des mitochondries en nombre extrêmement variable (d’une  dizaine  à  plus  de 10 000). Ces mitochondries sont actives ou non. Il est  extrêmement compliqué de connaître le fonctionnement des  mitochondries.  Les chercheurs, qui travaillent sur le sujet depuis 70 ans, n’ont découvert qu’une petite partie des fonctions mitochondriales. De nouvelles fonctions apparaissent en permanence.

 

Les aliments que les êtres vivants absorbent sont détruits en petits composés. Ces petits composés sont dirigés vers la mitochondrie dans les cellules. L’énergie contenue dans les aliments et libérée par la mitochondrie est utilisée pour dégager de la chaleur et, pour une partie minoritaire de l’énergie, synthétiser la molécule d’ATP. Elle est utilisée dans tout l’organisme pour assurer les fonctions vitales (cœur, cerveau, muscles), on voit donc l’importance des mitochondries. Elles peuvent d’ailleurs contrôler la mort cellulaire. En outre, beaucoup de gènes mutés produisent des cancers par l’intermédiaire des fonctions mitochondriales.

 

Venons-en maintenant à l’action des SDHI sur les mitochondries de tous les organismes. Une chaîne respiratoire est composée de cinq complexes qui travaillent de concert. Les SDHI bloquent le complexe II de la chaîne respiratoire. Nous connaissons très bien ce complexe, qui est probablement celui qui a été le mieux décortiqué. Nous connaissons notamment le site de fixation des SDHI sur l’enzyme. Nous savons dans le détail qui intervient, et à quel endroit.

 

Lorsque les SDHI se fixent sur la succinate déshydrogénase, trois conséquences sont possibles : une diminution de la production  de  l’ATP dans  la  chaîne  respiratoire ;  une  production  d’ions  superoxydes ;  une


 

 

 

accumulation de succinate. Ces trois conséquences sont mêlées ; elles peuvent être variables selon le niveau de blocage de la SDH. Un petit bocage de la SDH se traduira essentiellement par la production de superoxydes. Un blocage un peu plus important affectera également la production d’ATP. Un blocage total de la SDH entraînera une accumulation de succinate. Néanmoins, un blocage partiel peut être plus dangereux qu’un blocage total.

 

Nous sommes des biochimistes et des généticiens, pas des toxicologues. Pour un scientifique, il n’est pas très « intéressant » de travailler sur la SDH. Le problème vient de ce que nous ne connaissons pas les maladies mitochondriales. Jusqu’en 1980-1985, ces maladies n’existaient pas dans les livres. Elles étaient considérées comme impossibles car non viables. Par la suite, la génétique a explosé. Elle a démontré qu’il existait de nombreuses mutations, dans de nombreux gènes, qui étaient à l’origine de maladies mitochondriales. L’idée selon laquelle ces maladies étaient impossibles s’est avérée complètement fausse. Les maladies mitochondriales peuvent être rares ou fréquentes. Elles touchent tous les organes et peuvent intervenir à tous les âges de la vie. Des maladies neurologiques fréquentes (Alzheimer, Parkinson) sont directement associées à une manipulation anormale de l’oxygène par les mitochondries, générant du stress oxydant, qui joue un grand rôle dans ces maladies. Or, nous n’avons aucune thérapie pour ces maladies et nous ne comprenons rien à leur évolution, qui peut être très lente ou très rapide. Les maladies mitochondriales sont effrayantes.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Quel est le niveau de consensus de la communauté scientifique sur ce point ?

 

M. Pierre Rustin. Il est total sur le fait que nous ne connaissons pas grand-chose aux maladies mitochondriales. Les congrès sont toujours de cet ordre. En revanche, nous connaissons beaucoup de gènes. Nous avons nous-mêmes été impliqués dans la description des premiers gènes causant des maladies mitochondriales. La première mutation du gène de la succinate déshydrogénase causant une maladie mitochondriale a été mise en évidence en 1985. Notre problème tient au fait que nous ne comprenons rien à l’évolution de ces maladies. C’est en réfléchissant au sujet que nous en sommes venus aux SDHI. Nous avons commencé à chercher des facteurs qui pourraient intervenir dans l’évolution de ces maladies. Paule Bénit m’a suggéré de regarder  au niveau de l’environnement. En utilisant un moteur de recherche  pour rechercher des inhibiteurs de la respiration mitochondriale dans l’environnement, nous avons réalisé que nous en utilisions comme pesticides à grande échelle. C’est ainsi que nous sommes arrivés aux SDHI. Sachant ce que nous connaissions sur  la SDH, nous sommes tombés de nos chaises. Nous avons immédiatement appelé l’ANSES. J’étais convaincu que l’ANSES se saisirait instantanément de ce problème.


 

 

 

 

Parmi les trois conséquences possibles d’un blocage de la succinate déshydrogénase, la baisse de la production d’ATP crée un certain type de maladies chez l’homme (neurologiques, myopathies, atteintes rénales). La création de superoxydes crée essentiellement des maladies neurologiques, avec une carcinogénèse liée à des mutations de l’ADN. Enfin, le blocage total de la succinate déshydrogénase, qui est peu probable avec les SDHI, aboutit à des cancers très particuliers.

 

M. Jean-Luc Fugit, député. De quels cancers est-il question ? Le lien est-il certain ?

 

M. Pierre Rustin. Pour le moment, il s’agit de cancers des voies neurologiques, ils surviennent pour des mutations identifiées. Ils sont extrêmement rares car il faut bloquer complètement les enzymes, mais leurs mécanismes sont très intéressants pour les chercheurs. Le sujet est fascinant pour les scientifiques, mais il n’a probablement pas un grand intérêt du point de vue des SDHI. Les superoxydes et la cancérogénèse classique sont plus intéressants. Les SDHI produisent des superoxydes. Ce point a été mesuré et démontré. Avec des superoxydes dans le système, tout peut arriver en termes de cancer. Personne ne pourra dire le contraire.

 

La SDH est conservée extrêmement fortement au cours de l’évolution. Tous les gènes qui codent pour cette enzyme sont les mêmes quels que soient les organismes, du champignon jusqu’à l’homme. Les alignements de séquences sont spectaculaires car ils montrent l’analogie de tous les gènes dans tous les organismes. On peut logiquement prédire que les SDHI bloqueront la SDH de tous les organismes. Je ne connais pas d’inhibiteur de la SDH qui soit spécifique à un organisme.

 

Certains pesticides sont très spécifiques aux champignons, ils ne présentent donc pas de danger pour l’homme. Cela ne vaut pas pour les SDHI, qui ne présentent aucune spécificité. Nous le savons depuis 44 ans. Or ce point n’est jamais évoqué, que ce soit par les firmes qui les commercialisent ou par l’ANSES.

 

Nous avons simplement vérifié que les SDHI bloquaient la succinate déshydrogénase dans de  nombreuses  espèces.  Nous  avons  étudié  8  des 11 SDHI utilisés en France, sachant que les doses sont extraordinairement difficiles à contrôler, en particulier dans les différents tissus humains. Les SDHI sont des molécules hydrophobes qui s’accumulent très spécifiquement dans l’organisme.

 

Nous avons ensuite étudié la toxicité des SDHI pour les cellules humaines avec une approche particulière. Si vous mettez du glucose dans les cultures cellulaires, les cellules n’ont plus besoin de leurs mitochondries car elles peuvent générer de l’ATP directement à partir du glucose. En retirant le


 

 

 

glucose, la croissance et la survie cellulaires dépendent des mitochondries, on peut donc savoir si un composé est toxique pour les cellules, via les mitochondries. C’est ainsi que nous sommes arrivés à la conclusion que les SDHI étaient catastrophiques pour les cellules humaines. Les SDHI entraînent la mort cellulaire dès lors qu’il n’y a pas de sucre dans le milieu. Or les tests réglementaires sont réalisés en présence de sucre. Ces tests n’ont donc aucune valeur.

 

Les superoxydes dismutases sont des enzymes marqueurs de la production de superoxydes, responsable du stress oxydant. Les SDHI induisent-ils les superoxydes dismutases ? Les cellules se mettent-elles à accumuler des défenses contre les superoxydes ? La réponse est positive. Les cellules humaines  traitées avec  des SDHI détectent  la production de superoxydes, d’où une induction de la superoxyde dismutase. Indépendamment du blocage ou non de la respiration, les SDHI créent un problème majeur car ces superoxydes sont hautement cancérigènes. Les expériences faites avec glucose n’ont aucun rapport avec la mort cellulaire ou la respiration.

 

Or, des parties de la population sont surexposées aux SDHI. J’étais convaincu que l’ANSES s’emparerait du sujet et prendrait des mesures immédiatement. Il n’en a rien été. Les SDHI ne présentent pas de spécificités en termes d’espèces ou de cibles. Les SDHI de nouvelle génération bloquent de nouveaux composants de la chaîne respiratoire.

 

Les tests réglementaires tels qu’ils sont réalisés n’ont pas de valeur. C’est également le cas de la plupart des modèles qui sont utilisés avec des rongeurs. Les cancers liés à la SDH sont liés à l’épigénétique, et pas du tout à de la mutagénèse classique. Les SDHI sont parfaitement capables d’induire des tumeurs chez le rongeur, mais ce ne sont pas les mêmes tumeurs que chez l’homme, et nous ne sommes pas capables d’induire chez le rongeur les tumeurs telles que nous les observons chez l’homme. Il ne sert donc à rien d’utiliser des rongeurs pour étudier la cancérogénicité des molécules.

 

Des molécules ayant subi les mêmes tests que les SDHI ont déjà été retirées. Elles visaient également la respiration et présentaient une toxicité identique, si ce n’est qu’elles impactaient le complexe I et non le complexe II. Ces substances, qui étaient utilisées comme insecticides, avaient passé les tests sans aucun problème. Elles ont été arrêtées lorsqu’il est apparu qu’elles avaient déclenché une vague de maladies de Parkinson.

 

Monsanto donne une information mensongère aux agriculteurs. Quand on traite un champ de colza avec du SDHI, leur publicité donne l’impression que le rendement du champ augmente quasiment de moitié. En réalité,  cette  impression  d’un  effet  spectaculaire  n’est  pas  vraie  du  tout,


 

 

 

 

puisque la variation est de 2 à 3 %, et il n’existe même pas d’écart type. L’image qui est présentée aux agriculteurs est donc totalement mensongère.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. La présentation des chiffres est importante. Ce que vous venez de montrer est clairement une escroquerie de présentation.

 

M. Loïc Prud’homme, député. Je voudrais revenir sur la non- spécificité des SDHI, qui est revendiquée par les firmes elles-mêmes. Qu’en est-il réellement de cette non-spécificité ? Concerne-t-elle uniquement les SDHI ou faut-il avoir le même niveau d’inquiétude pour l’ensemble des pesticides ?

 

M. Pierre Rustin. À des doses énormes, les pesticides ne sont plus spécifiques. À des faibles doses, ils présentent un certain degré de spécificité que nous n’avons pas avec les SDHI.

 

Mme Francelyne Marano. Les fongicides ont différentes cibles. Il n’y a pas que la mitochondrie. Il peut également y avoir la division cellulaire ou la membrane. Ces cibles se retrouvent de manière systématique dans toutes les cellules eucaryotes. C’est une question de cinétique dans l’organisme. L’organisme humain est complexe. Il ne présente pas la même cinétique d’absorption et d’élimination qu’un organisme unicellulaire comme une moisissure. Ce point est pris en compte.

