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N° 3391

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er octobre 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI

relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides
et les personnes protégées

PAR Mme Annie CHAPELIER

Députée

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 3219.


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS............................................ 5

Commentaire de larticle unique de la proposition de loi

Article unique (art. L. 7541, L. 754­2, L. 7543, L. 7544, l. 7545, L. 7546 et L. 7547 [nouveaux] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées

I. la situation des réfugiés dans notre pays nécessite une prise de conscience générale

A. De qui parle-t-on ?

B. la politique dintÉgration progresse mais reste insuffisante

1. Une mobilisation salutaire engagée en 2018

2. Les réfugiés restent fortement touchés par lexclusion et la précarité

II. État, associations et citoyens : lintÉgration des rÉgugiÉs doit devenir laffaire de tous

A. Une proposition de loi qui sinscrit dans un mouvement global

1. Le modèle canadien

2. Un dispositif adaptable et en expansion

B. la mise en place du parrainage citoyen

III. une proposition de loi adoptée par la commission

Compte rendu des débats

1. Deuxième réunion du jeudi 1er octobre 2020

2. Troisième réunion du jeudi 1er octobre 2020

PERSONNES ENTENDUES


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Mesdames, Messieurs,

Le parrainage, qui marque l’entrée d’une personne, soutenue par ses parrains, dans la communauté, n’a jamais connu la consécration civile qu’il méritait. Pourtant, à travers l’histoire, cette forme singulière d’engagement n’a eu de cesse de s’enrichir et recouvre désormais un sens républicain et citoyen.

La présente proposition de loi, relative au parrainage citoyen des réfugiés, des apatrides et des personnes protégées, entend l’inscrire dans cette longue tradition républicaine d’accueil et d’intégration « des étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté » proclamée dès 1793 et la Constitution de l’an I. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirmait que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit dasile sur les territoires de la République ». En 1993, le Conseil constitutionnel a consacré cette exigence dont « il incombe au législateur dassurer en toutes circonstances lensemble des garanties légales » ([1]).

Face aux situations de précarité réelles auxquelles sont confrontés de nombreux étrangers bénéficiaires d’une protection internationale, ce texte entend permettre, à sa mesure, à la France de renouer avec ses valeurs historiques, ses engagements internationaux et son devoir moral. Durant la crise migratoire qui a touché l’Europe à partir de 2015, chaque pays a pris ses responsabilités. À cette même date, l’Allemagne a fait un choix courageux. « Wir schaffen das » promettait la chancelière Angela Merkel : l’Allemagne a essayé, et l’Allemagne y est arrivée. Cinq ans après ce discours historique, plus d’un million de réfugiés ont été accueillis dans ce pays grâce à la mise en œuvre d’une politique volontariste, dépassionnée et pragmatique.

Au-delà de la France, ce texte s’adresse également aux Français. Il porte en effet l’ambition d’interpeller les citoyens afin de les associer davantage à l’enjeu majeur de l’accueil et de l’intégration des réfugiés. Il est essentiel de perpétuer et de faire vivre, au quotidien, le principe de fraternité, dont la valeur constitutionnelle a été reconnue, en 2018, précisément pour garantir la « liberté daider autrui dans un but humanitaire » ([2]).

Inscrite à l’ordre du jour de la journée du jeudi 8 octobre 2020 réservée aux initiatives du groupe Écologie, Démocratie et Solidarité, la proposition de loi qui vous est présentée a été cosignée par l’ensemble de ses membres ainsi que par des députés issus de six groupes politiques. Elle a été adoptée à l’unanimité par la commission des Lois lors de sa réunion du 1er octobre 2020. Porté par une démarche transpartisane et par une volonté de rassembler, ce texte entend initier un double mouvement : valoriser les initiatives salutaires qui sont portées dans le pays et insuffler le nouvel élan que mérite une véritable politique d’intégration en France.

 

 

             


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   Commentaire de l’article unique
de la proposition de loi

Article unique
(art. L. 7541, L. 754­2, L. 7543, L. 7544, l. 7545, L. 7546 et L. 7547 [nouveaux]
du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de la proposition de loi tend à introduire dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile un dispositif expérimental permettant à des associations ou des groupements de particuliers de parrainer un étranger bénéficiaire d’une protection internationale.

       Modifications apportées par la Commission

Outre deux amendements rédactionnels, la Commission a adopté un amendement de sa rapporteure permettant aux associations qui participent à l’expérimentation de se prononcer sur sa pertinence dans le cadre de l’évaluation à laquelle est subordonnée sa reconduction.

I.   la situation des réfugiés dans notre pays nécessite une prise de conscience générale

A.   De qui parle-t-on ?

1.   Les réfugiés, les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides

Ceux que l’on appelle les réfugiés ne sauraient se résumer à une catégorie administrative unique d’étrangers sans visages, sans noms et sans histoires propres : ce sont d’abord des hommes, des femmes et des familles qui ont fui la guerre ou la persécution pour trouver en France la protection dont ils ne pouvaient bénéficier dans leur pays d’origine.

Le statut de ces personnes n’est pas uniforme. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) offre en effet différents types de protection aux personnes qui demandent l’asile en France :

– en application de l’article L. 711‑1, le statut de réfugié est reconnu à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ([3]), placée sous le mandat du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou qui répond aux définitions de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, c’est-à-dire à « toute personne craignant avec raison dêtre persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » ;

– l’article L. 712‑1 dispose que la protection subsidiaire est accordée à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir la peine de mort ou une exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ou, s’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ;

– la qualité dapatridie est reconnue, sur le fondement de l’article L. 812‑1, à toute personne relevant de l’article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides, à savoir toute personne « quaucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ».

L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) est chargé de reconnaître la qualité de réfugié ou d’apatride et d’accorder le bénéfice de la protection subsidiaire aux demandeurs d’asile. Au 31 décembre 2019, 308 583 personnes (hors mineurs accompagnants) étaient placées sous sa protection : 244 501 bénéficiaient du statut de réfugié, 62 561 de la protection subsidiaire et 1 521 du statut d’apatride. Sur la seule année 2019, 45 988 personnes, dont 9 849 mineurs accompagnants, ont obtenu le bénéfice d’une protection internationale.

En France, les réfugiés sont principalement originaires du Sri Lanka (9 %), de la République démocratique du Congo (7 %) et du Soudan (6,5 %) même si, en 2019, l’octroi de ce statut a d’abord bénéficié aux ressortissants soudanais (13,5 %), guinéens (7,5 %) et syriens (6,5 %). Les bénéficiaires de la protection subsidiaire sont avant tout afghans (30 %) – 41 % sur la seule année 2019 – et syriens (15 %) compte-tenu de la situation géopolitique très instable de ces deux pays.

Les femmes représentent environ 40 % de la population protégée, à la fois chez les réfugiés et chez les bénéficiaires de la protection subsidiaire. En 2019, 85 % des femmes irakiennes ayant déposé une demande d’asile, 83 % des syriennes et 76 % des afghanes ont obtenu le bénéfice d’une protection.

2.   L’accès national et international à la protection

La principale voie de la demande dasile en France est nationale. Elle concerne les personnes qui arrivent ou qui sont présentes sur le territoire français et qui demandent le bénéfice d’une protection internationale directement auprès de l’OFPRA. L’Office instruit ces demandes et décide d’octroyer ou non la protection. Cette décision est susceptible de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui, en cas de désaccord avec l’OFPRA, peut rendre une décision d’octroi. Cette procédure a abouti à une décision favorable pour 36 139 demandeurs dasile en 2019.

