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N° 3113

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 juin 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à élargir de manière provisoire le champ de compétences de la gouvernance des établissements publics de santé,

 

 

 

Par MStéphane VIRY,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  3041.

 

 

 

 


 

 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

Examen des articles

Article 1er Dispense dautorisation pendant douze mois pour la création, la conversion et le regroupement dactivités de soins destinées à assurer la permanence des soins

Article 2 Rapport du Gouvernement sur les mesures prises en application de la loi

Article 3 Intégration doffice des modifications apportées à loffre de soins au schéma régional de santé à lissue des douze mois

Article 4 Gage

COMPTE RENDU DES TRAVAUX

annexe  Liste des personnes auditionnées par lE rapporteur

 


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   introduction

La France a connu, avec le covid-19, l’un des plus graves fléaux sanitaires de son histoire récente. Au 10 juin 2020, 29 319 personnes avaient succombé à la maladie sur notre territoire. Au pic de l’épidémie, le 7 avril, plus de 30 000 personnes étaient hospitalisées, dont 7 000 en réanimation ([1]).

● Face à ce mal dune ampleur inédite, les établissements de santé ont fait preuve dune capacité de mobilisation et dadaptation exceptionnelle. La crise sanitaire les a mis à l’épreuve de comme jamais auparavant ; elle a finalement montré leur résilience, grâce au dévouement sans faille du personnel soignant comme du personnel administratif. Leur travail doit être salué.

Il a commencé au mois de février, alors que le SARS-CoV-2 faisait son entrée progressive sur le territoire européen, en Italie et en France. Suite à l’arrivée de nouvelles informations sur la dangerosité du virus et ses conséquences potentielles sur le système de soins, plus importantes qu’initialement anticipées, le ministère de la santé a déclenché le 14 février le plan ORSAN REB ([2]).

Lactivation du dispositif ORSAN a entraîné le passage des hôpitaux au niveau 1 de réponse aux situations sanitaires exceptionnelles, dit de « plan de mobilisation interne ». Le 6 mars, le niveau 2 de mobilisation a été activé afin de permettre aux établissements de déprogrammer les activités non essentielles. Le 12 mars, son application a été généralisée avec activation du « plan blanc » dans lensemble des établissements de santé du territoire.

Rapidement, les hôpitaux ont augmenté leurs capacités d’accueil pour faire face à l’afflux considérable de patients, atteints pour beaucoup de formes graves de maladie.

Nous avons pu le constater lors des auditions menées dans le cadre de cette proposition de loi : en dépit des lenteurs et obstacles juridiques souvent rencontrés, les établissements de santé ont fait preuve dune formidable capacité dadaptation.

● Il serait aujourdhui naïf, et dangereux, de nous croire à labri du virus. Les premières semaines de l’épidémie ont montré la rapidité avec laquelle la maladie peut se propager. Si gouverner, c’est prévoir, alors il est aujourd’hui nécessaire de prévoir, et d’anticiper au mieux la deuxième vague qui pourrait s’abattre à tout moment sur notre système de santé.

La population française demeure en effet trop peu immunisée pour avoir atteint le seuil dit « d’immunité collective » permettant à l’ensemble de la population d’être protégée, estimé à 70 % pour le covid-19. D’après une étude publiée le 5 juin et fondée sur des projections statistiques à partir des données de cas confirmés et des résultats obtenus dans d’autres pays, seuls 3,7 % des Français seraient immunisés contre le SARS-CoV-2 ([3]). À la fin du mois d’avril, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et l’Institut Pasteur arrivaient pour leur part à une estimation de 6 % de personnes immunisées au virus ([4]).

Même au niveau local, dans les territoires les plus touchés par l’épidémie, ce taux demeure trop faible pour fournir une immunité collective à la population. Une étude menée par l’épidémiologiste Arnaud Fontanet à la fin du mois d’avril a mis en évidence une exposition relativement faible des personnes liées à un lycée de Crépy-en-Valois (Oise) pourtant soupçonné d’avoir été un foyer important de contamination : sur les 661 personnes testées, seuls 26 % avaient développé des anticorps à la date du test ([5]).

Elle demeure donc vulnérable à une réémergence du virus, dans des proportions potentiellement identiques à celles observées lors des premières semaines de lépidémie.

● Limmunité réelle pour lavenir des personnes touchées par le covid19 demeure en outre incertaine, et nous invite à la plus grande prudence.

Il est en effet possible que la présence d’anticorps ne soit pas synonyme d’immunité à une seconde infection, par exemple en cas de faible concentration d’anticorps dans le sang, ou en l’absence d’anticorps protecteurs. Mme Françoise Barré-Sinoussi a indiqué lors de son audition par la mission d’information de l’Assemblée nationale qu’« une personne peut avoir des anticorps sans être protégée, car tous les anticorps ne sont pas protecteurs », affirmant par ailleurs que « ce type de réponse, nous ne lavons pas aujourdhui » ([6]). Un communiqué de l’Organisation mondiale de la santé en date du 23 avril soulignait à ce sujet qu’il n’existe « aucune preuve » selon laquelle les personnes guéries du covid-19 sont immunisées ([7]). En outre, la durée de vie des anticorps dans le sang demeure largement inconnue à ce stade.

Il est donc nécessaire de faire preuve de la plus grande prévoyance face à un retour de la maladie. Dans son avis du 2 juin, le Conseil scientifique a appelé les pouvoirs publics à « préparer dès à présent lévolution de lépidémie au cours des prochains mois, en envisageant la survenue de quatre scénarios plus ou moins favorables ou critiques. Cette préparation vise à disposer dun ensemble dactions et de mesures à prendre le plus tôt possible afin déviter un nouveau confinement généralisé. Loin de constituer des "cas décole", ces différents scénarios ont tous – y compris les plus critiques – des chances réelles de survenue au cours des prochains mois. Malgré le souci compréhensible de sen exonérer au vu dune amélioration nette de la situation épidémique à la sortie du confinement, ces scénarios exigent une préparation active de la part des autorités et de la société dans son ensemble. Lexpérience acquise par nos concitoyens au cours de lépidémie constitue à cet égard une ressource inestimable. » ([8])

Cette reprise est dautant plus à craindre que la date de sa survenue est imprévisible. Une deuxième vague pendant l’été paraît, à ce stade, moins probable qu’une reprise au début de l’automne. Comme l’a indiqué le Pr. Jean-François Delfraissy, le virus « a visiblement moins dappétence à circuler lorsque les températures augmentent. Sauf événement exceptionnel, la situation est sous contrôle pour les prochaines semaines, voire les mois dété. [...] Si on regarde lhistorique des grandes pandémies de virus respiratoires, on voit que huit sur dix régressent dans les pays européens de manière spontanée durant lété. En revanche, vous en avez cinq sur dix qui récidivent à lautomne. » ([9])

Abondant en ce sens, l’Académie des sciences notait dans un avis du 28 mai 2020 que « des facteurs environnementaux pourraient modifier la contagiosité, notamment la possibilité souvent évoquée dun effet saisonnier peut-être lié à la température, à lhumidité ambiante, aux UV ou dautres facteurs associés à la saison : modification du comportement des individus ou de nombreuses autres modifications de lenvironnement », au même titre que « dautres modifications environnementales [...] indépendamment de la saison, sans quon puisse aujourdhui préjuger de leur nature ». L’avis relevait en définitive qu’« en tout état de cause, ces modifications ne sont pas nécessairement pérennes, ce qui pourrait expliquer la résurgence du virus à terme ».

● En outre, et au-delà du seul covid-19, les hôpitaux devront bientôt faire face à une autre vague, liée au renoncement aux soins lors des semaines de confinement.

Lors de son audition par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la crise sanitaire le 23 avril 2020, le directeur général de la santé faisait en effet part de son inquiétude sur une deuxième vague « "non Covid-19", silencieuse, constituée par le fait quen période critique – on la déjà constaté lors des attentats –, les Français ont le réflexe de ne pas consulter pour les affections autres que le coronavirus afin de ne pas déranger les soignants » ([10]).

Cette crainte est corroborée par une récente étude d’IPSOS portant sur la consommation de soins des Français pendant la crise sanitaire ([11]). Selon cette étude, 51 % de personnes souffrant de pathologies chroniques – diabète, cancer, maladie respiratoire, insuffisance rénale, hypertension artérielle – ont renoncé à une consultation médicale prévue en raison du covid-19 depuis le début du confinement ; 15 % des personnes interrogées ont renoncé à se rendre à l’hôpital. 3 % de ces malades ont renoncé à tout soin.

Au total, 30 % des répondants ont estimé que l’épidémie a eu un impact « important » ou « très important » sur la prise en charge de leur maladie.

