N° 3011

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mai 2020

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE LÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, de règlement du budget et dapprobation des comptes de lannée 2019 (n° 2899),

 

PAR M. Laurent SAINT-MARTIN,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 6
 

 

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

 

 

PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Marc Le FUR

 

Député

____

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

___

Pages

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE : UNE EXÉCUTION 2019 QUI SINSCRIT DANS UNE TRAJECTOIRE PROBABLEMENT BOULEVERSÉE             

A. LA MISSION AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT : UNE PREMIÈRE AUGMENTATION EN 2019             

1. L’essentiel de l’écart à la prévision s’explique par un environnement financier favorable             

a. La maquette et la performance : des évolutions positives

b. Une sous-exécution des crédits en raison dun environnement financier favorable 

2. La hausse des crédits de l’aide au développement doit en principe être poursuivie en 2020             

B. LES TAXES AFFECTÉES AU DÉVELOPPEMENT

C. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS             

SECONDE PARTIE : LAIDE AU DÉVELOPPEMENT DANS LA CRISE SANITAIRE             

I. LA CRISE SANITAIRE, IMPACTS ÉCONOMIQUES SUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ET PREMIÈRES RÉPONSES             

A. LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT SONT TRÈS AFFECTÉS PAR LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE SANITAIRE             

1. Des économies fortement affectées

2. La dégradation de la situation alimentaire

B. LA RÉPONSE DE LA FRANCE : UN ÉQUILIBRE À TROUVER ENTRE AIDE BILATÉRALE ET MULTILATÉRALE             

1. Au niveau bilatéral, la réallocation de 1,2 milliard d’euros de crédits

2. L’Union européenne : une réponse également à crédits constants

3. La réponse internationale, déterminante dans la lutte contre l’épidémie

a. Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI) : la réponse à lurgence économique             

b. LOrganisation mondiale de la santé, critiquée pour sa gestion de la crise, est peu financée par la France             

c. Dimportantes initiatives internationales, certaines récemment renforcées par la France, également mobilisées             

4. La situation du Sahel appelle une réponse particulière

II. LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE LAIDE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISES : UN BOULEVERSEMENT PROBABLE             

A. LIMPACT DE LA CRISE SANITAIRE SUR LA RÉORIENTATION DE LAIDE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE             

1. La détermination d’une nouvelle trajectoire budgétaire de l’aide française

a. Une trajectoire à reconstruire

b. Des impacts sur le budget 2021 à préciser

2. L’appui aux secteurs alimentaire et sanitaire, priorités pour la nouvelle trajectoire 

a. Laide au développement française dans le domaine sanitaire

b. Laide française dans le domaine alimentaire

3. L’équilibre financier du groupe AFD, un sujet à surveiller

B. LA DETTE, SUJET MAJEUR DINQUIÉTUDE

1. La situation dégradée de l’endettement des pays africains

2. Un premier accord de suspension du paiement de la dette

3. La perspective des annulations de dette

C. La réforme du Franc CFA se concrétise dans un contexte de crise

EXAMEN EN COMMISSION

Sources utilisées par le rapporteur spécial

PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 


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   SYNTHÈSE

Lexécution 2019 de la mission Aide publique au développement est favorable.

 Le besoin de crédits de bonification de prêts a été moins important que prévu, ce qui a permis d’importantes annulations en fin d’année (261 millions d’euros).

 Le dispositif de performance est plus lisible et mieux coordonné avec les priorités politiques de la politique d’aide au développement française.

 Un fonctionnement toujours opaque du Fonds de solidarité pour le développement (FSD).

 La pertinence de certains prêts du Trésor interroge.

 L’indicateur de soutenabilité de la dette des pays ayant déjà bénéficié d’un allègement de dette se dégrade, ce qui est un signal préoccupant avant même le déclenchement de la crise sanitaire.

 

Laide au développement doit jouer un rôle contracyclique essentiel pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire.

La situation sanitaire des pays africains semble maîtrisée, en particulier grâce à une réaction rapide de leurs autorités. À l’inverse, les conséquences économiques de la crise peuvent les fragiliser très fortement (baisse du prix des matières premières, fermeture des marchés de capitaux, chute des transferts financiers réalisés par les diasporas mondiales.

 La situation alimentaire est particulièrement préoccupante, en particulier dans les pays du Sahel, alors même que l’Afrique de l’Est est touchée par une invasion de criquets pèlerins d’une ampleur exceptionnelle, qui détruisent les récoltes.

La France a mobilisé 1,2 milliard d’euros, essentiellement via l’AFD, par redéploiement des crédits votés pour 2020.

Le FMI, très sollicité, joue son rôle de garant de la stabilité financière mondiale. La question de ses ressources devrait ainsi se poser.

 

 L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait l’objet de critiques qu’il faut prendre en compte, que ce soit au regard des décisions prises en début d’épidémie ou de l’influence politique qu’y exerce la Chine.

 Une nouvelle trajectoire d’aide au développement devra être construite, qui n’abandonne pas l’ambition initiale au moins pour les dix-neuf pays prioritaires de l’aide française qui font partie des plus fragiles.

 Les annulations de dettes qui risquent d’intervenir à partir de 2021 risquent de mobiliser des sommes conséquentes, en plus de renforcer la tendance de l’aide au développement française à aider les pays à niveau intermédiaire de revenu.

La réforme du franc CFA ne semble pas mise en danger par la crise sanitaire et devrait faire l’objet d’une autorisation de ratification au Parlement français dans les prochains mois.

 

 

 

 

 

 

 

 


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   INTRODUCTION

Alors qu’elle a connu une exécution favorable en 2019, en lien avec un environnement financier favorable, les crédits et les acteurs de la mission Aide publique au développement sont fortement mobilisés pour la réponse internationale à la crise sanitaire.

En effet, ce sont plus les conséquences économiques que sanitaires qui inquiètent pour les pays en développement. Alors que de nombreux pays ont su réagir rapidement et que peu de cas de contamination sont dénombrés en Afrique, la baisse du court des matières premières, la fermeture des marchés de capitaux et la baisse des transferts financiers de diasporas présentes dans le monde entier risquent de fragiliser les économies de ces pays.

L’aide au développement, par son rôle contracyclique, doit permettre d’atténuer ces effets délétères. À cette fin, la France a réorienté une partie de son aide vers l’investissement dans les structures sanitaires, en particulier au sein de ses dix-neuf pays prioritaires. L’Europe a également mobilisé une partie de son aide au profit de la gestion de la crise sanitaire.

Cette mobilisation se fait encore à enveloppe budgétaire constante. Néanmoins, les impacts budgétaires de la crise sanitaire sont potentiellement nombreux. La dégradation du portefeuille de risques de l’Agence française de développement (AFD) entraîne un besoin accru de fonds propres. Le Président de la République a également annoncé une contribution accrue à l’OMS, ce qui ne doit pas empêcher de s’interroger sur la gestion de la crise par l’Organisation et sur l’influence qu’y exerce la Chine. Le Fonds monétaire international (FMI) joue quant à lui son rôle de garant de la stabilité financière internationale, ce qui pose la question des ressources qui lui sont attribuées.

Le moratoire, adopté par le G20, sur le remboursement des dettes bilatérales des États éligibles à l’aide au développement est une des mesures les plus fortes de réponse à la crise. Des annulations de dette devront probablement compléter cette mesure, afin de soutenir les États les plus fragilisés. Ces annulations sont à même de changer profondément les orientations de l’aide française vers plus de bilatéral, plus de dons, au bénéfice des pays prioritaires.

Par ailleurs, la baisse de la richesse nationale, estimée à – 11 % en 2020, diminue les moyens à disposition pour financer l’aide au développement et remet potentiellement en cause notre capacité à atteindre les 0,55 % du revenu national en 2022. Cette cible est d’ailleurs aujourd’hui caduque : par un effet dénominateur l’aide au développement devrait dépasser, en 2020, les 0,50 %, contre une cible de 0,47 %, alors que les moyens restent constants.

Enfin, la crise sanitaire ne devrait pas retarder la réforme du CFA, dont les modalités posent néanmoins un certain nombre de questions.


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   PREMIÈRE PARTIE : UNE EXÉCUTION 2019 QUI SINSCRIT DANS UNE TRAJECTOIRE PROBABLEMENT BOULEVERSÉE

Le présent rapport spécial couvre :

– la mission budgétaire Aide publique au développement, composée du programme 110, placé sous la responsabilité du ministère de l’économie et des finances (DGT) et du programme 209, géré par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) ;

– le compte de concours financiers Prêts à des États étrangers, qui couvre les crédits alloués aux « prêts du Trésor », à la consolidation de la dette des pays fragiles, à la bonification des prêts de l’AFD et aux prêts bilatéraux accordés à la Grèce.