Le contexte de la hausse de la demande d’asile, qui s’est accélérée en 2015 avec la crise migratoire qui a touché l’Europe, a fortement contraint la procédure. Dans le même temps, la dégradation des conditions de traitement des demandes d’asile s’est poursuivie : le délai moyen d’examen a atteint 161 jours en 2019.

Évolution du nombre de demandes de protection

Source : OFPRA

Si la voie internationale de laccès à la protection est de moindre importance, votre rapporteure souhaite néanmoins insister sur sa pertinence, au regard de la pression exercée sur la voie nationale et parce qu’elle est intimement liée, dans le modèle canadien ([4]), au dispositif de parrainage privé que le pays a mis en place en parallèle de la procédure de réinstallation.

Sous l’égide du HCR, la réinstallation constitue la principale procédure internationale daccueil des réfugiés. Elle consiste à transférer ces personnes d’un premier pays d’asile vers un autre État qui accepte de les accueillir.

En France ([5]), les principaux bénéficiaires de cette procédure sont des Syriens, des Soudanais et des Érythréens pris en charge par le HCR principalement en Turquie, au Tchad, au Liban, au Niger, en Jordanie et en Égypte. Afin d’organiser le processus de transfert, l’OFPRA organise des missions à l’étranger – 15 pour l’année 2019 –, principalement au Moyen-Orient et au Sahel.

Sur les 64 000 réinstallations organisées par le HCR en 2019, environ 4 500 ont été réalisées en France. Conformément à l’engagement pris par le Président de la République en octobre 2018, la France a permis la réinstallation de 10 000 réfugiés sur la période 2018-2019 en plus des 10 000 accueils réalisés sur la période 2014-2018.

Le dispositif est appuyé, au sein de l’Union européenne, par le Fonds asile, migration et intégration (FAMI), institué par un règlement de 2004 ([6]), dont la portée financière et contraignante s’avère néanmoins limitée. Dans le cadre de la refonte du régime d’asile européen commun, la Commission européenne a proposé de lui substituer un règlement dit « Réinstallation » ([7]), plus ambitieux.

La mobilisation internationale des associations, également décisive, s’est intensifiée à partir de 2014 lorsque l’expansion au Moyen-Orient de l’organisation de l’État islamique s’est conjuguée avec une intensification des exactions commises contre les minorités. Afin d’appuyer et de sécuriser le travail des acteurs associatifs qui organisent la mise à l’abris, vers la France, des populations menacées puis leur intégration, un protocole dentente relatif aux couloirs humanitaires a été signé, le 14 mars 2017, entre l’État et la Communauté de Sant’ Egidio, la Fédération protestante de France, la Fédération de l’entraide protestante, la conférence des évêques de France et le Secours catholique-Caritas France.

Enfin, la délivrance de visas au titre de lasile, par les autorités consulaires, permet à leur détenteur d’entrer régulièrement en France pour y déposer une demande : cette procédure a bénéficié à près de 14 000 ressortissants irakiens et syriens entre 2014 et 2018.             
 

Les voies internationales d’admission des rÉfugiÉs en France
 

Source : Réseau européen sur la réinstallation

B.   la politique d’intÉgration progresse mais reste insuffisante

1.   Une mobilisation salutaire engagée en 2018

En 2018 la question de l’intégration des réfugiés a bénéficié d’une nouvelle impulsion et la mobilisation des pouvoirs publics s’est intensifiée. Dans le prolongement du rapport de notre collègue Aurélien Taché « 72 propositions pour une politique ambitieuse dintégration des étrangers arrivant en France » publié en février 2018, le Comité interministériel à l’intégration a arrêté, le 5 juin 2018, la stratégie nationale pour lintégration des personnes réfugiées. Sa mise en œuvre a été confiée à la Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés, nouvellement créée.

 Cette mobilisation politique s’est appuyée sur un effort budgétaire sans précédent puisque les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » de la mission « Immigration, asile et intégration » sont passés de 239 millions d’euros en 2017 à 437 millions deuros en 2020. Pour la seule action 15, « Accompagnements des réfugiés », la dotation est passée de 26 à 115 millions d’euros.

Ces crédits supplémentaires ont permis de financer le renforcement du contrat d’intégration républicaine (CIR) – dispositif dans lequel s’engagent les étrangers admis au séjour – et notamment le doublement du volume d’heures de cours de langue française, de 200 à 400 heures, dispensés aux nouveaux arrivants. Différents dispositifs d’intégration, notamment par l’emploi et le logement, ont également été mis en place.

À ce titre, le programme « Hébergement, orientation, parcours vers l’emploi », dit HOPE, permet chaque année, depuis 2017, à 1 500 réfugiés d’intégrer sur huit mois un parcours proposé par l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) qui inclut hébergement, cours de langues, formation professionnelle et accompagnement social et citoyen.

Déroulement du programme HOPE

HOPE - 1000 réfugiés accompagnés vers l'emploi | Afpa

Source : AFPA

La délégation interministérielle, sous l’impulsion du préfet Alain Régnier, multiplie également les initiatives pour favoriser l’intégration des réfugiés :

– « Lab’R » a pour but de rassembler les acteurs impliqués sur la question de l’accueil et de l’intégration afin d’élaborer des actions coordonnées, mutualiser les compétences et engager un travail collectif ;

– « Volont’R » rassemble et accompagne les organismes d’accueil qui proposent à 1 500 jeunes et à 500 jeunes réfugiés des missions de service civique auprès des réfugiés ou adaptées aux jeunes réfugiés ;

– « Fai’R » favorise les initiatives – en 2019, 6 structures ont permis d’impliquer 1 000 jeunes – afin de développer l’engagement des jeunes et de leur permettre de créer des liens avec les réfugiés ;

– « #Aveclesréfugiés » met en valeur les évènements organisés à l’occasion de la journée mondiale du réfugié qui se déroule chaque année le 20 juin ;

– « réfugiés.info » est un site internet d’informations pratiques à destination des réfugiés.

2.   Les réfugiés restent fortement touchés par l’exclusion et la précarité

Votre rapporteure salue les initiatives développées depuis deux ans qui sont venues s’ajouter à la mobilisation incontournable et indispensable du secteur associatif. Ce dernier porte la politique de l’intégration des réfugiés depuis de nombreuses années grâce à une mobilisation sans faille malgré une charge de travail exponentielle.

La pleine intégration des réfugiés bute aujourd’hui sur trois problèmes, intrinsèquement liés, d’accès au logement – notamment en Île-de-France –, à la langue française et au travail.

Face à la présence de réfugiés dans les camps de migrants, il faut avoir le courage de se poser la question des limites de l’efficacité des dispositifs existants. Cette situation n’est pas acceptable en 2020 et déshonore la France. Selon les informations recueillies par votre rapporteure, jusqu’à 30 % des migrants qui dorment dans les campements indignes et insalubres aux portes de Paris, sans solution de logement, sont des réfugiés ([8]).

Malgré le renforcement du CIR, la maîtrise du français demeure insatisfaisante pour de nombreux réfugiés. Nos collègues Jean-Noël Barrot et Stella Dupont ont mis en évidence, dans un récent rapport sur l’intégration professionnelle des réfugiés, que « le niveau linguistique de sortie des réfugiés ayant bénéficié dun module de 400 ou de 600 heures dans le cadre du CIR […] est inférieur à la moyenne des autres signataires du CIR » ([9]). Ce constat ne surprend pas votre rapporteure compte-tenu de l’isolement social dans lequel vivent de nombreux réfugiés. En effet, seule une infime partie d’entre eux parviennent à avoir des interactions orales avec une personne qui n’est pas payée en contrepartie.