 

Les insecticides ont des cibles que l’on retrouve chez l’homme. En revanche, les herbicides ont des cibles spécifiques aux végétaux. La problématique est donc différente. Des études toxicologiques ont tout de même été effectuées pour évaluer l’impact des herbicides chez l’homme.

 

M. Loïc Prud’homme, député. L’argument de la non-spécificité des SDHI est donc valide.

 

Mme Francelyne Marano. C’est toute la problématique de l’utilisation de molécules chimiques qui ciblent des fonctions cellulaires qu’on retrouve chez tous les organismes vivants. C’est également une question de relation dose-effet. Ce débat important dépasse très largement la question des SDHI.

 

M. Pierre Rustin. Pas forcément. Les pathologies mitochondriales sont extrêmement compliquées. Leur évolution est très lente. Tout n’est pas équivalent. Ce n’est pas la même chose de bloquer la réplication de l’ADN et de bloquer partiellement une fonction mitochondriale. Les conséquences sont complètement différentes sur les pathologies et leur évolution. Tous les biochimistes ne connaissent pas les mitochondries. Les pathologies mitochondriales sont très compliquées.


 

 

 

Mme Florence Lassarade, sénatrice. En Gironde, région dont je suis issue, les viticulteurs peuvent difficilement se passer de ce type de substance. Existe-t-il une épidémiologie des maladies mitochondriales par région ?

 

M. Pierre Rustin. Je n’ai pas de compétence particulière pour répondre à cette question. De nombreuses agricultrices qui ont perdu leur mari m’ont écrit, mais je ne sais pas quelle est la valeur épidémiologique. Je ne sais pas si le sujet a été étudié. Il serait extrêmement difficile d’avoir des certitudes sans connaître les taux d’exposition des personnes.

 

Mme Francelyne Marano. L’INSERM a été sollicité pour une révision de l’expertise collective sur les pesticides, qui date de 2013. Toutes les pathologies associées à l’exposition aux pesticides ont été prises en compte. Cette révision est quasiment terminée. Elle sera vraisemblablement  publiée dans les 2 à 3 mois. Vous disposerez alors de données plus précises sur l’exposition aux phytosanitaires. Toutefois, je ne crois pas que les  données seront présentées par région.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. D’un côté, Monsieur Rustin nous explique que les SDHI ne présentent aucune spécificité. Ils s’attaquent à toutes les mitochondries, quels que soient les organismes. D’un autre côté, si les SDHI s’attaquaient aux espèces cultivées, ils ne seraient pas utilisés. Comment les SDHI peuvent-ils davantage impacter les champignons indésirables que les cultures elles-mêmes ?

 

Je vous livre d’autres questions posées par les internautes. Elles sont très variables et je vous les donne en l’état. Qui finance le site endsdhi.com, et pour quel montant ? La science est-elle crédible quand son contributeur s’allie à des associations militant pour l’interdiction des seuls pesticides de synthèse ?

 

Pensez-vous qu’il faille  remettre en cause toutes les autorisations délivrées par l’ANSES, ou cela ne concerne-t-il que les autorisations relatives aux SDHI ?

 

Enfin, pourquoi faire une équivalence entre exposition aux SDHI et maladies mitochondriales qui impliquerait une inhibition de toutes les SDH de l’organisme ? Quel serait le déclencheur ?

 

M. Pierre Rustin. Une plante est recouverte d’une cuticule de cire qui contient des petits pores qui permettent des échanges gazeux. Lorsqu’il pleut la nuit, les SDHI descendent dans le sol au lieu de se déposer sur les feuilles, qui sont imperméables. Dès lors, les racines pompent les SDHI et le blé meurt. Les végétaux résistent aux SDHI car ils sont relativement imperméables à tout. En revanche, ils meurent s’ils pompent les pesticides par les racines.


 

 

 

 

Mme Francelyne Marano. Les feuilles peuvent également absorber directement durant la journée. Elles ne sont pas imperméables.

 

M. Pierre Rustin. Il faut le montrer. J’ai travaillé pendant 10 ans sur le kalanchoe, qui est une plante du désert, et sur la capacité de ses feuilles à avoir des échanges gazeux. Les plantes résistent car la plupart des choses qu’elles absorbent passent par les racines.

 

C’est moi qui finance le site endsdhi.com. Je paie 1,50 euro par mois.

Le site a été fabriqué par mon fils. Je le mets moi-même à jour.

 

Je ne suis pas militant. Je ne suis membre d’aucun parti politique, ni d’aucune ONG. Je suis ce qu’on appelle un « rat de laboratoire ». Des gens ont donné un écho à ce qu’on a dit. Nous sommes ouverts à toute personne qui souhaite s’emparer du sujet. Des ONG l’ont fait. C’est très bien comme ça. Si d’autres veulent le faire, ce sera avec plaisir.

 

Mme Paule Bénit, ingénieure de recherche à l’INSERM. Au départ, nous avons contacté l’association Pollinis pour avoir de la visibilité. Ils nous ont apporté 10 000 euros de financement. C’est tout ce que nous avons reçu.

 

M. Pierre Rustin. L’inertie de l’ANSES nous a posé un problème de prise en charge de la question.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Quel est l’ordre de grandeur des budgets de fonctionnement que vous avez utilisés pour l’ensemble de vos recherches ?

 

M. Pierre Rustin. Nous avons dépensé moins de 10 000 euros pour les SDHI, hors salaires.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Les 10 000 euros qui ont été évoqués sont-ils une partie négligeable ou importante ?

 

M. Pierre Rustin. C’est beaucoup par rapport au petit matériel, mais négligeable par rapport à nos salaires sur 2 ans. Un laboratoire qui a l’habitude pourrait réaliser en 15 jours ou en un mois les expérimentations que nous avons faites sur les cellules. Il est inadmissible que l’ANSES, qui a été prévenue en 2017, n’ait pas renouvelé nos expérimentations dans ses laboratoires. Ils auraient pu répondre à la question de la non-spécificité en 15 jours. Leur rapport est d’une indigence monstrueuse. Il est inadmissible qu’une agence publique se soit comportée de la sorte. Sur une telle question de santé publique, elle aurait agir vite. Cela ne leur aurait pas coûté très cher. Il est incroyable que nous n’ayons pas été associés à une expertise sur les SDHI, alors que nous étions les mieux placés pour intervenir. J’avais pourtant demandé à l’ANSES d’être partie prenante.


 

 

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Quels liens voyez-vous entre exposition aux SDHI et maladies mitochondriales ?

 

M. Pierre Rustin. Le résultat d’un blocage de la chaîne respiratoire, que ce soit par un mécanisme génétique ou chimique, est identique : l’activité de respiration des cellules diminue.  Cela peut être de manière partielle ou totale. Les maladies génétiques ne sont pas toujours associées à des blocages importants. Dans le foie, 10 % de baisse d’activité mitochondriale peut causer un problème hépatique. Inversement, les blocages chimiques tels qu’on peut les obtenir avec des SDHI peuvent être importants, selon les doses et les concentrations dans les tissus. Personne n’en sait rien pour le moment. Personne, à l’ANSES, ne peut m’affirmer que le cerveau humain accumule plus ou moins de SDHI.

 

M. Jean-Luc Fugit, député. Avez-vous observé une augmentation de la fréquence des tumeurs chez l’être humain depuis que les SDHI sont utilisés ?

 

Dans vos conclusions, vous recommandez de modifier d’urgence les tests réglementaires. Quels tests aimeriez-vous modifier ? Quels tests souhaitez-vous introduire  dans  l’homologation  des  produits phytosanitaires ?

 

Mme Paule Bénit. Il est extrêmement difficile d’établir un lien direct avec un seul produit, d’abord parce que nous sommes soumis à des centaines de pesticides qui sont dans la nature, ensuite parce que la durée de vie des SDHI est de 5 à 10 ans. Au-delà, ils deviennent totalement inefficaces et sont retirés du marché. Leurs « petits frères » arrivent derrière, avec une toute petite modification. Ils ont le même effet, voire pire. La dernière génération de SDHI inhibe non seulement le  complexe  II,  mais également le  complexe III de  la respiration cellulaire. À chaque fois, ce qui est considéré comme un nouveau produit est quasiment la même chose que le produit précédent, avec les mêmes modes d’action.

 

La première étude sur la cohorte AGRICAN date de 2014. Une actualisation a été publiée le mois dernier. Elle démontre que certains cancers ont augmenté (peau, prostate).

 

M. Jean-Luc Fugit, député. Cette hausse est-elle liée aux SDHI ?

 

Mme Paule Bénit. Non. La comparaison se fait par rapport à la population générale, mais nous sommes tous de plus en plus imprégnés. Les pesticides sont partout, dans l’eau que nous buvons et dans l’air que nous respirons.


 

 

 

 

M. Pierre Rustin. On peut tout de même dire que les maladies de Parkinson et d’Alzheimer progressent. Les conséquences que l’on peut prévoir des SDHI sont des atteintes neurologiques. Il n’existe pas de lien établi, mais le principe de précaution devrait nous conduire à arrêter. Il s’agit d’un principe de base de notre constitution.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Il fait effectivement partie du bloc constitutionnel, mais dans un sens différent de celui que vous évoquez.

 

M. Pierre Rustin. Mais qui est celui que tout le monde comprend, et c’est celui-là que j’aime bien. Le monde politique a écrit des choses qui sont incompréhensibles par la population. Cette ambiguïté est inadmissible. Par exemple, comment peut-on interdire les pesticides à un endroit parce qu’ils sont dangereux, et les autoriser à un autre endroit ? S’ils sont dangereux, ils doivent être interdits partout.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Il existe un débat sur la notion de risque acceptable. Il est majeur. Toutefois, le sujet de cette audition est suffisamment complexe pour que nous restions focalisés sur les SDHI.

 

M. Jean-Luc Fugit, député. Je ne crois pas que vous ayez répondu à l’une de mes questions : quels tests réglementaires faudrait-il mettre en place pour éviter qu’une molécule qui pose problème ne soit remplacée par une molécule qui lui est quasiment identique ?

 

M. Pierre Rustin. Ces cinquante dernières années, nous avons modifié plusieurs fois les tests réglementaires. La communauté des toxicologues et une partie des scientifiques sont convaincues qu’on peut garantir l’innocuité des molécules. Ma conviction personnelle est qu’on ne peut pas garantir l’innocuité des molécules en modifiant les tests. Le rapport bénéfice-risque est central. Les SDHI sont utilisés dans un certain nombre de domaines ils devraient être interdits car leur utilité n’a pas été démontrée.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. J’ai du mal à comprendre que le gain de productivité mineur que vous avez soulevé justifie un usage portant lieu à controverses.

 

M. Pierre Rustin. Nous avons questionné la FNSEA, l’UIPP et l’ANSES sur l’influence des SDHI dans les rendements. Aucune de ces organisations n’a été capable de nous donner le moindre chiffre. Les seules données que nous possédons proviennent de firmes comme Monsanto, qui les distribuent aux agriculteurs. C’est insupportable. Le bénéfice-risque des SDHI n’est même pas démontré.


