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N° 2739 et 2740

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 mars 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE
SUR LA PROPOSITION DE LOI et la proposition de loi organique
 

visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte ( 2600)
et à la création de l’inspection générale de la protection
des lanceuses et lanceurs d’alerte ( 2591)

PAR M. Ugo BERNALICIS

Député

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Voir les numéros :

Assemblée nationale :  2600.


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS...................................................... 5

I. Le cadre juridique relatif À la protection des LANCEUSES ET lanceurs dalerte

1. Une protection tardive

2. Un cadre légal napportant pas les garanties attendues

II. Lopportunité, par la transposition de la directive européenne, de doter la France dun régime effectif de protection des lanceurs dalerte

1. Une directive plus protectrice du droit des lanceuses et lanceurs dalerte

2. La ratification de la directive et lamélioration de la protection des lanceuses et lanceurs dalerte par les deux propositions de loi

3. La position de la Commission

Commentaire des articles de la proposition de loi

Titre Ier Dispositions générales

Article 1er (art. 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) Définition des lanceuses et lanceurs dalerte

Article 2 (art. 6-1 [nouveau] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) Protection des personnes en lien avec les lanceuses et lanceurs dalerte

Titre II Procédures de signalement

Article 3 (art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) Procédure de signalement interne

Article 4 (art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) Expérimentation des procédures de signalement interne au sein des petites entreprises

Article 5 (art. 8-3 et 8-4 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) Procédure de signalement externe

Article 6 (art. 9 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) Dispositions communes aux procédures de signalement

Titre III Les mesures de protection

Article 7 (art. L. 1132-3-3 du code du travail) Protection des lanceuses et lanceurs dalerte contre les représailles prises à leur encontre

Article 8 (art. 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions dadaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations) Protection des lanceuses et lanceurs dalerte contre les discriminations

Article 9 (art. 9-5 [nouveau] de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à laide juridique) Accès à laide juridictionnelle

Article 10 Accès à la fonction publique des lanceuses et lanceurs dalerte

Article 11 (art. 706-3 du code de procédure pénale) Indemnité financière

Titre IV Dispositions finales

Article 12 Rapport sur lélaboration dun code de la lanceuse et du lanceur dalerte

Article 13 Entrée en vigueur

Article 14 Gage

Commentaire des articles de la proposition de loi organique

Titre Ier Dispositions relatives aux compétences et à la saisine du défenseur des droits

Article 1er (art. 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits) Recueil et suivi des signalements externes par le Défenseur des droits

Titre II Création de linspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs dalerte

Article 2 (art. 37-1 [nouveau] de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits) Inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs dalerte

Article 3 Composition de linspection générale de la protection  des lanceuses et lanceurs dalerte

Titre III Dispositions finales

Article 4 Entrée en vigueur

Article 5 Gage

Compte–rendu des débats

personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Amiante, sang contaminé, Mediator, LuxLeaks, Cambridge analytica… tous ces scandales sanitaires et financiers n’auraient jamais vu le jour sans le courage de lanceuses et lanceurs d’alerte. Pourtant, ces derniers ne bénéficient toujours pas d’une protection juridique effective et efficace.

Votre rapporteur propose, pour y remédier, de se saisir de l’opportunité de la transposition de la directive européenne du 25 septembre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union ([1]), qui doit intervenir avant la fin de l’année 2021.

La France ne part pas de zéro ! Plusieurs initiatives législatives, dont notamment les lois du 9 décembre 2016, dites « Sapin II », ont permis l’émergence d’une prise de conscience du rôle que chacun peut jouer dans le développement des signalements et la moralisation de la vie publique. Mais les règles qui en découlent montrent que nous sommes encore « au milieu du gué », voire dans certains domaines qu’une conception étroite de la lanceuse ou du lanceur d’alerte a prévalu.

Le gouvernement français ne peut se reposer sur des présupposés lauriers et ces deux propositions de loi ordinaire et organique, que le groupe La France Insoumise a inscrit à l’ordre du jour de sa journée réservée du jeudi 26 mars 2020, doivent l’inciter dès à présent à se mettre au travail et à présenter un calendrier de transposition précis.

Il est important de saisir le contexte : pourquoi ce terme d’alerte est-il devenu indispensable dans nos réflexions ? Parler des lanceuses et des lanceurs d’alerte, c’est conduire une réflexion sur notre propre société. Nos démocraties modernes sont sclérosées dans leur fonctionnement, conduisant ici et là à des effets « de système » rendant inopérante toute structure de contrôle.

L’émergence de ce terme d’alerte ouvre un nouvel espace de débat public en révélant au grand jour une question ou des faits qui ne mobilisent pas, qui ennuient, qui sont déniés, oubliés, voire relativisés, mais surtout qui sont le plus souvent masqués par le système lui-même. Pour les avoir révélés, des lanceuses et des lanceurs d’alerte, mais également certains « leakers » ([2]), subissent une répression sans précédent qui fait d’eux des « héroïnes et héros de l’intérêt général ». On pense à Julian Assange ou à Irène Frachon actuellement devant la justice.

C’est pourquoi votre rapporteur veut croire que les dispositions prévues par ces deux propositions de loi s’adressent à celles et ceux qui, actuellement, sont témoins de dysfonctionnements mais qui se trouvent muselés par un système, qui ont peur de parler de crainte de représailles, de perdre leur emploi. À celles et ceux qui perçoivent l’intérêt général au-delà de leur propre situation et qui s’indignent de ce qui se passe sous leurs yeux.

Ces citoyennes et citoyens ne doivent toutefois pas uniquement être des héros ou des héroïnes, mais bien les derniers rouages nécessaires de notre système. Nous constatons les défaillances ponctuelles ou plus globales des systèmes de contrôle, des régulateurs, des inspections dans de nombreux domaines, des syndicats, des voies hiérarchiques… Pour votre rapporteur, cette situation découle, au moins en partie, de la société libérale, qui déstructure, désétatise, réduit toujours plus les coûts, au détriment bien souvent de l’intérêt général et de l’humain.

À chaque fois que nous sommes témoins d’une injustice qui enfreint l’intérêt général et que l’on ne dispose pas des protections nécessaires pour agir, le risque grandit de la démotivation et de la passivité. Le risque aussi de renoncer à se défendre.

Il n’est pas habituel pour un groupe d’opposition de prendre l’initiative de transposer une directive européenne par le biais de propositions de loi. Le groupe La France Insoumise le fait parce qu’il y a urgence pour garantir des protections effectives aux auteurs de signalements. Chaque jour qui passe, ce sont autant de lanceuses et de lanceurs d’alerte qui ne peuvent bénéficier de la protection légitime que leur doit la société pour leur contribution à l’intérêt général.

C’est la raison pour laquelle votre rapporteur propose cette transposition qui n’est pas a minima mais qui, au contraire, ouvre de nouvelles perspectives ambitieuses. La directive invite clairement les États membres à adopter des dispositions plus protectrices que le minimum négocié au niveau européen.

La proposition de votre rapporteur se décline en deux textes, l’un ordinaire, l’autre organique. Ils ne se veulent pas exhaustifs dans la transposition, mais portent tous deux des idées fortes.

D’abord, élargir le périmètre des lanceurs d’alerte en permettant aux personnes morales de bénéficier de ce statut, en étendant les protections à l’entourage des lanceurs d’alerte et en supprimant la condition d’agir de manière « désintéressée ». Cette dernière est beaucoup trop floue, et est souvent invoquée dans les tentatives de « procédures baillons ». Par ailleurs, les obligations de bonne foi et de préservation de l’intérêt général, présentes dans la définition actuelle des lanceurs d’alerte, suffisent à écarter les profils intéressés pour de mauvaises raisons.

La procédure de signalement externe ne serait plus subordonnée à un premier signalement interne, et les possibilités de divulgation publique sans signalement préalable sont élargies. Dans le cadre d’une relation de travail, plus besoin de prévenir d’abord sa hiérarchie pour ensuite saisir le Défenseur des droits et se voir octroyer des protections.

Parmi les protections essentielles à mettre en œuvre, l’une a été censurée en partie par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi organique du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte : celle qui consistait à prévoir que le Défenseur des droits pourrait leur apporter une aide financière ou un secours financier. Le Conseil constitutionnel a considéré, par sa décision n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016, que cela ne relevait pas des missions qui peuvent être confiées au Défenseur des droits sur le fondement de l’article 71-1 de la Constitution. Votre rapporteur propose donc que la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi) se voit attribuer cette mission. Cela permettrait de mettre à profit son expertise en matière d’attribution de dédommagements individualisés.

À cela s’ajouteraient des propositions nouvelles : fournir un accès à l’aide juridictionnelle sans conditions de ressources, abonder à 100 % le compte personnel de formation, proposer un soutien psychologique, créer une voie d’accès facilitée à la fonction publique.

Toutes ces protections sont à la mesure des pressions et du stress que subissent les lanceuses et les lanceurs d’alerte. Ils sont attaqués en justice, dénigrés publiquement, renvoyés de leur emploi, mis sur « liste noire » pour retrouver une activité, menacés ainsi que leurs proches. Ce ne sont pas Céline, Denis et Antoine que votre rapporteur a auditionnés qui le démentiraient. Il s’agit de situations particulières qui justifient des protections adaptées et donc dérogatoires du droit commun.

S’est ensuite posée la question du positionnement institutionnel de l’organisme chargé de traiter les signalements externes. Fallait-il créer une nouvelle autorité dédiée aux alertes ou renforcer les moyens et le rôle du Défenseur des droits en lui adossant une structure complémentaire ? Votre rapporteur a tranché en faveur d’un renforcement du Défenseur des droits au travers de la création d’une inspection des lanceuses et des lanceurs d’alerte qui lui serait rattachée directement. Cette inspection aurait la charge du recueil de l’alerte, de l’accompagnement de celle ou celui qui la lance, de l’évaluation de l’alerte à l’aide de commissions thématiques, et de son suivi. Elle pourrait également assurer la vérification de la conformité des processus de signalements internes dans les entités publiques et privées légalement tenues de les mettre en place. Elle serait dotée d’un pouvoir d’injonction pour la communication de documents utiles au traitement de l’alerte.

La création de commissions thématiques en son sein vise, par ailleurs, deux objectifs. Le premier est que les spécificités de chaque domaine d’alerte soient bien prises en compte. On ne traite pas une alerte en matière de délinquance économique et financière de la même manière qu’une alerte dans le secteur du nucléaire. Le second est que, dans le cadre de la mission d’accompagnement de l’alerte, les commissions thématiques puissent solliciter des expertises et des avis divers.

Dans l’esprit de votre rapporteur, il s’agit, pour chaque alerte reçue, de permettre à la commission concernée de mobiliser sur le dossier en question l’avis de personnes qualifiées au sein des autorités publiques et administratives, d’universitaires ou encore de solliciter l’expertise du secteur associatif. L’inspection doit ainsi se donner les moyens d’aider le lanceur d’alerte à étayer son dossier – voire, le cas échéant, à désamorcer une fausse alerte, dans l’intérêt évident de ce dernier – et l’accompagner en cas de représailles.

Enfin, votre rapporteur propose qu’un travail soit engagé pour la création d’un code des lanceuses et des lanceurs d’alerte. En effet, il y aurait besoin d’assurer une plus grande cohérence entre les différents dispositifs existants en matière d’alerte, comme le montre l’exemple récent de la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires ([3]). Cela permettrait de gagner en lisibilité pour une meilleure effectivité des droits et protections.

Ces deux propositions de loi sont donc une première étape ambitieuse d’ici la transposition définitive de la directive avant la fin de l’année 2021. Il convient désormais que le Gouvernement et le Parlement prennent des positions claires sur chacun des principaux sujets abordés par ces textes. Il est impératif, pour toutes celles et tous ceux qui attendent ces protections, que la transposition de la directive européenne soit l’occasion de faire un grand pas vers des droits nouveaux. Pour service rendu au peuple et à l’intérêt général, nous leur devons bien ça.

 


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I.   Le cadre juridique relatif À la protection des LANCEUSES ET lanceurs d’alerte

1.   Une protection tardive

a.   La notion de lanceuses et lanceurs d’alerte

Évoquée outre-Atlantique dès les années 1970 sous le terme de « whistleblower », puis en Europe depuis les années 2000 sous celui de « lanceurs d’alerte », la figure de la citoyenne ou du citoyen décidant librement de révéler des pratiques illégales ou abusives ([4]) à une personne capable d’y remédier s’est progressivement imposée dans le débat public. Cette réhabilitation, d’abord sémantique – comme l’illustre la formule de Christian Vigouroux, « la dénonciation veut nuire, le signalement veut sauver » ([5]) –, puis juridique au travers de l’encadrement des procédures de signalement et le renforcement des protections accordées aux personnes concernées, s’est traduite par le souci de mieux définir l’alerte éthique et les personnes pouvant s’en réclamer.

Plusieurs conditions sont communément retenues pour apprécier le caractère éthique d’une alerte. Celle-ci est ainsi :

– facultative, et peut, à ce titre, être complémentaire d’autres procédures de signalement obligatoires à l’instar, en France, de la procédure de l’article 40 du code de procédure pénale ([6]) ;

– désintéressée, bien que ce critère fasse l’objet de débats, la rémunération des lanceurs d’alerte étant, par exemple, permise aux États-Unis ;

– émise par une personne physique, bien que, dans certains cas, ce statut ait pu être également reconnu à des personnes morales, comme les associations ;

– fondée sur la connaissance personnelle des faits signalés.

Cette dernière condition est essentielle en ce qu’elle constitue la spécificité de l’alerte éthique : celle-ci est le fait de personnes « initiées », dont l’accès personnel à l’information permet « une réaction particulièrement rapide et efficace face à un danger, une illégalité ou un risque ».

Par ailleurs, ces personnes sont souvent dotées d’« une expertise technique ou scientifique les rendant capables didentifier des risques ou des dangers bien avant des tiers, y compris les régulateurs » ; enfin, « la proximité et lexpertise des initiés servent à les crédibiliser auprès dautorité publique ou de lopinion publique, rendant souvent leur alerte plus efficace que celles qui seraient lancées par des outsiders. » ([7])

L’alerte éthique porte ainsi, le plus souvent, sur des pratiques constatées dans un cadre professionnel et expose son auteur, en cas de divulgation de son identité, à des représailles affectant directement ses conditions de travail. Cette conséquence fréquente de l’alerte est d’autant plus importante que « la grande majorité des lanceurs dalerte commencent par alerter un interlocuteur au sein de lorganisation concernée. Une fois ce signalement interne émis, la plupart dentre eux sy arrête, que soit ou non remédié au comportement concerné. Seule une petite minorité passe ensuite à lalerte externe […]. » ([8]) Par conséquent, les législations nationales ayant traité de ce sujet ont principalement eu pour objet de mettre en place des protections spécifiques pour prémunir les lanceurs d’alerte contre d’éventuelles sanctions disciplinaires ou poursuites, tout en apportant des garanties aux personnes visées par leur signalement en cas d’alerte malveillante ou infondée.

À ce titre, deux principaux modèles de législation peuvent être distingués, malgré leurs points de convergence.

Le premier, d’inspiration américaine – les États Unis ayant été précurseurs en la matière ([9]) –, repose sur l’efficacité des signalements et la cessation des atteintes portée à l’intérêt général. Selon une étude récente, sur les 216 fraudes perpétrées au sein de grandes entreprises américaines entre 1996 et 2004, 17 % ont été signalées par des lanceurs d’alerte ([10]). La rémunération des lanceurs d’alerte est, à ce titre, assumée : à titre d’exemple, le United States Internal Revenue Service a versé, en 2018, près de 312 millions de dollars aux personnes ayant signalé des violations aux règles fiscales.

Le modèle européen ([11]), auquel renvoie la législation française, conçoit, quant à lui, le droit à l’alerte éthique comme relevant de la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi construit une jurisprudence protectrice des lanceurs d’alerte fondée sur la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et la défense de l’intérêt général. Il en découle que si le modèle américain « favorise une conception utilitariste de lalerte lalerte contribue au bon fonctionnement des marchés et des institutions , […] le modèle français exige beaucoup plus du lanceur dalerte ; il exige un lanceur dalerte qui retient un peu de la figure héroïque et qui se différencie du dénonciateur ou du délateur professionnel, du sycophante. La législation française en la matière envisage clairement un acte spontané pour le bien de la collectivité sans arrièrepensée. Le focus nest donc pas sur lalerte elle-même, mais surtout sur le lanceur. » ([12])

La procédure de signalement prévue par larticle 40 du code de procédure pénale

Corollaire du rôle de dépositaire de l’intérêt général reconnu à l’agent public, ce dernier est chargé, lorsque, « dans lexercice de ses fonctions, [il] acquiert la connaissance dun crime ou dun délit […] den donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »

Cette règle, codifiée à l’article 40 du code de procédure pénale, issue du code des délits et des peines du 3 Brumaire an IV (25 octobre 1795), diffère toutefois de l’alerte éthique en ce qu’elle constitue une obligation de signalement, et non un droit exercé en conscience par son auteur.

D’autres dispositifs de signalement spécifiques s’inscrivent dans une même logique, à l’instar du droit d’alerte et de retrait en matière de santé et de sécurité au travail prévu par l’article L. 4131-1 du code du travail, de l’information des autorités judiciaires ou administratives d’un crime dont une personne a connaissance et dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, prévue à l’article 434-1 du code pénal, et du signalement de la maltraitance d’enfants ou de personnes vulnérables en application de l’article 434-3 du code pénal.

b.   La reconnaissance progressive des droits des lanceuses et lanceurs d’alerte

« Parce que lalerte éthique ne peut rester lapanage dacteurs héroïques, parce que les nouveaux canaux quelle emploie lui ont donné une puissance qui parfois devient destructrice, il faut quelle devienne une procédure sûre, accessible et structurée ; cest pour cela quun droit spécifique a été inventé. » Reconnaissant en ces termes la nécessité de protéger les auteurs d’une alerte et de mettre en place des procédures de signalement en assurant le suivi effectif, le Conseil d’État appelait de ses vœux, dans une étude dédiée à l’alerte éthique de 2016, l’élaboration d’« un bloc de règles et principes communs ». ([13])

En effet, au cours des années précédant cette étude, le pouvoir législatif avait adopté, sous l’influence de l’évolution des normes internationales, plusieurs dispositions reconnaissant des garanties particulières aux personnes procédant à des signalements. Toutefois, ces dispositions, souvent sectorielles, ne permettaient pas de mettre en place un cadre légal cohérent et protecteur.

Pour mémoire :

– dès le début des années 2000, la transposition de directives européennes permit d’introduire dans le code du travail un nouvel article L. 1132-3 visant à protéger les travailleurs contre les représailles de leur employeur en cas de dénonciation de faits de discrimination et de harcèlement ([14]). Cette disposition, complétée par le principe de non-discrimination dans les relations de travail prévu par l’article L. 1132-1, a servi de socle à l’énoncé d’autres mesures de protection plus spécifiques, notamment en faveur des lanceurs d’alerte ;

– en 2007, à la suite d’initiatives internationales en faveur de la lutte contre la corruption ([15]), une nouvelle protection, inscrite à l’article L. 1161-1 du code du travail, est octroyée aux salariés qui dénoncent des faits de corruption dont ils ont eu connaissance dans le cadre de leurs fonctions ([16]) ;

– à la suite de l’affaire du médiator, dont l’autorisation fut suspendue en 2009 par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), deux lois sont promulguées pour mieux assurer la protection des lanceurs d’alerte en matière de santé et d’environnement : la première prévoit, à l’article L. 5312-4‑2 du code de la santé publique, des mesures visant à interdire les représailles à l’encontre de personnes ayant contribué à rendre compte de faits mettant en cause la sécurité des médicaments et autres produits de santé ([17]) ; la seconde introduit, à l’article L. 1351-1 du même code, une protection élargie au bénéfice des personnes ayant signalé des faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l’environnement dont elles auraient eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions ([18]). Par ailleurs, une commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement est instituée. Cette dernière a pour mission d’émettre des recommandations générales sur les principes déontologiques en matière d’expertise scientifique et technique, de diffuser les bonnes pratiques, de suivre la mise en œuvre des procédures d’enregistrement et d’instruction des alertes par les établissements et organismes publics, et de traiter les alertes qui lui sont adressées ;

– à la suite de plusieurs rapports préconisant de renforcer les mécanismes d’alerte existants ([19]), une protection est également accordée par la loi du 11 octobre 2013 ([20]) aux personnes signalant des situations de conflits d’intérêts ;

– ces premières avancées sectorielles sont complétées par la loi du 6 décembre 2013 ([21]) qui permet, par l’introduction d’un nouvel article L. 1132-3-3 au code du travail, de mettre en place un premier régime de protection disciplinaire dans le cadre des relations de travail s’appliquant à toute personne ayant signalé, de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ;

– la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement introduit, quant à elle, un article L. 861-3 au code de la sécurité intérieure qui confie à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) le recueil de tout signalement de « faits susceptibles de constituer une violation manifeste » des règles encadrant le renseignement. Cette dernière peut alors saisir le Conseil d’État ([22]) et en informer le Premier ministre. Si elle constate que l’illégalité constatée peut constituer une infraction, « elle saisit le procureur de la République dans le respect du secret de la défense nationale et transmet lensemble des éléments portés à sa connaissance à la Commission du secret de la défense nationale afin que celle-ci donne au Premier ministre son avis sur la possibilité de déclassifier tout ou partie de ces éléments en vue de leur transmission au procureur de la République. »

Ces dispositions ont permis de prendre en compte la diversité des problématiques abordées par l’alerte éthique. Toutefois, les conditions de leur adoption et le défaut de coordination entre les différentes protections sectorielles conduisirent le Conseil d’État à souligner, dans son étude de 2016 précitée, que « létat de notre droit nest pas […] satisfaisant, car il sest développé comme par empilement et par à-coups, au détriment de sa clarté et de son accessibilité, comme de sa cohérence et de lhomogénéité de ses principes fondamentaux. Par ailleurs, des lacunes ou des zones dombre demeurent, en particulier sagissant des procédures et des modalités pratiques de lancement et de traitement des alertes. Lalerte éthique risque par conséquent dêtre réduite à ses formes les plus paroxystiques, souvent contraires à la finalité dintérêt général quelle poursuit. Un double travail de mise en ordre et de mise à jour reste donc encore à accomplir. »

C’est à cette tâche que le pouvoir législatif s’est attelée lors de l’examen de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II ». Si certains objectifs ont été remplis, des insuffisances, voire des renoncements, vis-à-vis de dispositifs sectoriels existants parfois plus protecteurs, conduisent à en dresser un bilan mitigé.