Enfin, les difficultés d’accès au marché du travail sont réelles et risquent de s’accroître dans le contexte de la crise sanitaire. En effet, les secteurs qui sont les plus pourvoyeurs en termes d’emplois pour ces personnes (le bâtiment, les travaux publics, l’hôtellerie-restauration) sont particulièrement touchés par la crise économique et sanitaire actuelle.

II.   État, associations et citoyens : l’intÉgration des rÉgugiÉs doit devenir l’affaire de tous

A.   Une proposition de loi qui s’inscrit dans un mouvement global

1.   Le modèle canadien

Le Canada, malgré ses spécificités ([10]), peut constituer une référence en matière d’intégration des réfugiés. Le pays a mis en place une politique ambitieuse et volontariste fondée sur un programme de parrainage privé des réfugiés. Depuis 40 ans, ce dispositif a permis l’accueil de 327 000 réfugiés issus de 175 pays. L’objectif du Gouvernement canadien est de permettre l’accueil de 100 000 nouvelles personnes dans les trois prochaines années.

Selon M. Mathieu Tardis, chercheur au Réseau européen sur la réinstallation, le parrainage privé de réfugiés est « un partenariat public-privé entre les gouvernements, qui facilitent ladmission légale des réfugiés, et des acteurs privés, qui fournissent lappui financier, social et/ou affectif pour accueillir et installer des réfugiés dans la communauté » ([11]).

Au Canada, le parrainage est obligatoirement mis en place dans le cadre d’un processus de réinstallation et sa mise en œuvre est une condition de la réalisation du transfert. Deux programmes cohabitent : le Gouvernement prend en charge les réfugiés les plus vulnérables identifiés par le HCR, alors que des groupes privés, c’est-à-dire des groupements de particuliers constitués à partir de cinq personnes – il s’agit souvent de communautés, notamment religieuses –, choisissent quant à eux directement le réfugié qu’ils souhaitent parrainer et intégrer à leur groupe ou leur communauté.

Les parrains sont dans l’obligation de fournir un appui financier, matériel et social important (qui implique notamment un logement ou un hébergement) et décisif dans la mesure où il doit permettre au réfugié de s’installer, de s’épanouir et de s’intégrer socialement et professionnellement dans la société.

Ce dispositif a fait ses preuves. Il permet dimpliquer la société civile à la question majeure de lintégration des réfugiés. En effet, celle-ci ne saurait relever de la seule compétence de lÉtat. Il créé des cercles vertueux en matière d’engagement – des anciens réfugiés peuvent être amenés à en parrainer de nouveaux – et repose sur des liens sociaux primordiaux et concrets qui favorisent le processus d’intégration. En effet, le parrainage se base sur la proximité et l’accessibilité qui permettent de créer du lien humain.

2.   Un dispositif adaptable et en expansion

Le modèle canadien n’est pas transposable de manière générale et absolue bien qu’il constitue une source d’inspiration incontournable. Il n’est par exemple pas nécessaire d’en faire une condition absolue de la mise en œuvre d’une opération de réinstallation. Le dispositif peut même être étendu ou réservé aux réfugiés déjà présents sur le territoire national : de nombreuses associations, notamment en France, ont mis en œuvre de tels dispositifs qui permettent à des citoyens de parrainer – selon de multiples formes – un réfugié.

Selon M. Matthieu Tardis « le parrainage privé reste un concept flexible adaptable à des contextes et des besoins changeants » ([12]). Il peut donc faire l’objet d’adaptations afin de s’inscrire dans un mouvement global prenant en compte les spécificités des États qui souhaitent l’introduire.

À l’occasion du premier forum mondial sur les réfugiés qui s’est tenu à Genève en décembre 2019, linitiative mondiale de parrainage de réfugiés a été lancée afin de promouvoir l’élargissement des programmes de parrainage. Cette initiative est portée par un réseau d’États regroupant l’Argentine, le Brésil, le Canada, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande et l’Espagne.

Au niveau européen, la mise en œuvre d’une véritable politique de réinstallation commune dans le cadre du nouveau pacte sur la migration et l’asile devrait permettre de concrétiser les encouragements des institutions de l’Union européenne à développer cette pratique. Rappelant que « la réussite de l’intégration profite à la fois aux personnes concernées et aux communautés locales dans lesquelles elles s’intègrent », la communication de la Commission européenne ([13]), présentée le 23 septembre 2020, a annoncé l’adoption d’un plan d’action global sur l’intégration et l’inclusion pour la période 2021-2024 afin d’harmoniser les pratiques européennes en la matière.

En France, le rapport de M. Aurélien Taché préconise lui aussi de favoriser le parrainage, notamment en soutenant les initiatives locales et en développant un accueil citoyen des réfugiés.

B.   la mise en place du parrainage citoyen

Larticle unique de la proposition de loi prévoit d’expérimenter, dans un nombre limité de départements, un dispositif clair, lisible et identifiable par tous de parrainage citoyen des réfugiés. Il introduit, à cet effet, un nouveau chapitre au sein du titre V du livre VII du CESEDA.

L’objectif poursuivi est d’associer l’ensemble de la société civile à l’enjeu majeur qu’est l’intégration. L’expérimentation n’a pas vocation à se substituer aux initiatives existantes mais à les compléter : elle offre un cadre souple mais protecteur à de nouvelles formes d’inclusion des réfugiés. Elle leur apporte une visibilité accrue et une plus grande lisibilité. En sollicitant tous les citoyens, tant par son ampleur que par l’intensité de son message, elle assume un changement de doctrine. Elle permet de renforcer l’action des pouvoirs publics et des associations, en touchant un public volontaire qui ne se retrouve pas dans les actions déjà existantes ([14]). À terme, votre rapporteure estime qu’un processus de labellisation pourrait néanmoins permettre de regrouper les différentes démarches et de garantir les conditions dans lesquelles est réalisé l’acte de parrainage.

Cette expérimentation, dont les modalités de mise en œuvre seraient déterminées par décret, doit permettre une montée en puissance progressive du dispositif et son appropriation par les associations, les collectivités et les citoyens. Afin de faciliter sa mise en œuvre, votre rapporteure estime que les territoires ruraux devraient être privilégiés, dans un premier temps, pour sa mise en œuvre.

Le dispositif s’adresse aux trois catégories de personnes qui bénéficient d’une protection internationale – réfugiés, bénéficiaires de la protection subsidiaire et apatrides – ainsi qu’aux étrangers placés sous le régime de la protection temporaire ([15]). La rédaction de l’article L. 754‑4 permet de le proposer à la fois à des réfugiés accueillis dans le cadre d’une réinstallation ou déjà présents sur le territoire. Il est basé sur les principes du volontariat et du bénévolat.

Les modalités qui encadreront ce dispositif, qu’il s’agisse des ressources financières nécessaires ou des conditions d’accompagnement, seront précisées par une charte éthique. Votre rapporteure souhaite que l’élaboration de ce document soit spécifique à chaque département et puisse associer l’État, les collectivités volontaires et les associations.

Le dispositif serait soumis à une large évaluation, conditionnant sa reconduction et sa généralisation. Par ce processus progressif, le parrainage des réfugiés a vocation à devenir un acte citoyen, populaire et fraternel.             

 

 

 

III.   une proposition de loi adoptée par la commission

Outre deux amendements rédactionnels, la Commission a adopté un amendement de sa rapporteure incluant les associations dans le dispositif d’évaluation de l’expérimentation afin que celles-ci puissent se prononcer sur sa pertinence et sa reconduction.

