N° 3701

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2020.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE ([1])

sur l’évaluation des politiques publiques
de santé environnementale,

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Élisabeth TOUTUT-PICARD, présidente,

 

et

 

Mme Sandrine JOSSO, rapporteure,

 

Députées.

 

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TOME II

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

 


 

La commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale est composée de : Mme Élisabeth Toutut-Picard, présidente ; Mme Sandrine Josso, rapporteure ; Mme Annie Chapelier, MM. Jean-Charles Grelier, Yannick Haury, Mme Michèle Peyron, viceprésidents ; Mmes Audrey Dufeu, Claire Pitollat, M. Dominique Potier, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, secrétaires ; M. Saïd Ahamada, Mmes Gisèle Biémouret, Marine Brenier, M. Philippe Chalumeau, Mme Fannette Charvier, M. Pierre Dharréville, Mme Nadia Essayan, M. Jean-Luc Fugit, Mmes Marine Le Pen, Bénédicte Pételle, Valérie Petit, M. Jean-Hugues Ratenon, Mmes Laurianne Rossi, Nathalie Sarles, Valérie Six, MM. Jean-Louis Touraine, Pierre Venteau et Stéphane Viry, membres.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

1. Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Denys, directeur santé environnement travail de Santé publique France (9 septembre 2020)

2. Audition, ouverte à la presse, de M. Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), de M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué, pôle sciences pour l’expertise, de M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques, de Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée, pôle produits réglementés et de Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles (9 septembre 2020)

3. Audition, ouverte à la presse, de Mme Béatrice Buguet, inspectrice générale des affaires sociales (16 septembre 2020)

4. Audition, ouverte à la presse, de M. Gilles Pipien, ingénieur général des ponts, des eaux et forêts, membre permanent du Conseil général de l’environnement et du développement durable, et de M. Éric Vindimian, ingénieur en chef du génie rural, des eaux et forêts, membre de l’Autorité environnementale, section milieux, ressources et risques (16 septembre 2020)

5. Audition, ouverte à la presse, de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques (Ministère de la Transition écologique) (23 septembre 2020)

6. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l’univers et de M. Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) (23 septembre 2020)

7. Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Toma, porteparole du Comité pour le développement durable en santé (C2DS) (24 septembre 2020)

8. Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Zolesi du cabinet QAP Conseil, spécialisé en santé-environnement (24 septembre 2020)

9. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Laure Métayer, adjointe au directeur de l’eau et de la biodiversité à la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (ministère de la transition écologique) (30 septembre 2020)

10. Audition, ouverte à la presse, de M. le professeur Denis Zmirou, président, et de Mme la professeure Francelyne Marano, vice-présidente, de la commission spécialisée « risques liés à l’environnement » du Haut conseil de la santé publique (30 septembre 2020)

11. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation (Ministère de l’agriculture et de l’alimentation) (30 septembre 2020)

12. Audition, ouverte à la presse, de Mme Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) (30 septembre 2020)

13. Audition, ouverte à la presse, de M. William Dab, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur général de la santé (1er octobre 2020)

14. Audition, ouverte à la presse, de M. Raymond Cointe, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et de M. Clément Lenoble, chargé de mission auprès du directeur général (7 octobre 2020)

15. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Vilboeuf, directeur général du travail par intérim et de M. Frédéric Tézé, sousdirecteur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion (7 octobre 2020)

16. Audition, ouverte à la presse, de M. François Houllier, présidentdirecteur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et de M. Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint (7 octobre 2020)

17. Audition, ouverte à la presse, de M. Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitaliers de biochimie à l’Université de Paris (8 octobre 2020)

18. Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Zmirou, président, de Mme Agnès Popelin, vice-présidente, de la Commission nationale « déontologies et alertes en santé publique et environnementale » (CnDAPse), et de M. Pierre-Henri Duée, membre de la commission précitée au titre de représentant du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (8 octobre 2020)

19. Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Caquet, directeur scientifique « environnement » de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) (14 octobre 2020)

20. Audition, ouverte à la presse, de Mme Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (14 octobre 2020)

21. Audition, ouverte à la presse, de M. Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) (15 octobre 2020)

22. Audition, ouverte à la presse, de Mme Eugénia Pommaret, directrice générale de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), de M. Julien Durand-Reville, responsable santé, et de M. Ronan Vigouroux, responsable environnement (15 octobre 2020)

23. Audition, ouverte à la presse, du docteur Rémy Slama, directeur de l’institut thématique Santé publique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) (15 octobre 2020)

24. Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Leonardi, chef du service prévention des risques et des nuisances de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) d’Île-de-France (21 octobre 2020)

25. Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) du Grand Est (21 octobre 2020)

26. Audition, ouverte à la presse, de M. Joël Duranton, directeur régional adjoint de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) d’Occitanie (21 octobre 2020)

27. Audition, ouverte à la presse, de Mme Agnès Maurin, directrice, et de Mme Mélanie Delozé, secrétaire générale, de la Ligue contre l’obésité (21 octobre 2020)

28. Audition, ouverte à la presse, de M. Christoph Mocklinghoff, directeur du département risques environnementaux de Marsh et président de la commission santé-environnement de l’Association française des entreprises pour l’environnement, et de Mme Sylvie Gillet, responsable du pôle biodiversité et santé-environnement et responsable de la communication de l’Association française des entreprises pour l’environnement (EPE) (22 octobre 2020)

29. Audition, ouverte à la presse, de M. Hervé Charrue, directeur général adjoint en charge de la recherche, et de Mme Séverine Kirchner, directrice santé et confort du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) (22 octobre 2020)

30. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques, de Mme Marie Zimmer, responsable management de produits, de M. Constantin Dallot, toxicologue et responsable santé environnement, et de M. le Docteur Patrick Lévy, médecin conseil de France Chimie (22 octobre 2020)

31. Audition, ouverte à la presse, de Mme Laurianne Rossi et de Mme Claire Pitollat sur leur rapport en conclusion des travaux de la mission d’information commune sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique (27 octobre 2020)

32. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Mester, directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur, et de Mme Muriel Andrieu-Semmel, responsable du département santé-environnement de la direction de la santé publique et environnementale (27 octobre 2020)

33. Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Mulliez, directeur général, et de Mme Anne Serre, directrice adjointe santé-environnement, de l’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne (28 octobre 2020)

34. Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Maisonny, directeur délégué prévention et protection de la santé au sein de l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes et de M. Bruno Fabres, chef du pôle santé environnement de l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes (28 octobre 2020)

35. Audition, ouverte à la presse, de M. le docteur Daniel Habold, directeur de la santé publique à l’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine (28 octobre 2020)

36. Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Bodreau, président, et de Mme Michelle Bureau, rapporteure générale à l’évaluation des politiques publiques, du Conseil économique, social et environnemental des Pays de la Loire (28 octobre 2020)

37. Audition, ouverte à la presse, de Mme Françoise Jeanson, conseillère régionale, déléguée à la santé, la silver économie et aux formations sanitaires et sociales de la région Nouvelle-Aquitaine, et de Mme Carole Doucet, chef du service santé et silver économie (29 octobre 2020)

38. Audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Guillotin, sénatrice, conseillère régionale, et de M. Christian Guirlinger, conseiller régional, président de la commission environnement, du Conseil régional du Grand-Est (29 octobre 2020)

39. Audition, ouverte à la presse, de Mme Sylviane Oberlé, chargée de mission prévention des pollutions de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) (30 octobre 2020)

40. Audition, ouverte à la presse, de M. Claude Aufort, maire de Trignac et vice-président de la Communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire (CARENE), et de Mme Maribel Létang-Martin, adjointe au maire de Saint-Nazaire en charge de la santé et du suivi du contrat local de santé (CLS) (30 octobre 2020)

41. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Brard, maire de Pornic, président de Pornic Agglo Pays de Retz (30 octobre 2020)

42. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Fugit, député et président du Conseil national de l’air, de M. Jacques Patris, président référent santé d’Atmo France et président d’Atmo Hauts-de-France, de Mme Dominique Tilak, directrice référente santé d’Atmo France et directrice d’Atmo Occitanie, et de Mme Marine Tondelier, déléguée générale d’Atmo France (4 novembre 2020)

43. Audition, ouverte à la presse, de Mme Annick Bonneville, directrice régionale, et de Mme Koulm Dubus, cheffe du service risques naturels et technologiques de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) des Pays de la Loire (4 novembre 2020)

44. Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie Gaudeul, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), en charge des objectifs de développement durable, membre du Conseil national de la transition écologique et du Conseil national de l’air (5 novembre 2020)

45. Audition, ouverte à la presse, de. M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) (5 novembre 2020)

46. Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, sur le plan Écophyto (18 novembre 2020)

47. Audition, ouverte à la presse, de M. Lilyan Le Goff, membre du réseau santé-environnement de France nature environnement (FNE), de Mme Katia Baumgartner, cadre de santé et membre du directoire (FNE), et de Mme Sylvie Platel, docteur en santé publique et coordonnatrice du réseau santé-environnement (FNE) (18 novembre 2020)

48. Audition, ouverte à la presse, de Mme Élisabeth Gnansia, présidente, de Mme Catherine Cecchi, vice-présidente, de M. Fabien Squinazi et de Mme France Wallet, de la Société francophone de santé et environnement (SFSE) (18 novembre 2020)

49. Audition, ouverte à la presse, de M. André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES) (18 novembre 2020)

50. Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France (ASEF) (18 novembre 2020)

51. Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick O’Quin, président, et de Mme Françoise Audebert, conseillère scientifique et réglementaire, de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) (19 novembre 2020)

52. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie Thibaud, fondatrice, et de M. Mickaël Derangeon, membre, du Collectif stop aux cancers de nos enfants (19 novembre 2020)

53. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) (19 novembre 2020)

54. Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Amar, directrice générale du Registre des malformations en RhôneAlpes (REMERA) (19 novembre 2020)

55. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Lacoste, directeur du développement durable, et de M. Vincent Szleper, chef du pôle eaux, pollutions et affaires internationales à la sous-direction du climat et de l’environnement de la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) (19 novembre 2020)

56. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Jeanne Husset, administratrice de Wecf France et co-présidente du groupe de travail GT 2 (recherche, formation, information, éducation) du plan national santé-environnement (PNSE3) (24 novembre 2020)

57. Audition, ouverte à la presse, de M. Roger Genet, directeur général, de M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques, de Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée, pôle produits réglementés, et de Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) (24 novembre 2020)

58. Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé (24 novembre 2020)

59. Audition, ouverte à la presse, de M. le Professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé (DGS) (25 novembre 2020)

60. Audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Huc, toxicologue en santé humaine, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) (25 novembre 2020)

61. Audition, ouverte à la presse, de Mme le Dr Catherine Grenier, directrice de la qualité et de la sécurité des soins de la Haute autorité de santé (25 novembre 2020)

62. Audition, ouverte à la presse, de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique (2 décembre 2020)


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1.   Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Denys, directeur santé environnement travail de Santé publique France (9 septembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette commission d’enquête a pour objectif de dresser un bilan de l’existant en matière de politiques publiques sur les questions de santé-environnement. Elle doit permettre de nous éclairer sur les mesures que nous pourrions par la suite recommander au gouvernement et au parlement afin d’améliorer la prise en charge de toutes les thématiques relevant, de près ou de loin, de la santé environnementale. Nous débutons ces auditions par les deux grandes agences de santé environnementale que sont Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement, de l’alimentation et du travail (Anses). Nous attendons de votre part que vous décliniez les grandes lignes de la politique en matière de santé-environnement et que vous nous expliquiez de quelle manière votre agence, qui dépend du ministère de la Santé, s’acquitte de cette lourde responsabilité. Je vous demanderai de commencer en nous livrant votre conception de la « santé environnementale ». Vous pourrez, dans un deuxième temps, nous expliquer comment Santé publique France contribue à la politique publique : quelle est son organisation, depuis quand existe-t-elle, quels sont les financements ciblés sur ces opérations, quels sont les faiblesses et les points forts du dispositif et vers quelles mesures peut-on tendre pour l’améliorer ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite à prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Sébastien Denys prête serment.)

M. Sébastien Denys. Je m’efforcerai de répondre le plus précisément possible à vos questions durant cette audition. Je suis disposé à vous transmettre des compléments d’information a posteriori si nécessaire, notamment en ce qui concerne les éléments financiers.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous y tenons tout particulièrement. Les éléments financiers constituent la preuve de l’engagement de l’État en ce qui concerne ces démarches.

M. Sébastien Denys. L’Agence nationale de santé publique, sous tutelle du ministère chargé de la santé, dispose d’environ 600 collaborateurs, essentiellement localisés à Saint-Maurice dans le département du Val-de-Marne. L’agence conduit son action dans les territoires au travers de ses cellules régionales placées auprès des agences régionales de santé (ARS). Au nombre de 15, présentes en métropole et en outre-mer, elles constituent le représentant unique en région de Santé publique France. Cette répartition territoriale permet une double articulation entre des interventions de politique publique à l’échelle nationale et leur déclinaison au travers des plans régionaux, à commencer par le Plan régional santé environnement (PRSE).

La Direction santé-environnement-travail (DSET) est une direction récente. Créée en 2019 suite à la fusion de deux directions (la Direction santé-environnement et la Direction santé-travail), elle a pour mission principale de produire des données probantes permettant d’objectiver le lien entre un environnement donné – qu’il s’agisse d’environnement général ou professionnel – et l’état de santé des populations. Les deux directions ont été réunies pour répondre à des enjeux majeurs de santé publique en matière de santé environnementale. La dimension de la santé au travail est, dans ce cadre, intégrée à celle de la santé environnementale, les deux étant fortement liées. Concernant, par exemple, l’exposition à des substances chimiques, un individu peut être exposé à des substances chimiques dans son environnement général mais également dans son environnement professionnel. Ces substances peuvent être similaires ou différentes, ce qui soulève alors la question des « effets cocktails ». Quant à des enjeux majeurs tels que le changement climatique, nous savons que celui-ci impacte l’environnement général mais modifie également les conditions de travail. La création de la DSET permettait donc de répondre plus finement aux nouveaux enjeux de santé environnementale.

La santé environnementale ne peut en aucun cas se réduire à un traitement de facteurs de risque tels que la pollution de substances chimiques, l’air ou le bruit. Il est nécessaire de prendre en compte la combinaison de l’ensemble des périmètres (environnement général ou professionnel) et des déterminants environnementaux dans l’étude relative à l’état de santé des populations, qu’il s’agisse de santé physique, psychique ou perçue. Contrairement à l’Anses, dont la mission a trait à l’évaluation des risques, Santé publique France a pour objectif de promouvoir des environnements favorables à la santé. Nous pouvons préciser que l’agence se base, dans sa mission, sur une acception très large du terme de santé environnementale, qui correspond à la définition qu’en a donnée l’OMS dans les années 90. Pour répondre à cette mission, la DSET élabore des indicateurs permettant d’objectiver le lien entre environnement et état de santé, et participe à l’amélioration des connaissances d’un certain nombre de sujets à propos desquels l’état du savoir est encore partiel (les perturbateurs endocriniens par exemple). Son rôle consiste à obtenir ces données de manière à promouvoir ensuite des environnements favorables à la santé. Ce travail repose en partie sur des recommandations adressées aux individus, visant à diminuer leur exposition à des environnements nocifs. Le site « Agir pour bébé », dans le cadre du Plan national santé environnement 3 (PNSE 3), s’inscrit dans ce type de démarche. En complément de l’action individuelle, les politiques publiques vont permettre d’impulser une action systémique. Ces politiques peuvent par exemple contribuer à la promotion de mesures visant à réduire les émissions ou l’impact du réchauffement climatique sur la santé. Les travaux de l’agence consistent donc, d’une part, à acquérir des données fondées sur la surveillance de l’état de santé des populations et, d’autre part, à élaborer des actions de prévention et de promotion de la santé, via les plans nationaux et régionaux de politique publique.

Parmi les plans nationaux, le PNSE occupe une place centrale et supporte un grand nombre d’actions. D’autres plans contribuent, en complément, à cet objectif de prévention et de promotion de la santé. Le plan chlordécone a ainsi permis d’obtenir des données intéressantes en lien avec l’Anses et de recommander des mesures de diminution des expositions de la population, en dépit d’incertitudes persistantes. Le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) constitue un enjeu majeur en termes de santé publique, pour ces prochaines décennies. Le lien entre changement climatique et santé publique mériterait en outre d’être renforcé dans l’esprit des politiques publiques. Le Plan Écophyto II+ répond à la question des pesticides et, plus précisément, à l’exposition des riverains aux pesticides. Le Plan national canicule (PNC) a rendu possible la constitution du système d’alerte canicule et santé que pilote l’agence et plus particulièrement la DSET. Santé publique France contribue, en collaboration avec ses partenaires, à l’élaboration et à la mise en œuvre de ces plans. Les réunions qui en découlent, par exemple au titre du PNSE, constituent par ailleurs des lieux de concertation essentiels et permettent de créer des liens entre les parties prenantes. Cela répond à la préoccupation de Santé publique France de s’ouvrir à la société civile et au milieu associatif. Ce dernier se révèle très actif en matière de mesures de prévention, par exemple dans le domaine des perturbateurs endocriniens.

Nous devons articuler ces plans avec des actions de recherche, dans la mesure où l’état des connaissances demeure incomplet pour de nombreux sujets. Il me semble indispensable de rappeler que la recherche doit être financée – et financée de manière conséquente – pour apporter une solution à des questions pour lesquelles nous n’avons pas, aujourd’hui, toutes les réponses. Ces incertitudes nous mettent en difficulté dès lors qu’il s’agit d’orienter la population dans des problématiques très concrètes, telles que l’exposition à des substances chimiques ou les risques liés à des champs électromagnétiques. Il me semble fondamental de préserver l’espace de dialogue avec les autres agences et opérateurs de l’État, mais également avec les institutions de recherche, de manière à pouvoir communiquer à froid sur nos missions (les limites des méthodes que nous employons, les données que nous produisons) et à entendre les préoccupations des parties prenantes, qui permettent de progresser.

L’obtention de financements revêt de toute évidence une importance centrale et représente un combat quotidien. Pesti’Riv, une étude d’exposition aux produits phytopharmaceutiques des riverains des parcelles viticoles, a été proposée suite à une saisine du ministère de la Santé et a pu obtenir un financement via le plan Écophyto II+. Cette négociation a été engagée conjointement avec l’Anses, partenaire de l’enquête. La recherche de financement est permanente. En effet, les budgets des études que nous souhaitons poursuivre et qui s’avèrent très coûteuses ne sont pas associés aux plans. Nous sommes contraints d’engager des négociations au cas par cas, pour chaque projet. Le budget de Pesti’Riv s’élève à près de quinze millions d’euros, pour une durée de cinq ans. Cette étude permettra de récolter un ensemble de données probantes fort intéressantes quant à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques. De grandes enquêtes sont menées au titre des plans nationaux successifs. On peut, par exemple, citer le programme national de biosurveillance, qui a été largement soutenu par le Grenelle de l’environnement. Les enquêtes qui en découlent ont apporté des éclairages intéressants sur l’évolution de l’exposition de la population aux différentes substances chimiques postérieurement à la mise en place de politiques publiques. Ces dernières sont, par exemple, à l’origine d’une diminution drastique de l’exposition de la population (et notamment des enfants) au plomb, le risque du saturnisme étant intégré dans le plan. La pérennisation du programme national de biosurveillance me semble ainsi de bon augure. Ces enquêtes, longues et coûteuses, constituent des éléments d’appréciation qui permettent d’évaluer les politiques publiques. Afin de garantir l’efficacité des plans, il paraît logique que ces derniers soient évalués. Compte tenu du risque que constituent les vagues de chaleur, l’évaluation du plan national canicule me semblerait pertinente afin d’analyser quelle a été son efficacité et dans quelle mesure il a permis de réduire les décès liés aux fortes chaleurs. Pour rappel, entre 1973 et 2019, trente-huit mille décès ont été attribués à la canicule.

La coordination des différents plans existants – et des actions qui en découlent – me semble constituer un axe d’amélioration à part entière. La problématique de la chaleur est peu présente au sein du PNSE, alors que celui-ci intègre, en revanche, les notions de substances chimiques. Les notions de risques émergents et de zoonose ont également été abordées dans le contexte de l’épidémie de Covid -19. Le PNSE pourrait intégrer un groupe dédié à la biodiversité-santé, qui mériterait sans doute d’être un peu plus conséquent. De manière générale, l’interdisciplinarité, insuffisante à ce jour, gagnerait à être développée. Le PNSE trouverait ainsi un écho dans l’action d’autres plans, et la coordination de l’ensemble des plans existants faciliterait la mise en œuvre d’objectifs communs, selon une temporalité plus « alignée ».

Pour avoir vécu personnellement de nombreuses réunions du PNSE 3, il me semble qu’un autre axe d’amélioration consisterait à éviter la dispersion des réunions de façon à optimiser les échanges entre les parties prenantes et les opérateurs de l’État. Ces plans ont également pour fonction de permettre la concertation et l’échange avec des experts scientifiques et des experts issus de la société civile. Ils permettent un échange plus serein que lors des situations d’alerte, durant lesquelles l’interaction est nécessairement rendue complexe.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Je vous remercie pour vos propos liminaires. Pouvez-vous clarifier la notion de santé environnementale ?

M. Sébastien Denys. Le concept de « santé-environnement » tend à décrire l’ensemble des conditions de l’environnement qui contribuent à ce que la personne, les individus ou les populations soient en bonne santé. Pour cela, il est nécessaire d’identifier les déterminants qui menacent la santé. Il peut s’agir de la pollution de l’environnement, de substances chimiques contaminant un certain milieu, mais également de conditions liées au milieu social. En effet, la défaveur sociale peut augmenter le nombre de pathologies. La mission de l’agence consiste à promouvoir des actions ciblées sur ces déterminants qui, à un moment donné, impactent négativement la santé des populations. Elle agit également par le biais de recommandations auprès des individus, dans une optique de réduction de l’exposition de ces derniers à des environnements nocifs. Ce concept a pour particularité d’intégrer l’ensemble des déterminants. Le champ d’étude ne se limite pas à un facteur de risque isolé, il englobe la combinaison des différents facteurs présents dans l’environnement d’une population donnée. À titre d’exemple, les données relatives à l’exposition d’une population aux substances chimiques pourront être croisées avec d’autres informations. En effet, si les individus résidant à proximité de zones industrielles sont certes plus exposés aux substances chimiques que ceux qui en sont éloignés, d’autres déterminants, tels que la précarité sociale, agissent en complément sur l’état de santé de ces populations. Dans ce cas, l’action à mener sera plus globale et ne se limitera pas uniquement aux substances chimiques. Au-delà des impacts d’un environnement sur la santé physique, ce concept intègre par ailleurs la dimension de santé mentale. Durant la période de confinement, on a constaté que l’isolement à domicile pouvait avoir un certain nombre de conséquences sur des individus présentant des symptômes d’anxiété ou de dépression.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Concernant votre agence et le PNSE 3, les actions que vous avez pilotées avec vos partenaires ont-elles, selon vous, atteint leurs objectifs ? Dans la mise en œuvre de ces actions, comment les relations avec vos partenaires s’organisent-elles et quels sont les axes d’amélioration à ce titre ? Pouvez-vous détailler davantage le fonctionnement du groupe santé-environnement et de l’agence ? Concernant les politiques territoriales, enfin, et compte tenu d’une gouvernance implantée dans le bassin parisien, comment les échanges au niveau des territoires s’articulent-ils ? Les implantations territoriales peuvent-elles faire l’objet d’améliorations ?

M. Sébastien Denys. Concernant les actions du PNSE 3, celui-ci ne peut être évalué de manière isolée dans la mesure où nos actions s’inscrivent dans la durée. En effet, nos données sont en général issues d’enquêtes épidémiologiques de longue durée. À titre d’exemple, l’enquête Esteban, dite transversale, permet d’obtenir un panel d’indicateurs sur la santé métabolique des individus (adultes et enfants) mais aussi sur l’exposition à plus d’une centaine de substances chimiques, cette seconde partie étant pilotée par ma direction. Il faut compter environ cinq ans entre le moment où l’enquête démarre et le moment où les résultats sont publiés et peuvent être rendus opérationnels. Cette action, qui permet d’apporter de vraies réponses à certaines questions et d’alimenter la connaissance des expositions, s’inscrit donc dans différents PNSE.

Le programme national de biosurveillance, qui est une action phare de l’agence et qui a été largement soutenu par les différents plans, a permis de collecter, pour la première fois, des données d’exposition représentatives de la population française. Ces données ne sont pas issues d’un petit panel d’individus : elles se basent sur l’ensemble de la population française, à la fois les adultes et les enfants. Elles portent sur un ensemble de substances dont certaines sont cancérigènes et d’autres sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens (le bisphénol A ou F, par exemple, ainsi que les substituts F et S sur lesquels des résultats ont été publiés l’année dernière). Ces résultats sont un véritable succès. Ils constituent des éléments probants qui contribuent à l’évaluation de la politique publique. Nous avons également développé des indicateurs de la santé reproductive, tels que la puberté précoce chez les filles ou les garçons, qui ont été corrélés avec des données d’exposition à des perturbateurs endocriniens. Les actions menées au travers du PNSE nous ont permis d’établir ces indicateurs puis d’en assurer un suivi spatial et temporel. Nous avons aujourd’hui une idée de l’évolution de ces indicateurs sur vingt ans. Nos résultats sont détaillés dans un numéro spécial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), revue publiée par l’agence que je pourrai vous transmettre à l’issue de cette audition pour vous montrer le type d’indicateurs que nous parvenons à produire.

Nous menons également une action en ce qui concerne la qualité de l’air, thématique présente au sein du PNSE et soutenue par d’autres politiques publiques. Nous avons pu collecter des données d’une grande précision sur le lien entre mortalité et exposition à des particules atmosphériques. Nous y travaillons depuis vingt ans avec nos partenaires, à commencer par les associations de mesure de la qualité de l’air. Cet engagement de longue durée nous a permis de produire des données extrêmement intéressantes pour l’ensemble du territoire. Par exemple, nous savons aujourd’hui que la pollution de l’air induit près de 48 000 décès par an. Cette estimation est rendue possible par une collaboration avec les chercheurs produisant les données épidémiologiques sur lesquelles nous nous basons. Elle apporte un nouvel éclairage quant au fardeau que représente la pollution de l’air. Il s’agit de données pertinentes qui nous sont extrêmement précieuses. En effet, nous ne disposons pas d’estimation de la sorte pour l’ensemble des nuisances environnementales. De manière générale, les évaluations quantitatives d’impact sanitaire sont obtenues grâce à des développements méthodologiques rendus possibles par les politiques publiques que nous avons menées à l’agence. Les méthodes d’évaluation sont utiles aux décideurs dans la mesure où elles peuvent être utilisées « à rebours » : en fonction de certains objectifs de qualité à atteindre, il est possible d’estimer le bénéfice sanitaire selon l’abaissement des seuils. Nos travaux sur la qualité de l’air ont été menés à l’échelle nationale et territoriale. Les résultats ont été rendus publics. Une expérimentation pilote avec l’Observatoire régional de la santé (ORS) Île-de-France sur les zones à faibles émissions (ZFE) nous a également montré que le bénéfice sanitaire induit par la création de ZFE à Paris et en petite couronne est variable en fonction de différents scénarios. Ces travaux, également publiés, viennent conforter les mesures de réduction de la pollution atmosphérique et constituent des outils de plaidoyer. En ce sens, ils nécessitent à mon avis d’être maintenus.

Vous m’interrogez ensuite sur les axes d’amélioration qui peuvent être apportés à nos partenariats. En la matière, l’Anses représente l’un de nos partenaires principaux, un accord-cadre régissant la relation entre les deux agences. En complément, nous avons produit, à destination des décideurs et de toute personne désireuse d’y accéder, un premier document – dont je dispose aujourd’hui – détaillant les complémentarités entre les deux agences, notamment dans le champ de la santé-environnement au sein duquel nous travaillons sur des sujets très proches. Dans un souci de bonne communication, nous avons jugé intéressant de clarifier, de manière didactique, le rôle des deux agences. Santé publique France et l’Anses travaillent ainsi en parfaite collaboration sur de nombreuses études. L’enquête Pesti’Riv est un bon exemple de cette complémentarité. Santé publique France supervise la partie imprégnation et surveillance des expositions internes, qui nécessite la réalisation de prélèvements biologiques tandis que l’Anses se consacre à l’évaluation des expositions externes, par le biais de prélèvements (air, poussière, etc.) qu’elle-même réalise avec ses partenaires. Il s’agit là d’une collaboration fructueuse qui fait l’objet d’échanges très réguliers.

S’agissant des problématiques relatives à la pollution de l’air, les réseaux des Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air (AASQA) et le Laboratoire Central de Surveillance de la Qualité de l’Air (LCSQA) représentent les principaux partenaires de Santé publique France pour ce qui concerne l’air extérieur. Nous travaillons également avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) qui gère l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI), dont vous savez peut-être que le devenir est en question. Ces partenaires sont fragiles et nécessitent d’être pérennisés. Les AASQA nous fournissent les données de qualité de l’air qui nous permettent de produire nos estimations d’impact. Si ce réseau n’était pas pérennisé, ou venait à pâtir de problèmes de financement, notre action se trouverait de toute évidence affaiblie. La situation est similaire concernant la qualité de l’air intérieur, pour laquelle nous sommes demandeurs de mesures et de données fiables sur lesquelles nous baser. Si le fardeau lié à la pollution atmosphérique a pu être quantifié, comme nous l’évoquions précédemment, celui associé à la qualité de l’air intérieur demeure insuffisamment délimité à ce jour. Nous supposons pourtant que l’impact lié à l’exposition en intérieur n’est pas négligeable, particulièrement dans les périodes de confinement que nous traversons actuellement. Dans ce contexte, il me semble essentiel que la mission de l’OQAI soit pérennisée, ce qui n’empêche pas de lui donner une nouvelle dimension et de nouveaux objectifs. En l’absence de cet observatoire, il sera difficile de progresser en ce qui concerne la thématique de la qualité de l’air intérieur, thématique dont je sais par ailleurs qu’elle figurait parmi les priorités du PNSE 4, tout au moins au démarrage des discussions.

Les actions partenariales s’étendent par ailleurs aux partenaires de la recherche. Il faut soutenir la recherche s’agissant d’enjeux, multiples et variés, pour lesquels nous avons parfois très peu de données. L’Anses développe des projets de recherche en santé-environnement-travail et l’Agence nationale de la recherche (ANR) promeut des appels à projet de recherche spécifique : il me semble fondamental de maintenir, voire d’amplifier, cet effort. Il s’agit de thématiques importantes pour lesquelles il est parfois difficile d’identifier un acteur dédié. En ce qui concerne le changement climatique, si nous travaillons avec plusieurs équipes, aucun consortium fort ne se dégage. Cette absence peut sans doute expliquer que le lien entre changement climatique et santé publique n’apparaisse que très pauvrement dans l’espace de dialogue public. En effet, si le lien entre changement climatique et énergie est très présent, à juste titre, la question de l’adaptation l’est moins et mériterait d’être consolidée. Cela me semble un point crucial, tant pour l’agence que pour la protection de la santé des populations qui seront inévitablement soumises à ces facteurs de risque.

Mme Valérie Petit. Les termes de « santé environnementale » peuvent parfois sembler abstraits à nos concitoyens. Pourtant, ces derniers se préoccupent de thématiques qui relèvent de ce champ, telles que l’impact des ondes électromagnétiques ou la pollution de l’air. Dans la métropole lilloise, par exemple, la proportion d’enfants qui naissent avec un asthme est passée de 5 à 20 % en quinze ans, dans une zone extrêmement polluée. Ce constat soulève de nombreuses questions quant à l’établissement scientifique du lien entre pollution et santé. La situation est source d’inquiétude pour nombre de nos concitoyens et des informations peu rationnelles ou peu vérifiées scientifiquement circulent largement. Ma question porte précisément sur l’établissement scientifique de tels liens. Selon vous, que faudrait-il faire pour mieux soutenir l’effort de recherche ? Est-ce une question de moyens qui doivent être investis dans la recherche ? Est-ce une question de collaboration entre les différentes disciplines, les différents laboratoires ? Sur quel front pensez-vous que le combat doive être mené pour soutenir l’effort scientifique d’étude de ces liens ? En complément, quelles actions mettez-vous en œuvre pour lutter contre la propagation des fake news ?

M. Sébastien Denys. Concernant la question de la causalité, nous travaillons sur la qualité de l’air depuis plus de vingt ans. Nous disposons en la matière d’un historique très important depuis la Loi Laure de 1996, qui a donné naissance au programme de surveillance air et santé qui se poursuit toujours aujourd’hui. Nous travaillons avec l’OMS Europe sur ces questions et avons développé un outil qui aide les collectivités à choisir les bons scénarios d’intervention quant aux problématiques liées à la qualité de l’air. C’est donc grâce à un travail mené depuis plus de vingt ans que nous pouvons aujourd’hui établir ces liens de causalité et produire ces outils. Ces liens sont établis à partir de cohortes constituées par des chercheurs. Nous avons par exemple travaillé avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et la cohorte Gazel. Ces cohortes permettent d’établir des relations d’exposition au risque. Nous nous basons sur un panel d’individus assez large, équivalent à plusieurs dizaines de milliers de personnes exposées à différentes qualités de l’air. Nous essayons ensuite de corréler les événements de santé survenant chez ces personnes, que nous suivons tout au long de leur vie, avec les concentrations atmosphériques auxquelles leur environnement les expose et que nous recueillons par différents moyens (en général des questionnaires).

La recherche s’inscrit donc dans un temps long, temps indispensable à l’élaboration de méthodes permettant, ensuite, d’apporter des réponses en matière de gestion immédiate des situations. Il me semble indispensable que ces liens soient préservés. À ce titre, la directrice générale de Santé publique France, Geneviève Chêne, réfléchit à l’élaboration d’un accord-cadre avec l’INSERM. Celui-ci intégrera des enjeux prioritaires liés aux champs de la santé-environnement et du changement climatique. En effet, nous ne sommes pas une agence de recherche. Notre rôle consiste à observer et alerter ; or, si nous voulons répondre aux alertes, il nous faut être capables de mobiliser la recherche. Dans ce contexte, l’un des axes d’amélioration de l’agence consisterait précisément à parvenir à une meilleure stimulation de la recherche. Aujourd’hui, nous n’avons pas voix au chapitre, qu’il s’agisse des appels à projet de recherche de l’Anses ou de l’ANR. Une plus grande implication de Santé publique France dans la gouvernance de la recherche serait souhaitable. Le fait de mettre l’agence en capacité de formuler des hypothèses et d’orienter quelques programmes de recherche constituerait, pour nous, une avancée considérable. Malgré tout, nous finançons des actions de recherche. Par exemple, nous travaillons en partenariat avec les chercheurs de l’INSERM de la cohorte de Gazel et avec le registre des cancers pédiatriques en soutenant le programme GEOCAP (Étude Géolocalisée des Cancers Pédiatriques) axé sur différents facteurs de risques environnementaux. En ce moment, nos études portent davantage sur la question des pesticides. Par le passé, nous avons travaillé et financé des études sur les champs électromagnétiques. Nous apportons donc une forme de soutien à la recherche, mais il s’agit de contributions ponctuelles qui mériteraient, à mon avis, d’être amplifiées et pérennisées dans une programmation à dix ans.

L’agence manque également de ressources humaines. Nous parlons beaucoup de financements mais peu, en tout cas dans cette audition, de ressources humaines. Les directions santé-environnement et santé-travail ont pourtant enregistré une diminution de près de 15 % de leur effectif depuis 2016. Cela semble anodin mais cette perte est en réalité énorme. Nous entretenons évidemment beaucoup de liens avec nos cellules régionales, auxquelles nous apportons notre soutien dans leurs investigations locales. De nombreuses urgences doivent être traitées en continu : une centaine de saisines environ – je vous enverrai le nombre exact – entre 2015 et 2019. Cela laisse peu de temps pour les exercices de prospective. Nous parlons des champs électromagnétiques, du changement climatique, mais aujourd’hui nous gérons essentiellement des situations à l’instant T. Que va-t-il se passer dans dix ans, dans vingt ou cinquante ans ? Notre rôle est aussi de prévoir ces évolutions ; or, nous ne disposons pas du temps nécessaire pour le faire. D’une part, nous manquons de ressources internes et, d’autre part, nous sommes déjà accaparés par les sujets d’actualité, qui sont aussi des sujets de préoccupation citoyenne. Face à ce constat, les préconisations visant à renforcer les moyens de l’agence pour des sujets qui ne se résolvent pas du jour au lendemain me semblent essentielles. Il s’agit de sujets qui doivent être traités sur le long terme et pour lesquels nous avons besoin d’études.

Qu’il s’agisse d’appui aux politiques publiques ou d’appui aux gestionnaires pour des questions territoriales, nous disposons d’éléments permettant de gérer des problématiques en situation d’incertitude. Par exemple, concernant la chlordécone, les travaux menés avec l’Anses et les registres n’ont pas permis de résoudre la question de l’incertitude du lien de causalité entre exposition à la chlordécone et cancer de la prostate. Cependant, un grand nombre d’éléments nous permet d’adresser des préconisations aux gestionnaires et de proposer à la population des mesures de réduction des risques. L’incertitude ne doit pas empêcher la gestion. Il ne faut pas attendre vingt ans d’études épidémiologiques pour gérer les situations auxquelles nous sommes confrontés. De la même manière, l’enquête Esteban a mis en avant une imprégnation importante de la population à un ensemble de substances chimiques. Nous travaillons sur la réduction des expositions à la source et le site d’information « Agir pour bébé » recommande un certain nombre d’actions pour les individus exposés.

Les fake news représentent un véritable fléau pour les agences, mises en difficulté par la propagation de ces informations erronées, qui remettent en cause l’expertise scientifique. L’agence Santé publique France est une agence d’expertise scientifique. Elle répond à un certain nombre de standards en matière de respect de protocoles méthodologiques, d’éthique et d’intégrité scientifique. Nous nous entourons d’experts extérieurs à l’agence pour traiter des problématiques complexes. Par exemple, dans le programme national de biosurveillance, les études relatives aux pesticides s’appuient sur des conseils scientifiques qui font appel à des personnalités extérieures. Ces dernières doivent remplir une déclaration publique d’intérêts (DPI) pour répondre aux critères de la charte de l’expertise. Malgré ces procédures, nous sommes parfois mis en difficulté au cours de réunions, ayant plutôt trait à des affaires locales, parce que nous avons face à nous des parents, des riverains, intimement atteints par une maladie, parfois un décès. Santé publique France est une agence ayant pour mission d’émettre des recommandations en matière de santé publique à destination de la population générale. Mais la confrontation avec des individus qui soulèvent des questions intimes, propres à leur vécu, est parfois très difficile. Face à ces situations individuelles, notre discours peut devenir inaudible dans la mesure où la science ne permet pas toujours de répondre aux questions que se posent les parents ou les personnes. Nous nous trouvons alors en grande difficulté. Un accompagnement, dans cet aspect de communication en temps de crise, pourrait s’avérer utile et aider le positionnement de l’agence. J’ai personnellement vécu une réunion publique difficile à Sainte-Pazanne. Nous arrivons avec notre science et toute la bonne volonté pour essayer de répondre aux interrogations, mais nous nous heurtons évidemment à la peine des gens et aux difficultés qu’ont les parents de vivre les situations qu’ils traversent. Une meilleure sensibilisation de la population sur les sujets de santé environnementale, dont l’importance est croissante, me semble essentielle. L’éducation peut sans doute être renforcée dans certains parcours, à l’école ou dans certaines filières universitaires. Nous essayons de remplir cette mission via des sites, mais je pense que cette démarche pourrait être couplée à d’autres actions.

Mme Annie Chapelier. Selon vous, quels sont les sujets les plus préoccupants en santé environnementale et pour lesquels la surveillance et la récolte de données sont insuffisantes ? Vous avez évoqué les changements climatiques. D’autres axes mériteraient-ils également d’être développés ?

D’un point de vue plus pratique, les résultats de vos enquêtes et de vos études sont-ils pris en compte par les collectivités (notamment locales) de façon contraignante dans l’aménagement territorial, par exemple via les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) ? Dans ma circonscription, un nombre anormal de glioblastomes a récemment été révélé dans la commune de petite taille de Salindres. Ce phénomène est attribué à la présence de l’entreprise Pechiney, une usine historique d’aluminium. Le territoire est fortement marqué par l’industrie, tant en ce qui concerne la qualité des sols que celle de l’air : odeurs particulières, lacs de boues rouges dans lesquels il n’y a aucune vie. La commune appartient également à plusieurs « zones Seveso ». Les jardins ne peuvent être cultivés de la même manière que sur d’autres territoires. Pourtant, les mesures de qualité sont positives et les constructions continuent à être autorisées à proximité de ces lieux. Cette situation semble étonnante.

M. Sébastien Denys. Concernant les axes prioritaires, nous avons largement abordé la question des substances chimiques. Nous avons obtenu beaucoup de résultats combinant les connaissances en termes d’exposition de la population. Un tel enjeu de santé publique, qui rejoint par ailleurs les préoccupations de la société, rend indispensable de poursuivre les efforts en ces domaines. Nous pouvons encore améliorer l’état des connaissances en ce qui concerne la prise en compte des effets combinés (ou « effets cocktails ») et en ce qui concerne le développement de biomarqueurs d’effet : si nous parvenons bien à caractériser l’exposition de la population, cette mesure n’est toutefois pas prédictive d’effets sanitaires. À titre d’exemple, les résultats de l’enquête Esteban indiquent des concentrations de substances dans le sang mais ne permettent pas de prédire un effet sanitaire. Ainsi, pour la majorité des substances, il n’y a pas de valeur prédictive. Le développement des biomarqueurs d’effet représente une étape supplémentaire dans la finalité de ces enquêtes. Il nous permettrait d’orienter les réductions du risque sur la base de valeurs d’imprégnation interne. Il s’agit d’un point important.

Vous soulevez la question de la prospective des risques émergents, où le changement climatique occupe une place centrale. En réalité, nous avons déjà une idée des risques inéluctables aujourd’hui. La vague de canicule de cet été a été relativement intense. Nous savons que la chaleur a un impact très important sur la mortalité. La poursuite et la consolidation des travaux menés jusqu’à présent apparaissent indispensables. Les impacts du changement climatique sur la santé publique sont en outre peu connus et gagneraient à davantage de visibilité. Mettre en lumière le lien de causalité entre eux contribuerait à une meilleure compréhension de l’importance d’agir, en tout cas en matière d’adaptation ou d’atténuation. Ces éléments peuvent être utilisés pour évaluer les politiques publiques mais également dans l’optique de plaidoyers destinés à favoriser des mesures d’atténuation.

La veille relative aux thématiques sources de préoccupations et d’inquiétudes pour la population doit également être pérennisée. Ce travail suppose des ressources financières, humaines et des moyens d’enquête. Le lien entre un déterminant environnemental et un événement de santé est très rare en matière de santé-environnement. Il est donc important de veiller à ne pas oublier certains risques pour lesquels nous disposerions, aujourd’hui, de peu de données, mais qui pourraient être à l’origine d’événements de santé. Le débat sur les nanoparticules est par exemple très présent. Si le dispositif EpiNano n’apporte pas, à ce jour, d’informations d’une grande fiabilité sur le lien entre l’exposition aux nanomatériaux et des événements de santé, il constitue toutefois un dispositif de veille essentiel. Nous procédons actuellement au recrutement de salariés, travaillant dans des entreprises où ils manipulent des nanomatériaux, de manière à pouvoir constituer une cohorte et suivre leur état de santé, en lien avec le système national des données de santé. Notre capacité à préserver cette veille requiert des ressources et une reconnaissance dans les politiques publiques fixant les actions prioritaires.

La question des sols pollués et des bassins industriels revêt également un caractère prioritaire. Je suis dans l’incapacité d’estimer, aujourd’hui, le fardeau lié à la présence de bassins industriels tels que celui que vous évoquez dans la commune de Salindres. Depuis deux ans, nous avons initié une étude multicentrique de quarante bassins industriels pour tenter d’établir des corrélations entre les événements de santé autour de ces bassins et l’existence des données d’exposition. Nous sommes toutefois confrontés à une difficulté d’accès aux données. Le partage d’informations entre services constitue un axe d’amélioration indiscutable. Nous sommes actuellement en discussion avec le ministère en charge de l’écologie pour pouvoir accéder à ces données et répondre à cet objectif très ambitieux. Nous pourrions ainsi apporter des éléments de réponse à des situations locales auxquelles nous ne savons pas encore répondre. Nous sommes souvent confrontés à une population relativement peu nombreuse. Or, l’épidémiologie relève de la statistique et, si nous n’avons pas suffisamment de population et si les risques sont faibles, comme c’est souvent le cas, nous ne parvenons pas à des conclusions. Cette situation n’est pas satisfaisante. Il me semble donc crucial de faciliter ces travaux et le partage de données.

Mme Annie Chapelier. Quelle est la nature du problème des échanges de données ? Comment expliquez-vous ce frein ?

M. Sébastien Denys. Il ne s’agit pas d’un frein au niveau de l’administration, mais d’un problème d’accès à des bases de données qui soient renseignées de manière uniforme et circonstanciée. Nous avons par exemple besoin de connaître la localisation géographique du prélèvement qui a été fait, de manière à pouvoir situer ce prélèvement et caractériser l’exposition. Le rapprochement des données de santé et des données environnementales constitue un véritable enjeu du PNSE. Nous accédons aujourd’hui aux données de santé du Health Data Hub, après dix ans de discussions.

Le regroupement des données environnementales constitue par ailleurs une préoccupation récurrente depuis de nombreuses années. Le fait de fédérer ces données dans une même base s’avère cependant complexe, dans la mesure où chaque donnée ou série de données est construite selon une logique sectorielle. Il est donc nécessaire de parvenir à les combiner puis à faire l’interface entre ce « Green Hub » et les données de santé.

Santé publique France s’est portée volontaire pour contribuer à la réflexion à cet égard. Nous évoquions encore ce matin avec l’OQAI le fait que l’initiative relative à l’air intérieur pourrait constituer un pilote en la matière. En effet, nous disposons d’expertise, de données et d’un observatoire sur lequel nous appuyer. Ce pilote pourrait permettre une réflexion et la mise en relation des données de santé et des données environnementales. Ce projet n’est pas simple et pourrait être mené non pas à échéance d’un mais plutôt de dix ans. Cependant, il me semble réellement important de poursuivre ces efforts.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je crois savoir que le partage des données constitue l’un des axes prioritaires du PNSE 4, dans lequel il serait a priori question de l’élaboration d’une plate-forme de données. Un tel projet pourrait toutefois prendre un temps considérable en raison de difficultés techniques, notamment dans la communication entre les systèmes informatiques. Cette volonté politique nous sera confirmée, je l’espère, dès lors que nous aurons connaissance de ce PNSE 4 qui tarde tellement à nous être communiqué.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Ma première question rejoint un peu celle de Madame Chapelier sur les priorités en matière de santé environnementale. Dans cette commission d’enquête, nous sommes bien conscients que nous ne pourrons pas embrasser tous les sujets de santé environnementale. Vous avancez, à juste titre, que Santé publique France est un organisme d’alerte. En tant que professionnel de cette agence, quelle est l’alerte prioritaire ou quelles sont les alertes prioritaires, soit parce qu’elles impactent un grand nombre de personnes, soit parce qu’elles évoluent très rapidement, soit parce que les ressources mobilisables pour les combattre sont les plus faciles à appréhender ?

Ma seconde question concerne vos travaux qui sont multiples et variés. Qui porte la commande ? Comment sont actés les choix des travaux d’observation que votre institut supervise ? Comme vous l’avez expliqué, les ressources à votre disposition sont limitées. Dans ce contexte, de quelle manière les arbitrages sont-ils conduits ? La problématique écologique est le terrain de nombreuses croyances et idéologies, parfois difficiles à rationaliser au moyen de l’argumentation scientifique et d’un raisonnement objectivé. Comment se construisent effectivement vos travaux et vos observations ?

Enfin, s’agissant du combat contre les croyances et les fake news, une réflexion est-elle menée par Santé publique France quant à la communication, la présence sur les réseaux et les relais, de façon à ce que tout un chacun puisse mieux appréhender ce qu’est la santé environnementale et quels sont ses enjeux ?

M. Sébastien Denys. Concernant les alertes, j’y ai beaucoup insisté, la question des substances chimiques me semble essentielle. Je reviendrai à la question des clusters de cancers pédiatriques ou d’agénésie transverse des membres supérieurs (ATMS), qui nous a extrêmement mobilisés ces deux dernières années. Je pense que, même si aucun lien avéré entre les événements de santé et l’exposition n’a été établi, notre connaissance doit progresser. Ce progrès va au-delà de Santé publique France et ne peut être réalisé que collectivement, en collaboration avec la recherche, les autres agences et les autres opérateurs de l’État. Les plans, en particulier le PNSE, me semblent constituer les outils adéquats pour porter et défendre cet effort collectif.

Le lien entre changement climatique et santé publique doit également émerger plus clairement. Les changements climatiques, auxquels nous sommes d’ores et déjà confrontés, entraîneront des modifications d’écosystèmes qui impacteront eux-mêmes la santé. Certains suspectent actuellement un lien entre épidémie de Covid -19 et changement climatique. Les phénomènes de chaleur deviennent par ailleurs récurrents. La direction générale de la santé (DGS) m’a informé, la semaine dernière, que le plan national canicule a vocation à se transformer en plan national de gestion des vagues de chaleur.

Le concept One Health (« Une seule santé »), prôné par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a été conçu dans une volonté de mieux anticiper les évolutions en impliquant, dans une réflexion commune, l’ensemble des acteurs de la santé humaine, animale et environnementale. Durant l’épidémie de Covid-19, Santé publique France, focalisée sur la santé humaine, a mené une réflexion pour déterminer comment mieux intégrer cette dimension intersectorielle dans ses actions. Cela suppose de travailler avec des experts des écosystèmes et de parvenir à construire des plaidoyers communs. Pour cela, il est nécessaire de faciliter le partage des connaissances, des expertises et d’un langage de référence. Effectivement, nous n’employons pas toujours les mêmes mots pour désigner les mêmes choses et la discussion peut alors s’avérer complexe. Nous avons rédigé une tribune dans Les Échos, au mois de juillet, sur la nécessité de passer à l’action sur la base de ce concept One Health. Nous pourrions le faire rapidement à propos de certains enjeux, par exemple les pesticides où les communautés de chercheurs y sont très ouvertes. Je pense que cette action doit par ailleurs être soutenue par le PNSE. Un Groupe santé-environnement (GSE) dédié aux zoonoses a d’ailleurs été réuni dans le contexte de la crise sanitaire.

Concernant le choix des travaux qu’elle mène, l’agence continue, pour partie, à surveiller des risques pour lesquels elle dispose d’événements de santé avérés. Concernant le saturnisme, par exemple, en dépit des progrès réalisés, certaines populations sont toujours exposées au plomb et ces situations appellent à la plus grande vigilance. Une capacité d’alerte doit être maintenue pour identifier les populations concernées. L’agence tend également à promouvoir la simplification des systèmes de surveillance afin de pouvoir dégager des ressources pour de nouveaux sujets. Cela nécessite une informatisation accrue des systèmes qui, à l’heure actuelle, fonctionnent encore avec des fax papier. Nous avons proposé des simplifications importantes du système de surveillance du saturnisme. Elles nécessitent du temps pour être implémentées mais sont nécessaires. Il s’agit d’un risque qui peut sembler dépassé mais pour lequel nous devons pourtant maintenir une capacité de veille.

Le choix des travaux est également conditionné par les alertes en provenance des ARS, notre système d’alerte transitant par ces agences régionales. Le fait de recevoir, sur une période donnée, un certain nombre de saisines sur la problématique des sites et sols pollués (environ 30 % du temps de la direction) nous incite par exemple à développer des travaux de fond sur cette thématique. En effet, nous ne sommes pas toujours en capacité d’apporter des réponses face à des préoccupations locales et des situations telles que celle de la commune de Salindres. Cela nous conduit à envisager de plus larges études en population, sur l’ensemble des sites de même configuration, qui permettront, nous l’espérons, de mieux répondre. L’importance de la question des pesticides tient à une saisine de la DGS, d’une part, et, d’autre part, à nos travaux d’investigation de clusters. Avant même le cluster de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne, de nombreux questionnements nous étaient parvenus à propos des pesticides et de leurs effets sur la santé. Il nous a donc semblé indispensable de pouvoir mener un certain nombre d’études sur cette question. Nous avons ainsi proposé Pesti’Riv, qui a reçu un accueil favorable. Nous avons également initié une étude relative aux cancers pédiatriques dans une population résidant à proximité de parcelles agricoles, dans une démarche de partage des connaissances concernant ce registre. La problématique de la sélection des travaux à partir desquels orienter et dédier des moyens est tout à fait centrale dans la programmation et dans la vie d’une direction. Les arbitrages menant à programmer ou à déprogrammer certains sujets sont complexes. Nous essayons de fonder ces choix sur des données probantes, mais le rôle de l’agence consiste également à répondre aux préoccupations citoyennes en matière de santé environnementale. Les choix sont donc menés sous cette double contrainte. D’une part, Santé publique France s’appuie sur un ensemble de données probantes ; d’autre part, elle répond aux préoccupations qui émergent des saisines des ARS ou des réseaux associatifs. La participation aux plans nationaux permet en outre d’accéder à des espaces d’échanges avec les parties prenantes, dans lesquels nous collectons des informations sur les préoccupations de ces réseaux, préoccupations qui doivent également être considérées.

Concernant les fake news et les efforts engagés pour rendre les travaux scientifiques plus accessibles à la population, nous travaillons en lien avec notre service de communication. Notre service-presse a prévu d’organiser des séances de sensibilisation des journalistes de manière à pouvoir expliquer ce que fait l’agence, quels sont les programmes en santé-environnement, quelles en sont les limites. Nous avons conscience que ce relais n’est pas nécessairement suffisant, d’autant plus que seuls les journalistes intéressés assisteront à ces échanges. Les fake news constituent un défi d’ampleur pour Santé publique France, de même que – je suppose – pour toutes les agences d’expertise. La réponse doit être apportée collectivement. Il en va de la responsabilité des agences comme des médias, des réseaux associatifs, etc. Il n’en reste pas moins que l’agence doit apporter des éléments qui éclairent le gestionnaire et être en capacité de les expliciter. Nous restituons les résultats de nos travaux de manière systématique et à l’ensemble des parties prenantes, afin de les expliciter le mieux possible. Cette restitution vise à aider les parties prenantes à s’approprier le mieux possible ces travaux et leurs limites, qu’il s’agisse de l’administration centrale ou d’ONG. Cette démarche fait partie de la communication de nos résultats. Au-delà, je suis persuadé que combattre les fake news relève d’une responsabilité collective de la société. Elle implique sans doute une plus grande sensibilisation des jeunes générations. Si ces dernières sont déjà largement sensibilisées aux problématiques environnementales, je ne suis pas certain, pour avoir échangé dans mon cercle proche, qu’elles le soient tout autant en matière de santé environnementale.

Mme Claire Pitollat. Sans surprise, je vais aborder avec vous deux sujets à propos desquels nous avions échangé à l’occasion de mes précédents travaux : il s’agit, d’une part, de la qualité de l’air intérieur et, d’autre part, de la problématique de la preuve, dans la recherche et dans nos réglementations.

À propos de la qualité de l’air intérieur, vous avez avancé qu’il y a là un fardeau important en termes de santé environnementale et qu’il y a nécessité de pérenniser l’OQAI. Je ne peux qu’approuver ce propos et j’aimerais énormément que, dans cette commission, nous puissions mener l’ensemble des parlementaires à se mobiliser sur ces sujets. Cela a déjà été le cas au moment de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi Elan) : l’Assemblée nationale, soutenue ensuite par le Sénat, a adopté la proposition visant à donner une personnalité juridique à l’OQAI et à clarifier ses missions et son budget. La commission mixte paritaire, a remis ce choix en cause. Il a été décidé de demander un rapport à l’administration pour évaluer la gouvernance de l’air intérieur, comment l’améliorer, comment parvenir à un décloisonnement entre air intérieur et extérieur. Nous passons plus de 80 % de notre temps à l’intérieur. Cette proportion tend à augmenter en période de pandémie et a ainsi dépassé 90 % durant le confinement. L’exposition est particulièrement élevée dans certains lieux tels que la chambre à coucher. Elle est d’autant plus problématique lorsqu’il s’agit de lieux accueillant des personnes fragiles. Certaines études démontrent par exemple que la capacité de concentration de nos enfants est impactée par la qualité de l’air dans les écoles. Dans la plupart des établissements, la concentration peut chuter en l’espace d’un quart d’heure en raison de la saturation de l’air en CO2. Ces études, menées par l’OQAI, sont fondamentales pour l’observation et l’élaboration d’outils d’aide à la décision. Comment appréciez-vous la pérennisation d’un observatoire de la qualité de l’air extérieur ou l’institution d’un organisme qui décloisonne air intérieur et extérieur et permette d’aboutir au même niveau d’observation pour les deux champs ? Qu’envisagez-vous et qu’avez-vous pu lire dans ce rapport de l’administration ? Comment parvenir à des outils d’aide à la décision plus opérationnels ?

La simplification des normes est un problème auquel je me suis personnellement heurtée en travaillant avec le CSTB, à l’occasion de l’adoption de la loi Elan. Alors que nous avons voulu porter l’idée d’une vision plus globale des bâtiments, intégrant, dès leur conception, la préoccupation relative à la santé des occupants, nous avons été confrontés à des réticences. L’idée de concevoir les bâtiments de façon à ce qu’ils soient favorables à la santé humaine a été perçue comme une contrainte supplémentaire qui viendrait s’ajouter aux multiples normes existantes dans le secteur du bâtiment. Nous pourrions pourtant promouvoir une démarche de simplification et de vision plus globale. Autre question, comment obtenir, de la part des politiques et organismes publics, des outils d’aide à la décision qui soient de réels outils de simplification, permettant de mettre l’accent sur les priorités et de faire les pondérations nécessaires ?

Ma seconde question est également en lien avec les outils d’aide à la décision. Comment peut-on simplifier la politique de la preuve ? Dans le domaine des perturbateurs endocriniens, domaine à propos duquel j’ai remis un rapport, le monde scientifique s’accorde sur l’extrême difficulté d’obtenir la preuve d’un rapport entre l’exposition et la pathologie. Le suivi des cohortes est extrêmement long et les perturbateurs endocriniens ont des modes d’action très particuliers. Ce type de situation suppose de revoir toutes les règles de toxicologie ainsi que nos règlements européens afin de simplifier la politique de la preuve. Il me semble nécessaire de renforcer la prévention mais également d’observer une plus grande rigueur en cas de suspicion de substance toxique. Comment peut-on parvenir à cette simplification de notre réglementation, dans une vision One Health et dans un contexte où certaines priorités doivent être traitées en bonne intelligence avec les citoyens et les industriels ? Les plateformes en cours de développement constituent-elles des outils qui nous permettront d’avancer plus vite ? Nous pouvons par exemple citer la Plateforme public-privé sur la prévalidation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER) ou la plateforme « Océan et Climat » qui fédère de nombreux scientifiques et acteurs pour mener un travail de plaidoyer. Doit-on passer par ce type de plateformes mixtes pour parvenir à un consensus et surtout, à une vision globale ? La révision du règlement REACH amènera-t-elle les industriels à agir plus vite ? À votre avis, quel est le chemin le plus court pour parvenir à cette vision globale mais, surtout, à cette simplification ? Celle-ci est indispensable car la preuve scientifique ne sera pas apportée avant très longtemps.

M. Sébastien Denys. Je suis convaincu qu’il faut décloisonner la problématique du sujet de l’air intérieur et extérieur. Santé publique France a souhaité, depuis deux ou trois ans, réinvestir le champ de l’air intérieur. Je pense que l’air intérieur peut effectivement représenter un fardeau. Il me semble indispensable de rappeler le lien entre qualité de l’environnement intérieur et santé. Cela recouvre deux aspects : la contamination de l’air et la qualité du bâti. Il s’agit de sujets à propos desquels nous avons précisément échangé ce matin avec la représentante du CSTB, qui réfléchit au devenir de l’OQAI.

Sur ce sujet, les questions de santé mériteraient une plus grande visibilité. En termes de présence, je suis d’avis que l’agence doit se repositionner dans la gouvernance de cet observatoire dont la pérennisation est indispensable. Si cet observatoire disparaît, nous aurons des difficultés à fédérer les données disponibles sur la qualité de l’air intérieur. Or, nous connaissons les difficultés que l’OQAI a rencontrées pour obtenir des financements pour ses enquêtes, par exemple la Campagne nationale Logements 2 ou les études menées sur la présence de clusters à proximité des écoles. Le développement d’expertises et de plateformes permettant de réunir cette expertise est pourtant indispensable.

Vous m’interrogez sur l’aide à la décision. L’agence est davantage orientée vers la problématique de l’air extérieur que vers celle de l’air intérieur. En termes de plaidoyer et de mesures de prévention, nous nous situons certainement à des niveaux différents. Concernant l’air extérieur, nous disposons de nombreux leviers auprès des collectivités territoriales qui vont mettre en œuvre des politiques d’intervention visant la qualité de l’air. Nous sommes déjà en capacité de fournir un outil permettant d’évaluer l’impact et le bénéfice sanitaire d’une mesure à laquelle il est possible d’associer éventuellement un coût et un gain économique. Ce travail n’est pas réalisé directement par l’agence mais par des chercheurs.

En ce qui concerne l’air intérieur, nous nous trouvons encore dans une phase d’acquisition de données probantes. Pour cela, nous devons parvenir à nous associer aux campagnes de l’OQAI. Nous avons proposé un financement de 150 000 euros pour la Campagne nationale Logements 2, dans la perspective d’y greffer des questions de santé publique. Toutefois, l’agence doit aller plus loin et s’affirmer comme partie prenante de la gouvernance de la prochaine plateforme. Elle pourra contribuer à cette mission sous l’angle de la santé publique, qu’il s’agisse des questions de l’air intérieur mais également de la qualité du bâti. En matière de changement climatique, les travaux du CSTB et de l’OQAI sont pertinents pour piloter l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, d’une part, l’impact sur l’environnement intérieur de ces modifications du bâti et les éventuels impacts sur la santé, d’autre part. Ces éléments doivent être intégrés et accompagner les mesures d’atténuation.

Mme Claire Pitollat. Si l’on se place dans un scénario optimiste (on pérennise l’OQAI ou ce qu’il adviendra d’une organisation décloisonnée), comment sortir de la pure observation et tendre vers des outils d’aide à la décision qui permettent de simplifier les normes ou de favoriser l’innovation dans une démarche dite ALARA (« As Low As Reasonably Achievable »), dans le milieu industriel ?

M. Sébastien Denys. Je prône toujours de ne pas attendre vingt ans d’études épidémiologiques pour gérer les situations, mais l’action suppose que les agences soient entendues par le décideur. Notre mission consiste à produire une expertise qui réponde aux critères de la charte de l’expertise et de la loi sur l’indépendance de l’expertise. De toute évidence, nos avis et travaux sont élaborés dans le but de provoquer l’action publique. Il est de la responsabilité du gestionnaire de faire en sorte que ces avis soient suivis d’effets.

Mme Claire Pitollat. Je ne partage pas entièrement cet avis. À propos de la loi Elan, la difficulté à laquelle nous avons été confrontés dans le secteur du bâtiment, était liée au fait de demander aux industriels de « relancer la machine de l’innovation ». En effet, ces derniers avaient d’ores et déjà été contraints d’augmenter les niveaux de performance énergétique lors de la loi Grenelle 2 pour l’environnement sans que la qualité de l’air soit alors intégrée dans les critères de performance. La vague d’innovation qui en a résulté, et qui a permis d’entraîner la filière, est certainement positive. Cependant, il est difficile de leur demander dix ans plus tard une deuxième vague d’innovation permettant de répondre à une contrainte (la qualité de l’air) initialement délaissée. En effet, cette nouvelle exigence suppose pour eux de revoir tout ce dans quoi ils se sont investis depuis la loi Elan, d’où les réticences que nous avons rencontrées. Dans ce contexte, je m’interroge sur la façon dont le CSTB, ou d’autres organismes disposant de moyens d’action et de recherche, et qui sont en mesure de proposer des partenariats avec des industriels, peuvent faciliter cette innovation. L’idée consiste à parvenir à un outil d’aide à la décision plus opérationnel pour les politiques publiques. Ces dernières pourraient alors s’orienter vers la révision d’une loi, d’un règlement ou d’une norme et tendre à une vision plus globale, tout en proposant une solution opérationnelle aux industriels.

M. Sébastien Denys. Je ne suis pas en mesure de vous apporter une réponse concernant le fonctionnement du CSTB, mais je pense que votre question est effectivement pertinente dans la période de transition que nous traversons. Il me paraît nécessaire d’accompagner les changements de processus et l’innovation. Cela passe-t-il par une révision de la doctrine sur le partenariat public-privé ? Vous évoquez la plateforme PEPPER, qui est un exemple de partenariat public-privé. Il faudra évaluer la réussite de ce modèle et ses résultats. Je pense qu’effectivement, un industriel ou un agriculteur doit être accompagné dans la mise en œuvre des mesures. On ne peut imposer l’interdiction d’un pesticide du jour au lendemain. Santé publique France s’inscrit dans une démarche de production de la donnée apportant un élément de preuve. En revanche, la mise en œuvre de l’innovation et l’accompagnement des industriels ou des agriculteurs ne relèvent pas de son périmètre tel que défini actuellement. Ces missions passent, je suppose, par un travail de concertation, d’association et de dialogue avec les parties prenantes, industrielles notamment. Mais je ne peux affirmer que ce dialogue soit suffisant.

Sur la simplification du concept de preuve, nous prônons souvent une politique de réduction des expositions dans la mesure où nous nous trouvons dans des situations qui ne permettent pas d’attendre la connaissance des effets sanitaires issue d’études de cohortes. Nous réunissons toutes les données disponibles, combinant à la fois la connaissance en matière de toxicologie et les données d’exposition, que nous obtenons par exemple via le programme national de biosurveillance. Elles constituent les premiers éléments de preuve et méritent toute l’attention du décideur. Il est nécessaire de ne pas attendre vingt ans pour agir, de ne pas attendre l’apparition d’effets sanitaires en population pour acter des mesures. Lorsque la population générale est déjà exposée à des substances chimiques supposées perturbateurs endocriniens, cancérigènes, ou ayant n’importe quel autre effet sanitaire potentiellement toxique, nous ne pouvons que tendre vers une préconisation de réduction générale des expositions à la source. Cette préconisation vient agir en complément des mesures de prévention que nous recommandons sur le site « Agir pour bébé » en ce qui concerne les substances chimiques. Comme indiqué en début d’intervention, notre action repose à la fois sur des recommandations individuelles et des préconisations en direction des décideurs, visant à réduire de manière systémique l’émission ou la présence de ces particules.

La présence de la santé dans les politiques publiques sous-tend donc notre action. Notre mission s’apparente également à une action de plaidoyer de santé publique. Celle-ci suppose que nous travaillions avec la DGS, qui est notre tutelle, mais également en interministériel, à l’échelle des collectivités territoriales et au niveau européen. Le règlement REACH est un véritable levier d’amélioration. Le fait d’inclure la biosurveillance dans les décisions relatives aux substances chimiques sera, j’en suis persuadé, un progrès important. Il est nécessaire que nous parvenions à échanger au niveau européen. Nous participons à cet égard au projet européen HBM4EU qui a engagé, depuis plusieurs années, une politique fédérant les États membres pour harmoniser les initiatives de biosurveillance à l’échelle européenne. Ce projet a vocation à être porté auprès des politiques publiques européennes. Nous progressons ainsi en ce qui concerne le concept de simplification de la place de la preuve.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Comment, institut indépendant de santé publique, vous inscrivez-vous dans l’évaluation et le contrôle des politiques publiques ? Vous expliquiez que la direction se saisit d’alertes en provenance des ARS. Au-delà de ce fonctionnement, avez-vous la possibilité d’émettre de nouvelles alertes, lorsque la politique n’évolue pas dans le bon sens, à propos de sujets que l’on connaît bien et pour lesquels nous disposons d’un pouvoir d’agir mais qui nécessitent néanmoins votre observation (le saturnisme, par exemple) ? Avez-vous la possibilité d’influer sur les choix pour fixer des priorités qui risquent d’être délaissées malgré les moyens d’agir disponibles ? Pouvez-vous nous indiquer les freins majeurs à la mise en place de politiques de protection de la santé environnementale efficientes ?

M. Sébastien Denys. La politique publique en matière de lutte contre le saturnisme a, me semble-t-il, produit des effets et eu un impact positif. Concernant la question des alertes, la surveillance des expositions chimiques est un excellent cas de figure. Le fait de garantir la pérennité de ces systèmes d’observation est intéressant car ces derniers permettent de constater, avec le recul temporel, des diminutions ou des augmentations d’imprégnation et de disposer, par conséquent, d’un élément d’évaluation des politiques publiques. En ce qui concerne les pyréthrinoïdes, on observe que les Français sont davantage imprégnés que les populations étrangères. En effet, sur la base d’une observation robuste qui concerne l’ensemble de la population française, nous observons, par rapport à d’autres pays, une sur-imprégnation de la population. Santé publique France a alerté sur cette situation et a préconisé de ramener cette imprégnation au niveau le plus faible possible, dans une perspective de réduction de l’exposition. Ce constat a été mis en avant et exprimé clairement. Nous menons notre rôle d’alerte en complète transparence. Nous ne subissons aucune censure dans les messages que nous portons puisque notre expertise est indépendante. Nous portons nos observations et nos préconisations auprès de la DGS, de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR). Nous disposons de cette liberté de pouvoir effectivement alerter à partir de données et de les restituer au moyen de débats. Notre souhait a d’ailleurs été de multiplier les restitutions. En revanche, le levier de la gestion n’est pas de notre ressort. Il fait appel à d’autres considérations d’ordre socio-économique, dont nous n’avons pas la capacité d’expertise et qui ne relèvent pas du périmètre de nos missions.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Ma première question porte sur les Plans régionaux santé-environnement (PRSE). Comment vos antennes locales s’organisent-elles à l’égard de ces plans ? Ma seconde question a trait à l’efficacité de la gouvernance et de la prévention, aux partenariats que vous pourriez peut-être conduire avec l’Éducation nationale et aux thèmes émergents à prioriser. Quelle proposition pourriez-vous émettre pour améliorer la gouvernance et accroître l’efficacité de la politique de santé-environnement ? De la même manière, pour la prévention, comment pourrait-on être plus efficace ? Concernant un possible partenariat avec l’Éducation nationale, ce type d’action fait-il partie de vos attributions, de votre champ de compétences ? Avez-vous des améliorations à suggérer dans ce domaine, qui est indispensable et prioritaire comme vous nous l’avez signifié ? Enfin, quel thème émergent devrait être traité en priorité ? Vous nous avez parlé de l’impact des changements climatiques mais pensez-vous à d’autres thématiques ?

M. Sébastien Denys. S’agissant des PRSE, les antennes régionales de l’agence y participent à la demande des ARS. En effet, les antennes régionales de Santé publique France sont localisées auprès des ARS et exercent un rôle d’expertise auprès de ces agences. Cette participation s’effectue donc plutôt à la demande de l’ARS. Les cellules régionales, assez réduites en termes d’effectifs, n’ont pas toujours le temps de s’investir dans l’ensemble des plans régionaux (santé-environnement, santé-travail, etc.). Il est difficile d’avoir une gouvernance homogène comme nous l’avons pour le PNSE ou pour le plan santé au travail, par exemple.

L’amélioration de la coordination générale de l’ensemble des plans permettrait, il me semble, de gagner en efficience. En effet, les plans intégrant une dimension de santé environnementale sont nombreux. Une réflexion sur les indicateurs d’évaluation de ces plans est en cours. Dans le PNSE, par exemple, cette réflexion a été initiée par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP). L’accompagnement par des mesures de financement pérennes, en tout cas sur la durée d’un plan, me semble par ailleurs indispensable afin d’éviter l’abandon de projets en cours par manque de ressources financières. Une meilleure coordination à ce niveau permettrait donc d’améliorer, outre l’efficience, la partie opérationnelle de la mise en œuvre de ces plans. Les échanges avec les parties prenantes me semblent importants à préserver. L’intérêt de ces plans réside également dans l’espace de dialogue qu’ils permettent, nous donnant l’opportunité, d’une part, d’expliciter les travaux que nous menons et leurs limites, d’autre part, de collecter les préoccupations des parties prenantes, de manière à pouvoir intégrer dans notre programmation ces préoccupations de santé publique.

En matière de prévention, rappelons que Santé publique France a été créée en 2016 suite à la fusion de plusieurs agences sanitaires, dont l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Il est vrai que l’INPES traitait peu de sujets en santé environnementale. Ainsi, sur des sujets « émergents » (pesticides, perturbateurs endocriniens, etc.), nous disposons encore d’une marge de progression. « Agir pour bébé » est un premier site qui, je pense, a été largement apprécié par les pouvoirs publics et, plus largement, par de nombreux acteurs. Ces réflexions sur l’accompagnement et les mesures de prévention en santé-environnement méritent d’être poursuivies. Nous constatons également que lors du développement d’enquêtes épidémiologiques, il est important d’intégrer, dès l’amont, les personnes en charge de la prévention. En effet, nous avons deux cultures et deux formations assez différentes. En ce sens, une meilleure acculturation et une meilleure collaboration s’avèrent indispensables.

Santé publique France n’est pas effecteur de prévention mais peut recommander des évaluations d’intervention auprès des acteurs territoriaux, par exemple dans une collaboration avec les Instances régionales d’éducation et de promotion de la santé (IREPS). Une expérience est actuellement menée à propos de la chlordécone et à propos de l’évaluation du plan JAFA, qui vise à diminuer l’exposition des populations à cet insecticide. Le développement du réseau partenarial joue un rôle prépondérant. De premières collaborations ont en outre été menées avec l’Éducation nationale. Cet effort doit être poursuivi, dans la mesure où il s’agit d’un levier évident de sensibilisation et de formation des jeunes générations à ces problématiques. Cette question du lien avec l’Éducation nationale relève, selon moi, du niveau interministériel. Nous avons déjà évoqué le lien entre environnement et travail, permettant de rapprocher environnement général et environnement professionnel. Elle s’inscrit également dans une démarche avec les collectivités territoriales, dans une action de plaidoyer.

Mme Marine Le Pen. Santé publique France provient donc en partie d’une fusion avec l’InVS, en 2016. Depuis cette date, de quels types d’alertes avez-vous été saisis ? Combien y en a-t-il eu ? De quelle nature sont-elles et sur quoi ont-elles débouché ? Concernant ensuite la santé au travail, nous sommes régulièrement saisis, nous autres députés, d’inquiétudes de salariés travaillant dans des entreprises qui ne respecteraient pas les consignes sanitaires. Le dernier exemple en date concerne des ouvriers manipulant des produits dangereux. Alors que l’entreprise a l’obligation de procéder au nettoyage de leur combinaison de travail, on s’aperçoit en réalité que ces combinaisons sont nettoyées à la maison, dans la machine à laver personnelle. Ces éléments vous sont-ils remontés régulièrement ? Des enquêtes sont-elles menées ou ces situations sont-elles du ressort de la justice ? Quel est le fonctionnement en vigueur, sur le plan administratif, lorsque ces cas de figure se présentent ?

M. Sébastien Denys. Je ne dispose pas du décompte des saisines qui nous ont été adressées mais je pourrai vous le transmettre à l’issue de l’audition. De mémoire, nous avons reçu une cinquantaine de saisines entre 2015 (un peu avant la création de l’Agence) et 2018 sur les problématiques d’exposition à des sites et sols pollués, au sens large. Il s’agit de saisines formelles qui nous sont transmises par les ARS, qui remontent à la direction générale et sur lesquelles nous instruisons chaque dossier. Nous avons ensuite des saisines des cellules régionales de l’agence, qui ne remontent pas nécessairement toutes au siège mais sur lesquelles nos antennes locales investiguent auprès des ARS. Un bilan consolidé de ces saisines a été réalisé dans le contexte d’une commission d’enquête du Sénat sur les problématiques de sols pollués. Je pourrai donc vous transmettre les éléments quantitatifs sur ce sujet.

Ces saisines débouchent sur des investigations locales, qui font appel à l’expertise d’investigations épidémiologiques des personnes, en général au plus près des territoires concernés. Pour rappel, l’agence dispose de quinze entités (Hexagone et Outre-mer), ce qui permet d’être réactif et de pouvoir « interfacer » avec l’ensemble des parties prenantes : ARS, direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), cellules de concertation avec les associations des riverains, etc. Ce système de remontée de saisines à l’agence nous indique aussi les préoccupations d’actualité, ce qui permet d’orienter notre action. Les nombreuses préoccupations relatives aux zones industrielles nous ont par exemple incités à proposer un programme de surveillance multicentrique, sur la base d’une quarantaine de sites, de manière à pouvoir mettre en regard les données environnementales d’émissions issues de ces sites et les événements de santé. Ces études épidémiologiques ne peuvent être menées à court terme. Plusieurs années sont nécessaires à leur déroulement. Sur la question des bassins industriels, par exemple, la mise en place de l’étude épidémiologique doit en outre répondre à un certain nombre de critères administratifs d’autorisation d’enquête. Il nous arrive également d’être confrontés à des problèmes d’accès à des données qui ne sont pas produites par l’agence, ce qui peut engendrer des échanges avec d’autres ministères (hors tutelle) pour accéder à ces données.

De nombreuses préoccupations ont également émergé sur la question des pesticides via les ARS. Nous avons été saisis par la DGS en 2015 pour expliciter le lien entre l’exposition aux pesticides et les cancers de l’enfant, saisine à l’issue de laquelle nous avons proposé deux études. La première, que nous menons avec l’Anses (Pesti’Riv), est focalisée sur les riverains de zones viticoles (adultes et enfants). Elle dressera un état des lieux de l’exposition des riverains à des pesticides utilisés en viticulture et proposera des mesures environnementales. Le démarrage de cette enquête est prévu en mars 2021. Un rapport de l’étude pilote qui a été menée sera disponible. Je pourrai transmettre le lien à la commission dès lors qu’il sera public. Celui-ci ne comportera toutefois pas de résultats à ce stade. La seconde enquête que nous avons proposée a vocation à mieux objectiver le lien entre les cancers d’enfant et l’exposition à des parcelles agricoles. Elle est menée avec le registre des cancers de l’enfant. Ce travail sera disponible, de manière prévisionnelle, d’ici le premier semestre 2021.

Mme Marine Le Pen. L’exemple de cette étude sur les pesticides auprès des riverains de zones viticoles est très intéressant. Cependant, celle-ci prend-elle en compte le cas éventuel de nourritures importées et consommées par les individus en question, par les enfants, et dans lesquelles on trouverait également des pesticides, qui peuvent d’ailleurs être interdits en France ? Ce facteur est-il intégré dans les données ou l’étude se limite-t-elle aux produits utilisés sur le territoire national ?

M. Sébastien Denys. L’étude est focalisée uniquement sur les pesticides utilisés dans la viticulture. Nous sommes conscients des biais de cette enquête, certains étant d’ordre méthodologique. Ce travail d’identification fait partie des enjeux de l’agence. En l’occurrence, l’objectif que Santé publique France s’est donné consiste à évaluer si les personnes résidant à proximité de ces vignes sont exposées à des molécules phytopharmaceutiques utilisées sur le territoire. Ce projet est mené dans un objectif de prévention et non, comme indiqué, de prédiction d’effets sanitaires. L’exposition plus large à d’autres molécules qui seraient interdites sur le territoire national, et qui seraient malgré tout utilisées ou importées par les habitants, ne rentre pas dans le périmètre de notre étude. Nous travaillons par ailleurs avec l’Anses, en charge de la question de l’autorisation de l’évaluation à des fins d’autorisation des produits pharmaceutiques. Il serait sans doute pertinent de leur soumettre la question également, dans la mesure où il s’agit d’une interrogation récurrente en matière de produits phytosanitaires.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pouvez-vous apporter quelques précisions concernant le parcours de vos recommandations ? En effet, je n’ai pas forcément bien saisi ce qu’il advient de ces dernières après qu’elles ont été formulées. Elles suivent, si j’ai bien compris, le cheminement administratif et hiérarchique qui remonte à la DGS. Quels sont les retours ? Ces recommandations sont-elles totalement ou partiellement suivies d’effets ?

En tant qu’agence, disposez-vous d’un document consolidé de votre stratégie avec, par exemple, la définition de certains repères éthiques ou scientifiques tels que la réaffirmation du respect du principe de précaution ? Vous avez indiqué à plusieurs reprises que vous suggériez en définitive que l’ensemble des produits supposés cancérigènes ou toxiques fassent l’objet d’une attention renouvelée sans attendre la fin des études au long cours. Effectivement, ces enquêtes sur cinq ou dix ans semblent longues et les résultats lointains, surtout pour les générations qui arrivent. Je souhaiterais donc savoir si ce type de document existe. Êtes-vous par ailleurs satisfait de votre place dans ce dispositif général ? En effet, je n’ai là encore pas bien saisi qui décide en fin de course de passer à l’acte. Santé publique France est une agence d’alerte mais vous avez bien indiqué à plusieurs reprises que vous n’interveniez pas, si ce n’est pour donner des recommandations.

Enfin, vous avez mentionné les antennes de Santé publique France au niveau des agences régionales. La gouvernance des questions de santé environnementale à l’échelle des territoires vous paraît-elle satisfaisante ?

M. Sébastien Denys. Le manque de visibilité est un problème partagé par de nombreuses agences. Nous n’avons effectivement pas toujours de visibilité sur le devenir de l’ensemble de nos recommandations, une fois émises. Dans certains cas, nous en sommes informés. Nous avions par exemple travaillé à des enquêtes d’imprégnation de la population sur d’anciens sites miniers dans le Gard. Il s’agissait d’une initiative partagée avec l’ARS, la DREAL et la préfecture et pour laquelle nous avions obtenu un suivi des recommandations.

Concernant la gouvernance à l’échelle des territoires, la direction des régions (DiRe) de Santé publique France regroupe et pilote les cellules régionales, avec lesquelles nous travaillons en étroite collaboration sur les sujets de santé environnement. Les cellules régionales, de par leur ancrage territorial, s’intéressent essentiellement à des situations d’alerte ou de saisine en lien avec leur territoire. Nous intervenons en appui, d’une part, pour les aider à dimensionner l’étude épidémiologique en situation d’investigation, d’autre part, lors des réunions publiques. Notre présence lors de ces échanges permet d’apporter des réponses à certains questionnements et de faire mention de l’expertise nationale qui apporte une autre dimension. Cette gouvernance s’organise donc en interdirection, au moyen de la programmation, qui constitue notre document de long terme, mais également au travers de l’instruction des saisines. Le dispositif d’analyse des saisines permet d’alimenter la gouvernance et de décider du positionnement des directions vis-à-vis de chaque saisine. En général, la collaboration sur ces sujets fait appel à la DSET, mais également à d’autres directions. Nous avons par exemple une direction dédiée aux maladies non transmissibles et traumatismes, ainsi qu’une direction de la prévention et de la promotion de la santé. Nous intervenons donc à plusieurs pour ces problématiques.

Enfin, s’agissant des documents régissant l’éthique, nous avons un comité d’éthique et de déontologie qui, je pense, est en cours de renouvellement. Je ne dispose pas des documents mais je pourrai vous les transmettre a posteriori.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous été associé à la rédaction du contenu du PNSE 4 ?

M. Sébastien Denys. Nous n’avons pas été associés à la rédaction. En revanche, nous avons été associés à certaines réunions en amont, qui ont eu lieu dans le courant de l’année 2019, me semble-t-il. Nous n’avons pas d’informations depuis un an.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Suite aux recommandations que vous avez formulées dans le cadre du PNSE 4, vous n’avez donc pour le moment aucune information permettant de déterminer si elles ont été retenues, financées et quelle suite leur sera donnée ?

M. Sébastien Denys. Effectivement, nous n’avons pas eu de retour. Nous avons pu faire valoir nos recommandations lors des réunions de travail à propos de la question du lien entre données de santé et données environnementales, de l’importance de maintenir un programme de biosurveillance ou encore des questions de l’air intérieur et de la qualité de l’environnement intérieur. Par contre, depuis ces discussions, nous n’avons aucune visibilité en ce qui concerne le plan en lui-même.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour votre présence et votre collaboration.

L’audition s’achève à seize heures.

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2.   Audition, ouverte à la presse, de M. Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), de M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué, pôle sciences pour l’expertise, de M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques, de Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée, pôle produits réglementés et de Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles (9 septembre 2020)

L’audition débute à seize heures dix.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous propose de reprendre les travaux de la commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques en matière de santé environnementale, avec l’audition des représentants de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

La constitution de la présente commission d’enquête a été demandée par plus d’une trentaine de parlementaires. Elle a pour objectif de dresser un bilan des politiques publiques en matière de santé environnementale. Il s’agit ainsi :

– d’identifier les rôles des différents organismes avec, présentement, un éclairage sur la participation de l’Anses au dispositif général de prise en compte des questions liées à la santé environnementale ;

– d’examiner la manière dont les services sont organisés ;

– de se pencher sur les ressources et sources de financement mobilisées ;

– de débattre des objectifs poursuivis et des moyens affectés en regard ;

– d’analyser les points faibles et points forts identifiés ;

– de recueillir toute suggestion d’amélioration de la gouvernance et de la performance des politiques publiques en matière de santé environnementale.

Pour rappel, les membres de l’Anses, avant de s’exprimer, devront prêter serment. En effet, nos discussions vont intervenir au sein d’une commission d’enquête, et non d’une mission d’information.

Je suppose que vous allez être, M. Roger Genet, en votre qualité de directeur général de l’Anses, le principal orateur. Quelles sont, parmi les cinq personnes qui vous accompagnent, celles qui vont prendre la parole ? Je n’imagine pas, en effet, que ces dernières s’expriment toutes. Enfin, je suppose que vous allez être le premier à vous exprimer.

M. Roger Genet, directeur général de l’Anses. Absolument. M’accompagnent deux directeurs délégués, M. Gérard Lasfargues, professeur de médecine en santé au travail et directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise, Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée, pôle produits réglementés, directrice générale déléguée en charge du pôle produits réglementés (médicaments vétérinaires, produits phytosanitaires et produits biocides) et M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques. Je vous propose de leur céder la parole, si vous souhaitez obtenir des réponses très précises à des questions qui le seraient non moins.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : je le jure.

(M. Roger Genet prête serment).

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avant toute chose, pourriez-vous, en préambule, nous présenter le fonctionnement de l’Anses et nous expliquer en quoi l’agence participe aux politiques publiques en matière de santé environnementale ? Enfin, quelle est votre définition de la santé environnementale ?

M. Roger Genet. Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie d’avoir organisé cette audition, qui nous permettra d’expliciter nos missions et notre rôle. En rejoignant la salle, nous avons croisé le représentant de Santé publique France, qui a précédemment été auditionné. Bien évidemment, nos deux agences sont pleinement impliquées dans le champ de la santé publique, avec une articulation très claire, qui avait été décrite à l’occasion des Assises des risques, organisées à Bordeaux, l’année dernière.

Santé publique France conduit des études populationnelles : en d’autres termes, elle examine les effets des mesures prises sur la santé de la population. L’Anses, pour sa part, se concentre sur l’évaluation des risques. Agence d’expertise sanitaire, elle a célébré son dixième anniversaire en juillet. Elle a pour mission principale d’évaluer les risques inhérents à la vie quotidienne, à savoir :

– les risques liés à des expositions à des substances chimiques ;

– les risques biologiques ;

– les risques physiques (ondes, champs magnétiques).

L’Anses évalue les risques, avérés ou potentiels, pour la santé et l’environnement. Elle a développé une vision de la qualité de l’environnement, du lien entre la qualité de l’environnement et la santé humaine et des impacts de l’environnement sur la santé. Ces différentes problématiques sont aujourd’hui pleinement plébiscitées, à travers le concept One Health : dans ce cadre, la santé animale, la santé végétale, l’alimentation, la qualité-environnement et la santé au travail sont totalement intégrées et interdépendantes.

Il y a un an, l’Anses a été auditionnée par les missions d’inspection dédiées à la préparation du plan national santé-environnement IV, à partir d’un bilan du plan précédent. En pratique, l’agence consacre l’intégralité de son budget, qui s’établit à 160 millions d’euros, à la santé environnementale. Ainsi, ses différentes missions concourent-elles à la santé environnementale, qui recouvre de multiples dimensions : la crise sanitaire actuelle rappelle que ces dernières sont totalement interdépendantes.

L’Anses, qui emploie 1 500 personnes, exerce une mission d’expertise. À ce titre, elle publie des synthèses de l’ensemble des travaux de recherche menés et des données disponibles, concernant les risques inhérents à l’ensemble de son domaine de compétence. Cette activité d’expertise, principalement portée par la direction de l’évaluation des risques, mobilise plus de 900 scientifiques, pour 80 % d’entre eux issus de la recherche publique académique française. Les comités d’experts ainsi constitués réalisent de 200 à 250 avis chaque année, en réponse à des saisines, pour 80 % d’entre elles en provenance des ministères de tutelle. Pour rappel, l’Anses est placée sous la tutelle principale de cinq ministères, à savoir le ministère de l’agriculture, le ministère de l’environnement, le ministère de la santé, le ministère du travail et le ministère de l’économie (répression des fraudes). Son conseil d’administration réunit les cinq collèges du Grenelle de l’environnement, lesquels peuvent la saisir : les ONG, les interprofessions, les représentants de l’association des départements de France ou de l’association des régions de France, les grandes centrales syndicales.

Pour rendre des avis d’expertise scientifique, il convient de disposer de données scientifiques et de connaissances. Aussi l’Anses a-t-elle, en son sein, la possibilité de produire de la recherche, et cela dans trois domaines principaux :

– la santé et le bien-être des animaux ;

– la sécurité des aliments ;

– la santé et la protection des végétaux.

Les laboratoires de l’Anses, qui travaillent en collaboration avec les organismes de recherche et des universités français, portent des mandats de référence. Pour un certain nombre de pathologies-clés, ils constituent la référence sur le plan national ou européen. Par exemple, le laboratoire de Sofia Antipolis de l’Anses est le laboratoire européen de référence, concernant la santé des abeilles : à ce titre, il est en charge de la coordination des laboratoires de référence des 27 états membres de l’Union Européenne, pour ce qui concerne les méthodes utilisées pour suivre la mortalité des abeilles, qu’il s’agisse des maladies virales, bactériennes, parasitaires ou de l’impact des produits chimiques sur la viabilité des abeilles.

Au total, les laboratoires de l’Anses disposent de 105 mandats de référence. Ceux-ci portent principalement sur des maladies transmissibles à l’homme (rage par exemple) : il s’agit de maladies de catégorie 1, zoonotiques, qui nécessitent un suivi attentif. Ils fixent ainsi les méthodes d’analyse à utiliser et coordonnent l’effort des laboratoires départementaux, lesquels sont, par exemple, chargés de la réalisation des analyses en première intention (grippe aviaire, peste porcine africaine, par exemple).

Chaque année, l’Anses réalise environ 400 publications scientifiques, de niveau international, ce qui lui permet de faire le lien entre l’expertise produite et les laboratoires de recherche académique. L’idée est ainsi d’orienter la recherche vers des données utiles à l’expertise, directement incorporables dans les avis.

L’Anses est également en charge de l’évaluation des produits réglementés. Au niveau européen, ces derniers nécessitent l’obtention d’autorisations de mise sur le marché. Il s’agit notamment de médicaments humains ou vétérinaires, de produits phytosanitaires et de produits biocides. À l’exception des médicaments humains, qui dépendent de l’agence du médicament, les autres médicaments sont placés sous la responsabilité de l’Anses : il est à noter qu’en 2015, le législateur lui a transféré le pouvoir de délivrer ou de retirer les AMM. À ce titre, elle a une mission d’évaluation et de gestion des risques, même si les ministères demeurent l’autorité de mise en œuvre de mesures transversales.

Aux fins de maximiser son efficacité dans ses trois missions et d’intégrer les volets de recherche, d’expertise et d’évaluation des produits réglementés, l’agence a mis en place une activité « chapeau » d’une double nature. L’idée est d’abord de récupérer des données de terrain. À cette fin, l’Anses coordonne divers réseaux de vigilance. S’agissant de la toxicovigilance, par exemple, les centres anti-poisons, présents à l’hôpital, sont coordonnés par l’Anses afin de permettre une remontée des signaux d’intoxications alimentaires, aux fins d’en analyser les causes. Les mêmes principes valent pour le réseau hospitalier national de vigilance dédié aux pathologies professionnelles, également coordonné par l’Anses. En parallèle, un réseau de nutrivigilance, consacré aux compléments alimentaires, a été mis en place, de même qu’un réseau de phytopharmacovigilance, suite à la loi agricole de 2014. Une taxe assise sur le chiffre d’affaires des sociétés qui commercialisent des produits pesticides permet de financer des études ou des réseaux de collecte de données sur l’impact de ces produits phytosanitaires ou phytochimiques sur le vivant, sur les écosystèmes, sur les organismes cibles, dans l’environnement.

Depuis 12 ans, l’Anses pilote, pour le compte des ministères de l’environnement et du travail, le programme national de recherche environnement-santé-travail, doté d’un budget qui oscille entre 6 et 8 millions d’euros. Dans ce cadre, un comité de pilotage, au sein duquel siègent les ministères et diverses agences (par exemple, l’Institut national du cancer ou l’ADEME), a été constitué. Des appels à candidatures sont régulièrement lancés, concernant des travaux de recherche sur trois ans, portant sur des sujets en phase avec les expertises de l’Anses afin d’en compléter les données et les connaissances. Le programme précité a permis de financer de nombreuses équipes de recherche en France : pendant les quatorze années de mise en œuvre du plan, pas moins de 504 projets de recherche ont été financés, pour un total de 71,5 millions d’euros. 1 200 équipes de recherche ont été impliquées et 900 publications réalisées.

Le programme national de recherche environnement-santé-travail constitue le volet recherche, lancé en 2005, du plan santé-travail et du plan national santé-environnement, tous deux lancés en 2004. Il représente environ 50 % de l’effort national, ce qui est très faible. En effet, des colloques scientifiques dédiés à la restitution des travaux sont organisés avec d’autres agences de financement, comme l’agence nationale de la recherche. Celle-ci a ainsi mobilisé, sur le programme précité, une douzaine de millions d’euros, pour un budget total de 700 millions d’euros. À titre de comparaison, la recherche biomédicale représente 45 % du financement global des appels à projets en France.

Quoi qu’il en soit, le programme national de recherche environnement-santé-travail est loin d’être négligeable dans l’effort national de financement de la recherche sur appels à projets.

L’Anses joue donc un rôle d’agence de financement, un rôle de laboratoire de recherche et un rôle d’expertise et de coordination des expertises. Bien évidemment, les structures l’ayant précédée, à savoir l’AFSSA (agence française de sécurité sanitaire des aliments) et l’AFSSET (agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail) ont été impliquées, dès 2009, dans le premier plan santé-environnement. L’Anses est née de la fusion de ces deux structures en 2010.

Le plan national santé-environnement III, dont l’évaluation a été réalisée, intégrait de multiples actions, nuisant à la lisibilité globale de ces dernières. Cela étant, nombre d’entre elles ont avancé et produits des résultats. L’Anses était le partenaire unique de trois actions et contribuait, avec d’autres acteurs, à 45 autres actions. Elle devait tout particulièrement, à la demande des ministères, s’impliquer dans une dizaine d’actions.

Aussi l’Anses a-t-elle été amenée à travailler sur des thématiques très diverses, à travers :

– l’action n° 3 du plan précité, dédiée à l’évaluation et à la gestion des risques inhérents à des expositions à des fibres liées à des variétés d’amiante non exploitées : il s’agissait de fibres d’actinolite et de fragments de clivage. Dans ce cadre, l’Anses a rendu, en 2017, un avis sur l’exposition à ces derniers, notamment en milieu professionnel ;

– une action dédiée à l’amélioration de la gestion des risques sanitaires impliquant la faune et la flore sauvages. L’Anses a par exemple actualisé l’état des connaissances liées à la berce du Caucase, espèce envahissante ;

– une action d’analyse du rôle des facteurs environnementaux sur le développement des maladies métaboliques et de leur contribution aux gradients sociaux et territoriaux. L’Anses a porté une enquête consacrée aux consommations et aux habitudes alimentaires des Français : baptisée INCA 3. Ses résultats avaient été publiés juste avant les états généraux de l’alimentation. Sur cette base, elle a conduit, en 2016, une enquête très détaillée sur l’exposition à des contaminants, par voie alimentaire, des enfants jusqu’à l’âge de trois ans afin d’en identifier les origines. L’heure est à la relance d’une enquête portant sur la population générale.

Dans le plan nutrition-santé, l’Anses s’est penchée sur la transmission des repères nutritionnels, qui s’entendent des conseils alimentaires donnés à la population sans provoquer de maladie métabolique. Elle a également travaillé sur la pertinence des actions de surveillance sanitaire des populations, en se focalisant sur le mercure, le plomb et le cadmium. Le mois dernier, elle a rendu un avis sur le cadmium, déterminant des valeurs d’exposition de référence.

L’Anses avait également été associée à l’action n° 26, dédiée à l’électro-hypersensibilité, c’est-à-dire aux populations qui ressentent des troubles liés à l’exposition à des champs magnétiques ou à des radiofréquences.

Le plan santé-environnement prévoyait la mise en œuvre d’une campagne nationale de surveillance des pesticides dans l’air. En 2017, l’Anses a produit un premier rapport dit de méthode. Il s’agissait, dans ce cadre, de déterminer les modalités de mesure des pesticides dans l’air. L’Anses a ensuite passé une convention avec l’INERIS et des associations dédiées à la qualité de l’air, ce qui a abouti au lancement, durant un an, d’une campagne pour mesurer ces polluants, qui a pris fin en juin 2019 : elle portait sur 50 sites français et 70 substances. Le rapport final a été présenté au Conseil national de l’air le 5 juillet dernier.

L’Anses a travaillé sur la question des nanomatériaux présents dans l’alimentation et les produits cosmétiques. Elle a d’ores et déjà publié la première partie de son rapport, dédiée aux nanomatériaux présents dans l’alimentation. Le rapport final sera disponible au début de l’année 2021.

L’Anses a beaucoup travaillé en ce qui concerne :

– le dioxyde de titane, dont la présence dans l’alimentation a été interdite par la loi EGA en 2017 ;

– les risques inhérents aux LED et à la lumière bleue, avec un premier avis publié en 2015 et révisé en 2019 (action 37 du plan) ;

– les risques liés aux ondes électromagnétiques (action 78 du plan).

Sur ce dernier point, une taxe s’ajoutant à la taxe IFER, collectée sur les antennes relais, avait été instituée à la suite du Grenelle de l’environnement : elle avait permis le financement d’actions de recherche en lien avec les effets, sur la santé, des radiofréquences. Si elle a été supprimée il y a deux ans, ce financement a été « rebasé » au sein du budget de l’agence qui continue donc à disposer du financement d’une grande étude internationale, menée par le centre international de recherche en cancérologie de Lyon, qui dépend de l’OMS, dédiée au lien entre le cancer et les radiofréquences, à partir de la cohorte française.

Au total, l’Anses est impliquée dans une cinquantaine des actions du plan, s’agissant de thématiques très variées, en lien avec la santé animale, la protection des plantes, les résidus de produits chimiques, les expositions alimentaires et aériennes et la qualité de l’air. L’agence a publié plusieurs rapports à propos de la qualité de l’air intérieur et extérieur. Elle a publié l’étude Pesti’home, qui porte sur la présence de produits chimiques au domicile des individus. Nombre de ses travaux s’inscrivent dans les actions du plan national santé-environnement.

La question de la gouvernance de ce dernier et de la visibilité des actions menées peut se poser. Elle l’a été par les rapports d’évaluation des inspections. Le lien entre la qualité de l’environnement et la santé irrigue pratiquement tous les travaux de l’agence aujourd’hui : il est donc difficile de distinguer, dans l’organisation, ce qui relève de la santé environnementale et, par exemple, de la santé au travail, au regard de l’imbrication de ces deux problématiques.

Pour conclure, l’Anses a été saisie par différents ministres de la question des micro-plastiques : j’ai eu l’honneur de présider un comité du G7-recherche qui y était consacré. Elle a été saisie de la question des impacts des cosmétiques sur la qualité des coraux et la santé, dans une perspective bénéfices/risques. Plus globalement, elle est destinataire de 250 à 300 saisines chaque année, nombre des actions afférentes entrant dans le champ de la santé environnementale.

Enfin, le plan national santé-environnement IV – Ma Santé-Mon Environnement – se doit d’intégrer les très nombreux plans nationaux préexistants. Il y a quelques années, chaque ministère lançait ses propres plans, alors qu’ils participaient, finalement, d’une même action au niveau national. Le plan national Ma Santé-Mon Environnement intégrera différentes « facettes », dont la stratégie nationale dédiée aux perturbateurs endocriniens, ce qui constituera un gage d’efficacité. Bien évidemment, il est indispensable, en la matière, d’arrêter des objectifs environnementaux qui « parlent aux citoyens ». En d’autres termes, le plan doit être porteur d’objectifs chiffrés et précis, exposant clairement les gains et évolutions attendus, ainsi que la situation de départ et la situation cible. C’est en effet sur ces points que le précédent plan avait pêché : faute d’intégrer des indicateurs de la qualité de l’environnement décrivant la situation de départ, il est très difficile de vouloir déterminer clairement la situation cible. En tout état de cause, il est indispensable, contrairement à ce qui a pu se passer au cours des dernières années, de trouver un consensus autour :

– d’indicateurs de qualité environnementale, permettant de décrire précisément la situation actuelle ;

– d’indicateurs cibles, aux fins de prendre la mesure de l’amélioration de la qualité environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour la concision et la qualité de votre présentation, qui nous a permis de prendre la mesure des nombreuses missions portées par l’Anses. Cette dernière est entièrement dédiée à la santé environnementale. En outre, je vous remercie d’avoir esquissé de premières pistes d’amélioration et d’avoir exposé les espoirs que vous mettez dans le PNSE IV. Il reste bien évidemment à espérer que ce dernier sera à la hauteur des objectifs visés, en tenant notamment compte des échecs des plans nationaux précédents, tels qu’ils ont été mis en évidence dans les rapports d’évaluation des inspections.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pourriez-vous revenir sur le processus de décision mis en œuvre, pour fixer les priorités de l’Anses ? Le fait que cette dernière soit impliquée dans plus de 45 actions ne nuit-il pas à son efficacité ? Enfin, quelles sont les nouveautés apportées par le concept One Health ?

M. Roger Genet. Au-delà des termes utilisés, le concept One Health n’apporte pas, en lui-même, de grandes nouveautés. À mon sens, ce sont avant tout les mentalités qui doivent changer. Pour rappel, la Covid-19 provient de réservoirs animaux. Or la gestion d’une maladie animale n’est pas sans rapport avec son transfert chez l’Homme. La prévention, sur ce plan, passe notamment par la médecine vétérinaire et la prévention au sein des élevages.

Malheureusement, dans les faits, les différents acteurs travaillent tous de manière isolée. À titre d’illustration, les laboratoires de référence dédiés à la santé animale et à la sécurité des aliments sont à l’Anses. S’agissant des maladies humaines, comme la rage par exemple, l’Institut Pasteur joue le rôle de laboratoire de référence.

Chaque année, les laboratoires de référence dédiés aux maladies humaines et les laboratoires de référence dédiés à la santé animale et à la sécurité des aliments se réunissent. S’ils saisissent cette opportunité pour dialoguer, il n’en demeure pas moins qu’ils appartiennent à des communautés isolées. Il est donc primordial de rapprocher ces dernières. Dans la crise sanitaire actuelle, les laboratoires vétérinaires ont su se mobiliser pour produire des réactifs, ce qui ne tombait pas sous le sens jusqu’à présent. En effet, les laboratoires pharmaceutiques en santé humaine utilisent des référentiels différents, même si les compétences sont les mêmes.

Le concept One Health doit avant tout être porteur de changements à cet égard. L’agence européenne dédiée aux crises sanitaires (European Center for Disease Prevention and Control ECDC) a pour objectif de renforcer la dimension One Health, dans la gestion des crises. Il est primordial de veiller à ce qu’il y ait une articulation entre les agences d’expertise et d’évaluation des risques, en charge du traitement des crises, et les centres de recherche, articulation permettant de surmonter la séparation des communautés.

Par ailleurs, l’Anses s’appuie sur 1 400 personnes et une trentaine de comités d’experts spécialisés (qualité de l’air, santé animale, etc.). Elle est soumise aux attentes extrêmement fortes de ses ministères de tutelle et de la société civile, en ce sens qu’elle a vocation à éclairer les politiques publiques et à protéger la population. Elle est organisée pour traiter des sujets très divers. Bien évidemment, cette démarche présente quelques limites, ses ressources financières, humaines et intellectuelles n’étant pas illimitées.

L’Anses est l’une des quinze grandes agences mondiales qui produisent des expertises de référence. La priorisation des sujets constitue un exercice complexe. Si les nouvelles demandes sont nombreuses, aucune demande, en parallèle, ne s’éteint jamais. À titre d’exemple, l’Anses a mené des travaux sur les LED et la lumière bleue : il n’en demeure pas moins que cette problématique demeure. Aussi les expertises doivent-elles être actualisées régulièrement.

La démarche de priorisation de l’Anses repose d’abord sur la fixation de son programme de travail. Ce dernier est soumis à l’approbation du conseil d’administration chaque année. Dans ce cadre, des conseils d’orientation thématiques sont réunis : toutes les parties prenantes – ONG, associations, interprofessions – y participent. Ces instances sont l’occasion de faire le bilan de l’année écoulée, d’exposer les priorités identifiées et de recueillir les attentes des parties prenantes. Le programme de travail est arrêté sur cette base, en vue de sa présentation, en novembre, aux parties prenantes et aux ministères de tutelle, et avant son vote en conseil d’administration.

En pratique, la programmation n’est jamais totalement respectée. Chaque année, elle ne prévoyait pas de 20 % à 30 % des saisines de l’Anses. À titre d’exemple, l’incendie du site Lubrizol a suscité pas moins de dix saisines, auxquelles il a fallu répondre en urgence. Dans la crise Covid-19, l’Anses a rendu plus de dix avis en urgence, portant, par exemple, sur le traitement des eaux usées, les masques ou la transmission par les animaux domestiques.

En complément, l’agence doit régulièrement composer avec de nouvelles missions. Citons, à titre d’exemple, l’élaboration des tableaux de maladie professionnelle, la surveillance des produits du tabac et du vapotage ou les biotechnologies.

Mme Marine Le Pen. Plusieurs produits dangereux étaient utilisés par le passé. Ils ont parfois continué à l’être durant des années. Parfois, ils ont rapidement été bannis. Quelles ont été les conditions de ces succès et échecs ? Comment améliorer la prise en compte des travaux que vous menez en amont ? En France malheureusement, les réflexions menées en amont ne sont pas toujours prises en compte.

De quels pouvoirs d’investigation l’Anses dispose-t-elle ? Exerce-t-elle un pouvoir de contrôle de l’application de ses recommandations et du respect des interdictions édictées par la loi, suite à ses préconisations ? Enfin, comment l’Anses travaille-t-elle, le cas échéant, avec la DGCCRF ?

M. Roger Genet. L’Anses est avant tout une agence d’expertise scientifique. Elle a donc pour rôle d’éclairer les décideurs publics, sur la base d’éléments scientifiques, fondés sur les connaissances disponibles à l’instant T au niveau mondial. L’AFSSA avait été créée après la crise de la vache folle, en 1998 : à l’époque, elle était présidée par M. Martin Hirsch. L’idée était alors :

– de pouvoir s’appuyer sur une instance scientifique indépendante, destinée à éclairer les décideurs publics ;

– de bien distinguer le rôle d’évaluateur de celui du gestionnaire de risque.

Il arrive que le gestionnaire de risque ne suive pas les recommandations édictées par l’Anses, puisqu’il doit également tenir compte d’autres considérations, comme des considérations économiques. Ainsi, l’agence n’intègre pas, dans ses évaluations, la question du coût/bénéfice. Elle délivre un avis et peut expertiser des scénarios de gestion : dans le cadre de la grippe aviaire, par exemple, s’était posée la question de la décontamination des camions de transport.

Au titre de l’éventuelle propagation de la peste porcine africaine de la Belgique vers la France, l’Anses a fourni une évaluation statistique, tenant compte du niveau de protection. Elle peut donc évaluer, à l’aide d’une approche probabiliste, les risques à l’aune de différents scénarios de gestion. Bien évidemment, elle participe à un réseau européen, aux fins d’améliorer les modèles et les méthodes d’évaluation des risques.

L’Anses est toujours saisie dans un domaine d’incertitudes. Dès lors qu’un risque est avéré, ce n’est généralement pas l’Anses qui est interrogée, mais Santé publique France. À titre d’exemple, une fibre d’amiante unique peut entraîner, chez un sujet sensible, un cancer spécifique de la plèvre. Le risque est avéré. On se situe dans la prévention et la protection. Pour sa part, l’Anses se penche sur des risques potentiels : les concernant, l’idée est de déterminer la probabilité qu’ils aient des effets sur la santé.

Dans le domaine de la santé environnementale, l’une des principales difficultés tient au fait qu’il n’est pas toujours possible d’établir, à partir de données scientifiques, un lien de causalité directe entre un facteur, une cause et un effet, entre une pathologie et la sensibilité individuelle.

Par ailleurs, l’Anses s’appuie sur la littérature internationale, qu’elle en soit à l’origine ou pas. En revanche, elle n’a pas de pouvoir d’investigation sur le terrain. Santé publique France, pour sa part, dispose de centres d’investigation régionaux. L’Anses produit plutôt des valeurs de référence toxicologiques, sur lesquelles les services de l’État s’appuient pour quantifier un risque et prendre, en regard, des décisions. L’Anses est un référent scientifique.

Toutefois, s’agissant des produits réglementés, l’État a confié à l’agence une responsabilité de gestionnaire de risque : celle-ci a désormais le pouvoir de validation ou de retrait d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). S’agissant des médicaments vétérinaires, tel a toujours été le cas. Ainsi, l’agence du médicament vétérinaire, intégrée à l’Anses, a toujours eu une mission d’évaluation, de décision et de contrôle : pour cela, elle s’appuie sur des inspecteurs qui diligentent des contrôles dans les usines de production de médicaments vétérinaires.

En complément, l’État nous a transféré, en 2015 puis en 2016, le pouvoir d’autoriser ou de retirer les produits phytosanitaires et biocides : en revanche, il a conservé le pouvoir de contrôle. À titre d’illustration, plus de six services de l’État, comme par exemple la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), ont pour rôle de vérifier que les conditions d’utilisation des produits phytosanitaires sont conformes aux autorisations de mise sur le marché.

Les activités d’investigation et de contrôle de l’Anses – qui ne mobilisent que 90 personnes sur 1 400 – sont extrêmement limitées, puisque circonscrites aux médicaments vétérinaires. Les concernant, elle joue, de fait, le même rôle que l’agence du médicament, s’agissant du médicament humain.

Enfin, la DGCCRF est l’une des cinq autorités de tutelle de l’Anses. Sa proximité avec ses autorités de tutelle est beaucoup plus forte que peut l’être celle des établissements publics « standards ». En effet, les tutelles n’ont pas simplement un rôle de financeurs : elles sont également des donneurs d’ordres. Des réunions régulières sont organisées avec les cinq directeurs généraux de la direction générale de l’alimentation, de la direction générale de la prévention des risques, de la direction générale de la santé, de la direction générale du travail et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Cette dernière saisit régulièrement l’Anses, concernant, par exemple, les aliments destinés à des fins médicales spéciales. La réglementation prévoit la prise d’un certain nombre de décisions après avis de l’Anses. L’an passé, l’agence avait publié un avis sur les risques liés aux couches-culottes, sujet qui n’avait jamais été étudié dans le monde. Puisque deux articles de presse avaient pointé la présence de pesticides dans les couches, l’Anses avait été saisie par les ministres concernés, aux fins :

– de mesurer et caractériser les résidus trouvés ;

– de quantifier le degré d’exposition ;

– de conclure sur l’existence, ou non, d’un risque pour les enfants.

La DGCCRF, in fine, a réuni les grands producteurs de couches pour leur demander de prendre, en urgence, des mesures correctives. En pratique, ce ne sont pas tant les résidus de pesticides qui posaient problème, car en quantité infime, que les produits de collage ou de blanchissement utilisés, à des concentrations pouvant poser des problèmes sanitaires.

L’agence a également beaucoup travaillé avec la DGCCRF sur les contenants alimentaires, qui peuvent contaminer l’alimentation.

Mme Marine Le Pen. Pour résumer, l’Anses effectue un travail scientifique en amont et édicte des recommandations : si j’ai bien compris, l’application – ou non – de ces dernières n’est plus de sa responsabilité. Force est de constater que certaines des formulations employées sont trompeuses. Vous avez ainsi indiqué que l’Anses était chargée du suivi de l’exposition alimentaire de la population, ce qui est quelque peu ambigu.

M. Roger Genet. Je n’ai pas répondu à la première partie de la question posée par Mme Marine Le Pen. En tout état de cause, les décideurs publics doivent naturellement intégrer d’autres considérations dans l’exercice de leurs responsabilités.

Par exemple, l’Anses, dans un avis de 2017, avait recommandé l’interdiction des cabines de bronzage. À l’occasion de discussions avec d’autres États européens, il est apparu que certains d’entre eux, nordiques en particulier, ne pouvaient pas, du fait de leur faible ensoleillement, se passer des cabines de bronzage. Ils étaient donc opposés à leur interdiction au niveau européen. Une telle question est très politique. Sur ce plan, la question est donc de savoir si les mesures d’encadrement proposées sont productives ou non. L’interdiction de l’alcool, par le passé, avait favorisé la contrebande : était-elle, de ce fait, la meilleure solution ? Quoi qu’il en soit, l’agence s’efforce de laisser les décideurs publics libres d’exercer leurs responsabilités, sur la base d’un état des lieux des risques, mais de façon telle que d’autres paramètres puissent être pris en considération.

Par ailleurs, l’histoire a montré la gestion défaillante de l’amiante : l’état des connaissances scientifiques était, in fine, suffisamment clair pour prononcer l’interdiction totale de l’amiante. Malheureusement, cette décision est intervenue beaucoup trop tardivement.

Les perturbateurs endocriniens ou les nanomatériaux sont régulièrement débattus. Les concernant, les décideurs ont opté pour la réglementation, alors que les débats scientifiques, complexes et approfondis, sont très loin d’être conclusifs. Néanmoins, la demande de la société est telle que la décision a été prise de réglementer d’ores et déjà. Distincte de la situation d’excès de risque, l’appréciation du coût bénéfice/risque de chaque action doit être le fait des décideurs publics, sans que nous puissions y procéder à sa place. Pourquoi un produit est-il interdit aujourd’hui et ne l’était pas hier ? Parce que les données accumulées du fait de l’évolution des connaissances montrent que le risque – une substance représente un risque par nature – au regard de tous les éléments dont on peut disposer est devenu inacceptable.

Mme Annie Chapelier. Au préalable, je tenais à vous remercier pour votre intervention, qui est réellement passionnante. Vous avez été auditionné à l’occasion de l’examen du projet de loi dédié aux néonicotinoïdes. En 2016, vous aviez préconisé de ne pas les utiliser pour les semences. La littérature scientifique associée a-t-elle évolué ? Disposez-vous de nouvelles données ? Comment analysez-vous la décision politique prise, à l’aune de votre expertise scientifique ?

En complément, vous avez précédemment indiqué que l’Anses ne tenait pas compte du ratio coût/bénéfice. Cependant, vos différentes analyses scientifiques mettent parfois en lumière les coûts sociétaux ou économiques de tel ou tel produit. Par exemple, la diminution de la population des abeilles ne sera pas sans conséquences sur la pollinisation ou la biodiversité.

Je suppose que l’Anses est en capacité de donner un avis scientifiquement motivé sur les déséquilibres résultant de la non-application de ses préconisations. Le fait-elle ?

M. Roger Genet. La prise en compte, dans les enjeux environnementaux, des approches de type bénéfice/risque renvoie au fait qu’il n’existe pas, sur ce plan, de méthode scientifique harmonisée. Ainsi, le poids des externalités et son acceptation par toutes les parties représente une question en soi.

Schématiquement, le bénéfice apporté par les médicaments est pris en compte, tant sur le plan médical que sur le plan de la santé. L’autorisation de mise sur le marché des médicaments se fonde sur une évaluation socioéconomique, qui tient compte des bénéfices apportés aux patients. Lorsque je travaillais au ministère de la recherche, j’avais été amené à travailler sur différentes techniques de traitement des tumeurs, et notamment sur des techniques de rayonnement par des ions lourds (hadronthérapie), qui permettent d’atteindre les tumeurs radio-résistantes, de façon extrêmement efficace. Néanmoins, il est apparu que ces techniques n’augmentent pas l’espérance de vie des patients. En conséquence, apportent-elles, ou non, un véritable bénéfice ?

S’agissant d’un pesticide, la problématique est autrement plus complexe. Il est difficile d’en mesurer les impacts sur la santé des abeilles, l’environnement, la filière agricole et le bien des consommateurs et de mettre en relations ces différents aspects pour le décideur public. Depuis 2016, cette responsabilité a été transférée à l’Anses, avant tout dans un souci de protection de la santé des populations. Dès lors qu’un produit crée un risque sur ce plan, pour l’agriculteur ou le consommateur, il n’est pas autorisé.

En dix ans en Europe, le nombre de substances actives phytosanitaires autorisées est passé de 3 300 à 1 800, soit une diminution de 40 %. De ce fait, la résistance des végétaux progresse et l’on retrouve, dans l’environnement, des quantités de métabolites plus importantes, mais sur un nombre réduit de substances.

Encore une fois, l’évaluation bénéfice/risque intervient pour chaque cas spécifique et demeure complexe : elle l’est d’autant plus qu’il n’existe pas, sur ce plan, de méthode scientifique. À l’inverse, l’évaluation des risques toxicologiques, par exemple, s’appuie sur des méthodes harmonisées, depuis des décennies, au niveau international. S’agissant de l’approche socioéconomique, il n’y a pas de méthodologie standardisée faisant consensus.

L’Anses, conformément à son contrat d’objectifs, a produit un rapport qu’elle a remis aux ministères en décembre dernier : elle propose de se doter d’un comité d’experts en analyse socioéconomique, qui essaiera de développer une méthodologie, laquelle pourrait être partagée au niveau européen. Cela ne signifie pas pour autant que l’agence n’a jamais essayé d’éclairer les décideurs publics sur les impacts socioéconomiques de certaines problématiques (la qualité de l’air, par exemple).

Dans la loi sur la biodiversité de 2016, il avait été demandé à l’Anses de produire un rapport sur :

– les alternatives aux néonicotinoïdes ;

– le développement d’indicateurs destinés à en évaluer l’efficacité ;

– les impacts économiques et environnementaux de l’utilisation desdites alternatives.

L’une des difficultés a tenu au fait que :

– la loi avait été votée en 2016 ;

– les substances étaient interdites à partir de 2018 ;

– les dérogations s’arrêtaient en 2020.

In fine, l’Anses a pris deux ans pour produire son rapport, pour un délai d’utilisation très court. Dans les faits, ont été recensés 3 600 cas particuliers à traiter pour un produit ciblant une culture et un « ravageur » donnés : il aurait été illusoire de vouloir conduire, sur chacun de ces cas, une étude bénéfice/risque, encore aurait-il fallu disposer de données.

Prenons l’exemple d’une culture traitée depuis des décennies avec un produit de lutte contre les pucerons. Suite à l’arrêt dudit produit, la pression de ces ravageurs variera selon les conditions climatiques : elle n’est toutefois pas modélisable, faute de données relatives à la pression de ces ravageurs en fonction des conditions climatiques.

Dans son troisième volet, le rapport de l’Anses de 2018 précisait qu’il était impossible de faire une analyse des impacts, filière par filière, de l’utilisation des alternatives identifiées. À titre d’illustration, dans le cas de la betterave, en raison de maladies comme la jaunisse provoquée par le puceron, des alternatives chimiques et non chimiques avaient été identifiées : en dehors des néonicotinoïdes, un seul produit alternatif, disponible sur le marché, avait été identifié.

In fine, il est apparu que les alternatives, en règle générale, avaient :

– des effets plus néfastes – bien qu’acceptables – sur la santé humaine que les néonicotinoïdes ;

– des effets plus positifs que les néonicotinoïdes sur les écosystèmes, exception faite des espèces aquatiques.

En revanche, il est impossible de se prononcer sur l’efficacité et la pertinence économique d’une alternative sans qu’elle ait été utilisée. Plusieurs types d’alternatives avaient été identifiés, à savoir :

– des alternatives en cours de développement, ciblant des variétés résistantes à la jaunisse ;

– le recours à des pratiques agronomiques existant au sein d’autres pays, mais ayant besoin d’être adaptées à situation propre à la France ;

– la lutte biologique, sans disposer de moyens aujourd’hui réellement utilisables.

De fait, aucune des alternatives identifiées n’était directement utilisable pour lutter contre la jaunisse. L’an passé, elles ont été utilisées, permettant une production normale. Cette année, elles ont souffert de conditions climatiques défavorables. L’Anses est dans l’incapacité, faute de données, d’évaluer leur efficacité et de la modéliser. D’autres acteurs, les centres techniques et l’INRAE peuvent apporter des données complémentaires.

Le règlement européen donne la possibilité aux États membres, dans des situations exceptionnelles et d’urgence, de déroger à la réglementation : il autorise ainsi la délivrance d’agréments à des produits sans AMM ou interdits, afin de gérer, à défaut d’alternative, tel ou tel « ravageur ». En l’espèce, c’est l’analyse bénéfice/risque qui prévaut : l’impact potentiel sur l’environnement et sur les abeilles, au regard des conséquences sur les plans économique et sanitaire.

L’objectif est de minimiser l’exposition des populations aux risques. Même s’ils respectent les conditions d’utilisation fixées, les produits pesticides s’accompagnent d’un risque, certes acceptable. Comment garantir l’activité économique et la pérennité des filières, tout en préservant l’environnement et la santé ?

Par ailleurs, certains produits génèrent des résistances, lesquelles remettent en cause leur efficacité : ils ne sont pas autorisés, même s’ils ne posent aucun problème sanitaire. De fait, l’Anses intègre, dans ses évaluations, les notions de risque et d’efficacité. Selon la réglementation européenne, il convient, enfin, d’identifier a minima trois alternatives pour chaque usage : face à un risque donné toutefois, il est de moins en moins possible de répondre à cette exigence.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. En tant que femme d’agriculteur producteur de betteraves, je me sens directement concernée par les propos de M. Roger Genet. En matière phytosanitaire, les débats se focalisent sur les produits, et pas sur leurs usages, ce qui est incompréhensible. Quelles sont les causes de cette situation ? Les médecins, par exemple, n’ont de cesse, eux, d’utiliser des produits toxiques dangereux : ils le font toutefois pour répondre à une situation donnée et en respectant une posologie précise.

Je tenais à donner lecture de la question que se pose l’une de nos collègues, Mme Claire Pitollat. « Le plan de relance finance la rénovation des bâtiments et la lutte contre la précarité. Aujourd’hui, rendre un bâtiment de plus en plus étanche est une solution énergétique largement développée, mais elle se fait malheureusement au détriment d’une bonne et nécessaire aération ou ventilation. Comme vous le soulignez vous-même, la mauvaise qualité des environnements contribue à 13 % des décès en Europe. Or les populations les plus précaires sont aussi les plus exposées aux risques sanitaires. Nous le savons aussi : pour que la rénovation énergétique soit accélérée, il faut avoir une action conjointe conseiller énergétique et travailleurs sociaux ou encore conseillers médicaux et conseillers en environnement intérieur.

Vos travaux l’ont souligné eux-mêmes – et je vous cite : « Il est ainsi important, dans le cadre de projets de construction et de réhabilitation de bâtiments ou d’aménagement du territoire, de considérer ces aspects au cas par cas, avec une vision large et intégrative ». Comment s’assurer que les budgets harmonisent enjeux environnementaux et sanitaires, pour permettre à tous d’accéder à un environnement sain ? Comment pouvez-vous permettre une utilisation rapide de ces budgets ? Quelles méthodes opérationnelles de mise en œuvre et d’accompagnement » ?

Je tenais également à vous soumettre des questions complémentaires, que j’ai également posées aux représentants de Santé publique France. Vous nous avez indiqué que l’Anses était destinataire de très nombreuses demandes et sollicitations : comme le dit l’adage, toutefois, « qui trop embrasse mal étreint ». En conséquence, comment priorisez-vous vos études ? Quels sont les critères d’éligibilité, d’intérêt ou de faisabilité retenus ? A contrario, vous efforcez-vous de répondre à toutes les demandes ?

Par ailleurs, vous avez pointé un problème d’indicateurs permettant de mesurer la situation de départ et la situation d’arrivée. Aussi avez-vous plaidé pour qu’un consensus émerge, autour d’une harmonisation des indicateurs de suivi. Cela me semble constituer une problématique majeure. Selon vous, comment trouver un consensus ? Par où faudrait-il commencer ?

Depuis que je suis députée, j’entends sans cesse évoquer des problèmes de coordination, ce qui soulève la question du pilotage et de la gouvernance. Avez-vous des propositions concrètes sur ce plan, aux fins de faciliter votre travail et celui de vos pairs ?

M. Roger Genet. J’ai précédemment eu l’occasion de m’exprimer sur la question de la priorisation. En la matière, l’agence s’attache à débattre des demandes qui lui sont soumises, ainsi que des sujets sur lesquels elle s’est autosaisie, avec ses cinq ministères de tutelle, aux fins d’éviter les demandes de même nature, se caractérisant simplement par des angles de vue différents. D’une certaine manière, elle est donc un facteur de promotion de l’interministérialité, en veillant à ce que les préoccupations exprimées puissent répondre aux besoins des différents ministères, voire des parties prenantes.

Par exemple, l’Anses reçoit plusieurs saisines d’organisations syndicales, qui rejoignent, sous certains aspects, des demandes émanant d’autres donneurs d’ordres. Il s’agit donc de veiller à ce que le contrat de saisine cible des questions permettant de répondre aux différentes préoccupations, quitte à les reformuler, le cas échéant. Ce travail, qui évite les redondances, est effectué en permanence.

Il est toutefois très difficile de refuser une demande émanant d’un ministère ou d’une partie prenante : l’agence, d’ailleurs, n’a pas réellement le choix en la matière. Très souvent en effet, les demandes sont portées par l’actualité politique, l’action politique ou l’urgence sanitaire. De ce fait, l’Anses doit surtout réfléchir à la manière dont elle doit s’organiser pour y répondre, dans un contexte marqué par une diminution, depuis plusieurs années, des moyens humains.

À l’évidence, l’Anses peut être amenée à se pencher sur un champ infini de sujets : elle se doit de les reformuler, par souci de cohérence, et de hiérarchiser les différentes saisines. La plupart du temps, la principale difficulté est liée à la disponibilité des données : des connaissances sont-elles disponibles pour répondre à la question posée ? Le PNSE peut, en la matière, renforcer la structuration de la démarche.

Je ne suis pas en mesure de répondre à la question posée par Mme Claire Pitollat, qui porte sur les moyens d’actions. Cette question est davantage du ressort d’agences comme l’ADEME, qui ont un rôle d’intervention, ou des ministères. En tout état de cause, l’Anses n’intervient pas dans la mise en œuvre de ces politiques.

Les problématiques liées au pilotage, à la coordination et aux indicateurs ont été évoquées avec les missions d’inspection, dans leur évaluation du PNSE III et dans les discussions préparatoires au PNSE IV. Je ne doute pas que la présente commission d’enquête auditionnera les inspecteurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ce sera le cas la semaine prochaine.

M. Roger Genet. Trois préoccupations rejoignent pleinement les propositions de l’agence. Elles portent sur la recherche, le pilotage et les indicateurs.

S’agissant des indicateurs de qualité, la réalisation d’un état des lieux constitue la principale difficulté : en effet, nous avons essayé de le faire au sein du Groupe Santé-Environnement (GSE), en faisant dialoguer les parties prenantes, c’est-à-dire des scientifiques issus de la recherche académique et des scientifiques portant des enjeux associatifs ou interprofessionnels, par exemple. Or ils ont beaucoup de mal à s’accorder les uns avec les autres, car ils portent des enjeux qu’il n’est pas forcément facile de réconcilier.

Pour essayer de lever cette difficulté, il serait pertinent de constituer un comité d’experts indépendants, en charge de la formulation d’une proposition purement scientifique, soumise ensuite à des discussions avec tous les porteurs d’enjeux. En effet, il est très difficile d’obtenir de personnes qui portent des visions politiques, au sens noble du terme, parfois diamétralement opposées, qu’elles s’accordent sur la nature des indicateurs « de départ » et « d’arrivée ». En pratique, la préconisation qui vient d’être exposée rejoint un peu ce qui a été fait sur le sujet climatique, avec la constitution du GIEC. Les fruits des travaux doivent in fine être soumis à la société civile, pour discussion.

Sur le plan de la gouvernance, le plan national dédié au cancer me semble être le modèle à privilégier, avec :

– la réalisation d’un état des lieux de départ ;

– la fixation d’objectifs d’amélioration explicites et compréhensibles par la population, sur les plans de la prévention, de la prise en compte des familles, des avancées scientifiques, des traitements.

La mise en œuvre des actions inhérentes au plan de lutte contre le cancer a mobilisé de très nombreux acteurs (opérateurs privés, opérateurs publics, ministères). Néanmoins, elle a été supervisée par un maître d’œuvre, à savoir l’INCa : ce dernier devait, chaque année, remettre un rapport au Président de la République. La gouvernance, de ce fait, intervenait au plus haut niveau de l’État.

La visibilité de cette démarche, tant dans la définition des objectifs que dans son portage, a permis au plan de lutte contre le cancer d’être le plan ayant joui du plus fort écho dans les quinze dernières années.

À l’inverse, j’ai été confronté à de multiples plans nationaux qui s’appuyaient sur des schémas de gouvernance très particuliers, reposant, par exemple, sur une double présidence confiée à deux professeurs des universités praticiens hospitaliers (PUPH) ou à un délégué interministériel. Cette manière de procéder soulevait différentes interrogations. À qui fait-on rapport ? Qui pilote et aura-t-il les moyens de piloter ? Quid de la coordination ?

L’INCa n’était bien évidemment pas responsable de la mise en œuvre des 150 actions du plan de lutte contre le cancer. En revanche, il devait assurer le reporting des différentes actions, veiller à leur mise en œuvre et produire un rapport final, tout en se conformant au budget défini. Les ministères font leur maximum dans le pilotage des plans. Aujourd’hui toutefois, la question des moyens des administrations centrales et les priorités des différents ministères font qu’il est très difficile de lancer des actions de long terme, sous le pilotage d’une administration centrale. Par conséquent, le fait de s’appuyer sur un opérateur central, comme l’INCa, a été absolument majeur dans la réussite du plan dédié au cancer.

Par ailleurs, pour alimenter des indicateurs, il convient de disposer de données. Bien évidemment, les différents acteurs en détiennent tous, qu’elles portent sur la toxicité des produits chimiques, l’épidémiologie, l’environnement ou la biodiversité. J’ai compté parmi les fondateurs de l’alliance de recherche pour l’environnement AllEnvi, qui regroupe l’ensemble des organismes qui œuvrent dans le champ de la recherche environnementale. Au moment de sa création, il y a dix ans, la difficulté principale tenait au nombre pléthorique d’acteurs, présents, avec, par exemple :

– l’INRA, dédié à l’agronomie ;

– le Museum, dédié à la biodiversité ;

– le CNRS, œuvrant sur l’ensemble des domaines ;

– les Universités ;

– l’IFREMER, pour ce qui concerne la mer ;

– l’IRSTEA.

De fait, plus de 25 organismes étaient en charge d’une partie de la recherche environnementale. Tous disposaient de leurs propres données et de leurs propres études.

J’ai présidé le laboratoire national de référence pour la surveillance des milieux aquatiques (AQUAREF) : ce dernier était alimenté par pas moins de cinq organismes. Le laboratoire dédié à la qualité de l’air dispose également de ses propres données, de même que l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA).

Malheureusement, les différentes données disponibles, bien que pléthoriques, ne se « parlent » pas. Elles ne sont pas interopérables. De fait, aucun acteur ne dispose d’un état de synthèse des différentes données.

Dans le domaine de la santé, le Système National des Données de Santé (SNDS) a représenté, au cours des dernières années, un progrès fondamental : il est désormais porté par le successeur de l’Institut national des Données de Santé (Health Data Hub), qui a été réformé cette année. L’idée était de réunir, ou en tout cas de rendre interopérables, les données de la Sécurité Sociale. La mise en œuvre de ce schéma a pris du temps, nécessitant l’aval de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) : celle-ci devait accepter que les données nominatives de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) puissent être réunies avec celles, par exemple, de Santé publique France.

À titre d’illustration, comment les premiers cas de sida avaient-ils été détectés ? Ils l’avaient été par le Center for Disease Control and Prevention, le CDC américain, en 1984 : sur la base d’analyses statistiques, ce dernier avait observé, à New York, une surconsommation de médicaments immuno-stimulateurs au sein, en particulier, de la communauté jeune homosexuelle. Trente ans après, la France reste dans l’incapacité d’en faire autant, puisqu’elle ne peut pas accéder aux données qui le lui permettraient.

L’objectif du SNDS était de pouvoir disposer de ce type d’informations. Les travaux, difficiles, sont en cours. Il est à noter que les données environnementales témoignent d’un degré de complexité encore plus élevé que les autres, du fait de la nature des bases de données. Quoi qu’il en soit, la création d’un observatoire ou d’une structure, jouant, pour les données environnementales, le même rôle que le Health Data Hub pour les données de santé, est un enjeu essentiel. En effet, cela permettra d’interroger les différentes bases de données, pour établir des corrélations. À ce moment-là seulement, des indicateurs de qualité environnementale pourront être renseignés.

Enfin, le secteur de la recherche souffre d’un éclatement de ses acteurs et de financements qui demeurent, au regard de ce qu’ils sont dans d’autres champs disciplinaires, très modestes. Aujourd’hui, le financement sur projet de la recherche biomédicale représente 45 % de l’ensemble des financements disponibles. Le programme national de recherche environnement-santé-travail dispose d’un budget de six à huit millions d’euros. L’agence nationale de la recherche (ANR), pour sa part, apporte une dizaine de millions d’euros, alors que son budget atteindra prochainement 1,5 milliard d’euros. Globalement, le programme précité dispose de seulement une vingtaine de millions d’euros par an.

