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N° 3013

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mai 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de LOI Femmes de ménage : Encadrer la soustraitance, cesser la maltraitance,

 

 

 

Par M. François RUFFIN,

 

 

Député.

 

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Voir le numéro :

Assemblée nationale :  2954.

 


 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Avant-propos

INTRODUCTION

I. Femmes et hommes de mÉnage : ces « invisibles » aux conditions de vie prÉcaires

A. Des mÉtiers fÉminisÉs particuliÈrement exposÉs à la pÉnibilitÉ

1. Le profil des « invisibles »

2. Une exposition élevée aux risques physiques, chimiques et infectieux

a. Des risques chimiques et infectieux en augmentation

b. Des conséquences inquiétantes en matière de santé

c. Des risques accrus par lépidémie de covid-19

B. des horaires de travail atypiques et morcelÉs, aux lourdes consÉquences sur la vie familiale et sociale et la santÉ

1. Un emploi du temps professionnel fragmenté

2. De lourdes conséquences en termes datteintes à la santé, à la vie familiale et sociale

a. Des conséquences néfastes sur la santé

b. Une vie familiale et sociale mise à rude épreuve

C. une grande souffrance nÉe de labsence de reconnaissance de la valeur des mÉtiers du nettoyage

1. Des métiers peu reconnus et peu valorisés

a. Un choix effectué par défaut

b. Le sentiment dêtre « invisible »

2. Des perspectives dévolution de carrière quasi inexistantes

II. Lexternalisation À moindre coÛt des prestations de mÉnage par les entreprises et administrations : le terreau du dumping social

A. Le recours À la sous-traitance, une solution de facilitÉ pour des donneurs dordre de plus en plus nombreux

1. Un recours massif et croissant à lexternalisation des activités de nettoyage

2. Les motifs avoués et inavouables du recours à lexternalisation pour les prestations de nettoyage

3. De faibles contraintes juridiques pesant sur les donneurs dordre en matière sociale

B. Une politique du moins-disant qui contribue À la dÉgradation des conditions de travail des salariÉs des entreprises de nettoyage

1. Une concurrence sans merci qui tire les salaires vers le bas

2. Une externalisation qui accentue le caractère impitoyable des conditions de travail des femmes et hommes de ménage

a. Le refus quasi systématique du travail en journée par les donneurs dordre

b. Laugmentation infernale des cadences

3. Des marges de contestation limitées en raison de la division du collectif de travail

III. Lobjet de la proposition de loi : ROMPRE la spirale infernale de la sous-traitance et assurer des conditions de travail et de rÉmunération dignes aux femmes et hommes de mÉnage

commentaires darticles

Article 1er Harmonisation des dispositions législatives, conventionnelles ou dusage applicables aux salariés des entreprises utilisatrices et extérieures

Article 1er bis [nouveau] Obligation d’ouverture de négociations de branche en vue d’améliorer les conditions de travail des personnes recrutées dans le cadre d’une opération de sous-traitance

Article 2 Clause contractuelle obligatoire garantissant légalité salariale et légalité de traitement entre salariés dune entreprise utilisatrice et salariés dune entreprise extérieure

Article 3 Majoration de la rémunération des heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures dans les entreprises de nettoyage

Article 4 [nouveau] Mise en place d’horaires de travail en journée et en continu pour les salariés à temps partiel des entreprises de sous-traitance, sauf si le donneur d’ordre refuse et sauf s’il existe une convention ou un accord collectif

Article 5 [nouveau] Améliorer l’information des salariés sur leurs droits sociaux

Article 6 [nouveau] Rapport sur la situation des femmes de ménage intervenant dans les administrations et les collectivités publiques

Article 7 [nouveau] Rapport sur la situation des femmes de ménage intervenant à l’Assemblée nationale

COMPTE RENDU DES TRAVAUX

 

 


 

« Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourdhui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur lutilité commune. Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourdhui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. »

Emmanuel Macron, 13 avril 2020.

 

 

« La formatrice commente les images. La qualité principale consiste à travailler vite. La société de nettoyage vend des heures de ménage aux différentes sociétés qui font appel à elle. Vous intervenez généralement hors de la journée de travail des autres employés, cest-à-dire très tôt, ou très tard. Si vous vous accrochez, vous arriverez à trouver quelques heures le matin dans une boîte, quelques heures le soir dans une autre et, parfois, des contrats par à-coups au milieu. [...] La formatrice continue : Dans une entreprise, vous rencontrerez beaucoup de gens qui ne vous diront pas bonjour ou qui ne vous répondront pas. Ce nest pas pour ça quil faut baisser la tête et faire la gueule. Il faut prendre sur soi. Le ménage, cest aussi une attitude. »

Florence Aubenas, Quai de Ouistreham, 2010.


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   Avant-propos

 

Le rapporteur tient à remercier l’ensemble des personnes − femmes et hommes de ménage, responsables d’équipe de nettoyage, chefs d’entreprises prestataires, acheteurs chez les donneurs d’ordre − ayant accepté de livrer leur témoignage sur les conditions de travail difficiles des « invisibles » qui œuvrent au quotidien et dans l’indifférence pour nettoyer les locaux des entreprises et administrations publiques. Par souci de confidentialité, lorsque c’était nécessaire, leurs témoignages ont été anonymisés, leurs identités modifiées.

Le rapporteur déplore toutefois les divers refus opposés sans motif par des donneurs d’ordre, notamment publics, et en particulier par l’Assemblée nationale elle-même.

Il tient enfin à remercier les administratrices qui l’ont épaulé dans ce travail, autres « invisibles ».

 

« Est-ce qu’on va la toucher, nous, la prime ? »

Au téléphone, Géraldine interrogeait notre collaborateur. Elle est agent d’entretien au CHU d’Amiens, employée via Onet. Elle a poursuivi sa tâche, par temps de Covid-19, nettoyant avec un virucide : « On a demandé à être reconnus. Pas forcément avoir les mille euros comme les soignants, eux méritent plus que nous, mais on est là tous les jours, on a le risque tous les jours. Une collègue a été hospitalisée en réanimation. Elle a fait la chambre d’un patient normal, et le lundi, il est monté au sixième étage, chez les Covid. Il était positif. Elle est tombée malade juste après. »

À notre permanence, Géraldine nous a rendus visite, accompagnée de ses collègues, Olivier et Séverine, tous trois délégués CFDT, membre du CSE d’Onet.

 

Olivier : Je nettoie un scanner où il y a des dépistages de Covid. Je nettoie le sol, on a des protections quand même. Mais on rentre dans une salle où y a des gens avec le Covid qui passent.

Séverine : On a été intégré par le CHU pour résoudre les problèmes de garde d’enfants, parce qu’ils avaient besoin de nous. Mais là, pour la prime, on n’est pas intégrés...

Le rapporteur : Et Onet en dit quoi ?

Olivier : Notre directeur n’est pas contre sauf qu’au national, ils sont contre.

Séverine : C’est pour ça qu’on s’est dit : ‘Si on n’a pas la prime, on se met en grève’

La « prime » devenait le symptôme d’un malaise, des « oubliés », des « moins que rien et qui n’ont droit à rien ». Et aussi, de salariés le contrat entre deux chaises, entre deux sociétés, n’appartenant pleinement ni à l’hôpital, dont ils ne sont pas employés, ni à l’entreprise de propreté, où ils mettent rarement les pieds, coincés entre les deux, entre le marteau du donneur d’ordre et l’enclume du sous-traitant.

 

Géraldine : Ça fait sept ans que je travaille pour Onet, le soir de 16 h 30 à 19 h 30 au CHU. Le matin, de 6 h à 9 h, je travaille pour une autre société, au Campus. J’ai aussi un site à la Zone, deux fois par semaine le matin de 8 h 30 à 10 h.

Le rapporteur : Comment vous allez au campus, ou au CHU ?

Géraldine : Je n’ai pas de voiture, je prends le bus. Comme j’habite à Etouvie, le matin, je pars à 5 h par le premier bus. À cette heure-là, il n’y a que des agents d’entretien, quasiment, on se connaît, on se cause des bonnes boîtes, des patrons, des contrats libres, des produits qui manquent. Après, j’en prends un deuxième, et quand j’arrive, je me mets en tenue. Il y a un local pour se changer. Je quitte à 9 h et je reprends mes deux bus. Je rentre chez moi vers 10 h. Je repars à 15 h 30, toujours par le même trajet.

Le rapporteur : Et si on vous disait : « Vous pouvez travailler de 9 h à 16 h, sur un seul site », ça vous arrangerait ?

Géraldine : Bien sûr, ça m’arrangerait de faire tout d’un coup. Là, il y a trop d’amplitude horaire.

Le rapporteur : 13 h 30...

Géraldine : Oui.

Le rapporteur : Et vous, monsieur ?

Olivier : Moi, je suis chez Onet depuis 2013. Je fais de 8 h à 10 h pour l’hôpital, au Nord. Et l’après-midi, toujours au CHU Nord, de 14 h 30 à 19 h 30.

Le rapporteur : Avec une grosse coupure, imposée, entre 10 h et 14 h 30 ? Près de douze heures d’amplitude ?

Olivier : Tout à fait. Si je voulais passer à 35 heures, il fallait accepter ça. Mais c’était pire avant. Je travaillais à Longueau, je faisais 6 heures – 7 h 30 là‑bas...

Le rapporteur : Et vous touchez quelles paies, pour ça ?

Géraldine : Le Smic horaire.

Le rapporteur : Vous n’avez pas de treizième mois ? Une prime de panier ? Des tickets-restaurants ?

Géraldine : Non, rien de tout ça. Juste la prime de salissure, trois euros par mois.

 

C’était énoncé plus que dénoncé, presque résignés. Comme une banalité, une fatalité.

« C’est la vie... »

« C’est comme ça... »

Et pourtant, eux-mêmes le sentent bien, derrière le calme de leur expression, derrière la brièveté de leurs réponses : « Ce n’est pas juste ». Est-ce parce que, ces dernières semaines, les « invisibles » sont devenues visibles ? Parce que « les femmes et les hommes qui nettoient » sont, parmi d’autres, célébrés dans les discours officiels ? Héroïsés même dans la presse ? Effectuant « une mission civique de salubrité » pour Ouest-France ? « L’armée des ombres des hôpitaux » pour Le Monde ? Jouant un « rôle indispensable » pour le Huffington Post ? « Invisibles et essentielles » pour Le Figaro ? Est-ce ces autorités qui les autorisent, à leur tour, à réclamer un sort meilleur ?

Sans qualification ?

La propreté fait partie de ces métiers, souvent féminins, dont le savoir-faire est « naturalisé » : puisque les femmes font le ménage dans leur foyer, elles peuvent bien prolonger cette tâche dans l’emploi. Cela ne leur réclamerait ni compétence, ni qualification, ni formation. Et en ressort le sentiment que ce serait un travail simple, que tout le monde pourrait faire.

Oksana L., qui fut employée par des hôtels de luxe, désormais auto-entrepreneure, témoigne au rapporteur de la technicité du métier :

« En ce moment, on parle beaucoup d’eau de javel, parce que c’est ce qui va tuer les microbes, par rapport aux protocoles de désinfection. Sauf que l’eau de javel, ça ne va pas sur toutes les surfaces, et puis ça s’utilise pas avec de l’eau chaude, et puis il faut des gants, et puis il faut surtout pas mélanger avec d’autres produits. Donc, il y a plein de choses à savoir pour la sécurité de la personne qui fait le ménage d’abord, parce que c’est pas anodin comme produits, et pour pas abîmer les surfaces qu’on nettoie, et pour que ce soit efficace aussi. Si on n’utilise pas le bon produit, ça ne sera pas propre du tout.

Les toilettes, si vous mettez un anticalcaire pour enlever le tartre, et que vous rincez pas avant de mettre le détergent pour nettoyer, qui sont en général des détergents désinfectants, ça ne marchera pas. Parce que l’anticalcaire est basique, le détergent est acide, donc ça va s’annuler. Ça ne fera rien. »

Mais c’est lorsqu’une novice est recrutée qu’apparaît tout le savoir-faire, considéré comme « inné », en vérité acquis au fil de longues et rudes expériences. Et le livre de Florence Aubenas, Quai de Ouistreham, c’est aussi le récit de ce pénible apprentissage professionnel, de tous ces mouvements mal réglés :

« Les autres filles ont fini par trouver la cadence et la tiennent, abattant la besogne à gestes précis, si bravement qu’elles paraissent plusieurs par bungalow. Pas moi. Ma matinée se consume en une frénésie paniquée, avec l’impression de jouer une partie perdue d’avance.

J’ai conscience de ne pas être au niveau. L’état du bungalow de Mme Tourlaville achève de m’accabler : il ressemble à une publicité pour détergent, tellement il est propre. Jamais je n’arriverai à briquer un évier comme elle, sans parler du reste. J’essaye d’aller plus vite, de frotter plus fort. C’est pire.

[...]

Je les suis vers le local, en traînant mon chariot. Partout et quel qu’en soit le modèle, j’ai autant de mal à les manœuvrer : ils roulent, calent, tournent à leur guise, des animaux rétifs que je ne parviens jamais à diriger tout à fait. Cette fois, le chariot cahote à mes côtés, grognon, crachotant de temps en temps des gouttelettes savonneuses sur son passage. « Regarde, tu mets de l’eau partout », fait la voix de Marguerite à côté de moi. Elle pose son café, éponge autour de mon chariot, se relève. Elle sourit : « C’est drôle, je te regardais tout à l’heure dans le hall. Et je pensais : Florence, elle tient son balai d’une manière bizarre. On dirait qu’elle se bat avec lui. »

Ces qualifications, bien réelles, réclameraient une reconnaissance, d’être validées, avec des échelons dans la profession, et que les agentes d’entretien ne demeurent pas, comme c’est souvent le cas, au niveau 1, AS1, au taux de base, durant toute leur carrière.

 

Dans les palais de la République

Car ils, elles surtout, sont partout. Dans les bureaux des médecins, dans les locaux des assurances. Dans les sièges des médias, dans les usines de rétroviseurs et de poulets. Dans les lycées, dans les collèges : « Faut nous défendre, nous interpelait une dame dans ma rue. Le Département nous fait passer au privé, ils nous ont dit : ‘Vous n’êtes pas dans notre cœur de métier. Nous, on a traduit : ‘Du balai, les balais !’ » Combien de témoignages j’ai recueillis, dans les quartiers, ou même dans les villages, avec des femmes de ménage ultra-précarisées, jonglant entre Contrat Emploi Solidarité pour la mairie, Contrat unique d’insertion pour l’hôpital, Chèque Emploi Service pour un papy ?

De notre « société de service », elles sont les serfs, corvéables à merci, du matin du soir, du lundi au samedi. Et jusque dans les Palais de la République. Jusqu’à l’Assemblée, avec ses lustres et ses dorures, qui ne brillent pas tout seul :

 

Graziella L. : J’habite Les Mureaux, nous disait Graziella. Je me lève à 4 h, je prends le bus à 4 h 53, il m’amène à la gare à 5 h 03, là en principe j’arrive à Saint-Lazare à 6 h 10. Mais souvent, le train est en retard. Des fois, je pleure. Ensuite, après le travail, je retourne à 9 h 07...

Le rapporteur : Donc, vous venez pour trois heures ?

Graziella L. : C’est ça. Depuis 1993.

Le rapporteur : Vous faites tout ça, tous les jours, pour trente euros ?

Graziella L. : Voilà. On n’a pas le choix.

Ça, sous notre nez, alors que les députés touchent leurs 5 148,77 €... Nous avons appelé un prestataire :

« Vous savez, M. Ruffin, m’a répondu la directrice, mon objectif, c’est d’aller vers le temps plein. Mais il faut que j’aie des demandes du donneur d’ordre. Le 13ème mois existe chez d’autres clients, il y a des négociations tripartites avec les syndicats. Si jamais les clients ne réclament pas ça, nous avons les mains liées, et ça ne se fait pas. »

Nous espérions changer ça, un peu, au moins, durant notre quinquennat parlementaire. Les intégrer dans la fonction publique, il ne fallait pas rêver, mais des salaires au-dessus du Smic, moins de temps partiels contraints, le treizième mois pas que pour les cadres, et des horaires aménagés, pas forcément à l’aube, avant l’ouverture des locaux et des bureaux. Depuis deux années, nous avons essayé, par des rencontres avec des syndicats de l’Assemblée, du nettoyage, par des tables rondes avec les femmes de ménage, par des échanges avec la questure. Mais en vain. Le questeur, avec ses 12 200 € brut, son maître d’hôtel-chauffeur payé par les Français, son appartement de fonction au sein du Palais Bourbon, s’est fait, avec les Graziella, le champion de l’austérité. Avec mille arguties juridiques à la clé.

« En ce moment, on frotte tout à fond, à fond, les poignées de portes, les boutons de lumière, les micros, les dossiers des chaises... Avec un nouveau produit qu’on nous a remis, un désinfectant. »

Si, dans ce « cluster » qu’est l’Assemblée, nous, parlementaires, pouvons accéder à nos bureaux, discuter dans les commissions, intervenir dans l’hémicycle, c’est grâce à Patricia T. et ses collègues. Comment en sont-elles récompensées ?

Patricia T. : Je suis là depuis vingt ans, du lundi au vendredi, de 7 h à 11 h, et le samedi, de 6 heures à 10 h. Six jours sur sept. Heureusement, à Bois-Colombes, je n’habite pas trop loin de la gare. Quand mes enfants étaient jeunes, je les déposais à 6 heures le matin chez une voisine, qui en avait du même âge. Elle les conduisait à l’école et je les récupérais au goûter. Le plus dommage, c’était le mercredi, qui est le gros jour pour vous, les députés, et je ne les voyais pas.

Le rapporteur : Avec eux, vous n’aviez que le dimanche ?

Patricia T. : Oui, voilà.

Le rapporteur : Si on vous avait proposé de travailler à partir de 9 h, ça vous aurait aidé ?

Patricia T. : Ah bah oui.

Le rapporteur : Et si vous pouviez travailler toute une journée sur le même site ?

Patricia T. : Bien sûr. Mais ça m’aurait étonné que le responsable va accepter ce genre de choses.

Le rapporteur : Et vous gagnez combien ?

Patricia T. : 900 € par mois. Depuis qu’ils sont grands, j’ai pris un deuxième poste pour compléter, en fin d’après-midi dans le 13ème arrondissement.

Le rapporteur : Et, si vous me permettez, est-ce que vous avez des douleurs ?

Patricia T. : Ah oui, justement, j’ai des problèmes de genoux, à 62 ans bientôt. J’ai du mal à me baisser. Mon médecin m’a prescrit un examen, mais avec mes deux emplois, je n’ai pas encore trouvé un horaire qui convienne... En tout, en vingt ans, je ne me suis absentée que deux semaines, pour une sciatique. Mais on est toutes usées.

 

Sous-traitance : racine de la maltraitance

Cette maltraitance n’est pas naturelle. Elle ne dure pas depuis toujours et pour toujours. Elle a une histoire, faite par les hommes, et en l’occurrence contre des femmes. Une histoire que Thierry L. raconte de l’intérieur.

Ancien directeur des ressources humaines dans une multinationale, dans l’agro-alimentaire, lui a œuvré, contre son gré, à l’ « out-sourcing » du nettoyage :

« Au bout de 35 ans chez R., ils m’ont licencié pour ‘insuffisance professionnelle’.

Tout s’est brusqué sur les femmes de ménage. Jusque-là, elles faisaient partie de l’entreprise, salariées de R., avec tous les avantages. Le Comité d’entreprise, les chèques vacances, le Noël des gosses, y avait Lucette, Andrée, Sylviane, on les tutoyait, elles avaient leur vestiaire, elles prenaient le café dans la salle de pause. Elles terminaient à 1 900 €, avec le treizième mois en plus, des primes. Y avait des absences, certes, ça arrivait, des gosses à garder, ou un lumbago, m’enfin, le boulot était fait, personne ne se plaignait. Et puis, est venue l’idée, l’ordre plutôt, de sous-traiter. D’externaliser. On est passés par une société privée, un cadre est venu établir le devis : surface au sol, surface de vitres, surface industrielle, surface de bureau, nombre de toilettes, il a tout mesuré, calculé. Et ensuite, on ne les voyait plus, ces femmes, elles arrivaient tôt, à 5 h du matin, à 8 h elles étaient repartis. Des fantômes. Ça n’était que des temps partiels. J’ai échangé, une fois, avec l’une d’elles : elle cumulait trois chantiers dans sa journée, notre usine le matin, des assurances le soir, un particulier dans l’après-midi. Ça lui faisait 800 €. Et nous, tous les ans, on comprimait les tarifs du sous-traitant. On serrait de 2,5 %, 1 %. C’était un gros marché, pour eux, ils étaient tenus à la gorge.

On a fait grosso modo pareil sur les vigiles.

C’était contre ma nature, tout ça. La direction me reprochait mon humanité. »

Dans une autre firme, M. J. a assisté au même glissement : « Comme beaucoup de secteurs, que ce soit la restauration ou le gardiennage, ça s’est externalisé il y a une trentaine d’années, petit à petit, comme dans toutes les sociétés. Avant, tout était internalisé. Et c’est à mon sens là qu’il faudrait en revenir. »

C’est vrai pour le privé, mais également pour le public, avec un temps de retard. Madame V. est « responsable du service général » dans une université, et à ce titre, elle gère le nettoyage :

 

Madame V. : Je suis en poste depuis huit ans, et j’ai vu la bascule. On avait plus d’agents fonctionnaires, que de prestataires extérieurs. Maintenant, ça s’est inversé. Mon prédécesseur, qui est resté très longtemps en poste, me disait : “Il y avait 80 personnes faisaient le boulot”. Maintenant on est 28.

Le rapporteur : Et les 28 sont amenés à disparaître ?

Madame V. : Oui.

Le rapporteur : Au fur et à mesure de leur mise à la retraite, et à être remplacés par des prestataires extérieurs ?

Madame V. : Clairement, pour toute la partie ménage.

Le rapporteur : Et donc, qui a décidé ? C’est le Président de l’université, le Conseil d’administration de l’université ?

Madame V. : Oui, surtout depuis les dernières lois, les lois LRU, qui ont fait prendre en charge aux universités la masse salariale. « Masse salariale », c’est un gros mot. Il faut baisser la masse salariale, baisser la masse salariale.

Et c’est la même logique que devinent, en filigrane, Géraldine et ses collègues :


Le rapporteur : Il n’y a plus d’ASH, d’agents service hospitaliers, à l’hôpital Nord ?

Séverine : Au Nord, il n’y en a plus. Au Sud, il en reste un peu je crois.

Le rapporteur : Ils les éliminent petit à petit ?

Séverine : C’est prévu comme ça. Onet récupère tout. Au début, c’étaient les consultations. Maintenant, il y a des chambres. Ils ont récupéré la laverie, le truc où on fait les inséminations... On reprend bloc par bloc.

Joint par téléphone, Grégory Leduc, longtemps délégué Force ouvrière au CHU d’Amiens confirme : « Au début, ils ont externalisé de façon temporaire : ‘On fait place à Onet en attendant de déménager. Et puis, le pli était pris, ils ont fait leurs calculs. Les Agents des Services Hospitaliers ont été remis en cuisine, ou ont fait une formation aide-soignante, ou on les a gardées jusqu’à la retraite. »

Invisibles : chez Harry Potter aussi !

« L’invisibilité imposée à ceux qui assument les tâches ménagères, compare Mona Chollet, n’est plus aussi spectaculaire que dans ce manoir du Suffolk où les serviteurs devaient tourner leur visage contre le mur quand ils croisaient un membre de la maisonnée. Pourtant, elle demeure. Une campagne de communication de l’Agence nationale des services à la personne montrait ‘des aspirateurs et des pulvérisateurs de nettoyants pour vitres qui semblaient animés par l’opération du Saint-Esprit »... Et l’essayiste de nous amener chez le plus célèbre des magiciens, Harry Potter : « Dans les familles riches ou à Poudlard, s’activent les elfes de maison qui ne touchent aucun salaire. Comme leurs homologues humains, ils sont condamnés à la clandestinité. À l’école des sorciers, ils nettoient les salles communes la nuit, quand les élèves dorment, et les dortoirs le jour. Mais leur invisibilité atteint son paroxysme au réfectoire : à l’heure des repas, des montagnes de victuailles apparaissent sur les tables, comme surgies du néant. Il faut plus de deux ans de scolarité à Hermione pour réaliser que les plats sont envoyés depuis les cuisines par des elfes. À la suite de cette révélation, elle refuse un temps de s’alimenter, révoltée à l’idée que son bien-être repose sur un esclavage. Cette sensibilité sociale prononcée suscite l’incompréhension et la réprobation de son entourage. ‘Ne va pas leur mettre des idées en tête en leur disant qu’il leur faut des vêtements et des salaires !’ la prévient l’un des jumeaux Weasley. Mais Hermione persiste et fonde la Société de libération des elfes de maison... »

 

Gratter jusquà los

Grâce à la sous-traitance, le donneur d’ordre peut « gratter » sur tout :

Grégory Leduc : Les ASH titulaires touchent une prime de service chaque année, 700 à 800 euros au début, puis ça augmente avec les échelons. Et il y a l’action sociale : les bourses étudiants, les chèques culture, les chèques vacances… Tout ça, évidemment, les salariées d’Onet n’y ont pas droit. Sur les horaires, aussi, c’est très différent : les ASH sont de journée, ils font 6 heures-14 h, ou 14 h-22 h, ou 9 h‑16 h. Tandis qu’on demande aux externes le même travail, mais en trois heures…

C’est sur les cadences, notamment, que se font les économies :

 

Séverine : Pour faire le même travail, on a moins de temps que n’en avaient les ASH.

Olivier : Je fais le service dermato, à deux avec une collègue en trois heures. Avant, y avait deux ASH, sept heures par jour, 14 heures quoi. C’est pour vous donner un exemple. Donc, rien que là, l’hôpital économise 11 heures par jour.

Séverine : Forcément, le travail ne peut pas être aussi bien fait. Mais on y arrive.

Géraldine : Mais ça, c’est partout. À l’Université, c’est pareil. Avant, elles faisaient en sept heures ce qu’on fait en trois heures. Et les gens se plaignent. Au CHU, c’est mal passé avec les soignants qui pensaient qu’on ne savait pas faire.

Cette logique, Madame V. en témoigne de l’intérieur :

 

Le rapporteur : Vous connaissez la différence de rémunération entre un agent de l’Université et un agent externalisé ?

Madame V. : Externalisé, c’est le Smic et pas plus. Alors que pour les catégories C, la prime représente de l’ordre de 250 € par mois. C’est quand même substantiel.

Le rapporteur : Donc, avec le sous-traitant, l’Université économise 250 € par mois ?

Madame V. : Et tous les autres à côtés, tous les congés surtout. La grande différence, ce sont les congés. À l’université, on a 45 jours de congé par an. On a neuf semaines et demie de congés par an. C’est le gros avantage qu’on ait. Les personnes extérieures, elles n’ont pas neuf semaines. Elles ne sont payées par l’Université que sur le temps de présence sur site.

Le rapporteur : En gros, pour l’hôpital d’Amiens, deux heures de ménage en interne, c’est remplacé par une heure en externe…

Madame V. : C’est le ratio, c’est à peu près le ratio.

