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N° 3472

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 octobre 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
 

autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire ( 3464)

PAR M. Jean-Pierre PONT

Député

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Voir les numéros :

 Assemblée nationale : 3464   

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-Propos........................................................ 5

examen deS ARTICLES

Article 1er Prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Article 2  (art. 1er et 2 de la loi n° 2020856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire) Régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire

Article 3 (art. 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions) Prorogation des systèmes d’information mis en œuvre aux fins de lutter contre l’épidémie de Covid-19

Article 4 Habilitation du Gouvernement à prendre diverses mesures par voie d’ordonnances

audition de M. Gérald Darmanin,  ministre de l’Intérieur

Audition de M. Olivier Véran,  ministre des SolidaritéS et de la Santé

COMPTE-RENDU DES DÉBATS

 


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MESDAMES, MESSIEURS,

La France s’est résolue à de multiples sacrifices pour endiguer l’épidémie de covid‑19. Les derniers mois auront donné la preuve de la réactivité du Gouvernement, du volontarisme du Parlement et de l’engagement des services publics. Pour protéger la population, en particulier les plus vulnérables de nos concitoyens, nous avons vécu en état d’urgence sanitaire tout au long du printemps, jusqu’à ce qu’une amélioration de la situation fasse espérer que la crise sanitaire s’estompait.

La sortie de l’état d’urgence s’est accompagnée d’un régime transitoire établi par la loi du 9 juillet 2020, qui permettait au Gouvernement de prendre les premières décisions en cas de recrudescence des contaminations. Le Premier ministre et le ministre de la santé ont fait usage de ces instruments lorsque, à la sortie de l’été, les témoins ont commencé à « virer au rouge ». Les restrictions de fonctionnement imposées aux établissements recevant du public ou l’obligation de port du masque en zone urbaine ont pu apparaître excessives. Nous comprenons tous qu’elles étaient, en fait, éminemment fondées et encore insuffisantes.

Constatant une accélération de la propagation du virus que les prérogatives conférées par le régime transitoire ne permettaient plus d’endiguer, le Président de la République a de nouveau déclaré l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire de la République à compter du 17 octobre dernier. Des instruments plus rigoureux, notamment des interdictions de déplacement des personnes hors de leur résidence comme cela est déjà le cas dans certaines métropoles entre 21h et 6h du matin, pourront ainsi être mobilisés si nécessaire. L’usage de ces instruments sera contrôlé par le Parlement comme il l’a été jusqu’à présent.

Conformément à l’article L. 3131‑13 du code de la santé publique, il appartient au Parlement d’autoriser la poursuite de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois. Cette décision doit nécessairement s’accompagner, dans un objectif de soutien de la vie économique et d’adaptation des services publics, d’une habilitation du Gouvernement à édicter des règles dérogatoires pour assurer, jusqu’au retour au droit commun, la bonne marche de la nation et la garantie des droits de chacun.

Tel est l’objet du présent projet de loi : proroger, jusqu’au 16 février 2021, l’état d’urgence sanitaire et, jusqu’au 1er avril 2021, le régime transitoire institué le 11 juillet 2020 ; permettre au pays de surmonter cette épreuve.

Face à la menace sanitaire, la capacité du Parlement à se montrer à la hauteur des enjeux n’a jamais été mise en doute. Il en ira de même pour l’adoption du présent projet de loi.

 


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   examen deS ARTICLES

Article 1er
Prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article proroge, jusqu’au 16 février 2021, l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020‑1257 du 14 octobre 2020.

       Dernières modifications législatives intervenues

Le régime de l’état d’urgence sanitaire a été institué par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 puis a été modifié par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté cet article sans modifications.

1.   L’état du droit

Le régime de l’état d’urgence sanitaire a été en vigueur du 23 mars au 10 juillet 2020 pour faire face à la propagation de l’épidémie de Covid‑19 en France. Son dispositif, institué au chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique, a été commenté par notre collègue Marie Guévenoux dans ses rapports sur le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid‑19 ([1]), devenu la loi  2020290 du 23 mars 2020, et sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions ([2]), devenu la loi  2020546 du 11 mai 2020.

Face à la recrudescence inquiétante de l’épidémie sur le territoire, le Conseil des ministres du mercredi 14 octobre 2020 a adopté, conformément au premier alinéa de l’article L. 3131‑13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire de la République à compter du samedi 17 octobre 2020 à 0 heure ([3]). Cette décision a permis le recours à des mesures de protection plus contraignantes – notamment l’interdiction de déplacements nocturnes dans un certain nombre de territoires ([4]).

Conformément au dernier alinéa du même article L. 3131‑13, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article proroge l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus. À l’issue du délai d’un mois couvert par le décret du 14 octobre, il est donc proposé d’étendre l’application de ce dispositif pour une durée supplémentaire de trois mois.

Si ce délai est légèrement supérieur à celui de deux mois sollicité par le Gouvernement lors de la discussion des lois des 23 mars ([5]) et 11 mai 2020, il est nécessaire compte tenu du contexte sanitaire et justifié par les perspectives d’évolution pessimistes de l’épidémie ([6]). On rappellera par ailleurs que, sous la précédente législature, le régime d’urgence fondé sur la loi du 3 avril 1955, qui a été appliqué durant près de deux ans, a été prorogé pour des durées variables qui sont allées jusqu’à six mois par la loi du 21 juillet 2016 et près de sept mois par la loi du 19 décembre de la même année.

Durant ce nouvel état d’urgence s’appliquera automatiquement la disposition figurant à l’article L. 3131-13 du code de la santé publique selon laquelle : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ».

Cette disposition est pleinement utilisée par la mission d’information mise en place à l’Assemblée nationale pour suivre l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19. Sur son fondement le Gouvernement lui transmet des données précises sous la forme d’un « point d’étape » hebdomadaire très complet qui est mis en ligne sous l’intitulé : « Rapports d’étapes du Premier ministre sur les mesures prises au titre de l’urgence sanitaire et de l’organisation de la sortie de l’état d’urgence » ([7]).

3.   La position de la Commission

La Commission a adopté cet article sans modifications.

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Article 2
(art. 1er et 2 de la loi n° 2020856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire)
Régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article proroge, jusqu’au 1er avril 2021, et adapte le régime transitoire institué, le 11 juillet 2020, à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

       Dernières modifications législatives intervenues

Le régime transitoire a été institué par l’article 1er de la loi n° 2020‑856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté cet article modifié par un amendement de coordination du rapporteur.

1.   L’état du droit

Le 11 juillet dernier, un régime transitoire a succédé à l’état d’urgence sanitaire. Son dispositif a été décrit par nos collègues Marie Guévenoux dans son rapport sur le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ([8]), devenu la loi  2020856 du 9 juillet 2020, et Alice Thourot, rapporteure sur le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire ([9]), dont la discussion a été interrompue au profit du présent projet de loi.

La loi du 9 juillet 2020 a fixé le terme de ce dispositif au 30 octobre 2020.

2.   Le dispositif proposé

Le 1° du I rend applicable, jusqu’au 1er avril 2021, le régime transitoire dans les territoires où l’état d’urgence sanitaire n’est pas en vigueur. Cette disposition avait été adoptée par votre commission et par l’Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

La date du 1er avril correspond à l’échéance fixée à l’article 7 de la loi du 23 mars 2020 pour la mise en place d’un cadre législatif durable de l’état d’urgence sanitaire. Dans cette perspective, la commission des Lois a créé une mission d’information pluraliste sur le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire et le Parlement sera saisi, prochainement, d’un projet de loi qui aura pour objet de mettre en place un cadre pérenne pour la gestion des urgences sanitaires.

Le 2° du I reprend un amendement du Gouvernement adopté par l’Assemblée nationale lors de la discussion, en première lecture, du précédent projet de loi. Cette disposition permet d’élargir le périmètre des dispositifs de dépistage qui peuvent être présentés lors des déplacements par avion et notamment les tests antigéniques. Il s’agit de remédier, par cette mesure, aux difficultés posées par délais d’obtention du résultat des tests par RT-PCR qui peuvent s’avérer incompatibles avec l’obligation de présenter un test réalisé moins de 72 heures avant l’embarquement.

Le II simplifie les modalités d’application du régime transitoire, notamment au regard de l’état d’urgence sanitaire, fixées par l’article 2 de la loi du 9 juillet 2020. Lors de la discussion de la précédente loi, cet article 2 devait prendre en compte l’application du régime transitoire sur l’ensemble du territoire national sauf à Mayotte et en Guyane où l’état d’urgence sanitaire était prorogé. La nouvelle rédaction de l’article 2 prévoit que le régime transitoire s’applique dans les territoires où l’état d’urgence sanitaire n’est pas en cours d’application. L’état d’urgence étant déclaré sur l’ensemble du territoire national par l’article 1er, le régime transitoire aura donc vocation à s’appliquer, de nouveau, à l’issue de la période prévue à ce même article, c’est-à-dire à compter du 17 février 2021 ([10]) et jusqu’au 1er avril 2021.

Le III prévoit enfin que ces dispositions s’appliquent sur l’ensemble du territoire de la République.

Comme cela a été évoqué précédemment l’action du Gouvernement sera soumise, y compris dans le cadre du régime transitoire, au contrôle parlementaire renforcé prévu par l’article L. 3131-13 du code de la santé publique ([11]).

3.   La position de la Commission

La Commission a adopté cet article modifié par un amendement de coordination de son rapporteur.

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Article 3
(art. 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020
prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions)
Prorogation des systèmes d’information mis en œuvre aux fins de lutter contre l’épidémie de Covid-19

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article proroge, jusqu’au 1er avril 2021, la mise en œuvre des systèmes d’information de santé prévus par l’article 11 de la loi n° 2020‑546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

Il élargit également le champ des personnes qui peuvent renseigner ces informations aux personnels de santé mentionnés par un décret et habilités à réaliser les examens de dépistage, ainsi que les finalités de leur collecte. Ces informations pourraient ainsi être utilisées dans le cadre de l’accompagnement social des personnes concernées, sous réserve de leur consentement préalable.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 3 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire a permis une conservation plus longue des données utilisées en matière de recherche que celles utilisées pour la gestion de la crise sanitaire.

       Modifications apportées par la Commission

Outre des modifications rédactionnelles, la Commission a précisé que le rapport qui doit être remis tous les trois mois au Parlement sur le fonctionnement de ces systèmes d’information doit comporter des indicateurs permettant d’apprécier leur portée effective sur la stratégie sanitaire du Gouvernement.

1.   L’état du droit

L’article 11 de la loi du 11 mai 2020 précitée a autorisé, dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) ([12]) et sous certaines conditions, la mise en œuvre temporaire de deux outils informatiques :

– le système d’information national de dépistage (SI-DEP), pour centraliser l’ensemble des résultats des tests effectués ([13])

– « Contact Covid », élaboré par l’Assurance Maladie, pour assurer le suivi des patients et de leurs cas contacts.

Les données ainsi collectées peuvent être utilisées, le cas échéant sans le consentement des personnes concernées, en vue de servir quatre finalités ([14]) :

– l’identification des personnes infectées par le dépistage et la collecte des résultats des tests ;

– l’identification des personnes présentant un risque d’infection, et notamment des cas contacts ;

– l’orientation de ces personnes vers des prescriptions médicales d’isolement prophylactiques, ainsi que leur suivi médical ;

– la surveillance de l’épidémie et la recherche sur le virus. Dans ce cas, les données doivent être pseudonymisées et leur traitement est conditionné au consentement des personnes concernées.

La durée de conservation maximale des données collectées est de trois mois après leur collecte. À l’issue de ce délai, elles sont supprimées. Toutefois, l’article 3 de la loi du 9 juillet dernier a permis de prolonger la durée de conservation des données nécessaires à la surveillance épidémiologique et à la recherche sur le virus pour une durée maximale de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence, soit jusqu’au 10 janvier 2021. Cette échéance correspond à celle des systèmes d’information eux-mêmes.

Ces dispositions ont été décrites par nos collègues Marie Guévenoux dans son rapport sur le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ([15]), devenu la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, et Alice Thourot, rapporteure sur le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire ([16]), dont la discussion a été interrompue au profit du présent projet de loi.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article a pour objet de :

– proroger la mise en œuvre de SI-DEP et de Contact Covid jusqu’au 1er avril 2021, date de l’échéance du dispositif d’état d’urgence sanitaire prévu par le code de la santé publique (a du ) ;

– par cohérence, de permettre la conservation des données utilisées aux seules fins de recherche, et avec le consentement des personnes concernées, jusqu’à cette même date (b du ) ;

– préciser la nature des examens permettant d’identifier les personnes contaminées. Il est ainsi indiqué que les examens de biologie recouvrent les dépistages virologiques ou sérologiques (a du ) ;

– élargir le champ des professionnels chargés de renseigner les informations collectées dans les systèmes d’information. Alors que ces informations sont actuellement renseignées par les médecins et les biologistes médicaux, ou par des personnes sous leur responsabilité, d’autres personnels de santé, mentionnés par un décret en Conseil d’État, se verraient reconnaître cette faculté à la condition d’être habilités à réaliser les examens de dépistage. L’objectif est notamment de permettre aux pharmaciens d’y procéder (a du 2°) ;

– spécifier que la pseudonymisation des données utilisées en matière de recherche implique la suppression des coordonnées de contact téléphonique et électronique ;

– ajouter une nouvelle finalité aux données collectées qui pourront être utilisées dans le cadre de l’accompagnement social des personnes infectées ou susceptibles de l’être pendant et après la fin des prescriptions médicales d’isolement prophylactique, sous réserve de leur consentement (c du 2°).

Pour mémoire, dans sa décision sur la loi du 11 mai 2020, le Conseil constitutionnel avait considéré que « s’agissant d’un accompagnement social, qui ne relève donc pas directement de la lutte contre l’épidémie, rien ne justifie que la communication des données à caractère personnel traitées dans le système d’information ne soit pas subordonnée au recueil du consentement des intéressés ». Il avait en conséquence censuré les dispositions concernées au motif qu’elles étaient contraires au droit au respect de la vie privée ([17]). La soumission de cette dernière finalité au consentement des personnes concernées par le présent article permet donc de lever ce motif de censure.

Les autres dispositions de coordination ou de nature rédactionnelle n’appellent pas de commentaires.

3.   La position de la Commission

Conformément à une demande conjointe de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et du comité de contrôle et de liaison Covid-19 ([18]), la Commission a souhaité préciser que le rapport remis par le Gouvernement au Parlement, tous les trois mois, sur les systèmes d’information SI-DEP et Contact Covid doit comporter des indicateurs d’activité, de performance et de résultats permettant d’en améliorer l’évaluation.

En effet, comme le souligne la CNIL dans sa délibération, cette évaluation est « essentielle dès lors que ces dispositifs ne sont admissibles que s’ils contribuent utilement à la politique sanitaire ». Ces indicateurs permettront ainsi de mieux apprécier la portée effective des systèmes d’information sur la stratégie sanitaire du Gouvernement.

Pour mémoire, une disposition semblable avait été adoptée par l’Assemblée nationale lors de l’examen le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

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Article 4
Habilitation du Gouvernement à prendre diverses mesures
par voie d’ordonnances

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures permettant de prolonger, rétablir ou adapter certaines dispositions prises également par ordonnances au cours de l’épidémie de covid‑19 et arrivées à échéance.

Le Gouvernement est habilité, en outre, à prendre par ordonnances des dispositions relatives aux compétences de l’Autorité de régulation des transports.

       Dernières modifications législatives intervenues

Les ordonnances concernées sont issues de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative (LFR) pour 2020.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a ramené le délai de l’habilitation du Gouvernement du 1er avril au 16 février 2021.

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Le I du présent article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances, jusqu’au 1er avril 2021, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à prolonger, rétablir ou adapter, le cas échéant, en fonction des situations locales, l’application des mesures prises sur le fondement des habilitations prévues par :

– le I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 précitée, à l’exception des mesures relatives à la responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables publics (h du 1° du I), à divers délais s’imposant aux autorités administratives (a du 2° du I) et aux personnes pour faire valoir certains droits (b du même 2°), au déroulement des gardes à vue (d du 2°), aux règles d’exécution et d’application des peines privatives de liberté (e du 2°) et à l’organisation de la Banque publique d’investissement (h du 2°) ([19]) ;

– l’article 16 de la même loi permettant de prolonger la durée de validité de certains titres de séjour ;

– l’article 1er de la loi du 17 juin 2020 traitant de mesures relatives à l’activité partielle, aux contrats des sportifs et de leurs entraineurs et aux modalités d’organisation de l’enseignement militaire.

Ces dispositions entreraient en vigueur à compter de la date à laquelle les mesures qu’elles rétablissent ont cessé de s’appliquer, soit de manière rétroactive, si la continuité de ces droits est nécessaire au regard des conséquences de l’épidémie.

Le II habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances, et jusqu’au 1er avril 2021, des mesures permettant de rétablir ou d’adapter à l’état de la situation sanitaire, le cas échéant de manière territorialisée, certaines dispositions, et notamment les périodes d’application ou d’ouverture des droits résultant :

– des articles 10 et 13 de la loi du 23 mars 2020 relatifs aux règles de délibération des collectivités territoriales (en particulier de quorum) et d’affiliation à l’assurance maladie et maternité, sans délai de carence, des français expatriés rentrés en France entre le 1er mars et le 1er juin 2020 et n’exerçant pas d’activité professionnelle ;

– de l’article 20 de la loi n° 2020-473 de finances rectificative pour 2020 du 25 avril 2020, relatif à l’indemnisation de l’activité partielle ;

– des articles 5 (relatif à certains contrats de travail et au calcul de l’indemnité d’activité partielle), 6 (relatif aux jours de repos ou de congé annuels), 12 (relatif à diverses indemnités, notamment de fin de carrière), 36 (relatif à certains contrats liés aux activités de recherche dans les établissements d’enseignement), 41 (relatif aux accords collectifs d’entreprise), 45 (relatif aux adjoints de sécurité), 47 (relatif aux militaires), 48 (relatif au congés de reconversion des militaires), 49 (relatif à la réserve civique) et 52 (relatif aux mises à disposition de salariés) de la loi du 17 juin 2020.

Le III habilite le Gouvernement, sans que cette habilitation soit limitée dans le temps, à prendre par ordonnances, et pour faire face aux conséquences de l’épidémie, des mesures permettant d’adapter les compétences de l’Autorité de régulation des transports de manière à permettre :

– l’homologation des redevances pour services rendus par les services publics aéroportuaires ainsi que leur modulation ;

– le recueil de son avis conforme sur les contrats pluriannuels conclus entre Aéroports de Paris et les autres exploitants d’aérodromes civils et l’État sur les conditions de l’évolution des tarifs des redevances aéroportuaires.

Les projets d’ordonnances pris sur le fondement de ces habilitations seraient dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou règlementaire. Par ailleurs, un projet de ratification devra être présenté au Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chacune de ces ordonnances.

À l’initiative de M. Antoine Savignat, la Commission a ramené le délai d’habilitation du Gouvernement du 1er avril au 16 février 2021, soit au terme prévu de l’état d’urgence sanitaire.

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   audition de M. Gérald Darmanin,
ministre de l’Intérieur

Lors de sa première réunion du jeudi 22 octobre 2020, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (n° 3464) (M. Jean-Pierre Pont, rapporteur).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9714945_5f913a5415510.commission-des-lois--m-gerald-darmanin-ministre-de-l-interieur-et-m-olivier-veran-ministre-des--22-octobre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous tenons ce matin deux auditions dans le cadre de l’examen du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire. Nous avons désigné hier notre rapporteur, M. Jean-Pierre Pont.

Nous auditionnerons d’abord M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, puis M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

Monsieur le ministre de l’intérieur, si la commission des Lois a souhaité vous entendre ce matin dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, c’est parce que votre ministère est en charge de la bonne application des règles issues de l’état d’urgence sanitaire, notamment la fermeture de certains lieux et le respect du couvre-feu.

Je précise, mes chers collègues, que la discussion générale sur le projet de loi aura lieu cet après-midi.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le ministre des solidarités et de la santé, qui vous présentera ce projet de loi au nom du Gouvernement, pourra sans doute répondre mieux que moi à nombre de vos questions. Il détaillera la situation sanitaire, mais nous devons tous avoir conscience qu’elle s’aggrave rapidement, avec une forte accélération de la circulation du virus depuis une quinzaine de jours. C’est le cas en France, comme chez nos voisins européens et dans une grande partie de l’hémisphère Nord.

Cette aggravation a exigé une réponse très forte et rapide de l’État afin d’éviter la saturation de notre système de soins, durement éprouvé lors de la première vague. Le Président de la République et le Premier ministre ont ainsi décidé de faire passer l’ensemble du territoire national en état d’urgence sanitaire et d’appliquer, dans les huit départements d’Île-de-France et dans huit métropoles, un couvre-feu sanitaire de vingt et une heures à six heures à partir du samedi 17 octobre.

Le dispositif juridique actuel permet au Gouvernement de prendre des mesures relevant de l’état d’urgence sanitaire pendant quatre semaines. Compte tenu de l’urgence de la situation, un décret a été pris dès samedi. Cela étant, parce que certaines mesures exceptionnelles touchent aux droits les plus fondamentaux de nos concitoyens, comme celui d’aller et venir ou de poursuivre certaines activités, la prorogation de l’état d’urgence doit être validée par le Parlement.

Le Gouvernement a donc l’honneur de vous présenter ce projet de loi élaboré par les services du ministère de l’intérieur et du ministère des solidarités et de la santé, qui a été examiné par le Conseil d’État en moins d’une semaine. Il dote notre pays d’un cadre et d’outils adaptés et efficaces pour faire face à la crise sanitaire la plus grave qu’il ait eu à traverser depuis plus d’un siècle.

Il proroge pour trois mois, jusqu’au 17 février 2021, l’état d’urgence sanitaire en vigueur sur le territoire national, en application du décret du 17 octobre, et qui permet de prendre des mesures plus restrictives, notamment concernant les sorties hors du domicile en soirée, pour freiner la propagation du virus. Ces mesures se justifient par la situation sanitaire grave, voire critique, qui est décrite dans l’étude d’impact : un taux de positivité des tests de 13,4 %, contre 1,4 % en juin ; le passage du nombre de reproduction « R effectif » à 1,37 alors qu’il était redescendu à 0,76 en juin ; enfin, un taux d’occupation des lits en réanimation supérieur à 40 %.

Le projet de loi prévoit également, comme lors de la première phase de l’épidémie, un régime de sortie qui s’appliquera de mi-février au 1er avril 2021 : il s’agit d’un ensemble de mesures transitoires et graduées pour maîtriser la circulation du virus.

Au-delà du projet de loi qui vous est présenté, je voudrais revenir sur la stratégie que nous poursuivons depuis cet été. Nous avons fait le choix d’une riposte graduée et, surtout, territorialisée, dont le rouage et le garant est le préfet du département, responsable de l’ordre public. Dans un cadre défini au niveau national, c’est lui qui prend les mesures de freinage du virus adaptées à la situation sanitaire de son territoire. Si nous avons adopté cette approche, c’est parce que nous avons fait le pari de l’intelligence territoriale, mais aussi celui de la confiance envers les élus locaux – les maires, les élus départementaux et régionaux – et bien sûr les parlementaires. Le préfet est sans doute celui qui est le plus en contact avec eux. Dans les territoires, j’ai demandé aux préfets d’intensifier leur travail de pédagogie et de concertation avec les élus locaux, mais également et surtout avec les acteurs économiques et sociaux. Sans les élus, sans le concours des collectivités locales, sans la mobilisation de tous les acteurs économiques et de tous les Français, nous ne parviendrons pas à constituer ce front contre le virus.

C’est en suivant cette approche territorialisée, souhaitée par le Premier ministre, que nous avons restauré l’état d’urgence sanitaire samedi dernier. Dès vendredi, dans la soirée, l’attestation dérogatoire de déplacement pouvait être téléchargée sur le site du ministère de l’intérieur ou sur smartphone – mais il est tout à fait possible de rédiger une attestation sur papier libre. Dès la nuit de vendredi à samedi, 12 000 policiers et gendarmes ont été mobilisés pour exercer des contrôles, avec la consigne de faire preuve de pédagogie pour commencer. Je profite de cette occasion pour remercier les forces de sécurité intérieure pour leur mobilisation dans cette action prioritaire de sécurité sanitaire, indépendamment des nombreuses autres activités menées parallèlement.

Au total, depuis la nuit de vendredi à samedi – même si cette première nuit n’a donné lieu qu’à de rares infractions, essentiellement dans des établissements recevant du public –, 4 777 verbalisations ont été dressées au titre du non-respect du couvre-feu. Les remontées des forces de l’ordre et des préfets montrent que les Français acceptent cette mesure : on relève très peu d’incidents sur le territoire national.

Si le contrôle des règles sanitaires est essentiel, c’est évidemment la responsabilisation individuelle de chacune et de chacun qui nous permettra de faire face. Tous le savent et le montrent : pratiquement une semaine après sa mise en place, nous pouvons affirmer que ce couvre-feu est respecté dans les territoires où il s’applique.

Enfin, je sais que la gravité de la situation amène certains d’entre vous à s’interroger sur le calendrier des élections régionales et départementales prévues en mars 2021. Je tiens à rappeler que cette date est inscrite dans la loi et que c’est donc au législateur qu’il appartiendra de la modifier, s’il le souhaite : cela ne saurait évidemment résulter d’une décision unilatérale du Gouvernement. Les rendez-vous démocratiques sont importants : on ne peut envisager de les modifier que d’une main tremblante et sur la base d’avis éclairés, n’émanant pas, dans la mesure du possible, de l’exécutif. C’est pourquoi le Premier ministre a décidé hier soir, pour répondre à la question légitime que lui posaient les partis politiques qu’il avait réunis, de confier à M. Jean-Louis Debré, ancien président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, autorité morale incontestable, la mission de mener une concertation avec l’ensemble des parties prenantes afin d’émettre des recommandations sur la tenue des élections et leur éventuel report.

Tels sont, mesdames et messieurs les députés, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Je me tiens évidemment à votre disposition, sachant que toute question relative à la situation sanitaire pourra être adressée au ministre des solidarités et de la santé.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent ce matin devant la commission des Lois. Nous nous apprêtons à débattre d’un cinquième texte relatif à la menace épidémique du covid-19. Je ne vous interrogerai naturellement pas sur les aspects sanitaires de la crise, mais sur les libertés publiques et locales, particulièrement éprouvées depuis le printemps.

Ma première question concernait l’introduction d’un couvre-feu en région francilienne et dans les grandes métropoles. C’est une décision très forte. Vous l’estimez respectée sur le terrain. Les forces de l’ordre ont été amenées à dresser un grand nombre de contraventions, dans un contexte par ailleurs difficile. Vous avez répondu par anticipation.

Je voulais aussi vous interroger sur les élections régionales et départementales de mars 2021, mais là encore vous avez déjà apporté une réponse claire et circonstanciée.

Vous savez que cette Commission en général, et sa présidente en particulier, veillent à faciliter les modalités de fonctionnement des collectivités locales. Parmi les habilitations sollicitées à l’article 4, pouvez-vous nous indiquer quelles facilités le Gouvernement prévoit de maintenir ou d’inaugurer ?

M. Dimitri Houbron. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent ce matin devant notre Commission. La gravité de la situation nous oblige à prendre des mesures sanitaires, dont la réussite dépendra principalement de la façon dont les forces de l’ordre pourront en contrôler le respect effectif sur le terrain.

Ce que l’on peut craindre, toutefois, c’est que l’acceptabilité sociale de ces nouvelles mesures ne finisse par s’éroder – je pense notamment au couvre-feu et à la restriction des soirées privées : voilà pourquoi votre présence ce matin est très utile. Le groupe Agir ensemble s’interroge, non pas sur le bien-fondé de ces nouvelles restrictions, mais sur leurs conséquences économiques, sociales et sociétales. Mon groupe craint qu’à terme, notre cohésion sociale et notre structure économique ne supportent pas cette succession d’arrêts et de reprises ponctuée de confinements plus ou moins stricts et de déconfinements plus ou moins souples. En admettant que le couvre-feu freine la circulation du virus, nos concitoyens accepteront-ils, par la suite, des mesures pour briser une potentielle troisième vague ? Face à une crise qui risque de durer, ne faudrait-il pas s’orienter davantage vers des mesures d’adaptation et de prévention, au besoin assorties de sanctions à l’encontre des personnes qui devraient s’isoler et ne le font pas ?

Monsieur le ministre, disposez-vous d’un panel de mesures alternatives ou complémentaires au couvre-feu en cas de difficulté à faire appliquer ce dernier ? Certains pays, lors de la première vague, ont opté, faute de moyens économiques, pour un confinement spécifique : un confinement des personnes âgées et fragiles la semaine et un confinement de l’ensemble de la population certains week-ends. Est-ce une piste que vous envisagez ?

Mme Isabelle Florennes. J’ai deux questions relatives à l’application du couvre-feu. On parle de le durcir et de le faire démarrer dès dix-neuf heures en région parisienne : avez-vous des informations à nous livrer à ce sujet ? Qu’en est-il, par ailleurs, d’une éventuelle aggravation des sanctions à l’encontre de ceux qui organiseraient des soirées clandestines ? Votre ministère l’envisage-t-il ?

Je tiens enfin à dire que le Groupe du Mouvement démocrate et des Démocrates apparentés se félicite de la création d’un comité transpartisan pour décider du calendrier des futures élections.

M. Raphaël Schellenberger. Nous en serons bientôt, avec ce texte, à un an d’état d’exception ! Nous devrions pourtant pouvoir nous installer progressivement dans un « vivre-malgré-le-virus », c’est-à-dire dans une logique où la vie reprend le pas, nonobstant certaines restrictions. Or ce n’est pas encore le cas, et la précipitation avec laquelle vous présentez vos textes ne nous rassure pas.

Nous avons mis les maires au cœur de la crise mais ils sont le plus souvent réduits à une fonction d’exécution des décisions du préfet. Leur marge de manœuvre est extrêmement limitée : une fois que l’arrêté préfectoral est tombé, ils n’ont plus beaucoup d’espace de discussion. Comment coordonnez-vous l’action des préfets ? Elle est perçue de façon bien différente selon les territoires, certains préfets ayant parfois des difficultés à adapter les mesures nationales aux réalités locales.

Envisagez-vous des restrictions plus strictes encore ? On parle depuis hier d’avancer le couvre-feu à dix-neuf heures ou de l’étendre à l’ensemble du territoire national : qu’en est-il exactement ? Qu’en est-il par ailleurs du contrôle aux frontières, mesure à laquelle la France recourt moins que d’autres États, y compris européens ? Quand reviendrons-nous à un fonctionnement normal des institutions de la République ? Je pense notamment à la justice : le recours massif aux ordonnances prévu dans ce texte va encore dégrader ce service public.