Elle a ensuite adopté l’article unique de la proposition de loi à l’unanimité.

 

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   Compte rendu des débats

Lors de ses deuxième et troisième réunions du jeudi 1er octobre 2020, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République examine la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées (n° 3219) (Mme Annie Chapelier, rapporteure).

1.   Deuxième réunion du jeudi 1er octobre 2020

Lien vidéo :             

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9573237_5f759b0c8adc2.commission-des-lois--vote-des-seize-ans--parrainage-citoyen-pour-les-refugies-les-apatrides-et-le-1-octobre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous examinons la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées, à l’initiative du groupe Écologie, Démocratie et Solidarité.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. La proposition de loi que je vous présente n’a l’air de rien, mais elle pourra faire beaucoup. Les désordres politiques sont présents partout dans le monde, découlant pour nombre d’entre eux de très vieux conflits, associés de plus en plus aux conséquences du changement climatique et entraînant de nouveaux types de migrations forcées. Ainsi, des femmes, des hommes et des enfants fuient la guerre, la torture et les persécutions. Le droit d’asile est ce que nous leur devons, depuis que, fidèles à la longue histoire de l’asile de notre pays, nos prédécesseurs ont inscrit ce droit dans le préambule de la Constitution de 1946. Ils l’ont défendu sur la scène internationale, en 1951, lors de la signature de la Convention de Genève qui constitue le cadre de notre politique d’accueil. Nous sommes, en tant que parlementaires, garants de ce droit et des valeurs constitutionnelles qui l’entourent, car il ne saurait y avoir un droit qui réunit mieux la liberté, l’égalité et la fraternité – les mots que nous avons sur le fronton de tous nos édifices publics - que celui de l’asile qui nous donne l’opportunité de faire vivre notre devise.

Ce qui semble avoir changé depuis la crise de 2015, ce sont les discours. Lorsque des hommes, des femmes et des enfants deviennent des chiffres, lorsqu’on parle de flux, de marées et de crises, ce sont les individus et l’universalité qui sont oubliés. L’ignorance mène à la peur, la peur à la haine, la haine à la violence : voilà l’équation. C’est ce que disait déjà Averroès au XIIe siècle.

Les chiffres n’ont pas de visage, pas de famille, pas d’amis, de projets ou de repères. L’asile nécessite un changement de narratif que seuls la rencontre et le dialogue permettront, car le droit d’asile peut se vivre de manière apaisée. Pour appuyer mon affirmation, je ne citerai qu’un chiffre : 1,51. Il s’agit du nombre de réfugiés en France pour 10 000 habitants.

Antonio Guterres, Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), nous disait : « Nous devons avoir un changement de politique des réfugiés. Sans adhésion et participation de la société civile, nous ne pourrons répondre dans la dignité qui simpose à cette crise, à ce phénomène. » C’est le premier apport du dispositif porté par cette proposition de loi. Parce qu’il permet, organise et promeut la rencontre, le parrainage citoyen offre une meilleure conscientisation de la population à la situation des réfugiés et ce, dans la continuité de la tradition d’accueil de la France.

D’excellents rapports, comme ceux de nos collègues Aurélien Taché, Jean-Noël Barrot ou Stella Dupont pour ne citer qu’eux, ont montré que l’intégration des réfugiés en France péchait sur plusieurs points fondamentaux : l’accès au logement, l’accès à l’emploi et l’apprentissage du Français.

En contribuant à la prise en charge des frais fixes et réguliers des réfugiés pendant une période limitée, en leur permettant de bénéficier surtout du réseau qu’apporte chaque parrain pour établir des liens, en contribuant à une socialisation rapide, en leur apportant un soutien psychologique et social et en les accompagnant dans le décryptage de notre administration et de l’accès aux droits, les parrains et marraines permettent aux réfugiés de se concentrer sur la recherche d’un emploi ou le suivi d’une formation plutôt que sur la recherche d’un logement par exemple.

Quant à l’apprentissage de la langue, inutile d’insister très longtemps sur l’intérêt de le pratiquer avec des Français, ce qui est finalement le meilleur gage de la réussite de l’appropriation d’une langue.

Mais il ne s’agit que d’une partie de l’intérêt du parrainage pour les réfugiés. Nos sociologues Émile Durkheim et Serge Paugam ont largement insisté sur le fait que l’intégration à une société et à une communauté dépend de liens sociaux forts.

Le lien social, c’est cette chose difficilement définissable car c’est finalement en négatif qu’on peut l’appréhender. Quand il n’existe pas, il n’y a pas de cohésion, pas de société. Ce lien se construit par l’appropriation, l’assimilation de codes ainsi que d’une langue et d’une culture. Or l’apprentissage d’une culture et de ses codes et le sentiment d’appartenance ne peuvent pas se construire du haut vers le bas. La découverte de la société française se diffuse progressivement par des échanges horizontaux au sein d’une communauté. Mais aujourd’hui, les chiffres montrent que les réfugiés sont isolés. Seuls 12 % d’entre eux disposent de liens avec des citoyens français. Pire, seule une très faible proportion aura eu, dans les premières années de l’obtention de ses papiers, un échange avec un citoyen français qui n’est pas impliqué dans un service monétisé. Parce qu’ils disposent de moins de réseaux sur place que les autres catégories de migrants, ils doivent se reposer essentiellement sur les réseaux de soutien institutionnel.

On connaît le proverbe qui dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Parce qu’elle implique l’apprentissage d’une nouvelle citoyenneté, l’intégration d’un nouveau citoyen ne peut se passer d’une communauté. Les réfugiés n’en sont pas les seuls gagnants. La crise sanitaire et le confinement ont aussi montré, dans l’ensemble de la société française, l’importance fondamentale du lien social. Par les interactions qu’il crée autour des réfugiés, le parrainage y participe. Les Canadiens, qui ont instauré ce dispositif il y a maintenant quarante ans, et les nombreux villages de notre pays qui se sont montrés volontaires pour accueillir des réfugiés, peuvent témoigner des effets du parrainage sur le tissu social. Les parrains ont pu voir se renforcer leur rapport à la citoyenneté et à l’engagement. En même temps qu’ils apprenaient sur l’autre et sur eux-mêmes, ils apprenaient également sur leurs propres institutions. De même, nombreuses sont les histoires de communautés fragilisées par l’exode rural et qui trouvent dans l’accueil des réfugiés un nouveau souffle, une nouvelle jeunesse.

Un grand nombre d’initiatives existent aujourd’hui au sein de la société civile. Elles prennent diverses formes et sont soutenues par de nombreuses associations. Certaines opèrent un partenariat avec l’État, comme Sant’Egidio, la Fédération de l’entraide protestante et France Terre-d’asile. Celles-ci organisent notamment des couloirs humanitaires qui consistent à accompagner la venue de réfugiés en France depuis des hotspots à l’étranger. D’autres, par exemple Singa, ont développé des formes de parrainage impliquant notamment l’hébergement à domicile. Je salue le travail titanesque effectué depuis des années par tous ces acteurs.

Alors qu’elles sont encouragées à de nombreuses échelles, notamment par la Commission européenne, ces initiatives restent cependant trop dispersées et trop limitées pour soutenir l’ensemble de la population des réfugiés et avoir un effet structurel.

Ce que nous souhaitons apporter avec cette proposition de loi peut se résumer en deux mots : de la lisibilité et de la visibilité, à la fois pour les réfugiés qui souhaiteraient bénéficier d’un parrainage et pour les citoyens qui voudraient participer, au sein d’un cadre légal et rassurant, à leur intégration.

