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N° 3592

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 novembre 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
 

relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée ( 2731)

par Mme Naïma Moutchou

Députée

——

 

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

par Mme Souad Zitouni

Députée

——

 

Voir le numéro : 2731


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS...................................................... 7

I. Présentation du projet de loi

1. La mise en place du Parquet européen

2. Une évolution de la procédure pénale en faveur des juridictions spécialisées

3. Diverses dispositions relatives au droit

II. Les modifications apportées par le Sénat

III. Les principaux apports de la commission

1. L’indépendance procédurale des procureurs européens délégués et la garantie de leurs conditions de rémunération

2. La facilitation de l’exercice de leurs compétences par les juridictions pénales spécialisées

3. Le renforcement des instruments de protection de l’environnement

4. La prise en compte de décisions du Conseil constitutionnel

5. L’amélioration du dispositif de soutien aux professions réglementées du droit

6. La coordination de certaines dispositions visant à transposer la directive (UE) 2017/1371 du 5 juillet 2017

Examen des articles

TITRE Ier Dispositions relatives au parquet européen

Chapitre Ier Dispositions modifiant le code de procédure pénale

Article 1er (art. 696-108 à 696-137 nouveaux du code de procédure pénale) Adaptation du code de procédure pénale à la création du Parquet européen

Article 1er bis (art. 69420 du code de procédure pénale) Conditions des décisions d’enquête européenne par les autorités judiciaires françaises

Chapitre II Dispositions modifiant le code de l’organisation judiciaire

Article 2 (art. L. 21119, L. 21261, L. 21313 et L. 3128 [nouveaux]  du code de l’organisation judiciaire) Compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne

Chapitre III Dispositions modifiant le code des douanes

Article 3 (art. 3441, 3442, 3443 et 3444 nouveaux du code des douanes) Compétence du Parquet européen pour connaître des infractions douanières portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne

Chapitre IV (nouveau) Dispositions diverses

Article 3 bis Prise en charge par l’État des cotisations et contributions de sécurité sociale des procureurs européens délégués nommés pour la France

TITRE II Dispositions relatives à la justice pénale spécialisée

Chapitre Ier Dispositions communes

Article 4 (art. 431 [nouveau] du code de procédure pénale) Droit de priorité des parquets spécialisés

Article 4 bis (art. 1138 du code pénal) Dispense de plainte ou de dénonciation préalable pour la poursuite par des parquets spécialisés d’infractions commises à l’étranger par un Français ou sur un Français

Article 4 ter (art. 706142 nouveau du code de procédure pénale) Aide du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions pour assister aux procès tenus à l’étranger

Article 4 quater (art. 8023 nouveau du code de procédure pénale) Possibilité de retransmission sonore aux parties civiles dans les procès de grande ampleur

Chapitre II Dispositions relatives au procureur de la République antiterroriste

Article 5 (art. 6271, 6272, 6281, 702, 70619, 70620 [abrogé], 70621, 70622 et 7062521 [nouveau]  du code de procédure pénale) Extension des compétences du parquet national antiterroriste

Article 5 bis (art. 7 et 8 de la loi n° 951 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables  de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’exYougoslavie depuis 1991) Octroi au parquet national antiterroriste de la compétence en matière de centralisation des demandes d’entraide venant des tribunaux pénaux internationaux

Chapitre III Dispositions relatives à la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées

Article 6 (art. 70676, 7069513 et 7069515 [abrogé] du code de procédure pénale) Coordinations rédactionnelles et légistiques

Chapitre IV Dispositions relatives à la lutte contre la délinquance économique et financière

Article 7 (art. 705 du code de procédure pénale) Attribution d’une compétence concurrente au parquet national financier et aux juridictions parisiennes en matière de pratiques anticoncurrentielles

Article 7 bis (art. 4112, 1802 et 8001 du code de procédure pénale) Modifications de la procédure de convention judiciaire d’intérêt public

Chapitre V Dispositions relatives à la lutte contre les atteintes à l’environnement

Article 8 (art. 4113, 1808, 706­23 [nouveaux] et 706107 du code de procédure pénale) Procédure pénale de lutte contre les atteintes à l’environnement

Article 8 bis A (art. 21120 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire) Juridictions civiles spécialisées dans le contentieux de l’environnement

Article 8 bis B (art. 28 et 56 du code de procédure pénale) Prérogatives de police judiciaire des inspecteurs de l’environnement

Article 8 bis C (art. 283 [nouveau] du code de procédure pénale) Inspecteurs de l’environnement habilités aux fonctions judiciaires

Article 8 bis D (art. 7062 du code de procédure pénale) Possibilité de recruter les assistants spécialisés des pôles de santé publique auprès des fonctionnaires du ministère de l’environnement

Article 8 bis E (art. 70622 du code de procédure pénale) Interceptions de correspondances pour des infractions sanitaires et environnementales

Article 8 bis (art. L. 1731 du code de l’environnement) Non-respect d’une obligation de remise en état

Article 8 ter A (art. L. 1739 du code de l’environnement) Délai d’ajournement de la décision sur la peine

Article 8 ter (art. L. 21884 du code de l’environnement) Immobilisation d’un navire après rejet des eaux de ballast

Article 8 quater (art. 706107 et 7061111 du code de procédure pénale) Extension de la compétence des juridictions spécialisées du littoral (JULIS)

TITRE III Dispositions diverses

Article 9 (art. 18, 742, 771, 7711, 362, 393, 3981, 506, 510, 512, 7062512, 7065310, 7061121, 711, 7126 et 775 du code de procédure pénale ; art. 13263, 13264 et 13265 du code pénal ; art. L. 21193 du code de l’organisation judiciaire ; art. L. 22265 du code de justice militaire) Diverses dispositions relatives à la procédure pénale

Article 10 (art. 335, 362 et 70671 du code de procédure pénale ; art. 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; art. 2 de la loi n° 81‑908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort) Modifications du code de procédure pénale rendues nécessaires par des décisions du Conseil constitutionnel

Article 11 (art. 16331 [nouveau] du code des transports, art. 23019 du code de procédure pénale, art. 204 de l’ordonnance n° 45174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et art. 1218 [nouveau] du code de la justice pénale des mineurs) Peine d’interdiction de paraître dans les transports en commun

Article 12 (art. 171 [nouveau] de l’ordonnance n° 2016728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice, art. 63 [nouveau] de l’ordonnance n° 452590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, art. L. 4442 et L. 4447 du code de commerce et art. 52 de la loi  2015990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) Contributions au fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice

Article 13 (art. 65 quinquies, 67 bis-1 A, 67 sexies, 323‑5, 387, 411, 4151, 416 bis A et 426 du code des douanes ; art. 3141, 31411 et 43215 du code pénal) Ratification de l’ordonnance de lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal

TITRE IV Dispositions relatives à L’entrée en vigueur et à l’application outre-mer

Article 14 (art. 804 du code de procédure pénale ; art. 531-1, 551-1 et 561-1 du code de l’organisation judiciaire ; art. L. 9501 du code de commerce ; art. 6 de l’ordonnance n° 2014471 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du livre IV du code de commerce relevant de la compétence de l’État en matière de pouvoirs d’enquête, de voies de recours, de sanctions et d’infractions ; art. 1er bis [nouveau] de l’ordonnance n° 2017157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence ; art. L. 18632, L. 18722 et L. 18833 [nouveaux] du code des transports) Application outre-mer

Article 15 Entrée en vigueur des dispositions relatives au Parquet européen

Avis fait au nom de la

commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire

Analyse des articles 8, 8 bis, 8 ter et 11 du projet de loi

La position de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice

Compte rendu des débats

Compte rendu des débats de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire

Personnes entendues

Personnes entendues par la rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire


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Mesdames, Messieurs,

Sous des abords techniques, le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, adopté en première lecture par le Sénat le 3 mars 2020, s’inscrit pleinement en accord avec les ambitions portées, depuis 2017, par le Gouvernement et sa majorité.

Ce texte est en effet l’occasion, tout d’abord, de faire un pas décisif en direction d’un horizon judiciaire européen que la France, avec constance, appelle de ses vœux depuis des années. Cette nouvelle coopération judiciaire permettra de mieux lutter contre les atteintes portées aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Sont ainsi intégrées en droit interne les dispositions nécessaires au fonctionnement du Parquet européen en créant le cadre statutaire et procédural dans lequel agiront les procureurs européens délégués. Combinant à la fois collégialité, efficacité et autonomie, tout en respectant notre souveraineté, les dispositifs prévus à cet effet s’intègreront pleinement dans le cadre procédural national.

En deuxième lieu, le projet de loi améliore notre organisation judiciaire et pénale pour un traitement plus efficace de contentieux fondamentaux. Il permet de mieux positionner le parquet national antiterroriste comme juridiction de référence, en France et dans les relations internationales, sur les questions liées aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité. Il offre l’opportunité de compléter les compétences du parquet financier dans le domaine du droit de la concurrence. Il pose, enfin, des règles claires pour la répartition des affaires en cas de compétences concurrentes.

Les plus grandes avancées, en matière de justice spécialisée, concernent le domaine de l’environnement. Ces questions revêtent désormais, pour la France et pour les Français, avec raison, un caractère primordial. En orientant le contentieux – civil et pénal – vers des magistrats formés et expérimentés aux questions de protection des milieux et de lutte contre les pollutions, il y a tout lieu de penser que les comportements délictueux recevront plus rapidement une juste sanction. En ouvrant au droit de l’environnement l’instrument de la convention judiciaire d’intérêt public, qui a fait ses preuves dans la lutte contre la corruption et les atteintes à la probité, on peut espérer agir plus vite et plus fort contre les entreprises qui n’ont pas, pas toujours ou pas encore, compris que le respect de l’écosystème devait primer sur les calculs de rentabilité.

Enfin, le troisième grand objectif poursuivi par ce projet de loi, après l’Europe et l’environnement, n’est autre que la garantie des droits des personnes. En corrigeant diverses imperfections qui rendent inopérantes certaines dispositions du code de procédure pénale, et en tirant les conséquences de décisions rendues au cours des derniers mois par le Conseil constitutionnel, ce sont les libertés de tous qu’il s’agit d’affirmer. En procédure criminelle, en matière délictuelle, en droit de la presse : tout est fait pour garantir la conformité des règles ainsi fixées avec la Constitution.

Cette belle œuvre a été préparée par le Gouvernement. Elle a été modifiée, dans le bon sens et avec mesure, par le Sénat. Le calendrier parlementaire a ensuite été affecté par la crise sanitaire mais la commission des Lois de l’Assemblée nationale a pu, à son tour, se pencher sur ce projet de loi. Un grand nombre de modifications lui ont été apportées, symboliques ou opérationnelles (extension de la convention judiciaire d’intérêt public, émergence d’une police judiciaire de l’environnement, conditions de rétribution des procureurs européens délégués...).

Loin donc de constituer un agrégat de mesures disparates, le présent projet de loi est bien, d’un seul tenant, un texte de progrès.

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*     *

I.   Présentation du projet de loi

1.   La mise en place du Parquet européen

Le titre Ier du projet de loi procède à l’insertion, dans notre droit interne, de dispositions nécessaires au fonctionnement du Parquet européen.

L’article 1er crée dans le code de procédure pénale un titre X bis précisant les compétences et attributions des procureurs européens délégués, ainsi que les règles de procédure qui leur sont applicables.

Les procureurs européens délégués incarneront, dans les territoires nationaux, l’échelon décentralisé et opérationnel du Parquet européen. Ils auront vocation à rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. À ce titre, ils exerceront les prérogatives reconnues, en droit français, au procureur de la République et pourront prendre certaines mesures qui relèvent des compétences du juge d’instruction. Ils pourront ainsi conduire des investigations soit dans le cadre de l’enquête préliminaire ou de l’enquête de flagrance, soit dans le cadre de l’instruction, soit successivement dans ces deux cadres procéduraux. Ils exerceront, en outre, les pouvoirs d’enquêtes douanières prévues au titre II du code des douanes.

La section 3 du chapitre II relatif aux procédures applicables aux procureurs européens délégués apporte des précisions quant aux compétences de ceux-ci lorsqu’ils décident d’agir dans le cadre de l’instruction. Il est ainsi prévu que les actes pris dans ce cadre le seront soit par le procureur européen délégué, soit par le juge des libertés et de la détention (JLD) saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué.

– Les procureurs européens délégués pourront eux-mêmes procéder à des mises en examen, organiser des interrogatoires et des confrontations ou des auditions de témoins, y compris de témoins assistés. Ils pourront se prononcer sur la recevabilité de la constitution de partie civile, prendre des décisions en matière de transport ou pour ordonner une expertise (articles 156 à 169-1). Ils pourront enfin requérir par commission rogatoire et émettre des mandats de recherche, de comparution ou d’amener.

– Les procureurs européens délégués pourront prendre eux-mêmes des décisions en matière de contrôle judiciaire qui pourront être contestées, par la personne concernée, devant le juge des libertés et de la détention (JLD) qui doit statuer, à l’issue d’un débat contradictoire, dans un délai maximal de 72 heures.

– Les mesures attentatoires à la vie privée ne relèveront toutefois pas directement de la compétence des procureurs européens délégués, mais seront prises, sur leurs réquisitions écrites et motivées, par le JLD. Il s’agit des assignations à résidence avec surveillance électroniques (ARSE), des placements en détention provisoire, de l’émission de mandats d’arrêt, des autorisations de perquisitions, visites domiciliaires et saisies, en l’absence de flagrance ou d’assentiment exprès de la personne chez laquelle elles ont lieu. C’est également le cas des décisions ordonnant une interception de correspondance émise par la voie des télécommunications, une géolocalisation, une enquête sous pseudonyme ou une technique spéciale d’enquête, ainsi que les décisions relatives aux saisies spéciales et mesures conservatoires.

– Les procureurs européens délégués peuvent toutefois prendre eux-mêmes, d’office ou à la demande de la personne mise en examen, des mesures, en faveur de cette dernière, concernant l’ARSE ou la détention provisoire. Ils sont compétents pour prendre les décisions relatives aux modalités d’exécution d’une détention provisoire ou à l’exercice de ses droits par une personne placée en détention provisoire.

L’article 1er précise également les modalités de signalement au Parquet européen par les autorités nationales, ainsi que les conséquences en termes de dessaisissement de la décision du Parquet européen d’exercer sa compétence. Il ne rappelle toutefois pas les modalités de fonctionnement interne du Parquet européen qui sont précisées par le règlement (UE) 2017/1939 d’application directe dans notre droit. Ainsi les pouvoirs d’enquête et de conclusion de la procédure relèvent du procureur européen délégué, mais cela s’intègre dans le cadre européen et ce sont les chambres permanentes qui décideront de l’ouverture d’une enquête et, à la fin de la procédure, de renvoyer l’affaire en jugement, de prononcer un non-lieu ou de recourir à une procédure simplifiée (procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou convention judiciaire d’intérêt public).

L’article 2 désigne le tribunal judiciaire et la cour d’appel de Paris comme les juridictions du fond ayant compétence exclusive pour être saisies par le procureur européen et ses délégués qui exerceront auprès d’elles le ministère public dans les domaines concernant des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Il précise que le ministère public est alors exercé par le procureur européen ou ses délégués.

L’article 3 définit les modalités selon lesquelles le Parquet européen est compétent pour connaître des infractions douanières portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

2.   Une évolution de la procédure pénale en faveur des juridictions spécialisées

Le titre II du projet de loi comprend plusieurs dispositions relatives aux juridictions pénales spécialisées. Il étend ponctuellement certaines compétences des juridictions existantes. Il réforme l’architecture juridictionnelle en charge du contentieux pénal de l’environnement.

L’article 4 prévoit que lorsque plusieurs parquets sont compétents dans le cadre d’une compétence concurrente, celui qui bénéficie d’une compétence spécialisée l’exerce prioritairement aux autres, spécialisés ou non, dont le ressort géographique est compris dans son ressort.

L’article 5 octroie au procureur de la République antiterroriste, en lieu et place du parquet de Paris qui l’exerce à présent, la compétence d’exécution des demandes d’entraide judiciaire formulées par la Cour pénale internationale. Il prévoit que le Parquet national antiterroriste représente le ministère public aux audiences d’assises de première instance en matière de crimes contre l’humanité, de crimes de torture et de disparition forcée, de crimes et délits de guerre. Ces deux adaptations sont cohérentes avec l’extension de la compétence matérielle du Parquet national antiterroriste à ces infractions. Enfin, l’article 5 institue une compétence concurrente du Parquet national antiterroriste pour les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation – espionnage et trahison notamment.

L’article 6 procède à deux coordinations au sein du code de procédure pénale.

L’article 7 attribue au parquet national financier et aux juridictions de Paris une compétence nationale concurrente sur des infractions au droit de la concurrence.

L’article 8 améliore le traitement du contentieux pénal de l’environnement. Dans le ressort de chaque cour d’appel, il permet la spécialisation d’un tribunal judiciaire sur les infractions complexes prévues par le code de l’environnement et commises dans ledit ressort, à l’exclusion de celles déjà gérées par différentes juridictions spécialisées. En outre, et afin d’accélérer la répression de ces infractions, il institue une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale sur le modèle transactionnel existant pour les atteintes à la probité et les fraudes fiscales.

3.   Diverses dispositions relatives au droit

Le titre III du projet de loi regroupe diverses dispositions qui abordent différentes branches de l’activité juridique.

L’article 9 corrige des erreurs de coordination induites par la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. En outre, il tire les conséquences d’un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation quant aux conditions d’autorisation par l’autorité judiciaire des réquisitions des officiers et agents de police judiciaire au cours de l’enquête préliminaire. Sont ainsi posées les règles selon lesquelles il convient de faire procéder à des examens médicaux et psychologiques, ainsi que la liberté d’accès aux fichiers d’empreintes ou de traces génétiques ou digitales.

L’article 10 tire les conséquences de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux délibérations de la cour d’assises et à la comparution en visioconférence devant la chambre de l’instruction.

L’article 11 crée dans le code des transports une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans un réseau de transport public, qui pourra être prononcée à l’encontre des personnes majeures ayant commis certaines infractions graves dans une gare ou dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs.

L’article 12 prévoyait, dans sa rédaction initiale, une habilitation du Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires au financement du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice (FIADJ) par les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires institué, en 2015, par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».

L’article 13 ratifie l’ordonnance n° 2019-963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.

II.    Les modifications apportées par le Sénat

Le Sénat a adopté le projet de loi soumis par le Gouvernement en lui apportant un faible nombre de modifications.

Les sénateurs ont ainsi :

– spécifié que les procureurs européens délégués peuvent prendre des mesures d’instruction lorsqu’il est nécessaire soit de mettre en examen une personne ou de la placer sous le statut de témoin assisté, soit de recourir à des actes d’investigation qui ne peuvent être ordonnés qu’au cours d’une instruction, en raison de leur durée ou de leur nature (article 1er) ;

– précisé que les droits des personnes mises en examen, placées sous le statut de témoin assisté ou partie civile dans le cadre d’une instruction conduite par un procureur européen délégué comprennent bien le droit d’être assisté par un avocat et d’avoir accès au contenu de la procédure (article 1er) ;

– précisé les contours du délit réprimant le non-respect d’une obligation de remise en état d’une installation ou d’un ouvrage en droit de l’environnement (nouvel article 8 bis) ;

– permis à l’autorité judiciaire de prononcer l’immobilisation, sous cautionnement, d’un navire dont les eaux de ballast ont été rejetées dans les eaux sous souveraineté ou sous juridiction française (nouvel article 8 ter) ;

– appliqué les règles encadrant les réquisitions des officiers et agents de police judiciaire aux informations issues des dispositifs de vidéosurveillance (article 9) ;

– complété les dispositions relatives à l’interdiction de paraître dans les transports publics (article 11) de sorte que l’identité des personnes faisant l’objet de cette interdiction soit inscrite au fichier des personnes recherchées et qu’elle soit communiquée aux gestionnaires de réseau, de façon à favoriser son caractère effectif. Les sénateurs ont également ouvert la possibilité de prononcer cette interdiction à l’encontre des mineurs âgés de seize ans au moins. Ils ont enfin imposé que la peine prononcée soit adaptée aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale de la personne condamnée ;

– substitué à l’habilitation du Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires au financement du FIADJ une autorisation des ordres professionnels des commissaires de justice et des notaires à percevoir directement des contributions volontaires obligatoires (article 12) ;

– introduit une disposition réformant la procédure d’installation des nouveaux offices dans les zones contrôlées (article 12).

III.    Les principaux apports de la commission

1.   L’indépendance procédurale des procureurs européens délégués et la garantie de leurs conditions de rémunération

La commission des Lois a précisé et complété les dispositions relatives à l’insertion du Parquet européen en droit interne. Elle a pour cela adopté :

– un amendement du Gouvernement précisant que la mise en place d’une enquête commune avec des autorités étrangères, lorsqu’elle est décidée par les procureurs européens délégués, n’est pas subordonnée à l’accord préalable du ministre de la Justice (article 1er) ;

– un amendement de M. Didier Paris modifiant la règle applicable lorsqu’une décision d’enquête européenne prise par les autorités judiciaires françaises concerne un acte exigeant l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention (JLD), en prévoyant qu’une autorisation devra alors être obtenue auprès du JLD français avant de demander à un autre État de procéder à cet acte (nouvel article 1er bis) ;

– un amendement du Gouvernement précisant que les cotisations et les contributions de sécurité sociale des procureurs européens délégués nommés pour la France seront prises en charge par l’État français (nouvel article 3 bis).

2.   La facilitation de l’exercice de leurs compétences par les juridictions pénales spécialisées

La commission des Lois a précisé les compétences dont disposent les juridictions spécialisées existantes afin d’améliorer leur fonctionnement et de faciliter le traitement du contentieux qui leur échoit. Elle a ainsi adopté :

– un amendement du Gouvernement dispensant les parquets spécialisés de l’exigence d’une plainte ou d’une dénonciation préalable d’un État étranger pour la poursuite d’infractions commises à l’étranger et qui impliquent un Français (nouvel article 4 bis) ;

– un amendement du Gouvernement prévoyant le versement d’une aide aux personnes ayant subi une infraction pour répondre à une convocation à l’audience de jugement d’un procès pénal tenu à l’étranger, dès lors que les faits en cause relèveraient, sur le territoire national, d’une juridiction spécialisée (nouvel article 4 ter) ;

– un amendement du Gouvernement permettant, dans le cadre d’un procès tenu devant une juridiction spécialisée et concernant un grand nombre de parties civiles, la captation sonore des débats et leur diffusion, en différé et dans des conditions de confidentialité, aux parties civiles qui en ont fait la demande (nouvel article 4 quater) ;

– cinq amendements à l’article 5 relatifs aux compétences des juridictions spécialisées antiterroristes, de sorte qu’elles n’aient pas compétence pour connaitre des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation (amendement de M. Jean-Félix Acquaviva), pour qu’elles puissent recruter des assistants spécialisés (amendements de la rapporteure, du Gouvernement et de M. Didier Paris), et afin qu’elles conservent la capacité de juger les affaires dont elles étaient saisies et dont les investigations montrent finalement qu’elles ne comportent aucune dimension terroriste (amendement de M. Didier Paris). En outre, un amendement de M. Didier Paris fait du parquet national antiterroriste l’interface des demandes d’entraide provenant des tribunaux pénaux internationaux (nouvel article 5 bis) ;

– deux amendements de la rapporteure et de M. Didier Paris portant réforme de la convention judiciaire d’intérêt public qui serait désormais possible en cas de blanchiment de corruption et de blanchiment de trafic d’influence, ferait l’objet d’une publicité obligatoire sur le site internet des ministères de la justice et du budget, suivrait le même régime qu’elle vienne conclure une enquête ou une information judiciaire, et dont les frais de justice seraient mis à la charge de la personne morale concernée (nouvel article 7 bis).

3.   Le renforcement des instruments de protection de l’environnement

La commission des Lois a souhaité renforcer la répression des atteintes à l’environnement. Dans cette perspective, elle a notamment adopté :

– trois amendements de la commission du Développement durable, saisie pour avis, à l’article 8 prévoyant la possibilité pour des fonctionnaires relevant du ministère de l’environnement d’exercer auprès des juridictions compétentes des fonctions d’assistant spécialisé, la fin de la compétence du tribunal judiciaire de Paris dans les affaires de pollution marine d’une grande complexité, et l’extension de la compétence des juridictions spécialisées aux infractions environnementales ne figurant pas dans le code de l’environnement – cette dernière modification faisant l’objet d’un amendement identique de Mme Cécile Untermaier ;

– un amendement du Gouvernement permettant, dans les mêmes conditions que l’article 8 en matière pénale, la spécialisation dans le ressort de chaque cour d’appel d’un tribunal judiciaire pour le traitement du contentieux civil de l’environnement (nouvel article 8 bis A) ;

– un amendement de M. Didier Paris clarifiant les compétences dévolues aux inspecteurs de l’environnement qui prennent part à des investigations judiciaires dans le cadre d’une co-saisine (nouvel article 8 bis B) ;

– un amendement du Gouvernement renforçant les prérogatives judiciaires des inspecteurs de l’environnement affectés à l’Office français de la biodiversité, ouvrant la possibilité de constituer un service d’enquête en matière environnementale (nouvel article 8 bis C) ;

– un amendement de la commission du Développement durable, saisie pour avis, autorisant les fonctionnaires relevant du ministre chargé de l’environnement à exercer des fonctions d’assistant spécialisé auprès des pôles de santé publique, dont une part significative du contentieux est en rapport avec des problématiques de santé environnementale (nouvel article 8 bis D) ;

– un amendement du Gouvernement rétablissant la possibilité de procéder à des interceptions pour des infractions graves prévues par les codes de la santé publique et de la consommation, là encore liées pour partie aux questions de santé environnementale (nouvel article 8 bis E) ;

– un amendement de la commission du Développement durable, saisie pour avis, portant d’un à deux ans, en matière environnementale, le délai maximum pour lequel une juridiction pénale peut ajourner sous injonction sa décision, de façon à permettre une meilleure appréciation des dommages et des préjudices causés (nouvel article 8 ter A) ;

– deux amendements de Mme Liliana Tanguy précisant la qualité des agents habilités à constater l’infraction de gestion irrégulière des eaux de ballast (article 8 ter) et donnant compétence aux juridictions spécialisées du littoral pour connaître certaines des infractions commises sur le plateau continental (article 8 quater).

4.   La prise en compte de décisions du Conseil constitutionnel

Le Gouvernement a souhaité tirer les conséquences, dans ce projet de loi, de plusieurs décisions du Conseil constitutionnel. À son initiative la commission des Lois a ainsi adopté, à l’article 10, trois amendements :

– réformant les conditions de prestation de serment devant la cour d’assises par les personnes qui partagent ou ont partagé la vie de l’accusé ;

– précisant les délais applicables pour les procédures de droit de la presse, notamment lorsque les justiciables demeurent outre-mer ou à l’étranger ;

– ouvrant la possibilité de réhabiliter un condamné à mort exécuté dans le cadre d’une procédure menée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.

5.   L’amélioration du dispositif de soutien aux professions réglementées du droit

En cohérence avec les modifications opérées par le Sénat, la commission des Lois a adopté un amendement de la rapporteure supprimant l’avis de l’Autorité de la concurrence sur l’assiette et le taux des contributions obligatoires ayant la nature d’une créance de droit privé et prévues pour financer des aides à l’installation ou au maintien de professionnels – notaires et commissaires de justice (article 12).

6.   La coordination de certaines dispositions visant à transposer la directive (UE) 2017/1371 du 5 juillet 2017

La commission des Lois a adopté un amendement de la rapporteure permettant notamment de prendre en compte l’article 414‑2 du code des douanes, créé par l’ordonnance n° 2019-963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal, qui concerne la répression de certaines infractions douanières (article 13).


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   Examen des articles

TITRE Ier
Dispositions relatives au parquet européen

Chapitre Ier
Dispositions modifiant le code de procédure pénale

Article 1er
(art. 696-108 à 696-137 nouveaux du code de procédure pénale)
Adaptation du code de procédure pénale à la création du Parquet européen

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article insère dans le code de procédure pénale un nouveau titre numéroté X bis relatif au Parquet européen, qui comporte trente articles répartis en trois chapitres.

Le chapitre 1er comprend trois articles (696‑108 à 696‑110) qui définissent les compétences et attributions des procureurs européens délégués.

Le chapitre II comprend vingt-deux articles (696‑111 à 696‑132) qui définissent les modalités de saisine du Parquet européen et les cadres procéduraux dans lesquels opèrent les procureurs européens délégués, précisant notamment les dispositions s’appliquant lorsqu’ils conduiront des investigations conformément aux règles du code de procédure pénale applicables à l’instruction.

Le chapitre III comprend cinq articles (696‑133 à 696‑137) qui organisent l’articulation des compétences entre le procureur européen, les procureurs européens délégués et l’autorité judiciaire française.

       Position du Sénat

La commission des Lois a adopté deux amendements du rapporteur. Le premier amendement caractérise les conditions dans lesquelles les procureurs européens délégués peuvent prendre des mesures d’instruction. Le second amendement précise les droits des personnes mises en examen, placées sous le statut de témoin assisté ou partie civile, dans le cadre d’une instruction conduite par un procureur européen délégué, en ajoutant le droit d’être assisté par un avocat et d’avoir accès au contenu de la procédure.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté dix amendements rédactionnels de votre rapporteure, ainsi qu’un amendement du Gouvernement précisant qu’en matière de création d’équipes commune d’enquête, les procureurs européens délégués ne sont pas soumis à l’accord préalable du ministre de la Justice.

1.   L’état du droit

a.   La création d’un parquet européen, une idée ancienne ayant fait l’objet d’importantes négociations entre les États membres

Dès 2001, la Commission européenne a souligné la nécessité de renforcer la poursuite des auteurs d’atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne. Elle a proposé d’instituer un procureur européen afin de répondre aux actes de fraude et d’encourager la coopération pénale ([1]).

Le poids financier de la fraude européenne

La fraude contre les intérêts financiers de l’Union européenne est aujourd’hui largement répandue. Dans une communication de 2011, la Commission estimait que la fraude à la TVA pouvait à elle seule représenter 50 milliards d’euros de pertes par an pour les budgets des États membres. En 2013, la commission spéciale sur la criminalité organisée du Parlement européen avançait un montant deux fois supérieur, soit 100 milliards d’euros par an. Les États membres ont également signalé qu’environ 638 millions d’euros provenant des fonds structurels de l’Union européenne avaient été détournés en 2015.

Entre 2010 et 2017, l’Office européen de lutte contre la fraude (OLAF), qui n’a pas lui-même de pouvoir de sanction, a recommandé aux autorités compétentes des États membres de l’Union européenne le recouvrement de plus de 6,6 milliards d’euros pour le budget de l’Union et présenté plus de 2 300 recommandations de mesures judiciaires, financières, disciplinaires et administratives.

Source : Conseil européen.

Le fondement juridique de cette proposition a par la suite été posé par l’article 86 du traité relatif au fonctionnement de l’Union européenne du 13 décembre 2007 ([2]) qui dispose que, « pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust ». Ce même article précise que ce parquet est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Un premier projet de règlement, déposé par la Commission le 17 juillet 2013, a proposé une version très intégrée de ce parquet, incarné par un procureur européen unique, qui s’est heurtée aux réticences et à l’opposition de plusieurs États membres. Quatorze parlements nationaux, dont le Sénat français, ont estimé que ce projet ne respectait pas le principe de subsidiarité et ont mis en œuvre, pour la première fois, la procédure dite du « carton jaune » ([3]). La Commission a donc réexaminé ce projet de règlement, a finalement conclu qu’il était conforme au principe de subsidiarité et l’a maintenu ([4]). Les négociations n’ayant toutefois pas permis de parvenir à un consensus, les États membres se sont tournés vers la procédure de coopération renforcée.

Vingt États membres sont ainsi parvenus à un accord politique sur la création du nouveau parquet européen lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 8 juin 2017. Vingtdeux pays se sont finalement engagés dans cette coopération renforcée ([5]).

b.   Statut, structure et organisation du Parquet européen

Le Parquet européen a été créé par le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, norme juridique européenne d’application directe. Il établit un parquet européen, indépendant et décentralisé, compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

Le chapitre III du règlement européen (articles 8 à 21) définit ainsi le statut et la structure de ce parquet. Il est organisé en un double niveau : d’une part, un niveau central en charge de l’organisation, de la supervision et de la coordination des enquêtes ; d’autre part, un niveau décentralisé, plus opérationnel, composé des procureurs européens délégués qui mènent les enquêtes jusqu’au terme de la procédure.

Le règlement prévoit les conditions de nomination et de révocation des membres du Parquet européen. Le chef du Parquet européen est nommé d’un commun accord par le Parlement et le Conseil, statuant à la majorité simple, pour un mandat de sept années non renouvelable (article 14). Mme Laura Codruța Kövesi, de nationalité roumaine, a été nommée à ce poste à compter du 31 octobre 2019 ([6]).

L’organisation du parquet européen

L’article 16 prévoit que chaque État membre participant doit désigner trois candidats au poste de procureur européen parmi des membres actifs du ministère public ou du corps judiciaire. Ces candidats doivent offrir toutes les garanties d’indépendance et disposer des qualifications requises pour l’exercice de hautes fonctions au sein du ministère public ou du corps judiciaire dans leurs États membres respectifs et posséder une expérience pratique pertinente des ordres juridiques nationaux, des enquêtes financières et de la coopération judiciaire internationale en matière pénale. Un comité de sélection, prévu par l’article 14, donne un avis motivé et classe ces candidatures, puis le Conseil, statuant à la majorité simple, nomme les procureurs européens pour un mandat de six années non renouvelable ([7]). La nomination des vingt-deux procureurs européens a eu lieu le 22 juillet 2020 ([8]). Le magistrat Frédéric Baab a été désigné comme procureur européen français.

L’article 17 dispose que les procureurs européens délégués, qui doivent être au moins deux pour chaque État membre participant (article 13), sont désignés par les États membres et nommés par le collège du Parquet européen pour un mandat de cinq années renouvelable. Leur profil doit remplir certaines conditions :

‒ être membre actif du ministère public ou du corps judiciaire de l’État membre qui l’a désigné ;

‒ offrir toutes garanties d’indépendance ;

‒ disposer des qualifications requises ;

‒ posséder une expérience pratique de son ordre juridique national.

Le règlement européen précise également les règles de procédure relatives aux enquêtes, aux mesures d’enquête, aux poursuites et aux mesures alternatives aux poursuites (articles 26 à 40). Il définit les garanties procédurales (articles 41 et 42) et celles relatives aux données à caractère personnel (articles 47 à 89).

Pour permettre au Parquet européen de devenir un acteur efficace de la lutte contre les fraudes aux intérêts financiers européens, la coopération avec les autres organes de l’Union européenne fait l’objet de précisions. Le règlement insiste notamment sur l’importance du partage d’informations et de la coordination des actions. Partenaire clef dans la coopération judiciaire en matière pénale, Eurojust pourra ainsi être associé aux affaires transfrontalières et faciliter les demandes d’entraide adressées à des États membres ne participant pas au Parquet européen ou à des États tiers (article 100). L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) donnera en outre la priorité aux enquêtes criminelle du Parquet européen et n’ouvrira pas d’enquête administrative parallèle sur les mêmes faits (article 101). Une coopération est prévue avec Europol qui devra fournir au Parquet européen, sur sa demande, toute information pertinente au sujet des infractions relevant de sa compétence et, le cas échéant, fournir une aide à l’analyse dans le cadre d’une enquête particulière (article 102).

c.   Les compétences du Parquet européen

En ce qui concerne les compétences du Parquet européen, l’article 4 du règlement européen renvoie principalement à la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, dite « directive PIF », en ce qu’elle définit les infractions pénales concernées.

Cette directive définit les « intérêts financiers de l’Union » comme l’ensemble des recettes perçues, des dépenses exposées et des avoirs relevant du budget de l’Union européenne ou de ceux des institutions, organes et organismes de l’Union institués en vertu des traités ou des budgets gérés et contrôlés directement ou indirectement par eux (article 2 de la directive). Elle précise la définition des différents types de fraudes portant atteinte à ces intérêts financiers (articles 3 et 4).

La directive PIF poursuit ainsi le rapprochement des législations pénales des États membres en apportant une définition commune à la notion de fraude et en établissant des règles minimales relatives aux infractions portant préjudice au budget de l’Union européenne. Elle définit les règles minimales relatives notamment aux délais de prescription et aux sanctions. Le droit français étant déjà largement conforme aux exigences posées par cette directive, seules quelques dispositions ont été prises par ordonnance pour permettre une complète transposition ([9]).

Articles 3 et 4 de la directive PIF

Définition des fraudes portant atteinte aux intérêts financiers

de l’Union européenne

En matière de dépenses non liées à la passation de marchés publics, de dépenses relatives aux marchés publics et de recettes (autres que la TVA), sont considérés comme étant une fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union tout acte ou omission relatif :

- à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet le détournement ou la rétention indue de fonds ou d’avoirs provenant du budget de l’Union ou de ceux gérés par l’Union ou pour son compte ;

- à la non-communication d’une information en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet ;

- au détournement de tels fonds ou avoirs à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été initialement accordés.

En matière de recettes issues des ressources propres provenant de la TVA est visé tout acte ou omission commis dans le cadre d’un système frauduleux transfrontière concernant :

- l’utilisation ou la présentation de déclarations ou de documents relatifs à la TVA qui sont faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution des ressources du budget de l’Union ;

- la non-communication d’une information relative à la TVA en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet ;

- la présentation de déclarations relatives à la TVA à des fins de dissimulation frauduleuse d’une absence de paiement ou de création illégitime de droits à des remboursements.

Sont également visées comme infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union la corruption passive et active, le détournement de fonds et le blanchiment de capitaux concernant des biens provenant de ces infractions visées par la directive.

Source : directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, dite « directive PIF ».

En droit pénal français, ces fraudes renvoient, en matière de dépenses, aux infractions d’escroquerie, d’abus de confiance, de détournement de fonds publics, de soustraction de biens ou de fonds publics et de corruption. Concernant les recettes, elles renvoient notamment aux délits de contrebande et d’importation de biens ou de marchandises sans déclaration ou par fausse déclaration, ainsi qu’aux délits d’escroquerie. Ces infractions, lorsqu’elles porteront atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, relèveront ainsi de la compétence du Parquet européen.

Le Conseil européen a précisé que le Parquet européen aura à connaître des affaires lorsque le préjudice aux intérêts financiers de l’Union européenne sera supérieur à 10 000 euros (article 25 §2 du règlement).

L’article 22 du règlement précise en outre que le Parquet européen est compétent uniquement lorsque les actes ou omissions intentionnels définis dans cette disposition ont un lien avec le territoire de deux États membres ou plus et entraînent un préjudice d’un montant total d’au moins 10 millions d’euros s’agissant des infractions liées aux ressources propres provenant de la TVA. Les infractions avec un préjudice inférieur à ces seuils auront donc vocation à être traitées par les juridictions nationales. L’article 25 précise toutefois que lorsqu’une infraction pénale relevant de cet article 22 a causé ou est susceptible de causer aux intérêts financiers de l’Union un préjudice inférieur à 10 000 euros, le Parquet européen peut exercer sa compétence dans deux cas : si les répercussions du dossier à l’échelle de l’Union sont de nature à rendre nécessaire la conduite d’une enquête par le Parquet européen ou si des fonctionnaires, des agents ou des membres des institutions européennes peuvent être soupçonnés d’avoir commis l’infraction.

L’article 23 précise les conditions de compétence du Parquet européen relativement aux infractions visées à l’article 22. Il est compétent :

‒ si l’infraction a été commise en totalité ou en partie sur le territoire d’un ou plusieurs États membres ;

‒ ou si l’infraction a été commise par un ressortissant d’un État membre, pour autant qu’un État membre soit compétent à l’égard de ces infractions lorsqu’elles sont commises en dehors de son territoire ;

‒ ou si l’infraction a été commise par une personne qui était soumise au statut des fonctionnaires ou au régime applicable aux autres agents de l’Union européenne pour autant qu’un État membre soit compétent à l’égard de ces infractions lorsqu’elles sont commises en-dehors de son territoire.

En sus de ces infractions définies par la directive, l’article 22 du règlement prévoit la compétence du Parquet européen à l’égard des infractions relatives à la participation à une organisation criminelle dont les activités consistent essentiellement à commettre une infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Il est aussi compétent pour toute infraction pénale qui serait indissociablement liée à un comportement délictueux à une de ces infractions.

Le règlement contient ainsi les définitions des compétences du Parquet européen et les règles de répartition des compétences partagées entre le Parquet européen et les autorités nationales. 

Compétences du Parquet européen

Préjudice

Fraudes ne portant pas sur la TVA

Fraudes portant sur la TVA

Préjudice aux intérêts financiers de l’Union européenne inférieur à 10 000 euros

Compétence par exception uniquement : - dans les cas de répercussions à l’échelle de l’Union européenne ;

- de mise en cause de fonctionnaires / agents / membres de l’Union européenne

Incompétence du Parquet européen

Préjudice aux intérêts financiers de l’Union européenne compris entre 10 000 et 100 000 euros

Compétence de principe du Parquet européen sous réserve d’un examen du degré de gravité de l’infraction et de la complexité de la procédure

Préjudice aux intérêts financiers de l’Union européenne supérieur à 100 000 euros

Compétence de principe du Parquet européen

Préjudice total supérieur à 10 millions d’euros

Compétence si les actes sont en lien avec le territoire d’au moins deux États membres

Connexité avec une autre infraction ou préjudice causé à une autre victime

Le parquet européen s’abstient d’exercer sa compétence à l’égard de toute infraction :

- si la peine encourue pour une infraction PIF est équivalente ou moins sévère que celle encourue pour une infraction indissociablement liée qui n’a pas contribué à la commission de l’infraction ;

- ou si le préjudice causé à l’UE par les infractions en matière de recettes autres que la TVA n’excède pas celui causé à une autre victime, sauf à ce qu’avec le consentement des autorités nationales, le Parquet européen apparaisse comme étant mieux placé pour ouvrir une enquête ou engager des poursuites

Le parquet européen s’abstient d’exercer sa compétence à l’égard de toute infraction si la peine encourue pour une infraction PIF est équivalente ou moins sévère que celle encourue pour une infraction indissociablement liée qui n’a pas contribué à la commission de l’infraction PIF

Source : étude d’impact annexée au présent projet de loi, p. 16.

2.   Les dispositions du projet de loi

Le titre Ier du présent projet de loi tire les conséquences de la création du Parquet européen et les intègre en droit français.

L’article 1er insère ainsi dans le code de procédure pénale un nouveau titre X bis relatif au Parquet européen qui comporte trente articles répartis en trois chapitres et qui vise notamment à créer les procureurs européens délégués en droit français et à préciser les modalités procédurales applicables à leur action.

a.   Chapitre Ier : compétence et attributions des procureurs européens délégués

● Le nouvel article 696-108 du code d procédure pénale précise le champ de compétence des procureurs européens délégués : d’un point de vue territorial, ils sont compétents sur l’ensemble du territoire national et d’un point de vue matériel, pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne mentionnées aux articles 4, 22, 23 et 25 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017. S’ajoute un critère temporel : ils sont compétents pour les infractions commises après le 20 novembre 2017.

● L’article 696-109 dispose que les procureurs européens délégués exercent les attributions du procureur de la République et du procureur général près la cour d’appel, en application de l’article 13 du règlement européen. Cet article précise que ces attributions comprennent bien la direction des enquêtes de police judiciaire (articles 12 et 12-1 du code de procédure pénale), ainsi que la saisine de la chambre de l’instruction pour qu’elle exerce un contrôle sur l’activité des fonctionnaires civils et des militaires, officiers et agents de police judiciaire (articles 225 et 229-1 du même code).

Il exclut toutefois certaines compétences prévues dans le code de procédure pénale, notamment les dispositions concernant la conduite de la politique pénale et de l’action publique. Ainsi, les procureurs européens délégués ne se voient pas adresser par le ministre de la Justice d’instructions générales (article 30 du même code) et n’ont pas à mettre celles-ci en œuvre (article 39-1 du même code). Dans la même logique d’indépendance vis-à-vis des autorités nationales, ils ne sont pas non plus concernés par les instructions qui peuvent être données par le procureur général (première phrase de l’article 33, quatre premiers alinéas de l’article 35, articles 36 et 37 du même code) ni par la prévention des infractions à la loi pénale (article 39-2). Ils n’ont de plus pas autorité sur les officiers du ministère public près les tribunaux de police et les juridictions de proximité (article 44). Deux autres procédures sont également exclues : d’une part, la possibilité de former un recours auprès du procureur général contre une décision de classement sans suite et la possibilité associée pour le procureur général d’enjoindre au procureur de la République d’engager des poursuites (article 40-3) ; d’autre part, la possibilité de demander que soient effectués des actes d’enquête dans un autre ressort que celui où le procureur est territorialement compétent (troisième alinéa de l’article 41).

Article 13 du règlement européen mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen

1. Les procureurs européens délégués agissent au nom du Parquet européen dans leurs États membres respectifs et sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particuliers qui leur sont conférés et dans les conditions prévues par le présent règlement.

Ils sont responsables des enquêtes et des poursuites qu’ils engagent, qui leur sont confiées ou dont ils se saisissent en exerçant leur droit d’évocation. Ils suivent les orientations et les instructions de la chambre permanente chargée de l’affaire ainsi que les instructions du procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire.

Les procureurs européens délégués sont également responsables de la mise en état des affaires et disposent notamment du pouvoir de présenter des arguments à l’audience, de prendre part à l’obtention des moyens de preuve et d’exercer les voies de recours existantes conformément au droit national.

2. Chaque État membre compte au moins deux procureurs européens délégués. Le chef du Parquet européen approuve, après avoir consulté les autorités des États membres concernés et être parvenu à un accord avec elles, le nombre de procureurs européens délégués, ainsi que la répartition fonctionnelle et territoriale des compétences entre les procureurs européens délégués dans chaque État membre.

3. Un procureur européen délégué peut également exercer les fonctions de procureur national, pour autant que cela ne l’empêche pas de s’acquitter des obligations qui lui incombent en application du présent règlement. Il informe le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire de ces fonctions. Dans le cas où, à un moment donné, un procureur européen délégué n’est pas en mesure de remplir ses fonctions de procureur européen délégué parce qu’il exerce ces fonctions en tant que procureur national, il en informe le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire, qui consulte les autorités nationales compétentes chargées des poursuites afin de déterminer si le procureur européen délégué doit donner la priorité aux fonctions qu’il exerce au titre du présent règlement. Le procureur européen peut proposer à la chambre permanente de réattribuer le dossier à un autre procureur européen délégué dans le même État membre ou de conduire l’enquête lui-même conformément à l’article 28, paragraphes 3 et 4.

Source : règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen.

● L’article 696-110 dispose que les procédures dont sont saisis les procureurs européens délégués relèvent de la compétence du tribunal judiciaire et de la cour d’appel de Paris.

Les juridictions parisiennes auront ainsi une compétence exclusive pour connaître des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Le second alinéa de l’article 696-110 exclut la possibilité pour la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris d’évoquer – c’est-à-dire de se saisir elle-même – ces procédures dont sont saisis les procureurs européens.

b.   Chapitre II : procédure

i.   Section 1 : procédure de saisine du Parquet européen

La section 1 du chapitre II est relative à la procédure de saisine du Parquet européen. Elle comprend deux articles.

● L’article 696-111 prévoit les modalités dans lesquelles sont réalisés les signalements au Parquet européen par les autorités judiciaires nationales, conformément à l’article 24 du règlement européen.

L’article 24 du règlement européen prévoit en effet que les autorités répressives nationales signalent au Parquet européen tout comportement délictueux à l’égard duquel celui-ci pourrait exercer sa compétence (alinéa 1). Il précise que ce signalement est également prévu si une enquête est ouverte concernant une infraction pénale à l’égard de laquelle le Parquet européen pourrait exercer sa compétence ou si une telle infraction est constatée après l’ouverture d’une enquête (alinéa 2). Le Parquet européen doit être informé des cas où les autorités judiciaires ou répressives nationales estiment que le Parquet européen pourrait ne pas exercer sa compétence (alinéa 3) ou lorsqu’il n’est pas possible de déterminer si les critères sont réunis pour que le Parquet européen exerce sa compétence pour un préjudice inférieur à 10 000 euros (alinéa 5).

Dans ces quatre cas, l’article 696-11 prévoit que ces signalements sont effectués par le procureur de la République compétent, lui‑même informé par le juge d’instruction de faits portés à sa connaissance (article 80 du code de procédure pénale), ou par toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert connaissance d’un crime ou d’un délit (alinéa 2 article 40 du même code), ou par un officier de police judiciaire qui a connaissance d’un crime, délit ou contravention (article 19 du même code).

● L’article 696-112 prévoit le dessaisissement du procureur de la République ou du juge d’instruction lorsque le Parquet européen décide d’exercer sa compétence sur une infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Ces dispositions sont fondées sur le 1er paragraphe de l’article 25 du règlement européen qui prévoit que les juridictions nationales s’abstiennent d’exercer leur compétence à l’égard du même comportement délictueux et du §5 de l’article 27 du même règlement qui dispose que lorsque le Parquet européen exerce son droit d’évocation, les autorités compétentes des États membres lui transmettent le dossier et s’abstiennent de procéder à de nouveaux actes d’instruction portant sur la même infraction.

ii.   Section 2 : cadres procéduraux

La section 2 du chapitre II, qui comprend trois articles, est relative aux cadres procéduraux dans lesquels opèreront les procureurs européens délégués.

● L’article 696-113 dispose que les procureurs européens délégués conduisent les investigations conformément aux dispositions applicables à l’enquête de flagrance ([10]) ou à l’enquête préliminaire et à celles du code des douanes ([11]).

Ils exercent ainsi les pouvoirs du procureur de la République qui « procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » (article 41 du code de procédure pénale), notamment la direction des enquêtes de flagrance (articles 53 et suivants du même code) et des enquêtes préliminaires (articles 75 et suivants du même code), permettant la mise en œuvre d’actes d’enquête tels que la perquisition ou la saisie par exemple. Ils exercent en outre les pouvoirs d’enquêtes douanières prévues au titre II du code des douanes (articles 60 et suivants).

● L’article 696-114 permet aux procureurs européens délégués de prendre des mesures relevant normalement du champ de l’instruction.

Ainsi, lorsqu’il est nécessaire soit de mettre en examen une personne ou de la placer sous le statut de témoin assisté, soit de recourir à des actes d’investigation qui ne peuvent être ordonnés qu’au cours d’une instruction, en raison de leur durée ou de leur nature, les procureurs européens délégués peuvent conduire les investigations conformément aux dispositions applicables à l’instruction, sous réserve des dispositions de la section 3 présentées ci‑après.

Ce cumul des pouvoirs du procureur de la République et de ceux du juge d’instruction au profit du procureur européen délégué constitue la principale innovation du dispositif prévu par le présent article. Comme l’a expliqué Frédéric Baab, procureur européen français, ce choix a permis à la fois de respecter l’échelon européen nécessaire au contrôle de l’enquête et aux décisions de l’action publique dans le cadre du Parquet européen et d’éviter de créer un statut spécifique pour les procureurs européens délégués.

L’article 1er du projet de loi intègre ainsi les missions des procureurs européens délégués dans le cadre procédure français actuel, en leur permettant d’exercer à la fois les compétences d’un procureur et d’un juge d’instruction.

Information judiciaire : l’enquête menée sous la direction du juge d’instruction

Ouverte à la demande du procureur de la République ou à l’initiative d’une victime qui dépose plainte avec constitution de partie civile (article 80 du code de procédure pénale), l’information judiciaire est l’enquête menée par un juge d’instruction en vue de déterminer la commission d’une infraction, les auteurs de l’infraction et l’existence d’indices contre la personne ou les personnes mises en cause.

Le juge d’instruction compétent est celui du lieu de commission de l’infraction, ou du lieu de résidence d’une des personnes soupçonnées, ou du lieu d’arrestation ou de détention de la personne soupçonnée. Il peut être saisi pour enquête sur toutes les infractions (crimes, délits, contraventions) ; il l’est obligatoirement en cas de crime.

Instruisant à charge et à décharge, le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité (article 81 du code de procédure pénale). Il dispose de pouvoirs d’enquête étendus.

Il est compétent pour mettre en examen les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi (articles 80-1 du code de procédure pénale). Il peut ordonner des mesures portant attente à la vie privée et à la propriété (saisies, placements sous contrôle judiciaire, placements sous assignation à résidence, écoutes téléphoniques prolongées…) sans avoir besoin de l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD). Il doit toutefois saisir le JLD pour solliciter un placement en détention provisoire.

Jusqu’à la fin de la procédure, qui se conclue par une ordonnance de non-lieu ou de renvoi devant le tribunal du juge d’instruction, les parties mises en cause et les parties civiles bénéficient de droits. Elles ont accès au dossier et peuvent demander au juge d’instruction d’accomplir certains actes, comme une confrontation par exemple, ou d’annuler certaines pièces de la procédure. La personne mise en examen ou la partie civile peuvent faire appel de l’ordonnance prononcée par le juge d’instruction ; cet appel est examiné par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel.

● L’article 696-115 précise que lorsque le procureur de la République se dessaisit au profit du Parquet européen, les investigations se poursuivent dans le cadre de l’article 696-113 ou, s’il y a lieu, de l’article 696-114. Lorsque c’est le juge d’instruction qui est amené à se dessaisir, les investigations se poursuivent dans le cadre de l’article 696-114.

iii.   Section 3 : dispositions spécifiques à la procédure prévue à l’article 696-114

La troisième section compte dix-sept articles qui précisent les dispositions spécifiques à la procédure prévue à l’article 696-114, c’est-à-dire lorsque les procureurs européens délégués agissent dans le champ de l’instruction.

● L’article 696-116 dispose que, dans le cadre de l’article 696-114, les procédures pénales prévoyant que le ministère public adresse des réquisitions ou des avis au juge d’instruction ne s’appliquent pas. Cela concerne l’article 80 du code de procédure pénale, qui prévoit que le juge d’instruction ne peut informer qu’en vertu d’un réquisitoire du procureur de la République, et les articles suivants, notamment l’article 82 du même code qui prévoit que le procureur peut requérir du magistrat instructeur tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité et toutes mesures de sûreté nécessaires.

Cette précision s’explique, d’une part, par le fait qu’en l’espèce la même personne exercera les attributions du ministère public et du juge d’instruction et, d’autre part, par le principe d’indépendance du procureur européen délégué.

● L’article 696-117 prévoit que les actes pris dans le cadre de l’article 696‑114 sont pris soit par le procureur européen délégué, soit par le juge des libertés et de la détention (JLD) saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué, selon une répartition prévue par les articles 696‑118 à 696‑128 réunis en une sous-section 1.

 Sous-section 1 (articles 696-118 à 696-128) : actes et décisions relevant de la procédure prévue à l’article 696-114

● L’article 696-118 précise les actes et décisions, relevant habituellement de la compétence du juge d’instruction, que peuvent prendre les procureurs européens délégués, conformément aux dispositions du code de procédure pénale.

Ils pourront ainsi procéder à des mises en examen (articles 80-1 et suivants du code de procédure pénale), organiser des interrogatoires et des confrontations (articles 114 à 121 du même code) ou des auditions de témoins, y compris de témoins assistés (articles 101 à 113‑8). Ils pourront se prononcer sur la recevabilité de la constitution de partie civile (article 87). Ils pourront prendre des décisions en matière de transport (articles 92 à 93‑1) ou pour ordonner une expertise (articles 156 à 169‑1). Ils pourront requérir par commission rogatoire (articles 151 à 154‑2 du même code) et émettre des mandats de recherche, de comparution ou d’amener (articles 122 à 136).

● L’article 696-119 dispose que les procureurs européens délégués peuvent prendre des décisions en matière de contrôle judiciaire sous le contrôle du JLD.

Ces décisions peuvent intervenir soit dans le cadre de la procédure d’instruction prévue par l’article 696-114, soit dans le cadre des procédures de convocation par procès-verbal (article 394 du code de procédure pénale) ou de comparution à délai différé (article 397-1-1 du même code).

La décision de placement sous contrôle judiciaire peut être immédiatement contestée par la personne concernée devant le JLD qui doit statuer, à l’issue d’un débat contradictoire, dans un délai maximal de 72 heures. Si le placement sous contrôle judiciaire est confirmé, la personne concernée peut faire appel de cette décision devant la chambre de l’instruction.

● L’article 696-120 précise les règles applicables en matière d’assignation à résidence avec surveillance électroniques (ARSE) : celle-ci est décidée par le JLD saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué.

Conformément à l’article 142-6 du code de procédure pénale, l’ARSE est décidée après un débat contradictoire ou au vu des réquisitions écrites du procureur et après avoir entendu les observations de la personne mise en examen et de son avocat. Conformément à l’article 142-7 du même code, elle ne peut excéder six mois et peut-être prolongée, sous conditions, pour une même durée, sans que la durée totale du placement dépasse deux années.

● L’article 696-121 précise les règles applicables en matière de détention provisoire : celle-ci est décidée par le JLD saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué.

Conformément à l’article 145 du code de procédure pénale relatif à la détention provisoire lors d’une information judiciaire ([12]), les décisions en matière de placement ou de prolongation de la détention provisoires sont prises à l’issue d’un débat contradictoire.

● L’article 696-122 ajoute que les procureurs européens délégués peuvent toutefois prendre eux-mêmes, d’office ou à la demande de la personne mise en examen, des mesures en faveur de cette dernière concernant l’ARSE ou la détention provisoire.

S’agissant de l’ARSE, les 1°, 2° et 3° de l’article 696-122 précisent en effet que les procureurs européens délégués sont compétents pour supprimer, temporairement ou non, tout ou partie des obligations comprises dans l’assignation. Conformément à l’article 142-9 du code de procédure pénale, ils peuvent modifier les horaires de présence au domicile dans le cadre d’une ARSE. Ils peuvent enfin ordonner la main levée de l’ARSE.

S’agissant de la détention provisoire, le 4° du présent article permet aux procureurs européens délégués d’ordonner la mise en liberté, le cas échéant assortie d’un contrôle judiciaire.

Si les procureurs européens délégués refusent, dans un délai imparti de cinq jours, une demande formulée par la personne mise en examen pour mettre fin à un contrôle judiciaire ou à une détention provisoire, ils doivent transmettre le dossier et leur avis motivé au JLD qui statue ensuite dans les trois jours ouvrables, selon les modalités prévues aux articles 140, 147 et 148 du code de procédure pénale.

● L’article 696-123 donne compétence aux procureurs européens délégués pour prendre les décisions relatives aux modalités d’exécution d’une détention provisoire ou à l’exercice de ses droits par une personne placée en détention provisoire.

En application des articles 35 et 36 de la loi pénitentiaire de 2009 ([13]), les procureurs européens sont compétents pour prendre des décisions relatives aux droits des personnes détenues, notamment au maintien des relations avec les membres de leur famille (visites, unités de vie familiale, parloirs familiaux). Ils ont également compétence pour prendre des décisions concernant le droit de téléphoner (article 39 de la loi pénitentiaire précitée et 145‑4 du code de procédure pénale) et de correspondre par écrit (article 40 de la loi pénitentiaire précitée et 145‑4‑2 du code de procédure pénale). Enfin, en application de l’article 148‑5 du code de procédure pénale, ils ont compétence en ce qui concerne les autorisations de sortie sous escorte.

● L’article 696-124 dispose que la décision de décerner un mandat d’arrêt est prise par le JLD saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué.

● L’article 696-125 précise que ce mandat d’arrêt est ensuite mis à exécution par le procureur européen délégué sous la forme d’un mandat d’arrêt européen.

Conformément à l’article 69516 du code de procédure pénale, cette mise à exécution du mandat d’arrêt européen se fait selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles 695‑12 à 695‑15 du même code qui précisent notamment les modalités de rédaction, traduction et transmission du mandat d’arrêt, ainsi que le fait qu’un mandat d’arrêt européen ne peut être émis que si la personne concernée est poursuivie pour une infraction punie de plus d’un an d’emprisonnement, ou a été condamnée à une peine ou à une mesure privative de liberté de plus de 4 mois.

● L’article 696-126 prévoit que les perquisitions, visites domiciliaires et saisies doivent, en l’absence de flagrance ou d’assentiment exprès de la personne chez laquelle elles ont lieu, être autorisées par le JLD saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué.

Ces procédures suivent les conditions prévues à l’article 76 du code de procédure pénale qui prévoit que le JLD prend une décision écrite et motivée précisant la qualification de l’infraction dont la preuve est recherchée ainsi que l’adresse des lieux dans lesquels ces opérations peuvent être effectuées.

● L’article 696-127, dans la même logique, prévoit que les décisions ordonnant une interception de correspondance émise par la voie des télécommunications, une géolocalisation, une enquête sous pseudonyme ou une technique spéciale d’enquête (articles 706-95-11 à 706-102-5 du code de procédure pénale ([14])) sont prises par le JLD saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué.

Cette procédure s’applique quand ces mesures relèvent du cadre de l’instruction ; inversement, elles peuvent être ordonnées directement par le procureur européen délégué lorsqu’il est possible d’y recourir dans le cadre d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire.

● L’article 696-128 dispose que le JLD, saisi par réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué, prend les décisions ordonnant les saisies spéciales et mesures conservatoires.

Cela concerne les saisies portant sur tout ou partie des biens d’une personne, sur un bien immobilier, sur un bien ou un droit mobilier incorporel ou une créance ainsi que les saisies qui n’entraînent pas de dépossession du bien (articles 706‑141 à 706‑158 du code de procédure pénale) et les mesures conservatoires sur les biens, meubles ou immeubles, divis ou indivis de la personne mise en examen afin de garantir le paiement des amendes encourues ainsi que, le cas échéant, l’indemnisation des victimes (article 706‑166 du même code).

Le procureur européen délégué peut toutefois exercer les pouvoirs propres reconnus au procureur de la République en matière de saisie d’une somme d’argent versée sur un compte ouvert auprès d’un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôt (article 706‑154 du même code).

 Sous-section 2 (articles 696-129 à 696-131) : des droits des parties

● L’article 696-129 dispose que lorsque le procureur européen délégué conduit les investigations conformément aux dispositions applicables à l’instruction, les personnes mises en examen, les témoins assistés et les parties civiles exercent l’intégralité des droits qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale au cours de l’instruction.

La rédaction initiale de cet article soulignait que ces droits permettaient notamment de formuler une demande d’acte auprès du procureur européen délégué, de présenter une requête en annulation ou de former un recours devant la chambre de l’instruction. Le Sénat, lors de l’examen du texte en commission, a complété cette liste en rappelant également le droit d’être assisté par un avocat et celui d’avoir accès au contenu de la procédure.

● L’article 696-130 précise les procédures applicables lorsque le procureur européen délégué a mis en examen ou placé sous statut de témoin assisté une personne (article 696-118) ou lorsque le JLD a autorisé un mandat d’arrêt (article 696‑124) ou une interception de correspondance émise par la voie des télécommunications, une géolocalisation, une enquête sous pseudonyme ou une technique spéciale (article 696-127).

Dans ces situations, le procureur européen délégué ne peut entendre comme témoins les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d’avoir participé aux faits (article 105 du code de procédure pénale) et il doit aviser, conformément à l’article 80‑3 du même code, la victime de l’infraction de son droit de se constituer partie civile.

● L’article 696-131 spécifie les cas dans lesquels la victime peut se constituer partie civile.

La victime ne peut se constituer partie civile que si le procureur européen délégué a procédé à une mise en examen ou à un placement sous statut de témoin assisté ou si le JLD a autorisé un mandat d’arrêt ou une interception de correspondance émise par la voie des télécommunications, une géolocalisation, une enquête sous pseudonyme ou une technique spéciale (actes énumérés à l’article 696‑130).