Le rapporteur : Donc vous divisez par deux ?

Madame V. : À peu près, c’est à peu près ça. Un fonctionnaire qui fait sept heures, quand on le remplace, on met deux ou trois heures, parfois quatre heures. Mais oui, entre deux et quatre heures pour un agent à plein temps par jour, et c’est revu à la baisse à chaque fois.

Le rapporteur : À chaque fois que vous renégociez un marché, vous grattez un peu pour que ça fasse moins d’heures ?

Madame V. : Oui, oui.

Les salariées se trouvent lancées dans une course contre la montre, sans répit ni repos :

« Mauricette ouvre la porte de la première cabine, raconte la journaliste Florence Aubenas, et se précipite dans l’espace minuscule où s’imbriquent quatre couchettes superposées et un cagibi de toilette, comprenant lui-même un lavabo, une douche et des WC. Elle se jette à terre, si brusquement que je pense d’abord qu’elle a trébuché. À genoux sur le carrelage, elle se met à tout asperger avec un pulvérisateur, du sol au plafond. Puis, toujours accroupie, elle chiffonne, sèche, désinfecte, astique, change le papier toilette et les poubelles, remet des savonnettes et des gobelets en une rangée impeccable au-dessus du lavabo, vérifie le rideau de la douche. Tout a duré moins de trois minutes : c’est le temps imparti pour cette tâche. [...]

Quand Mauricette annonce : « Maintenant, allez-y », je manque me trouver mal. En un quart d’heure, mes genoux ont doublé de volume, mes bras sont dévorés de fourmis et j’écume de chaleur dans le pull que j’avais cru prudent de garder. Je n’arrête pas de me cogner dans les gens, les meubles, je ne suis pas loin d’éborgner une collègue avec un pulvérisateur pendant qu’elle fait les bannettes. Elle ne se trouble pas : « Moi, le mois où j’ai débuté, j’avais des crampes dans tout le corps. J’ai perdu au moins six kilos. » Régulièrement, j’entends derrière moi le cri de Mauricette qui déchire le vacarme de la coursive : « Floooooorence. » Ça veut dire que j’ai fait une connerie. « Viens là. Tu ne vois rien dans la douche ? Les poils, là, sur le côté ? » Il faut recommencer à frotter devant elle, à quatre pattes dans les sanis, pendant qu’elle continue de cravacher le reste de la troupe, sans regarder derrière elle : « Allez, les filles, dépêchez-vous, faut tenir la cadence. On n’a pas fini. » Je repars dans l’autre sens, hagarde. »

Pour ces emplois, et pour d’autres – qu’on songe à auxiliaire de vie sociale, ou dans un autre registre aux chauffeurs Uber – n’est compté comme temps de travail que le temps hyper-productif, sans temps mort autour, sans temps creux. On ôte toute chair, autour, toute respiration. C’est comme si, pour les enseignants, n’était compté comme temps de travail, payé, que les heures en classe. Ou, pour les députés, que leur seul temps d’intervention. Ou pour les pompiers, que leur seul temps devant un incendie...

 

Bonnes volontés

Pour sortir de ce dumping, les bonnes volontés ne manquent pas, y compris côté patrons. La famille de Monsieur F. dirige une société de nettoyage depuis trois générations, et lui-même a fondé son entreprise spécialisée dans l’entretien des bureaux.


Le rapporteur : La plupart de vos chantiers, ce sont des temps partiels, qui réclament des agents deux, trois heures ?

M. F. : Exactement. Ça, c’est sûr, moi, j’ai aujourd’hui 80 % de mes agents qui travaillent entre 6 heures et 9 heures et demi.

Le rapporteur : Vous considérez que c’est un problème, ou bien, de toute façon, c’est le ménage qui est naturellement comme ça ?

M. F. : C’est un problème. Aujourd’hui, c’est tellement ancré dans les mœurs, dans les idées, dans les têtes que c’est compliqué de faire évoluer les choses. Le nettoyage en journée, on le propose systématiquement. Il est refusé presque toujours refusé. On a même des gens qui, sur le papier, nous disent : « On veut absolument voir les agents de ménage, ils font partie de la société », et puis la vieille de signer : « Ah, finalement est ce qu’on peut déplacer le ménage ? On avait parlé de 8 h ou 8 h 30, est-ce qu’on peut le mettre à 6 h du matin ? » Les donneurs d’ordre refusent le nettoyage en journée. Donc c’est très tôt le matin ou très tard le soir.

Le rapporteur : Donc avec une énorme amplitude horaire ?

M. F. : Avec une grosse amplitude horaire, exactement.

Le rapporteur : Et le temps de transport n’est pas compté ?

M. F. : Jamais, jamais. Très régulièrement, les clients me demandent de passer le midi : « Est-ce que vous pouvez remettre un petit coup de propre dans les bureaux et dans les sanitaires le midi ? Y en a pour 25 minutes… » Je leur dis : « Mais ce n’est pas possible. Je ne peux pas faire venir quelqu’un, qui va avoir 1 h 30 de transport, ou 1 h, 1 h 15, et les payer 20 minutes ! Et ensuite, 1 h, ou 1h30 dans l’autre sens ! » Je ne le propose même pas à mes agents, sinon ils iraient...

Le rapporteur : Vous avez réfléchi à ce qu’il faudrait faire pour bousculer un peu ça ?

M. F. : Il faudrait une incitation. Pour que les donneurs d’ordres, nos clients, privilégient le nettoyage en journée, et non pas tôt le matin ou tard le soir. En tout cas, il y a un vrai truc. Je ne suis pas du tout le seul à le dire, plein de boites de nettoyage ont pris conscience de ça, il y en a plein qui poussent. Mais on est très serrés : les entreprises nous imposent des tarifs, entre 17 € 50 et 18 € 50 de l’heure. Au-dessus, on ne passe pas. À 17 €, on ne peut pas améliorer les salaires et le reste, c’est la clé.

Les représentants du secteur, côté patronat, la Fédération des entreprises de propreté, appuient dans le même sens :


Philippe Jouanny : Linvisibilisation, nous la combattons, nous, depuis de nombreuses années. En 2008, nous avons organisé la première table ronde, avec les partenaires sociaux, avec le ministère à lépoque. Et nous avions tous convenu, ensemble, de promouvoir le travail en journée, ou en continu. Et nous avons renouvelé ça, en 2013, avec le gouvernement. Nous militons pour ça. Mais je ne peux que faire ce constat : au bout de douze années à promouvoir, dune manière forte, le travail en journée, ça navance pas. Sur les plages horaires qui vont, grosso modo, de 6 h à 9 h et puis de 18 h à 21 h, cest là où on fait 97 % de notre activité, hein.

Le rapporteur : Et donc, si jamais il y a un accord entre le patronat et les syndicats, si jamais il peut y avoir un appui du gouvernement, pourquoi ça bloque ?

Philippe Jouanny : Parce que le cahier des charges de nos donneurs dordres, et je dis bien publics comme privés, nous impose ce type dhoraires. Donc on est, nous, contraints. Là, je vais vous dire, on touche quand même à une culture qui nous dépasse. Dans les métiers de la propreté, en Scandinavie, les statistiques sont totalement inversées, avec 80 % du travail de nettoyage qui se fait en journée et en continu chez les entreprises clientes. Cette année encore, en 2020, on était encore en négociations avec des grands donneurs dordres publics, pour que justement ils imposent dans leur cahier des charges la mise en place de ce travail en continu ou en journée…

Des exceptions existent, mais qui ne demeurent que des exceptions. Ainsi de M. J, dans sa firme :

« J’ai réussi à faire travailler les agents d’entretien le jour, je me suis inspiré du responsable adjoint des services généraux de Danone, Manuel Martins, un mec très bien, qui est arrivé à pousser le travail en journée.

Je l’ai imposé, disant que c’était beaucoup plus efficace de voir le personnel de nettoyage. Si ça ne va pas, on est en face, on peut leur dire, et si ça va aussi. J’ai été touché par des femmes seules, avec enfants, qui partaient de chez elles le matin à 6 heures et qui mettaient 2h30 pour venir chez nous, repartaient travailler ailleurs, et revenaient le soir chez nous, et ne voyaient pas leurs enfants.

J’ai réussi à faire mettre ça comme démarche RSE de l’entreprise. Comme les grands patrons n’avaient pas grand-chose à mettre dans leur démarche RSE, on a mis : « travail de jour du personnel de nettoyage ». C’est un acquis. Ils se vantent de l’avoir fait... au moins c’est tracé. »


Entre le fort et le faible, la loi

Mais les bonnes volontés, les nobles intentions, les incantations, pèsent peu, sinon rien.

Aujourd’hui, le monde du nettoyage, c’est le Far-West. La propreté est éclatée entre une myriade de sous-traitants. Les donneurs d’ordre font la loi, la seule qui existe, quasiment, la loi du marché. Ils font le choix du moins-offrant, du moins-coûtant, rentabilité oblige dans le privé, austérité dans le public.

En dessous, comme en cascade, cette pression sur les coûts retombe sur les salariées. Qui cumulent les fragilités : très largement des femmes, parfois immigrées, rarement diplômées, encore moins syndiquées. Elles se sentent remplaçables, elles se savent interchangeables : comment iraient-elles se défendre, construire un rapport de forces avec leur multi-employeur ?

Le propos d’Henri Lacordaire vaut ici sans doute plus que partout ailleurs : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »

Il faut la loi.

Il faut la loi pour rétablir la balance, dans un rapport de force si déséquilibré : « Je suis pour laisser la liberté à la négociation conventionnelle, remarque Jean Hédou, secrétaire général du FEETS-FO, mais la sous-traitance s’oppose au principe de l’égalité des salariés. La base même de la sous-traitance, c’est l’inégalité. L’égalité doit être préservée. Donc ce que la loi rend possible avec la sous-traitance, la loi peut le corriger. » Et son organisation, tout comme la CGT Ports et Dock signataires de la convention collective, le réclament : « Une loi qui fixe un mieux disant, c'est très bien ».

Il faut une loi, pour offrir un point d’appui à toutes les bonnes volontés. Une loi pour inciter, inciter économiquement, au travail de nettoyage en journée. Une loi pour que la sous-traitance ne rime plus avec maltraitance, qu’elle ne soit plus synonyme de dumping social. Une loi pour que, face aux donneurs d’ordre, M. F. et les entreprises de propreté aient d’autres arguments que « À votre bon cœur, Messieurs dames ! » Une loi pour que Madame V., à l’Université, face à son Conseil d’administration, puisse opposer des chiffres, d’autres chiffres, des surcoûts, des pénalités, face à l’injonction de « baisser la masse salariale ». Une loi pour que Géraldine, Séverine, Olivier et leur million de collègues ne soient pas les éternels oubliés, pire, les éternels broyés, de la grande machinerie économique. Une loi pour que toutes les femmes de ménage, les agents d’entretien, qui acceptent déjà les tâches les plus ingrates, ne soient pas, en plus, double peine, triple peine, condamnés à un salaire de misère, à une vie de galère. Une loi pour que « société de service » ne signifie « société de servitude », avec les servis et les serviteurs, voire les nouveaux serfs, néo-domesticité subventionnée par les niches fiscales, par le CICE, les « allègements de charges ».

 

Au cœur du malaise

Nous sommes au cœur, là, du malaise qui hante la France.

L’épisode du Coronavirus l’a rendu flagrant. Comme l’a déclaré le président de la République : « Notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Des femmes et des hommes qui, même durant le confinement, prenaient des métros bondés, pour nettoyer encore, continuer à nettoyer, parmi d’autres professions « indispensables à la Nation ». Les plus indispensables sont les plus mal traités...

La crise du Covid-19 a agi comme un révélateur.

Mais au-delà, avant, car c’est antérieur : ce sont tous les métiers populaires qui, depuis plusieurs décennies, ont subi une nette, une sévère, dégradation. À commencer par l’industrie, des usines qui offraient des emplois, pas idéaux certes, très loin de là, mais avec des horaires stables, une paie garantie, les avantages du comité d’entreprise. Les délocalisations en ont détruit une large partie, et pour le reste la menace a suffi : les « acquis » se sont érodés, les salaires smicardisés, l’intérim a gagné du terrain.

Dans le tertiaire, dans les services, l’ « externalisation » a rempli le rôle des délocalisations. Les agents publics, dans les hôpitaux, dans les lycées, dans les collèges, mais aussi dans les entreprises, la « femme de ménage », l’ « homme à tout faire », sont devenus des précaires à temps partiels, courant après des bouts d’emplois mal-payés, des miettes à arracher. Chaque « baisse des coûts » décrétée en haut est retombée sur eux, en bas. L’ « ubérisation », désormais, l’auto-entreprenariat forcé, devraient parachever cette œuvre.

Pour ces classes populaires, le présent est pire qu’hier. Et l’avenir, pour leurs enfants, est devenu plus qu’incertain : menaçant. C’est ce malaise, évident, patent, qui a nourri la révolte des Gilets jaunes. Et qui, le rapporteur l’espère, nourrira d’autres révoltes.

 

À moins que.

À moins que la politique, car c’est notre rôle, car c’est notre mission, ne fixe des règles à ce jeu pervers. N’entrave cette dynamique mortifère. Ne vienne rétablir un peu de justice, d’égalité, de fraternité.

Et l’on pourrait, a minima, commencer par nous-mêmes, par notre Assemblée. Ce n’est plus un problème politique, mais moral : alors que nous bénéficions de tout le confort, et de larges émoluments, serons-nous les complices, par notre silence, par notre inaction, du sort fait aux Graziella, aux Patricia ? Ce ne serait pas qu’anecdotique, pas que symbolique : « L’acheteur public représente 25 % du chiffre d’affaires des entreprises de propreté, rappelle Philippe Jouanny, de la FEP. Le plus important, c’est que l’acheteur public montre l’exemple, car on sait que derrière, l’acheteur privé a tendance à adopter la même démarche. »

« Regarde la poutre que tu as dans ton œil, énonce Mathieu dans l’Évangile, avant la paille dans l’œil du voisin. » En moins biblique, et c’est de circonstance : « Balaie d’abord devant ta porte ! » Balayons d’ores et déjà devant la porte de l’Assemblée !

 

La questure aux abonnés absents

Depuis deux ans, nous tentons, par le « dialogue social », d’améliorer les conditions des femmes de ménage de l’Assemblée nationale. En souterrain et en vain. Voilà la chronologie de nos efforts, qui se heurtent à la mauvaise volonté manifeste du questeur en charge de cette question :

29 mai 2018 : réunion avec les syndicats des personnels de l’Assemblée nationale.

29 mai, 31 mai et 4 juin 2018 : envoi de mails à Florian Bachelier, demandant le cahier des charges pour l’appel d’offre des entreprises de nettoyage.

13 juin 2018 : rendez-vous avec Florian Bachelier.

2 août 2018 : Florian Bachelier nous fait parvenir une note juridique « sur la possibilité d’inclure des clauses relatives aux modalités d’intervention et aux rémunérations dans les pièces de marché de ménage de l’Assemblée nationale ».

6 septembre 2018 : nous accusons bonne réception de cette note et demandons un rdv à Bachelier « pour aboutir à des résultats - peut-être limités mais effectifs - d’ici le 8 mars 2019 ».

21 septembre 2018 : Bachelier nous répond en nous proposant de fixer un rendez-vous avec Christophe Pallez, Secrétaire Général de la Questure.

2 octobre 2018 : réunion avec Christophe Pallez et Claire Rondeleux, cheffe du pôle des services aux occupants.

25 octobre 2018 : rendez-vous n°2 avec Bachelier.

26 octobre 2018 : lettre à Bachelier (nos propositions / des auditions / notre détermination à faire avancer le dossier) + une analyse juridique en annexe, rédigée par un avocat.

6 novembre 2018 : réunion avec les syndicats des personnels de l’Assemblée nationale.

19 décembre 2018 : AG n°1 avec les personnels de ménage, les délégués du personnel et la CGT Ports et Docks.

17 janvier 2019 : AG n°2 avec les personnels de ménage, les délégués du personnel et la CGT Ports et Docks.

28 janvier 2019 : réunion entre le chef de cabinet de Bachelier et la CGT Ports et Docks.

15 avril 2019 : nouvelle demande de documents sur le marché à la questure.

18 avril 2019 : réponse de Christophe Pallez : notre demande sera soumise aux Questeurs lors de leur prochaine réunion le 30 avril.

2 mai 2019 : première relance – pas de réponse.

23 mai 2019 : deuxième relance – pas de réponse.

26 février 2020 : énième relance.

28 février 2020 : réponse de Christophe Pallez : pour l’un des marchés, une « clause d’insertion professionnelle », qui correspond à l’embauche d’une personne sous statut de réfugié politique. Mais rien qui concerne les horaires, ou les salaires. Les futurs marchés devraient comprendre une « clause de progrès social », plus que gazeuse pour l’instant.

18 mai 2020 : demande d’audition du questeur et des responsables du dossier à l’Assemblée.


25 mai 2020 : Aucune réponse du questeur Florian Bachelier. Et le directeur des services fait état « du refus du secrétaire général, M. Christophe Pallez, de donner suite à cette audition, au motif que le Premier questeur a été directement sollicité et n’a pas demandé aux services de le suppléer ».


À ce jour, le questeur ne semble pas avoir procédé à des auditions de femmes de ménage, en tout cas il ne nous en a pas fait part, ni n’en a informé les syndicats. Des cours de français sont délivrés, une assistante sociale est disponible pour les agentes d’entretien. Mais aucune avancée ne semble en vue, ni sur les horaires, ni sur les salaires. Et encore moins pour faire revenir, comme au Sénat, une partie de ces activités en interne, effectuée par des agents fonctionnaires. Preuve que l’externalisation n’est pas une fatalité.


–  1  –

   INTRODUCTION

 

I.   Femmes et hommes de mÉnage : ces « invisibles » aux conditions de vie prÉcaires

1,9 million de salariés exercent à titre principal un métier du nettoyage en France métropolitaine ([1]), soit 8 % des salariés, selon une récente enquête de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) consacrée aux métiers du nettoyage ([2]).

Nombreux, les agents de nettoyage sont pourtant peu connus et peu reconnus. Dans ce « secteur presque caricatural à force de concentrer les précarités », selon le sociologue du travail Jean-Michel Denis ([3]), les femmes, les personnes peu diplômées et celles issues de l’immigration sont surreprésentées. Leurs emplois se caractérisent par l’importance du temps partiel contraint, un morcellement des journées de travail dû à des horaires atypiques, ainsi que par une grande exposition à des environnements de travail dangereux. Sous-payé, le travail des salariés du nettoyage est souvent dénigré, quand il n’est pas tout simplement rendu invisible.

A.   Des mÉtiers fÉminisÉs particuliÈrement exposÉs à la pÉnibilitÉ

1.   Le profil des « invisibles »

● Les emplois du nettoyage sont tout d’abord très féminisés. Les femmes occupent ainsi huit emplois du nettoyage sur dix en 2016 ([4]). Cette forte féminisation a toujours prévalu au sein des métiers du nettoyage au sens large, les aides à domicile et les employés de maison étant même quasi-exclusivement des femmes. Avec près de 90 % d’hommes, seuls les ouvriers non qualifiés de l’assainissement et du traitement des déchets font exception à ces métiers très féminisés.

Selon la Fédération des entreprises de propreté (FEP), qui regroupe près de 51 000 entreprises du secteur de la propreté représentant un demi-million d’emplois, la répartition hommes-femmes diffère selon le niveau de classification : si les femmes sont largement majoritaires dans les postes d’agents de service, d’employés et de maîtrise administrative (avec respectivement 73 %, 63 % et 90 % de femmes), les postes de chefs d’équipe sont répartis à parts égales et les hommes sont majoritaires sur les postes de maîtrise d’exploitation et de cadres (avec respectivement 63 et 68 % d’hommes).

● Largement féminisé, le personnel de nettoyage se caractérise par de faibles niveaux de diplômes. 44 % des salariés du nettoyage ne possèdent aucun diplôme ou seulement le brevet des collèges, soit 10 points de plus que pour l’ensemble des salariés non qualifiés. Les employés de maison, les concierges et les nettoyeurs sont les moins diplômés des salariés du nettoyage, les agents de service des établissements d’enseignement étant les plus diplômés.

● Par ailleurs, les emplois du nettoyage sont occupés par une forte proportion de personnes issues de l’immigration. On compte ainsi 20 % de salariés immigrés, une part deux fois plus élevée que pour l’ensemble des salariés et qui s’accroît depuis le début des années 2000. Leurs origines évoluent également rapidement, provenant moins de l’Union européenne à 15 (hors Finlande) et du Maghreb (vagues d’immigration anciennes) et au profit de l’Afrique subsaharienne et du reste du monde. En l’absence de diplôme ou de qualification, ou de maîtrise de la langue, le secteur du nettoyage s’impose par défaut à la plupart d’entre eux. Et surtout d’entre elles.

● Enfin, les personnes qui exercent un métier du nettoyage sont plus âgées que les autres salariés non qualifiés : près de la moitié ont plus de 50 ans, contre seulement un quart des salariés non qualifiés ne travaillant pas dans le secteur du nettoyage. Les salariés du nettoyage ont 46 ans en moyenne, contre 39 ans pour les autres salariés non qualifiés.

2.   Une exposition élevée aux risques physiques, chimiques et infectieux

a.   L’importance des risques physiques

L’étude précitée de la DARES met en évidence une très forte exposition des métiers du nettoyage aux risques physiques. Ainsi, neuf salariés du nettoyage sur dix sont exposés à au moins un risque physique. 71 % d’entre eux sont exposés au travail répétitif en 2016 (un chiffre en augmentation depuis 2005) et 52 % à des postures pénibles autres que la position debout.

Ce travail usant est décrit notamment par Frédérique Barnier, maître de conférences en sociologie à l’université d’Orléans, dans un article intitulé « Emploi précaire, travail indigne : condition salariale moderne dans le nettoyage » publié en 2011 ([5]). Elle note ainsi que « dans le travail de nettoyage, la liste est longue, en effet, des tâches pénibles, des postures inconfortables et sans cesse recommencées : manutentions lourdes et répétées avec les poubelles, des corbeilles à papier aux énormes conteneurs des résidences, manutention du matériel, aspirateur, seau, balai... On se baisse beaucoup pour nettoyer, pour ramasser, pour pousser petits meubles, placards et autres objets. On frotte en appuyant sur les poignets, les bras, les épaules. On tient les bras levés pour nettoyer les vitres, on monte et on descend sans cesse des escaliers, on parcourt des kilomètres carrés de surface à nettoyer... Bref le travail dans le nettoyage sollicite les corps, les use parfois prématurément et conduit à des apprentissages et à des ajustements incessants. »

Certains métiers sont exposés à des risques plus spécifiques. Les agents de service (à l’exception des agents hospitaliers) et les salariés en entreprise sont davantage confrontés aux bruits ou aux vibrations, tandis que les agents de service hospitaliers sont plus concernés par la manutention manuelle de charges lourdes.

Enfin, ces risques sont accrus par des locaux et un environnement inadaptés. Pour Viviane Gonik, ergonome spécialiste de la santé au travail, « il ne semble pas que les conditions dexercice du nettoyage fassent lobjet dune réflexion particulière de la part des concepteurs de locaux : on peut citer les couloirs inadaptés au passage des chariots, les ascenseurs trop étroits ou encore léloignement des points deau, des locaux à poubelles ou dentreposage du matériel » ([6]).

a.   Des risques chimiques et infectieux en augmentation

Le personnel de nettoyage est également particulièrement exposé à des risques chimiques et infectieux. Ainsi, 61 % des salariés du nettoyage sont exposés à un risque chimique, aux poussières ou à la fumée. Ils sont un sur deux à être confrontés aux mauvaises odeurs, à la saleté et aux risques infectieux. Plus généralement, les métiers de la propreté se caractérisent aujourd’hui par des expositions désormais plus importantes aux risques chimiques et un peu moindres à la manutention de charges lourdes.

Les produits utilisés par les employés du nettoyage (décapants, détartrants, détergents, dégraissants, désinfectants, etc.) contiennent des substances chimiques potentiellement dangereuses pour la santé, qui peuvent entraîner une irritation de la peau, des yeux et du système respiratoire mais également, en cas d’expositions répétées, des problèmes neurologiques.

Comme lindique Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à lInstitut français de la santé et de la recherche médicale (INSERM), les employés du nettoyage vont « commencer par prendre un nettoyant pour vitres qui contient plusieurs éthers de glycol », puis vont « ensuite se servir dun décapant qui contient des acides forts, puis dun produit pour dépoussiérer qui contiendra plusieurs produits chimiques ».

Nicole Le Moual, épidémiologiste à l’INSERM, note quant à elle que « des études ont mis en évidence un lien entre une apparition ou une aggravation de lasthme et lutilisation de lammoniac, de leau de javel et de produits de nettoyage, notamment sous la forme de sprays » ([7]). Selon les lieux d’intervention, les salariés peuvent de surcroît être exposés à des risques spécifiques, comme les infections en milieu hospitalier.

Trop souvent, la recherche de rentabilité conduit à négliger la sécurité et la santé des employés. Le choix du matériel et des produits d’entretien s’effectue d’abord en fonction du prix et les équipements de protection sont rarement fournis par les employeurs. Peu formés, les employés ignorent souvent les risques liés à l’utilisation des produits qu’ils manipulent.

b.   Des conséquences inquiétantes en matière de santé

Cette exposition à de nombreux risques physiques et chimiques se traduit par l’apparition plus fréquente de douleurs chez les salariés du nettoyage que chez l’ensemble des salariés.

La sociologue Frédérique Barnier, dans son étude précitée consacrée aux métiers du nettoyage, note que « les atteintes à la santé évoquées par les salariés sont ainsi multiples mais concernent surtout le dos, les articulations et les mains ». D’autres pathologies sont également évoquées par les salariés et les médecins du travail, en particulier « les problèmes circulatoires liés aux piétinements, alimentaires (manque de temps), dermatologiques (réactions aux produits utilisés) et urinaires, causés eux par labsence de sanitaires sur le lieu de travail ».

Parfois, ces problèmes de santé sont accrus par des environnements de travail dégradés, sans vestiaire ni toilettes. Les salariés du nettoyage, « oubliés de leur entreprise » disposent parfois d’un matériel rudimentaire. Conséquence logique de cette situation, le secteur du nettoyage connaît un taux de fréquence d’accidents particulièrement élevé, atteignant 37,5 en 2011, soit 12 points de plus que la moyenne nationale.

Les douleurs évoquées dans cette étude datant de 2011 restent malheureusement d’actualité puisqu’en 2016, un peu plus des trois quarts des salariés du nettoyage ont ressenti des douleurs au cours des douze derniers mois ([8]). Le mal de dos est la douleur la plus fréquemment citée (presque trois fois sur quatre).

Par ailleurs, selon une étude de 2017 portant sur la « Prévention des troubles musculo-squelettiques pour le personnel du nettoyage » menée par le service public fédéral de l’emploi en Belgique ([9]), 74 % des salariés du secteur se plaignent de douleurs articulaires et de troubles musculo-squelettiques (TMS).

c.   Des risques accrus par l’épidémie de covid-19

L’épidémie de covid-19 qui sévit depuis plusieurs mois a eu des effets contrastés pour les salariés des entreprises prestataires de nettoyage : une interruption brutale de l’activité pour les uns − neuf entreprises du secteur sur dix ont eu recours à l’activité partielle selon la FEP −, la poursuite de l’activité, dans des locaux devenus potentiellement des foyers de contamination au virus, pour les autres. Pour d’autres encore, l’activité a très significativement augmenté, notamment à l’hôpital où « la charge de travail a triplé » ([10]).