Qu’en est-il, enfin, des élections prévues en mars 2021 ? L’incertitude qui entoure leur tenue crée un climat particulièrement anxiogène, alors qu’elles auront lieu un an après la première promulgation de l’état d’urgence.

Mme George Pau-Langevin. Compte tenu du développement de la crise sanitaire, le groupe Socialistes et apparentés est évidemment prêt à soutenir les mesures qui s’imposent pour lutter contre la pandémie. Cependant, le texte qui nous est présenté privilégie la sécurité sanitaire au détriment des libertés fondamentales ; mais peut-on accepter qu’il le fasse sur une durée aussi longue, pratiquement jusqu’au mois d’avril prochain ? Compte tenu du nombre d’habilitations demandées, le pouvoir législatif sera pour ainsi dire à l’arrêt. Pourquoi prendre des décisions à si long terme, alors que le Parlement peut siéger ? La manière même dont se déroule l’examen du présent projet de loi le montre : nous avons été saisis de ce texte mercredi et nous pourrons l’examiner en séance publique samedi. Lorsqu’il faut aller vite, les parlementaires le comprennent et le font. Mais là, vous allez les déposséder de leur pouvoir de décision sur un grand nombre de sujets jusqu’au mois d’avril, ce qui semble excessif. Ne serait-il pas possible, monsieur le ministre, d’avoir des rendez-vous réguliers pour faire le point sur la situation ?

M. Stéphane Peu. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être présent devant nous ce matin. Je voulais vous interroger au sujet des élections, mais la mission qui a été confiée à M. Jean-Louis Debré nous semble être une bonne chose.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est prêt également, comme il l’a montré depuis le début de cette crise, à prendre sa place dans la nécessaire unité nationale pour faire face, sur ce sujet aussi, à l’urgence, et à soutenir les mesures qui s’imposent. Cependant, je m’interroge sur les délais prévus dans ce projet de loi, car l’unité nationale se fabrique surtout par le débat régulier de la Représentation nationale et sa complète information. Nous avons montré que nous pouvions débattre dans des délais tout à fait compatibles avec l’urgence de la crise.

Le Président de la République nous a annoncé la semaine dernière un couvre-feu pour une durée de quatre semaines, qui devait être portée à six semaines si le Parlement l’acceptait. Finalement, on nous propose un état d’urgence de trois mois, qui sera suivi d’un processus transitoire de deux mois supplémentaires sans retour devant la Représentation nationale. Cela ne nous paraît pas juste du point de vue démocratique et, surtout, cela ne nous paraît pas juste au regard de l’objectif commun qui devrait être le nôtre en cette période de crise : celui de fabriquer de l’unité nationale par le débat démocratique.

La durée du dispositif proposé, pour nous, n’est pas compréhensible, car il n’est pas compatible avec les objectifs poursuivis, qui devraient être communs.

M. Bertrand Pancher. Monsieur le ministre, j’aimerais que vous nous expliquiez votre conception de la concertation, qui devrait nécessairement être menée par les représentants de l’État et les préfets. Ce projet de loi, qui va vraisemblablement être voté, est une atteinte généralisée aux libertés publiques : c’est peut-être une nécessité qui pourrait se concevoir si elle présidait d’une réelle concertation des représentants des territoires et de la société civile. Or, toutes les remontées du terrain font état d’une mise devant le fait accompli. Pour le groupe Libertés et Territoires, la discussion ne saurait se limiter à donner une liste de prescriptions et de décisions à appliquer. Hier même, au cours de la rencontre avec le Premier ministre, ma préfète m’a envoyé un message pour me dire ce qu’on allait faire, sans jamais me présenter les options possibles ni me demander mon avis. Et la même chose est arrivée à quantité de maires et de grands élus locaux.

Le professeur Jean-François Delfraissy prévenait lui-même il y a quelques jours que la deuxième vague serait beaucoup plus difficile à endiguer que la première, parce que la population française n’accepterait pas d’être reconfinée et ne supporterait plus de telles mesures de restriction des libertés publiques.

M. Pascal Brindeau. Monsieur le ministre, depuis le début de la crise sanitaire, le débat porte moins sur les mesures prises pour protéger la santé de nos concitoyens, dont chacun peut comprendre qu’elles impliquent de restreindre certaines libertés, que sur les conditions de dessaisissement du Parlement au profit de l’exécutif. Le Parlement doit pouvoir continuer d’exercer sa mission constitutionnelle de contrôle, s’agissant de l’application de l’état d’urgence, de ses prolongations, des mesures transitoires permettant d’en sortir, voire de celles qui tendront à le pérenniser. Nous avons besoin de lisibilité.

Vous appelez à la responsabilité individuelle, mais celle-ci sera d’autant plus efficace que les gens comprendront les mesures prises. Nous étions en train d’examiner des mesures tendant à pérenniser l’état d’urgence, des mesures dérogatoires au droit commun, qui devaient permettre de gérer tout à la fois la sortie de la crise sanitaire et son éventuelle prolongation – hypothèse qui semblait se confirmer depuis septembre. Aujourd’hui, on nous propose de délibérer tout à la fois sur l’état d’urgence et sur des mesures transitoires, qui nous mèneront au-delà de six mois. Une fois adoptée, cette loi instaurera en fait deux régimes successifs, contrairement à ce que nous avions fait lors de la première vague de l’épidémie : nous avions délibéré deux fois, d’abord pour instaurer l’état d’urgence, ensuite pour des mesures transitoires de sortie. Le dispositif que vous proposez aujourd’hui prive totalement le Parlement, et pour une durée trop longue, de ses prérogatives constitutionnelles, autrement dit de son pouvoir de légiférer et de contrôler l’exécutif.

Au sujet des élections, vous avez évoqué la constitution d’un comité présidé par M. Jean-Louis Debré, mais nous sommes déjà au moment où doivent être ouverts les comptes de campagne. Que pouvez-vous nous dire sur la possibilité de prendre en compte cette période et sur les conditions de la campagne électorale qui pourrait être menée si les élections étaient maintenues ?

Mme Laetitia Avia. Monsieur le ministre, depuis le 17 octobre, le couvre-feu s’applique dans neuf métropoles et touche près de 20 millions de nos concitoyens. Une mesure de ce type est nécessaire pour freiner la propagation du virus, mais elle est difficile pour tout le monde, car elle restreint nos interactions sociales. Il semble que nos concitoyens comprennent l’enjeu de cette mesure : c’est du moins ce qu’indiquent les différentes études publiées à ce sujet depuis le 17 octobre. Ils se déclarent prêts à faire des efforts, à condition que ces mesures soient respectées par tous.

Vous avez notamment évoqué les 12 000 policiers et gendarmes déployés sur le territoire et fait état des premiers résultats en matière de contraventions. Pouvez-vous détailler les dispositifs de contrôle que vous avez mis en place, la doctrine qui s’applique en la matière et les éventuelles évolutions que vous envisagez dans le cadre de ce nouvel état d’urgence sanitaire ?

M. Philippe Gosselin. On assiste à une forme de banalisation de l’état d’urgence. Personne ne conteste l’aggravation de l’épidémie, ni le nombre de patients en réanimation, ni la nécessité d’agir en instaurant au besoin un couvre-feu localisé et des mesures évidemment proportionnées. Mais l’état d’urgence est tout de même un droit d’exception : c’est la négation du droit commun et des normes habituelles, du droit fondamental d’aller et de venir, de la liberté du commerce et de l’industrie. Pourquoi faut-il que la mesure phare vendue ces derniers temps de façon à peu près unanime, celle du couvre-feu, soit adossée à l’état d’urgence ?

La loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire permet déjà de limiter les déplacements et de fermer des établissements. L’exposé des motifs du projet de loi se contente de dire que cette loi est insuffisante, sans apporter d’arguments solides. J’aimerais savoir pourquoi elle ne peut pas s’appliquer – et ma question vaut aussi pour le texte que nous avons examiné le 1er octobre et dont il n’est plus question.

Enfin quid de cette durée ? Donner des moyens, c’est une chose, mais sur une base juridique solide et pour une durée limitée ! Une fois de plus, le Parlement se voit privé d’une partie de ses moyens d’action avec ce quasi-blanc-seing jusqu’au 1er avril. Qui plus est, cette période excessivement longue englobera les élections régionales et départementales. Mais l’essentiel n’est pas là : le plus grave, c’est que pendant six mois, le Parlement sera pour ainsi dire dans l’impossibilité de contrôler l’action du Gouvernement. Or, nous fonctionnons déjà de façon dégradée : tout le monde ne peut pas assister aux séances publiques ni aux réunions de commission, ce qui pose un vrai problème démocratique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je crois que certaines des réponses à vos questions figurent dans l’avis du Conseil d’État.

M. Philippe Gosselin. Pas aussi clairement que cela, ni dans la décision du Conseil constitutionnel !

M. Sacha Houlié. Monsieur le ministre, plusieurs collègues vous ont demandé de justifier les dates retenues dans ce projet de loi. Pour ma part, je ne m’y attarderai pas, car je vois une certaine analogie avec ce qui s’est passé en début d’année : entre le déclenchement de l’état d’urgence au mois de mars, sa reconduction au mois de mai, la sortie de celui-ci au mois de juillet, nous étions bien à quatre mois.

En revanche, j’aimerais que vous nous expliquiez – et je poserai la même question au ministre des solidarités et de la santé – ce qui vous a conduits à inscrire dans le même texte l’état d’urgence et les mesures transitoires permettant d’en sortir, sans prévoir un nouveau passage au Parlement. Comment pouvez-vous inscrire les deux régimes dans un même texte ? Qu’est-ce qui vous a amenés à faire ce choix ?

J’aimerais également vous interroger sur la mobilisation des forces de l’ordre. Vous nous avez dit qu’elle est massive, puisque 12 000 agents sont concernés sur le territoire. Vous nous avez montré aussi qu’elle est utile, puisqu’elle témoigne du fait que la population accepte globalement cette mesure et commet peu d’infractions. Mais j’aimerais connaître l’incidence de cette mobilisation sur les opérations en cours. Depuis cet été, la lutte contre le trafic de stupéfiants, les cambriolages et les violences aux personnes était renforcée : qu’en est-il aujourd’hui ?

Alors même que nous ne disposons pas encore de base légale pour le faire, dans l’attente de la proposition de loi de nos collègues Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, comment les polices municipales sont-elles associées au suivi du respect des mesures sanitaires ?

M. Mansour Kamardine. Monsieur le ministre, un de vos lointains prédécesseurs déclarait à l’Assemblée nationale que l’outre-mer, c’est loin, et que pour se faire entendre, il faut parler un peu plus fort. J’aimerais, pour ma part, insister sur la situation mahoraise, qui est assez singulière.

Mayotte vit toujours dans l’état d’urgence. Or, la population manque d’eau : on n’en a qu’un jour sur deux. L’immigration illégale continue de croître – vous le savez mieux que moi, puisque vous avez les chiffres officiels : tous les soirs, plusieurs centaines de personnes débarquent sur les rivages français de Mayotte, s’installent et se construisent des bidonvilles, qu’on appelle chez nous des « bangas ». Cela accroît l’insécurité et ne favorise pas la lutte contre la pandémie. Si vous veniez à Mayotte, où je vous ai invité, vous verriez une situation proprement édifiante, des choses qu’on ne voit nulle part ailleurs sur le territoire national. Comment imaginer qu’on continue à imposer l’état d’urgence à Mayotte sans apporter de réponse à tous ces problèmes ? Je vous vois opiner, madame la présidente…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je disais justement au ministre que je me suis rendue à Mayotte et que vous m’y aviez accueillie.

M. Mansour Kamardine. Et que cela vous avait choquée !

Je ne vois pas comment on peut lutter efficacement contre le covid-19 à Mayotte tant qu’on n’aura pas remédié à ces problèmes. En Guyane, le préfet s’attaque aux favelas qui se construisent en dehors de toutes règles, mais ce n’est pas le cas à Mayotte. Si on ne fait rien, dans dix ans, nous serons toujours en état d’urgence. On ne pourra pas lutter efficacement contre la pandémie, aussi longtemps qu’on n’aura pas réglé les problèmes de fond : maîtrise de l’immigration, installations anarchiques, accès à l’eau.

Je réitère l’invitation : Mayotte s’honorerait de votre visite, monsieur le ministre, et vous prendriez conscience de ce que je vous dis. Il est certaines choses qu’on ne comprend pas tant qu’on ne les a pas vues.

M. Philippe Gosselin. C’est vrai !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. M. Gosselin était également de notre déplacement à Mayotte.

Pour ma part, j’aimerais seulement avoir des précisions sur le calendrier de travail de la mission présidée par M. Jean-Louis Debré. Quand rendra-t-elle ses conclusions ? Comme vous l’avez rappelé, si un projet de loi doit proposer de repousser les élections, c’est la commission des Lois qui sera compétente : ces questions de calendrier l’intéressent tout particulièrement.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Je vais me concentrer sur les questions qui relèvent directement du ministère de l’intérieur, en commençant par votre interpellation, madame la présidente. Ce calendrier intéresse la commission des Lois, me dites-vous, et je n’en doute pas, mais il intéresse aussi le ministre en charge des élections : nous avons les mêmes attentes.

Le président Jean-Louis Debré vient d’être missionné et il doit prendre contact avec le Premier ministre aujourd’hui ou demain. Pour ma part, je n’ai pas encore échangé avec lui, mais je vais le faire cette semaine pour voir comment il envisage les choses. Il me semble qu’il doit remettre ses conclusions d’ici trois semaines ou un mois, afin que nous puissions organiser la vie démocratique et proposer au Parlement, le cas échéant, le report éventuel de ces élections.

J’en profite pour répondre à M. Stéphane Peu, à Mme George Pau-Langevin, à M. Raphaël Schellenberger et aux autres députés qui m’ont interrogé à ce sujet, que le vrai problème est moins le vote en lui-même, même si c’en est un, que l’organisation des campagnes et des opérations électorales. Je rappelle d’ailleurs que c’est le législateur qui a voulu avancer en mars une partie de ces élections locales, prévues en décembre.

M. Philippe Gosselin. C’était en 2015 !

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. La date de mars 2021 a bien été votée par le Parlement : vous ne pouvez pas contester cette vérité ! Ce que le Parlement a fait, il peut le défaire s’il le souhaite : cela n’a rien d’insultant, c’est un fait.

En mars 2021, donc, le droit commun imposera pour la première fois depuis 1986 deux élections concomitantes sur le territoire – à quelques exceptions près comme la métropole lyonnaise, où les élections départementales ont lieu en même temps que les élections municipales, et la collectivité de Corse. Sur le reste du territoire, le premier défi consistera – et la République a déjà montré qu’elle était capable de le relever – à organiser deux bureaux de vote, comme nous y oblige le Conseil constitutionnel. Les précautions sanitaires devront donc, elles aussi, être redoublées. Mais ce n’est pas à vous, qui êtes des élus et qui avez été des militants, que je vais apprendre que l’élection ne se limite pas au moment du vote et qu’elle nécessite une organisation, notamment dans les communes rurales.

Indépendamment des précautions sanitaires et des contraintes matérielles qu’imposera l’organisation de deux élections en même temps, je vous rappelle qu’une élection, c’est aussi et avant tout une campagne électorale. C’est cela, pour moi, l’enjeu principal, et pas les quelques secondes que l’on passe à voter, même si c’est évidemment important. Je ne reviens pas sur les polémiques auxquelles ont donné lieu les élections municipales : l’ancien Premier ministre a d’ailleurs dû s’en expliquer devant le Parlement il y a quelques heures. D’aucuns lui ont reproché de s’être prononcé en faveur du maintien des élections, même si je rappelle qu’il n’y avait pas d’unanimité au sein des groupes politiques – il faut dire que ce n’est pas simple. On a même vu certains responsables politiques dire d’abord qu’il ne fallait en aucun cas annuler les élections, avant de dire qu’il n’aurait pas fallu les organiser : certains ont tenu des propos contradictoires. Aujourd’hui, nous devons prendre des décisions en nous fondant sur l’expérience des municipales et sur la connaissance que nous avons du virus. Et je pense que le mode de décision choisi est le bon.

Une campagne électorale suppose de pouvoir se rassembler, débattre, distribuer des documents, faire du porte-à-porte. Et cela pose effectivement la question des comptes de campagne. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur ce sujet, puisque c’est au Parlement qu’il revient de modifier les règles à l’application desquelles veille la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Le président de cette autorité administrative indépendante m’a assuré qu’il allait, comme il l’a fait pour les élections municipales, adapter les règles de droit. Il pourra faire évoluer la jurisprudence de la commission : c’est elle qui décide, sous réserve de validation par les tribunaux, ce qui entre ou non dans les comptes de campagne. Les masques portés en réunion publique, par exemple, doivent-ils entrer dans les comptes de campagne ? La dépense électorale est une dépense qui vise à faire gagner des voix : toute dépense n’a donc pas vocation à être automatiquement remboursée. La question se pose aussi des réunions annulées, des locations de salles plus grandes pour respecter la distanciation physique. La Commission nationale des comptes de campagne sera donc amenée à établir une jurisprudence et le président Jean-Louis Debré, de son côté, ne s’intéressera pas qu’au vote, mais aussi à la campagne électorale. Que serait un vote s’il n’y avait pas de campagne ? Je rejoins évidemment M. Schellenberger : les élections sont faites pour être organisées au moment où il était prévu de les organiser. Reste qu’il va falloir tenir deux élections en même temps dans toutes les communes ou presque, ce qui va encore compliquer l’application des règles sanitaires, particulièrement dans le monde rural.

M. Philippe Gosselin. Et les élections cantonales ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Mais les élections cantonales n’avaient pas eu lieu partout en même temps que les élections régionales !

M. Philippe Gosselin. Tout de même, dans la moitié des cantons !

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. C’est-à-dire dans la moitié de la France ! Cette fois, il faudra partout des isoloirs en double : on ne pourra pas compter sur le village du canton d’à côté pour se faire prêter un isoloir. Ces élections seront sans doute particulièrement difficiles à organiser dans les communes rurales. D’autres questions se posent : certains bureaux de vote étaient installés dans des établissements pour personnes âgées. Faut-il les déménager ? Cela suppose des arrêtés préfectoraux… Autant de questions sur lesquelles va devoir se pencher le président Jean-Louis Debré. Ce sont des sujets difficiles et qui doivent être tranchés d’une manière incontestable, pour que les résultats des élections ne soient pas eux-mêmes contestés.

Vous regrettez une banalisation de l’état d’urgence sanitaire, mais elle est liée à une banalisation du virus. Le ministre de l’intérieur préfèrerait de ne pas avoir à défendre devant vous un projet de loi relatif à l’état d’urgence sanitaire ; il préférerait que les policiers et les gendarmes puissent enquêter et interpeller les « méchants ». Mais le Parlement est amené à voter ou à rejeter les textes proposés par le Gouvernement. Un débat démocratique a lieu dans les deux chambres et il est d’ailleurs arrivé au Sénat d’approuver nos options. En votant ces textes, le Parlement accepte l’idée même qu’il puisse exister un état d’urgence, prévu dans les institutions de la Ve République. Dès que l’état d’urgence sera voté – s’il l’est, car je ne préjuge pas du vote du Parlement –, je serai évidemment à la disposition des députés, comme tous les ministres : ils pourront m’interroger sur ce qu’ils souhaitent et je rendrai compte de tous les actes pris dans le cadre de l’action gouvernementale, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Effectivement, monsieur Houlié, 12 000 policiers et gendarmes, dont seize unités mobiles, sont mobilisés et répartis dans les métropoles, ce qui représente environ 40 % du territoire national. Mais de fait, l’instauration d’un couvre-feu réduit la délinquance – il y a moins de trafic de drogue, de vols de voitures, d’agressions aux feux rouges, de vols dans les restaurants puisqu’ils sont fermés après 21 heures. Du coup, les policiers et gendarmes font autre chose que ce qu’ils font d’habitude. Il serait d’ailleurs intéressant de dresser un bilan de l’activité de la délinquance et des forces de l’ordre durant le confinement, en analysant notamment la façon dont les trafiquants de drogue ont su innover dans leur commerce crapuleux en organisant, par exemple, des livraisons à domicile.

Nous n’avons pas réquisitionné les polices municipales ; elles sont placées sous l’autorité des maires : ce sont eux qui leur donnent les consignes. Les polices municipales sont habilitées à faire respecter les règles de couvre-feu, mais toutes ne travaillent pas la nuit. De larges concertations ont été menées entre les préfectures et les maires des grandes villes. Mais certains d’entre eux ont explicitement demandé aux policiers municipaux de ne pas verbaliser les personnes dans la rue ou les restaurants ouverts après 21 heures. La concertation, cela fonctionne des deux côtés, pas seulement de celui des préfets…

Vous avez raison, monsieur Pancher, concertation ne signifie pas unanimité, et le dialogue ne se conclut pas toujours dans le sens de l’intérêt général ou de la préservation de l’état sanitaire des populations. Lorsque, connaissant les chiffres de la situation sanitaire que le préfet, le ministre de la santé, parfois même le Premier ministre leur avaient communiqués, des élus ont souhaité maintenir les bars et restaurants ouverts, il a bien fallu que le préfet, en responsabilité, prenne une décision. Mais j’entends vos remarques et je donnerai à nouveau instruction aux préfets d’associer au maximum les élus. On comprend que ces mesures ne fassent plaisir à personne, nous aimons tous la vie telle qu’elle existait avant le coronavirus.

Les mesures imposées outre-mer étaient territorialisées et prenaient notamment en compte le nombre insuffisant de lits de réanimation. En Guyane, la prévalence du covid-19 est aujourd’hui moins forte que dans les autres territoires ultramarins ou métropolitains. Les difficultés, nombreuses, que rencontre Mayotte ont été évoquées ; la proximité des Comores complique la situation, mais il n’y a pas que cela. Je partage le constat de la faillite de l’organisation de la vie civile et je répondrai volontiers à votre invitation, monsieur Kamardine. Mais je ne suis pas certain que l’état d’urgence sanitaire puisse à lui seul régler les problèmes structurels auxquels votre département est confronté.

Pourquoi faire figurer les mesures transitoires dans ce texte ? Sans doute par volonté de donner un peu de perspectives aux acteurs économiques et aux élus locaux. Un des aspects terribles de cette crise, c’est le manque de prévisibilité. Si nous savions à quel moment cette crise allait prendre fin, dans trois, six ou neuf mois, nous pourrions nous organiser et limiter les conséquences économiques des mesures – le ministre de l’économie a évoqué le chiffre de 1 milliard par mois. Sans certitude aucune, nous avons décidé d’inscrire dans ces textes des mesures transitoires pour accompagner la sortie de l’état d’urgence. Le ministre de la santé sera plus à même de vous répondre sur la durée de l’état d’urgence sanitaire et des mesures transitoires, qui courent jusqu’au printemps 2021.

Les ministères de la santé et des affaires étrangères ont établi une « liste rouge » des pays en provenance desquels les voyageurs doivent présenter un test PCR négatif au départ ou à l’arrivée en France. La police aux frontières fait respecter ces mesures et les choses se passent bien, hormis les inévitables files d’attente. Les frontières hors Schengen sont toujours fermées en dehors des exceptions prévues par la circulaire du Premier ministre, qui n’a pas été modifiée depuis la fin du confinement. Les choses se passent, si j’ose dire, pour le mieux, d’autant que les tests sont en voie de modernisation.

Enfin, s’agissant de l’évolution du couvre-feu, le Premier ministre prendra ses décisions et les communiquera à la population en fin de journée.

Je me tiens à la disposition de la commission des Lois. Je ne doute pas que M. Olivier Véran, ministre de la santé, répondra à la frustration de ceux auxquels je n’aurais pas apporté d’explications suffisamment précises.

 


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   Audition de M. Olivier Véran,
ministre des SolidaritéS et de la Santé

Lors de sa deuxième réunion du jeudi 22 octobre 2020, la Commission auditionne M. Olivier Veran, ministre des Solidarités et de la Santé, sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (n° 3464) (M. Jean-Pierre Pont, rapporteur).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9714945_5f913a5415510.commission-des-lois--m-gerald-darmanin-ministre-de-l-interieur-et-m-olivier-veran-ministre-des--22-octobre-2020

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Mesdames, messieurs les députés, c’est une situation peu commune. Il y a un mois, pratiquement jour pour jour, j’étais devant votre commission pour présenter le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire. L’examen n’aura pas été à son terme. Je disais alors que nous étions à la croisée des chemins, au point de bascule ; force est de constater que, mis à part quelques métropoles où des mesures dérogatoires ont permis de juguler la progression du nombre de cas, et à l’exception notable des régions Bretagne et Nouvelle Aquitaine, toujours sous la cote d’alerte, l’épidémie a flambé dans l’immense majorité du pays.

Nous ne sommes pas les seuls en Europe, continent le plus touché. Des pays qui n’avaient pas été affectés par la première vague sont désormais atteints, comme la République tchèque, qui fait face à une vague de mortalité sans précédent. Le Pays de Galles et l’Irlande vont se confiner à nouveau pour quinze jours, au minimum. Même l’Allemagne fait face à une situation « très inquiétante », selon les mots de la chancelière.

Il y a un mois, j’évoquais cette hypothèse ; je disais qu’il ne fallait pas nous désarmer, que nous aurions peut-être besoin de nous doter de moyens supplémentaires pour lutter contre l’épidémie.

Ces dernières vingt-quatre heures, plus de 100 personnes sont décédées, plus de 150 ont été placées en réanimation, 2 000 ont été hospitalisées, soit une hospitalisation par minute – depuis que j’ai commencé de parler, cinq personnes ont été admises à l’hôpital. Il est évident que la situation épidémique actuelle aura dans deux ou trois semaines des répercussions sur l’activité des services de réanimation.

Nous espérons que les mesures proportionnées, progressives, territorialisées et adaptées à la situation, que nous avons prises depuis le mois d’août seront à même de freiner l’épidémie. Mais nous ne voulons pas « payer pour voir ».

Le Président de la République a décidé, lors du dernier conseil de défense et de sécurité nationale, l’instauration d’un couvre-feu dans les métropoles placées en zone d’alerte maximale. Je ferai cet après-midi, avec le Premier ministre, des annonces complémentaires ; un certain nombre de territoires seront à leur tour concernés.

En droit, un couvre-feu ne peut être instauré que dans le cadre de l’état d’urgence : le Conseil d’État a considéré en juillet que les mesures dérogatoires de sortie de l’état d’urgence n’autorisaient pas la mise en place de mesures plus restrictives, et particulièrement les mesures de couvre-feu.

Parce que l’heure est grave, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national a été pris en conseil des ministres. Conformément à la loi, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au‑delà d’un mois nécessite l’autorisation du législateur. C’est le cinquième texte de ce type que je défends devant vous. C’est le fonctionnement normal de notre démocratie, mais je ne le fais pas de gaieté de cœur. J’eusse aimé n’en présenter qu’un, et même aucun. Je ne suis pas responsable de la circulation du virus ; en revanche, je suis responsable de la sécurité des Français.

Vous connaissez ce texte, aussi n’entrerai-je pas dans les détails. J’appelle votre attention cependant sur l’article 3, qui permet la mise en œuvre des systèmes d’information SI-DEP et Contact-Covid.

Nous sommes là pour parler franchement. Laissez-moi vous dire que j’ai été surpris de voir des parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, voter par principe contre la pérennisation de ces systèmes de suivi des cas contacts (contact tracing), alors qu’ils n’étaient pas les derniers à considérer que le Gouvernement devait faire davantage pour protéger les Français ! On ne peut à la fois tenter de désarmer par son vote l’État dans ses missions régaliennes, et regretter qu’il n’en fasse pas assez.

Chacun est libre de son vote, je suis libre de mes remarques. Voter contre la prolongation de SI-DEP et de Contact-Covid, c’est considérer que nous ne devons plus disposer de systèmes d’information qui permettent aux agences régionales de santé (ARS), à l’assurance maladie et aux médecins de mettre à l’abri les personnes positives au covid-19 et de prévenir les cas contacts. C’est ce dont on parle, rien d’autre !

L’article 4 prévoit une série d’habilitations visant à rétablir ou à proroger les dispositions d’ordonnances prises sur le fondement des lois du 23 mars et du 17 juin 2020 et des dispositions législatives récentes.

Cet article est issu du débat parlementaire. En première lecture du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, la commission des Lois du Sénat avait considéré que nous ne pourrions peut-être pas revenir devant le Parlement dans les temps pour pérenniser certaines mesures provisoires. Les sénateurs avaient alors adopté des amendements visant à proroger ces mesures d’incitation et de protection de la population. Nous en avons tiré les conclusions en décidant, dans le présent texte, de proposer au Parlement de proroger un ensemble de dispositifs, à l’instar de ce que nous avions proposé, et que vous aviez accepté, au moment de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire.

Je suis là pour que nous puissions avoir un débat franc. Je tenterai de répondre le plus précisément à vos questions, mais je n’évoquerai pas les mesures décidées dans le cadre du conseil de défense et de sécurité nationale, qui seront annoncées cet après-midi par le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être venu répondre à nos questions, alors que notre commission s’apprête à débattre du cinquième texte relatif à l’épidémie de covid-19.

Ma première question concerne le contexte sanitaire, que le conseil scientifique a qualifié de « dégradé » dans son avis du 19 octobre. Pourriez-vous dresser un état des lieux précis de la situation, en la comparant à celle qui prévalait le mois dernier ? A-t-on déjà des éléments sur les effets du couvre-feu ?

Comme nous le craignions, certains services de réanimation arrivent à saturation. Ce constat est inquiétant car la situation n’est pas la même qu’au mois de mars, lorsque la concentration du virus dans le quart nord-est du pays autorisait de grandes opérations de transfert de patients. Le fait qu’il soit désormais présent sur tout le territoire ne risque-t-il pas de compliquer les choses en cas de saturation des capacités hospitalières ?

Les systèmes d’information SI-DEP et Contact-Covid sont très importants pour assurer le suivi de l’épidémie et mettre en œuvre la stratégie « tester, tracer, isoler ». Quelles sont les difficultés rencontrées dans leur déploiement et dans l’exhaustivité des données collectées ? Quelles mesures pourraient être prises pour y répondre ?

Enfin, pouvez-vous préciser les raisons qui vous amènent à solliciter de la part du Parlement des habilitations pour proroger des mesures dans les domaines de la vie économique et sociale ? Quelle serait la durée de ces prorogations ?

M. Philippe Gosselin. Je commencerai par souligner un paradoxe : alors que nous sommes sollicités dans des conditions d’extrême urgence pour examiner un texte d’exception, on nous prévient qu’il nous faudra attendre cet après-midi pour connaître les nouvelles mesures ! Je peux d’une certaine façon le comprendre, mais reconnaissez que, pour des parlementaires consciencieux, cela soit frustrant et pour tout dire difficilement acceptable. Cette façon de procéder foule aux pieds les pouvoirs du Parlement.

Pourriez-vous donner des éléments chiffrés sur le nombre de lits de réanimation, dont on dit qu’il serait limité et même inférieur à ce qu’il était en mars ? Quelles sont les perspectives d’évolution dans les jours qui viennent ?