Cet article précise également que la constitution en tant que partie civile se fait conformément aux articles 87 et 89 du code de procédure pénale et que la partie civile dispose des droits prévus à l’article 89‑1 du même code. Elle peut ainsi formuler une demande d’actes ou présenter une requête en annulation.

 Sous-section 3 (article 696-132) : de la clôture de la procédure

L’article 696-132 détermine les règles s’appliquant à la clôture de l’instruction qui peut être menée par les procureurs européens délégués en application de l’article 696‑114.

Conformément au I de l’article 175 du code de procédure pénale, aussitôt qu’il estime que l’instruction qu’il a conduite est terminée, le procureur européen délégué en avise les parties et leurs avocats. Les personnes placées sous statut de témoin assisté sont avisées.

Conformément au III du même article, les parties ou les témoins assistés, une fois avisés, disposent d’un délai de quinze jours pour faire connaître au procureur européen délégué qu’elles souhaitent exercer leur droit de lui adresser des observations ou de formuler des demandes ou de présenter des requêtes. Elles doivent ensuite adresser ces observations ou demandes ou requêtes dans un délai d’un mois si une personne mise en examen est détenue ou de trois mois dans les autres cas.

Les observations doivent être adressées par les parties au procureur européen délégué conformément aux dispositions précisées dans l’avant-dernier alinéa de l’article 81 du code de procédure pénale, c’est-à-dire notamment en faisant l’objet d’une déclaration au greffier.

Les demandes ou requêtes permettent aux parties de :

‒ demander à ce qu’il soit procédé à des examens médicaux ou psychologiques ou toutes mesures utiles (alinéa 9 de l’article 81 du même code) ;

‒ demander à ce qu’il soit procédé à leur audition ou à leur interrogatoire, à l’audition d’un témoin, à une confrontation ou à un transport sur les lieux, à ce qu’il soit ordonné la production par l’une d’entre elles d’une pièce utile à l’information, ou à ce qu’il soit procédé à tous autres actes qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité (article 82-1) ;

‒ demander à ce que soit constatée la prescription de l’action publique (article 82‑3) ;

‒ demander à ce que soit ordonnée une expertise (1er alinéa de l’article 156) ;

‒ saisir la chambre d’instruction si elles estiment qu’une nullité a été commise (alinéa 3 de l’article 173).

À l’issue de ce délai, le procureur européen délégué procède au règlement du dossier au vu des observations éventuelles des parties et rend son ordonnance de règlement conformément aux dispositions prévues aux articles 176 à 184 du code de procédure pénale. Des ordonnances de non-lieu partiel, de renvoi partiel ou de transmission partielle des pièces peuvent intervenir (article 182). Les ordonnances de règlement sont portées à la connaissance de la personne mise en examen et du témoin assisté et les ordonnances de renvoi ou de mise en accusation à la connaissance de la partie civile (article 183) ou de la victime dans le cas d’un non‑lieu (article 183-1)

En vue de rendre son ordonnance de règlement, le procureur européen délégué examine s’il existe contre la personne mise en examen des charges constitutives d’infraction, dont il détermine la qualification juridique (article 176). Il peut décider de rendre une ordonnance de non-lieu (articles 177 à 177‑3), ou, s’il estime que les faits constituent une contravention, renvoyer l’affaire devant le tribunal de police (articles 178 et 180). Il peut aussi, s’il estime que les faits constituent un délit, renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel (articles 179 à 180) ou, s’il estime que les faits constituent un crime, renvoyer l’affaire devant la cour d’assises (article 181).

Le cas échéant, le JLD se prononce, sur réquisitions écrites et motivées du procureur européen délégué, sur le maintien de la personne sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire.

L’article 696‑132 recense ainsi les possibilités d’orientation de la procédure à l’issue de l’enquête. Il doit être lu en complément de l’article 36 du règlement européen qui définit les modalités de poursuite devant les juridictions nationales et précise que cette décision appartient aux chambres permanentes du Parquet européen.

En matière correctionnelle, l’alinéa 4 de cet article permet aux procureurs européens délégués de faire application de la procédure de comparution volontaire sur reconnaissance de culpabilité si la personne mise en examen reconnaît les faits et qu’elle accepte la qualification pénale retenue, conformément aux dispositions prévues par l’article 180-1 du code de procédure pénale. Cette procédure, dite de « plaider-coupable », permet, pour certains délits, de juger rapidement l’auteur de l’infraction qui reconnaît les faits reprochés. Le procureur peut proposer une amende, dont le montant ne peut être supérieur à celui de l’amende encourue, et/ou un emprisonnement, qui ne peut excéder une durée de trois années, ni excéder la moitié de la peine encourue.

Si les conditions de l’article 180-2 sont réunies, l’alinéa 5 de cet article permet aux procureurs européens délégués de faire application de la procédure relative à une convention judiciaire d’intérêt public prévue à l’article 41‑1‑2 du code de procédure pénale. Cette procédure revient à conclure avec une personne morale mise en cause ou mise en examen pour corruption, trafic d’influence, blanchiment de fraude fiscale ou pour des infractions connexes, une convention comprenant une ou plusieurs obligations dont l’exécution éteint l’action publique. Si, dans un délai de trois mois, aucun accord sur une proposition de convention n’a été trouvé, ou si le président du tribunal judiciaire refuse de valider la convention, ou si la personne morale décide d’exercer son droit de rétractation ou si, dans le délai prévu par la convention, la personne morale ne justifie pas de l’exécution intégrale des obligations à sa charge, le procureur européen délégué reprend la procédure prévue à l’article 696-114.

c.   Chapitre III : de l’articulation des compétences entre le procureur européen, les procureurs européens délégués et l’autorité judiciaire française

● L’article 696-133 prévoit que lorsque le procureur européen conduit personnellement l’enquête, il exerce les attributions du procureur européen délégué.

Sont ainsi appliquées les dispositions prévues par le §4 de l’article 28 du règlement européen qui prévoit qu’à « titre exceptionnel, après avoir obtenu l’approbation de la chambre permanente compétente, le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire peut prendre la décision motivée de conduire l’enquête personnellement, […] si cela semble indispensable pour assurer l’efficacité de l’enquête ou des poursuites ».

Le procureur européen peut alors conduire l’enquête, soit en prenant personnellement les mesures d’enquête et les autres mesures, soit en confiant ces tâches aux autorités compétentes de son État membre. Cette procédure peut être enclenchée sur la base de plusieurs critères : le niveau de gravité de l’infraction ; si l’enquête concerne des fonctionnaires ou agents de l’Union européenne ; lorsque le mécanisme prévoyant la réattribution de l’affaire à un autre procureur européen délégué du même pays, si celui qui en était en charge n’était pas en capacité de la poursuivre ou ne suivait pas les instructions données par le Parquet européen (§3 de l’article 28 du règlement), n’a pas fonctionné.

● L’article 696-134 dispose que si le Parquet européen décide de ne pas exercer sa compétence, le procureur de la République saisi de l’enquête ou le juge d’instruction saisi de l’information judiciaire demeurent compétents, y compris en cas de désaccord entre le Parquet européen et les autorités nationales sur cette question d’attribution des compétences en l’espèce.

Tant que le Parquet européen n’a pas statué sur l’exercice de sa compétence, la recevabilité d’une plainte avec constitution de partie civile déposée devant le juge d’instruction pour des faits susceptibles de constituer une infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne ne peut être examinée. La prescription de l’action publique est quant à elle suspendue dans l’attente de la décision du Parquet européen sur l’exercice de sa compétence.

● L’article 696-135 décrit la procédure applicable lorsque le Parquet européen et le procureur de la République saisi de l’enquête s’estiment tous deux compétents pour traiter d’une affaire.

Le §6 de l’article 25 du règlement européen prévoit qu’en cas de désaccord entre le Parquet européen et les autorités nationales, ce sont les autorités nationales compétentes pour statuer sur la répartition des compétences en cas de poursuites à l’échelle nationale qui déterminent qui doit instruire l’affaire. Cet article désigne donc l’autorité nationale qui doit statuer sur la répartition des compétences dans un tel cas : en cas de désaccord avec un procureur de la République, c’est le procureur général compétent qui désigne le magistrat qui poursuivra les investigations.

● L’article 696-136 décrit la procédure applicable lorsque le Parquet européen et le juge d’instruction saisi de l’information s’estiment tous deux compétents pour traiter d’une affaire.

Le §6 de l’article 25 du règlement européen prévoit qu’en cas de désaccord entre le Parquet européen et les autorités nationales, ce sont les autorités nationales compétentes pour statuer sur la répartition des compétences en cas de poursuites à l’échelle nationale qui déterminent qui doit instruire l’affaire. Comme le précédent, cet article désigne donc l’autorité nationale qui doit statuer sur la répartition des compétences dans un tel cas : en cas de désaccord avec un juge d’instruction, c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation qui peut être amenée à désigner le magistrat compétent pour poursuivre les investigations.

La procédure est néanmoins plus complexe que celle prévue à l’article précédent :

‒ à l’invitation du juge d’instruction refusant de se dessaisir de l’enquête, les parties ont cinq jours pour lui faire connaître leurs observations ;

‒ à l’issue de ce délai de cinq jours, le juge d’instruction rend une ordonnance de refus de dessaisissement qui est notifiée au procureur de la République et aux parties ;

‒ dans les cinq jours qui suivent sa notification, cette ordonnance peut être déférée, à la requête du Parquet européen, du procureur de la République ou des parties, à la chambre criminelle de la Cour de cassation ;

‒ la chambre criminelle dispose alors d’un délai de huit jours pour désigner le magistrat compétent pour poursuivre les investigations ;

‒ l’arrêt de la chambre criminelle est porté à la connaissance du Parquet européen, du ministère public et du juge d’instruction qui demeure jusque-là saisi ;

‒ l’arrêt de la chambre criminelle est également notifié aux parties.

● L’article 696-137 organise la procédure lorsque le Parquet européen se dessaisit d’une affaire et la renvoie aux autorités nationales.

Selon les dispositions prévues par l’article 34 du règlement européen, le Parquet européen peut en effet se dessaisir d’une affaire et la renvoyer aux autorités nationales lorsque l’enquête révèle que les faits mis au jour ne relèvent pas de son champ de compétences (§1 de l’article 34), ou lorsque les conditions nécessaires à l’exercice de ses compétences ([15]) ne sont pas remplies (§2 de l’article 34) ou lorsque la gravité de l’affaire ne justifie pas une enquête au niveau européen (§3 de l’article 34).

Le de l’article prévoit que le procureur européen délégué en informe alors le procureur de la République compétent.

Le de l’article prévoit que, dans le cas où le procureur européen délégué envisage un classement sans suite, il en informe le procureur général (§6 de l’article 34).

Dans les cas où les conditions nécessaires à l’exercice de ses compétences ne sont pas remplies (§2 de l’article 34) ou lorsque la gravité de l’affaire ne justifie pas une enquête au niveau européen (§3 de l’article 34), le procureur de la République dispose d’un délai de trente jours pour indiquer s’il accepte ou non de se charger de l’affaire. S’il n’accepte pas, le Parquet européen demeure compétent pour engager des poursuites ou classer l’affaire sans suite (§5 de l’article 34). S’il accepte de s’en charger, les investigations se poursuivent, selon les cas, dans le cadre de l’enquête de flagrance, de l’enquête préliminaire ou de l’information judiciaire.

3.   Une disposition adoptée par le Sénat

La commission des Lois du Sénat a adopté deux amendements présentés par le rapporteur.

● La première modification spécifie les conditions dans lesquelles les procureurs européens délégués peuvent prendre des mesures d’instruction en précisant que la conduite des investigations, par le procureur européen délégué, conformément aux dispositions applicables à l’instruction est possible lorsqu’il est nécessaire soit de mettre en examen une personne ou de la placer sous le statut de témoin assisté, soit de recourir à des actes d’investigation qui ne peuvent être ordonnés qu’au cours d’une instruction, en raison de leur durée ou de leur nature. Cette précision vise ainsi à mieux encadrer les pouvoirs reconnus aux procureurs européens délégués de prendre des mesures d’instruction.

● Le second amendement précise les droits des personnes mises en examen, placées sous le statut de témoin assisté ou partie civile, dans le cadre d’une instruction conduite par un procureur européen délégué, en ajoutant le droit d’être assisté par un avocat et d’avoir accès au contenu de la procédure.

4.   La position de votre Commission

La Commission a adopté un amendement du Gouvernement, avec avis favorable de votre rapporteure, qui vient préciser l’article 696‑109 du code de procédure pénale créé par le présent article. Il complète ainsi la liste des compétences ou procédures qui sont exclues du champ d’action des procureurs européens délégués afin, notamment, de garantir leur indépendance vis‑à‑vis de toute autorité nationale. L’amendement précise que la mise en place d’une enquête commune d’enquête avec des autorités étrangères, lorsqu’elle est décidée par les procureurs européens délégués, n’est pas subordonnée à l’accord préalable du ministre de la Justice.

La Commission a également adopté dix amendements rédactionnels de votre rapporteure.

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Article 1er bis
(art. 69420 du code de procédure pénale)
Conditions des décisions d’enquête européenne
par les autorités judiciaires françaises

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis est issu d’un amendement de M. Didier Paris adopté avec avis favorable de votre rapporteure. Il modifie l’article 694‑20 du code de procédure pénale portant sur l’émission d’une décision d’enquête européenne par les autorités judiciaires françaises. Il modifie la règle applicable lorsque la décision d’enquête concerne un acte exigeant l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, en prévoyant que cette décision ne peut alors être émise qu’avec cette autorisation.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 694-20 du code de procédure pénale a été créé par l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale qui avait elle-même pour objet de transposer dans la partie législative du code de procédure pénale la directive (UE) 2014/41 du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale. Il s’insère dans une nouvelle section dédiée aux décisions d’enquête européenne qui figure dans la partie du code de procédure pénale relative à l’entraide pénale entre les États de l’Union européenne.

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Définie par l’article 694-16 du code de procédure pénale, une décision d’enquête européenne est « une décision judiciaire émise par un État membre, appelé État d’émission, demandant à un autre État membre, appelé État d’exécution, en utilisant des formulaires communs à l’ensemble des États, de réaliser dans un certain délai sur son territoire des investigations tendant à l’obtention d’éléments de preuve relatifs à une infraction pénale ou à la communication d’éléments de preuve déjà en sa possession ».

L’article 694-20 dispose que le procureur de la République, le juge d’instruction, la chambre de l’instruction et son président ainsi que les juridictions de jugement ou d’application des peines et leurs présidents peuvent, à l’occasion des procédures dont ils sont saisis et dans l’exercice de leurs attributions, émettre une décision d’enquête européenne dès lors qu’elle apparaît nécessaire à la constatation, à la poursuite ou au jugement d’une infraction ou à l’exécution d’une peine et proportionnée au regard des droits de la personne suspecte, poursuivie ou condamnée et que les mesures demandées peuvent être réalisées en application des dispositions du présent code.

Il précise que s’il s’agit d’une décision émise par le procureur de la République ou le juge d’instruction nécessitant une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention (JLD), il est nécessaire de demander à l’autorité d’exécution d’obtenir l’autorisation d’un juge avant d’exécuter la mesure.

Cette précision est modifiée par le présent article, afin de tenir compte du règlement européen sur le Parquet européen dont l’article 31 prévoit que si un procureur européen délégué chargé de l’affaire demande au procureur européen délégué d’un autre État de procéder, sur délégation, à des actes d’enquête transfrontières qui nécessitent l’autorisation préalable d’un juge dans la législation de l’État du procureur européen délégué chargé de l’affaire, ce dernier doit obtenir cette autorisation avant de demander ces actes. Il est prévu que, lorsque cela est nécessaire, l’autorisation doit être délivrée par le JLD français.

L’article 1er bis ajoute également deux précisions concernant les décisions d’enquête européenne :

– s’agissant des perquisitions et des géolocalisations, il est indiqué que cette autorisation du JLD pourra ne pas mentionner l’adresse du lieu privé dans lequel une perquisition pourra intervenir ou dans lequel un dispositif de géolocalisation pourra être installé ou retiré, si cette adresse n’est pas connue lors de la délivrance de la décision d’enquête européenne, à condition de mentionner l’identité de la personne chez qui ces opérations pourront intervenir ;

– s’agissant du cas où le juge peut, en vertu du 1° de l’article 230‑33 du code de procédure pénale, prolonger pour une durée d’un mois maximum une géolocalisation de 15 ou 8 jours décidée par le procureur de la République, il est précisé que cette décision pourra être « délivrée avant l’émission de la décision d’enquête ».

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Chapitre II
Dispositions modifiant le code de l’organisation judiciaire

Article 2
(art. L. 21119, L. 21261, L. 21313 et L. 3128 [nouveaux]
du code de l’organisation judiciaire)
Compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Dans la continuité de l’article 1er, l’article 2 du projet de loi prévoit des précisions nécessaires pour parfaire l’intégration en droit interne du Parquet européen. Il insère à cet effet quatre nouveaux articles dans le code de l’organisation judiciaire et prévoit que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et relevant de la compétence du procureur européen. Il précise que le ministère public est alors exercé par le procureur européen ou ses délégués.

       Position du Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteure.

1.   Les dispositions du projet de loi

En application du règlement (UE) n° 2017/1939 du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen et en cohérence avec l’article 1er du présent projet de loi, l’article 2 insère quatre nouveaux articles dans le code de l’organisation judiciaire.

● Le 1° crée l’article 21119 qui prévoit que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et relevant du Parquet européen conformément au règlement européen. Cette disposition est insérée dans la sous‑section portant sur les compétences particulières à certains tribunaux judiciaires (Livre II, titre Ier, chapitre Ier, section 1 du code de l’organisation judiciaire).

● L’article 21261 créé par le 2° consacre la représentation du ministère public devant le tribunal judiciaire de Paris, pour les affaires relevant de leurs attributions, par le procureur européen ou ses délégués. Il s’agit d’une exception aux articles L. 122‑2 et L. 212‑6 du code de l’organisation judiciaire qui disposent que le ministère public est exercé, devant toutes les juridictions du premier degré du ressort du tribunal judiciaire, par le procureur de la République. Cette disposition est insérée dans la section portant sur l’organisation et le fonctionnement du tribunal judiciaire (livre II, titre Ier, chapitre II du code de l’organisation judiciaire).

● L’article 21313 renvoie au code de procédure pénale pour fixer les règles relatives à la compétence, à l’organisation et au fonctionnement du tribunal judiciaire de Paris pour la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne conformément au règlement européen. Prévu par le du présent article, ce nouvel article 213‑13 est inséré dans la section relative aux fonctions particulières exercées en matière pénale dans le cadre du tribunal judiciaire (livre II, titre Ier, chapitre II, section 2 du code de l’organisation judiciaire).

● L’article 3128 créé par le 4° consacre la représentation du ministère public près la cour d’appel de Paris par le procureur européen ou ses délégués pour les affaires relevant de ses attributions. Il s’agit d’une exception aux articles L. 122‑3 et L. 312‑7 du code de l’organisation judiciaire qui disposent que le ministère public est exercé, devant toutes les juridictions du second degré et les cours d’assises instituées dans le ressort de la cour d’appel, par le procureur général. Cette disposition est insérée dans la section 2 du chapitre portant sur les compétences de la cour d’appel (livre III, titre Ier, chapitre Ier du code de l’organisation judiciaire).

Cet article, ainsi que l’article 216-6-1 mentionné ci-avant, consacrent la représentation du ministère public devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel par le procureur européen ou ses délégués dans les affaires relevant de leurs attributions. Selon l’étude d’impact, « cette capacité s’exerce sans que ne fasse obstacle, à cet égard, les articles […] du code de l’organisation judiciaire qui consacrent le principe d’invisibilité du parquet ([16]) selon lequel tout membre du Parquet, en ce qu’il représente le ministère public, peut se substituer à un autre membre du ministère public à n’importe quel stade de la procédure. Ce principe ne joue en effet qu’au sein de l’ordre interne et ne saurait s’appliquer au Parquet européen, qui est régi par son propre principe d’indivisibilité en vertu de l’article 8 du règlement européen qui l’a institué » ([17]).

2.   Une disposition adoptée par le Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

3.   La position de votre Commission

La Commission a adopté un amendement rédactionnel de la rapporteure.

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Chapitre III
Dispositions modifiant le code des douanes

Article 3
(art. 3441, 3442, 3443 et 3444 nouveaux du code des douanes)
Compétence du Parquet européen pour connaître des infractions douanières portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 insère quatre nouveaux articles dans le code des douanes. Il définit les modalités selon lesquelles le Parquet européen est compétent pour connaître des infractions douanières portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

       Position du Sénat

Le Sénat a adopté le présent article sans modification.

       Modifications apportées par la Commission

Aucune.

1.   L’état du droit

Les services douaniers français sont actuellement compétents pour traiter de certaines infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

De fait, la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) perçoit des taxes et droits indirects qui constituent des ressources propres de l’Union européenne. Elle exerce également un pouvoir de contrôle et de sanctions à l’égard des infractions visant à échapper à l’application des droits de douane ou des droits anti-dumping. Elle contrôle les aides accordées par l’Union européenne, via le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), en soutien aux agriculteurs ou au marché agricole.

Pour ce faire, le code des douanes confie aux agents des douanes des pouvoirs de contrôle spécifiques. Il s’agit notamment du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes (article 60 du code des douanes), qui s’accompagne du pouvoir d’ordonner l’arrêt des moyens de transport (article 61 du même code), du droit d’accès aux locaux et lieux à usage professionnel (article 63 ter) et aux locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express (article 66), du droit de visite domiciliaire (article 64) et du droit de visiter les navires en tout lieu et à toute heure (articles 62 et 63). Par ailleurs, les agents des douanes ont la faculté d’exiger communication de documents de toute nature détenus par toutes les personnes physiques ou morales impliquées dans des opérations relevant de leur compétence (article 65).

Les agents des douanes peuvent aussi mettre en œuvre certaines techniques spéciales d’enquêtes comme des opérations de surveillance (articles 67 bis, 67 bis-3 et 67 bis-4), d’infiltration (article 67 bis) ou encore de géolocalisation (article 67 bis-2). Ils disposent aussi d’un droit de saisie : s’ils constatent une infraction douanière, ils ont ainsi la faculté de saisir, en vue de leur confiscation par le juge, les marchandises concernées (article 323). Enfin, en cas de flagrant délit et lorsqu’une peine d’emprisonnement est encourue, ils peuvent procéder à l’arrestation et au placement en retenue douanière d’une personne (articles 323-1 et suivants).

Enfin, l’article 343 du code des douanes dispose que « l’action pour l’application des peines est exercée par le ministère public » (1°) et que « l’action pour l’application des sanctions fiscales est exercée par l’administration des douanes ; le ministère public peut l’exercer accessoirement à l’action publique » (2°). Ainsi, l’administration douanière poursuit les infractions douanières, soit par voie judiciaire, soit par voie transactionnelle et, lorsqu’une peine d’emprisonnement est prévue, elle prend l’attache du ministère public.

2.   Les dispositions du projet de loi

Certaines infractions visées par le code des douanes concernent donc le champ de compétences du Parquet européen. C’est pourquoi l’article 3 du projet de loi « vise à intégrer dans le code des douanes le Procureur européen délégué, en excluant, lorsque ce dernier exerce sa compétence, la possibilité pour l’administration des douanes d’exercer l’action fiscale ou de transiger » ([18]).

 Le 1° de l’article 3 insère ainsi, dans le chapitre II du titre XII du code des douanes, une nouvelle section 1 bis, intitulée « Du Parquet européen » et composée de quatre articles précisant les conditions dans lesquelles le Parquet européen exerce sa mission.

● L’article 3441, en miroir de l’article 696-111 du code de procédure pénale, prévoit la procédure de signalement des infractions relevant du champ de compétence du Parquet européen et prévues dans le code des douanes. Ainsi, les signalements concernant les infractions douanières portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne sont transmis au Parquet européen par l’intermédiaire du procureur de la République lui-même informé par les agents des douanes sur le fondement du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale ([19]).

● L’article 3442 prévoit que, lorsque le Parquet européen décide d’exercer sa compétence sur des infractions douanières, les procureurs européens délégués peuvent conduire ces investigations conformément aux dispositions prévues par le code des douanes.

En cohérence avec l’article 696‑113 créé par l’article 1er du projet de loi qui dispose que « dans les procédures relevant de sa compétence, le procureur européen délégué conduit les investigations conformément aux dispositions applicables à l’enquête de flagrance ou à l’enquête préliminaire et à celles du code des douanes », l’article 344‑2 offre donc la possibilité, optionnelle, de conduire ces investigations conformément au code des douanes.

● L’article 3443 précise deux points concernant l’articulation entre les prérogatives de l’administration des douanes et celles du procureur européen délégué, dans les cas où le Parquet européen exerce sa compétence ou dans le délai de cinq jours dont il dispose pour décider de l’exercer ([20]) :

‒ c’est le procureur européen délégué qui exerce l’action pour l’application des sanctions fiscales, et non l’administration des douanes ;

‒ l’administration des douanes ne peut transiger que si le Parquet européen admet le principe d’une transaction ([21]).

● L’article 3444 prévoit que, à la fin de la procédure, le procureur européen délégué compétent doit communiquer, dès que possible, à l’administration fiscale l’ensemble des informations permettant la notification de la dette douanière, en application des articles 102 et 103 du code des douanes de l’Union européenne ([22]).

 Enfin, le 2° de l’article 3 modifie l’article 358 du code des douanes qui concerne les règles relatives à la compétence territoriale des juridictions.

Le 1° de l’article 538 dispose actuellement que « les instances résultant d’infractions douanières constatées par procès-verbal de saisie sont portées devant le tribunal dans le ressort duquel est situé le bureau de douane le plus proche du lieu de constatation de l’infraction ».

Le présent article vise à modifier ces règles de compétence territoriale en modifiant l’article 538 comme suit : « les instances résultant d’infractions douanières constatées par procès-verbal de saisie sont portées devant le tribunal compétent en application des dispositions du code de procédure pénale ».

Ce faisant, l’article 3 supprime la compétence territoriale dérogatoire qui s’attachait au jugement des infractions relevées par les douanes et aligne le jugement de ces affaires sur la compétence territoriale de droit commun.

3.   Une disposition adoptée par le Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

4.   La position de votre Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

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Chapitre IV (nouveau)
Dispositions diverses

Article 3 bis
Prise en charge par l’État des cotisations et contributions de sécurité sociale des procureurs européens délégués nommés pour la France

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article est issu d’un amendement du Gouvernement adopté avec avis favorable de votre rapporteure.

Il précise que les cotisations et contributions de sécurité sociale des procureurs européens délégués nommés pour la France seront prises en charge par l’État français, en conformité avec l’article 96 (§6) du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen qui dispose : « Des arrangements appropriés doivent être en place pour préserver les droits des procureurs européens délégués liés à la sécurité sociale, à la retraite et à l’assurance en application du régime national ».

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TITRE II
Dispositions relatives à la justice pénale spécialisée

Chapitre Ier
Dispositions communes

Article 4
(art. 431 [nouveau] du code de procédure pénale)
Droit de priorité des parquets spécialisés

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article instaure, en cas de conflit de compétence concurrente entre deux juridictions, un droit de priorité au profit des parquets spécialisés.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a créé deux nouvelles juridictions spécialisées : le parquet national anti-terroriste et la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée.

       Position du Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

La loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État a initié un mouvement de spécialisation des juridictions qui, en matière de terrorisme, a été parachevé par la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Depuis le 1er juillet 2019, un parquet national anti-terroriste (PNAT) autonome dispose, en application de l’article 706‑17 du code de procédure pénale, d’une compétence nationale pour la poursuite, l’instruction et le jugement des actes de terrorisme et des infractions connexes.

Actes de terrorisme, infractions en matière économique et financière, criminalité et délinquance organisée, droit de l’environnement : la spécialisation des juridictions a pour objectif d’apporter une réponse pénale efficace à des contentieux complexes, techniques ou graves dans un souci de bonne administration de la justice.

Les principales juridictions spécialisées ([23])

Domaine

Code de procédure pénale

Nature de la spécialisation

Loi

Infractions terroristes

Article 70617

 

Compétence nationale du procureur, du pôle de l’instruction, du tribunal correctionnel et de la cour d’assises de Paris.

 

Loi n° 861020 du 9 septembre 1986

 

Création d’un parquet national anti-terroriste (PNAT), distinct du parquet de Paris, dirigé par le procureur de la République antiterroriste. 

 

Loi n° 2019222 du 23 mars 2019

Infractions en matière économique et financière

Article 705

 

Compétence nationale du parquet national financier (PNF), du juge d’instruction et du tribunal correctionnel de Paris dans les affaires d’une grande complexité ou en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent.

 

Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013

Article 704

 

Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) : compétence interrégionale des tribunaux de grande instance de Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et FortdeFrance dans les affaires d’une grande complexité.

Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004

Criminalité et délinquance organisée

Article 70675

 

Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) : compétence nationale du tribunal judiciaire et de la cour d’assises de Paris dans les affaires d’une très grande complexité.

 

Loi n° 2019222 du 23 mars 2019

Ces juridictions sont dotées d’une compétence dite spécialisée qui s’exerce de manière concurrente à celles, territoriales, qui résultent, pour les parquets, de l’application de l’article 43 du code de procédure pénale ([24]).

Cette situation est de nature à générer des conflits de compétence entre les juridictions ([25]). Les cas de compétence exclusive, comme celle attribuée par l’article 705‑1 du code de procédure pénale au procureur de la République financier et aux juridictions d’instruction et de jugement de Paris pour la poursuite, l’instruction et le jugement des atteintes à la transparence des marchés, sont en effets presque inexistantes.

Le règlement des conflits dans la lutte contre la criminalité complexe

et contre la grande délinquance économique et financière

Ce domaine peut faire intervenir un parquet local, un ou plusieurs parquets d’une JIRS, le PNF et le parquet de la JUNALCO. Deux circulaires et une dépêche permettent d’organiser le règlement des conflits suivants ([26]) :

– entre le parquet d’une JIRS et un parquet local : lorsque le conflit est soulevé au sein du ressort de la même cour d’appel, il appartient au procureur général de le trancher lequel des deux parquets doit poursuivre les investigations. Lorsqu’il est soulevé entre deux cours d’appel, le procureur interrégional de la JIRS arbitre en cas de désaccord persistant avec un autre procureur général ;

– entre deux parquets de JIRS : les procureurs généraux interrégionaux concernés tranchent, après concertation, le différend ;

– entre le parquet d’une JIRS et le parquet de la JUNALCO : le procureur général près la cour d’appel de Paris arbitre, le principe de spécialisation devant conduire à privilégier l’exercice prioritaire de la compétence du parquet le plus spécialisé, c’est-à-dire celui de la JUNALCO ;

– entre le parquet JUNALCO et le PNF : le procureur général près la cour d’appel de Paris arbitre.

Dans le ressort d’une cour d’appel, l’autorité hiérarchique du procureur général permet de trancher les conflits de compétence qui pourraient survenir entre procureurs de la République. Au-delà de ce ressort, il n’existe plus de possibilité d’arbitrage national.

On rappellera, à ce stade, que la loi  2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique a interdit au ministre de la justice, en application de l’article 30 du code de procédure pénale, d’adresser aux magistrats du parquet des instructions dans les affaires individuelles. Le garde des Sceaux ne peut leur adresser que des instructions générales.

En l’absence de hiérarchisation, par la loi, des compétences des différentes juridictions et d’autorité d’arbitrage nationale, c’est par le biais de circulaires que sont organisés les modes de règlement des conflits.

Le développement des juridictions spécialisées ayant pour but de traiter efficacement des contentieux sensibles, il est pourtant essentiel que les différends puissent être tranchés le plus tôt possible et, en tout état de cause, avant la mise en mouvement de l’action publique. Après cette échéance, c’est la procédure, plus complexe, de règlements de juge, régie par le titre V du livre IV du code de procédure pénale, qui s’applique. Celle-ci peut être portée jusqu’à la chambre criminelle de la Cour de cassation.

2.   Le dispositif proposé

L’article 4 du projet de loi traduit une proposition formulée par le procureur général près la Cour de cassation, M. François Molins, dans un rapport sur le traitement de la criminalité organisée et financière remis en juillet 2019. Il préconisait alors la mise en place d’un droit d’évocation au bénéfice des parquets spécialisés.

Le dispositif proposé instaure, au sein d’un nouvel article 43‑1 du code de procédure pénale, ce droit de priorité tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement.

En cas de conflit de compétence entre deux ministères publics spécialisés, le présent article donne la priorité à celui dont le ressort est étendu à l’autre.

Cette compétence prioritaire est attribuée directement aux procureurs sans remettre en cause, pour autant, le principe d’organisation hiérarchique du parquet. Les procureurs généraux pourront toujours, s’ils l’estiment nécessaire, arbitrer la saisine ou la dessaisine d’un parquet placé sous leur autorité.

3.   Une disposition adoptée par le Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

4.   La position de votre Commission

La Commission a adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteure.

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Article 4 bis
(art. 1138 du code pénal)
Dispense de plainte ou de dénonciation préalable pour la poursuite par des parquets spécialisés d’infractions commises à l’étranger
par un Français ou sur un Français

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 bis est issu d’un amendement du Gouvernement adopté avec avis favorable de votre rapporteure. Il complète l’article 113‑8 du code pénal par un alinéa qui précise qu’une plainte ou une dénonciation préalable n’est pas nécessaire pour poursuivre un délit, commis à l’étranger par un Français ou sur un Français, relevant d’un des parquets spécialisés.

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L’article 113‑8 du code pénal qui prévoit actuellement que, s’agissant des délits « commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » (article 113‑6 du même code), ainsi que des délits punis « d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction » (article 113‑7 du même code), la poursuite de ces infractions « doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ».

Le présent article simplifie cette procédure s’agissant des infractions relevant des juridictions pénales spécialisées en précisant que cette plainte ou cette dénonciation n’est alors pas nécessaire.

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Article 4 ter
(art. 706142 nouveau du code de procédure pénale)
Aide du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme
et d’autres infractions pour assister aux procès tenus à l’étranger

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 ter est issu d’un amendement du Gouvernement adopté avec avis favorable de votre rapporteure. Il insère dans le code de procédure pénale un article 706‑14‑2 qui prévoit d’accorder une aide aux victimes pour couvrir leurs frais de voyage et de séjour quand le procès pénal lié à une infraction susceptible de relever de la compétence d’une juridiction spécialisée a lieu à l’étranger.

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Le présent article prévoit que toute personne physique ayant subi un préjudice résultant de faits, volontaires ou non, commis à l’étranger et susceptibles de relever de la compétence d’une juridiction pénale spécialisée, peut obtenir du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions une aide financière au titre des frais de voyage, de l’indemnité de comparution et de l’indemnité journalière de séjour pour répondre à une convocation à l’audience de jugement d’un procès pénal tenu à l’étranger.

Il est précisé que les faits concernés doivent présenter le caractère matériel d’une infraction et répondre aux conditions prévues :

– à l’article 706‑3 du code de procédure pénale : il s’agit des faits ayant entrainé la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois, ainsi que des faits relevant des infractions de viol ou autres agression sexuelles ([27]), de réduction en esclavage et exploitation de personnes réduites en esclavage ([28]), de traite des êtres humains ([29]), de proxénétisme ([30]), de travail forcé et réduction en servitude ([31]) ou d’atteintes sexuelles sur mineur ([32]). Il est également précisé que la personne lésée doit être de nationalité française ou que les faits doivent avoir été commis sur le territoire national. Sont exclues certaines infractions liées à des régimes spécifiques qui font l’objet d’autres dispositions législatives : préjudices liés à l’amiante ([33]), actes de terrorisme ([34]), accidents de la circulation ([35]), accidents de chasse ou liés à la destruction des animaux nuisibles ;

– ou à l’article L. 126‑1 du code des assurances qui concerne les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité.

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Article 4 quater
(art. 8023 nouveau du code de procédure pénale)
Possibilité de retransmission sonore aux parties civiles
dans les procès de grande ampleur

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article est issu d’un amendement du Gouvernement adopté avec avis favorable de la rapporteure. Il insère dans le code de procédure pénale un article 802‑3 qui permet au premier président de la Cour d’appel de décider, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, qu’un procès relevant d’une juridiction pénale spécialisée fera l’objet d’une captation sonore permettant sa diffusion en différé, par un moyen de télécommunication garantissant la confidentialité de la transmission, aux parties civiles qui en ont fait la demande.

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Le présent article insère dans le code de procédure pénale la possibilité d’un enregistrement sonore de certains procès qui serait ensuite diffusé, en léger différé, aux parties civiles qui en ont fait la demande.

Il apporte plusieurs précisions :

– le dispositif concerne des procès relevant d’une juridiction pénale disposant, en application du code de procédure pénale, d’une compétence territoriale concurrente et spécialisée s’étendant sur le ressort de plusieurs tribunaux judiciaires ou sur l’ensemble du territoire ;

– il est mis en œuvre dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, en raison de la disproportion entre, d’une part, les capacités d’accueil physique de la juridiction et, d’autre part, le nombre des parties civiles : cela concernerait donc notamment certains procès en matière de terrorisme ou de santé publique ;

– les modalités de cette captation sonore et de sa diffusion seront précisées par arrêté du ministre de la justice ;

– le président de la juridiction pénale pourra ordonner l’interdiction de la diffusion de tout ou partie des débats, afin de garantir leur sérénité ou de prévenir un trouble à l’ordre public ; 

– le fait d’enregistrer cette captation ou de la diffuser à des tiers sera puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

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Chapitre II
Dispositions relatives au procureur de la République antiterroriste

Article 5
(art. 6271, 6272, 6281, 702, 70619, 70620 [abrogé], 70621, 70622 et 7062521 [nouveau]
du code de procédure pénale)
Extension des compétences du parquet national antiterroriste

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article donne compétence au parquet national antiterroriste (PNAT) pour traiter les demandes d’entraide judiciaires adressées par la Cour pénale internationale (CPI), représenter le ministère public devant la cour d’assises dans les affaires de crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre, et poursuivre les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a créé le parquet national anti-terroriste.

       Position du Sénat

Le Sénat n’a apporté aucune modification à cet article.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté cinq amendements avec des avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement. Le premier amendement, présenté par M. Jean-Félix Acquaviva, supprime l’extension des compétences du procureur national antiterroriste aux crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation. Le deuxième amendement, déposé par M. Didier Paris, traite des conséquences d’une disqualification des faits à l’issue des investigations. Enfin, trois amendements identiques de la rapporteure, du Gouvernement et de M. Didier Paris autorisent le procureur national antiterroriste à s’adjoindre des assistants spécialisés.

1.   L’état du droit

Le parquet national antiterroriste (PNAT) a été créé par l’article 69 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([36]). Placé auprès du tribunal judiciaire de Paris, il est opérationnel depuis le 1er juillet 2019.

Le PNAT exerce les fonctions du ministère public – au stade de l’enquête ou de l’information judiciaire, du jugement ou de l’exécution et de l’application des peines – pour les infractions terroristes, les infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive, les crimes contre l’humanité, les crimes et délits de guerre ainsi que les crimes de torture et de disparitions forcées commises par les autorités étatiques. Il ne dispose pas d’une compétence exclusive dans ces matières, mais d’une compétence concurrente à celle des parquets territorialement compétents. Le législateur a ainsi entendu lui permettre de se concentrer sur les affaires significatives, qui justifient un traitement par une instance nationale.

2.   Les dispositions initiales du projet de loi

L’article 5 du projet de loi modifie le code de procédure pénale afin de procéder à plusieurs ajustements concernant les compétences du parquet national antiterroriste.

Les 1° et chargent le PNAT d’une nouvelle mission en matière de coopération avec la Cour pénale internationale (CPI). Les demandes de coopération que la Cour adresse à la France ([37]) lui écheraient désormais, en lieu et place du procureur de la République de Paris, ainsi que l’exécution sur le territoire national des mesures conservatoires décidées par la CPI ([38]). Les articles 627-1, 627-2 et 627-3 du code de procédure pénale sont modifiés à ces fins.

L’article 34 du code de procédure pénale pose pour principe que le procureur général représente le ministère public auprès de la cour d’appel et auprès de la cour d’assises instituée au siège de la cour d’appel. Toutefois, en matière antiterroriste, l’article 706-25 du même code prévoit une exception afin de permettre au procureur de la République antiterroriste de poursuivre les affaires dont il avait la charge en première instance. Le instaure une dérogation analogue pour que le procureur de la République antiterroriste puisse également représenter le ministère public devant la cour d’assises de Paris dans les affaires de crimes contre l’humanité, de crimes et délits de guerre ou de torture dont il est saisi, et pour qu’il puisse représenter le procureur général de Paris devant la cour d’assises d’appel. Le projet de loi modifie pour cela l’article 628-1 du code de procédure pénale.

Le complète enfin l’article 702 du code de procédure pénale. Il octroie au procureur de la République antiterroriste une compétence concurrente en matière de crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation ([39]). Ces infractions relèvent des juridictions des forces armées lorsqu’elles sont commises en temps de guerre.

En temps de guerre, ces crimes et délits sont instruits et jugés par les juridictions des forces armées, conformément au code de justice militaire. Tel n’est pas le cas en temps de paix ([40]). Des pôles judiciaires compétents sont répartis sur le territoire national ([41]) tandis que le parquet et les juridictions de Paris disposent d’une compétence concurrente, sur tout le territoire national ([42]). Le projet de loi substitue une nouvelle fois le PNAT au procureur de Paris en précisant que la compétence nationale ne concerne que les affaires d’une grande complexité.

3.   Une disposition adoptée par le Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

4.   La position de la Commission

La commission des Lois a adopté cinq amendements bénéficiant d’avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement :

– un amendement de M. Jean-Félix Acquaviva supprimant l’extension des compétences du PNAT aux crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation, ces infractions apparaissant obéir à des logiques différentes de celles de l’action terroriste et, en conséquence, diverger significativement des expériences de ce parquet spécialisé ;

– un amendement de M. Didier Paris permettant aux juridictions saisies des faits initialement qualifiés d’actes de terrorisme de demeurer compétentes en cas de disqualification, de sorte que les crimes et délits pour lesquels le mobile terroriste est abandonné à l’issue des investigations puissent être jugés à Paris et non être renvoyés dans la juridiction territorialement compétente pour les faits de droit commun ;

– trois amendements identiques de la rapporteure, du Gouvernement et de M. Didier Paris autorisant les juridictions et magistrats spécialisés en matière de terrorisme à recruter des assistants spécialisés selon les modalités suivies par toutes les autres juridictions spécialisées.

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Article 5 bis
(art. 7 et 8 de la loi n° 951 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables
de violations graves du droit international humanitaire commises
sur le territoire de l’exYougoslavie depuis 1991)
Octroi au parquet national antiterroriste de la compétence en matière de centralisation des demandes d’entraide venant des tribunaux pénaux internationaux

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 5 bis est issu d’un amendement de M. Didier Paris adopté avec un avis favorable de la rapporteure et du Gouvernement. Il vise à octroyer au parquet national antiterroriste la compétence en matière de centralisation des demandes d’entraide venant des tribunaux pénaux internationaux. Il modifie pour cela les articles 7 et 8 de la loi n° 95‑1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, afin d’octroyer au parquet national antiterroriste la compétence en matière de centralisation des demandes d’entraide venant des tribunaux pénaux internationaux.

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Chapitre III
Dispositions relatives à la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées

Article 6
(art. 70676, 7069513 et 7069515 [abrogé] du code de procédure pénale)
Coordinations rédactionnelles et légistiques

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article procède à diverses coordinations rédactionnelles dans le code de procédure pénale.

       Position du Sénat

Le Sénat n’a apporté aucune modification à cet article.

       Modifications apportées par la Commission

Aucune.

1.   Les dispositions initiales du projet de loi

L’article 6 procède à des modifications de nature rédactionnelle et légistique du code de procédure pénale.

Le  supprime, à l’article 706-76, une référence aux juridictions de proximité, toujours présente alors que celles-ci ont disparu de longue date ([43]).

Le  déplace à l’article 706-95-13 du code de procédure pénale les dispositions figurant actuellement à l’article 706-95-15. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([44]), dans sa version adoptée par le Parlement, permettait au juge d’instruction d’ordonner le recours à des techniques spéciales d’enquête ; elle dotait également le procureur de la République de la même prérogative en cas d’urgence et pour vingt-quatre heures dans l’attente d’une autorisation d’un magistrat du siège. Le Conseil constitutionnel a admis la première disposition mais a censuré la seconde au visa de la protection de la vie privée et du secret des correspondances ([45]). Cette décision a eu pour effet d’inscrire, au sein du code de procédure pénale, parmi des dispositions communes à l’enquête préliminaire et à l’instruction, un article qui ne traite plus que de l’instruction et le 2° corrige donc ce placement dans le code de procédure pénale.

Le procède, en conséquence du déplacement prévu au 2°, à l’abrogation de l’article 706‑95‑15 du code de procédure pénale.

2.   Une disposition adoptée sans modification par le Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

3.   La position de votre Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

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Chapitre IV
Dispositions relatives à la lutte contre la délinquance économique et financière

Article 7
(art. 705 du code de procédure pénale)
Attribution d’une compétence concurrente au parquet national financier et aux juridictions parisiennes en matière de pratiques anticoncurrentielles

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article donne compétence au parquet national financier, au juge d’instruction et au tribunal correctionnel de Paris, sur l’ensemble du territoire national et concurremment avec les autorités judiciaires de droit commun, pour connaître du délit de participation personnelle et déterminante à la conception, l’organisation ou la mise en œuvre d’une pratique anticoncurrentielle.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a privilégié la sanction des pratiques anticoncurrentielles par des autorités administratives plutôt que par les juridictions pénales.

       Position du Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

       Modifications apportées par la Commission

Aucune.

1.   L’état du droit

Le titre II du livre IV du code de commerce dresse la liste des pratiques interdites par le droit de la concurrence :

– les ententes ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence sur un marché ([46]) ;

– l’abus de position dominante et l’exploitation abusive de l’état de dépendance économique ([47]) ;

– les droits exclusifs d’importation dans les collectivités d’outre-mer dépourvues d’autonomie pour la fixation des règles de concurrence ([48]) ;

– les pratiques ayant pour objet ou pour effet d’imposer à un conducteur un lien exclusif avec une centrale de réservation dans le secteur des transports particuliers ou collectifs au moyen de véhicules légers ([49]) ;

– la pratique de prix abusivement bas ([50]) ;

– le fait de prendre frauduleusement part à la conception, l’organisation ou la mise en œuvre d’une entente, d’un abus de position dominante ou d’une pratique anticoncurrentielle spécifique au secteur des transports ([51]).

La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a privilégié pour la répression des pratiques anticoncurrentielles un modèle administratif associant l’Autorité de la concurrence et, pour les pratiques affectant un marché de dimension locale, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) représentée juridiquement par le ministre de l’Économie ([52]). Ces autorités sont compétentes pour connaître des cinq premières pratiques anticoncurrentielles énumérées.

L’action de la juridiction pénale est circonscrite à la sixième et dernière pratique anticoncurrentielle, la prise frauduleuse, personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre d’une des pratiques précédentes. L’article L. 420‑6 du code de commerce réprime cette infraction de quatre ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise par une personne physique. L’article 121‑2 du code pénal permet d’engager également la responsabilité d’une personne morale pour les actions commises pour son compte par ses organes ou ses représentants ; l’amende encourue est alors portée à 375 000 euros ([53]).

Le différentiel des sanctions pécuniaires encourues par les personnes morales entre la voie administrative et la voie judiciaire explique que leur responsabilité soit engagée, en pratique, exclusivement selon la première modalité. Le délit prévu à l’article L. 420-6 du code de commerce, qui est jugé selon les règles territoriales de droit commun, n’est plus prononcé qu’à l’encontre de personnes physiques et, selon l’étude d’impact jointe au projet de loi, avec une grande parcimonie ([54]).

2.   Les dispositions initiales du projet de loi

L’article 7 du projet de loi attribue au procureur de la République financier, au juge d’instruction et au tribunal correctionnel de Paris une compétence concurrente, sur l’ensemble du territoire national, pour connaître du délit prévu à l’article L. 420-6 du code de commerce.

Le procureur de la République financier dispose d’une compétence exclusive dans le domaine des atteintes à la transparence des marchés ([55]). La loi lui attribue également une compétence concurrente pour, notamment, les atteintes à la probité, les atteintes aux finances publiques ou encore les fraudes électorales procédant par achat des votes ([56]).

L’adjonction à ces prérogatives du délit prévu à l’article L. 420-6 du code de commerce présente une cohérence certaine puisque les enquêtes pour favoritisme menées par le procureur de la République financier révèlent fréquemment des faits qualifiables de pratique anticoncurrentielle. Elle permettrait également, en unifiant l’autorité de poursuite, une plus grande lisibilité de l’action pénale sur l’ensemble du territoire pour des infractions qui restent limitées et par ailleurs d’une grande technicité.

3.   Des dispositions peu modifiées par le Sénat

La commission des Lois du Sénat a adopté deux amendements rédactionnels du rapporteur. L’article 7 n’a fait l’objet d’aucune modification en séance publique.

4.   La position de votre Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

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Article 7 bis
(art. 4112, 1802 et 8001 du code de procédure pénale)
Modifications de la procédure de convention judiciaire d’intérêt public

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 7 bis est issu d’un amendement de votre rapporteur. Il modifie la procédure de la convention judiciaire d’intérêt public sur quatre points :

– il l’étend au blanchiment de corruption et au blanchiment de trafic d’influence (premier alinéa du I de l’article 41‑1‑2 du code de procédure pénale) ;

– en cohérence avec le régime de la CJIP dans le domaine environnemental, il prévoit la publicité obligatoire des conventions judiciaires d’intérêt public sur le site internet des ministères de la justice et du budget, et non plus sur le site de l’Agence française anticorruption (sixième alinéa du II du même article) ;

– il supprime la condition de reconnaissance des faits pour les conventions judiciaires d’intérêt public à l’issue d’une instruction judiciaire (premier alinéa de l’article 180‑2 du même code) ;

– enfin, il prévoit de mettre à la charge de la personne morale concernée les frais de justice (dernier alinéa de l’article 800‑1 du même code).

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 41‑1‑2 du code de procédure pénale, instituant la convention judiciaire d’intérêt public, a été créé par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ([57]). La CJIP est une mesure alternative aux poursuites que le procureur de la République peut conclure avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité (entreprises, associations ou collectivités territoriales mises en causes pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe).

La convention prévoit ainsi des obligations, alternatives ou cumulatives, comme le paiement d’amendes, dont le montant ne peut excéder 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel, la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité ou la réparation du dommage de la victime. Si ces obligations sont remplies par la personne morale concernée, l’action publique s’éteint.

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Chapitre V
Dispositions relatives à la lutte contre les atteintes à l’environnement

Article 8
(art. 4113, 1808, 706­23 [nouveaux] et 706107 du code de procédure pénale)
Procédure pénale de lutte contre les atteintes à l’environnement

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Afin d’améliorer la réponse pénale apportée aux atteintes à l’environnement, le présent article institue, d’une part, un outil transactionnel à la disposition du parquet, la convention judiciaire d’intérêt public, et spécialise, d’autre part, dans le ressort de chaque cour d’appel, un tribunal judiciaire dans le traitement des affaires complexes en matière environnementale.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a instauré la convention judiciaire d’intérêt public en matière de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale.

La loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a introduit dans le code de l’organisation judiciaire un article L. 21193 permettant qu’un tribunal judiciaire puisse, dans un département où il en existe plusieurs, connaître seul du contentieux général de l’environnement.

       Position du Sénat

La commission des Lois a adopté deux amendements rédactionnels de son rapporteur. Aucune modification n’a été apportée à l’article 8 à l’occasion de l’examen en séance publique.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté cinq amendements prévoyant notamment l’extension de la compétence des juridictions spécialisées aux infractions environnementales ne figurant pas dans le code de l’environnement, la possibilité pour des fonctionnaires relevant du ministère de l’environnement d’exercer auprès de ces juridictions des fonctions d’assistant spécialisé, et la fin de la compétence du tribunal judiciaire de Paris dans les affaires de pollution marine d’une grande complexité.

1.   L’extension de la convention judiciaire d’intérêt public à la matière environnementale

a.   Les alternatives aux poursuites en matière environnementale

En application de l’article 41‑1 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l’action publique, engager une procédure alternative aux poursuites « s’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits ». Cette mesure suspend la prescription de l’action publique. En cas de non-exécution, le procureur de la République, sauf élément nouveau, met en œuvre une composition pénale, en application de l’article 41‑2, ou engage des poursuites.

Selon l’étude d’impact jointe au présent projet de loi, la réponse pénale aux infractions au code de l’environnement, dont le taux s’élève à 92,3 % en 2018, se traduit, dans 78,6 % des cas, par des procédures alternatives aux poursuites ([58]).

Les procédures alternatives aux poursuites en matière environnementale

Mesure

Procédure

Proportion ([59])

Rappel à la loi
(1° de l’art. 41‑1 du code de procédure pénale)

En cas d’infraction mineure, il peut être délivré par l’agent verbalisateur ou dans l’enceinte du tribunal.

38 %

Classement sous conditions de remise en état
(4° de l’art. 41‑1 du code de procédure pénale)

Le procureur demande à l’auteur des faits de réparer le dommage résultant de ceux-ci.

21 %

Composition pénale

(art. 41-2 du code de procédure pénale)

Le procureur propose une sanction, qui peut comprendre une amende ou une remise en l’état des lieux dégradés, à l’auteur qui reconnaît les faits.

20 %

Transaction pénale

(art. L. 173-12 du code de l’environnement)

L’autorité administrative peut transiger dans la répression des délits punis de moins de deux ans d’emprisonnement. La transaction proposée (comprenant une amende et d’éventuelles obligations) est acceptée par l’auteur et homologuée par le procureur de la République.

Application disparate suivant les parquets (entre 0 et 40 %)

Médiation pénale

(5° de l’art. 41‑1 du code de procédure pénale)

Le médiateur organise une concertation des parties dans le but de réparer le dommage et de faire cesser le trouble causé par l’infraction.

0,3 %

Parmi les différentes mesures alternatives aux poursuites, une seule concerne spécifiquement le droit de l’environnement : la transaction pénale prévue à l’article L. 173­‑12 du code de l’environnement ([60]). Avant la mise en mouvement de l’action publique, cette procédure autorise l’autorité administrative à transiger avec toute personne morale ou physique sur la poursuite des contraventions et des délits réprimés par le code de l’environnement. La transaction proposée par l’administration doit être acceptée par l’auteur de l’infraction puis homologuée par le procureur de la République.

La proposition de transaction est déterminée en fonction des circonstances et de la gravité de l’infraction, de la personnalité de l’auteur ainsi que de ses ressources et de ses charges. Elle repose sur une amende transactionnelle qui ne peut excéder le tiers du montant de l’amende pénale encourue. Elle peut également prévoir les obligations imposées à l’auteur de l’infraction, notamment afin de faire cesser cette dernière, d’éviter son renouvellement et, surtout, de réparer le dommage ou de remettre en conformité les lieux. L’action publique est suspendue durant la période de mise en œuvre de la transaction ; elle s’éteint lorsqu’elle a été exécutée.

Cette procédure est cependant limitée aux délits punis de moins de deux ans d’emprisonnement. Pour les atteintes plus graves, l’engagement d’une procédure judiciaire, longue et complexe, est incontournable alors que la priorité en matière environnementale devrait être une réponse pénale permettant une réparation rapide des dommages, la remise en état du milieu et une efficacité de la répression.

b.   La convention judiciaire d’intérêt public

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II », a introduit au sein du code de procédure pénale un article 41‑1‑2 afin de doter la lutte contre la corruption d’un nouvel instrument : la CJIP ([61]).

 Cette convention, proposée par le procureur de la République, peut être conclue avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteinte à la probité réprimés par le code pénal ou par le code général des impôts : corruption active et passive, trafic d’influence, fraude fiscale et son blanchiment. Elle peut comprendre deux types d’obligations :

– le versement d’une amende dont le montant est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel ;

– la soumission, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, au programme de mise en conformité anti-corruption prévu au II de l’article 131‑39‑2 du code pénal.

La convention prévoit également, lorsque la victime est identifiée et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l’infraction. La victime est informée de la décision du procureur de la République de proposer une CJIP. Elle peut lui transmettre tout élément permettant d’établir la réalité et l’étendue de son préjudice afin que celui-ci puisse être réparé de manière effective.

Après accord de la personne morale mise en cause à la proposition de convention, le président du tribunal judiciaire, ou tout juge qu’il désigne, procède à l’audition, en audience publique, de la personne morale mise en cause et de la victime afin de de valider ou non la proposition de convention. La décision qui est rendue n’est pas susceptible de recours. L’ordonnance de validation n’emporte pas déclaration de culpabilité et ne constitue pas une condamnation. Elle n’est pas inscrite au casier judiciaire. Mais elle fait l’objet d’un communiqué de presse du procureur de la République et d’une publication sur le site internet de l’Agence française anticorruption.

Si le juge ne valide pas la proposition de convention, si la personne morale mise en cause décide d’exercer son droit de rétractation ou si, dans le délai prévu par la convention, la personne morale mise en cause ne justifie pas de l’exécution intégrale des obligations prévues, le procureur de la République met en mouvement l’action publique.

La prescription de l’action publique est suspendue durant l’exécution de la convention. Elle est éteinte lorsque les obligations ont été exécutées. Elle ne fait cependant pas échec au droit des personnes ayant subi un préjudice du fait des manquements constatés, sauf l’État, de poursuivre la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile.

 L’article 180­2 du code de procédure pénale prévoit également que, lorsqu’un juge d’instruction a été saisi des faits, il peut, à la demande ou avec l’accord du procureur de la République, lui transmettre la procédure aux fins de mise en œuvre d’une CJIP lorsque la personne morale mise en examen reconnaît les faits et qu’elle accepte la qualification pénale retenue. Le procureur de la République dispose alors d’un délai de trois mois pour trouver un accord sur une proposition de convention.

Onze CJIP ont été signées depuis le 30 octobre 2017. La dernière en date a été conclue le 4 mai 2020 entre le parquet de Nice et la société Swiru Holding AG, pour un montant de 1,4 million d’euros. Mais le grand public a surtout retenu la précédente convention, établie entre le procureur de la République financier et la société Airbus SE le 29 janvier 2020, puisque l’amende transactionnelle avait atteint plus de deux milliards d’euros.

c.   Le dispositif proposé

Sur le modèle de la CJIP « Sapin II » mise en place à l’article 41­­-1­­­2 du code de procédure pénale, le 1° de l’article 8 du projet de loi crée un nouvel article 41-1-3 permettant de conclure une telle convention avec une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits prévus au code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes, à l’exception des crimes et délits contre les personnes du livre II du code pénal.

Si la CJIP en matière environnementale reproduit le dispositif conçu pour la lutte contre la corruption, elle présente cependant certaines spécificités :

– en plus de l’amende, la convention pourra permettre que la personne morale mise en cause régularise sa situation dans le cadre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans, sous le contrôle des services compétents du ministère chargé de l’environnement qui pourront également assurer le contrôle de la réparation effective du préjudice écologique résultant des infractions commises ;

– les frais occasionnés par le recours, par les services compétents du ministère chargé de l’environnement, à des experts ou à des personnes ou autorités qualifiées pour les assister dans la réalisation d’expertises techniques nécessaires à leur mission de contrôle seront supportés par la personne morale mise en cause, dans la limite d’un plafond fixé par la convention qui ne pourra être restitué en cas d’interruption de son exécution ;

– l’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention seront publiés sur les sites internet du ministère de la justice, du ministère chargé de l’environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise, ou, à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunal auquel la commune appartient.

Par ailleurs, le 2° de l’article 8 du projet de loi insère dans le code de procédure pénale un nouvel article 180-3, qui fait écho aux dispositions de l’article 180-2 du même code. Il précise que, lorsqu’un juge d’instruction a été saisi des faits, il peut transmettre la procédure au procureur aux fins de mise en œuvre d’une convention judiciaire d’intérêt public. Le parquet dispose alors de trois mois pour trouver un accord sur une proposition de convention.

d.   Une disposition adoptée par le Sénat

La commission des Lois du Sénat a adopté cette disposition sous réserve de deux amendements rédactionnels du rapporteur. Aucune modification n’a ensuite été apportée à l’occasion de l’examen en séance publique.

2.   Une nouvelle spécialisation des juridictions judiciaires en matière environnementale

a.   L’état du droit

Alors que la protection de l’environnement et la lutte contre les pollutions constituent désormais une préoccupation majeure des Français, la faible implémentation des prescriptions en la matière a été progressivement corrigée par le législateur. Afin que les infractions environnementales fassent l’objet de sanctions effectives et dissuasives, l’organisation judiciaire évolue, depuis une vingtaine d’années, dans le sens d’une spécialisation croissante des juridictions pour une meilleure maîtrise technique des enjeux. Il en résulte une répartition du contentieux pénal de l’environnement d’une grande subtilité.

Les juridictions spécialisées en matière environnementale

Domaine

Référence

Nature de la spécialisation

Fondement textuel

Contentieux général de l’environnement

Art. L. 2119-3 du code de l’organisation judiciaire

Un tribunal judiciaire du département peut être désigné pour connaître seul ce contentieux

Loi n° 2019222
du 23 mars 2019

Atteintes à l’environnement commises en bande organisée

Art. 706­-75 du code de procédure pénale

Compétence nationale du tribunal de grande instance et de la cour d’assises de Paris pour les affaires d’une très grande complexité

Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) : compétence interrégionale des tribunaux de grande instance de Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort de France dans les affaires d’une grande complexité

Loi n° 2004204
du 9 mars 2004

Pollutions maritimes

Art. 706­-107 du code de procédure pénale

Juridictions spécialisées du littoral (JULIS) : compétence interrégionale des tribunaux judiciaires du Havre, de Brest, de Marseille, de Fort-de-France, de Saint-Denis-de-la-Réunion et de Saint-Pierre-et-Miquelon

Loi n° 2001-380 du 3 mai 2001

Compétence nationale du tribunal de grande instance de Paris dans les affaires d’une grande complexité

Pollutions d’ampleur

Art. 7062 du code de procédure pénale

Pôles de santé publique : compétence interrégionale des tribunaux judiciaires de Paris et de Marseille

Loi n° 2002303
du 4 mars 2002

Catastrophes environnementales ou industrielles

Art. 706176 du code de procédure pénale

Pôles des accidents collectifs : compétence interrégionale des tribunaux judiciaires de Paris et de Marseille

Loi n° 20111862
du 13 décembre 2011

Elle s’inscrit d’abord dans la règle générale de procédure qui permet, lorsqu’un département comprend plusieurs tribunaux judiciaires, de désigner l’un d’entre eux pour qu’il connaisse seul, pour l’ensemble du département, « de certains délits et contraventions dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’État, en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières » ([62]). Les dispositions réglementaires d’application incluent dans cette liste les « délits et contraventions prévus et réprimés par le code de l’environnement » ([63]).

Des lois successives ont ensuite prévu des compétences d’attribution :

– à six juridictions du littoral spécialisées (JULIS) couvrant chacune une façade maritime pour la répression des pollutions des eaux marines et des voies ouvertes à la navigation maritime, ou à la juridiction spécialisée de Paris pour les affaires d’une « grande complexité » ;

– à huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière pour des affaires présentant à la fois une « grande complexité » et une dimension environnementale, ou à la juridiction spécialisée de Paris pour les affaires d’une « très grande complexité » ;

– à deux pôles de santé publique (PSP) chargés de connaître des atteintes à la santé des personnes qui peuvent résulter de pollutions d’ampleur ;

– à deux pôles des accidents collectifs (PAC) compétents pour les catastrophes environnementales ou industrielles.

b.   Les dispositions du projet de loi

Le de l’article 8 du projet de loi insère au sein du code de procédure pénale un nouvel article 706-2-3 créant des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteinte à l’environnement. Il prévoit la spécialisation d’un tribunal judiciaire dans le ressort de chacune des trente-sept cours d’appel pour connaître de la poursuite, l’instruction et le jugement des délits prévus par le code de l’environnement et des infractions connexes.