 

 

 

M. Joël Labbé, sénateur. La communauté scientifique travaille sur la recrudescence des maladies de type Alzheimer ou Parkinson. De votre côté, vous travaillez sur quelque chose d’extrêmement spécifique que beaucoup de gens découvrent. Existe-t-il des croisements entre vous ? La communauté scientifique intègre-t-elle vos travaux dans ses recherches ?

 

M. Pierre Rustin. Oui. Nous avons publié un appel dans Le Monde d’hier. Parmi les signataires figurent de nombreuses personnes qui travaillent sur Parkinson et Alzheimer. J’ai réuni un comité international de scientifiques ; il comprend une personne spécialisée dans la maladie de Parkinson.

 

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. Je vous remercie de votre participation et du caractère très clair de vos réponses.


 

 

 

 

  1. AUDITION   DE   M.    ROGER    GENET,    DIRECTEUR    GÉNÉRAL, MME CAROLINE SEMAILLE, DIRECTRICE GÉNÉRALE DÉLÉGUÉE EN CHARGE DU PÔLE PRODUITS RÉGLEMENTÉS, DE L’AGENCE NATIONALE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DE L’ALIMENTATION, DE L’ENVIRONNEMENT ET DU TRAVAIL (ANSES), ET M. JEAN-ULRICH MULLOT, PHARMACIEN, PRÉSIDENT DU GROUPE D’EXPERTISE COLLECTIVE D’URGENCE

 

  1.   Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. Monsieur Genet, vous avez la parole.

 

M. Roger Genet, directeur général de l’ANSES. Merci beaucoup. Je voudrais d’abord remercier l’OPECST pour l’organisation de cette audition, dans la continuité du rapport que vous avez publié en mai dernier et qui a parfaitement résumé le fonctionnement des agences d’expertise sanitaire. J’espère que cette audition contribuera à resituer le débat dans le cadre scientifique qui lui convient, alors que la problématique qui est aujourd’hui soulevée par les SDHI me semble être davantage d’ordre sociétal que scientifique.

 

L’interdiction des pesticides en France relève d’un choix de société ; elle n’entre pas dans les missions de l’ANSES. L’ANSES a pour mission d’évaluer l’innocuité et l’efficacité des produits réglementés, notamment phytopharmaceutiques, qui sont mis sur le marché. L’enjeu consiste à protéger les populations. Il est de définir les conditions dans lesquelles ces produits peuvent être utilisés, avec un impact qui ne soit pas inacceptable sur l’homme et sur l’environnement. C’est dans ce but que le gouvernement a confié à une agence sanitaire le soin d’évaluer ces produits.

 

L’ANSES a pour mission d’évaluer à la fois les médicaments vétérinaires, les produits phytosanitaires et les produits biocides. Nos avis sont pris sur la  base  d’experts scientifiques qui viennent du monde académique. Nous évaluons ces produits avec rigueur et sur une base scientifique.

 

On oppose  souvent la  science réglementaire et la  science académique. Sur cette question des SDHI, il ne s’agit pas de cela.  Tout nouvel élément dans la littérature scientifique est pris en compte par l’agence pour réviser ses évaluations de risques dans le cadre des autorisations de  mise  sur le marché.  C’est l’analyse  de  la littérature scientifique qui nous a conduits à délivrer l’avis de janvier 2019  sur  les SDHI. Cet avis a été coordonné par Monsieur Mullot et conduit par  un groupe d’expertise collective en urgence.


 

 

 

Pour l’agence, les pesticides ne sont pas des produits anodins. Monsieur Rustin et ses collaborateurs ont lancé un signalement en avril 2018 par une tribune dans Libération. Cette alerte sur les risques potentiels des fongicides a été prise en compte et traitée selon les méthodes que nous déployons habituellement. Nous mettons en place un groupe d’expertise collective en urgence.  Ces groupes pluridisciplinaires allient plusieurs compétences. Nous ne lançons pas d’appel à candidatures, comme nous le faisons pour sélectionner nos comités d’experts, car nous devons répondre dans les meilleurs délais.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. - Quelle est la taille de ce groupe d’étude ? Comment les recrutements ont-ils été effectués ?

 

M. Roger Genet. Ce groupe spécifique était constitué de quatre experts. C’est assez habituel. Lorsque nous répondons à des saisines en urgence et que nous avons besoin d’une évaluation rapide, nous nommons des rapporteurs parmi nos collectifs d’experts. Ces rapporteurs connaissent le fonctionnement de l’agence et l’évaluation. Ils rapportent à des cabinets d’experts spécialisés dont l’agence dispose. En l’occurrence, nous en sommes à la troisième auto-saisine de l’agence. Nous avons d’abord eu une saisine en urgence conduite par ce groupe, dont l’objectif était de valider une hypothèse sur une alerte : l’inhibition des succinates déshydrogénases qui sont impliqués dans la respiration cellulaire mitochondriale peut-elle entraîner des effets comparables à ceux identifiés chez les malades porteurs de mutation, associés à certains cancers rares, du gène de cette succinate déshydrogénase ? C’est à cette question que le groupe a répondu.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Le périmètre de la première saisine visait donc à analyser si l’exposition aux SDHI pouvait entraîner des effets comparables à des mutations génétiques impliquées dans certains cancers.

 

M. Roger Genet. C’est exactement la question que nous a posée Pierre Rustin lorsqu’il a contacté l’agence en novembre 2017. Nous lui avons proposé d’ouvrir nos dossiers d’évaluation des produits sur le marché afin qu’il puisse prendre connaissance des données toxicologiques dont nous disposions. Au regard de l’alerte de 2018, c’est la question qui était posée. J’ai souhaité que le groupe se concentre non sur la réévaluation des produits, mais sur la qualification de cette alerte. Y avait-il alerte sanitaire ou non au regard de l’hypothèse présentée ? À cette époque, Pierre Rustin ne nous a pas fourni d’articles ou de données expérimentales. PLOS One a publié un article scientifique en fin d’année 2019, soit largement après que nous ayons rendu notre avis, et il porte de toutes autres hypothèses que celles qui avaient été avancées, et auxquelles le groupe d’expert a répondues.


 

 

 

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Quel type de revue est PLOS One ?

 

M. Roger Genet. Il s’agit d’une revue en ligne internationale d’un bon niveau scientifique, sans être exceptionnelle.

 

Par la suite, l’agence s’est auto-saisie afin de réviser l’avis de 2019 en élargissant les questions posées. L’agence s’est également auto-saisie sur les risques agrégés liés à l’exposition de l’ensemble des produits de la famille des SDHI. Il existe donc trois saisines de l’agence. Il en est une à laquelle nous avons répondu en janvier 2019, et les deux autres sont en cours.

 

En 2018, le groupe d’experts en urgence a procédé à l’examen de l’ensemble des données disponibles et pertinentes au regard de la question posée (études épidémiologiques, études expérimentales chez l’animal, études chez l’homme). Il s’est également appuyé sur des données issues de dispositifs de contrôle, de surveillance et de  vigilance. Le comité a aussi procédé à des auditions, notamment des scientifiques qui avaient lancé l’alerte. Le rapport a été rendu en janvier 2019. Le temps important entre la saisine et le rendu témoigne de la nécessité d’approfondir les questions.

 

L’agence est arrivée à la conclusion que les données examinées n’indiquaient pas d’augmentation de l’incidence des cancers associée au déficit de l’enzyme succinate déshydrogénase et que le niveau des expositions alimentaires totales rapportées aux seuils toxicologiques actuellement établis est très faible. Nous conduisons régulièrement des enquêtes d’alimentation totale.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. De quoi s’agit-il ?

 

M. Roger Genet. Il s’agit d’un mécanisme d’évaluation d’expertise que l’agence met en place de manière très régulière. Il nous permet de mesurer l’exposition réelle des Français aux pesticides par la voie alimentaire. Nous retrouvons, dans la dernière enquête alimentation totale, des échantillons qui contiennent des SDHI. Le plus utilisé est le boscalid. Nous retrouvons des taux de boscalid dans 3 % des échantillons qui ont été analysés, à un niveau 100 fois inférieur à la dose journalière admissible.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Qu’est-ce que le boscalid ?

 

M. Roger Genet. Il s’agit de l’une des 11 substances actives autorisées au niveau européen qui fait partie de la famille des inhibiteurs de SDH. En France, 52 produits contenant une ou plusieurs de ces 11 substances actives bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché.


 

 

 

L’évaluation des produits phytosanitaires repose sur un double mécanisme. Dans un premier temps, les substances actives sont autorisées au niveau européen. Elles sont régulièrement révisées. D’ailleurs, l’autorisation de plusieurs de ces substances arrivera à échéance dans les trois prochaines années. Dans un second temps, l’agence délivre des autorisations de mise sur le marché  en France des produits qui contiennent ces substances actives. Aujourd’hui, cela concerne 54 produits.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. L’alimentation varie en fonction des territoires, des habitudes familiales ou des moyens des ménages. Comment en tenez-vous compte ?

 

M. Roger Genet. Nous réalisons d’abord une étude sur les habitudes de consommation des Français. Il s’agit de grandes enquêtes réalisées sur l’ensemble du territoire national sur la base d’un échantillon statistique de la population. À partir de ces habitudes alimentaires, nous identifions les aliments qui sont consommés et nous les regroupons par catégories afin d’illustrer la réalité de la consommation des Français. Cela nous permet de mesurer les résidus de produits chimiques auxquels nos concitoyens sont  exposés. L’analyse d’autres dispositifs de vigilance comme la phytopharmacovigilance nous donne un feedback des autorisations de mise sur le marché. Au besoin, nous pouvons réviser les évaluations de risques au regard de l’exposition telle qu’elle est réellement constatée.

 

Le rapport de 2019 a donc conclu à l’absence d’alerte sanitaire, ainsi qu’à la nécessité de renforcer les recherches sur le potentiel toxicologique de ces substances, de surveiller les éventuels effets sanitaires qui se manifestent sur le terrain et d’étendre la vigilance à l’échelle européenne et internationale. Depuis janvier 2019, l’ANSES s’est consacrée à mettre en œuvre ces recommandations.

 

Concernant l’exploration d’éventuels effets sanitaires, nous avons sollicité   l’INSERM,   qui   révise   actuellement   son   expertise   collective

« pesticides et santé » de 2011. Nous lui avons demandé d’inclure un volet sur les SDHI. Le rapport final de l’expertise collective de l’INSERM devrait être disponible fin avril.

 

Nous avons échangé avec des chercheurs sur le type de recherche qui pourrait être financée afin de diminuer l’incertitude sur la toxicité des SDHI. Nous finançons une étude à hauteur de 450 000 euros, sur notre budget, pour explorer les données des registres nationaux du paragangliome héréditaire, qui est lié à une mutation des gènes SDH.

 

Nous finançons également deux programmes de recherche qui visent à préciser les modes d’action des SDHI et à développer une matrice sur  les  substances  toxiques  pour  la  mitochondrie.  Avec  AGRICAN,  nous


 

 

 

 

disposons  d’une  cohorte  d’agriculteurs  qui  nous  permet  de  surveiller l’épidémiologie de cette population.

 

Nous avons renforcé les contrôles concernant l’exposition des populations par des collectes de données via notre programme de phytopharmacovigilance créé par la loi de 2014. Des études sont en cours sur la surveillance de la contamination de l’air, du sol et de l’alimentation. Ces études, qui concernent tous les pesticides, prennent en compte spécifiquement les SDHI.