Les agents de nettoyage se sont ainsi retrouvés malgré eux en première ligne pendant l’épidémie, chargés de garantir la sécurité sanitaire des salariés qui fréquentent les locaux à nettoyer.

De nouvelles tâches leur ont ainsi été demandées au cœur de la crise, en particulier celle d’assurer, parfois sans formation spécifique, la désinfection des locaux, indispensable à la continuité ou à la reprise de l’activité des entreprises ou services publics ayant recours à des sociétés prestataires de nettoyage (cf. encadré).

« Entretien des locaux de travail par un prestataire extérieur (hors secteur sanitaire) : quelles précautions prendre contre le COVID-19 ? » ([11])

« Règles de nettoyage : Pendant la pandémie, pour limiter le risque de contact avec des surfaces contaminées, en plus du nettoyage habituel des locaux, un nettoyage plus fréquent des surfaces en contact avec les mains est préconisé (espaces de convivialité, rampes d’escalier, poignées de portes, boutons d’ascenseurs, toilettes…).

« Si un cas de COVID-19 est survenu sur le lieu de travail : Prévoyez un protocole de nettoyage essuyage humide avec lavette jetable à usage unique imprégnée de solution désinfectante virucide selon EN14476 de toutes les surfaces des objets meublants, les points de contact, tels qu’ordinateur, écran, clavier, souris, imprimante, poignées de porte, de fenêtre, porte, télécommande de climatisation, plan de travail, tiroirs, portes d’armoires, parois verticales, siège, porte-manteau... (l’agent sera équipé d’une combinaison jetable ou blouse et de gants jetables ou de gants de ménage). »

Or, en dépit des préconisations établies par le ministère du travail, 80 % des entreprises prestataires de nettoyage ont indiqué avoir rencontré des difficultés d’approvisionnement concernant le matériel de protection individuelle tels que les masques ou les combinaisons jetables ([12]).

En conséquence, c’est souvent « la peur au ventre » que les agents de ménage ont exercé leur activité professionnelle depuis le début de la crise sanitaire, conscients d’une part d’être eux-mêmes exposés au risque de contamination dans les transports en commun ou en travaillant dans certains types d’établissements, notamment les établissements de soins, et conscients d’autre part d’être de potentiels vecteurs de contamination en se rendant d’un site à un autre sans équipement de protection individuelle adapté.

Aux risques physiques et biologiques auxquels sont d’ores et déjà exposés les agents de service dans l’exercice habituel de leur activité, s’est donc ajouté un risque infectieux très élevé, sans qu’aucune contrepartie salariale n’ait été négociée au niveau de la branche : la Fédération des entreprises de propreté a ainsi indiqué au rapporteur n’avoir aucun retour ni aucune donnée chiffrée sur les éventuelles primes accordées par certains employeurs à leurs salariés exposés pendant la crise sanitaire.

B.   des horaires de travail atypiques et morcelÉs, aux lourdes consÉquences sur la vie familiale et sociale et la santÉ

1.   Un emploi du temps professionnel fragmenté

L’emploi du temps du personnel de nettoyage allie temps partiel, horaires atypiques, morcellement de l’activité professionnelle et pluriactivité.

Le travail à temps partiel, qui dans la très grande majorité des cas est réduit (moins de quinze heures) et subi, s’accompagne d’horaires de travail atypiques, tôt le matin et tard le soir, parfois même la nuit, mais également le week-end. Ainsi, en 2016, 19 % des salariés du nettoyage avaient un temps de travail morcelé, contre seulement 8 % de l’ensemble des salariés. Ce morcellement du temps de travail s’est accentué depuis 2005 ([13]).

Dès 2011, la sociologue Frédérique Barnier notait, dans son étude précitée ([14]) , que 80 % de l’activité du secteur était constituée par le nettoyage dans les entreprises (bureaux, locaux professionnels, magasins, grands magasins) et les cages d’escalier, et que les horaires les plus difficiles étaient pratiqués dans le nettoyage des entreprises, puisque le travail s’effectue souvent tôt le matin et/ou tard le soir.

La FEP reconnaît d’ailleurs que « les horaires décalés sont une réalité : le planning dépend en grande partie des contraintes et exigences des clients de chaque type de site. Les sites tertiaires représentent 40 % du chiffre daffaires des entreprises et se réalisent majoritairement en horaires décalés. » ([15]).

Le morcellement du temps de travail se traduit par une organisation particulièrement contraignante des journées de travail. Selon l’enquête « Conditions de travail et risques psychosociaux » de 2016, les salariés soumis à au moins un horaire atypique ont une organisation de leurs horaires de travail plus contraignante que les autres salariés, caractérisée à la fois par des horaires de travail réduits et de très fortes amplitudes horaires. Ainsi, 9 % d’entre eux ont une journée de travail morcelée en deux périodes séparées de plus de trois heures. Par ailleurs, 24 % d’entre eux ne disposent pas de quarante-huit heures consécutives de repos au cours de la semaine. Ces contraintes s’accompagnent d’un contrôle strict des horaires effectués (pointeuse, badge, fiche horaire...) ([16]).

Tout laisse à penser que la réalité est pire que les données chiffrées disponibles dans le secteur du nettoyage. Les témoignages recueillis par le rapporteur montrent que, dans une logique de minimisation des coûts, certaines entreprises de nettoyage tendent à recourir à diverses stratégies pour profiter des failles de la réglementation.

Une responsable nettoyage dans une usine agroalimentaire bretonne a ainsi indiqué au rapporteur que le travail en horaires décalés était privilégié au travail de nuit de manière à ne pas avoir à majorer la rémunération ; de même, les journées de moins de six heures sont privilégiées pour éviter la pause de travail obligatoire.

Selon le fondateur d’une société de nettoyage de bureaux établie en Île‑de‑France, les entreprises ou les administrations donneurs d’ordre ont trop souvent des demandes incompatibles avec le bien-être des salariés, comme par exemple le passage du personnel de ménage pendant 25 minutes entre midi et quatorze heures, alors que leur temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail varie en moyenne entre quarante-cinq minutes et une heure et quart.

La FEP mène des efforts, en vain, depuis plus de dix ans, pour réhabiliter le travail en continu, en journée. Lorsque, sur de rares sites, elle y parvient, la fédération patronale note qu’en 2018 « 84 % des salariés bénéficiaires [de journées de travail continues] interrogés ont estimé que le nettoyage de leur lieu de travail en journée avait un impact positif direct sur leur vie professionnelle » ([17]).

Enfin, le temps partiel subi contraint les salariés du secteur du nettoyage à cumuler souvent plusieurs emplois chez plusieurs employeurs. Ce cumul de plusieurs emplois et/ou du travail sur plusieurs sites, qui se conjugue à de faibles durées d’intervention sur chaque site, contribue largement au caractère « invisible » des personnels de ménage, qui ont à la fois plein d’employeurs et pas d’employeur. Comme l’indique avec justesse la sociologue Frédérique Barnier, il tend à transformer le salarié « en un organisateur permanent, obligé de constamment compter les heures faites et à faire, dajuster en fonction du salaire espéré, de jongler et se débrouiller pour faire coïncider ses différentes missions ou emplois, ses différents horaires, ses congés... » ([18]).

La situation des femmes de ménage à l’Assemblée nationale : état des lieux

Le rapporteur prête une attention particulière à la situation des personnels des entreprises prestataires de nettoyage intervenant sur les différents sites de l’Assemblée nationale ([19]).

À l’instar d’un nombre croissant d’administrations publiques, l’Assemblée nationale a en effet fait le choix il y a plusieurs années d’externaliser les activités de nettoyage de ses locaux. D’après les informations dont dispose le rapporteur, près de 170 salariés relevant de quatre entreprises prestataires distinctes interviennent quotidiennement dans le cadre des marchés conclus par l’Assemblée nationale.

Fixés par l’Assemblée nationale, les horaires de travail comportent pour la plupart une intervention en début de matinée, de 6 heures à 9 heures du matin, complétés le cas échéant par une permanence en journée. Ces horaires décalés ont été choisis notamment pour assurer le confort des députés, des collaborateurs et des fonctionnaires parlementaires, afin de leur permettre de travailler ou de recevoir des intervenants extérieurs dans leurs bureaux tout au long de la journée, sans être dérangé par le passage des agents de nettoyage. En conséquence, beaucoup d’entre eux travaillent à temps partiel, une vingtaine d’heures par semaine, pour un salaire d’environ 800 euros mensuels.

À la fin 2019, un nouveau marché passé par l’Assemblée nationale comprenait une « clause sociale d’insertion professionnelle ». Plus récemment, fin mars, a été intégrée dans les marchés en cours de renouvellement une « clause de plan de progrès social », aux termes de laquelle le prestataire devra formuler, a minima une fois par an, des propositions tendant à améliorer les conditions de travail des personnels. Mais sans modification des horaires ou des salaires.

Le cœur du cahier des charges ne semble pas changé. D’après les données recueillies par le rapporteur, les agents de nettoyage sont en effet rémunérés sur la base du salaire minimum par les entreprises prestataires. Ils ne bénéficient pas d’un treizième mois, ni d’aucun autre avantage. Seule une société, sur les quatre, verse une prime annuelle conventionnelle d’environ 160 euros par mois pour un temps plein (à proratiser en fonction du nombre d’heures effectuées), ainsi que d’une participation aux bénéfices : sur les cinq années précédentes, les salariés ont bénéficié de l’équivalent d’un demi-mois de salaire par an.

La prise en charge de la moitié de leur abonnement de transport est par ailleurs prévue, conformément à l’obligation légale fixée par l’article L. 3261-2 du code de travail.

Seul plus : l’Assemblée nationale prend en compte, lors de l’attribution des marchés de ménage, les actions de formation de l’entreprise concernant son personnel, notamment en matière de français langue étrangère et d’alphabétisation, en plus des formations techniques. Est également prévue l’obligation, pour les titulaires des marchés, d’assurer des cours de français langue étrangère pendant toute la durée du marché, dans des locaux de l’Assemblée nationale spécialement mis à disposition du prestataire pour cet usage.

Rien, surtout, ne concerne la fin des horaires décalés.

2.   De lourdes conséquences en termes d’atteintes à la santé, à la vie familiale et sociale

S’il contribue largement à la précarisation des salariés et à leur isolement, le morcellement du temps de travail affecte également leur santé et pèse sur la vie familiale et sociale.

a.   Des conséquences néfastes sur la santé

Un article de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) intitulé « Horaires atypiques de travail (hors travail de nuit) : quels effets sur la santé et la sécurité au travail ? » et paru dans la revue Références en santé au travail en septembre 2019 ([20]), montre que l’un des effets sanitaires le plus documenté des horaires fractionné est la dette de sommeil. En effet, « travailler tôt le matin ou tard le soir ampute la période principale de sommeil et réduit donc la durée de sommeil mais, potentiellement, aussi, sa qualité ».

Travailler selon des horaires atypiques a surtout des effets sur la santé psychique, « une prévalence augmentée de symptômes dépressifs » étant notamment observée, mais également sur l’obésité et la prise de poids.

L’INRS note aussi qu’« outre la coupure entre les deux périodes de travail, peu propice au repos et à la déconnexion, des effets spécifiques sont documentés pour le travail du soir », en particulier un risque augmenté de blessures au travail. Des effets sur la santé spécifiquement liées au travail du soir sont également mis en avant par deux études récentes en chrononutrition. Travailler en soirée impacte les habitudes alimentaires, notamment en retardant l’heure du dîner. Or, la fréquence et le temps circadien de la prise alimentaire ont des impacts sur la santé, la perturbation des cycles alimentaires étant associée à un risque accru de cancers du sein et de la prostate.

b.   Une vie familiale et sociale mise à rude épreuve

Sans surprise, les salariés soumis à au moins un horaire atypique ont plus souvent tendance à considérer que leurs horaires s’articulent difficilement avec leur vie personnelle et familiale. 15 % d’entre eux déclarent qu’ils n’ont pas la possibilité de s’absenter de leur travail en cas d’imprévu personnel ou familial et 24 % que leurs horaires ne s’accordent pas avec leurs engagements sociaux et familiaux en dehors de leur travail. Ils sont 44 % à déclarer que leurs proches se plaignent du fait que leurs horaires de travail les rendent peu disponibles ([21]).

Ces horaires atypiques conduisent les salariés, et notamment les salariées, à mettre au point des stratégies complexes et épuisantes pour tenter de concilier un rythme de travail haché avec le travail domestique et les obligations familiales. En travaillant tôt le matin et tard le soir, les salariés du ménage gardent leurs enfants en bas âge pendant la journée, souvent au prix d’un véritable épuisement. Puis, lorsque leurs enfants grandissent et entrent à l’école, leurs horaires de travail ne leur permettent plus de les voir pendant la semaine. Elles cherchent alors des solutions pour des gardes dès l’aube, chez une voisine ou chez une nourrice.

Enfin, les salariés en horaires décalés peinent à effectuer des formations et à accéder à certains services, comme la médecine du travail ou les représentants du personnel.

C.   une grande souffrance nÉe de l’absence de reconnaissance de la valeur des mÉtiers du nettoyage

1.   Des métiers peu reconnus et peu valorisés

a.   Un choix effectué par défaut

Les emplois du nettoyage semblent rarement choisis par ceux qui les occupent. Ils apparaissent plutôt comme une solution de repli qui intervient souvent après un épisode de non-emploi. À la différence des autres emplois non qualifiés, les métiers du nettoyage ne sont occupés par des jeunes étudiants entrant sur le marché du travail que dans seulement 10 % des cas, un chiffre deux fois moins important que pour l’ensemble des salariés non qualifiés.

Avant d’être embauchés, les salariés du secteur de la propreté qui travaillent pour leur employeur depuis moins d’un an étaient, en revanche, plus souvent touchés par un épisode de non-emploi (six sur dix), épisode qui correspond très majoritairement à une période de chômage.

Preuve s’il en est de la précarité et de l’ingratitude de leur emploi, les salariés du nettoyage sont très peu nombreux à souhaiter le même avenir professionnel à leurs enfants : seulement 17 % d’entre eux déclarent qu’ils seraient heureux que leurs enfants s’engagent dans la même activité professionnelle qu’eux, soit deux fois moins que l’ensemble des salariés.

Malgré cette situation, l’enquête précitée de la DARES révèle aussi que 78 % des salariés du nettoyage éprouvent la fierté du travail bien fait, et autant expriment le sentiment de l’utilité de leur travail. Ce travail bien fait semble pourtant « aller de soi ». Comme l’a fait remarquer la responsable du recrutement au sein du service général de l’entretien d’une université, lors d’un entretien avec le rapporteur, il n’est pas possible d’accorder de primes pour certaines prestations de remise en état particulièrement exigeantes. Les clauses prévues dans le marché public prévoient des pénalités en cas de travail mal fait, mais aucune valorisation du travail bien fait.

Pourtant, ce travail dénigré demande de réelles compétences. Comme l’a souligné une autoentrepreneure ayant créé sa conciergerie pour accueillir les clients Airbnb et ancienne employée de nettoyage dans l’hôtellerie, le métier de femme de ménage est un métier physique, qui suppose de bien connaître les caractéristiques et la manipulation des produits chimiques. Elle a ainsi précisé au rapporteur que, par exemple, « pour nettoyer des toilettes, si lon utilise un anticalcaire mais quon ne rince pas avant de mettre du détergent, ça ne nettoiera pas car un produit est acide et lautre est basique » ou encore que l’eau de javel peut abîmer certaines surfaces et être dangereuse en cas de mélange avec d’autres produits.

b.   Le sentiment d’être « invisible »

Les agents de nettoyage se sentent souvent mal considérés, regardés de haut ou simplement ignorés par ceux qu’ils côtoient ou croisent au quotidien. 29 % des salariés du nettoyage en entreprise se sentent ainsi ignorés au cours de leur activité professionnelle, soit deux fois plus que l’ensemble des personnes qui occupent un emploi non qualifié. Lorsque leur travail n’est pas tout simplement invisibilisé, il est dévalorisé, considéré comme secondaire par les autres salariés.

Comme le souligne Frédérique Barnier dans son étude précitée, « aujourdhui, dans le travail de service, bien des salariés sont confrontés aux risques de la servitude ou de lasservissement, tant la relation engendrée peut sembler inégalitaire et en contradiction avec nos aspirations démocratiques. Le service engendre finalement une relation extrêmement fragile qui menace sans cesse de glisser vers la servitude. Constamment sur le fil, les salariés du nettoyage luttent ainsi au quotidien pour affirmer leur égalité de condition, avec les autres salariés ou les usagers. Ainsi dans les bureaux, la désinvolture réelle ou supposée à leur endroit, les tasses souillées laissées (« comme si cétait à moi de faire la vaisselle ! »), les papiers lancés à côté de la poubelle (« est-ce quils font ça chez eux ? ») et laissés par terre (« ne sont-elles pas là pour ramasser ? »), tous ces gestes sont vécus comme autant de marques de mépris et dinsultes à leur dignité, le rappel dune condition indigne, esclave ou domestique parfois teintée de relents sexistes ou racistes ». Ce constat semple partagé par une ancienne employée d’un hôtel de luxe, qui a indiqué au rapporteur que lorsqu’elle travaillait dans l’hôtellerie, « il fallait quon se cache » et qu’« un client lui a déjà craché à la figure ».

Si le travail de nettoyage est ainsi rendu invisible ou dénigré, c’est parce qu’il fait partie des « sales boulots » (« dirty work »), un qualificatif utilisé par le sociologue américain Everett Hughes pour désigner « toutes les activités qui confrontent à la souillure dans une société qui nen veut rien voir » ([22]). En France, François Dubet a montré comment les travailleurs du nettoyage semblent comme contaminés par leur contact permanent avec le sale, comment « linfamie débord[ait] sur le travailleur lui-même » ([23]).

Le secteur du nettoyage a d’ailleurs tenté de rompre avec cet univers de la « saleté », en diffusant tout un vocabulaire évoquant l’hygiène et la propreté. Les femmes de ménage sont devenues des « techniciens de surfaces » ou des « agents de propreté », des termes que certains ressentent comme des « euphémismes insultants » qui enlèvent tout espoir de reconnaissance ([24]).

2.   Des perspectives d’évolution de carrière quasi inexistantes

Le secteur du nettoyage se caractérise par une part d’emplois stables en diminution et un accès peu répandu à des formations qualifiantes.

L’enquête de la DARES montre que depuis 2004, le recours aux contrats à durée déterminée (CDD), traditionnellement un peu moins répandu dans les métiers du nettoyage, s’est progressivement rapproché de celui des autres métiers non qualifiés pour atteindre 18 % en 2016. La proportion de salariés du nettoyage en contrat à durée indéterminée (CDI), « stable », a quant à elle légèrement diminué entre 2013 et 2016, alors qu’elle est demeurée quasi constante pour l’ensemble des salariés non qualifiés. Surtout, la proportion des salariés du nettoyage en entreprise travaillant en sous-traitance sur site est presque trois fois plus importante que celle de l’ensemble des non qualifiés en 2016. Cette situation s’explique par l’externalisation des activités du nettoyage depuis les années 1970 (voir infra).

Par ailleurs, seulement 9 % des salariés du nettoyage ont pu suivre des formations en 2017, un chiffre deux fois moins élevé que pour l’ensemble des salariés.

Enfin, les métiers du nettoyage constituent « un segment spécifique particulièrement dégradé du marché du travail » caractérisé par des salaires très bas, comme le soulignent Erreur ! Signet non défini.les sociologues Franck Bailly et François-Xavier Devetter. Ils notent certes que la faiblesse des rémunérations « peut en partie être expliquée, par exemple, par des spécificités en termes de diplôme ou dorganisation du travail » mais « il ressort des investigations économétriques que travailler dans une profession du nettoyage est associé à un salaire sensiblement plus faible, toutes choses égales par ailleurs » ([25]).

En effet, la politique salariale menée se caractérise à la fois par des niveaux de rémunération proches ou équivalents au SMIC et par une très faible reconnaissance matérielle de l’ancienneté. Les agents de nettoyage se concentrent et stagnent aux échelons les plus bas des grilles de classification. Les données publiées par la FEP montrent ainsi qu’ils sont 60,9 % à l’échelon AS 1 et 24,1 % à l’échelon AS 2 ([26]). Dans son témoignage, une cheffe d’équipe dans le nettoyage a indiqué au rapporteur que les agents restaient souvent bloqués pendant des dizaines d’années à l’échelon le plus bas (AS1), alors qu’ils exerçaient de nombreuses responsabilités comme la détention de clés, l’accès aux alarmes, au matériel informatique, ainsi qu’à des documents et effets personnels qui correspondent en théorie aux attributions des échelons supérieurs.

II.   L’externalisation À moindre coÛt des prestations de mÉnage par les entreprises et administrations : le terreau du dumping social

A.   Le recours À la sous-traitance, une solution de facilitÉ pour des donneurs d’ordre de plus en plus nombreux

1.   Un recours massif et croissant à l’externalisation des activités de nettoyage

Depuis les années 1970, un nombre croissant d’entreprises et, de manière plus récente, de collectivités publiques externalisent les prestations de ménage.

L’externalisation des activités de nettoyage a ainsi considérablement augmenté depuis deux décennies : entre 1995 et 2007, le nombre d’entreprises du secteur de la propreté a progressé de 62 %, pour une augmentation du chiffre d’affaires de 106 % sur la même période.

Alors qu’il avait été initié principalement dans le secteur privé, le développement de l’externalisation affecte désormais un nombre élevé d’administrations ou de collectivités publiques qui préfèrent recourir à des sociétés de nettoyage extérieures plutôt que de remplacer les agents fonctionnaires ou contractuels qui assuraient le nettoyage lors de leur départ à la retraite.

Selon les données publiées par la FEP, les marchés publics représentent ainsi 19 % du chiffre d’affaires total du secteur de la propreté.

2.   Les motifs avoués et inavouables du recours à l’externalisation pour les prestations de nettoyage

Les salariés des entreprises du nettoyage sont « ces travailleurs du dehors, de lextérieur, travailleurs loués, prêtés pour toutes ces tâches qui ne sont pas le cœur de métier et que lon peut externaliser, sur lesquelles on veut également économiser » ([27]).

La raison officielle la plus couramment avancée pour justifier de l’externalisation des activités de nettoyage est le souhait de recentrer les activités sur le « cœur de métier ». S’agissant de la sphère publique, ce motif était d’ailleurs assumé comme tel par la révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée par les pouvoirs publics en 2008 : « dans tous les ministères, [...] développer lexternalisation sur des fonctions qui ne sont pas au cœur du métier de lÉtat » ([28]).

Cette formule pudique de « cœur de métier » dissimule toutefois une toute autre intention, bien moins reluisante mais pourtant érigée comme priorité par les deux tiers des donneurs d’ordre : la réduction des coûts, fût-ce au détriment de la prise en compte des conditions de travail des salariés des entreprises extérieures.

Motifs d’externalisation pour les donneurs d’ordre

Source : Étude réalisée auprès de 230 donneurs d’ordre et 30 prestataires pour Deloitte et l’Association des directeurs de l’environnement de travail (ARSEG), « Environnement de travail. Quel modèle d’externalisation dans votre entreprise ? », octobre 2012.

Cet objectif de réduction des coûts s’observe tant dans le privé que dans le public. Ainsi, pour les administrations publiques, l’abandon de certaines activités au profit de l’externalisation a été pensé dès la fin des années 2000 comme l’occasion pour l’État d’en retirer « un véritable gain » ([29]).

La pression exercée sur les prix n’échappe dès lors à aucun secteur, y compris de la part des donneurs d’ordre publics.

Dans les établissements de soins par exemple, « pour les structures qui ont fait le choix dexternaliser, la priorité est clairement à la réduction des coûts [...]. Compte tenu des restrictions budgétaires avec linstauration de la T2A, un certain nombre détablissements ont mis en place des plans de retour à léquilibre sous le contrôle des Agences régionales de santé. Nous le ressentons directement avec une pression sur les prix extrêmement forte » indiquait ainsi en 2012 le directeur Technique, méthodes et qualité chez Elior Services ([30]).

Externalisation : quels gains réels pour les donneurs d’ordre ?

Il existe étonnamment très peu de données chiffrées relatives aux économies réellement engendrées par l’externalisation des fonctions de nettoyage, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. Pourquoi l’externalisation des prestations de ménage est-elle à ce point un tabou ?

● S’agissant de l’externalisation dans les administrations ou collectivités publiques, bien que très peu de données soient disponibles, il est relativement aisé de procéder à une comparaison des rémunérations présumées des personnels affectés au nettoyage employés en interne ou par le biais d’entreprises extérieures.

Ainsi, le traitement indiciaire brut minimum dans la fonction publique ne peut être inférieur au montant du SMIC brut ([31]), soit 1 539,42 euros bruts mensuels au 1er janvier 2020. Or, les fonctionnaires bénéficient d’un avancement d’échelon automatique en fonction de l’ancienneté, ainsi que du versement de primes en fonction de leur statut ou de leur situation (supplément familial de traitement, indemnités de résidence, bonifications indiciaires…) qui relèvent significativement leur traitement de base. Selon le Rapport annuel sur létat de la fonction publique publié par la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), le traitement mensuel brut de base des agents de la fonction publique d’État les moins bien rémunérés en 2017 s’élevait en moyenne à 1 768 euros, pour un salaire net moyen de 1 922 euros en incluant les diverses primes (1) .

En termes de congés payés annuels, les agents de la fonction publique ont par ailleurs bénéficié de 7,3 semaines en moyenne − dont 8,1 pour les agents de la fonction publique d’État et 6,8 pour les agents de la fonction publique hospitalière − contre 5,5 semaines dans le privé.

À l’inverse, les divers allègements de charges patronales consentis par le législateur ([32]) depuis plusieurs années pour les personnes embauchées jusqu’à 1,6 SMIC ainsi que les encouragements à recourir au temps partiel depuis les années 1990 permettent d’alléger le coût de la rémunération des salariés recrutés par les prestataires extérieurs. La moindre majoration des heures complémentaires ([33]) par rapport aux heures supplémentaires, notamment, permet de réduire les coûts : d’après la convention collective des entreprises de propreté et services associés, les heures complémentaires sont ainsi majorées de 11 % pour les heures effectuées jusqu’à 1/10e de la durée prévue au contrat, contre 25 % de majoration dès la première heure supplémentaire effectuée.

Or, 75 à 80 % environ des tarifs des entreprises prestataires de nettoyage servent à financer les rémunérations des personnels : les gains des donneurs d’ordre public ayant recours à l’externalisation de ces prestations peuvent donc être réalisés sur les rémunérations ainsi que sur l’augmentation de la durée du travail sur une année. La responsable des services d’entretien d’une université bretonne au sein de laquelle les activités de nettoyage sont en cours d’externalisation a ainsi indiqué au rapporteur que l’économie réalisée grâce aux prestations en externe − non versement d’une prime de 250 euros mensuels et division par deux des congés payés pris par les salariés des entreprises prestataires, notamment − avait permis à son administration de rationaliser fortement le nombre d’heures de ménage (cf. infra).