2.   Un cadre légal n’apportant pas les garanties attendues

a.   Une définition restrictive du statut de lanceuse et lanceur d’alerte

La loi « Sapin II » précitée permet de poser la première définition des lanceurs d’alerte et d’établir, pour les personnes dont le statut est ainsi reconnu, un ensemble commun de droits et de protections.

Son article 6 prévoit ainsi qu’« un lanceur dalerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste dun engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, dun acte unilatéral dune organisation internationale pris sur le fondement dun tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour lintérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

Cette définition emporte plusieurs conséquences :

– les lanceurs d’alerte ne peuvent être que des personnes physiques, alors que la loi du 16 février 2013 précitée ouvrait ce statut aux personnes morales en cas d’alerte en matière de santé et d’environnement. Par conséquent, les syndicats et les associations peuvent recueillir des alertes et accompagner leurs auteurs mais ne bénéficient pas des protections prévues par la loi ;

– ils doivent être désintéressés et de bonne foi, ce qui exclut toute contrepartie financière ou matérielle. Ne sont ainsi pas considérés comme des lanceurs d’alerte les journalistes, une personne en conflit avec sa direction ou toute autre personne pouvant avoir un intérêt personnel à procéder au signalement. Par ailleurs, la bonne foi justifie les garanties et protections apportées en retour au lanceur d’alerte qui prend des risques pour défendre l’intérêt général ;

– ils doivent avoir eu une connaissance personnelle de linformation constitutive de lalerte. Le lanceur d’alerte ne peut ainsi agir pour le compte d’un tiers ou sur la base de rumeurs ;

– tous les délits et crimes sont concernés, tandis que les manquements aux normes internationales et nationales doivent être graves et manifestes, cette dernière qualification pouvant être plus difficile à atteindre. Par ailleurs, sont concernés les menaces ou préjudices graves pour l’intérêt général qui peuvent également faire l’objet d’appréciations divergentes.

Trois restrictions au droit dalerte sont toutefois prévues par ce même article 6 de la loi « Sapin II » : « Les faits, informations ou documents, quels que soient leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de lalerte […]. » Si la violation de ces secrets peut entraîner des sanctions pénales, justifiées par la sensibilité particulière des informations concernées, ces restrictions constituent néanmoins des obstacles importants au droit d’alerte éthique.

Cette définition à la fois large sur les manquements pouvant faire l’objet d’une alerte et restrictive sur les conditions à remplir par le lanceur d’alerte pour être reconnu comme tel a pu poser des difficultés d’appréciation aux organismes chargés de filtrer les alertes, de les traiter et d’accompagner leurs auteurs.

b.   Des procédures de signalement inadaptées, exposant les lanceuses et lanceurs d’alerte au risque de représailles

Conformément à la recommandation du Conseil d’État selon laquelle « il apparaît nécessaire dinscrire, au niveau de la loi, le principe dune gradation des canaux susceptibles dêtre saisis par les lanceurs dalerte appartenant à lorganisme mis en cause » ([23]), trois procédures de signalement successives sont actuellement prévues par l’article 8 de la loi « Sapin II » ([24]). Un lanceur d’alerte doit, en premier lieu, procéder à un signalement interne pour pouvoir, en cas d’absence de traitement dans des délais raisonnables, s’adresser, en externe, aux autorités compétentes (soit les autorités judiciaires ou administratives ou les ordres professionnels). Enfin, à défaut de traitement et en dernier ressort, le lanceur d’alerte peut procéder à un signalement public. Cette gradation des signalements vise, dans l’esprit d’alors, à limiter la publicité des alertes aux situations les plus graves.

Une exception est toutefois prévue en cas de « danger grave et imminent » ou « en présence dun risque de dommages irréversibles » : le signalement peut alors être porté directement à la connaissance du juge ou des autorités compétentes. Il peut également être rendu public.

Par ailleurs, toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d’être orientée vers l’organisme approprié de recueil de l’alerte. Si la désignation du Défenseur comme premier référent des lanceurs d’alerte semble appropriée au regard des missions qui sont les siennes, les moyens dont il dispose, en termes de ressources humaines et d’expertise, ne lui permettent toutefois pas de remplir ce rôle de manière satisfaisante.

Procédure graduée de droit commun

 

 

  

procédure dérogatoire

 

Source : commission des Lois.

Cette recherche de proportionnalité dans le traitement des alertes, sauf cas exceptionnels, est justifiée par le souhait de favoriser leur traitement en interne lorsque cela est possible et de limiter le recours au signalement public aux situations l’exigeant strictement, notamment pour éviter au lanceur d’alerte les sanctions ou poursuites qui souvent accompagnent cette dernière étape.

Or, les auditions par votre rapporteur de lanceuses et lanceurs d’alerte comme d’associations les représentant ont permis de mettre en exergue ce que certains redoutaient déjà lors de l’examen de la loi « Sapin II » : cette gradation du signalement reposant sur l’obligation de procéder, en premier lieu, à un signalement interne expose fortement les personnes concernées à des représailles au sein de leur entreprise, notamment si l’alerte porte atteinte à sa réputation ou à sa rentabilité économique.

Par ailleurs, les garanties apportées pour sécuriser la procédure de signalement interne apparaissent insuffisantes :

– de manière à préciser la notion de « délai raisonnable » permettant d’apprécier la diligence de l’organisme dans le traitement de l’alerte, le décret du 19 avril 2017 prévoit que ce dernier doit « informer sans délai lauteur du signalement de la réception de son signalement, ainsi que du délai raisonnable et prévisible nécessaire à lexamen de sa recevabilité et des modalités suivant lesquelles il est informé des suites données à son signalement. » ([25]) Toutefois, cette disposition, peu respectée par les organismes concernés, n’apporte pas de garantie juridique suffisante ;

– de même, l’article 8 de la loi « Sapin II » prévoit l’obligation pour les personnes morales de droit public ou de droit privé d’au moins cinquante salariés, les administrations de l’État, les communes de plus de 10 000 habitants, leurs groupements, les départements et les régions de mettre en place des procédures de recueil des signalements appropriées. Or, cette obligation est insuffisamment mise en œuvre, comme le souligne régulièrement le Défenseur des droits dans ses rapports annuels.

Ces défaillances à assurer un recueil des alertes garantissant le respect des droits de leurs auteurs et permettant de remédier aux faits dénoncés sont d’autant plus préjudiciables que le respect de cette procédure de signalement interne conditionne le bénéfice de la protection pénale prévue à l’article 122-9 du Code pénal.

c.   Une irresponsabilité pénale à étendre

Alors qu’une protection disciplinaire générale existait en faveur des lanceurs d’alerte depuis la loi du 6 décembre 2013 précitée, l’article 7 de la loi « Sapin II » a introduit un nouvel article 122-9 au sein du code pénal qui leur reconnaît une protection pénale au titre des faits commis à l’occasion de leur signalement : « Nest pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, quelle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur dalerte […] ». Dans ce cadre, la condition de divulgation « nécessaire et proportionnée » revient à apprécier, d’une part, le préjudice pouvant découler de l’alerte pour la personne visée et, d’autre part, l’intérêt du public ou des autorités compétentes à en avoir été informés.

Cette disposition était très attendue par les lanceurs d’alerte qui peuvent se trouver exposés à des représailles, notamment dès que l’alerte est rendue publique. Le lanceur d’alerte est ainsi considéré comme irresponsable au titre de poursuites pour :

– vol, par exemple en cas de copies de données appartenant à l’organisme dont il dépend pour apporter la preuve du manquement ;

– recel, en cas de détention d’objets ou de documents d’origine illicite ;

– atteinte à la vie privée en cas de capture d’image ou de bandes sonores sans le consentement des personnes concernées, dans le respect des conditions de nécessité et de proportionnalité ;

– diffamation par l’organisme faisant l’objet de l’alerte au motif que les faits seraient faux et porteraient atteinte à sa réputation ;

– dénonciation calomnieuse.

Deux réserves sont à apporter sur la portée de l’irresponsabilité pénale ainsi prévue, au-delà de l’appréciation par le juge du respect des différentes conditions fixées par la loi :

– si le pouvoir législatif n’a pas formellement précisé que l’information à l’origine de l’alerte devait avoir été acquise dans le cadre d’une activité professionnelle, le Conseil constitutionnel a tiré de l’obligation de procéder à un signalement interne avant toute autre démarche que le pouvoir législatif « a entendu limiter le champ dapplication de larticle 8 aux seuls lanceurs dalerte procédant à un signalement visant lorganisme qui les emploie ou celui auquel ils apportent leur collaboration dans un cadre professionnel ». Par conséquent, seules les personnes dans cette situation pourront se prévaloir du respect des procédures de signalement conditionnant le bénéfice de l’article 122-9. Certaines alertes pourraient ainsi ne pas être couvertes ;

– l’irresponsabilité civile n’est pas mentionnée explicitement par les textes en vigueur, même s’il semble qu’elle pourra se déduire de l’irresponsabilité pénale.

d.   Des protections à renforcer

L’article 9 de la loi « Sapin II » garantit la stricte confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte comme de la personne visée par celle-ci.

Leur identité ne peut être divulguée qu’à l’autorité judiciaire et sous réserve :

– du consentement du lanceur d’alerte ;

– de l’établissement préalable du caractère fondé de l’alerte concernant la personne mise en cause.

À défaut, la divulgation d’éléments de nature à identifier ces personnes est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Si ce dispositif est nécessaire, l’obligation pour le lanceur d’alerte de procéder, en premier lieu, à un signalement en interne peut rendre difficile la préservation de son anonymat. Le retard pris dans la mise en place de structures dédiées au recueil et au traitement des alertes au sein des entreprises, des administrations et des collectivités territoriales est ainsi problématique, tant cette garantie est essentielle pour assurer sa protection.

En l’absence des diligences suffisantes pour garantir l’anonymat de la personne procédant à un signalement en interne, des mesures disciplinaires peuvent être prises en représailles. L’article 10 de la loi « Sapin II » prévoit par conséquent de renforcer et de généraliser la protection disciplinaire bénéficiant aux lanceurs d’alerte.

Une présomption de bonne foi est ainsi introduite à l’article L. 1132-3-3 du code du travail : « en cas de litige relatif à [l’application d’une mesure disciplinaire], dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer quelle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs dun délit ou dun crime, ou quelle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de lintéressé. »

Ces dispositions sont complétées par :

– la faculté pour le juge administratif d’ordonner la réintégration de tout agent public sanctionné pour avoir lancé une alerte (article 11 de la loi « Sapin II ») ;

– le rappel de la possibilité pour le salarié lanceur d’alerte de saisir les prud’hommes en référé en cas de licenciement (article 12 de la loi « Sapin II »).

L’article 13 de la loi « Sapin II » prévoit que « toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission dun signalement aux personnes et organismes [compétents] est punie dun an demprisonnement et de 15 000 euros damende. » De même, en cas de plainte pour diffamation contre un lanceur d’alerte, le montant de l’amende civile est porté à 30 000 euros.

Le Défenseur des droits s’est vu reconnaître par le pouvoir législatif le rôle d’accompagner les lanceurs d’alerte dans l’ensemble de leurs démarches. L’article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits a été complété, en ce sens, par la loi organique n° 2016-1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte.

Dans son rapport annuel de 2018, ce dernier souligne ainsi que « sur les 155 dossiers enregistrés par linstitution en deux ans, […] 85 % des personnes qui le saisissent en se prévalant du statut de lanceur dalerte sont dans une relation de travail (salariés ou agents publics). Les alertes concernent autant le secteur privé que le secteur public dans des domaines très variés, la loi de 2016 nayant fixé aucune limitation. » ([26])

Or, les personnes qui le sollicitent ne sont pas toujours au fait des conditions encadrant le statut de lanceur d’alerte et les protections qui s’y rattachent. À titre d’exemple, le caractère désintéressé de l’alerte ne permet pas de protéger des personnes dénonçant des faits entrant dans le champ de l’alerte éthique lorsqu’ils sont, à titre personnel, en conflit avec leur employeur. Par ailleurs, la loi « Sapin II », qui n’a pas fait disparaître tous les autres dispositifs d’alerte sectoriels, sans toutefois prévoir les coordinations nécessaires, a créé « une complexité réelle pour lidentification des régimes dalerte applicables et [a laissé] subsister une incertitude quant à létendue de la protection dont les lanceurs dalerte peuvent bénéficier. » ([27]) Le Défenseur des droits alerte ainsi régulièrement les autorités publiques des difficultés en résultant dans l’accompagnement de ces derniers.

Enfin, les moyens humains comme les capacités d’expertise dont il dispose pour mener à bien ses missions en général, et celle relative à la protection des lanceurs d’alerte en particulier, limitent fortement son action.

À la suite d’une alerte, son auteur peut se trouver en difficulté vis-à-vis de son employeur et faire l’objet de mesures disciplinaires, voire être licencié. S’il peut contester ces mesures de représailles formellement interdites, sa situation financière peut s’en trouver affectée dans l’attente de la décision du juge.

Pour éviter une telle situation, le pouvoir législatif avait souhaité confier au Défenseur des droits la mise en œuvre d’un dispositif de soutien financier, initialement prévu par l’article 14 du projet de loi « Sapin II », adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale le 8 novembre 2016. Selon cet article le Défenseur pouvait ainsi accorder :

– une aide financière sous la forme d’une avance sur les frais de procédure exposés au bénéfice d’un lanceur d’alerte engageant une action en justice pour faire reconnaître une mesure défavorable prise à son encontre au seul motif de son signalement. Le montant de cette aide devait prendre en compte les ressources de la personne concernée et les conséquences de la décision contestée en termes de privation ou de diminution de rémunération ;

– un secours financier temporaire si, en raison du signalement effectué, le lanceur d’alerte connaissait des difficultés financières graves et compromettant ses conditions d’existence.

Le Conseil constitutionnel a censuré cet article au motif que « la mission confiée par [l’article 71-1 de la Constitution] au Défenseur des droits de veiller au respect des droits et libertés ne comporte pas celle dapporter lui-même une aide financière, qui pourrait savérer nécessaire, aux personnes qui peuvent le saisir. » ([28]) Mais le motif de cette censure permet de penser qu’il est possible de mettre en œuvre un soutien financier, fortement attendu par les lanceurs d’alerte comme par leurs représentants, à la condition d’en confier la gestion à une autre autorité administrative.

Focus sur certaines procédures dalerte spécifiques

Conformément aux recommandations du Conseil d’État, le pouvoir législatif a défini un socle de droits et de protections commun aux lanceurs d’alerte, tout en maintenant certaines procédures spécifiques pour tenir compte de la diversité et de la sensibilité des informations concernées.

 Lalerte dans les secteurs bancaire et assurantiel

Les articles L. 634-1 à L. 634-4 du code de commerce, introduits par la loi « Sapin II », prévoient que l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) mettent en place des procédures permettant que leur soit signalé tout manquement aux obligations définies par les règlements européens, le code de commerce ou toute autre règle dont la surveillance est assurée par l’une ou l’autre de ces autorités. Par ailleurs, des dispositifs de signalement internes doivent obligatoirement être mis en place au sein des établissements bancaires et assurantiels. Les personnes ayant procédé à un signalement, soit en interne, soit en externe, ne peuvent faire l’objet de mesures de représailles.

 Lalerte en matière de défense

L’article L. 4122-4 du code de la défense prévoit une protection spécifique pour les militaires ayant effectué un signalement dans le respect des procédures prévues par les articles 6 à 8 de la loi « Sapin II ».

 Lalerte en matière de sécurité intérieure

L’article L. 861-3 du code de la sécurité intérieure prévoit une procédure de signalement proche de celle prévue par l’article 8 de la loi « Sapin II », tout en prenant en compte la sensibilité des informations concernées : les agents chargés du renseignement qui ont connaissance, dans l’exercice de leurs fonctions, de faits susceptibles de constituer une violation manifeste des règles encadrant le renseignement, prévues par le même code, peuvent porter ces faits à la connaissance de la seule Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui peut alors saisir le Conseil d’État et en informer le Premier ministre.

Suite à cette alerte, lorsque la commission estime que l’illégalité constatée est susceptible de constituer une infraction, elle saisit le procureur de la République dans le respect du secret de la défense nationale et transmet l’ensemble des éléments portés à sa connaissance à la Commission du secret de la défense nationale afin que celle-ci donne au Premier ministre son avis sur la possibilité de déclassifier tout ou partie de ces éléments en vue de leur transmission au procureur de la République. Les agents concernés ne peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires du fait de leur alerte.

 Lalerte et le secret des affaires

La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, transposant la directive 2016/943/UE du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués, prévoit les sanctions prononçables, en matière civile et commerciale, en cas de révélation de ces informations.

Plusieurs exceptions sont toutefois prévues, notamment par l’article L. 151-8 du code de commerce qui prévoit que le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :

– pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

– pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi Sapin II ;

– pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national.

Par conséquent, les lanceurs d’alerte bénéficient d’une protection spécifique, prévue par la directive européenne et transposée dans le code de commerce, complémentaire de l’irresponsabilité pénale prévue à l’article L. 122-9 du code pénal. Le Défenseur des droits a regretté, à ce sujet, la création d’un nouveau régime dont les garanties ne sont pas aussi protectrices que celles prévues par la loi « Sapin II ».

Il découle de cette présentation et des auditions menées par votre rapporteur que la législation française demeure insatisfaisante malgré des avancées : protectrice par bien des aspects, la mise en œuvre concrète des droits reconnus aux lanceurs dalerte est défaillante. Ces derniers sont fréquemment démunis face aux obstacles qui leur sont opposés à tous les stades de la procédure de signalement et trop souvent, ils deviennent les premières victimes dun cadre juridique qui interdit les représailles sans se donner les moyens de véritablement les éviter.

Il en résulte une défiance vis-à-vis des relais existants au sein des entreprises (comme les syndicats ou les référents alerte lorsqu’ils ont été désignés) et des protections institutionnelles en place : les délais, le défaut d’information, l’absence de prise en compte de la fragilité de la situation du lanceur d’alerte, tout concourt à décourager les signalements. Or, ces derniers sont essentiels à la découverte et à la sanction d’un certain nombre de comportements que les autorités régulatrices ont du mal à identifier et, davantage encore, à prouver.

II.   L’opportunité, par la transposition de la directive européenne, de doter la France d’un régime effectif de protection des lanceurs d’alerte

1.   Une directive plus protectrice du droit des lanceuses et lanceurs d’alerte

L’adoption de la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, le 23 octobre 2019, marque un tournant dans l’appréhension de cette thématique par les législations nationales ([29]). En contraignant les États membres à mettre en œuvre des règles harmonisées en matière de droit d’alerte, cette dernière remédie, d’une part, à l’insuffisance, voire à l’absence, de protection spécifique au sein de certains États ([30]) et renforce, d’autre part, la lutte contre les pratiques illégales ou les abus de droit, comme la corruption, qui dépassent souvent les frontières nationales.

Cette directive constitue également « une compensation à la consécration du secret des affaires (directive 2016/943/UE du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués), ce texte étant perçu comme une menace pour les lanceurs dalerte malgré laffirmation quil ne doit pas entraver leur activité. » ([31])

Si le cadre réglementaire proposé présente d’importantes similitudes avec celui résultant de la loi « Sapin II », la France s’étant fortement impliquée dans la rédaction de la directive, des avancées importantes ont également été obtenues par le Parlement européen pour améliorer le traitement des signalements et la protection des lanceurs d’alerte. ([32])

La transposition de la directive doit ainsi permettre de revoir la graduation des procédures de signalement en substituant aux trois étapes prévues par le droit en vigueur (signalement interne, signalement externe et, en dernier recours, alerte publique) deux étapes permettant aux lanceurs d’alerte d’arbitrer, en fonction de la nature des manquements et des risques qu’ils peuvent encourir, entre un premier signalement interne ou externe (sans hiérarchie entre ces deux procédures), puis de rendre publique l’alerte en cas d’absence de mesures prises pour remédier aux faits contestés (chapitres II et III).

On relève par ailleurs que :

– les circonstances justifiant la publicité de l’alerte sont plus larges que celles en vigueur : outre le danger imminent ou manifeste, et le risque de dommages irréversibles, la directive autorise cette publicité en cas de risque de représailles, d’absence de volonté de remédier à la violation constatée, de risque de dissimulation ou de destruction de preuves, ou de collusion d’une autorité avec l’auteur de la violation (chapitre IV) ;

– en cas de signalement interne, la personne destinataire de l’alerte devra être le référent désigné à cette fin, ce qui signifie que le supérieur hiérarchique qui se trouverait destinataire d’un signalement devra le lui transmettre pour traitement ;

– les délais de traitement des alertes sont précisément encadrés, ce qui devrait constituer une sécurité juridique supplémentaire pour le lanceur d’alerte ;

– le bénéfice des mesures de protection est étendu, s’il y a lieu, aux personnes en lien avec le lanceur d’alerte également susceptibles de faire l’objet de représailles ;

– les motifs amenant des personnes à effectuer un signalement devraient être sans effet sur la décision de leur allouer une protection. Par conséquent, le caractère désintéressé ou non de l’alerte ne devrait plus constituer un motif conditionnant le statut de lanceur d’alerte.