Le présent rapport commente également l’évolution des taxes affectées à la politique de développement de la France, appelées « financements innovants » : taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) et taxe sur les transactions financières (TTF), qui alimentent le Fonds de solidarité pour le développement (FSD).

A.   LA MISSION AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT : UNE PREMIÈRE AUGMENTATION EN 2019

L’aide publique au développement est la politique publique qui devait enregistrer la plus forte hausse pendant le quinquennat, avec une hausse de moitié de ses crédits entre 2017 et 2022, pour passer de moins de 10 milliards d’euros à plus de 15 milliards par an. La crise sanitaire devrait néanmoins avoir un impact significatif, mais qui reste à préciser, sur la trajectoire prévue initialement.

Les crédits de la mission connaissent, tous les trois ans, une forte variation en raison de la reconstitution des ressources des institutions multilatérales. L’exercice 2019 est cependant peu affecté de ce point de vue, l’essentiel de ces reconstitutions intervenant en 2020.


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1.   L’essentiel de l’écart à la prévision s’explique par un environnement financier favorable

La maquette et les crédits de la mission connaissent des évolutions positives.

a.   La maquette et la performance : des évolutions positives

En 2019, le périmètre budgétaire de la mission est étendu et les indicateurs de performance sont revus.

● Lévolution du périmètre budgétaire

En 2019, le périmètre de la mission a été élargi avec l’intégration au sein du budget général de lÉtat de la part de la taxe sur les transactions financières (TTF) allouée à lAFD (270 millions d’euros). Les crédits correspondant ont été ouverts et répartis entre les programmes 110 et 209. Cette intégration contribue à renforcer la place des crédits de la mission APD dans le total de l’aide au développement française – qui ne représente cependant que 42 % de l’aide totale française.

Des transferts de crédits ont également eu lieu, en lien avec la réforme de l’expertise internationale et lintégration dExpertise France dans le groupe AFD.

● Les indicateurs de performance : des améliorations sensibles

La maquette de performance du programme 110 est stable, et dotée de deux objectifs : faire valoir les priorités stratégiques de la France en matière d’aide au développement auprès des institutions multilatérales et assurer une gestion efficace et rigoureuse des crédits octroyés à l’aide au développement.

Le premier objectif est doté dun indicateur clair dont les résultats sont conformes aux prévisions. Cet indicateur retrace la part des ressources subventionnées des banques et fonds multilatéraux affectée aux géographies prioritaires de la France (Afrique subsaharienne et pays les moins avancés). La cible pour 2019 est dépassée : 71 % de ces ressources bénéficient à l’Afrique subsaharienne et 81 % aux PMA.

Le rapporteur spécial renouvelle néanmoins son souhait de voir cet indicateur complété avec les données concernant la part de ces ressources destinées aux 19 pays prioritaires de la France.

 

 

Le second objectif, assurer une gestion efficace et rigoureuse des crédits octroyés à l’aide au développement, est doté de deux indicateurs :

– le premier retrace le montant d’aide au développement apportée à l’AFD sous forme de prêt par euro de subvention de l’État, souvent appelé « effet de levier ». La réalisation 2018 (12,2) dépasse la prévision initiale (7) ;

– le second concerne la capacité de l’AFD et de la Banque mondiale « à mener avec succès des projets compatibles avec la réalisation de leurs objectifs de développement », les résultats cibles étant atteints en 2019. La portée de cet indicateur est néanmoins limitée, étant donné que les rapports sur les projets financés sont établis en interne, et ne bénéficie donc pas de toutes les garanties dobjectivité.

Le responsable du programme 209 se voit fixé, quant à lui, quatre nouveaux objectifs en 2019 :

 contribuer à la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD), en concentrant l’aide sur les pays prioritaires ;

– renforcer les partenariats ;

– faire valoir les priorités stratégiques françaises dans l’aide publique acheminée par les canaux européens ;

– contrôler l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience de l’aide.

La maquette de performance a été revue en 2019, ces objectifs étant assortis de nouveaux indicateurs.

Le premier objectif est assorti d’indicateurs relatifs à la part des crédits bilatéraux et multilatéraux du programme et des taxes affectées dédiées aux priorités déterminées par le CICID et à la part de ces crédits et de ces taxes affectées destinée à des pays prioritaires.

Le deuxième objectif est associé à des indicateurs relatifs à la part de l’APD bilatérale française transitant par la société civile, par les collectivités territoriales françaises et au volume d’activité de l’AFD et d’Expertise France en gestion délégué par l’Union européenne.

Le troisième objectif a pour indicateur la part des engagements du Fonds européen de développement (FED) portant sur les priorités stratégiques françaises.

Enfin, le quatrième objectif est décliné par des indicateurs chiffrant le coût moyen de l’instruction d’un projet de l’AFD, la part de la rémunération sur les projets gérés par l’AFD et les frais de gestion.

Le rapporteur spécial considère que cette évolution est bienvenue, dans la mesure où elle permet daméliorer la lisibilité de la performance de laide et son adéquation aux priorités politiques. Il retient en particulier que :

– l’APD française en matière de santé passe beaucoup plus par le canal multilatéral (80 %) que bilatéral ;

– 25 % des crédits du programme 209 et des taxes affectées parviennent aux pays prioritaires de l’aide française, ce qui est le cas pour 19,6 % des engagements du Fonds européen de développement ;

– 7,5 % de l’aide française transite par les organisations de la société civile (OSC) ;

– l’APD transitant par les collectivités territoriales a augmenté de 10 % par rapport à 2018 – l’objectif étant de parvenir à un doublement d’ici 2022 ([1]) ;

– la rémunération de l’AFD sur les projets gérés a diminué de 10,4 à 8,91 %, en lien avec la réforme de sa clé de rémunération.

b.   Une sous-exécution des crédits en raison d’un environnement financier favorable

L’exécution 2019 des crédits de la mission est favorable, en raison de conditions favorables liées à la stabilité des taux d’intérêt.

● Lexécution 2019 du programme 209 est proche de la prévision

ExÉcution 2019 du programme 209 (MEAE)

(en millions d’euros)

 

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Prévision

Exécution

% de la prévision

Évolution 2018/2019

Prévision

Exécution

% de la prévision

Évolution 2018/2019

02 Coopération bilatérale

1 990

1 928

97 %

+ 64 %

793

776

98 %

+ 32 %

05 Coopération multilatérale

188

220

117 %

+ 34 %

194

222

115 %

+ 47 %

07 Coopération communautaire

863

842

98 %

+ 5 %

863

842

98 %

+ 6 %

08 Dépenses de personnel

153

156

102 %

- 5 %

153

156

102 %

– 5 %

09 Actions de co-développement

0

1

-

- 65 %

0

1

 

– 40 %

Total

3 194

3 149

99 %

+ 43 %

2 004

1 998

99,7%

+ 17 %

Source : RAP 2019.

La surexécution des crédits de coopération multilatérale s’explique par le déblocage de 32 millions d’euros en cours d’année pour financer laide humanitaire en Syrie (sur un engagement de 50 millions) et de 12,2 millions mobilisés pour participer à la Facilité de lUE en faveur des réfugiés en Turquie (sur un engagement de 34,2 millions). 500 000 euros ont également permis de financer une aide d’urgence en réponse aux incendies en Amazonie. Ces montants ont été financés par le dégel de 44 millions deuros de la réserve de précaution du programme 209, qui atteignait 56 millions d’euros au total.

● Lexécution du programme 110 séloigne de LFI

ExÉcution 2019 du programme 110 (DGT)

(en millions d’euros)

 

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Prévision

Exécution

% de la prévision

Évolution 2018/2019

Prévision

Exécution

% de la prévision

Évolution 2018/2019

01 Aide économique et financière multilatérale

72

– 148

– 207 %

-

648

617

95 %

+ 1 %

02 Aide économique et financière bilatérale

1 234

968

78 %

+ 61 %

334

285

85 %

+ 32 %

03 Traitement de la dette des pays pauvres

0

0

 

-

92

92

100 %

– 12 %

Total

1 306

820

63 %

 25 %

1 075

994

92 %

+ 7 %

Source : RAP 2019.

 

La sous-consommation d’AE sur le programme s’explique par un besoin de crédits de prêts de l’AFD aux États étrangers (717 millions d’euros) moins important que prévu (990 millions), soit un écart de 273 millions deuros. Aussi, les annulations d’AE réalisées en loi de finances rectificatives (261,4 millions) recouvrent pour l’essentiel ces crédits qu’il n’a pas été nécessaire de mobiliser.

