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N° 3073

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juin 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi en faveur dune loi de programmation pour lhôpital public et les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes,

 

 

 

Par MAlain BRUNEEL,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  3004.

 

 


 


–  1  –

SOMMAIRE

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 Pages

AVANT-PROPOS

I. Des hôpitaux et EHPAD publics à bout de souffle

A. Un hôpital public sous-financé

1. Les effets pervers de la tarification à lactivité

2. Lhôpital, grand perdant de la maîtrise des dépenses dassurance maladie ?

B. EHPAD : faire toujours mieux mais pas avec plus ?

C. Un personnel qui paye les pots cassés

II. Sous la recherche defficience, une offre de soins qui ne peut plus répondre aux besoins

A. Le pÉché originel du numErus clausus

B. La préférence pour la fusion, au détriment de la proximité

C. Un virage ambulatoire parfois glissant

III. Lurgence de armer le service public hospitalier et le secteur médico-social

A. Dès maintenant, revaloriser les salaires et les métiers des soignants

B. Penser loffre de soins et médico-sociale autrement quen restructurations et fermetures de lits

commentaire darticle

Article unique Pour une loi de programmation pour lhôpital public et les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe liste des personnes auditionnées par le rapporteur


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   AVANT-PROPOS

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« La possession du meilleur état de santé quil est capable datteindre constitue lun des droits fondamentaux de tout être humain [...]. »

« Les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples ; ils ne peuvent y faire face quen prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées. »

Constitution de l’Organisation mondiale de la santé

● En 2018, les parlementaires communistes et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) ont entamé un « Tour de France des hôpitaux et des EHPAD ». Cette initiative a donné lieu à la visite de cent soixante établissements, dans tout l’Hexagone et dans les territoires d’outremer. Elle a permis aux parlementaires de rencontrer des milliers de personnes parmi ceux et celles qui font aujourd’hui vivre le service public de la santé.

Forts de ces échanges, les députés du groupe GDR ont retranscrit le plus fidèlement possible l’ensemble des témoignages entendus sur le terrain au cours de ce Tour de France, et ont co-écrit avec le personnel soignant plusieurs propositions de loi :

– une proposition de loi pour un moratoire débouchant sur les fermetures de lits, de services, d’établissements de santé et sur l’arrêt des regroupements dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire ([1]) ;

– une proposition de loi portant quarante-trois mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux ([2]) ;

– une proposition de loi tendant à garantir un égal accès aux soins et aux maternités ([3]).

● En octobre 2018, les députés du groupe GDR ont demandé au Président de la République un entretien afin de lui présenter ces nombreuses mesures qui étaient déjà, à cette époque, plus qu’urgentes. Cette demande est restée lettre morte. Pourtant, dans le monde hospitalier, le mouvement social grondait déjà.

Depuis, tout a changé.

Pourtant, n’a rien changé.

La crise sanitaire que nous avons connue au cours des derniers mois a rappelé à tous le courage de ces invisibles, ces précaires – souvent des femmes – qui œuvrent au quotidien pour notre santé et celle de nos proches. Les soignants ont été applaudis aux fenêtres, tous les soirs à 20 heures. La crise a aussi montré la capacité de nos hôpitaux à s’adapter très rapidement et à repenser les organisations au service des patients, car on leur a – pour une fois – laissé la possibilité de le faire, cessant de leur opposer sans cesse la contrainte budgétaire. Elle a mis en lumière l’engagement sans faille des personnels hospitaliers. Elle a rappelé les difficultés de nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), et notamment le manque criant de personnel, mais aussi leur grande résilience.

Pourtant, comme le souligne Nicolas Da Silva, économiste de la santé auditionné par le rapporteur, cette crise n’a rien « révélé » : « la question que pose la situation présente nest pas "Que révèle la crise du Covid-19 sur notre système de santé ?" mais "Pourquoi la montagne de connaissances que nous avions sur les difficultés de notre système de santé na pas été mobilisée pour le réformer avant la catastrophe ?" ». ([4])

● Au cœur de la crise, le Président de la République a fait l’éloge des personnels soignants, « en première ligne ». Il a reconnu « une erreur dans la stratégie » de la politique de santé menée jusqu’alors par son Gouvernement, et a annoncé « un plan massif dinvestissement et de revalorisation de lensemble des carrières », donnant ainsi raison, enfin, à tous ceux qui le réclamaient depuis si longtemps.

Le 25 mai 2020, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont donné le coup d’envoi du « Ségur de la santé », aux côtés de près de trois cents acteurs du monde de la santé : acteurs institutionnels, élus, représentants des usagers, assurance maladie, ordres professionnels, représentants des établissements et employeurs du secteur sanitaire et médico-social, syndicats hospitaliers, syndicats de praticiens et professions paramédicales libéraux, représentants des étudiants et jeunes médecins, représentants des transporteurs sanitaires, conseils nationaux professionnels et collectifs hospitaliers...

Dans les grandes lignes, la position de chacun de ces acteurs est déjà bien connue, sauf celle de l’un d’entre eux, pourtant loin d’être un acteur parmi d’autres. Le ministre des solidarités et de la santé a en effet réaffirmé le cap des orientations retenues dans « Ma santé 2022 », à rebours de « lerreur dans la stratégie » reconnue par le Président de la République quelques semaines auparavant. Deux semaines après le lancement de cette grande conférence, qui sait dans quelle direction le Gouvernement, fort de ces consultations, s’engage pour sauver nos hôpitaux et nos EHPAD ? Va-t-on véritablement changer de paradigme, ou reproduire toujours les mêmes erreurs que l’on répète depuis plus de vingt ans ? Quel sera le niveau des revalorisations salariales annoncées, car nul ne peut se nourrir d’applaudissements ? Quel sera le niveau de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) dans les années à venir ? Que fera-t-on pour lutter contre la précarité des petites mains qui travaillent pour notre santé ?

Le rapporteur souhaite rester optimiste, car les espoirs sont grands dans les débouchés de ces négociations, et parce qu’il s’agit peut-être de notre dernière chance de sauver notre système public de santé. Il est toutefois conscient que ces espoirs pourraient se voir douchés et que le risque existe, malheureusement, que ce « Ségur » accouche d’une souris.

● La présente proposition de loi ne sinscrit pas dans une démarche dopposition par rapport à la démarche engagée dans ce « Ségur de la santé ».

Au contraire, en demandant le dépôt dun projet de loi de programmation dici lautomne, elle offre un outil juridique au Gouvernement pour ancrer des propositions espérées ambitieuses dans le marbre de la loi.

Elle offre une occasion au Gouvernement de faire entrer ses propositions dans larène du débat parlementaire, pour que celles-ci fassent l’objet d’un véritable débat national, car la santé ne concerne pas que les institutions et les professionnels de santé, mais bien tous les citoyens, comme le montre la crise que nous traversons.

Elle offre une occasion au Gouvernement de sengager sur le long terme pour enfin répondre aux constats connus depuis longtemps, et non plus dans la seule perspective de l’après-crise.

Cette proposition de loi est donc une main tendue. Dans le contexte que nous connaissons, nul ne peut se permettre den faire une occasion manquée.

I.   Des hôpitaux et EHPAD publics à bout de souffle

A.   Un hôpital public sous-financé

1.   Les effets pervers de la tarification à l’activité

L’hôpital public souffre en premier lieu des modalités de son financement, qui, plutôt que de valoriser ses missions de service public, répondent à une logique comptable dévaluation des coûts.

● Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, la tarification à l’activité (T2A) est devenue le mode de financement principal de l’ensemble des établissements de santé, publics comme privés, dans le secteur médecine, chirurgie, obstétrique (MCO).

Ce passage à la tarification à l’activité et la logique qu’elle sous-tend, focalisée sur la « production » hospitalière et la mesure des coûts de celle-ci, ont eu des effets délétères sur l’hôpital public. L’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn l’a reconnu elle-même dans un entretien à Libération en 2017 ([5]) : la T2A « a fait croire à lhôpital public quil devait se concentrer sur des activités rentables, quil devait se sentir une âme dentreprise ».

Comme le soulignent Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent dans leur ouvrage La Casse du siècle, à propos des réformes de lhôpital public, « Lhôpital depuis 2004 a eu tendance, du fait des pressions financières liées au système de tarification, à calculer à tout-va pour savoir quels séjours rapportaient plus que dautres, à se focaliser sur ces séjours, à ouvrir des services en fonction de "business plans", tout cela dans lobjectif de présenter des comptes de résultats dans le vert. [...] Dès lors que des activités deviennent rentables, louverture ou lagrandissement dun service (et a contrario la fermeture ou la réduction dun autre), deviennent lobjet de calculs économiques nouveaux. Les retombées doivent être mesurées et intégrées à des stratégies dinvestissement, à travers des opérations assurant une valeur future pour lhôpital. »

La crise actuelle a d’ailleurs bien montré que pour soigner mieux, il faut bien sûr mobiliser des lits, mais aussi sortir de la tarification à l’activité, puisque le Gouvernement a dû mettre en place un système de garantie de financement décorrélé du « codage » de l’activité pour la période de la crise ([6]).

● Au sein de cette logique de la tarification à l’activité vient se greffer le mantra de la convergence tarifaire, inscrit dans la même loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 et qui vise, à terme, à faire converger les tarifs des secteurs publics et privés. Supprimée, depuis lors, des objectifs de la loi, cette convergence tarifaire semble perdurer dans les faits. Pourtant, les charges de ces deux secteurs sont loin dêtre les mêmes. La mission de service public exercée par lhôpital public, qui prend en charge les cas les plus lourds et les patients les plus précaires, a plus quun coût, elle a une valeur.

● Le Gouvernement actuel a lui aussi fait le constat des effets délétères du tout T2A, et a affirmé sa volonté, dans les deux dernières lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), de sortir partiellement de la tarification à l’activité à l’hôpital. Toutefois, cette sortie de la T2A reste très timide, et est centrée sur une vision de la « qualité des soins » qui reste difficile à définir voire dangereuse. En effet, comment, pour ceux des petits hôpitaux déjà en grande difficulté, garantir le plus haut niveau de qualité sans véritable accompagnement et soutien des pouvoirs publics ? Le financement à la qualité risque alors de se muer en cercle vicieux.