De fait, le financement de la recherche reste très faible. Aujourd’hui, le taux de sélection de l’agence, concernant les réponses aux appels à projets, s’établit à 10 % : il se situe au niveau du taux qu’affichait l’ANR, lorsqu’il était au plus bas pour elle. Au sein de cette dernière, il est aujourd’hui compris entre 20 et 25 %. Ainsi, l’Anses ne sélectionne qu’un projet sur dix, ne pouvant pas financer des projets notés A+.

En conséquence, je souhaite qu’il soit possible, à travers le plan de relance et le partenariat avec l’ANR, de refinancer et de « redoter » le volet « recherche » du plan national santé-environnement : en quatorze ans, ce dernier n’a jamais été « rebudgétisé ». En parallèle, de nouveaux mots-clés émergent (glyphosate, vecteurs, perturbateurs endocriniens, antibio résistance dans l’environnement), sans possibilité, en regard, de financement de projets.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Sur le plan des financements, quels seraient vos besoins ?

M. Roger Genet. Le nombre de lettres de sélection actuellement recensées oscille, suivant les années, entre 250 et 300. En parallèle, le taux de sélection s’établit à 10 %. L’idéal serait de le porter au niveau de celui de l’ANR, à 20 % : pour cela, il faudrait multiplier par deux le budget de financement.

Ce ne serait toutefois pas suffisant. Comme indiqué dans un communiqué de presse en date du 8 juillet, l’Anses a été à l’initiative d’un grand projet de partenariat européen – Horizon Europe –, destiné à améliorer l’évaluation des risques liés aux substances chimiques. L’Anses assurerait la coordination dudit projet, avec un volet dédié au biomonitoring et un volet dédié à la toxicologie.

Si le budget européen est maintenu, l’appel à projets sera lancé au 1er janvier 2021, en vue d’un démarrage, dès 2022, du projet retenu, et cela pour une durée de sept ans. Ce dernier, qui devrait réunir plusieurs dizaines de partenaires, devrait mobiliser un budget de 400 millions d’euros : son lancement nous permettrait de démultiplier les moyens européens de recherche en lien avec l’évaluation des risques chimiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Selon vous, le plan Cancer a été un modèle de gestion, de gouvernance et de volonté politique. Il bénéficie de financements très importants, mais également d’une mobilisation scientifique et « émotionnelle ». En complément, j’observe :

– que les interventions ne sont engagées qu’une fois la pathologie déclarée ;

– que la prévention des cancers demeure insuffisamment financée.

Il en va ainsi des cancers pédiatriques, mais également des cancers qui frappent les adultes, qui sont tous exposés à des risques induits par les produits chimiques et les perturbateurs endocriniens.

Cette situation me laisse perplexe. Avec de la volonté en effet, il est toujours possible de trouver des financements. En outre, existent, pour les laboratoires, de forts enjeux de recherche en la matière.

Vous estimez que le plan Cancer est un modèle à suivre, ce qui me semble, excusez-moi pour le terme, un peu « simpliste ». En effet, les problématiques liées à la santé environnementale sont pluri-thématiques et plurifactorielles : aussi je m’interroge sur la manière dont le modèle précité pourrait être décliné, en vue d’aboutir à un modèle méthodologique applicable à la santé environnementale.

Le plan Cancer a bénéficié d’une forte volonté politique, et cela au plus haut niveau de l’État : c’est peut-être cela qui manque aujourd’hui. Le discours politique a évolué : les nouveaux ministres de la santé et de l’écologie sont tous deux très sensibles à la santé environnementale. Dès leur prise de fonction, ils en ont fait l’une de leurs priorités. J’y vois une raison d’espérer. Néanmoins, il est indispensable que des moyens financiers soient débloqués en parallèle.

Au cours de votre intervention, vous êtes revenu sur les nombreuses thématiques sur lesquelles l’Anses est appelée à travailler. Elle est ainsi saisie de très nombreux sujets, se doit d’actualiser ses travaux sur les sujets anciens et d’appréhender de nouvelles thématiques, résultant de l’actualité et de crises successives.

Votre présentation nous a permis de prendre la mesure du nombre de sujets appréhendés. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que vous participiez à un nombre important de plans « silos ». À titre d’exemple, je suppose que les questions de nutrition sont en relation avec le plan nutrition-santé. Il en va de même de tous les sujets que vous avez cités.

À ma connaissance, il existerait aujourd’hui 34 plans « silos » qui, de près ou de loin, concernent la santé environnementale. Pouvez-vous me confirmer que vous êtes en relation avec les gestionnaires de ces derniers ? Qui bénéficie d’un droit de regard sur les travaux qu’ils mènent ? Qui en porte officiellement la responsabilité ? En effet, je suppose qu’ils s’accompagnent de financements : il serait utile que les parlementaires disposent d’un « retour » sur l’efficacité des moyens financiers mobilisés. Dans les faits, il serait utile d’obtenir des précisions sur l’efficacité des plans eux-mêmes : à ce stade en effet, jamais aucune évaluation ne nous a été présentée. Or les sommes mobilisées, additionnées les unes aux autres, sont considérables. Le plan Cancer, à lui seul, représente plusieurs millions d’euros.

Il serait donc utile de se pencher sur l’efficacité et l’utilisation de ces sommes, dans l’idée, le cas échéant, d’engager une démarche de redistribution de nature à financer les autres thématiques. Le plan national santé-environnement, d’ailleurs, ne dispose pas, à ma connaissance, d’un budget attitré. Il vient pourtant concrétiser la politique officielle de la France en matière de santé-environnement. Il en va de même de la stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens, qui ne dispose d’aucun budget attitré.

En parallèle encore une fois, 34 plans « silos » bénéficient de financement : les concernant, aucun retour ne nous est proposé. Le plan national santé-environnement, qui peine à s’imposer en tant qu’outil de gouvernance, n’en a aucun.

Le PNSE IV porte l’ambition extraordinaire de vouloir « chapeauter » les plans « silos » : quelle serait, pour cela, la méthodologie que vous pourriez nous proposer ? Comment assurer la coordination qui s’impose, pour avoir une vision globale de la situation en matière de santé environnementale ? En définitive, qui est aujourd’hui en mesure d’affirmer qu’il a connaissance de l’ensemble des actions lancées, par l’une ou l’autre des agences ?

Pour l’heure, le PNSE IV peine à émerger. Cela étant, j’ai noté la volonté affichée de disposer d’une plateforme de données. En témoigne la position de l’ancienne ministre de l’écologie, Mme Élisabeth Borne. Celle-ci avait indiqué y être très favorable. Néanmoins, j’ai ouï dire que sa mise en œuvre allait prendre beaucoup de temps. Or il est urgent de coordonner les différentes actions, aujourd’hui lancées sans que nous disposions du moindre retour. Selon vous, sur quelles grandes thématiques convient-il d’assurer, en priorité, le « chapeautage des données » ? Quelles sont, à votre sens, les données essentielles ?

Par ailleurs, ma deuxième série de questions porte sur le fonctionnement interne de l’Anses. Quelles garanties pourriez-vous nous apporter, aux fins d’éviter les conflits d’intérêts ? Avez-vous déjà subi, en ce domaine, des accusations ? En effet, l’Anses porte la parole scientifique : aussi ses positions déterminent-elles les actions politiques. Comment l’Anses s’est-elle emparée de cette problématique ? Quelles sont les modalités de fonctionnement de son comité éthique ? Comment garantit-elle son indépendance intellectuelle ?

Vous avez précisé que l’Anses travaillait sur de très nombreux sujets, parfois extrêmement ciblés. Comment ces informations pourraient-elles être portées à la connaissance de la population ? J’entends que l’Anses accueille des experts scientifiques, qui font face à des décideurs. Elle souhaite que les responsabilités des uns et des autres soient bien différenciées. Cependant, dès lors qu’une agence étatique détient des informations pouvant intéresser les citoyens de base, se pose la question de la démocratisation de l’accès à ces dernières. Il est en effet désolant que ces multiples informations, qui permettraient aux citoyens de prendre leurs responsabilités, ne soient pas toujours disponibles. Il s’agit, pour moi, d’une frustration et d’une interrogation.

Enfin, vous avez évoqué la question de la gouvernance, à l’échelle nationale et à l’échelle internationale : je vous remercie pour les pistes d’amélioration que vous avez, en quelques phrases, esquissées. Quid de la gouvernance à l’échelle régionale ? À qui la coordination régionale pourrait-elle échoir ? À cette échelle en effet, nous faisons face à de multiples interlocuteurs, presque aussi nombreux qu’au plan national. Aussi les difficultés rencontrées à Paris se posent-elles, de la même manière, dans les territoires. Qui pourrait, selon vous, piloter cela à l’échelle nationale et qui pourrait le faire à l’échelle régionale ?

M. Roger Genet. Au préalable, je précise que je ne serai pas en capacité de répondre à certaines de vos questions. Il en va ainsi de celles qui sont dédiées à la gouvernance régionale, laquelle n’entre pas dans les compétences de l’Anses.

Le plan Cancer reste, pour moi, un modèle. Néanmoins, je n’ai pas dit qu’il s’agissait du modèle à suivre pour le PNSE : toutes ses dispositions ne sont pas transposables, en particulier concernant les volets régional et national.

Cela étant, le plan Cancer et l’INCa ont institué un « moyen » de gouvernance entre les cancéropôles, à la maille régionale, et l’INCa, financeur de ces derniers par le truchement d’un appel d’offres dédié. L’INCa a assuré le pilotage de nombreuses actions de prévention. Néanmoins, de nombreuses actions n’en dépendent également pas, étant du ressort d’autres acteurs. L’INCa, en étant responsable de la coordination globale, porte une responsabilité vis-à-vis de l’exécutif, en ce qui concerne l’exécution des actions du plan. Il me semble plus simple de dédier un acteur au pilotage d’un plan, pour le compte des ministères,

Pour rappel, l’INCa avait été créé, dans le cadre du plan Cancer, avec un budget de 35 millions d’euros en provenance de la recherche et de 35 millions d’euros venant de la santé : la cible était d’atteindre un total de 100 millions d’euros (50 millions d’euros pour les deux parties). Le financement de la recherche portée par l’INCa et du volet que ce dernier pilote dans l’alliance santé Aviesan, ne représente pas moins de 50 à 60 millions d’euros : cette somme ne concerne que la recherche liée au cancer. Elle est à comparer aux 20 millions d’euros dédiés à la thématique santé-environnement-travail. Pour information, l’INCa, sur la thématique cancer et environnement, recherche et finance des projets sélectionnés par l’Anses : il est donc membre du comité de pilotage associé.

Par ailleurs, l’Anses participe aux plans « silos ». Elle n’entretient pas de relations avec l’ensemble de ces derniers ou des plans nationaux. Néanmoins, ses actions peuvent s’inscrire dans ces derniers, lesquels donnent généralement lieu à des rapports et à des évaluations. Sur ce plan toutefois, la situation est hétérogène : en effet, leur gouvernance l’est également. Ainsi, ils peuvent :

– être pilotés par l’échelon interministériel ou un ministère ;

– être financés ou pas.

La Campagne Nationale d’Évaluation des Pesticides dans l’air (CNEP), exposée le 5 juillet, s’inscrit dans le pan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA). Bien qu’inscrite dans le PNSE, elle ne donne pas lieu à la production, par l’Anses, d’un rapport : ce dernier est du ressort du ministère concerné.

L’Anses intervient dans le cadre :

– du plan national nutrition-santé ;

– du plan nutrition-alimentation ;

– de la stratégie nationale perturbateurs endocriniens (SNPE) ;

– du plan santé-travail, où elle exerce un rôle de coordination et d’animation ;

– du plan chlordécone.

Elle est également très impliquée dans la gouvernance dédiée au sujet de l’antibio résistance.

Par ailleurs, le système national des données de santé, de mémoire, a été lancé en 2013. Il a encore changé de nom l’année dernière et sa gouvernance a évolué. Les porteurs de projets ont également évolué. Néanmoins, une impulsion a été donnée et les travaux ont débuté. Santé publique France peut directement, dans le cadre du Health Data Hub, procéder à des extractions de données.

L’Anses, par son truchement ou par celui de l’INSERM, qui dispose également de l’habilitation requise, peut interroger le système pour récupérer des données. Les parties privées – industriels notamment – ont également la capacité de solliciter, auprès d’un opérateur habilité, des extractions de données.

Quoi qu’il en soit, l’impulsion a été donnée et la construction d’un observatoire des données environnementales constitue un travail de plusieurs années. La première question est d’identifier celles qui doivent être suivies à court, moyen et long termes. En pratique, l’idée est de disposer :

– des données liées à la contamination des milieux ;

– des données relatives à l’évolution de la biodiversité ;

– des données inhérentes aux surfaces.

Existent aujourd’hui de fantastiques outils d’observation, avec de très nombreuses données, en termes d’artificialisation des sols, d’évolution de la biodiversité, de « trame bleue/trame verte ». Celles-ci peuvent être sources de connaissances au moyen de leurs croisements.

Les différentes bases de données sont placées sous la responsabilité de différents acteurs : il est difficile, en conséquence, d’y accéder et de les mettre en relation. De ce fait, la construction du dispositif relève d’un travail de longue haleine, nécessitant de vrais moyens. Elle n’en demeure pas moins « incontournable » pour travailler sur l’environnement.

La question de la communication est récurrente. Parfois, d’aucuns souhaiteraient de l’Anses joue un rôle de « juge de paix », en édictant la vérité scientifique à un instant T. En pratique, la stratégie de communication de l’agence a été débattue au sein de ses différentes instances, parmi lesquelles le conseil d’administration. Elle se doit de faire connaître les avis rendus et de formuler des recommandations à la population. Cela passe par les réseaux sociaux ou la presse par exemple. Chaque semaine à la radio, il est fait référence à des avis de l’Anses, dont le nom est souvent raccourci en « agence sanitaire ». De fait, l’Anses doit renforcer sa visibilité et sa notoriété, afin de lui permettre de « passer des messages » sur les résultats de ses travaux. Chaque réunion du conseil d’administration est l’occasion de revenir sur des indicateurs, par exemple dédiés à la présence sur les réseaux sociaux ou dans la presse. L’Anses s’appuie sur un service de presse très dynamique, qui vient « nourrir » les journalistes : dès lors qu’un sujet sanitaire fait l’actualité, elle est contactée par les grands médias, qui sont a minima demandeurs d’informations de fond.

Lorsque les comités d’experts de l’Anses travaillent, celle-ci ne s’exprime pas, afin de ne pas interférer avec les expertises en cours. L’Anses doit communiquer sur ses avis une fois qu’ils sont prêts. Après trois ans, ils sont généralement dépassés, ce qui crée une difficulté. Elle n’est pas un organe de communication sur les risques chimiques ou autres. Santé publique France a mis en place un site dédié aux bébés et aux risques chimiques : si l’Anses y a contribué, elle n’a pas pour rôle de communiquer sur le sujet.

La crédibilité de l’agence est liée à la prévention des conflits d’intérêts. Bien évidemment, elle a subi des attaques à cet égard. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à la radio, elle travaille sur des sujets de société qui suscitent des débats et des affrontements. Certaines parties prenantes ont pour objectif – et je le dis sans jugement de valeur – d’interdire les pesticides en France, ce qui est un combat honorable. Cela étant, l’agence a pour mission d’évaluer les risques associés, et non d’en prôner l’interdiction.

Aujourd’hui, l’Anses a la responsabilité de délivrer les AMM : elle est donc devenue la cible d’un certain nombre d’enjeux politiques. Elle est ainsi exposée à des pressions, lesquelles passent parfois par des attaques ad hominem, que je déplore. Elle ne peut parfois pas y répondre, sauf à entrer dans la polémique. Elle est, de même que ses experts, victime de diffamation. À titre personnel, il m’est arrivé, en personne, de porter un certain nombre de courriers à des directeurs d’organismes : en effet, les attaques tendent à démobiliser nos experts scientifiques, ce qui en complique le recrutement.

L’Anses dispose d’un système de prévention des conflits d’intérêts et d’analyse des liens d’intérêts, qui repose sur une grille, qui est probablement la plus exigeante au monde. Elle se compose de critères dédiés aux liens d’intérêts, économiques ou intellectuels. Les comités d’experts constitués sont les plus indépendants possible.

Il n’en demeure pas moins qu’il existe une vraie confusion entre les liens d’intérêts et les conflits d’intérêts. Ainsi, il est courant que le laboratoire de rattachement d’un expert soit en partie financé par des acteurs économiques : en effet, c’est la recherche « Public-Privé » qui est aujourd’hui privilégiée. Néanmoins, l’agence a déployé des critères venant limiter le poids des financements des laboratoires émanant de structures privées : il ne doit pas excéder de 5 à 10 %, ce qui est extrêmement contraignant et beaucoup plus rigoureux qu’à l’agence européenne de sécurité des aliments. Il existe donc des liens d’intérêts naturels, mais ils sont tracés et analysés.

Chaque réunion des comités d’expert débute par un rappel de ces exigences. En fonction des sujets à évaluer, des experts peuvent être « déportés », si cela s’impose.

Quoi qu’il en soit, l’Anses applique des règles très exigeantes, lesquelles sont bien antérieures à la loi Marisol Touraine dédiée à la modernisation du système de santé. L’agence a joué, avec son comité de déontologie, un rôle de précurseur dans ce domaine.

Les enjeux liés aux pesticides créent des tensions dans la société, ce qui expose l’agence à des pressions. Cela étant, quel intérêt aurait-elle à répondre à des pressions du monde économique pour délivrer ou retirer une AMM ? Elle est probablement, de tous les décideurs publics, celui qui aurait le moins d’intérêts à céder à des pressions. Elle est une instance scientifique neutre. Aujourd’hui, je ressens plus fortement des pressions médiatiques et associatives que des pressions industrielles pour influencer les décisions de l’agence.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Au nom des membres de la commission d’enquête, je vous remercie d’avoir répondu aussi précisément à l’ensemble des questions posées et de nous avoir proposé des pistes de réflexion, lesquelles, j’espère, nous permettront de formuler des propositions d’amélioration de la gouvernance et de l’efficacité des politiques publiques en matière de santé environnementale.

L’audition s’achève à dix-huit heures dix.

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3.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Béatrice Buguet, inspectrice générale des affaires sociales (16 septembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons Mme Béatrice Buguet, inspectrice générale des affaires sociales, qui a rédigé, au titre de ses fonctions, un rapport d’évaluation du troisième plan national santé-environnement (PNSE3). Je vous demanderai votre définition de la santé environnementale, la place occupée par l’inspection générale des affaires sociales dans le dispositif de politique publique de santé environnementale, puis la présentation résumée de votre rapport critique sur le PNSE3, avec si possible, les points forts et les points faibles de cette politique publique. Quant à vos propositions, nous sommes très curieux de connaître vos recommandations susceptibles d’améliorer le fonctionnement de cette politique publique.

(Mme Béatrice Buguet prête serment.)

Mme Béatrice Buguet, inspectrice générale des affaires sociales. S’agissant du contexte de la saisine ayant présidé à l’élaboration du rapport, il s’agit d’une commande interministérielle, par les ministres chargés de la santé, de l’environnement et de la recherche. Il s’agit d’un mode de saisine classique : l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) reçoit des demandes de mission de la part d’un ou plusieurs ministres et y répond, autant que possible, dans les délais demandés, de façon à permettre l’étude de telle ou telle question et la préparation de décisions publiques.

S’agissant de la définition de la santé environnementale, je vous citerai d’abord celle donnée en 1989 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : les aspects de la santé humaine et du bien-être déterminés par des facteurs environnementaux. Cette définition est intervenue dans le contexte de l’émergence, depuis les années 80, dans le domaine de santé publique, d’une conception globale de la santé, qui insiste sur l’importance des déterminants de santé et de l’action, hors du système de soins, afin d’améliorer la santé de la population ou d’éviter qu’elle ne se détériore, parfois très gravement. La santé-environnement est, selon les termes du code de la santé publique, un enjeu majeur de santé publique. Elle identifie et vise à prévenir ou faire cesser les atteintes environnementales à la santé humaine, notamment les atteintes résultant d’expositions à des facteurs toxiques (pollution de l’air, de l’eau, des sols, etc.).

Les objectifs de cette politique ne peuvent être atteints qu’en agissant sur des déterminants environnementaux relevant de thématiques et d’intervenants très divers. Il s’agit fondamentalement d’une politique de santé, mais qui implique l’action de très nombreux intervenants, bien au-delà du champ sanitaire. En réalité, la santé-environnement n’est pas une politique publique spécifique. Elle est davantage une dimension essentielle qui doit primer, ou au moins être prise en compte, dans de très nombreuses décisions publiques.

La lettre de mission était tout à fait précise et engageait un travail de fond. Elle demandait une évaluation du PNSE sous des aspects multiples, comprenant la gouvernance et son articulation avec les autres plans de santé publique (PCB, chlordécone, micropolluants, Écophyto, etc.). Elle caractérisait donc ces plans comme des plans de santé publique. Elle se plaçait dans l’objectif d’une étude précise et globale du PNSE, afin de vérifier sa bonne articulation avec les autres outils de politique publique disponibles.

Le rapport est structuré en trois parties. Dans la première, il analyse, de façon factuelle, l’ensemble des actions du PNSE3, ses articulations avec les autres plans et ses modalités de pilotage. Dans la deuxième, il expose les enjeux du plan, sanitaires, d’une part, et financiers, d’autre part. Dans la troisième, il formule des propositions relatives aux différents volets.

J’évoquerai très rapidement les principaux constats et quelques propositions. L’analyse du PNSE3 montre qu’il ne répond pas à l’ensemble du champ dessiné par le code de la santé publique pour les plans nationaux de santé-environnement. Ce plan affiche un nombre d’actions très élevé, presque doublé par rapport au PNSE1. Celui-ci comprenait 45 actions, le PNSE3 en compte 110.

Les mesures du plan sont intitulées « actions ». En réalité, elles n’organisent pas véritablement l’action. En effet, très peu d’entre elles visent à diminuer l’exposition aux facteurs nocifs. Les actions, pour la plupart non quantifiées en termes d’enjeux ou d’objectifs, ne sont pas assorties d’objectifs de résultat. Les moyens d’agir ne sont pas définis. Le plan comporte très peu d’actions visant à instaurer une norme, à contractualiser tel ou tel aspect de politique publique ou à inciter tel ou tel acteur à agir. Le rapport propose une analyse action par action de ces différentes caractéristiques.

L’articulation du plan national avec les plans régionaux de santé environnement (PRSE) est prévue, mais elle n’est pas effective, pour différentes raisons. La principale est de chronologie. Il n’est en effet pas possible que les plans régionaux soient chronologiquement en phase avec le plan national. À partir du moment où les plans régionaux sont perçus comme une déclination du plan national, il importe que les régions attendent que le plan national soit déployé pour commencer à travailler. Pour un plan de cinq ans, le décalage est d’un an et demi à deux ans. Ce n’est pas le plus gênant. La déclinaison prévue entre le PNSE et les PRSE est exclusivement verticale et descendante. Horizontalement, aucun processus d’échange n’est prévu, même si des acteurs locaux en prennent parfois l’initiative. Aucune articulation n’est prévue entre les actions de différentes régions sur les mêmes thèmes, à des fins de mutualisation ou de partage de fiches-actions. Il n’y a pas davantage de remontées ou d’utilisation, au niveau national, des actions réussies au niveau régional ou infrarégional, afin d’enrichir l’action et d’améliorer l’efficacité du plan.

Le PNSE ne définit pas son pilotage institutionnel. En annexe du rapport, figure une mise en regard entre le PNSE1, le PNSE2 et le PNSE3. Les deux premiers PNSE avaient exposé leur propre gouvernance, ce qui n’est plus le cas du PNSE3. En l’occurrence, la gouvernance repose, d’une part, sur deux administrations centrales, la direction générale de la santé et la direction générale de la prévention des risques, qui travaillent bien ensemble, mais avec des moyens ténus et, d’autre part, sur un foisonnement de pilotes, copilotes, partenaires, dont les rôles respectifs ne sont pas définis. Nous avons même rencontré des personnes qui ignoraient être pilotes ou copilotes d’actions. Pour citer un autre exemple, le plan comprend quatre actions relatives à la prévention du bruit, qui relèvent toutes de modalités de pilotage différentes. Le pilotage est peu organisé au niveau national.

Quant au pilotage des plans régionaux, il repose en principe sur un trinôme, composé de l’agence régionale de santé (ARS), de la préfecture de région et du conseil régional. Ce trinôme est en réalité plutôt virtuel. D’une part, l’ARS possède un rôle très partiel. D’autre part, les conseils régionaux ne sont pas incités à intervenir réellement dans ces plans qui sont, par la manière dont ils sont conduits et les moyens très faibles dont ils sont dotés, des outils tout à fait périphériques de contractualisation entre l’État et les conseils régionaux. Il nous est arrivé de rencontrer des acteurs étatiques qui s’étonnaient de la participation réduite des conseils régionaux, mais au regard de l’articulation prévue, il est tout à fait naturel que ceux-ci s’engagent peu dans ce type de contractualisation. Certains le font car ils sont d’extrême bonne volonté. Pour ne citer qu’un exemple, beaucoup d’acteurs ont souligné la disproportion entre les enjeux et le budget alloué aux PRSE. Un membre du corps préfectoral a illustré ce propos en indiquant que, dans sa région, le budget total du PRSE équivalait à la construction de dix mètres de route.

Au-delà des enjeux sanitaires, les enjeux financiers sont réellement importants. Toutes les actions de prévention en santé et de prise en charge du risque sanitaire sont perçues comme des dépenses, alors qu’en réalité la non-action engendre des coûts colossaux. Par exemple, dans le cas de l’amiante, considérable déterminant environnemental de pathologies lourdes, une étude a calculé qu’aux Pays-Bas, si l’amiante avait été interdit en 1965 au lieu de l’être en 1993, il en serait résulté 30 000 morts de moins et une économie de 19 milliards d’euros. Les ordres de grandeur sont gigantesques. Le rapport n’a pas pu fournir de coût précis et total, sachant qu’aucune étude globale n’existe. Des études sectorielles, menées par des organismes très divers, notamment étatiques, ont été publiées. Je pense notamment au rapport du Sénat en 2015 sur le coût économique de la pollution de l’air.

Dans ce rapport, j’ai choisi d’agréger les coûts de trois facteurs de pollution connus pour leurs effets sur la santé humaine : l’air, le bruit, les perturbateurs endocriniens. Nous avons considéré les coûts identifiés par le rapport du Sénat pour la pollution de l’air, l’évaluation publiée en 2016 par le Conseil national du bruit et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) pour le coût social du bruit, qui s’élève, selon cette étude, à 57 milliards d’euros par an. En ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, une étude de 2015 estime les effets sur la santé de l’exposition de la population à un coût représentant 1,23 % du produit intérieur brut (PIB) européen. Nous avons réalisé une règle de trois, de façon assez grossière. En effet, nous avons divisé cette donnée par le nombre de pays. Comme le PIB français est plus élevé que la moyenne du PIB des pays européens, le chiffre qui en résulte est sous-estimé. L’addition de ces trois ordres de grandeur aboutit en France à un coût minimal de 180 milliards d’euros, soit 7,8 points de PIB par an pour trois types de pollution, sans aucune exhaustivité quant aux atteintes environnementales autres sur la santé humaine. Les coûts sont donc colossaux. Si le rapport a choisi d’exposer, même de façon nécessairement incomplète, les enjeux sanitaires et financiers, c’est parce que les propositions qui paraissaient pertinentes sont assez ambitieuses. Il paraissait utile, dans ces conditions, de rappeler les enjeux en question, d’autant que les enjeux financiers sont très peu pris en compte.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous dressez un constat extrêmement critique du PNSE3, que ce soit dans sa gouvernance, tant nationale que régionale ou sa méthodologie. Tels que vous en décrivez les résultats, votre constat est celui d’une inefficacité manifeste du PNSE3, avec toutes sortes de carences, d’effets sanitaires et économiques et d’impacts marqués pour les populations.

Votre vision est celle du ministère de la santé. L’évaluation du PNSE3 a été menée par l’IGAS, d’un côté, et le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de l’autre, mandaté par le ministère en charge de l’écologie. Les deux inspections ont-elles travaillé ensemble ? Sont-elles arrivées aux mêmes résultats ? Pourquoi ce plan est-il peu opérationnel, sachant que votre constat est catastrophique ? Vous avez réalisé l’analyse des effets. En avez-vous identifié les causes ?

Mme Béatrice Buguet. J’ai travaillé avec deux de mes collègues du CGEDD et une autre collègue de l’inspection générale de l’administration, de l’éducation et de la recherche (IGAENR). Cette collaboration est cohérente, sachant que la saisine émanait des trois ministres chargés respectivement de l’environnement, de la santé et de la recherche. Nous n’avions pas tout à fait le même calendrier de travail, mais nous avons été d’accord, comme il apparaît à la lecture des rapports, sur la quasi‑totalité des constats. Reste que, compte tenu du décalage de calendrier, le rapport de l’IGAS comprend un certain nombre de points qui ne figurent pas dans celui du CGEDD. Vous allez par exemple trouver deux focales en annexe, l’une, sur les pesticides et leurs effets sur la santé humaine, et l’autre, sur le bruit et ses effets sur la santé humaine. Certains éléments d’analyse sont en outre plus détaillés dans le rapport de l’IGAS, mais cela n’en change pas fondamentalement l’orientation et les constats. Il ne s’agit pas d’une vision du ministère de la santé, mais de constats.

Ce rapport représente un travail très important. Toutes les actions ont été analysées en fonction de leurs objectifs, des moyens alloués, de leur formulation, des partenaires, des évaluations d’ores et déjà rendues par un certain nombre d’instances de suivi, etc. Par exemple, j’ai souligné que les mesures intitulées « actions » dans le plan manquaient singulièrement d’objectifs quantifiés. Ce constat ne m’est pas propre. Les principaux pilotes du plan s’en sont alarmés dès 2015 et ont saisi le Haut Conseil de la santé publique pour lui signifier que le plan n’était pas quantifié. Le Haut Conseil s’y est attaché et a pourvu 63 actions d’objectifs quantifiés. Ce travail, très bien fait, n’a pas été intégré dans le plan. Il n’est donc pas possible de savoir si les objectifs quantifiés ont été atteints. Le rapport repose sur une analyse réalisée en 2017-2018, de la manière la plus factuelle possible, mais également sur un certain nombre d’aspects qui avaient déjà alarmé les acteurs.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. L’articulation de la gouvernance de la santé-environnement avec les ARS a-t-elle évolué depuis votre premier rapport à ce sujet en 2011 ? Concernant le prochain plan national santé-environnement, que faudrait-il améliorer en matière de prévention et quelles actions spécifiques pourraient être conduites à destination des enfants et des jeunes ? Quels thèmes émergents devraient y être traités en priorité ?

Mme Béatrice Buguet. Les ARS sont en principe l’un des trois piliers des PRSE, sur lesquels je circonscrirai mon propos. Au niveau régional, se posent plusieurs sujets de gouvernance. Lorsqu’elle travaille au PRSE, l’ARS n’a pas la capacité d’intervenir sur d’autres plans de santé publique, qui sont des morceaux virtuels du PRSE. Par exemple, l’ARS n’a pas son mot à dire sur la déclinaison régionale du plan Écophyto, sauf si elle a des relations particulièrement suivies avec les acteurs locaux. Rien n’oblige néanmoins les services du ministère de l’agriculture à consulter l’ARS et encore moins à recueillir son accord lorsqu’elle décline régionalement le plan Écophyto. Le PNSE et ses déclinaisons régionales ne sont pas des plans parmi d’autres, puisqu’ils ont, aux termes mêmes du code de la santé publique, une vocation à l’exhaustivité. L’article L. 1311-6 du code de la santé publique, issu de la loi du 9 août 2004, dispose qu’« un plan national de prévention des risques pour la santé liée à l’environnement est élaboré tous les cinq ans. Ce plan prend notamment en compte les effets sur la santé des agents chimiques, biologiques et physiques présents dans les différents milieux de vie, y compris le milieu de travail, ainsi que ceux des événements météorologiques extrêmes ». L’ensemble du champ est donc couvert, contrairement d’ailleurs à ce que prévoit le PNSE. Il n’est pas possible d’imaginer, de façon rationnelle et efficace, que des plans soient complètement scindés du PNSE. Les objectifs de la santé-environnement ne peuvent être atteints que par l’action sur des déterminants de santé échappant largement au champ sanitaire. Quoi qu’édicte une ARS, si des pesticides sont vaporisés dans des secteurs viticoles à proximité d’habitations, il n’est pas possible de faire grand-chose, excepté le constat de problèmes majeurs de santé publique.

Par ailleurs, les conseils régionaux sont sollicités pour participer au tour de table PRSE et, au-delà, ils possèdent un rôle essentiel dans les règles, notamment d’urbanisme. Ils élaborent les schémas très englobants, les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), opposables à un ensemble de schémas infrarégionaux, en termes d’urbanisme et de pollution de l’air. Pour leur élaboration, les interlocuteurs majeurs sont le conseil régional, chargé de l’élaboration de ce plan et de son adoption, et la préfecture de région, mais non l’ARS. Un problème de cohérence se pose entre le champ de compétences de l’ARS, en tant que porteur des questions de santé, son positionnement institutionnel et sa capacité à se faire entendre.

Le rapport fournit néanmoins des exemples de partenariats locaux qui se tissent. Le conseil régional de Bretagne a ajouté lui-même un tour de table pour participer pleinement à l’élaboration du PRSE et est davantage acteur que le schéma institutionnel ne l’inviterait à l’être. Reste que lorsque les acteurs locaux sont volontaires, ils doivent déployer une énergie colossale pour convaincre leurs collègues et leur hiérarchie au sein de leur propre institution et pour inciter leurs partenaires à suivre cette démarche.

La question relative aux améliorations en matière de prévention vise l’ensemble de la gouvernance de ces plans. Il ne fait pas sens, selon moi, de vous répondre sur des mesures spécifiques aux enfants, par exemple. La prévention constitue une dimension essentielle. Le schéma que j’ai décrit en introduction, c’est-à-dire des enjeux majeurs de santé et des déterminants de santé au-delà de la responsabilité d’un seul ministère, dessine un champ inter-partenarial. Un moteur doit pousser l’ensemble des acteurs à agir ensemble pour limiter les impacts nocifs, dus essentiellement à des pollutions, mais également à d’autres facteurs, tels que des végétaux allergisants. À ce propos, il est à noter qu’un certain nombre d’acteurs de la santé-environnement aiment d’autant plus parler de l’ambroisie, qu’aucun lobby ne plaide pour la laisser pousser.

En ce qui concerne les thèmes émergents, le rapport préconise que ce plan cesse d’être un plan parmi d’autres, son rôle le prédestinant à être une sorte de plan chapeau de l’ensemble des plans sanitaires, et dessinant à leur égard une matrice méthodologique. Il ne s’agit pas d’imposer le contenu de chaque plan, défini par des acteurs compétents dans leur domaine. Une gouvernance solide d’un PNSE pourrait en revanche imposer que chaque plan de santé publique, ou ayant des conséquences fortes sur la santé publique, obéisse à des objectifs quantifiés, énoncés et pertinents, identifie les moyens à mettre en œuvre, les acteurs concernés, les méthodes d’évaluation et les moyens de les faire connaître, y compris dans le public. Ce dernier aspect constitue le meilleur moyen pour élargir le débat et faire en sorte que les politiques prennent des décisions éclairées, sous l’impulsion des populations et des connaissances d’un certain nombre d’acteurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons bien compris les problématiques de gouvernance à l’échelle nationale. Que proposez-vous pour la gouvernance territoriale ? Une compétence obligatoire des EPCI en matière de santé environnementale permettrait-elle d’améliorer la gouvernance à l’échelle des territoires ? Croyez-vous, au contraire, que l’ARS doive être repositionnée pour lui donner une compétence officielle, cohérente avec son positionnement institutionnel ? Ou bien la solution se situe-t-elle, selon vous, à l’échelle des conseils régionaux ? À qui confieriez-vous le leadership de cette gouvernance ?

Mme Béatrice Buguet. Les EPCI possèdent aujourd’hui des compétences assez diversifiées et pour la plupart optionnelles. Comme les autres collectivités territoriales, ils détiennent des compétences entrant, en pratique, dans le champ de la santé-environnement. Les communes, par exemple, s’occupent des écoles et les départements, des collèges. Or un collège peut se situer à proximité d’un sol pollué. Des peintures nocives peuvent être utilisées pour la rénovation d’une école. Ce type de compétences est a priori bien loin de la sphère sanitaire, mais y exerce un effet direct en réalité, si l’on veut bien considérer la politique publique qu’est la santé-environnement dans toutes ses dimensions. Je me garderai d’une analyse précise sur les EPCI, dont le champ d’intervention est très diversifié, mais qui exercent une grande partie des compétences antérieures des communes. En termes d’urbanisme, les plans locaux d’urbanisme (PLU) sont en train de devenir des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI). Or, l’École des hautes études de santé publique possède, depuis dix ou quinze ans déjà, un guide intitulé Urbanisme et Santé, montrant que, selon leur orientation, les décisions d’urbanisme sont plus ou moins défavorables à la santé. Les EPCI ont donc déjà des compétences en santé-environnement.

Dans la crise que nous traversons actuellement, un facteur sanitaire a provoqué la prise d’un ensemble de décisions à fort impact économique. Les deux mondes ne peuvent pas être scindés totalement. Ces décisions ont été prises parce qu’il a été considéré que la santé humaine primait sur les objectifs économiques, lorsque ceux-ci sont contrariés par les décisions prises en matière sanitaire. Le caractère brutal de la crise causée par le facteur viral a rendu les choses plus visibles.

En matière de santé-environnement, les choses sont moins visibles. Le directeur de Santé publique France a rappelé devant vous l’étude selon laquelle la pollution de l’air induit, en France, 48 000 morts par an. Ce nombre renvoie uniquement à la pollution aux particules fines. Le département de Santé publique France qui a produit cette étude a bien précisé qu’il s’agissait d’une estimation de base, ne prenant pas en compte les interactions avec d’autres facteurs.

Je citerai un autre exemple. Nous connaissons, pour l’essentiel, la chronologie de l’amiante. En page 61 du rapport, figure un extrait de l’un des volumes du rapport publié entre 2001 et 2013 par l’Agence européenne de l’environnement et intitulé Signaux précoces, leçons tardives. Ce rapport étudie, pour un certain nombre de cas, dont celui de l’amiante, la chronologie correspondante. Les premiers signaux inquiétants, montrant une nocivité forte de l’amiante sur la santé humaine, datent de la fin du XIXe siècle. Au milieu du XXe siècle, suite aux premiers tableaux de telle ou telle pathologie liée à l’amiante, la dangerosité de l’amiante était connue. Cela ne signifie pas qu’elle l’était dans son intégralité. Il y a dix ou onze ans, deux nouveaux liens de causalité ont été établis entre l’exposition à l’amiante et les cancers du larynx et de l’ovaire. Le champ est donc très vaste et rarement totalement exploré. Même sur un sujet bien connu tel que celui de l’amiante, des liens de causalité sont découverts. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a caractérisé l’amiante comme cancérogène certain en 1975 et l’amiante a été interdit en France en 1997. Le titre du rapport de l’Agence européenne de l’environnement, Signaux précoces, leçons tardives montre bien que nous ne sommes pas dans une conception dénoncée parfois comme tout à fait exagérée du principe de précaution, mais dans le domaine du risque avéré, voire de la réparation concernant l’amiante, même si des effets continuent à être découverts.

Ces différents exemples attestent de la nécessité de mesures fortes. Il ne s’agit pas d’identifier une seule structure responsable de la santé-environnement. Il faut que la commune, lorsqu’elle choisit l’implantation de sa crèche, que le conseil régional, lorsqu’il s’occupe de ses politiques de formation professionnelle, que l’État, dans l’exercice de ses compétences régaliennes, prennent en charge cette question. Même au sein du ministère de la santé, la direction générale de la santé n’est pas seule, la direction des hôpitaux doit également jouer un rôle. Un ensemble d’initiatives locales visent à accentuer la prise en compte de la santé-environnement dans les hôpitaux, mais elles sont très loin d’avoir abouti. Une sensibilisation est nécessaire. Des décisions allant dans le bon sens doivent être prises, associées à une gouvernance forte du plan.

Vous dites que le rapport établit des constats critiques sur le PNSE3. Qu’est-ce qu’un plan en France ? Il existe un ancrage législatif. Le code de la santé publique définit un plan de santé publique et le PNSE. Reste que le plan n’est opposable à aucune norme ni à quelque décision que ce soit. Le PNSE n’est opposable à aucun autre plan, c’est-à-dire qu’il est à la fois structurant et inopposable. Comment pourrait-il fonctionner ? Il ne le pourrait que par une impulsion très forte, portée par une structure dédiée. C’est la raison pour laquelle le rapport propose de confier un rôle très accentué au Groupe Santé Environnement (GSE), mis en place pour le PNSE2 et prorogé pour le troisième, mais qui ne dispose pas des moyens dont il aurait besoin pour jouer pleinement son rôle. La gouvernance envisagée dans le rapport est totalement innovante : deux parlementaires et un représentant des régions de France afin que le GSE puisse détenir un véritable pouvoir d’interpellation.

Vous avez interrogé le directeur de Santé publique France sur sa capacité d’interpellation. Il vous a répondu qu’il était parfaitement libre d’interpeller ses directions de tutelle. Reste que ses directions de tutelle sont prises dans le jeu des arbitrages ministériels, influencés par beaucoup d’autres facteurs. Ce mécanisme a été brillamment décrit par William Dab dans un certain nombre d’ouvrages. Le ministère de la santé n’est pas toujours celui qui pèse le plus dans ce mécanisme, tout comme celui de l’environnement. D’autres enjeux s’opposent à ce que telle ou telle décision soit prise de telle ou telle manière. Le fonctionnement est identique au niveau local. Les enjeux de santé-environnement doivent être identifiés de manière claire et publique. Le nombre de morts dus à la Covid est cité tous les jours à la radio mais je ne pense pas que vous entendiez souvent, sur les ondes, parler du nombre de morts dus à la pollution de l’air ou des perturbations sanitaires fortes dues au bruit ou aux perturbateurs endocriniens. C’est peut-être davantage le cas dans la dernière période, depuis un ou deux ans, mais de manière assez ténue.

Des décisions doivent donc être prises. Elles ne sont pas faciles à prendre, pour qui que ce soit, qu’il s’agisse de la gouvernance nationale ou régionale. Un certain nombre de décisions existent d’ores et déjà, mais elles ne sont pas forcément mises en œuvre. Je prendrai pour exemple les plans relatifs aux pesticides. Le premier plan Écophyto a fixé l’objectif de réduire dans les dix ans à venir l’usage des pesticides de 50 %, si possible. C’est intéressant, mais en fixant un objectif de politique publique, puis en ajoutant une virgule suivie de « si possible », il est peu probable que cela fonctionne. Effectivement, comme le décrit le rapport, les objectifs ont été décalés systématiquement dans le temps.

La loi 2009-967 du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement avait prévu :

– le développement d’une démarche de certification environnementale des exploitations agricoles afin que 50 % de ces exploitations puissent y être largement engagées en 2012 ;

– le lancement, au plus tard en 2009, d’un programme pluriannuel de recherche appliquée et de formation pour l’ensemble de l’agriculture ;

– le lancement, à la même échéance, d’un état des lieux de la santé des agriculteurs et des salariés agricoles ainsi que d’un programme de surveillance épidémiologique.

Le législateur n’a pas dormi pendant ce temps, les acteurs n’ont pas hiberné, un certain nombre d’actions ont été menées, mais lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une norme aussi forte qu’une loi, force est de constater qu’un certain nombre d’obstacles s’y opposent. D’où la nécessité d’une gouvernance très forte pour un dispositif aussi fragile qu’un plan. Des évolutions sont possibles avec le temps. La sensibilité aux questions de santé est peut-être un effet heureux de la crise actuelle. Cette gouvernance est indispensable.

M. Yannick Haury. Quant au choix du niveau territorial d’intervention adéquat, certaines communautés de communes regroupent 15 000 habitants alors que des métropoles en comptent 700 000. Nous savons que les petits établissements publics de coopération intercommunale possèdent des moyens limités alors que de plus en plus de compétences leur sont transférées (les plans climat énergie territoriaux, la Gemapi, etc.). Quels moyens leur seraient transférés pour exercer cette nouvelle compétence ? Faute de moyens humains, les communautés de communes feraient appel à des bureaux d’études. Le département me semble être une échelle un peu plus adaptée à ce sujet, sachant que tous les niveaux d’administration territoriale interviennent. Même si la compétence des permis de construire relève de l’intercommunalité, le maire détient le pouvoir de signer un permis pour une école, par exemple.

Mme Béatrice Buguet. Les exemples que j’ai cités étaient peut-être trop locaux. Je ne voudrais pas donner l’impression qu’il s’agirait de reporter la responsabilité sur tel ou tel niveau, en particulier les niveaux infrarégionaux les plus petits. Au contraire, l’une des propositions du rapport est de cesser de considérer le PRSE comme un mode très marginal de contractualisation. Pour la contractualisation entre l’État et les régions, un outil de base existe : le contrat de plan État Région (CPER). Le rapport propose d’intégrer les PRSE dans les CPER, de sorte que ces contractualisations se réalisent au bon niveau. Il est tout d’abord difficile de multiplier les outils de contractualisation, sans perdre beaucoup d’énergie, entre l’État, les collectivités territoriales ou les ARS. En outre, le CPER est l’outil de base. Cette proposition ne figure pas dans le rapport du CGEDD. Elle est difficile, car elle semble massive, mais les enjeux ne sont-ils pas massifs ? Les 50 000 morts de la pollution de l’air et les autres pathologies graves dues à un ensemble de déterminants de santé nécessitent « un changement de braquet ». Dans ces conditions, faire du directeur général de l’ARS un cosignataire du CPER ne serait pas nécessairement incohérent. Pour que ces outils soient ce que la loi leur demande d’être et soient efficaces, nous devons arriver à une gouvernance à la fois simple et robuste.

Mme Claire Pitollat. Je suis tout à fait d’accord avec vous lorsque vous expliquez qu’aucune grande structure ne définira les actions de la santé environnementale mais que des actions doivent être entreprises à tous les niveaux. Certaines doivent relever du niveau national et d’autres des collectivités territoriales. Il faut également inciter le monde privé à nous accompagner. J’ai toutefois l’impression que nous oublions toujours la nécessité d’outils d’aide à la décision. Nous sommes les champions du constat et de l’observation. Nous savons que des substances sont considérées, fortement suspectées, voire avérées d’être nocives. Des chiffres faisant peur sont cités à la radio. Pour autant, pour reprendre l’exemple de l’installation d’une crèche, les représentants de collectivités territoriales nous interrogent sur les outils disponibles pour savoir si l’installation d’une palissade autour du jardin où les enfants joueront suffira à prévenir la pollution de l’air. Il est évident que ce ne sera pas suffisant. Pour autant, des collectivités territoriales installent des crèches en prétendant que les enfants pourront jouer dehors en étant préservés de la pollution aux particules fines grâce à une palissade en bois.

Quand disposerons-nous de solutions simples et qui fonctionnent, proposées par des agences ou des partenaires public/privé, tenant compte de la spécificité des territoires, de l’exposition à différentes sources de pollutions extérieures (pesticides, trafic routier ou maritime, etc.) et de la diversité des solutions possibles ? À l’heure actuelle, il n’existe pas de réel outil d’aide à la décision pour les collectivités territoriales, voire au niveau national.

Par exemple, en ce qui concerne les produits ménagers pour les établissements recevant du public, nombre de collectivités territoriales nous ont expliqué qu’elles avaient établi elles‑mêmes leur liste de produits d’hygiène pour nettoyer les locaux et faire en sorte que l’air soit préservé, mais qu’elles avaient beaucoup de difficultés à concilier son usage avec la procédure des marchés publics. Comment faire pour proposer des outils simples et opérationnels, pour les différents échelons ?

Mme Béatrice Buguet. Nous ne sommes heureusement pas complètement dans le désert. La France dispose d’un certain nombre de ressources. Il existe notamment beaucoup de porteurs locaux d’initiatives tout à fait intéressantes, parfois à un échelon assez impressionnant compte tenu de leur bénévolat ou quasi-bénévolat. Plusieurs exemples pourraient être cités. Le rapport en mentionne d’ailleurs un certain nombre. L’association santé environnement France (ASEF), composée exclusivement de professionnels de santé (environ 3 000), conçoit un ensemble d’aides à la décision, notamment des livrets sur la manière de protéger un bébé dans sa chambre. Elle explique que l’un des premiers gestes à l’approche d’être parent consiste à repeindre la chambre du futur bébé, en général avec des peintures nocives. Des outils existent donc aujourd’hui, en partie à la disposition des uns et des autres. En outre, les collectivités territoriales ont également commencé à s’organiser depuis un certain temps. Par exemple, le réseau villes-santé de l’OMS propose des outils intéressants, organise des échanges, etc.

Cela manque toutefois de simplicité et de systématicité, notamment pour les collectivités les plus petites. En outre, tout le monde ne peut pas tout savoir sur tout. Pour cette raison, les différents PNSE ont successivement prévu l’élaboration d’un portail d’informations, aisé d’accès et d’utilisation. Compte tenu du foisonnement de données, ce portail n’est pas simple à construire, mais sans être toutefois hors d’atteinte. Reste que pour l’instant, on se contente de prévoir de le construire. Ce n’est pas tout à fait vrai, car il existe des débuts de portail. Le ministère de l’environnement a mis en place un portail intitulé « Tout sur l’environnement ». Le ministère de la santé en prépare un autre, ne s’adressant pas forcément aux mêmes acteurs. Les données disponibles foisonnent. Nous nous retrouvons face au problème relativement classique, mais très inquiétant dans ce domaine, de l’interopérabilité des données. En effet, la juxtaposition de portails est contreproductive. Un outil partagé serait nécessaire, proposant des données sérieuses et vérifiées pour les différents thèmes et permettant un partage de fiches-actions, de façon à ce que les succès puissent être dupliqués ailleurs. Il s’agit d’une fonction que le rapport confie, de façon ambitieuse, au futur GSE chargé, pour l’instant, de suivre et d’orienter le plan.

Le GSE a été composé de façon informelle, sans appel à candidatures ni composition normée de la structure. 40 % de ses membres sont issus d’administrations d’État et sont les principaux pilotes des plans. Or il est difficile de mettre en œuvre, suivre et orienter à la fois un plan. Le rapport propose de clarifier sa composition. Les représentants d’ONG seraient choisis sur appel à candidatures, de manière un peu plus transparente que cela n’a été le cas jusqu’à présent. Le GSE serait doté de moyens, puisqu’à l’heure actuelle, il ne dispose même pas d’un secrétariat technique. Il serait doté d’une équipe de bon niveau, capable de « décrypter » les politiques publiques et agissant en appui du groupe, composé essentiellement de bénévoles actuellement. Pour qu’il soit doté d’un réel pouvoir d’interpellation, le groupement devrait être constitué de façon tracée et traçable. La proposition de pilotage contenue dans le rapport est celle d’un trinôme, composé de deux parlementaires, l’un nommé par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et l’autre par la commission des affaires sociales du Sénat, qui assument désormais toutes deux les fonctions dévolues, quelques années plus tôt, à l’office d’évaluation des politiques de santé. Le troisième membre serait nommé par les régions de France, de sorte que les conseils régionaux soient représentés dès le départ dans les instances de pilotage.

Le rapport propose également que le GSE soit doté d’un minimum de moyens, d’un site Internet et qu’il soit capable de communiquer. Ses délibérations devraient être publiques. Si nous nous tournons vers une instance de ce type, le GSE pourrait exercer un réel rôle d’interpellation. Il faudrait également qu’il joue le rôle de garant de la mise en œuvre de ce grand projet d’interopérabilité des données et de constitution d’un portail unique, sur lequel retrouver les principales données ou a minima indiquer où les trouver. À l’heure actuelle, le fonctionnement se fait ministère par ministère, sans véritable pilote unique. Le GSE pourrait jouer ce rôle moteur.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je souhaite compléter l’information à propos des actions mises en place. Depuis dix-huit mois, sous l’impulsion du GSE, le site « Agir pour bébé » a été lancé par Santé publique France et fournit des informations aux futurs parents souhaitant se renseigner sur les expositions de leur bébé jusqu’à deux ans, période dite des mille premiers jours, durant laquelle l’organisme humain est le plus fragile. Ce site existe, il est en cours d’évolution, mais est déjà beaucoup consulté. En outre, le ministère en charge de l’écologie a créé un site où sont accessibles toutes les démarches des collectivités territoriales en matière de santé-environnement, de développement durable et d’environnement. Un long chapitre concerne les démarches de santé environnementale. Ces démarches, peut-être un peu isolées ou dispersées, mériteraient une meilleure coordination, mais des évolutions existent, depuis deux ans, impulsées par le GSE.

Je m’étonne par ailleurs que dans le pilotage que vous proposez pour le GSE, vous portiez une nette préférence pour les membres de la commission des affaires sociales, c’est-à-dire le ministère de la santé, en excluant la participation du ministère en charge de l’écologie, alors même que les problématiques de santé environnementale ne concernent pas uniquement la santé. Par l’appellation même du futur PNSE4, « Mon environnement et ma santé », il est question d’une participation active du ministère en charge de l’écologie et même d’autres ministères. Dans la définition de l’OMS, « Une seule planète, une seule santé », les interactions entre le monde humain et le monde animal sont incluses. L’épisode de Covid, qui s’apparente à une zoonose, a montré que l’approche devait être extrêmement large. La mobilisation de ministères autres que celui de la santé est importante. Je note vos propositions, notamment la représentation des collectivités territoriales, totalement absentes jusqu’à présent. Je suppose que la composition est évolutive. Vous avez insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’une gouvernance interministérielle. Il serait dommage qu’à l’intérieur d’une instance nationale, les autres ministères ne soient pas représentés. Dans ce cas, les mêmes problèmes réapparaîtraient.

De nombreux plans sectoriels existent par ailleurs. J’en ai identifié 33 ou 34. Comment envisagez-vous l’articulation entre le PNSE et ces plans sectoriels ? Vous avez évoqué les plans relatifs à l’amiante ou Écophyto. Il existe également les plans cancer, diabète, santé au travail, etc. Cela vous paraît-il cohérent ? Avez-vous identifié les difficultés provoquées par un tel chevauchement ? Que proposez-vous pour éclairer le PNSE4, qui se positionne déjà comme plan chapeau de tous ces plans existants ?

Mme Béatrice Buguet. Ma proposition ne vise pas à exclure quelque ministère que ce soit. Elle vise à confier la présidence à deux parlementaires et à un représentant des régions de France. Le rapport constate que le GSE est actuellement composé, à 40 %, des représentants des ministères, qui ont beaucoup de travail dans leur domaine mais pas au sein de GSE, si la fonction de ce groupe est de suivre et d’orienter le plan. Le rapport propose de conserver la gouvernance actuelle dans sa dimension ministérielle. La tête de réseau est confiée conjointement à la direction générale de la prévention des risques au ministère de l’environnement et à la direction générale de la santé au ministère de la santé. Si le GSE conserve son rôle de suivi et d’orientation du plan, il y a peu d’intérêt, voire incompatibilité, à ce que les administrations centrales en charge d’élaborer ce plan le suivent également. Le rapport ne va pas à l’encontre de tel ou tel ministère.

S’agissant de l’articulation des plans, elle fait l’objet d’une autre proposition majeure du rapport. Vous avez évoqué le foisonnement des plans. Au niveau régional, d’autres plans existent. L’Observatoire régional de la santé d’Auvergne-Rhône-Alpes a comptabilisé 240 plans, en incluant les démarches Agendas 21. La démarche de planification est foisonnante par définition. Une coordination est nécessaire. Pour les plans nationaux ayant une déclinaison éventuellement régionale et un impact de santé publique, la juxtaposition est source de perte de temps, d’énergie et de lacunes persistantes.

C’est la raison pour laquelle le rapport assigne au PNSE une fonction de plan chapeau, conçu comme une matrice méthodologique pour l’ensemble des autres plans, lui-même ne portant que les risques émergents non pris en charge par un plan spécifique. En effet, tout ne peut pas être pris en charge par un plan. Est-ce d’ailleurs souhaitable ? Il s’agit d’un niveau d’action publique assez indéterminé, qu’il ne faut peut-être pas multiplier. En revanche, des risques émergents existent, qu’il importe de prendre en charge. Si des actions spécifiques doivent être prévues dans le PNSE lui-même, il serait pertinent de l’envisager pour les actions concernant les risques émergents. Les actions relevant d’un autre plan n’ont aucune raison de figurer dans le PNSE. Celui-ci se voit confier un rôle très fort : définir une méthode de travail et vérifier qu’elle soit bien mise en œuvre. Pour cette raison, le bénévolat ne peut y suffire, même si tous les membres de la mission, quels que soient les ministères ou les inspections concernés, sont conscients du fait qu’il est très difficile aujourd’hui de créer une administration, même « petite ».

C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai insisté sur les coûts financiers de la non-action. Ne prendre en compte que les coûts de la mobilisation de 10 ETP est une vue trop partielle. En sachant que l’inaction coûte 8 points de PIB par an pour trois facteurs, des questions peuvent se poser. Il n’est pas simple, dans l’architecture, de trouver les bons leviers, même si ce n’est pas impossible. Si rôle actif du GSE il doit y avoir, il faut lui donner les moyens de le jouer.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pensez-vous que des actions devraient être supprimées dans le futur PNSE ?

Mme Béatrice Buguet. Les mesures dénommées actions dans le PNSE se répartissent en trois groupes. Une très grande majorité d’entre elles, environ les deux tiers, sont en réalité des actions visant à accroître la connaissance ou la communication sur tel ou tel aspect. Une petite vingtaine d’actions portent sur la réduction des risques, au cœur du sujet, mais de façon tout à fait floue. À notre sens, seulement 5 % des actions peuvent être, en réalité, identifiées. 14 actions, soit 13 % du total, ne font qu’annoncer ou souhaiter l’élaboration de plans à venir ou bien rappeler la nécessité de mettre en œuvre telle ou telle mesure figurant déjà dans un plan. Il n’est donc pas indispensable de les conserver. Il est également possible de rayer sans scrupule toutes les mesures baptisées actions et qui ne visent aucun objectif précis, c’est-à-dire quantifié. La quantification des actions n’est pas de la politique fiction, le PNSE1 s’y était employé.

Une action prévoit par exemple de réduire les points noirs du bruit. Tout le monde ne peut que s’y associer. En réalité, les points noirs du bruit sont pour l’essentiel des points routiers. Les compétences afférentes ont été transférées aux conseils départementaux. Or, le PNSE ne prévoit aucun moyen pour l’État d’informer les conseils départementaux d’un objectif de réduction des points noirs du bruit, de contractualiser avec eux ou de trouver un autre moyen d’incitation, afin qu’ils se mettent en mouvement. À l’heure actuelle, une action de ce type est un vœu pieux. Dans l’absolu, nous nous satisfaisons de savoir que les rédacteurs du plan souhaitent réduire les points noirs du bruit. Nous sommes tous d’accord pour le faire, mais ce n’est pas par une inscription de la sorte dans un plan que ce sera fait, avec quelque vraisemblance que ce soit. Je pense en outre qu’il faut répartir les actions entre les plans et non pas reprendre dans le PNSE toutes les actions énumérées dans d’autres plans.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous venez de nous expliquer qu’un certain nombre d’actions des plans précédents étaient en réalité incantatoires et parfaitement virtuelles, sans ancrage territorial, sans moyens, indicateurs, ni objectifs au niveau national et sans connexion avec le terrain pour leur réalisation. Je m’interroge sur votre calcul de l’impact sur le PIB de la non-action. Il est extrêmement compliqué d’évaluer des impacts économiques et même sanitaires en matière de santé environnementale. Nous nous référons toujours au taux de mortalité lié aux problématiques de qualité de l’air, mais nous ne disposons pas des moyens de réaliser l’évaluation des autres pathologies de santé environnementale. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, nous fournir quelques informations ou nous renvoyer à une documentation ? En l’état, cela affaiblit notre discours et la mobilisation des décideurs gouvernementaux sur les conséquences sanitaires et budgétaires.

Mme Béatrice Buguet. Dans ce domaine comme dans d’autres, certaines études ont été menées et d’autres non. Nous nous sommes appuyés exclusivement sur trois domaines pour lesquels des études existent. En ce qui concerne le bruit, ces études ont été réalisées par l’ADEME et le Conseil national du bruit en 2016. Nous n’avons mené aucune étude en propre. Nous avons simplement recherché les études disponibles dans tel ou tel secteur.

S’agissant des données produites, vous avez évoqué le rapport du Sénat sur les coûts liés à la pollution de l’air. J’ai demandé à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) d’actualiser les données qu’elle avait fournies au Sénat. Le rapport va donc un peu plus loin que l’étude sénatoriale et fournit les fourchettes actualisées par la CNAM. Elle-même constate les coûts globaux afférents aux pathologies en lien avec la pollution de l’air et retient une proportion très faible au demeurant, par prudence je pense, de cette enveloppe globale de coûts pour l’attribuer aux facteurs environnementaux. Pour tel ou tel type de cancer, les causes peuvent être environnementales ou autres. En l’occurrence, la CNAM a fait le départ sur cet exemple précis. Elle avait travaillé pour le Sénat et a actualisé les chiffres pour la mission. Encore une fois, elle a utilisé un pourcentage volontairement très faible de l’enveloppe globale pour l’attribuer aux facteurs environnementaux. Dans certains cas, les liens de causalité sont plus nets car les pathologies sont, de manière plus univoque, attribuables à ce facteur.

Nous avons rencontré des acteurs locaux très nombreux, qu’il s’agisse des services de l’État, des collectivités territoriales ou des ARS, nous ayant expliqué avoir besoin de ce type d’études pour documenter la nécessité d’agir et obtenir les moyens budgétaires correspondants. C’est aussi une action qu’il faut accentuer. Au niveau de l’OMS, la dernière étude globale par pays, qui concerne la France et qui identifie un certain nombre de décès dus aux causes environnementales, date de 2006. À l’époque, il avait été calculé qu’en France, plus de 74 000 morts étaient liés à cette cause environnementale. Entre-temps, la recherche progresse. Elle ne progresse pas, lorsque les études ne sont pas commanditées. Les études de cohorte ne s’improvisent pas, elles nécessitent du temps et des moyens.

Le rapport retient des études de source officielle et validées par les administrations compétentes. À chaque fois qu’un arbitrage était nécessaire, nous l’avons fait a minima, de façon à ne pas produire de chiffres surévalués, mais la démarche est tout à fait insatisfaisante. Nous ne pouvons présenter que les études disponibles. Ces études ne sont toutefois pas inutiles car elles permettent de disposer d’ordres de grandeur d’un niveau très élevé. La donnée précisant un ordre de grandeur en milliards ou en dizaines de milliards d’euros est utile. Reste qu’à défaut d’études de base à plus vaste échelle, nous ne pourrons aboutir qu’à des approximations. Celles-ci sont toutefois à un niveau tellement conséquent qu’elles justifient, sans trop de débats, une action plus nette.

J’ai cité la loi de 2009 en matière agricole. J’ai beaucoup insisté sur l’importance des financements et des coûts liés à la non-action. Pour autant, au-delà du financement, d’autres dimensions sont envisageables, en premier lieu, la dimension normative. L’État dispose du pouvoir normatif. Il est possible de prendre des décisions induisant telle ou telle forme d’évolution sans qu’elle représente un coût. Une autre dimension est le temps. On entend souvent qu’il n’est pas possible d’agir du jour ou lendemain. La loi de 2009 date néanmoins de onze ans. Nous ne demandons pas des évolutions en trois mois. Cette dimension du temps existe. Il ne s’agit pas d’un sujet qui a été découvert hier.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. En effet, ces problématiques ne datent pas d’hier. Comment se fait-il que la mobilisation ne soit pas plus importante pour lancer ce type d’évaluations ? Qui détient le pouvoir de décider les actualisations des données en provenance de l’OMS, qui ne sont même pas franco-françaises ? Que pourrions-nous faire pour inciter les décideurs à lancer des études nous permettant d’obtenir une meilleure visibilité ?

Vous avez par ailleurs parlé des liens de causalité. Disposons-nous d’études sur les autres pathologies chroniques, en pleine explosion ? Comment avancer pour une mise en commun des données existantes ? Des données sont produites par Santé publique France, d’autres par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Est-il possible d’effectuer plus rapidement des rapprochements, sans attendre l’hypothétique grande plateforme qui existerait dans dix ans ? Comment se mobiliser pour obtenir des données et une épidémiologie qui « tiennent la route », puis organiser le partage des données ?

Mme Béatrice Buguet. Les différents exemples que j’ai cités illustrent le fait que la décision ne se situe pas à un seul niveau. Pour autant, la volonté politique peut être motivée par différentes dimensions : la dimension éthique et l’attachement à la vie et la santé humaine, qui est quand même un point assez commun entre les différents gouvernants, quelle que soit leur orientation politique ; la dimension financière ; la dimension juridique et de responsabilité, que les gouvernants perçoivent sans doute de plus en plus. La préservation de la santé et l’absence éventuelle d’actions devant des facteurs de nocivité majeurs engagent des responsabilités. Un rapport rendu par différentes inspections générales sur les produits phytosanitaires a montré que la mise en cause de la responsabilité pour non-action était pertinente dans ce domaine.

En septembre 2018, le Président de la République s’est rendu en Martinique et a déclaré que « l’État prendra sa part de responsabilité et avancera dans le chemin de la réparation, au sujet du scandale environnemental lié au pesticide chlordécone, fruit d’un aveuglement collectif ». Or la chlordécone, qui est un pesticide organochloré, polluant organique persistant, est un perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique. Elle a été classée cancérogène possible dès 1979 par l’OMS. En France, une interdiction a été prononcée à deux reprises par la commission des toxiques en agriculture, mais l’autorisation d’utiliser la chlordécone dans les Antilles françaises a été accordée en 1972, à titre provisoire, puis renouvelée. Dans le même temps, en 1976, la même substance était interdite aux États-Unis. Dans les Antilles françaises, les dérogations successives qui ont fait échec à l’interdiction ont duré jusqu’en 1993. Nous n’étions pas dans l’ignorance, mais dans les dérogations successives. Je vous laisse faire des parallèles avec d’autres sujets, si vous le souhaitez.

En tout état de cause, les données ne sont pas toujours disponibles. Parmi les risques, certains ne sont pas suspectés. Il n’est donc pas possible d’agir contre eux. Les risques suspectés entrent quant à eux dans le champ du principe de précaution. Il s’agissait en l’occurrence d’un risque avéré, pour lequel le principe de prévention devait s’appliquer. Nous sommes désormais dans le principe de réparation. En réalité, les données sont présentes. Pour cette raison, il est particulièrement important, non pas d’attendre un hypothétique portail disponible dans dix ans, mais de se dépêcher de le mettre en place, de souligner le grand intérêt des portails ponctuels existants ou en cours de création, sous tel ou tel support et d’arriver à trouver un support, porté par le GSE ou d’une autre manière, permettant l’interopérabilité des données et la connaissance publique des données.

Dans le cas de l’amiante, de décision repoussée en décision repoussée, c’est un lanceur d’alerte qui a finalement provoqué le « scandale de l’amiante ». En réalité, entre le moment où le premier tableau de maladie professionnelle a été publié et celui où l’interdiction a été prononcée, près de cinquante ans se sont écoulés. Aucune raison ne justifie que dans notre société, qui est une société de l’information, ces données ne soient pas réellement prises en compte. Nous disposons des outils nécessaires, au moins virtuellement. Il importe de les rassembler et de les mettre en valeur.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie.

L’audition s’achève à quinze heures cinquante minutes.

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4.   Audition, ouverte à la presse, de M. Gilles Pipien, ingénieur général des ponts, des eaux et forêts, membre permanent du Conseil général de l’environnement et du développement durable, et de M. Éric Vindimian, ingénieur en chef du génie rural, des eaux et forêts, membre de l’Autorité environnementale, section milieux, ressources et risques (16 septembre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Monsieur Gilles Pipien, vous êtes inspecteur général des ponts, des eaux et forêts. Vous avez une connaissance de long terme des questions de santé environnementale. Vous avez été rédacteur d’un rapport critique sur le fonctionnement du plan national santé environnement, dans sa troisième version (PNSE3). Je vous demanderai de nous présenter votre définition de la santé environnementale, la manière dont vous avez été amené à vous investir dans les questions de santé environnementale et comment votre inspection générale est intervenue dans l’évaluation du plan national santé environnement (PNSE). Je vous inviterai ensuite à identifier les points forts et les points faibles du plan et enfin à nous faire part de vos recommandations.

M. Vindimian est ingénieur en chef du génie rural, des eaux et forêts, spécialiste des impacts toxiques sur l’environnement et la santé et expert dans le domaine des politiques publiques environnementales.

(MM Gilles Pipien et Éric Vindimian prêtent serment.)

M. Gilles Pipien, Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Je salue votre initiative d’instituer cette commission d’enquête, sur un sujet qui me paraît important pour nos concitoyens. Nous avons prévu d’évoquer différents points : la définition de la santé environnementale ; les enjeux ; la gouvernance, qui nous paraît un point-clé de l’indispensable politique publique à mener dans ce domaine, selon trois dimensions – la recherche (d'abord savoir pour agir), la gouvernance nationale et l’action au niveau des territoires. Nous terminerons par quelques éléments relatifs à l’opérationnalité d’un plan dans ce domaine. Si, en fin de réunion, vous nous demandez quelque vision personnelle, nous serons à votre disposition pour des messages conclusifs.

Vous nous avez demandé pourquoi et comment nous nous étions mobilisés. À titre personnel, j’ai passé vingt ans de ma carrière dans des directions départementales de l’équipement, plus particulièrement dans les secteurs de l’urbanisme et du logement social. Peu à peu, des questions comme celles du bruit, de la sécurité routière, des transports urbains ou des paysages me sont apparues importantes, notamment, la question du bruit, pour laquelle j’ai constaté l’enchevêtrement des questions sociales, environnementales et sociologiques. Physiquement et psychologiquement, nous ne ressentons pas tous le bruit de la même façon.

Lorsque j’ai rejoint le monde de l’environnement, j’ai été confronté à un autre sujet majeur : la prévention des risques naturels majeurs et des difficultés à gérer les déchets en France, en particulier en Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans la région où j’intervenais. Naturellement, les questions de santé étaient sous-jacentes. Mon passage à la direction du cabinet de la ministre de l’écologie, de 2002 à 2004, a constitué un véritable virage et une prise de conscience. J’ai eu la chance de participer, en liaison étroite avec les ministères de la justice et de la santé, à la mise en place de la Charte de l’environnement, aujourd'hui intégrée à la Constitution. En France, nous avons, au plus haut niveau, dans la Constitution, une définition de la santé-environnement. En effet, l’article 1er de la Charte de l’environnement dispose : « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Le lien est clair et au plus haut niveau. Via les questions préalables de constitutionnalité, n’importe quel citoyen, devant un tribunal civil ou administratif, peut y faire référence, comme cela a été fait récemment dans un conflit avec des entreprises qui voulaient produire en France des produits interdits, pour les exporter à l’étranger. Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’article 1er de la Charte de l’environnement pour valider la décision de l’État.

Dans ces fonctions, j’ai également eu la chance de lancer, grâce à un travail de chercheurs, le premier plan national santé-environnement. J’ai ensuite passé huit ans à la Banque Mondiale où j’ai travaillé, notamment avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et son département santé-environnement dirigé par la Docteur Maria Neira, à un programme régional de santé-environnement en Méditerranée. Les priorités étaient claires, que ce soit au Caire, à Casablanca ou ailleurs : la pollution de l’air et l’eau. Enfin, revenu à l’inspection générale, j’ai eu à évaluer les deuxième et troisième plans nationaux santé- environnement.

La définition de la santé est un préalable à celle de la santé environnementale. Il faut revenir à la définition de l’OMS. Pour l’OMS, « la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Dans cette définition, nous introduisons un contexte beaucoup plus large que simplement la maladie corporelle à laquelle nous pensons. L’OMS indique que « la salubrité de l’environnement concerne tous les facteurs physiques, chimiques et biologiques exogènes et tous les facteurs connexes influant sur les comportements ». Il s’agit de ce qui influe sur nous, non notre comportement direct, en fumant du tabac, par exemple, mais ce qui nous impacte. Cette notion recouvre l’étude des facteurs environnementaux susceptibles d’avoir une incidence sur notre santé. Tout ceci ressort clairement au niveau international.

À ce propos, j’attire votre attention sur le fait que le département santé et environnement de l’OMS s’intitule en réalité « déterminants sociaux et environnementaux de la santé ». Ce département et l’OMS nous incitent à réaliser des interventions de prévention, sur la base d’une compréhension de l’analyse scientifique. Ce terme de prévention est un point-clé car il est au cœur d’un certain nombre d’incompréhensions. L’OMS martèle, depuis plusieurs années, qu’il faut prendre des mesures urgentes dans des secteurs tels que l’énergie (les centrales à charbon par exemple), les transports, l’industrie, l’agriculture (oserais-je parler des pesticides), en coopération avec le secteur de la santé. Ce terme de coopération est important. Nous en parlerons aujourd'hui. Il trouve une traduction dans le terme plus constitutionnel d’interministérialité.

L’Agence européenne de l’environnement a récemment remis un rapport important. Elle évoque aussi ce sujet. Il est intéressant de voir de quoi elle parle. La liste des risques environnementaux qu’elle cite est extrêmement intéressante : les zoonoses, soit les maladies transmises par des animaux sauvages, question d’actualité ; la pollution de l’air (dans ce rapport, l’Agence européenne de l’environnement considère qu’il s’agit de la priorité) ; le bruit ; le changement climatique, en évoquant les vagues de chaleur ; les produits chimiques ; l’électromagnétisme, d’actualité également avec la 5G ; la pollution de l’eau ; la qualité de l’eau potable ; la résistance aux antimicrobiens, souvent oubliée ; les conditions sociales.

Cela me permet d’aborder les enjeux. Selon l’OMS, au niveau mondial, 23 % de la mortalité, soit presque un quart des décès mondiaux, 12 à 13 millions, sont liés à une cause environnementale, en premier lieu, la pollution de l’air et, en second lieu, la qualité de l’eau. L’Agence européenne de l’environnement, dans son rapport récent qui s’appuie sur les études de l’OMS, estime ce taux à 13 % en Europe, soit 630 000 décès par an. Oserais-je faire le lien avec la mortalité totale en France en 2019, où 610 000 décès se sont produits ? Autrement dit, la mortalité en Europe du fait de causes environnementales correspond à celle d’un pays comme la France chaque année. Pour la France, il est difficile d’obtenir la moindre estimation. Le rapport de l’Agence européenne de l’environnement est le seul qui avance un pourcentage global estimé, sous la forme d’une carte à l’intérieur de l’étude, à environ 10 % de la mortalité, pour la mortalité liée à des causes environnementales, soit grosso modo 60 000 décès par an. La seule valeur à peu près précise avancée par Santé publique France en 2014/2015 fait état de 48 000 décès par an liés à la pollution de l’air. Une étude de l’OMS Europe en 2019 parle de 67 000 décès. En clair, ces chiffres sont élevés. Le Sénat a fourni un chiffre tout aussi intéressant dans un rapport de 2015 : le coût de la pollution de l’air en France s’élève à 100 milliards d’euros par an. Ce point me paraît essentiel. Il importe d’intégrer les questions économiques.

Pour résumer les enjeux, les chiffres sont élevés mais les données sont-elles suffisantes ? J’aimerais que M. Vindimian revienne sur cet aspect. Quant aux coûts économiques, la conclusion est qu’il est temps de mener une politique publique ambitieuse sur ce sujet majeur de santé publique et économique. À titre de comparaison, ces 100 milliards d'euros reviennent à jeter un plan de relance « à la poubelle » chaque année.

M. Éric Vindimian, Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Les données sont un problème récurrent. De grandes opérations sont régulièrement lancées pour produire des données et les rendre publiques, mais sans aboutir jamais, avec un certain nombre d’arguments à l’appui, dont le secret médical. Celui-ci est évidemment très important, il faut le respecter, mais rien n’empêche d’anonymiser les données et de vérifier que, pour une donnée particulière, le nombre de personnes ne soit pas si petit qu’il permette de les identifier. L’argument du coût tient à la nécessité de structurer des bases de données non interopérables en l’état, empêchant de raccorder des questions de pollution à des questions de santé.

J’observe que, dans le même temps, les fameux Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) récupèrent un certain nombre de données, qui ne sont évidemment pas structurées, puisqu’ils les recherchent directement à partir de vos activités et les utilisent pour en tirer des informations, des généralités, voire des informations très précises sur vous-mêmes et vous profiler afin de vous adresser des publicités. Le système, s’il n’est pas toujours efficace, fonctionne de mieux en mieux.

Le problème est que nous n’investissons pas suffisamment d’intelligence dans ces questions. Dans le domaine de la santé-environnement, sont présents les « nobles », qui travaillent sur la santé et le « tiers-état » sur l’environnement. Si nous mobilisions pour les données environnementales et sanitaires l’intelligence artificielle consacrée à la voiture autonome et à tous les autres dispositifs, avec des mathématiques, en cours de développement, nous disposerions de nombreuses informations sur les liens entre la santé et l’environnement, mais également d’hypothèses à approfondir en laboratoire ou via des études de cohorte pour rechercher les bons déterminants. Il s’agit d’une question de souveraineté de la France. Nous finirons par obtenir ces données en les achetant à de grands opérateurs multinationaux alors que nous sommes parfaitement capables, avec l’intelligence de la France dans ce domaine (nous sommes l’une des meilleures nations en mathématiques), de conserver la souveraineté sur nos données et de mener une action intelligente et utile en matière de santé-environnement.

M. Gilles Pipien. Il est possible de faire des choses simples et, heureusement, certains ont déjà commencé. Je mentionnerai l’initiative de l’Observatoire régional de santé d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui a travaillé avec un bureau d’études public dépendant du ministère de la transition écologique, le CEREMA. Ensemble, ils ont repéré plus de 250 bassins de vie dans cette région et ont compilé toutes les données, bassin de vie par bassin de vie, qu’elles soient environnementales ou épidémiologiques. Ils les ont comparées. Cela a permis, dans chaque bassin de vie, de repérer les priorités d’intervention. Dans la vallée de l’Arve, en lien avec la pollution de l’air par les poids lourds et les cheminées à foyer ouvert, les maladies respiratoires sont très importantes. La situation est différente dans le vieux Lyon, où le saturnisme et les problèmes d’humidité et de pollution de l’air intérieur constituent la priorité. Il suffit d’utiliser les données disponibles et de les mettre en forme. Arrêtons de dire qu’il faut créer une plateforme complexe, interopérable, qui coûtera cher et nécessitera dix ans. Mettons-nous au travail dès à présent. Ce constat nous a conduits à recommander, dans notre rapport, de mettre en place un observatoire national de la santé-environnement, afin d’assurer l’interopérabilité des données et constituer un portail participatif assurant la visibilité des enjeux sanitaires et de leurs impacts territorialisés. Il s’agit d’un point-clé. Comment mener une politique publique sans disposer du moindre indicateur ? Comment faire de la recherche sans accéder aux données ?

Je ferai deux ajouts en ce qui concerne les enjeux. Il est souvent question de la qualité de l’eau. Lorsque j’étais à la Banque Mondiale, nous avons beaucoup travaillé sur l’eau. J’appris que la priorité n’était pas la qualité de l’eau, mais sa quantité. Sans eau, vous ne pouvez pas laver les légumes ou vous laver. Vous êtes dans une absence totale d’hygiène. J’insiste sur ce point, en faisant le lien avec le changement climatique. Je suis un Provençal et je sais que l’eau de Marseille provient en totalité de la Durance. Nous pourrions également parler de Lyon ou Grenoble, où les rivières sont en régime nival, c'est-à-dire qu’en été, l’eau provient de la fonte des neiges. Or Météo France prévoit que dans dix à quinze ans, la neige sera absente au-dessous de 2 500 mètres. Dois-je évoquer la fonte des glaciers ? En clair, la question de la quantité d’eau et de son lien avec la santé est aujourd'hui complètement oubliée.

J’ai en outre évoqué rapidement l’antibiorésistance. J’ai entendu les médecins avec lesquels j’ai travaillé sur le rapport du docteur Jean Carlet de 2015, à propos de l’antibiorésistance. Selon eux, on assiste aujourd'hui à une montée exponentielle de décès dus au fait que les patients ne peuvent plus être traités, car ils sont antibiorésistants. Ces décès sont de l’ordre de 13 000 par an. Peuvent-ils être considérés comme des décès liés à l’environnement ? Pour partie. Au-delà de la surprescription médicale et vétérinaire, j’ai appris des chercheurs et des médecins l’existence de résistances croisées. En utilisant des biocides comme les pesticides ou les bactéricides que vous mettez dans vos toilettes, vous provoquez une réaction du vivant et l’émergence de bactéries résistantes à ces biocides, qui sont aussi antibiorésistantes. Il s’agit d’un problème de santé publique majeur. Sans antibiotiques, comment traiter les infections et les maladies infectieuses ?

Abordons à présent la question de la gouvernance, en commençant par la science.

M. Éric Vindimian. Lorsque nous avons évalué le PNSE3, nous nous sommes posés la question de la recherche. J’y étais intéressé puisque, dans les travaux préparatoires au PNSE3, plusieurs rapports avaient été rédigés de façon à faire le point sur les besoins de recherche dans le domaine. À ce titre, j’avais coordonné, avec mon collègue Robert Barouki, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, un travail ayant abouti au rapport intitulé : Initiative française de recherche en environnement-santé (IFRES). Il s’agissait d’un véritable programme contenant dix-neuf actions, des pilotes d’action et des objectifs à atteindre. La ministre de la recherche, Geneviève Fioraso, avait exprimé auprès des grandes alliances scientifiques de différents secteurs – l’alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), l’alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) et l’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna) – sa satisfaction d’un tel rapport et demandé sa mise en œuvre au titre du PNSE3. Le PNSE3 comporte une action 81, intitulée « coordonner et structurer la recherche en s’appuyant sur l’initiative française pour la recherche en santé-environnement ». Elle énonce que ce rapport sera mis en œuvre.

Quelques années plus tard, au moment de l’évaluation, nous avons rencontré le directeur général de la recherche et de l’innovation. Il nous a avoué qu’il n’était pas informé être pilote de cette action. Entre-temps, l’Agence nationale de recherche avait arrêté ses programmes de santé-environnement, au profit de programmes dits « Blanc », où les chercheurs font des propositions, sans être guidés vers des questions particulières. Or la recherche n’est pas un système unique, qui fonctionne d’une seule manière. La recherche fondamentale, motivée uniquement par l’envie de connaître, sur des sujets dont on ignore s’ils seront mis en application, est très importante. Le laser n’aurait pas été inventé si des physiciens ne s’étaient posé la question de ce qu’il était possible de faire avec des photons. Au-delà, la recherche finalisée, et non pas appliquée (elle n’est pas forcément l’application de la recherche fondamentale), est menée avec l’objectif d’obtenir certaines connaissances. Typiquement, dans le domaine de la santé-environnement, nous avons envie de connaître, non seulement pour savoir, mais pour agir.

Cette recherche se finance par des circuits spécifiques. À une certaine époque, j’ai été en charge de la recherche au ministère de l’écologie. Nous possédions des programmes de recherche et allions solliciter des chercheurs pour comprendre, par exemple, comment fonctionne une zone humide. Nous avons lancé le premier programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens. Nous constations des anomalies génitales et des baisses de fertilité. Nous soupçonnions des molécules car nous savions qu’elles se fixaient sur des récepteurs hormonaux avec des affinités totalement étrangères aux hormones naturelles. Nous avons donc décidé de lancer des recherches. Cela n’a pas été fait dans le cadre du PNSE, ce qui est vraiment dommage.

Dans le même temps, j’ai coordonné un rapport de l’AllEnvi intitulé « Perspectives scientifiques dans le domaine des risques ». Il traitait l’ensemble des risques, y compris les risques naturels. Je vais vous lire ce que nous avions écrit sur le problème des maladies émergentes, en 2013. Nous proposions de « développer une approche écosystémique pluridisciplinaire des maladies infectieuses émergentes, associant épidémiologistes, cliniciens, infectiologues, microbiologistes, écotoxicologues et spécialistes des sciences humaines et sociales ». Nous suggérions de « relier la santé humaine avec d’autres secteurs comme la santé animale, l’environnement, le commerce, l’agriculture et les services sociaux » mais également « d’examiner les interactions entre sécurité sanitaire, sécurité alimentaire et sécurité en général ». Il y a sept ans, les chercheurs se posaient donc des questions, auxquelles nous serions très heureux de disposer aujourd'hui des réponses pour traiter la pandémie en cours. Je ne dis pas que nous aurions pu tout trouver, très bien réagir et éviter les morts, mais nous en aurions su un peu plus et aurions peut-être été un peu plus prudents. Nous aurions ainsi éclairé, par la science, la vision prospective de ce que doit être une politique publique de santé-environnement. La science peut apporter aux politiques publiques beaucoup d’informations, en amont de la conception et de la décision. Nous avons un peu trop tendance à l’oublier.

M. Gilles Pipien. J’aimerais ajouter un élément anecdotique, mais malheureusement significatif. En mai, en pleine période de crise, l’ambassadeur à l’environnement, M. Yann Werhling, a pris l’initiative de réunir tous les instituts de recherche français de la santé humaine, animale et environnementale. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), l’Agence nationale de sécurité alimentaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, etc. Cela a permis de faire émerger un certain nombre d’éléments. Le ministre des affaires étrangères, M. Le Drian, y a fait une intervention remarquée au niveau international, en proposant, au nom de la France, de mettre en place un groupe d'experts intergouvernemental de la santé environnementale, one health, à l’image du groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Ce n’est que trois semaines ou un mois plus tard que la ministre en charge de l’écologie et le ministre en charge de l’agriculture ont réemployé ce mot. Ma question est simple. Pourquoi ces organismes de recherche ne sont-ils pas réunis une fois par an pour faire le point de l’avancée de la science sur ces sujets et se projeter au-delà dans les programmes de recherche ?

Je viens d’évoquer un concept : one health. Il s’agit d’un concept récent, ayant émergé, à l’initiative des vétérinaires, au niveau international, une vingtaine d’années plus tôt, autour de l’organisme international des épizooties, aujourd'hui dénommé Organisation mondiale de la santé animale, et qui a proposé une approche globale et coordonnée entre les questions de santé humaine et de santé animale. Ceci a été pris en compte par l’OMS et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et est aujourd'hui porté par ces trois organisations. Depuis une dizaine d’années, nombre de scientifiques disent qu’il faut aller plus loin, qu’il faut raisonner eco health, planet health : prendre en compte les liens entre la santé humaine et la santé animale, domestique et sauvage, mais également la santé végétale et la santé des écosystèmes et comprendre les liens qui apparaissent dans ce domaine, à la fois dans la recherche et dans les territoires. Nous avons besoin de recherche croisée.

Cela me permet d’aborder la question de la gouvernance nationale de cette politique publique, en commençant par la problématique culturelle de séparation des spécialités et des formations entre les médecins, les vétérinaires, les écologues, etc. Une toute petite histoire vous fera comprendre ce que je veux dire. L’ambroisie est une plante allergène, arrivée d’Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle, à bas bruit. Elle est restée à bas bruit pendant très longtemps car il s’agit d’une plante de reconquête, de friche, qui ne supporte pas la concurrence d’autres plantes et qui ne peut pas se développer. Pourquoi, à l’hôpital Grange Blanche à Lyon, assistons-nous chaque fin août, depuis les années 80, à une explosion du nombre de personnes arrivant pour des problèmes respiratoires liés à une allergie à l’ambroisie ? Ce phénomène nécessite chaque année un renforcement en médecins urgentistes, en infirmiers et en antihistaminiques. L’ambroisie a besoin de friches. Or près de Lyon, au milieu des années 70, l’énorme chantier de l’aéroport Satolas devenu Saint-Exupéry a nécessité un décapage des sols sur de nombreux hectares. Pour des raisons administratives et juridiques, le chantier s’est arrêté pendant deux ans et a constitué une merveilleuse friche pour l’ambroisie. Pourquoi celle-ci est-elle arrivée près de Lyon et des grandes villes ? J’avais demandé une cartographie, d’autant que 70 % de mes personnels d’entretien des routes se retrouvaient en arrêt de travail au mois d’août. L’ambroisie suivait les routes départementales et nationales. Les personnels réalisaient leur travail de fauchage le long des routes, provoquant le déplacement des graines et du pollen et dégageant des friches supplémentaires. La compréhension de l’écologie était donc importante. Je salue l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône Alpes, pour son travail auprès de tous les services de voirie et d’espaces verts en vue de les former et de leur apprendre à ne pas faucher au mois d’août, mais les autres mois. L’ARS a aussi permis d’apprendre aux populations à reconnaître l’ambroisie et à l’arracher en période hors pollen, à la main. Nous possédons des cultures médicales, vétérinaires, écologues, écotoxicologues, etc., trop séparées, ce qui se traduit par des silos de compétences que l’on trouve dans les ministères (le ministère des agronomes, celui des environnementalistes, celui des médecins, etc.). La nécessité de croiser ces cultures est l’un des enjeux majeurs.

Un deuxième exemple est celui d’une politique de santé publique, qui a fonctionné en France, justement parce qu’elle était interministérielle. En 1976, un pic de 16 000 décès par an est atteint. Un comité interministériel réunit tous les ministères concernés : l’industrie, l’équipement, l’intérieur et la santé. Un travail important est lancé, à tel point qu’en 2019, seuls 3 500 décès par an sont décomptés. Le comité interministériel s’appuie sur une délégation interministérielle. Une fois par an, le Premier ministre le réunit et annonce des décisions. Un observatoire interministériel fait remonter les données. Pour les « points noirs », des enquêtes sont réalisées, qui font appel aux élus locaux, aux services locaux, aux services de police, aux services de santé, etc. Cette politique de santé publique est la politique de sécurité routière. Elle a été pilotée pendant trente ans par le ministère de l’équipement et, à présent, par le ministère de l’intérieur et en interministérialité, en s’appuyant sur les territoires. Les décès ont été divisés par plus de quatre. Des avancées ont été observées dans le monde des soins. Les services d’aide médicale d’urgence (SAMU) ont été mis en place, ainsi que la coordination entre le 15 et le 18. La traumatologie post-accident a progressé, de la même manière que le travail psychologique et de rééducation. Un travail fondamental a été mené dans le monde de la santé, mais il a également porté sur le véhicule avec le monde de l’industrie (mise en place des airbags ou de l’ABS), sur les infrastructures (généralisation des glissières centrales sur autoroute, giratoires, etc.) et sur le comportement des individus (éducation routière, éducation à la santé, permis à points, vitesse limitée, radars, etc.). Je m’arrête. Notre réunion pourrait cesser maintenant. Il faut mettre en place un dispositif interministériel. Nous n’en sommes pas à 16 000 morts, mais à plus de 60 000. Il nous faut un dispositif interministériel équivalent de pilotage de cette politique.

Notre rapport n’a pas suffisamment abordé ce sujet. Ce sujet est difficile à évoquer pour nous. Comme vous l’avez remarqué, nous n’avons pas produit un rapport commun avec l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) car nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur ce point. Les deux inspections générales n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Nous n’avons pas inscrit ce que je viens de dire dans notre rapport, qui était une tentative de compromis. La politique de santé environnementale n’est pas une politique du ministère de la santé. Il s’agit d’une politique nécessairement interministérielle.

J’en reviens à la question culturelle. Je vous ai dit tout à l'heure que le terme « prévention » posait question. Dans le monde de la santé et des médecins, celui-ci signifie qu’un individu doit faire attention à ne pas fumer, à ne pas boire trop d’alcool, à faire attention à son cholestérol, etc. Grâce à l’éducation à la santé, un individu doit faire attention à son comportement individuel. Quand nous parlons prévention dans notre monde de l’environnement, la problématique est différente. Allons-nous conseiller aux gens de ne pas respirer ? La prévention des risques majeurs correspond ici à des politiques publiques collectives, pilotées à la fois par l’État et les collectivités territoriales. En employant le mot « prévention », nous risquons de ne pas nous comprendre. La prévention en santé environnementale ne peut pas relever uniquement du ministère de la santé. S’il s’agit des politiques publiques en matière de pollution de l’air, il importe de travailler sur la politique des transports, la motorisation des voitures, la piétonisation des centres-villes, les vélos, etc. Ce ne sont pas des politiques de santé, elles relèvent d’autres ministères.

Si nous n’avions qu’une recommandation à formuler, elle porterait sur la mise en place d’une politique pilotée de manière interministérielle. Nous réclamons un budget clair, avec un rapport au Parlement chaque année. Nous sommes en démocratie, il nous faut associer les chercheurs, la société civile, les élus, c'est-à-dire l’ensemble des acteurs. Il nous paraît fondamental qu’à côté de cet exécutif ministériel, un parlement de la santé environnement soit créé. L’embryon existe avec le groupe santé-environnement (GSE), mais ses 148 membres y siègent de manière totalement informelle. La seule institutionnalisation correspond à la lettre de mission remise à sa présidente, Mme Élisabeth Toutut-Picard. Il est temps que ce parlement soit reconnu et que devant lui, les multiples petits plans, fondamentaux (plan perturbateurs endocriniens, plan bruit, plan qualité de l’air, etc.) soient présentés ou débattus. Je n’ai pas d’avis sur la façon de l’institutionnaliser, via une commission du Conseil économique, social et environnemental, une commission permanente citoyenne ou une branche du Conseil national de transition écologique. Il faut y réfléchir avec le Conseil d’État, au sein du Parlement, afin de donner corps à ce parlement inter-disciplines et inter-citoyens.

Enfin, dans toute politique, il faut des moyens humains. Roger Genet vous l’a dit régulièrement. Oserais-je vous rappeler un entretien que nous avons eu, M. Vindimian, notre collègue de l’IGAS et moi-même, avec le directeur général de la santé et le directeur général de la prévention des risques ? À un moment donné, nous leur avons demandé combien d’équivalents temps plein (ETP) étaient mobilisés par les deux administrations pour piloter cette politique fondamentale. La réponse a été, après qu’ils eurent tous deux interrogé la sous‑directrice, la chargée de bureau, la chargée de mission, etc., de 0,2 ETP par administration. La politique de santé-environnement, concernant plus de 60 000 décès par an, est pilotée par 0,4 ETP. Par conséquent, nous pensons qu’il est important, au-delà d’une délégation interministérielle correctement dotée, de prévoir un opérateur. Or nul n’est plus compétent aujourd'hui que l’Anses.

M. Éric Vindimian. Il pourrait s’agir d’un office parlementaire. Un office parlementaire des choix scientifiques et technologiques existe. Un office parlementaire de la politique de prévention de la santé, qui ne couvrirait peut-être pas seulement les questions de santé et d’environnement, ferait sans doute sens. S’agissant de l’opérateur, l’Anses nous paraît la mieux placée, dans la mesure où elle est ouverte à l’ensemble de la communauté d’expertise (cette agence fonctionne avec des comités d’experts) et où elle travaille de plus en plus étroitement avec Santé publique France. J’ai visualisé les entretiens que vous avez eus avec Sébastien Denys et Roger Genet. Leurs propos ont clairement illustré la complémentarité entre des intervenants qui objectivent des effets sur la santé réelle, observés chez les personnes et la difficulté d’attribuer le fardeau et des intervenants qui essaient de trouver des solutions pour les prédire. Les deux organismes, d’approches très complémentaires, peuvent réaliser de grandes choses, lorsqu’ils travaillent ensemble. Nous pensons que l’Anses devrait être l’opérateur des questions de santé-environnement, y compris en matière de recherche, avec notamment un programme de recherche dont le budget devrait au moins doubler.

Je vous parlerai à présent de l’action dans les territoires. Mon propos aurait peut-être paru plus original six mois plus tôt sachant qu’il est de plus en plus question d’agir au niveau des territoires, sans tout décliner depuis Paris. Lorsque nous nous sommes déplacés pour l’évaluation du PNSE3, nous sommes allés en Martinique, en Occitanie, dans le Grand-Est, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Nous avons rencontré les acteurs et avons trouvé un travail collectif remarquable entre l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’ARS, les réseaux de surveillance de la qualité de l’air, les associations et les services de l’État. Il existe une véritable envie de comprendre les problèmes spécifiques du territoire et de les résoudre. Lorsque nous avons évoqué les plans régionaux santé-environnement (PRSE), pratiquement tous nous ont exprimé leurs difficultés : ils étaient en train d’élaborer des réponses à leurs propres questions et il leur a fallu décliner le PNSE. Les régions ne sont pas les meilleurs niveaux pour décliner ces plans car les problèmes diffèrent selon les territoires.

À Fos-sur-Mer, la priorité est la pollution industrielle : des personnes sont malades et meurent à cause de la pollution. Comment maintenir un bassin d’emploi et l’un des derniers grands sites industriels français tout en ayant une santé acceptable sur le territoire ? Tel est leur problème. Au niveau national, le discours sera que la pollution industrielle est derrière nous, que des normes existent et que le problème est réglé. Sauf que dans certains territoires, en présence de configurations géographiques particulières, d’une concentration d’entreprises, avec des navires, un aéroport et des autoroutes partout, les problèmes se cumulent et doivent être traités.

Aux Antilles, il a été question de la chlordécone. Le problème majeur tient au fait que les gens qui consomment le produit de leur propre culture, sur des sols pollués pour encore 300 à 600 ans, s’intoxiquent. Les pêcheurs qui ramassent des crevettes et consomment celles qu’ils n’ont pas vendues ne peuvent pas en manger plus de quatre fois par semaine.

Dans les régions de vignoble comme le Bordelais, la question tient à la cohabitation entre les riverains et les agriculteurs qui utilisent des pesticides avec des effets sur les habitations et les écoles. C’est ce phénomène qui inquiète les gens, sans qu’ils souhaitent renoncer aux vins de qualité qui les ont rendus célèbres dans le monde entier. Leur volonté est de poursuivre cette culture, tout en restant en bonne santé. L’action doit être menée au niveau local.

Nous avons donc vraiment insisté pour que les PRSE ne soient pas synchronisés avec le PNSE. Il est possible de demander à l’État et aux collectivités locales de construire des PRSE à échéance régulière, de prévoir des évaluations et quelques éléments de méthode, mais les priorités doivent être définies au niveau local et le travail conduit avec un minimum d’indépendance. In fine, les problèmes seront mieux traités et nous tirerons probablement, des remontées locales, des enseignements au niveau national.

M. Gilles Pipien. Institutionnellement, la compétence santé-environnement n’existe pas et ne relève d'ailleurs pas des conseils régionaux. Ceci a permis au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de ne pas être signataire et acteur du PRSE, cosigné simplement par le directeur général de l’ARS locale et le préfet de région. Alors que les compétences régionales sont importantes, à travers notamment les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), pourquoi cette compétence majeure n’est-elle pas une compétence obligatoire ?

Dans le code de santé publique, seul l’article L.1311-6, qui définit le PNSE, l’évoque. À l’article L. 1311-1, le mot n’apparaît pas. Il est question d’hygiène, de salubrité, de milieu, etc. Quelque chose est prévu dans la Constitution mais dans la loi, rien ne définit la santé-environnement. La seule mention tient à l’hygiène et la salubrité publique. Or la loi de 1902, largement portée par Adrien Proust, grand médecin hygiéniste du XIXe siècle, a permis la création de bureaux d’hygiène municipaux dans les communes, lesquels existent, aujourd'hui encore, dans les communes de plus de 40 000 habitants. Le maire possède un pouvoir de police qui y est lié. Il peut déclarer un immeuble insalubre et interdire d’habiter dans un logement insalubre. Il s’agit donc d’une compétence communale. À l’échelle d’une métropole comme Lyon, Marseille, Aix ou Paris, la question est-elle communale ?

La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 a confié de nombreuses compétences aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : en matière d’aménagement avec les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme intercommunaux et les programmes locaux de l’habitat ; en matière d’environnement avec les plans climat-air-énergie ; en matière de prévention des risques avec la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. N’est-il pas temps de clarifier cette compétence santé-environnement et de la confier clairement aux EPCI, pour que ce ne soit pas au niveau de Valence mais de l’agglomération de Valence qu’il y ait un remarquable contrat local de santé en matière d’environnement ? Il en est de même autour de Lorient ou d’Avignon. À Avignon, un programme d’agglomération santé-environnement a été initié, mais le bureau d’hygiène municipal d’Avignon n’a travaillé sur la pollution intérieure que dans les écoles d’Avignon.

Sachant que la réalité de la santé environnementale est aussi, voire prioritairement, dans les territoires, nous recommandons, sur la base d’indicateurs locaux, le déploiement des politiques territoriales de santé-environnement, en clarifiant les compétences au niveau des conseils régionaux pour une planification régionale et au niveau des EPCI. Cela pose un problème de lien avec les autres compétences d’aménagement et d’urbanisme.

M. Éric Vindimian. Nous souhaitions aborder enfin la question de l’opérationnalité. Un plan avec de telles actions, sans aucun moyen financier associé, relève davantage de la communication que d’une réelle volonté d’agir. Mieux vaudrait cibler quelques priorités et y consacrer des moyens. Le Parlement a un rôle à jouer en ce sens. Il vote la loi de finances et a connaissance de ces plans. Il importe de vérifier que toute la mécanique budgétaire qui vous est présentée au moment du projet de loi de finances permet bien de mettre en œuvre les engagements de l’État. Il vaut mieux en retenir un nombre moins important, mais avec des pilotes, des moyens humains et financiers identifiés et un compte rendu d’action. La loi organique relative aux lois de finances le permet parfaitement. Il est même possible d’imaginer un document horizontal, un document de politique transversale, permettant de vérifier que de manière interministérielle, la question est traitée, avec une traduction budgétaire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons déjà obtenu beaucoup de réponses à nos questions. Nous vous remercions pour cet investissement intellectuel et émotionnel ainsi que pour vos recommandations. Je vous poserai quelques questions. Les politiques doivent effectivement être territorialisées, puisque si chaque région possède ses propres problématiques, certaines d’entre elles sont communes. Je pense en particulier à la qualité de l’air ou à l’exposition aux perturbateurs endocriniens si des cultures agricoles sont présentes. Tout le monde se nourrit avec les mêmes produits et porte les mêmes vêtements imprégnés de produits chimiques. Aux côtés des politiques régionales, une politique nationale doit donc demeurer. Comment envisagez-vous ce croisement entre PNSE et PRSE ? Comment arriver à concilier les objectifs nationaux et régionaux ?

Au sujet des compétences déléguées aux EPCI, un de nos collègues soulignait, lors de la précédente audition, la taille extrêmement variable des EPCI. Il n’est pas possible de comparer les métropoles à de petites communautés de communes, aux moyens beaucoup plus limités. Comment envisagez-vous une amorce de solution pour la redistribution des moyens humains et financiers ? Il est évident que si nous émettons cette proposition dans le projet de loi des « 3D » portée par Jacqueline Gourault, il faut l’accompagner de moyens. Dans le cas contraire, l’impossibilité matérielle d’y faire face nous sera objectée. Enfin, quid des plans silos ? Il a été beaucoup question du PNSE, mais avez-vous eu le temps ou aviez-vous pour mission de vous interroger sur la juxtaposition de ces plans silos, d’en faire l’évaluation et de voir comment les collaborations inter-plans sectoriels s’établissaient ?

M. Éric Vindimian. Redonner l’initiative aux régions n’ôte pas complètement au pouvoir national la capacité de traiter les questions génériques, notamment les questions de doctrine, les valeurs limites et autres. Je note que cela ne s’arrête d’ailleurs pas à la nation. Il existe aussi des valeurs fixées au niveau européen. En matière de qualité de l’air, des limites ne doivent pas être dépassées sur tout le territoire. La France est d'ailleurs sous le coup d’une condamnation par la Cour de justice européenne pour ne pas respecter les valeurs limites dans seize territoires. Il est demandé à ces territoires de proposer des solutions. C’est au niveau du territoire que se décide la mise en place d’une zone à circulation restreinte, le développement des transports en commun, de préférence électriques ou à gaz naturel compressé plutôt que diesel, ou le choix de l’omniprésence des voitures. Cette articulation s’inscrit dans une subsidiarité naturelle. Je coordonne actuellement une étude sur la qualité de l’air dans l’arc alpin, dans le cadre de la Convention alpine, dont la France a la présidence. Les Suisses et les Autrichiens ont décidé que les normes européennes de qualité de l’air n’étaient pas suffisamment exigeantes et choisi d’appliquer en conséquence les valeurs guides de l’OMS. Ils demandent à leurs territoires de tout mettre en œuvre pour respecter ces valeurs guides alors qu’en France, les valeurs européennes sont dépassées dans plusieurs endroits, même si des solutions sont en train d’être trouvées. Nous voyons qu’une articulation est possible entre un niveau national, voire international, et un niveau régional.

En ce qui concerne les EPCI, pour avoir examiné un certain nombre de PLU et de PLUI, je peux dire que ce ne sont pas forcément les plus grandes villes qui résolvent le mieux les problèmes. J’ai par exemple examiné le PLU de Marseille. Il y est expliqué que des autoroutes sont présentes dans la ville mais qu’on n’y peut pas grand-chose. Le problème est certes complexe. Du temps est nécessaire pour passer d’une ville ayant dérivé vers une place insolente de la voiture à une ville idéale en termes de santé, mais je n’ai pas trouvé, dans ce PLU, beaucoup d’ambitions quant aux questions de santé. A contrario, de petites villes, à travers leur PLU, décident que la qualité de vie, qui constitue une autre manière de qualifier la santé, est leur priorité, qu’elle fonde leur originalité et leur attractivité et qu’elle est positive sur le plan économique. Je ne suis donc pas sûr que la taille joue beaucoup.

M. Gilles Pipien. L’article L. 1311-1 du code de santé publique rappelle les règles générales d’hygiène et en dresse la liste : salubrité des habitations, alimentation, eau potable, évacuation et traitement des eaux et des déchets, etc. Dans le code général des collectivités locales, cela se traduit par les pouvoirs de police du maire. Aujourd'hui, la santé environnementale n’a pas de nom, mais les 36 000 maires, y compris ceux des communes de 80 habitants, en ont la responsabilité, sans aucun moyen, à l’exception de ceux des communes de plus de 40 000 habitants, qui ont l’obligation de disposer d’un bureau d’hygiène. Afficher la compétence santé-environnement et la confier à des EPCI, dont la taille est un peu supérieure aux communes et transférer éventuellement la compétence de police correspondante du maire au président de l’EPCI va dans le sens d’une clarification. La compétence sera ainsi plus facile à assumer. Dans la métropole de Lyon par exemple, qui s’est engagée dans un plan métropolitain santé-environnement, les services de la métropole se sont naturellement appuyés sur le bureau d’hygiène de la ville de Lyon et le bureau d’hygiène de la commune de Villeurbanne pour pouvoir accompagner les soixante et quelques communes de la métropole. Il existe en effet un problème de moyens, mais non dans notre proposition. Aujourd'hui, le maire est seul et dans les communes de moins de 40 000 habitants, sans service d’hygiène, face à une problématique qui est cachée derrière les mots. La clarification me paraît fondamentale.

Quant à l’articulation, pourquoi ne pas revenir à des politiques contractuelles ? Le contentieux européen de la pollution de l’air porte sur huit villes françaises. Des efforts de l’État et des métropoles concernées sont nécessaires, allant même vers une contractualisation permettant de coordonner l’avancée des efforts. Pourquoi ne pas utiliser les contrats de transition écologique ou les contrats locaux de santé, de niveau communal, pour les adapter au niveau adéquat ? En travaillant, il est possible de mettre en place un dispositif très efficace.

S’agissant des plans silos, pour la sécurité routière, un plan de contrôle technique de véhicules était assumé par le ministère de l’industrie et les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement. Il contribuait pourtant à la sécurité routière. Un plan autoroutier a consisté à repérer les routes posant le plus de problèmes de trafic et de sécurité, comme la fameuse nationale 7, pour construire des autoroutes. Il s’agissait du plan silo autoroutier du ministère de l’équipement. Lorsque nous proposons la création d’un comité interministériel et un PNSE « chapeau » des trente-cinq plans différents, ce n’est pas pour ajouter un échelon supplémentaire, mais pour souligner la nécessité d’une instance commune, où sont présentés les plans chlordécone ou des perturbateurs endocriniens après débat devant le parlement santé-environnement. Dès lors, chaque plan peut continuer à être appliqué de manière efficace avec les services et les compétences scientifiques qui correspondent. Un plan antibiorésistance peut être largement piloté par le ministère de la santé, s’il associe le ministère de l’agriculture pour la surprescription vétérinaire, le ministère de l’environnement et celui de l’économie pour la maîtrise de l’usage des biocides. Une articulation entre des « plans silos » efficaces et un « plan chapeau » est possible, à partir du moment où n’existe qu’une seule instance de gestion à la fois ministérielle et parlementaire.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Auriez-vous des éléments d’appréciation à nous apporter en ce qui concerne les normes ?

M. Gilles Pipien. Il me semble important de différencier l’expertise de la décision de normalisation, qui peut effectivement prendre en compte les difficultés de la mise en œuvre de ladite norme et les enjeux économiques et sociaux. Je déplore personnellement que les autorisations de mise sur le marché d’un certain nombre de produits aient été confiées à l’Anses, la plaçant dans une position difficile. En effet, une norme ne se base pas uniquement sur des autorisations scientifiques, mais également sur des éléments économiques et sociaux. Il est effectivement important d’aborder cette question. Un problème d’organisation se pose.

Un deuxième élément est à prendre en considération. En ce qui concerne par exemple les biocides, des dispositifs différents d’autorisation de mise sur le marché de produits existent suivant leur usage et non en considération de la molécule en cause. Un produit d’usage agricole fera l’objet d’une norme et d’une autorisation particulière. S’il s’agit d’un produit de grande consommation, le cas sera différent. En conséquence, pour les mêmes molécules, les systèmes d’autorisation diffèrent et des molécules extrêmement dangereuses se retrouvent en vente libre, dans un circuit donné. Au-delà des normes, il importe de considérer l’usage. Non seulement, il faut autoriser un produit, ou non, selon telle ou telle norme, mais il faut vraisemblablement prévoir, dans certains cas, une certification des professionnels l’utilisant. Oserais-je par exemple évoquer les désinfectants employés dans les rues par des employés communaux des communes du Sud de la France, alors que nous savons qu’ils peuvent provoquer des troubles pulmonaires chez les enfants et au-delà, l’émergence de résistances s’ils continuent à être déversés dans l’environnement ? Il est temps, au-delà des normes, de prévoir des normes d’utilisation et des qualifications d’utilisation.

M. Éric Vindimian. Les normes sont nécessaires. Une société sans programme minimum de protection de ses populations, avec des normes évidentes pour tous, n’est pas imaginable. Reste que sur des questions telles que la santé-environnement, où les problématiques d’effet-cocktail, de faible dose, etc., sont importantes, on s’aperçoit qu’il n’est pas possible de tout normaliser et que les normes risquent d’être insuffisantes. En outre, une norme, qui ne change pas tous les ans, est souvent le fruit d’un compromis. Or le compromis, dans le domaine de l’environnement, n’est pas forcément la meilleure solution. L’économie du « monde d’avant », la « vieille économie », fonctionne sur une assez large utilisation des combustibles fossiles et une prise en compte relativement faible de l’environnement. Il lui est demandé d’appliquer de nouvelles normes, qui vont nuire à ses profits. Par compromis, nous n’irons pas jusqu’à mettre en place des normes permettant l’émergence d’une nouvelle économie. Nous sommes au milieu du gué. Nous ne sommes pas très bons sur le plan de l’ancienne économie, mais elle continue à dominer. Les innovations radicales, qui permettraient peut-être de créer de l’emploi en France, ne sont pas non plus favorisées. Le compromis est apprécié, mais il ne s’agit pas toujours de la meilleure solution dans le domaine des normes environnementales. Cela crée de la complexité, dans les textes notamment où les exceptions finissent par devenir plus nombreuses que la règle.

D’autres instruments existent, notamment économiques. Ils ne sont pas très appréciés en France car ils s’apparentent à des taxes, alors qu’ils sont plutôt une contribution à un bien commun. Renchérir le coût des atteintes portées à l’environnement permettrait de faire évoluer les acteurs, à condition que la contribution ne soit pas minime, mais également de faire évoluer progressivement le système par un accroissement des taxes. Les instruments économiques tels que les bonus-malus sont probablement plus efficaces que les interdictions pures et simples. Ils sont souvent plus efficaces que les normes. Il faut davantage réfléchir à la manière de les utiliser, y compris en ce qui concerne les questions de santé. Les normes ne sont pas toujours signifiantes. Lorsqu’on cale des concentrations, supposées à risque de cancer, sur une probabilité, qui a dit que ce niveau était acceptable ? Celui-ci l’est lorsqu’on n’est pas la victime. La norme est tout à fait arbitraire. En fixant des bornes et des limites, il serait possible d’aller plus loin, en réduisant la pollution au minimum en considération du fait que polluer coûte cher.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Il a été question des régions, des EPCI mais vous n’avez pas évoqué les départements. Pour quelle raison ? Les départements gèrent par exemple les routes départementales. Les départements pourraient-ils initier des actions ? Si oui, lesquelles ? Ou bien sont-ils obsolètes ?

M. Gilles Pipien. Je ne me permettrais pas de juger de l’évolution institutionnelle engagée depuis quelques années, ayant notamment conduit les départements à se retirer du domaine de l’eau. Vous savez que la loi NOTRe a supprimé la compétence générale des conseils régionaux et départementaux, ce qui s’est traduit par des retraits aux conséquences difficiles pour un certain nombre d’établissements publics. Par exemple, les départements se sont retirés du jour au lendemain des établissements territoriaux de bassins, prétextant la disparition de leur compétence générale. Je n’ai pas d’avis. Mon sentiment est que le niveau communal, institué par la loi de 1884 et celle de 1902, est inadapté à la réalité des territoires. Il faut donc remonter au moins au niveau des EPCI. La loi NOTRe a confirmé que le niveau de planification territorial était le niveau régional. Je n’ai pas d’autre avis.

Pour revenir à la notion de norme et d’alternative, l’alternative à un produit chimique n’est pas un produit chimique plus fort et plus dangereux. Oserais-je parler de néonicotinoïdes ? L’alternative relève d’une réflexion sur l’économie agricole et alimentaire. Quel est l’enjeu de la filière betterave sucrière en France ? Comment cultiver, dans ces plaines, au regard de la qualité des sols ? Est-il possible de parler d’agroécologie ou d’agriculture de conservation ? L’essentiel de la betterave à sucre, en difficulté économique depuis 2017, sert à produire de l’éthanol. La question est-elle de trouver une alternative chimique aux néonicotinoïdes, qui fabriquera d’autres résistantes et problèmes de santé ou d’engager une réflexion sur une autre économie ?

M. Éric Vindimian. Nous n’avons pas évoqué le département, mais nous n’avons pas d’a priori. Si le département doit continuer d’étendre ses compétences en ce qui concerne les questions sociales, il peut y avoir du sens à lui confier les questions de santé-environnement, qui y sont liées, compte tenu notamment des inégalités écologiques. Si la réorganisation du système administratif, avec la création d’un niveau d’EPCI relativement consolidé et de grandes régions dotées de responsabilités dans des stratégies de politique publique, conduit à minorer le rôle des départements, d’autres solutions devront être trouvées. Plusieurs solutions existent. Ce n’est pas le fait que la commune, l’EPCI, le département ou la région exerce la responsabilité qui rendra cet exercice plus ou moins efficace. Tout dépend des compétences et des moyens mobilisés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. À propos d’opérationnalité, vous avez affirmé, monsieur Vindimian, qu’il était préférable de cibler certaines priorités plutôt que de formuler des propositions incantatoires et virtuelles et de saupoudrer l’argent. Quelles seraient les priorités de santé environnementale pour lesquelles nous pourrions exprimer des recommandations et obtenir des retours gratifiants pour ceux qui les portent ? Quelles seraient les actions permettant d’obtenir des résultats rapides et efficaces ? Devons-nous réfléchir en termes de qualité ou de quantité ? Devons-nous d'abord choisir des solutions avec des retours rapides et aisés ou lancer des démarches de fond ? Superposons-nous plusieurs stratégies en même temps ?

M. Éric Vindimian. Nous nous sommes posés la question des priorités. Travailler par priorités n’a de sens que si elles sont réellement traitées. À défaut, ces priorités finiront par être oubliées et nous nous retrouverons avec des centaines de priorités, faute d’avoir traité les premières. Les priorités sont pour nous la qualité de l’air, les pesticides, les perturbateurs endocriniens et les maladies infectieuses liées aux modifications de l’environnement.

M. Gilles Pipien. Est-ce à nous de définir les priorités ? N’est-ce pas le résultat d’un travail avec les scientifiques et d’un débat dans l’instance que nous suggérons d’instituer ? Cela me permet de revenir sur le GSE actuel, qui avait très bien mis en place quelques groupes de travail permettant d’approfondir des thématiques. L’un d’eux me tient à cœur, le GT1, qui fait le lien entre la santé et la biodiversité, notamment les zoonoses et les maladies réémergentes. Le mot « émergent » m’agace un peu car la dengue existe depuis très longtemps dans les pays en voie de développement. Cette maladie réémerge chez nous avec l’arrivée du moustique tigre, mais des gens vivent avec depuis très longtemps. Ce groupe de travail doit perdurer et prendre de l’ampleur, au travers du concept one health, étant le seul lieu, avec une cinquantaine de membres, où l’on est capable de croiser les regards. Il était prévu, fin 2019, de le supprimer. J’espère qu’au vu de ce qu’il s’est passé avec la Covid, nous avons compris le rôle-clé du lien entre la santé humaine, la santé animale, la santé végétale et celle des écosystèmes et que des recherches et des actions sont nécessaires dans ce domaine.

Il faut débattre entre vous ou au sein du parlement de la santé-environnement. Si les priorités sont appréhendées sous le prisme quantitatif, la pollution de l’air constitue un problème majeur. On peut penser que les difficultés majeures risquent de s’accroître. J’ai évoqué l’antibiorésistance et les liens avec les biocides. Cette question des biocides doit vraiment être abordée, sous quantité d’angles différents. Elle me paraît fondamentale, dans l’usage agricole, les établissements recevant du public, y compris les crèches et l’usage domestique. En termes de priorité, je n’ai pas d’avis. Je rejoins les propos de M. Vindimian, en ajoutant l’aspect biocides et one health, une seule santé, les liens entre santé et biodiversité.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous propose de conclure en quelques mots.

M. Éric Vindimian. Soyez exigeants. Les ministères fonctionnent de façon quelque peu étrange. Des plans leur sont demandés, ils les établissent, mais une fois signés, on a l’impression de passer au suivant. Un plan devrait être opérationnel, avec des moyens alloués. Souvent, lorsque nous rencontrons des opérateurs, dans les ministères ou les grandes agences, ils arguent que tout est prioritaire, sans qu’ils disposent de moyens supplémentaires. Le rôle budgétaire du Parlement est majeur à cet égard. Ce n’est pas parce que des priorités sont établies que des euros se déversent à chaque fois. Si un sujet est prioritaire, d’autres le sont nécessairement moins. Des choix et des arbitrages doivent être réalisés. Nous ne pouvons pas tout faire. Nous sommes un petit pays, dans un espace formidable qui est l’Europe. Nous pouvons également nous partager le travail avec nos collègues allemands, hollandais, autrichiens, italiens, espagnols, etc. Il faut faire des choix, en décidant d’apporter une contribution sur un sujet, en y mettant les moyens et en contrôlant sa réalisation. Dans quelques années, les priorités seront différentes, car des problèmes auront été réglés. Il faut arrêter de vouloir tout faire et de communiquer sur d’immenses plans avec un nombre gigantesque d’actions. Il existe aussi un peu de démagogie. Les agents des ministères nous l’ont dit au cours de nos discussions, en nous expliquant que lors du dispositif « grenellien » où l’ensemble des acteurs étaient réunis, toutes les propositions ont été acceptées et traduites en actions, « pour faire plaisir ». Il n’y avait aucune perversité dans le processus, il s’agissait de satisfaire les exigences des parties prenantes, sans être capables, pour autant, de mobiliser les moyens afférents. Ces parties prenantes ont toutefois été quelque peu trompées, puisqu’elles croyaient que leurs propositions allaient se concrétiser. Il vaut mieux avoir le courage de dire qu’il n’est pas possible de tout faire et de dégager des priorités, qui seront réellement mises en œuvre.

M. Gilles Pipien. J’ajouterai que lorsque j’étais à la Banque Mondiale, nous abordions ces questions avec nos collègues économistes, qui menaient continuellement des analyses coûts/bénéfices. Le rôle de la Banque Mondiale est d’octroyer des prêts, pour permettre le développement. L’enjeu était d’octroyer ces prêts avec la meilleure rentabilité en termes de développement. Je me rappelle d’une discussion à Aman en Jordanie, à propos de l’eau qui coûtait cher, d’autant que les réseaux étaient vieux et engendraient d’importantes fuites. En conséquence, des quartiers étaient insuffisamment pourvus en eau, avec beaucoup de maladies. Nous avons réalisé une analyse du coût de la remise en état des réseaux. Au regard de différents indicateurs et études dans le monde, nous avons mené une analyse coûts/bénéfices ayant montré que pour un dollar investi dans la remise en état des réseaux d’eau, nous en retirerions quatre en termes de développement, un dans l’économie de perte d’eau, un autre en termes de santé publique et les deux autres en termes de meilleur développement économique.

Nous manquons d’une approche coûts/bénéfices. Si nous mettons en place un observatoire dans le domaine de la santé-environnement, il nous faut également, en lien avec le comité d’analyse stratégique et des économistes – comme nous le faisons au niveau international avec l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) –, des analyses coûts/bénéfices. Nous nous rendrons compte qu’il s’agit d’un élément de priorisation. L’OMS se focalise sur la pollution de l’air car il s’agit d’une priorité en termes de santé, mais également en raison d’un rapport coûts/bénéfices très intéressant. À partir du moment où la pollution de l’air diminue, les retours économiques sont conséquents. Il suffit de considérer la disparition du smog à Londres et le meilleur développement économique et social qui en a résulté.

La formation est importante. Aujourd'hui, des spécialistes se trouvent « dans leur silo » et ne perçoivent pas les aspects croisés des politiques. J’ai dû moi-même faire des cours sur les plans de déplacements urbains à des médecins de l’association Santé environnement France, qui rencontraient les problèmes d’asthme des enfants en centre-ville, mais ignoraient l’outil. Nous avons besoin de formations dans ce domaine, des formations communes sur le vivant et son fonctionnement one health entre les médecins, les vétérinaires et les écologues. Il faut former les ingénieurs à ces questions de santé-environnement. J’en discute actuellement avec l’École nationale des travaux publics de l’État. Il en est de même pour l’École nationale de l’administration et le Centre national de la fonction publique territoriale. Je suis en lien avec une association de dirigeants de collectivités territoriales parfaitement conscients des enjeux dans ce domaine. Les élus doivent également être formés. Je pense donc que la formation constitue un enjeu fondamental.

Enfin, j’insiste sur l’importance d’une seule santé. L’être humain est un être vivant. Nous fonctionnons comme le vivant. Par conséquent, il nous faut comprendre le lien entre les deux. Le microbiote est une première étape mais il n’est pas suffisant. Je souhaiterais terminer en évoquant l’arrivée de la rage par l'Est de la France dans les années 70. La réaction a été immédiate. Les préfets ont décidé de tuer les renards mais la rage a continué à avancer. Pourquoi ? Il faut comprendre l’éthologie des renards. Le renard est un animal territorial. Si vous réussissez à tuer un renard, tous les autres vont venir essayer de prendre le pouvoir et vont se battre entre eux. Si l’un a la rage, tous les autres vont l’attraper. Ils vont vérifier que le renard est bien mort et vont le mordre. Par cette politique, la rage s’est généralisée, d’autant que les chiens errants et les lynx n’ont pas été abattus. La solution est venue des Suisses, qui se sont rappelé que Pasteur avait inventé le vaccin contre la rage. Ces derniers ont fabriqué des boulettes de viande avec des vaccins, qu’ils ont larguées par hélicoptère. Ils ont vacciné les renards, les lynx, les chiens errants, etc. La rage s’est arrêtée de cette manière en Suisse. Nous nous y sommes mis quelques années plus tard en France et avons stoppé la rage. Je vous rappelle que la rage est mortelle pour l’être humain. Vous percevez ainsi l’enjeu de la compréhension et de l’aller-retour entre le savoir-faire, les médecins (Pasteur et la vaccination) et la compréhension du fonctionnement écologique. J’ajouterai que pendant que les renards étaient tués, les rats, les mulots et les campagnols « dansaient ». Avec les ravageurs, on a assisté à l’effondrement des rendements dans les plaines agricoles de l’Est, mais aussi à la diffusion de la maladie de Lyme. Avant d’agir, mettons tout le monde autour de la table. Écoutons les interactions et pesons les décisions. Cette petite histoire n’est qu’une illustration des enjeux évoqués.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour avoir partagé vos connaissances, votre science, vos constats de terrain et vos recommandations. Nous commençons déjà à identifier quelques pistes et à y voir plus clair dans cette complexité.

L’audition s’achève à dix-sept heures trente-cinq.

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5.   Audition, ouverte à la presse, de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques (Ministère de la Transition écologique) (23 septembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures dix.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette commission d’enquête vise à établir un bilan des politiques publiques de santé environnementale. Nous poursuivons nos travaux en donnant la parole aux administrations centrales des différents ministères, parties prenantes de ces politiques publiques.

M. Cédric Bourillet est ingénieur général des mines et directeur général de la prévention des risques (DGPR) au ministère de la transition écologique. Quelle sont les missions de votre direction et quel rôle joue-t-elle au sein de l’organisation des politiques publiques de santé environnementale ?

(M. Cédric Bourillet prête serment).

M. Cédric Bourillet. Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), datant de 1946, la santé est l’état complet de bien-être physique, mental et social, ce qui ne se limite pas à l’absence de maladie ou d’infirmité.

S’agissant de l’environnement, la conception généralement retenue porte sur l’ensemble des facteurs physiques, chimiques et biologiques extérieurs à l’individu et pouvant avoir un impact sur lui. Eu égard aux missions de notre direction générale et aux grands enjeux de politiques publiques, certains aspects font l’objet d’une approche convergente : l’air intérieur et extérieur que nous respirons, notre alimentation, notre eau, les produits chimiques auxquels nous sommes exposés, la radioactivité naturelle ou artificielle, les ondes électromagnétiques, le bruit et la pollution lumineuse.

Des débats ou des choix d’intégration à nos politiques peuvent surgir, en ce qui concerne l’exposition au travail, au rayonnement solaire, aux changements climatiques comme la canicule, aux catastrophes naturelles, ainsi qu’au comportement des personnes, notamment quant à l’utilisation du téléphone portable, au réglage des chaudières, aux suicides, aux accidents de la route et aux noyades.

Quelle que soit la définition retenue, les enjeux sont considérables. L’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que 24 % des années de vie en bonne santé perdues à l’échelle de la planète sont liés à des causes environnementales. Le taux concernant l’Europe s’établit à 15 %. Parmi les premières pathologies conduisant à des pertes d’années de vie, l’OCDE retient : les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies de l’appareil respiratoire, les chutes, notamment au travail, les accidents de la route, les suicides et les troubles neuropsychiatriques. Outre l’aspect sanitaire, en matière de santé-environnement, nos dégradations, contaminations et expositions peuvent engendrer des impacts économiques considérables. L’économie est une préoccupation légitime de la part de tous. En tout état de cause, l’argent public consacré à la réparation des dégâts écologiques liés aux différents facteurs et dégradations vient en déduction des moyens dédiés au bien-être des populations au sens de la définition de l’OMS. Il convient de garder à l’esprit les enjeux sanitaires, mais également économiques en matière de santé-environnement.

Ce sujet est presque aussi ancien que l’Humanité. Au cours des derniers siècles, les politiques d’assainissement de nos villes étaient menées suivant des préoccupations hygiénistes et sanitaires.

La DGPR traite également de la prévention des risques technologiques, notamment des centrales nucléaires et des usines. Nous considérons que notre texte fondateur est un décret impérial de 1810 relatif aux établissements incommodes et insalubres, dans une logique de réduction des émissions et des pollutions des installations industrielles, par rapport au voisinage et à la santé publique. Il s’agit d’une politique très ancienne. Au sein de la direction générale, nous sommes héritiers d’une préoccupation bien ancrée.

Pour autant, notre approche actuelle est beaucoup plus vaste, en ayant à l’esprit que les santés humaine, végétale et animale sont très liées. Les questions de biodiversité, les épisodes de ces derniers mois et les zoonoses nous rappellent à quel point de mauvaises influences en matière de biodiversité engendrent immanquablement un impact négatif en termes de santé humaine. L’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) retient cette approche transversale au sein d’une même agence sanitaire. Notre ministère y a contribué, ce qui est sans doute très positif.

S’agissant des axes de nos politiques publiques, j’emploierai, en premier lieu, le verbe « comprendre ». En effet, la recherche est essentielle pour pouvoir disposer d’informations, comprendre les mécanismes, savoir ce qui est recherché et doit être surveillé, et mesurer nos effets.

Le deuxième axe consiste à mesurer et savoir. Nous avons besoin de données sur l’environnement et la santé. Il convient de se concentrer sur les bonnes priorités pour pouvoir mesurer les effets et se sentir encouragé lorsque des effets positifs sont mesurés. Cette question est complexe, en raison du nombre de données à collecter. En outre, il reste difficile de mesurer le lien direct et immédiat entre telle dégradation environnementale et tel effet sur un individu ou une population. L’acquisition des données pertinentes, la conduite des surveillances appropriées pour aboutir aux conclusions adéquates constituent clairement un défi que nous avons à relever.

Il convient également d’agir à tous les niveaux pour améliorer l’environnement et éviter les impacts sanitaires, notamment sur le plan international. L’OMS s’est mobilisée dès 1978, lors de la conférence d’Alma-Ata au Kazakhstan qui a énoncé ce droit à la santé. En 1986, la conférence d’Ottawa nous a fait progresser en matière de santé-environnement. En 2004, la conférence de Budapest a donné naissance aux plans nationaux santé et environnement.

À l’échelle mondiale, l’organisation des Nations Unies (ONU) porte des conventions internationales relatives à certains polluants et des conventions de transferts de matières entre les continents. Le niveau européen est indispensable et la France s’y mobilise fortement. À Bruxelles, elle a la réputation d’être le pays le plus engagé et exigeant, voire « pénible », notamment sur la question des produits chimiques, de la biodiversité, de la transition énergétique et du transport. À l’échelon européen, de nombreux leviers, très mobilisateurs et enthousiasmants, peuvent également constituer un cadre juridiquement contraignant, réduisant la capacité d’action du niveau national.

L’État se mobilise à travers ses politiques publiques. Localement, les collectivités territoriales disposent de nombreux leviers : politiques d’alimentation, du transport, de l’urbanisme et des pratiques sportives, mais également grâce à leurs capacités de contact avec les citoyens et de sensibilisation.

Au-delà de la puissance publique, chaque citoyen français peut être acteur par son comportement, son hygiène de vie et ses choix, mais également en tant que consommateur. Il en est de même pour les entreprises de production qui réduisent l’impact de leur activité sur l’environnement ou en termes d’exposition des travailleurs, et qui peuvent apporter des solutions par l’éco-conception, l’innovation et les applications menées par des start-up qui guident le consommateur dans ses choix. Il nous faut parvenir à faire vivre et prospérer cet écosystème. Nous pouvons mobiliser les professionnels de la santé humaine, animale et végétale, qui bénéficient parfois, auprès des populations, d’un crédit plus large que celui de l’État. Ils disposent de vraies informations, d’une véritable capacité à interagir avec les personnes venant à leur rencontre, et portent un regard affûté sur les bonnes et les mauvaises pratiques. Il est souhaitable de mobiliser autant que possible les professionnels, comme les architectes et les urbanistes, qui exercent une influence importante sur les politiques. Je mentionnerai également les chercheurs dans la mesure où, faute de progresser sur les enjeux de recherche, les actions que nous souhaitons mettre en place se trouveront bloquées.

Le quatrième axe consiste à former, informer et convaincre. Pour que ce système atteigne son plein fonctionnement, il faut pouvoir mettre à sa disposition les outils nécessaires, à savoir l’information à destination du citoyen et la formation des professionnels. Il faut aussi créer une conviction collective et faire en sorte que le débat collectif serve à forger une conscience et une volonté de cheminement conjoint. Nos instances de concertation, comme le Groupe santé-environnement, y ont un rôle à jouer. Celui du ministère consiste à créer et faire vivre, aux différents échelons, les conditions favorisant ce débat et cette construction collective.

Le dernier axe réside dans la mise à disposition d’outils techniques, juridiques et financiers auprès de l’ensemble des acteurs afin de permettre le développement des actions engagées.

La santé-environnement doit être l’affaire de tous. Il convient d’en faire un vrai mouvement de société.

Une approche décloisonnée est nécessaire, y compris au sein de l’État. Outre le ministère en charge de la santé et celui en charge de l’environnement, sont concernés les ministères en charge de l’alimentation, de la consommation, du logement, des transports et de l’industrie. Nous devons accompagner le ministère de la santé dans un travail collégial. L’une de nos missions consiste à animer régulièrement une communauté de travail interministérielle, conjointement avec nos collègues du ministère de l’intérieur afin de favoriser cette convergence et cette approche multifacettes.

Le plan de relance n’est pas un mode d’action traditionnel de notre direction générale, dont le rôle habituel est d’animer et de réguler. Ce plan, qui inclut un montant de 30 milliards d’euros dédiés à la transition écologique, intègre nombre d’actions qui auront un impact très favorable en termes de santé-environnement, dès lors qu’il est question de transports doux et d’éviter la voiture, de poids lourds à faible, voire zéro émission, de la biodiversité, des pratiques agricoles et de la rénovation énergétique qui abaissera la consommation d’énergie et permettra d’atteindre l’objectif de fermeture des centrales à charbon et de diminution des émissions de CO2 et de polluants.

Ces actions seront pilotées par notre ministère et contribueront clairement aux politiques de santé environnementale. Cette mobilisation interviendra sur les deux années à venir.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quels sont les points forts et les points faibles que vous observez dans notre politique actuelle de santé publique à l’échelle nationale ou territoriale ? Quelles propositions formuleriez-vous pour améliorer la lisibilité de ce système ?

M. Cédric Bourillet. S’agissant des points forts, sur le plan politique, je pense que les ministres de la santé et de l’environnement font preuve d’un engagement sincère et volontariste. Si ce genre de politique n’est pas porté au plus haut niveau, les résultats sont, en ce qui concerne l’État, moins probants.

