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N° 3520

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 novembre 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT
DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, EN NOUVELLE LECTURE
 

relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure ( 3433)

 

 

 

PAR M. Didier PARIS

Député

——

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale :  1re lecture : 3117, 3186 et T.A. 467.

                                                                                                                                            Commission mixte paritaire : 3471.

              Nouvelle lecture : 3433.

Sénat :                                                                                                                                                           1re lecture : 669 (2019-2020), 11, 12, 19 et T.A. 2 (2020-2021).

                                          Commission mixte paritaire : 71 et 72 (2020-2021).


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos........................................................ 5

examen deS ARTICLES

Article 1er (art. 5 de la loi n° 2017‑1510 du 30 octobre 2017) Prorogation des dispositions issues des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme

Article 2 (art. 25 de la loi n° 2015–912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement) Prolongation d’un an de la technique de renseignement dite de l’« algorithme »

Article 3

Compte rendu des débats


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Mesdames, Messieurs,

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 22 octobre 2020 à l’Assemblée nationale, n’a pas été en mesure de proposer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

Le désaccord entre les deux assemblées portait exclusivement sur l’article 1er du projet de loi, c'est-à-dire sur ses dispositions liées aux périmètres de protection, aux fermetures administratives de lieux de culte, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et aux visites domiciliaires. L’Assemblée nationale a considéré qu’il s’agissait d’un texte « d’enjambement » dans l’attente d’une loi de fond en 2021 ; le Sénat, quant à lui, a souhaité une pérennisation de ces mesures et quelques aménagements ne modifiant pas sensiblement la nature du texte.

S’agissant de l’article 2, un certain consensus a émergé sur la nécessité de proroger d’un an la partie renseignement du projet de loi compte tenu de la complexité de la traduction en droit français d’arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – qui avait été saisie notamment par Privacy International, la Quadrature du Net et French network.

En conséquence, votre rapporteur a proposé à la Commission, qui l’a accepté, d’adopter deux amendements visant à revenir au texte de l’Assemblée pour les articles 1er et 3 (de coordination outre–mer) et de voter l’article 2 dans la version adoptée par le Sénat.


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examen deS ARTICLES

Article 1er
(art. 5 de la loi n° 2017‑1510 du 30 octobre 2017)
Prorogation des dispositions issues des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure
et la lutte contre le terrorisme

1.   La position de l’Assemblée nationale en première lecture

Le projet de loi initial se bornait à proroger d’un an la durée de validité des pouvoirs de police administrative issus des articles 1er à 4 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, relatifs aux périmètres de protection, à la possibilité de fermer temporairement des lieux de culte, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et aux visites domiciliaires. Ces dispositions arrivaient en effet à échéance, en l’état du droit, le 31 décembre 2020.

En première lecture, l’Assemblée nationale a approuvé le principe d’une prorogation de ces dispositifs. Il était à la fois important de ne pas priver les pouvoirs publics de ces outils utiles et efficaces dans la lutte contre le terrorisme, mais difficile, dans le contexte épidémiologique que connaît la France depuis le début de l’année, qui a eu de fortes incidences sur l’agenda parlementaire, de mener un débat de fond.

En revanche, l’Assemblée nationale               a adopté un amendement de votre rapporteur visant à proroger les dispositions de la loi SILT jusqu'au 31 juillet 2021 seulement, considérant que les différents travaux de contrôle menés par les assemblées permettraient la tenue de ce débat dans des conditions satisfaisantes au premier semestre de l’année 2021.

2.   La position du Sénat en première lecture

Lors de la première lecture au Sénat, a été adopté, en commission, à l’initiative du rapporteur, M. Marc-Philippe Daubresse, un amendement de rédaction globale du présent article. Il poursuivait trois finalités :

– pérenniser les mesures des articles 1er à 4 de la loi SILT ;

– mettre fin, pour des raisons constitutionnelles, au dispositif de contrôle parlementaire renforcé de ces mesures ;

– apporter plusieurs modifications de fond aux articles 1er à 4, issus des travaux de contrôle et de suivi de la loi SILT.

Ces modifications visaient en particulier à :

 intégrer la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel relative à la mobilisation d’agents de sécurité privée au sein des périmètres de protection ;

– étendre le champ de la mesure de fermeture administrative des lieux de culte à tous les lieux ouverts au public rattachés à un lieu de culte car gérés, exploités ou financés, de manière directe ou indirecte, par la même personne physique ou morale ;

– renforcer l’information des autorités judiciaires sur les MICAS ;

– élargir les possibilités de saisies informatiques dans le cadre d’une visite domiciliaire lorsqu’il est fait obstacle, par l’occupant des lieux, à l’accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatiques.