Pour permettre à ces patients de retrouver le chemin de l’hôpital, il faut donner aux établissements les moyens de les accueillir convenablement. Pour cet accueil, ils ont besoin d’une réglementation adaptée.

● Lors de cette période de crise, nos hôpitaux ont exprimé de forts besoins de souplesse, et dautonomie. Le législateur ne peut pas rester inerte face à ces demandes.

Les acteurs de terrain n’ont pas à porter la responsabilité des relations parfois houleuses entre établissements de santé et structures administratives : chacun s’est pleinement engagé, avec ses moyens, dans la gestion de la crise sanitaire.

La flexibilité du cadre réglementaire, en revanche, peut être contestée. Trop souvent, les établissements ont été contraints de recourir à des autorisations administratives pour chacune de leurs démarches, au détriment de l’efficacité pourtant remarquable des acteurs locaux.

La présente proposition de loi vise à remédier à ces difficultés, en octroyant aux hôpitaux publics l’autonomie qu’ils requièrent. Pendant une durée de douze mois, les établissements publics de santé seront dispensés d’autorisation pour la création, le regroupement ou la conversion d’activités de soins. Ces autorisations accordées par l’agence régionale de santé (ARS), le plus souvent au terme d’une instruction de plusieurs années, ne feront plus obstacle à la réorganisation des services hospitaliers dans toute la mesure souhaitable.

Les mesures prises en conséquences bénéficieront d’un financement ad hoc, par l’intermédiaire des fonds d’intervention régionaux (FIR). Ceci représente une garantie financière pour les hôpitaux, en soustrayant ces mesures du financement par la tarification à l’activité (T2A), inadapté en période de crise.

Sur le plan juridique, la révision d’office des schémas régionaux de santé (SRS) à l’issue des douze mois permettra de consolider ces nouvelles mesures et de garantir aux chefs d’établissement que les objectifs inscrits dans les schémas ne feront pas obstacle aux adaptations nécessaires. Elle assurera ainsi la sécurité juridique des décisions prises en application de la proposition de loi.

Ce texte ne vise pas à modifier durablement l’organisation de notre système hospitalier. Il vise à apporter une réponse à la situation exceptionnelle que connaît notre pays, pour une durée limitée. Elle assurera à tous les Français, pendant douze mois, un hôpital public vif, réactif, et à même de tirer parti de toutes les énergies dont il sait faire preuve – lorsque nous lui en donnons les moyens.

 

 

 

 


 

   Examen des articles

Article 1er
Dispense dautorisation pendant douze mois pour la création, la conversion et le regroupement dactivités de soins destinées à assurer la permanence des soins

 

Le présent article prévoit que dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, les directeurs d’établissements publics de santé pourront s’affranchir de l’autorisation de l’agence régionale de santé (ARS) pour procéder à toute création, conversion ou regroupement d’activités de soins nécessaire pour adapter l’établissement à l’apparition d’une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population et afin d’assurer la permanence des soins de la population dans ce contexte.

Le comité stratégique du groupement hospitalier de territoire (GHT) auquel appartient l’établissement devra être recueilli, et un avis conforme de la commission médicale d’établissement (CME) sera requis.

Le financement de ces mesures sera assuré par le fonds d’intervention régional (FIR).

I.   Le droit existant

A.   Un rÉgime d’autorisations contraignant en situation d’urgence sanitaire

● Le code de la santé publique confie une pleine responsabilité au directeur d’établissement sur les actes et dépenses engagés pour l’hôpital. Au titre de l’article L. 6143-7 dudit code, le directeur conduit la politique générale de l’établissement, le représente dans tous les actes de la vie civile et est compétent pour régler ses affaires autres que celles qui requièrent la consultation du directoire ou relèvent de la compétence du conseil de surveillance. Il est également l’ordonnateur des dépenses et recettes.

Au titre de ces compétences, le directeur peut procéder aux recrutements qu’il estime nécessaires, dans le respect des règles propres à la fonction publique hospitalière ([12]). Il exerce son autorité sur l’ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s’imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l’administration des soins et de l’indépendance professionnelle du praticien dans l’exercice de son art.

● Certaines activités sont toutefois soumises à un contrôle direct de l’État, par l’intermédiaire des autorisations sanitaires. En application de l’article L. 6122‑1 du code de la santé publique, une autorisation préalable du directeur général de l’ARS territorialement compétente est ainsi nécessaire pour :

– la création d’un d’établissement de santé ;

– la création, la conversion et le regroupement des activités de soins, y compris sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation ou d’hospitalisation à domicile,

– et l’installation des équipements matériels lourds.

La liste des activités de soins et des équipements concernés est fixée par décret, respectivement aux articles R. 6122-25 et R. 6122-26 du code de la santé publique, et est reproduite ci-dessous.

 

 

Liste des activités de soins et des équipements matériels lourds prévue aux articles R. 6122-25 et R. 6122-26 du code de la santé publique ([13])

1

Médecine

2

Chirurgie

3

Gynécologie-obstétrique, néonatologie, réanimation néonatale

4

Psychiatrie

5

Soins de suite et de réadaptation

6

Soins de longue durée

7

Greffes d’organes et greffes de cellules hématopoïétiques

8

Traitement des grands brûlés

9

Chirurgie cardiaque

10

Activités interventionnelles sous imagerie médicale, par voie endovasculaire, en cardiologie

11

Neurochirurgie

12

Activités interventionnelles par voie endovasculaire en neuroradiologie

13

Médecine d’urgence

14

Réanimation

15

Traitement de l’insuffisance rénale chronique par épuration extrarénale

16

Activités cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation et activités biologiques de diagnostic prénatal

17

Traitement du cancer

18

Examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou identification d’une personne par empreintes génétiques à des fins médicales

19

Caméra à scintillation munie ou non de détecteur d’émission de positons en coïncidence, tomographe à émissions, caméra à positons

20

Appareil d’imagerie ou de spectrométrie par résonance magnétique nucléaire à utilisation clinique

21

Scanographe à utilisation médicale

22

Caisson hyperbare

23

Cyclotron à utilisation médicale

Source : Ministère des solidarités et de la santé – Direction générale de loffre de soins.

Pour être autorisée, l’activité faisant l’objet de la demande d’autorisation doit, entre autres, satisfaire à plusieurs conditions définies à l’article L. 6122-2 du même code :

– répondre aux besoins exprimés dans les schémas régionaux de santé (cf., infra, commentaire de l’article 3) ;

– présenter une demande compatible avec les objectifs fixés par ce schéma ;

– satisfaire aux différentes conditions d’implantation et techniques de fonctionnement fixées par décret pour chaque activité de soins.

L’autorisation est également subordonnée au respect d’engagements relatifs aux dépenses à la charge de l’assurance maladie ou au volume d’activité, ainsi qu’à la réalisation d’une évaluation.

En application de l’article L. 6122-4, l’autorisation est requise avant le début des travaux, de l’installation de l’équipement matériel lourd ou de la mise en œuvre des activités de soins ou des structures de soins alternatives à l’hospitalisation projetées. Elle vaut de plein droit autorisation de fonctionner, sous réserve d’une déclaration de commencement d’activité auprès de l’agence régionale de santé et de la réalisation de la visite de conformité par l’ARS, lorsqu’une telle visite a été décidée par le directeur général de l’ARS.

D’autres critères optionnels peuvent également être amenés à s’appliquer. L’article L. 6122-7 du code de la santé publique prévoit ainsi que l’ARS peut soumettre l’autorisation à des conditions particulières imposées dans l’intérêt de la santé publique, ou encore être subordonnée à l’engagement de mettre en œuvre des mesures de coopération favorisant l’utilisation commune de moyens et la permanence des soins.

● Par ailleurs, et depuis 2018, les établissements disposent d’une nouvelle faculté d’organisation de leurs services en situation de crise sanitaire. L’ordonnance du 3 janvier 2018 ([14]) permet ainsi au directeur général de l’ARS compétente d’autoriser pour une durée limitée un établissement de santé à exercer une activité de soins autre que celle au titre de laquelle il a été autorisé ([15]). La nouvelle activité n’est alors pas comptabilisée dans les objectifs quantifiés de l’offre de soins.

Cette autorisation nécessite toutefois la constatation, par le ministre de la santé, d’une menace sanitaire grave.

L’article a été mis en œuvre lors de la crise sanitaire liée au covid-19. Un arrêté du 23 mars 2020 a habilité les directeurs généraux d’ARS à octroyer ces autorisations jusqu’au 15 avril ([16]).

● Les personnes auditionnées par le rapporteur ont témoigné de la lenteur des procédures d’autorisation, dont la durée totale peut aller jusqu’à cinq ans.