La compétence de ces pôles s’étendrait selon deux principes :

– une compétence sur le contentieux général de l’environnement, c’est-à-dire sans interférer avec l’activité spécialisée par matière des JIRS et des JULIS ;

– un partage de ce contentieux général en fonction de la complexité des affaires, les autres juridictions du ressort conservant aux dossiers les plus simples un traitement local et orientant vers les nouveaux pôles les infractions les plus techniques et les plus dommageables aux milieux.

3.   Une disposition adoptée par le Sénat

Le Sénat a adopté cette disposition sans modification.

4.   La position de votre Commission

La commission des Lois a adopté sans modification les dispositions de l’article 8 relatives à la convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale.

En revanche, les dispositions relatives à la spécialisation des juridictions ont donné lieu à l’adoption de cinq amendements bénéficiant d’avis favorables du Gouvernement et de la rapporteure :

– un amendement rédactionnel de la rapporteure ;

– deux amendements identiques de la commission du Développement durable et de Mme Cécile Untermaier étendant le champ de compétence des pôles spécialisés à des infractions ayant un fort impact environnemental mais qui, pour des raisons légistiques et formelles, ne figurent pas dans le code de l’environnement. Sont visées des dispositions du code forestier, certaines incriminations du code minier, des infractions du code rural et de la pêche maritime relatives aux produits phytopharmaceutiques et aux végétaux, ou encore la mise illégale sur le marché de bois ou de produits dérivés de ces bois ([64]) ;

– un amendement de la commission du Développement durable rendant possible l’exercice de fonctions d’assistant spécialisé dans les pôles régionaux spécialisés par des fonctionnaires de catégorie A et B relevant du ministère de l’environnement ;

– un amendement de la commission du Développement durable supprimant, en matière de pollution marine, la compétence du tribunal judiciaire de Paris concernant les affaires présentant une grande complexité. Sans application concrète, cette disposition apparaît de surcroît illogique au regard du manque de pratique des magistrats parisiens sur les infractions liées à la mer. Les affaires concernées seront jugées par les juridictions spécialisées du littoral (JULIS), qui donnent pleine satisfaction.

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Article 8 bis A
(art. 21120 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire)
Juridictions civiles spécialisées dans le contentieux de l’environnement

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement du Gouvernement adopté par la commission des Lois avec l’avis favorable de la rapporteure, le présent article institue des juridictions civiles spécialisées dans le contentieux de l’environnement, sur le modèle de l’article 8 du projet de loi opérant un pareil choix dans le domaine pénal.

       Dernières modifications législatives intervenues

Aucune.

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Si l’article 8 du projet de loi procède à une spécialisation des juridictions dans le contentieux pénal de l’environnement, l’article 8 bis A, issu d’un amendement du Gouvernement adopté par la commission des Lois avec l’avis favorable de la rapporteure, opère un même mouvement en matière civile. La concentration des compétences et la spécialisation des magistrats devraient avoir, dans ces deux contentieux, les mêmes effets positifs.

Il est créé à cette fin, au sein du code de l’organisation judiciaire, un nouvel article L. 211‑20 prévoyant la désignation d’un tribunal judiciaire dans le ressort de chaque cour d’appel pour traiter trois types de contentieux civils :

– les actions relatives au préjudice écologique ([65]) ;

– les actions en responsabilité civile prévues dans le code de l’environnement ou fondées sur les régimes spéciaux de responsabilité applicables en matière environnementale résultant d’engagements européens ou internationaux.

Bien qu’aucune coordination formelle n’existe entre les tribunaux spécialisés dans le contentieux environnemental institués en matière pénale par l’article 8 et en matière civile par le présent article, il résulte tant de la logique que de l’exposé sommaire de l’amendement du Gouvernement que celui-ci compte bien désigner, dans le ressort de chaque cour d’appel, un seul et même tribunal judiciaire pour exercer ces deux spécialisations. Tout autre choix induirait une perte de synergie contraire aux objectifs du présent projet de loi.

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Article 8 bis B
(art. 28 et 56 du code de procédure pénale)
Prérogatives de police judiciaire des inspecteurs de l’environnement

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement de M. Didier Paris adopté avec un avis favorable de la rapporteure et du Gouvernement, le présent article clarifie le régime applicable aux fonctionnaires des administrations disposant de pouvoirs de police judiciaire, en particulier les inspecteurs de l’environnement, dans le cadre d’une co‑saisine.

       Dernières modifications législatives intervenues

Les prérogatives des inspecteurs de l’environnement ont été renforcées par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

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La procédure de co-saisine est employée lorsque des faits constitutifs d’une infraction nécessitent la conjugaison des pouvoirs coercitifs dont disposent les officiers de police judiciaire et des compétences techniques appartenant à des corps de fonctionnaires déterminés. L’article 28 du code de procédure pénale prévoit alors que, « d’office ou sur instructions du procureur de la République, [les] fonctionnaires et agents [auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire] peuvent concourir à la réalisation d’une même enquête avec des officiers et agents de police judiciaire ». Cette procédure est particulièrement utile pour l’association des inspecteurs de l’environnement aux investigations judiciaires.

L’article 28 précité reste cependant muet quant aux prérogatives de police judiciaire dont disposent alors les fonctionnaires co-saisis. Afin de dissiper cette ambiguïté, la commission des Lois a adopté, avec l’avis favorable du Gouvernement et de la rapporteure, un amendement de M. Didier Paris. L’article 8 bis B qui en est issu autorise la présence des fonctionnaires co-saisis, sous la forme d’une simple assistance, aux côtés des officiers de police judiciaire « dans les actes auxquels ces derniers procèdent ». Sont ainsi visés les interrogatoires de garde à vue, les confrontations ou encore les perquisitions.

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Article 8 bis C
(art. 283 [nouveau] du code de procédure pénale)
Inspecteurs de l’environnement habilités aux fonctions judiciaires

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement du Gouvernement adopté avec l’avis favorable de la rapporteure, le présent article confère aux inspecteurs de l’environnement de catégorie A et B les pouvoirs et obligations des officiers de police judiciaire pour les enquêtes judiciaires qu’ils diligentent.

       Dernières modifications législatives intervenues

Les prérogatives des inspecteurs de l’environnement ont été renforcées par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

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La loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a profondément modifié le statut des officiers fiscaux judiciaires, agents des services fiscaux spécialement habilités à effectuer des enquêtes judiciaires et disposant des mêmes prérogatives que les officiers de police judiciaire. Les règles régissant les officiers fiscaux judiciaires sont codifiées à l’article 28-2 du code de procédure pénale. Ils opèrent au sein du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) créé le 1er juillet 2019 au ministère de l’Action et des Comptes publics.

L’article 8 bis C, issu d’un amendement du Gouvernement adopté avec l’avis favorable de la rapporteure, suit une logique similaire pour la création d’officiers judiciaires de l’environnement. En effet, si les pouvoirs des inspecteurs de l’environnement ont été renforcés par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, l’absence de pouvoir coercitifs constitue un frein dans le cadre des procédures judiciaires qu’ils conduisent.

Le I autorise les inspecteurs de l’environnement affectés à l’Office français de la biodiversité, désignés par arrêté des ministres de la justice et de l’environnement, à disposer, pour les enquêtes judiciaires qu’ils diligentent, des prérogatives et obligations attribuées aux officiers de police judiciaire. Ils ont compétence sur l’ensemble du territoire national mais ils doivent, pour certaines infractions commises en bande organisée, opérer en co-saisine avec des officiers et agents de police judiciaire ou des agents des douanes ([66]).

Le II précise la procédure d’habilitation, qui relève du procureur général près la cour d’appel de la résidence administrative des agents. Un décret en Conseil d’État prévoit les modalités d’attribution, de suspension et de retrait.

Le III place les inspecteurs de l’environnement habilités sous la direction du procureur de la République, la surveillance du procureur général et le contrôle de la chambre de l’instruction, selon un régime comparable à celui des officiers de police judiciaire.

Le IV fait défense aux inspecteurs de l’environnement habilités d’exercer d’autres attributions ou d’accomplir d’autres actes que ceux prévus par le code de procédure pénale dans le cadre des faits dont ils sont saisis par l’autorité judiciaire.

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Article 8 bis D
(art. 7062 du code de procédure pénale)
Possibilité de recruter les assistants spécialisés des pôles de santé publique auprès des fonctionnaires du ministère de l’environnement

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement de la commission du Développement durable adopté avec des avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement, le présent article élargit le vivier des assistants spécialisés rattachés aux pôles de santé publique aux fonctionnaires relevant du ministère de l’environnement.

       Dernières modifications législatives intervenues

La possibilité de recruter des assistants spécialisés auprès des pôles de santé publique a été ouverte par la loi n° 2002‑303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

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L’article 706‑2 du code de procédure pénale permet la constitution de juridictions spécialisées sur le ressort d’une ou de plusieurs cours d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et, s’il s’agit de délits, le jugement des infractions d’une grande complexité impliquant soit un produit de santé, soit un produit destiné à l’alimentation de l’homme ou de l’animal, soit un élément médical, paramédical ou esthétique réglementé en raison de ses effets ou de sa dangerosité. Ces pôles de santé publique à la compétence interrégionale sont aujourd’hui établis au sein des tribunaux judiciaires de Paris et de Marseille.

Le II du même article autorise auprès de ces juridiction le recrutement d’assistants spécialisés. Ces fonctions peuvent être exercées par « les fonctionnaires de catégorie A ou B relevant des ministres chargés de la santé, de la recherche et de l’agriculture ainsi que les personnes titulaires, dans des matières définies par décret, d’un diplôme national sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à quatre années d’études supérieures après le baccalauréat qui remplissent les conditions d’accès à la fonction publique et justifient d’une expérience professionnelle minimale de quatre années ».

En raison des compétences grandissantes de ces pôles en matière de santé environnementale, et en cohérence avec les dispositions du projet de loi renforçant la justice pénale spécialisée en matière d’environnement, le nouvel article 8 bis D, issu d’un amendement de la commission du Développement durable adopté par la commission des Lois avec l’avis favorable du Gouvernement et de la rapporteur, élargit le vivier de recrutement des assistants spécialisés aux fonctionnaires des catégories A ou B relevant du ministre chargé de l’environnement.

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Article 8 bis E
(art. 70622 du code de procédure pénale)
Interceptions de correspondances
pour des infractions sanitaires et environnementales

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement de M. Didier Paris adopté par la commission des Lois avec l’avis favorable de la rapporteure et du Gouvernement, le présent article autorise le recours aux interceptions dans les enquêtes portant sur des infractions sanitaires et environnementales.

       Dernières modifications législatives intervenues

La décision du Conseil constitutionnel n° 2019‑778 DC du 21 mars 2019 a affecté plusieurs coordinations au sein du code de procédure pénale, fermant la possibilité d’effectuer des interceptions dans les enquêtes portant sur les infractions sanitaires et environnementales.

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L’article 46 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié la rédaction de l’article 706-2-2 du code de procédure pénale en permettant le recours à des interceptions de correspondance dans la répression d’infractions en matière sanitaire et environnementale ([67]).

Toutefois, dans sa décision portant sur la même loi, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 44 de la loi adoptée qui réformait le régime des interceptions de correspondances dans son ensemble et, en conséquence, les dispositions de l’article 53 portant les coordinations subséquentes ([68]).

Il en a résulté que la rédaction de l’article 706-2-2 du code de procédure pénale, tel qu’issu de la loi du 23 mars 2019, comporte une erreur de coordination interdisant la réalisation d’interceptions de correspondances, ce que le législateur n’a jamais souhaité.

Issu d’un amendement de M. Didier Paris adopté par la commission des Lois avec l’avis favorable de la rapporteure et du Gouvernement, l’article 8 bis E corrige cette malfaçon.

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Article 8 bis
(art. L. 1731 du code de l’environnement)
Non-respect d’une obligation de remise en état

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement de MM. Labbé et Bigot adopté par le Sénat en séance publique, le présent article précise le délit réprimant le non-respect d’une obligation de remise en état d’une installation ou d’un ouvrage.

       Dernières modifications législatives intervenues

Ce délit a été créé par la loi  2019773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté deux amendements rédactionnels de la rapporteure.

1.   L’état du droit

L’ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement a introduit l’article L. 1731 du code de l’environnement relatif aux sanctions pénales applicables aux manquements ou aux infractions aux contrôles des installations et des ouvrages régis par ce même code.

La loi  2019773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement ([69]) a complété le 3° du II dudit article afin de punir de deux ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait d’exploiter une installation ou un ouvrage, d’exercer une activité ou de réaliser des travaux en violation d’une mesure de remise des lieux en état. Cette infraction était jusqu’alors limitée au non-respect des seules mesures de fermeture, de suppression, de suspension d’un ouvrage ou d’une installation.

2.   La disposition adoptée par le Sénat

Le présent article a été introduit dans le projet de loi par l’adoption en séance publique de deux amendements de MM. Labbé et Bigot soutenus par la Commission et le Gouvernement.

Selon les sénateurs, la sanction de la poursuite de l’exploitation sans satisfaire à une obligation de remise en l’état s’applique également à une commission par omission. Afin de renforcer la portée de l’obligation de remise en l’état et la réponse pénale apportée en cas de manquement, le présent article introduit un III à l’article L. 173­1 afin que ce soit l’omission même de cette obligation qui fasse l’objet d’une sanction. Sera puni le fait, après la cessation d’activités d’une opération, d’une installation ou d’un ouvrage, de ne pas se conformer aux obligations de remise en état ou d’une surveillance prescrites par l’autorité administrative.

Le présent article reprend un dispositif initialement proposé par un amendement du Gouvernement lors de la discussion en première lecture, au Sénat, du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement. Le futur article 6 de la loi avait par la suite été modifié en commission mixte paritaire.

3.   La position de votre Commission

La Commission a adopté deux amendements rédactionnels de la rapporteure avec l’avis favorable du Gouvernement.

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Article 8 ter A
(art. L. 1739 du code de l’environnement)
Délai d’ajournement de la décision sur la peine

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement de la commission du Développement durable, le présent article permet à la juridiction pénale statuant en matière environnementale d’ajourner pour deux ans sa décision sur la peine, contre une année au maximum en droit commun.

       Dernières modifications législatives intervenues

Aucune.

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Les articles 132-66 à 13270 du code pénal permettent à une juridiction pénale d’ajourner le prononcé de la peine pour enjoindre à la personne physique ou morale déclarée coupable de se conformer à une ou plusieurs des prescriptions prévues par ces lois ou règlements, éventuellement sous astreinte. À l’audience de renvoi, lorsque les prescriptions énumérées par l’injonction ont été exécutées dans le délai fixé, la juridiction peut choisir de dispenser le coupable de peine ; à l’inverse, si elles n’ont pas été exécutées, elles peuvent être exécutées d’office aux frais du condamné en sus des peines encourues. L’article 132‑69 précise que, sauf dispositions contraires, la décision sur la peine intervient au plus tard un an après la décision d’ajournement.

En matière environnementale, l’ajournement avec injonction est rendu possible, dans les conditions du droit commun, par l’article L. 173‑9 du code de l’environnement. L’astreinte journalière peut atteindre 3 000 euros.

Issu d’un amendement de la commission du Développement durable soutenu par la rapporteure et le Gouvernement, l’article 8 ter A autorise la juridiction pénale à déroger au droit commun en ajournant pour deux années, et non une seule, sa décision sur la peine en matière environnementale. La commission des Lois a estimé que l’évaluation des dommages et le calcul des préjudices, dans ce domaine, ainsi que le primat de l’objectif de restauration du milieu sur celui de la sanction, justifiait cette extension.

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Article 8 ter
(art. L. 21884 du code de l’environnement)
Immobilisation d’un navire après rejet des eaux de ballast

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu, comme l’article 8 bis, d’un amendement de MM. Labbé et Bigot adopté par le Sénat en séance publique, le présent article vise à permettre l’immobilisation, sous cautionnement, d’un navire dont les eaux de ballast ont été rejetées dans les eaux sous souveraineté ou sous juridiction française.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi  20161087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a alourdi la peine qui sanctionne cette infraction.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté un amendement de Mme Liliana Tanguy bénéficiant du soutien de la rapporteure et du Gouvernement, qui précise les catégories d’agents habilités à constater le délit de gestion irrégulière des eaux de ballast.

1.   L’état du droit

Aux termes de l’article 1er de la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires, signée en 2004 sous l’égide de l’Organisation maritime internationale (OMI), les eaux de ballast désignent les eaux et les matières en suspension prises à bord d’un navire pour contrôler sa stabilité. En fonction de la cargaison, les réservoirs d’eau de ballast d’un navire sont remplis ou vidés pour maintenir son équilibre.

Ces eaux représentent une source de pollution importante dans la mesure où elles transportent des espèces animales et végétales potentiellement envahissantes ou vectrices de maladies.

L’application en France de la convention de l’OMI a été permise par l’adoption de la loi  20061772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques et l’introduction d’une section 8 au sein du chapitre VIII du titre Ier du livre II du code de l’environnement relative au contrôle et à la gestion des eaux de ballast et des sédiments des navires. Il s’agit, aux termes de l’article L. 21882, « de prévenir, réduire et finalement éliminer le déplacement d’organismes aquatiques nuisibles et pathogènes ».

En application de l’article L. 21883, les navires pénétrant ou navigant dans les eaux sous souveraineté ou sous juridiction française sont tenus :

– soit de procéder au renouvellement des eaux de ballast ou de gérer les eaux de ballast et les sédiments au moyen d’équipements embarqués ;

– soit d’attester que les caractéristiques du navire et les conditions de l’escale ne les conduiront pas à déballaster.

Initialement punie d’une amende de 300 000 euros par l’article L. 218‑84, l’infraction est également punie d’une peine d’un an d’emprisonnement depuis la loi n° 20161087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Cycle des eaux de ballast d’un navire

Source : GloBallast programme.

2.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article, issu de deux amendements des sénateurs Labbé et Bigot adoptés en séance publique avec avis favorables de la Commission et du Gouvernement, étend le régime de l’article L. 218‑30 du code de l’environnement aux navires ayant rejeté des eaux de ballast en infraction à l’article L. 218-83.

L’article L. 218-30 autorise, depuis la loi n° 83‑583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution de la mer par les hydrocarbures, l’immobilisation d’un navire, sur décision du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi, aux frais de l’armateur, en cas de rejet de substances polluantes en infraction avec la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) de 1973. Cette immobilisation peut être levée en échange du paiement d’une caution dont le montant est fixé par l’autorité judiciaire compétente.

L’introduction d’un tel dispositif de cautionnement permettra le paiement des amendes prononcées et la réparation des dommages causés. Les jugements en matière de répression des rejets d’eaux de ballast restent aujourd’hui largement inexécutés en raison de la difficile poursuite des navires sous pavillon étranger.

3.   La position de votre Commission

La Commission a adopté, avec l’avis favorable du Gouvernement et de la rapporteure, un amendement de Mme Liliana Tanguy précisant que l’infraction de gestion irrégulière des eaux de ballast peut être constatée par les agents énumérés à l’article L. 218‑26 du code de l’environnement.

Sont ainsi compétents, outre les officiers et agents de police judiciaire qui exercent leurs pouvoirs conformément au code de procédure pénale :

– les administrateurs des affaires maritimes ;

– les officiers du corps technique et administratif des affaires maritimes ;

– les fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l’autorité ou à la disposition du ministre chargé de la mer ;

– les fonctionnaires et agents assermentés et commissionnés des services maritimes, des ports autonomes maritimes et des grands ports maritimes ;

– les ingénieurs des mines, les ingénieurs de l’industrie et des mines, les ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et les ingénieurs des travaux publics de l’État affectés dans les services déconcentrés du ministère chargé de l’environnement ou à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement ;

– les officiers de port, officiers de port adjoints et surveillants de port ayant la qualité de fonctionnaire ;

– les chercheurs, ingénieurs et techniciens assermentés de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ;

– les agents des douanes ;

– les commandants, commandants en second ou commissaires des armées embarqués des bâtiments de la marine nationale ainsi que les chefs de bord des aéronefs de la marine nationale et des aéronefs de la défense chargés de la surveillance en mer.

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Article 8 quater
(art. 706107 et 7061111 du code de procédure pénale)
Extension de la compétence des juridictions spécialisées du littoral (JULIS)

Introduit par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Issu d’un amendement de Mme Liliana Tanguy adopté par la commission des Lois avec le soutien de la rapporteure et du Gouvernement, le présent article étend la compétence des juridictions spécialisées du littoral (JULIS) à de nouvelles infractions commises au large des côtes françaises.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 27 de la loi n° 2016‑1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a élargi le champ de compétence concurrente des JULIS aux infractions d’atteinte aux biens culturels maritimes.

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Depuis leur création par la loi n° 2001-380 du 3 mai 2001 relative à la répression des rejets polluants de navires, les juridictions du littoral spécialisées (JULIS) se sont durablement installées dans le paysage judiciaire en conjuguant capacité d’expertise, pratiques innovantes et efficacité dans la conduite de l’action publique. La spécialisation des magistrats du siège et du parquet a favorisé une meilleure connaissance des modes de preuve spécifiques aux pollutions maritimes ainsi que des enjeux environnementaux, garantissant ainsi l’adaptation et la cohérence des peines requises et prononcées.

Issu d’un amendement de Mme Liliana Tanguy adopté avec le soutien de la rapporteure et du Gouvernement, l’article 8 quater poursuit cette spécialisation en conférant à ces juridictions une compétence sur l’ensemble des infractions de pollutions marines prévues au chapitre VIII du titre Ier du livre II du code de l’environnement, incluant notamment le délit de gestion irrégulière des eaux de ballast visé à l’article 8 ter du présent projet de loi – a) du .

Les JULIS recevant, du fait de cette extension, une compétence concurrente pour certaines infractions susceptibles d’être commises sur le plateau continental ([70]), le b) du  étend leur juridiction à cette zone.

Enfin, l’article 27 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ayant conféré une compétence aux JULIS pour les atteintes aux biens culturels maritimes ([71]), le  précise les règles de répartition territoriale du contentieux en ce qui concerne ces infractions ([72]).

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TITRE III
Dispositions diverses

Article 9
(art. 18, 742, 771, 7711, 362, 393, 3981, 506, 510, 512, 7062512, 7065310, 7061121, 711, 7126 et 775 du code de procédure pénale ; art. 13263, 13264 et 13265 du code pénal ; art. L. 21193 du code de l’organisation judiciaire ; art. L. 22265 du code de justice militaire)
Diverses dispositions relatives à la procédure pénale

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article procède à plusieurs retouches ponctuelles au sein du code de procédure pénale pour tirer les conséquences de décisions juridictionnelles ou pour corriger des erreurs matérielles.

       Position du Sénat

La commission des Lois du Sénat a apporté à l’article 9 une modification rédactionnelle. En séance publique, un amendement de M. Thani Mohamed Soilihi soutenu par la Commission et par le Gouvernement a adapté le dispositif de spécialisation départementale des juridictions aux situations dans lesquelles le ressort d’une juridiction excède les limites départementales.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté trois amendements de M. Didier Paris avec l’avis favorable du Gouvernement et de la rapporteure. Ils tirent diverses conséquences de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice quant au mandat de dépôt à effet différé, au sursis probatoire et aux cours criminelles.

1.   Les dispositions initiales du projet de loi

L’article 9 du projet de loi regroupe plusieurs mesures correctrices rendues nécessaires par diverses lacunes, inconstitutionnalités ou imprécisions de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

a.   La compétence territoriale des officiers de police judiciaires

L’article 18 du code de procédure pénale établit les conditions dans lesquelles un officier de police judiciaire peut agir hors de son ressort territorial. Dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 mars 2019 précitée, il prévoyait que l’OPJ pouvait se transporter dans le ressort des tribunaux de grande instance limitrophes du tribunal ou des tribunaux auquel il est rattaché, « à l’effet d’y poursuivre leurs investigations et de procéder à des auditions, perquisitions et saisies ». Sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, l’OPJ pouvait également mener certaines opérations sur l’ensemble du territoire national.

La loi du 23 mars 2019 précitée a tenté de simplifier cette procédure. Comme l’écrivaient alors les rapporteurs de l’Assemblée nationale ([73]), les officiers de police judiciaire « seraient autorisés à se transporter sur tout le territoire national pour poursuivre leurs investigations ou procéder à des auditions, perquisitions et saisies, à la simple condition d’avoir informé l’autorité judiciaire pour le compte de laquelle ils agissent – procureur de la République ou juge d’instruction – ainsi que le procureur de la République du ressort dans lequel les investigations sont réalisées. » Cette disposition, d’initiative gouvernementale, avait été approuvée par les deux assemblées.

Cependant, si le passage de l’autorisation préalable à la simple information apparaît effectivement comme un progrès lorsque l’officier de police judiciaire est amené à s’éloigner fortement de son ressort territorial, les cas concernés apparaissent bien moins fréquents que les hypothèses dans lesquelles il est conduit à agir dans les départements limitrophes. Or, dans cette seconde situation, la loi du 23 mars 2019 a abouti à un formalisme accru : si aucune démarche n’était exigée auparavant, il faut maintenant en passer par le droit commun, c’est-à-dire par l’information du procureur de la République ou du juge d’instruction.

Le I de l’article 9 du projet de loi corrige cette rigueur excessive en introduisant deux assouplissements au mécanisme d’information préalable :

– en dispensant l’officier de police judiciaire, comme c’était le cas auparavant, de cette information lorsque le transport s’effectue dans un ressort limitrophe de celui dans lequel l’officier exerce ses fonctions ;

– en précisant que Paris et les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne sont considérés, pour l’application de la procédure d’information, comme un seul et même département.

Il en résulte qu’un officier de police judiciaire pourra librement se transporter dans un ressort limitrophe du sien ou, s’il exerce dans l’un de ces départements considérés par la loi comme un seul, dans un des ressorts limitrophes de cet ensemble.

b.   La réquisition de personnes qualifiées au cours de l’enquête préliminaire

i.   La condamnation des instructions permanentes par la Cour de cassation

L’article 77-1 du code de procédure pénale encadre les constatations et les examens diligentés par les officiers et les agents de police judiciaires dans une enquête préliminaire. Il les autorise notamment, sur autorisation du procureur de la République, à recourir à « toutes personnes qualifiées ».

Dans une perspective légitime de bonne administration de la justice, il est vite apparu inutilement contraignant de multiplier les autorisations individuelles, alors même que la direction de la police judiciaire qu’exerce le procureur de la République lui permet, dans le cadre de la loi, d’adresser « des instructions générales ou particulières aux enquêteurs » ([74]). Des directives permanentes pouvaient donc remplacer avantageusement les autorisations ponctuelles. Cette démarche a été recommandée par la Chancellerie par voie de circulaire ([75]). Elle paraissait également admise par la Cour de cassation ([76]).

La chambre criminelle de la Cour de cassation est cependant venue remettre en cause cette interprétation de sa jurisprudence dans un arrêt selon lequel « l’autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de faire procéder à des examens techniques ou scientifiques doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête préliminaire en cours et non par voie d’autorisation générale et permanente préalable ». La juridiction ajoute « que cette interprétation est commandée par la nécessité de garantir la direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République » ([77]). Elle fait ainsi écho à la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel déduisant de l’article 66 de la Constitution que « la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire » ([78]).

ii.   Les dispositions du projet de loi

Comme l’ont souligné les représentants des parquets entendus par votre rapporteure, cette nouvelle jurisprudence fait peser une charge matérielle importante sur les magistrats et sur les services d’enquête. Elle impose aux enquêteurs de prendre systématiquement contact avec le parquet avant chaque examen technique ou scientifique, alors même que le recours à de tels actes apparaît excessivement fréquent. De même, elle oblige les magistrats à multiplier les réquisitions pour satisfaire une exigence procédurale particulièrement formelle, concernant des actes d’enquête dont l’opportunité n’appelle que rarement à être appréciée.

Le II de l’article 9 du projet de loi modifie l’article 77-1 du code de procédure pénale dans l’objectif de concilier la règle de direction de la police judiciaire par l’autorité judiciaire avec les impératifs de bonne gestion des ressources dont disposent des services d’enquête. Il procède de deux façons :

– en autorisant explicitement le procureur de la République à prendre, sur le fondement de l’article 39-3 du code de procédure pénale précité, des instructions générales valables pour une durée maximale de six mois, permettant à un agent ou à un officier de police judiciaire de faire réaliser des examens médicaux ou psychologiques de la victime, de faire examiner une personne suspectée d’une infraction de nature sexuelle sur mineur ([79]), ou de faire expertiser la responsabilité pénale d’un majeur protégé au moment des faits pour lesquels il est poursuivi ([80]). Cette procédure suppose l’information sans délai du procureur de la République de chaque réquisition prise sur le fondement de son instruction générale ;

– en permettant aux officiers et agents de police judiciaire de requérir des personnes qualifiées sans autorisation préalable. Les enquêteurs pourraient librement comparer l’ADN d’un suspect avec une empreinte génétique laissée sur les lieux ou sur la victime de l’infraction, ou tenter d’établir deux traces biologiques émanent d’un même auteur, dans les affaires portant sur des faits donnant lieu à inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) ([81]). Ils pourraient tout aussi librement procéder à des recherches fondées sur l’empreinte digitale ou palmaire.

c.   Le regroupement de procédures à comparution différée

L’article 393 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019 précitée, offre au procureur de la République la possibilité de fixer à la même audience, afin qu’elles puissent être jointes à la procédure ou examinées ensemble, de précédentes poursuites dont une même personne a fait l’objet pour d’autres délits, à la suite d’une convocation par procès-verbal, par officier de police judiciaire ou en vue d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, d’une citation directe, d’une ordonnance pénale ou d’une ordonnance de renvoi du juge d’instruction.

La même loi du 23 mars 2019 a institué, par ailleurs, une procédure de comparution à délai différé destinée à juger des faits simples et clairs qui ne nécessitent pas une enquête approfondie, mais lorsque le délai requis pour un certain nombre d’expertises ne permet pas le recours à la comparution immédiate. L’audience se tient alors dans un délai compris entre deux et six semaines.

Du fait de leur création simultanée, le législateur n’a pas articulé ces deux innovations. Ainsi, le mécanisme du regroupement n’a pas été ouvert aux comparutions à délai différé. Le III de l’article 9 du projet de loi corrige cette lacune.

d.   La compétence du juge unique en cas de fausse déclaration relative à l’état civil d’une personne

Dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 mars 2019 précitée, l’article 398‑1 du code de procédure pénale désignait les incriminations dont connaît le tribunal correctionnel statuant à juge unique par les articles correspondants du code pénal. Son 5° visait ainsi l’article 434-23 (premier et troisième alinéas) sur les délits de fausse déclaration relative à l’état civil d’une personne et de prise du nom d’un tiers.

Procédant à une nouvelle rédaction de l’article 398‑1 du code de procédure pénale, l’article 61 de la loi du 23 mars 2019 a omis le délit de fausse déclaration. Le IV de l’article 9 du projet de loi corrige cette erreur.

e.   La procédure devant la chambre des appels correctionnels

i.   La prise en compte d’une décision du Conseil constitutionnel

L’article 62 de la loi du 23 mars 2019 a modifié l’article 510 du code de procédure pénale pour accroître la compétence de la chambre d’appels correctionnels composée d’un juge unique ([82]). Toutefois, la formation collégiale devait s’imposer « si le prévenu est en détention provisoire pour les faits qui lui sont reprochés ou si, dans l’acte d’appel, l’appelant demande expressément que l’affaire soit examinée par une formation collégiale ». Il en résultait, dans cette seconde hypothèse, que l’appelant ne disposait que d’un délai de dix jours pour solliciter la compétence de la formation collégiale, puisque tel est le délai fixé pour interjeter appel ([83]).

Cette disposition a été jugée contraire à la Constitution ([84]). Le Conseil constitutionnel a considéré le délai de dix jours d’une excessive brièveté ; il a donc supprimé l’exigence d’une sollicitation de la formation collégiale dans l’acte d’appel.

Il résulte de cette décision que l’article 510 du code de procédure pénale ne prévoit plus aucun délai pendant lequel l’appelant peut expressément demander l’examen de son affaire par la formation collégiale. Cette situation est porteuse d’un risque de déstabilisation de l’institution judiciaire puisque le refus de la compétence du juge unique peut être employé jusqu’au dernier moment, y compris à des fins dilatoires.

Le 2° du V de l’article 9 du projet de loi prend en compte la décision du Conseil constitutionnel en établissant à un mois le délai au cours duquel, à partir de la déclaration d’appel, l’appelant peut exiger l’examen de son affaire par la formation collégiale.

ii.   La correction de deux erreurs de référence

La loi du 23 mars 2019 précitée a permis, au stade de l’appel, un renvoi sur intérêts civils, c’est-à-dire la possibilité d’un renvoi de l’affaire à une date ultérieure sur l’action civile une fois l’action pénale jugée. Ce mécanisme permet à la victime, partie civile, de collecter les documents faisant état du dommage qu’elle a subi afin d’en obtenir une juste indemnisation par la juridiction – composée alors du seul président siégeant à juge unique. Les articles 510 et 512 du code de procédure pénale définissent les cas dans lesquels la chambre des appels correctionnels n’est composée que d’un seul juge en précisant que « les règles édictées pour le tribunal correctionnel sont applicables devant la cour d’appel ». Ces règles apparaissent à l’article 464 du code de procédure pénale.

Toutefois, les renvois opérés aux articles 510 et 512 ne mentionnent pas le bon alinéa de l’article 464 du code de procédure pénale. Les 1° du V et le VI de l’article 9 du projet de loi corrigent ces erreurs de référence.

f.   L’effacement de l’identité d’une personne inscrite au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes et au fichier judicaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes

L’article 706-53-10 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 précitée, décrit les modalités de rectification ou d’effacement de l’identité de personnes inscrites au fichier judicaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS). Il prévoit notamment, en cas de refus opposé à une demande en ce sens par le procureur de la République, une voie de recours devant le président de la chambre de l’instruction et non, comme par le passé, devant le juge des libertés et de la détention. La procédure s’est ainsi trouvée unifiée avec celle prévue pour les informations inscrites au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) ([85]).

Le VII de l’article 9 du projet de loi poursuit ce processus d’harmonisation en ouvrant une voie de recours identique pour les demandes de rectification ou d’effacement de l’identité de personnes inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) en modifiant à cet effet l’article 706-25-12 du code de procédure pénale.

Le VIII de l’article 9 du projet de loi procède, par ailleurs, à deux coordinations à l’article 706-53-10.

g.   La garde à vue des majeurs protégés

L’article 706-112-1 du code de procédure pénale fixe les règles dérogatoires applicables à la garde à vue des majeurs protégés ([86]). Il prévoit notamment la possibilité, pour le procureur de la République, de différer l’avis donné au curateur, tuteur ou mandataire spécial « afin de permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne ».

Le cas dans lequel la garde à vue est sollicitée par un juge d’instruction n’est cependant pas envisagé. Le IX de l’article 9 du projet de loi comble cette lacune.

h.   Les incidents d’exécution

Dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019 précitée, l’article 711 du code de procédure pénale autorisait le président de la juridiction à procéder par « ordonnance rectificative » pour corriger les erreurs purement matérielles responsables d’incident d’exécution des décisions de justice. Depuis sa modification par l’article 85 de ladite loi, le dernier alinéa de l’article 711 ne réserve plus cette procédure aux seules erreurs matérielles mais à l’ensemble des incidents, à la condition d’un accord entre les parties.

Le X de l’article 9 du projet de loi supprime donc le mot « rectificative » puisque l’ordonnance du président de la juridiction ne porte désormais plus nécessairement sur la rectification d’une erreur matérielle.

2.   Une disposition complétée par le Sénat

a.   En commission des Lois

La commission des Lois a approuvé l’article 9, adoptant un amendement rédactionnel du rapporteur.

Elle a également souhaité, à l’initiative du rapporteur, approfondir l’initiative du Gouvernement en matière de réquisitions dans le cadre de l’enquête préliminaire. Elle a ainsi introduit à l’article 9 du projet de loi un II bis permettant aux parquets de délivrer des autorisations générales de requérir des informations issues des dispositifs de vidéosurveillance. Selon le rapporteur du Sénat, « ces réquisitions sont très fréquentes pour établir la preuve d’infractions commises sur la voie publique ». Il reviendrait au procureur de la République de déterminer, par des instructions de six mois renouvelables, « les catégories d’infractions pour lesquelles il délivre ces autorisations générales » et aux enquêteur d’informer le magistrat « sans délai » de leurs réquisitions.

b.   En séance publique

En séance publique, un amendement de M. Thani Mohamed Soilihi bénéficiant d’avis favorables du Gouvernement et de la Commission a introduit à l’article 9 un XI modifiant le code de l’organisation judiciaire.

Figurant à l’article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice afin de couvrir l’ensemble des configurations de la carte judiciaire française, le dispositif de spécialisation départementale permet, lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, que certains soient désignés par décret pour connaître seuls de certaines matières, dans l’ensemble de ce département. Cette rédaction ne permet cependant pas d’agir lorsque les ressorts judiciaires ne coïncident pas avec les limites du département. Tel est notamment le cas en Alsace où les tribunaux judiciaires de Saverne et de Strasbourg ne couvrent pas entièrement le département du Bas-Rhin, dont le territoire échoit également pour partie, à travers le tribunal de proximité de Sélestat, au tribunal judiciaire de Colmar (Haut-Rhin). La rédaction adoptée, en faisant référence aux ressorts des juridictions et non aux départements, rend le dispositif applicable sur l’ensemble du territoire national.

3.   La position de votre Commission

La Commission a adjoint à l’article 9 de nouvelles dispositions ponctuelles de procédure pénale en adoptant trois amendements de M. Didier Paris bénéficiant du soutien de la rapporteure et du Gouvernement, qui tous tirent les conséquences de dispositions issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice :

– un nouveau paragraphe IV bis prévoit que le mandat de dépôt à effet différé prévu au 3° de l’article 464‑2 du code de procédure pénale soit exécuté même en cas d’appel ;

– les nouveaux paragraphes XII, XIII et XIV comportent des coordinations rendues nécessaires par le remplacement du sursis avec mise à l’épreuve par le sursis probatoire ;

– un nouveau paragraphe XV permet au président de la chambre de l’instruction, sur requête du procureur de la République ou d’une partie, de corriger par ordonnance motivée le renvoi erroné d’un accusé vers la cour d’assises alors que l’affaire relève de la cour criminelle ou de le réorienter de la cour criminelle vers la cour d’assises dans le cas contraire.

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*     *

Article 10
(art. 335, 362 et 70671 du code de procédure pénale ; art. 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; art. 2 de la loi n° 81‑908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort)
Modifications du code de procédure pénale rendues nécessaires
par des décisions du Conseil constitutionnel

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article modifie, à la suite de décisions rendues par le Conseil constitutionnel, les règles du code de procédure pénale applicables pour l’information des jurés d’assise relative aux périodes de sureté et pour la comparution en visio-conférence devant la chambre de l’instruction dans le cadre d’une détention provisoire.

       Dernières modifications législatives intervenues

Le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, définitivement adopté par le Parlement le 28 octobre 2020, réforme la procédure applicable à la comparution en visio-conférence devant la chambre de l’instruction dans le cadre d’une détention provisoire. Il a fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel le 3 novembre 2020.

       Position du Sénat

La commission des Lois du Sénat a adopté deux amendements de son rapporteur sur les modalités de comparution en visio-conférence devant la chambre de l’instruction dans le cadre d’une détention provisoire. L’article 10 n’a ensuite fait l’objet d’aucune modification en séance publique.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté, avec l’avis favorable de la rapporteure, trois amendements du Gouvernement tirant les conséquences de trois décisions du Conseil constitutionnel en matière de procédure pénale : sur le serment prêté devant la cour d’assises par les personnes qui partagent la vie de l’accusé, sur les délais applicables en droit de la presse et sur la possibilité de réhabilitation d’un condamné à mort exécuté.

1.   La comparution en visioconférence devant la chambre de l’instruction

a.   Une disposition censurée par le Conseil constitutionnel

L’article 706-71 du code de procédure pénale autorise le recours à la visioconférence « aux fins d’une bonne administration de la justice, (…) si le magistrat en charge de la procédure ou le président de la juridiction saisie l’estime justifié ». Dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016‑1636 du 1er décembre 2016, cet article le permet pour les audiences du contentieux de la détention provisoire devant la chambre de l’instruction.

Le détenu peut s’opposer à cette modalité dans deux cas : le placement en détention provisoire et la prolongation de la détention provisoire. Tel n’est donc pas le cas pour une demande de mise en liberté, ce qui a pour conséquence possible de repousser pendant une année le contact physique entre le justiciable et le juge ([87]).

Le Conseil constitutionnel a considéré cette durée excessive au regard des droits de la défense ([88]). Les dispositions contestées n’étaient plus plus en vigueur à la date de la décision, l’article ayant été formellement modifié par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sans évolution toutefois sur le fond. Le Conseil constitutionnel a donc confirmé, quelques mois plus tard, sa déclaration d’inconstitutionnalité, dont les effets ont été repoussés au 31 octobre 2020 ([89]).

b.   Une correction apportée dans le présent projet de loi

Le II de l’article 10 du projet de loi tire les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel. Il prévoit, en matière criminelle, la possibilité pour une personne détenue depuis plus de six mois à titre provisoire, dont la détention n’a fait l’objet d’aucune décision de prolongation et qui n’a pas personnellement comparu devant la chambre de l’instruction depuis au moins six mois, de s’opposer à l’emploi de la visioconférence.

c.   Une correction anticipée par le législateur

Le bouleversement du calendrier législatif induit par l’état d’urgence sanitaire appliqué au printemps 2020 n’a pas permis au présent projet de loi d’être examiné en temps utiles par l’Assemblée nationale. L’inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel a donc produit son effet au 1er novembre 2020.

Afin de restaurer dans les meilleurs délais les possibilités d’emploi de la visioconférence devant la chambre de l’instruction, le Gouvernement a procédé par voie d’amendement au projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique. Un dispositif correctif a été introduit à l’article 44 octies dudit projet de loi ([90]). Le Conseil constitutionnel est saisi de la constitutionnalité du texte depuis le 3 novembre 2020.

2.   L’information des jurés d’assise sur les périodes de sureté

a.   L’état du droit

La période de sûreté est une peine régie à l’article 132‑23 du code pénal. Elle peut être prononcée en cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans et en répression de certaines infractions spécialement prévues par la loi. Elle a pour effet d’exclure le condamné du bénéfice des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle. La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. Une décision spéciale de la juridiction peut toutefois porter ces durées aux deux tiers de la peine ou, en cas de réclusion criminelle à perpétuité, à vingt-deux ans.

Limitée aux peines privatives de liberté de dix ans ou plus, la période de sûreté est donc principalement prononcée en répression des crimes par la cour d’assises. Or, cette juridiction comprend « la cour proprement dite et le jury » ([91]). Elle n’est donc pas exclusivement composée de magistrats professionnels ([92]), mais aussi de citoyens tirés au sort ([93]). Le jury de jugement est composé de six jurés lorsque la cour statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu’elle statue en appel ([94]).

Le droit en vigueur confie aux magistrats professionnels, et notamment au président de la cour d’assises, le soin de veiller à la régularité de la procédure. Tel est notamment le cas au moment de la délibération, une fois formée la conviction de la cour d’assises sur la culpabilité de l’accusé et dans la perspective de sa décision sur la peine, lorsqu’il revient au président de lire aux jurés les articles du code pénal relatifs aux fonctions de la peine, au principe d’individualisation de la peine et au quantum des peines criminelles ([95]).

b.   Une disposition censurée par le Conseil constitutionnel

L’article 362 du code de procédure pénale n’imposait cependant pas au président de la cour d’assises de donner au jury lecture des dispositions du code pénal régissant la période de sûreté susceptible d’être attachée à la peine de réclusion qu’ils pourraient prononcer.

Le Conseil constitutionnel a considéré ce silence de la loi contraire à la Constitution et, plus particulièrement, aux principes de nécessité, de légalité et d’individualisation de la peine, ainsi qu’au droit à une procédure équitable et aux droits de la défense, tels que garantis par les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ([96]). L’application de cette déclaration d’inconstitutionnalité a été repoussée au 31 mars 2020, date à laquelle la première phrase de l’article 362 du code de procédure pénale a été censurée.

c.   Les dispositions du projet de loi

La décision du Conseil constitutionnel impose au législateur de procéder à une nouvelle rédaction de l’article 362 du code de procédure pénale, tant pour le conformer aux prescriptions de la Constitution que pour restaurer l’information des jurés sur les principes relatifs à la peine. Tel est l’objet du I de l’article 10 du projet de loi, qui ajoute aux lectures obligatoires une information sur le fonctionnement de la période de sûreté.

d.   Des dispositions approuvées sans modification par le Sénat

La commission des Lois du Sénat a approuvé sans modification les dispositions proposées par le Gouvernement, qui lui sont apparues « de nature à satisfaire aux exigences fixées par le Conseil constitutionnel, sans impacter significativement le fonctionnement du service public de la justice, les présidents de cours d’assises demeurant libres de déterminer de la façon dont ils procèdent à cette information » ([97]).

Cette disposition n’a donné lieu à aucun amendement au cours de l’examen en séance publique.

3.   La position de votre Commission

La commission des Lois n’a pas modifié les dispositions précédemment adoptées par le Sénat. Toutefois, elle a adopté, suivant l’avis favorable de sa rapporteure, trois amendements du Gouvernement tirant les conséquences de récentes décisions du Conseil constitutionnel. Ils sont successivement présentés ci-après.

a.   Le serment des témoins devant la cour d’assises

L’article 331 du code de procédure pénale édicte les règles selon lesquelles les témoins déposent devant la cour d’assises. Le troisième alinéa dudit article prévoit notamment que, « avant de commencer leur déposition, les témoins prêtent le serment "de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité" ». En vertu des articles 326 du code de procédure pénale et 434‑13 du code pénal, le témoin qui refuse de déposer est puni d’une amende de 3 750 euros ; celui qui ment sous serment encourt cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Cependant, l’article 335 du même code exclut que certains témoins s’expriment sous la foi du serment. Tel est notamment le cas des personnes entretenant une proximité familiale, affective ou sentimentale avec l’accusé qui justifierait légitimement qu’ils éprouvent des difficultés à n’exprimer que la vérité. Il en va notamment ainsi, aux termes du 5°, du mari ou de la femme ; cette prohibition subsiste même après le divorce.

Le Conseil constitutionnel a considéré que cette limitation était contraire à la Constitution ([98]). Si le législateur a entendu préserver le conjoint appelé à témoigner du dilemme moral auquel il serait exposé s’il devait choisir entre mentir ou se taire, sous peine de poursuites, et dire la vérité, pour ou contre la cause de l’accusé, il a négligé le fait que les concubins ou les partenaires liés par un pacte civil de solidarité ne sont pas moins exposés que les conjoints. Le droit en vigueur opère ainsi une distinction qui n’est justifiée « ni par une différence de situation ni par un motif d’intérêt général » et qui méconnaît donc le principe d’égalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel a reporté les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité au 31 décembre 2020.

L’amendement adopté par la commission des Lois réécrit le 5° de l’article 335 du code de procédure pénale afin d’étendre cette dispense de serment au partenaire lié par un pacte civil de solidarité et au concubin au sens de l’article 515‑8 du code civil ([99]). Comme pour les personnes mariées aujourd’hui, pour lesquelles la dispense demeure après le divorce, la nouvelle disposition s’appliquera aux ex-partenaires et aux ex-concubins.

b.   Les délais applicables en droit de la presse

Le premier alinéa de l’article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit que le délai entre la citation et la comparution, dans les procédures relevant du droit de la presse, est de vingt jours auxquels s’ajoute un jour par cinq myriamètres de distance. Le myriamètre est une unité de mesure inventée à la Révolution française correspondant à dix kilomètres.

Le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution dans la mesure où elles aboutissaient à des délais excessifs lorsque le prévenu résidait outre-mer ou à l’étranger ([100]).

L’amendement adopté par la commission des Lois tire les conséquences de cette décision en précisant que le délai de vingt jours ne constitue qu’une dérogation au délai de dix jours prévu par le premier alinéa de l’article 552 du code de procédure pénale. Il rend cependant applicable au droit de la presse les délais de droit commun prévus aux alinéas suivants, soit un mois pour les prévenus demeurant outre-mer et deux mois pour ceux résidant à l’étranger ([101]).

c.   La réhabilitation d’un condamné à mort exécuté

Le troisième amendement du Gouvernement adopté par la Commission s’inscrit dans le prolongement de l’affaire Jacques Fesch, du nom d’un criminel condamné à mort pour le meurtre d’un gardien de la paix à la suite d’un braquage, en 1954. Arrêté au moment des faits, il fut jugé et guillotiné le 1er octobre 1957. Mais les trois années de détention passées à la prison de la Santé furent l’occasion d’un chemin spirituel marqué par l’écriture, le mysticisme et le repentir. Cette forme de rédemption a conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire à la béatification, en 1993, par l’archevêché de Paris.

En 2016, le fils de Jacques Fesch a sollicité la réhabilitation judiciaire de son père ([102]). Cette demande ne pouvait cependant surmonter l’obstacle de l’article 786 du code de procédure pénale qui précise qu’une demande en réhabilitation judiciaire ne peut être formée qu’après un délai de cinq ans pour les personnes condamnées à une peine criminelle. Ce délai court à compter de l’expiration de la sanction, qu’elle soit exécutée ou prescrite ([103]).

Contestées devant le Conseil constitutionnel, ces dispositions ont donné lieu à la décision n° 2019-827 QPC du 28 février 2020, M. Gérard F. Aux paragraphes n° 12 et n° 13 le Conseil a considéré qu’en « imposant le respect d’un délai d’épreuve de cinq ans après l’exécution de la peine, le législateur a entendu subordonner le bénéfice de la réhabilitation à la conduite adoptée par le condamné une fois qu’il n’était plus soumis aux rigueurs de la peine prononcée à son encontre. À cet égard, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la réhabilitation judiciaire ne peut être accordée qu’aux personnes qui, après avoir été condamnées et avoir subi leur peine, se sont rendues dignes, par les gages d’amendement qu’elles ont donnés pendant le délai d’épreuve, d’être replacées dans l’intégrité de leur état ancien. Dès lors, les personnes condamnées à la peine de mort et exécutées se trouvaient dans l’impossibilité de remplir les conditions prévues par la loi. Ainsi, la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées repose sur une différence de situation et est en rapport direct avec l’objet de la loi. »

Toutefois, au paragraphe suivant, le Conseil a considéré que l’abolition de la peine de mort en 1981 et son interdiction de rang constitutionnel en 2007 ([104]) justifieraient une intervention du législateur, qui « serait donc fondé à instituer une procédure judiciaire, ouverte aux ayants droit d’une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée, tendant au rétablissement de son honneur à raison des gages d’amendement qu’elle a pu fournir ».

C’est dans cette perspective que le Gouvernement a souhaité modifier la loi n° 81‑908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort pour permettre aux ayants droit d’une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée de saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation d’une demande tendant au rétablissement de l’honneur de cette personne à raison des gages d’amendement qu’elle a pu fournir.

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Article 11
(art. 16331 [nouveau] du code des transports, art. 23019 du code de procédure pénale, art. 204 de l’ordonnance n° 45174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et art. 1218 [nouveau] du code de la justice pénale des mineurs)
Peine d’interdiction de paraître dans les transports en commun

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article introduit, dans le code des transports, une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports en commun et dans les lieux destinés à leur accès.

       Dernières modifications législatives intervenues

Ce dispositif a été déclaré contraire à la Constitution, pour des raisons de procédure, par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d’orientation des mobilités.

       Position du Sénat

Le Sénat a adopté trois amendements de son rapporteur visant à renforcer la garantie des droits de la personne condamnée et à rendre l’interdiction effective lorsqu’elle est prononcée en plus d’une peine privative de liberté, à permettre une meilleure identification des personnes condamnées et à appliquer l’interdiction aux mineurs de plus de seize ans.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté l’article 11 sans modification dans l’attente de la présentation d’une nouvelle rédaction par le Gouvernement.

1.    L’état du droit

L’article 131-10 du code pénal dispose que « lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit ». Ainsi, l’article 131-31 prévoit que « la peine d’interdiction de séjour emporte défense de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction ».

En application du même code, l’interdiction de paraître dans certains lieux peut également être prononcée comme une peine restrictive de liberté alternative à l’emprisonnement ([105]) ou dans le cadre d’une peine d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve ([106]), voire en tant que peine principale ([107]). Elle ne saurait, en revanche, frapper un mineur ([108]) ou une personne âgée de plus de 65 ans ([109]).

Il n’existe cependant pas de peine complémentaire spécifique de paraître dans les transports en commun ou dans les lieux destinés à leur accès ([110]), à l’image la peine complémentaire d’interdiction de stade, prévue à l’article L. 332-11 code du sport et créée dès 1984 ([111]).

Le code pénal prévoit néanmoins des peines aggravées lorsqu’elles sont commises dans les transports collectifs ou dans un lieu destiné à leur accès en cas de vol (7° de l’article 311-4), de violences (13° des articles 222-12 et 222‑13) et d’outrage sexiste (6° du III de l’article 621-1) ([112])

2.   Le dispositif proposé

L’article 11 du projet de loi reprend le dispositif d’un amendement du Gouvernement adopté en première lecture et portant article additionnel au projet de loi d’orientation des mobilités ([113]). Cet article 104 a été censuré par le Conseil Constitutionnel, sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, dans la mesure où il ne présentait pas de lien, même indirect, avec le texte ([114]).

Le nouvel article L. 16331 du code des transports crée une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans tout ou partie d’un réseau de transport public en répression d’un crime ou, en cas de récidive légale, de certains délits ([115]). L’interdiction vaut pour une durée maximale de trois ans, dans un ou plusieurs réseaux de transport public déterminés par la juridiction ou dans les lieux permettant l’accès à ces réseaux. Sa violation est punie de deux ans emprisonnement et 30 000 euros d’amende ([116]).

3.   Les modifications apportées par le Sénat

La commission des Lois du Sénat a adopté trois amendements présentés par le rapporteur.

● La première modification renforce la garantie des droits de la personne condamnée. À cet effet, l’interdiction pourra être prononcée sur tout ou partie d’un réseau de transport public. Cette disposition permettra une délimitation fine de l’interdiction de paraître afin de la concilier avec les impératifs de vie privée, familiale et professionnelle de la personne condamnée. Elle pourra également être suspendue ou fractionnée par le parquet. Dans le même temps, le Sénat a souhaité rendre la mesure effective lorsqu’elle est prononcée en complément d’une peine d’emprisonnement ferme : l’interdiction débutera à l’issue de cette peine ; elle ne se confondra pas avec la privation de liberté.

● Un deuxième amendement a autorisé l’inscription des personnes faisant l’objet d’une interdiction de paraître dans le fichier des personnes recherchées au titre des décisions judiciaires (FPR) ([117]). Par ailleurs, afin de permettre une application concrète sur le terrain, le préfet communiquera aux gestionnaires des services de transport l’identité des personnes interdites de paraître. Cette disposition permettra l’appréhension, en flagrant délit, des personnes en infraction.

● Enfin, un amendement a autorisé l’application de l’interdiction de paraître aux mineurs de plus de seize ans pour une durée ne pouvant excéder un an. Cette disposition est inscrite à l’article 20‑4 de l’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et, dans la perspective de son entrée en vigueur, à l’article L. 121‑8 du code de la justice pénale des mineurs dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019‑950 du 11 septembre 2019 ([118]).

4.   La position de votre Commission

La rapporteure a constaté que l’article 11 suscitait une réticence à la fois unanime et spontanée de la part des professionnels du droit auditionnés. Trois éléments amoindrissent, en effet, la pertinence de cette disposition :

– en théorie, l’interdiction de paraître dans les réseaux de transport peut déjà être prononcée par la voie de l’interdiction de séjour ([119]), que celle-ci prenne la forme d’une peine complémentaire ou d’une peine alternative. Dans les deux cas, aucun obstacle n’empêche la juridiction de jugement de l’attacher à des catégories de lieux pour peu que la définition retenue soit sans ambiguïté, ce qui ne semble pas inaccessible ;

– en pratique, l’application de l’interdiction de paraître pose question. Certes, les interdictions de séjour figurent au fichier des personnes recherchées (FPR), mais il semble difficile d’en faire usage dans un réseau de transport alors même que les contrôleurs n’y ont pas accès ;

– enfin, l’expérience a montré que la création de peines complémentaires dans d’autres textes que le code pénal ne permet pas leur bonne appropriation par les juridictions. La loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations avait ainsi vu le transfert de la peine complémentaire d’interdiction de manifester, prononcée 32 fois seulement entre 1995 et 2017 alors qu’elle figurait à l’article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure, vers l’article 131‑32­‑1 du code pénal où elle est plus facilement lisible. Il semble douteux que le code des transports soit un recueil plus approprié pour l’action pénale que le code de la sécurité intérieure.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteure a proposé à la commission des Lois la suppression de l’article 11. Sur les instances du Gouvernement reconnaissant les imperfections de la rédaction proposée et annonçant une correction en séance publique, cet amendement a été retiré.

La Commission a adopté cet article sans modification.

*

*     *

Article 12
(art. 171 [nouveau] de l’ordonnance n° 2016728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice, art. 63 [nouveau] de l’ordonnance n° 452590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, art. L. 4442 et L. 4447 du code de commerce et art. 52 de la loi  2015990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques)
Contributions au fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Dans sa rédaction initiale, le présent article habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour prévoir le financement du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice par les notaires, les huissiers de justice et les commissaires‑priseurs judiciaires.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi  2015990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », a prévu l’instauration d’un fonds interprofessionnel en contrepartie de la réforme du tarif des professions réglementées et de leurs modalités d’installation.

       Position du Sénat

Le Sénat a substitué à l’habilitation une autorisation des ordres professionnels des commissaires de justice et des notaires à percevoir directement des contributions volontaires obligatoires. Il a également introduit une disposition réformant la procédure d’installation des nouveaux offices dans les zones contrôlées.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté deux amendements de votre rapporteure : l’un rédactionnel, l’autre visant à supprimer l’avis de l’Autorité de la concurrence dans le cadre des contributions obligatoires prévues pour les commissaires de justice et les notaires.

1.   L’état du droit

a.   La révision des tarifs réglementés engagée par la loi du 6 août 2015

La loi n° 2015990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a introduit un titre IV bis relatif à certains tarifs réglementés au sein du livre IV du code de commerce. En application du premier alinéa de l’article L. 444‑1, ce nouveau titre régit « les tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers de tribunal de commerce, des huissiers de justice, des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires et des notaires » ainsi que ceux des avocats pour certains de leurs droits et émoluments ([120]).

Le premier alinéa de l’article L. 444­‑2 dispose que ces tarifs « prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable ». L’article L. 444‑3 prévoit que le tarif des prestations, arrêté conjointement par les ministres de la justice et de l’économie pour chaque prestation, est révisé au moins tous les cinq ans. Sur ce fondement, les tarifs réglementés des commissaires‑priseurs judiciaires, des huissiers de justice ([121]) et des notaires ([122]) ont fait l’objet d’une triple révision, en moins de cinq ans, en février 2016, 2018 et 2020 ([123]).

Le rapport d’information de la mission d’information commune sur l’évaluation de la « loi Macron » ([124]) a permis un point d’étape sur les évolutions constatées en 2016 et 2018. Elles ont eu pour but de « rapprocher le prix des prestations de leurs coûts » selon nos collègues Bruno Questel et Cécile Untermaier, rapporteurs de la commission des Lois.

Les modalités de fixation des tarifs ont été clarifiées avec l’adoption de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. L’arrêté conjoint précité est pris, en application du troisième alinéa de l’article L. 444‑2, « sur la base d’un objectif de taux de résultat moyen […] dont le montant est estimé globalement pour chaque profession ».

L’ÉVOLUTION DES TARIFS RÉGLEMENTÉS EN 2016 ET EN 2018

 

2016

2018

Notaires

– 2,5 %

0 %

Huissiers

– 2,5 %

0 %

Commissaires-priseurs judiciaires

0 %

0 %

Source : Mission d’information commune sur l’évaluation de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « Loi Macron ».

Ce taux a été fixé, par arrêtés du 28 février 2020, à 29 % pour les commissaires-priseurs judiciaires, à 30 % pour les notaires et à 31,7 % pour les huissiers de justice. En conséquence, et selon les informations recueillies par votre rapporteure, ces mêmes arrêtés ont entraîné, au 1er mars 2020, une baisse des tarifs réglementés, modulée par profession, de l’ordre de 0,8 % pour les commissaires‑priseurs judiciaires et les huissiers de justice et de 1,9 % pour les notaires ([125]).

En application de la loi « Macron », l’article L. 444­­‑2 a introduit trois dispositifs dérogatoires à l’objectif de prise en compte des coûts pertinents du service rendu et d’une rémunération raisonnable dans la fixation des tarifs :

– le deuxième alinéa prévoit la mise en place d’une « péréquation des tarifs applicables à l’ensemble des prestations servies » qui puisse « notamment prévoir que les tarifs des prestations relatives à des biens ou des droits (…) soient fixés proportionnellement à la valeur du bien ou du droit ». Cette péréquation dite interne permet de déconnecter le tarif de certains actes de l’objectif précité afin de compenser le tarif appliqué à d’autres ;

– en application du cinquième alinéa, des remises, dont le taux est fixe, identique à tous et compris dans des limites définies par voie réglementaire, peuvent être consenties « lorsqu’un tarif est déterminé proportionnellement à la valeur d’un bien ou d’un droit (…) et lorsque l’assiette de ce tarif est supérieure à un seuil défini par » les arrêtés précités. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019, le taux peut désormais être convenu entre le professionnel et son client pour certaines prestations et au-delà d’un montant d’émolument fixé par les arrêtés précités ;

– le quatrième alinéa dispose qu’une redistribution entre professionnels peut être prévue « afin de favoriser la couverture de l’ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et l’accès du plus grand nombre au droit ». Ce dispositif de péréquation externe est assuré par la mise en place, facultative, du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice (FIADJ).

b.   Une réforme du système d’installation des professions réglementées

La loi du 6 août 2015 a engagé une réforme du système d’installation des commissaires-priseurs judiciaires, huissiers de justice et notaires ([126]).

● Le I de l’article 52 a instauré un principe de libre installation dans les zones, dites vertes, « où l’implantation d’offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l’offre de services ». Ces zones sont « déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l’économie, sur proposition de l’Autorité de la concurrence » et révisée tous les deux ans.

La libre installation est néanmoins régulée dans la mesure où « cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d’installation compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels dans la zone concernée ». Dans cette perspective, le décret n° 2016‑661 du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels a mis en place une procédure de tirage au sort pour déterminer l’ordre des demandes de création d’office lorsque leur nombre, tel qu’il est enregistré dans les vingt-quatre heures suivant la date d’ouverture du dépôt des demandes, est supérieur, pour une même zone, aux recommandations.

carte des zones d’installation pour la profession de notaire
sur la période 2018-2020

Source : Autorité de la concurrence.

 

● Dans les autres zones, dites oranges, où la création de nouveau offices « serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants et à compromettre la qualité du service rendu », le III du même article prévoit que le ministre de la justice peut refuser une demande de création d’office après avis de l’Autorité de la concurrence.

Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi, « la mise en œuvre de la liberté d’installation n’a pas eu d’effet négatif sur le maillage territorial. En particulier pour les notaires, la densité notariale s’est renforcée, passant de 14,6 à 16,4 notaires libéraux par zone d’installation. La loi du 6 août 2015 a rendu possible les créations d’office là où elles sont utiles pour renforcer la proximité ou l’offre de services, et contribue ainsi à renforcer la continuité territoriale de l’offre de service juridique » ([127]).

c.   La difficile naissance du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice (FIADJ)

En application du quatrième alinéa de l’article L. 444­‑2, un double objectif est assigné au FIADJ : favoriser la couverture de l’ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et permettre l’accès du plus grand nombre au droit. Il s’inscrit donc dans le prolongement des deux réformes engagées par la loi du 6 août 2015 : celle des tarifs et celle de l’installation des professions réglementées.