2.   L’hôpital, grand perdant de la maîtrise des dépenses d’assurance maladie ?

Au-delà des modalités de calcul des recettes hospitalières, c’est le cadre budgétaire global qui détermine leur montant qui étouffe aujourd’hui l’hôpital public.

Au cours des dernières années, le respect dun ONDAM contraint na été possible que grâce aux efforts continus demandés aux établissements de santé. Ainsi, comme le souligne un récent rapport du Sénat sur l’ONDAM ([7]), « le respect global de lONDAM depuis 2010 masque des évolutions différenciées entre ses deux principales composantes : les dépenses de soins de ville dun côté, les dépenses afférentes aux établissements de santé de lautre ».

● Ainsi, sur cette période, les dépenses de soins de ville ont systématiquement connu une sur-exécution, tandis qu’à l’inverse les dépenses relatives aux établissements de santé ont été systématiquement sous-exécutées, notamment du fait d’un mécanisme contraignant de mises en réserves ou de gel des crédits.

En effet, lapplication depuis 2010 de mises en réserve prudentielles à hauteur de 0,3 % des dotations a principalement pesé sur les établissements de santé et, dans une moindre mesure, sur les établissements médico-sociaux. Un mécanisme prudentiel dans le même esprit n’a été mis en place pour les soins de ville qu’à partir de 2019, et reste plus difficilement applicable, du fait de la nature même de ces deux enveloppes : dun côté, une enveloppe limitative pour les établissements de santé comme pour les établissements et services médico-sociaux, et, de l’autre côté, une enveloppe ouverte pour les soins de ville.

Pour 2018 et 2019, l’ensemble des crédits mis en réserve ont été « dégelés » et donc rendus aux hôpitaux. Si on peut s’en réjouir, il faut surtout souligner que « ces arbitrages tardifs font peser une incertitude sur le montant des dotations effectivement déléguées aux établissements de santé, ce qui constitue un frein à la stabilité et à la lisibilité dont ceux-ci ont besoin pour piloter leur activité ou décider dinvestissements », comme le rappelle le rapport précité du Sénat.

La contrainte financière pesant sur lhôpital sest principalement traduite dans lévolution des tarifs des séjours hospitaliers pour le secteur MCO, dont le taux d’évolution moyen est retracé dans le tableau ci-dessous :

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

%

– 0,65 %

– 1 %

– 0,9%

– 0,5%

+ 0,5 %

+ 0,6 %

Source : commission des Affaires sociales, d’après le rapport d’information de Mme Catherine Deroche et M. René-Paul Savary, fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, 9 octobre 2019 et le protocole d’accord entre l’État et les fédérations d’établissements de santé sur l’évolution des ressources des établissements de santé pour 2020 à 2022.

Si cette pression tarifaire a été lourde de conséquence pour le secteur MCO, cette évolution budgétaire a été dans certains secteurs plus dramatique encore. C’est notamment le cas des établissements psychiatriques, pour lequel le décrochage apparaît évident, comme le montre le graphique ci-dessous.

Au sein même des établissements psychiatriques, les établissements publics ont été particulièrement désavantagés, comme le montre le graphique ci-dessous.

Source : Task Force « Réforme du Financement du système de santé ».

● Si la progression de lONDAM hospitalier a été relevée pour 2020 à 2,4 %, permettant par conséquent un relâchement de la pression sur les tarifs, cette augmentation reste sans commune mesure avec les besoins réels des établissements, alors que le tendanciel de dépenses des établissements de santé était évalué à 3,3 % pour 2020 : dans la différence entre ces deux chiffres résident autant de mesures d’économies. La croissance tendancielle globale de l’ONDAM était quant à elle estimée à 4,4 % pour 2020, pour un taux d’évolution in fine inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale à hauteur de 2,45 %.

Le décalage entre le financement des hôpitaux et leur besoin de financement est évident lorsque l’on s’intéresse aux niveaux de déficits hospitaliers : d’après la DREES, en 2018, le déficit des hôpitaux publics s’établissait à 567 millions d’euros, contre 188 millions d’euros en 2016, et près de six établissements publics sur dix étaient déficitaires ([8]).

Comme le souligne le rapport du Sénat précité, « le respect de lobjectif global saccompagne ainsi sur les derniers exercices dune dégradation, ou pour le moins dune situation préoccupante, de la situation financière des hôpitaux publics ».

Cette pression constante sur les tarifs et les finances hospitalières a parmi ses multiples conséquences le ralentissement dramatique de l’investissement hospitalier, qui n’a cessé de chuter depuis 2009, comme le montre le graphique ci-dessous.

Évolution de l’effort d’investissement des hôpitaux publics depuis 2002

http://www.senat.fr/rap/r19-040/r19-04010.png

 

Comme Olivier Véran lexpliquait dans un rapport de 2016 ([9]) : « À léchelle des établissements, le financement des investissements courants est censé être intégré dans les tarifs de la T2A. Cela suppose donc que ces derniers soient calibrés de façon à pouvoir dégager une marge brute dexploitation suffisante dans la durée. Or, leffet ciseau est de plus en plus important entre lévolution contenue des tarifs et la hausse marquée des charges, du fait notamment dun contexte normatif plus exigeant et dun besoin en équipements coûteux croissant. Une baisse des tarifs implique donc souvent de financer les investissements courants par des gains de productivité, ou à défaut par le recours à lendettement. [...] Le risque existe alors à moyen terme de porter atteinte à la sécurité et à la qualité des soins, en provoquant une dégradation des équipements hospitaliers. Cette stratégie savère ainsi au final encore plus coûteuse, tant pour les finances de lhôpital que pour la collectivité. »

Lors de son audition par le rapporteur, la Fédération hospitalière de France a d’ailleurs alerté sur le fait que ce taux d’investissement des hôpitaux publics n’avait « jamais été aussi bas quen 2019 », et qu’il serait « catastrophique » en 2020.

La sécurité sociale artificiellement mise sous tension : les « non-compensations » de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020

La dernière loi de financement de la sécurité sociale a bafoué le principe de la compensation intégrale de l’ensemble des allègements de prélèvements sociaux fixé par la loi « Veil ».

Elle a en effet acté la non-compensation nouvelle d’un certain nombre de mesures d’exonérations, issues de la loi portant mesures d’urgence économique et sociale et des LFSS 2019 et 2020, pour un total de 3,55 milliards d’euros en 2019 et de 2,1 milliards d’euros en 2020.

Cette manœuvre comptable a fortement dégradé les comptes de la sécurité sociale pour 2019 et 2020, repoussant ainsi son retour à l’équilibre à 2023 avant même la crise sanitaire, et ce malgré les efforts considérables faits par les assurés et les professionnels de santé au cours des dernières années.

Il ne s’agit rien de moins que d’une stratégie destinée à maintenir la sécurité sociale dans une situation de tension permanente afin de justifier toujours plus de mesures d’économies pour reboucher un « trou » de la sécurité sociale en réalité sciemment creusé par l’État.

B.   EHPAD : faire toujours mieux mais pas avec plus ?

● Dans les EHPAD, les moyens n’ont pas augmenté aussi vite que les besoins.

Pour mémoire, l’âge moyen à l’entrée en EHPAD est désormais de 85 ans et 8 mois, soit une augmentation de plus de deux ans depuis 2007, et 38 % des résidents d’EHPAD ont désormais plus de 90 ans, contre 26 % en 2007.

Comme le souligne un rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale de mars 2018 ([10]), « laugmentation du niveau de dépendance des résidents et des soins médicotechniques requis a considérablement alourdi la charge de travail des personnels soignants en EHPAD [...]. La plus grande prévalence des troubles démentiels pèse également sur la charge de travail, de plus en plus de résidents ayant besoin dune surveillance constante, mais également sur la pénibilité mentale endurée par les personnels, du fait de la multiplication de la violence, des cris, et du stress engendré par le risque de fugue. La pénibilité mentale peut également venir des relations avec les familles, qui sont consommatrices de temps : au-delà des questions posées par les aidants, les soignants et la direction sont parfois le réceptacle de leur souffrance et de leur sentiment de culpabilité – qui peut se traduire par de lagressivité. Moins souvent évoqué, le raccourcissement constant de la durée des séjours a également un impact majeur sur la charge de travail des personnels des EHPAD – sans même parler de la charge psychologique qui peut peser sur des personnels qui côtoient la mort de plus en plus souvent. En effet, laccueil et la fin de vie du résident sont les moments du séjour en EHPAD qui demandent le plus de temps : temps nécessaire pour faciliter ladaptation à un nouvel environnement, souvent vécue difficilement par les nouveaux pensionnaires, mais également temps administratif lié aux procédures dadmission, notamment pour le directeur et le médecin coordonnateur. »

● Parallèlement, les outils d’évaluation des besoins et donc de calcul des dotations n’ont pas évolué aussi rapidement.

C’est notamment le cas des coupes « Pathos », qui visent à évaluer le besoin en soins des résidents, et de la grille AGGIR, qui mesure l’état de dépendance des résidents. Ainsi, beaucoup de coupes Pathos ont été réalisées il y a plus de cinq ans, alors que le besoin en soins des résidents a énormément augmenté sur la même période. Surtout, comme le souligne le rapport de Pierre Ricordeau suite à sa mission de médiation sur la réforme de la tarification des EHPAD ([11]), les agences régionales de santé (ARS) ont longtemps été conduites, dans un cadre budgétaire contraint, « à tarifer en dessous du plafond ».

L’obsolescence du référentiel AGGIR a également fait prendre du retard dans l’évaluation des besoins, car il ne permet actuellement pas de prendre suffisamment en compte les troubles cognitifs.