La consommation négative d’AE sur l’action 01 Aide économique et financière multilatérale s’explique par le désengagement de 129,4 millions d’euros de crédits de bonification de prêts :

– au bénéfice de l’Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale, avec un besoin final de 383,27 millions d’euros, contre une prévision de 500 millions d’euros ;

– au bénéfice du Fonds international de développement agricole (FIDA), institution financière internationale de l’ONU basée à Rome : alors que la prévision était de 27 millions d’euros, le besoin s’élève finalement à 14,32 millions d’euros.

La consommation négative d’AE s’explique par le décalage temporel entre l’engagement juridique faisant naître la dépense et les versements effectivement réalisés. Lors de la constitution des ressources de ces deux organisations internationales, un montant de bonification de prêt est en effet contractualisé en fonction de l’évaluation des conditions financières à cette date, donnant lieu à une consommation d’AE dans le budget français. Si ces conditions sont finalement plus favorables qu’anticipé, le montant de la contribution effective peut être diminué, les versements en CP étant dès lors moins importants que le montant de l’engagement en AE. Lorsque cette révision intervient sur des exercices budgétaires postérieurs à l’année de l’engagement, un désengagement d’AE est nécessaire, qui peut se traduire par une consommation négative de crédits.

2.   La hausse des crédits de l’aide au développement doit en principe être poursuivie en 2020

Comme le soulignait le rapporteur spécial dans son commentaire du projet de loi de finances pour 2020, l’augmentation des crédits de paiement prévue entre 2018 et 2020 ne représente que 13 % des cinq milliards deuros nécessaires pour atteindre les 0,55 %. La loi de programmation relative à l’APD, plusieurs fois repoussée, devait préciser la trajectoire pour atteindre cet objectif.

Les évolutions suivantes marquent de façon significative le périmètre du rapport spécial à partir de 2020 :

– la reconstitution des ressources de la Banque mondiale (1,4 milliard d’euros), de la Banque africaine de développement (450 millions) et de la Banque asiatique de développement (50 millions) ;

– le doublement de la contribution française au Fonds vert pour le climat (1,5 milliard d’euros décaissés entre 2020 et 2023) ;

– l’augmentation de 20 % de la contribution française (1,3 milliard d’euros) au Fonds mondial pour le SIDA, la tuberculose et le paludisme ;

– l’augmentation de la contribution de la France au Partenariat mondial pour léducation (PME) à 200 millions d’euros.

Par ailleurs, la loi de finances pour 2020 a acté la diminution de 600 millions des autorisations dengagement de lAFD pour financer des projets en don, après une hausse effective d’un milliard d’euros en 2019.

B.   LES TAXES AFFECTÉES AU DÉVELOPPEMENT

Les crédits budgétaires de la mission Aide publique au développement sont complétés par ceux issus des taxes affectées au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) : la taxe sur les transactions financières (TTF) et la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA).

En 2019, la part de la TTF affectée à l’AFD a été réintégrée au budget de l’État, afin d’éviter l’accumulation de trésorerie au sein de l’Agence et de pouvoir piloter une exécution différente en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, plus conforme au rythme de décaissements des projets de l’Agence.

Les taxes affectÉes au dÉveloppement

(en millions d’euros)

 

2018

2019

2020

Taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA)

210

210

210

Taxe sur les transactions financières (TTF)

528

528

528

Taxes affectées au FSD

738

738

738

Part de TTF affectée à l’AFD

270

0

0

Total FSD + AFD

1 008

738

738

Source : réponses au questionnaire budgétaire pour 2020.

Le Fonds de solidarité pour le développement (FSD) est un fonds sans personnalité juridique qui porte une partie des contributions à la politique française d’aide au développement. Le fonds est géré par un comité de pilotage interministériel réunissant le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ministère des finances (DG Trésor) et le ministère du budget. 

Ce fonds, alimenté par des taxes affectées et dont les dépenses se situent en dehors du budget général de l’État, constitue un circuit de financement opaque. Le rapporteur spécial souhaiterait que ses ressources et les décaissements qu’il réalise chaque année soient précisés au sein des documents budgétaires relatifs à la mission Aide publique au développement.

Le FSD permet de financer les contributions françaises aux fonds internationaux dans le domaine :

– de la santé : 385 millions d’euros au Fonds mondial pour le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), 85 millions d’euros à Unitaid et 73 millions d’euros à l’IFFIm (voir infra) ;

– de l’environnement, 154 millions d’euros étant alloués au Fonds vert pour le climat ;

– de l’éducation : 26,6 millions d’euros versés au Partenariat mondial pour l’éducation (PME).

Depuis 2017, la contribution de la France à lAlliance globale pour les vaccins et limmunisation (GAVI, financé par le mécanisme appelé « IFFIm ») passe par le FSD. La Cour des comptes considère que le mécanisme de l’IFFIm est opaque : un audit externe a d’ailleurs été demandé par les ministères de l’économie et des affaires étrangères concernant la contribution française à ce dispositif ([2]).

C.   LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

 Le compte retrace les crédits alloués aux « prêts du Trésor », c’est-à-dire des prêts accordés à des États étrangers en vue de l’acquisition de matériel français. Huit protocoles de prêts ont été signés en 2019, avec six pays. Il est important de noter que, après avoir été réorientés vers des prêts classiques en 2018, quatre prêts du Trésor ont été attribués de façon concessionnelle en 2019.

Protocoles de prêts signés en 2019

– Alimentation en eau de la ville de Marioupol en Ukraine (64 millions d’euros) et renforcement de la sécurité et de la sûreté maritime avec la fourniture de 20 patrouilleurs (40 millions) ;

– équipement en véhicules d’incendie et hélicoptères de secours pour la sécurité civile en Mongolie (58 millions) ;

– études et de travaux préparatoires pour le métro d’Abidjan (48 millions) et projet de réhabilitation de 1 000 points d’eau équipés de pompes solaires (19 millions) ;

– ligne haute tension au Sénégal (29,9 millions) ;

– lot billétique du métro de Hanoï (20 millions) ;

– avenant au contrat de maîtrise d’ouvrage du déploiement de la TNT au Mali (3,7 millions).

Au regard de l’avenant au contrat d’ouvrage du déploiement de la TNT au Mali, le rapporteur spécial renouvelle ses interrogations exprimées devant le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères Jean‑Baptiste Lemoyne, lors de la commission d’évaluation des politiques publiques (CEPP) relative à l’exercice 2018. À cette occasion, il avait en effet souligné qu’« il y a peu de prêts du Trésor en 2018 et je suis surpris de constater que l’un d’eux, qui s’élève à 45 millions d’euros et qui est quasiment le plus important, a été octroyé au Mali pour le déploiement de la télévision numérique terrestre. Est-ce vraiment la priorité dans un pays où le taux d’électrification des ménages est très faible, où l’assainissement est quasiment inexistant et où l’adduction d’eau est très limitée ? N’y avait-il pas mieux à faire avec ces 45 millions d’euros d’aide ? » ([3]).

● Depuis 2014, l’ensemble des projets financés par un prêt du Trésor font l’objet d’une évaluation afin de déterminer, une fois le contrat terminé, leur pourcentage de part française effective ([4]). Les prêts concessionnels ont en effet une obligation de part française de 70 % et les prêts non concessionnels de 50 %.

Cet outil est intéressant en ce quil constitue un levier dintervention, pour le ministère des finances, indépendant de lAFD, qui profite aux entreprises françaises et qui peut être accordé à des conditions concessionnelles.

 

 

La loi de finances rectificatives a néanmoins annulé 209 millions de crédits de paiements sur cet outil (pour un total de 481 millions) en raison du retard pris par les projets prévus en Iran, du fait du durcissement des sanctions américaines, ainsi que par d’autres projets dans différents pays (Ukraine, Indonésie, Kenya et Ouzbékistan). La concrétisation d’un prêt à l’Indonésie, prévu en 2017, pour financer un système d’information géographique (43 millions d’euros) prend du retard, du fait de la partie indonésienne.

 Aucun traitement de dette na été concrétisé en 2019 : aussi, les 245 millions d’euros votés en loi de finances initiale ont été annulés en loi de finances rectificatives. En particulier, la restructuration de la dette de la Somalie, initialement prévue en 2019, n’a pas abouti, et entraîne un report du coût sur 2020 (63,4 millions d’euros, dont 60,1 millions d’euros d’intérêts et 3,3 millions de principal). La question du montant des intérêts de retard doit encore être tranchée.