On nous a fait état, aux mois de mars et avril, d’un défaut de coordination entre les établissements publics et privés : de nombreux lits de réanimation mis de côté, préparés pour recevoir les malades du covid-19, auraient été peu utilisés. Il se dit que, cette fois encore, le privé serait peu sollicité. Mais peut-être est-ce une fausse information ?

Enfin, on peut être tout à fait favorable à SI-DEP et à Contact-Covid et poser les questions qui s’imposent sur la protection des données de santé. Ce n’est pas une ineptie de la part des parlementaires, cela traduit leur attachement à la démocratie. Du reste, ces critiques ont pu être formulées ailleurs – la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a prononcé des injonctions –, ce n’est donc pas une pure vue de l’esprit ou une malveillance de l’opposition. Quelles améliorations comptez-vous apporter à ces systèmes d’information ?

Mme Isabelle Florennes. Nous concevons que les circonstances poussent le Gouvernement à demander au Parlement des habilitations à légiférer par voie d’ordonnance, cela était déjà le cas dans le précédent texte sur l’état d’urgence sanitaire. Nous avons toutefois une interrogation à propos de l’article 4 : l’habilitation permettra au Gouvernement, en tant que de besoin, d’adapter à l’état de la situation sanitaire des mesures déjà prises. Pourriez-vous cependant nous expliquer ce que recouvre ce terme ?

Sur quels critères avez-vous arrêté la date du 16 février ? Le Conseil scientifique, dans son avis du 1er octobre, avait bien mis en garde contre les difficultés qui ne manqueront pas de se poser en cette saison. Or le 16 février, l’hiver n’est pas fini…

Le même Conseil scientifique souligne que la reprise épidémique est forte dans toute l’Europe, pas seulement dans notre pays. Pouvez-vous nous dire si une réponse sanitaire concertée est en cours de préparation ? Si oui, laquelle ?

Mme George Pau-Langevin. Si nous avons exprimé notre accord de principe pour accompagner le Gouvernement dans sa lutte contre la pandémie, nous voulons vous faire part, monsieur le ministre, d’un certain nombre d’interrogations.

La première concerne le nombre d’habilitations demandées, qui noircissent quatre pages du document. Est-il bien indispensable de légiférer par ordonnance sur des sujets aussi divers et variés et d’écarter les parlementaires des décisions qui seront prises dans autant de domaines ? Le Parlement a pourtant démontré ces derniers mois qu’il pouvait se réunir à tout moment, travailler en urgence et même siéger le week-end. Je ne pense pas que ces habilitations soient toutes nécessaires pour gérer convenablement cette crise.

Lors de l’examen du précédent projet de loi, nous vous avions effectivement interrogé sur l’efficacité des systèmes d’information tels que ce Contact-Covid. Comprenez que nous sommes tout à fait dans notre rôle en essayant de préserver les libertés individuelles, surtout lorsqu’il s’agit de données aussi sensibles que des données de santé. Il serait tout à fait curieux de votre part de sous-entendre que nous ne voulons pas aider la lutte contre le covid lorsque nous formulons simplement des observations dans le but de défendre les libertés publiques et le respect de la vie privée des particuliers. Les modifications que vous souhaitez apporter à ces systèmes d’information seront-elles plus efficaces ? Il apparaît que l’application StopCovid n’a pas été téléchargée par grand monde – et pas davantage par les plus hautes autorités de l’État – et qu’elle n’a pas donné des résultats extraordinaires.

M. Dimitri Houbron. Je tiens à vous assurer du soutien du groupe Agir ensemble dans cette mission difficile de gestion de la crise sanitaire. Nous savons combien il peut être compliqué d’assurer l’équilibre entre la poursuite de l’activité économique et sociale et les mesures de protection sanitaire, basées sur les avis du Conseil scientifique.

Je voudrais vous interroger, non pas sur le bien-fondé des nouvelles restrictions mais sur leur acceptabilité. Sachant que cette crise durera encore plusieurs mois, voire plusieurs années, ne faudrait-il pas réfléchir dès maintenant à des mesures d’adaptation et de prévention et à des sanctions plus lourdes à l’encontre des personnes qui ne respecteraient pas les mesures, notamment celles qui touchent à l’isolement ?

Au cas où il serait difficile de faire appliquer le couvre-feu, disposez-vous d’un panel de mesures alternatives et complémentaires ? Certains pays ont instauré un confinement spécifique pour les personnes les plus vulnérables et un confinement le week-end pour le reste de la population. Est-ce une piste de travail pour votre ministère ?

M. Bertrand Pancher. Vous allez vraisemblablement annoncer une extension du couvre-feu cet après-midi, et le Parlement n’est pas au courant. Les bras m’en tombent ! Comment voulez-vous prôner l’unité nationale et nous engager à prendre part à la gestion de la crise si, comme toujours, nous apprenons ce que vous allez faire par les médias ? Ma question est très précise : depuis quand réfléchissez-vous à un élargissement du couvre-feu ? À défaut d’avoir consulté les parlementaires, vous êtes-vous concertés avec les élus locaux ?

Vous venez de critiquer la position des parlementaires qui émettent des doutes sur les systèmes de traçage des cas contact. Permettez-moi de m’étonner ! Notre rôle n’est-il pas de défendre les libertés publiques ? Nous sommes prêts à débattre, mais par pitié, pas de surenchère ! Vous appelez à l’unité nationale ; encore faut-il la faire avec tout le monde, et pas en usant de telles méthodes !

M. Pascal Brindeau. Le débat ne porte pas sur les mesures sanitaires qui doivent être prises pour protéger nos concitoyens, mais sur les conditions de dessaisissement du Parlement, dans la mesure où l’évolution de l’épidémie peut exiger une réactivité à laquelle un parlement ne peut prétendre lorsqu’il légifère.

Un état d’urgence sanitaire a été déclaré, un certain nombre de mesures ont été prises et l’épidémie a été maîtrisée. La sortie de l’état d’urgence sanitaire a justifié que le Parlement débatte de mesures transitoires – c’était le sens du texte que nous étions appelés à examiner. Nous pouvons comprendre que la navette parlementaire ait été suspendue en raison de l’évolution de la situation. Mais nous comprenons moins que, dans le présent texte, succède à l’article 1er qui proroge l’état d’urgence sanitaire l’article 2 qui proroge le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Ce sont deux régimes juridiques qui s’entrechoquent. Cela me paraît contestable, tant pour la lisibilité que pour les droits du Parlement.

Comme d’autres collègues, je souhaite répondre à l’injonction que vous avez faite aux parlementaires de voter sans discuter l’article 3. Lors des débats, nous n’avons à aucun moment contesté la nécessité d’un système d’information, mais questionné les conditions et la durée de la conservation des données à caractère personnel, possiblement attentatoires aux libertés publiques. Le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et la CNIL ont formulé des remarques, des recommandations, des préconisations en ce sens. Le débat existe ; je suis désolé de vous dire que nous l’aurons encore en séance, car il est indispensable.

Mme Danièle Obono. Comme mes collègues, je souhaite rappeler à M. le ministre que nous sommes pleinement dans notre rôle lorsque nous interrogeons le Gouvernement et que nous contrôlons son action. Nous parlons bien ici de mesures exorbitantes du droit commun, particulièrement dérogatoires, qui remettent en cause des libertés fondamentales. Cela justifie que nous portions une attention particulière à chaque point des textes que vous nous soumettez. D’autant que l’existence de cette deuxième vague soulève un certain nombre de questions sur ce qui a été fait et sur ce que l’on aurait pu mieux faire. Les réponses nous aideront sans doute à mieux appréhender la situation.

Alors non, les parlementaires n’ont pas à se censurer ou à voter aveuglément tout ce que dit le Gouvernement. D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls à contester certaines mesures, dont celles qui ont trait au traçage. Je rappelle que la CNIL a souligné un certain nombre de manquements dans ce domaine.

À ce propos, je souhaiterais savoir où nous en sommes dans l’investigation sur les foyers épidémiques. Un tableau, publié par Santé publique France, a fait l’objet d’une large diffusion et de nombreuses interprétations. Vous les avez contestées, sans toutefois expliquer pourquoi on ne parvenait pas à identifier, dans 90 % des cas, les circonstances de la contamination. Ce devrait pourtant être un élément fondamental pour intervenir et casser les chaînes de contamination. Comment mettre en place une stratégie de lutte efficace si l’on ignore où et comment la plupart des contaminations se produisent ?

M. Stéphane Peu. On peut concevoir que l’art de gouverner soit difficile dans cette période compliquée et, dans le même temps, que la critique est nécessaire : c’est le principe même d’une démocratie et d’un État de droit.

Au-delà du principe même des habilitations, je m’interroge sur les durées proposées pour la prorogation de ces mesures. Nous savons que l’acceptation de ces mesures décroît au fur et à mesure que le temps passe et que viendra le moment où le règlement et les interdits ne fonctionneront plus. Il ne pourra y avoir d’adhésion de la population que s’il y a confiance, et il ne pourra y avoir de confiance sans débat démocratique. Je crains que si l’on met sous cloche la démocratie pendant une période aussi longue, nos concitoyens ne cessent d’adhérer aux décisions. Sans parler du manque de respect dont le procédé témoigne à l’égard du Parlement.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Pourquoi, dans un même texte, proposer l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et des mesures transitoires de sortie ? Nous savons bien que nous ne sortirons que par paliers de l’état d’urgence sanitaire : on n’autorisera pas le même jour l’ouverture de toutes les discothèques de France et les rassemblements de 50 000 personnes dans les palais des sports. J’espère que nous en sommes tous conscients ! C’est bien ce que signifie « Vivre avec le virus » : des restrictions s’imposeront tant qu’il n’aura pas été éradiqué, grâce à la vaccination notamment. Mais comme vous, je souhaite que l’état d’urgence sanitaire dure le moins possible. Anticiper la sortie en prévoyant dans le même texte des mesures dérogatoires permet de ne pas avoir à légiférer à nouveau à la fin de l’état d’urgence – ce qui repousserait d’autant l’échéance.

Pourquoi le 16 février ? Pour la raison que vous avez indiquée : il ne fallait pas se retrouver au cœur de l’hiver contraint d’examiner un nouveau projet de loi pour proroger encore les mesures. Si l’on avait dû choisir une date plus appropriée, elle aurait été sans doute plus lointaine.

Protéger les Français, c’est notre seule ambition, et nous comptons sur votre expertise et les retours que vous avez eus de la première vague et du confinement. Et quand j’entends dire que les parlementaires ne sont pas respectés, pardonnez-moi ! C’est le cinquième texte que vous examinez, je passe pour ma part quarante heures par semaine devant vous. Trouvez seulement un parlement qui fonctionne autant que le nôtre ! Même durant le confinement généralisé, le Parlement français était le dernier des parlements européens à fonctionner. Les Britanniques n’ont guère de leçons à nous donner en matière de parlementarisme : leurs députés ont été bien peu sollicités sur la question.

Vous nous reprochez de réserver les annonces aux Français. Je pourrais vous rétorquer qu’il n’est pas scandaleux que les décisions prises en conseil de défense et de sécurité nationale soient annoncées par le Premier ministre à l’ensemble des Français, représentation nationale incluse.

La concertation avec les élus a bien lieu. Ainsi, hier, à la demande du Gouvernement, la préfète de la Loire a réuni par visioconférence l’ensemble des maires et des parlementaires du département pour les informer des annonces qui seront faites aujourd’hui.

M. Bertrand Pancher. Ce n’est donc pas de la concertation !

M. Olivier Véran, ministre. Postulez donc à Ségur, monsieur Pancher, on vous trouvera un bureau !

Madame Obono, depuis le début, votre groupe a voté contre tout.

Mme Danièle Obono. Eh oui, nous sommes des parlementaires !

M. Olivier Véran, ministre. Votre groupe a voté contre l’état d’urgence, contre la sortie de l’état d’urgence, contre les mesures dérogatoires de sortie de l’état d’urgence, contre les systèmes d’information de suivi des cas contact et même contre les systèmes d’information qui permettent d’enregistrer les tests positifs pour prévenir les porteurs.

Mme Danièle Obono. Oui, et nous l’assumons !

M. Olivier Véran, ministre. Je vous pose donc la question : qu’avez-vous à proposer face à cette épidémie qui remplit les hôpitaux ?

Mme Danièle Obono. Quelle mauvaise foi ! Nous avons rédigé des dizaines de propositions de loi !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Faites silence, je vous prie.

Mme Danièle Obono. Le ministre m’a interpellée. Moi, j’ai posé ma question dans le cadre prévu !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame Obono, je vous remercie de vous taire.

Mme Danièle Obono. Je prends la parole si je veux. (Exclamations.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Seulement si je vous la donne, ce sont les règles du Parlement ! Merci de respecter cette commission, qui fonctionne en bonne intelligence depuis trois ans.

M. Olivier Véran, ministre. C’est un fait : le groupe de la France insoumise, à l’unanimité, a voté contre l’état d’urgence, contre la sortie de l’état d’urgence, contre les mesures dérogatoires accompagnant la sortie de l’état d’urgence, contre le système d’information permettant d’enregistrer les tests positifs, contre le système d’information permettant d’appeler les porteurs pour les mettre à l’abri.

Je voulais en débattre avec le président du groupe la semaine dernière, devant les Français. Quelles mesures alternatives proposez-vous ? Je ne dis pas que nous avons la science infuse, que la communauté scientifique et médicale et l’ensemble des juristes qui travaillent auprès du Gouvernement ou dans les organismes indépendants ont forcément raison ; je dis que nous sommes ouverts aux contributions. Seulement, un vote contre n’est pas une contribution. Voter contre le principe même d’un système d’information, ce n’est pas la même chose que voter contre un système parce qu’il n’aurait pas été amendé et amélioré.

Je ne m’engagerai pas dans un débat sur l’application StopCovid, désormais TousAntiCovid, qui n’est pas concernée par ce texte. Les seuls systèmes d’information dont nous traitons ici sont Contact-Covid, qui permet le suivi des cas contact, et SI-DEP, qui permet d’enregistrer les tests positifs.

J’aurai l’occasion de l’évoquer devant les Français cet après-midi, Santé publique France a publié hier soir des nouvelles cartes sur le site Géodes, qui fait en toute transparence l’état des lieux des contaminations et des incidences épidémiques à une échelle très fine, de l’ordre de 4 000 habitants. Il est désormais possible de zoomer sur le périmètre dans lequel on réside et de connaître l’incidence de la maladie.

On pourrait aller plus loin et, à partir des données biologiques, indiquer demain aux médecins, aux élus qu’il y a eu trois contaminations dans une rue donnée ou faire connaître le taux de positivité dans telle ou telle université. Mais nous n’en avons pas le droit car plusieurs instances, et notamment la CNIL, ont retoqué les projets au motif que les informations, insuffisamment anonymisées, représentaient un risque pour les libertés individuelles. Nous sommes toujours sur la ligne de crête entre le respect des libertés fondamentales, auxquelles nous sommes tous très attachés, et la capacité d’assurer, dans la continuité, une lutte efficace et précoce contre le virus.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que la majorité des personnes sont asymptomatiques et que la durée d’incubation peut atteindre quatre ou cinq jours. Paradoxalement, il serait bien moins complexe de lutter contre un virus qui provoquerait des symptômes dans 95 % des cas et dont la durée d’incubation serait de deux heures. Néanmoins, les moyens consacrés par les organismes publics sont considérables et les données sont publiées en toute transparence.

Les différences avec la première vague sont notables. La courbe d’ascension des réanimations et des cas graves ne prend pas la même forme exponentielle que celle de la première vague, car le facteur reproduction du virus est inférieur. C’est l’effet des politiques qui sont conduites et du respect par les Français des gestes barrières. Un effort supplémentaire peut faire basculer les choses. Le facteur de reproduction était de 3 au printemps, il est désormais de 1,3. Notre objectif est simple : le faire repasser sous la barre de 1. Nous estimons, avec les scientifiques, que le couvre-feu, le respect des gestes barrière et la solidarité hors pair des Français sont de nature à permettre ce basculement. Nos concitoyens sont de plus en plus vigilants et font preuve d’une acceptabilité remarquable des mesures, alors que nous en avons tous assez…

J’ai pu indiquer à plusieurs reprises en conférence de presse l’état des services de réanimation et le nombre de lits. Notre pays comptait en situation normale 5 100 lits de réanimation armés, équipés, avant l’épidémie. Le chiffre est passé à 5 800 après la première vague. Nous avons donc augmenté dans la durée le nombre de lits de réanimation de 15 %.

Nous avons formé de nombreux soignants pendant l’été et pris des mesures dérogatoires pour les étudiants en santé, afin qu’ils puissent venir prêter main-forte si cela est nécessaire. Nous avons également constitué un stock de médicaments de réanimation pour soigner jusqu’à 29 000 malades, contre 17 000 durant la première vague. Nous avons des respirateurs pour équiper plus de 10 000 lits. Au 15 avril dernier, en pleine puissance, nous étions montés à 10 700 lits de réanimation, dont une part est occupée par des malades non covid - environ 3 000 malades, selon les estimations.

Progressivement, à mesure que l’on augmente le nombre de lits, on déprogramme des soins et on mobilise des soignants supplémentaires, en majorant de 50 % leurs heures supplémentaires, en payant en espèces tous les jours de vacances qu’ils n’ont pas pris, et jusqu’à un treizième mois pour une infirmière qui prêterait main-forte si la situation l’exigeait.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation différente de celle de la première vague, qui avait particulièrement frappé le Grand Est. Les services de réanimation de la région étaient en saturation totale. Des transferts interrégionaux et à l’étranger ont été effectués par train, avion, bateau. La totalité des soins avait été déprogrammée par moi-même, en amont, avec le déclenchement du plan blanc exceptionnel. Souvenez-vous : certains au Parlement avaient demandé pourquoi on déprogrammait tout alors qu’il n’y avait encore que deux cents malades en réanimation. Vous verrez dans deux semaines, avais-je répondu… C’est cela, l’anticipation. S’il fallait attendre que chacun ait appréhendé des données d’un niveau de technicité et de complexité extrêmes, qui sont brassées par les scientifiques sur des bases de modélisations et d’études épidémiologiques, on agirait tout le temps trop tard. Oui, je revendique qu’il y ait des décisions qui ne soient pas concertées avec la représentation nationale, et qui vous soient présentées après décision en conseil de défense. C’est le régalien, c’est le domaine de la puissance publique et de l’État.

Aujourd’hui, la situation est différente. Nous sommes capables d’avoir une vision territorialisée. Prenons l’exemple d’Auvergne-Rhône Alpes, une région que je connais bien. Quand un hôpital est saturé, qu’il n’y a plus de lits en réanimation, on transfère les malades dans un autre hôpital de la même région. On tient compte du fait que l’hôpital est saturé et on commence à y déprogrammer des soins, à prendre du personnel supplémentaire pour libérer des capacités de réanimation supplémentaire. Si aussitôt qu’à l’échelle de la région, on constate qu’il y a une saturation de tous les lits – ce n’est pas le cas aujourd’hui –, on commence les transferts intrarégionaux. Mais du fait de la nature de cette nouvelle vague et de sa répartition, force est de reconnaître que les réservoirs de réanimation sont peu nombreux : il nous reste la Bretagne, la Nouvelle-Aquitaine et, pour partie, le Grand Est. Les régions les plus touchées sont l’Île-de-France, la région Auvergne-Rhône Alpes, l’Occitanie, les Hauts-de-France, la Provence-Alpes-Côte d’Azur, là où précisément nous avons d’ordinaire des réservoirs de réanimation. Elles sont déjà soumises à une très forte saturation : dans la plupart d’entre elles, plus de 50 % des lits sont déjà occupés par des malades covid.

Lorsque cela devient nécessaire, le directeur général de l’ARS, conformément à un plan national issu du retour d’expérience (RETEX) de la première vague, contacte les hôpitaux et, dans le même mouvement, les cliniques privées, pour leur demander de déprogrammer tous les soins qui ne sont pas indispensables. C’est le cas en Auvergne-Rhône-Alpes dans cinq départements : pendant deux semaines, l’ensemble des soignants du public et du privé ont tout annulé en chirurgie, hors chirurgies ambulatoire, cancérologique et d’urgence. Tout a été annulé, dans le public comme dans le privé.

L’efficacité des mesures est le sujet le plus compliqué. Ce virus, vous le savez, est un paquebot. Il a fallu dix-huit jours pour que l’on commence à voir l’impact du confinement généralisé. Nous nous posons donc plusieurs questions, avec modestie, gravité et remise en question permanente : à partir de quand estime-t-on qu’une mesure n’a pas suffisamment d’efficacité compte tenu de l’épidémie et du profil évolutif ? À partir de quel moment faut-il anticiper les choses et prendre des dispositions supplémentaires ? Ce sont des questions fondamentalement complexes. Si nous avions une réponse deux jours après avoir appliqué une mesure, ce serait formidable. L’exemple de la Guyane a montré qu’il a fallu environ deux semaines pour que le couvre-feu commence à porter ses fruits. Il en va de même dans les autres pays.

Ce qui a changé depuis quinze jours, alors que l’épidémie était maîtrisée et que les courbes commençaient à s’infléchir, c’est que, tout d’un coup, on a assisté à une croissance exponentielle des cas. On ne sait pas l’expliquer ; tout ce que l’on sait c’est qu’elle a touché toute l’Europe. Le refroidissement est probablement un des facteurs : les gens sont davantage restés en famille et se sont regroupés davantage à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Cela m’a du reste valu d’être taquiné sur certains réseaux sociaux très honnêtes, pour avoir dit que le confinement faisait circuler le virus. Je ne parlais évidemment pas du même confinement que le confinement généralisé. Chacun, avec un peu d’honnêteté intellectuelle, comprend la différence entre les deux, mais je le précise encore une fois : lorsqu’il fait très froid, et qu’il y a des virus dehors, les gens ont tendance à faire à l’intérieur les activités qu’ils faisaient auparavant dehors. Ce n’est pas la même chose que de rester chez soi, avec un minimum de contacts, sans voir personne.

J’en viens aux habilitations à légiférer sur certains sujets par ordonnance. Notre objectif est que ce soit terminé avant février, et de ne rétablir en bloc ce que nous avions fait pendant la période de confinement car la situation est objectivement différente : nous visons plutôt un objectif à la baisse. Contrairement à ce qu’a dit Mme la ministre Pau-Langevin, je ne compte pas quatre pages d’ordonnances – ou alors, en police 20 –, mais une et demie. Peu importe !

M. Raphaël Schellenberger. Il y a plus de quatre pages, en petits caractères !

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je veux donner quelques éléments sur ces ordonnances pour vous montrer notre bonne foi. Une ordonnance du 25 mars 2020, par exemple, instaure pour les établissements de santé une garantie minimale de recettes, établie au regard des différents impacts de la crise sanitaire sur leurs activités respectives. Une autre ordonnance, du même jour, augmente le plafond de la capacité individuelle de garde des assistants maternels, et met en place un service unique d’information des familles, pour connaître en temps réel les places de crèche et les assistants maternels disponibles. Une autre, encore, permet de prolonger des droits sociaux, de trois à six mois, lorsque les droits ont expiré entre le 12 mars et le 31 juillet 2020, comme la complémentaire santé solidaire ou l’allocation adulte handicapé.

L’idée est d’éviter toute rupture de droits, de prise en charge ou d’accompagnement dans le domaine de la santé, de l’entreprise, de l’économie et du social.

Mme Laetitia Avia. Au nom du groupe La République en marche, je tiens d’abord à saluer la gravité de votre propos et à nous y associer. La situation sanitaire se dégrade dans notre pays. Nous devons en prendre la mesure. Plusieurs dizaines de milliers de nouveaux cas positifs sont comptabilisés chaque jour et le nombre de décès croît à mesure que les jours passent. Quant à nos services de réanimation, ils sont très mobilisés, malgré l’augmentation significative de leurs capacités.

De nombreux débats ont lieu sur la structuration des services de réanimation. L’objectif est bien de soulager ces services et le personnel soignant, en faisant reculer le virus et en œuvrant pour que moins de nos concitoyens ne soient malades.

Aujourd’hui, vous nous invitez à voter un état d’urgence sanitaire. Ce projet de loi est un texte non seulement d’exception mais aussi d’anticipation, puisqu’il vise également des mesures transitoires. C’est ainsi qu’il faut les entendre. L’objectif n’est pas de rester indéfiniment en état d’urgence sanitaire, mais bien d’en sortir. Vous proposez le 16 février, comme date la plus tardive de bascule. Comment voyez-vous les choses ? Comment bascule-t-on vers un régime transitoire ? Sur quels indicateurs pensez-vous vous appuyer ? Quel en serait le calendrier ? Vos réponses nous permettront d’anticiper le plus possible cette situation avec ce texte qui, je le répète, est un texte d’exception mais aussi d’anticipation.

M. Raphaël Schellenberger. La lecture conjuguée des avis du Conseil d’État et des décisions du Conseil constitutionnel sur les différents textes que nous examinons depuis six mois éclaire bien les raisons qui nous conduisent à débattre de ce projet de loi.

De mon point de vue, vous avez déclenché l’état d’urgence sanitaire trop tôt. Vous avez décidé de remettre la France dans un état d’urgence sanitaire, alors que les mesures de couvre-feu partielles dans le territoire national pouvaient parfaitement être prises dans le cadre du régime de la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

Cela signifie, monsieur le ministre, qu’avec le retour à l’état d’urgence sanitaire et sa prorogation, soumis à notre examen, vous préparez des règles bien plus strictes encore que celles qui ont été présentées aux Français jusque-là. Quand nous avons voté l’état d’urgence sanitaire en mars, avec une possibilité pour le Gouvernement de le redéclencher pendant un an, par simple décret, nous avions en quelque sorte anticipé cette situation.

Mais nous n’avions pas anticipé que vous déclencheriez l’état d’urgence sanitaire trop tôt, pour solliciter ensuite une prorogation jusqu’au 16 février, sans éclairer le débat parlementaire de la réalité des mesures que vous entendez prendre dès aujourd’hui.

Voilà la lecture que nous en faisons. Juridiquement, c’est cohérent avec les discussions que nous avons pu avoir dans cette assemblée.

Une précision : les habilitations à légiférer par ordonnance que demande ce texte font bien plus de six pages, en police 8 – voyez par vous-même. C’est un pouvoir énorme que nous confions à votre Gouvernement.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Ce n’est pas le texte que vous montrez, mais une présentation Powerpoint…

M. Erwan Balanant. Merci pour ces explications, monsieur le ministre. Vous l’avez dit, vous êtes fréquemment présent à l’Assemblée. À chaque fois que vous faites de la pédagogie à notre égard, en donnant des explications, vous en faites aussi à l’égard de l’ensemble des Français. Vous nous avez ainsi éclairés sur certains sujets, de façon précise.

Je me souviens de nos débats au mois de juin, lorsque nous sortions du premier état d’urgence. Et quand il s’est agi d’instituer un régime transitoire au 2 juillet, le groupe Les Républicains se disait prêt, s’il le fallait, à revenir au mois d’août, en urgence. Dès le mois d’août, des mesures ont pu être prises très rapidement.

Le virus est un paquebot, vous l’avez dit, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre des décisions aussi rapidement que lorsqu’on pilote une vedette. Plus vite on prend une décision, plus vite elle est effective. C’est ce que montre ce besoin de textes, qui sont en effet des textes d’anticipation – Mme Avia l’a souligné. Mais le présent projet de loi permet aussi l’efficacité. C’est ce que demandent les Français aujourd’hui.

Quand on n’est ni infectiologue, ni virologue, ni spécialiste de la question, dire, comme je l’ai entendu, que le texte a été présenté trop tôt, semble irresponsable – je m’attends là à entendre quelques cris. Monsieur Schellenberger, je vous savais spécialiste, et bon spécialiste, des politiques publiques. Je vous ignorais infectiologue.

Je suis aussi surpris des propos de M. Pancher sur la concertation. Mon préfet m’appelle pratiquement deux fois par semaine, à chaque fois qu’il prend une décision.

M. Mansour Kamardine. Vous avez de la chance !

M. Erwan Balanant. Peut-être ai-je un bon préfet ou ai-je noué de bonnes relations.

En tout cas, récemment, il a dû prendre certains arrêtés sur l’obligation du port du masque dans les villes de plus de 10 000 habitants du département. Et il nous a consultés, ainsi que chacun des maires, pour définir les périmètres dans les villes avant toute décision.

Nous sommes dans une situation compliquée, qui demande un peu de travail commun et la mise au boisseau de nos oppositions parfois stériles.

Mme Alice Thourot. Je vous remercie, monsieur le ministre, de revenir devant l’Assemblée. Vous l’avez dit, et il faut le répéter, vous venez souvent pour répondre à de nombreuses questions. Nous vous en remercions.

Je souhaiterais signaler un point d’attention, à l’aube ou au cœur de cette deuxième vague. Nos soignants ont travaillé dans des conditions difficiles ce printemps. Je tenais encore à les remercier pour leur mobilisation et pour ce qu’ils ont fait pour nous.

Vous avez distribué une prime covid, ce dont je vous remercie. Le but est de reconnaître le travail réalisé et d’entretenir la motivation de nos soignants. Malheureusement, les remontées de terrain et les témoignages de soignants font état de fortes disparités, d’inégalités et parfois d’un sentiment d’injustice : la façon dont elles ont été distribuées par les administrations des établissements hospitaliers a suscité une grande incompréhension dans de nombreux endroits. Un contrôle a posteriori et un suivi précis par le ministère des solidarités et de la santé sur les modalités de distribution de ces primes ont-ils été prévus ?

M. Pacôme Rupin. Nous sommes en train d’affronter une deuxième vague – malheureusement, tout le monde dans la société, et parfois même ici, n’a pas conscience de la gravité de la situation –, comparable à la première, et pas seulement en France : l’Irlande a par exemple décidé de reconfiner sa population.

Je rappelle à mes collègues que nous avions voté quatre mois d’état d’urgence sanitaire pour la première vague. En toute logique, c’est la durée qui est proposée dans ce texte pour affronter la deuxième.

Monsieur le ministre, vous avez dit à raison que nous pouvions prévoir la situation dans les hôpitaux dans deux semaines eu égard au nombre de nouveaux cas de ces derniers jours. On insiste beaucoup sur le taux d’occupation des places en réanimation, mais il faut aussi mettre en évidence les conséquences des nombreuses hospitalisations de patients covid qui, sans nécessiter de réanimation, n’en désorganisent pas moins le fonctionnement de notre système de santé en obligeant notamment à une déprogrammation des soins : d’ores et déjà, dans les hôpitaux d’Île-de-France, plus de la moitié des lits est occupée par des patients covid.

D’après vos estimations, quel sera le taux d’occupation des hôpitaux de la région francilienne dans deux semaines ? Quelles seront les conséquences sur leur activité habituelle ?