Le tissu associatif, mais également le tissu de la recherche et celui de certaines entreprises et collectivités territoriales, y compris au plus près des territoires, sont composés d’acteurs dynamiques, investis, qui savent de quoi ils parlent, ont envie d’expérimenter et d’innover. Ils ont de bons exemples à partager, bien qu’ils soient parfois impatients, ce qui est tout à fait légitime. Par conséquent, nous avons un socle d’acteurs mobilisés, socle qui constitue un facteur extrêmement favorable.

En ce qui concerne l’État, notre organisation institutionnelle confère des atouts dont nombre d’autres pays ne disposent pas. Je pense à nos agences sanitaires, notamment sur le modèle de l’Anses, laquelle est transversale et porte l’ensemble des sujets, ce qui n’est pas le cas au niveau européen. Nous constatons des pertes de temps dans la prise de décision publique. Suite aux évolutions institutionnelles, l’agence Santé publique France a la charge de la sensibilisation, l’animation et la communication, mais également du suivi populationnel et de celui des impacts sanitaires, selon une approche transversale et complète. Nous évoquons souvent le site « Agir pour bébé » récemment mis en place, préparé par une équipe qui pratique un suivi populationnel et en connaît les grands enjeux. Je pense que nous avons réalisé, au cours des dernières années, des évolutions institutionnelles utiles et allant dans le bon sens.

La France est largement reconnue à Bruxelles comme étant un pays très engagé, porteur et leader sur ces problématiques. Manquer à notre engagement au niveau européen reviendrait à se priver de nombreux leviers et impacts. Il faut mettre cet engagement au crédit de l’ensemble des personnes qui y contribuent.

Parmi les points forts, je mentionnerai également la capacité des collectivités territoriales à se saisir de nombreux leviers pour porter une approche transversale. En effet, une organisation « en silos » génère des difficultés de co-construction.

Les enjeux considérables en matière de recherche laissent de nombreuses interrogations sans réponse, ce qui rend complexe la réalisation d’avancées. Nous avons besoin d’une meilleure coordination et d’une meilleure collecte des données en faveur d’une approche transversale. En France, nous bénéficions d’une bonne culture de la donnée environnementale, notamment en ce qui concerne l’eau et l’air, avec des associations agréées indépendantes. Pour des raisons historiques, nous assurons un large suivi en matière de biodiversité, de sols, de produits chimiques et de radioactivité. En revanche, ces données sont disponibles dans des réseaux, ou des organismes, « en silos ». Si nous voulons avoir une approche véritablement transversale de l’exposome, comprendre les effets-cocktails, repérer d’éventuelles synergies et mieux comprendre certains clusters, comme celui de Sainte-Pazanne dont nous ne connaissons pas l’explication bien que des faits statistiques rendent nécessaires de continuer à la chercher, il nous faut progresser en ce qui concerne le nombre de données disponibles et la capacité à les mettre à disposition.

Il nous faut mieux informer le citoyen, qui est aussi consommateur et acteur, et améliorer son information. Je pense que la conscience collective, la sensibilité voire, parfois, l’inquiétude sont croissantes en France en ce qui concerne ces questions. Lorsque le sujet est évoqué, il est reçu de manière différente d’il y a trente ans. Néanmoins, le fait d’être vigilant et sensible, voire volontaire, ne suffit pas pour être acteur. Il faut donner les clés et la capacité d’identifier les bons relais. Ce défi est devant nous. Il nous faut parvenir à mettre à disposition des outils et des relais permettant d’atteindre chaque citoyen.

Je citerai également la capacité à mobiliser les entreprises autour de l’éco-conception et à mettre en place des dispositifs d’accompagnement et d’encouragement. Les initiatives existantes ne sont pas aussi structurées que le souhaiteraient les entreprises, ce qui pose une question d’échelle. Les centres de recherche ne sont pas toujours implantés en France, ce qui nécessite de construire une coordination européenne dans ces domaines. Des initiatives se mettent en place en France, comme la plateforme public-privé sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER) qui, je l’espère, tiendra ses promesses.

Il convient également de réussir l’implication des collectivités territoriales. J’ai peu de doute sur la volonté de progresser de la grande majorité d’entre elles. Reste à identifier la dynamique territoriale adaptée aux questions de santé-environnement. Au cours des vingt ou trente dernières années, nombre d’actions dans ce domaine étaient parfois à l’initiative de l’État avec des réglementations à destination des industriels, comme l’interdiction du bisphénol A et des perchloréthylènes dans les pressings. Nous avons des instances et des agences au niveau national, mais la dynamique est différente au niveau régional, départemental et local. Certains acteurs sont très volontaristes, mais il reste à créer une gouvernance et un travail collectif des territoires pour permettre la convergence de ces énergies.

Il faut parfois solliciter ceux qui ne sont pas encore complètement conscients ou qui ont baissé les bras. Je pense à certaines catégories de populations qui, par tempérament, ne sont pas encore entrées dans la dynamique comme de jeunes adultes, ainsi que certains quartiers et territoires. Il est également nécessaire de trouver une approche territoriale, notamment sous l'angle des inégalités sociales et environnementales, car certains sont affublés de qualificatifs tels que « point noir » ou « village le plus pollué de France ». Il nous faut éviter le défaitisme et la résignation dans ces territoires, lesquels créent un risque de décrochage ou d’inégalité, qu’il s’agisse du bruit, de la pollution et de la qualité de l’air, de l’alimentation.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette présentation très riche et synthétique qui confirme des pistes que nous avions identifiées, en les élargissant.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Je suis à l’initiative de cette demande de commission d’enquête par une proposition de résolution souhaitant interpeller le Parlement sur la nécessité d’évaluer les politiques publiques de santé environnementale. Votre exposé met en valeur ce que nous faisons de bien, mais également les dysfonctionnements et ce qui est perfectible.

Je souhaiterais que vous détailliez vos piliers d’action concernant la prévention et nous fassiez part des préceptes de base de vos actions. Par ailleurs, pourriez-vous décrire vos procédures d’évaluation relativement au contrôle des pollutions ? Quelles sont les remontées ? Comment les partagez-vous ? Sur la gouvernance budgétaire, j’aimerais connaître les dispositifs concrets que vous souhaitez apporter par rapport aux 95 millions d’euros de crédit en cause.

Je vous remercie d’être aussi synthétique et précis que possible dans vos réponses afin de permettre à nos collègues de poser leurs questions car je tiens à l’esprit collectif de cette commission. La santé environnementale est l’affaire de tous et relève d’une vraie préoccupation sociétale. Le défi est collectif et interministériel. Nous devons accorder une importance capitale aux territoires et aux acteurs locaux, départementaux et régionaux, et nous devons nous inspirer des actions qui fonctionnent très bien dans les territoires. Outre les acteurs publics, les entreprises mettent parfois en place des actions à imiter. Nous avons tous à gagner en participant collectivement à la réalisation de cet objectif d’amélioration de notre santé, grâce à la qualité de notre environnement.

M. Cédric Bourillet. La DGPR est loin de porter toutes les actions de prévention. Il nous faut avoir une approche systémique avec l’air, l’eau, les produits chimiques, la radioactivité et l’alimentation.

Pour pouvoir agir de façon préventive, il nous faut savoir ce que nous cherchons. Un certain nombre d’actions sont mises en place en matière de recherche et de données. Des études de biosurveillance, qui représentent des engagements financiers extrêmement importants du ministère de la santé et de notre ministère, permettent de suivre périodiquement l’état d’imprégnation, ce qui nous aide à mesurer l’effet de nos politiques par rapport aux polluants visés, à nous comparer à d’autres pays européens et à identifier les actions à accélérer pour les années suivantes. Toutefois, nous ne mesurons que ce que nous cherchons. C’est pourquoi, en matière de prévention, il importe que la recherche nous guide le mieux possible quant à ce qu’il convient de rechercher.

Par ailleurs, il nous faut disposer de données, les suivre dans la durée et mettre en place les actions concrètes parmi lesquelles il nous faut choisir le bon acteur et le bon levier, qu’il s’agisse de crédits publics ou privés. Cette démarche peut passer par une réglementation, des aides publiques ou l’outil fiscal. Le niveau peut être européen, national ou territorial, ce qui est, par exemple, le cas des revêtements routiers permettant une réduction du bruit pour la population riveraine. Il convient également de se fixer le bon objectif, ce qui n’est pas simple. En effet, si celui-ci est inatteignable, nous créerons une machine à frustration. S’il est insuffisamment ambitieux, nous ne parviendrons pas à améliorer la situation aussi rapidement que possible et subirons des critiques légitimes.

Notre rôle est de fixer le niveau adéquat en ayant toute la connaissance des enjeux techniques, au sens large, économiques, culturels et sociaux. Il convient ensuite de procéder à une évaluation ex-post, ce que nous essayons de généraliser, y compris pour des actions transversales comme le plan national santé-environnement (PNSE), évaluation qui relève d’un exercice très honnête et transparent, très important pour s’assurer de l’atteinte des objectifs.

S’agissant du contrôle des pollutions, la DGPR et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) s’attachent prioritairement à la question des pollutions industrielles. Nous comptons 1 600 inspecteurs et nous basons sur une nomenclature des installations classées, qui est une sorte de répertoire des types d’activités industrielles devant être soumises à la police de l’État, notamment pour réduire les émissions. Lorsqu’une installation présente un type et un volume d’activité qui la soumet à notre police administrative, des arrêtés ministériels fixant un minimum de résultats au niveau national peuvent être pris. Le préfet peut ajouter localement des prescriptions complémentaires, en fonction du contexte, du type de process, de la proximité des riverains et des milieux naturels sensibles, afin d’ajuster ces résultats aux meilleures techniques disponibles et à l’impact des obligations de l’exploitant concerné.

Notre politique de contrôle nous conduit à effectuer plusieurs dizaines de visites annuelles dans certains sites. Nous nous appuyons parfois sur des entreprises privées, afin de décharger nos équipes, en termes de contrôle et d’audit. Nous essayons de hiérarchiser notre politique de contrôle. En centralisant les résultats au niveau national, nous repérons les cas où un secteur ou un exploitant « sort » des statistiques ou présente des résultats particuliers. Nous mettons alors en place un plan d’action sectoriel, comme ce fut le cas pour l’interdiction du perchloréthylène dans les pressings. Nous avons également obtenu une réduction de 50 % à 80 % des émissions de métaux lourds dans l’ensemble du parc industriel français, en une dizaine d’années.

Toutes les informations sur les émissions industrielles sont rendues publiques au moyen d’une base de données qui reprend l’évolution annuelle des émissions liées aux principaux polluants. Les rapports d’inspection et les informations environnementales sur les émissions sont accessibles sur demande, conformément à « l’ADN » de notre ministère.

En ce qui concerne la gouvernance budgétaire, plusieurs milliards d’euros sont dépensés chaque année par l’ensemble des acteurs mentionnés auparavant, en matière de santé-environnement et de prévention. Lorsque nous demandons aux industriels de procéder à des investissements, lorsque nous interdisons en France le perchloréthylène dans les pressings, ce qui nécessite le remplacement de l’ensemble des machines, lorsque nous investissons des milliards d’euros dans les transports ferroviaires et les transports en commun du quotidien, lorsque nous consacrons de l’argent aux pratiques agricoles et à l’accompagnement des agriculteurs via le Plan Écophyto ou d’autres dispositifs d’aide, comme ceux des agences de l’eau et lorsque nous mettons en place la prime à la conversion pour les véhicules, le montant total, public et privé, atteint plusieurs milliards d’euros par an.

S’agissant de la stricte action du ministère de la transition écologique, je citerai notre participation au fonctionnement de l’Anses et aux agences de recherche Santé publique France, ainsi que la convention avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Nous portons une large partie du budget de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS). Un ensemble de crédits budgétaires est dédié à des instances de recherche, d’expertise ou de production de données. Nous conduisons des actions de réduction des émissions ou de portage de politiques publiques que nous déléguons aux territoires. Nous versons quelques millions d’euros par an aux DREAL afin de leur permettre d’accompagner des actions dans les territoires. Nous procédons de même avec les ARS. Nous conduisons quelques actions de communication et d’accompagnement d’associations et de collectivités qui sont éligibles aux règles de subventionnement du ministère.

Le ministère engage des moyens budgétaires pour les salaires et les moyens de fonctionnement de nos équipes qui interviennent en matière de produits chimiques, d’organismes génétiquement modifiés (OGM), de pratiques agricoles, de bruit, de pollution lumineuse, de radioactivité, d’émissions industrielles, ainsi que pour les agents des DREAL qui opèrent des contrôles sur le terrain. J’ignore si le total correspond au montant de 95 millions d’euros que vous évoquiez.

La DGPR n’est pas la direction qui vient le plus en soutien économique par rapport aux directions traitant des transports, de la qualité de l’air, de l’accompagnement agricole, d’urbanisme et de rénovation thermique. Dans ces domaines, par habitude, l’intervention de l’État s’opère surtout au moyens de crédits publics. Pour notre part, nous nous inscrivons davantage dans une démarche de réglementation et de contrôle ou d’animation de la recherche, ainsi que d’usage d’outils transversaux.

Mme Claire Pitollat. Je souhaite revenir sur les partenariats public-privé. La plateforme public-privé sur la pré-validation des méthodes d’essais sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER) est intéressante et nous en attendons beaucoup. Dans quelle mesure la DGPR pourrait-elle contribuer à flécher les financements du plan de relance vers une incitation du public à destination du privé pour, en matière de santé environnementale, trouver des outils d’aide à la décision opérationnels, en vue de prévenir l’exposition des populations aux différents risques ?

Par ailleurs, comment votre direction pourrait-elle fournir des éléments qui nous amèneraient éventuellement à une réforme du budget de l’État favorisant un retour sur investissement en santé environnementale ? Votre direction est chargée de la prévention des risques. Or lorsque le risque ne diminue pas, les coûts et l’accidentologie sont importants. Les entreprises mettent en place des actions de prévention des risques pour limiter les arrêts de travail, ce qui constitue une amélioration de leur fonctionnement. De la même façon, en ce qui concerne le budget de l’État, comment privilégier une logique qui permette d’investir dans la prévention des risques environnementaux afin d’obtenir un retour sur investissement permettant de dégager davantage de financements pour la santé environnementale ?

M. Cédric Bourillet. Les deux interrogations sont liées. Il est question de l’effet de levier et de faire en sorte que l’argent public incite l’entreprise à suivre la bonne démarche et que les investissements soient avisés, au niveau du budget de l’État, afin que les impacts négatifs ne soient pas favorisés.

Nous sommes favorables au travail en commun avec les entreprises. Notre direction entretient de nombreux contacts avec elles puisque nous les régulons, ce qui nécessite de les comprendre et de trouver le bon équilibre entre la régulation et la réglementation, « pure et dure », qui présente un aspect certain, visible et uniforme, et sur l’application de laquelle des comptes peuvent être rendus, et des moyens de pression peuvent s’exercer en cas de non-respect. Toutefois, pour certains, il s’agit d’un carcan unique. Parfois, nous voulons cibler l’innovation et tester. Par conséquent, la réglementation ne doit pas constituer l’unique pilier. Nous avons besoin d’accompagnements, d’expérimentations et d’actions volontaires, en sélectionnant quelques pilotes, par secteur industriel, à des fins de tests que nous évaluons ensemble et à partir desquels nous généralisons ou non.

Nous avons essayé de lister un certain nombre de secteurs au sein du plan de relance. Pour l’économie circulaire, nous conduisons de nombreuses actions en ce qui concerne le plastique, dont nous connaissons les impacts, ce qui prend la forme de subventions à des projets industriels innovants. Suivant un cadre que nous définissons, il appartient aux entreprises d’innover et de présenter des projets pour percevoir la subvention.

Dans certains cas, l’insertion du privé dans l’action publique peut susciter des interrogations. Typiquement, l’Anses est toujours très prudente à l’idée de recevoir de l’argent d’entreprises alors qu’elle pourrait être amenée à se prononcer sur un certain nombre d’activités ou de substances fournies par celles-ci. Dans notre capacité à faire travailler de façon conjointe la sphère publique et privée, nous nous heurtons à cette limite déontologique ou au risque politique ou médiatique qui peut être encouru à moyen terme.

En ce qui concerne les choix du budget de l’État, le défi est considérable en raison de la complexité à identifier les impacts. Dans certains cas, par exemple celui de la 5G et des perturbateurs endocriniens, la démonstration de risques avérés n’est pas faite, mais le doute incite à poursuivre les recherches. Certaines substances, elles, contrairement à d’autres ne laissent plus place au doute. Par conséquent, se pose la question de, soit s’attacher aux champs qui présentent un risque avéré comme la pollution de l’air extérieur, le radon et le bruit, soit garder des moyens pour les sujets incertains, cette deuxième catégorie présentant un retour sur investissement incertain.

Concernant les perturbateurs endocriniens, une deuxième génération de stratégie nationale a été lancée. Les actions de recherche et de suivi se multiplient sur la 5G, conformément à la décision prise par le gouvernement. Le retour sur investissement ne pourra être chiffré. Il se peut qu’il soit nul à terme en raison de l’absence d’impact sanitaire, même après recherches approfondies, mais il est également possible qu’il soit considérable. Cet exercice extrêmement difficile ramène à la question de la nécessité d’accroître la recherche et les données.

Mme Bénédicte Pételle. Avez-vous récemment mené des expérimentations concluantes dans des territoires qui mériteraient de se développer ou de se généraliser ?

M. Cédric Bourillet. La DGPR n’a pas conduit d’expérimentation dans les territoires. En revanche, depuis le précédent plan national santé-environnement, nous avons suivi une logique d’accompagnement pour un certain nombre de projets innovants, y compris au moyen de subventions mises à la disposition des DREAL et des agences régionales de santé (ARS) par le ministère de la santé. Parallèlement, un appel à projets concernant des initiatives de collectivités a été lancé en la présence de Mme la présidente Toutut-Picard, lors d’assises qui se sont tenues à Bordeaux début 2019. La plateforme mise en place par le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), dont nous assurons le financement, permet de mettre en exergue de multiples bonnes pratiques de collectivités territoriales afin de proposer une boîte à idées à celles qui souhaiteraient se lancer. Ces bonnes pratiques concernent la sensibilisation à l’usage du plastique, le retrait de perturbateurs endocriniens dans les crèches des collectivités territoriales, les transports doux et l’accompagnement relatif aux bruits de type festifs ou liés au transport.

Nous pourrons vous communiquer l’adresse de la plateforme du CEREMA. Je ne pense pas que l’État puisse et doive tout réguler. Il est très positif que les collectivités territoriales disposent de ces leviers, dont beaucoup n’appartiennent pas à l’État, et en rendent démocratiquement compte, directement auprès de leurs habitants. Notre rôle est de faciliter, mettre en relation et en exergue, et non d’ordonner, d’obliger et de donner des leçons, ce qui serait moins efficace et reconnu.

Mme Bénédicte Pételle. Vous évoquez le CEREMA.

M. Cédric Bourillet. Il s’agit d’un établissement public relevant de notre ministère qui a été sollicité pour créer une plateforme inventoriant une centaine de bonnes initiatives des collectivités territoriales. Celles-ci sont à disposition de tous et nous poursuivrons la démarche.

M. Yannick Haury. Vous avez débuté votre exposé en indiquant que les problèmes de pollution génèrent 15 % d’années de vie perdues. En France, l’espérance de vie est d’environ 85 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes, ce qui revient à dix ans perdus. Par conséquent, nous pouvons penser que si nous nous dirigeons vers une amélioration de la santé environnementale, nous devrions constater, en parallèle, un allongement de l’espérance de vie. S’agit-il d’une estimation ? Quel en est le mode de calcul ? Avec les années, d’autres pathologies surviennent. De quelle façon avez-vous déterminé ces chiffres ?

M. Cédric Bourillet. Ces chiffres, qui émanent de l’OCDE, sont forcément basés sur des hypothèses, des modèles et des conventions comme toutes les estimations dont nous disposons. Il en est ainsi concernant les 48 000 à 67 000 morts, liées, annuellement, à la pollution de l’air.

Pour l’Europe, l’OCDE évoque 15 % des décès et 14 % des années de vie en bonne santé perdues en raison de causes environnementales. Le suicide occupe une place moins importante, mais les troubles neuropsychiatriques et musculo-squelettiques représentent une plus large part des années de vie en bonne santé perdues par rapport aux décès dans le calcul de l’OCDE pour la zone Europe.

Il s’agit forcément de calculs très conventionnels. Par exemple, une personne a perdu huit années de vie en bonne santé, mais aurait pu avoir un accident de voiture deux ans après si elle avait été en bonne santé car elle aurait conduit n’importe comment. Des méthodologies ont été mises en place par des chercheurs spécialisés sur ces questions afin de pouvoir disposer d’une métrique comparable, ce qui pose néanmoins la question des limites scientifiques de ce genre d’approche et de calcul, lequel permet toutefois de prendre conscience d’ordres de grandeur et aide à fixer les priorités.

Cependant, le facteur de morbidité ou les effets avérés, que nous savons désormais expliquer et garantir, ne peuvent constituer l’unique indicateur. Il convient de prendre en compte les incertitudes et les sujets émergents sans attendre, pour s’y intéresser, que surviennent 100 000 décès.

Nous nous laissons guider par les chiffres avérés, sans oublier les signaux faibles et émergents, ni les effets systémiques ajoutant l’effet-cocktail. Par exemple, nous constatons 3 000 décès annuels liés au radon naturel en France. J’ai cru comprendre qu’une surreprésentation est constatée chez les fumeurs. L’association du tabac et de l’exposition au radon crée un effet de morbidité supérieur à la seule exposition au radon. Il convient d’atteindre ce niveau d’analyse afin de ne pas tirer de conclusions maladroites.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous faites part d’une difficulté à établir des liens de causalité directe en raison de cette approche systémique, des effets-cocktails et de ce qui relève de l’exposome. Sur quelles données scientifiques à peu près certaines vous appuyez-vous pour définir des priorités dans les politiques publiques de santé environnementale ? En effet, il nous est souvent opposé que rien n’est réellement démontré au contraire de l’amiante, de l’alcool et du tabac qui font partie des priorités de prévention du ministère de la santé. Comment pouvons-nous identifier des priorités compte tenu de la complexité des interactions et des contradictions dans le discours scientifique ?

M. Cédric Bourillet. Il s’agit d’une question extrêmement complexe au quotidien. Avant de s’attacher à la qualité de l’air, au radon ou à l’antibiorésistance, il nous faut créer une structure et un mode de fonctionnement « chapeau » permettant de ne pas manquer un nouveau sujet qui émergerait, de traiter les sujets transversaux et d’informer les citoyens.

Ma première mission consiste à faire en sorte que les incertitudes scientifiques, qui sont évolutives au même titre que la nature des pollutions et des contaminations, ainsi que les connaissances soient prises en considération avec des outils de connaissance et de rassemblement des données, d’information des citoyens et de formation des professionnels, au sein d’une organisation adaptative et aussi vivante que peuvent l’être la contamination environnementale et notre exposition.

Nombre d’entre nous sommes de formation technique au sein de certaines directions de l’État et ne sommes pas légitimes à exercer cette priorisation. Par conséquent, pour choisir les plans sectoriels à mettre en place, nous nous appuyons sur nos agences sanitaires. Avec le ministère de la santé, nous avons eu l’occasion de saisir l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). De même, nous avons saisi l’Anses pour une double lecture systématique des liens avérés et démontrés, et des incertitudes. En ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, nous avons sollicité l’Anses pour un travail approfondi de recensement de l’ensemble des substances ayant fait l’objet d’un signalement. L’objectif est de définir le niveau de preuve disponible et d’identifier les éventuels dispositifs prévus pour lever le doute.

Nous demandons à nos agences sanitaires de ne pas se contenter de nous faire part de ce qui est démontré et qui ne fait plus débat du point de vue scientifique, mais également des cas où les publications, les éléments de preuve et les doutes s’accroissent sans pouvoir apporter de démonstration. Il leur est alors demandé de nous inviter à examiner la situation, voire à prendre des précautions particulières en termes d’exposition.

Le rôle du ministère est de s’appuyer sur ces agences, de faire en sorte qu’elles opèrent dans des conditions éthiques, déontologiques et scientifiques pour apporter une réponse crédible et de les interroger sur ces deux aspects, à savoir effets avérés et signaux faibles méritant d’être pris en considération.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Disposez-vous des premiers résultats de cette enquête consistant à recenser tous les produits susceptibles d’être porteurs de perturbateurs endocriniens et d’opérer un classement par niveau de preuve ? Combien de perturbateurs endocriniens sont-ils identifiés ? Combien de produits sont-ils concernés par cette étude ?

M. Cédric Bourillet. Nous espérons que l’Anses aura achevé le recensement de ces substances d’ici la fin de l’année. Dans un deuxième temps, il sera procédé à la classification du nombre de preuves naissantes disponibles pour chacune des substances. Il s’agit d’un travail considérable dans la mesure où il concerne également l’étranger. De nombreuses listes de perturbateurs endocriniens suspectés, avérés ou à examiner circulent, ce qui m’amène à penser que la liste fournie sera extrêmement longue. Nous avons demandé un travail exhaustif, y compris lorsque le niveau de preuve est très faible, conformément à notre engagement de transparence.

L’idée n’est pas de fournir une liste noire de perturbateurs endocriniens présumés. Il a été demandé d’effectuer un travail tel qu’y figureront, de toute évidence, des substances que nous écarterons lorsque l’analyse aura pu être menée à terme, ce qui constitue un point de vigilance. Notre intention est de présenter cette liste au Groupe santé-environnement, dès qu’elle sera disponible.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il s’agit d’un chantier considérable. Avez-vous une idée du nombre de produits concernés ?

M. Cédric Bourillet. Je ne saurais répondre. La question du nombre de produits est complexe.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quel est le nombre de molécules suspectées ?

M. Cédric Bourillet. Nous examinerons la réponse de l’Anses, mais je ne serais pas surpris qu’il s’agisse de plusieurs centaines car nous avons demandé une analyse exhaustive, y compris dans des cas où le niveau de preuve est très faible. Il s’agira d’une liste d’étude.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Nous entendons évoquer le principe de précaution. Quelles en sont ses limites, les inconvénients et les avantages ? Dans quel sens ce principe doit-il évoluer ?

M. Cédric Bourillet. Cette question n’est pas simple au quotidien. Sur la scène européenne, chacun s’accorde sur l’application du principe de précaution et la prise de décisions fondées sur la science. Face aux cas concrets d’application et à une certaine forme d’incertitude, le principe de précaution et la décision basée sur la science ne sont pas perçus de manière identique. Nous sommes face à un rang de sensibilités, parfois personnelles, et de cultures nationales qui interrogent sur le moment où il peut être considéré que des éléments laissent présumer l’existence d’un risque ou que la science a apporté des données relativement convaincantes.

Les différences d’appréciation sont très difficiles à faire converger. De nombreux exemples pourraient être cités : les nanomatériaux, les perturbateurs endocriniens et les produits phytosanitaires où nous nous heurtons à cette difficulté avec des agences sanitaires dont les rapports mettent en évidence une incertitude. Un même rapport lu par différents États membres ou différentes personnes n’amènera pas la même envie d’appliquer le principe de précaution.

Nous savons que certains veulent mettre en exergue le principe d’innovation par rapport au principe de précaution. Il s’agit de décisions complexes pouvant rapidement conduire à un système caricatural dans un sens ou l’autre.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous évoquez les contraintes européennes, mais la difficulté consiste à passer de l’accord sur un principe à son application effective. Quelle est la marge de manœuvre d’un État comme la France ? Y a-t-il possibilité d’intervenir sans l’accord de l’ensemble des États européens ?

M. Cédric Bourillet. Cela dépend des réglementations. Différents articles du traité de l’Union européenne fixent les fondements et permettent ou non de prendre des décisions nationales ou de s’en tenir strictement au niveau européen. Dans le cas de réglementations très harmonisées au niveau européen, avec des évaluations du risque environnemental ou sanitaire et le principe de libre circulation au sein de marché unique, il reste peu d’espace pour une décision nationale. Toutefois, un État membre disposant d’éléments scientifiques nouveaux par rapport aux évaluations des agences européennes peut déclencher une clause de sauvegarde.

Les réglementations européennes ne sont pas identiques. Il y est parfois fait mention de nouvelles connaissances, de risque avéré, de doute raisonnable ou sérieux. Plusieurs formulations différentes n’induisent pas tout à fait la même latitude au niveau national. Il est souvent prévu que l’État membre prenne sa décision et invite la Commission européenne à statuer en la généralisant au niveau européen ou non, si elle considère qu’il s’agit d’une décision inappropriée, voire porteuse d’ambitions cachées de favoriser l’industrie nationale.

La France s’est souvent fait remarquer pour avoir déclenché la clause de sauvegarde liée aux OGM, au bisphénol A et aux nanoparticules de dioxyde de titane à des fins d’additif alimentaire E171. La Commission européenne ne nous a pas souvent reproché les décisions prises au niveau national, mais nous essayons de justifier notre intention. Il s’agit également d’une question politique. Le fait qu’un État membre montre avec beaucoup de sincérité et sérieux la nécessité de prendre une décision pour des préoccupations de santé publique ou d’environnement, et non de protection de son marché national, oblige la Commission européenne à s’armer davantage de contre-arguments que lorsqu’il est constaté que l’État membre semble peu sincère, que les justifications apportées sont limitées et qu’une distorsion de marché évidente résulte de cette décision nationale.

Mme Annie Chapelier. Le Gard abrite de nombreuses grottes souterraines concrétionnaires, en raison de la présence d’un terrain karstique. Certaines d’entre elles étaient autrefois habitées par des humains, ce qui leur confère un statut très différent, pour le ministère de l’intérieur, quant à la protection et à l’exploitation. Les grottes souterraines concrétionnaires suscitent de nombreuses visites. Il s’agit d’une importante activité touristique. La réglementation relative à la protection des travailleurs a évolué dans ces lieux, diminuant leur temps d’exposition en raison de la présence de radon.

Je souhaite vous interroger sur votre méthodologie et ce qui vous amène à prendre une décision concernant ces niveaux d’exposition. Nous venons d’évoquer la relation entre les États et l’Europe. La Commission européenne n’a pas statué ni recommandé que soient appliquées ces nouvelles recommandations relatives à l’exposition, lesquelles sont beaucoup plus sévères pour les grottes souterraines que pour les autres lieux comme les souterrains et les tunnels. Une catégorie de niche est visée, à savoir celle des grottes souterraines, ce qui impacte les activités qui s’y déroulent.

Sans vouloir mettre en balance la santé et l’économie, j’aimerais comprendre comment vous en arrivez à prendre une décision qui n’est pas induite par la Commission européenne, mais simplement basée sur des faits dont on sait qu’ils sont biaisés. Comme vous le souligniez, le développement des cancers broncho-pulmonaires est souvent associé à l’acte de fumer, un effet-cocktail étant lié à l’exposition au radon.

En science, chacun sait que rien n’est jamais absolu. Je m’interroge sur la construction d’une telle décision, prise à l’encontre d’un secteur de niche très particulier, sans tenir compte de l’observation des personnes qui y travaillent. Ces personnels, qui appartiennent souvent à des entreprises familiales, ne présentent pas plus de problématiques que la moyenne nationale, bien qu’ils soient fortement exposés au radon. J’aimerais comprendre la façon dont on en vient à prendre ce type de décision qui impacte une population minuscule, laquelle en souffre considérablement et se trouve dans une impasse.

M. Cédric Bourillet. Il est ici question de la réglementation du travail pour laquelle la DGPR n’a pas de compétence. Par ailleurs, je ne connais pas suffisamment les réglementations sectorielles au niveau européen et national pour être en mesure de vous répondre.

Pour tenter de vous apporter une réponse approchée, je peux vous faire part de notre façon de procéder, du point de vue environnemental, qu’il s’agisse de l’approche de ce type de questions et de sa logique.

Mme Annie Chapelier. J’ai posé cette question au ministère de la transition écologique.

M. Cédric Bourillet. Celui-ci a dû la transmettre au ministère du travail afin qu’il puisse apporter des éléments de réponse.

Nous essayons de ne pas trop travailler « en silos » entre ministères et d’échanger régulièrement entre les ministères du travail, de l’écologie, de la consommation, de l’agriculture et de la santé afin de partager des problématiques communes, d’éviter que les approches s’ignorent, soient incohérentes ou omettent d’identifier des signaux faibles communs. Par conséquent, nous disposons d’un certain nombre de champs de rencontre au niveau des directeurs généraux et de leurs équipes. Le radon a fait ou peut faire partie des sujets pouvant être portés à l’ordre du jour afin de s’assurer d’une certaine cohérence.

Je ne connais pas la logique de la décision prise, ni les études relatives aux grottes karstiques et concrétionnaires dans le Gard concernant le radon. Pour notre part, les décisions vis-à-vis des populations et de l’environnement débutent par une évaluation sanitaire à la charge de l’auteur de l’exposition s’agissant d’une origine anthropique, c’est-à-dire l’entreprise exerçant l’activité industrielle ou qui met le produit sur le marché. L’évaluation est ensuite expertisée par une agence sanitaire et nous disposons d’un certain nombre de standards en termes de « risque acceptable », lequel n’existe pas dans l’absolu. C’est pourquoi il convient d’être très prudent sur les incertitudes liées à ces évaluations.

En revanche, par rapport au risque individuel et collectif de cancer, un certain nombre de standards internationaux codifiés et conventionnels ont été définis à partir des méthodes existantes. Il faut pouvoir prendre quelques libertés lorsque la méthode conventionnelle appliquée semble omettre certains aspects. Le fait que le seuil soit ou non atteint déclenche un certain nombre de décisions d’interdiction, d’autorisation ou de réduction des émissions. Nous pratiquons ainsi en ce qui concerne l’exposition à l’extérieur des sites industriels.

Le schéma suivi consiste en l’évaluation par la personne se trouvant à l’origine des risques ou par la puissance publique, évaluation suivie d’un examen par un expert sanitaire selon des méthodes conventionnelles déterminées en fonction de seuils-types, tout en s’accordant la possibilité de s’en libérer si la méthode conventionnelle semble omettre certains aspects. Le cas des perturbateurs endocriniens est le plus flagrant, puisque la dose ne fait pas le poison. La décision est ensuite prise en considération de ces critères.

Je suppose que la démarche est comparable au ministère du travail quant à l’exposition du travailleur, mais je ne saurais vous expliquer les raisons pour lesquelles des règles différentes sont appliquées aux grottes comparativement aux tunnels et aux parkings dans le département du Gard, en ce qui concerne le radon.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. S’agissant de la marge de décision de notre pays au sein de l’Union européenne, vous nous expliquiez la démarche conduite par l’Anses pour classifier les substances et leur degré de dangerosité. Lorsque nous disposerons de cette liste, quelle sera la marge d’action pour assainir l’environnement français des perturbateurs endocriniens dont nous aurons évalué la dangerosité ?

M. Cédric Bourillet. La liste de l’Anses mentionne les substances méritant une étude approfondie quant à leur caractère de perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire pour lesquels une suspicion a été identifiée.

Une fois le doute levé, si une substance constitue un perturbateur endocrinien et qu’il existe une exposition de la population française, nous disposons de l’option réglementaire consistant en l’interdiction ou la stricte limitation. Si, par exemple, il s’agit d’un additif intégré aux câbles électriques dans les habitations ou les avions et qu’il est estimé qu’aucun risque n’est présent dans l’environnement ni auprès des populations, se pose la question de l’interdire ou non, ainsi que celle des substituts possibles.

S’agissant du cas le plus classique d’une exposition de la population ou de l’environnement, nous passons des accords sur la base du volontariat ou nous réglementons. S’il est question d’un domaine relevant du champ européen, les réglementations sectorielles s’appliquent, comme pour les produits phytosanitaires, les produits biocides, les jouets, les cosmétiques, les additifs alimentaires, les matériaux en contact avec les aliments. Ces réglementations permettent souvent à un État membre de soulever un sujet, voire prendre une réglementation nationale à la lumière d’informations scientifiques nouvelles.

Pour les substances, soit la réglementation générale sur les produits chimiques, à savoir le règlement REACH, s’applique et une mesure d’urgence est prise, soit la France dépose un dossier européen pour faire interdire la substance ou une série d’usages exposant la population européenne, ce qui correspond à la voie normale d’action. Le cas échéant, la décision prise au niveau européen est opposable à tous. Pour un certain nombre d’usages du bisphénol A, la France a porté l’interdiction avec succès au niveau européen.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous évoquiez la difficulté de travailler en interministériel. Je souhaite vous interroger sur le document officiel de nos politiques publiques en France, à savoir le plan national santé-environnement. Vous n’étiez pas encore en fonctions lorsque nous avons évoqué le plan national santé-environnement 3 (PNSE3), mais vous avez certainement connaissance des critiques qui ont été formulées par les deux inspections.

Pourquoi deux évaluations ont-elles été établies, à savoir l’une portée par votre ministère et l’autre par le ministère de la santé ? Nous avons auditionné les deux inspections et il nous a semblé que ces travaux n’avaient pas toujours été menés en phase.

Existe-t-il des conceptions divergentes entre les deux ministères ? Pouvez-vous nous indiquer les marges de progression pour que la démarche interministérielle puisse se développer ? Pourquoi le PSN3 a-t-il été si peu opérationnel ? Quel est le lien entre ces trente plans « silos » et le PNSE qui fait office de repère de la politique nationale ?

M. Cédric Bourillet. Je ne suis pas certain d’avoir employé le terme « difficulté » concernant l’interministériel. J’ai évoqué une obligation et un défi. Aujourd’hui, nous parvenons à bien discuter en interministériel. De façon très logique, un bloc de ministères, dans lequel ne figurent pas seulement l’environnement et la santé, fait spontanément preuve d’une préoccupation évidente de protection de l’environnement et du consommateur. Il est demandé à d’autres ministères de veiller en permanence à la compétitivité des entreprises et à la capacité d’adaptation d’acteurs économiques ou d’institutions. Il s’agit de faire la synthèse d’enjeux importants et légitimes. Nous n’apporterons pas tous une première réponse identique à une question ou une incertitude. Il nous faut avoir ce débat interministériel.

À titre personnel, je tiens à témoigner du fait que tous les ministères jouent le jeu, qu’aucun ne pratique la politique de la chaise vide, ne porte de coups bas ou n’intervient à Matignon.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Même Bercy ?

M. Cédric Bourillet. Ses représentants viennent à nos réunions. La discussion est franche et ouverte, et tous les ministères acceptent de dialoguer, ce qui ne signifie pas que nous soyons tous d’accord. L’arbitrage de Matignon est parfois nécessaire. Tel est le fonctionnement classique de nombreuses politiques publiques.

Avec certains ministères, nous partageons un espace commun de politiques publiques comme la protection des végétaux, des animaux, de la consommation et du consommateur, de l’eau et de l’air, ainsi que les transports. Les ministères chargés de porter d’autres intérêts, également très légitimes, veulent vérifier que l’équilibre est atteint, ce qui peut engendrer des divergences et des arbitrages. Néanmoins, la relation est transparente et tous les ministères acceptent de travailler sur ces questions en fonction de leurs priorités.

En ce qui concerne la divergence des inspections, il ne s’agit pas d’une divergence entre les ministères. Les ministères de la santé et de l’écologie qui revendiquent les PNSE ont souhaité des évaluations indépendantes du PNSE3. Nous avons saisi conjointement les deux inspections générales par un courrier cosigné des deux ministères. Celles-ci ne sont pas parvenues à trouver une évaluation conjointe et similaire, ce qui est rare, extrêmement malheureux et nuit à la bonne action publique. Cela vous oblige à deux auditions distinctes. Toutefois, les documents remis par l’une et l’autre ne sont pas divergents. J’espère qu’il s’agit d’un accroc unique, singulier, qui ne se reproduira pas trop fréquemment. En tout état de cause, les inspections générales ont toute autonomie et indépendance, qu’il s’agisse des propos tenus et des évaluations effectuées.

Sur le fonctionnement concret du PNSE3 et des « plans silos », nous avons décidé d’initier une démarche comprenant un faible nombre d’actions afin d’être en capacité de les suivre, de garantir leur mise en œuvre et de permettre une gouvernance. Nous avons terminé avec une centaine d’actions car la santé-environnement est un sujet large, impliquant des parties prenantes de toute nature. Le Groupe santé-environnement en témoigne qui comprend un grand nombre de participants ayant chacun des sensibilités et des intérêts différents.

L’idée est d’en finir avec un PNSE « catalogue » qui ne sera jamais exhaustif. Il est sain de travailler sur des plans sectoriels afin de créer une collectivité de travail autour des sujets concernés, lesquels ont besoin de parties prenantes spécifiques. Tout englober conduirait à créer un « giga-plan » intégrant des centaines d’actions qui représenteraient la somme de toutes celles qui figurent dans les plans sectoriels. En outre, le nombre des parties prenantes serait considérable. Ces plans sectoriels me semblent nécessaires pour s’assurer d’inclure et de former les bonnes personnes, de créer les réseaux adéquats et de disposer des bons relais. Faute d’espace de discussion dédié, nous manquerons d’efficacité sur ces sujets. Il nous faut donc au moins des instances, voire des plans dédiés, pour éviter d’aboutir à un PNSE reprenant des centaines d’actions sur différents sujets.

Pour autant, le PNSE doit inclure l’aspect transversal de la donnée, de la recherche, de l’exposome, de l’expertise et de la formation des professionnels. Il doit permettre de s’assurer en permanence qu’aucun sujet, traité dans un plan sectoriel ou toute action résiduelle, n’a été omis et que les moyens dédiés soient disponibles pour les vrais sujets. Il nous faut avoir accès à une restitution par ces groupes d’acteurs ou ces plans sectoriels en ce qui concerne les enjeux, les indicateurs et les progrès, au moins pour la partie relative à la santé-environnement. Il nous faut respecter la nécessité d’avoir des cercles avec des acteurs de relais spécifiques tout en garantissant une vision transversale, ainsi que le rapportage sur la composante ou le volet santé-environnement selon des indicateurs associés. Il nous faut également disposer d’un tableau de bord via cette démarche transversale concernant les aspects santé-environnement.

Il faut que ces plans sectoriels aient le réflexe santé-environnement, en sachant que le PNSE les nourrit, même s’il ne s’agit pas de l’unique source, et qu’ils s’interrogent sur la prise en compte légitime des questions de santé environnementale. Il a été fait en sorte que de nombreux acteurs – les entreprises, les institutions publiques et autres – progressent avec succès en ce qui concerne l’égalité femmes-hommes, la lutte contre les discriminations et le racisme. Il convient que la santé-environnement suive la même logique, que de nombreux choix d’innovation en entreprises, d’actions publiques et de plans sectoriels intègrent ce réflexe, et que l’ensemble des plans sectoriels de l’État présentant une forte composante santé-environnement incluent ce lien avec le PNSE et le GSE.

Par la démarche structurelle que nous mettons en place, dans le PNSE, sur la recherche, les données, l’évaluation et la formation, il convient que tout ce qui en ressort alimente systématiquement les plans sectoriels afin qu’ils modifient éventuellement le cap à la lumière de ce que l’approche transversale a permis de mettre en évidence.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie d’avoir essayé de répondre à cette question délicate d’organisation de la gouvernance entre les plans « silos » et le PNSE. J’espère que le PNSE4 saura répondre à ces attentes et ces exigences d’amélioration organisationnelle. Je constate un grand nombre de points positifs. Peut-être suffirait-il, grâce au PNSE4, de mieux s’organiser pour optimiser et clarifier la question des moyens.

Actuellement, quels moyens humains, voire financiers le ministère de la transition écologique met-il à la disposition de la santé environnementale ?

M. Cédric Bourillet. Quasiment tous les moyens du ministère de l’environnement, de l’Anses, visent à améliorer l’environnement et, indirectement, la santé environnementale. Les questions de produits chimiques, de bruit, de pollution lumineuse, l’action pour développer le ferroviaire ou le fret a un effet de santé environnementale. Les transports, les primes à la conversion et la biodiversité relèvent de la santé environnementale.

Notre ministère représente plus de 30 milliards d’euros et compte 50 000 agents, 70 000 agents en incluant ceux des opérateurs. Sur le strict pilotage santé-environnement, nous sommes quelques personnes, mais, sur le fond, ce sont les politiques déclinant les orientations prises qui doivent disposer des moyens financiers nécessaires. Le plan de relance y contribuera.

Il s’agit d’un réel enjeu d’organisation et de structuration. Il convient d’éviter que tout repose sur l’État. Je pense que nous commettrions une erreur en sous-estimant les collectivités territoriales, les acteurs de la société civile, les professionnels de santé et les acteurs internationaux. Le plan santé-environnement doit refléter la façon dont l’État impulse une dynamique, mais je ne suis pas convaincu qu’il lui revienne de conduire celle-ci dans les territoires. Les politiques très territoriales de l’État qui seraient déconnectées du PNSE sont peu nombreuses, alors qu’il existe un nombre considérable de leviers auprès des collectivités territoriales et des entreprises. Si la gouvernance n’est pas à l’image des leviers et à la disposition des acteurs, et que quelqu’un occupe une place disproportionnée dans la gouvernance par rapport à la réalité de ce qu’il peut faire émerger, le système ne fonctionnera pas complètement. Il convient d’éviter d’être trop « État-centré ».

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il s’agit de l’objet des travaux du GSE et de l’une des orientations du PNSE4 qu’il porte.

Je vous remercie de votre participation et de votre franchise, ainsi que de nous avoir éclairés dans notre réflexion.

L’audition s’achève à quinze heures quarante-cinq.

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6.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l’univers et de M. Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) (23 septembre 2020)

L’audition débute à seize heures cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions des administrations centrales et des ministères qui, de près ou de loin, sont parties prenantes dans l’élaboration des politiques publiques en matière de santé environnementale. Nous recevons aujourd’hui Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, ingénieure des eaux et forêts, directrice scientifique du secteur environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l’univers, à la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI), et M. Bertrand Schwartz vétérinaire de formation et adjoint à la directrice scientifique du secteur biologie et santé, du service de la stratégie et de la recherche et de l’innovation à la DGRI.

(Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin et M. Bertrand Schwartz prêtent serment.)

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l’univers à la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI). Nous vous dirons ce que nous pensons des apports de la recherche sur le thème santé et environnement et comment les meilleures connaissances scientifiques peuvent éclairer la décision politique. Nous évoquerons le processus de recherche et ses retombées, les financements majeurs, les principaux résultats de ces dix à quinze dernières années, les difficultés auxquelles nous faisons face, les grandes questions que nous nous posons et les perspectives à venir.

Tout d’abord, il est intéressant d’illustrer le processus de recherche en rappelant comment les premières alertes sur l’existence d’une relation entre notre environnement et la santé ont été formulées. Dans les années 60, Rachel Carson, visionnaire américaine et auteure d’Un printemps silencieux, a attiré l’attention sur le déclin des oiseaux et démontré que le DDT était à l’origine de la fragilisation de la coquille de leurs œufs. Dans les années 80, c’est le déclin massif des alligators en Floride et des poissons dans la Tamise qui a alerté. Ces observations ont permis de comprendre que l’environnement contenait des substances qui agissaient sur l’écosystème de manière imprévue. Dans les années 2000, des altérations de comportements ont été observées, concernant aussi bien les abeilles que les poissons. Ces phénomènes nous ont alertés sur les impacts neurologiques potentiels des substances présentes dans l’environnement. Nous qualifions les molécules alors détectées de « polluants émergents », terme relativement ironique, puisque la seule chose à émerger, en réalité, est notre capacité à comprendre leurs effets.

Pour traiter ces sujets, la recherche s’est organisée autour de plusieurs programmes dédiés. Depuis 2005, l’Agence nationale de la recherche (ANR) a financé, à hauteur de 150 millions d’euros, 386 programmes. Les thèmes étudiés sont très variés et portent sur la qualité de l’air, l’adaptation des pathogènes aux changements environnementaux ou les nanomatériaux. D’autres agences, plus spécialisées, financent la recherche en France. C’est le cas de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui, contrairement à l’ANR, n’est pas financée par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Mesri), mais par les ministères de l’agriculture et du travail. Ils financent, par exemple, le programme national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST) de l’Anses qui, depuis 2006, poursuit des recherches plus dirigées, où l’on demande aux chercheurs de s’attaquer aux impacts de catégories de molécules précises sur la santé humaine. L’Agence de la transition écologique (Ademe) dispose de plusieurs programmes : Aqacia intervient sur l’amélioration de la qualité de l’air, Impacts sur l’impact de molécules très ciblées en cocktail et GESIPOL sur la gestion des sols pollués. Les outils et les types de recherche varient donc en fonction des agences et de l’origine de leurs financements.

Au niveau européen, il existe quelques appels ciblés, en particulier au titre des initiatives de programmation conjointe (IPC) entre États. De telles initiatives permettent, par exemple, d’étudier l’écotoxicité des nanoplastiques dans l’océan. Il existe également des initiatives de plus grande ampleur. L’une d’entre elles rassemble des agences des différents États membres en mesure d’effectuer un suivi de la contamination des êtres humains par certaines molécules. Dans ce contexte, afin d’obtenir une cartographie précise et globale à l’échelle européenne, des molécules précises sont recherchées dans le sang et dans d’autres tissus. Il existe des programmes plus globaux. ERA est un consortium qui regroupe les États membres et définit un agenda stratégique de recherche pour l’environnement, le climat et la santé. Nos préoccupations ont leur place au niveau européen, ce qui est une bonne chose.

Grâce à ces différents outils, la recherche a pu avancer. Nous avons compris que nous sommes exposés, dans l’environnement, à des substances que nous ne pensions pas retrouver : c’est le grand progrès réalisé par la science ces quinze dernières années. En effet, quand on asperge d’un pesticide une parcelle agricole, on ne s’attend pas à le retrouver dans d’autres compartiments de l’environnement. Nous avons donc compris que la recherche de cette seule substance active n’était pas suffisante, mais qu’il fallait également rechercher ses dérivés, ses métabolites, parfois plus actifs que les molécules mères. Nous avons également compris que certaines pratiques apparemment anodines, en ce qu’elles n’étaient pas destinées à tuer un parasite ou un germe, pouvaient avoir des conséquences toxiques. C’est le cas des isolants ou de certains tissus synthétiques. C’est une révolution dans notre façon de penser l’environnement. Nous savons également que la présence d’une molécule n’implique pas sa toxicité, encore faut-il qu’elle soit biodisponible. Pendant longtemps, l’incompréhension de la notion de biodisponibilité nous a empêchés de tirer des conclusions : la molécule était présente, sans produire d’effets, parce qu’elle n’était pas biodisponible.

La communauté scientifique a aussi mis en évidence des modes d’action particuliers, notamment ceux des perturbateurs endocriniens, qui sont la grande affaire de ces quinze dernières années. Il s’agit de modes d’action singuliers, correspondant à des fenêtres de vulnérabilité spécifiques, notamment pendant la grossesse et le développement embryonnaire. Cela a permis de formuler des recommandations et de faire évoluer la réglementation désormais fondée sur le danger et non plus exclusivement sur le risque.

Nous avons mis en évidence des effets cascades. Dans l’environnement, par exemple, un animal peut devenir très vulnérable à son parasite qui, lui, prospère dans la mesure où son prédateur est attaqué par un pesticide. Une telle chaîne de causalité est complexe à démêler. Cela nous apprend à chercher le coup de billard à trois bandes et non pas uniquement un effet direct. Nous connaissons également le coût de l’adaptation : un individu qui a survécu à un épisode de canicule exceptionnel sera plus fragile vis-à-vis d’autres pathologies. La pollution de l’air est un domaine dans lequel des progrès significatifs ont été réalisés cette dernière décade, ce qui a conduit à une évolution concrète des réglementations.

De nombreuses questions demeurent cependant. C’est le cas de la multi‑exposition, le fameux « cocktail », aussi bien dans le temps que dans les molécules. L’exposition à différentes substances modifie nos organismes par des processus d’épigénétique, l’adaptation génétique étant sans doute plus rapide que ce que nous imaginions. Pour l’instant, nous ne savons pas très bien comprendre les conséquences de ces phénomènes. Nous avons également des difficultés avec le changement d’échelle. Nous savons observer et comprendre des choses dans des modèles expérimentaux et des expériences en laboratoire sur des cellules, mais il demeure difficile d’extrapoler et d’envisager la réponse d’un organisme dans toute sa complexité. La détection des effets précoces est également importante. Heureusement, notre environnement n’est pas infecté par des doses létales de contaminants. Ce sont donc des effets subtils, des petites modifications des comportements que nous cherchons à détecter.

À présent, je souhaiterais évoquer avec vous la façon dont les scientifiques abordent l’exposome, qu’il soit humain ou environnemental. Il s’agit d’une vision complète. Elle permet de considérer l’ensemble des perturbations et des agresseurs auxquels des personnes ont été exposées dans le temps. On va donc considérer l’histoire de vie des individus depuis leur gestation, ce qui nous conduit à mobiliser des disciplines très différentes, avec un renforcement en sciences humaines et sociales. Cela implique de mettre en perspective les niveaux d’exposition avec les contextes de vie, de santé, dans un esprit de médecine personnalisée, en considérant les spécificités de chaque personne. Nous partageons les grandes lignes de notre génome, mais nous savons aujourd’hui que chaque personne réagit différemment. Pour parvenir à cette vision complète de l’exposition, nous devrons fortement interagir avec tous les acteurs de la surveillance humaine ou environnementale et avec les agences.

Concernant les perspectives, le secrétariat général pour les investissements d’avenir finance la recherche grâce à des programmes prioritaires de recherche (PPR). Il s’agit de programmes très ambitieux, dans lesquels l’État investit environ 30 millions d’euros pour chacun d’entre eux, pour une durée de cinq à dix ans, sur des sujets de société majeurs. Actuellement, il existe un programme prioritaire de recherche sur le thème « Cultiver et protéger autrement ». Ce programme vise à construire une agronomie sans pesticide. Il existe également un programme prioritaire de recherche sur l’antibiorésistance ; un autre sur l’exposome démarrera dans les prochaines années. Certains sujets de recherche seront soutenus par le plan de relance du Gouvernement. Cela concerne plusieurs thématiques : l’alimentation saine et durable, où sera traitée la question de la réponse du microbiome intestinal, mais aussi les agroéquipements pour la transition écologique, vers une agriculture utilisant moins de pesticides.

Enfin, je voudrais élargir la notion de santé environnementale, en allant jusqu’à l’idée de la contribution de la nature aux populations. Ce concept, qui est apparu dans le contexte de négociations onusiennes, permet d’évaluer l’état de biodiversité et de la nature, comme nous le faisons pour le climat avec le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Je parle ici de l’Intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem services (IPBES). Ces contributions de la nature sont décrites très précisément. Certaines sont matérielles, comme la nourriture, l’énergie, les matériaux ou des remèdes, quand d’autres sont immatérielles. Ainsi, l’inspiration, le biomimétisme, ce que nous comprenons des êtres vivants ou encore l’apaisement procuré par un paysage sont des contributions immatérielles de la nature qui favorisent la santé mentale. Or il est établi que certains polluants altèrent directement notre santé, mais aussi celle de la nature et de ses contributions aux populations. Il y a donc un double effet : si la nature nous fournit une nourriture contaminée, si elle régule moins bien les effets du changement climatique, cela a des répercussions sur notre santé. L’IPBES, grâce à un groupe de travail international, a par exemple établi que la recrudescence des maladies infectieuses avait sa source dans les activités humaines, comme l’agriculture intensive, ou la perte de biodiversité.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quels points forts et quels points faibles observez-vous dans votre ministère en ce qui concerne la prise en compte des questions de santé environnementale ? Quelles propositions d’amélioration pourriez-vous faire, notamment en ce qui concerne le travail en transversalité ? La semaine dernière, une personne auditionnée nous a rapporté qu’une action du plan national santé-environnement 3 (PNSE 3) devait être pilotée par la DGRI. Or, lorsque les inspecteurs du ministère de la santé et ceux du ministère de l’environnement ont rencontré le directeur général de la recherche, il ignorait qu’une telle responsabilité lui avait été confiée. Cette lacune est-elle anecdotique ? Comment la programmation de vos projets parvient-elle à s’intégrer dans le plan national santé-environnement, outil de référence de la politique publique en matière de santé environnementale ? Pourriez-vous nous en dire davantage sur les collaborations et les interactions transversales entre les différentes agences, les laboratoires et les chercheurs ? Partagez-vous ce constat de difficultés et quelles améliorations envisagez-vous ?

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. Les points forts de la DGRI et de notre système de recherche national en ce qui concerne le thème de la santé environnementale reposent sur la mobilisation de nos scientifiques, particulièrement compétents, et sur leur souhait de travailler ensemble. De nombreux comités français, comme la communauté française d’écotoxicologie, sont reconnus et mobilisés au niveau européen. Néanmoins – et c’est toute la difficulté –, il s’agit d’un thème transversal, qui implique par définition des collaborations. Cependant, les choses s’améliorent. La santé environnementale est désormais mentionnée dans les contrats d’objectifs et de performance (COP) de nos grands organismes. En 2019, pour la première fois, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a mentionné des défis sociétaux, dont la santé environnementale fait partie, dans son COP. Il s’agit d’une prise de conscience des scientifiques. Ils se mobilisent. Cela est également vrai pour l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

M. Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI). Nous avons des communautés de chercheurs importantes, mais aussi une richesse d’acteurs et une politique de santé environnementale, qui permettent des collaborations importantes entre les organismes de recherche et les agences. Ces dernières années, les échanges sont devenus de plus en plus denses et intégrés. Le ministère de la recherche a une vue très large sur l’ensemble de la recherche, ce qui est intéressant en matière de pilotage. L’ANR, acteur pour le financement, est extrêmement ouvert en termes de thématiques et nous avons un spectre d’actions très large. Nous remplissons notre rôle en étant un conseil, un support des acteurs chargés des politiques de santé-environnement. Nous apportons des informations sur ce que la science connaît, mais aussi en précisant ce que la science peut aller chercher. Cela prend tout son sens lorsqu’il existe des volets recherche dans le plan. Par exemple, un groupe de recherche a été créé sur l’exposome, en vue de l’écriture du PNSE 4. Le ministère de la recherche intervient sur des sujets en lien avec l’environnement, mais aussi divers que la chlordécone ou les échouages de sargasses. Nous sommes polyvalents.

Concernant nos faiblesses, nous savons que nous devons effectuer un travail à long terme sur l’interdisciplinarité et les échanges entre les communautés. Depuis bien longtemps, l’importance des comportements humains est mentionnée dans l’exposition au risque. La prévention et l’information des citoyens pourraient aider à protéger l’environnement. Désiloter les communautés reste un réel challenge. Des ponts ont été créés, mais ils demeurent insuffisants dans certains secteurs. Nous sommes mobilisables, nous avons de nombreux outils et une communauté de chercheurs volontaires. Le politique, sur les sujets relatifs à la santé et à l’environnement, nous apporte un formidable soutien.

La Commission européenne s’est largement emparée de la thématique, qui constitue désormais un objet de recherche européen. La thématique santé-environnement est fortement montée en puissance et la Commission, au-delà des appels à projets simples, a mis en place des synergies. Entre 2018 et 2020, 150 millions d’euros ont été apportés à des projets santé-environnement, comme Eurion. La Commission a forcé les différents lauréats des projets à travailler ensemble pour que les communautés de chercheurs s’enrichissent mutuellement. Concernant la biosurveillance, nous interagissons beaucoup avec Santé publique France, mais l’efficacité serait décuplée si tous les pays d’Europe partageaient leurs outils et leurs mécanismes de surveillance. La communauté française est désormais très intégrée à cette dynamique lancée au niveau européen. Les réseaux européens nous conduisent à avoir des réunions de recherche régulières et à participer à de nombreux comités de pilotage lors des différents projets. Avec les autres ministères et interlocuteurs français, nous partageons la stratégie de tous ces instruments européens, dans un groupe miroir, au sein duquel se trouvent notamment l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), l’Anses, le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Santé publique France et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Grâce au support de ces réseaux européens, qui engagent des montants financiers importants, nous arrivons à mettre en place un continuum entre les organismes de recherche et les agences, avec une supervision des ministères. Dans cette logique, nous attendons beaucoup du partenariat européen pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques. Ce projet représente un financement de 200 millions d’euros de la part de la Commission européenne et de plus de 400 millions d’euros de la part des États. Pour la France, cela représenterait un engagement de temps chercheur de plus de 20 millions d’euros. La logique de ce partenariat est de renseigner les différentes agences sur les moyens de se préparer au mieux – le risque et la population –, en aval de la recherche, dans une politique de protection des populations. Cette dynamique positive se répercute au niveau des différents plans. La DGRI est sollicitée dans différents groupes de travail et se trouve au comité de pilotage des grosses cohortes santé et environnement gérées par l’Institut national du cancer (INCa) et Santé publique France. S’il y a des échanges, le travail de désilotage de certaines communautés doit être poursuivi.

Mme Annie Chapelier. Votre présentation me semble soulever deux points importants. Concernant les programmes prioritaires de recherche, vous avez évoqué des délais de sept à dix ans. S’agit-il d’une échéance à laquelle vous avez une exigence de résultat ou des points d’étape sont-ils prévus ? Pour les perspectives agronomes sans pesticide, êtes-vous en mesure d’apporter rapidement d’autres solutions aux agriculteurs ? Dans ce domaine, nous avons régulièrement l’impression que la recherche piétine ou que l’on ne cherche pas réellement à sortir des pesticides avant leur interdiction. Les faits sont comparables pour l’antibiorésistance et pour l’exposome, où la vision complexe et l’approche transversale de la santé environnementale ont beaucoup manqué jusqu’à présent. Auriez-vous des exemples où l’anticipation des conséquences sur l’environnement aurait permis de réorienter certaines pratiques ? On propose souvent des moratoires car, lorsque les conséquences sont mesurées, il est souvent compliqué de réagir. C’est le cas de la 5G ou des néonicotinoïdes, où les conséquences des autres solutions proposées ne sont pas encore mesurables. De votre côté, faites-vous des propositions pour arrêter la machine, se poser, regarder les effets avant de se lancer vers une autre voie ? Les moratoires font-ils partie de vos recommandations ?

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. Les programmes prioritaires de recherche sont dotés d’une gouvernance et d’un comité de pilotage, lequel rassemble, autour des services du Premier ministre, les ministères les plus concernés. Ces comités de pilotage se réunissent au minimum une fois par an et bénéficient d’un suivi très régulier. Chaque plan de prévention des risques a ses spécificités. Il ne s’agit toutefois pas d’un programme de développement auquel on assignerait un objectif technologique. Ce ne sont pas non plus des revues de projets au sens où l’on irait vérifier que l’objectif technologique attendu est bien atteint au bout d’un certain nombre d’années. Par essence, ce sont des programmes de recherche, souvent très ambitieuse, parfois très fondamentale, qu’il est impossible de programmer ainsi.

Le PPR « Cultiver et protéger autrement » ne permet pas d’anticiper à court terme les résultats de ces études. L’un des axes majeurs de ce programme est d’étudier le microbiome des plantes afin de trouver des pistes qui permettraient de se passer des pesticides. En schématisant, cela revient à trouver l’Actimel du microbiome du blé ! Ce PPR ne s’inscrit pas dans une logique de continuité comme cela est le cas du programme Écophyto, pour lequel il existe des développements technologiques et des laboratoires partagés. Nous sommes au contraire dans une logique de rupture et faisons le pari de changer de regard. Les sciences qui permettent de se passer de pesticides ne sont pas celles qui permettent d’optimiser l’usage des pesticides. Ce sont des concepts différents. On part sur autre chose et on s’attaque à l’Everest ! Je ne suis pas en mesure d’assigner des jalons à ce type de recherche, mais en revanche, nous avons un comité de pilotage qui se réunit très régulièrement. Cela nous permet de réorienter les choses si besoin. Si l’Everest est trop difficile à attaquer par une face, nous fermons cette voie et envisageons l’ascension différemment.

Nous représentons le ministère la recherche et la voix que je porte est celle des scientifiques. Ce n’est pas le politique qui décide à partir des connaissances. Notre rôle est de l’éclairer avec les meilleures connaissances contemporaines possible et grâce aux enseignements que nous avons pu tirer des historiques. Nous constatons les effets a posteriori. Si l’on n’entend plus les oiseaux au printemps, c’est parce qu’il y a eu du DDT plusieurs saisons auparavant et que sa présence a fragilisé les coquilles. C’est ainsi que l’on tire le fil et que l’on parvient à comprendre. Malheureusement, je n’ai pas d’exemple simple à vous communiquer. Je crois que l’histoire de l’humanité a conduit l’espèce humaine à avoir cette emprise extraordinaire sur l’environnement, ce succès évolutif phénoménal que nulle autre espèce n’a égalé. C’est peut-être sa chance – ou sa tragédie – d’être capable de décrypter les effets de son emprise sur les contributions de la nature.

En revanche, le corpus de connaissances acquis par l’écotoxicologie et par la santé a permis à l’Europe de se doter du règlement REACH. Désormais, pour mettre une nouvelle molécule sur le marché, on doit avoir établi, à l’issue d’une évaluation des risques, son innocuité ou une altération réduite des espèces. Ensuite, politiquement et collégialement, on peut décider d’accepter ce risque et de mettre la substance sur le marché. Le règlement REACH a permis de concrétiser cette approche où nous connaissons le risque et allons vérifier si nous n’avons pas minimisé les effets induits.

M. Bertrand Schwartz. Pour revenir sur votre demande d’exemples, il a toujours existé des médicaments comportant des effets indésirables. En revanche, personne ne parle des médicaments qui n’ont jamais été lancés sur le marché. Votre question comporte donc un biais, puisque l’on ne voit que les incidents qui sont passés à travers les mailles du filet, que les réglementations comme REACH tentent de rendre aussi efficaces que possible. Nous interagissons avec les autres ministères pour l’innovation, notamment lorsque les appels à projet de BPI France contiennent des innovations ou lorsque la recherche commence à donner des résultats et que l’on peut envisager de mettre certains points en application. Nous travaillons également en interministériel avec le ministère des solidarités et de la santé (MSS) et la direction générale des entreprises (DGE) à l’innovation, pour le financement de projets plus matures que la recherche, mais encore loin de la commercialisation. Systématiquement, il y a des discussions sur les effets indésirables.

M. Yannick Haury. Concernant les effets cocktail, on le sait, il faut éviter de prendre un médicament avec un autre, car cela peut augmenter ou annuler l’effet désiré. Disposons-nous d’informations concernant les augmentations ou les diminutions des effets des substances chimiques entre elles, ainsi que les additions éventuelles d’effets entre substances chimiques ?

M. Bertrand Schwartz. Aujourd’hui, nous rencontrons des difficultés pour modéliser la présence de cocktails. Sur ce point, la recherche évolue. On est en train de mettre au point la technologie qui permet, à partir d’un fluide biologique, de retracer un historique non biaisé. Sans faire de recherche spécifique, on va pouvoir décrire tout un tas de molécules exogènes, ainsi que certains biomarqueurs, qui permettront de mettre en évidence certaines voies métaboliques perturbées, ce qui pourrait être la signature d’une exposition antérieure. C’est un réel challenge pour la recherche. Il existe également des considérations plus prégnantes et immédiates. Je pense à la qualité de l’environnement, à la présence de contaminants environnementaux et de stress liés au réchauffement climatique. On commence à connaître les déterminants des stress environnementaux. Par exemple, on identifie que le changement climatique va impliquer des périodes de canicule. Le défi va être de gérer la canicule et la pollution environnementale, soit deux difficultés respiratoires cumulées. Le réseau ERA travaille sur ce sujet important pour la recherche. Nous savons que des risques importants vont survenir et nous cherchons à répondre à la difficulté.

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. Très concrètement, il existe des kilomètres de bibliographies sur les effets du cadmium et du cuivre ou sur les effets du cadmium et du mercure. Ce qui est ambitieux, c’est d’en extraire de la généricité, c’est-à-dire d’être capable de prévoir les effets additifs. C’est toute l’histoire des sciences : on décrit d’abord des choses concrètes, puis on essaie d’en extraire des grands principes. Nous n’en sommes pas encore là. C’est extrêmement ambitieux, et j’espère que les prochaines générations scientifiques y parviendront. Pour l’instant, nous avons testé beaucoup de choses et disposons de nombreuses informations, mais nous ne savons pas énoncer le principe de l’effet cocktail.

M. Bertrand Schwartz. La notion d’adverse outcome pathway rejoint ce sujet. On sait que des familles de contaminants agissent toutes sur des voies métaboliques qui se ressemblent. Si nous parvenons à qualifier non pas des molécules, mais les familles de molécules, on va pouvoir se méfier de certaines combinaisons. Cela me paraît favoriser un travail très international. C’est le côté positif des choses, car le débit de connaissances est actuellement très intéressant.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour votre réponse humble et sincère. On sent qu’il existe une réelle mobilisation et que ces questions redoutablement complexes sont abordées.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Avez-vous des équipes qui travaillent spécifiquement sur les déterminants environnementaux de la santé humaine ? Quelles actions de recherche menées par la DGRI ont porté ces dernières années sur des problèmes de santé-environnement et quelles sont vos relations avec les autres agences actives en matière de santé-environnement telles que l’Anses et l’Ineris ? Comment évaluez-vous votre participation au PNSE 3 ? Enfin, quelles sont vos recommandations par rapport au PNSE 4 ?

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. La DGRI n’est pas organisée en bureaux. Elle comprend différents services, dont le service de la stratégie et de la recherche et de l’innovation. Celui-ci se décompose en secteurs scientifiques dont nous sommes ici deux représentants. Je dirige le secteur environnement, agronomie, écologie, sciences du système Terre et de l’univers et il existe également le secteur de biologie et santé dont Bertrand Schwartz est le directeur adjoint. Nous n’avons pas de bureau sur les déterminants de la santé environnementale. Cette thématique est traitée en synergie entre nos deux secteurs. La DGRI ne mène pas d’actions de recherche. La DGRI est tutelle de ses opérateurs. Cette tutelle est souvent partagée avec d’autres ministères. Par exemple, pour l’INRAE, nous partageons la tutelle avec le ministère de l’agriculture et pour l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) nous la partageons avec le ministère de la transition écologique (MTE).

La DGRI pilote la tutelle de ses opérateurs au moyen des contrats d’objectifs et de performance. Ils sont généralement négociés tous les cinq ans, après une évaluation de l’opérateur par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Cette instance indépendante nous communique son appréciation sur l’opérateur, et sur cette base, nous construisons un contrat d’objectifs et de performance. Cela nous permet de nous assurer que certaines thématiques particulièrement importantes à nos yeux figurent dans les missions de l’opérateur. Pour la première fois, en 2019 – et c’est un signal important – le CNRS s’est saisi de défis sociétaux parmi lesquels l’écologie de la santé et le lien entre la santé et l’environnement. C’est également le cas dans le COP de l’INRA. Je ne doute pas que cela sera aussi le cas pour l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) qui vient de fusionner avec lui.

La DGRI pilote également la tutelle de ses opérateurs en orientant les axes de recherches que finance son agence principale, l’ANR. Nous nous assurons que l’appel d’offres annuel de l’ANR permet le traitement des thématiques qui nous paraissent importantes. Nous veillons particulièrement à ce que le libellé des axes, grâce à des mots-clefs, fasse apparaître la notion. Actuellement, nous avons plusieurs axes, tels que santé-environnement, maladies infectieuses émergentes, santé publique par exemple. Cela marque l’intérêt de la tutelle pour ces sujets.

M. Bertrand Schwartz. La relation avec les agences existe au travers des projets que nous portons en commun. C’est par exemple le cas d’un gros projet, PEPPER, piloté par l’Ineris, en charge de faciliter la caractérisation d’un produit en tant que perturbateur endocrinien. La DGRI est au comité d’opportunité de l’Ineris et nous avons intérêt à ce que nos communautés se mobilisent et soient actives pour répondre à ce besoin des agences de qualifier les produits et de détecter les dangers. Nous travaillons de concert sur un certain nombre de projets ou de cohortes. Nous collaborons avec Santé publique France autour de la préparation du futur plan national de biomonitoring. Le ministère de la recherche et les agences sont sollicités pour travailler ensemble.

De même, pour préparer le PNSE 4, dans les groupes de travail, nous avons travaillé avec les différentes agences, des représentants de la société civile et des scientifiques. Nous avons ainsi fait des tours d’horizon assez complets pour comprendre ce que chacun pouvait proposer et comment créer des synergies. Nous sommes donc une tutelle, mais nous avons aussi des interactions fonctionnelles avec les acteurs autour d’actions communes. Nous sommes également à l’écoute des différents instruments pour aller vers le but commun en matière de santé-environnement. Je pense notamment aux Laboratoires d’excellence (Labex) et aux Instituts Carnot.

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. Le Mesri n’est pas tutelle de l’Anses. Néanmoins, tous les membres des comités d’experts sont des chercheurs des opérateurs du Mesri.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez insisté sur l’acculturation du monde de la recherche aux questions de santé environnementale et sur son élargissement à la communauté scientifique française et européenne. Qu’en est-il de la formation des jeunes chercheurs ? Qu’est-ce qui est prévu dans le cursus de formation scientifique ? Est-il envisagé de former les jeunes avant leur entrée dans l’enseignement supérieur ou dans les grandes écoles, qui parfois formatent les esprits et oublient la dimension de santé environnementale ? Avez-vous travaillé sur ces questions et avez-vous un programme de réflexion ?

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. Effectivement, une fois que la recherche a posé les jalons de la connaissance, il est important de la transmettre et de former. La formation des jeunes chercheurs se fait par le doctorat, soit dans les laboratoires qui traitent de ces questions, mais il faut également penser à la formation antérieure. À ma connaissance, dans l’enseignement supérieur, chacune des deux grandes filières concernées – l’environnement et la médecine – s’ouvre à l’autre partie. Désormais, les différentes formations en écotoxicologie traitent de la santé environnementale. Cela reste une option et ne figure pas dans le tronc commun de toutes les écoles d’ingénieurs, mais elle est proposée.

M. Bertrand Schwartz. En ce qui concerne les formations médicales, j’ignore comment les médecins sont formés aux questions environnementales.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je crains que cela ne soit disparate. Il y a beaucoup à faire. En France, les modules de formation sont facultatifs et extrêmement variables d’une université à l’autre. Il s’agit donc de favoriser la formation des futurs médecins, mais aussi celle des médecins déjà installés en cabinet et des professions paramédicales grâce à la formation permanente. En France, les formations intellectuelles de haut niveau sont caractérisées par l’hyperspécialisation. Pour faire entrer cette notion de santé environnementale, essentiellement multidisciplinaire, il faut enclencher une véritable révolution culturelle et ouvrir l’interdisciplinarité.

S’agissant du financement, les personnes que nous avons auditionnées ont relevé le manque de moyens de la recherche, comme nous l’a confirmé le directeur général de l’Anses. Où est donc passé l’argent ? Vous nous dites qu’il y a beaucoup de financements, mais, si je comprends bien, l’argent provient essentiellement de l’Europe. Il est regrettable que les équipes françaises soient contraintes de se tourner vers l’Europe pour obtenir de l’argent. Quelle est votre approche et que pouvez-vous nous donner comme garantie quant à votre intention de faire pression sur l’ANR pour qu’il existe un volet santé environnementale suffisamment financé ? Je n’ai pas relevé la présence d’un volet santé environnementale dans le plan de programmation pluriannuel de la recherche. C’est pourtant le moment ou jamais. Je me demande quel est votre rôle et quels sont vos moyens de pression pour intervenir sur ces financements. Une fois que ce sera voté, nous ne pourrons pas revenir en arrière. Or toutes les recherches passionnantes dont vous parlez reposent aussi sur le financement. Pouvez-vous nous préciser le montant des masses d’argent en circulation et quelle en est la partie attribuée à la santé environnementale ?

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. La loi de programmation pour la recherche est actuellement débattue à l’Assemblée nationale. Elle apporte des financements significatifs qui vont par exemple permettre de multiplier par trois le budget de l’ANR, d’ici à 2027. La loi de programmation pour la recherche n’est pas thématique, mais ses outils peuvent l’être. Cette notion de programmes prioritaires de recherche figure dans le rapport annexé. Elle constitue un levier d’action de l’État dans son ensemble pour permettre aux chercheurs de s’attaquer à des enjeux de société pour lesquels il est important que la France avance significativement ces dix prochaines années. Aujourd’hui, il n’existe pas de moyen simple pour dire précisément quel budget est consacré à tel sujet, car le principe de l’Agence nationale de la recherche est fondé sur le financement des meilleurs projets dont l’évaluation est réalisée par les pairs. Toutefois, on répartit les masses budgétaires selon les départements. Ils sont tous différents et dépendent du nombre de projets.

Ensuite il y a les évaluations de projets, qui sont réalisées par les comités. C’est par exemple le comité Terre vivante qui va évaluer tous les projets relatifs à l’écologie et à la compréhension des écosystèmes. Chaque comité a une enveloppe dédiée, mais je ne suis pas en mesure de la flécher. Cela risque de vous choquer, mais je pense que c’est mieux ainsi. Aujourd’hui, le sujet santé-environnement est un thème majeur sur lequel il faut investir, mais si nous avons pu le comprendre c’est grâce à des chercheurs qui ont lancé l’alerte, il y a une dizaine d’années, en faisant une recherche qui n’était pas fléchée. Nous avons absolument besoin de permettre aujourd’hui les alertes de demain. C’est la raison pour laquelle nous devons financer une recherche qui ne soit pas fléchée. En quinze ans, 150 millions d’euros ont été attribués à des projets de recherche en santé-environnement. Le sujet est donc traité, mais il faut aussi laisser aux chercheurs la possibilité de travailler leurs sujets sans être complètement dirigés, fléchés par des politiques publiques. Un équilibre est nécessaire, car c’est aujourd’hui qu’il faut préparer l’alerte de demain.

Pour conclure sur les financements disponibles, le rapport annexé à la loi de programmation de la recherche (LPR) annonce un PPR par mois. Ce sont de grands programmes de recherche qui vont être élaborés et qui représentent plusieurs dizaines de millions d’euros. Le sujet de la santé environnementale sera assurément traité dans les années qui viennent et dans un format de sept à dix ans, adapté aux chercheurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends vos explications, mais j’entends aussi les critiques formulées par les chercheurs qui souhaiteraient bénéficier de davantage de transparence des règles d’attribution. Vous avez évoqué ces comités qui font des choix, mais leur composition prête à la critique. Il y a peut-être, parfois, une tendance à favoriser une famille de chercheurs et la répartition entre les laboratoires n’est pas toujours perçue clairement. Cela génère beaucoup de frustrations sur les montants. Le triplement du budget alloué à l’ANR peut permettre d’espérer qu’une partie bénéficiera à la santé environnementale. La santé environnementale prend des visages multiples et la répartition des crédits doit être sous contrôle si l’on veut être certain que tous les sous-sujets soient réellement traités. Je me permets de partager ces retours avec vous car certains chercheurs sont en grande difficulté et souffrent.

Ma dernière question porte sur le partage des données et des informations. Que pouvez-vous proposer ? Comment pensez-vous pouvoir faciliter le partage des données ? À plusieurs reprises, il a été dit que l’on avait, d’un côté, les données environnementales et, de l’autre, les données épidémiologiques, mais aussi qu’il était très difficile de faire des superpositions entre les deux bases de données. Santé publique France nous a parlé d’une grande plate-forme qui pourrait naître dans une dizaine d’années. Par ailleurs, sans beaucoup de moyens, certaines régions se sont déjà lancées dans cette superposition de données et ont déjà abouti à des recherches concluantes. Il n’est donc peut-être pas utile d’attendre dix ans avant d’être opérationnel. Comment, de votre côté, allez-vous être en mesure de créer cette dynamique de partage des données scientifiques ?

Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin. Le ministère de la recherche s’est engagé dans une politique de données ouvertes destinée à faciliter les progrès de la connaissance au niveau international. Toute donnée de la recherche financée par de l’argent public est publique, selon des modalités qui permettent de protéger le travail du chercheur. Il est effectivement difficile d’apparier des données qui ont été collectées dans des contextes dissemblables et pour des objectifs différents. Ce thème n’est pas nouveau et heureusement les données restent partagées, d’un côté, dans le domaine de l’environnement et, de l’autre, dans le domaine de la santé. Depuis quelques années, nous avons cependant réussi à mettre en place une infrastructure de données : Data Terra. Elle rassemble toutes les données décrivant l’environnement en France, qu’elles soient issues de l’observation spatiale, de l’observation locale ou de simulations de modèles. Data Terra regroupe des données relatives à l’océan, à la terre, à l’atmosphère et aux données de la zone critique, c’est-à-dire cette zone superficielle de la terre où se déroulent les processus vivants. Cette base permet de croiser les données. Le graal serait de coupler cela avec des données de santé. C’est l’objectif du PPR Exposome. Nous souhaiterions également que ces données soient incluses aux cohortes.

M. Bertrand Schwartz. Une cohorte, c’est une fraction représentative de la population. Cela représente 23 millions d’euros par an de coûts d’infrastructures payés par le PIA. Cela n’inclut pas le coût des études réalisées pour répondre à de nouvelles questions qui impliquent d’aller chercher et d’interpréter des données. Une cohorte dure plusieurs années et a donc un coût non négligeable. Nous sommes tous favorables à la notion de science ouverte et il existe une réglementation. Les données sont actuellement en train de se structurer grâce au Health Data Hub, car nous disposons d’informations sur le suivi des individus. Ces données sont extrêmement sensibles et encadrées par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Le Health Data Hub facilite l’exploitation de ces données. Cet objectif a été largement évoqué dans le travail préparatoire au PNSE 4.

D’un côté, il nous faut les bases de données appropriées pour décrire l’environnement avec une structure qui pourrait s’appeler Green Data Hub. De l’autre côté, et c’est ce que nous aide à faire le Health Data Hub, nous devons essayer de déceler les signaux forts et les signaux faibles d’altération de la santé des populations liés à des qualités environnementales. Nous avons regardé toutes les données disponibles, notamment celles relatives à la qualité de l’eau, mais aussi des données sociales. Un travail remarquable a également été fait sur les descriptifs des villes avec des notions incluant les différents quartiers, la distance par rapport aux points de soins, les îlots de risques liés aux îlots de chaleur. Nous souhaitons encourager certains pilotes intéressants comme celui de la métropole de Lyon, présenté aux journées régionales. Des travaux réalisés par l’Ineris en Picardie sont aussi très intéressants.

Nous voulons favoriser ces projets et permettre à la communauté de recherche d’utiliser ces données. Il ne faut pas oublier qu’il existe des contraintes notamment de granulométrie de données. Par exemple, l’alimentation est une donnée extrêmement forte, mais elle échappe à ces cartographies. Il est possible de cartographier des lieux de résidence ou de travail mais pas l’alimentation. Un effort est donc fait en faveur de ces données. Il nous faut des cohortes solides. Ce travail d’agencement reste à faire et cela sera un des objectifs du PNSE 4.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous prévu de travailler avec le ministère de la santé à la création des registres ?

M. Bertrand Schwartz. Le groupe recherche PNSE 4 travaille avec le ministère de la santé. La notion de registre a été évoquée et je laisserai le ministère de la santé s’exprimer sur ce qu’il compte faire exactement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour ces échanges très riches et votre collaboration.

L’audition s’achève à dix-sept heures quarante.

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7.   Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Toma, porte‑parole du Comité pour le développement durable en santé (C2DS) (24 septembre 2020)

L’audition débute à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Dans le cadre de notre enquête sur les politiques publiques en matière de santé environnementale, nous accueillons M. Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé (C2DS).

Le C2DS est une association qui rassemble les acteurs du soin et de l’accompagnement sur le thème du développement durable, avec pour objectif d’informer les acteurs du secteur sur les bonnes pratiques environnementales. Elle compte plus de 500 adhérents, établissements sanitaires et médico-sociaux de tous types d’activité et de tous statuts juridiques.

(M. Olivier Toma prête serment.)

Cette commission d’enquête cherche à établir un bilan des politiques publiques sur la santé environnementale, à en déterminer les points forts et les points faibles. Nous avons déjà entendu la parole institutionnelle et nous auditionnons maintenant les experts, les associations et la société civile pour recueillir d’autres approches complémentaires. Quelle est la place du C2DS sur ces questions ?

M. Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé. Madame la présidente, je vous remercie de nous donner la parole. Nous sommes très heureux de participer à cette audition car nous travaillons sur ces sujets depuis presque vingt ans.

Le C2DS est une association, actuellement présente dans toutes les régions de France, qui est née en 2005 pour fédérer des établissements publics et privés, sanitaires et médico-sociaux, pour identifier les bonnes pratiques en matière de responsabilité sociale et sociétale et en matière de santé environnementale et pour les diffuser au plus grand nombre. Nous diffusons les bonnes pratiques et nous dénonçons les mauvaises pratiques lorsque nous les constatons.

Au-delà du C2DS, j’insiste sur la chance d’avoir un plan national santé environnement (PNSE) dans notre pays. Nous avions participé à la création du premier plan et j’essaierai de vous décrire les forces et les faiblesses de ce dispositif. En effet, le PNSE, s’il est une chance, n’est, hélas, pas évalué, pas financé et pas piloté.

Nous abordons au quotidien de nombreux sujets, à commencer par la problématique des perturbateurs endocriniens, des risques chimiques ou encore des risques émergents liés à l’exposition aux champs magnétiques ou aux nanoparticules. Nous travaillons aussi sur les cosmétiques, notamment pour les mamans et les bébés, dans les maternités et les crèches. Je vous parlerai également de la politique d’achat hospitalière, avec ses forces et ses faiblesses. Ensuite, il nous faudra évoquer la qualité de l’air intérieur, qui pose des problématiques en termes de dépenses de santé et de mal-être des professionnels de santé et des patients. J’aborderai également la question des changes pour nouveau-nés et l’absence de réponse à ce sujet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), du ministère chargé de la santé et de toutes les tutelles qui se renvoient la balle depuis des années. J’évoquerai la convention signée en 2016 entre toutes les fédérations hospitalières et l’État pour engager le secteur de la santé dans un grand programme de développement durable, hélas sans aucun moyen ni évaluation ; et enfin la formation initiale et continue des acteurs qui est actuellement mal adaptée aux problématiques de terrain.

Nous avons identifié, grâce à notre réseau de plus de 550 établissements sur le terrain, des solutions. Nous vous proposerons des pistes pour optimiser les dépenses de santé, réduire les externalités négatives des activités humaines sur l’environnement, réduire les impacts négatifs de l’environnement sur la santé humaine et enfin, redonner du sens aux métiers de la santé. Je crois qu’il y en a bien besoin !

Il y a quatre problématiques majeures en santé environnementale. Le premier est, à notre sens, qu’il n’existe pas d’incitation pour les acteurs à agir. Les acteurs les plus engagés, les plus vertueux, ne sont ni soutenus, ni financés, ni reconnus. C’est dommage, car cela ne donne pas envie aux autres d’agir. En second lieu, le problème de la formation initiale et continue est central, puisque nos professionnels ne sont aujourd’hui pas assez formés sur ces thématiques. Troisièmement, nous avons de nombreuses lois dans notre pays, mais elles ne sont ni appliquées, ni contrôlées. De ce fait, ceux qui agissent ne sont pas reconnus et ceux qui n’agissent pas ne sont pas sanctionnés. Enfin, la mutualisation des bonnes pratiques n’est pas organisée et il faudrait intensifier les échanges entre les régions. Lorsqu’une action extraordinaire en termes de santé environnementale est conduite en Nouvelle-Aquitaine par exemple, elle n’est ni mesurée ni dupliquée dans les autres régions de France.

Pour résumer, nous avons la chance d’avoir une véritable politique de santé environnementale avec le PNSE mais cette politique n’est ni financée, ni pilotée, ni structurée et donc, hélas, la perte d’énergie est colossale.

J’ajouterai que nous nous demandons depuis quinze ans à qui nous devons nous adresser. Nous avons une multitude d’interlocuteurs. Ces interlocuteurs ne se parlent pas entre eux, ce qui fait que nous n’avons de réponse à aucune des questions que nous posons. Je vous ai apporté des courriers que nous avons écrits depuis dix ans, adressés aux ministères chargés de la santé et de l’environnement, à la DGCCRF, à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Nous n’avons de réponse de personne. Des hauts fonctionnaires au développement durable sont présents dans tous les ministères, il existe des agences régionales de santé dans toutes les régions mais, malgré cette multitude d’acteurs, il n’y a malheureusement pas d’acteur identifié qui puisse répondre aux problématiques de terrain.

Nous avons donc d’un côté une politique parfaitement construite – le PNSE est un formidable outil – mais, en face, nous n’avons ni les moyens ni les interlocuteurs pour mettre en œuvre cette politique sur le terrain.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette présentation. Vous soulignez l’avantage que constitue le fait d’être doté d’un PNSE, qui pourrait être un outil efficace s’il était accompagné de moyens et d’une meilleure gouvernance. Nous y reviendrons, car les échos que nous avons eus sur le PNSE jusqu’à présent ont été plus nuancés, notamment de la part des deux inspecteurs du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) qui ont réalisé une évaluation du PNSE 3.

J’entends l’attente que vous exprimez, qui est celle du secteur du soin, fer de lance d’une politique efficace en santé-environnement sur le terrain, d’autant plus que le PNSE 4 aura pour vocation de territorialiser davantage les politiques de santé environnementale.

Avant de rentrer plus dans le détail, une question fondamentale : quelle est votre définition de la santé environnementale ? Ensuite, j’aimerais que vous nous disiez, selon vous, quel rôle les établissements de santé doivent avoir sur les questions de santé-environnement ? Enfin, pouvez-vous nous présenter quelques-unes des initiatives que mène votre association, avec les 500 établissements qui y sont associés ?

Par ailleurs, vous dites n’avoir pas eu d’interlocuteur au sein des administrations, et n’avoir pas été entendus, accompagnés, ou aidés. N’y aurait-il pas un lien entre ce silence des institutions et votre statut d’entreprise privée ? Il faudrait que vous nous explicitiez le fonctionnement de cette association, qui ressemble à une entreprise privée. N’y aurait-il pas un problème relationnel, lié à votre statut, qui limiterait votre crédibilité ou l’intérêt que portent les administrations à vos propositions, malgré le nombre extrêmement important de participants inscrits à votre association ?

M. Olivier Toma. Notre définition de la santé environnementale est celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux et psychosociaux de notre environnement. Cette définition accorde également une place à la prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures.

Votre deuxième question porte sur les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, que je regrouperai sous le terme générique d’hôpital. Le rôle de l’hôpital est majeur dans notre pays : il assure la prise en charge de la santé humaine et de la dépendance. L’hôpital doit être exemplaire et il doit avoir les compétences et les moyens de garantir la santé d’aujourd’hui et la santé de demain. Mettre la santé au cœur de l’économie, par exemple, permettrait certainement à cet égard d’obtenir demain de meilleurs résultats qu’aujourd’hui, comme nous le voyons avec la crise de la covid-19.

L’hôpital est très engagé puisque, en dix ans, de nettes évolutions ont eu lieu, surtout dans certaines régions. Pour être efficace, il faut avoir le soutien des agences régionales de santé (ARS). Les différentes agences régionales de santé en France n’ont pas le même niveau d’engagement, puisqu’il n’existe pas de pilote national du PNSE. Cela dépend donc des directions des agences régionales. En particulier, les ARS de Nouvelle-Aquitaine, de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et d’Occitanie sont les trois ARS les plus engagées dans le pays, et même en Europe. Il n’existe nulle part en Europe l’équivalent de ce qui a été fait dans ces trois régions.

Ainsi, en PACA, 170 établissements de santé sont accompagnés par l’agence régionale de santé pour les faire monter en compétence sur la santé environnementale et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Dans d’autres régions, on ne retrouve pas du tout ce niveau d’engagement, puisqu’il faut piloter ce qui se passe sur le terrain et avoir des moyens. Cela dépend donc des régions, en fonction de l’engagement d’un directeur ou d’une directrice d’agence régionale de santé.

Vous faites bien de souligner notre statut. Le C2DS est une association, et je m’occupe aussi, professionnellement, d’une agence d’experts. J’ai créé avec 25 collaborateurs une agence, dans laquelle j’ai embauché des ingénieurs et des professionnels de santé, qui fait de l’accompagnement de stratégie RSE auprès des établissements de santé.

Lorsque nous intervenons auprès des ministères, de la DGCCRF ou de toute entité publique ou représentant de l’État, nous nous adressons à eux avec toute la dynamique du C2DS et, en plus, avec celle de notre société, qui est une société à mission. J’insiste sur ce point. La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) a créé le statut de société à mission. Une telle société détermine des objectifs et une raison d’être, que reflètent ses statuts. Ce statut est, comme celui d’association créé en 1901, une importante étape. Pourtant, aujourd’hui, ces sociétés à mission ne sont pas reconnues. L’État a créé la loi mais n’a pas créé le référentiel des sociétés à mission, et nous ne sommes pas capables d’évaluer réellement une société à mission. Ce n’est pas sérieux, et il n’est pas sérieux non plus de ne pas nous répondre parce que nous avons un statut qui ne plairait pas aux autorités.

Je suis choqué que lorsque des citoyens, associations ou entreprises s’adressent à des institutions comme les ministères chargés de la santé ou de l’environnement ou la DGCCRF pour lancer une alerte, par exemple, sur le fait que les laits artificiels donnés aux nouveau-nés français comportent des perturbateurs endocriniens ou des nanoparticules de dioxyde de titane, nous n’obtenions jamais de réponse. Je ne le comprends pas et je pense même que, dès lors que nous avons conscience de cela, c’est une faute grave de ne pas répondre. L’exposition des nouveau-nés à des perturbateurs endocriniens, six à sept fois par jour, via leur alimentation, leurs couches ou les cosmétiques appliqués sur leur peau est un fait grave. Il ne me paraît pas cohérent que ces entités ne répondent pas à nos sollicitations sur un tel sujet, et c’est d’autant plus inacceptable si elles se fondent sur le caractère inhabituel de notre statut pour ne pas répondre.

Je ne le comprends pas et personne ne le comprend dans notre entourage. Je ne suis pas le porte-parole de toutes les institutions françaises mais je travaille avec beaucoup de praticiens, de médecins, de sociétés savantes ou de fédérations professionnelles. Ils n’ont pas plus de réponses. Nous n’avons aucune réponse aux questions que nous nous posons. Je vous donne un exemple qui date de cet été. Nous sommes actuellement face à une crise qui engendre des milliers de tonnes de déchets, notamment les masques jetables à usage unique. Comment est-il possible de ne pas promouvoir des masques lavables, écoconçus, biosourcés, répondant aux normes de l’Association française de normalisation (AFNOR) ? Pendant la crise de la covid-19, nous avons même reçu des directives selon lesquelles les établissements de santé français pouvaient stocker des déchets infectieux puisque les prestataires de déchets d’activité de soin à risque infectieux (DASRI) étaient complètement saturés. Là non plus, ce n’est pas raisonnable. Nous n’avons pas de réponse à ces ambiguïtés. J’ai sollicité quantité d’institutions en demandant : pouvez-vous clarifier les faits sur le masque chirurgical, sur le masque grand public ? Nous n’avons aucune réponse.

Il est important, par le biais de cette commission que vous animez, d’essayer de comprendre pourquoi nous n’avons ni interlocuteur ni réponse face à ces problématiques complexes, face à ces acteurs du terrain qui s’engagent sur ces sujets. Pourtant, la politique de santé environnementale du PNSE déclinée grâce aux plans régionaux (PRSE) est parfaite. Nous sommes le seul pays d’Europe à avoir une telle politique. Même les Canadiens sont bien moins avancés que nous sur la santé environnementale.

Je le redis, nous avons d’un côté une politique bien établie et, de l’autre côté, une absence de pilotage, de moyens et de structuration. Je trouve dommage que des actions exemplaires comme celles qui existent en Nouvelle-Aquitaine ne soient pas dupliquées dans toutes les régions. La Nouvelle-Aquitaine a une stratégie extraordinaire pour la petite enfance qui est très vulnérable face à ces risques environnementaux. Comment est-il possible d’avoir une telle perte de chance selon que l’on est mère en Nouvelle-Aquitaine ou en Île-de-France ? Les informations et les préventions auxquelles ces mères ont accès ne sont pas les mêmes, ce n’est pas cohérent. Je pense qu’il faut restructurer et avoir des pilotes dûment désignés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ne pensez-vous pas que l’absence de réactivité de vos interlocuteurs des ministères provient de l’ambivalence de votre situation ? Vous êtes le président d’une association extrêmement active, qui a montré sa capacité à intervenir sur le terrain et, en même temps, un chef d’entreprise qui vit du conseil qu’il apporte aux établissements de santé. Dès lors, vos interlocuteurs du ministère ne savent pas toujours qui prend la parole. Est-ce le président d’association ou le directeur d’entreprise ? Je pense qu’il existe une ambiguïté. Quand vous signalez les problématiques de cosmétiques dans les maternités ou de présence de perturbateurs endocriniens dans les établissements de santé, qui prend la parole ? Je vous renvoie la question, ce qui est peut-être, en même temps, une forme de réponse à vos propres interrogations.

Pour ce qui concerne la filière des masques, je retrouve un vieux réflexe de gestionnaire d’hôpital. Nous avons à un moment donné investi énormément dans tout ce qui était à usage unique dans les établissements de santé et nous avons donc réduit toutes les chaînes relatives à la prise en charge des vêtements, des tissus. Je pense que les chaînes de nettoyage et de stérilisation adaptées n’existent plus et n’ont plus de personnel pour prendre en charge les masques réutilisables, comme c’est le cas pour l’alimentation pour laquelle nous sommes passés à des produits alimentaires déjà tout prêts à consommer et avons réduit les pratiques dans les cuisines hospitalières qui n’ont plus de personnel ni d’outils. Cette explication n’efface pas pour autant la pertinence de votre interrogation qui est partagée par bon nombre de députés. Nous sommes très inquiets de toute cette profusion de déchets de types nouveaux que nous observons un peu partout dans notre environnement. Nous nous interrogeons sur l’urgence à mettre en place une filière adaptée à ces masques jetables.

En ce qui concerne la gouvernance de la santé-environnement, je trouve une contradiction dans votre propos : vous affirmez que le PNSE est un outil extraordinaire tout en soulignant son inefficacité. Si c’est un outil intéressant, pourquoi en dénoncez‑vous le manque chronique d’opérationnalité et d’impact ? À vous entendre, en fait, la santé environnementale dans les établissements de santé relève davantage d’initiatives locales, de bonnes volontés et d’individus, que d’une organisation portée clairement par une institution bien identifiée. Pourtant, vous nous dites que nous avons beaucoup de chance d’avoir le PNSE et les PRSE. Expliquez-moi pourquoi l’existence de ces plans vous paraît être une avancée en matière de santé environnementale, et en quoi ils manquent d’efficacité.

Les deux inspections des ministères chargés de la santé et de l’environnement, qui ont évalué la mise en œuvre du PNSE 3 car leurs ministères sont ceux qui en assurent le pilotage, ont été, lorsque nous les avons auditionnées, extrêmement critiques quant au manque d’utilité et à l’inefficacité de ce plan. Ces failles résulteraient notamment, à les entendre, du manque de critères et d’indicateurs de performance et de l’absence d’une gouvernance clairement établie. Les inspections nous ont dressé, globalement, un bilan extrêmement négatif de la situation, en suggérant que la situation n’est pas différente de ce qu’elle aurait été s’il n’existait pas de politique nationale de santé environnementale en France.

M. Olivier Toma. Je répondrai d’abord sur la problématique de l’articulation entre l’emploi et l’engagement associatif. Je ne suis pas le président de l’association. J’en suis l’un des adhérents, administrateur et porte-parole. J’ai le droit, à côté, d’exercer un métier. Je reviens d’ailleurs sur la logique des sociétés à mission. Je suis assez étonné que, en France, certains appels à projets ou des appels à manifestation d’intérêt soient exclusivement réservés au monde associatif. J’en ai encore découvert un la semaine dernière : Impact 2024 pour mettre le sport, le développement durable et la santé à l’honneur dans notre pays. Cet appel est exclusivement réservé à des associations ayant au moins deux salariés. Pourquoi privilégie-t-on des associations dès lors qu’elles ont deux salariés ? Pourquoi des entreprises qui ont des experts-comptables, des commissaires aux comptes et des organismes tiers indépendants qui viennent vérifier leurs données, leurs chiffres et l’atteinte de leurs objectifs sont-elles exclues systématiquement du système ? C’est un grave problème qui explique certains des blocages que connaît notre pays.

Je ne comprends pas pourquoi, pour la conception des PNSE et PRSE, nous n’avons pas autour de la table des experts qui soient des gens compétents, qui puissent être chefs d’entreprises, responsables de collectivités ou responsables d’associations. Nous sommes face à un dogmatisme qui, à mon sens, bloque le pays. Je pense qu’adhérer à une association et être chef d’entreprise sont deux activités compatibles. Ce sont surtout les entreprises qui, dans notre pays, créent des emplois.

En ce qui concerne les masques, les établissements de santé ont privilégié l’usage unique depuis des années parce qu’il existe dans le monde de la santé des lobbys très puissants qui privilégient l’usage unique et qu’il n’existe pas, en face, de lobby éthique et citoyen qui permet de promouvoir l’usage multiple, comme le font d’autres pays. C’est le « reprocessing » qui fonctionne très bien en Allemagne. Nous sommes tout à fait en mesure aujourd’hui de laver les masques. J’ai des masques lavables ; vous voyez que je porte un masque lavable offert par l’ARS Occitanie. Cela permet de faire à peu près trente fois moins de déchets que des masques jetables, qui se retrouvent partout dans nos poubelles et au fond des océans. La seule réponse qui m’est faite est que l’efficacité des masques lavables n’a pas été évaluée. C’est se moquer du monde ! L’efficacité des masques jetables fabriqués en Asie n’est pas évaluée non plus, ils n’ont la plupart du temps même pas de certificat de conformité. Ce sont encore une fois des affirmations et des erreurs regrettables. Nous participons avec de telles décisions à la fabrication des nuisances et des impacts de demain.

Enfin, en ce qui concerne la gouvernance des politiques de santé environnementale, il n’y a aucune contradiction dans mes propos. C’est en effet une chance d’avoir un plan national santé-environnement. C’est une chance d’en avoir eu trois versions depuis quinze ans, et d’en avoir des déclinaisons régionales. Ces plans sont très bien faits, ils contiennent toutes les thématiques à prendre en considération pour réduire les impacts sur la santé humaine et animale et sur l’environnement. En revanche, ils ne sont pas pilotés ni financés.

Le problème de fond du PNSE, c’est en effet l’absence de budget, d’interlocuteur et de pilote. J’ai eu des rendez-vous au ministère chargé de l’environnement sur ces sujets. Je n’en ai eu aucun au ministère chargé de la santé, où il n’y a pas d’interlocuteur consacré à ces sujets. Paradoxalement, à chaque fois que nous avons un rendez-vous au ministère chargé de l’environnement pour parler de ces sujets afférents à la santé, après nous avoir écoutés poliment pendant une heure, l’interlocuteur nous apprend que, puisque notre sujet concerne la santé, il nous faut aller au ministère chargé de la santé. Si demain nous définissions un pilote pour diriger les actions nationales et régionales, nous aurions des résultats. La preuve en est que les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et PACA ont des résultats probants de réduction de déchets, de réduction d’impact, d’amélioration du bien-être et de la santé des collaborateurs dans les établissements. Dès lors que le plan est piloté, dès lors que les budgets sont mis en place, les résultats sont présents. Nous pouvons faire de la France un pays exemplaire en la matière à cette triple condition-là.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je suis sensible à vos propos, monsieur Toma, parce que je suis médecin de santé publique, et particulièrement investie dans tout ce qui concerne la prévention. Nous retrouvons les problèmes que vous pointez dans la politique de prévention et je pense d’ailleurs que les deux sujets sont très liés, parce que la santé environnementale fait partie de la prévention et réciproquement. La volonté politique est présente et formalisée puisque nous avons un PNSE, même si elle n’est ni suffisamment efficiente ni suffisamment efficace. De la même façon, un des quatre piliers de la stratégie de la réforme « Ma santé 2022, un engagement collectif » est la prévention. Jusqu’à présent, aucune stratégie ne pointait explicitement l’enjeu majeur de la prévention.

Nous nous confrontons à cette difficulté que vous décrivez très bien. Chaque ministère est mandaté pour un aspect particulier de la question et, au fond, nous n’avons pas de pilote. Personne n’est garant que nous travaillons ensemble, que nous tenons les objectifs ou au moins essayons de les tenir. Je voudrais entendre votre expérience sur la situation dans d’autres pays européens ou outre-Atlantique. Comment est appréhendée la santé environnementale ? Avons-nous des modèles qui donnent des lignes directrices vers lesquelles nous devrions tendre ? Ces modèles pourraient-ils nous aider à ne pas tout recommencer, à nous appuyer sur des bonnes pratiques ?

M. Olivier Toma. Je pense que nous sommes l’un des pays les plus engagés dans ce domaine. Je n’ai pas vu l’équivalent de ce que nous avons impulsé en France, en dehors de la Suisse et de la Suède. Certains pays ont agi ponctuellement mais pas de manière globale. C’est, par exemple, le cas de la Suisse ou de la Suède sur les résidus médicamenteux. Nous sommes très mauvais sur ce sujet en France, et je vous engage à lire les rapports de l’Académie nationale de pharmacie de décembre 2008 et de 2019, qui sont étonnants. Ils expliquent que nous avons des résidus de médicaments – cytotoxiques, œstrogènes, antiépileptiques – dans l’eau que nous buvons tous les jours. La Suisse a mis en place dans les stations d’épuration des filtres à xénobiotiques, et elle a réussi à réduire de façon considérable ces résidus de médicaments. La Suède a créé l’indice des substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (PBT) : tous les médicaments sont classés de 0 à 9 en fonction du taux de rejet dans les urines de molécules médicamenteuses. Depuis vingt ans, le C2DS milite pour que la France adopte et adapte l’indice PBT. Cela signifierait que, lorsqu’un médicament est prescrit et délivré, seraient pris en compte non seulement l’efficacité du médicament, mais aussi ses impacts environnementaux.

D’autres pays ont réussi à être en autoconsommation énergétique. En France, aucun travail n’est réalisé sur la transition énergétique du secteur hospitalier. Cela fait partie de nos demandes, mais la transition énergétique n’est pas en cours et n’est pas financée. Le monde de la santé ne pourra pas atteindre les objectifs du Grenelle de réduction de 40 % des gaz à effet de serre dans dix ans. Nous le savons d’ores et déjà puisque le financement et l’accompagnement sur ce sujet ne sont pas prévus. Par comparaison, le système de santé anglais a déjà réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % à l’aide d’un fonds pour la rénovation énergétique du secteur, que nous demandons depuis dix ans.

Chaque pays a réussi à mettre en œuvre une action phare, mais aucun pays au monde n’a réussi à mettre en place une politique globale comme celle dont nous avons la chance de disposer. Cette politique n’est juste pas appliquée, pas financée, pas structurée, pas pilotée, mais elle existe. Il s’en faut de peu pour que, demain, nous parvenions à véritablement coordonner cette politique.

Je vous donne un autre exemple, qui va vous choquer. Je pense que la santé a trop de moyens, trop d’argent. Nous avons tellement d’agences, tellement de plans mais nous n’avons aucune coordination entre ces plans. Le plan santé au travail (PST) et les plans régionaux santé au travail (PRST) n’ont aucune coordination avec le plan national santé-environnement. Le plan national sur les résidus de médicaments dans l’eau n’a pas de connexion avec le PNSE. La déclaration d’Ostrava, il y a deux ans, dans laquelle les ministres chargés de la santé et de l’environnement réunis ont pris des engagements forts, n’a pas de connexion avec le PNSE. Le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), quant à lui, n’a aucune connexion avec les programmes précédents.

Les hauts fonctionnaires au développement durable des ministères, mis en place voilà une dizaine d’années, n’ont aucuns moyens et sont invisibles. Entendez le haut fonctionnaire au ministère chargé de la santé, qui est très engagé mais n’a, hélas, aucun moyen. Je me répète : nous avons trop d’interlocuteurs et trop de plans. Il faut un guichet unique. Mutualisons et créons une entité unique qui puisse piloter la santé environnementale dans notre pays. Mettons donc de la coordination, de la structure, des pilotes, des experts aux commandes de ces sujets, et la France sera le pays le plus engagé et le plus exemplaire. C’est tout à fait accessible.

Mme Bénédicte Pételle. Vous avez parlé de régions, telles que la région PACA, dans lesquelles cela fonctionne. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

M. Olivier Toma. J’ai cité trois régions : Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et PACA. Pourquoi cela fonctionne-t-il ? La seule raison, c’est l’engagement du directeur de l’ARS sur ces sujets. Il a désigné des collaborateurs chargés de ces sujets qui ont mis en place des budgets pour accompagner les établissements. Nous avons donc une volonté stratégique à la tête du système avec des collaborateurs désignés et des budgets pour financer les actions. Ce qui manque, c’est la mutualisation de ces bonnes pratiques.

J’ai proposé cet été un sujet sur les achats responsables aux ministères chargés de la santé et de l’environnement et à tous les acteurs en place. Le système hospitalier affiche près de 17 milliards d’euros de dépenses par an de consommables. Je peux vous affirmer qu’il n’existe pas de politique d’achats responsables dans ce pays. Voici trois ou quatre ans, 130 groupements hospitaliers de territoire (GHT) chargés de cette question ont été créés mais ils n’ont même pas d’outil de mutualisation pour leurs achats. Par exemple, il nous a été demandé de travailler sur l’analyse des cosmétiques distribués dans les maternités de la région PACA. Nous avons donc analysé tous les cosmétiques contenant des perturbateurs endocriniens dans les crèches et maternités de PACA et de Nouvelle-Aquitaine puis incité les établissements à supprimer ces produits. Ce travail ne peut même pas être mutualisé avec les autres régions.

J’ai écrit au ministère chargé de la santé, expliquant que nous avions créé un outil pour mutualiser ces analyses et souhaitions le mettre à sa disposition, de façon à ne pas être dans une dynamique de chiffre d’affaires et de facturation, dans une région, d’un travail qui aurait été fait dans une autre région. Nous proposions de le donner. Nous n’avons même pas reçu de réponse. C’est tout de même incroyable que nous puissions proposer, sans avoir de réponse ou d’interlocuteur, de résoudre sur le terrain des problèmes qui ne devraient d’ailleurs pas exister, puisque c’est l’État qui devrait faire ce travail d’analyse des cosmétiques contenant des nanoparticules ou des perturbateurs endocriniens dans les maternités et les crèches. Si nous existons, c’est bien du fait de l’absence de pilotage de l’État sur ces sujets.

Nous venons d’être chargés de travailler sur la définition de critères de choix de couches écoconçues, biosourcées et sans produit dérivé de pétrole pour les maternités. Nous avons donc conçu ces critères pour un GHT. Maintenant que ces critères existent, je ne veux pas les vendre mais les donner, conformément à la logique de l’entreprise à mission. Toutefois, il faudrait des interlocuteurs, une plateforme. Nous sommes allés jusqu’à créer cette plateforme et elle est à disposition mais nous n’avons pas d’interlocuteur à qui l’offrir. Vous voyez qu’il ne manque pas grand-chose. En réalité, sur le terrain, tout est fait et fonctionne. Il suffit de cartographier ce qui fonctionne bien et de mutualiser ces actions exemplaires.

La région Nouvelle-Aquitaine nous a par exemple mandatés pour travailler à l’identification des risques issus de l’utilisation des produits chimiques dans les maternités, pour réduire ce risque, réduire les effluents liquides, réduire les quantités de stockage, réduire les déchets, réduire les composés organiques volatils de ces produits. Ce travail est déjà fait dans cette région. Nous associons en France désinfection et la chimie, ce qui est une erreur : la désinfection n’est pas forcément chimique. Les infectiologues vous diront que le balayage avec de la microfibre à l’eau sur les revêtements de sol a exactement le même résultat que des produits chimiques désinfectants. En revanche, avec du balayage humide, vous divisez par sept les impacts négatifs. Cela n’intéresse personne. Aucun lobby ne se trouve derrière le fait de balayer avec de l’eau et de la microfibre alors que, en face, les lobbys de la chimie sont très puissants. Ce travail a été réalisé pour les maternités de la région Nouvelle-Aquitaine. Mettons-le dans une plateforme pour que l’ensemble des établissements français puissent bénéficier de ce travail puisqu’il a déjà été réalisé.

Mme Nathalie Sarles. À la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, lorsque nous avons travaillé sur le projet de loi sur l’économie circulaire, nous avons eu toutes les peines du monde à travailler avec le ministère chargé de la santé. À chaque fois que nous avons essayé d’ouvrir des portes, elles se sont refermées. Je l’ai vraiment regretté. Nous avons travaillé notamment sur la délivrance du médicament à l’unité. Nous avions des sujets sur les DASRI, car je suis infirmière de métier, et je sais que des produits sont jetés dans les DASRI alors qu’ils n’ont pas à y être jetés. Ce que vous dites me consterne, parce que cela montre bien que la politique publique de la santé est en France finalement une sorte de pré carré, avec très peu de travail interministériel.

M. Olivier Toma. Un des problèmes de fond est l’absence de politique à long terme et de budget pluriannuel. Le monde de la santé nécessite aujourd’hui des investissements importants avec des répercussions dans une ou plusieurs décennies. Nous sommes capables de financer à horizon 2050 des projets aérospatiaux, mais nous ne sommes pas capables de connaître le tarif d’un hôpital, d’une clinique ou d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en janvier 2021. C’est très compliqué, sur le terrain, de piloter et d’investir sur des projets sans budget pluriannuel. Sur l’ensemble des thématiques que j’évoque, il faudrait investir aujourd’hui du temps, de l’expertise et des moyens pour réduire les impacts de demain. Sans une vision à long terme, pluriannuelle, sans savoir quels sont nos objectifs de santé publique en 2030, c’est beaucoup plus compliqué.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Il se pose en outre une question de culture : dans chaque ministère se trouvent des hauts fonctionnaires mandatés au développement durable, mais existe-t-il une véritable culture partagée ? Par exemple, nous avons souvent le mot « prévention » à la bouche, mais ce que cela recouvre et la façon de le promouvoir ne sont pas forcément bien connus ni partagés. Que pensez-vous de ces problématiques de formation et de partage des connaissances ?

M. Olivier Toma. Sur le sujet de la culture, je pense que nous ne sommes en fait pas dans le monde de la santé mais dans le monde de la maladie. Le système, tel qu’il existe aujourd’hui, est basé sur le fait que plus il existe de malades, plus tout le monde gagne de l’argent. C’est très direct mais c’est terrible. En fait, qui a intérêt à agir ? Ce sont les lobbys organisés. Nous avons donc un problème de culture parce que nous ne sommes pas dans une culture de l’anticipation et de la prévention dès le premier âge. Par exemple, dans certaines régions dans les Outre-mer, nous sommes à 30 % de population diabétique. Où est la culture de l’éducation à la nutrition ? En voyant ce que mangent les enfants dans certaines régions, nous pouvons être très inquiets sur leur état de santé dans les années à venir.

Nous avons, voilà dix ans, fait une expérimentation à l’échelle d’une ville, à Béziers. Nous avons dépisté, avec l’hôpital, l’assurance-maladie et la maternité privée, l’amblyopie, qui est une myopie d’un œil chez les nouveau-nés. Elle se détecte à neuf mois et non à la naissance comme la surdité. Nous avions lu dans la presse que 14 enfants sur 1 000 naissaient amblyopes dans le monde et nous avons fait un test à l’échelle de la ville. Nous avons trouvé exactement ce chiffre à Béziers. Sur 3 000 naissances, une trentaine d’enfants étaient amblyopes. Le dépistage de l’amblyopie coûte 30 euros et n’est pas organisé dans le pays. Cela signifie que, si nous investissions 30 euros par naissance à neuf mois, à multiplier par 700 000 naissances par an, nous dépisterions 14 enfants sur 1 000, ce qui leur éviterait d’avoir toute leur vie des problèmes de lunettes. Lorsqu’un enfant n’a pas été dépisté, il ne sait pas lire en CP, il a des troubles de l’équilibre et cela enclenche quantité de problématiques dans sa vie. J’ai été reçu par le ministre chargé de la santé pour présenter ces résultats, avec le directeur de la sécurité sociale et le directeur général de l’offre de soins. Nous avions proposé de rendre systématique ce dépistage de l’amblyopie à neuf mois. La réponse a été : qu’est-ce que cela nous rapporte à court terme pour les présidentielles ? J’ai prêté serment et j’insiste là-dessus. C’est la réponse qui nous a été faite à l’époque. Dix ans plus tard, le dépistage de l’amblyopie n’existe toujours pas et, chaque année, 14 enfants sur 1 000 naissent amblyopes et auront des lunettes toute leur vie. Pourquoi n’avons-nous pas cette culture ? Je ne peux pas vous répondre. Ce n’est pas dans la politique française de santé.

Je passe à la sensibilisation et à la formation. Les professionnels français de santé ne sont pas formés à la santé environnementale, à la RSE et au développement durable, ni en formation initiale ni en formation continue. Cela fait plus de quinze ans que nous en parlons et que, là non plus, nous n’avons pas d’interlocuteur, quels que soient les partis politiques au pouvoir. Aujourd’hui, si une femme enceinte ou une jeune mère veut avoir des informations sur ce qu’elle peut manger, boire, mettre sur sa peau ou sur la façon d’alimenter son nouveau-né, elle ne s’adresse pas à son gynécologue, son pédiatre ou sa sage-femme. Elle s’informe sur Google ou Yuka. Lors d’audits ou d’accompagnements, à la question « Êtes-vous formé pour vendre des produits sans perturbateurs endocriniens ? », certains pharmaciens me répondent « Oui, nous avons téléchargé Yuka pour nos collaborateurs. » C’est aujourd’hui la réponse en France, alors que nous ne savons pas qui est derrière Yuka et que ce n’est pas cohérent, car les applications de ce type ne prennent pas en compte la nature du contenant et du contenu. Nous avons des problèmes à cause des contenants, et c’est la raison pour laquelle nous retrouvons dans des laits infantiles des nanoparticules, des phtalates et des benzènes qui sont présents dans les contenants.

Nous avons donc un problème de formation majeur. Nous ne pouvons pas en vouloir aux professionnels de santé de ne pas être formés. Certains établissements ont décidé de mettre en place des plans de formation, mais cela dépend des gérants. C’est lié à la volonté d’un homme ou d’une femme qui a conscience du problème. Notons qu’ils n’ont pas toujours le budget pour le faire. Chacun fait comme il peut, et c’est dommage. Il suffirait, encore une fois, que ces actions soient structurées et pilotées pour que les résultats soient très rapides.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le problème essentiel que vous soulignez est celui du pilotage. Au niveau national, nous ne savons pas qui est le pilote et vous n’avez pas de réponse quand vous tentez d’avoir des interlocuteurs. Il me semble pourtant que la Haute Autorité de santé (HAS) avait parlé en 2010 de développement durable dans les établissements de santé, même si le sujet de la santé environnementale n’était pas encore abordé. Les directeurs d’établissements connaissaient encore mal le sujet du développement durable ou étaient réticents parce qu’ils craignaient des surcoûts. Que sont devenues ces directives de la HAS ? Est-il encore fait mention de démarches de développement durable dans les guides d’accréditation ? Des démarches de santé environnementales ont-elles été ajoutées ? Que pensez-vous du rôle possible de la HAS comme éventuel pilote ou interlocuteur ? Est-ce à votre avis un mauvais interlocuteur ? Faudrait-il s’organiser autrement ? Enfin, connaissez-vous le groupe santé environnement (GSE) ? C’est un groupe interministériel, où sont invités des représentants des entreprises, du monde de l’économie, des agences, des chercheurs, dont le rôle est, au travers de groupes de réflexion, de faire avancer le contenu des PNSE.

M. Olivier Toma. Je n’ai pas connaissance du GSE. Ma connaissance théorique des PNSE est qu’ils doivent être fabriqués avec des parties prenantes et que les PRSE doivent être fabriqués avec des établissements de santé. En pratique, j’ai fait un test qui a duré dix ans. Dans toutes les villes dans lesquelles je passe en France lorsque je fais une conférence ou une formation, je demande systématiquement, à des interlocuteurs qui sont engagés sur la RSE et la santé environnementale : « Avez-vous déjà participé à la déclinaison régionale de votre PRSE ? » En dix ans, je n’ai jamais rencontré une seule personne qui ait été sollicitée. Je ne sais donc pas qui fait quoi parce que c’est totalement opaque.

En ce qui concerne la Haute Autorité de santé, c’est à mon avis un point clef. C’est elle qui a permis de structurer les démarches qualité dans le monde de la santé, en plusieurs étapes. Ce fut d’abord, avec le professeur Yves Matillon, la création en 1990 d’une association, l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM), qui s’est ensuite transformée en un établissement public administratif, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) créée en 1997, puis en 2004 en une autorité administrative indépendante, la HAS.

Il y a eu, dans la certification V2014, 45 items sur le développement durable, mais avec deux problèmes de fond que je préciserai tout de suite. Si nous réglons ces deux problèmes de fond, la HAS sera un acteur clef pour la suite. Sinon, elle ne le sera pas. Le premier problème est que ces 45 items étaient optionnels. Cela signifie que tout ira vers le bas, parce que les établissements les plus engagés en France, ceux qui mènent des actions fortes sur ces sujets, ne sont pas audités sur ces points lors de la visite de certification. Il n’existe pas d’incitation, pas de mise en lumière des acteurs les plus vertueux. Ceux qui ne font rien ne sont pas non plus sanctionnés puisqu’ils ne seront de toute façon pas interrogés sur le sujet. En réalité, cette façon de travailler soutient les moins vertueux du système. Le deuxième problème, dont nous avions parlé à la HAS dès 2014, c’est que les visiteurs experts ne sont pas formés sur les items de la RSE. Vous pouvez être auditionné par des visiteurs experts qui en savent moins que vous sur ces sujets. Cela ne fonctionne pas. Pour que cela puisse fonctionner demain, les critères RSE et santé environnementale de la Haute Autorité de santé dans la certification V2020 à sortir – elle a presque un an de retard – doivent être obligatoires et non optionnels. La RSE et la santé environnementale ne peuvent pas être une option. Il faut de plus que les visiteurs experts aient un cursus de formation, avec des modules sous forme de formation en ligne ouverte à tous (MOOC) ou autre, pour qu’ils soient parfaitement efficaces et comprennent les enjeux. Nous manquons de pédagogie sur ces sujets.

Si nous résolvons ces deux problèmes, la HAS sera un acteur clef de l’avancée et de l’évolution de la santé environnementale et de la RSE dans les entreprises françaises. J’ai dit « entreprises » parce que, même si nous parlons aujourd’hui du monde de la santé, les sujets de RSE et de santé environnementale concernent tous les secteurs, toutes les collectivités, toutes les organisations. Aujourd’hui s’ouvrent à nous des acteurs nouveaux : des offices du tourisme, des théâtres, des opéras s’adressent à nous pour que nous leur donnions des protocoles que nous mettons en œuvre dans la santé. Le monde du tourisme et le monde de l’événementiel s’ouvrent à l’écoconception des décors, à la réduction des risques chimiques dans les lieux recevant du public, dans l’hôtellerie, la restauration.

La thématique de la santé environnementale est centrale pour l’ensemble des organisations. Nous voyons bien, avec la covid-19, que la sécurité sanitaire et la sécurité environnementale vont de pair. Lorsque je vois que, dans certaines villes, le sable a été nettoyé à l’eau oxygénée ou que des biocides ont été pulvérisés dans les classes alors qu’elles étaient inoccupées depuis trois mois, au-delà de l’inutilité de l’action, des dépenses engendrées et des impacts sur l’environnement, c’est tout simplement un délit pénal. Je crois qu’il est temps de remettre du bon sens sur ces sujets. La Haute Autorité de santé peut avoir un impact bien au-delà des frontières du monde de la santé, avec des préconisations qui peuvent s’appliquer dans tous les secteurs de l’économie.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons donc identifié une piste de portage de la gouvernance au niveau national, dans le secteur des établissements de santé.

Vous parlez de mutualisation des bonnes pratiques. Pour ne pas y avoir été étrangère, j’ai connaissance de la mise en ligne, à l’intention des élus locaux, d’une boîte à outils pour se lancer dans des démarches de transition écologique. Parmi les volets de cette boîte à outils se trouve tout un chapitre sur la santé environnementale. Cela date de six mois environ et a été porté par le GSE, qui est une instance informelle et fort méconnue, comme vous venez de nous le confirmer. Nous avons dans un premier temps ciblé les élus locaux mais j’entends avec beaucoup d’intérêt qu’il existe une plateforme. La boîte à outils dont je vous parle a été portée par le ministère chargé de l’environnement, avec une coordination sur le volet typiquement sanitaire de la santé environnementale. C’est une piste. Nous pourrions le mettre en place très rapidement et cela pourrait peut-être être porté par le GSE. Je voulais partager avec vous cette information plutôt positive. Puisque nous avons réussi à le faire pour les élus locaux, pourquoi ne le ferions-nous pas à l’échelle des établissements de santé ?

Cette boîte à outils est disponible sur le site du ministère chargé de l’environnement, à destination des élus locaux. Comme vous le disiez, Monsieur Toma, il existe des actions mais elles se font de façon assez désordonnée. Le site de l’Agence nationale de santé publique, « Agir pour bébé » est également très bien fait. Le ministère chargé de la santé ne communique pas encore de façon intensive sur ce site et je me trouve souvent face à des élus locaux auxquels je vante le grand intérêt de ce site, qui donne des indications pratiques aux futurs parents qui souhaitent protéger leur bébé. Ces deux sites sont sortis récemment à l’initiative du GSE. Il y a donc des choses nouvelles même si elles mériteraient d’être mieux structurées.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Monsieur Toma, quelles sont pour vous les deux urgences majeures en santé environnementale ? Que faut-il prioriser ?

M. Olivier Toma. J’aurais du mal à ne vous donner que deux priorités. C’est un exercice compliqué.

La première priorité, à mon sens, est d’avancer vers la suppression de l’exposition aux perturbateurs endocriniens des enfants, dans le monde de la santé, dans les écoles, les crèches et les maternelles. Nous sommes actuellement en contact avec les perturbateurs endocriniens de quatre manières : dans ce que nous mangeons, dans ce que nous buvons, dans ce que nous mettons sur la peau et dans ce que nous respirons. Cela signifie qu’il faut parler de la qualité de l’air intérieur, de la qualité sanitaire des matériaux de construction, de la problématique des cosmétiques. Celle-ci qui est large, puisqu’elle concerne même les cosmétiques spécifiques pour les mamelons des mamans allaitantes – nous sommes à la limite du complément alimentaire. Dans ces produits qu’un enfant ingère quasiment huit fois par jour se trouvent des allergènes, des perturbateurs endocriniens, de tout !

Je vous ai apporté des documents très intéressants sur des cosmétiques pour fillettes. Ces produits ne sont soumis à aucune autorisation de mise sur le marché. Il existe des gels intimes, des lingettes intimes pour petites filles à partir de deux ans, des déodorants pour garçonnets. Nous en avons fait l’analyse, nous avons décortiqué les compositions. Il faut que nous travaillions à exiger des autorisations de mise sur le marché pour ces produits. Ce n’est pas normal de pouvoir mettre sur les muqueuses d’un enfant de tels produits qui contiennent 6, 7, 8, 9 ou 10 substances suspectées de toxicité. Le ministère chargé de la santé dispose de ces documents, je vous ai apporté tous les courriers que nous lui avons adressés.

L’impact des perturbateurs endocriniens est aussi présent dans l’alimentation des enfants. Comment se fait-il que le plastique à usage unique soit interdit en restauration collective pour les adultes depuis la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) mais que les biberons à usage unique des maternités soient tous en plastique ? L’année dernière, 9 millions de nourrettes, de collerettes et de tétines ont été jetées alors que, il y a quelques années, ces biberons jetables étaient en verre et bénéficiaient de circuits de revalorisation. Les industriels se sont entendus pour passer au plastique, et ce plastique contient des perturbateurs endocriniens qui migrent dans les laits infantiles. Nous avons les éléments de preuve à ce sujet, et nous les avons adressés aux ministères chargés de l’environnement et de la santé et à la DGCCRF il y a déjà deux ans.

Nous respirons également ces perturbateurs endocriniens à cause des matériaux de construction ou de rénovation qui émettent des composés organiques volatils. Pourquoi les faux plafonds français émettent-ils du formaldéhyde ? Pourquoi n’existe-t-il pas d’autorisation de mise sur le marché pour ces produits, qui composent nos crèches, nos écoles, nos maternités ?

L’une des premières priorités doit être de réduire l’exposition des Français aux perturbateurs endocriniens. Ils sont nombreux et identifiés et les règles sont connues. Ce n’est pas la dose qui fait le poison mais la récurrence dans le temps de doses infinitésimales. Pourtant, j’ai des dizaines de courriers de personnes qui expliquent respecter les seuils prévus dans les textes, qui manquent donc le sujet.

Le plus incroyable provient du centre de transfusion sanguine : les poches de recueil de produits sanguins contiennent des phtalates. Pour celui qui reçoit le sang, lorsque cela lui sauve la vie, il est évident que les phtalates sont une question annexe mais cela me gêne plus pour les donneurs de plasma. Je suis donneur de sang et il m’a été proposé de donner du plasma. J’ai accepté, sous réserve que les poches ne soient pas à base de phtalates. Le centre de transfusion sanguine répond que, à chaque fois que quelqu’un donne du plasma et que ses globules lui sont réinjectés, ce donneur reçoit une dose de phtalates. C’est connu. J’ai été reçu par la direction de l’Établissement français du sang qui dit ne pas avoir le choix parce que les industriels n’ont pas de poche sans phtalate. Où sont la recherche et le développement ? C’est cela qu’il faut accélérer avec le plan de relance.

Pour la deuxième priorité, j’ai beaucoup de mal à répondre. C’est peut-être la réduction des résidus de médicaments dans l’eau et l’application de l’indice persistance, bioaccumulation, toxicité (PBT) pour prescrire les médicaments les moins polluants pour la santé humaine et l’environnement, sujet qui appelle une sensibilisation et une formation des professionnels.

Par exemple, la chimiothérapie est interdite en ambulatoire en médecine vétérinaire depuis 2008, par décret, alors que la chimiothérapie en médecine humaine est développée à 80 % en ambulatoire, bientôt à domicile. Il n’existe plus de chimiothérapie hospitalière. Auparavant, lorsque les patients étaient hospitalisés, il était possible de traiter les excrétats qui contiennent des cytotoxiques extrêmement dangereux pour la santé humaine. C’est la raison de l’interdiction en ambulatoire en médecine vétérinaire. Il faudrait donc en théorie récupérer les excrétats à domicile, comme sont récupérés les DASRI à domicile, ce qui n’était pas fait il y a quinze ans. Il faudrait même conseiller aux aidants de se protéger pendant 48 heures en cas de chimiothérapie parce que tous les excrétats, y compris la sueur et les postillons, sont dangereux pour les aidants. L’impact des médicaments sur la santé humaine est un véritable chantier.

Toujours sur la même question, savez-vous qu’il n’existe pas de circuit de traitement des médicaments périmés pour les hôpitaux ? Il existe un éco-organisme, Cyclamed, dont le seul objet est de récupérer les médicaments périmés des ménages. Il suffirait de changer l’objet pour viser les établissements de santé aussi bien que les ménages. De ce fait, les établissements de santé français n’ont pas de filière de traitement et nous ne savons pas où vont leurs médicaments périmés. La plupart du temps, ils vont dans les DASRI, alors que Cyclamed existe et est financé. Il faut étendre ces filières. L’impact du médicament sur l’environnement et sur l’eau fait donc à mon avis partie des priorités.

J’ajoute une troisième priorité sur la problématique des nanoparticules, notamment des nanoparticules de dioxyde de titane. Nous avons la chance d’être dans un pays où elles sont interdites depuis janvier 2020 dans l’alimentation, et c’est une très grande avancée. En revanche, nous retrouvons des nanoparticules de dioxyde de titane dans les cosmétiques, dans les médicaments et dans les matériaux de construction. Cela n’a pas de sens. Pourquoi prescrire à une mère un médicament contenant du dioxyde de titane sous forme nanoparticulaire alors que nous savons que c’est toxique et dangereux ? La problématique des nanoparticules est une urgence ; nous en mettons partout. Je vois par exemple des matériaux de construction avec des allégations mensongères du type « revêtement de sol autonettoyant » parce que, soi-disant il se produirait un effet photocatalytique entre les ultra-violets (UV) et le dioxyde de titane qui tuerait les germes. Montrez-moi où les UV, ici à l’intérieur, tapent sur le revêtement de sol : nulle part ! Des allégations mensongères sont utilisées par les industriels, et il n’existe pas d’autorisation de mise sur le marché de ces matériaux de construction qui peuvent être toxiques lors de l’utilisation, de la pose, de la fabrication, et de l’enlèvement dans quelques années, puisque ces déchets sont considérés comme des déchets amiantés.

Ce sont les trois urgences. J’ajoute deux idées. D’abord, sur l’écoconditionnalité des financements : dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », qui date de 2003, l’allocation de 10 milliards d’euros pour la rénovation hospitalière était conditionnée au fait que les établissements suivent la norme Haute qualité environnementale (HQE). Cette écoconditionnalité des subventions n’existe plus aujourd’hui. Pourquoi ne pas privilégier les établissements engagés dans une dynamique à très haute qualité sanitaire, sociale et environnementale pour donner envie d’agir ? C’est un point-clef.

Par ailleurs, les incitations financières à la qualité (IFAQ) qui existent – et c’est très bien, nous le demandions depuis très longtemps – permettent de reconnaître les établissements engagés dans une démarche qualité. Sept thématiques sont prises en compte et nous proposons de créer un huitième thème sur la RSE et la santé environnementale, de sorte que les établissements les plus engagés soient également soutenus financièrement sur ce sujet.

Mme Laurianne Rossi. Cette intervention est extrêmement riche et préoccupante. Je rejoins nombre de vos questions. Nous les avions d’ailleurs posées dans le cadre du rapport de la mission d’information parlementaire sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastiques alimentaires cosmétiques et pharmaceutiques. Nous soulevions les points que vous venez d’évoquer et nous avons formulé de nombreuses recommandations. Certaines ont été entendues, c’est plus compliqué pour d’autres et le travail doit continuer.

Je constate aujourd’hui, en tant que parlementaire, aussi bien dans le cadre du rapport que de la loi Egalim, des difficultés en matière de transparence autour des composants et des substances utilisées dans différents produits. Au niveau européen, le règlement Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH) du Parlement européen et du Conseil, adopté le 18 décembre 2005, est en train d’être révisé. C’est l’occasion d’avancer sur la transparence et sur l’interdiction pure et simple de certaines substances. Il faut que nous soyons, en tant que parlementaires, mobilisés sur le sujet. Je serais curieuse de vous entendre sur cette dimension européenne de la question.

J’ajoute qu’il faut aussi se préoccuper de l’information du consommateur. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) évoquait un « Toxi-score ». Cet indicateur, inspiré du Nutri-score, permettrait au consommateur de savoir que le produit qu’il achète – contenant ou contenu – peut présenter un danger pour la santé au regard des substances utilisées. Cela fait partie des recommandations que nous portons.

