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N° 3595

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi, adoptÉe par le SÉnat,
tendant à instituer une carte Vitale biométrique,

 

 

 

Par M. Patrick HETZEL,

Député.

——

 

 

 

 

 

Voir les numéros :

Sénat :  517 (2018-2019), 116, 117 et T.A. 28 (2019-2020)

Assemblée nationale :  2425

 


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

 Pages

introduction

I. La fraude aux cartes vitale s’inscrit dans le vaste paysage de la fraude à l’assurance-maladie

1. La fraude à l’assurance maladie : une rupture du pacte social et du principe de solidarité

2. La fraude à la carte Vitale : le détournement d’un outil de simplification de la prise en charge des soins

II. La fraude aux cartes vitale : une fraude mal documentée aux effets potentiellement massifs

1. L’estimation du nombre de fraudeurs : une terra incognita

a. Autant de chiffrages que de sources

b. Les principaux facteurs explicatifs de l’existence des cartes surnuméraires

2. Des effets potentiellement néfastes pour la santé même des patients et la responsabilité des professionnels de santé

III. Les efforts de fiabilisation du parc des cartes Vitale demeurent insuffisants

1. Une sécurisation progressive des cartes...

2. ... qui n’empêche pas la fraude

3. L’expérience actuelle de dématérialisation des cartes Vitale ne répond pas au problème de la fraude

IV. Expérimenter les cartes vitale biométriques

1. Une véritable réponse aux enjeux de la fraude à la carte Vitale

a. L’individualisation

b. La fiabilisation

2. Une pratique développée chez nos partenaires européens

3. Le choix d’une expérimentation : un coût raisonnable pour s’assurer de sa pertinence

Commentaires d’articles

Article 1er Expérimentation d’une carte Vitale biométrique

Article 1er bis Limitation de la durée d’une carte Vitale à celle de l’ouverture des droits des assurés

Article 3 Gage financier

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Article 1er bis Limitation de la durée d’une carte Vitale à celle de l’ouverture des droits des assurés

Article 2 (supprimé)

Article 3 Gage financier

Annexe :  Liste des textes susceptibles d’être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

introduction

I.   La fraude aux cartes vitale s’inscrit dans le vaste paysage de la fraude à l’assurance-maladie

La fraude aux cartes Vitale, si elle est éminemment symbolique, participe d’un vaste ensemble de pratiques illicites ou illégales qui contribuent à miner la confiance de nos concitoyens dans l’équité de notre système de santé.

1.   La fraude à l’assurance maladie : une rupture du pacte social et du principe de solidarité

● Les grands principes de la sécurité sociale et, partant, de la prise en charge de l’ensemble des frais de santé de nos concitoyens par l’assurance maladie, commandent à l’ensemble du code de la sécurité sociale.

Ainsi, au titre de l’article L 111-1, « la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale » et, selon les termes de l’article L. 111-2-1 du même code, « la protection contre le risque et les conséquences de la maladie est assurée à chacun, indépendamment de son âge et de son état de santé. Chacun contribue, en fonction de ses ressources, au financement de cette protection. » Enfin, « chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources consacrées par la Nation à l’assurance maladie ».

La fraude aux prestations de santé contrevient précisément à l’ensemble de ces principes. Elle empêche la bonne application du principe de solidarité, permettant à une partie des fraudeurs d’abuser de cette solidarité quand d’autres n’y contribuent pas à leur juste mesure. Surtout, la fraude déchire le pacte selon lequel chacun contribue au financement de notre protection sociale en fonction de ses ressources. Les tricheurs abusent de ce système, indépendamment de leurs ressources et des dispositifs destinés à assurer l’accès de tous aux soins. Il est enfin bien évident que la fraude contrevient diamétralement au principe de la juste participation de chacun au bon usage des ressources que la Nation emploie pour assurer un système de santé équitable, efficace et durable.

● La fraude à l’assurance maladie, qui enfreint les principes fondateurs de notre sécurité sociale, devient plus choquante encore dans le contexte actuel.

Sur un plan financier, tout d’abord, les comptes de la branche maladie, tels qu’ils sont présentés par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 en cours d’examen présentent un déficit inédit.

 

Évolution financière de la branche maladie

(en milliards d’euros)

Année

2020

2021

2022

2023

2024

Recettes

204,8

197,9

201,4

206,9

211,9

Dépenses

234,6

216,9

219,3

224,2

229,1

Solde

– 29,8

– 19

– 17,9

– 17,3

– 17,1

Source : annexe B du PLFSS 2021.

Sur un plan social, ensuite. La période d’épidémie sanitaire que notre nation traverse témoigne du retard pris dans l’équipement sanitaire de nos établissements de santé comme de la reconnaissance de la valeur du travail de nos soignants ainsi que de l’ensemble des salariés du secteur médico-social. Dans ce contexte, la fraude à l’assurance maladie, en ce qu’elle la prive des ressources nécessaires au soutien des personnes fragiles, des personnes qui souffrent de maladies chroniques ou de nos aînés, devient insupportable.

2.   La fraude à la carte Vitale : le détournement d’un outil de simplification de la prise en charge des soins

La carte Vitale est un mécanisme permettant de justifier, auprès d’un professionnel de santé ou d’un établissement de santé, des droits au remboursement des prestations ou de bénéficier d’une avance de frais sur ces mêmes prestations, dans le cadre du tiers payant. Celui-ci est toujours mis en place par les établissements de santé et dans la majorité des cas pour les pharmaciens et auxiliaires médicaux.

Sont éligibles à cette carte, délivrée gratuitement :

– toutes les personnes affiliées à l’assurance-maladie française, à partir de l’âge de 16 ans ;

– sur demande, les enfants entre 12 et 16 ans.

La carte Vitale marque bien sûr un progrès par rapport aux feuilles de soins, qu’elles soient dématérialisées ou non, notamment pour ce qui est de la fiabilité du remboursement des prestations. À ce titre, la prise en charge des frais de santé par le biais de feuilles de soins dématérialisées sans carte Vitale ou de feuilles de soins « papier », qui représentent encore 20 % de l’ensemble des modalités de prise en charge, sont bien plus susceptibles de faire l’objet de fraudes.

Deux types de fraude sont majoritairement attachés à l’utilisation des cartes Vitale : celle qui est imputable à l’assuré et celle qui est le fait du professionnel de santé. L’expérimentation proposée dans le cadre du présent projet de loi doit principalement servir à lutter contre le premier type de fraude, mais pourrait également indirectement diminuer le second.

II.   La fraude aux cartes vitale : une fraude mal documentée aux effets potentiellement massifs

1.   L’estimation du nombre de fraudeurs : une terra incognita

a.   Autant de chiffrages que de sources

La comptabilisation du nombre de cartes Vitale actives se signale par sa faible fiabilité. De nombreux « chiffrages » ont ainsi été établis au fil des enquêtes et des missions consacrées à la question de la fraude aux prestations sociales, qui peuvent être résumées de la façon suivante :

La mission confiée par le Premier ministre à la sénatrice Nathalie Goulet et à la députée Carole Grandjean ([1]) avait estimé qu’il existait un surnombre de 5,25 millions de cartes Vitale, en comparant le nombre de bénéficiaires potentiels des prestations d’assurance maladie par le biais des cartes Vitale au-delà de l’âge minimal de 16 ans avec le nombre de cartes Vitale fonctionnelles.

S’il semble que le nombre de cartes Vitale actives doive être revu à la baisse par rapport aux estimations des deux parlementaires – 58,3 millions de cartes Vitale selon la direction de la sécurité sociale – l’écart avec le nombre de bénéficiaires potentiels a néanmoins continué de varier en fonction des sources.

Le rapport de la commission d’enquête ([2]) dont votre rapporteur était le président a ainsi reçu des informations contradictoires émanant de la direction de la sécurité sociale, entre les déclarations de sa directrice lors de son audition devant la commission le 11 février 2020, où celle-ci considérait que cet écart pouvait être estimé à 2,6 millions de cartes, et la publication subséquente d’un communiqué de presse, où cet écart se serait réduit à hauteur de 609 000 cartes surnuméraires, dont la majeure partie concernerait le régime des travailleurs indépendants. Cette déduction, qui part d’un écart de 2,5 millions entre le nombre de cartes valides et la population de personnes vivant en France âgée de 16 ans et plus, tiendrait notamment à l’existence de :

– 365 000 détenteurs d’une carte Vitale âgés de moins de 16 ans ;

– 1,2 million de titulaires de pensions de retraites et de rentes AT‑MP résidant à l’étranger ;

– 200 000 assurés affiliés à la caisse des Français de l’étranger (CFE) ;

– 200 000 salariés détachés à l’étranger.

Cette analyse a été contestée par la Cour des comptes dans le rapport qu’elle a remis en septembre 2020 à la commission des affaires sociales du Sénat ([3]). Elle considère en effet que l’on ne peut pas estimer que l’ensemble des titulaires de pensions de retraites qui résident à l’étranger sont titulaires d’une carte Vitale active. Nombre d’entre eux, dont notamment les personnes qui bénéficient d’une pension de réversion d’un régime de retraite français, n’ont jamais résidé en France ni n’ont sollicité l’assurance maladie française. De la même manière, les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État (AME), recensés à environ 320 000 personnes en 2019, ne sont pas titulaires de cartes Vitale, et doivent donc être retraités de l’estimation de la population française âgée de plus de 16 ans.

À l’aune des données recueillies in fine par la commission, l’écart peut être estimé à environ 1,8 million entre le nombre cartes Vitale actives et le nombre de bénéficiaires potentiels.

Dès lors, sans tenir compte de l’estimation du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2013 à ce sujet ([4]), estimant le nombre de cartes Vitale actives surnuméraires à un chiffre de 7,76 millions qui a connu une diminution sensible pour les raisons exposées infra, le graphique ci-dessous illustre les estimations du phénomène proposées depuis deux ans.

Estimations du nombre de cartes surnuméraires en fonction des sources des deux derniÈres années (*)

(*) S’agissant du rapport de la Cour des comptes, ses auteurs estiment que l’estimation de 600 000 cartes surnuméraires, fournie par la direction de la sécurité sociale à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales est sous-estimée, au regard notamment du nombre de bénéficiaires de l’AME qui n’utilisent pas de carte Vitale.

b.   Les principaux facteurs explicatifs de l’existence des cartes surnuméraires

L’écart entre la comptabilisation des cartes Vitale et le recensement du nombre d’assurés éligibles peut s’expliquer de plusieurs façons.