Le traitement de la dette du Zimbabwe, dont la part française atteint 168,59 millions, et de celle du Yémen (3,86 millions) par le Club de Paris a été reporté et celui de la dette du Congo a été annulé (3,38 millions). Le dossier de la dette soudanaise, à laquelle la France est très exposée, reste en suspens, et pourrait mobiliser un niveau de crédits très importants d’ici 2022.

Lindicateur de soutenabilité de la dette des pays aidés se dégrade : 46 % des pays ayant déjà bénéficié d’un abandon de créances présentaient, en 2019, un risque élevé de surendettement (soit 15 sur 28 ([5]), dont 5 font partie des 19 pays pauvres prioritaires de la France, en gras ci-dessous), contre 43 % en 2018 et 36 % en 2017.

● Le compte couvre également les 11,4 milliards deuros de prêts bilatéraux accordés à la Grèce lors de la crise de 2010. Ces prêts bilatéraux ont été mobilisés avant que les instruments européens (Fonds européen de stabilité financière puis Mécanisme européen de stabilité) ne prennent le relais. Les premiers remboursements du pays devraient intervenir à partir de 2020.

 


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   SECONDE PARTIE :
LAIDE AU DÉVELOPPEMENT DANS LA CRISE SANITAIRE

La crise sanitaire a conduit le rapporteur spécial à réorienter son évaluation, qui portait initialement sur l’aide au développement de la France à Djibouti et en Éthiopie, vers les conséquences de cette crise sur la politique d’aide au développement française, européenne et internationale.

I.   LA CRISE SANITAIRE, IMPACTS ÉCONOMIQUES SUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ET PREMIÈRES RÉPONSES

Les pays en développement, particulièrement fragilisés par la crise sanitaire et économique, font l’objet d’une attention spécifique de la communauté internationale.

A.   LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT SONT TRÈS AFFECTÉS PAR LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE SANITAIRE

La situation sanitaire en Afrique semble maîtrisée, malgré les inquiétudes concernant la fragilité des systèmes de santé souvent soulignée. La jeunesse de la population, les moins de 25 ans représentant environ 60 % de la population en 2020, serait un des principaux facteurs explicatifs. Ce sont les conséquences économiques de la crise sanitaire qui apparaissent comme les plus graves.

1.   Des économies fortement affectées

La fragilisation des économies en développement peut passer par plusieurs canaux ([6]) :

 les perturbations de la production et des chaînes d’approvisionnement mondiales pèseront sur le commerce, la moitié des exportations et des importations africaines concernant des pays fortement touchés par l’épidémie. Cette situation est d’autant plus inquiétante que les pays africains importent 94 % des produits pharmaceutiques qu’ils consomment ;

 le resserrement des conditions financières au niveau mondial limite laccès au financement, les pays risquant de connaître des retards dans la mise en œuvre des projets dinvestissement ou de développement. Les flux dinvestissements directs étrangers (IDE) en Afrique devraient ainsi diminuer de 30 à 40 % en 2020 et 2021 ([7]) ;

 la baisse des prix des matières premières peut fragiliser les États dont les recettes fiscales dépendent essentiellement de leurs exportations. Comme le soulignait le rapporteur spécial dans son commentaire de l’exécution 2018 de la mission, un pays comme l’Algérie tire 70 % de ses recettes fiscales des exportations pétrolières ([8]). Le Nigeria et l’Angola seraient également particulièrement touchés ;

La chute du cours des matières premières

La Banque mondiale a publié, en avril 2020, des données qui illustrent l’importance de la chute des cours de matières premières, à l’exception des produits agricoles.

Les cours mensuels du pétrole brut ont chuté de 50 % entre janvier et mars, avec un coût du baril atteignant en moyenne 35 dollars en 2020, contre 61 en 2019.

Les prix des métaux ont baissé de 13 %, les plus touchés étant le cuivre et le zinc.

Le prix des produits agricoles a peu baissé au premier trimestre 2020, à l’exception du caoutchouc.

Source : Banque mondiale, Commodity Markets Outlook, avril 2020.

– les transferts des diasporas présentent dans l’ensemble des pays du monde devraient, selon la Banque mondiale, baisser d’environ 20 %, soit 100 milliards de dollars ([9]), pour atteindre 445 milliards de dollars. À titre de comparaison, l’aide au développement versée par les membres de l’OCDE représente environ 150 milliards d’euros en 2019 ([10]).

Aussi, les pays en développement et à faible revenus peuvent être frappés par un double effet négatif, lié à la baisse importante de leurs revenus extérieurs – exportations et remises des migrants – qui, conjuguée avec la fermeture des marchés financiers et les inquiétudes sur la dette de certains pays (voir infra), peuvent rendre difficile le financement de leurs dépenses courantes et de leurs investissements de développement.

Comme le souligne Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour les infrastructures, « ce choc économique hors norme que subissent les marchés des matières premières et la faiblesse des cours pétroliers pourraient constituer un sérieux revers pour les économies en développement et compromettre les indispensables investissements dans les infrastructures critiques pour soutenir une croissance durable et créer des emplois de qualité » ([11]).

La politique daide au développement nationale et internationale a donc un rôle contracyclique essentiel à jouer.

2.   La dégradation de la situation alimentaire

La crise sanitaire risque d’aggraver la situation alimentaire dans de nombreux pays fragiles. Ainsi, le Programme alimentaire mondial (PAM), agence des Nations unies basée à Rome, estime désormais que 265 millions de personnes sont actuellement confrontées à une crise alimentaire aiguë, alors que, dans son rapport mondial sur les crises alimentaires 2020, publié en avril, mais ne prenant pas en compte les impacts de la pandémie, le PAM estimait ce chiffre à 135 millions ([12]).

L’urgence du sujet alimentaire est aggravée par une invasion de criquets pèlerins, qui touche actuellement l’Afrique de l’Est, de l’Éthiopie à la République démocratique du Congo (RDC), et menace de s’étendre. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture estimait ainsi que, « dans les six pays les plus affectés par le risque de criquets - l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan du Sud, l’Ouganda et la Tanzanie - près de 20 millions de personnes font déjà face à une situation d’insécurité alimentaire aig » ([13]). Une deuxième vague, bien plus importante que la précédente, se serait d’ailleurs abattue sur l’Afrique de l’Est en avril.

B.   LA RÉPONSE DE LA FRANCE : UN ÉQUILIBRE À TROUVER ENTRE AIDE BILATÉRALE ET MULTILATÉRALE

La réponse de la France en matière d’aide au développement passe par les trois canaux bilatéral, européen et multilatéral.

1.   Au niveau bilatéral, la réallocation de 1,2 milliard d’euros de crédits

La France mobilise 1,2 milliard d’euros dans un plan de réponse à la crise sanitaire. Ce plan est, pour l’essentiel, porté par l’Agence française de développement, dont le conseil d’administration a approuvé le 2 avril 2020 linitiative « Covid-19 – Santé en commun », dotée de 1,15 milliard d’euros, dont 150 millions d’euros de subventions et 1 milliard d’euros de prêts, principalement sous la forme d’appuis budgétaires aux politiques publiques sectorielles liées à la lutte contre le Covid-19.

Les 150 millions d’euros versés en subvention sont répartis entre le don-projet programme 209, pour 70 millions d’euros, et les aides budgétaires du programme 110, pour 80 millions d’euros.

 

 

L’initiative s’appuie sur les instruments suivants :

– le soutien à la recherche et l’alerte sanitaire, en s’appuyant sur les réseaux africains de surveillance épidémiologique ;

– l’appui aux plans nationaux de lutte contre l’épidémie ;

– des appuis aux principaux acteurs français de la réponse à l’épidémie (ONG, fondations, réseaux, organismes de recherche) ;

– des appuis budgétaires pour le renforcement des systèmes de santé.

Le plan vise en priorité les dix-neuf pays prioritaires de l’aide française ([14]), dont 18 sont situés en Afrique subsaharienne, et au Proche-Orient. Le rapporteur spécial salue cette orientation, conforme aux objectifs de notre aide au développement, qui permet de soutenir les pays les plus fragiles.

Au 18 avril, 6 projets avaient été approuvés pour un montant de 12 millions d’euros en subventions. Par ailleurs, deux subventions complémentaires de 2 millions d’euros chacune ont été versées au profit de l’Institut Pasteur, respectivement pour son action en Afrique et en Asie du Sud-Est.

Les engagements de l’AFD dans le domaine de la santé en 2019

En 2019, la division « santé et protection sociale » de l’AFD a financé 46 projets pour un montant total de 545 millions d’euros, soit environ 4 % du volume total d’activité de l’AFD. Cette action a été notamment financée par les crédits en dons du programme 209 (183 millions d’euros), soit 11,4 % des moyens en subvention de l’Agence. Avec l’initiative « OSC », l’Agence a également financé 11 projets dans le domaine de la santé porté par des organisations de la société civile pour un montant de 14 millions d’euros.