Mme Nicole Dubré-Chirat. Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces informations toujours très précises et pédagogiques. Je souhaitais revenir sur les mesures appliquées, sachant que leurs incidences ne se feront pas sentir avant deux à trois semaines, notamment les dispositions concernant la réalisation des examens de dépistage.

Quelles évolutions envisagez-vous sur les types et les pratiques de tests sur le territoire et aux frontières, pour gagner du temps et adapter en conséquence la période d’isolement ? Le projet de loi comporte une demande d’habilitation sur les répercussions financières. Projetez-vous de faire évoluer la prise en charge de ces tests, aujourd’hui assurée par la sécurité sociale, avec une participation des mutuelles ?

M. Mansour Kamardine. Monsieur le ministre, un de nos collègues d’outre-mer vous a interrogé il y a peu sur les difficultés rencontrées pour effectuer des tests en outre-mer. Votre réponse avait laissé entendre que l’outre-mer n’était pas une priorité, ce qui avait choqué plus d’un. Je veux espérer que les questions que je vous soumettrai ne viendront pas violer le secret du conseil de défense que vous avez invoqué. Elles méritent cependant d’être posées et de recevoir des réponses.

Pour lutter contre la covid-19, il faut des gestes barrières, tout le monde le dit. Mais comment les respecter, et notamment le lavage des mains, dans un département où, un jour sur deux, nous n’avons pas d’eau ? Cela paraît très compliqué.

Comment lutter efficacement contre la covid-19 quand nous n’avons pas de tests suffisants, au point qu’aujourd’hui, dans les faits, les Mahorais sont pris en otage ? Je parle là d’un département français que vous ne connaissez pas encore mais que vous découvrirez, je l’espère.

À Mayotte, il n’y a pas de tests. Les Mahorais ne peuvent aller qu’à Paris car ils n’ont pas besoin de test au départ de Mayotte. Mais depuis le confinement, décidé en avril dernier, ils ne peuvent pas aller ailleurs dans la région : ils sont confinés de fait. Qui plus est, il leur est très difficile d’accéder aux officines de pharmacie : nous n’en avons que vingt, pour une population d’environ 400 000 habitants ! Un texte a fixé un quota de 14 000 à 20 000 pour prétendre à l’ouverture d’une pharmacie, alors qu’il est à 2 000 ou 3 000 sur le territoire national. Avec une offre de soins aussi limitée et des pharmacies à la médication quasi inexistante, comment lutter contre le virus ?

J’aurais donc souhaité que l’on modifie le texte d’une part pour favoriser la création des officines de pharmacie et, d’autre part, pour assurer à la représentation nationale que vous étendrez à Mayotte le code de la santé publique dans son ensemble.

Voilà des questions précises, qui ne relèvent pas de l’état d’urgence sanitaire.

M. Jean-François Eliaou. Monsieur le ministre, sans vous pousser à dévoiler les mesures que vous annoncerez tout à l’heure, j’ai une question concernant la gravité de la situation. On sait, vous l’avez dit, que le virus se propage de manière exponentielle. Par ailleurs, nous commençons à disposer d’un certain recul sur des mesures, comme le couvre-feu, prises par certaines métropoles.

Ma question est simple, mais la réponse est beaucoup moins évidente : croyez-vous que les mesures proposées visant à installer des couvre-feux dans certaines métropoles et à les étendre dans d’autres seront suffisantes, compte tenu de la gravité de la situation ?

En corollaire, sera-t-il possible, avec le présent texte, de prendre des mesures plus fortes telles que le confinement généralisé, comme on l’observe par exemple en Belgique depuis quelques heures, et en Irlande ?

M. Sacha Houlié. Je repose la question, à laquelle vous avez en partie répondu, sur la justification des dates retenues : le 16 février pour la fin de l’état d’urgence sanitaire et le 1er avril pour la fin de la période transitoire.

Vous estimez que, dans le calendrier parlementaire, nous n’aurions pas le temps d’organiser un vote en janvier, du moins avant le 16 février, pour rétablir des mesures transitoires de sortie de l’état d’urgence sanitaire. C’est la raison qui vous a poussé à introduire ce sujet dans le projet de loi.

Telle est la question que je souhaiterais vous poser, car cela doit être clair pour nous, afin que nous puissions valider et défendre ce principe même.

Par ailleurs, vous demandez de reconduire une série d’habilitations qui figuraient dans la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. Plutôt que de citer tout ce qui sera reconduit, car les dispositions sont très nombreuses, pourriez-vous nous indiquer celles que vous avez abandonnées ? Je crois notamment savoir que vous n’avez pas reconduit des dispositions en matière de justice, le Parlement s’étant déjà penché sur le sujet. Ma collègue Laetitia Avia était notamment intervenue sur la question des incarcérations ou du fonctionnement des institutions judiciaires.

L’article 3, qui concerne la conservation des données, inclut le traçage humain, dans des fichiers SI-DEP ou Contact Covid. J’y suis très favorable et le préfère largement au traçage numérique par le biais d’une application. La durée de conservation des données obtenues par traçage humain, qui était de trois mois a été étendue à six mois, puis trois mois pour la disparition des données à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Alors que nous sommes précisément en train de le rétablir, comment se compileront tous ces délais pour la conservation des données, que nous avions autorisée dès mai 2020 ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je souhaiterais vous apporter une précision sur l’information du Parlement, sujet qui est revenu à plusieurs reprises. Dans la loi du 23 mars 2020, nous avons indiqué que « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »

En application de cette disposition, le Premier ministre transmet toutes les semaines à l’Assemblée nationale ses informations, qui sont publiées sur le site de l’Assemblée nationale sous l’intitulé « Rapport d’étape du Premier ministre sur les mesures prises au titre de l’urgence sanitaire et de l’organisation de la sortie de l’état d’urgence ».

Les deux ministres, Gérald Darmanin et Olivier Véran, sont à la disposition de la commission pour présenter des points d’étape. Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, qui pourrait se prolonger pendant plusieurs mois, nous pouvons prévoir des rendez-vous réguliers en commission des Lois, pour mener de tels échanges. Nous pouvons essayer d’être imaginatifs, et organiser des points parlementaires, sans repasser à chaque fois par le vote d’une loi, qui suppose une navette et des débats très longs et chronophages.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je ne suis pas juriste – cela n’a échappé à personne depuis le début de cette crise –, mais je commence à m’acoquiner avec les méandres du droit, dont je ne sais pas s’il est un art ou une science. C’est ce qu’on dit pour la médecine, cela vaut certainement aussi pour le droit.

Sans chercher à provoquer une controverse entre vous-même, monsieur Schellenberger, et les institutions chargées d’éclairer le Gouvernement, je me dois de vous dire, malgré tout le respect que j’ai pour vous et le Parlement, qu’entre vous et l’avis du Conseil d’État ou la décision du Conseil constitutionnel, j’ai tendance à suivre ces derniers.

En premier lieu, le Conseil d’État constate que « si la quasi-totalité des mesures prises depuis cette déclaration, notamment par le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et par les arrêtés du ministre de la santé du 16 octobre 2020, aurait pu être prise sur la base de la loi du 9 juillet 2020 […], il n’en est pas de même de la mesure d’interdiction des déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin (couvre-feu) prévue par l’article 51 de ce décret du 16 octobre. »

M. Raphaël Schellenberger. Vous avez déclenché l’état d’urgence sanitaire trop tôt !

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Vous appellerez le Conseil d’État. Je me fais seulement son porte-voix : je n’ai pas la compétence pour aller à l’encontre de cette appréciation.

Je poursuis : « Cette mesure, estimée nécessaire par le Gouvernement pour faire face à l’aggravation de la crise sanitaire, prise sur le fondement du 2° de l’article L. 3131-15 du même code – que je commence à bien connaître, hélas – ne peut être mise en œuvre sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 comme cela résulte de la décision du Conseil constitutionnel mentionnée au point 5.

« En deuxième lieu, sur la base de l’avis en date du 19 octobre 2020 du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-13 du même code, prenant en compte les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire, notamment les données épidémiologiques, et l’incertitude quant à l’évolution de la situation actuelle, le Conseil d’État constate une nette aggravation de la crise sanitaire. »

Cette aggravation est confirmée par l’avis du Conseil scientifique du 19 octobre.

On peut tourner les choses dans tous les sens. Si je vous présentais un texte qui n’était pas conforme aux recommandations du Conseil d’État, inspirées par le Conseil constitutionnel, vous ne seriez pas le dernier à nous taper dessus, et vous auriez raison. Je maintiens que nous sommes dans le droit. Cela dit, vous êtes commissaire aux Lois, je ne suis que ministre des solidarités et de la santé, moins familier que vous de ces questions.

Mme Avia a demandé quels étaient les indicateurs de bascule hors de l’état d’urgence sanitaire. La réponse n’est pas simple. Souvenez-vous : alors que nous étions en plein confinement depuis plusieurs semaines, un jour, le Président de la République, dans une allocution à la télévision, a annoncé que l’on déconfinerait le 11 mai ; il a anticipé de quelque deux ou trois semaines. Une audition en commission d’enquête mardi prochain sera l’occasion de réviser mes classiques…

Sur la base de l’évolution des courbes épidémiques au moment où l’on décide, du fameux facteur R de reproduction, des taux d’occupation et de la réduction de l’impact sur la mortalité dans les hôpitaux, il faut être en état d’anticiper quelle sera l’évolution à quinze jours. À ce moment, comme on veut que l’état d’urgence sanitaire dure le moins longtemps possible, on agit sitôt que l’on constate que l’on a pris une bonne courbe.

Quand le Président de la République donne un chiffre, ce n’est jamais anodin : il a dit qu’un des objectifs serait que l’on retombe en dessous de 3 000 à 5 000 malades par jour, afin d’être capable de reprendre un contact tracing efficace et d’avoir écrasé les courbes. Au 11 mai, lorsque nous avions déterminé les conditions du déconfinement, nous avions anticipé jusqu’à 3 000 ou 3 500 malades par jour et équipé en conséquence les équipes des ARS et de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) pour effectuer le traçage. Nous avions anticipé 15 ou 20 cas contacts par malade.

Lors du déconfinement, nous avons eu la bonne surprise de voir que le nombre de malades était de 800 à 900 par jour et que les cas contacts étaient moins nombreux. Si nous avions anticipé d’une semaine le déconfinement, il aurait probablement été de 4 000 ou 5 000 malades par jour. C’est notre devoir d’anticiper, de présenter les arguments, les critères.

Vous vous souvenez peut-être de cette une du journal Le Parisien qui avait fait un peu peur, dans laquelle j’avais laissé entendre que le déconfinement n’aurait peut-être pas lieu le lundi 11 mai : si nous n’avions pas eu d’indicateur garantissant de manière suffisamment solide que nous avions moins de malades que ceux que nous étions capables de tracer, nous aurions repoussé le déconfinement d’un ou deux jours. Heureusement, cela n’est pas arrivé.

S’il fallait refaire un système de primes, ce ne serait pas de la même manière. Il faut agir en urgence, de manière à la fois centralisée et décentralisée, pour toucher un maximum de personnes, mais c’est très compliqué : certains soignants ont passé une semaine dans un établissement, trois jours dans l’autre, quatre jours ailleurs encore.

La meilleure réponse pour les soignants, c’est le Ségur : on ne parle pas d’une prime de 1 000 euros mais de 220 ou 250 euros nets de plus par mois, pris en compte dans le calcul de la retraite, et désormais versés à tous les soignants de notre pays. L’impact financier est considérable. Mais vous avez raison, il faut faire attention à cet aspect des choses.

Pacôme Rupin a demandé, au-delà de la saturation des lits de réanimation, ce qu’il en était de la saturation des lits d’hospitalisation. C’est un réel problème : les prises en charge se sont améliorées, on met moins les gens en réanimation, et c’est tant mieux, mais davantage à l’hôpital.

Je discutais hier avec le directeur général de l’ARS Île-de-France – si M. Pancher était resté, il aurait vu que des informations sont données aux députés, mais il arrive parfois, lorsque je les leur livre, qu’ils ne soient plus là pour les entendre. (Sourires.) Il prévoit par exemple de transformer des lits de soins de suite et de rééducation, notamment dans le secteur privé, en lits d’hospitalisation conventionnelle, capables d’accueillir des malades non covid pour libérer des lits non covid, à l’hôpital et dans les cliniques, sur lesquels on pourrait hospitaliser des malades covid, de manière à augmenter nos capacités. C’est du travail à façon, qui se fait territoire par territoire, région par région, hôpital par hôpital, clinique par clinique.

J’ai beaucoup parlé du dépistage, un sujet qui est un peu hors champ. L’innovation, ce sont les tests antigéniques rapides, qui permettent d’avoir un résultat en une dizaine ou vingtaine de minutes, qui se déploient avec deux stratégies : l’une vise un dépistage en population asymptomatique, comme les universités, les étudiants en santé ou les EHPAD ; l’autre, le diagnostic individuel, où le test est pratiqué chez le médecin, le pharmacien, l’infirmière. Tout cela se met en place ; il faut un minimum de temps de formation, d’équipement, de commandes. Cela a commencé dans l’ensemble du territoire. Toutes les régions sont pourvues en tests antigéniques pour des opérations collectives de dépistage. Nous aurons bientôt des indicateurs de suivi. J’ai déjà signé l’arrêté qui fixe notamment les tarifs pour les libéraux qui les réaliseront.

Je maintiendrai en outre la prise en charge à 100 % par l’assurance maladie car elle était très efficace – on ne change pas une équipe qui gagne. En télémédecine, le fait de n’avoir pas à faire appel à la complémentaire santé a boosté la téléconsultation. Vous aurez peut-être noté que dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale – j’irai le défendre dès que je vous aurai quittés, et M. Gosselin sera là, comme toujours –, nous récupérons les sommes que les complémentaires santé n’auront de ce fait pas dépensées : cela représente 1 milliard d’euros pour 2020. Elles seront au minimum de 500 millions en 2021.

Je n’ai jamais dit, monsieur Kamardine, que l’outre-mer n’était pas une priorité. D’abord, parce que je ne le pense pas ; ensuite, parce que ce serait une mauvaise politique. J’ai dit que les personnes en voyage ou en déplacement depuis les territoires ultramarins n’étaient pas aussi prioritaires que des personnes symptomatiques susceptibles de transmettre le covid. Par ailleurs, les mesures obligeant à un dépistage préalable avant de se rendre outre-mer avaient été prises, à juste titre, à la demande des parlementaires ultramarins, pour protéger ces territoires. Désormais, avec les tests antigéniques, nous disposons des moyens d’amplifier notre politique de tests, d’autant que les délais se sont considérablement raccourcis, et c’est tant mieux.

Mayotte a payé un lourd tribut à la prise en charge de la crise sanitaire. Elle est sortie mi-septembre de l’état d’urgence sanitaire, parce que la situation sanitaire le permettait. Auparavant, nous pouvons nous le dire, compte tenu des capacités hospitalières, du profil populationnel, des inégalités très fortes, du niveau de pauvreté, les conséquences sanitaires pouvaient être terribles. Mayotte fait partie des territoires qui m’ont fait très peur. Les évacuations sanitaires ne peuvent pas se faire dans les mêmes conditions…

M. Mansour Kamardine. Ce n’est pas faute de vous avoir alerté !

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Voulez-vous dire que les mois d’urgence sanitaire, un couvre-feu appliqué avec beaucoup plus de force que sur le reste du territoire national, c’était du flan ? Je vous le dis : ce n’était pas du flan, c’était efficace ! On peut aussi se dire les choses quand ça fonctionne !

Les Mahorais ont subi de nombreuses contraintes pour lutter avec efficacité contre la pandémie. Félicitons-nous collectivement d’avoir pu préserver ce territoire, précieux pour la République et d’avoir sauvé un nombre très important de vies. Pourquoi toujours dénigrer l’action qui a été conduite, même quand les résultats sont là ?

M. Mansour Kamardine. Je n’ai pas dénigré votre action, mais alerté sur nos difficultés d’accès à la santé. Je vous ai posé des questions précises sur l’ouverture de pharmacies et l’extension des dispositions du code de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le député, on fera tout ce qu’il est possible de faire. J’en ai encore discuté avec la directrice générale de l’ARS de Mayotte cette semaine. Nous suivons la situation avec la plus grande attention. Les faits sont têtus. Les preuves sont là pour montrer l’attention portée au territoire que vous représentez et à sa population. Nous serons toujours de son côté.

L’état d’urgence sanitaire donne la possibilité de prendre des mesures différentes des dispositions de couvre-feu actuellement en vigueur – je ne dis pas qu’elles sont plus fortes, même si certaines le sont sans doute. C’est une possibilité. Nous faisons face aux situations telles qu’elles évoluent, avec anticipation, pour ne pas agir trop tard.

Comme médecin, comme citoyen, comme ministre, je ne peux admettre une seconde que l’on puisse considérer, à tel stade épidémique, le couvre-feu comme une mesure excessive – M. Schellenberger va croire que je lui en veux, ce qui n’est absolument pas le cas.

M. Raphaël Schellenberger. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Vous avez dit que c’était trop tôt. Précisez votre propos, si vous le souhaitez.

M. Raphaël Schellenberger. Je n’ai pas dit que vous aviez décidé trop tôt un couvre-feu mais que vous aviez déclenché l’état d’urgence sanitaire trop tôt. Le fait de prendre une mesure de couvre-feu ne nécessitait pas la base juridique de l’état d’urgence sanitaire. Vous avez cité le Conseil d’État ; je peux vous citer votre propre argumentaire sur le texte précédent. C’était juridique, et non pas sanitaire.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Il était préférable de le préciser, car cela m’avait surpris. Quoi qu’il en soit, je vous ai répondu sur le plan juridique.

Enfin, pour revenir à la question de M. Houlié, le Parlement sera saisi d’un projet de loi pérenne d’ici décembre ou janvier. Je remercie beaucoup la présidente de la commission des Lois, Mme Yaël Braun-Pivet, d’avoir constitué une mission d’information sur le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire. J’ai cru comprendre qu’elle démarrerait vite, et c’est tant mieux car elle pourra éclairer notre action. C’est un travail de coconstruction ; nous n’y arriverons pas les uns contre les autres, cela n’a pas de sens. Sur un sujet aussi essentiel, nous avons besoin de nous instruire mutuellement : il s’agit tout de même de modifier durablement notre droit. Nous suivrons ses travaux de très près.

Certaines habilitations, notamment celle relative à la justice, que vous citiez, ne sont pas reprises dans le texte, car cela n’est pas nécessaire. Nous n’avons pris que celles qui étaient indispensables : elles sont suffisamment nombreuses pour ne pas avoir besoin d’en rajouter.

Je vous remercie et vous souhaite de bons travaux en commission, avant de vous retrouver dans l’hémicycle.

 

 


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   COMPTE-RENDU DES DÉBATS

Lors de sa troisième réunion du jeudi 22 octobre 2020, la Commission examine le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (n° 3464) (M. Jean-Pierre Pont, rapporteur).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9722102_5f91805a7efdd.commission-des-lois--prorogation-de-l-etat-d-urgence-sanitaire-22-octobre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, après l’audition, ce matin, du ministre de l’intérieur et du ministre des solidarités et de la santé, nous abordons l’examen du projet de loi proprement dit. 69 amendements ont été déposés, ils sont 68 désormais, un amendement du Gouvernement ayant été déclaré irrecevable en application de l’article 45 de la Constitution.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. L’audition des ministres, ce matin, fut particulièrement éclairante, et nos discussions lors des quatre précédents textes relatifs à la menace épidémique ont déjà permis d’approfondir les sujets dont nous sommes appelés à débattre à nouveau. Vous me permettrez donc d’entrer directement dans le vif du sujet.

Je n’oublie pas que la situation sanitaire est très dégradée – ce sont les mots du Conseil scientifique. Des services de réanimation sont désormais au bord de la saturation, ainsi que nous le craignions. Les soignants, qui redoutent légitimement l’aggravation de la situation, ont besoin de notre soutien total.

Dans ce contexte, le Président de la République n’a eu d’autre choix que de décréter, à nouveau, l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national le samedi 17 octobre. Nécessaire, cette décision fut également courageuse. Le retour de l’état d’urgence sanitaire est un mauvais signe, c’est incontestable. Cette mesure incontournable ne fait plaisir à personne. Mais, alors que nous avons enregistré 8 754 nouvelles hospitalisations en une semaine, dont 1 493 en réanimation, les mesures fortes qui s’imposaient – en l’occurrence, le couvre-feu pour une partie de la population – ne pouvaient être prises que dans le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire, comme l’a rappelé le Conseil d’État citant la jurisprudence constitutionnelle.

En application de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, le Parlement est saisi d’un projet de loi visant à proroger cet état d’urgence au-delà de quatre semaines : tel est l’objet de l’article 1er.

Le Gouvernement sollicite une prorogation de ce régime pour trois mois, à savoir jusqu’au 16 février 2021. Cette durée est tout à fait adaptée et proportionnée à l’état de la situation sanitaire. Je vous renvoie à ce sujet à l’avis du Conseil d’État, mais aussi à celui du Conseil scientifique, qui nous explique malheureusement que « les mois d’hiver seront difficiles vis-à-vis de la circulation » du coronavirus.

Le rétablissement de l’état d’urgence sanitaire a automatiquement mis fin au régime transitoire qui s’appliquait depuis le 11 juillet dernier. Instauré pour organiser la sortie de l’état d’urgence sanitaire, ce dispositif aura vocation à servir de nouveau à l’avenir. C’est pourquoi l’article 2 rend applicable, jusqu’au 1er avril 2021, le régime transitoire dans les territoires où l’état d’urgence sanitaire ne sera plus en vigueur. Ce régime aura donc vocation à s’appliquer au 17 février prochain, voire auparavant dans les territoires où l’état d’urgence serait levé par anticipation. Cette disposition a, elle aussi, fait l’objet d’une double validation du Conseil d’État et du Conseil scientifique.

La date du 1er avril correspond à l’échéance fixée par la loi du 23 mars 2020 pour l’instauration d’un cadre législatif durable de l’état d’urgence sanitaire. À ce sujet, je remercie la présidente de notre commission d’avoir créé une mission d’information sur le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire. Le Parlement sera également saisi, début 2021, d’un projet de loi qui aura pour but de pérenniser les dispositifs de gestion des urgences sanitaires. Entre-temps, il continuera d’exercer ses missions de contrôle, au moyen notamment des commissions d’enquête qui ont été constituées à l’Assemblée nationale et au Sénat.

L’article 3 permet, quant à lui, de mettre en œuvre la stratégie « tester, tracer, isoler » et de poursuivre la recherche sur le virus. Sans cette capacité de suivre les personnes contaminées et leurs cas contacts, nous ne pouvons rompre les chaînes de transmission et lutter efficacement contre l’épidémie. C’est la raison pour laquelle il est proposé de proroger l’existence des systèmes d’information Si‑DEP et Contact Covid jusqu’au 1er avril 2021. Par ailleurs, la liste des personnels de santé qui pourront inscrire dans ces systèmes les informations relatives aux personnes contaminées est enrichie, notamment pour s’étendre aux pharmaciens. Je rappelle que des garanties importantes sont prévues à cet égard, dont la transmission au Parlement, tous les trois mois, d’un rapport du Gouvernement sur le fonctionnement de ces systèmes, complété d’un avis public de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), de l’avis du comité de contrôle et de liaison, dont le rôle est notamment de veiller au secret médical et à la protection des données personnelles, et de possibles sanctions pénales en cas de non-respect des règles relatives au traitement des données. Là encore, tous les acteurs soutiennent la prolongation de l’utilisation de ces outils.

Enfin, l’article 4 habilite le Gouvernement à prolonger ou à rétablir des dispositions prises par voie d’ordonnance au printemps et à l’été dernier, notamment en matière de droit du travail, de fonctionnement des administrations et des collectivités territoriales ou de garde d’enfants. Toutes ces mesures pourraient se révéler utiles si la situation se dégradait brusquement, si des services publics devaient devenir indisponibles pour un temps, s’il fallait agir rapidement pour soutenir nos entreprises et nos concitoyens.

Le texte permet ainsi une réponse adaptée et rapide des pouvoirs publics en fonction de l’évolution de la situation, malheureusement difficile à prévoir. Par ailleurs, chacun est à sa place : le Parlement autorise et contrôle les actions menées par le Gouvernement ; le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, quant à eux, garantissent nos droits et libertés fondamentaux, pendant que le Conseil scientifique éclaire les décideurs publics.

L’État de droit est là. Respecter l’État de droit, c’est aussi garder en mémoire que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantit à chaque citoyen le droit à la protection de sa santé. Ce droit, il nous revient à nous, législateurs, de le protéger et de le réaffirmer. Cette tâche, je l’assume et je continuerai de l’assumer, comme médecin, comme député, comme rapporteur.

Mme Laetitia Avia. Le ministre de la santé nous l’a rappelé ce matin en toute transparence et avec gravité : nous sommes encore au cœur de la crise sanitaire qui a frappé notre pays au début de l’année. Depuis février dernier, plus de 34 000 de nos concitoyens ont péri du fait de l’épidémie de covid-19 ; en neuf mois, près d’un million de Français ont été testés positifs. Depuis la fin de l’été, la situation sanitaire s’est dégradée ; des mesures graduelles ont été prises afin de ralentir la progression du virus, mais celui-ci circule encore trop et trop vite. Hier encore, plus de 27 000 nouveaux cas ont été dépistés ; le taux de positivité a atteint 13,7 %, contre 1 % fin juin, et on ne compte pas moins de 139 nouveaux clusters en cours d’investigation. Depuis début octobre, plus de 300 000 personnes ont été testées positives.

Nos services de réanimation sont au bord de la saturation. En une seule journée, hier, 1 584 personnes ont été hospitalisées pour des soins lourds en réanimation. La situation, déjà inquiétante, devient jour après jour dramatique.

Le Gouvernement a su agir rapidement. Dès la fin de l’été, sur le fondement de textes votés par le Parlement, des mesures de protection et de restriction ont été prises dans l’ensemble du territoire. Le 14 octobre, le Gouvernement a annoncé le rétablissement de l’état d’urgence sanitaire au niveau national jusqu’au 16 novembre, et neuf métropoles, celles où la circulation du virus est la plus active, ont été placées sous le régime du couvre-feu de vingt et une heures à six heures du matin.

Ces mesures sont dures, contraignantes, elles affectent notre vie sociale, mais la majorité de nos concitoyens les comprennent et les respectent parce qu’ils les savent indispensables. Ils ont intégré les gestes barrières à leur quotidien, tâchent de porter le masque et d’appliquer la distanciation physique, ainsi que le couvre-feu pour ceux qui sont concernés. Il faut leur rendre hommage ; pensons à toutes celles et ceux dont l’activité quotidienne – personnelle, professionnelle, économique – est affectée mais qui, au nom du bien collectif, font preuve d’une rigueur qui les honore.

Cette situation nous appelle à faire preuve de responsabilité en votant de nouveau la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire. Le présent projet de loi est le cinquième qui nous est soumis à ce sujet. La loi du 23 mars 2020 a institué le régime de l’état d’urgence sanitaire, prononcé le report des élections municipales, autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnances, notamment en matière économique et sociale. La loi du 11 mai a prorogé l’état d’urgence jusqu’au 11 juillet et instauré le dispositif « protéger, tester, isoler » ainsi qu’un mécanisme de suivi des malades et de traçage des contacts. La loi du 9 juillet a créé un régime transitoire dans l’espoir d’un retour progressif à la normale, permettant au Premier ministre de prendre par décret des mesures adaptées localement par les préfets. Le 1er octobre, nous votions la prorogation de ce régime transitoire jusqu’au 1er avril 2021. La dégradation de la situation sanitaire nous oblige à reconsidérer le dispositif et à voter l’application de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 au plus tard, avant de basculer dans le régime transitoire que nous avons construit et voté ici même.

Lors de l’audition des ministres, beaucoup se sont interrogés sur l’articulation entre les deux régimes et sur leur cohabitation. Je salue la démarche du Gouvernement, qui propose au Parlement de voter des mesures d’exception, venant à échéance au 16 février, tout en anticipant sur la sortie de l’état d’urgence et en se préparant à accompagner la reprise progressive du cours normal de nos vies.

Le texte étend également le domaine d’utilisation des outils de traçage des personnes contacts, toujours afin de mieux détecter pour mieux tester, isoler et protéger.

Enfin, l’article 4 comporte diverses habilitations à légiférer par ordonnances. Certes, la liste est longue, mais il s’agit principalement d’assurer la continuité des droits de nos concitoyens – chômage partiel, délais administratifs, procédures d’expulsion, etc. À l’instar de Sacha Houlié ce matin, je me réjouis que le Gouvernement n’envisage pas de nouvelles dispositions en matière de procédure pénale, notamment une nouvelle prorogation des délais de détention. Notre rapporteur défendra des amendements à cet article afin de renforcer le rôle du Parlement ; ils bénéficieront du soutien sans réserve du groupe La République en marche.

Notre groupe votera le texte, non de gaieté de cœur, mais en responsabilité, parce que l’état d’urgence sanitaire est nécessaire.

M. Philippe Gosselin. Le groupe Les Républicains regrette l’état d’urgence parlementaire dans lequel nous nous trouvons s’agissant d’un texte aussi grave : présentation en conseil des ministres hier, nécessité de l’étudier jusque dans la nuit pour pouvoir déposer nos amendements avant ce matin, audition des ministres concernés dans la matinée, obligation de terminer nos travaux en fin de journée – vous n’y êtes pour rien, madame la présidente – pour que le rapport parvienne à nos collègues, afin qu’ils exercent à leur tour leur droit d’amendement avant la séance publique prévue samedi !

Nous ne contestons pas que la situation sanitaire soit critique : les chiffres sont là ; il serait déraisonnable de ne pas en tirer les conséquences. L’épidémie flambe, le nombre de personnes atteintes s’envole, celui des morts et des familles touchées augmente hélas de jour en jour. Il faut donc évidemment réagir. Nul ne conteste au Gouvernement le droit de le faire, y compris par des mesures de couvre-feu et, si elles sont proportionnées, justifiées et temporaires, de fermeture de certains établissements pour raisons sanitaires. Il faut protéger la santé de nos concitoyens : un principe à valeur constitutionnelle l’exige.

Mais nous divergeons quant aux moyens d’action et à leur fondement juridique : à nos yeux, il n’est pas besoin pour agir de l’état d’urgence sanitaire, moyen de droit extraordinaire, période d’exception qui porte atteinte à la hiérarchie des normes et, d’une certaine façon – je le dis avec solennité – à l’État de droit. Le recours à l’état d’urgence ne doit pas être banalisé, il ne doit pas être une fatalité ; or, petit à petit, tout est fait pour que nous nous y habituions : on nous prétend que pour agir, en particulier pour appliquer la mesure-phare qu’est le couvre-feu, le Gouvernement aurait besoin de cette arme atomique. Ce n’est pas vrai : ni le Conseil d’État ni le Conseil constitutionnel, que vous invoquez, n’interdisent le couvre-feu ou les confinements locaux ; ils les subordonnent simplement à la condition de circulation active du virus, qui est présente aujourd’hui. La loi du 9 juillet 2020 permet donc de prendre ces mesures.