● Les personnes âgées et leurs familles sont aujourd’hui très largement mises à contribution pour le financement des EHPAD, source de nombreuses inégalités sociales ([12]). Au total, selon l’enquête Care de la DREES, le reste à charge en EHPAD atteignait en 2016 un niveau médian de 1 850 euros par mois, et excédait les ressources courantes de la personne âgée dans 75 % des cas.

● Enfin, la réforme de la tarification mise en œuvre en 2016 a en partie aggravé la situation. Comme le souligne le rapport de l’Assemblée nationale précité, elle « a fait de nombreux perdants, sans que cela ait été suffisamment anticipé en labsence dévaluation préalable de son impact ; ces perdants sont principalement les EHPAD publics hospitaliers, les USLD partitionnées et les EHPAD de petite capacité, tandis que les EHPAD privés lucratifs sont les grands gagnants de cette nouvelle tarification ».

C.   Un personnel qui paye les pots cassés

À l’hôpital comme dans les EHPAD, ce sont les salariés qui payent le prix fort de ces financements insuffisants et de cette course à la performance. Dans un secteur où l’humain reste la principale richesse, ce sacrifice ne peut se faire qu’au détriment du soin, en dépit de l’investissement des personnels.

● À l’hôpital, l’emploi a certes augmenté, mais il a augmenté moins vite que l’activité : entre 2005 et 2009, l’emploi dans le secteur hospitalier n’a augmenté que de 4 %, alors que l’activité a augmenté de 11 % ([13]). Pour la période plus récente, la tendance semble se confirmer, comme le montre le tableau ci-dessous.

Évolution comparée de l’activité et de l’emploi au sein des établissements PUBLICS de santé

 

2011

2016

Évolution 2011-2016 en %

DONNÉES RELATIVES À LEMPLOI

Nombre total demplois, dont :

879 485

899 526

2,3

Emplois médicaux (hors sages-femmes)

119 933

129 348

7,9

Emplois non médicaux, dont

759 552

770 178

1,4

Personnel administratif

95 884

96 191

0,3

Personnel soignant, dont notamment :

515 749

525 246

1,8

-       Personnel dencadrement

17 495

17 492

0,0

-       Infirmiers

222 848

233 850

4,9

-       Aides-soignants

172 565

174 620

1,2

-       Agents des services hospitaliers et autres

67 844

62 244

8,3

Personnel éducatif et social

11 055

11 733

6,1

Personnel médicotechnique

40 810

41 913

2,7

Personnel technique

96 054

95 095

– 0,1

DONNÉES CONCERNANT LACTIVITÉ

Nombre total de séjours, dont :

15 070 504

15 600 523

3,5

Nombre de séances (chimio., radio., dialyses, hors préparation de chimiothérapie délivrées)

3 502 116

3 959 687

13,1

Nombre de passages aux urgences

15 215 175

17 136 066

12,6

Source : La Casse du siècle, à propos de lhôpital public, Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, Fanny Vincent, avril 2019, éditions Raisons d’Agir, d’après les données de la DREES.

En conséquence de cette insuffisante augmentation de la masse salariale, de plus en plus de soignants témoignent de la sensation de travailler avec un chronomètre à la main à l’hôpital, sensation renforcée par la mise en œuvre de la T2A : la part relationnelle du soin n’est en effet pas intégrée dans le calcul des coûts des séjours, et apparaît donc comme n’étant pas « rentable ».

 Par ailleurs, comme le montrent Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent dans l’ouvrage précité, « les professionnels sont pris dans une organisation hospitalière complexe et sous tension, dont ils sont dépendants : une pénurie de linge, un chariot repas incomplet, un ordinateur en panne, une armoire à pharmacie en retard, un ordinateur trop lent, etc. peuvent considérablement compliquer, ralentir voire accroître leur travail ».

À la difficulté du travail, physique et psychologique, s’ajoute ainsi le sentiment de ne pas soigner correctement.

À cet effet volume s’ajoute la précarisation : les derniers chiffres disponibles montrent ainsi qu’au sein de la fonction publique hospitalière, le nombre de fonctionnaires a chuté de 6 400 postes en 2017 ([14]).

● Dans les EHPAD aussi, les budgets serrés se traduisent en premier lieu par une pression supplémentaire sur les personnels.

Ainsi, avec des financements loin dêtre à la hauteur des enjeux, le plan Solidarité - Grand Âge de 2006, qui affichait comme objectif un taux dencadrement de « 1 pour 1 » en EHPAD, sest évidemment révélé inapplicable. Pourtant, ce taux était déjà un taux a minima, puisqu’il était conçu comme « tout personnel confondu » et ne devait concerner que les personnes les plus dépendantes. L’objectif global était ainsi de passer d’un ratio moyen de 0,57 à 0,65 pour un résident.

Près de quinze ans plus tard, et alors que le niveau de dépendance des personnes prises en charge a considérablement augmenté, d’après les données de la CNSA, le taux d’encadrement médian est aujourd’hui de 61 ETP (équivalents temps plein) pour 100 places. Si l’on s’intéresse uniquement au taux dencadrement « au chevet du résident » en aide-soignant, aide médico-psychologique et assistant de soins en gérontologie, le taux d’encadrement moyen et médian est de seulement 24,5 ETP pour 100 places. Pour les infirmiers, il est de 6 ETP pour 100 places. Comme le souligne le rapport parlementaire précité, « si lon prend en compte le temps de travail hebdomadaire des personnels soignants ainsi que leurs jours de congés et de RTT – mais pas labsentéisme ni les temps de formation –, cela signifie en réalité que le temps moyen consacré à chaque résident est inférieur à une heure par jour ».

Le même rapport parlementaire dresse un portrait sans appel des conditions de travail en EHPAD :

« Une enquête menée par la DREES et le cabinet ENEIS [...] évoque la "pression de la pendule" et la notion de "travail empêché", qui se traduit "par le sentiment daller contre ses propres valeurs professionnelles et personnelles, notamment celles qui les ont conduits à exercer ce métier en institution, comme le fait de donner du sens aux soins apportés aux résidents, afin de tenir les exigences de travail réelles". Certains soignants évoquent un sentiment de "maltraitance passive" ou de "maltraitance institutionnelle".

« La fatigue des professionnels est accentuée par les rythmes de travail, qui diffèrent selon les établissements : alternance entre jours et nuits, journées continues avec une forte amplitude horaire (journées de douze heures) ou journées de travail coupées. Ces rythmes rendent parfois difficile larticulation entre la vie professionnelle et la vie familiale, alors que 87 % des personnels des EHPAD, toutes catégories confondues, sont des femmes.

« Directement lié à cette pénibilité, le fort taux dabsentéisme en EHPAD accentue le phénomène : dans de nombreux établissements visités par les rapporteures, les personnels ont évoqué le sentiment dêtre constamment "rappelés" sur leurs jours de congés ou de repos. »

Comme l’ont déploré Force ouvrière et l’Association des directeurs au service des personnes âgées lors de leur audition par le rapporteur, le manque d’effectifs impose aux aides-soignants de réduire leur travail à ce qu’ils et elles appellent le « visage-main-cul », c’est-à-dire de réduire les gestes d’accompagnement au strict minimum de la toilette.

Ces conditions de travail pèsent évidemment sur l’attractivité de ces métiers et expliquent le turn-over particulièrement élevé que connaissent ces établissements, où la part du personnel récemment recruté (moins d’un an) atteint 15 %. Près d’un établissement sur dix déclare un poste d’aide-soignant non pourvu depuis au moins six mois ([15]).

II.   Sous la recherche d’efficience, une offre de soins qui ne peut plus répondre aux besoins

Les difficultés actuelles que connaît notre système de prise en charge ne sont pas le fruit uniquement d’un budget contraint mais aussi  et surtout  de la logique de marché qui a guidé un grand nombre de choix politiques, et a conduit à penser que réduire loffre de soins permettrait de réduire la demande de soins. Cette politique de contraction de l’offre de soins s’est en particulier traduite, pour l’hôpital, par des suppressions d’établissements et de lits.

Sans surprise, la demande de soins n’a cessé d’augmenter, du fait du vieillissement de la population notamment, et cette logique absurde nous a conduits à la catastrophe que nous connaissons aujourdhui.

A.   Le pÉché originel du numErus clausus

La première expression de la logique délétère de rationnement de l’offre de soins décrite ci-dessus a été l’instauration du numerus clausus pour les formations médicales.

Depuis 1971, le nombre de places disponibles en deuxième année pour les étudiants inscrits en première année commune aux études de santé est contingenté. Il est fixé chaque année par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur, pour chaque unité de formation et de recherche (UFR) et chaque filière (médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique).

Quel était l’objectif de ce numerus clausus ? Officiellement, il devait permettre d’adapter le nombre d’étudiants aux capacités d’accueil des établissements hospitaliers universitaires chargés de leur formation. Officieusement, il a en réalité été conçu comme un moyen pour l’État de réguler l’offre de soins et, par conséquent, la consommation de soins, avec la logique suivante : moins de médecins, moins d’offre de soins, et donc moins de prescriptions, moins de demande de soins, et moins de dépenses.

Évidemment, la demande de soins na pas diminué. Elle a au contraire augmenté de façon continue avec le vieillissement de la population et la prévalence sans cesse croissante des maladies chroniques.

Évolution du numerus clausus médical de 1971 à 2015

Source : DREES, Portrait des professionnels de santé, 2016, p. 85.

Les conséquences dramatiques de cette vision gestionnaire sont bien connues : des déserts médicaux qui émergent partout en France, des délais daccès aux soins qui sallongent, et des hôpitaux qui ont de plus en plus de mal à recruter des médecins et doivent parfois faire appel à de lintérim dans des conditions inacceptables.