 

Tout  ceci  prouve que nous ne  sommes pas restés sans rien faire.

Nous avons besoin des lanceurs d’alerte.

 

Parallèlement, l’agence s’est auto-saisie à deux reprises : d’une part sur les effets agrégés de l’exposition à l’ensemble des substances SDHI par les différentes voies d’exposition (alimentaire, respiratoire) ; d’autre part, nous avons relayé le signalement au niveau européen et international, de manière à vérifier si des alertes allant dans le même sens avaient déjà été émises. Une substance active est en cours de réévaluation, tandis que trois nouvelles substances actives SDHI sont en cours d’examen au niveau communautaire. Nous avons alerté les États-membres qui évaluent ces substances de l’hypothèse avancée par le groupe de Monsieur Rustin. Nous en tiendrons évidemment compte dans la revue qui sera faite.

 

À ce jour, que ce soit en France ou ailleurs, aucun élément n’est venu confirmer l’existence d’une alerte sanitaire qui pourrait conduire au retrait des autorisations de mise sur le marché des produits qui contiennent ces substances actives. L’agence est extrêmement rigoureuse sur ce point. Elle assoit son évaluation sur des faits scientifiques. Aujourd’hui, nous avons un nombre très limité d’articles provenant d’une équipe. Aucune autre alerte n’a été lancée. Or le croisement des sources est la base de l’expertise collective. Nous avons besoin d’autres approches.

 

La commission nationale de la déontologie et des alertes en santé publique et environnementale a produit un rapport qui aboutit à la conclusion suivante : « les informations rapportées dans cet article sont sujettes à discussion en raison des incertitudes expérimentales relevées. Le lien entre un effet inhibiteur des fongicides sur l’activité de la SDH et une induction de pathologie chez l’homme n’est pas recevable ».

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Je rappelle que le rôle de la cnDAspe consiste à évaluer la manière dont les alertes sont traitées. En novembre 2019, elle a évalué la manière dont vous aviez traité le signalement effectué par l’équipe évoquée.


 

 

 

M. Roger Genet. La cnDAspe a conclu que l’ANSES avait traité le signalement qui lui avait été transmis par l’équipe de chercheurs de manière réactive et approfondie en informant les autorités compétentes européennes et américaines et en engageant des financements importants pour améliorer les connaissances sur l’effet des SDHI.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Il s’agit bien du périmètre de la première saisine, à savoir le lien entre l’exposition aux SDHI et certaines maladies.

 

M. Roger Genet. Absolument. Aujourd’hui, il n’existe pas d’élément suffisamment probant pour que nous puissions considérer que les éléments scientifiques apportés créent un doute sur l’évaluation qui a été conduite au niveau européen de ces substances actives, dont certaines sont utilisées depuis plus de 40 ans.

 

L’ANSES est une agence scientifique. Nous sommes tout à fait prêts à réviser nos méthodes et nos avis. Nous le faisons très régulièrement. Simplement, pour interdire l’usage de ces produits en France, comme certaines parties le demandent, il faudrait que nous disposions d’éléments scientifiques suffisamment probants.

 

Ces dernières années, nous avons retiré des autorisations de mise sur le marché pour un ensemble de substances, dont l’époxiconazole,  un fongicide utilisé sur des grandes cultures de manière  beaucoup plus abondante que les SDHI. Nous avons conduit une évaluation extrêmement rapide du caractère perturbateur endocrinien de l’époxiconazole sur la base des nouveaux critères européens retenus pour l’évaluation. Nous avons retiré les autorisations de mise sur le marché de ces produits en avance de phase, sans attendre les décisions communautaires, car nous avons estimé que le caractère dangereux de ces substances le justifiait. Qui plus est, la France avait demandé dès 2014 à la Commission de réévaluer en urgence cette famille de produits.

 

S’agissant des produits à base de SDHI, nous ne disposons pas d’éléments qui permettraient à la France d’appuyer une demande de réexamen en urgence de ces substances, mais nous restons vigilants.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Des centaines de scientifiques de différentes institutions se sont exprimés, notamment par le biais de tribunes. Comment  évaluez-vous  leurs contributions ?

 

M. Roger Genet. Ces vingt dernières années, une quinzaine d’articles ont porté sur les pathologies liées à des inhibitions ou des mutations du gène de la succinate déshydrogénase mitochondriale. Pour l’essentiel, ils provenaient de


 

 

 

 

Pierre Rustin et  de  ses  collaborateurs.  La  tribune  qui  a  été  publiée  dans Le Monde a été préparée par un groupe de chercheurs. À ma connaissance, ceux qui ne sont pas français n’ont pas lancé d’alerte dans leurs pays respectifs, ou approché   leurs    autorités    sanitaires.   Cette   tribune   a    été    signée    par 450 scientifiques. Cette signature relève davantage de la pétition que de la contribution. Il ne s’agit pas de 450 scientifiques qui se sont penchés sur cette question. Ce sont 450 scientifiques qui ont signé une pétition de soutien à l’équipe de Pierre Rustin.

 

On oppose souvent les experts des agences sanitaires aux scientifiques du monde académique. Or, ce sont les mêmes personnes. Nous recrutons, dans nos comités d’experts, des scientifiques de l’INRA, du CNRS, de l’INSERM et des universités. Jamais l’agence ne remet en cause l’avis de ces experts. On ne peut pas opposer les bons chercheurs académiques aux mauvais experts des agences sanitaires. Encore une fois, ce sont les mêmes personnes. Nous venons de lancer un appel à candidatures pour renouveler nos comités d’experts. Je serais très heureux que les chercheurs qui se sentent impliqués répondent et participent à nos groupes d’experts. Nous avons besoin d’eux.

 

Mme Francelyne Marano. Je confirme que les experts qui interviennent dans les comités d’études spécialisés de l’ANSES sont mes collègues. Ce sont uniquement des chercheurs académiques, qui font cela en plus de leurs autres activités.

 

Intervenant en tant que témoin extérieur, je ne connais pas bien la question des SDHI. J’ai donc regardé ce qui avait été publié dans PubMed sur l’impact des SDHI. J’ai trouvé très peu de choses. Cela m’a surprise. Est-ce à dire que depuis 1966, la communauté scientifique ne s’est pas franchement penchée sur cette problématique ? Ce serait assez étonnant.

 

Par ailleurs, Monsieur Rustin a évoqué une possible accumulation de SDHI, en particulier dans le cerveau. Cela m’a surprise car je pensais que ces molécules s’éliminaient rapidement, et la métabolisation de ces molécules est censée être évaluée dans le cadre d’une délivrance d’autorisation de mise sur le marché.

 

M. Jean-Luc Fugit, député. Sur quoi portent les  quelques publications autour des SDHI que vous avez trouvées dans PubMed ?

 

Mme Francelyne Marano. J’ai trouvé moins de dix publications sur l’impact sanitaire des SDHI. C’est vraiment très peu. J’ai peut-être mal cherché. Néanmoins, je crois qu’il y a peu de choses. Certaines publications portent sur les mécanismes d’action des SDHI. L’une d’entre elles va dans le même sens que ce qui a été montré dans PLOS One.


 

 

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. Avez- vous été surprise du très faible nombre d’études pour des produits qui sont utilisés depuis un demi-siècle ?

 

Mme Francelyne Marano. Oui. J’ai regardé de près la publication de PLOS One qui repose sur des expériences in vitro. Les conclusions qui en sont tirées dépassent ce qu’une scientifique comme moi peut dire. Les données sont là, les expériences ont été correctement faites. Elles reposent d’ailleurs en partie sur des données que l’on trouve sur Internet, c’est le cas de la comparaison de la séquence du gène de la succinate déshydrogénase entre différentes espèces.

 

M. Loïc Prud’homme, député. D’après les spécialistes internationaux du cancer, dix processus biologiques interviennent dans la carcinogénicité. Aujourd’hui, seule la génotoxicité est retenue par la toxicologie réglementaire. Pourriez-vous réviser vos méthodes d’évaluation en conséquence ?

 

Mme Francelyne Marano. J’ai précisé que des études de cancérogénèse étaient effectuées sur le rat pendant deux ans.

 

M. Loïc Prud’homme, député. Par ailleurs, si la littérature scientifique peut sembler manquer de données s’agissant des effets des SDHI sur l’être humain, elle est abondante sur les effets des SDHI sur les écosystèmes et les rongeurs. Ne faudrait-il pas tenir compte de ces données sur la biodiversité pour renseigner la potentielle toxicité des substances actives SDHI sur la santé de l’être humain, alors que la non-spécificité de la cible des SDHI semble faire consensus ?

 

M. Roger Genet. Chaque évaluation des produits réglementés prend en compte les effets sur l’homme, sur l’environnement et sur les organismes cibles, en discriminant l’effet sur les utilisateurs, sur les personnes à proximité et sur les consommateurs. Cela entre complètement dans les données qui sont demandées dans le cadre réglementaire. Je rappelle qu’il n’a pas été demandé au groupe d’expertise collective d’urgence (GECU) de réévaluer ces produits. L’évaluation au niveau européen et national est conduite dans un autre cadre.

 

J’ai  également  fait  une  recherche  dans   PubMed.   J’ai   trouvé 120 études disponibles sur l’effet des inhibiteurs de la SDH, dont 95 réalisées au cours des cinq dernières années. Ces études portent surtout sur l’acquisition de résistance aux inhibiteurs de SDH, sur des effets non-ciblés, sur des modifications génétiques associées et sur le développement du poisson zèbre. Il n’y a donc pas beaucoup d’études toxicologiques dans la littérature académique.

 

L’article de Pierre Rustin est intéressant. Il fait un point sur la non- spécificité. Les médicaments, les produits phytosanitaires et les produits biocides sont toxiques par construction. Ils visent une cible particulière. C’est


 

 

 

 

l’usage qui fait qu’il n’existe pas de risque inacceptable pour l’homme ou l’environnement, dans les conditions d’utilisation.

 

M. Loïc Prud’homme, député. Visiblement, ce n’est pas ce qui a été conclu avec Madame Marano au regard des SDHI.

 

Mme Francelyne Marano. Je n’ai pas dit cela. J’ai dit qu’on déterminait des doses sans effet et des doses journalières acceptables. Ma présentation était très générale. Les cibles mitochondriales sont générales chez tous les eucaryotes. Il faut pouvoir répondre à la question que j’ai posée sur la cinétique dans un organisme.

 

M. Roger Genet. L’article de Pierre Rustin souligne que ces substances sont toxiques sur des lignées cellulaires isolées. Ce n’est pas inattendu. C’était déjà décrit dans la littérature. Il conclut qu’il n’existe pas de test homologué au niveau européen qui prenne spécifiquement en compte la toxicité mitochondriale, qui pourrait être sous-estimée dans les tests in vitro. Je crois qu’il a raison. Cela remet-il en cause l’évaluation des produits telle qu’elle est conduite ? Bien sûr que non. Au-delà des tests in vitro, nous prenons en compte des études in vivo intégratives, c’est-à-dire qui intègrent les mécanismes d’action mitochondriaux et autres. Ces études in vivo ne renvoient aucun signal faisant craindre un risque sanitaire.

 

Les tests réglementaires devraient mieux prendre en compte ce type de toxicité. Pour autant, ce n’est pas suffisant pour remettre en cause l’évaluation qui est réalisée à partir des données disponibles.