B.   Le plan ORSAN, un dispositif de crise indispensable mais insuffisant

La réponse aux crises sanitaires s’effectue depuis 2014 dans le cadre du dispositif ORSAN (« organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles »).

Les objectifs du dispositif ORSAN

Le dispositif ORSAN vise à mettre en place un système intégré de préparation, mettant en cohérence à l’échelle régionale les efforts en matière de planification, de déploiement de moyens opérationnels et de formation des acteurs du système de santé. Ce schéma précise, par parcours de soins, les missions et les objectifs opérationnels confiés aux acteurs du système de santé, et notamment les services d’aide médicale urgente (SAMU), les structures mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR), les établissements de santé, les établissements médico-sociaux et les professionnels de santé.

Il fait de l’ARS le pilote à l’échelle régionale en situation sanitaire exceptionnelle. L’objectif est de mettre à disposition de l’ARS, par avance, des réponses en termes de parcours de santé nécessaires à la gestion de l’événement. Cela concerne ainsi à la fois le recensement des dispositifs mobilisables comme la mise en place d’outils qui s’avéreraient lacunaires.

Le dispositif ORSAN prévoit aussi la déclinaison de réponses à l’échelle locale, avec la mise en œuvre des plans blancs des établissements de santé ainsi que les plans blancs élargis qui permettent l’éventuelle mobilisation de ressources supplémentaires à l’échelle zonale ou départementale.

Il permet enfin d’assurer l’interopérabilité de l’organisation du système de santé avec les autres dispositifs censés être mobilisés en cas de situations exceptionnelles, telles que la sécurité civile, ainsi que l’ensemble des acteurs intervenant dans le plan ORSEC, dont il est un volet complémentaire.

Par ailleurs, le dispositif ORSAN inclut nécessairement un programme annuel ou pluriannuel identifiant les actions à mener par les acteurs du système de santé pour maintenir ou développer les capacités nécessaires, en particulier en terme de prise en charge des patients ou victimes, de formation des professionnels de santé et d’attribution des moyens opérationnels ([17]).

Il existe cinq déclinaisons du plan ORSAN : AMAVI, pour l’accueil massif de blessés victimes d’un accident grave ; EPI-CLIM, pour la prise en charge des tensions dans l’offre de soins liées au nombre important de patients dans un contexte d’épidémie saisonnière et/ou lors d’un phénomène climatique voire environnemental important ; REB pour l’apparition d’un risque épidémique et biologique connu ou émergent ; MEDICO-PSY pour la prise en charge médico-psychologique des patients victimes d’un événement grave (accident, catastrophe, attentat) ; NRC pour la réponse à un risque nucléaire, radiologique ou chimique.

Le dispositif ORSAN est arrêté par le directeur général de l’agence régionale de santé, après avis des préfets de département, des comités départementaux de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires concernés et du directeur général de l’agence régionale de santé de zone.

Ce dispositif est complété à léchelle locale par les « plans blancs détablissement ». La loi prévoit en effet que chaque établissement de santé, public ou privé, doit être doté d’un dispositif de crise dénommé « plan blanc d’établissement ». Prévu à l’article L. 3131-7 du code de la santé publique, ce plan lui permet de mobiliser immédiatement les moyens de toute nature dont il dispose en cas d’afflux de patients ou de victimes ou pour faire face à une situation sanitaire exceptionnelle. Parmi ces moyens figurent notamment la constitution d’une cellule de crise, le report d’activités programmées, le renforcement des équipes soignantes et les changements d’organisation de l’accueil des patients. Le plan doit prendre en compte les objectifs du dispositif ORSAN (cf. supra).

Il est arrêté par le directeur de l’établissement, après avis du directoire, de la commission médicale d’établissement (CME) et du comité technique d’établissement (CTE) ([18]).

Il est déclenché par le directeur, le cas échéant à la demande du directeur général de l’ARS.

La réponse des établissements de santé en situation sanitaire exceptionnelle est variable selon le niveau d’exposition ou de proximité géographique avec l’évènement de l’établissement.

Il existe ainsi deux niveaux de mobilisation des hôpitaux. Le niveau 1, ou « plan de mobilisation interne », a pour objet la gestion des tensions ou des situations avérées potentiellement critiques ne mettant toutefois pas à court terme létablissement en difficulté dans son fonctionnement courant. Le niveau 2 est le plan blanc, et permet la mobilisation de toutes les capacités de lhôpital pour faire face à la crise, avec mise en place dune cellule de crise hospitalière.

Dispositif de montée en puissance à deux niveaux pour la gestion des tensions hospitalières et situations sanitaires exceptionnelles (SSE)

La réponse hospitalière aux SSE est également organisée sur le plan géographique, entre établissements de « première ligne » et de « deuxième ligne ». Ces deux niveaux sont prédéfinis par l’ARS dans le schéma ORSAN et indiqués à chaque établissement.

Lépidémie de covid-19 a donné lieu au déclenchement dans les établissements du plan « REB », à partir du 6 mars (cf. supra). Ont notamment été organisées des procédures de mobilisation et de rappel de l’ensemble de personnel, des actions de formation au risque biologique des personnels, des actions de réorganisation des flux de patients à l’intérieur de l’hôpital, de même que des circuits de transfert de patients entre établissements. En outre, les activités chirurgicales non urgentes ont été déprogrammées d’office sur l’ensemble du territoire.

 

II.   Le dispositif proposÉ : un dispositif d’urgence temporaire pour davantage de souplesse dans l’offre de soins

● Larticle 1er prévoit que dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, les directeurs d’établissements publics de santé pourront s’affranchir de l’autorisation de l’ARS pour procéder à toute création, conversion ou regroupement d’activités de soins au sein de l’établissement public de santé afin d’adapter l’établissement à l’apparition d’une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population et afin d’assurer la permanence des soins de la population dans ce contexte.

Le regroupement consiste à réunir en un même lieu tout ou partie des activités de soins précédemment autorisées sur des sites distincts à l’intérieur de la même région ou réparties entre plusieurs régions.

La conversion consiste à transformer pour tout ou partie la nature de ses activités de soins ([19]).

Deux consultations seront exigées préalablement à chaque décision prise sur le fondement de cet article, au niveau du GHT et de la commission médicale d’établissement.

Une concertation sera exigée en premier lieu avec l’ensemble des établissements membres du GHT, par l’intermédiaire de son comité stratégique. Présidé par le directeur de l’établissement support au GHT, le comité stratégique comprend notamment les directeurs d’établissement, les présidents des commissions médicales d’établissement et les présidents des commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques de l’ensemble des établissements parties au groupement et, lorsqu’un hôpital des armées est associé au groupement hospitalier de territoire, les personnels occupant des fonctions équivalentes à celles mentionnées pour les représentants des établissements parties au groupement hospitalier de territoire ([20]). Il est le principal organe décisionnel du groupement, et doit notamment se prononcer sur la mise en œuvre de la convention et du projet médical partagé.

Un avis conforme de la CME sera également requis.

La commission médicale détablissement (CME)

La CME est l’organe de représentation des personnels médicaux, odontologiques et pharmaceutiques. Aux termes de l’article L. 6144-1 du code de la santé publique, elle contribue à l’élaboration de la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers, et propose un programme d’actions assorti d’indicateurs de suivi.

Elle est consultée sur différentes matières prévues par décret, notamment sur les orientations stratégiques de l’établissement, l’organisation interne de l’établissement ou encore la gestion prévisionnelle des emplois et compétences ([21]).

En dautres termes, le directeur ne pourra procéder à aucune adaptation des services ni recrutement sans le plein accord des équipes médicales.

Les mesures prises en application de l’article bénéficieront d’un financement d’office par le fonds d’intervention régional. Les hôpitaux pourront ainsi s’adapter à toutes les situations sanitaires et prendre les mesures nécessaires sans risque pour leur équilibre financier.

Le fonds dintervention régional (FIR)

Le fonds d’intervention régional (FIR) a été créé le 1er mars 2012, en application de l’article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2012 ([22]). Dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, le FIR vise à redonner de nouvelles marges de manœuvre aux agences régionales de santé (ARS) dans l’allocation des crédits au niveau local. Le fonds doit permettre aux ARS d’optimiser les dépenses, avec un objectif affiché de passage d’une logique de moyens et de financements fléchés à une logique d’objectifs et de résultats.

Depuis le 1er janvier 2016, conformément à l’article 56 de la LFSS 2015 ([23]), la gestion comptable et financière du FIR est confiée aux ARS, qui assurent les paiements, à l’exception des dépenses directement versées aux professionnels de santé. Les crédits associés font l’objet d’un budget annexe, qui leur permet de gérer et suivre l’exécution des crédits de façon pluriannuelle.