● Dans le secteur privé, les économies engendrées par l’externalisation des activités ne relevant pas du cœur de métier ne reposent pas tant sur des différences de rémunération ou de congés, puisque les agents de nettoyage sont rémunérés la plupart du temps au SMIC, qu’ils soient embauchés en interne ou par une entreprise prestataire, et bénéficient rarement de jours de repos au titre d’accords de récupération du temps de travail (RTT), puisque la plupart d’entre eux travaillent à temps partiel.

Toutefois, les économies réalisées par les donneurs d’ordre peuvent s’expliquer par la pression sur les prix exercée notamment par l’introduction d’une obligation de résultats − et non d’une obligation de moyens − dans les clauses contractuelles. Les sociétés prestataires se voient ainsi contraintes d’augmenter les cadences pour maintenir des tarifs concurrentiels et conserver leurs marges. Cette hypothèse a été confirmée par une ancienne cheffe de secteur d’une grande entreprise de nettoyage, qui a raconté au rapporteur la pression exercée par son employeur pour accélérer les cadences et compresser les effectifs (cf. infra).

Un autre motif fréquemment avancé par les structures ayant fait le choix d’externaliser les activités de nettoyage est la simplification des problématiques de gestion : avec l’externalisation, le donneur d’ordre n’a pas à effectuer de recrutement pour les prestations de nettoyage, ni à gérer les absences et les congés des personnels de nettoyage.

3.   De faibles contraintes juridiques pesant sur les donneurs d’ordre en matière sociale

● Initialement pensé pour les « insiders », c’est-à-dire les salariés embauchés en contrat à durée indéterminée au sein d’une entreprise et de bénéficier de tous les avantages associés, le code du travail délaisse la question des conditions de travail des salariés des sous-traitants.

La responsabilité des donneurs d’ordre à l’égard des salariés des entreprises extérieures est en effet particulièrement limitée.

L’article L. 3245-2 du code du travail dispose par exemple que lorsqu’un donneur d’ordre est informé par un agent de contrôle habilité qu’un salarié d’une entreprise extérieure perçoit un salaire inférieur au SMIC ou au minimum conventionnel, il est tenu d’enjoindre aussitôt par écrit à cette entreprise de « faire cesser sans délai la situation ».

Or, « la portée de cette disposition du code du travail est très limitée en matière de lutte contre le dumping social tant sa rédaction suscite des interrogations [...]. ». Ainsi, « le donneur dordre nest pas tenu dobtenir de la part de lentreprise défaillante les rappels de salaires et le paiement des cotisations et contributions sociales : pas dobligation de résultat, mais une simple obligation de moyen [...] ». En outre, le donneur d’ordre n’a aucune obligation de résiliation du marché, et peut ainsi continuer à recourir « en toute connaissance de cause à une entreprise qui ne respecte pas le SMIC ou le salaire conventionnel et qui pratique du dumping social » ([34]).

L’article L. 8281-1 du code du travail dispose par ailleurs que le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est également tenu d’enjoindre par écrit à son sous-traitant de cesser toute infraction dont il aurait été informé par un inspecteur du travail ou par tout autre agent de contrôle habilité, aussitôt qu’il a connaissance de cette infraction qui peut être liée notamment à l’exercice du droit de grève, au respect des libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, au paiement du salaire ou des heures supplémentaires, ou encore à la durée du travail.

La portée de cette disposition est également très limitée pour le salarié, qui « ne dispose daucune information sur la mise en œuvre de cette procédure par lagent de contrôle habilité ; il nen connaît ni lengagement, ni les résultats. Il en ignore même lexistence ». Quant au donneur d’ordre, il ne s’expose à aucune sanction civile ou pénale s’il continue à recourir aux services de cette entreprise. Il n’est pas non plus tenu d’obtenir de la part de cette dernière la cessation des violations relevées par l’agent de contrôle.

● Dans la sphère publique, les préoccupations d’ordre social à l’égard des salariés des entreprises extérieures ne sont pas non plus une priorité, faute sans doute de contraintes juridiques suffisantes.

S’agissant des modalités de conclusion des marchés, le nouveau code de la commande publique demeure ainsi peu contraignant en matière d’obligations sociales du donneur d’ordre à l’égard des entreprises extérieures : tout au plus impose-t-il aux acheteurs publics de prendre en compte des « objectifs de développement durable dans leur dimension économique, sociale et environnementale » dans la définition du besoin du marché.

En conséquence, alors que l’objectif modeste fixé par le plan national d’action pour les achats publics durables 2015-2020 était que 25 % des marchés publics contiennent au moins une clause sociale en 2020, les marchés publics sont encore loin d’être exemplaires, puisque seuls 8,6 % des marchés contenaient une telle clause en 2016 ([35]).

B.   Une politique du moins-disant qui contribue À la dÉgradation des conditions de travail des salariÉs des entreprises de nettoyage

Compte tenu de l’objectif de réduction des coûts des prestations de nettoyage souhaité par la majorité des donneurs d’ordre, les considérations sociales et notamment la question de l’amélioration des conditions de travail des salariés des entreprises prestataires de ménage sont reléguées à l’arrière-plan. Dès lors, l’externalisation des prestations de nettoyage maintient voire aggrave la précarité multidimensionnelle des femmes et hommes de ménage.

1.   Une concurrence sans merci qui tire les salaires vers le bas

Le secteur du nettoyage est marqué par une très forte pression exercée par les donneurs d’ordre sur les prix. Ainsi, les deux tiers (66 %) des salariées et 40 % des salariés du secteur de la propreté travaillent pour des contrats inférieurs à 900 euros mensuels ([36]). Seules 12 % des femmes travaillant dans le secteur disposent de salaires d’au moins 1 500 euros par mois, contre 35 % des hommes, ces derniers accédant plus fréquemment à des postes plus élevés dans la classification ou au statut cadre.

D’après les sociologues Franck Bailly et François-Xavier Devetter, « cette concurrence a été renforcée par lexternalisation des activités de nettoyage opérée par les entreprises françaises dans les années 90 » ([37]). Les témoignages recueillis par le rapporteur font en effet état d’une grande homogénéité tarifaire pratiquée dans le secteur du nettoyage, qui est très dépendant des donneurs d’ordre. Or, les salariés des entreprises prestataires de nettoyage, et en particulier les salariées, sont les grands perdants de cette recherche effrénée de réduction des coûts.

Dans ce contexte très concurrentiel où les donneurs d’ordre sont rois, la protection qui pourrait être exercée par la convention collective des entreprises de propreté ([38]) reste chimérique : le salaire minimum conventionnel négocié par les partenaires sociaux de la branche pour un agent de service en bas de l’échelle des classifications (« AS1 ») est seulement 2,5 % plus élevé que le SMIC.

Le sociologue du travail Jean-Michel Denis a mis en évidence que la renégociation fréquente des marchés contribue également à maintenir une pression forte sur les prix : « lélévation du rythme de passation des marchés, autrefois de cinq ans, puis de trois ans et aujourdhui, pour certains contrats, dun an renouvelable, imprime une tension entre les entreprises qui se livrent à une concurrence effrénée. Enfin, les prix sont sans cesse tirés vers le bas, chaque passation de contrat étant assortie dune renégociation à la baisse. La conséquence est le caractère quasi général du "moins-disant" social. La masse salariale représentant 70 % en moyenne du prix de revient de la prestation effectuée, la renégociation à la baisse des contrats passés avec les entreprises du nettoyage se répercute automatiquement sur leurs salariés » ([39]) .

Le secteur public est particulièrement concerné par cette valse des marchés, car seuls 18 % des marchés publics sont négociés pour une durée au moins égale à quatre années, contre près de la moitié des marchés privés (47 %). La durée moyenne des marchés de nettoyage s’élève ainsi à 4,6 ans dans le privé, contre seulement 2,9 ans dans le public ([40]).

2.   Une externalisation qui accentue le caractère impitoyable des conditions de travail des femmes et hommes de ménage

a.   Le refus quasi systématique du travail en journée par les donneurs d’ordre

Plusieurs témoignages recueillis par le rapporteur ont souligné l’effet délétère de l’externalisation, notamment dans les collectivités publiques, sur les horaires de travail des agents de nettoyage.

Alors que pour les agents employés directement en interne, il était courant de leur confier des tâches complémentaires au nettoyage des locaux pour assurer des horaires de travail en continu, les marchés conclus avec des prestataires extérieurs compressent au contraire les horaires au maximum pour tenir compte des demandes des donneurs d’ordre. Les agents des entreprises extérieures interviennent donc sur une durée la plus faible possible, ce qui les contraint à travailler en décalé, avant l’ouverture des bureaux ou administrations, ou en début de soirée.

La réalité des horaires observée sur le terrain s’inscrit pourtant en contradiction avec la volonté affichée depuis plus d’une décennie par les partenaires sociaux de la branche − y compris par les représentants patronaux − ainsi que par certaines entreprises de nettoyage, soucieux d’assurer de meilleures conditions de travail à leurs salariés en promouvant le travail en continu ou en journée.

Dès 2008, par exemple, la Fédération des entreprises de propreté (FEP) a été à l’initiative de réunions de travail réunissant les acteurs de la profession et les acteurs institutionnels afin de réfléchir à une amélioration des conditions de travail de la profession, notamment sur la question des horaires. Le développement du travail en journée est d’ailleurs, selon les représentants de la branche entendus par le rapporteur, « le fondement du dialogue social de la profession ». La FEP a également proposé des protocoles et méthodologies de travail permettant aux entreprises prestataires d’intervenir dans les sites sans gêner l’activité des clients.

Tous les acteurs de la propreté s’accordent cependant sur le fait que le développement du travail en journée achoppe en raison des clauses incluses dans les cahiers des charges des donneurs d’ordre, publics comme privés, qui imposent aux entreprises de la propreté d’effectuer les prestations en dehors de la présence des salariés ou fonctionnaires travaillant dans les locaux.

Par habitude culturelle, parce qu’il ne faudrait pas « être dérangé » par le bruit d’un aspirateur pendant sa journée de travail : telles sont les raisons avancées par les donneurs d’ordre pour maintenir des horaires de travail en décalé.

Le fondateur d’une société proposant le nettoyage de bureaux d’entreprise en région parisienne, a ainsi expliqué au rapporteur que les horaires en journée étaient « systématiquement proposés, mais quasi-systématiquement refusés » par les donneurs d’ordre.

Les entreprises prestataires ont également expliqué au rapporteur n’avoir aucune prise sur la rédaction du cahier des charges imposant ces horaires, compte tenu de la concurrence qui existe dans le secteur. En conséquence, selon les chiffres avancés par la FEP, 97 % des activités de nettoyage en entreprise se déroulent sur des plages horaires comprises entre 6 heures et 9 heures ou entre 18 heures et 21 heures, contribuant ainsi à l’invisibilisation des personnels de ménage.

Pourtant, d’après la FEP, les entreprises ou administrations qui ont accepté de recourir à des prestations de nettoyage en journée en sont, dans la majorité des cas, très satisfaites (cf. encadré).

« Les clients et le passage en journée :
scepticisme a priori, satisfaction a posteriori »

« Les études montrent que la plupart des clients ne sont pas encore prêts à changer leur comportement : ils redoutent souvent d’être gênés dans leur activité par les interventions en journée sur leur site de travail, et de subir une altération de la qualité de la prestation de propreté. Pourtant, sur les sites qui sont passés en journée, on constate que le bilan dressé par les usagers est dans l’ensemble positif. [...]

« Une enquête commandée par la FEP a été réalisée par le cabinet Atemis sur deux sites, avant et après la mise en œuvre du travail en journée. Sur le premier, elle montre que 26 % des occupants déclaraient au départ que passer à la prestation en journée représenterait une difficulté pour eux, ils n’étaient après le changement plus que 3 % à le considérer comme perturbant. [...] Sur l’autre site, une enquête réalisée a posteriori indique que 85 % des occupants des bureaux du client disent ne pas être dérangés par le passage des agents dans leur bureau en leur présence. »

Extrait de l’étude « La propreté en journée : enjeux et perspectives », Le Monde de la propreté, Collection Études et prospective, décembre 2015.

b.   L’augmentation infernale des cadences

Alors que le chiffre d’affaires global des entreprises du nettoyage a crû de 106 % entre 1995 et 2007, le nombre de salariés du secteur a augmenté, sur la même période, de seulement 55 %. Ces deux données suffisent à mesurer la pression exercée sur la productivité des femmes et hommes de ménage employés par des entreprises prestataires qui, pour répondre aux exigences de diminution des coûts des entreprises, disposent d’un temps toujours plus limité − voire chronométré −pour effectuer leur travail.

La sociologue Frédérique Barnier relevait ainsi, en 2011, que « [les] conséquences sont évidentes en termes de rythme, de pression et dusure physique mais également de dépassements dhoraires, de sur-travail impayé. Le sentiment dexploitation ressenti nest pas anodin, les salariés doivent souvent prendre sur leur temps impayé pour pouvoir finir, quelques minutes, quelques dizaines de minutes qui se multiplient... » ([41]).

À cet égard, le témoignage au rapporteur d’une responsable des services d’entretien dans une grande université française est éloquent : dans son administration, où l’externalisation est en cours faute de remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, les heures de ménage sont divisées par deux lorsque la prestation est externalisée. Un agent effectuant sept heures de ménage quotidien est ainsi remplacé par un agent travaillant entre deux et quatre heures, pour la même prestation, et pour un salaire et un nombre de jours de congés annuels bien inférieurs.

Un autre témoignage recueilli par le rapporteur confirme les fortes pressions exercées sur les salariés des entreprises prestataires de nettoyage sur les cadences, cette fois dans l’hôtellerie : « les sociétés de ménage brassent tellement de personnel que si lon dit non, on est remplacé. Il faut faire profil bas, le rythme de travail est beaucoup plus élevé quand on est en sous-traitance que quand on travaille en direct [avec l’hôtel]. On peut essorer les gens quand ils sont interchangeables. »

Enfin, pour cette ancienne responsable d’une entreprise prestataire de ménage ayant apporté son témoignage au rapporteur, et qui avait sous sa responsabilité quelque cent cinquante salariés intervenant sur divers sites, « le plus difficile était de dire aux femmes de ménage de tenir des horaires intenables ».

3.   Des marges de contestation limitées en raison de la division du collectif de travail

● L’organisation du travail dans le secteur du nettoyage, majoritairement en sous-traitance, participe également de la faible participation aux élections professionnelles et de la faible syndicalisation des agents de nettoyage et, en conséquence, de la difficulté à obtenir des améliorations significatives de leurs conditions de travail.

En effet, comme le soulignait en 2008 le sociologue du travail Jean‑Michel Denis, « il nexiste aucun endroit où peuvent se retrouver les salariés du nettoyage et aucun moyen de communication mis en place par les entreprises pour les atteindre tous » ([42]).

Ainsi, « la fragmentation des lieux et des horaires de travail, la dispersion et parfois latomisation des salariés, leur transférabilité et leur mobilité contraintes (dun chantier à lautre, dune entreprise à lautre, dun secteur à lautre) constituent des facteurs dentrave au regroupement des salariés de la propreté. Elles les empêchent de tisser des liens solides et stables, leur permettant, en tant que communauté professionnelle, de régler collectivement leurs problèmes et défendre leurs intérêts. » ([43])

Ces données s’illustrent directement dans le faible taux de participation aux élections professionnelles, qui s’élevait à 35,3 % aux dernières élections, soit 7,6 points de moins que le taux de participation nationale.

Selon Jean-Michel Denis, tous ces facteurs contribuent à placer les salariés des entreprises prestataires de nettoyage en dehors du champ d’action des organisations syndicales.

Le sociologue a rapporté notamment les propos d’un syndicaliste de la CFDT quant aux difficultés des délégués syndicaux à exercer leur activité dans le secteur du nettoyage : « Cest vraiment difficile pour les délégués syndicaux daller sur les chantiers. Les directions interdisent dune manière ou dune autre lentrée des sites, notamment en demandant aux entreprises de ne pas autoriser lentrée sur les sites, y compris sur les chantiers où les donneurs dordre sont les pouvoirs publics. Le délégué a la liste des chantiers mais pas forcément les horaires des salariés. » ([44])

● Les prérogatives des représentants du personnel de l’entreprise utilisatrice sur les salariés des entreprises extérieures sont en outre très limitées.

Le code du travail permet à ces salariés de demander l’intervention des membres du comité social et économique (article L. 2312-6), mais cette possibilité est limitée aux réclamations concernant les « conditions dexécution du travail » − notamment la santé et la sécurité − relevant du chef d’établissement de l’entreprise utilisatrice. Les membres du comité social et économique de l’entreprise utilisatrice ne sont donc pas compétents pour s’enquérir de la rémunération des salariés des entreprises extérieures ou de tout litige individuel ou collectif entre un salarié extérieur et son entreprise d’origine.

Ainsi, de l’aveu des syndicats eux-mêmes, « les militants des entreprises donneuses dordre sont encore trop éloignés des problématiques des salariés sous-traitants quils côtoient pourtant au quotidien » ([45]) − ou qu’ils ne côtoient pas ou peu, horaires décalés obligent.

III.   L’objet de la proposition de loi : ROMPRE la spirale infernale de la sous-traitance et assurer des conditions de travail et de rÉmunération dignes aux femmes et hommes de mÉnage

Offrir des conditions de travail et une rémunération décentes aux femmes et hommes de ménage qui œuvrent chaque jour pour garantir la propreté des locaux d’entreprise ou d’administrations : tel est l’objectif poursuivi par la proposition de loi.

Car pour desserrer l’étau pesant sur les entreprises de nettoyage, qui ont une trop faible marge de manœuvre face aux donneurs d’ordre, un encadrement est nécessaire, et cet encadrement doit passer nécessairement par la loi. M. Carlos de Moura, directeur général d’Europ net, l’une des entreprise sous-traitante de l’Assemblée nationale, a abondé en ce sens, en insistant notamment sur le besoin d’encadrement législatif des horaires de travail, estimant par exemple qu’il était « aberrant que la réglementation relative aux horaires de nuit s’arrête à 6 heures du matin ».

Pour atteindre cet objectif, deux voies complémentaires sont proposées.

● La première vise à encadrer le recours à l’externalisation des activités de nettoyage, voire à freiner son essor dans les secteurs qui n’y ont pas encore recours, afin de limiter le dumping social actuellement observé.

L’article 1er propose ainsi d’appliquer aux salariés des entreprises prestataires les règles législatives, conventionnelles et d’usage applicables aux salariés de l’entreprise utilisatrice. Ainsi, quel que soit leur employeur, les salariés des sociétés prestataires de ménage bénéficieront des mêmes droits et avantages que les salariés ou agents publics dont ils nettoient chaque jour les bureaux, notamment en termes de rémunération, de temps de travail, de congés, de participation, d’intéressement ou d’accès aux activités sociales et culturelles du comité social et économique (CSE).

L’article 2 oblige les entreprises utilisatrices et les entreprises extérieures à intégrer une clause garantissant l’égalité salariale et l’égalité de traitement entre leurs salariés dans les contrats et marchés qui les lient, sous peine d’être soupçonnées de marchandage.

● La seconde clause vise à promouvoir le travail continu et en journée en revalorisant la rémunération des horaires atypiques.

L’article 3 de la proposition de loi propose ainsi de majorer de 50 % les heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures dans les entreprises entrant dans le champ professionnel d’application de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.

Le choix de revaloriser la rémunération des salariés confrontés au morcellement de leur journée de travail repose sur un double constat.

Tout d’abord, le travail en horaires fragmenté n’est pas une fatalité. Pendant longtemps, durant des décennies, avant que la sous-traitance et les temps partiels ne deviennent la nouvelle norme, autant dans les entreprises que dans les administrations, le ménage s’effectuait en journée, ou du moins en continu de 6 heures à 14 heures, avec éventuellement une seconde équipe d’après-midi, entre 14 heures et 22 heures. Certains pays ont par ailleurs su éviter la mise en place d’horaires atypiques. Dans les pays scandinaves, 80 % du travail de nettoyage se fait ainsi en journée et en continu dans les entreprises clientes.

Ensuite, la bonne volonté de certains acteurs et la fixation d’objectifs de long terme ne permettent pas, à eux seuls, de mettre fin à la pratique massive des horaires de travail atypiques. Les démarches engagées au sein de la branche pour encourager le travail en journée, comme la mise en place d’« expérimentations visant à tester la réalisation des prestations en journée et en continu en présence des usagers des locaux » et l’élaboration de « chartes partenariales » signées entre la branche et les représentants des donneurs d’ordres publics et privés, pourtant encouragés par l’avenant du 5 mars 2014 à la convention nationale collective, relatif au temps partiel, n’ont pas permis d’infléchir les pratiques.

Ces bonnes volontés, le rapporteur a pu les observer, tant chez les représentants du patronat que chez les cadres chargés de la gestion du marché de nettoyage dans les entreprises ou les administrations donneurs d’ordre. Elles ont pourtant été totalement impuissantes face à la lente et constante dégradation des conditions de travail des salariés du nettoyage.

Face à des salariées, le plus souvent des femmes, peu diplômées, parfois étrangères, interchangeables, dans un secteur où le syndicalisme est trop faible pour défendre des droits qu’elles ignorent, face à des sous-traitants mis sous pression, craignant de perdre des marchés, dominés par les donneurs d’ordre, eux-mêmes mus, malgré la bienveillance éventuelle de leurs salariés, par une logique de rentabilité dans le privé ou d’austérité dans le public, face enfin à la puissance du marché, les belles intentions ne pèsent rien.

Entre le fort et le faible, la loi est indispensable. Elle constitue le seul point d’appui pour toutes les bonnes volontés qui se manifestent au sein du patronat des entreprises de propreté ou chez les donneurs d’ordre.

Dans ce contexte, la majoration de la rémunération des horaires atypiques apparaît comme la solution la plus efficace, sinon la seule, pour permettre le développement du travail continu en journée.

 

 

Que font le Gouvernement et la majorité ?

Le rapporteur s’est entretenu, en amont de l’examen de la proposition de loi en commission des affaires sociales, avec M. Thomas Brisson, directeur de cabinet de Mme Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Pour mémoire, Mme Schiappa s’était engagée en juillet 2019, à la suite d’un mouvement de grève dans le secteur de l’hôtellerie, à défendre la cause des femmes de chambre et, plus largement, celle des agents et agentes d’entretien ([46]).

Depuis, que s’est-il passé ? Une montagne de bonnes volontés qui n’a pour l’heure accouché de rien, pas même d’une souris.

● La secrétaire d’État a ainsi demandé au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP) de « monter une mission sur les agents d’entretien et sur l’amélioration de leurs conditions de travail ».

Un groupe de travail a été constitué.

Une étude nationale permettant de disposer de données a été commandée.

Une expérimentation devait être menée au sein de l’Assemblée nationale.

La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a été missionnée pour faire un état des lieux des conditions de travail des agents d’entretien dans les administrations publiques.

En parallèle, la secrétaire d’Etat a rencontré plusieurs syndicats : la confédération générale du travail (CGT), la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération nationale du travail (CNT).

● Mais à peine débuté, le processus s’est enrayé.

Les membres du CSEP n’ont pas été renouvelés car une fusion avec le Haut Conseil à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (HCE) est envisagée. Cette fusion doit nécessairement être entérinée par la loi, or aucune loi ne semble être pour l’heure dans les tuyaux.

L’expérimentation qui devait être conduite à l’Assemblée nationale n’a donné aucun résultat − a-t-elle seulement été lancée ?

En clair, près de neuf mois après les premières déclarations de la secrétaire d’État sur le sujet des femmes de chambre, aucune mesure concrète n’est ressortie du parcours labyrinthique décrit par son directeur de cabinet.

● À la question du rapporteur : « Quel chemin emprunter pour améliorer concrètement la situation actuelle des femmes et hommes de ménage ? », le directeur de cabinet de Mme Schiappa a lui-même reconnu qu’une loi était nécessaire pour mettre ce sujet à l’ordre du jour, « particulièrement après la crise du Covid-19 », ajoutant que l’objectif était bien « de battre le fer quand il est chaud » : « c’est maintenant qu’il faut mettre le coup de ‘boost’ ».

Face à cette affirmation, également avancée par le directeur général d’Europ Net lors de son audition, le rapporteur est d’autant plus convaincu que seule la loi permettra d’améliorer, enfin, la situation des femmes et hommes de ménage.

Car ce n’est pas une hypothétique « charte de bonnes conduite » en matière d’externalisation que ces derniers attendent, ni les résultats d’une énième « étude » faisant le point sur leur situation, ni le renvoi à un dialogue social ankylosé par le poids des donneurs d’ordre. Mais des avancées concrètes pour ne plus avoir à se lever 6 jours sur 7 à 4 heures du matin. Enfin.

● Le chemin pour légiférer sur ce sujet si important paraît néanmoins bien sinueux – et surtout, sans issue – pour la majorité.

Le directeur de cabinet de Mme Schiappa a ainsi reconnu qu’un fort déséquilibre régnait au sein de la branche de la propreté, avec une très faible représentation syndicale des salariés (cf supra). Ce déséquilibre joue en défaveur des salariés de la branche, dont les représentants ne parviennent pas à obtenir de contreparties suffisantes à la pénibilité de leur métier et aux horaires imposés par les donneurs d’ordre.

Un exemple suffit à l’illustrer : celui de l’accord sur le temps partiel ([47]), négocié en 2014, qui fixe un minimum de travail à temps partiel à 16 heures hebdomadaires dans la branche de la propreté, alors que la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 avait fixé par principe ce seuil à 24 heures hebdomadaires.

Pourtant, lors de l’examen de la présente proposition de loi par la commission des affaires sociales, les députés de la majorité se sont prononcés d’une même voix en faveur d’un renvoi de la problématique des conditions de travail et des horaires à la négociation collective de branche, laquelle a déjà démontré son incapacité à imposer une amélioration effective des conditions de travail des salariés de la propreté, dans un secteur où les donneurs d’ordre font depuis longtemps la loi.

 

 

 

 

 

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   commentaires d’articles

Article 1er
Harmonisation des dispositions législatives, conventionnelles ou dusage applicables aux salariés des entreprises utilisatrices et extérieures

Rejeté par la commission

Cet article propose d’appliquer aux salariés des entreprises extérieures les mêmes règles législatives, conventionnelles ou relevant de l’usage que celles applicables aux salariés de l’entreprise utilisatrice.

I.   Le paradoxe de l’ÉtanchéitÉ des rÈgles applicables aux salariÉs du donneur d’ordre et aux salariÉs prestataires des entreprises de nettoyage

A.   La situation ambiguë des employés d’entreprises de nettoyage travaillant au sein d’une entreprise utilisatrice depuis des années

La sociologue Frédérique Barnier a souligné l’ambiguïté du statut des salariés des entreprises du nettoyage : « la plupart dentre eux sont salariés dune ou plusieurs entreprises dans lesquelles ils ne se rendent quasiment jamais et ils vont travailler tous les jours, parfois depuis des années, dans des entreprises dont ils ne sont pas les salariés » ([48]).