 

M. Jean-Ulrich Mullot, pharmacien, président du groupe d’expertise collective d’urgence. Je représente le groupe d’expertise collective d’urgence qui a rendu l’avis de 2018. Cet avis reposait sur une alerte bien précise, sur la base des données disponibles à cette époque. Ainsi, je ne peux pas me prononcer sur la question des incidences sur le cerveau. Nous n’avons pas réalisé de revue exhaustive des données PLOS One de 2019.

 

La littérature scientifique est très fournie sur l’inhibition du SDH constitutionnelle, héréditaire ou congénitale. Elle est également très fournie sur les mécanismes de résistance des champignons, qui sont les cibles des SDHI. En revanche, il n’existe que quelques publications sur l’évaluation, majoritairement in vitro, du risque sanitaire humain des SDHI.

 

Nous avons dit quelques mots, dans l’avis du GECU, sur la question de la biodiversité et de l’effet sur les organismes non-cibles, typiquement le poisson zèbre. Ces données existent. Elles ont été identifiées. Elles ont toutes été conduites avec des doses très supérieures aux doses attendues dans l’environnement. Il était donc légitime de trouver des effets sanitaires.


 

 

 

L’expertise collective de 2018 a été menée dans un délai légèrement plus long que celui qui nous avait été assigné. Je l’assume. La question était complexe. De plus, nous effectuons ces travaux d’expertise en sus de nos activités professionnelles.

 

Le signalement de 2018 était extrêmement divers. Il faisait à la fois mention de la mortalité des abeilles, de la perte de biodiversité et de maladies humaines. Nous avons adresser une somme de questions relativement importante. Nous les avons résumées, dans le rapport 2018, sous forme d’hypothèses des lanceurs d’alertes. Nous avons essayé de dégager les quelques hypothèses scientifiques qui nous semblaient ressortir de l’alerte. Nous avons adressé ces hypothèses dans le périmètre qui était celui de 2018 et dans un temps contraint.

 

La question sur l’épigénétique dépasse l’évaluation des  SDHI. La possibilité de mécanismes de cancérogénicité passant par des voies épigénétiques par rapport à la génotoxicité directe est une question scientifique très active, qui fait l’objet de nombreuses publications. Les outils sont encore en cours de construction. Le modèle animal qui est utilisé depuis des dizaines d’années n’est pas le plus mauvais. Des essais de cancérogénicité ont été conduits pendant deux ans chez le rat, soit sa durée de vie entière et nous renseignent sur la propension de ces pesticides et substances phytopharmaceutiques à provoquer des cancers chez les animaux.

 

M. Pierre Ouzoulias, sénateur. Je voudrais revenir sur le rapport que vous avez rendu en janvier 2019, en commençant par une question simple et formelle : tous les membres du groupe d’expertise ont-ils déclaré leurs conflits d’intérêts potentiels ? Dans ce rapport, que nous avons lu avec beaucoup d’attention, vous écrivez qu’il est nécessaire de mieux décrire les mécanismes d’inhibition des SDHI. Les pouvoirs publics se sont-ils saisis de ce sujet ? Des opérateurs publics ont-ils lancé des recherches ?

 

M. Roger Genet. La déontologie est l’un des fondements de l’agence. Nous avons mis en place un comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts. Nous lui avons demandé de travailler sur une grille d’analyse des liens d’intérêts. Cette grille a été révisée l’an dernier. Elle permet de cribler chaque déclaration publique d’intérêts (DPI) en termes de lien mineur, lien majeur et conflit d’intérêts. De ce point de vue, l’agence a servi de modèle. Nous avons une grille d’analyse qui va plus loin que la loi Touraine de 2016. Depuis cette loi, toutes les déclarations publiques d’intérêts des agences sanitaires sont disponibles sur le site du ministère de la santé. Elles sont accessibles à tout le monde. Si un scientifique ou un expert de l’agence reçoit un financement personnel dans le cadre de la mission d’expertise qu’il conduit, il s’agit d’un lien majeur. Si son laboratoire est financé au-delà de 5 % par une société qui entre dans le champ d’expertise de l’agence, il s’agit également d’un


 

 

 

 

lien majeur. Nous sommes extrêmement rigoureux sur ces questions.

 

Notre deuxième pilier est la transparence. Tous nos avis sont publics et la composition des comités figure dans les avis. Enfin, notre troisième pilier est le dialogue avec les parties prenantes. Nous avons mis en place des comités de dialogue qui associent toutes les parties prenantes. Ainsi, il existe, depuis 2017, un comité de dialogue sur les pesticides, qui se réunit trois à quatre fois par an.

 

Les DPI sont mises à jour au moins une fois par an. Elles sont examinées par notre déontologue. En cas de changement majeur, les experts doivent faire évoluer leur déclaration en cours d’année. Les règles déontologiques de déport sont annoncées lors de chaque réunion des comités d’experts spécialisés.

 

Il m’a souvent été demandé pourquoi Pierre Rustin ne faisait pas partie de nos comités. La question qui était posée est une question de toxicologie. Nous avions donc besoin d’experts dans ce domaine. De plus, nous sommes très vigilants sur les liens d’intérêts, et cela concerne les personnalités du monde économique comme les personnalités de la sphère académique. Une personne qui défend une thèse prioritaire peut être auditionnée, mais elle ne peut pas être partie prenante du débat entre spécialistes. Ce débat doit être le plus neutre et le plus ouvert possible. Si nous invitions les scientifiques de Roche ou de Bayer à participer au comité d’experts lorsque nous évaluons un produit phytosanitaire, tout le monde sauterait au plafond.

 

M. Loïc Prud’homme, député. Il me semble bien que des experts qui ont participé au GECU avaient des thèses prioritaires. Ce point a été relevé par les acteurs du dossier.

 

M. Roger Genet. Franchement, je ne sais pas à quoi vous faites allusion. Il n’y avait aucune thèse prioritaire parmi les quatre membres du GECU. Je souhaite réagir vigoureusement aux attaques dont l’agence a été l’objet, notamment au travers d’un amendement parlementaire faisant état de liens « bien connus et déjà démontrés » de l’agence par rapport à des intérêts économiques. Je m’oppose vigoureusement à cette vision. Je demande qu’on me fasse état de liens d’intérêts économiques entre l’agence et le secteur économique (phytosanitaires, biocides, médicaments vétérinaires). Nous avons construit l’agence pour prévenir ces conflits d’intérêts. J’ai été très choqué qu’un tel amendement parlementaire puisse être porté par des représentants de la nation.

 

M. Joël Labbé, sénateur. On constate une explosion des maladies neurodégénératives et un effondrement gravissime de la biodiversité. Il pourrait y avoir présomption d’effet sur les maladies neurodégénératives. En


 

 

 

tenez-vous compte ? Il y aurait également un impact sur les vers de terre et les abeilles. Prenez-vous en compte les effets cocktail ?

 

M. Roger Genet. L’agence n’est pas pour défendre les produits phytosanitaires. Ce n’est pas son rôle. Elle est pour évaluer les conditions dans lesquelles ils peuvent être  utilisés sans impact pour la  santé,  et pour protéger les populations. Les actions en justice qui sont entreprises nous placent dans une situation difficile puisque nous sommes amenés à défendre les produits pour défendre notre évaluation. Or nous ne sommes pas pour défendre les produits, ni leur usage. L’agence évalue les risques auxquels nous sommes confrontés dans notre vie quotidienne ; elle est pour diminuer les facteurs de risque. Chaque fois que nous pouvons diminuer l’usage de ces produits, nous en sommes ravis.

 

Le sujet de l’effet cocktail, qui reviendrait à prendre en compte de manière agrégée l’ensemble des expositions, est extrêmement complexe. Les autorisations sont données par produit. Il existe deux cadres d’évaluation à l’agence : les directions en charge de l’évaluation des produits réglementés travaillent dans un cadre réglementaire, tandis que la direction d’évaluation des risques conduit des expertises transversales ; elle peut être saisie de questions plus larges qui combinent plusieurs effets. Ces deux approches sont menées en parallèle.

 

Le sujet de l’effet cocktail est extrêmement complexe car des centaines de milliers de produits sont présents dans l’environnement. Avoir une combinatoire de ces produits pour en mesurer l’effet chronique à très long terme est une question scientifique qui n’est pas près d’être résolue.

 

M. Jean-Ulrich Mullot. L’effet cocktail est une incertitude scientifique. Nous l’avons écrit dans le rapport 2018 du GECU. Il n’existe pas, aujourd’hui, de méthode scientifique établie, rigoureuse, reconnue et reproductible qui permette d’évaluer cet effet. Au mieux, des sommes pondérées sont effectuées. Sur ce sujet, nous avons recommandé que les travaux continuent.

 

Je confirme que les déclarations publiques d’intérêt des membres du groupe d’expertise collective sont publiques. Je réponds également de l’impartialité et de l’indépendance de mon groupe. Nous avons travaillé en toute quiétude, sans faire l’objet d’aucune pression ou d’aucune tentative d’influence au nom d’un intérêt qui ne serait pas scientifique.

 

Enfin, la biodiversité et les espèces non-cibles font partie  de l’évaluation des substances phytopharmaceutiques avant mise sur le marché. Il existe des batteries de tests réglementaires qui évaluent l’impact sur les abeilles. D’ailleurs, le cadre réglementaire de l’impact sur les abeilles a récemment été durci. Tous ces tests ont été réalisés et interprétés selon les


 

 

 

 

critères harmonisés qui existent au niveau européen pour les substances dont nous parlons.

 

M. Pierre Ouzoulias, sénateur. Il est une question à laquelle vous n’avez pas  répondu. Des  recherches spécifiques  ont-elles  été réalisées  pour combler la lacune que vous avez identifiée concernant l’analyse scientifique des fonctionnements d’inhibition ? Que s’est-il passé depuis un an ? Des études ont-elles été lancées ? Par qui ? Ont-elles abouti ?

 

M. Jean-Ulrich Mullot. Le mandat de notre groupe était d’évaluer un signal, de donner un avis et de formuler des recommandations, voire de mettre en évidence des incertitudes. Notre mandat s’arrêtait là. Je ne peux porter à moi seul l’ensemble de la recherche française et vous dire ce qui a été lancé. Je sais simplement que des actions ont été réalisées. L’ANSES a soutenu des travaux.

 

Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée en charge du pôle produits réglementés de l’ANSES. Nous avons encouragé le dépôt de projets de recherche. À date, deux projets de recherche sont financés sur des fonds publics dans le cadre d’un appel à projets. Ils portent sur l’utilisation des fongicides SDHI et l’évaluation épidémiologique, épigénétique et métabolique en lien avec le cancer. Ces deux projets sont portés par des chercheurs qui avaient lancé l’alerte et avaient signé la tribune de Libération. En revanche, ils n’ont pas signé la tribune qui a été publiée hier dans Le Monde. Le temps de la recherche étant ce qu’il est, ces projets n’ont pas encore donné de résultats.