Conformément à l’article 26 de la directive, les États membres doivent prendre les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à sa transposition au plus tard le 17 décembre 2021. ([33])

 

 

Le coût économique du défaut de protection des lanceuses et lanceurs dalerte

en Europe

Une étude de 2017 menée par la Commission européenne estime que les pertes liées au manque de protection des lanceurs d’alerte, dans le seul secteur des marchés publics, pourraient représenter entre 5,8 et 9,6 milliards d’euros chaque année pour l’Union européenne. ([34])

L’enjeu est donc à la fois politique, économique et sociétal.

 

ESTIMATION DES BÉNÉFICES DUNE PROTECTION DES LANCEURS DALERTE EN MATIÈRE DE MARCHES PUBLICS (en millions deuros)

Source : Commission européenne

2.   La ratification de la directive et l’amélioration de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte par les deux propositions de loi

a.   Les dispositions de la proposition de loi ordinaire

Larticle 1er de la proposition de loi modifie, d’une part, la définition du lanceur d’alerte afin d’en étendre le champ des bénéficiaires (aux personnes morales, aux personnes physiques ayant une relation professionnelle, même indirecte, avec l’entité visée par le signalement) et de préciser les violations pouvant faire l’objet de signalement, conformément aux dispositions prévues par la directive.

Larticle 2 accorde les mêmes protections que celles dont bénéficie le lanceur d’alerte à son entourage ou à certains tiers avec lesquels il entretient des liens, qui pourraient faire l’objet de représailles.

Les articles 3 et 5 modifient la procédure de signalement : le lanceur d’alerte pourra décider de procéder au signalement qui lui semble le plus adapté pour remédier à la violation constatée et le prémunir du risque de représailles. Il pourra ainsi opter pour un signalement interne ou externe. Les garanties encadrant les procédures internes sont par ailleurs renforcées. La procédure de signalement public n’est, quant à elle, pas modifiée.

procédure de signalement proposée par la proposition de loi

 

 

         

procédure dérogatoire (inchangée)

 

Source : commission des Lois.

Larticle 4 prévoit d’expérimenter la mise en œuvre de procédures de signalement au sein des entreprises comprenant moins de 50 salariés, ces dernières pouvant, le cas échéant, mutualiser les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.

Larticle 6 énonce les dispositions applicables aux différentes procédures de signalement, notamment en ce qui concerne la préservation de la confidentialité de l’identité des lanceurs d’alerte.

Les articles 7 à 9 précisent les mesures de protection des lanceurs d’alerte contre les sanctions disciplinaires ou les discriminations mises en œuvre à leur encontre du seul fait de leur signalement, tandis que l’accès à l’aide juridictionnelle dans le cadre d’une action en justice visant à faire reconnaître ces agissements n’est plus conditionné à un niveau de ressources.

Larticle 10 ouvre l’accès à la fonction publique aux lanceurs d’alerte par la voie de la valorisation des acquis de compétences.

Larticle 11 permet aux lanceurs d’alerte qui en font la demande de bénéficier d’un soutien financier sous la forme d’une indemnité versée par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions.

Larticle 12 prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur la création d’un code de la lanceuse et du lanceur d’alerte.

Les articles 13 et 14 prévoient respectivement l’entrée en vigueur de la proposition de loi et en assurent sa recevabilité au regard de l’article 40 de la Constitution.

b.   Les dispositions de la proposition de loi organique

Larticle 1er de la proposition de loi organique précise le contenu de la mission du Défenseur des droits en matière d’accompagnement des lanceurs d’alerte, et lui rattache une inspection générale de la protection des lanceuses et des lanceurs d’alerte.

Larticle 2 crée cette inspection et définit ses missions.

Larticle 3 détaille la composition de cette inspection et notamment les commissions thématiques qui seront chargées de traiter les signalements transmis.

Les articles 4 et 5 prévoient respectivement l’entrée en vigueur de la proposition de loi organique et en assurent sa recevabilité au regard de l’article 40 de la Constitution.

3.   La position de la Commission

À l’initiative de son rapporteur, la Commission a supprimé, à l’article 1er de la proposition de loi ordinaire, lobligation pour le lanceur dalerte dagir de manière désintéressée, tout en maintenant l’obligation d’être de bonne foi.

Reprenant les dispositions de la directive européenne, elle a élargi, à l’article 3, les conditions justifiant quune alerte puisse être rendue publique sans que son auteur ait préalablement procédé à un signalement interne ou externe.

La Commission a également adopté sans modification les articles 2, 7, 12, 13 et 14 de la proposition de loi.

En revanche, elle a supprimé l’ensemble des mesures de protection supplémentaires dont devaient bénéficier les lanceurs d’alerte (articles 6 et 8 à 11) ainsi que le renforcement des moyens du Défenseur des droits pour accompagner ces derniers dans leurs démarches et assurer la mise en œuvre par les personnes publiques et privées concernées de procédures de recueil des alertes efficaces (article 5). Elle a, en conséquence, rejeté lensemble des dispositions de la proposition de loi organique créant une inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte.

Le texte de la Commission se trouve donc amputé, aux yeux de votre rapporteur, de deux volets pourtant essentiels pour assurer la pleine transposition de la directive européenne : la mise en place d’une véritable procédure de signalement externe présentant des garanties d’indépendance et d’expertise ; une protection effective des lanceurs d’alerte garantissant leur anonymat et la réparation des représailles dont ils font l’objet par des aides spécifiques.

Par conséquent, votre rapporteur souhaite que, d’ici la séance publique, de nouvelles propositions sur ces deux volets puissent être discutées et adoptées de manière à compléter les avancées réalisées en Commission et permettre au Parlement de se prononcer sur un dispositif d’ensemble cohérent.

 

 


— 1 —

 

   Commentaire des articles de la proposition de loi

Titre Ier
Dispositions générales

Article 1er
(art. 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique)
Définition des lanceuses et lanceurs dalerte

Adopté par la Commission avec modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi vise à préciser la définition du lanceur d’alerte de manière à :

– étendre la reconnaissance de ce statut à des personnes morales, ainsi qu’aux actionnaires, aux membres de l’organe de direction ou de surveillance d’une entreprise, aux stagiaires et bénévoles, et à toute personne travaillant en relation avec l’entreprise ;

– préciser que le signalement peut être réalisé par écrit ou à l’oral ;

– supprimer la précision selon laquelle, en plus d’être grave, la violation dénoncée doit être « manifeste » ;

– ajouter à la liste des manquements pouvant faire l’objet d’une alerte les actes ou les omissions allant à l’encontre des règles de droit en vigueur ;

– souligner que le lanceur d’alerte dispose d’un droit de signalement et de divulgation lui permettant de bénéficier de protections particulières.

Par ailleurs, des précisions sont apportées sur le contenu des signalements. Ces derniers peuvent ainsi porter sur toute information relative au champ des manquements concernés, y compris « des soupçons raisonnables », concernant des violations effectives ou susceptibles de se produire.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II », a introduit, dans le droit national, la première définition du statut de lanceurs d’alerte.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé l’obligation pour le lanceur d’alerte d’agir de manière désintéressée, tout en conservant l’obligation d’être de bonne foi.

1.   L’extension du statut de lanceuse et lanceur d’alerte

a.   Les dispositions prévues par la directive

L’article 4 de la directive ([35]) fixe la liste des personnes pouvant se voir reconnaître le statut de lanceur d’alerte, soit :

– les personnes ayant le statut de travailleur, y compris les fonctionnaires ;

– les personnes ayant le statut de travailleur indépendant ;

– les actionnaires et les membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise, y compris les membres non exécutifs, ainsi que les bénévoles et les stagiaires rémunérés ou non rémunérés ;

– toute personne travaillant sous la supervision et la direction de contractants, de sous-traitants et de fournisseurs ;

– les personnes ayant obtenu des informations sur des violations dans le cadre d’une relation de travail qui a pris fin ou qui n’a pas encore commencé (par exemple, à l’occasion du processus de recrutement ou d’autres négociations précontractuelles).

Les personnes concernées entretiennent ainsi une relation professionnelle avec l’entité dont elles signalent les agissements, contrairement à la définition retenue par l’article 6 de la loi « Sapin II » dont le champ est plus large. Ce dernier reconnaît en effet le statut de lanceur d’alerte à toute personne ayant eu connaissance personnellement des faits dénoncés à la condition que celle-ci agisse de manière désintéressée et de bonne foi.

b.   Les dispositions proposées

L’article 25 de la directive permettant aux États membres d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables aux droits des lanceurs d’alerte que celles prévues au niveau communautaire, le présent article propose détendre le statut de lanceur dalerte aux personnes morales, comme les associations ou les syndicats (alinéa 3).

Cette disposition est d’autant plus importante que l’article 1er de la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 qui fondait le droit d’alerte en matière de santé et d’environnement reconnaissait déjà ce statut aux personnes morales en cas de signalement « de bonne foi [portant sur] une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur lenvironnement ». L’abrogation de cet article par la loi « Sapin II » a conduit ainsi à méconnaître les spécificités de l’alerte en matière sanitaire et environnementale, qui peut davantage être le fait d’associations.

Par ailleurs, le champ des personnes pouvant réaliser un signalement dans le cadre d’une relation de travail est précisé de manière à reprendre expressément les termes de la directive (soit les personnes en situation d’emploi, ayant travaillé ou allant travailler au sein de l’entité concernée, les actionnaires et autres personnes associées à l’entreprise, les stagiaires, etc.) (alinéas 10 à 13).

2.   Un champ plus large de violations pouvant faire l’objet de signalements

a.   Les dispositions de la directive

L’article 2 de la directive définit un champ de violations relevant de l’alerte éthique très large. Ces violations sont entendues comme les actes ou omissions qui sont illicites ou vont à l’encontre des règles fixées par l’Union européenne en matière de :

– marchés publics ;

– services, produits et marchés financiers et prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ;

– sécurité et conformité des produits ;

– sécurité des transports ;

– protection de l’environnement ;

– radioprotection et sûreté nucléaire ;

– intérêts financiers de l’Union ;

– fonctionnement du marché intérieur, notamment en matière de fiscalité.

Par ailleurs, cet article précise que les États membres peuvent étendre cette liste à d’autres domaines.

b.   Les dispositions proposées

Le présent article tend à préciser le champ des violations pouvant faire l’objet d’une alerte, prévues par la loi « Sapin II » :

– alors que le droit en vigueur prévoit que la violation doit être « grave et manifeste », ce second qualificatif est supprimé (alinéa 5) ;

– les violations au droit de l’Union européenne sont expressément ajoutées (alinéa 6), ainsi que les actes ou omissions allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité des règles de droit en vigueur (alinéa 7) ;

– enfin, la définition donnée par la directive des informations sur les violations pouvant motiver une alerte est insérée à l’article 9 : sont ainsi concernées « des informations, y compris des soupçons raisonnables, concernant des violations effectives ou potentielles, qui se sont produites ou sont susceptibles de se produire dans lorganisation dans laquelle lauteur de signalement travaille ou a travaillé ou dans une autre organisation avec laquelle lauteur de signalement est ou a été en contact dans le cadre de son travail, et concernant des tentatives de dissimulation de telles violations » (alinéa 10).

Cette définition très large des violations pouvant faire l’objet d’un signalement nécessite en contrepartie la mise en place de procédures de traitement effectif permettant de trier les informations reçues et de leur assurer un suivi adapté en fonction de leur nature et de la gravité des faits.

3.   La position de la Commission

À l’initiative de votre rapporteur, la Commission a supprimé l’obligation pour le lanceur d’alerte d’agir de manière désintéressée, tout en maintenant l’obligation d’être de bonne foi.

En effet, le caractère désintéressé de l’alerte ne permet pas de protéger des personnes dénonçant des faits entrant dans le champ de l’alerte éthique lorsqu’elles sont, par exemple, en conflit avec leur employeur, alors même que serait constatée, à la suite de leur signalement, une grave violation à la loi. Par ailleurs, cette condition est systématiquement évoquée par les parties défenderesses pour mettre en cause l’auteur du signalement et fragiliser l’alerte. Cette condition restrictive décourage ainsi le signalement de comportements contraires à l’intérêt général et au droit en vigueur.

Par ailleurs, elle n’apparaît pas compatible avec le considérant 32 de la directive européenne selon lequel « les motifs amenant les auteurs de signalement à effectuer un signalement devraient être sans importance pour décider sils doivent recevoir une protection. »

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Article 2
(art. 6-1 [nouveau] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique)
Protection des personnes en lien avec les lanceuses et lanceurs dalerte

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 de la proposition de loi a pour objet d’étendre le bénéfice des protections bénéficiant aux lanceurs d’alerte aux facilitateurs, aux tiers et aux entités juridiques avec lesquels ils sont en lien et qui pourraient faire l’objet de représailles.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification

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La définition des lanceurs d’alerte, prévue par l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II » ([36]), conditionne la reconnaissance de ce statut et le bénéfice des protections qui lui sont associées au fait que la personne qui effectue un signalement ait eu une connaissance personnelle des faits dénoncés.

Cette condition exclut, par conséquent, les personnes ayant pu apporter leur concours au lanceur d’alerte, alors même qu’elles peuvent faire l’objet de représailles. Par exemple, le conjoint d’un lanceur d’alerte travaillant dans la même entreprise peut faire l’objet de sanctions injustifiées. De même, des tiers mentionnés dans le signalement pourraient être inquiétés.

Pour prévenir les effets négatifs d’une alerte sur les tiers en contact avec le lanceur d’alerte, la directive européenne ([37]) précise que les procédures de signalement doivent garantir que « lidentité de chaque auteur de signalement, de chaque personne concernée et des tiers mentionnés dans le signalement, par exemple des témoins ou des collègues, [soit] protégée à tous les stades de la procédure » (considérant 76).

Par ailleurs, une protection doit être assurée contre les mesures de représailles indirectes à l’encontre « des facilitateurs, des collègues ou des proches de lauteur de signalement qui sont également en lien dans un contexte professionnel avec lemployeur, le client ou le destinataire des services de lauteur de signalement ». De même, « les représentants syndicaux ou les représentants des travailleurs devraient bénéficier de la protection prévue par la présente directive, tant lorsquils effectuent un signalement en tant que travailleurs que lorsquils ont fourni des conseils et une aide à lauteur de signalement. Les représailles indirectes peuvent également comprendre des mesures prises à lencontre de lentité juridique appartenant à lauteur de signalement ou pour laquelle il travaille, ou encore avec laquelle il est en lien dans un contexte professionnel, comme le refus de fournir des services, la mise sur liste noire ou le boycottage daffaires » (considérant 41).

Son article 4, qui définit le champ des personnes pouvant être reconnues comme lanceurs d’alerte, prévoit ainsi que les mesures de protection dont bénéficient ces dernières s’appliquent également :

– aux facilitateurs, entendus comme des personnes physiques qui aident un auteur de signalement au cours du processus de signalement dans un contexte professionnel et dont l’aide devrait être confidentielle ;

– aux tiers qui sont en lien avec les auteurs de signalement et qui risquent de faire l’objet de représailles dans un contexte professionnel, tels que des collègues ou des proches des auteurs de signalement ;

– aux entités juridiques appartenant aux auteurs de signalement ou pour lesquelles ils travaillent, ou encore avec lesquelles ils sont en lien dans un contexte professionnel.

Le présent article introduit, en conséquence, un nouvel article 6-1 à la loi « Sapin II » pour étendre les protections existantes à ces trois catégories de personnes. La Commission l’a adopté sans modification.

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Titre II
Procédures de signalement

Article 3
(art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique)
Procédure de signalement interne

Adopté par la Commission avec modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 de la proposition de loi a pour objet de préciser les règles encadrant la procédure de signalement interne de manière à :

– permettre au lanceur d’alerte de recourir à un signalement externe s’il juge cette procédure plus appropriée ;

– rappeler l’obligation d’information des employeurs sur les procédures d’alerte ;

– renforcer les garanties offertes par les procédures de signalement interne ;

– permettre aux entités comptant entre 50 et 250 salariés de mettre en commun leurs ressources pour assurer le traitement des signalements.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 8 de la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II » ([38]), prévoit trois procédures de signalement successives : un lanceur d’alerte doit, en premier lieu, procéder à un signalement interne pour pouvoir, en cas d’absence de traitement par l’organisme dont il relève, s’adresser, en externe, aux autorités compétentes (autorités judiciaires ou administratives, ordres professionnels). À défaut de traitement et en dernier ressort, le lanceur d’alerte peut procéder à un signalement public.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a complété les dispositions relatives aux conditions dans lesquelles un signalement peut être rendu public.

1.   Garantir le recours à la procédure de signalement la plus adaptée

a.   Une information sur les procédures de signalement

Une information accessible et fiable sur les conditions dans lesquelles l’alerte peut être signalée pour donner droit au statut de lanceur d’alerte et aux protections qui lui sont associées constitue un préalable indispensable.

La directive européenne ([39]) souligne ainsi que les employeurs privés et publics doivent mettre à disposition des informations « claires et facilement accessibles […]. Par exemple, ces informations pourraient être affichées dans un endroit visible accessible à toutes les personnes et sur le site internet de lentité, et pourraient également être intégrées aux cours et aux séminaires de formations sur léthique et lintégrité » (considérant 59).

Le présent article propose ainsi d’inscrire cette obligation d’information, actuellement prévue par le décret, à l’article 8 de la loi « Sapin II » (alinéa 11).

b.   Le choix entre un signalement interne ou externe

L’article 10 de la directive autorise les lanceurs d’alerte à recourir à un signalement interne ou externe. L’article 7 invite toutefois les États membres à encourager les signalements internes avant les signalements externes « lorsquil est possible de remédier efficacement à la violation en interne et que lauteur du signalement estime quil ny a pas de risque de représailles. »

Le présent article tire les conséquences de ces dispositions en permettant au lanceur d’alerte de recourir à l’une ou l’autre de ces procédures, sans plus établir de hiérarchie entre les deux (alinéa 6). Les conditions dans lesquelles le signalement peut être rendu public sont, quant à elles, inchangées.

2.   Améliorer le traitement des signalements internes

a.   La possibilité de saisir l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte

En l’absence de diligences dans le traitement du signalement interne, son auteur pourra l’adresser à l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte, créée auprès du Défenseur des droits (alinéa 7).

Celle-ci est en effet chargée, par l’article 2 de la proposition de loi organique, de recueillir les signalements et d’en assurer le suivi.

b.   La consultation des partenaires sociaux pour la mise en place des procédures de signalement interne

L’article 8 de la loi « Sapin II » est complété de manière à prévoir que les partenaires sociaux sont consultés sur les procédures de signalement interne mises en œuvre par les personnes de droit public ou privé d’au moins cinquante salariés, les administrations et les collectivités territoriales (alinéa 8).

c.   Les garanties apportées aux procédures de signalement interne

Reprenant les termes de l’article 8 de la directive, le présent article précise les conditions dans lesquelles le signalement interne doit se dérouler pour apporter toutes les garanties nécessaires au lanceur d’alerte :

– les canaux de signalement peuvent être gérés en interne par une personne ou un service désigné à cet effet, ou par un tiers (alinéa 13) ;

– ces derniers doivent présenter des garanties d’indépendance pour assurer le suivi des signalements, maintenir la communication avec leur auteur, lui demander des informations complémentaires et lui fournir un retour d’information sur les suites données dans un délai maximal de trois mois (alinéa 16 et 18) ;

– un suivi diligent doit également être apporté aux signalements anonymes (alinéa 17).

Par ailleurs, pour assurer la mise en place effective de ces procédures de signalement, les entreprises privées comptant entre 50 et 249 salariés pourront partager des ressources pour recueillir les signalements et effectuer les éventuelles enquêtes que nécessite leur traitement (alinéa 14).

3.   La position de la Commission

À l’initiative de son rapporteur, la Commission a précisé les conditions dans lesquelles le signalement peut être rendu public par son auteur, sans recourir préalablement à la procédure de signalement interne ou externe, conformément aux dispositions de la directive européenne. Cette divulgation serait ainsi possible « en cas de danger imminent ou manifeste pour lintérêt public, de situation durgence ou de risque de préjudice irréversible, de risque de représailles ou de risques quil ne soit pas remédié à la violation, en raison des circonstances particulières de laffaire, notamment lorsque des preuves peuvent être dissimulées ou détruites ou lorsquune autorité peut être en collusion avec lauteur de la violation ou impliquée dans la violation ». ([40])

Elle a, au contraire, rejeté trois amendements du rapporteur visant à :

– modifier la dénomination de l’organe créé auprès du Défenseur des droits pour l’assister dans sa mission d’accompagnement des lanceurs d’alerte ;

– préciser les conditions dans lesquelles le signalement de l’alerte doit intervenir.

Sur ce dernier point, les amendements qui prévoyaient l’envoi d’un accusé de réception à l’auteur du signalement dans un délai de sept jours ([41]) et un « retour d’information » dans un délai raisonnable, ne pouvant excéder trois mois, sauf circonstances particulières ([42]), reprenaient la lettre de l’article 9 de la directive selon lequel « les procédures de signalement interne et de suivi visées à larticle 8 comprennent les éléments suivants :

« […]

« b) un accusé de réception du signalement adressé à lauteur du signalement dans un délai de sept jours à compter de cette réception ;

« c) la désignation dune personne ou dun service impartial compétent pour assurer le suivi des signalements, qui peut être la même personne ou le même service que celle ou celui qui reçoit les signalements et qui maintiendra la communication avec lauteur du signalement et, si nécessaire, lui demandera dautres informations et lui fournira un retour dinformations ;

« […]

« f) un délai raisonnable pour fournir un retour dinformations, nexcédant pas trois mois à compter de laccusé de réception du signalement ou, à défaut daccusé de réception envoyé à lauteur de signalement, trois mois à compter de lexpiration de la période de sept jours suivant le signalement. »

Votre rapporteur souhaite ainsi que ces éléments puissent être repris en vue de la séance publique.

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Article 4
(art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique)
Expérimentation des procédures de signalement interne
au sein des petites entreprises

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article vise à permettre, à titre expérimental, la mise en place de procédures de signalement interne au sein des entreprises de moins de 50 salariés, pour une durée de trois ans à compter de la publication de la loi.