Le numerus clausus a officiellement été supprimé par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, mais, dans les faits, cela na rien changé pour le moment. Ainsi, 8 832 places seulement sont offertes en deuxième année de médecine pour la rentrée 2020, alors que le numerus clausus des médecins était de 8 811 en 2019 et 8 205 en 2018. Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France (AMUF), a estimé lors de son audition par le rapporteur que ce nombre devrait pourtant être porté a minima à 12 000 pour pouvoir répondre, à terme, aux besoins sur nos territoires. Pour mémoire, les médecins de plus de 60 ans représentaient en 2018 24 % de l’ensemble des médecins en activité régulière ([16]).

B.   La préférence pour la fusion, au détriment de la proximité

La recherche de gains d’efficience à tout prix a justifié l’application à l’hôpital des logiques de fusion chères au monde de l’entreprise. Comme l’a souligné lors de son audition Hugo Huon du collectif inter-urgences, le modèle valorisé aujourd’hui est celui d’un « hôpital surspécialisé, opposé à un hôpital "hospitalier", dans le déni de la question sociale ».

La gouvernance du système sanitaire par les agences régionales de santé et la création des grandes régions n’a fait qu’accentuer ce mouvement d’éloignement de l’échelon de proximité, écrasé par le niveau régional.

● Ce mouvement de concentration hospitalière s’appuie sur un dogme de la fusion qui est pourtant loin d’être scientifiquement démontré. Ainsi, comme le montre un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, « les fusions et la grande taille ne sont pas toujours bénéfiques dans le secteur hospitalier. Au contraire, au-delà dun certain seuil de capacité, les données et études disponibles témoignent plutôt des inconvénients de la grande taille pour un établissement hospitalier. » ([17]). Le choix de la concentration plutôt que de la proximité résulte donc de choix idéologiques et non pas techniques, malgré le vernis qu’on leur a souvent donné.

Sans surprise, ce mouvement de « restructurations » a été bien plus fort pour le secteur public, dont le nombre d’entités géographiques est passé de 1 458 en 2013 à 1 363 en 2017 (– 7 %), contre – 4 % pour le secteur privé non lucratif et – 2 % pour les cliniques privées.

 Lexemple le plus criant de ce choix est celui des maternités.

En effet, depuis cinquante ans, un mouvement de concentration des maternités a eu lieu en continu, mouvement qui s’est accéléré après la refonte du cadre réglementaire applicable aux maternités en 1998 ([18]).

Le nombre de maternités en France est ainsi passé de 1 128 en 1981 à 814 en 1996 et 488 en 2019 ([19]). Les maternités de taille intermédiaire (entre 1 000 et 1 500 accouchements), en particulier, sont de moins en moins nombreuses, alors que le nombre des maternités pratiquant moins de 500 accouchements par an se maintient et celui des très grandes maternités (plus de 3 500 accouchements par an) augmente.

Les conséquences de ces fermetures sont évidentes : selon la DREES, dès 2010, dans huit départements (Alpes-de-Haute-Provence, Ariège, Creuse, Gers, Haute-Corse, Haute-Saône, Lot, Lozère), plus de la moitié des femmes accouchaient à une demi-heure ou plus de leur domicile ([20]).

Bien sûr, certaines maternités ne peuvent plus, aujourd’hui, assurer la sécurité des parturientes et des nouveau-nés. Toutefois, la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la plupart de ces maternités résulte avant tout de choix politiques.

Ainsi, comme le souligne le professeur Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens Français, il s’agit tout d’abord de l’une des conséquences désastreuses du numerus clausus : « Les pays autour de nous ont tous deux fois plus dobstétriciens dans les maternités ». Par ailleurs, ces fermetures de maternités ont en réalité été guidées non pas par l’objectif d’améliorer la qualité des soins mais bien par celui de supprimer des postes, puisque le passage à moins de cinq cents maternités s’est fait « sans répercuter les personnels sur les structures qui devaient assumer le surplus de patientes. Technique très efficace en termes déconomies, invisible pour les professionnels car très progressive, détestable en ce qui concerne la sécurité des femmes en couche. » Pour le Pr. Nisand, le critère de la taille d’une maternité n’est pas suffisant : « une maternité, fût-elle petite, dont la tutelle déciderait de mettre les moyens nécessaires et qui de fait aurait de bons indicateurs ne devrait pas fermer. À linverse, une maternité fût-elle importante, qui aurait de mauvais indicateurs devrait au minimum avoir des comptes à rendre. »([21]).

● La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a entériné cette préférence pour le regroupement et pour le régional au détriment de la proximité, en imposant à tous les établissements publics de santé de se regrouper au sein de groupements hospitaliers de territoire, qui ont souvent conduit à privilégier l’activité hospitalière dans les grosses structures au détriment des plus petits hôpitaux.

● Enfin, la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé s’est inscrite dans le même mouvement, en réaffirmant à son article 35 que les hôpitaux de proximité (anciennement appelés hôpitaux locaux) ne peuvent exercer ni chirurgie ni obstétrique.

C.   Un virage ambulatoire parfois glissant

Depuis 2013, ce sont 17 500 lits dhospitalisation complète qui ont été fermés, soit une baisse de 4,2 % en cinq ans ([22]). Cette fermeture massive de lits et de certains hôpitaux est en partie justifiée par le « virage ambulatoire », qui vise à faire sortir les malades de l’hôpital en privilégiant leur suivi en ville et leur retour à domicile le plus tôt possible.

Si les objectifs de ce virage ambulatoire sont en grande partie louables, la pratique s’éloigne malheureusement de la théorie.

Ainsi, comme le montre le graphique ci-dessous, la création de places d’hospitalisation partielle est loin de compenser la diminution de lits d’hospitalisation complète. Au total, cest bien dune réduction de loffre de soins quil sagit, et non pas de sa transformation.

 

Source : DREES, Études et résultats.

Surtout, le virage ambulatoire a in fine été centré sur la réduction des coûts, alors qu’au préalable, un investissement massif dans la médecine de ville ainsi que la résorption des déserts médicaux conditionnaient son succès. Ainsi, comme le soulignent Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent dans l’ouvrage précité « Au final, lhospitalo-centrisme est certes un héritage de 1958, mais il est aussi fonctionnel : si la population française reste massivement attachée à lhôpital public, cest que celui-ci demeure le dernier recours quand elle narrive plus à accéder dans des conditions financièrement acceptables aux soins en médecine de ville. Or cest de plus en plus le cas. Tant que le problème de lamont et de laval de lhôpital naura pas été réglé, lhôpital demeurera le centre de gravité de loffre de soins. »

La saturation de nos urgences est l’exemple le plus évident de cet hôpital qui apparaît comme le meilleur recours face à une médecine de ville qui n’est pas en mesure d’absorber le flux de patients, lorsqu’on sait qu’en 2015, on comptait 42 % de plus passages aux urgences qu’en 2002.

III.   L’urgence de réarmer le service public hospitalier et le secteur médico-social

L’article unique qui compose cette proposition de loi prévoit l’adoption, avant le 1er octobre 2020, dune loi de programmation pluriannuelle pour lhôpital public et les établissements médico-sociaux, en particulier les EHPAD. Cette loi de programmation devra faire l’objet d’une révision tous les cinq ans.

Cette loi de programmation devra être adoptée avant le 1er octobre 2020, c’est-à-dire avant la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Les choix politiques forts que nous devons faire dans les mois à venir doivent en effet déterminer le cadre budgétaire qui les accompagnera, et non linverse.

Notre vie parlementaire est aujourd’hui rythmée par l’adoption de lois de programmation des finances publiques, de lois de programmation militaire, et, plus marginalement, de lois de programmation pour la justice ou pour la recherche. La santé, qui apparaissait avant même la crise sanitaire comme la priorité n° 1 des Français, doit évidemment, elle aussi, faire l’objet d’une planification à plus long terme.

Les règles fixées par l’article 40 de la Constitution empêchent malheureusement les parlementaires de proposer eux-mêmes une loi qui augmenterait massivement les salaires et les effectifs à l’hôpital public et dans les EHPAD. Le rapporteur espère toutefois que le Gouvernement entendra cet appel et insufflera à ce projet de loi de programmation l’ambition nécessaire pour sauver notre système public de santé.

A.   Dès maintenant, revaloriser les salaires et les métiers des soignants

● La première des priorités de cette future loi de programmation doit être le recrutement massif de personnels soignants à lhôpital public et en EHPAD, qui devront donc bénéficier des financements correspondants à ces ouvertures de postes.

C’est aujourd’hui la revendication première des personnels, qui souhaitent avant toute chose être en mesure de faire leur travail auprès des patients et des résidents.

Les estimations diffèrent quant aux effectifs supplémentaires requis. Force ouvrière, lors de son audition par le rapporteur, a estimé que l’approche la plus pertinente consistait certainement à définir des ratios de personnels au chevet des patients. C’est d’ailleurs la proposition que formulaient dans leur rapport précité les députées Monique Iborra et Caroline Fiat, qui exigeaient en ce qui concerne les EHPAD de « rendre opposable une norme minimale dencadrement en personnel « au chevet » (aides-soignants et infirmiers) de 0,6 (soit 60 ETP pour 100 résidents), dans un délai de quatre ans maximum, ce qui revient à doubler le taux dencadrement actuel ». La future loi de programmation que la présente proposition de loi appelle de ses vœux devrait utilement définir de tels ratios opposables de personnels soignants (infirmiers et aides-soignants) à l’hôpital et en EHPAD.

● La deuxième priorité de cette future loi de programmation pour 2020‑2025 devra être laugmentation structurelle des rémunérations, aujourd’hui particulièrement basses dans ce secteur.

Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([23]) a ainsi montré que la France est l’un des pays qui rémunère le plus mal ses infirmiers à l’hôpital par rapport au salaire moyen de l’ensemble de l’OCDE, devançant seulement la Finlande, la Hongrie et la Lettonie. En parité de pouvoir d’achat, le niveau de rémunération des infirmiers à l’hôpital est également inférieur, en France, à celui de la moyenne des pays de l’OCDE.