Pour atteindre ces objectifs, l’article R. 444­‑22 autorise le fonds à distribuer des aides à l’installation ou au maintien dans des zones géographiques arrêtées, conformément à l’article R. 444‑26, par le ministre de la justice « en fonction du nombre de professionnels installés, du nombre de projets d’installation, et des besoins identifiés ».

Le cinquième alinéa de l’article L. 444‑2 prévoit que le fonds est géré par une société morale de droit privé administrée par un conseil d’administration. Sur ce fondement, le décret n° 2016‑230 du 26 février 2016, relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice, a institué, à l’article R. 444‑36, une société anonyme dont le capital est détenu par l’État : la société de gestion du fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice.

En l’absence de mise en place de la contribution assurant le financement du fonds, cette société est demeurée, depuis plus de quatre ans, une coquille vide. Votre rapporteure déplore les deux échecs successifs d’un dispositif à cette fin face au contrôle du Conseil Constitutionnel.

● Le premier dispositif fut introduit dans la loi du 6 août 2015 dont le III de l’article 50 prévoyait l’instauration, à compter du 1er janvier 2016, d’une contribution annuelle dénommée contribution à l’accès au droit et à la justice (CADJ) pour assurer le financement du FIADJ.

Cette contribution était due par les personnes physiques ou morales titulaires d’un office de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d’huissier de justice ou de notaire ou exerçant à titre libéral l’activité d’administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire et d’avocat pour certains droits et émoluments. La CADJ était assise sur la valeur hors taxes de tout bien ou sur le montant hors taxes de tout droit, pour lequel le tarif est fixé par arrêté proportionnellement à celui-ci, et qui est supérieur à un seuil de 300 000 € pouvant aussi être révisé par voie réglementaire. Le taux de la contribution devait également être déterminé par arrêté entre 0,05 et 0,2 %.

La décision n° 2015‑715 DC du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel a toutefois censuré l’incompétence négative du législateur qui n’a pas déterminé l’assiette de la contribution. Il a estimé qu’en « habilitant le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l’assiette de la taxe contestée, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence » ([128]).

● L’article 113 du projet de loi de finances rectificative pour 2016 a surmonté l’écueil de l’assiette en asseyant la CADJ, à l’article 1609 octotricies du code général des impôts, sur le montant total hors taxes des sommes encaissées en rémunération des prestations réalisées par les professionnels visés par le dispositif de la loi du 6 août 2015 – en excluant les avocats – au cours de l’année civile précédente ou du dernier exercice clos. Il a fixé son taux à 0,5 % sur la fraction de l’assiette comprise entre 300 000 € et 800 000 € et à 1 % sur la fraction de l’assiette qui excède 800 000 €. Il a également prévu, pour les personnes morales, la multiplication de ces seuils par le nombre d’associés. Cette disposition était justifiée par le fait que le nombre d’associés exerçant au sein d’une société influence le niveau d’activité sur lequel est fondé la contribution.

Le Conseil constitutionnel a une nouvelle fois censuré le dispositif, estimant que cette dernière disposition méconnaissait le principe d’égalité en introduisant une « différence de traitement entre les assujettis selon qu’ils exercent à titre individuel ou à titre collectif et, dans ce dernier cas, selon le nombre d’associés » qui était infondée en raison de « la possibilité de recruter des salariés accomplissant les mêmes tâches que les professionnels associés […] susceptible de permettre à des personnes exerçant à titre individuel ou à des sociétés d’atteindre le même niveau d’activité qu’une société comptant un plus grand nombre d’associés » ([129]).

d.   La nécessité de parachever une réforme déséquilibrée en l’état

La situation du FIADJ est d’autant plus regrettable que, dans le même temps, la révision des tarifs et l’évolution des modalités d’installation ont bien été diligentées.

Le cas de l’écrêtement des émoluments en matière de mutations foncières illustre le caractère inabouti de la réforme amorcée en 2015. Afin de favoriser la mobilité en matière foncière, le décret du 26 février 2016 est venu limiter la somme des émoluments perçus au titre des prestations relatives à la mutation d’un bien immobilier à 10 % de la valeur de ce bien, sans pouvoir être inférieure à 90 euros.

Le rapport précité de nos collègues Bruno Questel et Cécile Untermaier explique que « l’écrêtement des tarifs sur les petites transactions a principalement dégradé les revenus des offices de petite taille situés en zone rurale ». Il précise, à l’inverse, que « les faibles taux de remise sur les très grosses transactions ont bénéficié aux études les plus grandes, généralement situées dans les centres urbains, en particulier à Paris ». Le rôle utile et attendu du FIADJ consisterait justement à corriger ce type d’inégalité.

En l’absence de mécanisme de péréquation obligatoire, des dispositifs volontaires ont été développés par les ordres professionnels et, sur cette question, par le Conseil supérieur du notariat. Un mécanisme visant à compenser la mesure d’écrêtement a été mis en place depuis avril 2019 à hauteur de 16 millions d’euros. Il est financé par une contribution sur les produits des offices qui ont le plus bénéficié de cette mesure depuis 2016.

2.   Le projet de loi initial

Face aux deux échecs subis dans la mise en place de la CADJ, l’article 12 du projet de loi habilite le Gouvernement, dans un délai d’un an à compter de la publication de la loi, à prendre par voie d’ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi pour prévoir le financement par les notaires, les huissiers de justice et les commissaires‑priseurs judiciaires du FIADJ.

Le délai de dépôt du projet de loi de ratification devant le Parlement est de quatre mois à compter de la publication de l’ordonnance.

L’habilitation prévoit trois types de mesures.

● L’ordonnance permettra tout d’abord de déterminer le montant et de définir et d’encadrer les conditions et les modalités de prélèvement de contributions ayant la nature de créances de droit privé auprès des notaires, des huissiers de justice et des commissaires‑priseurs judiciaires.

Le dispositif que souhaite mettre en place le Gouvernement diffère sensiblement des tentatives précédentes : la contribution ne relèvera plus des impositions de toutes natures dont il appartient au Parlement, en application de l’article 34 de la Constitution, de déterminer « l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement ».

C’est en effet un mécanisme relevant de la catégorie des contributions volontaires obligatoires qui est privilégié ([130]).

 

Nombre d’offices ([131])

Part des offices dont le chiffre d’affaires dépasse 300 000 euros

Chiffre d’affaires total (émoluments et honoraires)

Chiffre d’affaires au-delà de 300 000 euros

Montant total de la taxe de 0,5 % sur la part de chiffre d’affaires au-delà de 300 000 euros ([132])

Notaires

4 825

92 %

7 787 045 371 €

6 430 707 884 €

32 153 221 €

Huissiers de justice

1 506

72 %

1 075 686 024 €

672 531 629 €

3 362 202 €

Commissaires-priseurs judiciaires

220

39 %

67 531 220 €

25 618 200 €

127 987 €

Total

6 551

Non pertinent

8 930 262 615 €

7 128 857 713 €

35 643 410 €

Source : étude d’impact jointe au projet de loi.

Se basant sur le dispositif proposé par deux amendements identiques de M. Bruno Questel et Mme Cécile Untermaier et de Mme Christine Pires Beaune sur le projet de loi de finances pour 2020 ([133]), à savoir une contribution à hauteur de 0,5 % de la fraction du chiffre d’affaires excédant 300 000 euros, l’étude d’impact évalue à 35,6 millions d’euros le montant total de cette contribution.

● L’ordonnance a également pour objectif de recentrer les missions du FIADJ sur la redistribution entre notaires, huissiers de justice et commissairespriseurs judiciaires, afin de favoriser la couverture de l’ensemble du territoire par ces professionnels. Le dispositif est restreint à la fois dans son champ et dans ses missions.

En ne mentionnant que l’objectif de couverture du territoire par les professions judiciaires, la présente habilitation exclut des missions du FIADJ l’accès du plus grand nombre au droit, pourtant mentionnée au quatrième alinéa de l’article L. 444­­‑2 du code de commerce.

Dans cette perspective, le recentrage du FIADJ autour de trois professions  et même deux avec le regroupement des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires au sein de la profession de commissaire de justice – s’explique par le fait que les administrateurs et les mandataires judiciaires ainsi que les greffiers de tribunal de commerce n’ont pas été touchés par la réforme de l’installation et ne sont donc pas concernés par cet enjeu.

● Enfin, l’ordonnance permettra de modifier toutes les dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des dispositions mentionnées précédemment.

3.   Un dispositif profondément remanié par le Sénat

a.   La suppression du FIADJ au profit de dispositifs de péréquation assurés par les ordres professionnels

Par un amendement de son rapporteur, la commission des Lois du Sénat a substitué à l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance un dispositif qui charge le Conseil supérieur du notariat et la Chambre nationale des commissaires de justice de veiller eux-mêmes à l’accès aux prestations délivrées par leur profession sur l’ensemble du territoire national, notamment dans les zones géographiques où la rentabilité des offices ne serait pas suffisante. Ce faisant, le Sénat a supprimé toute référence législative au FIADJ.

Pour cela, les ordonnances relatives aux deux professions ([134]) ont été modifiées pour habiliter les ordres à percevoir auprès des professionnels une contribution obligatoire ayant la nature d’une créance de droit privé afin de financer des aides à l’installation ou au maintien de professionnels. L’assiette et le taux de cette contribution sont fixés, sur leur proposition et après avis de l’Autorité de la concurrence, par arrêté du garde des Sceaux.

Cette disposition permet de prolonger les dispositifs internes de compensation et de soutien, dont la compensation de l’écrêtement, mis en place par les huissiers et les notaires en lieu et place du FIADJ, mais dont la portée demeure moindre par rapport à l’ambition de la loi du 6 août 2015. Les ordres rendraient compte chaque année au Gouvernement et au Parlement de l’usage fait du produit de ladite contribution.

Le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement en séance publique pour revenir sur la rédaction adoptée par la commission des Lois.

b.   L’ajout d’une disposition relative à la création des offices notariaux

En adoptant en séance publique un amendement de M. Reichardt recevant un avis favorable de la Commission et du Gouvernement, le Sénat a complété l’article 12 pour modifier la procédure d’installation des trois professions réglementées.

En application du III de l’article 52 de la loi précitée du 6 août 2015, le ministre de la Justice peut refuser une demande de création d’office, après avis de l’Autorité de la concurrence, dans les zones oranges d’installation contrôlée lorsque « l’implantation d’offices supplémentaires de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants et à compromettre la qualité du service rendu ».

Le dispositif adopté par le Sénat transcrit une recommandation de l’Autorité de la concurrence qui décrit, dans un avis du 31 juillet 2018 ([135]), une procédure excessivement longue n’ayant débouché sur quasiment aucune installation et qui ne permet pas de « répondre aux objectifs de la liberté d’installation régulée, souhaitée par le législateur ». L’avis recense, sur la période 2016­‑2018, 307 demandes déposées pour lesquelles l’Autorité a formulé 67 avis favorables. In fine, le ministère de la Justice n’a accepté qu’une seule création – à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’Autorité de la concurrence a donc proposé « d’inverser la logique de la procédure applicable aux zones orange ». Pour cela, le principe serait que « les créations d’offices n’y seraient alors pas possibles, durant les deux années d’application de la carte, sauf situation exceptionnelle, dans laquelle le ministre de la justice pourrait accepter une demande de création après avis de l’Autorité ».

Dans cette perspective, le Sénat a adopté une nouvelle rédaction du III de l’article 52 de la loi du 6 août 2015 qui dispose que, dans les zones d’installation contrôlée, il ne peut être créé de nouvel office qu’à la condition de ne pas porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants et à la qualité du service rendu. Le garde des Sceaux conserve la possibilité d’autoriser la création de nouveaux offices par arrêté pris après avis de l’Autorité de la concurrence.

4.   La position de votre Commission

La Commission a adopté deux amendements de votre rapporteure :

– le premier est rédactionnel ;

– le second supprime l’avis de l’Autorité de la concurrence sur l’assiette et le taux de ces contributions obligatoires qui visent à financer des aides à l’installation ou au maintien de professionnels – commissaires de justice et notaires.

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*     *

Article 13
(art. 65 quinquies, 67 bis-1 A, 67 sexies, 323‑5, 387, 411, 4151, 416 bis A et 426 du code des douanes ; art. 3141, 31411 et 43215 du code pénal)
Ratification de l’ordonnance de lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article ratifie l’ordonnance n° 2019‑963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 202 de la loi n° 2019‑486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi nécessaire à la transposition de la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.

       Position du Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté un amendement de votre rapporteure visant à compléter l’ordonnance du 18 septembre 2019 par quelques adaptations et coordinations dans le code des douanes et dans le code pénal. Il permet notamment de prendre en compte les dispositions créées, dans le code des douanes, par l’article 414-2 (article nouveau issu de l’ordonnance du 18 septembre 2019) qui unifie au sein d’un même article les comportements intentionnels frauduleux jusqu’ici réprimés dans des textes épars.

1.   L’état du droit

Dans un rapport de 2017 ([136]), la Commission européenne faisait état, sur l’année écoulée, de 1 146 irrégularités signalées comme frauduleuses et portant sur un montant d’environ 467 millions d’euros concernant les dépenses ou les recettes de l’Union européenne.

La directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal, dite « directive PIF », permet d’établir, aux termes de son article 1er, « des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions en matière de lutte contre la fraude et les autres activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, afin de renforcer efficacement la protection contre les infractions pénales qui portent atteinte à ces intérêts financiers, conformément à l’acquis de l’Union dans ce domaine ».

En application de la loi n° 2019‑486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, l’ordonnance de transposition de cette directive devait être publiée avant douze mois à compter de la publication de la loi. La publication a eu lieu le 18 septembre 2019.

La loi du 22 mai 2019 a également prévu le dépôt du projet de loi de ratification dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance. Respectant cette prescription, le présent projet de loi a été déposé sur le bureau du Sénat le 29 janvier 2020.

2.   Le dispositif proposé

L’article 13 du projet de loi porte ratification de l’ordonnance n° 2019‑963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.

● Le I de l’article 1er de l’ordonnance complète la section 2 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code pénal relative aux infractions commises hors du territoire de la République d’un article 11314 pour rendre applicable la loi pénale française aux délits d’escroquerie, d’abus de confiance, de soustraction, détournement ou destruction de biens, de corruption, de contrebande d’importation ou d’exportation frauduleuse et de blanchiment commises à l’étranger.

Les infractions sont poursuivies dès lors qu’elles sont commises par un Français ou par une personne résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de son activité économique sur le territoire français lorsqu’elles portent atteinte aux recettes perçues, aux dépenses exposées ou aux avoirs qui relèvent du budget de l’Union européenne, des budgets des institutions, organes et organismes de l’Union européenne ou des budgets gérés et contrôlés directement par eux.

Le nouvel article 113-14 est dérogatoire à trois dispositions du code pénal :

– à l’article 113­­‑5, selon lequel « la loi pénale française est applicable à quiconque s’est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d’un crime ou d’un délit commis à l’étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère et s’il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère » ;

– au deuxième alinéa de l’article 113-6 qui prévoit une condition de réciprocité d’infraction en disposant que la loi pénale française est « applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » ;

– à la seconde phrase de l’article 113‑8 qui dispose que la poursuite des délits « doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ».

Le II du même article opère différentes coordinations au sein du code de procédure pénale.

● L’article 2 aggrave le quantum des peines prévues par le code pénal pour les délits précédemment mentionnés lorsqu’ils portent atteinte aux différents budgets de l’Union européenne.

La peine réprimant l’abus de confiance, fixée à trois ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende par l’article 314-1, est portée par le nouvel article 314-1-1 à cinq ans d’emprisonnement, voire sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée. La tentative de ces infractions est punie des mêmes peines.

Le délit de soustraction, de détournement ou de destruction de biens par une personne exerçant une fonction publique, ou sa tentative, est puni par l’article 432-15 de dix ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction. L’ordonnance aggrave le montant de l’amende à deux millions d’euros ou, s’il excède ce montant, au double du produit de l’infraction lorsqu’il est commis en bande organisée. La punition des mêmes délits commis par des particuliers concernant des biens contenus dans un dépôt public, ou leur tentative, fixée à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende par l’article 433-4, est également aggravée : la peine d’amende est portée à 750 000 euros.

Pour les délits de corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique (art. 432-11), de corruption active et de trafic d’influence des particuliers (art. 433-1), de corruption et de trafic d’influence passifs (art. 435-1) et de corruption et de trafic d’influence actifs (art. 435-3), punis de dix ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, la peine d’amende est portée à deux millions d’euros ou, s’il excède ce montant, au double du produit de l’infraction.

● L’article 3 modifie les infractions poursuivies en application du code des douanes. Un article 4142 est introduit afin de réprimer de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l’objet de fraude tout fait de contrebande ainsi que tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration lorsqu’il est commis intentionnellement.

Est puni des mêmes peines tout fait intentionnel de fausse déclaration, d’utilisation d’un document faux, inexact ou incomplet ou de non-communication d’un document, ayant pour but ou pour résultat, en tout ou partie, d’obtenir un remboursement, une exonération, un droit réduit ou un avantage financier attachés à l’importation ou à l’exportation.

La peine est aggravée à dix ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à dix fois la valeur de l’objet de la fraude lorsque les délits sont commis en bande organisée. L’objet ou les moyens ayant servis à accomplir la fraude peuvent faire l’objet d’une confiscation.

Le 4° de cet article 3 modifie également le délit de blanchiment douanier (article 415 du code des douanes) afin de se conformer aux exigences de la directive PIF et de prévoir l’applicabilité de cette infraction lorsque l’infraction d’origine porte atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne. Cet article ajoute en outre, pour ce délit, une circonstance aggravante de bande organisée.

● L’article 4 permet l’application des modifications apportées par l’ordonnance au code pénal et au code de procédure pénale en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. Les modifications au code des douanes sont également rendues applicables aux îles Wallis et Futuna.

3.   Une disposition adoptée par le Sénat

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

4.   La position de votre Commission

La Commission a adopté un amendement de votre rapporteure qui procède à des adaptations du code des douanes en tirant toutes les conséquences de l’insertion dans ce code de l’article 414‑2 créé par l’ordonnance n° 2019‑963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal. Il procède aux modifications suivantes :

– suppression de la notion d’intention dans les contraventions douanières ;

– suppression, à l’article 426 du code des douanes, des faits qui seront sanctionnés par l’article 412 du même code ou, si l’intention est démontrée, par son article 414‑2 ;

– conséquences de la création de l’article 414‑2 s’agissant des pouvoirs prévus par le code des douanes.

Cet amendement tire également toutes les conséquences dans le code pénal des modifications introduites par l’ordonnance. Il prévoit ainsi de réprimer de façon aussi sévère :

– les manquements au devoir de probité commis en bande organisée, qu’ils portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne ou aux intérêts nationaux ;

– les abus de confiance, que ces faits portent atteinte à des intérêts nationaux ou aux recettes perçues, aux dépenses exposées ou aux avoirs qui relèvent du budget de l’Union européenne, des budgets des institutions, organes et organismes de l’Union européenne ou des budgets gérés et contrôlés directement par eux.

*

*     *

TITRE IV
Dispositions relatives à L’entrée en vigueur
et à l’application outre-mer

Article 14
(art. 804 du code de procédure pénale ; art. 531-1, 551-1 et 561-1 du code de l’organisation judiciaire ; art. L. 9501 du code de commerce ; art. 6 de l’ordonnance n° 2014471 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du livre IV du code de commerce relevant de la compétence de l’État en matière de pouvoirs d’enquête, de voies de recours, de sanctions et d’infractions ; art. 1er bis [nouveau] de l’ordonnance n° 2017157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence ; art. L. 18632, L. 18722 et L. 18833 [nouveaux] du code des transports)
Application outre-mer

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 14 prévoit les modalités d’application des dispositions du projet de loi dans les collectivités d’outre-mer bénéficiant d’une autonomie législative.

       Position du Sénat

La commission des Lois du Sénat a adopté trois amendements du rapporteur complétant le dispositif proposé par le Gouvernement. Aucune modification n’a été apportée à l’article 14 à l’occasion de l’examen en séance publique.

       Modifications apportées par la Commission

Aucune.

1.   L’état du droit

L’article 74 de la Constitution prévoit que le statut des collectivités qu’il régit détermine « les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ». Ces collectivités sont en principe soumises au principe dit de « spécialité législative », en vertu duquel les lois et règlements n’y sont applicables que sur mention expresse. Il en va ainsi de la Polynésie française ([137]), de Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin ([138]), de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ([139]) et des îles Wallis et Futuna. La Nouvelle-Calédonie est également soumise au principe de spécialité législative mais sur le fondement de l’article 77 de la Constitution précisé par la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999.

Les statuts de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint‑Pierre‑et‑Miquelon prévoient toutefois que la plupart des lois et règlements y sont applicables de plein droit en dérogation au principe de spécialité. On parle de « régime de l’Atlantique » ou de régime du « tout est applicable sauf... » ([140]). Il n’y a alors pas lieu, pour les textes concernés, de prévoir une mention particulière d’applicabilité.

La large autonomie dont dispose la Polynésie française, en vertu du statut de 2004 qui régit ce territoire, laisse toutefois subsister la compétence de l’État en matière d’organisation judiciaire et de procédure pénale ([141]). L’article 7 précise que, dans ces domaines, « sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin ».

Le droit applicable à la Nouvelle-Calédonie est similaire : il confère expressément à l’État la responsabilité d’édicter les règles applicables à la procédure pénale et à l’organisation judiciaire ([142]), sous réserve d’en prévoir l’application par une mention expresse ([143]).

La loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer, dispose, en son article 4, que « le territoire des îles Wallis et Futuna est désormais régi (…) par les lois de la République et par les décrets applicables, en raison de leur objet, à l’ensemble du territoire national et, dès leur promulgation dans le territoire, par les lois, décrets et arrêtés ministériels déclarés expressément applicables aux territoires d’outre-mer ou au territoire des îles Wallis et Futuna ». Ce statut, ancien, ne confère que peu de compétences aux autorités locales, au contraire des textes élaborés au cours des vingt dernières années. Les prescriptions dispensées de mention expresse pour leur application sont les lois nécessairement destinées à régir l’ensemble du territoire de la République ([144]), des approbations et des ratifications de traités et accords internationaux, des ratifications d’ordonnances ([145]) et des textes destinés à ne s’appliquer que dans une ou plusieurs collectivités d’outre-mer ([146]). La création de dispositifs de nature pénale et la modification de l’organisation judiciaire sur le territoire n’entrent pas dans ce cadre.

Enfin, le droit civil et la procédure pénale de droit commun sont applicables de plein droit dans les Terres australes et antarctiques ([147]). Il n’en va cependant pas de même pour l’organisation judiciaire, qui fait l’objet d’une mention expresse d’application ([148]).

2.   Les dispositions initiales du projet de loi

L’article 14 du projet de loi initial se compose de deux paragraphes :

– le I prévoit l’application les modifications que le projet de loi apporte au code de procédure pénale dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, conformément aux exigences de leur statut respectif. Il modifie à cette fin le « compteur outre-mer » de l’article 804 du code de procédure pénale ;

– le II modifie dans un sens comparable le code de l’organisation judiciaire afin que les nouveaux articles 211-19, 212-6-1, 213-3 et 312-8 qui s’y trouvent, introduits par le projet de loi, soient applicables à Wallis-et-Futuna ([149]), en Polynésie française ([150]) et en Nouvelle-Calédonie ([151]).

3.   Des dispositions complétées par le Sénat

À l’initiative de son rapporteur, la commission des Lois du Sénat s’est attachée à parfaire les modalités d’application du projet de loi outre-mer en adoptant plusieurs amendements du rapporteur.

Elle a d’abord corrigé et actualisé les dispositions qui étendent à Wallis-et-Futuna certaines dispositions du livre IV du code de commerce, notamment son article L. 420-6, dans un nouveau III.

Concernant la compétence concurrente donnée au parquet national financier et aux juridictions parisiennes pour connaître des pratiques anticoncurrentielles réprimées à l’article L. 420-6 du code de commerce sur l’ensemble du territoire ([152]), la commission des Lois du Sénat a relevé que la compétence de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie en matière de droit commercial faisait obstacle à l’application sur ces territoires du code de commerce national. En conséquence, elle a ajouté au présent article deux nouveaux paragraphes IV et V permettant au parquet national financier et aux juridictions parisiennes de connaître des pratiques anticoncurrentielles contraires aux normes nationale et locales ([153]) ;

Enfin, la commission des Lois du Sénat a prévu l’application outre-mer de la peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les réseaux de transport public. Le VI de l’article 14 modifie en ce sens le code des transports pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie (1° et 2°), la Polynésie française (3° et 4°) et Wallis-et-Futuna (5° et 6°).

L’article 14 n’a fait l’objet d’aucun amendement en séance publique.

4.   La position de votre Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

*

*     *

Article 15
Entrée en vigueur des dispositions relatives au Parquet européen

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 15 prévoit l’entrée en vigueur des dispositions figurant au titre Ier à la date fixée par la Commission européenne, conformément au droit de l’Union européenne.

       Position du Sénat

Le Sénat n’a apporté aucune modification à cet article.

       Modifications apportées par la Commission

Aucune.

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L’article 120 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen indique que « le parquet européen assume les tâches d’enquête et de poursuite qui lui incombent en vertu du présent règlement à une date qui sera fixée par une décision de la Commission, sur proposition du chef du Parquet européen, dès que le Parquet européen aura été mis en place ».

Le même article précise cependant que cette date « est fixée par la Commission au plus tôt trois ans après la date d’entrée en vigueur du présent règlement », soit le 20 novembre 2020 ([154]).

L’article 15 se borne à fixer l’entrée en vigueur des dispositions du titre Ier, qui tirent les conséquences du règlement du 12 octobre 2017, à la date à laquelle le parquet européen entrera effectivement en fonctionnement.

Le Sénat n’a apporté aucune modification à l’article 15 au cours de son examen en première lecture.

La Commission a adopté cet article sans modification.


—  1  —

   Avis fait au nom de la

   commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire

« Intégrer l’environnement à notre société en tant que sujet de droits ne reviendrait pas à lui donner l’avantage sur le reste d’entre nous, simples mortels, qui, tous les jours, souffrons de sa part des préjudices pour lesquels nous ne pouvons lui demander réparation (damnum absque injurid ([155]) !). Ce que l’environnement doit chercher à obtenir, c’est que ses intérêts soient pris en compte d’une manière plus subtile et plus procédurale. »

Cet extrait de l’article du juriste américain M. Christopher Stone « Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? », paru en 1972 dans la Southern California law review, à l’époque considéré comme utopiste – voire fantaisiste –, est révélateur de la manière dont les enjeux environnementaux, pour être préservés, doivent être encadrés juridiquement : c’est par l’introduction de garde-fous procéduraux que l’on assure, de façon effective, la préservation de l’environnement.

Partant de ce constat, l’effectivité de la justice environnementale repose sur trois piliers : l’établissement de règles, la réalisation de contrôles et l’application de sanctions.

Aujourd’hui, la France dispose d’un important corpus juridique de normes environnementales. Les intérêts environnementaux sont pris en compte dans notre droit – en témoigne la Charte de l’environnement, intégrée dans le bloc de constitutionnalité en 2005 ([156]), qui prévoit « que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ([157]) ». En témoignent également les diverses procédures administratives destinées à prévenir les atteintes à l’environnement comme les nombreuses infractions pénales existantes visant à en sanctionner les auteurs. Certaines infractions sont regroupées au sein du code de l’environnement, mais d’autres sont dispersées dans le code forestier, le code minier ou encore le code rural et de la pêche maritime – ce qui n’est d’ailleurs pas sans nuire à leur lisibilité.

À rebours de l’affirmation – ironique – de M. Christopher Stone sur les préjudices que l’environnement fait subir aux humains, nous avons même inscrit dans le code civil, par la loi dite « biodiversité » de 2016 ([158]), une de ses propositions visant à reconnaître – et à réparer – les préjudices à l’encontre de l’environnement lui-même. La rédaction de l’article 1247 dudit code – « est réparable […] le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable ([159]) aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » – témoigne de l’importance accordée à l’environnement non seulement en ce qu’il est utile à l’homme, mais également pour lui-même.

S’agissant des contrôles environnementaux, la loi dite « biodiversité » a également institué, à compter du 1er janvier 2018, un établissement public spécifiquement chargé de la prévention et de la répression des atteintes à l’environnement, l’Agence française pour la biodiversité. Celle-ci a fusionné avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) au 1er janvier 2020 pour devenir l’Office français de la biodiversité. La loi du 24 juillet 2019 ([160]) ayant donné naissance à l’office a également opéré un renforcement significatif des pouvoirs des inspecteurs de l’environnement chargés de pouvoirs de polices administrative et judiciaire, notamment ceux de l’office, afin de renforcer les contrôles destinés tant à prévenir que réparer les atteintes à l’environnement.

Aujourd’hui, notre droit de l’environnement est relativement riche et les moyens de contrôle de son application ont été progressivement renforcés. Ce qu’il manque donc, c’est que des sanctions soient effectivement appliquées lorsque des infractions environnementales sont commises.

Tout d’abord, le contentieux de l’environnement représente une faible part de l’activité des juridictions. Au cours de la dernière décennie, la part des affaires traitées par les parquets en matière environnementale représente 0,5 % du total des affaires tous contentieux confondus. Les infractions environnementales font, à 75 %, l’objet de mesures alternatives aux poursuites – principalement des rappels à la loi et des classements sous condition après régularisation sur demande du parquet. Si les alternatives aux poursuites constituent une réponse adaptée pour les infractions de faible gravité, il est pourtant nécessaire que la réponse pénale apportée soit suffisamment effective et dissuasive pour éviter la commission et la réitération d’atteintes graves à l’environnement.

Ensuite, le contentieux de la plupart des infractions portant atteinte à l’environnement ne fait l’objet d’aucune spécialisation. En effet, si certaines juridictions spécialisées sont compétentes, de manière marginale, pour le traitement du contentieux spécifique relatif à la pollution maritime – les juridictions du littoral spécialisées (JULIS) – ou le traitement de certains contentieux de très grande complexité – les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) –, le contentieux de l’environnement relève principalement de la compétence des juridictions de droit commun. Il s’agit d’un contentieux souvent technique et relativement complexe, pour lequel la recherche de la remise en état doit être systématisée autant que possible, ce qui implique une certaine spécialisation des magistrats traitant ce type de contentieux.

Ce qu’il nous manque, c’est donc non pas un droit de l’environnement, mais une justice pour l’environnement. Tel est d’ailleurs le titre qu’a retenu la mission d’inspection conjointe du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’Inspection générale de la justice (IGJ) pour son rapport qu’elle a remis à la ministre de la transition écologique et solidaire ainsi qu’au garde des Sceaux en octobre 2019 ([161]).

  La mission d’évaluation des relations entre justice et environnement

Le Conseil général de l’environnement et du développement durable et l’Inspection générale de la justice ont reçu une lettre de mission le 24 janvier 2019 de la part du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire et de la garde des Sceaux, ministre de la justice.

Cette lettre souligne le besoin de lutter plus efficacement contre les atteintes au milieu naturel au moyen de techniques d’investigation et de sanctions adaptées. Dans une démarche interministérielle, elle a demandé aux deux inspections d’évaluer la situation et de formuler des recommandations susceptibles d’apporter une réponse adéquate et lisible de la puissance publique, notamment par une meilleure coordination entre autorités judiciaires et administratives, en suivant le triptyque « éviter, réduire, compenser ».

La mission d’évaluation des relations entre justice et environnement qui s’en est suivie a rendu son rapport « Une justice pour l’environnement » en octobre 2019 et a formulé 21 recommandations visant à rendre plus effective l’application du droit de l’environnement.

De deux recommandations de ce rapport est issu l’article 8 du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Cet article instaure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale et crée des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteinte à l’environnement dans le ressort des cours d’appel.

Au regard de l’enjeu que constitue l’effectivité de la justice en matière environnementale, c’est tout naturellement que la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est saisie, pour avis, du projet de loi et a ainsi nommé, le 21 octobre dernier, Mme Souad Zitouni comme rapporteure pour avis.

Votre rapporteure pour avis tient d’emblée à saluer la reprise, dans le projet de loi, des deux recommandations essentielles à l’effectivité de la justice environnementale que constituent la CJIP et la spécialisation des juridictions au sein de pôles régionaux. Elle salue également les dispositions de l’article 11 du projet de loi qui crée une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics.

Votre rapporteure pour avis se réjouit enfin de l’introduction, au cours de l’examen du projet de loi par le Sénat, de deux amendements portant article additionnel :

– un amendement créant un article 8 bis qui précise qu’une décision de remise en état ne peut être prononcée, pour une installation ou une activité, qu’après sa cessation ;

– un amendement créant un article 8 ter qui précise qu’un navire qui a rejeté des eaux de ballast peut faire l’objet d’une immobilisation par le procureur de la République ou le juge d’instruction dans l’attente du paiement d’un cautionnement.

Le présent avis fait état des dispositions prévues par ces quatre articles. En complément de ces avancées, il a semblé nécessaire à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de renforcer, par la loi, la procédure pénale en matière d’infractions environnementales, en s’inspirant notamment des recommandations de la mission d’inspection conjointe CGEDD-IGJ. C’est pourquoi votre commission a adopté huit amendements, que le présent avis détaille, destinés à renforcer l’effectivité de la réponse pénale apportée aux atteintes à l’environnement.

Analyse des articles 8, 8 bis, 8 ter et 11 du projet de loi

I.   La création d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale

A.   Le code de l’environnement prévoit déjà un mécanisme transactionnel pour certaines infractions

L’actuel article L. 173-12 du code de l’environnement prévoit un mécanisme de transaction pénale pour certaines infractions environnementales. Il dispose que tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, l’autorité administrative peut transiger avec les personnes physiques ou morales sur la poursuite des délits et contraventions prévus par ce code, à l’exception des délits punis de plus de deux ans d’emprisonnement.

La transaction est proposée par l’administration ([162]) et, en cas d’acceptation par l’auteur de l’infraction, doit être homologuée par le procureur de la République. La proposition de transaction est formée en fonction des circonstances et de la gravité de l’infraction, de la personnalité de l’auteur et de ses ressources et charges. Cette transaction précise :

– le montant de l’amende transactionnelle que l’auteur de l’infraction devra payer, qui ne peut excéder le tiers du montant de l’amende encourue ;

– le cas échéant, les obligations qui seront imposées à l’auteur de l’infraction tendant à faire cesser l’infraction, à éviter son renouvellement, à réparer le dommage ou à remettre en conformité les lieux.

La transaction pénale prévue par le code de l’environnement permet d’aboutir à un traitement efficace des infractions de relativement faible gravité, c’est-à-dire des délits punis de moins de deux ans d’emprisonnement. Ainsi, selon les informations transmises à votre rapporteure pour avis, 851 infractions au code de l’environnement ont fait l’objet d’une telle transaction en 2019. Toutefois, elle ne permet pas d’apporter une réponse pénale efficace lorsque des personnes morales commettent des atteintes graves à l’environnement.

B.   Le projet de loi instaure une nouvelle procédure transactionnelle

Afin de permettre une réponse pénale efficace en cas d’atteinte grave à l’environnement, le 1° de l’article 8 du projet de loi insère un article 41-1-3 dans le code de procédure pénale instituant une nouvelle procédure transactionnelle : la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale. Cette nouvelle convention s’inspire de celle, instaurée par la loi du 9 décembre 2016 ([163]), existant en matière de fraude fiscale et de corruption, tout en l’adaptant aux spécificités de la matière environnementale.

Ainsi, le procureur de la République peut proposer, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement ou au cours d’une information judiciaire ([164]), la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits du code de l’environnement, ainsi que pour des infractions connexes (à l’exception des crimes et délits portant atteinte aux personnes). Cette convention impose à la personne mise en cause une ou plusieurs des obligations suivantes :

– le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public. Son montant, prévu dans la convention, est calculé de manière proportionnée, en tenant compte, le cas échéant, des avantages tirés des manquements constatés. Cette amende est plafonnée à 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel ([165]). Son versement pourra être échelonné sur une période maximale d’un an, selon un échéancier fixé par le procureur de la République ;

 la régularisation de sa situation dans le cadre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans. Dans ce cadre, les services du ministère de l’environnement chargés de la police administrative de l’environnement seront compétents pour contrôler le respect du programme par la personne morale. Si ces services ont recours à des experts ou à des personnes ou autorités qualifiées, les frais engendrés sont mis à la charge de la personne mise en cause, dans la limite d’un plafond fixé par la convention ;

– la réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises dans un délai maximal de trois ans et sous le contrôle des mêmes services ;

– lorsqu’une victime est identifiée et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la réparation, tant par son montant que ses modalités, des dommages causés par l’infraction dans un délai maximal d’un an.

La procédure de validation, par le président du tribunal judiciaire ou tout juge qu’il désigne, est identique à celle prévue, à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, pour la CJIP en matière de fraude fiscale et de corruption :

– la victime, informée de la décision du procureur de la République de proposer la conclusion d’une CJIP, transmet à ce dernier tout élément permettant d’établir la réalité et l’étendue de son préjudice ;

– les représentants légaux de la personne mise en cause sont informés qu’ils peuvent se faire assister d’un avocat avant de donner leur accord à la proposition de convention ;

– le président du tribunal judiciaire, suite à l’audience publique de la personne morale mise en cause et de la victime – et, le cas échéant, de leurs avocats – valide ou non la proposition de convention ([166]) :

● si le président du tribunal rend une ordonnance de validation, celle-ci n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. Elle n’est en conséquence pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire. En cas d’exécution des mesures prévues par la convention, l’action publique est alors éteinte, ce qui n’empêche pas les personnes – autres que l’État – ayant subi un préjudice de demander la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile ;

● en revanche, si le président du tribunal ne valide pas la proposition de convention ou si la personne mise en cause se rétracte ou n’exécute pas pleinement la convention, le procureur de la République met en mouvement l’action publique. Si la convention a été conclue dans le cadre d’une information judiciaire, le procureur transmet la procédure au juge d’instruction. Les éventuelles poursuites et condamnation tiennent compte, s’il y a lieu, de l’exécution partielle de la convention.

Enfin, le nouvel article 41-1-3 du code de procédure pénale prévoit que l’ordonnance de validation, le montant de l’amende et la convention sont publiés sur les sites internet du ministère de la justice, du ministère de la transition écologique et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise ([167]).

C.   La convention judiciaire d’intérêt public renforce l’effectivité de la réponse pénale aux atteintes environnementales

La convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale se distingue de la transaction pénale prévue à l’article L. 173-12 du code de l’environnement sur plusieurs aspects, ce qui la rend complémentaire de cette dernière. Tout d’abord, elle ne concerne que les personnes morales et est à l’initiative du procureur de la République, là où la transaction existante est proposée par l’administration.

Elle s’adresse par ailleurs à des infractions plus graves, notamment aux délits punis d’au moins deux ans d’emprisonnement, et le montant de l’amende qu’elle prévoit est potentiellement beaucoup plus élevé : jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel, là où le code de l’environnement plafonne la transaction au tiers du montant de l’amende pénale encourue. Elle serait ainsi beaucoup plus dissuasive : à titre d’exemple, en janvier 2020, le président du tribunal judiciaire de Paris a validé une CJIP en matière de fraude fiscale et de corruption conclue entre le Parquet national financier et Airbus prévoyant une amende dont le montant dépasse deux milliards d’euros.

Bien que recommandée par la mission d’inspection conjointe CGEDD‑IGJ, la convention judiciaire d’intérêt public soulevait, de la part des inspecteurs, plusieurs réserves auxquelles le projet de loi, aux yeux de votre rapporteure pour avis, répond :

– le projet de loi prévoit des mesures destinées à s’assurer de l’effective prise en compte des intérêts de la victime lorsqu’elle est connue, souvent faible dans ce type de procédure :

● possible réparation des dommages causés par l’infraction, en s’appuyant sur les informations transmises par la victime ;

● présence de la victime à l’audience préalable à la validation, accompagnée de son avocat ;

● possible action en réparation du préjudice subi devant la juridiction civile ;

– si le projet de loi ne prévoit pas l’impossibilité de conclure une convention en cas de récidive, votre rapporteure pour avis rappelle que la proposition d’une CJIP n’est qu’une faculté ouverte au procureur de la République, qui en apprécie l’opportunité au cas par cas. De plus, en application de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, le président du tribunal judiciaire valide ou non la convention en vérifiant le bien-fondé du recours à cette procédure ;

– les mesures de publicité de la convention, sur le site internet des ministères chargés de la justice et de l’environnement ainsi que sur le site internet de la commune (ou, à défaut, de l’EPCI) où a été commise l’infraction, permettront, notamment par l’intermédiaire des associations de protection de l’environnement, d’assurer une publicité des CJIP et de les porter ainsi effectivement à la connaissance du public.

II.   La création de pôles régionaux spécialisés dans les atteintes à l’environnement

A.   Une spécialisation du contentieux environnemental aujourd’hui insuffisante

Le contentieux des atteintes environnementales, qu’il soit civil ou pénal, relève majoritairement, aujourd’hui, des juridictions de droit commun. Il existe toutefois, dans des cas particuliers, une spécialisation de certaines juridictions pour certains types de contentieux. C’est le cas :

– des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), au nombre de huit, lorsque les faits poursuivis s’inscrivent dans un contexte de criminalité organisée – tel que le trafic d’espèces. Toutefois, la mission conjointe CGEDD-IGJ relève qu’aucune JIRS « n’a exercé, à ce jour, une poursuite sous une qualification environnementale », ce qui n’a pas empêché la sanction de tels faits sous une qualification de droit commun ;

– des pôles de santé publique (PSP), au nombre de deux (Paris et Marseille), dont la compétence a été étendue en 2004 aux affaires de santé environnementale d’une grande complexité relatives « à un produit destiné à l’alimentation de l’homme ou de l’animal ou à un produit ou une substance auxquels l’homme est durablement exposé et qui sont réglementés en raison de leurs effets ou de leur dangerosité ([168]) » ;

– des juridictions du littoral spécialisées (JULIS), au nombre de six, compétentes en matière de pollution des eaux maritimes commises par des navires dans les eaux territoriales, les eaux intérieures et les voies navigables.

Outre cette légère spécialisation de certaines juridictions dans des contentieux environnementaux précis, le ministère de la justice a également manifesté, par les circulaires à destination des parquets du 23 mai 2005 puis du 21 avril 2015 de la direction des affaires criminelles et des grâces, une volonté de renforcement de la spécialisation de ces contentieux. Celle-ci s’est notamment traduite par la désignation de magistrats référents pour le contentieux de l’environnement dans les parquets généraux et les parquets, même s’il est ressorti des auditions de votre rapporteure pour avis que ces circulaires ont été inégalement appliquées sur le territoire national. Du reste, la circulaire du 21 avril 2015 n’a pas mis en place de dispositif de suivi, ce que regrette – et préconise – la mission d’inspection CGEDD-IGJ.

Par ailleurs, l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire, créé par la loi du 23 mars 2019 ([169]), permet, lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, que l’un d’entre eux soit désigné afin de connaître exclusivement « de certains délits et contraventions dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’État ». Le décret d’application ([170]), codifié à l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire, vise notamment les « délits et contraventions prévus et réprimés par le code de l’environnement ».

Un tel regroupement n’est toutefois possible que lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département. Du reste, un regroupement du contentieux environnemental, dont la nature est souvent technique, à l’échelon départemental ne permettra pas nécessairement d’atteindre un nombre de contentieux suffisamment important permettant une spécialisation effective des magistrats ayant à le traiter.

B.   Le projet de loi crée des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement

S’inspirant de l’une des recommandations du rapport d’inspection d’octobre 2019 du CGEDD et de l’IGJ, le 3° de l’article 8 du projet de loi prévoit la création de pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement.

Ainsi, le nouvel article 706-2-3 du code de procédure pénale précise que, dans le ressort de chaque cour d’appel, un seul tribunal judiciaire, fixé par décret, se voit confier la poursuite, l’instruction et le jugement des délits prévus par le code de l’environnement, à l’exclusion de ceux relevant des JIRS et des JULIS, et des infractions connexes, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient complexes, en raison notamment de leur technicité, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent.

Le procureur de la République et le juge d’instruction exerceraient leur compétence sur toute l’étendue du ressort de la cour d’appel. Afin de ne pas perturber le fonctionnement des juridictions déjà spécialisées et qui ont démontré leur efficacité, les futurs pôles régionaux spécialisés auraient vocation à être localisés au sein de ces juridictions déjà spécialisées.

C’est une solution retenue dans de nombreux pays pour la mise en place de juridictions spécialisées en matière environnementale, permettant d’économiser du temps et de l’argent par rapport à la planification nécessaire à la création d’une cour environnementale indépendante, tout en permettant une spécialisation des magistrats ayant à traiter le contentieux des atteintes à l’environnement.

C.   La spécialisation des juridictions renforcera l’efficacité de la réponse pénale environnementale

La spécialisation des juridictions dans les atteintes à l’environnement est nécessaire pour faire face à la complexité et à la technicité de nombreuses infractions commises en matière environnementale. Elle permettra de regrouper, au sein d’une même juridiction, un nombre suffisamment important de contentieux pour permettre une spécialisation effective des magistrats les traitant, répondant ainsi aux disparités constatées quant à la désignation de magistrats référents au sein des parquets, prévue par les circulaires du 23 mai 2005 puis du 21 avril 2015 de la direction des affaires criminelles et des grâces. Une telle spécialisation devrait dès lors améliorer la réponse pénale apportée aux atteintes environnementales, en systématisant la recherche de la remise en état, en encourageant les réponses pédagogiques et en prenant mieux en compte les situations de réitération des faits, ce dont votre rapporteure pour avis se réjouit.

Votre rapporteure pour avis estime néanmoins que la création des pôles régionaux devra s’accompagner d’un renforcement de la formation des magistrats au contentieux environnemental, au regard de la technicité du droit de l’environnement, tant dans le cadre de leur formation initiale que de leur formation continue.

  Les cours et tribunaux de l’environnement dans le monde

Depuis le début du XXIe siècle, le nombre de cours et tribunaux environnementaux a fortement augmenté dans le monde. Près de 44 pays se sont engagés sur la voie de la spécialisation de juridictions dans le contentieux environnemental : on dénombre 1 200 cours et tribunaux environnementaux ([171]) en 2016.

Ces cours et tribunaux se distinguent des juridictions de droit commun par une spécialisation dans les affaires environnementales et une formation des juges en droit de l’environnement, en impliquant juristes et experts scientifiques et techniques. Il existe une grande variété de systèmes retenus, pour lesquelles le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) retient la classification suivante :

– les cours indépendantes sur le plan opérationnel, qui sont des cours de l’environnement distinctes, totalement ou largement indépendantes. Ce sont celles qui ont les compétences les plus étendues, mais qui sont les plus coûteuses à mettre en œuvre. Tel est par exemple le cas de la Cour de l’environnement de Nouvelle-Zélande ou de la Cour de la terre et l’environnement dans l’État de Nouvelle-Galles-du Sud en Australie ;

 les cours indépendantes sur le plan décisionnel, qui se situent au sein d’une juridiction de droit commun et relèvent donc du contrôle, de la surveillance, du budget, du personnel et de la direction du système judiciaire ordinaire, mais qui sont distinctes et libres d’élaborer leurs propres règles, procédures et décisions. C’est notamment le cas de la division de l’environnement de la Cour supérieure de l’État du Vermont aux États-Unis ;

– les cours à combinaison de juges formés en droit et en sciences, composées de magistrats formés soit en droit, soit en sciences, qui jugent conjointement les affaires. De telles combinaisons s’observent dans les tribunaux comme dans les cours environnementales, tant pour des modèles de cours indépendantes sur le plan opérationnel que pour des cours indépendantes sur le plan décisionnel. C’est par exemple le cas des cours des terres et de l’environnement, en Suède ;

– les cours comprenant des juges de droit commun désignés, auxquels des affaires environnementales sont confiées en plus de leurs affaires courantes. C’est une solution retenue dans de nombreux pays pour annoncer la mise en œuvre d’une cour environnementale, comme aux Philippines, ou dans l’État d’Hawaï aux États-Unis ;

– les cours comprenant des juges formés en droit de l’environnement, qui peuvent se voir confier ponctuellement des affaires environnementales. Selon les pays ayant adopté un tel modèle, comme l’Indonésie ou l’Argentine, les règles de procédure ne conduisent pas nécessairement à assigner les affaires environnementales à un juge ayant suivi cette formation.

Source : Cours et tribunaux de l’environnement, guide à l’usage des décideurs, Programme des Nations unies pour l’environnement, 2017.

Par la spécialisation des pôles régionaux en matière environnementale « lorsque la complexité de l’affaire, en raison de sa technicité, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elle s’étend, le justifie », l’article 8 du projet de loi instaure donc une justice environnementale organisée selon trois niveaux :

– le tribunal désigné au niveau départemental traitera, en application de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire ([172]), des atteintes à l’environnement de faible et moyenne intensité, afin d’apporter une réponse de proximité aux dommages causés à l’environnement. Cela concernera notamment les atteintes à l’environnement portant sur le cadre de vie des citoyens, telles que les décharges sauvages ou encore les infractions à la réglementation de la chasse ou de la pêche ;

– les pôles spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement au niveau régional connaîtront des délits prévus par le code de l’environnement, à l’exclusion de ceux mentionnés aux articles 706-75 et 706-107 du code de procédure pénale, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient complexes – pollution de l’eau ou des sols par des activités industrielles, infractions à la réglementation sur les déchets industriels pour les installations classées pour l’environnement (ICPE), etc. ;

– enfin, la compétence des juridictions spécialisées existantes serait maintenue, qu’il s’agisse des JULIS, pour les pollutions des eaux maritimes, des JIRS, pour des infractions environnementales commises dans un contexte de criminalité organisée, ou des pôles de santé publique, dans le cadre de leur compétence, dans les affaires d’une grande complexité, en matière de produits ou substances réglementés en raison de leurs effets ou de leur dangerosité.

III.   Les autres dispositions entrant dans le champ de compétence de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

A.   Les articles 8 bis et 8 ter adoptés par le Sénat

Au cours de l’examen du projet de loi en séance publique au Sénat, deux articles additionnels ont été introduits après l’article 8.

1.   L’article 8 bis précise le délit prévu à l’article L. 173-1 du code de l’environnement

L’article 8 bis, résultant de l’adoption d’amendements identiques du groupe socialiste et républicain et de M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues, modifie l’article L. 173-1 du code de l’environnement tel qu’il résulte de la loi du 24 juillet 2019 ([173]).

Cet article sanctionne d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende l’exploitation d’une installation ou d’un ouvrage, l’exercice d’une activité ou la réalisation de travaux, en cas de mise en demeure de remise en état. Ce faisant, le 3° du II de l’article L. 173-1 n’est pas opérant et contraire au principe de légalité des délits et des peines, car il sanctionne la poursuite de l’exploitation d’une installation ou d’un ouvrage ([174]) en cas de mise en demeure de remise en état, cette dernière n’interdisant pourtant pas la poursuite de cette exploitation.

Pour remédier à cela, l’article 8 bis supprime le délit d’exploitation d’une installation ou d’un ouvrage ([175]) en cas de mise en demeure de remise en état et le remplace par un délit, puni d’une peine identique, de ne pas se conformer aux obligations de remise en état ou de surveillance après la cessation d’activités d’une opération, d’une installation ou d’un ouvrage.

2.   L’article 8 ter permet l’immobilisation d’un navire ayant rejeté des eaux de ballast

L’article 8 ter, résultant également de l’adoption d’amendements identiques du groupe socialiste et républicain et de M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues, complète l’article L. 218-84 du code de l’environnement.

Il permet ainsi, en application de l’article L. 218-30, l’immobilisation, par le procureur de la République ou le juge d’instruction et au frais de l’armateur, du navire ayant rejeté ses eaux de ballast ([176]), qui peuvent être chargées d’organismes nuisibles et pathogènes, dans les eaux françaises, dans l’attente du paiement d’un cautionnement, afin d’éviter qu’une condamnation prononcée contre des capitaines de navires étrangers reste inexécutée. Un tel mécanisme de cautionnement existe déjà pour les infractions prévues aux articles L. 218-11 à L. 218-19 du code de l’environnement relatives aux rejets de substances polluantes par un capitaine de navire.

B.   L’interdiction de paraître dans les transports publics prévue à l’article 11

L’article 11 du projet de loi instaure, au sein d’un nouvel article L. 1633-1 du code des transports, une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics. Une peine similaire figurait à l’article 104 du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), mais elle constituait un « cavalier législatif » qui a été déclaré contraire à la Constitution car elle ne présentait pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi en discussion ([177]).

Cette interdiction, d’une durée maximale de trois ans, concernerait les auteurs récidivistes de crimes ou des délits de violences, d’agression sexuelle, d’exhibition sexuelle, de harcèlement sexuel, de vol ou d’extorsion, commis dans un véhicule de transport collectif de voyageurs.

La violation de cette interdiction est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Alors que le projet de loi initial réservait cette peine aux seules personnes majeures, les sénateurs, au cours de l’examen du projet de loi en commission, l’ont étendue aux mineurs de plus de seize ans. L’interdiction ne peut dans ce cas excéder un an.

Les sénateurs ont par ailleurs précisé :

– que cette interdiction est prononcée en tenant compte des impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale de la personne condamnée ;

– qu’elle peut être suspendue ou fractionnée ;

– qu’elle est applicable pour tout ou partie d’un ou plusieurs réseaux de transport public ;

– que lorsque l’interdiction de paraître complète une peine d’emprisonnement sans sursis, elle s’applique à compter du jour où la privation de liberté a pris fin ;

– qu’afin de faciliter l’application de cette peine, le préfet – ou, à Paris, le préfet de police – communique aux personnes morales chargées d’une mission de transport de voyageurs l’identité des personnes faisant l’objet de cette interdiction.

La position de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Au cours de sa réunion du mercredi 18 novembre 2020, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté huit amendements de votre rapporteure pour avis visant, tout d’abord, à compléter les dispositions de l’article 8 du projet de loi relatives à la CJIP en matière environnementale et à la création de pôles régionaux dans les atteintes à l’environnement et, plus généralement, à renforcer l’effectivité de la justice pénale environnementale.

I.   Les peines prévues par le code de l’environnement ont été revues pour tenir compte de la création de la CJIP

La mise en place d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale prévue à l’article 8 du projet de loi n’est pas sans poser quelques difficultés, auxquelles la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a souhaité remédier.

En effet, si le montant de l’amende prévu par la CJIP, pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel, est fortement dissuasif, il est beaucoup plus élevé que le montant des amendes encourues pour des délits en application du code de l’environnement. Il existe dès lors un risque que cette nouvelle procédure soit délaissée et fasse l’objet de rétractations des personnes mises en cause, ce qui ne permettrait pas d’atteindre l’objectif d’un renforcement de la réponse pénale aux infractions environnementales.

C’est pourquoi la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté l’amendement CD12 de votre rapporteure pour avis créant un article additionnel après l’article 8 bis, qui procède à un relèvement de l’échelle des peines dans le code de l’environnement. Cet amendement permet ainsi, pour les infractions au code de l’environnement punies d’au moins 75 000 euros d’amende commises par une personne morale, de porter le montant de l’amende encourue pour ces infractions au décuple du montant de l’avantage tiré ou escompté de l’infraction, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel.

II.   La spécialisation des juridictions en matière environnementale a été renforcée

Afin de renforcer la spécialisation des juridictions pour les atteintes à l’environnement, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté l’amendement CD2 de votre rapporteure pour avis, qui étend le champ de compétence des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement prévus au 3° de l’article 8 du projet de loi à des infractions ayant un fort impact environnemental, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient complexes, mais qui sont inscrites dans d’autres codes que celui de l’environnement :

– les infractions au code forestier ;

– les infractions inscrites au 1° et 2° de l’article L. 512‑1 du code minier et à l’article L. 512-2 du même code ;

– les infractions au code rural et de la pêche maritime relatives aux végétaux ([178]), notamment concernant la mise sur le marché et l’utilisation de produits phytopharmaceutiques ;

– les infractions, mentionnées à l’article 76 de la loi n° 2014‑1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, relatives à la mise sur le marché du bois et de produits dérivés du bois.

En outre, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté l’amendement CD3 de votre rapporteure pour avis supprimant la compétence du tribunal judiciaire de Paris concernant les affaires de pollution des eaux maritimes présentant une grande complexité, afin que celles‑ci relèvent uniquement de la compétence des juridictions du littoral spécialisées. En effet, le tribunal judiciaire de Paris n’est pas l’une des six JULIS et n’a, d’ailleurs, jamais eu à connaître de dossiers au titre de cette compétence.

Enfin, afin de renforcer l’expertise technique en matière environnementale des pôles régionaux spécialisés, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté l’amendement CD15 rectifié de votre rapporteure pour avis permettant la mise à disposition, au sein de ces pôles, de fonctionnaires de catégorie A ou B relevant du ministère de la transition écologique pour exercer les fonctions d’assistant spécialisé en matière environnementale.

Par coordination, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a également adopté l’amendement CD4 de votre rapporteure pour avis, qui crée un article additionnel après l’article 8 permettant la même mise à disposition au sein des pôles de santé publique.

III.   D’autres dispositions ont été adoptées pour améliorer la réponse pénale en cas d’atteintes à l’environnement

Afin de renforcer encore plus l’effectivité de la réponse pénale pour les infractions commises en matière environnementale, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté trois amendements de votre rapporteure pour avis portant article additionnel après l’article 8 bis :

– l’amendement CD13, qui prévoit, lorsque le tribunal ordonne des mesures de remise en état ou de réparation des dommages à l’environnement, qu’en cas d’ajournement de la décision sur la peine, cette dernière intervient dans un délai de deux ans – au lieu d’un an, comme le prévoit l’article 132-69 du code pénal – après la décision d’ajournement. Une telle mesure, préconisée par le rapport d’inspection CGEDD-IGJ, renforcera l’effectivité de la remise en état ;

– l’amendement CD11 rectifié, qui vise à mieux réprimer les comportements multirécidivistes, en assimilant certains délits environnementaux à une même infraction dans le cadre de la récidive. Seront ainsi considérés comme une même infraction au regard de la récidive :

● les délits prévus par les dispositions communes du code de l’environnement ;

● les délits portant atteinte aux milieux physiques et aux espaces naturels ;

● les délits portant atteinte au patrimoine naturel ;

● les délits portant atteinte à la prévention des pollutions, risques et nuisances ;

– l’amendement CD14 rectifié, qui modifie l’article 131-5-1 du code pénal afin de compléter la liste des stages que la juridiction peut prescrire, comme peine complémentaire ou alternative à l’emprisonnement du condamné, en y intégrant le stage de sensibilisation à la protection de l’environnement, à l’instar des stages existant actuellement en matière de citoyenneté, de sécurité routière ou encore de lutte contre le sexisme.


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   Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice

Lors de sa première réunion du mardi 24 novembre 2020, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et procède à une discussion générale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (n° 2731) (Mme Naïma Moutchou, rapporteure).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9946152_5fbd392906e76.commission-des-lois--m-eric-dupond-moretti-garde-des-sceaux-24-novembre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons procéder à une audition de M. le garde des Sceaux, à qui je souhaite la bienvenue, et à une discussion générale sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. L’examen des amendements débutera à 21 heures.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je suis particulièrement heureux de me trouver parmi vous afin de présenter le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Il s’agit d’un projet ambitieux, d’une part, en ce qu’il apporte un nouveau et important développement à la construction européenne, et, d’autre part, en ce qu’il vise à améliorer le fonctionnement de la justice spécialisée, notamment en matière de protection de l’environnement. Ce projet de loi permet des progrès dans deux domaines particulièrement chers à cette assemblée et à sa majorité : l’Europe et l’écologie.

Le volet européen de ce texte adapte, en son titre Ier, notre législation au règlement du Conseil européen du 12 octobre 2017, qui a prévu la création d’un Parquet européen. La mise en place effective de celui-ci est historique, car c’est un chantier commencé il y a plus de vingt ans qui trouve sa consécration. La France, depuis toujours motrice dans la construction de l’espace judiciaire européen, peut s’enorgueillir d’avoir joué un rôle important dans la conception et l’organisation du Parquet européen, qui mêle ambition européenne et préservation de la souveraineté nationale.

Le Parquet européen sera compétent en matière de fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne. Dans son étude d’impact, la Commission européenne estimait ces fraudes, qui présentent un fort caractère transnational, à 3 milliards d’euros par an. Cela inclut toutes les fraudes au budget de l’Union, y compris les fraudes dites « carrousels à la TVA » contre lesquelles les poursuites sont aujourd’hui difficiles et en réalité peu efficaces.

L’échelon central du Parquet européen siège à Luxembourg. Il est dirigé, depuis le mois de septembre, par Mme Laura Codruţa Kövesi, qui s’est illustrée par son combat contre la corruption en Roumanie et que l’Assemblée nationale a récemment auditionnée. Ce procureur sera assisté de vingt-deux procureurs – un par État membre participant. Le Parquet comporte également un échelon décentralisé : dans chaque État, des procureurs européens délégués (PED) dirigeront les enquêtes et pourront engager des poursuites sous l’autorité de l’échelon central. En France, nous avons, pour le moment, prévu de nommer cinq de ces procureurs, dont le recrutement interviendra dans la foulée de l’adoption du projet de loi.

Afin de leur permettre d’exercer leur mission, ce texte modifie le code de procédure pénale, le code de l’organisation judiciaire et le code des douanes. Ces modifications ont deux objets majeurs. Le premier consiste à garantir une totale indépendance aux procureurs européens délégués, puisqu’ils ne pourront recevoir d’instructions que du Parquet européen. Aucune directive ne pourra leur être donnée par le ministre de la justice ni par un procureur général.

Le second objet de ces modifications est de permettre la conduite de leurs investigations et l’exercice de leurs poursuites devant les juridictions françaises. Les procureurs européens délégués disposeront des mêmes prérogatives qu’un procureur de la République, mais également – et c’est plus novateur – de certaines prérogatives d’un juge d’instruction, le cas échéant sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD). Le procureur européen délégué pourra ainsi procéder à des mises en examen, mais il devra obtenir l’autorisation du JLD pour assigner à résidence et, bien sûr, placer en détention provisoire.

Certaines craintes se sont exprimées d’un risque de perte de souveraineté lié au fait qu’un parquet siégeant à Luxembourg pourrait diriger des enquêtes pénales en France. Ces craintes sont infondées. Dans l’avis rendu le 23 janvier dernier sur ce texte, le Conseil d’État a abordé cette question importante et légitime. La haute juridiction a considéré, en particulier, que l’introduction du Parquet européen dans notre droit n’appelait pas de révision constitutionnelle. J’ajoute que les affaires qui seront diligentées sous la direction du Parquet européen seront jugées par des juridictions françaises, par des juges du tribunal et de la cour d’appel de Paris. De même, les enquêtes seront menées par les services de police judiciaire, ce qui doit dissiper toute crainte d’entorse à notre souveraineté.

Certains craignent aussi que ce nouveau parquet, au vu des pouvoirs dont il sera doté, soit un premier pas vers la remise en cause du juge d’instruction. Laissons ces craintes de côté ! Le Parquet européen doit être pris pour ce qu’il est : une adaptation en droit français d’une nouveauté européenne. Rien de plus, rien de moins !

Le second volet du projet de loi a trait à la justice pénale spécialisée. Il consolide l’efficacité et la cohérence des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, la délinquance économique et financière et les atteintes à l’environnement. Afin de mieux prendre en considération l’expertise des parquets spécialisés, l’exercice de leurs compétences sera facilité. Ce dispositif permettra également de résoudre les conflits de compétences de manière efficace. Les compétences du parquet national antiterroriste (PNAT) seront renforcées, en particulier en matière d’entraide avec la Cour pénale internationale (CPI). Celles du parquet national financier (PNF) seront étendues à des pratiques anticoncurrentielles délicates à traiter pour des juridictions locales.

