—  1  —

N° 3050

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juin 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI

visant à exonérer de taxe sur la valeur ajoutée les masques de protection, ainsi que les gels hydroalcooliques et toute solution désinfectante en lien
avec la lutte contre l’épidémie de covid19,

(n° 3006)

PAR M. Éric STRAUMANN

Député

——

 

 

 Voir le numéro : 3006


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. L’apparition du Covid-19 est à l’origine d’une crise sanitaire d’ampleur mondiale             

A. un virus inconnu et dangereux

B. Le caractère largement inconnu de ce virus a conduit à mettre en place des mesures barrières rudimentaires             

1. Le confinement initial

2. Une liberté de circulation retrouvée qui implique de respecter des mesures sanitaires strictes, dont le port du masque et le lavage régulier des mains             

II. La nécessité de diffuser le plus largement possible les masques et gels hydro-alcooliques implique de les rendre accessible au plus grand nombre et à moindre coût             

A. le masque est rare

1. La doctrine gouvernementale sur la gestion du stock de masques a évolué lors de la dernière décennie             

2. À l’arrivée du virus Covid-19, la France ne possédait pas des masques en nombre suffisant             

B. le masque est cher

1. Le prix des masques, élevé du fait de la spéculation, est également soumis à la TVA, demeurée jusque récemment au taux maximal             

2. Des mesures ont été prises pour abaisser le prix des masques, mais elles sont encore insuffisantes             

a. L’import et les dons facilités

b. Le blocage des prix pour les seuls masques chirurgicaux

c. Une TVA simplement abaissée

C. Si les prix des solutions biocides ONT rapidement été encadréS, il s’agit d’un produit d’absolue nécessité qui ne doit pas souffrir d’une TVA             


TRAVAUX de la commission

Discussion générale

examen des articles

Article 1er : Suppression de la taxe sur la valeur ajoutée portant sur les opérations d’achat et de vente de masques de protection, de gels hydro-alcooliques et de solutions désinfectantes destinés à la lutte contre l’épidémie de Covid-19             

Article 2 : Rétablissement, au 1er mars 2022, de la taxe sur la valeur ajoutée portant sur les opérations d’achat et de vente de masques de protection,  de gels hydroalcooliques et de solutions désinfectantes destinés à la lutte contre l’épidémie de Covid-19             

Article 3 : Gage de la proposition de loi

ANNEXE : Personne auditionnée

 


—  1  —

Mesdames, Messieurs,

Le masque n’est pas nouveau : avant même les découvertes de Louis Pasteur, au milieu du XIXe siècle, on pensait que la contagion était causée par des « miasmes » présents dans l’air vicié. Les masques portés par les médecins de peste, au bec caractéristique, en témoignent.

Le masque est apparu sous sa forme moderne dans le milieu chirurgical, à la fin du XIXe siècle, lorsque chirurgien Jan Mikulicz-Radecki apprit d’un collègue bactériologiste de l’Université de Varsovie – alors en Prusse-Orientale – que les gouttelettes de salive regorgent de microbes vivants. Commençant à porter un masque lorsqu’il opérait, il devait constater que le nombre d’infections post-opératoires chez ses patients diminuait.

Le masque pour se protéger des personnes infectieuses dans un contexte épidémique ou pandémique se généralisa ensuite lors de l’épidémie de peste de 1910-1911 en Mandchourie, et surtout pendant la grippe dite « espagnole » de 1918‑1919 ([1]).

L’utilité du lavage des mains en milieu médical est, elle aussi, apparue à la fin du XIXe siècle ; elle est étroitement liée au renouveau de l’hygiène due à une meilleure maîtrise de l’eau.

Ces brefs éléments historiques mettent en relief le caractère quelque peu rudimentaire des mesures prescrites face à un virus inconnu, le Covid-19, qui bouleverse l’humanité, en 2020.

Face à l’absence de vaccin, et même de traitement, il convient d’éviter le virus. Pour cela, les mesures d’hygiène et de distanciation sont vitales.

Mais alors, comment expliquer que les éléments indispensables pour assurer cette hygiène soient taxés, auprès des consommateurs captifs ?

Comment la partie la plus fragile de la population sera-t-elle à même d’assumer ce coût supplémentaire car indispensable ?

Il nous apparaît donc légitime de supprimer temporairement la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) portant sur les masques, solutions hydroalcooliques et solutions désinfectantes.

C’est l’objet de la présente proposition de loi.


—  1  —

   Avant-propos

I.   L’apparition du Covid-19 est à l’origine d’une crise sanitaire d’ampleur mondiale

A.   un virus inconnu et dangereux

Le virus identifié en janvier 2020 en Chine, dans la province de Hubei, est un nouveau coronavirus SARS-CoV2. La maladie provoquée par ce coronavirus a été nommée Covid-19 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Depuis le 11 mars 2020, l’OMS qualifie la situation mondiale du Covid-19 de pandémie : l’épidémie est désormais mondiale.

Cette zoonose – maladie infectieuse des animaux qui se transmet à l’humain – est largement méconnue ; tout au plus sait-on qu’elle se transmet entre les individus par les postillons, c’est-à-dire via les éternuements et la toux. Il est donc considéré que des contacts étroits avec une personne infectée sont nécessaires pour transmettre la maladie. Un autre vecteur privilégié de transmission est le contact des mains non lavées avec le visage.  

Les symptômes du Covid-19 recoupent en partie ceux d’une infection respiratoire aiguë : fatigue, fièvre, douleurs musculaires, toux, difficultés respiratoires, notamment.

Les patients qui sont sujets à des maladies chroniques préexistantes ainsi que les personnes âgées sont plus susceptibles de développer des formes sévères, qui peuvent entraîner la mort.

Au 26 mai 2020, étaient confirmés 350 000 morts et 5 500 000 cas dans le monde. Ces chiffres sont considérés comme incomplets par la communauté scientifique et les statisticiens, eu égard à la difficulté d’une telle recension et à la volonté de certains pays de diminuer volontairement leurs statistiques.

B.   Le caractère largement inconnu de ce virus a conduit à mettre en place des mesures barrières rudimentaires

1.   Le confinement initial

Confrontées à un syndrome viral très contagieux et méconnu, dont le nombre de cas pathologiques lourds peut rapidement submerger les systèmes de santé, un grand nombre de nations ont choisi de limiter strictement la liberté d’aller et de venir de leur population.