Rémunération des infirmiers à l’hôpital par rapport au salaire moyen, 2015

Source : OCDE

La rémunération des aides-soignants devra également faire l’objet d’une attention particulière. Pour mémoire, le rapport de Myriam El Khomri d’octobre 2019 ([24]) sur l’attractivité des métiers du grand âge rappelait que, pour ces métiers, les salaires de base des premiers niveaux d’emploi sont inférieurs au SMIC dans plusieurs conventions du secteur médico-social. Cette situation ne peut perdurer.

● La loi de programmation devra également définir un plan de titularisation des contractuels, qui représentent aujourd’hui 23 % de la fonction publique hospitalière ([25]).

● Enfin, la loi de programmation devra, au-delà de ces questions d’effectifs, de statut et de rémunération pour lesquelles des réponses sont nécessaires à très court terme, prévoir l’avenir en définissant un cadre pour la formation des futurs médecins et professionnels paramédicaux, à la fois en ce qui concerne le contenu de leur formation et le nombre de professionnels formés chaque année.

B.   Penser l’offre de soins et médico-sociale autrement qu’en restructurations et fermetures de lits

La présente proposition de loi prévoit également que la future loi de programmation devra fixer des objectifs relatifs :

– au nombre d’établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux nécessaires pour répondre à l’évolution des besoins de la population sur l’ensemble du territoire ;

– aux dépenses de fonctionnement et d’investissement dans les secteurs hospitalier et médico-social ;

– à l’organisation et au financement des urgences hospitalières et à la création de lits d’hospitalisation.


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   commentaire d’article

Article unique
Pour une loi de programmation pour lhôpital public et les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes

L’article unique de cette proposition de loi impose l’adoption, avant le 1er octobre 2020, d’une loi de programmation pluriannuelle pour l’hôpital public et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cette loi de programmation devrait faire l’objet d’une révision tous les cinq ans.

I.   Sur la forme : une vision à long terme issue d’un véritable débat démocratique

L’article unique de cette proposition de loi prévoit qu’avant le 1er octobre 2020, puis tous les cinq ans, une loi de programmation pluriannuelle pour lhôpital public et les EHPAD fixe les objectifs et les moyens dans ces secteurs.

A.   Pourquoi une loi de programmation ?

● Des progrès ont déjà été faits pour donner plus de visibilité pluriannuelle aux établissements de santé avec la signature par les fédérations et le Gouvernement, en février dernier, d’un protocole daccord fixant sur trois ans lévolution des ressources pour les activités de MCO, de psychiatrie et de soins de suite et de réadaptation (SSR). Toutefois, cette programmation triennale sinscrit uniquement dans une vision macro-économique, et ne propose pas de vision pluriannuelle pour loffre de soins en elle-même. Par ailleurs, elle ne concerne que le secteur sanitaire, et pas le secteur médico-social.

● Pourquoi une loi de programmation, alors que la loi prévoit déjà, à l’article L. 1411-1-1 du code de la santé publique, la définition d’une « stratégie nationale de santé » ?

Article L. 1411-1-1 du code de la santé publique

« La politique de santé est conduite dans le cadre dune stratégie nationale de santé définie par le Gouvernement, dans des conditions fixées par décret en Conseil dÉtat. La stratégie nationale de santé détermine, de manière pluriannuelle, des domaines daction prioritaires et des objectifs damélioration de la santé et de la protection sociale contre la maladie. Un volet de la stratégie nationale de santé détermine les priorités de la politique de santé de lenfant. La stratégie nationale de santé comporte également un volet propre aux besoins spécifiques de la défense.

« Préalablement à son adoption ou à sa révision, le Gouvernement procède à une consultation publique sur les objectifs et les priorités du projet de stratégie nationale de santé.

« La mise en œuvre de la stratégie nationale de santé fait lobjet dun suivi annuel et dune évaluation pluriannuelle, dont les résultats sont rendus publics [...]. »

La stratégie nationale ainsi conçue est bien l’œuvre de l’exécutif seul, et ne fait pas l’objet d’un véritable débat démocratique au Parlement. Par ailleurs, bien que la loi dispose que l’adoption de la stratégie nationale de santé est précédée d’une consultation publique, force est de constater que l’opinion publique ne s’est pas emparée de cet outil qui reste élaboré « en chambre ».

La disposition de la loi qui impose un suivi annuel et une évaluation pluriannuelle rendus publics semble quant à elle ne pas avoir été appliquée.

Par ailleurs, cette stratégie nationale de santé reste souvent bien vague, comme le montrent les objectifs fixés pour l’hôpital par la stratégie 2018-2022 :

«  Poursuivre le virage ambulatoire et développer les alternatives à lhospitalisation conventionnelle ;

«  Accélérer la mise en place des groupements hospitaliers de territoires, en garantissant la qualité et la cohérence de la mise en œuvre de leurs projets médico-soignants partagés ;

«  Réviser le droit des autorisations et des conditions techniques de fonctionnement, afin de rehausser les exigences en matière de qualité et de sécurité des soins et doffrir plus de souplesse aux organisations qui émergent dans les territoires ;

«  Faire évoluer les modes de financement de lactivité hospitalière en se fondant sur des modèles plus forfaitaires et incitatifs à la pertinence des parcours et sur une prise en compte plus importante de la qualité notamment sur la base dindicateurs de résultat ;

«  Investir dans la modernisation et linteropérabilité des systèmes dinformation. »

● L’idée de la présente proposition n’est pas de figer la décision politique, et une telle loi de programmation ne peut, en tout état de cause, contrevenir au principe dannualité des objectifs de dépenses de la sécurité sociale prévu par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS).

Une telle loi de programmation permettra en revanche de graver dans le marbre des objectifs politiques forts, et d’empêcher de reporter sine die des réformes d’ampleur, comme cela a souvent été le cas notamment en matière de dépendance.

● Enfin, il convient de souligner que cette programmation nationale, qui devra fixer les grandes lignes et les grands objectifs, devra évidemment faire lobjet de déclinaisons régionales, au plus près des bassins de vie. Les schémas régionaux de santé devront ainsi être révisés à l’aune de cette loi de programmation.

Le schéma régional de santé

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a regroupé en un schéma unique plusieurs documents (schémas régionaux de mise en œuvre en matière de prévention, d’organisation, de soins et d’organisation médico-sociale).

L’article L. 1434-3 du code de la santé publique prévoit notamment que le schéma régional de santé fixe, pour chaque territoire d’action identifié par l’ARS, les objectifs orientant l’offre de soins en les déclinant par activités de soins et équipements matériels lourds. Il détermine les créations, suppressions ou transformations d’implantations et prévoit les regroupements et coopérations entre établissements de santé.

Il fixe également les objectifs de l’offre des établissements et services médico-sociaux.

B.   Pourquoi avant le 1er octobre 2020 ?

Pour mémoire, l’article L.O. 111-6 du code de la sécurité sociale dispose que le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le 15 octobre ou, si cette date correspond à un jour férié, le premier jour ouvrable qui suit.

Fixer la date du 1er octobre 2020 pour l’adoption de cette loi de programmation permet donc de subordonner la prochaine loi de financement de la sécurité sociale à des objectifs politiques ambitieux et à une vision de long terme.

II.   Sur le fond : Dix objectifs pour donner une vision à long terme à nos hÔpitaux et EHPAD

La loi de programmation devra fixer les objectifs et les moyens relatifs :

– au nombre des établissements publics de santé par catégorie – nécessaires pour répondre à l’évolution des besoins en santé de la population sur l’ensemble du territoire ;

– au nombre détablissements sociaux et médico-sociaux publics nécessaires à la prise en charge de la perte d’autonomie sur l’ensemble du territoire ;

– aux dépenses de fonctionnement et dinvestissement dans les secteurs hospitalier et médico-social ;

– à lorganisation et au financement des urgences hospitalières ;

– à la création de lits dhospitalisation ;

– au recrutement de personnels, ventilés par métier, au sein des établissements publics de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux ;

– à la revalorisation des salaires et des carrières des personnels des secteurs hospitaliers et médico-social ;

– à la titularisation des contractuels de la fonction publique hospitalière ;

– aux effectifs détudiants des études médicales et paramédicales et à leur répartition géographique ;

– à lévolution des formations médicales et paramédicales pour répondre aux besoins de recrutement des établissements publics de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa première séance du 10 juin 2020, la commission examine la proposition de loi de M. Alain Bruneel en faveur dune loi de programmation pour lhôpital public et les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes (n° 3004).

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9163746_5ee08a23616a7.commission-des-affaires-sociales--revalorisation-des-pensions-de-retraite-agricoles-en-france-conti-10-juin-2020

M. Alain Bruneel, rapporteur. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la crise sanitaire que nous avons traversée au cours des derniers mois a mis en lumière ce que nous devons aux personnels de nos hôpitaux et de nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Pourtant, cette amère piqûre de rappel n’a rien d’une révélation : nous connaissons depuis beaucoup trop longtemps la dure réalité vécue par ces personnels, parmi lesquels beaucoup de femmes, souvent précaires et qui travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles. La commission des affaires sociales a d’ailleurs eu l’occasion de souligner la souffrance au travail et le manque cruel d’effectifs dans plusieurs rapports sur les EHPAD puis sur les hôpitaux psychiatriques.

Le temps n’est plus aujourd’hui aux applaudissements, aux grands mots, aux hommages, aux rapports ni aux concertations multiples : il doit désormais être aux actes concrets en direction de nos hôpitaux publics, de nos EHPAD, de ceux qui y travaillent et de ceux qui y sont pris en charge.

C’est pourquoi l’article unique de la proposition de loi prévoit l’adoption, avant le 1er octobre 2020, d’une loi de programmation pluriannuelle pour l’hôpital public et les établissements médico-sociaux, en particulier les EHPAD, qui devra faire l’objet d’une révision tous les cinq ans. Elle devra notamment fixer des objectifs relatifs au nombre d’établissements publics de santé sociaux et médico-sociaux nécessaires pour répondre à l’évolution des besoins de la population sur l’ensemble du territoire, aux dépenses de fonctionnement et d’investissement dans le secteur hospitalier et le secteur médico-social, et, enfin, à l’organisation et au financement des urgences hospitalières ainsi qu’à la création de lits d’hospitalisation.