En 2016, un quart des Français ont mené une action pour venir en aide aux réfugiés sous forme de dons d’argent, de nourriture ou de vêtements et 30 % d’entre eux souhaitaient en faire davantage à l’avenir. Avec le soutien du Gouvernement, ces initiatives peuvent se multiplier et changer durablement l’image et la réalité de l’asile en France.

En complément du processus d’intégration garanti par l’État, le parrainage citoyen constitue un tremplin pour l’intégration des réfugiés. Il permettrait la création et le développement d’un réseau social et amical, l’accès à des opportunités professionnelles et de logement ainsi que l’accélération de l’apprentissage du Français et des codes socio-culturels de notre pays.

J’ai tenu à prévoir, dans cette proposition de loi, un dispositif suffisamment souple pour favoriser, grâce au parrainage citoyen, un nouvel élan dans l’engagement autour de l’asile, en complément des initiatives existantes. Il s’adresse à dessein aux personnes ayant déjà obtenu une protection internationale et se trouvant sur le sol national. Pour le reste, tout est à construire : un partenariat avec l’État, les associations et la société civile.

Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui n’a l’air de rien, mais je suis convaincue qu’elle peut beaucoup. Elle peut être le point de départ d’un nouveau regard sur l’asile en France, une nouvelle impulsion du vivre ensemble et d’un nouveau pacte social où chacun se sentirait concerné, comme il le doit, par l’intégration de nouveaux venus dans la cité. Cette proposition de loi entend réaffirmer le droit d’asile en France et porter une conception de l’intégration qui ne consiste plus seulement en un enseignement civique dispensé du haut vers le bas, mais en une multitude d’échanges entre les Français et les citoyens en devenir que sont les réfugiés. Cette proposition de loi intrinsèquement transpartisane pourrait permettre à la France de poser des bases durables à l’accueil des réfugiés et de montrer, fidèle à ses valeurs, l’exemple en Europe et dans le monde.

Mme Émilie Guerel. Composée d’un article unique, la proposition de loi qui nous est présentée par Mme Annie Chapelier vise à inscrire dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile un dispositif encadrant le parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées par des associations agréées ou des groupements de particuliers. Elle a donc pour objet d’offrir un cadre légal à la possibilité déjà existante de créer des programmes de parrainage dans le cadre desquels des citoyens et des associations au niveau local identifient et équipent par exemple des logements et apportent leur soutien à l’installation et à l’intégration de réfugiés, d’apatrides et de personnes protégées. Il est important que l’ensemble des composantes de notre société soient associées, afin de permettre à toutes et à tous d’œuvrer pour cette nécessaire intégration dans un cadre qui apporte une sécurité juridique à la fois pour les parrains et pour les parrainés.

La proposition de loi prévoit que, pour être parrainées, les personnes concernées doivent être expressément volontaires et que le parrainage est un acte d’engagement citoyen réalisé à titre gracieux. Par ailleurs, une charte éthique viendra déterminer les conditions, les compétences et les ressources financières nécessaires aux associations et aux groupements de particuliers qui seront engagés dans ce dispositif. Enfin, il est prévu qu’un rapport évaluant le dispositif pour une éventuelle reconduite soit remis au Parlement.

Le Canada, avec son programme de parrainage privé de réfugiés, fait office de modèle dans plusieurs pays du monde à ce sujet, avec toutes les nuances qu’il convient d’apporter compte tenu de différences substantielles dans la politique d’immigration de ce pays. Depuis sa création en 1979, ce sont plus de 327 000 réfugiés parrainés par le secteur privé provenant de plus de 175 pays qui se sont établis dans 160 villes canadiennes. Cette méthode a largement fait la preuve de son efficacité dans le système canadien et a représenté une importante plus-value en matière d’intégration dans ce pays.

La Commission européenne a également encouragé cette pratique et ces programmes et il est à noter que des initiatives similaires ont été lancées au Royaume-Uni et ont récemment vu le jour en Allemagne, en Irlande et en Espagne.

Suivant cette dynamique européenne, les initiatives de parrainage sont ainsi devenues une réalité en France et de nombreuses associations ont déjà lancé ce type de dispositif. Cela reflète le désir croissant des acteurs de la société civile, comme les associations agréées ou les groupements de particuliers, de s’engager concrètement dans l’accueil des réfugiés pour leur permettre de mieux s’intégrer. C’est pourquoi le groupe La République en Marche soutient cette proposition de loi mais veillera à ce que son cadre reste le plus souple possible pour ne pas entraver les initiatives actuelles.

M. Raphaël Schellenberger. En préambule, je souhaite rappeler que le droit d’asile, qui est un droit important pour la France, a toujours fait l’objet d’une attention particulière du groupe Les Républicains. Autant nous pouvons être exigeants en matière d’immigration, autant nous avons toujours considéré qu’il est du devoir et de la responsabilité de la France de protéger celles et ceux qui, en raison de leurs croyances, de leur personne ou de leurs opinions sont persécutés chez eux, et quand il le faut de les accueillir.

Dans ce cadre, la proposition de loi déposée par le groupe EDS crée, à titre expérimental, pour une durée de trois ans, un programme de parrainage citoyen. Ces programmes sont des partenariats public-privé entre pouvoirs publics, qui facilitent l’accès légal des réfugiés à notre territoire, et les acteurs privés – des associations, des collectifs de citoyens, des groupes confessionnels – qui fournissent un appui financier, social ou affectif pour accueillir et intégrer les réfugiés dans la société. Ils comprennent plusieurs étapes dont la responsabilité est partagée : identification dans le pays de premier asile par les autorités nationales, transfert des réfugiés vers le nouveau pays d’accueil, hébergement et accompagnement par les groupes accueillant. Ces programmes de parrainage privé de réfugiés s’inspirent du modèle canadien où, depuis 1978, des groupes de citoyens ont accueilli plus de 300 000 réfugiés.

Plusieurs pays européens ont lancé des projets pilotes de parrainage privé, soit sur le modèle du couloir humanitaire comme en Italie, soit comme des voies complémentaires aux programmes de réinstallation. Soutenus par les institutions européennes, ces programmes ont vocation à contribuer aux efforts européens d’offrir des voies légales et sûres d’accès au territoire européen pour les réfugiés.

Depuis l’adoption du pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières en décembre 2018, le développement du parrainage privé s’inscrit dans la stratégie du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sur les voies complémentaires d’accès à l’asile. De plus, le HCR et le gouvernement canadien, en partenariat avec la fondation Open Society, la fondation Giustra et l’université d’Ottawa, ont lancé l’initiative mondiale de parrainage de réfugiés qui vise à promouvoir cette voie de protection et accompagner les pays qui souhaitent développer ce type de programme.

Depuis 2014, les autorités françaises délivrent des visas humanitaires aux minorités persécutées d’Irak ou à des ressortissants syriens. Ils sont ensuite pris en charge en France par des organisations confessionnelles, des communautés religieuses ou des membres de leur famille. Près de 15 000 personnes ont été accueillies en France dans ce cadre. Plusieurs centaines sont accompagnées par des associations, je pense notamment à l’Ordre de Malte.

En 2017, un protocole relatif aux couloirs humanitaires a été signé entre le Gouvernement français et cinq associations confessionnelles : la communauté Sant’Egidio, la Fédération protestante de France, la Fédération d’entraide protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique Caritas France. Ce protocole prévoit l’identification et la délivrance de visas humanitaires à 500 réfugiés syriens et irakiens au Liban. Ils seront ensuite hébergés et accompagnés par des collectifs de bénévoles coordonnés par les cinq associations. D’autres actions concernant d’autres populations persécutées – je pense notamment aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) – ont émergé en France depuis 2015.