Enfin, vous avez évoqué un autre sujet qui m’est cher, celui de ces bâtiments publics – crèches, écoles, hôpitaux – qui utilisent quotidiennement des substances très inquiétantes, pour leur construction, leur fonctionnement ainsi que dans les produits délivrés aux usagers et aux patients. L’exemplarité commence par la puissance publique et il faut que nous avancions sur ce sujet.

M. Olivier Toma. Je ne suis hélas pas compétent sur le sujet européen. Je sais que c’est une piste, mais je n’ai pas assez d’informations. Ce qui me fait peur avec l’Europe, ce sont les délais à la mise en place des procédures. Je pense que REACH doit en effet parvenir à interdire des substances et non simplement déterminer des seuils.

Prenons l’exemple de la taurine dans les laits infantiles. Nous avons eu une ministre, il y a quelques années, qui a expliqué que la taurine est dangereuse pour les adolescents et qu’il faut la supprimer des boissons énergisantes, tandis que de la taurine de synthèse est ajoutée dans tous les laits infantiles. J’ai des courriers du ministère qui me répond que c’est normal puisque le lait maternel contient de la taurine, mais je pense que la taurine fabriquée par une mère et la taurine de synthèse fabriquée en Chine ou en Inde sont différentes. Toutefois, les lobbys du lait et le ministère m’ont fait la même réponse – à la phrase près.

La logique des seuils n’est pas cohérente. Lorsque des laits contiennent des phtalates ou des benzènes ou des nanoparticules de dioxyde de titane, il faut l’indiquer. Sur une barre chocolatée, est indiquée la présence de traces de produits à coques. De la même manière, il devrait être indiqué « Attention, traces de perturbateurs endocriniens, de phtalates et de benzènes ». Il faut une transparence absolue sur la composition des produits que nous consommons. Pourquoi n’est-il pas obligatoire d’afficher la composition des couches et des parfums ? J’ai récemment vu des parfums pour fillettes : ils contiennent des phtalates et notamment du phtalate de dihéxil (DHP). Si l’Europe peut nous aider à ce sujet, c’est par une interdiction des produits et non pas par des seuils. Avec les seuils, nous sommes au cœur de l’exposition aux perturbateurs endocriniens par des doses récurrentes infinitésimales. Même si tous les industriels sont de bonne foi en respectant les seuils, si vous accumulez à la fin de votre journée ce que vous avez bu, mangé, respiré et mis sur votre peau, vous avez un effet cocktail et une multi-exposition qui n’en finit pas.

Nous avons écrit un document dans lequel nous avons décliné les objectifs de développement durable (ODD) de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour le secteur de la santé. Nous avons essayé de faire un résumé très synthétique avec 17 propositions. Si nous les appliquions dans le pays, je pense que nous serions un exemple pour l’Europe. Ce document contient tout ce que j’ai évoqué aujourd’hui, notamment la formation des acteurs et l’interdiction de certaines substances.

Je voudrais attirer votre attention sur un problème que nous devrons résoudre dans les mois qui viennent, celui de la vaccination liée à la covid-19. C’est un devoir républicain que de promouvoir la vaccination mais nous allons être confrontés à des débats entre les défenseurs de la vaccination et ceux qui y sont hostiles. J’attire votre attention sur le fait qu’il existe une troisième voie, qui existe en médecine animale et a été testée sur des volontaires dans des hôpitaux parisiens : la sérologie vaccinale. Il s’agit de mesurer les anticorps lors d’une prise de sang et de vacciner les personnes qui n’ont pas d’anticorps. C’est une vaccination personnalisée et non une vaccination de masse. Vous imaginez bien la position des lobbys, puisque les vaccins sont tout de même une belle rente pour les laboratoires. Je pense que cette troisième voie pourrait, le moment venu, apaiser les débats, parce que la gronde commence. Nous savons qu’il faudra l’affronter et je vous soumets cette possibilité. Je ne suis pas médecin et je n’irai pas plus loin. Je connais des médecins qui ont travaillé sur ce sujet puisqu’une expérimentation a été faite dans un hôpital parisien où cent collaborateurs qui devaient faire des rappels ont accepté de faire cette sérologie sur eux-mêmes. 73 % avaient encore des anticorps et pouvaient donc décaler la date du rappel. Cela signifie moins de déchets et moins de dépenses et car la sérologie coûte moins cher que le vaccin.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je reviens sur le problème de la gouvernance. Vous nous avez dit à plusieurs reprises que le PNSE est bon, mais qu’il manque un pilotage et des financements, ce qui en limite les impacts. Vous nous avez dit vos difficultés à trouver un interlocuteur dans les administrations, alors que vous représentez le monde de la santé. Le PNSE a toutefois d’autres cibles que le monde hospitalier et j’aimerais savoir comment vous envisagez une amélioration de la gouvernance nationale. Vous parlez de la difficulté à trouver un interlocuteur au sein du ministère chargé de la santé, mais plusieurs ministères sont concernés par le PNSE, en particulier les ministères chargés de l’environnement, du travail, de la recherche, de l’éducation nationale et de l’agriculture.

Quel serait à votre avis le meilleur pilotage national pour que ce PNSE prenne du sens et de l’efficacité et surtout qu’il puisse chapeauter la trentaine de plans sectoriels ? Quelle gouvernance suggérez-vous ensuite à l’échelle territoriale ? Vous nous avez beaucoup parlé du travail porté par certaines ARS mais, comme vous l’avez dit, cela dépend des individus. Pensez-vous que c’est le bon niveau de gouvernance territoriale ? Nous avons aussi entendu parler des conseils régionaux, des départements et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Enfin, comment associer la société civile et le monde associatif ? Vous dites que vous n’avez pas été officiellement associés à la définition du PRSE.

M. Olivier Toma. Ce sont des questions très difficiles. Ma réponse ne peut être que très polémique mais, puisque je suis ici, autant que cela serve à nourrir le débat.

Je pense que, sur ces sujets, une solution intéressante serait la fusion des ministères chargés de la santé et de l’environnement. Nous en sommes loin, mais nous voyons bien que toutes les décisions prises nécessitent une analyse bénéfices-risques. Par exemple, la réduction de la vitesse sur les routes peut être expliquée de deux façons : soit en faisant comprendre aux automobilistes, en mettant des radars partout, qu’ils sont des vaches à lait et paieront des amendes, soit en expliquant, comme des médecins me l’ont dit – et cela a changé mon attitude au volant – que réduire de 30 % la vitesse dans les agglomérations et autour des agglomérations permet de réduire les particules fines, et que cela réduit de 30 % les maladies cardiovasculaires. C’est ce qu’il faut expliquer, mais ce n’est jamais expliqué.

Il faut donc une transversalité dans les politiques publiques et il faut que les acteurs se parlent. J’entends bien qu’une véritable fusion entre les deux ministères ne sera jamais possible, parce que trop d’intérêts et trop d’egos sont en jeu. Peut-être faut-il investir dans une agence ou un guichet unique pour traiter ces sujets. Ce guichet unique pourrait aussi servir d’agence de recherche et développement en santé, ce qui n’existe pas. Il est étonnant que toutes les actions sur le terrain qui engendrent des résultats ne soient pas évaluées, que nous ne parvenions pas à faire ce travail de recherche et développement. Il faut certainement, en termes de gouvernance, regrouper des agences pour réussir à travailler de façon transversale.

J’en viens à l’échelon territorial. Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) est très structurante pour les sociétés. Elle permet aux organisations de définir leur raison d’être, d’avoir des objectifs et de faire en sorte que ces objectifs soient contrôlés par un tiers indépendant. Si ces dispositions sont bien appliquées, elles verront la fin de l’éco-blanchiment (« greenwashing ») dans notre pays. En ce qui concerne les territoires, nous prévoyons de faire une opération pilote à Montpellier fondée sur l’idée du territoire à mission, une adaptation de la dynamique de société à mission. Il s’agit de regrouper des acteurs – associations, collectivités, entreprises, citoyens – et de définir un objectif commun, de façon à ce que toutes les organisations y travaillent en commun. Nous n’avons pas encore les financements mais nous avons déjà quelques pistes, et j’ai rencontré le maire de Montpellier vendredi dernier. Nous proposerons, dans ce territoire à mission, de mener une action sur la qualité de l’air intérieur, et de supprimer les perturbateurs endocriniens dans les organisations impliquées.

Cela signifie de mutualiser les bonnes pratiques. C’est donc positif en termes de coûts, puisque lorsque nous avons réussi à le faire dans une structure, toutes les autres en bénéficient. Nous avons déjà prévu une plateforme pour mutualiser les données entre les différents territoires. Cela se fait sans l’État ; c’est le terrain qui s’organise. Le problème de fond est que cela sera long et compliqué puisque nous n’avons pas de moyens. Mais cela ne demande que peu de moyens. Un territoire à mission demande deux équivalents temps plein (ETP), ce qui vous donne une idée du budget. Ce n’est rien du tout ; je ne parle pas de créer des agences avec de nombreux effectifs. Il s’agit juste d’avoir des personnes qui identifient les bonnes pratiques, les cartographient, les mutualisent et que nous puissions échanger au niveau des territoires pour le mettre en œuvre.

Je propose donc, pour la gouvernance au niveau national, un guichet unique et un pilote unique. Au niveau des territoires, lançons une expérimentation, sur la logique des territoires à mission, pour que toutes ces actions mises en œuvre sur le terrain puissent bénéficier au plus grand nombre. Ne comptons pas que sur l’État pour le faire. Appuyons-nous sur les acteurs engagés dans les territoires et sur la société civile. Je prends un exemple : ce soir, nous animons à Béziers une réunion avec une vingtaine d’entreprises qui veulent s’engager dans l’amélioration de la qualité de l’air intérieur de leur organisation pour protéger leurs clients et leurs collaborateurs. Nous leur donnerons ce soir les outils pour protéger la santé de leurs parties prenantes. Nous mesurerons la réduction des impacts dans un an. Une fois que c’est fait dans un endroit, nous le donnons ensuite pour le dupliquer à un autre endroit. Il suffit d’avoir les moyens de coordonner ces actions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Dans cette démarche avec la ville de Montpellier, quels sont les acteurs qui se sont mobilisés ? Vous nous avez présenté des démarches extrêmement intéressantes au niveau de certaines régions, mais vous agissez là dans le cadre d’une grande métropole. Comment pourrions-nous à votre avis nous organiser au niveau des territoires ? Cela passe-t-il par une contractualisation entre l’État et les acteurs locaux ? Quels sont ces acteurs ? Le portage et la dynamique varient en fonction des personnes présentes sur le terrain.

M. Olivier Toma. Pour cette opération pilote à laquelle nous travaillons depuis un an, nous avons comme contacts d’une part des établissements de santé, dont le centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier, des cliniques et des EHPAD, et d’autre part le mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) qui sont les réseaux de l’ensemble des entreprises parties prenantes. Nous avons contacté les organismes de collecte des fonds de formation, dits opérateurs de compétence (OPCO), puisque ces acteurs peuvent financer des plans de formation globaux. Nous avons créé des formations en ligne ouvertes à tous, qui nous permettent de former, à un instant donné, de cent à quatre cents personnes et même d’éditer un certificat pour prouver que les gens ont été formés. Nous nous sommes aussi appuyés sur les différents réseaux tels que les associations : le centre des jeunes dirigeants d’entreprise (CJD), la Jeune Chambre économique française (JCEF), la Fédération internationale de la construction, de l’urbanisme et de l’environnement (COBATY), qui sont des réseaux très actifs.

Je constate sur le terrain que, pendant dix ans, les acteurs nous ont demandé pourquoi il fallait se lancer dans de telles démarches et, depuis six mois environ, les acteurs ne demandent plus pourquoi mais comment. À partir du moment où la société civile se demande comment s’engager, je pense que nous avons gagné. Il faudra une décennie de plus mais j’espère que nous en reparlerons en 2030, Madame la Présidente, et que nous pourrons dire que nous y avons participé, que nous avons réussi à mettre en œuvre des actions et à les mutualiser.

Pour ce qui concerne notre expérience montpelliéraine, nous avons contacté les têtes de pont, qui sont tous volontaires, et nous sommes maintenant à la recherche de financements pour cette opération pilote. Nous espérons pouvoir dire dans un an que nous avons réussi à atteindre les objectifs. J’ai pris un engagement très fort avec le maire de Montpellier, en lui disant que si nous animions une telle dynamique, nous aurions les premiers résultats en dix-huit mois. Il ne s’agit pas de faire une énième commission ni de signer une charte. Des territoires ont signé la charte « Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens » qui ne contient ni objectif, ni formation, ni moyens ; cela ne sert à rien. Avec un territoire à mission dans lequel les acteurs définissent une raison d’être commune et un plan d’action commun, nous aurons dans dix-huit mois les premiers résultats, tangibles, mesurables et duplicables.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous terminons donc cette audition sur cette note tonique et pleine d’espoir. Je vous remercie pour tout ce que vous nous avez apporté avec beaucoup de détails et pour votre engagement personnel. Nous essaierons de tirer le maximum de profits de toutes vos propositions.

L’audition s’achève à onze heures.

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8.   Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Zolesi du cabinet QAP Conseil, spécialisé en santé-environnement (24 septembre 2020)

L’audition débute à onze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous poursuivons nos auditions des entreprises privées pour connaître leur appréhension de la santé environnementale et les obstacles auxquels elles se heurtent quand elles s’engagent dans des démarches de santé environnementale.

Nous recevons M. Christian Zolesi, spécialiste en chimie, de l’agence QAP Conseil, une société de conseil en santé environnementale. Monsieur Zolesi, vous êtes également auteur d’un article paru dans Le Monde qui préconisait la mise en place d’une carte d’identité pour les produits. Vous êtes expert en qualité et risques des produits de consommation.

L’objet de cette commission d’enquête est de dresser un bilan des politiques publiques en matière de santé environnementale, de voir quels sont leurs points faibles, leurs points forts et les pistes d’amélioration. En ce qui vous concerne plus précisément, nous souhaitons savoir comment les entreprises privées peuvent participer à ces politiques publiques et quelle est votre définition de la santé environnementale ?

(M. Christian Zolesi prête serment.)

M. Christian Zolesi, de l’agence QAP Conseil. J’ai créé plusieurs entreprises sous la même spécificité : expertise de la sécurité, de la durabilité et de la conformité des produits. Il s’agit d’aider les entreprises à mieux maîtriser les impacts des produits qu’elles commercialisent.

Le contexte me semble important : d’après les chiffres européens, le commerce des produits de consommation représente environ 3 000 milliards d’euros, soit un quart du produit intérieur brut (PIB) européen. C’est donc une activité « poids lourd » de l’économie européenne, en particulier en France. Nous sommes entourés de produits de consommation. Dans cette salle, par exemple, nous avons des produits de construction, des produits de décoration, des produits d’ameublement, des produits d’équipement, de l’habillement…

Puisque nous nous intéressons aux impacts de cet environnement sur la santé, comment caractériser cet environnement, en particulier par la présence autour de nous de ces produits de consommation ? C’est un phénomène intéressant qui ne se présente pas toujours sous cette forme dans les projets, dans les textes, mais il me semble que, lorsque nous parlons de santé environnementale, nous devons considérer ce qui nous entoure comme un univers à part entière, avec ses propres risques et ses propres spécificités.

Les impacts des produits sont de plus en plus révélés, voire dénoncés, parce que nous nous rendons compte que nous utilisons des ressources, que nous créons des déchets, que nous avons besoin d’énergie pour transformer et transporter ces produits, que cela a un impact sur le climat. Ces derniers mois, nous avons beaucoup parlé d’un tel impact sur la biodiversité, de la pollution, du plastique. De plus, ces produits possèdent des impacts sociaux, parce qu’ils sont souvent fabriqués par d’autres que ceux qui les commercialisent, qu’il s’agisse de produits de marques de distributeur ou non. Nous avons affaire à une chaîne dans laquelle chacun a un rôle à tenir.

Lorsque les industriels possèdent leur propre marque, la problématique est un peu différente, puisqu’ils maîtrisent alors la chaîne de développement, de la conception à la fabrication et à la commercialisation. En revanche, lorsque nous devons faire la distinction entre ceux qui fabriquent – qui ne sont d’ailleurs pas forcément près d’ici – et ceux qui commercialisent, c’est un processus différent qui demande une organisation particulière, avec ses propres risques, ses propres sujets…

J’y vois une raison de considérer le monde des produits de consommation comme un univers à part entière et donc de projeter cette thématique de la santé environnementale dans ce contexte.

Les grandes entreprises sont fortement exposées sur le plan médiatique, comme nous le voyons, par exemple, avec les attaques régulières sur les réseaux sociaux. Cela oblige ces entreprises à réagir rapidement, alors que, parfois, cette notion de temps n’est pas la même pour les personnes qui travaillent dans le commerce, pour celles qui édictent les lois et pour les consommateurs. Pour autant, les entreprises ont finalement une grande influence potentielle par leur process d’achat et de sous-traitance à d’autres industriels, en France ou ailleurs. Si nous parvenons à faire que ces entreprises intègrent un certain nombre de progrès, en termes de santé et d’environnement, elles entraîneront avec elles des dizaines, voire des centaines ou des milliers de fournisseurs, y compris hors de France.

Cette présentation du contexte me semble très importante et c’est la raison pour laquelle je suis présent aujourd’hui : afin de décliner cette thématique de santé environnementale et en particulier le thème des substances chimiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous commençons à être familiarisés avec la vision institutionnelle de la santé environnementale, celle des administrations et des organismes scientifiques. Vous représentez les entreprises privées et je voudrais connaître leur vision. Avez-vous une définition plus opérationnelle de la santé environnementale ?

Vous dites que la sensibilisation des entreprises à la santé environnementale tient plus ou moins à des pressions médiatiques. J’ai bien entendu qu’à titre personnel, vous accompagnez les entreprises. Rencontrez-vous une demande ?

Pour une entreprise, choisir un positionnement plus éthique représente une véritable démarche. C’est un engagement du chef d’entreprise, car il est plus simple de fermer les yeux sur les impacts environnementaux de ses propres activités. Les entreprises viennent-elles davantage vers vous parce qu’elles sont conscientes des impacts commerciaux et de leur image dans la clientèle ? Ont-elles envie d’avoir une démarche vertueuse ? Sont-elles mobilisées pour d’autres raisons ? Avez-vous plus de facilité ou avez-vous besoin de démarchage pour les sensibiliser ? En êtes-vous à l’étape du comment et non plus du pourquoi ?

M. Christian Zolesi. Je n’ai pas la prétention de représenter toutes les professions qui interviennent dans ce domaine. Je ne représente pas une fédération. Je ne fais que porter un témoignage, parce que j’œuvre sur ce sujet depuis quelques décennies.

Le métier consistant à concevoir des produits, à les fabriquer ou les faire fabriquer et à les commercialiser est récent dans l’histoire de l’humanité. Il a environ cinquante ans : l’évolution a commencé après la guerre et les premiers produits de marque distributeur sont apparus dans les années 1970. La consommation a explosé depuis quarante ou cinquante ans, Nous avons affaire à une thématique qui n’était pas intégrée dès le départ dans le business model, dans les expertises embauchées dans ces entreprises…

De plus, depuis peu de temps, le digital devient un paramètre très important, à divers titres. Les consommateurs, au travers des organisations non gouvernementales (ONG), des associations et réseaux sociaux puis des applications comme Yuka, mettent la pression sur les entreprises. Des attentes et des exigences sociales et sociétales naissent plus rapidement et plus fortement que si le digital n’existait pas. Cette pression intervient aussi au fil des sujets qui sont médiatisés, puisque l’opinion publique est sensibilisée par les médias. Cela crée une pression sur les marques, une pression à évoluer, à faire évoluer la conception des produits, leurs conditions de fabrication. Lors de l’effondrement du Rana Plaza, nous avons découvert que certains produits ne sont pas fabriqués dans des conditions correctes.

Tous ces éléments font progresser les marques : ces exigences doivent être captées en permanence par l’entreprise qui doit adapter ses produits, ses modes de commercialisation… C’est assez compliqué pour les entreprises parce qu’il s’agit d’un phénomène récent et complexe. Il en est de même pour le législateur, puisque je considère la réglementation comme une sorte « d’éponge à sujets de société ».

Pour les entreprises, il n’existe pas, à mon sens, de définition de la santé environnementale. Les sociétés fonctionnent beaucoup « en silos » et l’expertise scientifique n’est pas forcément très présente dans les entreprises industrielles et commerciales. Ce sont de plus en plus les applications et les réseaux sociaux qui font le lien entre un sujet scientifique médiatisé et les marques auxquelles, d’un seul coup, on demande par exemple, les raisons de la présence de bisphénol A dans les biberons. Tout le monde prend subitement peur, les mamans n’achètent plus de biberons en plastique et disent vouloir des biberons en verre. Brutalement, le marché subit une baisse de 40 %.

Cette fulgurance, cette forme « d’effet papillon » d’une information scientifique qui est médiatisée sans filtre – sachant que les scientifiques ont eux-mêmes leurs controverses –, sensibilise l’opinion publique et le législateur qui peut parfois réagir très vite et édicter des lois également quelque peu « en silos », sans connexion entre elles. Cela crée une sorte d’insécurité pour les entreprises auxquelles il ne faut évidemment pas tout reprocher.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Selon vous, le monde de l’entreprise subit une pression nouvelle, essentiellement parce que le consommateur est davantage informé, pas forcément bien informé, mais qu’il est le récepteur de nombreuses informations et que cela a des répercussions sur les entreprises qui ne savent plus très bien comment s’y prendre. Elles vous demandent donc d’intervenir pour un conseil en santé environnementale.

Le contexte que vous décrivez est celui d’une situation en évolution rapide et d’entreprises qui sont questionnées, voire sommées de s’expliquer sans avoir vu venir le problème et sans l’avoir paré.

Comment, dans ce contexte, remonter le processus de fabrication jusqu’au producteur, surtout quand les entreprises de production se trouvent à l’étranger ? Comment introduire la question des impacts environnementaux et sanitaires des produits mis sur le marché par ces entreprises ?

M. Christian Zolesi. Il est difficile de généraliser. Nombre de grandes entreprises se sont organisées. Elles ont créé des services qualité dans lesquels interviennent des ingénieurs. Elles sollicitent également de nombreux prestataires nationaux ou internationaux. La professionnalisation de la maîtrise des risques liés aux produits commercialisés est en cours. Toute une activité de laboratoires de tests apparaît, au niveau international, avec des chiffres d’affaires impressionnants. Les entreprises réalisent des inspections, des audits d’usine. Des audits qualité sont apparus, puis des audits sociaux, puis des audits environnementaux. Certaines grandes entreprises françaises de la grande distribution sont très bien organisées et investissent des budgets importants dans ce suivi.

Toutefois, ce n’est pas le cas de toutes. De plus, une entreprise ne peut pas surveiller ses centaines ou ses milliers de fournisseurs, particulièrement lorsqu’ils sont à l’étranger. Ce n’est pas toujours facile avec les différences culturelles, réglementaires et juridiques entre les pays. Cette professionnalisation en cours doit donc continuer à progresser.

L’état des connaissances évolue en permanence et ce qui était vrai hier ne le sera plus demain. Nous découvrons de nouveaux risques, de nouvelles possibilités d’atteinte à l’environnement ou à la santé ou aux deux qu’il faut prendre en compte pour les nouveaux produits, les nouvelles fabrications… C’est donc un processus en permanente évolution.

Nous voyons donc apparaître des entreprises qui ont tenté de répondre au mieux aux attentes des consommateurs, en éliminant de leurs produits telle ou telle substance, par exemple les résidus de pesticides, les perturbateurs endocriniens… Ce sont des « listes noires », des produits « sans ». Cela a été le cas dans les cosmétiques, dans l’alimentaire. Une enseigne a même créé un magasin spécialisé dans les produits cosmétiques ne comportant pas certaines substances dont les consommateurs ne veulent plus, voire dont certaines applications ou ONG ne veulent plus : elle garantit que l’assortiment de produits présent dans ce magasin ne comporte aucune de ces substances.

La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a également connu une forte accélération avec cette période du covid-19. De plus en plus d’entreprises décident de « s’y mettre ». Les grandes entreprises ont entamé cette démarche depuis longtemps tandis que d’autres en sont aux balbutiements. Le contexte pousse les entreprises à aller vers la RSE.

Nous venons de terminer une première phase de RSE durant laquelle nous avons beaucoup parlé de stratégie RSE. Les entreprises se sont tournées vers des sociétés de conseil pour parler de stratégie RSE, avec de beaux discours, mais le passage à l’acte est compliqué.

Nous avons maintenant une opportunité pour que les entreprises concrétisent leur engagement, en travaillant d’abord sur les impacts des produits qu’elles commercialisent sur la santé et l’environnement. C’est une thématique pratique, concrète, qui fait partie des attentes principales des consommateurs d’aujourd’hui, me semble-t-il.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le moteur de cette révolution à la fois culturelle et de procédures est donc la pression des médias.

M. Christian Zolesi. En fait, parler de qualité signifie répondre aux attentes de ses clients. Les produits de consommation sont faits pour les consommateurs. Ces consommateurs ont des attentes tout à fait légitimes, mais qui évoluent en permanence au gré de leurs sources d’information et des réseaux sociaux, lesquels peuvent d’ailleurs dire des bêtises. Il faut aussi faire un travail de filtrage. Une marque est tout à fait légitime à répondre aux attentes de ses clients qui ne sont évidemment pas les mêmes aujourd’hui que ceux d’il y a dix ans ou vingt ans. Personne ne parlait à l’époque de perturbateurs endocriniens ou de bisphénol A. Ces sujets arrivent maintenant et doivent être intégrés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. C’est en fait devenu un critère de vente.

Vous dites que les entreprises se sont lancées dans des démarches de RSE, certaines avec des moyens plus importants. Les grandes entreprises en ont très vite compris la nécessité, ne serait-ce que pour des raisons de débouchés commerciaux. Les agences de notation comme Vigeo Eiris pratiquent aussi une évaluation de la RSE me semble-t-il.

Je m’interroge tout de même sur la qualité et surtout l’opérationnalité de toutes ces démarches de bonne conscience en quelque sorte, sur leur impact réel, d’une part, sur la recherche et le développement, d’autre part, sur la capacité d’une entreprise à contrôler réellement les process. Comment faire en sorte que ce ne soit pas du pur green washing, compte tenu de la masse de produits potentiellement dangereux qui continuent à être mis sur le marché, malgré ce que vous présentez comme une prise de conscience ?

M. Christian Zolesi. Encore récemment, des ONG ont reproché aux déclarations extra-financières d’être effectivement trop superficielles. Dans l’application de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, on se rend bien compte que certaines entreprises n’ont pas fait cette déclaration tandis que d’autres font des déclarations assez superficielles.

Je pense qu’il faut distinguer les industriels ou les marques qui maîtrisent la conception et la fabrication des produits qu’ils commercialisent de ceux qui commercialisent sans fabriquer, qui peuvent être de grandes marques d’ailleurs. Ce modèle économique a ses propres spécificités et ses propres difficultés.

La relation commerciale et contractuelle est en quelque sorte dématérialisée entre ces entreprises. L’une d’entre elles est en contact « frontal » avec les consommateurs, avec la réglementation, l’administration… Comme elle met son nom sur le produit, d’après les textes réglementaires français et européens, elle a les mêmes obligations que si elle fabriquait elle-même le produit,

Toutefois, cela ne fonctionne pas en réalité ainsi. Il est très difficile de contrôler un fournisseur situé à l’autre bout de la planète. La mondialisation est ce qu’elle est. Nous n’allons pas refaire le monde. Il faut en tenir compte pour que ces exigences soient prises en compte dans les modèles économiques.

Cela nous amène au problème de la connaissance de ces thématiques, donc de l’expertise, donc de la formation. Des étudiants se sont récemment un peu insurgés, en disant qu’ils ne voulaient plus aller dans des entreprises qui ne font pas de RSE et aussi en demandant pourquoi cela ne leur est pas enseigné dans leurs cours. Effectivement, dans ma carrière, j’ai rencontré de jeunes entrepreneurs, bardés de diplômes, qui n’avaient aucune connaissance des exigences s’appliquant aux produits qu’ils étaient en train de développer et s’apprêtaient à commercialiser.

Les entreprises travaillent « en silos ». Ce défaut n’est pas spécifiquement français. Certaines personnes font du commerce, d’autres du marketing, d’autres de la qualité, d’autres des achats. Elles viennent toutes de cursus universitaires ou d’écoles différents, sans communication entre eux, et ce mode de fonctionnement continue dans l’entreprise. Lors de la conception d’une gamme de produits, il faudrait pourtant se mettre autour d’une table pour tenir compte des exigences des uns et des autres, faire un « casting » d’entreprises et de fournisseurs capables d’assumer ces exigences, qu’elles soient actuelles ou à venir. C’est tout un mode de pensée, auquel il faudrait intégrer aussi toutes les innovations liées à l’économie circulaire, afin que les produits soient conçus de façon à pouvoir être réutilisés ou réemployés, en ayant minimisé leurs impacts.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous soulignez la difficulté à travailler de façon transversale au sein d’une entreprise ainsi qu’un problème de gouvernance.

M. Christian Zolesi. C’est exactement cela.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons entendu les mêmes remarques des représentants de l’État, de la gouvernance nationale et territoriale. Nous retrouvons finalement les mêmes problématiques au sein de l’entreprise : cette difficulté à dialoguer entre collègues qui ont des formations différentes, autour d’un même objectif pour faire en sorte que le produit mis en vente ne soit pas nocif pour la santé des consommateurs.

Comment progresser ? Je suppose qu’il faut distinguer les très grandes entreprises qui ont les moyens, par exemple, de recourir à vos services, et les petits revendeurs qui sont soumis aux mêmes exigences que s’ils étaient eux-mêmes les fabricants des produits.

M. Christian Zolesi. S’ils apposent leur nom sur un produit.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment créer une dynamique qui emmène tout le monde ? Il existe une prise de conscience citoyenne et des chefs d’entreprise, en ce qui concerne les objectifs commerciaux. Comment arriver à s’y mettre sans moyens, sans formation, sans connaissances en chimie, sans maîtrise du process de fabrication lui-même ?

M. Christian Zolesi. Ce n’est pas le cas uniquement de cette thématique. Les lacunes sont scientifiques, technologiques mais aussi réglementaires, de connaissance du droit. Les aspects juridiques, c’est-à-dire la conformité des produits de consommation en général, quel que soit le produit même le plus simple, par exemple des cure-dents, témoignent d’un véritable « mille-feuilles » de réglementations extrêmement complexes. Je travaille avec une avocate, Me Sylvie Pugnet, qui est l’experte de référence en France sur le droit des biens de consommation non alimentaires et c’est extrêmement compliqué.

La clé d’entrée est certainement la formation. Il n’est pas normal que des élèves d’écoles de commerce qui apprennent à faire des plans de développement n’aient aucune idée de la physique, de la chimie, des ressources utilisées, même tout simplement pour fabriquer les jeans qu’ils portent. Qu’est-ce que le coton ? D’où cela vient-il ? Pourquoi est-ce polluant ? C’est assez facile à expliquer, de même qu’il faut leur expliquer l’impact climatique des activités humaines, ce qu’est la biodiversité… C’est indispensable puisque ces personnes se retrouveront dans des entreprises, grandes ou petites, dans lesquelles ces connaissances leur feront prendre les bonnes décisions et avoir les bons réflexes.

La remarque est la même pour les réglementations. Nous avons plusieurs réglementations en Europe, d’abord une réglementation générale sur la sécurité des produits, qui est relayée en France par le code de la consommation, puis des réglementations sectorielles pour les cosmétiques, les produits de construction… et enfin une réglementation transverse sur les substances. Ces différentes réglementations ne sont pas forcément cohérentes. Les bilans faits, entre autres par l’Europe, montrent qu’il existe de très grandes incohérences entre les différentes réglementations s’appliquant au même produit. Cela crée une sorte d’insécurité, d’incompréhension.

Par exemple, dans la réglementation européenne sur les substances, Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals (REACH), se trouvent un certain nombre de substances considérées comme préoccupantes, dont nous savons qu’elles peuvent être dangereuses à différents titres. Dans la réglementation des matériaux à contact alimentaire en plastique, un certain nombre de ces substances sont encore autorisées, ce qui oblige à faire la différence entre la conformité d’un produit et sa sécurité sanitaire et environnementale.

Être « conforme » ne suffit plus aujourd’hui. Certaines entreprises ayant un niveau de culture « basique » sur ces sujets ne comprennent pas pourquoi, alors que leurs produits sont conformes, il leur est reproché de contenir telle ou telle substance. Les entreprises se font devancer en permanence par les attentes de la société. Comment les aider à « renverser la vapeur » et à gérer au mieux ces situations ?

Je collabore avec différentes expertises et j’essaie, depuis quelques années, de comprendre le monde du risque. De plus en plus de gestionnaires de risques, ou risk managers, sont présents dans les entreprises. C’est un métier assez récent. L’association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (AMRAE) est assez dynamique et nous essayons de spécifier, dans ce domaine du risk management, la situation des produits de consommation, en expliquant que l’approche par le risque est aussi importante que l’approche RSE. Il faut sans doute en permanence combiner les deux.

À nouveau, ne fonctionnons pas « en silos » avec, d’un côté, des gens qui se préoccupent uniquement de la RSE et, de l’autre, des gens préoccupés uniquement de la conformité ou du risque. Essayons d’avoir une approche globale, dans laquelle nous sommes sûrs d’avoir identifié « à 360° » l’ensemble des approches, pour les intégrer dans la conception, la fabrication, la commercialisation d’un produit.

Comme je le disais tout à l’heure, en plaisantant, mais au fond pas tant que cela, pour vendre une boîte de cure-dents, l’origine du bois serait un sujet, les résidus de pesticides seraient un sujet, l’emballage en plastique serait un sujet, la conformité à la réglementation au contact alimentaire serait un sujet. Même pour un produit aussi simple, c’est d’une complexité phénoménale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La réglementation est aussi faite pour protéger et apporter de la sécurité. Comment amener les entreprises à comprendre ces problématiques complexes ? Elles font appel à la chimie, il faut tenir compte des effets-cocktail à l’intérieur même du produit, entre le contenant et le contenu. Comment amener les entreprises à un certain niveau de connaissances et limiter les prises de risques ? En plus du risque sanitaire et environnemental se pose également, à terme, le problème de la prise de risques juridiques.

Pour le moment, les entreprises ne sont pas toutes mises en cause mais, à terme, de la même manière qu’il existe des recours collectifs contre les États ou des ministres, cela peut aussi être le cas contre une problématique d’exposition latente, récurrente, par exemple à des perturbateurs endocriniens.

M. Christian Zolesi. La réglementation devrait être un filtre permettant de définir les exigences adéquates, à un instant donné, pour la société en général, qu’il s’agisse des consommateurs ou des entreprises. À chaque instant, chacun peut exprimer sa vision sur les réseaux sociaux, des controverses scientifiques ont lieu, les médias ont leur impératif d’actualité. Sans filtre, les entreprises ne savent plus où donner de la tête et à quelle partie prenante elles doivent répondre. La réglementation devrait donc être ce filtre.

Elle tente de l’être, mais elle est mise en échec bien souvent. Par exemple, l’Europe doit adopter sa nouvelle stratégie sur les substances chimiques, d’ici la fin de l’année. Selon l’état des lieux qui a été dressé, les réglementations relatives aux substances chimiques – puisqu’il en existe plusieurs de façon transverse, sectorielle… – sont pleines de « trous dans la raquette ». Il en existe plusieurs selon que l’on parle de matériaux, de produits finis, de produits alimentaires…

Ensuite, les entreprises doivent avoir leur propre approche par le risque, en mixant les normes ISO 31 000 et ISO 26 000, c’est-à-dire les approches par la RSE et par le risque. Certaines entreprises commencent à travailler dans ce sens, afin d’avoir une démarche permanente de détection, de prise en compte et d’amélioration continue des produits, à mesure de l’évolution des connaissances scientifiques. Il faut mettre en place, dans les entreprises, des organisations qui répondent à ces enjeux très complexes, globaux et planétaires, en termes d’environnement, d’aspects sociaux, économiques et technologiques. Il faut avoir un mode de fonctionnement qui intègre l’ensemble de ces éléments, alors que l’on a trop longtemps fait croire aux entreprises qu’il suffisait d’être certifié ISO 9 000 pour fabriquer de bons produits.

Tout cela a changé très vite, en quelques années et cela ira en s’accélérant. Les pouvoirs publics doivent moderniser leur manière de concevoir, définir des règles qui sont faites, certes, pour protéger le consommateur, mais aussi pour protéger les entreprises, en tout cas, me semble-t-il, par exemple en Europe. Ces règles doivent également être opérationnelles, non contradictoires entre elles.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous appartenez au groupe Greenflex…

M. Christian Zolesi. J’ai été directeur associé chez Greenflex de 2013 à 2019. Mon objectif était d’intégrer cette thématique de conformité et de sécurité des produits, comme socle indispensable à toute démarche de RSE. Greenflex était spécialisée dans la RSE. Greenflex a connu une très forte évolution, puisque nous étions 60 personnes lorsque j’y suis entré en tant que directeur associé et 500 ou 600 personnes, lorsque j’ai quitté l’entreprise. Greenflex a été rachetée par Total en 2017 et ce n’était donc plus du tout le même contexte que celui de la start-up que j’ai connue en 2013, et j’ai décidé de redevenir entrepreneur indépendant. Certaines entreprises comme Greenflex donnent une vision, une stratégie, mais les entreprises, lorsqu’elles ont une vision, ne savent pas comment la concrétiser. J’aide donc les entreprises à œuvrer concrètement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le groupe Greenflex est très étendu puisqu’il a plus de 400 clients. Je voudrais savoir si les clients de ce groupe ne sont que des grandes entreprises ou si certaines petites entreprises, qui doivent se lancer dans ces démarches par nécessité ont également accès à ce conseil. Est-ce abordable ou ces petites entreprises vont-elles continuer à être dans l’improvisation, l’à-peu-près ?

M. Christian Zolesi. Il est intéressant de voir ce que font les très grandes entreprises qui ne fabriquent pas leurs produits mais les sous-traitent à des dizaines, des centaines, voire des milliers de fournisseurs. Leur influence est extrêmement importante et cela peut être un levier très intéressant.

Nous avons parlé très récemment de l’incroyable levée de fonds d’une start-up française, la Mirakl, qui a levé 300 millions de dollars. Personne n’a parlé de l’entreprise EcoVadis qui a levé 200 millions de dollars. EcoVadis permet aux grandes entreprises de faire évaluer à distance, par l’intermédiaire de plateformes, des dizaines, des centaines ou des milliers d’entreprises, dans le monde entier, sur des critères environnementaux et sociaux. Si des entreprises comme EcoVadis ont réussi de telles levées de fonds, c’est parce que nous nous rendons compte que nous avons besoin de ce type d’outil et que c’est un outil de très grande valeur. Nous pouvons disposer d’un levier, à la fois par l’intermédiaire de la grande marque qui est fort exposée, mais aussi grâce aux plateformes et aux outils digitaux modernes qui permettent d’aller beaucoup plus vite dans la vision d’un parc de fournisseurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je reviens à votre prise de position personnelle dans Le Monde. Vous plaidez pour la mise en place d’une carte d’identité pour les produits. Que pensez-vous de la démarche consistant à mettre en place un Toxi-score qui éclairerait le consommateur de façon un peu plus scientifique que ne le font des applications comme Google ou Yuka ?

La chimie est partout. Comment pourrions-nous envisager un système qui permettrait d’éclairer le consommateur, même s’il n’y connaît absolument rien ? Comment lui permettre d’identifier, de façon simple, ce qui est dangereux pour lui ? Comment l’informer des effets des interactions entre les produits chimiques, puisque nous savons tous qu’il y a une difficulté entre les seuils par molécule et les effets-cocktail ?

Comment verriez-vous cette carte d’identité ? Serait-ce par produit, par molécule ? Selon les circonstances, une molécule peut être ou non autorisée, ce qui est tout aussi incompréhensible pour le consommateur que pour une entreprise qui s’engage dans une démarche vertueuse.

M. Christian Zolesi. Je ne sais pas comment appeler cette discipline pour ne pas faire peur aux gens : de la physique des produits ou de la chimie des produits ou des sciences naturelles des produits. En tout cas, ces notions de base sur les produits qui nous entourent doivent être enseignées dès l’école et jusqu’aux niveaux les plus élevés, quelle que soit la spécialisation.

Chacun devrait avoir une compréhension de base, savoir d’où viennent le cuir, le coton, comment sont fabriqués un cahier et un stylo. Actuellement, nous avons l’impression que les produits arrivent de nulle part, qu’ils tombent du ciel. Le consommateur n’en connaît ni la composition ni les conditions de fabrication. Après avoir utilisé un produit, il le met dans un bac jaune, vert ou bleu et ne sait pas du tout ce que le produit devient.

Je prends toujours l’exemple des gels douche avec des microbilles de plastique : cela partait à la mer et que pensaient les gens ? Ils semblaient imaginer en quelque sorte que, dans la bonde de fond de douche, cela partait dans une sorte de trou noir et que cela disparaissait. Le monde dans lequel nous vivons n’a finalement aucune matérialité.

Tout est dématérialisé d’ailleurs. Il faut remettre un peu de matérialité dans nos vies de consommateurs, de citoyens, en commençant par enseigner tout cela aux enfants. Ils comprendraient très bien de quoi sont faits leur T-shirt en coton ou la brosse à dents qu’ils utilisent.

Plusieurs problèmes se posent. D’abord, nous avons vécu pendant un demi-siècle une chimie débridée et un très grand nombre de substances sont sur le marché, plus de 100 000. Toutes n’ont pas été correctement étudiées et nous n’en connaissons pas forcément les effets sur la santé.

Il est aussi problématique de savoir où sont les substances, de quoi sont faits les produits qui nous entourent. Des substances sont cachées dans les produits. La table de cette salle, par exemple, a sûrement été fabriquée avec du bois, mais aussi avec des colles, des vernis… et les gens qui l’ont achetée n’avaient sans doute pas l’information. Une table n’est pas un produit cosmétique et nous n’avons pas sa composition sur une étiquette collée dessous. De même, nous avons le nom de la fibre utilisée dans nos habits, mais aucune information sur les autres substances, telles que les colorants…

Ensuite se pose le problème des effets de ces substances sur la santé, lorsque nous y sommes exposés. C’est un sujet extrêmement sensible, bien connu des toxicologues : faire la différence entre le danger et le risque. Cette différence génère beaucoup d’incompréhensions de la part des consommateurs et des organismes de consommateurs qui confondent un peu les deux.

Le danger est un peu comme avoir une piscine dans laquelle se trouverait un crocodile. Le crocodile est le danger. Si je ne tombe pas dans la piscine, il ne m’arrivera rien mais, si je tombe dans la piscine, si je suis en contact avec le crocodile… C’est la même chose avec les substances et il faut bien faire cette distinction. Sinon, toutes les substances sont dangereuses, il faut tout arrêter et retourner vivre dans une caverne.

Cette notion d’approche par le risque est indispensable, comme le savent bien les spécialistes du médicament, ceux de la cosmétique et, de façon générale, ceux de la chimie. Nous ne savons pas forcément où sont les substances, ni comment nous sommes exposés aux substances. L’idée serait donc de mieux intégrer les produits dans cette thématique de la santé-environnement pour que nous ayons une idée de ce à quoi nous sommes exposés au travers des produits qui nous sont proposés en tant que consommateurs, travailleurs…

Certaines actions commencent à se mettre en place. En France, nous avons par exemple l’observatoire de la qualité de l’air intérieur. Je pense aussi au digital qui peut nous permettre de savoir, à chaque instant, quels produits nous entourent et donc ce à quoi nous sommes exposés. Cela permettrait également de réaliser des études épidémiologiques.

Les cohortes Elfe et Helix, suivies durant des années, donnent des informations extrêmement précieuses mais sans doute insuffisantes. Nous pourrions accélérer un tel suivi grâce au digital, en mesurant en permanence ce à quoi nous sommes exposés. Des start-up apparaissent qui proposent des mesures de la qualité de l’air intérieur en permanence ou bien de tracer les produits auxquels nous sommes exposés à différents moments de la vie.

Ce sujet des substances est assez complexe, à la fois par méconnaissance des substances en elles-mêmes, par méconnaissance de leurs effets, par méconnaissance de leurs localisations dans les produits.

La première étape est donc de rematérialiser toute la chaîne, auprès de tous les professionnels, pour que nous puissions, petit à petit, comme c’est le cas pour des produits très locaux fabriqués par des industriels que nous connaissons, connaître les substances mises en œuvre. Cette information est forcément connue, quelqu’un la détient en amont de la chaîne, par exemple les grandes sociétés qui vendent les granules de plastique. Les questions sont souvent posées aux marques qui se trouvent « en frontal » avec le consommateur, alors qu’elles n’ont pas les réponses ou sont obligées d’investir des budgets incroyables, qui font les choux gras de certains laboratoires payés pour analyser les produits, bien que, dans la chaîne, certains acteurs savent de quoi sont composés les produits.

Il est donc question ici de la donnée, de la data et même de la big data, puisqu’il s’agit d’un nombre conséquent d’informations. Il faudrait imposer une transmission d’informations vraiment effective entre les uns et les autres. Cette transmission d’informations devrait être prévue dans la réglementation sur les substances chimiques (REACH), mais nous savons qu’elle n’a qu’une portée très limitée dans le cadre actuel.

Je pense qu’il faut une vision globale du secteur de la grande consommation, donc du commerce mais aussi de l’industrie. Il faut tenir compte des aspects scientifiques qui évoluent en permanence, du digital, de l’aspect propre aux ressources humaines. Nous devons embrasser un certain nombre de disciplines pour répondre à cette problématique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vos propositions paraissent logiques et pertinentes, compte tenu du constat que vous faites des difficultés rencontrées par les entreprises. En revanche, je m’inquiète de l’urgence, en particulier l’urgence pour les politiques à prendre des décisions pour protéger la population, tandis que cette big data sera longue à mettre en place. Nous ne savons même pas qui la mettra en place.

Nous constatons déjà des difficultés pour le partage des données scientifiques, ne serait-ce qu’entre les deux ministères de la santé et de l’environnement. Si, à l’échelle de l’État, nous avons déjà ce type de difficultés, qu’en sera-t-il pour les entreprises ? Qui serait le porteur, l’initiateur, le gestionnaire de cette big data ?

Êtes-vous au courant de prémices de mise en place d’un tel système ?

M. Christian Zolesi. Dans une chaîne de fabrication, vous avez, d’un côté, un certain nombre d’acteurs qui achètent des matériaux, les assemblent et en font un composant nouveau, puis transmettent ce composant au suivant et ainsi de suite. Toutefois, les informations ne sont pas transmises, sauf dans quelques rares cas. En cosmétique par exemple, il est obligatoire d’avoir la liste des ingrédients et nous savons que, lors de la fabrication d’un shampoing, l’industriel a mélangé tels ou tels ingrédients mais, dans de nombreux autres cas, nous n’en savons rien. Il suffirait que la réglementation l’exige.

Par exemple, il existe une énorme différence réglementaire entre les mélanges chimiques – colles, peintures, tout ce qui est liquide, pour schématiser – et les articles tels que cette table. Ce n’est pas parce que cette table est un article solide que nous ne devons pas savoir de quoi a été fait le vernis sur le bois, quelle est la source du bois, d’où il vient, si de la colle se trouve à l’intérieur…

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous en revenons donc à la réglementation : une carte d’identité du produit en fait et peut-être le Toxi-score. Si la carte d’identité donne simplement la liste de tous les constituants du produit, le consommateur n’y verra pas plus clair. Nous l’avons vu avec le Nutri-score, avec trois couleurs toutes simples, rouge, orange et vert, c’est beaucoup plus compréhensible, parce que similaire aux feux tricolores que nous croisons tous les jours.

Si vous ne donnez qu’une liste de produits, c’est incompréhensible. Il faudrait une solution plus simple.

M. Christian Zolesi. Bien sûr. Lorsque vous parlez de Toxi-score, vous parlez de la partie finale, celle qui est visible par les consommateurs mais, avant d’en arriver là, il faut que tous les acteurs de la chaîne se transmettent les bonnes informations, de façon complète, entre professionnels. Le dernier d’entre eux peut alors faire une analyse de risques et communiquer ce sur quoi il doit communiquer, ni plus ni moins.

Le reproche que nous pouvons faire à certains organismes de consommateurs est de souvent « allumer la mèche » sur le danger et non sur le risque. Ils disent « attention, ce produit contient telle substance » mais, selon l’endroit où cette substance est logée, la façon dont le produit a été fabriqué, la substance en question ne présente peut-être plus aucun risque pour la santé.

Il est exact que nous ne pouvons pas donner toutes les compositions chimiques de tous les produits à tous les consommateurs. Cette partie finale doit être travaillée par des communicants, y compris en ce qui concerne l’aspect juridique. Il faut réfléchir à ce qui doit être dit ou non au consommateur. Toutefois, pour faire correctement ce travail, il faut que tous les professionnels de la chaîne, jusqu’au dernier, puissent disposer de l’ensemble des informations chimiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il faut donc d’abord faire le tri au niveau de la chaîne de production, avant de donner l’information au consommateur.

M. Christian Zolesi. Il faut améliorer la communication d’informations sur la composition des produits. Aujourd’hui, de nombreux professionnels ne savent pas de quoi sont faits les produits qu’ils commercialisent. C’est une lacune de plus en plus lourde de conséquences. Si les fabricants ne savent pas de quoi sont faits les produits, d’où ils viennent, à une époque où les consommateurs demandent plus de transparence, de façon instantanée, où des applications, c’est-à-dire d’autres parties prenantes, parlent à la place du fabricant en prétendant savoir de quoi sont composés les produits, ce n’est plus possible.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous jouons tous aux apprentis sorciers en manipulant des produits dont nous ne connaissons pas la dangerosité, sans savoir le risque qu’ils font courir au consommateur.

M. Christian Zolesi. Nous pouvons prendre l’exemple des perturbateurs endocriniens.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous êtes un scientifique. Quels sont les liens de causalité avérés ou non et comment concevoir une politique de réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens pour la population ?

M. Christian Zolesi. Lorsque vous dites que nous jouons aux apprentis sorciers en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens ou d’autres produits, il faut garder à l’esprit le rôle du secteur industriel et économique de la chimie dans la modernisation que nous avons connue. Grâce à la chimie, nous avons inventé les bons médicaments, les bons équipements et la société s’est modernisée. Cela s’est fait sans prise en compte des impacts sanitaires, environnementaux… Cette prise en compte commence effectivement à venir et nous découvrons depuis peu la question des perturbateurs endocriniens.

Parler de perturbateurs endocriniens est sans doute incomplet. Au-delà de la perturbation des systèmes endocriniens du corps humain, ces produits ont probablement d’autres aspects néfastes. Ce sont des substances qui contiennent souvent un atome de fluor et le fluor est l’élément le plus électronégatif du tableau de Mendeleïev. Les substances dans lesquelles se trouve du fluor sont donc très persistantes et non biodégradables, voire sont bioaccumulables. Nous l’avons tous vu dans le film Dark Waters avec les polymères fluorés, comme le téflon. Nous avions déjà travaillé sur ce sujet il y a une quinzaine d’années : DuPont a payé la plus grosse amende de tous les temps pour rétention d’informations, puisque ces substances polluent l’environnement, soit par leur production, soit par leur usage, soit par les déchets et puisqu’elles se retrouvent dans l’air.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette substance présente-t-elle encore plus de risques que les perturbateurs endocriniens ?

M. Christian Zolesi. Ce sont des perturbateurs endocriniens, mais ils sont en plus persistants. S’ils étaient biodégradables, ils seraient perturbateurs endocriniens pendant un temps limité mais, malheureusement, ils se retrouvent dans les chaînes alimentaires.

Le même phénomène existe avec les substances chlorées, notamment certains pesticides. Certains commencent à être interdits, mais les pesticides chlorés sont aussi des perturbateurs endocriniens.

C’est également le cas du brome. Les molécules bromées sont des retardateurs de flamme utilisés par exemple dans les sièges sur lesquels nous sommes assis ou dans les meubles pour éviter qu’ils ne s’enflamment trop vite.

En fait, ces produits appelés halogènes – chlore, brome, fluor – confèrent malheureusement leurs qualités de résistance dans le temps à ces molécules ce qui est un deuxième handicap.

Même si les discussions se poursuivent sur la définition juridique des perturbateurs endocriniens, les scientifiques s’accordent à peu près pour définir la perturbation endocrinienne. C’est assez clair pour les toxicologues, mais nous ne savons pas bien quelles substances sont des perturbateurs endocriniens et cette question évolue chaque jour. Des listes officielles commencent à sortir, ce qui permet d’éclairer la situation.

Cette thématique est complexe également parce que la notion de dose n’est plus pertinente, ce qui est une révolution pour les toxicologues. Nous disions jusqu’à présent « la dose fait le poison » selon la formule du célèbre chimiste Paracelse, mais cela ne fonctionne pas ainsi pour les perturbateurs endocriniens. Certains produits sont assez dangereux à faible dose et moins dangereux à haute dose.

De plus, nous constatons un effet transgénérationnel : lorsque la grand-mère est exposée, c’est la petite-fille qui développera des maladies. C’est donc très compliqué, nous avons affaire à des effets sans seuil et nous ne savons pas comment appréhender la question.

En 2009, nous avions organisé un colloque sur la chambre de l’enfant, avec l’association Santé environnement France (ASEF) parce qu’il faut aussi tenir compte de la notion de vulnérabilité des cibles, selon que l’exposition a lieu chez un bébé, un enfant, une femme enceinte, par exemple. La chercheuse Barbara Demeneix qui étudie les effets des perturbateurs endocriniens sur la thyroïde ou André Cicolella qui étudie leur impact sur la reproduction et le quotient intellectuel sont des spécialistes de ces problèmes.

Nous avons donc des difficultés à savoir quelles sont les substances concernées, à quelles doses, où elles se trouvent, par quoi les remplacer. Il faut vraiment porter un « focus » sur ces substances, tandis que d’autres substances comme les composés cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) présentent des risques assez bien connus. Ce sont des substances en général bien suivies, surtout dans le monde du travail.

Les perturbateurs endocriniens réclament toute l’attention parce qu’ils cumulent tous les défauts de méconnaissance scientifique et technologique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelles sont vos recommandations ? Quelles sont les pistes d’amélioration ? Par où commencer ? En santé environnementale, la difficulté de fond est souvent que nous ne savons pas par quel bout prendre les problèmes.

M. Christian Zolesi. Je pense qu’il faut considérer la chaîne des produits de consommation comme un sujet à part entière dans la santé environnementale. Il ne faut pas parler de la santé environnementale de façon trop large et évasive.

C’est une bonne façon de faire cristalliser les questions sur des cas concrets, sur les produits de consommation tels qu’ils sont conçus, fabriqués partout sur la planète, distribués, utilisés, critiqués par les consommateurs. C’est une discipline qui n’existe pas actuellement. Il n’existe pas de cours sur ce qu’est la consommation responsable. Il faut former les gens, leur apprendre à faire preuve d’esprit critique sur ces questions et agglutiner les expertises autour de ces points.

Par ailleurs, nous pouvons rassembler les impacts sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement, par exemple avec le plan national santé-environnement (PNSE). Tout est lié comme nous l’avons vu avec l’expérience du covid-19 et il faut arrêter de raisonner « en silos ». Les perturbateurs endocriniens ont autant d’effets sur les hommes que sur les animaux.

Il faut plus de cohérence dans la réglementation de ces substances. Nous ne pouvons pas dire, d’un côté, que telle substance est interdite tandis que, dans une autre réglementation qui s’applique au même produit, mais à d’autres titres, cette substance est autorisée. C’est illisible et il faudrait une sorte d’architecte, une superstructure qui s’assure de la cohérence des textes au moment de leur conception. La situation est très compliquée pour les entreprises et le fait d’avoir une réglementation transverse et cohérente sur les substances chimiques leur permettrait de mieux respecter les règles.

Enfin, j’ajouterai un mot sur l’administration censée faire appliquer ces textes. J’accompagne actuellement une entreprise qui travaille dans le domaine de la vente en vrac, puisque c’est une pratique encouragée dans la loi sur l’économie circulaire. Nos clients veulent vendre des produits sans emballage, mais ces produits sont soumis à des obligations de marquage d’informations. Comment faire ? Nous avons interrogé l’administration en proposant des solutions. Nous pouvons dématérialiser, mettre l’information ailleurs, sur Internet, créer une application… Pourtant, sur ce seul sujet très simple, trois ministères sont concernés – travail, environnement, économie – avec moult structures comme la direction générale des entreprises (DGE) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Chacun se renvoie la balle, voire ne répond pas. Il faut les relancer cinquante fois et, finalement, personne ne prend position.

L’administration est bien sûr là pour faire respecter les textes mais, lorsqu’elle crée des textes qui vont dans le sens des nouvelles attentes sociétales, comme l’économie circulaire, comment cette administration pourrait-elle accélérer l’innovation et non la freiner ?

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette audition nous a éclairés sur le monde de l’entreprise et sur les difficultés rencontrées par les entreprises. Elles sont souvent montrées du doigt comme responsables de tous les maux des consommateurs, alors qu’elles s’inscrivent elles-mêmes dans des démarches qui se voudraient vertueuses et n’ont pas toujours les moyens de faire face à ces nouvelles responsabilités.

Je vous remercie des pistes que vous venez d’ouvrir. Il est très difficile de trouver les fils conducteurs dans la complexité du système. Nous en arrivons à une conclusion déjà entendue de la part d’autres personnes auditionnées : les perturbateurs endocriniens doivent être la cible de toutes nos préoccupations dans nos produits de consommation, au quotidien, en essayant de clarifier notamment la réglementation. REACH nous y aidera peut-être.

Nous notons aussi les difficultés relationnelles et organisationnelles, lorsque les administrations d’État sont sollicitées, alors qu’elles sont censées pouvoir répondre et accompagner cette mutation vers la sobriété chimique.

L’audition s’achève à douze heures quinze.

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9.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Laure Métayer, adjointe au directeur de l’eau et de la biodiversité à la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (ministère de la transition écologique) (30 septembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons Mme Marie-Laure Métayer, qui est adjointe au directeur de l’eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique et qui, jusqu’à récemment, travaillait à la gestion des risques au sein de ce même ministère. Par conséquent, nous pourrons bénéficier de sa double expertise sur les questions liées à l’eau et à la gestion des risques.

Mme Marie-Laure Métayer, vous êtes inspectrice générale de la santé publique vétérinaire à la direction de l’eau et de la biodiversité en charge de concevoir, mettre en œuvre et évaluer les politiques de l’eau, des espaces naturels et de la biodiversité terrestre et maritime. Cette direction exerce des responsabilités particulières dans la mise en œuvre du plan Micropolluants et dans plus d’une quinzaine d’actions du PNSE3, en relation avec le développement de nouvelles espèces végétales, les risques sanitaires impliquant la flore et la faune sauvage, la surveillance et la protection du milieu aquatique, le captage d’eau destinée à la consommation, et les effets de la biodiversité pour la prévention et la lutte contre les maladies.

Je vous remercie de préciser la place occupée par la direction de la gestion de l’eau dans le dispositif des politiques publiques en santé-environnement.

(Mme Marie-Laure Métayer prête serment)

Mme Marie-Laure Métayer, adjointe au directeur de l’eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique. Je suis honorée de pouvoir apporter mon témoignage à double titre, même si j’ai pris mes fonctions au sein de la direction de la biodiversité voici quatre semaines. Je pourrai peut-être vous proposer un point de vue d’interface entre les missions dédiées à la santé-environnement, que j’occupais jusqu’à très récemment, et mes nouvelles fonctions relatives à la mise en œuvre des politiques en faveur de l’eau et la biodiversité.

Les missions de la direction de l’eau et de la biodiversité concernent la santé-environnement, s’agissant notamment de l’eau puisqu’elle est en charge du suivi et des mesures en faveur de la prévention de toute pollution de l’eau, mais également en termes de biodiversité, en particulier quant à l’approche One Health qui a été largement mise en avant durant la crise de la COVID. Au travers de ces deux approches, la direction de l’eau et de la biodiversité est extrêmement concernée par les sujets de santé-environnement.

La direction de l’eau et de la biodiversité est en charge de la gestion et de la protection des espaces naturels et de l’équilibre des espèces menacées, ainsi que de la qualité de l’eau, du partage équilibré de ses usages, de la gestion durable de la ressource ainsi que de la protection et de la restauration des écosystèmes aquatiques. Cette direction, qui appartient à la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), est tournée vers les territoires, est au service du développement durable et s’appuie sur un réseau d’acteurs qui lui permettent d’avoir cet impact territorial.

Cette direction se décline en trois typologies de réseaux, à savoir :

– les services déconcentrés sur le terrain avec les préfectures, les directions départementales des territoires (DDT), les directions départementales de la protection des populations (DDDP) et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), qui représentent environ 3 600 ETP ;

– un réseau d’opérateurs et d’établissements publics avec les six agences de l’eau et les onze parcs nationaux ;

– et un réseau partenarial avec l’office français pour la biodiversité, l’établissement public du Marais poitevin, le conservatoire du littoral et l’office national des forêts (ONF). Ce réseau partenarial très développé intègre également les collectivités territoriales, ainsi que de nombreux acteurs économiques et associations, lesquelles constituent des partenaires de premier plan.

En ce qui concerne les sujets de santé-environnement, un certain nombre de plans a été cartographié dans les multiples plans et stratégies afférents, à savoir :

– le plan Écophyto, qui est co-piloté par la direction de l’eau et de la biodiversité avec trois autres directions, qui a des ambitions fortes, en ce qui concerne la réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, et qui a donné lieu à un rapport de la Cour des Comptes en février 2020 ;

– le plan Biodiversité 2018-2024, qui porte une dizaine d’actions en lien direct avec la santé-environnement ;

– le plan Micropolluants, qui est mis en œuvre en application de la directive-cadre sur l’eau et permet de suivre toutes les substances potentiellement polluantes et dangereuses pour l’environnement ou la santé humaine dans le milieu aquatique. Ce plan comporte une quarantaine d’actions qui sont presque toutes mises en œuvre à ce jour. Il a permis, avec un partenariat fort des collectivités et de la recherche, d’identifier des polluants dans les stations d’épuration et de réduire à la source un certain nombre d’émissions via la révision de la réglementation sur les émissions polluantes avec la direction générale de la pêche et de l’aquaculture (DGPA). Il s’agit de l’une des réussites de ce plan qui s’adapte quotidiennement à la connaissance. En lien avec la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, avec laquelle il est très interfacé, a été identifié un certain nombre de substances à suivre dans l’eau. Il s’agit d’une spécificité française puisque la directive-cadre sur l’eau impose le suivi de certaines substances et offre une sorte de subsidiarité aux États membres pour déterminer les substances d’intérêt qu’ils souhaitent rechercher. À ce titre, certains perturbateurs endocriniens font l’objet d’un suivi particulier en France, en application du plan Micropolluants ;

– le plan Nitrates, qui s’inscrit dans un cadre normatif européen. La politique de l’eau diffère de la politique santé-environnement dans la mesure où un cadre européen impose certaines règles. Le plan Écophyto est ainsi rendu obligatoire par les directives de 2009 sur l’usage « durable » des pesticides. C’est une directive de 1991 qui impose les plans Nitrates. Nous en sommes à la révision du dernier plan qui a été lancée dernièrement via une consultation publique. Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, était présente à Saint-Lô, la semaine dernière, à l’occasion du premier débat sur la révision de ce plan nitrates, débat accolé à une première série de concertations sur la politique agricole commune. Ces plans d’action Nitrates concernent également les questions de santé-environnement.

La pollution des eaux superficielles et souterraines par les nitrates constitue un sujet de santé humaine pour l’eau potable et l’environnement. Chacun a à l’esprit la problématique de l’eutrophisation des algues vertes en Bretagne. Il s’agit également d’un problème pour la qualité de l'air, puisque les émissions d'ammoniac, dont l’agriculture est responsable à 90 %, sont à l’origine de particules fines, mais également de gaz à effet de serre.

Au titre de cette directive, la direction de l’eau et de la biodiversité a l’obligation de réviser ces plans tous les quatre ans. Est également prévu un diagnostic préalable devant établir la cartographie des zones vulnérables. Des sites de prélèvement permettent de vérifier la contamination en nitrates des masses d’eau superficielles et souterraines. En fonction de cette contamination, les zones vulnérables concernent plus de 60 % du territoire français. Sur cette base, s’appliquent les plans nationaux d’action Nitrates qui reposent essentiellement sur des actions de prévention des pratiques agricoles permettant d’éviter les fuites, sources de pollutions.

La révision du plan Nitrates s’inscrit dans une démarche de participation citoyenne étroite : la consultation publique du 18 septembre au 6 novembre est ouverte sur une plateforme et s’accompagne de deux débats, l’un a eu lieu à Saint-Lô et l’autre se tiendra dans quelques semaines à Pont-à-Mousson. Cette consultation sera suivie d’une deuxième consultation, au printemps 2021, cette fois sur un projet de plan.

Tous ces plans sont pilotés ou co-pilotés par la direction de l’eau et de la biodiversité.

Le plan de relance consacrera 300 millions d’euros à l’eau et 250 millions d’euros à la biodiversité. Le gouvernement a tenu à marquer l’intérêt qu’il porte à la préservation de la biodiversité et de l’eau dans un contexte où la crise COVID a rappelé notre lien à un environnement sain. Nous redécouvrons le principe formulé par Hippocrate, 500 ans avant Jésus-Christ, selon lequel l’environnement d’un malade est le premier point à analyser. Par conséquent, préserver l’environnement nous permet d’assurer notre avenir. La part consacrée à ce sujet dans le plan de relance va dans ce sens.

S’agissant des perspectives, je citerai la révision de la stratégie nationale pour la biodiversité 2021-2030 qui sera conduite par un comité spécialisé et qui devra prendre en compte la santé-environnement. Le deuxième sujet important est le contrat d’objectifs et de performance de l’OFB, office qui compte 2 700 agents répartis sur l’ensemble des territoires, et qui exercent des missions en termes de police de l’environnement, d’animation de projets et d’amélioration de la recherche et de la connaissance. Il s’agit d’une force de frappe importante en matière d’eau et de biodiversité. Le contrat d’objectifs et de performance de l’OFB sera l’occasion de veiller à la prise en compte de cet enjeu.

Les plans Nitrates et Écophyto demandent de nombreux efforts et des moyens financiers sans forcément aboutir aux résultats souhaités. La mobilisation des acteurs ne peut être considérée comme un point faible. Mais il faut parvenir à la massification de bonnes pratiques dans le domaine agricole. L’un des éléments clés réside dans la révision de la politique agricole commune, laquelle aura un impact fort en ce qui concerne la question des nitrates. Dans ce domaine, bien qu’encourageants, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Toutefois, le changement de modèle agricole et l’entrée dans une véritable transition écologique permettront de diminuer les intrants, ce qui réduira la présence de pesticides et de nitrates.

Nous disposons d’un nombre considérable de données en matière environnementale, lesquelles ne sont pas forcément valorisées, accessibles et interopérables.

Des tables rondes du groupe santé-environnement (GSE) consacrées à l’approche One Health dans la prévention des zoonoses, qui se sont tenues en juillet, il ressort que l’un des facteurs clés pour changer de paradigme réside dans la multidisciplinarité. Il s’agit de pouvoir travailler différemment et « désiloter » les plans et les pratiques de recherche, de surveillance territoriale et de gestion de crise afin de disposer de toutes les compétences nécessaires. Les sciences humaines et sociales, les écologues et les urbanistes sont parfois oubliés. La direction de l’eau et de la biodiversité sera en première ligne pour intégrer ces nouvelles approches, ainsi que la responsabilisation du citoyen. Durant la crise de la COVID, nous avons constaté le comportement des citoyens en ce qui concerne l’utilisation des désinfectants et des biocides à la maison. Les experts des stations d’épuration expliquent que la principale source de médicaments y est domestique.

La santé-environnement constitue un enjeu majeur qui relève d’une responsabilité collective. Chacun doit trouver sa place pour pouvoir jouer un rôle et les citoyens doivent être fortement impliqués.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous évoquez les plans sectoriels portés par la direction de l’eau. Si je me réfère aux auditions précédentes, il est question de nombreux plans sectoriels « silos » qui semblent cohabiter de façon autonome.

J’aimerais que vous me donniez votre avis sur cette multidisciplinarité à l’échelle infra, mais également sur la nécessité de mettre en œuvre des démarches interministérielles afin d’avoir une vue d’ensemble. Vous avez exposé votre place dans le dispositif, mais le dispositif général demeure difficile à cerner. Quels sont les liens entre l’agriculture, le phytosanitaire, la qualité de l’eau et la biodiversité que vous évoquez ? Qui a une vue d’ensemble de ces plans « silos » ? Quels sont les liens avec le PNS3, voire le PNS4, en précisant la place de ces plans ? Qui les pilote ? Comment vous situez-vous, dans vos nouvelles missions, vis-à-vis des objectifs qui vous ont été confiés à l’intérieur de cette politique publique de santé environnementale ?

Mme Marie-Laure Métayer. Les plans concernant l’eau – Écophyto, Nitrates et Micropolluants – sont imposés par le cadre européen. En ce qui concerne l’eau, s’agissant d’un enjeu vital et majeur, un cadre normatif impose d’adopter un plan Nitrates tous les quatre ans et un plan pour la réduction des phytos. La directive-cadre sur l’eau impose des résultats par rapport à des suivis de polluants.

L’eau est un enjeu territorial, organisé comme tel. Les agences de l’eau mettent en œuvre des programmes d’intervention de six ans, gérés selon un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Ces schémas directeurs sont prévus par la réglementation européenne et possèdent une comitologie territoriale dans les comités de bassin et les conseils d’administration des agences de l’eau. Les sujets de conflit d’usage et d’approche quantitative ou qualitative sont abordés de façon complètement intégrée et transversale dans les territoires.

À l’échelle nationale, le plan Écophyto est piloté par quatre directions. Le plan Micropolluants comprend un certain nombre d’actions prévues dans le PNSE3. Le pilote du plan Micropolluants à la direction de l’eau et de la biodiversité appartenait au GT Biodiversité du PNSE3. Il s’agit d’un plan d’interface. Dans le plan Biodiversité, certaines actions concernant directement la santé-environnement ont été vues en lien avec les recommandations faites par le GT Biodiversité du PNSE3.

Des interfaces se mettent en place au niveau national. L’organisation du fonctionnement interservices constitue une pratique quotidienne. Face aux cartographies qui comprennent une quarantaine de plans et de stratégies, d’aucuns peuvent s’interroger sur leur nombre, mais chacun d’entre eux a son origine et son explication propre qui est normative ou répond à un besoin particulier.

Sur la gouvernance générale, le groupe santé-environnement (GSE), qui est l’instance de suivi des PNSE, a toujours fait l’objet de remontées extrêmement positives. Chacun des participants s’est retrouvé dans cette approche intégrée et transversale des sujets. Il est tellement reconnu que les demandes pour y entrer se sont multipliées.

La question peut se poser, comme les inspecteurs généraux l’ont mis en avant dans un rapport récent, d’une organisation différente de cette politique de santé-environnement en tant que politique « chapeau » n’ayant pas vocation à entrer dans le détail de l’action technique, mais comme une politique portée transversalement au niveau des ministères avec une instance et un statut juridique. Les débats qui suivront le PNSE4 ne manqueront pas d’aborder sa gouvernance et offriront l’occasion d’envisager les suites à donner à ces recommandations.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Concernant votre participation à la mise en œuvre du PNSE3, vos objectifs ont-ils été atteints ? Je m’interroge également sur l’évaluation de l’enveloppe budgétaire qui y est consacrée. Au niveau territorial, quelle est l’implication de votre direction concernant les plans régionaux santé-environnement (PRSE) ?

Mme Marie-Laure Métayer. En ce qui concerne le PNSE3 et ses objectifs, un rapport dressant le bilan des deux dernières années, ainsi qu’un bilan global ont été récemment mis à la disposition des membres du GSE. De nombreuses actions sont closes et certaines seront probablement poursuivies. En tout état de cause, un bilan positif a été établi. Chaque pilote d’action a rédigé un résumé de l’atteinte des objectifs qui lui avaient été fixés. Je pense que le document pourra être très facilement mis à votre disposition par la direction générale de la prévention des risques (DGPR).

Le PNSE3 comprenait 104 actions, ce qui a suscité une réflexion sur la poursuite ou non d’une telle inflation dans le PNSE4, touchant des sujets très différents comme la qualité de l’air intérieur, le radon et l’amiante, etc. Les objectifs des actions liées aux micropolluants sont atteints, ce qui est lié à la baisse des émissions dans l’eau par l’impact de la révision de la réglementation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

N'étant pas à même de vous répondre au titre de mes fonctions actuelles sur l’évaluation budgétaire, je vous invite à contacter la DGPR.

Concernant l’action territoriale, les PRSE sont co-pilotés par les DREAL, les agences régionales de santé (ARS), ainsi que, dans la plupart des cas, les conseils régionaux. Les équipes de l’eau et la biodiversité sont très impliquées dans les PRSE. L’organisation des DREAL peut différer, mais une équipe y est systématiquement dédiée au PRSE et assure la transversalité au sein des directions spécialisées. Une direction est en charge des risques et de l’eau et la biodiversité. Dans la plupart des régions, les PRSE conduisent des actions concernant le petit cycle de l’eau, à savoir l’usage domestique avec des actions liées à la connaissance, la formation, la prévention et des appels à projets relatifs à des démarches de réduction des pollutions, ainsi que des actions en faveur de la biodiversité. Sans trop m’engager, je dirai que tous les PRSE intègrent des actions en faveur de la biodiversité.

M. Yannick Haury. Dans le département de la Loire Atlantique, 85 % des eaux de surface ne sont pas de bonne qualité. L’eau du service d’eau fait l’objet d’une réglementation très précise et d’une surveillance attentive. Les eaux usées sont soumises à des règles d’assainissement sur le plan collectif et non collectif. En cas d’intempéries, lorsque les surfaces agricoles ou les espaces urbains sont lessivés, les eaux de ruissellement repartent dans les rivières ou vers la mer. À votre avis, y a-t-il des actions à initier ou amplifier dans ce domaine ?

Mme Marie-Laure Métayer. Le sujet des eaux de ruissellement pour le grand ou le petit cycle de l’eau, qu’il s’agisse des aspects quantitatifs ou qualitatifs, constitue un enjeu majeur. Il s’agit d’une priorité d’action de la direction de l’eau et de la biodiversité et de ses opérateurs. Dans le plan de relance de 500 millions d’euros, dont 300 millions d’euros sont dédiés à l’eau, la collecte des eaux pluviales figure parmi les grandes priorités mises en avant pour déterminer des projets retenus.

Sur le terrain, nos relais, à savoir les agences – l’OFB et les agences de l’eau – feront de l’animation territoriale pour faire remonter des projets, notamment sur ce sujet qui a été ciblé comme une priorité du plan de relance.

Cet aspect est en lien avec l’artificialisation du territoire, laquelle constitue une priorité de la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) au sein de laquelle se trouve la direction de l’eau et de la biodiversité. Il s’agit d’un enjeu stratégique pour les prochaines années. Cet aspect est également pris en compte dans le plan de relance, pour les actions d’urbanisme.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que faudrait-il améliorer en matière de gouvernance pour accroître l’efficacité de la politique en santé-environnement ?

Mme Marie-Laure Métayer. S’agissant de la gouvernance au sens propre, c’est-à-dire nationale et territoriale, ainsi que la multidisciplinarité, il ne s’agit pas de mettre en place une énième instance de gouvernance, sans se demander avec qui, pour quoi faire et s’il est question d’une instance strictement politique ou opérationnelle.

Le ministère de l’agriculture bénéficie d’un conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV). Ce conseil, qui a été institué par la loi d’avenir sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, rend des avis au ministre de l’agriculture. Cette instance rassemble les administratifs compétents, la société civile n’y figurant pas, est mobilisée et rend un avis opérationnel, lorsque des décisions rapides doivent être prises en gestion de crise.

Chacun connaît le sujet des bouquetins du Bargy. En France et dans de nombreux pays européens, la brucellose, qui est une zoonose, a été éradiquée car elle bénéficie d’un programme de lutte prévu par la réglementation sanitaire européenne. Aujourd’hui, nous faisons de plus en plus face à des résurgences de zoonoses que nous croyions éradiquées comme la tuberculose et la brucellose, mais dont la faune sauvage constitue le réservoir principal. En ce qui concerne la tuberculose, les anciens cheptels bovins l’ont transmis aux blaireaux, lesquels constituent désormais un réservoir.

Nous devons prendre des décisions sans que notre gouvernance permette suffisamment d’échanger et de décider de façon sereine aux personnes n’ayant pas l’habitude de se parler. Nous avons certainement besoin d’une gouvernance One Health. Il convient de déterminer si l’existant suffit ou non, mais il est nécessaire que les naturalistes, les experts et les écologues puissent rencontrer les experts du sanitaire.

Je suis vétérinaire de formation. On m’a appris à gérer un foyer de brucellose dans un cheptel domestique en procédant à un abattage total. Ces méthodes de gestion de crise sanitaire ne s’adaptent pas à la faune sauvage, ce qui nécessite de les faire évoluer. Lors de la crise du Bargy, avec la transmission de la brucellose par des bouquetins au cheptel via le pâturage, lequel l’a ensuite transmise aux deux enfants de l’éleveur concerné, nous nous sommes trouvés face à des situations de confrontation très dure. Celles-ci perdurent entre deux mondes qui n’ont pas su gérer de façon sereine et constructive un problème nouveau susceptible de se répéter.

Je pense que nous avons besoin d’une gouvernance One Health. Il faut s’interroger sur son caractère national ou territorial et son utilité, tout en conservant l’aspect opérationnel. Cette gouvernance doit nous permettre d’anticiper des crises et, le cas échéant, de rendre des avis éclairés. Dans ce genre de problématique, le manque d’anticipation engendre une perte de temps et d’argent, ainsi que de crédibilité de l’action publique auprès des citoyens.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que conviendrait-il d’améliorer en termes de prévention ?

Mme Marie-Laure Métayer. Une bonne prévention passe par une bonne surveillance et une prise de conscience. La biodiversité est un sujet particulier. Il n’a jamais fait aucun doute que l’eau est précieuse et vitale. Par conséquent, le lien de l’humain à l’eau n’est pas à démontrer. Il n’y a pas à convaincre le citoyen de l’intérêt de préserver l’eau quantitativement et qualitativement. Cela est beaucoup plus compliqué, s’agissant de la biodiversité.

Certains animaux bénéficient d’un capital de sympathie, ce qui n’est généralement pas le cas des insectes. Un large travail d’éducation et de pédagogie doit être conduit pour expliquer, par exemple, en quoi la disparition du crapaud vert ou du sonneur à ventre jaune est importante. Lorsque j’étais en poste en service déconcentré, que je pilotais un plan de restauration pour plusieurs crapauds et que nous en arrivions à nous opposer à des projets pour protéger une espèce, certains me demandaient en quoi leur vie changerait du fait de la disparition des crapauds verts. Cette question qui subsiste montre que nous ne sommes pas parvenus à expliquer notre lien au vivant et à la biodiversité.

Aujourd’hui, nous n’avons pas organisé, à la hauteur des enjeux, la surveillance de la santé, de la biodiversité et des écosystèmes. Il s’agit probablement d’une piste d’action pour pouvoir ensuite organiser la prévention en matière de santé-environnement. Il serait intéressant d’améliorer la connaissance des fonctionnements écosystémiques des sols afin de pouvoir prendre des mesures pertinentes en matière de prévention des risques liés à leur santé.

La collecte et la valorisation de la donnée, et l’organisation de la surveillance des fonctionnements écosystémiques sont essentiels. Obtenir l’adhésion des acteurs des territoires permettra de déployer des stratégies de prévention efficaces.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Avez-vous lié des partenariats avec l’Éducation nationale ?

Mme Marie-Laure Métayer. Un volet éducation à l’environnement est piloté par le commissariat général au développement durable avec lequel nous travaillons très étroitement. Un grand nombre de partenariats sont noués avec l’Éducation nationale sur le sujet de l’éducation à l’environnement. Le rapport de Mme Anne Laure Cattelot sur la forêt comprend un volet relatif à la mobilisation du citoyen. Ce sujet sera également examiné au titre de l’éducation à l’environnement et de nos relations avec l’Éducation nationale, avec l’intégration potentielle d’un volet d’éducation à la forêt dès la petite enfance, comme il a été préconisé.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. S’agissant de la qualité de l’eau potable, vous nous avez donné quelque assurance quant à la vigilance de votre direction en ce qui concerne l’eau de nos robinets familiaux. Néanmoins, je constate quelques nuances assez marquées d’une ville à l’autre avec, notamment, des traces de pesticides et de produits chimiques dans une eau qui nous est vantée comme étant l’une des meilleures d’Europe.

Je m’inquiète particulièrement de la trace de médicaments. Ce volet fait-il l’objet de votre attention ? Un travail est-il mis en œuvre pour tenter de limiter la diffusion des médicaments dans les réseaux d’eau, notamment chez les particuliers ? Je pense aux personnes qui sont sous traitement antimitotique dont les urines sont retraitées dans des usines qui ne sont pas forcément équipées pour cela. Quelle est votre politique à cet égard ? S’intègre-t-elle dans la politique plus générale de lutte contre l’antibiorésistance qui constitue l’un des grands sujets de notre futur sanitaire ? Nous savons qu’une trop forte consommation d’antibiotiques diminue leur efficacité et que nous finirons par ne plus pouvoir soigner, faute de molécules suffisamment actives sur les organismes humains. Comment avez-vous anticipé ces problématiques de traces de médicaments et d’antibiotiques ? Comment pouvez-vous tenter d’améliorer l’eau potable que nous buvons quotidiennement ?

Mme Marie-Laure Métayer. La responsabilité de l’eau potable relève des ARS et du ministère de la santé. La direction de l’eau et de la biodiversité est en charge de la qualité des eaux superficielles et souterraines, ainsi que des milieux aquatiques.

Les résidus médicamenteux sont suivis au titre du plan Micropolluants dont l’objectif ne consiste pas à mettre en place des technologies permettant de filtrer, en sortie de station d’épuration, pour récupérer les substances médicamenteuses et les pesticides. La philosophie de ce plan réside dans la prévention en mobilisant tous les acteurs. Un appel à projets de 10 millions d’euros a été lancé pour les collectivités s’associant à la recherche afin de mettre en place une surveillance très poussée des résidus, ainsi qu’une traçabilité permettant de remonter aux origines des pollutions et de contacter les pollueurs.

Je vous ai apporté un exemplaire du plan Micropolluants qui détaille le travail effectué avec des villes modèles comme Strasbourg et Bordeaux qui ont effectué un travail considérable visant à réduire la pollution en amont, notamment avec les hôpitaux, concernant les médicaments.

En revanche, la pollution domestique reste très problématique et nous disposons de peu de leviers d’action. Le choix a été fait de travailler en amont, sur la prévention, pour réduire la pollution à la source car les Suisses, qui avaient mis en place des techniques de membranes de filtration permettant de stopper toute substance chimique, ont constaté que les poissons mourraient de faim. La matière organique est nécessaire au développement de la vie. Il en est de même pour les plantes qui ont besoin de nitrates. Un minimum de matière organique est donc indispensable pour que la vie trouve son équilibre. Par conséquent, la priorité consiste à réduire à la source et à modifier les pratiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je m’interroge sur l’impact sur notre santé des chocs chlorés, notamment avec l’usage récent de chlore lié à l’épidémie de COVID. Il nous a été donné l’assurance que notre eau n’était pas infectée, mais quel est l’impact de ces concentrations sur nos organismes ?

Mme Marie-Laure Métayer. Il s’agit d’une question de santé publique qui ne relève pas de mon domaine de compétences. En revanche, la direction de l’eau et de la biodiversité s’est fortement inquiétée de l’impact sur le bon fonctionnement de l’assainissement, lorsque certaines collectivités ont commencé à désinfecter les espaces extérieurs à l’eau de Javel. Fort heureusement, le Haut Conseil de la santé publique a rapidement émis un avis expliquant l’inutilité de cette démarche et son caractère très néfaste pour l’environnement.

Par ailleurs, la question des dosages et des normes de potabilité relève des ARS et du ministère de la Santé.

M. Yannick Haury. Dans les stations d’épuration, le chlore est évité lors du traitement tertiaire au profit des filtres UV, pour leur effet bactéricide, et du brome. Il me semble que l’hypochlorite est de moins en moins utilisé.

Mme Marie-Laure Métayer. Je ne me permettrai pas de donner un avis. En revanche, les résultats du plan Micropolluants montrent que les résultats ne s’améliorent pas forcément au fil des années. Nous cherchons de plus en plus de choses. Les perturbateurs endocriniens font actuellement l’objet d’une surveillance, ce qui n’était pas le cas auparavant. Plus on cherche, plus on trouve et les résultats obtenus font référence à cet ensemble de polluants. La présence de certains d’entre eux dégrade immédiatement la qualité de l’eau.

En outre, l’impact d’actions sur l’eau potable n’est jamais visible en N+1 ou N+2. Les mécanismes du grand cycle de l’eau sont très longs. En France, environ 80 % de l’eau potable provient des nappes souterraines. Les effets des actions de prévention, présentes dans la plupart de nos plans, notamment les plans Nitrates et Écophyto, ne seront visibles que dans cinq ou dix ans au minimum, ce qui n’empêche pas d’accélérer le mouvement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette ressource est appelée à devenir une denrée rare – on la qualifie d’or bleu – en raison du réchauffement climatique. Vous êtes-vous organisés pour anticiper les conflits d’usage entre le monde agricole et industriel et le besoin d’eau potable des ménages ? Quelles sont les mesures mises en place ou prévues dans le plan de relance pour tenter d’anticiper une gestion économe de cette denrée rare ?

Mme Marie-Laure Métayer. Avec le changement climatique, ce sujet est de plus en plus préoccupant pour les territoires. Cette année, avec la sécheresse, nous avons pu constater tous les conflits d’usage existants. L’eau est un bien commun. Sur un territoire donné, chacun prétend pouvoir l’utiliser pour ses besoins.

L’entrée est territoriale. Au-delà de la comitologie, avec les comités de bassins et les SDAGE, nous encourageons la mise en place de projets territoriaux de gestion de l’eau (PTGE) qui permettent, à l’échelle d’un micro-territoire, la gestion des conflits d’usage et une gestion partagée de l’économie d’eau. La gestion quantitative de l’eau ne fonctionne que si chacun a sa part de responsabilités et dans un cadre local.

Par ailleurs, la réglementation d’autorisation de prélèvement de l’eau, qui est en cours de révision, permet de définir les prélèvements possibles par les usagers sur la base d’une connaissance des volumes disponibles. Au-delà de ce cadre, dont nous constatons les limites au regard des conflits qui nous remontent, la meilleure façon d’avancer est de disposer d’une gouvernance locale, à la bonne échelle, des conflits d’usage.

La nappe de Vittel, dont le dimensionnement ne suffit pas à la production locale, constitue un cas d’école du conflit d’usage, ce qui nécessite que quelqu’un se sacrifie. L’entreprise souligne l’importance du maintien de son débit, en faisant valoir qu’elle est créatrice d’emplois, alors que les usagers mettent en exergue leur appartenance au territoire et que les collectivités territoriales évoquent leurs besoins. La solution doit être identifiée au niveau territorial à travers la mise en place d’un schéma d’aménagement de gestion de l’eau (SAGE). Les acteurs doivent s’accorder sur la manière de réduire les prélèvements puisque, quelle que soit la solution trouvée, nul ne parviendra à augmenter le volume de la nappe.

Le normatif permet de déterminer le volume qui peut être prélevé sur la base du volume disponible, mais la gouvernance des conflits d’usage doit être aussi efficiente et responsable que possible car il ne s’agit pas de sujets ponctuels. Le changement climatique nécessitera de changer de manière de vivre et de travailler. Il faut pouvoir mettre en place des actions sur la durée.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Établissez-vous un lien avec la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) ?

Mme Marie-Laure Métayer. La GEMAPI consiste à transférer aux collectivités territoriales un certain nombre de missions concernant la gestion de l’eau.

Par organisation, la direction de l’eau et de la biodiversité est constituée d’acteurs territoriaux en lien les uns avec les autres, comme les agences de l’eau et les collectivités territoriales. La gouvernance de l’eau implique tous les acteurs et les collectivités. La GEMAPI s’effectue en interface avec les services locaux, les agences de l’eau, l’OFB et la direction de la biodiversité. Il s’agit d’une force de frappe qui est très entrelacée.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Est-ce porté par les agences de l’eau ou par les services déconcentrés ?

Mme Marie-Laure Métayer. La GEMAPI s’inscrit dans le transfert aux collectivités territoriales.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de ces explications.

L’audition s’achève à quinze heures cinq.

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10.   Audition, ouverte à la presse, de M. le professeur Denis Zmirou, président, et de Mme la professeure Francelyne Marano, vice-présidente, de la commission spécialisée « risques liés à l’environnement » du Haut conseil de la santé publique (30 septembre 2020)

L’audition débute à quinze heures vingt

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons le président et la vice-présidente de la commission spécialisée sur les risques environnementaux du Haut conseil de la santé publique.

M. Denis Zmirou, vous présidez cette commission. Vous êtes professeur honoraire de médecine. Vous avez été directeur scientifique de l’agence française de sécurité sanitaire environnementale, qui est devenue l’Anses, et avez dirigé le département santé et environnement de travail de l’École des hautes études en santé publique de Rennes.

Mme Francelyne Marano, vous êtes professeure émérite de biologie cellulaire à l’Université de Paris. Vous avez présidé le conseil scientifique de l’agence de sécurité sanitaire environnementale. Vous êtes vice-présidente de la commission spécialisée sur les risques environnementaux du Haut conseil de la santé publique, lequel apporte son expertise aux pouvoirs publics en lien avec les agences sanitaires pour la gestion des risques sanitaires, ainsi que la conception et l’évaluation des politiques de prévention et de sécurité sanitaire.

(M. Denis Zmirou et Mme Francelyne Marano prêtent serment).

M. Denis Zmirou, président de la commission spécialisée « risques liés à l’environnement » du Haut conseil de la santé publique. Je propose de présenter les fonctions et les activités du Haut conseil de santé publique dans le registre de la santé et de l’environnement, et de vous faire part de notre point de vue quant à l’amélioration du dispositif d’élaboration et de conduite des politiques publiques dans ce domaine.

Mme Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée « risques liés à l’environnement » du Haut conseil de la santé publique. En tant qu’acteur de longue date de la santé environnementale, nous nous félicitons de la mise en avant de cette problématique essentielle.

Le Haut conseil de santé publique succède au Conseil supérieur d’hygiène publique de France qui a été créé au milieu du XIXème siècle à la suite du mouvement hygiéniste né, notamment, des interventions de Louis Pasteur. Le Haut conseil de santé publique a été créé par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, laquelle restructurait les différentes instances, instituts et agences concernant la santé publique. Cependant, il n’a réellement commencé à travailler qu’en 2007.

Ses missions consistent à contribuer à l’élaboration, au suivi annuel et à l’évaluation pluriannuelle de la stratégie nationale de santé (SNS), à fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires, l’expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires, à la conception et l’évaluation des politiques et stratégies de prévention en matière de sécurité sanitaire, ainsi que de fournir aux pouvoirs publics des réflexions prospectives et des conseils sur les questions de santé publique. La santé environnementale a été intégrée d’emblée aux missions du Haut conseil de la santé publique, comme elle l’était dans celles du Conseil supérieur d’hygiène publique de France.

Le Haut conseil de la santé publique est organisé en quatre commissions spécialisées, à savoir Maladies infectieuses et émergentes, Maladies chroniques, Risques liés à l’environnement et Système de santé et sécurité des patients, et en trois groupes de travail permanents, dont l’un concerne la politique de santé de l’enfant. Il se compose d’une centaine de membres experts bénévoles sélectionnés par une commission sur la base d’un appel à candidatures, puis désignés par arrêté ministériel.

La gouvernance du Haut conseil est assurée par le collège, qui compte des experts nommés selon la même procédure que pour les commissions, un président et les présidents des différentes commissions spécialisées et des groupes de travail permanents. Le collège devant lequel passent tous les avis et rapports du Haut conseil de la santé publique veille au respect de la charte de l’expertise sanitaire. Le président est garant du travail du Haut conseil et de ses avis.

Un secrétariat général permanent composé de quatorze personnes, qui sont essentiellement des chargés de mission de haut niveau et des ingénieurs de sécurité de médecine de santé publique, assure le fonctionnement d’ensemble et apporte une aide aux commissions spécialisées et aux groupes de travail. En effet, selon les saisines, sont créés des groupes de travail réunissant, en s’assurant de l’absence de conflits d’intérêts, des experts extérieurs sélectionnés par le Haut conseil, qui ont tous fait des déclarations publiques d’intérêts (DPI).

M. Denis Zmirou. La commission spécialisée sur les risques liés à l’environnement (CSRE) comprend vingt-deux membres relevant des trois grandes catégories suivantes :

– des scientifiques des sciences de la vie et de la santé (toxicologues, épidémiologistes, hygiénistes) ;

– des experts des sciences humaines et sociales (économistes, anthropologues, juristes, sociologues, politistes) ;

– des représentants des sciences de l’ingénieur.

Nous avons besoin de ce caractère multidisciplinaire qui est très singulier au sein du conseil scientifique. Dans nos champs d’expertise, nous répondons à des saisines, voire nous nous autosaisissons, pour donner des avis concernant des textes réglementaires, des projets de décret, d’arrêté ou de bonnes pratiques professionnelles au travers d’instructions, ou nous procédons à des expertises sur des sujets thématiques. En 2014, nous avons été sollicités pour apporter un jugement sur les bonnes manières d’utiliser des insecticides contre le Chikungunya en Guyane. Ce scénario s’est reproduit un an et demi plus tard avec le Zika. Ce type d’action nous demande six mois, voire un an et au-delà, selon l’ampleur du dossier.

Nous faisons appel à des groupes de travail, membres de la commission, et à des experts extérieurs. Nous procédons à des consultations publiques sur un certain nombre de dossiers mobilisant des enjeux extrêmement variés qui ne sont pas entièrement couverts par les auditions de personnes extérieures.

Nous venons d’achever une consultation publique sur l’élaboration d’un outil harmonisé de qualification de la qualité d’un habitat, en termes de santé et de bien-être, nommé Domiscore, qui s’établit sur le modèle du Nutri-Score. Ce site a été consulté par 3 500 personnes et il a donné lieu à 200 propositions documentées d’amélioration dont nous nous saisirons, pour finaliser cet outil et le rendre public fin octobre. L’analyse des risques est donc au cœur de nos métiers.

Le deuxième champ est l’évaluation des politiques publiques dans le domaine santé-environnement, c’est-à-dire les plans et les programmes thématiques.

L’évaluation du PNSE2, en 2013, a représenté un an de travail, qu’il s’agisse d’auditions, de collecte des données et d’analyse des plus pertinentes d’entre elles. Les moyens d’évaluation du PNSE3 n’ayant pas été anticipés, nous en avons rétrospectivement construit les indicateurs et nous avons rendu un rapport « d’évaluabilité » en 2016. Nous avons procédé de même sur la deuxième stratégie nationale des perturbateurs endocriniens (SNPE2).

Mme Francelyne Marano. Parmi les questions qui nous ont été transmises, sont abordées les interactions entre le PNSE et la stratégie nationale de santé (SNS). Le Haut conseil doit procéder à son évaluation, formuler des propositions en vue d’établir le plan national de santé publique (PNSP).

Dans le passé, la santé environnementale était relativement absente de la stratégie nationale de santé. Grâce au travail réalisé au sein de la commission spécialisée « risques liés à l’environnement » (CSRE), nous avons formulé des propositions pour la stratégie nationale de santé 2018-2022, suite à une saisine de la direction générale de la santé. Le groupe de travail concerné a repris à son compte les propositions formulées, de sorte que la SNS actuelle comprend un volet relatif à la problématique santé-environnement. Aux termes du préambule de la SNS, l’exposition aux polluants et aux toxiques est considérée comme l’un des grands problèmes à prendre en compte pour une politique de santé, avec les inégalités socio-territoriales environnementales, la question des risques émergents comme les perturbateurs endocriniens, les nanotechnologies et d’autres technologies émergentes, ainsi que le changement climatique sur la santé.

Notre rapport à la DGS insiste sur quatre types de risques : la pollution de l’air, la pollution de l’air intérieur, les pesticides et les perturbateurs endocriniens. Le Haut conseil a évalué les indicateurs de la SNS. Le rapport afférent, qui date de 2019, est consultable sur son site Internet. Le PNSP 2017-2020, qui met en avant la prévention en matière de santé publique, souligne la nécessité de lutter contre les inégalités et d’offrir un environnement favorable à la santé, aux différents âges de la vie. Dans le cadre du PSNP, il a été proposé un site, nommé Agir pour bébé, dédié à l’exposition de la toute petite enfance aux facteurs environnementaux potentiellement dangereux pour la santé du petit enfant.

Le PNSP propose également une campagne de communication visant à informer la population sur les risques des produits chimiques dans les produits de consommation courante. Cette demande a été adressée à Santé publique France et à l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La mise en place du portail d’information est en cours.

Peut-être pouvons-nous y lier les propositions récemment formulées à propos de deux décrets en application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire quant à une information sur les produits contenant des perturbateurs endocriniens, mais un travail considérable reste à effectuer à cet égard.

M. Denis Zmirou. Dans le champ santé-environnement, le métier distinctif du Haut conseil de santé publique est l’analyse du risque, c’est-à-dire le conseil aux pouvoirs publics quant aux meilleurs moyens de maîtriser un risque identifié.

L’identification des risques est effectuée par Santé publique France ou l’Anses selon les sujets. Ce travail d’évaluation du risque et d’appréciation des impacts pour la santé des populations, y compris animales, se situe en amont. Nous nous situons en aval et nous nous interrogeons, lorsque le risque a été identifié, sur les moyens à optimiser pour le maîtriser, le réduire, voire le faire disparaître. Une partie de ce métier et de ces champs disciplinaires se recoupe avec le précédent, et une autre part est tout à fait distincte.

Je citerai trois exemples pour illustrer mon propos. En juin, nous avons validé un avis portant sur la qualité de l’air intérieur. Depuis dix ans, nous nous prononçons périodiquement sur les valeurs limites de présence de tel ou tel polluant dans l’air intérieur en établissement recevant du public (ERP) ou à l’intérieur des domiciles. En l’espèce, il s’agissait du trichloréthylène, qui est un composé chimique volatile principalement issu d’anciens sites industriels, lesquels présentent une pollution accumulée dans les sols pouvant aboutir à des concentrations très élevées en cas de dégazage faute de ventilation suffisante dans les bâtiments d’ERP et les domiciles qui y sont construits. Il s’agissait de s’interroger sur les concentrations posant véritablement problème, occasionnant un risque pour la santé, ainsi que sur le délai maximum tolérable de dépassement, qui est parfois très élevé, et les moyens d’ingénierie, de ventilation ou d’aspiration d’air extérieur.

En 2019 et en 2020, nous avons été saisis des risques liés à l’exposition des populations aux ultraviolets, en particulier les enfants et les travailleurs en extérieur, ce qui a nécessité la mobilisation de compétences disciplinaires afin de caractériser la nature du danger et la façon de procéder, y compris en matière de gestion des risques professionnels.

Nous venons de rendre un avis sur un projet de décret, portant sur l’une des dispositions de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire du 10 février dernier, où figure une obligation s’appliquant aux industriels qui mettent sur le marché, apportent ou mettent en vente des produits pouvant contenir des substances hautement préoccupantes, notamment des perturbateurs endocriniens. Deux décrets sont en préparation sur lesquels notre avis a été sollicité.

Pour autant, il est peu probable que le consommateur souhaitant connaître les produits susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens de différentes catégories consulte un site Internet le renvoyant vers celui de l’agence européenne des produits chimiques ou interroge l’application développée par la Commission européenne avec les industriels auxquels il est demandé de bien vouloir informer, ce qui prendra des semaines, voire des mois dans le meilleur des cas.

Comme pour le Nutri-Score, nous avons préconisé la présence d’une étiquette visible, simple et colorée sur la face avant du produit permettant de graduer la présence de différentes catégories de perturbateurs endocriniens. Une contravention de cinquième catégorie s’applique aux récalcitrants qui refusent d’appliquer les dispositions du décret, laquelle est passée en frais généraux et n’a aucun impact réel sur la population. Dans cette discussion, nous avons apporté l’aide de juristes afin d’être beaucoup plus incitatif.

Ce cœur de métier ne se superpose pas à celui de l’Anses ou de Santé publique France, mais se traduit en conseils en aval. Ensuite, la décision politique interviendra, ou non, en fonction de ces conseils et recommandations.

Mme Francelyne Marano. Nous avons formulé cette demande d’étiquetage dans le cadre de la préparation du PNSE4. L’un des groupes de travail relatif aux risques émergents et physiques que je présidais préconisait cet affichage sur tous les produits, de façon plus large que pour les perturbateurs endocriniens. Il faut espérer que cette mesure puisse aboutir et qu’elle soit lisible et compréhensible par la population. Le décret nous paraissait insuffisant.

Si nous voulons avoir une bonne connaissance de l’impact des expositions sur la santé, il nous faut faire appel à l’expertise scientifique de spécialistes très différents, à savoir des expologues afin de mesurer les produits chimiques et les agents physiques et biologiques dans l’environnement, des toxicologues qui étudient les mécanismes d’action des polluants environnementaux sur la santé humaine, des écotoxicologues qui analysent les impacts environnementaux, en particulier sur les écosystèmes, des épidémiologistes qui étudient l’impact sur les populations. Il nous faut aussi une relation avec les médecins dans la recherche clinique et faire appel aux sciences humaines et sociales, c’est-à-dire des sociologues, voire des économistes. Cette approche de la connaissance en santé environnementale relève obligatoirement d’un travail pluridisciplinaire qui se pratique dans les programmes de recherche européens et nationaux.

La démarche multi-acteurs vaut aussi à l’égard des industriels, des travailleurs, de l’environnement de travail, lequel ne peut plus être séparé du milieu général comme par le passé, mais également des consommateurs, des riverains d’activité et des ONG environnementales qui ont joué un rôle majeur dans la prise de conscience par la population et sont des interlocuteurs essentiels pour nous.

L’approche est également pluri-institutionnelle avec le niveau européen pour les réglementations, mais également l’échelon national, régional et local. L’ensemble de ces aspects doit être pris en considération dans toute réflexion sur la gouvernance.

Des concepts ont émergé à partir de ces réflexions qui datent d’une vingtaine d’années. L’un d’eux consiste à faire entrer la santé, notamment environnementale, dans les politiques publiques, sans se contenter de la réglementation sur les produits chimiques et l’agriculture, mais aussi en ce qui concerne l’urbanisme. Suite à une saisine sur cette question, le Haut conseil de la santé publique a rendu son rapport voici deux ans.

L’autre aspect très important est le concept One Health, selon lequel la santé de l’environnement, à savoir la biodiversité et les écosystèmes, est absolument liée à la santé humaine. La crise du COVID-19 montre à quel point il est nécessaire de revoir un certain nombre d’éléments à ce sujet.

Le concept d’exposome a émergé de la réflexion sur ces expositions. Ce terme, qui a été conçu par Christopher Wild lorsqu’il était directeur général du centre international de recherche sur le cancer, signifie que nous sommes exposés, au cours de notre vie, à des environnements susceptibles d’être responsables d’effets à long terme. L’impact au cours de la vie fœtale a également été pris en compte dans cette réflexion sur la façon de considérer les maladies chroniques qui sont certainement associées à ces expositions.

L’ensemble de ces aspects doit être pris en compte pour concevoir des actions et des programmes visant à maîtriser les risques environnementaux avérés ou suspectés, ce qui est complexe. Toutefois, la réflexion arrive à un niveau de maturité qui devrait permettre d’avancer dans ce domaine.

Il convient de travailler en interministériel et de prendre en compte l’ensemble des parties prenantes. J’ai participé au Grenelle de l’Environnement, lequel a apporté des éléments supplémentaires à la réflexion. Les plans nationaux santé-environnement ont été élaborés sur ce modèle, ce qui n’est malheureusement pas toujours suivi d’effets, bien que des progrès aient été réalisés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre exposé nous permet de nous rendre compte de la complexité du système. La problématique d’amélioration des politiques publiques présente de multiples visages. Vous venez de décrire la gouvernance scientifique qui s’est mise en place avec cette multidisciplinarité des chercheurs universitaires et des enseignants. Il est relativement réconfortant de constater que chacun s’est mis en ordre de marche dans la mesure où il s’agit d’approches systémiques requérant une mobilisation simultanée.

Nous avons compris que l’Anses et Santé publique France se situent en amont de la politique de prévention des risques. Quelle différence établissez-vous entre le risque et le danger avéré ?

Vous intervenez en aval en tant qu’équipe volante en situation de crise, lorsque le risque a été démontré et que des solutions doivent être rapidement trouvées. Vous avez fait l’objet de centaines de saisines au fur et à mesure que nous étions confrontés à la pandémie de COVID. Quelle est l’efficacité de ce système ? En amont, des mesures ne pourraient-elles pas être prises systématiquement en situation de crise ? Compte tenu du nombre d’expositions, quelle est la marge d’erreur en ce qui concerne la couverture des besoins ? Parvenez-vous à répondre à toutes les demandes de sorte que le filet de sécurité soit totalement assuré pour protéger la population ? En définitive, il s’agit d’une évaluation de votre efficacité dans le système, de sa résistance et sa résilience.

M. Denis Zmirou. Le Haut conseil de la santé publique n’intervient pas uniquement en urgence. Nous sommes très inspirés par le principe de précaution. Un grand nombre de saisines et d’auto-saisines portent sur des sujets qui ne sont pas complètement avérés, mais fortement suspectés. Les perturbateurs endocriniens sont classés en différentes catégories, à savoir avérés, supposés et suspectés. La France, en tant qu’État au sein de l’Union européenne, se bat pour la reconnaissance et la classification de perturbateurs endocriniens, au même titre que les cancérogènes, selon la terminologie suivante : certain, probable et possible. Nous formulons des préconisations, même lorsque le risque n’est pas encore produit, mais vraisemblable et sur des objets qui ne sont pas encore totalement stabilisés afin d’éviter qu’ils se produisent. Nous répondons « présents » dans ce genre de situation où l’on a le plus besoin de nous.

Effectivement, le dispositif est complexe. Il existe quatre grandes fonctions d’appui aux politiques publiques dans le champ santé-environnement, à savoir :

– la recherche, qui consiste à améliorer nos connaissances sur les menaces ;

– la documentation de l’état de la qualité des milieux et de l’imprégnation des populations par un certain nombre de substances dangereuses, avec la surveillance de la qualité de l’air et de l’eau, l’inventaire des sites pollués, mais également des études spécifiques comme la mesure de l’imprégnation des femmes enceintes et des nouveau-nés et l’étude Esteban de Santé publique France ;

– la mobilisation des différentes familles d’expertise, à savoir celle de Santé publique France sur la surveillance de l’état de santé de la population, celle de l’Anses, avec l’évaluation du risque et la caractérisation des dangers pour l’homme et les animaux, et celle du Haut conseil de la santé publique, consistant à identifier les moyens de réduire la menace, celle qui s’appuie sur une série d’organismes techniques, comme le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), l’institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), l’agence de la transition écologique (ADEME) et l’institut national de recherche et de sécurité pour la préservation des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), et celle qui s’appuie sur les sciences de l’ingénieur ;

– le portage du dispositif d’élaboration et de pilotage des plans de santé-environnement et des plans thématiques.

Ce schéma commence à « maturer » et chacun entre en écho avec les autres, même si d’indispensables zones de recoupement demeurent. Les acteurs qui sont maîtres d’œuvre de chacun des domaines sont identifiés de manière complémentaire.

Mme Francelyne Marano. La CSRE compte un représentant de l’Anses, de Santé publique France, de l’institut national du cancer (INCa) et de l’IRNS, ce qui offre une possibilité de concertation. Par ailleurs, une concertation est menée au moins une fois par an entre le Haut conseil, incluant les représentants des commissions intéressées, et la direction générale de l’Anses afin de faire le point des différentes saisines en cours et d’organiser une collaboration assurant une réelle complémentarité.

Il nous faut parfois attendre que l’Anses ait terminé ses études pour pouvoir répondre à une saisine. Il y a deux ou trois ans, une saisine sur les valeurs de gestion des nanoparticules de dioxine de titane dans l’environnement a nécessité que nous attendions la communication des valeurs toxicologiques de référence par l’Anses pour pouvoir formuler des propositions de gestion pour les travailleurs des usines fabricant ou utilisant ce genre de produits. Il est important d’avoir à l’esprit que ces différentes structures travaillent ensemble.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelle suite a-t-elle été donnée au rapport du Haut conseil de santé publique de décembre 2016 ? Comment les propositions d’objectifs à atteindre ont-elles été prises en compte dans la mise en œuvre du PNSE3 ?

Comment évaluez-vous globalement la prise en compte du PNSE3 dans les plans régionaux ? Comment l’action n° 20, dont vous êtes partenaire, a-t-elle été conduite concrètement ?

Mme Francelyne Marano. J’ai participé de façon très active en tant qu’expert à l’élaboration et au suivi des trois plans nationaux santé-environnement. Étant vice-présidente de la CSRE, je n’ai pas participé à leur évaluation.

Le premier plan a été élaboré sur la base d’une commission d’orientation uniquement composée d’experts. Il comportait des actions à destination des milieux de travail. Le PNSE2 a été construit sur la base des discussions intervenues dans la Table ronde santé-environnement du Grenelle de l’Environnement où a été proposée la poursuite des plans nationaux santé-environnement. Ce deuxième plan a ainsi été élaboré à partir des travaux d’une commission reprenant la forme des Tables rondes du Grenelle de l’Environnement avec toutes les parties prenantes. Le Groupe santé-environnement (GSE) a été mis en place à cette occasion et a joué un rôle important. Peut-être pourrons-nous reparler de la façon de procéder pour qu’il ait une réalité autre que le fait des bonnes volontés qui le constituent. Le troisième plan national santé-environnement a été élaboré de façon très complexe avec un comité d’appui scientifique constitué d’experts, que j’ai présidé, et, parallèlement, différents groupes de travail constitués de toutes les parties prenantes, ce qui est essentiel dans ce domaine.

M. Denis Zmirou. La France présente une large gamme de compétences scientifiques, mais le champ santé-environnement dispose de ressources raisonnablement limitées. Ma collègue Francelyne Marano et moi-même nous sommes accordés sur le fait qu’elle s’implique à titre universitaire dans l’élaboration et la contribution au GSE, ainsi qu’à l’élaboration des plans, mais aucunement dans le processus d’évaluation. Pour ma part, en tant que responsable de l’évaluation de ces plans, je m’interdis de participer à la discussion sur leur contenu et leur élaboration. Nous sommes très attentifs à la notion de lien et de conflit d’intérêts.

Les conditions précipitées d’élaboration du PNS3 ont conduit le gouvernement à constater son caractère inévaluable en l’état. Pourtant, nous avions présenté le rapport d’évaluation du PNSE2 un an auparavant, en identifiant la façon de construire un plan permettant d’en évaluer l’impact, les succès et les échecs. Les PNSE sont très asservis à la stratégie de communication gouvernementale, ce qui constitue une faiblesse majeure. Le Haut conseil de santé publique a été saisi d’un travail rétrospectif de construction et d’énonciation d’objectifs spécifiques et d’indicateurs de résultats permettant d’évaluer le plan lorsqu’il sera achevé ou en cours d’achèvement. Telle est « l’évaluabilité » du PNSE3 que nous avons produite selon le calendrier indiqué.

En décembre 2018, lorsque j’ai participé à la présentation du programme de préparation du PNSE4, je me suis enquis de l’évaluation du PNSE3, auprès de personnes « haut placées » dans le dispositif d’élaboration. Or nul n’avait pensé à véritablement s’appuyer sur une analyse des résultats, même partiels, du PNSE3 pour contribuer à l’élaboration du PNSE4. L’idée selon laquelle nous ne pouvons continuer à établir de grands plans successifs sans envisager leur articulation n’a pas encore « percolé » au sein de l’ensemble des administrations compétentes. C’est pourquoi nous avons refusé d’évaluer le PNSE3, alors que l’élaboration du PNSE4 était déjà largement avancée, ce que notre statut d’instance indépendante constituée de bénévoles nous permet.

Mme Francelyne Marano. Nous avons proposé de dresser un bilan des actions menées depuis vingt ans, et quinze ans pour les plans, dans le domaine de la santé environnementale. Cette saisine, dont il était déjà question depuis quelques mois, nous est parvenue avant l’été, en raison de la pandémie de COVID-19. Par conséquent, nous initions ce travail qui nous conduira à rendre un rapport début 2022. Nous avons le choix des thèmes sur lesquels nous travaillerons, mais l’esprit ne réside pas tant dans l’évaluation des plans eux-mêmes que dans la manière dont ils ont permis une amélioration des expositions et de la santé des populations, mais également de ce qui a été opéré dans le domaine de la recherche.

Malheureusement, nous constatons une régression au niveau de l’agence nationale pour la recherche (ANR) puisque les appels à projets dévolus au champ santé-environnement et santé-travail qui existaient lors de sa création ont disparu au profit des appels à projets du programme Blanc. Au cours des dernières années, les classements concernant le domaine santé-environnement n’ont pas été très propices à ses équipes. L’Anses dispose d’un appel à projets qui lui est propre, mais qui est très orienté vers l’aide aux évaluations de risques et aux saisines qui lui sont soumises « en rafale » par les différents ministères, en particulier le ministère de la transition écologique. Pour notre part, nous en demandons l’élargissement.

Le groupe de travail qui a été mis en place est composé de membres de notre commission, mais également des autres commissions du Haut conseil, orientées vers les maladies chroniques, voire les maladies infectieuses, puisque la problématique des zoonoses se pose actuellement de façon très sérieuse. Il conviendra d’évaluer les actions qui apparaissaient dans les plans précédents. Alors que le PNSE4 devrait être publié au cours des deux mois à venir, il nous est demandé de rendre des avis sur les indicateurs globalisés début 2021.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vos propos complètent ce que nous avons pu entendre des représentants institutionnels qui ne sont pas entrés jusqu’à ce niveau de détail et semblaient tout à fait satisfaits du déroulement des opérations.

Mme Sandrine Josso, rapporteur. Je n’ai pas obtenu de réponse concernant le PNSE3 et l’action n° 20 qui consiste à évaluer l’intérêt des temps de dépistage de l’imprégnation au mercure, dépistage actuellement mené chez les femmes enceintes dans certaines zones à risque, chez les femmes en âge de procréer, voire chez les enfants de moins de sept ans, dans l’ensemble des zones à risque.

Mme Francelyne Marano. La question de l’imprégnation par le mercure, qui se pose de longue date, est associée au sujet des sites et des sols pollués, ainsi que des zones où existait une possibilité de pollution par le mercure.

S’agissant de l’orpaillage et de la pollution par le mercure en Guyane, le Haut conseil a été saisi de la problématique de l’exposition au mercure des populations locales précaires, en particulier les Amérindiens. Le rapport est en cours d’élaboration. La partie concernant le mercure est rédigée. Cette question complexe est traitée de longue date en Guyane au travers de nombreux plans et d’actions dont les résultats sont un peu décevants, bien que soit constatée une diminution de l’imprégnation.

M. Denis Zmirou. Consécutivement à cette action du plan, la Société de toxicologie clinique a produit un rapport contenant des propositions en ce qui concerne la surveillance des femmes enceintes et la réduction de leur exposition. Voici un an, nous avons été saisis par la direction générale de la santé, en lien avec la directrice générale de l’agence régionale de santé (ARS) de Guyane.

L’objet de la saisine consiste à appréhender les facteurs contribuant le plus fortement aux inégalités sociales, ethniques et territoriales de santé en Guyane, parmi lesquels figurent ceux liés :

– à l’environnement : l’accès à l’eau, l’assainissement, les intoxications au plomb et au mercure, lequel touche très singulièrement les Amérindiens ;

– aux maladies infectieuses sur le territoire ;

– à la périnatalité, la santé reproductive et l’égalité des genres sur le territoire ;

– au régime alimentaire et à la nutrition de ces populations.

Nous y travaillons depuis un an et avons rédigé un rapport de quatre-vingts préconisations, d’analyse et de bilan. Si la pandémie l’autorise, nous nous rendrons en délégation en Guyane la première semaine de novembre afin d’y rencontrer les acteurs. Nous espérons pouvoir rendre la totalité de ce rapport en mars 2021, après validation interne. Nos propositions sur ce sujet sont très novatrices, mais s’appuient sur les résultats des travaux conduits après les préconisations du PNSE.

Mme Francelyne Marano. Depuis près de vingt ans, de nombreuses études d’imprégnation ont été réalisées. Le groupe de travail mis en place pour répondre à cette saisine comprenait les spécialistes du domaine, qui ne font pas partie du Haut conseil de santé publique, mais nous ont permis de répondre, dans la mesure du possible, aux questions posées par la direction générale de la santé.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment améliorer le pilotage opérationnel des plans nationaux santé-environnement ? Quelles propositions la commission d’enquête pourrait-elle formuler pour améliorer la gouvernance et son application dans les territoires ? Dans le cadre de ces propositions, quel rôle le GSE jouerait-il ? Il a été dit qu’il avait fourni un travail considérable avec un retour qui n’est pas toujours proportionnel à l’investissement de toutes les personnes qui apportent leur contribution bénévolement. Comment envisagez-vous cet éventuel repositionnement ? Quels sont les risques les plus graves de santé environnementale ? Quelles seraient les priorités à prendre en compte à court terme ?

La Covid nous a tous désorientés. La réparation des impacts du réchauffement climatique sur la santé et la réapparition de pandémies et de virus que nous croyions éteints devraient-elles faire partie des priorités des plans nationaux santé-environnement ?

Mme Francelyne Marano. Ce que nous allons vous présenter n’engage que nous en tant qu’experts et n’a pas été discuté au sein du Haut conseil de santé publique, mais résulte largement de discussions avec nos collègues au sein des commissions CSRE. En outre, huit ou neuf membres de la CSRE ont activement participé au groupe de crise COVID-19 qui a dû répondre à ces saisines.

Nous proposons un office français de santé environnementale (OFSE) sur le modèle de l’office français de la biodiversité, qui a permis de fédérer et de donner une gouvernance au domaine des études sur la biodiversité, en fusionnant un certain nombre de structures. Notre idée consisterait dans la mise en place d’un dispositif du même type pour la santé environnementale. Elle n’est pas nouvelle, puisque des propositions de ce genre ont déjà été formulées au sein du GSE lors de la création de l’agence française de la biodiversité.

Cet office doit être une instance interministérielle (santé, environnement, travail, agriculture, économie) assurant les missions suivantes :

– exploiter, valoriser et rendre accessibles les données produites par les systèmes d’information pertinents en santé environnementale, dans la mesure où nous rencontrons de grandes difficultés en matière d’exploitation des informations regroupées dans les quarante bases de données existantes ;

– assurer le financement de la recherche en santé environnementale en complément du programme national de recherche environnement-santé-travail (PRN EST) de l’Anses qui est « fléché » vers ses missions propres. Il s’agirait de reprendre ce qui se faisait antérieurement et qui a disparu dans le cadre de l’ANR. Cet office pourrait orienter les priorités de recherche, voire lancer des appels à projets comme l’office français de la biodiversité ;

– soutenir les doctorants ;

– porter les processus d’élaboration et de pilotage des plans nationaux PNSE, plan national santé publique (PNSP), voire plan santé au travail (PST), les stratégies nationales et avoir un regard sur les plans régionaux santé-environnement (PRSE). Il s’agit d’intégrer les fonctions actuelles du GSE qui n’ont pas de réalité institutionnelle ;

– assurer une veille stratégique et prospective.

Ces missions s’opéreraient en interaction avec les organismes qui assurent les fonctions d’expertise et les organismes de recherche.

J’insiste à nouveau sur le fait que le Haut conseil de santé publique ne nous a pas mandatés pour formuler une telle proposition.

M. Denis Zmirou. Le calendrier ne permettait pas d’organiser un échange pluridisciplinaire, mais nous sommes très confiants. Notre grande expérience sur le sujet est complémentaire. Cette proposition ne hérissera pas nos collègues et amis, mais peut occasionner un certain nombre de frictions avec des institutions existantes. Cependant, vous connaissez notre indépendance

Il ne s’agit pas de remplacer Santé publique France, ni l’Anses ou le Haut conseil de la santé publique, mais de combler un besoin d’organisation, de portage et de fonctions qui se trouvent actuellement en jachère et sont désorganisées. Il est notamment question de ce qui a trait à ce portage dans l’élaboration du plan national et des plans thématiques dans le champ santé-environnement, qui est fragile et présente un caractère informel qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Il est inacceptable de poursuivre dans ces conditions.

Il semble nécessaire d’organiser des étapes clairement identifiées dans le processus d’élaboration d’un plan qui pourrait se prolonger sur une sixième année. La première étape consiste à évaluer le plan en cours dès la fin de la quatrième année en s’appuyant sur les bases de données du futur office de santé environnementale qui assurera la fonction d’animation, d’exploitation et de mise à disposition des très nombreuses données existantes. Ce travail d’évaluation du plan d’une durée de huit à dix mois sera effectué par le Haut conseil de santé publique.

En deuxième partie de la cinquième année, le produit de l’évaluation du plan en cours sera remis à quatre catégories de parties prenantes, à savoir :

– les organismes de recherche qui détermineront les priorités ;

– les grands établissements actuellement en charge de l’expertise en appui aux politiques publiques de santé-environnement et qui ont une connaissance intime de la situation : ADEME, Anses, Santé publique France, INERIS, INRS. Mais cela peut tourner au plaidoyer pro domo, une lecture dans une logique propre à ces établissements ;

– les différentes formes de réflexion de la société civile. La consultation citoyenne peut constituer une bonne base, mais l’expérience du GSE réside dans les ONG, les partenaires sociaux et les autres groupements professionnels, par exemple du monde de l’agriculture ;

– les territoires, qui ont un regard singulier sur la réalité de leur terrain : régions grandes métropoles, les maires ruraux…

La mission de l’office français en santé-environnement consisterait à synthétiser ces quatre rapports publics, en lien avec les administrations, avant arbitrage politique, lequel devra se justifier de ce qu’il reprend ou non et s’inscrire dans une perspective stratégique, annonçant les priorités (réduire les inégalités sociales territoriales et environnementales), l’interface avec les plans, plans énergies et biodiversité, et les montants financiers dédiés à chaque action.

En dehors du PNSE1, aucun plan n’a fait l’objet d’engagements financiers.

Mme Francelyne Marano. L’absence d’affichage des financements ne signifie pas qu’il n’y en a pas eu. Il s’agissait de décisions prises au niveau des services de l’État, en fonction d’une hiérarchisation qui n’était pas forcément celle qui était souhaitée par les différentes parties prenantes, mais qui répondait aux besoins du moment. Il ne s’agissait pas systématiquement de mauvais choix. Toutefois, aucune lecture n’étant possible, nous ne pouvions procéder à cette évaluation.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je reprendrais nombre de points que vous proposez, puisque j’ai présidé cette instance très active, mais qui n’a pas d’existence officielle.

La plupart de la trentaine de plans sectoriels existants bénéficient de sommes considérables, comme le plan contre l’autisme avec 400 millions d’euros, alors que seuls 40 millions d’euros sont affectés au plan nutrition santé. Nous n’avons jamais réellement obtenu l’explication de ces disparités. Chaque thématique ayant le vent en poupe fait l’objet d’un plan sectoriel et d’injection financière sans interrogation préalable sur les interconnexions avec les autres plans existants ni sur la cohérence globale du système.

Quid de ces plans silos ? Comment les repositionnez-vous par rapport à cette méthodologie et ce brouillon de réorganisation que vous venez d’exposer ?

Mme Francelyne Marano. Les plans silos doivent être pris en compte dans le travail de cet office français de la santé environnementale. Il suffit de lire les premières pages du PNSE3 pour constater l’intrication de ces plans avec la santé environnementale.

Par ailleurs, certaines actions du PNSE3 sont des plans, comme le plan Chlordécone et le plan Micropolluants dans l’eau. Le groupe de suivi de ces actions que j’ai présidé durant quatre ans émettait des rapports sur l’avancée du plan Chlordécone, du plan résidus médicamenteux dans l’eau ou micropolluants dans l’eau. Nous rapportions également au GSE, dont nous dépendions, sans aucune structuration. Les recommandations considérées comme intéressantes étaient prises en compte, mais à la bonne volonté. Par conséquent, une structuration est nécessaire avec une évaluation des avancées ou des manques et une possibilité de retour, sur les remarques formulées, de la part les pouvoirs publics qui ont en charge ces plans, ce qui n’était pas le cas au sein du GSE.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que conviendrait-il d’améliorer en matière de prévention et d’actions spécifiques à destination des enfants et des jeunes ?

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous ne m’avez pas répondu sur les priorités.

M. Denis Zmirou. Je ne voudrais pas donner l’impression de me défausser, mais j’ai beaucoup de scrupules à répondre à cette question. La définition des priorités ne peut être établie par un expert seul.

J’ai évoqué les quatre regards sur les priorités, lesquels sont tout autant légitimes les uns que les autres. Il s’agit également d’un choix politique. Peut-être pourrions-nous nous appuyer sur l’avis que porteraient les établissements publics d’expertise, ce qui n’épuise pas le sujet. Il est probablement plus fondé scientifiquement, mais il faut aussi tenir un discours à la population afin de rendre acceptables des actions dont certaines peuvent coûter à telle ou telle catégorie. Avec les Gilets Jaunes, nous avons pu constater les conséquences de l’augmentation du prix des produits carbonés. L’absence de prise en compte de la manière dont les actions peuvent être acceptées, comprises et intégrées par différentes parties prenantes conduit à l’échec. J’ai des idées, mais je ne perçois pas la légitimité de dire ce qu’il convient de faire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous allons vous donner la chance de ne pas aller trop au-delà de vos repères éthiques. Pouvez-vous apporter une réponse à la question de la prévention ?

Mme Francelyne Marano. La prévention est très clairement affichée. Dans le domaine de la santé environnementale, la priorité est donnée à la prévention des risques environnementaux pour la petite enfance, ce qui figure au PNSP. Cette démarche requiert des moyens et de la formation.

Pour une bonne prévention dans le domaine de la santé environnementale, il est nécessaire que les acteurs qui interviennent, en particulier auprès des enfants, soient formés afin de pouvoir leur transmettre les principes d’une alimentation et d’une vie saines et de les mettre en garde sur le risque lié aux écrans. Concernant la prévention auprès des parents, il faut que les personnels de santé, à savoir les médecins, les puéricultrices, les infirmiers et les infirmières, soient capables de mettre en exergue le caractère essentiel de la prévention dans le domaine de la santé-environnement durant la grossesse et la petite enfance afin d’éviter l’apparition ultérieure de pathologies chroniques. Les données scientifiques montrent que les risques pris au cours de la vie fœtale ou de la petite enfance se transforment en maladies chroniques vingt ou trente ans plus tard.

Dans ce domaine, alors que tous les plans nationaux santé-environnement comportaient des actions sur les programmes de formation, nous ne sommes pas parvenus à mettre cette démarche en place de façon systématique, qu’il s’agisse des médecins, des infirmiers, des puéricultrices, ainsi que des enseignants. La formation se fait au cas par cas, en fonction des universités.

Au-delà de la formation initiale, des formations continues doivent être mises à la disposition des personnels qui ont conscience d’un besoin de connaissance. Au sein de mon université, j’ai créé le Master Toxicologie-Environnement-Santé qui acceptait en formation continue des personnes souhaitant se réorienter.

M. Denis Zmirou. Le droit à l’information des citoyens en tant que consommateurs, travailleurs et riverains doit être gravé dans le marbre et concrétisé.

Dans les exemples précédemment cités, vous constaterez que nous nous sommes largement inspirés de la démarche Nutri-Score. Cette approche est fondamentale. Nous rêvions qu’elle soit d’emblée réglementaire et obligatoire, ce que les groupes n’ont pas rendu possible, mais la société civile s’en saisit, ce qui aboutira à une obligation, faute de quoi les consommateurs se méfieront du produit.

Nous avons évoqué l’étiquetage sur les produits de consommation avec le II de l’article 13 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi AGEC) et le décret portant sur les perturbateurs endocriniens, ce qui doit s’appliquer à toutes les substances chimiques : CMR, allergisantes, irritantes et les perturbateurs endocriniens. Il convient qu’un dispositif permette, lors de l’acte d’achat, de prendre connaissance des informations sans les interdire. Ce droit à l’information constitue un élément de prévention majeur. Nous vivons dans un monde qui présente une série de risques. Donner accès à l’information selon laquelle certains produits offrent une meilleure qualité du point de vue de la santé, aux consommateurs et aux travailleurs qui manipulent ces produits constitue un acte de prévention majeur.

Mme Francelyne Marano. Grâce à l’information, la prévention signifie que l’individu est acteur et ne doit pas simplement subir.

J’ai omis de mentionner des acteurs qui sont importants en matière d’information en santé environnementale et dont la formation n’intègre sans doute pas suffisamment d’éléments dans ce domaine, à savoir les ingénieurs agronomes. Une évolution s’est faite au cours des dernières années, mais pour parvenir à une transformation de l’agriculture productiviste et de l’élevage actuels, il faut que ceux qui sont formés pour devenir les cadres dans ces domaines, quel que soit leur niveau, reçoivent une formation dans les lycées agricoles.

Je citerai également les urbanistes et les architectes qui doivent être formés dans la perspective d’une meilleure prise en compte de ces aspects dans la structuration des villes. C’est pourquoi nous avons demandé la prise en compte de ces aspects santé-environnement dans les PLU. Néanmoins, il faut que les acteurs du domaine soient formés en amont.

Ces éléments seront sans doute rediscutés et proposés dans le PNSE4, mais la démarche a été initiée avec le PNSE1. Un groupe de travail spécifique a été mis en place en ce qui concerne la formation et l’information avec des acteurs divers, dont des représentants de la conférence des présidents d’université. Il nous est opposé que les programmes sont chargés, ce qui a été récurrent pour les médecins.

M. Denis Zmirou. L’analyse du risque, qui est majeure, est totalement sous-dimensionnée en termes de ressources pour conseiller les pouvoirs publics sur les enjeux. C’en est même ridicule. La différence d’échelle est celle-ci : 1 500 à l’Anses et 22 au Haut conseil de la santé publique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie.

L’audition s’achève à dix-sept heures.

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11.   Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation (Ministère de l’agriculture et de l’alimentation) (30 septembre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures dix.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons M. Bruno Ferreira, qui est directeur général de l’alimentation au ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Vous êtes inspecteur général de la santé publique vétérinaire. La direction générale de l’alimentation (DGAL) a la responsabilité de la sécurité et de la qualité des aliments tout au long de la chaîne alimentaire, ainsi que de la santé et de la protection des animaux et des végétaux. Il s’agit d’une direction importante par ses missions et les effectifs qui concourent à leur réalisation. Après avoir présenté les principales missions de la DGAL, je vous remercie de préciser la manière dont cette dernière s’intègre dans le dispositif général des politiques publiques de santé environnementale.

(M. Bruno Ferreira prête serment).

M. Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation (ministère de l’agriculture et de l’alimentation). La DGAL est chargée d’assurer la sécurité sanitaire tout au long de la chaîne alimentaire, du végétal à l’animal vivant et aux produits transformés depuis la production jusqu’à la consommation. Son action est orientée vers la performance sanitaire, laquelle consiste à apporter aux citoyens la garantie de disposer d’une alimentation saine, sûre et de qualité en s’intéressant à tous les aspects de la chaîne alimentaire, en production primaire végétale et animale, incluant la protection des animaux et la qualité de la transformation et de la distribution, jusqu’à la consommation et la gestion des alertes sanitaires.

S’agissant de la santé environnementale, la DGAL inscrit son action dans le cadre plus large du concept « One Health, une seule santé », pour lequel la dimension de la santé environnementale est importante, au même titre que la santé végétale, animale et humaine. Il s’agit de mettre en avant la maîtrise des risques sanitaires tout au long de la chaîne alimentaire et dans toutes leurs composantes, qu’il s’agisse de dangers physiques, chimiques et biologiques, à l’interface de l’ensemble de ces « santés ».

Notre action vise à assurer un continuum sanitaire entre la santé animale, humaine, environnementale et végétale. Cette approche, qui date du début des années 2000, est désormais portée par nos partenaires européens et internationaux. L’action de la DGAL pour l’amélioration de la santé environnementale passe principalement par la mise en place de trois politiques publiques importantes, à savoir :

– la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques, notamment avec le plan Écophyto II+ qui est sous pilotage de plusieurs ministères ;

– la réduction de l’usage des antibiotiques en élevage avec le plan Écoantibio ;

– la mise en œuvre de la politique nationale de l’alimentation via le programme national de l’alimentation qui est articulé avec le programme national Nutrition Santé (PNNS) au travers du plan national Alimentation Nutrition.

Le programme national de l’alimentation (PNA) vise à assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l’emploi, la protection de l’environnement et des paysages, et contribuant à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique.

L’objectif du plan Écopyto II+ est de réduire les usages des produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2025 et de sortir de l’utilisation du glyphosate d’ici fin 2020 pour les principaux usages, et au plus tard d’ici 2022 pour l’ensemble des usages de ce produit.

Le plan Écoantibio vise à diminuer sensiblement l’exposition des animaux d’élevage aux antibiotiques de manière à limiter l’apparition, via l’élevage, de phénomènes d’antibiorésistance dans l’environnement.

La stratégie poursuivie par la DGAL s’articule fortement avec les orientations européennes. Au niveau européen, la stratégie « Farm to Fork, de la ferme à la fourchette », présentée par la Commission fin mai 2020 dans le cadre du Green Deal, comprend de forts axes relatifs à la santé environnementale, en particulier la transformation des systèmes de production et une alimentation plus durable, afin de limiter les impacts négatifs de la chaîne alimentaire sur l’environnement et de répondre aux enjeux de santé publique et à l’évolution des attentes des consommateurs.

Cette stratégie est construite autour des trois grands objectifs suivants :

– atteindre un impact environnemental neutre ou positif de la chaîne alimentaire ;

– assurer la sécurité alimentaire, la nutrition et la santé publique ;

– maintenir les denrées alimentaires à un prix abordable pour le consommateur tout en générant des rendements économiques plus équitables tout au long de la chaîne agroalimentaire.

Le deuxième volet porte sur la stratégie biodiversité avec la mise en avant de la protection et de la restauration de la biodiversité, ainsi que le bon fonctionnement des écosystèmes.