Cette expérimentation fait l’objet d’une évaluation transmise au Parlement au plus tard six mois avant son terme.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 8 de la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II » ([43]), prévoit l’obligation de mettre en œuvre des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels pour les personnes morales de droit public ou de droit privé d’au moins cinquante salariés, les administrations de l’État, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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La directive européenne du 23 octobre 2019 ([44]) reprend les seuils retenus par la législation française pour l’obligation de mise en place d’un canal interne de signalement. Elle dispose ainsi que « pour les entités juridiques du secteur privé, [cette obligation] devrait être proportionnelle à leur taille et au niveau de risque que leurs activités présentent pour lintérêt public » (considérant 49). Toutes les entreprises de plus de 50 travailleurs y seront par conséquent soumises.

Par ailleurs, les États membres peuvent « encourager les entités juridiques du secteur privé de moins de 50 travailleurs à établir des canaux internes pour les signalements et leur suivi, notamment en fixant pour ces canaux des exigences moins contraignantes que celles prévues par la présente directive, à condition que ces exigences garantissent la confidentialité et un suivi diligent » (considérant 50).

Par conséquent, si les employés de ces entreprises pourront, à la suite de la transposition de la directive, recourir directement au signalement externe, il convient de prendre les mesures les plus adaptées pour leur permettre de disposer également d’une procédure de signalement interne. En effet, des réponses aux faits dénoncés peuvent être apportées efficacement par l’employeur lui-même, s’il leur est étranger.

Le présent article propose ainsi d’expérimenter la mise en place d’une procédure de signalement interne dans les petites entreprises pendant une durée de trois ans. À cette fin, la mutualisation des moyens dont elles disposent au niveau d’un bassin d’emploi, de plusieurs filiales ou d’entreprises volontaires pourrait être envisagée.

La Commission a toutefois supprimé cet article.

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Article 5
(art. 8-3 et 8-4 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique)
Procédure de signalement externe

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article confie à l’inspection générale de la protection des lanceuses et des lanceurs d’alerte, créée par l’article 2 de la proposition de la loi organique, le recueil et le suivi des signalements externes.

       Dernières modifications législatives intervenues

À l’exception des cas de danger grave et imminent ou de risque de dommages irréversibles, l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II » ([45]), conditionne la possibilité de recourir à un signalement externe à l’absence de diligences dans le traitement du signalement interne qui lui succède obligatoirement.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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Conformément aux dispositions de la directive européenne du 23 octobre 2019 ([46]) qui permettent aux lanceurs d’alerte de recourir directement à un signalement externe si celui-ci est plus approprié pour mettre un terme à la violation constatée (article 7), le présent article confie à l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte, rattachée au Défenseur des droits, la mission de recueillir et d’assurer le suivi des signalements externes.

Cette dernière serait ainsi chargée :

– d’accuser réception du signalement dans un délai maximal de sept jours à compter de sa réception, sauf cas particuliers (alinéa 5) ;

– de mettre en œuvre un suivi diligent des suites à donner aux signalements, le cas échéant, en recourant à des enquêtes internes ou en saisissant les autorités judiciaires et administratives pour initier des poursuites ou des actions visant à mettre un terme aux violations constatées (alinéa 4) ;

– de communiquer à l’auteur du signalement le résultat des enquêtes menées le cas échéant (alinéa 7).

Par ailleurs, le site de l’inspection devrait comporter des informations aisément identifiables sur les conditions ouvrant droit au statut de lanceur d’alerte, les coordonnées des autres canaux de signalements externes (autorités judiciaires, autorités administratives, ordres professionnels), la procédure de traitement et de suivi des signalements, le régime de confidentialité applicable, les recours contre les éventuelles représailles prises par l’employeur ainsi que la possibilité pour les personnes souhaitant faire un signalement de disposer de conseils confidentiels et gratuits (alinéas 8 à 14).

Votre rapporteur a souhaité préciser la rédaction de cet article en prévoyant que :

– l’auteur de l’alerte soit destinataire d’un retour d’information « dans un délai raisonnable nexcédant pas trois mois ou six mois dans des cas dûment justifiés » ([47]), comme le prévoyait également un amendement à l’article 3 pour les signalements internes ;

– les conseils confidentiels apportés par le Défenseur des droits aux personnes souhaitant le consulter sur une alerte le sont à titre gratuit ;

– la dénomination de l’inspection générale des lanceuses et lanceurs d’alerte, créée auprès du Défenseur, soit modifiée : il était proposé de supprimer le terme « générale » évoquant les corps d’inspection rattachés au pouvoir exécutif.

Toutefois, la Commission a supprimé cet article, renvoyant à la poursuite des consultations pour déterminer quelle entité serait la plus à même de traiter des signalements externes.

Pour votre rapporteur, cette suppression prive la proposition de loi de lune des plus grandes avancées de la directive européenne, à savoir la mise en œuvre dune procédure de signalement externe effective.

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Article 6
(art. 9 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique)
Dispositions communes aux procédures de signalement

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Outre des mesures de coordination, le présent article vise à garantir l’information des personnes ayant effectué un signalement en cas de divulgation de leur identité.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 9 de la loi de la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II » ([48]), précise les garanties de confidentialité dont doivent bénéficier les lanceurs d’alerte.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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La confidentialité de l’identité des personnes effectuant des signalements constitue leur meilleure protection. Ce constat justifie que des garanties spécifiques aient été prévues par l’article 9 de la loi « Sapin II » précitée :

– les procédures mises en œuvre pour recueillir les signalements doivent ainsi garantir la stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement ;

– les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués, sauf à l’autorité judiciaire, qu’avec le consentement de celui-ci ;

– la divulgation de l’identité d’un lanceur d’alerte ou d’éléments permettant de l’identifier est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Cette protection est conforme aux dispositions de l’article 16 de la directive européenne ([49]), relatif au devoir de confidentialité. Toutefois, cet article prévoit, par dérogation, que ces informations peuvent être divulguées « uniquement lorsquil sagit dune obligation nécessaire et proportionnée imposée par le droit de lUnion ou le droit national dans le cadre denquêtes menées par des autorités nationales ou dans le cadre de procédures judiciaires, notamment en vue de sauvegarder les droits de la défense de la personne concernée. » Dans ce cas, les auteurs du signalement doivent être informés avant que cette divulgation n’intervienne au moyen d’une explication écrite en détaillant les motifs.

Par conséquent, outre des coordinations (alinéas 2 à 6), le présent article prévoit l’envoi au lanceur d’alerte d’une telle information écrite motivant les raisons de cette divulgation dans le cadre d’une procédure judiciaire (alinéa 7).

La Commission a toutefois supprimé cet article.

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Titre III
Les mesures de protection

Article 7
(art. L. 1132-3-3 du code du travail)
Protection des lanceuses et lanceurs dalerte contre les représailles
prises à leur encontre

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article complète les dispositions prévues par l’article L. 1132-3-3 du code du travail visant à interdire les sanctions disciplinaires à l’encontre de personnes ayant signalé une alerte dans le respect des procédures prévues par la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II ». ([50])

       Dernières modifications législatives intervenues

La protection des lanceurs d’alerte prévue à l’article L. 1132-3-3 a été introduite par l’article 10 de la loi du 9 décembre 2016 précitée.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification

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Comme cela est rappelé dans l’exposé général du présent rapport, la loi du 6 décembre 2013 ([51]) définit, à l’article L. 1132-3-3 du code du travail, un régime de protection disciplinaire dans le cadre des relations de travail s’appliquant à toute personne ayant signalé, de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Cette première disposition générale est complétée, par l’article 10 de la « loi Sapin II », pour étendre le bénéfice de cette protection aux lanceurs d’alerte ayant respecté les procédures de signalement en vigueur.

Cette protection est d’autant plus importante que le signalement interne étant le préalable à toute autre démarche, le lanceur d’alerte peut se trouver en difficulté vis-à-vis de sa hiérarchie si celle-ci est compromise dans les violations dénoncées ou estime préférable de ne pas y remédier.

Par conséquent, l’alinéa 2 de l’article L. 1132-3-3 prévoit qu’« aucune personne ne peut être écartée dune procédure de recrutement ou de laccès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire lobjet dune mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures dintéressement ou de distribution dactions, de formation, de reclassement, daffectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi [Sapin II]. »

L’article 19 de la directive européenne ([52]), inspiré de ce dispositif, énumère l’ensemble des représailles, menaces ou tentatives de représailles auxquelles ne peut recourir un employeur à l’encontre d’un employé ayant procédé à une alerte. Cet article va plus loin que le droit en vigueur en ce qu’il vise notamment les cas « de coercition, d’intimidation ou de harcèlement ». Si ces pratiques sont d’ores et déjà interdites et sanctionnées par le droit en vigueur, le présent article prévoit de compléter l’article L. 1132-3-3 afin de le rappeler expressément (alinéa 2).

La Commission a adopté cet article sans modification.

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Article 8
(art. 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions dadaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations)
Protection des lanceuses et lanceurs dalerte contre les discriminations

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article ajoute les discriminations dont peuvent faire l’objet les lanceurs d’alerte à la liste des discriminations énumérées à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Par ailleurs, il prévoit que :

– les lanceurs d’alerte peuvent bénéficier de mesures correctives contre les représailles qu’ils auraient eues à subir dans le cadre de leur activité professionnelle ;

– ils n’encourent aucune responsabilité du fait de leur signalement et peuvent, à ce titre, demander l’abandon des poursuites à leur encontre.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 1er de la loi du 27 mai 2008 a été modifié par l’article 70 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique de manière à interdire les discriminations fondées sur la domiciliation bancaire.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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L’article 1er de la loi du 27 mai 2008 précitée fixe la liste des situations dans lesquelles une personne traitée de manière moins favorable qu’une autre est considérée comme victime de discrimination. Par exemple, la discrimination peut être liée à des opinions politiques ou des activités syndicales. Toute personne s’en estimant victime peut saisir la juridiction compétente, la partie défenderesse ayant alors la charge de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Lalinéa 1er du présent article étend cette protection aux lanceurs d’alerte. Il complète, en ce sens, les dispositions du code du travail interdisant les mesures de représailles à leur encontre.

Par ailleurs, deux autres dispositions visant à protéger les lanceurs d’alerte prévues par la directive européenne ([53]) sont reprises dans des termes semblables :

– lalinéa 2 prévoit que les lanceurs d’alerte peuvent bénéficier de mesures correctives contre les représailles dont elles auraient été victimes, y compris des mesures provisoires dans l’attente du règlement des procédures judiciaires ;

– lalinéa 3 prévoit que les lanceurs d’alerte n’encourent aucune responsabilité du fait des signalements réalisés dans le respect des règles en vigueur et qu’ils peuvent demander, à ce titre, l’abandon des poursuites engagées à leur encontre. Cette disposition s’ajoute à l’article L. 122-9 du code pénal qui leur assure un régime d’irresponsabilité pénale.

Votre rapporteur a proposé à la Commission de compléter ces dispositions de manière à prévoir que les mesures correctives en faveur des auteurs d’une alerte puissent « prendre la forme dactions de soutien psychologique, dorientation, daccompagnement, dévaluation des compétences professionnelles et de formation destinées à favoriser leur reclassement ou la reprise dune activité professionnelle. » À cette fin, leur compte personnel de formation aurait pu être abondé à son maximum par leur employeur. ([54])

Toutefois, la Commission a supprimé cet article au motif qu’il convenait à ce stade de s’en tenir au cadre minimal des obligations prévues par la directive européenne ([55]). Pourtant cette dernière prévoit explicitement que : « Les mesures provisoires revêtent une importance particulière pour les auteurs de signalement, en attendant le règlement des procédures judiciaires qui peut prendre du temps. En particulier, des actions visant à obtenir des mesures provisoires, tel que le prévoit le droit national, devraient être aussi à la disposition des auteurs de signalement en vue de mettre un terme aux menaces, aux tentatives de représailles ou aux représailles continues, telles que le harcèlement, ou pour empêcher des formes de représailles telles que le licenciement, qui peuvent être difficiles à renverser une fois quune longue période de temps sest écoulée et peuvent ruiner lindividu financièrement, une perspective qui peut décourager sérieusement les lanceurs dalerte potentiels » (considérant 96).

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Article 9
(art. 9-5 [nouveau] de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à laide juridique)
Accès à laide juridictionnelle

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit que la condition de ressources conditionnant le bénéfice de l’aide juridictionnelle n’est pas requise pour les lanceurs d’alerte.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 6 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique permet, à titre exceptionnel, d’accorder l’aide juridictionnelle notamment aux personnes ne remplissant pas les conditions de ressources prévues par la loi lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès. ([56])

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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L’aide juridictionnelle permet la prise en charge par l’État de tout ou partie des frais relatifs à un procès ou à une procédure pénale. L’aide peut être demandée avant ou pendant l’affaire concernée. Elle peut également être accordée pour faire exécuter une décision de justice. Sauf cas particulier, son bénéfice est réservé aux personnes dont les ressources sont inférieures à un plafond ([57]), qui ne disposent pas d’une assurance de protection juridique et dont l’action en justice envisagée n’est pas irrecevable ou dénuée de fondement.

De manière à soutenir financièrement les lanceurs d’alerte dans le cadre des actions en réparation qu’ils engagent, le présent article prévoit de déroger à leur profit, et à celui de leurs ayants droit le cas échéant, aux plafonds de ressources prévus par la loi (alinéa 2).

Cet article a été supprimé par la Commission. Pourtant, la directive européenne ([58]) souligne que « les frais juridiques peuvent représenter un coût important pour les auteurs de signalement contestant les mesures de représailles prises à leur encontre dans le cadre dune procédure judiciaire. Bien quils pourraient recouvrer ces frais à la fin de la procédure, ils pourraient ne pas être en mesure de payer ces frais au début de la procédure, surtout sils sont au chômage et inscrits sur une liste noire. Lassistance dans les procédures pénales […], et, plus généralement, loctroi dune aide à ceux qui ont de sérieux besoins financiers pourraient être déterminants, dans certains cas, pour la mise en œuvre effective de leur droit à la protection » (considérant 99).

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Article 10
Accès à la fonction publique des lanceuses et lanceurs dalerte

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article a pour objet d’ouvrir l’accès à la fonction publique aux lanceurs d’alerte par la voie de la valorisation des acquis de compétences.

       Dernières modifications législatives intervenues

Ce dispositif s’inspire de l’article 1er de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique. Ce dernier visait à permettre la titularisation des agents contractuels de manière à résorber l’emploi précaire au sein de la fonction publique.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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Les lanceurs d’alerte sont fréquemment victimes de représailles dans leur milieu professionnel dès lors que leur identité est révélée. Ce statut peut également constituer un obstacle à la reprise d’une activité professionnelle, même en cas de reconversion. Par conséquent, le présent article a pour objet de leur permettre d’accéder à la fonction publique par la voie de modes de recrutement réservés valorisant les acquis professionnels.

Plusieurs raisons justifient cette dérogation aux voies de recrutement en vigueur :

– si l’égal accès aux emplois publics est consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et que la jurisprudence constitutionnelle garantit le respect de ce principe ([59]), qui s’applique quel que soit le mode de recrutement ([60]), le statut de lanceur d’alerte, encadré par la loi et reposant sur le signalement, de bonne foi, d’agissements contraires à l’intérêt général, peut justifier, comme en d’autres matières, des dérogations spécifiques ;

– cette voie de recrutement permettra aux lanceurs d’alerte qui le souhaitent de se réinsérer dans un milieu professionnel leur offrant la stabilité dont ils ont souvent été privés en représailles à leur alerte. Toutefois, ces derniers devront présenter des acquis professionnels suffisants ;

– les modalités de mise en œuvre de cette dérogation, renvoyées à un décret en Conseil d’État, devront garantir la publicité de la procédure de recrutement et la possibilité pour d’autres candidats de se présenter aux postes proposés.

Toutefois, cet article a été supprimé par la Commission au même titre que les autres mesures de protection proposées en faveur des lanceurs d’alerte.

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Article 11
(art. 706-3 du code de procédure pénale)
Indemnité financière

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article a pour objet de permettre aux lanceurs d’alerte de bénéficier, s’il y a lieu, d’une assistance financière ou d’un secours financier sous la forme d’une indemnité fixée par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi).

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 706-3 du code de procédure pénale a été modifié par l’article 64 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice de manière à préciser que les agents publics et militaires ayant subi un préjudice peuvent saisir la Civi pour obtenir réparation.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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L’article 706-3 précité prévoit que « toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel dune infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne », sous réserve que ces faits aient soit entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, soit qu’ils relèvent des infractions réprimées par le code pénal et expressément visées par le dispositif.

Comme précédemment rappelé ([61]), le pouvoir législatif avait souhaité, dans le cadre de l’examen de la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II » ([62]), confier au Défenseur des droits la possibilité d’accorder un secours financier temporaire au lanceur d’alerte si, en raison du signalement effectué, celui-ci connaissait des difficultés financières graves et compromettant ses conditions d’existence.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions au motif que l’attribution de ce soutien ne relevait pas des missions confiées au Défenseur des droits par la Constitution. ([63])

Par conséquent, le présent article propose de confier à la Civi, qui dispose de l’expertise nécessaire, la mission d’accorder, s’il y a lieu, une assistance financière ou un secours financier au lanceur d’alerte prenant la forme d’une indemnité dont elle fixerait le montant.

Cet article a été supprimé par la Commission, alors même que l’article 20 de la directive européenne ([64]) prévoit que « les États membres peuvent prévoir une assistance financière et des mesures de soutien, notamment psychologique, pour les auteurs de signalement dans le cadre des procédures judiciaires. »

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Titre IV
Dispositions finales

Article 12
Rapport sur lélaboration dun code de la lanceuse et du lanceur dalerte

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur l’élaboration d’un code de la lanceuse et du lanceur d’alerte. L’objectif est de permettre à ces derniers de disposer d’un recueil des règles relatives à l’alerte éthique plus accessible et plus lisible que ne le sont les différentes lois et codes au sein desquelles ces règles sont actuellement disséminées.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification

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Article 13
Entrée en vigueur

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article fixe l’entrée en vigueur de la présente loi au premier jour du sixième mois suivant sa publication.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification

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Article 14
Gage

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article a pour objet de « gager » la présente proposition de loi pour la rendre recevable au regard de l’article 40 de la Constitution aux termes duquel : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou laggravation dune charge publique. »

À cette fin, le gage proposé doit être à la fois suffisant, réaliste et correctement affecté au profit de la ou des personnes qui subissent la perte de recettes. En l’espèce, il repose sur les recettes tirées de la taxe additionnelle sur les tabacs, prévue aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification

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— 1 —

 

   Commentaire des articles
de la proposition de loi organique

Titre Ier
Dispositions relatives aux compétences et à la saisine du défenseur des droits

Article 1er
(art. 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits)
Recueil et suivi des signalements externes par le Défenseur des droits

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi organique complète l’article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits de manière à prévoir que, dans le cadre de sa mission d’accompagnement des lanceurs d’alerte, ce dernier reçoit les signalements externes, assure un « retour d’informations » à leurs auteurs ainsi que le suivi de leur traitement par le biais d’une inspection générale de la protection des lanceuses et des lanceurs d’alerte qui lui est rattachée.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 4 de la loi organique précitée a été complété par la loi organique n° 2016‑1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte.

Pour mémoire, le pouvoir législatif avait souhaité confier au Défenseur la mission « dorienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette personne et, en tant que de besoin, de lui assurer une aide financière ou un secours financier ». Toutefois, le Conseil constitutionnel a censuré cette possibilité de verser une aide matérielle au motif qu’elle ne relevait pas des missions confiées au Défenseur des droits par l’article 71-1 de la Constitution.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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Autorité indépendante, le Défenseur des droits ne reçoit, dans l’exercice de ses attributions, aucune instruction et bénéficie d’une large autonomie budgétaire.

Ses missions, dont, entre autres, la défense des droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations et la lutte contre les discriminations, directes ou indirectes, notamment dans le milieu professionnel, ainsi que son positionnement institutionnel ([65]), ont conduit le pouvoir législatif à lui reconnaître une compétence spécifique en matière de protection des lanceurs d’alerte.

Si ce choix s’inscrivait dans la continuité des recommandations du Conseil d’État ([66]) et permettait d’éviter la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante ad hoc ou la mise en œuvre de la protection des lanceurs d’alerte par des autorités sectorielles, le bilan de l’action du Défenseur des droits en la matière demeure limité.

Alors que l’article 4 de la loi organique précitée lui reconnaît la mission d’orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi et de veiller aux droits et libertés de cette personne, votre rapporteur a pu mesurer, au cours des auditions qu’il a conduites, les difficultés du Défenseur à mobiliser les moyens humains et l’expertise nécessaire pour la remplir effectivement.

En premier lieu, le Défenseur manque de moyens. S’il dispose de 226 agents et d’un réseau de 501 délégués bénévoles présents sur l’ensemble du territoire, la nature des missions qui lui sont confiées et l’accroissement des requêtes qui lui sont envoyées ne lui permettent pas d’y faire face dans des conditions satisfaisantes. ([67])

En second lieu, l’information sur le rôle du Défenseur des droits en matière de protection des lanceurs d’alerte est insuffisante. À ce titre, la directive européenne ([68]) souligne que : « des conseils individuels, impartiaux, confidentiels et gratuits devraient être disponibles pour permettre de déterminer, par exemple, si les informations en question sont couvertes par les règles applicables en matière de protection des lanceurs dalerte, quel canal de signalement pourrait être le plus approprié et quelles autres procédures existent dans les cas où les informations ne sont pas couvertes par les règles applicables («signalisation »). […] Ces conseils et ces informations pourraient être délivrés par un centre dinformation ou par une autorité administrative unique et indépendante » (considérant 89).

Par conséquent, cet article a pour objet de renforcer la mission du Défenseur en la matière, en lui rattachant une inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte chargée de sa mise en œuvre.

La Commission a néanmoins supprimé cet article, par cohérence avec le rejet de l’ensemble des dispositions relatives à l’inspection.