C’est ainsi qu’a été décrété ([2]), à compter du 17 mars 2020, le confinement de la population française, destiné à contenir la progression de la maladie dans notre pays : tout déplacement hors de son domicile, sous réserve de quelques exceptions, a été interdit.

Puis, la loi du 23 mars 2020 ([3]) a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une période de deux mois. 

Le décret du 14 avril 2020 a prévu la fin du confinement généralisé de la population, qui est intervenue le 11 mai 2020 ([4]).

2.   Une liberté de circulation retrouvée qui implique de respecter des mesures sanitaires strictes, dont le port du masque et le lavage régulier des mains

« Les conseils de santé publique pour éviter les syndromes respiratoires sont largement inchangés depuis la grippe espagnole de 1918 (…) garder une distance de sécurité vis-à-vis des autres » ([5]).

Les enjeux, en matière de propagation du Covid-19, sont affaires de mécanique des fluides : comment les gouttelettes se forment, sont transportées, infectent les autres ; comment, surtout, les masques anti-projections peuvent les arrêter. 

En effet, en l’absence de mesures de contrôle et de prévention, chaque patient infecte entre 2 et 3 personnes : le rôle des masques de protection est donc de prévenir la transmission aéroportée par voie respiratoire du virus, qu’elle soit par gouttelettes – qui entrent en contact avec les muqueuses – ou par aérosols, inhalées par l’hôte.

Deux types de masques existent : les masques de soin – dits « chirurgicaux » – et les masques de protection respiratoire.

L’objectif du masque chirurgical est de piéger les gouttelettes de salive ou de sécrétions des voies aériennes supérieures émises lors de la toux, la parole ou l’éternuement d’un sujet infecté. Porté par un soignant, il protège le patient, le champ opératoire et le matériel. Il peut également protéger celui qui le porte contre une infection transmissible par voie de gouttelettes ([6]).

L’objectif du masque de protection respiratoire – dont le masque FFP2 – est, quant à lui, de protéger celui qui le porte contre l’inhalation d’agents infectieux transmissibles par voie aérienne. Il peut également protéger contre les projections de gouttelettes.

Dans les deux cas, les masques ont une durée de vie limitée : le masque chirurgical possède une durée de vie de 8 heures quand celle du masque de protection respiratoire n’excède pas 4 heures ; ils sont tous deux à usage unique. Ce caractère périssable explique les volumes considérables qui sont nécessaires au ravitaillement de la population.

Les bénéfices du masque le rendent donc, à l’instar des gels et solutions hydroalcooliques (v. infra), absolument indispensable ; il s’agit donc de le rendre accessible le plus largement possible.

II.   La nécessité de diffuser le plus largement possible les masques et gels hydro-alcooliques implique de les rendre accessible au plus grand nombre et à moindre coût

A.   le masque est rare

1.   La doctrine gouvernementale sur la gestion du stock de masques a évolué lors de la dernière décennie

Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a été saisi le 27 avril 2010 par le directeur général de la santé s’agissant de la stratégie à adopter vis-à-vis du stock État de masques respiratoires.

Il était demandé au HCSP, en prenant en compte les modélisations disponibles ou en cours de réalisation, ainsi que l’évolution des connaissances sur l’efficacité des différents types de masques en contexte d’épidémie ou de pandémie :

« – de proposer des indications de port de différents moyens de protection respiratoire en fonction des situations personnelles, professionnelles, environnementales envisageables (malades, professionnels de santé, salariés, public) ;

« – de définir le ou les types de masques devant constituer le stock État (FFP2, masques chirurgicaux, etc.) ;

« – d’émettre des recommandations pour déterminer un dimensionnement de ces stocks (basé sur les populations cibles, la durée de port envisageable, la dynamique d’une pandémie grippale ou autre situation épidémique justifiant des mesures barrières, les capacités de production, etc.). »

Les observations du HCSP sont éloquentes.

Il a été ainsi précisé que « La situation en matière de risque d'épidémie majeure ou de pandémie liée à un agent infectieux transmissible par voie respiratoire hautement pathogène reste inchangée. Les événements des dernières années ont montré que la nature de l'agent émergent ne pouvait pas toujours être anticipée. »

Et le HCSP de rappeler que « Dans le contexte d'un risque élevé tel que le SRAS, la revue systématique d'études observationnelles suggère une efficacité préventive élevée des masques anti-projection et des appareils de protection respiratoire. »

En conclusion, le HCSP préconisait, concernant la capacité de production de masques en situation d’épidémie liée à un agent respiratoire hautement pathogène :

« – d’évaluer auprès des fabricants les capacités de fabrication et d'approvisionnement en période épidémique, dans un contexte où la demande internationale pourrait être élevée ;

« – en fonction de celles-ci, de définir une durée minimale que le stock permanent devra couvrir en attente d'approvisionnement complémentaire ;

« – si cette durée devait être limitée (par exemple, stock permanent pour un mois) et pour anticiper un risque de rupture, d'envisager la possibilité de restreindre pendant une période l’usage des masques anti-projections du stock
ʺÉtatʺ aux seuls cas suspects, possibles ou confirmés. » ([7])

Cette année-là, en 2011, le stock national était constitué d’un milliard de masques chirurgicaux et de 700 millions de masques de protection respiratoire FFP2.

Les stocks ont ensuite entamé une lente décrue.

Le sénateur Francis Delattre, dans un éclairant rapport de juillet 2015, soulignait : « Les subventions versées par l'État et l'assurance maladie à l'EPRUS ([8]) ont sensiblement baissé (25,8 millions d'euros en 2015, soit - 56 % par rapport à 2011) en raison de la mobilisation du fonds de roulement de l'établissement, hérité de la crise de la grippe A H1/N1, de la rationalisation des dépenses mais aussi de l'inflexion de la politique de renouvellement des stocks mise en œuvre par le ministre chargé de la santé. » ([9])

Aussi, la France ne disposait-elle pas, en janvier 2020, d’un stock de masques suffisant pour affronter l’épidémie de Covid-19.