En matière de lutte contre les épidémies, en 2019, six projets d’un montant d’environ 30 millions d’euros étaient en cours de financement par l’AFD.

La réponse daide bilatérale au développement française reste, pour le moment, financée par une réallocation des crédits votés en loi de finances pour 2020, et ne bénéficie pas de moyens supplémentaires.


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2.   L’Union européenne : une réponse également à crédits constants

L’Union européenne a annoncé, le 8 avril, la mobilisation de 15,6 milliards d’euros pour aider les pays en développement face à la crise sanitaire et économique provoquée par le Covid-19 ([15]).

Ces fonds sont financés par redéploiement des crédits du budget de l’UE et du Fonds européen de développement et par la Banque européenne d’investissement (BEI) et destinés :

– à la réponse aux impacts économiques et sociaux de la crise (15,17 milliards d’euros) ;

– au renforcement des systèmes de santé (3,12 milliards d’euros) ;

– à la gestion de l’urgence sanitaire et humanitaire (531 millions d’euros).

Le soutien européen prendra la forme de dons (9,16 milliards d’euros), de prêts de la BEI (5,09 milliards d’euros) et de garanties de la Commission et de la BEI (1,56 milliard d’euros). Le total des financements destinés à lAfrique atteindrait 5,31 milliards deuros ([16]).

Cette part relativement faible sexplique par le fait que la réponse européenne inclue les pays du « voisinage », en particulier ceux dEurope de lEst, et pas seulement dAfrique subsaharienne.

3.   La réponse internationale, déterminante dans la lutte contre l’épidémie

L’action multilatérale est primordiale afin de répondre à la crise sanitaire. Lors de la conférence des donateurs de Bruxelles du 4 mai 2020, le Président de la République a annoncé une contribution française à la lutte internationale contre le virus de 500 millions d’euros, dont 50 millions d’euros au bénéfice de l’OMS sur 2020 et 2021.

a.   Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI) : la réponse à l’urgence économique

● Le Fonds monétaire international (FMI) joue un rôle essentiel pour limiter, par l’apport de liquidités aux pays qui en font la demande, les conséquences financières de la crise sanitaire. Le Fonds aurait déjà reçu des demandes d’aide de la part de plus de cent pays.

En réponse à la crise, l’institution a doublé sa capacité de décaissement rapide, ce qui permet de mobiliser 100 milliards de dollars supplémentaires.

Le Fonds a également demandé à ses membres de réabonder ses fonds fiduciaires :

– Le Fonds pour la réduction de la pauvreté et la croissance (PRGT), qui permet d’octroyer un financement concessionnel à des pays à faibles revenus. L’objectif est de mobiliser 17 milliards de dollars de nouvelles ressources : au 20 avril 2020, 11,7 milliards avaient été promis par le Japon, la France, le Royaume – Uni, le Canada et l’Australie ;

– Le Fonds fiduciaire dassistance et de riposte aux catastrophes (CCRT), qui permet d’accorder un allègement du service de la dette à 29 pays parmi les plus vulnérables, dont 23 pays africains sous forme de dons. L’objectif est d’accroître les ressources du fonds de 1,4 milliard de dollars, avec de premières contributions du Royaume-Uni, du Japon, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de Singapour et de la Chine.

● Pour sa part, le groupe Banque mondiale a annoncé, en avril, un plan de réponse de 160 milliards d’euros sur les quinze prochains mois, dont 55 milliards destinés à l’Afrique. En plus de la Banque, ce plan mobilise l’Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel du groupe, la Société financière internationale (SFI), qui vient en soutien au secteur privé des pays en développement et l’Agence multilatérale pour la garantie des investissements (MIGA).

Ce plan doit en permettre de consolider les systèmes de santé et daméliorer les capacités de surveillance et de protection des populations. À titre d’exemple, un don de 20 millions de dollars a été réalisé au profit de Haïti afin d’améliorer le suivi des cas de contamination et de fournir au personnel soignant des équipements de laboratoires et de protection. Le Sénégal (30 millions) et le Ghana (35 millions) ont également été soutenus par un financement des dispositifs de veille épidémiologiques, les laboratoires publics et les capacités de dépistage précoce.

Le soutien au secteur privé est également une priorité. La SFI a mis en place un mécanisme de financement accéléré du secteur privé de 8 milliards d’euros, dans le but de maintenir l’activité des entreprises et de préserver les emplois. La Société, à travers son programme mondial de financement du commerce, a également pu financer les petites et moyennes entreprises opérant dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, avec des engagements cumulés de 1,4 milliard de dollars dans 33 pays, dont 51 % en volume en faveur des pays à faibles revenus.

Fin mai 2020, lAfrique subsaharienne avait ainsi bénéficié de 3 milliards de dollars de financements complémentaires destinés à la lutte contre la pandémie.

En complément de l’action de la Banque mondiale, les banques régionales de développement mobilisent une réponse de 200 milliards de dollars, par la réorientation de leurs projets prévus.

Ces différentes initiatives impliquent la mobilisation de lensemble des ressources financières des banques multilatérales de développement mais ne requièrent à ce stade pas de contributions supplémentaires des États membres.

b.   L’Organisation mondiale de la santé, critiquée pour sa gestion de la crise, est peu financée par la France

● La réponse internationale à la crise épidémique est portée en premier lieu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les principales contributions de l’Organisation sur les exercices 2020-2021 sont retracées dans le tableau ci-dessous.

Ressources de l’OMS sur 2018 et 2019

(en millions de dollars des États-Unis)

Rang

Pays ou organisation

Contribution totale

1

États-Unis

893

2

Fondation Bill and Melinda Gates

530

3

Royaume-Uni

434

4

Alliance GAVI

371

5

Allemagne

292

6

Japon

214

7

Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Nations-unies)

192

8

Rotary International

143

9

Banque mondiale

133

10

Commission européenne

131

La France contribue peu au budget de lOMS, avec environ 35 millions deuros versés annuellement, ce qui en fait le 17e pays contributeur de lOrganisation. À titre de comparaison, le Royaume-Uni contribue près de six fois plus, et lAllemagne près de quatre fois plus. LUnion européenne se situe, à la huitième place. La Chine, quant à elle, a versé 86 millions de dollars sur le biennal 2018-2019 ([17]).

Le tableau ci-dessus permet de souligner l’importance des contributions privées au sein du budget de l’OMS : la fondation privée Bill & Melinda Gates représente, en valeur absolue, le deuxième contributeur, derrière les États-Unis.

Cette situation porte préjudice à la capacité de la France à peser dans les décisions prises au sein de lOrganisation. Elle illustre par ailleurs le poids relativement faible de la Chine, du point de vue budgétaire, dans les ressources de lorganisation.

● En réponse à la crise sanitaire, l’OMS a publié le 3 février un plan stratégique d’action et de riposte qui doit constituer le cadre de référence au niveau mondial, financé par des contributions reçues ou promises à hauteur d’un milliard de dollars. À ce stade, la France appuie ce plan stratégique à hauteur d’un million d’euros.

L’annonce d’une implication renforcée de la France à la lutte contre la crise épidémique au niveau international comporte une augmentation de la contribution française de 50 millions d’euros sur 2020 et 2021, soit un effort annuel supplémentaire de 25 millions deuros. Le détail du financement de cette contribution supplémentaire n’était, à la date d’écriture du présent rapport, pas connu.

Le rapporteur sinterroge sur la pertinence des décisions prises par lOMS pendant la crise sanitaire et sur sa dépendance visiblement très étroite vis-à-vis de la Chine. Or, paradoxalement, le retrait des États-Unis risque de renforcer encore cette influence chinoise.  Aussi, les critiques exprimées sur la gestion de la crise par l’Organisation méritent d’être entendues, afin d’engager une réflexion sur sa gouvernance et l’influence qu’y exerce la France. Dès lors, il tient à signaler que, même avec une augmentation de 50 millions d’euros, qui doit encore trouver une traduction budgétaire, la contribution de la France apparaît modeste au regard de celle de nos partenaires européens.

Enfin, la place des fondations privées dans le financement de l’OMS étonne le rapporteur spécial, qui approfondira le sujet au cours de ses prochains travaux.

c.   D’importantes initiatives internationales, certaines récemment renforcées par la France, également mobilisées

La France apparaît beaucoup plus mobilisée sur des initiatives sectorielles en faveur de la santé internationale.