Il s’agit de leviers essentiels qui animent les politiques que nous avons à conduire. La stratégie Farm to Fork intègre des objectifs assez forts en matière de maîtrise des intrants agricoles, notamment des produits phytopharmaceutiques ou des antibiotiques qui font écho au plan précédemment évoqué.

Bien qu’orientée vers la sécurité sanitaire de l’aliment, l’action de la DGAL doit intégrer l’ensemble des aspects présentant un impact sur l’environnement dans une logique interministérielle, mais également dans la logique « Une seule santé » qui doit permettre aux différents compartiments de la santé de conduire une action aussi intégrée que possible dans l’action publique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous venons d’auditionner la représentante de la direction de l’eau et de la biodiversité qui relève du ministère de la transition écologique, laquelle expliquait que son service intervenait également sur le plan Écophyto et était associé au plan Écoantibio.

Quelles actions concrètes mettez-vous en place en collaboration avec la direction de l’eau et de la biodiversité ? Vous faites part de votre mission de sécurité sanitaire des produits alimentaires. Comment se fait-il que nous constations des traces de pesticides dans l’organisme lors de prélèvements comme l’indiquent les deux scientifiques que nous venons d’auditionner ? Comment parvenez-vous à vous organiser et à obtenir de vrais résultats ?

M. Bruno Ferreira. Nous travaillons étroitement avec la direction de l’eau et de la biodiversité sur plusieurs sujets. La DGAL et la direction de l’eau et de la biodiversité sont les deux directions opérationnelles de pilotage du plan Écophyto II+, depuis de nombreuses années.

Nous travaillons concrètement à la préparation des mesures proposées au gouvernement et aux orientations budgétaires. Dans le cadre de la maquette Écophyto, une enveloppe prévue dans le code de l’environnement est destinée au financement d’un certain nombre d’actions qui permettent d’engager la transition agroécologique pour la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Nous travaillons au jour le jour sur la définition de ces mesures afin d’identifier les leviers, de définir les actions et de les calibrer avec les moyens dont nous disposons, de piloter et suivre ce plan, et d’en rendre compte au gouvernement. Les actions de la DGAL sont largement tournées vers le secteur agricole. La direction de l’eau et de la biodiversité est orientée vers les jardins, les espaces verts et les zones non-agricoles, s’agissant de l’usage des produits phytopharmaceutiques.

Effectivement, des traces de pesticides peuvent être retrouvées dans l’organisme. Je rappelle que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques est encadrée par des autorisations de mise sur le marché, délivrées par l’agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). L’objectif du plan Écophyto est de travailler avec les organismes de recherche et les instituts techniques pour identifier des méthodes alternatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et les promouvoir par de la communication ou au moyen des démarches de groupe. Je citerai, en particulier, le réseau de Fermes Dephy, lesquelles sont engagées dans une démarche de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques avec l’objectif de diffuser ces bonnes pratiques et dans une approche permettant de démontrer que la réduction de cet usage dans des systèmes culturaux est possible sans dégradation de la performance économique des systèmes de production.

Nous travaillons à un ensemble d’actions, en déclinaison de ce plan Écophyto. Nous travaillons également sur d’autres sujets, notamment avec la direction de l’eau et de la biodiversité dans la tutelle de l’office français de la biodiversité (OFB). L’ex-office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui est désormais intégré à l’OFB, assure pour le compte de la DGAL des missions de surveillance de la faune sauvage, notamment vis-à-vis de maladies transmissibles à l’homme ou au bétail, comme la tuberculose qui est présente dans les populations sauvages de cervidés ou de blaireaux et l’influenza aviaire qui est hautement pathogène. Ces dispositifs de surveillance active sont pilotés par l’OFB en lien entre la DGAL et la direction de l’eau et de la biodiversité.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment évaluez-vous la participation de votre direction à la mise en œuvre du PNSE3 ? Les actions dont vous êtes pilotes ou partenaires ont-elles atteint leur objectif ?

À quel montant évaluez-vous l’enveloppe budgétaire consacrée à votre direction pour la mise en œuvre du PNSE3 ? Des effectifs travaillent-ils exclusivement à ces questions ?

Au niveau territorial, quelle est l’appui de votre direction aux services déconcentrés en ce qui concerne les plans régionaux santé-environnement ?

M. Bruno Ferreira. Nous conduisons plusieurs actions concrètes qui permettent de contribuer au PNSE3 et à la préparation du PNSE4. Une articulation existe entre les différents plans sectoriels, notamment entre le programme national de l’alimentation qui concourt à l’évolution de l’offre alimentaire comme y contribuent les plans Écophyto, Ambition Bio 2022, Protéines végétales et le PNSE. Dans son volet alimentation, ce dernier porte sur des enjeux liés aux contaminants de l’alimentation, aux nanomatériaux et aux perturbateurs endocriniens qui ne sont pas abordés dans le plan national Alimentation Nutrition.

Le nouveau plan PNSE4 2024, qui sera intitulé « Mon environnement, ma santé » sera un plan « chapeau » dans lequel se concentreront les questions « environnement ». En conséquence, il ne traitera pas des sujets alimentaires qui font l’objet de plans ou de stratégies sectorielles. Pour autant, ces plans se correspondent et sont coordonnés. Normalement, aucun chevauchement ne doit exister entre le PNSE et le PNA et aucune action du PNSE4 ne ciblera l’alimentation, qui est déjà couverte par le PNA ou le PNNS. Néanmoins, certains sujets comme les nanomatériaux ou les perturbateurs endocriniens qui sont traités dans le PNSE sont transverses et irriguent tous les secteurs, y compris celui de l’alimentation. De la même manière, la question de la protection de la biodiversité, qui constitue un élément important du PNSE, conduit à trouver une articulation avec les sujets relatifs à la transition agroécologique.

Dans la construction de ces plans nationaux, nous essayons d’éviter la redondance afin de ne pas évoluer vers une action contradictoire, mais dans le souci de couvrir l’ensemble des sujets concernés et de veiller à la bonne articulation des plans en question.

S’agissant des nanomatériaux, des perturbateurs endocriniens ou de la biodiversité, un bureau à la DGAL est en charge du suivi et assure la coordination avec les autres administrations, mais également en interne afin que toutes les politiques que nous conduisons et qui peuvent contribuer à cet objectif puissent être intégrées avec les finalités poursuivies dans le PNSE. La DGAL participe au groupe de travail du PNSE et siège aux réunions plénières. Cette organisation est suivie par le comité interministériel de la santé qui est présidé par le Premier ministre et auquel participent tous les membres du gouvernement.

En revanche, s’agissant de l’identification des moyens financiers correspondant à ces actions, la maquette de performance du programme 206 piloté par la DGAL est construite autour de l’objectif de performance sanitaire. Nous ne disposons pas d’éléments financiers permettant de documenter complètement les opérations qui contribuent aux objectifs de santé-environnement dans les actions conduites par la DGAL. Certaines actions peuvent être identifiées : elles ne figurent plus dans le programme 206 du budget, ayant été affectées à un programme des interventions territoriales de l’État (PITE), notamment le PITE Chlordécone. Pour documenter le volume financier consacré par le programme piloté par la DGAL aux objectifs de santé-environnement, il faudrait revoir complètement la maquette de performance et les indicateurs associés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous évoquiez vos difficultés à évaluer les résultats en termes de performance sanitaire. En ce qui concerne la protection des agriculteurs, la mutualité sociale agricole (MSA) a identifié un certain nombre de maladies professionnelles liées à l’usage des pesticides et les a déclarées comme donnant ouverture à des droits et des aides sociales. Quelles sont vos statistiques épidémiologiques ? Il semble qu’il s’agisse d’un critère très objectif d’amélioration de vos politiques en matière d’épandage et de consommation des pesticides, avec un impact direct sur la santé humaine.

J’aimerais connaître votre position et vos actions éventuelles quant aux publicités qui passent sur les écrans, à destination des jeunes enfants, sur les aliments gras, sucrés et salés. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces nécessaires interventions puisque votre direction traite à la fois d’agriculture et d’alimentation ?

M. Bruno Ferreira. La question des statistiques sur les maladies professionnelles ne relève pas du champ d’action de la direction générale de l’alimentation, mais du secrétariat général du ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Bien évidemment, nous échangeons, mais je ne dispose pas de chiffres précis sur cette question dans la mesure où le suivi populationnel des agriculteurs ne relève pas de la compétence de la DGAL.

Depuis plusieurs années, a été mis en place un système de phyto-pharmacovigilance, piloté par l’Anses, lequel était initialement financé par le ministère de l’agriculture. Je rappelle que le programme 206, qui est piloté par la DGAL, contribue pour 60 % à la subvention pour charge de service public de l’Anses. L’objectif est de repérer les signalements et l’ensemble des données permettant de disposer d’informations sur un niveau d’imprégnation des populations, vis-à-vis des produits phytopharmaceutiques, comme sur d’autres contaminants chimiques de l’environnement, que l’on peut retrouver via les aliments.

L’Anses intègre ces données dans ses évaluations sur les orientations transversales en matière d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, mais également lorsqu’il s’agit de délivrer ou de revoir une autorisation de mise sur le marché. Ce volet ne relève pas non plus du champ de compétences de la DGAL. Nous contribuons à cette action, mais n’avons pas de vision complète, ni de leviers particuliers sur le sujet.

Le sujet de la publicité à destination des jeunes enfants a été intégré au programme national pour l’alimentation dès son origine avec, en premier lieu, une action conduite avec l’ensemble des annonceurs et le CSA visant à établir une charte permettant des engagements de l’ensemble des acteurs en matière de publicité sur les aliments, notamment à destination des jeunes enfants. Cette charte a été revue à plusieurs reprises et le sujet a été remis en débat, à l’occasion de la Convention citoyenne pour le climat. Un certain nombre de mesures a été proposé par les citoyens dans cet objectif. Au mois de septembre, ces mesures ont fait l’objet, de concertations thématiques ne relevant pas uniquement du champ de la DGAL. Nous travaillons étroitement sur ce sujet avec la direction générale de la santé et le ministère de la culture.

L’action conduite jusqu’à présent de concert avec la direction générale de la santé a consisté à amener l’ensemble des annonceurs et des diffuseurs à conduire une politique permettant de limiter ou de restreindre fortement la publicité sur les aliments défavorables aux enfants dans les créneaux horaires où ces derniers pourraient y être exposés. Cette démarche a été conduite en accord avec les orientations du plan national Nutrition Santé et les recommandations établies par Santé publique France relatives à l’alimentation des jeunes enfants.

À ce stade, nous ne disposons pas d’autre outil que de tenter de créer ce consensus autour d’engagements volontaires de la part des annonceurs et des diffuseurs. Nous examinerons les dispositions qui pourront sortir sur ce sujet des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Il appartiendra également au législateur de s’emparer de cette question.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le législateur s’est déjà positionné dans la loi Egalim. Vous faites mention de cette charte qui devait être signée. Nous avions reporté le vote d’un amendement visant à contrôler ces publicités extrêmement nocives pour les enfants puisque le diabète et l’obésité augmentent en France. Il était convenu que cette charte ferait l’objet d’un travail très rapide avec le CSA. Cette raison sine qua non avait conduit la majorité des députés à accepter de voter la loi Egalim.

Le délai est désormais passé. Vous faites part de l’intervention d’un grand nombre de personnes et de la minoration de votre responsabilité dans cette dynamique. Quels sont les délais que vous vous êtes fixés pour réellement passer aux actes vis-à-vis de la loi Egalim ?

M. Bruno Ferreira. Je ne minore pas le rôle de la DGAL. Plusieurs directions générales sont impliquées sur le sujet. Nous avons eu de nombreux échanges liés à des points de blocage sur un certain nombre d’engagements que nous jugions insuffisants dans la charte, signée par les parties prenantes le 30 janvier 2020, après les discussions visant à durcir certains engagements au regard des recommandations émises par Santé publique France sur cette question. Les ministères, qui se sont mobilisés dès l’adoption de la loi afin d’avancer sur ce point et ne pas transiger sur notre niveau d’exigence vis-à-vis des annonceurs et des diffuseurs, ont finalement décidé de ne pas signer ce texte.

Aujourd’hui, le débat prend une autre forme à travers les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat avec des mesures proposées visant des interdictions plus dures.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles actions spécifiques pourraient être menées à destination des enfants et des jeunes ? Dans votre champ de compétences, conduisez-vous des partenariats avec l’Éducation nationale ?

M. Bruno Ferreira. Nous menons plusieurs actions à destination des enfants puisqu’il s’agit de l’une des priorités du programme national pour l’alimentation. Nous travaillons avec le ministère de l’éducation pour introduire des obligations à l’éducation à l’alimentation, mais également à travers un ensemble d’actions, comme la mise en œuvre du programme européen « Fruits et lait à l’école », dont nous avons rénové le dispositif, afin de permettre l’accès des enfants à des produits laitiers et des fruits frais à l’occasion du petit-déjeuner, du déjeuner ou du goûter, au moyen de subventions versées aux cantines et aux mairies permettant l’acquisition de produits frais à destination des jeunes enfants.

Des actions plus médiatiques sont conduites au travers d’opérations, comme la « Semaine du goût », qui visent à rapprocher les enfants de ce qu’est l’aliment et son origine, tout en orientant vers les aliments frais. Dans le plan de relance, une action est engagée à destination des petites cantines, notamment en milieu rural, afin de les aider à former leur personnel, à acquérir du matériel ou à améliorer leur circuit d’approvisionnement pour atteindre plus rapidement les objectifs fixés dans la loi Egalim, soit 50 % de produits de qualité durable, dont 20 % de bio dans la restauration collective.

Nous jouons sur plusieurs tableaux : des mesures de nature incitative et, avec le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, des dispositions visant à améliorer l’éducation des enfants sur l’alimentation et à les rapprocher des conditions dans lesquelles elle est produite.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que faudrait-il améliorer en matière de prévention pour accroître l’efficacité de la politique en santé-environnement ?

M. Bruno Ferreira. Votre question porte-t-elle sur les enfants ou est-elle générale ?

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Il est question de la prévention en général.

M. Bruno Ferreira. L’une des actions fondamentales visant à favoriser la prévention consiste à connaître. Il est nécessaire de travailler sur la surveillance dans une approche intégrée et complète. La DGAL a travaillé dans ce sens en mettant en place des plateformes d’épidémiosurveillance sur la santé animale, végétale et la sécurité de la chaîne alimentaire. Il s’agit de plateformes collaboratives au sein desquelles nous collectons un maximum de données afin de les étudier et de travailler avec des biostatisticiens à la détection d’un certain nombre de phénomènes.

Nous travaillons avec le ministère de la transition écologique à la connexion de nos systèmes de surveillance en matière de biodiversité afin d’améliorer la détection de signaux d’impact sur l’environnement qui affecteraient la santé végétale, animale, la biodiversité ou la santé humaine.

Le concept One Health se fonde sur cette approche intégrée avec l’appui de la surveillance en faveur d’une détection et d’une action précoce. Certains phénomènes sont facilement visibles, mais d’autres, en matière de santé-environnement, ne pourront être détectés avant que le problème s’aggrave faute de disposer des dispositifs de surveillance adaptés.

Mme Annie Chapelier. Je suis perplexe lorsque j’entends votre discours. Qu’entendez-vous par biosécurité alors que des mesures pour lesquelles des réponses rapides sont attendues atermoient sans cesse ? Les échéances sont constamment repoussées. J’ignore si des intérêts économiques et des formes de lobbying sont en jeu, mais les résultats sont visibles sur la santé environnementale. Vous vous faites les promoteurs de la biosécurité et de la prévention. Or les mesures sur lesquelles des scientifiques ont établi des faits précis, puisque nous disposons d’études statistiques absolument imparables montrant la nécessité de changer de mode de fonctionnement, sont insuffisamment prises en compte.

Dans ma circonscription, je suis confrontée à des problématiques locales concernant la santé environnementale et la direction de l’agriculture. Nous constatons une invasion d’ambroisie qui fait l’objet de recommandations de mesures inapplicables dans les faits. La carte des cours d’eau concernant les zones non traitées (ZNT) a été adaptée en fonction des cartes IGN. Dans mon département, nous sommes passés de 4 000 à 14 000 kilomètres de cours d’eau en l’espace de quelques secondes.

Je cite des exemples pour montrer l’incohérence, voire l’inapplicabilité dans les faits, et le caractère parfois absurde des mesures préconisées dans la façon dont elles sont amenées et imposées. Je mentionnerai l’obligation d’information de toxicité et de dangerosité des plantes qui est faite aux horticulteurs, laquelle représente un travail considérable pour cette filière extrêmement impactée par la crise. Face à un danger quasi inexistant, nous constatons une réactivité très forte alors que l’on prend son temps pour d’autres sujets dont l’impact est réel et peut-être beaucoup plus difficile à contrer sur le long terme, comme la forte croissance de l’obésité et du diabète des jeunes enfants.

M. Bruno Ferreira. La biosécurité consiste en l’ensemble des mesures visant à protéger les élevages vis-à-vis de l’intrusion de maladies animales, ce qui est également valable pour des maladies végétales. Cette notion, qui a pris une importance considérable suite à la crise influenza aviaire que nous avons connue entre 2015 et 2017, a conduit à un pacte avec la filière visant à mettre en place un ensemble de mesures destinées à protéger les élevages de l’introduction d’agents pathogènes qui diffuseraient des maladies dans les élevages ou les fragiliseraient.

La peste porcine africaine, qui est mortelle pour les suidés et qui est très présente en Europe de l’Est, en Chine et sur le continent eurasien, a fait son apparition en Allemagne depuis quelques semaines. Elle nécessite la mise en place d’un ensemble de dispositions dans les élevages afin d’éviter les contacts entre les porcs et les sangliers sauvages qui pourraient diffuser la maladie. Si un seul cas de peste porcine africaine survenait sur le territoire, l’ensemble du marché et de la filière serait privé de la possibilité d’exporter, ce qui engendrerait des conséquences importantes.

La biosécurité consiste à raisonner l’organisation de son exploitation, avec des mesures adaptées pour protéger l’élevage de l’introduction d’un agent pathogène, en les axant sur la prévention. Toutes les études conduites au niveau national et européen montrent que l’investissement d’un euro dans ces mesures de prévention génère entre quatre et cinq euros d’économies par rapport à des mesures d’indemnisation ou d’éradication lorsqu’un foyer apparaît sur le territoire.

Dans les années 2015-2017, lors de la double crise survenue au sein de la filière volaille avec deux vagues successives d’influenza aviaire dans les élevages, nous avons constaté combien il était nécessaire de raisonner les pratiques. Les mesures de biosécurité correspondent quasiment aux gestes barrières s’agissant de la Covid-19. Il s’agit de mettre en place des mesures permettant de protéger les élevages de ces agents pathogènes et d’éviter l’éradication ou le recours aux antibiotiques pour faire face à des maladies bactériennes qui s’y introduiraient.

Les politiques que vous citez n’entrent pas toutes dans le champ de compétences de la DGAL. Tel est le cas de l’ambroisie et de la définition des cours d’eau, même si des impacts nous concernent quant à la manière d’appliquer d’autres politiques. Certaines politiques sont parfois complexes à mettre en œuvre, en raison de choix politiques orientés vers la concertation, laquelle prend du temps. Je comprends l’impatience qui peut se manifester vis-à-vis de l’atteinte de résultats, mais l’administration ne dispose pas toujours des leviers nécessaires.

Le sujet de l’ambroisie renvoie à la question de la surveillance, l’enjeu étant de pouvoir intervenir au plus tôt lors de la survenue d’un problème environnemental impactant la santé et la qualité des milieux et de l’environnement. Il s’agit d’un élément essentiel pour éviter les situations nécessitant une intervention plus lourde ou moins efficace faute de disposer des moyens nécessaires pour agir immédiatement.

S’agissant de la dangerosité des plantes, je concède qu’il existe peu de cas de décès, mais chaque année, sont constatées des consommations de plantes dont le consommateur ignore la toxicité ou la nocivité. Il est important de rappeler que toutes les plantes ne sont pas sans danger. Une traçabilité est imposée aux horticulteurs et aux pépiniéristes, au niveau européen, pour protéger le territoire de l’introduction et de la circulation d’agents pathogènes. Tel est le cas de la bactérie Xylella fastidiosa qui est présente dans le Sud de la France et en Corse, et qui a causé des ravages dans les productions d’oliviers en Italie. La traçabilité des végétaux est importante car la santé végétale est tout aussi importante que la santé animale dans la mesure où des productions et des équilibres de biodiversité peuvent être compromis en présence d’attaques sur les végétaux conduisant à la disparition d’un certain nombre d’espèces au sein des écosystèmes. La santé végétale est l’une des illustrations les plus parfaites de l’impact et de la relation entre la santé et l’environnement, notamment par ses liens avec la biodiversité.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quels sont les moyens dont dispose votre direction pour intervenir sur les processus de fabrication des produits alimentaires provenant de l’alimentation industrielle ?

Les conclusions de la mission d’information portant sur l’alimentation industrielle sont extrêmement critiques vis-à-vis des produits mis à disposition sur le marché alimentaire. Quels sont les moyens d’intervenir, de réguler, voire d’interdire des produits potentiellement nocifs pour la santé ? Il s’agit de produits complètement trafiqués et remplis de substances chimiques, voire de perturbateurs endocriniens, ce qui relève complètement du champ de la santé environnementale. Je souhaite connaître votre politique d’intervention et de régulation de la production et des process.

M. Bruno Ferreira. Les moyens dont nous disposons pour réguler les produits mis sur le marché découlent essentiellement de la réglementation européenne en matière d’autorisation de mise sur le marché d’un certain nombre de produits. Je pense aux additifs qui peuvent être ajoutés, dans des proportions plus ou moins importantes, aux produits transformés.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la DGAL s’assurent conjointement de la conformité des produits mis sur le marché à cette réglementation, avec une obligation d’étiquetage des produits contenant des additifs. Notre mode d’action doit s’appuyer sur la réglementation. L’action de la DGAL à l’égard de ces aliments vise à s’assurer que le process mis en œuvre permet de garantir la sécurité sanitaire du produit au regard de ces données et des risques biologiques ou chimiques qui ne sont pas forcément liés à l’incorporation volontaire d’additifs ou d’auxiliaires technologiques, mais à des contaminations pouvant être apportées par l’environnement de fabrication ou les matières premières utilisées.

Le socle s’appuie essentiellement sur la réglementation européenne qui permet la mise ou non d’un produit sur le marché. Aujourd’hui, l’administration n’a pas le pouvoir d’interdire la mise sur le marché d’un produit au motif qu’il serait trop riche en sucre ou en graisse. Dès lors que l’étiquetage nutritionnel du produit est conforme aux exigences réglementaires, nous n’avons pas les moyens d’empêcher sa mise sur le marché.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous évalué la démarche Nutri-Score ?

M. Bruno Ferreira. La démarche Nutri-Score a fait l’objet de plusieurs évaluations conduites par la direction générale de la santé. Des évolutions sont prévues pour l’adapter et s’assurer de la prise en compte des composantes nutritionnelles afin de donner la meilleure information possible. Le gouvernement soutient fortement le Nutri-Score, notamment au niveau européen. Des débats sont actuellement conduits, sous la présidence allemande du conseil de l’Union européenne, afin de parvenir à un étiquetage harmonisé des caractéristiques nutritionnelles, en face avant, des produits alimentaires.

Nous encourageons les entreprises à intégrer la démarche du Nutri-Score que nous portons au sein des instances européennes et qui emporte de plus en plus d’adhésions. Plusieurs États membres ont rejoint cette démarche, notamment l’Allemagne, qui a proposé trois types d’informations nutritionnelles, dont le Nutri-Score, lequel a été plébiscité par la population comme étant le plus compréhensible. Nous continuons à en faire la promotion au niveau européen afin que les évolutions prévues du règlement, notamment quant à l’information du consommateur, permettent de faire valoir les éléments constitutifs du Nutri-Score en faveur de son adoption à ce niveau. Il s’agira d’une démarche volontaire ou obligatoire en fonction des négociations. Actuellement, tous les États membres ne sont pas d’accord. L’Italie défend d’autres systèmes, mais nombreux sont ceux qui se rallient à cette démarche pour en faire la référence au niveau européen en matière d’information nutritionnelle du consommateur.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Si vous aviez une suggestion à formuler pour améliorer la sécurisation alimentaire des consommateurs français, que proposeriez-vous ? Quels sont les obstacles auxquels vous êtes confronté pour améliorer l’encadrement des risques et sécuriser l’alimentation de la population française ?

M. Bruno Ferreira. Du point de vue des risques sanitaires en tant que tels, j’évoquerai les dangers biologiques et microbiologiques ou chimiques en ce qui concerne les aliments. Les aspects nutritionnels ne relèvent pas tout à fait du même levier.

Dans le domaine de la sécurité sanitaire chimique, microbiologique et biologique des aliments, nous disposons d’un arsenal permettant d’empêcher la mise sur le marché de produits non conformes susceptibles d’être nocifs pour la santé. Conformément à la réglementation européenne, le professionnel est responsable de la sécurité sanitaire du produit qu’il met sur le marché et doit tout mettre en œuvre pour la garantir.

Pour autant, des contrôles sont nécessaires. L’une des voies consiste à contrôler les entreprises productrices de denrées mises sur le marché. Sur le volet nutritionnel, je citerai l’amélioration de la connaissance pour caractériser les aliments qui contribuent à l’obésité ou aux déséquilibres alimentaires. Pour ce faire, nous finançons régulièrement des études appelées « Alimentation totale » qui sont conduites par l’Anses et qui permettent de constater diverses dimensions quant aux habitudes de consommation, aux types de produits consommés, aux fréquences et aux quantités, afin de connaître les profils d’exposition des consommateurs ou des groupes de consommateurs à tel ou tel aliment.

Il convient également de travailler à des mesures éducatives en réexpliquant ce qu’est l’alimentation, la façon dont elle est fabriquée et ce qu’elle contient. De par l’évolution de nos modes de consommation, nous avons largement perdu le lien entre la fabrication de l’aliment et sa consommation. Nous constatons de plus en plus d’appels au retour à des aliments bruts et au fait de cuisiner. Le confinement a ramené de nombreuses personnes en cuisine. Pour autant, la part des produits transformés dans l’alimentation et des produits tout prêts ne fait qu’augmenter dans la consommation des ménages pour des raisons de praticité et de rapidité de préparation.

Il est nécessaire de consacrer davantage de moyens à l’explication de ce qu’est l’alimentation et la façon dont elle est fabriquée, et de retrouver des équilibres alimentaires forts. La priorité porte sur les populations défavorisées où le seul repas équilibré de la journée est, pour certains enfants, le déjeuner à la cantine. C’est pourquoi un certain nombre d’actions sont dirigées vers les cantines, qui doivent être un lieu où expliquer l’équilibre alimentaire et la sécurité sanitaire de l’alimentation aux enfants, actions qui visent à rapprocher le consommateur de son alimentation dès le plus jeune âge.

Mme Annie Chapelier. Je souhaiterais vous entendre sur la souveraineté alimentaire. Vous êtes en charge de la qualité des aliments et de la protection des animaux et des végétaux afin de permettre la biosécurité concernant les élevages vis-à-vis des agents pathogènes. Vous avez également largement évoqué la santé végétale qui est absolument essentielle.

La souveraineté alimentaire, par sa composante quantitative, est tout aussi essentielle que la qualité des aliments. Quelles orientations préconisez-vous pour permettre d’assurer cette souveraineté alimentaire ? Elle apportera forcément une meilleure qualité de l’alimentation des individus car elle ne peut être en déphasage par rapport à une augmentation de l’agriculture bio ou au moins raisonnée. En effet, combler simplement par une quantité de production agricole alimentaire ne peut constituer une réponse adaptée au besoin de souveraineté alimentaire.

M. Bruno Ferreira. Votre question est complexe et large. Le sujet de la souveraineté alimentaire comporte un volet quantitatif et qualitatif. La loi Egalim fixe des objectifs en matière de bio permettant de fournir la restauration collective. Le plan Protéines fait l’objet d’un axe dans le plan de relance. Il n’est pas uniquement question de la production de protéines végétales à destination des élevages, puisque cinq millions d’euros visent la diversification de la production de protéines végétales à destination de l’alimentation humaine à travers la redécouverte de légumes anciens ayant quasiment disparu de nos réfrigérateurs et de nos cantines, afin d’offrir des alternatives et des équilibres alimentaires en restauration collective ou dans les foyers. Dans un certain nombre de secteurs, il nous faut orienter les productions quantitativement et qualitativement, en termes d’exigence de niveau de gammes de production, par rapport aux souhaits, aux évolutions et à la demande sociétale qui a été largement exprimée dans les états généraux de l’alimentation et dans la loi qui a suivi.

L’un des leviers principaux est la politique agricole commune, notamment la stratégie portée par la Commission, évoquée en début d’intervention, consistant à orienter les aides de la PAC de manière à intégrer des objectifs de souveraineté alimentaire sur un plan quantitatif, sans oublier le niveau d’exigence qualitative, en matière de bio, de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires et d’usage des antibiotiques. Il convient d’orienter ces aides qui constitueront des signaux forts pour les producteurs dans le choix d’orientations technico-économiques qui s’accompagnent également de conditionnalité permettant d’orienter les modes de production vers la préservation de la santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie.

L’audition s’achève à dix-huit heures cinq.

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12.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) (30 septembre 2020)

L’audition débute à neuf heures trente

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons aujourd’hui Mme Jeanne Garric, directrice de recherche émérite à l’Institut national de recherches en sciences et technologie pour l’environnement (Irstea), institut qui vient de fusionner avec l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). En tant qu’expert et scientifique, vous êtes à même de nous dresser un état des recherches et de leurs résultats actuels, qu’il s’agisse de certitudes ou d’interrogations. Votre audition est donc précieuse pour notre commission, puisqu’un tel état des recherches et résultats constitue le socle à partir duquel des choix pertinents peuvent être mis en œuvre dans les politiques publiques de santé environnementale. Elle nous permettra d’être plus efficaces dans nos conclusions et nos préconisations.

(Mme Jeanne Garric prête serment.)

Mme Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Merci Mme la présidente. Je commencerai par préciser le périmètre de mon expertise. Je suis effectivement directrice de recherche. J’ai mené l’ensemble de ma carrière en éco-toxicologie, ce qui couvre l’ensemble des problématiques ayant trait à la présence de produits chimiques dans l’environnement. Je me suis intéressée plus récemment aux questions ayant trait aux liens entre cette pollution de l’environnement et la santé, puisque j’ai notamment eu l’occasion de suivre le groupe « Recherche » du plan national santé-environnement (PNSE 3), pendant un certain temps.

J’ai donc prévu de vous dresser un état des lieux des savoirs dans le domaine de l’environnement, mais j’aborderai peu les questions de santé, qui ne relèvent pas de mon expertise scientifique. Je parlerai d’abord de ce que la recherche a permis de savoir, puis des sources actuelles d’incertitudes, et enfin du futur.

La recherche nous a permis de savoir que, depuis de nombreuses années, l’activité humaine a provoqué des modifications du système Terre à l’échelle planétaire, avec de très nombreux impacts sur l’atmosphère, le cycle des nutriments, l’eau, etc. Il est nécessaire de le rappeler, car cela entraîne aujourd’hui des conséquences en termes de biodiversité, mais aussi de santé, par l’intermédiaire notamment du changement climatique et de la circulation atmosphérique et océanique. Un document de présentation vous a été transmis sous forme papier. J’y ai inclus des illustrations rappelant que même la lumière et le changement d’usage des terres constituent aujourd’hui des pollutions.

Depuis les années 1960, et le livre Silent Spring de Rachel Carson notamment, de nombreuses observations ont permis de constater le déclin des oiseaux, des insectes, etc. Tout ceci est bien documenté grâce à la recherche.

On sait aussi aujourd’hui que les impacts liés à la pollution, à la dégradation de l’environnement et de l’habitat, etc. n’affectent pas seulement quelques individus, mais l’ensemble des populations et des écosystèmes, jusqu’au fonctionnement de notre Terre à travers les cycles des nutriments. C’est vrai dans le règne animal, mais aussi humain : ces impacts affectent la dynamique de résilience des populations animales comme humaines. À nouveau, ces liens dans le temps et dans l’espace ont été démontrés par la recherche.

L’exemple le plus simple à cet égard est celui des pesticides. Leurs effets sur les individus sont aujourd’hui clairs et bien connus. Il est possible de tuer des animaux en leur faisant ingérer des pesticides, des rodenticides, etc. Toutefois, nous savons tout aussi clairement aujourd’hui que ces produits, non seulement tuent des individus, mais produisent des effets à plus ou moins long terme sur les populations, qu’il s’agisse de batraciens, d’insectes (d’abeilles notamment), etc. Des quantités considérables de données démontrent aujourd’hui ces liens, même si les impacts précis restent soumis à quelques incertitudes : toutes les populations ne sont pas également affectées, car elles sont plus ou moins sensibles, mais les communautés mêmes semblent bien affectées.

Des « effets boomerang », qu’il était difficile de prévoir de prime abord, ont également été révélés par la recherche. Certains pesticides chlorés très rémanents comme les DDT se sont accumulés dans les sols, de sorte que, malgré leur interdiction depuis les années 1970, ils se retrouvent par exemple aujourd’hui dans le lac de Savoie, suite à l’érosion des sols entraînée depuis par l’usage de désherbants. Des effets inattendus apparaissent ainsi dans le temps.

Des impacts systémiques existent également. Les néonicotinoïdes, par exemple, qui sont présents dans les semences, s’accumulent dans les sols, avant de rejoindre les rivières en suivant les eaux interstitielles des sols. Ils affectent également les racines des plantations situées autour des champs traités. Très toxiques pour les insectes, ils en réduisent finalement les populations, ce qui affecte également les populations d’oiseaux, qui ne trouvent plus d’insectes. En croyant traiter un problème restreint, on engendre ainsi des effets marginaux sur l’ensemble des écosystèmes, y compris au niveau de l’échelle trophique, etc.

La recherche a aussi montré que l’usage de ces substances accélérait ou provoquait des phénomènes d’adaptation, de résistance et d’évolution. Un grand nombre d’insectes deviennent ainsi résistants aux insecticides avec le temps, et finissent par se multiplier. Les molécules développées sont ainsi de moins en moins efficaces. Un parallèle peut être tracé à cet égard avec les antibiotiques, dont l’usage incontrôlé provoque aujourd’hui de fortes résistances de la part des bactéries, comme le montre à nouveau la recherche.

Dans les années 1990, l’existence d’intersexualités a été observée chez certains poissons dans les rivières anglaises : des ovocytes étaient présents dans les testicules de certains poissons mâles. En 1999, des observations similaires ont été effectuées dans la Seine, le Rhône, et dans certaines rivières françaises, où l’on trouvait les mêmes images anormales de poissons intersexués. La recherche nous a depuis appris que ces phénomènes venaient de substances mimétiques d’hormones. La pilule, l’œstradiol et toutes les hormones sexuelles femelles ont d’abord été incriminés, mais on sait aujourd’hui qu’elles ne sont pas seules en cause, et que les processus à l’origine de ces phénomènes ne consistent pas en chaînes causales linéaires : ils varient notamment en fonction des concentrations rencontrées, produisant des effets négatifs à très faible dose, puis des effets positifs pour des doses moyennes, et enfin à nouveau des effets négatifs à forte dose. La recherche a donc permis d’alerter sur ces phénomènes complexes, dont on sait aujourd’hui qu’ils affectent, non seulement les poissons, mais aussi l’homme.

Plus récemment, on a encore découvert la présence de substances pharmaceutiques dans l’eau ou dans les sols : des résidus de médicaments sont en fait présents partout. Une carte de la contamination mondiale par les substances pharmaceutiques, établie à partir des bases de données disponibles, est incluse au dossier qui vous a été transmis. La présence d’un certain nombre de ces substances n’était pas attendue dans le sol et dans l’eau. Une forte occurrence des antibiotiques est notamment observée, ce qui explique un certain nombre de phénomènes. De plus, ces substances se retrouvent, non seulement dans les milieux, mais aussi dans les poissons ou dans les invertébrés, ce qui crée une chaîne trophique potentielle. Cela signifie qu’elles peuvent remonter jusqu’à l’homme, entraînant ainsi la consommation non souhaitée de certaines substances qui, si elles ne sont pas létales, sont néanmoins fabriquées pour avoir une activité biologique. On peut donc s’attendre à ce qu’elles produisent des effets à long terme et préférer ne pas les rencontrer en l’absence de besoin.

La recherche a également traité l’impact de la biodiversité sur l’émergence et la transmission des maladies infectieuses. Ces problématiques sont plus ou moins importantes selon les continents, mais, de 1940 à 2005, certaines activités humaines (le changement d’usage des sols par exemple) peuvent être associées à l’émergence de certaines maladies infectieuses, qu’il serait ainsi possible de prévenir.

Naturellement il reste également de nombreuses sources d’incertitudes pour la recherche.

Parmi les questions qui se posent à elle, on peut citer celle de la vulnérabilité des individus et des populations. Pourquoi certaines populations, animales, humaines ou d’ailleurs végétales (il ne faut pas oublier l’importance de la santé des végétaux dans la santé générale de notre système) présentent-elles des sensibilités différentes, qu’elles soient génétiques, phénotypiques, ou qu’elles dépendent de l’âge, etc. ? Il reste du travail à effectuer à cet égard pour mieux prévenir les vulnérabilités occasionnées par l’état de l’habitat animal ou humain, l’état nutritionnel, les conditions économiques, etc.

Les interactions produites en cas de mélange constituent également un problème de plus en plus traité aujourd’hui. Les médecins savent bien qu’il ne faut pas mélanger les médicaments qu’ils prescrivent, mais les substances non prescrites provoquent aussi des interactions.

Les dynamiques d’exposition doivent également être examinées. Est-il plus grave d’être exposé jeune ou âgé ? Cumuler les expositions dans le temps rendra-t-il plus sensible ?

Enfin, les questions d’évolution et de co-évolution sous pression anthropique commencent également à se poser. Notre environnement impacte plus rapidement qu’on le pensait certaines espèces : les microbes et bactéries, notamment, mais aussi d’autres populations, qui évoluent ainsi avec nous et deviennent de plus en plus résistantes, ce qui peut provoquer l’émergence de nouvelles maladies.

De nouveaux concepts et des pistes de recherche et d’actions à long terme sont toutefois apparus également avec le temps, suscitant de nouveaux motifs d’espoir.

Tout le monde parle aujourd’hui du concept One Health, qui porte sur les interactions entre les mondes animal (notamment d’élevage) et humain, et qui doit être élargi au concept EcoHealth. Dans la déclaration d’Ostrava de 2017, les ministres européens de la santé et de l’environnement ont déclaré que l’environnement constituait un enjeu important, devant être traité à l’échelle européenne. J’ai également joint à votre dossier un schéma montrant qu’un certain nombre de concepts relevant de la santé animale, humaine et environnementale doivent être traités en commun, et de manière interdisciplinaire. Ces concepts sont récents et les moyens doivent être fournis à la recherche pour qu’elle puisse s’engager dans les perspectives qu’ils ouvrent.

Vous avez sans doute aussi entendu parler, depuis longtemps, du concept d’exposome, dont on espère qu’il nous permettra de comprendre et de prédire les conséquences pour l’homme de l’exposition aux mélanges dans le temps. Pour prévenir cette exposition, il faut toutefois aussi traiter l’éco-exposome, c’est-à-dire la présence dans l’environnement de l’ensemble de ces substances et leur impact. Certains agents sont notamment communs à l’ensemble de la vie, du fait qu’ils interviennent dans le fonctionnement cellulaire. Il est ainsi possible de prédire les conséquences des expositions humaines à partir des conséquences constatées sur l’animal et le végétal, à condition ici encore de réussir à travailler ensemble.

Je souhaiterais terminer mon propos en évoquant le temps nécessaire à la recherche et aux politiques publiques pour progresser. Les premières données disponibles sur les problématiques de pollution datent des années 1940, avec notamment les pollutions au cadmium au Japon, etc. On observe aussi une multiplication par quatre des zoonoses depuis les années 1980. Il serait possible de les lister. Pour autant, les évolutions réglementaires en matière de protection de l’environnement sont relativement récentes, avec en 1979 les premières législations sur l’acceptabilité environnementale des substances, le règlement REACH qui ne date que de 2007, la directive de l’Union européenne sur la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe qui ne date que de 2008, etc. Le délai entre les premières accumulations de connaissances et la mise en œuvre des régulations à l’échelle nationale ou internationale est donc important. Je n’ai par exemple pas trouvé de réglementation comme REACH concernant le problème des zoonoses. Aucun outil n’existe à cet égard, alors que ce problème se pose à l’échelle européenne, mais aussi internationale, de manière générale.

L’homme étant extrêmement créatif, les nouveaux sujets de recherche sur lesquels travailler ne manquent pas pour l’avenir : les nanoparticules ; les effets du recyclage (« re-use ») des déchets sur les expositions de l’environnement et de l’homme ; le changement climatique et tous les processus qu’il entraîne dans l’écosystème avant d’atteindre l’homme ; les conséquences de ces processus sur la biodiversité ; les maladies chroniques et les zoonoses ; les solutions basées sur la nature, dont on espère aujourd’hui beaucoup, mais dont il faudra examiner les bénéfices comme les risques ; etc.

Merci de votre attention.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette introduction, à la fois synthétique et détaillée, qui a bien posé les éléments du problème en nous faisant voyager du plus grand au plus petit, et en traitant notamment de la « cascade d’impacts le long de l’organisation du vivant » (pour reprendre le titre d’une des pages du document que vous nous avez transmis), à commencer par le niveau même de la cellule et des bactéries. Malheureusement l’être humain a tendance à oublier qu’il vient de là. Avec ses activités, il a remis en question la survie de son environnement et la sienne en conséquence. Vous avez brossé un vaste tableau de l’étendue des sujets concernés, et souligné à quel point les questions de santé environnementale ne pouvaient être approchées que de manière systémique.

Je devrai maintenant vous ramener à l’échelle humaine, car notre objectif est de trouver un angle d’approche pour améliorer la prise en charge de ces questions dans les politiques publiques. C’est du niveau humain que les problèmes sont nés, et c’est à ce niveau que nous pourrons, j’espère, trouver la source des solutions.

En vous appuyant sur les connaissances scientifiques relevant de votre domaine de spécialité, vous nous avez présenté d’une façon très affirmative un tableau de l’ensemble des interactions au sein de la chaîne du vivant, et des dégâts causés aux écosystèmes : aux mondes animal, végétal et des bactéries. De quelles certitudes disposons-nous aujourd’hui concernant les impacts de la dégradation de l’environnement sur la santé humaine ? Sur quels documents pouvez-vous vous adosser pour indiquer avec certitude quels dégâts sont ainsi causés pour la santé humaine ? Certains lobbys nous opposent précisément la complexité des systèmes concernés pour objecter l’absence de preuve possible d’un lien causal entre la dégradation de l’environnement et la santé humaine. Même si elle prend du temps, la recherche a-t-elle aujourd’hui permis de produire des documents permettant d’établir de tels liens avec certitude ?

Mme Jeanne Garric. Pour de nombreuses raisons, les lobbys tendent en effet à émettre de telles objections. Ma spécialité n’étant pas la santé humaine, je n’ai pas aujourd’hui une liste de documents à vous fournir à ce propos. Des études ont cependant été réalisées, par exemple par l’Anses, sur l’impact de substances chimiques prises une à une, sur des modèles représentant la santé humaine. Sans entrer dans toute la problématique des liens entre les pesticides et le cancer, et sans parler notamment des liens entre le chlordécone et le cancer de la prostate, certains liens ont aujourd’hui été reconnus à cet égard, et font l’objet de documents. Il en va de même pour les liens entre les perturbateurs endocriniens et le cancer, même si les travaux se poursuivent à ce sujet.

Si aucun lien de cause à effet direct ne peut être établi, molécule par molécule, du fait que nous sommes tous exposés à un nombre extrêmement élevé de substances, la notion d’exposome permet de renoncer à une telle approche. On affirme aujourd’hui que c’est un environnement perturbé qui engendrera un certain nombre de problématiques.

Je suis donc désolée : je ne peux malheureusement pas, en réponse à votre question, citer un certain nombre de documents. Il serait possible de citer les cas du distilbène ou de l’amiante, mais ce serait revenir sur des exemples très connus. Il a chaque fois fallu du temps pour établir des relations de cause à effet précises. On fait aujourd’hui le pari que la notion d’exposome pourra nous aider à cet égard, mais il me semble qu’il faudra en conséquence renoncer à la notion d’une relation de cause à effet.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je suis désolée d’avoir pu vous donner le sentiment de vous mettre en difficulté. J’avais conscience que cette question était d’une complexité totale. Je voulais seulement avoir la certitude que, si nous disposons de démonstrations de liens de causalité avec le règne animal et le règne végétal, établir des extrapolations avec le règne humain apparaît beaucoup plus difficile.

Je souhaitais revenir sur cette notion d’exposome, dont on parle beaucoup actuellement. C’est une donnée qui semble désormais bien partagée, et qui a d’ailleurs été officialisée dans certains documents de santé publique. Quelle définition donnez-vous de « l’éco-exposome » par rapport à l’exposome ? Par ailleurs, à partir de quel moment pourrons-nous considérer que nous connaissons réellement l’éco-exposome et l’exposome ? Pensez-vous qu’il s’agisse d’une priorité des prochains programmes de recherche ? À quoi ressemblent l’exposome ou l’éco-exposome : s’agit-il de séries de chiffres ? Quelles données nous permettent de qualifier cette notion, qui est aujourd’hui plus qu’un concept ?

Vous avez souligné le temps nécessaire pour que la recherche parvienne à des certitudes démontrées, mais le temps des politiques publiques est beaucoup plus court. Je m’interroge en effet sur ce décalage dans le temps entre les procédures scientifiques de recherche, qui exigent beaucoup de temps et de prudence, et la nécessité d’agir vite, car les dégradations dont vous nous avez établi la longue démonstration existent d’ores et déjà. Comment arriver plus rapidement à des conclusions pragmatiques permettant de définir des politiques publiques ? Je n’attends pas nécessairement une réponse très précise ou définitive, mais seulement une discussion avec vous à ce sujet. Sur quels thèmes prioritaires nos politiques publiques pourraient-elles selon vous s’engager sans attendre de certitudes scientifiques ? Les dégâts sur la santé humaine sont d’ores et déjà observables.

Mme Jeanne Garric. L’éco-exposome correspond à l’extension de la notion d’exposome à un éco-système, au sein duquel il s’agit d’examiner quelles sont les molécules, les métabolites, etc. L’exposome constitue en effet la description des molécules chimiques et métaboliques auxquelles nous sommes exposés, et qu’on retrouvera dans le sang, dans la bile, dans les urines, etc., mais aussi des biomolécules qui sont formées dans notre corps en réaction à notre exposition : nous produisons un certain nombre de protéines, etc. La recherche est déjà bien engagée, au moins au niveau humain, en ce qui concerne ces problématiques. Nous disposons des outils (analytiques, informatiques, etc.) à cette fin. Comme vous l’avez dit, il s’agit de dresser de grands tableaux d’informations permettant d’indiquer que nous avons été exposés à un certain nombre de molécules, et que nous avons réagi de telles manières, pour chercher à établir des liens avec les pathologies qui pourraient en résulter en aval, et pour mieux comprendre, en amont, les substances auxquelles on a pu être exposé et à quelle concentration, dans le but de prévenir cette exposition ou de la réduire.

Nous nous engageons dans ces recherches, car nous disposons aujourd’hui des moyens de le faire, alors que ce n’était pas le cas il y a vingt ans : nous devions procéder à un examen molécule par molécule.

Dans quelle direction s’engager en priorité ? Les informations dont nous disposons permettraient déjà de prévenir un certain nombre de problèmes. On sait que les sources majeures d’exposition humaine sont l’air et l’alimentation : on sait qu’il faut y réduire la présence d’un certain nombre de substances. L’eau pose moins problème, même s’il s’agit d’un vecteur qui rejoint l’alimentation. Il faudrait donc au moins considérer l’eau et l’alimentation ensemble. Ces points constituent des problèmes importants, sur lesquels concentrer le travail, pour s’assurer que ce que nous respirons et ingérons est le plus libre possible de contaminations.

M. Pierre Venteau. De nombreuses discussions portent actuellement sur la qualité ou la dimension sanitaire (« safe ») de l’alimentation. Il est notamment beaucoup question de la nécessité de diminuer la consommation de viande, en vue finalement d’un effet global. Toutefois, la presse et un certain nombre d’études scientifiques font beaucoup état, aussi, du fait que les solutions végétales alternatives sont trop préparées et comportent beaucoup d’additifs. En termes de santé, ne court-on pas aussi un risque à se tourner ainsi vers une alimentation ultra-préparée, même si elle se veut à très faible empreinte carbone ?

Mme Jeanne Garric. Je ne suis pas la plus apte à vous répondre sur ce point, n’étant ni diététicienne ni médecin. On sait néanmoins que réduire l’alimentation carnée présente des bénéfices pour un certain nombre de raisons métaboliques. Quelle que soit la qualité de la viande, elle entraîne une forte oxydation, etc. Un certain nombre de connaissances sont établies à ce sujet.

Je m’étonne d’abord que vous associiez une alimentation végétale à une alimentation ultra-préparée : il est possible de cuisiner végétal sans recourir à ce type d’alimentation. En tant que mère de famille et cuisinière, je n’y ai moi-même pas recours : je prépare moi-même mon alimentation végétale.

Vous avez toutefois raison sur le fait qu’il faut éviter de se tourner vers des aliments ultra-préparés, dans lesquels de nombreux additifs seraient présents. Tous les additifs ne sont certes pas dangereux, même si certains ont été interdits, mais des problèmes se posent sur ces questions également. Certains instituts comme l’INRAE sont très engagés dans ces questions d’alimentation. La recherche s’y intéresse.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous êtes membre du groupe Santé-environnement (GSE) en tant que personnalité qualifiée, et co-présidente du groupe de travail 2 du PNSE3. Pourriez-vous nous parler de ce GT2 ? Comment a-t-il fonctionné ? Quel bilan pouvez-vous dresser de son travail ? Avez-vous émis des recommandations pour le PNSE3 et avez-vous été sollicitée concernant le PNSE4 ?

J’en reviens à des questions très institutionnelles, car l’objectif de notre commission est de déterminer les points forts et faibles des politiques publiques actuelles, afin d’en améliorer le fonctionnement. Je souhaiterais donc avoir votre avis sur la manière dont a fonctionné le GSE comme outil de politique publique en santé-environnement. Auriez-vous des propositions pour l’améliorer ? Quel regard portez-vous également sur le fonctionnement des grandes agences publiques : Santé publique France, l’Anses, etc., et toutes les parties prenantes du GSE, en incluant la société civile et les réseaux associatifs. Disposez-vous d’exemples convaincants de ce type de travaux et ont-ils été pris suffisamment au sérieux par les pouvoirs publics ?

Mme Jeanne Garric. J’ai en effet eu plaisir, et j’ai beaucoup appris, en tant que chercheur, à travailler dans le GT2 de suivi « recherche », qui couvrait l’ensemble des actions transversales de recherche, de formation, d’information, etc. Nous avons été très assidus. Nous avons pu bien travailler et avons beaucoup échangé au sein du groupe sur un certain nombre de ces actions, même si davantage de formalisme dans l’encadrement du suivi des actions de ce PNSE3 aurait été nécessaire. Les participants étaient des chercheurs (je m’étais notamment entourée d’un certain nombre de professeurs d’université), des médecins, pharmaciens, et spécialistes de l’environnement, ainsi que des personnes de la société civile, des membres de diverses associations intéressées aux problématiques liées à l’environnement ou à la santé. Je n’ai pas le compte exact des réunions que nous avons tenues, mais nous nous sommes vus au moins trois fois par an au titre de ce suivi, et avons rendu compte chaque fois au GSE.

En tant que chercheur, j’ai trouvé que le GSE constituait une instance d’échange très intéressante, mais dont il était difficile de savoir ce qui en sortait, dans quelle direction, et quelles orientations il pouvait en résulter. Je n’ai pas eu l’impression d’obtenir de retour sur les effets de ces échanges, sans doute par manque de formalisme, de cadrage ou d’objectifs. Par souci d’efficacité dans le suivi du PNSE à venir, il faudrait que les mandats des groupes de suivi et les objectifs des rendus, etc. soient mieux définis. Notre groupe a auditionné de nombreux acteurs, issus des ministères impliqués, de l’agence nationale de la recherche (ANR), de l’Anses, etc. Nous avons pu échanger avec eux et voir comment les choses évoluaient. J’en ai tiré le ressenti que chacun faisait au mieux, mais que, probablement en raison de la manière dont le PNSE3 avait été construit, chacun finalement continuait à faire ce qu’il savait faire, comme d’habitude, sans objectif particulier affiché, sans indicateur, etc.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre témoignage comme actrice d’un groupe de travail censé nourrir la réflexion des décideurs administratifs et politiques m’intéressait beaucoup. Je voulais savoir comment vous aviez vécu ces travaux de groupe. J’entends que vous avez apprécié l’ambiance de ces GT, mais que vous semblez y regretter un manque de cadre, ce qui se comprend puisque vous avez reçu une formation scientifique, et que toute politique publique doit être très cadrée : il faut savoir d’où l’on part et où on veut aller. J’entends donc bien cette demande d’une meilleure organisation et d’une clarification des mandats : vous ne saviez pas quelle était la réelle demande qui vous était faite.

Quelles seraient dès lors vos propositions pour améliorer l’organisation nationale (et parisienne) des plans nationaux santé-environnement qui suivront, et notamment du PNSE4, dont nous ne connaissons pas encore le contenu ? Il est extrêmement secret : même en tant que présidente du GSE, je ne parviens absolument pas à obtenir de retour sur le contenu du PNSE4, alors qu’il a été officiellement lancé en janvier 2019.

Par ailleurs, vous avez longuement expliqué que le champ d’investigation de l’IRSTEA se situait à l’échelle des territoires. Je serais donc intéressée de savoir ce que vous pourriez proposer en matière d’organisation territoriale. L’objet même de votre travail concerne ce qui se passe dans la nature, donc en dehors des grandes villes, dans les espaces naturels et les espaces de vie, mais surtout dans les territoires. Comment d’une manière générale pourrions-nous améliorer la gouvernance de cette dynamique, et optimiser le potentiel intellectuel énorme qui est à notre disposition dans les différents groupes de travail du GSE ?

Mme Jeanne Garric. Des expertises, parfois de haut niveau, parfois de simple vécu, ont en effet été sollicitées dans ces groupes de travail, de la part de personnes qui se sont investies, qui y ont consacré du temps, etc., et il est dommage de ne pas s’en servir, en dressant un bilan annuel ou bisannuel des actions menées. Cela suppose toutefois de disposer de mandats clairs et d’indicateurs. Il serait alors possible de tirer la conclusion qu’il vaut mieux s’orienter dans telle direction que dans telle autre, parce que les connaissances ont pu évoluer et des nouveautés apparaître dans tel domaine, par exemple. Il faudrait ainsi que le plan ne soit pas figé, mais puisse évoluer dans le temps.

Par ailleurs, ce que vous dites est vrai : l’IRSTEA et l’INRAE travaillent aujourd’hui sur l’ensemble du territoire français, et même en outre-mer, et les problèmes ne sont pas les mêmes partout, de sorte que partir de moyennes n’est pas une bonne idée en matière de traitement des problématiques d’exposition ou de santé. Il faut partir de la réalité du terrain. Il faudrait à cet égard faire remonter des informations de chaque région. J’avais participé (rapidement, parce qu’on ne peut pas être partout) à des travaux régionaux en Rhône-Alpes : les problématiques n’y étaient pas les mêmes qu’en Artois-Picardie, par exemple. Bénéficier de telles remontées serait donc bien intéressant. Ce n’est pas le cas actuellement à ma connaissance.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment organiser concrètement ces remontées ?

Mme Jeanne Garric. Je ne sais pas comment sera organisé le PNSE4, mais ne serait-il pas possible, dans les groupes de suivi, de nommer des référents censés remonter des informations des plans régionaux santé-environnement (PRSE). La recherche en santé ou en environnement n’est pas la même non plus, en Rhône-Alpes, en Île-de-France, ou en région bordelaise, etc. Même la prise en compte de ces différences est importante. Les moyens accordés par les régions à la recherche en santé-environnement sont par exemple différents selon les régions : comment serait-il possible de faire évoluer cette situation ? De quels outils faut-il se doter ? Que peut-on apprendre ? Je pense donc que de telles remontées seraient intéressantes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette approche de chercheuse est très intéressante.

Votre GT2 portait sur le suivi de la recherche, mais aussi sur les questions de formation et d’information. Pensez-vous que les professionnels de santé et les élus des collectivités territoriales sont suffisamment bien formés, et que pourriez-vous suggérer pour améliorer leur formation ? Quel pourrait par exemple être le contenu-type d’une formation en santé environnementale destinée aux élus, ou aux professionnels de santé ? Quelles thématiques de connaissance générale, mais aussi de formation opérationnelle, c’est-à-dire vraiment pragmatique, faudrait-il inclure dans ces formations, afin qu’elles aient un impact direct et rapide sur l’amélioration de la santé des habitants des territoires et sa protection ?

Mme Jeanne Garric. Dans le document que je vous ai distribué figure une diapositive intitulée « Des besoins », que j’avais délibérément laissée de côté en vue des questions qui me seraient posées. Les besoins en formation y sont notés. Qu’il s’agisse de répondre à des questions de recherche (sur Eco-Health, One-Health, l’exposome, etc.) ou à des questions très concrètes et pragmatiques, nous avons un réel besoin de formation, mais de tous les acteurs : des médecins, des acteurs de la santé, de l’écologie, etc.

Toujours en région Rhône-Alpes, certains collègues du Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes (le CLARA) avaient construit une formation efficace à destination des élus des collectivités et des communes, etc. de la région. Elle semble avoir été très appréciée, et a même été étendue à d’autres régions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Par qui cette formation était-elle portée ?

Mme Jeanne Garric. Elle a été mise en place par des chercheurs du CLARA, le centre anti-cancéreux de Lyon, qui constitue une association au sein du Centre Léon Bérard. Je ne me souviens plus exactement de leurs noms, mais je pourrai vous les transmettre si vous le souhaitez.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La difficulté est, d’une part, d’apporter une formation de culture générale. Vous avez expliqué les interactions entre toutes les dimensions du vivant. D’autre part, comment faire en sorte que des élus disposent, en ce qui concerne la base de cette culture générale commune, d’outils leur permettant de tirer des conclusions sur les actions qu’ils pourraient mener à leur échelle d’élus ? Il faut réussir à passer du monde des experts éclairés, qui connaissent énormément de choses, au monde plus restreint et pragmatique du terrain. Comment traduire cette masse d’informations et de connaissances dont les chercheurs et universitaires disposent pour la rendre abordable, sur le terrain, à des personnes censées conduire des actions très pragmatiques ?

Mme Jeanne Garric. Je n’ai pas suivi la formation en question. Le problème qui se pose concerne les formateurs et les communicants. Nous savons par exemple que l’utilisation de certains biocides en trop grande quantité peut affecter le milieu ou les personnes, et nous connaissons les problèmes posés par l’usage de certaines substances dans les maisons, de certains pesticides, les sols contaminés, etc. De très nombreux moyens existent pour informer les élus que, par exemple, laisser tourner son moteur devant l’école nuit à la qualité de l’air et aux enfants, même dans un village. Je crois beaucoup à l’éducation, et en particulier à l’éducation des jeunes enfants. Il y a longtemps, lorsque mes enfants étaient en âge d’aller à l’école, j’avais fait un petit cours à l’école primaire, en expliquant aux enfants qu’une eau apparemment pure ne l’était pas en réalité, pour de nombreuses raisons : parce qu’ils mettent leurs mains sales dans le verre, parce que des substances y sont présentes, qu’on peut leur faire voir, etc. Il ne s’agit pas seulement de former les élus, mais aussi les enfants, dès l’école primaire. La santé-environnement passe par là. Lorsque mes enfants étaient jeunes, j’avais aussi le souci de leur montrer dans les rayons de supermarché toutes les molécules qu’il ne fallait pas acheter.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous partageons cette préoccupation. Il faut commencer cette éducation très jeune, et de manière très pragmatique, afin de faire prendre conscience que nous vivons dans un monde qui n’est pas seulement habité par des êtres humains et quelques animaux de compagnie ou sauvages tels qu’on peut en voir à la télévision, mais aussi par tout un monde invisible, auquel il faut être particulièrement sensible. Il faut aussi éduquer au bon usage des produits nettoyants, dont l’efficacité réelle n’est pas toujours bien connue, pas plus que leurs impacts sur l’environnement et la santé.

Nous sommes partis de l’ensemble du vivant et des approches systémiques, avant de traiter des politiques publiques et de parler plus particulièrement des actions de formation. Je souhaiterais maintenant revenir à votre domaine d’expertise en tant que chercheuse, pour traiter de la Covid-19, qui est considérée par de nombreux chercheurs comme l’exemple type d’une zoonose, c’est-à-dire d’une trop grande proximité entre les humains et le monde animal. Vous disiez tout à l’heure vous inquiéter des conclusions qui ont pu en être tirées. Je souhaiterais connaître votre avis et vos suggestions éventuelles à cet égard. Dans le cadre du GSE, nous avions organisé une grande conférence sur cette thématique : comment intégrer le Covid-19 et les zoonoses au PNSE4 ? Je ne sais toujours pas quelles conclusions ont été tirées de cette conférence dans le PNSE4, mais je serais très curieuse de savoir comment vous chercheriez à intégrer ces questions dans une politique publique. Comment pourrions-nous nous prémunir d’autres attaques, sur la santé humaine, du monde animal, bactériologique et viral ?

Mme Jeanne Garric. Il s’agit encore d’une question complexe. Je vous ai montré un petit schéma permettant de traiter ces questions. Avant la Covid-19, le SIDA, etc. ont fait connaître cette problématique des zoonoses. S’en prémunir passe d’abord par des politiques internationales. J’étais présente à la conférence organisée par le GSE dont vous parlez, qui était passionnante. Les zoonoses de ce type viennent de partout dans le monde, et il faut en prendre conscience au niveau international, en y dédiant des politiques internationales.

Par ailleurs, puisque la proximité entre le monde animal et humain est en cause, il faut réussir à la limiter, en mettant fin aux déforestations excessives, et en limitant l’utilisation des animaux sauvages. Ces problèmes échappent toutefois au contexte exclusivement national.

En revanche, il est possible d’éduquer la population en lui expliquant que ce type de situations et de pandémies arriveront à nouveau, et comment s’en prémunir. Le port du masque constitue à cet égard une solution extrêmement simple, à laquelle tous les professionnels de santé savent recourir depuis des années. Jusqu’à présent, comme nous disposions de tous les moyens nécessaires pour nous soigner, nous ignorions ce type de questions. Il faut maintenant faire passer ce sentiment dans la population, ce qui ramène la question des besoins organisationnels, que ce soit dans la recherche, afin de mettre en place un vrai dialogue et de vraies interdisciplinarités, ou au niveau des élus, qui doivent être formés également. Je ne dispose pas d’autres solutions à ce stade. Je parle surtout ici en tant que citoyenne.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous regrettiez tout à l’heure une absence de réglementation sur les zoonoses, soulignant que la préoccupation publique en matière de protection environnementale est relativement récente, avec la loi de 1979 sur les substances, le cadre REACH qui ne date que de 2007, les décisions sur la qualité de l’air de 2008, etc. Lors de la conférence, nous avons vu la nécessité de s’organiser au niveau international. L’intervention de la représentante du ministère des affaires étrangères m’avait particulièrement intéressée à cet égard. Elle avait interrogé les manières dont il serait possible de s’organiser à l’échelle mondiale, évoquant précisément l’initiative du ministère des affaires étrangères dans le cadre de One Health (« une seule planète, une seule santé »).

Nous avons fait le tour de l’ensemble des risques et dangers. Il est de notre responsabilité d’alerter, d’informer et de nous mettre en ordre de marche pour faire face au danger « rampant », qui semble inéluctable, d’une destruction de toute la chaîne du vivant. Vous nous avez parlé longuement du terrain sur lequel vous travaillez. Je vous remercie pour le document extrêmement intéressant que vous nous avez fait parvenir et que nous annexerons au rapport de notre commission d’enquête.

Je souhaiterais conclure cette audition sur une note un peu plus optimiste, car il peut paraître décourageant de recevoir, impuissants, toutes les informations sur la destruction du monde du vivant. J’ai lu qu’après l’explosion de Tchernobyl, de la vie avait pu renaître sur le terrain irradié. Je serais à cet égard intéressée par vos observations sur la résilience du vivant. On parle d’une sixième extinction des espèces actuellement, et la biodiversité est manifestement très attaquée. Quelles capacités de résilience et à se prémunir des attaques humaines observez-vous de la part du vivant, et que pensez-vous de « l’anthropocène », comme cycle actuel du vivant sur la Terre ? De quels motifs d’espoir pourriez-vous nous faire part concernant un éventuel ralentissement du processus de destruction ? Cette question est encore très large, mais je souhaite recueillir votre avis personnel.

Mme Jeanne Garric. L’anthropocène existe : c’est maintenant clair. Les scientifiques qui travaillent sur la biodiversité et la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques – Intergovernmental Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) observent des extinctions animales extrêmement rapides. Les espèces disparues ne seront pas retrouvées. Outre les disparitions, il existe aussi des adaptations : les organismes parviennent parfois à s’adapter. La question est alors de savoir s’ils disposeront ensuite des mêmes fonctionnalités : une abeille adaptée et devenue résistante sera-t-elle par exemple toujours aussi à même de remplir sa fonction pollinisatrice ?

Des politiques publiques ont été mises en place il y a déjà quelques années par le ministère de l’environnement, pour conserver les « continuités écologiques », à travers la Trame verte et bleue. Lorsque des recolonisations sont mises en œuvre, dans les rivières ou dans les haies, etc. de zones très abîmées, elles ont lieu et sont observées. Des politiques publiques de recolonisation par le vivant sont donc possibles, et constituent de vrais outils. Il faut seulement espérer que toutes les collectivités les respectent. Des motifs d’espoir existent donc bien. Une adaptation sera possible. Nos capacités de prévention à cet égard viendront des connaissances issues de la recherche, car le rapport bénéfice-risque de tels outils devra être bien compris. Les bonnes idées issues des observations des citoyens pourront également être utiles.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je retiens en effet cette suggestion d’associer les citoyens et la société civile, car c’est de leur survie qu’il est question avant tout. Souhaitez-vous conclure cette audition par une dernière suggestion ?

Mme Jeanne Garric. Il faut se donner en recherche les moyens d’un dialogue interdisciplinaire entre la santé et l’environnement. Ce dialogue passera par la formation des équipes et l’acculturation des décideurs, des évaluateurs, etc. Une réflexion est nécessaire dans ce domaine, si l’on considère que la recherche est utile, et qu’elle peut apporter des moyens de prévention.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette nécessité d’organiser une pluridisciplinarité est vraiment ressortie des auditions précédentes, notamment des représentants du monde de la recherche. Cette dynamique me semble désormais bien lancée, alors qu’elle ne faisait pas partie de la culture des chercheurs, et en général des scientifiques, qui, notamment en France, ciblent leurs recherches sur des domaines ultraspécialisés. Depuis une génération ou deux de chercheurs, cette nécessité de travailler au-delà des spécialisations, pour disposer d’une idée complète du vivant, semble avoir été intégrée. En revanche, la compréhension de cette nécessaire transversalité n’est pas aussi rapide parmi les administrations et les ministères. Nous nous attacherons à ce qu’ils en acquièrent eux aussi la culture.

Je vous remercie pour ces échanges très intéressants.

L’audition s’achève à dix heures cinquante-cinq.

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13.   Audition, ouverte à la presse, de M. William Dab, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur général de la santé (1er octobre 2020)

L’audition débute à onze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous poursuivons nos auditions avec M. William Dab, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), médecin et docteur en épidémiologie, et ancien directeur général de la santé. Votre enseignement au CNAM a porté sur l’hygiène industrielle et de l’environnement, et la sécurité sanitaire de l’environnement et du travail. Vos travaux ont porté sur la surveillance épidémiologique, l’organisation du dispositif de sécurité sanitaire, la sécurité sanitaire de l’environnement et du travail. Votre audition à titre d’expert, de scientifique et de gestionnaire est précieuse pour notre commission d’enquête. Nous vous remercions pour votre présence.

Les questions que nous souhaiterions aborder avec vous sont les suivantes. En l’état des connaissances, quels sont les déterminants de la santé ? Comment appréhender l’environnement comme facteur de santé ? Comment faire face aux risques affectant la sécurité sanitaire environnementale ? L’objet de cette commission d’enquête est d’établir un bilan des points forts et faibles des politiques publiques actuelles en matière de protection de la santé environnementale.

(M. William Dab prête serment.)

M. William Dab, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur général de la santé. Merci, Mme la présidente, pour cette convocation. J’y ai répondu volontiers, d’abord parce qu’on ne peut pas s’y soustraire, ensuite parce qu’il est important que la représentation nationale se penche sur cette question.

En premier lieu, la culture de l’évaluation des politiques publiques doit être développée en France, non pour critiquer ou sanctionner davantage, mais pour s’inscrire dans une logique d’amélioration continue.

En deuxième lieu, l’étude des rapports entre l’environnement et la santé est relativement récente en France. La création du ministère de l’environnement date de la présidence de Georges Pompidou, dans les années 1970, mais son objet portait initialement sur la préservation des paysages, des sols, de la faune et de la flore. Cette mission était parfaitement respectable, mais, à travers différentes crises successives, une préoccupation de santé en lien avec l’environnement a émergé et s’est renforcée. Lorsque la grande loi de sécurité sanitaire a été votée en 1998, nous étions un certain nombre à plaider pour la création d’une agence susceptible d’aider les pouvoirs publics dans le domaine de la santé-environnement. Nous n’avions pas alors été écoutés. Il a fallu la marée noire de l’Erika, en 2000, pour que l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement soit créée. Elle est depuis devenue l’Agence française de l’environnement et du travail, puis l’Anses : l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Ce chemin est donc assez récent, et encore en cours de construction.

En troisième lieu, ce secteur présente la difficulté intrinsèque d’être éminemment interministériel. De fait, il n’y existe pas de leader. Le ministère de la santé, qui serait le candidat naturel à cette fonction, n’a en réalité la main que sur l’eau, qui, seule, relève du code de la santé publique, en termes de sécurité sanitaire. Tous les autres domaines de la santé-environnement sont partagés entre d’autres ministères : l’environnement, l’agriculture, l’industrie, les transports, etc. Or, dans le fonctionnement « en silos » de notre organisation administrative, cela constitue une difficulté. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), une direction du ministère des Finances, ne doit pas être oubliée dans cette énumération, car elle joue un rôle très important.

Le secteur est globalement peu doté. Grâce à l’action des agences, des universitaires et des chercheurs, notre expertise est assez bonne et peut se comparer à celle des pays similaires. Notre faiblesse vient de notre capacité sur le terrain. Dans les agences régionales de santé (ARS), le secteur environnement est faible, et principalement orienté vers les contrôles d’eau (potable et de baignade). Le secteur des installations classées reste relativement faible. La ministre a annoncé, lors du premier anniversaire de l’accident de Lubrizol, qu’il serait renforcé. Sur le terrain, nous ne sommes pas équipés à la hauteur des enjeux, même si nous ne sommes pas totalement démunis. Ce décalage trop grand entre les ambitions affichées dans les différents plans et notre capacité à les réaliser suscite un problème de confiance du public.

Lorsque les citoyens se posent des questions en santé-environnement, parce qu’ils pensent que leur santé peut être altérée, d’une manière ou d’une autre, ils n’ont pas d’interlocuteur. Depuis longtemps, je parle de l’existence d’un besoin social à cet égard. Il n’existe pas d’interlocuteur unique pour la population. Lorsqu’on dispose d’une entrée par pathologie, c’est alors le médecin, le ministère de la santé et les ARS qui seront consultés. La plupart du temps, ce n’est cependant pas le cas : il n’existe pas de malade, mais des expositions, qui inquiètent les gens – faut-il s’attendre, à court, moyen ou long terme, à un effet de ces expositions, pour nous ou nos enfants ? Il n’y a alors pas d’interlocuteur, car selon l’exposition concernée, il faudra s’adresser à différents départements ministériels ou services déconcentrés gérés par les préfets. Ce « maquis », dans lequel le citoyen ne se reconnaît pas, a une conséquence. Devant cette complexité, le réflexe est de créer une association et d’alerter les médias, de sorte que l’entrée habituelle des questions de santé-environnement est la dénonciation, l’inquiétude et l’alarmisme. C’est en effet la seule manière de se faire entendre. Il faut donc que vous y réfléchissiez.

Pour préparer cette audition, j’ai examiné les priorités de la stratégie nationale de santé, du plan national santé-environnement (PNSE) et du plan national santé-travail (PNST), car l’environnement de travail fait partie de l’environnement. Je n’ai pas examiné les priorités des plans sectoriels (phytosanitaires, perturbateurs endocriniens, etc.). Or, les priorités ne sont pas les mêmes selon les plans, et elles sont au total une trentaine. Cela signifie en réalité qu’il n’existe pas de priorités. On touche ici à la difficulté ministérielle de la création des plans.

Au Conservatoire national des arts et métiers, nous dispensons très peu de formation initiale, mais surtout de la formation tout au long de la vie. Nos étudiants travaillent en journée dans les entreprises et viennent en cours du soir. Ils réalisent en entreprise des mémoires d’hygiéniste, des mémoires de licence professionnelle ou d’ingénieur en prévention des risques. Nous disposons ainsi d’une assez bonne vision de ce qui se passe en entreprise. Je ne dis pas que le secteur public doit fonctionner comme une entreprise, mais certaines des pratiques en entreprise me paraissent intéressantes. Les entreprises très impliquées dans le domaine de la santé-environnement – les entreprises de l’énergie, de l’eau, des services aux collectivités, etc. – établissent des cartographies des risques. Elles identifient les sources de danger et d’exposition et établissent des cotations des niveaux de risque, qui ne sont pas nécessairement très élaborées, mais comportent du moins des indicateurs de fréquence et de gravité, même simples (allant de 1 à 4), et un indicateur d’urgence. Certaines expositions présentent en effet des risques à court terme : il faut alors agir de manière urgente. Certaines expositions sont cancérigènes et n’ont pas d’effet immédiat, mais seulement retardé : on dispose alors d’un peu de temps pour organiser l’action. À partir de ces cartographies des risques, les entreprises construisent des plans d’action, avec des moyens dédiés. C’est ce qui nous manque dans l’élaboration des politiques publiques. J’ai relu les trois plans que j’ai évoqués : stratégie nationale de santé, PNSE, PNST. Les arguments ayant amené leurs concepteurs à choisir des priorités ne sont pas fournis dans ces plans, du moins pas de manière systématique, telle qu’une cartographie des risques permet de le faire.

Je sais que l’exercice est difficile. J’ai eu à préparer le premier PNSE. J’ai collaboré au premier PNST, qui était naturellement dirigé par la direction générale du travail, mais en bonne intelligence avec la DGS. Je ne dis pas « y a qu’à, faut qu’on ». Cet exercice est difficile, mais il est nécessaire. Il est de plus facilité aujourd’hui par l’existence d’agences de qualité : l’Anses, Santé publique France, l’INERIS, l’IRSN, l’INRA, certaines unités de l’INSERM, etc. garantissent de disposer du soutien scientifique nécessaire à l’organisation de ce travail.

Enfin, même si je sais que cela est difficile politiquement, il vaut mieux définir cinq priorités et y affecter des moyens et des plans d’action, avec un dispositif de suivi sérieux, que de se disperser, car on n’obtient alors que très peu de résultats tangibles. Il faut expliquer à la population qu’on ne peut pas résoudre tous les problèmes à la fois. Il est frappant de constater que les politiques publiques comportent aujourd’hui une trentaine d’énoncés de priorités, sans budget clairement affecté aux plans d’action.

Or, tout cela crée un état de défiance. Des études extrêmement sérieuses le montrent. Il ne s’agit pas seulement d’une opinion. L’excellent observatoire des risques de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire mène depuis vingt-cinq ans de véritables études, qui ne sont pas de simples sondages. Y participent des sociologues, des psychologues, des épidémiologistes, des statisticiens de très haut niveau. Les données qui en résultent sont très facilement accessibles en ligne. Sur de nombreuses questions, les Français estiment majoritairement qu’on ne leur dit pas la vérité. Deux facteurs structurent l’opinion face aux risques environnementaux. Le premier facteur est, logiquement, l’importance du risque perçu. On ne prend cependant pas suffisamment garde au deuxième facteur, qui est l’incertitude. Ce qui est incertain fait plus peur que ce qui est certain. Un certain discours rationaliste traite la population comme irrationnelle : je ne suis pas d’accord. Il suffit de réfléchir à nos comportements dans la vie quotidienne pour réaliser que, vis-à-vis de nous et surtout de nos enfants, nous faisons plus attention dans un environnement incertain que dans un environnement certain et familier. Il s’agit d’une caractéristique générale de la psychologie humaine. Ce qui est incertain fait peur, indépendamment du niveau de risque. C’est pourquoi il est essentiel de fournir à la population un interlocuteur unique, qui ne la laisse pas dans le brouillard et dans l’incertitude, car l’incertitude fabrique l’inquiétude. Même en tant qu’épidémiologiste, je ne recommanderais donc pas une approche conduisant à définir les priorités sur une base purement épidémiologique et rationnelle. Il faut croiser cette dimension épidémiologique avec ce que l’on sait de la perception sociale des risques, et notamment des secteurs qui suscitent le plus d’inquiétudes. À défaut de procéder ainsi, on ne peut pas comprendre pourquoi les OGM font si peur, alors qu’ils ne présentent aucun risque démontré. Ce n’est pas irrationnel : les gens savent qu’il existe des controverses sur les OGM, et qu’ils sont soutenus par de puissants intérêts industriels. Ils n’ont pas confiance.

La préoccupation est insuffisamment présente de savoir comment gouverner l’incertitude et créer la confiance. Je m’adresse aussi cette critique. Lorsque j’ai créé le premier PNSE, je n’ai pas tenu compte de ces facteurs. Avec l’expérience et le recul, je partirais toujours des grands problèmes de santé et d’environnement qui se posent à nous, mais en intégrant la manière dont la population vit ces problèmes, car la finalité d’une politique publique est de répondre aux besoins de la population. Même si ces besoins ne sont pas nécessairement formulés en termes épidémiologiques, c’est la population qui a raison. C’est la manière dont la population définit sa préoccupation qui doit constituer la préoccupation des décideurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette présentation liminaire.

Ce que vous dites réveille ma formation de psychosociologue. Ces questions tendent à être abordées sous un angle scientifique, que l’on croit partagé, en oubliant la dimension de l’impact psychologique, qui est déterminant pour la tranquillité démocratique. Toute méfiance à l’égard d’un gouvernement présente en effet un risque pour le fonctionnement et la stabilité de nos institutions démocratiques. Surtout en ruralité, où l’information est davantage filtrée, des interrogations apparaissent, qui sont relayées et amplifiées à des fins politiciennes. Je vous remercie donc de souligner cette dimension, qu’on a trop tendance à oublier dans la définition de nos stratégies.

Mes questions portent également sur la manière dont vous intervenez dans ces dispositifs de politique publique, comme enseignant, notamment au CNAM. Quel contenu dispensez-vous à vos étudiants ? De nombreuses auditions ont souligné à quel point la formation des professionnels et l’information publique sont déterminantes pour évoluer avec l’ensemble de la population, et non au seul niveau administratif, ministériel et politique parisien. Il faut diffuser largement l’information pour pouvoir mobiliser et limiter les risques d’incertitude, donc de crainte et de contestations. Quel est le contenu de cette formation ? Vous avez dit que vos étudiants étaient déjà engagés dans une vie professionnelle. Quel lien existe-t-il entre votre enseignement et la santé environnementale ? Enfin, vous avez indiqué que les politiques publiques devraient s’inspirer du pragmatisme d’approche de la santé environnementale dans les entreprises, même si elle ne constitue pas une « panacée ». Ce pragmatisme tient au fait qu’une entreprise doit assurer sa survie économique et son image de marque vis-à-vis du public. Elle suit donc une méthodologie de marketing qui pourrait servir d’exemple à nos politiques publiques.

M. William Dab. Je donnerai aujourd’hui un cours intitulé « Pourquoi évaluer les risques ? ». Il constitue le premier cours d’un module de sécurité sanitaire. J’y pars d’une définition large de la santé. Tout ceci figure en réalité dans le Que sais-je ? que j’ai écrit.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’ai oublié de signaler que vous êtes l’auteur d’un petit ouvrage remarquable. On sait que les Que sais-je ? sont très bien écrits et surtout très accessibles aux personnes non savantes. Celui-là est particulièrement bien fait.

M. William Dab. J’ai fini par l’écrire, car les étudiants me le demandaient. J’y explique que la santé est multi-déterminée. Or, nous sommes dans un pays où la pensée médicale est très forte. Tout au long du XXe siècle, les progrès de la médecine, de l’hygiène et des antibiotiques nous ont fait oublier le rôle de l’environnement comme déterminant de la santé, un enjeu très présent au XIXe siècle. Même Pasteur à la fin de sa vie a dit : « Le microbe n’est rien, le terrain est tout ».

Nous expliquons ensuite à nos étudiants les quatre grands déterminants de l’état de santé de la population : la médecine ; les comportements individuels ; la génétique et la biologie ; les environnements, en particulier général et professionnel.

Nous leur présentons ensuite les deux grands modèles qui permettent de penser les relations entre l’environnement et la santé. Selon le premier modèle, que j’appelle pasteurien, un facteur entraîne une maladie. Ce modèle n’est pas erroné : seule l’exposition au plomb entraîne le saturnisme ; seule l’exposition à l’amiante entraîne le mésothéliome ; etc. En revanche, ce modèle est partiel. Le modèle qui a émergé grâce à l’épidémiologie, dans les années 1950, est multifactoriel. Même si elles ne sont pas totalement unifactorielles, les maladies infectieuses relèvent certes, comme le rappelle l’actualité, du modèle pasteurien. Lorsqu’on n’est pas exposé au microbe, on ne développe pas la Covid -19. Pour toutes les maladies chroniques, il en va autrement : cancers, maladies cardiovasculaires, maladies digestives, maladies neurologiques, maladies rhumatismales, etc. sont autant de maladies dans lesquelles les quatre grands déterminants de l’état de santé jouent, et notamment l’environnement. C’est pourquoi, lorsqu’on me demande quelles sont les maladies de l’environnement, je réponds : toutes. Hormis les maladies purement génétiques (qui sont une centaine sur les 5 000 maladies répertoriées), toutes les autres maladies sont en partie liées à l’environnement. Des travaux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), que je cite dans mon cours, permettent de distinguer, pathologie par pathologie, la part contributive de l’environnement dans le fardeau de chaque maladie.

Mon équipe se constituait de juristes, de mathématiciens, de statisticiens, d’hygiénistes, d’ingénieurs. Je parle au passé, car je suis maintenant professeur émérite, même si le concours de ma succession n’a pas encore été ouvert. La doctrine de mon équipe repose sur l’idée que pour prévenir un risque, il faut le mesurer. On n’améliore que ce que l’on mesure. Une fois ces grands concepts présentés, nous apprenons à nos étudiants comment mesurer le risque. Nous leur apprenons quels outils permettent de mesurer les expositions. Sans chercher à faire de nos étudiants des épidémiologistes, car ce n’est pas le but de la formation, nous leur apprenons à lire des travaux épidémiologiques, pour qu’ils puissent se faire une idée de la qualité du niveau de preuve apporté ; nous leur apprenons à lire les travaux des agences de sécurité sanitaire, pour comprendre comment elles raisonnent et synthétisent les données toxicologiques ou épidémiologiques disponibles ; et nous leur enseignons les méthodes d’évaluation quantitative des risques sanitaires. Ces méthodes ont maintenant une quarantaine d’années et sont très utilisées, notamment par l’ensemble des agences de sécurité sanitaire. J’ai d’ailleurs formé une grande partie des personnes qui travaillent dans ces agences, en évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS).

J’ai forgé cette doctrine, avec mes collaborateurs, en prenant du recul sur mes années de décideur et de gestionnaire. Je me suis en effet aperçu que, parmi tous les dossiers sur lesquels la DGS est intervenue, chaque fois que nous avons pu quantifier, même approximativement, un risque, sa gestion est restée relativement facile. Lorsque nous ne l’avons pas fait, nous avons plutôt vécu des moments critiques. Cela a par exemple été le cas pour l’Erika. Au tout début de la marée noire, le discours sanitaire était plutôt rassurant, ce qui semblait une évidence du point de vue de l’expertise et de l’épidémiologie. Pourtant, les goudrons, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, sont notoirement cancérigènes. Ce mot a suscité une émotion particulière dans l’opinion, et j’ai convaincu la ministre de l’époque, Mme Dominique Gillot, de lancer ce qui reste encore aujourd’hui en France la plus grande évaluation quantitative des risques sanitaires jamais réalisée. Commencée en mars, elle a été terminée en mai. Grâce à elle, 95 % des plages du littoral atlantique ont été ouvertes et fréquentées à l’été 2000, sans aucune plainte.

Je cite souvent un autre exemple. La décennie 1980 avait été celle de la transmission transfusionnelle du SIDA. La décennie 1990 avait été celle de la vache folle. Lorsque je croisais les deux, j’obtenais la possibilité d’une transmission transfusionnelle du prion. Je l’envisageais régulièrement, en arrivant le matin au bureau, comme la pire des catastrophes que je pourrais avoir à gérer au sein de ma propre cartographie des risques. Et c’est arrivé. L’Institut de veille sanitaire m’a prévenu, un soir, que les huitième et neuvième cas de maladie de Creutzfeldt-Jacob en France avaient été donneurs réguliers de sang, avant qu’on apprenne qu’ils étaient atteints de cette maladie du prion. Les plus hautes autorités ont été immédiatement prévenues, car le retentissement et l’émotion étaient évidemment considérables. L’été précédent, dans le British Medical Journal, un article convaincant avait en effet montré que les transfusions de globules rouges pouvaient transmettre le prion. Or, le don du sang permet de transfuser des globules rouges, mais aussi de produire du plasma, qui sert à fabriquer des médicaments dérivés du sang.

Grâce à la traçabilité de l’Établissement français du sang et de l’AFSSAPS de l’époque, les 24 patients ayant reçu des globules rouges issus de ces lots avaient pu être retrouvés immédiatement. Les globules qui n’avaient pas été consommés avaient été immédiatement retirés de la circulation. Gérer 24 patients est facile : cela relève d’une décision médicale. Nous avons pris contact avec leurs médecins et leur avons expliqué la situation. La plupart de ces patients étaient extrêmement malades, raison pour laquelle ils avaient été transfusés : nombre d’entre eux étaient atteints du cancer, etc. En discutant avec ces médecins, je me suis donc vite rendu compte que ce n’était pas le prion qui tuerait leurs patients. Les médecins avaient toutefois été prévenus de l’existence d’un risque, et la question avait été réglée.

Savoir combien de personnes avaient pu recevoir des médicaments à partir du plasma dérivé du sang de ces donneurs était plus difficile, car la traçabilité était moins bonne. L’AFSSAPS a toutefois réalisé un travail extraordinaire, m’ayant appelé quelques jours plus tard pour m’indiquer un nombre de personnes évalué à 70 000. La décision n’était alors plus médicale, mais de santé publique. Les juristes me conseillaient, pour ma propre sécurité juridique, de tout faire pour retrouver ces 70 000 personnes et les informer. Le médecin qui sommeillait en moi se demandait toutefois quoi leur dire : « Vous avez peut-être reçu du prion, je n’ai pas de test à vous proposer, je ne sais pas si vous serez malade, et je ne dispose d’aucun traitement. Toutefois, je vous ai prévenus ». J’ai saisi le comité consultatif national d’éthique, qui a conclu comme moi qu’il était impossible de procéder de cette manière du point de vue de l’éthique médicale, même si cela m’aurait davantage tranquillisé juridiquement. Comme j’avais longuement réfléchi au problème auparavant, j’ai demandé une quantification du risque. Elle a été réalisée, avec beaucoup de difficultés, car nos agents avaient commencé par estimer qu’elle serait impossible, faute des outils requis. En tant que gestionnaire, je ne pouvais pas me charger moi-même de cette évaluation des risques : je voulais qu’elle soit menée indépendamment du système de décision. Finalement, cette expertise a été réalisée, avec une aide britannique, et surtout celle de Stanley Prusiner, prix Nobel.

Dans le pire des scénarios, en forçant toutes les hypothèses les plus pessimistes, l’excès de risque était minime. J’ai donc soutenu la position qu’il ne fallait rien dire aux 70 000 personnes en question. Politiquement, c’était inaudible. Le 1er mars 2005, je me suis rendu en conférence de presse pour expliquer la position de la direction générale de la santé, et en quoi consistait l’évaluation des risques. Le président de l’association française des hémophiles, M. Edmond-Luc Henry, avec qui j’avais longuement parlé de ce dossier, était à mes côtés. Il m’avait dit que, selon lui, j’avais cette fois utilisé les données de la science aussi bien qu’on pouvait le faire, pour cerner les incertitudes. Je lui ai demandé de le déclarer publiquement, sans prendre parti sur la justesse ou non de ma position. Ce n’était pas son rôle : il devait conserver une position critique, compte tenu de ce qu’il représentait, et du tribut que les hémophiles avaient payé au SIDA. S’il était en désaccord avec ma position, je lui ai demandé de le dire, évidemment. Il a dit publiquement que nous avions utilisé les données aussi bien que possible. J’ai quant à moi expliqué publiquement ce jour-là que tout ce que nous pourrions faire vis-à-vis de ces 70 000 personnes aurait plus d’inconvénients que de bénéfices pour elles. Au nom du principe de précaution, nous préconisions donc de ne rien faire. Cela montre d’ailleurs bien que tous ceux qui font du principe de précaution un principe de surenchère se trompent. Au nom du principe de précaution, nous nous sommes abstenus. J’ai ajouté, malgré les communicants qui me le déconseillaient, qu’il s’agissait de notre position de départ et que nous la réviserions, si elle n’était pas comprise dans le pays. Il paraît que l’État ne doit pas dire cela.

En réalité, j’ai beaucoup appris de cet événement. Cette affaire a fait la une des journaux, mais seulement vingt-quatre heures. Tout le monde l’a aujourd’hui oubliée. Nous n’avons reçu aucune lettre, aucune plainte, aucune protestation nous disant que cette position était trop laxiste, que nous étions des négationnistes du risque et que nous ne prenions pas les responsabilités et les décisions qu’il fallait. C’était pourtant pour moi le pire des cauchemars. Nous nous en sommes sortis, parce que nous avons établi une quantification des risques, en retenant, dans toutes les situations d’incertitude scientifique (c’est-à-dire en l’occurrence dans toutes les situations), le scénario le plus défavorable, c’est-à-dire le plus favorable à la santé.

La doctrine scientifique de mon équipe a donc été forgée sur la base de tels exemples. On ne peut améliorer que ce que l’on mesure. Or, aujourd’hui, nous disposons des outils scientifiques requis à cette fin. Dans le cas du prion, ils étaient trop rudimentaires : il ne s’agissait pas encore de science, mais de « bricolage », à des fins d’aide à la décision. En l’absence d’avis de la science, comment pouvais-je prendre une décision, ou plutôt recommander au ministre de prendre une décision ? Toutefois, nous avons « bricolé » intelligemment, et surtout de manière scientifique, c’est-à-dire réfutable. Il était toujours possible de revenir sur les hypothèses retenues pour les modifier, et examiner ce qu’il en résultait pour le résultat final. À la lecture du rapport d’expertise, M. Edmond-Luc Henry m’a d’ailleurs suggéré de retenir une autre hypothèse concernant la dose minimale infectante. J’ai demandé aux agences de refaire les calculs de modélisation sur cette base : le changement n’affectait que la huitième décimale après la virgule. M. Edmond-Luc Henry m’a remercié : il avait obtenu la réponse à la question qu’il se posait. Il était écouté. La science avait parlé, et il écoutait la science en retour. C’est la meilleure chose à faire.

Évidemment, nos étudiants apprennent ensuite à transformer ces évaluations de risques, ces cartographies de risques, en plans de gestion : comment établir des priorités, affecter des ressources, qu’est-ce qu’une démarche de programmation de l’action, quels indicateurs d’évaluation a-t-on besoin de suivre, comment réaliser des évaluations économiques, comment calculer le retour sur investissement ? Ce dernier point est très important dans les entreprises : depuis qu’on sait calculer le retour sur investissement des actions de prévention, le regard des entreprises a totalement changé sur la prévention. Elle était jusque-là considérée comme une obligation réglementaire imposée de l’extérieur à la société. Mais montrer à un entrepreneur qu’investir un euro en prévention en rapporte deux en dix-huit mois change totalement son regard. Lorsque nous apprenons à nos étudiants à améliorer et renforcer l’action des entreprises en matière de santé-environnement, comme en matière de santé au travail, nous leur apprenons à choisir les actions qui présenteront le meilleur rendement. Cela peut paraître cynique, mais au stade de relative faiblesse où nous nous trouvons, il faut partir de ce qui motivera les entreprises. Un mouvement sera ainsi généré, dont résulteront d’autres actions.

Notre approche consiste ainsi, fondamentalement, à apprendre à nos étudiants à raisonner en termes de population. Les ergonomes et les psychologues raisonneront davantage en termes de personnes, de postes de travail, etc. : tout cela est important. Nous apprenons aussi ces approches à nos étudiants, qui sont formés de façon pluridisciplinaire. Nous collaborons avec la chaire de psychologie du CNAM, et avec les sociologues du CNAM, lequel constitue à cet égard un établissement fantastique, puisque nous avons la chance qu’il regroupe toutes ces spécialités. Ainsi, nos étudiants reçoivent des cours d’ergonomie, et pourront obtenir un master d’ergonomie, s’ils veulent devenir ergonomes. Ils reçoivent des cours de droit de l’environnement et de droit du travail. Toutefois, s’ils suivent nos cours, c’est parce qu’ils souhaitent acquérir des compétences en évaluation quantitative des risques et en raisonnement populationnel. Le raisonnement populationnel n’est pas plus important qu’un autre, mais il doit être couplé avec le raisonnement individuel pour répondre au mieux aux besoins des entreprises, et surtout de la population.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette réponse, qui montre combien la fonction de directeur général de la santé est elle-même un métier à risque. Vous-même avez dû faire une évaluation des risques que vous preniez en tant que responsable des décisions à prendre. On sent combien cette période de gestion de la crise du prion vous a profondément marqué, mais vous a aussi permis d’établir une méthodologie, qui ne puisse pas être contestée, et qui donc réponde au besoin de certitude et de réconfort que vous avez évoqué au début de votre intervention.

Je vous propose de revenir au cadre officiel de cette commission d’enquête, et à votre regard sur les PNSE. Nous avons entendu les inspecteurs de la santé et de l’environnement en charge de l’évaluation du PNSE3. Leurs conclusions étaient extrêmement critiques, non seulement, quant au contenu de ce plan, mais aussi, quant à l’inefficacité de nos politiques publiques. En contrepoint de cette critique acerbe, une autre personne auditionnée a tout de même souligné, même si c’était de manière rapide, l’intérêt de disposer d’un tel outil de politique publique, qui n’existe officiellement dans aucun autre pays d’Europe. Toutefois, un outil qui ne sert à rien, non seulement est inutile, mais génère plutôt de la frustration, en n’étant pas à la hauteur des espoirs qu’il suscite. Dans le cadre de cette inspection, vous-mêmes aviez tenu des propos très sévères concernant le PNSE3, en parlant du « désert » des politiques publiques en matière de santé environnementale, et en soulignant à quel point il était préoccupant que nous en soyons encore là aujourd’hui. Je souhaiterais donc que vous reveniez sur cette évaluation critique. Comment avez-vous été amené à cette conclusion, et que pourriez-vous nous proposer ? L’objectif est en effet de trouver des pistes d’amélioration, et non de s’en tenir à votre opinion personnelle extrêmement négative concernant le bilan de ce PNSE3. L’opinion des directeurs d’administration qui ont été auditionnés dans cette commission d’enquête était d’ailleurs très atténuée à cet égard.

Pourriez-vous nous rappeler pourquoi le PNSE3 a constitué, selon vous, une catastrophe managériale, ou de gouvernance ? Faut-il incriminer une incurie, un manque de partage de données ? En quoi ce PNSE3 a-t-il failli aux objectifs annoncés, et comment faudrait-il s’y prendre pour que les bonnes volontés, qui sont extrêmement nombreuses – comme le montre le nombre des bénévoles mobilisés dans le groupe Santé-environnement (GSE) –, soient réellement mises à contribution ? Quels blocages avez-vous identifiés ? Comment pourrions-nous évoluer collectivement vers une politique beaucoup plus efficace ?

M. William Dab. Les priorités du PNSE3, telles que je les ai listées dans ma note, étaient les suivantes : cancers liés à l’amiante, radon, perturbateurs endocriniens, obésité, risques reprotoxiques et neurotoxiques, métaux lourds, épidémie dans le contexte du changement climatique, qualité de l’air intérieur, bruit. Tous ces objectifs étaient pertinents. Outre la nécessité, que je soulignais en introduction, d’enrichir cette vision des priorités, issue d’une appréciation scientifique et technique, d’une approche par les préoccupations de la population, il faut également, pour améliorer ces politiques, penser en termes de gouvernance de l’action. Nous disposons à cet égard de bons modèles. Certaines politiques publiques nous en ont fourni. Le premier programme national nutrition santé (PNNS) date de 1999. Il se poursuit, et ses priorités ne changent pas tous les quatre ans. En effet, ces plans constituent des « paquebots », non des « hors-bord ». Il leur est donc nécessaire de s’inscrire dans une continuité. De problèmes de ce type ne se résolvent pas en « claquant des doigts », grâce à trois ou quatre ans d’action. Le PNNS dispose d’une structure de fonctionnement clairement identifiée ; d’un pilote clairement identifié (la direction générale de la santé, même si elle travaille naturellement en lien avec la direction générale de l’alimentation) ; d’un pilote scientifique ; d’actions qui ont été phasées dans le temps et à qui des budgets et des moyens spécifiques ont été attribués ; et d’objectifs quantifiés, qui avaient été annoncés dès le départ avec un système d’indicateurs de suivi. Changer les comportements alimentaires est extrêmement difficile, mais je porte un regard positif sur le PNNS : sans lui, nous ferions face à une épidémie d’obésité beaucoup plus sévère encore qu’actuellement. Pour cela, il aura fallu vingt ans d’une politique qui a été suivie, avec des méthodes précises, et qui a su faire des alliances avec les industriels. La bataille du nutriscore est en train d’être gagnée : Danone, Franprix placent des nutriscores sur tous leurs produits, parce que l’appareil scientifique et de gouvernance impliqué est très puissant et solide. Par conséquent, même les puissants, qui voient leurs intérêts dérangés par la prévention, finissent par fléchir.

De même, les plans nationaux cancer sont évalués et donnent des résultats, en prévention et surtout en soins, très favorables. Or, ils utilisent les mêmes méthodes de planification et de programmation que le PNNS, avec l’Institut du cancer dans le rôle de pilote.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il s’agit en l’occurrence de plans monothématiques, qui sont beaucoup plus faciles à conduire.

M. William Dab. Je suis d’accord, même si le cancer regroupe des centaines de maladies. La nutrition est également un champ très vaste, car la relation entre notre mode d’alimentation et la santé touche l’ensemble des pathologies organiques, et parfois même les pathologies mentales. Plus que monothématiques, ces plans sont surtout « monopilotes ». Un comité de pilotage « chapeau » est nécessaire, avec une présence réelle des directeurs d’administration centrale concernés, et non de leurs bureaux. L’impulsion doit venir des directeurs ou directrices. Ensuite, il faut répartir équitablement le pilotage de chaque partie des plans pour qu’un pilote soit clairement repéré pour chacune d’elles. Cela ne signifie pas que les autres acteurs ne feront rien. S’agissant des métaux lourds, par exemple, le ministère de l’environnement pourra prendre le leadership, puisque les sources d’exposition aux métaux lourds viendront principalement du sol ou des aliments. Cela ne veut pas dire que la DGS ou la DGAL n’apporteront pas une contribution, mais dans un cadre clair de pilotage. Le pilote doit alors disposer d’une enveloppe de moyens, au niveau national comme régional, et construire une stratégie en la concertant, y compris avec la population, les élus et les collectivités. Il doit être accompagné d’une expertise, lui fournissant les indicateurs à suivre pertinents, avec un système d’enquête afférent. S’agissant des métaux lourds, il faudra, par exemple, réaliser des prélèvements d’urine sur des échantillons représentatifs de la population, ou, pour le mercure, prélever des mèches de cheveux afin d’effectuer des mesures d’imprégnation. L’Anses ou Santé publique France savent parfaitement le faire, mais il s’agit de coordonner l’ensemble de ces actions. Surtout, il faut se donner des objectifs quantifiés, non par fascination des chiffres, mais parce qu’il faut se doter d’un tableau de bord. Si les objectifs ne sont pas atteints, ce n’est pas une catastrophe. Cela ne signifie pas que l’on a mal travaillé. C’est que, peut-être, des erreurs ont été commises dans la conception du plan ; peut-être les moyens n’étaient-ils pas suffisants ; peut-être n’ont-ils pas été déployés à bon escient, etc. L’important est qu’on apprend de ses erreurs. Il n’est pas possible de faire bien du premier coup.

Enfin, il ne faut pas changer de priorité trop souvent. En réalité, le véritable problème auquel nous sommes confrontés est que nous n’avons pas de politique de sécurité sanitaire. Dans un domaine aussi important, nous ne disposons pas d’une politique générale dans laquelle l’environnement, l’alimentation et le travail seraient correctement intégrés. C’est ce qui, fondamentalement, fait défaut. Nous disposons d’institutions de sécurité sanitaire (d’agences, d’administrations, etc.). Dans notre pays, on pense que, face un problème, il faut créer une institution, et que cela suffira à le résoudre. C’est utile, mais ce n’est pas suffisant. Nous n’avons pas de doctrine de sécurité sanitaire. Nous sommes ballottés par l’actualité, par la pression des événements. En prenant un peu de recul (ce qu’un universitaire sait faire), on s’aperçoit des différences très importantes d’allocations de ressources qui existent entre les différents secteurs de la sécurité sanitaire, précisément parce que nous n’avons pas de doctrine partagée.

Pour définir une politique de sécurité sanitaire, la question qui se pose à notre société, et dont nous devrions débattre collectivement, est la suivante : comment gouverne‑t‑on l’incertitude dans une société comme la nôtre ? L’exemple du prion auquel j’ai été confronté (mais je pourrais en prendre d’autres) m’apporte la réponse suivante : il est possible de parler d’incertitude à la population. Il n’est pas nécessaire de faire croire qu’on sait, alors qu’on ne sait pas. La France est un pays où, malgré des inégalités énormes, la population est relativement éduquée. Même si cela commence à dater, j’ai passé dix ans de ma vie dans les services de recherche médicale d’EDF, à un moment où une réelle interrogation portait sur le caractère cancérigène ou non des champs électromagnétiques, de 50 hertz, produits par l’électricité. Cette interrogation n’a pas totalement disparu, même si nous y voyons désormais beaucoup plus clair. J’ai mené des dizaines de débats publics à l’époque, non pas pour porter la parole d’EDF (qui n’avait d’ailleurs pas de conviction à ce sujet : les directeurs et présidents successifs disaient que leur conviction serait celle de la science), mais pour expliquer les programmes de recherche mis en place par EDF pour répondre à cette question. En même temps, lorsqu’on me demandait de rassurer la population, je m’y refusais. J’étais en train d’expliquer que des centaines de millions de francs de l’époque étaient investis dans un programme de recherche : il n’aurait pas été crédible de nier qu’ils répondaient à une préoccupation. J’assumais donc le fait de dire qu’on ne savait pas. Je reconnaissais qu’il était possible que l’électricité soit cancérigène : j’indiquais que nous le reconnaissions, et que nous travaillions dessus. J’ai tenu le même discours lorsque nous avons ouvert la ligne qui a permis de mettre en service la centrale de Civaux (qui est la dernière à avoir été construite en France). Même au fin fond du Poitou-Charentes, un tel discours est compris. Les gens vous remercient de ne pas essayer de les convaincre, mais de leur présenter les arguments favorables, les arguments plutôt rassurants, et les travaux que mène une entreprise comme EDF pour essayer de répondre à ces interrogations. C’est ce type de débats qui doit aboutir à l’élaboration d’une politique de sécurité sanitaire, qui soit partagée avec le pays et entre tous les ministères, et qui soit portée (au regard de l’importance du sujet) par le Premier ministre.

À mon sens, l’enjeu justifie la mise en place d’un véritable ministère du risque. Le ministère de la santé pourrait ainsi rester le ministère des soins : la tâche est suffisamment vaste. Le risque est aujourd’hui un objet de politique publique tellement dilué qu’il est rare de faire ce qu’il faut, au moment où il le faut, avec les moyens qu’il faut. En effet, nous sommes purement réactifs dans ce domaine. Nous ne sommes pas proactifs. Or, nous avons les moyens de l’être aujourd’hui. Mais il faudrait une réforme de l’organisation des pouvoirs publics et de l’État pour éviter que les plans présentés se réduisent à des effets d’annonce. De tels effets d’annonce, qui ne sont pas suivis d’effets réels, effondrent la confiance de la population. Et il est impossible de gérer du risque sans avoir la confiance de la population, car gérer du risque, c’est gérer de l’incertitude. En l’absence de confiance des parties prenantes, il est normal qu’elles demandent un surdimensionnement des moyens permettant d’assurer leur protection.

Grâce à la psychosociologie, à l’épidémiologie, à l’expologie, et au savoir-faire dont nous disposons en matière d’élaboration de politiques publiques, avec les modèles que j’ai évoqués, nous disposons aujourd’hui des moyens de faire bien mieux, sans que cela coûte plus cher. Cela coûterait même peut-être moins cher, mais se pose un vrai problème de gouvernance, de choix de priorités et de relation avec la population, les élus, les corps intermédiaires, les associations, etc. Nous avons la chance en France de disposer de tous ces interlocuteurs. Discuter avec des membres de France Nature Environnement, ou de l’Association française des hémophiles, n’est jamais une perte de temps. Ils ne se complaisent pas dans une position d’accusation, comme certains membres d’associations radicales, qui existent certes aussi, et avec lesquels il est très difficile d’avoir un dialogue construit.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez dressé un bref historique des politiques publiques en santé environnementale montrant qu’elles avaient été quasi-improvisées en situation de crise. Une trentaine de plans sectoriels « en silos » se juxtaposent au gré des thématiques qui prennent le dessus à certaines époques. Si l’existence de tels plans, pour des thématiques comme le cancer, se comprend et se justifie, il en existe aussi pour des sujets extrêmement précis, et la distribution des fonds entre ces thématiques laisse parfois perplexe. Le plan Nutrition par exemple n’a reçu que 40 millions d’euros, alors que le grand plan pour l’autisme a reçu 400 millions d’euros. Je ne remets pas en cause la pertinence de l’objectif poursuivi par ce plan ou de la somme qui lui a été consacrée. Aucune explication n’est cependant fournie des écarts considérables d’investissement entre les différents plans et leurs objectifs ne sont pas indiqués.

La structure de certains plans sectoriels a en effet permis leur efficacité. Le plan cancer constitue une très belle réussite, mais il a aussi bénéficié d’un engagement au plus haut niveau de l’État, avec une volonté politique affichée. Peut-être peut-on également établir un lien de causalité entre cette volonté et l’importance économique des enjeux de recherche afférents, notamment dans le secteur des laboratoires et des thérapeutiques. Cette juxtaposition de plans fait en tout cas que nombre d’entre eux se poursuivent hors du plan santé environnementale, comme s’ils n’en relevaient pas, alors que ce plan est supposé national. Aucun retour n’est fourni sur l’évaluation de l’efficacité et de l’opérationnalité de ces dispositifs, qui présentent des superpositions et des oublis. Il en résulte l’impression d’une myriade de démarches, sur lesquelles aucun retour, aucune prise et surtout aucune vue d’ensemble ne sont possibles.

J’entends avec intérêt votre proposition d’un ministère du risque ou de l’incertitude. J’en vois l’intérêt politique majeur, mais je saisis moins la méthodologie que vous proposeriez de suivre. La Convention citoyenne sur le climat a ouvert les yeux de nombreux décideurs, y compris au niveau de l’État, sur l’intérêt de lancer ce genre de débats. La demande est très forte, comme on l’a vu avec le mouvement social des Gilets jaunes et le Grand débat qui l’a suivi. Il s’agit bien d’une revendication de la population française. Toutefois, on ne sait pas toujours comment s’y prendre. J’ai moi-même été élue locale d’une très grande ville, et même conseillère métropolitaine d’une grande métropole, et j’ai pu voir que, chaque fois qu’on cherche à mettre en place une démarche d’ouverture, visant à associer la population, il est rare qu’on obtienne en retour une participation effective. Les gens veulent participer, mais lorsqu’on leur offre la possibilité de le faire, ils contestent le cadre prévu pour cette participation, soupçonnent des conclusions déjà écrites, et subodorent une manœuvre politique, de sorte qu’on a toujours affaire aux mêmes personnes : celles en âge d’être disponibles, notamment parce qu’elles sont à la retraite, ou les représentants des associations. Il est donc parfois frustrant de chercher à ouvrir réellement le débat avec les citoyens.

La Convention citoyenne sur le climat s’est avérée très fructueuse, mais il a fallu passer par une période de formation, parce que personne n’est omniscient et que la complexité des sujets rend compréhensible le besoin d’un regard d’expert. Surtout, il est frappant que cette Convention n’ait absolument pas abordé les questions de santé environnementale, grandes absentes de cette réflexion. Cela signifie que les experts venus « évangéliser » les participants à cette Convention n’étaient pas au courant de cette problématique, alors même qu’en pleine période de Covid -19, les questions de zoonose et de trop grande proximité entre l’univers humain et l’univers animal sont particulièrement d’actualité. Comment se fait-il que, dans de grands débats publics, on oublie de parler de la santé environnementale ? Peut-être ce concept même, et cette terminologie, ne sont-ils pas suffisamment clairs. À ma grande surprise, j’entends dire autour de moi qu’il s’agit d’une thématique émergente, alors qu’il s’agit d’une question fondamentale de survie de l’organisme humain. Lorsque j’essaye d’expliquer ces problématiques avec des mots simples, on me répond généralement qu’il s’agit en effet de bon sens.

Par ailleurs, comment peut-on ouvrir un débat public sur autant de sujets en même temps ? J’anime actuellement le groupe de travail d’un think tank sur la santé environnementale : nous avons commencé par découper la question en sous-groupes thématiques, ce qui s’est avéré un travail infini, car chaque sous-groupe pouvait à son tour être découpé en sous-thèmes. Lorsque je communique sur ces questions, j’établis moi-même en général une liste de tous les risques impliqués : les risques liés au réchauffement climatique, aux expositions à la chimie, aux pollutions, les risques émergents, etc. J’ai alors surtout l’impression de contribuer à l’inquiétude générale par une telle énumération. Quelle méthodologie préconiseriez-vous ? J’entends votre souci de diminuer le caractère anxiogène des politiques publiques. La crise de la Covid-19, notamment, fait que la perte de confiance à l’égard des politiques et des élus est particulièrement aiguë actuellement. Toutefois, je ne vois pas bien comment, concrètement, gérer ce problème.

M. William Dab. Honnêtement et modestement, je ne suis pas sûr d’avoir la réponse à cette question.

Une expérience m’a beaucoup marqué. Peu après mon départ de la DGS, mon successeur Didier Houssin m’a demandé de réfléchir à un dispositif de débat sur les aspects de sécurité sanitaire des nanotechnologies. Il en a résulté une initiative qui s’est appelée le NanoForum du CNAM, dont les traces se retrouvent facilement sur Internet. Nous aurions pu aborder la question comme des universitaires chercheurs classiques : dresser une liste de thèmes et d’invités pour « porter la bonne parole », mais je commençais déjà à tirer les leçons de mon expérience des années précédentes, et à vouloir procéder autrement.

Pour ne pas émettre seul les propositions à cet égard, j’ai mis en place un comité de pilotage pluraliste, incluant la DGS, la direction générale de l’industrie, mais aussi Greenpeace, France Nature Environnement, différentes agences et des journalistes. Nous avons réalisé quelques séances de travail sur la manière de traiter cette question. Je refusais le modèle consistant à faire venir des experts pour nous dire ce qu’il faut penser, tandis que le public assisterait passivement aux séances, en croyant ou non les experts. Collectivement, nous avons ainsi construit le modèle suivant.

En premier lieu, chaque séance était préparée par un texte de problématique, qui ne prétendait pas affirmer la vérité, mais seulement indiquer les questions qui se posaient. La seule préparation d’un tel texte représente déjà énormément de travail. On ne prend pas suffisamment la peine d’élaborer les questions auxquelles on veut répondre. Lorsqu’on le fait, on s’aperçoit alors que, derrière les mêmes mots, les gens ne mettent pas les mêmes choses, et qu’une clarification est d’abord nécessaire à cet égard pour que le débat soit fructueux.

En deuxième lieu, une pluralité de points de vue était prévue à chaque séance du NanoForum : un point de vue scientifique, un point de vue industriel et éventuellement un point de vue associatif.

En troisième lieu, nous avions établi un protocole de bonne conduite. Les débats étaient ouverts, gratuits puisqu’ils avaient lieu au CNAM, mais, avant d’entrer dans la salle, les gens signaient un engagement de bonne conduite et de non-agression : on n’utilise pas l’insulte, on n’utilise pas l’invective, on s’écoute. À une occasion, en position d’animateur, j’ai dû suspendre les débats, parce que cette règle n’avait pas été respectée. J’ai rappelé que les participants avaient signé un engagement, et qu’ils étaient là pour s’écouter, non pour s’affronter ou s’insulter. La personne concernée s’est excusée, reconnaissant s’être laissée emporter. Dans ces conditions, j’ai laissé les débats reprendre. Même les industriels les plus mis en cause m’ont ensuite remercié pour le climat ainsi créé, parce qu’il changeait de la situation d’affrontement habituelle entre les « pour », les « contre », les « forts », les « faibles », etc. Ce protocole, qui devait être signé, a ainsi joué un rôle très important.

Enfin, tout ce qui était dit durant les séances du NanoForum était enregistré et retranscrit, de sorte que j’avertissais les participants qu’ils ne pourraient rien enlever aux propos qu’ils tiendraient. Ils devaient prendre la responsabilité de leurs propos. S’ils venaient à les regretter, une note pourrait être ajoutée en bas de page, mais ces propos ne seraient pas supprimés du compte rendu de la réunion. Je vous garantis que cela a un effet apaisant : les gens sont obligés de vraiment réfléchir à ce qu’ils disent. Ils savent que cela laissera une trace.

Je ne dis pas qu’il s’agit de la bonne méthode. C’est un modèle parmi d’autres.

Le NanoForum s’est arrêté à la demande des pouvoirs publics, qui le finançaient, à hauteur de quelques milliers d’euros. Nous n’avions pas besoin de grand-chose : organiser ce type d’événements relevait déjà de la mission du CNAM. Néanmoins, le gouvernement a fini par saisir la Commission nationale du débat public (CNDP), et nous a opposé qu’il ne pouvait exister deux instances de débat simultanées, ce que nous avons accepté. Nous avons alors écrit un testament du NanoForum, reprenant ce que nous y avions appris, mais surtout concernant les questions qui se posent à notre société pour gouverner le développement des nanotechnologies, dont tout le monde comprend l’importance. Ce débat est similaire à celui qui porte sur la 5G. Un pays sans nanotechnologie risque de devenir un « musée », mais au nom de cela, peut-on faire n’importe quoi en termes de sécurité sanitaire ? Non. Peut-on concilier un développement industriel et la protection de la santé ? Oui. Quel contenu donner au principe de précaution ? La France est imbattable en matière de principes : personne ne nous arrive à la cheville. Nous disposons ainsi d’un principe de précaution. Mais cela ne suffit évidemment pas. Il est d’ailleurs présent aussi dans les traités européens, et dans de très nombreuses lois, y compris à l’Organisation mondiale du commerce. L’important est de disposer d’une procédure de précaution. Le principe ne dit rien. Dans une situation d’incertitude, comment décide-t-on, en démocratie, de ce qu’on peut faire : avec l’aide de quelles mesures, de quels indicateurs d’alerte, de quelles procédures de suivi ? Des milliers d’heures de débat ont eu lieu sur la définition du principe de précaution, mais personne ne s’intéresse réellement à la procédure de précaution : comment décider sous incertitude dans une société comme la nôtre ?

La CNDP est repartie du modèle classique, avec des sachants qui parlent et un public qui écoute. Comme vous vous en rappelez peut-être, elle n’a pas pu terminer son travail, parce que les débats de la CNDP ont été sabotés par des associations radicales. Les dernières réunions de la CNDP se faisaient sous la protection des CRS. On ne peut pas concerter de cette manière.

Il est donc possible de faire évoluer le modèle. Dans le cadre du NanoForum du CNAM, j’avais contacté les associations radicales, notamment l’association Pièces et main d’œuvre, qui était très connue à l’époque, mais dont je n’ai plus entendu parler depuis longtemps. À la lecture de ses textes, il était évident que des scientifiques les avaient écrits, et qu’ils savaient de quoi ils parlaient. Je les ai invités au comité de pilotage : ils n’ont pas voulu y venir, indiquant qu’ils étaient radicalement opposés au fonctionnement de l’État en France. Pour autant, aucune des réunions du NanoForum n’a été sabotée. Je ne dis pas qu’il s’agit du modèle à suivre, mais c’en est un. Dès la conception du débat, il faut associer les parties prenantes. L’organisation même du débat ne doit pas être une production administrative ou politique. Le plus important dans un débat, dans une concertation, c’est la méthode d’élaboration des questions, et elle doit être partagée. Disposer d’un code de bonne conduite, qui a été discuté, a réellement un effet apaisant. Il est possible de dire aux participants qu’ils sont là pour s’écouter, et qu’ils peuvent réserver leurs affrontements pour les plateaux de télévision, qui ne manquent pas. Si on participe à ce débat, c’est pour apprendre de l’autre et pouvoir s’exprimer soi-même, le temps qu’il faut et de manière raisonnable, sans être jamais interrompu. Ces procédures produisent de la confiance et facilitent le débat. D’autres personnes (Michel Callon, Pierre Lascoumes, etc.) ont eu des expériences intéressantes de ce type. En réalisant un partage de ces expériences, il serait possible d’élaborer un protocole de construction d’un débat public qui produirait des situations moins stériles et stéréotypées que celles que vous évoquiez. Il faut à cette fin changer de paradigme dans la manière dont on discute avec la population.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de ces pistes de réflexion. Je partage assez votre opinion selon laquelle le respect de l’interlocuteur rend possibles la confiance et le débat. Et il faut en effet rappeler à cette fin quelques règles du jeu, car, surtout en France, nous sommes habitués à ce que l’émotion prenne le dessus. Un cadre est donc nécessaire pour en rester à des comportements de respect mutuel.

Vous proposez des pistes de solutions, mais je m’interroge sur leur faisabilité au niveau régional, car vous en êtes pour l’instant resté à un niveau très national. De plus, ces pistes restent très théoriques : elles mériteraient d’être développées et étudiées.

Votre approche me semble assez révolutionnaire. Vous dénoncez en conclusion l’absence d’une politique publique de sécurité sanitaire dans notre pays. Il est grave de vous l’entendre dire, d’autant que vous avez certainement pesé vos mots. Or, la solution que vous proposez inverse le processus habituel, puisqu’elle consiste à aller débattre avec les gens. Il faut selon vous que l’ensemble des parties prenantes aient droit à la parole pour qu’elles se sentent respectées, et qu’elles soient ainsi moins belliqueuses ou polémiques. Cette solution reste toutefois extrêmement complexe à mettre en place, puisqu’elle revient à faire en sorte que le peuple s’approprie le contenu d’une politique publique de santé-environnement.

Vous venez de nous suggérer une méthodologie à cette fin, mais au sein d’un cadre déjà défini. Je vous demanderai d’approfondir votre réflexion. Qui devrait selon vous porter ces démarches ? Certaines associations environnementales ont demandé la tenue d’états généraux : cette forme vous semble-t-elle pertinente ? Faudrait-il une convention citoyenne ? Elle devrait alors se tenir aux deux niveaux de participation, nationale et régionale, ce qui m’amène à vous interroger sur la gouvernance territoriale de la santé environnementale. Lors de votre évaluation du PNSE3, vous avez beaucoup critiqué la gouvernance à l’échelle nationale, mais vous n’avez pas étendu cette critique jusqu’à la gouvernance territoriale. Professionnellement, et par votre formation, vous êtes issu du monde de la santé. Vous avez évoqué le fait que les ARS constituent les piliers ou les porteurs de certains contrôles pour lesquels elles disposent de mandats très spécifiques. Je m’interroge sur le bon niveau décisionnaire dans les territoires : s’agit-il du conseil régional, du département, etc. ? Ces niveaux de collectivités territoriales sont extrêmement politisés, ce qui risque d’induire l’instrumentalisation politique de problématiques à caractère général. Faut-il s’adresser aux DREAL, aux services préfectoraux, aux services déconcentrés de l’État ? Faut-il continuer à travailler prioritairement avec les ARS ? Il m’a été signalé que la prise en compte territoriale de ces questions dans les ARS variait énormément en fonction de la personnalité et de la mobilisation des personnes en charge. L’efficacité reconnue de certaines régions tient parfois à l’investissement des conseils régionaux, parfois à celui d’une ARS. Ailleurs, c’est une association ou un organisme privé qui ont été mandatés pour créer une organisation et une émulation. Quel est à votre avis le bon interlocuteur au niveau de la région, pour porter ce type de débat public ? À l’heure actuelle, des plans régionaux santé-environnement existent, même s’ils sont défaillants. Quels porteurs seraient les mieux positionnés pour progresser sur ces questions ?

M. William Dab. J’ai moi aussi constaté que l’investissement des ARS dépendait des personnes. Il en est ainsi, précisément parce que nous n’avons pas de politique nationale de sécurité sanitaire : chacun est livré à son initiative, en fonction des forces disponibles et de la sensibilité du directeur général de l’ARS. Il en résulte une hétérogénéité territoriale, qui n’est pas satisfaisante du point de vue du fonctionnement des pouvoirs publics.

Soyons clairs : les batailles de la prévention se gagnent ou se perdent sur le terrain, et nulle part ailleurs. Il ne faut jamais le perdre de vue. Par conséquent, les politiques de sécurité sanitaire ont nécessairement besoin d’un échelon territorial. Je pense que le bon échelon est régional.

Au CNAM, j’ai également découvert l’importance des branches professionnelles, qui ne sont pourtant jamais associées à ces dispositifs de politique publique. Or, elles jouent un rôle très important dans le pays, au-delà même de la santé au travail. Le problème de l’échelon régional est qu’il a sa pertinence dans l’organisation des pouvoirs publics, mais qu’il n’existe pas dans les entreprises. Ce qui régule la vie des entreprises et les cadre, ce sont les branches. Un dispositif hybride doit donc être conçu. La région constitue le bon niveau territorial, mais il n’est pas possible de mener une politique de santé environnementale sans y associer les entreprises – c’est-à-dire (pour parler clairement) les pollueurs. Il ne faut pas agir contre elles, il faut agir avec elles. Or, la région n’est pas capable d’intervenir à leur niveau. C’est l’un des points de faiblesse du PNSE. J’ai moi-même mis du temps à comprendre que pour atteindre les entreprises, il faut passer par les grandes branches.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Elles interviennent surtout au niveau régional.

M. William Dab. Non, elles ont des délégations régionales.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Faites-vous allusion aux conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) ?

M. William Dab. Non : l’Union des industries et métiers de la métallurgie (IUMM) par exemple a des délégations régionales.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous parlez des délégations régionales des branches professionnelles nationales.

M. William Dab. Je trouve également que nous avons trop tendance à créer des entités par problème. Nous disposons d’une conférence nationale de santé (CNS) et de conférences régionales de santé (CRS), qui sont inscrites dans la loi. Je m’appuierais dessus, sans créer un dispositif supplémentaire. Disposons-nous d’un équivalent de ces dispositifs au niveau de l’environnement ? Je n’en suis pas familier. Le ministère de l’environnement dispose du Comité national de l’air, par exemple.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. En dehors des PRSE, il n’existe pas à ma connaissance de dispositif de ce type en santé environnementale.

M. William Dab. Il y a donc là une réflexion à mener, en discussion interministérielle. Toutefois, le cadre existe déjà. Je m’appuierais sur le dispositif CNS-CRS, mais en l’enrichissant de la présence du ministère de l’environnement, pour qu’il ne se sente pas dépossédé. Un comité d’organisation réunissant les grands acteurs de la santé-environnement (associations, syndicats et patronat) pourrait ensuite être mis en place pour discuter, non pas des problèmes à résoudre, mais de la méthode de travail des CNS-CRS. Il pourrait également fournir aux CRS notamment des guides de mise en œuvre en région des actions de prévention en santé-environnement.

Pour responsabiliser l’ensemble des parties prenantes, il faut ensuite déléguer des budgets au niveau régional. Un équilibre est à trouver entre être jacobin et être girondin, ce qui n’est jamais facile en France : un cadre national doit être fixé, mais en laissant des degrés de liberté aux régions. En Nord-Pas-de-Calais et en Pays de la Loire, les priorités ne peuvent pas être les mêmes. Des priorités nationales peuvent être fixées, comme l’amélioration de la qualité de l’air. Mais même la manière dont une telle priorité sera déclinée dépendra du degré d’urbanisation de la région. Il faut donc donner des responsabilités aux régions, avec des enveloppes budgétaires dédiées.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Dans une interview récente, vous avez émis quelques critiques à l’égard du fonctionnement du ministère du budget, et plus précisément de Bercy.

M. William Dab. Je n’ai pas critiqué le fonctionnement du ministère des finances, qui a été particulièrement remarquable dans la crise que nous traversons. Je mets en cause le fait que notre politique publique soit pilotée par les moyens, et non par les objectifs. Vous discutez actuellement du projet de loi de finances : regardez le nombre de postes qu’a perdu Santé publique France depuis trois ans. L’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) est en conséquence devenu la variable d’ajustement au sein de Santé publique France. Or, le manque de stocks de masques, auquel nous avons été confrontés, tient au fait d’avoir ainsi « déplumé » l’EPRUS. Je suis sous serment. Dans les deux dernières années, Santé publique France a perdu 40 postes : j’ai vu cette donnée de mes propres yeux. C’est ce fonctionnement-là que je mets en cause. Bercy fonctionne remarquablement bien. Dans la crise actuelle, ce qui a été fait est extraordinaire. En revanche, le pilotage par les moyens et le fait d’exiger des établissements de rendre chaque année vingt postes ne constituent pas une manière de mener une politique publique. En effet, les missions à supprimer ne sont pas indiquées. S’il s’agit de faire la même chose avec moins, je ne vois pas comment c’est possible. La logique de réduction des dépenses publiques qui prévalait jusqu’alors ne s’accompagnait d’aucune discussion des missions attribuées au service public. Il faut commencer par les missions, et n’examiner les moyens qu’ensuite.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je ne peux qu’approuver cette remarque, ayant passé toute ma carrière dans les hôpitaux, et ayant dû subir ce type de politiques publiques. Être évalué sur les effectifs « rendus » (comme s’ils avaient été volés) a constitué une expérience extrêmement douloureuse. On voit bien maintenant l’état critique des établissements de santé qui en résulte, et toute la difficulté qu’il y a à remettre de la vie dans des organisations qui ont été vidées de leur substance.

J’évoquais vos remarques sur Bercy en réaction à votre proposition de déléguer des budgets au niveau régional. Sur le principe, on ne peut qu’être d’accord. Compte tenu de la situation tendue de notre budget, et des nombreuses incertitudes qui pèsent sur la possibilité de retrouver à l’avenir un équilibre budgétaire, Bercy, le gouvernement ou n’importe quel autre gouvernement auront beaucoup de mal à trouver de l’argent à déléguer aux régions pour des objectifs de santé environnementale. Où donc trouver de l’argent, sinon dans les plans « en silos » déjà existants ? La tâche ne semble guère aisée, mais je ne vois pas comment trouver ailleurs de l’argent qui n’existe pas, et qui aura de plus en plus de mal à exister. Qui en conséquence verriez-vous capable de reprendre en main ou de redéfinir les missions de la santé environnementale, pour se voir confier la gestion d’un budget général, incluant un budget national et des budgets régionaux, au regard des difficultés financières actuelles, qui ne feront que s’accentuer ?

M. William Dab. Je ne crois pas que le problème soit celui des moyens. Nous disposons de beaucoup de moyens, en tout cas financiers, mais ils sont très dispersés : les communes, les métropoles, les départements, les régions, les entreprises, les ministères, les administrations centrales en ont. Une politique de santé devrait ainsi commencer par dresser l’inventaire des moyens disponibles. Avant de dire qu’il en faut davantage, commençons par regarder ce que nous avons, dans le domaine de l’eau, de l’air, des sols, des rayonnements ionisants, des rayonnements non ionisants, du bruit, etc. Cet inventaire doit être réalisé, car les processus de décision actuels ne sont pas cadrés, ils sont souvent opportunistes, réactifs, et non proactifs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Qui verriez-vous à la manœuvre : la Cour des comptes, par exemple ?

M. William Dab. Oui : elle saurait tout à fait mener cette action !

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette commission d’enquête pourrait proposer de mandater la Cour des comptes pour réaliser un état des lieux.

M. William Dab. Ce serait en effet une excellente proposition. Je ne doute pas que la Cour des comptes serait très à même de réaliser cet état des lieux, bien plus qu’une mission d’inspection commune IGAS-IGF, par exemple.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons largement dépassé le temps imparti. Souhaitez-vous dire un dernier mot en conclusion ?

M. William Dab. Non, je me suis déjà trop exprimé. Quand votre commission doit-elle rendre son rapport ?

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Elle doit officiellement le rendre le 7 janvier au plus tard, ce qui signifie que notre commission d’enquête s’arrêtera à la mi-décembre.

M. William Dab. Peut-être puis-je alors en conclusion vous conseiller de ne pas oublier que le coronavirus constitue fondamentalement un problème de santé environnementale. Les microbes font partie de l’environnement. Or, pour parler de retour sur investissement, cette question est imbattable. Si j’en crois mes collègues économistes au CNAM, le confinement coûtera 700 milliards d’euros à la France. Le coût d’une politique de préparation à une pandémie aurait été sans commune mesure avec une telle somme. Sans doute 2 milliards d’euros, soit 2/700èmes seulement de ce coût, auraient suffi pour que nous disposions des masques, des tests, des doctrines et du gel hydro-alcoolique qui nous ont fait défaut au mois de mars, raison pour laquelle il a fallu confiner le pays. Je n’ai jamais vu un aussi bel exemple de retour sur investissement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette conclusion, et pour les pistes très originales que vous nous avez suggérées.

L’audition s’achève à treize heures.

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14.   Audition, ouverte à la presse, de M. Raymond Cointe, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et de M. Clément Lenoble, chargé de mission auprès du directeur général (7 octobre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Raymond Cointe, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et M. Clément Lenoble, chargé de mission auprès du directeur général.

L’Ineris est placé sous la tutelle du ministère de la transition écologique. Il est connu pour son rôle dans la prévention des risques liés directement aux activités économiques pour la santé des personnes et l’environnement. Vous apportez votre expertise notamment aux pouvoirs publics pour la maîtrise des risques technologiques aussi bien dans la durée qu’en cas d’urgence ou de crise.

Notre commission d’enquête s’intéresse à l’Ineris en suivant plusieurs approches. La première est une approche institutionnelle pour comprendre le rôle de l’Ineris et sa spécificité par rapport aux autres agences comme l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La deuxième est une approche opérationnelle qui s’intéresse à votre intervention comme partenaire de la mise en œuvre d’actions du PNSE ou à votre appréciation de la question des données de santé environnementale et de leur interopérabilité. La dernière approche à laquelle nous nous intéressons concerne le rôle de vigie de l’Ineris, par exemple, dans la question des risques chroniques et des risques associés aux substances d’intérêt émergent.

(M. Raymond Cointe prête serment.)

M. Raymond Cointe, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). L’Ineris est relativement récent : il a été créé voici trente ans, en 1990, mais nous sommes porteurs d’une expertise plus ancienne dans le domaine des risques technologiques puisque nous sommes les héritiers du Centre d’étude et de recherche des charbonnages de France (CERCHAR). Son histoire a été très fortement marquée par la catastrophe de Courrières qui a fait plus de mille victimes en 1906. C’est la plus importante catastrophe minière de l’histoire en Europe.

Comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, tout en ayant un passé industriel, l’Ineris est aujourd’hui sous la tutelle unique du ministère chargé de l’environnement. Nos missions ont été fixées au moment de notre création en 1990 : contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens ainsi que sur l’environnement.

Ce sont ces trois dimensions qui conduisent notre travail d’évaluation des risques dans un contexte où il n’est pas toujours possible de réduire les risques dans chacune de ces trois dimensions. Par exemple, la suppression pour lutter contre le changement climatique des gaz fluorés utilisés en climatisation réduit certes le risque pour l’environnement mais, comme ils sont remplacés par des gaz inflammables, il apparaît un risque pour la sécurité qu’il convient d’évaluer. Inversement, les retardateurs de flamme bromés utilisés dans certains produits améliorent leur résistance face à l’incendie mais peuvent créer un risque pour la santé. Enfin, en imposant comme aujourd’hui très largement le port du masque pour lutter contre l’épidémie, nous pouvons créer un problème pour l’environnement.

De ce point de vue, il n’est pas inutile de revenir sur la formulation « santé-environnement » qui peut être ambiguë sans préciser s’il s’agit « de santé puis d’environnement » ou « de santé ou d’environnement ». La commission d’enquête s’intéresse à la santé environnementale qui est plus clairement définie puisqu’il s’agit de l’impact de l’environnement sur la santé. Toutefois, il faut aussi bien s’assurer que les questions de toxicité aiguë et immédiate pour les populations sont bien prises en compte en cas d’accident, ce qui fait partie des rôles de l’Ineris.

Cette vision globale de la santé, de la sécurité et de l’environnement fait la spécificité de l’Ineris. De notre point de vue, il est important de ne pas créer de frontière entre ces trois domaines. Il y a exactement un an, nous étions très fortement mobilisés autour de l’incendie de Lubrizol. Nous avons été amenés à traiter quasiment en même temps les sujets de sécurité, de risque accidentel dans les premières heures de l’incendie, les sujets sanitaires dans le suivi post-accidentel puis – même si nous aurions pu nous y intéresser plus – les sujets proprement environnementaux.