2.   À l’arrivée du virus Covid-19, la France ne possédait pas des masques en nombre suffisant

« Quels que soient les processus de décision ayant conduit à ce que ces stocks ne soient pas renouvelés dans la durée, toujours est-il que ces stocks de masques se sont réduits année après année. De sorte, que lorsque le COVID est apparu, il ne restait qu'un stock d’État de 117 millions de masques chirurgicaux pour adultes et aucun stock stratégique d’État de masques FFP2. » ([10])

L’article 1er du décret du 13 mars 2020 ([11]) disposait que :

« I.- Eu égard à la nature de la situation sanitaire et afin d'en assurer la disponibilité ainsi qu'un accès prioritaire aux professionnels de santé et aux patients dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19, sont réquisitionnés, jusqu'au 31 mai 2020 :

1° Les stocks de masques de protection respiratoire de types FFP2, FFP3, N95, N99, N100, P95, P99, P100, R95, R99, R100 détenus par toute personne morale de droit public ou de droit privé ;

2° Les stocks de masques anti-projections respectant la norme EN 14683 détenus par les entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution.

II.- Les masques de protection respiratoire de types FFP2, FFP3, N95, N99, N100, P95, P99, P100, R95, R99, R100 et les masques anti-projections respectant la norme EN 14683 produits entre la publication du présent décret et le 31 mai 2020 sont réquisitionnés, aux mêmes fins, jusqu'à cette date. »

Cette réquisition ne valait que pour les stocks déjà présents en France. En conséquence, les stocks fabriqués à l’étranger et importés en France n’étaient initialement pas concernés, jusqu’à un décret du 20 mars 2020 ([12]), qui a prévu que toute importation supérieure à 5 millions de masques sur une période glissante de 3 mois devra être déclarée à l’État, et pourra faire l’objet d’une réquisition totale ou partielle ([13]). 

Comme a pu le déclarer le président Damien Abad dès la séance de questions au Gouvernement du 19 mars 2020 : « les masques manquent » ([14]) .

À la séance suivante, notre collègue Virginie Duby-Muller constatait : « Notre pays manque cruellement aussi de masques de protection. L’heure n’est pas à la polémique ; le temps du bilan viendra. Ma question est simple : comment sommes-nous passés de 1,4 milliard de masques en 2012 à seulement 145 millions lors de la prise de fonctions d’Olivier Véran ? Avec un temps de retard, vous commencez cette semaine à livrer de nouveaux masques, mais le coronavirus ne vous a pas attendu. » ([15])

Le ministre des solidarités et de la santé avait l’occasion de répondre lors de la séance du 31 mars 2020 où il déclara : « Nous continuons de réguler le déstockage de masques en fonction des besoins exprimés dans les territoires, au fur et à mesure des livraisons – 1,7 milliard de masques ont été commandés en France et à l’étranger » ([16]), soulignant ainsi un point crucial, à savoir la dépendance française aux achats de masques à l’étranger.

Cette dépendance française se répercute mécaniquement dans le prix du masque.

B.   le masque est cher

1.   Le prix des masques, élevé du fait de la spéculation, est également soumis à la TVA, demeurée jusque récemment au taux maximal

Le prix de ventes des gels et solutions hydroalcooliques a été encadré le 5 mars 2020, pour éviter la spéculation ([17]) (v. infra).

Le choix du blocage des prix n’a pas été effectué, ni le 5 mars 2020 ni depuis, pour les masques : eu égard aux difficultés d’approvisionnement immédiates du territoire national, un blocage des prix n’aurait pas incité le secteur privé à réorienter une éventuelle production ou à en importer de manière massive.

Cette absence de blocage des prix, si elle n’a eu qu’un impact marginal sur l’approvisionnement de masques, a eu un effet, lui, tout à fait certain sur la hausse des prix pratiqués. 

Un grand journal du soir pouvait ainsi constater, dans son édition du 2 mars 2020 – c’est-à-dire avant même que le Gouvernement n’en recommande le port –, qu’« En temps normal, le prix des masques chirurgicaux varie entre 20 et 50 centimes l’unité, mais depuis le début de l’épidémie coronavirus, celui-ci s’est envolé et peut même tripler. Les masques de protection respiratoire de type FFP sont plus chers : pour les modèles FFP2, les prix varient entre quelques euros et 20 euros l’unité en moyenne ; pour les modèles FFP3, il faut débourser plusieurs dizaines d’euros l’unité. À l’instar des masques chirurgicaux, les masques de protection FFP subissent des hausses de prix considérables depuis le début de l’épidémie de Covid-19. » ([18])  

Ces prix en hausse étaient affectés d’un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20 %, accroissant encore le coût des dispositifs de protection pour les consommateurs captifs.

2.   Des mesures ont été prises pour abaisser le prix des masques, mais elles sont encore insuffisantes

a.   L’import et les dons facilités

En premier lieu, et conformément aux dispositions du 3° du 2 du IV de l’article 206 de l’annexe II du code général des impôts (CGI), n’est en principe pas déductible la taxe ayant grevé des biens cédés sans rémunération, ou moyennant une rémunération très inférieure à leur prix normal, notamment à titre de cadeaux ou de dons.

Il s’ensuit que si lors de leur acquisition, les biens ou les éléments le composant ont donné lieu à une déduction totale ou partielle parce qu’ils étaient destinés à une opération ouvrant droit à déduction, alors leur remise gratuite rend exigible l’imposition d’une livraison à soi-même du bien, en application du 1° du II de l’article 257 du CGI ; la taxe résultant de cette imposition n’est pas déductible.

Néanmoins, aux termes de l’article 273 septies D du CGI, aucune régularisation de la taxe initialement déduite n’a à être opérée pour les invendus alimentaires et non alimentaires neufs qui ont été donnés aux associations reconnues d’utilité publique présentant un intérêt général de caractère humanitaire, éducatif, social ou charitable.

Dans l’esprit de cette disposition, il a été admis par le ministre de l’économie et des finances ainsi que celui de l’action et des comptes publics ([19]), d’en étendre le bénéfice aux dons de matériels sanitaires – masques, gels et solutions hydroalcooliques, tenues de protection et respirateurs – fabriqués, achetés, ayant fait l’objet d’une acquisition intracommunautaire ou d’une importation, effectués à compter du 1er mars 2020 par les entreprises au profit d’établissements de santé mentionnés aux 6° et 7° de l’article L. 6111-1 du code de la santé publique, d’établissements de santé mentionnés aux 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, de professionnels de santé mentionnés au 1° du 4 de l’article 261 du CGI, ainsi que des services de l’État et des collectivités territoriales.