La question des atteintes à l’environnement figure parmi les points majeurs de ce renforcement de la justice pénale spécialisée. Vous connaissez l’ambition du Président de la République : la protection de l’environnement est certainement le combat de notre génération, celui qui motive nos enfants et pour lequel ils nous interpellent à juste titre. Le ministère de la justice veut prendre toute sa part dans le combat pour l’écologie. Dans ce domaine, je l’avoue, nous disposons d’une marge de progression importante. La faiblesse du contentieux environnemental a été mise en lumière dans un rapport conjoint de l’inspection des services judiciaires et du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), l’année dernière : il représente 1 % des condamnations pénales et 0,5 % des condamnations civiles. Ces chiffres ne rendent compte ni de la réalité de cette délinquance ni des attentes des Français.

Le texte qui vous est soumis est un premier pas, une première marche pour améliorer les choses. Certaines dispositions de fond, relatives en particulier à la création de nouvelles infractions et à une aggravation substantielle des peines encourues, n’ont pu, pour des raisons procédurales, y trouver place. J’en prends acte. Cela n’affecte ni ma vision globale, ni, surtout, mes ambitions. Je souhaite un renforcement global du dispositif pénal en matière de droit de l’environnement, du stade de l’enquête à celui de la répression, en portant une attention particulière à la prévention et à la réparation. Il nous faut de meilleures incriminations, des sanctions dissuasives, une justice mieux organisée et mieux équipée pour s’assurer de l’effectivité de ses décisions, et des enquêteurs opérationnels, coordonnés, efficaces. C’est ce que je vous propose dès ce texte aujourd’hui, et plus tard avec celui mettant en œuvre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

Dans ce contentieux assez technique, il faut une meilleure spécialisation des juridictions. On y pense depuis longtemps puisque des propositions avait été faites dès 2013 ; je vous propose de le faire enfin en créant, dans chaque cour d’appel, une véritable juridiction spécialisée avec, outre un pôle dédié au niveau des parquets déjà adopté par le Sénat, une nouveauté sous la forme d’une juridiction civile spécialisée en matière de préjudice environnemental notamment. Il faut, en effet, que le même juge soit compétent pour prévenir les atteintes à l’environnement, les sanctionner et ordonner leur réparation dans un cadre pénal comme civil. Ces juridictions doivent pouvoir compter sur des enquêteurs spécialisés. C’est pourquoi nous souhaitons conférer le statut d’officier de police judiciaire à des inspecteurs de l’office français de la biodiversité (OFB), qui pourront ainsi pleinement participer aux enquêtes et rendre celles-ci plus efficaces.

Si vous l’acceptez, nous allons également créer une nouvelle réponse judiciaire, plus rapide, ciblant la réparation du préjudice occasionné et responsabilisant les entreprises : une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière d’écologie. Ce dispositif a fait ses preuves dans la lutte contre la corruption ; je vous propose d’ailleurs de l’élargir au blanchiment de corruption. Il permet en particulier de prononcer, pour les personnes morales, des peines d’amendes substantielles, jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires annuel. Il permet surtout de s’assurer, sous contrôle judiciaire, des modalités de la réparation du préjudice écologique. Ce n’est que si celle-ci est satisfaisante que le procureur suspendra définitivement les poursuites. C’est bien là le plus important.

Le Gouvernement complétera ce projet de loi afin de tirer les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020‑858/859 QPC du 2 octobre 2020 sur un autre sujet qui m’est cher : la possibilité d’un recours judiciaire pour les personnes en détention provisoire qui considèrent leurs conditions de détention indignes. Je l’ai déjà évoqué avec certains d’entre vous : au regard de la sensibilité et de la technicité juridique qu’appelle cette évolution, j’ai formulé une demande d’avis auprès du Conseil d’État. Je serai en mesure de vous proposer un amendement juridiquement solide lors de l’examen du projet de loi en séance publique.

L’article 11, enfin, crée une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les réseaux de transports publics, afin de sanctionner les personnes ayant commis des infractions graves ou répétées dans les transports en commun. Il s’agit de la reprise, sous une forme améliorée car plus proportionnée, d’une disposition déjà adoptée par le Parlement dans la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dite « loi LOM », mais censurée en tant que cavalier par le Conseil constitutionnel. Cette disposition comble une lacune. Le Conseil d’État a d’ailleurs rappelé que la loi n’assurait pas « avec sécurité juridique la possibilité légale de prononcer cette peine lorsque les faits ont été commis dans des véhicules roulants ».

En conclusion, en créant le Parquet européen, ce projet de loi permet à la France de se conformer à un engagement européen qu’elle a porté avec force depuis plus de vingt ans. Améliorer le fonctionnement de notre justice pénale au regard du traitement des contentieux spécialisés les plus complexes, particulièrement en matière d’atteinte à l’environnement, c’est répondre à l’un des défis majeurs de notre époque. Nous nous proposons de les relever avec vous, dans le cadre de ce débat qui, j’en suis sûr, permettra à chacun de mesurer la force de nos propositions et de les enrichir le cas échéant.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il y a, dans ce projet de loi, plus que ce que son titre laisse entendre. Il y a, d’abord, le Parquet européen, étape significative dans la construction d’une compétence européenne commune en matière judiciaire. Il y a, ensuite, le renforcement de la justice pénale spécialisée en matière de criminalité organisée, de grande délinquance financière, de terrorisme et d’atteintes à l’environnement. Il y a, enfin, la réponse à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ainsi que diverses dispositions.

C’est un projet de loi technique, c’est vrai, mais il est également éminemment politique. Il a été adopté par le Sénat le 3 mars dernier, soit juste avant le premier confinement. Les sénateurs y ont apporté des améliorations tout à fait adaptées, sans trop s’éloigner de la rédaction du Gouvernement. Je propose que nous nous inscrivions également sur cette ligne, qui me paraît harmonieuse.

L’intégration du Parquet européen dans notre droit interne, au travers de la transposition du règlement européen du 12 octobre 2017, fait l’objet des trois premiers articles. Ils procèdent à l’insertion, dans le code de procédure pénale, dans le code de l’organisation judiciaire et dans le code des douanes, de plusieurs dispositions permettant de prendre en compte le statut et le rôle particulier des procureurs européens et de leurs délégués. L’architecture proposée est cohérente, pragmatique et équilibrée. D’abord, le futur Parquet européen nous permettra de mieux lutter contre une délinquance financière que nous savons astucieuse, qui s’est largement internationalisée – d’où l’intérêt d’une compétence européenne – et qui représente, selon les évaluations, pas moins de 50 milliards d’euros. C’est un véritable défi qui nous engage et qui engage l’ensemble des pays partenaires. Relèveront ainsi du champ de compétence de ce parquet les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne : les escroqueries à la TVA, les faits de corruption, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance, de blanchiment d’argent ainsi que certains délits douaniers.

Le Parquet européen siégera à Luxembourg, capitale judiciaire de l’Union européenne, avec à sa tête un procureur européen, Mme Laura Codruţa Kövesi, assisté de vingt‑deux procureurs nationaux, soit un par État participant. À l’échelle nationale, des procureurs européens délégués – au moins deux par État – seront chargés du suivi des enquêtes et des poursuites. Pour ce qui concerne la France, ils seront cinq, basés à Paris, près du PNF.

Le système envisagé est astucieux : ce double degré permet de combiner tout à la fois collégialité et efficacité ainsi qu’autonomie et souveraineté, puisque le procureur européen délégué français s’intégrera pleinement au cadre procédural national et que ce sont les juges du tribunal judiciaire de Paris qui seront compétents pour juger de ces infractions. Le procureur délégué sera indépendant. Il disposera des mêmes prérogatives que le procureur de la République et – chose inédite mais qui se règle finalement sans difficulté – de certaines prérogatives du juge d’instruction. Je salue cette avancée ambitieuse qui concrétise des négociations qui durent, en effet, depuis près de vingt ans et dont la France a été l’un des moteurs.

La seconde partie du projet de loi concerne les juridictions pénales dites spécialisées. Les modifications ponctuelles apportées aux structures existantes soulèvent peu de débat. Un mécanisme d’arbitrage simple a été proposé par le procureur général François Molins : il donne priorité au juge spécialisé sur le juge de droit commun et à la juridiction nationale sur celle qui exerce à l’échelon local. La même cohérence préside à l’élargissement de la compétence du PNAT ; celle du PNF étant élargie à des infractions au droit de la concurrence. Ces modifications procèdent de la logique ; je n’ai donc pas de critique particulière à formuler les concernant.

La procédure pénale applicable au droit de l’environnement est traitée à l’article 8. Nous sommes nombreux à vouloir aller plus loin dans la protection de la biodiversité. Je sais que nombre d’amendements allant dans le sens d’une réforme profonde du droit de l’environnement avaient été déposés. Cependant, mon homologue Philippe Bonnecarrère l’a dit au printemps dernier à ses collègues sénateurs : le texte n’a pas cette ambition. Nous prendrons donc notre mal en patience jusqu’au projet de loi que le Gouvernement présentera en réponse aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

Pour autant, le projet de loi n’est pas neutre puisqu’il ouvre le droit de l’environnement aux CJIP imaginées pour lutter contre la corruption par la loi Sapin 2. Ces instruments transactionnels ont remarquablement fonctionné en permettant de recouvrir des sommes importantes sans risquer les aléas d’un procès et, surtout, en imposant à l’entreprise concernée un programme de mise en conformité visant à mettre fin aux comportements délictueux, le tout sous l’œil du grand public grâce aux obligations de publicité. Bien sûr, le succès suppose un compromis : si une personne morale accepte des mesures de réparation pouvant atteindre 30 % du chiffre d’affaires ainsi qu’un suivi serré de ses activités, c’est en contrepartie d’une extinction de l’action publique. Ainsi donc, le droit permet d’éviter la condamnation, donc l’exclusion des procédures de marchés publics, et donc les licenciements qui en découleraient. Les torts sont corrigés dans l’intérêt de tous. Ce qui a fonctionné contre la délinquance financière devrait tout aussi bien entrer dans le paysage de la lutte contre les dégradations de l’environnement.

Des juridictions spécialisées dans les atteintes à l’environnement seront installées au niveau de chaque cour d’appel. C’est une création nécessaire tant la matière est technique et complexe. Ces juridictions, qui pourraient être compétentes à la fois en matière pénale et en matière civile, constituaient l’échelon manquant de notre système judiciaire. Les juridictions de droit commun, c’est-à-dire celles de proximité, continueront, quant à elles, de connaître des infractions mineures. Pour les affaires les plus lourdes, comme les accidents industriels majeurs, les deux pôles de santé publique demeureront compétents. Au milieu s’inséreront donc ces nouvelles juridictions, avec magistrats et enquêteurs dédiés, et disposant, à chaque fois que le besoin le commandera, de moyens supplémentaires. Tout cela va dans le bon sens.

Le projet de loi est aussi l’occasion de corriger quelques erreurs légistiques et de prendre en compte les récentes décisions du Conseil constitutionnel. Deux sujets nous intéresseront plus particulièrement.

D’abord, s’agissant de la visioconférence devant la chambre de l’instruction, je note que le Parlement s’est définitivement prononcé dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique. Il nous revient de prendre acte de ces dispositions actuellement soumises à l’examen du Conseil constitutionnel.

Ensuite, une récente décision a montré que nos règles en matière de détention ne permettent pas la garantie optimale de conditions de détention conformes à la dignité humaine. Vous réfléchissez, monsieur le ministre, à un nouveau dispositif en ce sens, sur lequel vous consultez le Conseil d’État. C’est une très bonne chose. Mais la commission des Lois est très investie sur la question pénitentiaire. Sa présidente a mis en place des groupes de travail au sein desquels la question des conditions d’incarcération a été largement évoquée. Plus récemment, nous avons modifié l’ordonnance qui permettait la prolongation automatique des détentions provisoires en période d’état d’urgence sanitaire. C’est donc un sujet sur lequel nous voulons avancer. Je vous présenterai un amendement en ce sens, de même que mes collègues Didier Paris et Caroline Abadie.

Parmi les dispositions diverses que comprend le texte, la création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics constituera peut-être notre seul point de désaccord. J’ai du mal à en voir l’intérêt en ce qu’il s’agit d’une redite de ce que le code pénal prévoit déjà par deux fois sous le nom d’interdiction de séjour, qui peut déjà concerner des catégories de lieux. Qui plus est, elle est très délicate à mettre en œuvre. Ne croyant pas au succès inattendu d’une telle disposition, je proposerai un amendement de suppression tout en me montrant attentive à vos arguments, monsieur le ministre.

L’article 12 aborde la question des officiers publics et ministériels. Cet article a été profondément remanié par le Sénat. Dans sa rédaction d’origine, il habilitait le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour prévoir le financement du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice (FIADJ) par les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires. Ce fonds a été créé par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », en contrepartie de la réforme du tarif des professions réglementées et de leurs modalités d’installation. Déplorant que ce fonds n’ait toujours aucune existence, car ses modalités de financement n’ont pas été définies à la suite de plusieurs censures du Conseil constitutionnel, le Sénat a substitué à l’habilitation une autorisation des ordres professionnels concernés à percevoir directement des contributions volontaires obligatoires. Il a également introduit une disposition réformant la procédure d’installation des nouveaux offices. Si des ajustements pourront certainement être envisagés, je suis favorable à cette nouvelle version de l’article 12. Nous avions voté un mécanisme de redistribution en 2015 ; nous devons avancer, même si cela implique de modifier la stratégie initiale.

Sur la base d’amendements déposés par M. Didier Paris et moi, nous aborderons les moyens de renforcer la justice pénale au regard de la durée de l’enquête préliminaire et d’une meilleure protection du secret professionnel, par un meilleur encadrement des réquisitions sur les factures détaillées de téléphonie. Ce sont deux sujets majeurs car ils concourent à la confiance, mais actuellement plutôt à la défiance, qu’éprouvent nos concitoyens à l’égard de la justice.

Mes travaux ont été particulièrement riches puisque j’ai procédé à plus de vingt auditions. J’ai été accompagnée par Mmes Souad Zitouni, rapporteure pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, et Liliana Tanguy, rapporteure pour observations de la commission des Affaires européennes. Je profite de l’occasion pour les remercier.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure pour observations de la commission des Affaires européennes. Mon rapport est consacré au titre Ier du projet de loi. Bien que le Parquet européen ait été créé par un règlement d’application directe, une adaptation du droit national est nécessaire dans les vingt-deux États membres participants. Le projet de loi en décline les incidences en droit français.

L’architecture du Parquet européen est le résultat de compromis entre la Commission et les États membres, comme sa base juridique en témoigne : il s’agit d’une coopération renforcée qui a pu voir le jour grâce à une volonté forte du couple franco-allemand. De prime abord, elle peut sembler complexe, avec un organe collégial formé de vingt-deux procureurs européens, et décentralisé, puisque les procureurs européens délégués conduiront dans chaque État les enquêtes et les poursuites. Le Parquet européen devra coopérer étroitement avec les autres organes que sont Europol, l’Office européen de lutte anti‑fraude (OLAF) et, surtout, Eurojust.

La compétence du Parquet européen porte sur les fraudes aux intérêts financiers de l’Union européenne, définies par la directive du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, dite « directive PIF ». Il est très pertinent d’avoir commencé par-là : toute fraude au budget de l’Union européenne, en soustrayant de la TVA aux recettes publiques ou en détournant des subventions, revient à priver les citoyens et les contribuables européens du juste retour sur leurs contributions : chaque euro détourné ne finance pas Erasmus, la politique agricole commune ou une politique spatiale ambitieuse. C’est pour ces raisons que le Parquet européen est un projet qui mérite d’être connu des citoyens.

Nous devons nous engager pleinement dans sa réussite parce qu’il correspond parfaitement au principe de subsidiarité. Bien sûr, il procède d’un transfert de souveraineté, mais uniquement pour des infractions qui seront, par essence, mieux poursuivies au niveau européen. Le présent projet de loi est, à mon sens, satisfaisant et équilibré. Il répond aux grands objectifs fixés par le règlement européen. Il crée les procureurs européens délégués en droit français, préalable nécessaire au lancement des travaux du Parquet européen, avec des garanties d’indépendance vis-à-vis du ministère public français. Leurs compétences particulières, qui leur permettront d’exercer les prérogatives d’un procureur et d’un juge d’instruction, ont été pensées à partir des catégories existantes. Ce n’est pas un nouveau type de procureur, bouleversement que pouvaient craindre ceux qui souhaitent que notre procédure pénale conserve le juge d’instruction.

Désormais, il importe de créer les conditions adéquates pour que le Parquet européen puisse commencer à exercer sa mission. Cela implique d’en soutenir les moyens budgétaires et humains. Au niveau national, nous devrons veiller à ce que les procureurs européens délégués soient bien rémunérés et qu’ils disposent des moyens nécessaires. Au niveau européen, cela signifie plaider en faveur de l’augmentation de la dotation budgétaire que le commissaire à la justice estime sous-dimensionnée. Un bon démarrage est fondamental pour que le Parquet européen fasse la démonstration de sa pertinence. Mieux il est doté, plus il est susceptible de rapatrier les fonds détournés dans le budget européen, ce qui créera un cercle vertueux.

S’il faut, bien sûr, que le Parquet européen fasse d’abord la preuve de son utilité dans son domaine, le Président de la République a, dès le discours dit de la Sorbonne, évoqué l’extension de ses compétences à la lutte contre le terrorisme. J’ai la conviction qu’un tel élargissement est souhaitable, l’actualité nous ayant montré que ce type de criminalité s’attaque à des valeurs européennes. C’est donc une réponse européenne qui peut la contrer. De la même manière, un élargissement à la protection de l’environnement permettrait de poursuivre des infractions contre ce bien commun. En la matière, le Gouvernement français fait preuve d’un volontarisme remarquable en faisant d’ores et déjà évoluer notre législation nationale. C’est en ce sens que j’ai déposé des amendements.

M. Didier Paris. Je salue le rôle fondamental qu’a joué le couple franco-allemand dans des négociations conformes à notre vision d’une construction brique par brique de l’Europe, s’agissant des intérêts financiers que nous sommes également chargés de défendre. Cet outil juridique n’était pas, loin s’en faut, facile à construire. Il fallait tout à la fois que le Parquet européen conserve la main sur les enquêtes et qu’il reste une instance européenne indépendante dans chaque État membre, tout en appliquant des droits nationaux qui ne sont pas tous identiques.

Je ne reviens pas sur l’architecture, avec le collège et les chambres permanentes, composées de trois procureurs, ni sur la personnalité de Mme Laura Codruţa Kövesi, premier chef du Parquet européen, déjà bien connue des cercles spécialisés pour sa lutte contre la corruption en Roumanie. Le système fonctionnera grâce aux procureurs européens délégués, au nombre de cinq en France, de onze en Allemagne et de vingt en Italie. Peut-être pourrez-vous nous expliquer ces chiffres, monsieur le ministre ? Quoi qu’il en soit, la rapporteure a longuement auditionné M. Frédéric Baab, qui nous a paru parfaitement adapté à la situation.

Comme il n’existe pas de juridiction pénale européenne, il est bien évident que les juridictions nationales auront à connaître des infractions, quand bien même elles sont au préjudice de l’Europe. On aurait pu adopter une procédure différente, à l’allemande par exemple, avec un procureur et un juge des enquêtes. Si vous aviez retenu ce schéma, nous nous serions éloignés sensiblement de la procédure à la française et de nos modes de fonctionnement. Les Luxembourgeois et les Espagnols ont fait un choix sensiblement identique au nôtre. Les Belges se sont montrés beaucoup plus prudents en retenant un système dépendant des autorités nationales, ce qui pose une autre difficulté : comment concilier ce choix avec l’impérative indépendance du Parquet européen ?

On a trouvé un système politiquement intelligent pour intégrer la fonction de juge d’instruction, qui est l’une des caractéristiques de notre modèle judiciaire. S’il n’y a de juge d’instruction que dans quatre pays européens, son rôle est puissant dans notre corps judiciaire. Afin de garantir son indépendance et de lui permettre de conserver la maîtrise des enquêtes, le procureur européen délégué ne pourra pas ouvrir une information judiciaire devant un juge d’instruction : il pourra, en revanche, en exercer les fonctions. Pour la même raison, il n’a pas de subordination aux procureurs généraux.

Il est indispensable d’assurer la préservation des libertés individuelles. En France, le procureur européen délégué endosse ainsi le rôle du juge d’instruction, ce qui est original mais concevable, pour mettre en examen, placer sous statut de témoin assisté, effectuer les actes d’investigation selon les règles de procédure habituelles. Mais il ne peut prendre aucune mesure de sûreté comme les assignations à résidence avec bracelet électronique, la détention provisoire ou le mandat d’arrêt, ni attenter à la vie privée avec la géolocalisation, la perquisition sans assentiment, les écoutes ou les techniques spéciales d’enquête sans l’intervention du juge des libertés et de la détention, qui tend à prendre de plus en plus d’importance.

Les modifications effectuées par le Sénat sont bienvenues pour assurer les droits de la défense.

Pour conclure, il est clair que nous accusons une faiblesse en matière de contentieux environnemental. Le texte comporte deux dispositions centrales : la création de juridictions spécialisées et la CJIP environnementale, qui donne lieu à discussion mais qui a prouvé son efficacité. Nous attendrons avec intérêt le texte à venir sur la prévention, la réparation et la répression de ce que vous avez bien voulu qualifier de banditisme environnemental, contre lequel nous devons absolument lutter.

M. Philippe Gosselin. Ce texte est en réalité un deux‑en‑un, ce qui lui donne un côté un peu fourre‑tout. Vous avez rappelé que le Parquet européen est une histoire ancienne, même si sa concrétisation date de 2017. Il vise à lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne, pour des dizaines de milliards d’euros, même si la partie invisible de l’iceberg est parfois compliquée à appréhender. Une première instance européenne va disposer de compétences judiciaires propres ; cela pose un certain nombre de questions de souveraineté nationale. Certaines ont été tranchées, puisqu’il n’y a pas de nouvelle révision constitutionnelle, mais le principe de subsidiarité est maintenu, ce qui montre bien que la frontière est relativement floue. Pas plus que mon groupe, je ne souhaiterais que ce soit un cheval de Troie pour la fin du juge d’instruction – vous avez répondu à notre crainte, monsieur le ministre, mais elle demeure. Globalement, même si des améliorations peuvent être apportées, il nous paraît que cette partie du texte va dans le bon sens. Qui pourrait être opposé à la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne, au budget de laquelle chaque contribuable participe ?

S’agissant des juridictions spécialisées, l’intention est également bienvenue pour lutter contre le terrorisme, la délinquance économique et les atteintes à l’environnement. Les têtes de chapitre sont attrayantes, j’en conviens. La spécialisation au niveau des cours d’appel des questions environnementales peut être pertinente ; nous avons d’ailleurs quelques propositions à vous faire, Mme Laurence Vichnievsky et moi, en matière d’action de groupe environnementale. C’est une chose d’avoir des juridictions spécialisées, mais attention à ce qu’elles ne constituent pas une porte d’entrée pour le délit d’écocide qui sera proposé dans un texte à venir et sur lequel il y aura beaucoup à dire. L’objectif peut être partagé, encore une fois, mais nous pouvons diverger sur les moyens. Ce sera bien l’occasion de mettre un pied dans la porte, puisque l’on va créer des structures avant même que le droit n’existe. C’est un peu bancal.

Le texte joue aussi un rôle de voiture-balai puisqu’on y trouve des dispositions sur les notaires, d’autres pour répondre à des décisions du Conseil constitutionnel, ou encore l’article 11 sur l’interdiction d’accès aux transports publics – cet aspect me convient, contrairement à notre rapporteure, mais il m’apparaît curieusement déplacé.

En somme, demeure un besoin de clarification qui nous conduit, à ce stade, à conserver quelques réserves de forme et de fond.

M. Philippe Latombe. Certains contentieux pénaux présentent, en raison de leur nature et de leur gravité, une spécificité justifiant qu’ils fassent l’objet de règles de procédure adaptées faisant intervenir des juridictions ou des magistrats spécialisés. C’est le cas des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, pour lesquelles a été créé un Parquet européen dans le cadre du mécanisme de coopération renforcée. Celui‑ci aura pour mission de rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d’infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au titre de la directive 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, ainsi que des infractions qui leur sont indissociables. La nomination des vingt‑deux procureurs européens a eu lieu le 22 juillet 2020, avec notamment M. Frédéric Baab comme procureur européen français. Les conditions d’emploi des procureurs européens délégués ont été fixées le 29 septembre dernier – je crois d’ailleurs que le Gouvernement a déposé un amendement afin d’en tenir compte.

Le projet de loi entend adapter la législation française – les codes de procédure pénale, de l’organisation judiciaire et des douanes – à la création du Parquet européen. Il renforce la justice pénale spécialisée, notamment en donnant aux parquets spécialisés le pouvoir de faire prévaloir leur compétence sur leurs homologues de droit commun, en confiant au procureur de la République antiterroriste la compétence d’exécution des demandes d’entraide émanant de la Cour pénale internationale, en renforçant les prérogatives du parquet national financier. Il institue aussi une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale et crée, dans chaque ressort de cour d’appel, un tribunal judiciaire chargé du traitement des délits complexes du code de l’environnement. Ce projet de loi entend enfin prendre en compte plusieurs décisions prises par le Conseil constitutionnel ainsi qu’une jurisprudence de la Cour de cassation, et corriger des malfaçons issues de la loi de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice.

Nous notons cependant l’absence de mesures issues des récentes décisions de la Cour de justice de l’Union européenne confirmant la jurisprudence Tele2. Nous comprenons que, face à une question préjudicielle adressée par le Conseil d’État, le Gouvernement attende la décision dudit Conseil avant de tirer des conclusions. En revanche, les véhicules juridiques idoines sont rares et, compte tenu de l’urgence à venir sur les conséquences probables de l’arrêt, cela imposera de légiférer rapidement.

Ce texte est une nécessité pour lutter contre la criminalité financière et protéger l’argent des contribuables européens. Il était attendu depuis longtemps. J’ai une pensée pour notre collègue Laurence Vichnievsky qui, le 1er octobre 1996, alors qu’elle était magistrate, a participé à l’appel de Genève en faveur d’une relance de la création du procureur européen. Cette évolution, bien loin de constituer un pas conséquent vers une Europe plus intégrée comme ont pu le craindre certains États membres, est surtout l’illustration de la capacité des États à créer une approche unifiée pour lutter contre les crimes qui affectent les intérêts financiers de tous. Plus que jamais, il est essentiel de rendre la justice dans un domaine où l’impunité est fréquente et où les pertes sont importantes, tant pour l’Union européenne que pour les nations.

Mme Cécile Untermaier. La transposition du règlement relatif au Parquet européen n’appelle pas d’observation au fond. C’est une formidable avancée institutionnelle, qui tend à harmoniser la justice des États membres. Parions que nous harmoniserons aussi nos budgets consacrés à la justice ! L’arrivée d’un Parquet européen indépendant et intégré dans notre système national pose plus que jamais la question de la nécessaire indépendance statutaire du parquet français. Les justiciables français n’auront pas les mêmes garanties quant à l’indépendance du parquet, selon que l’infraction commise préjudicie aux intérêts financiers de l’Union ou non. C’est pourquoi la seule réponse est d’imposer que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) propose la nomination des plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire. Mais je crois, monsieur le garde des Sceaux, que vous avez l’intention de vous engager dans ce combat que nous menons depuis des années.

Le Parquet européen doit faire ses preuves. Il pourrait voir sa compétence étendue plus tard aux crimes environnementaux les plus graves – l’écocide, qui ne sera pas traité dans ce texte. C’est un objectif que nous devons viser au niveau européen. Il est d’ailleurs question de justice pénale environnementale dans ce projet de loi. En l’état, il ne porte pas l’ambition que les citoyens attendent. Vous avez évoqué un délit d’atteinte à l’environnement et un délit de mise en danger. Comme vous, je considère que la justice environnementale doit accompagner l’ambition écologique. Nous avons d’ailleurs commencé à le faire dans le Green Deal, en travaillant au sein de l’assemblée parlementaire franco‑allemande. Nous avions déposé des amendements malheureusement irrecevables. Mais c’est bien que le Gouvernement s’engage dans cette voie, où il aura tout notre soutien.

La création de juridictions spécialisées avec des magistrats formés à la question environnementale est sans doute aussi le résultat d’une indigente activité judiciaire s’agissant des litiges environnementaux. Alors que les manquements sont nombreux concernant les déchets, les zones Natura 2000 ou les infractions à la police de l’eau, trop peu de constatations et de contentieux ont été établis, du fait du faible nombre d’inspecteurs de l’environnement capables de dresser un constat et d’engager des poursuites. En matière environnementale, c’est l’impuissance et, partant, l’impunité. Le maire est bien seul sur son territoire. Ce constat impose une organisation judiciaire de proximité.

La convention judiciaire d’intérêt public appelle une remarque principielle. En matière de fraude fiscale, une telle convention, qui permet à l’État de récupérer de l’argent qu’il ne pourrait obtenir rapidement sans la transaction, a tout son sens. Dans le domaine de l’écologie, peut‑être moins. Comment parler de réparation pour ce qui ne se répare jamais vraiment ? La gravité des conséquences requiert, au contraire, toute la force d’un procès, sans quoi on risque de donner le sentiment de se compromettre. Nous ne sommes pas hostiles à cet outil, mais nous souhaitons que des dispositions viennent l’accompagner, au regard de la nature même du litige et de sa gravité, l’atteinte à l’environnement ayant pour nous une toute autre dimension que l’infraction financière.

Enfin, l’article 12 vient concrétiser une promesse de Mme Nicole Belloubet – nous l’en remercions. On atterrit certes mollement, au regard de ce que nous avions voté en 2015, les puissants lobbies professionnels ayant fait leur travail, mais nous ne reviendrons pas sur ce sujet. En revanche, nous espérons vous avoir convaincu, monsieur le garde des Sceaux, de la pertinence et l’efficience des travaux parlementaires menés depuis deux ans.

Vous avez évoqué un amendement sur la détention provisoire. Serait‑il possible de l’avoir avant la séance publique afin de pouvoir travailler dessus et de construire ensemble un dispositif plus consensuel ?

Globalement, il s’agit d’un texte important. Il emporte par ses amendements une dimension environnementale dont nous mesurons l’importance. Le tout sera d’y mettre les moyens, comme c’est toujours la question en matière de justice.

M. Dimitri Houbron. Les objectifs principaux du projet de loi sont, d’une part, d’adapter notre législation à la création du Parquet européen et, d’autre part, d’améliorer les dispositifs actuels relatifs à la justice pénale spécialisée. Comme cela a été rappelé, le Parquet européen est chargé de rechercher, poursuivre et renvoyer devant la justice les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne – la fraude, la corruption ou la fraude transfrontalière à la TVA supérieure à 10 millions d’euros. Il sera aussi compétent pour diligenter des enquêtes, effectuer des actes de poursuite ou exercer l’action publique. Le groupe Agir ensemble, attaché au renforcement de notre identité européenne, se réjouit de la création de cette entité dotée de moyens et d’outils pour lutter contre la criminalité financière. C’est une nouvelle preuve de l’utilité de l’Union européenne, à l’heure où certains la remettent violemment en cause. La Commission européenne estime que la fraude transnationale représente une perte de 50 milliards d’euros de recettes de TVA pour les États membres et que les détournements de fonds européens sont estimés à 700 millions d’euros.

Avant d’aborder le projet de loi, nous souhaitons mentionner le rapport effectué par la commission des Affaires européennes, lequel rappelle quelques éléments fâcheux qu’il convient de citer. D’une part, cinq membres de l’Union européenne manquent à l’appel – la Hongrie, la Pologne, l’Irlande, la Suède et le Danemark. D’autre part, bien qu’aucun des vingt‑deux participants à ce Parquet européen ne soit anglophone, l’anglais sera la langue de travail. Même si le rapport précise que la maîtrise du français était irréalisable, la langue de Molière a encore perdu des points. Alors que 80 % des fonctionnaires européens sont francophones, le nombre de documents rédigés en français par la Commission européenne ne dépassait pas 3,7 % en 2016 contre 35 % en 1999.

Pour revenir au projet de loi, notre groupe relève qu’il assure un juste équilibre entre l’efficacité de la répression contre une délinquance astucieuse, largement internationale, et la préservation de l’autonomie et de la souveraineté de notre ordre judiciaire, puisque les juges du tribunal judiciaire de Paris demeureront compétents pour juger ces infractions et, le cas échéant, condamner leurs auteurs aux peines prévues par le code pénal. On constate une évolution pragmatique des compétences du procureur européen délégué, qui reprendrait des compétences du procureur de la République et du juge d’instruction dans certains cas. Cette évolution est‑elle un premier pas vers une remise en cause progressive du statut du juge d’instruction à la française ?

S’agissant de la lutte contre les atteintes à l’environnement, le projet de loi hisse notre organisation judiciaire à la hauteur de notre ambition politique et des attentes de nos concitoyens. Notre justice tient un rôle incontournable de régulation, en prévenant, en sanctionnant et en réparant les atteintes écologiques. Cependant, à ce jour, le contentieux environnemental représente seulement 1 % des condamnations pénales et 0,5 % des condamnations civiles, des chiffres qui ne reflètent pas la réalité des atteintes quotidiennement portées. Certaines exigent une réponse judiciaire effective, car elles constituent des dommages graves et irréversibles pour lesquels une réponse administrative est insuffisante.

M. Jean-Félix Acquaviva. Entre le détournement de fonds européens, la fraude à la TVA, la corruption ou le blanchiment d’argent, ce sont chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros qui échappent au budget de l’Union européenne et des États membres. Aussi le groupe Libertés et territoires se réjouit-il qu’après de longues années de négociations soit enfin mis en œuvre le Parquet européen.

C’est un grand texte. Cela permettra de définir un cadre européen efficace pour renforcer, mais aussi pour homogénéiser la réponse pénale apportée aux délits financiers affectant les intérêts de l’Union européenne. Il nous semble, en effet, que le dispositif proposé pour les procureurs européens délégués est relativement équilibré et qu’il leur permettra de disposer de prérogatives étendues relevant normalement du juge d’instruction, afin de mener à bien les enquêtes et les poursuites nécessaires. Ces prérogatives seront toutefois limitées et encadrées. Le procureur européen délégué ne pourra pas prendre seul des mesures attentatoires aux libertés, comme l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou le placement en détention provisoire. Des questions restent en suspens, notamment la capacité de ces procureurs de demeurer indépendants. Si l’article 6 du règlement prévoit l’indépendance du Parquet européen, aucune garantie statutaire n’est prévue et le projet de loi évoque seulement un détachement du procureur européen délégué.

Notre groupe redoute que le projet de loi se cantonne à des effets d’annonce sur le volet environnemental, sans permettre de véritable saut qualitatif. Il ne reprend que deux des vingt-et-une recommandations du rapport Une justice pour l’environnement du Conseil général de l’environnement et du développement durable et de l’Inspection générale de la justice. Néanmoins, l’annonce de la création d’un délit d’écocide nous permet d’être optimistes quant à la poursuite des infractions concernées.

Concernant les juridictions dédiées au domaine de l’environnement, il ne s’agit pas de créer des tribunaux spécifiques en matière d’environnement, mais de spécialiser dans chaque cour d’appel un tribunal judiciaire. Cela permettra sans doute une plus grande familiarité de ces juridictions avec les questions environnementales, sans garantir pour autant une véritable expertise, d’autant que l’étude d’impact précise que cette création se fera à moyens constants. Il nous semble nécessaire, afin d’accroître l’effectivité de la justice environnementale, d’accorder plus de moyens aux polices de l’environnement. Or, l’office français pour la biodiversité, l’office national des forêts (ONF) et les parcs nationaux n’ont pas les ressources humaines et matérielles suffisantes pour constater les infractions.

Nous sommes quelque peu sceptiques quant à la mise en place de la convention judiciaire écologique : elle instaure une justice d’exception, qui libère les principaux pollueurs d’un procès en bonne et due forme et qui fait abstraction de l’une des sanctions les plus dissuasives pour les entreprises – celle entachant leur réputation. En outre, le fait que seules les personnes morales puissent bénéficier de ce dispositif pose des difficultés pratiques, avec le risque que la personne morale soit exonérée pénalement tandis que la personne physique restera poursuivie. Nous avons proposé des amendements afin d’améliorer cela.

Pour conclure, notre groupe a deux motifs d’inquiétude. Le premier concerne l’article 5 visant à élargir le champ de compétences du parquet national antiterroriste aux crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation, une notion trop large selon le Conseil national des barreaux (CNB), qui risque d’entraîner certaines dérives dans des réponses pénales d’exception sur des crimes et des délits qui ne relèvent pas du terrorisme. Par ailleurs, nous pensons qu’il faut maintenir l’obligation pour les officiers de police judiciaire de se référer au procureur de la République pour leurs missions de collecte et de traitement des empreintes génétiques ou digitales, ainsi que pour l’accès aux différents systèmes de vidéoprotection : c’est une garantie de respect des droits fondamentaux des personnes.

Un regret, enfin : l’irrecevabilité d’un amendement qui reprenait un article ayant fait consensus lors de l’examen de la proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations. Néanmoins, nous convenons que ce texte est un grand texte et qu’il faut avancer en ce sens.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je partage votre déception, Monsieur Acquaviva : j’avais moi‑même déposé un amendement sur le même sujet, dont j’ai constaté à l’examen qu’il n’entrait malheureusement pas dans le champ du texte et que j’ai donc également déclaré irrecevable.

M. Pascal Brindeau. Je formulerai une remarque liminaire méthodologique : depuis plusieurs mois, en dépit des difficultés liées à la crise sanitaire, nous voyons se multiplier en commission des Lois des textes souvent d’importance, qui demandent un travail approfondi. À ce stade de la discussion, notre groupe n’a pas déposé d’amendement, non par manque d’intérêt, mais parce qu’ayant particulièrement travaillé sur la proposition de loi visant à réformer l’adoption, nous étions dans l’impossibilité de nous consacrer à celui‑ci.

Le projet de loi modifie notre droit pour tenir compte de la création d’un Parquet européen, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir puisque nous militons depuis longtemps en faveur d’un renforcement de la coopération européenne dans le domaine de la justice. Celle-ci viendra compléter celle qui existe en matière de renseignement et de police. Nous souhaitons que ces coopérations renforcées et ce Parquet européen voient leurs compétences étendues à la grande criminalité et au terrorisme, tant ce type de délinquance et d’atteinte à la sûreté de nos États dépasse largement les frontières nationales, voire s’en sert pour prospérer.

La transcription dans notre droit de la directive heurte nos traditions judiciaires puisque le procureur européen délégué sera totalement indépendant du procureur général et de la Chancellerie, et qu’il pourra être à la fois procureur et juge d’instruction pour un certain nombre d’actes liés à l’enquête. Nous pouvons le comprendre mais ce n’est pas si simple à intégrer, même pour les procureurs européens délégués. Quand et comment ces procureurs européens délégués seront‑ils choisis ? Comment leur travail va‑t‑il s’articuler avec celui des autres procureurs nationaux ?

S’agissant du possible conflit de compétences, nous avons cru comprendre que c’est toujours le niveau national qui choisira la compétence du procureur national ou européen. Mais nous avons vu, à deux endroits du texte, des mentions qui semblaient contradictoires.

Le deuxième champ d’intervention du projet de loi est celui de la justice spécialisée, en particulier de la justice environnementale, pour répondre à la complexité des enjeux de ces contentieux, mais aussi pour affirmer une nouvelle priorité de la politique pénale du ministère. Un mécanisme transactionnel existant en matière financière sera demain applicable en matière environnementale. Je reste assez circonspect à son sujet d’autant que, si j’ai bien compris, il n’implique pas la reconnaissance préalable de la culpabilité de l’entreprise ou de la personne morale mise en cause.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je sais qu’il est difficile de travailler dans ces conditions car les textes s’enchaînent. Mais celui‑ci a été déposé le 4 mars sur le bureau de l’Assemblée nationale et nous devions même l’examiner au début du printemps. La crise sanitaire a modifié le calendrier mais nous n’avons pas été pris par surprise.

M. Philippe Gosselin. La commission des Lois est quand même très sollicitée !

M. Pascal Brindeau. Je voulais simplement expliquer pourquoi nous n’avions pas déposé d’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous avez bien fait !

M. Ugo Bernalicis. Ce projet de loi est, en effet, accessible depuis longtemps. En revanche, nous avons eu connaissance très récemment de tous les ajouts que souhaitent faire le ministre et la rapporteure pour répondre aux décisions du Conseil constitutionnel, à la visioconférence et à tout un tas de problématiques, la majorité et l’exécutif voulant saisir l’occasion de ce véhicule pour remplacer plusieurs dispositions pénales. Cela n’étant pas une mince affaire, nous devrions avoir un débat plus approfondi que celui qui s’annonce.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes opposés au Parquet européen, les questions de souveraineté n’étant absolument pas réglées. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas coopérer judiciairement entre pays européens, bien évidemment, alors que la longueur des commissions rogatoires internationales est l’un des principaux obstacles dans les enquêtes du PNF. Le système doit être fluidifié. Mais un Parquet européen, qui ne tire sa légitimité que d’une décision multilatérale entre les États, peut-il garantir une adhésion du justiciable ? Je ne le crois pas. Nous pensons, à La France insoumise, que c’est dans le cadre des États nations que doit agir l’institution judiciaire.

Par ailleurs, il y a une lutte au sein de l’Europe concernant le référentiel juridique, depuis la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000. Ce texte est une étape supplémentaire de l’ancrage dans l’Union européenne au détriment de la vision défendue par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), que nous privilégions sur le référentiel de l’Union européenne où les quatre libertés fondatrices priment le reste.

Qui plus est, ce règlement marque une incursion du droit européen dans le système juridique français. Il vient préfigurer de manière inquiétante la conception d’un parquet sans juge d’instruction et au détriment des parties civiles. Je n’ai pas été le seul à m’inquiéter de la disparition du juge d’instruction, dont le « super-procureur » récupère les deux compétences – il peut même prononcer un contrôle judiciaire, la contestation étant laissée aux parties pour faire intervenir un magistrat du siège. Heureusement, le juge des libertés et de la détention doit intervenir pour toutes les autres mesures attentatoires aux libertés, le risque d’inconstitutionnalité ayant sans doute permis de résister à la tentation de l’écarter. Renoncer, encore une fois, à réformer le statut du parquet en France alors que ce texte préfigure un nouveau parquet revient à laisser à l’Union européenne le soin de décider à notre place. Le droit de l’Union européenne a d’ailleurs toujours fonctionné ainsi, par intégration.

Cet objet juridique non identifié entend lutter contre une partie des délinquances financière et environnementale, dès lors qu’elles touchent aux intérêts de l’Union européenne. La France insoumise y voit un recul de la lutte contre ces deux délinquances. Plusieurs collègues ont, en effet, relevé qu’il y aurait assez peu d’affaires et, partant, assez peu de procureurs européens délégués en France, alors que notre parquet est déjà sous‑doté et sous‑dimensionné. Vous ne pouvez pas apporter une affaire en justice sans enquête préalable avec des éléments de preuve : c’est au stade de l’enquête et de la matérialisation des faits qu’il faut mettre le paquet.

Relevons également, en matière environnementale, que, d’une part, il n’y a pas de crime d’écocide et que, d’autre part, on crée une convention judiciaire d’intérêt public qui a été introduite dans notre droit de manière très large contre la délinquance économique et financière. Le but était de faire rentrer l’argent rapidement grâce à une procédure transactionnelle, étant entendu que la procédure pénale classique était très longue. Pour un délit financier, je peux concevoir ce recours, même si je m’y oppose. Pour une atteinte à l’environnement, cela perd de son sens. Nous nous opposerons donc également à cette innovation.

Mme Marietta Karamanli. Nous ne partageons pas totalement cette analyse puisque nous sommes favorables au Parquet européen pour lequel, depuis longtemps, des ministres et des parlementaires militent. On voit que c’est plutôt le modèle allemand qui prédomine, avec un juge de l’enquête incarné par le juge des libertés et de la détention, qui devra être omniprésent aux côtés des procureurs européens délégués. On peut imaginer que la phase d’enquête sera plus courte et celle du jugement plus longue, à l’inverse de ce qui se passe en France. Quels pourront être les effets sur la procédure pénale ? Peut‑on espérer une coordination des politiques pénales incluant Eurojust, Europol et le Centre européen de lutte contre le terrorisme ? Enfin, alors que les procureurs européens délégués seront au total 140, on regrette qu’il n’y en ait que cinq en France. Dispose‑t‑on de statistiques sur les affaires qui devraient relever du Parquet européen, par exemple sur la fraude à la TVA ?

Mme Marie-France Lorho. Le texte comporte trois volets, dont le premier porte sur le Parquet européen qui sera opérationnel d’ici à la fin de l’année. Celui-ci est issu d’un règlement européen adopté en 2017. Le Gouvernement et le Parlement n’ont guère d’autre choix que de mettre le droit national en conformité, faute de quoi la France risque d’être condamnée par les institutions européennes.

Cette perte de souveraineté dans le domaine de la justice pénale est regrettable, d’autant que les Français ont majoritairement rejeté tout projet fédéraliste lors du référendum de 2005. Certes, les parlements nationaux ont contraint la Commission européenne à réviser les contours de sa proposition afin de mieux respecter le principe de subsidiarité. Mais, dans le fond, c’est une stratégie de petits pas et ce projet n’est qu’une étape vers un transfert de compétences toujours plus large, qui se traduira à terme par l’établissement d’un code pénal unique. Les magistrats jugeront alors, non plus au nom du peuple français, mais au nom d’un Léviathan européen. Quelle sera la prochaine étape ?

À terme également, le juge d’instruction risque de disparaître. Quel est votre avis, monsieur le ministre, quant au maintien de ce juge instruisant à charge et à décharge ?

En outre, je suis étonnée que la langue de travail de ce nouveau parquet soit l’anglais, ou plutôt le globish, alors qu’aucun des États participants n’est anglophone. Comment se fait-il que les langues nationales aient été écartées ? Quitte à choisir une langue de travail, comment se fait-il que le français, langue diplomatique par excellence, n’ait pas été retenu ?

Concernant le troisième volet, je m’interroge sur la peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics, qui vise notamment les fraudeurs dans le métro. Leur identité sera inscrite au fichier des personnes recherchées et communiquée aux entreprises de transport collectif par les préfets. Très bien, mais quelles sont les modalités d’application de cette peine ? Combien de personnes sont concernées ?

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je vous soumets l’interrogation, que je partage, de ma collègue Blandine Brocard. Vous avez indiqué que nos concitoyens, notamment les plus jeunes, attendent que nous apportions une réponse aux enjeux écologiques. Tous les ministères doivent être engagés. Je vous remercie d’y prendre part puisque ce projet de loi prépare nos juridictions à connaître des délits prévus par le code de l’environnement. En outre, dimanche dernier, vous avez indiqué vouloir mettre fin au banditisme environnemental en créant un délit d’écocide, reprenant ainsi une proposition de la Convention citoyenne pour le climat.

Nous sommes, je pense, tous d’accord pour lutter contre le banditisme environnemental. En plus de porter une atteinte grave à notre environnement, il expose souvent les élus locaux à des situations dangereuses. Chacun se souvient de ce maire tué en tentant de verbaliser le déversement sauvage de gravats d’une entreprise, dans le Var, en août 2018. Les élus locaux sont les premiers témoins de ces pollutions. Dans l’Isère, les maires sont fortement mobilisés contre la pollution des rivières. Les élus doivent être étroitement associés à la transition écologique. Certains se demandent comment va s’articuler la création de ce nouveau délit avec les responsabilités qui pèsent déjà sur eux. S’agira-t-il d’une responsabilité supplémentaire sur leurs épaules ?

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Je m’interroge sur la suite qui pourrait être donnée au Parquet européen. Je pense qu’il a vocation à voir ses compétences étendues à d’autres sujets, notamment la lutte contre le terrorisme. Il s’agit d’un défi européen, les attaques récentes en France et en Autriche l’ont malheureusement souligné et d’autres pays ont été endeuillés par le terrorisme. Quel est votre sentiment ?

M. Gérard Leseul. Monsieur le ministre, comme ma collègue, je voudrais disposer le plus rapidement possible de vos amendements à venir pour pouvoir travailler sur leur rédaction.

Je souhaite vous faire part d’un étonnement d’ordre sémantique. Avec Mme Pompili, à plusieurs reprises, vous avez évoqué l’écocide et votre ambition de poursuivre le banditisme et les délinquants environnementaux. Je suis sensible au sujet : je siège à la commission du Développement durable et mon prédécesseur dans ma circonscription, M. Christophe Bouillon, avait défendu une proposition de loi sur l’écocide. Elle me semblait plus ambitieuse et avait, malheureusement, été balayée par la majorité. Il s’agirait d’un délit général de pollution et de mise en danger de l’environnement, avancée certaine mais néanmoins plus modeste que ce que vous laissez entendre. En fait, vous abandonnez l’idée et l’ambition d’un crime d’écocide au profit d’un délit dont le périmètre semble limité aux pollutions des airs et des eaux. Cela ne correspond donc pas réellement à une atteinte grave, étendue et durable à la nature. Quid de la déforestation que le Président Macron qualifiait cet été d’écocide ? Quid de l’extraction de pétrole qui, bien que non effectuée en France, est parfois le fait de compagnies françaises ou réalisée avec des capitaux français ? À ma connaissance, elle ne peut être qualifiée de délit d’écocide. Que comptez-vous faire pour éviter de banaliser le terme ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je vais vous répondre aussi complètement que possible, quitte à revenir sur certains points au cours de l’examen des amendements – notamment, madame la rapporteure, pour ce qui concerne la peine d’interdiction de paraître dans les transports publics.

Madame Untermaier, vous parlez du statut et de l’indépendance du parquet. Vous évoquez la réunion du Congrès, me rappelant mes propos, et vous avez raison. Je ne les ai pas oubliés. Mais vous n’ignorez pas que la convocation du Congrès est entre les mains du Président de la République. J’espère que nous pourrons avancer sur le sujet. Bien entendu, je vous communiquerai l’amendement qui sera déposé en séance publique sur la question de la dignité des conditions de détention. C’est la moindre des choses afin que vous puissiez exercer toutes vos prérogatives. Nous attendons simplement l’avis du Conseil d’État.

Monsieur Houbron, c’est vrai : la France s’est battue pour la langue française et elle a perdu. Mais nous avons tout de même gagné cette bataille devant la Cour de justice de l’Union européenne : si nous avons perdu dans l’affaire Tele2, c’est en français !

Monsieur Paris, pourquoi la France comptera-t-elle cinq procureurs, l’Italie vingt et l’Allemagne onze ? En Allemagne, c’est lié au nombre de Länder et, en Italie, c’est à raison de l’importance du contentieux… Bien entendu, ces effectifs pourront évoluer en fonction des besoins. J’espère que l’Italie aura bientôt besoin de moins de vingt procureurs et que la France n’en nécessitera pas davantage que les cinq envisagés.

Monsieur Gosselin, nous n’allons pas toucher aux juges d’instruction par un cheval de Troie. Je ne vous dirai pas ce que je pense du statut du juge d’instruction et du juge d’instruction ; je crois que vous le savez. Ce n’est vraiment pas à l’ordre du jour et ce serait, pour le coup, bien cavalier – un terme dont vous affectionnez l’usage, tant par courtoisie que dans un sens parlementaire. Non, nous n’allons pas attaquer le juge d’instruction par le truchement de ce texte. Si, un jour, cette discussion devait avoir lieu, ce serait de façon totalement différente.

Monsieur Latombe, je reviendrai sur les conditions d’emploi des procureurs européens délégués en présentant l’amendement du Gouvernement. S’agissant de l’arrêt Tele2, nous attendons une décision du Conseil d’État. Vous allez un peu vite, mais je le comprends, car le sujet est d’une extrême importance. Vous comprendrez aussi que la décision du Conseil d’État est essentielle pour savoir comment progresser en matière de conservation des données. Je donnerai davantage de détails tout à l’heure, si vous le souhaitez.

Monsieur Jean-Félix Acquaviva, vous estimez qu’il s’agit d’un grand texte ; je vous en remercie. Je n’ai pas souhaité qu’il n’y ait qu’une juridiction nationale spécialisée sur l’environnement, à Paris, car il faut tenir compte des spécificités territoriales. Il est préférable que le braconnage de civelles soit traité devant le tribunal judiciaire spécialisé de la cour d’appel de Bordeaux. De même, la Corse possède certaines spécificités écologiques. Une spécialisation au niveau des différentes cours d’appel sera plus efficace.

M. Brindeau et d’autres ont exprimé leurs réticences concernant la convention judiciaire d’intérêt public. Cet outil existe pourtant déjà et fonctionne bien ; il est même extrêmement efficace. S’agissant d’un éventuel conflit de compétence entre Parquet européen et parquet national, la question est réglée par le paragraphe 6 de l’article 25 du règlement européen : c’est le parquet national qui l’emporte.

Le nouveau Parquet européen dispose d’une compétence ratione materiae clairement délimitée aux infractions économiques dont l’Europe est directement victime. Pour y faire entrer le terrorisme, comme certains d’entre vous l’ont évoqué et comme c’est le souhait du Président de la République, il faut l’unanimité. Nous n’en sommes pas là. Laissons ce jeune Parquet européen prendre ses marques, grandir un peu, et voyons comment il fonctionne !

Madame Karamanli, la procédure pénale française sera respectée, sauf pour la compétence que je viens d’évoquer. Entre soixante-dix et quatre-vingt des affaires actuelles seraient du ressort du Parquet européen. Toutefois, en la matière, on estime qu’il existe un chiffre noir et que le Parquet européen sera beaucoup plus efficace, par exemple sur les carrousels à la TVA lorsque plusieurs pays sont impliqués.

Madame Jacquier-Laforge, contre les atteintes à l’environnement, nous nous dotons d’abord d’outils : nous créons des tribunaux spécialisés dans chaque cour d’appel ; nous instaurons une convention judiciaire d’intérêt public pour nous assurer de l’efficacité de la réparation du préjudice écologique ; nous créons des officiers de police judiciaire spécialisés dans le domaine environnemental afin que les enquêtes soient de meilleure qualité. Ensuite, nous définissons des infractions, au premier rang desquelles l’infraction générale de pollution de l’eau et du sol – les services ont également travaillé afin que l’on puisse appréhender la pollution de l’air, ce qui n’est pas simple d’un point de vue légistique. Nous avons également imaginé une infraction aggravée, que nous appellerons écocide, visant les comportements volontaires ayant causé un dommage irréversible. Des gradations sont prévues, en fonction de l’intentionnalité. Les peines vont de trois à dix ans d’emprisonnement. Trois ans, ce n’est pas une peine plancher, ce peut aussi être un maximum. Enfin, les amendes sont renforcées.

Nous n’avons pas qualifié l’écocide de crime car le terme est fort. Pour des raisons de proportionnalité, nous ne pouvons le qualifier comme tel. Plutôt qu’un délit, d’aucuns auraient souhaité qu’il s’agisse d’un crime puni de vingt ans d’emprisonnement, mais l’infraction la plus grave fait tout de même encourir à celui qui la commet dix ans d’emprisonnement – vingt ans en cas de récidive. Ce n’est pas rien ! Nous avons estimé qu’il était préférable d’éviter l’inconstitutionnalité pour des raisons de proportionnalité.

En outre, la création d’une infraction de mise en danger vise la pollution qui n’a pas encore eu lieu mais dont les conditions sont réunies pour qu’elle se produise.

Nous avons également prévu un dispositif novateur : une amende égale à dix fois l’économie procurée. Celui qui déverse dans un fleuve des produits dangereux le fait pour gagner de l’argent car cela lui évite de solliciter des entreprises spécialisées. Pour fixer le montant de l’amende, la justice calculera l’économie attendue et la multipliera par dix. Pour résumer de manière simpliste : autrefois, je polluais mais je ne payais pas, et c’est pour cela que je polluais ; demain, je paierai dix fois l’économie que je pensais faire.

Lorsque nous examinerons les propositions de la Convention citoyenne dans un projet de loi dédié, nous demanderons la création d’un titre spécifique pour les dispositions relevant du code pénal.

Monsieur Bernalicis, vous êtes par principe, par posture, opposé au Parquet européen. Je ne peux rien dire d’autre.

S’agissant du statut du juge d’instruction, j’ai donné ma position, rassurant certains députés et en désolant d’autres – mais ce n’est pas la discussion du jour. En tout cas, ce n’est pas ainsi que l’on y touchera. M. Paris a souligné que les Belges, en maintenant le rôle de leur juge d’instruction, ont choisi une option différente de la nôtre, dont ils reconnaissent d’ailleurs qu’elle crée des complications. À l’heure des choix, nous en avons fait qui sont exceptionnels au regard de notre procédure, mais qui traduisent les orientations du Parlement européen dans toute sa légitimité.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous nous retrouvons à 21 heures pour l’examen des amendements.

 


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   Compte rendu des débats

Lors de sa seconde réunion du mardi 24 novembre 2020, la Commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (n° 2731) (Mme Naïma Moutchou, rapporteure).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9950423_5fbd63497aeb5.commission-des-lois--examen-du-projet-de-loi-relatif-au-parquet-europeen-et-a-la-justice-penale-spe-24-novembre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Après avoir procédé cet après-midi à l’audition de M. le garde des Sceaux et à la discussion générale sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, nous abordons l’examen des articles.

Article 1er (art. 696-108 à 696-137 nouveaux du code de procédure pénale) : Adaptation du code de procédure pénale à la création du Parquet européen

La Commission examine l’amendement CL60 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article 1er. Notre opposition à la création d’un Parquet européen n’est pas récente : M. Jean-Luc Mélenchon y était déjà opposé lorsqu’il était député européen. Je vois mal en quoi la création d’un Parquet européen offre une plus-value. Les enquêtes seront menées par des procureurs européens délégués dans le cadre national, avec des moyens nationaux, et porteront sur des sujets entrant dans le champ de compétence des juridictions existantes. En somme, le processus généralisé de spécialisation des juridictions se poursuit alors même que nous n’avons pas toujours les moyens correspondants, d’une part, et, d’autre part, que des difficultés peuvent en résulter, notamment des conflits et des superpositions de compétences. Le texte prévoit que le Parquet européen pourra se saisir d’affaires traitées par des juridictions nationales, de droit, sans le moindre débat.

Par ailleurs, les procureurs européens délégués seront en position de détachement, ce qui n’offre pas nécessairement la meilleure garantie d’indépendance – sinon du point de vue de l’exécutif, du moins de celui des justiciables, comme le montre l’exemple de Monaco, dont les magistrats sont en position de détachement et où des problèmes se posent régulièrement. Enfin, le Parquet européen ne tire pas sa souveraineté du peuple ou d’une institution démocratique, mais d’une délégation à plusieurs niveaux, ce qui interroge du point de vue de la légitimité de son action.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Bernalicis, cet amendement de suppression m’étonne. À l’occasion de l’examen du budget de la justice dans l’hémicycle, Mme Obono réclamait en effet, au nom de votre groupe, des moyens et des outils supplémentaires contre la délinquance économique et financière. À présent que nous les avons, vous vous y opposez ! Vous ne voulez pas du déploiement d’un Parquet européen dont l’objet sera d’améliorer la répression de la fraude en la matière, comme vous le souhaitez. Dont acte. Vous vous y opposez en agitant l’argument souverainiste.

M. Ugo Bernalicis. Pas souverainiste, de souveraineté !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cet argument me semble contestable pour trois raisons.

Premièrement, la compétence européenne en la matière est naturelle. Il s’agit d’une délinquance internationalisée dont les délits impliquent plusieurs États membres. Les traiter à l’échelon national n’est pas satisfaisant. Comme vous pouvez le lire dans l’étude d’impact, la proportion de recommandations de poursuites émises par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) aboutissant à des mises en examen est comprise entre 35 % et 45 %, ce qui est bien trop peu. Il est nécessaire d’agir à l’échelon européen dans le cadre d’une coopération renforcée.

Deuxièmement, nous ne créons aucune magistrature européenne, ce qui devrait vous rassurer. L’échelon décentralisé, chargé des enquêtes, est franco-français. Les procureurs européens délégués, choisis parmi les procureurs français, seront indépendants. Ils seront détachés auprès du Parquet européen, qui les rémunérera, et ne recevront aucune instruction du ministère de la justice ou du procureur général.

Troisièmement, aucun régime européen de l’enquête ne s’imposera à nous. Les procureurs européens délégués appliqueront le code pénal et le code de procédure pénale. Ils seront soumis aux règles de droit interne.

Ces observations justifient la création d’un Parquet européen dans la mesure où le droit national ne suffit pas. Il constituera un outil supplémentaire visant à améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude et de la répression, dans le respect de nos principes constitutionnels. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. L’amendement supprime des dispositions du code de procédure pénale précisant les modalités de fonctionnement du Parquet européen. Si j’indique que le Gouvernement y est favorable, personne ne me croira. Afin de ne pas entamer ma crédibilité, c’est donc un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. En effet, nous demandons des moyens supplémentaires pour la lutte contre la délinquance économique et financière, et ce depuis plusieurs années – trois projets de loi de finances pour être précis. Cette lutte est menée par une juridiction française, qui fait plutôt du bon travail. Certes, on pourrait l’améliorer, et d’autres que moi la critiquent : c’est le Parquet national financier (PNF). Or, l’étude d’impact ne fait mention d’aucune affaire qui n’entre pas dans le champ de compétences d’une juridiction existante.

Quant aux moyens supplémentaires, c’est un leurre : il s’agit de détachements, donc d’un prélèvement sur le budget de la justice, sur les cinquante magistrats supplémentaires pour lesquels le projet de loi de finances pour 2021 ouvre des crédits, soit moitié moins que le précédent. Le nombre de magistrats supplémentaires est en recul d’une année sur l’autre ! En outre, ces postes supplémentaires devraient être attribués aux corps spécialisés dans les enquêtes, notamment aux assistants spécialisés. Quelle garantie avons-nous que les procureurs européens délégués disposeront d’autant d’assistants spécialisés que le PNF ? Quelle garantie avons-nous qu’on leur confiera autant d’affaires qu’au PNF, et qu’elles bénéficieront d’un suivi comparable à celui assuré par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et la brigade financière de la police judiciaire parisienne ? En réalité, les moyens seront les mêmes. Seul le nom va changer. Non, le Parquet européen n’est pas une avancée. Au demeurant, dès lors que la délinquance franchit les frontières, la coopération entre États s’impose. Il n’existe ni magistrature européenne, ni cadre d’enquête européen. Il faudra donc recourir à des commissions rogatoires internationales.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL132 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le procureur européen délégué souhaitant constituer une équipe commune d’enquête avec des autorités étrangères devra informer le ministère de la justice, dont l’accord n’est cependant pas nécessaire. Il s’agit de compléter le projet de loi par une précision destinée à assurer l’indépendance du procureur européen délégué, conformément aux dispositions du règlement mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’indépendance des procureurs européens délégués est l’une des conditions de la transposition du Parquet européen. Elle doit être assurée à tous les stades de l’enquête. Il est cohérent de les dispenser de l’autorisation du ministère de la justice pour constituer une équipe d’enquête commune avec d’autres États.

M. Ugo Bernalicis. Je me pose une question pratique, qui d’ailleurs se pose à l’échelon de nos parquets et de nos services d’enquête. En cas de conflit de priorisation des dossiers, qui tranchera ? Comment saura-t-on si on donne la priorité à l’enquête demandée par le procureur européen délégué plutôt qu’à nos affaires nationales ? À l’heure actuelle, ces questions sont tranchées, bon an mal an, au sein de nos juridictions. Qu’en sera-t-il demain ? Doit-on s’attendre à une prédominance des services du procureur européen délégué ?

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Le volume de dossiers concerné n’est pas tel qu’il nécessite un chamboulement de l’organisation judiciaire.

M. Ugo Bernalicis. Mais il s’agit de gros dossiers !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’étude d’impact prévoit entre soixante et cent dossiers, confiés à cinq procureurs européens délégués. Si ce volume devait augmenter significativement, les moyens devront suivre.