 

Par ailleurs, l’ANSES a la possibilité, via un dispositif de phytopharmacovigilance, de faire remonter des signaux. Il s’agit d’une spécificité française. C’est ainsi que nous avons pu financer une étude dont l’objectif consiste à analyser si l’exposition aux fongicides SDHI contribue ou non à l’émergence de tumeurs chez les patients à risque. Les patients à risque sont porteurs de la mutation du gène SDH. À ce titre, ils sont prédisposés à développer des tumeurs phéochromocytomes et paragangliomes. Nous disposons, en France, d’un registre exhaustif sur tous les cas de ces tumeurs rares. Ce travail est mené par un professeur qui avait signé la première tribune, mais pas la seconde. Nous avons demandé à recevoir de premiers éléments le plus tôt possible. Nous souhaitons notamment savoir si les personnes qui développent  ces tumeurs sont localisées à proximité d’une zone l’exposition aux pesticides et aux SDHI est importante.

 

M. Roger Genet. De manière générale, la recherche en toxicologie mérite d’être renforcée en France. Une étude de cancérogénicité coûte environ 5 millions d’euros. Le programme national de recherche environnement/santé/travail, que l’agence pilote, dispose d’un budget annuel de 8 millions d’euros. L’ensemble des financements de l’Agence nationale de la recherche en santé/environnement et santé au travail est compris entre 8 et 10 millions d’euros. Vous voyez bien que ces études de cancérogénicité chez


 

 

 

l’animal ne peuvent être conduites que par des industriels. Il existe un intérêt majeur à ce qu’une agence comme la nôtre soit en capacité de faire des demandes à la recherche, et qu’il y ait des financements dédiés. C’est pour cela que les parlementaires européens ont décidé de doter l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) d’un budget spécifique pour financer des études.

 

Depuis deux ans, l’ANSES porte l’idée de créer un programme de toxicologie au niveau européen, à l’instar du National Toxicology Program américain, qui dispose d’un budget annuel de 150 millions de dollars et qui a permis aux États-Unis de conduire des grandes études de toxicologie sur fonds publics. Ce programme est piloté par la Food and Drug Administration, par l’Agence de protection de l’environnement (EPA) et par le National Institute of health (NIH). L’ANSES a obtenu l’adhésion à son initiative de dix agences sanitaires européennes, des agences communautaires et du commissaire européen à la santé. Nous sommes en train de construire, avec nos partenaires au niveau national et européen, un grand programme qui fera partie du premier appel à projets du programme Horizon Europe. Cet appel à projets est en cours de préparation. Il devrait être lancé en janvier 2021. Nous sommes vraiment très actifs pour que la recherche puisse disposer de financements permettant de répondre et d’anticiper les questions que vous posez.

 

Je voudrais insister sur un point : il ne faut pas confondre danger et risque. Aucune des 11 substances actives SDHI qui sont autorisées en France n’est classée cancérigène, mutagène et reprotoxique. Il n’existe pas non plus de raison qu’elles soient perturbateurs endocriniens. Nous sommes  bien dans une évaluation de risque et dans l’application du principe  de précaution, qui prévoit de conduire une évaluation du risque et de prendre des mesures adaptées en cas d’incertitude sur l’impact environnemental.

 

Il existe des classes de molécules dont le danger est élevé. L’application du principe de précaution pourrait être étendue afin de prendre des décisions sur la base du danger et non du risque. Ce n’est le cas pour aucune des 11 substances actives SDHI qui sont autorisées en France.

 

Enfin, le boscalid est en cours de réévaluation. La France est co-rapporteure.

 

M. Jean-Luc Fugit, député. Plutôt que d’effet cocktail, je parlerai d’exposome. Nous savons qu’il est difficile de le mesurer et de le modéliser. Avez-vous la possibilité de formuler des recommandations ? Ne faudrait-il pas diriger la recherche vers cette notion d’exposome ?

 

Par ailleurs, vos experts ont-ils échangé avec le professeur Rustin et ses équipes depuis deux ans ? Vous êtes-vous rencontré ? Parfois, il vaut mieux se parler que s’étendre dans la presse.


 

 

 

 

M. Roger Genet. L’article premier de la loi de modernisation du système de santé prévoit que la notion d’exposome doit être prise en compte dans les travaux des agences d’expertise. J’ai demandé à notre conseil scientifique de travailler sur cette question dès le début de l’année dernière. Le conseil scientifique de l’agence a mis en place un groupe qui réunit des toxicologues de renom afin d’envisager cette notion d’exposome, ou exposition tout au long de la vie, dans nos expertises sanitaires. Cette question est au cœur des enjeux en matière de toxicologie.

 

Nous avons eu de très nombreux échanges avec l’équipe de Pierre Rustin. Nous lui avons proposé de l’auditionner. Nous avons des processus et des comités d’experts. C’est dans ce cadre que le débat doit se construire.

 

La plateforme de dialogue sur les produits phytosanitaires réunit 52 parties prenantes (professionnelles, interprofessionnelles,  organisations de défense de la nature, de l’environnement et des consommateurs). On y retrouve Génération Future, France Nature Environnement, Pollinis… À ce stade, l’association Nous voulons des coquelicots, dont le président m’a demandé un entretien, n’a pas souhaité participer à cette plateforme, qui est présidée par une personnalité externe à l’agence. Cette association est venue manifester à l’agence hier matin, mais elle n’a pas souhaité entrer pour participer à la plateforme de dialogue.

 

L’objectif de l’ANSES est de construire une expertise scientifique indépendante. J’en suis le garant. Permettez-moi de m’étonner que nous soyons soumis à des pressions de parties prenantes, comme nous le sommes depuis un an, sur la question de l’interdiction des pesticides, qui est un choix de société. Les parlementaires peuvent interdire l’usage des pesticides. Pour ma part, je ne peux m’appuyer que sur une évaluation scientifique et entrer dans le cadre réglementaire qui s’impose à moi. Nous recevons des centaines d’e-mails nous  demandant d’écouter  la science. Quelle science envoie des manifestants et des avocats devant une agence d’expertise scientifique ? Le débat doit avoir lieu dans les instances scientifiques plutôt que dans la presse. On ne peut pas prendre les avis de l’ANSES lorsqu’ils vont dans le sens attendu et les rejeter quand ils ne disent pas ce qu’on veut entendre.

 

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. C’est un peu le rôle de l’Office parlementaire que d’ouvrir des débats apaisés. Je voudrais donc vous remercier.

 

Mme Francelyne Marano. Le problème du financement de la recherche en toxicologie en France est absolument fondamental. On ne peut pas espérer avoir de la recherche de haute qualité dans les équipes académiques s’il n’y a pas suffisamment de financements. Il existe des équipes de haute qualité en France, mais elles sont trop peu nombreuses. Pour qu’il y en ait davantage, il est très important qu’il y ait un soutien financier au  niveau européen. Les


 

 

 

équipes françaises de haute qualité s’insèrent dans des programmes européens. Des recherches se font en réseau au niveau européen avec des financements importants. Il faut que les équipes françaises puissent y entrer. Pour cela, elles ont besoin de soutien institutionnel. Sinon, ce sont les industriels qui font le travail, ce qui ne manque pas de jeter de la suspicion. Il y aurait sans doute moins de controverses si les recherches pouvaient être réalisées dans les meilleures conditions dans les équipes universitaires ou dans les organismes de recherche. Il s’agit d’un point essentiel pour les scientifiques.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président  de  l’Office. Je vais très brièvement vous dire ce que je retiens de cette matinée d’auditions, qui est parmi les plus complexes que nous ayons eu à accueillir au sein de l’Office parlementaire scientifique.

 

L’explosion des maladies neurodégénératives et l’effondrement de la biodiversité sont des réalités qu’il faut regarder en face et qui posent des problèmes majeurs.

 

Je dresse également le constat d’une grande incertitude vis-à-vis de nombreux mécanismes, qu’ils soient chimiques, biologiques ou médicaux. De l’extérieur, nous avons l’impression que l’incertitude augmente en matière de biologie. Tout paraît compliqué, y compris sur des questions de biologie animale. Ce qui semblait simple il y a quelques décennies  apparaît maintenant d’une grande complexité.

 

Nous ne pouvons pas ignorer les effets cocktails. Pour autant, il est très difficile de mettre au point des procédures qui permettent de les aborder.

 

Il existe différentes approches : in vivo, in vitro, études épidémiologiques. In fine, l’étude épidémiologique apparaît comme la plus satisfaisante et la plus fiable, sauf qu’elle coûte beaucoup plus cher. De plus, elle est effectuée a posteriori, ce qui n’est pas satisfaisant. Nous avons besoin des trois approches car elles agissent sur des échelles de temps différentes. Nous avons l’impression qu’une partie de la confusion dans le débat public au sujet des SDHI vient de la tension entre approches in vivo ou in vitro et approche épidémiologique. Cela fait également partie des différences d’appréciation entre agences européennes et agences américaines. Tout ceci a des conséquences sur l’organisation et les moyens. Par rapport à une équipe de recherche comme celle de Pierre Rustin, l’ANSES dispose de moyens très importants. Par rapport aux besoins d’études épidémiologiques indépendantes, l’ANSES dispose de moyens très réduits par rapport aux industriels.

 

Il convient de distinguer les dangers et les risques.


 

 

 

 

Les procédures qui ont été mises en place insistent sur le volet toxicologie ; elles insistent moins sur les questions environnementales.

 

Les procédures sont à revoir. L’ANSES a pris acte sans aucune difficulté de ce que les travaux de Pierre Rustin montraient, à savoir qu’il existe des tests à prendre en compte pour la toxicologie, y compris in vitro, qui ne sont pas dans les procédures déjà établies. Quoi qu’il arrive, il y a donc matière à faire évoluer les tests in vitro par rapport aux procédures d’évaluation des risques.

 

Nous avons entraperçu la difficulté à voir ce qui arrive vraiment aux consommateurs. Les études sur l’alimentation totale sont complexes et coûteuses.

 

Le besoin de disposer de moyens pour réaliser des recherches indépendantes a été rappelé. Nous avions déjà eu l’occasion d’en parler dans le rapport relatif au fonctionnement des agences d’évaluation. Nous ne pouvons pas tout refaire de manière indépendante. En revanche, sur les débats de société importants ou les questions particulièrement sensibles, il est nécessaire que la puissance publique puisse commander des expériences indépendantes dans lesquelles les questions de conflits d’intérêts ne laissent pas planer le moindre doute. Je m’inscris dans cette conclusion de manière forte.

 

Sur la question de l’interdiction des pesticides, ce serait une erreur que de tout ramener aux procédures déjà en cours et à leur évaluation scientifique. Il faut savoir prendre les décisions sur la base d’arguments sociétaux et politiques chaque fois que les circonstances le suggèrent. Si nous devons réduire notre usage de pesticides de manière considérable, c’est également sur la base de choix sociétaux.

 

J’ai un regret nous n’avons pas suffisamment pris en compte  la question du bénéfice potentiel des SDHI. Pour des raisons commerciales, il arrive que l’impact positif potentiel d’un produit soit exagéré. N’importe quel choix de société repose sur des analyses bénéfices-risques. Nous avons beaucoup parlé de risques, et quasiment pas de bénéfices. Les bénéfices n’ont pas été démontrés aujourd’hui, peut-être parce que nous n’avons pas conçu l’audition de cette manière.

 

Si on regarde les choses objectivement, on constate qu’il  est nécessaire de faire évoluer les procédures, de continuer à faire de la recherche et de donner davantage de moyens aux agences comme l’ANSES. Pour l’heure, nous voyons bien les risques. En revanche, les bénéfices ne sont guère démontrés.