En premier lieu, cet écart a été évolutif dans le temps, mais tient notamment, selon le directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) auditionné par la commission d’enquête, à la mise en place initiale des cartes Vitale. Le stock initial de carte surnuméraires aurait été lié à l’absence de coordination inter-régimes, précédemment à la mise en place d’un répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie (RNIAM). En l’absence de cette coordination, les assurés ont reçu autant de cartes Vitale que de fois où ils changeaient de régime, notamment pour des trajectoires professionnelles où des assurés pouvaient être successivement étudiants, indépendants puis salariés.

Une autre partie de cette différence peut être liée au délai de fabrication de cartes ou encore à l’absence de demande de cartes Vitale par des bénéficiaires légitimes. Par ailleurs, les pensionnés français du système de retraite installés à l’étranger peuvent conserver leur carte Vitale dès lors qu’ils ont cotisé cinq ans à la sécurité sociale.

Le rapporteur salue certes la diminution constante du nombre de cartes Vitale surnuméraires, par rapport à la situation décrite dans le rapport conjoint de l’IGF et de l’IGAS, qui évaluait en 2013 le nombre de cartes surnuméraires à environ 7,76 millions ([5]), soit un écart entre les 52,6 millions de personnes de plus de 16 ans recensées en France au 1er janvier 2013 et les 60,36 millions de cartes Vitale actives au même moment. Cet écart, selon le rapport de la mission IGF-IGAS, était principalement le fait du régime étudiant, pour lequel 570 000 personnes pouvaient être considérées comme surnuméraires et auraient dû être uniquement rattachées aux régimes de sortie du régime étudiant, soit en grande majorité le régime général.

Au‑delà des seuls écarts entre la population éligible et les cartes Vitale en circulation, le rapport entre le nombre d’assurés recensés dans le RNIAM et celui des cartes valides enregistrées dans le système d’information des régimes d’assurance maladie attestent là-encore d’écarts nombreux dans un sens ou dans l’autre. Ainsi, l’écart au sein des régimes dont les cartes valides seraient supérieures au nombre d’assuré, serait finalement de 152 603. À l’inverse, la situation du régime général se caractériserait par une sous-utilisation conséquente des cartes Vitale de plus de 3 millions de personnes éligibles, selon le tableau ci-dessous.

Cette difficulté de recensement correct des données au sein même des régimes plaide en faveur d’un effort rapide et crucial en faveur du rattachement de l’assuré à sa carte, par le biais de l’individualisation et de l’authentification de données rattachables à un unique porteur.

2.   Des effets potentiellement néfastes pour la santé même des patients et la responsabilité des professionnels de santé

Ainsi que l’ont souligné nos collègues sénateurs lors de l’examen de la présente proposition de loi, la fraude à la carte Vitale n’emporte pas que des conséquences financières. Les cartes Vitale 2 contiennent ainsi, outre les données identifiantes, des éléments relatifs ([6]) :

– au choix du médecin traitant du titulaire de la carte ;

– à la situation du titulaire en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles et aux derniers accidents du travail ou maladies professionnelles reconnus.

Ces données sensibles de santé peuvent contribuer à orienter un diagnostic ou informer à mauvais escient les professionnels de santé comme les pharmaciens, soit autant de situations dans lesquelles leur responsabilité pourrait être engagée alors même que ces actes ont été effectués de bonne foi sur la base des informations qui étaient à leur disposition.

III.   Les efforts de fiabilisation du parc des cartes Vitale demeurent insuffisants

1.   Une sécurisation progressive des cartes...

La fiabilité du système des cartes Vitale est naturellement renforcée par le biais des bases de données auxquelles elles renvoient. Elles n’ouvrent en effet pas de droits en elles-mêmes, mais constituent une modalité d’identification de l’assuré auprès d’un organisme de la sécurité sociale, principalement une caisse primaire d’assurance maladie. Ce processus d’identification, à savoir d’association d’une carte avec l’identité préalablement enregistrée d’un assuré, permet normalement de supprimer les risques de fraude liés à l’utilisation d’un doublon de carte Vitale pour un seul assuré.

Cette première fiabilisation a été accompagnée d’un certain nombre d’initiatives mises en œuvre progressivement par la CNAM. Il s’agit en particulier de :

– la mise en place d’une liste d’opposition pour les cartes Vitale dont leurs propriétaires signalent la perte ou le vol. Depuis 2004, cette « liste d’opposition électronique », qui contient les numéros de séries des cartes Vitale auxquelles il a été fait opposition, est adressée à l’ensemble des pharmaciens, ce qui ne leur permet plus de réaliser des feuilles de soins électroniques lorsqu’une telle carte leur est présentée ;

– une meilleure identification des propriétaires de carte Vitale par le biais de l’apposition d’une photographie d’identité sur les cartes « Vitale 2 », carte qui n’a en outre pas à être renouvelée lors du passage de l’assuré d’un régime à un autre ;

– l’action récente de « mise en fin de vie » des cartes Vitale si les titulaires ne sont plus éligibles aux droits qui sont attachés à ces cartes, qu’ils ont été radiés ou qu’ils sont décédés. Ce type d’opérations aurait ainsi permis de supprimer 2,7 millions de cartes en 2019.

Surtout, la mise en place du portail inter-régimes susmentionné à partir de 2010 a permis de bloquer la délivrance d’une nouvelle carte dès lors que l’ancienne était toujours en circulation, permettant d’éviter de poursuivre les doublons initiaux en vertu d’un meilleur partage de l’information entre les régimes.

2.   ... qui n’empêche pas la fraude

Si la fraude à l’utilisation d’une carte Vitale « en fin de vie » ne représenterait, selon la CNAM, que 0,01 % du nombre de feuilles et de montants réglés, la Cour des comptes a encore identifié plusieurs modalités possibles d’utilisation frauduleuse d’une carte Vitale qui justifient précisément l’expérimentation proposée par le rapporteur.

La première d’entre elles relève du décalage entre le moment où le titulaire constate la perte ou le vol de sa carte Vitale et le moment où il y fait opposition. Le titulaire n’est par ailleurs aucunement tenu de faire opposition.

Il existe par ailleurs un délai entre le moment où l’assurance maladie clôt les droits d’un assuré et où la prise en charge des frais de santé par l’intermédiaire de la carte Vitale du même assuré s’interrompt, via l’invalidation de la carte elle‑même. Pendant ce délai, des frais de santé peuvent toujours être facturés à l’assurance maladie.

Enfin, s’agissant des professionnels de santé fraudeurs, les techniques de lutte contre la fraude ne permettent aucunement d’identifier les cas de facturation d’actes ou de prescriptions médicales, dans le cadre d’une prise en charge intégrale en tiers payant par le biais de la complémentaire santé solidaire (CSS), pour l’ensemble des membres de la famille rattachés à une carte Vitale, alors qu’un seul d’entre eux a bénéficié de cet acte. Or, selon les données de la CNAM recueillies par la Cour des comptes, 1 million de titulaires de la CMU‑C, soit la prestation antérieure à la CSS, étaient titulaires d’une carte où au moins deux assurés étaient inscrits. Cette pratique est indétectable, puisqu’elle n’implique le paiement d’aucun ticket modérateur ni aucun remboursement par le biais d’une assurance complémentaire santé, qui permettrait d’informer indirectement l’assuré de cette fraude à la prise en charge.

3.   L’expérience actuelle de dématérialisation des cartes Vitale ne répond pas au problème de la fraude

Le rapporteur remarque avec intérêt que les principes qui sous-tendent la présente proposition de loi ont déjà présidé à une expérimentation de l’assurance maladie : la mise en place d’une carte Vitale dématérialisée dans les départements du Rhône et des Alpes-Maritimes, entre mai 2019 et mai 2020, auprès d’un certain nombre d’assurés et de professionnels de santé ([7]). Cette e-carte :

– est téléchargeable à partir de n’importe quel support numérique portable, notamment smartphone et tablette ;

– permet l’identification, et plus encore, l’authentification individuelle de l’assuré, grâce au recours à des données biométriques propres à l’assuré ;

– ne contient pas, à la différence des cartes Vitale actuelles, les données de santé des assurés et de leurs ayants droit, mais permet de les identifier dans la base des professionnels de santé ADRi (acquisition des droits intégrée). Cette base demeure toutefois sous-utilisée, puisque, selon les données de la Cour, seules 66 % des pharmacies et 80 % des auxiliaires médicaux y auraient recours. Ce recours à une base externe et actualisée doit notamment permettre de réduire le délai entre l’extinction des droits et l’absence de prise en charge des frais de santé.

Cette expérimentation aurait vocation à se prolonger, selon la Cour des comptes, jusqu’en 2021 et éventuellement à s’étendre à d’autres départements, pour devenir la base d’une substitution à terme des anciennes cartes Vitale par des ecartes.

Elle ne permet toutefois pas de régler les principales problématiques relatives à la fraude aux cartes Vitale. Celle-ci s’appuie principalement sur la possibilité d’user de cartes frauduleuses par le biais :

– des vols ou pertes de cartes. Ceux-ci sont encore renforcés par le fait qu’il revient aux assurés de procéder à la déclaration de la perte ou du vol ainsi que par le délai pendant lequel une carte volée peut continuer de fonctionner, alors même que les droits auxquels elle donne accès ont normalement été éteints ;

– du « prêt » de cartes Vitale normalement personnelles à des membres de l’entourage de l’assuré, qu’il s’agisse du cercle familial, amical mais parfois aussi de l’alimentation d’un trafic ;

– de l’utilisation d’une même carte auprès de différentes instances, notamment dans le cadre d’un « tourisme pharmaceutique » qui, par manque d’actualisation de la carte, permet au même utilisateur d’acheter plusieurs médicaments par le biais d’ordonnances parfois grossièrement photocopiées pour procéder à leur revente frauduleuse par la suite.