À moins d’envisager une éventualité beaucoup plus grave, que le Gouvernement ne met pas sur la table : un confinement généralisé. Si l’objectif est d’y parvenir dans quelques semaines, nous aurons besoin de l’état d’urgence sanitaire, puisqu’il ne sera alors plus question de circonstances de temps ou de lieu. Si la stratégie du Gouvernement est celle-là, il doit le dire ; c’est une question de transparence, d’honnêteté vis-à-vis du Parlement, de responsabilité à l’égard de la représentation nationale et de nos concitoyens. Il nous faut savoir exactement ce qui est prévu.

Ce qui est en jeu, c’est, pendant plusieurs mois, la suspension de nos libertés, aggravée par un recours accru aux ordonnances, dont certaines vis-à-vis desquelles le Conseil d’État s’est montré circonspect. On nous dit que les données de santé seront protégées sans aucune difficulté ; or plusieurs rappels et injonctions de la CNIL permettent d’en douter. Pour couronner le tout, aux termes du IV de l’article 4, les projets d’ordonnance ne feront pas l’objet des consultations obligatoires habituelles des autorités administratives : en plus de se passer du contrôle du Parlement, on écarte ces contrepouvoirs.

En résumé, favorables à des mesures fermes puisque la deuxième vague est là, nous en contestons le fondement juridique : un État de droit à secousses, un régime d’exception qui devient trop souvent la règle.

Mme Isabelle Florennes. Chaque fois que la situation sanitaire de notre pays l’a exigé, la représentation nationale a été au rendez-vous pour légiférer de manière strictement nécessaire et proportionnée. Aujourd’hui encore – les chiffres nous y invitent malheureusement chaque jour –, nous sommes mobilisés, comme nous le serons ce week-end pour examiner le projet de loi en séance publique. Une fois de plus, le Parlement prouve ainsi qu’il sait travailler rapidement et efficacement, même quand son ordre du jour est particulièrement dense. De ce point de vue, notre rythme de travail des jours et des semaines – voire des mois – à venir achèvera de convaincre nos détracteurs de notre capacité de mobilisation, de réaction et de travail.

Que les choses soient claires : le groupe Démocrates est favorable au projet de loi, mais il ne s’agit pas de délivrer un blanc-seing. Nous connaissons le cadre du régime juridique de l’état d’urgence sanitaire, puisque nous avons œuvré à sa création et à son adaptation à la lutte contre l’épidémie. Nous savons qu’il prendra fin le 16 février, ou de manière anticipée si la pandémie régresse significativement. C’est dans ces limites que nous approuvons sa prorogation.

S’agissant des ordonnances, le Conseil d’État a souligné dans son avis qu’il serait particulièrement attentif au principe et à l’étendue de la rétroactivité proposée par le Gouvernement. Nous le serons aussi. Car si nous faisons confiance au Gouvernement s’agissant de l’urgence sanitaire, nous restons pleinement responsables, donc vigilants, concernant ces habilitations à légiférer par ordonnances.

Ces précisions sont importantes pour rassurer nos concitoyens en leur montrant que nous avons à cœur de protéger leurs libertés et que nous ne sacrifierons pas le débat démocratique et l’État de droit sur l’autel de l’urgence sanitaire.

Notre groupe reste opposé à l’inscription dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence sanitaire, que semble envisager le Gouvernement. Je l’ai dit lors de l’examen du projet de loi relatif à la prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

Je le répète, il n’est pas question pour nous de céder quant au principe fondamental de protection des libertés individuelles. Mais l’état sanitaire du pays et la protection que nous devons à nos concitoyens nous conduisent à assumer nos responsabilités.

Mme George Pau-Langevin. Nous l’avons dit ce matin, le groupe Socialistes est tout à fait conscient du fait que l’évolution de la situation sanitaire impose au Gouvernement de réagir, et est prêt à l’accompagner dans sa démarche. Toutefois, le projet de loi nous pose plusieurs problèmes. D’abord, la durée d’un régime d’exception qui implique la privation de libertés fondamentales : trois mois d’emblée, plus la durée de sortie de l’état d’urgence, c’est trop long ; le Parlement devrait se prononcer à nouveau dans un délai plus court, deux mois par exemple. Ensuite, nous sommes réservés vis-à-vis de la nouvelle mouture de StopCovid. Enfin, nous sommes préoccupés par le nombre d’ordonnances auxquelles le texte renvoie : il n’est pas bon pour la démocratie que le Parlement reste l’arme au pied pendant plusieurs mois.

M. Paul Christophe. Nous examinons la prolongation jusqu’au 16 février 2021 de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’au 1er avril 2021 d’un régime transitoire permettant au Premier ministre et aux préfets de prendre des mesures restrictives, voire de recourir à des interdictions afin de limiter la circulation de l’épidémie de covid-19 sur notre sol.

Le groupe Agir ensemble s’interroge sur notre capacité à préserver l’acceptabilité sociale de ces mesures et reste attentif au maintien des libertés fondamentales, mais il se règle sur la boussole scientifique, comme il le fait toujours en cas de doute. Or le Conseil scientifique a confirmé dans sa note du 12 septembre la pertinence des orientations gouvernementales qui doivent permettre de concilier la poursuite des activités et la protection de la santé des populations au cours des prochains mois.

Notre groupe rappelle à celles et ceux qui voudraient discréditer cette instance qu’elle a souligné dans la même note que ses compétences et avis se limitent à des considérations d’ordre strictement sanitaire et ne portent nullement – y compris s’agissant du projet de loi qui nous est soumis – sur la pertinence juridique ou politique des mesures. Rappelons également que le Conseil scientifique n’a jamais prétendu à une quelconque omnipotence ni voulu imposer au Gouvernement la moindre pression d’ordre sanitaire pour obtenir un sacrifice global au nom de la santé. Dans la même note, il répète ainsi que le « recours à un confinement strict généralisé à l’échelle nationale ne serait ni souhaitable ni acceptable considérant les enjeux sanitaires, sociaux et économiques ».

Il souligne également l’extrême importance de « systèmes d’information dédiés et de la prorogation de la conservation de données pseudonymisées », ajoutant que la durée de conservation prévue est trop courte pour assurer la conduite des recherches scientifiques.

Pour déterminer sa position quant au projet de loi, notre groupe s’est appuyé d’abord sur l’évolution actuelle et prévisible de l’épidémie ; ensuite sur la proportionnalité des mesures prises aux risques sanitaires encourus compte tenu des circonstances de temps et de lieu ; enfin sur la possibilité d’un recours en référé devant le juge administratif, la fin sans délai des mesures lorsqu’elles ne sont plus nécessaires, l’information immédiate du procureur de la République en cas de mesures individuelles et la possibilité offerte au Parlement de demander toute information complémentaire au Gouvernement sur ses décisions.

Par conséquent, en responsabilité, nous voterons pour le projet de loi.

Mme Martine Wonner. La situation sanitaire est-elle préoccupante ? Nous ne pouvons nier la détresse des malades et de leurs familles. Le rétablissement de l’état d’urgence sanitaire était-il pour autant une nécessité ? Les institutions de la République n’étaient-elles pas capables d’affronter une crise sanitaire dont nous ne minimisons pas l’ampleur sans passer par cet attirail qui abîme tant notre démocratie ?

Elles l’étaient au vu des possibilités, déjà énoncées par le groupe Libertés et territoires, dont dispose le droit commun, notamment le code de la santé publique. Les multiples questions de parlementaires, de juristes, d’universitaires ou de simples citoyens sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à passer outre le droit commun sont restées sans réponse.

La situation de notre droit est, elle, très préoccupante. Nous sommes à nouveau confrontés à une méthode déplorable de la part de l’exécutif. Le Président de la République, dans sa majesté jupitérienne, décide ; le Gouvernement exécute ; le Parlement et les élus locaux sont priés d’acquiescer – mais rapidement : il ne faudrait quand même pas questionner la méthode ou, pire, en comprendre le fond.

La politique du fait accompli a assez duré. Il n’est plus acceptable que les maires des grandes métropoles apprennent une demi-heure avant l’annonce publique de l’exécutif que leur collectivité va vivre sous contrainte renforcée. Il n’est plus acceptable que l’annonce du rétablissement de l’état d’urgence sanitaire par l’exécutif ne soit pas suivie d’une explication devant le Parlement – il est vrai que le chemin de l’hémicycle est long à trouver pour le Gouvernement… Il n’est plus possible que les citoyens soient soumis à des décisions contradictoires et fondées sur des informations sanitaires et politiques insuffisamment explicitées, quand elles ne sont pas fausses. L’adhésion nécessite de fédérer. On en est loin au vu de la précipitation dans laquelle nous légiférons pour déposséder le Parlement de ses prérogatives, souvent par ordonnance, et du peu d’entrain du Gouvernement à venir nous expliquer les décisions de l’exécutif.

Nous en avons eu un exemple flagrant la semaine dernière : le Gouvernement n’a pas daigné organiser un débat dans l’hémicycle sur la décision présidentielle de réinstaurer l’état d’urgence sanitaire et d’ordonner un couvre-feu pour 20 millions de nos concitoyens.

La loi que le Parlement a votée en mars dernier, sous le coup de l’émotion du confinement décrété quelques jours auparavant, dans la précipitation et dans des conditions de travail contraires à la Constitution, face à un virus que nous ne connaissions que très peu, n’exempte pas le Gouvernement de l’obligation de rendre des comptes, surtout quand il s’agit de donner à l’exécutif des pouvoirs si attentatoires aux libertés fondamentales. L’état d’urgence sanitaire que le législateur a assorti d’une date de péremption d’un an, tant il était peu sûr de ce qu’il faisait, permet à l’exécutif, par l’intermédiaire des préfets, d’interdire aux personnes de sortir de leur domicile – c’est ce que l’on a appelé le confinement, mesure inédite dans l’histoire de France –, d’ordonner des mises en quarantaine, de restreindre les déplacements entre territoires, de faire fermer des lieux accueillant du public ou d’interdire les réunions de toute nature ; en d’autres termes, de piétiner nos libertés sur l’autel du sacro-saint principe d’ultra-précaution.

Pourtant, quand les premiers foyers de contamination ont émergé à l’hiver 2019, ils ont pu être maîtrisés par les autorités locales, grâce à une véritable concertation entre le préfet et le maire, sans l’outil juridique de l’état d’urgence sanitaire, et d’autant plus facilement que les médecins de première ligne avaient alors le droit de traiter leurs patients.

Quant à la menace que la situation sanitaire fait peser sur la tenue des élections départementales et régionales, nous rappelons que la démocratie ne peut être confinée. Personne, ni vous, ni moi, ni le Conseil scientifique, ne sait quelle sera la situation fin mars. Il s’agira donc de faire le point à un moment plus proche de l’échéance.

Sans minimiser, je le répète, la gravité de la situation sanitaire, nous ne voudrions pas que la période actuelle serve de prétexte à l’instauration d’un régime d’exception dans lequel les libertés sont exagérément limitées et le fonctionnement des institutions démocratiques mis sous cloche. Les exemples sont légion dans l’histoire de notre République : les législations d’exception finissent toutes par entrer dans notre droit commun pour ne plus jamais en sortir. Mes chers collègues, ces mesures que le Gouvernement dit provisoires, il vous demandera en janvier de les inscrire définitivement dans notre corpus juridique. L’exception deviendra la règle. C’est notre État de droit qui se meurt, et vous allez laisser faire !

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la prolongation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois.

Mme Danièle Obono. Depuis le début de la crise, la France insoumise a souhaité assurer, avant tout, la protection sanitaire, économique et sociale de l’ensemble de la population. Nous avons toujours relayé les consignes émises par le Gouvernement, mais nous avons aussi joué notre rôle de parlementaires, en toute responsabilité, en formulant des propositions pour chaque texte présenté à l’Assemblée nationale, par amendements, et en critiquant la méthode employée par le Gouvernement.

Pour mémoire, nous avons déposé onze propositions de loi depuis mars, pour nationaliser Luxfer et Famar, pour créer un pôle public du médicament, pour réquisitionner l’industrie du textile, pour suspendre les loyers, pour assurer la gratuité des obsèques des victimes mais aussi des masques, pour reconnaître le coronavirus comme catastrophe naturelle et le covid-19 comme maladie professionnelle, pour encadrer les prix alimentaires, pour lutter contre la précarité énergétique et pour annuler la dette, afin d’avoir les marges de manœuvre financières qui nous semblent nécessaires dans la période actuelle et à l’avenir, non dans le but de relancer la machine comme avant, mais de préparer et de construire le monde d’après.

Nous avons également proposé un plan d’urgence pour organiser la protection collective de la population – notamment des étudiants et des étudiantes, qui sont particulièrement précarisés –, ainsi que vingt-cinq propositions au niveau européen et deux plans de déconfinement, l’un général, l’autre économique. Nous avons produit, par ailleurs, des guides sur les violences intrafamiliales liées au confinement et sur la protection des salariés pendant la crise, une analyse des ordonnances du Gouvernement et des préconisations au niveau municipal, pour assurer une intervention au plus près de la population.

Nous continuons à interpeller le Gouvernement, à lui demander des comptes – car c’est notre responsabilité – en ce qui concerne la méthode suivie depuis le début de la crise sanitaire. Il a obtenu des pouvoirs exorbitants qui remettent en cause des libertés et des droits fondamentaux, et il ne nous semble pas que le bilan conduise à avoir confiance en la stratégie qui est appliquée. Le Président Macron a d’ailleurs reconnu, au moins à demi-mot, un certain nombre d’erreurs.

Les procédures judiciaires en cours à l’encontre de plusieurs ministres montrent que la France insoumise n’est pas la seule à interpeller et à poser des questions : les citoyens et les citoyennes souhaitent qu’on leur rende des comptes sur les retards dans la gestion de la crise, que l’ex-ministre Agnès Buzyn a elle-même reconnus et pour lesquels elle est citée dans une procédure judiciaire, sur les problèmes concernant les élections – des mensonges ont été relevés par tous les groupes d’opposition –, sur la pénurie de masques, sur les cafouillages – c’est le moins que l’on puisse dire – qui persistent, alors que nous affrontons une deuxième vague, quant à l’application de la stratégie de dépistage recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Nous restons déterminés à assurer la protection sanitaire de la population. C’est pourquoi nous exigeons du Gouvernement plus de rigueur, de cohésion et d’anticipation.

Le blanc-seing que l’on nous demande de signer, à travers la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, signifie l’octroi de pouvoirs exorbitants du droit commun qui, dans d’autres circonstances, ont ensuite été entérinés et sont devenus la norme. Pour la population, cela signifie non seulement des restrictions de libertés fondamentales, notamment celle de circuler, mais aussi, à défaut d’une politique sanitaire cohérente, une stratégie de répression et des abus, en particulier sur le plan des contrôles et des verbalisations. Nous avons donc proposé des amendements et nous continuerons à exiger des comptes, n’en déplaise aux ministres.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Il est vrai que nous travaillons dans l’urgence – elle existe.

Sommes-nous confrontés à des circonstances extraordinaires et exceptionnelles ? Franchement, oui.

Il existe deux solutions pour lutter contre ce virus : ou le confinement, ou le vaccin. S’agissant du confinement, nous savons ce que cela représente – cette période a été extrêmement difficile et il faut espérer que nous ne devrons pas la revivre ; quant au vaccin, il va arriver, je l’espère aussi, dans trois ou six mois, mais il faudra quand même un certain temps pour qu’il soit mis au point, distribué et injecté et pour que les anticorps apparaissent. Or c’est du temps gagné pour le virus.

Nous ne le connaissons pas : il nous cause encore des surprises. On s’attendait à une deuxième vague, bien sûr, mais pas aussi forte que celle que nous prenons « en pleine figure ». Il faut donner des armes au Gouvernement, à temps, pour lutter et pour aider le personnel soignant, qui est en première ligne et qui fait tout ce qu’il peut.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er : Prorogation de l’état d’urgence sanitaire

La Commission examine les amendements identiques CL1 de Mme Emmanuelle Ménard, CL47 de Mme Danièle Obono et CL58 de Mme Martine Wonner.

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement a pour objet de supprimer l’article 1er, qui prorogerait l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 pour faire face aux conséquences de l’épidémie due au coronavirus. Nous suspendrions ainsi, une fois encore, pendant plusieurs mois, nos libertés fondamentales et nous donnerions de nouveau des pouvoirs exorbitants à l’exécutif, dans le cadre d’un recours aggravé aux ordonnances et en se dispensant des consultations habituelles des contre-pouvoirs.

Pourquoi cet état d’urgence ? La situation sanitaire se dégrade effectivement dans certaines métropoles, mais la loi que nous avons adoptée le 9 juillet dernier répond, me semble-t-il, à tous les besoins actuels, sauf peut-être, comme M. Gosselin l’a rappelé, s’il s’agit d’instaurer un confinement généralisé. La question est posée : est-ce le dessein du Gouvernement ? Toute la presse en bruit depuis quelques jours. Pourquoi ce recours généralisé aux ordonnances alors que le Parlement siège jour et nuit, week-end compris ? Nous pourrions tout à fait assumer notre rôle. Ces questions n’ont pas eu de réponses satisfaisantes. D’où notre amendement de suppression.

Mme Danièle Obono. Les éléments fournis par le Gouvernement ne nous convainquent pas en ce qui concerne les modalités d’exercice des pouvoirs, très importants, qui lui seraient donnés pour faire face à une situation dont nous ne sous-estimons pas la gravité mais au sujet de laquelle, comme d’autres – des scientifiques, des citoyens et des membres du personnel soignant qui se trouve en première ligne –, nous demandons une plus grande rigueur et une plus grande cohérence. Nous ne souhaitons pas la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’en février 2021, car cela donnerait des pouvoirs trop larges à l’exécutif au détriment de la représentation nationale, qui est sans cesse mise devant un état de fait que l’urgence de la situation ne justifie pas entièrement, selon nous.

À l’heure où la crise accentue la précarité économique et sociale d’un grand nombre de nos concitoyens et concitoyennes et où les propositions faites par La France insoumise, mais pas seulement, pour répondre à cette situation sont balayées d’un revers de main ou tout bonnement ignorées par le Gouvernement, la stratégie suivie nous interpelle. Nous savons que la majorité gouvernementale a tendance à faire un mésusage des pouvoirs qui lui sont accordés.

Mme Martine Wonner. Le groupe Libertés et Territoires souhaite également la suppression de cet article qui prolongerait jusqu’au 16 février 2021 l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national, sans la moindre justification. Le Gouvernement dispose déjà, depuis 2007, au sein du code de la santé publique, de l’arsenal juridique nécessaire pour gérer ce type de crise. Oui, des dispositifs efficaces doivent exister pour lutter contre les risques liés à un virus, mais ils doivent être proportionnés et ne pas mettre en danger notre État de droit.

Le Gouvernement trahit sa parole, puisqu’il avait évoqué des mesures territorialisées. Il vient à nouveau défier les élus locaux en prenant des mesures générales. Il affirme que les outils dont il dispose dans le cadre de la loi du 9 juillet 2020 ne suffiraient plus, mais jamais il n’a été capable de nous donner les raisons objectives qui le poussent à ne pas faire confiance au Parlement. Jamais il n’a été capable de nous expliquer en quoi le droit commun ne suffirait plus pour gérer la crise.

Le Gouvernement cite l’avis du Conseil scientifique rendu le 19 octobre 2020, mais cette instance a expressément rappelé que ses compétences et ses avis se limitaient à des considérations d’ordre sanitaire et ne portaient en aucun cas, y compris à propos du projet de loi qui lui était soumis, sur la pertinence juridique des mesures envisagées. Par ailleurs, la note d’alerte du 22 septembre privilégiait une autre option que celle du couvre-feu, à savoir une « addition de mesures “modérées”, faisant appel à l’adhésion volontaire et, en cas de besoin, à des mesures contraignantes », telles qu’une « protection renforcée des personnes à risque de formes graves ».

Ne nous laissons pas tromper : rien ne justifie de confiner la démocratie et nos libertés fondamentales.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Vous aurez remarqué qu’il existe deux commissions d’enquête et une mission d’information, qui exercent leur rôle de contrôle. Le Gouvernement informe le Parlement chaque semaine des mesures qu’il prend dans le cadre du régime transitoire et de l’état d’urgence sanitaire, et nous étudions un cinquième projet de loi, en huit mois, sur cette question – le Parlement sera ensuite appelé à examiner, en janvier prochain, un sixième texte, relatif à la pérennisation des dispositifs de réponse à l’urgence sanitaire. Les ministres viennent tout le temps devant les commissions – ils l’ont encore fait ce matin – et en séance publique pour rendre compte de leur action. La question du contrôle de l’action du Gouvernement étant susceptible de revenir à de nombreuses reprises au cours de nos échanges, cette mise au point préalable me paraissait nécessaire.

La prorogation de l’état d’urgence sanitaire pour une durée supplémentaire de trois mois, qui a reçu un avis favorable du Conseil scientifique, est nécessaire, adaptée et proportionnée à la situation. Les oppositions critiquent le régime transitoire depuis le mois de juillet, en affirmant que le Gouvernement devrait assumer ses responsabilités et déclarer l’état d’urgence sanitaire si la situation le nécessite. La majorité a tout fait pour repousser ce moment fatidique, conscient des bouleversements que cela impliquerait. Aujourd’hui, plus personne ne conteste la gravité de la situation et la nécessité d’agir en utilisant des instruments juridiques adaptés, c’est-à-dire l’état d’urgence sanitaire qui a permis d’instaurer le couvre-feu. Par conséquent, mon avis est défavorable.

M. Antoine Savignat. Je ne suis absolument pas d’accord avec le rapporteur. Nous ne nions pas que les conditions sanitaires sont extrêmes, mais il n’en demeure pas moins que le Gouvernement avait les outils juridiques pour faire face à la situation, notamment pour instaurer le couvre-feu.

Le ministre de la santé a dit ce matin qu’il n’est pas juriste. Je lis, pour ma part, ce que les juristes du Gouvernement ont écrit lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, à la fin du mois de juillet. Les sénateurs l’ont fait parce qu’ils étaient inquiets que le Gouvernement puisse adopter certaines mesures restreignant les libertés, notamment celle d’aller et de venir, dont un nouveau confinement. Le Gouvernement, dans le mémoire qu’il a déposé au Conseil constitutionnel, a écrit ceci : « il importe de préciser d’emblée qu’à la différence des règles applicables pendant l’état d’urgence sanitaire (...), aucune mesure générale de confinement strict, c’est-à-dire aucune interdiction de sortie du domicile ou de sortie à plus d’un kilomètre du domicile, ne pourra être prise sur le fondement des dispositions contestées de la loi déférée ». Dans le commentaire de sa propre décision, le Conseil constitutionnel a écarté la possibilité d’un nouveau confinement dans ce cadre, mais toute autre mesure restrictive des libertés peut être prise en considération de la propagation du virus en des lieux déterminés, en fonction des circonstances. Tout le reste est contraire à ce qu’a dit le Conseil constitutionnel.

Nous sommes en train de donner au Gouvernement un blanc-seing, et nous allons rester l’arme au pied. Il n’y avait aucune raison de mettre un terme, la semaine dernière, au débat parlementaire qui était engagé sur l’autre texte, au moment même où le Sénat était sur le point d’en terminer l’examen. Une réunion de commission mixte paritaire ou une seconde lecture aurait pu avoir lieu avant la date butoir du 30 octobre.

M. Raphaël Schellenberger. Je ne souscris pas du tout à l’analyse selon laquelle, ayant déjà beaucoup travaillé sur la question de la restriction des libertés des Français, nous pourrions laisser au Gouvernement une marge de manœuvre telle que nous n’aurions plus à nous réunir avant le 1er avril sur ce sujet. Nous touchons là au cœur de notre mission : nous sommes les seuls garants de la liberté des Français, les seuls à même de juger, au quotidien, quelles restrictions aux libertés peuvent être adoptées.

A-t-on moins travaillé dans d’autres Parlements d’Europe ? Nous l’avons entendu dire ce matin. Ailleurs en Europe, par exemple en Allemagne, le Parlement se réunit peut-être moins mais les décisions du Gouvernement ne sont pas prises avant qu’il en soit informé : elles sont coconstruites avec la représentation du peuple, ce qui est très différent. La logique suivie chez nous est de donner un blanc-seing au Gouvernement, et nous sommes contents quand il nous informe de ce qu’il a fait des pouvoirs que nous lui avons donnés… Dans des périodes telles que celle que nous traversons, il ne faut pas négliger le travail qui nous revient : nous devons nous réunir régulièrement.

La réinstauration de l’état d’urgence que nous avions imaginée dès le mois de mars, et qui vient d’avoir lieu, repose sur un décret en conseil des ministres, pour une durée d’un mois, puis il nous appartient d’examiner sa prolongation. On sent bien que le décret a été adopté pour autoriser le couvre-feu, alors qu’il y avait d’autres bases légales, mais ce dont nous discutons n’est plus le couvre-feu : ce sont d’autres mesures, et c’est ce qui pose problème car nous ne savons pas de quoi il s’agit.

M. Philippe Gosselin. Il faut marteler les choses, car on ne peut pas laisser dire n’importe quoi.

Les Républicains ont parfaitement assumé leurs responsabilités au mois de mars, par leur vote. Nous avons tous en mémoire ces instants solennels, dans un hémicycle quasiment désert, où nous nous demandions si l’avenir de la Nation, et de nos proches, était assuré. Nous avons estimé, en conscience, que l’état d’urgence sanitaire était une nécessité – et c’était le cas.

À l’heure actuelle, il ne s’agit pas de refuser au Gouvernement des moyens d’action. Je le redis avec force : si des mesures de confinement nocturne, c’est-à-dire des couvre-feux, sont nécessaires ici et là, si certains établissements doivent fermer, il faut agir. Personne ne conteste les difficultés rencontrées, ni l’augmentation des cas de covid-19. Mais nous discutons du fondement de telles mesures : on peut très bien s’appuyer sur la loi du 9 juillet 2020 et sur sa prorogation, dont l’examen au Sénat a été suspendu la semaine dernière. Cela permet tout à fait des confinements localisés : le Gouvernement peut recourir, sans difficulté, à des moyens d’action dans un cadre plus restreint et plus respectueux des libertés publiques et individuelles que l’état d’urgence.

Celui-ci, je l’ai dit tout à l’heure, est une arme atomique. Nous voulons, pour notre part, utiliser des armes conventionnelles, à savoir le code de la santé publique et la loi du 9 juillet dernier, selon la lecture faite par le Gouvernement dans les observations qu’il a produites devant le Conseil constitutionnel – et le Conseil d’État n’a pas dit autre chose.

Il ne faudrait pas que le Gouvernement se contredise à quelques semaines d’intervalle, ou alors cela voudrait dire qu’il prépare, en réalité – je lui demande de jouer cartes sur table –, un deuxième confinement général, parce qu’il estimerait que la situation est soit catastrophique soit qu’elle pourrait le devenir. Si c’est le cas, nous demandons à le savoir ; nous l’exigeons, au nom de la représentation nationale. Que le Gouvernement ait cette idée en tête n’est pas nécessairement catastrophique – si la situation l’exige… –, mais encore faudrait-il savoir ce qu’il en est, et préciser le fondement juridique.

M. Sacha Houlié. Le cadre juridique permettant d’adopter des mesures fait l’objet d’un débat. Il est plus sain qu’il ait lieu au sujet de l’état d’urgence sanitaire, et il est plus transparent que nous nous prononcions dès à présent sur celui-ci.

M. Philippe Gosselin. Si tout est sur la table !

M. Sacha Houlié. Le Conseil d’État a considéré, dans son avis sur le projet de loi, que le couvre-feu ne pouvait pas être adopté sur le fondement de la loi du 9 juillet dernier. Si nous vous présentions un premier texte, puis un deuxième, puis un troisième, vous seriez les premiers à nous en faire le reproche.

À partir du moment où on estime que la prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, en juillet dernier, ne suffit plus, il faut de nouvelles mesures. Leur adoption aura le mérite, sinon de nous satisfaire – car personne n’a plaisir à restreindre les libertés fondamentales, ni vous, ni nous –, du moins de permettre de faire preuve de transparence et de lucidité.

Mme Martine Wonner. Je remercie nos collègues d’avoir rappelé le contexte juridique : il nous semble manquer totalement de transparence.

J’aimerais interroger le rapporteur sur la proportionnalité. L’avis du Conseil scientifique, hormis son paragraphe introductif, est composé de trois pages complètement vides, qui n’établissent absolument pas la proportionnalité de ce qui est proposé au Parlement. Or à qui revient la charge de la preuve ?

Quand on regarde ce qui se passe sur le plan sanitaire depuis six, sept ou huit ans, on voit bien que les services médicaux, en particulier de réanimation, sont saturés chaque hiver et que des patients doivent être transférés vers d’autres hôpitaux. Le scénario est-il très différent des autres années ? Je ne le crois absolument pas. On peut se réjouir que le nombre de décès mensuels soit inférieur à ce que l’on constatait les années antérieures.

Où est la proportionnalité lorsqu’on impose un état d’urgence d’une certaine façon sécuritaire – il y a notamment une incohérence en ce qui concerne les heures – et privatif de tout ce qui pourrait apporter un tout petit peu de bien-être ? Je redoute vraiment les répercussions économiques et sociales, y compris pour la survie des personnes – ce sera dramatique en 2021.

Mme Danièle Obono. Lorsque nous avons examiné le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, nous avons interrogé le Gouvernement sur la plus-value de ce texte, dans la mesure où l’état d’urgence pouvait être réactivé et où, comme l’ont dit plusieurs collègues, il existe déjà des dispositions de droit commun qui permettent de réagir en cas de besoin.

Malgré toutes les critiques que nous formulons à l’égard des modalités de l’état d’urgence et des pouvoirs accordés au Gouvernement, sa réinstauration ne pose pas, en soi, une question de principe, mais nous nous interrogeons sur la méthode et sur les intentions du Gouvernement. Le refus de confirmer à l’Assemblée nationale, pendant plusieurs jours, que le décret avait été signé et de préciser les raisons ayant conduit à rétablir l’état d’urgence ne crée pas le climat de confiance et de transparence que notre collègue de la majorité a évoqué.

Le cadre dans lequel tout cela se déroule devrait nous importer, en tant que législateurs. Nous pourrions citer des exemples prouvant qu’on n’a pas besoin de l’état d’urgence sanitaire pour instaurer un couvre-feu – on l’a vu en Guyane, même si on pourrait aussi avancer que c’était problématique et que le couvre-feu était illégal.