Lors de la séance publique, le Sénat a adopté un amendement de M. Leconte et des membres du groupe socialiste, écologiste et républicain, avec l’avis favorable de la Commission et défavorable du Gouvernement, visant à intégrer dans la loi la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel précisant que les vérifications au sein des périmètres de protection ne s’opèrent qu’en se fondant sur des critères excluant toute discrimination entre les personnes. ([1])

3.   La position de la Commission en nouvelle lecture

La Commission a adopté un amendement de votre rapporteur visant à rétablir la version de l’article 1er tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, c'est-à-dire prolongeant les dispositions des articles 1er à 4 de la loi SILT jusqu’au 31 juillet 2021.

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*     *

Article 2
(art. 25 de la loi n° 2015–912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement)
Prolongation d’un an de la technique de renseignement
dite de l’« algorithme »

1.   La position de l’Assemblée nationale en première lecture

Le projet de loi initial prorogeait d’un an la durée de validité de la technique de recueil de renseignement dite de l’« algorithme », introduite par la loi n° 2015‑912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui arriv              ait à échéance, en l’état du droit, le 31 décembre 2020.

Lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, la Commission a approuvé le principe de cette prolongation. Elle a toutefois adopté deux amendements identiques de votre rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission de la Défense, M. Loïc Kervran, visant à avancer la date de prorogation prévue par le projet de loi au 31 juillet 2020.

2.   La position du Sénat en première lecture

En Commission, le Sénat n’a pas modifié cet article. Toutefois, lors de l’examen en séance publique, il a adopté un amendement du Gouvernement, avec avis favorable de la Commission, visant à rétablir la rédaction de cet article dans la version du projet de loi initial.

En effet, l’intervention très récente de décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le régime de conservation des données par les opérateurs ([2]) a conduit le Gouvernement à revoir le calendrier envisagé à l’Assemblée nationale pour examiner les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer dans la loi, étant observé, en outre, que le Conseil d’État devra lui-même statuer dans l’intervalle sur les recours à l’occasion desquels il a posé des questions préjudicielles auxquelles répondent les décisions de la CJUE. Dans ce contexte nouveau, un retour à la date initialement proposée apparaissait nécessaire pour préparer efficacement et discuter sereinement de ces questions essentielles.

3.   La position de la Commission en nouvelle lecture

La Commission a adopté cet article dans la version adoptée par le Sénat.

*

*     *

Article 3

Application outre-mer

Le présent article, qui rend applicables les deux prolongations prévues par les articles 1er et 2 du projet de loi dans les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen à l’Assemblée nationale.

Le Sénat, pour sa part, a effectué les coordinations rendues nécessaires par l’adoption des modifications adoptées à l’article 1er.

En nouvelle lecture, la Commission, sur proposition de votre rapporteur, a adopté un amendement de coordination avec l’amendement de retour au texte voté par l’Assemblée nationale en première lecture.


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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 4 novembre 2020, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République examine le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3433) (M. Didier Paris, rapporteur).

 

Lien vidéo :

 

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9805691_5fa265805755c.commission-des-lois--projet-de-loi-relatif-a-la-prorogation-de-chapitres-du-code-de-la-securite--p-4-novembre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La commission mixte paritaire (CMP) réunie le 22 octobre dernier n’a pas été en mesure de proposer un texte commun.

L’application, à ce stade de la navette, de la règle dite de l’entonnoir m’a conduit à déclarer irrecevables un certain nombre d’amendements, seuls ceux ayant un lien direct avec une disposition restant en discussion étant recevables.

M. Didier Paris, rapporteur. La CMP s’est en effet séparée sur un constat d’échec relatif : si l’objectif est commun, nous avons divergé s’agissant des modalités d’action et de la temporalité des mesures.

Sans reprendre toute la genèse du texte, l’Assemblée nationale a considéré, en première lecture, qu’il s’agissait d’un texte d’enjambement dans l’attente d’une loi de fond en 2021.

Il est impossible de pérenniser des dispositions si importantes, tant au plan de l’action des services de l’État qu’à celui des libertés individuelles, sans une discussion de fond, raison pour laquelle nous proposons une prorogation pure et simple des délais s’agissant des articles 1er à 4 de la loi SILT portant sur les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), ainsi que sur les visites domiciliaires.

Le Sénat a lui souhaité une pérennisation de ces mesures en ne procédant qu’à quelques aménagements ne modifiant pas sensiblement la nature du texte. Il a en outre voté un amendement du Gouvernement prorogeant la partie renseignement du projet de loi compte tenu de la complexité de la traduction en droit français d’arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – qui avait été saisie notamment par Privacy International, la Quadrature du Net et French network – portant sur la logique algorithmique française.

Il est également difficile de ne pas mentionner le contexte particulièrement tendu dans lequel nous examinons ce texte : nos amis autrichiens en ont subi les lourdes conséquences, ce qui a également été notre cas avec les attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice, pour les victimes desquels j’ai, comme notre collègue Éric Ciotti, une pensée particulière.