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Titre II
Création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte

Article 2
(art. 37-1 [nouveau] de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011
relative au Défenseur des droits)
Inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs dalerte

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article crée une inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte, rattachée au Défenseur des droits.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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Le présent article introduit un nouvel article 37-1 dans la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits de manière à lui rattacher une inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte qui serait compétente pour :

– recevoir les signalements, fournir un retour d’information et assurer un suivi des signalements externes qui lui seraient adressés (alinéa 3) ;

– exercer le contrôle scientifique, technique et pédagogique en la matière, et notamment conduire des missions d’inspection et d’audit des entités publiques et privées pour s’assurer de la mise en œuvre des dispositions légales et leur adresser, le cas échéant, des recommandations (alinéa 4) ;

– assurer une mission permanente de conseil et d’expertise auprès du Défenseur des droits et de ses services, ainsi qu’auprès des entités publiques et privées relevant du domaine de compétence des dispositions relatives aux lanceuses et lanceurs d’alerte (alinéa 5).

Par ailleurs, cette inspection élaborerait chaque année un rapport d’activité rendu public, détaillant les éléments statistiques et budgétaires relatifs à son champ d’activité. Ce dernier ferait l’objet d’une présentation au Gouvernement et à chaque assemblée parlementaire (alinéa 6).

Elle réexaminerait ses procédures de réception des signalements et de suivi régulièrement et, au minimum une fois tous les trois ans, produirait un rapport public visant à établir un bilan et à proposer des adaptations des procédures en conséquence (alinéa 7).

Votre rapporteur souligne toutefois que la mise en place d’une telle entité nécessitera des moyens humains et financiers permettant d’assurer une protection effective des lanceurs d’alerte.

À son initiative, un amendement a également été soumis à la Commission de manière à préciser les moyens dont disposerait l’inspection pour mener ses missions d’inspection et d’audit des entités publiques et privées : celle-ci doit en effet être en capacité de « demander à ces dernières toute explication ou tout document nécessaire. Elle peut entendre ou consulter toute personne dont le concours lui paraît utile. Elle peut charger un ou plusieurs de ses membres de procéder ou de faire procéder par les agents de ses services à des vérifications. » ([69])

La Commission a néanmoins supprimé cet article, par cohérence avec le rejet de l’ensemble des dispositions relatives à l’inspection.

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Article 3
Composition de linspection générale de la protection
des lanceuses et lanceurs dalerte

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article précise la composition de l’inspection générale de la protection des lanceuses et des lanceurs d’alerte.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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L’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte, créée par l’article 2 de la présente proposition de loi organique, serait constituée, conformément aux dispositions du présent article, d’une commission présidée par le Défenseur des droits et de commissions de suivi scientifique spécialisées, à savoir :

– une commission des alertes en matière de santé publique et d’environnement ;

– une commission des alertes en matière de risques sanitaires et de protection des consommateurs ;

– une commission des alertes en matière de protection des animaux ;

– une commission des alertes en matière de sûreté nucléaire et de radio‑protection ;

– une commission des alertes en matière de vie privée et des données à caractère personnel ;

– une commission des alertes en matière de lutte contre l’évasion fiscale et lutte contre la délinquance financière ;

– une commission des alertes en matière de protection des personnes fragiles et vulnérables.

L’objectif poursuivi est de permettre la constitution d’une entité indépendante et aisément identifiable par les personnes concernées, chargée de recueillir les signalements et de les traiter au sein de commissions spécialisées, disposant de l’expertise nécessaire. Pour cela, l’inspection pourrait disposer par exemple de référents dans des administrations centrales, des inspections, des associations qu’elle pourrait mobiliser en fonction de la nature de l’alerte et de la gravité des faits signalés.

À ce titre, votre rapporteur a présenté un amendement visant à préciser que « ces commissions sont composées de personnalités qualifiées désignées en raison de leur expérience par le ministre chargé du domaine dont relève le signalement, duniversitaires et de chercheurs, ainsi que de personnalités désignées par les associations intervenant, par leurs statuts, dans ce même domaine et que linspection a agréées en application de critères objectifs définis par son règlement général. Ces personnes sont soumises à des obligations dindépendance, de confidentialité, de protection des données et de secret professionnel. » ([70])

La Commission a néanmoins supprimé cet article, par cohérence avec le rejet de l’ensemble des dispositions relatives à l’inspection.

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Titre III
Dispositions finales

Article 4
Entrée en vigueur

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit que la présente proposition de loi organique entrera en vigueur le premier jour du sixième mois suivant sa publication.

Ce délai doit permettre aux acteurs concernés de préparer la mise en œuvre de la réforme et de respecter les délais de transposition de la directive européenne.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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Article 5
Gage

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article a pour objet de « gager » la présente proposition de loi organique, c’est-à-dire de la rendre recevable au regard de l’article 40 de la Constitution, dans les mêmes conditions que celles présentées au commentaire de l’article 14 de la proposition de loi ordinaire.

       Modifications introduites par la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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   Compte–rendu des débats

Lors de sa première réunion du mercredi 4 mars 2020, la Commission examine la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte (n° 2600) et la proposition de loi organique visant à la création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte (n° 2591) (M. Ugo Bernalicis, rapporteur).

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il peut paraître étonnant qu’une proposition de loi émanant du groupe La France insoumise se charge de transposer une directive européenne. Mais il nous a semblé essentiel que celle de la directive sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union s’engage rapidement : à bien des égards, cette transposition améliorerait la protection des lanceurs d’alerte dans notre pays.

Tel que nous le concevons, le lanceur d’alerte existe parce que des dysfonctionnements se manifestent au sein de notre société. Ceux-ci peuvent être internes à des entités privées ou publiques, mais ils peuvent aussi affecter les organismes de contrôle, ceux-là mêmes qui sont chargés d’éviter les manquements qui pourraient porter préjudice à l’intérêt général et aux populations.

Les lanceuses et les lanceurs d’alerte sont souvent reconnus comme tels par le public, la presse et les médias en général, mais ils ne le sont pas nécessairement par la loi. Le nombre d’individus reconnus comme lanceurs d’alerte est assez faible, notamment du fait d’une disposition particulière de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, qui a créé et défini ce statut. Celle-ci oblige le lanceur d’alerte à prévenir sa hiérarchie pour bénéficier de cette reconnaissance et des protections qui l’accompagnent ; cela complique singulièrement sa tâche, puisque c’est souvent précisément contre elle que l’alerte est lancée. Cette difficulté a été régulièrement soulevée par des lanceurs d’alerte eux-mêmes, par les associations qui les soutiennent ainsi que par les services du Défenseur des droits.

Nous voulons éviter l’écueil particulièrement dangereux de nous appuyer sur la seule volonté individuelle pour régler nos problèmes collectifs, car faire reposer la viabilité des organisations publiques et privées uniquement sur une image de chevalier blanc désintéressé n’est pas un gage de bonne santé pour notre fonctionnement démocratique. Le Conseil d’État l’avait d’ailleurs relevé, en février 2016, dans le cadre de son étude sur le droit d'alerte : « parce que l’alerte éthique ne peut rester l’apanage d’acteurs héroïques, parce que les nouveaux canaux qu’elle emploie lui ont donné une puissance qui parfois devient destructrice, il faut qu’elle devienne une procédure sûre, accessible et structurée ; c’est pour cela qu’un droit spécifique a été inventé. » Mais il ne faut pas croire qu’il suffit de créer ce statut de lanceur d’alerte, d’encadrer et de protéger ces « héros », pour que les problèmes collectifs auxquels nous faisons face soient réglés. In fine, si l’autorité judiciaire dysfonctionne, le lanceur d’alerte ne pourra jamais voir reconnaître l’utilité et la sincérité de sa démarche.

La loi Sapin 2 a eu le mérite de mettre le pied dans la porte en définissant le lanceur d’alerte de manière large. Son article 6 dispose qu’« un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. » C’est une définition plus ambitieuse que celle proposée par la directive européenne.

Pour se voir reconnaître le statut de lanceur d’alerte, le processus est toutefois laborieux : la loi Sapin 2 prévoit une gradation en obligeant d’abord à prévenir sa hiérarchie – au stade du signalement interne – avant de passer au signalement externe puis à la divulgation publique. Cette loi témoigne ensuite d’une conception portant uniquement sur la responsabilité individuelle de la lanceuse ou du lanceur d’alerte en tant que personne physique : elle ne reconnaît pas le rôle des personnes morales. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi concernant le versement du secours financier prévu pour les lanceurs d’alerte ; c’est un véritable « trou dans la raquette », qu’il faut bien entendu combler.

La loi Sapin 2 octroie un rôle central au Défenseur des droits pour accompagner les auteurs de signalements, mais sans lui donner de moyens supplémentaires. Le nombre d’alertes reçues et traitées par ce dernier est finalement assez faible, tant la complexité du processus rend cette voie externe difficile à emprunter, bien qu’elle soit à certains égards avantageuse. Beaucoup de lanceuses et de lanceurs d’alerte préfèrent ainsi rester anonymes en passant par voie de presse ou en transmettant directement des informations à la justice. On peut le regretter, car il était dans l’intention du législateur qu’un tel réceptacle existe pour l’alerte.

Les cas de figure sont très différents : Irène Frachon, Denis Breteau, Céline Boussié ou Antoine Deltour exercent dans des domaines très variés et la plupart d’entre eux ne bénéficient pas du statut de lanceur d’alerte au titre de la loi Sapin 2.

Cependant, les initiatives du législateur français ont permis d'initier des discussions au niveau européen, qui ont mené à l'adoption de la directive. Celle-ci apparaissait alors comme la contrepartie de celle du 8 juin 2016 sur le secret des affaires – afin de faire respecter une sorte de parallélisme des formes avec les protections reconnues au acteurs économiques, certains s’étaient élevés pour que le statut de lanceur d’alerte soit reconnu à l’échelle communautaire. En France, nous avons eu le mérite de procéder dans l'ordre inverse. En matière de législation de l’alerte, la loi Sapin 2 a donc fait office de précurseur en Europe – où nous accusions d’ailleurs un certain retard sur nos voisins outre-Atlantique.

Cependant, au cours des négociations européennes, le gouvernement français a défendu l’état du droit, qu’il n’a pas cherché à approfondir, ce que l’on peut regretter. Il a même été mis en minorité par ses partenaires européens s’agissant de la procédure de signalement obligeant, dans un premier temps, à prévenir sa hiérarchie en interne avant de pouvoir recourir à d'autres formes de signalement ; c’est une bonne chose et c’est un point essentiel de la transposition que nous voulons mener à bien. La définition française du lanceur d'alerte reste néanmoins plus large que celle de la directive, et nous pourrons nous appuyer dessus. Nous sommes en quelque sorte au milieu du gué : des dispositions existent, mais nous sommes encore en-deçà des besoins des lanceuses et des lanceurs d’alerte.

En réalité, la directive invite à préciser les moyens pouvant être sollicités pour lancer l’alerte et les dispositifs de protection à mettre en œuvre : elle nous incite explicitement à « surtransposer », d’autant qu’elle comporte aussi un principe de non-régression – si le droit national est plus protecteur que ce qui est proposé au niveau européen, il faut le conserver et en aucun cas réduire le niveau de protection.

La directive a été signée le 7 octobre 2019 et promulguée le 23 octobre. Pour l’essentiel, nous avons deux ans, jusqu’au 17 décembre 2021, pour la transposer dans le droit national. Chers collègues, c’est demain ! Depuis l’adoption de la loi de 2016, le Défenseur des droits s’est approprié le sujet qui lui a été confié et le secteur associatif privé s’est structuré, notamment dans le cadre de la Maison des lanceurs d’alerte : des connaissances et des compétences ont été acquises et accumulées ; elles doivent maintenant être utilisées pour transposer la directive. Le Défenseur des droits a d’ailleurs lui-même organisé un colloque de dimension européenne, qui a eu lieu le 3 décembre 2019 ; il a été conclu par la Garde des sceaux et notre collègue Sylvain Waserman y est intervenu, puisqu’il a rédigé pour l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe un rapport sur la protection des lanceurs d’alerte, publié en août 2019. Ce rapport recoupe un certain nombre de nos propositions.

Nous devons donc nous atteler sans attendre à la transposition de la directive et nous contraindre nous-mêmes à travailler dans l’urgence, car nous avons tous vécu l’expérience d’une transposition réalisée trop tardivement, donc de façon minimaliste, faute de temps pour chambouler la législation existante. Ce serait une erreur politique que de procéder de la sorte, d’autant que chaque jour qui passe, ce sont autant de lanceuses et de lanceurs d’alerte qui ne bénéficient pas de la protection que la société leur doit.

J’ai vu récemment au cinéma un film qui traite de l’alerte lancée sur le C8, un composé du téflon ayant provoqué une intoxication mondiale. Il raconte le parcours du combattant, qui a duré vingt ans, d’un avocat et de quelques citoyens plus que déterminés pour faire reconnaître un danger mortel pour la totalité de la population mondiale – 99 % des êtres humains ont du C8 dans le sang.

Nous mettons sur la table deux propositions de loi ; l’une est ordinaire, l’autre organique parce qu’elle doit s’appliquer au Défenseur des droits qui est une autorité constitutionnelle.

Nous proposons d’abord d’étendre la reconnaissance de la capacité à lancer l’alerte aux personnes morales. C’est un point important, qui nous tient à cœur et qui fait débat. Il a été soulevé dans le rapport de M. Waserman qui évoquait la nécessité d’élargir le dispositif aux personnes morales, même si elles ne peuvent évidemment pas bénéficier des mêmes protections que les personnes physiques.

Nous introduisons aussi la possibilité d’emprunter des voies d’alerte non exclusives les unes des autres. Un individu pourrait lancer l’alerte par la voie interne, par la voie externe mais aussi directement par la divulgation publique dans certaines conditions, ou même par les trois à la fois. Cela supprime, par conséquent, l’obligation actuelle de prévenir sa hiérarchie pour pouvoir bénéficier d’une protection.

Nous souhaitons, par ailleurs, que les dispositifs de protection soient élargis à l’entourage du lanceur d’alerte ; c’est souvent un angle mort de la réflexion. Il peut s’agir, par exemple, du conjoint ou de la conjointe, qui travaille dans la même entreprise et subit des représailles sans être protégé.

Seraient également mises en place des voies de signalement internes au sein de toutes les entités, notamment à titre expérimental dans celles comptant moins de cinquante salariés. C’est aussi un point qui peut faire débat, mais nous devons progresser sur ce sujet, car tous les salariés de notre pays doivent disposer de telles possibilités.

L’accès à l’aide juridictionnelle doit pouvoir être ouvert sans condition de ressources, de sorte que la lanceuse ou le lanceur d’alerte puisse enclencher le processus juridique en consultant un avocat, ce qui ne l’empêche pas d’établir ensuite une convention d’honoraires allant au-delà de l’aide initiale. Les conditions particulières dans lesquelles se trouvent souvent le lanceur d’alerte doivent conduire à lui octroyer cette facilité.

Me tient particulièrement à cœur une proposition issue du travail que j’ai mené avec notre collègue Jacques Maire sur les moyens mis en œuvre par l’État dans la lutte contre la délinquance économique et financière – à laquelle les lanceurs d’alerte peuvent assurément contribuer. Il s’agirait de faciliter l’accès à l’emploi public pour les lanceurs d’alerte, souvent mis au ban de leur communauté professionnelle, et même au-delà – ce qui rend difficile toute reconversion –, car considérés comme des éléments perturbateurs, des trublions ou des empêcheurs de tourner en rond. Les employeurs peuvent être réticents à les embaucher, et nous proposons d’ailleurs de surveiller plus étroitement le caractère discriminatoire des refus qu’ils essuient dans leurs démarches professionnelles. Le dispositif serait semblable à celui qui existe pour les sportifs de haut niveau, qui disposent de voies dédiées pour se reconvertir dans la fonction publique.

Nous proposons aussi de combler un vide à propos du secours financier dont doivent bénéficier les lanceurs d’alerte et qui n’est actuellement octroyé par personne ; la commission d’indemnisation des victimes d’infraction pourrait s’en charger, car elle dispose déjà des compétences lui permettant de gérer des cas individuels de ce type. Cela éviterait de créer une structure ad hoc.

Il faudrait, par ailleurs, mettre en œuvre une codification du droit d'alerte, en créant un code des lanceuses et lanceurs d’alerte qui assurerait la lisibilité et la coordination des différents textes en vigueur, par exemple la loi relative à la protection du secret des affaires – même si j’y ai été pour l’essentiel opposé. Nos propositions de loi n’ont pas la prétention d’englober la totalité du sujet, mais il faudrait que cet effort de coordination soit fait.

Le point central des propositions de loi, organique et ordinaire, est la création d’une « inspection générale » – dénomination qui reste à discuter. Il s’agit de créer une entité spécifique rattachée au Défenseur des droits. Lorsque le statut de lanceur d’alerte a été défini, le législateur a fait le choix, opportun selon moi, d’en confier la gestion au Défenseur des droits, mais sans le doter des moyens correspondants – les lanceuses et les lanceurs d’alerte le déplorent, ainsi que le Défenseur des droits lui-même. De la même manière, nous avons choisi, plutôt que de créer une structure de plus, de renforcer l’autorité existante dans ses missions, en lui adjoignant une « entité » qui lui permette de mieux accompagner le lanceur d’alerte dans ses démarches, notamment vis-à-vis de la justice et de l’organisme concerné par l’alerte, et de mieux vérifier l’alerte elle-même pour en consolider la portée. Il s’agit bien d’apporter à ceux qui lancent l’alerte un soutien institutionnel solide, tel qu’ils sont en droit de l’escompter.

Cette inspection se déclinerait en commissions ; leur présentation pourra donner une impression de rigidité, mais nous voulions donner à voir ce que pourrait être son fonctionnement futur. Ce n’est pas la même chose de traiter une alerte en matière de délinquance économique et financière que de le faire en matière médico-sociale ou environnementale. La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, qui a été créée par la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, est d’ailleurs mal coordonnée avec les dispositifs de la loi Sapin 2. Nous proposons de confier la coordination d’ensemble au Défenseur des droits. Je ne vous ferai pas de couplet sur la souplesse des commissions proposées – j’ai moi-même déposé des amendements à ce sujet –, mais voilà l’idée qui préside à la création de cette inspection.

À la suite des auditions que nous avons menées et qui nous ont conduits à proposer des amendements à notre texte, nous avons souhaité supprimer la mention du caractère « désintéressé » qui est exigé du lanceur d’alerte dans la loi Sapin 2, lequel doit, en outre, être « de bonne foi ». Sans être nécessairement retenue par le juge, cette question est systématiquement soulevée lors des procédures judiciaires afin de bâillonner le lanceur d’alerte. En l’absence de définition précise de ce qui est désintéressé et de ce qui ne l’est pas, la notion peut être interprétée de manière très large ; cette précision ne nous semble donc pas utile ni pertinente, au contraire de la bonne foi qui doit rester un critère important.

Nous souhaitons aussi que le suivi des alertes se fasse dans des délais plus courts, que ce soit en interne ou en externe ; c’est important pour les personnes concernées, qui attendent six, sept ou huit mois, parfois plus, avant d’obtenir des réponses.

J’étais initialement dubitatif sur la nécessité d’une prise en charge psychologique, pensant que notre système de santé et l’assurance maladie y pourvoyaient. Or je me suis aperçu qu’il y a là un vrai manque.

Nous discuterons, par ailleurs, de l’idée d’abonder à 100 % le compte personnel de formation des lanceurs d’alerte, et de donner un pouvoir d’injonction à l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte.

Reste la question des moyens. Comme c’est l’usage, nous avons adjoint un gage à notre proposition de loi, mais cette question ne peut être éludée. Le Défenseur des droits a besoin de moyens, tout comme demain l’inspection que nous souhaitons créer et le fonctionnement d’ensemble que nous voulons mettre en place. Il est indispensable que nous nous donnions les moyens de disposer d’une structure digne de ce nom. Aux Pays-Bas, la structure équivalente à celle que nous voulons créer comprend au moins une vingtaine de personnes ; en comparaison, le Défenseur des droits emploie un équivalent temps plein (ETP) pour assurer la protection des lanceurs d’alerte : nous avons une marge de progression substantielle, d’autant que nous sommes plus nombreux que les Néerlandais.

Enfin, et même si ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi, il faudra garder à l’esprit qu’il est nécessaire de renforcer tout ce qui peut éviter de faire reposer sur un individu la défense de l’intérêt général. Nous devrons entamer une réflexion au sujet de toutes les autorités – indépendantes ou non – et de tous les corps d’inspection internes qui trop souvent dysfonctionnent. Tout ne doit pas reposer sur les héros que sont les lanceuses et les lanceurs d’alerte.

M. Philippe Latombe. Le groupe MODEM ne peut que saluer votre initiative visant à transposer rapidement la directive européenne signée le 7 octobre 2019. Nous partageons cet objectif, comme en témoigne le rapport que mon collègue Sylvain Waserman a rédigé pour l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe sur la protection des lanceurs d’alerte, qui comporte treize propositions et a été voté à la quasi-unanimité.

Notre groupe souhaiterait que la directive soit transposée en un seul bloc, de manière complète et étendue, ce que ne permet pas une proposition de loi discutée dans le cadre d’une journée réservée. Nous voterons donc certaines de vos transpositions, mais nous souhaitons que, dans un second temps, un texte de loi reprenne l’ensemble des points de la directive non transposés – et même d’autres suggérés dans le rapport de mon collègue.

L’exposé des motifs de votre proposition de loi mentionne que « la récente loi sur le secret des affaires marque un net recul » en matière de transparence. Lorsque nous nous étions attelés, dans cette commission des Lois, à la transposition de la directive européenne sur le secret des affaires, nous avions longuement travaillé sur le point des lanceurs d’alertes, et proposé, pour l’article L. 151-8 du code de commerce, la rédaction suivante : « le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue […] pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 » de la loi Sapin 2. Le terme « y compris » nous avait occupés longtemps, et nous l’avions intégré parce que nous souhaitions que les deux textes ne soient pas exclusifs mais au contraire qu’ils se conjuguent, afin de permettre la mise en œuvre de dispositifs plus étendus.