Si le Gouvernement a l’intention de décréter, à un moment donné, un confinement généralisé qui serait justifié par les projections scientifiques et les données sur la propagation du virus, qu’il le dise, et nous pourrons alors en débattre. Je crois qu’il serait beaucoup plus sain de le savoir, pas seulement pour nous mais aussi pour la population, afin que l’on puisse se préparer et qu’il y ait une véritable adhésion à cette mesure.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Nous sommes, je le répète, dans un état d’urgence médicale du fait de ce virus. Il faut avoir toutes les armes. Je ne sais pas ce que sera la situation demain, après-demain et encore moins dans quinze jours.

Devant ce virus que nous ne connaissons pas, qui nous a causé des surprises, je l’ai dit, il faut – et le Conseil constitutionnel s’est prononcé favorablement – se donner toutes les armes. Le confinement en fait partie. Nous ne le désirons pas, mais il est possible qu’on en arrive là.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine en discussion commune les amendements CL14 de Mme Emmanuelle Ménard et CL16 de Mme George Pau-Langevin.

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai déposé l’amendement CL14 en guise de repli. L’état d’urgence ne serait pas prorogé jusqu’au 16 février 2021 mais jusqu’au 1er novembre prochain.

C’est aussi l’occasion de dénoncer la méthode utilisée à l’égard du Parlement : ce projet de loi relève d’une urgence, par définition, mais un délai aussi court est un peu compliqué pour nous, alors que nous examinons en même temps le projet de loi de finances, le plan de relance et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Quand il est question de droits et de libertés individuelles, il faudrait au minimum laisser un peu de temps au débat. Puisque vous avez déjà tous les outils en main, grâce à la loi du 9 juillet dernier, sauf le confinement généralisé – mais vous avez du mal à nous répondre sur ce point –, nous aurions pu avoir un tout petit peu plus de temps.

Je voudrais aussi poser une question au rapporteur, en toute bonne foi – je n’ai pas la réponse : combien d’ordonnances prises par le Gouvernement pendant la période de l’état d’urgence sanitaire ont été soumises à notre ratification ?

Mme George Pau-Langevin. Dans la continuité de nos précédents amendements, il s’agit de limiter la prorogation du régime de l’état d’urgence sanitaire à deux mois, jusqu’au 1er janvier 2021. Il serait regrettable que de telles atteintes aux libertés fondamentales se prolongent sans que le Parlement n’en soit saisi et ne puisse les contrôler.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Madame Ménard, votre amendement n’est pas opérant puisque l’état d’urgence sanitaire en vigueur l’est jusqu’au 17 novembre. Madame Pau-Langevin, la prorogation d’un mois et demi que vous nous proposez est trop courte pour permettre au Gouvernement d’agir efficacement. Je suis donc défavorable aux deux amendements.

M. Antoine Savignat. Si l’on supprime nos prérogatives sans raison valable, pourquoi le faire pour une durée trop longue ? Mmes Ménard et Pau-Langevin l’ont rappelé en présentant leurs amendements : le Gouvernement dispose déjà des outils lui permettant de gérer la crise. Notre collègue Gosselin a cité la page 2 du mémoire du Gouvernement devant le Conseil constitutionnel en date du 7 juillet 2020. Je ne peux pas croire que le Gouvernement ait menti au Conseil constitutionnel !

Page 3 de ce même mémoire, le Gouvernement indique que, concernant les mesures restrictives de liberté dans la loi prorogeant la sortie de l’état d’urgence jusqu’au 30 octobre, des mesures d’interdiction pourront également être prises, mais dans les seules parties du territoire dans lesquelles une circulation active du virus aura été préalablement constatée. C’est ce qu’a fait le Gouvernement pour les seize départements touchés par le couvre-feu. Il n’y a donc aucune raison de revenir à l’état d’urgence.

Nous sommes responsables de la rédaction de la loi et nous ne pouvons nous contenter des déclarations fantaisistes des uns ou des autres. Ce matin, le ministre de la santé – à qui je laisse l’appréciation de la gravité de la crise car il est plus compétent que moi – a avoué qu’il n’était pas juriste. Mais je me contente de lire les propos des services du ministère et ils ont écrit exactement l’inverse de ce que le ministre nous a dit ! Nous ne pouvons pas nous contenter de telles explications.

Monsieur le rapporteur, avec tout le respect que je vous dois, vous nous avez indiqué que nous avions reçu un avis favorable du Conseil constitutionnel sur le projet de loi. Non, le Gouvernement n’a pas rédigé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et aucun avis favorable n’a été émis ! Stop aux certitudes et aux déclarations ! Tenons-nous au texte ; nous pourrons alors légiférer dans le juste.

Mme Laetitia Avia. L’état d’urgence sanitaire vise à permettre au Gouvernement de prendre des mesures pour ralentir la propagation du virus. Nous savons que nous approchons de périodes qui vont être particulièrement difficiles à gérer – ne nous voilons pas la face. Lors des fêtes de fin d’année, nos concitoyens veulent retrouver leurs proches. Il nous faut trouver les moyens de nous organiser pour que cela puisse se faire dans les meilleures conditions. Voter la fin de l’état d’urgence sanitaire au lendemain de la Saint Sylvestre ne serait pas raisonnable.

Mme Martine Wonner. Monsieur le rapporteur, quels sont les arguments en faveur de la prolongation de l’état d’urgence ? Dans sa note du 19 octobre, le Conseil scientifique se réfère à celle du 22 septembre et souligne qu’il n’est pas favorable à des formes contraignantes généralisées de gestion de la crise. Mais avez-vous déjà, oui ou non, la date du prochain reconfinement ?

M. Pacôme Rupin. Quelle est la durée nécessaire de l’état d’urgence ? Lors de la première vague, nous avons voté quatre mois. Certains collègues semblent remettre en cause le niveau de gravité de la situation. (Protestations des députés du groupe Les Républicains)

Si ce n’est pas le cas, je m’en réjouis ! D’ailleurs, il y a deux semaines, lorsque nous débattions du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, vous étiez les premiers à affirmer que, si la situation était grave, il faudrait débattre rapidement. C’est ce que nous faisons aujourd’hui !

La situation est grave – je ne vais pas revenir sur les propos du ministre de la santé. Dans les prochaines semaines, des hôpitaux seront saturés. C’est pourquoi nous devons anticiper afin de réduire dès maintenant le nombre de nouvelles contaminations.

D’ailleurs, que se passe-t-il ailleurs en Europe, dans d’autres grandes démocraties ? J’entends qu’on piétine les libertés ou la démocratie, mais est-ce aussi le cas en Irlande ? Est-ce le cas en Belgique ?

Mme Martine Wonner. Oui !

M. Pacôme Rupin. Non ! Ils prennent simplement des dispositions pour protéger leur population face à leur retour de cette épidémie.

M. Philippe Gosselin. Si la pédagogie est l’art de la répétition, je vais, comme mes collègues, le répéter pour que cela soit bien clair : il n’est pas question de contester la gravité de la situation. Ne nous faites donc pas de mauvais procès d’intention ! Il n’est pas non plus question de contester la possibilité pour le Gouvernement d’agir, y compris par des couvre-feux localisés ou par des fermetures administratives, localisées, de certains types d’établissements.

En revanche, nous contestons le fondement sur lequel vous voulez prendre ces mesures car nous considérons que la loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, dont les débats ont été suspendus la semaine dernière au Sénat, suffisait. Le Conseil constitutionnel le dit, le Conseil d’État ne dit pas le contraire, dans son mémoire en observation du 7 juillet devant le Conseil constitutionnel, le Gouvernement ne dit absolument pas le contraire non plus. Nous ne récusons donc pas l’action du Gouvernement, mais nous nous interrogeons sur le bon fondement car l’état d’urgence, ce n’est pas rien…

M. Pacôme Rupin. Non, ce n’est pas rien.

M. Philippe Gosselin. C’est un état d’exception durant lequel le Parlement se tire une balle dans le pied et au cours duquel le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est, en quelque sorte, interrompu. C’est pourquoi nous plaidons pour le droit commun s’il est suffisant ! Mais peut-être le Gouvernement prévoit-il que la situation nécessitera un deuxième confinement ? Dans ce cas, nous demandons à ce que cela soit mis sur la table !

M. Pacôme Rupin. C’est sur la table !

M. Philippe Gosselin. Il ne faut infantiliser ni les Français, ni la représentation nationale. Vous évoquez les exemples étrangers, mais l’Allemagne étant un État fédéral, tous les Länder n’ont pas imposé de confinement. C’est la même chose en Irlande.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l’article 1er sans modification.

Après l’article premier

La Commission examine l’amendement CL23 de Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. Cet amendement vise à prévoir que les autorités administratives transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de l’article L. 3131‑13 du code de la santé publique.

Madame la présidente, vous nous avez indiqué recevoir certaines informations du Gouvernement, mais il serait préférable de l’inscrire dans la loi.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Lorsqu’elle mentionne les autorités administratives, la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence fait référence au ministère de l’intérieur et aux préfets. Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, votre amendement est satisfait puisque le ministère de l’intérieur centralise déjà l’ensemble des actes préfectoraux. Une synthèse, sous la forme d’un rapport d’étape hebdomadaire, est également publiée sur le site internet de l’Assemblée nationale. Mon avis est donc défavorable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous avions déjà évoqué ce sujet au cours des débats sur le premier projet de loi d’urgence. L’analogie avec la loi de 1955 trouve rapidement ses limites puisque les actes alors transmis étaient essentiellement des actes individuels – perquisitions, visites domiciliaires, etc. À l’inverse, il s’agit actuellement de milliers d’actes généraux. C’est pourquoi nous avions privilégié une information, et non la transmission de chaque acte pris en vertu de l’état d’urgence sanitaire.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le rapporteur, j’entends que les documents apparaissent sur le site, mais au vu de la quantité de décisions, en plus des textes normatifs, il semble complexe d’analyser tous ces éléments. J’aurais une préférence pour la proposition que vous faisiez ce matin : réunir la commission une fois par mois, ou toutes les six semaines, afin d’assurer un véritable contrôle qualitatif. Certes, c’est un gros travail, pour vous et pour les services. Ces derniers auraient peut-être besoin de renforts car nous les sollicitons énormément – j’en profite pour saluer leur travail.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL24 de Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. Cet amendement vise à ce qu’en cas de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement présente au Parlement un rapport exposant la nécessité d’une telle mesure.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Il faut laisser un peu de souplesse au dispositif, d’autant qu’il est strictement encadré. Quant à l’impérieuse nécessité d’une telle prorogation, je vous renvoie à l’avis du Conseil scientifique, qui est parfaitement clair.

M. Raphaël Schellenberger. La question est importante et cet amendement est intéressant : la commission des Lois est saisie d’un projet de loi émanant du ministère de la santé, ministère « technique » ; c’est quand même peu commun… N’est-ce pas une erreur que d’avoir confié au ministère de la santé des prérogatives de restriction des libertés publiques ? Cela n’a rien à voir avec la loi du 17 mai 1958 déclarant l’état d’urgence sur le territoire métropolitain, subtil équilibre entre le Président de la République et le ministère de l’intérieur, ministère des libertés publiques.

Cela devrait nous interroger sur la façon dont le Parlement exerce son contrôle…

Mme Martine Wonner. L’amendement est particulièrement intéressant car nous pourrions avoir à faire face à d’autres prorogations. Nous disposons de l’avis du Conseil scientifique. Des justifications éclairantes et extrêmement précises seraient utiles.

Le groupe Libertés et Territoires est persuadé que la situation sanitaire est extrêmement préoccupante. Pour autant, nous ne disposons toujours pas d’éléments qui démontrent que la situation est plus préoccupante que ce que nous vivons chaque hiver depuis plusieurs années. Nous manquons de données sanitaires.

Étant donné que je devrais être en train de débattre du projet de loi de financement de la sécurité sociale en séance publique, j’aimerais remercier le ministre de la santé, qui a prévu par amendement du Gouvernement une rallonge de 2,4 milliards d’euros finançant la réinstallation de 4 000 lits, qui viendront simplement annuler les 3 980 lits supprimés en 2019… L’équilibre est minimaliste. Si nous passons un hiver plus serein avec 4 000 lits supplémentaires, n’oublions pas les soignants, qui restent en première ligne et qui doivent absolument disposer de moyens supplémentaires. Sauvons l’hôpital public, mais ne disons pas n’importe quoi sur la gravité de la situation.

Mme Laetitia Avia. Madame Wonner, nous connaissons vos combats mais, vous venez de le dire, ne disons pas n’importe quoi ! Soyons responsables car nous ne pouvons pas nous permettre de minorer la gravité de la situation… (Protestations).

M. Raphaël Schellenberger. Personne ne fait cela !

Mme Laetitia Avia. Madame Wonner compare l’épidémie que nous vivons à une grippe hivernale ; ce n’est pas possible ! C’est à cause de ce type de propos que beaucoup de nos concitoyens ont mis trop de temps à réaliser la gravité de la situation.

Il est impératif que la parole des représentants de la Nation soit responsable et unanime. Vous parlez de « trahison », de « défi » alors que nous devons, tous ensemble, essayer de sortir par le haut de la crise. Continuons à débattre de manière apaisée, avec respect et en ayant conscience de nos responsabilités.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je rappelle que nous avons auditionné le ministre de la santé ce matin pendant près d’une heure et demie, qu’un rapport hebdomadaire est fourni au Parlement sur les données de santé et sur les actions du Gouvernement, que chaque prorogation fait l’objet d’un projet de loi, soumis au Conseil d’État et accompagné d’un avis public du Conseil scientifique, transmis au Parlement. Vous ne pouvez donc pas dire que nous ne disposons pas d’information. Nous pouvons exprimer des désaccords, mais la procédure législative est parfaitement respectée jusqu’à présent.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL48 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’effacer du casier judiciaire la mention des contraventions et délits de non-respect des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Ces mentions peuvent avoir de lourdes conséquences sur la trajectoire personnelle et professionnelle des mis en cause. En outre, le confinement a donné lieu à beaucoup de contrôles dont la régularité a été contestée par les personnes concernées et par certaines organisations de défense des droits humains. À l’occasion de sa réponse à l’une de mes questions écrites, posée à la demande de plusieurs associations de défense des droits humains, le ministère de l’intérieur a lui-même reconnu que les consignes données aux forces de l’ordre étaient floues et pouvaient mener à des erreurs.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. De quelles condamnations parle-t-on ? Il s’agit tout de même de violations des prescriptions de l’état d’urgence sanitaire ou du régime transitoire verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, qui peuvent être punies de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général. Il s’agit de récidives et violations répétées, et donc délibérées, bien loin de la situation que vous décrivez.

En outre, en dépit des protestations habituelles de certains, toutes les juridictions ont validé le principe de cette infraction et de son fonctionnement, qui respecte pleinement les droits de la défense et le principe du contradictoire. Mon avis est donc défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 (art. 1er et 2 de la loi n° 2020‑856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire) : Régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire

La Commission examine les amendements identiques CL2 de Mme Emmanuelle Ménard, CL29 de M. Antoine Savignat, CL51 de Mme Danièle Obono et CL59 de Mme Martine Wonner.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article. Nous l’avons déjà démontré, donner des pouvoirs exorbitants au Gouvernement fait absolument fi de l’obligation de contrôle du Parlement, alors que les parlementaires sont présents dans l’hémicycle, en commission, le jour, la nuit, le week-end – même si nous ne sommes pas tous là en raison des contraintes sanitaires. Donner les pleins pouvoirs au Gouvernement n’est donc pas la bonne solution, d’autant qu’il a tout loisir d’agir sans disposer à nouveau de prérogatives exorbitantes de droit commun – il a entre ses mains une liste déjà longue de pouvoirs.

M. Raphaël Schellenberger. L’amendement CL29 vise à clarifier la situation car le projet de loi confond dans un même texte le régime d’état d’urgence sanitaire et le régime transitoire que nous avions imaginé à l’issue du précédent déclenchement de l’état d’urgence sanitaire.

Il ne serait pas raisonnable de légiférer pour les six prochains mois, en confiant d’importantes prérogatives au Gouvernement. J’entends qu’on peut espérer que l’état d’urgence sanitaire ne dure pas jusqu’au 16 février et que, dans ce cas de figure, il faut prévoir un régime juridique transitoire. Il me semble gênant de signer dès aujourd’hui un blanc-seing au Gouvernement jusqu’au 1er avril, sans possibilité de discussion. Je rappelle que les débats sur le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire étaient avancés jusqu’au stade de la commission mixte paritaire. Dans le texte adopté par le Sénat, la date butoir de sortie de l’état d’urgence était fixée au 31 janvier. C’est désormais le 16 février – soit deux semaines de plus. Mais nous aurions tout à fait le temps de nous retrouver d’ici là pour légiférer sur les suites à donner !

Mme Danièle Obono. L’article 2, dont nous demandons la suppression, pose problème à plusieurs égards : fusion de deux dispositifs critiquables, car octroyant des pouvoirs étendus au Gouvernement ; faiblesse du contrôle parlementaire et de la garantie des droits et libertés ; manque de planification et de transparence du Gouvernement concernant les différentes options pour faire face à la situation sanitaire.

Au regard du bilan de la dernière période, cette prorogation ne se justifie pas.

Mme Martine Wonner. Nous souhaitons également la suppression de cet article.

Je vais une fois de plus me répéter : nous avons l’impression que le Gouvernement en profite pour faire d’une pierre deux coups, en demandant l’extension jusqu’au 1er avril 2021 d’un demi-état d’urgence sanitaire. Nous contestions déjà, à l’époque, la nécessité de passer par le biais d’un régime transitoire analogue à un état d’urgence sanitaire qui ne portait pas véritablement son nom. En outre, le régime prévu à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique permet de prendre des mesures proportionnées et suffisantes à la situation.

Nous ne pouvons que nous inquiéter et nous émouvoir des raisons ayant motivé le Gouvernement à mettre en place ce régime transitoire après le 16 février 2021. Dans l’exposé des motifs du projet de loi, il précise que « cette échéance permettrait de consacrer la future réforme à la mise en place d’un dispositif pérenne de gestion de l’urgence sanitaire, sans que ce débat de fond ne soit affecté par la nécessité d’une nouvelle prorogation des mesures sanitaires ». À un régime transitoire se substituera un régime définitif, inscrivant l’état d’urgence sanitaire dans le droit commun.

Allons-nous accepter de signer ce chèque en blanc au Gouvernement jusqu’au 1er avril 2021, alors que ce dernier nous indique clairement que le but de cette manœuvre est de nous faire patienter jusqu’à la mise en abyme définitive de notre État de droit ? Nous observons tous cette réalité et ne pouvons la nier : c’est la destruction froide et inexorable de notre État de droit, sous couvert de la protection de la population.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Je vous rappelle que, même si le Sénat avait voté en faveur du 31 janvier, l’Assemblée nationale avait quant à elle plaidé, tant en commission que dans l’hémicycle, pour le 1er avril. L’examen de ce projet de loi est suspendu du fait des circonstances sanitaires dramatiques, mais les dispositions qui nous sont désormais soumises sont un aménagement de ce que nous avions voté.

Le régime d’état d’urgence sanitaire a été instauré par décret pour un mois. On nous demande de le prolonger de trois mois et de prévoir un régime de sortie, sur le modèle de ce que nous avions fait cet été. En outre, les contrôles et garanties nécessaires sont prévus.

M. Antoine Savignat. Je pense a contrario qu’il faut limiter la durée d’effet de ce texte. Nous avons armé le Gouvernement pour affronter cette crise : or il refuse aujourd’hui de le voir et part dans des digressions, des interprétations et des tergiversations alors qu’il pouvait parfaitement décider ce couvre-feu dans le cadre actuel.

Je rappelle une seule phrase du Conseil constitutionnel : « L’interdiction de circulation des personnes ne peut conduire à leur interdire de sortir de leur domicile ou de ses alentours. » Le Gouvernement en a tiré argument pour dire : nous n’étions pas armés pour ledit couvre-feu. Mais le commentaire de la décision du Conseil explique qu’il faut « […] bien marquer la différence entre ces mesures [c’est-à-dire toutes celles restrictives de liberté] qui pouvaient être prises dans le cadre de la loi et celles qui avaient conduit au confinement de la population durant la période d’application de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national […] ». Alors que le Gouvernement en tire argument pour affirmer qu’il ne pouvait décider du couvre-feu, le Conseil n’avait apporté cette précision que pour marquer la différence avec le confinement.

Ce texte n’aurait-il donc pour vocation que d’armer le Gouvernement pour décider d’un nouveau confinement – il faudrait seulement qu’il le dise – qui constituerait cependant peut-être une bonne solution ? Or nous savons faire puisque seules vingt-quatre heures se sont écoulées entre le dépôt du texte, celui de nombreux amendements et notre réunion. Nous légiférerons donc si nécessaire, en fonction de l’évolution de la situation, car nous restons un État démocratique : le Parlement ne peut pas être désarmé.

Mme Laetitia Avia. Nous avons depuis le début de la réunion entendu parler d’état d’urgence parlementaire et de législation d’urgence : or je salue l’application de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 au plus tard car elle nous offre, pour une fois, une anticipation de moyen terme.

S’appliquera ensuite, car nous ne passerons pas de cet état à rien, un régime transitoire dont nous avons débattu ici-même ainsi que dans l’Hémicycle. Anticipation, transparence et responsabilité sont donc les maîtres-mots de cet article.

La Commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques CL3 de Mme Emmanuelle Ménard et CL68 de Mme Frédérique Dumas.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 2 mélange les deux régimes : l’état d’urgence et la sortie de celui-ci. Pourquoi organiser un régime transitoire qui ne débutera que le 16 février prochain, sans compter qu’adopter cette mesure va, à l’évidence, gravement obérer le déroulement des élections départementales et régionales, auquel cas, les conclusions de la commission qui travaille sur le report ou non de ces échéances électorales seraient courues d’avance ?

L’amendement vise donc à supprimer l’alinéa 2.

Mme Martine Wonner. La suppression de l’alinéa 2 répond à une préoccupation très claire : faire vivre notre démocratie, puisque la prorogation du régime transitoire jusqu’au 1er avril 2021 couvrira cette période d’élections départementales et régionales.

J’en profite en outre pour répondre à Mme Avia, qui s’est adressée à moi de façon très personnelle : si nous avons tous conscience de la gravité de la situation, nous savons également que ce virus se comporte comme un virus saisonnier.

D’ici le 1er avril 2021, la situation sera donc rétablie parce le Gouvernement aura mis tous les moyens nécessaires à l’augmentation sensible du nombre de lits dans les établissements hospitaliers : une prorogation jusqu’à cette date est tout à fait inadaptée.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Nous avions voté un texte allant jusqu’au 1er avril : je me tiens donc à cette date, qui me paraît la meilleure. Avis défavorable.

M. Stéphane Peu. Nous déposerons un amendement semblable en séance. J’avais contesté le projet sur le dispositif transitoire car il me semblait que le Gouvernement avait largement de quoi faire face à une reprise épidémique avec ce que nous avions voté ces derniers mois : l’état d’urgence sanitaire et certaines dispositions du code de la santé publique.

Si la reprise actuelle justifie l’état d’urgence, je suis en désaccord avec la durée proposée comme avec le dispositif transitoire, car nous ne savons pas aujourd’hui, et le Gouvernement pas plus que personne, ce qu’il en sera au mois de février. Peut-être faudra-t-il le proroger à ce moment-là parce que la reprise épidémique se sera aggravée ?

Dans cette crise, il ne faut pas légiférer au long cours surtout lorsque l’on touche aux libertés individuelles. Enfin, le dispositif transitoire a été malmené au Sénat : il y a donc une petite habileté politique, autant qu’une mauvaise manière, à le court-circuiter en le réinsérant dans ce projet de loi et en mêlant les deux sujets.

M. Philippe Gosselin. L’article 2, avec la date du 1er avril 2021, complète fort habilement l’article 1er, qui prévoit celle du 16 février : l’état d’urgence va donc se prolonger pendant six mois jusqu’à cette dernière échéance avant que l’on ne bascule sur une sortie de l’état d’urgence.

Or la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet 2020 nous a appris qu’il s’agissait d’un état d’urgence qui ne dit pas son nom : il serait donc plus honnête d’annoncer à nos concitoyens et à la représentation nationale que l’état d’urgence sanitaire durera au moins jusqu’au 1er avril. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt.

Accessoirement, je souscris aux propos de Stéphane Peu : le projet de loi constitue également une façon de contourner, et de façon grossière, le Sénat.

La Commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie, en discussion commune, des amendements CL13 de Mme Emmanuelle Ménard, CL28 de M. Antoine Savignat et CL17 de Mme George Pau-Langevin.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement de repli qui vise, à l’alinéa 2, à substituer à la date du 1er avril 2021 celle du 31 décembre 2020, ce qui raccourcira cette période d’exception, compte tenu de ce qu’elle entraîne pour nos droits et libertés et pour notre économie. Il faut autant que faire se peut réduire la durée de l’état d’urgence sanitaire.

M. Raphaël Schellenberger. Je suis assez surpris par l’argument de notre collègue Laetitia Avia sur la prévisibilité, dans la mesure où la gestion de cette crise n’est absolument pas prévisible : nous l’avons encore vu avec le déclenchement du couvre-feu, mesure qui semblait inimaginable deux jours avant, et nous le verrons encore avec les nouvelles décisions qui seront annoncées dans quelques minutes.

Ce que nous nous apprêtons à voter est un cadre juridique particulièrement large qui laissera au Gouvernement la possibilité de faire pendant six mois à peu près tout ce qu’il veut – même si, nous ne le contestons pas, il en a peut-être besoin – : c’est bien ce qui nous dérange.

C’est également la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas que les deux questions de l’état d’urgence sanitaire et de sa sortie soient mêlées, car cela revient à créer un dispositif totalement dérogatoire du droit commun et à confier au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels pendant une période particulièrement longue.

Mme George Pau-Langevin. Dans la même logique, l’amendement vise à limiter la prorogation du régime transitoire de sortie de l’état d’urgence à trois mois, c’est-à-dire jusqu’au 1er février 2021.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Mon avis reste défavorable, notamment parce qu’il faut suivre l’évolution de la pandémie.

La Commission rejette successivement les amendements.

M. Raphaël Schellenberger. Madame la présidente, dans dix minutes, le Gouvernement va annoncer des mesures importantes, en lien avec le texte : comment allons-nous organiser nos travaux, sachant que le ministre a ce matin expressément renvoyé à cette conférence de presse ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je n’ai pas pour habitude de suspendre les travaux de la commission pour suivre une conférence de presse d’un ministre que nous avons en outre reçu ce matin. Votre groupe compte suffisamment de membres pour que certains d’entre eux puissent regarder la télévision pendant que nous poursuivons nos travaux...

La Commission adopte l’amendement de coordination CL43 du rapporteur.

Elle examine les amendements CL49, CL50, CL52, CL54, CL11, CL4 et CL5 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Même si le nombre de non-inscrits a subitement augmenté depuis quelques jours, ils ne représentent toujours qu’eux-mêmes. (Sourires.)

Cette série d’amendements vise à remettre en cause le principe de proportionnalité : l’état d’urgence sanitaire va permettre à l’exécutif de prendre de nombreuses mesures restrictives de nos libertés, notamment celle d’aller et venir, objet de l’amendement CL49, de se rendre dans un établissement recevant du public, objet de l’amendement CL50, de manifester, objet de l’amendement CL52, et de prendre les transports publics aériens, objet de l’amendement CL54.

L’amendement CL11 traite des agences régionales de santé, qui ne se sont pas toutes montrées à la hauteur lors de la première application de l’état d’urgence sanitaire : doit-on dès lors leur confier les pleins pouvoirs ?

Enfin, les amendements CL4 et CL5 visent à revenir sur les dispositions figurant aux alinéas 4, 5 et 6.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Je suis défavorable à tous ces amendements. S’agissant de l’amendement CL49, supprimer la possibilité de prendre des mesures relatives à la circulation des personnes aurait des conséquences graves sur des mesures très concrètes et indispensables pour freiner la circulation du virus. C'est d’ailleurs sur le fondement de l'alinéa que vous souhaitez supprimer que le port du masque est obligatoire dans les transports en commun.

S’agissant de l’amendement CL50, les mesures relatives à la réglementation des établissements recevant du public (ERP) restent absolument nécessaires dans le contexte sanitaire afin de limiter la propagation du virus. Ce n'est pas en baissant la garde qu'il faut répondre aux critiques émises, même si elles sont compréhensibles, mais en amplifiant les mesures d’accompagnent et de soutien : à l'initiative du Président de la République et du Gouvernement, celles-ci vont s’amplifier dans les prochaines semaines.

Mme Emmanuelle Ménard. Il n’est pas du tout dans mon intention de supprimer le port du masque : je souhaite revenir au principe de proportionnalité, car toutes les mesures en question sont rendues possibles par la loi du 9 juillet 2020 et il n’est pas du tout nécessaire de franchir le cap supplémentaire de l’état d’urgence pour continuer à les appliquer.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CL62 de M. Sacha Houlié.

M. Sacha Houlié. Nous avons déjà débattu de l’amendement dans le cadre de la prorogation des mesures de sortie de l’état d’urgence sanitaire : il vise à revoir l’appréciation des jauges d’occupation des ERP en ne les exprimant plus de manière forfaitaire mais proportionnelle, c’est-à-dire en pourcentage.

Il ne s’appliquerait pas pendant l’état d’urgence lui-même, mais à partir du 17 février 2021, et jusqu’au 1er avril.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. L'adoption de l’amendement, dont la rédaction ne correspond pas à celle qui avait été adoptée par l'Assemblée nationale lors de la discussion du texte précédent, poserait deux problèmes importants.

Tout d’abord, la stricte adaptation de la réglementation à la situation sanitaire locale empêcherait de prendre des mesures nécessaires au niveau national, par exemple la jauge des 5 000 personnes.

Si une approche territorialisée de la gestion de la crise est bien sûr souhaitable, celle-ci ne doit pas faire obstacle à l'édiction de mesures utiles dans tout le pays : n’oublions pas que ce virus circule activement sur l’ensemble du territoire national.

Dans ce cas, à quelle échelle s'apprécie la situation locale ? À celle de la ville, de la métropole, du département ou à celle de la région ? Je vous rappelle que s'agissant des ERP à grandes capacités d'accueil, le brassage des populations se fait à une échelle territoriale très large.

Par ailleurs, la stricte adaptation de la réglementation aux caractéristiques des ERP est elle aussi trop restrictive. Il n’y a pas que les caractéristiques propres des grands ERP qui doivent être prises en compte, il faut là aussi pouvoir prendre des mesures générales s’appliquant à tous les ERP, quel que soit leur type ou leurs particularités : par exemple rendre obligatoire le port du masque.

Je suis par conséquent défavorable à l’amendement.

M. Raphaël Schellenberger. Cette argumentation montre que mêler dans le même texte le statut de l’état d’urgence sanitaire et celui de la sortie de cet état est parfaitement incompréhensible, y compris pour le rapporteur lui-même. En effet, sa réponse s’inscrit dans le cadre de l’application de cet état d’urgence alors que l’amendement nous invite à nous projeter dans la période de sortie de celui-ci, qui implique de restreindre les prérogatives du Gouvernement s’agissant de l’encadrement des ERP, l’ouverture devant alors constituer la règle et la fermeture l’exception.