Il s’agit donc, avec ce texte, d’entériner et d’offrir un cadre à ce qui existe déjà sur le terrain. Le parrainage citoyen a vocation à permettre aux citoyens volontaires, désireux de participer à l’accueil des réfugiés, des apatrides et des personnes protégées, d’avoir un cadre légal d’intervention à cet effet en élaborant sur le terrain un dispositif expérimental permettant aux personnes engagées d’apporter un appui social et financier pour l’accueil et l’intégration de ces derniers dans la cité, en coopération avec les dispositifs institutionnels et les opérateurs qui y contribuent. Le groupe Les Républicains soutiendra cette mesure de bon sens.

Mme Nadia Essayan. Nous nous trouvons à nouveau face à une responsabilité collective, celle de savoir quel sens nous voulons donner à notre action en faveur d’une immigration sereine et réussie : une régulation froide et rigide des flux migratoires sur notre territoire ou une régulation juste et empreinte d’humanité propre aux valeurs de notre République.

Pour le groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés, la réponse est claire : la justice, l’humanité, la fraternité, font partie de notre ADN. Vous le savez, en juillet 2018, le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de fraternité tout en précisant que le législateur devait assurer la conciliation entre ce principe, c’est-à-dire la liberté d’entraide, et la sauvegarde de l’ordre public. Cette proposition de loi nous offre aujourd’hui l’opportunité de le faire. En effet, comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, « l’intégration réelle des personnes fuyant leur pays d’origine par peur de persécutions est une nécessité et elle ne peut se passer du concours des citoyens et de la société civile ». Cette participation privée aux côtés de l’État et ce partage de responsabilités dans l’accueil des réfugiés doivent se faire dans un cadre légal sécurisant pour tous, tant pour les citoyens qui s’investissent auprès des réfugiés que pour les réfugiés eux-mêmes qui pourront affronter plus sereinement le difficile parcours de l’intégration.

Mon expérience personnelle d’accompagnement des réfugiés me permet de mesurer l’importance de ce parrainage citoyen. Le barrage de la langue, la complexité des formalités administratives, le manque de connaissance du pays sont autant de difficultés rencontrées par les personnes que nous accueillons. Le parrainage citoyen permet ainsi de rassurer, de les rassurer. Légaliser ce parrainage citoyen permettra aussi de reconnaître et de soutenir le travail souvent important et régulier des bénévoles et de le sécuriser par une charte éthique.

Mes chers collègues, nous savons que le sujet de l’immigration peut susciter des peurs, des visions différentes de la politique migratoire que notre pays doit mener. Mais je veux croire que, sous ces approches divergentes, nous avons une exigence commune, celle de ne pas tourner le dos au reste du monde, à ceux qui souffrent et qui nous demandent de l’aide. Les craintes relatives à l’immigration, nous devons les entendre et y répondre de la manière la plus juste qui soit, mais il en est de même pour ces femmes, ces hommes, ces enfants, ces familles qui ont enduré les pires souffrances pour rejoindre notre pays qui représente pour eux un eldorado.

Cette proposition de loi est une des réponses que nous pouvons leur apporter. Elle est juste et pertinente en ce qu’elle vise à créer les conditions d’un meilleur accompagnement et d’une meilleure intégration des femmes et des hommes réfugiés, apatrides ou qui bénéficient de la protection subsidiaire ou temporaire.

Aussi, mes chers collègues, vous comprendrez que notre groupe accueille favorablement ce texte relatif au parrainage citoyen. Un tel dispositif permettra d’apaiser les tensions, de réussir l’intégration et d’assurer un suivi porteur d’expériences et d’amélioration de nos politiques publiques en matière d’immigration.

M. Christophe Euzet. Nous examinons une proposition de loi dont l’objet est d’une noblesse irréfutable puisqu’il s’agit d’améliorer la qualité de l’intégration des réfugiés, des apatrides et des personnes protégées dans notre pays, ce à quoi nous ne pouvons que souscrire dans le principe. Cette noblesse est renforcée par la création d’un mécanisme éprouvé, celui d’un partenariat entre le public et le privé pour améliorer les conditions de cette intégration.

Le dispositif proposé est lui aussi cohérent. Il comprend la mise en place d’une expérimentation pour trois ans dans un nombre limité de départements, d’un parrainage citoyen pour les personnes réfugiées et un certain nombre de dispositions relatives au volontariat, au titre gracieux de la démarche et à la faculté éventuelle pour le Parlement de la proroger si elle devait donner satisfaction. Ce dispositif, déployé à des fins louables, qui a été présenté abondamment par Mme la rapporteure, consiste à essayer de faire en sorte que les citoyens s’engagent dans un sens renforcé de l’intérêt général, qu’ils partagent des responsabilités, qu’ils accroissent leur confiance mutuelle. Je crois que tout le monde appelle cette démarche de ses vœux.

L’ensemble des arguments emportent la conviction : une expérimentation et un renforcement du cadre légal d’une pratique qui existe déjà à certains égards. Son cadre juridique est déjà proposé dans des pays qui, en l’occurence, font vraiment figure de référence. Enfin, ce dispositif ne coûte rien ou pas grand-chose, ce qui évite l’écueil de l’irrecevabilité.

Le groupe Agir ensemble n’est pas nécessairement unanime sur la question, mais il voit globalement ce texte d’un bon œil. Il sera vigilant sur un certain nombre de points qui feront peut-être l’objet d’éclaircissements au cours de la discussion : le rôle des parrains gagnerait peut-être à être mieux défini, tout comme les modalités de sélection de ceux-ci et l’encadrement de leur activité, sur la transparence, etc.

À titre personnel, je serai vigilant sur deux points.

D’abord sur le questionnement dont nous ne pourrons pas faire longtemps l’économie dans notre pays et qui porte sur la nature de l’investissement et sur le rôle de l’État. On voit bien que s’opère une sorte de transfert. Il ne faudrait pas que l’évolution de ce rôle soit interprété comme une forme de désengagement de la personne publique vis-à-vis de la société, au bénéfice des personnes privées.

Mon second point de vigilance porte sur la nature des soutiens qui peuvent être apportés et parfois du danger communautaire dans les démarches qui sont menées. Vous avez souligné que les personnes arrivant dans des conditions légales sont quelquefois très peu au contact des populations de nationalité française : n’y a-t-il pas un danger que des formes de religiosité ou de communautarisme larvés continuent à entraîner dans une sorte de marginalisation sectaire les personnes accueillies ? Nous ne demandons qu’à être rassurés. Nous soutiendrons globalement ce texte tout en étant vigilants sur son évolution.

Mme Agnès Thill. Nous partageons un objectif commun : une meilleure intégration des personnes réfugiées et protégées. Le groupe Écologie Démocratie Solidarité souhaite mettre en avant une solution grâce à cette proposition de loi et nous saluons bien sûr cette intention. Cependant, il nous semble que ce texte achoppe sur plusieurs difficultés d’ordre juridique.

Tout d’abord, il ne détermine pas réellement un cadre légal du parrainage, toutes les conditions d’application étant renvoyées à un décret. Les ambitions évoquées dans l’exposé des motifs ne semblent donc pas atteintes.

Ensuite, le dispositif proposé est facultatif pour l’État qui pourrait ne jamais le mettre en place. En revanche, si l’expérimentation devait avoir lieu, il semble que les départements sélectionnés n’aient pas leur mot à dire.