M. Ugo Bernalicis. Le ministre n’a aucune réponse à donner ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Bernalicis, je vous remercie de laisser les débats suivre leur cours.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL22 de M. Pacôme Rupin.

M. Didier Paris. L’amendement fixe un délai maximal dans lequel le Parquet européen doit statuer sur l’exercice de sa compétence. Toutefois, il semble difficile d’inscrire dans le règlement européen des contraintes supplémentaires, d’une part, et, d’autre part, il me semble qu’un délai de cinq jours est d’ores et déjà prévu. Peut-être M. le ministre pourrait-il fournir des précisions sur ce point. Si tel est le cas, M. Pacôme Rupin m’a indiqué ne voir aucun inconvénient au retrait de l’amendement.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement procède d’une bonne intention mais il est satisfait. L’article 27 du règlement européen prévoit un délai bien inférieur à la durée d’un an proposée par notre collègue. Il dispose : « Dès réception de toutes les informations pertinentes conformément à l’article 24, paragraphe 2, le Parquet européen décide, dans les meilleurs délais, et au plus tard cinq jours après réception des informations communiquées par les autorités nationales, d’exercer ou de ne pas exercer son droit d’évocation, et informe les autorités nationales de cette décision ». Demande de retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Tout a été dit : retrait, sinon rejet.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL61 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement supprime les alinéas 16 et 17 afin de prévenir les risques d’empiétement du Parquet européen sur les compétences du parquet français. L’automaticité du dessaisissement d’un parquet n’existe pas dans notre droit. Une telle mesure fait systématiquement l’objet d’une discussion et d’un arbitrage. Tel ne sera plus le cas. Un parquet peut avoir une compétence exclusive – il en est ainsi du PNF. Mais en cas d’empiétement de compétences, notre droit prévoit un mécanisme de régulation. Les alinéas 16 et 17 prévoient un dessaisissement automatique au profit du Parquet européen, ce à quoi nous sommes défavorables.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il faut certes articuler les compétences des procureurs européens délégués avec celles des autres juridictions. Les dispositions du règlement européen en la matière sont tout à fait raisonnables. Si vous et nous n’avons pas la même vision politique de la façon dont il faut organiser l’espace judiciaire européen, monsieur Bernalicis, l’articulation des compétences respectives des juridictions n’a jamais soulevé aucune difficulté. Lors des auditions, nous avons interrogé à ce sujet le procureur européen français, M. Frédéric Baab. Il considère que les angles morts ont tous été comblés. Tel est aussi mon avis.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. En effet, madame la rapporteure, nous ne partageons pas exactement la même conception de l’espace judiciaire européen ! Je ne comprends pas pourquoi un dossier suivi par le PNF, compte tenu des moyens dont celui-ci dispose et de son architecture générale, sera mieux traité par un procureur européen délégué décidant de s’en charger. Surtout, le procureur européen délégué s’inscrit dans un cadre procédural particulier qui lui permet de disposer des moyens du parquet et des moyens de l’instruction, ce qui soulève des problèmes. L’automaticité du dessaisissement a le mérite d’être claire, et sans doute de nombreux procureurs aimeraient-ils que notre droit national le soit tout autant en matière de partage des compétences : les affaires sont automatiquement transmises à l’échelon supérieur. Nous sommes en désaccord avec ce choix. Je ne vois pas en quoi il est logique, ni en quoi il améliore le traitement des affaires concernées.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL96 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL62 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement porte sur les cadres procéduraux, dont j’estime qu’ils s’enchevêtrent sous la responsabilité du procureur européen, qui pourra passer à sa guise du cadre de l’enquête préliminaire à celui de l’instruction. Cela soulève plusieurs problèmes, s’agissant notamment de l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) en cas de placement sous contrôle judiciaire. Nous en débattrons en détail le moment venu.

Pour l’heure, notons que ce mode de fonctionnement, une fois inscrit dans la loi et appliqué, ouvrira la voie à la suppression du juge d’instruction. L’étape suivante – ce ne serait pas la première fois que la majorité procéderait de la sorte – consisterait à dire que tout cela fonctionne parfaitement et permet de traiter les affaires européennes plus rapidement et plus efficacement – j’en doute, mais admettons. On dira alors qu’il serait souhaitable de décalquer ce modèle pour l’appliquer aux juridictions françaises, ce qui permettra de faire l’économie des juges d’instruction et de rationaliser le travail en le partageant mieux. Je prépare l’argumentaire, cela vous fera gagner du temps, chers collègues de la majorité !

Je suis opposé à cette vision des choses. Le juge d’instruction emporte des garanties, notamment en matière d’inamovibilité et de conditions de nomination, que le présent texte n’offre pas. S’il s’agissait de procéder à une grande réforme du parquet de ce pays, nous aurions pu en débattre autrement. Il aurait été plus difficile d’argumenter contre, et j’y aurais peut-être même été favorable, qui sait ? Tel n’est pas le cas. Je m’oppose à la confusion des cadres procéduraux.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Bernalicis, j’émets un avis défavorable à votre amendement pour deux raisons. D’abord, vous affirmez que les procureurs européens délégués pourront mener des enquêtes préliminaires et des instructions selon leur bon vouloir. C’est faux. Le règlement européen le précise noir sur blanc. En outre, le Sénat a précisé la définition du moment où le procureur délégué « changera de casquette ». L’alinéa 21 est désormais ainsi rédigé : « Toutefois, lorsqu’il est nécessaire soit de mettre en examen une personne ou de la placer sous le statut de témoin assisté, soit de recourir à des actes d’investigation qui ne peuvent être ordonnés qu’au cours d’une instruction, en raison de leur durée ou de leur nature, le procureur européen délégué conduit les investigations conformément aux dispositions applicables à l’instruction, sous réserve des dispositions de la section III du présent chapitre. » Ce point est tout à fait clair.

Ensuite, vous estimez que les pouvoirs du procureur européen délégué sont si étendus qu’ils menacent l’existence même du juge d’instruction. Si nous devions un jour réformer la procédure pénale française et le statut du juge d’instruction, ce à quoi je suis personnellement favorable, rien ne nous obligera à nous inspirer de ce modèle qui a pour seule vocation de répondre aux prescriptions du règlement européen. Celui-ci prévoit que le procureur européen délégué exerce l’action publique jusqu’à ce que l’affaire soit définitivement jugée. L’intervention du juge d’instruction français aurait pour conséquence de le dessaisir de l’enquête, à rebours des dispositions dudit règlement. Ainsi s’explique ce statut hybride et astucieux du procureur européen délégué.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le complotisme est insupportable ! En somme, nous passerions par ce texte pour supprimer le juge d’instruction. Mais nous ne manquons pas d’arguments pour débattre de son statut, permettez-moi de vous le dire, monsieur Bernalicis ! Rien de tel n’est à l’ordre du jour. Ces confusions ne nous font pas de bien !

Vous proposez de supprimer les alinéas précisant le cadre procédural des investigations du Parquet européen. Vous imaginez bien que le Gouvernement est défavorable. De grâce, ne mélangeons pas tout ! Le complotisme a ses limites. Certes, cela fait florès sur les réseaux sociaux, mais ce n’est pas sérieux ! Voilà quarante ans que l’on débat du statut du juge d’instruction ; des auteurs magnifiques se sont penchés sur la question et quelques expériences professionnelles permettent d’en débattre. Le Parquet européen ne nous donne pas l’occasion de soulever le sujet, dont je répète qu’il n’est pas à l’ordre du jour.

M. Ugo Bernalicis. De grâce, monsieur le ministre, vous n’avez pas la science infuse judiciaire !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Vous non plus !

M. Ugo Bernalicis. Certes pas.

M. Sacha Houlié. M. le ministre a un peu plus d’expérience que vous !

M. Ugo Bernalicis. Souffrez que nous avancions des arguments contraires aux vôtres, ce que vous confondez avec le complotisme ! Si quiconque s’oppose à vous est un adepte du complot, cela fait beaucoup de monde, d’autant qu’entre vos nouvelles convictions et les anciennes, la cohérence n’est pas toujours limpide !

J’en viens au fond.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Oui, c’est mieux.

M. Ugo Bernalicis. Ce qui me pose problème, c’est le choix du cadre procédural laissé au bon vouloir du procureur européen délégué. Tant qu’il s’inscrit dans le cadre de l’enquête préliminaire, ses moyens d’enquête sont limités et il ne peut pas procéder à des mises en examen. Il décidera donc de basculer d’un cadre procédural à l’autre dès qu’il sera bloqué et qu’il souhaitera ordonner des mesures coercitives. Le passage d’un cadre à un autre est moins organisé et moins cadré qu’il ne l’est dans notre droit interne.

Quant au juge d’instruction, nombreux sont ceux qui le vilipendent. Nous-mêmes avons beaucoup à redire. Toutefois, dans l’état actuel de notre droit, je préfère le défendre plutôt que le mettre en cause car il offre des garanties, notamment en matière de droits de la défense, qui ne sont pas inintéressantes – cela ne vous aura pas échappé, monsieur le ministre. Tel n’est pas le cas de l’enquête préliminaire. C’est pourquoi plusieurs amendements, dont certains sont issus des rangs de la majorité et même signés de Mme la rapporteure, visent à exclure les fadettes des moyens d’enquête, ce qui tombe bien. Peut-être parviendrons-nous à tomber d’accord et à éviter de verser dans le complotisme !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte les amendements rédactionnels CL97, CL98 et CL99 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement CL63 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement offre l’occasion d’approfondir la différence entre enquête préliminaire et instruction. Le procureur délégué européen pourra prononcer des mesures privatives ou restrictives de liberté. Pourtant, l’article 66 de la Constitution dispose que l’autorité judiciaire, en France, est gardienne de la liberté individuelle. Cette confusion est regrettable. Surtout, si l’on se penche sur le détail du texte, le procureur européen délégué peut ordonner un placement sous contrôle judiciaire, ce qui constitue un recul pour les droits de la défense. L’intervention d’un magistrat du siège n’est prévue qu’en cas de contestation de la personne concernée ; dans notre droit interne, elle est systématique.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis défavorable. L’intervention du JLD laisse toute sa place au contrôle des mesures privatives de liberté. Des voies de recours sont prévues ; elles garantissent le respect des droits et des libertés de chacun. Certes, le procureur délégué peut prononcer des mesures de contrôle judiciaire mais l’intervention d’un JLD dans un délai de 72 heures est garantie.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Tout cela est parfaitement clair. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte les amendements rédactionnels CL100, CL101 et CL102 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement CL64 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Nous avions déposé un amendement ayant le même objet dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il permet la constitution de partie civile auprès du Parquet européen dans des conditions identiques à celles du droit français. L’amendement précité allait au-delà du droit français ; celui-ci est un amendement de repli, dans lequel nous nous contentons de décalquer les dispositions du droit français.

Le mécanisme prévu par le projet de loi en cas de refus de dessaisissement du juge d’instruction au profit du Parquet européen nous semble insuffisant pour garantir et préserver les droits procéduraux de la partie civile en matière pénale. Nous empruntons cette analyse au syndicat de la magistrature et à l’association Sherpa. En matière de délinquance économique et financière, les associations ont un rôle à jouer, notamment en matière de signalement. Chacun sait que les journalistes sont parfois dans l’équation, comme par exemple dans l’affaire des CumEx Files. Citons également l’exemple de la fraude à la TVA de type carrousel, qui excède le cadre de nos frontières tout en demeurant strictement européen. Il importe que nous nous donnions tous les moyens de signaler à la future autorité les infractions qu’elle pourrait poursuivre, dans l’intérêt général.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Bernalicis, votre amendement soulève une difficulté. Pour modifier le cadre de la constitution de partie civile, vous proposez de revoir les règles régissant les débats devant le tribunal correctionnel. Son adoption aurait donc pour conséquence de réduire les droits des parties civiles. Par ailleurs, les articles 87 et 89 du code de procédure pénale permettent aux parties civiles de se constituer à tout moment au cours de l’instruction. Leurs dispositions s’appliqueront aux procédures engagées par le procureur européen délégué. La partie civile disposera donc de l’intégralité des droits prévus à l’article 89-1 du même code.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis évidemment défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Évidemment, je me passerai de l’avis de M. le ministre, qui est méprisant, et je m’en tiendrai à celui de Mme la rapporteure, qui joue le jeu du débat, elle, ce dont je la remercie. Il s’agit d’un problème de cadre procédural. Si nous proposons de revoir les règles régissant les débats devant le tribunal correctionnel, c’est parce qu’il existe un problème d’articulation entre les juridictions pour se constituer partie civile. Si le procureur européen délégué ne s’inscrit pas dans le cadre de l’instruction au motif qu’il n’en voit pas la nécessité, il ne sera pas possible de se constituer partie civile. Tel est le problème de fond. Si nous prévoyons deux cadres procéduraux sans que l’on puisse s’y retrouver convenablement, certaines associations ne pourront plus se constituer partie civile, du moins pas dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui.

Je conçois que l’amendement ne soit pas parfaitement rédigé et que nous n’ayons pas prévu toutes les situations pouvant résulter de son adoption. Quoi qu’il en soit, la possibilité, pour les associations, de se constituer partie civile, notamment celles agréées par le ministère, est un sujet important à nos yeux, compte tenu de leur rôle dans le signalement des infractions relevant de la compétence du futur procureur européen délégué.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte les amendements rédactionnels CL103, CL104 et CL112 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite l’article 1er modifié.

Après l’article 1er 

La Commission examine l’amendement CL77 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. Cet amendement porte sur la coopération renforcée. Les enquêtes menées au profit de l’Union européenne sont fréquemment transfrontalières dès lors que les faits sont susceptibles de se produire dans un pays donné et dans un pays limitrophe. L’amendement permet la poursuite de l’enquête dans ce second pays sans porter préjudice aux droits acquis dans le premier. Par exemple, si des autorisations d’actes privatifs de liberté doivent être obtenues en Belgique, le procureur européen délégué français doit obtenir au préalable l’autorisation du juge français.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cet amendement de coordination est tout à fait nécessaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Cet amendement tend à harmoniser la procédure prévue pour la décision d’enquête européenne (DEE) avec celle applicable aux procureurs européens délégués, en application du règlement européen. Une telle harmonisation est tout à fait justifiée.

La Commission adopte l’amendement. L’article 1er bis est ainsi rédigé.

Article 2 (art. 211‑19, 212‑6‑1, 213‑13 et 312‑8 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire) : Compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL105 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 (art. 344‑1, 344‑2, 344‑3 et 344‑4 nouveaux du code des douanes) : Compétence du Parquet européen pour connaître des infractions douanières portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Après l’article 3

La Commission examine l’amendement CL128 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Les cotisations et contributions sociales des procureurs européens délégués nommés pour la France seront prises en charge par l’État. L’amendement tire les conséquences d’une récente décision du collège du Parquet européen en ce sens. La prise en charge par l’État préservera les droits à la sécurité sociale, comme l’exige le règlement européen.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je remercie M. le ministre de s’être saisi rapidement de cette question, soulevée dans le cadre des auditions. À défaut, nous nous serions trouvés dans une situation de blocage dans le recrutement des futurs procureurs européens délégué. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement. L’article 3 bis est ainsi rédigé.

Article 4 (art. 43‑1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Droit de priorité des parquets spécialisés

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL107 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

La Commission examine l’amendement CL126 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’amendement permet aux parquets des juridictions spécialisées d’engager des poursuites, notamment par l’ouverture d’une information judiciaire, sans attendre une plainte ou une dénonciation officielle, ce qui pourrait paralyser les investigations. Il répond à une demande des chefs de cours parisiens et facilite la poursuite des infractions commises à l’étranger, notamment dans les affaires d’accidents collectifs, de terrorisme et d’atteintes à l’environnement. Une telle condition procédurale, d’ores et déjà écartée dans certains cas, notamment les affaires d’infractions sexuelles, ne semble pas justifiée compte tenu de la gravité des infractions considérées.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Le Gouvernement présente un amendement technique dont l’utilité est évidente. Le code pénal soumet la poursuite d’infractions commises à l’étranger par ou contre un Français à une plainte préalable ou à une dénonciation officielle du pays où se sont produits les faits. Cette règle de principe fait d’ores et déjà l’objet de plusieurs exceptions dictées par l’évidence, s’agissant par exemple des accidents d’avion. Le Gouvernement propose de faire de même dans les matières couvertes par des juridictions spécialisées, ce qui me semble justifié. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement. L’article 4 bis est ainsi rédigé.

Puis elle examine l’amendement CL125 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’amendement permet à la victime tenue de se déplacer à l’étranger pour un procès mené par une juridiction étrangère d’obtenir du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) une aide financière au titre des frais de voyage, de l’indemnité de comparution et de l’indemnité journalière de séjour, comme si le procès s’était tenu en France.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il s’agit d’un amendement important pour le droit des victimes dans les affaires graves. Je remercie le Gouvernement d’avoir pris cette initiative, hors de portée des parlementaires pour des raisons de recevabilité. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement. L’article 4 ter est ainsi rédigé.

Puis elle examine l’amendement CL124 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’amendement autorise qu’un procès relevant d’une juridiction pénale spécialisée puisse, si le nombre des parties civiles est très important, et sur décision du premier président de la cour d’appel, faire l’objet d’une captation sonore permettant sa diffusion en différé aux parties civiles qui en ont fait la demande.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. La possibilité de retransmettre aux parties civiles les débats dans le cadre de procès de grande ampleur est une préoccupation que nous partageons. Assurer l’organisation matérielle d’une audience où sont représentées plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de parties civiles, constitue une configuration exceptionnelle ne permettant pas d’employer les salles habituelles. Avis favorable.

M. Didier Paris. Nous n’avons pas pu travailler sur cet amendement du Gouvernement, mais nous en comprenons parfaitement le sens comme vient de le dire la rapporteure. Cependant, il peut y avoir une différence entre la façon dont les audiences se déroulent et la façon dont leur retransmission est perçue. À titre personnel, monsieur le garde des Sceaux, je me demande si votre amendement donne entière satisfaction aux associations de victimes, car la diffusion uniquement sonore et en différé d’un procès peut ne pas répondre aux attentes des parties civiles susceptibles de subir une grosse pression psychologique.

Dans un autre contexte, je me souviens de procès filmés pour l’histoire, où un magistrat – généralement du parquet – était expressément désigné pour exercer une médiation, c’est-à-dire pour faire le tri entre les extraits qui pouvaient être retenus et ceux qui ne pouvaient pas l’être. Or, aux termes de votre amendement, c’est au président de la juridiction qu’il reviendra d’autoriser a posteriori la rediffusion sonore des audiences.

Monsieur le garde des Sceaux, pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur ces notions délicates, même si votre amendement ne laisse en rien préjuger de la manière dont les procès pourraient être filmés à l’avenir ?

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement va plutôt dans le bon sens. Je sais que le garde des Sceaux a proposé que les audiences puissent être filmées afin d’assurer une forme de publicité des débats. Cette démarche requiert certaines conditions particulières, car les procès ne doivent pas toujours être trop visibles ou médiatiques, mais le souhait de garantir une publicité des débats au-delà de la seule présence physique à l’audience me semble de bon aloi, en particulier en cette période difficile. Je voterai donc cet amendement du Gouvernement, comme les deux précédents d’ailleurs, n’en déplaise au garde des Sceaux qui méprise mes interventions.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Cet amendement n’a pas grand-chose à voir avec la possibilité de filmer les audiences. Nous travaillons évidemment sur cette question avec toutes les précautions qui s’imposent, compte tenu des risques de parasitage. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet ; le moment venu, nous débattrons sans doute ici de cette question.

L’amendement du Gouvernement vise à répondre à un souhait des chefs de cour. Cette démarche a déjà été mise en œuvre lors du procès de l’affaire Merah, où la santé d’un militaire partie civile ne lui permettait pas d’assister à l’audience. Cela reste aujourd’hui une faculté car il est toujours possible d’assister en personne au procès. Il arrive qu’une partie civile bénéficie d’un accès audio au procès si elle ne souhaite pas prendre part à l’ensemble des débats, pour des raisons personnelles que l’on peut comprendre ou si elle ne peut se déplacer. Cependant, la loi ne prévoit pas aujourd’hui d’alternative à la présence physique ; c’est pourquoi nous souhaitons que soit désormais mentionnée la possibilité de suivre l’audience par webradio.

La Commission adopte l’amendement. L’article 4 quater est ainsi rédigé.

Article 5 (art. 627‑1, 627‑2, 628‑1, 702, 706‑19, 706‑20 [abrogé], 706‑21, 706‑22 et 706‑25‑2‑1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Extension des compétences du parquet national antiterroriste

La Commission est saisie de l’amendement CL21 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’article 5, notamment ses alinéas 6 à 8, consacre l’élargissement du champ de compétences du parquet national antiterroriste (PNAT), auquel sont désormais intégrés, de manière assez large, les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation. Chacun sait que ces derniers ne relèvent pas nécessairement du terrorisme. Or, du fait de la saisine du PNAT, on pourrait y apporter des réponses pénales d’exception. Il s’agit là d’un glissement vers quelque chose que nous refusons.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Vous soulevez une vraie difficulté : les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation concernent principalement l’espionnage et la trahison, et ils ne se limitent pas à ces domaines. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement est également favorable à cet amendement. Les affaires d’espionnage de cybercriminalité, par exemple, n’ont pas forcément de lien avec le terrorisme. Le Gouvernement est convaincu de la nécessité d’une compétence concurrente nationale en matière d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. L’attribution d’une compétence spéciale au procureur antiterroriste paraissait initialement pertinente ; néanmoins, je suis sensible aux arguments développés. Le PNAT a d’ailleurs lui-même changé d’analyse.

M. Didier Paris. Pour être franc, les députés du groupe La République en marche ont également considéré que cette extension soulevait une difficulté, notamment à la lecture des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) évoque d’ailleurs un possible rapprochement entre les intérêts fondamentaux de la nation et certaines notions environnementales. Au vu de cette incertitude, mon groupe est plutôt favorable à cet amendement, auquel nous nous associons volontiers.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL79 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. En France, il est fréquent qu’une juridiction saisie requalifie ou disqualifie les faits dont elle est saisie. Il nous a semblé normal qu’une juridiction saisie de faits initialement qualifiés d’actes de terrorisme demeure compétente en cas de disqualification des faits. Nous éviterons ainsi des allers-retours entre juridictions, qui sont absolument déplorables, notamment pour les victimes.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cet amendement va dans le sens d’une bonne administration de la justice. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable également.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL19 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. Cet amendement de cohérence vise à éviter toute contestation, devant le juge répressif, de la transmission de renseignements particuliers par le procureur de la République antiterroriste.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Sur le fond, je suis favorable à votre initiative, qui vient effectivement combler une lacune de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Sur la forme, en revanche, je me demande si la rédaction que vous proposez permet bien de parvenir à l’objectif poursuivi. Je vous invite à retirer votre amendement et à revoir sa rédaction en vue de la séance publique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement partage évidemment l’objectif poursuivi par cet amendement, qui procède à une mesure de coordination afin de tirer toutes les conséquences de la création du parquet national antiterroriste. Toutefois, la question de l’échange d’informations entre le parquet antiterroriste et les services spécialisés de renseignement, abordée à l’article 706‑25‑2 du code de procédure pénale, nécessite d’autres aménagements, auxquels nous réfléchissons actuellement. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Didier Paris. Je comprends la difficulté que peut poser mon amendement, notamment dans le domaine du renseignement. Je le retire.

L’amendement est retiré.

La Commission examine les amendements identiques CL123 de la rapporteure, CL134 du Gouvernement et CL78 de M. Didier Paris.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Des juridictions spécialisées ont été créées pour prendre en charge des affaires d’une technicité et d’une complexité particulières ; c’est la raison pour laquelle on trouve, par exemple dans les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou auprès du parquet national financier (PNF), des assistants spécialisés. Ce ne sont pas des magistrats, mais des experts de la matière traitée, qui décryptent des situations très pointues pour le compte des magistrats qu’ils accompagnent, permettant un meilleur traitement des dossiers. Il serait tout à fait légitime que le PNAT dispose lui aussi d’assistants spécialisés, qui seraient des experts ; or, il ne peut pas en recruter aujourd’hui, parce que la loi ne le lui permet pas. Tel est l’objet des amendements déposés par M. Paris et moi-même. Je remercie M. le garde des Sceaux d’avoir déposé un amendement identique, qui a permis à notre initiative de survivre au contrôle de l’article 40 de la Constitution.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement a effectivement déposé un amendement identique : je ne peux donc qu’y être favorable, par cohérence !

La Commission adopte ces amendements.

Elle adopte ensuite l’article 5 modifié.

Après l’article 5

La Commission est saisie de l’amendement CL80 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. Cet amendement octroie au PNAT la compétence en matière de centralisation des demandes d’entraide venant du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Favorable également.

La Commission adopte l’amendement. L’article 5 bis est ainsi rédigé.

Article 6 (art. 706‑76, 706‑95‑13 et 706‑95‑15 [abrogé] du code de procédure pénale) : Coordinations rédactionnelles et légistiques

La Commission examine l’amendement CL50 de M. Matthieu Orphelin.

M. Ugo Bernalicis. L’alinéa 4 prévoit qu’en cas d’urgence ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, le juge d’instruction peut prendre des mesures appropriées sans avis préalable du parquet. Je ne suis pas complètement défavorable à l’amendement de M. Orphelin, qui vise à élargir ce dispositif aux atteintes à l’environnement.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je comprends bien la préoccupation de nos collègues s’agissant des atteintes à l’environnement. Cependant, je rappelle que les atteintes aux biens – un terme qui disparaît dans la rédaction proposée par l’amendement – peuvent aussi concerner des enjeux environnementaux, en particulier dans la section du code pénal consacrée aux destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes. Le terme de biens est juridique ; on ne peut pas le supprimer sans conséquence. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

M. Ugo Bernalicis. Si je comprends bien, cet amendement vous conviendrait mieux s’il portait sur les atteintes aux personnes, aux biens et à l’environnement. Je précise que M. Orphelin a repris une proposition de France Nature Environnement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 6 sans modification.

Article 7 (art. 705 du code de procédure pénale) : Attribution d’une compétence concurrente au parquet national financier et aux juridictions parisiennes en matière de pratiques anticoncurrentielles

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Après l’article 7

La Commission est saisie de l’amendement CL66 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement supprime la procédure de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), à laquelle nous sommes opposés non seulement en matière environnementale – un amendement spécifique y sera consacré –, mais également en matière fiscale, où ce dispositif a été introduit par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

Nous y sommes opposés pour plusieurs raisons, mais d’abord par principe car une convention judiciaire, même rendue publique, n’équivaut pas à une reconnaissance de culpabilité. Certes, elle permet d’atteindre les objectifs fixés, c’est-à-dire, pour faire simple, de remplir rapidement les caisses de l’État. Dans votre esprit, une procédure pénale est longue, laborieuse, et ne donne aucune assurance quant au jugement finalement rendu – les magistrats du siège sont indépendants – et au recouvrement effectif de la somme, qui peut aussi faire l’objet d’un contentieux. Néanmoins, le procès pénal permet d’assurer le respect des principes républicains, démocratiques – la justice est rendue au nom du peuple français –, que la CJIP ne garantit pas. Certaines entreprises ont bien intégré l’intérêt de cette procédure, qui existe aux États-Unis et dans un certain nombre de pays anglo-saxons : elle permet d’anticiper leurs contentieux et de les budgétiser, d’autant que son fonctionnement est encadré par des lignes directrices rendues publiques. J’imagine que, demain, en matière environnementale, ce sera exactement la même chose.

Je suis opposé à cette logique, non que je ne veuille pas remplir les caisses de l’État, mais parce que je tiens à ce que s’applique la procédure pénale classique plutôt que cette procédure dégradée, transactionnelle.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. J’ai un point de vue radicalement opposé à celui de M. Bernalicis quant à l’utilité et à l’efficacité de la CJIP financière. Je rappelle tout d’abord que cette procédure a été instaurée par la majorité précédente, dans le cadre de la loi dite Sapin 2. Ce n’est pas qu’une question d’argent même si la CJIP rapporte – le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d’affaires. Surtout, elle permet d’imposer des programmes de mise en conformité suivis par l’Agence française anticorruption (AFA), et donc de faire de la pédagogie et de la surveillance sur ces questions financières. Tout cela fait de la CJIP un outil dont l’efficacité est globalement reconnue.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Il y a l’idéologie et il y a l’efficacité. Or, tout démontre que la CJIP est efficace, en termes de montant des amendes et de mise en conformité des entreprises. Nous n’avons aucune raison de nous priver de cet outil qui fonctionne bien. J’entends que l’on puisse s’y opposer, mais pour des raisons qui, à l’évidence, ne peuvent tenir à son efficacité. J’ajoute que beaucoup d’entreprises craignent la médiatisation qui suit la publication, systématique, sur le site internet de l’Agence française anticorruption, et qui est évidemment une incitation à se mettre au pas. Je suis donc totalement défavorable à cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. L’outil est efficace au regard des critères d’efficacité que vous fixez ! Mais s’il s’agit d’éviter la réitération de l’infraction et de faire en sorte que soit prononcée une sanction pénale, alors la CJIP est totalement inefficace. Cela dépend de ce que l’on veut !

Pour notre part, nous croyons qu’une procédure pénale emporte une certaine légitimité permettant d’entraîner le soutien de la population et la confiance de nos concitoyens dans la justice. Avec les programmes de mise en conformité, la CJIP consiste surtout en une petite tape sur l’épaule des personnes morales ; l’entreprise communique en concédant une faute et en promettant qu’elle ne recommencera plus jamais ! Or, des entreprises ayant déjà conclu une CJIP continuent d’être rattrapées « par la patrouille »… Cette situation perdurera malheureusement, dans la mesure où la fraude offre un avantage compétitif. C’est un peu un pousse-au-crime, mais c’est le capitalisme financiarisé qui veut cela. Je sais que ce n’est pas votre domaine, monsieur le garde des Sceaux, mais ce n’est pas la peine de dodeliner du chef…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Bernalicis, veuillez respecter le ministre !

M. Ugo Bernalicis. Madame la présidente, lorsque le ministre a été irrespectueux avec moi, à quel moment avez-vous protesté ? Allez-y, je vous écoute ! De toute façon, les Français regarderont la vidéo : ils verront par eux-mêmes…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. S’il vous plaît, monsieur Bernalicis ! Je vous demande de respecter ma présidence ainsi que les interventions du ministre. Depuis trois ans et demi que vous êtes membre de la commission des Lois, vous n’avez pas eu à vous plaindre, à quelque moment que ce soit, d’un manque d’impartialité de ma part.

M. Ugo Bernalicis. Si ! Lors de l’affaire Benalla, par exemple ! Mais ce n’est pas le moment de ressortir les vieux dossiers…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est absolument ridicule, monsieur Bernalicis, et vous le savez très bien. Vous n’avez plus la parole. Mme la rapporteure et M. le garde des Sceaux vont vous répondre.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Votre argument ne tient pas, monsieur Bernalicis. Le droit pénal, ce n’est pas seulement la répression ou la sanction, c’est aussi les alternatives aux poursuites et la transaction. Le mécanisme de la CJIP est encadré. Il ne se déroule pas uniquement entre les parties : le juge intervient pour homologuer la convention, qui doit respecter des critères très précis. Une CJIP doit prévoir le paiement d’une amende, qui peut être importante, ainsi que la réparation du préjudice subi par la victime ; elle peut également comporter un programme de mise en conformité. Il s’agit d’un outil puissant, aussi au service du droit pénal.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. À ce jour, la CJIP a permis le recouvrement de 3,032 milliards d’euros et le versement au fisc de 662 millions d’euros de dommages et intérêts. Cela étant, monsieur le député, je suis ravi que vous rendiez hommage à la justice traditionnelle !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CL119 de la rapporteure et CL81 de M. Didier Paris.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Comme vous l’avez compris, je suis favorable à la CJIP, que je propose de renforcer sur quatre points. Mon amendement vise à étendre le mécanisme au blanchiment de corruption et au blanchiment de trafic d’influence ; à prévoir, en cohérence avec ce qui se fera dans le domaine environnemental, la publicité obligatoire sur le site internet des ministères de la justice et du budget, car celui de l’Agence française anticorruption n’est pas assez visible ; à supprimer la condition de reconnaissance des faits dans les conventions conclues à l’issue d’une instruction judiciaire, puisque ce traitement différencié par rapport aux conventions conclues au cours de l’enquête ne se justifie pas ; à mettre les frais de justice à la charge de la personne morale concernée.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. Je m’oppose à ces amendements. Si la CJIP ne peut s’appliquer actuellement aux faits de blanchiment de corruption et de trafic d’influence, c’est parce que ces accusations sont suffisamment graves pour que soit organisé un procès, avec toutes les garanties qu’il comporte, notamment le principe de publicité. J’expliquais tout à l’heure que nous assistions, depuis plusieurs années, à une transformation progressive de notre système juridique avec des effets cliquets. La mise en place d’un Parquet européen va nécessairement irriguer le droit français, et c’est logique – je ne vous parle pas d’un complot. Nous franchissons des seuils et nous finirons par abandonner le principe de la reconnaissance de culpabilité. Une CJIP n’est pas une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) : le seul principe qui s’applique est la publicité.

Quant aux programmes de mise en conformité suivis par l’Agence française anticorruption, on pourrait très bien imaginer que cette dernière en soit saisie dans le cadre d’un procès pénal classique : ce n’est donc pas un argument que de présenter cette possibilité comme un avantage extraordinaire de la CJIP.

La Commission adopte ces amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL117 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Les CJIP ne s’adressent aujourd’hui qu’aux personnes morales. Aussi mon amendement vise-t-il à préciser que, dans la perspective d’une convention passée avec une personne morale, le procureur de la République engage également, avec les personnes physiques concernées par l’affaire, une composition pénale – il s’agit d’une procédure alternative aux poursuites qui se rapproche de la CJIP. Il me semble important de gagner en cohérence sur ce point et de ne pas créer d’inégalité de traitement entre les personnes morales et physiques. On peut difficilement comprendre qu’une même procédure se termine par une transaction d’un côté et par des poursuites classiques de l’autre. Je vous propose, par cohérence, de lier le sort des entreprises à celui des personnes, et d’adapter pour cela à la marge la procédure de composition pénale.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Nous estimons que le procureur doit pouvoir proposer le mode de poursuite le plus adapté aux faits commis en fonction de leur gravité, de leur date et du degré d’implication des personnes concernées. Il ne nous semble pas possible de prévoir a priori un mode de poursuites unique pour des faits qui seront nécessairement variés. Le fait que le procureur de la République ait proposé une CJIP à la personne morale ne préjuge en rien des faits commis par ses représentants légaux, actuels ou anciens. Le parquet peut vouloir engager d’autres poursuites devant un tribunal ; la composition pénale peut être inadaptée.

M. Ugo Bernalicis. La tentation pourrait être grande de continuer le mouvement engagé en étendant la CJIP aux personnes physiques. Dans cette optique, la composition pénale apparaît à peu près cohérente, tant dans la temporalité que dans les moyens mis en œuvre et dans la liberté laissée au procureur de gérer lui-même la procédure. Il me paraît extravagant de prévoir que le procureur propose une composition pénale : à partir du moment où il propose une CJIP à une entreprise, il est en fait contraint d’engager une démarche de composition pénale avec les personnes physiques. Cela pose un problème : autant nous pouvons entendre qu’une entreprise n’est qu’une personne morale et qu’elle continuera de fonctionner avec d’autres dirigeants, autant il est inacceptable qu’un dirigeant ayant commis une faute lourde, de corruption ou de blanchiment aggravé par exemple, ne fasse pas l’objet d’un projet pénal, avec toutes les garanties que cela comporte. Pour une faute aussi grave, un justiciable lambda ne pourrait pas bénéficier d’une composition pénale !

Dès lors que vous instaurez la CJIP, vous irriguez l’ensemble du droit pénal français de cette idéologie particulière et vous déclinez cette procédure dans les autres domaines. Je ne vous en fais pas grief puisque vous suivez une certaine logique. Pour ma part, je soutiens la logique inverse : je préférerais supprimer la CJIP pour synchroniser le procès pénal de la personne physique avec celui de la personne morale.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. J’ai bien entendu les arguments de poids formulés par M. le garde des Sceaux. Je retire donc mon amendement, même s’il demeure une inégalité de traitement qui devra être corrigée.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL59 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, un rapport évaluant l’efficacité de l’arsenal législatif français en vigueur afin de lutter contre la criminalité organisée ou les associations de type mafieux dans le pays. Depuis une dizaine d’années, du fait de la récurrence des assassinats, des règlements de comptes et des actes à caractère mafieux, un certain nombre d’individus et, surtout, d’associations et de collectifs structurés plaident pour la création en France d’un délit d’association mafieuse similaire à ce qui existe en Italie. Pour justifier leur demande, ils mettent en avant le faible taux d’élucidation de ces homicides ou de ces actes.

Deux écoles s’affrontent en la matière. Certains estiment que l’arsenal juridique français comporte les outils nécessaires pour poursuivre ces bandes criminelles qui correspondent peu ou prou aux associazione di tipo mafioso évoquées à l’article 416 bis du code pénal italien. Les concepts d’association de malfaiteurs et de bande organisée seraient suffisants pour poursuivre les actes préparatoires. D’autres considèrent que le dispositif juridique français est trop éparpillé et pas assez efficace, notamment pour atteindre les donneurs d’ordres et frapper efficacement ces organisations. Il y aurait une déficience d’ordre culturel : les Français considéreraient que le phénomène mafieux n’existe qu’en Italie. En témoigne le manque de statistiques sur les rackets subis par les entreprises et commerçants en France, bien que l’on sache cette pratique suffisamment répandue pour être inquiétante. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’en appeler à une répression générale à travers une législation d’exception. Cependant, compte tenu de la gravité de ces faits et de leurs répercussions sur la société, il serait utile que le Gouvernement rédige un tel rapport qui permettrait de cheminer sur ce sujet.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. La criminalité organisée est évidemment un sujet de préoccupation majeur, mais ce thème est régulièrement abordé au sein de la commission des Lois, dans les ministères et dans d’autres instances. Un rapport supplémentaire ne me paraît donc pas opportun.

Permettez-moi de donner quelques exemples de travaux menés récemment. Nous avons voté la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Les députés Ugo Bernalicis et Jacques Maire ont rendu en mars 2019 un rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière. Enfin, M. François Molins a remis en juillet 2019 le rapport de son groupe de travail sur les JIRS, qui porte notamment sur la criminalité organisée.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable également. De façon générale, le Gouvernement n’est pas favorable à la multiplication des rapports ; le Parlement dispose déjà de moyens d’information et de contrôle de l’activité gouvernementale.

M. Ugo Bernalicis. Je remercie la rapporteure d’avoir cité le rapport d’information que Jacques Maire et moi-même avons rédigé. Un rapport d’application pourrait d’ailleurs suivre au début de l’année 2021. Nous ne nous interrogions pas tant sur la procédure judiciaire que sur les moyens dont disposent les différents services des ministères de la justice, de l’intérieur et, évidemment, de l’économie et des finances. Nous avions notamment proposé de créer un outil de pilotage de la lutte contre la fraude fiscale en ajoutant les statistiques des ministères de la justice et de l’intérieur dans le document de politique transversale consacré à ce sujet, à côté des chiffres du ministère des finances. Or, bien qu’un amendement en ce sens ait été adopté l’année dernière, le Gouvernement n’a pas fourni cette année les éléments statistiques demandés. J’ai envoyé des courriers qui sont restés sans réponse, mais je ne désespère pas d’obtenir ces chiffres l’année prochaine – il faut garder un certain optimisme !

La Commission rejette l’amendement.

Article 8 (art. 41‑1‑3, 180‑8, 706‑2‑3 [nouveaux] et 706‑107 du code de procédure pénale) : Procédure de lutte contre les atteintes à l’environnement

La Commission examine les amendements identiques CL15 de Mme Marie-George Buffet, CL37 de Mme Cécile Untermaier et CL65 de Mme Danièle Obono.

Mme Cécile Untermaier. L’amendement CL37, évoqué dans la discussion liminaire, supprime en matière environnementale la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Il s’agit avant tout d’un amendement d’appel car nous redoutons qu’un tel cadre n’apporte pas les garanties souhaitées concernant les atteintes à la biodiversité et à l’environnement.

M. Ugo Bernalicis. La CJIP, qui est finalement une amende négociée, n’emporte pas de reconnaissance de culpabilité. Le point n’est pas négligeable car s’il y a culpabilité et condamnation pénale, une autre sanction réside dans l’exclusion des appels d’offres sur des marchés internationaux. Que l’acteur qui se fait attraper reçoive une petite tape sur l’épaule, paie, et que rien ne change me semble insatisfaisant. Je préfère que tout cela se discute lors d’un procès public, avec les parties visibles, et que la formation de jugement indépendante se prononce à l’issue des débats.

Mon opposition à la CJIP vaut plus encore sur les atteintes environnementales. Autant en matière économique, je veux bien comprendre qu’il faille vite récupérer l’argent, autant, en matière environnementale, le préjudice est déjà là. Une somme d’argent ne le réparera pas nécessairement même si elle peut y concourir. Mieux vaut une intervention rapide de la part des services de l’État pour faire cesser une infraction – par exemple, déverser du ciment dans la Seine –, qu’une somme d’argent, pour pouvoir éventuellement continuer de la commettre.

Le problème de la CJIP est qu’elle prévoit une amende en proportion du chiffre d’affaires. Certes, la somme peut être élevée. Mais nous avons vu, par exemple dans le cas d’UBS, que l’amende prononcée en jugement a été bien supérieure à la transaction qui avait été envisagée – 3,8 milliards d’euros contre 2 milliards. Il n’est donc pas vrai de dire que la CJIP permet de récupérer les plus grosses sommes. Il est en revanche exact d’affirmer que la procédure est rapide. C’est bien le seul argument que je puisse entendre. Néanmoins, si l’on veut accélérer la réponse pénale et le procès pénal, il faudrait embaucher davantage de magistrats : cela permettrait aussi d’être plus rapide.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Mon avis sur ces amendements sera naturellement défavorable compte tenu des positions que j’ai exprimées. Je m’étonne que le groupe Socialistes et apparentés se montre hostile à la procédure qu’il a lui-même initiée et qui fonctionne plutôt bien.

La CJIP reste un mécanisme de justice, y compris en matière environnementale. D’abord, l’amende infligée peut représenter 30 % du chiffre d’affaires. C’est bien au-delà de ce que prévoit la répression des délits de l’environnement. Ensuite, la transaction traitera la question du dommage écologique et sa réparation bien plus vite que n’importe quelle procédure judiciaire. Alors que la CJIP se conclut en trois mois, les procès peuvent durer des années, aggraver les préjudices voire les rendre irréparables. De la même manière, le préjudice de la victime, s’il est identifié, sera réparé. Enfin, atout majeur, la CJIP comprend l’obligation de suivre un programme de mise en conformité, sous le contrôle des services du ministère de la transition écologique chargés de la police de l’environnement. Cela signifie aller voir dans les entreprises ce qui s’y passe et faire de la pédagogie sur la question environnementale.

C’est une avancée majeure. Je préfère une transaction qui sanctionne les mauvais comportements tout en réparant les dommages occasionnés, à des procès pouvant durer des années, face à des groupes qui peuvent aussi se blanchir au bénéfice de la moindre nullité de procédure. En bref, dans ces cas, mieux vaut un bon accord qu’un mauvais procès.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je n’ai rien à ajouter aux propos complets de Mme la rapporteure. Le dispositif est soutenu par de nombreuses associations de protection de l’environnement. Il faut redire son efficacité : l’amende peut aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires. De telles sommes ne peuvent être atteintes dans un procès au pénal. En outre, une remise en état est obligatoire, qui ne peut se faire que rapidement. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement pense que la CJIP est un outil adapté à la matière environnementale.

Mme Cécile Untermaier. J’avais pris la précaution de dire que l’amendement présenté était un amendement d’appel.

Vous avez raison, madame la rapporteure, de signaler que nous avions été les auteurs de la convention judiciaire d’intérêt public. Une transaction conclue est évidemment préférable à un procès qui met des années à aboutir. Je suis d’accord avec vous pour dire que le dispositif va dans le bon sens : il faudra que la justice environnementale accompagne l’écologie. C’est pourquoi nous retirons l’amendement.

L’amendement CL37 est retiré.

La Commission rejette les amendements CL15 et CL65.

Puis elle examine les amendements identiques CL34 de Mme Cécile Untermaier et CL38 de M. Jean-Félix Acquaviva.

Mme Cécile Untermaier. L’amendement, suggéré par le Conseil national des barreaux, ajoute au dispositif de convention judiciaire d’intérêt public la personne physique mise en cause au même titre que la personne morale. N’ayant pas eu le temps d’expertiser la proposition – le rythme de la commission des Lois ne le permet pas –, je la livre telle quelle pour que nous puissions en discuter.

M. Jean-Félix Acquaviva. Comme nous l’avions indiqué, nous sommes favorables à l’extension du mécanisme transactionnel de la convention judiciaire d’intérêt public pour lutter contre les atteintes à l’environnement. Néanmoins, nous suivons la position de différents praticiens, notamment le Conseil national des barreaux, qui vise à étendre cette convention aux personnes physiques intrinsèquement liées aux personnes morales mises en cause.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Vous l’aurez compris, je suis plutôt favorable au principe et à l’esprit de ces amendements : j’avais d’ailleurs déposé un amendement similaire passant par la procédure de composition pénale. Je ne crois toutefois pas que la CJIP puisse être étendue à une personne physique car cette dernière, outre qu’elle ne dégage pas nécessairement un chiffre d’affaires, ne saurait se voir contrôlée par l’Agence française anticorruption. On ne peut pas non plus imaginer de dispositifs d’alertes internes, comme le prévoit la loi pour les entreprises visées. Les critères fixés ne peuvent pas s’appliquer à une personne physique. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable pour la même raison. La CJIP a vocation à s’appliquer pour – ou plutôt contre – une personne morale. Je vois difficilement comment elle pourrait s’appliquer à une personne physique. Pour les différentes raisons évoquées – le chiffre d’affaires, la nécessité de remettre en conformité –, l’outil ne me paraît pas adapté.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL41 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Il s’agit d’un amendement de repli. En l’état actuel, la victime d’un préjudice écologique ne peut ni provoquer la CJIP, ni s’opposer à sa proposition. Elle ne participe pas non plus à la négociation de son contenu. Elle ne peut que transmettre au procureur de la République tout élément permettant d’établir la réalité et l’étendue de son préjudice. Nous avons imaginé préciser que, à leur demande, le procureur de la République entend les victimes du préjudice écologique subi et les associations de protection de l’environnement agréées avant la conclusion de la convention judiciaire d’intérêt public.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. C’est un amendement de bon sens, qui paraît satisfait par l’alinéa 8 de l’article 8. Celui-ci dispose que, lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l’infraction dans un délai qui ne peut être supérieur à un an. Il est certain que l’identification du dommage et la détermination du préjudice ne peuvent s’effectuer sans des expertises et des auditions des personnes concernées. Je n’imagine pas que le procureur de la République puisse procéder autrement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. La CJIP n’intervient qu’à l’issue d’une enquête préliminaire ou d’une instruction au cours desquelles les victimes sont forcément entendues. Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement CL16 de M. Stéphane Peu.

Puis la Commission examine l’amendement CL87 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. La CJIP évite le risque d’atteinte à la réputation de la personne morale en cause, la convention étant négociée à l’écart des médias et de la société civile. Afin de renforcer le caractère dissuasif des sanctions pécuniaires, il importe, dans un souci de transparence, de garantir une publicité dans la presse locale. L’amendement s’inspire d’une disposition adoptée lors de l’examen de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), laquelle renforçait le dispositif de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin 2, qui a instauré la publication systématique des sanctions infligées par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation.

L’amendement prévoyait notamment la publication de la décision de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans un organe de presse habilité à recevoir des annonces judiciaires et légales, accompagnée de sanctions en cas d’inexécution de l’obligation.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement paraît satisfait par les dispositions en vigueur à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, auquel le projet de loi renvoie pour les modalités d’application de la CJIP environnementale. Ces dispositions prévoient que l’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés. En matière financière, vous pourrez les retrouver par une simple consultation d’un moteur de recherche.

Vous venez en outre de voter un amendement qui accroît l’obligation de publicité, en prévoyant une publication sur des sites internet ministériels, ce qui devrait pleinement vous rassurer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le texte prévoit une publication sur le site des ministères de la justice et de l’environnement, ainsi que de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise. Il s’agit donc d’une publicité substantielle que nous estimons suffisante.

Mme Cécile Untermaier. L’information sur un site n’équivaut pas à celle parue dans un organe de presse. Récemment, une diffamation à l’égard d’un élu a fait l’objet d’un encadré dans la presse. Le partage d’un comportement négatif est très porteur. Il faudrait corriger le caractère secret de la convention, pour permettre à chacun d’être informé de ce dispositif.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. J’entends ce que vous dites. C’est juste. Cependant, le caractère relativement confidentiel fait aussi partie des éléments d’attractivité de la CJIP.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement de précision CL109 de la rapporteure.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL3 de la commission du Développement durable et CL25 de Mme Cécile Untermaier.

M. Jean-Marc Zulesi. L’amendement CL3 étend les compétences des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement à des infractions ayant un fort impact environnemental mais qui sont inscrites dans d’autres codes que le code de l’environnement – en particulier le code forestier et le code minier.

M. Gérard Leseul. J’ajouterai à ces codes certaines dispositions du code rural.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je vous remercie pour ces amendements de bon sens. Toutes les infractions environnementales ne figurent pas dans le code de l’environnement. C’est par exemple le cas en matière d’activité minière, où le législateur a prévu un code dédié, alors que les manquements ont bel et bien une influence forte sur les milieux. Il est bon que les mêmes juges soient en charge des dossiers suivant les mêmes logiques.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable, également.

La Commission adopte ces amendements.

Puis elle examine l’amendement CL10 de la commission du Développement durable.

M. Jean-Marc Zulesi. Cet autre amendement rend possible l’exercice des fonctions d’assistant de justice spécialisé, dans les pôles régionaux spécialisés instaurés par l’article 8 du projet de loi, à des fonctionnaires de catégorie A et B relevant du ministère de l’environnement.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis favorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable également. L’amendement est de bon sens.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL4 de la commission du Développement durable.

M. Jean-Marc Zulesi. L’amendement vise à supprimer la compétence du tribunal judiciaire de Paris concernant les affaires de pollution des eaux maritimes présentant une grande complexité, afin qu’elles relèvent de la compétence des juridictions spécialisées du littoral.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 8 modifié.

Après l’article 8

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL53 de M. Matthieu Orphelin, CL44 de M. Dominique Potier et CL127 du Gouvernement.

M. Matthieu Orphelin. L’amendement prévoit de désigner un tribunal judiciaire dans le ressort de chaque cour d’appel, suivant la même répartition territoriale que celle des pôles spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement. En complément de l’amendement du Gouvernement, le tribunal judiciaire spécialement désigné serait également compétent pour connaître des actions relatives au devoir de vigilance des entreprises prévues aux articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code du commerce.

Les affaires en cours sur le devoir de vigilance – Total Ouganda ou Total climat Affaire du siècle – s’engluent dans des débats sur la compétence, les entreprises soutenant que seuls les tribunaux de commerce devraient être compétents. Or, l’expérience des juges consulaires ne permet pas forcément de saisir tous les enjeux, le plus souvent liés à des atteintes à l’environnement et de nature extraterritoriale. La mission d’inspection G6 pour l’environnement, qui qualifiait les obligations de vigilance de nature civile, recommandait de confier la compétence des actions de vigilance aux juridictions spécialisées. C’est ce que vise mon amendement. À l’heure où la Commission européenne travaille à élaborer un devoir de vigilance européen, en prenant exemple sur la loi de notre collègue Dominique Potier, et où de nombreux partenaires étrangers s’appuient sur les dispositions françaises pour porter des plaidoyers en faveur des biens communs, il apparaît indispensable d’élargir la compétence de ces juridictions civiles spécialisées aux actions ayant trait au devoir de vigilance.

Mme Cécile Untermaier. Je n’ai rien à ajouter aux propos très complets qui viennent d’être tenus.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’amendement du Gouvernement vise à parfaire le dispositif de lutte contre les atteintes à l’environnement en spécialisant, au sein de chaque cour d’appel, une véritable juridiction sur les sujets relatifs à l’environnement.

Le texte voté par le Sénat a créé des pôles spécialisés en matière pénale. L’amendement en complète le dispositif en matière civile. Il permettra de spécialiser les magistrats dans ce contentieux, souvent technique, d’en renforcer la cohérence et la visibilité, et d’accélérer le traitement des procédures. C’est d’ailleurs une recommandation de la Convention citoyenne pour le climat et du rapport conjoint de l’inspection générale de la justice et du conseil général de l’environnement et du développement. Ces tribunaux spécialisés, en matière tant civile que pénale, pourront se positionner comme acteurs forts de la protection environnementale, au niveau de chaque cour d’appel, en assurant une véritable animation de la politique pénale dans le ressort et en garantissant un suivi resserré des contentieux.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je crois pouvoir dire sans risque que la Commission partagera l’objectif d’un meilleur traitement judiciaire du contentieux environnemental. C’est un point sur lequel nous serons d’ailleurs d’accord avec la Convention citoyenne pour le climat.

Les amendements prévoient globalement une spécialisation civile sur les enjeux environnementaux. Nous nous donnons les moyens d’une justice environnementale, avec des enquêteurs et des magistrats spécialisés, pour répondre à la technicité du droit de l’environnement. Je suis très favorable à la création d’une telle juridiction, avec une préférence pour l’amendement du Gouvernement. Quant au devoir de vigilance qu’a évoqué M. Orphelin, il déborde la compétence environnementale puisqu’il traite à la fois du droit de l’environnement et des atteintes aux droits de l’homme.

M. Matthieu Orphelin. Les trois amendements comprennent en effet une partie commune. Si je retirais l’amendement CL53, comment pourrions-nous avancer sur le devoir de vigilance ? Les deux affaires que j’ai citées ont du mal à avancer. Les entreprises réfutent la compétence des tribunaux. Ce n’est pas un sujet simple car nous rencontrons les difficultés que pose l’application de la loi. Comment comptez-vous avancer sur le devoir de vigilance, monsieur le ministre ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Nous attendons une décision de la cour d’appel de Versailles sur ces questions. Le tribunal de Nanterre s’était prononcé en première instance. Pour le reste, la question est complexe. Nous estimons que l’amendement que nous présentons est équilibré, ou moins déséquilibré.

M. Matthieu Orphelin. L’amendement CL53 vise véritablement à avancer sur le devoir de vigilance. Peut-être pourrions-nous réfléchir d’ici à la séance publique à une façon de l’inscrire dans le dispositif ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Certainement.

Les amendements CL53 et CL44 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement CL127. L’article 8 bis A est ainsi rédigé.

Elle examine ensuite l’amendement CL83 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. L’amendement est simple : les fonctionnaires de l’environnement pouvant disposer de pouvoirs de police judiciaire, il paraît naturel, pour la bonne marche des enquêtes et leur suivi, de leur permettre d’assister aux actes menés par les officiers de police judiciaire (OPJ), qu’il s’agisse de perquisitions ou d’interrogatoires. Les fonctionnaires d’administration ne réalisent évidemment pas les actes d’enquête, comme les OPJ, mais y assistent.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement, qui n’est pas si simple même s’il est très intéressant, vient améliorer un point précis de la procédure pénale. Il vise les situations dans lesquelles les compétences techniques des inspecteurs de l’environnement sont appelées à appuyer les prérogatives de la police judiciaire dans le cadre d’une co-saisine par un magistrat. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. Je suis aussi favorable à cet amendement. Nous en déposerons peut-être également, pour étendre son champ à d’autres fonctionnaires, en séance publique. Nous l’avions vu lors de la présentation du rapport sur la délinquance économique et financière, le modèle de l’inspecteur fiscal judiciaire (IFJ) – décalque de l’OPJ mais pour des membres de l’inspection des finances publiques –, qui apportait un concours à l’enquête, était apprécié à la fois des inspecteurs fiscaux judiciaires et des policiers. Les premiers aimaient diversifier leur métier : ils sortaient du champ administratif pour entrer dans le champ judiciaire. Les seconds, au terme du cursus interne classique de la police nationale, y voyaient la possibilité d’acquérir des compétences techniques dont ils ne disposaient pas par ailleurs.

Je le dis à mes collègues de la majorité : je souhaiterais pouvoir avancer sur ce point pour les inspecteurs du travail, les inspecteurs de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), tous ces fonctionnaires chargés d’une police administrative mais qui manquent parfois à l’enquête pour les magistrats, dans des domaines plus spécifiques et pointus.

La Commission adopte l’amendement. L’article 8 bis B est ainsi rédigé.

Elle est saisie de l’amendement CL133 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’amendement a pour objet la création d’officiers de police judiciaire de l’environnement. Il permet à certains inspecteurs de l’environnement de mettre en œuvre l’ensemble des prérogatives dont disposent les officiers de police judiciaire dans le cadre d’enquêtes environnementales, telle la possibilité de procéder à des perquisitions ou des gardes à vue. Cela crédibilise le travail de ces agents ; cela permet à la justice environnementale d’avancer.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement est le pendant de celui dont nous venons de discuter, puisqu’il confère des prérogatives de police judiciaire, telles que la possibilité de procéder à des perquisitions ou à des gardes à vue, aux inspecteurs de l’environnement dans le cadre d’enquêtes environnementales. C’est une étape supplémentaire vers une justice environnementale à part entière. Nous ouvrons la voie à la constitution d’un service dédié pour la répression des infractions environnementales, comme l’a d’ailleurs souhaité la Convention citoyenne pour le climat. J’ai auditionné l’office français de la biodiversité : l’avancée est particulièrement attendue.

La Commission adopte l’amendement. L’article 8 bis C est ainsi rédigé.

Elle est saisie de l’amendement CL5 de la commission du Développement durable.

M. Jean-Marc Zulesi. Le présent amendement rend possible l’exercice des fonctions d’assistant de justice spécialisé dans les pôles de santé publique par des fonctionnaires de catégorie A et B relevant du ministère de l’environnement, en complément des ministères de la recherche, de la santé et de l’agriculture pour lesquels cette possibilité est déjà inscrite à l’article 706-2 du code de procédure pénale.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Personne ne peut s’opposer à l’élargissement du vivier d’assistants de justice spécialisés rattachés aux pôles de santé publique. Avis très favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même position.

La Commission adopte l’amendement. L’article 8 bis D est ainsi rédigé.

Elle examine ensuite l’amendement CL82 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. L’amendement fait suite aux longues discussions sur les techniques spéciales d’enquête dans le cadre du débat sur la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il vise à prendre en compte une décision du Conseil constitutionnel, et il rouvre la possibilité aux enquêteurs de recourir à la technique des interceptions de correspondances électroniques pour les infractions au code de la santé publique.

L’amendement est très important dans le contexte actuel : les délits au code de la santé publique, punis de plus de cinq ans de prison, qui nécessitent des enquêtes techniques approfondies et des surveillances adaptées peuvent concerner par exemple la mise en vente de spécialités pharmaceutiques sans autorisation de mise sur le marché.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement. L’article 8 bis E est ainsi rédigé.

Article 8 bis (art. L. 173‑1 du code de l’environnement) : Non-respect d’une obligation de remise en état

La Commission adopte les amendements rédactionnels CL110 et CL111 rectifié de la rapporteure.

Elle adopte l’article 8 bis modifié.

Après l’article 8 bis

La Commission examine l’amendement CL8 de la commission du Développement durable.

M. Jean-Marc Zulesi. Le présent amendement porte d’un à deux ans le délai d’ajournement, lorsque le tribunal ordonne des mesures de remise en état ou de réparation des dommages causés à l’environnement, afin de tenir compte du délai de mise en œuvre de ces mesures.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Le délai d’ajournement de la décision est particulièrement important en matière environnementale : davantage que dans les autres domaines contentieux, la réalité des dommages causés par l’infraction met du temps à se révéler. Il est donc cohérent de laisser un peu plus de temps à la juridiction pour édicter des mesures de remise en état ou de réparation des dommages adaptées à la situation.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement. L’article 8 ter A est ainsi rédigé.

Elle examine ensuite l’amendement CL32 de M. Cécile Untermaier.

M. Gérard Leseul. L’amendement simplifie le régime de contrôle judiciaire environnemental prenant la forme de mesures conservatoires applicables le temps de l’enquête. Cette disposition existe déjà mais elle est très rarement mise en œuvre. Il s’agit de moderniser le régime existant, de l’étendre à toute la matière environnementale, pour permettre à l’autorité judiciaire d’éviter que des dommages environnementaux se poursuivent après les premières constatations.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement est ambitieux. J’en perçois bien l’enjeu. Vous souhaitez autant que possible mettre en œuvre le principe de prévention des atteintes en créant un référé conservatoire pour l’ensemble des infractions prévues au code de l’environnement. Cette procédure existe déjà, de manière ciblée, pour la protection de l’eau et des milieux aquatiques ainsi que pour celle du patrimoine naturel. Néanmoins la rédaction très large de l’amendement me pose question car je ne suis pas en mesure d’en analyser l’impact. Pour ces raisons, j’y suis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement car ce référé spécial lui paraît inutile et susceptible de générer une complexité inopportune. Nous avons déjà ce qu’il faut dans l’arsenal : outre le référé administratif, un référé existe en matière civile et pénale. On ne voit pas bien ce que pourrait apporter l’amendement.

M. Gérard Leseul. Je ne suis pas totalement convaincu par votre réponse, monsieur le ministre. Mais si la rapporteure le veut bien, nous pourrions peut-être en discuter, puisqu’elle ne semblait pas entièrement fermée à notre proposition…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Retirez-vous l’amendement, madame Untermaier ?

Mme Cécile Untermaier. Oui, madame la présidente, pour mieux travailler à une solution comblant ses lacunes.

L’amendement est retiré.

Article 8 ter (art. L. 218 84 du code de l’environnement) : Immobilisation d’un navire après rejet des eaux de ballast

La Commission examine l’amendement CL94 de Mme Liliana Tanguy.

Mme Liliana Tanguy. C’est comme députée du littoral breton, soucieuse de la protection de nos côtes et du milieu marin, que je défends cet amendement tendant à clarifier le fait que les administrateurs des affaires maritimes et l’ensemble des personnes mentionnées à l’article L. 218-26 du code de l’environnement – c’est-à-dire des fonctionnaires de toutes catégories – peuvent constater le délit de gestion irrégulière des eaux de ballast.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis favorable. Le Sénat a souhaité préciser la législation applicable aux eaux de ballast des navires, mais il a oublié de mentionner que cette infraction spécifique était appelée à être constatée par des agents spécifiques.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Les précisions qu’apporte l’amendement me paraissent opportunes.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 8 ter modifié.

Après l’article 8 ter

La Commission est saisie des amendements identiques CL33 de Mme Cécile Untermaier et CL51 de M. Matthieu Orphelin.

Mme Cécile Untermaier. Notre amendement, proposé par la fédération France Nature Environnement, tend à ce que les transactions pénales soient inscrites au bulletin n° 1 du casier judiciaire.

M. Matthieu Orphelin. Merci à Mme Untermaier d’avoir présenté l’amendement, à M. Bernalicis d’en avoir précédemment présenté un autre en mon nom et à France Nature Environnement de tout son travail sur le projet de loi !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Malgré tous ces remerciements, avis défavorable pour deux raisons. D’abord, l’exposé sommaire vise la matière environnementale, mais, tel qu’il est rédigé, l’amendement pourrait s’appliquer à toutes les transactions pénales, ce qui n’est pas conforme au but poursuivi. Ensuite, le principe même de la mesure alternative aux poursuites est, comme son nom l’indique, de ne pas équivaloir à des poursuites, c’est-à-dire de ne pas laisser de trace sur le casier judiciaire, en contrepartie de la reconnaissance des faits et du règlement d’une amende.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Ces amendements sont audacieux : sur un casier judiciaire ne devrait figurer qu’une condamnation ; or, une transaction n’est pas une condamnation. Avis résolument défavorable.