L’amendement nous semble donc adapté.

M. Sacha Houlié. Première précision : la rédaction de l’amendement, qui n’évoque plus la capacité d’accueil mais leurs caractéristiques, ce qui intègre les issues, a évolué compte tenu de la position du Gouvernement.

Deuxième précision concernant les flux : la situation sanitaire locale peut être appréciée soit à l’échelle des métropoles, où des couvre-feux sont en vigueur, et où se justifie le rétablissement de l’état d’urgence sanitaire, soit à celle de départements entiers, conformément aux annonces faites ce soir.

Troisième précision : il faut effectivement bien distinguer la période courant jusqu’au 16 février, c’est-à-dire celle de l’application de l’état d’urgence sanitaire, au cours de laquelle l’amendement ne s’applique pas puisqu’il n’est pas question de réunions dans des salles ou dans des stades, et celle de sortie progressive de celui-ci, au cours de laquelle on peut reprendre une vie beaucoup plus normale. D’où les jauges proportionnelles que je propose.

M. Philippe Gosselin. L’amendement, qui est de bon sens, avait retenu l’attention de différents groupes, en ce qu’il fait appel aux notions importantes de proportionnalité et d’adaptation. Une fois encore, l’approche du Gouvernement est par trop jacobine et en contradiction tant avec la République décentralisée qu’avec la diversité des ERP.

Comment pouvez-vous balayer cette question d’un revers de main alors que majorité et opposition avaient avancé en bonne intelligence, grâce au travail mené par notre collègue Sacha Houlié ? J’espère que nous trouverons d’ici la séance publique un terrain d’entente sans attendre la commission mixte paritaire.

M. Pacôme Rupin. Si nous avions effectivement déjà eu le débat lors de l’examen du précédent projet de loi, la rédaction votée en séance diffère beaucoup de celle que propose notre collègue Sacha Houlié.

L’adverbe « strictement » pose problème au groupe La République en marche en ce qu’il priverait le Gouvernement d’une certaine souplesse dans la mise en application de règles différentes en fonction des ERP. C’est pourquoi nous suivrons l’avis défavorable du rapporteur.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 (art. 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions) : Prorogation des systèmes d’information mis en œuvre aux fins de lutter contre l’épidémie de Covid-19

La Commission est d’abord saisie de trois amendements de suppression CL6 de Mme Emmanuelle Ménard, CL53 de Mme Danièle Obono et CL60 de Mme Martine Wonner.

Mme Emmanuelle Ménard. En dehors des dérogations expressément prévues par la loi, le secret médical couvre l’ensemble des informations concernant la personne portées à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel des établissements, des services ou organismes de santé et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ceux-ci. Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.

On ne peut donc que s’interroger sur la pertinence de renouveler le système dérogatoire à l’article L. 11104 du code de la santé publique.

Mme Danièle Obono. Nous demandons la suppression de l’article 3, qui tend à prolonger les dispositifs collectant les données de santé, suppression qui nous semble justifiée notamment par les couacs qu’ont connus jusqu’à présent les outils de suivi des personnes contaminées ou à risque du Gouvernement, lequel n’a d’ailleurs pas répondu aux alertes de la CNIL. De fait, l’échec de la désormais fameuse application StopCovid – dont la nouvelle version, déployée aujourd’hui, est très proche de la précédente – est patent. Il s’agit pourtant, selon le Gouvernement, de l’un des éléments majeurs de sa stratégie de suivi des cas contact. Ce matin, le ministre de la santé, s’il s’est abstenu de répondre à la question qui lui était posée sur les éléments dont dispose Santé publique France concernant les principaux foyers de contamination, a lui-même indiqué qu’il n’était pas possible d’intensifier davantage le suivi sans remettre en cause des libertés fondamentales. La prorogation de dispositifs à l’efficacité douteuse et qui présentent des risques pour la protection des données ne nous semble donc pas justifiée.

Mme Martine Wonner. Je demande, moi aussi, la suppression de l’article 3, qui permet la mise en œuvre, jusqu’au 1er avril 2021, des systèmes dédiés au suivi de l’épidémie de covid-19 et, par conséquent, la prolongation, sur la même durée, de la conservation de certaines données pseudonymisées collectées par ces systèmes à des fins de surveillance et de recherche sur l’épidémie. Nous avons déjà souligné le risque que présente ce type de fichiers. Or, le système pourrait désormais recueillir de nouvelles catégories de données, notamment celles issues de tests autres que ceux de biologie médicale.

En outre, l’article 3 prévoit un accompagnement social des personnes infectées et des personnes susceptibles de l’être pendant et après la fin des prescriptions médicales d’isolement prophylactique. Or, cet accompagnement social n’est pas du tout suffisant : il doit être également médical, comme nous l’avons souligné à de multiples reprises. Hélas, dans ce domaine, rien n’est prévu dans le projet de loi.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat lors de la création du SI-DEP (système d’information de dépistage) et de Contact Covid et lors de l’examen des différents textes visant à en prolonger l’application. Ces systèmes d’information sont, je le rappelle, des éléments déterminants de la stratégie « Tester, tracer et isoler ». Tous les tests réalisés ainsi que leurs résultats sont renseignés dans le SI-DEP, et chaque personne contaminée ou cas contact fait l’objet, dans Contact Covid, d’une fiche individuelle qui permet d’assurer son accompagnement dans le parcours de soins. Ces éléments nous permettent également de mener des recherches sur le virus, de mieux le comprendre et d’adapter en conséquence nos politiques publiques. Le Conseil scientifique considère ainsi que ces outils sont d’une extrême importance pour la lutte et la connaissance de l’épidémie.

Par ailleurs, la durée de conservation des données est limitée dans le temps : elle est de trois mois pour toutes les données identifiantes et s’étend jusqu’au 1er avril pour les données pseudonymisées collectées avec le consentement des personnes à des fins de recherche. Cela me paraît tout fait à raisonnable.

Enfin, nous avons créé un comité de contrôle et de liaison indépendant, chargé notamment de contrôler le respect des garanties entourant le secret médical et la protection des données pseudonymisées personnelles, qui a publié un rapport très complet le 15 janvier. Toutes les garanties nécessaires sont donc prévues.

Je rappelle, s’agissant des alertes de la CNIL, que nous avons déposé avec Mme Thourot un amendement CL57 qui doit nous permettre de disposer d’indicateurs d’efficacité concernant ces systèmes d’information.

Avis défavorable.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL37 du rapporteur.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL18 de Mme George Pau-Langevin et CL30 de M. Philippe Gosselin.

Mme George Pau-Langevin. Il s’agit de limiter la période d’utilisation du système d’information de lutte contre le covid-19 à trois mois ; cette période prendrait donc fin au 1er février 2021. En effet, les risques d’atteinte au respect de la vie privée induits par ce dispositif sont tels qu’il convient d’en limiter l’exploitation au strict nécessaire.

M. Philippe Gosselin. Dans le même état d’esprit, nous partons du principe que les dysfonctionnements et les atteintes portées à la protection des données personnelles sont avérés. Certes, le rapporteur me répondra que le projet de loi ne concerne que le SI-DEP et Contact Covid, et aucunement StopCovid ni la plateforme des données de santé, qui vient de se faire épingler pour ses relations particulières avec Microsoft. Néanmoins, nous devons être prudents et précautionneux. Je ne prétends pas que le Gouvernement manipule ces données – je ne suis pas adepte des thèses complotistes. Mais puisqu’il propose que l’état d’urgence sanitaire prenne fin le 16 février, nous vous proposons, par cohérence, que ces dispositifs expirent à la même date.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Par cohérence avec nos débats précédents, nous préférons maintenir la date du 1er avril. Avis défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL7 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit de rappeler que les données à caractère personnel concernant la santé ne doivent en aucun cas être transmises sans l’accord des personnes intéressées.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Nous avons déjà longuement débattu de cette question lors de l’examen des textes précédents. Seule l’exhaustivité des données collectées permet aux systèmes d’information d’être efficaces. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il revenait au législateur de définir les garanties encadrant leur création, ce que nous avons fait en soumettant les personnels concernés au respect du secret professionnel, en créant le comité de contrôle et de liaison et en prévoyant que le Gouvernement remette au Parlement un rapport complété par l’avis de la CNIL.

Cet ensemble de mesures nous permet non seulement de nous prononcer de manière éclairée, mais aussi de solliciter de la part du Gouvernement des précisions, voire des explications, comme nous l’avons fait ce matin en commission et comme nous le ferons en séance publique et tout au long de l’examen de ce texte. C’est aussi un gage de transparence vis-à-vis des citoyens et, plus généralement, de toutes les personnes concernées. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques CL9 de Mme Emmanuelle Ménard et CL19 de Mme George Pau-Langevin.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit de supprimer l’alinéa 9 de l’article 3. S’en remettre à un décret pour dresser la liste des personnes habilitées à réaliser les examens de dépistage est une nouvelle fois un moyen de contourner le contrôle du Parlement, à moins que le Gouvernement ne soit dans l’incapacité de dresser la liste des personnes compétentes. En tout état de cause, ce n’est pas acceptable.

Mme George Pau-Langevin. Nous ne jugeons pas souhaitable l’extension du champ des professionnels habilités à renseigner le fichier Covid-19. Allonger la liste, déjà très longue, des professionnels ayant accès à ce système d’information augmenterait les risques de fuite des données personnelles.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Vous ne souhaitez pas que la liste des personnels de santé pouvant renseigner les résultats des tests soit renvoyée à un décret en Conseil d’État. Pourtant, une telle liste semble bien relever d’un décret et non du domaine de la loi. En outre, l’étude d’impact précise bien que l’extension de cette liste est rendue nécessaire par l’introduction de nouveaux tests, notamment les tests rapides antigéniques, que pourront réaliser notamment les pharmaciens et les infirmiers, lesquels doivent pouvoir renseigner les résultats obtenus dans les systèmes d’information. Avis défavorable.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL38 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement CL20 de Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. Par cet amendement, nous proposons de supprimer le dispositif d’accompagnement social des personnes infectées ou susceptibles de l’être. Cette disposition part sans doute d’un bon sentiment, mais elle est trop floue : nous ne savons pas ce qu’impliquerait cet accompagnement ni quelles sont les données personnelles susceptibles d’être partagées avec les personnes qui en sont chargées.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Vous souhaitez supprimer la finalité d’utilisation des données collectées à des fins d’accompagnement social. Je rappelle que nous avions adopté cette disposition dans le cadre de la loi du 11 mai dernier. Le Conseil constitutionnel l’avait toutefois censurée au motif que nous n’avions pas conditionné l’utilisation de ces données au consentement des personnes concernées alors même que cette finalité n’était pas directement liée à la lutte contre l’épidémie. La rédaction proposée remédie à cette difficulté, puisque les personnes concernées devront désormais avoir consenti préalablement à l’utilisation de leurs données à cette fin.

Par ailleurs, l’accompagnement social concerne les personnes vulnérables, comme nos débats avaient déjà permis de le préciser. Les organismes concernés peuvent être les services des collectivités territoriales, de l’État dans les territoires ou des associations. Il ne s’agit que des organismes chargés spécifiquement du suivi des intéressés dans le cadre de la crise sanitaire. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL27 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement a pour objet de protéger les données personnelles des personnes infectées afin qu’elles ne puissent être communiquées qu’avec leur accord exprès, que ce soit aux personnes ayant été en contact avec elles ou à n’importe quelle autre tierce personne.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Cet amendement aurait pour effet de conditionner l’utilisation de leurs données au consentement des personnes concernées. Nous avons déjà eu ce débat sur l’amendement CL9. Par cohérence, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL39 et CL40, du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CL21 de Mme George Pau-Langevin.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Nous avons eu ce débat sur l’amendement CL20. Par cohérence, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL69 de Mme Frédérique Dumas.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL10 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement tend à supprimer le dispositif de transmission obligatoire des données individuelles à l’autorité sanitaire. En effet, ce dispositif a été lourdement critiqué lors de sa création, en raison de problèmes qui ne sont toujours pas résolus : l’atteinte au principe du secret médical, le temps nécessaire à la prise d’information et à sa transmission, et la compensation financière insuffisante.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Cet amendement a le même objectif que vos amendements CL9 et CL27. Par cohérence, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL41 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL57 du rapporteur.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Avec ma collègue Alice Thourot, nous vous proposons de reprendre une disposition adoptée par notre assemblée visant à compléter le contenu du rapport du Gouvernement remis au Parlement tous les trois mois sur le fonctionnement des systèmes d’information. Comme la CNIL dans son dernier avis, nous estimons nécessaire de définir des indicateurs pour mieux apprécier l’efficacité de ces systèmes d’information et la nécessité de les conserver. Nous proposons donc que le rapport du Gouvernement comporte des indicateurs d’activité, de performance et de résultats permettant d’en améliorer l’évaluation.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL56 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Si l’on souhaite ne pas réitérer le fiasco de l’application StopCovid, il convient de renforcer le contrôle exercé sur la nouvelle application, Tous Anti-Covid, créée pour lutter contre la propagation du virus dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Je souhaite donc que le Gouvernement adresse au Parlement un rapport chiffré sur l’efficacité de ladite application.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Votre demande est satisfaite puisque nous recevons régulièrement des rapports qui abordent la question des systèmes d’information, y compris StopCovid, et comprennent des éléments chiffrés, qu’il s’agisse du rapport du Gouvernement au Parlement du 9 septembre, de l’avis public de la CNIL du 10 septembre, de la note du Conseil scientifique du 12 septembre ou du rapport du comité de contrôle et de liaison du 15 septembre. Il en ira naturellement de même avec la nouvelle application Tous Anti-Covid. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 3 modifié.

Article 4 : Habilitation du Gouvernement à prendre diverses mesures
par voie d’ordonnances

La Commission est saisie des amendements identiques CL8 de Mme Emmanuelle Ménard, CL22 de Mme George Pau-Langevin et CL61 de Mme Martine Wonner.

Mme Emmanuelle Ménard. Nous proposons de supprimer l’article 4, relatif aux ordonnances. En effet, nous ne pouvons pas donner au Gouvernement un blanc-seing qui l’autorise à prendre des mesures toujours plus restrictives. Depuis le début de la crise, nous avons été habitués, hélas ! à l’alternance des ordres et des contrordres. Dans ces conditions, il paraît difficile au Parlement d’accorder sa confiance au Gouvernement pour la gestion d’une telle crise.

À ce propos, je réitère ma question, puisque le rapporteur n’y a pas répondu tout à l’heure : quel est le nombre des ordonnances prises par le Gouvernement depuis le début de la crise qui ont été soumises au Parlement pour ratification ? Il me semble qu’il n’y en a aucune.

Mme Martine Wonner. Nous proposons également de supprimer l’article 4, qui tend en effet à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances pour rétablir ou prolonger les dispositions de certaines ordonnances prises sur le fondement des lois du 23 mars et du 17 juin 2020.

Nous ne nions pas la nécessité de procéder à des adaptations dans les territoires, mais nous n’acceptons pas la logique qui consiste à déléguer au Gouvernement la gestion de la crise sanitaire. Dans l’exposé des motifs du projet de loi, celui-ci indique qu’il « pourrait […] apparaître nécessaire de poursuivre dans les prochaines semaines l’application de certaines de ces mesures temporaires », sans que soient établies des raisons valablement développées. Pouvez-vous nous expliquer en quoi le Parlement serait devenu incapable de voter les mesures nécessaires que le Gouvernement entend prendre et nous dire de quelles mesures celui-ci a réellement besoin ?

En outre, le présent article vise à autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi permettant d’adapter le champ de compétence de l’Autorité de régulation des transports aux fins d’homologuer les tarifs des redevances, sans que soient exposées, là encore, les raisons pour lesquelles cette redevance doit être adaptée.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Ces habilitations ont pour objet de permettre au Gouvernement de prolonger, rétablir ou adapter, notamment en fonction des situations locales, des dispositions adoptées au printemps et à l’été derniers. Ces dispositions visent essentiellement à organiser la vie économique et sociale en fonction de l’évolution de la situation épidémiologique. Les objectifs sont simples : préserver l’emploi, faire face aux difficultés des acteurs économiques, accorder des délais supplémentaires pour certaines formalités, faciliter certaines démarches de la vie quotidienne. Ces dispositions sont connues puisqu’elles ont déjà été appliquées en faveur de nombreux publics. L’état d’avancement des travaux, réalisé dans des délais très courts, retrace l’ensemble de ces dispositions pour que nous soyons suffisamment éclairés.

Il ne s’agit donc pas de donner un blanc-seing au Gouvernement, mais bien de lui permettre de prendre des mesures qui pourraient être utiles si la situation se dégradait brusquement. La rédaction proposée me semble adaptée en ce qu’elle permet une réponse rapide des pouvoirs publics en fonction de l’évolution de la situation, difficilement prévisible à ce stade. Avis défavorable.

Madame Ménard, le Gouvernement a pris 64 ordonnances qui, toutes, ont fait l’objet d’un projet de loi de ratification.

M. Raphaël Schellenberger. La discussion est intéressante. Le Conseil d’État estime, dans son avis, que les habilitations à légiférer par ordonnances prévues à l’article 4 sont très larges : d’une part, très peu de celles qui avaient été accordées dans les textes précédents relatifs à l’état d’urgence ont été retirées et, d’autre part, la rédaction de l’article est très floue. Le Conseil d’État l’accepte et, ce faisant, il rend inintelligible la réalité des pouvoirs délégués au Gouvernement.

Par ailleurs, ce matin, alors que Mme Pau-Langevin et moi-même détaillions la quantité colossale des habilitations accordées au Gouvernement, le ministre nous a répondu en dressant la liste des 64 ordonnances qu’il a prises. Or, il faut être bien conscient que le domaine de l’habilitation est plus large que ces ordonnances. Il ne s’agit pas uniquement de permettre au Gouvernement de poursuivre l’application de ces dernières, mais de l’autoriser à en prendre de nouvelles, plus larges encore.

Enfin, madame Avia, pourquoi ne pas débattre de ces questions au moment de la ratification, qui devrait intervenir, plutôt que de poursuivre dans la logique des pleins pouvoirs accordés au Gouvernement ? On ne connaît pas, du reste, le calendrier de la ratification des ordonnances qui ont été prises : il serait bon qu’elle intervienne avant la fin de l’état d’urgence…

M. Pacôme Rupin. À chaque fois que le Gouvernement demande aux parlementaires de l’habiliter à légiférer par ordonnances, il est légitime qu’ils s’interrogent. Mais je veux rassurer nos collègues : il s’agit, en l’espèce, de rappeler des ordonnances qui ont déjà été prises et qui ont été très utiles, opérationnelles, lors du premier état d’urgence sanitaire. Les habilitations supplémentaires sont très restreintes puisqu’elles ne concernent que l’autorité de régulation de transports.

Mme George Pau-Langevin. Je me demande si nous parlons du même texte, monsieur Rupin. En l’espèce, le champ des habilitations demandées par le Gouvernement est très large : il inclut même la possibilité de modifier la durée des congés payés, dans la limite de cinq jours ouvrables. Cela demande tout de même réflexion. Comment pourrions-nous ne pas donner notre avis sur ces questions ?

La Commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL12 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Monsieur le rapporteur, vous nous indiquez que le Gouvernement a pris 64 ordonnances dont la ratification est en projet. Celles-ci seraient, nous dit-on, très utiles et opérationnelles. En vérité, nous n’en savons rien : nous n’avons aucun élément pour en juger. A-t-on une idée du délai dans lequel nous allons pouvoir examiner leur ratification ? Si c’est après la fin de l’état d’urgence sanitaire, cela n’a guère de sens. On se moque un peu du Parlement, me semble-t-il.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. La plupart des ordonnances sont arrivées à échéance. Je les ai présentées, ainsi que cet article, dans le pré-rapport qui vous a été communiqué.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame Ménard, vous pouvez consulter sur le site de la commission des Lois le suivi des ordonnances relevant de ses compétences. Ce suivi existe donc, il est accessible aux parlementaires et au public et nous allons d’ailleurs le mettre à jour avant la séance.

M. Raphaël Schellenberger. Je m’étonne de votre réponse, monsieur le rapporteur. Il s’agit d’une question sérieuse. Vous nous renvoyez à votre pré-rapport, mais nous n’avons pu prendre connaissance du texte qu’hier. Or, l’article 4 est le cœur du projet de loi : l’essentiel, c’est bien l’habilitation que nous donnons au Gouvernement de légiférer par ordonnances. S’il vous plaît, prenez la peine de nous répondre sérieusement !

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Vous avez eu peu de temps pour travailler le texte, moi aussi. Il me reste encore la nuit et la journée de demain, avant l’examen en séance publique.

Mme Laetitia Avia. De fait, la liste des habilitations est longue, et pour cause : depuis le mois de mars, nous avons autorisé le Gouvernement à légiférer dans un certain nombre de domaines. Mais le projet de loi n’en prévoit qu’une de plus, celle qui concerne les transports. Surtout, certaines de ces habilitations sont caduques ; je pense notamment à celles qui étaient utiles pendant la période du confinement et qui ne sont plus nécessaires aujourd’hui.

Par ailleurs, l’ensemble des textes figurent dans l’étude d’impact. Certes, il faut faire l’effort de la consulter mais, je tiens à le rappeler, ces textes portent sur le fonds de solidarité, le chômage partiel, la prime exceptionnelle, le versement de l’intéressement, les délais de paiement pour celles de nos entreprises qui ont des difficultés de trésorerie, le sursis applicable aux expulsions locatives… Autant de mesures dont nos concitoyens ont besoin ! Il faut donc que nous habilitions le Gouvernement afin qu’il puisse mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que nous nous adaptions à la situation actuelle.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Sur le site de l’Assemblée nationale, la page de la commission des Lois indique le nom de l’ordonnance, son contenu, sa date de publication et, chaque fois, la date du dépôt du projet de loi de ratification y figure. C’est le cas par exemple de l’ordonnance portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics, avec la date de sa publication – le 26 mars – et la date du projet de loi de ratification – le 13 mai 2020.

Nous avons listé les modifications intervenues, l’objet, le contenu, article par article. Je vous invite à vous référer à ce travail considérable, précis et complet, qui a été accompli par notre Commission.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL31 de M. Antoine Savignat.

M. Raphaël Schellenberger. Je pense que cet amendement peut faire l’objet d’un consensus.

Il convient de préciser que les habilitations à légiférer par ordonnances sont calées sur la durée de l’état d’urgence sanitaire, jusqu’au 16 février, et pas jusqu’au 1er avril. Les deux dates doivent coïncider, sinon, cela signifierait que la date effective de sortie de l’état d’urgence sanitaire correspondrait à celle de la sortie du régime transitoire.

Je rappelle également que sur les quarante-trois habilitations à légiférer par ordonnances qui ont été prises dans les textes successifs constituant le corpus législatif de l’état d’urgence sanitaire, seules six ne sont pas reprises dans cet article, deux l’ayant été dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de finances rectificative. Reste donc trente-neuf habilitations à légiférer par ordonnances, ce qui est énorme.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Vous souhaitez que les ordonnances ne puissent être prises après le 16 février 2021, terme de l’état d’urgence sanitaire.

Toutefois, ces ordonnances pourront comporter des mesures ayant vocation à s’appliquer à certaines parties du territoire les plus touchées par l’épidémie. Il est donc important de laisser la possibilité de réactiver rapidement des mesures qui s’avèreraient nécessaires sur l’ensemble du territoire ou sur un territoire donné dans lequel des mesures plus restrictives seraient nécessaires.

Avis défavorable.

M. Philippe Gosselin. Démonstration est faite, une fois de plus, que l’état d’urgence ne s’arrêtera pas le 16 février, date qui nous est martelée depuis la sortie du conseil des ministres d’hier : l’état d’urgence se poursuivra en fait jusqu’au 1er avril 2021. Hors un confinement général, impossible en raison de la fin de l’état d’urgence sanitaire, il sera possible de traiter tout le reste par ordonnances, en s’asseyant sur la possibilité d’expliquer les choses devant la représentation nationale et en écartant les contrepouvoirs qui doivent être consultés sur un certain nombre de textes. Pendant six mois, une chape de plomb s’abattra sur le pays.

Je le dis avec d’autant plus d’inquiétude que, selon le Premier ministre, trente-huit départements supplémentaires seront sous couvre-feu à partir de demain soir, soit plus de 46 millions de nos compatriotes, ce qui n’est pas rien. Nous vivons un confinement qui ne s’avoue pas tel. La date du 16 février me paraît donc bien suffisante, sauf à revenir devant le Parlement si la situation l’exige. Nous ne sommes pas prêts à vous donner les clés de la maison avec un blanc-seing.

Mme Laetitia Avia. Nos collègues soulèvent un point assez intéressant.

Le calendrier proposé par le Gouvernement suppose une adaptation à travers le régime transitoire alors qu’il serait en effet préférable que la grande majorité de ces habilitations ait lieu dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire stricto sensu.

Je comprends toutefois la position du rapporteur : nous devons être vigilants au cas où des habilitations seraient nécessaires pendant la période de transition. Dans un esprit consensuel, nous proposons donc de voter cet amendement et, d’ici la séance publique, de travailler à l’affiner si nécessaire tout en veillant à pouvoir maintenir un certain nombre de dispositions jusqu’au 1er avril.

M. Philippe Gosselin. Proposition intéressante.

Mme Martine Wonner. Ce calendrier « ceinture et bretelle » un peu abscons montre à quel point ce Gouvernement tient toujours à agir sans le Parlement. Répétons donc à quel point les parlementaires souhaitent être éclairés à chaque étape le plus précisément possible et se réunir pour faire simplement leur travail en contrôlant l’action du Gouvernement !

M. Antoine Savignat. Je salue la sagesse de Mme Avia.

Nous sommes responsables devant les Français : que le Gouvernement gère cette crise dans le cadre d’un état d’urgence, soit, mais nous devons pouvoir garder un œil sur son action et décider d’une clause de revoyure. Il y a l’état d’urgence et la sortie de l’état d’urgence. Nous laissons au Gouvernement les prérogatives qui sont les siennes jusqu’à la date qu’il a fixée et nous nous reverrons tous pour discuter de la sortie.

N’oublions pas que le 18 mai, le 13 juin, le 6 juillet, le Conseil d’État a suspendu des décrets gouvernementaux ou ordonné au Gouvernement de mettre un terme à des mesures privatives de liberté. Nous respectons la date choisie par le Gouvernement mais pas de confusion : elle s’applique aux mesures dont nous parlons. Dans le cas contraire, l’intelligibilité de la loi, qui a valeur constitutionnelle, ne serait pas tenable : l’état d’urgence se terminerait le 16 février et des ordonnances pourraient être prises jusqu’au 1er avril ? C’est illisible. Je ne doute pas que nous nous retrouverons tous après le 16 février et que nous pourrons discuter sereinement.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Hier soir, dix-neuf départements supplémentaires étaient sous couvre-feu, ce matin, vingt, à midi, trente, ce soir trente-huit. En moins de vingt-quatre heures ! C’est dire l’importance de cette crise.

Je me rallie à la position de Mme Avia et je propose que, d’ici la séance publique, nous travaillions avec le Gouvernement à une solution consensuelle.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL15 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il convient de supprimer l’alinéa 2, qui passe l’entendement.

On nous demande de débattre d’un texte qui non seulement vise à donner les pleins pouvoirs au Gouvernement pour gérer la situation sanitaire mais de le faire en nous référant à des ordonnances qui elles-mêmes renvoient à d’autres ordonnances, sur des questions aussi essentielles que celle de nos libertés fondamentales !

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Ces mesures sont favorables à l’emploi et à l’activité économique. Par ailleurs, nous en connaissons le contenu et nous en avons suivi l’application, elles ne seront pas prises systématiquement mais en fonction des besoins et, le cas échéant, dans le cadre d’une territorialisation fine de leur application. Enfin, le recours à une ordonnance permet de s’assurer de leur application rapide si cela était nécessaire.

Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL55 de Mme Danièle Obono, CL32 de M. Philippe Gosselin et CL33 de M. Antoine Savignat.

Mme Danièle Obono. Nous nous opposons à la prolongation de dispositions qui auraient pour conséquence de perpétuer des textes comme l’ordonnance du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail, et de jours de repos.

Le Gouvernement assume son mauvais choix de faire payer aux salariés, notamment aux plus précaires, les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire en réduisant les huit heures de temps libre et en mettant à mal les modalités journalières et hebdomadaires de travail. Nous ne pensons pas que de telles mesures favorisent l’adhésion de la population à votre projet ni que la situation économique s’améliorera en pressurant toujours plus les salariés déjà durement exploités.

Pour les secteurs d’activité « particulièrement nécessaires » et qui sont déjà en tension, le texte propose de relever les dérogations de durée maximale d’heures de travail et de repos, la durée hebdomadaire maximale pouvant être portée jusqu’à soixante heures au lieu de quarante-huit. L’ordonnance permet également de faciliter le travail dominical, de réduire le temps de repos quotidien à neuf heures consécutives au lieu de douze et de porter la durée quotidienne de travail à douze heures au lieu de dix.

Enfin, en termes de repos, l’employeur peut imposer aux salariés la prise de congés ou les déplacer sans avoir à respecter le délai de préavis normal d’un mois, remplacé par un jour franc.

Sur un plan sanitaire, économique et social, tout cela nous semble très problématique.

M. Philippe Gosselin. Cet article habilite finalement le Gouvernement à prolonger une loi d’habilitation générale. L’article 38 de la Constitution n’étant déjà pas le plus favorable qui soit au contrôle parlementaire, ajouter du « 38 au 38 » ne peut que nous inquiéter.

Une limitation des mesures au 16 février atténuera certes un peu les choses même si un certain nombre de prolongations nous paraissent aller de soi – je pense notamment à tout ce qui concerne les conséquences économiques du couvre-feu et, peut-être, d’un reconfinement général puisque d’ici samedi ou les débats qui auront lieu mercredi au Sénat, la situation peut considérablement évoluer.

Personne ne conteste la gravité de la situation, donc, oui au prolongement de certaines mesures mais nous souhaitons que la justice puisse continuer à travailler le moins mal possible.

Par ailleurs, sans vouloir faire d’amalgame mais en lien avec l’actualité de ces derniers jours, il y a lieu d’éviter des prolongations trop importantes, sans aucun contrôle, des titres de séjour, des autorisations provisoires de séjour et des récépissés de demande de titres.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Madame Obono, je vous rappelle que ces ordonnances ont aussi permis l’activité à temps partiel, l’indemnisation des personnes mises au chômage partiel, la continuité de la représentation des salariés ou du fonctionnement des prud’hommes.

Monsieur Gosselin, ces dispositions sur le fonctionnement de la justice ne s’appliqueraient qu’en cas de reconfinement et non dans la situation présente, qui ne le nécessite pas. Vous pourrez en demander confirmation au ministre en séance publique.