L’Ineris est un opérateur de recherche et d’expertise. Nous avons développé une importante capacité d’expertise propre, alimentée par nos travaux de recherche parfois très anciens puisque certains ont été initiés en 1906 après la catastrophe de Courrières. Cette capacité d’expertise et de recherche est mise à la disposition des pouvoirs publics, du Gouvernement, mais aussi des agences sanitaires. Nous avons des relations avec l’Anses et Santé publique France mais aussi avec des organes consultatifs dans le domaine sanitaire, notamment le Haut conseil de santé publique.

Nous avons un passé industriel et notre mission est donc aussi d’appuyer les entreprises pour la gestion de leurs risques. Nos relations avec elles sont évidemment encadrées par des règles déontologiques strictes depuis vingt ans.

Nous sommes très présents au niveau européen, notamment dans le domaine de la recherche. Nous sommes fiers que l’Ineris ait été en 2018 classé troisième organisme financé dans le cadre du programme européen Horizon 2020, après un organisme britannique et un organisme suédois.

Cette forte présence au niveau européen contribue à notre mission de veille sur les risques émergents. Nous avons notamment créé en 2006 en partenariat avec des collègues allemands le réseau Network of reference laboratories, research centers and related organisations for monitoring of emerging environmental substances (NORMAN) qui vise à rendre plus efficace au niveau européen le partage d’informations sur les substances d’intérêt émergent, à faciliter l’harmonisation des nouveaux outils pour surveiller ces substances et améliorer la qualité des données.

Notre rôle est uniquement un rôle d’expertise et de recherche. Nous n’avons pas de rôle de gestion des risques même si nous avons une activité très opérationnelle d’appui aux pouvoirs publics en situation d’urgence. Nous avons un dispositif d’astreinte opérationnel 24 heures sur 24. Nous avons ainsi été sollicités par les services de la préfecture dès les premières heures lors de l’incendie de Lubrizol.

Nous avons également développé une compétence dans le domaine de l’analyse socioéconomique pour ne pas limiter notre expertise à la seule évaluation des risques au sens strict. Nous avons coorganisé en 2017 le congrès de la Société francophone de santé et environnement (SFSE) sur l’évaluation socioéconomique dans le domaine de la santé et de l’environnement.

En termes de budget, nos recettes sont de l’ordre de 65 millions d’euros par an. Une grosse moitié de ces recettes provient de notre activité d’expertise pour le compte des pouvoirs publics, un quart environ de notre activité de conseil aux entreprises et 20 % de notre activité de recherche. 40 % de notre budget est consacré à ce que nous appelons le risque chronique, c’est-à-dire aux risques à long terme pour la santé et l’environnement.

Nous sommes en phase active de préparation de notre prochain contrat d’objectifs et de performance avec notre tutelle pour la période 2021-2025, dans un contexte assez contraint au moins en ce qui concerne les effectifs. Comme la plupart des opérateurs du ministère de la transition écologique, nos effectifs diminuent de 2 % par an environ depuis 2013. Nous focalisons donc nos activités sur les sujets que nous identifions comme prioritaires. Nous avons regroupé ces sujets autour de trois grandes thématiques.

La première est la maîtrise des risques liés à la transition énergétique et au développement de l’économie circulaire. Il s’agit essentiellement d’actions liées à la sécurité, par exemple aux risques d’explosion de l’hydrogène ou aux batteries. Deux sujets méritent d’être notés en ce qui concerne le volet sanitaire :

– les questions d’après-mine, c’est-à-dire les risques, pour la santé, liés aux anciennes exploitations minières alors qu’initialement, nous ne nous étions guère intéressés qu’aux risques d’effondrement ;

– la dangerosité des substances présentes dans les produits, en particulier lors de leur réutilisation ou leur recyclage.

La deuxième grande thématique concerne la maîtrise des risques au niveau territorial, qu’il s’agisse d’un site industriel ou d’un territoire. Les différents volets de notre action sont la métrologie des pollutions, l’expertise sur les droits de transfert et d’exposition des produits chimiques ainsi que l’évaluation des risques en s’appuyant sur des valeurs de référence, notamment celles définies par l’Anses.

C’est bien sûr à l’Anses qu’il appartient d’établir les valeurs toxicologiques de référence au niveau national et nous nous occupons de leur application sur le terrain, du développement de méthodologies et de recommandations pour procéder à l’évaluation des risques sur la base de ces valeurs de référence. Nous développons des boîtes à outils mises à la disposition de tous et, le cas échéant, nous intervenons sur certains sujets spécifiques. Toutefois, l’Ineris n’a pas d’implantation dans les territoires et notre action est donc limitée à une action de formation des intervenants et à une intervention sur quelques dossiers particulièrement sensibles ou emblématiques.

La troisième thématique est la connaissance des dangers des substances chimiques et de leur impact sur la santé et la biodiversité. Nous avons des partenariats forts, notamment en ce qui concerne la qualité des milieux, puisque nous animons le laboratoire central de la qualité de l’air et le laboratoire national de référence pour la surveillance des milieux aquatiques, AQUAREF.

Nous avons des installations d’essais, uniques en France et pour certaines en Europe, qui nous permettent de conduire des recherches en matière d’écotoxicologie et de toxicologie, ainsi que des partenariats de recherche avec deux unités mixtes de recherche.

Je précise pour être tout à fait complet que nous ne travaillons pas sur le risque biologique. S’agissant des agents physiques, nous ne travaillons que sur les champs électromagnétiques, avec également des installations d’essais uniques en France et en Europe pour évaluer l’impact des ondes sur l’homme et sur les animaux.

Enfin, même si le paysage des données environnementales reste aujourd’hui encore morcelé, nous jouons un rôle assez important en la matière. Nous gérons la base nationale sur la qualité de l’air, GEOD’AIR ainsi que la base consacrée aux émissions industrielles, IREP. Nous utilisons bien sûr les données produites par les autres opérateurs ou nos travaux d’évaluation des risques. Nous avons, à ce titre, produit pour les besoins du PNSE4 l’inventaire des bases de données environnementales et spatialisées qui existent aujourd’hui.

Il est clair que des progrès restent à faire, ne serait-ce que pour l’interopérabilité de ces bases. Nous l’avons vécu très concrètement sur un sujet assez ponctuel mais qui illustre bien le problème, lors de l’incendie de Lubrizol : Santé publique France nous a demandé de rassembler l’ensemble des données produites dans une même base pour pouvoir l’utiliser et la cartographier. Le travail vient d’être terminé mais nous avons bien vu qu’il reste des progrès à faire pour utiliser toutes ces données, surtout si nous souhaitons le faire en temps réel.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelles propositions pourriez-vous faire à la commission pour améliorer les politiques publiques en matière de santé environnementale ? Comment l’Ineris pourrait-il participer à cette amélioration éventuelle des collaborations entre services, agences et à la mise en commun des données ?

M. Raymond Cointe. Il m’est difficile de répondre d’un point de vue général. Du point de vue de l’Ineris, nous regardons surtout comment nous articuler au mieux avec l’ensemble des opérateurs qui interviennent, notamment dans le domaine santé-environnement.

Nous sommes dans un contexte assez contraint en matière d’effectifs, peut-être de façon particulièrement importante dans le cas de l’Ineris du fait que nous sommes sous la tutelle du ministère de l’environnement. Nous sommes obligés de faire des choix dans nos domaines prioritaires d’intervention. Encore plus que d’habitude, nous sommes amenés dans ces choix à éviter la redondance avec les autres opérateurs et à développer autant que possible les partenariats. La question de la redondance ou de la clarification du positionnement de certains opérateurs aurait pu se poser dans le passé mais, dans le domaine de la santé environnementale, c’est de moins en moins le cas.

Notre souci est de maintenir notre vision globale. L’expérience récente de l’incendie de Lubrizol nous montre bien l’importance de traiter en parallèle les questions de risque accidentel et de risque chronique. Dans le cas de Lubrizol, nous avons pu nous articuler de manière très fluide avec l’Anses. L’Anses et l’Ineris ont été saisis conjointement sur le volet post-accidentel, dans les premiers jours après l’incendie. La valeur ajoutée évidente de l’Ineris est l’évaluation de la situation liée à l’incendie, ce que nous appelons dans le jargon technique le « terme source », c’est-à-dire l’identification des polluants libérés lors des premières campagnes d’analyses et de mesures dans le domaine de la santé environnementale. L’Anses a de son côté la compétence dans le domaine alimentaire et nous avons travaillé ensemble pour fournir les premières évaluations du risque.

Une autre de nos principales préoccupations est celle de la donnée dans le domaine santé-environnement, particulièrement des données environnementales. Nous avons un certain nombre de bases de données que nous opérons nous-mêmes tandis que d’autres sont opérées par d’autres opérateurs. Le plus raisonnable à moyen terme serait de s’assurer de l’interopérabilité de l’ensemble de ces bases de données pour bénéficier d’une vision globale en temps réel dans le cas de situations accidentelles, en temps raisonnable pour les autres sujets. Ces données seront de plus en plus indispensables pour les travaux des uns et des autres en matière d’évaluation des risques.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. J’aimerais savoir comment vous avez évalué la participation de votre institut à la mise en œuvre du PNSE3 et connaître les actions dont vous êtes partenaire. Ces actions ont-elles atteint leurs objectifs ?

M. Raymond Cointe. Nous avons été assez fortement impliqués dans le PNSE3. Tout le monde connaissant les rapports d’inspection sur ce PNSE3, je ne parlerai pas de la gouvernance de ce plan mais je cite quelques avancées sur lesquelles l’Ineris est intervenu.

Nous avons travaillé dans le domaine des perturbateurs endocriniens à la mise en place de la plateforme public-privé sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER). Cette plateforme vise à mettre en place des méthodes permettant de déterminer si une substance est ou non un perturbateur endocrinien. Nous avons travaillé en lien avec les fédérations professionnelles et un certain nombre d’autres acteurs. Nous avons obtenu des financements de la banque publique d’investissement (BPI). La plateforme créée est une structure indépendante de l’Ineris car elle a vocation à avoir un pilotage public-privé. Mise en place au début de cette année, elle commence maintenant à développer son programme de travail pour faire en sorte que la validation des méthodes permettant de déterminer si telle ou telle substance est ou non un perturbateur endocrinien aille plus vite.

Dans un contexte public-privé également, nous avons travaillé à un guide sur la substitution pour expliquer les démarches à suivre pour substituer des substances ou des méthodes alternatives à des substances ou des produits dangereux. Ce travail a été fait dans un groupe de travail du groupe santé-environnement (GSE) en lien avec les entreprises concernées.

Nous avons mené des approches de travaux de recherche sur des sujets liés à l’exposome pour une meilleure intégration des relations entre les données que nous avons en matière de pollution et les impacts sur l’homme. Nous avons mobilisé l’ensemble de nos équipes, aussi bien celles chargées de l’évaluation des risques et de la cartographie des pollutions que celles qui travaillent sur la toxicologie. C’est un programme exploratoire qui est, je pense, assez prometteur pour faire des évaluations de l’exposome sur un certain nombre de cas concrets. Nous l’avons déjà fait pour le plomb et pour les pesticides, à partir des données existantes sur les ventes de pesticides notamment.

Nous avons également conduit, avec l’Anses et les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, la campagne exploratoire de mesure des pesticides dont les résultats ont été récemment publiés. Elle a permis de valider les méthodes pour faire ces mesures de pesticides. C’est l’Anses qui a été chargée du volet de l’évaluation des risques. Cette campagne évalue la pollution de fond par les pesticides et non la pollution à proximité des sites affectés.

Nous sommes aussi présents en matière de labellisation et de certification, pas tellement dans le domaine santé-environnement mais plutôt dans d’autres domaines. À la demande de notre ministère de tutelle et plus précisément de Ségolène Royal, nous avons mis en place une certification pour les tickets de caisse sans bisphénol qui vous permet de voir apparaître le logo de l’Ineris sur quelques tickets de caisse lors de vos achats. Cela peut sembler anecdotique mais c’est techniquement assez compliqué puisque la marque Ineris doit apporter la garantie qu’aucun bisphénol n’est ajouté au ticket lors de la fabrication.

Nous avons piloté le projet européen NanoReg2 dans le domaine des nanomatériaux. Il vise à harmoniser les méthodes de caractérisation des nanomatériaux et d’étude de leur toxicité.

Même si cela fait liste à la Prévert, ce qui est d’ailleurs un peu le problème du PNSE3, ce sont des jalons qui ont été posés lors de la période couverte par celui-ci.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. À combien évaluez-vous l’enveloppe budgétaire consacrée par votre institut à la mise en œuvre du PNSE3 ? Certains effectifs travaillent-ils exclusivement à ces questions ?

M. Raymond Cointe. Non, personne ne se consacre spécifiquement au PNSE3 ni même véritablement au sujet de la santé environnementale. Dans le cadre de notre prochain contrat d’objectifs et de performance, nous réfléchissons à une évolution de notre organisation mais l’Ineris est actuellement organisé en trois directions thématiques :

– une direction des risques sol et sous-sol qui s’intéresse peu aux sujets de santé environnementale ;

– une direction des risques accidentels qui couvre les sujets de sécurité aux premières heures d’un accident et peut être impliquée dans des sujets de santé environnementale, notamment lorsque nous réfléchissons aux valeurs de toxicité aiguë utilisées pendant les accidents ;

– une direction des risques chroniques qui traite pour l’essentiel des sujets de santé environnementale, encore que cette direction s’intéresse aussi bien aux effets sur la santé qu’aux effets sur l’environnement. Nous avons des équipes de recherche en toxicologie mais aussi en écotoxicologie. Il est parfois difficile de séparer ce qui relève de la biodiversité de ce qui relève de la santé.

Nous consacrons environ 40 % de notre budget à des sujets liés à la santé environnementale. Il faudrait rentrer dans les détails de notre comptabilité analytique pour affiner.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Au niveau territorial, quelle est l’implication de votre institut dans les plans régionaux santé-environnement (PRSE) ?

M. Raymond Cointe. L’Ineris n’a quasiment plus d’implantation territoriale. Notre siège est situé dans l’Oise, à Verneuil-en-Halatte. C’est le siège historique du CERCHAR. L’Ineris se trouve en bordure de l’Ile-de-France, un peu éloigné de l’agglomération parisienne compte tenu du fait que nous avons des activités potentiellement dangereuses, en tout cas qui produisent un certain nombre de nuisances. Nous avons peu de riverains.

Par ailleurs, nous avons des implantations en région uniquement dans le cadre de partenariats de recherche ou d’expertise.

Nous sommes donc implantés :

– à Nancy où nous avons un partenariat historique avec l’École des Mines de Nancy sur les sujets liés aux mines ;

– à Aix-en-Provence où nous avons un partenariat avec l’Université d’Aix-Marseille et plus précisément avec le Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE) sur des sujets liés à l’économie circulaire.

Contrairement à d’autres opérateurs présents dans l’ensemble des régions, notre capacité d’intervention dans les régions est donc assez limitée. Nous intervenons très concrètement sur des éléments de doctrine, en établissant des boîtes à outils mises à la disposition de tous sur l’évaluation des risques. Nous pouvons parfois intervenir localement, pas dans l’ensemble des régions, mais nous avons été impliqués dans deux PRSE pour des travaux autour de la cartographie territorialisée des risques et des inégalités environnementales.

M. Yannick Haury. Les effets dits « cocktail » ou l’addition des substances constituent-ils à votre avis un sujet à prendre en compte ? Nos connaissances sont-elles suffisantes ou faut-il poursuivre les recherches sur ces effets ?

M. Raymond Cointe. C’est bien sûr un sujet à prendre en compte. Des sujets liés à l’interaction entre divers polluants sont déjà pris en compte et nous avons des méthodes, parfois rudimentaires, qui permettent d’avoir une première approche de la question.

Lorsque nous intervenons en urgence comme nous l’avons fait pour l’incendie de Lubrizol, nous avons une petite idée des types de polluants qui peuvent être émis et de leurs potentielles interactions. Les effets de la présence de plusieurs polluants sont donc, au moins en partie, pris en compte.

Il est évident que c’est un sujet de recherche qui reste ouvert et nous continuons à mener des recherches sur plusieurs volets de ce sujet. Nous ne sommes pas totalement désarmés ; nous avons des outils, relativement rudimentaires. Nous pourrions faire beaucoup mieux mais cela nécessiterait des programmes de recherche sophistiqués.

J’ai parlé de notre projet exploratoire sur l’exposome. C’est ce type de projet qui nous permet d’avoir des modélisations, notamment numériques, de l’impact de tel ou tel polluant sur tel ou tel organe. Nous pouvons en utilisant ces modèles faire des simulations d’effet-cocktail. Nous en sommes encore à la phase de recherche et je ne garantis pas la mise en œuvre pratique ou l’application opérationnelle en situation d’urgence dans les prochains mois ni même les prochaines années.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous avez parlé de « méthodes rudimentaires » ce qui n’est pas très rassurant pour étudier l’effet-cocktail et la chronicité de l’exposition. Sur quoi faudrait-il se baser selon vous pour avoir des méthodes plus efficaces ? Faut-il se baser sur la gouvernance ou sur autre chose ?

M. Raymond Cointe. Je me suis peut-être mal exprimé. J’ai une formation d’ingénieur et le terme « rudimentaires » désigne pour moi des méthodes simples. Généralement, ces méthodes simples sont associées à des facteurs de sécurité importants. Une méthode rudimentaire peut avoir comme effet de prendre des marges de sécurité importantes dans les calculs qui sont effectués.

Beaucoup de progrès sont faits en ce moment, notamment dans le domaine de la modélisation numérique de l’exposome, aussi bien en ce qui concerne les substances que leur impact. Ces méthodes présentent d’importantes perspectives de progrès dans les prochaines années. Elles méritent d’être développées en lien avec les méthodes expérimentales et c’est ce que nous faisons à l’Ineris.

En revanche, je suis incapable de vous donner un calendrier précis et de dire quel type d’effet-cocktail nous serions capables de traiter d’ici deux ou trois ans.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que faudrait-il améliorer selon vous en matière de prévention pour accroître l’efficacité de la politique de santé environnementale ?

M. Raymond Cointe. La question est vaste et je ne peux vous répondre que du point de vue de l’Ineris. Comme nous l’avons vu lors de l’incendie de Lubrizol, au-delà de la gestion du risque immédiat qui est un sujet que nous savons assez bien traiter, nous sentons qu’il reste des progrès à faire sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce type d’accident. Nous réfléchissons d’ailleurs pour notre prochain contrat d’objectifs et de performance à l’amélioration de notre capacité de réaction.

En ce qui concerne les risques chroniques, il reste du travail sur la connaissance des substances, en particulier émergentes, leur évaluation et la hiérarchisation des risques. Nous le faisons dans le cadre du réseau NORMAN. Il reste à élaborer des valeurs de référence.

M. Yannick Haury. La dimension territoriale vous semble-t-elle importante lorsque des élus de collectivités locales décident de diminuer les risques d’exposition des populations ? Les élus locaux doivent-ils s’approprier ces sujets dans leurs documents d’urbanisme, de prospective ?

M. Raymond Cointe. Il me paraît évident que l’amélioration d’un certain nombre de problèmes en santé environnementale passe par une action au niveau local. L’Ineris ne peut pas apporter un appui local dossier par dossier mais nous souhaitons mettre à la disposition de tous et notamment des collectivités locales des boîtes à outils permettant de faire un travail d’évaluation des risques qui est nécessaire dans les politiques locales.

Historiquement, le CERCHAR a déployé son expertise en matière d’évaluation des risques autour des sites industriels. Nous voyons de plus en plus que ces préoccupations ne concernent pas que les émissions des sites industriels et nous avons étendu notre expertise à d’autres sujets tels que la qualité des milieux, la qualité de l’air et de l’eau. Nous avons développé toute une panoplie d’outils que nous sommes prêts à mettre à disposition. Il est arrivé que nous intervenions sur des cas très spécifiques, par exemple à la demande de l’agence régionale de santé (ARS). Nous pouvons le refaire, mais nous sommes plus dans une logique de mise à disposition d’outils pour les collectivités locales.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous avez parlé à plusieurs reprises des substances émergentes. Quelles sont-elles ?

M. Raymond Cointe. Sans donner une liste de l’ensemble des substances, un certain nombre de préoccupations sont émergentes ou en partie émergées. L’Ineris travaille depuis une vingtaine d’années sur la perturbation endocrinienne et toutes les substances qui peuvent être perturbateurs endocriniens. C’est techniquement assez compliqué puisque nous ne disposons actuellement pas de méthodes d’essais pour déterminer le caractère perturbateur endocrinien ou non de certaines substances.

Il faut ensuite caractériser la présence dans l’environnement d’un certain nombre de substances, résidus de médicaments ou autres. C’est l’objet du réseau NORMAN puisque nous ne connaissons pas forcément la présence de ces substances et nous ne les trouverons évidemment pas si nous ne les recherchons pas. Il s’agit de savoir quels types de substances sont susceptibles d’être présentes et dans quelles quantités.

L’exemple de la campagne de recherche des pesticides illustre bien cette question. L’objet de cette campagne était de faire des mesures du fond de pesticides sur l’ensemble du territoire en fonction des caractéristiques des zones dans lesquelles nous faisions des mesures. Ce type de travail mérite d’être poursuivi pour un certain nombre de substances.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. De quoi auriez-vous besoin, sur le plan humain, sur le plan de la recherche ?

M. Raymond Cointe. Si nous avions plus de moyens, nous pourrions évidemment les utiliser. Notre point de préoccupation essentiel à l’Ineris concerne les effectifs. Nous perdons 2 % de nos effectifs, c’est-à-dire dix personnes par an depuis 2013, ce qui commence à faire beaucoup. Notre contrainte essentielle aujourd’hui est celle-là, même si cela ne nous empêche pas d’essayer de garder notre capacité d’expertise en développant un certain nombre de partenariats.

Je pense qu’il est important de continuer à travailler sur les méthodes d’analyse et de mesure mais nous avons dans ce domaine des moyens tout à fait satisfaisants. Nous devons développer nos partenariats avec nos partenaires européens.

Très concrètement, ce qui me manque le plus actuellement pour développer nos capacités d’expertise, ce sont des bras.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette présentation très éclairante.

L’audition s’achève à quatorze heures cinquante.

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15.   Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Vilboeuf, directeur général du travail par intérim et de M. Frédéric Tézé, sous‑directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion (7 octobre 2020)

L’audition débute à quinze heures quinze.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Laurent Vilbœuf, directeur général du travail par intérim, et M. Frédéric Tézé, sous-directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail.

La direction générale du travail prépare, anime et coordonne la politique du travail afin d’améliorer les relations collectives et individuelles et les conditions de travail dans les entreprises. Son rôle est important dans la coordination du contrôle du respect des dispositions relatives aux conditions de travail. Au sein de la direction générale, la sous-direction des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail s’attache à tout ce qui a trait aux conditions de travail, à la prévention et la protection contre les risques professionnels.

La direction générale du travail assume le pilotage du troisième plan santé au travail 2016-2020 ainsi que tout ce qui a trait au choix des priorités, à la gouvernance et à la co-construction d’un tel plan de même qu’à ses modalités d’évaluation. Cela peut être riche d’enseignements pour nous dans la perspective du plan santé-environnement à venir.

(MM. Laurent Vilbœuf et Frédéric Tézé prêtent serment.)

M. Laurent Vilbœuf, directeur général du travail par intérim. Depuis 2006, la direction générale des relations du travail est devenue direction générale du travail (DGT). Elle élabore les textes portant sur le champ des relations individuelles et collectives et du code du travail ainsi que sur le champ des conditions de travail. Elle anime également les politiques publiques portant sur le champ de la santé au travail.

Elle est aussi l’autorité centrale du système d’inspection du travail au sens de l’article 4 de la convention 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Au-delà de l’aspect juridique, elle est aussi le pilote des services déconcentrés dans le champ de l’inspection du travail, ce qui traduit un souci d’effectivité des règles. Ainsi, au nom du Gouvernement, nous concevons des règles avec les partenaires sociaux, sous la surveillance du Parlement, puis nous veillons à leur application effective. L’action de la direction générale du travail comporte donc deux dimensions, à la fois administration qui prépare les textes et autorité centrale de l’inspection du travail.

Le témoignage de l’importance que les pouvoirs publics attachent à la santé au travail est la création du secrétariat d’État aux retraites et à la santé au travail, sous l’autorité de la ministre du travail, mais avec un secrétaire d’État chargé spécifiquement de ces sujets. Actuellement, il travaille à toutes les questions de santé au travail, en particulier en ce qui concerne la crise sanitaire, mais aussi aux suites à donner au rapport de Mme Charlotte Lecocq sur la santé au travail. Une négociation interprofessionnelle est en cours et elle aura des conséquences sur le bilan du plan santé au travail (PST3) et la préparation du PST4.

La politique de santé au travail s’articule autour du PST, créé en 2004 sous l’impulsion de MM. Gérard Larcher et Jean-Louis Borloo, dans un contexte difficile : la condamnation de l’État dans l’affaire de l’amiante. Il s’agissait de donner à l’État des outils pour mieux connaître les risques, en particulier les risques émergents, et mieux caractériser les situations. Le PST1 est né dans ce contexte. Il avait la particularité, qui s’est affirmée avec le temps, d’associer le dialogue social et la concertation avec les partenaires sociaux. Nous y sommes viscéralement attachés.

Le premier plan couvrait la période 2005-2009 et le deuxième la période 2010-2014. Un certain nombre de fondamentaux aussitôt apparus demeurent, comme le dialogue social. Des risques prioritaires ont été identifiés, priorités qui ont perduré avec le temps, par exemple, les risques chimiques, les chutes de hauteur, le risque routier.

Très vite, nous avons également eu une évaluation permanente et eu la volonté d’améliorer la situation par cette programmation. Ainsi, le troisième plan est le résultat d’une évaluation permanente « en marchant » des plans précédents. Par exemple, il a été reproché au premier plan de ne pas être assez opérationnel, « sur le terrain », alors qu’il s’agissait d’un de ses objectifs. Il fallait également améliorer le dialogue social afin de mieux intégrer l’avis des partenaires sociaux. Le PST3 se termine : nous sommes actuellement en phase de bilan de ce dernier et de préparation du PST4.

Le PST a la particularité d’être décliné régionalement. Nous comptons dix-sept plans régionaux santé-travail (PRST), pilotés par des comités régionaux d’orientation des conditions de travail (CROCT) qui associent tous les acteurs de la prévention dans la région. Le PST s’articule donc avec quatorze autres planifications nationales et avec dix-sept plans régionaux. Nous comptons donc plus de 500 actions dans les PST. Il ne s’agit pas simplement d’empiler des actions demeurant sans suite effective : nous avons des actions extrêmement opérationnelles et très concrètes « sur le terrain », d’un niveau de réalisation certes inégal. En tout cas, au niveau local, les partenaires sociaux s’approprient réellement le plan.

Le dialogue social est consubstantiel à la construction du PST. Les partenaires sociaux s’approprient les sujets traités au sein du comité d’orientation des conditions de travail et de son groupe permanent opérationnel (GPO) où nous travaillons sur ses orientations, avec les commissions spécialisées.

Cette année nous préparons le bilan du PST. Nous en avons transmis les premiers éléments aux partenaires sociaux. Nous attendrons la fin des négociations lancées suite aux préconisations du rapport de Mme Charlotte Lecocq. Au premier trimestre 2021, nous devrons présenter le PST4 avec les partenaires sociaux.

Dans le PST3, nous avions trois axes et j’insiste sur le premier axe stratégique : la priorité donnée à la prévention primaire, aux actions réelles de terrain et à la culture de prévention. Le constat partagé par tous les partenaires sociaux est celui d’une appropriation insuffisante, par exemple du risque chimique. Nous ré-insistons régulièrement : prévenir l’exposition aux produits chimiques figure parmi les risques prioritaires que nous ciblons et que nous déclinons de manière très opérationnelle.

Nous avons conservé la prévention des chutes de hauteur. Ce n’est pas un risque émergent, mais un risque très traditionnel. Certes, les nanoparticules ou les risques endocriniens constituent un risque très lourd, mais le triste bilan des chutes de hauteur s’établit à 65 morts, en 2019, selon le décompte de la DGT. C’est inadmissible. Nous avons donc gardé cette priorité forte, en menant plusieurs actions.

Les autres axes sont la prévention des risques psychosociaux (RPS) et la prévention du risque routier, que nous avons gardée depuis 2004. Le risque routier n’est pas un risque environnemental, mais il s’agit d’un risque professionnel majeur.

Parmi les actions relatives aux risques prioritaires, réalisées avec tous nos partenaires, en agissant ensemble et en nous répartissant les actions, nous avons développé des outils d’évaluation des risques chimiques. Avec nos partenaires, en particulier l’institut national de recherche et de sécurité (INRS) et la caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), nous avons mis à disposition des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) un certain nombre d’outils d’évaluation du risque chimique pour les aider, compte tenu de leurs difficultés à cet égard.

L’autre problème est la substitution aux produits dangereux de produits qui le sont moins, notamment en ce qui concerne les agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). C’est un des principes de prévention des risques inscrit dans le code du travail.

Dans le PST, nous poursuivons également une action visant à développer les équipements de protection contre les phytosanitaires pour les travailleurs agricoles.

Dans le PST3, plusieurs actions recouvrent la problématique de la santé au travail, en lien avec l’environnement. Dans l’axe 2, intitulé « améliorer la qualité de vie au travail », et dans le levier « maintenir les performances économiques de l’entreprise », nous avions affiché, dès la conception du PST, la nécessité d’une collaboration renforcée entre les autorités en charge de la santé au travail et de la santé publique sur le territoire.

Concrètement, cela s’est traduit par l’insistance sur la nécessité de conventions entre les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et les agences régionales de santé (ARS), « sur le terrain ». Disons que nous avons des marges de progrès importantes, quant à cette coopération opérationnelle, réelle, « sur le terrain ». Notons aussi la volonté de participer, de manière croisée, aux instances de nos partenaires de la transition écologique, par exemple aux CROCT et aux comités de coordination des politiques publiques de santé au travail. L’objectif du PST est d’avoir des effets réels, concrets, dans les entreprises, auprès des travailleurs.

Il faut par ailleurs que nous travaillions davantage sur la mesure d’impact, ce qui est le plus difficile. Je vous parlais du problème de la prévention du risque chimique dans l’entreprise. L’INRS a par exemple développé un outil d’évaluation nommé SEIRICH (système d’évaluation et d’information sur les risques chimiques en milieu professionnel) qui compte 21 000 utilisateurs réguliers.

Toujours très concrètement, en ce qui concerne l’amiante, qui relève à la fois du travail, de la santé publique et de l’environnement, nous avions, dans la feuille de route du PST3, l’obligation, pour les maîtres d’ouvrage, de mettre en place un repérage avant travaux, préalablement à toute intervention, afin d’identifier la présence éventuelle d’amiante dans le bâti, dans l’équipement… Cela permet à la fois de protéger la santé des travailleurs, d’éviter la dispersion d’amiante dans l’atmosphère et de faire intervenir, en cas de besoin, des entreprises compétences. Le décret du 27 mars 2019 relatif au repérage de l’amiante avant travaux (RAAT) représente une évolution très importante obtenue dans le cadre du PST3.

Nous souhaitions aussi discuter d’une meilleure vision globale des études épidémiologiques, en santé au travail. Nous avons demandé un état des lieux à l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et à ses partenaires sur la poly-exposition en France et à l’international. L’étude a été publiée à la fin de l’année 2018. Selon elle, les travaux les plus avancés dans ce domaine portent sur l’exposition aux substances chimiques qui est en fait le risque le moins connu et le moins maîtrisé dans les entreprises.

S’agissant de l’articulation entre le PST et le plan national santé-environnement (PNSE), la DGT a participé à l’élaboration du PNSE 2015-2019, avec comme prérequis :

– se concentrer sur les actions emblématiques, telles que l’amiante et les CMR ;

– avoir un partenariat et une vigilance renforcés autour de problématiques émergentes, comme celles des nanoparticules et des perturbateurs endocriniens. Pour être traités efficacement, ces sujets nécessitent un partenariat tous azimuts. La DGT ne peut travailler seule, mais peut seulement en tirer des conséquences pour la protection des travailleurs et les obligations des entreprises ;

– ne pas préempter la situation par des orientations trop fortement marquées, afin de garder une marge de négociation avec les partenaires sociaux.

Il faut souligner le décalage d’un an entre le PST et le PNSE, leurs financements ayant également des temporalités différentes. Cela nous oblige à bien articuler notre action, avec nos partenaires, comme la CNAM et l’ensemble des administrations.

Malgré tout, nous avions déjà identifié des convergences très fortes avec le PNSE et avec les autres directions de l’administration. En ce qui concerne la gouvernance, nous tenons des réunions périodiques, entre les cinq directions générales concernées, pour assurer une meilleure coordination.

La négociation interprofessionnelle sur la santé au travail a commencé en juin 2020 et devrait se terminer à la fin de l’année. Nous attendons la fin de cette négociation pour lancer le PST4. Nous avons besoin de bien articuler les réflexions des uns et des autres et surtout de nous concerter avec les partenaires sociaux pour finaliser ce plan qui, pour être efficace, doit être porté par l’ensemble des acteurs.

Dans son rapport, Mme Charlotte Lecocq préconise d’inscrire dans la loi l’obligation d’élaborer un PST. Nous y sommes favorables, avec un consensus général des partenaires sociaux à cet égard. Ce support législatif donné au PST renforcerait sa solidité. Nous souhaitons aussi conserver le pilotage du PST, tout en renforçant les articulations avec tous les acteurs pour le situer dans le cadre de la stratégie nationale de santé. Si nous sommes bien dans un cadre interinstitutionnel et interministériel, le ministère du travail souhaite pourtant conserver son pilotage, compte tenu des spécificités du PST.

Nous portons également un plan national d’action du système d’inspection du travail, sur le terrain, qui s’articule avec le PST. Nous avons fixé plusieurs priorités fortes, à l’inspection du travail, dans le champ de la santé et de la sécurité : amiante, chutes de hauteur, contrôle des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), surveillance des accidents du travail. Les services font remonter toutes les informations dont ils disposent sur les accidents du travail mortels. Fin septembre, nous avons déploré 214 accidents du travail mortels. Nous en avions déplorés 367 en 2019 et 375 en 2018.

Tous les trimestres, les cinq directeurs généraux de la direction générale du travail (DGT), de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), de la direction générale de concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de la direction générale de la santé (DGS) et de la direction générale de l’alimentation (DGAL) se réunissent et articulent leurs échanges, non seulement pour travailler sur le pilotage de l’Anses, mais aussi pour traiter toutes les questions communes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons bien entendu qu’une dynamique était lancée, notamment avec les négociations interprofessionnelles sur l’amélioration de la qualité de vie au travail. Même si vous avez déjà partiellement répondu, je voudrais savoir plus précisément comment vous expliquez la sévérité des critiques des rapports d’évaluation du PNSE3.

Vous dites avoir relancé une dynamique. Est-ce récent ? Cela date-t-il d’avant les rapports d’inspection sur le PNSE3 ? Comment pensez-vous pouvoir améliorer cette collaboration ? Les réunions des cinq directeurs généraux dont vous nous parlez sont-elles récentes ? Si elles existaient auparavant, pourquoi n’ont-elles pas été suffisamment opérationnelles puisque les inspecteurs étaient assez critiques sur l’efficacité de la gouvernance interministérielle ?

Vous avez évoqué quelques pistes d’amélioration. Dans quel sens verriez-vous l’amélioration de la gouvernance, au-delà de ce que vous avez d’ores et déjà lancé ?

M. Laurent Vilbœuf. Cette réunion des cinq directeurs généraux est en fait une réunion de pilotage de l’Anses, mais elle sert aussi à identifier et traiter les questions d’actualité, par exemple, les perturbateurs endocriniens ou le radon. En plus du pilotage de l’Anses, nous évoquons des sujets très concrets, des questions d’actualité qui se posent avec force. Nous nous accordons pour saisir conjointement l’Anses sur tel ou tel sujet puisqu’elle est notre expert pour qualifier les questions d’actualité.

Par ailleurs, nous travaillons ensemble, de manière permanente, entre les réunions. J’évoquais par exemple les installations classées pour la protection de l’environnement. C’est un sujet délicat et d’actualité. En 2018, quatre explosions se sont produites dans de telles installations. Nous avons relancé un plan de contrôle des services de l’inspection du travail sur ces installations, notamment celles classées Seveso seuil haut et seuil bas, avec un cadencement précis des obligations. Les trois points de contrôle sont :

– vérifier que la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) est bien mise en place ;

– vérifier que les entreprises extérieures interviennent dans des conditions satisfaisantes, car il s‘agit d’un facteur de risque par méconnaissance du milieu ;

– étudier le risque d’explosion ou le risque chimique.

Cette action a lieu en complément de celle des services des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Nous avons donc travaillé de manière très étroite avec la DGPR, à la fois pour coordonner les contrôles, de façon opérationnelle, mais aussi pour bâtir, de façon complémentaire, les outils de contrôle.

Je pourrais donner d’autres exemples au quotidien, comme les vagues de chaleur où nous agissons sous le pilotage général de la DGS. Les vagues de chaleur sont un problème de santé environnementale. Santé publique France avait identifié dix victimes en 2019 et huit en 2018. Nous travaillons avec Santé publique France et la DGS sur les mesures de prévention et leur diffusion.

Quelles sont les marges de progrès ? Améliorer les indicateurs de performance et de suivi du PST et du PNSE qui, il faut le dire, constituent actuellement une faiblesse. Il faudrait fixer dès l’origine des indicateurs pour mesurer l’impact de nos actions.

C’est très compliqué car nous travaillons avec de nombreux partenaires qui ont leur propre programmation, comme la CNAM qui a sa propre convention d’objectifs et de gestion (COG), sa propre temporalité, ses propres financements et ses propres indicateurs. Il faut réussir à conjuguer et calibrer tout cela. L’un des objectifs du PST4 est d’ailleurs de fournir quelques indicateurs pour assurer un meilleur suivi.

Nous avons tout de même renforcé le pilotage, avec tous nos partenaires et sur le terrain. C’était une de nos faiblesses. Nous avons notamment créé, pour suivre l’avancée des plans régionaux santé-travail, un outil de suivi qui recense l’ensemble des actions et mesure leur progression. Cela nous permet de savoir ce qui a été fait dans chaque région.

M. Frédéric Tézé, sous-directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail. La bonne gouvernance de l’Anses a été reconnue par la Cour des comptes dans son rapport sur le fonctionnement de cette agence, alors qu’elle s’interrogeait sur la lourdeur résultant de l’existence de cinq tutelles. Elle a finalement reconnu une certaine pertinence à cette organisation, même si cela peut être un peu compliqué, d’autant plus qu’il s’agit d’une tutelle tournante. Chaque année, l’une des directions prend la tête de la tutelle. Cela crée un réseau particulièrement positif, aussi bien au niveau des services que des directeurs généraux.

En termes d’animation, l’ancien directeur général du travail, M. Yves Struillou, avait souhaité organiser une rencontre tous les quatre à six mois, au moins au niveau des directeurs généraux de la DGS et la DGPR, compte tenu des sujets communs qui pouvaient surgir. L’animation de terrain est donc bien réelle. Le point positif est que les équipes, notamment celles de la DGT, de la DGS et de la DGPR, sont habituées à travailler ensemble, puisque nous avons des problématiques communes, même si nous pouvons avoir des points de divergence. Un certain nombre de textes qui doivent être soumis aux partenaires sociaux dans le conseil d’orientation des conditions de travail peuvent concerner aussi bien la santé que l’environnement.

De manière emblématique, l’amiante est une politique qui a plutôt réussi depuis une dizaine d’années. Nous avons réussi à mettre en place, grâce à un plan interministériel, une politique qui se veut cohérente et, au moins sur le papier, notre réglementation est la plus exigeante en Europe.

Pourquoi le bilan de l’animation de ces différents plans est-il mitigé ? Ces plans sont peut-être initialement trop ambitieux et contiennent beaucoup d’actions. Pour le PST par exemple, nous avions 52 mesures et nous avons sans doute été trop optimistes en 2016. Le plan avait été bâti par consensus avec les partenaires sociaux. Le plan 2020 pourra probablement reprendre très largement les préconisations qui avaient été émises en 2016, puisque les risques que nous rencontrons nécessitent un traitement sur plusieurs dizaines d’années. Nous nous acheminons donc, pour le PST4, vers un plan plus resserré et plus pragmatique.

Enfin se pose une question de moyens. Au niveau central, la direction générale du travail consacre deux équivalents temps plein, deux attachés, à l’animation de ce plan, sachant qu’il concerne toutes les régions et que, dans l’absolu, 507 actions sont à suivre au titre du PST3.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Je suis à l’initiative de cette commission d’enquête et je précise que nous auditionnerons toutes les instances institutionnelles ainsi que des acteurs privés, des associations ou des organisations non gouvernementales (ONG) pour alimenter au mieux notre rapport, de façon concrète.

En vous écoutant, nous comprenons bien que tout est évidemment lié. Quelle est votre participation à la mise en œuvre du PNSE3 ? Avez-vous été pilote, partenaire ? Avez-vous atteint vos objectifs ?

M. Laurent Vilbœuf. Nous avons participé à l’élaboration du PNSE3 et notre valeur ajoutée a porté sur quelques actions emblématiques pour lesquelles nous avons travaillé avec nos collègues de la DGPR, en mobilisant nos propres réseaux, notre expertise et en travaillant, lors de l’élaboration des textes, en lien avec l’ensemble des administrations concernées, en particulier sur l’amiante avec la DGPR, la direction de l’hospitalisation, de l’autonomie et de la performance (DHAP) et la DGS.

En ce qui concerne le pilotage, nous nous concentrons principalement sur notre PST mais, comme les autres administrations, nous participons aux actions du PNSE.

M. Frédéric Tézé. Nous avons participé sur deux aspects principaux : les perturbateurs endocriniens et les nanomatériaux.

Les nanomatériaux constituent un sujet assez délicat. Il aurait déjà fallu, initialement, se mettre d’accord sur la définition d’une nanoparticule ou d’un nanomatériau. Par ailleurs, comme pour tout ce qui concerne le risque chimique, nous nous inscrivons dans une très forte dimension européenne. Les travaux français sont également guidés par les définitions existantes au plan européen sur le risque chimique.

M. Jean-Luc Fugit. J’approuve Mme la rapporteure en ce qui concerne la nature des auditions à conduire.

J’aimerais comprendre comment vous identifiez, gérez et traitez les sujets émergents. Comment s’organiser pour qu’un sujet puisse émerger ? Quels sont les signaux ? Quelle est la démarche suivie ?

Par ailleurs, comment travaillons-nous en France sur ces sujets par rapport aux directives européennes, entre directives-mères et directives-filles ? Comment ces directives sont-elles transcrites en droit français ? Comment s’articule la gouvernance avec les demandes européennes ?

Quelles sont les pistes d’amélioration de cette gouvernance dans les domaines de l’environnement et du travail ? Identifiez-vous un ou deux axes majeurs qui pourraient être suivis selon vous ?

M. Frédéric Tézé. La DGT ne peut pas être une tour d’ivoire, surtout face à des risques importants et complexes. Une partie importante de notre activité se fait en lien avec les partenaires sociaux et les préventeurs. Nous avons donc ce que nous appelons le conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) qui a une double fonction d’orientation et de consultation.

La consultation sert en particulier lorsque nous devons prendre un texte d’application d’une directive européenne. Nous travaillons alors en compétence liée et cette consultation est extrêmement riche car les partenaires sociaux font remonter un certain nombre d’interrogations et peuvent aussi jouer un rôle de lanceurs d’alerte en quelque sorte. Nous collaborons également avec des préventeurs comme l’INRS, l’Anses qui sont des détecteurs de signaux d’alerte.

Le COCT a un rôle d’orientation assez consensuel puisqu’il n’est pas question de voter un texte. La responsabilité des partenaires sociaux n’est pas la même mais, si ces derniers veulent s’emparer d’un sujet pour appeler sur lui l’attention de l’administration, ils sont bien dans leur rôle.

En ce qui concerne les directives européennes, les directives-filles peuvent concerner, par exemple, le risque chimique, le risque biologique, le risque-machine, avec, actuellement, une réactualisation de certaines directives datant d’une trentaine d’années sur des sujets pour lesquels la connaissance scientifique a évolué.

Parmi les pistes d’amélioration, un signal fort tient à la création, au ministère du travail, du secrétariat d’État consacré à la santé au travail. Par ailleurs, nous nous sommes tous emparés, collectivement, de ce sujet, y compris vous-mêmes. En trois ans, huit rapports ont porté sur le domaine de la santé au travail, au sens large. Ces rapports sont extrêmement riches et il reste à savoir comment les utiliser pour les concrétiser au quotidien.

M. Laurent Vilbœuf. L’agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) a été créée en 2004 pour gérer la question des sujets émergents. Elle est devenue Anses et nous nous appuyons beaucoup sur elle. Nous avons une convention avec elle, nous lui passons des commandes, si possible concertées pour éviter que l’agence ne se disperse trop. Que ce soit pour les problématiques de champ électromagnétique, de basses fréquences, de technologies nouvelles, de nanomatériaux, nous nous appuyons sur l’Anses, qui a été créée, à l’origine, à cette fin. Grâce au conventionnement, au fait que nous sommes représentés au conseil d’administration, nous pilotons son fonctionnement et nous nous appuyons sur son expertise. C’est indispensable pour nous donner des orientations, avant de passer au prisme des partenaires sociaux.

Un axe d’amélioration porterait sans doute sur la façon de mieux anticiper et de mieux articuler les différentes programmations. L’une de nos difficultés provient du décalage temporel entre les différents intervenants – CNAM, PNSE… – qui ont leurs propres objectifs. Nous rencontrons donc une difficulté liée, à la fois, à la richesse et à la complexité de la planification. D’ores et déjà, nous essayons de travailler en imbriquant et en nous partageant bien les actions, mais une amélioration serait bienvenue.

Une deuxième piste de progrès serait d’identifier, dès l’origine, quelques indicateurs simples, sans pour autant créer des « usines à gaz ».

M. Yannick Haury. Quel est le lien entre perturbateurs endocriniens et santé au travail ? Vous y intéressez-vous parce que les médecins du travail, par exemple, ont diagnostiqué chez les personnes concernées une incidence ?

Les personnes qui travaillent dans le domaine de l’environnement – collecte ou traitement des ordures ménagères, déchetteries – ont-elles plus de risques d’accident de travail que la moyenne ? Je sais en particulier que les ripeurs avaient un risque très élevé, un risque physique lié à la collecte elle-même.

M. Laurent Vilbœuf. La France est un des seuls pays à posséder une stratégie nationale relative aux perturbateurs endocriniens. Votre question est tout à fait pertinente : en quoi cela concerne-t-il les gens au travail ? Tout simplement parce qu’une telle exposition, au travail, peut entraîner des conséquences graves sur la reproduction et les autres aspects de cette exposition. Cela concerne les travailleurs, compte tenu de l’exposition aux risques professionnels. C’est dans ce cadre que, en copilotage avec la DGPR et la DGS, nous travaillons à la substitution pour éviter les risques liés à cette exposition. Nous travaillons à des valeurs limites d’exposition professionnelle ou des indicateurs biologiques d’exposition pour les travailleurs.

Nous avons effectivement constaté plusieurs graves accidents du travail, dont certains ayant entraîné la mort, dans des centres de collecte et de traitement des déchets, mais nous n’avons pas une action renforcée sur le sujet, par exemple de la part de l’inspection du travail. En revanche, pour chaque accident grave, nous menons une enquête approfondie et nous en analysons les causes.

M. Frédéric Tézé. Nous avons eu des alertes sur l’utilisation du bisphénol A au quotidien. Dès lors que nous avons une alerte, nous nous devons d’être réactifs dans toute la mesure du possible. Nous nous sommes rendu compte que certains métiers pouvaient être particulièrement exposés à ces perturbateurs endocriniens, notamment les métiers de l’imprimerie, du fait de l’utilisation de certains plastiques et de certaines résines. Nous sommes donc, soit dans le préventif, soit dans le réactif, mais, lorsque nous avons un signalement, nous devons évidemment réagir.

En ce qui concerne les accidents mortels, nous ne constatons pas, dans les remontées qui nous sont faites, de spécificités liées aux métiers du ramassage des déchets.

M. Laurent Vilbœuf. Dans la région des Pays de la Loire par exemple, des données ont été collectées dans 73 établissements du secteur du nettoyage et ont permis d’identifier environ quinze substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens. Il faut ensuite traiter toutes ces données, ce qui nécessite l’assistance de l’Anses.

En Auvergne-Rhône-Alpes existe un groupe de travail « perturbateurs endocriniens » qui regroupe la DIRECCTE, la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et la Mutualité sociale agricole (MSA). Il a élaboré différents documents d’information et une liste indicative de perturbateurs endocriniens.

Nous essayons de ne pas nous cantonner à la veille et à l’étude épidémiologique, mais aussi, de prévenir ces risques, « sur le terrain ».

M. Philippe Chalumeau. En ce qui concerne la gestion des risques et les indicateurs, vous arrive-t-il, dans votre travail avec les autres directions, de diligenter des études prospectives ? Ou bien ne travaillez-vous que sur des études rétrospectives ? L’étape suivante serait de lancer une étude prospective, en double aveugle, avec des méthodologies statistiques, pour aller plus loin. Le faites-vous ou pensez-vous qu’il s’agit d’une piste d’amélioration ?

Quels sont votre regard et votre retour sur le rôle de la médecine du travail lors de la crise du Covid-19 ? Que pensez-vous de l’information en entreprise, de l’isolement… ? Pour être franc, je trouve que nous n’avons pas ressenti une implication énorme de la médecine du travail, mais je voudrais connaître votre appréciation. Quelles actions la médecine du travail compte-t-elle mener demain, en aval de la crise ?

Réfléchissez-vous sur le télétravail, qui monte en puissance ? Avez-vous identifié des risques particuliers, notamment de désocialisation, qui y seraient liés ou des nouveaux risques qui ne manqueront pas de surgir ?

Enfin, pouvez-vous donner des précisions sur les risques chimiques ?

M. Laurent Vilbœuf. S’agissant des études prospectives, l’Afsset puis l’Anses ont justement pour rôle d’éclairer le chemin pour que l’État prenne de bonnes décisions. Je rappelle que l’État a été condamné en 2004 pour défaut de politique de prévention et de contrôle en matière d’amiante, justement parce que nous n’avions pas une vision suffisamment claire. La création de l’Anses a été décidée précisément pour nous éclairer.

Nous finançons des études et des actions de l’Anses à hauteur de 903 000 euros. Par exemple, en commun avec les autres directions, nous lui avons demandé une étude sur l’amélioration de la prise en compte de la poly-exposition. C’est un sujet difficile, qui rappelle la notion d’exposome en matière d’environnement, mais en étudiant tout ce qu’il se passe tout au long de la vie. À quelle période de travail doit-on par exemple rattacher l’exposition au risque chimique ? Est-ce chez ce coiffeur ou au contraire dans telle entreprise ? Nous avons besoin d’avoir une vision plus claire.

Nous avons aussi besoin d’études prospectives sur la question de la substitution. Nous demandons à l’Anses de réaliser ces études et nous devons aussi coordonner toutes les actions de recherche menées dans les différents organismes.

S’agissant du rôle de la médecine du travail, nous avons, dès la mi-mars, régulé et transmis une instruction de la DGT aux DIRECCTE afin d’informer les services de santé au travail (SST), par exemple sur le recours à l’activité partielle. Nous avons dû rappeler un certain nombre de points, dont le fait que les services de santé au travail étaient des acteurs majeurs lors de cette crise. Après cette première régulation, qui a géré quelques situations locales ponctuellement non satisfaisantes, les services de santé au travail ont véritablement joué leur rôle. Nous avons édicté plusieurs instructions, notamment pour définir le rôle des médecins du travail, en particulier pour leur permettre de prescrire des arrêts de travail jusqu’au 31 août.

Il reste une question structurelle, déjà posée par le rapport de Mme Charlotte Lecocq, sur l’organisation de la prévention et l’organisation des services de santé au travail. Les partenaires sociaux se sont emparés de ce thème, avec beaucoup de vigilance et de force.

Les services de santé au travail ont donc été de véritables partenaires « sur le terrain », lors de cette crise, après une première régulation, et sont toujours des partenaires très importants, notamment sur le sujet des vagues de chaleur, des canicules.

En ce qui concerne le télétravail, nous pouvons nous appuyer sur un acteur dont nous n’avons pas parlé jusqu’à présent, qui est pourtant très important, l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Son personnel est peu nombreux – environ 80 équivalents temps plein – mais l’Anact a une grande valeur ajoutée par la capitalisation et le transfert des expériences innovantes, notamment pour les PME et TPE. C’est l’Anact que nous missionnons pour nous faire remonter les expériences innovantes de prévention et d’amélioration des conditions du télétravail. Nous savons que celui-ci présente effectivement des risques de désocialisation, des risques physiques…

Sur le risque chimique, pourriez-vous préciser la question ?

M. Philippe Chalumeau. En matière de risque chimique, quels sont pour vous les principaux risques et les priorités ?

M. Frédéric Tézé. En ce qui concerne le risque chimique, nous sommes dans un système à deux vitesses. Les grandes entreprises ont les moyens internes de faire face à leurs obligations. Le problème concerne surtout les petites entreprises, parce que la réglementation est complexe, exigeante et qu’il s’agit d’un risque un peu sournois, parfois invisible. Il est plus facile pour un employeur de poser son échafaudage selon les normes, pour éviter les chutes de hauteur, que d’évaluer correctement le risque chimique et de prendre les mesures adéquates.

Dans les négociations en cours avec les partenaires sociaux, notre priorité serait de nous assurer que, concrètement, la réglementation est respectée. Dans le cadre du PST, nous nous rendons compte que la situation ne s’améliore pas vraiment ou difficilement. Le problème fondamental est de faire une bonne évaluation des risques et nous savons que, quelle que soit l’activité, seule la moitié environ des entreprises procèdent à l’évaluation de leurs risques. Il faut de plus se poser les bonnes questions. Il s’agit donc d’aider les TPE et PME à répondre à ces préalables, puis de les accompagner dans la déclinaison de leurs obligations au quotidien. Ces priorités sont largement partagées par les partenaires sociaux et les acteurs de la vie de tous les jours.

Pour ce qui est de la prospective, nous nous étions dotés collectivement, à la demande du Premier ministre, d’un plan interministériel amiante, dont un des axes d’action consiste à soutenir et promouvoir les actions de recherche et développement. Une enveloppe de 20 millions d’euros avait été dédiée à des expérimentations en la matière.

Mme Sandrine Josso. Vous nous avez parlé du PRST de la région des Pays de la Loire. Serait-il intéressant pour nous d’auditionner d’autres régions sur le sujet, par exemple parce qu’elles ont des démarches remarquables ?

Auriez-vous par ailleurs des pistes d’amélioration pour la gestion des crises ?

Enfin, quels sont selon vous les axes d’amélioration pour être encore plus efficaces dans nos rapports avec les institutions européennes ?

M. Laurent Vilbœuf. Nous avons identifié plusieurs PRST ayant des actions très intéressantes : Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes. Ces régions innovent vraiment et font un bon travail partenarial.

Il est important que les institutions apprennent à travailler ensemble de manière permanente, sans que ce soit lié à des relations entre les personnes, au niveau national également. Dans ces trois régions, nous constatons une vraie synergie, un vrai travail de collaboration sur des projets précis.

Nous essayons par définition d’être réactifs à une crise lorsqu’elle éclate. Cela ne fonctionne pas si mal, sous l’égide du préfet, pour les services de l’État, par l’intermédiaire des commissions opérationnelles de crise. Par exemple, pour l’accident de Lubrizol qui a donné lieu à de nombreux rapports, par vos soins et par l’inspection générale entre autres, tous les services se sont mobilisés tout de suite. Les résultats ont certes été inégaux mais notre responsable départemental et la DIRECCTE ont été immédiatement mobilisés. Ils ont dû demander à être associés à toutes les démarches. L’inspection du travail a été présente dès le lendemain, notamment pour vérifier les conditions d’intervention des intervenants, discrètement, sans gêner les processus, sans se mettre en danger et sans mettre en danger les autres. Nous sommes rapidement intervenus, sur l’amiante en particulier, puisque, lorsque le toit a explosé, des débris d’amiante ont été répandus un peu partout. Nous avons très rapidement élaboré un plan de retrait pour permettre au processus de prévention de se dérouler.

Dans une gestion de crise, il faut que les relations soient prévues. Ce n’est pas encore le cas partout, mais chacun doit savoir ce qu’il doit faire, un peu comme dans les plans de continuité d’activité.

Nous faisons certes des plans de sécurité, pour la sécurité nucléaire, pour les inondations… mais il reste certainement des marges de progrès. Il faudrait que quelqu’un actualise en permanence ces plans de gestion de crise, dans chaque institution. Le problème est que, lorsque l’accident ou la crise survient, il se peut que les responsables soient partis, que les réflexes soient perdus. Il faut mieux capitaliser sur cette question. Frédéric Tézé le sait bien puisqu’il organise régulièrement à la DGT des réunions de prévention des accidents nucléaires, mais les réflexes se perdent dans le quotidien. Il faut donc mieux capitaliser, modéliser.

Dans le cas de Lubrizol, les services du Premier ministre ont pris les choses en main et ont coordonné les administrations centrales. La DGT a été présente à toutes les réunions de crise et a agi en soutien de la DIRECCTE sur toutes les questions de santé et de sécurité, pour le retrait de l’amiante et pour le maintien de l’activité partielle de l’entreprise.

Je souligne que, grâce aux relations institutionnelles que nous avons en particulier avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), nous avons pu mettre les services de l’Ineris en appui de la DIRECCTE.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quel est le rôle des services de santé au travail dans le dispositif que vous venez de nous présenter ? Vous parliez de la difficulté d’appropriation par les entreprises. Comment cela peut-il descendre sur le terrain ?

M. Laurent Vilbœuf. Le médecin du travail a un rôle de conseil au chef d’entreprise et de préservation de la santé des travailleurs. Il est « sur le terrain », connaît les postes de travail, ce qui fait sa valeur ajoutée par rapport à la médecine de ville. À partir de son expertise et de sa connaissance des postes de travail, il est le conseil du chef d’entreprise, notamment pour son évaluation des risques, indépendamment de la visite médicale ou même de la surveillance renforcée dans certains cas. Son expertise et son approche globale de la santé au travail lui donnent un rôle majeur.

Il peut s’appuyer aussi sur nos services, en particulier sur le médecin inspecteur du travail, mais sa compétence médicale, renforcée par la pluridisciplinarité des services de médecine au travail, permet l’approche au plus près du terrain. Le médecin de l’inspection du travail intervient en contrôle, identifie les situations pathologiques ou des situations anormales et peut conseiller, mais celui qui est le plus adapté aux champs de la santé au travail est le médecin du travail.

M. Frédéric Tézé. La dernière question portait sur l’Europe. Les risques professionnels rencontrés sont très hétérogènes, les situations complexes et il faut trouver un accord à 28, ou à 27 maintenant. Une des grandes réussites est d’avoir pu arrimer des pays qui se sont intégrés à l’Europe à des périodes différentes, avec des cultures différentes. Nous avons l’Europe « historique », l’Europe du Nord qui est plutôt bonne élève en matière de santé et sécurité au travail, l’Europe latine et l’Europe de l’ex-bloc de l’Est qui s’est arrimée plus tard.

Trouver un équilibre et un consensus acceptable par tous n’est pas simple. Le délai est long et, entre le moment où nous nous emparons d’un sujet, la décision et sa transposition dans les États membres, il s’écoule plusieurs années. C’est la rançon d’une applicabilité des décisions également. Nous voyons bien, notamment en ce qui concerne le risque chimique et le risque biologique, qu’il est difficile de s’approprier les sujets sans être un spécialiste.

L’Union européenne fait tout de même preuve d’un fort volontarisme en ce qui concerne certaines problématiques, ce qui oblige les États membres à transposer pour ne pas entrer dans une procédure contentieuse. Il me semble que, en comparant la situation en Europe sur la santé et sécurité au travail en 1990 et trente ans plus tard, nous pourrions mesurer des progrès, même si c’est une matière extrêmement complexe.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous avez parlé des difficultés des TPE et PME. Quels sont les axes d’amélioration ? Devrions-nous nous intéresser à un sujet plus précis ?

M. Laurent Vilbœuf. En ce qui concerne la gestion de crise, nous avons constaté, à plusieurs reprises, que le domaine des conditions de travail n’est pas toujours suffisamment mis en évidence. Face aux enjeux considérables de santé publique et d’environnement, le champ du travail est parfois un peu mis de côté dans les cellules de crise. Il devrait y être mieux identifié, même si l’inspection du travail n’est pas sous l’autorité du préfet. Il faut mieux intégrer les problématiques de conditions de travail des intervenants en urgence, des salariés. Nous intégrerons cette question dans le PST4.

La question des TPE est pour nous une question majeure. Nous avons certes dans les grandes entreprises et les grands groupes d’autres problématiques, notamment celles des entreprises extérieures intervenantes, du travail dit précaire, avec des travailleurs qui ne sont pas dans le premier cercle et des modes opératoires dangereux. Toutefois, les TPE et les PME sont notre cible majeure. Dans le PST4 et dans le plan national d’action de l’inspection du travail, nous essayons de les atteindre le plus possible. Vu le nombre de TPE et PME ainsi que la relativement faible implantation des instituts régionaux du travail (IRT), nous avons besoin d’atteindre davantage ces entreprises et il faut que nous trouvions, dans nos planifications, le moyen de nous adresser systématiquement à elles.

Par exemple, dans le plan national d’action du système d’inspection du travail, nous avons, dès 2018, souhaité « mettre le paquet » sur les TPE et PME et, comme nous n’avons matériellement pas les moyens de toutes les visiter, nous avons organisé des informations, des formations, des concertations et des contrôles. Par exemple, nous avons organisé 110 actions collectives en 2018, sur l’ensemble du territoire, en métropole et en outre-mer, pour les coiffeurs, les garages, les petites entreprises du bâtiment, les couvreurs, l’amiante… de manière à identifier les problèmes, créer des outils de communication, nous concerter avec les partenaires sociaux du secteur, annoncer que nous regarderons tels aspects, lancer une période de contrôle, sans dire bien sûr où nous irons, pour que ce soit efficace et en tirer des conclusions. L’impact dépasse largement les entreprises contrôlées par « effet de souffle ».

Dans le PST, il faut alléger au maximum le dispositif, par exemple, sur l’évaluation des risques, de façon à le rendre opérationnel. La pire des choses est de faire une évaluation qui donne lieu à un document unique d’évaluation des risques qui reste dans un tiroir et ne sera jamais actualisé. Cela ne sert à rien. Il faut démultiplier, faire en sorte que les gens s’approprient la question par des outils simples, que les principaux risques soient identifiés et que nous travaillions vraiment dessus. C’est l’un des enjeux très clairement identifiés dans le rapport de Mme Charlotte Lecocq, outre l’intelligibilité de la réglementation.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Selon vous, que faudrait-il améliorer en matière de gouvernance pour accroître l’efficacité de la politique en santé-environnement ?

Que faudrait-il améliorer en matière de prévention ?

M. Laurent Vilbœuf. La coordination à tous les niveaux des administrations centrales existe déjà et elle peut être encore renforcée pour avoir une meilleure coordination avec la DGS, la DGPR. Nous travaillons ensemble de manière très opérationnelle et j’ai par exemple eu la DGPR au téléphone, la semaine dernière, puisque nous préparons un transfert de compétences sur les mines.

Le principal axe de progrès se situe dans les services déconcentrés, pour faire la différence entre ce que pense Paris et « la vraie vie ». Il existe des initiatives locales remarquables, les PRST sont parfois d’une richesse extraordinaire. La question est de savoir comment créer des liens afin que les administrations déconcentrées soient plus symbiotiques. Nous avions, il y a une vingtaine d’années, des pôles de compétences, notamment en ce qui concerne le plomb ou l’amiante, afin que les services travaillent ensemble. Sans forcément susciter des évolutions administratives lourdes, il faudrait réfléchir à la façon de mieux travailler ensemble sur des problématiques identifiées, de manière plus structurée, et non en fonction du talent ou de l’imagination des acteurs locaux. Le PRST est un bon outil pour cela.

Dans les grandes régions, il faut que le PRST irrigue les départements, les territoires. C’est l’enjeu de l’opérationnalité dans les services déconcentrés et de l’opérationnalité du PRST.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ce fut extrêmement intéressant et les pistes d’amélioration se précisent. Nous sentons que vous êtes très investis dans cette dynamique d’amélioration et nous vous remercions.

L’audition s’achève à seize heures trente-cinq.

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16.   Audition, ouverte à la presse, de M. François Houllier, président‑directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et de M. Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint (7 octobre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. François Houllier, président-directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et M. Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint.

Monsieur Houllier, vous êtes ingénieur général des ponts, des eaux et forêts, et vous présidez l’Ifremer depuis septembre 2018. Après avoir occupé différentes fonctions à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), vous en avez été le président-directeur général de 2012 à 2016. Vous avez également présidé, de 2016 à 2018, la communauté d’universités et d’établissements Université Sorbonne Paris Cité.

L’Ifremer est un établissement public placé sous la tutelle des ministères chargés de la recherche, de la transition écologique et de l’agriculture. Il concourt à l’accroissement des connaissances fondamentales sur les processus régissant les écosystèmes et leurs changements. Il appuie le déploiement des politiques maritimes, en ce qui concerne notamment la stratégie nationale relative à la biodiversité et les politiques de santé humaine et de santé animale. L’institut est donc à la fois un organisme de recherche pluridisciplinaire et une entité d’expertise en appui aux politiques publiques. Vous intervenez notamment sur les enjeux de préservation de la biodiversité et sur l’impact du concept One Health, lequel figure parmi les thèmes d’intérêt de notre commission d’enquête.

Monsieur Wilfried Sanchez, vous êtes quant à vous docteur en écotoxicologie au Muséum national d’histoire naturelle et directeur scientifique adjoint de l’Ifremer. Votre périmètre d’activité concerne les activités scientifiques de l’institut dans la région Occitanie et par extension en Méditerranée. Les thématiques sur lesquelles vous travaillez concernent les contaminants et leurs effets sur le milieu marin et l’interface entre la politique scientifique de l’Institut et sa politique européenne et internationale.

(M. François Houllier et M. Wilfried Sanchez prêtent serment.)

M. François Houllier, président-directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). L’Ifremer travaille au service de trois grands objectifs. Le premier d’entre eux, c’est la connaissance de l’océan et des mers, qui vise à la préservation de ce bien commun. Nous travaillons aussi bien sur les interactions avec le climat que sur la biodiversité marine. Nous abordons également, lorsqu’ils ont été dégradés, la restauration des écosystèmes marins. Notre deuxième objectif, c’est l’exploitation durable des ressources marines, qu’elles soient biologiques – poissons, mollusques – ou physiques – minéraux, énergies marines renouvelables. La troisième grande finalité de nos travaux concerne la gestion des données que nous collectons sur l’océan, et tous les services dérivés, notamment numériques, que nous fournissons pour les citoyens, les administrations, les collectivités et les entreprises, sur la base de ces données.

Pour mener à bien ces finalités, nous menons trois grands types d’activités : en premier lieu, des activités de recherche, plus ou moins fondamentale ou appliquée. En deuxième lieu, nous développons une expertise scientifique en appui aux politiques publiques, à laquelle nous consacrons des moyens importants. Environ un tiers des personnels de l’institut sont, à un moment ou un autre de l’année, concernés par des expertises scientifiques en appui aux politiques publiques. En troisième lieu, nous tissons des partenariats avec les acteurs économiques, ce qui constitue une activité de transfert et d’innovation inscrite dans nos statuts. Ces acteurs économiques peuvent être des professionnels de la mer ou des entreprises.

Nous menons nos activités dans une perspective de science ouverte et de développement durable. La « science ouverte » n’est pas, en ce qui concerne la santé environnementale, une vaine expression, car elle signifie que nous avons une politique de données ouvertes. Nous avons vocation à ce que ces données soient largement partagées, aussi bien avec la société qu’avec les décideurs publics. En pratique, par exemple, le 9 juillet dernier à Nantes, nous avons fait pour la première fois une conférence de presse sur la surveillance des eaux littorales et côtières et sur la qualité de ces eaux. Nous avons, à cette occasion, traité de la dimension sanitaire de l’environnement.

Par ailleurs, nous sommes concernés par tous les objectifs du développement durable, pas seulement par ce qui concerne l’océan – l’objectif 14 – mais aussi par les questions connexes, comme la sécurité alimentaire ou les problématiques liées aux énergies marines nouvelles.

Enfin, nous sommes présents sur toutes les façades maritimes de l’Hexagone, de Boulogne-sur-Mer à Bastia, avec des forces inégalement réparties selon les lieux. Une très grande partie du dispositif de l’Ifremer se situe à Brest, en Bretagne, mais nous sommes aussi présents à Boulogne, à Port-en-Bessin, à Concarneau, à Dinard, à Lorient, à Arcachon, à La Tremblade, à Sète, à La Seyne-sur-Mer et je dois en oublier. Nous sommes aussi présents dans la plupart des territoires ultramarins, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Martinique, à La Réunion, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Je pense que c’est important sur ces questions de santé environnementale.

En matière de santé de l’environnement, l’Ifremer est actif de deux manières. Nous étudions intensément les questions de pollution d’origine chimique, physique ou biologique. Nous avons mis en place toute une série de réseaux sur ce sujet qui concerne la santé des écosystèmes et des milieux. Nous sommes aussi concernés par les questions relatives aux conséquences sanitaires de ces pollutions, via l’alimentation essentiellement. Pour faire le lien entre, d’une part, la santé de l’environnement ou de l’océan pris globalement et, d’autre part, la santé humaine, nous passons principalement par le biais de l’alimentation. Nous avons donc un certain nombre d’unités de recherche, situées essentiellement à Nantes et sur la façade atlantique mais pas uniquement, qui travaillent sur les questions de santé de l’environnement et de microbiologie, sur des questions d’écotoxicologie et de biochimie, sur la bancarisation de l’ensemble des données que nous rassemblons sur les façades. Nous avons également en Occitanie une unité de recherche spécialisée dans les interactions entre les hôtes, les pathogènes et l’environnement. Enfin, nous disposons de toute une série de stations ou de laboratoires de façade, que nous appelons les « laboratoires Environnement Ressources », présents dans tous ces lieux que j’ai mentionnés précédemment et qui rassemblent des données sur la qualité des eaux, aussi bien sous l’angle biologique que chimique.

Ces réseaux rassemblent environ 130 équivalents temps plein. En en excluant une quarantaine qui sont spécialisés dans l’halieutique, un peu plus de 80 équivalents temps plein travaillent donc vraiment sur la question de la surveillance de l’environnement, de la surveillance sanitaire en général et de la surveillance sanitaire de l’eau. Cela peut être pour rassembler des données, pas nécessairement pour conduire des recherches. Nos réseaux rassemblent des données et, selon les sujets, accomplit des tâches d’observation ou de surveillance. Les données issues de ces réseaux sont bancarisées par un service basé à Nantes. Elles sont restituées, mises en forme et peuvent être partagées, par exemple via des cartes. Ces travaux sont menés en étroite interaction avec un certain nombre de directions d’administration centrale, notamment la direction générale de l’alimentation.

Lors de la conférence de presse que nous avons tenue à Nantes le 9 juillet dernier, nous avions présenté un certain nombre de résultats, dont certains sont issus de trente années de suivi de ces réseaux d’observation et de surveillance, dans le domaine des pollutions chimiques ou biologiques et de leurs impacts éventuels. Ce bilan a été largement partagé et repris.

La question de la santé de l’environnement est donc une question importante pour l’Ifremer mais ce n’est pas la seule question sur laquelle nous travaillons. Nous nous intéressons aussi aux ressources halieutiques, à l’interaction entre l’océan et le climat, à la biodiversité des grands fonds, aux mollusques marins et à leurs pathologies. Je me suis centré sur l’objet de votre mission mais nous pouvons répondre à d’autres questions.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Votre institut n’est ni pilote ni partenaire du plan national santé environnement (PNSE) 3. Avez-vous été associés à sa mise en œuvre ?

M. François Houllier. L’Ifremer n’est effectivement ni pilote formel ni partenaire mais est impliqué dans un certain nombre d’actions qui se font au titre du PNSE 3.

M. Wilfried Sanchez. Nous ne participons pas au pilotage du PNSE 3 et nous ne serons pas non plus présents dans le pilotage du PNSE 4 qui se met en place. Un certain nombre de sujets évoqués dans ces PNSE sont néanmoins des sujets qui nous mobilisent au quotidien, le premier d’entre eux étant celui de l’exposome, puisque l’océan est le réceptacle ultime de toutes les contaminations. Le concept d’exposome nous préoccupe largement, plutôt sous l’angle environnemental que sous l’angle de la santé humaine.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Au niveau territorial, votre institut et ses centres devaient être impliqués dans certains plans régionaux santé environnement (PRSE). À quel point et sous quelles modalités cette implication a-t-elle été effective ?

M. Wilfried Sanchez. Nous disposons de laboratoires Environnement Ressources sur les différentes façades et dans différentes régions. Ces laboratoires sont au contact des acteurs locaux, notamment des services de l’État en région. Les PRSE étant des programmes à vocation territoriale, nous pouvons effectivement, sur certains territoires, être amenés à y contribuer. Par exemple, dans une région où le PRSE traite des questions de contaminations des ressources marines, l’Ifremer est mobilisé dans le cadre des plans soit pour apporter des données, soit pour participer à des actions d’échantillonnage. Je ne peux pas pour autant vous dresser un panorama exhaustif de notre contribution, région par région, à chaque PRSE.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pensez-vous qu’il serait intéressant que vous soyez plus impliqués ?

M. François Houllier. Je n’étais pas président de l’Ifremer à l’époque de la mise en place du PNSE 3. Il est exact que la question des milieux marins n’est que modestement présente dans les documents du PNSE 3. En faisant une analyse textuelle de la fréquence des mots, les occurrences des qualificatifs « marin » ou « maritime » sont peu nombreuses dans ce PNSE.

Pourtant, un très grand nombre de pollutions continentales ou d’activités à terre, même loin de la mer, se traduisent in fine par des effets en mer, que ce soit à la côte ou plus loin. Nous trouvons par exemple des plastiques partout, y compris dans des endroits improbables. Il me semble donc que la dimension maritime devra être importante dans les plans à venir. Le premier point serait donc de savoir si la mer apparaît dans le PNSE, avant de savoir si l’Ifremer y apparaît en tant qu’organisme. Les impacts en milieu marin sont essentiels, et une présence forte de la mer dans le PNSE correspondrait à cette réalité. L’Ifremer représente entre un quart et un sixième des compétences en sciences et technologies marines en France, toutes disciplines confondues, de l’océanographie physique à la biologie marine, à l’écologie marine et aux sciences portuaire. Il faudrait donc d’abord que la mer apparaisse dans les PNSE futurs et, ensuite, il faudra s’assurer de la manière dont la communauté scientifique, l’Ifremer notamment mais pas seulement elle, participe aux travaux qui sont nécessaires.

Les autres organismes qui jouent un rôle important dans le domaine marin sont le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les universités, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) au niveau international, pour les pays en développement et les pays du sud. Ce sont les principaux acteurs et, ensuite, certaines écoles d’ingénieurs peuvent également intervenir sur tel ou tel sujet. L’Ifremer est néanmoins le seul institut à avoir un mandat spécifiquement marin, et constitue donc naturellement un point focal à ce sujet.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez avec les autres instances européennes ? Voyez-vous des axes d’amélioration possibles dans votre collaboration avec ces instances ? Quelles informations pouvez-vous nous donner s’agissant des institutions européennes ?

M. François Houllier. Il existe, dans le cadre du futur programme Horizon Europe, une mission européenne nommée « Santé des océans, des mers et des eaux côtières et continentales ». Cette mission est présidée par l’ancien commissaire européen et directeur général de l’Organisation générale du commerce (OMC), M. Pascal Lamy. Il est assisté d’un conseil de quinze experts qui l’accompagnent dans la définition des orientations de cette mission. Parmi ces experts se trouve un chercheur de l’Ifremer, M. François Galgani, spécialiste des plastiques. C’est l’un des premiers chercheurs en France et probablement en Europe à s’être intéressé à la question des pollutions plastiques dès les années 1990. Cela rentre donc typiquement dans le cadre de ce dont nous parlons.

M. Pascal Lamy a souhaité nous rencontrer et visiter l’Ifremer. Il a passé une journée à Brest – de mémoire, le 3 février 2020 – et, parmi de nombreux sujets potentiellement intéressants en termes de santé des océans au sens large, nous avons mis l’accent sur la notion d’exposome. Les milieux côtiers et les estuaires sont très exposés à toutes les pollutions et aux contaminations d’origine continentale. Nous disposons aujourd’hui d’outils d’analyse dont nous ne disposions pas il y a cinq ou dix ans, ce qui a permis à la notion d’exposome d’émerger dans les années 2010, alors qu’auparavant nous n’aurions pas été en mesure d’étudier cette notion avec une grande profondeur.

Nous avons exposé ces points à M. Lamy, et lui avons dit que c’était, à notre avis, un sujet sur lequel la mission qu’il préside devrait se focaliser. C’est un sujet important pour les populations, qu’elles peuvent comprendre et saisir. C’est aussi un sujet sur lequel la communauté scientifique doit maintenant pouvoir avancer ; nous disposons en effet de méthodes, de technologies et d’outils nouveaux et plus performants qu’il y a dix, quinze ou vingt ans. Voici donc un exemple d’actions que nous avons eues, et que nous avons encore, puisque la commission Lamy a remis son rapport. Il sera maintenant soumis à la consultation des différents États-membres de l’Union européenne, et se traduira par un programme d’actions. Le rapport a déjà fait des propositions et le sujet que nous venons d’évoquer a été au moins partiellement repris. Cet exemple illustre la façon dont nous nous sommes mobilisés, en portant la parole auprès des collègues français qui interagissaient avec ce conseil, auprès du secrétariat général à la mer. Cela reste un sujet d’actualité.

M. Wilfried Sanchez. Au niveau européen, les forces de recherche sont structurées au travers d’un outil, les initiatives de programmation conjointes (IPC), qui sont des actions de programmatique conjointe qui rassemblent différents États européens. En France, trois organismes participent à l’IPC consacrée aux océans : le ministère chargé de la recherche, l’Agence nationale de la recherche et l’Ifremer. L’idée en est d’identifier un certain nombre de sujets d’intérêt et de mettre en place des actions communes, qui peuvent être des actions de réflexion ou des programmes de recherche. Dans ce cadre, les sujets liés à la santé des océans ou aux liens entre les océans et la santé humaine sont portés par cette initiative.

Il existe également une structuration par des associations scientifiques. L’une des plus connues et des plus visibles est le European Marine Board, qui rassemble différents organismes européens à peu près similaires à l’Ifremer, dans l’optique de favoriser la prospective et le positionnement sur différents sujets en jeu dans le domaine des sciences marines.

Il existe par ailleurs différents réseaux scientifiques qui s’intéressent à des sujets particuliers. Par exemple, l’action Seas, Oceans & Public Health in Europe (SOPHIE) s’intéresse spécifiquement aux liens entre océans et santé humaine. L’Ifremer est directement présent dans un certain nombre de réseaux. Lorsqu’il n’y est pas, des structures dont il est membre en font partie, ce qui permet à l’institut de bénéficier de retours d’informations ou de prendre part à certaines activités. La structuration est donc assez dense au niveau européen et l’Ifremer essaie de s’y impliquer, voire d’être proactif dans cette structuration.

M. François Houllier. J’ajoute que nous voyons émerger au niveau européen une série de questions qui concernent l’océan, la santé des océans et la santé humaine. L’initiative SOPHIE est un excellent exemple d’une structuration de la communauté européenne et de la définition d’une feuille de route qui permettent de dire quels sont les grands sujets qui peuvent être traités à l’interface entre océan, santé de l’océan et santé humaine. Au sein de l’Ifremer, nous commençons à afficher des thématiques du type « mer et santé ». Les Occitans et le site de Montpellier s’y intéressent, mais cette question est surtout portée à Nantes pour des raisons historiques liées au dispositif de l’Ifremer, parce que c’est là que se trouvent les laboratoires adéquats.

Par ailleurs, toute une série de projets européens passés ou en cours ont traité des questions de santé des eaux. Nous avons accueilli l’an dernier à Brest la conférence de fin d’un projet européen majeur, VIVALDI, qui portait sur la santé des mollusques. Il est impossible de regarder la santé des mollusques sans étudier de façon un peu générale la qualité des eaux et de l’écosystème. L’Ifremer était coordonnateur du projet VIVALDI et avait donc structuré la communauté scientifique autour de cette activité, avec une dizaine de pays parties prenantes.

Un autre projet, nommé VEO, vient de démarrer. Il s’agit d’un observatoire polyvalent des maladies infectieuses émergentes. Nous n’en sommes pas le coordonnateur, mais nous en sommes partie prenante. À l’occasion du démarrage de ce projet, juste après le début du confinement, nous avons fait des travaux pour vérifier l’absence du coronavirus SARS-CoV-2 dans les eaux marines et dans les mollusques. Il s’agissait de vérifier l’absence de danger à aller en mer, que ce soit pour des raisons touristiques ou professionnelles.

Nous pourrions ainsi présenter de nombreux projets sur les questions sanitaires et les questions de santé de l’environnement au niveau européen.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Nous avons accueilli précédemment des représentants de l’Institut national de l’environnement et des risques (Ineris) qui nous ont dit qu’ils disposaient de méthodologies et de capacités insuffisantes pour faire des analyses. Au contraire, vous nous dites donc que vous êtes plutôt satisfaits de vos capacités et des méthodes en place ?

M. François Houllier. Je ne dis pas que nous sommes satisfaits des moyens, mais que nous avons les outils conceptuels et les méthodes pour étudier la notion d’exposome. Nous avons les outils pour quantifier, qualifier et caractériser la diversité des contaminants que nous pouvons trouver dans l’eau de mer. Nous avons donc les capacités de faire cette exploration, mais il faut effectivement avoir les moyens correspondants. Lorsque nous disions à Pascal Lamy que cette question de la santé des eaux continentales et côtières devrait être une priorité, nous lui demandions aussi d’y allouer des moyens. Nous ne sommes donc pas, de ce point de vue, en rupture avec l’Ineris.

Je pense que nous pouvons actuellement traiter cette question alors que, il y a cinq ou dix ans, nous ne disposions pas des outils analytiques nécessaires pour le faire. Il nous faut cependant acheter ces outils et les installer. Il faut des compétences, mais la communauté scientifique a la capacité potentielle de se saisir de ces questions d’exposome en milieu marin.

Par ailleurs, nous avons avec l’Ineris une cellule commune, de petite taille, basée à Nantes, qui travaille spécifiquement sur les risques chimiques.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Les questions d’alimentation, concernant notamment la sécurité des fruits de mer, apparaissent très souvent dans les médias, avec notamment des interdictions de pêche à pied ou de consommation de certains coquillages. Nous voyons aussi émerger les problématiques liées à l’eutrophisation, en particulier en ce qui concerne les algues vertes. Où en sommes-nous sur ces sujets et quels sont les axes de progression que vous pouvez identifier ?

M. François Houllier. C’était pour partie l’objet de la conférence de presse que nous avons faite à Nantes en juillet dernier. Pour résumer le message que nous avons voulu faire passer, la situation en matière de santé de l’environnement côtier s’est améliorée depuis une trentaine d’années mais, bien qu’elle se soit améliorée, elle n’est pas satisfaisante. L’image que j’ai utilisée est celle d’un verre à moitié plein, qui a tendance à se remplir, mais qui n’est pas encore plein. Tant sur la question de la surveillance microbiologique que sur celle des contaminations chimiques, sur la question des microalgues et de l’eutrophisation, nous avons montré ce qui avait progressé et quels étaient les points de vigilance qui demeurent.

Je vous communiquerai le dossier de presse. Pour vous en résumer l’essentiel, sachant que nous avons à l’Ifremer les données nécessaires pour documenter plus précisément la question, nous travaillons sur ces sujets en lien avec les agences de l’eau et avec l’Office français de la biodiversité. Les données sont acquises soit dans le cadre de la directive-cadre sur l’eau du Parlement européen et du Conseil prise le 23 octobre 2000, soit dans le cadre de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin du Parlement européen et du Conseil prise le 17 juin 2008. Cela répond également à votre question sur l’Europe : au-delà des questions de recherche que nous avons déjà évoquées, nous assurons également la surveillance de l’environnement marin dans un cadre national inspiré du cadre européen.

Sur la surveillance des microalgues et de l’eutrophisation, nous avons montré comment la qualité de l’étang de Thau en Méditerranée a pu être restaurée en une cinquantaine d’années grâce à des stations d’épuration, à des travaux scientifiques, à la réduction des apports de phosphore et d’azote et à la reconstitution progressive de l’écosystème. Cela est donc faisable mais prend beaucoup de temps. Nous avions par ailleurs noté, parmi les points de vigilance, l’existence d’épisodes d’eaux colorées dans l’estuaire de la Loire, dans la baie de Vilaine et globalement en Bretagne-Sud. Nous avons aussi évoqué des proliférations en Manche et en mer du Nord d’une microalgue qui peut générer des mousses assez épaisses, atteignant presque un mètre de hauteur.

Ces éléments montrent donc à la fois des points qui restent à traiter et peuvent clairement être améliorés, et le fait que nous avons été capables d’améliorer la situation. Nous avons précisé que 7 % des eaux côtières métropolitaines n’atteignent pas encore le bon état écologique en termes d’eutrophisation. Nous pouvons donc à la fois nous réjouir du fait que 93 % l’atteignent et nous désoler du fait que 7 % ne l’atteignent pas.

De la même manière, sur la contamination chimique, nous avons tracé un certain nombre d’améliorations et certains points de vigilance datant parfois de longues années. C’est par exemple le cas du cadmium dans l’embouchure de la Gironde, qui demeure encore après avoir été détecté à la fin des années 1970. Nous en trouvons encore les traces presque cinquante ans plus tard. Ce cadmium se trouve dans les sédiments et est remis en suspension périodiquement.

Nous avions présenté lors de la conférence de presse des précisions sur certains sujets particuliers. De manière générale, nous disposons d’indicateurs au niveau national.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles sont, en matière d’environnement côtier, les actions spécifiques qui pourraient être conduites, et par qui pourraient-elles être menées ? Quelle est votre expérience sur les actions qui ont fonctionné ?

M. Wilfried Sanchez. Dans le cas de l’étang de Thau, c’est un long travail de multiples acteurs. Comme nous le disions, la mer est le réceptacle ultime des contaminations terrestres. Les eaux de transition telles que celles d’un étang ou d’une lagune n’échappent pas à la règle. C’est en intervenant en amont que nous pouvons avoir un impact positif sur la qualité chimique ou biologique, parfois physique, de l’eau, ce qui permet à son tour une reconquête du milieu. Cela passe notamment par l’évolution des pratiques agricoles, des évolutions dans le traitement des eaux usées dans les stations d’épuration, ou encore l’amélioration des pratiques de gestion des déchets à terre. Il faut mobiliser tout un ensemble d’éléments pour pouvoir réhabiliter un milieu en un temps assez long.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Dans votre champ de compétences, quelles actions spécifiques pourraient-elles être menées à destination des enfants ou des jeunes ? En conduisez-vous déjà ? Avez-vous des partenariats à ce sujet avec l’Éducation nationale ?

M. François Houllier. De façon générale, j’ai indiqué que nous inscrivons notre politique dans une perspective de science ouverte et de développement durable. Qui dit science ouverte, dit développement des sciences participatives, qui peuvent amener des citoyens à contribuer à des projets de recherche aux côtés des chercheurs professionnels, dont ceux de l’Ifremer, à égalité de droits et de devoirs, même si chacun n’a pas les mêmes compétences et les mêmes talents. Cela fait partie d’une politique générale qui nous amène à avoir des projets dits de « sciences participatives ». Nous en avons notamment sur l’océan profond, comme sur les microalgues dans l’Atlantique.

Même si cela ne répond pas à vos questions sur la santé environnementale, je sors d’un événement organisé par la fondation Dassault Systèmes, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep), le rectorat de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), la direction du numérique de l’Éducation nationale et le réseau Canopé. Nous montons actuellement un corpus d’outils numériques à visée pédagogique pour les enfants des collèges. Nous le testons en région PACA et nous l’étendrons ensuite à l’ensemble du territoire national. Ce projet vient d’être lancé, à quatorze heures trente, à Vélizy.

Ce n’est pas vraiment de la science, c’est plus de la médiation scientifique. Six axes sont traités, dont l’un porte sur la restauration écologique. Par exemple, nous voyons des enfants se servir d’imprimantes 3D afin de créer des récifs artificiels, qui peuvent ensuite être mis en place là où cela est utile. L’Ifremer a déjà commencé à le faire dans la rade de Toulon, pour étudier comment favoriser le retour de certaines espèces en leur fournissant des habitats. Nous transportons donc dans le contexte de l’Éducation nationale des actions que nous menions déjà. Ce projet contient également un axe sur la pollution. Il s’agit dans cet exemple d’intervenir au niveau du collège, l’idée étant ensuite de passer au niveau du lycée. La fondation Dassault Systèmes est très portée sur le numérique et la 3D, mais nous pouvons imaginer de faire le même type d’actions dans d’autres circonstances.

J’ai un autre exemple d’action participative, qui ne concerne pas directement les élèves. Un des navigateurs solitaires de la course Vendée Globe embarque des filtres pour détecter des microplastiques dans des endroits improbables, rarement traversés du sud de l’océan Pacifique. Comme le montre cet exemple, nous menons de multiples initiatives en direction des jeunes ou des moins jeunes pour acquérir des données intéressantes. D’autres actions permettent une activité plus proactive : ainsi, ce que nous faisons avec les jeunes en Méditerranée relève davantage de la restauration que de l’observation. Les jeunes qui ont témoigné ont eu des retours plutôt positifs. Le sujet les intéresse et le fait de travailler avec des professionnels et d’apprendre autrement leur paraît tout à fait positif.

Mme Annie Chapelier. Pouvez-vous, au niveau de l’Ifremer, hiérarchiser et prioriser tous les impacts maritimes en rapport avec la santé environnementale ? Je pense en particulier à la diminution des ressources halieutiques, qui pourrait avoir un impact direct sur la souveraineté alimentaire des populations, ou à la création du continent plastique. Je pense aussi à la multiplication des microplastiques en suspension ou à l’absorption du CO2 par la mer, qui serait, d’après ce que nous lisons dans la presse, a priori sous-estimée. Quelles sont les relations entre les activités humaines et cette capacité d’absorption du CO2 ?

Je pense également à la prolifération, due à l’activité humaine de façon indirecte, de toutes les espèces nuisibles, en particulier, en Méditerranée, ces grosses anémones qui dévorent les posidonies et font diminuer la photosynthèse locale, ou encore les méduses.

Pouvez-vous établir une hiérarchie des combats ? L’un des combats à mener implique-t-il réellement l’avenir de la mer comme ressource pour l’humanité ? Dans le nom de votre institut, figure l’exploitation de la mer : ce nom, peut-être un peu agressif, montre à quel point vous êtes les experts de ces ressources.

Par ailleurs, je suppose que vous étiez partie prenante de la conférence internationale sur les sargasses. Presque un an après cette conférence, un bilan se dégage-t-il ? Elle était, d’un point de vue politique, destinée à amener les petits et grands pays des Caraïbes à s’emparer du sujet environnemental, mais elle a finalement été réduite à cette thématique des sargasses. Les pays des Caraïbes se sont certes retrouvés autour de cette thématique essentielle, mais ils l’ont fait en oubliant un peu toutes les autres thématiques propres aux Caraïbes.

M. François Houllier. Votre première question est redoutable, car la diversité des sujets qui concernent l’océan est colossale. Nous commençons aujourd’hui à avoir une vue synthétique, sur les zones côtières et littorales, de l’état de la qualité des eaux, des principales menaces, des points d’alerte rémanents et de l’amélioration générale. Nous arrivons donc à caractériser un certain nombre de points. En revanche, il est compliqué de hiérarchiser entre le travail que nous faisons sur le côtier et le changement climatique, le stockage du carbone, l’acidification de l’océan qui en découle, les risques pour la santé de l’océan et pour certaines espèces. Les deux sujets sont importants et je peine à les hiérarchiser.

J’ai été récemment invité à intervenir à Monaco dans une conférence organisée par la fondation Albert 1er sur le thème « santé de l’environnement et santé de l’homme ». Cette conférence organisée par les Monégasques et par le journal L’Obs est en ligne. J’ai insisté sur le fait que les activités humaines, que ce soit la pollution ou la surpêche et la surexploitation, peuvent se traduire par la diminution des populations de poissons, d’où en résulte un risque pour l’alimentation humaine. Les poissons fournissent des protéines et des composants de bonne qualité pour la nutrition. Il est exact que la question de la pêche, de la nutrition et de la souveraineté alimentaire se pose, mais il est difficile de hiérarchiser ce sujet par rapport à celui de l’acidification de l’océan.

L’Ifremer étudie l’ensemble de ces questions et, en l’état actuel des connaissances, je répète que j’ai du mal à les hiérarchiser. J’ai aussi dirigé l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), et mon sentiment est que nous en savons davantage sur ce qui concerne l’agriculture et l’alimentation d’origine continentale que sur l’océan, même si les deux sont interconnectés. Que vous appeliez de vos vœux cette hiérarchisation est légitime, mais j’aurais du mal à la produire. Par exemple, les impacts des microplastiques sur la santé des animaux marins sont en cours d’étude. L’Ifremer vient de publier un document sur l’impact des nanoplastiques sur la fécondation des huîtres – c’est un sujet très pointu. Vous posez de façon très légitime une question d’une certaine ampleur alors que nous avançons de façon pointue. Toute une série de questions se posent sur les nanoplastiques ; elles sont traitées par l’Ifremer, par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), par des universités.

Sur les algues nuisibles, nous avons organisé en 2019 la grande conférence sur les efflorescences algales toxiques. Nous pensons que de nombreux travaux sont à mener sur cette question et que c’est plutôt une priorité. Au vu des connaissances, nous abordons actuellement « en râteau » plusieurs questions, plutôt que nous ne hiérarchisons les sujets.

Mme Annie Chapelier. Pour préciser, quels sont les secteurs sur lesquels vous nous alertez ? Quels sont les sujets sur lesquels vous estimez qu’il est indispensable et urgent d’agir afin de ne pas basculer dans une situation de non-retour ? Il est tout à votre honneur de travailler sur tous les sujets, mais le sens de ma question est de savoir si certains sujets sont essentiels.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je souhaite compléter la question de ma collègue, en demandant s’il existe des marqueurs significatifs, des repères d’alerte sur ces sujets. Nous avons compris qu’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble, et que vous êtes obligés de focaliser vos démarches sur certains éléments. Pouvez-vous plus facilement intervenir sur certains symptômes de mauvaise santé de l’océan liés aux pratiques humaines ?

M. François Houllier. Un rapport a été remis en 2019 par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui est, grosso modo, le groupe d’experts internationaux sur la biodiversité. Une collègue française en fait partie et un collègue de l’Ifremer de l’unité sétoise a pris le relais. Nous sommes donc présents dans ces évaluations internationales. La France n’est pas complètement absente de ces sujets.

Dans la partie marine du rapport sur la biodiversité, la surpêche apparaît comme un sujet majeur. Toutefois, même si la situation mondiale des pêches se dégrade, la situation européenne s’est améliorée en qualité. La politique commune des pêches a permis une restauration progressive de populations qui sont maintenant gérées de manière durable, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. Cependant, comme pour la question des pollutions, le verre n’est pas plein ! De mémoire, actuellement, la moitié des populations de poissons pêchés par les pêcheurs français sont gérées de manière durable, ce qui signifie que l’autre moitié ne l’est pas. Cependant, la situation est tout de même nettement meilleure que celle d’il y a vingt ans.

En revanche, au niveau mondial, la tendance est inverse, avec une dégradation. Alors que l’effort global de pêche augmente, la quantité de poisson pêchée n’augmente pas, ce qui traduit le fait que nous exploitons sans doute cette ressource de manière non durable. Certaines espèces sont durablement pêchées mais d’autres ne le sont pas du tout. Cela renvoie aux questions sur la souveraineté alimentaire, au fait que des millions de petits pêcheurs, surtout dans les pays en développement, vivent de cette activité et que les populations, surtout côtières, ont besoin de ces protéines. Cela induit des questions sur le développement de l’aquaculture, qui posera toutefois d’autres problèmes.

Un deuxième sujet important est celui de la pollution. Nous parlons beaucoup des plastiques mais ce n’est pas la seule pollution. Il s’agit aussi bien de pollutions au sens strict par des contaminants chimiques que de pollutions organiques telles que les excès de phosphore ou de nitrates. Le rapport de l’IPBES fait également apparaître une sorte d’addition des effets. Nous pensions que chaque risque avait un effet, mais nous voyons maintenant que, dans certaines zones, il se produit une addition des différentes pollutions ou une addition de pollutions et de la surpêche. Se pose alors la question des impacts cumulés. Nous sommes à ce sujet dans une zone incertaine. En effet, nous ne savons pas si les impacts, lorsqu’ils sont cumulés, deviennent synergiques et encore plus dévastateurs, ou si, au contraire, il existe entre eux des formes de compensation.

Il est très difficile de hiérarchiser entre d’un côté la question du changement climatique, de la montée des eaux et de leur réchauffement, et de l’autre celui de la biodiversité marine. Leurs effets sur la santé humaine et la santé de l’environnement ne sont pas complètement caractérisés. J’ai de la peine à dire s’il faut privilégier la biodiversité par rapport au climat ou l’inverse. Ces deux questions sont majeures.

M. Wilfried Sanchez. L’Ifremer suit le sujet des sargasses puisque nous avons une implantation à la Martinique et une implantation en Guyane. Ce sont des territoires concernés au premier chef par ces problématiques. Nous ne sommes toutefois pas les acteurs les mieux positionnés sur cette question. L’Institut de recherche pour le développement (IRD), par exemple, est fortement mobilisé. Nous intervenons plutôt en appui aux communautés scientifiques, auxquelles nous apportons des compétences spécifiques en modélisation ou par certaines de nos infrastructures de recherche.

Vous alliez un peu plus loin que les sargasses en évoquant les autres sujets propres aux Caraïbes. Certains de ces sujets mobilisent les équipes de l’Ifremer, notamment en Martinique, en particulier la chlordécone et la ciguatera. L’Institut mène une action visant à renforcer en interne nos compétences en Martinique pour pouvoir se saisir de ces enjeux. Nous agissons en termes de moyens en nous appuyant sur nos installations expérimentales sur place. Nous faisons aussi le lien entre des équipes en métropole et les équipes en Martinique, afin que les compétences déployées en métropole sur certains sujets puissent être transférées dans les régions ultramarines, notamment en Martinique, pour traiter par exemple le sujet de la chlordécone. Typiquement, nos équipes de chimie environnementale et d’écotoxicologie basées à Nantes ont des compétences qu’elles peuvent mobiliser. Notre équipe qui s’intéresse aux algues toxiques, également basée à Nantes, a des compétences sur le thème de la ciguatera. Les deux sujets recroisent celui des sargasses puisque, dans l’océan, c’est une joyeuse soupe de multiples stress mélangés. En Martinique, nous avons sargasses, chlordécone et ciguatoxine, ainsi que d’autres stress qui attirent moins l’attention des médias.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’ai une question complémentaire et naïve : comment pouvons-nous nettoyer la mer ? Je pense notamment au problème de la chlordécone, car j’ai entendu dire que nous en avions, avant que les pêcheurs puissent pêcher des poissons à peu près sains, pour plusieurs générations. Techniquement, le laboratoire de recherche de Nantes travaille beaucoup sur ces questions, et je voudrais savoir quel est l’avenir pour les Antillais, pour la qualité de leur pêche et de leur nourriture en général.

M. Wilfried Sanchez. Ce sont rarement des actions de nettoyage de l’océan. Dans l’environnement marin, la chlordécone a une durée de vie assez longue. Les actions que nous menons à l’Ifremer visent à caractériser le danger et le risque. Elles visent aussi à assurer la maîtrise de ce risque par des recommandations de non-consommation du poisson, de fermeture de zones de pêche. Il peut même s’agir d’accompagner la puissance publique dans la mise en œuvre des plans d’adaptation des flottilles, dont l’objectif est de permettre aux populations d’aller pêcher sur des zones plus éloignées que celles où elles pêchent habituellement avec des petites flottilles. Les contaminations dans ces zones seraient moindres voire non détectables.

La recherche, pas uniquement à l’Ifremer et pas majoritairement à l’Ifremer, essaie de trouver des solutions de nettoyage en s’appuyant sur des moyens technologiques ou biotechnologiques, mais cela reste actuellement expérimental. Ainsi, sur les plastiques, la presse parle régulièrement d’actions de nettoyage de l’océan, et il y a débat un peu critique sur l’efficacité de ces actions, et notamment sur le risque de ramasser en même temps que le plastique toute la biologie qui l’accompagne, ce qui engendrerait des déséquilibres dans les écosystèmes. Il reste de nombreuses questions et, à ma connaissance, nous n’avons rien de bien probant.

M. François Houllier. Certaines contaminations provenant d’activités vieilles de trente ou quarante ans ont diminué, mais sont encore présentes dans l’environnement. Cela nous indique clairement que la première des choses à faire est de prévenir plutôt que de guérir. Il n’existe pas, à ma connaissance, de méthode robuste, pratique, simple ou industrielle de destruction de la chlordécone lorsqu’elle est dans l’environnement. Des chercheurs travaillent à son altération par des microorganismes, mais nous n’avons aujourd’hui rien d’opérant, surtout dans le milieu marin qui est hautement connecté et peu accessible.

Dans le cas des plastiques, environ 8 millions de tonnes de plastiques arrivent chaque année à la mer, chiffre qui peut aller même jusqu’à 12 ou 15 millions de tonnes. Des quantités importantes sont déjà accumulées en mer, pas en surface mais au fond. Une publication dans la revue Science, faite par des collègues britanniques et des collègues de l’Ifremer, montre que, en Méditerranée, pas loin de la Corse, se trouvent des sortes de canyons au fond desquels du plastique s’accumule. Ce n’est pas forcément dramatique. Même si cette accumulation n’est pas souhaitable, nous n’irons jamais chercher ce plastique.

Ma première réponse est qu’il faut, surtout, éviter à l’avenir les contaminations de la mer par la terre et parfois de la mer par la mer, puisque 20 % des pollutions sont supposées être dues aux activités marines. Ce n’est malheureusement pas une réponse très positive.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous semblez dire que certains phénomènes sont irréversibles. Pouvons-nous quand même intervenir et avoir l’espoir que nous puissions contrôler les interactions entre la terre et la mer ?

M. François Houllier. C’était le sens de notre intervention lors de la conférence de presse à Nantes. Certes, il reste du cadmium dans l’embouchure de la Gironde, mais moins qu’avant. Certes, il reste du plomb dans la baie du Lazaret à Toulon, mais moins qu’avant. L’étang de Thau était en piteux état, et il est maintenant dans un état satisfaisant. Un certain nombre d’actions peuvent donc être menées. Elles sont d’autant plus faciles à mener qu’elles sont menées en milieu côtier ou littoral, où l’accès est plus facile. Ainsi, la restauration écologique que nous menons avec des élèves se fait dans la rade de Toulon. Nous avons donc des actions concrètes pour améliorer la situation.

Malheureusement, sur certains sujets, mon devoir est de dire que je ne vois pas de solution à court terme. C’est le cas pour la chlordécone. Sur les ciguatoxines et la ciguatera, l’une de nos jeunes collègues, qui est post-doctorante, reçoit demain un prix Jeunes Talents de la fondation L’Oréal-UNESCO. C’est typiquement un sujet sur lequel nous travaillons, pour l’instant plutôt pour enrichir nos connaissances que pour agir contre les ciguatoxines, mais c’est la première étape de l’action future.

Mme Annie Chapelier. Vous avez évoqué la montée des eaux. Vous avez un centre à La Réunion, mais vous n’en avez pas en Antarctique. Je crois que vous affrétez le Marion Dufresne. Où mesurez-vous la montée des eaux et l’impact qu’elle a sur le trait de côte et sur les populations, en particulier lorsqu’elle modifie les sols et la biodiversité ? Nous le constatons peu en métropole. Est-ce plus visible dans les Outre-mer ? Le constatez-vous dans vos stations dans les Outre-mer ? Le constatez-vous grâce à la flotte que vous affrétez dans les îles Éparses de l’océan Indien comme Bassas da India ou Tromelin ?

M. François Houllier. S’agissant de la montée des eaux, l’essentiel des travaux sont plutôt réalisés sur la base de données satellitales. La mesure de l’élévation du niveau de la mer est faite principalement par satellite, ce qui explique d’ailleurs que nous ayons un partenariat fort avec le Centre national d’études spatiales (CNES). Dans le cadre de l’Observatoire spatial du climat du CNES, toute une série de sujets concerne l’élévation du niveau de la mer.

Pour comprendre la raison de l’élévation du niveau de la mer et savoir si elle provient plutôt de la fonte de l’Antarctique, de la fonte de glaciers ou de la dilatation, nous avons besoin de mesures in situ. Ces mesures sont peu liées à la flotte océanographique française, mais plutôt à un très grand réseau constitué de 4 000 flotteurs dans le monde, nommé Argo. La France est le deuxième contributeur à ce réseau, après les États-Unis. Chacun de ces flotteurs coûte de 10 000 à 100 000 euros selon le modèle, et ils ont une durée de vie de trois ans. Ainsi, nous suivons l’élévation du niveau de la mer depuis l’espace et nous en comprenons les mécanismes grâce à ce réseau de flotteurs. La flotte sert à mettre à l’eau ces flotteurs.

Je ne peux pas vous répondre en ce qui concerne l’impact par exemple dans les îles Éparses ou dans des îles Australes. Nous n’avons pas d’observatoire à terre dans ces îles qui nous permettrait de le qualifier.

À ma connaissance, la modification de la biodiversité lorsque la mer avance en modifiant les sols et donc la biodiversité a peu été étudiée jusqu’à présent. Les études ont plutôt porté sur le risque physique lié à l’érosion du trait de côte et sur le risque sociologique et humain sur l’aménagement du territoire. Le ministère des affaires étrangères nous a posé cette question pour ses coopérations internationales, et nous avons constaté qu’il n’existe que peu de travaux sur le lien entre montée des eaux et biodiversité.

Nous avons produit une étude prospective intitulée La mer monte, que nous pouvons vous adresser, produite dans le cadre de l’alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) qui regroupe tous les organismes de recherche environnementale, dont l’Ifremer, et en particulier l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), qui s’est fortement mobilisé pour cette étude. Cette étude présente le paysage général de la montée des eaux et s’est attachée à regarder trois situations particulières, une en Asie au Vietnam, une en Europe aux Pays-Bas avec les polders, et une en France en Nouvelle-Aquitaine. Le travail porte plutôt sur les stratégies d’adaptation, ce qui peut être intéressant, notamment pour les collectivités territoriales, même si elles n’ont pas attendu cette étude pour se saisir du sujet. Les stratégies y sont étudiées selon les méthodes d’anticipation de la montée des eaux et de redéfinition des plans d’aménagement du territoire. L’étude constitue une aide à la réflexion pour les collectivités concernées. J’en ai parlé à Régions de France et nous nous tenons à leur disposition pour la partager.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour toutes ces explications. Nous avons pris grâce à vous un grand coup d’air du large, ce qui est à la fois dépaysant et instructif pour les citadins que nous sommes. Nous sommes très demandeurs du dossier de votre conférence de presse, qui semble comporter des éléments complémentaires intéressants.

L’audition s’achève à dix-huit heures vingt.

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17.   Audition, ouverte à la presse, de M. Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitaliers de biochimie à l’Université de Paris (8 octobre 2020)

L’audition débute à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons M. le professeur Robert Barouki, professeur des universités et praticien hospitalier de biochimie à l’université de Paris.

Professeur, vous dirigez l’unité de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) intitulée « Toxicologie, pharmacologie et signalisation cellulaire ». Vous dirigez également le programme européen Health Environment Research Agenda (HERA) chargé de proposer à la Commission européenne des priorités de recherche sur l’environnement et la santé pour les années 2020-2030. Vous avez assuré le pilotage du groupe de travail de l’INSERM qui a réfléchi à une préfiguration du volet recherche du prochain plan national santé-environnement (PNSE). Votre audition à titre d’expert et de scientifique est très précieuse pour notre commission, d’autant plus que vous êtes spécialisé dans les questions de perturbateurs endocriniens.

Dans le rapport de préfiguration de l’INSERM, vous soulignez que « la connaissance des expositions, de leurs effets et des mécanismes sous-jacents n’en est encore qu’à ses débuts et ne permet donc pas encore de faire une analyse suffisamment approfondie et pertinente des contributions de tous les facteurs environnementaux, ni de les hiérarchiser en termes de risque sanitaire ». Comment avancer dans cette connaissance ?

(M. Robert Barouki prête serment.)

M. Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l’université de Paris. Je parlerai surtout de recherche, mais je pense que la santé environnementale est un domaine où l’interface entre la recherche et la décision publique est particulièrement importante et délicate. Nous sommes souvent dans une situation d’incertitude et il est parfois difficile de savoir à quel niveau d’incertitude nous sommes. Cela entraîne des controverses.

La période est assez propice sur le plan politique. Le programme européen Green Deal et les programmes qui l’accompagnent, comme la stratégie chimique pour une durabilité Chemicals – strategy for sustainability, qui sera publiée dans une semaine, ou le programme de la fourche à la fourchette, Farm to fork strategy, constituent une opportunité politique. Même si la pandémie est un évènement malheureux, le plan de relance donne également une opportunité de revisiter nos attitudes et nos stratégies. Nous en sommes donc, dans ce domaine, à un instant « charnière ».

Comment la recherche peut-elle s’inscrire dans ce processus et où en sommes-nous ? En France, nous avons des approches assez positives sur certains plans et négatives sur d’autres. Pour détailler, je pense que, dans le domaine de l’interaction entre la science et la décision publique, nous avons des outils utiles, mais qui ne fonctionnent pas à 100 %.

Ainsi, le groupe santé-environnement (GSE) que vous connaissez très bien, madame la présidente, est une interface entre les scientifiques, les représentants de la société civile, les ministères, les parlementaires, les organisations non gouvernementales (ONG) et les entreprises. Ce GSE est assez unique en Europe ; c’est un lieu de dialogue utile et nous retrouvons cette approche dans les différents plans et les différentes stratégies. Ce point est positif et je pense que c’est très bien en termes de délibération.

En revanche, nous pêchons sur l’aspect plus exécutif et la traduction pratique des plans. De grands principes sont énoncés par la recherche, mais leur application et la coordination de cette application sont absentes ou, en tout cas, insuffisantes. L’outil global existe donc, c’est une sorte du parlement du système, mais il nous manque l’exécution pratique.

De plus, nous sommes gouvernés, en France – dans le domaine santé-environnement – par des plans, dont le plus important est le plan national santé environnement (PNSE). Toutefois, de nombreuses stratégies l’entourent, comme la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, la santé au travail, la chlordécone… D’autres pays nous jalousent de disposer d’une telle stratégie, en termes de recherche et de décision publique, mais, à nouveau, la traduction pratique est insuffisante. Le morcellement des plans n’est pas utile et je pense que nous devons, lors de notre réflexion sur le PNSE4, le concevoir comme une sorte de bateau amiral avec une vision globale à laquelle nous rattacherons les plans annexes pour avoir une cohérence de la politique publique.

Pour revenir à l’aspect purement recherche, la recherche dans le domaine santé-environnement est présente en France dans de nombreuses institutions différentes et cela est normal. En tant que tel, cela ne pose pas de problème. Il est normal que l’INSERM, l’institut de la recherche agronomique (INRA), le centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)… fassent de la recherche dans ce domaine.

Le financement de cette recherche est lui aussi morcelé. Une partie du financement provient de l’agence nationale de la recherche (ANR) dans des programmes génériques auxquels peuvent candidater ceux qui font de la recherche dans le domaine santé-environnement. Ce domaine fait partie des axes de recherche de l’ANR, mais celle-ci ne le sépare pas des autres programmes et aucun financement spécifique de cet axe n’est garanti. L’ANR a pris cette décision depuis longtemps et elle est soutenue par de nombreux scientifiques qui ne souhaitent pas une ANR découpée en différentes spécialités. Ils préfèrent qu’elle garde un programme Blanc très large. Cela permet à ceux qui ont des projets dans différents domaines de venir concourir et, ensuite, l’ANR classe les projets en fonction de leur qualité. C’est la stratégie actuelle, mais cela n’a pas toujours été le cas.

J’ai moi-même dirigé, voici plus de dix ans, une commission de l’ANR sur un programme très spécifique qui s’appelait « Contaminants, écosystèmes, santé, adaptation » (CESA). Nous faisions alors un appel à projets spécifique sur les problématiques de toxicologie, d’écotoxicologie, d’épidémiologie environnementale. Nous disposions d’une enveloppe à peu près sûre. La stratégie change. L’ANR continue à soutenir des projets, mais sans garantie en termes de fonds globaux.

L’Anses a également son plan, le plan national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST). Des plans sur les perturbateurs endocriniens ont été prévus tous les deux ou trois ans. L’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) finance également la recherche.

La multiplicité de financeurs de la santé environnementale ne me pose a priori pas de problème, parce que les objectifs sont différents. Il est normal qu’une agence sanitaire ait des problématiques propres et lance un appel à projets pour régler celles-ci. Toutefois, d’un point de vue global, il serait intéressant d’avoir plus de coordination entre ces différents appels, même s’ils ont des finalités distinctes.

Puisque nous avons une agence de la recherche, il est normal que ce soit au niveau de cette agence que la stratégie de recherche soit financée, cette stratégie étant définie par des alliances de recherche qui ont d’ailleurs, dans l’ensemble, une politique assez favorable à la santé environnementale. Tout ceci manque de coordination et d’une volonté forte d’aller dans ce sens. Le terme « volonté » n’est peut-être pas excellent, car il existe bien une volonté, mais il faut qu’elle se traduise en pratique.

Par exemple, les plans d’investissement d’avenir ont apporté beaucoup de moyens à nombre de chercheurs. Il faut le reconnaître et c’est très bien. Mais il n’a jamais existé de véritable plan dans le champ santé-environnement. Lors de nos candidatures, nous nous sommes toujours trouvés plus ou moins « sous la barre », parce qu’il fallait un équilibre entre les différents champs disciplinaires, entre biologie, médecine, chimie, physique… La santé environnementale n’a pas le même prestige que d’autres disciplines, comme la neurologie ou la génétique. Connaissant bien la toxicologie, je vois effectivement que les publications en toxicologie, en génétique ou en immunologie ne sont pas au même niveau. Cela n’empêche pas d’avoir une véritable volonté de développer les disciplines et de les amener à un plus haut niveau. Je serais ravi d’y participer : j’ai beaucoup réfléchi à ces questions dans le passé.

Nous avons eu quelques succès au plan européen, par exemple dans la coordination du programme HERA. Ce n’est pas par hasard si quelqu’un de l’INSERM coordonne un programme européen dont le but est tout de même très ambitieux. Il s’agit de proposer un agenda de recherche à la Commission pour les dix ou vingt ans à venir, à un moment charnière comme aujourd’hui. Nous avons ainsi pu gagner des programmes européens qui sont pilotés par la France.

Je ne dis pas que la France n’était auparavant pas présente dans des projets européens, mais j’ai personnellement beaucoup œuvré pour que nous prenions l’initiative de piloter des projets, d’être leaders. Je dois avouer que ce domaine de la santé environnementale a traditionnellement été beaucoup plus dominé, à l’échelle européenne, par les pays du Nord. Les Hollandais et les Anglais ont été très forts et les Scandinaves extrêmement forts.

Par exemple, neuf projets sur l’exposome ont été financés l’année dernière. Parmi eux, huit projets sont hollandais, anglais ou scandinaves et un projet est belge. Je parle de direction et non de participation : d’autres pays participent évidemment à ces projets. Un seul projet est dirigé par la France et aucun par les pays du Sud. De même, pour les perturbateurs endocriniens, une personne de mon laboratoire a obtenu de coordonner un projet, il y a un an et demi, et nous sommes les coordonnateurs les plus au Sud. Les autres viennent de Hollande, de Scandinavie, d’Angleterre.

La bonne nouvelle est que mes collègues suédois m’ont dit : « Voici dix ans, nous ne voyions pas la France dans le radar. Nous voyions quelques équipes françaises qui pouvaient participer et elles participaient. Maintenant, vous êtes complètement dans le radar de l’Europe. »

Ainsi, il existe un grand programme européen de biosurveillance nommé HBM4EU pour Human biomonitoring, c’est-à-dire le dosage et la surveillance des contaminants qui concernent l’être humain. Ce plan regroupe une trentaine de pays européens et est coordonné par l’Allemagne, qui a historiquement le programme de biosurveillance le plus développé. Santé publique France a certes un très bon programme, mais l’Allemagne le pratique depuis beaucoup plus longtemps. À l’INSERM, je coordonne le pilier recherche du programme HBM4EU, c’est-à-dire non seulement la plateforme pour faire ces dosages mais aussi la façon d’exploiter ces dosages. Il s’agit de savoir ce que signifie, en termes de santé, la présence de tel ou tel pesticide dans le sang et d’où cela vient. Nous avons beaucoup insisté pour essayer de mieux comprendre ces points et c’est l’INSERM qui coordonne cette partie du programme, avec le CNRS, l’INRA, l’Anses, Santé publique France et d’autres.

Les huit institutions françaises concernées travaillent très bien ensemble, à tel point que ce programme aura une suite. Il s’agira d’un grand partenariat sur la biosurveillance et la toxicologie. Ce grand partenariat qui devait, par la volonté de l’Europe, être dirigé par une agence sanitaire, pour avoir une orientation très appliquée aux besoins des agences nationales et européennes, sera dirigé par l’Anses. C’est une excellente nouvelle. Si nous avions été mauvais dans HBM4EU, nous ne l’aurions pas obtenu. Nous avons donc « gagné des points » sur le plan européen. Des institutions de recherche et des agences nous ont soutenus, les départements spécialisés dans les ministères nous ont aussi beaucoup aidés. Je pense que nous avons ainsi l’opportunité de développer également ces travaux dans notre pays.

Je suis donc très favorable à ce que, dans le cadre du PNSE4 et sous la houlette du GSE, nous fassions un grand effort national sur la recherche en santé environnementale. Comme nous l’avons signalé dans le rapport de l’INSERM, nous sommes loin d’avoir une vision suffisante. Par exemple, nous avons des connaissances, en gros, sur quelques centaines de produits chimiques alors que des dizaines de milliers de produits sont enregistrés dans le système Registration, evaluation and authorization of chemicals (REACH). Pour de très nombreux produits, nous n’avons que peu d’informations ou seulement l’information fournie par l’industriel qui a proposé la substance.

De plus, nous ne savons pas gérer le problème des mélanges de substances qui est pourtant une grave question, même en termes de santé publique. Nous continuons à faire comme si la question se posait substance par substance. Les organismes de recherche s’intéressent au problème des mélanges, mais nous n’avons pas suffisamment de connaissances. Par ailleurs, nous ne mettons pas vraiment en évidence les substances qui émergent. Il faut que nous développions des outils pour le faire.

Ce n’est pas seulement un problème de coordination. C’est réellement un problème de moyens. Il faut évidemment que les moyens soient bien utilisés et donc que nous ayons une coordination, mais nous manquons de moyens. Certains de mes collègues américains font remarquer que, en génétique, nous avons énormément de connaissances, nous séquençons tout notre génome, nous connaissons pratiquement toutes les variantes entre les différents humains, même si nous ne savons pas toujours les interpréter. Dans les problématiques environnementales, nous en sommes très loin. Nous ne connaissons que quelques centaines de produits chimiques alors que nous pourrions en connaître et en détecter beaucoup plus. De même que nous avons conçu un programme international pour étudier le génome humain, il faut sans doute concevoir un programme sur l’exposome, pas uniquement en termes de coordination, mais aussi avec des moyens pratiques.

La notion d’exposome regroupe l’ensemble des expositions. Il s’agit d’avoir une vision intégrée et non que chacun travaille dans son coin, sur les produits chimiques, sur le changement climatique ou sur les stress liés au bruit… L’objectif que l’INSERM a proposé au PNSE est d’avoir une vision intégrée, globale, car l’exposome ne concerne pas uniquement la recherche mais s’intègre aussi dans la décision publique. Il est d’ailleurs présent dans la loi. Nous proposons donc d’avoir un vrai programme « Exposome » pour avancer dans ce domaine, faire « diminuer les trous et même les gros trous présents dans la raquette » des connaissances, afin de pouvoir guider la décision publique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous décrivez finalement de multiples démarches de recherche très dispersées, portées par de nombreux laboratoires, avec une carence de financement notamment de l’ANR. Selon vous, l’ANR devrait être au cœur du dispositif, mais elle ne semble pas en avoir les moyens. Existe-t-il actuellement une cartographie de tous les programmes de recherche qui touchent de près ou de loin à la santé environnementale ? Quels sont leurs financements et combien d’argent y est injecté ? Ces programmes sont-ils rattachés à des agences, à des ministères ?

M. Robert Barouki. Je pense que l’ANR finance une quinzaine de projets dans le domaine de la santé environnementale chaque année, ce qui représente 7 ou 8 millions d’euros. L’ANR vous donnera sans doute des chiffres beaucoup plus précis. Les responsables de l’ANR organisent tous les projets qui leur sont soumis en petits comités d’étude et d’analyse. Ils savent donc très précisément ce qu’ils financent. En regroupant épidémiologie et toxicologie, je pense que l’ANR finance dix à quinze projets.

Cela dépend des années, l’ANR étant passé par une phase durant laquelle, dans tous les domaines, le pourcentage de réussite des dossiers soumis était ridiculement faible à 9 %. Les chercheurs passaient donc énormément de temps à concevoir de gros projets et très peu réussissaient. À cette époque, le financement de la santé environnementale a parfois été très faible. Il a augmenté ces dernières années, mais reste très en deçà des besoins. D’autres disciplines feront certes le même commentaire pour elles-mêmes mais, compte tenu des enjeux de la santé environnementale, je trouve que c’est insuffisant.

L’Anses apporte un financement qui était d’environ 5 millions d’euros voici quelques années. Elle finance plus de projets mais des projets plus petits. Je crois que le financement de l’Anses atteint désormais 7 ou 8 millions d’euros, parce que 2 millions d’euros ont été donnés pour l’étude des perturbateurs endocriniens depuis deux ans, mais je ne sais pas combien de temps cela durera et nous ne pouvons donc pas nous projeter dans l’avenir.

L’Anses a réussi à obtenir ce volume de financement, parce qu’il agrège toute une série de demandes. Une partie du financement provient de l’Institut national du cancer (INCa) et doit aller vers des projets liés au cancer. Une autre partie du financement provient de programmes sur les ondes électromagnétiques et doit financer des projets liés à ce domaine. Il existe un financement plus générique sur les produits chimiques qui est plus ouvert. Même en atteignant 8 millions, ce financement est équivalent à celui d’un seul programme européen moyen.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Justement, quel est le coût d’un programme ?

M. Robert Barouki. Par exemple, le programme coordonné par mon laboratoire porte sur la façon dont les perturbateurs endocriniens affectent le métabolisme et l’obésité. Nous disposons d’un financement de 6 millions d’euros, une douzaine ou une quinzaine de partenaires en Europe. Le programme Exposome auquel j’ai participé il y a quelques années disposait d’un financement de 13 millions d’euros.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelle est la logique d’affectation de ces sommes ?

M. Robert Barouki. Il faut principalement payer des gens pour effectuer les travaux, payer des post-doctorants, des ingénieurs. Un post-doctorant d’un programme européen coûte 60 000 à 70 000 euros par an au total. Si le programme dure quatre ans, il faut multiplier par quatre. Vous voyez tout de suite la somme atteinte lorsqu’un laboratoire recrute deux post-doctorants. Je précise que, lorsque j’ai indiqué une somme de 6 millions d’euros pour le programme sur les perturbateurs endocriniens, il s’agit du total sur quatre ans alors que le chiffre que j’ai donné pour l’Anses vaut pour un an.

Cela vous donne une idée du volume total dépensé. L’ANR et l’Anses sont les plus gros financeurs. Il existe des programmes plus spécifiques. Je ne connais pas les chiffres de l’ADEME. Avant que le programme sur les perturbateurs endocriniens ne passe sous la responsabilité de l’Anses, il disposait de 1,5 million d’euros environ tous les deux ou trois ans.

Aux États-Unis, un pays dans lequel les problématiques d’environnement et de santé ne sont pas les plus mises en avant par l’administration actuelle, il existe au National Institutes of Health (NIH) – qui est l’équivalent de l’INSERM – une section environnement-santé nommée National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS) qui a un budget de 700 millions de dollars par an. Le NIEHS finance en intra-muros et finance aussi des projets extérieurs. Cela s’ajoute aux autres financements existant aux États-Unis, puisqu’un projet de santé-environnement peut être présenté au NIH global et non au NIEHS. À l’échelle française, cela correspondrait à 100 ou 120 millions d’euros.

Les États-Unis ont ainsi une avance importante. Cela leur permet d’avoir le journal le plus prestigieux dans le domaine santé-environnement et leur donne un certain pouvoir. Par ailleurs, leurs activités sont assez coordonnées par le NIEHS. De plus, il existe au NHS deux autres centres, le premier spécialisé dans le domaine santé-travail, le second – indépendant du NHS – travaillant sur les problèmes éco-toxicologiques et non sur la santé humaine.

En France, il faudrait faire le total des financements de l’ANR, de l’Anses et de ce que nous obtenons des programmes européens. C’est la raison pour laquelle j’ai beaucoup insisté pour que nous dirigions des programmes européens. Cela permet d’avoir plus de budget et d’agréger des collègues français. Dans le programme HERA, nous sommes au total vingt-trois partenaires, parmi lesquels j’ai réussi à mettre quatre ou cinq partenaires français, tels que le CNRS, l’INSERM, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’Anses. Trois ou quatre institutions françaises participent au programme Oberon sur les perturbateurs endocriniens. C’est bien, mais nous ne pouvons pas non plus être trop nombreux, sinon cela déséquilibrerait le programme.

Nous candidatons en fait à de nombreux programmes européens, mais nous n’en avons que peu. La compétition est très forte. De plus, il existe des réseaux constitués, qui sont très forts, qui ont déjà eu de l’argent européen et qui recandidatent. Ils ont de l’avance, ils peuvent montrer ce qu’ils ont déjà fait. Comme nous n’étions pas très présents il y a dix ans, nous sommes des challengers pratiquement sur tous les programmes. Nous y parvenons parfois, mais pas souvent. Il faut encourager la multiplicité des propositions. Je pense que nos chercheurs ont maintenant plus de volonté d’y aller. Il existait des barrages historiques, les chercheurs trouvaient plus facile de candidater à l’ANR, hésitaient à cause de l’anglais… Cela change. Si je souhaite coordonner un programme européen, j’ai maintenant tout de suite le soutien d’INSERM Transfert qui est une organisation dépendante de l’INSERM, mais privée, dont la mission est d’aider à soumissionner à un programme européen. C’est nécessaire, nous ne pouvons pas le faire seuls car c’est trop compliqué. Le fonctionnement est similaire à l’INRA et au CNRS.

Je ne veux donc surtout pas brosser un paysage trop noir. Avec des efforts, cela marche, mais je suis quand même surpris qu’il n’existe pas de soutien pour la santé environnementale dans le programme d’investissements d’avenir. Le programme a certes donné un financement à des études de cohortes, mais ce sont des cohortes génériques et non spécifiques au domaine de la santé et de l’environnement. Nous demandons depuis longtemps la création d’un programme prioritaire de recherches (PPR) faisant partie du programme des investissements d’avenir et orienté sur le domaine santé-environnement. Ce doit être un PPR, c’est-à-dire un programme très ouvert fonctionnant par appels à projets, organisé par objectifs. Cela peut être un bon moyen de centraliser, au sens de créer un corpus d’appels à projets orientés vers la santé et l’environnement, coordonnés avec l’ANR, l’Anses…

Nous avons proposé, dans la vision INSERM, un outil de coordination à l’image de ce qui existe dans d’autres PPR ou d’autres thématiques comme l’antibiorésistance. Il existe dans ce domaine une gouvernance de la recherche qui fonctionne bien. Puisque cela existe et que cela fonctionne, il n’est pas utile de réinventer un autre système. L’antibiorésistance est certes un problème fondamental mais, comparativement, le domaine de la santé environnementale est énorme. C’est très bien qu’il existe des PPR sur l’antibiorésistance, sur la sortie des pesticides, mais c’est curieux qu’il n’existe rien sur la santé environnementale, sur l’impact des pesticides, des perturbateurs endocriniens, du bruit… sur la santé. Nous le demandons depuis longtemps, avec le soutien de nos organismes.

Nous pouvons trouver tous les modes de gouvernance possibles, mais si nous ne mettons pas de moyens, cela ne fonctionne pas. Il ne suffit pas de dire « Coordonnez-vous ! ». J’ai cité le programme de biosurveillance européen. Il comporte un nœud français regroupant presque tous les organismes impliqués, soit huit établissements. Nous avons des moyens, pas mal de Français en font partie et nous nous réunissons quatre fois par an. Nous discutons vraiment bien, les jeunes se connaissent maintenant et cela a créé une véritable dynamique. Cela a poussé à créer d’autres projets, notamment à monter une infrastructure française sur l’exposome chimique. Nous avons là aussi besoin de soutien ; le projet est au ministère.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Auprès de quel ministère, l’avez-vous déposé ?

M. Robert Barouki. Le projet est au ministère de la recherche. Sur le fond, les responsables sont plutôt d’accord. Cela concerne principalement les laboratoires de Rennes et de Nantes, un peu celui de Saclay. Ils ont monté une belle infrastructure capable de devenir leader en Europe. Nous partons d’un acquis déjà solide, avec l’INSERM, l’INRAE, l’école vétérinaire de Nantes, l’institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET), l’école des hautes études en santé publique (EHESP). Comme je vous l’ai déjà dit, nous ne connaissons que peu le sujet et cette plateforme pourra détecter des émergences, analyser à très grande échelle les substances auxquelles nous sommes exposés dans le sang humain. Elle travaillera avec des cohortes, pourra travailler avec la clinique qui est un aspect n’étant pas encore entré dans ce monde.

C’est actuellement mon sujet favori. À l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), nous avons réussi à créer un petit groupe qui s’occupe de santé-environnement. Il fonctionne bien et implique du personnel non nécessairement médical. Les sages-femmes sont très à la pointe et nous avons un programme « Éco-maternité » auquel plusieurs hôpitaux sont déjà inscrits, ce qui ralliera tous les autres hôpitaux. Nous aurons donc des « éco-maternités » un peu partout. Je suis très heureux d’y avoir un peu contribué et d’y contribuer encore en essayant de monter un programme sur l’exposome fœtal. J’ai la chance d’être à l’hôpital Necker dans une maternité qui traite beaucoup de problèmes fœtaux, qui est spécialisée dans les malformations et les problématiques fœtales. Dans les prélèvements de liquide amniotique, nous dosons jusqu’à maintenant très peu de substances. L’idée est, par la recherche d’abord, de voir si nous ne pouvons pas élargir ces dosages et étudier de plus près ce qu’il se passe. C’est bien que nous ayons un tel programme mais nous avons besoin d’infrastructures et de moyens. Nous avons une idée claire des infrastructures qu’il est nécessaire de développer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Finalement, les laboratoires ou les équipes de recherche développent de véritables stratégies sur le long terme pour décrocher des financements. Elles se démènent pour les obtenir, soit à l’échelle nationale où les montants proposés sont faibles, soit à l’échelle européenne où il existe plus de financements.

M. Robert Barouki. Il existe des financements à l’échelle européenne et l’important est d’entrer dans les réseaux existants ou de créer son réseau, ce qui est plus facile. Il faut se lancer, « prendre des baffes » et y aller !

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le réseau a l’intérêt d’apporter la force de frappe, la puissance du groupe mais le défaut de ce système est que ce sont toujours les mêmes qui bénéficient des fonds, comme vous l’avez souligné.

De jeunes chercheurs qui n’appartiennent à aucun réseau se plaignent du fait que ce sont toujours les mêmes anciens qui bénéficient des faibles sommes disponibles sur le marché français. Ils ont donc des difficultés à se faire entendre, à se faire reconnaître. Ils expriment une certaine démotivation et même une certaine amertume par rapport au milieu de la recherche « officielle », reconnue et visible grâce à ces réseaux.

Je m’interroge sur la formation initiale des jeunes chercheurs. Nous avons eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises, notamment avec des représentants de l’ANR. La recherche française était au départ très monodisciplinaire, très spécialisée, à l’image du monde scientifique français très cartésien et très concentré sur un pan de connaissances sans regarder à droite et à gauche. La dynamique interdisciplinaire actuelle est-elle réelle ? Est-ce pris en compte dans les programmes de formation ? Cette interdisciplinarité s’amorce-t-elle à peine ou est-elle réellement installée, non seulement en ce qui concerne la formation des scientifiques, notamment des jeunes, mais aussi la formation permanente de ceux qui sont déjà en place ? Comment cela se passe-t-il entre institutions ? Qu’en voyez-vous à l’échelle interministérielle ?

M. Robert Barouki. Je suis un fervent soutien d’une démarche interdisciplinaire. Toutefois, les disciplines deviennent de plus en plus complexes et approfondies. Une personne ne peut donc pas être à la fois un généticien de très haute volée et un grand spécialiste de l’influence de l’environnement. Chacun doit garder sa compétence disciplinaire de base et même l’approfondir car la biologie est devenue vraiment compliquée.

En revanche, il est important d’avoir une ouverture, un minimum de formation générale, pour travailler en bonne intelligence avec d’autres disciplines. Notre système français, qui historiquement spécialisait très rapidement les étudiants, n’a effectivement pas très bien fonctionné sur ce point.

Il se trouve que j’ai grandi au Liban et la première université dans laquelle je suis entré est une université américaine. Le système américain du college dans lequel un étudiant choisit des majeures et des mineures est très ouvert. Même en s’orientant vers les mathématiques ou la médecine, il est possible de prendre par exemple une mineure de philosophie et cela ouvre l’esprit. Ce système n’est pas évident à organiser et ce sera d’autant plus difficile que l’université est pauvre, mais il est très bien.

Sur ce plan, notre système français évolue dans la bonne direction. En médecine et dans les professions de santé en général, il devient possible d’avoir une orientation « médecine » tout en gardant une mineure dans un autre domaine en cas d’échec ou, pour les étudiants des autres domaines, d’avoir une mineure « santé » qui leur permet de revenir éventuellement un jour vers la médecine. De telles réformes vont dans le bon sens.