Contrairement à ce que vous pensez peut-être, cette proposition de loi ne s’inscrit pas dans une démarche d’opposition ou de concurrence par rapport à celle engagée par le « Ségur de la santé ». Malgré les échos négatifs que nous avons malheureusement eus de son déroulement par de nombreuses personnes auditionnées, j’essaye pour ma part de rester optimiste et de croire que ce « Ségur » débouchera véritablement sur quelque chose. En effet, il représente peut-être notre dernière chance de sauver notre système public de santé du naufrage.

Toutefois, cet optimisme forcé ne peut pas être un chèque en blanc signé au Gouvernement. Notre proposition de loi est donc une main tendue tant à ce dernier qu’à la majorité. Elle offre un outil juridique pour ancrer les mesures envisagées dans le marbre de la loi.

Nous considérons qu’il est temps que le Gouvernement porte ses propositions dans l’arène du débat parlementaire pour que celles-ci fassent l’objet d’un véritable débat national. La crise sanitaire l’a bien montré, la santé ne concerne pas que le ministère, les agences régionales de santé (ARS) et les professionnels de santé, mais bien tous les citoyens. La représentation nationale doit donc être au cœur de ces débats d’autant que les attentes sont considérables.

Notre proposition de loi invite le Gouvernement à s’engager sur le long terme pour répondre enfin aux constats connus depuis trop longtemps, et pas seulement dans la seule perspective court-termiste de l’après-crise. Dans le contexte que nous connaissons, nos débats de ce matin ne peuvent et ne doivent donc pas devenir une occasion manquée.

Je souhaiterais tout d’abord rappeler brièvement pourquoi nous demandons une telle loi de programmation.

Notre vie parlementaire est aujourd’hui rythmée par l’adoption de lois de programmation des finances publiques, de lois de programmation militaire, de lois de programmation pour la justice ou pour la recherche. La santé, qui apparaissait avant même la crise sanitaire comme la priorité n° 1 des Français, doit évidemment faire, elle aussi, l’objet d’une planification à plus long terme.

Cette programmation nationale, qui devra fixer les grandes lignes et les grands objectifs pour la santé publique de demain, devra évidemment faire l’objet de déclinaisons régionales, au plus près des bassins de vie. Les schémas régionaux de santé devront notamment être révisés à l’aune de cette loi de programmation.

Pourquoi doit-elle être adoptée avant le 1er octobre 2020 ? Parce que nous pensons fermement qu’elle doit l’être avant la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, qui sera un PLFSS majeur.

Les choix politiques forts que nous devons faire dans les mois à venir doivent en effet déterminer le cadre budgétaire qui les accompagnera, et non l’inverse. Trop souvent, ces vingt-cinq dernières années, nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire à l’hôpital public avec nos objectifs budgétaires. Nous devons maintenant nous demander : quel budget faut-il prévoir pour l’hôpital public, pour répondre à nos objectifs sanitaires ?

Le Gouvernement a facilement su mettre 7 milliards d’euros sur la table pour Air France, et 8 milliards d’euros pour l’automobile. Je suis certain que pour la santé de tous les Français, nous pouvons également faire passer la volonté politique avant les considérations comptables.

Qu’attendons-nous d’une telle loi de programmation ? Les règles fixées par l’article 40 de la Constitution nous empêchent malheureusement, en tant que parlementaires, de proposer nous-mêmes une loi qui augmenterait massivement les salaires et les effectifs au sein de l’hôpital public et dans les EHPAD. C’est pourtant ce que nous attendons évidemment du Gouvernement dans le cadre de cette future loi de programmation.

La première des priorités doit être le recrutement massif de personnels soignants, tant à l’hôpital public qu’en EHPAD : ils devront donc bénéficier des financements correspondants à ces ouvertures de postes. C’est aujourd’hui la revendication première des personnels, qui souhaitent avant toute chose être en mesure de faire leur travail correctement auprès des patients et des résidents.

Nos collègues Monique Iborra et Caroline Fiat proposaient en 2018, dans leur rapport sur les EHPAD, de rendre opposable une norme minimale d’encadrement en personnel au chevet, c’est-à-dire en aides-soignants et infirmiers, de 60 équivalents temps plein pour 100 résidents, dans un délai de quatre ans maximum, ce qui revient à doubler le taux d’encadrement actuel. Cette proposition est très intéressante et nous pensons qu’elle devrait être inscrite dans la future loi de programmation aux côtés d’un ratio similaire pour les hôpitaux publics.

La deuxième priorité de cette future loi de programmation 2020-2025 devra être l’augmentation structurelle des rémunérations, aujourd’hui scandaleusement basses dans ce secteur. Pas plus que les applaudissements, les « primes covid » ne suffiront pas à boucler les fins de mois : les salaires des soignants doivent donc être revalorisés sur le long terme.

La France est en effet l’un des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui rémunère le plus mal ses infirmiers et infirmières à l’hôpital par rapport au salaire moyen, devançant seulement la Finlande, la Hongrie et la Lettonie. En parité de pouvoir d’achat, le niveau de rémunération des infirmiers à l’hôpital est également inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Cette situation est inadmissible et ne peut plus durer.

Dans les métiers du grand âge, c’est encore pire : les salaires de base des premiers niveaux d’emploi sont inférieurs au SMIC dans plusieurs conventions du secteur médico-social. Comment, dans ces conditions, peut-on espérer valoriser ces métiers ?

La loi de programmation devra également définir un plan de titularisation des contractuels, qui représentent aujourd’hui une fraction – 23 % – de la fonction publique hospitalière de plus en plus précaire.

Enfin, nous pensons que cette loi de programmation devra permettre de mettre fin au paradigme actuel du gigantisme hospitalier et aux fermetures de lits et de maternités que nos concitoyens n’acceptent plus car elles accroissent les inégalités géographiques de santé et le renoncement aux soins.

En acceptant que l’on cesse de parler restructurations et Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a-t-il changé de paradigme ou a-t-il simplement décidé de mettre sous le tapis ces restructurations et fermetures de services pendant quelques mois en faisant profil bas ? Je crains malheureusement que ce ne soit la seconde hypothèse, et que nos demandes d’un moratoire n’aient pas été entendues.

Mes chers collègues, je sais que nous ne partageons pas l’ensemble de ces diagnostics, et encore moins l’ensemble des remèdes proposés pour l’avenir de notre système public de santé. En revanche, je suis certain que nous pouvons nous mettre d’accord sur la nécessité d’une telle loi de programmation, et je souhaite vivement débattre avec vous de son contenu.

Mme Monique Iborra. Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi de programmation pluriannuelle pour l’hôpital public et les EHPAD est, certes, d’actualité. De nombreux acteurs attendent en effet, de façon tout à fait légitime, des réformes substantielles que nous-mêmes défendons. Elle s’avère cependant décevante tant sur la forme que sur le fond. Les six pages d’exposé des motifs, réquisitoire sans concession à l’encontre des politiques et des réformes menées de longue date, contrastent avec l’article unique. Si nous pouvons nous accorder sur certaines de vos critiques, cela nous est impossible lorsque vous feignez avec une réelle mauvaise foi d’ignorer que ce Gouvernement a depuis 2018 mené des réformes qu’il a voulues en rupture avec celles menées antérieurement.

Ainsi, la campagne tarifaire et budgétaire de 2019 rompt avec le long cycle de baisses tarifaires que les établissements ont connu ces dernières années ; le protocole d’accord signé avec les fédérations d’établissements de santé, qui prévoit pour la première fois, dans une logique pluriannuelle que vous semblez appeler de vos vœux, la progression des ressources ; le rachat de la dette des hôpitaux et la progression depuis 2018 de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) hospitalier.

Alors si, comme le Président de la République l’a dit, nous aurions dû aller plus fort et surtout plus vite, et rendre plus lisible notre politique, il est faux de prétendre que n’avons rien fait. C’est pourquoi nous corrigeons la méthode et nous engageons dans le « Ségur de la santé ».

Votre projet déçoit également parce qu’il paraît opportuniste au moment où le ministre de la santé met en place ce rendez-vous qui vise les objectifs prônés par votre article unique, comme la revalorisation salariale ou le recrutement de personnels dans les hôpitaux et les EHPAD.

Enfin, votre exercice de planification ne tient compte que du secteur public : or une telle loi de programmation ne peut ignorer les autres acteurs. Si l’hôpital et les EHPAD publics doivent en effet former la colonne vertébrale des politiques de santé et de l’autonomie et si ce secteur doit exercer un véritable leadership, il faut reconnaître la place de chacun – établissements privés, médico-sociaux, médecine de ville – et mettre en place des politiques à visée coopérative, à l’image de celles nées pendant la crise sanitaire et que nous appelons de nos vœux dans le cadre du plan « Ma santé 2022 ».

Votre projet est décevant parce qu’il est réducteur et centralisateur et parce qu’il ignore les réalités des territoires et des organisations existantes que nous souhaitons voir coopérer. Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons pas voter votre proposition de loi.

M. Alain Ramadier. Nous avons tous conscience de la gravité de la crise de notre système de santé, qui ne peut plus assurer pleinement ses missions, et de nos hôpitaux : l’épidémie de covid-19 n’a fait que révéler ce que nous savions déjà. Le manque de moyens financiers, de personnels et d’infrastructures de qualité, notamment, ont abouti à une situation alarmante décriée par l’ensemble des professionnels du secteur de la santé : nous partageons très largement un tel constat.

La proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine vise à mettre en place une loi de programmation pluriannuelle pour l’hôpital public ainsi que pour les EHPAD fixant leurs objectifs et leurs moyens humains et matériels notamment en matière de création de lits d’hospitalisation, d’évolution des formations médicales et de hausse des salaires. Notre système de santé nécessite en effet une vision de long terme susceptible de répondre enfin à ses besoins ainsi qu’à ses enjeux.