La question de l’état d’urgence au sens de la loi du 3 avril 1955 aurait pu se poser. Lors de son audition avant-hier, M. Gérald Darmanin a cependant très clairement indiqué que la menace actuelle, au caractère sérieux mais diffus, ne permettait pas de documenter un retour à celui-ci même si, malheureusement, il pourrait se justifier à un moment ou à un autre.

Les dispositifs de la loi SILT sont-ils suffisants ? Autrement dit, y a-t-il des « trous dans la raquette » qui empêcheraient les services de sécurité et l’État de se défendre face à une telle menace ? Le ministre de l’intérieur l’a très clairement expliqué : au plan opérationnel, il n’éprouve pas de difficultés particulières.

Quelques chiffres : 265 visites domiciliaires ont été programmées, dont 172 ont été validées à ce jour, qui ont débouché sur 11 judiciarisations et 9 refus du juge des libertés et de la détention (JLD), ce qui montre que nos institutions fonctionnent comme à l’habitude, ce juge étant parfaitement fondé à en refuser certaines au vu des éléments présentés par les services de police.

Par ailleurs, trente-cinq lieux de culte ont été fermés, dont huit sur le fondement de l'article 2 de la loi SILT. La dissolution de certaines associations est également prévue : je pense à celle des Loups gris, qui sera évoquée aujourd’hui en conseil des ministres.

S’agissant de la police administrative, le ministre a affirmé disposer d’un cadre juridique suffisant, ce qui n’interdit pas de prévoir certaines améliorations ainsi que leur intégration dans notre droit commun dans la loi à venir.

En revanche, l’élément fondamental est la lutte contre l’islamisme radical et politique qui s’en prend à la République et qui, sans conteste, arme idéologiquement les auteurs d’attentat, nous venons de le constater à nos dépens : une telle lutte est l’objectif de fond que nous nous assignons et celui poursuivi par le projet de loi de lutte contre le séparatisme.

En conséquence, je vous propose d’une part de revenir au texte voté en première lecture par l’Assemblée nationale s’agissant des mesures de la loi SILT, en les prorogeant jusqu’au 31 juillet 2021. Cette date est relativement ambitieuse mais impérative. Elle doit nous permettre de mener entre nous un véritable débat de fond, d’améliorer les dispositions existantes et d’en intégrer définitivement dans notre droit commun d’autres réellement importantes.

D’autre part, et cela fera l’objet des amendements, je vous propose de confirmer la prorogation de la partie relative au renseignement, singulièrement l’article 25 de la loi de 2015 qui a fait l’objet devant le Sénat de l’amendement gouvernemental que j’ai mentionné.

Il a été adopté afin de tenir compte des récents arrêts de la CJUE dont les conséquences sont importantes car elles mettent en jeu la manière dont nous allons continuer à assurer notre souveraineté nationale en matière de renseignement ainsi que les conditions de conservation des données personnelles.

M. Ludovic Mendes. La loi de 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a permis une sortie maîtrisée du régime de l’état d’urgence, instauré après les attentats du 13 novembre 2015.

Cette sortie progressive s’est faite grâce à différents outils, qui ont depuis fait leur preuve : les périmètres de protection ; la fermeture très encadrée de certains lieux de culte incitant à la violence, à la haine, à la discrimination, et provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, dont la majeure partie n’a jamais rouvert ; les MICAS, appliquées à plus d’une centaine de personnes l’an dernier ; les visites domiciliaires et les saisies qui ont déjà permis de déjouer un attentat et d’engager, entre novembre 2018 et octobre 2019, des poursuites judiciaires pour faits de terrorismes contre sept personnes.

Ces outils ont permis d’empêcher plusieurs actions terroristes et garantissent l’identification et la surveillance des individus potentiellement radicalisés. Ils assurent une meilleure prévention des risques terroristes ainsi qu’une meilleure protection des Français face à cette réalité.

La même loi a permis la prorogation d’une technique de renseignement par traitements automatisés instaurée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Ainsi, le Premier ministre peut, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), imposer aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs de services sur internet la mise en œuvre sur leurs réseaux de traitements automatisés destinés à détecter des connexions susceptibles de recéler une menace terroriste.

En 2017, lorsque la loi a été votée, nous avons souhaité, compte tenu du caractère novateur de l’accroissement des pouvoirs de police et des contraintes en matière de libertés et de la garantie nécessaire de la sécurité de chacun, limiter dans le temps l’application des différents dispositifs.

La date avant laquelle nous avions prévu de les réévaluer avait été fixée au 31 décembre 2020 : malheureusement, la crise sanitaire, économique et sociale nous empêche de la respecter.

La date du 31 juillet 2021 semble par conséquent opportune, le Gouvernement s’étant en outre engagé à déposer un projet de loi d’ici l’été, notre collègue rapporteur Didier Paris l’a rappelé.