La dématérialisation de la carte ainsi que l’utilisation de données biométriques sur la base du volontariat souffrent donc de plusieurs faiblesses :

– la mise en place d’une application sur équipement mobile, telle que se présente cette carte Vitale dématérialisée, n’empêchera pas l’échange, le prêt, le vol, la perte et donc l’ensemble des utilisations frauduleuses applicables en l’état aux cartes physiques ;

– la mise en place de cette expérimentation sur la base du volontariat ne permet évidemment pas de toucher le public voulu, en l’occurrence les fraudeurs ;

– enfin, la dématérialisation peut conduire à exclure de l’expérimentation les personnes âgées, dépendantes ou fragiles, qui peuvent constituer les cibles prioritaires des utilisateurs de cartes volées.

IV.   Expérimenter les cartes vitale biométriques

1.   Une véritable réponse aux enjeux de la fraude à la carte Vitale

Le recours à des éléments biométriques permet de répondre en grande partie aux enjeux de la fraude exposée ci-dessus.

a.   L’individualisation

En premier lieu, la mise en place d’une expérimentation sur la base d’une inscription de données biométriques dans la carte Vitale garantira l’utilisation de ce document par son seul titulaire. Cette inscription suppose évidemment que chacun des prescripteurs de soins ou de produits de santé qui sont récipiendaires de la carte disposent de terminaux permettant de vérifier la correspondance de la carte avec la personne qui la présente. C’est toutefois uniquement à ce prix que chacun des professionnels de santé pourra s’assurer de l’identité du patient.

b.   La fiabilisation

L’ajout d’un élément biométrique dans les cartes Vitale permettrait également de répondre à l’enjeu de la mise à jour de la carte en temps réel et de supprimer l’interstice actuel entre la fin des droits liés à une carte et la fin de la prise en charge réelle des frais de santé lorsque celle-ci est présentée par un assuré. Sur le même modèle que celui qui est développé pour la carte dématérialisée, cette nouvelle génération de cartes Vitale devrait pouvoir permettre aux récepteurs de ces cartes d’avoir directement accès à la base ADRi et de s’assurer de ce que les cartes Vitale biométriques présentées ne soient pas en opposition.

2.   Une pratique développée chez nos partenaires européens

Le recours à des données biométriques n’est pas inédit parmi nos partenaires européens. Le Portugal, par exemple, regroupe dans une seule carte biométrique les données relatives à l’identification civile et fiscale, le numéro de sécurité sociale, l’éligibilité à la prise en charge des frais de santé et la carte d’électeur.

Le mouvement vers une identification biométrique est d’ailleurs celui que doivent désormais emprunter l’ensemble des États membres de l’Union européenne s’agissant des cartes nationales d’identité. L’Union européenne, par le biais d’un règlement adopté en 2019 ([8]), prévoit que « les cartes d’identité intègrent un support de stockage hautement sécurisé qui contient une image faciale du titulaire de la carte et deux empreintes digitales dans des formats numériques interopérables ». L’Union estime en effet que « le stockage d’une image faciale et de deux empreintes digitales sur les cartes d’identité et les cartes de séjour, comme cela est déjà prévu pour les passeports et titres de séjour biométriques des ressortissants de pays tiers, combine de manière appropriée une identification et une authentification fiables avec une réduction du risque de fraude » et que, « de manière générale, les États membres devraient, aux fins de la vérification de l’authenticité du document et de l’identité du titulaire, vérifier en priorité l’image faciale et, si nécessaire pour confirmer sans aucun doute l’authenticité du document et l’identité du titulaire, les États membres devraient également vérifier les empreintes digitales ».

Cette obligation d’enregistrement des empreintes digitales ne sera pas applicable aux enfants de moins de 12 ans et facultatif pour les enfants de moins de 16 ans, selon des modalités identiques à la titularité de la carte Vitale en France.

La France prévoit à ce stade la mise en œuvre de cette obligation à partir du de l’été 2021, selon les informations rendues publiques en décembre 2019.

Ces considérations peuvent parfaitement s’adapter aux titres et documents permettant à des assurés sociaux, sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, de bénéficier de garanties comparables, et ce notamment dans la perspective d’encourager la libre circulation des personnes dans un « espace de liberté, de sécurité et de justice », mais aussi d’assurer la bonne coordination des systèmes de sécurité sociale de chacun des États membres.

À ce titre, le rapporteur ne peut que déplorer que le développement progressif des documents biométriques s’effectue au sein de l’Union européenne comme ailleurs souvent grâce à l’expertise de fleurons français de la biométrie, sans que nous ne pensions à profiter de ce savoir‑faire. Dans la perspective de l’expérimentation que prévoit la présente proposition de loi, il semblerait tout à fait pertinent de recourir à ces compétences pour s’assurer de la qualité et de l’efficience de la production des cartes Vitale biométriques.

3.   Le choix d’une expérimentation : un coût raisonnable pour s’assurer de sa pertinence

Conscient du coût potentiel d’une mise en œuvre intégrale sur l’ensemble du territoire français, le rapporteur se rallie aux arguments exposés par la rapporteure du Sénat sur cette proposition de loi, Mme Catherine Deroche, désormais présidente de la commission des affaires sociales.

Une expérimentation est donc à privilégier, permettant notamment de comparer sur une période donnée l’efficacité de la carte Vitale biométrique dans la lutte contre la fraude avec celle des cartes physiques et dématérialisées, telle que proposée par le Gouvernement dans l’expérimentation susmentionnée.

À l’issue de cette expérimentation, et compte tenu notamment des obligations qui pourraient amener la France, à terme, à rejoindre les États membres déjà engagés sur la voie des cartes Vitale biométriques, un bilan pourra utilement être remis au ministre chargé de la sécurité sociale, visant à déterminer l’impact de ce nouvel outil dans la lutte contre l’obtention illicite de droits à la prise en charge des frais de santé.


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   Commentaires d’articles

Article 1er
Expérimentation d’une carte Vitale biométrique

 

L’article 1er prévoit, à titre expérimental, la délivrance de cartes Vitale biométriques aux assurés de certains organismes gestionnaires d’assurance maladie, dont la liste sera déterminée par décret, dans le but d’évaluer ses effets sur la fraude à la carte Vitale. Il encadre par ailleurs l’exploitation des données personnelles liées à cette expérimentation.

I.   Le droit en vigueur

1.   La carte Vitale : un outil de simplification de la prise en charge des soins

La mise en place d’une carte Vitale est inscrite à l’article L. 161‑31 du code de la sécurité sociale, qui dispose que « les organismes d’assurance maladie délivrent une carte électronique individuelle inter-régimes à tout bénéficiaire de l’assurance maladie ».

Elle est conçue depuis sa première version en 1997 par le groupement d’intérêt économique (GIE) SESAM-Vitale ([9]) et a connu d’importantes évolutions, trois générations s’étant succédées.

Délivrée gratuitement par les organismes d’assurance maladie aux assurés de 16 ans et plus – ou, sur demande des parents, dès l’âge de 12 ans –, la carte Vitale est valable sur l’ensemble du territoire français et tout au long de la vie de son titulaire « sous réserve que la personne bénéficie de prestations au titre d’un régime d’assurance maladie et des mises à jour concernant un changement de régime ou des conditions de prise en charge » ([10]).

Elle permet de justifier, auprès d’un professionnel de santé ou d’un établissement de santé, des droits au remboursement de prestations d’assurance maladie ou de bénéficier d’une avance de frais sur ces mêmes prestations dans le cadre du tiers payant.

Concrètement, lors d’une consultation médicale ou à l’occasion de la délivrance de produits de santé prescrits sur ordonnance, l’utilisation de la carte Vitale permet d’émettre une feuille de soins électronique (FSE) directement transmise à l’organisme d’assurance maladie du titulaire, soit majoritairement une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ; celui-ci peut alors procéder rapidement au remboursement des prestations servies. L’utilisation de la carte Vitale permet également d’adresser, le cas échéant, une demande de remboursement électronique (DRE) à l’organisme d’assurance maladie complémentaire de l’assuré. Elle n’ouvre donc pas directement de droits, mais permet d’identifier l’assuré auprès des organismes d’assurance maladie auxquels il est rattaché.

L’usage de la carte Vitale recouvre principalement les prestations d’assurance maladie suivantes :

– la prise en charge des frais de santé en cas de maladie ou de maternité, par exemple lors d’une consultation chez un professionnel de santé – qu’il s’agisse d’un médecin généraliste ou d’un médecin spécialiste – ou en établissement de santé, « de toute personne travaillant ou, lorsqu’elle n’exerce pas d’activité professionnelle, résidant en France de manière stable et régulière » ([11]) ;

– le versement d’indemnités journalières à l’assuré si celui-ci se trouve « dans l’incapacité physique constatée par le médecin traitant [...] de continuer ou de reprendre le travail » ([12]).

La carte Vitale prend la forme d’une carte à puce qui contient, entre autres informations ([13]), les renseignements administratifs suivants relatifs à la prise en charge des soins :

– l’identité du titulaire de la carte et de ses ayants droit, les enfants de moins de 16 ans pouvant être rattachés à la carte Vitale de leurs parents sur demande ;

– son numéro de sécurité sociale ;

– son régime d’assurance maladie et son organisme de rattachement ;

– ses éventuels droits à la complémentaire santé solidaire (CSS) ;

– ses éventuels droits à l’exonération du ticket modérateur.

Par ailleurs, en utilisant sa carte Vitale, le titulaire exprime son accord pour que le médecin consulté prenne connaissance, après l’en avoir informé, des « données issues des procédures de remboursement ou de prise en charge qui sont détenues par l’organisme dont relève chaque bénéficiaire de l’assurance maladie » ([14]). Une telle autorisation permet d’assurer un suivi plus précis du parcours de soins de chaque assuré.

2.   Des risques identifiés de fraude à la carte Vitale, ayant fait l’objet de mesures de sécurisation importantes mais insuffisantes

● En matière de fraude à la carte Vitale, l’un des principaux risques identifiés concerne l’usurpation des droits d’un assuré, c’est-à-dire l’utilisation d’une carte Vitale par un individu qui n’en est pas titulaire.

L’objectif d’un tel détournement est double : bénéficier d’actes, de prestations ou de biens de santé en cas d’absence d’immatriculation à la sécurité sociale d’un individu ou obtenir une prise en charge plus élevée des prestations ou des produits de santé facturés au détenteur de la carte.