En 2018, les ressources du FIR s’élevaient à 3,5 milliards d’euros et étaient majoritairement issues d’une dotation des régimes obligatoires de base de l’assurance maladie, complétée par des dotations de l’État et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ([24]).

Ce financement pourra avoir lieu sans révision des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). Ceci permettra aux établissements de se concentrer sur leur cœur de métier, le soin, sans qu’il soit nécessaire de consacrer des moyens administratifs excessifs aux conséquences de leur action sur les objectifs inscrits dans le contrat. Ce dernier pourra naturellement être renégocié à la fin de la crise sanitaire.

Pour mémoire, les CPOM recensent les autorisations dont dispose l’établissement, les activités spécifiques et missions de service public qui lui sont confiées, ainsi que les financements dont il bénéficie. Ils sont signés pour une durée maximale de cinq ans entre l’ARS et chaque établissement, et peuvent donner lieu à des sanctions financières en cas d’inexécution partielle ou totale des objectifs fixés ([25]).

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*     *

Article 2
Rapport du Gouvernement sur les mesures prises en application de la loi

Le présent article prévoit la remise la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, relatif aux mesures prises en application de l’article 1er et à leur impact.

Seront ainsi étudiés les créations, regroupements et conversions d’activités de soins effectuées en application de la présente proposition de loi, de même que les éventuels recrutements.

Comme le précise l’exposé des motifs, ce rapport pourra être confié à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), compétente en la matière.

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Article 3
Intégration doffice des modifications apportées à loffre de soins au schéma régional de santé à lissue des douze mois

● L’article 3 prévoit l’inscription automatique dans le schéma régional de santé (SRS) des modifications apportées à l’offre de soins en application de l’article 1er (cf. supra), à l’issue de la période de douze mois.


Introduits en 2016 ([26]), les schémas régionaux de santé constituent le principal outil de planification de l’offre de soins à moyen-terme, qu’il s’agisse de soins de ville ou de soins hospitaliers. Définis pour cinq ans, ils forment avec les cadres d’orientation stratégiques (COS) d’une durée de dix ans les projets régionaux de santé (PRS) ([27]).

Source : projet de loi relatif à la santé (2014) – étude dimpact

Leurs missions sont définies à l’article L. 1434-3 du code de la santé publique.

S’agissant des soins de ville, le schéma régional de santé indique, dans le respect de la liberté d’installation, les besoins en implantations pour l’exercice des soins de premier recours et des soins de second recours. Les dispositions qu’il comporte en la matière ne sont pas opposables aux professionnels de santé libéraux.

Les établissements de santé, publics comme privés, sont pour leur part liés par les prescriptions du SRS, à l’échelle de « zones » infra-régionales délimitées par l’ARS ([28]).

À l’intérieur de ces zones, le SRS détermine :

– les objectifs quantitatifs et qualitatifs de l’offre de soins, précisés par activité de soins et par équipement matériel lourd, selon des modalités définies par décret ;

– les créations et suppressions d’activités de soins et d’équipements matériels lourds ;

– les transformations, les regroupements et les coopérations entre les établissements de santé.

Les prescriptions du schéma régional de santé guident la décision du directeur général de l’ARS d’accorder, ou non, une autorisation demandée par un établissement de santé (cf., supra, commentaire de l’article 1er).

Linscription automatique dans le SRS permettra de sécuriser juridiquement les adaptations engagées par les directeurs détablissement sur le fondement de larticle 1er. Chaque établissement de santé pourra ainsi procéder librement aux modifications rendues nécessaires par la situation sanitaire, sans risque de se voir opposer à l’issue des douze mois les objectifs en matière d’offre de soins inscrits dans le SRS.

● Le conseil territorial de santé (CTS) compétent rendra un avis sur les modifications apportées au schéma régional de santé.

Créés en 2016, les CTS ont vocation à associer élus et acteurs du système de santé locaux dans l’élaboration de la politique de santé à l’échelle du territoire.

L’article L. 1434-10 du code de la santé publique prévoit que le CTS est constitué par le directeur général de l’ARS. Il est notamment composé de représentants des élus des collectivités territoriales, des services départementaux de protection maternelle et infantile et des différentes catégories d’acteurs du système de santé du territoire concerné.

Le CTS contribue à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation du projet régional de santé, en particulier sur les dispositions concernant l’organisation des parcours de santé. Il est en outre chargé de l’élaboration du diagnostic territorial partagé, dont l’objectif est d’identifier les besoins sanitaires, sociaux et médico-sociaux de la population sur le territoire afin de remédier aux insuffisances en termes d’offre, d’accessibilité, de coordination et de continuité des services sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

La consultation du CTS préalablement à la modification du SRS permettra une meilleure circulation de linformation à léchelle locale, et constituera une plateforme déchange entre les différents acteurs au sujet de lévolution de loffre de soins pour les années suivantes. Si le CTS n’aura pas la capacité de s’opposer à la modification du SRS, il sera de cette manière associé aux adaptations engagées sur le territoire lors des douze mois d’application de l’article 1er.

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Article 4
Gage

 

Les articles 1er et 3 sont susceptibles de créer des charges pour l’État et les organismes de sécurité sociale.

Afin de compenser ces charges, le présent article prévoit une hausse à due concurrence de la fiscalité sur les tabacs, mentionnée aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 

 


 

   COMPTE RENDU DES TRAVAUX

Au cours de sa première séance du mercredi 17 juin 2020, la commission procède à lexamen de la proposition de loi de M. Stéphane Viry visant à élargir de manière provisoire le champ de compétences de la gouvernance des établissements publics de santé (n° 3041).

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9203503_5ee9c84e331da.commission-des-affaires-sociales--elargissement-de-maniere-provisoire-du-champ-de-competences-de-la-17-juin-2020

M. Stéphane Viry, rapporteur. Avec le covid-19, la France a fait face à un fléau d’une ampleur inédite dans son histoire récente. Près de 30 000 personnes en sont décédées sur notre territoire.

Pour les hôpitaux, le choc a été considérable. Jamais les établissements n’ont eu à faire face à un tel afflux de malades en un temps aussi court. Le 7 avril, 30 000 personnes étaient hospitalisées, dont 7 000 en réanimation – un nombre supérieur de moitié à la capacité habituelle du pays. Au début du mois d’avril, les hôpitaux d’Île-de-France n’avaient que vingt-quatre heures avant la surcharge.

Pour affronter cette crise, les établissements de santé ont déployé des trésors d’adaptabilité. Ils ont mobilisé tout leur personnel pour faire face aux besoins ; ils ont déprogrammé toutes les interventions chirurgicales pour libérer du temps et des moyens humains ; ils ont procédé à des réorganisations massives afin de libérer des lits, et bien souvent d’en ouvrir.

Cette efficacité, nous la devons au dévouement des acteurs de terrain ; leur travail a permis à notre système de santé de tenir le coup. Mais, ils nous l’ont dit lors des auditions, cela ne s’est pas fait sans mal. De manière générale, l’organisation de la réponse à la crise a péché par trop de centralisme. Ce sujet fait l’objet de débats qui, je l’espère, aboutiront. La structuration du dispositif de réponse sanitaire sur une base exclusivement descendante, du ministère de la santé aux agences régionales de santé (ARS), mérite d’être interrogée.

Qu’il s’agisse des masques, des tests, de la mobilisation du personnel ou de tant d’autres sujets, les équipes hospitalières ont montré de très grandes qualités sans que les services de l’État aient eu besoin de leur dire quoi faire. Cette proposition de loi n’a d’autre objet que de mettre notre confiance en ceux qui ont montré leur compétence au niveau local.

En portant un regard distrait sur notre pays, on pourrait croire que ce n’est plus nécessaire ; que grâce au sérieux de nos concitoyens, nous n’avons pas observé de deuxième vague. Mais le danger est toujours là. Selon le professeur Jean-François Delfraissy, président du comité de scientifiques : « Lépidémie nest pas finie et le virus continue à circuler. Laisser croire le contraire aux gens serait faux. Son intensité est moindre, mais il na pas disparu. » La deuxième vague peut arriver à tout moment. L’influence des conditions environnementales sur le virus, encore inconnue, ajoute aux incertitudes. La récente réapparition de foyers épidémiques en Chine n’est pas une bonne nouvelle.

Nous devons nous préparer au retour du virus, car, il ressort des propos du professeur Delfraissy que nous avons une chance sur deux d’affronter de nouveau l’épidémie, éventuellement dans des proportions similaires à celles de la première vague.