● Le Fonds mondial pour le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP) mobilise, à moyens constants, une enveloppe supplémentaire d’environ un milliard d’euros. La France a porté sa contribution à 1,3 milliard d’euros pour la période 2020-2022, soit 300 millions de plus que sur le triennal précédent.

● LAlliance mondiale pour les vaccins, ou GAVI, est une initiative qui a joué un rôle déterminant pour le développement de la vaccination au sein des pays en développement, avec plus 760 millions d’enfants vaccinés. Il permet l’achat de vaccins existants mais trop chers pour être acquis massivement par ces pays. La France est aujourd’hui le 6e contributeur de l’initiative, avec une contribution de 465 millions d’euros sur la période 2016-2020, soit 93 millions d’euros annuellement.

Face à l’épidémie dans les pays en développement, l’Alliance a déjà réorienté, à moyens constants, 200 millions deuros en faveur de la lutte contre le virus.

Le Président de la République s’est engagé lors de conférence de reconstitution du Fonds Mondial en octobre 2019 à ce que la France soit au rendez-vous de la conférence de reconstitution de Gavi prévue à Londres les 3 et 4 juin prochains, qui doit permettre d’atteindre la cible des 7,4 milliards de dollars de ressources. Le montant de la contribution financière de la France nétait, à la date décriture du présent rapport, pas connu du rapporteur spécial.

● Unitaid, partenariat hébergé au sein de l’OMS, a pour objectif de centraliser les achats de médicaments afin d’obtenir les meilleurs prix possibles pour les pays à faible revenu. La France est à l’origine de sa création et en est le premier contributeur financier depuis 2006, avec environ 60 % des ressources cumulées. Ses versements atteignent 85 millions d’euros par an en moyenne sur 2017-2019.

Le 27 mars, son conseil d’administration a approuvé une stratégie de redéploiement de 30 millions de dollars afin de financer l’accès à des tests de diagnostics et à des outils de prise en charge des formes graves de la maladie, de développer des essais cliniques chez les personnes vivantes avec le VIH, et pour une campagne médiatique de prévention sur les bons gestes à adopter face au Covid-19. Ces initiatives concernent 27 pays.

Unitaid devrait également jouer un rôle clé dans les questions de propriété intellectuelle et de partage des données de brevets liés aux traitements découverts, via son initiative Medicines Patent Pool, créée en 2010, qui vise à la négociation de licences volontaires afin de garantir un accès équitable pour les plus vulnérables.

● La Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), est un partenariat public privé dont la finalité est de lutter contre les épidémies déclarées, soit pour des maladies pour lesquelles il n’existe pas encore de vaccin (fièvre de Lassa, MERS, Ebola, Nipah, fièvre de la vallée du Rift, Chikungunya, virus de Marbourg, Dengue), soit pour des épidémies nouvelles comme le Covid-19.

Début mars, CEPI a publié un appel aux dons pour accélérer le développement d’un vaccin contre le Covid-19, avec un besoin de financement de 2 milliards de dollars en 2020-2021. Le Président de la République a annoncé lors de la conférence des donateurs de Bruxelles le 4 mai dernier que la France consacrerait 50 millions d’euros au développement d’un vaccin contre le COVID, sans préciser si cette contribution transiterait par le CEPI.

Le rapporteur tient à souligner limportance de ces initiatives multilatérales en faveur de la santé mondiale, qui apportent une réponse massive dans certains secteurs, hors du système de lONU. Si certaines ont un rôle direct à jouer dans la pandémie actuelle (GAVI, Unitaid, CEPI), il ne faut néanmoins pas relâcher leffort de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, qui, peut-être plus que le coronavirus actuel, constitue un réel sujet dinquiétude sanitaire pour les pays que nous aidons.

4.   La situation du Sahel appelle une réponse particulière

Les pays du Sahel sont particulièrement touchés par la crise sanitaire et ses conséquences économiques et humanitaires.

● La situation économique est fortement dégradée, avec des prévisions de croissance fortement revues à la baisse par le FMI pour le Burkina Faso (2 % en 2020 contre 6,0 % prévus avant crise), le Niger (1 % contre 6 %) et le Mali (1,5 % contre 5 %). Le Tchad (– 0,2 % contre 3,9 %) et la Mauritanie (– 2,0 % contre 6,3 %) devraient quant à eux connaître une récession ([18]).

La dégradation prévue des finances publiques est significative du fait de la baisse des recettes et de l’augmentation des dépenses courantes liée aux plans de ripostes, avec un déficit atteignant 5 % du PIB au Burkina Faso et au Niger et 6,2 % au Mali.

● La situation humanitaire des pays du Sahel était déjà préoccupante avant même le déclenchement de la crise sanitaire : en 2020, le Bureau de coordination de l’aide humanitaire des Nations Unies prévoyait que plus de 14,7 millions de personnes auraient besoin dassistance humanitaire en 2020, sur environ 81 millions dhabitants dans les pays du G5 Sahel ([19]) . Les facteurs d’aggravation de la crise dans la région sont d’ailleurs nombreux, avec les restrictions de l’accès humanitaire, le risque de diminution des financements, la dégradation de la situation sécuritaire et situation alimentaire et le risque de migration des criquets pèlerins depuis la Corne de l’Afrique vers la région du Sahel.

Au regard des multiples fragilités des pays du Sahel, le rapporteur spécial considère que la région doit faire lobjet dune attention particulière de la France.


II.   LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE LAIDE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISES : UN BOULEVERSEMENT PROBABLE

L’aide publique au développement fait l’objet d’un engagement ambitieux du Gouvernement depuis la réunion du CICID de février 2018, qui se traduit par des moyens budgétaires accrus. L’impact de la crise sanitaire risque néanmoins de remettre en question les premières orientations, alors que de nouvelles priorités se dessinent et que les marges de manœuvre budgétaires de la France diminuent.

A.   LIMPACT DE LA CRISE SANITAIRE SUR LA RÉORIENTATION DE LAIDE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE

Les orientations dessinées en 2018, et en particulier l’objectif de consacrer 0,55 % du revenu national à l’aide au développement, connaîtront probablement des inflexions profondes.

1.   La détermination d’une nouvelle trajectoire budgétaire de l’aide française

La trajectoire établie en 2018 pour l’aide au développement française apparaît caduque.

a.   Une trajectoire à reconstruire

En effet, la réunion du CICID de févier 2018 avait fixé l’augmentation graduelle présentée dans le tableau suivant.

Trajectoire d’APD anticipé en 2018

 

2018

2019

2020

2021

2022

APD en % du RNB

0,44 %

0,44 %

0,47 %

0,51 %

0,55 %

Source : Relevé de conclusions de la réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 2018.

Or, avec la chute anticipée du revenu national français, de 11 % selon derniers chiffres annoncés par le ministre de l’action et des comptes publics à la date d’écriture du présent rapport, l’effort français d’aide au développement augmenterait mécaniquement, par un effet dénominateur, à plus de 0,50 % du RNB, au-delà de la cible fixée par le CICID pour 2020 (0,47 %), à crédits pourtant constants.

La reconstruction dune nouvelle trajectoire simpose, exprimée en valeur absolue plutôt quen pourcentage, tenant compte de la situation des finances publiques françaises et des besoins nouveaux des pays en développement.

La baisse du PIB prévue en 2020 pose par ailleurs la question du maintien de lambition française daide au développement, qui implique de mobiliser des sommes importantes alors que les marges de manœuvre budgétaires sont de plus en plus contraintes.

b.   Des impacts sur le budget 2021 à préciser

Lensemble des plans annoncés au niveau bilatéral, européen et multilatéral comportent peu de crédits nouveaux en comparaison des sommes annoncées. Les impacts de cette réponse sur le budget en 2020 et en 2021 restent à préciser.

Le budget 2021 devrait ainsi prévoir de nouvelles dépenses sur les deux programmes de la mission Aide publique au développement.

● L’augmentation de 50 millions d’euros de la contribution française à l’OMS, évoquée par le Président de la République, ne s’est pas encore traduite dans un texte budgétaire. La contribution complémentaire française à GAVI doit être précisée, dans la perspective de la conférence de reconstitution de ses ressources, prévue à Londres début juin.

● Comme évoqué plus haut, la France s’est engagée à doubler sa contribution au fond fiduciaire du FMI dit « PRGT », qui offre un financement concessionnel aux pays fragiles, de 2,5 à 5 milliards d’euros. Celle-ci prendra la forme d’un prêt de la Banque de France bénéficiant de la garantie de l’État, Un tel mécanisme implique le vote par le Parlement dune disposition de loi de finances, mais resterait neutre budgétairement.