Bien que la documentation ne permette pas de connaître précisément l’ampleur de la fraude à la carte Vitale, les enquêtes et missions relatives à la fraude aux prestations sociales les plus récentes ayant rapporté des estimations discordantes, le risque est identifié et potentiellement porteur d’importantes pertes financières pour l’assurance maladie.

● Dans le but de limiter le risque de fraude, les pouvoirs publics ont progressivement amélioré la fiabilité de la carte Vitale.

Malgré des progrès indéniables en matière de sécurisation de la carte, certaines situations continuent d’échapper au contrôle des pouvoirs publics. En effet, peu d’éléments permettent de prévenir la fraude si la perte ou le vol de la carte sont déclarés tardivement voire s’ils ne sont pas déclarés du tout par le titulaire, de même qu’en cas de prêt de la carte à un tiers. À cet égard, il convient d’envisager une nouvelle évolution de la carte Vitale.

3.   La technologie biométrique : un outil efficace et mobilisable dans le cadre de la lutte contre la fraude à la carte Vitale

● Les techniques biométriques ouvrent de nouvelles possibilités et se sont progressivement imposées en tant qu’instrument de sécurisation des documents.

La « biométrie » désigne l’ensemble des techniques de reconnaissance physique ou biologique des individus. Grâce à la performance croissante des systèmes informatisés, la technologie biométrique est capable d’identifier un individu parmi plusieurs millions avec certitude via l’exploitation de données telles que les empreintes digitales, la morphologie du visage, les empreintes génétiques ou encore la reconnaissance de l’iris.

Ces techniques sont essentiellement utilisées à des fins :

– d’identification des individus, c’est-à-dire pour vérifier leur identité à partir de leurs seules données biométriques comparées avec celles détenues dans une base de données dématérialisée ;

– d’authentification des individus, c’est-à-dire pour vérifier l’exactitude de l’identité alléguée par une personne ; les données biométriques de celle-ci sont alors prélevées et comparées à celles qui figurent sur le titre d’identité présenté.

Depuis le milieu des années 2000, les pouvoirs publics se sont saisis des techniques biométriques sous l’influence du droit international et européen. En France, le passeport biométrique a été créé en 2008 ([15]) en application de la législation européenne ([16]). La biométrie est également utilisée pour identifier et authentifier des ressortissants étrangers, via la délivrance de visas biométriques aux personnes voyageant en France depuis 2015 et dans le cadre du système « Eurodac » ([17]).

● Ce recours accru aux techniques biométriques s’accompagne d’un cadre juridique spécifique, largement justifié par la sensibilité des nouvelles données exploitées.

L’usage de tout élément biométrique doit ainsi tenir compte à la fois de la législation en matière de données personnelles, laquelle provient désormais essentiellement du règlement général de protection des données européen (RGPD) ([18]), ainsi que des avis rendus par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). À l’échelon national, la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés régit les usages publics de la biométrie. Ces usages :

– sont autorisés par décret en Conseil d’État ;

– doivent faire l’objet, au préalable, d’un avis motivé et publié de la CNIL ;

– sont soumis au contrôle du Conseil constitutionnel, qui veille à l’équilibre entre les finalités de l’usage des données biométriques et le droit à la vie privée.

● Dans le cadre du développement de l’usage des techniques biométriques, et compte tenu des enjeux en matière de lutte contre la fraude à la carte Vitale, il apparaît opportun d’expérimenter un modèle biométrique. Le stockage numérique des empreintes digitales représente aujourd’hui la meilleure garantie d’un versement ou d’un remboursement sécurisé des prestations d’assurance maladie.

L’expérimentation d’un tel dispositif participerait activement à la définition d’une politique de lutte contre la fraude rénovée, alors même qu’en matière de fraude aux prestations sociales, la Cour des comptes identifie comme « premier chantier » la lutte contre les usurpations d’identité ([19]).

Par ailleurs, cette expérimentation s’ajoutant à l’expérimentation, depuis mai 2019, de la carte Vitale dématérialisée ([20]), le législateur pourra délibérer plus consciencieusement des mesures les plus efficientes pour améliorer et sécuriser l’usage de la carte Vitale une fois les deux dispositifs évalués.

II.   LE DISPOSITIF PROPOSé

L’article 1er prévoit la mise en œuvre d’un dispositif expérimental visant à évaluer la pertinence de la carte Vitale biométrique en matière de lutte contre la fraude aux prestations versées par l’assurance maladie.

1.   La mise en place de l’expérimentation de la carte Vitale biométrique

a.   Les modalités de mise en œuvre du dispositif

Le I dispose qu’à titre expérimental et pour une durée de douze mois, certains organismes gestionnaires de l’assurance maladie, dont la liste doit être déterminée par décret, délivrent gratuitement aux personnes qui leur sont rattachées une carte Vitale biométrique. Cette carte se présente comme la carte « classique » prévue à l’article L. 161‑31 du code de la sécurité sociale, à laquelle est intégrée « l’image numérisée des empreintes digitales du titulaire ».

La carte Vitale biométrique comprendra donc, outre cette image nouvelle, les mêmes informations que celles qui sont contenues dans la carte actuelle.

Le III, qui réitère le principe selon lequel les organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire participant à l’expérimentation délivrent une carte Vitale biométrique aux assurés qui leur sont rattachés, prévoit également que ces organismes s’assurent préalablement de l’identité de ces personnes et de ce qu’elles sont effectivement titulaires d’une carte Vitale valide. De telles vérifications permettront de disposer d’une base de données fiable pour conduire l’expérimentation.

De même que pour la carte Vitale « classique », le IV prévoit que le titulaire de la carte Vitale biométrique est tenu d’informer de leur perte ou de leur vol selon la procédure indiquée par l’organisme d’assurance maladie auquel il est rattaché. Le cas échéant, ces organismes signalent au GIE SESAM-Vitale les cartes perdues ou volées en vue de leur inscription sur une liste d’opposition électronique dédiée.

Afin de bloquer l’usage de la carte en cas de perte ou de vol, les professionnels de santé procédant à la facturation d’actes ou de prestations remboursables par l’assurance maladie sont informés de l’inscription d’une « carte Vitale biométrique » sur liste d’opposition préalablement à la facturation.

b.   Les entités chargées du pilotage et de l’évaluation du dispositif

Le II confie la mise en œuvre du dispositif expérimental aux organismes de l’assurance maladie qui seront désignés pour faire partie de l’expérimentation ainsi qu’au GIE SESAM‑Vitale.

Ces organismes sont les plus indiqués pour mettre en œuvre l’expérimentation, le GIE étant chargé de la conception des cartes Vitale et les organismes d’assurance maladie – principalement les caisses primaires d’assurance maladie – s’occupant de leur délivrance et du suivi de la relation des assurés avec leur carte.

Ils sont à cet égard missionnés pour « expérimenter » l’utilisation de la carte Vitale biométrique par leurs titulaires et par les professionnels de santé et la mise à disposition de services équivalents à ceux de la carte Vitale « classique ». Plus précisément, ils sont tenus d’assurer le pilotage, le suivi et l’évaluation de l’expérimentation.

Le VI dispose que ces mêmes entités sont chargées, au plus tard deux mois avant le terme de l’expérimentation, d’adresser au ministre de la sécurité sociale un rapport d’évaluation de la carte Vitale biométrique. Cette évaluation doit permettre d’évaluer la validité du dispositif, en comparaison notamment des cartes Vitale classiques ou dématérialisées, tel que le propose le Gouvernement.

Enfin, le V établit « l’impossibilité » d’utiliser la carte Vitale biométrique dès lors que son titulaire ne bénéficie plus des droits aux prestations d’assurance maladie. Cette disposition vise à rendre immédiate la désactivation de la carte, réduisant ainsi le risque d’utilisation frauduleuse « en fin de vie », en cohérence avec l’article 1er bis.

2.   Les dispositions relatives au consentement des participants à l’expérimentation et à l’exploitation de données personnelles

Le III prévoit la diffusion d’une notice auprès des assurés et des professionnels de santé participant à l’expérimentation. Elle les informe :

– des modalités de l’expérimentation ;

– de l’existence et de la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel les concernant, de ses finalités, de l’identité du responsable, des destinataires des données recueillies ;

– des modalités d’exercice des droits d’accès et de rectification, prévues aux articles 39 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

L’article 39 de cette loi prévoit que la CNIL, lorsqu’elle est saisie d’une réclamation dirigée contre un responsable de traitement des données et qu’elle estime fondés les griefs avancés relatifs à la protection des droits et libertés d’une personne à l’égard du traitement de ses données à caractère personnel, peut demander au Conseil d’État d’ordonner :

– soit la suspension d’un transfert de données ;

– soit la prolongation de la suspension d’un tel transfert qu’elle aurait elle-même préalablement ordonnée.

Son article 40 renvoie, en matière d’infractions, aux articles L. 226-16 à L. 226-24 du code pénal relatifs aux atteintes aux droits de la personne résultant de fichiers ou des traitements informatiques.

 

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Article 1er bis
Limitation de la durée d’une carte Vitale à celle de l’ouverture des droits des assurés

 

L’article 1er bis prévoit que la carte Vitale est valable durant la durée des droits de l’assuré et non plus tout au long de sa vie, dans le but de réduire la fraude aux cartes Vitale surnuméraires.

 

I.   LE droit en vigueur

1.   La carte Vitale : une durée de vie « illimitée »

● La carte Vitale, qui permet de justifier auprès d’un professionnel de santé ou d’un établissement de santé des droits au remboursement de prestations d’assurance maladie, est « valable partout en France et tout au long de la vie de son titulaire, sous réserve que la personne bénéficie de prestations au titre d’un régime d’assurance maladie et des mises à jour concernant un changement de régime ou des conditions de prise en charge » ([21]).

La durée de validité de la carte est donc illimitée, à condition :

– que son titulaire bénéficie de prestations au titre d’un régime d’assurance maladie ;

– que les données de son titulaire soient mises à jour en cas de changement de régime ou des conditions de prises en charge.

Cette première condition est en réalité peu limitative. En effet, depuis la mise en place de la protection universelle maladie (PUMA) en 2016 ([22]), « toute personne travaillant, ou, lorsqu’elle n’exerce pas d’activité professionnelle, résidant en France de manière stable et régulière bénéficie, en cas de maladie ou de maternité, de la prise en charge de ses frais de santé » ([23]). La PUMA assure la continuité de l’accès des assurés aux prestations d’assurance maladie qu’ils soient salariés, travailleurs indépendants ou sans emploi. Elle permet de couvrir de façon ininterrompue la quasi-totalité des résidents en France.