Un tel texte permettra de parfaire l’arsenal juridique, punitif, de renseignement et de surveillance. Il ne faudrait en effet pas qu’un vide juridique existe entre une date de prorogation prévue à l’été et l’adoption de ce texte sur le fond.

Par ailleurs, les très récentes décisions de la CJUE sur le régime de conservation des données par les opérateurs de communications électroniques ont conduit le Gouvernement à revoir le calendrier envisagé à l’Assemblée nationale afin d’examiner les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer dans la loi.

S’il est regrettable que nous n’ayons pas pu trouver un accord avec le Sénat alors que nous partageons la même exigence s’agissant de la sécurité de nos concitoyens, je ne doute toutefois pas que les compromis récents permettront d’aboutir à un accord entre les deux chambres.

Cette réévaluation est plus que jamais d’actualité, car ces mesures restent éminemment nécessaires : les récents attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice nous ont en effet rappelé le niveau trop élevé de la menace terroriste en France.

La crise sanitaire qui a occupé les esprits et le travail des parlementaires depuis le début de l’année ne doit pas nous faire oublier ou négliger le risque majeur que représente toujours le terrorisme pour nos concitoyens.

Les différents rapports d’application de la loi présentés au Parlement ont témoigné du grand intérêt de ces quatre mesures grâce à leur utilisation raisonnée, à la qualité juridique des décisions prises sur leur fondement ainsi qu’à leur apport opérationnel.

Concernant la technique de renseignement par traitements automatisés, dans un rapport rendu en juin 2020, nos collègues Loïc Kervan et Jean-Michel Mis ont souligné « des résultats intéressants » et « très prometteurs ». Leur mission d’information a ainsi jugé « nécessaire de proroger la technique de l’algorithme ».

Par ailleurs, en février dernier, le Président de la République a signé une ordonnance visant à lutter contre le financement des activités terroristes et obligeant de nombreuses professions à déclarer à Tracfin les opérations leur semblant litigeuses.

Ainsi, compte tenu de la persistance du risque terroriste et de l’utilité prouvée de ces dispositifs, il est souhaitable qu’ils soient finalement pérennisés dans un texte législatif spécifique qui tiendra compte des différents rapports et suggestions d’amélioration émis depuis trois ans tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat.

C’est donc pour poursuivre dans ce sens et pour rester vigilants face à la menace terroriste qu’il est aujourd’hui nécessaire de voter cette prorogation. Il est en effet primordial de disposer de tous les moyens nécessaires pour continuer à protéger les Français contre ces dangers encore bien trop présents dans notre pays.

M. Philippe Gosselin. Cinq ans après les attentats qui ont abîmé notre pays, nous avons encore à en prolonger les suites juridiques alors que la menace terroriste a rarement été aussi proche et aussi fréquente.

Il s’agit en effet d’un texte d’enjambement dans la mesure où nous ne pouvons aujourd’hui pas être totalement certains du calendrier de sortie de la prorogation des quatre mesures essentielles sur lesquelles il porte, et qui ont été appliquées : il faut donc encore donner du temps au temps.

Il ne saurait bien évidemment y avoir de vide juridique.

En outre, ce projet de loi illustre la grande difficulté qu’il y a à tenter de graver dans le marbre des mesures qui à l’origine étaient d’exception.

Sans esprit polémique, lorsqu’au mois de janvier nous nous pencherons sur l’état d’urgence sanitaire, il nous faudra en termes de méthode garder en tête la possibilité d’une loi d’enjambement : il faut en effet du recul pour trouver les bons mots et les bons dispositifs.

Nos débats d’aujourd’hui interviennent dans un contexte très particulier, marqué par le terrorisme auquel nous sommes confrontés comme une partie de l’Europe – je pense à nos amis autrichiens – ainsi que par des décisions de la CJUE qui posent très clairement la question de notre souveraineté en matière de renseignement, donc des moyens dont disposent les États.

Si la lutte contre le terrorisme peut sans doute se mener de façon collective, notamment dans le cadre de l’Union européenne, il me paraît essentiel que les États puissent d’eux-mêmes se protéger et disposer d’un arsenal carré, précis et ne dépendant pas d’autres ordres juridiques que le leur : nous sommes confrontés à un tel défi.

Il n’est à ce stade pas envisageable de ne pas disposer d’une loi de prorogation. Si la date du 31 juillet 2021 pourrait paraître raisonnable, je m’interroge, comme le rapporteur, sur une telle échéance puisque tant le terrorisme que l’état d’urgence sanitaire, qui va continuer de bousculer nos travaux au cours des mois qui viennent, nous rattrapent.

Sans doute d’autres textes pourront-ils nous servir de support : je pense à certains amendements sur la proposition de loi relative à la sécurité globale que nous nous apprêtons à examiner, ainsi qu’au projet de loi de lutte contre le séparatisme.