Cette tolérance s’applique y compris lorsque ces matériels sont acquis dans la perspective d’un don ; la dispense de régularisation vaut dispense de taxation de la livraison à soi-même.

En second lieu, l’import de masques en France est normalement soumis à des droits de douane qui s’élèvent à 6,3 %.

La Commission européenne, par décision du 3 avril 2020, a considéré qu’il « y a lieu d’octroyer la franchise des droits à l’importation et l’exonération de la TVA aux importations effectuée à compter du 30 janvier 2020 », et ce jusqu’au 31 juillet 2020 ([20]).

Ainsi, l’importation de masques est actuellement réalisée en franchise de droits et taxes.

b.   Le blocage des prix pour les seuls masques chirurgicaux

Un décret du 2 mai 2020 ([21]) a plafonné à 95 centimes d’euros le prix des seuls masques de type chirurgical à usage unique répondant à la définition de dispositifs médicaux.

Un magazine d’une association de défense des consommateurs a constaté, à cette occasion, que le prix de 95 centimes était « exorbitant » car dix fois supérieur aux prix pratiqués avant la crise sanitaire ([22]).

Le prix des masques alternatifs « grand public » – qui doivent devenir la règle selon les pouvoirs publics – n’est, lui, pas plafonné.

c.   Une TVA simplement abaissée

La deuxième loi de finances rectificative pour 2020 a abaissé la TVA des masques et tenues de protection à 5,5 % ([23]), et a prévu l’application de cette baisse aux livraisons et acquisitions intervenues à compter du 24 mars 2020.

Si cette baisse est à saluer, elle n’est pas pleinement satisfaisante.


C.   Si les prix des solutions biocides ONT rapidement été encadréS, il s’agit d’un produit d’absolue nécessité qui ne doit pas souffrir d’une TVA

La problématique des solutions hydro-alcooliques est différente de celle des masques, puisque les capacités de production française sont de nature à éviter une pénurie. Il s’agissait donc, pour le Gouvernement, de limiter la spéculation : c’est ainsi qu’un blocage des prix a été rapidement décidé.

Dans un premier temps, le prix des solutions biocides a été encadré le 5 mars 2020 ([24]), jusqu’au 31 mai 2020. L’article 14 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 a légèrement modifié l’encadrement des prix de vente (et prévu un coefficient de majoration pour les produits préparés par les pharmacies d’officine), de même qu’il n’a plus fixé de terme à cet encadrement ([25]).

prix de vente maximal TTC, au détail, des gels hydro-alcooliques

Volume

Prix de vente maximaux du 5 mars au 11 mai 2020

Prix de vente maximaux à partir du 12 mai 2020

50 ml ou moins

40 € par litre, soit un prix unitaire par flacon de 500 ml maximum de 2 € TTC

35,17 € par litre, soit un prix unitaire par flacon de 500 ml maximum de 1,76 € TTC

Plus de 50 ml, jusqu’à 100 ml inclus

30 € TTC par litre, soit un prix unitaire par flacon de 100 ml maximum de 3 € TTC

26,38 € TTC par litre, soit un prix unitaire par flacon de 100 ml maximum de 2,64 € TTC

Plus de 100 ml, jusqu’à 300 ml inclus

16,70 € TTC par litre, soit un prix unitaire par flacon de 300 ml maximum de 5 euros TTC

14,68 € TTC par litre, soit un prix unitaire par flacon de 300 ml maximum de 4,40 euros TTC

Plus de 300 ml

15 € TTC par litre, soit un prix unitaire par flacon d’un litre maximum de 15 € TTC

13,19 € TTC par litre, soit un prix unitaire par flacon d’un litre maximum de 13,19 € TTC

Source : Décret n° 2020-197 du 5 mars 2020 relatif aux prix de vente des gels hydro-alcooliques., article 1er, repris ensuite dans le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, article 11.

Dans un second temps, dans la deuxième loi de finances rectificative pour 2020, après une discussion au cours de laquelle le Gouvernement a finalement accepté de soutenir un amendement parlementaire en ce sens, la TVA portant sur les produits destinés à l’hygiène corporelle et adaptés à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 a été abaissée, passant de 20 % à 5,5 % ([26]).

*

*     *

Les mesures prises pour bloquer – partiellement – les prix et abaisser la TVA tombent sous le coup du bon sens eu égard au caractère vital, pour les Français, des produits sur lesquelles elles portent.

Pour autant, elles demeurent insuffisantes.

À notre sens, il convient de supprimer purement la TVA qui porte sur les masques et les solutions biocides destinés à la lutte contre le Covid-19.

C’est l’objet de la présente proposition de loi.


—  1  —

   TRAVAUX de la commission

   Discussion générale

 

M. le président Éric Woerth. L’exonération de taxe sur la valeur ajoutée des masques de protection et des gels hydroalcooliques a déjà été prise dans plusieurs États européens, et la Commission européenne a estimé qu’elle était conforme au droit européen dès lors que son application était limitée dans le temps.

M. Éric Straumann, rapporteur. Dans son adresse aux Français du 12 mars 2020, la première consacrée au coronavirus, le Président de la République avait énoncé : « Je compte sur vous pour respecter les consignes qui sont et seront données par les autorités, et en particulier ces fameux gestes barrières contre le virus. Elles sont, aujourd’hui encore, trop peu appliquées. Cela veut dire se laver les mains suffisamment longtemps avec du savon ou avec des gels hydroalcooliques. Cela veut dire saluer sans embrasser ou serrer la main pour ne pas transmettre le virus. Cela veut dire se tenir à distance d’un mètre. Ces gestes peuvent vous paraître anodins. Ils sauvent des vies. C’est pourquoi, mes chers compatriotes, je vous appelle solennellement à les adopter. »

Ces gestes sont, depuis lors, entrés dans notre quotidien. Pour limiter la propagation d’une épidémie, il faut que toute la population les adopte, ce qui suppose qu’elle soit en mesure de le faire, et c’est précisément ce à quoi les auteurs de cette proposition de loi entendent contribuer.

Le nouveau coronavirus a été identifié en janvier 2020 en Chine et la maladie qu’il provoque a été nommée covid-19 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a qualifié la situation de pandémie dès le 11 mars.