Toutefois, un autre phénomène pourrait être à l’origine de difficultés inattendues pour les professionnels de santé : le renoncement aux soins pendant la crise sanitaire. De nombreux Français atteints de maladies chroniques ne se sont pas rendus chez leur médecin traitant ou à l’hôpital, de peur de contracter le coronavirus. Selon un sondage d’IPSOS, 51 % des personnes souffrant de diabète, d’un cancer, d’une insuffisance rénale ou de maladies chroniques analogues ont renoncé à une consultation médicale en raison du covid-19. Pour 30 % des répondants, l’épidémie a eu un impact important sur la prise en charge de leur maladie. Souvent, ce renoncement aux soins entraîne des difficultés de santé supplémentaires – le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a évoqué une « vague silencieuse ».

Pour préparer les hôpitaux à l’éventualité d’une deuxième vague ou à la vague silencieuse du renoncement aux soins, cette proposition de loi tend à laisser davantage de souplesse à tous les hôpitaux publics pour procéder aux réorganisations dont ils auront besoin.

L’autorisation de l’ARS est requise pour la création, le regroupement ou la conversion d’une activité de soins à l’hôpital. Pour les établissements, cela représente un temps pouvant aller jusqu’à cinq ans. En période de crise, un régime dérogatoire existe, mais encore sur autorisation de l’ARS. Autrement dit, quel que soit le degré d’urgence d’une crise sanitaire, une autorisation de l’ARS est nécessaire pour réorganiser les services. Je ne crois pas que l’on puisse se fier à un tel système.

Le dispositif que je vous présente y remédierait.

L’article 1er dispense les hôpitaux publics d’autorisations sanitaires pour une durée de douze mois. Pendant cette période, les établissements publics de santé pourront procéder à toutes les créations, regroupements ou conversions d’activités de soins qu’ils souhaiteront, sans solliciter l’ARS. Les créations d’activités en urgence seront ainsi grandement facilitées.

Le financement de ces activités nouvelles sera pris en charge par les fonds d’intervention régionaux, hors tarification à l’activité. Les chefs d’établissement n’auront ainsi pas à craindre pour la situation budgétaire de ceux-ci.

L’article 3 prévoit l’intégration d’office des modifications de l’offre de soins au schéma régional de santé à l’issue des douze mois. Là encore, il s’agit de sécuriser le dispositif en garantissant aux chefs d’établissement et au personnel médical et soignant que les adaptations ne seront pas annulées du jour au lendemain, au motif qu’elles seraient contraires aux objectifs inscrits dans le schéma régional.

L’article 2 prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur les mesures prises en application de la loi, dix mois après son entrée en vigueur, afin d’assurer un suivi attentif de leurs effets.

Cette proposition de loi ne donne aucun chèque en blanc aux chefs d’établissement. Une double concertation est prévue afin qu’aucune décision ne soit prise hâtivement et que tous les acteurs hospitaliers soient associés. Au niveau interhospitalier, une concertation avec le comité stratégique du groupement hospitalier de territoire (GHT) permettra de coordonner les efforts des différents hôpitaux en situation de crise et de s’assurer de la bonne information de chacun. Au sein de l’hôpital, le chef d’établissement devra obtenir l’avis conforme de la commission médicale d’établissement (CME). Ce point est important : aucune décision modifiant les services ne pourra être prise sans le plein accord du corps médical.

Les hôpitaux publics méritent notre confiance, la réactivité, la responsabilité et la capacité de décision dont ils ont fait preuve face à la crise l’ont démontré.

Mme Stéphanie Rist. Pendant cette crise sanitaire, nous avons pu observer la forte mobilisation des acteurs au sein de nos hôpitaux, et la rapidité et l’efficacité des changements opérés dans les services pour faire face à cette situation exceptionnelle. Il a été possible de doubler le nombre de lits de réanimation en quelques semaines. L’administration, les dispositifs juridiques, et les protocoles de gestion interne ont permis cette réactivité.

Cette proposition de loi contient de nouvelles mesures de simplification pour répondre aux temps de crise. Il est ainsi proposé d’assouplir le régime d’autorisation des activités de soin afin que les établissements publics de santé puissent totalement s’affranchir de l’autorisation des ARS. Cette volonté de simplification, que notre groupe défend depuis 2017, est légitime.

Toutefois, le dispositif ne répond pas aux enjeux. L’exclusion des établissements de santé privés, acteurs essentiels au cours de cette crise, crée une rupture d’égalité potentiellement inconstitutionnelle. La mesure proposée fait doublon avec le droit existant, qui permet d’obtenir en vingt-quatre heures une autorisation exceptionnelle en cas d’état d’urgence sanitaire – plus de 150 autorisations à des hôpitaux publics et privés ont été octroyées au cours de cette crise. L’obligation de consultations et de rédaction d’avis s’oppose au besoin de rapidité, de souplesse et d’adaptation exprimé par les acteurs de terrain. L’éviction des ARS empêche toute coordination et régulation régionales, pourtant si nécessaires en ces temps de tension sanitaire.

Nous sommes convaincus que beaucoup reste à faire pour simplifier de nombreux processus administratifs, et nous attendons avec impatience le choc de simplification promis par le « Ségur de la santé ». Les solutions ici proposées posent des problèmes constitutionnels et pratiques et risquent d’entraîner une dérégulation de notre système de santé plutôt que la simplification attendue.

Le groupe La République en Marche s’y opposera.

Mme Josiane Corneloup. Cette proposition de loi du groupe Les Républicains vise à permettre aux établissements publics de santé d’organiser leurs services pour faire face à une deuxième vague épidémique et à la reprise des soins habituels, en accord avec les GHT et les commissions médicales des établissements concernés.

La crise sanitaire a profondément modifié l’organisation des services au sein des établissements hospitaliers. L’engagement des établissements de santé a permis de tripler le nombre de lits de réanimation pour éviter la saturation. Les capacités d’adaptation et le grand professionnalisme de l’ensemble du personnel de santé doivent être salués. Nous devons retrouver cette liberté d’agir et nous défaire d’une technocratie paralysante ; nous devons faire confiance.

Parallèlement à l’accueil des malades du covid-19, les établissements ont continué à prendre en charge les patients en risque vital. Des réorganisations de grande ampleur ont eu lieu dans des délais très courts, grâce à la mobilisation des équipes. Lorsque l’hôpital retrouve des marges de manœuvre et que l’administration est volontaire, les équipes sont capables d’organiser son fonctionnement de manière fluide et efficace.

Cette proposition traduit également une forme de reconnaissance, en permettant à l’ensemble du personnel de décider des adaptations de son organisation pendant douze mois. Ces dispositions sont très attendues par les équipes. Elles ont parfaitement su s’adapter ; laissons-les s’organiser pendant douze mois encore, afin d’accueillir dans les meilleures conditions tous les patients qui ont différé leurs soins de peur d’être contaminés, et de préparer l’éventualité d’une nouvelle vague épidémique.

M. Cyrille Isaac-Sibille. La crise du covid-19 produit des effets collatéraux dans la tête de nos collègues du groupe Les Républicains.

Les solutions issues du terrain sont évidemment les mieux adaptées ; il faut donner plus de liberté et de moyens. Or, tandis que tout le monde se plaint d’une suradministration des hôpitaux, il est proposé d’accroître les pouvoirs du directeur administratif plutôt que ceux des soignants, comme si, lors d’une bataille, le commandement était donné au génie et à l’intendance plutôt qu’aux combattants.

La loi « hôpital, patients, santé, territoires » (« HPST ») de 2009 a profondément modifié la gouvernance des hôpitaux, en excluant le personnel soignant et renforçant son sentiment de ne pas être écouté et d’être étouffé par une suradministration. Vous proposez d’assortir le pouvoir de décision des directeurs de l’avis des médecins : autant dire qu’à la fin, personne ne décide !

Les hôpitaux comptent de plus en plus de personnel administratif et de moins en moins de soignants. Pire, les directions chargent les soignants de tâches administratives. Il y a quelques années, les infirmières-cheffes, ou surveillantes, étaient habillées de blouses blanches et travaillaient au sein de leurs équipes. Elles exercent maintenant un travail de bureau, contraintes d’enchaîner des réunions qui produisent souvent de nouvelles contraintes. Les vraies infirmières consacrent de plus en plus de temps aux tâches administratives et de moins en moins au lit des malades. Ce sont les médecins et les infirmières des hôpitaux qui manquent d’oxygène ! Le problème ne se situe pas entre les directeurs d’hôpitaux et les ARS, qui partagent le même cursus et la même formation, mais entre les soignants et leur administration. C’est le sens des propositions que le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés soumettra dans le cadre du « Ségur de la santé ».