Par ailleurs, une contribution de la France au Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (ARC), qui permet aux pays volontaires de se substituer aux pays débiteurs du FMI pour régler leurs échéances auprès de celui-ci, est à l’étude. Jusque-là, la France n’avait pas contribué aux ressources du Fonds, et le niveau de la nouvelle contribution, qui affectera le budget de l’État, n’est pas encore déterminé.

Le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (ARC ou CCRT)

Ce fonds fiduciaire permet au FMI de se joindre aux efforts internationaux d’allégement de la dette en cas de catastrophes naturelles en leur octroyant des dons aux pays touchés pour alléger le service de leur dette.

L’aide au titre du fonds fiduciaire ARC s’adresse aux pays à faible revenu éligibles aux programmes de subvention en dons de la Banque mondiale.

Le fonds fiduciaire ARC renferme deux guichets : i) un guichet riposte aux catastrophes qui offre une assistance pour endiguer des catastrophes de santé publique ; et ii) un guichet assistance post-catastrophe qui offre un concours au lendemain de graves catastrophes naturelles.

En réaction à la pandémie, en mars 2020, le FMI a entrepris une levée de fonds devant permettre au fonds ARC d’offrir des allégements du service de la dette à hauteur de 1 000 milliards de dollars.

Source : FMI

2.   L’appui aux secteurs alimentaire et sanitaire, priorités pour la nouvelle trajectoire

L’aide au développement française apparaît relativement limitée dans les secteurs sanitaire et alimentaire.

a.   L’aide au développement française dans le domaine sanitaire

Laide au développement de la France dans le domaine de la santé atteignait, en 2017, 882,4 millions deuros. La part du bilatéral est d’environ 27 % sur les cinq dernières années.

Ce niveau d’aide apparaît relativement modeste au regard des contributions des États-Unis (12 milliards de dollars en 2019), du Royaume-Uni (3,5 milliards), de l’Allemagne (2,1 milliards d’euros) et du Japon (1,2 milliard) dans le secteur. La Fondation Gates aurait, elle, versé 3,9 milliards de dollars ([20]).

Comme exposé plus haut, la France est néanmoins fortement impliquée auprès de certaines initiatives internationales (Fonds mondial, Unitaid, GAVI), mais sa contribution à l’OMS reste limitée.

b.   L’aide française dans le domaine alimentaire

En matière agricole et alimentaire, laide française atteint, en 2017, 442,6 millions deuros, dont l’essentiel (92 %), passe par le canal bilatéral. En particulier, l’aide alimentaire atteint 39 millions d’euros sur le programme 209 en 2019. Le don-projet de l’AFD versé sur le secteur agriculture et sécurité alimentaire représente également 240 millions d’euros en AE et 33 millions en CP.

Au niveau multilatéral, la contribution de la France au Programme alimentaire mondial (PAM) atteint 17,8 millions d’euros en 2019, ce qui en fait le 26e contributeur national, quand l’Allemagne a, pour sa part, versé près de 790 millions d’euros et le Royaume-Uni environ 550 millions d’euros ([21]).

Au regard des besoins des pays en développement et de la relative faiblesse de laide au développement française sur ces secteurs, la nouvelle trajectoire de laide française devra être construite autour de ces deux priorités.

3.   L’équilibre financier du groupe AFD, un sujet à surveiller

La crise sanitaire et son impact économique sur les pays en développement peuvent dégrader les perspectives de remboursement des prêts accordés, fragilisant ainsi le bilan de lAgence.

Au 31 mars 2020, l’AFD identifiait ainsi ([22]) :

– 843 millions d’euros d’encours sur 37 contreparties dont le degré d’exposition à la crise ([23]) était jugé élevé, majoritairement dans le secteur des transports (dont Ethiopian Airlines, Aéroport de Dakar, Air Austral, Aéroports d’Afrique du Sud, du Cameroun, du Kenya, etc.) et dans le secteur bancaire (banques marocaines et égyptiennes notamment).

– 24 sollicitations de report d’échéances de la part de contreparties non‑souveraines, dont le montant de mars à juin s’élevait à 31,8 millions d’euros. Ces demandes concernent les États étrangers de manière minoritaire
(8 sollicitations).

– de premières demandes individuelles de report d’échéances de la part de contreparties souveraines (Gabon et République démocratique du Congo).

LAFD étudie également limpact sur son activité du moratoire sur les échéances souveraines décidé par le G20 ([24]). Ce moratoire pourrait affecter le montant des échéances en capital et intérêt au bénéfice de l’Agence pour un montant compris entre 200 et 360 millions d’euros, sur le total des 900 millions d’euros concernant la France (voir supra). À titre de comparaison, le résultat net annuel de l’Agence, qui, n’étant pas reversé à l’État, sert à renforcer ses fonds propres, atteignait 115 millions d’euros en 2019.

Aussi, le budget pour 2021 sera probablement marqué par un besoin de fonds propres au bénéfice de lAFD, en raison de la dégradation des risques de son portefeuille.

B.   LA DETTE, SUJET MAJEUR DINQUIÉTUDE

La situation dégradée de l’endettement des pays africains a conduit à l’adoption d’un moratoire permettant de soulager les contraintes liées à la dette.

1.   La situation dégradée de l’endettement des pays africains

Selon les données de la Banque mondiale, la dette publique externe des pays d’Afrique subsaharienne atteignait 365 milliards de dollars fin 2018, dont 110 milliards détenus par les créanciers multilatéraux, 99 milliards par les créanciers bilatéraux et 155 milliards par les créanciers privés.

Or, les indicateurs de soutenabilité de la dette des pays africains apparaissent dégradés. Au 15 mars 2020, huit pays sur les neuf considérés comme surendettés au niveau mondial sont africains : lÉrythrée, la République du Congo, le Mozambique, São Tomé et Principe, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud et le Zimbabwe. Par ailleurs, douze pays africains font partie des vingt-cinq considérés comme en risque élevé de surendettement : le Burundi, le Cameroun, le Cap Vert, la République centrafricaine, le Tchad, Djibouti, lÉthiopie, la Gambie, le Ghana, la Mauritanie, la Sierra Leone et la Zambie. Indiqués en gras dans la précédente liste, huit pays font partie de la liste des dix-neuf pays prioritaires de laide française.

2.   Un premier accord de suspension du paiement de la dette

Dans ce contexte, les pays du G20 se sont accordés pour suspendre, au 1er mai et au moins jusqu’à la fin de l’année 2020, les paiements du service de la dette des États les plus pauvres. L’initiative est ouverte à 77 pays, dont 41 africains, et sous certaines conditions. Comme le souligne David Malpass, directeur de la Banque mondiale, « la suspension du remboursement du service de la dette bilatérale va permettre de libérer des moyens vitaux pour financer la riposte d’urgence face à la pandémie » ([25]).

Cest la première fois quun tel accord sur la dette est obtenu au sein dun cercle aussi large de pays, puisqu’il a été souscrit à la fois par les pays du Club de Paris, les grands émergents (Inde, Brésil) et surtout la Chine, qui détiendrait environ 40 % de la dette extérieure des pays africains. Cet engagement représente un total de 13 milliards deuros de financements au niveau mondial, et d’environ 900 millions deuros (soit 7 % du total) pour la France.

Cette suspension des paiements liés à la dette des pays à faibles revenus représente n’est pas une annulation de créances : dès lors, sur les prochains exercices, sont impact budgétaire est neutre. Elle a néanmoins un impact sur le déficit budgétaire en 2020, puisque les remboursements ne reprendraient pas avant 2021 : en termes maastrichtiens, l’aggravation du déficit 2020 atteindrait ainsi environ 300 millions deuros, selon la direction générale du Trésor. Les acteurs concernés par la suspension des remboursements de dette sont l’AFD, le Trésor au titre des prêts qu’il octroie et Bpifrance Assurance Export.

Fin mai 2020, six pays avaient sollicité le bénéfice de l’initiative de suspension du service de la dette auprès du Club de Paris, dont 3 pays en Afrique : Mali, Cameroun et Burkina Faso ([26]).

Comme exposé plus haut, l’accord de suspension du service de la dette représente, pour l’Afrique subsaharienne, environ 27 % du total de la dette publique extérieure. Les discussions sont, dès lors, en cours avec les créanciers multilatéraux et les créanciers privés, afin de parvenir à des accords similaires.

3.   La perspective des annulations de dette

Le Président de la République, lors de son allocution du 13 avril, a annoncé que la France et l’Europe devront aider l’Afrique « en annulant massivement sa dette ». Le moratoire décidé dans le cadre du G20, en gelant la situation de la dette jusqu’à la fin de l’année, permettra de déterminer quels sont les pays qui en ont le plus besoin. Les modalités et les bénéficiaires de ces annulations nétaient donc, à la date décriture du présent rapport, pas encore connues.