Le virus n’a pas encore révélé tous ses secrets. Face à l’absence de vaccin et de traitement, s’en protéger c’est l’éviter. Les mesures d’hygiène et de distanciation sociale sont donc littéralement vitales. Dès lors, comment expliquer que des éléments indispensables pour assurer cette hygiène soient taxés auprès de consommateurs captifs ? La partie la plus fragile de notre population doit être à même d’assumer ce coût supplémentaire.

C’est pour ces raisons qu’il nous paraît légitime de supprimer temporairement la TVA sur les masques et les solutions hydroalcooliques et désinfectantes jusqu’à la fin de l’année 2021.

Une disposition de la loi de finances rectificative d’avril dernier a fait passer le taux de TVA de 20 % à 5,5 %, ce qui était un bon début. Le groupe Les Républicains avait néanmoins déposé plusieurs amendements tendant à une suppression de la taxe. Il n’est pas acceptable que nos concitoyens aient à supporter un impôt sur ces biens indispensables. L’État ne doit pas monétiser la santé de nos concitoyens.

La liberté de circulation retrouvée rend les masques et les gels encore plus nécessaires. La commission spécialisée sur les maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique énonçait dès 2011 : « Dans le contexte d’un risque élevé tel que le SRAS, la revue systématique d’études observationnelles suggère une efficacité préventive élevée des masques anti-projection et des appareils de protection respiratoire. » Ce sont en effet ces masques respiratoires ou chirurgicaux qui nous protègent et protègent les autres contre les projections de gouttelettes, quoi qu’ait pu dire le Gouvernement à ce sujet au début de l’épidémie.

Or le prix de ces masques a explosé depuis le début de la crise sanitaire. Le plafond du prix des seuls masques chirurgicaux a été fixé à 95 centimes, soit un niveau dix fois supérieur à celui constaté avant la crise. Quant aux gels, ils tuent les bactéries des mains, autre vecteur important du virus.

Le texte vise donc à la fois à défendre le pouvoir d’achat et à répondre à un enjeu de santé publique.

Certains d’entre vous m’opposeront probablement que la disposition n’est pas conforme au droit européen, qui encadre strictement le taux de TVA. Il est des situations où, heureusement, la politique retrouve son empire sur le juridisme. Plusieurs de nos voisins ont déjà fait le choix de supprimer temporairement la TVA sur ces équipements de protection – le Royaume-Uni, l’Autriche et les Pays-Bas. La Commission européenne serait mal avisée politiquement de s’opposer à cette entorse temporaire visant à protéger la santé des citoyens de l’Union européenne. Cette analyse m’a été confirmée hier par notre représentant permanent auprès de l’Union européenne, M. Léglise-Costa. L’argument juridique n’est donc pas recevable, et les Français ne comprendraient pas que vous vous opposiez au vote de cette proposition.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Nous avons eu ce débat lors de la discussion du deuxième projet de loi de finances rectificative en avril. Le taux de 5,5 % que j’avais proposé et que Mme Pires Beaune avait également défendu pour les équipements de protection individuelle et les solutions hydroalcooliques n’a pas été choisi par hasard. Il représentait déjà une baisse significative – 14,5 points –, une réelle avancée, et c’était, aux yeux de la plupart d’entre nous, un compromis acceptable au regard de l’exigence de sécurité juridique.

Un taux inférieur à 5,5 % eût été non conforme au droit européen. Il est possible, comme vous l’affirmez, que la Commission européenne ne sanctionne pas la France pour avoir fixé un taux nul, puisque vous avez mentionné des pays qui l’ont fait sans être rappelés à l’ordre, sans doute parce qu’il s’agit d’une mesure très temporaire. Il ne me semble toutefois pas nécessaire d’aller jusque-là. Le taux de 2,1 % appliqué à certains médicaments remboursés par la sécurité sociale avait également été proposé, mais celui de 5,5 % me paraît satisfaisant, même si je comprends bien l’enjeu de votre proposition.

M. Daniel Labaronne. Cette question importante du prix des masques et des gels hydroalcooliques, le Gouvernement et la majorité parlementaire s’en sont saisis dès le début de la crise afin de permettre aux Français d’obtenir ces produits à un prix convenable. Je rappelle que le prix de vente du gel hydroalcoolique et celui des masques chirurgicaux ont été plafonnés presque immédiatement, qu’un prix de référence a été communiqué s’agissant des masques réutilisables, et que le taux de TVA sur ces produits a été porté à 5,5 % entre le 24 mars 2020 et le 31 décembre 2021 grâce à des amendements parlementaires adoptés lors de l’examen du deuxième collectif budgétaire.

En outre, depuis le 13 avril dernier l’État prend à sa charge, à hauteur de 50 %, les masques que les collectivités territoriales distribuent à leurs habitants ; actuellement, un masque sur deux est distribué gratuitement.

Le Gouvernement a donc agi en responsabilité, et nos concitoyens sont désormais en mesure de se procurer des masques et du gel en quantité suffisante et à un prix très raisonnable.

Le principal enjeu autour des matériels de protection est non plus de baisser encore le taux de TVA qui leur est appliqué, mais de détecter et de sanctionner les fraudes et arnaques sur ces produits. Face à ces comportements, l’action des pouvoirs publics a permis un accroissement des contrôles tout à fait significatif.

Si l’objectif de votre proposition de loi est louable, nous estimons qu’elle n’apporte pas les réponses adéquates. Une baisse de la TVA sur les masques et les gels aurait un impact très faible sur leur prix. La méthode utilisée par le Gouvernement est la bonne, elle a donné des résultats satisfaisants : les prix constatés en Autriche, par exemple, où la TVA a été supprimée, se situent dans la même moyenne que ceux constatés en France. Enfin, cette mesure ne répondrait pas au problème majeur, qui est celui de la fraude et des arnaques. C’est pourquoi nous appelons à voter contre ce texte.

M. Marc Le Fur. Chers collègues de la majorité, votre gouvernement a totalement échoué sur la gestion des masques au début de la crise : il n’y avait pas de stocks stratégiques ; on nous a assuré que leur port n’était pas nécessaire avant d’affirmer le contraire.