Cette ambiguïté est accentuée par l’obligation de reprise s’imposant aux repreneurs d’un marché de nettoyage, prévue par l’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté, qui conduit certains salariés à exercer au sein d’une même entreprise ou administration utilisatrice pendant des années, mais pas pour le même employeur.

L’article L. 1224-1 du code du travail dispose en effet qu’en cas de modification intervenant dans la situation juridique de l’employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.

Les partenaires sociaux de la branche des entreprises de propreté ont précisé les modalités de ce transfert au sein de l’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté, afin de prévoir que les contrats de travail sont transférés à l’entreprise entrante à condition que le marché dévolu au nouveau prestataire ait le même objet et concerne les mêmes locaux.

Pour Frédérique Barnier, « cette disposition, édictée pour protéger les salariés et stabiliser leur emploi, alimente évidemment rumeurs et inquiétudes (les entreprises nont pas toutes la même réputation) mais suscite également un sentiment plus trouble, lié à cette étrange transmission sur laquelle ils nont aucune prise. Elle contribue de façon saisissante à réifier des salariés qui peuvent être ballottés dune entreprise à lautre, salariés attachés au marché comme les esclaves à la plantation ou les âmes à la terre. Demblée, certains se disent salariés du site sur lequel ils travaillent, troublés jusque dans leur identité au travail par cette confusion. » ([49])

B.   Des avantages conventionnels ou usuels majoritairement réservés au personnel du donneur d’ordre

Si certains salariés peuvent être amenés à confondre leur lieu de travail et leur employeur, tant la relation qui les lie à ce dernier paraît ténue, « la plupart savent bien quils ne font pas non plus partie des salariés de lentreprise dans laquelle ils nettoient. Ils y ont une place à part [...]. Ils sont les extérieurs comme les gens de la sécurité ou de la maintenance et sont traités avec plus ou moins de ménagement, quasi salariés, salariés par procuration, salariés dont personne ne sait très bien les prérogatives et qui récupèrent parfois les miettes des vrais salariés... » ([50])

● De fait, le fossé existant entre les « salariés » et les « extérieurs » est réel, car les règles législatives ou conventionnelles applicables à l’entreprise utilisatrice, ne sont, dans leur immense majorité, applicables qu’aux salariés du donneur d’ordre et non aux salariés des entreprises extérieures.

De même, « aucune norme ne prévoit lapplication du règlement intérieur aux travailleurs extérieurs tels que les salariés à mis à disposition » ([51]). Certes, au cas par cas, certains règlements peuvent organiser les conditions d’application de certaines consignes d’hygiène, de sécurité ou d’accès à la restauration collective pour les salariés des entreprises extérieures. Mais rien n’oblige les entreprises à donner les mêmes droits aux salariés de leurs sous-traitants qu’à leurs propres salariés.

S’agissant des activités sociales et culturelles offertes par le comité social et économique (CSE), l’article L. 2312-78 du code du travail précise d’ailleurs qu’elles sont assurées « prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires » ; les salariés de sous-traitants n’y ont donc en général pas accès, alors même qu’ils travaillent, parfois depuis des années, au sein de l’entreprise utilisatrice.

En outre, si l’entreprise d’accueil est responsable des conditions d’exécution du travail du salarié mis à disposition, notamment en matière d’équipements de protection individuelle, en termes de rémunération, le salarié mis à disposition dépend intégralement de l’entreprise extérieure, y compris en matière de participation et d’intéressement.

● Ce fossé existe également dans le secteur public. Ainsi, loin de bénéficier des avantages des fonctionnaires occupant les bureaux qu’ils nettoient quotidiennement − primes diverses, nombre de jours de congés payés fréquemment supérieurs à cinq semaines par an, etc. −, les femmes et hommes de ménage restent strictement soumis aux règles définies par leur convention collective, y compris lorsque ces règles leur sont bien plus défavorables.

● En conséquence, le recours à l’externalisation est fréquemment utilisé comme un moyen de dumping social par les donneurs d’ordre cherchant à réduire leurs coûts, dans le privé comme dans le public.

Le rapporteur a ainsi recueilli le témoignage d’une personne ayant travaillé comme responsable nettoyage au sein d’une entreprise de prestataire auprès d’une usine agroalimentaire, qui a expliqué que l’externalisation des prestations de nettoyage permettait de diminuer les coûts pour le travail effectué le week-end : alors que la rémunération des salariés de l’usine est majorée à 50 % le week-end, les salariés de l’entreprise extérieure de nettoyage ne bénéficient d’aucune majoration le samedi, et d’une majoration de 20 % seulement le dimanche, conformément aux règles définies par la convention collective des entreprises de propreté.

Les collectivités publiques ne sont pas en reste : la responsable des services d’entretien d’une université a indiqué au rapporteur que le recours à l’externalisation permettait à son administration de « faire léconomie des primes ([52]) et des à-côtés », notamment sur la question des congés ([53]).

Le difficile respect des règles conventionnelles applicables au personnel dentreprises prestataires de nettoyage

La plupart des salariés du nettoyage relèvent de la convention collective nationale des entreprises de propreté ([54]). Si l’activité conventionnelle de cette branche est relativement dynamique ([55]) et si les partenaires sociaux cherchent à promouvoir − du moins dans les intentions − le travail en journée ou en continu, l’effectivité de la couverture conventionnelle des salariés du nettoyage souffre fortement, néanmoins, des spécificités de l’organisation du travail dans le secteur du nettoyage.

Ainsi, l’éparpillement des sites sur lesquels interviennent les salariés, associé à la précarité des conditions de vie des salariés des entreprises du nettoyage, est responsable d’une faible syndicalisation de ces salariés est responsable d’une faible syndicalisation des salariés de ces entreprises. Il est en outre propice aux abus, tant il est difficile pour les représentants du personnel ou représentants syndicaux des entreprises utilisatrices comme des entreprises extérieures d’y exercer un contrôle autre qu’illusoire.

Pour le sociologue du travail Jean-Michel Denis, l’absence de maillage syndical territorial dense lié à l’éparpillement des entreprises et des chantiers d’intervention des personnels d’entretien explique ainsi la « grande difficulté à faire appliquer et respecter sur les chantiers, hormis les plus gros, les normes et règles salariales, y compris minimales, édictées au niveau de la branche, avec pour conséquence des statuts demploi et des conditions salariales souvent extrêmement dégradés » ([56]).

Selon le témoignage d’un syndicaliste au syndicat du nettoyage CFDT Île‑de‑France, rapporté par Jean-Michel Denis dans l’un de ses travaux, « les entreprises profitent de lanalphabétisme des populations du nettoyage pour leur faire signer des contrats et des avenants de contrat en leur défaveur, en leur mettant la pression et en ne leur laissant pas le temps pour y réfléchir. [...] Les entreprises sont rodées et connaissent toutes les combines pour enlever un euro par-ci, un euro par-là sur les fiches de paye car les salariés ne savent pas lire. » ([57]).

Certaines entreprises du nettoyage profitent ainsi de la vulnérabilité née de la grande précarité des salariés du nettoyage, liée à une profonde méconnaissance de leurs droits les plus fondamentaux, pour leur imposer des contrats peu scrupuleux au regard des règles conventionnelles.

II.   Le dispositif proposÉ : harmoniser les rÈgles applicables aux salariÉs du donneur d’ordre et aux salariÉs des sous-traitants pour mettre fin aux inÉgalitÉs injustifiables

Les inégalités de traitement et différences considérables de conditions de travail entre des salariés qui travaillent quotidiennement ou régulièrement sur un même lieu de travail sont difficilement justifiables par des raisons objectives.

La seule différence entre ces personnels est ainsi purement statutaire, entre ceux qui ont la chance de relever de règles ou de conventions collectives protectrices de leurs conditions de travail, d’une part, et les salariés des prestataires de nettoyage qui relèvent d’employeurs qu’ils méconnaissent compte tenu de leur intervention exclusive sur des sites extérieurs.

Pour que l’ensemble des personnels travaillant en un même lieu puisse évoluer dans des conditions de travail respectables, seule une harmonisation à la hausse des règles de droit du travail qui leur sont applicables est envisageable, en retenant, pour chaque salarié d’une entreprise extérieure, la disposition qui lui est la plus favorable entre les règles conventionnelles de sa branche ou de son entreprise d’appartenance et entre celles applicables aux salariés ou aux agents employés par l’entreprise ou l’administration utilisatrice.

A.   Le principe : lidentitÉ des rÈgles lÉgislatives, conventionnelles ou dusage pour lensemble des salariÉs intervenant sur un mÊme lieu de travail

Pour mettre fin aux inégalités flagrantes existant entre les salariés des entreprises et administrations utilisatrices et les salariés des entreprises extérieures qui interviennent régulièrement en leur sein, l’article 1er propose d’appliquer un principe d’identité des dispositions législatives, conventionnelles, et des règles d’usage entre les salariés du donneur d’ordre et les personnes employées par les entreprises extérieures.

Ainsi, « même sous-traitées, [ces dernières] devront être traitées comme des salariés du donneur dordre, avec "le Comité dentreprise, les chèques vacances, le Noël des gosses″, avec surtout, le même taux horaire, les mêmes primes, lancienneté qui sapplique » ([58]).

L’article 1er complète à cette fin l’article L. 1242-14 du code du travail, qui prévoit actuellement l’identité des règles applicables, au sein d’une même entreprise, aux salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) et à ceux en contrat à durée déterminée (CDD).

Le nouvel alinéa créé dispose ainsi que « les dispositions légales et conventionnelles ainsi que celles résultant des usages applicables aux salariés de lentreprise utilisatrice sappliquent également aux salariés des entreprises extérieures [...], à lexception des dispositions concernant la rupture du contrat de travail. ».

Concrètement, cela signifie que ce sont les dispositions législatives ou conventionnelles issues de la branche dont relève l’entreprise utilisatrice qui s’appliqueront aux salariés des entreprises extérieures, en lieu et place des dispositions conventionnelles de la branche dont ils relèvent habituellement ([59]). De même, les règles négociées au sein de l’entreprise utilisatrice par la voie d’une convention ou d’un accord d’entreprise seront applicables aux salariés des entreprises extérieures.

Ce principe d’harmonisation des rémunérations et des conditions de travail doit permettre aux salariés des entreprises extérieures, en particulier aux hommes et femmes de ménage intervenant dans des entreprises relevant de conventions collectives plus favorables, de bénéficier des mêmes avantages que les salariés qu’ils côtoient au quotidien.

Tous les champs sont concernés, qu’il s’agisse de la rémunération − les salariés de l’entreprise extérieure bénéficieraient des mêmes primes que les salariés de l’entreprise d’accueil et relèveraient de la grille de salaires applicable au sein de l’entreprise utilisatrice −, de l’intéressement ou de la participation par exemple, ou, plus prosaïquement, de l’accès à la restauration collective, aux tickets restaurants ou de la prise en charge, totale ou partielle, des activités sociales et culturelles proposées par le comité social et économique (CSE) du donneur d’ordre.

Il va de soi que seules les dispositions législatives, conventionnelles ou d’usage plus favorables ont vocation à s’appliquer aux salariés des entreprises extérieures. Par exemple, l’article 14 de la convention collective des organismes de tourisme ([60]) prévoit qu’en cas de travail exceptionnel le dimanche, la rémunération est majorée de 50 %, ou donne lieu à un repos compensateur sur la base de 50 %, soit 3 heures récupérées pour 2 heures travaillées. Or, l’article 4.7.4 de la convention des entreprises de propreté est plus favorable sur ce point, puisqu’elle prévoit qu’en cas de travail exceptionnel le dimanche, la rémunération est majorée de 100 %. Dans ce cas précis, la convention des entreprises de propreté resterait applicable afin de ne pas pénaliser le salarié appelé à travailler exceptionnellement un dimanche pour le nettoyage d’un hôtel. Le rapporteur a donc déposé un amendement afin de lever toute éventuelle ambiguïté sur ce point.

B.   Le champ du dispositif proposÉ

1.   Les entreprises extérieures concernées

Les entreprises extérieures concernées par l’obligation d’appliquer à leurs propres salariés les règles législatives, conventionnelles et d’usage applicables aux salariés de l’entreprise donneuse d’ordre sont, d’après l’article 1er, les entreprises extérieures soumises à l’obligation d’élaborer un plan de prévention écrit, en vertu de l’article R. 4512-7 du code du travail.

Ce plan de prévention, élaboré conjointement par l’entreprise utilisatrice et par l’entreprise extérieure, a vocation à définir les mesures de protection visant à limiter les risques liés à la présence de personnels, d’installations ou de matériels de différentes entreprises sur un même lieu de travail. Il doit être obligatoirement réalisé dans deux cas de figure :

− soit lorsque le nombre total d’heures prévisible ou constaté des interventions des entreprises extérieures − et des éventuelles entreprises sous-traitantes auxquelles elles font appel − au sein de l’entreprise utilisatrice est égal, pour une même opération, à au moins 400 heures sur une période inférieure ou égale à douze mois ;

− soit, sans considération de durée de l’opération, lorsque les travaux à accomplir sont inscrits sur la liste des travaux dangereux fixée par un arrêté du 19 mars 1993 ([61]). Sont notamment concernés les travaux exposant à des rayonnements ionisants ou à des agents biologiques pathogènes.

Ce plan de prévention écrit doit être tenu, pendant toute la durée des travaux, à la disposition de l’inspection du travail, des agents de prévention des organismes de sécurité sociale ainsi que, le cas échéant, de l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP).

En pratique, les entreprises prestataires de nettoyage sont les principales entreprises extérieures visées par l’article 1er de la proposition de loi. Elles sont très majoritairement concernées par l’obligation de réalisation du plan de prévention, puisque le seuil de 400 heures annuelles représente une prestation quotidienne de 1 heure 30, cinq jours par semaine ([62]).

Toutefois, la rédaction actuelle vise également toute autre entreprise répondant à l’obligation de réalisation d’un plan de prévention, par exemple les entreprises du bâtiment effectuant des travaux au sein de l’entreprise utilisatrice.

2.   Les donneurs d’ordre concernés

a.   Les donneurs d’ordre privés

Toutes les entreprises ayant recours à une prestation externalisée répondant aux critères fixés par l’article R. 4512-7 du code du travail sont concernées par l’obligation d’harmonisation des règles de droit du travail posée par l’article 1er de la proposition de loi.

Pour les entreprises disposant de plusieurs sites d’activité, les règles applicables aux salariés des entreprises prestataires sont les règles propres à chaque site − le règlement intérieur, par exemple.

Si un salarié employé par une société prestataire de nettoyage travaille sur plusieurs sites relevant de plusieurs employeurs distincts, les règles conventionnelles ou usuelles relevant de chaque employeur seront appliquées au prorata du temps passé sur chaque site par le salarié de l’entreprise de nettoyage.

b.   Les donneurs d’ordre publics

Le rapporteur souhaite que l’article 1er de la proposition de loi s’applique également aux employeurs publics, car il ne saurait y avoir de différence de traitement à l’égard des personnels de ménage externes travaillant dans une entreprise privée ou une collectivité publique.

Le terme d’« entreprise utilisatrice » mentionné à l’article 1er laisse néanmoins planer un doute sur l’application de la disposition aux employeurs publics. Le rapporteur a donc proposé en conséquence un amendement visant à clarifier ce point.

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Article 1er bis [nouveau]
Obligation d’ouverture de négociations de branche en vue d’améliorer les conditions de travail des personnes recrutées dans le cadre d’une opération de sous-traitance

Introduit par la commission

Cet article demande l’ouverture de négociations de branche, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi, en vue de définir des engagements des donneurs d’ordre en faveur de l’amélioration des conditions de travail des personnes recrutées dans le cadre d’une opération de sous-traitance.

● Introduit à l’initiative d’un amendement de Mme Charlotte Lecocq et de certains de ses collègues du groupe La République en Marche (LREM) et adopté malgré l’avis défavorable du rapporteur, cet article additionnel renvoie à la négociation de branche la responsabilité d’améliorer les conditions de travail des personnes recrutées dans le cadre d’une opération de sous-traitance.

Cet article oblige ainsi chaque branche professionnelle ayant recours à la sous-traitance à ouvrir une négociation dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, afin de définir les éventuels « engagements du donneur d’ordre en faveur de l’amélioration des conditions de travail » des personnels employés en sous-traitance.

Ces engagements doivent notamment porter sur :

‒ les contraintes relatives au temps de travail ;

‒ la clause de mobilité ;

‒ l’assurance d’un socle de garanties minimales conformes aux lois et normes conventionnelles ;

‒ la lutte contre le travail illégal ;

‒ la politique de rémunération globale ;

‒ la politique de formation.

La négociation doit en outre définir le calendrier de mise en œuvre de ces engagements, leurs modalités de suivi et d’évaluation, ainsi que les modalités de publicité de l’accord.

● Le rapporteur déplore le choix retenu par la commission de renvoyer à la négociation collective la question de l’amélioration des conditions de travail des salariés employés en sous-traitance. En effet, cette obligation d’engager une négociation n’est qu’une obligation de moyens, pas de résultat. Compte tenu du rapport de forces inégalitaire qui existe entre les représentants des salariés et les représentants des employeurs, une simple invitation à négocier aboutira probablement à un statu quo, alors qu’il y a urgence à agir pour améliorer les conditions de travail des salariés employés par des entreprises prestataires.

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Article 2
Clause contractuelle obligatoire garantissant légalité salariale et légalité de traitement entre salariés dune entreprise utilisatrice et salariés dune entreprise extérieure

Adopté par la commission avec modifications

Cet article oblige les entreprises utilisatrices et les entreprises extérieures à prévoir, dans les clauses du contrat qui les lie, la garantie de l’égalité salariale et de l’égalité de traitement prévue par l’article 1er de la proposition de loi. À défaut, les entreprises pourront être sanctionnées pour recours à la pratique de marchandage.

● Afin de garantir l’effectivité de l’harmonisation des règles législatives, conventionnelles et d’usage en faveur des salariés des entreprises extérieures prévue par l’article 1er de la proposition de loi, le présent article impose l’introduction d’une clause obligatoire « permettant de garantir légalité salariale et légalité de traitement » pour tout contrat ou marché conclu entre une entreprise utilisatrice et une entreprise extérieure.

Cette disposition est prévue par l’ajout d’un second alinéa à l’article L. 8231-1 du code du travail. Elle ne concerne que les entreprises extérieures soumises à l’obligation de conclure un plan de prévention avec l’entreprise utilisatrice dans les conditions prévues par l’article R. 4512-7 du même code, puisque seules ces entreprises sont concernées par l’harmonisation des règles prévues par l’article 1er de la proposition de loi.

● Le présent article précise que l’absence de la clause visant à garantir l’égalité salariale et l’égalité de traitement « emporte présomption de marchandage ».

La pratique du marchandage est définie à l’article L. 8231-1 du code du travail comme « toute opération à but lucratif de fourniture de main-dœuvre » ayant pour effet :

soit « de causer un préjudice au salarié quelle concerne » ;

soit « déluder lapplication de dispositions légales ou de stipulations dune convention ou dun accord collectif de travail ».

Selon l’article L. 8234-1 du code du travail, la pratique du marchandage constitue un délit, puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros. Le juge peut en outre prononcer une interdiction de sous-traiter de la main-d’œuvre, pour une durée de deux à dix ans.

● La commission a adopté un amendement rédactionnel à cet article.

 

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Article 3
Majoration de la rémunération des heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures dans les entreprises de nettoyage

Rejeté par la commission

Afin de promouvoir le travail continu et en journée des salariés du nettoyage, cet article propose de majorer de 50 % la rémunération des heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures dans les entreprises de nettoyage.

I.   le droit existant : un encadrement largement insuffisant des horaires de travail atypiques

Les horaires de travail atypiques s’opposent aux horaires standards, en journée, du lundi au vendredi. Ils se définissent comme le fait de travailler, pour une partie ou pour la totalité de ses horaires, tôt le matin, tard le soir, la nuit, le samedi ou le dimanche.

Alors que le nombre de salariés concernés par des horaires de travail atypiques n’a cessé d’augmenter ces dernières années et que les conséquences négatives de ces horaires sur la santé ainsi que sur la vie familiale et sociale ne sont plus à démontrer, la législation n’a pas évolué en faveur d’une meilleure protection des salariés concernés.

Les règles d’encadrement et de compensation relatives aux horaires décalés et fragmentés prévues par le code du travail se limitent à de rares dispositions relatives au travail de nuit et au travail à temps partiel. Les salariés des entreprises de nettoyage, particulièrement victimes de ces horaires atypiques, relèvent pour la plupart d’entre eux de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, dont les dispositions n’ont pas permis d’éviter le recours massif aux horaires fragmentés.

A.   Le travail de nuit

1.   Les dispositions d’ordre public prévues par le code du travail

La loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, en même temps qu’elle met fin à l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, précise que celui-ci doit rester exceptionnel. Ainsi, en application de l’article L. 3122-1 du code du travail, « le recours au travail de nuit est exceptionnel » et doit être « justifié par la nécessité dassurer la continuité de lactivité économique ou des services dutilité sociale ».

La période de travail de nuit « commence au plus tôt à 21 heures et sachève au plus tard à 7 heures » (article L. 3122-2 du même code). Tout salarié qui accomplit soit au moins trois heures de travail de nuit quotidiennes deux fois par semaine, soit un nombre minimal de 270 heures de travail de nuit sur une période de référence de douze mois consécutifs, est considéré comme travailleur de nuit (article L. 3122-5 du même code).

Le salarié bénéficie de contreparties au titre des périodes de travail de nuit pendant lesquelles il est employé, sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale, conformément à l’article L. 3122-8 du même code. En d’autres termes, la contrepartie sous forme de repos compensateur rémunéré est obligatoire et ne peut être remplacée par une prime ou une contrepartie financière quelconque ; en revanche, la compensation salariale du travail de nuit est facultative.

2.   Les règles fixées par la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés

La convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 précise que « le travail de nuit dans les entreprises de propreté est justifié par la nécessité dassurer la continuité de lactivité économique du client », sans rappeler que le recours à ce travail doit rester « exceptionnel », conformément à l’article L. 3122-1 du code du travail.

La définition du travail de nuit retenue par la convention est la moins avantageuse possible pour les salariés concernés, puisqu’elle est réduite à la période comprise « entre 21 heures et 6 heures » ([63]). Cette durée est identique à la durée minimale prévue par les dispositions supplétives du code du travail, à défaut de convention ou d’accord collectif ([64]) ;

La convention prévoit les compensations suivantes :

− un repos compensateur attribué au travailleur de nuit de « 2 % du travail effectif accompli entre 21 heures et 6 heures dans le mois » ([65]) ;

 une compensation salariale. Les heures de travail effectuées entre 21 heures et 5 heures (pour les salariés nayant pas le statut de travailleur de nuit) et entre 21 heures et 6 heures (pour les salariés qui ont le statut de travailleur de nuit) sont majorées de 20 % pour les travaux réguliers et de 100 % pour les travaux occasionnels ([66]) ;

− une prime de panier égale à deux fois le minimum garanti, pour les personnels effectuant au moins six heures trente au cours de la vacation ; ce personnel bénéficie par ailleurs d’un temps de pause de vingt minutes pris sur le temps de travail ([67]).

Les entreprises de propreté, sur l’injonction de leurs donneurs d’ordre, exploitent autant qu’elles le peuvent les failles de cette réglementation pour minimiser leurs coûts, au détriment du bien être des salariés du nettoyage. En effet, d’après les témoignages recueillis par le rapporteur, la très grande majorité des salariés travaillent entre 6 heures et 9 heures et / ou entre 18 heures et 21 heures, c’est-à-dire à la fois en dehors des horaires de bureau et tout en évitant, souvent à la minute près, la majoration des horaires de nuit.

B.   Le travail À temps partiel

1.   Les dispositions d’ordre public prévues par le code du travail

La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de lemploi a mis en place une durée minimale de travail de vingt-quatre heures hebdomadaire au bénéfice des salariés à temps partiel. Cette mesure, qui devait permettre de lutter contre la précarité des salariés liée au temps partiel subi et à lexistence dhoraires de travail fragmentés, a été vidée de sa substance par lexistence de nombreuses dérogations.

Ce n’est notamment qu’à défaut de convention ou d’accord de branche étendu que « la durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à vingt-quatre heures par semaine », conformément à l’article L. 3123-27 du code du travail.

L’article L. 3123-19 du même code prévoit ainsi qu’« une convention ou un accord de branche étendu fixe la durée minimale de travail à temps partiel. Lorsquelle est inférieure à vingt-quatre heures hebdomadaires, il détermine les garanties quant à la mise en œuvre dhoraires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités afin datteindre une durée globale dactivité correspondant à un temps plein ou au moins égale à [vingt-quatre heures].

« Une convention ou un accord dentreprise ou détablissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche étendu détermine les modalités selon lesquelles les horaires de travail des salariés effectuant une durée de travail inférieure à [vingt-quatre heures] sont regroupés sur des journées ou des demi-journées régulières ou complètes. »

La répartition des heures de travail des salariés à temps partiel dans la journée de travail est renvoyée à une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche étendu, conformément à l’article L. 3123-23 du code du travail qui précise que « si cette répartition comporte plus dune interruption dactivité ou une interruption supérieure à deux heures, la convention ou laccord définit les amplitudes horaires pendant lesquelles les salariés peuvent exercer leur activité et prévoit des contreparties spécifiques en tenant compte des exigences propres à lactivité exercée ». À défaut d’accord, l’horaire de travail du salarié à temps partiel ne peut comporter, au cours d’une même journée, plus d’une interruption d’activité ou une interruption supérieure à deux heures (article L. 3123-30 du même code).

2.   Les règles fixées par la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés

Le recours au temps partiel est particulièrement important dans le secteur du nettoyage. L’article 1er de l’avenant n° 3 du 5 mars 2014 relatif au temps partiel précise en effet qu’il s’agit « dun enjeu majeur pour la profession en raison du nombre très important des salariés à temps partiel dans le secteur (75 % des effectifs). La réalité de la branche cest également celle du salarié multi-employeurs. Cette situation concerne plus dun salarié sur deux : 53 % du nombre total de salariés. Cest une donnée importante de lemploi à temps partiel. Un grand nombre de salariés réalisent ainsi, du fait du cumul de contrats de travail, au moins 30,3 heures hebdomadaires. Les salariés multi-employeurs, dont lemploi principal est dans la propreté, occupent pour la plupart un autre emploi dans la propreté (66 %). »

Afin de prendre en compte ces situations d’emplois multiples, il est indiqué que « les entreprises de propreté ont initié des expérimentations visant à tester la réalisation des prestations en journée et en continu en présence des usagers des locaux », de manière que davantage de temps plein et moins d’horaires décalés soient proposés aux salariés.

● Concernant la durée minimale de travail à temps partiel, l’article 4 de l’avenant précité précise que « tout en tenant compte des contraintes organisationnelles inhérentes au secteur [...], les signataires manifestent leur volonté, si les circonstances économiques et sociales sont réunies, de construire ensemble les conditions propres à augmenter la durée globale de travail des salariés à temps partiel et à inscrire la durée de 24 heures multi-employeurs comme un objectif à atteindre sous 5 ans ».

Cet objectif n’a visiblement pas été atteint puisque la durée minimale de travail est fixée à seize heures par semaine ou, le cas échéant, à l’équivalent mensuel de cette durée (69 heures 28 mensuelles), sauf demande écrite et motivée du salarié d’une durée de travail inférieure.