Ensuite, comment un jeune chercheur obligé de creuser son sillon dans sa propre discipline peut-il garder les yeux et les oreilles ouverts sur un autre domaine ? Cela peut être encouragé par des appels à projets.

Toutefois, lorsque je dirigeais une commission à l’ANR, j’ai vu des gens présenter un projet qu’ils disaient multidisciplinaire, mais multidisciplinaire ne signifie pas interdisciplinaire ou transdisciplinaire. Cela signifie qu’un toxicologue humain se trouve à côté d’un écotoxicologue spécialisé sur les poissons, qu’ils font chacun son projet et que l’ensemble devient multidisciplinaire. Non, il faut que le projet démontre que la multidisciplinarité entraîne une valeur ajoutée finale. Il existe beaucoup plus de projets qui mettent côte à côte des chercheurs de différentes disciplines que de projets qui profitent réellement de l’interdisciplinarité. La question est finalement de savoir comment le chercheur qui travaille sur le poisson aidera celui qui s’intéresse à l’homme à mieux avancer.

Il ne faut pas non plus exiger une interdisciplinarité en oubliant que certaines disciplines doivent continuer leur travail. Elle doit simplement être encouragée par les appels à projets.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Justement, quelle est la logique d’attribution de ces financements ? Comment sont faits les choix ? Qui oriente la recherche en santé environnementale en France ? Qui, à travers les projets de recherche, décide que telle ou telle thématique est prioritaire ?

Par ailleurs, quel sujet vous paraît absolument prioritaire en matière de recherche ?

M. Robert Barouki. L’appel à projets de l’ANR est très générique. Il a certes une section plutôt orientée vers la santé environnementale, mais il est très ouvert. En pratique, l’ANR réunit des représentants des alliances, des ministères. J’ai récemment fait partie de telles réunions et le texte dont nous disposons me paraît très bien, très ouvert. Il appelle à une certaine multidisciplinarité. Sur le fond, le principe est bon.

Ensuite, lorsque nous recevons le projet, notre règle est de le faire expertiser par des spécialistes anonymes extérieurs, en général européens.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Est-ce l’ANR qui décide des grandes thématiques qui seront proposées aux chercheurs ?

M. Robert Barouki. Oui et elle le fait en s’appuyant sur les alliances de recherche et les ministères.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. De qui s’agit-il exactement ?

M. Robert Barouki. C’est un groupe constitué de représentants des alliances de recherche, des ministères au moins de la recherche, de la santé lorsqu’elle est impliquée et des personnels qui appartiennent à l’ANR elle-même. Ce groupe se réunit et choisit les orientations principales. J’ai participé à ce groupe en tant que représentant de l’alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Le groupe comporte aussi un représentant de l’alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), un représentant du CNRS. Chaque alliance, après avoir réfléchi de son côté, vient avec ses propositions et la rédaction finale du texte se fait par consensus.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous parliez de l’effet de dissémination des programmes de recherche. Cette dissémination n’est-elle pas provoquée par la manière dont l’ANR est conseillée par les représentants de ces alliances ? Ils viennent, forcément, défendre leurs propres objectifs de recherche ou les spécialisations de leurs équipes de chercheurs.

M. Robert Barouki. Non, je ne pense pas qu’une alliance impose son projet. Ces alliances regroupent quasiment tous les chercheurs et les experts du domaine. Si vous ne faites pas appel à eux, à qui faire appel ? Évidemment, chacun peut avoir tendance à favoriser les thématiques développées à l’intérieur de son alliance mais, finalement, l’appel à projets contient bien les thèmes dont nous avons parlé. Il insiste sur le problème des mélanges, des perturbateurs endocriniens, il demande d’établir plus de liens entre les phénomènes dans les écosystèmes et la santé humaine, de mettre plus de sociologie, de sciences humaines dans le processus de recherche. Il pousse à une véritable multidisciplinarité entre sciences humaines et sociales et sciences plus « dures ». Je pense que la base est bien présente et qu’il est difficile de faire mieux.

Le problème est plutôt de savoir si suffisamment de chercheurs répondent, si suffisamment de moyens sont alloués. Nous ne sommes pas nombreux dans ce domaine. Par exemple, nous n’avons qu’un petit nombre de toxicologues.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Combien sont-ils en France ?

M. Robert Barouki. Il m’est difficile de vous répondre. Des laboratoires de toxicologie sont présents dans toutes les facultés de pharmacie, mais ce laboratoire sera plutôt orienté vers les médicaments et parfois même plutôt en relation avec l’industrie. Seule une dizaine de grands laboratoires s’intéressent aux problèmes liés à la santé environnementale. L’INRAE a essayé de rationaliser son organisation et a mis pratiquement toute la toxicologie à Toulouse, dans une grande unité. Peut-être en ont-ils deux maintenant. L’INSERM dispose, en toxicologie, d’un centre à Rennes, de plusieurs laboratoires à Paris et d’une unité à Montpellier. Ce sont les seuls laboratoires qui ont une grande visibilité.

Il existe de petites activités de toxicologie, souvent dans des facultés de pharmacie pour enseigner la toxicologie, mais peu sont visibles à l’échelle européenne.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment se fait la mise en commun des données ? Même si les chercheurs sont peu nombreux dans chaque domaine, avec, par exemple, une dizaine de laboratoires de toxicologie en France, comment mettez-vous en commun vos découvertes, vos difficultés, les blocages ? Comment est organisé le partage des données ? Comment faites-vous le lien avec la clinique lorsque vous avez identifié des pistes ou des résultats ? Comment faites-vous ensuite le lien avec les décideurs politiques ?

M. Robert Barouki. Il n’existe pas de structuration. Ce sont les sociétés savantes qui interviennent et il existe une multitude de sociétés de toxicologie. La plus grande est la société française de toxicologie. Elle est peu orientée sur la toxicologie de l’environnement, surtout sur la toxicologie du médicament, avec une très forte présence du milieu industriel.

Nous avons dans le domaine de la santé environnementale la société de toxicologie cellulaire et moléculaire, historiquement très poussée par Francelyne Marano. C’est une petite société, un peu confidentielle. Lors des réunions, nous sommes 80 à 100, parfois 200 lorsque nous avons des invités pour de grands évènements.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous vous êtes donc spontanément organisés parce qu’il n’existait pas d’initiative du ministère de la recherche. Ce sont de grandes familles finalement.

M. Robert Barouki. Je ne crois pas que les chercheurs souhaitent une organisation par le ministère de la recherche. Les sociétés savantes sont indépendantes et c’est là que se fait la recherche.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette organisation garantit une certaine objectivité dans les démarches.

M. Robert Barouki. Elle garantit une certaine indépendance vis-à-vis de tous.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quel est ensuite le lien avec le terrain, avec les décideurs politiques ? Avez-vous par exemple été associés au PNSE3 et au PNSE4 ?

M. Robert Barouki. Oui, bien sûr, nous sommes quelques chercheurs qui avons beaucoup travaillé sur le PNSE3 et actuellement sur le PNSE4. L’INSERM avait été chargé de proposer une vision et, même si nous l’appelons « vision INSERM », nous avons invité de nombreuses personnes extérieures à l’INSERM. Nous sommes impliqués dans les PNSE, nous faisons partie des groupes de travail. Il existe en France des outils plutôt bien organisés qui permettent le contact avec des ONG, avec des entreprises et avec les pouvoirs publics. Je pense qu’il ne faut pas trop critiquer cet outil et le garder.

Toutefois, cela ne suffit pas. Il faut renforcer de manière claire la capacité du système à produire de la connaissance. Nous avons l’outil pour que cette connaissance se diffuse ensuite. Nous sommes l’un des premiers pays dans lesquels la notion d’exposome a été discutée entre chercheurs et politiques. La notion d’exposome est dans notre loi, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres pays, mais c’est insuffisant sans une bonne stratégie de recherche sur l’exposome, à grande échelle. Par exemple, la Hollande n’a pas mis l’exposome dans sa loi ; en revanche, elle est extrêmement présente dans ce domaine au niveau européen et les chercheurs y ont des soutiens, ils sont excellents et très « gourmands ». Ce sont nos concurrents dans un sens, mais aussi des collaborateurs avec lesquels nous travaillons tous les jours.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment expliquez-vous que l’Europe du Nord soit plus en avance ? Est-ce lié à une formation culturelle, intellectuelle ? Est-elle plus inquiète des problématiques environnementales, peut-être parce que la Hollande est plus menacée par le changement climatique ?

M. Robert Barouki. La problématique de la nature en général est assez présente dans ces pays, notamment en Scandinavie et en Hollande. Pourquoi un pays comme le Royaume-Uni a-t-il une recherche vraiment de très grande qualité ? Je pense que cela vient de la force historique de la recherche en santé publique au Royaume-Uni.

C’est assez étonnant mais il existe au Royaume-Uni des chercheurs qui s’intéressent à la santé planétaire et ils ont été parmi les premiers à faire de l’épidémiologie. Quand ils ont fait des études de cohortes, ils ont organisé de grandes cohortes. Même en ce qui concerne le covid, le programme anglais Recovery a beaucoup plus recruté que Discovery, dès le départ. Ils ont inclus tout de suite 12 000 personnes. C’est assez étonnant, car ce pays s’est par ailleurs beaucoup libéralisé sur d’autres plans. La tradition de la santé publique est très forte au Royaume-Uni et penser à l’impact de l’environnement était un pas relativement facile à franchir

La tradition des pays nordiques à s’ouvrir à la nature est également un élément important. Certaines universités ont pris des initiatives beaucoup plus tôt et ont mis ce sujet très haut dans leurs programmes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous pensez donc que les pays nordiques ont une conscience beaucoup plus aiguë de l’environnement et de ses enjeux, alors que nous en sommes moins conscients en France.

M. Robert Barouki. Regardez par exemple le nombre de personnes qui, dans ces pays, font très attention à ce qu’ils mangent. Les végétariens sont plus nombreux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Est-ce lié à leur éducation ou à leur formation ?

M. Robert Barouki. Je ne prétends pas bien connaître ces problèmes sociaux. Je ne les connais que de manière très superficielle.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez dit que nous ne connaissions que quelques centaines de produits chimiques, au sens d’en connaître les effets sur la santé, alors qu’il existe en gros 100 000 produits chimiques sur le marché, auxquels nous sommes confrontés quasi quotidiennement d’une manière ou d’une autre. Une telle dangerosité potentielle donne le vertige. Je voudrais donc parler avec vous du principe de précaution et de la nécessaire sobriété chimique. Pensez-vous que, comme pour le génome, en génétique, nous pourrons un jour avoir une cartographie complète ? Combien de temps faudrait-il et combien de moyens ?

Vous disiez avoir beaucoup de relations avec l’industrie, notamment pour le financement et cela se comprend compte tenu de votre exposé des difficultés budgétaires rencontrées par les laboratoires. Il est normal qu’ils soient tentés pour survivre et pour exister de demander des financements dans l’industrie. Cela pose tout de même quelques problèmes d’éthique et d’indépendance intellectuelle. Êtes-vous force de proposition et d’évolution lors de vos échanges avec l’industrie pour faire progresser les produits vers des substances alternatives ? Pouvez-vous faire évoluer les process ?

M. Robert Barouki. Nous discutons de l’évolution avec de nombreux collègues européens et américains. Nous avons des échanges et des réseaux en Europe, de fortes collaborations avec par exemple l’université Columbia, Morningside Heights… aux États-Unis.

Nous disposons maintenant de moyens technologiques pour améliorer notre connaissance de la présence ou de l’absence de ces substances et pour les caractériser. C’est déjà un point important. Parfois, auparavant, nous ne savions même pas les doser. Nous avons maintenant les moyens technologiques ; c’est la raison pour laquelle je veux monter cette infrastructure française et européenne dans ce domaine. J’y consacre beaucoup d’efforts alors que mon laboratoire n’y est pas impliqué, ce n’est pas du tout sa spécialisation.

L’impact sur la santé nécessite aussi beaucoup d’efforts et de moyens. Nous commençons à mieux le modéliser. Non seulement nous pouvons faire des expériences sur des cellules, pas sur des animaux, mais nous pouvons même accélérer le développement des connaissances grâce à des développements de bio-informatique et d’intelligence artificielle. Parfois, en effet, les connaissances existent mais ne sont pas exploitées car la littérature est énorme. Nous avons ainsi, dans mon laboratoire, développé un outil qui établit un lien entre une substance chimique et un impact sanitaire à partir des dizaines de millions d’abstracts de la littérature et des bases de données qui s’accumulent un peu partout sans que nous parvenions à les exploiter.

Faisons donc de grosses infrastructures, d’abord sur le plan analytique et le dosage d’une part, et d’autre part sur le plan des data, de leur exploitation et de la bio-informatique. Une autre infrastructure très importante pour les épidémiologistes concerne les cohortes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment de temps faudrait-il si nous avions des moyens ?

M. Robert Barouki. Il faudrait sans doute plus de temps que pour le génome humain. L’ADN est finalement relativement simple par rapport à ces questions. Dans le cas du programme HERA, nous nous positionnons sur dix ans et nous pouvons déjà faire des progrès importants durant ce délai. Il est difficile de se projeter mais dix ans est un bon objectif.

En ce qui concerne les relations avec l’industrie, je travaille personnellement sur la dioxine et je n’ai pas beaucoup de rapports avec les industriels car cela ne les intéresse pas tellement. Je n’ai pas de problème à travailler avec eux mais certains chercheurs sont dans un état presque schizophrénique. Il leur est demandé de valoriser leurs travaux, c’est-à-dire de faire en sorte que la vie sociale et économique du pays bénéficie du résultat de leurs travaux, de breveter, de collaborer avec l’industrie pour favoriser son travail. C’est bien de dire à une industrie qu’elle travaille avec un produit potentiellement toxique, tout autant que de dire que le produit n’est pas toxique.

En même temps, lorsque nous collaborons, nous sommes en conflit d’intérêts. L’Anses a du mal à trouver des experts qui n’aient pas, d’une manière ou d’une autre, un lien d’intérêt parce que, dans certains domaines, il existe peu de chercheurs et presque tous sont sollicités très fortement par l’industrie. L’État ne nous décourage pas, au contraire, il encourage les relations entre le public et le privé. Nous sommes donc dans une situation un peu compliquée, que nous essayons de gérer en graduant le niveau de liens d’intérêt avec l’industrie.

Nous discutons volontiers avec l’industrie, nous sommes ouverts à ce que l’industrie finance des recherches. Il faut être attentif aux exigences de l’industrie, lors d’un financement, en particulier en ce qui concerne la publication des résultats. Il faut que les chercheurs gardent leur indépendance et cela peut se faire par l’intermédiaire de fondations. Par exemple, une fondation universitaire peut récolter l’argent de l’industrie et, ensuite, le distribuer aux laboratoires en toute liberté, sans que la fondation exige que les résultats du laboratoire soient contrôlés par l’industriel. Il existe d’autres solutions : des fondations peuvent être financées par des taxes… pour qu’il existe un financement industriel.

Il n’est pas du tout anormal que les chercheurs aident les industries du pays, mais cela pose un problème sur des sujets très sensibles.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’État étant en défaut sur les financements, le privé vient à la rescousse mais, forcément, il ne vient pas avec une volonté altruiste. Il cherche aussi ses intérêts. Cette schizophrénie de fait que vous reconnaissez n’expliquerait-elle pas les prises de position souvent discordantes des chercheurs, pas uniquement à l’échelle nationale, mais même à l’échelle internationale ? Nous l’avons vu par exemple avec le glyphosate. Ces discours discordants laissent un peu pensifs les décideurs politiques qui ne savent plus à quel chercheur se vouer.

Vous avez manifesté votre honnêteté intellectuelle au début en disant que nous ne savons pas trop, que nous ne savons pas tout, que nous essayons de savoir. Toutefois, c’est très difficile pour un décideur politique, par exemple dans le cas du glyphosate ou des perturbateurs endocriniens, parce que nous avons l’impression d’un flottement scientifique dans lequel les lobbyistes s’engouffrent en disant que nous n’avons pas de démonstration du lien de causalité. Comment faire pour éclairer les politiques publiques, en s’inspirant du principe de précaution ? Jusqu’où aller ? Quelles sont les bases concrètes, réelles, indubitables de vos recherches qui permettraient aux décideurs politiques de se positionner ?

M. Robert Barouki. Tout d’abord, je considère que dans le domaine de la santé et de l’environnement, c’est à l’État d’être le principal financeur. Je n’ai aucun problème à ce que le privé puisse financer une recherche qui évidemment l’intéresse, qui peut être relativement éthique, si le but est de faire en sorte que la France soit un pays dont l’industrie est propre et que ce soit son image de marque. Même si ce n’est pas ma spécialité, je pense que nous pouvons agir dans ce sens. L’État doit toutefois rester le plus gros financeur, j’y tiens beaucoup.

Dans le domaine des relations entre une substance et un effet toxique, nous sommes souvent dans le champ de l’incertitude. Il faut le reconnaître. Ce n’est pas parce que nous sommes mauvais, mais parce qu’il est difficile de faire ce lien. De multiples biais sont possibles. Nous ne proposons effectivement pas une solution simple aux décideurs, loin de là. D’un autre côté, nous devons présenter la situation telle qu’elle est, avec sa complexité. Si nous simplifions trop, nous pouvons cacher une partie de la réalité et ne pas aider les décideurs.

Toutefois, ce n’est pas parce que nous sommes dans une situation d’incertitude qu’il ne faut pas prendre de décision, bien au contraire. Je suis un fervent soutien du principe de précaution dont vous avez parlé, mais il doit être fondé sur la meilleure science possible. Nous ne ferons pas mieux qu’un groupe d’experts qui réfléchit à la question et qui propose une décision au vu de tous les éléments dont il dispose.

Vous me direz que les groupes d’experts donnent parfois des opinions divergentes et c’est souvent vrai dans les domaines un peu tangents, où les différentes études aboutissent à des résultats qui ne vont pas dans le même sens. Il faut essayer de comprendre et seul un groupe d’experts peut réfléchir à la question pour essayer d’aider.

Ensuite, nous sommes dans des nuances de gris et toute la question est de savoir où mettre le curseur. La science peut dire où nous en sommes dans les nuances de gris, si nous suspectons, si c’est possible, si nous sommes certains, mais la décision revient aux pouvoirs publics car elle ne tient pas seulement compte de la science. Ce n’est pas aux scientifiques de dire qu’il faut prendre telle décision. Ils peuvent dire qu’ils sont convaincus de la réalité de tel sujet, dire ce qu’ils savent, ce qu’ils suspectent et conclure que l’impact est possible ou probable. Il faut à mon avis séparer la décision de l’expertise, la décision devant ensuite revenir aux pouvoirs publics qui peuvent tenir compte d’autres critères.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. S’il faut séparer la décision de l’expertise, l’agence qui est la grande prêtresse de la décision n’est-elle pas comme tous vos chercheurs dans un état un peu schizophrénique ?

M. Robert Barouki. Je suis tout à fait d’accord : cela est compliqué. La séparation entre expertise et décision est tout de même très utile, parce que la décision peut être influencée par d’autres critères que l’expertise scientifique. Nos agences, notamment l’Anses, font un travail très difficile. En comparaison avec les autres agences européennes, l’Anses est une agence extrêmement ouverte sur la société et ses préoccupations. Je préférerais qu’elle reste agence d’expertise scientifique et que la décision reste plus politique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour votre opinion qui est tout à fait compréhensible, pour votre honnêteté intellectuelle et vos explications très claires sur le fonctionnement de la recherche. Je note quelques pistes d’amélioration, notamment cette nécessité absolue d’avoir suffisamment de fonds publics pour gagner en objectivité et en indépendance intellectuelle ainsi que la nécessité de la création de cette infrastructure de la recherche. Souhaitez-vous apporter un complément ?

M. Robert Barouki. Je reste très pragmatique : pour obtenir un résultat, il faut des moyens. En revanche, si nous injectons de l’argent, il faut être exigeant sur la façon dont il est utilisé et l’organisation doit garantir une très bonne efficacité. Nous sommes responsables des crédits reçus. Ce ne sont pas des chiffres astronomiques et nous pouvons faire beaucoup avec quelques infrastructures et une coordination. Ce n’est pas très compliqué.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de finir sur cette note optimiste.

L’audition s’achève à dix heures quarante-cinq.

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18.   Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Zmirou, président, de Mme Agnès Popelin, vice-présidente, de la Commission nationale « déontologies et alertes en santé publique et environnementale » (CnDAPse), et de M. Pierre-Henri Duée, membre de la commission précitée au titre de représentant du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (8 octobre 2020)

L’audition débute à dix heures quarante-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous auditionnons les représentants de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en santé publique et environnement (CnDAPse) : M. le professeur Denis Zmirou-Navier, président de la CnDAPse, accompagné de Mme Agnès Popelin, vice-présidente, et de M. Pierre-Henri Duée, membre de cette commission désigné par le président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

M. Denis Zmirou, vous êtes professeur honoraire de médecine. Vous avez été directeur scientifique de l’agence française de sécurité sanitaire environnementale, qui est devenue aujourd’hui l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Vous avez dirigé le département de santé-environnement-travail de l’école des hautes études en santé publique de Rennes. Vous êtes président de la commission spécialisée sur les risques environnementaux du Haut Conseil de la santé publique, fonction au titre de laquelle nous vous avons entendu tout récemment. Vous n’aurez donc pas à prêter serment de nouveau puisque nous considérons que vous êtes toujours sous serment pour la présente audition.

Mme Agnès Popelin, vous êtes juriste de formation et membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) au titre du groupe « Environnement et nature ». Au CESE, vous appartenez aux sections « Affaires sociales et santé » ainsi que « Éducation, culture et communication ».

M. Pierre-Henri Duée, vous êtes directeur de recherche honoraire de l’institut national de la recherche agronomique (INRA), ingénieur agronome et docteur d’État ès sciences naturelles. Vos recherches ont porté sur la biochimie et la physiologie de la nutrition. Vous avez présidé le centre de recherche de Versailles-Grignon et avez été délégué à la déontologie de l’INRA. Vous présidez actuellement la section technique du comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé.

(Mme Agnès Popelin et M. Pierre-Henri Duée prêtent successivement serment.)

La CnDAPse, installée en 2017, a été créée par la loi Blandin du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. Aux termes de cette loi, la CnDAPse est chargée de veiller aux règles déontologiques s’appliquant à l’expertise scientifique et technique ainsi qu’aux procédures d’enregistrement des alertes en matière de santé publique et d’environnement.

Elle émet des recommandations générales sur les principes déontologiques propres à l’expertise scientifique et technique dans les domaines de la santé, ainsi que de l’environnement, puis procède à leur diffusion. Elle est consultée sur les codes de déontologie mis en place dans les établissements et organismes ayant une activité d’expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou de l’environnement.

Elle identifie les bonnes pratiques et émet des recommandations à propos des dispositifs de dialogue entre les organismes de recherche et la société civile sur les procédures d’expertise scientifique et les règles de déontologie qui s’y rapportent.

Enfin, elle établit un rapport annuel qui évalue les suites données à ses recommandations, aux alertes dont elle a été saisie, ainsi qu’à la mise en œuvre des procédures d’enregistrement des alertes dans les établissements et organismes ayant une activité d’expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou de l’environnement.

M. Denis Zmirou, président de la CnDAPse. La CnDAPse, que j’appellerai plus simplement la DAPse, est récente dans le paysage des organismes d’appui aux politiques publiques dans le domaine de la santé.

Notre constat est que la France dispose d’un ensemble assez solide d’organismes d’appui aux politiques publiques en matière de santé-environnement, avec des organismes dédiés, des organismes de recherche puissants. Avec le temps, la France a aussi prévu un certain nombre de règles visant à prévenir les conflits d’intérêts et à lutter contre eux. Progressivement, ces établissements publics d’expertise s’ouvrent aux différentes parties prenantes. Enfin, nous disposons de lois qui font de la France un pays avancé dans ce domaine en Europe, notamment grâce à la loi Blandin qui a créé la DAPse et la loi Sapin 2 de décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Bien entendu, nous formulerons un certain nombre de préconisations fondées sur l’expérience de bientôt quatre années d’activité de la DAPse au titre de nos deux missions. La première est de renforcer l’autorité de l’expertise publique en matière de santé-environnement. La seconde est de faciliter la vigilance citoyenne dans les domaines de la sécurité sanitaire et de la protection de la biosphère, en accompagnant les établissements publics dans l’amélioration continue de leurs pratiques en matière de déontologie et d’ouverture à la société civile, en facilitant la remontée et le traitement des alertes issues de la société civile et en veillant à la meilleure réactivité des administrations compétentes en réponse à ces alertes.

Nous sommes un maillon supplémentaire dans le dispositif que j’évoquais tout à l’heure qui peut contribuer – c’est du moins l’objectif que nous nous fixons – à l’amélioration de la confiance des citoyens dans l’aptitude des pouvoirs publics à prévenir et à traiter les atteintes à la santé et l’environnement, lesquels pouvoirs publics s’appuient sur cette expertise.

Mme Agnès Popelin, vice-présidente de la CnDAPse. Nous agissons dans les deux domaines spécifiés par le professeur Denis Zmirou que sont la déontologie et l’alerte.

En matière de déontologie, nous exerçons notre mission suivant les trois axes énoncés par la loi Blandin. Le premier consiste à émettre des recommandations générales sur les principes déontologiques. Nous sommes également consultés sur les codes de déontologie des organismes énumérés en annexe du décret du 26 décembre 2014. Il s’agit de trente-cinq organismes qui ont trait à l’expertise et la recherche dans le domaine de la santé et de l’environnement tels que, par exemple, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Nous intervenons donc dans des domaines très vastes. Enfin, nous sommes aussi destinataires du rapport annuel des comités de déontologie de ces organismes.


Nous regardons avec beaucoup d’attention les dispositifs instaurés pour gérer les liens d’intérêt. Il est en effet très important de renforcer la confiance et de lutter contre cette société du doute que nous rencontrons en permanence. Comment sommes-nous vigilants ? Il faut faire un focus sur les risques que peuvent générer les relations entre les agents des établissements ou les établissements eux-mêmes, dans l’exercice de leurs fonctions, avec des entités privées. Nous l’avons bien vu avec la loi sur la recherche et ce qui pourrait créer une suspicion de partialité à l’égard des établissements ou des travaux qui y sont menés.

Par ailleurs, nous sommes très attentifs à la mise en place de dispositifs de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes pour éviter l’entre soi, entre chercheurs, entre experts et pour prévenir tout risque de « myopie » institutionnelle de la part de ces établissements.

Enfin, nous sommes attentifs à la transparence des procédures et des méthodes qui fondent leur expertise. Il s’agit d’abord de les rendre intelligibles pour tous et de permettre à la société civile, aux personnes extérieures, d’en percevoir les méthodologies et questionner ces méthodes.

Notre deuxième mission concerne le traitement des alertes. Cela commence par la saisine de la DAPse. Qui peut saisir la DAPse ? Elle peut s’autosaisir comme prévu par la loi Blandin de 2013. Cette loi prévoit par ailleurs une énumération très précise des titulaires de ce droit de saisine. Il peut s’agir d’un membre du gouvernement, des parlementaires, d’un établissement ou d’un organisme public de recherche y compris l’un des trente-cinq que nous accompagnons dans leur déontologie, ainsi que des représentants de la société civile, tels que les associations de consommateurs, les syndicats, les ordres professionnels, les associations de protection de l’environnement, les associations de malades.

Par ailleurs, la loi Sapin 2 prévoit deux procédures d’alerte, l’une interne et l’autre externe. Selon la procédure interne, l’alerte doit être d’abord adressée à l’établissement visé et, ensuite, en l’absence de réponse satisfaisante, elle doit passer à l’autorité supérieure, territoriale. En l’absence de réponse à nouveau, l’auteur du signalement peut nous saisir. Enfin, nous pouvons aussi, en cas d’urgence imminente pour la santé ou l’environnement, ou de menace grave, être saisis par un individu.

La DAPse doit ensuite instruire l’alerte dont elle est saisie. Elle doit qualifier si le signalement est évocateur de véritables alertes. Si la commission plénière l’estime, les alertes sont transmises aux ministres compétents et ceux-ci doivent nous répondre dans les trois mois en nous informant des suites données à l’alerte.

Il existe en fait deux systèmes d’alerte en France : le Défenseur des droits qui est chargé de la protection du lanceur d’alerte, et la DAPse chargée de vérifier, donc de protéger, le traitement de l’alerte en santé publique et environnement.

Nous devons donc recevoir dans les trois mois une réponse diligente. Ensuite, la DAPse informe l’auteur du signalement des suites données à son alerte. Nous ne sommes pas chargés de juger l’alerte sur le fond, mais de vérifier son traitement et les réponses.

Entre alerte et déontologie, tout un « carrefour » d’activités nous intéresse. Nous travaillons en particulier dans l’enregistrement des procédures des alertes, d’abord auprès des trente-cinq établissements énumérés par le décret du 26 décembre 2014. Nous les aidons et les accompagnons dans le suivi et la mise en œuvre de ces procédures d’alertes, auxquels ils sont astreints. C’est d’autant plus important que, au regard des missions confiées à ces organismes, repérer et traiter toute forme de dysfonctionnement ou tout écart aux bonnes pratiques, y compris déontologiques, permettra de ne pas alimenter la société du doute ni d’altérer la confiance.

La DAPse établit un bilan annuel qu’elle transmet au gouvernement, aux présidents des deux Assemblées ; il est publié sur son site. Comme prévu par la loi Blandin, la DAPse émet aussi, via son rapport annuel, des recommandations sur les réformes qu’il conviendrait d’engager pour améliorer la gestion des alertes.

Le fonctionnement de la commission est décrit dans la loi. Elle a été créée en 2013 et installée le 26 janvier 2017. Les vingt-deux membres qui la composent sont nommés par le ministre chargé de l’environnement. La commission comporte quatre représentants des assemblées – deux députés, deux sénateurs –, quatre représentants du CESE, deux représentants du Conseil d’État et deux représentants de la Cour de cassation en comptant leurs suppléants ainsi que des représentants du comité consultatif national d’éthique. D’autres membres sont proposés pour représenter le Défenseur des droits, les ministères en charge de l’environnement, de la santé, de l’agriculture, du travail, de la recherche, puisque ces ministères sont directement concernés par notre domaine d’activité, ainsi que les cinq agences de sécurité sanitaire que sont l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l’Anses, Santé publique France, l’INSERM et le centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Les membres sont nommés pour quatre ans et leur mandat est irrévocable, ce qui donne à la DAPse le statut de commission indépendante. Les membres travaillent tous à titre bénévole. Notre secrétariat permanent est assuré par le commissariat général au développement durable du ministère de l’écologie (CGDD), avec 1,4 équivalent temps plein.

M. Pierre-Henri Duée, membre de la CnDAPse au titre de représentant du comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. La commission a pour mission de renforcer l’expertise publique qui vient en appui aux décisions publiques et est souvent en situation d’incertitude. Elle est délivrée dans plusieurs dizaines d’établissements publics. Le fait d’entourer cette expertise de principes déontologiques me semble important. Il s’agit de mobiliser un certain nombre de principes et de valeurs pour donner de l’autorité à cette expertise publique.

Une charte de l’expertise existe en France depuis une dizaine d’années, une charte de déontologie des métiers de la recherche depuis 2015. J’ai été l’un des contributeurs de cette charte. Plus récemment, en 2016, des référents déontologues – c’est-à-dire des personnalités indépendantes – ont été nommés dans les organismes pour conseiller et faire en sorte de partager une culture de la déontologie.

Dans l’expertise, trois types de référents déontologues interviennent. Le premier ressort de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires : il a été mis en place par la loi de 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et est prévu dans l’ensemble des établissements de recherche. Pour ce qui concerne l’expertise sanitaire, une loi et un décret ont mis en place en 2016 des référents déontologues. Enfin, plus récemment et sans support législatif, des référents à l’intégrité scientifique ont été créés dans les organismes de recherche et dans les universités.

Au-delà des textes et des chartes, des personnes-ressources peuvent donc faire évoluer la culture de l’ensemble des personnels de la recherche ou de l’enseignement. Il est important de se souvenir de ce que disait M. Jean-Marc Sauvé sur la déontologie : « Cela n’a rien d’inné, c’est surtout un partage d’expériences. »

Il faut mettre en place le dialogue, au-delà des textes et des références. C’est ce que fait la commission en établissant un dialogue avec la trentaine d’établissements entrant, selon le décret de 2014, dans notre champ législatif, pour essayer de tirer le meilleur parti des pratiques qui existent dans le domaine de l’expertise, de la prévention des conflits d’intérêts et plus largement de la déontologie.

Nous l’avons fait dès 2018 par l’intermédiaire d’un questionnaire. Depuis la fin de l’année 2019, nous établissons un dialogue privilégié avec chacun des établissements, non pour faire un audit mais plutôt pour tirer parti des meilleures pratiques et les partager.

L’important est de sensibiliser l’ensemble de la communauté scientifique, de voir quelles mesures peuvent être prises en termes de formation, d’appropriation des principes déontologiques mis en place dans ces organismes. Cette enquête n’est pas terminée mais nous faisons le constat d’une hétérogénéité des pratiques actuellement. L’objectif est de tirer par le haut l’ensemble du dispositif d’expertise en France.

Le rôle de la commission est différent de la mission principale d’un comité d’éthique par exemple. Je suis membre du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Nous avons eu, dans le projet de loi relatif à la bioéthique voté le 31 juillet par l’Assemblée nationale et qui sera bientôt en deuxième lecture au Sénat, une extension du champ de compétences du CCNE au-delà de la santé et de la médecine. Tous les domaines qui pourraient avoir un effet sur la santé humaine font maintenant partie des missions du CCNE, en particulier l’environnement. La réflexion éthique autour des problèmes de santé et d’environnement sera ainsi consolidée.

Il ne s’agit pas d’arbitrer, de proposer de nouvelles recommandations, mais plutôt de s’interroger sur l’impact de l’environnement sur la santé de l’individu, sur la santé humaine, sur la santé de l’humanité. Souvent, les problèmes de crise sanitaire, de crise liée à l’environnement, touchent les plus vulnérables et c’est un point important qui mène à une réflexion éthique.

Enfin, je mentionne les états généraux de la bioéthique qui ont eu lieu en France en 2018 sous l’animation du CCNE. Nous avions inscrit dans la réflexion un volet santé-environnement. Les états généraux de la bioéthique ont porté essentiellement sur les domaines de biologie et de santé. Au-delà des questions de procréation et de fin de vie, nous avons en particulier abordé tout ce qui concerne la génétique, les données de santé.

Nous avions ouvert un volet santé-environnement qui a mobilisé peu de personnes. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où aujourd’hui, en France, les communautés liées, par exemple, aux associations de patients, à ce qui concerne la biologie et la médecine, sont assez distinctes des associations qui concernent l’environnement.

J’encourage la commission à proposer une plus grande perméabilité entre ces communautés pour s’approprier des questions importantes de santé-environnement. Lors de ces états généraux de la bioéthique, nous avons fait deux recommandations. La première est d’augmenter les recherches pour essayer de comprendre l’impact de l’environnement sur la santé humaine, la seconde d’éviter les conflits d’intérêts dans l’expertise. Cela rejoint donc l’une des missions de la commission.

M. Denis Zmirou. Après le volet « Déontologie » de la DAPse, je passe aux alertes.

Les alertes, dès lors qu’elles sont effectuées dans des conditions sécurisées qui protègent les identités de leurs auteurs, sont un élément essentiel de l’appui à la gestion des risques par les pouvoirs publics. Elles leur permettent de prendre connaissance, au plus profond du territoire, grâce à l’ensemble des citoyens et des structures qui porteront ces signalements, de l’existence de menaces, de doutes, voire de dégâts déjà avérés et d’y remédier le plus vite possible. C’est vraiment un élément important qui était jusqu’à présent très mal couvert. Le dispositif est encore très fragile.

Je vous en donne quelques illustrations. Dans une région ultramarine, un signalement d’un riverain d’une entreprise nous informe que des eaux issues d’un process industriel sont rejetées directement en mer, ce qui provoque l’atteinte d’un massif corallien. Nous en avertissons – pour instruire et documenter – l’autorité administrative compétente qui, rapidement, vérifie les faits et met en œuvre des mesures. Le dossier est au pénal. Un deuxième exemple est en fait du même ordre. Nous sommes avertis par des riverains de l’élimination de matériaux contenant de l’amiante dans des conditions telles que, visiblement, les ouvriers en charge du travail méconnaissent totalement la présence d’amiante. Ils ne sont absolument pas protégés et sont exposés à un risque d’inhalation d’amiante. Que dire par ailleurs des conditions finales dans lesquelles ces matériaux ont été ensuite « stockés » ou éliminés ?

Le troisième exemple, plus connu car il a fait couler pas mal d’encre médiatique, est le dossier de la famille des inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI), cette famille de fongicides à propos desquels une équipe de chercheurs a porté à notre connaissance des dangers qui n’étaient jusqu’alors absolument pas pris en compte dans le processus d’autorisation de mise sur le marché. Ces chercheurs pensent que les SDHI peuvent occasionner des risques pour la biosphère et pour l’homme. Nous avons transféré cette alerte aux cinq ministères concernés. Dix mois plus tard, nous n’avons reçu aucune réponse substantielle de ces ministères. En revanche, nous avons mis en place un groupe, qui se réunit en ce moment même pour sa deuxième réunion, afin d’écrire une note permettant de qualifier en quoi l’évolution et l’accumulation des connaissances scientifiques sur les dangers et les risques des SDHI et de toute la famille des phytosanitaires peut justifier, de la part du décideur public, le recours à des dispositions de révision des conditions d’autorisation de mise sur le marché. Cette possibilité existe dans la réglementation européenne, sans attendre dix ou quinze ans les processus normaux de révision des autorisations.

Deux de ces exemples montrent que les règles actuellement existantes de protection des lanceurs d’alerte, prévues par la loi Sapin 2, ne s’appliquaient pas. C’est notre capacité d’auto-saisine qui nous a permis de prendre en charge le signalement et de poursuivre son traitement. Nous avons, pour cela, mis en place des dispositifs très sécurisés.

Mme Agnès Popelin. Notre souci est en effet de protéger l’alerte. Avant cette alerte, nous traitons un signalement pour savoir s’il est évocateur d’alerte et nous devons donc garantir à tout auteur de signalement que son identité ne sera pas divulguée, que les faits qu’il nous expose ne seront pas portés à la connaissance de tous.

Nous avons donc mis en place un groupe de travail pour installer une plateforme numérique sécurisée, mise en ligne en même temps que notre site Internet, en avril 2019. Cela a représenté un énorme travail, puisque nous sommes vingt-deux membres bénévoles qui nous réunissons toutes les six semaines à peu près, tandis qu’1,4 équivalent temps plein est réparti entre trois personnes au secrétariat général.

Cette plateforme nous permet de recueillir toute forme de signalement, aussi bien d’une association que de tous ceux qui peuvent être auteurs de signalement et émettre une alerte. Elle a été mise en place avec l’appui très efficace de l’équipe informatique du ministère de l’environnement.

Depuis avril 2019 et la mise en place de la plateforme, nous avons constaté une augmentation très importante des alertes. Nous avons reçu une cinquantaine de signalements depuis janvier 2017. Depuis avril 2019, nous avons reçu trente signalements par l’intermédiaire de ce site.

Pour que le site soit facilement accessible, nous avons conçu un accompagnement pas à pas. Vous pourrez faire l’expérience, en prenant un moteur de recherche et en faisant une recherche avec les mots-clés « alerte santé-environnement ». Vous trouverez notre site et vous pouvez faire un essai de la plateforme. Vous déclinez votre identité qui est sécurisée, vous exposez tous les faits qui peuvent contribuer à parfaire notre information et, à chaque étape, nous vous rassurons sur le processus, sur l’anonymisation des signalements.

En réunion plénière, nous ne donnons jamais les éléments qui permettent d’identifier le lanceur d’alerte ou même simplement de localiser l’alerte. Par exemple, dans le cas d’une entreprise qui dispose d’un quasi-monopole d’activité, le simple fait de préciser celle-ci permettrait de connaître l’entreprise en cause et de savoir où se situe l’alerte. Nous faisons donc preuve de beaucoup de vigilance en pré-instruction, en bureau ou en réunion plénière. Des pré-instructeurs se désignent, toujours à titre bénévole, pour instruire le signalement et parfaire les connaissances de la commission. La commission dispose certes de beaucoup d’expertises mais nous ne sommes pas tous des médecins ou des juristes avertis.

Ce site permet aux riverains de nous signaler le brûlage de déchets verts, de plastiques… Nous travaillons sur l’environnement du quotidien, à côté des gros dossiers.

Parallèlement à ce site d’alerte, puisque nous sommes chargés d’accompagner les établissements publics dans leurs procédures de recueil de signalement, nous avons mis en place un groupe de travail qui permet de mieux appréhender les difficultés auxquelles ces établissements sont confrontés lors du recueil des signalements.

Il faut d’abord rappeler que la loi Sapin 2 n’est pas forcément très connue. Au CESE, je rencontre de nombreux élus ou chefs d’entreprise qui sont surpris d’apprendre que toute personne morale, de droit public ou de droit privé, ayant au moins cinquante salariés est tenue de disposer d’un registre d’alertes de même que toutes les administrations de l’État, toutes les communes de plus de 10 000 habitants ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les départements et les régions.

Je siège moi-même dans certains des conseils d’administration des trente-cinq établissements. La compréhension de la loi Blandin et de la loi Sapin 2 n’est pas forcément très claire dans ces établissements et certains ne voyaient dans la loi Sapin 2 que les alertes concernant la délinquance financière ou la corruption. Pourtant, les alertes dont nous avons la charge concernent aussi la santé publique et l’environnement, tandis que toutes les entités morales publiques ou privées que je vous ai citées sont soumises à l’obligation de disposer d’un registre d’alertes.

Nous avons donc engagé plusieurs démarches d’accompagnement. Tout d’abord, tout le monde ne sait pas forcément comment faire ce registre d’alertes. Nous avons conçu un format type de registre d’alertes qui figure sur le site et est accessible à tous.

Ensuite, nous ne sommes pas là pour vilipender et être une autorité qui se transforme en juge. Notre rôle est d’accompagner pour que toutes les dispositions législatives existantes soient connues et mises en œuvre le mieux possible.

Nous avons donc mis en place une mission de dialogue et d’accompagnement constituée de trois personnes de la commission. Elles accompagnent ces trente-cinq établissements publics de recherche et d’expertise dans les procédures d’enregistrement d’alertes auxquelles la loi les oblige. Nous faisons une recension annuelle des pratiques mises en place par l’intermédiaire d’un questionnaire qui évolue au fil du temps en fonction des « retours » des organismes. La première année, cela a été compliqué parce que les établissements n’avaient pas encore désigné un référent pour les alertes. Actuellement, sur les trente-cinq établissements, dix-huit ont désigné un référent tandis que, dans les autres, il faut encore passer par les arcanes de la direction générale. Nous avons un taux de retour de 80 % sur ces questionnaires. Cette année, nous avons créé un groupe d’élaboration et d’amélioration du questionnaire et nous espérons un taux de retour encore plus élevé. Plus nous impliquerons les établissements, plus ils auront envie de répondre et, surtout, de nous faire leur retour d’expérience.

Nous nous inscrivons également dans une démarche d’échanges. Sur le site Internet, nous avons ouvert un groupe d’échanges numérique grâce auquel chacun des référents peut exposer ses difficultés, ses interrogations, ses questionnements. Je rappelle que beaucoup n’avaient pas compris que la loi Sapin 2 leur imposait de traiter aussi la santé publique et l’environnement. Les gens raisonnent « en silos » et le titre de la loi Sapin 2 faisait oublier que l’intérêt général recouvre aussi un principe constitutionnel qui concerne la protection de l’environnement et le bien-être des personnes.

Enfin, nous rencontrons nombre d’institutionnels, notamment les associations qui sont directement concernées par les risques, telles que l’association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), l’association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (AMARIS). Nous travaillons aussi avec la gendarmerie et avec l’office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) qui est chargée de toute cette délinquance, notamment en ce qui concerne les espèces animales.

Nous souhaitons particulièrement lutter contre ce mal insidieux qu’est le doute et renforcer l’expertise d’évaluation en santé environnementale. Nous avons à ce sujet des propositions d’amélioration.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pourriez-vous préciser le cadre juridique et rappeler les différences entre la loi Blandin et la loi Sapin 2 ? Quels sont les avantages et les lacunes de chacun de ces textes ?

M. Denis Zmirou. La loi Blandin concerne la protection des lanceurs d’alerte et l’indépendance de l’expertise. Elle protège toute personne, physique ou morale, qui signale de bonne foi une atteinte ou une menace pour la santé et l’environnement. La loi Sapin 2 avait pour objectif d’harmoniser un cadre un peu éclaté de processus de signalement et de protection des lanceurs d’alerte, dans l’ensemble des domaines, y compris la corruption, la fraude fiscale, le harcèlement, les discriminations… Elle a été principalement pilotée par Bercy et elle s’est focalisée majoritairement sur les grandes questions qui se posaient en matière de fraude et de corruption.

Dans ces domaines, les sources de signalement sont principalement les entreprises. C’est en général une personne en position dans une entreprise qui voit un acte de corruption, de fraude ou d’échappement fiscal en cours et le signale.

Dans le domaine de la santé publique et de l’environnement, comme vous l’avez constaté, avec les exemples que nous avons donnés, il existe certes des signalements en provenance des entreprises mêmes, d’agents qui ont observé des activités constituant des menaces voire des actions illicites. Toutefois, les principaux acteurs sont des consommateurs de produits, des riverains, des associations constituées en raison d’atteintes à l’environnement.

Au titre de la loi Sapin 2, ces personnes n’ont pas le droit d’intervenir : cette loi a restreint les possibilités de signalement de la société civile aux personnes physiques dans un processus de signalement interne dans l’entreprise, sauf en cas d’urgence et de menace grave. De plus, l’alerte passe par toute une série d’étapes et c’est uniquement en l’absence de réponse, dans un délai pouvant aller jusqu’à six ou dix mois, que la commission peut être saisie en dernier recours.

De ce point de vue, la directive européenne d’octobre 2019 constitue un progrès et nous proposons, parmi les améliorations, de saisir l’opportunité de sa transposition, qui doit être intervenir avant 2021, pour poursuivre et amplifier cette amélioration.

Mme Agnès Popelin. Lorsque nous parlons d’associations de consommateurs, il s’agit de celles qui sont agréées. La petite association qui n’est, par exemple, pas agréée « environnement » n’est pas appelée à nous saisir. C’est bien le problème. Lorsque nous parlons d’associations, il s’agit d’associations régionales ou nationales qui ont obtenu un agrément du ministère de l’écologie, ou du ministère de la santé dans le cas des associations de malades. C’est la différence entre la loi Blandin et la loi Sapin 2. La loi Blandin visait « toute personne physique ou morale », tandis que la loi Sapin 2 restreint à une catégorie, sauf dans l’urgence.

L’urgence ne concerne pas forcément les signaux faibles de ce qui pose un problème. Une urgence est un problème assez facile : lors d’une pollution de rivière ou d’un rejet, nous comprenons tout de suite la destruction et il est trop tard. Les signaux faibles sont au contraire très intéressants et nous voyons bien, dans le cas des anciens scandales sanitaires, médicaux ou fiscaux qui ont nourri ces lois, à quelle porte ces lanceurs d’alerte pourraient maintenant frapper. La loi Sapin 2 a prévu un processus qui oblige à passer par une alerte interne, par exemple si je suis riverain apercevant un signal faible, une mauvaise pratique, sans être sûr que ce soit un danger ou si je suis à l’intérieur et que je constate une certaine négligence en matière de sécurité.

Ce sont des cas que nous avons rencontrés. Nous avons eu une alerte d’un salarié d’une entreprise qui stockait des produits inflammables et, délibérément, dépassait les normes autorisées de stockage. Cela créait un énorme danger d’explosion et nous avons pu l’arrêter à temps. Cette personne est passée par les procédures d’alerte internes et n’obtenait pas de réponse selon la procédure, c’est-à-dire de ses supérieurs hiérarchiques puis de l’autorité préfectorale.

Le non-respect de la capacité de stockage d’un produit inflammable est-il une urgence sanitaire et environnementale ? Forcément me direz-vous. Dans ce cas, il s’agissait d’un produit chimique. Il faut donc bien connaître la législation qui est très compliquée, très dense et savoir quelles sont les conséquences d’un sur-stockage. Il faut avoir des compétences très éclairées et beaucoup de patience avant de saisir la DAPse. Dans ce cas, nous avons jugé qu’il y avait mise en danger imminente et nous avons pu nous autosaisir. Pourtant, ce salarié avait essayé d’avertir depuis très longtemps.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons entre les deux lois une régression du processus d’alerte en santé publique et environnementale. Cependant, vous avez bon espoir que la transposition de la directive européenne permette une mise à niveau pour revenir à l’ouverture créée par la loi Blandin et supprimer toutes ces obligations de procédure qui rendent l’identification des signaux faibles beaucoup plus difficiles.

M. Denis Zmirou. La directive constituera une avancée importante en ce sens qu’elle prévoit que le lanceur d’alerte puisse s’adresser directement à l’extérieur, s’il pense n’avoir aucune chance que son signalement soit raisonnablement traité en interne, parce que les intérêts en jeu sont trop importants. Cela a été une bataille importante au Parlement car tout le monde n’était pas d’accord. Le lanceur d’alerte est protégé alors que, dans la loi Sapin 2, il n’est pas protégé s’il va directement à l’extérieur.

La directive constitue donc une avancée très substantielle. Cependant, elle s’arrête à la porte des associations locales, des riverains, des individus. Ce n’est pas prévu et fait partie de nos propositions d’amélioration à l’occasion de la transposition de la directive.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La commission comprend vingt-deux membres dont certains sont désignés et d’autres proposés. Parmi les membres proposés se trouvent les agences, ce qui pose une question de fond. Compte tenu du processus d’instruction des alertes, vous vous retournez forcément vers les institutionnels et vers les agences d’experts. Comment être à la fois juge et partie ?

M. Denis Zmirou. Nous avons effectivement été confrontés à des situations dans lesquelles, si nous n’avions pas été expérimentés, l’un des membres de la commission aurait été en situation de conflit d’intérêts. Nous sommes expérimentés et nous sommes parfaitement conscients du problème, puisque c’est l’objet même de notre commission.

Lorsque, dans les conditions actuelles de nomination de la commission, des personnes sont directement ou indirectement en situation de lien d’intérêt sur une question, elles doivent l’annoncer au début de chaque réunion, de façon à ce que je prenne la décision de requérir l’absence de ces personnes aux réunions. Elles ne disposent pas de toutes les pièces d’information du dossier.

J’ai d’ailleurs moi-même, à titre personnel, été très tôt dans cette situation, avec un dossier qui concernait l’institution par laquelle j’avais été nommé. Je me suis immédiatement déporté sur ce dossier et je n’ai aucunement participé à la discussion.

C’est une situation délicate mais c’est « la vraie vie ». Dans les dossiers de santé-environnement que nous traitons, l’absence des agences et des établissements qui gèrent ces questions est inimaginable. Nous avons besoin de ce retour d’informations, de cette expérience. En revanche, lorsqu’ils sont directement en jeu sur tel ou tel dossier, ils ne peuvent pas participer à l’instruction.

Nous sommes cependant en train de faire évoluer la situation dans le processus de renouvellement des membres de la commission.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Par qui ces membres sont-ils proposés ?

M. Denis Zmirou. Ils sont proposés par le directeur général ou la directrice générale de l’établissement. Ce sont des personnes qualifiées dans le champ de compétences de l’établissement, mais ce n’en sont pas nécessairement des salariés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Est-il précisé dans la loi que telle agence doit mandater une personne ?

M. Denis Zmirou. Exactement, c’est l’alinéa 15 de l’article 2 du décret de fonctionnement. Ce n’est pas la loi elle-même qui fixe seulement un principe. Aux termes du décret de fonctionnement, les directeurs généraux de l’Anses, de l’ANSM et de Santé publique France, plus précisément des agences de sécurité sanitaires, nous proposent des personnalités qualifiées dans leurs champs de compétences respectifs. C’est ensuite à la commission de choisir parmi les noms proposés. Nous prenons des dispositions pour éviter à l’avenir que se présentent des situations de liens d’intérêts trop forts.

Mme Agnès Popelin. Vous pointez des situations, dans ce processus de désignation, qui peuvent effectivement poser problème ou même questionner l’indépendance de la commission. Nous exigeons à chaque ouverture de séance la déclaration d’absence de conflit d’intérêts mais, effectivement, cela peut toujours jeter une suspicion.

Puisque nous arrivons à la fin de notre mandature, ce que vous pointez nous questionne effectivement pour le renouvellement de notre commission ; nous l’avons très bien perçu du fait des dossiers parfois très sensibles que nous traitons et qui peuvent concerner des agences directement. Nous savons très bien de quelle alerte nous parlons : elle a été exposée dans la presse et le lanceur d’alerte n’a pas souhaité être anonyme, puisqu’il s’est lui-même chargé d’évoquer son alerte et notre saisine dans la presse.

Il est précisé dans le décret que l’autorité qui désigne doit nous proposer une liste. Nous sommes tenus à la parité et les représentants sont donc un homme et une femme ou deux hommes et deux femmes… Ensuite, nous devons ajuster la composition de la commission, en fonction du respect de la parité et des besoins de la commission, de façon à ne pas avoir deux spécialistes du même domaine et avoir la combinaison la plus complète possible sur toutes les questions de santé environnementale et même d’information du public.

Nous avons aussi un règlement intérieur sur lequel nous avons longuement réfléchi et que nous pouvons modifier. La DAPse a mis quatre ans pour entrer en fonction et nous n’avons pas agi à la légère ensuite. Avec la présidente de l’époque, Marie-Christine Blandin, et Denis Zmirou qui était alors vice-président, nous avons travaillé à la liste de notre déclaration publique d’intérêts (DPI). Nous faisons tous une DPI, lors de notre entrée à la DAPse, puis annuellement.

Il faut se prémunir des apparences, pas de l’apparence mais bien des apparences. Je le sais bien en tant que membre de la commission nationale du débat public (CNDP). Il s’agit d’éviter toute suspicion de conflit d’intérêts, même lorsqu’il n’en existe pas. C’est acté par la Cour de Justice européenne, par la Cour de cassation et le Conseil d’État. Même si une personne n’a pas de conflit d’intérêts, il faut éviter que son statut, ses anciens mandats, ses fonctions fassent émerger une suspicion de conflit d’intérêts.

Nous réfléchissons collégialement dans nos plénières à ces questions. Devons-nous instituer une absence de lien de subsidiarité pour éviter qu’un membre d’une agence fasse partie de la commission ? Il est très compliqué de faire la part des choses entre l’agence dans laquelle je travaille tous les jours et une alerte, même en ne participant pas du tout à l’étude de l’alerte, à la discussion qui s’ensuit et aux comptes rendus. Vous avez raison de pointer ces questions car nous les vivons, nous y réfléchissons pour avoir encore plus d’exigences vis-à-vis de nous-mêmes. Nous ne pouvons pas être exigeants vis-à-vis des organismes que nous accompagnons si nous sommes nous-mêmes suspectés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La DAPse est soumise à une exigence de vertu absolue puisque vous êtes le dernier rempart pour porter des jugements et mettre en place des procédures. Les membres de votre commission doivent être « triés sur le volet » et exempts de toute suspicion de conflit d’intérêts passé, présent et potentiellement à venir. Pourtant, ce sont aussi des êtres humains, salariés, qui ont des projets professionnels pour l’avenir.

Des représentants des ministères se trouvent-ils parmi les membres proposés ? J’ai noté en particulier que, pour le dossier délicat des SDHI, vous avez sollicité les cinq ministères concernés et que vous n’avez toujours aucune réponse au bout de dix mois.

Qu’en est-il des membres des ministères concernés présents dans la CnDAPse ? Que faites-vous face à ce constat d’absence de réactivité ou de manque de collaboration des ministères ? Que faire face à votre incapacité à obtenir une réponse des ministères qui devraient se positionner ? J’ai la même question bien entendu en ce qui concerne les préfectures ou les services des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Que faire de plus alors que vous attendez une réponse depuis presque un an, à propos d’une substance que vous considérez comme potentiellement dangereuse ? Quels sont vos moyens officiels pour faire avancer la situation ?

M. Denis Zmirou. Votre question comporte deux dimensions. La première concerne les membres de la commission. Ces personnes ne représentent pas les ministères mais sont proposées par les ministères. Ce ne sont pas nécessairement des agents des ministères. Les personnes proposées par les ministères de l’environnement et de la santé par exemple ne relèvent absolument pas de ces ministères. C’est à eux d’apprécier l’équilibre des propositions qu’ils nous formulent.

Il s’agit du premier mandat. Nous avons pris la commission telle qu’elle était constituée lorsque nous avons pris nos fonctions. Nous arrivons au renouvellement et nous serons plus attentifs que nous ne l’étions. Toutefois, ce n’est aucunement une obligation du ministère de désigner un agent du ministère. En tout état de cause – c’est vrai également pour les agences – ces membres ne représentent ni le ministère ni l’agence. Ils sont membres de la commission à titre personnel et leurs propos n’engagent aucunement les ministères.

Le deuxième point, concernant l’absence de réponse, est beaucoup plus délicat. Des administrations locales font traîner, ne répondent pas. Nous les relançons et, au bout de six mois, nous les signalons au ministère d’autorité mais, dans le cas présent, il s’agit d’un signalement adressé au ministère pour lequel nous n’avons pas obtenu de réponse.

Plus précisément, nous sommes actuellement devant trois cas de ce type. Dans l’un des cas, ce sont cinq ministères qui, depuis novembre dernier, n’ont pas répondu. Jusqu’à présent, nous n’avions pas imaginé les moyens de faire connaître ces situations. Sachez donc que, d’ici la fin du mois, nous ferons apparaître, de manière très lisible pour chacun, que tel dossier n’a pas reçu de réponse de l’administration locale sollicitée ou du ministère en cause, en désignant les autorités en cause.

La commission ne peut pas aller au-delà des missions qui lui ont été confiées par la loi. C’est à vous, mesdames et messieurs les députés, aux sénateurs, à la société civile, aux journalistes de poser des questions. Nous n’avons pas été missionnés pour dénoncer tel ou tel. Nous n’en avons ni les moyens juridiques ni les moyens physiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous adoptez donc une démarche de name and shame, de mise au pilori.

M. Denis Zmirou. Nous nous inspirerons de cette démarche name and shame en disant que, sur tel dossier, nous n’avons pas de réponse de telle DREAL ou de tel ministère.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre position est donc de communiquer vers la société civile, y compris les parlementaires, à eux de se mobiliser ensuite.

Mme Agnès Popelin. Vos questions pointent certaines faiblesses de la commission car la loi n’a pas prévu un droit de suite de la commission. Elle ne peut que transmettre et s’assurer du suivi. Au départ, nous avons été naïfs peut-être, d’autant plus que la France est leader en Europe pour ce type de commission et que nous avons travaillé sans aucun exemple étranger. Nous sommes encore en gestation.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avec très peu de moyens et uniquement des bénévoles, vous portez une mission extrêmement lourde et très stratégique.

Mme Agnès Popelin. Tout à fait. Je le redis : nous disposons de 1,4 équivalent temps plein réparti entre trois fonctionnaires. La France s’est dotée d’un corpus législatif extrêmement fort mais ne dispose que de 1,4 équivalent temps plein et vingt-deux bénévoles. Denis Zmirou et moi sommes membres du Bureau et nous y consacrons une journée à une journée et demie par semaine, en travaillant même pendant le mois d’août. Cela représente deux jours par semaine, à titre totalement gratuit, sans compter les week-ends.

Nous avons eu une alerte qui signalait des plaques d’amiante déposées, transportées et jetées je ne sais où, et des ouvriers recommenceront, sur un autre chantier, à transporter ces plaques d’amiante. Nous avons prévenu les inspecteurs du travail concernés sans obtenir de réponse. Dans le cas des SDHI, nous ne savons pas si ce sera énorme ou non. Nous avons été prévenus de manquements dans l’évaluation. Dans le cas de l’amiante, nous savons qu’une équipe d’ouvriers, quasiment tous les jours, respire de l’amiante. Nous sommes donc aussi dans des questions de santé environnementale quotidienne. Nous avons le cas de brûlage de plastiques ou de déchets verts par une entreprise qui le fait depuis dix ans sans que le maire réagisse, soit parce qu’il ne sait pas, soit parce que l’entreprise embauche ou pour une autre raison que nous ne connaissons pas. Nous avons aussi le cas d’une ville dans laquelle une industrie continue d’émettre des polluants parce qu’elle est le plus gros employeur de la ville.

Dans tous ces cas, la commission tente d’intervenir avec ses moyens actuels ; elle avertit. Nous envoyons des lettres recommandées et, sur les SDHI, nous avons envoyé des lettres recommandées à cinq ministères, y compris la jeunesse et les sports parce que nous savions que le traitement des pelouses sportives posait problème. Nous n’avons eu aucune réponse, nous avons fait des relances par courrier recommandé, toujours sans réponse. Nous le publions donc sur le site pour bien mettre en lumière les cas où nous n’avons pas de réponse.

Nous envoyons notre bilan annuel à tous les ministères, au Premier ministre, aux présidents des assemblées et nous avons ajouté les membres des commissions qui sont concernées. Nous l’envoyons donc à la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, par Internet. Le rapport se trouve aussi sur le site Internet et nous tenons une conférence de presse. Cette année, comme cela a été compliqué avec la covid, nous avons fait un envoi à la presse. Nous essayons de créer des relais d’opinion. Des journaux s’y intéressent. Une radio nous suit régulièrement. Des journalistes d’un quotidien très spécialisé nous suivent aussi sur les pages santé-environnement.

Nous comptons aussi sur vous. La représentation nationale a le pouvoir de pointer et d’interroger lors des séances publiques, de poser des questions. Je me permets de vous dire qu’il faudrait mettre en place une association de vigilance citoyenne, à tous les niveaux, d’autant plus que nous devons répondre dans les trois mois. Cependant la directive européenne « crantera », dans la loi, les obligations de réponse et de traitement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Êtes-vous en mesure, dans la discussion qui aura lieu au Parlement à l’occasion de la transposition de la directive européenne, de proposer une solution en cas de silence des autorités responsables que vous sollicitez ? Existe-t-il une solution qui vous donnerait un peu plus de pouvoir de coercition ou de sanction ?

Par ailleurs, sur les questions d’éthique et de déontologie, vous plaidez pour un rapprochement entre les différents porteurs du cadre déontologique. Quelle différence faites-vous entre l’éthique et la déontologie ? Quel est l’arrière-plan philosophique sur lequel vous vous adossez pour définir des règles du jeu ? Les principes sont-ils philosophiques, dogmatiques, constitutionnels ? Le comité d’éthique a-t-il lui-même rédigé ces principes ? Faites-vous une différence entre éthique et déontologie ?

M. Denis Zmirou. Nous ne sommes pas une autorité qui peut « surplomber » tel ou tel ministère et encore moins le gouvernement en l’obligeant à quoi que ce soit. Aux termes de la loi et du décret, les ministères doivent faire réponse des suites qu’ils donnent aux alertes que nous leur transmettons dans les trois mois. Cette obligation est déjà écrite et sera à confirmer par la directive.

Je vous ai exposé ce que nous imaginons entreprendre au-delà : faire savoir, afin que l’ensemble des acteurs, y compris la représentation nationale et la presse, identifient les sujets pour lesquels nous n’obtenons pas de réponse.

Toutefois, nous sommes soumis à une injonction contradictoire. Dans le dossier des SDHI, le problème ne se posait guère car les personnes ayant réalisé le signalement se sont elles-mêmes dévoilées, leur statut le leur permettant sans risque, mais nous avons le devoir impérieux de protéger les lanceurs d’alertes et donc d’éviter de donner des informations détaillées permettant de les reconnaître. Nous ne pouvons donc pas dire que, sur le dossier de l’entreprise X portant sur l’atelier Y, nous n’avons pas de réponse. Ce serait menacer des personnes de représailles, de rétorsion. Nous ne sommes pas pour autant dans une impasse parce que nous sommes convaincus que, une fois que nous aurons fait savoir, les journalistes et les associations sauront comment aller plus loin tout en préservant la confidentialité des sources d’information.

Nous n’avons pas imaginé l’étape suivante d’amélioration législative. Nous sommes impuissants à sommer les ministères de nous répondre.

Mme Agnès Popelin. En vue de la transposition de la directive européenne, nous avons travaillé sur le devoir de redevabilité des destinataires de nos courriers. Nous avons dans la commission deux expertes, Béatrice Parance, juriste spécialiste de l’environnement, et Marie-Françoise Guilhelmsans, membre du Conseil d’État. Nous avons donc travaillé, rencontré le Défenseur des droits, le vice-président de l’Assemblée nationale, M. Sylvain Waserman, à l’occasion de travaux sur la future transposition de la directive européenne.

Notre statut est analogue à celui de l’autorité environnementale qui n’est pas une autorité administrative indépendante (AAI) dont les recommandations auraient une portée juridictionnelle. Nous sommes une simple commission indépendante. L’autorité environnementale a ce même statut et elle s’appuie sur une obligation pour les porteurs de projet de faire des évaluations environnementales. Cette obligation est prévue par une directive européenne. La directive européenne nous permettra donc d’améliorer le corpus législatif français.

Pourquoi ne pas obliger le destinataire d’une lettre à nous faire une réponse, non pas dilatoire mais en répondant point par point ? Il s’agirait donc d’un devoir de redevabilité avec ce qui s’appelle une réponse expresse. Le risque est sinon de décourager l’alerte.

La France a voulu mettre en place un système, grâce auquel elle est considérée en Europe comme un moteur. Elle a encore porté la directive européenne pour éviter qu’elle soit cantonnée aux domaines de Bercy, à tout ce qui est financier et fiscal. Nous sommes très heureux d’être auditionnés pour demander que la France soit encore le bon exemple et qu’un devoir de redevabilité soit prévu lorsque nous adressons un signalement en demandant ce qui est mis en place. Nous n’avons pas à juger du fond de l’alerte. Nous demandons ce qui est mis en place pour répondre au fond de l’alerte, tout en ayant comme le Défenseur des droits une énorme complication liée au fait que nous ne devons pas révéler d’éléments qui permettraient d’identifier le lanceur d’alerte, pour le protéger. Le Défenseur des droits interviendrait sinon immédiatement au nom de la défense de celui-ci.

Si nous recevons une alerte dans laquelle la personne nous dit avoir subi des pressions de sa hiérarchie ou des menaces de licenciement, nous ne pouvons pas transmettre cette alerte au Défenseur des droits. L’auteur du signalement doit lui-même s’adresser au Défenseur des droits. Réciproquement, le Défenseur des droits ne s’estime pas compétent pour traiter l’alerte, mais uniquement pour traiter la protection du lanceur d’alerte et invite à transmettre l’alerte, soit à notre commission, soit à une autorité chargée de la corruption… Il faut donc distinguer la protection de l’alerte de la protection du lanceur d’alerte. Les deux doivent bien s’articuler, tout en veillant à ce que l’un n’empiète pas sur l’autre.

Nous avons également un problème parce que nous sommes une commission nationale. Lorsque nous recevons les éléments d’un signalement, il nous faut pouvoir vérifier donc pouvoir enquêter, toujours en préservant l’anonymat du signalement et de l’alerte. Nous n'avons pas d’enquêteurs. Nous devons donc avoir des relais. Nous avons mis en place, avec les agences régionales de santé (ARS), des référents avec lesquels nous pouvons discuter des éléments de l’alerte. Il nous faut un référent, quelqu’un qui fasse une DPI, qui puisse entrer dans cette procédure très sécurisée et anonymisée. Nous n’avons pas encore de relais auprès des préfectures, de la DREAL pour disposer d’un référent avec lequel nous pourrions discuter des éléments qui fondent le signalement. Il nous faut vraiment un référent, auquel nous puissions donner des codes qui changent à chaque alerte pour garantir la confidentialité de l’alerte.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez une stratégie d’étayage du maillage. Vous improvisez des compléments à l’organisation définie par la loi Sapin 2 pour disposer de relais à l’intérieur même des organismes censés répondre et faire avancer l’instruction des dossiers. Autrement, c’est l’enlisement comme dans les cas que vous nous avez présentés. L’efficacité de votre mission dépend de la nomination de personnes relais qui seront personnellement désignées comme responsables. Elles sont bien identifiées et ne pourront pas ne pas répondre.

Lorsque l’alerte est envoyée à un ministère, elle se noie dans la masse tandis qu’en l’envoyant à une personne référente bien identifiée, officielle, nous pouvons cibler la pression.

Mme Agnès Popelin. Le principe est le même que celui des établissements qui ont des référents « déontologie ».

M. Pierre-Henri Duée. Pour essayer d’apporter une clarification sur la différence entre déontologie et éthique, la déontologie est le cadre dans lequel il convient de travailler. Il existe ainsi une charte de déontologie des différents métiers, pour la recherche, pour l’expertise. La déontologie consiste à faire en sorte que l’expertise soit transparente, dépourvue de conflits d’intérêts. Nous avons déjà évoqué la façon d’arbitrer collectivement en évitant ces conflits d’intérêts.

L’éthique est plutôt un questionnement. Elle éclaire les objectifs et les finalités d’une action. Il s’agit de regarder les conséquences des progrès sur la santé humaine, avec aujourd’hui un champ très élargi pour un comité d’éthique comme le CCNE. Par exemple, il s’agit de se demander si nous pouvons utiliser les outils de manipulation du génome comme Crispr/Cas9 dans toute situation et la réflexion du comité d’éthique a abouti à un avis en début d’année.

Un comité d’éthique est toujours pluridisciplinaire, en situation d’écoute, en évitant les liens d’intérêts. Il est aussi une forme de lanceur d’alertes. La réflexion éthique aboutit à émettre des recommandations qui peuvent aussi être des alertes. L’alerte éthique nous paraît être un mode de régulation de la science et, au-delà de la science, de la vie sociale, de la culture.

Le fait de consolider l’alerte dans le paysage français, dans toutes ses dimensions, que ce soit au niveau de la recherche ou de la société, permet de consolider la démocratie et d’avoir une vigie de la démocratie. L’une des missions de la commission est d’accompagner cette évolution de la société.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous disiez qu’il restait un effort à faire pour accompagner la perméabilité de toutes ces communautés : Défenseur des droits, comité d’éthique, DAPse. Comment le verriez-vous ? S’agit-il d’un rapprochement avec des échanges intellectuels ou s’agit-il de la définition d’un corpus commun ?

Dans la déontologie, la charte par activité est en quelque sorte du « sur mesure ». C’est une déclinaison par profession de grands principes éthiques confrontés à la réalité de la pratique. Comment verriez-vous une possibilité de faire converger la théorie et la pratique pour éviter un phénomène de démarche « en silos » ?

M. Denis Zmirou. Je prendrai l’exemple d’une réflexion que nous avons engagée et qui porte sur un sujet potentiellement d’une très grande ampleur.

Le pays est engagé dans la préparation d’un programme pluriannuel de financement de la recherche. Dans ce cadre seront encouragés des partenariats entre public et privé, c’est très bien. Cette recherche sert non seulement à éclairer les pouvoirs publics, mais aussi à l’innovation, au développement économique. Ces partenariats dans différents secteurs sont une source de renforcement de la capacité du pays à innover, à être présent au sein de l’Europe.

Toutefois, une question éthique se pose. Un partenariat est-il vraiment toujours gagnant-gagnant ? N’est-il pas parfois gagnant-perdant ? Ne faut-il donc pas mettre en place un certain nombre de garde-fous pour que ces partenariats, utiles et nécessaires, n’aboutissent pas à ce que les organismes publics d’expertise et de recherche y perdent des capacités d’analyse critique sur les effets et les conséquences ? Nous pourrions même nous rendre compte que nous nous faisons manipuler parce que les crédits que telle société ou fédération professionnelle nous accorde ne nous le sont que si nous partons dans telle direction de recherche et non où nous aimerions bien aller.

Dans cette réflexion que nous initions, nous nous adresserons évidemment aux établissements concernés, aux grands organismes de recherche, à l’université, aux organismes d’expertise. Nous leur proposerons de réfléchir ensemble à un cadre de vigilance, non pas pour s’interdire de franchir le pas mais pour s’interdire de commettre la faute.

La commission ne surplombe pas, elle se pose ces questions. Elle est consciente des bénéfices mais aussi des menaces et invite donc les partenaires à élaborer un texte le plus consensuel possible. Chacun en assumera ensuite la responsabilité et la mise en œuvre.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La société civile demande de la transparence. La critique du fonctionnement de notre démocratie est forte, notamment sur les clivages socio-économiques mais aussi sur les clivages culturels, les clivages entre la technocratie et la réalité du quotidien des êtres humains que nous sommes. Il m’apparaît nécessaire d’avoir un grand arbitre qui puisse décider. Même si le risque que cette instance devienne autoritaire et autoritariste existe, si nous ne nous mettons pas d’accord sur quelques comportements moraux, éthiques, cette méfiance, de plus en plus violente, augmentera, même à l’égard de l’État et de toutes les administrations censées être au service du citoyen et qui font parfois preuve de manque de transparence et de collaboration. Cette méfiance, cette agressivité, même liée à la frustration et à l’ignorance, ne feront qu’augmenter. Pour que notre démocratie « tienne le coup », il faut que quelqu’un rappelle à l’ordre sur l’éthique, avec une déclinaison opérationnelle en matière de déontologie.

Mme Agnès Popelin. Nous avons étudié avec attention votre lettre de mission. Nous avons effectivement un rôle à jouer dans la remontée de l’information et la meilleure coopération entre tous les acteurs concernés. Il faut savoir que la commission comporte vingt-deux membres mais que, lorsque nous instituons un groupe de travail, il ne se réduit pas à des membres de la commission. Nous l’ouvrons à des personnalités et des experts extérieurs qui peuvent être de la société civile ou des scientifiques, des savants. Nous avons donc une souplesse d’organisation qui nous permet, par ces groupes de travail, de nous enrichir, d’avoir des expertises extérieures et des expertises multilatérales.

Nous avons essayé de travailler pour répondre à l’objet de votre commission d’enquête mais, de par mon prisme environnemental, si par exemple j’évalue la qualité de l’air, c’est 48 000 morts par an. Un rapport du Sénat a évalué le coût de la qualité de l’air. Vous imaginez ce que prévient l’alerte simplement en termes de coût social.

Pour l’amiante, en plus du coût sanitaire, le coût social est monstrueux, pris en charge par la sécurité sociale, par nos impôts et par des obligations qui alourdissent le cahier des charges des entreprises.

Face à l’alerte, il ne faut surtout pas se dire « ils vont encore dénoncer… ». L’alerte est un objet de vigilance citoyenne qui permet à chacun d’éviter des catastrophes sanitaires et démocratiques. Cela évite aussi, d’une certaine façon, une prise en charge budgétaire. Sur combien d’années s’étalera-t-elle pour l’amiante, pour les prothèses mammaires ou pour le Mediator par exemple ? Il faut le voir comme un agent de prévention.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Souhaitez-vous aborder un autre sujet ?

M. Denis Zmirou. Nous sommes une entité très jeune qui est mentalement très indépendante même si nous n’avons pas encore les moyens de cette indépendance. Nous avons commémoré voici quelques jours un évènement dramatique, l’accident de Lubrizol, qui a eu de lourdes conséquences pour la population de Rouen et les ouvriers des entreprises concernées.

Je souhaite vous dire que, trois mois avant Lubrizol, nous avons reçu un signalement qui a été évoqué précédemment par Mme Agnès Popelin. Un agent dans une entreprise, dans la même région, nous a fait savoir qu’un stockage de produits inflammables dépassait de manière substantielle les autorisations faites par le préfet. Forts de cette information, dans le cadre de l’instruction, nous avons prévenu la DREAL qui a réagi très vite, fait une inspection sur place et confirmé les faits. Le dossier a été réglé immédiatement.

Au printemps précédent, chez Lubrizol ou chez Normandie Logistique, quelqu’un n’a-t-il pas réalisé l’existence d’une situation menaçante, à risques ? Ne connaissait-il pas la commission ? Nous n’avions pas encore mis en place les outils d’information. Redoutait-il les conséquences d’une telle démarche ? Nous n’aurons probablement jamais de réponse à ces questions mais elles nous hantent depuis un an.

Aurions-nous la capacité, avec les ressources dont nous disposons aujourd’hui, de réagir de manière rapide à une telle situation urgente ? Notre rapport d’activité de fin 2019, que nous actualiserons, nous invite malheureusement à un certain pessimisme. Avec les ressources très limitées de la commission, malgré le temps considérable que nous y passons, il faut vraiment changer d’échelle. La révision de la directive est l’occasion de revenir au sein des assemblées pour discuter de ces enjeux et des moyens d’exercer nos missions.

Mme Agnès Popelin. Le cas Lubrizol est un cas qui nous hante. Si nous avions été saisis et que nous n’avions pas pu avoir les réponses à temps, vous imaginez la charge morale. C’est un poids très lourd à porter. Notre mission est très belle mais elle n’est pas évidente. Nous sommes des êtres humains.

J’aimerais diffuser la culture de l’alerte. J’ai rencontré des syndicats ; nous avons d’ailleurs dans la commission des syndicalistes qui en sont membres de par le CESE. J’ai discuté avec les syndicats qui nous ont dit que, plus les personnes se trouvent dans un site classé dangereux, plus cette culture du risque qui rend solidaire de l’entreprise est forte. Il ne faut surtout pas qu’un salarié ou un collaborateur, même celui qui vient livrer des produits et voit qu’ils ne sont pas stockés correctement, puisse se dire qu’il trahit son entreprise. Il faut qu’il comprenne que participer à ce devoir de vigilance fait partie de la culture du risque et que la culture du risque consiste aussi à prévenir, au sens de faire de la prévention et au sens de prévenir en cas de dysfonctionnement.

Non seulement il faudrait nous donner des moyens, mais il faudrait que, dès le plus jeune âge, chacun comprenne que la culture du risque, l’alerte font partie de ce devoir de vigilance que nous devons tous avoir. Ce n’est pas une trahison. Certains sites d’entreprises disent explicitement que l’alerte leur fait du bien, qu’elle leur permet d’améliorer leurs protocoles de production, de sécurité et de traiter le problème en interne, donc de ne pas avoir une mauvaise publicité. Tout le monde est gagnant.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Finalement, vous nous renvoyez à nos responsabilités, à la responsabilité individuelle mais aussi à la responsabilité collective.

J’entends la souffrance que vous exprimez en vous sentant particulièrement responsables parce que, peut-être que si les outils avaient été plus vite mis en ligne, un agent de Lubrizol aurait pu s’exprimer et attirer l’attention des pouvoirs publics. Je pense que nous devons partager avec vous ce sentiment de culpabilité : si vous aviez eu davantage de moyens, peut-être la mise en place des procédures aurait-elle été plus rapide et évité cette catastrophe. Je vous rassure donc, nous sommes tous co-responsables de ce qu’il s’est passé mais aussi de ce qu’il adviendra. Comptez sur moi, en tant que députée, pour porter vos remarques lors de la transposition de la directive européenne. Cela fait partie des références éthiques que se doit d’avoir tout parlementaire.

Je vous remercie d’avoir expliqué toute la complexité des situations, les injonctions paradoxales auxquelles vous êtes soumis. Vous avez une belle mission de protection ; il ne s’agit pas seulement de donner la parole à quelqu’un qui exagérerait un phénomène ponctuel mais aussi de faire de la prévention. Cette prévention a des conséquences financières, sociales et j’ajoute même politiques, démocratiques.

L’audition s’achève à douze heures vingt-cinq.

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19.   Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Caquet, directeur scientifique « environnement » de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) (14 octobre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Thierry Caquet, directeur scientifique « environnement » de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Vous êtes titulaire d’un doctorat d’écologie générale. Chargé puis directeur de recherche à l’institut national de la recherche agronomique (INRA), après avoir été, durant plusieurs années, maître de conférences à l’université de Paris Sud, vos fonctions à l’INRA vous ont conduit à diriger le département « écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques », le méta-programme « adaptation de l’agriculture et de la forêt au changement climatique » avant de devenir le directeur scientifique « environnement » de cet institut, devenu INRAE, après sa fusion avec l’institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA).

Vous appartenez au comité de pilotage scientifique de l’alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), au conseil d’administration de la fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) ainsi qu’au conseil scientifique de l’agence française devenue l’Office français de la biodiversité.

Les travaux réalisés ou coordonnés par l’INRA/INRAE portent en particulier sur l’agriculture, l’alimentation, la forêt, l’environnement, l’eau et la biodiversité. L’institut vient également en appui des politiques publiques à titre d’expert scientifique et technologique. La prise en compte de la biodiversité dans la prévention et la lutte contre les maladies, la prise en compte des risques sanitaires impliquant la faune et la flore sont des thèmes d’intérêt d’une démarche de santé environnementale qui expliquent votre audition.

(M. Thierry Caquet prête serment.)

M. Thierry Caquet, directeur scientifique « environnement » de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Le domaine de la santé environnementale est un vaste domaine dont je n’ai pas la prétention de faire le tour en dix minutes.

L’INRAE est né récemment. La fusion de l’INRA et de l’IRSTEA est effective depuis le 1er janvier 2020. C’est un institut jeune, mais riche de l’ancienneté de ses deux « composantes parentales ».

Nous sommes un organisme public de recherche finalisée et nous avons l’ambition de servir l’intérêt général, en nous appuyant sur la génération de nouvelles connaissances scientifiques académiques, mais aussi sur des recherches appliquées qui appellent l’attention de certains secteurs de la société et de certains de nos concitoyens.

Nous avons le souci de l’impact de nos recherches, et cela de différentes façons. En ce qui concerne l’impact scientifique, nous collaborons avec les meilleures équipes des domaines qui nous intéressent, au niveau national et international, ainsi qu’avec des partenaires publics, des partenaires socio-économiques et, de plus en plus, des citoyens. La société a une très forte attente et, en miroir, nos chercheurs souhaitent travailler davantage avec elle sur certains sujets. C’est la science ouverte ou la science citoyenne. Nous accompagnons ce mouvement de fond. Nous sommes aussi toujours soucieux d’innovation, de transfert de nos connaissances vers les utilisateurs.

Notre établissement couvre un champ très large de disciplines scientifiques : les sciences de la biologie, dont l’agronomie qui est l’élément fondateur de l’INRA/IRSTEA, mais aussi les sciences de la Terre, les sciences de l’ingénieur, les mathématiques, les sciences de la santé. Nous avons aussi des compétences très fortes, souvent méconnues, en sciences humaines et sociales. Pour les sujets de santé-environnement, nous ne pouvons pas concevoir des approches uniquement de manière académique, comme en sciences de la vie ou de la Terre, des approches déconnectées des sciences humaines et sociales. Nous portons assez haut cette ambition de l’interdisciplinarité.

L’un des atouts de l’INRAE tient au fait que nous nous appuyons sur des infrastructures de recherche, qu’il s’agisse d’unités expérimentales de type agronomique ou de plateformes analytiques de très haut niveau pour analyser soit des composés chimiques dans l’environnement soit des composés biologiques dans des tissus humains, animaux ou végétaux. Nous contribuons ainsi au développement de ce qui est appelé la biologie à haut débit, qu’il s’agisse de génomique, de protéomique ou de mesures métaboliques. Ce sont des outils très puissants pour les applications en santé-environnement.

Nous menons nos recherches en métropole, mais aussi en outre-mer. Nous avons une implantation forte en Antilles-Guyane où se posent des questions spécifiques en santé-environnement. Certaines sont liées à la santé au sens classique – parasitoses, maladies émergentes – et d’autres à la présence de contaminants persistants, en particulier la chlordécone. Il s’agit d’un important sujet dans le domaine de la santé environnementale, dans lequel l’INRAE est impliqué en ce qui concerne les suites de cette contamination aux Antilles.

Nous travaillons, au niveau européen, avec de nombreux partenaires et nous sommes très mobilisés sur les questions dites Ecohealth, One Health ou santé globale. Ces notions, si elles sont malheureusement mises à l’agenda à cause de la crise covid, ne sont pas des préoccupations nouvelles pour un organisme comme l’INRAE. Le lien étroit entre la santé animale, qu’il s’agisse des animaux domestiques ou des animaux sauvages, et la santé humaine fait depuis longtemps partie de nos priorités de recherche.

Lors de la fusion entre l’INRA et l’IRSTEA, nous avons beaucoup travaillé sur les complémentarités entre les établissements. Nous sommes convaincus que, dans le domaine général des risques – risques pour la santé ou risques environnementaux –, l’INRAE constitue un organisme beaucoup plus performant et beaucoup plus visible, au niveau international, notamment sur la question des risques en santé-environnement.

Nous avons toujours travaillé, notamment à l’INRA qui est le plus gros des deux partenaires, sur les épidémies de maladies émergentes, parmi les animaux d’élevage ou en lien les populations humaines exposées.

Nous travaillons sur les problématiques de la résistance aux produits antimicrobiens, par exemple pour savoir comment réduire l’utilisation des antibiotiques dans les élevages ou comment s’en passer complètement, lorsque c’est possible.

Nous nous préoccupons de plus en plus de l’utilisation des substances chimiques pour la protection des cultures en plein champ, mais aussi pour la protection des denrées après la récolte. Nous nous préoccupons aussi de tous les rejets involontaires dans l’environnement, de la contamination de l’eau, de l’air, des sols par ces substances.

Nous travaillons également sur les contaminants naturels des produits alimentaires, notamment les mycotoxines. Ce sont des toxines produites par des champignons qui se développent entre autres sur les céréales. Elles peuvent contaminer la chaîne alimentaire et avoir des impacts très forts sur les consommateurs.

Enfin, de plus en plus, nous nous préoccupons des régimes alimentaires, à la fois en ce qui concerne la constitution de ces régimes, notamment leur contenu en additifs, mais aussi en ce qui concerne la façon dont ils influent sur l’environnement. C’est un point auquel même la recherche et les politiques publiques pensent rarement. Nos régimes alimentaires peuvent avoir une influence, notamment, par exemple, sur les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, selon la demande en protéines animales. Cela peut agir sur le réchauffement climatique et, plus généralement, sur la dégradation de l’environnement.

Nos recherches témoignent d’une vision aussi globale que possible de la santé. Nous ne concevons pas de travailler sur la santé humaine sans considérer également la santé végétale, la santé animale et ce que nous appellerons la santé de l’environnement, même s’il existe des divergences d’opinion sur ce qu’est un environnement en bonne santé. Nous sommes persuadés qu’il est impossible d’avancer sur la santé humaine sans avancer sur les autres formes de santé. Nous plaçons ces problèmes assez haut dans notre agenda et notre stratégie de recherche.

Nous essayons de promouvoir des changements des modes de production et de transformation des aliments, en production agricole animale ou végétale. Nous essayons, autant que faire se peut, de sortir de la dépendance aux produits phytosanitaires pour la protection des cultures. C’est la démarche de l’agroécologie que nous avons promue depuis plus de dix ans. Nous essayons d’avancer encore, non seulement en prouvant les concepts, mais aussi en étendant le champ d’application des démarches agroécologiques. Il s’agit de sortir de la dépendance aux intrants, même s’il ne s’agit pas forcément de « zéro pesticide ». Nous essayons également de promouvoir de nouveaux modes de transformation des produits, en particulier face à la crainte, qui monte très légitimement, des impacts sur la santé humaine de la consommation d’aliments ultra-transformés.

Nous travaillons sur la façon dont les consommateurs font évoluer leur régime alimentaire et leurs attentes. En effet, l’ensemble se tient, puisque nous ne produisons que ce qui est transformé, ce qui est consommé. Nous intégrons tout cela dans un système dit « agri-alimentaire », allant de la production jusqu’à la consommation en passant par la transformation de l’aliment.

Pour mettre ces études en pratique, au niveau social, nous devons nous appuyer sur des politiques publiques ou éclairer des politiques publiques qui intègrent les évolutions de la connaissance et des contraintes imposées soit aux actes de production soit aux actes de consommation.

En avant-première, j’évoquerai devant vous nos grands objectifs stratégiques pour les dix prochaines années. Le document d’orientation stratégique 2020-2030 que nous préparons actuellement sera la base du contrat d’objectifs et de performance que l’établissement négociera en 2021 avec l’État. Nous avons actuellement trois priorités scientifiques thématiques.

La première est une priorité transversale, liée à l’organisation en termes d’infrastructures. Il s’agit de renforcer notre capacité à travailler sur l’émergence ou la réémergence de maladies transmissibles. La crise covid n’est pas la seule raison qui nous pousse dans cette direction. Depuis plus de quarante ans, nous savons qu’augmente de façon continue le nombre de maladies émergentes chez l’homme, liées à des transferts de pathogènes depuis la faune sauvage ou domestique. Actuellement, 60 à 70 % des nouvelles maladies émergentes ou réémergentes chez l’homme proviennent du monde animal, au sens large des animaux sauvages ou d’élevage. Même si l’opinion publique en entend moins parler, nous voyons aussi une forte augmentation du nombre de pathogènes dans le monde végétal, sous l’influence du changement climatique, mais aussi des pratiques de transfert de matériel vivant, notamment de plantes, entre différentes parties du globe. Nous voyons ainsi arriver des infestations sur notre territoire : par exemple, l’année dernière, le virus de la tomate a contaminé certaines régions françaises, à partir de plants en provenance des Pays-Bas.

Face à l’augmentation de cette pression, nous essayons, en tant qu’organisme de recherche, de mieux connaître les systèmes, appelés « pathosystèmes », constitués d’un hôte, d’un pathogène, de ses vecteurs et de l’environnement.

Comment revenir ensuite à des pratiques prophylactiques ? Quoi que nous fassions, la meilleure façon de ne pas avoir de problème avec un pathogène est de ne pas y être exposé. La prophylaxie est donc un élément-clé de notre stratégie. Nous proposons, mais c’est plus ambitieux, de contribuer à un réseau, peut-être mondial, de surveillance des émergences et des contaminations, qui permettrait d’anticiper nombre de phénomènes de santé.

Il est pour nous très important de travailler sur les retours d’expériences : tous les organismes, tous les États sont « sur la même longueur d’onde ». Il ne s’agit pas de redécouvrir à chaque crise sanitaire les phénomènes qui se produisent et comment agir. Les retours d’expérience contiennent une grande part de gestion et d’évaluation des risques. C’est extrêmement important dans le cas des crises sanitaires.

Notre deuxième grand axe consiste à intégrer encore davantage le concept d’exposome dans nos recherches. L’exposome est cité dans l’introduction du plan national santé environnement (PNSE3), mais il est difficile de voir comment ce concept est ensuite « mis en musique ». Le terme exposome figure aussi dans la loi sur la modernisation du système de santé de 2016. Rien ne dit comment faire, concrètement, pour travailler sur l’exposome et le caractériser. Nous pensons pourtant que le fait de connaître l’ensemble des expositions chimiques, tous les stress environnementaux et toutes les caractéristiques psychosociales est extrêmement important pour comprendre le déclenchement de certaines maladies.

C’est l’hypothèse de Barker qui énonce que, dès la conception, l’embryon puis le fœtus sont imprégnés par des signaux de l’environnement – signaux chimiques, hormonaux… – qui induiront potentiellement le développement de pathologies à moyen ou à long terme. Certaines pathologies dont nous constatons actuellement l’augmentation, telles que le diabète, pourraient être dues à des expositions très précoces au cours du développement, même si le lien de causalité est difficile à établir. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de données sur l’exposome.

C’est le cas pour certaines substances de type perturbateurs endocriniens – thalidomide, distilbène – mais nous pouvons penser que d’autres contaminants imprègnent l’embryon et peuvent être à l’origine de dysfonctionnements après développement.

Notre objectif est de travailler sur cette notion d’exposome en étudiant en même temps comment les contaminants se répartissent dans l’environnement, quelles en sont les sources, en quantifiant l’exposition. Á l’INRAE, avec d’autres, nous travaillons donc sur la modélisation du devenir des contaminants de l’environnement, sur la mesure de l’exposome et sur la façon de passer de la connaissance de cette exposition et des premières réactions de l’organisme à des effets sur la santé.

Nous travaillons sur des cohortes, en particulier avec nos collègues de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Ce sont des séries de grande ampleur de plusieurs milliers ou plusieurs dizaines de milliers d’individus, comme la cohorte NutriNet-Santé. Nous les utilisons pour interpréter les liens entre l’exposition, éventuellement le régime alimentaire, et les manifestations de pathologies chez l’humain.

Le troisième axe concerne la nutrition. L’INRAE s’intéresse à l’agriculture, l’alimentation, la bioéconomie et l’environnement. Nous souhaitons étudier quelle nutrition est favorable à la fois à la santé publique et à la santé de l’environnement. L’INRA puis l’INRAE se sont toujours définis comme des organismes qui s’intéressent à l’alimentation de la personne saine.

Nous sommes tous différents en ce qui concerne l’alimentation et la santé. Nous avons deux cibles principales de recherche : les seniors et les juniors, plus précisément les enfants en bas âge. Nous étudions en quoi l’exposition périnatale à certains contaminants peut avoir des effets sur le développement des enfants. Nous étudions aussi quelle est l’alimentation adaptée aux personnes âgées, notamment en tenant compte des problèmes de dénutrition fréquents à ces âges.

Nous essayons de comprendre comment articuler choix alimentaires, évolution des filières de production, de transformation, de commercialisation et comment repenser le système alimentaire sur la base d’arguments de nutrition. Nous entendons beaucoup parler de malnutrition, de sous-nutrition dans certains pays du monde, y compris chez nos compatriotes. Une bonne partie de la population est malnutrie ou dénutrie, avec des carences en fer, en zinc, en vitamines parce que les régimes ne sont pas suffisamment équilibrés.

Nous travaillons aussi sur de grands thèmes de recherche fondamentale, en particulier sur les microbiotes, c’est-à-dire le rôle des microbes que nous hébergeons tous sur notre peau, dans notre tube digestif avec le fameux deuxième cerveau situé dans l’intestin. Un être vivant contient finalement plus de cellules microbiennes que de cellules qui lui appartiennent en propre. Cette communauté microbienne qui interagit avec nous – et c’est le même phénomène chez les plantes et les animaux – joue un rôle fondamental dans le bon fonctionnement de l’organisme et dans sa réponse à un certain nombre de stress environnementaux, qu’il s’agisse de contaminants, de carences en nutriments, d’une température trop élevée… Notre microbiote interagit avec l’organisme et l’un des enjeux majeurs est de comprendre comment s’organisent les microbiotes des macro-organismes pour collaborer avec l’organisme.

Parfois, la collaboration se passe mal ; nous parlons alors de dysbiose. Nous pensons que l’augmentation des maladies chroniques inflammatoires de l’intestin, telles que la maladie de Crohn, est, pour partie, dues à des dysfonctionnements du microbiote intestinal. Les travaux de l’INRA/INRAE ont contribué à avancer dans ce domaine et ces microbiotes sont pour nous un objet-frontière qui a d’énormes applications potentielles en santé, en protection des cultures et même en biochimie industrielle.

Enfin, les cohortes de santé peuvent être des cohortes de professionnels exposés à des substances comme c’est le cas d’Agrican, une cohorte d’agriculteurs qui manipulent notamment des produits phytosanitaires. L’INRA a beaucoup contribué et contribue encore à la cohorte NutriNet-Santé : les « nutrinautes », inscrits sur la base du volontariat, renseignent en ligne leur régime alimentaire, envoient des échantillons de prélèvements de sang, d’urine qui sont bancarisés et renseignent leur parcours de santé. Cette cohorte comporte actuellement 165 000 personnes environ. Depuis plusieurs années, elles renseignent en ligne ce qu’elles mangent, non au jour le jour, mais en indiquant les grandes tendances de leur régime alimentaire. Elles indiquent leur parcours de santé et peuvent, si elles sont volontaires, envoyer des échantillons à la biobanque. Nous avons actuellement environ 20 000 échantillons et, si nous voyons apparaître un signal de santé dans cette cohorte, nous pourrons réanalyser ces échantillons.

Pour ces analyses, il nous faut des instruments analytiques performants qui permettent, à partir de très petits échantillons, parfois conservés pendant de nombreuses années, de faire des analyses très précises pour identifier des polluants ou des traces de micro-organismes qui auraient pu être en contact avec l’humain, le végétal ou l’animal concerné. L’INRAE contribue, avec des collègues notamment de l’INSERM et du centre national de la recherche scientifique (CNRS), à ces projets de plateformes analytiques hautes performances pour l’étude des problématiques de santé-environnement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’INRAE intervient dans de multiples domaines. Nous en viendrions presque à nous demander dans quel secteur vous n’intervenez pas tellement le champ de vos missions est large !

Comment arrivez-vous, si vous y arrivez, à intégrer dans les politiques publiques autant de connaissances ? Ce sont des connaissances dans des champs de recherche extrêmement variés, avec davantage de certitudes dans certains domaines que dans d’autres : parfois encore au stade de la recherche d’informations, avec les plateformes analytiques par exemple, dans d’autres domaines, au stade du démarrage des concepts et des découvertes.

Comment construire des politiques publiques à la disposition des acteurs politiques, souvent non scientifiques ? Comment leur proposer des priorités permettant d’être opérationnels à moyen et long terme ?

M. Thierry Caquet. Notre mission première est effectivement une mission de recherche finalisée, en appui aux politiques publiques. Historiquement, l’INRA et l’IRSTEA ont toujours eu des liens privilégiés avec certains ministères. Nous sommes sous la double tutelle du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et du ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Nous sommes donc encouragés par les tutelles à développer un certain nombre de travaux « actionnables » par les politiques publiques. C’est le cas pour le ministère de l’agriculture et de l’alimentation.

Lorsque nous avons préparé la fusion, à l’origine de l’INRAE, nous avons tenu à avoir une symétrie avec le ministère de la transition écologique sous la forme d’un accord-cadre signé début septembre par Mme Barbara Pompili et par M. Philippe Mauguin, notre président-directeur général. Il s’agit de mettre en place les bons « tuyaux » pour connecter la recherche qui se fait dans nos laboratoires avec les services des ministères, notamment en ce qui concerne les préoccupations de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) au ministère de la transition écologique. La DGPR se préoccupe beaucoup des risques environnementaux au sens large, notamment des risques liés aux substances chimiques dans l’environnement.

Nous avons des échanges réguliers à haut niveau, entre la direction scientifique de l’établissement et les directions générales des deux ministères, pour identifier l’agenda des sujets qui émergent ou qui sont déjà prévus comme par exemple la révision de la stratégie sur la biodiversité. Dans ce premier niveau d’interactions, notre rôle est l’éclairage d’un certain nombre de politiques publiques en cours d’élaboration ou de révision.

Notre deuxième niveau d’interactions avec les ministères consiste à répondre à des saisines. Elles peuvent transiter directement d’un cabinet ministériel à la direction générale de l’INRAE. Elles peuvent être à l’initiative de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Certaines saisines sont faites par les inspections générales, en particulier les inspections générales de l’agriculture ou de l’environnement.

Je remarque d’ailleurs que, de plus en plus, ces saisines sont communes à plusieurs inspections générales. Des saisines fréquentes, communes aux inspections générales de l’environnement et de l’agriculture, parfois des finances, parfois de la santé, concernent la santé environnementale ou la gestion de l’eau. Il arrive que quatre inspections générales, même sans faire une véritable saisine donnant lieu à un rapport, nous auditionnent. Elles viennent « se ressourcer » pour savoir ce que la recherche peut apporter pour éclairer les politiques publiques.

En termes d’organisation, nous fonctionnions jusqu’à présent de façon bilatérale, certes avec des conventions, mais nous n’étions pas véritablement outillés pour gérer ces interactions et les faire fructifier. Lors de la fusion, nous avons mis en place une nouvelle direction générale déléguée à l’expertise et à l’appui aux politiques publiques.

Elle met actuellement en place des mécanismes d’appui aux politiques publiques. Cela signifie d’abord contribuer à leur élaboration, en amont, par des interactions sous forme d’auditions et de saisines. Une fois ces politiques publiques formalisées, nous travaillons à la mise en place d’outils d’application et éventuellement d’outils d’évaluation.

Cette nouvelle direction générale est au même niveau hiérarchique que la direction générale déléguée à la recherche et à l’innovation ou la direction générale déléguée aux ressources de l’établissement. Nous avons donc voulu placer « très haut » notre mission d’appui aux politiques publiques.

En plus de cette vision macroscopique au niveau de l’établissement, nous avons, en termes opérationnels, un ensemble de façons de travailler destinées à appuyer les politiques publiques. Nous travaillons avec des agences de l’État comme l’agence de la transition écologique (ADEME), l’observatoire français de la biodiversité (OFB) ou l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Ces agences mettent en œuvre sur le terrain certaines politiques publiques.

Par le biais de ces interactions, nous pouvons faire remonter des résultats de la recherche qui seront ensuite réinjectés dans le processus des politiques publiques.

En ce qui concerne plus particulièrement la santé-environnement, notre partenariat historique avec l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) fait que nous partageons des unités de recherche, notamment à Maisons-Alfort sur des questions de santé vétérinaire et d’épidémiologie. Nous sommes liés par un accord-cadre, renouvelé voici quatre ans, identifiant les sujets de collaboration : santé animale, santé végétale, épidémiologie, appui à l’expertise. Une soixantaine de scientifiques de l’INRAE siègent dans les comités d’experts spécialisés (CES) de l’Anses et une soixantaine également siègent dans les groupes de travail qui les appuient. Notre collaboration étroite avec l’Anses nous permet de contribuer à l’instruction de certains dossiers. Par ailleurs, certains projets de recherche sont financés par l’appel d’offres de l’Anses.

Nous entretenons donc toute une panoplie d’interactions au niveau français et notre ambition est d’agir de façon comparable au niveau européen. Nous aimerions en particulier que des experts INRAE participent à des agences comme l’European food safety authority (ESFA) ou l’European chemicals agency (ECHA) pour l’évaluation des produits chimiques ou phytosanitaires. Nous faisons également une offre de services à la Commission européenne sur certains dossiers que notre délégation générale à l’appui aux politiques publiques peut instruire pour le compte de la Commission, après une procédure d’appel d’offres bien sûr. Les sujets envisagés concernent la politique agricole commune (PAC), la révision de la stratégie européenne de la biodiversité en lien avec la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, prévue en Chine l’année prochaine, des actions sur les sols…

Nous agissons aussi bien à un niveau très opérationnel pour l’évaluation de dossiers que par des interactions à haut niveau entre des directions ministérielles et la direction générale de l’INRAE, avec toutes les implications intermédiaires : projets de recherche communs, infrastructures communes avec l’OFB et l’Anses… Nous mettons notre capacité de travail à la disposition de ces partenariats, ce que nous rendons bien visible avec la création de la direction générale déléguée.

M. Jean-Luc Fugit. Je fais partie de l’OPECST et nous nous y posons beaucoup de questions lorsque nous travaillons sur des sujets à la frontière entre la décision publique et les sciences.

Dans cette commission d’enquête, nous nous interrogeons beaucoup sur la gouvernance et sur les façons d’améliorer la conduite des politiques publiques. L’INRAE a une direction scientifique « agriculture » dirigée par M. Christian Huyghe. Quelles sont vos relations puisque de nombreux sujets concernent à la fois vos deux directions de l’environnement et de l’agriculture ? À terme, ne faudrait-il pas fusionner les directions ? Cette organisation ne nuit-elle pas à l’efficacité ?

Lorsque l’OPECST a travaillé sur la problématique des inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) et à d’autres occasions, la question de la nomination des experts et des liens d’intérêts a parfois été interprétée de manière un peu particulière par un certain nombre d’associations et d’organisations. Comment se prémunir contre ces difficultés, assurer l’éthique ? Comment les gens qui travaillent avec vous vivent-ils cette pression des associations, d’où il résulte qu’un expert s’exprimant sur un sujet est immédiatement soupçonné d’être d’accord avec celui qui pose la question ?

M. Thierry Caquet. Je n’ai pas la prétention de faire la politique de l’établissement à la place de notre président-directeur général.

Il est exact que l’existence de trois directions scientifiques, face aux défis actuels, est une vision « à l’ancienne » de la structuration d’un organisme de recherche.

Je ne suis pas pour autant en train de me saborder. Nous avons hérité d’une structure à cinq ou six directions scientifiques et nous avons simplifié le dispositif au fil du temps, notamment sous l’action de Mme Marion Guillou, pour arriver à ce tripode. Nous sommes partis du principe que ce n’est pas très stable avec deux pieds et un peu bancal avec quatre donc trois paraissait être le nombre d’or.

Il est clair que nous ne travaillons pas en « silos ». Cela tient en partie aux personnes et je suis en interaction permanente avec mes deux collègues, M. Christian Huyghe et Mme Monique Axelos, ne serait-ce que parce que nous siégeons tous au collège de direction de l’INRAE. Nous nous partageons beaucoup de dossiers. Par exemple, les directions scientifiques « agriculture » et « environnement » collaborent sur le chantier de l’agroécologie. Le premier chantier en agroécologie a été piloté par M. Jean-François Soussana qui était à l’époque directeur scientifique « environnement » avec l’appui des divisions de la direction scientifique « agriculture » et j’ai repris ce chantier en collaboration très étroite avec M. Christian Huyghe. Je ne dirais pas que nous sommes interchangeables, mais nous sommes « sur la même longueur d’onde », nous portons le même message et nous partageons les dossiers.

Une façon de travailler différemment, valable également pour les politiques publiques, serait de ne pas aborder les questions par grand thème, par grand secteur : c’est opérant à court terme, mais sclérosant à moyen et long terme. Nous sommes plutôt dans la logique de faire disparaître les cloisons comme vous le verrez dans notre document d’orientation 2020-2030. Nous travaillons de plus en plus sur des nexus. Ils vont d’un nexus « alimentation-santé-environnement » à un nexus « énergie-eau-biodiversité ». Il est possible que, à l’échéance de quelques mois ou années, ces directions scientifiques (DS) « agriculture », « environnement », « alimentation et bioéconomie » soient obsolètes parce que nous ne raisonnons plus ainsi et ne concevons plus les solutions ainsi.

Ces affichages existent mais le fait que cela ne corresponde pas à la réalité du travail fait consensus au sein du collège de direction de l’INRAE. Nous avons des réunions entre directions scientifiques et nos adjoints se voient au moins une fois par mois. Lorsque nous discutons avec des partenaires – ADEME, Anses… –, nous participons tous à la discussion, même si ensuite un chef de file porte le dossier.

La question de l’éthique et des liens d’intérêts est un sujet auquel nous sommes tous très sensibles. Je fais partie de comités Anses et nous sommes effectivement tout de suite suspects aux yeux de certaines personnes. Inversement, d’ailleurs, un chercheur peut aussi avoir des positions personnelles qui le font mettre à l’index d’une partie de la communauté scientifique.

À l’INRAE, nous faisons systématiquement une déclaration non de conflit, mais de liens d’intérêts. Je siège dans un comité pour l’expertise publique et, lorsque nous lançons des expertises scientifiques collectives pour lesquelles un collectif d’experts se réunit, nous demandons à nos collègues de fournir des déclarations de liens d’intérêts.

Il existe deux catégories de personnes : ceux qui le font de manière totalement naturelle et ceux qui s’y refusent un peu, en particulier des chercheurs qui n’ont jamais été confrontés à une telle demande. Ils partent du principe que l’éthique scientifique veut qu’un chercheur soit totalement indépendant dans sa prise de parole et son action.

Ces déclarations sont obligatoires pour tous nos partenaires, actualisées, consultables en ligne. Nous plaidons pour que chacun les remplisse convenablement.

Nous avons aussi une charte de déontologie et de l’expertise, ainsi qu’un comité d’éthique commun à plusieurs organismes. Il a été mis en place initialement par l’INRA. L’IRSTEA, l’institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) s’y sont joints. Nous travaillons avec les autres organismes sur notre charte de l’expertise.

Vous parliez de pressions. Cela existe effectivement et certains de nos collègues excluent désormais de siéger dans un comité d’experts parce que cela devient « intenable ». Je n’accuse personne, je constate simplement.

Il me semble que, pour progresser, nous pourrions avoir un outil commun à tous les organismes dépendant de l’État afin que cette déclaration de liens d’intérêts ne soit réalisée qu’une seule fois. Cela éviterait aux experts souvent sollicités de multiplier de telles déclarations. Cela paraît être du bon sens, mais nous n’y parvenons pas.

Par exemple, lors d’un examen de liens d’intérêts auquel nous avons procédé récemment, l’une de nos collègues nous a donné le lien électronique de sa déclaration faite pour l’Anses, mais nous ne pouvons pas, en tant qu’agent extérieur, accéder à celle-ci. Il faudrait que nous ayons une unique déclaration, remplie et actualisée en temps réel, ce qui permettrait à chacun de travailler plus sereinement.

Toutefois, cela ne changera malheureusement pas le regard que la société ou certaines personnes portent sur l’expertise. Le regard est, soit trop complaisant, soit trop à charge. Sur toutes les questions qui nous préoccupent, un énorme effort de formation et d’information doit être fait pour expliquer ce qu’est le métier d’expert, décrypter qui fait quoi dans la chaîne de décision.

Nous entendons souvent dire « l’INRA/INRAE a décidé d’interdire tel produit » alors que ce n’est pas la réalité. Beaucoup de personnes ignorent ou feignent d’ignorer la façon dont les rôles sont précisés dans la loi. Nous devons clarifier le rôle de l’expert, le rôle de l’institution et où chacun d’entre eux s’arrête.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. N’est-ce pas lié au fait que le vivier des experts est relativement limité en France ? Selon une personne auditionnée, les mêmes experts sont toujours sollicités, parce qu’ils sont hyperspécialisés et que n’importe qui ne peut pas se prétendre expert.

M. Thierry Caquet. L’expertise doit à mon avis être fondée sur une reconnaissance académique. Chacun peut s’autoproclamer expert, mais l’expertise sur les sujets qui nous intéressent ici est, le plus souvent, disciplinaire. Elle se construit par une carrière et ce n’est pas forcément lors de l’embauche dans un organisme de recherche qu’un chercheur peut se proclamer expert. Il faut une certaine maturité qui va de pair avec une reconnaissance par les pairs, donc un dossier scientifique.

La question du vivier est un vrai sujet. Plus les dossiers sont complexes, moins nous disposons d’experts « pointus », nous retrouvons donc toujours les mêmes personnes. Nous avions proposé en 2013, dans les actions conjointes entre l’alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), l’alliance AllEnvi et l’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna), une initiative que le groupe inter-alliances avait baptisée l’Initiative française en environnement-santé (IFRES). Le projet était incarné par Robert Barouki et Éric Vindimian. Il faisait suite à la proposition de créer une fondation de coopération scientifique sur ces questions de santé-environnement, toxicologie et écotoxicologie.

Nous avons présenté cette initiative lors de la conférence environnementale et nous nous sommes justement demandé comment dynamiser les filières de formation dans le domaine de la toxicologie, de l’écotoxicologie, de la santé-environnement. Les chercheurs s’intéressent souvent à ces sujets tardivement, alors qu’ils sont déjà très « pointus » dans un domaine, lorsque leur expertise est sollicitée pour éclairer un aspect d’un dossier. Nous manquons des formations pluridisciplinaires dans ce domaine des risques. Nos propositions n’ont pas été vraiment écoutées.

Le vivier d’experts est par définition restreint et, de plus, dans ce vivier, certains opposent un refus pour ne pas être stigmatisés. Nous avons donc à la fois un problème de flux de nouveaux entrants dans le vivier et un épuisement de ce dernier par les sorties, y compris par départ en retraite.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pour quelles actions l’INRA a-t-il été partenaire du PNSE3 ? Ont-elles atteint leurs objectifs ? Comment évaluez-vous la participation de l’INRA au PNSE3 ?

M. Thierry Caquet. En amont de la préparation du PNSE4, un travail de préfiguration a été mené par nos collègues de l’INSERM, notamment Robert Barouki, Rémy Slama, Bernard Jégou… Des collègues de l’INRAE y ont été associés, dont moi-même. J’ai participé à ce travail et le document a ensuite été endossé par l’INSERM. À cette occasion, nous avons fait des propositions, par exemple en ce qui concerne les cohortes. Nous agissons donc en amont, par des propositions qui sont ensuite reprises ou non dans le plan.

J’attendais personnellement beaucoup du PNSE3 sur le thème d’actualité, assez novateur, des relations entre biodiversité et santé. Il a malheureusement fallu attendre la toute fin du PNSE3 pour se rendre compte que ce sujet était resté orphelin. Il a alors été confié à la fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).

La biodiversité est un révélateur de l’état de l’environnement, des pressions que nous exerçons par la déforestation, la pollution… Le lien entre la biodiversité et la santé humaine est de plus en plus souvent évoqué et je pense que la France aurait pu devenir leader sur certains de ces aspects, mais cela n’a pas été le cas. Je ne désigne pas de responsables mais, sur des sujets peu habituels tels que la surveillance sanitaire, la réduction des pollutions…, nous avons raté une occasion, du point de vue de la recherche. Même si cela n’aurait pas empêché l’émergence du coronavirus, nous aurions mieux maîtrisé le sujet et nous nous poserions moins de questions sur le point de savoir si la biodiversité est favorable ou non à la santé et à l’émergence de nouvelles maladies.

La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, IPBES) a travaillé cet été sur le sujet et le rapport est en cours de relecture. La littérature existe sur cette question. Les contributeurs sont très peu français alors que, y compris par nos territoires d’outre-mer, nous aurions pu nous y intéresser. C’est le regret que me laisse le PNSE3, avec ma vision venant du monde de l’écologie et de la biodiversité.

J’ai évoqué l’exposome qui est une très belle idée. Si demain nous voulions lancer une grande surveillance de la contamination de nos concitoyens par telle ou telle substance connue, sans même parler des substances que nous ne connaissons pas, nous n’avons pas la capacité de faire ces analyses dans nos laboratoires. Nous avons certes des laboratoires très performants, mais nous n’avons pas assez de débit. Nous n’avons pas la capacité de traiter un grand nombre d’échantillons avec de bonnes performances analytiques pour un prix acceptable. Nous ne nous sommes pas dotés d’une infrastructure nationale pour « mettre en musique » l’exposome.

Je fais partie d’un petit groupe de travail INSERM/INRAE qui y travaille. L’Europe a avancé, avec le grand projet européen Human biomonitoring for Europe (HBM4EU). C’est un projet à 50 millions d’euros destiné à la définition des marqueurs à mesurer, à la façon de les mesurer… L’INSERM y est très impliqué mais la traduction au niveau national peine à apparaître.

Il existe un projet d’infrastructure européenne porté par la République tchèque mais la France peine à aligner des laboratoires capables d’entrer dans ce consortium européen alors que nous avons des compétences scientifiques. Je constate un hiatus entre la volonté affichée et les actes pour structurer les outils et se doter des outils dont nous avons besoin.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Que manque-t-il exactement ?

M. Thierry Caquet. Lors de telles analyses, nous avons besoin d’un appareil dans lequel nous mettons le très petit échantillon à analyser. Nous travaillons sur de microquantités pour ne pas prélever des litres. C’est compliqué mais nous arrivons à le faire en recherche sur 50 ou 100 échantillons. Pour caractériser l’exposome comme envisagé dans le PNSE3, il faut connaître l’exposition tout au long de la vie, depuis avant la naissance jusqu’à l’âge de vingt ou quarante ans, pour des dizaines de milliers de personnes. Cela représente des quantités d’échantillons énormes. Cela ne fait pas partie des missions d’un laboratoire de recherche et il n’en a pas la capacité en volume.

En plus de ce problème du volume d’analyses à réaliser, se pose la question des données. Toutefois, la question des données massives n’est pas propre à ce sujet, nous l’avons déjà en génétique, pour l’observation de la Terre… Des volumes de données considérables arrivent déjà chaque jour sur les serveurs et les organismes de recherche sont capables de les traiter.

Le goulet d’étranglement est de générer la donnée de base, de passer de l’échantillon dans le petit tube à un spectre indiquant toutes les molécules présentes dans l’échantillon. Nous savons le faire relativement facilement en recherche sur quelques dizaines d’échantillons, mais pas sur des milliers chaque jour. Il faut de plus que nous assurions à la fois le volume et la qualité ainsi que le prix. Nous n’avons pas pris la mesure de ce que signifie caractériser l’exposome des citoyens.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Les manques sont-ils plus d’ordre financier ou humain ? Pourriez-vous nous présenter plus en détail la nouvelle direction générale déléguée ? Comment s’intègre-t-elle dans l’ensemble et avez-vous une idée de son enveloppe budgétaire ? Enfin, quelle est votre implication dans les plans régionaux santé-environnement (PRSE) ?

M. Thierry Caquet. L’INRAE a 12 000 agents, dont 1 500 permanents fonctionnaires. C’est un très gros opérateur de recherche, avec un budget global d’un milliard d’euros.

Les moyens humains sont certes limitants. Les moyens financiers sont limitants et il ne suffit pas forcément d’avoir de nouveaux postes pour attirer de nouvelles personnes. Les carrières dans la recherche ne sont pas les plus attractives, en tout cas dans notre pays. Je participe aux concours de recrutement et il n’est plus rare que nous n’ayons pas de candidat – chercheur ou ingénieur – pour certains postes, entre autres parce que les rémunérations ne sont pas attractives.

Le problème provient pour partie d’un manque de moyens humains et financiers, mais surtout de l’organisation. Je ne suis pas fervent des regroupements. Le regroupement de l’INRA et l’IRSTEA est utile, mais il a demandé un travail très lourd durant deux ans. Sans forcément les regrouper, il faut favoriser la collaboration entre les organismes, et pas seulement entre les organismes de recherche, mais aussi avec les agences.

Par exemple, des plateformes d’épidémiosurveillance ont été mises en place, la dernière en date portant sur les contaminants dans la chaîne alimentaire. Il en existe aussi sur la santé animale et la santé végétale. Ces plateformes sont des consortiums formés de partenaires de la recherche, dont l’INRAE, l’Anses, la direction générale de l’alimentation (DGAL), des opérateurs de terrain qui remontent l’information… C’est un modèle qui permet d’avancer dans la mise en commun de moyens humains et de ressources.

Ce qui s’est souvent fait et se fait malheureusement encore est plutôt de la duplication : plutôt que de mettre en commun des moyens sur une plateforme commune, chaque organisme développe sa propre plateforme, par exemple pour doser les métabolites chez l’homme. Il existe ainsi une plateforme métabolomique à Toulouse pour l’INRAE, tandis que l’INSERM a ses propres plateformes.

Ces plateformes ont vocation à être regroupées dans une infrastructure nationale. Le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) travaille à la nouvelle feuille de route nationale qui sortira en 2021. Nous pouvons penser que la mise en commun d’infrastructures permettra d’avancer.

Nous avons besoin d’une ambition collective. Tous sont pleins de bonnes intentions, disent vouloir travailler sur la connaissance de l’exposome, mais chacun agit dans son coin. J’évoquais la réflexion commune que nous avons eue avec l’INSERM. C’est très bien, mais cela ne se produit qu’une fois de temps et temps. Cela reste basé sur le fait que les gens se connaissent. Il reste d’importantes marges de progrès mais elles nécessiteront un investissement.

Au-delà de l’investissement humain et des frais de fonctionnement, la science avance dans ces domaines et les instruments deviennent vite obsolètes. En génétique par exemple, dans les programmes de séquençage, il faut changer les appareils tous les deux ans et chaque appareil coûte 500 000 euros ou un million d’euros. Une politique d’infrastructure revient donc cher, aux établissements et à la collectivité nationale. Il faut que nous soyons capables de faire des économies lorsque c’est pertinent et de collaborer sur de grands projets.

Je ne connais pas les volumes financiers de la direction générale déléguée à l’appui aux politiques publiques. Elle est organisée en deux grandes directions. L’une des directions existait déjà à l’INRA : la direction aux études, prospectives et expertises scientifiques collectives (DEPE), forte d’une dizaine d’agents permanents. La DEPE est capable de piloter des expertises scientifiques collectives pour des donneurs d’ordres qui peuvent être les ministères, l’ADEME… Les experts scientifiques sont bien sûr dans le laboratoire, mais l’ingénierie de projet est gérée par la DEPE.

Concrètement, nous avons par exemple démarré depuis trois mois une expertise scientifique collective sur l’impact des phytosanitaires sur la biodiversité, financée au titre de l’axe « recherche » du plan Écophyto. Cette étude mobilise une cinquantaine d’experts. Ses commanditaires sont les quatre ministères qui participent au plan Écophyto : l’agriculture, la transition écologique, la santé et les outre-mer.

Nous pouvons donc travailler pour un donneur d’ordres extérieur et nous souhaitons que la DEPE puisse aller vers l’Europe ou l’OCDE. C’est déjà le cas d’ailleurs.

Le deuxième aspect concerne l’appui aux politiques publiques. La direction générale déléguée à l’appui aux politiques publiques (DAPP) est encore plus en prise avec les sujets qui nous intéressent aujourd’hui tandis que la DEPE s’occupe plutôt de veille scientifique et de synthèse scientifique.

La DAPP emploie 20 à 25 agents. L’idée est d’avoir une structure capable d’instruire nos relations avec nos partenaires en appui aux politiques publiques, c’est-à-dire qu’elle gère les relations institutionnelles avec les directions des ministères, avec les agences, avec l’Europe. Ces collègues sont spécialisés dans l’interface entre recherche et politique – science-policy interface, un terme anglo-saxon très utilisé en Europe – pour voir comment mieux adapter l’offre d’expertise de l’INRAE aux politiques publiques et faire connaître ce que nous faisons.

Pendant longtemps, nous n’avions que peu de contenus à destination des décideurs, des parlementaires, ou d’autres personnes en charge des politiques publiques. Nous avons donc mis en place des ateliers d’écriture de synthèses à destination des porteurs de politiques publiques pour présenter les grands enjeux, tels que nous les voyons en tant qu’organisme de recherche, les résultats récents qui illustrent notre action et les exemples que nous avons d’éclairage des politiques publiques. Nous avons commencé par deux sujets : les politiques de biodiversité et la problématique One Health. Le premier document est déjà sorti et j’aimerais d’ailleurs savoir s’il est parvenu jusqu’à vous, le deuxième est presque terminé. Nous essaierons de produire de tels documents à un rythme régulier pour montrer comment la recherche est en train de se faire et comment elle éclaire les politiques publiques.

La DAPP a donc pour rôle de prospecter auprès des pouvoirs publics – ministères, régions, agences de l’eau… – afin de montrer comment notre expertise scientifique peut être mobilisée pour répondre à leurs interrogations.

S’agissant de la déclinaison régionale du PNSE, je n’ai aucune visibilité sur quelque action que ce soit à ce sujet, peut-être parce que je suis trop loin de l’action régionale. Des chercheurs de l’INRAE ont peut-être été mobilisés mais, à ma connaissance, l’INRAE n’a pas été mobilisé en tant qu’organisme.

Nous sommes tout de même très présents dans les régions. L’INRAE a dix-huit centres de recherche et nous sommes l’un des organismes les plus répartis sur l’ensemble du territoire, en métropole et outre-mer, mais nous n’avons pas toutes les compétences partout. Nous pouvons être localement très impliqués mais cela ne signifie pas que nous serons impliqués de la même façon sur le sujet dans toutes les régions.

M. Philippe Chalumeau. Comment êtes-vous organisés ? Est-ce une organisation verticale dans laquelle les programmes arrivent « d’en haut » et sont distribués ? Quel dialogue avez-vous avec le territoire, avec vos centres ? Des éléments du territoire peuvent-ils vous remonter ? Comment les traitez-vous ? J’ai bien sûr comme arrière-pensée l’identification d’un risque quelconque que vous pourriez prendre en compte et sur lequel vous pourriez lancer des recherches pour améliorer la sécurité et la santé publique.

M. Thierry Caquet. L’INRA avait l’image d’un Rubik’s cube. C’est encore le cas de l’INRAE. Notre organisation est très matricielle. C’est un défaut parfois reproché aux organisations françaises.

Nous avons donc, en dessous des directions scientifiques, quatorze départements de recherche qui sont organisés soit autour d’objets soit autour de disciplines. Nous avons ainsi un département de santé animale, un département d’alimentation humaine. Ce sont les deux départements qui abritent l’essentiel de nos forces de recherche sur le sujet d’aujourd’hui. Nous avons un département de santé des plantes et environnement…

En raison du poids de l’histoire, tous les départements ne sont pas présents dans tous les centres. L’INRA s’est construit à partir de centres régionaux qui ont fusionnés en 1946. Nous sommes dans une logique de dialogue permanent entre la science, vue comme la brique de base que constitue l’unité de recherche, jusqu’à la direction scientifique et au collège de direction, le département se trouvant entre les deux. Le chef de département interagit avec ses chercheurs qui lui disent ce qu’ils ont envie de faire et négocie les moyens avec la direction générale qui « tient les cordons de la bourse ». Ce dialogue est régulier. Chaque année, tous les départements présentent à la direction générale leur schéma stratégique à cinq ans et expliquent comment ils souhaitent le faire évoluer.

Les demandes locales peuvent donc remonter des unités de recherche mais nous avons aussi des ambassadeurs dans les régions : les présidents ou présidentes de centre. Chacun des dix-huit centres a un président ou une présidente qui est en interaction très étroite avec l’écosystème local. Je parle bien sûr de l’écosystème de la recherche, donc nos partenaires des unités mixtes de recherche (UMR), le CNRS, les écoles vétérinaires, les écoles d’agronomie, les universités qui ont de plus en plus de poids dans le paysage de la recherche ainsi que les élus, les conseils régionaux, les entreprises…

Chaque président de centre établit sa propre stratégie. Ce n’est pas une stratégie scientifique qui relève des départements. Le président de centre est, d’une part, la caisse de résonance, au niveau local, des décisions générales, en termes de politique d’alliances, par exemple, auprès des présidents d’universités, des représentants locaux du CNRS et, d’autre part, il nous fait remonter les signaux issus des élus, des entreprises. Nous coconstruisons alors, entre direction générale, départements et centre une stratégie locale qui tient compte des spécificités des unités de recherche présentes localement.

Nous ne lancerons pas un énorme projet de recherche sur la vigne en Bretagne mais, si nous voyons émerger une transition localement, si un territoire souhaite s’orienter vers de l’agroécologie à grande échelle, par exemple si la région Sud-Ouest souhaite sortir de l’usage des phytosanitaires en viticulture, cela remonte par l’intermédiaire des centres vers la direction générale. Nous commençons alors un trilogue territorial et la direction générale coconstruit avec les directeurs de centres et les chefs de départements la vision à quatre ou cinq ans de nos projets d’actions localement.

Les centres sont tous différents car les régions sont toutes différentes. Chaque centre a trois ou quatre mots-clés qui sont sa carte d’identité. Le contenu du travail, les alliances que nous concluons localement se déclinent au gré de chaque centre. Tout est coconstruit entre le centre, la direction générale et les départements. Nous préparons actuellement les trilogues territoriaux qui auront lieu à partir de fin octobre.

Nous pouvons passer des accords-cadres avec des régions. Il existe par exemple un accord-cadre entre l’INRAE et la région Nouvelle-Aquitaine, entre l’INRAE et la région Bretagne, entre l’INRAE et le Grand-Est. Nous avons un service dédié, qui gère l’interaction avec les partenaires universitaires, les écoles, les organismes de recherche et les soutiens que sont les régions. Nous travaillons ainsi sur la viticulture en Nouvelle-Aquitaine, sur la forêt dans les Landes, sur la forêt aussi dans le Grand-Est mais ce ne sont pas les mêmes questions que dans les Landes… Tous ces sujets qui nous intéressent en commun avec les régions sont instruits par le président ou la présidente de centre et validés en collège de direction.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre organisation est lisible et claire pour tous les participants et toute la famille des chercheurs, des scientifiques de terrain.

Vous disiez ne pas connaître le degré d’implication de l’INRAE dans les plans régionaux santé-environnement. Je l’entends comme une dissonance. D’un côté, vous semblez être très au clair de vos priorités de recherche, vos centres d’intérêt à l’échelle des territoires, mais vous ne semblez pas avoir de discussion à cette échelle avec les agences régionales de santé (ARS), les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), ou de façon très variable d’une région à l’autre. Cette gouvernance territoriale semble un peu improvisée en fonction des particularités des thématiques et des priorités de santé publique que vous avez identifiées par région, qui peuvent effectivement être très différentes. Cela donne l’impression d’un potentiel non optimisé de façon organisé à l’échelle d’un territoire bien défini.

M. Thierry Caquet. Une partie de la confusion peut provenir du fait que je n’ai pas une connaissance exhaustive de tous les dossiers.

Nos dix-huit centres couvrent à peu près tout le territoire, mais toutes les compétences ne sont pas représentées dans chaque centre. Ainsi, les deux départements majeurs pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui sont « santé-environnement » et « alimentation humaine ». Leurs unités de recherche sont à Toulouse avec l’unité Toxalim de toxicologie alimentaire. Celle-ci ne travaille pas avec les ARS des autres régions car ce n’est pas dans leur logique de partenariat : les partenariats se font beaucoup à l’échelle locale. Nous pouvons le regretter effectivement, mais l’INRAE, bien qu’il soit distribué, n’est pas équiréparti et ne peut pas faire tout, partout, tout le temps. Ce n’est pas notre mission.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il pourrait au moins exister un support pour partager avec les autres régions ce qui fonctionne bien. Toxalim travaille effectivement très bien à Toulouse mais vous pourriez faire profiter d’autres régions de son travail. Que manquerait-il pour arriver à ce partage d’informations et de bonnes pratiques ?

M. Thierry Caquet. Même si nos chercheurs sont très impliqués dans l’appui aux politiques publiques, leur métier de base est la production de connaissances. Les travaux de Toxalim par exemple ne sont pas forcément repris à l’échelle régionale mais plutôt directement à l’échelle nationale ou internationale. Ce laboratoire est toulousain pour des raisons historiques mais aurait pu se trouver n’importe où.

Il a travaillé par exemple sur l’additif alimentaire E171, le dioxyde de titane. La décision prise en 2019 de suspendre pour au moins un an l’usage du E171 dans l’alimentation provient en grande partie de travaux menés à Toxalim. Ce sont des travaux académiques sur le franchissement de la membrane intestinale, les impacts de l’accumulation dans le foie, la rate. Nous savons maintenant que cet additif passe également la membrane transplacentaire et atteint le nouveau-né. Ce sont des travaux toulousains parce que le laboratoire est à Toulouse mais ils ne concernent pas la problématique toulousaine. Ils ont un impact direct sur les politiques publiques puisque, sur proposition de l’Anses, en attendant une révision par l’European food safety authority (EFSA), un moratoire d’un an a été décidé. Ces recherches ont donc un impact direct sur les politiques publiques sans passer par la déclinaison régionale du plan santé-environnement.

Il peut exister des projets de recherche menés localement avec des ARS, des agences de qualité de l’air, par exemple pour la détection de pesticides dans l’air, mais ce sont souvent des projets de recherche de trois ans, pas une activité structurée.

Peut-être devrions-nous imaginer comment la structurer. Devenons-nous finalement une agence de moyens avec des missions complémentaires en appui aux agences régionales de santé ? Cela peut être discuté, peut-être avec le ministère de la santé.

Nous avons par exemple des plateformes d’épidémiosurveillance, créées grâce à un consortium dans lequel l’Anses et l’INRAE ont beaucoup investi. En contrepartie, cela s’est traduit par l’inscription du soutien à ces plateformes comme une mission pérenne que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation finance, en plus du soutien de base accordé à l’établissement.

Nous avons de même une mission sur la conservation des ressources génétiques forestières. C’est un sujet stratégique pour la forêt française, financé y compris par des postes, en dehors de notre soutien de base.

Si la tutelle demande d’envisager parmi nos missions une plus grande interface de surveillance sur telle ou telle question, nous pouvons peut-être l’instruire, mais au titre des missions complémentaires de l’établissement. Cela ne fait pas partie de nos missions de base, prévues dans le décret. Nous produisons de la connaissance – c’est notre mission de base – finalisée – c’est notre deuxième mission – avec une mission d’éclairage et d’appui aux politiques publiques. Nous pourrions imaginer dans cette dernière mission un appui aux politiques régionales de santé, mais cela n’a à ma connaissance pas été décliné jusqu’à présent.

Il est prévu que notre direction générale déléguée rencontre le ministère de la santé pour justement examiner les sujets sur lesquels l’INRAE pourrait lui apporter son assistance. À ma connaissance, peut-être incomplète, cela n’a pas encore été déployé, c’est en cours. C’est plus abouti s’agissant de notre soutien aux expertises de l’Anses.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que faudrait-il améliorer en matière de gouvernance ? Que faudrait-il améliorer en matière de prévention pour accroître l’efficacité de la politique en santé-environnement ?

M. Thierry Caquet. Je commencerai par répondre à la deuxième question de façon à expliquer ensuite comment la gouvernance permettrait de le réaliser.

J’ai conduit ma carrière scientifique dans le domaine de l’écotoxicologie, c’est-à-dire l’étude de l’impact des substances chimiques « indésirables » sur les environnements, notamment aquatiques. Lors de l’évaluation de risques, nous étudions les risques induits par telle ou telle substance. Le principe est le même en santé publique.

Les trois grands éléments de l’équation sont, d’une part, le danger intrinsèque de chacune des substances, prise isolément ou en mélange, d’autre part, la caractérisation de l’exposition, c’est-à-dire la présence ou non de la substance, sa quantité et la fréquence d’exposition, enfin la vulnérabilité de « l’enjeu » exposé, qu’il s’agisse d’un être humain, d’un animal ou d’un écosystème. L’ensemble permet l’évaluation du risque. Une très forte exposition à une substance faiblement dangereuse d’un enjeu vulnérable induit par exemple un risque non nul, mais faible.

En prévention, la meilleure façon de ne pas avoir d’ennuis avec une exposition est de faire en sorte qu’elle ne se produise pas. Pour y parvenir, la première méthode est que la substance ne soit pas présente, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas utilisée, qu’elle soit interdite si elle est déjà sur le marché mais cela suppose que nous sachions déterminer la cause initiale des problèmes observés. La deuxième méthode est de diminuer ou de réguler l’exposition, en mettant en place des protections individuelles ou collectives contre l’exposition.

L’une des difficultés majeures résulte du fait que l’interdiction peut être une mesure très symbolique, qui ne supprime pas le problème. Ainsi, le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) est interdit en France depuis les années 1970, mais toujours présent dans le sol. Le problème est le même avec la chlordécone. L’interdiction d’un produit ne limite donc pas forcément sa présence et l’exposition.