 

 

 

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. Il se trouve que le Sénat a créé une délégation à la prospective, présidée par Roger Karoutchi. Elle devrait conduire une réflexion sur le sujet. La société veut minimiser les risques. Il est normal  que les scientifiques, pour avoir parfois manqué des rendez-vous par le passé, explorent avec beaucoup d’exigence et de rigueur les risques possibles. La délégation à la prospective doit être en mesure d’établir les conditions qui permettent à un grand pays comme le nôtre, et à un ensemble politique comme l’Europe, d’avoir indépendance, sécurité et qualité alimentaires. Je suis persuadé que cette délégation se nourrira de nos travaux pour dire que tout n’est pas certain.

 

Je suis l’élu d’un département agricole. Certes, la présentation commerciale qui a été montrée exagérait l’intérêt des fongicides SDHI. Néanmoins, les marges économiques d’un producteur sont assez faibles, et 3 à 4 % de productivité représentent la différence entre la possibilité de continuer une activité et la nécessité de l’arrêter. Laissons à la prospective sa responsabilité et n’ayons pas l’ambition de tout contrôler.

 

Je remercie tous les intervenants de ce matin. L’ANSES a une responsabilité extraordinairement lourde. Elle est sous le feu croisé de l’inquiétude spontanée et naturelle et du commerce de la peur, qui est profitable et à rentabilité immédiate. L’ANSES y fait face dans le cadre d’une tradition de l’État et du service public qui est établie et rassurante. Bien que je sois libéral, je suis assez content d’avoir de temps en temps face à moi un interlocuteur public, alors que l’on peut penser que  parfois,  la  recherche d’un succès économique à court terme peut conduire un interlocuteur privé à oublier des risques ou des contraintes.

 

Je voudrais également remercier l’équipe de Pierre Rustin, que nous avons entendu. C’était une plongée dans le débat vrai des personnalités qui animent le monde scientifique. La présence  de  Joël Labbé a donné à nos travaux davantage de couleurs et une dimension humaine qui est à l’image de ce qu’est le débat sociétal dans notre pays. C’est un vrai bonheur de pouvoir discuter de questions intelligentes avec autant de liberté. Souvent, la science a été prise en otage pour des intérêts politiques partisans et excessifs. Nous avons le sentiment que les uns et les autres ont d’abord le souci de la santé de chacun. Je voulais vous en rendre hommage.


 

 

 

 

II. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 20 FÉVRIER 2020 PRÉSENTANT LES  CONCLUSIONS DES AUDITIONS PUBLIQUES DU 23 JANVIER 2020

 

M.  Cédric  Villani,   député,   premier   vice-président   de l’Office. - Voici la présentation des conclusions de l'audition publique du 23 janvier 2020 sur les inhibiteurs de succinate déshydrogénase (SDHI).

 

L'Office a été saisi par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, elle-même interpellée par notre collègue Loïc Prud’homme, pour étudier la question posée par certains fongicides utilisés en agriculture, suspectés de constituer un danger sanitaire : les SDHI.

 

L'alerte vient d'un groupe de chercheurs mené par Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS, que j'ai eu l'occasion de rencontrer à l'hôpital Robert Debré. Il étudie l'enzyme succinate déshydrogénase (SDH) et les maladies génétiques et neurologiques rares ainsi que les cancers induits par une déficience de cette enzyme. Les chercheurs se sont rendu compte que les substances actives de ces fongicides étaient capables d'inhiber l'enzyme d'espèces non-cibles en plus de celle du champignon cible : les enzymes de l'abeille, du ver de terre et de l'homme sont également inhibées. Ils ont craint que l'exposition à ces fongicides puisse entraîner des effets similaires aux maladies génétiques étudiées, à savoir des cancers et des maladies neurologiques.

 

Ils ont lancé des alertes par voie de presse et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a mis en place un groupe d'expertise collective d'urgence (GECU) pour étudier l'alerte et en estimer la pertinence au regard de la littérature scientifique disponible et des données dont dispose l’Agence dans le cadre du dossier d'autorisation de mise sur le marché et de la phytopharmacovigilance. Le groupe de travail a conclu que les éléments apportés par les travaux du groupe de chercheurs mené par Pierre Rustin ne remettent pas en cause l'évaluation du risque inhérent à la classe de molécules. Cette évaluation a été réalisée dans le cadre réglementaire de l'autorisation de mise sur le marché : risque sur la santé humaine et risque sur l'environnement, la santé humaine comprenant aussi bien le consommateur que l'exploitant agricole.

 

Une partie des chercheurs auteurs de ces travaux conteste les conclusions de l’ANSES et continue à alerter sur le sujet. Ils ont notamment sollicité la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE).


 

 

 

L'objectif de l'audition publique n'était pas de conclure sur le caractère dangereux ou non des SDHI pour la santé humaine ou pour l'environnement, mais de comprendre d'où vient le désaccord entre le groupe de chercheurs et l'ANSES : est-ce  au niveau de  la procédure,  des processus, de la façon dont le débat était engagé, de règles non respectées ? Nous étions aidés par  une  toxicologue  indépendante  en  la  personne  du Pr. Francelyne Marano.

 

Les travaux publiés par le groupe de chercheurs de Pierre Rustin dans une revue à comité de lecture, que personne ne conteste, montrent la non-spécificité de l'action des SDHI, in vitro, sur extrait enzymatique. Ceci s'explique par le fait que les mitochondries sont des structures très stables à travers l'évolution et sont donc très proches dans toutes les espèces. Les travaux montrent aussi l'absence d'effet des SDHI sur la viabilité de cellules humaines en culture lorsque les conditions expérimentales sont classiques, mais un effet délétère des SDHI sur la viabilité lorsque les conditions expérimentales rendent les cellules exclusivement dépendantes de cette enzyme mitochondriale pour leur survie. Ils montrent également un effet plus important sur les cellules issues de patients présentant une déficience mitochondriale génétique ou ayant une maladie associée à une fragilité mitochondriale. Enfin, ils démontrent la production de stress oxydant par les cellules exposées aux SDHI. Ces deux derniers points inquiètent tout particulièrement les chercheurs, car une partie des hypothèses pour expliquer la survenue d'une maladie neurologique multifactorielle comme celle d’Alzheimer ou de Parkinson, est le dysfonctionnement mitochondrial et la production de stress oxydant. Les chercheurs estiment donc probable que l'exposition aux SDHI soit délétère et qu'elle puisse favoriser l'apparition de telles maladies. Ils réclament que les tests réglementaires évoluent pour prendre en compte la toxicité mitochondriale dont ils estiment qu'elle est masquée par les conditions expérimentales.

 

Jean-Ulrich Mullot, chercheur indépendant des deux parties, qui a conduit l'expertise collective de l'ANSES, a indiqué avoir revu toute la littérature scientifique disponible sur le sujet. Il a considéré que les informations et hypothèses scientifiques apportées par les lanceurs de l'alerte n'apportent pas d'éléments en faveur d'une exposition qui n'aurait pas été prise en compte dans l'évaluation des substances actives concernées. Il  a également indiqué que certaines des hypothèses formulées dans l'alerte relevaient de considérations plus larges liées aux produits phytopharmaceutiques,  voire  à  toutes  les  substances  chimiques,  à  savoir

« l'effet cocktail » et la cancérogénicité sans génotoxicité, à savoir la capacité d'une substance à être cancérogène sans provoquer de mutations de l'ADN. Selon lui, il n'y a pas encore de consensus scientifique sur ces effets, ni de méthode rigoureuse validée pour les mesurer.


 

 

 

 

Comme vous vous en souvenez, ou comme vous le voyez à la lecture de ces débats, on a connu des séances plus simples à l'OPECST. Pourquoi les avis divergent-t-ils ? De l'avis des toxicologues interrogés, une extrapolation des résultats de l'équipe de chercheurs de Pierre Rustin à l'exposition réelle d'un organisme entier est actuellement impossible, ou au moins nécessiterait de plus amples investigations. On ne peut pas assimiler des résultats obtenus dans le cadre d'une recherche fondamentale in vitro et les résultats des tests toxicologiques effectués dans le but d'évaluer le risque associé à des substances. Ces tests, réalisés dans des conditions réglementées, sous l'égide de la Commission européenne et de l'OCDE, étudient la toxicité des substances de manière intégrée, sur l'organisme entier, tout au long de sa durée de vie. L'appréciation du risque est conduite de manière à ce que les conditions réelles d'exposition soient simulées et examine plusieurs paramètres tels que la cinétique d'absorption ou d'élimination de  la substance. Cela a été rappelé dans le rapport établi par les députés Philippe Bolo et Anne Genetet, et les sénateurs Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias.

 

Que pouvons-nous retenir de tout cela ?

 

D'abord l'extraordinaire difficulté de déterminer quels sont les dangers, quels sont les risques, et comment les évaluer. Une partie du débat et de l'incompréhension venait de la distinction entre les expériences menées in vitro, les expériences menées en laboratoire pour simuler une exposition, et les expériences menées en conditions naturelles que peuvent constituer les études épidémiologiques, avec des différences considérables dans l'ampleur, la durée et le coût qu'elles représentent.

 

D'autre part, des points soulevés par l'étude sont incontestablement de nature à faire évoluer les textes réglementaires, en incluant à l'avenir la recherche spécifique de la toxicité mitochondriale dans des conditions expérimentales qui la révèle, pour les autorisations de mise sur le marché. Il peut aussi être intéressant d'identifier des sous-populations à risque pour chaque catégorie de substances phytopharmaceutiques, ou chaque catégorie de substances chimiques, pour adapter les seuils réglementaires à des populations plus fragiles. C'est déjà le cas pour certains critères, par exemple les enfants et les femmes enceintes sont plus sensibles au plomb ou aux perturbateurs endocriniens. Cette étude et ce débat suggèrent qu'il est légitime de considérer aussi les populations les plus fragiles pour ces questions de toxicité mitochondriale.

 

Le débat a aussi porté sur des questions de procédure : pour protéger l’environnement et la santé humaine, quelle est précisément la question scientifique à laquelle il faut répondre ? Les uns et les autres n’étaient pas d’accord. Des questions ont également été posées quant à la publicité des débats, puisqu’une partie de celui-ci a été transformé en polémique par voie de presse ; c’est la raison pour laquelle l’audition s'est


 

 

 

faite  de  façon  séparée  et  non  pas  de  façon  simultanée  et  contradictoire, comme c'est notre habitude.

 

Tous ces points doivent être pris en compte. Certains peuvent s’inscrire dans le cadre donné par le rapport de l’Office sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences, publié au printemps dernier, tandis que d'autres sont plus de nature à entrer dans le cadre du rapport sur l'intégrité scientifique que préparent Pierre Ouzoulias et Pierre Henriet. En toile de fond, se trouve la dimension pédagogique avec laquelle doit être effectuée l’évaluation des dangers et des risques.

 

Le groupe d'experts sollicité par l'ANSES a conclu qu'il n'était pas légitime de retirer de façon préventive l'autorisation de mise sur le marché des fongicides SDHI, estimant qu'il n'y avait pas de signal qui n'aurait pas été pris en compte dans l'évaluation du rapport bénéfice-risque des substances actives.

 

Les travaux du groupe de chercheurs soulèvent des points intéressants à valider et à approfondir. La science doit avancer sur « l'effet cocktail » et les mécanismes cancérigènes non mutagènes.