Seules les personnes étrangères en situation irrégulière ne sont donc pas concernées par l’attribution d’une carte Vitale. Elles bénéficient en revanche de l’aide médicale de l’État (AME) ([24]), destinée à leur assurer un accès minimal aux soins.

● Les situations dans lesquelles l’usage de la carte Vitale est bloqué interviennent si son titulaire :

– n’est plus éligible aux droits qui sont attachés à la carte ;

– obtient une nouvelle carte Vitale en cas de changement de régime, auquel cas un portail inter-régimes permet de vérifier que l’ancienne a été restituée ou invalidée ;

– a été radié de la liste des bénéficiaires des droits qui sont attachés à la carte ;

– est décédé ;

– en cas de perte ou de vol de la carte, dès lors que le titulaire l’a signalé à son organisme d’assurance maladie de rattachement – principalement à la CPAM ([25]) –, celui-ci devant procéder à l’inscription du numéro de la carte perdue ou volée sur une liste d’opposition ([26]).

S’agissant de la non-éligibilité aux droits rattachés à une carte Vitale pour une personne qui en a été titulaire, cette situation reste très rare. En effet, comme déjà évoqué, l’assurance maladie couvre la totalité des résidents réguliers en France, et ce jusqu’à la fin de leur vie. La question de la « mise en invalidité » de la carte Vitale en cas d’un changement au niveau des droits de l’assuré intervient donc essentiellement en cas de radiation ou de décès de son titulaire, ou en cas d’obtention d’une nouvelle carte Vitale dans le cadre d’un changement de régime de protection sociale.

2.   Une durée de vie illimitée propice aux détournements de l’utilisation de la carte Vitale

● Les règles de validité de la carte Vitale, valable tout au long de la vie de son titulaire, présentent l’inconvénient d’être propices aux détournements de leur utilisation.

La principale difficulté réside dans le fait que lorsque l’assurance maladie clôt les droits d’un assuré, l’arrêt de la prise en charge de ses dépenses de santé n’est pas immédiat. La carte Vitale doit être invalidée par la CPAM, puis la puce doit être invalidée par son utilisateur à l’occasion d’une tentative d’utilisation. Entre‑temps, des frais peuvent être facturés à l’assurance maladie.

La mission confiée par le Premier ministre à la sénatrice Nathalie Goulet et à la députée Carole Grandjean en 2019 avait constaté que la durée de vie, voire d’utilisation de la carte Vitale ne coïncidait pas systématiquement avec la durée des droits de son porteur ([27]). Elle recommandait à cet égard la mise en œuvre de mesures visant à garantir la désactivation « en temps réel » de la carte en fin de droits ainsi qu’une information renforcée des professionnels de santé concernant la situation des assurés.

● Faire coïncider plus efficacement la durée de vie de la carte Vitale avec la durée des droits revêt donc un réel intérêt, et s’inscrit dans le cadre plus général d’une lutte contre la fraude aux prestations sociales dont l’effectivité demande à être renforcée.

II.   LE DROIT PROPOSé

L’article 1er bis modifie l’article L. 161-31 du code de la sécurité sociale pour y inscrire que la carte Vitale est valable « durant la durée des droits » de son titulaire, et non plus « tout au long de [sa] vie ».

Il vise à conforter la mise en œuvre de la désactivation de la carte Vitale « en temps réel », soit à l’instant même où le titulaire ne dispose plus des droits associés à la carte.

L’effectivité de ce principe résidera dans l’élaboration d’un processus de désactivation plus rapide et par l’ajout de données dans la base vérifiée par les professionnels de santé, afin de se conformer à cette nouvelle obligation législative.

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Article 3
Gage financier

Cet article vise à prévoir un mécanisme de compensation des pertes de recettes et des charges qui résulteraient, pour l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale, de l’adoption des articles 1er et 1er bis de la présente proposition de loi.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa seconde réunion du mercredi 25 novembre 2020, la commission a examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à instituer une carte Vitale biométrique (n° 2425) (M. Patrick Hetzel, rapporteur) ([28]).

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, le temps passe, les rapports s’empilent, mais rien n’y fait : ce gouvernement ne prend pas de mesures sérieuses pour lutter contre la fraude aux prestations sociales.

Qu’il s’agisse de la mission gouvernementale confiée à notre collègue Carole Grandjean, dont je salue la présence, et à la sénatrice Nathalie Goulet, l’année dernière, de la commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales – dont je salue le rapporteur, Pascal Brindeau – qui a récemment travaillé en notre assemblée, ou de la Cour des comptes, tous leurs rapports aboutissent à la même conclusion : il faut prendre enfin la mesure de ce phénomène et en tirer toutes les conséquences.

Il y va, d’une part, de la préservation du pacte qui fonde notre système de protection sociale, et plus particulièrement l’assurance maladie. À l’heure où de nombreux Français repoussent leurs consultations médicales et où les soignants doivent parfois arrêter une priorité entre deux patients, il est insupportable que des fraudeurs puissent passer entre les mailles du filet pour bénéficier de soins dont ils n’ont souvent pas besoin, quand ce n’est pas simplement, comme la commission d’enquête a pu clairement l’établir, pour se lancer dans du trafic de médicaments.

Il en va, d’autre part, et c’est évidemment fondamental, de la soutenabilité de nos finances sociales. Le déficit de la sécurité sociale devrait en effet dépasser cette année les 50 milliards d’euros, et celui de la branche maladie sera sans doute supérieur à 30 milliards d’euros.

Devant une telle situation, il n’est plus possible de rester passif devant une fraude aussi mal connue que potentiellement massive.

Dans la masse de la fraude aux prestations sociales, la fraude aux prestations d’assurance maladie tient une place toute particulière : selon les estimations particulièrement conservatrices menées par la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), les fraudes détectées se sont élevées en 2019 à près de 300 millions d’euros. Ce qui est bien loin des estimations de la Cour des comptes : selon elle, le montant total des fraudes aux prestations sociales aurait atteint au minimum 2 milliards d’euros en 2010.

Comment expliquer un tel écart ? En matière de fraude aux prestations d’assurance maladie, nous évoluons dans une véritable terra incognita, et ce malgré les nombreux rapports récents qui ont déploré cette situation.

Dans son rapport de novembre dernier, la Cour des comptes s’étonnait ainsi de ce que le ministère des solidarités et de la santé s’obstine à ne pas prescrire à la CNAM une estimation des fraudes aux prestations d’assurance maladie : rien de plus facile, pour ne pas résoudre un problème, que d’éviter de le quantifier. On ne peut pas accuser le Gouvernement de mener une politique du chiffre sur ce sujet : il n’y a ni politique, ni chiffre ! Ainsi la lettre de mission du nouveau directeur général de la CNAM ne comportait même pas le mot « fraudes ». C’est bien la preuve que l’on cherche à éviter le sujet.

La fraude aux cartes Vitale n’échappe pas à ce flou artistique généralisé. Sur ces deux dernières années, les estimations du nombre de cartes surnuméraires ont connu pas moins de cinq approximations différentes, dont deux issues de la même source, à savoir la direction de la sécurité sociale, qui varient entre 609 000 et 2,5 millions de cartes surnuméraires en circulation. Si les derniers chiffrages se resserrent autour du million de cartes en trop, cette méconnaissance ne peut qu’inquiéter quant au degré de motivation des autorités publiques actuelles à endiguer la fraude.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée l’année dernière au Sénat par le sénateur Philippe Mouiller, propose un chemin pour agir : expérimenter la mise en place de cartes Vitale biométriques. La France dispose en la matière d’une expertise et d’entreprises parfaitement capables de faire : elles sont d’ailleurs régulièrement sollicitées à l’étranger.

Ces cartes constituent la porte d’entrée de l’ensemble de nos concitoyens vers la prise en charge de leurs frais et du remboursement de leurs produits de santé : elles sont donc au cœur du pacte de confiance qui lie les assurés au système de santé. Or, tous les rapports l’ont établi, elles sont particulièrement exposées à la fraude.

La situation a certes été progressivement améliorée à mesure qu’ont été mis en place des dispositifs de sécurisation, comme la photo d’identité ou le portail inter-régimes visant à éviter les doublons. Mais comme le prouve le nombre de cartes surnuméraires, ces mesures sont loin d’être suffisantes pour faire face à trois types principaux de fraude aux cartes Vitale : le recours à des cartes volées ou perdues, en usurpant l’identité de leurs propriétaires, y compris pendant le délai actuel entre la déclaration de perte ou de vol et la désactivation de la carte ; l’utilisation d’une même carte pour faire le tour des prestataires de santé ou des pharmaciens et obtenir gratuitement plusieurs fois les mêmes médicaments qui seront aussitôt vendus sur un marché parallèle et souvent expédiés à l’étranger ; l’utilisation enfin d’une carte Vitale « prêtée » dans un cercle amical ou familial, entraînant potentiellement des erreurs de diagnostic ou de bonne prise en charge des prestations de santé.

Pour avancer sur la voie de l’authentification et de l’individualisation des droits, l’expérimentation de la carte Vitale biométrique par les organismes d’assurance maladie est donc, comme l’ont montré les débats au Sénat sur cette proposition de loi, tout à fait indiquée. La technologie biométrique a fait ses preuves sur notre sol depuis plus de dix ans en assurant l’identification et l’authentification des ressortissants français et étrangers, notamment, depuis 2008, par le biais du fameux passeport biométrique. Le stockage numérique des empreintes digitales offre aujourd’hui la meilleure garantie d’un versement ou d’un remboursement sécurisé des prestations d’assurance maladie. Cette expérimentation sera d’autant plus simple à mettre en œuvre que plusieurs entreprises françaises sont considérées comme des fleurons en matière de biométrie, et équipent des États étrangers de systèmes tel que celui que nous proposons.