Si les possibilités de débats sont donc nombreuses, prendre les bonnes décisions avec suffisamment de recul l’est toujours moins.

Je conclus : oui à ce texte d’enjambement, même s’il soulève à ce stade plus de questions qu’il n’apporte de véritables réponses.

M. Philippe Latombe. Partout dans le monde, la menace terroriste est mouvante et s’adapte aux mesures prises pour la combattre. Notre pays, encore récemment endeuillé, doit lutter sans relâche contre le risque de nouvelles attaques.

Le législateur a ainsi adopté en 2017 plusieurs dispositifs temporaires visant à lutter contre le terrorisme : l’article 1er du projet de loi vise à les proroger pour une durée d’un an, ramenée à sept mois par l’Assemblée nationale.

Quatre types de mesures sont concernés : les périmètres de protection visant à assurer la sécurité lors de grands événements, la fermeture des lieux de culte, les fameuses MICAS et les visites domiciliaires.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont estimé nécessaires, s’agissant de l’article 2 relatif à la technique de renseignement dite de l’algorithme, de prolonger la phase d’expérimentation, dans la perspective d’un débat parlementaire plus large sur la réforme de la loi renseignement que nous attendons l’année prochaine.

Il est de plus apparu indispensable, au regard des décisions de la CJUE sur le régime de conservation des données personnelles, et notamment celle du 6 octobre dernier sur la durée de conservation généralisée des données de connexion confirmant l’arrêt Tele2 Sverige et Watson dont j’ai souvent parlé, de revenir à la date de prorogation initiale.

La première lecture n’a pas permis de trouver un compromis entre les deux chambres puisqu’elle a débouché sur un échec en CMP. Le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés regrette que le Sénat ait souhaité apporter des modifications par voie d’amendement : il juge en effet qu’il n’est pas pertinent de procéder ainsi, compte tenu de la sensibilité des enjeux. Il convient de disposer d’une étude d’impact ainsi que de l’avis du Conseil d’État.

Conscients de la nécessité d’avancer, nous souhaitons que l’examen du futur projet de loi puisse débuter dès que possible : il ne faut en effet pas repousser plus que de raison un débat essentiel en matière de surveillance et de prévention du terrorisme.

Notre groupe votera donc le texte tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et modifié par les deux amendements du rapporteur.

Mme Cécile Untermaier. Le projet de loi vise à proroger, d’une part, certaines dispositions de la loi SILT de 2017, d’autre part, l’expérimentation d’une technique de renseignement prévue dans la loi du 24 juillet 2015, qui avait déjà été prorogée une première fois, avec l’accord du groupe socialiste, dans la loi de 2017. Compte tenu des faits récents, il paraît évident que ces dispositifs ne peuvent rester en suspens.

Toutefois, il aurait été fort utile de dresser dès à présent un bilan de l’application de la loi SILT au regard des faits tragiques qui sont survenus et dans la perspective de l’examen du projet de loi sur la sécurité globale, du projet de loi sur le séparatisme et du texte qu’on nous annonce sur le renseignement. La frénésie législative est telle que l’intelligibilité de la loi en pâtit. Celle-ci devient difficilement lisible pour les membres de notre commission et, plus encore, pour nos concitoyens, qui peinent sans doute à identifier le dispositif dont relèvent les mesures susceptibles leur être appliquées.

Néanmoins, je l’ai dit, nous ne voyons pas comment nous pourrions ne pas voter cette prorogation, le 31 juillet 2021 étant selon nous la date limite.

J’ai pris bonne note des observations du rapporteur sur la technique dite de l’algorithme, la question des données personnelles et les travaux menés à l’échelon européen. Toutefois, je le répète, il me semble que la situation nous incitait à dresser au plus tôt un bilan de la loi SILT. C’est donc avec regret que nous voterons le projet de loi.

Je conclurai par une remarque en marge de l’examen du texte. Il est regrettable que la cellule interministérielle d’aide aux victimes du terrorisme ait été supprimée – sachez que le Conseil de l’Europe déplore cette décision. En France, les victimes du terrorisme sont, hélas, nombreuses, et elles ont besoin de notre soutien.

M. Dimitri Houbron. « Désorganisée », « en restructuration », « cellules dormantes », « persistante mais affaiblie » : tels étaient les termes employés pour désigner la menace terroriste au début de cette année. Force est de constater qu’elle a de nouveau frappé, au cœur de la République. Alors que notre regard était fixé sur la crise sanitaire et ses répercussions, pris en étau entre la covid-19, la relance économique et les tensions sociales, le terrorisme islamiste a ouvert une brèche. Les 32 attentats déjoués depuis 2017 nous rappelaient l’imminence de la menace mais laissaient à penser qu’une posture de vigilance suffirait à assurer notre sécurité.