En contrepartie de la dérogation apportée à la durée minimale de travail de vingt‑quatre heures par semaine, la convention indique que les partenaires sociaux « mettent en place des garanties quant à la mise en œuvre dhoraires réguliers et regroupent les horaires de travail du salarié sur des demi-journées régulières ».

Les partenaires sociaux conviennent également « daméliorer le processus de passation des marchés en impliquant le client sur la régularité des horaires et en menant une réflexion conjointe sur :

«  le développement des interventions en continu / en journée sur les nouveaux sites ;

«  la continuité dintervention entre plusieurs sites de petites tailles situés en proximité géographique ;

«  lévolution des horaires de vacation ;

«  la prise en compte des contraintes liées aux horaires des transports publics et aux cumuls demplois avant tout changement de lorganisation de travail. »

La convention prévoit enfin l’élaboration de « chartes partenariales » signées entre la branche et les représentants des donneurs d’ordre publics et privés dans les six mois de l’extension de l’avenant – soit en septembre 2014. Ces chartes partenariales devaient avoir pour objectif « de promouvoir le travail en journée / en continu afin que les cahiers des charges prennent en compte cette dimension pour favoriser laugmentation de la durée du travail du salarié ».

● Concernant l’amplitude journalière des salariés à temps partiel et la limitation du nombre d’interruptions de travail quotidiennes, l’avenant à la convention collective nationale prévoit que ([68]) :

– si la durée du travail fixée au contrat de travail est inférieure à seize heures par semaine, il ne peut être demandé au salarié d’effectuer plus de deux vacations par jour (soit une interruption) et l’amplitude journalière maximale est de douze heures ;

– si la durée du travail fixée au contrat de travail est comprise entre seize heures et vingt‑quatre heures par semaine, il ne peut être demandé au salarié d’effectuer plus de deux vacations par jour (soit une interruption) et l’amplitude journalière maximale est de treize heures ;

– si la durée du contrat de travail à temps partiel est supérieure à vingt‑quatre heures par semaine, il ne peut être demandé au salarié d’effectuer plus de trois vacations par jour (soit deux interruptions) et l’amplitude journalière maximale est de treize heures.

Un véritable fossé existe donc entre le catalogue de bonnes intentions des partenaires sociaux et la réalité de la réglementation. Si les ambitions affichées dans la convention collective consistent à « initier des expérimentations », « manifester leur volonté de construire ensemble », « mener une réflexion conjointe » ou encore élaborer des « chartes partenariales », les règles applicables permettent à la fois des temps de travail très partiels et d’immenses amplitudes horaires.

II.   Le dispositif proposÉ : favoriser le travail continu en journÉe des salariÉs du nettoyage en majorant la rÉmunÉration des horaires de travail atypiques

Malgré la volonté affichée par l’avenant à la convention collective de « promouvoir le travail en journée et en continu », le droit existant et les règles retenues rendent tout à fait possible la mise en place de contrats de travail de quelques heures hebdomadaires étalées sur de grandes amplitudes horaires.

Ainsi, le fait de fixer une amplitude maximale de douze heures pour les contrats de travail dont la durée est inférieure à seize heures par semaine permet par exemple à un salarié ayant un contrat de travail de dix heures hebdomadaires de travailler tous les jours du lundi au vendredi de 7 heures à 8 heures puis de 18 heures à 19 heures. Un salarié ayant un contrat de travail de vingt‑cinq heures hebdomadaires peut quant à lui être amené à travailler tous les jours du lundi au vendredi de 6 heures à 8 heures, puis de 12 heures à 13 heures, puis de 17 heures à 19 heures, comme le permet la mise en place d’une amplitude journalière maximale de treize heures et la possibilité d’effectuer trois vacations par jour pour les contrats de travail dont la durée est supérieure à vingt‑quatre heures.

Dans le secteur du nettoyage, les salariés cumulent fréquemment un premier emploi le matin de 6 heures à 9 heures du lundi au vendredi, éventuellement le samedi, et un second emploi le soir de 18 heures à 21 heures – le multi-emploi conduisant à contourner l’amplitude horaire maximale prévue par la convention collective.

Il apparaît donc que ni les dispositions du code du travail, ni les règles fixées par la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés et son avenant relatif au temps de travail ne permettent de favoriser le travail continu en journée des salariés du nettoyage.

Lorsque la règlementation est si peu protectrice, les déclarations de bonnes intentions contenues dans la convention collective s’avèrent totalement impuissantes à infléchir la lente et constante dégradation des conditions de travail des salariés du nettoyage. Seule la loi peut assurer des conditions de travail et de rémunération dignes aux femmes et hommes de ménage.

C’est pourquoi le présent article majore de 50 % les heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures dans les entreprises entrant dans le champ professionnel d’application de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.

Cette majoration s’appliquerait à compter du 1er janvier 2021.

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Article 4 [nouveau]
Mise en place d’horaires de travail en journée et en continu pour les salariés à temps partiel des entreprises de sous-traitance, sauf si le donneur d’ordre refuse et sauf s’il existe une convention ou un accord collectif

Introduit par la commission

Cet article prévoit qu’à défaut de convention ou d’accord collectif, les salariés à temps partiel des entreprises de sous-traitance travaillent le jour entre 9 heures et 18 heures, sauf si le donneur d’ordre le refuse. Dans ce cas, il devra motiver son refus.

 

● Après avoir supprimé l’article 3, qui majorait de 50 % la rémunération des heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures dans les entreprises de nettoyage afin de promouvoir le travail continu et en journée des salariés du nettoyage, la commission a adopté, malgré l’avis défavorable du rapporteur, un amendement présenté par Mme Charlotte Lecocq et plusieurs de ses collègues du groupe La République en Marche (LREM).

Cet article additionnel prévoit qu’à défaut de convention ou d’accord collectif, les salariés à temps partiel des entreprises de sous-traitance travaillent le jour entre 9 heures et 18 heures et en continu. Toutefois, le donneur d’ordre peut refuser d’accorder le bénéfice du travail en journée et en continu à un salarié d’une entreprise éligible à ce mode d’organisation du temps de travail, dès lors qu’il motive son refus.

● Le rapporteur regrette la suppression de l’article 3 de la proposition de loi, remplacé par cet article additionnel qui vide le texte de sa substance. En effet, contrairement à ce qui a pu être affirmé par leurs auteurs en commission, cet article, loin de rendre la mise en place d’horaires de travail en journée et en continu obligatoire, n’aura pas le moindre effet pour les salariés des entreprises de sous-traitance, en particulier dans le secteur du nettoyage.

Tout d’abord, la mise en place d’horaires de travail en journée et en continu dépend du bon vouloir du donneur d’ordre. En effet, il suffit à ce dernier de « motiver son refus » pour que ces horaires ne soient pas mis en place. Une mesure dont l’application peut ainsi être écartée si facilement et sans la moindre sanction n’a donc rien d’obligatoire.

Par ailleurs, cette mesure est conditionnée à l’absence « d’accord ou de convention collective ». Or, les salariés des entreprises de sous-traitance du secteur du nettoyage – que cet article additionnel prétend couvrir – relèvent de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011. Le dispositif prévu ne s’applique donc ni aux salariés du nettoyage, ni à tous ceux qui travaillent dans une entreprise de sous-traitance dans un secteur couvert par un accord ou une convention collective.

Cet article additionnel est donc doublement inapplicable.

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Article 5 [nouveau]
Améliorer l’information des salariés sur leurs droits sociaux

Introduit par la commission

Cet article vise à améliorer l’information des salariés sur leurs droits sociaux à l’occasion de l’entretien professionnel annuel, afin d’associer les entreprises à la lutte contre le non-recours aux droits.

Introduit à l’initiative d’un amendement de M. Guillaume Chiche et de ses collègues du groupe Écologie, Démocratie, Solidarité (EDS) avec un avis favorable du rapporteur, cet article additionnel prévoit que lors de l’entretien professionnel prévu à l’article L. 6315-1 du code du travail, un « récapitulatif synthétique de ses droits sociaux contractuels et extracontractuels est également remis au salarié ». Cette information doit porter notamment sur le droit à la prime d’activité prévue à l’article L. 841-1 du code de la sécurité sociale.

Le contenu ainsi que les conditions de remise de ce récapitulatif seront définis par arrêté.

Cet article prévoit également la remise d’un rapport annuel au Parlement « sur l’efficacité du recours et le non recours aux droits sociaux des actifs et salariés des entreprises de nettoyage ». Ce rapport devra notamment évaluer l’efficacité de la remise du document relatif à l’information du salarié sur ses droits sociaux.

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Article 6 [nouveau]
Rapport sur la situation des femmes de ménage intervenant dans les administrations et les collectivités publiques

Introduit par la commission

Cet article prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur la situation des femmes et hommes de ménage intervenant dans les administrations et les collectivtés publiques.

Alors qu’il avait été initié principalement dans le secteur privé, le développement de l’externalisation affecte désormais un nombre important d’administrations ou de collectivités publiques, qui préfèrent recourir à des sociétés de nettoyage extérieures plutôt que de remplacer les agents fonctionnaires ou contractuels qui assuraient le ménage lors de leur départ à la retraite. L’acheteur public représente ainsi désormais 25 % du chiffre d’affaires des entreprises de propreté selon la FEP.

La sous-traitance des activités de nettoyage se traduit par une importante dégradation des conditions de travail des agents de nettoyage, ces derniers étant soumis à des cadences toujours plus soutenues pour une rémunération toujours plus faible.

Cet article additionnel, adopté à l’initiative du rapporteur, prévoit que le Gouvernement remette un rapport au Parlement formulant diverses préconisations pour améliorer la situation des salariés chargés du nettoyage dans les administrations et les collectivités publiques, qui se doivent d’être exemplaires.

 

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Article 7 [nouveau]
Rapport sur la situation des femmes de ménage intervenant à l’Assemblée nationale

Introduit par la commission

Cet article prévoit que les Questeurs remettent chaque année au Bureau de l’Assemblée nationale un rapport sur la situation des femmes de ménage intervenant à l’Assemblée nationale.

L’Assemblée nationale a fait le choix il y a plusieurs années d’externaliser les activités de nettoyage de ses locaux. Bien que leur travail soit indispensable, les salariés - essentiellement des salariées - des entreprises de sous-traitance sont rendus « invisibles » par un travail effectué tôt le matin - principalement entre 6 heures et 9 heures, pour une rémunération horaire équivalente au SMIC.

Les démarches engagées il y a près de deux ans par le rapporteur afin d’améliorer la situation de ces femmes et hommes de ménage n’ont pas rencontré d’écho positif auprès du Questeur en charge de ces questions - celui-ci ayant même refusé d’être auditionné par le rapporteur dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi.

Aussi, cet article additionnel, adopté à l’initiative du rapporteur, propose que les Questeurs remettent chaque année au Bureau de l'Assemblée nationale un rapport sur la situation des femmes et hommes de ménage intervenant à l’Assemblée, rapport qui serait transmis à l’ensemble des députés.

 

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   COMPTE RENDU DES TRAVAUX

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9096069_5ece155185ef1.commission-des-affaires-sociales--femmes-de-menage-encadrer-la-sous-traitance-cesser-la-maltraita-27-mai-2020

Au cours de sa première séance du mercredi 27 mai 2020, la commission procède à lexamen de la proposition de loi de M. François Ruffin Femmes de ménage : Encadrer la sous-traitance, cesser la maltraitance (n° 2954) (M. François Ruffin, rapporteur).

M. François Ruffin, rapporteur. Madame la présidente, chers collègues, je vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission. Si notre réunion peut se tenir ce matin dans la salle des affaires sociales de ce foyer épidémique qu’a été l’Assemblée nationale, c’est parce que les femmes de ménage ont fait leur travail. « On frotte tout à fond », m’a expliqué Patricia, « les poignées de porte, les interrupteurs, les micros, les dossiers de chaise, avec un nouveau désinfectant qu’on nous a remis ».

Ce travail, pour quel salaire le font-elles ? J’ai ici les bulletins de paye des femmes de ménage du Palais Bourbon, qui vont de 740 euros à 780 euros pour celles qui travaillent à temps partiel – de loin les plus nombreuses – à 1 430 euros pour celles qui sont à temps plein. Quels sont leurs horaires, et quelle vie mènent-elles ? Généralement, elles arrivent ici à 6 heures le matin pour repartir à 9 heures. Graziella me dit : « J’habite aux Mureaux, je me lève à 4 heures, je prends le bus de 4 heures 53 pour rejoindre la gare à 5 heures 03, pour arriver à Saint-Lazare à 6 heures 10 – en principe, car le train est souvent en retard et il m’arrive alors de pleurer. Après le travail, je reprends le train à 9 heures 07. » Je lui demande : « Alors, vous venez pour trois heures de travail ? » et elle me répond : « Oui, je fais cela depuis 1993. »

Ces femmes se lèvent à 4 heures pour faire trois heures de travail et gagner ainsi 30 euros. La plupart cherchent à cumuler plusieurs emplois, ce qui signifie qu’elles vont à nouveau travailler, souvent de 18 heures à 21 heures, pour revenir chez elles à 22 heures 30. Elles sont donc obligées de trouver des solutions pour faire garder leurs gamins et, pour cette raison mais aussi du fait de l’usure à laquelle elles sont soumises, doivent renoncer à une vie familiale normale. Ce qui se passe à l’Assemblée nationale n’est pas une exception, c’est la règle, c’est ce qui se passe dans quasiment toutes les institutions et les entreprises : selon la Fédération des entreprises de propreté et services associés (FEP), 97 % de ses salariés travaillent en horaires décalés, c’est-à-dire entre 6 heures et 9 heures.

Cette maltraitance n’est pas une fatalité, elle n’est pas issue d’une loi naturelle : il fut un temps où les femmes de ménage étaient mieux traitées par notre société. Je peux vous citer, par exemple, le témoignage d’un ancien directeur des ressources humaines dans l’industrie agroalimentaire, contraint de recourir à l’externalisation : « Elles faisaient autrefois partie de l’entreprise, avec tous les avantages – le comité d’entreprise, les chèques-vacances, le Noël des gosses. Lucette, Andrée, Sylvianne, on les appelait par leur prénom, on les tutoyait, elles avaient leur vestiaire, elles prenaient le café dans la salle de pause, et elles terminaient leur carrière à 1 900 euros, avec un treizième mois et des primes en plus. Et puis l’idée est venue – disons plutôt que l’ordre est tombé – de sous-traiter. Du jour où ça s’est fait, on n’a plus vu les femmes de ménage : travaillant toutes à temps partiel, elles arrivaient à 5 heures et repartaient à 8 heures – des fantômes... L’une d’elles m’a expliqué qu’elle se rendait sur trois chantiers dans la journée : notre usine le matin, un particulier dans l’après-midi, les bureaux d’une assurance le soir, le tout pour 800 euros par mois. Et nous, tous les ans, on comprimait les tarifs du sous-traitant, une année on serrait de 2,5 %, la suivante de 1 %... et comme pour eux, nous étions un gros marché, ils étaient tenus à la gorge. »

Ce cas n’est évidemment pas isolé. Ainsi, la responsable du service général d’une université nous a expliqué que, recevant de son conseil d’administration l’injonction constante de diminuer la masse salariale, elle avait dû se résoudre à prendre des mesures en ce sens : alors que le travail était autrefois fait en interne par quatre-vingts personnes, il n’y en a désormais plus que vingt-huit – et elles sont appelées à disparaître un jour totalement au profit de la sous-traitance.

On retrouve la même situation dans les hôpitaux, où elle a des conséquences sur les salaires et les conditions de vie des personnels. Ainsi, l’externalisation mise en place à l’hôpital d’Amiens s’est traduite par une suppression de la prime de service, qui représentait 700 euros à 800 euros par mois pour les agents des services hospitaliers (ASH) lorsqu’ils faisaient ce travail à temps plein en journée – de 6 heures à 14 heures, de 9 heures à 16 heures ou de 14 heures à 22 heures. De même, recourir aux sous-traitants de la société Onet pour nettoyer les chambres et les couloirs permet d’éviter d’avoir à leur verser la prime exceptionnelle liée au covid-19.

À l’université, faire appel à des sous-traitants permet de rogner non seulement sur les rémunérations – environ 250 euros en moins par an – mais aussi sur les congés : alors que les agents d’entretien avaient droit, comme il est d’usage dans un établissement d’enseignement, à quarante-cinq jours de congé par an, les sous-traitants n’ont plus droit qu’à cinq semaines...

Enfin, l’externalisation a aussi des conséquences sur les cadences imposées aux agents d’entretien, puisqu’elle aboutit à diviser par deux le nombre d’heures pour la même charge de travail : ce qui était effectué en sept ou huit heures par un agent en interne va l’être en deux à quatre heures par un employé d’une société sous-traitante.

Olivier, qui travaille à l’hôpital d’Amiens pour le compte de la société Onet, nous a expliqué nettoyer le service de dermatologie avec une collègue en trois heures, alors que ce travail était précédemment effectué par deux ASH travaillant chacun sept heures par jour – des conditions de travail qui donnent constamment le sentiment de devoir se presser, et de mal faire son travail. Il faut lire le récit de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, où elle raconte très bien, de l’intérieur, ce qu’est le quotidien d’une femme de ménage, et comment chacune des minutes passées à nettoyer des cabines, des bungalows, des chambres d’hôtel, doit être hyperproductive, afin d’en faire le plus possible dans le minimum de temps : le temps de travail se trouve réduit à l’os.

Je ne doute pourtant pas du fait que, même dans ce monde-là, la bonne volonté ne manque pas. Les patrons que nous avons interrogés sont tous conscients du sort réservé à leurs salariés, et le regrettent. Le nettoyage en journée, systématiquement proposé par les sociétés sous-traitantes, est presque toujours refusé par le donneur d’ordre, qui fait la loi et impose que le ménage ne soit fait qu’en l’absence de ses propres salariés, donc en horaires décalés : les agents d’entretien doivent être invisibles. Le patron de la FEP, M. Philippe Jouanny, nous dit que, depuis 2008, il n’a cessé d’organiser des tables rondes et des conférences de progrès social dans l’objectif de rétablir davantage de travail en journée, s’inspirant en cela de l’exemple des pays scandinaves, où il y a 80 % de travail en journée et où les personnels peuvent travailler six ou sept heures d’affilée, ce qui leur permet de toucher un vrai salaire.

Malheureusement, le cahier des charges des donneurs d’ordre – publics comme privés – persiste à imposer les horaires décalés, et les bonnes volontés, les nobles intentions et les incantations pèsent bien peu face à la loi qui règne en maître, à savoir la loi du marché. Le secteur du nettoyage est donc une espèce de Far West, avec un rapport de force complètement défavorable à des salariés qui sont à 80 % des femmes, souvent très peu qualifiées et d’origine étrangère, et cumulant donc les fragilités. Comme on l’imagine, il est bien difficile de s’organiser et encore plus de monter un syndicat dans ce contexte. Quand bien même les personnes concernées le feraient-elles, elles ne pourraient peser qu’à l’intérieur de l’entreprise sous-traitante, elle-même dominée, pour ne pas dire écrasée, par les donneurs d’ordre.

C’est pourquoi il apparaît nécessaire qu’une loi vienne servir de point d’appui aux bonnes volontés. Celle que nous proposons comporte deux points : il s’agit, d’une part, d’inciter économiquement au travail de nettoyage en journée et, d’autre part, de faire en sorte que sous-traitance ne rime plus avec maltraitance, que cette pratique ne soit plus synonyme de dumping social, comme c’est le cas depuis au moins vingt ans.

La dégradation du travail, mais aussi de la vie qui va avec, me semble constituer le cœur du malaise de notre pays. Qu’a été la révolte des « gilets jaunes », si ce n’est le soulèvement des bas salaires ? À quoi assiste-t-on durant la crise du covid-19 ? De manière exacerbée, les premiers de corvée ont continué à être les plus exposés, qu’il s’agisse des auxiliaires de vie sociale, des caissières, des vigiles ou des femmes de ménage, avec le sentiment pesant – voire le ressentiment – d’une grande injustice face à des conditions de travail et des salaires en constante détérioration depuis plus de vingt ans.

S’exprimant au sujet du covid-19, le Président de la République a dit récemment qu’« il nous faudra nous rappeler que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». S’il faut se le rappeler, cela ne suffit pas : il faut aussi agir. Faisant référence à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Emmanuel Macron a poursuivi en rappelant que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Aujourd’hui, il ne pourrait pas y avoir de réunions des commissions – le Parlement ne pourrait donc fonctionner normalement – sans le passage des femmes de ménage dans cette salle et dans les bureaux adjacents. De même, en l’absence de femmes de ménage, les hôpitaux devraient fermer en quarante-huit heures : comme on le voit, l’utilité commune est indéniable. Aujourd’hui, pourtant, c’est avec des salaires de misère et des vies de galère qu’elle est récompensée !

Je suis convaincu que c’est maintenant que nous devons agir, que c’est maintenant qu’il faut une loi, et je ne suis pas le seul à le dire : nous avons auditionné hier le directeur de cabinet de Mme Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui disait exactement la même chose ! De même, le patron d’Europ Net, la société de nettoyage qui intervient dans les locaux de l’Assemblée nationale, nous a dit qu’il fallait battre le fer tant qu’il est chaud.

Parlementaires collègues, c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Le moment est venu de passer de la parole du Président de la République aux actes et à la loi.

Mme Charlotte Lecocq. Les agentes et agents d’entretien remplissent une mission trop peu reconnue dans notre société. Ils entretiennent et nettoient notre cadre de travail et concourent ainsi à le rendre plus agréable et plus sain. Ainsi, ils améliorent au quotidien nos conditions de travail, et leur rôle se trouve particulièrement mis en lumière dans le cadre de la crise du covid-19, puisqu’ils participent activement à la lutte contre le virus pour notre santé à tous.

Aujourd’hui, le groupe La République en Marche souhaite leur témoigner sa reconnaissance et agir concrètement pour améliorer leurs conditions de travail et de rémunération. Nous croyons au dialogue social et nous considérons que les représentants des salariés et des employeurs doivent encore faire progresser les rémunérations, ainsi que les parcours professionnels, la formation des salariés, leur intégration dans notre société et leur émancipation. Nous voulons que la santé au travail soit améliorée dans ce secteur, notamment en ce qui concerne l’usage de produits chimiques parfois nocifs pour la santé des travailleurs, et pour cela que les partenaires sociaux conduisent une négociation afin d’aboutir à de réels progrès en la matière, qui constitueront des évolutions aussi légitimes que nécessaires.

Au-delà de ces aspects pratiques, nous devons changer l’image et la place des agents d’entretien dans nos lieux de travail. Par habitude culturelle, le travail des agents d’entretien est organisé en horaires décalés. Cette pratique, que l’on ne retrouve pas chez nos voisins portugais ou scandinaves, est inacceptable, et nous voulons que cette proposition de loi soit l’occasion d’y mettre un terme. En effet, les horaires décalés nuisent à la vie de famille, conduisent à des amplitudes horaires très fatigantes, avec des journées de travail qui commencent parfois à 5 heures ou 6 heures du matin pour se terminer à 23 heures, après quelques coupures qui ne permettent pas un véritable repos. Nous voulons aller plus loin qu’une simple incitation à organiser les horaires de travail en journée : il faut le rendre obligatoire, pour enfin donner une place réelle à nos agentes et agents d’entretien.

Je crois que nous sommes tous ici d’accord sur ces finalités. Il nous faut maintenant débattre du meilleur chemin à suivre pour parvenir de façon constructive et efficace à des solutions concrètes.

M. Stéphane Viry. Force est de constater que cette proposition de loi nous invite à un questionnement sur notre système économique, sur les fragilités qu’il induit et sur les conséquences qu’il peut avoir sur les travailleurs concernés et sur leur quotidien. J’ai lu, au chapitre III du rapport, que cette proposition de loi visait à rompre la spirale infernale de la sous-traitance et à assurer des conditions de travail et de rémunération dignes aux femmes et hommes de ménage. Vous voulez provoquer une prise de conscience des conditions de vie de ces personnes, et aller plus loin que l’émotion suscitée par l’évocation de leur sort, en nous conduisant à réfléchir au mode de fonctionnement de notre économie.

Vous abordez avec ce texte un sujet très important, celui de l’externalisation des fonctions support mise en œuvre afin de faire baisser les coûts de main d’œuvre – on peut y voir une forme de dumping social. Cependant, eu égard à l’importance du sujet et à tous les enjeux et conséquences de l’externalisation, il aurait fallu nous soumettre une étude d’impact. Par ailleurs, sur le fond, les réponses que vous proposez ne nous paraissent pas satisfaisantes. Sans doute faudrait-il rendre la sous-traitance moins attractive en engageant une réflexion sur le coût du travail et sur les obligations légales des entreprises – en fonction de certains
seuils –, mais vos propositions ne vont pas vraiment en ce sens et n’apportent donc pas, selon nous, de réponse concrète au problème que vous soulevez.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés partage l’objectif d’améliorer les conditions de travail et d’augmenter les rémunérations des salariés de la première ligne, qu’ils soient agents de propreté, caissiers, éboueurs ou livreurs. Vous aves pris le parti, monsieur le rapporteur, de traiter aujourd’hui plus spécifiquement de la situation des agents d’entretien. Or, en tant que législateur, il ne nous appartient pas de traiter individuellement de la situation de tous les corps de métiers que nous souhaiterions voir mieux reconnus.

Par ailleurs, si l’intention est tout à fait louable, cette proposition de loi présente de trop nombreuses insuffisances et incohérences pour pouvoir être adoptée en l’état. Ainsi, l’article 1er propose de faire bénéficier les agents d’entretien des mêmes conditions conventionnelles et légales que les salariés de l’entreprise utilisatrice de leurs services, alors qu’ils disposent d’une convention collective nationale propre à leur branche. Ces questions doivent donc être discutées par la voie normale, c’est-à-dire par la négociation paritaire avec les représentants des entreprises et des salariés : nous n’avons pas à interférer dans les conventions collectives d’une entreprise ou d’une branche. En revanche, il conviendrait de renforcer les moyens des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, afin qu’elles puissent mieux veiller à leur bonne application.

L’article 2 vise à renforcer l’information en vue du respect de l’égalité salariale et des traitements entre les employés des entreprises extérieures et ceux des entreprises utilisatrices. Sur ce point, nos échanges en commission et en séance nous seront des plus utiles pour établir si votre proposition de rédaction apporte ou non une plus-value pour établir le délit de marchandage.

Monsieur le rapporteur, si la question que vous nous soumettez est digne d’intérêt, il nous faut aborder votre proposition avec prudence, car il ne faudrait pas qu’en affaiblissant le rôle des conventions collectives, celle-ci aille à l’encontre des intérêts des personnels que nous souhaitons ici défendre. En raison de ce qui nous apparaît comme une incohérence fondamentale, notre groupe ne pourra pas adopter ce texte en l’état.

M. Boris Vallaud. Comme à son habitude, François Ruffin a décrit avec minutie et sensibilité ce qu’est la vie quotidienne de celles que nous ne croisons pas, parce que tout est organisé pour que nous ne voyions jamais les personnes qui font le ménage et vident les poubelles dans nos bureaux : dans la plupart des entreprises et des administrations, on leur demande de commencer à travailler à 6 heures du matin, pour que tout soit terminé quand nous arrivons à 8 heures.