Dans un premier temps, vous n’avez pas accepté la baisse de la TVA : le combat a été difficile, rythmé par des suspensions de séance, monsieur le rapporteur général, rappelez-vous ! Plusieurs d’entre nous avaient d’ailleurs déjà proposé un taux de TVA nul, et un taux de 2,1 % dans un amendement de repli. Votre seul argument a été de nous opposer l’obstacle du droit européen. Or les exemples donnés par notre rapporteur montrent que cette contrainte est fictive : l’Europe, heureusement, a évolué, tant sur les fonds budgétaires – et je sais gré au Président de la République d’y avoir grandement contribué – qu’au plan réglementaire. Saisissons donc cette opportunité en portant la TVA à 0 %.

Le taux de TVA est le reflet du caractère indispensable d’un produit ; il est donc moins élevé sur l’alimentation que sur l’automobile. Les masques étant plus qu’essentiels, il est justifié de leur appliquer un taux nul, d’autant plus que, prudents et raisonnables, nous proposons une application d’une durée limitée.

Chers collègues de la majorité, je constate avec regret que vous refusez toutes les propositions de loi que le groupe Les Républicains a présentées ce matin, alors que nous avons su faire preuve d’un esprit de responsabilité en votant plusieurs de vos textes.

M. Bruno Duvergé. La proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains n’est plus tout à fait appropriée à la situation sanitaire, qui a évolué ces dernières semaines.

Tout le monde ici sait quel délai sépare le dépôt d’un texte de son examen. La présente proposition de loi a été rédigée à un moment critique de la pandémie de covid-19 où il était bien plus difficile qu’aujourd’hui de se procurer masques et solutions hydroalcooliques. L’évolution favorable de la situation, sans rendre ce texte caduc, fait apparaître plusieurs éléments de l’exposé des motifs comme inactuels. Si au début de la période de confinement la pénurie de masques et de gel a donné lieu à quelques flambées de prix tout aussi sporadiques que scandaleuses, ceux-ci ont ensuite connu une harmonisation, puis une baisse.

Depuis plusieurs semaines, le prix des masques chirurgicaux s’est stabilisé pour ensuite diminuer, du fait de la concurrence et d’une offre bien plus importante. La secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher avait annoncé, il y a un mois, le plafonnement de ce prix à 95 centimes ; le prix moyen constaté est à présent de 65 centimes l’unité. Je prends l’exemple du masque chirurgical parce que c’est le matériel de protection qui a suscité la plus forte demande et qui, parce qu’il était réservé en priorité aux personnels de santé, était le moins accessible à nos concitoyens au début de la pandémie.

L’expérience nous a montré que la baisse du taux de TVA n’est jamais intégralement répercutée sur les prix. Le plus souvent, le premier bénéficiaire est donc, non pas le consommateur, mais le vendeur. Il ne me semble pas que la situation des pharmaciens et de la grande distribution justifie une telle disposition. En outre, une exonération totale de TVA constituerait un manque à gagner pour les finances publiques, déjà cruellement mises à mal par la crise.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ne votera pas ce texte.

Mme Claudia Rouaux. Pour le groupe Socialistes et apparentés, qui avait demandé que les familles les plus démunies puissent se procurer gratuitement les matériels de protection contre le virus, cette proposition de loi va dans le bon sens.

L’évitement constaté dans les transports en commun parisiens est sans doute dû en partie au manque de moyens des personnes aux revenus les plus modestes, et nous regrettons qu’une réflexion n’ait pas été menée sur ce sujet.

Parce que ce texte aura pour effet une baisse des tarifs, même si celle-ci ne sera que marginale, nous le voterons.

M. Michel Castellani. Le groupe Libertés et territoires s’était mobilisé lors de la discussion du deuxième projet de loi de finances rectificative afin que le taux de TVA soit réduit à 5,5 % pour les équipements de protection, devenus des produits de première nécessité. Cette baisse devait se traduire par une diminution des prix de près de 15 %.

La proposition de nos collègues Les Républicains va plus loin. Nous nous interrogeons sur la pertinence d’étendre cette disposition à l’ensemble des masques, et nous nous inquiétons du risque d’effet d’aubaine, car la suppression complète de la TVA pourrait ne pas avoir de répercussion sur le prix de vente. Il conviendrait donc de compléter le texte par une mesure de plafonnement des prix. Néanmoins, sur le fond, nous partageons l’objectif des auteurs de cette proposition.

Mme Jennifer de Temmerman. Parce qu’elle répond à une préoccupation de nos concitoyens, cette proposition de loi est louable. Il ne faut toutefois pas en sous-estimer le coût et l’impact sur les finances publiques, qui ont peut-être été insuffisamment évalués, alors même que la crise pèse déjà très lourdement sur celles-ci.

Retenir un taux de 2,1 % nous semble un meilleur compromis entre la volonté d’aider les citoyens à se protéger et la nécessité de renflouer les caisses publiques.

La durée d’application proposée ne nous semble pas non plus justifiée : tout indique que la situation évoluera positivement d’ici au 1er mars 2022, et il serait par conséquent inutile de grever anormalement les finances publiques en adoptant ce texte en l’état.

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologie Démocratie Solidarité ne votera pas cette proposition de loi.

M. Jean-Paul Dufrègne. Compte tenu de la position qu’il avait prise au moment des débats sur le deuxième projet de loi de finances rectificative et de l’allégement non négligeable que représenterait l’exonération proposée pour le budget de nos concitoyens les plus fragiles, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera évidemment en faveur de ce texte.

Pour autant, cette mesure reste bien moins efficace que la gratuité, défendue par notre groupe : d’une part, il n’est pas évident que la suppression de la TVA se répercutera directement sur le prix, et, d’autre part, l’acheteur devra malgré tout s’acquitter d’un reste à charge.

À l’instar de notre collègue Michel Castellani, je plaide pour un meilleur encadrement des prix : même si nous sommes passés de 95 à 65 centimes le masque, ce tarif reste sept fois plus élevé que celui pratiqué avant la crise, ce qui est véritablement scandaleux. Il faudrait avoir le courage de baisser le plafond existant.

M. Éric Straumann, rapporteur. Si le contexte a effectivement évolué, je constate néanmoins, ici et à l’extérieur, que peu de personnes portent des masques lavables. Tout le monde achète des masques chirurgicaux, parce qu’on a moins chaud en les portant. Or cet achat représente pour une famille de quatre personnes un coût de 100 euros par mois. Notre disposition permettrait donc une économie de 5 euros.