La proposition délaisse néanmoins un pan entier du système de santé, le secteur privé, alors que nous estimons qu’une stratégie globale incluant tous les acteurs, publics ou privés, doit être mise en œuvre.

Par ailleurs, l’élaboration d’une loi de programmation dans le domaine de la santé publique implique de prendre en considération la prévention : or cette dimension n’apparaît pas dans le texte. Allouer des moyens financiers à un pilotage stratégique de la prévention est en effet une condition essentielle de la refonte d’un système de santé en désuétude. L’absence d’un tel volet empêche toute mise en place d’une politique de santé structurée, coordonnée et pérenne.

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains n’est pas favorable en l’état à la proposition loi.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Les moyens de l’hôpital public et des EHPAD nous préoccupent tous mais notre objectif premier est la santé des Français. Or celle-ci passe par la prévention pour éviter précisément de devoir aller à l’hôpital. La Cour des comptes nous a ainsi récemment indiqué que le nombre de personnes en insuffisance rénale en phase terminale, c’est‑à‑dire nécessitant des dialyses, qui était de 87 275 en 2015 avait progressé de 14 000 en cinq ans.

Notre priorité n’est-elle pas de limiter le nombre de malades chroniques, qui ne fait qu’augmenter, engendrant souffrance, prise de médicaments, complications et augmentation des dépenses de santé et hospitalières ? Pour bien soigner, il faut faire le bon diagnostic. Connaissons-nous le réel état de santé des Français ? Pas assez. D’où notre préoccupation relative au recueil des données de santé, dans le cadre scolaire, universitaire et professionnel ou auprès des personnes âgées. Je présenterai d’ailleurs prochainement au nom de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale un rapport relatif au dossier médical partagé et aux données numériques de santé.

Nous sommes bien évidemment d’accord sur la nécessité d’allouer des moyens tant à l’hôpital qu’aux EHPAD. C’est la raison pour laquelle nous avons voté, lors de l’examen du dernier PLFSS, des mesures allant dans ce sens. S’il faut disposer d’une feuille de route claire et précise et faire évoluer les dépenses, le recours à une loi de programmation ne nous semble pas opportun. Nous sommes battus pour que les établissements de santé bénéficient désormais d’un budget pluriannuel. Par ailleurs, la question de la rémunération et de l’organisation du temps de travail des personnels soignants est actuellement à l’ordre du jour du « Ségur de la santé ».

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés y fera des propositions en vue de « désadministrer » lhôpital, de faire converger lensemble des établissements de soins, grâce à des objectifs et des moyens, et en recourant à la contractualisation.

Enfin, la réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie et de la dépendance est d’ores et déjà à l’ordre du jour, une première étape ayant été franchie au travers des projets de loi relatifs à la dette sociale et à l’autonomie actuellement en discussion qui visent à créer la cinquième branche de la sécurité sociale, avec un premier financement de 2,3 milliards d’euros.

Pour toutes ces raisons, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne soutiendra pas cette proposition de loi.

M. Boris Vallaud. Nul ne disconvient que, depuis 2002, les efforts demandés à l’hôpital, aux soignants et aux assurés sociaux ont été considérables. La grève des personnels hospitaliers, avant la pandémie, a montré qu’un point de rupture avait été atteint tant la charge du nombre d’actes par soignant était pesante. Le groupe Socialiste et apparentés a formulé un certain nombre de propositions lors de l’examen du PLFSS dont un plan d’urgence pour l’hôpital que la majorité a balayé d’un revers de la main. Si le « Ségur de la santé » reprend quelques-unes d’entre elles, tant mieux.

En tout cas, il est nécessaire de répondre à des demandes urgentes en matière de rémunération, de personnel, de nombre de lits et à des questions structurelles sur la place de l’hôpital et son articulation avec la médecine de ville, la gouvernance et les investissements. Il importe donc de se donner de la visibilité avec une loi de programmation, principe que nous soutenons. Prenons des engagements qui survivent aux alternances et donnons aux Françaises et aux Français l’occasion de faire le lien entre les cotisations qu’ils paient et la qualité de service public qu’ils reçoivent !

Mme Jeanine Dubié. Le groupe Libertés et Territoires partage le constat du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sur la nécessité d’une loi de programmation pluriannuelle pour les hôpitaux publics et les établissements médico-sociaux mais celle-ci devrait être élargie à l’ensemble des établissements de santé, publics et privés, qui participent à une mission de service public.

Les établissements de santé nous alertent régulièrement sur leur absence de visibilité. Lors de la discussion du dernier PLFSS, nous avions d’ailleurs pointé une incohérence de notre système : alors que les politiques de santé s’inscrivent dans une logique pluriannuelle – je pense au plan « Ma santé 2022 » – les établissements ne peuvent pas connaître précisément le montant des ressources qui leur sera alloué pour l’année en cours avant que celle-ci ne soit terminée. Une loi de programmation pluriannuelle pour la santé serait donc le gage d’une meilleure efficacité. Nous y serions d’autant plus favorables que cette proposition de loi énumère un certain nombre d’objectifs, notamment en matière de revalorisation des carrières ou de recrutement de personnels.

Il convient néanmoins d’avoir une vision plus globale en y incluant le secteur privé, de même que les questions de la gouvernance et de la coordination territoriale du système de santé et du décloisonnement du système médico-social. En l’état, nous ne pouvons donc pas pleinement et entièrement soutenir la proposition de loi.

Mme Caroline Fiat. Souffrance, maltraitance : combien de temps ces mots seront‑ils encore associés à nos EHPAD et à nos hôpitaux ?

Depuis trois ans, je dénonce la situation sans que le Gouvernement ait engagé quoi que ce soit. Depuis trois ans, le groupe La France insoumise réclame par voie d’amendements des moratoires sur la fermeture de lits, l’arrêt des regroupements hospitaliers, la revalorisation des métiers du soin. Depuis trois ans, nous réclamons un ratio suffisant de soignants par résident en EHPAD et le recrutement de personnels hospitaliers. Depuis trois ans, nous demandons que le financement de l’hôpital augmente suffisamment pour pallier le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques.

J’entends que cela agace les députés de la majorité mais, pendant la crise sanitaire, les EHPAD ont connu une véritable hécatombe et, à ce jour, les personnels hospitaliers n’ont pas de masques FFP2, vont manquer de gants et travaillent dans des sacs poubelle. En vingt ans, 40 % des maternités ont fermé ; en quinze ans, 60 000 lits ont été supprimés. Au début de la crise, il y en avait trois fois moins par habitant qu’en Allemagne. Le dévouement des personnels a des limites. Ils en ont assez d’être pris pour des idiots.

Les enjeux identifiés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine sont en l’occurrence les bons : de combien d’établissements avons-nous besoin, de quelles dépenses d’investissement et de fonctionnement, de lits, de personnels supplémentaires ? Comment revaloriser les carrières, titulariser, former en nombre suffisant les soignants ? Un débat doit être mené et des engagements doivent être pris. Nous voterons en faveur de cette proposition de loi et nous ne comprenons pas qu’elle ne fasse pas consensus.

Mme Annie Chapelier. Cette crise sanitaire a de nouveau mis en évidence les difficultés que rencontre le personnel hospitalier. Selon le groupe Écologie Démocratie Solidarité, cette proposition de loi constitue une réponse intéressante. Les pistes qu’elle ouvre seront utiles au « Ségur de la santé ». La prise en compte des moyens dont disposent les EHPAD dans la réflexion sur le financement de l’hôpital permet en outre de se préparer aux défis du grand âge. Nous la voterons, même si elle pourrait être étoffée, car elle donne à l’hôpital une véritable visibilité.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Le titre de cette proposition de loi est prometteur mais son contenu l’est un peu moins. « Toujours plus », oui, il faudra faire plus, sans aucun doute, mais « Faire mieux », ici, fait défaut. Quid de l’articulation entre les secteurs public et privé, des actes inutiles – 30 % des dépenses de l’hôpital –, de la gouvernance, de la prévention ? En l’état, le groupe Agir ensemble ne la votera pas.

M. Pierre Dharréville. Je salue le travail d’Alain Bruneel.

Nul ne peut nier que nous sommes dans une crise aiguë et durable de l’hôpital public. Les personnels, la population jugent sévèrement l’état dans lequel il se trouve. Il faut regarder les choses en face, sans que nos désaccords puissent être attribués immédiatement à de la mauvaise foi. L’objectif de cette proposition de loi est très clair et il ne s’agit pas de se substituer à la stratégie de santé.

Le secteur privé, évoqué par plusieurs orateurs, n’est pas de même nature que l’hôpital public. Nous avons besoin d’une stratégie offensive, déterminée, de long terme, d’une visibilité réelle de gestion qui ne soit pas guidée par un objectif de maîtrise annuelle des dépenses. La question des moyens ne doit pas être contournée. Nous cherchons des leviers d’action et cette loi de programmation, selon le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, en est un.

Mme Geneviève Levy. Je salue le travail de notre collègue Bruneel qui, avec beaucoup de conviction, a démontré les carences de l’actuelle majorité. Il convient en effet d’avoir une vision globale de la politique de santé. Nous partageons les questionnements soulevés mais pas les solutions envisagées car une réflexion sur la santé à travers le prisme exclusif de l’hôpital public ne nous paraît pas pertinente.

Il est impérieusement nécessaire de soutenir et de faciliter la création de structures de médecine de ville telles que les maisons de santé ou les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour lutter contre les déserts médicaux. La crise sanitaire nous a montré à quel point une médecine de proximité est essentielle.

Mme Mireille Robert. Pour m’être personnellement engagée dans les questions liées au grand âge et à la perte d’autonomie, je ne peux que vous remercier de votre implication, monsieur le rapporteur.