Cela me rappelle un article de Rutger Bregman consacré à la grève des éboueurs de New York en février 1968. Dans les premiers jours de cette grève, alors que des dizaines de tonnes de déchets s’accumulent, les New-Yorkais réagissent par le mépris à l’égard de ces éboueurs jugés narcissiques, qui osent prendre en otage les habitants de la ville. Mais ils se rendent compte rapidement qu’en réalité, ils ne peuvent se passer des éboueurs, et ceux-ci reprennent le travail au bout d’une dizaine de jours après avoir obtenu satisfaction sur certaines de leurs revendications. L’année suivante, il y eu en Irlande une grève des banquiers. Ceux-ci ne reprirent le travail qu’au bout de six mois, sans avoir obtenu satisfaction et sans que l’économie ait cessé de fonctionner.

La crise que nous avons traversée a été l’occasion d’une inversion des hiérarchies et des valeurs, qui va nous obliger à nous poser la question, dans les mois qui viennent, des modalités de partage de la valeur ajoutée et de l’appréciation de l’utilité sociale de certaines professions. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous apporterons notre soutien à cette proposition de loi, dont l’examen va nous permettre d’ouvrir le débat.

M. Paul-André Colombani. Cette proposition de loi met en évidence le paradoxe d’une société dans laquelle la rémunération et la reconnaissance sociale sont bien souvent sans rapport avec la réelle utilité sociale de la profession exercée. Nous ne pouvons que déplorer qu’il ait fallu une crise d’une telle ampleur pour qu’une large prise de conscience se fasse sur ce point. De nombreuses professions attendent depuis longtemps la reconnaissance salariale et sociale qu’elles méritent, comme nous avons eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, notamment dans le cadre des débats sur la réforme des retraites, au sujet des enseignants ou des soignants.

Avant même le mouvement des « gilets jaunes », nous étions nombreux à souligner l’importance de la juste rémunération du travail. Cette proposition traite spécifiquement des agents d’entretien, dont le travail a été tristement mis en lumière par la crise du covid-19, durant laquelle ces personnes sont plus que jamais exposées à des risques pour leur santé et subissent des contraintes horaires et une précarité accrues. La question de la rémunération en fonction de la valeur réelle du travail se pose d’autant plus que les femmes sont les premières à en souffrir – 75 % des agents d’entretien sont des femmes – et que les agents d’entretien méconnaissent souvent leurs droits.

L’épidémie a également aggravé les risques pour la santé des personnes concernées : ainsi, la Seine-Saint-Denis a connu une hausse de la mortalité de 118 % entre le 1er mars et le 10 avril, contre 92,6 % à Paris – une différence s’expliquant en partie par le fait que 12 % des actifs de ce département ont dû continuer à prendre les transports en commun. La protection des travailleurs précaires est donc également un enjeu sanitaire.

La proposition de loi pose, à juste titre, la question de la précarisation du métier des femmes et des hommes de ménage, notamment à cause de la sous-traitance, qui les éloigne des dispositions avantageuses dont bénéficient les employés des entreprises demandeuses de services. L’encadrement de la sous-traitance doit donc être amélioré. Notre groupe attend des précisions sur la mise en application des dispositions proposées et portera un regard exigeant sur la réponse du Gouvernement, car le sujet mérite la plus grande attention.

Mme Danièle Obono. Cette proposition de loi vise à encadrer la sous-traitance des personnels de ménage, qui sont en majorité des femmes, en instaurant une égalité de droits avec les salariés des entreprises donneuses d’ordre – pour le comité d’entreprise et les chèques-vacances, par exemple – et surtout les mêmes taux horaires, primes et ancienneté. L’objectif poursuivi est que le recours à une société extérieure ne se traduise plus par un dumping social. La proposition vise également à surpayer de 50 % les heures effectuées avant 9 heures du matin et après 18 heures, afin d’éviter des horaires décalés et de privilégier le plein temps en journée en évitant les mini-missions.

Qui est visé par cette proposition de loi ? Il s’agit le plus souvent de femmes, invisibilisées, voire méprisées et régulièrement maltraitées. « La sous-traitance, c’est la maltraitance ! », tel est le slogan entendu sur les piquets de grève, toujours plus nombreux au cours des dernières années : en 2017, celui des employées de l’entreprise Onet, qui s’occupe du nettoyage de la gare du Nord ; en 2018, celui des femmes de ménage de l’hôtel de luxe Park Hyatt, à proximité de la place Vendôme, qui sont restées en grève durant quatre‑ving‑sept jours ; aujourd’hui, enfin, celui des personnels de l’hôtel Ibis Batignolles, qui demandent une revalorisation salariale, de meilleures conditions de travail et l’intégration au groupe donneur d’ordre, puisque la maltraitance est la source d’une dégradation du service rendu, mais aussi des conditions de travail.

Les personnes concernées sont en majorité des femmes, soumises à des conditions de travail très dures, parfois même à des violences sexuelles et sexistes et, pour les personnes racisées ou de nationalité étrangère, à des discriminations fondées sur ces motifs. Depuis quelques années, ces personnes se mobilisent et s’organisent pour faire reconnaître leurs droits. La présente proposition de loi se veut un premier pas en ce sens : au-delà des hommages et de la reconnaissance de principe, chers collègues de la majorité, vous avez ainsi l’occasion d’accomplir une véritable action politique, au sens le plus progressiste du terme.

M. Pierre Dharréville. Nous ne pouvons pas en rester à ce que tant de femmes et d’hommes soient méprisés, mal reconnus, dans leur travail. Je remercie ainsi François Ruffin pour cette proposition de loi, qui braque le projecteur sur la situation particulière des agents d’entretien, sur ces femmes et ces hommes dont il a décrit la vie quotidienne et le manque de reconnaissance et de respect qu’ils subissent tout au long de leur vie.

Nous partageons pleinement les objectifs de ce texte : s’attaquer à la précarité, garantir l’égalité salariale, encadrer la sous-traitance dans le secteur du nettoyage. La nécessité de s’attaquer aux causes de cette situation rejoint les combats de notre groupe, notamment portés par Marie-George Buffet, pour encadrer le temps partiel subi par les femmes et, plus généralement, pour assurer l’égalité professionnelle.

La crise que nous venons de traverser a remis en lumière ces métiers dits de l’ombre, exercés par des femmes et des hommes qui ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Nous avons besoin de passer aux actes, de reconnaître le travail de chacune et de chacun, de nous attaquer aux inégalités salariales et de situation, aux contrats courts et précaires, aux horaires fractionnés, à ces rémunérations qui dépassent rarement le SMIC. Au passage, le rétablissement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail pourrait nous donner des moyens d’intervention.

Enfin, je souhaiterais évoquer les ravages de la sous-traitance et de l’externalisation des emplois. Ils sont devenus les outils principaux du dumping social, du moins-disant social, pour maintenir la stagnation des salaires et, bien souvent, un moyen de contourner l’action syndicale. Il appartient au législateur de jouer son rôle, notamment dans l’industrie, où ce risque est doublé. La proposition de loi de François Ruffin souligne cette réalité. Comme l’évoquait Ken Loach dans Du pain et des roses, ces femmes ont droit à de vrais salaires et une vraie reconnaissance.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je suis heureuse de prendre la parole au nom du groupe Agir ensemble. La situation de celles et ceux que l’on appelle pudiquement des agents de propreté, quand il s’agit en réalité de femmes de ménage, est non pas un simple dossier à traiter mais un enjeu de dignité. On parle de femmes mal payées, peu considérées, majoritairement peu qualifiées, qui travaillent dans l’ombre, sans se plaindre – à tel point qu’elles sont souvent invisibles –, à temps partiel, pour des salaires en dessous du SMIC.

Sans mauvais procès, il faut rendre justice au groupe La France insoumise d’aborder ce sujet. Ces journées d’initiative parlementaire ont l’intérêt de pouvoir présenter des questions sur lesquelles il est nécessaire que nous avancions, collectivement. Depuis trop longtemps, la société détourne le regard des travailleurs invisibles – femmes de ménage, employés des supermarchés, des services d’aide à domicile, éboueurs, notamment. Il est plus qu’urgent de se mettre à l’ouvrage.

Il ne serait pas juste de dire que le Gouvernement n’a rien fait pour les personnes aux revenus modestes. La revalorisation de la prime d’activité, pour ne citer qu’elle, s’applique aux femmes de ménage comme à l’ensemble des travailleurs précaires.

La situation particulière de ces personnes, qui est due notamment à l’augmentation du recours à la sous-traitance, appelle en effet une réponse adaptée. Si nous partageons l’intention qui est la vôtre, nous considérons toutefois que l’amélioration des conditions salariales, de travail et de formation des femmes de ménage doit d’abord faire l’objet d’un dialogue entre partenaires sociaux au niveau de la branche, particulièrement pour ce qui concerne la sous-traitance. Nous soutiendrons donc la proposition de notre collègue Charlotte Lecocq.

Il nous paraît cependant essentiel, si les négociations n’aboutissent pas dans la direction escomptée, de revenir à la charge avec des dispositions législatives, qui pourraient prendre la forme d’un travail et d’une proposition de loi transpartisans. Oui, monsieur Ruffin, c’est maintenant qu’il faut agir, mais pas de cette manière.

M. Bernard Perrut. Vous proposez une revalorisation du statut des femmes de ménage, en modifiant le code du travail. C’est une belle intention, car il faut s’attaquer à un véritable problème : le travail de femmes, mais aussi d’hommes, dans ce métier comme dans d’autres, à des horaires décalés, la nuit, dans des conditions difficiles, au détriment de la vie familiale, personnelle, ou de la santé, et avec des salaires très bas, ce que l’on ne peut que déplorer. Peu d’hommes postulent d’ailleurs à ce type d’emplois, souvent dévalorisés, ce qui pose également la question des inégalités salariales entre hommes et femmes.

La proposition de loi traite du choix de la sous-traitance dans le secteur privé et dans les établissements publics. Comment combattre l’inégalité entre salariés d’une entreprise utilisatrice et d’une entreprise sous-traitante ? Cela ne peut passer par des règles supplémentaires, telles celles que vous proposez, car elles auront des conséquences néfastes pour les salariés. La majoration des heures, par exemple, augmentera le coût horaire. Au lieu de faire travailler les femmes de ménage dans des conditions raisonnables, on leur demandera d’accélérer encore les cadences, pour faire le même travail en moins de temps. Il faut donc être très vigilant.

Ne pourrions-nous pas plutôt réfléchir à rendre la sous-traitance moins attractive, en facilitant l’embauche dans les entreprises utilisatrices ? Cela peut passer par une réflexion sur le coût du travail, sur les obligations légales, sur les nombreux seuils existants, sur la législation. Il faut appeler l’attention des chefs d’entreprise et de l’ensemble des donneurs d’ordres sur ce point : c’est le travail dans l’entreprise qu’il convient de privilégier.

M. le rapporteur. Vous témoignez tous de votre reconnaissance. Vous dites que le sujet est important, que vous y êtes attentifs. J’entends que je ne suis pas le meilleur des législateurs possibles, bien que des administratrices remarquables – d’autres invisibles, peut‑être –, m’accompagnent dans ce travail. J’entends que la proposition de loi présente des incohérences, des insuffisances, tout ce que vous voulez. Mais que mettez-vous sur la table, en face ? Pour l’instant, beaucoup de vide. Madame Lecocq, j’aurai un mot pour vous à la fin...

Vous le savez, je n’y vais pas par quatre chemins. Dire qu’il faut passer par des négociations, revoir les conventions collectives, c’est, comme Ponce Pilate, s’en laver les mains. Si vous passez par des négociations, rien ne changera.

Les syndicats en sont très conscients. Jean Hédou, secrétaire général de la Fédération Force ouvrière de l’équipement, de l’environnement, des transports et des services (FEETS FO) l’affirme : « Je suis pour laisser la liberté à la négociation conventionnelle, mais la sous-traitance s’oppose au principe de l’égalité des salariés. La base même de la sous-traitance, c’est l’inégalité. L’égalité doit être préservée. Ce que la loi rend possible avec la sous-traitance, la loi peut le corriger. »

La CGT Ports et docks, la Fédération des services CFDT et la FEETS FO, tous trois signataires de la convention collective, réclament une loi qui fixe un mieux-disant. Le directeur de cabinet de Marlène Schiappa dit aussi qu’une loi est nécessaire. Et les entreprises font la même réponse, lorsqu’on les interroge.

La négociation, je le répète, se fait à 80 % avec des femmes, dominées dans leur entreprise. Surtout, ces personnes négocient au niveau de leur branche. Or, c’est le rapport de forces avec le donneur d’ordre qui importe, ce que les conventions ne corrigent absolument pas.

Entre le fort et le faible, il faut la loi. C’est elle qui protège, quand la liberté opprime. Vous renvoyez aux négociations, en disant qu’il sera temps de légiférer si elles ne changent rien, mais cela fait vingt ans que la situation ne change pas, que les syndicalistes se réunissent autour d’une table et que, parfois, quelqu’un du ministère vient. Derrière, il n’y a rien.

Quand on interroge sur le plan proposé, on nous répond d’abord qu’un groupe de travail a été constitué au niveau du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, lequel doit rendre une étude nationale, qu’une expérimentation sera menée au sein de notre assemblée, que la direction générale de l’administration et de la fonction publique a ensuite été missionnée, mais que le processus s’est enrayé car les organismes n’ont pas pu fusionner. Il n’y a rien de concret !

On m’invite à la prudence – c’est un de mes principaux traits... Pour donner 5 milliards à Renault ou 8 milliards à l’industrie aéronautique, il n’y a pas de prudence, mais s’il s’agit de donner aux femmes de ménage, il faut faire preuve de beaucoup de mesure, de patience et de prudence. Il me semble que ces femmes ont été très patientes au cours des dernières décennies. Je crains qu’elles ne doivent encore le rester, mais ce n’est pas parce que les gens ne se révoltent pas ou qu’ils n’ont pas de possibilité de pression auprès des ministères ou de l’Élysée, qu’il ne faut pas changer leurs conditions d’existence, lorsqu’on a l’occasion de le faire.

Il n’est pas vrai de dire que l’on reviendra avec une autre proposition de loi, si on laisse passer cette fenêtre d’opportunité. La crise du covid-19 a donné lieu, pour une fois, à des articles sur ces personnes. Six mois, deux ans passeront, et vous ne serez peut-être plus là. Aujourd’hui, il n’y a aucune autre proposition de loi sur la table. Si on avait critiqué la mienne en proposant un autre texte, je l’aurais examiné.

Madame Lecocq, je saisis l’ouverture que vous proposez. Vous dites que ces pratiques sont inacceptables et que vous rendrez obligatoire le travail en journée. Pourtant, ce n’est l’objet d’aucun de vos amendements. La stratégie de la majorité vise à vider le texte, à changer le titre, à prétendre qu’elle rédigera un autre texte sur le sujet. (Exclamations.) Il faut se détendre un peu.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous sommes d’accord !

M. le rapporteur. Je sais pour qui je suis là. Aujourd’hui, devant le comité social et économique d’Onet, Géraldine ne sait pas si elle obtiendra la prime covid-19 donnée aux personnes qui ont travaillé à l’hôpital d’Amiens. Une de ces femmes qui ont nettoyé les chambres s’est retrouvée en réanimation car elle a été contaminée. Géraldine, elle, se lève à 5 heures du matin, prend deux bus pour rejoindre l’université, fait de même au retour, et ainsi de suite. Alors, je veux bien me détendre, mais je sais pour qui je suis là. C’est une injustice criante. Je ne veux pas qu’elle soit euphémisée, ni repoussée à plus tard.

Je porte la voix de ces gens-là. Ce scandale social ne doit plus durer.

Mme Charlotte Lecocq. Comme vous, nous sommes là pour porter la voix des agents et des agentes d’entretien. Nous avons la même sensibilité et envie que celles que vous exposez. Comme vous, nous sommes représentants de la Nation et entendons jouer ce rôle. Je veux que nous parvenions à un débat constructif. Nous l’avons dit lors des auditions, nous poursuivons la même finalité. La question est de définir comment atteindre cet objectif, que tous les groupes partagent.

Essayons d’être constructifs, même si nous n’avons pas la même vision de la méthode. Cela vaut la peine de s’entendre, d’argumenter et de trouver des solutions consensuelles, sinon en commission du moins d’ici à la séance.

M. Aurélien Taché. Personne n’a le monopole de la défense des agents de propreté – je défends cette appellation, plutôt que « femmes de ménage », et soutiendrai un amendement en ce sens.

Il y a urgence à agir pour ces femmes, exploitées par de grands groupes hôteliers, et parfois en grève. Sur le fond, la proposition de M. Ruffin va dans le bon sens. Tout en laissant le temps aux entreprises de s’organiser, il faut, sans attendre, soutenir ces femmes, en grève, oubliées depuis trop longtemps. Mme Schiappa avait fait une déclaration pour engager des travaux sur ce sujet. Ils doivent maintenant aboutir car la crise a montré la nécessité de protéger ceux qui souffrent le plus et qui étaient en première ligne.

Mme Danièle Obono. Lors de l’examen des propositions de loi, la majorité exprime souvent un consensus, affirmant que nous avons tous et toutes le même objectif, celui de résoudre les problématiques posées. Pourtant, en fin de compte, les textes sont soit vidés de leur substance, soit rejetés, au motif que la majorité prépare un autre texte, bien meilleur, qui sera peut-être adopté un jour prochain, c’est-à-dire aux calendes grecques.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Obono, nous allons entamer la discussion des articles, non une nouvelle discussion générale. M. Taché s’est exprimé en tant que représentant d’un groupe, car il n’avait pas pu le faire auparavant.

Mme Danièle Obono. Je parlais justement des amendements qui vident le texte de sa substance. On nous explique ensuite qu’il faut travailler de manière constructive. Il y a une forme de violence à faire passer pour de la bienveillance la remise en cause totale d’un texte, d’une action que l’on devrait mener envers les personnes concernées, alors que c’est le contraire.

Notre responsabilité est d’agir. J’appuie donc les propos de mon collègue François Ruffin, y compris la passion qui l’anime. Des dizaines de personnes sont en grève depuis des mois. La réalité, c’est que vous n’avez rien fait, alors que vous aviez l’opportunité d’agir. C’est se foutre de la gueule du monde...

*

*     *

 

La commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er : Harmonisation des dispositions législatives, conventionnelles ou d’usage applicables aux salariés des entreprises utilisatrices et extérieures

La commission examine l’amendement AS8 du rapporteur.

M. le rapporteur. Quelle que soit la passion qui m’anime, peu m’importe que le texte adopté ne soit pas le mien. Mon souci est qu’il y ait du progrès pour les femmes de ménage, le plus rapidement possible. Je suis convaincu qu’il peut exister des convergences sur le but, mais les moyens mis en œuvre pour l’atteindre sont très insuffisants.

L’amendement vise à préciser que les dispositions légales, conventionnelles ou résultant de l’usage applicable aux salariés de l’entreprise utilisatrice ne sont applicables aux salariés des entreprises extérieures que « lorsqu’elles sont plus favorables ». Lorsque j’ai demandé quelles conventions collectives étaient moins favorables que celle du ménage, il m’a été répondu que celle du tourisme pouvait l’être. Nous apportons cette précision, alors que la situation ne se produira vraisemblablement pas.

Mme Michèle de Vaucouleurs. La précision est importante sur la forme, même si je ne partage toujours pas votre vision sur le fond de l’article.

M. Gaël Le Bohec. Comment envisagez-vous d’appliquer des conventions collectives différentes, en fonction des entreprises dans lesquelles ces salariés sont amenés à travailler ?

M. le rapporteur. Si une femme de ménage ou un agent d’entretien intervient un certain nombre d’heures à Sud Radio, la convention des entreprises de presse s’appliquera à raison du nombre d’heures travaillées. De ce fait, la personne aura la garantie d’un treizième mois sur la part du temps de travail consacré au ménage. Si elle fait le ménage à l’université, le soir, elle recevra de manière proportionnée les avantages liés au statut d’agent de l’université.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS10 du rapporteur.

La commission examine ensuite l’amendement AS9 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il vise, par une rédaction explicite, à s’assurer que les articles de la présente proposition de loi concerneront bien les institutions publiques – administrations, collectivités publiques, entreprises publiques.

Le secteur public doit jouer un rôle exemplaire car il représente 25 % du marché de la propreté. Si une internalisation est impulsée, non seulement dans l’administration centrale, les ministères, mais également dans les universités, les collèges, les lycées, elle peut être le moteur d’une transformation du métier. Les donneurs d’ordre publics portent donc une responsabilité particulière.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle rejette l’article 1er.

Article 1er bis (nouveau) : Obligation d’ouverture de négociations de branche en vue d’améliorer les conditions de travail des personnes recrutées dans le cadre d’une opération de sous-traitance

La commission examine l’amendement AS7 de Mme Charlotte Lecocq.

M. Gaël Le Bohec. Je remercie M. le rapporteur d’avoir choisi ce sujet pour cette niche. Dans son propos liminaire, il a mentionné la bonne volonté des directions d’entreprise, conscientes des problématiques, ainsi que l’expérience des pays nordiques. La Suède, notamment, est parvenue à de tels résultats car elle dispose d’une organisation interprofessionnelle très forte, Almega, qui a fixé des objectifs d’amélioration et travaillé à des avancées, en discutant avec les partenaires sociaux. L’amendement vise donc à poser le cadre des négociations entre entreprises, au sein des branches, avec l’ensemble des partenaires pour que les conditions de travail des salariés des entreprises sous-traitantes soient un vrai sujet, qu’il appartient aux partenaires sociaux de traiter par des accords collectifs.

M. le rapporteur. Dire que les syndicats patronaux et de salariés doivent se retrouver pour améliorer les choses, c’est bidon ! Cela fait vingt ans que l’on attend. Eux‑mêmes disent qu’ils n’y arrivent pas et en appellent à une loi. Et ceux qui doivent faire la loi disent qu’ils ne veulent pas avancer.

De plus, l’amendement fixe une obligation de moyens, non de résultats et d’amélioration des conditions de travail : il faut simplement pouvoir se retrouver autour d’une table. Le socle de garanties minimales, la durée de travail, la lutte contre le travail illégal relèvent de la partie législative, du code du travail, donc de notre responsabilité.

On a là une sous-syndicalisation évidente, des salariés hyper dominés, qui cumulent les fragilités et, point essentiel, qui ne peuvent pas intervenir auprès du donneur d’ordres. Si vous voulez modifier les conditions de travail des femmes de ménage de l’Assemblée nationale, c’est non pas la négociation entre le patron du groupe Europ Net et les salariés qui importe, mais celle entre le donneur d’ordre et le sous-traitant, dans laquelle les syndicats de l’Assemblée nationale n’ont pas la responsabilité d’intervenir.

Je ne dis pas cela pour pointer la situation à l’Assemblée nationale : c’est la même partout. Renvoyer aux négociations collectives, c’est repousser le problème. Vous avez alors la garantie que rien n’avancera, ni ne changera.

Aujourd’hui, alors que vous avez la responsabilité de faire la loi, vous préférez renvoyer le sujet à des négociations qui, de l’avis des intéressés, ne marchent pas. Les syndicats et les patrons que nous interrogeons le disent.

Avis défavorable.

Mme Charlotte Lecocq. Je souhaite réexpliquer pourquoi nous voulons passer par le dialogue social. Vous partez du principe que les acteurs concernés ne parviendront pas à négocier, sans préciser sur quoi vous vous fondez pour l’affirmer. Vous n’avez pas auditionné les organisations syndicales.

Il serait préférable de les sonder, pour voir comment le dialogue social fonctionne dans cette branche. Tous les ans, il y a des négociations sur la progression des rémunérations, notamment les plus bas salaires. On peut considérer que ces hausses ne sont pas assez fortes, mais des négociations annuelles existent tout de même. En ce moment, des négociations sont en cours, qui portent sur les classifications et les parcours de carrière.

Vos dispositions comptent sur le fait que les entreprises utilisatrices proposent de bonnes conditions. Mais si l’entreprise n’a pas de convention collective ou en a une mauvaise, l’agent qui interviendra en son sein n’obtiendra pas de conditions plus favorables. Nous souhaitons que tout le monde bénéficie de conditions plus favorables. C’est pourquoi nous faisons confiance aux partenaires sociaux, puisque, de notre point de vue, le dialogue social existe dans cette branche, et fonctionne, même si vous dites le contraire. On peut toujours l’améliorer, ou souhaiter qu’il soit plus représentatif.

Nous souhaitons donc que le dialogue existant soit reconnu, conforté et renforcé, afin que les avancées concernent tous les agents d’entretien. Cela n’exclut pas, comme l’évoquait Agnès Firmin Le Bodo, que le législateur puisse reprendre la main en cas d’échec. Mais fragiliser encore plus le dialogue social dans cette branche, c’est fragiliser les conditions de travail et de rémunération de l’ensemble des agents d’entretien.

Mme Danièle Obono. Après un grand bla-bla œcuménique, la majorité, qui a rejeté l’article 1er, se défausse de ses responsabilités par un article additionnel renvoyant le progrès à plus tard. Elle se rengorge des bienfaits du dialogue social, semblant ignorer les grèves de ces quatre dernières années, passant sous silence les mouvements liés à la réforme des retraites et les conséquences de la crise sanitaire. Les salariées de l’hôtel Ibis Batignolles tiennent encore le piquet après huit mois de conflit et remettent en cause la sous-traitance.

Si je vous ai interpellés avant l’examen des articles, c’est que je savais que vous rejetteriez les principaux articles de cette proposition de loi, avec bienveillance et esprit constructif... Vous vous distribuez des satisfecit, mais ces salariées, qui jouent un rôle fondamental dans la crise du covid, seront encore plus précarisées dans le contexte d’urgence sociale et économique que nous connaissons.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. C’est le monde à l’envers ! Les grands défenseurs du dialogue social voteront contre cet amendement, défendu par ceux qu’ils accusent d’ordinaire de nier, voire d’obstruer le dialogue social. Nous étions tous d’accord pour trouver cette proposition de loi intéressante, mais vous entendre dire qu’il faut passer outre le dialogue social, notamment en raison de l’urgence sanitaire, me choque.

M. Stéphane Viry. Il m’a d’abord semblé qu’il s’agissait d’un amendement de bonne conscience, qui dessinait une perspective tout en permettant de ne pas légiférer. Pour autant, on ne saurait le rejeter car il vise à mettre les acteurs autour de la table. Sans doute faudrait-il le border, s’agissant des délais et de l’obligation de résultats, afin que le rapporteur n’ait pas le sentiment que son texte est vidé de sa substance.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le moins que l’on puisse dire est que le dialogue social ne fonctionne pas très bien dans ce secteur ; l’amendement vise précisément à l’améliorer en imposant des engagements de la part du donneur d’ordre, un calendrier et la publicité de l’accord auprès des salariés.

Mme Carole Grandjean. Valoriser les métiers de la propreté fait l’objet d’un consensus. La branche rassemble les métiers dont les enjeux, en matière de formation, de protection sociale ou d’organisation du temps de travail, sont communs. Quoi de mieux que le dialogue social au sein d’une branche ? Nous défendons avec cet amendement la responsabilisation des acteurs, la confiance, l’exigence – sans paternalisme.