Inspirons-nous de ce qui fonctionne ailleurs : dans le département frontalier du Haut-Rhin, malheureusement très touché par la crise, 1 400 personnes sont décédées du virus, tandis qu’en Autriche, à 250 kilomètres, il n’y a eu que 600 décès pour une population de 8 millions d’habitants. Or nos voisins ont, entre autres mesures, appliqué un taux nul de TVA sur les masques.

Cinq euros d’économies par mois, ce n’est pas rien ; souvenez-vous donc du débat suscité par la baisse des aides personnalisées au logement (APL) au début de la législature ! Je vous encourage vraiment à accepter notre proposition et à consentir aux familles ce gain de pouvoir d’achat aussi longtemps que les masques seront indispensables, sachant que la plupart des pharmacies et des grandes surfaces les vendent à prix coûtant.

La commission passe à l’examen des articles de la proposition de loi.


—  1  —

   examen des articles

Article 1er
[Art. 261 du code général des impôts]
Suppression de la taxe sur la valeur ajoutée portant sur les opérations d’achat et de vente de masques de protection, de gels hydro-alcooliques et de solutions désinfectantes destinés à la lutte contre l’épidémie de Covid-19

 

Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi modifie l’article 261 du code général des impôts qui traite des exonérations de taxe sur la valeur ajoutée de certains biens et services pour y adjoindre les opérations d’achat et de vente de masques de protection, de gels hydro-alcooliques et de toute solution désinfectante, destinés à limiter la propagation du virus Covid-19.

I.   des contraintes européennes assouplies par l’urgence sanitaire

A.   L’assiette de la TVA est largement régie par le droit européen

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est définie comme « un impôt général sur la consommation, exactement proportionnel au prix des biens et services, perçu à chaque stade du processus de production et de distribution, mais uniquement sur la valeur ajoutée des biens et des services à chacun des stades, grâce au mécanisme de la déduction de la taxe acquittée en amont par l’opérateur, et qui est répercutée sur le consommateur final » ([27]).

La TVA, dont l’origine est française, a logiquement été bouleversée par l’évolution de la construction européenne.

La première étape de l’européanisation de la TVA a été franchie lors de l’adoption, par le Conseil européen, des deux directives du 11 avril 1967 : la première ([28]) est essentielle, en ce qu’elle a imposé aux États membres de supprimer leur système de taxation du chiffre d’affaires pour le remplacer par un système commun de TVA ; la seconde ([29]), plus technique, visait à en préciser les notions fondamentales. La sixième directive, du 17 mai 1977, a ensuite réalisé une harmonisation poussée de la taxe dans de nombreux domaines ([30]).

La suppression des frontières physiques entérinée par l’Acte unique de 1987, s’est faite sans harmonisation préalable de l’assiette et des taux de TVA ; la mise en place effective de l’Acte unique, en 1993, s’est traduite, en matière de fiscalité indirecte, par l’adoption d’un régime transitoire de TVA, toujours en vigueur.

La directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ([31]) – dite « directive TVA » –, en vigueur, permet aux États membres d’exonérer ou de mettre en place des taux réduits sur certains biens et services limitativement énumérés.

Ce cadre, rigide, a néanmoins été atténué du fait de la gravité de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19.

B.   Des marges de manœuvre temporaires, admises par la commission européenne, permettent de modifier les taux de TVA qui portent sur les masques de protection et solutions biocides destinés à enrayer la propagation du Covid-19

L’annexe III de la directive TVA, à laquelle renvoie son article 98, dresse la liste des biens et services pouvant faire l’objet de taux réduits de TVA.

En son sein figurent les produits pharmaceutiques normalement utilisés pour les soins de santé, la prévention des maladies et le traitement à des fins médicales et vétérinaires.

Interprétant cette disposition, notre Assemblée a fait le choix, lors de la discussion du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, d’introduire par amendement des dispositions abaissant la TVA portant sur les masques et les gels hydro-alcooliques à 5,5 %.

Ainsi, l’article 278-0 bis du code général des impôts (CGI), dans sa rédaction en vigueur à compter du 26 avril 2020 et jusqu’au 1er janvier 2022, dispose que sont affectés d’un taux de TVA de 5,5 % :

« K bis. – Les masques et les tenues de protection adaptés à la lutte contre la propagation du virus covid-19 dont la liste et les caractéristiques techniques sont fixées par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget ;

K ter. – Les produits destinés à l'hygiène corporelle et adaptés à la lutte contre la propagation du virus covid-19 dont les caractéristiques sont fixées par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et de l'environnement (…) ».

Si cette réduction du taux de TVA est à saluer, elle demeure insuffisante ; ce n’est au demeurant pas le choix qu’ont fait certains de nos voisins.

Le Royaume-Uni a ainsi supprimé la TVA affectant les achats de masques jusqu’au 31 juillet 2020.

De même, l’Autriche a supprimé la TVA sur les achats de masques jusqu’au 1er août 2020. Ce choix a également été effectué par les Pays-Bas jusqu’au 1er septembre 2020 ([32]).

En tout état de cause, il convient de rappeler que le droit européen prévoit des mécanismes d’assouplissement des droits de douane et de la TVA dans certaines circonstances.

En effet, la législation douanière de l’Union européenne prévoit la possibilité d’octroyer une franchise de droits au profit de « victimes de catastrophes » ([33]). La législation de l’Union en matière de TVA comporte des dispositions équivalentes pour les importations ([34]).

C’est ainsi que la Commission européenne a approuvé, le 3 avril 2020, les demandes des États membres sollicitant l’exonération temporaire des droits de douane et de TVA sur les importations de dispositifs médicaux en provenance de pays tiers, afin de contribuer à la lutte contre le Covid-19.

M. Paolo Gentiloni, commissaire chargé de l’économie, a déclaré à cette occasion :

« Dans cette situation d’urgence, il est essentiel que les équipements et les dispositifs médicaux parviennent rapidement là où ils sont nécessaires. En exonérant de droits de douane et de TVA les importations de ces produits en provenance de pays tiers, la Commission européenne contribuera à rendre ces produits plus accessibles ».