Enfin, les actions citoyennes d’accueil des réfugiés ou des autres personnes protégées ont déjà lieu. Elles sont menées par des associations compétentes avec le soutien des ministères concernés, grâce à des partenariats public-privé. Le parrainage est donc déjà autorisé sur des bases légales. Ainsi, il nous apparaît que l’ajout, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’un chapitre ayant une portée normative restreinte pourrait prêter à confusion bien que nous soutenions clairement l’idée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous interrompons nos travaux que nous reprendrons cet après-midi, à quatorze heures trente.

2.   Troisième réunion du jeudi 1er octobre 2020

Lien vidéo :             

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9576486_5f75c998ae844.commission-des-lois--parrainage-citoyen-pour-les-refugies-les-apatrides-et-les-personnes-protegees-1-octobre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous allons reprendre la discussion générale, engagée ce matin, sur la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées, avant d’examiner ses articles et les amendements qui ont été déposés.

M. Stéphane Peu. Nous abordons cette proposition de loi, qui traite d’un sujet sensible, avec un a priori favorable car elle vise à valoriser, tout en l’encadrant, les élans de solidarité et de générosité de notre peuple.

Fort de mon expérience de militant et d’élu dans un département qui compte de nombreux réfugiés et sans papiers, je sais que le parrainage individuel est toujours nécessaire pour aider la personne, même une fois obtenu le statut de réfugié, à acquérir la citoyenneté, à accéder au travail, à accomplir ses premiers pas dans un pays où elle ne pourra pas compter sur le soutien d’infrastructures qui restent insuffisantes.

Cependant, des questions se posent. Tout d’abord, le texte, tel qu’il est rédigé, laisse planer l’ambiguïté entre le parrainage privé et le parrainage citoyen. Autant nous comprenons cette dernière notion, autant celle de parrainage privé reste floue.

Prenons garde, par ailleurs, à ce que le parrainage demeure un accompagnement de l’État dans l’exercice de sa mission et ne s’y substitue pas. Or, la carence des moyens accordés par l’État pour accompagner ceux qui ont obtenu le statut de réfugié ou ceux qui demandent l’asile est telle que les parrains pourraient être encouragés à se substituer à l’État qui a pourtant l’obligation d’accompagner la personne vers l’emploi, le logement etc.

Nous avons déposé un amendement pour élargir le parrainage aux sans-papiers qui, souvent, travaillent, et ne seront sans doute jamais reconduits à la frontière. L’épidémie de covid-19 a permis de constater que, parmi les travailleurs de la deuxième ligne, beaucoup étaient en situation irrégulière, ce qui ne les empêchait pas de se lever tous les matins pour exercer des métiers de première nécessité, dans les zones de stockage ou de livraison par exemple.

Enfin, nous nous interrogeons quant à l’opportunité de renvoyer à un décret en Conseil d’État la fixation des conditions d’application de ce dispositif, qui pourrait être facilement détourné de ses objectifs louables pour abuser de personnes fragiles. Ainsi, je soutiens en ce moment une personne qui a été réduite par son parrain, un ancien sénateur, à l’esclavage pendant cinq ans. Elle a gagné devant le tribunal des prud’hommes.

Certains pourraient être tentés d’utiliser le parrainage pour transformer, sans aucune éthique mais avec les meilleures intentions du monde, leurs filleuls en personnels de maison.

Mme Delphine Bagarry. Au-delà de l’accueil, de l’aide et du secours que nous devons aux réfugiés et aux apatrides qui arrivent dans notre pays, leur intégration réelle à la société française doit être notre ambition commune et l’ultime objectif de notre politique migratoire.

Les conflits, la persécution ou la misère ont contraint ces hommes et ces femmes à quitter leur terre natale, à se détacher de leurs racines, pour rejoindre une Europe dont ils ne savent presque rien, si ce n’est la promesse d’humanité qui fait son honneur.

Tradition française et enjeux contemporains majeurs : la prise en charge des réfugiés est une réalité à laquelle nous devons répondre de manière globale, dans une perspective de long terme.

La construction d’un véritable parcours d’intégration par l’insertion linguistique, économique et sociale est aussi bien une nécessité qu’un enjeu de cohésion nationale. Aurélien Taché l’avait déjà souligné dans son rapport de février 2018, intitulé « Pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France ». Offrir un cadre légal favorable pour accompagner et promouvoir le développement des dispositifs de parrainage citoyen est une solution simple et concrète qui a déjà fait ses preuves. C’est l’objet de cette proposition de loi.

En effet, du fait de l’insuffisance des moyens de l’État, l’engagement des bénévoles auprès des étrangers est réel et multiforme, par le biais d’une dynamique locale au sein de communes engagées, de réseaux associatifs ou de projets individuels.

En plus du soutien matériel et financier que ces citoyens et ces associations apportent aux réfugiés, toute la force du parrainage réside dans les liens sociaux, culturels et amicaux : enseigner le français, tisser des relations personnelles, échanger, soutenir moralement, vivre des expériences en commun. Une parfaite intégration ne saurait aboutir sans ces partages dans une société plus unie et apaisée.

Cette proposition de loi tend à offrir un cadre légal à des pratiques déjà existantes, sans intention de substituer l’action bénévole, associative ou caritative à l’État, qui doit continuer à accompagner les réfugiés à chaque étape de leur parcours d’intégration.

Il ne s’agit pas non plus d’enfermer les bonnes volontés dans des normes contraignantes.

L’inscription du parrainage citoyen et de sa définition dans la loi permettra de renforcer et de développer les initiatives, en accompagnant l’engagement des citoyens désireux de participer à l’intégration des réfugiés. Nous vous proposons ainsi d’expérimenter en France, durant trois ans, un programme de parrainage citoyen.

La détermination des Français à s’investir dans la défense de l’intérêt général est forte, comme en témoigne la progression du taux d’engagement associatif chez les moins de 35 ans, selon une étude France Bénévolat réalisée en 2019 à partir d’un sondage Ifop, mais aussi l’explosion du nombre d’initiatives solidaires durant la crise sanitaire.

Le parrainage citoyen, parce qu’il émane de la société, représente un levier irremplaçable pour intégrer les étrangers. Notre rôle de législateur est de catalyser la mobilisation civique en lui donnant un cadre et des moyens. La France doit faire plus et mieux pour donner un refuge à ceux qui n’ont plus rien. Ce n’est pas une question d’honneur ou de solidarité mais un impératif humanitaire.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. Merci, tout d’abord, au groupe La République en Marche d’avoir donné un avis favorable à cette proposition de loi, et d’avoir souligné la volonté croissante des acteurs de la société civile de s’engager.

De même, M. Raphaël Schellenberger a relevé ce qui me semble être l’essence du dispositif : le lien social et affectif.

Les mots de Mme Nadia Essayan m’ont touchée et la conciliation qu’elle propose entre la fraternité et l’ordre public résume l’esprit de ce texte.

M. Christophe Euzet s’est interrogé sur la nature des besoins et a pointé le danger d’une dérive communautariste tandis que M. Stéphane Peu s’est inquiété de l’ambiguïté entre le parrainage privé et le parrainage citoyen. L’un de mes amendements tend à remplacer le terme privé par citoyen. Cette proposition de loi, que nous préparons depuis trois ans, s’inspire du modèle canadien qui emploie le terme de parrainage privé. Je conviens cependant que ce terme recouvre, au Canada, des pratiques différentes de celles que nous connaissons dans notre pays, où le terme de parrainage citoyen est plus adapté.