Donner plus de moyens aux directeurs et prévoir que leurs décisions seront obligatoirement financées par les ARS, c’est open bar !

Le groupe du MoDem ne soutiendra pas ce texte. Si la question de la gouvernance des établissements doit être soulevée, nos propositions vont dans la direction opposée aux vôtres.

M. Boris Vallaud. Cette proposition soulève des questions qui se posaient avant la crise du covid-19, notamment celle des moyens. Si le groupe Socialistes et apparentés convient qu’il faut donner plus de moyens à l’hôpital, notamment en personnel, en lits et en investissements, la question de la gouvernance ne peut pas être dissociée de la lisibilité de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie et de la tarification.

Cette proposition se présente comme un dispositif d’urgence, mais sa pérennisation risquerait d’organiser la gouvernance sans tirer les leçons de la crise, notamment s’agissant de la participation des soignants. S’il faut laisser des libertés au terrain et revoir la gouvernance de l’hôpital, je me méfie des inégalités que l’autonomie des établissements pourrait produire dans l’accès aux soins.

Si je partage les préoccupations des auteurs de cette proposition, je ne peux soutenir cette dernière.

M. Philippe Vigier. Le groupe Libertés et Territoires soutiendra cette proposition. Il s’agit d’une expérimentation, et ceux qui pensent tout savoir devraient se référer aux propos de Voltaire rappelés par Pr. Salomon devant la commission d’enquête : « Avant de savoir, on ne sait pas. »

Nous avons connu un désordre considérable, et il est heureux que nous ayons pu compter sur les initiatives locales. Le Président de la République a d’ailleurs rappelé que tout ne devait pas se décider à Paris. Cette proposition laisse l’initiative aux acteurs de terrain, et nous serions libres de retenir les meilleures initiatives. Certes, il est possible de changer les choses en vingt-quatre heures, mais peut-être était-ce plus simple à Orléans qu’à Chartres ? C’est le sens des conclusions de la commission d’enquête sur les conditions d’accès aux soins, dont j’étais rapporteur.

Les décisions, évaluées par l’Inspection générale des affaires sociales, ne seront pas l’apanage d’un directeur. Une concertation est prévue avec le groupement hospitalier, donc la communauté médicale sera associée aux décisions. Toutes les conditions d’une expérimentation sont réunies ; pourquoi nous priver de cette possibilité ?

Mme Caroline Fiat. L’intention est louable : s’adapter au contexte local et tirer profit des expérimentations prometteuses pour lutter contre le non-recours aux soins et éviter une deuxième vague épidémique. Toutefois, cet objectif ne doit pas s’opposer à une offre de soins juste et harmonisée sur l’ensemble du territoire.

Les directeurs d’établissement sont au service de notre politique de santé. S’ils doivent être étroitement associés aux prises de décisions concernant leurs hôpitaux et formuler des propositions, il revient à la direction générale de l’offre de soins du ministère de la santé de piloter nos hôpitaux.

Au niveau de l’établissement, c’est à l’ensemble des professionnels de santé et des usagers qu’il devrait revenir d’établir un diagnostic. Le directeur d’établissement ne devrait être qu’un chef d’orchestre.

Depuis la loi « HPST », les directeurs ont des pouvoirs très étendus qui s’opposent souvent à la logique médicale. Accentuer ce pouvoir pourrait entraîner des situations malvenues à l’heure ou la tarification à l’activité et les regroupements hospitaliers incitent les directeurs d’hôpitaux à faire le plus d’économies possible. Travailler plus étroitement avec les directeurs d’hôpitaux est une nécessité, mais leur laisser totalement les clefs fait courir le risque de dérives majeures, et d’une rupture d’égalité dans l’accès aux soins.

La gouvernance de l’hôpital devrait intégrer les patients et les syndicats. La structuration très bureaucratique de l’hôpital, autour des fonctions administratives déconnectées de la pratique des soignants, est problématique.

Le groupe La France insoumise votera contre cette proposition de loi.

Mme Martine Wonner. Depuis le début de la crise sanitaire, les établissements publics de santé ont connu d’immenses difficultés pour gérer de nombreuses problématiques : manque de moyens, manque de lits, manque de personnel, manque d’équipement. Les soignants se sont battus corps et âme pour soigner et protéger notre population dans des conditions de travail parfois insoutenables. Après avoir reçu leur aide pendant près de trois mois, il est de notre devoir de leur rendre la pareille en changeant leur quotidien, en facilitant leurs activités, tout simplement en les respectant.

Cette crise a permis de nombreux constats concernant la gouvernance des établissements publics de santé. Lorsque certains services étaient surmenés, d’autres étaient presque vides. Alors que le manque de moyens était évident, chaque établissement a réorganisé ses services pour absorber le surplus de patients en réanimation. Cela démontre que l’organisation concrète de terrain peut être faite par les professionnels de santé, et notamment par les directeurs.

Ce constat ne doit pas rester sans suite ; une nouvelle organisation des établissements publics de santé est prioritaire. La crise a démontré avec cruauté la désuétude d’une organisation administrative pesante. Le système de santé a produit une organisation inefficace dans trop de territoires ; le trop-plein administratif a empêché d’agir concrètement et efficacement dans nos hôpitaux publics. Il est temps d’attribuer des prérogatives organisationnelles pleines à chaque établissement.

Nous devons aller plus loin. Cette solution dérogatoire courageuse doit être poursuivie afin de prendre en compte la voix des professionnels, et l’organisation territoriale de la santé doit être repensée en profondeur. Ce texte propose les fondations d’un système de santé renouvelé et plus proche des réalités de chaque établissement. Expérimentons ! Le fonctionnement actuel, trop lourd administrativement, s’est avéré insuffisant. Il ne faut pas nous en tenir à une mesure d’urgence, ce nouveau système décisionnel proche des réalités de terrain devra faire l’objet d’une évaluation.

Le groupe Écologie Démocratie Solidarité soutient cette proposition.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Ce débat sur la gestion de nos hôpitaux nous permet de rendre hommage aux structures hospitalières. Au cours de cette crise d’une ampleur sans précédent, tous les soignants et le personnel des hôpitaux ont fait preuve d’une capacité d’organisation remarquable. Nous leur devons admiration, mais surtout respect ; leurs capacités d’adaptation, leur courage et leur investissement ont permis à l’hôpital de tenir.

En assouplissant certaines procédures et en s’affranchissant de lourdeurs administratives, ils ont temporairement répondu à un problème inédit. Faut-il pour autant supprimer ces règles ? En bonne Normande, ma réponse balance entre un « oui » franc – permettant de libérer les initiatives – et un « non » prudent – car les règles administratives existent pour protéger, même si elles allongent parfois les délais.

Nous sommes tous d’accord pour réformer l’hôpital, et singulièrement les procédures administratives dont les effets sont délétères, mais prenons garde aux décisions sous le coup de l’émotion. Cette proposition présente des inconvénients. Elle ne concerne pas les hôpitaux privés, pourtant nécessaires à la coordination des soins. Elle octroie une place prépondérante aux directeurs, mais lors de la crise, ce sont les soignants qui se sont organisés de manière autonome.

Alors qu’une large concertation est en cours dans le cadre du « Ségur de la santé », il est urgent d’agir, mais avec précaution. Le groupe Agir ensemble ne votera pas cette proposition.

M. Pierre Dharréville. Cette proposition instaure un dispositif d’urgence temporaire pour adapter l’offre publique de soins à des catastrophes sanitaires.

Nous partageons les constats : l’engagement du personnel, grâce auquel l’hôpital a tenu debout, mais la reconnaissance n’est pas au rendez-vous ; l’affection comptable et managériale dont souffre la gouvernance du service public hospitalier, qui nécessite de replacer l’humain et le soin au cœur de son fonctionnement.

Toutefois, les solutions proposées passent sous silence les causes profondes de l’affaiblissement du service public. Avant même l’épidémie, les lits, le personnel, le matériel médical manquaient. La question des moyens affectés aux hôpitaux est donc primordiale. La résistance de ceux-ci s’est payée d’un épuisement important et du renoncement aux soins d’une part de nos concitoyens.

Les projets de réorganisation à marche forcée m’inquiètent ; les moments de crise ne sont pas toujours les plus adaptés. L’hôpital ne doit pas être géré comme une entreprise, et mettre les établissements en concurrence pourrait être délétère.

M. Bernard Perrut. Plus qu’une nécessité, donner davantage d’autonomie et de souplesse à nos hôpitaux est une exigence. Nos hôpitaux ont retrouvé des marges de manœuvre dès lors que l’administration s’est montrée volontaire. Les équipes ont été capables d’organiser le fonctionnement de manière fluide et efficace. Outre le personnel soignant, les équipes de direction, les équipes techniques et les équipes administratives ont réalisé un travail admirable.