À l’instar de Sisyphe, nous croyions être parvenus au sommet de la montagne. Hélas, nous avons vu le roc dégringoler ces derniers jours. Pourtant, la menace terroriste, qui n’avait jamais réellement disparu, demeurait élevée. Lundi dernier, le ministre de l’intérieur le rappelait, en nous communiquant des données inquiétantes. Après l’assassinat d’une rare violence de Samuel Paty, trois autres de nos compatriotes ont laissé la vie lors de l’attentat de Nice. Puis c’est en Autriche, à Vienne, qu’une nouvelle attaque est survenue, causant la mort de quatre personnes ; je souhaite leur rendre, ici, un hommage appuyé.

C’est dans ce contexte qu’il nous revient d’examiner en nouvelle lecture la prorogation de la durée d’application de certaines dispositions de la loi du 30 octobre 2017, dite SILT, et de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

En 2017, en effet, le législateur avait adopté, à titre temporaire, plusieurs mesures de lutte contre le terrorisme. Le texte initial de l’article 1er du projet de loi visait à les proroger pour une durée d’un an, ramenée à sept mois par l’Assemblée nationale en première lecture. Quatre types de mesures sont concernés : les périmètres de protection, destinés à assurer la sécurité des grands événements ; la fermeture des lieux de culte ; les MICAS ; les visites domiciliaires.

S’agissant de l’article 2, relatif à la technique de renseignement dite de l’algorithme, les deux assemblées convergent sur la nécessité de prolonger la phase d’expérimentation, dans la perspective d’un débat parlementaire sur la réforme de la loi « renseignement », attendue l’an prochain.

L’apport de ces dispositifs est majeur dans la lutte contre le terrorisme. Il est de notre responsabilité de donner aux hommes et aux femmes qui travaillent dans l’ombre les moyens dont ils ont besoin pour protéger le territoire national et nos compatriotes et de sécuriser juridiquement leur usage. C’est pourquoi nos collègues sénateurs ont souhaité, d’une part, pérenniser les dispositifs prévus dans la loi SILT, d’autre part, repousser à décembre 2021 la durée de validité de la technique de recueil de renseignements dite de l’algorithme. De nombreux arguments ont été avancés en commission mixte paritaire pour justifier cette volonté ; ils sont, dans leur grande majorité, parfaitement compréhensibles.

Cependant, si nous voulons tous lutter efficacement contre le terrorisme, nous devons nous garder de prendre une décision hâtive, sous le coup de l’émotion.

Sur les mesures portant atteinte aux libertés individuelles, il est impératif d’avoir un débat de fond. Or, nous nous en priverions si nous pérennisions dès aujourd’hui les quatre mesures issues de la loi du 30 octobre 2017. Nous avons le devoir de mener une réflexion de qualité sur ce sujet. Aussi le débat, promis par le Gouvernement à l’horizon du premier semestre 2021, me semble-t-il nécessaire.

En ce qui concerne l’article 2, le Sénat est revenu au texte initial du projet de loi, rétablissant la date du 31 décembre 2021. Il me semble que, par cohérence, nous devrions nous en tenir à l’échéance du 31 juillet 2021. En nous mettant dès maintenant au travail, nous pourrions améliorer le dispositif, compte tenu, d’une part, de la menace terroriste, d’autre part, de la décision de la CJUE d’octobre dernier.

M. Paul Molac. Ce texte emporte, certes, des restrictions des libertés, mais il nous faut protéger les Français. C’est pourquoi le groupe Libertés et Territoires votera globalement le projet de loi, dans la version de l’Assemblée nationale.

Mme Danièle Obono. L’actualité récente nous a rappelé la permanence de la menace terroriste. Afin de lutter contre celle-ci, des outils efficaces doivent être confiés à la police et à la justice – je pense notamment au renseignement humain et au travail de terrain. Hélas, en matière de lutte contre le terrorisme comme en matière de santé, le Gouvernement et la majorité abusent des restrictions de liberté, optant pour une escalade sécuritaire qui, non seulement ne permet pas d’atteindre l’objectif légitimement poursuivi, mais est à certains égards contreproductive.

Aussi nous opposons-nous à la prorogation de certaines des dispositions de la loi SILT, qui visait à introduire l’état d’urgence dans le droit commun. Nous vivons dans un état d’urgence permanent, qui restreint nos droits et libertés sans renforcer notre capacité à protéger la population et les anticorps républicains qui nous permettraient de faire face à de nouvelles attaques. Qui plus est, il a donné lieu, comme l’ont dénoncé nombre d’organisations françaises et internationales de défense des droits humains, à des abus et à des mesures illégitimes ; je pense notamment à l’assignation à résidence de militants et de militantes écologistes.