M. Gaël Le Bohec. Le rapporteur a expliqué qu’il faudrait prendre ce qu’il y a de meilleur dans chacune des conventions collectives : comment savoir si une convention qui prévoit cinq jours pour un enfant malade est préférable à celle qui n’impose que deux jours de carence ? Par ailleurs, vous regrettez, comme nous, le faible taux de syndicalisation. Passer outre la négociation collective, ainsi que vous le proposez, n’est pas la meilleure façon de donner envie aux salariés de se syndiquer !

M. Adrien Quatennens. Depuis le début de cette législature, le « dialogue social » est une expression fourre-tout qui vise à annihiler le rapport de force régissant toute négociation. Vous savez bien que les salariés ne pèsent pas le même poids que leur patron et que c’est bien souvent le pistolet sur la tempe qu’ils négocient. En tant que législateurs, nous devons assurer les conditions de la négociation, la baliser par la loi, et ne pas nous en remettre à un dialogue social, idéal trompeur dont nous savons pertinemment qu’il n’est pas opérant partout. Cet amendement sert tout bonnement à se donner bonne conscience, en transférant à d’autres ce qu’il revient au législateur de faire.

M. le rapporteur. Le rôle du législateur est d’assurer un socle minimum, permettant de garantir des conditions de travail et de rémunération dignes. Aujourd’hui, ce socle n’existe pas.

Si je dis que les négociations n’avancent pas, c’est parce que tout le monde le souligne, à commencer par le directeur de cabinet de Marlène Schiappa – je vous renvoie au compte rendu de son audition. Dans un avenant de 2014 à la convention collective nationale des entreprises de propreté, il est précisé que les signataires ont manifesté « la volonté de construire ensemble les conditions propres à augmenter la durée globale de travail des salariés à temps partiel et à inscrire la durée de 24 heures multi-employeurs comme un objectif à atteindre sous 5 ans ». Nous sommes en 2020, et la durée minimale est toujours de seize heures ! Vous proposez un nouveau calendrier, mais croyez-vous vraiment que celui-là permettra d’atteindre cet objectif ?

Monsieur Le Bohec, c’est dans le cahier des charges – la base de la négociation entre donneur d’ordre et sous-traitant – que figureront les points les plus favorables des conventions collectives.

Cet amendement consiste à évider mon texte et, dans une méthode à la Ponce Pilate, à renvoyer à la négociation – laquelle ne fonctionne pas, de l’aveu même des organisations syndicales et patronales. Il y a beaucoup de bonnes volontés à la tête des entreprises de nettoyage et chez les donneurs d’ordre, mais ils doivent pouvoir s’appuyer sur une base commune pour négocier, hors des pressions que constituent et la nécessité de réduire les dépenses publiques et celle d’augmenter les profits.

La commission adopte l’amendement.

Article 2 : Clause contractuelle obligatoire garantissant l’égalité salariale et l’égalité de traitement entre salariés d’une entreprise utilisatrice et salariés d’une entreprise extérieure

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS11 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Majoration de la rémunération des heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures dans les entreprises de nettoyage

La commission examine l’amendement AS12 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à préciser que les dispositions prévues à l’article 3 sont toujours plus favorables que celles prévues à la convention collective nationale des entreprises de propreté.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle rejette l’article 3.

Article 4 (nouveau) : Mise en place d’horaires de travail en journée et en continu pour les salariés à temps partiel des entreprises de sous-traitance, sauf si le donneur d’ordre refuse et sauf s’il existe une convention ou un accord collectif

La commission examine l’amendement AS6 de Mme Charlotte Lecocq.

Mme Charlotte Lecocq. Il est inacceptable que les agents d’entretien continuent de travailler selon des horaires décalés, au détriment de leur vie de famille, au motif que cela dérangerait les employés des donneurs d’ordre.

Cet amendement va plus loin que l’article 3, qui n’était qu’incitatif. Nous voulons qu’il devienne obligatoire pour l’employeur d’organiser les heures de travail de l’employé de façon continue en journée, entre 9 heures et 18 heures. Sans cela, les entreprises vertueuses perdront leurs marchés face à des concurrents offrant plus de souplesse aux donneurs d’ordre. Nous voulons soumettre tout le monde à la même obligation.

M. le, rapporteur. C’est une manière fallacieuse de présenter les choses ! Vous ne rendez pas obligatoire le travail en journée, vous obligez seulement le donneur d’ordre à motiver son refus ! Trois lignes dans le cahier des charges suffiront à écarter ce que vous présentez comme une obligation. C’est du bidon ! On parle des conditions de vie des gens, ne faites pas semblant de les améliorer avec cet artifice !

Pour avancer, il faut des sanctions ou des incitations, que cela se voie dans l’actif ou dans le passif du bilan comptable. Il faut que cela revienne cher aux entreprises de faire travailler les employés en horaires décalés ; or vous venez de rejeter l’article 3, qui visait à majorer de 50 % les heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures.

Mme Danièle Obono. Je ne comprends pas votre logique : vous défendez un amendement visant à imposer une obligation, parce que la discussion, selon vous, ne pourrait aboutir au même résultat, alors que vous avez tout juste rejeté les articles 1er et 3 au motif que le dialogue social était essentiel... En outre, vous qui chantez les louanges des conventions collectives, vous venez de voter contre un article qui, précisément, part du cadre négocié pour aller vers le mieux-disant. Vos arguments sont totalement hypocrites.

Votre seul dessein est de vider complètement ce texte de sa substance et d’éviter qu’il ne débouche sur une amélioration concrète des conditions de travail et de vie de ces salariés dont, de toute évidence, vous n’avez rien à faire.

Mme Charlotte Lecocq. Je ne peux pas laisser dire que cet amendement est bidon. L’horaire de travail doit désormais s’étendre entre 9 heures et 18 heures ; si le donneur d’ordre ne souhaite pas accorder ce bénéfice aux employés, il doit motiver son refus. C’est le même mécanisme que pour le télétravail.

Cet amendement portant article additionnel va plus loin que l’article 3, qui ne prévoit qu’une incitation financière – dont il faudrait prouver l’efficacité. Le donneur d’ordre devra réfléchir aux adaptations à apporter afin que les agents d’entretien puissent intervenir en journée. Je vous propose qu’ensemble, nous travaillions à renforcer cette obligation et à définir les motifs valables de refus.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’amendement va dans le bon sens. Dans la mesure où le donneur d’ordre devra motiver son refus, il faut laisser aux accords collectifs la possibilité de déterminer les circonstances qui empêcheraient de réaliser la prestation durant la journée. Dans ce cas, on pourrait imaginer que les heures effectuées entre 18 heures et 9 heures soient mieux rémunérées.

L’exposé sommaire évoque des expérimentations visant à tester la réalisation des prestations en présence des usagers des locaux. Savez-vous quels sont les retours ?

M. Stéphane Viry. Même si je comprends son intention, cet amendement pèche par naïveté et manque de réalisme. Pour des raisons de disponibilité des bureaux, les prestations doivent être effectuées dans des tranches horaires qui posent problème aux femmes de ménage, c’est ainsi. Par ailleurs, un donneur d’ordre pourra toujours motiver son refus.

M. le rapporteur. Je suis convaincu que vos intentions sont bonnes, mais ce que vous proposez ne fonctionne pas. D’abord, c’est « à défaut de convention ou d’accord collectif » qu’une telle disposition pourra s’appliquer. Or il existe déjà une convention qui permet de travailler sur ces tranches horaires. L’obligation de motiver le refus ne sera pas incitative puisqu’il suffira seulement de rédiger trois lignes.

J’espérais que ma proposition créerait un appel d’air et que toutes les bonnes volontés s’y engouffreraient, quitte à voir baisser le niveau de mes exigences. Mais là, nous atteignons le niveau zéro !

La commission adopte l’amendement.

Article 5 (nouveau) : Améliorer l’information des salariés sur leurs droits sociaux

La commission examine ensuite l’amendement AS4 de M. Guillaume Chiche.

M. Aurélien Taché. Il s’agit de lutter contre le non-recours aux droits, l’un des thèmes importants de cette législature, en prévoyant que, lors de l’entretien professionnel, les entreprises soient tenues de remettre aux salariés un récapitulatif de leurs droits sociaux.

M. le rapporteur. Que beaucoup de salariés d’entreprises de propreté méconnaissent leurs droits, et que leurs employeurs en profitent, est une évidence. Cela entraîne toute une série de dysfonctionnements. L’objet de ce texte est de s’attaquer au fonctionnement ordinaire de ce marché, qui est en lui-même anormal.

Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 1er

Elle est saisie de l’amendement AS1 de M. Guillaume Chiche.

M. Aurélien Taché. Dans une logique de coconstruction, nous voulons laisser une marge au dialogue social : dans un délai de six mois, les professionnels du secteur doivent prendre les dispositions nécessaires. À défaut, la loi s’appliquera.

M. le rapporteur. Je ne suis pas défavorable à un report de la loi de six mois s’il s’agit d’en améliorer les dispositions, mais il ne faut pas la faire dépendre du résultat des négociations. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

Article 6 (nouveau) : Rapport sur la situation des femmes de ménage intervenant dans les administrations et les collectivités publiques

Puis la commission examine l’amendement AS14 du rapporteur.

M. le rapporteur. Les donneurs d’ordre publics ont en la matière une responsabilité particulière. D’après la FEP, ils représentent environ 25 % du marché. Ils ont le devoir d’être exemplaires et de jouer un rôle de locomotive pour tirer vers le haut les conditions de travail. Je souhaite donc que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur la situation des femmes et des hommes de ménage intervenant dans les administrations et les collectivités publiques.

La commission adopte l’amendement.

Article 7 (nouveau) : Rapport sur la situation des femmes de ménage intervenant à l’Assemblée nationale

La commission examine ensuite l’amendement AS13 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je souhaite que les questeurs remettent un rapport annuel au Bureau de l’Assemblée nationale, qui sera transmis à l’ensemble des députés, sur la situation des femmes et des hommes de ménage intervenant au sein de l’institution. Je regrette de ne pas avoir pu les interroger sur les conditions de travail de ces personnels. C’était la moindre des choses, pour l’employeur, de venir s’en expliquer.

Mme Charlotte Lecocq. Je souhaite nuancer les propos de notre collègue. Les échanges ont été nombreux mais l’on voit bien que la joute prend un tour un peu personnel... Vous avez eu en effet toutes les informations nécessaires. Que la questure fournisse toutes ses données, très bien, nous voterons en faveur de votre amendement, mais la transparence est déjà au rendez-vous et toutes les informations sont déjà disponibles. Les auditions ont montré que l’Assemblée nationale est un client exemplaire qui cherche à améliorer les conditions et les horaires de travail des agents d’entretien.

Mme Danièle Obono. Je soutiens cet amendement et tant mieux si c’est aussi le cas de la majorité parlementaire car la situation des personnels et des femmes de ménage est particulièrement difficile après les perturbations liées au mouvement contre votre projet sur les retraites et suite à l’épidémie de covid-19, comme vous devez le savoir si vous avez l’occasion de les croiser et de discuter avec eux.

L’exigence d’exemplarité ne doit pas être seulement symbolique mais réelle et concrète : à l’Assemblée nationale, les meilleures conditions de travail et de rémunération doivent être garanties pour ces personnels essentiels.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Un rapport sur la situation de tous les salariés et les recours à la sous-traitance devrait déjà être disponible à l’Assemblée nationale mais si tel n’est pas le cas, ou s’il était incomplet, pourquoi en effet ne pas adopter cet amendement ?

La commission adopte l’amendement.

Titre

La commission examine, en discussion commune, l’amendement AS5 de M. Gaël Le Bohec et l’amendement AS2 de M. Guillaume Chiche.

M. Gaël Le Bohec. Le titre choisi par le rapporteur est assez stigmatisant et accusatoire. Or celui-ci a lui-même fait état, dans son propos liminaire, des bonnes volontés qui se manifestent dans ces milieux-là, que ce soit du côté des organisations syndicales, des salariés ou des entrepreneurs. Sur le fond, il est mal à propos et choquant d’accuser globalement ce secteur de maltraitance en liant directement sous-traitance et maltraitance. Les situations peuvent être tout à fait correctes – plans de prévention, partenariats entre les entreprises – et il est dès lors impossible de parler de maltraitance. Je propose donc de mieux formuler notre objectif commun : « Améliorer les conditions de travail des agents d’entretien ».

M. Aurélien Taché. Mon amendement vise également à changer le titre. Le groupe Écologie Démocratie Solidarité considère que la formule « femmes de ménage » a une connotation sexiste et qu’elle doit être remplacée par « Agentes et agents de propreté ». La reconnaissance du travail de ces femmes et de leur utilité sociale passe certes par un plus grand nombre de droits sociaux, par des salaires plus élevés, mais aussi par une forme de reconnaissance symbolique. La formule « Agentes et agents de propreté » nous semble plus respectueuse.

M. le rapporteur. Lorsque vous traversez une pelouse, vous écrasez des fourmis sans le vouloir. C’est la même chose qui se passe ici : personne ne veut maltraiter mais, in fine, la maltraitance est là. Ce n’est pas intentionnel mais ce sont des mécanismes qui s’appliquent, aboutissant à une maltraitance quasi généralisée.

Levez-vous à 4 heures du matin, prenez les transports en commun et venez ici pour travailler trois heures... Vous tous avez gagné plus en une heure et demie de travail en commission que les femmes de ménage qui se sont levées à 4 heures du matin et qui sont maintenant reparties ! C’est de la maltraitance et cela relève de notre responsabilité.

Je suis donc favorable au maintien de la notion de maltraitance. L’externalisation, l’outsourcing ont entraîné une très nette dégradation des conditions salariales et des horaires des agents et agentes d’entretien.

Le maintien de la féminisation du nom me semble également préférable. D’après les statistiques de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, les femmes représentent en l’occurrence 80 % des salariés. Je suis d’ailleurs également favorable à ce que l’on parle d’animatrices périscolaires ou d’accompagnantes d’enfants en situation de handicap. Qui plus est, l’essentiel du combat ne portera pas sur les mots.

J’ai reçu lundi, à ma permanence, Maryse qui m’a dit : « Je suis femme de ménage et je n’en ai pas honte. Je ne vais pas commencer à me cacher ! ». Dans Le Quai de Ouistreham, Florence Aubenas écrit : « [...] elle aime toujours ce moment, au repas du soir, où on se demande entre soi : "Et vous, quelle était votre profession ?". Très fort, Victoria fait claquer : "Femme de ménage !". Elle prend son air filou. "Je sais que je les emmerde quand je dis ça. J’aime bien." »

Je m’en remets également à la sagesse de Géraldine – l’une des personnes que j’ai citée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, qui se qualifie d’agente d’entretien – et à la sagesse de notre commission pour décider mais je pense quant à moi qu’il faut le souligner : ce métier est essentiellement féminin et c’est aussi pour cela que les salariées subissent une maltraitance. Il en est de même des assistantes maternelles ou des auxiliaires de vie sociale. Grosso modo, on considère que ce qui est effectué gratuitement dans la sphère familiale, avec un savoir-faire naturel, peut être transposé, peu rémunéré et négligé.

Par ailleurs, le rapport montre que ce métier réclame pas mal de compétences et une certaine endurance. Je ne suis pas favorable à l’effacement de la féminisation sémantique mais je m’en remets à vous.

Mme Danièle Obono. Je suis très opposée à ces changements de titre, qui reviendraient à vouloir modifier le réel et la façon de le comprendre.

Enlever le mot « maltraitance », c’est une manière de la nier. Si nous avons déposé cette proposition de loi, si sur les piquets de grève l’équation sous-traitance = maltraitance est reprise par les personnes concernées, c’est pour qu’il n’en soit pas ainsi ! Il faut partir de ce qu’elles disent pour améliorer leur quotidien ! Toutes les études qui sont menées depuis vingt ans le montrent : la dégradation des conditions de travail, du service, le développement des maladies nosocomiales à l’hôpital, les violences sexuelles et sexistes, les discriminations sont corrélés au développement de la sous-traitance. Cela ne signifie pas que les grands groupes ou le service public en soient exempts mais le système de sous-traitance génère particulièrement de la maltraitance. Le polissage des mots revient à euphémiser le réel.

Je suis également très favorable à la genrisation des termes, y compris sur le plan administratif. L’atténuer, c’est aussi une manière d’invisibiliser la réalité de ces métiers, très largement féminisés, les femmes s’identifiant de surcroît comme telles.

M. Gaël Le Bohec. J’ai bien compris que votre équation était sous-traitance = maltraitance mais j’ai aussi noté que le rapporteur a évoqué une maltraitance « quasi généralisée ». Parfois, la sous-traitance n’implique pas la maltraitance. Même si c’était l’exception – je pense au contraire que dans nombre d’endroits, les conditions sont très bonnes – il serait inadmissible qu’elle fasse les frais d’une telle assimilation.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Aucun de ces titres ne me convient parfaitement mais je ne suis pas favorable à l’idée de stigmatiser la sous-traitance en soi : même si la maltraitance y existe, elle n’est pas la règle.

Par ailleurs, j’aimerais que l’on mentionne « les agentes et les agents d’entretien », manière de reconnaître la juste place de chacun.

Mme Caroline Janvier. Certes, ce métier est très largement féminisé et cela soulève un certain nombre de problèmes spécifiques, mais maintenir la formule « femmes de ménage » revient non seulement à accepter cette situation mais à la généraliser. Comment voulez-vous que des hommes aient envie d’être qualifiés de « femmes de ménage » ? Cela revient à conforter l’inégalité et à stigmatiser un métier. Je suis donc assez favorable à l’amendement de M. Chiche remplaçant cette formule par « agentes et agents de propreté ».

La commission adopte l’amendement AS5.

En conséquence, l’amendement AS2 tombe.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est original, monsieur le rapporteur, de voter contre son propre texte, qui vient d’être adopté contre votre gré !

M. le rapporteur. Ne vous moquez pas de moi ! Vous ironisez : « Ce serait la première fois... » ...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai remarqué que vous aviez voté contre. Point final.

M. le rapporteur. Oui, j’ai voté contre ce texte !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Eh bien voilà ! C’est tout !

M. le rapporteur. « Vous votez contre votre propre texte », avez-vous dit : mais il ne faut pas se moquer de moi ! Que venez-vous de faire ? De vider mon texte de sa substance !

Il prévoyait deux mesures essentielles : la survalorisation des heures tôt le matin et tard le soir, et des conditions de salaires identiques à celles des salariés des entreprises sous‑traitantes. Or vous les avez virées l’une et l’autre ! En plus, vous avez changé le titre ! Il n’est plus question d’encadrement, de sous-traitance et de maltraitance. Et ce serait encore mon texte ? Vous avez tout éliminé ! Tels des Ponce Pilate, vous renvoyez tout à la négociation collective entre syndicats et patrons alors qu’elle n’avance pas ! Et je devrais selon vous défendre ce zéro absolu dans l’hémicycle comme s’il s’agissait de mon texte ? (M. François Ruffin martèle la table du poing à plusieurs reprises). Je parle avec colère parce que les gens continueront à se lever à 4 heures du matin pour venir travailler ici et être payés 10 euros de l’heure pour trois heures de travail ! Et vous laissez faire cela avec vos beaux mots, vos belles intentions et vos incantations !

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*     *

La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi. En conséquence, elle demande à lAssemblée nationale dadopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport (http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3013_texte-adopte-commission#).

 

 

 

 


([1])  Ce chiffre de 1,9 million de salariés exerçant à titre principal un métier du nettoyage, cité par la DARES, provient de l’enquête Emploi et est calculé sur une moyenne des années 2015, 2016 et 2017.

([2])  DARES analyses, « Les métiers du nettoyage : quels types d’emploi, quelles conditions de travail ? », septembre 2019, n° 043

https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_analyses-metiers_du_nettoyage.pdf

([3])  Jean-Michel Denis, « Dans le nettoyage, on ne fait pas du syndicalisme comme chez Renault », Politix, n° 85, 2009.

([4])  DARES, étude précitée.

([5])  Frédérique Barnier, « Emploi précaire, travail indigne : condition salariale moderne dans le nettoyage », Revue ¿ Interrogations ?, n° 12, Quoi de neuf dans le salariat ?, juin 2011

http://www.revue-interrogations.org/Emploi-precaire-travail-indigne

([6])  https://lecourrier.ch/2019/09/15/le-personnel-de-nettoyage-sort-de-lombre/

([7])  https://www.bastamag.net/Menace-chimique-pour-les-salarie-e

([8])  DARES, étude précitée.

([9])  https://emploi.belgique.be/sites/default/files/content/publications/FR/Nettoyeuses.pdf

([10])  « Covid-19 : invisible et essentielle, l’armée de l’ombre des hôpitaux », Le Monde, jeudi 16 avril 2020.

([11])  https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/covid19_entretien_locaux_de_travail_v080520.pdf

([12])  Fédération des entreprises de propreté, résultats de l’enquête réalisée du 27 mars au 15 avril 2020 auprès de 686 entreprises (TPE, PME, groupes) sur tout le territoire.

([13])  Étude de la DARES de septembre 2019 précitée.

([14])  Frédérique Barnier, article précité.

([15])  https://www.monde-proprete.com/sites/default/files/chiffres-cles-2019-le-monde-de-la-proprete.pdf

([16])  https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/etudes-et-syntheses/dares-analyses-dares-indicateurs-dares-resultats/article/le-travail-en-horaires-atypiques-quels-salaries-pour-quelle-organisation-du

([17])  https://www.monde-proprete.com/sites/default/files/chiffres-cles-2019-le-monde-de-la-proprete.pdf

([18])  Frédérique Barnier, article précité.

([19])  Intervention de M. François Ruffin lors de la discussion générale sur la proposition de loi de Mmes MarieGeorge Buffet et Huguette Bello et plusieurs de leurs collègues visant à lutter contre la précarité professionnelle des femmes.

([20])  http://www.inrs.fr/media?refINRS=TC%20166

([21])  https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2018-030.pdf

([22])  Frédérique Barnier, article précité.

([23])  https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2005-3-page-495.htm

([24])  Karine Vasselin, « Faire le ménage, de la condition domestique à la revendication d’une professionnalité », La Révolution des métiers, 2002.

([25])  Franck Bailly et François-Xavier Devetter, « Bas salaire et qualité de l’emploi dans les activités du nettoyage : quelle influence du statut juridique de l’employeur ? », juillet 2015.

([26])  https://www.monde-proprete.com/sites/default/files/chiffres-cles-2019-le-monde-de-la-proprete.pdf

([27])  Frédérique Barnier, article précité.

([28])  Conseil de la modernisation des politiques publiques, La révision générale des politiques publiques (RGPP), rapport présenté par M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, rapporteur général de la RGPP, 4 avril 2008.

([29])  RGPP, troisième rapport détape, février 2010.

([30])  « Propreté à l’hôpital, l’externalisation progresse lentement », magazine Services n° 220, mars-avril 2012.

([31]) Une indemnité différentielle est en effet systématiquement versée si le traitement indiciaire brut est inférieur au traitement indiciaire brut correspondant à l’indice majoré 309, soit 1 447,98 euros par mois.

([32])  Article L. 241-13 du code de la sécurité sociale.

([33])  Une indemnité différentielle est en effet systématiquement versée si le traitement indiciaire brut est inférieur au traitement indiciaire brut correspondant à l’indice majoré 309, soit 1 447,98 euros par mois.

([34])  Hervé Guichaoua, « Mode d’emploi pour la mise en cause du donneur d’ordre, du maître d’ouvrage et de tous autres dans le cadre du travail illégal et du dumping social. Faire respecter l’ordre public social », 3e édition, juillet 2019.

([35])  Observatoire économique de la commande publique, Guide sur les aspects sociaux de la commande publique, juillet 2018.

([36])  Fédération des entreprises de propreté, Chiffres clés 2019.

([37])  Franck Bailly et François-Xavier Devetter, article précité.

([38])  Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.

([39])  Jean-Michel Denis, « Dans le nettoyage, on ne fait pas du syndicalisme comme chez Renault », Politix n° 85, 2009/1.

([40])  Fédération des entreprises de propreté, Chiffres clés 2019.

([41])  Frédérique Barnier, article précité.

([42])  Jean-Michel Denis, « Conventions collectives : quelle protection pour les salariés précaires ? Le cas de la branche du nettoyage industriel », Travail et Emploi, DARES, 2008, pp. 45-56.

([43])  Jean-Michel Denis, « Asseoir la représentation sur la communauté de travail. À la recherche de la communauté perdue dans la branche de la propreté », Sociologie du travail, Elsevier Masson, 2018.

([44])  Jean-Michel Denis, « Dans le nettoyage, on ne fait pas du syndicalisme comme chez Renault », Politix n° 85, 2009/1.

([45])  Confédération française démocratique du travail (CFDT), Pour une sous-traitance responsable. Analyse et propositions, juin 2017.

([46]) https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/interview-marlene-schiappa-je-veux-defendre-les-femmes-de-chambre/

([47]) Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 - Avenant n° 3 du 5 mars 2014 relatif au temps partiel - Article 4.

([48])  Frédérique Barnier, « Emploi précaire, travail indigne : condition salariale moderne dans le nettoyage », Revue ¿ Interrogations ?, n° 12, Quoi de neuf dans le salariat ?, juin 2011.

([49])  Frédérique Barnier, op. cit.

([50])  Frédérique Barnier, op. cit.

([51])  Benjamin Kantorowicz, « Le statut des salariés mis à disposition », Les Cahiers Lamy du CE, n° 116, 1er juin 2012.

([52])  Une prime de 250 euros mensuelle est ainsi versée aux agents d’entretien fonctionnaires (catégorie C).

([53])  Les agents fonctionnaires recrutés par l’université bénéficient de 9,5 semaines de congés par an, contre 5 semaines pour les salariés des entreprises prestataires.

([54])  Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011. Deux autres conventions collectives régissent également les normes salariales d’une partie de la profession : la convention collective nationale de la manutention ferroviaire et travaux connexes et la convention collective régionale du nettoyage et manutention sur les aéroports.

([55])  Ministère du travail, La négociation collective en 2018, édition 2019.

([56])  Jean-Michel Denis, « Dans le nettoyage, on ne fait pas du syndicalisme comme chez Renault », Politix n° 85, 2009/1.

([57])  Jean-Michel Denis, ibid.

([58])  Exposé des motifs de la proposition de loi.

([59])  Comme il a été dit, il s’agit le plus souvent de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.

([60])  Convention collective nationale des organismes de tourisme du 5 février 1996.

([61])  Arrêté du 19 mars 1993 fixant, en application de l’article R. 4512-7 du code du travail, la liste des travaux dangereux pour lesquels il est établi par écrit un plan de prévention.

([62])  Agence régionale damélioration des conditions de travail (ARACT) dÎle-de-France, Guide de prévention des risques pour les professionnels du secteur de la propreté et du nettoyage, page 39.

([63])  Article 6.3.1 de la convention.

([64])  Article L. 3122-20 du code du travail.

([65])  Article 6.3.2 de la convention.

([66])  Articles 6.3.4 et 6.3.5 de la convention.

([67])  Article 6.3.6 de la convention.

([68])  Sauf volonté expresse du salarié.