À cette occasion, j’avais dit que nous prêterions une attention spécifique à l’exercice des droits d’alerte et que nous réagirions en cas de problème, si besoin en allant jusqu’à modifier la loi. C’est un engagement que nous avions pris, et que nous assumons. Or, depuis la promulgation de la loi sur le secret des affaires, aucun cas problématique n’a été signalé. Il arrive que des journalistes nous alertent sur certains faits, par exemple à Nantes, où la métropole utilise cette loi pour ne pas donner le détail d’une subvention versée à des commerçants qui quittent le marché d’intérêt national parce qu’il a déménagé, mais il n’y a pas eu de cas posant véritablement problème.

Nous souhaitons donc que cette référence à la loi sur le secret des affaires soit modifiée, pour ne pas donner l’impression que c’est elle qui justifie votre proposition de loi.

M. Sylvain Waserman. Nous sommes nombreux à considérer que la protection des lanceurs d’alerte devient un véritable marqueur démocratique et même un pilier de notre démocratie, au même titre que la liberté de la presse. Le rapport que j’ai rédigé et fait voter m’a permis de confronter et de croiser les regards de différents acteurs et de comparer les situations des différents pays pour y observer un certain nombre de bonnes pratiques. Votre proposition de loi a le mérite de mettre le sujet « sur la table » suffisamment tôt pour permettre de répondre à une ambition que nous sommes nombreux à partager – la ministre de la Justice, le Défenseur des droits et sa secrétaire générale, ainsi que les milieux associatifs –, celle de réaliser une surtransposition ambitieuse, pour que le droit français progresse et devienne une référence en matière de protection des lanceurs d’alerte. Cette volonté est profondément ancrée chez beaucoup d’entre nous, au sein de différents groupes politiques.

Il faut, selon moi, distinguer trois catégories de propositions au sein de vos textes.

Il y a, d’abord, les transpositions qui ne soulèvent pas de problème particulier et qui peuvent être adoptées.

D’autres, en revanche, nécessitent davantage de coconstruction. De ce point de vue, je considère qu’il s’agit de textes d’appel : s’agissant notamment des préconisations de la Maison des lanceurs d’alerte ou de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, mais aussi des recommandations du Défenseur des droits et de la comparaison entre les différents pays européens, il nous reste beaucoup de travail à accomplir et vous avez le mérite de donner l’impulsion.

Enfin, votre proposition comporte aussi des éléments à réviser et des manques, en particulier sur l’anonymat et sur le statut des lanceurs d’alerte, qui constitue une question fondamentale. En droit, le lanceur d’alerte ne sait qu’il l’est qu’au bout de plusieurs années, alors que sa vie a été complètement détruite par la pression subie et les procédures mises en œuvre pour le bâillonner, lorsque le juge finit par dire qu’il avait raison. Je ne suis pas tout à fait convaincu par les solutions que vous proposez ; nous devons répondre à la question de savoir comment identifier plus rapidement les individus relevant du statut de lanceur d’alerte et leur fournir la protection à laquelle ils ont droit. La création d’une autorité indépendante chargée de gérer ce problème me semble constituer une piste intéressante.

Il s’agit donc d’un véritable rendez-vous parlementaire, et nous prouverons notre valeur ajoutée si nous arrivons à travailler de manière transpartisane pour parvenir, avant la fin de l’année 2021, à un projet de loi qui rassemble la quasi-totalité de nos groupes politiques. Le sujet en vaut la peine, et je trouverais très intéressant que, sur la base de votre proposition, nous puissions mener à bien ce débat. À titre personnel, je pense que l’idéal serait de procéder avec votre proposition de loi comme pour un amendement d’appel, donc de la retirer au dernier moment au profit d’un groupe de travail véritablement transpartisan, associant l’ensemble des groupes politiques à des travaux qui débuteraient immédiatement. En effet, n’en voter qu’un petit bout risquerait d’engendrer de la frustration. De simples amendements ne remplaceront pas la coconstruction nécessaire qu’il faut entamer avec la société civile – certains de vos amendements en témoignent – et qui prendra plusieurs mois. Nous souhaitons être associés en amont et de manière innovante à la construction de cette loi.

M. Olivier Marleix. La proposition de La France insoumise devrait faire consensus, d’abord parce qu’elle se borne pour l’essentiel à transposer la directive communautaire sur la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union, en se gardant d’une transposition excessive ou dangereuse – on a connu de la part du groupe d’Ugo Bernalicis des propositions plus radicales et plus insoumises ! Je suis donc satisfait par ce texte.

C’est ensuite la protection des lanceurs d’alerte qui doit en elle-même faire l’objet d’un consensus : il s’agit de personnes qui ont le courage, au prix de leur emploi, de leur situation matérielle et de leur tranquillité d’esprit, de mettre au jour des dispositifs de corruption, de blanchiment, de fraude fiscale, pour certains déployés à l’échelle mondiale, ou encore de nocivité dissimulée de certains produits.

Leurs alertes peuvent être lancées contre des organisations et des entreprises disposant d’une puissance considérable, il faut donc leur fournir une protection adaptée. Je pense notamment à Stéphanie Gibaud, qui a révélé le mécanisme de fraude fiscale massive organisé par la société UBS – le tribunal de grande instance de Paris a condamné UBS à payer une amende de 3,7 milliards d’euros, et à verser à l’État français 800 millions d’euros au titre des dommages et intérêts, alors que Mme Gibaud n’a bénéficié d’aucune forme de réparation. Je pense aussi à Antoine Deltour, qui a mis au jour le scandale des LuxLeaks, ou au rôle joué par le docteur Irène Frachon dans l’affaire du Mediator.

Il y a sans doute dans notre pays un problème culturel vis-à-vis de l’alerte, car un amalgame dangereux est complaisamment entretenu entre le mauvais usage de la dénonciation – la délation, sournoise et honteuse – et son bon usage, lorsqu’il s’agit de dénoncer courageusement des crimes ou des délits portant gravement atteinte à l’intérêt général. Il y a entre les deux une différence fondamentale d’intention : le lanceur d’alerte ne cherche pas à nuire mais à protéger. Il se caractérise aussi par une manière de procéder ; de ce point de vue, le respect d’une procédure graduée me semble nécessaire – nous avions beaucoup insisté là-dessus au moment des discussions sur la loi Sapin 2 –, car il est le gage de la bonne foi du lanceur d’alerte, qui révèle des pratiques qu’il ne peut plus, en son âme et conscience, supporter.

Le groupe Les Républicains est donc partisan à la fois d’une définition stricte et d’une protection forte : le pire des systèmes est celui qui donnerait une définition trop large du lanceur d’alerte, tout lui en offrant une protection molle ; c’est encore à cela que ressemble notre droit en la matière. Il est dangereux d’encourager des dénonciations sans que des garanties de protection suffisantes soient apportées à leurs auteurs. Il faut un système équilibré, permettant, d’une part, de décourager les dénonciations calomnieuses et les manipulations éventuelles de la part de concurrents mal intentionnés dans le secteur économique, et, d’autre part, de protéger réellement et efficacement les lanceurs d’alerte, dans le cadre d’un dispositif gradué attestant de leur bonne foi.

Sur ces deux aspects, le texte que vous proposez va dans le bon sens, en modifiant utilement le droit en vigueur. Je pense notamment à la réintroduction d’une indemnisation sous forme d’assistance financière pour les lanceurs d’alerte. C’est évidemment un sujet crucial, puisque certains d’entre eux, comme Mme Gibaud, se sont retrouvés dans une situation personnelle épouvantable alors que l’État a bénéficié grassement de leur action.

Je salue aussi l’avancée que constituerait la mise en œuvre d’une compétence plus clairement affirmée du Défenseur des droits. Au moment de la loi Sapin 2, nous avions déjà déterminé qu’il était le mieux placé pour s’occuper de cette question, mais sa compétence était demeurée beaucoup trop théorique. La proposition que vous faites aurait ainsi le grand mérite d’assurer l’effectivité de dispositions mal appliquées depuis la loi Sapin 2. Par exemple, un nombre très faible des collectivités de plus de 10 000 habitants se trouve en conformité avec le dispositif de recueillement des signalements internes qu'elles sont légalement tenues de mettre en place. Elles devaient l’être au 1er janvier 2018 ; cinq mois plus tard, 8,7 % des communes et 5,1 % des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) s’étaient conformés aux obligations législatives en la matière. Aucune sanction n’est prévue par la loi, ce qui explique sans doute ce phénomène, mais nous faisons face à un immense retard qui doit être rattrapé. Une compétence plus affirmée du Défenseur des droits permettrait d’empêcher que l’inaction volontaire des collectivités locales condamne les initiatives des lanceurs d’alerte.

J’espère que nous nous retrouverons tous – notamment avec la majorité, férue de transparence et de moralisation – pour soutenir ce texte de transposition, sur un sujet à propos duquel la France a joué un rôle actif. Je serais frustré si nous sortions d’ici sans avoir pris des décisions, animés par l’idée qu’il serait urgent d’attendre – les propos de mon collègue Sylvain Waserman me le font craindre. Je me réjouis que l’on vante – une fois n’est pas coutume, en cette période de recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution… – la coproduction avec l’ensemble des groupes. Quant à l’idée que nous devrions prendre le temps de la mettre en œuvre, la navette parlementaire devrait donner tout loisir d’améliorer le dispositif sur la base de la proposition de loi qui nous est proposée.

M. Raphaël Gauvain. Le sujet des lanceurs d’alerte est particulièrement délicat à appréhender en France, pour plusieurs raisons. La première tient sans doute au fait qu’il s’agit d’une pratique venant des États-Unis, une pratique ancienne et terriblement efficace faisant intervenir des whistleblowers la plupart du temps intéressés, qui finissent par toucher une part de l’amende recouvrée par les autorités de poursuite. Cet intéressement financier très important, qui concourt à l’action publique et à la recherche des fraudes, donne lieu en France à de fortes réticences. Le débat à ce sujet est aussi rendu difficile par l’histoire particulière de la France car, quoi qu’on en dise, ces pratiques s’assimilent à de la délation.

Il faut saluer l’adoption par la précédente majorité de la loi Sapin 2, qui a mis en place en France un cadre législatif pour les lanceurs d’alerte, accomplissant une avancée démocratique extrêmement importante. Notre pays est d’ailleurs apparu comme un exemple en Europe. Cela a placé le Gouvernement dans une situation très favorable au moment de la négociation puis de l’adoption de la directive de 2019, qui reprend l’essentiel des dispositions du droit français.

Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous essayez d’opposer la loi relative au secret des affaires et la loi Sapin 2, affirmant que la première « marque un net recul » par rapport à la seconde. Vous prétendez qu’elle permet d’engager des poursuites contre les journalistes et les lanceurs d’alerte, ce qui est profondément inexact : ils sont exclus nommément de l’application du nouveau dispositif tant par la directive que par la loi relatives au secret des affaires. D’ailleurs, vous-même citez dans votre rapport un article où il est écrit : « ce texte étant perçu comme une menace pour les lanceurs d’alerte malgré l’affirmation qu’il ne doit pas entraver leur activité ». Je rappelle également que la directive relative au secret des affaires a été adoptée, une fois encore sur l’initiative de la France – c’était à l’époque du gouvernement dirigé par Bernard Cazeneuve – à une très large majorité, et que le Conseil constitutionnel a validé la loi de transposition, reconnaissant qu’elle ne portait pas atteinte à la liberté de la presse.

On ne saurait donc opposer la protection du savoir-faire des entreprises et celle des lanceurs d’alerte. Il faut avoir, dans les deux domaines, la même ambition : à la fois protéger nos entreprises et leur savoir-faire dans la compétition internationale et la guerre économique, et lutter très fermement contre la délinquance financière et économique, et en faveur des lanceurs d’alerte. Dans le processus qui doit nous conduire jusqu’à la transposition de la directive sur les lanceurs d’alerte, le groupe La République en marche entend bien ne pas se contenter d’une transposition simple. Nous entendons faire montre d’une grande ambition sur nombre de sujets que vous n’abordez pas dans votre proposition de loi, ou alors de manière extrêmement partielle – je pense notamment à l’assistance financière des lanceurs d’alerte dans les procédures et à leur rémunération.

Par ailleurs, à la suite de l’adoption de la directive de 2019, le Gouvernement a engagé un travail de fond. Une mission d’inspection a été chargée de faire le bilan de la loi Sapin 2, notamment s’agissant des lanceurs d’alerte. Le Parlement, en particulier la commission des Lois, doit se saisir lui aussi de la question. Nous devons engager un travail de fond, mais de manière coordonnée entre la majorité et l’opposition.

Mme Cécile Untermaier. L’objectif de la proposition de loi, en définitive, est d’améliorer le droit d’alerte. Vous soulignez les insuffisances de la loi de 2016, tout en reconnaissant son caractère innovant. De fait, elle a créé le statut de lanceur d’alerte, avec l’objectif de permettre d’agir pour signaler une menace ou un préjudice pour l’intérêt général. Nous avions beaucoup pensé, à l’époque, aux risques sanitaires et environnementaux.

Le problème culturel que la France aurait vis-à-vis des lanceurs d’alerte, nous l’avions effectivement constaté en 2016. Les termes « de manière désintéressée et de bonne foi » ont été inscrits dans la loi précisément pour éviter certaines démarches susceptibles de nuire au statut de lanceur d’alerte. Je pense, pour ma part, que le terme « désintéressé » ne doit pas être limité au caractère financier, mais signaler l’absence de lien direct et certain entre le fait dénoncé et la situation personnelle de celui qui le révèle. À cet égard, il me semble que nous aurions tout intérêt à conserver le dispositif. En revanche, l’obligation de saisir la hiérarchie est effectivement une entrave qui s’expliquait par les réticences culturelles de l’époque.

La difficulté est d’arriver à un point d’équilibre politique. Cela vaut aussi s’agissant des entreprises, dont a parlé Raphaël Gauvain. Il est vrai que la loi relative à la protection du secret des affaires a été vue par beaucoup comme porteuse d’un risque de régression. Ce texte est encore récent ; il conviendra d’en faire le bilan dans le cadre de la transposition de la nouvelle directive.

Curieusement, alors qu’à chaque transcription de directive dans le droit national, on parle de ne pas surtransposer, là, tout le monde semble vouloir le faire. Pour ma part, je reste fidèle à mes engagements : je considère que la directive ne doit pas être surtransposée, puisqu’il s’agit de traiter des problèmes de l’Union. Rien ne nous empêche ensuite, dans le droit fil de la loi Sapin 2, de recenser les critiques qui paraissent légitimes et les avancées nécessaires.

Certaines des dispositions des propositions de loi sont très intéressantes. Ainsi, je suis très favorable à ce que l’on étudie l’élargissement aux personnes morales, en particulier aux ONG (organisations non gouvernementales). La protection des tiers me paraît également mériter réflexion au vu du bilan de la loi – cet aspect ne nous avait pas échappé en 2016, mais il nous avait alors paru difficile de le mettre en place. En outre, il nous paraît essentiel de donner vraiment au Défenseur des droits les moyens de mener son action. Enfin, je salue le souci de temporalité. Quand il s’agit de transposer des directives, nous nous y prenons toujours trop tard, c’est donc une très bonne initiative que de nous avoir amenés à y réfléchir dès maintenant. Nous suivrons avec beaucoup d’intérêt l’évolution du texte et indiquerons notre position au fil de l’examen des articles.

M. Christophe Naegelen. La nécessité de protéger davantage les lanceurs d’alerte recueille l’unanimité, au terme d’une lente évolution engagée notamment par la loi Sapin 2.

Certaines dispositions du texte qui nous est soumis sont positives et intéressantes. Nous soutiendrons avec grand plaisir le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte par l’inscription dans la loi d’un « droit de signalement et de divulgation », la garantie d’une protection par l’interdiction de représailles à leur encontre, ou encore la création d’une inspection générale de la protection des lanceurs d’alerte auprès du Défenseur des droits.

D’autres points appellent une certaine vigilance, par exemple à l’article 10 qui prévoit de favoriser l’emploi dans la fonction publique des lanceurs d’alerte. Non seulement la directive n’enjoint pas de mettre en place une telle mesure, et il n’y a aucune nécessité pour la France, déjà championne dans cet exercice, de faire de la surtransposition, mais encore la mesure me semble peu opérationnelle, voire injuste. L’article 4 me préoccupe également. Je m’interroge sur l’opportunité de rendre obligatoires pour les entreprises de moins de 50 salariés les procédures de signalement. Même s’il ne s’agit que d’une expérimentation, cette disposition me semble source de charge excessive pour les petites et moyennes entreprises. D’ailleurs, là encore, la directive laisse le choix aux États membres.

Le mieux est l’ennemi du bien. Certains aspects de votre proposition de loi sont vraiment positifs ; en faire trop ne ferait que l’affaiblir. Le groupe UDI, Agir et indépendants manifeste une certaine bienveillance à l’égard de votre proposition, mais sera défavorable aux articles 4 et 10.

M. Paul Molac. Il est absolument nécessaire de protéger les lanceurs d’alerte, que ce soit pour connaître les malversations de certaines banques, les scandales sanitaires ou encore les coups tordus de nos services secrets – les essais nucléaires ont avantageusement bénéficié du secret défense.

La loi Sapin 2 a effectivement ses limites en conditionnant le statut de lanceur d’alerte au caractère désintéressé de la révélation. Or, quand on voit la vie qu’ont un certain nombre d’entre eux après avoir dénoncé des scandales, plutôt que de spéculer sur leur intérêt, mieux vaudrait leur accorder un dédommagement. Les vies de Julian Assange et celle de Stéphanie Gibaud ont tout de même été complètement bouleversées ! Les Anglo-Saxons sont peut-être trop pragmatiques mais, pour le coup, ils ont raison. Quant à l’obligation de prévenir la hiérarchie, elle paraît un peu curieuse : on peut supposer que, dans un certain nombre de cas de malversations, la hiérarchie est parfaitement au courant. Nous sommes donc favorables au renforcement de la protection des lanceurs d’alerte.

En ce qui concerne le calendrier de transposition de la directive, je m’inquiète un peu. À ceux de nos collègues qui préconisent d’attendre, je rappelle qu’à deux ans de la fin de la législature, on ne peut pas trop attendre sous peine de manquer de temps. Certes, on pourrait le faire dans le cadre de la journée réservée de La France insoumise et compléter la transposition par voie d’amendement, mais cela prendrait toutes les séances dont dispose ce groupe, ce qui ne serait pas très simple sur le plan pratique. Pour ma part, je voterai en faveur de la proposition de loi. Nous verrons si elle prospérera. Elle permet de faire un pas en avant ; il faut saisir l’occasion, même si ce texte ne suffira pas à lui seul.

M. Michel Larive. Amiante, sang contaminé, Mediator, LuxLeaks, Cambridge Analytica, tous ces scandales sanitaires ou financiers n’auraient jamais éclaté au grand jour sans le courage des lanceuses et lanceurs d’alerte. Pourtant, ces derniers ne bénéficient pas encore d’une protection juridique effective et efficace. Je salue l’initiative de mon collègue Ugo Bernalicis : les deux propositions de loi saisissent l’opportunité offerte par la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union du 23 octobre 2019, dont la transposition en droit interne doit intervenir avant décembre 2021.

La France ne part pas de zéro : il s’agit de prolonger le droit issu de la loi Sapin 2, qui a permis l’émergence d’une prise de conscience du rôle que chacun peut jouer dans le développement d’un signalement et dans la moralisation de la vie publique. Cependant, il ne faut pas que le Gouvernement se repose sur les lauriers français. Ces deux propositions de texte ont pour objectif de forcer les autorités françaises à se mettre dès à présent au travail et à présenter un calendrier précis.

Légiférer sur la question des lanceuses et lanceurs d’alerte répond à un impératif sociétal majeur, qui prolonge la réflexion sur notre démocratie et sur ses institutions. Des personnalités devenues malgré elles médiatiques, comme Irène Frachon, Céline Boussié, Edward Snowden, Julian Assange ou encore Antoine Deltour, ont agi dans l’intérêt et au nom de l’éthique, mais ont subi des représailles visant à les faire taire, les plaçant dans des situations de précarité et de vulnérabilité terribles. Combien de personnes agissent ainsi, actuellement, au nom de l’intérêt général et subissent des représailles sans que notre société leur garantisse une protection effective ? Je pense à Karim Ben Ali, cet ouvrier lanceur d’alerte, qui dénonce le déversement illégal d’acide à Florange par le géant de l’acier ArcelorMittal, mais aussi à Denis Breteau, cet ingénieur de la SNCF qui dénonce des appels d’offres truqués par sa direction en faveur du géant américain IBM. Aucune statistique ne permet, à l’heure actuelle, de rendre compte de la réalité de l’alerte en France. Dans son rapport d’activité, le Défenseur des droits a indiqué avoir enregistré 155 dossiers en deux ans. Il observe que 85 % des personnes qui le saisissent en se prévalant du statut de lanceur d’alerte sont dans une relation de travail. Les alertes concernent autant le secteur privé que le secteur public, dans des domaines très variés.

Si la France peut s’enorgueillir d’avoir été l’initiatrice de ce sujet au niveau européen, l’auteur d’un signalement demeure encore fragile dans notre pays. Sortir le lanceur d’alerte de son isolement est essentiel. L’adoption des deux textes proposés par M. Ugo Bernalicis permettrait de clarifier le droit français, notamment en autonomisant les processus d’alerte. Le choix de maintenir et de renforcer le rôle du Défenseur des droits dans la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte est essentiel. Grâce à la proposition de loi organique, les limites budgétaires au renforcement de son rôle sont contournées. Effectivement, ce texte prévoit que l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte recevra le signalement et fournira un retour d’information dans le cadre de la procédure de signalement externe. Elle pourra donc conduire des missions d’inspection et d’audit des entités publiques et privées, et assurera une fonction permanente de conseil et d’expertise auprès du Défenseur de droits et de ses services, ainsi qu’auprès d’entités publiques et privées.