J’observe que le Gouvernement a mis en place une autre expérimentation, celle d’une carte Vitale dématérialisée. Sans nier l’intérêt qu’elle présente, je ferai remarquer que les terminaux permettant de la lire pourraient être tout autant perdus, volés ou prêtés qu’avec les cartes Vitale actuelles, ce qui ne serait pas le cas avec une carte biométrique. Par ailleurs, cette dématérialisation suppose que les assurés disposent d’un smartphone ou d’une tablette, ce qui est loin d’être le cas de tout le monde.

S’agissant enfin des préventions relatives à la protection des données personnelles, je tiens à rassurer l’ensemble des commissaires : la carte Vitale biométrique s’inspire très largement de ce qui existe déjà pour le passeport, ce qui offre toutes garanties de sécurité. Le cadre juridique dans lequel elle s’insère permet de préserver l’ensemble des droits des assurés, tout comme leur consentement, dans le respect du règlement général de protection des données personnelles (RGPD).

Pour ce qui est du coût du dispositif, je tiens à rassurer mes collègues : c’est précisément pour cette raison que le Sénat propose de procéder à une expérimentation. À son issue, nous pourrons comparer sereinement et concrètement les mérites relatifs des cartes actuelles, des cartes dématérialisées et des cartes biométriques dans la lutte contre la fraude.

Je veux donc croire, chers collègues, que la volonté de préserver notre modèle social et nos finances publiques nous anime tous et que, partant de là, cette proposition de loi fera l’objet d’un consensus.

Mme Carole Grandjean. Légiférer en matière de fraudes revient à protéger le principe de solidarité qui sous-tend notre pacte républicain et à assurer l’efficacité de notre principe de solidarité nationale.

Loin des débats manichéens sur les catégories et sur les typologies de fraudes, il s’agit avant tout d’une question de justice sociale. Si la proposition de loi de nos collègues s’inscrit certes dans cette logique, elle propose la mise en place d’une expérimentation qui fait double emploi avec une autre, déjà en cours : c’est la raison pour laquelle le groupe La République en Marche y est opposé.

Si la biométrie constitue une piste de réflexion intéressante, elle doit être abordée en cohérence avec le partage de données, raison pour laquelle son expérimentation est déjà rattachée à celle actuellement menée sur la dématérialisation des cartes Vitale dans deux départements et qui sera prochainement étendue à dix autres. Les travaux sont donc déjà lancés, et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été saisie.

Grâce à l’article 47 ter nouveau du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, la biométrie sera prochainement utilisée pour l’établissement des certificats d’existence dans le cadre du versement des pensions de retraite des bénéficiaires résidant à l’étranger ; autrement dit, c’est d’ores et déjà un outil que nous soutenons.

Pour ce qui est des cartes Vitale surnuméraires, l’enjeu est surtout de systématiser l’actualisation des données, et les débats parlementaires ont permis d’avancer sur le sujet.

Par ailleurs, si la fraude à la carte Vitale a été largement médiatisée, elle ne recouvre qu’une partie seulement des fraudes sociales. Nous progressons également sur leurs autres facettes, à travers l’adoption d’amendements visant à fluidifier les échanges de données entre organismes, à préciser la définition des fraudes et à alourdir leur sanction.

Ne nous y trompons pas : si les travaux sur la biométrie constituent l’une des clefs de la lutte contre la fraude, le cœur du débat se situe ailleurs, à savoir dans l’amélioration des échanges de données, de la transversalité et de la communication entre organismes en vue de contrôler les informations, et, ce faisant, de contrôler et de faciliter l’accès aux droits tout en assurant le versement d’une juste et équitable prestation.

Mme Josiane Corneloup. La fraude aux cotisations sociales s’élève a priori entre 7 et 25 milliards d’euros, comme le précise le récent rapport de la commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales présidée par notre collègue Patrick Hetzel, rapporteur de la présente proposition de loi.

Bien que nous peinions à dénombrer les fraudeurs à la carte Vitale, leur indéniable existence porte atteinte à l’équilibre de notre pacte républicain et contribue à miner la confiance de nos concitoyens dans l’équité de notre système de santé : il s’agit autant d’un enjeu de cohésion sociale que d’un enjeu budgétaire.

Si le recours à une carte Vitale biométrique peut soulever des difficultés techniques, aucune piste ne doit être écartée dans la lutte contre la fraude sociale, d’autant que cette année, la crise de la covid-19 a historiquement aggravé le déficit de nos comptes sociaux.

Alors que le texte initial prévoyait de remplacer l’ensemble des cartes Vitale par leur version biométrique, celui adopté par le Sénat repose sur un dispositif beaucoup moins contraignant, puisqu’il se borne à mettre en place une expérimentation.

Comme le rapport l’indique, la fraude aux cartes Vitale s’inscrit dans le vaste paysage de la fraude à l’assurance maladie : elle n’est pas la plus significative au niveau financier, mais c’est la plus fréquente et celle qui porte le plus visiblement atteinte au pacte républicain qui fonde la solidarité nationale. Si les fraudes sont plurielles, le multi-usage de la même carte par plusieurs bénéficiaires de prestations d’assurance maladie n’est pas acceptable dans un contexte de tension de nos finances publiques.

Le nombre de cartes Vitale actives en circulation excède en effet de plus de 2 millions le nombre de bénéficiaires couverts par des caisses de sécurité sociale. La détention de plusieurs cartes Vitale valides permet à une personne de bénéficier indûment de prestations et alimente souvent un trafic parallèle de revente de médicaments.

Ce type de fraude s’explique en grande partie par un arsenal lacunaire de contrôle des droits : les contrôles menés par l’administration ne sont pas suffisants et les soignants considèrent que cela ne fait pas partie de leur rôle. L’adhésion des professionnels de santé, indispensable, est donc loin d’être acquise et semble particulièrement difficile à obtenir.

Face à ce constat, comme à son coût élevé, et parce que chaque euro fraudé est un euro manquant à l’assurance maladie, il est nécessaire de se mobiliser pour mettre en œuvre cette carte Vitale biométrique.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Cette proposition de loi s’inscrit dans une logique de lutte contre la fraude sociale, question qui a fait l’objet de nombreux travaux parlementaires ces dernières années, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Il y est proposé d’expérimenter la délivrance de cartes Vitale dotées d’éléments biométriques par un nombre de caisses d’assurance maladie fixé par voie réglementaire. L’objectif est de cibler la fraude à la carte Vitale et, de manière plus large, l’usurpation d’identité permettant de bénéficier de manière indue d’une prise en charge de frais de santé.

Si nous pouvons faire nôtre l’ambition de lutter contre la fraude qui pénalise les comptes sociaux, nous nous interrogeons sur le dispositif proposé.

En effet, l’introduction d’un élément biométrique au sein d’un titre ouvrant droit à des prestations sociales suppose la création d’un traitement spécifique de données dont le caractère particulièrement sensible exigera d’importantes précautions en matière de sécurité, et ce même dans le cadre d’une expérimentation. Or il ne semble pas que le dispositif réponde à cet enjeu essentiel. Par ailleurs, comment les équipements nécessaires à leur lecture seront‑ils fournis par les caisses autorisées à diffuser de telles cartes aux professionnels de santé ?

Enfin, une expérimentation de la carte Vitale électronique, dite APCB, est en cours et a, du fait de la crise, été prolongée jusqu’en 2021. L’introduction d’éléments biométriques sur la carte électronique fait en outre partie de sa feuille de route. Il semble donc opportun d’attendre son résultat, quitte à demander entre-temps un point d’étape au Gouvernement, avant de s’engager dans une autre tentative qui appellerait des coûts et des dispositifs de sécurité supplémentaires.

Pour ces raisons, et dans l’attente d’éléments concrets de la part du Gouvernement sur l’expérimentation en cours et sur ses perspectives de généralisation, le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés n’apportera pas ses suffrages à la proposition de loi.

Mme Gisèle Biémouret. La proposition de loi entend, avec la carte Vitale biométrique, expérimenter un nouvel outil de lutte contre la fraude. Les débats au Sénat ont pourtant conduit à minimiser les montants imputés à la fraude sociale, et particulièrement ceux liés la fraude à la carte Vitale.

Le bilan 2018 de l’assurance maladie recense 261 millions d’euros de remboursements abusifs, soit 0,058 % du total annuel des prestations versées par la sécurité sociale, et dont la fraude à la carte Vitale, à en croire le rapport de la commission, ne représenterait qu’un montant faiblement significatif. Il n’est qu’à le rapporter à celui de la fraude fiscale, qui avoisine les 80 milliards d’euros annuels...

En revanche, les inconvénients de la mise en place d’une carte Vitale biométrique sont réels : nos collègues sénateurs ont ainsi rappelé que les données biométriques sont extrêmement sensibles et que leur stockage centralisé dans une base de données les exposera particulièrement aux risques de cybercriminalité.

Ces données changeraient également l’objet de la carte Vitale alors que le bénéfice du point de vue la lutte contre la fraude serait très marginal.

En outre, nos réflexions doivent prendre en compte le phénomène de non-recours qui entache autant notre cohésion sociale que la fraude. Si nous partageons la volonté de préserver notre modèle social, l’objectif doit être de réduire simultanément la fraude et le non-recours.

En réalité, le texte vise principalement certaines populations, essentiellement les étrangers en fin de droits.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés ne votera pas cette proposition de loi.

M. Paul Christophe. Cette proposition de loi adoptée par le Sénat vise à instituer une carte Vitale biométrique intégrant l’image numérisée des empreintes digitales du titulaire ; vous proposez, monsieur le rapporteur, de répondre aux fraudes à la carte Vitale en individualisant le document qui permettrait une mise à jour plus rapide.

Le 11 février dernier, la directrice de la sécurité sociale, Mme Mathilde Lignot-Leloup, avait annoncé lors de son audition un surnombre de 2,6 millions de cartes Vitale, chiffre faisant craindre une fraude sociale de grande ampleur.

Sans négliger l’importance de ce type de fraude, nous ne pouvons à ce stade de la discussion valider la réponse que vous nous proposez. La création d’une carte Vitale biométrique s’avérerait en effet extrêmement sensible en termes de protection de la vie privée et des données personnelles, les empreintes constituant, au sens du RGPD, des données sensibles. Leur traitement, pour le cas particulier de l’authentification des personnes, exige un avis de la CNIL au titre des formalités d’autorisation prévues à cette fin ; or le caractère nécessaire et proportionné au but visé du recueil et de la conservation de ces données n’est pas, en l’état, démontré.