M. Didier Paris. Ne modifions pas à la faveur du présent texte les règles élémentaires de la procédure pénale si nous ne voulons pas créer de grandes confusions ! Parmi ces règles, il y a le fait que la transaction ne figure pas au casier judiciaire puisqu’il s’agit d’un accord entre le procureur et la personne poursuivie, ce qui la distingue sensiblement de la composition pénale, validée par un juge du siège et qui, elle, est inscrite au casier.

La Commission rejette ces amendements.

Elle aborde ensuite l’amendement CL95 de Mme Liliana Tanguy.

Mme Liliana Tanguy. L’amendement étend la compétence des juridictions du littoral spécialisées (JULIS) à l’ensemble des infractions de pollutions maritimes prévues par le code de l’environnement, notamment la pollution due aux rejets des navires. Il assure une cohérence entre les compétences territoriales des JULIS et celles des juridictions françaises en matière d’atteinte aux biens culturels maritimes.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Les JULIS ont démontré leur compétence et le droit de la mer, très technique, appelle l’intervention de magistrats spécialisés. Avis favorable à cet amendement qui parlera notamment à nos collègues de Guyane.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement. L’article 8 quater est ainsi rédigé.

Article 9 (art. 18, 74‑2, 77‑1, 77‑1‑1, 362, 393, 398‑1, 506, 510, 512, 706‑25‑12, 706‑53‑10, 706‑112‑1, 711, 712‑6 et 775 du code de procédure pénale ; art. 132‑63, 132‑64 et 132‑65 du code pénal ; art. L. 211‑9‑3 du code de l’organisation judiciaire ; art. L. 222‑65 du code de justice militaire) : Diverses dispositions modifiant le code de procédure pénale

La Commission examine l’amendement CL35 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Marietta Karamanli. L’obligation faite aux officiers de police judiciaire (OPJ) d’en référer au procureur de la République pour leurs réquisitions représente une garantie qu’il convient de maintenir dans notre droit. L’objectif de décharger le parquet de certaines tâches n’est pas toujours en adéquation avec nos fondements constitutionnels.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Comme vous, je me méfie des mesures générales par souci de proportionnalité. Mais la question se pose de l’applicabilité de votre amendement : peut-on raisonnablement demander à un procureur d’autoriser formellement tous les actes d’enquête de tous les officiers de police judiciaire ? Cette tâche me paraît insurmontable ; elle obligerait nos magistrats à se consacrer entièrement à une supervision qui n’apporte rien aux justiciables ni aux droits de la défense. Je crois plus opportun de préserver le mécanisme issu de l’examen du texte au Sénat, prévoyant l’avis immédiat du procureur et la limitation à six mois de la durée de validité des instructions. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis. Le caractère injustifié de l’amendement se manifeste dans son exposé sommaire, qui prétend interdire aux enquêteurs de procéder à des comparaisons d’empreintes génétiques sans autorisation préalable du procureur alors que l’amendement supprime les dispositions permettant l’examen médical des victimes ou des auteurs à la suite d’autorisations générales mais temporaires du procureur, dispositions dont l’utilité et le bien-fondé sont évidents.

M. Didier Paris. L’ensemble des services de police sont fondés à demander que l’utilisation des fichiers de police, modes de preuve indispensables, soit facilitée, ce que ne permettraient pas de tels échanges systématiques avec le parquet qui a d’autres choses à faire.

 M. Ugo Bernalicis. Sous couvert de pragmatisme, de simplification de la procédure et de volonté de gagner du temps – ce que permet certainement la disposition en question –, on va rendre automatique la prise d’empreintes génétiques. Ce n’est pas un acte neutre. Si encore on laissait aux OPJ le soin de s’en charger en facilitant le retrait des intéressés des fichiers où ils sont inscrits ! Ce n’est pas le cas, si bien qu’une simple suspicion peut entraîner l’inscription durable dans un fichier. Imaginons que vous alliez à une manifestation, que vous y filmiez un policier, que celui-ci pense qu’il s’agit d’une infraction, vous interpelle et relève vos empreintes, mais que le tribunal vous relaxe : vous restez tout de même dans le fichier ! On peut assumer ce choix et ficher tout le monde mais si on ne le fait pas, il faut un contrôle effectif de l’autorité judiciaire.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle aborde les amendements identiques CL42 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL43 de Mme Cécile Untermaier.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous restons peu convaincus du bien-fondé d’une autorisation générale et systématique du parquet, surtout lorsqu’il s’agit de traiter des empreintes génétiques ou digitales. L’argument de l’efficacité et de la simplification n’est recevable que jusqu’à un certain point. On aurait pu faire œuvre de discernement quant aux missions et tâches concernées, qui exposent à des dérives. Le fait d’en référer au procureur de la République représente une garantie des droits de la personne qu’il convient de maintenir.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis défavorable. On revient de loin à ce sujet : à l’origine, les autorisations étaient permanentes et c’est à la suite d’un revirement de jurisprudence que le Gouvernement propose désormais d’en limiter la durée et le périmètre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis. L’article 706-54 du code de procédure pénale, relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques, permet déjà aux OPJ de rapprocher d’office l’empreinte génétique d’un suspect et les données du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG).

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle examine l’amendement CL84 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. Dans le cadre du mandat de dépôt à effet différé institué par la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, le fait que la personne soit directement convoquée pour être incarcérée est incompatible avec le fait qu’elle doive voir auparavant le juge d’application des peines. Cette situation concerne les cas dans lesquels la juridiction a ordonné l’exécution provisoire, de sorte que la décision doit être mise en œuvre quand bien même l’intéressé aurait fait appel.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement est bienvenu.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL86 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. Il s’agit d’un amendement de coordination terminologique.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL85 de M. Didier Paris.

M. Didier Paris. Il a pu arriver, par erreur, que des affaires soient renvoyées devant les cours criminelles départementales, que nous avons créées à titre expérimental, plutôt que devant les cours d’assises, ou l’inverse. Il importe que le président de la chambre d’instruction puisse, sans formalité, réaffecter un dossier au bon endroit.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

La Commission est saisie de l’amendement CL115 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je tiens particulièrement à cet amendement, qui reprend partiellement les recommandations de la « mission Perben » sur l’avenir de la profession d’avocat, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer. À l’origine, ma démarche était plus ambitieuse, mais j’ai dû me conformer aux exigences constitutionnelles de recevabilité des amendements.

Il s’agit de concilier des principes fondamentaux : d’un côté, les nécessités de l’enquête et la protection de l’ordre public ; de l’autre, la séparation des pouvoirs et les droits de la défense. Je ne propose ni une nouveauté ni un privilège : le code de procédure pénale reconnaît déjà la nécessité de procédures renforcées quand des libertés fondamentales sont en jeu. Dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction, les investigations peuvent conduire à demander aux opérateurs téléphoniques les fadettes, ou factures détaillées, qui montrent avec qui s’est entretenu l’utilisateur d’une ligne. S’ils peuvent être utiles, ces éléments peuvent aussi faire voler en éclats une confidentialité constitutionnellement protégée en révélant un contact entre deux personnes.

L’article 100-7 du code de procédure pénale instaure une procédure renforcée lors du placement sur écoute d’un avocat, d’un juge ou d’un parlementaire. Je propose qu’elle soit également de mise lorsqu’il s’agit de communiquer leurs fadettes : la transmission de ces dernières serait soumise à l’autorisation du juge des libertés et de la détention, qui se prononcerait sur la base du dossier d’enquête. Bien sûr, les avocats, les parlementaires et les magistrats peuvent mal se conduire, et dans ce cas les investigations sont tout à fait légitimes. Mais leur surveillance ne doit pas devenir un moyen commode d’accéder au secret de leur activité. La démocratie le commande.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je ne surprendrai personne en disant que les fadettes devraient à mes yeux faire partie intégrante du secret professionnel de l’avocat, lequel a complètement volé en éclats. Mais je travaille évidemment sur cette question et une mission que j’ai souhaité constituer est en train d’y réfléchir. Nous y reviendrons prochainement dans le cadre d’un projet de loi qui prendra en considération ce que j’ai pu en dire, les travaux parlementaires, qui sont de qualité, les conclusions de ladite mission et, naturellement, un peu de ce que je pense. Je vous promets que le cas des fadettes sera examiné dans ce cadre ; il n’échappera ni à ma sagacité ni à ma mémoire.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je remercie M. le ministre de sa réponse, qui ouvre des perspectives, notamment quant au périmètre du secret professionnel, lequel ne concerne pas seulement les factures téléphoniques. Je prends date et je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

Article 10 (art. 335, 362 et 706‑71 du code de procédure pénale ; art. 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; art. 2 de la loi n° 81‑908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort) : Modifications du code de procédure pénale rendues nécessaires par des décisions du Conseil constitutionnel

La Commission aborde l’amendement CL71 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de rédiger l’article 10 de manière à supprimer de l’article 706-71 du code de procédure pénale les dispositions permettant d’avoir recours à la visioconférence pour le placement ou le renouvellement d’une mesure privative de liberté, même avec l’accord de l’intéressé. Cela peut paraître radical, mais il y a une vertu à la confrontation physique entre l’intéressé et son juge. Nous avons également déposé un amendement concernant les aspects techniques. Mais même à supposer que ces derniers soient impeccables, je resterais défavorable à la méthode. Dans une société démocratique, dans un État de droit, on peut faire l’effort d’une confrontation réelle s’agissant d’une décision aussi importante qu’une mesure privative de liberté. La dématérialisation renforce un sentiment de distance qui n’est pas bon en matière pénale.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je l’ai déjà dit : à titre personnel, je ne suis pas favorable à la visio-audience, ayant toujours considéré que la justice devait se rendre les yeux dans les yeux. Mais nous sommes pragmatiques et nous devons être capables de nous adapter aux événements, notamment sanitaires, qui montrent l’utilité de tels dispositifs. Comment, actuellement, s’en priver sans paralyser la justice ? Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Personne ne peut être favorable à la visioconférence : rien ne vaut le contact humain, particulièrement en matière de justice. Ce dispositif n’est pas utilisé a priori dans le but de rogner des droits, mais par pragmatisme. Pour des raisons matérielles, on peut difficilement faire autrement. Le Conseil constitutionnel, qui s’est évidemment penché sur la question, n’a émis qu’une réserve : une personne détenue depuis plus de six mois en matière criminelle sans avoir comparu physiquement ne doit pas se voir imposer une visioconférence.

J’ai dû prendre des ordonnances à ce sujet non par gaieté de cœur, mais pour que le cours de la justice ne s’interrompe pas. La visioconférence n’est pas l’idéal, elle est même parfois insupportable, mais c’est un outil dont nous avons besoin.

M. Ugo Bernalicis. Nous vivons une crise sanitaire majeure, mais les arguments avancés en faveur de la visioconférence étaient les mêmes avant son déclenchement. Lorsque nous examinions le projet de loi de programmation pour la justice, on nous vantait déjà les mérites du dispositif. Il s’agit en réalité de pallier le manque d’effectifs dans les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) qui résulte du fait que l’on ne veut pas mettre les moyens nécessaires pour assurer une présence physique et une décision humaine.

Car cela demande bel et bien des moyens et, assurément, en période de crise sanitaire, une organisation particulière. N’oublions pas, cependant, que, au début de l’épidémie – je ne vous en fais pas grief, monsieur le ministre, puisque vous avez été nommé entre ses deux vagues –, on a pu dire aux surveillants de ne pas porter de masque parce que cela ne servait à rien, avant de leur demander d’en mettre mais sans en donner aux personnes détenues… Que l’on ne vienne pas nous expliquer maintenant que la situation sanitaire empêche les extractions judiciaires et que, sans visioconférence, le cours de la justice va s’interrompre – rien que ça ! La réalité, c’est que nous ne nous donnons pas les moyens d’atteindre l’objectif. Inscrire dans la loi l’impossibilité de la visioconférence nous obligerait à le faire. Personne ne peut accepter que l’on ne garantisse pas l’effectivité des droits des personnes détenues ou mises en cause quand il s’agit de privation de liberté.

M. Didier Paris. La lecture du deuxième alinéa de l’article, qui n’est pas facile à cause des renvois en cascade qu’il contient, peut mettre en évidence soit ses manques, soit ses aspects positifs. Je serais plus sensible à ces derniers, dans la mesure où le texte limite le recours à la visioconférence dans le cadre d’une procédure criminelle et si la personne n’a pas été vue par un juge depuis six mois.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL131 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Il s’agit d’étendre la dispense de serment devant la cour d’assises – jusqu’à présent applicable au mari ou à l’épouse de l’accusé – à la personne liée à l’accusé par un pacte civil de solidarité ou vivant avec lui en concubinage. En effet, l’idée que l’on ne dit pas nécessairement la vérité quand on parle de sa femme ou de son mari vaut également pour le pacsé ou la pacsée, le concubin ou la concubine.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis favorable.

M. Philippe Gosselin. Je n’ai évidemment aucune objection à opposer à l’amendement ; je noterai seulement, avec un brin d’humour, qu’il s’agit sans doute du « cheval de trois » du Gouvernement, si vous me permettez le jeu de mots… Plus sérieusement, sur quel fondement établira-t-on la réalité du concubinage, qui, à la différence du mariage ou du pacs, n’est pas indiqué dans un acte d’état civil ? S’agira-t-il de concubinage notoire ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Sur le premier point, je me suis interrogée sur la recevabilité des amendements relatifs à une question prioritaire de constitutionnalité. J’ai considéré que ceux liés à la procédure pénale étaient recevables dans le cadre de ce texte comportant de nombreuses dispositions pénales.

M. Philippe Gosselin. Comme souvent, vous comprenez vite, madame la présidente !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Ce sont le dossier pénal et le contexte qui démontreront le lien : par exemple, le fait que madame soit chez monsieur lors d’une perquisition, la présence chez l’un de la brosse à dents ou des vêtements de l’autre… Tout ce qui, aux yeux d’un OPJ attentif, peut constituer un concubinage. Nul besoin de recourir au juge civil pour témoigner de ce concubinage qui vous turlupine.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL129 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Ce très bel amendement qui parle de myriamètres, une notion qui n’est plus utilisée que dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, tend à aligner les dispositions de cette dernière sur celles du droit commun en matière de citation en cas de faits commis outre-mer ou à l’étranger.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel qui a fait disparaître de la loi de 1881 la notion de myriamètre, signifiant dix kilomètres. Les spécialistes du français en seront déçus et pour moi‑même, qui ai pratiqué le droit de la presse, c’est un déchirement. Mais ce sera plus simple pour l’ensemble de nos concitoyens. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est alors saisie de l’amendement CL130 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’amendement fait suite à la décision QPC du 28 février 2020. Il vise à permettre la saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation par les ayants droit d’une personne condamnée à mort dont la peine a été exécutée aux fins de rétablir l’honneur de cette personne.

Il s’agit d’une affaire que j’ai plaidée, mais je ne m’estime en aucune manière en situation de conflit d’intérêts puisque s’impose la décision du Conseil constitutionnel qui va être suivie de celle du Parlement. L’amendement complète la loi du 9 octobre 1981. La réhabilitation n’a pas été prévue pour un condamné à mort, puisqu’elle implique que l’intéressé ait donné tous les gages de sa rédemption. Or, entre son interpellation, en 1954, et son exécution, en 1957, l’homme dont il est question, Jacques Fesch, a écrit des livres philosophiques considérés comme très importants, au point qu’il est en passe d’être béatifié.

Voilà quelle est la situation ; que l’Assemblée nationale tranche !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Tout est dit, et très bien. Avis favorable.

M. Philippe Gosselin. Cette disposition aura-t-elle vocation à s’appliquer aux fusillés pour l’exemple – même s’il existe un débat historique, politique et militaire sur les sanctions prises par les tribunaux militaires en 1915 et 1917 ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Il faut que la personne ait fourni des gages d’amendement avant son exécution. C’est d’ailleurs ce qui rend le dossier Fesch exceptionnel : rares sont les hommes qui, du fond de leur cellule, ont écrit une œuvre majeure.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 10 modifié.

Après l’article 10

La Commission examine les amendements identiques CL116 de la rapporteure et CL18 de M. Didier Paris.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cet amendement relatif à l’encadrement de la durée de l’enquête préliminaire est issu des travaux de la commission d’enquête sur l’indépendance de la justice. Je laisse M. Didier Paris le présenter.

M. Didier Paris. Monsieur le garde des Sceaux, vous vous êtes exprimé à plusieurs reprises, devant nous et dans la presse, sur la durée de l’enquête préliminaire, que vous jugez excessive. Nous partageons pleinement ce constat. Cet amendement découle des travaux menés dans le cadre de la commission d’enquête sur l’indépendance de la justice, présidée par M. Ugo Bernalicis et dont j’ai été le rapporteur. Il prévoit que l’enquête ne peut se poursuivre au-delà d’un an pour les contraventions et délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure à trois ans, et de trois ans pour les crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans. Passé ce délai, le procureur doit être autorisé à la poursuivre par le juge des libertés et de la détention. Celui-ci statue au cours d’une audience publique en présence de la personne mise en cause et de la victime, qui peuvent alors accéder au dossier, à l’instar de ce que prévoit l’article 77-2 du code de procédure pénale.

Nous avons conscience que les discussions peuvent se poursuivre sur un sujet aussi important, mais nous aimerions prendre date.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je vous ai compris ! Vos amendements sont un peu prématurés comme je l’ai indiqué, mais je ne doute pas que vous serez entendus. Il est grand temps de faire en sorte que les enquêtes préliminaires ne durent plus une éternité et d’envisager le moment où elles deviennent contradictoires. Cette question est essentielle. Trop souvent, les enquêtes préliminaires se prolongent excessivement, sans que le suspect puisse avoir accès au dossier. C’est intolérable ! Ça l’est même d’autant plus lorsqu’il y a violation du secret de l’enquête et que l’on ternit – par un feuilletonnage bien calculé – l’honneur d’un homme qui ne peut se défendre.

Le Parlement ne peut être qu’associé à l’élaboration d’un tel texte. C’est ensemble que nous parviendrons à régler cette question ; je n’envisage pas les choses autrement.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Nous sommes dans le même état d’esprit. Je comprends que des groupes de travail se penchent sur cette question et qu’une concertation est nécessaire. Je retire l’amendement, en prenant date.

M. Didier Paris. Je retire mon amendement en vous priant de ne pas oublier la masse des travaux produits par les parlementaires. Ils doivent être des éléments déterminants dans la construction législative.

Les amendements sont retirés.

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements CL20 de M. Didier Paris et CL118 de la rapporteure.

Mme Caroline Abadie. Le groupe d’études Prisons et conditions carcérales, que je préside, avait rédigé un amendement semblable mais il s’est rallié à la rédaction, plus aboutie, de M. Didier Paris.

Dans sa décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a enjoint au législateur de réécrire l’alinéa 2 de l’article 144-1 du code de procédure pénale avant le 1er mars prochain. Il s’agit de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Mon amendement est plus bavard car il traite aussi de la détention des condamnés et non de la seule détention provisoire, considérant que les exigences relatives au respect de la dignité humaine valent dans un cas comme dans l’autre. Le dispositif que je propose s’inspire de celui des remises en liberté. Le détenu peut saisir le juge des libertés et de la détention, qui ordonne toutes mesures propres à restaurer des conditions de détention dignes s’il l’estime nécessaire. Si le juge ne se prononce pas dans les cinq jours, le détenu peut saisir de sa demande le président de la chambre de l’instruction, qui se prononce dans les vingt jours. Si celui-ci ne rend pas sa décision dans ce délai, le détenu est remis en liberté.

Il s’agit d’un amendement d’appel, monsieur le ministre, car j’ai compris que vous aviez soumis une nouvelle rédaction au Conseil d’État. Pouvez-vous donner votre position en vue de la séance publique ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. En effet, mes services ont rédigé un projet d’amendement qui sera déposé en séance. Son périmètre est plus étendu car il concerne à la fois les personnes placées en détention provisoire et les détenus, ainsi que l’exige la Cour européenne des droits de l’homme. Compte tenu de l’importance de la question, le Conseil d’État a été saisi ; nous vous ferons connaître, c’est la moindre des choses, son avis sitôt qu’il sera rendu. Je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements.

Mme Caroline Abadie. Je retire cet amendement en faveur d’une rédaction plus complète, répondant aux exigences du Conseil d’État.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur le ministre, nous prenons note de votre engagement à nous transmettre l’amendement proposé par le Gouvernement ainsi que l’avis du Conseil d’État. Il est important que la Commission puisse en discuter avant l’examen en séance publique.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Nous allons dans le même sens, monsieur le ministre : mon amendement portait aussi bien sur la détention provisoire que sur la détention. Dans l’attente de connaître l’avis du Conseil d’État, je retire mon amendement.

Les amendements sont retirés.

La Commission en vient à l’examen de l’amendement CL120 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Lors de leur audition, les parquets spécialisés ont fait état d’une perception négative de l’expression « assistant spécialisé », laquelle ne mettrait pas suffisamment en valeur l’expertise et la technicité du poste. Je propose d’y substituer l’expression qu’ils privilégieraient, « consultant spécialisé ».

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Pour substituer « consultant » à « assistant » à chaque occurrence, il faudrait un long et fastidieux toilettage du code de procédure pénale. Je ne vois pas en quoi, d’ailleurs, le terme de « consultant » serait plus valorisant.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. La confusion est fréquente entre « assistant spécialisé », « assistant de justice » et « juriste assistant ». Je vais donc me lancer à la recherche des occurrences en vue de la séance (sourires). Je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

Article 11 (art. 1633‑1 [nouveau] du code des transports, art. 230‑19 du code de procédure pénale, art. 20‑4 de l’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et art. 121‑8 [nouveau] du code de la justice pénale des mineurs) : Peine d’interdiction de paraître dans les transports en commun

La Commission examine l’amendement de suppression CL113 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’article 11 crée une peine d’interdiction de paraître dans les transports. J’ai été surprise de constater que cette disposition ne trouvait grâce aux yeux d’aucune des personnes auditionnées, qu’il s’agisse des procureurs ou des juges du siège.

On nous a signalé que cette peine existait déjà, sous le nom d’interdiction de séjour, comme peine complémentaire et comme peine alternative. Dans les deux cas, elle peut viser des catégories de lieux, pour peu que leur définition soit sans ambiguïté, ce qui ne semble pas un effort inaccessible. Elle peut donc être prononcée pour le réseau de transport urbain d’une ville ou d’un département.

En outre, tous ont affirmé qu’une telle disposition serait inapplicable. Certes, les interdictions de séjour figurent au fichier des personnes recherchées, mais personne n’imagine multiplier les contrôles d’identité dans le métro.

Enfin, l’expérience nous alerte : au cours des débats sur la loi n° 2019‑290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, la commission des Lois a dû transférer dans le code pénal la peine d’interdiction de manifester, créée dans le code de la sécurité intérieure, au motif que ce positionnement ne permettait pas aux magistrats d’en avoir une bonne connaissance. Comprenez que nous soyons réticents à l’idée de créer une peine dans le code des transports, lequel n’est que rarement l’outil privilégié des pénalistes…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je suis défavorable à la suppression de cet article, mais tout à fait disposé à ce que nous travaillions ensemble à une nouvelle rédaction. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème, mais je pense que nous pouvons les dissiper.

M. Didier Paris. Il est vrai qu’à notre grande surprise, tous les professionnels auditionnés ont spontanément insisté sur l’inefficacité et l’inutilité d’une telle disposition.

M. Ugo Bernalicis. Du coup, j’aimerais savoir pourquoi elle a été inscrite dans le projet de loi puisqu’il ne peut s’agir d’un simple affichage. Est-ce parce que les grands opérateurs de transports veulent, grâce aux caméras de vidéosurveillance, utiliser des algorithmes de reconnaissance faciale pour mieux repérer les personnes en infraction – avec un fichier spécifique, ce serait plus simple. Mais peut-être ai-je l’esprit mal tourné et un penchant au complotisme ? Ce n’est pas non plus à exclure !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur le garde des Sceaux, je ne suis fermée à aucune initiative et je demande à voir la rédaction qui pourrait faire évoluer le texte. Je retire l’amendement, sans m’engager pour la séance publique à ne pas soutenir à nouveau une position de suppression.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL58 de Mme Alexandra Louis. 

Mme Alexandra Louis. Je partage les objections sur l’opportunité de l’article 11. Cet amendement vise à supprimer les alinéas relatifs à l’application de la peine complémentaire aux mineurs de plus 16 ans. Il est étrange de modifier l’ordonnance du 2 février 1945, que nous devrions prochainement abroger, et peu judicieux de prévoir une nouvelle peine complémentaire, alors que nous devrons travailler à rendre plus cohérentes les peines et les mesures éducatives dans le cadre de la réforme de la justice des mineurs.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. J’ai dit à l’instant mon sentiment sur l’article 11. Au bénéfice des engagements pris par M. le ministre, ce sera une demande de retrait.

Mme Alexandra Louis. Eu égard à l’échange précédent, en effet, je retire cet amendement. Mais je pense qu’il faudra avoir pour objectif de rendre les mesures et les sanctions applicables aux mineurs plus cohérentes.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 11 sans modification.

Article 12 (art. 17‑1 [nouveau] de l’ordonnance n° 2016‑728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice, art. 6‑3 [nouveau] de l’ordonnance n° 45‑2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, art. L. 444‑2 et L. 444‑7 du code de commerce et art. 52 de la loi n° 2015‑990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) : Contributions au fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice

La Commission examine l’amendement CL36 de Mme Cécile Untermaier. 

Mme Cécile Untermaier. Conformément à l’engagement pris par la précédente garde des Sceaux, l’article 12 prévoyait de réformer le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice (FIADJ), créé par la « loi Macron ». Les négociations ont abouti à une nouvelle rédaction, qui prévoit d’autoriser les ordres professionnels des commissaires de justice et des notaires à percevoir auprès de leurs membres des contributions à caractère volontaire obligatoire (CVO), destinées à financer des aides à l’installation ou au maintien des professionnels.

Or, ces aides ne sont pas encadrées et laissées à la discrétion d’un ou plusieurs professionnels, des concurrents de l’officier public ministériel concerné. Cela place le conseil supérieur du notariat et la chambre nationale des commissaires de justice dans une situation de conflit d’intérêt, avec le risque de fausser l’égalité des chances entre professionnels et de mener une politique discriminatoire.

Lorsque l’on fait la loi, il faut tout envisager : je propose donc que ce dispositif soit encadré par un décret pris en Conseil d’État après avis public de l’Autorité de la concurrence.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. En cohérence avec mon propre amendement, qui propose de supprimer l’avis de l’Autorité de la concurrence sur le taux et l’assiette de la CVO, il ne me semble pas pertinent de faire intervenir une nouvelle fois cette autorité.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. J’ai mené des auditions dans le cadre de la mission d’information commune sur l’évaluation de la loi Macron et dans celui de la mission flash sur la mise en place d’un collège de déontologie des officiers publics ministériels. J’ai bien compris que ceux-ci redoutaient l’intervention de l’Autorité de la concurrence. Mais là n’est pas l’objet de cet amendement. Celui-ci prévoit qu’un décret pris en conseil d’État, sur proposition du ministre de la justice et en concertation avec les professions, encadre les modalités d’application du mécanisme de redistribution. Pour en avoir discuté avec certains, en particulier les représentants de la chambre nationale des commissaires de justice, je sais que les officiers publics ministériels ne sont pas opposés à cette idée.

Ce n’est pas rien de laisser une profession s’organiser pour décider comment elle aidera tel office, et pas tel autre. Il est important qu’un décret définisse les modalités et garantisse que le dispositif ne sera pas anticoncurrentiel. Nous pouvons négocier avec les professions : si elles tiennent à ce que l’Autorité de la concurrence n’intervienne pas, nous pourrons supprimer en séance la mention de l’avis préalable.

M. Sébastien Huyghe. Je ne partage pas du tout les propos de Mme Untermaier, qui met en cause l’impartialité des instances représentatives en évoquant, dans l’exposé des motifs de son amendement, « le risque que le conseil supérieur du notariat ou la chambre nationale des commissaires de justice fausse l’égalité des chances entre les professionnels au profit de quelques-uns d’entre eux des professions ».

Elle sous-entend ainsi que ces instances représentatives – qui sont quand même des établissements d’utilité publique – favoriseraient certains membres au détriment d’autres. C’est jeter l’opprobre sur ces professions et leur capacité à aider, en toute neutralité, les études en difficulté. Cette année, le conseil supérieur du notariat a consacré 20 millions d’euros au déploiement de la visio-conférence dans les plus petites études, notamment rurales : les actes authentiques ont pu être signés à distance durant le premier confinement et le décret que vient de prendre le garde des Sceaux sur la procuration notariée à distance pourra être appliqué. Pourquoi placer ce dispositif sous la main du Gouvernement ? Qui, mieux que les professions, peut déterminer les besoins des petites structures en souffrance économique ?

Mme Cécile Untermaier. Vous vous considérez comme le représentant de la profession et il n’était pas du tout dans mon intention de vous blesser, monsieur Huyghe. Ne refaisons pas le match de 2015 ! S’il a été décidé d’instaurer une CVO, il me semble légitime, non pas de surveiller ce que font les professions, mais d’encadrer leurs décisions : pourquoi aider tel office plutôt que tel autre, et comment ?

Je ne jette pas le soupçon sur la profession – j’entretiens d’excellentes relations avec le conseil supérieur du notariat comme avec la chambre nationale des commissaires de justice. Je comprends que l’intervention de l’Autorité de la concurrence vous ennuie. Je proposerai en séance qu’un décret, sans avis préalable de l’autorité, encadre les modalités. Il arrivera un jour qu’un office vous pose problème et vous reproche d’avoir aidé un concurrent. Je cherche juste à aider, en apportant clarté et transparence.

M. Philippe Gosselin. J’ai toujours une difficulté avec ces contributions volontaires – mais obligatoires –, comme il en existe dans l’agriculture… Je comprends votre démarche, madame Untermaier, mais je pense qu’elle est pour le moins maladroite. Des professionnels m’ont alerté car ils se sentent mis en cause. J’entends qu’il n’est pas dans votre intention de montrer du doigt ou de stigmatiser, mais dans l’exposé des motifs, vous pointez le conseil supérieur du notariat et la chambre nationale des commissaires de justice en expliquant qu’ils ne jouent pas le jeu. Si l’on interprète vos propos, ils iraient jusqu’à vicier la libre concurrence. Je comprends l’émoi que cela peut susciter et je vous suggère de rectifier cette formulation.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Cet amendement confie au Gouvernement le soin de réglementer, à la place des professions du droit, le dispositif des CVO. Cela fragilise ce mécanisme vis-à-vis du droit européen car la Commission européenne pourrait le requalifier en aide d’État. C’est aussi délicat en droit national car si la contribution, entièrement régulée par l’État, devait être requalifée en impôt, cela conduirait à une censure du Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

M. Sébastien Huyghe. Madame Untermaier, je suis, comme vous, député. Je ne suis membre ni du conseil supérieur du notariat ni de la chambre nationale des commissaires de justice. Mais il se trouve que je connais bien ces professions : on ne peut suspecter leurs instances nationales de favoritisme.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques CL11 de M. Fabien Matras et CL12 de Mme Cécile Untermaier. 

M. Fabien Matras. Cet amendement, issu des conclusions de la mission que j’ai conduite avec Mme Cécile Untermaier sur la déontologie des officiers publics et ministériels, propose de créer un collège de déontologie au sein de la chambre nationale des commissaires de justice et au sein du conseil supérieur du notariat. Ces collèges seront indépendants et leur composition intègrera des membres de la profession, leur médiateur, des personnalités extérieures représentant les autres professions juridiques et des personnalités qualifiées, dont l’une présidera. La mission de ces collèges sera d’élaborer des règles déontologiques et de les diffuser auprès des usagers et des professionnels.

Mme Cécile Untermaier. C’est en effet la conclusion à laquelle nous sommes parvenus après des travaux sérieux, documentés et des auditions de professionnels – auxquelles M. Huygue a participé. Dans la mesure où l’article 12 autorise les ordres des professionnels du droit à percevoir des CVO, il nous a paru légitime de mettre en place un conseil de déontologie au sein de chaque instance représentative, selon des modalités que nous avons travaillées avec les professionnels.

Il s’agit de permettre aux professionnels de sortir de l’entre-soi – la loi de 2015 a fait émerger des notaires « Macron », des huissiers « Macron », qui sont un peu différents et ne se projettent pas de la même façon dans leur avenir professionnel. La composition du collège de déontologie comprendrait, selon le principe de l’échevinage, des universitaires, des magistrats de la Cour de cassation et de la Cour des comptes.

Il ne s’agit pas, avec cette proposition qui n’a rien d’extraordinaire, de jeter le soupçon. J’estime simplement que la déontologie est préférable à la discipline.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je remercie nos deux collègues pour cette proposition, issue d’un travail parlementaire que la commission des Lois a salué. Je crois savoir qu’il y a des choses en gestation du côté de la Chancellerie néanmoins.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. En effet, j’ai souhaité, à la suite d’un rapport de l’inspection générale de la justice, engager une concertation avec les professions du droit sur cette question précise. Bien naturellement, nous prendrons en considération les travaux de la mission. Dans l’intervalle, je vous demande de retirer vos amendements.

M. Fabien Matras. Je prends note de ces travaux, monsieur le ministre. Parallèlement, nous continuons, avec Mme Cécile Untermaier, à travailler avec les professions – nous avons encore mené une audition hier. Plutôt que de nous résoudre à une longue attente, nous nous efforcerons de trouver d’ici à la séance publique un compromis qui convienne à tous. Je retire mon amendement.

Mme Cécile Untermaier. Je retire aussi mon amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Nous avons déjà transmis le rapport de l’inspection générale de la justice aux professions et nous sommes prêts à échanger sur cette question.

Les amendements sont retirés.

La Commission est saisie de l’amendement CL122 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il me semble préférable de simplifier le dispositif prévu à l’article 12 et de s’appuyer sur les professions qui se sont déjà organisées : je propose de supprimer l’avis de l’Autorité de la concurrence sur le taux et l’assiette.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL106 de la rapporteure.

Enfin, elle examine les amendements identiques CL13 de Mme Cécile Untermaier et CL14 de M. Fabien Matras.

Mme Cécile Untermaier. Pour répondre à une demande des usagers, formulée à plusieurs reprises dans le cadre de nos travaux, nous proposons que, pour les prestations soumises à un tarif réglementé, la demande reçue par un notaire donne lieu à l’émission d’un récépissé mentionnant un coût et un délai de traitement indicatifs.

Nous recevons dans nos permanences beaucoup d’usagers qui éprouvent des difficultés à obtenir les actes notariés, notamment de succession. Mais nous savons que les délais trop longs ne sont pas toujours du fait des professionnels. Nous sommes donc convenus avec le Conseil supérieur du notariat, qui semblait favorable à ce dispositif, de le compléter par la possibilité, pour le notaire, d’émettre un procès-verbal d’empêchement lorsque le délai indiqué sur le récépissé est dépassé.

M. Fabien Matras. C’est une solution équilibrée que nous proposons : en contrepartie de son obligation d’instrumenter et de l’émission d’un récépissé, le notaire pourra, en cas de blocage de la procédure, transmettre le procès-verbal d’empêchement au juge, lequel prendra les mesures nécessaires pour trouver une solution – désigner un mandataire pour l’une des parties, par exemple. Nous avons souhaité ajouter de la transparence, comme l’ont demandé les usagers.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Ce point est intéressant. Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas certaine que ce texte soit le bon véhicule législatif pour avancer sur le sujet. Je demande à M. le ministre de bien vouloir développer sa réponse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Ces amendements sont louables mais, pour donner aux dispositions proposées une portée réelle et utile, il faut que cela se fasse en concertation avec la profession. Ce ne sont pas les députés qui me diront le contraire. En outre, dans de nombreuses situations, il n’est pas possible de définir à l’avance les honoraires et les émoluments des professionnels. S’agissant des successions, par exemple, le notaire ne peut pas prévoir à l’avance le temps qu’il lui faudra pour retrouver les héritiers ; les recherches sont parfois longues. Cet état de fait ne peut correspondre aux dispositions proposées, en dépit du bon sens dont elles procèdent. Si l’ambition est louable, leur application pratique sera difficile. C’est pourquoi le Gouvernement suggère le retrait.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Madame Untermaier, vous avez fait état de concertations, mais j’ai reçu des courriers de professionnels se montrant peu enthousiastes au sujet des mesures que vous proposez. Un dialogue approfondi à ce sujet s’impose, afin d’élaborer un dispositif plus abouti.

M. Sébastien Huyghe. Puisque M. le ministre a fait part de son expérience d’avocat, je ferai part, moi aussi, de mon expérience professionnelle. Je considère que les dispositions proposées sont une usine à gaz. En apparence, elles sont très simples : il s’agit de remettre un récépissé. Mais cela impose la gestion d’une paperasse administrative dont les conséquences sur les professionnels seront catastrophiques. En effet, le récépissé qu’on leur demande de remettre fixera un délai qu’ils ne seront pas du tout certains de pouvoir tenir. Ils devront gérer un répertoire des récépissés et vérifier que toutes les démarches sont bel et bien accomplies dans les délais prévus par les récépissés, sous peine d’être entraînés dans la judiciarisation de leur activité. En outre, en cas d’événements imprévus, leur client invoquera son récépissé comme preuve d’un manquement.

Par ailleurs, ces professionnels sont d’ores et déjà soumis à des délais, imposés par une collectivité locale, par exemple, ou par un établissement financier, dans le cadre d’une succession, voire d’une vente. Dans chaque dossier, de nombreuses personnes interviennent. Certains professionnels et administrations ne répondent pas dans les temps impartis, voire pas du tout. Autrement dit, on attribue la responsabilité du non-respect des délais à un unique professionnel, qui est le réceptacle des documents permettant de faire aboutir le dossier. Il en résultera une intensification de la judiciarisation des démarches.

Enfin, les auteurs des amendements créent le procès-verbal d’empêchement. Il existe d’ores et déjà le procès-verbal de difficultés. En cas de problème dans un dossier, l’officier ministériel en dresse un et le remet à la partie la plus diligente, ce qui lui permet de se rendre devant la juridiction pour faire en sorte que le juge détermine une solution.

M. Fabien Matras. Nous ne faisons pas du tout reposer la responsabilité des difficultés sur la profession. Nous proposons une solution équilibrée : d’un côté, le professionnel remet à son client un récépissé permettant de démontrer l’ouverture d’une procédure ; de l’autre, le notaire est en mesure de dresser un procès-verbal d’empêchement explicitant les difficultés auxquelles il est confronté, causées par une collectivité territoriale par exemple. Cela lui permet de s’exonérer de la « faute ».

Cette idée a pris naissance au sein du Conseil supérieur du notariat. Je tiens à la disposition de nos collègues les rapports de la mission sur la mise en place d’un collège de déontologie des officiers publics ministériels, ainsi que les comptes rendus de nos travaux rédigés par les services de l’Assemblée nationale. Ils démontrent clairement que cette idée émane de la profession. Nous les avons consultés sur ces amendements, auxquels ils se sont montrés favorables. Je conçois que l’on soit favorable à une idée dans le cadre d’une mission d’information et défavorable lorsqu’il s’agit de voter un texte, mais il faut que chacun fasse preuve de cohérence. On ne peut pas dire que nous n’avons pas procédé à des concertations.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle adopte l’article 12 modifié.

Article 13 (art. 65 quinquies, 67 bis-1 A, 67 sexies, 323‑5, 387, 411, 415‑1, 416 bis A et 426 du code des douanes ; art. 314‑1, 314‑1‑1 et 432‑15 du code pénal) : Ratification de l’ordonnance de lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal 

La Commission examine l’amendement CL121 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement complète l’ordonnance transposant la directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, dite directive PIF, par l’insertion de dispositions d’adaptation et de coordination dans le code des douanes et dans le code pénal.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 13 modifié.

Article 14 (art. 804 du code de procédure pénale ; art. 531-1, 551-1 et 561-1 du code de l’organisation judiciaire ; art. L. 950‑1 du code de commerce ; art. 6 de l’ordonnance n° 2014‑471 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du livre IV du code de commerce relevant de la compétence de l’État en matière de pouvoirs d’enquête, de voies de recours, de sanctions et d’infractions ; art. 1er bis [nouveau] de l’ordonnance n° 2017‑157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence ; art. L. 1863‑2, L. 1872‑2 et L. 1883‑3 [nouveaux] du code des transports) : Application outre-mer

La Commission adopte l’article 14 sans modification.

Article 15 : Entrée en vigueur des dispositions relatives au Parquet européen

La Commission adopte l’article 15 sans modification.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (n° 2731), dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 

 


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   Compte rendu des débats de la commission
du Développement durable
et de l’aménagement du territoire

Lors de sa réunion du mercredi 18 novembre 2020, la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné, pour avis, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (n° 2731) (Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis).

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Mes chers collègues, notre commission s’est saisie pour avis des articles 8, 8 bis, 8 ter et 11 du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Renforcer l’efficacité de la réponse pénale face aux atteintes à l’environnement, tel est l’objectif des articles 8, 8 bis, 8 ter et 11 du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, sur lesquels la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est saisie pour avis. Les dispositions relatives à la création d’un parquet européen n’ayant pas trait à la protection de l’environnement, elles ne seront pas examinées par notre commission.

La réponse pénale environnementale repose sur trois piliers : l’établissement de règles, la réalisation de contrôles et l’application de sanctions. Son efficacité doit être renforcée.

De nombreuses infractions environnementales sont déjà inscrites dans notre droit : la France dispose à cet égard d’un important corpus législatif, regroupé dans le code de l’environnement, mais aussi présent dans le code forestier, le code rural et de la pêche maritime ou encore le code minier. La préservation de l’environnement constitue aussi une exigence constitutionnelle depuis l’intégration dans le bloc de constitutionnalité de la Charte de l’environnement de 2004, qui prévoit que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Enfin, la loi dite « biodiversité » de 2016 a inscrit dans le code civil la reconnaissance et la réparation du préjudice écologique.

La France dispose également des moyens de contrôler le respect des règles en matière environnementale. La loi dite « biodiversité » avait créé l’Agence française pour la biodiversité (AFB), devenue Office français de la biodiversité (OFB) par la loi du 24 juillet 2019. Le même texte renforce les prérogatives des inspecteurs de l’environnement, chargés de missions de polices administrative et judiciaire, pour prévenir et réparer les atteintes à l’environnement.

Le droit de l’environnement est donc relativement riche et les moyens de contrôle de son application ont été progressivement renforcés. Ce qu’il manque, c’est que des sanctions soient effectivement appliquées lorsque des infractions environnementales sont commises. Ce qui nous manque, ce n’est pas un droit de l’environnement, mais une justice pour l’environnement.

« Une justice pour l’environnement », c’est le titre du rapport remis par la mission d’inspection conjointe du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’Inspection générale de la justice (IGJ) à la ministre de la transition écologique et solidaire et à la garde des Sceaux en octobre 2019.

Nous sommes appelés à légiférer pour améliorer la cohérence et l’effectivité de la réponse pénale aux atteintes à l’environnement. L’article 8 tend à créer une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale et des juridictions spécialisées dans les atteintes à l’environnement. Les articles 8 bis et 8 ter, ajoutés par le Sénat en première lecture, visent à modifier deux articles du code de l’environnement. Enfin, l’article 11 crée une peine complémentaire, l’interdiction de paraître dans les transports publics.

Le contentieux de l’environnement représente une faible part de l’activité des juridictions. Au cours de la dernière décennie, la part des affaires traitées par les parquets en matière environnementale a représenté seulement 0,5 % du total, tous contentieux confondus. La grande majorité des infractions environnementales font l’objet de mesures alternatives aux poursuites et sont peu sanctionnées.

Si les mesures alternatives aux poursuites peuvent être adaptées aux infractions de faible gravité, la réponse pénale doit être suffisamment effective et dissuasive pour éviter la commission et la réitération d’atteintes graves à l’environnement. Elle doit aussi prévoir systématiquement la recherche de la remise en état.

Fort de ces constats, le projet de loi crée une nouvelle procédure pénale, la convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale, suivant une recommandation de la mission d’inspection conjointe « justice et environnement », dont je veux saluer le travail. Cette procédure est inspirée de la CJIP en matière de fraude fiscale et de corruption, créée par la loi du 9 décembre 2016. Elle impose à la personne morale mise en cause une ou plusieurs obligations : verser une amende d’intérêt public ; régulariser sa situation ; assurer la réparation du préjudice écologique résultant des infractions.

Au cours de mes auditions, je me suis assurée de la bonne articulation de la CJIP en matière environnementale avec le mécanisme de transaction prévu à l’article L. 173-12 du code de l’environnement. Cette procédure mérite toutefois d’être améliorée : les amendements que j’ai déposés prévoient notamment de revoir l’échelle des peines du code de l’environnement, trop peu dissuasives pour les personnes morales, et d’ainsi rendre la convention incitative pour les personnes mises en cause.

Les auditions ont aussi fait apparaître l’absence de spécialisation du contentieux de la plupart des infractions portant atteinte à l’environnement. Si les juridictions du littoral spécialisées (JULIS) sont compétentes, de manière marginale, pour le traitement du contentieux spécifique relatif à la pollution maritime, de même que les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pour le traitement de certains contentieux très complexes, le contentieux de l’environnement relève principalement de la compétence des juridictions de droit commun.

Il s’agit pourtant d’un contentieux technique, complexe à appréhender, pour lequel la recherche de la remise en état doit être systématisée autant que possible. La volonté d’accroître la spécialisation des juridictions en droit de l’environnement s’est déjà manifestée par le passé : les circulaires aux parquets de 2005 et de 2015 avaient ainsi généralisé la désignation de magistrats référents pour le contentieux de l’environnement dans les parquets généraux et les parquets. Toutefois, cette spécialisation demeure timide et inégale sur le territoire.

L’article 8 prévoit, et il convient de s’en réjouir, la création d’une juridiction pour l’environnement dans le ressort de chaque cour d’appel. Je proposerai d’étendre leur champ de compétence aux infractions qui, bien qu’ayant de graves conséquences environnementales, sont inscrites dans d’autres codes – c’est le cas des infractions prévues au code rural et de la pêche maritime relatives aux végétaux et aux produits phytopharmaceutiques.

Je proposerai également de renforcer l’expertise environnementale de ces pôles régionaux spécialisés en autorisant l’exercice des fonctions d’assistants de justice spécialisés par des fonctionnaires de catégorie A et B relevant du ministère la transition écologique. Ceux-ci devront aussi exercer dans les pôles de santé publique, aux côtés des fonctionnaires des ministères de la santé, de la recherche et de l’agriculture.

À terme, j’estime que le contentieux environnemental, civil comme pénal, devra être regroupé encore davantage devant ces juridictions.

L’article 8 ne traduit que deux des recommandations du rapport « Une justice pour l’environnement », qui en comporte une vingtaine – dont certaines, il est vrai, relèvent du domaine réglementaire. Je soutiendrai plusieurs amendements, portant articles additionnels, qui s’en inspirent.

Pour dissuader davantage la réitération, je proposerai de considérer, au regard de la récidive, les infractions aux milieux physiques et aux espaces naturels comme une même infraction. Je proposerai aussi de permettre aux associations de protection de l’environnement, au même titre que les associations de consommateurs, de demander à la juridiction civile ou pénale saisie d’ordonner toute mesure destinée à faire cesser des agissements illicites.

Je proposerai également de porter à deux ans maximum, au lieu d’un, le délai d’ajournement lorsque le tribunal ordonne des mesures de remise en état ou de réparation des dommages causés à l’environnement, afin de tenir compte du délai de mise en œuvre de ces mesures.

Enfin, je proposerai que la juridiction puisse prescrire, comme peine complémentaire ou alternative à l’emprisonnement, la réalisation par le condamné d’un stage de sensibilisation à la protection de l’environnement.

L’article 8 bis modifie le code de l’environnement afin de préciser qu’une décision de remise en état n’est pas nécessairement prononcée après l’arrêt de l’installation ou de l’activité.

L’article 8 ter complète le code de l’environnement en précisant qu’un navire qui a rejeté des eaux de ballast peut faire l’objet d’une immobilisation par le procureur de la République ou le juge d’instruction, dans l’attente du paiement d’un cautionnement.

Enfin, l’article 11 instaure une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics au sein du code des transports. Cette mesure, considérée comme un cavalier législatif dans le projet de loi d’orientation des mobilités, permettra notamment d’améliorer la lutte contre la récidive dans des affaires de vol ou d’attouchements commis dans les transports en commun.

M. Christophe Arend. Je tiens d’abord à saluer la qualité du travail de la rapporteure pour avis, malgré le contexte difficile, sur ce projet de loi qui a recueilli un large consensus au Sénat.

Notre législation se fonde sur l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité. Le dispositif répressif a évolué sous l’influence des directives européennes et grâce aux avancées législatives nationales, comme l’inscription du préjudice écologique dans le code civil. Le contentieux environnemental relève le plus souvent de la compétence des juridictions répressives de droit commun, mais il peut aussi être traité par des juridictions spécialisées comme les JIRS, les JULIS ou les pôles de santé publique.

L’article 8 crée une convention judiciaire d’intérêt public, une forme de plaider coupable qui permet à l’État de transiger sans juge, comme c’est le cas avec la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La majorité confirme par cet acte le positionnement central des préoccupations environnementales dans ses choix politiques. Cet instrument concret, véritable gage de célérité et de dissuasion pénale, contribuera en outre à désemboliser les procédures judiciaires. Le nouveau dispositif garantira néanmoins le droit des victimes à obtenir réparation de leur préjudice devant la juridiction civile.

L’article 8 bis corrige une malfaçon de la loi portant création de l’Office français de la biodiversité. L’article 8 ter vise à renforcer le système de recouvrement des amendes et la réparation des dommages en matière de pollution maritime : le navire ayant procédé à un rejet d’eaux de ballast, intentionnel ou non, sera immobilisé dans les eaux territoriales jusqu’au paiement du cautionnement.

Ce texte, enrichi des amendements que le groupe de La République en Marche soutiendra, n’est pas une opération de communication instituant l’achat d’un droit à polluer sous couvert de greenwashing ; il inscrit la justice environnementale dans la politique du ministère de la transition écologique et dans la stratégie de développement durable de notre majorité.

M. Jean-Marie Sermier. En prévoyant de créer dans chacune des trente-six cours d’appel une juridiction spécialisée dans le traitement d’infractions portant gravement atteinte à l’environnement, l’article 8 constitue une étape supplémentaire dans le mouvement de spécialisation des juridictions initié en 1986. Bien que la plupart des atteintes à l’environnement relèvent d’une juridiction de droit commun, les JULIS, les JIRS et les pôles de santé publique traitent déjà de certains contentieux fort complexes. En effet, les affaires relatives au droit de l’environnement requièrent des délais beaucoup plus longs : M. le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, rappelle que le délai est de vingt-deux mois en première instance contre onze mois pour les autres affaires et de quarante-cinq mois en appel contre trente-trois mois pour les autres affaires.

L’article 8 ter, ajouté par le Sénat, qui permet l’immobilisation des navires ayant rejeté des eaux de ballast, chargées de substances nuisibles ou pathogènes, vient utilement compléter le dispositif.

Le groupe Les Républicains sera attentif aux travaux de notre commission et votera en fonction du sort réservé aux amendements.

M. Bruno Millienne. C’est la première fois que notre commission, saisie pour avis, examine un projet de loi relatif à la justice pénale et au contentieux. Court et technique, à rebours des nombreux textes sur lesquels nous nous sommes penchés jusqu’à maintenant, son caractère inédit ne doit pas nous faire oublier l’importance des sujets qu’il traite.

Avec le caractère majoritairement transfrontalier des informations financières, la création d’un parquet compétent à l’échelle de l’Union européenne pour lutter contre les atteintes aux intérêts financiers était devenue indispensable. Après plus de dix ans de négociations, le Parquet européen devient le symbole de l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice.

S’agissant plus particulièrement des articles dont nous sommes saisis pour avis, je ne peux que saluer, au nom du groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés, la volonté du Gouvernement d’assurer un traitement plus efficace des atteintes à l’environnement. Si celles-ci surviennent de façon quasi quotidienne, le contentieux environnemental ne représente que 1 % des condamnations pénales et 0,5 % des condamnations civiles.

L’objectif du texte est de rendre la justice environnementale efficace et efficiente, en l’organisant sur trois niveaux. Au premier niveau, les affaires courantes sont jugées par les tribunaux judiciaires de chaque département. La justice de proximité semble être adaptée pour apporter une réponse rapide et parfois même très dissuasive, comme le montre le montant des amendes infligées à des banques, entreprises du numérique ou de l’aéronautique dans certaines affaires récentes. Les pôles régionaux spécialisés constitueraient le deuxième échelon, pour le traitement des atteintes graves contre l’environnement, sans qu’il soit nécessaire de créer de nouvelles structures et d’engager des moyens supplémentaires, puisque tout existe déjà. Enfin, à l’échelon national, les pôles de santé publique seraient saisis des accidents industriels et technologiques majeurs, comme celui de Lubrizol, encore présent dans tous les esprits, et les accidents nucléaires.

Cette nouvelle organisation permettrait d’alléger les procédures. Sa lisibilité est d’autant plus importante que les citoyens sont davantage attachés à la protection de la biodiversité et condamnent de plus en plus vivement les atteintes qui lui sont portées. Ces pôles spécialisés permettront d’apporter une réponse judiciaire adaptée aux attaques contre l’environnement, pour lesquelles la réponse pénale n’a jamais été à la hauteur des dommages infligés.

Enfin, je salue l’article 11, qui tend à réparer une situation très dommageable pour les usagers des transports en commun, puisque les coupables de crimes et de certains délits pourront se voir infliger une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les réseaux de transport public. C’est non seulement une évidence, mais une nécessité.

Pour toutes ces raisons, le groupe MoDem et Démocrates apparentés soutiendra ce projet de loi, en espérant que son examen se déroulera dans les mêmes conditions qu’au Sénat, puisqu’il y a été adopté à la quasi-unanimité.

M. Gérard Leseul. La création du Parquet européen s’inscrit dans la perspective de la construction d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice ; pour respecter la souveraineté des États en matière judiciaire, son organisation est décentralisée. Il s’agit d’une coopération renforcée, procédure qu’il faudrait davantage promouvoir au niveau européen.

Ce texte prévoit la création, dans le ressort de chaque cour d’appel, d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement. La compétence territoriale d’un tribunal judiciaire serait ainsi étendue au ressort de la cour d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits prévus par le code de l’environnement. Malheureusement, le texte exclut les délits prévus par le code minier, le code forestier, le code rural ou encore le code de l’urbanisme. Il se prive aussi de compétences civiles, alors que la double compétence se justifiait pourtant et aurait pu s’étendre au contentieux civil relatif à la prévention et à la réparation du préjudice écologique et au devoir de vigilance en matière environnementale.

Le projet de loi prévoit aussi de créer une CJIP en matière environnementale, qui permet aux signataires d’éviter les poursuites. En pratique, cette justice négociée permet aux entreprises de s’assurer une impunité à faible coût : pas d’inscription au casier judiciaire, pas de déclaration de culpabilité. Dans le cadre d’un droit en construction comme celui de l’environnement et même s’il est proposé d’augmenter le quantum des amendes, il ne nous semblait pas souhaitable d’étendre la CJIP à la matière environnementale ; à tout le moins aurait-on pu en aménager la procédure afin que tous les droits des parties civiles soient respectés. Si la création de cette CJIP devait être entérinée, il faudrait renforcer les moyens afin de contrôler les mises en conformité décidées à l’issue d’une CJIP.

Légiférer sur la justice environnementale doit être l’occasion de pallier les lacunes, notamment l’absence, dans le code pénal, de délit général d’atteinte ou de mise en danger de l’environnement. Mon prédécesseur, M. Christophe Bouillon, avait beaucoup travaillé sur le sujet l’année dernière et défendu une proposition de loi sur la reconnaissance de l’écocide en droit français. Malheureusement, cette idée a été balayée d’un revers de la main par la majorité… avant de revenir sur le devant de la scène au printemps, portée par la prise de conscience citoyenne sur le climat.

Citer l’écocide dans les débats sur ce texte permettrait de renforcer un message politique puissant : il faut protéger l’environnement au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation et répondre à l’attente exprimée directement par nos concitoyens. Si ce texte est intéressant, le groupe Socialiste et apparentés sera très vigilant tout au long de son examen.

M. Loïc Prud’homme. L’ambition de ce texte est de rénover la justice pénale environnementale en créant de nouvelles juridictions pour l’environnement et une CJIP, adaptation des procédures pénales françaises au nouveau Parquet européen.

Relevons au passage la schizophrénie de la construction européenne en matière environnementale, puisque l’Union est capable d’autoriser des centaines de pesticides, sur le fondement d’études tout à fait contestables présentées par leurs fabricants, tout en prétendant s’occuper de la qualité de l’air et de l’eau dans les États membres. À la schizophrénie vient s’ajouter l’hypocrisie, sachant que, depuis des lustres, l’Union européenne se garde bien de faire quoi que ce soit contre le dumping environnemental.

La plupart des atteintes à l’environnement sont commises, de façon délibérée, par des entreprises peu scrupuleuses. Celles-ci agissent en toute impunité puisqu’il n’existe, pour l’heure, aucune réponse pénale adaptée à cette criminalité industrielle. Les exemples ne manquent pas, mais je manque de temps pour les citer.

Les sanctions prononcées sont en outre fort peu dissuasives. Vinci, qui avait reconnu avoir déversé de l’eau chargée de béton directement dans la Seine, a récemment écopé d’une amende de seulement 50 000 euros…

J’ai parlé d’hypocrisie à propos de l’Union européenne : c’est le terme que l’on peut retenir s’agissant de la proposition de création de cette fameuse convention judiciaire d’intérêt public. Cette procédure permettrait au procureur de conclure un accord avec une personne morale, mise en cause pour un délit environnemental, en lieu et place d’un procès. Ce mécanisme transactionnel est une aubaine pour les entreprises pollueuses : la CJIP leur permettra de payer une amende négociée plutôt que de s’engager dans un procès pouvant déboucher sur la reconnaissance de leur culpabilité. La CJIP pourrait ainsi être synonyme de droit à polluer. Il s’agit d’une conception économique de la justice, puisque les entreprises pourront anticiper le coût financier de leurs infractions.

Certains de nos collègues ont nié que cette procédure transactionnelle s’apparente à un droit à polluer, au motif que cette procédure n’est pas automatique, qu’elle n’est qu’une option. En réalité, compte tenu du manque de moyens – la réforme se fait à moyens constants alors que la justice est déjà bien à la peine –, les procureurs privilégieront la CJIP pour gagner du temps et désengorger les tribunaux.

Bref, sitôt qu’on en gratte le vernis, on se rend compte que ce projet de loi n’est, une fois de plus, qu’un texte d’affichage, sans effet positif et concret sur le droit environnemental.

M. Hubert Wulfranc. Nous voilà réunis pour donner notre avis sur un projet de loi pour une justice écologique : une justice écologique plus spécialisée, certes, mais aussi, selon nous, plus expéditive… Dès lors que ce texte prévoit d’affecter au traitement de ces affaires des magistrats dédiés tout en créant une forme de plaider-coupable environnemental, il nous semble à double tranchant.

Certes, la technicité des questions plaide en faveur de l’instauration de pôles spécialisés, composés de magistrats dédiés, dans chaque cour d’appel, mais toutes les affaires ne seront pas jugées au sein de ces nouvelles structures. Les dossiers les plus simples, qui peuvent être les plus attentatoires à la vie quotidienne de nos concitoyens et à l’environnement, continueront à être traités par les tribunaux judiciaires ; à l’inverse, les accidents les plus graves, comme celui de l’incendie de l’usine Lubrizol, continueront à relever des pôles spécialisés. Entre les deux, ce projet de loi prévoit de créer, dans le ressort des cours d’appel, des juridictions spécialisées qui s’occuperont des atteintes à l’environnement comme la pollution des sols ou les infractions à la réglementation des espèces protégées. Selon des associations de défense de l’environnement, une telle spécialisation a déjà fait ses preuves dans d’autres pays européens ; encore faudrait-il accorder à la justice des moyens à la hauteur de l’enjeu. On peut craindre, hélas, que ce ne soit pas le cas.

L’accélération des procédures et l’instauration d’un circuit alternatif par le biais d’une forme de plaider-coupable n’est pas sans risques. Les auteurs d’une infraction environnementale, entreprise ou collectivité, dès lors qu’elles reconnaîtraient leur responsabilité, pourront se voir proposer par le juge de conclure une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale et de s’épargner ainsi un procès : la responsabilité de tout un système pourrait en être diluée. Le champ de compétence de ces juridictions devrait être élargi à d’autres responsabilités, par exemple de faire respecter du devoir de vigilance imposé aux grandes entreprises, pour l’heure totalement passé sous silence.

Mme Danielle Brulebois. Concrètement, qu’est-ce qui va changer dans nos départements ? Les procureurs chargés de poursuivre les infractions au code de l’environnement sont le plus souvent surchargés de travail : du coup, le traitement de ces affaires traîne souvent en longueur et il n’est pas rare qu’elles soient classées sans suite.

M. Martial Saddier. Je remercie tous ceux qui ont cité la Charte de l’environnement, comme l’avait voulu le Président de la République de l’époque, M. Jacques Chirac, et à la rédaction de laquelle j’ai pu participer avec M. Jean-Marie Sermier ou Mme Constance Le Grip. Intégrée au bloc de constitutionnalité, elle est aujourd’hui la pierre angulaire de nos discussions.

La spécialisation des parquets est une bonne nouvelle. Nous avons tous eu vent – et moi le premier dans ma circonscription – d’affaires classées sans suite, par manque de temps ou tout simplement de formation des magistrats qui ont pu méconnaître la réalité de certains dégâts environnementaux.

Je regrette cependant que ces juridictions spécialisées soient rattachées aux cours d’appel alors que, quelles qu’aient été les majorités, les gouvernements successifs ont toujours eu tendance à vouloir les supprimer. Si elles devaient, hélas ! disparaître un jour, je crains que le parquet ne se retrouve trop éloigné du contentieux environnemental local.

Mme Chantal Jourdan. Les moyens seront-ils suffisants pour contrôler et sanctionner le respect des règles en matière environnementale ? Le manque de personnel a été rappelé, en particulier au sein de l’Office français de la biodiversité. Il y a tout lieu de s’en inquiéter.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que ce texte est bienvenu et représente une avancée majeure pour protéger l’environnement et répondre aux attentes de nos concitoyens. Le besoin d’une justice spécialisée est devenu évident.

Certains considèrent que la création d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale n’est pas une avancée suffisante, mais c’est un premier pas qui permet surtout d’aller plus vite : les juridictions peuvent mettre des mois, voire des années, à rendre leur décision alors que la CJIP pourra être négociée très rapidement. Cela ne veut pas dire que l’on acceptera tout et n’importe quoi. Le procureur proposera une amende assortie de certaines obligations pour le contrevenant et la décision, loin d’être prise en catimini, devra être validée par le tribunal, dans le cadre d’une audience publique où la partie civile aura toute sa place : rien ne l’empêche de réclamer des dommages et intérêts.

Par ailleurs, l’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention, s’ils ne sont pas inscrits au casier judiciaire, seront publiés sur les sites internet du ministère de la justice, du ministère chargé de l’environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise ou, à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient. Le fait de ne pas s’être conformé aux dispositions du code de l’environnement aura donc fait l’objet de toute la publicité requise.

Enfin, le montant de l’amende pourra être très important, jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel, et sera assorti d’obligations précises : une remise en état, le respect d’un certain délai. Surtout, la conclusion d’une CJIP ne sera qu’une alternative aux poursuites : le procureur de la République pourra très bien décider de ne pas proposer de convention et de poursuivre. L’affaire sera alors jugée devant une juridiction pénale, comme toutes les affaires pénales, au cours d’une audience à laquelle seront présentes les parties civiles, des organisations non gouvernementales, etc.