Ces deux propositions de loi apportent donc des réponses intéressantes et efficaces à la problématique de l’alerte en France. C’est la raison pour laquelle le groupe de La France insoumise votera en leur faveur.

M. Arnaud Viala. Je souscris à l’idée qu’il faut garantir la sécurité d’exercice des lanceuses et lanceurs d’alerte, mais je voudrais appeler l’attention sur deux points qui, pour moi, sont des contreparties indispensables.

D’une part, il va falloir s’assurer de la transparence s’agissant du volet financier : quand une personne donne l’alerte et que son rôle est sécurisé, il faut aussi que tout un chacun connaisse ses éventuels commanditaires ou soutiens financiers, car cela constitue une information importante sur la nature de l’alerte et la façon dont elle est accompagnée.

D’autre part, le droit français doit être clarifié en ce qui concerne les moyens par lesquels les éléments sont recueillis par les lanceurs d’alerte. Dans les secteurs agricole et agroalimentaire, par exemple, certaines alertes sont lancées à la suite d’actes qui sont tout simplement des exactions. Or notre législation est un peu courte quand il s’agit, par exemple, de sanctionner le fait de s’introduire de manière illicite dans des lieux privés.

Si nous voulons légiférer utilement, les deux aspects que je viens d’évoquer doivent être intégrés à la réflexion.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Je vous remercie de vos remarques plutôt positives sur notre proposition de transposition – petite boutade à l’intention d’Olivier Marleix : j’ai rarement entendu de sa part une intervention aussi peu de droite…

En ce qui concerne le calendrier, nous voulons que les discussions sur la transposition de la directive s’engagent dès à présent car, à cette heure, aucun travail n’a été amorcé, en tout cas à ma connaissance et à celle des associations. Si le travail a bel et bien commencé, je m’inquiète de n’avoir reçu de la part du Gouvernement aucune réponse aux demandes d'audition que je lui ai envoyées pour préparer nos travaux. Nous aurons plus d'éléments sans doute le 26 mars, quand le texte sera examiné dans l’hémicycle. Au passage, que la transposition incombe à la Garde des sceaux et au ministère de la Justice a été salué par tout le monde. La question n’est pas secondaire pour beaucoup de lanceuses et lanceurs d’alerte et d’associations, compte tenu du tropisme à ne voir que du côté de Bercy et de la matière économique et financière, et à oublier les autres domaines, même si les initiatives parlementaires les ont remis dans la discussion à l’occasion de la loi Sapin.

En soi, la coconstruction, ne me pose pas de problème, monsieur Waserman. Je note quand même qu’en dehors des miens, aucun amendement n’a été déposé sur mes propositions de loi pour notre débat en commission. Je vous invite à en proposer en vue de la séance – pour une fois, nous avons un peu de temps pour y réfléchir et en discuter, y compris avec le Gouvernement. Je ne voudrais pas mettre la majorité en difficulté, aussi tairai-je ce que la Garde des sceaux m’avait répondu lorsque je lui ai demandé, en octobre dernier, quand débuteraient les travaux sur les lanceurs d’alerte – ce n’était pas une réponse satisfaisante. Lorsque je les ai auditionnées, les personnes chargées de recevoir les alertes au sein des services du Défenseur des droits m’ont dit que celui-ci n’avait pas été associé à une quelconque réflexion. Je suis sûr que cela va être fait, mais pour l’instant ce n’est pas le cas. Il va falloir accélérer le processus, et tant mieux si telle est l’intention de tout le monde ici.

Pour mettre un peu d’insoumission dans ma prise de parole, on pourrait se demander où est la cohérence quand, d’un côté, on supprime les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui étaient une voie interne permettant de lancer l’alerte dans le monde du travail, de manière pacifique et sans que cela repose sur un individu en particulier et que, de l’autre côté, on renforce les droits des lanceurs d’alerte…

En ce qui concerne l’indemnisation, la commission d’indemnisation des victimes d’infractions n’est peut-être pas l’idéal, mais elle a le mérite d’exister et de fonctionner. Par ailleurs, comme le disait Paul Molac, l’enjeu est de fournir un dédommagement plutôt qu’une rémunération.

Cette remarque me permet de faire le lien avec le caractère désintéressé de l’action du lanceur d’alerte. On a du mal à dissocier l’alerte de la personnalité qui la lance, ce qu’il faut pourtant faire. Même si l’on précisait que le désintéressement était uniquement d’ordre économique, on ne résoudrait pas le problème. La notion de bonne foi me paraît suffisante. Pour prendre le cas de Denis Breteau, d’avoir dénoncé des faits à la SNCF l’a naturellement mis dans une situation difficile sur le plan professionnel : il a été mis de côté, puis, à l’issue d’une procédure interne, l’entreprise lui a proposé une rupture conventionnelle, avec à la clé une somme d’argent pour l’encourager à partir. Or, dans le cadre de la procédure judiciaire, son employeur s’est appuyé sur cette proposition pour démontrer que Denis Breteau n’était pas aussi désintéressé qu’il le prétendait. N’ajoutons pas à la perversité. La notion de désintéressement est, en réalité, un obstacle de plus sur une route qui en est déjà parsemée. Il en va de même avec la loi transposant la directive sur le secret des affaires. C'est un motif de plus soulevé par ceux qui cherchent à éviter l'alerte. Par ailleurs, elle crée des régimes de protection différents selon le statut de celui qui doit en bénéficier. Nous manquons de recul sur la question, car le contentieux commence seulement à émerger, notamment du fait du refus de communication de certains documents par l’intermédiaire de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), sous couvert du secret des affaires – sans compter les autres personnes qui ne se plaignent pas par cette voie, et dont nous n’aurons connaissance que bien plus tard.

En ce qui concerne les entreprises de moins de 50 salariés, là aussi il faut « mettre les pieds dans le plat », notamment en raison du phénomène de sous-traitance. Dans le domaine du nucléaire, par exemple, pour un certain nombre de tâches bien précises, la sous-traitance mériterait que l’on garantisse aux salariés un circuit de l’alerte interne en plus de celui de l’alerte externe et de la divulgation publique. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), que nous avons interrogés sur le sujet, ne nous ont toujours pas fait de retour ; nous devrions recevoir des éléments d’ici à la séance.

Je suis content que vous saluiez la création d’une inspection – je proposerai par voie d’amendement de supprimer l’adjectif « générale », pour éviter toute confusion avec les organes internes d’inspection rattachés au Premier ministre et aux différents ministères. C’est un moyen de renforcer la capacité du Défenseur des droits d’expertiser les alertes, de suivre les individus, mais aussi d’exercer des missions d’audit et de conseil, notamment pour mettre en place les circuits d’alerte interne aux collectivités locales et aux entreprises.

Les dernières statistiques qui nous ont été transmises par les services du Défenseur des droits font état de 264 alertes, dont 63 % dans le cadre de relations de travail. Ce pourcentage illustre en creux la part des alertes environnementales et sociales qui n’entrent pas, le plus souvent, dans les relations de travail ; elles sont reçues par la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement. J’ai d’ailleurs tenu à auditionner l’ancienne sénatrice Marie-Christine Blandin, qui en a été à l’origine, pour essayer de coordonner les choses. Son avis a été très utile et va dans le sens de ce que nous proposons.

Quant au débat entre transposition et surtransposition, pour ma part, je m’en tiens strictement à la directive, dont le considérant 104 énonce : « La présente directive introduit des normes minimales et les États membres devraient pouvoir adopter ou maintenir des dispositions qui sont plus favorables à l’égard de l’auteur de signalement ». Il s’agit clairement d’une invitation à ne pas s’en tenir au caractère minimaliste du texte européen.

La Commission aborde l’examen des articles de la proposition de loi.

TITRE Ier
Dispositions générales

Article 1er (art. 6 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Définition des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission est saisie de l’amendement CL406 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’amendement vise à supprimer les mots « de manière désintéressée », qui figurent dans la loi Sapin 2. Ce point a été soulevé par la totalité des personnes que nous avons auditionnées, et la directive elle-même nous y invite. Il faut franchir le pas, un peu comme pour l’élargissement du statut de lanceur d’alerte aux personnes morales, qui me semble faire plutôt consensus. D’autres dispositions suffisent amplement à vérifier la bonne foi et l’intention du lanceur d’alerte.

M. Raphaël Gauvain. Le débat sur la transposition s’ouvre et nous considérons que ce texte n’a pas fait l’objet d’un travail de fond suffisant, tantôt transposant fidèlement la directive, tantôt procédant à des surtranspositions. Au cours de la procédure parlementaire nous apporterons des améliorations mais, à ce stade, nous ne donnerons d’avis favorable qu’aux seules mesures de transposition de la directive. Puisque l’amendement CL406 reprend les termes exacts de celle-ci, le groupe majoritaire y est favorable.

M. Sylvain Waserman. Le groupe MODEM est lui aussi favorable à cet amendement tendant à supprimer la mention de l’action « désintéressée ».

S’agissant de l’élargissement de la notion aux personnes morales, je l’ai certes préconisée dans mon rapport, mais les conséquences n’en ont pas encore été suffisamment étudiées, notamment au regard des articles 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Plusieurs juristes nous ont signalé que certaines ONG risquaient d’être fragilisées par cette solution.

Si je suis tout à fait favorable à l’idée de renforcer le Défenseur des droits – peut-être même en lui adjoignant la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement –, je ne suis pas à l’aise avec l’idée de créer une inspection de la protection des lanceurs d’alerte.

La question se pose de savoir si l’autorité indépendante doit pouvoir octroyer le statut de lanceur d'alerte. Si tel est le cas, elle ne doit pas définir elle-même les critères. On ne peut plus accepter que quelqu’un doive attendre quatre ans et la destruction de sa vie pour s’entendre dire qu’il est effectivement lanceur d’alerte. Pour résoudre ce problème, il faut envisager que l’autorité indépendante puisse, au moins, intervenir comme tiers de confiance par rapport au juge qui décide, et, au plus, réfléchir à la matérialité du statut. C’est une question que je ne fais que soulever et à laquelle vous ne répondez pas non plus dans votre proposition de loi. Il n’est sans doute pas possible d’y apporter une réponse complète à ce stade, mais nous devons la prendre à bras-le-corps. Elle est assez peu présente dans le droit européen, et on sent qu’il y a là quelque chose à approfondir.

Pour finir, je ne peux laisser passer une affirmation erronée. Je ne voudrais pas qu’on ait l’impression qu’un lanceur d’alerte ne pourrait pas agir au motif que nous aurions supprimé les CHSCT. Vous savez très bien qu’ils ont été fondus dans une autre instance et que les possibilités de saisine sont exactement les mêmes qu’avant.

M. Olivier Marleix. Je suis favorable à cet amendement. Il est vrai que, dans la loi Sapin 2, nous avions quelque peu tâtonné pour définir le lanceur d’alerte : il fallait s’assurer qu’il n’agit pas dans son propre intérêt, à la différence du délateur. Nous essayions de trouver une définition pour ainsi dire philosophique, mettant en exergue la noblesse de la défense de l’intérêt général. Je vois très bien les problèmes que peut soulever cette rédaction. L’exemple de Denis Breteau et de son conflit avec la SNCF montre effectivement ce que l’on peut faire, dans une procédure, de cette notion de désintéressement. De la même manière, on peut imaginer qu’une entreprise sous-traitante se voit opposer qu’elle lance une alerte parce qu’elle a été évincée.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. 6-1 [nouveau] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Protection des personnes en lien avec les lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Titre II
Procédures de signalement

Article 3 (art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Procédure de signalement interne

La Commission est saisie de l’amendement CL417 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Cet amendement rédactionnel est l’occasion d’ouvrir le débat sur la création d’une inspection générale de la protection des lanceurs d’alerte. Je n’ai pas d’idée préconçue quant à la façon dont il faut appeler cette instance, même si j’ai constaté que le nom pouvait emporter des conséquences conceptuelles sur la manière dont on se représente le renforcement du Défenseur des droits. Je suis ouvert à toute proposition d’ici à la séance : « commission spéciale », « autorité machin chose », tout ce qui permettra de trouver un consensus sans dénaturer les objectifs assignés à cette instance rattachée au Défenseur des droits me paraîtra acceptable.

M. Raphaël Gauvain. L’amendement a beau être rédactionnel, nous y sommes défavorables, car nous nous opposons à la proposition de loi organique, qui constitue un élément de surtransposition.

M. Olivier Marleix. Pour ma part j’y suis favorable et je regrette que le groupe majoritaire n’en mesure pas l’intérêt.

Il y a bien d’autres domaines que la protection des lanceurs d’alerte qui mériteraient qu’on lutte contre la surtransposition des directives.

Avec le dispositif issu de la loi Sapin 2, nous avons des trous béants dans la raquette. En particulier, aucune sanction n’est prévue pour défaut de dispositif de recueil et de traitement de l’alerte dans les entreprises de plus de 50 salariés ou dans les collectivités de plus de 10 000 habitants. Il est effarant que seulement 5 % des EPCI et 8 % des communes appliquent la loi Sapin 2. À voir la déliquescence du contrôle de légalité dans nos départements, la prudence commande que de tels dispositifs de recueil et de traitement de l’alerte soient instaurés.

J’ai essayé d’imaginer quel pourrait être le type de sanction, mais c’est très compliqué. Ouvrir un droit d’alerte direct auprès du Défenseur des droits me paraît une avancée majeure et la seule réponse à apporter faute de mieux.

M. Philippe Latombe. L’inspection générale ne nous paraît pas être la meilleure des solutions. Il faut lancer une réflexion plus large et je ne pense pas que nous aurons la capacité de proposer un « machin » qui vous conviendra d’ici à l’examen du texte en séance publique. Nous ne sommes pas favorables à l’amendement.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. La directive étend le champ de l’alerte et insiste sur la nécessité de sa prise en charge. Or la structure et les moyens actuels du Défenseur des droits ne lui permettent pas de la gérer de façon souhaitable. Il est nécessaire de revoir la structuration du Défenseur des droits, notamment au regard de la prise en charge des voies de signalement externes. On ne peut pas, d’un côté, se référer au débat, tant européen que local, sur les moyens d’accompagner un lanceur d’alerte, de lui éviter quatre ans de « galère » et de lui octroyer éventuellement un secours financier, et, de l’autre côté, s’opposer à la création d’une structure qui en serait chargée. Peut-être le débat doit-il porter sur le champ de cette structure plutôt que sur sa seule dénomination, mais ce serait inquiétant car révélateur que, moins de deux ans avant de transposer la directive, rien ne soit encore envisagé. Il y a urgence et vous ne pouvez pas nous renvoyer à une réflexion d’ampleur à venir. C’est dès maintenant qu’elle doit avoir lieu !

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes d’accord sur le fond, il faut évidemment appliquer la loi Sapin 2 – sachant que la prise en charge des frais a été censurée par le Conseil constitutionnel. Mais la mise en place de cette structure nécessite, comme l’a dit M. Latombe, d’engager un travail de fond, peut-être de coconstruction, qui ne pourra vraisemblablement pas aboutir en trois semaines.

Les auditions auxquelles vous avez procédé pour cette proposition de loi ne sont pas suffisantes. Il faut aller à la rencontre de la vraie vie, de la société civile, entendre l’ensemble des magistrats, faire un travail de fond. À ce moment-là, on sera prêt à faire une proposition pour encadrer et mieux accompagner les lanceurs d’alerte.

M. Olivier Marleix. Quel dommage de penser qu’on ne serait pas capable, en trois semaines, de trouver comment intégrer l’inspection au sein des services du Défenseur des droits, alors que le Gouvernement a considéré que la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite était capable de mettre à plat notre système de retraite en une semaine ! Je ne doute pas, mes chers collègues, que vous parviendrez à trouver des solutions d’ici là.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Notre Commission a créé, il y a deux mois environ, une mission d’information sur le rôle et les missions du Défenseur des droits. Laissons ses deux rapporteurs, Coralie Dubost et Pierre Morel-À-L’Huissier, travailler à leur rythme. Les conclusions qu’ils nous présenteront dans quelques mois ne manqueront pas de nous intéresser.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL407 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit de préciser quelle est la personne auprès de laquelle le signalement peut être effectué en interne.

 En outre, il est ressorti des auditions que, bien souvent, les personnes ayant signalé des alertes en interne ne savaient pas si celles-ci avaient bien été reçues. Il s’agit d’un élément important pour elles, aussi proposons-nous qu’un accusé de réception du signalement soit adressé à son auteur dans un délai de sept jours à compter de la date du signalement.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes favorables à l’article 3 mais défavorables à l’amendement, qui n’est pas finalisé et qui surtranspose la directive.

M. Sylvain Waserman. Il convient de retravailler à la fois l’article 3 et l’amendement au regard des procédures de signalement et de la question de l’anonymat.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’article 3 et cet amendement sont pratiquement un copier-coller des b) et c) du 1 de l’article 9 de la directive de 2019. Je ne suis pas prêt à m’opposer à la directive…

M. Sylvain Waserman. Il ne s’agit pas pour nous de nous opposer à la transposition de la directive, et votre copier-coller est parfait, mais notre ambition est tout autre : il faut retravailler certains points comme la gestion de l’anonymat dans le canal interne.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL408 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Conformément à la directive européenne, cet amendement précise que le délai raisonnable pour traiter le signalement interne ne peut excéder trois mois.

Il s’agit d’épargner des problèmes psychologiques, d’angoisse ou de stress aux personnes qui ont fait des signalements internes dans des grandes entreprises publiques, en leur évitant d’attendre jusqu’à six mois pour obtenir une forme d’accusé de réception. La moindre des choses est de tenir des délais raisonnables, sachant que trois mois est le délai classique dans notre droit interne ainsi que celui prévu dans la directive européenne.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes défavorables à cet amendement.

La directive européenne est rédigée au conditionnel : « Un délai raisonnable pour fournir des informations à l’auteur de signalement ne devrait pas dépasser trois mois. » C’est là typiquement le genre de sujet qui doit faire l’objet d’une consultation beaucoup plus large auprès des acteurs de la société civile, des magistrats, etc.

M. Olivier Marleix. Tout l’intérêt de la procédure de lanceur d’alerte, ce qui la garantit, c’est d’être un processus normé. Opposer le silence au lanceur d’alerte est évidemment déstabilisant. Il est donc très important qu’on s’assure qu’il obtienne une réponse dans un délai raisonnable, comme le précise la directive. Il ne me semble pas qu’un délai de trois mois soit un élément de surtransposition.

M. Philippe Latombe. Nous sommes globalement favorables à l’article 3 ainsi qu’à l’amendement qui a le mérite de fixer un délai. Nous avons deux semaines et demie pour affiner ce délai.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’absence de délai est source d’insécurité juridique. Les personnes souhaitent savoir ce que pensent ceux qui reçoivent l’alerte.

Vous préférerez peut-être un autre de mes amendements, qui propose un délai de réponse supérieur à trois mois, mais avec une motivation. En tout cas, une première réponse au bout de trois mois me paraît être le minimum et un délai raisonnable, surtout si l’on considère qu’en lançant une alerte, une personne s’expose et prête le flanc. Pour répondre au stress et à l’insécurité du lanceur d’alerte, garantir l’effectivité de la réception de l’alerte et de son traitement est déterminant.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes bel et bien favorables à l’article 3 et au principe du délai raisonnable. La question qui se pose est de savoir si l’on doit encadrer et rester au délai préfix de trois mois, car il emporte des conséquences juridiques. Et cela nécessite une réflexion plus approfondie.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL409 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit, toujours conformément à la directive européenne, de préciser les conditions dans lesquelles le signalement peut être rendu public par son auteur sans passer préalablement par la procédure interne ou externe – par exemple en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public, de situation d’urgence ou de risque de préjudice irréversible, de risque de représailles, etc. Cela n’empêche pas la personne confrontée à un danger imminent ou manifeste qui souhaite utiliser les voies internes et externes de le faire. L’idée est que le lanceur d’alerte ait à sa disposition plusieurs voies et qu’il reste de facto une gradation entre signalement interne et externe et divulgation publique.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes favorables à ce copier-coller, qui transpose fidèlement la directive. C’est une possibilité qu’offrait déjà la loi Sapin 2 mais qui n’avait sans doute pas trouvé à s’appliquer, d’où la nécessité de la préciser à nouveau.

M. Philippe Latombe. Nous sommes également favorables à cet amendement, qui clarifie, en effet, un dispositif amorcé dans le cadre de la loi Sapin 2.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 (art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Expérimentation des procédures de signalement interne au sein des petites entreprises

La Commission examine l’amendement CL410 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Pour ouvrir des champs de réflexion sans déstabiliser les entreprises de moins de 50 salariés, nous demandons une expérimentation pour permettre à celles-ci de partager des ressources en matière de réception des signalements et d’enquêtes éventuelles à mener. Les petites entreprises ont parfois un rôle déterminant au regard des pratiques ou de l’usage de produits bien particuliers. Il serait dommage de les exclure du signalement interne.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes défavorables à cet amendement parce que défavorables à l’article 4. Celui-ci est la parfaite illustration que nous n’en sommes qu’au début du travail qui doit nous conduire à la transposition de la directive. Celle-ci prévoit une évaluation des risques appropriée tenant compte de la nature des activités des entités et du niveau de risque.

M. Sylvain Waserman. S’agissant de l’article, il est indispensable d’engager une concertation avec les partenaires sociaux et les représentants des petites et moyennes entreprises. Les procédures bâillon ne sont pas les mêmes pour une entreprise de moins de 50 salariés et un groupe comme Monsanto. En revanche, la logique de protection à l’égard des salariés reste pertinente.

S’agissant de l’amendement, nous y sommes également défavorables. Sans parler de l’intention, qui est tout à fait louable, la loi n’a pas à dire que deux entreprises peuvent partager des ressources.