Qui plus est, l’utilisation des empreintes – c’est-à-dire le recueil de données biométriques, leur contrôle par les professionnels de santé et l’adaptation du système de gestion des cartes Vitale – induirait d’importants coûts et délais de mise en œuvre.

Enfin, la mise en carte de cette nouvelle carte serait de nature à augmenter de façon substantielle le prix unitaire de chaque carte et, plus généralement, le coût global de leur gestion.

Une application carte Vitale sur smartphone est en cours d’expérimentation en vue de renforcer la sécurisation des usages. Ce dispositif pourrait représenter une forte valeur ajoutée dans la lutte contre la fraude : ainsi les droits pourront être mis à jour en temps réel sans s’immiscer trop loin dans des données éminemment personnelles.

L’utilisation des nouvelles technologies nécessite en effet un jeu d’équilibre entre respect de la liberté individuelle et sécurité du bien commun.

Le groupe Agir ensemble n’est donc pas favorable à la proposition de loi.

M. Pascal Brindeau. Je salue l’initiative du groupe Les Républicains. La proposition de loi adoptée au Sénat s’inscrit évidemment dans la logique des préconisations de la commission d’enquête présidée par Patrick Hetzel et dont j’ai eu la chance et l’honneur d’être le rapporter, dans la mesure où elle vise à expérimenter un outil supplémentaire dans la lutte contre la fraude sociale.

Commençons par dissiper tout malentendu : l’opposition fréquente entre la fraude fiscale des riches et une fraude sociale des pauvres, qu’il conviendrait « d’excuser », ne correspond en rien à la réalité, comme nous avons pu le constater au cours de nos investigations. Dans de nombreux cas, et cela vaut également pour les cartes Vitale, la fraude sociale est une fraude organisée s’appuyant sur une connaissance fine des mécanismes de versement de prestations sociales qu’elle détourne. Elle n’est donc pas du tout le fait de personnes vulnérables ayant du mal à boucler leurs fins de mois, mais bien de réseaux installés à l’étranger et composés d’individus qui pratiquent la multidélinquance.

Je ne serais pas aussi optimiste que notre collègue Carole Grandjean sur la volonté gouvernementale de prendre ce sujet à bras-le-corps : si certains amendements au PLFSS ont en effet été adoptés, beaucoup d’autres, qui reprenaient certaines préconisations de la commission d’enquête, ont été rejetés. Et lorsque le ministre évoque le sujet, il est toujours dans le déni de la réalité de la fraude sociale.

L’adoption de cette proposition de loi, que le groupe UDI et Indépendants soutient, sera un pas supplémentaire dans la prise de conscience des pouvoirs publics de l’urgence à traiter ce fléau.

Mme Clémentine Autain. Décidément, le groupe Les Républicains a le sens des priorités : j’ai siégé hier dans une autre commission qui étudiait une autre proposition de loi qui avait pour cible les sans-papiers bénéficiant de l’aide médicale de l’État (AME) et qui visait à leur retirer, en pleine explosion de la pauvreté, le bénéfice de la tarification préférentielle dans les transports publics.

Il s’agit cette fois-ci de mettre en place une usine à gaz totalement liberticide, et pour récupérer quoi ? Seulement 11 millions d’euros, correspondant à des fraudes très marginales puisqu’elles ne représentent que 5 % du total, au lieu de s’attaquer à des détournements bien plus substantiels. Savez-vous à combien s’élève la fraude à l’impôt sur les sociétés ? 27 milliards. L’évasion fiscale ? 80 milliards. La fraude à la cotisation sociale – pas du fait des bénéficiaires, je parle de l’autre côté : entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros. Cela ne vous intéresse pas, j’entends bien ; mais c’est là qu’il faut viser si l’on veut récupérer des marges de manœuvre.

Or la carte Vitale sert à connaître les droits de son titulaire ou de ses ayants droit : il ne s’agit donc pas d’une carte de paiement, encore moins d’une carte d’identité. Une fois de plus, vous reprenez une mesure qui figurait, sous le numéro 71, dans le programme de l’extrême droite défendu en 2017 par Marine Le Pen.

Cette proposition de loi est par conséquent nulle et non avenue, sauf si l’on considère qu’il faut décidément préparer le terrain pour son arrivée au pouvoir.

M. Bernard Perrut. Je salue cette initiative : si l’on veut lutter contre la fraude, il faut effectivement, monsieur Hetzel, s’en donner les moyens.

Votre proposition tend à instaurer une carte Vitale intégrant une image numérisée des empreintes digitales de son bénéficiaire : je regrette que le Gouvernement et la majorité ne la soutiennent pas, car elle sécurise tant l’utilisation de la carte Vitale que l’identité de son titulaire. Le préjudice lié à cette fraude est difficilement chiffrable, mais lorsque l’on voit que l’écart entre nombre de cartes en circulation et le nombre de personnes résident en France va de deux à cinq millions, on est en droit de se poser des questions et de vouloir y apporter réponse, à plus forte raison quand le déficit de la sécurité sociale atteint un niveau aussi abyssal. La lutte contre la fraude sociale est un enjeu essentiel.

Le ministère de la santé et la majorité souhaitent privilégier la dématérialisation, qui pourtant a montré ses limites. Comment prévenir le prêt d’une carte Vitale, en principe personnelle, aux membres de l’entourage de son titulaire, qu’il soit familial et amical, et qui alimente parfois un trafic ? Comment prévenir le tourisme pharmaceutique ? Comment procéder avec les personnes âgées, dépendantes ou fragiles qui seraient exclues du dispositif alors même qu’elles constituent les cibles prioritaires des utilisateurs de cartes volées ? Il faut donc aller plus loin.

Monsieur le rapporteur, alors que nous ne possédons pas tous une carte Vitale comportant notre photo d’identité, que pensez-vous de la généralisation de la deuxième génération pour limiter les fraudes à l’assurance maladie ? Si votre expérimentation s’avérait positive, comment généraliser la nouvelle carte biométrique, dans quelles conditions et à quel prix ? En tout état de cause, nous devons améliorer notre connaissance du sujet et vous pouvez compter sur notre soutien total.

M. Alain Ramadier. J’ai suivi de très près toutes les auditions de la commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, qui sont très nombreuses : l’une des mesures évoquées y a été la création et généralisation de la carte Vitale biométrique, que la proposition de loi vise à expérimenter.

La fraude à la carte Vitale est en effet une des plus fréquentes et celle qui porte le plus visiblement atteinte au pacte républicain qui fonde la solidarité nationale. À l’heure où les comptes sociaux atteignent des déficits vertigineux, il ne faut écarter aucune piste pour lutter contre la fraude sociale. Il s’agit d’un enjeu budgétaire et de cohésion sociale pour nos concitoyens.

Le Gouvernement a au mois de mai dernier mis en place le déploiement de la carte Vitale dématérialisée : ce dispositif est peu satisfaisant dans la mesure où les bénéficiaires sont simplement invités, et non contraints, à une identification biométrique. Cette expérimentation, fondée de fait sur le volontariat, ne cible donc aucunement les fraudeurs à l’encontre desquels nous voulons précisément agir. Je m’interroge donc sur le coût de déploiement de ce dispositif alors que les crédits correspondants auraient pu être consacrés à une plus large expérimentation de la carte Vitale biométrique.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Concrètement, monsieur le rapporteur, comment cela va‑t‑il se passer pour les professionnels de santé, une infirmière, un kinésithérapeute dans son cabinet ? Que devront-ils faire, combien de temps cela leur prendra-t-il, sachant que le leur est compté, combien leur en coûtera-t-il ? Au-delà de la lutte contre la fraude, j’attends des réponses pratiques.

M. Philippe Vigier. Il y a de cela quelques années, j’ai rendu un rapport sur les fraudes fiscales et sociales : les montants en jeu n’avaient aucun rapport, madame Autain, avec celles que vous venez d’avancer. Il ne s’agit pas de pointer du doigt tel ou tel ; j’avais même suggéré que les sommes récupérées dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale soient consacrées au financement du reste à charge et du ticket modérateur afin qu’ils n’augmentent pas. N’oublions pas qu’un rapport impitoyable a montré que l’accès aux soins a régressé entre 2012 et 2017 en raison de l’augmentation du reste à charge ; ce que je ne puis accepter, moi qui suis également professionnel de santé.

Monsieur le rapporteur, comment articulez-vous votre dispositif avec l’expérimentation en cours en vue d’éviter toute redondance ?

Ce n’est pas parce qu’on aborde une question qui gêne qu’elle est a priori mauvaise, tant s’en faut. Les fraudes à la carte Vitale, je les vis chaque semaine ; et si certains en doutent, je les invite à venir voir la réalité sur place.

M. le rapporteur. Je note avec intérêt, Madame Grandjean, que vous avez communiqué une information nouvelle : l’expérimentation actuellement menée connaîtrait une évolution. Cela étant, comparaison n’est pas raison : la proposition de loi offre la possibilité de sécuriser la question de l’identité tout au long du processus. Si l’on ne fait qu’ajouter une donnée biométrique à l’expérimentation en cours, cela ne changera pas fondamentalement la donne pour ce qui touche aux usurpations d’identité contre lesquelles il convient de lutter.

Madame de Vaucouleurs a posé la question, reprise par M. Isaac-Sibille puis par M. Vigier : comment cette carte Vitale biométrique va-t-elle fonctionner sur le plan opérationnel ? Les choses sont très simples : cela ne changera absolument rien pour les professionnels de santé et notamment pour les pharmaciens. Il faudra évidemment les équiper de nouveaux terminaux, qui permettront de reconnaître l’obsolescence d’une carte, mais fonctionneront exactement de la même façon que les terminaux actuels, à ceci près qu’ils seront bien plus sûrs. Ces professionnels ont donc eux-mêmes tout intérêt à aller dans ce sens, puisque cela sécurisera globalement le processus.

Madame Biémouret s’est interrogée sur les écarts d’estimation de la fraude. L’institution probablement la plus capable de donner des chiffres fiables, c’est la Cour des comptes. Qui plus est, une fraude est une fraude, il ne s’agit pas de hiérarchiser quoi que ce soit : comme l’a dit M. Brindeau, il n’y a pas la fraude du riche et la fraude du pauvre. Si nous voulons maintenir notre pacte social, nous devons en effet lutter contre les fraudes quelles qu’elles soient. Et le bénéfice n’a rien de marginal, madame Autain : j’ai d’autres chiffres à vous communiquer, qui permettront de relativiser vos propos.