Dans ma circonscription, j’ai constaté l’agilité de l’hôpital et du GHT. Les recrutements indispensables à la gestion des patients ont été réalisés sans accroc. Le déploiement des outils numériques a permis des gains de temps et d’efficacité, améliorant le lien avec les patients et la médecine de ville. L’introduction de fonctions territorialisées a accéléré la déclinaison du projet médical partagé des établissements du GHT. La filière gériatrique a pu venir en aide aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), et l’établissement support du GHT a permis de déployer les moyens pour prendre en charge les patients atteints du covid-19, ainsi que ceux touchés par d’autres pathologies imposant une hospitalisation. La souplesse est donc essentielle, et nos hôpitaux en ont fait preuve.

Les mesures proposées sont essentielles, mais il faut aller plus loin encore. J’ai déposé une proposition de résolution invitant le Gouvernement à étudier les évolutions possibles de réorganisation du système de santé entre les différents échelons de décision stratégique, de responsabilité et d’application des politiques de santé. Notre réflexion doit dépasser les seuls aspects territoriaux, et inclure l’organisation des ARS. Souvent critiquées, elles ont aussi montré qu’elles pouvaient être efficaces. Monsieur le rapporteur, seriez-vous favorable à une cogouvernance incluant les régions, s’agissant des établissements de santé, et les départements s’agissant des EHPAD ?

Mme Monique Iborra. L’hôpital public a répondu efficacement à l’urgence, malgré des conditions particulièrement difficiles. Les propositions de loi issues de la droite comme de la gauche excluent le secteur privé, dont l’intervention, en coordination avec l’hôpital public, a été déterminante pour recevoir des malades, notamment en réanimation.

Est-ce l’organisation du « Ségur de la santé », centrée sur l’hôpital public, qui explique que votre proposition de loi exclut le secteur privé, alors que vous recherchez l’efficacité ? Pourriez-vous nous expliquer la motivation de votre démarche ?

M. Jean-Pierre Door. Je voterai cette proposition intelligente, qui vise à donner plus de souplesse à l’organisation de nos hôpitaux. Il s’agit d’améliorer le plan blanc renforcé mis en œuvre lors de cette crise et de transformer ou déplacer certains services en douceur, rapidement, et en accord avec la CME, les professionnels de santé et le personnel soignant.

Face à la crise, tout le personnel a réagi immédiatement sans chercher à entraver les décisions de l’administration. Les CME ont été actives. Au sein du centre hospitalier de ma circonscription, les contacts étaient permanents entre le GHT, la direction de l’établissement et le chef de pôle soins intensifs. Il faut pérenniser cette organisation, qui peut également être utile en d’autres circonstances, notamment en cas de terrorisme ou d’accident biologique.

Mme Isabelle Valentin. La crise a démontré la capacité des équipes à s’organiser de manière efficace. Alors que nos hôpitaux souffrent de profondes rigidités d’organisation qui ne permettent pas une évolution rapide pour faire face à des tensions financières croissantes, le personnel des services a su s’adapter au plus fort de la crise.

Il est essentiel de moderniser le management des établissements de santé, ce qui implique de renouveler la gestion des ressources humaines hospitalières et la reconnaissance professionnelle. Les services doivent retrouver leur rôle collectif dans l’organisation des soins et le management des équipes soignantes. Moderniser le pilotage de l’hôpital nécessite d’élargir les compétences des commissions médicales d’établissement pour renforcer la participation des médecins au pilotage des hôpitaux.

Cette proposition apporte des solutions au risque d’une deuxième vague épidémique et au besoin urgent de procéder aux opérations qui ont été reportées pendant la crise. L’expérimentation proposée offre une marge de manœuvre plus importante aux directeurs d’établissement. Elle est essentielle pour le redressement de l’hôpital.

Dans de nombreux territoires, les ARS se sont avérées inefficaces. En revanche, des partenariats et des collaborations ont vu le jour entre médecine de ville, hôpitaux privés et services de soins infirmiers à domicile. Tentons cette expérimentation et évaluons-en les tenants et les aboutissants.

M. Jean-Pierre Vigier. Cette expérimentation est indispensable, et doit être pérennisée pour élargir la gouvernance des hôpitaux aux directeurs et aux professionnels de santé, et ainsi améliorer la souplesse, la rapidité et l’efficacité des décisions.

La mainmise actuelle des ARS peut mettre en péril certains hôpitaux, notamment ruraux. Dans ma circonscription, un petit hôpital rural était en péril, car l’ARS bloquait l’acquisition d’un scanner dont tout le monde constatait la nécessité. Après un changement de l’ARS, l’installation du scanner a été autorisée et cet hôpital rural a retrouvé un avenir.

Je soutiendrai cette proposition de loi, et j’invite à ce que l’expérimentation permettant d’assouplir la gouvernance se pérennise au-delà des douze mois initiaux.

M. le rapporteur. Cette proposition de loi, sur la base de constats empiriques récents, se veut promotrice de la confiance dans les pratiques locales qui ont montré leur efficacité pour trouver des solutions, et qu’il ne faudrait pas que la bureaucratie vienne entraver. Elle n’a pas vocation à préfigurer la réforme de l’hôpital, qui sortira plutôt du « Ségur de la santé » lancé par le Gouvernement. De façon bien plus modeste, elle entend surtout répondre à l’urgence que nous avons ressentie au contact de nos soignants depuis plusieurs semaines.

J’ai entendu que cette proposition produirait de la dérégulation. Or elle affirme bien la nécessité de passer par une concertation au niveau des GHT pour apporter une réponse proportionnée et adaptée aux territoires.

Elle introduirait une rupture d’égalité en n’incluant pas les établissements privés dans son périmètre : de jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel admet que l’on peut, en matière de santé, traiter différemment les établissements selon leur nature, et accepter sur un plan juridique les différences de gestion entre secteur public et secteur privé.

Quant à y voir une exclusion des ARS, cela me paraît excessif. Je souhaite qu’une autorité publique garantisse l’offre territoriale de soins et l’accès aux soins pour tous, car je considère que la puissance publique peut tout autant réguler et planifier que fluidifier, voire inciter à des réponses médicales territorialisées. Toutefois, en l’espèce, l’urgence commande de savoir s’écarter du principe d’organisation générale, dont les ARS sont effectivement chargées ; il ne s’agit en rien d’un procès d’intention à leur encontre.

D’ailleurs, anticipant sur le prochain travail de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur les ARS, je ferai valoir qu’elles ne sont pas à jeter, bien au contraire, car il faut des entités tutélaires organisatrices. Simplement, elles devraient s’attacher à donner à leur gouvernance un caractère plus territorial, en associant des élus à certaines décisions, et à éviter d’avoir une administration par trop bureaucratique.

L’idée de cette proposition de loi est, en effet, de répondre à des enjeux majeurs et immédiats, directement liés à l’intervention du directeur général de la santé, hier, dans nos murs, et à ce qui se passe actuellement en Chine. Le pays doit se réarmer pour être prêt à affronter une éventuelle deuxième vague, d’autant que la reprise des soins qui avaient été déprogrammés pourrait créer une embolie dans le système. Personne ne comprendrait que nous attendions pour prendre des décisions, après l’allocution du Président de la République de dimanche dernier, invitant à se préparer à une autre vague épidémique et à adapter les processus en les rendant plus agiles et plus souples, et en se tournant vers des solutions territoriales. Ma proposition de loi tient de cet esprit.

Il ne s’agit en aucun cas d’écarter les soignants puisque la CME aurait à donner un avis et que la décision du directeur ne serait prise que conformément à celui-ci. Les équipes médicales sont là au cœur du dispositif, et il ne saurait y avoir de réorganisation territoriale sans l’accord des soignants. Je ne comprends donc pas cette objection.

C’est la fonction même du chef d’établissement que de prendre des décisions et d’en assumer la responsabilité juridique en cas de faille ou de recours engagé par un patient. Cette responsabilité ne saurait être éparpillée ici et là. La cohérence veut que le chef d’établissement soit identifié comme celui qui la porte, mais cela n’écarte pas pour autant les personnels soignants du champ de la décision. Du reste, on a bien vu, au cours de cette crise, que ce sont les chefs d’établissement qui, au quotidien, sont allés chercher des solutions pour faire face à la vague épidémique, bien sûr en accord avec leur personnel soignant. L’adaptation de l’offre de soins s’est faite sous leur autorité, et je n’ai fait qu’en tirer la leçon dans ma proposition de loi.