J’insiste sur le canal interne. Les nouvelles technologies de blockchain permettent d’avoir, y compris avec des cabinets d’avocats, des solutions très souples, internes mais anonymes. On ne doit pas faire l’économie d’une réflexion sur ce canal interne anonyme, car se pose également la question du secret des sources, prérogative des journalistes et des avocats qui ne s’applique pas à un collaborateur, au responsable juridique ou du service qui serait nommé référent des lanceurs d’alerte.

Je pense que l’amendement est inutile et qu’une concertation est nécessaire sur l’article 4.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Monsieur Gauvain, l’expérimentation permet précisément de faire une évaluation avant toute pérennisation du dispositif. Elle me semble être la meilleure méthode, d’autant que, pour cette partie de la directive, le délai de transposition est 2023 et non 2021. Cela laisse le temps d’organiser une expérimentation en lien avec les représentants des organisations patronales et de salariés. Nous avons sollicité la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), qui doit nous donner son avis, et nous avons reçu la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Solidaires qui ont réfléchi sur ces aspects-là et auront peut-être des propositions à faire.

L’amendement n’est pas si superflu que vous le prétendez, parce que l'obligation de mettre en place une procédure de signalement repose sur chaque entreprise concernée. Leur responsabilité pouvant être engagée, nous permettons de déroger à cette règle en donnant la possibilité aux entreprises de moins de 50 salariés de mutualiser leurs ressources. Il y a bien un intérêt à le préciser, en tout cas à sécuriser juridiquement cet aspect.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 4.

Article 5 (art. 8-3 et 8-4 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Procédure de signalement externe

La Commission rejette l’amendement de coordination CL411 du rapporteur.

Elle examine l’amendement rédactionnel CL412 du rapporteur.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes contre cet amendement parce que nous sommes contre l’article 5.

Nous reconnaissons la nécessité d’instaurer une protection effective du lanceur d’alerte, mais pas dans les conditions que vous proposez, et surtout pas sans un travail approfondi. Outre un rapport sur le Défenseur des droits, un rapport sur la loi Sapin 2 est nécessaire. De son côté, le Gouvernement a lancé des missions sur ces sujets. C’est à l’issue de ce travail entre la majorité et l’opposition, sans être tout à fait de coconstruction, et de la consultation des partenaires sociaux et de la société civile qu’on pourra faire une proposition globale et satisfaisante sur la protection des lanceurs d’alerte.

M. Sylvain Waserman. Je n’adhère pas à la réponse que vous proposez avec cet article, qui pose de nombreuses questions. Je ne pense pas que l’inspection générale puisse fixer elle-même les critères d’obtention du statut.

M. Paul Molac. Sans être un spécialiste de ces questions, je vois que le problème n’est pas résolu pour l’instant. Je suis preneur des propositions que pourront faire, d’ici à la séance publique, ceux qui s’opposent à ce texte.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. On ne peut pas faire moins que ce que prévoit la loi Sapin 2. Si tout le monde est d’accord pour adosser une structure dédiée aux lanceurs d’alerte au Défenseur des droits, ce serait déjà une prise de position. J’ai le sentiment que c’est le cas, mais mieux vaut s’en assurer.

Par ailleurs, ce n’est pas la structure qui détermine ce qui relève ou non de l’alerte ; c’est l’article 6 de la loi Sapin 2 qui le précise. Nous proposons une inspection pour assurer le suivi, l’effectivité de la protection du lanceur d’alerte et pour améliorer les éléments de preuve que celui-ci pourrait mobiliser devant les autorités administratives ou judiciaires. De toute façon, c’est l’autorité judiciaire qui finira par trancher.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL413 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’inspection doit garantir un retour d’information au lanceur d’alerte sur le traitement de son signalement dans un délai raisonnable n’excédant pas trois mois, ou six mois dans des cas dûment justifiés. Si le délai doit être allongé, il doit être accompagné d’une justification.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes opposés à l’article 5, donc à cet amendement, mais il ne s’agit pas de remettre en cause les dispositions de la loi Sapin 2. Nous entendons simplement attendre que le Gouvernement et le Parlement aient conduit les travaux adéquats avant d’aller plus loin. Il est trop tôt pour faire une proposition sérieuse sur l’accompagnement effectif des lanceurs d’alerte.

M. Sylvain Waserman. La directive européenne doit être transposée d’ici au mois d’octobre 2021. Pour avoir travaillé huit mois sur le sujet, je ne pense pas que l’on puisse, en deux semaines, modifier la loi Blandin, intégrer la commission qu’elle a créée au sein du Défenseur des droits, recréer un statut et inventer un nouveau modèle. Vous avez le mérite d’avoir lancé le sujet, mais ne bâclons pas les choses.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’amendement rédactionnel CL418 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CL414 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Les conseils confidentiels que l’inspection des lanceurs d’alerte adresse à ces derniers sont gratuits. Cette précision peut paraît inutile, mais cela va mieux en le disant.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 5.

Article 6 (art. 9 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Dispositions communes aux procédures de signalement

La Commission examine l’amendement CL415 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit de préciser dans quels cas de figure l’identité du lanceur d’alerte peut être divulguée. La divulgation n’est pas nécessairement publique et elle peut être partielle. Elle est parfois nécessaire pour obtenir des réponses. En tout état de cause, la divulgation doit être motivée et celui ou celle qui a donné l’alerte doit en être informé.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes défavorables à l’article 6 et à cet amendement qui est sans objet. Dans le cadre d’une enquête judiciaire, en vertu du secret de l’instruction, les éléments concernant le lanceur d’alerte ne sont pas communiqués. C’est un principe établi par l’article 11 du code de procédure pénale.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Le secret de l’instruction n’interdit pas la communication entre le magistrat instructeur et le plaignant, c’est-à-dire le lanceur d’alerte. Il peut très bien l’informer qu’il a dû donner son identité à telle ou telle autorité administrative pour consolider le dossier d’instruction. Il s’agit juste, pour le lanceur d’alerte, d’être tenu informé de cet aspect particulier et peut-être aussi, pour le magistrat, de s’interroger sur le bien-fondé de la levée de l’anonymat qu’il envisage.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 6.

Titre III
Les mesures de protection

Article 7 (art. L. 1132-3-3 du code du travail) : Protection des lanceuses et lanceurs d’alerte contre les représailles prises à leur encontre

La Commission rejette l’article 7.

Article 8 (art. 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations) : Protection des lanceuses et lanceurs d’alerte contre les discriminations

La Commission est saisie de l’amendement CL416 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit de préciser la nature des mesures correctives pouvant être prises en faveur des lanceurs d’alerte, que ce soit sous la forme d’actions de soutien psychologique ou par l’abondement au maximum du compte personnel de formation par l’employeur.

Toutes les femmes et les hommes qui lancent des alertes subissent un stress, des difficultés dans leur entreprise et dans leur vie privée. On doit pouvoir leur fournir un soutien psychologique. Au départ, je ne voyais pas bien quel était l’intérêt d’inscrire cette mesure dans la loi. Je pensais qu’il suffisait à la personne en souffrance d’aller voir un psychologue, avec une prise en charge par la sécurité sociale. Les retours d’expérience montrent que ce n’est pas si simple et qu’il y aurait une pertinence à ce que le suivi du lanceur d’alerte offre des actions de soutien psychologique et d’accompagnement, sans attendre la fin de la procédure d’alerte.

Par ailleurs, quand nous avons proposé de faciliter l’accès à un emploi public, certains nous ont répondu très justement que tout le monde ne souhaitait pas nécessairement intégrer la fonction publique. Aussi avons-nous pensé que l’abondement au maximum du compte personnel de formation, même s’il n’est pas toujours suffisant, pouvait contribuer à la reconversion professionnelle.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 8.

Article 9 (art. 9-5 [nouveau] de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Accès à l’aide juridictionnelle

La Commission rejette l’article 9.

Article 10 : Accès à la fonction publique des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission rejette l’article 10.

Article 11 (art. 706-3 du code de procédure pénale) : Indemnité financière

La Commission rejette l’article 11.

Titre IV
Dispositions finales

Article 12 : Rapport sur l’élaboration d’un code de la lanceuse et du lanceur d’alerte

La Commission adopte l’article 12 sans modification.

Article 13 : Entrée en vigueur

La Commission adopte l’article 13 sans modification.

Article 14 : Gage

La Commission adopte l’article 14 sans modification.

Enfin, elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

La Commission en vient à l’examen de la proposition de loi organique visant à la création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte (n° 2591).

M. Olivier Marleix. Nous sommes passés un peu vite sur des mesures importantes pour la protection des lanceurs d’alerte, notamment à l’article 11 relatif à l’indemnisation ou au recrutement dans la fonction publique. Pour de grandes affaires de lutte contre l’évasion fiscale, on sait que la Direction générale de la sécurité extérieure a recruté des personnes chargées de faire le travail de lanceur d’alerte. Il ne faut pas avoir de fausse pudeur sur ce sujet, et je regrette qu’on l’ait écarté d’un revers de main.

Quant à l’indemnisation des lanceurs d’alerte, elle a été discutée lors de l’examen de la loi Sapin 2, mais pas tranchée de manière satisfaisante. À une époque, l’administration fiscale rémunérait les lanceurs d’alerte. C’est un sujet qui mériterait de bénéficier du concours des différents groupes d’ici à l’examen du texte en séance publique.

M. Raphaël Gauvain. J’ai expliqué à plusieurs reprises pourquoi nous étions contre l’ensemble des articles de la proposition de loi organique.

À l’évidence, il faut engager un travail approfondi au sujet de la rémunération des lanceurs d’alerte – elle a été introduite dans le droit français par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, et a permis une meilleure répression de la délinquance financière et économique. À l’évidence aussi, on ne peut pas régler la question en trois semaines, à coup d’amendements, car il s’agit d’un changement culturel total et profond. L’intéressement du lanceur d’alerte au résultat, c’est-à-dire à la peine qui sera prononcée contre l’entreprise, est en effet une pratique qui nous vient des États-Unis. On pourra peut-être développer quelques idées lors de l’examen du texte en séance, mais c’est un travail que l’on doit mener.

M. Sylvain Waserman. Nous avons identifié beaucoup de chantiers et nous avons maintenant matière à boucler un texte très ambitieux, dont j’espère qu’il sera soutenu par tous les groupes. De toute façon, nous sommes obligés de transposer la directive européenne ; ce qu’il faut, c’est éviter une transposition minimaliste. Or c’est ce que nous ferions si nous adoptions cette proposition de loi dans trois semaines – en si peu de temps, nous serions incapables de revoir nos résistances culturelles sur ces sujets. Nous devons créer, de façon transpartisane, une réglementation fer de lance, d’avant-garde sur les lanceurs d’alerte.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. À un groupe de travail transpartisan, je préfère le respect des règles de notre assemblée et que cette proposition de loi destinée à interpeller débouche sur la désignation rapide d’un rapporteur et le lancement d’un cycle d’auditions, sans attendre décembre 2020 ou mars 2021. Il importe aussi de connaître la position du Gouvernement parce qu’il vaut mieux avoir le concours de tout un ministère pour transposer une directive, même au minimum, que de le faire entre nous, avec toute notre bonne volonté. Le besoin d’avancer sur cette question est là ; le travail parlementaire doit prendre les devants, ne serait-ce que parce que chaque jour qui passe ce sont autant de lanceurs d’alerte qui ne bénéficient pas de la protection qu’ils sont en droit d’attendre.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi organique.

Titre Ier
Dispositions relatives aux compÉtences et à la saisine du défenseur des droits

Article 1er (art. 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits) : Recueil et suivi des signalements externes par le Défenseur des droits

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL129 du rapporteur.

Elle rejette l’article 1er.

Avant l’article 2

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL131 du rapporteur.

Titre II
Création de l’inspection générale de la protection
des lanceuses et lanceurs d’alerte

Article 2 (art. 37-1 [nouveau] de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits) : Inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL130 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL127 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Les services du Défenseur des droits demandent que la structure que nous proposons de lui rattacher soit dotée d’une capacité d’injonction ou d’inspection lui permettant de demander tout document nécessaire à la vérification de l’alerte. Nous proposons aussi de créer des commissions chargées de traiter concrètement les alertes.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 2.

Article 3 : Composition de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL132 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL126 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Nous avons dressé une liste détaillée mais non exhaustive des commissions pour montrer ce que pourrait être une structuration de la réception des alertes. Une alerte en matière de délinquance économique et financière ne se traite pas de la même manière qu’une alerte en matière de santé, d’environnement ou d’autres domaines. Il n’est pas possible qu’un seul bureau traite les alertes en général. Ce n’est pas non plus souhaitable par respect pour les lanceurs d’alerte.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL128 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Une fois saisis d’une alerte dans un domaine donné, l’idée est que les services du Défenseur des droits constituent des commissions composées de personnalités qualifiées exerçant dans des administrations, des corps d’inspection ou des bureaux ayant une expertise particulière, mais aussi de scientifiques, d’enseignants-chercheurs et de chercheurs, ainsi que de personnalités désignées par les associations. Il s’agit, sans avoir une structure permanente composée d’experts, de mobiliser les compétences qui existent déjà dans le pays en fonction du type d’alerte, de pouvoir les confronter et de consolider l’alerte lancée. C’est une demande du Défenseur des droits. Ces personnes seraient soumises à des obligations d’indépendance, de confidentialité, de protection des données et de secret professionnel. Là encore, cela va mieux en l’écrivant, surtout quand les personnes sont désignées par l’exécutif, comme le propose l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 3.

Article 4 : Entrée en vigueur

La Commission rejette l’article 4.

Article 5 : Gage

La Commission rejette l’article 5.

Ce faisant, elle rejette l’ensemble de la proposition de loi organique.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte (n° 2600) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport et de rejeter la proposition de loi organique visant à la création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte (n° 2591).


   personnes entendues

   M. Édouard Perrin, journaliste

   M. Vincent Lanier, premier secrétaire général, Syndicat National des Journalistes

   M. Serge Slama, maître de conférence en droit public, Université de Paris Ouest-Nanterre

   Mme Brigitte Gothière, porte-parole et co-fondatrice

   Mme Barbara Boyer, journaliste

   M. Philippe Portier, secrétaire national de la CFDT

   M. Éric Beynel, représentant de l’Union Syndicale Solidaire

   Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, ancienne présidente

   M. Denis Breteau, lanceur d’alerte

   M. Antoine Deltour, lanceur d’alerte

   Mme Céline Boussié, lanceuse d’alerte

   M. Jean-Philippe Foegle

   M. Maxime Renahy

   M. Alexandre Fongaro, Institutional Relations Officer

   M. Charles Duchaine

   Mme Constance Rivière, secrétaire générale

   Mme Christine Jouhannaud, directrice Protection des droits – affaires publiques

    Mme Candice Lequiller, chargée des relations parlementaires


([1]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([2]) Soit des personnes qui rendent publics des documents ou des données bruts permettant de faire le jour sur certaines pratiques illégales ou immorales.

([3]) Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires.

([4]) À savoir, des actes ou omissions qui ne paraissent pas illicites sur le plan formel mais qui vont à l’encontre de l’objet ou la finalité de la loi.

([5]) Christian Vigouroux, Déontologie des fonctions publiques, Dalloz, coll. Praxis, 2006.

([6]) Ces procédures obligatoires sont succinctement présentées dans le cadre de l’exposé général du présent rapport.

([7]) Johanna Schwartz Miralles, Le lancement dalertes en droits français et américain, thèse en sciences juridiques et politiques, décembre 2019, Université d’Aix-Marseille.

([8]) Ibidem.

([9]) Dès 1863, le Flase Claims Act autorise toute personne ayant connaissance d’une fraude contre le trésor public de recevoir une prime allant jusqu’à 50 % du montant récupéré par l’État à la suite du signalement. La loi Sarbanes-Oxley de 2002 prévoit, quant à elle, en matière de manquements à la réglementation financière, l’interdiction des sanctions disciplinaires à l’encontre des lanceurs d’alerte, un droit à réparation des personnes concernées, des sanctions pénales à l’encontre des auteurs des représailles ainsi que la mise en place d’un dispositif d’alerte au sein des sociétés cotées et de leurs filiales. La mise en œuvre de cette obligation également au sein des entreprises américaines installées dans des pays tiers a permis d’en faire connaître la pratique. La loi Dodd-Frank, adoptée quant à elle en 2010 à la suite de la crise des subprimes, a instauré, entre autres mesures, des récompenses financières pour les lanceurs d’alerte en matière financière, à l’instar d’autres dispositifs poursuivant le même objectif.

([10]) F. Chaltiel Terral, Les lanceurs dalerte, Dalloz, 2018, cité dans la thèse de Johanna Schwartz Miralles.

([11]) Actuellement, seuls dix pays européens ont mis en œuvre une protection juridique effective des lanceurs d’alerte (soit la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Suède et le Royaume-Uni).

([12]) I. Kampourakis, La problématique constitutionnelle dun statut de lanceur dalerte, Master 2 « Droit public fondamental », Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, 2015, cité dans la thèse de Johanna Schwartz Miralles.

([13]) Le droit dalerte : signaler, traiter, protéger, étude du Conseil d’État du 25 février 2016.

([14]) Conformément à la loi n° 2001-1066 du 2 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations. Pour mémoire, cette disposition reprenait elle-même une disposition relative aux discriminations sexistes et au harcèlement sexuel introduite par la loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992 relative à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail.

([15]) Convention civile du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1999 sur la corruption et mise en place du groupe d’États contre la corruption au sein du Conseil de l’Europe (GRECO), convention des Nations unies du 31 octobre 2003, etc.

([16]) Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption.

([17]) Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santé.

([18]) Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. Cette disposition a été abrogée par coordination avec la loi du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II ».

([19]) Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, rapport de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, 26 janvier 2011 ; Pour un renouveau démocratique, rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, novembre 2012.

([20]) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. 

([21]) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

([22]) Selon l’article L.841-1 du même code, le Conseil d’État peut être saisi de requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement d’une part, par toute personne souhaitant vérifier qu’aucune technique de renseignement n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard et justifiant d’une réclamation auprès de la CNCTR et, d’autre part, par la commission elle-même lorsqu’elle est saisie d’une alerte. Dans ce cas, « le Conseil dÉtat peut être saisi dun recours […] soit par le président de la commission lorsque le Premier ministre ne donne pas suite aux avis ou aux recommandations de la commission ou que les suites qui y sont données sont estimées insuffisantes, soit par au moins trois membres de la commission. »

([23]) Étude précitée du 25 février 2016.

([24]) Cette graduation du signalement en trois étapes s’inspire du modèle du Public Interest Disclosure Act (PIDA) britannique.

([25]) Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l'Etat.

([26]) Rapport annuel du Défenseur des droits pour 2018, mars 2019.

([27]) Ibidem.

([28]) Décision n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016.

([29]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([30]) Comme précédemment rappelé, seuls dix États membres de l’Union se sont dotés d’une législation protectrice des lanceurs d’alerte.

([31]) Delphine Pollet-Panoussis, La procédure interne de recueil des alertes dans les administrations, AJDA, 2019.

([32]) À ce titre, l’article 25 de la directive précise que sa transposition ne peut pas conduire à remettre en cause des législations nationales plus favorables que les dispositions proposées, ni conduire à la réduction du niveau de protection déjà garanti par les États membres en matière de droit d’alerte.

([33]) Par dérogation, l’obligation de mettre en place des canaux de signalement interne au sein des entités juridiques comptant 50 à 249 travailleurs est reportée au 17 décembre 2023. Cette obligation est toutefois d’ores et déjà prévue par notre droit national.

([34]) Estimating the economic benefits of whistleblower protection in public procurement, direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME, Commission européenne, juin 2017.

([35]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([36]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([37]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([38]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([39]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([40]) Amendement n° CL 409.

([41]) Amendement n° CL 407.

([42]) Amendement n° CL 408.

([43]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([44]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([45]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([46]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([47]) Amendement n° CL 413.

([48]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([49]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([50]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([51]) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

([52]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([53]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([54]) Amendement n° CL 416.

([55]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([56]) Il appartient au bureau d’aide juridictionnelle, réuni en commission, d’apprécier souverainement le caractère digne d’intérêt de la situation d’un demandeur. Il peut le relever d’office ou sur demande. Cette disposition permet d’encadrer les situations ne pouvant raisonnablement être prévues par la loi ou le décret mais méritant manifestement l’octroi de l’aide juridictionnelle (réponse à la question parlementaire n° 5848 de M. Dominique Baert, publiée au JO le 27 septembre 2016).

([57]) Les plafonds applicables pour 2020 sont de 1 043 euros par mois pour bénéficier de l’aide juridictionnelle totale et de 1 564 euros pour l’aide juridictionnelle partielle.

([58]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([59]) Conseil constitutionnel, décision n° 85-204 DC du 16 janvier 1986 et décision n° 91-293 du 23 juillet 1991.

([60]) Conseil constitutionnel, décision n° 2012-656 DC du 24 octobre 2012.

([61]) Se reporter à l’exposé général du présent rapport.

([62]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([63]) Décision n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016.

([64]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([65]) Dans son rapport annuel de 2018, paru en mars 2019, le Défenseur des droits considère en effet jouer le rôle de « sismographe de la demande sociale, révélateur des craquements, des fractures dun peuple écartelé entre la planète et le village ; alarme, porte-voix, témoin soucieux du déclin des droits fondamentaux et de leur inégale effectivité. »

([66]) La proposition n° 15 de l’étude du Conseil d’État, Le droit d’alerte : signaler, traiter et protéger, du 26 février 2016 recommandait ainsi d’ « étendre les compétences du Défenseur des droits à la protection, dès le lancement de lalerte, des lanceurs dalerte sestimant victimes de mesures de représailles. »

([67]) Dans son rapport annuel précité, le Défenseur des droits soulignait ainsi que : « le niveau des ressources de linstitution, toutes consommées en 2018, trouve en 2018 ses limites et seul laccroissement de ses moyens, notamment humains, en 2019 pourra permettre au Défenseur des droits de ne pas être en situation de voir son activité dégradée. »

([68]) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([69]) Amendement n° CL 127.

([70]) Amendement n° CL 128.