Monsieur Christophe, s’agissant de la protection de la vie privée, les garanties qui seront apportées sont les mêmes que pour le passeport biométrique. Lisez à ce sujet le rapport de la sénatrice Catherine Deroche : elle a pris soin de s’assurer qu’il n’y ait pas de problème de sécurisation des données.

M. Brindeau a été rapporteur de la commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales : c’est dire s’il connaît parfaitement le sujet. Ce qui nous a frappés, au cours de nos travaux, c’est le développement de la fraude en bande organisée. Arrêtez de penser que c’est uniquement une fraude du pauvre : nous parlons bel et bien d’une fraude en bande organisée qui se fait au détriment de l’ensemble de la communauté nationale. C’est cela, le sujet ! Cette fraude devient de plus en plus massive et nous devons la combattre parce qu’elle permet à des réseaux criminels de capter facilement de la ressource au prix de risques pénaux extrêmement faibles. Ne pas intégrer cette donnée, c’est passer à côté d’un enjeu essentiel.

Madame Autain, j’aime beaucoup vos formules : une « usine à gaz liberticide », je vous laisse la responsabilité de vos propos. Non ! Nous apportons des garanties en matière de conservation des données.

Voyons de quoi il retourne. Vous avancez qu’il ne s’agit que de 11 millions d’euros. On peut considérer qu’il y a actuellement 1,8 million de cartes Vitale surnuméraires. En partant du principe que chaque personne consomme par an, en moyenne, 3 000 euros de soins et de biens médicaux, il est facile d’en déduire que la fraude potentielle est de 5,4 milliards d’euros. Vous soutenez que la fraude fiscale est plus importante, en essayant de créer une dichotomie très manichéenne. Les recettes dans le budget de l’État de l’impôt sur les sociétés sont de 30 milliards d’euros : réduire une fraude de 5,4 milliards n’est pas totalement dénué de sens.

Rappelons enfin que ces cartes Vitale sont utilisées par les réseaux pour acquérir des médicaments qui partent à l’étranger où ils sont revendus très cher. Considérez-vous, madame Autain, que le rôle de la collectivité nationale est de financer les réseaux étrangers qui commercialisent des médicaments a priori destinés aux Français ? Je vous laisse juge de vos propos.

Monsieur Perrut, concernant l’aspect financier que vous évoquez fort pertinemment, il y aurait évidemment un coût qu’il ne faut pas négliger, de l’ordre de 10 euros par carte biométrique, à rapporter à celui de 5 euros pour une carte de deuxième génération. Il convient également de prendre en compte le coût des nouveaux terminaux d’accueil. Mais, en tablant sur un déploiement raisonnable et des coûts maîtrisés, on arrive à environ 500 millions d’euros, à mettre en balance avec les 5,4 milliards d’économies potentielles. En réalité, le retour sur investissement pourrait se faire relativement rapidement.

Monsieur Ramadier, vous alliez dans le même sens ; il faut, à un moment donné, pouvoir avancer sur ce sujet.

Monsieur Isaac-Sibille, je pense vous avoir répondu en répondant à Mme de Vaucouleurs.

Monsieur Vigier, pour vous rassurer, l’idée est assez simple. Une expérimentation est en cours avec la carte Vitale dématérialisée ; nous proposons une autre expérimentation avec des cartes biométriques. À un moment donné, on tire un trait et on compare. Initialement, le Sénat avait souhaité aller vers une généralisation de la carte biométrique, avant de se ranger à l’idée d’une expérimentation pour en vérifier la pertinence. Nous restons donc dans un cadre tout à fait mesuré. En tout état de cause, l’objectif pour les finances sociales est bien de réaliser à terme une économie d’au moins 5 milliards d’euros.

Article 1er : Expérimentation d’une carte Vitale biométrique

M. Pierre Dharréville. Cette proposition de loi ne me semble pas répondre aux enjeux. Elle apparaît problématique sinon dangereuse, car elle dessine un modèle de société inquiétant : celle du traçage numérique généralisé. Ce n’est pas dans cette société que nous souhaitons vivre. Tout le monde, moi le premier, souhaite s’attaquer à la fraude, qui est bien souvent le prétexte à détricoter les droits et à les remettre en cause. Cela étant, il y a une disproportion de moyens dans ce que vous proposez, sur le plan symbolique mais aussi financier. Vous avez cité le chiffre de 500 millions d’euros pour la mise en place du dispositif, alors que, dans le rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat, le coût de la fraude documentaire est estimé entre 117 et 139 millions d’euros pour l’année 2019. Cette affaire va vous coûter plus cher au bout du compte que ce qu’elle va vous rapporter – les chiffres ont d’ailleurs été repris dans le rapport de la Cour des comptes de septembre 2020. Il y a une très grande extrapolation. Cela n’ôte rien à la nécessité de combattre ce que vous avez appelé la fraude en bande organisée. Il faut s’en donner les moyens ; mais les vôtres ne sont absolument pas les bons et sont même assez inquiétants.

M. Jean-Pierre Door. Y a-t-il eu des réflexions sur la possibilité technique d’intégrer le dossier médical partagé (DMP) à la nouvelle carte Vitale biométrique ? Ce serait un progrès formidable.

Mme Carole Grandjean. Je voulais réaffirmer la volonté du groupe La République en Marche de lutter efficacement contre les fraudes aux prestations sociales. Les travaux effectués à l’Assemblée nationale et au Sénat ont fait largement avancer le sujet dans les PLFSS 2020 et 2021. L’expérimentation lancée en mai 2019, dans le Rhône et les Alpes‑Maritimes, sur plus de mille personnes, va être étendue à dix autres départements. Nous souscrivons pleinement à son extension biométrique, puisque la e-carte Vitale sera complétée par des éléments de biométrie. Le DMP y est évidemment accessible – c’est même un de ses principaux intérêts. Cette expérimentation répond à plusieurs objectifs : vérifier l’usage d’une application mobile dans le cadre de la facturation ; assurer la bonne intégration de l’e-carte Vitale dans le système actuel ; recueillir la perception de ses utilisateurs, ainsi que les indicateurs nécessaires pour éclairer une décision de généralisation. Tout cela démontre à quel point la phase expérimentale est nécessaire et combien les investissements doivent être faits de manière intelligente au regard des retours que nous aurons eus.

La commission rejette l’article 1er.

Article 1er bis
Limitation de la durée d’une carte Vitale à celle de l’ouverture des droits des assurés

La commission rejette l’article 1er bis.

Article 2 (supprimé)

La commission maintient la suppression de l’article 2.

Article 3
Gage financier

La commission rejette l’article 3.

La commission ayant rejeté l’ensemble des articles, la proposition de loi est considérée comme rejetée.

 

 

 


—  1  —

   Annexe :
Liste des textes susceptibles d’être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Article

Dispositions en vigueur modifiées
Codes et lois

Numéro d’article

1er bis

Code de la sécurité sociale

L. 161-31

 


([1]) Carole Grandjean et Nathalie Goulet, rapport de mission confiée par le Premier Ministre Édouard Philippe, la ministre de la santé Agnès Buzyn et le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin « Lutter contre les fraudes aux prestations sociales, un levier de justice sociale pour une juste prestation », disponible ici : http://www.carolegrandjean.fr/wp-content/uploads/2019/11/LFPS-GRANDJEAN-GOULET-octobre-2019.pdf

([2]) Commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales (rapport n° 3300, septembre 2020).

([3]) « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales : des progrès trop lents, un changement d’échelle indispensable », rapport de la Cour des comptes à la commission des affaires sociales du Sénat (septembre 2020), disponible ici : https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-09/20200908-rapport-Lutte-contre-fraudes-prestations-sociales_0.pdf.

([4]) IGF et IGAS, « Les coûts de gestion de l’assurance maladie » (septembre 2013).

([5]) Ibid.

([6]) En application du décret n° 2007-199 du 14 février 2007 relatif à la carte d’assurance maladie et modifiant le code de la sécurité sociale.

([7]) Décret n° 2019-528 du 27 mai 2019 relatif à l’expérimentation d’une « e-carte d’assurance maladie ».

([8]) Règlement (UE) 2019/1157 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif au renforcement de la sécurité des cartes d’identité des citoyens de l’Union et des documents de séjour délivrés aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille exerçant leur droit à la libre circulation.

([9]) Créé par la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social.

([10]) Article L. 161-31 du code de la sécurité sociale.

([11]) Article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.

([12]) Article L. 321-1 du code de la sécurité sociale.

([13]) Arrêté du 14 mars 2007 relatif aux spécifications physiques et logiques de la carte d’assurance maladie et aux données contenues dans cette carte.

([14]) Article L. 162-4-3 du code de la sécurité sociale.

([15]) Décret n° 2008-426 du 30 avril 2008 modifiant le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques.

([16]) Règlement (CE) n° 2252/2004 du Conseil du 13 décembre 2004 établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres, modifié par le règlement (CE) n° 444/2009 du 28 mai 2009.

([17]) En vigueur depuis le 15 janvier 2003, « Eurodac » est un système européen de contrôle et de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile et des étrangers susceptibles de le devenir un jour.

([18]) Règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.

([19]) Cour des comptes, « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales », rapport précité.

([20]) Décret n° 2019-528 du 27 mai 2019 relatif à l’expérimentation d’une « e-carte d’assurance maladie ».

([21]) Article L. 161-31 du code de la sécurité sociale.

([22]) Article 59 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

([23]) Article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.

([24]) Articles L. 251-1 à 251-3 et R 251-1 à R. 251-2 du code de l’action sociale et des familles.

([25]) Tel que prévu à l’article R. 161-33-7 du code de la sécurité sociale.

([26]) Article L. 161-31 du code de la sécurité sociale.

([27]) Carole Grandjean et Nathalie Goulet, rapport précité.

([28]) http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9959828_5fbe6158a16ef.commission-des-affaires-sociales--instituer-une-carte-vitale-biometrique--ameliorer-le-systeme-de--25-novembre-2020