C’est dans cet esprit que la Commission européenne a déclaré qu’elle n’engagerait aucune procédure contre un État membre ayant modifié, de manière temporaire, la TVA touchant aux produits destinés à la lutte contre la propagation du Covid-19.

II.   Dispositif proposé

L’article 1er de la présente proposition de loi complète l’article 261 du CGI par un 10 ainsi rédigé :

« 10. Les opérations d’achat et de vente de masques de protection et les opérations d’achat et de vente des gels hydro-alcooliques et de toute solution désinfectante en lien avec la lutte contre l’épidémie Covid-19 ».

Par l’introduction de cette disposition, ces opérations seront exonérées de TVA.

Dans la mesure où le texte de l’article ne précise pas les conditions de son entrée en vigueur, celle-ci interviendrait le lendemain de la publication de la loi définitivement adoptée au Journal officiel.  

*

*     *

La commission rejette l’article 1er.

Article 2
[Art. 261 du code général des impôts]
Rétablissement, au 1er mars 2022, de la taxe sur la valeur ajoutée portant sur les opérations d’achat et de vente de masques de protection,
de gels hydroalcooliques et de solutions désinfectantes destinés à la lutte contre l’épidémie de Covid-19

 

Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 de la proposition de loi modifie l’article 261 du code général des impôts qui traite des exonérations de taxe sur la valeur ajoutée de certains biens et services pour y abroger, au 1er mars 2022, les opérations d’achat et de vente de masques de protection, de gels hydro-alcooliques et de toute solution désinfectante, destinés à limiter la propagation du virus Covid-19.

La tolérance de la Commission européenne quant à la suppression de la TVA portant sur les masques de protection et solutions biocides destinés à la lutte contre la propagation du Covid-19 – qui va au-delà des textes européens –  n’étant que temporaire et liée à la durée de l’épidémie, il convient de doter cette proposition de loi d’un caractère limité dans le temps.

Aussi, l’article 2 de la présente proposition dispose que :

« Le 10 de l’article 261 du code général des impôts, tel qu’il résulte de l’article 1er de la présente loi, est abrogé le 1er mars 2022 ».

Ainsi, la TVA sur ces opérations sera rétablie, conformément à la lettre du droit européen.

Ce caractère temporaire rend d’autant plus acceptable l’impact de la proposition de loi sur les finances publiques.

*

*     *

La commission rejette l’article 2.

 

  Article 3

Gage de la proposition de loi

Le présent article a pour objet de gager les pertes de recettes et charges induites pour l’État par la proposition de loi afin de permettre son dépôt.

Le rapporteur et les auteurs de la proposition de loi n’envisagent toutefois pas de financer les mesures proposées par une augmentation de la fiscalité. 

*

*     *

 

 

La commission rejette l’article 3.

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejeté, le texte est considéré comme rejeté.


—  1  —

   ANNEXE

   Personne auditionnée

­ M. l’ambassadeur Philippe Léglise-Costa, représentant permanent auprès de l’Union européenne

 


([1]) The Lancet, B. J. Strasser & T. Schlich, A history of the medical mask and the rise of throwaway culture, 22 mai 2020.

([2]) Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la prorogation du virus Covid-19.

([3]) Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

([4]) Décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 complétant le décret 2020-293 du 23 avril 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

([5]) Journal of Fluid Mechanics, Cambridge University, The flow physics of Covid-19, volume 894, July 10th 2020 (to be published).

([6]) APHP, Le masque chirurgical protège efficacement les soignants contre le Covid-19, 14 avril 2020.

([7]) HCSP, Commission spécialisée maladies transmissibles, 1er juillet 2011.

([8]) Chargé de la gestion des stocks de masques.

([9]) Sénat, M. François Delattre, Rapport d’information n° 625 fait au nom de la commission des finances sur l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), juillet 2015.

([10]) Conférence de presse de M. Olivier Véran, Ministre des solidarités et de la santé, sur l’épidémie de Covid‑19, les mesures de confinement et la stratégie française face au Coronavirus, Paris, 21 mars 2020.

([11]) Décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus Covid-19, mesure ensuite reprise dans le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, article 12.

([12]) Décret n° 2020-281 du 20 mars 2020 modifiant le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus Covid-19. 

([13]) Il a été mis fin à cette possibilité de réquisition par le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

([14]) Assemblée nationale, Questions au Gouvernement, XVème législature, séance du jeudi 19 mars 2020.

([15]) Assemblée nationale, Questions au Gouvernement, XVème législature, séance du mardi 24 mars 2020.

([16]) Assemblée nationale, Questions au Gouvernement, XVème législature, séance du mardi 31 mars 2020.  

([17]) Décret n° 2020-197 du 5 mars 2020 relatif aux prix de vente des gels hydro-alcooliques.  

([18]) Le Monde, Coronavirus : le port de masque de protection est-il une mesure efficace ?, 2 mars 2020.

([19]) Gouvernement, Communiqué de presse, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin annoncent la déductibilité de la TVA pour les entreprises fabriquant ou important du matériel sanitaire et qui en font don, 9 avril 2020.

([20]) Décision (UE) 2020/491 de la Commission du 3 avril 2020 relative à la franchise des droits à l’importation et à l’exonération de la TVA sur les importations octroyées pour les marchandises nécessaires à la lutte contre les effets de la pandémie Covid-19 au cours de l’année 2020.

([21]) Décret n° 2020-506 du 2 mai 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.  

([22]) 60 millions de consommateurs, n° 559, mai 2020.

([23]) Loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, article 5.

([24]) Décret n° 2020-197 du 5 mars 2020 relatif aux prix de vente des gels hydro-alcooliques.  

([25]) Décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, article 14.

([26]) Loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, article 6. 

([27]) J. Lamarque, O. Négrin, L. Ayrault, Droit fiscal général, LexisNexis, 4e éd., 2016.

([28]) Première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires.  

([29]) Deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires.  

([30]) Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires.

([31]) Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.  

([32]) Deloitte, Covid-19 related VAT and sales taxes measures, May 21th 2020.

([33]) Règlement (CE) n° 1186/2009 du Conseil relatif à l’établissement du régime communautaire des franchises douanières.  

([34]) Directive 2009/132/CE du Conseil du 19 octobre 2009 déterminant le champ d’application de l’article 143, points b) et c), de la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée de certaines importations définitives de biens.