Vous avez été quelques-uns à craindre que ce dispositif ne se substitue progressivement à l’État, que vous jugez défaillant. L’État n’est pas en mesure de subvenir à tous les besoins d’une inclusion réussie, aussi est-il nécessaire de compléter les dispositifs qu’il met en œuvre par celui du parrainage. Chacun reste dans son rôle mais nous devons permettre à tous les Français qui le souhaitent de s’engager dans cette mission sans pour autant décharger l’État des responsabilités qui lui incombent concernant l’accueil des réfugiés.

S’agissant du renvoi au Conseil d’État de la fixation des modalités de ce dispositif dont M. Peu craint qu’il puisse être détourné de ses objectifs, j’ai connu des cas similaires dans ma circonscription, mais dans les deux sens : certains parrains avaient domestiqué leurs filleuls mais certains filleuls avaient également abusé de la générosité de leurs parrains, souvent des personnes âgées, en leur mentant, en profitant de leurs biens ou en détournant des fonds. En posant un cadre légal, nous espérons prévenir ces dérives qui peuvent être favorisées par les initiatives qui éclosent de manière informelle dans tout le territoire. L’inscription d’un tel cadre dans la loi a, en tout cas, porté ses fruits au Canada où le parrainage privé s’appuie sur une relation de confiance placée sous le regard bienveillant, lucide et exigeant de l’État.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique

La Commission est saisie de l’amendement CL8 de la rapporteure.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. Il s’agit de remplacer le terme « privé » par celui de « citoyen ».

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL10 de la rapporteure.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. Il s’agit, d’une part, de territorialiser l’élaboration des chartes éthiques qui organiseront la procédure de parrainage – une par département – et, d’autre part, d’associer à leur écriture les collectivités territoriales volontaires et les associations dont l’implication à tous les niveaux du dispositif est une condition essentielle de réussite.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL9 de la rapporteure.

Elle en vient à l’amendement CL12 de la rapporteure.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. Pour répondre à une demande des associations et de la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés, cet amendement tend à permettre la création d’un label pour valoriser le dispositif du parrainage et accroître sa visibilité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL11 de la rapporteure.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. Lorsqu’il sera question de reconduire le dispositif, il est important que les associations ayant participé à l’expérimentation se prononcent sur sa pertinence et puissent demander qu’il ne soit pas renouvelé.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article unique modifié.

Après l’article unique

La Commission est saisie de l’amendement CL14 de M. Stéphane Peu. 

M. Stéphane Peu. Cet amendement vise à élargir le parrainage aux sans-papiers. La pratique existe de manière informelle, heureusement, mais il serait préférable de l’inscrire dans la loi, ce qui ne présagerait en rien du sort réservé au dossier administratif de ces personnes.

Mme Annie Chapelier, rapporteure. Vous me donnez l’occasion de saluer l’extraordinaire travail accompli par de nombreuses associations qui parrainent les sans-papiers et les demandeurs d’asile – je pense à une association très active dans ma circonscription, JRS Welcome.

Cependant, le périmètre de cette proposition de loi est clair : elle ne concerne que les personnes qui ont obtenu le statut de réfugié. Je ne souhaite pas qu’il soit étendu à d’autres qui n’auraient pas obtenu de titre de séjour. L’objectif de ce texte est déjà suffisamment ambitieux : honorer le devoir historique, conventionnel et constitutionnel d’accueil et d’intégration que la France doit aux bénéficiaires d’une protection internationale. C’est aussi une manière de reconnaître et de valoriser le statut de réfugié.

Mme Delphine Bagarry. Nous souhaitons tous étendre ce dispositif aux sans- papiers et nous en avions d’ailleurs débattu au sujet du délit de solidarité, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’asile, à l’immigration et à l’intégration.

Au-delà des associations, des citoyens s’engagent également personnellement auprès de demandeurs d’asile. En adoptant cette proposition de loi, nous ferions déjà un premier pas important. Surtout, nous espérons, au sein de notre groupe, que cette démarche aboutisse, quitte à accepter des compromis.

En revanche, nous sommes d’accord pour réfléchir à un projet plus ambitieux.

La Commission rejette l’amendement.

M. Stéphane Peu. J’avais déposé un amendement sur le délit de solidarité, qui avait trait à l’accueil des étrangers ainsi qu’au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Est-il possible de savoir pourquoi il a été déclaré irrecevable ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il ne suffit pas qu’un amendement se rapporte au même code que celui qui est modifié par le texte de loi pour qu’il soit jugé recevable. Il doit avoir un lien avec l’objet même de la proposition de loi. En l’espèce, ce texte concerne le parrainage de personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou apatrides mais n’aborde pas le délit de solidarité.

J’ai d’ailleurs longuement hésité avant de déclarer recevable votre autre amendement, portant article additionnel, que nous venons d’examiner, mais le fait qu’il se rapporte au dispositif de parrainage a emporté ma conviction.

La Commission adopte la proposition de loi ainsi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République vous demande dadopter la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport (n° 3391).


— 1 —

 

   PERSONNES ENTENDUES
 

      M. Martin Schmidt, consul

      M. Olivier Jacques, ministre conseiller

      Mme Jennifer Morgan-Jones, première secrétaire

      Mme Valérie Régnier, responsable de Sant'Egidio en France

      Mme Claire Legrand, chargée de mission Couloirs Humanitaires

      M. Pascal Godon, administrateur

      M. Guilhem Mante, coordinateur du programme d’accueil de l’étranger

      Mme Fatiha Mlati, directrice de l’intégration

      M. Matthieu Tardis, chercheur au Centre migrations et citoyennetés

      M. Didier Leschi, directeur général

      M. Alain Régnier, délégué interministériel

 

 


([1]) Décision n° 93‑325 DC du 13 août 1993.

([2]) Conseil constitutionnel, décision n° 2018‑717/718 QPC du 6 juillet 2018.

([3]) Il s’agit de l’asile constitutionnel inspiré du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

([4])              Voir infra.

([5])              En application de l’article L. 714‑1 du CESEDA, « les autorités en charge de lasile peuvent organiser, le cas échéant en effectuant des missions sur place, la réinstallation à partir de pays tiers à lUnion européenne de personnes en situation de vulnérabilité relevant de la protection internationale ». La relation entre la France et le HCR est régie par un accord-cadre signé le 4 février 2008.

([6])              Règlement (UE) n° 516/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 portant création du Fonds « Asile, migration et intégration ».

([7]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 468 final.

([8])              L’imprécision de cette donnée statistique s’explique par le fait que les étrangers en situation irrégulière, notamment les déboutés du droit d’asile, refusent la plupart du temps d’être pris en charge. Leur décompte s’avère donc complexe.

([9])              Rapport d’information n° 3357 de M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont relatif à l’intégration des demandeurs d’asile et des réfugiés.

([10])              Une position géographique singulière et une politique migratoire déterminée par la fixation de quotas.

([11])              Étude de faisabilité vers un modèle de parrainage privé en France, avril 2018.

([12])              Rapport précité.

([13]) Communication de la Commission sur un nouveau pacte sur la migration et l’asile, COM(2020) 609 final.

(1) Selon une étude de Destin commun, un quart des Français déclaraient en septembre 2016 avoir déjà, au cours des douze derniers mois, mené une action pour venir en aide aux réfugiés (sous forme de dons d’argent, de nourriture ou de vêtements). 30 % souhaitent faire plus à l’avenir et 17 % aimeraient que le Gouvernement soit plus volontariste en la matière.

([15])              En application de l’article L. 811­‑1 du CESEDA, la protection temporaire bénéficie à un groupe spécifique de personnes identifiés par le Conseil de l’Union européenne en application de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.