Le vieillissement massif de la population requerra de nouvelles offres et de nouveaux financements. C’est pour cela que nous avons acté la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale. Il conviendra également de revaloriser les métiers au sein des EHPAD mais, aussi, les interventions à domicile et l’accueil familial. Le secteur médico-social s’appuie sur les groupements hospitaliers de territoire, dont la vocation est d’équilibrer l’offre au plus près de la demande ; or, votre argumentaire ne tient pas compte de cette organisation. Vous ne dites rien non plus des CPTS, dont l’ambition est de fédérer les professionnels de santé dans chaque territoire pour rationaliser l’offre. Comment insérez-vous vos propositions dans cette architecture ? Sur quels financements vous appuyez-vous?

M. Brahim Hammouche. Je vous remercie pour cette proposition de loi, monsieur le rapporteur. Si je partage sa finalité – la seule doctrine de réduction des dépenses nest en effet pas tenable – je ne vous rejoins pas pour autant complètement.

Vous ne tenez pas suffisamment compte des leçons de la crise sanitaire, dont la coopération entre les secteurs public et privé. Dans le Grand Est, 32 % de la prise en charge du covid-19 ont été assurés par le privé. La revalorisation des salaires et l’amélioration des conditions de travail des soignants doivent être étendues aux deux. D’après le ministère de la santé, une infirmière gagnait en moyenne, en 2018, 2 296 euros par mois – 1 800 euros en début de carrière – et un agent de service hospitalier 1 780 euros, contre 4 600 euros brut en début de carrière pour une infirmière au Luxembourg.

Après l’état des lieux, il faut avoir l’ambition de financer un nouveau modèle de santé lisible et favorisant la coopération entre les différentes structures, au-delà des statuts. Votre proposition de loi est ambitieuse mais elle pâtit de ne pas prendre en compte la diversité de notre offre de soins.

M. le rapporteur. Je vous remercie de vos contributions.

Il est certes toujours possible de trouver quil manque ceci ou cela mais lurgence est de mettre enfin le pied à létrier. Nous sommes daccord sur le constat, le covid-19 ayant de surcroît rappelé la dure réalité vécue par les soignants et les patients dans les établissements de santé mais aussi, à domicile. Comment changer la donne ?

Madame Iborra me reproche de me montrer très critique mais cela participe du débat politique. Je rappelle que nous avons voté quatre projets de loi de juillet à octobre 2019 et que la situation ne sest pas arrangée. Et voilà que se profile le « Ségur de la santé » parce que nous aurions encore besoin dy voir plus clair ! Augmenter les salaires et le nombre de personnels ? Cest le Gouvernement qui décide ! Peut-être pourrait-on dailleurs discuter dune loi accordant cette faculté au Parlement...

Comme l’a très bien dit mon collègue Dharréville, le secteur privé, ce n’est pas le secteur public. Qu’une coordination soit nécessaire, soit ! Nous pouvons réfléchir à un schéma de santé global mais il faut bien commencer par quelque chose et pourquoi pas par le secteur public ? Pendant ce temps, les patients et les soignants manifestent, comme ils le feront encore le 16 juin.

Une loi de programmation a le mérite de mettre tout à plat. Que fera-t-on jusqu’au 31 décembre 2020 ? Quelles seront les priorités essentielles ? Nous l’ignorons. Il a été question d’une revalorisation des salaires et d’une augmentation des effectifs mais à quelle hauteur ? Bien des personnes que nous avons auditionnées ont fait part de leur déception.

M. Mesnier a commis un rapport « Pour un pacte de refondation des urgences » avec le professeur Carli, lequel en avait d’ailleurs déjà rédigé un. Les rapports se succèdent ! Quand arrêtera-t-on d’en pondre ? Nous savons parfaitement ce qui se passe ! Maintenant, il est temps d’agir.

Cette proposition de loi n’est pas parfaite mais elle a le mérite de poser la question des priorités. Le « Ségur de la santé » débouchera-t-il sur une loi ? Nous l’ignorons. Qu’en sera‑t‑il du PLFSS et de l’ONDAM ? Une loi de programmation ne règlerait pas tout mais elle permettrait peut-être de fixer des priorités en faisant en sorte que le PLFSS et l’ONDAM s’y conforment.

Les regards ont changé, y compris dans la majorité, et cest une bonne chose.

Les rapports Libault et El Khomry nous invitent également à changer notre regard sur les personnes âgées mais la question demeure : comment fait-on ensuite ?

Je suis certes déçu de votre vote à venir mais je pense qu’une loi de programmation sera néanmoins nécessaire car les professionnels, les syndicalistes, disent tous qu’ils ont besoin d’y voir clair.

Article unique : Pour une loi de programmation pour lhôpital public et les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes

La commission rejette larticle unique et, ce faisant, rejette la proposition de loi.

*

*     *

La commission a rejeté la proposition de loi en faveur dune loi de programmation pour lhôpital public et les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes.

En conséquence, aux termes de larticle 42, alinéa 1, de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi, que la commission demande à lAssemblée nationale de rejeter.


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   Annexe
liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 Fédération Santé Force ouvrière – M. Didier Birig, secrétaire général, et M. Serge Legagnoa, secrétaire confédéral en charge du secteur de la protection sociale collective

 Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale, M. Xavier Becker, secrétaire confédéral, et Mme Dominique Fabre, secrétaire générale de la CFDT retraites

     Audition commune

Association des médecins urgentistes de France (AMUF) – Dr. Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association

Collectif inter-urgences – M. Hugo Huon, président

 Caisse nationale de solidarité pour lautonomie (CNSA) – M. Stéphane Corbin, directeur adjoint

 Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) – M. Pascal Champvert, président, et M. Romain Gizolme, directeur

 Collectifs inter-hôpitaux – Dr. François Salachas, neurologue, membre du collectif, et Dr. Anne Gervais, membre du collectif

 Haut Conseil du financement de la protection sociale – M. Dominique Libault, président

 Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) – M. Dominique Corona, secrétaire général adjoint, M. Luc Farré, secrétaire national fonction et services publics, et Mme Martine Vignau, secrétaire nationale

 Jeunes médecins – Dr. Emanuel Loeb, président, et Dr. Etienne Pot

 Fédération hospitalière de France (FHF) – M. Marc Bourquin, conseiller stratégique, et Mme Cécile Chevance, responsable du pôle financier

M. Nicolas Da Silva, universitaire, chercheur

 Confédération générale du travail Santé et Action sociale – M. Patrick Bourdillon, secrétaire fédéral

     Audition commune

Ministère des solidarités et de la santé, direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – Mme Cécile Tagliana, adjointe à la directrice générale, chef de service

Ministère des solidarités et de la santé, direction générale de loffre de soins (DGOS) – Mmes Claire-Lise Bellanger et Anne Hegoburu, adjointes à la sous-directrice de la régulation de l’offre de soins, Mme Eva Jallabert, adjointe à la sous-directrice des ressources humaines, et M. Raphaël Yven, directeur de cabinet


([1]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b1900_proposition-loi#

([2]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2330_proposition-loi#

([3]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2756_proposition-loi#

([4]) Le système de santé malade du Covid-19 ? Une approche d’histoire économique, Nicolas Da Silva, 25 mai 2020, https://www.contretemps.eu/systeme-sante-covid-1/

([5]) https://www.liberation.fr/france/2017/12/11/agnes-buzyn-sur-l-hopital-nous-sommes-arrives-au-bout-d-un-systeme_1615985

([6]) Ordonnance n° 2020-309 du 25 mars 2020 relative à la garantie de financement des établissements de santé et aux régimes complémentaires obligatoires de sécurité sociale.

([7]) Rapport d’information de Mme Catherine Deroche et M. René-Paul Savary, fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, 9 octobre 2019.

([8]) DREES, Les établissements de santé, édition 2019.

([9]) Olivier Véran, Lévolution des modes de financement des établissements de santé : une nouvelle échelle de valeur.

([10]) Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), présenté par Monique Iborra et Caroline Fiat, députées, mars 2018.

([11])Relevé des échanges et propositions de la mission de médiation sur la mise en place de la réforme de la tarification dans les EHPAD, http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2018-023R.pdf.

([12]) Fizzala A. (DREES), 2016, « Dépendance des personnes âgées : qui paie quoi ? L’apport du modèle Autonomix », Les Dossiers de la DREES, n° 1, mars.

([13]) DREES, Panorama des établissements de santé, 2012.

([14]) Source : INSEE, En 2017, l’emploi public est quasiment stable malgré la diminution des contrats aidés : https://insee.fr/fr/statistiques/3747060#titre-bloc-14.

([15]) Bazin, M. et Muller M., « Le personnel et les difficultés de recrutement dans les EHPAD », Études et Résultats, DREES, n° 1067, juin 2018.

([16]) Conseil national de l’Ordre des médecins, Atlas de la démographie médicale, 2018.

([17]) Fusions et regroupements hospitaliers : quel bilan pour les 15 dernières années ?, IGAS, 2012.

([18]) Décret n° 98-900 du 9 octobre 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d’obstétrique, de néonatologie ou de réanimation néonatale et modifiant le code de la santé publique et décret n° 98-899 du 9 octobre 1998 modifiant le titre Ier du livre VII du code de la santé publique et relatif aux établissements de santé publics et privés pratiquant l’obstétrique, la néonatologie ou la réanimation néonatale.

([19]) Olivier Véran, rapport au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([20]) DREES, Études et résultats, octobre 2012, « Les maternités : un temps d’accès stable malgré les fermetures ».

([21]) Santé, état durgence, sous la direction du Pr. André Grimaldi et de Frédéric Pierru, avril 2020, Éditions Odile Jacob.

([22]) Source : DREES, Études et résultats, « En 2018, le nombre de places en hospitalisation à temps partiel progresse à un rythme soutenu », octobre 2019.

([23]) OCDE (2017), « Rémunération du personnel infirmier », dans Health at a Glance 2017 : OECD Indicators, Éditions OCDE, Paris.

([24]) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_el_khomri_-_plan_metiers_du_grand_age.pdf

([25]) DGAFP, https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/rapports_annuels/2019/06_Dossier-Contactuels_effectifs-2019.pdf.