 

L'Office recommande que les toxicologues, responsables de l'établissement de lignes directrices à l'échelle internationale se saisissent pleinement des potentiels effets mitotoxiques des substances phytopharmaceutiques, ceci pour mieux protéger les populations qui pourraient y être sensibles.

 

L'ANSES a bien rappelé que son travail consiste à répondre, en fonction des procédures, de la méthodologie et de la déontologie qui sont les siennes, à des questions spécifiques sur tel ou tel produit. L’Agence a aussi précisé que, si l'on souhaite interdire ou réduire les quantités de fongicides, la discussion ne doit pas reposer sur l’évaluation qu’elle réalise, mais sur une décision politique assumée de renforcement de la protection de l’environnement. Le politique ne doit pas remettre la décision dans les mains de l’expert technique qui conduit l'évaluation scientifique, même si elle doit être prise en compte.

 

M. Pierre Médevielle, sénateur, vice-président de l’Office. - Ce débat nous rappelle étrangement le débat autour d'une autre molécule célèbre : le glyphosate, même si des différences importantes existent. Pour le glyphosate, un retrait n'affecterait que les rendements et pourrait soulager l'hystérie collective qui s'empare de certaines populations quand  on prononce son nom. Le cas des SDHI est différent, les contaminations par des champignons sont extrêmement fréquentes sur les céréales et le retrait d'antifongiques pourrait poser un problème de santé beaucoup plus important, par exemple avec le retour du célèbre feu de Saint-Antoine, à


 

 

 

 

certains alcaloïdes qui sont produits par un champignon nommé l'ergot du seigle et qui a des conséquences sanitaires graves. Un retrait des fongicides SDHI en application du principe de précaution pourrait poser un problème sanitaire grave.

 

M.  Cédric  Villani,   député,   premier   vice-président   de l’Office. - Cela faisait partie de la question sur l'importance de ces fongicides. Est-il possible de quantifier ce risque sanitaire grave ?

 

M. Pierre Médevielle, sénateur, vice-président de  l’Office. - Sur des céréales non traitées, on observe le développement de ces champignons et leur consommation pose un problème de santé. Comme pour  le glyphosate, il y aura débat sur la différence entre des expériences in vitro et les expositions auxquelles sont soumises les populations, ces dernières n'ayant jamais été évaluées pour les agriculteurs et les populations.

 

M. Bruno Sido, sénateur. - Le glyphosate est une icône que l’on essaie d’abattre, mais il n’y aura pas de conséquence sur la santé,  qu'on l'utilise ou que l'on ne l'utilise pas, cela a été démontré. Comme le nucléaire, il faudrait simplement l'abattre. Les fongicides ont cependant eu un vrai impact sur la santé publique. Il faut le savoir : avant, on pouvait mourir en mangeant du pain parce qu'il contenait une toxine issue de l'ergot du seigle. Tant qu'il n'y a pas d'éléments suffisants pour supprimer les SDHI, il faut les utiliser, car ils protègent les céréales. Les questions des SDHI et du glyphosate sont complètement différentes.

 

M. Jean-Luc Fugit, député. - En tant que co-rapporteur de la mission d’information sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate de l’Assemblée nationale, je connais bien ce sujet. Les choses se sont peut-être un peu « emballées » –pour le dire de façon modérée. J’en témoigne, car nos travaux ont mis en évidence des paradoxes. C’est le cas de l’agriculture dite de conservation des sols, qui est extrêmement vertueuse car elle limite le labour, ce qui réduit par trois la consommation de gasoil, améliore la structuration du sol, préserve la biodiversité et fixe le carbone, mais qui nécessite des herbicides comme le glyphosate. Paradoxalement, un choix que l’on fait en faveur de l’environnement peut conduire à des effets qui ne vont pas dans le sens de la neutralité carbone, l’objectif que nous avons pour 2050. Il est important d’examiner la balance des avantages et des inconvénients des décisions possibles, alors que notre société a souvent une vision trop binaire et ne voit que les avantages ou que les inconvénients.

 

En tant que scientifique, sincèrement, l’audition sur les SDHI m’a posé problème. Je ne dis pas que ce que Pierre Rustin a mis en avant avec son équipe est nécessairement faux, mais il y a pour moi un problème de répétabilité. L'alerte a été lancée en s'appuyant sur une seule étude. Il est urgent d'en avoir d'autres.


 

 

 

Nous avons eu des démonstrations qui m’ont paru peu convaincantes, à l’image des feuilles des végétaux : elles ne sont pas imperméables comme l’a dit l’équipe de chercheurs, car les végétaux respirent par les stomates des feuilles, par lesquels l'eau est évacuée et qui permettent la fixation du CO2. J'ai eu le sentiment de ne pas me trouver en face de scientifiques, mais de militants le ton m’a d’ailleurs autant gêné que le fond. En bref, cela manque de rigueur scientifique. Il faut être prudent et lancer d’autres expertises, sur le modèle du consortium international qui réunit des équipes de recherche de quatre pays européens, dont la France, pour étudier à nouveau la toxicité du glyphosate. Glyphosate ou SDHI, ce genre de sujet est trop sérieux pour que des décisions soient prises sur la base des résultats d’une seule équipe.

 

M.  Cédric  Villani,   député,   premier   vice-président   de l’Office. - Oui, il y avait un ton militant, mais d'un autre côté, l'équipe a publié dans une revue scientifique respectable et ses travaux n'ont pas été remis en cause par l’ANSES, même si, effectivement, ils n'ont pas été reproduits et c'est un problème. Cependant, dans ces domaines biologiques, le taux de reproductibilité est en général très bas, même dans les revues les plus prestigieuses. Ils ne sont pas du tout conformes à ce que l'on enseigne dans les lycées sur la valeur de la science reproductible. Nous n’avons donc pas de raison de remettre en cause le sérieux de l’étude en elle-même. Il est vrai qu’il manque des études complémentaires ; il est vrai aussi que certaines réponses ont pu rendre perplexe.

 

En simplifiant quelque peu, une grande partie du débat tournait autour du fait qu’un résultat issu de recherches in vitro pourrait être inquiétant, mais qu’on ne voit rien dans les expériences in vivo ni dans les données épidémiologiques. En fait, il est très difficile de faire une véritable étude épidémiologique dans un contexte les pratiques agricoles mettent en scène une multiplicité de substances, de pratiques et de produits. Il y a cependant quelque chose de très clair, d’indiscutable, d’absolument incontestable par rapport à l'environnement : la dégringolade en flèche de la biodiversité. Elle est certainement multifactorielle, mais on a de bonnes raisons de penser que les cocktails chimiques qui sont utilisés comme engrais ou comme produits phytosanitaires jouent un rôle et que l’on appréhende encore très mal les effets « cocktail ». Il est sain, au regard des enjeux de santé, de se fixer un objectif global de réduction des produits phytosanitaires et des engrais je rappelle que certaines équipes du CNRS et de l’INRAE travaillent sur de nouveaux modes de culture n’impliquant aucun produit ajouté.

 

Je rappelle l’interpellation lancée par l’équipe de Pierre Rustin, qui demandait sont les études sur les bénéfices des SDHI (que permettent-ils d’éviter ? Servent-ils seulement à augmenter les rendements ?), et le rappel fait  par  l’ANSES,  soulignant  les  contraintes  qui  encadrent  son  activité


 

 

 

 

d’évaluation et l’opportunité de dégager ponctuellement des moyens supplémentaires, et mettant en avant le fait que la décision ne doit pas s’appuyer seulement sur l’évaluation des effets réalisée par l’organisme expert technique mais aussi sur un choix politique.

 

M. Pierre Médevielle, sénateur, vice-président de l’Office. - Par rapport à la biodiversité, c'est tout le modèle qui est à remettre en question. Je crois que nous souhaitons tous employer le moins possible de substances, mais si je prends l'exemple des néonicotinoïdes j'étais l’un des premiers signataires de la pétition visant à les interdire –, la disparition des populations d'abeilles n'est pas résolue car on voit désormais qu’elle est multifactorielle. Elle viendrait notamment aussi de l’importation de reines non adaptées à notre climat. Il faut travailler sur l'ensemble et faire confiance à la science et la technique. On le voit avec l’intérêt des images satellitaires pour la surveillance des cultures : on peut repérer les insectes sur les plantes et traiter des parties de parcelles, selon le besoin, et non plus des centaines d'hectares, avec des épandeurs de plus en plus précis. Je crois en une agriculture qui serait aussi productive et satisfaisante pour nourrir nos populations, en utilisant beaucoup moins de substances.

 

Il est dommage que la presse ne se fasse pas l'écho de tous ces progrès, car les agriculteurs sont stigmatisés comme des empoisonneurs et le vivent très mal, notamment ceux qui habitent en périphérie urbaine, ce sont les maisons qui ont « rattrapé » les exploitations. Je crois qu'il va falloir commencer par rétablir la confiance  entre  la communauté scientifique,  la population et les agriculteurs.

 

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. - Je souhaiterais reprendre la parole en qualité de président de l'Office pour vous dire que je ne suis pas un scientifique, je suis un homme politique et je me préoccupe des décisions puisque nous avons vocation à les évaluer. Je trouve ces conclusions satisfaisantes. Il y est très clairement dit que « les travaux du groupe de chercheurs soulèvent des points intéressants ce qui montre que nous ne les méprisons pas –, dont certains nécessitent d'être validés et approfondis. » On peut difficilement être plus ouvert, dans un schéma qui était extrêmement conflictuel, voire caricatural. « Ils ne semblent toutefois pas suffisants pour légitimer une alerte sanitaire à la hauteur des craintes exprimées par voie de presse. » Les choses sont dites poliment mais de façon carrée. Je n’ai rien à redire à la phrase : « La science doit avancer sur l'effet cocktail et sur les mécanismes cancérigènes non mutagènes. »

 

La dernière phrase du paragraphe précédent me semble nécessiter une précision. « Il a été rappelé par Francelyne Marano pendant l’audition que les fongicides sont utilisés en agriculture pour lutter contre des champignons qui peuvent être toxiques pour l'homme » et la recommandation ajoute « mais l'intérêt des SDHI n'a pas été précisément examiné. » Or les interventions de


 

 

 

Bruno Sido, Pierre Médevielle et Jean-Luc Fugit montrent que les SDHI sont nécessaires à la sécurité sanitaire pour le consommateur.

 

M.  Cédric  Villani,   député,   premier   vice-président   de l’Office. - Pour s’en tenir au contenu de l’audition, il faudrait dire : « Mais l'intérêt des SDHI n'a pas été précisément examiné lors de cette audition. »

 

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. - En effet.

 

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. - Il y a des antifongiques SDHI et des antifongiques non SDHI et s'il est possible de remplacer les SDHI par des antifongiques de meilleur rapport bénéfice- risque, il conviendrait de les adopter.

 

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. - Cette nouvelle formulation restitue au mieux le travail collectif.

 

Je propose à l'Office d'adopter ces conclusions.

 

L’Office adopte les conclusions présentées et autorise à l’unanimité la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu de l’audition publique du 23 janvier 2020 sur les inhibiteurs de succinate déshydrogénase (SDHI).


 

 

 

 

ANNEXES

 

 

ANNEXE 1 PRÉSENTATION DE MME FRANCELYNE MARANO

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 


 

 

 

 


 

 

 

 

 

ANNEXE 2  PRÉSENTATION DE MME PAULE BÉNIT ET

M. PIERRE RUSTIN