À nouveau, il s’agit de disposer d’outils utiles en cas de dégradation rapide de la situation sanitaire et non d’appliquer toutes ces dispositions sans discrimination. Nous essayons d’anticiper pour répondre au mieux aux besoins de nos services publics, des acteurs économiques et de nos concitoyens.

Comme je l’ai indiqué pour les dispositions sur le fonctionnement des juridictions, celles sur la validité des titres de séjour ne s’appliqueraient qu’en cas de difficulté de fonctionnement de nos préfectures, notamment dans le cadre d’un reconfinement général.

Avis défavorable sur ces amendements.

Mme Martine Wonner. Le Bas-Rhin compte ce soir parmi les départements soumis au couvre-feu. J’en suis surprise car depuis six semaines, seulement neuf personnes sont en réanimation contre onze auparavant. Nous avons appris, de surcroît, que le marché de Noël de Strasbourg n’aurait pas lieu. Je vous rappelle qu’un attentat y a été perpétré voilà deux ans, que cinq personnes ont été tuées et onze blessées, et que le marché de Noël a tenu. Pour la ville, les retombées économiques s’élèvent à 250 millions.

Ces mesures sont parfaitement disproportionnées eu égard à la réalité de l’urgence sanitaire et de ce qu’est ce tout petit virus, manifestement plus puissant que le terrorisme.

M. Raphaël Schellenberger. Lorsqu’un état d’urgence est appelé à durer bon an mal an une année, l’État doit s’adapter pour assurer en particulier ses fonctions régaliennes. Nous considérons donc que la justice doit fonctionner normalement, qu’il n’y pas lieu d’entraver son fonctionnement, même si les libertés de nos concitoyens devraient l’être à travers par exemple un reconfinement général.

Les échanges internationaux se sont effondrés, de même que les arrivées sur notre territoire. L’administration qui traite les titres de séjours, a priori, devrait donc pouvoir fonctionner normalement.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine les amendements CL25 et CL26 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Les ordonnances que Mme Ménard souhaite supprimer portent sur le fonctionnement des collectivités territoriales, l’activité partielle, la situation des français expatriés et d’autres dispositions que je présente dans mon rapport.

Ces dispositions peuvent être très utiles aux publics concernés et au bon fonctionnement de nos institutions, notamment locales, si la situation continuait à se dégrader.

Encore une fois, il ne s’agit pas de prendre des mesures qui ne seraient pas utiles, mais, au contraire, de pouvoir réagir rapidement et de manière territorialisée si cela était nécessaire.

Avis défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements.

La Commission examine les amendements identiques CL34 de M. Philippe Gosselin et CL35 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Philippe Gosselin. Avec une loi d’habilitation qui lui retire ses pouvoirs et habilite à nouveau le Gouvernement à prendre des ordonnances sur les ordonnances précédentes, non seulement le Parlement est privé de son pouvoir d’action mais tout est fait pour écarter la consultation pourtant obligatoire, en vertu de la loi ou du règlement, de contre-pouvoirs comme les autorités administratives indépendantes – je songe par exemple à la CNIL, qui a sans doute eu le tort de se prononcer de façon circonstanciée sur un certain nombre de dispositifs en mai, en juillet et en septembre. Le Parlement est donc doublement écarté !

Qu’il soit au moins possible de consulter les organismes, les institutions, les autorités administratives indépendantes qui doivent l’être ! Si vous craignez à ce point les contrepouvoirs, il doit y avoir quelque raison. Des délais impératifs plus courts, de huit ou quinze jours, pourraient être définis. La CNIL a su travailler rapidement dans des conditions compliquées et rendre ses avis. Faites donc confiance aux contrepouvoirs !

Mme Emmanuelle Ménard. Non seulement le Gouvernement veut évincer le Parlement en recourant à l’état d’urgence sanitaire et aux ordonnances mais, avec cet alinéa, il se dispense de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire.

Même s’il est très sûr de lui, nous l’avons tous remarqué, il est regrettable qu’il se prive d’avis qui lui auraient permis de prendre de sages décisions.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. C’est en effet une question. J’ai interrogé le Gouvernent sur le maintien de cette obligation de consultation, peut être en raccourcissant les délais laissés aux organismes consultés pour répondre, de manière à ne pas retarder des mesures qui seraient urgentes.

Je vous propose donc de retirer cet amendement compte tenu de la discussion en cours, laquelle pourrait déboucher sur le dépôt d’un amendement en séance publique.

M. Philippe Gosselin. J’en rediscuterai avec grand plaisir en séance publique mais je maintiens mon amendement, quoique votre parole, monsieur le rapporteur, pourrait presque me suffire.

Mme Emmanuelle Ménard. Je retire le mien mais je le redéposerai en séance publique pour être sûre d’avoir cette discussion.

M. Raphaël Schellenberger. La question de l’équilibre des pouvoirs est importante. La proposition de M. le rapporteur est tout à fait audible et nous la soutiendrons en séance publique si elle est raisonnable et dispose que les consultations obligatoires doivent être rendues sous huit ou quinze jours après leur saisine – nous restons ouverts sur le délai.

Nous sommes en commission des Lois constitutionnelles, nous sommes chargés de veiller à cette question de l’équilibre des pouvoirs : la suppression de toute consultation obligatoire n’est ni équilibrée, ni acceptable.

Mme la présidente Yaël Braun Pivet. Le principal est que nous avancions. Le rapporteur a identifié ce problème et a déjà engagé le dialogue avec le Gouvernement. Peut-être pourriez-vous retirer votre amendement, monsieur Gosselin ?

M. Philippe Gosselin. Fort des engagements de M. le rapporteur et par respect de la parole donnée, je retire l’amendement mais je le redéposerai en séance publique afin que le débat ait lieu, sans doute à travers des amendements d’appel proposant quinze ou huit jours, peut-être un peu moins.

Toutefois, monsieur le rapporteur, prenez garde car malgré l’état d’urgence, on ne peut pas demander à des contrepouvoirs, à des organismes de contrôle, de rendre un avis en quarante-huit heures. Si ce devait être un marché de dupes – mais je ne crois pas que ce soit votre intention – nous ne pourrions pas nous retrouver.

Les amendements CL34 et CL35 sont retirés.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. J’ai demandé que le délai soit de cinq jours.

M. Philippe Gosselin. Pourquoi pas si ce sont cinq jours ouvrés ! Cela dit, pour la petite histoire, la CNIL a siégé un jour férié, le 8 mai.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il n’y a pas de raison que seul le Parlement siège le samedi, le dimanche et les jours fériés, matin, midi, soir et nuit !

La Commission adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

La Commission examine les amendements CL64, CL65, CL66 et CL63 de M. Pierre Person.

M. Pierre Person. Ces amendements concernent les OPA hostiles en période de crise sanitaire, sujet qui pourrait vous paraître anecdotique mais qui ne l’est pas. À mon sens, il a toute sa place dans ce projet de loi.

Des entreprises profitent en effet d’un contexte économique dégradé, où des pans entiers de notre économie sont déstabilisés par la crise sanitaire, pour mener des opérations de restructuration qui ne sont pas sans incidences. Des entreprises qui, jusqu’alors, étaient florissantes comme Airbus, dont la valorisation a été divisée par deux en quelques mois, se retrouvent vulnérables, à la merci d’OPA étrangères hostiles mettant en cause notre souveraineté économique.

Plus encore, c’est l’intégralité de nos services publics qui, parfois, peut-être affaiblie par ce type d’opérations.

Alors que nous avons assisté au retour de l’État stratège et que l’État, plus globalement, est plus présent suite aux engagements du Gouvernement, ce projet ne prévoit pas de dispositif pour se prémunir de telles situations. Or, nous ne pouvons pas laisser sans protection nos entreprises et, plus particulièrement, celles qui sont délégataires de service public. La crise a montré la nécessité de protéger et de renforcer notre souveraineté industrielle. La Chine et les États-Unis ne peuvent pas être les seuls à protéger leurs industries nationales ! Il est donc urgent de réarmer l’État, de prémunir les collectivités et les entreprises contre des opérations boursières hostiles.

C’est pourquoi je vous propose aujourd’hui quatre amendements visant à défendre la souveraineté industrielle de l’État actionnaire et à protéger nos entreprises délégataires de service public. Les CL63 et CL66 ont pour objectif d’empêcher la réalisation d’OPA hostiles durant l’état d’urgence sanitaire ; le CL64, qui trouve son fondement dans les principes généraux du droit administratif, tend à redonner du pouvoir aux collectivités territoriales en leur permettant de résilier une convention de délégation de service public en cas de changement de gouvernance remettant en cause l’équilibre de ladite convention ; le CL65 vise quant à lui à soumettre à une autorisation préalable du Gouvernement toute OPA hostile sur une entreprise délégataire de service public.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Ces amendements portent sur un sujet relativement éloigné de l’urgence sanitaire, puisqu’il s’agit des concentrations d’entreprises et de leurs conséquences sur les concessions de service public – nous voyons tous à quel cas particulier il est fait référence. Je n’ai pas d’opinion particulière sur les procédures préconisées, qu’il s’agisse de soumettre l’opération à certaines conditions ou de donner la possibilité à l’autorité publique d’en tirer des conséquences sur le choix du délégataire. En revanche, il me semble assez manifeste que ces considérations ne sont pas directement liées à l’épidémie en cours. Certes, je note que les amendements limitent leurs effets à l’état d’urgence sanitaire, mais c’est une rédaction de pure opportunité permettant de les insérer dans ce projet de loi. J’en demande donc le retrait, à défaut de quoi mon avis serait défavorable.

Le virus trouble déjà bien assez la vie des Français et je n’ai lu nulle part qu’il avait un effet tel sur le service public qu’il nous faille légiférer en urgence sur la question. Du reste, je pense que votre objectif est d’interpeller le Gouvernement plutôt que de soumettre des dispositions juridiques à la discussion de la commission des Lois.

M. Olivier Marleix. Personne ne peut nier que l’urgence est aussi économique ; le Gouvernement y répond d’ailleurs en mettant énormément d’argent sur la table.

Il ne s’agit pas uniquement de régler un cas particulier, monsieur le rapporteur ; je me permets de vous renvoyer à une communication de la Commission européenne datant du mois d’avril, qui invite les entreprises et États européens à prendre garde au risque de prédation par des investisseurs étrangers, vu les fluctuations, parfois importantes, des valeurs boursières – et Dieu sait pourtant qu’il n’est pas dans les habitudes de la Commission d’appeler les États à être vigilants face au marché !

S’y ajoutent des considérations contextuelles ayant trait à la situation de l’emploi dans notre pays : il faut bien admettre que ces OPA et les fusions qui en résultent ont des conséquences terribles sur l’emploi. Vu le nombre de plans sociaux qui s’abattent déjà sur notre pays, autant essayer d’en éviter certains.

On ferme les restaurants : il n’y a aucune raison que les prédateurs soient les seuls à pouvoir continuer à se sustenter. À titre personnel, je voterai pour ces amendements.

M. Philippe Gosselin. Ces amendements n’étaient peut-être pas attendus, mais ils mettent le doigt là où ça fait mal. Nombre d’entreprises sont aujourd’hui blackboulées, et ce sera sans doute pire demain. Comme vient de le dire mon collègue Marleix, il serait bienvenu de ne pas laisser le champ libre aux prédateurs !

La crise sanitaire que nous traversons est clairement une aubaine pour certains. À quelque chose malheur est bon, dit-on : eh bien oui, certains vont tirer les marrons du feu. Personnellement, cela ne me pose aucun problème que certaines entreprises fonctionnent mieux en ce temps de crise compte tenu de leur secteur d’activité, mais on ne peut pas pour autant verser dans un jeu de Monopoly, chacun essayant de profiter de la crise au détriment de l’autre ! Nous devons avoir le souci de protéger notre économie, non en dressant des barrières artificielles, mais en recourant, dans ces circonstances particulières, à des mesures particulières, donc à un droit particulier.

À titre personnel, je voterai moi aussi ces amendements, qui, s’ils sont adoptés, auront au moins l’avantage d’interpeller le Gouvernement et de l’inciter à réagir – et c’est, je crois, ce qui est attendu. Nous avons un devoir d’alerte à remplir.

Mme Laetitia Avia. Qu’il convienne d’avoir ce débat, je l’entends – d’ailleurs, les parlementaires se sont saisis à plusieurs reprises de la question. Je salue l’engagement de notre collègue Pierre Person en la matière, que ce soit à travers ses interpellations du Gouvernement ou de la proposition de loi qu’il a déposée. Cependant, nous venons d’avoir une discussion plutôt constructive sur un texte qui comprend quatre articles très circonstanciés portant sur l’état d’urgence sanitaire et anticipant le régime transitoire, et je pense que ces amendements n’y ont pas leur place. Il s’agit là de dispositions d’ordre économique et stratégique qui ne sont pas liées au sujet dont nous débattons aujourd’hui.

Ces amendements portent sur des sociétés particulières, cotées en bourse. N’oublions pas que les difficultés économiques actuelles, les pertes d’emplois, les plans sociaux, touchent aussi les TPE et PME. Je ne voudrais pas que, dans un texte relatif à l’état d’urgence sanitaire, on adopte des dispositions qui concerneraient uniquement certaines sociétés cotées en bourse, sans que le débat soit replacé dans un cadre plus général. Ce sur quoi portent ces amendements, chers collègues, c’est sur le code des marchés financiers. Êtes-vous sûrs que c’est ce message politique que vous voulez envoyer ?

Dans une vie précédente, j’étais spécialisée en droit et contentieux boursiers. Les effets d’aubaine, c’est la réalité des marchés financiers ; c’est ainsi que fonctionnent les OPA, les prises de contrôle rampantes : toutes découlent d’un effet d’aubaine. On peut le déplorer, mais c’est le moteur même de ces mouvements de capitaux. Ce débat ne peut être restreint à l’état d’urgence sanitaire, il doit être mené de manière plus large, en proposant peut-être des dispositifs d’encadrement ou de protection plus poussés. Pour ma part, je suis prête à y travailler, mais pas dans ce cadre-là. Ce serait une occasion gâchée !

M. Sacha Houlié. L’article 4 du projet de loi, que nous venons d’adopter, permet de rétablir ou de prolonger, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, des dispositions relevant de matières qui n’ont rien à voir avec la situation sanitaire, puisqu’elles portent sur les conditions d’emploi, de séjour, d’exercice du service public, bref, sur tout ce qui fait que l’état d’urgence sanitaire est un régime exorbitant du droit commun, déstabilisant l’État de droit en vue d’offrir une meilleure protection – puisque c’est aussi une construction juridique visant cet objectif.

Or, en l’espèce, de quoi s’agit-il ? De protéger nos services publics, certains délégataires faisant l’objet d’opérations de déstabilisation ; de protéger nos emplois, puisque lesdites opérations auront pour conséquence des destructions massives d’emplois ; et de protéger nos collectivités territoriales, qui ont confié à certaines sociétés des missions de service public concernant les réseaux, l’électricité, l’eau, les déchets, les transports, et risquent, alors même que nous venons de décider de les soutenir à hauteur de 5,2 milliards d’euros, ce qui est considérable, d’être elles-mêmes déstabilisées par ces opérations. Dire que l’état d’urgence souffre de lacunes ou, au contraire, qu’il permet trop de choses, notamment en matière de justice – certaines dispositions ayant été retirées à la faveur de nos travaux –, relève bien du présent débat, et je pense que ces amendements, qui visent un objectif précis, à savoir empêcher des opérations qui ne devraient pas avoir lieu pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, en réponse à une demande européenne de plus grande protection, ont toute leur place dans ce texte.

Mme Danièle Obono. Je salue ces amendements, qui visent à répondre non seulement à une réalité financière, mais aussi au sentiment diffus dans la population, relayé par mon collègue Gosselin, que les grands groupes essaient de tirer illégitimement profit de la crise économique et sociale tandis que les petites entreprises pâtissent de la situation. Un récent rapport d’Oxfam note d’ailleurs une augmentation des inégalités alors que les grandes sociétés engrangent des profits toujours plus importants. Il y a là un enjeu en termes de stratégie industrielle et de protection du tissu économique, et je crois que c’est au contraire bien le moment d’en discuter. On a jugé tout à l’heure légitime de traiter de la restriction des droits des salariés, et ce ne serait pas le lieu de mieux encadrer les opérations de prédation boursière ?

Ce que vous décriviez comme un état de fait, madame Avia, n’est pas une fatalité. Le Gouvernement et la majorité parlementaire pourraient fort bien considérer qu’il n’est pas acceptable que de telles opérations puissent se dérouler, de manière générale et plus encore dans la situation actuelle, et assument que l’État joue son rôle de stratège en protégeant au mieux l’ensemble du tissu économique.

M. Raphaël Schellenberger. Je tiens à remercier Mme Avia, dont la remarquable argumentation m’a convaincu de voter les amendements de M. Person ! En effet, si l’effet d’aubaine en général ne me dérange pas – c’est lui qui pousse les entreprises à être performantes, innovantes, efficaces et à éviter les erreurs de gestion –, la crise sanitaire n’est pas un facteur interne à l’entreprise ; c’est un facteur externe, contre lequel nous devons assurer à nos fleurons industriels une protection. Je me refuse par conséquent à considérer que le covid-19 puisse être une aubaine qui susciterait des OPA hostiles.

Je vous concède néanmoins, madame Avia, que ces amendements n’ont pas une portée assez grande ; peut-être faudrait-il inclure aussi les PME. Toutefois, comme il n’y en a pas de meilleurs, nous nous contenterons de ceux-là et les commissaires Les Républicains voteront en leur faveur. L’objectif de ce texte étant d’éviter d’avoir à recourir d’ici au 1er avril à un autre véhicule législatif pour tout ce qui concerne l’état d’urgence, c’est le moment d’adopter ces dispositions !

M. Pacôme Rupin. Politiquement, je comprends fort bien la volonté de nos collègues de vouloir empêcher une éventuelle déstabilisation de nos entreprises à l’occasion de la crise, notamment durant l’état d’urgence sanitaire. Juridiquement, en revanche, je crois que ces amendements manquent leur cible.

Premièrement, ces dispositions sont attachées à l’état d’urgence sanitaire, ce qui signifie que le 17 février, elles ne seront plus applicables. Or l’événement phare censé illustrer leur nécessité, mentionné dans les exposés sommaires, s’est produit le 5 octobre, c’est-à-dire en dehors de l’état d’urgence sanitaire : cela montre qu’elles ne permettront pas de répondre à ce type de problème.

Deuxièmement, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, leur portée serait en revanche excessive : une collectivité territoriale peut très bien vouloir refuser un changement de délégataire pour une autre raison que celle que nous souhaitons combattre.

S’il importe de regarder le problème en face et d’y apporter des solutions, la rédaction de ces amendements ne me semble donc pas satisfaisante. Il reste une journée pour y travailler d’ici à l’examen du texte en séance. En attendant, j’appelle à voter contre.

M. Pierre Person. Voilà que je me retrouve à devoir convaincre les membres de mon propre camp. Quel paradoxe !

Ce que je veux leur dire, c’est ceci : « N’ayez pas peur. Soyons politiquement ambitieux ! » Sont-ce des dispositions de circonstance ? Oui, elles le sont, parce que la situation économique est particulière. Comme l’a dit M. Gosselin, elles n’ont pas vocation à s’appliquer en temps ordinaire, dans une situation économique normale, avec des marchés financiers stables, sans risque de déstabilisation pour nos entreprises. Et non, elles ne sont pas destinées à s’appliquer à la seule affaire Veolia-Suez – pour mettre un nom dessus. Il s’agit de s’armer contre d’éventuelles opérations à venir dirigées contre un tissu industriel affaibli, fatigué, dévalorisé en bourse, et cela afin de défendre notre souveraineté industrielle. C’est pourquoi cette proposition fait consensus sur presque tous les bancs : ceux qui veulent préserver la souveraineté économique de notre pays, ceux qui souhaitent une gouvernance plus démocratique, ceux qui défendent l’intervention des corps intermédiaires, tous s’y retrouvent – et ce n’est pas par pur opportunisme. Je ne comprendrais pas qu’alors que M. Gosselin et Mme Obono s’accordent à trouver un intérêt à ces dispositions, la majorité ne partage pas cet avis.

M. Philippe Gosselin. Si nous avons tous en tête, bien évidemment, cette affaire qui préoccupe les marchés depuis plusieurs mois, et plus particulièrement depuis quelques semaines, on touche en réalité ici au quotidien de nos concitoyens : la fourniture en eau, en gaz, en électricité, la gestion des ordures ménagères. Accessoirement, nos concitoyens sont aussi des contribuables – et non des actionnaires. Il faut le dire avec force : si l’on veut tirer les conclusions de la crise, il ne faut pas se préoccuper seulement de notre souveraineté en matière alimentaire, numérique et agricole, il faut aussi appliquer la notion aux entreprises, pour éviter qu’elles ne soient la proie de prédateurs, que ceux-ci viennent de l’étranger ou de notre propre territoire.

Quant au véhicule législatif, j’aurais tendance à dire que ce qui est entré ne craint pas l’eau… Utilisons celui qui se présente à nous – et quand bien même il ne vous conviendrait pas, vous n’auriez qu’à en changer en prenant la navette parlementaire. Vive le transport multimodal !

M. Rémy Rebeyrotte. J’admire en effet cette synthèse entre la France et la droite insoumises… C’est tout à fait nouveau et extrêmement intéressant ! Néanmoins, je pense que ces amendements posent quelques problèmes.

D’abord, ils fragilisent le texte dans son ensemble, dans la mesure où celui-ci est centré sur la gestion de l’état d’urgence et de ses conséquences directes. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas remettre sur le tapis la question de la taxe générale sur les activités polluantes, voire l’intégralité du contenu de la loi de finances ?

Ensuite, je suis surpris que Mme Obono soit opposée aux OPA hostiles et à la prédation financière uniquement pendant la durée de l’état d’urgence ! Laetitia Avia vient de proposer un débat beaucoup plus général sur la question. Pourquoi ne pas suivre cette suggestion ? Les problèmes risquent de se poser de manière bien plus aiguë après le 16 février !

Je ne comprends pas que l’on réduise un débat aussi important à la question de l’état d’urgence. Ce n’est ni le lieu ni le moment d’en parler.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CL42 de M. Mansour Kamardine.

M. Philippe Gosselin. Mansour Kamardine a une demande particulière à formuler concernant Mayotte, dont le système de soins est en grande difficulté. Il s’agit d’examiner dans quelles conditions on pourrait favoriser la participation des officines de pharmacie à la lutte contre les épidémies, et plus particulièrement contre l’actuelle épidémie de covid-19.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Vous savez, monsieur Gosselin, que Mayotte et l’outre-mer trouveront toujours dans cette salle une oreille attentive. Néanmoins, il s’agit d’une demande de rapport et vous connaissez notre jurisprudence en la matière. Je vous propose donc de retirer l’amendement et de le présenter en séance publique afin d’interroger le ministre sur le sujet : vous vous doutez bien qu’il vous décrira bien mieux que moi, qui n’ai pas eu l’heur d’aller à Mayotte, la stratégie sanitaire déployée sur place.

M. Raphaël Schellenberger. M. Kamardine a interrogé ce matin successivement le ministre de l’Intérieur et celui des Solidarités et de la Santé. Il faut que nous tirions les leçons de ce qui a été dit : le système de santé de Mayotte, structurellement inadapté et trop fragile, se trouve complètement submergé par la crise. Ce n’est pas parce qu’on est en période de crise qu’il faut s’empêcher de réfléchir à des outils susceptibles d’améliorer durablement le système de santé. Je pense que cet amendement a toute sa place dans la loi.

M. Philippe Gosselin. Je connais en effet la jurisprudence concernant les demandes de rapport, monsieur le rapporteur, mais je voudrais insister sur la singularité de Mayotte – sans stigmatisation aucune. Il s’agit d’un petit territoire de 372 kilomètres carrés, où la densité de population est très forte, avec des bidonvilles, et dont le système de santé est précaire. Tout ce qui contribue à favoriser le travail collectif sur place va dans le bon sens.

Certes, le Premier ministre a dit tout à l’heure qu’il souhaitait impliquer davantage les pharmaciens, mais on ne sait si cela concerne tous les pharmaciens dans tous les départements, dont Mayotte, ou s’il y aura des différences suivant les territoires.

Il s’agit évidemment d’un amendement d’appel et j’ai bien vu la main qui était tendue. Néanmoins, notre collègue Kamardine étant à l’initiative de son dépôt, je ne me sens pas autorisé à le retirer. Quoi qu’il en soit, la question sera posée au ministre dans l’hémicycle, non parce que vous ne seriez pas compétent, mais pour qu’il apporte un autre éclairage.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements CL44, CL45 et CL46 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Ce sont trois demandes de rapport que nous avions déjà déposées – mais nous ne désespérons pas de convaincre la majorité.

Le premier concerne la gratuité des masques, qui est un enjeu sanitaire et économique majeur non seulement pour les plus vulnérables, mais aussi pour l’ensemble de la population, en particulier les familles modestes.

Le deuxième traite de la production des médicaments et de la création d’un pôle public du médicament. Il faut impérativement que nous cessions de dépendre par trop de l’étranger, notamment dans des situations de crise comme celle que nous traversons. Plus largement, c’est un enjeu de stratégie industrielle à moyen et long terme.

Le troisième porte sur la situation de populations déjà particulièrement vulnérables en temps normal, et qui le sont par conséquent encore davantage en situation de crise. Nous demandons au Gouvernement de s’en préoccuper au travers d’un rapport sur les conséquences sociales et sanitaires de la crise du covid-19 sur les personnes migrantes détenues en centre de rétention administrative, les personnes LGBTQI, les femmes et enfants victimes de violences intrafamiliales, les réfugiés et demandeurs d’asile, ainsi que les personnes détenues dans les établissements pénitentiaires. Il faut savoir quelles réponses apporter à ces publics, qui, certes, ne sont pas les seuls à être touchés, mais se trouvent dans une situation particulière.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette successivement les trois amendements.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


([1]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b2764_rapport-fond

([2]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b2905_rapport-fond

([3]) Décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire.

([4]) Au point n° 8 de son avis n° 401419 du 20 octobre 2020 sur le présent projet de loi, le Conseil d’État « constate que si la quasi-totalité des mesures prises depuis cette déclaration [d’état d’urgence sanitaire], notamment par le décret n° 20201262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et par les arrêtés du ministre de la santé du 16 octobre 2020, aurait pu être prise sur la base de la loi du 9 juillet 2020, ou des articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique, il n’en est pas de même de la mesure d’interdiction des déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin (couvre-feu) prévue par l’article 51 de ce décret du 16 octobre. Cette mesure, estimée nécessaire par le Gouvernement pour faire face à l’aggravation de la crise sanitaire, prise sur le fondement du 2° de l’article L. 3131-15 du même code, ne peut être mise en œuvre sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 comme cela résulte de la décision du Conseil constitutionnel » n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020.

([5]) Par exception à l’article L. 3131‑13 du code de la santé publique, l’article 4 de loi du 23 mars 2020 avait directement déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois.

([6]) En application de l’article L. 3131‑14 du code de la santé publique, il peut toujours être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi le prorogeant.

([7]) http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-de-la-conference-des-presidents/impact-gestion-et-consequences-dans-toutes-ses-dimensions-de-l-epidemie-de-coronavirus-covid-19/(block)/74869

([8]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b3092_rapport-fond

([9]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b3355_rapport-fond

([10]) Le régime transitoire pourrait néanmoins s’appliquer avant cette date si l’état d’urgence sanitaire était levé par anticipation sur tout ou partie du territoire.

([11]) L’application de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique a été étendue au régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire par le V de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020.

([12]) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.

([13]) Ce système permet à la fois d’informer le patient et le professionnel de santé prescripteur sur les résultats du test et de regrouper l’ensemble des résultats obtenus pour les mettre à la disposition des autorités et personnels participant à la lutte contre l’épidémie (données individuelles) ou chargées du suivi épidémiologique et de la recherche sur le virus (données agrégées).

([14]) Les acteurs pouvant accéder à ces données, dans la mesure où elles sont nécessaires à leur intervention, sont notamment les services du ministère de la santé, Santé publique France, l’Assurance-maladie, les agences régionales de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé, les établissements et centres de santé, les médecins prenant en charge les personnes concernées, les pharmaciens et les laboratoires autorisés à réaliser les examens de dépistage.

([15]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b3092_rapport-fond

([16]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b3355_rapport-fond

([17]) Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 sur la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

([18]) Crée par le décret n° 2020-572 du 15 mai 2020, le comité de contrôle et de liaison covid-19 associe en son sein des personnels médicaux et scientifiques, des représentants de la société civile et des parlementaires.

([19]) Le Gouvernement se trouverait ainsi autorisé à prendre des mesures relevant du domaine de la loi pour prévenir la cessation d’activité des personnes physiques, morales et des associations, ainsi que toute incidence sur l’emploi grâce à des aides directes et indirectes, au recours à l’activité partielle, à la mise en place d’indemnisations, à des accords d’entreprise ou de branche sur la prise des congés payés, à la durée du temps de travail et à l’intéressement. D’autres dispositions sont également visées, comme l’adaptation des règles encadrant les élections prud’homales, le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, les modalités d’exercice de leurs missions par les services de la santé au travail, les modalités de consultation des instances représentatives du personnel, l’accueil de stagiaires, les revenus de remplacement, les obligations découlant de relations contractuelles, les expulsions locatives, la commande publique, le paiement des loyers et factures afférents à des locaux professionnels et commerciaux et les prêts de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale aux organismes gérant un régime complémentaire obligatoire de sécurité sociale. Plusieurs dispositions de nature administrative ou juridictionnelle seraient concernées, comme les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d'organisation du contradictoire devant les juridictions, les règles de réunion des assemblées et organes dirigeants des personnes morales, les règles comptables de ces dernières, les règles relatives aux conditions de réunion des autorités administratives indépendantes, le droit de la copropriété, les règles encadrant les modalités d'accès aux formations de l'enseignement supérieur, les modalités de délivrance des diplômes de l'enseignement supérieur ou celles du déroulement des concours ou examens d'accès à la fonction publique, toute mesure permettant de simplifier et d'accélérer la recherche fondamentale et clinique visant à lutter contre l'épidémie de covid-19, les règles de financement des établissements de santé, les modalités de garde des jeunes enfants, les règles d’accompagnement des personnes handicapées, des personnes âgées, des mineurs et majeurs protégés et des personnes en situation de pauvreté, des règles relative à la prise en charge des frais de santé et aux prestations en espèces des assurances sociales ainsi que des prestations familiales, des aides personnelles au logement, de la prime d'activité et des droits à la protection complémentaire en matière de santé, les règles d'instruction des demandes et d'indemnisation des victimes par l'Office national d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux et les règles de fonctionnement des collectivités territoriales.