Concrètement, madame Danielle Brulebois, nous allons mettre en place des juridictions dans le ressort de la cour d’appel pour certaines atteintes à l’environnement : les affaires seront jugées dans un des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel, qui verra sa compétence territoriale étendue à tout le ressort de la cour d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits en question. Un décret fixera la liste de ces pôles spécialisés. Chez moi, le Vaucluse fait partie du ressort de la cour d’appel de Nîmes : ce pourra être Carpentras ou Avignon, ou un autre ; en tout état de cause, le tribunal judiciaire qui sera choisi pour traiter de ces affaires aura compétence dans tout le ressort de la cour d’appel de Nîmes. Mais il n’est pas question, monsieur Martial Saddier, de supprimer les cours d’appel : je me suis battue avec mes confrères pour les préserver, car nous en avons besoin. Bien entendu, il y aura des gradations : si les faits ne sont passibles que d’une contravention, le juge d’instruction renverra l’affaire devant le tribunal de police compétent, et les atteintes plus graves seront jugées au sein des cours d’appel ; mais dans tous les cas, on aura affaire à des juges spécialisés, et c’est le gros avantage de ce texte.

C’est précisément parce que les juges ne sont pas formés à ce type de procédures que l’on enregistre si peu de contentieux et autant de classements sans suite. Cela sera moins le cas à l’avenir, d’autant plus que les juges seront assistés par des fonctionnaires du ministère de la transition écologique qui leur apporteront leur expertise : on ne fera pas juger n’importe quoi par n’importe qui.

Monsieur Gérard Leseul, vous avez relevé à juste titre que des infractions relevant notamment du code minier ont été oubliées. Je présenterai un amendement pour y remédier : profitons de l’occasion pour remettre dans la couche toutes les autres infractions liées à l’environnement, mais prévues dans d’autres codes. C’est plus logique, et autant le faire dès maintenant.

Enfin, certains ont comparé la convention judiciaire d’intérêt public à la procédure du plaider-coupable. Ce n’est pas tout à fait pareil. La convention reste une transaction tandis que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité devant le procureur de la République (CRPC) impose l’assistance d’un avocat. Surtout, la CRPC est inscrite au casier judiciaire, contrairement à la convention judiciaire d’intérêt public, qui demeure une transaction. Bien sûr, il n’y aura pas de deuxième négociation : en cas de réitération, l’entreprise ira sans doute directement devant le tribunal correctionnel. Par ailleurs, s’il n’y a pas d’inscription au casier judiciaire, la convention fait tout de même l’objet d’une publicité puisqu’elle est notamment publiée sur le site internet du ministère de la justice.

La commission en vient à l’examen des articles.

Article 8 (articles 41-1-3 [nouveau] et 180-3 [nouveau] et chapitre II [nouveau] du titre XIII bis du livre IV du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à la lutte contre les atteintes à l’environnement

La commission est saisie de l’amendement CD2 de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement, dont je viens de parler, vise à étendre le champ de compétence des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement, prévus à l’article 8 du projet de loi, à des infractions ayant un fort impact environnemental mais qui sont inscrites dans d’autres codes que le code de l’environnement. C’est notamment le cas des dispositions du code forestier, de certaines infractions prévues au code minier ou encore des infractions prévues au code rural et de la pêche maritime relatives aux végétaux et aux produits phytopharmaceutiques.

M. Julien Aubert. Permettez-moi d’en profiter pour interroger la rapporteure pour avis au sujet de l’amende. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 4 décembre 2013, a considéré que le critère, retenu par le législateur, de fixation du montant maximum de la peine infligée à une personne morale – 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, en l’espèce – était susceptible de revêtir un caractère manifestement disproportionné à la gravité de l’infraction en ce qu’il ne dépendait pas du lien entre l’infraction à laquelle il s’applique et le chiffre d’affaires.

Vous proposez de porter à 30 % du chiffre d’affaires le montant maximal de la peine encourue. Comment liez-vous le montant de l’amende à la gravité de l’infraction ? En d’autres termes, l’impact environnemental peut être grave mais sans que l’on puisse reprocher au contrevenant une intention de nuire ou une négligence : ce peut être la conséquence d’un accident involontaire. Dans ce cas, peut-on raisonnablement prononcer une amende égale à 30 % du chiffre d’affaires au risque de tuer l’entreprise ? Par exemple, les faits de corruption sont passibles, eux aussi, d’une amende pouvant atteindre 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel mais, dans ce cas, l’intention est caractérisée alors qu’un accident environnemental peut être plus ou moins volontaire. Comment introduire la notion de responsabilité individuelle des décideurs dans le calcul de l’amende ?

Pour ce qui est de la transaction elle-même, quel serait l’intérêt, pour une entreprise, de recourir à une telle procédure si elle est rendue publique ? Lorsque vous recourez à ce genre de procédure, c’est précisément dans le but d’éviter un procès susceptible de porter atteinte à votre image, surtout si le procureur lui-même estime que votre responsabilité n’est pas complètement engagée. Ne risque-t-on pas de couper la voie à cette transaction en la rendant publique ou en l’entourant d’une trop grande publicité ? Ne vaut-il pas mieux alors aller au procès ?

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. La question évidemment mérite d’être posée : comment calculer l’amende, à plus forte raison si le préjudice n’est pas encore constaté ? Le projet de loi prévoit que le montant de l’amende ne pourra dépasser 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Répétons-le : la conclusion d’une telle convention n’est pas obligatoire. Si l’entreprise refuse de payer une telle amende parce qu’elle considère ne pas avoir commis d’infraction ou ne pas en avoir les moyens, libre à elle de la refuser et d’aller plaider sa cause devant une juridiction pénale. Il fallait fixer un plafond.

Pour ce qui est de la publication, elle revêt un caractère dissuasif. Il fallait, à tout le moins, que soit mentionné quelque part le fait que cette entreprise avait commis une infraction grave au code de l’environnement. Cela étant, parce qu’il fallait trouver un équilibre, il n’est prévu de publier l’ordonnance de validation, le montant de l’amende et la convention que sur les sites internet des ministères de la justice et de l’environnement; l’inscription au casier judiciaire aurait été beaucoup plus dissuasive. La mention de l’infraction présente l’autre avantage d’inciter l’entreprise à travailler aux moyens de réparer les dommages causés et d’éviter de nouveaux dégâts. L’idée est de ne pas la marquer à vie d’une condamnation infamante mais de lui permettre de continuer à travailler et, notamment, à accéder aux marchés publics.

M. Gérard Leseul. Ces 30 % du chiffre d’affaires ne sont effectivement qu’un plafond : nous verrons, à l’usage, à quel niveau se situeront les négociations.

Nous soutiendrons cet amendement, mais je regrette que le champ de compétence des pôles régionaux spécialisés n’ait pas été étendu aux infractions inscrites dans le code de la consommation et le code de l’urbanisme qui couvrent des secteurs fortement concernés par les problèmes environnementaux.

M. Christophe Arend. L’amendement CD2 tend à répondre aux préoccupations de l’ensemble de nos collègues. Quant au taux de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel, il s’agit bien d’un plafond, mais l’amendement CD12 que la rapporteure pour avis nous proposera dans un instant ne pourra qu’inciter le ministère de la justice à revoir toute l’échelle des peines des sanctions prévues par le code de l’environnement d’ici à la séance.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CD15 rectifié de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à rendre possible l’exercice des fonctions d’assistant de justice spécialisé dans les pôles régionaux spécialisés instaurés à l’article 8 du projet de loi par des fonctionnaires de catégorie A et B relevant du ministère de l’environnement. Il est important de s’appuyer sur des personnes qui connaissent la matière pour disposer d’expertises fiables.

M. Julien Aubert. N’aurait-il pas été intéressant d’étendre la fonction d’assistant de justice spécialisé aux fonctionnaires d’autres ministères comme ceux de l’agriculture ou de l’économie ? C’est vrai, il faut connaître le droit de l’environnement, mais les décisions de justice qui seront rendues auront des conséquences économiques évidentes. Il serait intéressant de disposer d’expertises variées.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. La possibilité de se faire assister par des fonctionnaires d’autres ministères existe déjà pour les pôles de santé publique. De plus, je pense qu’il est toujours possible, dans le cadre d’une procédure, de faire appel à des experts. L’ambition de ce projet de loi est d’abord de renforcer la protection de l’environnement et il fallait que les mesures prévues en témoignent. Rien n’empêche, le cas échéant, de solliciter l’avis d’un expert dans un autre domaine, par exemple l’économie. Je ne vois pas pourquoi ce qui est déjà possible dans le cadre d’une procédure pénale ne le serait pas en l’espèce.

M. Julien Aubert. Il faut quand même faire attention à l’impartialité de la justice ! Imaginez que pour juger d’actes de délinquance, les magistrats sollicitent l’assistance de fonctionnaires de catégorie A ou B du ministère de l’intérieur ! On pourrait craindre que cette expertise ne soit colorée d’une culture « maison ». Le ministère de l’environnement a pu être parfois critiqué pour son action jugée trop activiste par certaines entreprises. C’est pour cette raison que je vous pose la question. La diversité des expertises permettrait de restaurer l’équilibre, qui peut être menacé par la culture ministérielle.

M. Christophe Arend. Cet amendement vise à renforcer la compétence des juridictions. En l’espèce, le sujet n’est pas celui de la délinquance en général mais de la délinquance environnementale et il ne me semble pas aberrant, dans ce contexte, de faire appel à des experts du droit de l’environnement.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Les experts inscrits sur les listes des cours d’appel sont tous assermentés. Ils ont prêté serment devant la cour d’appel. L’impartialité de la justice ne sera pas remise en cause si l’on fait appel à eux.

M. Jean-Marie Sermier. M. Julien Aubert a raison. Nous ne doutons pas de la qualité des experts mais, quels qu’ils soient, ils restent des experts, formés dans un domaine particulier pour en maîtriser tous les aspects. Si tous les experts sollicités sont issus du ministère de l’environnement, on peut s’interroger sur le maintien des grands équilibres. Le ministère de l’agriculture n’a pas été cité par hasard : nombre de sujets, on le sait, touchent aux pratiques agricoles, à l’organisation de nos territoires. La situation serait plus équilibrée si l’ensemble des ministères étaient représentés au travers des experts.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Les assistants spécialisés venus du ministère de l’environnement travailleront avec le parquet en permanence, mais cela n’empêchera pas de solliciter des experts extérieurs à chaque fois que l’on a besoin d’être éclairé sur un point précis, qui relève de leur domaine. Autrement dit, l’un n’empêche pas l’autre et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de l’inscrire dans la loi.

La commission adopte l’amendement.

Elle étudie l’amendement CD3 de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. L’amendement vise à supprimer la compétence du tribunal judiciaire de Paris concernant les affaires de pollution des eaux maritimes présentant une grande complexité, afin que celles-ci relèvent de la compétence des juridictions du littoral spécialisées. Cette compétence se justifie peu dans la mesure où le tribunal judiciaire de Paris n’a jamais eu à connaître de dossiers au titre de cette compétence et qu’il n’est pas l’une des six JULIS, ce qui signifie qu’il n’a pas de compétence particulière en matière de pollution des eaux maritimes. Il me semble inutile de maintenir cette compétence qui n’est pas exercée alors que les JULIS réalisent un travail remarquable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8, modifié.

Après l’article 8

La commission est saisie de l’amendement CD9 de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à étendre aux associations environnementales agréées des compétences que détiennent déjà les associations de consommateurs agréées en application de l’article L. 621‑2 du code de la consommation. Il permet ainsi aux associations de protection de l’environnement de demander à la juridiction civile ou pénale saisie d’ordonner « toute mesure destinée à faire cesser des agissements illicites ». Il convient en effet de garantir l’égalité d’accès à la justice, surtout pour les associations qui interviennent régulièrement sur le terrain.

M. Julien Aubert. Vous souhaitez étendre un droit jusqu’ici réservé à certaines associations. Ne risque-t-on pas de voir d’autres organisations, œuvrant dans d’autres domaines, réclamer les mêmes prérogatives ? Un tel amendement ne manquera pas d’entraîner une judiciarisation accrue et une multiplication des recours qui, à moins d’augmenter massivement les effectifs des tribunaux, risquent de conduire à un engorgement et, finalement, à un défaut de droit.

Par ailleurs, qui sont ces associations de protection de l’environnement agréées ? Si certaines sont tout à fait neutres, d’autres, très militantes, n’hésitent pas à utiliser la justice comme un moyen de faire progresser leur cause – ce qui peut être légitime, mais n’en pose pas moins un problème en termes d’organisation de la justice sur le territoire.

M. Martial Saddier. Cet amendement ne sacralise-t-il pas le droit à l’indemnisation au civil des associations environnementales qui saisiraient une juridiction ?

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Il ne s’agit pas d’un droit à l’indemnisation, mais d’un droit d’accès à la justice civile. Les associations pourront porter la parole de ceux qui en sont adhérents – ou pas – pour demander à la justice de faire cesser un trouble ou un agissement illicite, mais elles ne seront pas pour autant indemnisées.

Pour ce qui est de la nature des associations agréées, monsieur Aubert, nous avons simplement été saisis par plusieurs associations qui nous ont demandé à pouvoir user de cette faculté. Quoi qu’il en soit, il me semble opportun d’ouvrir aux associations de protection de l’environnement l’accès au droit dont bénéficient déjà les associations de consommateurs.

M. Alain Perea. Je considère pour ma part que les associations de consommateurs et les associations de protection de l’environnement n’agissent pas dans le même domaine.

Sitôt qu’on lui demande de faire cesser un trouble, le juge administratif répond souvent en suspendant immédiatement des autorisations. Certes, votre amendement ne concerne pas la juridiction administrative, mais il pose de nombreux problèmes au regard de l’action que mènent ces associations qui prétendent protéger l’environnement en multipliant les recours, d’autant que le juge a plutôt tendance à aller dans leur sens, comme le montrent les auditions que je mène actuellement dans le cadre de la mission d’information commune sur le délit d’entrave à l’exercice d’activités légales. Pour ma part, je ne voterai pas cet amendement.

M. Julien Aubert. Je viens de consulter la liste des associations agréées, car il est intéressant de voir à qui l’on ouvrirait ce recours. Y figurent notamment la Fédération nationale des chasseurs, Paysages de France, Patrimoine Environnement, mais aussi Générations futures, le réseau « Sortir du nucléaire » et l’association Robin des bois… Parmi ces associations agréées, on trouve donc aussi bien des structures en quelque sorte institutionnelles que des organisations politiques et militantes, qui feront un tout autre usage de cette possibilité de recours. Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas non plus cet amendement.

M. Jean-Marc Zulesi. La rapporteure pour avis a surtout été guidée par un principe d’équité dans l’accès au droit, entre les associations de protection de l’environnement, dont M. Aubert lui-même a bien montré la diversité, et les associations de consommateurs. Le groupe La République en Marche votera donc cet amendement.

M. Jean-Marie Sermier. Nous sommes là sur une ligne de crête qui manifestement a été dépassée en permettant à des structures militantes, dont l’action est parfaitement légitime, d’intenter des recours devant les juridictions alors que les organisations professionnelles représentant l’agriculture ou l’industrie n’en ont pas le droit. Ce texte, bien ficelé au départ, est en train de déraper. Comme je l’ai dit tout à l’heure, le groupe Les Républicains vient de voter plusieurs amendements à vos côtés ; nous sommes ouverts à une avancée en matière de juridiction environnementale, mais pour qu’elle soit efficace, encore faut-il qu’elle soit sincère et mesurée. Si cet amendement était adopté, elle deviendrait franchement militante et nous ne pourrions plus soutenir ce texte.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Je ne qualifierais pas de dérapage ce qui peut être une valeur ajoutée apportée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire…

M. Vincent Thiébaut. Je comprends le sens de cet amendement et l’objectif poursuivi par la rapporteure pour avis. Toutefois, je m’interroge sur la pertinence et l’efficacité de cette proposition, au vu des simplifications législatives que nous avons récemment votées. La multiplication des recours peut retarder de nombreux projets, notamment des projets à vertu environnementale comme le développement des énergies renouvelables. Alors que nous avons mené, depuis le début de la législature, un travail de simplification, en particulier dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), n’est-on pas en train de rajouter une couche de complexité ?

Mme Danielle Brulebois. Si certaines associations de protection de l’environnement sont sérieuses et effectuent un travail utile, d’autres viennent d’on ne sait où et agissent en réalité pour le compte de lobbies – je pense par exemple à l’association L214. La notion d’association de protection de l’environnement est très vague : nous ne pouvons pas laisser à ces organisations un tel pouvoir sans préciser ce que nous voulons réellement.

M. Gérard Leseul. Le groupe Socialistes et apparentés votera cet amendement, qui va dans le bon sens. Il faut ouvrir la possibilité de se saisir des questions environnementales à l’ensemble des représentants de nos concitoyens.

M. Bruno Millienne. Si la proposition de la rapporteure pour avis va dans le bon sens – dans tous nos territoires, nous constatons des agissements illicites contre lesquels nous avons du mal à lutter –, la définition même de ces associations agréées pose problème. Imaginez que des organisations très militantes obtiennent un agrément : cela affaiblirait tout ce que nous avons mis en place jusqu’à présent, notamment dans le cadre du projet de loi ASAP, comme vient de le rappeler M. Thiébaut. Nous venons de voter un texte visant à simplifier les procédures, et nous viendrions maintenant les alourdir ? Je ne dis pas que je ne partage pas l’esprit de cet amendement, mais qu’il n’est pas assez cadré. Il faut à tout le moins le retravailler en vue de la séance publique. À ce stade, je ne le voterai pas.

Mme Frédérique Tuffnell. Je suis tout à fait d’accord avec M. Millienne : il faut mieux encadrer cette nouvelle disposition et préciser le périmètre des associations de protection de l’environnement concernées. Il est important d’être au clair sur ce point et donc, peut-être, de retravailler cet amendement.

M. Christophe Arend. Le groupe La République en Marche soutient la démarche de notre rapporteure pour avis, qui a proposé cet amendement pour des raisons d’équité. Les juridictions saisies par les associations pourront prendre ou non des mesures conservatoires. Du débat que nous venons d’avoir, il ressort que l’amendement pourrait gagner en précision, s’agissant notamment de la définition des associations de protection de l’environnement concernées. Nous sommes ouverts à la discussion. C’est pourquoi je demande à la rapporteure pour avis de bien vouloir retirer son amendement pour le retravailler de manière consensuelle.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. J’ai bien entendu vos inquiétudes. Nous pouvons craindre, c’est vrai, que des associations politiques n’en profitent et n’utilisent le tribunal pour dire ou faire n’importe quoi. Cependant, nous ne parlons pas ici de n’importe quelles associations : mon amendement concerne uniquement les associations agréées par l’État, dans les conditions précisées à l’article L. 141-2 du code de l’environnement, dont il existe une liste publiée sur le site du ministère de la transition écologique. Si les pouvoirs publics considèrent qu’elles vont au-delà de leur objet, ils peuvent leur retirer l’agrément. Mon but est de permettre à ces associations de se faire les porte-parole de ceux qui considèrent que de graves infractions au droit de l’environnement ont été commises. Si je comprends vos inquiétudes, je ne vois pas comment je pourrais rendre le dispositif encore plus lisible, dans la mesure où je renvoie déjà à des articles existants du code de l’environnement.

La commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Madame la rapporteure pour avis, je vous invite très chaleureusement à préciser votre amendement afin de le représenter en séance publique.

La commission examine l’amendement CD5 de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement, discuté et travaillé avec France Nature Environnement, vise à supprimer le délit d’entrave aux fonctions d’un inspecteur de l’environnement en cas de non-présentation à une audition libre. Les sanctions sont en effet disproportionnées – six mois de prison et 15 000 euros d’amende – au regard des faits commis, qui relèvent parfois d’une simple contravention. Dès lors, cette disposition présente un risque d’inconstitutionnalité. Un tel délit n’a d’ailleurs pas d’équivalent dans la procédure pénale et semble peu nécessaire dans la mesure où la quasi-totalité des convocations à des auditions libres en matière environnementale donnent effectivement lieu à comparution – c’est en tout cas ce qui est ressorti des auditions que j’ai conduites en tant que rapporteure pour avis.

M. Christophe Arend. Nous avons tout à fait compris le sens de votre amendement. Cependant, les 15 000 euros d’amende et les six mois d’emprisonnement sont entendus comme des peines maximales pouvant être proportionnées, à l’instar de l’amende ne pouvant dépasser 30 % du chiffre d’affaires évoquée à l’article 8. Votre amendement pourrait malheureusement être interprété comme une révision à la baisse de l’échelle de valeurs des sanctions, notamment en cas d’obstacle aux fonctions. Le groupe La République en Marche et la majorité présidentielle souhaitent que les peines encourues revêtent un caractère réellement dissuasif – toutes proportions gardées, naturellement. Les grands enjeux environnementaux le valent bien. C’est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi nous voterons contre.

L’amendement est retiré.

Article additionnel après l’article 8 (article 706-2 du code de procédure pénale) : Exercice des fonctions d’assistant de justice spécialisé dans les pôles de santé publique par des fonctionnaires du ministère de la transition écologique

La commission en vient à l’amendement CD4 de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à rendre possible l’exercice des fonctions d’assistant de justice spécialisé dans les pôles de santé publique par des fonctionnaires de catégories A et B relevant du ministère de la transition écologique. Cette possibilité est déjà offerte aux fonctionnaires des ministères de la recherche, de la santé et de l’agriculture, en vertu de l’article 706-2 du code de procédure pénale.

M. Julien Aubert. Si j’étais un peu taquin – mais je ne le suis jamais (Sourires) –, je retournerais l’argument que vous m’avez opposé tout à l’heure quand je plaidais pour l’intégration de fonctionnaires d’autres ministères au sein des pôles spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement… Pourquoi permettre aux fonctionnaires relevant du ministère de la transition écologique d’exercer la fonction d’assistant de justice dans les pôles de santé alors que vous considérez, dans le même temps, que les fonctionnaires d’autres ministères ne peuvent intervenir dans les pôles d’environnement qu’en tant qu’experts et non y travailler en qualité d’assistants ? Il faut à un moment donné que les règles soient les mêmes pour tout le monde ; il n’y a pas à privilégier tel ou tel secteur. De deux choses l’une : ou bien nous suivons une logique de pôles avec des assistants de justice qui peuvent venir de tous les ministères, ou bien ils ne peuvent venir que du ministère concerné par le pôle en question et les autres interviennent à titre d’experts. Mais on ne peut pas faire deux poids, deux mesures.

M. Bruno Millienne. Vous êtes taquin, mais votre intervention n’est pas dénuée de sens !

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Vous aimez le débat, monsieur JulienAubert ! C’est précisément parce que les pôles de santé publique ont une compétence en matière de santé environnementale que des fonctionnaires de catégories A et B relevant du ministère de la transition écologique doivent pouvoir y exercer la fonction d’assistant de justice. Et cela pourrait en plus rendre le processus de décision plus efficace.

La commission adopte l’amendement.

Article 8 bis (article L. 173-1 du code de l’environnement) : Violation d’une mise en demeure de remise en état après la cessation d’activités d’une opération, d’une installation ou d’un ouvrage

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 bis, sans modification.

Article additionnel après l’article 8 bis (article L. 173-8-1 [nouveau] du code de l’environnement) : Mise en cohérence du montant de l’amende pour certaines infractions environnementales avec celui prévu par la convention judiciaire d’intérêt public

La commission est saisie de l’amendement CD12 de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à mettre en cohérence, pour les infractions au code de l’environnement punies d’au moins 75 000 euros d’amende, le montant maximal de l’amende avec celui de l’amende prévue par la convention judiciaire d’intérêt public instaurée à l’article 8 du projet de loi. Sans une revue de l’échelle des peines dans le code de l’environnement, le recours à cette convention risque en effet d’être limité par la faiblesse du montant des amendes encourues par les personnes morales en cas d’infraction au code de l’environnement, comparé au montant de l’amende prévue dans le cadre de la convention. Je propose donc que le montant maximal de l’amende encourue en cas d’infraction au code de l’environnement soit porté au décuple de l’avantage tiré ou escompté de l’infraction, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires.

M. Christophe Arend. Je comprends votre volonté d’encourager le ministère de la justice à revoir l’échelle des peines prévues dans le code de l’environnement. Le groupe La République en Marche souhaite aussi que le ministère puisse, d’ici à la séance publique, aller au bout de la démarche dans laquelle il s’est engagé. Avis de sagesse.

La commission adopte l’amendement.

Article additionnel après l’article 8 bis (article L. 173-9 du code de l’environnement) : Prolongation du délai d’ajournement en cas de mesures de remise en état ou de réparation des dommages

La commission examine l’amendement CD13 de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à porter à deux ans maximum, au lieu d’un an, le délai d’ajournement de la peine lorsque le tribunal ordonne des mesures de remise en état ou de réparation des dommages causés à l’environnement, afin de tenir compte du délai de mise en œuvre de ces mesures.

Cette proposition est de nature à rendre plus effectives les mesures de remise en état. Le temps judiciaire passe très vite. En un an, la personne condamnée n’a pas toujours le temps de remettre en état le site affecté par ses agissements ; l’augmentation du délai d’ajournement lui permettra de le faire. Je précise que ce délai de deux ans sera un délai maximal, et qu’il sera toujours possible de revenir devant le juge au bout d’un an. Il faut être pragmatique…

La commission adopte l’amendement.

Article additionnel après l’article 8 bis (article L. 173-13 [nouveau] du code de l’environnement) : Définition de la récidive pour certains délits environnementaux

La commission en vient à l’amendement CD11 rectifié de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à mieux réprimer les comportements multirécidivistes en assimilant certains délits environnementaux à une même infraction dans le cadre de la récidive. En d’autres termes, nous considérerons les cas d’atteintes renouvelées à l’environnement comme une récidive, si ces infractions concernent, respectivement, les milieux physiques, les espaces naturels, le patrimoine naturel ou la prévention des pollutions, risques et nuisances. Si vous avez déjà été condamné pour l’une de ces infractions, on considérera que vous la commettez à nouveau, dès lors qu’elle relève du même volet environnemental : vous serez alors multirécidiviste et votre peine sera d’autant plus lourde.

La commission adopte l’amendement.

Article additionnel après l’article 8 bis (article 131-5 du code pénal) : Création d’une peine de stage de sensibilisation à la protection de l’environnement

La commission examine l’amendement CD14 rectifié de la rapporteure pour avis.

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Je propose que la juridiction puisse prescrire, comme peine complémentaire ou alternative à l’emprisonnement, la réalisation par le condamné d’un stage de sensibilisation à la protection de l’environnement, comme il en existe aujourd’hui en matière de sécurité routière, de citoyenneté ou de lutte contre le sexisme. Une telle mesure, complémentaire aux mesures de remise en état, permettra de réduire la réitération d’infractions environnementales.

Aujourd’hui, il n’existe pas de stage de sensibilisation à la protection de l’environnement. Il serait peut-être bon d’en créer afin d’expliquer aux personnes condamnées que leurs agissements sont mauvais pour notre terre.

M. Bruno Millienne. Je suis tout à fait séduit par l’esprit de votre amendement – il vaut mieux apprendre aux personnes condamnées à devenir responsables que de les mettre en prison –, mais le délai d’application de la peine risque de poser problème. Si le stage de sensibilisation à la protection de l’environnement se déroule quatorze ou quinze mois après le prononcé de la peine, il ne servira pas à grand-chose ! Or c’est bien ce qui se passe pour les délits en matière de citoyenneté : dans les faits, les travaux d’intérêt général sont exécutés au bout de douze à quatorze mois.

Mme Frédérique Tuffnell. Je m’étonne que le suivi d’un stage de sensibilisation puisse être considéré comme une peine alternative à l’emprisonnement. Cette alternative risque d’être très sollicitée, ce qui pourrait même être contre-productif. Il vaudrait mieux prévoir une peine seulement complémentaire.

M. Alain Perea. La commune dont j’ai été maire a accueilli certains jeunes condamnés à ce genre de peines alternatives. C’est un très bon outil, qui permet un réel accompagnement des personnes. Je suis donc très favorable à cet amendement.

Pour être taquin, et sans vouloir imiter M. Julien Aubert, j’espère que les fameuses associations de protection de l’environnement dont nous parlions lors de l’examen de l’amendement CD9 s’engouffreront dans cette brèche et proposeront des stages de sensibilisation avec autant de force que celle dont elles font preuve dans leurs actions militantes…

Plusieurs députés. Et les associations de chasseurs aussi ?

M. Alain Perea. Les chasseurs le feront.

M. Martial Saddier. Je ne suis pas opposé au principe de ces stages, mais j’abonderai dans le sens de Mme Frédérique Tuffnell. Pour être condamné à de la prison ferme pour un motif environnemental, il faut y mettre du sien… Si nous permettons au juge de proposer un stage de sensibilisation comme alternative à de la prison ferme, quel signal allons-nous envoyer ? Oui aux stages, mais, par pitié, pas comme alternative à l’emprisonnement !

Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis. Je comprends que nous approuvons tous le principe du stage de sensibilisation à la protection de l’environnement. Dans la pratique, ce genre de stage, qui existe aussi pour d’autres délits, notamment en matière de citoyenneté, n’est pas automatique : il est décidé par le juge en fonction du dossier qu’il examine. Il peut d’abord être considéré comme un avertissement : si la personne n’a jamais été condamnée auparavant et passe devant un tribunal pour la première fois, le magistrat pourra être sensible aux explications qu’elle donnera à l’audience et lui offrir cette possibilité. C’est pourquoi je propose que ce stage soit, en fonction des dossiers et des antécédents de l’intéressé, notamment de son casier judiciaire, une peine complémentaire à l’emprisonnement ou une alternative. Il faut rester positif.

Quant au délai d’exécution des stages, évoqué par M. Bruno Millienne, il dépend des cas. Il arrive que les stages soient suivis au bout de trois, quatre ou cinq mois. Le condamné a plutôt intérêt à se montrer disponible pour la réalisation de ce stage. En tant qu’avocate, je n’imagine pas un stage de sensibilisation deux ans après le prononcé de la peine : cela n’aurait aucun intérêt. Dans la pratique, les services du tribunal conviennent d’un rendez-vous avec le condamné et font en sorte d’organiser le stage assez rapidement, dans les trois ou quatre mois, afin que la sanction soit comprise et effective.

Mme Danielle Brulebois. L’idée est bonne : alors que nos prisons sont surpeuplées, nous ne pouvons pas enfermer tout le monde sans arrêt. Mais plutôt que d’organiser des stages de sensibilisation au contenu incertain, pourquoi n’imposerions-nous pas aux condamnés des travaux environnementaux d’intérêt général – prendre un sac plastique et nettoyer le bord des routes, par exemple ? Au moins, cela servirait à quelque chose ; ce serait peut-être plus pédagogique et plus dissuasif.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Il me semble que cela existe déjà.

M. Bruno Millienne. Je comprends bien vos arguments, madame la rapporteure pour avis, mais la rédaction de votre amendement risque de poser problème. Peut-être faudrait-il déposer deux amendements différents : le premier viserait les récidivistes, pour lesquels la réalisation du stage serait complémentaire à la peine principale à laquelle ils sont condamnés, qu’il s’agisse ou non d’une peine d’emprisonnement, tandis que le second amendement serait réservé aux primo-délinquants, auxquels la réalisation du stage serait proposée comme une alternative à une condamnation, quelle qu’elle soit. Au demeurant, pardonnez-moi la boutade, rien n’interdirait d’organiser ces stages en prison, où les jardins partagés, ce peut aussi être une bonne idée…

M. Jean-Marc Zulesi. À l’instar de M. Alain Perea qui a évoqué son expérience de maire, j’aimerais moi aussi saluer tous les maires qui s’engagent dans ce type de dispositif ; il faut que les associations de protection de l’environnement se rapprochent de ces élus qui jouent le jeu afin de créer ce stage de sensibilisation.

Mme Danielle Brulebois a évoqué la nécessité d’être au plus proche du terrain. Nous souhaitons tous que ce stage ne se limite pas à de l’observation et qu’il permette un passage à l’acte sur le terrain ; mais ce n’est pas à la loi de dire s’il doit comporter une action de ramassage des déchets au bord des routes.

Je voterai donc cet amendement, quitte à le retravailler afin de différencier le cas des multirécidivistes et celui des primo-délinquants.

Mme Souad Zitouni, rapporteure. Merci de votre soutien, monsieur Jean-Marc Zulesi. Les stages de sensibilisation sont d’ores et déjà prévus par le code pénal, ils font l’objet d’une discussion avec le juge lors de l’audience, en fonction des éléments du dossier. La rédaction que nous proposons est donc conforme au code pénal. Un multirécidiviste ne se verra pas forcément proposer un stage de sensibilisation : si on lui a déjà donné la possibilité de suivre un stage la première fois et qu’il recommence, on ne va pas lui en proposer un la deuxième fois… Quant au contenu, il ne sera pas uniquement théorique : les stages pourront consister à faire du ramassage ou remettre en état. Cela ne se limite pas à écrire un dossier…

Les travaux d’intérêt général eux aussi sont prévus dans le code pénal. Il n’est pas nécessaire de les définir dès le prononcé de la peine, ils peuvent être déterminés sur le terrain, par l’association saisie ou l’administration. Quand un juge prononce une peine de travaux d’intérêt général, il ne sait pas ce qu’il y aura derrière : c’est seulement une fois la décision rendue que l’association va contacter le condamné pour lui indiquer l’endroit et le contenu des travaux d’intérêt général : ramasser, remettre en état, planter, etc. Mais ce n’est pas à la loi de le définir explicitement.

M. Christophe Arend. Nos débats explicitent la volonté du législateur, et seront pris en compte pour interpréter ces dispositions. Nous avons fait état de notre préoccupation sur la nature complémentaire ou alternative de ces sanctions. Elles peuvent certainement être complémentaires à une peine de prison, nous sommes plus réservés sur l’opportunité d’en faire des alternatives à des délits graves sanctionnés de prison.

Le groupe La République en Marche votera cet amendement, qui va dans le sens que nous souhaitons, mais nous aimerions que la rapporteure pour avis le modifie en séance publique pour préciser la nature complémentaire ou alternative de ces mesures de sensibilisation.

M. Bruno Millienne. Le groupe MoDem et Démocrates apparentés votera contre cet amendement, mais c’est un vote contre bienveillant… Nous souhaitons que cet amendement soit retravaillé de manière à marquer clairement la différence entre mesures complémentaires et alternatives. C’est pour nous le cœur du problème.

La commission adopte l’amendement.

Article 8 ter (article L. 218-84 du code de l’environnement) : Immobilisation des navires ayant rejeté des eaux de ballast

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 ter, sans modification.

Article 11 (chapitre III [nouveau] du titre III du livre VI de la première partie du code des transports, article 230-19 du code de procédure pénale, article 20-4 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 et article 121-8 [nouveau] du code de la justice pénale des mineurs) : Création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports en commun

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 11, sans modification.

Enfin, la commission émet un avis favorable à l’adoption des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

 


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   Personnes entendues

GOUVERNEMENT

● Ministère de la justice

   M. Rémi Decout-Paolini, directeur adjoint de cabinet

   Mme Isabelle Jegouzo, conseillère aux affaires européennes et internationales

   M. Emmanuel Razous, conseiller politique pénale

   M. Guillem Gervilla, conseiller parlementaire

   M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces

   M. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

 Ministère de la transition écologique et solidaire

   M. Mehdi Mahamaddi-Bouzina, conseiller parlementaire

MAGISTRATS ET JURIDICTIONS

 Parquet national financier

   M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier

   M. Jean-Luc Blachon, procureur de la République financier adjoint

   M. Jérôme Simon, premier vice-procureur de la République financier

 Parquet national antiterroriste

   M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste

   Mme Camille Hennetier, procureur de la République antiterroriste adjoint

   Mme Marie Vialatte, substitut

 Parquet européen

   M. Frédéric Baab, procureur européen

 Conférence nationale des premiers présidents de cour d’appel

   M. Gilles Accomando, premier président (Pau)

   Mme Florence Peybernes, première présidente (Orléans)

 Conférence des procureurs généraux

   M. Christophe Barret, procureur général (Besançon)

 Conférence des procureurs de la République

   M. Éric Corbaux, procureur de la République (Pontoise)

 Union syndicale des magistrats

   Mme Marie-Noëlle Courtiau-Durterrier, secrétaire nationale

   M. Ludovic Friat, chargé de mission

 Unité Magistrats SNM-FO

   Mme Anne de Pingon, membre de la commission de contrôle

PROFESSIONS DU DROIT

 Chambre nationale des commissaires de justice

   M. Paul-Henry Schiepan, chef de cabinet

   M. Pierre Turpin, trésorier

 Conseil supérieur du notariat *

   M. David Ambrosiano, président

   M. Jérôme Ferhrenbach, directeur général

   Mme Christine Mandelli, chargée des relations avec les institutions

 Conseil national des barreaux *

   Me Xavier Autain

   Me Vincent Penard

   Mme Anne-Charlotte Varin, directrice des affaires publiques

CORPS D’INSPECTION

 Inspection générale de la justice

   M. Vincent Delbois, inspecteur général de la justice

   Mme Delphine Agoguet, inspectrice de la justice

   M. Daniel Atzenhoffer, inspecteur de la justice

 Conseil général de l’environnement et du développement durable

   M. Bruno Cinotti, ingénieur général des ponts des eaux et des forets

   M. Jean-François Landel, inspecteur de l’administration du développement durable

OFFICES

 Office français de la biodiversité

   M. Loïc Obled, directeur général délégué

   M. Pierre Boyer, chargé de mission du pôle juridique, administratif et financier

 Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP)

   Gal Jacques Diacono, chef

PERSONNALITÉ QUALIFIÉE

   M. Jean-Luc Sauron, professeur associé à l’université Paris-Dauphine

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


—  1  —

   Personnes entendues par la rapporteure pour avis de la commission du développement durable
et de l’aménagement du territoire

(par ordre chronologique)

 Ministère de la justice – direction des affaires criminelles et des grâces

   M. Olivier Christen, directeur

 Ministère de la transition écologique

   M. Mehdi Mahammedi-Bouzina, conseiller parlementaire

 Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et Inspection générale de la justice (IGJ)

   M. Jean-François Landel, membre du CGEDD

   M. Bruno Cinotti, membre du CGEDD

   Mme Delphine Agoguet, magistrate, inspectrice de la justice

   Mme Daniel Atzenhoffer, magistrate, inspectrice de la justice

   M. Vincent Delbos, magistrat, inspecteur général de la justice

 France nature environnement (FNE)

   M. Raymond Léost, responsable juridique

   M. Antoine Gatet, administrateur

 


([1]) Commission européenne, Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen, 11 décembre 2001.

([2]) Entrée en vigueur le 1er décembre 2019.

([3]) La subsidiarité est le principe selon lequel une action n’est menée au niveau de l’Union européenne que si cela s’avère plus efficace que l’action isolée d’un pays de l’Union européenne au niveau national, régional ou local. Si les parlements nationaux estiment qu’une proposition législative ne respecte pas ce principe, ils peuvent exprimer leur avis dans le cadre du mécanisme de contrôle de la subsidiarité (source : Commission européenne).

([4]) Commission européenne, Communication 2013/851 de la Commission au Parlement européen, au Conseil et aux parlements nationaux relative au réexamen de la proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen au regard du principe de subsidiarité, conformément au protocole nº 2, 21 novembre 2013.

([5]) Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, et Slovénie.

([6]) Décision (UE) 2019/1798 du Parlement européen et du Conseil du 14 octobre 2019 portant nomination du chef du Parquet européen.

([7]) Conformément à l’article 2 de la décision d’exécution (UE) 2019/598 relative aux règles transitoires régissant la nomination des procureurs européens pour la première période de mandat, un groupe représentant un tiers du nombre des États membres participants au moment de l’application de ces règles transitoires doit être désigné par tirage au sort. Le tirage au sort a eu lieu le 20 mai 2019. Les États membres qui constituent ce groupe sont la Grèce, l’Espagne, l’Italie, Chypre, la Lituanie, les Pays-Bas, l’Autriche et le Portugal.

([8]) Décision d’exécution du Conseil (UE) 14830/19 portant nomination des procureurs européens du Parquet européen, 22 juillet 2020.

([9]) Ordonnance n° 2019-963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.

([10]) Enquête dirigée par le procureur de la République ouverte par l’officier de police judiciaire qui constate qu’une infraction a été commise ou est en train de se commettre.

([11]) Enquête dirigée par le procureur de la République mise en œuvre par la police judiciaire, à son initiative ou à la demande du procureur de la République, avant l’ouverture d’une éventuelle instruction

([12]) La détention provisoire est également possible en cas de comparution immédiate, de comparution à délai différé ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

([13]) Loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

([14]) Il s’agit du recueil des données techniques de connexion et des interceptions de correspondances par la voie des communications électroniques, des sonorisations et des fixations d’images de certains lieux ou véhicules, ainsi que de la captation des données informatiques.

([15]) Les 2 et 3 de l’article 25 du règlement européen précisent les conditions dans lesquelles peuvent s’exercer la compétence du Parquet européen.

([16]) Articles L. 122-2, L. 122-3, L. 212-6 ou L. 312-7 du code de l’organisation judiciaire.

([17]) Étude d’impact annexée au présent projet de loi, pp. 86 et 87.

([18]) Étude d’impact du présent projet de loi, p. 103.

([19]) Le second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale dispose : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

([20]) Une fois un signalement transmis au Parquet européen, le 1 de l’article 27 du règlement européen prévoit que « le Parquet européen décide, dans les meilleurs délais, et au plus tard cinq jours après réception des informations communiquées par les autorités nationales, d’exercer ou de ne pas exercer son droit d’évocation, et informe les autorités nationales de cette décision. Dans certains cas particuliers, le chef du Parquet européen peut prendre une décision motivée pour prolonger le délai d’une durée maximale de cinq jours, et il en informe les autorités nationales ».

([21]) La douane a la possibilité, en application de l’article 350 du code des douanes, de transiger avec l’infracteur. Ce droit de transaction permet de régler les contentieux de façon rapide et sûre.
Toutefois, lorsqu’une action judiciaire est engagée, l’administration ne peut transiger qu’avec l’accord de l’autorité judiciaire. La transaction a particulièrement vocation à être mise en œuvre, s’agissant des infractions de faible gravité commises par les voyageurs. Elle comporte toujours l’abandon à l’administration des marchandises de contrefaçon. La transaction douanière a pour effet d’éteindre l’action pour l’application des sanctions fiscales douanières, ainsi que l’action pour l’application des peines d’emprisonnement prévues par le code des douanes (source : Infractions douanières en matière de contrefaçon, douanes.gouv.fr).

([22]) Règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union.

([23]) Hors juridictions environnementales présentées à l’article 8.

([24]) Cet article dispose que « sont compétents le procureur de la République du lieu de l’infraction, celui de la résidence de l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction, celui du lieu d’arrestation d’une de ces personnes, même lorsque cette arrestation a été opérée pour une autre cause, et celui du lieu de détention d’une de ces personnes, même lorsque cette détention est effectuée pour une autre cause ». Les quatre niveaux territoriaux de compétence ne sont pas hiérarchisés par le code de procédure pénale mais par la circulaire du 11 mai 2017 relative aux critères de compétence territoriale. Les deux critères principaux sont le lieu des faits et la résidence de l’auteur, le premier étant prioritaire. Le lieu de détention est défini comme un critère subsidiaire.

([25]) Un conflit de compétence peut être négatif, lorsqu’aucune juridiction ne se saisit de l’affaire, ou à l’inverse, et plus fréquemment, positif, lorsque plusieurs juridictions se saisissent d’une même affaire.

([26]) Circulaire du 30 septembre 2014 relative à la lutte contre la criminalité complexe et la grande délinquance économique et financière, dépêche du 24 avril 2017 et circulaire du 17 décembre 2019 relative à la compétence nationale concurrente du tribunal de grande instance et de la cour d’assises de Paris dans la lutte contre la criminalité organisée de très grande complexité, et à l’articulation du rôle des différents acteurs judiciaires en matière de lutte contre la criminalité organisée.

([27]) Articles 222–22 à 222–30 du code pénal.

([28]) Articles 224–1 A à 224–1 C du code pénal.

([29]) Articles 225–4–1 à 225–4–5 du code pénal.

([30]) Articles 225–5 à 225–10 du code pénal.

([31]) Articles 225–14–1 et 225–14–2 du code pénal.

([32]) Articles 227–25 à 227–27 du code pénal.

([33]) Article 53 de la loi n° 2000–1257 de financement de la sécurité sociale pour 2001 du 23 décembre 2000.

([34]) Article L. 126–1 du code des assurances.

([35]) Chapitre Ier de la loi n° 85–677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation.

([36]) Ces dispositions sont codifiées aux articles 706-16 et suivants du code de procédure pénale.

([37]) Art. 87 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.

([38]) Art. 93§1.k du Statut précité. Ces mesures conservatoires consistent en l’identification, la localisation, le gel ou la saisie du produit des crimes, des biens, des avoirs et des instruments liés aux crimes, aux fins de leur confiscation éventuelle.

([39]) Trahison et espionnage, atteintes à la sécurité des forces armées et aux zones protégées intéressant la défense nationale, et atteintes au secret de la défense nationale, qui figurent au titre Ier du livre IV du code pénal (art. 410-1 à 414‑9).

([40]) Art. L. 111‑1 du code de justice militaire : « Les juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire mentionnées à l’article 697 du code de procédure pénale sont compétentes pour le jugement des crimes et des délits commis en temps de paix sur le territoire de la République par des militaires dans l’exercice du service. / Conformément à l’article 697-4 du même code, les juridictions mentionnées au premier alinéa du présent article ayant leur siège à Paris sont également compétentes pour le jugement des crimes, délits et contraventions commis en temps de paix hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l’encontre de celles-ci, conformément au chapitre Ier du titre II du livre Ier du présent code. / Les règles relatives à l’institution, à l’organisation et au fonctionnement des juridictions mentionnées au présent article sont définies par le code de procédure pénale. »

([41]) Tribunaux judiciaires et cours d’assises de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Rennes, Cayenne et Toulouse.

([42]) Art. 702 du code de procédure pénale.

([43]) Loi n° 2011‑1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles.

([44]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([45]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. n° 166.

([46]) Article L. 420-1.

([47]) Article L. 420‑2.

([48]) Article L. 420-2-1. Seules la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie françaises sont compétentes en la matière.

([49]) Article L. 420-2-2.

([50]) Article L. 420‑5.

([51]) Article L. 420‑6.

([52]) L’Autorité de la concurrence, en revanche, dispose d’une compétence générale pour connaître de toute pratique anticoncurrentielle. Elle peut s’autosaisir ou recueillir toute dénonciation. Les amendes qu’elle inflige peuvent atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe fautif. Les pouvoirs du ministre de l’économie sont résiduels : il peut procéder par injonction pour les marchés de faible envergure et proposer des transactions dans la limite de 150 000 euros ou 5 % du dernier chiffre d’affaires en France.

([53]) L’article 131‑38 du code pénal dispose que « le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction ».

([54]) L’étude d’impact fait mention d’une dizaine de poursuites par an, qui aboutissent pour la moitié d’entre elles à une condamnation. Les peines d’emprisonnement sont minoritaires et systématiquement assorties d’un sursis.

([55]) Art. L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier.

([56]) Les compétences concurrentes du procureur de la République financier figurent à l’article 705 du code de procédure pénale.

([57]) Article 22 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([58]) Page 143.

([59]) Source : mission d’évaluation des relations entre justice et environnement.

([60]) Cette procédure a été créée par l’ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement.

([61]) Le décret n° 2017-660 du 27 avril 2017 relatif à la convention judiciaire d’intérêt public et au cautionnement judiciaire est venu préciser les conditions d’application de la loi.

([62]) Article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire.

([63]) Article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire.

([64]) Article 76 de la loi n° 2014‑1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

([65]) Art. 1246 à 1252 du code civil. Aux termes de l’article 1247, « le préjudice écologique [consiste] en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ».

([66]) Infractions visées aux articles L. 415‑6 et L. 541‑46 du code de l’environnement.

([67]) Titre XIII bis du livre IV du code de procédure pénale, « De la procédure applicable aux infractions en matière sanitaire et environnementale ».

([68]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. n° 147.

([69]) Art. 6 de la loi du 24 juillet 2019.

([70]) Par exemple, la pollution due aux opérations d’exploration ou d’exploitation du fond de la mer ou de son sous-sol prévue à l’article L. 218‑32 du code de l’environnement.

([71]) Art. 706-111-1 du code de procédure pénale.

([72]) La rédaction se trouve alignée avec celle de l’article L. 544‑10 du code du patrimoine.

([73]) Rapport n° 1397 de Mme Laetitia Avia et de M. Didier Paris sur le projet de loi de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice, fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, 9 novembre 2018.

([74]) Art. 39-3 du code de procédure pénale.

([75]) Circulaire du garde des Sceaux du 8 septembre 2016 relative aux mesures de simplification de la procédure pénale : « La formulation des demandes d’autorisation, que les OPJ doivent adresser au parquet pour pouvoir procéder à des réquisitions, constitue une charge de travail importante pour les enquêteurs comme pour les magistrats. En effet, nombre de ces sollicitations, qui ne nécessitent pas une réelle appréciation en opportunité, mobilisent inutilement les services de permanence des parquets. Si le rôle des procureurs de la République en matière de maîtrise des frais de justice, de détermination des priorités de politique pénale dans leur ressort et de direction de la police judiciaire justifie pleinement le maintien d’une autorisation préalable à la délivrance de réquisitions au titre des enquêtes réalisées sous leur autorité, il apparaît néanmoins que, pour certaines catégories de réquisitions, des autorisations permanentes pourraient être délivrées, par voie d’instructions générales, dans le cadre des enquêtes préliminaires. Cette pratique, déjà adoptée par plusieurs parquets, mériterait d’être davantage développée dans l’intérêt commun des magistrats, des enquêteurs et de la conduite des investigations. »

([76]) La circulaire précitée recense, à l’appui de ses préconisations, des arrêts de la chambre criminelle des 23 mai 2006, 9 janvier 2007, 8 juin 2010, 1er février 2011 et 20 juillet 2011.

([77]) Cass. crim., 17 décembre 2019, n° 19-83574.

([78]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. n° 141.

([79]) Infractions de l’article 706-47 du code de procédure pénale.

([80]) Art. 706‑115 du code de procédure pénale.

([81]) L’article 706-54 du code de procédure pénale permet déjà aux officiers de police judiciaire de faire procéder à un rapprochement de l’empreinte du suspect de l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55, soit les infractions donnant lieu à inscription au FNAEG, avec les données déjà contenues dans ledit fichier. Ils peuvent aussi ordonner un prélèvement biologique destiné à l’analyse d’identification de l’empreinte génétique du même suspect.

([82]) Cette compétence correspond, pour l’essentiel, à celle du juge unique en première instance, comme le prévoit l’article 398 du code de procédure pénale.

([83]) Art. 498 du code de procédure pénale.

([84]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. n° 297 : « Si le législateur a par ailleurs prévu que l’affaire soit examinée de plein droit dans une formation collégiale, à la demande du prévenu, il a limité cette faculté au cas où ce dernier a formé sa demande dans l’acte d’appel, lequel ne peut être interjeté que dans les dix jours en vertu de l’article 498 du code de procédure pénale. En limitant ainsi les conditions de l’accès à une formation collégiale en appel correctionnel, le législateur a, compte tenu du quantum des peines d’emprisonnement susceptibles d’être prononcées, porté une atteinte excessive à la garantie des droits protégée par l’article 16 de la Déclaration de 1789. »

([85]) Art. 706-54-1 du code de procédure pénale.

([86]) La rédaction actuellement en vigueur est issue de l’article 48 de la loi du 23 mars 2019 précitée.

([87]) L’article 145-2 du code de procédure pénale prévoit, en matière criminelle, un délai d’un an avant qu’il soit nécessaire de prolonger la détention provisoire.

([88]) Décision n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019, M. Abdelnour B., par. n° 13 : « Il en résulte qu’une personne placée en détention provisoire pourrait se voir privée, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire. Pour ce motif, eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense. »

([89]) Décision n° 2020-836 QPC du 30 avril 2020, M. Maxime O., par. n° 10 : « Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 7 à 13 de la décision du 20 septembre 2019, ces dispositions portent une atteinte excessive aux droits de la défense et doivent être déclarées contraires à la Constitution. »

([90]) Rapport n° 3347 de M. Guillaume Kasbarian au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, 17 septembre 2020.

([91]) Art. 240 du code de procédure pénale.

([92]) Art. 243 du même code : « La cour proprement dite comprend : le président et les assesseurs. » La cour d’assises est présidée par un président de chambre ou par un conseiller de la cour d’appel (art. 244 du même code). Les deux assesseurs sont également choisis soit parmi les conseillers de la cour d’appel, même si l’un d’eux peut être un magistrat honoraire (art. 249 du même code).

([93]) Art. 259 à 267 du même code.

([94]) Art. 296 du même code.

([95]) La première phrase du premier alinéa de l’article 362 du code de procédure pénale disposait : « En cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président donne lecture aux jurés des dispositions des articles 1301, 132-1 et 132-18 du code pénal ».

([96]) Décision n° 2019-770 QPC du 29 mars 2019, M. Chamsoudine C., par. n° 9 : « Toutefois, lorsqu’une cour d’assises composée majoritairement de jurés, qui ne sont pas des magistrats professionnels, prononce une peine à laquelle s’attache une période de sûreté de plein droit, ni les dispositions contestées ni aucune autre ne prévoient que les jurés sont informés des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté et de la possibilité de la moduler. »

([97]) Rapport n° 335 (2019-2020) de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission des Lois du Sénat, 19 février 2020.

([98]) Décision n° 2019-828/829 QPC du 28 février 2020, M. Raphaël S. et autre.

([99]) « Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. » Afin d’éviter toute incertitude juridique et tout risque de nullité dans la façon dont le témoignage sera recueilli, notamment parce que le concubinage est un état de fait et non de droit, l’état de mariage, de pacte civil de solidarité ou de concubinage devra avoir été allégué par le témoin, l’accusé ou une partie, sans être contesté ou en étant établi par les éléments de la procédure.

([100]) Décision n° 2019-786 QPC du 24 mai 2019, Association Sea Shepherd.

([101]) Cette disposition avait été privilégiée par le Conseil constitutionnel au paragraphe n° 12 de sa décision : « Afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les citations délivrées en application de la loi du 29 juillet 1881 après cette date sont soumises aux délais de distance déterminés aux deux derniers alinéas de l’article 552 du code de procédure pénale. »

([102]) L’objectif de la réhabilitation est de rendre ses droits à la personne frappée par une condamnation. Elle peut être définie comme le rétablissement du condamné dans son honneur et sa probité par l’effacement de la condamnation et de toutes les déchéances et incapacités qui peuvent en résulter.

([103]) Est seul dégagé de ces conditions, selon l’article 789 du code de procédure pénale, le condamné qui a rendu des services éminents au pays.

([104]) Loi constitutionnelle n° 2007‑239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort.

([105]) Art. 131‑6 du code pénal.

([106]) Art. 321‑45 du code pénal.

([107]) Art. 131‑10 du code pénal.

([108]) Art. 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

([109]) Art. 131‑32 du code pénal.

([110]) En 2018, 1 840 infractions commises dans ces lieux ont donné lieu à condamnation.

([111]) Loi n° 84610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

([112]) 302 condamnations pour des infractions aggravées ont été prononcées en 2018.

([113]) Devenu la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

([114]) Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d’orientation des mobilités, par. n° 60.

([115]) Il s’agit des violences (articles 222‑11 à 222‑13), des agressions sexuelles (articles 222‑22 à 222‑22‑2), de l’exhibition et du harcèlement sexuels (articles 222‑32 et 222‑33), des vols (articles 311‑1 à 311‑6) et des extorsions (articles 312-1 et 312-2).

([116]) Art. 434‑41 du code pénal.

([117]) Art. 230‑19 du code de procédure pénale.

([118]) Le projet de loi n° 2367 ratifiant cette ordonnance a été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 octobre 2019.

([119]) Le Conseil d’État a estimé dans son avis sur le présent projet de loi que la rédaction du code pénal « n’assure pas avec sécurité juridique la possibilité légale de prononcer cette peine lorsque les faits ont été commis dans des véhicules roulants » (avis n° 399314 du 23 janvier 2020, point n° 39). Mais cette affirmation ne semble pas évidente. La Cour de cassation donne toute latitude aux juges du fond pour déterminer les lieux où il est fait défense au condamné de paraître (Cass. crim., 27 novembre 2002, pourvoi n° 02-83.660). Par ailleurs, comme le relève Jean-Luc Lennon dans le fascicule (n° 20, 1er septembre 2017) que le JurisClasseur consacre à l’interdiction de séjour, « rien ne s’opposerait à ce que le condamné soit interdit de fréquenter des lieux géographiques plus restreints que ceux fixés à l’échelle d’un département, tels une ville, un village, un quartier, voire même des endroits dans lesquels s’exercent des activités particulières où sont accueillis tel ou tel type de population » sous la seule réserve de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

([120]) Il s’agit de ceux perçus en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires mentionnés à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

([121]) Les deux professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice sont engagées dans un mouvement de regroupement amorcé par la loi du 6 août 2015 qui aboutira, au 1er juillet 2022, à la création de la profession de commissaire de justice.

([122]) Conformément à l’intention du présent article de recentrer sur ces trois professions les contributions au fonds, vos rapporteures ont souhaité concentrer leur commentaire sur ces seules dernières.

([123]) Arrêtés du 26 février 2016, du 27 février 2018 et du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des commissaires-priseurs judiciaires, des huissiers de justice et des notaires.

([124]) Rapport d’information n° 1454 déposé en application de l’article 145 du règlement, le 29 novembre 2018, en conclusion des travaux de la mission d’information commune sur l’évaluation de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « Loi Macron ».

([125]) Hors pacte civil de solidarité dont les émoluments sont passés de 192,31 € à 84,51 € en application de l’article A. 444‑81 du code de commerce et les mainlevées mentionnées à l’article A. 444‑141 du même code qui passent d’un barème proportionnel à un barème fixe.

([126]) Le nombre d’administrateurs judiciaires et de mandataires judiciaires n’est pas limité et celui de greffiers de tribunal de commerce est déterminé par la carte des tribunaux de commerce. Ces professions n’ont donc pas été concernées par cette réforme.

([127]) Page 193.

([128]) Cons. n° 51.

([129]) Conseil constitutionnel, décision n° 2016-743 DC du 29 décembre 2016, Loi de finances rectificative pour 2016, cons. n° 27.

([130]) Dans une décision n° 2011‑221 QPC du 17 février 2012, le Conseil constitutionnel a estimé que ces cotisations ne pouvaient être considérées comme des impositions de toutes natures dès lors qu’elles « sont perçues par des organismes de droit privé ; qu’elles tendent au financement d’activités menées, en faveur de leurs membres et dans le cadre défini par le législateur, par les organisations interprofessionnelles constituées par produit ou groupe de produits ; que ces cotisations sont acquittées par les membres de ces organisations » (cons. n° 4).

([131]) Ne sont pris en compte que les offices ayant déclaré une activité et dont les données sont considérées fiables.

([132]) Les taxes d’un montant inférieur à 50 euros ne sont pas comptabilisées.

([133]) Adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, l’article 27 bis introduit par ces amendements a été supprimé au cours de la navette.

([134]) Ordonnances n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat et n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice.

([135]) Avis n° 18-A-08 du 31 juillet 2018 relatif à la liberté d’installation des notaires et à une proposition de carte révisée des zones d’implantation, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices notariaux.

 

([136]) Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil, 29e rapport annuel sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne et la lutte contre la fraude (2017).

([137]) Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.

([138]) Loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

([139]) Loi n° 85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

([140]) Régis Fraisse, « Les collectivités territoriales régies par l’article 74 », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 35, avril 2012.

([141]) 2° de l’article 14 de la loi organique du 27 février 2004 précitée.

([142]) 2° du I de l’article 21 du statut du 19 mars 1999 précité. 

([143]) Article 6‑2 du statut du 19 mars 1999 précité.

([144]) Conseil constitutionnel, décision n° 2004‑490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, considérant n° 18. Le législateur organique a plus tard formulé la même réserve à l’article 8 de la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française. Les contours de cette catégorie de normes, dite des « lois de souveraineté », sont définis restrictivement par la jurisprudence.

([145]) Conseil d’État, 17 mai 2002, M. Hoffer, n° 232359.

([146]) L’applicabilité résulte alors du texte même.

([147]) 4° et 5° de l’article 1‑1 de la loi n° 55‑1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton.

([148]) Art. L. 541‑1 du code de l’organisation judiciaire.

([149]) Art. L. 531‑1 du même code.

([150]) Art. L. 551‑1 du même code.

([151]) Art. L. 561‑1 du même code.

([152]) Article 7 du présent projet de loi.

([153]) Les articles L.P. 421-1 à L.P. 421-2-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et L.P. 200-1 à L.P. 200-2 du code de la concurrence de la Polynésie française répriment des pratiques anticoncurrentielles. En revanche, le délit de participation personnelle et déterminante à la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de certaines pratiques anticoncurrentielles est prévu par des normes différentes : en Nouvelle-Calédonie, par la loi nationale (article 6 de l’ordonnance n° 2014-471 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du livre IV du code de commerce relevant de la compétence de l’État en matière de pouvoirs d’enquête, de voies de recours, de sanctions et d’infractions) ; en Polynésie française, par le code de la concurrence local (article L.P. 200-6).

([154]) L’article 120 dudit règlement prévoit, en effet, son entrée en vigueur « le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne ». Cette publication a eu lieu le 31 octobre 2017.

([155]) « Dommage sans tort » en latin.

([156]) Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.

([157]) Sixième considérant de la Charte de l’environnement.

([158]) Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

([159]) La limitation du droit à réparation à un préjudice « non négligeable » fait actuellement l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité n° 2020-881 QPC, reçue au greffe du Conseil constitutionnel le 17 novembre 2020. Elle a pour objet de déterminer si cette limitation est contraire aux articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement, ce dernier article ne posant aucune limitation à la gravité des dommages causés à l’environnement que toute personne doit contribuer à réparer, mais renvoyant à la loi le soin de définir les conditions d’application de cette disposition.

([160]) Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

([161]) Une justice pour l’environnement, mission d’évaluation des relations entre justice et environnement, Conseil général de l’environnement et du développement durable et Inspection générale de la justice (IGJ), octobre 2019.

([162]) Elle est en principe proposée par le préfet de département pour toutes les infractions au code de l’environnement, mais par le préfet maritime pour certaines infractions commises dans les eaux marines et voies ouvertes à la navigation maritime, les réserves naturelles ou les parcs naturels marins.

([163]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([164]) En application du nouvel article 180-3 du code de procédure pénale, introduit par le 2° de l’article 8 du présent projet de loi.

([165]) Le chiffre d’affaires moyen annuel est calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements.

([166]) Cette décision est insusceptible de recours.

([167]) Ou à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient.

([168]) Article 25 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

([169]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([170]) Décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l’organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([171]) Le Programme des Nations unies pour l’environnement distingue, dans cette étude, les cours (relevant du pouvoir judiciaire) des tribunaux (relevant du pouvoir exécutif).

([172]) La possibilité de désignation d’un tribunal compétent par département en matière environnementale, introduite par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sera ainsi complémentaire à la création des pôles régionaux spécialisés, qui seront compétents dans les affaires qui sont ou apparaîtraient complexes.

([173]) Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

([174]) Ou l’exercice d’une activité ou la réalisation de travaux.

([175]) Ou l’exercice d’une activité ou la réalisation de travaux.

([176]) Les eaux de ballast, utilisées pour équilibrer les navires, contiennent des microbes, plantes et animaux qui voyagent ensuite dans le monde entier, ce qui peut favoriser l’introduction d’espèces envahissantes et avoir d’importantes conséquences sur les écosystèmes.

([177]) Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019.

([178]) Titre V du livre II de la partie législative du code rural et de la pêche maritime.