Ces annulations de dette risquent néanmoins daccentuer le soutien de laide au développement française aux pays à niveau intermédiaire de développement, qui bénéficient des structures financières et de capacités de maîtrise douvrage suffisantes pour mettre en œuvre des projets de développement financés par de la dette. Il est à craindre que ce ne soient donc pas les dix-neuf pays prioritaires de laide française, qui font partie des plus fragiles, qui bénéficient le plus de ces mesures.

Le rapporteur spécial considère donc que la réponse daide au développement de la France à la pandémie, que ce soit son ambition multilatérale ou les perspectives dabandons de dette, risque de lécarter des objectifs quelle sest fixée en 2018 consistant à faire plus de bilatéral, orienté vers les pays les plus fragiles.

Par ailleurs, la baisse de 8 % du PIB prévue en 2018 interroge la capacité de la France à maintenir son ambition initiale pour sa politique daide au développement, qui devait augmenter de 5 milliards deuros en flux annuels entre 2018 et 2022.

C.   La réforme du Franc CFA se concrétise dans un contexte de crise

La crise sanitaire et économique ne semble pas avoir fragilisé la zone franc CFA, qui doit connaître une réforme importante dans les prochains mois. Cette réforme conduire à un changement de monnaie dans huit pays d’Afrique de l’Ouest, mais la France garderait son rôle de garant financier de l’équilibre monétaire de la zone. Le 21 décembre 2019, le Président de la République et son homologue ivoirien Alassane Ouattara ont signé l’accord de coopération visant à remplacement le franc CFA par une nouvelle monnaie pour les États de l’Ouest africain.

Le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre la République française et les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine a été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mai 2020, sous le numéro 2986.

Le 29 juin 2019, les chefs dÉtats de la Communauté économique des États de lAfrique de lOuest (CEDEAO), organisation composée de quinze États dAfrique de lOuest dont les huit États membres de lUEMOA, se sont accordés sur la mise en place en 2020 dune monnaie unique, appelée ECO. Ce projet de monnaie unique est ancien, et a fait lobjet de premières réflexions dès 1983 au sein de la Communauté.

La mise en place de cette monnaie unique, qui ne concerne donc pas que des États dont la monnaie est le franc CFA, implique néanmoins une réforme de la zone franc présente au sein de la CEDEAO.

Cette réforme comprend trois axes principaux : le changement de nom de la devise, désormais appelée « ECO », la suppression de l’obligation de centralisation de la moitié des réserves de change de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sur le compte d’opérations au Trésor français et le retrait de la France des principales instances de décisions de la Zone, en particulier le conseil d’administration de la BCEAO et la commission bancaire de l’Union monétaire ouest-africaine.

Cette réforme ne concerne que les huit pays de l’UEMOA. Les six pays membres de la CEMAC et l’Union des Comores ne sont pas concernés, laissant le fonctionnement du XAF et du franc comorien inchangé.

De plus, au sein de l’UEMOA, les principes de fixité de la parité du franc CFA avec l’euro, au taux inchangé d’un euro pour 655,957 francs CFA, et de garantie par le Trésor français de la convertibilité illimitée en euros de la monnaie émise par la BCEAO, ne sont pas modifiés.

Le rapporteur sera attentif aux évolutions de la zone franc CFA, mais souligne d’ores et déjà que la France conserverait son rôle de garanti financier. L’articulation de la réforme proposée de l’UEMOA avec la mise en place de la monnaie unique au sein de la CEDEAO devra néanmoins être précisée. La garantie monétaire changerait en effet d’ampleur si elle était étendue à d’autres pays de la Communauté – qui compte notamment le Nigéria, première économie africaine.


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion de 10 heures 30, le mardi 2 juin 2020, la commission des finances, réunie en commission dévaluation des politiques publiques, a entendu M. Marc Le Fur, rapporteur spécial de la mission Aide publique au développement.

 

La vidéo de cette réunion est disponible sur le portail dédié de lAssemblée nationale. Le compte rendu est également lisible en ligne.

 

 


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   SOURCES UTILISÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

– Base de données issues de la Banque mondiale, du FMI et de l’Organisation mondiale de la santé.

– Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019 de la mission interministérielle Aide publique au développement, avril 2020.

– Programme alimentaire mondial, Rapport mondial sur les crises alimentaires 2020, avril 2020.



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   PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Direction générale de la mondialisation, de la culture, de lenseignement et du développement international

– M. Cyrille Pierre, directeur général adjoint

– M. Ayemric Chuzeville, sous-directeur du développement.

 

Direction générale du Trésor

– M. Christophe Bories, sous-directeur des affaires financières multilatérales et développement

– M. Schwan Badirou-Gafari, chef du bureau endettement, financement international et secrétariat du Club de Paris

– Mme Isabelle Camilier-Cortial, cheffe du bureau aide publique au développement

 

Agence française de développement :

– M. Rémy Rioux, directeur

– M. Philippe Baumel, responsable des affaires publiques

– M. Alexandre Pointier, directeur de l’AFD pour le Sénégal, la Gambie, le Cap-Vert et la Guinée-Bissau

 

Institut Pasteur

– M. François Romaneix, directeur général adjoint

– M. Pierre-Marie Girard, directeur international


([1]) Relevé de conclusions de la réunion du CICID du 8 février 2018.

([2]) Cour des comptes, note d’exécution budgétaire 2019 de la mission Aide publique au développement, avril 2020.

([3])  Assemblée nationale, XVe législature, compte rendu de la séance de 15 heures du lundi 3 juin 2019 de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

([4]) En 2019, la DGT a demandé l’audit des projets suivants : TER de Dakar à Diamniadio (71,7 millions d’euros), l’installation de signalisation dans 11 gares tunisiennes (19,6 millions), le rééquipement de 12 hôpitaux en Côte d’Ivoire (12,3 millions), l’amélioration de stations TV en Indonésie (48 millions), la rénovation de l’aéroport de Taba en Égypte (7,1 millions) et la fourniture de 46 ponts métalliques au Sri Lanka (22 millions).

([5]) Burundi, Cameroun, Congo, Gambie, Ghana, Haïti, Mauritanie, Mozambique, Centrafrique, Sao Tomé e Principe, Sierra Leone, Tchad et Zambie.

([6]) Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

([7]) Source : Commission des Nations unies pour l’Afrique.

([8]) Marc Le Fur, annexe n° 6 Aide publique au développement au rapport de Joël Giraud, rapporteur général sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018.

([9]) Source : Banque mondiale, communiqué de presse du 22 avril 2020.

([10]) Source : Comité d’aide au développement, OCDE, 2019.

([11]) Banque mondiale, communiqué du 23 avril 2020.

([12]) Programme alimentaire mondial, Rapport mondial sur les crises alimentaires 2020, avril 2020.

([13]) OAA/FAO, « La FAO poursuit sa lutte contre les criquets pèlerins en Afrique de lEst et au Yémen malgré les contraintes liées au COVID-19 », 9 avril 2020.

([14]) Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Libéra, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

([15])  European Commission, Communication on the global EU response to Covid-19, 8 avril 2020.

([16])  Parmi les crédits gérés par la Commission européenne, 2,06 milliards sont alloués à l’Afrique subsaharienne et 1,79 milliard l’Afrique du Nord. Par ailleurs, 1,46 milliard d’euros de prêts de la BEI sont destinés à l’Afrique subsaharienne.

([17]) Source : données OMS sur 2020 et 2021, http://open.who.int/2020-21/budget-and-financing/flow.

([18]) Source : données du FMI

([19]) Sources : données Banque mondiale

([20]) Source : données de l’Institute for Health Metrics.

([21])  Point méthodologique : pour les besoins de la comparaison, les données relatives aux contributions du PAM, publiées en dollar des États-Unis, ont été converties en euros au cours en vigueur le 31/12/19, tel que publié par la Banque de France.

([22]) Données transmises par le MEAE au rapporteur spécial.

([23]) Sur la base des critères suivants : exposition au secteur du tourisme, exposition sur les pays exportateurs de pétroles, exposition sur le secteur du transport aérien, exposition sur le secteur financier.

([24]) 35 pays en portefeuille concernés : le Sénégal, le Kenya, le Nigeria, le Cameroun et le Pakistan concentrent la majorité de l’exposition de l’AFD.

([25])  Banque mondiale, communiqué du 19 mai 2020.

([26]) Source : communiqués de presse du Club de Paris.