Se pose par ailleurs la question de l’évaluation de l’opérationnalité de la loi. Comment, en effet, pouvons-nous proroger un dispositif dont nous ne pouvons juger de l’effectivité ? Lors de l’application de l’état d’urgence, on a relevé que, sur les 4 000 perquisitions réalisées, 30 procédures seulement avaient abouti, sans compter les nombreuses atteintes aux libertés dénoncées notamment par Amnesty international !

En outre, il est regrettable que la stratégie du Gouvernement fasse l’impasse sur ce qui devrait être un élément fondamental de la lutte contre les actes terroristes, à savoir les circuits de financement des organisations terroristes, via notamment les paradis fiscaux et le blanchiment international, dont les FinCEN (Financial crimes enforcement network) files ont révélé le scandale – on parle d’au moins 2 000 milliards de dollars, issus des pires trafics. Ce phénomène est rendu possible par une régulation bancaire insuffisante. Notre pays devrait donc se montrer beaucoup plus ferme vis-à-vis des États et organisations qui concourent au financement du terrorisme. Du reste, dans leur rapport, nos collègues Bernalicis et Maire préconisent de renforcer les moyens affectés à la lutte contre ces circuits financiers.

Le groupe LFI demeure opposé à la prorogation de l’état d’urgence, devenu désormais permanent. Nous considérons comme erroné le diagnostic selon lequel une militarisation accrue de la société et la remise en cause des libertés fondamentales nous prémuniraient contre les attaques terroristes. C’est, au contraire, en préservant ces libertés que nous y ferons face.

M. Didier Paris, rapporteur. Je vous remercie pour vos interventions, qui traduisent, à l’exception de celle de Mme Obono au nom de La France insoumise, un accord sur la prorogation des dispositions de la loi SILT et de la loi « renseignement » de 2015, telle que nous l’envisageons. Je sais gré à Ludovic Mendes de son soutien très clair.

Je partage dans une large mesure l’inquiétude de Philippe Gosselin quant à la manière dont nous allons garantir notre souveraineté territoriale, notamment en matière de renseignement – la question est importante.

En ce qui concerne la durée des prorogations, il faut bien comprendre que le 31 juillet 2021, pour les dispositions de la loi SILT, et le 31 décembre 2021, pour le dispositif de renseignement, sont des dates butoirs. Monsieur Latombe, rien n’interdit au Gouvernement et au Parlement de faire en sorte qu’en définitive, les délais coïncident. Nous avons en effet pour objectif commun de mener au plus vite une discussion de fond qui nous permette de traduire des dispositions fondamentales dans le droit commun.

Madame Untermaier, rares sont les domaines législatifs dans lesquels les bilans sont aussi nombreux. Je pense aux travaux de Yaël Braun-Pivet, Raphaël Gauvain et Éric Ciotti, dont nous prenons connaissance régulièrement, de sorte que nous savons comment les choses évoluent. Je pense également aux rapports que le Gouvernement a l’obligation de produire. Il n’empêche, vous avez raison, que nous devrons dresser un bilan préalablement à la discussion de fond que j’évoquais à l’instant.

En ce qui concerne la cellule interministérielle d’aide aux victimes, je rappellerai que, grâce aux très substantielles améliorations apportées par la loi du 23 mars 2019, la situation des victimes d’attentats terroristes est très différente de ce qu’elle était, hélas, auparavant.

Monsieur Molac, je vous remercie pour votre soutien, que vous avez su exprimer avec concision.

Enfin, madame Obono, les questions que vous soulevez ne sont pas de mauvaises questions. Mais nous divergeons sur les réponses que, les uns et les autres, nous souhaitons y apporter. Nous sommes, nous aussi, très sensibles au respect des droits et libertés, mais nous estimons que la première des libertés est peut-être la sécurité, que nous devons avoir les moyens de garantir.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, monsieur le rapporteur. Raphaël Gauvain, Éric Ciotti et moi-même rendrons compte de nos travaux à la commission dans un rapport définitif qui sera prêt d’ici à la fin de l’année – nous devons encore affiner nos propositions.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er (art. L. 22-10-1 [abrogé], L. 226-1, L. 227-1, L. 228-6, L. 229-5 du code de la sécurité intérieure et art. 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme [abrogé]) : Pérennisation et modification des dispositions issues des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme

La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL3 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous récusons la nécessité d’introduire dans le droit commun un état d’urgence permanent. Alors que la loi SILT comporte une clause de caducité aux termes de laquelle les dispositions introduites dans le code de la sécurité intérieure doivent prendre fin en décembre 2020, la majorité souhaite prolonger leur délai d’application. Ce n’est pas ainsi, selon nous, qu’il faut lutter contre les actes de terrorisme. Nous pensons en effet, à l’instar d’organisations de défense des droits et libertés, de juristes et de magistrats, que cette loi remet en cause l’État de droit sans renforcer notre protection. L’avocat Raphaël Kempf qualifie ainsi la loi SILT de scélérate car elle multiplie les mesures de contrainte attentatoires aux libertés individuelles, au motif, comme l’a dit le rapporteur, qu’elles permettraient de préserver une liberté suprême : la sécurité. Nous ne souscrivons pas à cette logique. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 1er.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis évidemment absolument opposé à cet amendement. Nous avons besoin de maintenir – fût-ce de manière transitoire, comme cela nous est proposé – un cadre juridique qui nous permette d’intervenir. Il ne fait aucun doute que nous devons également poursuivre nos discussions sur les libertés individuelles. J’ai montré tout à l’heure, en rappelant quelques chiffres, que nos institutions fonctionnaient en définitive très bien dans le contexte actuel, comme en témoignent notamment les interventions judiciaires dans le cadre de mesures de police administrative. Avis absolument défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL24 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Il s’agit de rétablir le texte adopté en première lecture par notre assemblée et de fixer la date butoir de la prorogation des dispositions de la loi SILT au 31 juillet 2021, en attendant le projet de loi qui nous permettra, avant cette date, d’avoir une discussion de fond sur ces mesures.

M. Éric Ciotti. J’avais déposé un amendement visant à proroger de deux ans l’application des dispositions de la loi SILT, mais il a été jugé irrecevable au titre de la règle de l’entonnoir.

Au-delà, cette loi, je tenais à le dire, a montré ses limites ; j’aurai l’occasion d’y revenir dans le rapport mentionné par notre présidente – même si je ne suis pas certain qu’elle et moi soyons totalement d’accord sur les conclusions. Au demeurant, je ne l’avais pas votée. C’est en effet le seul des quinze textes relatifs à la sécurité adoptés depuis 2012 qui dégrade la situation en matière de sécurité et nos outils de lutte contre le terrorisme. Les chiffres, me semble-t-il, en témoignent. Compte tenu de la menace terroriste actuelle, la seule solution efficace consiste à revenir à la loi de 1955 et à prononcer l’état d’urgence, qui offre des outils beaucoup plus pertinents et efficaces.

Je vous renvoie, si vous n’êtes pas convaincu par mon argumentation, à ce qu’écrivait, il y a quelques jours, dans Le Figaro, Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel : « En sortant de l’état d’urgence, nous avons perdu des moyens d’action alors que le péril demeure au même niveau ». Qu’il s’agisse des perquisitions administratives – 190 contre 4 600 – ou des assignations à résidence, dont le nombre a été divisé par deux, nous avons réduit nos moyens d’action. Certes, mieux vaut la loi SILT que rien du tout mais, nous l’avons toujours dit, cette loi a dégradé nos outils de lutte contre le terrorisme. Dans un contexte de menace extrême, cela est particulièrement regrettable.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements CL19 et CL15 de M. Éric Pauget tombent.

Article 2 (art. 25 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement) : Prolongation d’un an de la technique de renseignement dite de l’« algorithme »

La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL4 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous souhaitons l’abolition de la loi « renseignement » de 2015 afin de prémunir nos concitoyens et concitoyennes contre les atteintes illégitimes et disproportionnées à leur vie privée et la surveillance généralisée qu’elle permet.

Les dispositifs légalisés par la loi « renseignement » prétendent nous protéger du terrorisme, mais nous craignons qu’ils ne soient utilisés surtout à des fins d’espionnage économique et politique. Au lieu de remettre en cause la politique menée aux États-Unis, la France a choisi d’emprunter le même chemin sans en avoir les moyens financiers ni technologiques.

On peut, en outre, s’interroger sur l’efficacité de tels dispositifs liberticides. Selon Next INpact, une dizaine de personnes seulement ont été surveillées individuellement entre 2017 et fin décembre 2018, après le déploiement des traitements qui seraient prolongés par le présent article. Qui plus est, selon un article du Monde du 7 juillet dernier, le ministère de l’intérieur et la Direction générale de la sécurité intérieure souhaitent « que l’algorithme puisse aussi s’attaquer aux adresses dites URL, connues sous le nom d’adresses web. [...]. En guise d’explication, le Gouvernement assure que, à ce jour, cet outil chargé de détecter la menace terroriste de basse intensité n’a permis de déboucher sur aucun dossier opérationnel. »

Nous contestons le raisonnement du Gouvernement selon lequel, semble-t-il, si les informations collectées par l’outil actuel n’ont pas permis d’aboutir à un « dossier opérationnel », c’est parce qu’il n’est pas assez intrusif.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes arguments que ceux que j’ai développés contre l’amendement de suppression de l’article 1er.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1 du code de la sécurité intérieure) : Application outre-mer

La Commission adopte l’amendement de coordination CL2 du rapporteur.

En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3433).


([1])              Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, cons. 33.

([2])              Arrêts du 6 octobre 2020 dans l’affaire C-623/17 Privacy International et dans les affaires jointes C-511/18 La Quadrature du Net e.a. et C-512/18, French DataNetwork e.a.