Au sein de l’opposition de gauche, j’ai noté que Boris Vallaud partageait notre intention, et qu’il nous invitait à revoir la gouvernance pour laisser de la souplesse aux territoires. Nous n’avons pas de désaccord sur l’esprit. Caroline Fiat comprend nos intentions « louables » et partage nos objectifs, mais elle souhaite ajouter une strate qui produirait, selon moi, davantage de bureaucratie et ne serait pas adaptée à une situation d’urgence.

Je remercie mes autres collègues pour leur soutien à cette initiative parlementaire, qui cherche, en effet, à répondre immédiatement en partant des réalités du terrain et des constatations faites au cours de cette vague épidémique, notamment pour l’organisation des soins dans les établissements publics.

Je me suis doucement amusé de la réponse normande d’Agnès Firmin Le Bodo, qui tend à basculer dans le « en même temps »... L’avis conforme que je souhaite voir exprimer par la CME vous laisse penser qu’il y aurait un défaut de collégialité, mais il n’en est rien.

Enfin, je suis très favorable à optimiser et à massifier la coopération public-privé en matière de soins en général. L’expérimentation, hélas douloureuse, du Grand Est a servi de leçon dans les autres régions, où les établissements privés ont été associés à la réponse sanitaire. Il était tout à fait aberrant qu’à un certain moment, 70 000 réanimateurs soient disponibles dans les cliniques privées sans être mis à la disposition du public et que des lits soient vides au moment du pic épidémique. C’est donc légitimement qu’il faut donner une place au public et optimiser la coopération avec lui.

La proposition de loi distingue néanmoins entre le public et le privé, car les établissements privés disposent déjà de beaucoup plus d’autonomie. Ils n’ont pas besoin d’un dispositif législatif pour pouvoir déroger à certaines règles. De surcroît, j’ai constaté, dans le Grand Est comme ailleurs, que ce sont les hôpitaux publics qui ont été la première ligne de front, le ministre de la santé ayant décidé de leur donner un flux exclusif en écartant les solutions du privé qui pouvaient être directement réactives sur le terrain. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas intégré le privé dans cette proposition de loi, qui répond à une situation d’urgence et n’a pas vocation à réformer l’ensemble de notre système santé.

 

La commission aborde lexamen des articles de la proposition de loi.

 

Article 1er : Dispense dautorisation pendant douze mois pour la création, la conversion et le regroupement dactivités de soins destinées à assurer la permanence des soins

 

La commission est saisie de lamendement AS1 de Mme Caroline Fiat.

Mme Caroline Fiat. Il s’agit d’associer les soignants, les associations d’usagers et les partenaires sociaux aux décisions prises par le chef ou la cheffe de l’établissement, pour en permettre une meilleure compréhension et y faciliter l’adhésion de l’ensemble des personnes impliquées.

M. le rapporteur. Avis défavorable, non pas sur le principe, mais parce que je souhaite que l’on s’en tienne à la version initiale du texte.

Je prévois déjà deux mécanismes de concertation avant chaque décision : l’une avec la CME, ce qui exclut que le directeur puisse agir sans le consentement du corps médical, et l’autre avec le GHT, pour assurer une coordination plus territoriale. Cela me semble une juste mesure s’agissant d’un dispositif d’urgence.

Mme Caroline Fiat. C’est dommage, car pendant la crise sanitaire, les directeurs ont su travailler avec les personnels dans l’urgence, par exemple pour créer des lits de réanimation. C’est tout à fait faisable.

Mme Stéphanie Rist. Nous sommes contre l’amendement, car nous sommes contre l’article, même si nous sommes d’accord pour dire qu’il faut augmenter la confiance envers les acteurs et diminuer la bureaucratie.

Contrairement à ce que vous dites, votre proposition de loi entraînerait une vraie dérégulation, car le GHT, parce qu’il n’inclut pas le privé et la médecine de ville, ne régule pas l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, je vous renvoie aux ordonnances du 3 janvier 2018, qui ont été mises en œuvre avec l’arrêté du 23 mars 2020, et qui permettent de valider des activités de soin de manière dérogatoire. L’objectif de votre proposition de loi est donc déjà atteint.

La commission rejette lamendement.

 

Puis elle rejette larticle 1er.

 

Article 2 : Rapport du Gouvernement sur les mesures prises en application de la loi

 

La commission rejette larticle 2.

 

Article 3 : Intégration doffice des modifications apportées à loffre de soins au schéma régional de santé à lissue des douze mois

 

La commission rejette larticle 3.

 

Article 4 : Gage

 

La commission rejette larticle 4.

 

Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

 

M. Jean-Pierre Door. Il est bien regrettable que le « Nouveau monde » fasse de l’obstruction sur une proposition de loi qui était tout à fait recevable et qui devait permettre d’aller le plus vite possible pour donner de la souplesse au système.

M. le rapporteur. L’attention que vous avez porté à ce sujet manifeste une prise de conscience de la nécessité de disposer d’un système sanitaire très réactif. Puisse la discussion que nous aurons dans l’hémicycle être aussi vive et animée que celle de ce matin, comme le requiert un texte de cette nature !

*

*     *

Lensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de larticle 42, alinéa 1, de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi, que la commission demande à lAssemblée nationale de rejeter.

 

 


 

   annexe

Liste des personnes auditionnées par lE rapporteur

     Fédération hospitalière de France (FHF) M. Alexis Thomas, directeur de cabinet, et M. Marc Bourquin, conseiller

     Syndicat des managers publics de santé (SMPS) – M. Emmanuel Luigi, secrétaire général adjoint, directeur général adjoint du CHU de Besançon

     Ministère des solidarités et de la santé, direction générale de loffre de soins (DGOS)  Mme Sylvie Escalon, sous-directrice de la régulation de l’offre de soins, Mme Céline Castelain-Jedor, cheffe de bureau « plateaux techniques et prises en charge hospitalières aiguës », et M. Raphael Yven, directeur de cabinet

     Agence régionale de santé Grand Est Dr. Marie-Ange Desailly-Chanson, directrice générale

 

 


([1]) Santé publique France, bulletin épidémiologique du 9 avril 2020.

([2]) Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles – Risque épidémique et biologique (cf. infra).

([3]) Roques L, Klein EK, Papaïx J, Sar A and Soubeyrand, « Impact of Lockdown on the Epidemic Dynamics of COVID-19 in France », Front. Med., 5 juin 2020.

https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmed.2020.00274/full

([4]) Salje et al., « Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France », 20 avril 2020.

https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-02548181

([5]) Fontanet et al., « Cluster of COVID-19 in northern France : A retrospective closed cohort study », 23 avril 2020.

https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.18.20071134v1

([6]) Mission d’information de la Conférence des présidents sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 – Table ronde du 29 avril 2020 réunissant, par visioconférence, Mme Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE), M. Bruno Lina, virologue et professeur au CHU de Lyon, chef d’équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI), Mme Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et au CIRI, et M. Christophe d’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur.

([7]) https://www.who.int/news-room/commentaries/detail/immunity-passports-in-the-context-of-covid-19

([8]) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_2_juin_2020.pdf

([9]) https://www.leparisien.fr/societe/quoi-qu-il-arrive-on-ne-pourra-pas-refaire-un-confinement-generalise-en-france-04-06-2020-8330127.php

([10])  Mission d’information de la Conférence des présidents sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 – audition, en visioconférence, de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, et de Mme Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins, jeudi 23 avril 2020.

([11]) https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/publication/documents/2020-05/ipsos_enquete_amgen.pdf

([12]) Loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

([13]) En bleu : liste des activités de soins (article R. 6122-25 du code de la santé publique).

En rose : liste des équipements matériels lourds (article R. 6122-26 du code de la santé publique).

([14]) Article 1er de l’ordonnance n° 2018-4 du 3 janvier 2018 relative à la simplification et à la modernisation des régimes d’autorisation des activités de soins et d’équipements matériels lourds.

([15]) Article L. 6122-9-1 du code de la santé publique.

([16]) Article 7 de l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

([17]) Article R. 3131-10 du code de la santé publique.

([18]) Article L. 6143-7 du code de la santé publique.

([19]) Article L. 6122-6 du code de la santé publique.

([20]) Article L. 6132-2 du code de la santé publique.

([21]) Article R. 6144-1 du code de la santé publique.

([22]) Loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012.

([23]) Loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015.

([24]) Ministère des solidarités et de la santé, Fonds d’intervention régional – rapport.

([25]) Article L. 6114-1 du code de la santé publique.

([26]) Article 158 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([27]) Article L. 1434-2 du code de la sécurité sociale.

([28]) Article L. 1434-9 du code de la sécurité sociale.