La prévention passe, indépendamment du fait de connaître les substances présentes et leurs dangers, par une meilleure connaissance des voies d’exposition et de la vulnérabilité. Nous ne savons actuellement pas bien identifier toutes les voies d’exposition pour une substance donnée. Les modélisations peuvent nous aider, nous commençons à progresser et, en analyse de sécurité alimentaire, nous modélisons les expositions par l’eau, par les aliments…

La prévention passe à mon avis par l’interdiction des substances les plus dangereuses, une meilleure connaissance de l’exposition pour prendre des mesures de protection – équipements de protection individuelle pour une substance utilisée sur le lieu de travail s’il n’existe pas d’alternative, périmètres non traités… dans le cas d’une substance présente dans l’environnement, des précautions de bonnes pratiques sur le renouvellement de l’air intérieur par exemple – et par la maîtrise de la vulnérabilité. C’est probablement le point sur lequel nous sommes les moins avancés. Nous devons être capables d’identifier les populations ou sous-populations à risques, dans la population humaine ou parmi les espèces les plus vulnérables.

Dans le cas des populations humaines, les cibles classiques de la prévention sont les femmes enceintes, les enfants en bas âge. L’hypothèse de Barker – hypothèse qui est de plus en plus vérifiée – selon laquelle beaucoup de maladies chroniques trouvent leur origine dans des expositions in utero signifie que c’est à ce niveau qu’il faut agir. Les femmes enceintes ou en âge d’avoir des enfants doivent être protégées en priorité. Ensuite, la protection peut être étendue à différentes catégories de population mais, en commençant par cette cible, nous pouvons peut-être limiter une partie des problèmes de santé futurs.

Cet aspect concerne des vulnérabilités physiologiques à un moment clé, avec un passage possible de la mère à l’enfant de certains contaminants, des effets qui peuvent parfois se manifester non pas sur l’enfant lui-même mais sur sa propre descendance, comme dans le cas du distilbène. Ce sont les cellules reproductrices futures de l’embryon qui sont altérées et les enfants issus de mères ayant consommé du distilbène ont des problèmes de reproduction, parfois même les petits-enfants. Nous ne savons pas le nombre de générations sur lesquelles l’effet se transmettra.

Les effets portent aussi sur la bonne santé générale de la population. Une population en bonne santé n’est pas seulement une population non exposée à des contaminants, mais aussi une population dont les régimes alimentaires lui permettent d’être, globalement, en bonne santé, ce qui lui permet d’ailleurs d’avoir un microbiote qui la défend mieux contre les agressions extérieures. Nous « rebouclons » ainsi avec une vision très globale de la santé, qui ne passe pas uniquement par la réduction des expositions et la prévention, mais aussi par le fait que l’organisme exposé soit moins vulnérable parce que globalement en meilleur état physiologique.

Je pense que l’un des enjeux, en tout cas pour l’INRAE, est de démontrer ces phénomènes avec des cohortes et que cela puisse se traduire dans des mesures d’hygiène et de santé publique.

La gouvernance demande d’avoir une centralisation de l’information scientifique sur ces sujets. Il faut considérer le poids de la preuve scientifique par rapport aux pressentiments des gens. Cet aspect est de plus en plus compliqué. Nous avons sur ce point un vrai problème de gouvernance de la donnée et de l’information : comment l’information scientifique fait-elle encore foi ? Il est paradoxal de constater que si nous n’avons jamais eu autant d’informations, autant de données, la défiance vis-à-vis de l’information scientifique n’a jamais été aussi forte, à cause de soupçons de manipulation.

Il ne faut pas seulement que nous nous voyions tous les cinq ans pour faire un bilan. Il faut que nous ayons au fil de l’eau des indicateurs pour voir l’état du système qui nous intéresse, que nous fassions un suivi quasiment en temps réel des contaminations, des épisodes de santé qui apparaissent pour remonter très vite à leurs causes. La réactivité des systèmes d’information est peut-être trop faible à l’heure actuelle.

Je signalais ne pas trop aimer le terme d’« émergence », de « risque émergent ». Le risque n’apparaît pas d’un seul coup. L’émergence est surtout liée au fait que nous avons commencé à regarder là où nous ne regardions pas auparavant, ou avec des techniques qui ne permettaient pas la détection. Si nous n’avons pas cette capacité de veille permanente sur la qualité des milieux, la qualité de la santé, la capacité de croiser l’ensemble, nous perdons du temps dans des décisions de gouvernance publique qui consisteraient à interdire telle substance ou telle pratique à risque.

Un moyen d’avancer, au-delà de la gouvernance et des structures, serait d’agir sur la façon dont ces données sont collectées, mises à disposition et analysées. Nous avons des masses de données biologiques, des masses de données environnementales, d’analyses, nous sommes persuadés que le traitement des données massives en santé publique est un domaine duquel nous ne pouvons pas être absents. J’ai l’impression que nous ne sommes pas encore à la bonne « maille » dans ce domaine.

Cela pose beaucoup de questions de sécurité des données privées, parce que les données de santé publique, à la base, sont des données individuelles donc privées. Comment sont-elles anonymisées, utilisées ? Comment garantir la protection des citoyens, ce qui est un vrai sujet politique ? Comment ces données privées sont-elles utilisées par la puissance publique pour définir des programmes de santé ? Nous le faisons, nous avons des outils, mais lorsque nous parlons de données massives, il s’agit de données qui peuvent être collectées par d’autres informateurs, sur les réseaux sociaux par exemple, et utilisées par des entreprises spécialisées non pas dans la santé mais dans le traitement des données massives. C’est la problématique des géants du Web (GAFA).

Lorsque sont proposés sur Internet des diagnostics personnalisés, en envoyant un échantillon de microbiote par exemple, pour connaître le pourcentage de risque d’avoir telle ou telle maladie, les données échappent totalement à la personne qui a déposé son échantillon. Elles sont utilisées par d’autres, à une échelle mondiale. La gouvernance des données et la transparence de leur usage posent donc question.

Se donner la possibilité d’avoir un vrai système d’information des données de santé publique, qui ne contienne pas seulement des données de santé mais aussi les données permettant de faire le lien avec d’autres paramètres, pourrait permettre de progresser dans le domaine de la santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le renversement de logique que vous proposez est passionnant. La notion de bonne santé viendrait d’une stratégie consistant à augmenter l’immunité de l’organisme pour le rendre moins vulnérable, plutôt que de courir toujours après le soin, une fois le problème présent. Il s’agirait d’anticiper à la base la résilience de l’organisme à toute atteinte que l’homme aurait paradoxalement créée.

C’est une idée dont nous n’entendons pas parler, si ce n’est par les médecines parallèles et certaines formes d’accompagnement diététique par exemple. Ce n’est pas du tout repris dans les stratégies de santé publique et c’est pourtant d’une réelle actualité comme nous venons de le voir avec la covid. Cette question de l’immunité de ceux qui ont été atteints par la covid se pose justement. Ceux qui ont été malades ont-ils développé une immunité, seront-ils capables d’échapper à une seconde vague, de résister à une autre attaque du même type ? Il me semble que nous avons là un champ d’investigation très intéressant à développer.

M. Thierry Caquet. Je n’ai volontairement pas utilisé le terme « immunité ». L’immunité est un cas très particulier de réponse à la présence d’un pathogène. Je parlais plutôt de l’état de santé général mais c’est un peu la même idée. Il ne s’agit pas de dire que c’est suffisant et que nous pouvons donc faire n’importe quoi. C’est une façon d’aborder la question de la santé générale et c’est un peu la question que nous portons avec notre projet consistant à étudier comment les régimes alimentaires influent sur la santé de l’ensemble du système de production. Une partie des problèmes que nous voyons dans l’environnement tient au fait que certains régimes alimentaires induisent des demandes très fortes en tel type de protéines par exemple. Leur production a des impacts sur l’environnement.

Le régime alimentaire fait partie des éléments qui constituent l’exposome, avec l’environnement immédiat, avec le niveau social, avec le stress… Il contribue donc à construire ou non la bonne santé de l’organisme. C’est un levier sur lequel nous avons jusqu’à présent assez peu agi, parce que cela est compliqué, que tout le monde n’a pas les mêmes goûts, les mêmes moyens… Les états généraux de l’alimentation ont commencé à avancer dans cette direction mais nous ne sommes pas allés au bout de la démonstration.

Je n’affirme pas que c’est la panacée mais cela mérite de s’y arrêter. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place la cohorte NutriNet-Santé. Comme les données sont assez abondantes, nous commençons à avoir des présomptions. Par exemple, nous soupçonnons une relation entre consommation d’aliments ultra-transformés et cancer.

Ce ne sont que des présomptions. L’épidémiologie est toujours très difficile à moins d’avoir vraiment une manifestation clinique unique, ce qui est rare. Hormis le cas de l’intoxication au plomb et du saturnisme par exemple, il est très difficile d’affirmer que tel agent cause telle pathologie.

Malgré tout, avec de gros volumes de données bien renseignées, nous pouvons commencer à formuler des hypothèses qui poussent à aller plus loin dans la démonstration de la preuve. Nous ne savions pas le faire voici seulement dix ou vingt ans. Les réseaux sociaux et Internet nous permettent de le faire, en renseignant sur la base du volontariat. Il faut certes faire attention aux biais de sélection. Les épidémiologistes sont très prudents mais cela permet d’avancer.

J’ai évoqué les travaux que nous menons sur les microbiotes. Nous constatons, grâce à l’accumulation d’observations et d’expérimentations sur de « vraies gens » et non sur des cohortes numériques, que certains dysfonctionnements du microbiote intestinal sont très fortement associés à l’exposition à certaines substances qui provoquent des réactions et une inflammation intestinale chronique.

La recherche avance grâce à des outils de génétique moléculaire qui nous permettent de faire du séquençage massif et de sortir, à partir d’un seul échantillon, des milliers d’espèces de bactéries. Nous savons ainsi « qui est là ». Nous ne savons pas encore « qui fait quoi », mais nous constatons que certains syndromes sont associés à des anomalies de composition du microbiote dans le tube digestif. Dans certains cas, nous parvenons à remonter à l’exposition à des substances présentes dans l’alimentation, dans les céréales par exemple, avec les mycotoxines. Les intolérances alimentaires telles que l’intolérance au gluten ont-elles une base microbienne ? Nous en sommes de plus en plus persuadés. Ces intolérances alimentaires induisent un mal-être mais parfois aussi des maladies graves.

Nous recherchons donc les intermédiaires entre l’exposition et la réponse, notamment les microbes qui interviennent peut-être. Nous espérons mieux comprendre ces phénomènes et pouvoir les « piloter » par une alimentation adaptée. Je ne fais pas de la publicité pour les alicaments mais savoir restaurer un microbiote peut être un moyen de supprimer certaines pathologies, certaines manifestations indésirables.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ces interventions doivent être sur mesure et personnalisées. Nous ne pouvons pas tirer une politique publique de ces constats. Comment voyez-vous cette question ?

Mme Sandrine Josso, rapporteure. En travaillant sur la prévention de l’obésité, y compris pour les futures mamans, lorsque nous constatons qu’une personne obèse a un microbiote perturbé, cela fait certainement partie des champs sur lesquels nous pouvons améliorer les politiques publiques, y compris dans le cas du diabète gestationnel.

Même si nous parlons souvent des futures mamans, la qualité des spermatozoïdes intervient aussi et c’est un ensemble dans lequel tout est lié.

M. Thierry Caquet. Nous pouvons penser aux perturbateurs endocriniens pour lesquels la voie de contamination majeure est l’alimentation. Ces substances peuvent d’ailleurs être d’origine naturelle comme les phytoestrogènes.

Il est clair que l’emphase est mise sur le couple mère-enfant, peut-être parce que le suivi médical est plus institutionnalisé et que nous pouvons plus facilement faire des prélèvements d’échantillons à la naissance, avoir des informations sur la petite enfance. Récupérer le placenta ou le méconium d’un nouveau-né donne énormément d’informations sur ce à quoi la mère et l’enfant ont été exposés durant toute la gestation. C’est un outil de base pour les cohortes.

En ce qui concerne la qualité des cellules reproductrices, cela est effectivement valable pour les femmes comme pour les hommes et il ne faut pas négliger les hommes, bien au contraire. Les premières suspicions de l’impact sur la santé des perturbateurs endocriniens proviennent d’ailleurs de comptages spermatiques, d’études de la mobilité spermatique, au Danemark entre autres.

Il en découle des craintes pour la fertilité et surtout des craintes d’effets à long terme sur la descendance. Lorsque les télomères sont raccourcis, la durée de vie des cellules est modifiée, il peut exister des risques de prolifération cellulaire… Les effets sur l’aspect génétique et surtout épigénétique font penser que des effets transgénérationnels sont possibles sans passer par une mutation de l’ADN, mais simplement par l’état de méthylation de l’ADN, c’est-à-dire le fait que de petits groupements méthyle se fixent sur l’ADN ce qui modifie sa conformation et donc le fonctionnement cellulaire. Cette empreinte peut se transmettre à la descendance.

Nous le savons depuis longtemps et le danger concerne nombre de substances dont certaines d’origine naturelle. Dans le domaine de l’écotoxicologie, il existe des substances d’origine biologique qui sont tout aussi dangereuses que des substances de synthèse. Le débat n’est donc pas là, mais porte sur le type d’effets de la substance. Il existe des substances qui produisent un effet épigénétique, donc transmissible à la descendance, sans impact sur l’organisme parent mais avec un impact sur les enfants et les petits-enfants, réversible ou non selon les cas. Nous connaissons, d’un point de vue expérimental, ce phénomène pour quelques espèces dont des rongeurs, et nous pouvons penser qu’il existe aussi chez l’homme.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous des propositions à nous faire en conclusion ?

M. Thierry Caquet. L’IFRES est une initiative de recherche en environnement-santé que nous avons portée en inter-alliances. Le domaine environnement-santé est éminemment pluridisciplinaire, puisqu’il concerne la biologie, les sciences de la santé, de l’environnement et les sciences sociales et humaines. Si nous pouvions, en inter-alliance, relancer la réflexion portée en 2013 par l’initiative IFRES, qui est encore d’actualité puisque les sujets n’ont pas énormément évolué, et si nous organisions une coopération efficace des organismes pour travailler sur ces questions, nous progresserions beaucoup.

Il ne s’agit pas de créer une nouvelle alliance mais que des organismes comme l’INSERM, l’INRAE, le CNRS, l’Institut Pasteur se donnent des objectifs communs. Il faut un vrai programme ambitieux en environnement-santé, avec une visée qui dépasse la production de connaissances, qui soit de contribuer aux politiques publiques y compris en termes de propositions d’évolution de la gouvernance.

En ce qui concerne cette dernière, nos collègues des sciences sociales peuvent nous aider car ces politiques publiques ne sont pas qu’une question de biologistes, de médecins, de chimistes… L’INRAE travaille beaucoup sur l’interdisciplinarité, nécessaire pour obtenir des transformations.

Il faut aussi que nous ayons l’ambition de construire des parcours de formation de nos futurs experts. Nous avons évoqué ce vivier d’experts trop peu abondant. Le dialogue avec les universités et les écoles est essentiel pour alimenter ce vivier. Nous l’avions inscrit dans l’initiative IFRES et nous pourrions le reprendre dans des politiques ultérieures.

Enfin, nous devons nous doter des instruments analytiques dont nous avons besoin pour être à la hauteur des enjeux. « Instruments » est à prendre au sens large comprenant les moyens de calcul scientifique.

Ce n’est pas la matière grise qui manque mais plutôt la coordination et la mise en cohérence. Il s’agit de passer de la volonté exprimée de s’organiser à des actes. Pour l’avoir expérimenté dans le domaine des infrastructures de recherche, j’ai constaté concrètement que les communautés de recherche, dans les laboratoires, ont leur propre dynamique. Leur dire « nous allons vous organiser une nouvelle vie et vous allez être mobilisés pour une grande cause nationale » peut se faire, mais ce n’est pas « gagné ». Il ne faut pas seulement mobiliser les ministères, les directions d’instituts mais il faut que cela percole.

Cette percolation a lieu sur certains sujets, sur le changement climatique par exemple, où les communautés de recherche se mobilisent, y compris dans leur vie de tous les jours, pour diminuer leur impact sur le climat. Ils prennent moins l’avion, utilisent moins de plastiques, chauffent moins les bâtiments. Même si cela paraît anecdotique, cela concerne des milliers de personnes et peut avoir un impact.

Dans le domaine de l’environnement-santé, je ne pense pas que nous en soyons à ce niveau de préoccupation dans nos communautés de recherche. Nous pouvons essayer d’y tendre et c’est aussi notre mission en tant que responsables d’organismes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous connaissons tous la résistante naturelle aux changements de l’être humain. Je vous remercie pour ces échanges extrêmement intéressants et les pistes d’amélioration que vous nous avez suggérées. Votre participation permettra aux politiques d’essayer de décider de façon plus éclairée.

L’audition s’achève à quinze heures cinquante-cinq.

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20.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (14 octobre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons Mme Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.

Vous êtes docteure vétérinaire, diplômée d’études approfondies en pathologie végétale. Après avoir été cheffe de services vétérinaires dans le Puy-de-Dôme puis dans la Sarthe, vous avez rejoint le laboratoire national de protection des végétaux. Vous avez été responsable de la mission « Biodiversité et gestion durable des milieux » à la direction de la recherche du ministère de l’environnement. Vous êtes directrice de la fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) depuis avril 2017. Vous êtes également co-présidente du groupe de travail « Santé et biodiversité » du plan national santé-environnement (PNSE3).

La fondation pour la recherche sur la biodiversité est une fondation de coopération scientifique de droit privé créée en 2008. Elle a pour objet de favoriser les activités de recherche sur la biodiversité et leur valorisation auprès de tous les acteurs économiques, des pouvoirs publics et des gestionnaires de la biodiversité.

(Mme Hélène Soubelet prête serment.)

Mme Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Je vous expliquerai pourquoi la biodiversité est importante à prendre en compte dans les politiques publiques, notamment les politiques de santé-environnement, avant de vous présenter les conclusions du groupe de travail « Santé, biodiversité » du PNSE3 que je présidais avec Thierry Galibert. Nous avons fait des propositions pour intégrer la biodiversité dans le PNSE4.

Nous étudions les publications scientifiques les plus récentes sur la biodiversité et sur les liens entre la biodiversité et certains enjeux pour nos sociétés. Je me base sur ces publications scientifiques et sur le rapport de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES en anglais Intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem services). En 2019, elle a fait une évaluation mondiale qui établissait déjà que l’érosion de la biodiversité concourait à l’augmentation des risques sanitaires, notamment parce que l’empreinte humaine sur la Terre est très importante.

En 2018, 77 % des terres et 87 % des océans ont été modifiés durablement, de manière parfois irréversible, par les activités humaines ce qui a des effets directs sur les services que la biodiversité nous rend. Les principales causes de dégradation sont la culture des terres pour 12 % de la dégradation, les pâturages pour 37 % de la dégradation et les forêts gérées ou les plantations d’arbres pour 22 % de la dégradation.

De 1999 à 2019, la démographie humaine a augmenté de 30 % et le produit intérieur brut (PIB) mondial de 70 %. Il existe donc un découplage entre la démographie humaine et les impacts qui sont largement dus au PIB et à la consommation par tête.

L’érosion de la biodiversité concourt à l’augmentation des risques sanitaires parce que l’effondrement des populations animales déséquilibre les écosystèmes. Depuis 100 000 ans se produit un effondrement total de la biomasse des mammifères sauvages terrestres et marins. Par exemple, la biomasse des mammifères sauvages terrestres est passée de 40 millions de tonnes à 7 millions de tonnes et la biomasse des animaux marins est passée de 200 millions de tonnes à 4 millions de tonnes. C’est l’impact de l’humain, dont les moyens technologiques ont augmenté au cours du temps.

La biomasse végétale aurait diminué de 50 %. Nous avons actuellement 450 gigatonnes de carbone de biomasse alors que le total aurait avoisiné 900 gigatonnes de carbone avant l’apparition de l’homme moderne.

Cet effondrement de la biodiversité fait s’effondrer les services écosystémiques, c’est-à-dire les fonctions des écosystèmes qui permettent à l’homme d’en tirer des bénéfices. Trois services augmentent encore, parce que nous y consacrons beaucoup d’énergie et de finances : les services qui produisent de l’énergie, de la nourriture ou des matériaux tels que le bois, le coton… Tous les autres services diminuent, en particulier les services de régulation comme les services de régulation de la qualité de l’air. La biodiversité est en effet capable de capter des polluants et de réguler la qualité de l’air. Les services de régulation de la qualité de l’eau diminuent aussi, ainsi que les services de régulation du changement climatique ce qui a des incidences sur la santé. La pollinisation diminue également ce qui risque de provoquer un problème sur le service de production agricole, une majorité des aliments que nous consommons étant dépendants des pollinisateurs, sauvages ou non. La fertilité des sols diminue aussi.

L’IPBES a bien mis en évidence que tous les autres services diminuent et, même si nous parvenons à maintenir encore les services de production, nous constatons déjà une baisse des rendements mondiaux de 10 % sur les productions agricoles. Si la trajectoire continue, nous arriverions à une baisse de 50 % du rendement des productions agricoles. C’est donc à prendre en compte.

Le service de production agricole atteint un pic optimal lorsque le degré de nature, c’est-à-dire la proportion d’espaces sauvages, est de 30 % : lorsque les espaces sauvages autour des terres agricoles représentent 30 %, la production agricole est optimale. Augmenter encore le degré de nature réduit évidemment les terres agricoles et le service de production diminue. Augmenter la proportion de terres agricoles réduit aussi le service de production car les espèces adventices, les fleurs sauvages, les lisières avec la forêt soutiennent cette production agricole et le sol lui-même a besoin d’une certaine biodiversité sauvage. Artificialiser des espaces pour avoir plus de terres agricoles donne l’illusion de pouvoir produire plus de nourriture mais c’est faux : les rendements diminuent comme nous le constatons aujourd’hui.

Les travaux par exemple de Victor Cazalis et Michel Loreau, chercheurs du CNRS qui ont publié en 2018 des évolutions de la population humaine à l’échéance 2250, montrent que quatre trajectoires sont possibles. Deux d’entre elles amènent à l’extinction de l’espèce humaine, soit parce que nous aurons trop transformé les espaces sauvages en terres agricoles ce qui diminuera les services de régulation, augmentera trop la pollution et le changement climatique, soit inversement parce que nous n’aurons pas assez de terres agricoles ce qui provoquera une famine et le déclin de l’espèce humaine, avec une mortalité supérieure à la natalité. Les deux autres trajectoires permettent une durabilité mais l’une des deux, dans laquelle nous transformons trop d’espaces naturels en espaces agricoles, entraîne une famine chronique.

D’après un travail de compilation scientifique fait à la FRB, nous avons depuis cinquante ans une augmentation des maladies, que ce soit dans les compartiments des humains, des animaux ou des végétaux. Dans le cas des hommes, ces maladies sont à 70 % des zoonoses. Dans le cas des animaux, ces maladies sont principalement dues à l’intensification de l’élevage et à la perte de diversité génétique. Dans le cas des plantes, il s’agit de problèmes d’augmentation de la résistance des insectes aux pesticides, d’augmentation des maladies fongiques et de maladies dues au changement climatique. Depuis soixante ans, nous comptons entre 300 et 400 nouvelles maladies – 2 à 5 par an – et la courbe est croissante.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Qu’entendez-vous exactement par nouvelles maladies ? S’agit-il de maladies émergentes, d’anciennes maladies réactivées ?

Mme Hélène Soubelet. Il peut s’agir de maladies émergentes ou d’anciennes maladies réactivées. Certaines maladies actuellement totalement inféodées à l’homme, comme la tuberculose, font encore 1,5 million de morts par an. Ces maladies étaient au départ des maladies de la faune sauvage et se sont adaptées à l’homme. J’espère que ce ne sera pas le cas du coronavirus mais cela a par exemple été le cas de la grippe.

Les mécanismes qui sous-tendent l’augmentation des zoonoses sont liés à trois facteurs qui accroissent le risque. Le premier facteur de risque est la présence du virus, quelque part dans l’environnement. Le deuxième facteur est le contact, l’exposition au danger. Le troisième facteur est la vulnérabilité de celui qui s’expose au danger.

Nous n’avons pas suffisamment de connaissances pour savoir si le danger a augmenté. Nous ne connaissons que 0,1 % des virus potentiellement présents sur Terre donc nous ne savons absolument pas à quoi nous faisons face. Il est certain que nous faisons face à des virus et à des bactéries. Leur biomasse est d’ailleurs plus grande que la nôtre. Ces organismes, y compris les champignons, sont extrêmement labiles et capables de s’adapter à un nouvel hôte s’ils en ont l’occasion.

L’exposition augmente parce que nous détruisons les espaces naturels. Nous rentrons donc plus fréquemment en contact avec les populations d’animaux. Ils sont porteurs de virus avec lesquels ils ont co-évolué et qui ne sont pas forcément pathogènes pour eux, comme dans le cas de la chauve-souris. Le contact des hommes avec ces animaux sauvages ou avec des écosystèmes dégradés facilite l’apparition des maladies.

Parmi les cas documentés de maladies liées à des changements environnementaux, nous pouvons citer le virus Hendra en Australie dû à un changement d’usage des terres tout comme le virus Nipah en Malaisie. Ce dernier virus a émergé du fait de la transformation des terres en plantations de palmiers à huile ce qui a provoqué le départ des populations de chauve-souris qui habitaient dans la forêt primitive. Elles sont allées chercher le gîte et le couvert dans des vergers sous lesquels paissaient des porcs ce qui a permis le transfert du virus Nipah de la chauve-souris au porc puis à l’homme. En trois épisodes successifs, la maladie a provoqué un certain nombre de morts en Asie du Sud-Est mais n’a pas entraîné de pandémie parce que la transmission interhumaine est en général impossible, un seul cas ayant été repéré.

Dans le cas du coronavirus, le transfert s’est probablement fait de la même façon à cause d’une destruction des habitats naturels ou d’une intrusion de l’homme dans des habitats qu’il ne fréquentait pas auparavant. Le virus s’est adapté de la chauve-souris ou d’un hôte intermédiaire à l’homme avant de se répandre grâce à la contagion interhumaine. Comme les hommes, les animaux vivants et les denrées circulent maintenant beaucoup, les virus sont transférés dans le monde entier.

Diverses publications indiquent que plus la biodiversité est élevée, plus le danger est fréquent mais que plus la biodiversité est élevée, moins le risque est élevé. En effet, des phénomènes de régulation se mettent en place dans les écosystèmes, en particulier l’effet de dilution : plus il existe d’animaux divers, moins un virus peut être adapté à l’ensemble des hôtes qu’il rencontre.

Dans les écosystèmes dégradés par l’homme, plus d’animaux sont eux-mêmes hôtes de pathogènes. Les hôtes sont donc plus nombreux à la fois en nombre d’espèces et en abondance dans la population. Les chercheurs ont constaté une augmentation de 45 % du nombre de chiroptères porteurs de virus, de 52 % du nombre de rongeurs porteurs de virus et une augmentation variant de 10 à 96 % selon les espèces du nombre d’oiseaux véhiculant des virus dans les écosystèmes dégradés.

Cette transformation des espaces est, à 50 %, provoquée par l’agriculture, avec un phénomène complémentaire dans le cas de l’agriculture : les animaux domestiques constituent actuellement le plus gros compartiment de biomasse d’animaux terrestres. Non seulement ces animaux domestiquent vivent dans des conditions qui ne correspondent pas toujours à leurs conditions de vie naturelles donc peuvent être plus stressés que des animaux sauvages, mais en plus ils sont sélectionnés. La perte de diversité génétique dans les élevages intensifs diminue l’aptitude de ces animaux domestiques à se défendre face aux divers pathogènes. De plus, lorsqu’un pathogène parvient à contaminer l’un de ces animaux, il parviendra à contaminer tous les autres qui sont génétiquement très semblables.

D’autre part, les échanges mondiaux, actuellement très intenses, permettent la diffusion très rapide d’une maladie d’un animal à un autre, voire à l’homme, dans diverses parties du monde.

Nous avons le même problème avec le changement d’usage des terres à vocation agricole. Ainsi, une publication de 2019 fait le lien entre le paludisme et la modification de l’usage des terres, notamment pour planter de l’huile de palme. La séroprévalence du paludisme est supérieure dans les zones agricoles irriguées, dans les zones de plantation forestière ou dans les zones de plantation d’huile de palme. Nous avons un lien clair entre monoculture et pandémie.

Il existe également un lien avec la manipulation ou la chasse ou la détention d’animaux sauvages et leur consommation. Le lien a été démontré scientifiquement entre la consommation d’animaux sauvages, notamment en Asie du Sud-Est et en Afrique, et l’émergence de maladies infectieuses. Ce n’est pas réellement la consommation qui est visée mais plutôt la phase de contact avec l’animal sauvage, lors de la chasse ou lors de la détention sur les marchés aux animaux vivants par exemple ou lors de l’abattage. L’homme sensible est alors en contact avec un animal porteur potentiel de virus, de bactéries ou de champignons.

Une étude récente sur le coronavirus par Hopson et alii montre que les dommages économiques liés au coronavirus s’élèvent potentiellement à 5 000 ou 6 000 milliards de dollars en termes de perte de PIB. Ces coûts sont très au-delà des coûts de prévention actuellement consentis mondialement pour gérer les maladies infectieuses qui sont plutôt de l’ordre de 20 milliards de dollars.

Des études s’intéressent aux stratégies possibles, curatives ou préventives. Nous sommes dans un système qui, en général, essaie de stopper la pandémie lorsqu’elle est déjà présente alors que nous pourrions essayer de gérer les pandémies avant qu’elles n’arrivent, en nous ancrant résolument dans une stratégie de prévention. Selon les scientifiques, les pandémies coûteraient actuellement, au niveau mondial, de l’ordre de 10 000 milliards de dollars et les politiques de prévention, mises en œuvre au moment opportun, coûteraient moins et permettraient d’économiser 350 milliards de dollars durant les cent prochaines années. En fait, la prévention coûte cher au début puis il se produit un effet de bascule et elle coûte moins cher ensuite.

Toutes les grandes instances internationales se préoccupent maintenant des relations entre la biodiversité et l’émergence des maladies infectieuses. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a publié en septembre un rapport sur la covid. Il propose des mesures de maintien en bon état des écosystèmes. Il faudrait protéger environ 30 % de l’espace terrestre et marin pour y laisser la libre évolution aux animaux sauvages. Cela peut être sous forme d’aires protégées ou avec d’autres instruments.

L’OCDE a également recommandé – c’est une première de sa part – la mise en place et le renforcement de l’approche « Une seule santé » One Health.

Je considère personnellement que le One Health ne fonctionne pas très bien actuellement. Il se heurte à des intérêts financiers importants. L’OCDE a ainsi estimé que plus de la moitié de l’effort financier mondial finançait des activités dommageables pour la biodiversité. L’économie actuelle est donc basée sur la destruction de la biodiversité pour générer du profit. Par exemple, pour le détenteur d’une forêt, il est plus rentable de la couper à ras pour exploiter le bois que de la laisser prospérer. La laisser prospérer coûte même de l’argent étant donné que la fiscalité sur ces espaces naturels n’est pas forcément adaptée aux services rendus par ces espaces.

L’OCDE a également estimé que l’allocation financière mondiale pour la protection de la biodiversité se situe entre 78 et 91 milliards de dollars et que, sans stratégie préventive, des pandémies continueront à émerger. Il faut se poser la question non pas du gain économique à court terme que procure la destruction de la biodiversité mais du gain économique à long terme que procure la préservation de la biodiversité. La Fondation est d’ailleurs convaincue que nous pouvons faire les deux, c’est-à-dire avoir des activités humaines tout en préservant la biodiversité. Nous le voyons avec le développement d’une agriculture beaucoup plus durable.

L’approche One Health est censée avoir trois pieds : la santé des hommes, la santé des animaux et la santé de l’environnement. Néanmoins, actuellement, le dialogue entre la santé humaine et la santé animale, c’est-à-dire entre médecins et vétérinaires, fonctionne très bien dans One Health alors qu’il manque une vision plus systémique pour intégrer la santé environnementale dans ce dialogue. C’est vrai dans les deux sens. Ainsi, lors d’une restauration écologique, les problématiques de santé publique qui pourraient en découler, telles que la présence d’espèces allergènes par exemple, ne sont pas forcément prises en compte. Inversement, en santé publique, les effets de la destruction des écosystèmes et des politiques de prévention ne sont pas pris en compte.

Les grands perdants de cette approche One Health, au niveau mondial, sont les autres acteurs socioéconomiques, ceux qui n’interviennent pas dans la santé ou la restauration écologique. Le groupe de travail « Santé, biodiversité » avait pourtant réussi à le faire dans le PNSE3 puisque nous avions dans le groupe de travail environ 80 membres, de toutes obédiences. Cette instance ressemblait aux instances « grenelliennes » avec des organisations non gouvernementales (ONG), des porteurs de politiques publiques, des acteurs privés dont des aménageurs du territoire, des juristes, des écologues, des agriculteurs, des vétérinaires, des médecins… Ce groupe avait travaillé sur le sujet voici dix-huit mois et réfléchissait déjà à un niveau systémique assez élevé. Il avait proposé d’inclure un axe « Une seule santé » dans le PNSE4 en conservant quatre sous-axes.

  1. Augmenter la connaissance de la biodiversité, axe lui-même décomposé en :
    1. diffusion et utilisation des connaissances acquises par les travaux du groupe avec la réalisation de deux revues systématiques :

– l’une sur les liens entre certaines maladies et les écosystèmes pour rechercher les éléments de nature qui ont un impact positif sur la prévalence d’une maladie humaine, qui permettraient de réduire la prévalence des maladies humaines ;

– l’autre sur les types de nature et les composantes naturelles qui influent sur le bien-être et la santé mentale des hommes, sujet sur lequel il existe des travaux récents et innovants qui mériteraient d’être poursuivis ;

1.2.  acquisition de connaissances nouvelles sur la santé des écosystèmes puisque nous ne disposons que très peu d’études qui s’intéressent à cette problématique :

– réaliser une étude bibliographique ou une revue systématique sur le concept de santé des écosystèmes, les facteurs qui influencent cette santé, comment préserver une bonne santé et comment, dans un contexte de changement climatique, avoir tout de même des écosystèmes fonctionnels, qui rendent ce service de protection de la santé humaine ;

– s’intéresser aux indicateurs de santé des écosystèmes. Cette notion fait encore débat dans la communauté scientifique. Il faut savoir ce qu’est un écosystème en bonne santé et ce dans les différents secteurs de l’environnement : l’eau, le sol, l’air… Nous proposons de réaliser une revue systématique pour déterminer les indicateurs existants et de les évaluer pour connaître leur pertinence ;

– accompagner et soutenir des recherches sur les liens entre biodiversité et maladies infectieuses. Il reste de nombreuses lacunes dans nos connaissances dans ce domaine. La FRB a produit une synthèse qui reprend les différentes questions qui se posent, les publications actuellement disponibles – en mai dernier – et les lacunes encore présentes. Dans le PNSE4, nous pourrions favoriser les recherches sur ces lacunes.

  1. Renforcer la valence environnementale dans la lutte contre l’antibiorésistance. Il nous semble qu’il s’agit d’un phénomène majeur, qui n’était d’ailleurs pas traité dans le PNSE3, mais nous nous en étions autosaisis au début du travail. Nous avons piloté une revue systématique, réalisée par l’INSERM avec le soutien de la FRB, sur les solutions efficaces pour lutter contre l’antibiorésistance dans l’environnement. Ses premières conclusions étaient assez intéressantes. En effet, il existe des méthodes pour réduire l’antibiorésistance dans l’environnement, qu’il s’agisse de réduire le nombre de bactéries résistantes, de réduire la transmission des gènes de résistance ou de réduire les résidus et les antibiotiques eux-mêmes. Il reste encore de nombreux champs à étudier et nous proposons donc d’utiliser les résultats de cette revue pour continuer à travailler en particulier sur le traitement des déchets organiques tels que les fumiers, lisiers, boues de station d’épuration avant leur éventuel épandage sur les sols agricoles. Nous pourrions aussi intégrer la question des biocides compte tenu de la quantité déversée dans l’environnement puisqu’il existe un problème de résistance croisée entre les biocides et les antibiotiques dans l’environnement.
  2. Élaborer des lignes directrices pour guider l’action des services de l’État dans la gestion des dangers liés à la faune et à la flore sauvage. Un premier travail a été conduit par l’école nationale des services vétérinaires (ENSV). Il s’agit d’examiner les crises passées et de comprendre comment se construit sur le terrain la politique départementale ou régionale de gestion des crises. Nous en sommes arrivés à un stade où nous pourrions établir des lignes directrices pour les services de l’État de façon à ce que, par exemple, le ministère de l’agriculture travaille sur le terrain, lors de la gestion de ces crises, avec les ministères de la transition écologique et de la santé.
  3. Territorialiser les actions. S’agissant de biodiversité, il nous semble que les grandes lignes directrices peuvent être déterminées au niveau national mais qu’il est très important que les acteurs de terrain se saisissent aussi de la question, comprennent les enjeux et puissent agir en bonne entente. Il faut que tous les acteurs territoriaux, chacun selon ses compétences et son expertise, puissent travailler ensemble pour gagner en connaissances. Cela concerne les gestionnaires de parcs nationaux, d’espaces, les médecins, les agences régionales de santé (ARS), les vétérinaires, les écologues et les chercheurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez fait un large tour d’horizon et décrit une situation presque apocalyptique de la situation du vivant sur cette planète, du fait de l’inconscience et de l’inconséquence de l’être humain.

La communication que vous faites sur ces éléments pourrait-elle toucher réellement le grand public ? La conscience de la biodiversité se limite actuellement à quelques éléments sur les animaux de cirque, les élevages de visons… alors que l’ampleur des dégâts est colossale. Comment pourrions-nous être des relais pour alerter les humains sur les dégâts qu’ils provoquent ?

Vous avez fait des propositions en vue du PNSE4. J’espère que ces préconisations seront reprises et, plus encore, que nous en aurons bientôt connaissance puisque la parution du PNSE4 traîne un peu.

Ce que vous préconisez a-t-il été traduit en actes dans d’autres pays ? Connaissez-vous des exemples de politiques publiques de restauration de la biodiversité qui ont montré leur efficacité et sur lesquelles nous pourrions nous adosser pour « vendre » des propositions très concrètes, pour montrer que c’est possible, efficace et qu’il suffit d’avoir une volonté politique ?

Mme Hélène Soubelet. La FRB n’a pas conduit d’étude sur des sujets mais il existe des exemples très intéressants dans le rapport de l’IPBES lui-même. Ce rapport de 1 800 pages est actuellement le document de référence car il s’agit de la synthèse la plus récente et la plus exhaustive. Des publications scientifiques viennent régulièrement l’amender mais ce rapport, rédigé par 150 chercheurs, répertorie tout de même 1 500 publications. C’est un socle pour la connaissance de la biodiversité et des impacts de son érosion sur les humains.

Ce rapport présente quelques bons exemples et des solutions qui ont bien fonctionné. Nous les utiliserons d’ailleurs pour l’étude que la FRB mène actuellement sur les leviers juridiques utilisables en France pour stopper l’érosion de la biodiversité dans différents secteurs tels que l’agriculture, la pêche, le développement urbain, la protection de la biodiversité dans les aires protégées, les espèces protégées et la biodiversité ordinaire.

Malheureusement, ces exemples sont éminemment territoriaux. Nous ne sommes pas certains qu’une solution qui a bien fonctionné dans un territoire pourra être utilisée de la même manière dans un autre territoire, même s’il lui ressemble. La première phase, à chaque fois qu’un problème est identifié, est une phase de concertation, ne serait-ce que parce que les groupes sociaux qui habitent le territoire ne sont pas les mêmes et que l’implémentation d’une solution peut être facile à un endroit et très compliquée à un autre. Il faut de plus mesurer l’efficience de ces mesures sur le long terme, ce qui n’a pas toujours été fait dans les exemples à notre disposition.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Que pourrions-nous faire pour la formation et l’information du public ? Quels relais pourrions-nous faire jouer ? Comment pourrions-nous nous-mêmes être des relais pour permettre la prise de conscience ?

Mme Hélène Soubelet. Nous essayons de travailler sur deux aspects. Le premier est la formation de groupes d’acteurs. La FRB s’est mobilisée pour former le plus largement possible et il nous est arrivé d’aller former des juristes, d’intervenir auprès d’acteurs financiers. Nous intervenons de plus en plus dans des formations de grandes écoles, par exemple à l’école des Mines, dans les lycées à l’occasion de la Fête de la science. Toutefois, la FRB est toute petite, avec un peu moins de 30 personnes.

Le deuxième aspect est celui de la communication à destination du grand public. Lorsque je suis arrivée, la FRB s’était déjà orientée vers une politique de communication vers le grand public, en sortant du cadre de nos acteurs habituels qui était constitué des 240 membres de notre conseil d’orientation stratégique. Nous avons commencé à écrire des petits articles plus didactiques, plus courts, pour faire passer des messages scientifiques. Nous nous basons sur des publications scientifiques ou nous interviewons des chercheurs pour faire passer des messages simples.

À l’occasion des dix ans de la Fondation, nous avons notamment publié onze actions que tout un chacun peut mettre en œuvre pour participer à stopper l’érosion de la biodiversité. Jean-François Silvain et moi-même avons publié un livre pour comprendre la biodiversité et réagir. Ce n’est pas mal mais c’est ridicule au niveau national et il faudrait être beaucoup plus ambitieux.

Nous préconisons d’associer le ministère de l’éducation nationale aux formations initiales pour que, dans les collèges et surtout dans les lycées et dans le supérieur, nous ayons un socle de compréhension de ce qu’est le vivant, de compréhension du fait que nous faisons partie du vivant et de compréhension de ce que nos actions, lorsqu’elles sont menées au niveau mondial, concernent une grande surface ou de nombreux hommes et ont un impact important.

Le tourisme par exemple peut être très vertueux lorsque deux hommes visitent un endroit magnifique, mais ne pourra pas l’être pour six millions de touristes. Cela détruira l’écosystème. L’activité n’est pas mauvaise en soi mais est mauvaise du fait du changement d’échelle. C’est cela que nous essayons de faire comprendre. Il faut adapter les activités au territoire et non l’inverse. Tous les grands corps d’État, tous les acteurs économiques devraient l’intégrer dans leur développement et dans leur trajectoire pour devenir vertueux et protéger la biodiversité.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Nous sommes devant de bien tristes constats. Que vous ne soyez que trente est encore plus inquiétant. Je suis très circonspecte sur la volonté des instances gouvernementales, qu’il s’agisse des actuelles ou des précédentes.

Que devrions-nous améliorer en matière de gouvernance pour accroître l’efficacité de la politique en santé-environnement ? Faudrait-il, selon vous, améliorer la prévention et comment ?

Vous avez parlé de vos actions en partenariat notamment avec l’éducation nationale. Avez-vous la possibilité de les accroître ? Est-il prévu une évolution de votre instance ? Est-il prévu de la faire grandir ?

Mme Hélène Soubelet. Nous sommes environ trente à la FRB mais nous sommes accompagnés par toute la communauté de recherche. Nous avons onze membres fondateurs dont neuf fondateurs scientifiques et leurs chercheurs travaillent dans toutes les disciplines d’ailleurs, pas uniquement en écologie. Nous mobilisons beaucoup ces chercheurs, y compris lors de sollicitations par la presse. Nous n’agissons pas seuls.

Je pense que nous sommes suffisamment nombreux pour mobiliser la communauté de recherche. Le statut de FRB ne permet pas beaucoup d’agir autrement puisque nous sommes une fondation de coopération scientifique. Notre objet est de mobiliser les scientifiques pour faire passer des messages scientifiques, de mobiliser les acteurs autour de ces enjeux pour coconstruire des programmes de recherche et communiquer les résultats de la recherche.

Notre action ne consiste pas à former tous les collégiens de France, c’est le rôle d’autres instances comme les ministères. Nous avons besoin collectivement de former les jeunes, les acteurs en place et les porteurs de politiques publiques. Il serait ensuite possible de former tout le monde, pas uniquement quelques cas particuliers comme nous le faisons et nous ne ferons pas plus. Il faudrait que cette formation soit beaucoup plus large.

En termes de gouvernance, il faut que toute décision prenne en compte ces enjeux globaux et que, lorsqu’une décision est prise, nous sachions exactement à qui cela va coûter, combien, et qui sera garant des paiements des externalités négatives de la décision. Ces externalités négatives existent toujours, par la pénalisation soit d’une catégorie socioprofessionnelle soit de la biodiversité. Il faut le chiffrer et nous avons en France des acteurs capables de le faire. Ensuite, des actions correctives devraient être apportées.

Par exemple, lors de l’épandage de pesticides dans un champ, ce qui pollue les rivières, les sols et l’océan, quelqu’un paiera pour la dépollution et ce n’est souvent pas celui qui génère l’externalité négative qui paie. Nous avons donc un découplage entre les conséquences de l’action et l’action elle-même. Il faudrait, lorsqu’une décision est prise, que l’évaluation de l’impact de cette décision soit faite et rendue publique. La justification de la décision devrait justifier aussi la façon de gérer les externalités négatives, les actions correctives et indiquer qui paiera les actions correctives mises en œuvre.

Il serait bon, également, d’évaluer si la décision est prise pour gérer un problème à court terme, par exemple autoriser à court terme certaines externalités négatives pour soutenir une filière mais en l’accompagnant de garanties que ce n’est que ponctuel et que la filière, à long terme, s’engagera sur une trajectoire plus vertueuse de façon à éviter que le problème se reproduise.

Il faudrait toujours avoir une vision de long terme de ce que pourrait engendrer la décision si, par exemple, elle était mise en œuvre pendant cent ans. Les chercheurs le font souvent. Ils se mettent à des échelles de temps plus larges pour bien voir que, certes, cette décision n’a pas d’effet important immédiat mais que, si elle est répétée tous les jours, pendant cent ans, elle peut avoir plus d’impact. Je pense qu’il est possible de réfléchir ainsi avant la décision, même si cela retarderait probablement la prise de décision. À mon avis, nous serions gagnants à long terme et même à moyen terme.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le souci est que le temps des chercheurs n’est pas celui des politiques. Faire les évaluations d’impact à moyen et à long terme serait du bon sens mais ce n’est pas du tout dans la culture politique, de façon générale.

Les relations entre la biodiversité et la santé ne sont pas des notions familières à la population. La société civile n’est, pour le moment, pas tellement mobilisée sur ce sujet. Nous pleurons sur le sort des ours polaires mais nous n’avons aucune conscience que leur disparition peut avoir un impact sur notre qualité de vie et, à terme, sur notre existence même sur cette planète. La problématique du partage de l’information et de la compréhension des enjeux par le grand public n’est pas résolue. Même parmi les politiques, rares sont ceux qui ont vraiment conscience des connexions. Cela relève encore d’une approche poétique, émotionnelle plutôt que d’une réflexion à l’échelle planétaire sur l’enjeu de survie que représente le fait de s’attaquer à une partie du vivant, ce qui a forcément des conséquences sur les êtres humains.

Même au niveau d’une entreprise, qui a forcément des impacts sur l’environnement, faire passer la notion de comptabilité verte est très difficile. Des groupes travaillent pour faire une évaluation des externalités négatives des projets d’investissement mais ce n’est pas encore dans la culture des entreprises.

Nous parlions de l’information et de la formation du grand public mais ceux qui sont à l’origine de cette perte de biodiversité, notamment les agriculteurs, sont-ils informés ? Ceux qui sont à l’origine de la dégradation ont-ils été associés à cette réflexion générale ?

Mme Annie Chapelier. Une notion nouvelle, l’amnésie environnementale, explique peut-être pourquoi nous ne parvenons pas à intéresser les individus au fait que la biodiversité s’effondre sous nos yeux. Ce mécanisme psychologique explique cette absence de réactivité et le fait que nous ne rendions pas compte de ce qu’il se passe. L’introduisez-vous dans vos recherches pour pouvoir mieux agir et lutter contre cette forme d’amnésie ? Peut-être pourrions-nous déconstruire ce phénomène.

Cette amnésie environnementale ne concerne pas seulement la biodiversité animale mais également la biodiversité végétale. Par exemple, je suis confrontée dans mon département à une décision ubuesque : abattre des platanes sur 1,5 kilomètre sous prétexte de sécurité routière. Fort heureusement, des associations et des élus locaux se sont mobilisés et la décision est suspendue pour un an. Ce qui frappe est que la plupart des gens ne se souviennent maintenant plus que des platanes poussaient autrefois le long des routes. Cela contribue au maintien de la biodiversité. Même des éléments aussi grands et visibles qu’un arbre sont oubliés dans l’esprit collectif aussitôt qu’ils sont effacés.

Mme Hélène Soubelet. Nous nous intéressons à cette question et avons eu l’occasion d’en parler lors de plusieurs colloques. Trois phénomènes sont en jeu.

Le premier est l’amnésie environnementale, mais elle a lieu presque de bonne foi puisque les personnes concernées n’ont pas connu la biodiversité que nous voudrions retrouver ou défendre. C’est de plus en plus vrai chez les jeunes qui vivent de plus en plus dans un milieu où la biodiversité est dégradée.

Le deuxième est l’opposition. Le rapport de l’IPBES proposait de partir sur des trajectoires de changement dites « transformatives », c’est-à-dire consistant à transformer nos sociétés, nos modes de consommation. Ceci défavorisera forcément certaines catégories d’acteurs qui bénéficient actuellement du système mondialisé tel qu’il est et s’y opposeront donc fortement.

Le troisième aspect est le déni : face à une mise en accusation, par exemple du monde agricole, un certain nombre d’acteurs refusent d’entendre qu’ils sont responsables. Nous pourrions considérer qu’ils sont de bonne foi parce qu’ils n’ont pas construit seuls ce modèle agricole et tout n’est pas de leur responsabilité. Ils en sont souvent plus les victimes que les coupables.

Que faire ? Il s’agit de concilier la préservation de la biodiversité et les activités humaines. Nous sommes persuadés que nous parviendrons à agir par la formation et l’information. C’est la raison pour laquelle nous avons fortement développé le service communication de la FRB. Je pense que le monde de la recherche est de plus en plus allant pour participer à la transmission d’informations. De plus en plus de chercheurs s’expriment dans les médias et communiquent sur les résultats de leur recherche, notamment parmi les chercheurs en écologie.

Cela génère malheureusement parfois aussi un certain désespoir, même de notre part, parce que nous avons l’impression de crier dans le vide bien souvent. Nous avons aussi parfois de très bonnes nouvelles. Nous sentons que la jeune génération se soucie réellement de la biodiversité ce qui est très positif. Ils y sont, je pense, beaucoup plus sensibles que ma génération par exemple, au même âge. Certains acteurs veulent résolument changer comme nous l’avons vu de la part d’entreprises et du monde agricole aussi. Une partie du monde agricole change résolument de trajectoire et veut montrer que c’est possible. C’est précisément en montrant que c’est possible que nous y parviendrons.

L’action de l’État pourrait consister à mettre en œuvre ces exemples d’actions possibles sur un territoire et à leur faire largement de la publicité pour que d’autres territoires voient ce qu’il est possible de faire à coût égal, avec des bénéfices bien supérieurs pour la biodiversité et la qualité de vie.

Un autre aspect de la question est de savoir comment mesurer la réussite. Nous l’avons beaucoup étudié via notre conseil scientifique, avec notamment Harold Levrel qui est économiste. Connaître les bons indicateurs pour mesurer la réussite est une question cruciale, soulevée également par l’IPBES qui préconise de changer d’indicateurs. Il s’agirait de se baser sur la qualité de vie plutôt que le PIB.

En gagnant beaucoup d’argent, je peux habiter dans un bel appartement mais sans voir beaucoup de nature et je serai peut-être moins heureux qu’en habitant une maison plus humble mais en ayant tous les jours accès à la nature. J’aurai peut-être moins de maladies mentales. L’une des études que nous avons menées dans le groupe de travail démontre que l’accès à des espaces verts et des espaces bleus permet une meilleure santé mentale.

Nous constatons une inégalité dans l’accès à l’environnement et les populations les plus pauvres, les plus vulnérables, sont celles qui ont le moins accès aux espaces verts, aux espaces de nature. C’est en partie pour des raisons d’argent puisque les plus riches peuvent aller à l’autre bout du monde, dans la forêt tropicale par exemple, mais c’est également vrai sur le territoire. L’organisation urbaine est telle que, dans les villes, les grands parcs ne sont pas à côté des HLM mais plutôt dans les beaux quartiers et c’est ce qui fait le prix des beaux quartiers. Les villes dans lesquelles les habitants des logements sociaux ont accès à un espace de nature sont très rares.

Il faut réfléchir de façon globale, systématiser les problèmes et essayer de remonter au niveau supérieur. Nous avons certes un problème de logement social à résoudre mais le résoudre en construisant des immeubles sur un parc en ville n’est pas forcément la solution. C’est pourtant parfois ce qui est choisi. Un parc est certes une surface libre mais il faut une réflexion globale pour savoir à quel espace de nature auront accès les habitants en cas de suppression du parc et essayer de trouver une autre solution. Je pense que, à chaque fois que les acteurs se sont mis autour d’une table et ont cherché une solution, ils y sont parvenus. Ce travail fait partie de l’évaluation.

Mme Annie Chapelier. À Singapour, toutes les chambres d’hôpital doivent obligatoirement donner sur des végétaux parce que cela contribue au rétablissement des patients. À Hong-Kong, j’avais été frappée par le choix fait de sanctuariser certaines îles en y interdisant toute forme de construction.

Vous avez soulevé le problème de la démographie en parlant du tourisme. Deux touristes ne posent aucun problème mais 5 000 détruisent tout, même s’ils sont respectueux. Ce n’est pas un problème de comportement mais de nombre et c’est le problème auquel nous avons dû faire face dans les Cévennes cet été, avec un flux de touristes que nous n’avions jamais connu. Des zones, comme le mont Aigoual, ont dû être gérées par les gendarmes car le trop grand nombre de visiteurs était destructeur.

À Hong-Kong, dans les endroits sanctuarisés, les poissons reviennent alors que le trafic maritime est insensé mais la contrepartie est la forte concentration humaine dans d’autres zones. Dans nos sociétés occidentales, ce n’est pas acceptable et je pense que c’est l’un des points sur lequel nous butons pour préserver l’environnement. J’ai proposé de sanctuariser certaines zones pour éloigner la présence humaine et y permettre une biodiversité, en particulier pour les grands prédateurs. Ce n’est pas recevable. Nous ne pouvons pas imaginer qu’un endroit ne soit pas accessible aux citoyens dans un pays comme la France.

Pensez-vous que ce serait une solution pour préserver la biodiversité dans un monde où la démographie continue à augmenter et ne s’interrompra pas ? Pourrions-nous créer une mosaïque de manière à sanctuariser des zones que nous préserverions des humains ? Nous mettrions une plus forte concentration d’humains dans d’autres zones plutôt que de coloniser tout l’espace comme nous le faisons plus ou moins sciemment.

Mme Hélène Soubelet. Cette question est beaucoup étudiée par les chercheurs et de nombreuses publications préconisent effectivement non une sanctuarisation mais une protection. Certains parlent de sanctuarisation, plutôt dans le milieu marin où c’est plus facile à réaliser car nous ne sommes pas confrontés à la propriété privée, notamment dans les zones hors des juridictions nationales.

Dans le milieu terrestre, la sanctuarisation est compliquée. Des chercheurs, dont la publication que j’ai citée de MM. Victor Cazalis et Michel Loreau, disent qu’il faudrait préserver 30 à 40 % de l’espace terrestre d’une activité humaine trop intense. Dans ces zones, il s’agit soit d’interdire toute activité soit de se limiter à des activités durables. Par exemple, une agriculture biologique extensive élevant des bovins à l’herbe avec une charge très réduite est complètement compatible avec la préservation d’espaces puisque les grands herbivores font partie du cycle de ces espaces naturels et pourraient y être intégrés de façon permanente. Cela permettrait aux hommes qui les exploitent d’en tirer un revenu.

En France, nous nous inscrivons plutôt dans cette logique, mais il faudrait réfléchir aux différents statuts de nos espaces protégés. Avons-nous atteint les objectifs d’Aichi de protéger 30 % du territoire ? Certains espaces ne sont que peu ou pas protégés. Sans interdire l’ensemble des activités humaines dans tous les espaces, même s’il faudra sans doute le faire dans certains espaces, nous pourrions simplement fortement contraindre les activités humaines dans d’autres espaces.

Certains travaux disent que, en ajoutant des contraintes à certaines activités, nous créons de l’innovation parce que les acteurs s’adaptent, tout comme la biodiversité. Cela pousse à la créativité, à l’innovation et ce n’est pas forcément mauvais à long terme. À court terme, cela nécessite des changements et générera des oppositions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez fait des propositions dans le groupe de travail du PNSE4. Par où commencer ? Il s’agit d’une problématique systémique, d’une problématique de société, de civilisation. Quelle est l’urgence ? Quelle est l’action la plus rapidement réalisable pour, au moins, amorcer le processus ? Si nous attendons que les êtres humains prennent conscience des effets de leurs activités, nous aurons tous disparu.

Par ailleurs, l’antibiorésistance semble être devenue un énorme problème. Que pensez-vous du plan ÉcoAntibio ? Vous paraît-il efficace ? Pensez-vous que nous parviendrons à « limiter la casse » ? Nous voyons apparaître de nombreuses situations de personnes hospitalisées que nous ne pouvons plus soigner parce que les souches microbiennes sont devenues antibiorésistantes et nous ne pourrons à terme plus sauver ces personnes.

Mme Hélène Soubelet. À mon avis, comme tout est lié, par où commencer n’est pas la bonne question. Il faudra faire tout en même temps, mais ce ne sont pas les mêmes acteurs qui interviennent partout. Malgré l’urgence à transformer le modèle agricole, il ne faut pas laisser sans action le domaine de la pêche ou des activités financières par exemple. Tous peuvent commencer en même temps, il s’agit simplement de donner le top départ.

Nous avions publié un avis lors du Grand débat 2019, intitulé Diminuer notre empreinte écologique en préservant la biodiversité – Une grande cause nationale. Nous disposons d’indicateurs pour calculer cette empreinte écologique. Les Français ont actuellement une empreinte écologique double de la biocapacité de la France, c’est-à-dire de la capacité de la surface de la France, métropole et outre-mer, à produire de la biomasse. Chaque Français a besoin pour vivre de 5,4 hectares alors que la surface disponible en France par Français est de 2,4 hectares. Nous allons donc chercher ailleurs ces trois hectares complémentaires et nous générons des dégradations en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud…

Nous avions proposé comme grand projet que nous nous mettions tous en ordre de marche pour, à l’horizon de dix ou vingt ans, diminuer notre empreinte écologique et la ramener à la biocapacité. Cela nécessiterait l’engagement de tous les acteurs. Cela signifie produire de manière plus durable les produits agricoles, les produits de consommation courante, les produits de construction, réfléchir à l’aménagement urbain, aux infrastructures…

Je ne pense pas qu’il faille se demander quelle est l’action prioritaire. Toutes les actions sont prioritaires et, dans la plupart des cas, une action ne peut pas se développer jusqu’à son terme si les autres ne suivent pas. Si nous ne faisons pas avancer tout le monde en même temps, des freins apparaîtront.

Nous en revenons à une injonction initiale de l’État puis à une formation et une information pour que tous les acteurs, y compris les citoyens, soient en phase avec cet objectif et qu’il devienne un véritable enjeu national.

L’antibiorésistance est effectivement très inquiétante. Dans un premier temps, ce n’est pas vraiment un problème de biodiversité mais cela pourrait le devenir. Les mesures majeures du plan EcoAntibio sont des mesures de lutte contre l’antibiorésistance par la réduction de l’usage des antibiotiques et la recherche de nouveaux antibiotiques pour pallier l’antibiorésistance. Il faudrait que ce plan s’intéresse un peu plus à la valence environnementale du problème car nous savons que des bactéries antibiorésistantes sont déjà présentes dans l’environnement. Des résistances croisées apparaissent et nous proposions pour cette raison de conserver l’action contre l’antibiorésistance au sein du plan « Une seule santé » en étudiant l’effet des résistances croisées notamment avec les biocides. Nous avons peu d’études sur le sujet et cela conduirait à des recommandations sur l’usage des biocides. Si les antibiotiques restants génèrent de nombreuses résistances du fait par exemple des biocides ou de l’existence de bactéries déjà résistantes qui se trouveront favorisées, la situation peut être inquiétante.

Il faut aussi s’intéresser à la faune sauvage dont certains éléments sont porteurs de bactéries résistantes, notamment des oiseaux. Il faut essayer d’anticiper ce problème pour éviter une future transmission des oiseaux à l’homme.

Il faut surveiller en particulier les espèces synanthropiques qui se sont adaptées aux sociétés humaines et vivent à côté de l’homme. C’est le cas des rats, des pigeons, des moustiques… Ces espèces qui vivent aux côtés de l’homme depuis longtemps partagent avec nous un certain nombre de pathogènes et nous pourrions aussi partager avec elles des bactéries, dont des bactéries antibiorésistantes. La recherche n’a pas encore mis en évidence de passage à l’homme mais il pourrait se produire et il faut le surveiller.

Nous pourrions donc renforcer le plan contre l’antibiorésistance sur la partie environnementale et c’est l’objet de la proposition du groupe de travail.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Souhaitez-vous ajouter une proposition, un conseil, une remarque ?

Je pense que notre action consiste surtout à informer, à rapporter ce que nous avons entendu aujourd’hui grâce à vous et à démultiplier l’information. Nous pouvons peut-être agir concrètement sur l’évaluation des impacts, des externalités négatives.

Mme Hélène Soubelet. Je souhaite ajouter que l’évaluation d’impact se fait en un temps très court qui ne permet pas toujours d’anticiper les véritables impacts. Nous avions travaillé ces questions dans les ateliers « Sciences pour l’action ». Ils consistent en une mise en relation entre acteurs et chercheurs sur différents sujets. Nous y travaillons avec le ministère de la transition écologique et l’office français de la biodiversité (OFB). L’une des recommandations de ces ateliers est, puisque nous ne pouvons pas avoir toutes les réponses dès le départ, que l’évaluation de l’impact continue tout au long de la vie de l’activité pour que, si les impacts ont été mal évalués, nous puissions revenir sur l’étude d’impact et réorienter ou stopper l’activité dans les cas les plus graves.

Une activité ne doit pas être lancée pour cent ans après l’étude d’impact initiale ; il faut que nous puissions réviser l’étude d’impact avec les données environnementales. Comme elles font souvent l’objet d’un suivi par les industriels, nous disposons en cours d’activité de nouvelles données sur l’impact réel de l’activité et non simplement sur l’impact supposé d’une activité qui n’a pas encore démarré.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Que pensez-vous du processus de l’évaluation d’impact ? Est-il bien pensé ? Nous entendons tant de contestations sur les évaluations d’impact, d’abord parce qu’elles sont très rapides et que le citoyen n’a pas le temps de réagir et de donner son avis. La grille d’analyse de l’évaluation d’impact vous paraît-elle pertinente, suffisamment étayée scientifiquement dans le domaine de la biodiversité ? Permet-elle d’éviter des erreurs ?

Mme Hélène Soubelet. L’évaluation d’impact telle qu’elle est réalisée actuellement n’est pas suffisante car elle ne s’intéresse pas aux pressions mais à la biodiversité. Il existe onze millions d’espèces et il est donc impossible de s’intéresser à la biodiversité. La plupart du temps, les études d’impact se focalisent sur un petit nombre d’espèces, par exemple les espèces protégées alors que ce n’est pas la bonne question. Nous voulons éviter des pressions trop importantes sur la biodiversité.

Les études d’impacts devraient se caler sur les cinq pressions directes identifiées par l’IPBES, qui sont assez faciles à appréhender par les industriels :

– le changement d’usage des terres, par exemple, construire une route imperméabilise des terres ce qui constitue un changement majeur ;

– le prélèvement direct des ressources et, en cas de prélèvement, savoir comment elles sont prélevées, si nous pouvons diminuer ce prélèvement, le faire de manière plus durable, par exemple lors de l’exploitation du bois en prélevant un arbre sur dix plutôt que tous les arbres d’une parcelle ;

– le changement climatique, point sur lequel les entreprises sont très avancées ;

– la pollution, point sur lequel nous pourrions agir plus « fort », les industriels qui génèrent des pollutions devant gérer ces impacts ;

– les espèces exotiques envahissantes, en gérant l’impact d’une activité qui permet à ces aux espèces de coloniser de nouveaux milieux.

Ces cinq pressions peuvent assez facilement être prises en compte et nous disposons d’indicateurs pour les mesurer. Les industriels pourraient ainsi s’inscrire sur une trajectoire en prévoyant par exemple de faire de gros changements d’usage des terres et d’artificialisation à un endroit au départ puis de compenser en désartificialisant à un autre endroit qui sera par exemple mis en réserve intégrale. Nous pourrions demander aux industriels de mettre en réserve intégrale une partie de leur territoire, si possible connectée avec d’autres réserves intégrales d’autres industriels. Une telle étude d’impact serait plus efficace que l’étude de la préservation de telle orchidée rare.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. C’est la caricature qui en est faite, y compris par certains hommes politiques. Certains croient que la défense de la biodiversité consiste en l’étude des crapauds à petits pois ou de la jacinthe extraordinairement rare et caricaturent à dessein alors que la démarche est beaucoup plus profonde et globale.

Je vous remercie. Cela était passionnant. Vous nous avez détruit le moral, mais cela nous renvoie à nos responsabilités. Il nous reste à agir.

L’audition s’achève à dix-sept heures vingt.

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21.   Audition, ouverte à la presse, de M. Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) (15 octobre 2020)

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et Mme Nelly Le Corre-Gabens, cheffe du service environnement à la FNSEA.

Vous êtes agriculteur, éleveur de porcs dans la Marne. Vous avez fondé et présidez l’association « Symbiose, pour les paysages de biodiversité » dont l’objet est de promouvoir des projets de territoire en faveur de la biodiversité. Le choix du modèle d’agriculture est un marqueur important des préoccupations de santé environnementale pour tous nos concitoyens, au premier rang desquels les agriculteurs eux-mêmes bien sûr.

Comment et à quelles conditions une plus grande préoccupation portée aux questions de santé environnementale, de maintien de la biodiversité et plus largement de performance environnementale peut-elle constituer un élément de la compétitivité d’exploitations à dimension humaine ?

(M. Hervé Lapie prête serment.)

M. Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la FNSEA. Les questions de santé environnementale sont très larges. Elles concernent l’alimentation, l’air, l’eau, le sol, la biodiversité, le stockage du carbone dans le sol, la réduction des gaz à effet de serre, mais aussi la santé au travail et la lutte contre le changement climatique.

Nous sommes pleinement conscients des liens entre santé humaine, santé animale, santé végétale, alimentation, qualité de l’environnement et santé au travail. Pour un agriculteur, cela signifie produire des animaux et des végétaux en bonne santé, dans un environnement sain, en préservant les ressources naturelles et environnementales telles que l’eau, le sol, la faune, la flore, la biodiversité, les pollinisateurs, les ressources naturelles environnantes, dans le respect de notre entourage et nos concitoyens.

Le métier d’agriculteur est au cœur des métiers du vivant. Il dépend des aléas climatiques, des aléas sanitaires et il doit donc s’adapter en permanence pour assurer le suivi de l’ensemble des cultures et des animaux. De plus, l’agriculture est prise, depuis plusieurs années, dans une mondialisation galopante.

De très nombreux facteurs influent fortement sur l’agriculture : la mondialisation des échanges, le réchauffement climatique, la réduction des surfaces cultivables liée à la rapide artificialisation des sols, l’augmentation des populations, le développement de nouveaux modes de consommation dont la restauration hors domicile, l’apparition de nouveaux besoins de production agricole, par exemple pour la production d’énergies renouvelables, la nécessité de faire en sorte que l’agriculture participe à la réduction des gaz à effet de serre grâce à la photosynthèse des plantes et en stockant le carbone dans le sol.

La FNSEA est un réseau d’agriculteurs organisé depuis les années 1950 par fédérations départementales dans les 96 départements et par fédérations régionales dans les 13 régions. Nous avons également plus de 31 associations spécialisées dans les différentes productions végétales et animales qui travaillent à accompagner l’ensemble des agriculteurs. Le conseil d’administration, très pluriel, représente l’ensemble de l’agriculture française en élevage, en polyculture-élevage, en productions spécialisées, en agriculture biologique, en circuits courts et en producteurs d’énergie.

La profession est présente dans de nombreuses instances contribuant aux différents plans d’action liés à la santé environnementale dont le programme national nutrition santé (PNNS), le programme national pour l’alimentation (PNAN), le plan ÉcoAntibio, le plan Écophyto 2+, les mises en œuvre des différentes directives « nitrates », le plan national de réduction des émissions de pollutions atmosphériques, le plan Biodiversité, les dispositifs de lutte contre l’artificialisation du foncier, le plan protéines, le plan santé au travail (PST), la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens et le plan national santé-environnement (PNSE).

Notre objectif dans de nombreux groupes de travail est de mettre à disposition de nos agriculteurs les meilleures techniques disponibles. Nous informons nos adhérents de toutes les pratiques, aussi bien en ce qui concerne l’évolution du matériel que la recherche et l’innovation. L’idée est d’anticiper, de prévoir. Dans le cadre du plan Écophyto, la FNSEA a créé voici cinq ans une association nommée « Autour du contrat de solutions ». Plus de quarante partenaires sont réunis pour identifier les solutions afin de réduire l’utilisation des produits de santé végétale, favoriser les solutions sur le terrain et accélérer la recherche de nouvelles solutions.

Nous insistons beaucoup sur ce volet recherche et innovation pour accompagner les transitions en agriculture. Nous savons très bien que nous sommes dans une période de transition. Il nous avait été demandé dans les années 1950-1960 d’assurer l’autonomie alimentaire de nos 500 millions de concitoyens européens. Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle phase : les enjeux autour de l’alimentation sont toujours aussi importants, mais portent aussi sur la protection des ressources et la contribution de l’agriculture à de nouvelles solutions, notamment autour du réchauffement climatique et des énergies fossiles. Nous ne sommes pas la solution mais une partie de la solution et il nous faut travailler en partenariat avec l’ensemble des ministères.

L’idée de ce contrat de solutions est d’apporter une aide à la décision. Par exemple, la maladie aujourd’hui la plus importante de la pomme de terre est le mildiou. Les outils d’aide à la décision nous permettent d’intervenir au moment opportun, lorsque la plante est sous pression climatique et qu’il nous faut protéger nos plants de pommes de terre par un traitement anti-mildiou.

La génétique est également d’une aide fondamentale. C’est le cas par exemple pour la betterave sucrière ; la filière a beaucoup investi dans la recherche génétique, notamment pour la résistance à la cercosporiose. En une dizaine d’années, des variétés résistantes ont permis de réduire de 50 % les traitements.

Concernant la santé-environnement, nous nous préoccupons aussi de la protection des utilisateurs. C’est un levier important et nous avons développé une politique de protection individuelle des agriculteurs. Nous sommes les premiers concernés ; nous faisons des campagnes de promotion et d’accompagnement de la protection individuelle auprès de nos agriculteurs.

S’agissant du carbone et de la biodiversité, nous avons créé une marque qui deviendra une association, Épiterre. Nous savons très bien devoir aménager nos territoires en prenant en compte les trames vertes, les trames bleues. L’idée d’Épiterre est d’accompagner un projet auprès des agriculteurs et de « refaire du lien » avec les entreprises françaises. Nous souhaitons qu’elles puissent investir par le biais de leur responsabilité sociale et environnementale dans des pratiques environnementales et que le réceptacle en soit les agriculteurs pour que nous mettions en place ces aménagements : haies, jachères mellifères, bandes enherbées pour favoriser la nidification et la protection de la biodiversité.

Nous avons également développé un outil, Systera, sur les risques pour nos salariés. Il s’agit d’un document unique d’évaluation des risques en santé au travail.

En ce qui concerne le changement climatique, nous avons réfléchi depuis deux ans à un rapport d’orientation pour les prochaines années. Comment l’agriculture peut-elle contribuer à atténuer ce réchauffement climatique ? L’une des solutions est de se passer des énergies fossiles, en France et en Europe, grâce à ce levier important de photosynthèse que sont l’agriculture et la forêt.

Pour la troisième année, la France est reconnue pour apporter une alimentation saine et durable à ses citoyens. Ces résultats sont encourageants pour les politiques mises en place mais aussi pour les agriculteurs qui doivent retrouver une certaine fierté de leur métier en contribuant à la protection des ressources naturelles.

Les résultats du plan ÉcoAntibio sont bons : ce plan a permis une réduction assez drastique de plus de 40 % en dix ans de la consommation d’antibiotiques dans les élevages. Ce sont des efforts considérables, accompagnés au quotidien par nos vétérinaires.

En ce qui concerne le plan Écophyto, la profession a pour objectif d’utiliser le moins possible les produits de santé végétale, notamment les produits cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR). Entre 2016 et 2019, nous avons diminué la consommation de 15 % pour les CMR de catégorie 1 et de 9 % pour les CMR de catégorie 2. L’objectif est de se passer des produits les plus dangereux, lorsqu’il existe une alternative pour ne pas laisser les agriculteurs dans une impasse. Nous travaillons aussi au développement des produits de biocontrôle qui sont actuellement en pleine explosion en France et c’est plutôt une bonne nouvelle.

Les analyses de résidus dans les denrées alimentaires sont très sévères en France et peu de produits ne respectent pas les normes. C’est une satisfaction pour les agriculteurs, tout en sachant que les produits de santé végétale sont destinés à protéger les plantes. Nous sommes très attentifs à toutes les maladies qui pourraient se développer sans protection. Je pense notamment aux mycotoxines. En tant que céréalier et éleveur de porcs, je sais très bien qu’une plante mal soignée peut avoir des conséquences très néfastes sur mon élevage. Si les animaux consomment une céréale contenant de la vomitoxine, une mycotoxine, ils sont très mal et se comportent de manière irrationnelle. Il faut que nous apportions une alimentation saine à nos animaux.

Globalement, l’agriculture est une activité économique qui a des impacts sur l’environnement. Nous devons les minimiser mais, comme pour tout secteur économique de production, il faut évaluer les bénéfices, les risques et continuer à évoluer grâce à la recherche et à l’innovation.

La santé environnementale est l’affaire de tous, pas uniquement des agriculteurs. Elle concerne les territoires, l’activité économique. Nous proposons souvent d’éviter de travailler en « silos ». Il faut travailler avec les collectivités, les intercommunalités, les départements, les régions, l’État pour mieux comprendre, mesurer, savoir surveiller ce que nous faisons sur nos territoires. Il faut agir à différents niveaux, de l’international aux citoyens et nous avons tous des exemples concrets.

Il faut former nos agriculteurs et j’insiste sur l’animation, un sujet essentiel pour l’accompagnement de la transition vers les meilleures pratiques disponibles. Il faut mettre en place tous les outils pour être dans l’action.

La France est inscrite dans la politique agricole commune européenne. C’est l’Europe qui a fait la force de son agriculture. Nous souhaitons une harmonisation européenne sur tous ces enjeux de santé-environnement. Nous demandons d’être attentifs à avoir une même pratique pour une alimentation accessible à l’ensemble de nos concitoyens et qui respecte les mêmes normes. Par exemple, le glyphosate n’est pas utilisé sur des cultures en place en France mais peut l’être aux États-Unis ou au Canada, même huit ou dix jours avant la récolte. Des produits d’importation, notamment des lentilles, sont consommés par nos concitoyens. Il faut informer les citoyens, valoriser l’agriculture française et faire en sorte qu’elle soit mieux reconnue de nos concitoyens pour éviter de grever notre compétitivité.

La recherche des alternatives aux produits de santé végétale doit être développée. Nous ne sommes pas réfractaires au sujet, nous avons besoin de recherches. Il faut aussi mettre en place des indicateurs de suivi pour valoriser les progrès faits par les différentes filières.

Nous sommes dans une période de transition où il faut accompagner l’agriculture. Dans le milieu du vivant, il faut investir à moyen ou à long terme. Nous avons créé l’association Symbiose en Champagne-Ardenne en 2012. Depuis huit ans, nous faisons de l’animation sur le terrain. Nous nous rendons compte que, pour faire évoluer les pratiques des agriculteurs, il nous faut trois ans d’animation sur chaque territoire que nous investissons. Il faut trois ans d’expérimentations scientifiques, techniques, économiques et sociétales pour que les agriculteurs disposent des connaissances utiles. Il nous faut donc trois ans pour faire évoluer les pratiques tout en respectant le travail des agriculteurs et en les remettant en confiance.

Dans ma région, la mise en place des trames vertes ne pose pas de problème parce qu’elle est bien comprise. Nous assurons l’interface avec les maires, les élus, les apiculteurs, les chasseurs. Nous sommes dans un dialogue permanent, en faisant chacun un pas vers les autres plutôt que de faire des pas les uns contre les autres. Nous essayons de nous rassembler pour trouver des solutions et, en tant que responsable agricole, j’en retiens l’enseignement que le dialogue et la concertation sont importants face à ces enjeux. Il s’agit d’accompagner les agriculteurs et l’agriculture dans cette période de transition, de leur donner une visibilité, un projet et surtout l’envie d’entreprendre dans une France reconnue pour la qualité et la diversité de ses produits alimentaires.

L’agriculture est de plus capable d’accueillir des touristes dans l’ensemble des territoires français, en entretenant le territoire de manière assez exceptionnelle. Nous pouvons créer des passerelles entre le monde agricole et l’ensemble de nos concitoyens même si nous ne représentons plus que 2 % de la population active. Nous avons un projet commun à partager avec l’ensemble de la population.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelle est la définition même que vous donnez à la santé environnementale ? Chacun en parle sans vraiment en définir le périmètre.

Vous avez dit que la santé environnementale est l’affaire de tous et non seulement des agriculteurs. Vous paraissiez avoir l’impression d’être au cœur de la problématique alors que, effectivement, vous n’êtes qu’une partie aussi bien du problème que de la solution.

Vous n’êtes certes que 2 % de la population mais cette petite partie de la population est extrêmement déterminante pour la qualité de vie des Français. Vous avez énoncé le nombre de groupes de travail, le nombre de plans auxquels vous avez participé, parlé rapidement de la stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens et du plan national santé-environnement. Je sais que vous siégez dans le groupe santé environnement (GSE). Je voudrais que vous me disiez comment vous voyez la santé environnementale en France, au-delà de la place et de l’action de la FNSEA, et comment vous vous situez. Que proposez-vous concrètement dans ce domaine ?

M. Hervé Lapie. Dans ces groupes de travail, nous proposons d’identifier les freins, qui peuvent parfois être économiques, et surtout les leviers pour accompagner cette transition agricole.

Par exemple, les éleveurs de porcs ont des effluents à épandre. Ces effluents peuvent avoir une action sur la pollution atmosphérique lorsque le lisier est épandu avec une buse palette. L’idée est donc de réfléchir aux meilleures techniques disponibles pour éviter la diffusion de l’ammoniac dans la nature. Nous pouvons équiper nos appareils d’une rampe ou d’un enfouisseur pour injecter directement la matière fertilisante dans le sol et éviter l’évaporation dans l’air.

L’idée est d’identifier l’ensemble des leviers utilisables pour chaque technique, de les vulgariser auprès de nos agriculteurs mais aussi de les accompagner financièrement car cela nécessite des investissements, parfois conséquents, dans les exploitations agricoles. Nous travaillons donc sur le levier de la santé, le levier de l’environnement et aussi sur le levier économique pour apporter des solutions pour cette fameuse transition. Elle mérite un accompagnement financier de nos exploitations agricoles.

Dans le cas du plan Écophyto, nous accompagnons la mise en place des groupes Dephy. Plus de 30 000 agriculteurs font aujourd’hui partie de ces groupes Dephy avec des plans de réduction des produits de santé végétale de 30 à 50 %. Lorsque nos techniciens accompagnent ces agriculteurs, que ce soit par le biais des chambres d’agriculture ou de nos organisations économiques telles que les coopératives et les négoces, notre but est de vulgariser la connaissance que certains agriculteurs ont acquise par l’expérimentation et de savoir si cela est accessible à tous. Les agriculteurs sont aussi des expérimentateurs et il faut que nous puissions vulgariser auprès de l’ensemble de la profession agricole ce que les pionniers mettent place.

Lorsque nous avons les solutions, l’information est importante pour les diffuser à plus grande échelle. En matière de santé environnementale, il semble aussi important de partager avec les différents ministères. Outre son ministère, l’agriculture travaille aujourd’hui avec le ministère de l’environnement, le ministère de la santé et le ministère de l’économie. Nous sommes souvent en relation avec ces quatre ministères pour accompagner la transition car nous ne pouvons pas cloisonner le sujet au seul ministère de l’environnement et de la transition écologique. Notre secteur d’activité est beaucoup plus pluriel.

Le plan sur la biodiversité est un autre exemple. Je suis administrateur à l’office français pour la biodiversité (OFB). J’y représente la FNSEA. L’OFB a une fonction de police environnementale, de sanction. Nous essayons de ne pas avoir ce seul rôle régalien de police, mais aussi un rôle de formation et d’accompagnement. Ces sujets de biodiversité sont importants pour les dix à quinze ans à venir et nous considérons les agriculteurs comme les principaux défenseurs de ce patrimoine naturel. Il faut lutter contre l’artificialisation des sols mais aussi aider les agriculteurs à mieux connaître et mieux comprendre comment fonctionne la biodiversité dans nos territoires.

Ce sont des sujets nouveaux que je n’ai jamais appris à l’école : je suis sorti de l’école dans les années 1990, je me suis installé comme agriculteur en 1992. Il faut que nous soyons accompagnés par des experts scientifiques, techniques pour avoir la connaissance et mettre en place dans les territoires des actions simples et efficaces.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous répondez à ma question de façon indirecte. J’entends le fait que la FNSEA est particulièrement consciente des enjeux de la santé environnementale et de la place que les agriculteurs occupent dans le dispositif.

Vous insistez sur cette phase de transition qu’il faut accompagner et cela semble signifier que tous les agriculteurs ont pris conscience de la place qu’ils occupent dans notre problématique planétaire, aussi bien en ce qui concerne le réchauffement climatique que les pollutions en tous genres, notamment l’exposition à la chimie.

Votre discours est assez réconfortant et vous semblez vraiment engagé dans cette dynamique. Pourtant, des dissonances et des décalages énormes existent entre ce que vous portez comme objectif et ce que nous observons sur le terrain, c’est-à-dire des pratiques qui continuent à être polluantes, qui mettent en péril notamment les riverains.

Il existe sur le terrain des conflits entre la population et les agriculteurs. Ils font certes l’objet d’une concentration de toute l’agressivité et des inquiétudes de la population. Lorsque les agriculteurs sortent en tenue de cosmonaute pour arroser leurs champs, les gens ne peuvent que s’interroger sur les risques qu’ils leur font prendre. J’observe, sur le terrain, un véritable décalage entre le discours, le ressenti et les témoignages d’une certaine inquiétude générale.

Je suis parfaitement d’accord sur le fait que l’agriculture française a dû faire un bond technique, notamment par le recours aux produits phytosanitaires, pour répondre à la demande après la guerre. Tout le monde est coresponsable de ce recours systématique à la chimie pour augmenter la productivité, cela nous a évité la famine et il faut répondre aux besoins alimentaires.

Le souci est que cela donne l’impression que nous avons un peu joué aux apprentis sorciers et que nous avons été dépassés par les outils. Il faudrait revenir maintenant à une sobriété chimique. Je ne parle pas d’une disparition complète mais d’une sobriété. Nous risquons sinon de tous nous mettre en péril, aussi bien les agriculteurs que la population française.

Comment gérer ce décalage entre les objectifs et la réalité du terrain ? Notamment, au-delà de ce que vous nous avez présenté qui prouve la prise de conscience au plus haut niveau des confédérations paysannes, vous êtes-vous donné des objectifs quantifiés, par région par exemple ? J’ai essayé d’avoir quelques informations sur les pratiques culturales dans ma circonscription mais il n’existe aucun document. Nous n’avons pas de cartographie. Nous ne savons pas qui consomme des produits phytosanitaires et lesquels. Nous ne savons pas où se trouvent les problèmes.

Nous savons par grande filière quelles sont les difficultés techniques rencontrées mais j’ai l’impression que votre stratégie est incomplète. Vous parlez d’Écophyto dont tout le monde s’accorde malheureusement à dire que c’est un échec. Pourquoi cet outil conçu pour vous aider à accomplir cette transition écologique n’a-t-il pas fonctionné ?

Vous dites qu’il faut trois ans pour convaincre un agriculteur mais depuis combien de temps avez-vous lancé cette démarche ? Pourquoi n’est-ce toujours pas efficace ? Vous êtes-vous donné des objectifs quant aux surfaces cultivées par des techniques traditionnelles, selon la région, la filière ? Avez-vous un tableau de bord qui confirme ce que vous venez de nous dire ? Avez-vous une cartographie des pratiques agricoles ? Avez-vous évalué ce qui est nécessaire financièrement ?

Nous sommes bien conscients que les agriculteurs doivent vivre de leur pratique mais nous sentons la présence de freins. Est-ce une question de formation initiale ? Est-ce une réserve d’autodéfense de la part des agriculteurs ? Comment arriver à les faire évoluer dans leur prise de conscience pour avoir un véritable effet et ne pas gaspiller de l’argent comme dans le plan Écophyto qui n’a en définitive pas été efficace ?

M. Hervé Lapie. Lorsqu’un tel décalage est perçu, le projet n’a pas été compris. Concrètement, par exemple, vous avez parlé des conflits entre les agriculteurs et leurs voisins, autour notamment des zones de non-traitement. Il a été expliqué au début qu’il fallait, lors de l’utilisation de produits de santé végétale, une zone de retrait de 150 ou 200 mètres par rapport aux habitations. Nous aurions été collectivement plus intelligents en discutant de ces zones de non-traitement entre agriculteurs et collectivités. Ces zones sont aujourd’hui à cinq ou dix mètres, avec des chartes entre agriculteurs et départements. Nous aurions dû réfléchir au projet que nous mettrions en place entre agriculteurs, riverains et collectivités si un jour l’Anses se prononçait sur la question.

Nous nous sommes en fait heurtés à un conflit de voisinage. Ce conflit de voisinage a encore été aggravé par le fait que chacun connaît aujourd’hui l’existence de zones de non-traitement et les agriculteurs sont de ce fait encore plus stigmatisés en raison de leurs pratiques. Ils utilisent pourtant des produits ayant des autorisations de mise sur le marché (AMM) reconnues, validées par l’Anses, qui sont remises en cause par une réglementation française. Nous réfléchissons aujourd’hui à transformer ces zones de non-traitement en zones de développement de la biodiversité, en lien avec les apiculteurs, les chasseurs et les collectivités, pour protéger nos riverains mais répondre aussi à un enjeu de protection de la santé environnementale tout en développant la biodiversité.

Les agriculteurs ont été quasiment accusés alors que, par exemple, mon appareil à traiter est composé de buses antidérive. Lorsque j’interviens très tôt le matin avec une hygrométrie à 90 %, je sais que la dérive de mes produits de santé végétale ne dépasse pas 15 à 20 centimètres. Il était question au début de nous interdire de cultiver à moins de 150 mètres des habitations alors que nous perdons 60 000 hectares de foncier agricole tous les ans du fait de l’urbanisation et de l’extension du macadam.

Il nous manque en fait des espaces de dialogue dans lesquels agriculteurs et citoyens puissent réfléchir à un projet. Le décalage entre ce qui est négocié dans les ministères et ce qui est perçu provient du fait que nos agriculteurs ont le sentiment d’être montrés du doigt alors qu’ils utilisent des produits autorisés. Il faut expliquer tout ceci aux citoyens mais il faut aussi que l’État nous aide à accompagner ces transitions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je veux bien croire à la bonne volonté des agriculteurs sur cette question des zones de non-traitement mais la suppression de ces zonages est la première chose qu’ont demandée les agriculteurs lors de la covid. Ils ont demandé à avoir des dérogations pendant la covid pour pouvoir traiter. Comprenez donc les riverains qui sont suspicieux quant à la bonne volonté effective.

Vous parlez de dialogue. La loi Egalim prévoit la possibilité de travailler sur une charte de bonnes pratiques. Des chartes ont d’ailleurs émergé avec un consensus entre les acteurs.

Ce n’est qu’une remarque en passant, je ne souhaite pas que nous nous focalisions sur ce problème des zones de non-traitement autour des habitations. J’insistais simplement sur ce décalage pour la population entre les annonces faites et la réalité vécue sur le terrain.

M. Hervé Lapie. Nous n’avons pas demandé de dérogation pendant la covid. Nous avons demandé de pouvoir travailler pour assurer l’approvisionnement de nos concitoyens. Je pense que les agriculteurs l’ont fait de manière remarquable durant le confinement. Tous ont travaillé, l’industrie agroalimentaire a travaillé pour assurer la continuité alimentaire fondamentale durant les trois mois de confinement. Je n’ai pas demandé de dérogation pour traiter.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Peut-être pas vous personnellement mais, à certains endroits, les dérogations ont été demandées et cela a détruit le climat de confiance créé grâce à ces chartes.

M. Hervé Lapie. Tout le monde a tendance à dire qu’Écophyto est un échec, mais je ne suis pas de cet avis. Lorsque nous développons des groupes Dephy, nous accompagnons des agriculteurs dans cette transition. Les indicateurs ne sont pas toujours très pertinents. Ils portent sur les quantités de matière active utilisée. Lorsque nous supprimons certaines matières actives pour les remplacer par d’autres, ce ne sont pas toujours les mêmes dosages et donc les indicateurs évoluent.

Il faudrait plutôt, comme nos collègues danois, remplacer les produits dangereux par des produits beaucoup moins dangereux, qui ont un meilleur rapport bénéfices/risques pour le domaine santé-environnement. L’indicateur « quantité » n’est pas toujours pertinent et le bon indicateur porterait plutôt sur la santé et l’environnement. Nos collègues danois ont demandé d’interdire les produits les plus dangereux et je crois que nous y sommes tous favorables lorsque des solutions de substitution existent.

L’année prochaine, certains domaines connaîtront une hausse des indicateurs. Sans vouloir réactiver la polémique sur le traitement des betteraves aux néonicotinoïdes, nous avions un traitement des semences efficace contre la jaunisse, qui évitait que le puceron injecte ce virus dans la betterave. Personnellement, j’ai dû faire trois traitements insecticides de la végétation sur mes parcelles de betteraves cette année, aux mois de mai et juin, à une période où la biodiversité a besoin de protection. Je n’avais jamais fait auparavant de traitement insecticide sur les parcelles de betterave et je n’avais pas de problème avec les pollinisateurs. Chez moi, ils ne vont pas sur la betterave parce que nous avons développé de la ressource mellifère dans la région pour apporter le bol alimentaire nécessaire aux abeilles.

Nous allons donc voir les indicateurs du plan Écophyto augmenter à cause des indicateurs de fréquence de traitement phytosanitaire (IFT) que nous utilisons pour les betteraves et nous allons avoir l’effet inverse sur le développement de la biodiversité autour de nos parcelles de betteraves dans les territoires.

L’agriculture travaille dans le milieu du vivant qui n’est pas toujours simple. Nous sommes complètement dépendants des aléas climatiques, des aléas de pression sanitaire qui sont complètement différents d’une année sur l’autre. Par exemple, en 2016, nous avons eu un climat catastrophique avec notamment beaucoup de maladies comme la septoriose sur les céréales. J’ai utilisé quatre fongicides pour protéger mes céréales de cette maladie, sinon elles auraient été impropres à la consommation humaine. En 2020, au contraire, je n’ai traité qu’une seule fois ces mêmes céréales parce que je ne subissais pas de pression de maladies.

Il faut comprendre que l’agriculture travaille avec les aléas du vivant et du climat, avec l’évolution liée au changement climatique, l’évolution de certaines maladies, de certains insectes. Les indicateurs d’Écophyto ne sont pas toujours adaptés car il faut aussi intégrer tous ces changements. Selon ces indicateurs, Ecophyto ne fonctionne pas alors qu’il ne faut surtout pas l’abandonner. Nous pourrions proposer, dans une future politique agricole commune, des mesures environnementales qui accompagnent la transition des agriculteurs, sur le plan de l’animation, de la réduction des produits de santé végétale. Il faut un nouveau projet pour l’agriculture avec des mesures pertinentes.

Lorsque nous parlons d’agroécologie, nous parlons de diversité de nos assolements. Lorsque certaines cultures sont dans des impasses techniques parce que nous n’avons plus de produit de santé végétale pour protéger nos cultures, cela réduit le champ de l’agroécologie. Il faut y être très attentif.

Je suis exploitant dans la Marne, dans une région qui ne va pas trop mal en termes de diversité des cultures. J’ai neuf cultures différentes sur mon exploitation : de la betterave, des pois, des graminées porte-graines, du blé, de l’orge, du colza, de la luzerne mais j’ai des cultures qui sont dans des impasses techniques. Je fais de la graminée porte-graines pour la multiplication de semences, pour les graines qui servent à semer des pelouses ou des prairies. Cette culture, mineure en France, se trouve dans une impasse réglementaire. Si nous n’y faisons pas attention, elle disparaîtra de France et partira dans les pays de l’Est. Si je supprime cette culture de mon assolement, c’est une perte agroécologique pour mon exploitation agricole et c’est une perte pour la vie du sol. Cette graminée porte-graine a un effet bénéfique sur la matière organique, sur la vie du sol et, surtout, sur l’enjeu important qu’est la présence de vers de terre dans nos sols agricoles. L’indicateur Écophyto devrait tenir compte de la vie des sols et cet indicateur « vers de terre » est un élément fondamental pour la santé des sols. Lorsque les sols sont vivants, en bonne santé, nous pouvons produire plus et répondre au défi alimentaire.

Écophyto n’est pas un échec. Il faut le réexpliquer à tous. Il s’agit d’argent prélevé chez les agriculteurs par une redevance pour pollution diffuse, donc des taxes. Cet argent prélevé sur les agriculteurs doit être investi pour l’agriculture, pour accompagner les agriculteurs dans cette période de transition.

L’agriculture demande un temps long. Il aura fallu vingt ans pour aller vers l’autosuffisance alimentaire après la Seconde Guerre mondiale. Je ne dis pas qu’il nous faudra vingt ans pour faire cette transition. Nous avons bien entendu qu’il faut aller plus vite et nous l’entendons tous les jours.

Toutefois, cette transition agricole dépend aussi beaucoup du niveau des revenus dans les exploitations et de la capacité financière des agriculteurs à l’effectuer. Si vous trouvez qu’il existe un décalage entre les propositions de la FNSEA et la réalité, il faut voir que nous savons très bien où nous devons aller mais que la capacité des agriculteurs à effectuer cette transition est économiquement très limitée dans de nombreuses exploitations.

Nous souhaitons que les états généraux de l’alimentation se mettent en place de manière vraiment concrète. La loi de modernisation de l’économie a donné depuis quarante ans les pleins pouvoirs à la grande distribution et aux centrales d’achat. Elles ont pressé les agriculteurs sur la question du prix. Si les agriculteurs retrouvent de meilleurs prix grâce aux états généraux de l’alimentation, ils retrouveront aussi une capacité d’investissement permettant d’assumer cette transition. Le sujet économique est essentiel pour ces enjeux de santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ainsi, pour vous, Écophyto n’est pas un échec. Effectivement, nous y avons mis énormément d’argent et cela poserait vraiment problème si nous arrêtions du jour au lendemain.

Votre remarque sur les indicateurs me paraît intéressante. Ils ne doivent pas être que quantitatifs mais il faut tenir compte du caractère multifactoriel de la vie agricole. Vous proposez en fait une étude d’impact en santé environnementale par substance. Il s’agirait de connaître l’impact de chaque produit phytopharmaceutique sur la santé des agriculteurs, de tous les Français et de l’environnement. Cela me semble être une proposition intéressante.

Sur la problématique des revenus agricoles, nous semblons penser que tous les agriculteurs sont très pauvres à chaque fois que nous entendons parler de cette question, qui est réelle. La cartographie des revenus des producteurs agricoles est éminemment variable. De gros producteurs céréaliers vivent extrêmement bien, ainsi que certains betteraviers. Il faut être clair : il y a agriculteur et agriculteur en France. Dans ma circonscription, quelques agriculteurs ont des superficies suffisamment importantes pour vivre largement alors que de petits maraîchers avec de très petites exploitations survivent tant bien que mal parce qu’ils font de l’élevage ou de la fabrication de produits dérivés.

Il ne faut pas faire un amalgame trop simplificateur en disant que les revenus des agriculteurs sont tous très problématiques. Ce discours rend un peu perplexe le regard porté sur les agriculteurs par le Français moyen.

De la même manière, les pratiques agricoles sont très variables. Il faut effectivement un certain temps mais depuis le temps que nous disons qu’il faut un certain temps pour passer du traditionnel au biologique ou à l’agriculture conservatrice des sols, nous ne pouvons plus attendre. Le constat de dégradation de l’environnement est tel que cela finit par être suicidaire.

Nous avons auditionné hier une scientifique de la fondation pour la biodiversité. Elle nous a fait une présentation complètement catastrophique de la situation, de la perte du vivant. Je n’insiste pas parce que vous êtes au cœur du problème mais vous y participez largement. Vous représentez 2 % de la population mais vous avez beaucoup d’impact. Ce que vous mettez ou ne mettez pas en place a en définitive un effet considérable sur la qualité de notre nourriture.

Vous avez raison, les agriculteurs ont magnifiquement tenu leur rôle durant la covid et c’est grâce à eux que nous nous nourrissons tous les jours. Je ne fais pas de l’agribashing mais j’ai tellement d’informations qui montrent l’urgence de la situation que je ne peux que réagir lorsque je vous entends dire qu’il faut donner du temps au temps.

Comment pourrions-nous accompagner cette révolution culturelle qui débouche sur des révolutions culturales ? Où sont les freins dans la perception des agriculteurs ? Où sont les freins financiers ? Écophyto prévoyait de l’argent et un effort collectif a été fait pour accompagner cette transition. Je veux bien entendre que ce n’est pas un échec mais ce n’est pas non plus un succès complet.

D’où viennent les blocages ? Comment faire en sorte qu’un agriculteur arrive à bien vivre sans polluer et mettre en danger sa santé, celle de la population et de l’environnement ? Enfin, comment assurer la relève et la formation des agriculteurs ?

M. Hervé Lapie. Nous sommes des responsables agricoles et nous portons un projet, une vision. Nous accompagnons cette transition mais je ne suis pas dans l’idyllique. En tant que président de Symbiose, je mets en place chez moi du concret, de l’efficace, du très pragmatique en fait. Mettre en place ces pratiques agricoles ne demande parfois pas beaucoup d’investissement aux agriculteurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pourquoi cela ne va-t-il pas plus vite ?

M. Hervé Lapie. Symbiose a été créé en 2012 par huit responsables de différentes organisations, notamment les apiculteurs et les chasseurs. À l’époque, un agriculteur nous a prêté une parcelle de 30 ares et nous y avons mis en place tout un aménagement : de la jachère mellifère, de la jachère spontanée, de la haie, des buissons. Nous en avons fait une parcelle pédagogique. Nous invitons les agriculteurs, les viticulteurs – nous sommes en Champagne – à venir visiter la parcelle pour réfléchir au type d’aménagement qu’ils pourraient mettre en place. Nous travaillons avec l’éducation nationale et avec l’enseignement agricole. Des lycées viennent aussi voir cette parcelle.

Notre deuxième projet a concerné le développement des ressources mellifères. Nous avons travaillé avec les luzerniers, avec une coopération de production de luzerne, avec les apiculteurs et nous avons durant trois ans mené un protocole scientifique dans une commune, avec vingt agriculteurs. Nous avons pesé les ruches, le poids de miel produit chaque année, en comparant selon la pratique utilisée lors de la récolte de luzerne. En effet, les luzernes servent à produire des protéines. Elles sont récoltées avant de fleurir mais, sur notre sous-sol crayeux, lorsque nous laissons fleurir la luzerne, elle a un potentiel nectarifère énorme. Nous avons donc demandé aux agriculteurs de laisser une bande de trois mètres non récoltée qui permette d’apporter une ressource mellifère aux abeilles pendant la période de disette alimentaire, lorsqu’elles ne trouvent plus de fleurs dans la plaine. Cette expérimentation a été extrêmement efficace et, en 2021, l’ensemble des coopératives de luzerne proposeront à tous les agriculteurs de Champagne-Ardenne de mettre en place ces trames vertes. Nous constituerons plus de 1 750 kilomètres de trames vertes.

Nous avons créé Symbiose en 2012 et nous sommes en 2020. Certes, le temps est long mais nous sommes dans des projets concrets. Nous réfléchissons aujourd’hui à l’échelle d’une commune, Tilloy-et-Bellay dans la Marne. Cette commune est traversée par l’autoroute A4 et la ligne LGV. Le territoire a été détruit. Les agriculteurs sont au cœur du territoire. Nous essayons de travailler avec Réseau ferré de France (RFF) et la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF) pour diminuer l’impact environnemental de ces grandes infrastructures dont les agriculteurs ont plutôt facilité la mise en place. Nous essayons de restaurer ce qui a été détruit à l’époque de leur construction, lorsque nous ne prônions pas autant ces sujets de santé-environnement. Nous faisons de cette commune une commune expérimentale. Cela concerne 4 000 hectares, vingt agriculteurs. Le maire, qui n’est pas agriculteur, participe à nos travaux.

En 2021, nous mènerons un projet sur dix communes avec les maires, les présidents d’intercommunalités, les présidents d’associations foncières, les agriculteurs, pour réfléchir à l’aménagement de ce territoire. Cela prend du temps, c’est nécessaire pour la construction de projets.

Sur la question du revenu, je pense qu’il faut dépasser les clichés entre petits et gros agriculteurs. La tendance est de dire que la FNSEA regroupe les gros agriculteurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit et, d’ailleurs, je ne le savais pas. Est-ce le cas ?

M. Hervé Lapie. Non, ce n’est pas le cas. Nous représentons la diversité de l’agriculture française.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La sociologie de la ruralité est très variable d’une région à l’autre.

M. Hervé Lapie. Moi-même, qui viens d’une région céréalière, j’ai 70 hectares. L’exploitation moyenne de la Marne est de 140 hectares et nous sommes encore 3 400 agriculteurs, donc très nombreux, avec des surfaces plutôt petites à l’échelle de notre environnement européen et mondial. L’objectif est de maintenir cette agriculture familiale, avec des capitaux familiaux, sur l’ensemble des territoires. Les clichés sont parfois malheureux.

Le revenu est un sujet important. Nous sommes complètement conscients qu’il ne faut pas pleurer tous les jours mais, aujourd’hui, que ce soit dans le monde animal ou végétal, se pose un problème de revenu. Même les céréaliers, depuis quatre ans, sont confrontés à des difficultés économiques assez importantes. Souvent, les aides de la politique agricole commune (PAC) sont supérieures au revenu lui-même dans les exploitations agricoles. Les aides compensatrices de la PAC représentent autour de 200 euros à l’hectare alors que, personnellement, sur mon exploitation, j’aurai un revenu d’environ 50 euros par hectare cette année. Vous voyez ce que font 50 euros par hectare quand vous avez 70 hectares.

Nous ne sommes pas là pour pleurer, nous sommes de petits chefs d’entreprise qui assumons nos responsabilités mais, de temps en temps, le revenu est un frein au développement de certaines initiatives.

Il faut être attentif à répondre à l’ensemble des marchés : le marché de l’agriculture biologique, le marché du circuit court, les marchés de l’agro-industrie et le marché de l’exportation. La force de l’agriculture provient de sa capacité à répondre à l’ensemble de ces marchés. Actuellement, 8 % des administrateurs de la FNSEA sont en agriculture biologique, plus de 25 % de nos agriculteurs sont en circuit court. Ces gens nous disent qu’il faut être très attentif à ne pas déstabiliser ces marchés. Il faut les développer mais ne pas les déstabiliser en les développant trop fortement.

L’agriculture française doit absolument répondre à des marchés, non à une demande sociétale réclamant par exemple 50 % d’agriculture biologique alors que les consommateurs font les courses en regardant les indicateurs fondamentaux que sont le prix et l’accessibilité de l’alimentation. Si l’alimentation monte en gamme, il faudra la payer plus cher. La demande existe mais il faudra accepter que les Français paient l’alimentation un peu plus cher pour rémunérer toute la filière.

L’agriculture française doit être aussi présente sur les marchés d’exportation que nous ne devons pas abandonner. Nous ne sommes pas là pour inonder le marché mais la France, sous son climat continental et un peu océanique, avec des terres partout, a la capacité de produire. Il faut garder cette capacité de production en France.

Les marchés sont pluriels et il faut répondre à tous mais il faut que l’agriculture biologique et l’agriculture raisonnée aient le même impact sur l’environnement. Ce n’est pas un droit à polluer pour l’agriculture raisonnée.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous semblez dire qu’il faut maintenir les quantités. Est-il possible d’obtenir la qualité environnementale tout en maintenant le même objectif quantitatif ? C’est le fond du problème.

M. Hervé Lapie. L’objectif quantitatif n’est pas le plus pertinent.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Parler de marchés concerne pourtant bien les quantités.

M. Hervé Lapie. Oui et s’il faut produire moins, nous produirons moins mais il faut que nous soyons rémunérés si nous produisons moins.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le problème ne provient-il pas des filières de distribution ? La loi Egalim a essayé de faire en sorte que les agriculteurs soient rémunérés au juste prix en introduisant des négociations par filière pour que les distributeurs cessent d’abuser comme c’est parfois le cas. Vous parliez du prix d’achat et de ce que la ménagère est prête à sortir de son porte-monnaie mais la différence entre le prix à la production et le prix de vente final est telle que la problématique est peut-être dans les filières de distribution.

M. Hervé Lapie. La problématique est dans les négociations. La loi Egalim prendra du temps pour se mettre en place, cela ne se fera pas du jour au lendemain et cette loi est un sujet franco-français. Je pense que nous avons beaucoup investi humainement pour représenter les agriculteurs de façon à ce que cette loi Egalim se mette en place. Nous continuerons. Nous travaillons pour que, effectivement, une partie de la valeur ajoutée revienne aux agriculteurs et que ce soit mieux réparti dans l’ensemble de la filière. Il ne s’agit pas spécialement d’une augmentation du prix pour le consommateur mais d’une meilleure répartition de la valeur au sein de la filière.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour vos propos francs et mesurés. Nous avons beaucoup appris et nous avons pu voir quelles sont les difficultés rencontrées et les pistes d’améliorations, avec quelques propositions intéressantes en matière de santé environnementale.

L’audition s’achève à dix heures cinquante.

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22.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Eugénia Pommaret, directrice générale de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), de M. Julien Durand-Reville, responsable santé, et de M. Ronan Vigouroux, responsable environnement (15 octobre 2020)

L’audition débute à onze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous auditionnons aujourd’hui des représentants de l’Union de l’industrie de la protection des plantes (UIPP) : Mme Eugénia Pommaret, directrice générale, M. Julien Durand-Réville, responsable santé, et M. Ronan Vigouroux, responsable environnement.

L’utilisation des produits phytopharmaceutiques, la surveillance des expositions qu’elle engendre et le souci de ses impacts marquent l’attention croissante portée aux préoccupations de santé environnementale et à la préservation de la biodiversité. La mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques fait l’objet d’un encadrement, harmonisé à l’échelle européenne par les règlements et directives du paquet sur les pesticides de 2009. En France, le choix d’une moindre utilisation des produits phytopharmaceutiques trouve sa formalisation dans les plans Écophyto 1, 2 et 2+. Dans ce contexte, il nous a paru opportun d’entendre les représentants des entreprises de la protection des plantes.

(Mme Eugénia Pommaret et MM. Julien Durand-Réville et Ronan Vigouroux prêtent serment.)

Mme Eugénia Pommaret, directrice générale de l’Union de l’industrie de la protection des plantes. L’UIPP, créée en 1918, est une association professionnelle qui rassemble les entreprises qui mettent sur le marché des produits phytopharmaceutiques à usage agricole. Comme vous l’avez mentionné, Madame la Présidente, ce périmètre est encadré à la fois par le code rural et le règlement n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.

L’UIPP compte dix-neuf entreprises adhérentes qui représentent, en valeur, 96 % du secteur de la protection des plantes. Celui-ci emploie environ 5 500 salariés en France, dans diverses fonctions de production, puisqu’il existe des sites de production en France et des fonctions d’encadrement pour les besoins du monde agricole. Comme notre activité concerne le secteur de la chimie pour le domaine agricole, nous sommes affiliés à l’organisation professionnelle des entreprises de la chimie France Chimie. Nous sommes également membres de l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), qui représente le secteur auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. Douze des dix-neuf membres de l’UIPP sont également adhérents à l’Association internationale des fabricants de biocontrôle (IBMA). L’UIPP a une équipe de dix personnes et un réseau constitué d’experts des entreprises qui contribuent à la vie de l’association sur des sujets techniques.

Il existe en France vingt sites de production dans le secteur, et c’est un secteur qui consacre 10 % de son chiffre d’affaires à la recherche et à l’innovation, ce qui s’explique par le fait que l’agriculture est en perpétuelle évolution, au niveau mondial, européen ou français, en réponse aux évolutions qui surviennent sur différents marchés. Nos produits sont destinés à tout type d’agriculture. Ainsi, plus de 40 % des produits utilisables dans l’agriculture biologique proviennent en France des adhérents de l’UIPP. Dans le champ du biocontrôle, dont la France est le seul pays à avoir donné une définition légale, plus de la moitié des produits proviennent de nos adhérents. Les entreprises du secteur adoptent de plus en plus une approche combinatoire d’éléments associant la chimie naturelle, la chimie de synthèse et les produits de biocontrôle. Elles adoptent également des outils numériques qui permettent de remplacer des produits ou d’améliorer les traitements avec des produits plus anciens.

Nous sommes très intéressés par la démarche « une seule santé », mise en avant par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), et nous portons cette approche, qui a du sens face aux enjeux planétaires. La santé humaine et la santé animale sont très liées, et la santé du végétal est un socle, puisque le végétal fournit des aliments aux animaux et aux humains. Face aux enjeux démographiques, la FAO estime qu’il faut continuer à augmenter la production agricole pour accompagner les besoins des populations. La dimension globale de la démarche « une seule santé » nous semble importante, et c’est aussi la dimension qu’il faut donner aux investissements et à l’offre d’innovation. La santé des plantes en est un maillon à part entière.

Nous avons en tête un grand nombre d’exemples sur le lien entre santés humaine et animale, comme nous le rappelle malheureusement l’épidémie actuelle, mais le phénomène est le même avec les végétaux. Nous faisons face à une augmentation de l’impact qu’ont, globalement, les bioagresseurs, c’est-à-dire les maladies des plantes, les insectes ravageurs et les mauvaises herbes. La FAO estime que, sans solution phytosanitaire de protection des plantes, environ 40 % des récoltes sont perdues au niveau mondial : l’impact des bioagresseurs sur l’offre alimentaire est donc très important.

Quant aux maladies des plantes, il n’en existe pas qui soit directement liée à la santé humaine, mais le fait que les plantes soient attaquées par des champignons peut déclencher des problèmes de toxicité. Nous avons tous en tête le cas de l’ergot, de la patuline, des fusarioses qui induisent des mycotoxines pouvant affecter la santé humaine. Cela doit être suivi, tout comme la présence de plantes toxiques telles que le datura ou la morelle qui sont une préoccupation importante dans la chaîne alimentaire.

L’impact du réchauffement climatique sur les activités agricoles est majeur. Les phénomènes climatiques actuels favorisent la progression de maladies ou d’insectes, comme l’augmentation accélérée des populations de ravageurs, ainsi que leur installation à des endroits de la planète où ils n’étaient pas présents et leur développement. Ces signaux nous montrent qu’il nous faut accentuer la surveillance.

L’approche privilégiée est de plus en plus combinatoire, avec des éléments de solution provenant de produits phytopharmaceutiques, ainsi que le développement de l’agriculture numérique, qui fait l’objet d’investissements importants. D’autres éléments importants se trouvent dans la boîte à outils dont dispose l’agriculteur : le raisonnement agronomique, ou encore les variétés résistantes. Nous avons ainsi un ensemble de solutions.

Le secteur phytopharmaceutique est très encadré au niveau réglementaire, par le biais des autorisations de mise sur le marché (AMM). En France, l’AMM date de 1948 et a fait l’objet d’un certain nombre de lois. Au niveau européen, le secteur est encadré par une directive de 1991 et un règlement de 2009 qui fait partie du paquet sur les pesticides. La délivrance des AMM se fait au niveau national, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ayant un rôle important qui a été renforcé en 2015. Depuis 2015, en plus d’évaluer les conséquences des produits sur la santé humaine des utilisateurs, des riverains, des promeneurs et des consommateurs et sur la biodiversité, l’Anses délivre aussi les autorisations de mise sur le marché.

Les principes de base n’ont pas trop évolué : l’innocuité est contrôlée, les risques devant être maîtrisés avant la mise sur le marché. Le service agronomique rendu, c’est-à-dire l’efficacité et l’utilité du produit, doit être démontré. Un produit arrive sur le marché uniquement si ces deux principes sont respectés, après une phase d’évaluation très complète. En moyenne, il s’écoule plus de dix ans entre le moment où des propriétés sont observées en laboratoire et le moment où le produit arrive, formulé à la vente, pour les utilisateurs professionnels, dont les agriculteurs.

L’encadrement de la mise sur le marché est réalisé par le règlement n° 1107/2009 déjà mentionné. L’Europe s’est également dotée, par la directive-cadre qui fait partie du paquet sur les pesticides, d’éléments qui concernent l’utilisation des produits en vue d’une harmonisation de la réduction des risques et des impacts. Cette directive contient des éléments sur lesquels les Français ont été précurseurs, tels que le contrôle des pulvérisations, la mise en place de plans nationaux comme Écophyto, plan exigé par cette directive, la formation, la mise en place de bandes tampons, etc.

Vient s’ajouter à ces dispositifs la phytopharmacovigilance, que la France est la première à mettre en place. Comme pour la pharmacovigilance humaine ou animale, un dispositif robuste est coordonné par l’Anses. Il recense toutes les données provenant des différents organismes pour assurer la surveillance des milieux, des impacts sur la santé et l’environnement. Les AMM étant renouvelées tous les dix ans, une nouvelle phase de réévaluation est réalisée à chaque fois que les substances et les produits sont en cours de renouvellement d’AMM. Les éléments de phytopharmacovigilance sont intégrés dans cette évaluation. Lorsque des éléments ont été constatés lors de l’application ou de l’utilisation normale de ces produits par les utilisateurs, nous pouvons les prendre en compte et l’agence les intègre dans son processus de réévaluation. C’est pour nous un processus important, et la responsabilité des entreprises ne s’arrête donc pas au moment où les AMM sont délivrées.

L’association rassemble des projets en ce qui concerne le domaine non concurrentiel : sécurité des applicateurs, délivrance et préconisations de bonnes pratiques, gestion des déchets avec la société anonyme Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles (ADIVALOR). Nous avons été pionniers sur les emballages des produits phytosanitaires, et ce dispositif s’applique maintenant à tout type de déchet sur les exploitations, que ce soient des emballages de produits, de semences ou d’engrais.

Nous avons travaillé sur l’agriculture raisonnée et produit des formations avant même que la directive de 2009 intègre des obligations de formation. Depuis les années 2010, nous avons mis l’accent sur la réduction des risques et des impacts avec des campagnes pour les équipements de protection individuelle (EPI), des démonstrations de pratiques agricoles et la création de guides sur les étiquettes. Ces actions vont dans le sens de la cohérence avec le paquet sur les pesticides. Si l’évaluation du produit conduit à une précision sur les conditions d’emploi indiquées sur l’étiquette, il est de la responsabilité des entreprises de s’assurer que les utilisateurs professionnels se sont bien appropriés le fait. Les entreprises doivent aussi être capables de traiter toute donnée de santé ou d’environnement pour améliorer le profil des produits et leur application.

Nous avons commencé à collecter des statistiques sur les tonnages de matières actives utilisées en France avant même la mise en place de la base nationale des données de vente (BNDV), qui est la base de référence aujourd’hui notamment pour Écophyto. Nous voyons une baisse importante des tonnages de matières actives depuis le début des années 2000, avec une réduction de plus de 40 %. La part des substances actives utilisables en agriculture biologique est en augmentation, sans surprise, puisque des politiques incitent au développement des surfaces en agriculture biologique. La part de l’agriculture biologique atteint maintenant presque 30 % des substances actives, et le biocontrôle progresse aussi, jusqu’à atteindre 23 % des substances actives, tandis que la part du conventionnel diminue. Cette évolution est tout à fait logique compte tenu des politiques publiques qui encouragent l’agriculture biologique et le biocontrôle. C’est l’un des axes du plan Écophyto et de la feuille de route du Gouvernement.

Notre secteur est totalement encadré par des politiques européennes. Nous sommes très attentifs aux évolutions de la réglementation qui nous concerne et plus largement à la stratégie « De la fourche à la fourchette » et au pacte vert pour l’Europe. Nous souhaitons être partie prenante des solutions apportées au niveau européen. Notre association européenne, l’ECPA, a communiqué voici un peu moins d’un mois sur trois types d’engagements.

Je souhaitais souligner cet aspect combinatoire car les enjeux de santé végétale sont très prégnants et le seront peut-être demain encore davantage. Nous réaffirmons notre capacité à apporter une partie des solutions dont a besoin le monde agricole pour continuer à produire en qualité et en quantité tout en respectant les cadres de la protection de l’environnement et de la santé humaine.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelle définition donnez-vous de la santé environnementale ? Comment l’UIPP participe-t-elle à l’élaboration des politiques de santé environnementale ? Quelles sont les positions que vous avez prises ? Quelles sont vos propositions ?

Mme Eugénia Pommaret. Comme ces produits sont destinés à être utilisés en agriculture, tous leurs impacts sont étudiés dans le cadre de leur évaluation, en particulier environnementaux et sanitaires. Notre association a participé à toutes les discussions sur le plan Écophyto et sur le plan national santé environnement (PNSE). Nous participons également à toutes les discussions qui ont lieu sur la façon de faire mieux, dans un cadre européen déjà assez robuste en termes de réglementation. Nous menons aussi, de notre propre initiative, des actions qui nous semblent prioritaires pour réduire les risques et les impacts potentiels de ces produits à la fois sur la santé et sur l’environnement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment travaillez-vous concrètement ? Vous dites avoir participé au PNSE : de quelle manière ? Est-ce une participation à un groupe de travail du groupe santé-environnement (GSE) ? Sur quelle thématique ? Quelles positions avez-vous défendues ? Quelles sont vos propositions pour l’amélioration de la santé environnementale ?

M. Julien Durand-Réville, responsable santé de l’UIPP. C’est moi qui me suis chargé de la participation de l’UIPP au GSE et aux différents PNSE ; nos propositions sont quasiment systématiquement en cohérence avec les positions de France Chimie. L’UIPP n’a pas de position spécifique sur ces sujets mais s’implique avec les autres filières sur l’ensemble de ces thématiques. La santé environnementale est évidemment un point clef pour nous, parce que ces sujets font partie des éléments d’évaluation des produits. Les produits phytosanitaires figurent aujourd’hui parmi ceux pour lesquels il faut fournir, lors de la constitution du dossier de mise sur le marché, le plus d’informations quant à leurs impacts sanitaires et environnementaux.

Forts de ces connaissances, de ce niveau de détail, nous pouvons apporter une expérience que d’autres secteurs n’ont pas toujours, et c’est ainsi que nous participons. Nous apportons aussi des exemples du passé, puisque les éléments de prévention qui sont un des piliers de la politique actuelle sont des points historiques au sein de l’UIPP. Nous avons été précurseurs que ce soit en France par rapport au niveau européen ou en France par rapport à d’autres secteurs. Les actions que nous avons menées sont parfois de bons étalons de comparaison.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’UIPP n’a donc pas de position officielle en santé environnementale et s’aligne sur la position de France Chimie. Concrètement, quelles sont vos actions ? Vous me parlez de précautions. N’y a-t-il pas un paradoxe à produire des solutions qui sont connues pour être potentiellement dangereuses et à se positionner en même temps sur des questions de santé environnementale ? Comment conciliez-vous ces éléments contradictoires ?

M. Julien Durand-Réville. Toute substance active, quel que soit le domaine, a une efficacité et donc présente un certain nombre de risques. Cette dichotomie est toujours présente et cette réflexion doit être menée. L’idée de l’encadrement européen est de faire une évaluation des risques et des dangers. Nous sommes l’un des seuls secteurs ayant une évaluation intrinsèque de danger. Quel que soit l’usage des produits, en cas de dépassement de certains seuils de danger pour la santé ou l’environnement, les produits ne seront pas mis sur le marché. Ce premier niveau n’existe pas dans de nombreux secteurs.

Le deuxième élément concerne les conditions d’emploi. L’autorisation de mise sur le marché n’est pas accordée sans un certain nombre de conditions d’emploi, en termes d’usages et de dosage. Nous menons une action de prévention dans l’accompagnement de ces conditions d’usage. Les éléments de prévention visent à réduire le risque lié à l’utilisation des produits, que ce soit pour les opérateurs agricoles, les promeneurs, les riverains ou l’environnement. L’école des bonnes pratiques, qui existait historiquement, se poursuit maintenant par des programmes de formation en ligne, des éléments d’affichage, des affiches de bonnes pratiques qui permettent de détailler vis-à-vis des agriculteurs, de manière simple, les différents éléments réglementaires et extra-réglementaires, que ce soit sur la santé ou l’environnement.

Le deuxième axe majeur de notre action concerne l’information. L’autorisation de mise sur le marché impose des conditions d’utilisation. Il faut les faire comprendre, qu’elles soient lisibles et compréhensibles par les agriculteurs. Je travaille sur cet enjeu majeur depuis 2017 avec l’ensemble des parties prenantes, telles que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’Anses, les ministères concernés, et l’ensemble des structures agricoles représentatives.

Nous avons fait des tests grandeur nature avec des agriculteurs représentatifs de la diversité des agriculteurs pour mieux comprendre la manière dont ils lisaient les étiquettes, et comment ils pouvaient mieux les comprendre. Cela a conduit à la publication en 2017 d’un projet inédit au niveau international, qui vise à homogénéiser les étiquettes des produits phytopharmaceutiques. Le but est que, quelle que soit la marque du produit, l’agriculteur trouve les mêmes informations au même endroit, présentées de la même manière, avec non seulement les éléments réglementaires mais aussi des recommandations supplémentaires. Ce travail a été conduit main dans la main avec les agriculteurs.

Par exemple, sur les équipements de protection individuelle, trois pages de texte issues des autorisations de mise sur le marché ont été traduites par un tableau visuel permettant de savoir, en fonction des différentes tâches agricoles, du type de produit et du type de matériel agricole, quels sont les équipements qui doivent être portés, à quel moment.

Nous produisons également un travail technique important et passionnant sur les équipements qui permettent de réduire les risques liés à ces produits. Au niveau européen, cet engagement porte sur les systèmes de transfert en circuit fermé (CST), systèmes qui permettent d’emboîter directement les bidons. Cela permet de ne pas avoir de contact entre le produit concentré, l’environnement et le corps de l’opérateur, comme lorsque vous mettez une capsule de café dans votre machine : vous n’êtes à aucun moment en contact avec le café moulu. Ces systèmes intègrent aussi un système de rinçage qui permet, lors du retrait du bidon, qu’il soit vidé et rincé et, donc, qu’il n’existe pas de risque de contamination. Un autre travail important, à saluer car la France est en pointe dans ce domaine, porte sur les équipements de protection individuelle. Ce n’est évidemment qu’une petite partie de la prévention. La prévention primaire consiste à ne pas utiliser les produits s’ils ne sont pas nécessaires. L’hygiène et l’organisation du travail sont d’autres piliers importants.

Jusqu’à présent, les normes de protection suivaient les normes internationales sur la protection chimique, écrites pour protéger un ouvrier en usine. Un agriculteur est très loin d’être dans ce cas, ce qui conduisait à porter des équipements de protection assez inconfortables, peu adaptés au métier d’agriculteur et aux mouvements à réaliser. En France, le ministère chargé de l’agriculture, le bureau chargé de la santé au travail et l’ensemble de l’industrie ont travaillé à l’émergence de normes spécifiques destinées aux agriculteurs afin qu’ils disposent d’équipements mieux adaptés à leur métier, en travaillant sur leur conception et leur adaptation. Ces équipements ressemblent à des vêtements de travail, mais ont des qualités suffisantes pour la protection de l’agriculteur en termes d’effet barrière. Les équipements de protection étaient jusqu’à présent plutôt adaptés à des ouvriers masculins en usine et nous avons maintenant des équipements avec des coupes spécifiques pour les hommes et pour les femmes. Notre industrie s’est beaucoup impliquée pour susciter ces innovations techniques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre participation à la politique de santé environnementale consiste donc essentiellement à donner des informations sur les produits pour qu’ils soient utilisés au bon dosage, par substance. Qu’en est-il de l’effet cocktail ?

M. Julien Durand-Réville. C’est un sujet dont l’évaluation scientifique a une quinzaine d’années. Il est prévu dans la réglementation sur les pesticides. Pourquoi la recherche s’est-elle penchée sur l’effet cocktail en ce qui concerne en particulier les produits phytopharmaceutiques ? C’est parce que nous avions dans nos dossiers d’évaluation un niveau de détail suffisant pour rentrer dans cette question. Au niveau européen et au niveau national, les agences concernées – l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Anses – ont décidé de travailler sur des méthodologies d’évaluation des cocktails, en prenant l’exemple des produits phytosanitaires puisque les données brutes disponibles le permettaient.

Depuis 2008, des travaux sont en cours au niveau européen et au niveau français, avec deux philosophies différentes. Au niveau européen, l’objectif est de faire une évaluation par type de toxicité plutôt que substance par substance. Il n’est pas possible de faire une évaluation de tous les cocktails ou de toutes les combinaisons possibles. L’idée est donc d’évaluer ensemble toutes les substances qui ont un effet sur tel organe ou tel chemin métabolique. Les seuils de santé sont alors déterminés par groupe de substances, sur des critères liés à la toxicité et non à la substance, l’objectif étant de s’assurer que l’exposition des consommateurs ou des agriculteurs ne dépassera pas ces seuils sanitaires transversaux en cas d’exposition à plusieurs substances. L’EFSA a publié voici quelques mois une deuxième évaluation de cette méthodologie sur deux tests grandeur nature.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ma question portait sur votre propre participation et non sur ce que font les agences. Comment, dans le dispositif d’information destiné aux utilisateurs, avez-vous pris en compte les risques liés à l’effet cocktail ?

M. Julien Durand-Réville. Nous participons d’abord en donnant aux agences l’accès à nos données, ce qui leur permet d’évaluer l’effet cocktail et, ensuite, en agissant au niveau des bonnes pratiques agricoles pour réduire le risque.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment introduisez-vous l’effet cocktail dans les recommandations que vous donnez dans vos documents de bonnes pratiques ?

Mme Eugénia Pommaret. Il faut revenir au principe même de l’autorisation de mise sur le marché. Une discussion est en cours pour savoir comment prendre en compte l’effet cocktail dans les évaluations, c’est donc encore en voie d’exploration, et l’EFSA et l’Anses y travaillent. Lorsque les entreprises déposent un dossier, elles déposent un dossier qui répond aux exigences de l’évaluation à l’instant donné. Lorsque les entreprises déposent des dossiers aujourd’hui, elles le font en fonction des critères objectifs encadrés par le règlement, selon les bonnes pratiques des laboratoires, en respectant les exigences des principes uniformes de l’homologation.

À ce jour, nous pouvons mettre en avant que la gestion du risque pour l’applicateur est contenue dans l’AMM. Si les conditions d’emploi et le risque sont jugés maîtrisés par les agences, le produit obtient une AMM. Notre rôle en tant qu’entreprise est de nous assurer que, dans les phases amont, dans l’évaluation, nous avons bien répondu avec les études engagées par les entreprises et rempli les critères des principes uniformes exigés à l’instant donné. Sinon le produit ne reçoit pas la validation de l’Anses et n’est pas mis sur le marché. Je rappelle de plus que, au cours de la vie du produit, durant les dix ans pour lesquels l’AMM est délivrée, si des éléments de phytopharmacovigilance apparaissent, l’AMM peut être revue, voire supprimée.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La référence pour vous est donc l’AMM. En l’absence de travaux suffisamment avancés de la part des agences, vous continuez à donner des conseils d’utilisation substance par substance, sans tenir compte des effets cocktail possibles.

Mme Eugénia Pommaret. La responsabilité des entreprises ne s’arrête pas au moment où l’AMM est délivrée. Nous connaissons tous, pour les produits parfois un peu dangereux que nous utilisons dans notre quotidien, le fait de passer un peu vite sur les étiquettes. Les agriculteurs ont une formation adaptée, spécifique à l’utilisation des produits et il est de la responsabilité des entreprises de s’assurer que ces messages ont été bien compris.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. C’est donc de la responsabilité des utilisateurs.

Mme Eugénia Pommaret. Non, ce n’est pas de la responsabilité des utilisateurs. C’est de la responsabilité des entreprises, de nos entreprises, de s’assurer que les utilisateurs ont bien compris les étiquettes. Il faut que les agriculteurs se posent avant tout la question de la nécessité d’une intervention phytosanitaire face à un problème de santé végétale, sachant que la solution peut être l’utilisation de variétés résistantes, une gestion agronomique, une intervention mécanique, ou encore une intervention chimique naturelle ou conventionnelle.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Qui assure cet accompagnement technique ?

Mme Eugénia Pommaret. Ce sont les systèmes de conseil des agriculteurs. Quant à nous, nous respectons les critères qui permettent que le produit arrive sur le marché et que l’AMM soit délivrée. Nous intervenons à notre niveau dans le cadre de la directive, avec les personnels du machinisme pour l’adaptation des machines, et avec les fabricants de vêtements. À chaque fois qu’il est possible d’aller plus loin, nous le faisons. Je souligne par ailleurs que, dans tous les exemples où la France est précurseur, cela remonte au niveau européen parce que les autres pays n’ont pas le même encadrement et que le contexte de l’expérience française a incité à la réduction des usages, des risques et des impacts. Nous nous sommes engagés dans ce processus dans le cadre du plan Écophyto. Sachons tirer profit de cette dynamique de collaboration entre les différents intervenants. C’est capital au moment où la France se positionnera sur les enjeux du pacte vert européen et de la stratégie « De la fourche à la fourchette ».

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Sur quelles bases scientifiques vous appuyez-vous pour élaborer vos recommandations de bonnes pratiques ?

M. Julien Durand-Réville. Nous prenons en compte les derniers résultats publics à notre disposition, au nombre desquels figurent bien entendu les études des différentes agences, mais aussi les publications universitaires, sur lesquelles nous assurons une veille. Nous menons également nous-mêmes des études avec des clubs d’utilisateurs de manière à mieux comprendre la manière dont les produits sont utilisés et la manière dont ils pourraient être améliorés. Nous capitalisons donc à la fois sur cette expérience de terrain, et sur les enseignements des études scientifiques. L’objectif des programmes que nous mettons en place est de faire se rencontrer les deux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment l’UIPP travaille-t-elle avec le monde de la recherche et les grandes agences scientifiques de santé environnementale ? Quel jugement portez-vous sur leur fonctionnement ?

M. Julien Durand-Réville. Il nous arrive de faire des études nous-mêmes, en particulier des études de bonnes pratiques ou d’évaluation de l’exposition. Il nous est arrivé de cofinancer des projets de recherche qui nous semblaient pertinents, notamment sur la santé des agriculteurs. Nous mettons, lorsque cela est possible ou nécessaire, des données de société ou d’interprofession à la disposition des chercheurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’UIPP a-t-elle un code de déontologie ?

Mme Eugénia Pommaret. Tout à fait, il est assez ancien. Ce code de déontologie porte sur le respect des réglementations et le respect des règles en lien avec les parties prenantes. Il porte aussi sur l’encadrement de la communication sur nos produits, qui est strictement réglementée, et sur le respect des règles de la concurrence. En tant qu’association professionnelle, nous ne nous positionnons que sur des actions dans le domaine non concurrentiel ou pré-concurrentiel.

Nous sommes présents dans le consortium public-privé sur le biocontrôle. Les entreprises investissent et participent à ce consortium avec l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) pour faire émerger des solutions. L’UIPP et d’autres associations professionnelles interviennent en appui pour diffuser les éléments issus du travail de ce consortium. Il s’agit plutôt de trouver des solutions que de traiter des aspects purement sanitaires. À ma connaissance, il n’existe pas de consortium spécifique pour les questions traitées par votre commission. J’insiste sur le rôle des associations qui peut être moteur, mais uniquement sur des aspects transversaux et non concurrentiels.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Dans une tribune dans Le Monde, 450 scientifiques ont appelé à appliquer le principe de précaution sur les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) et à arrêter d’utiliser ces pesticides en milieu ouvert. Quelle est la réponse de l’UIPP ? Quelle est votre définition du principe de précaution ?

M. Julien Durand-Réville. Nous suivons évidemment le sujet des SDHI. Nous avons mis à disposition les données sur ces substances et nous avons suivi l’évaluation. Par quatre fois, l’Anses s’est positionnée sur ce sujet. Nous avons apporté également des données en termes d’usages. Cette famille de substances représente actuellement 2 % des usages, proportion stable dans le temps.

Ce n’est pas à nous de juger de l’alerte. Des instances ont été sollicitées sur le sujet, notamment un groupe sur les alertes et l’Anses. La question est également montée au niveau européen. Il faut faire l’évaluation scientifique de l’alerte et des données qui sont à disposition. Je souligne encore la place de la phytopharmacovigilance. Ce système permet un travail d’évaluation des différents signaux et d’apporter des crédits pour financer des études supplémentaires. La phytopharmacovigilance et le volet recherche du plan Écophyto ont lancé des études complémentaires.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quel est votre positionnement de principe par rapport à la notion de principe de précaution ?

Mme Eugénia Pommaret. Notre positionnement est celui d’acteurs économiques qui respectent une réglementation considérée, notamment au niveau européen, comme la plus robuste quant à l’utilisation et à la mise sur le marché de ces produits.

Cette réglementation a déjà fait l’objet d’évolutions importantes. La dernière a eu lieu dans le cadre de la législation alimentaire générale (GFL) sur l’accès aux études ; elle peut en partie répondre à votre question. Elle a été adoptée l’année dernière et est en cours d’application.

Les entreprises de mon secteur, que cela concerne des produits conventionnels, des produits de biocontrôle ou des produits pour l’agriculture biologique, doivent avoir des solutions adaptées respectant les deux critères d’efficacité et d’innocuité.

Les critères conduisant à la délivrance des AMM deviendront probablement plus stricts et l’évolution de la science nous montrera les éléments à regarder davantage. Les entreprises ont besoin de visibilité et de prédictibilité. Elles investiront sur des créneaux moteurs qui vont au-delà de la chimie de synthèse comme le biocontrôle et le numérique. La logique est toujours la même : résoudre le problème de la santé des végétaux, pour tout type d’agriculture, en mettant sur le marché des produits sains qui répondent aux enjeux.

Les entreprises évoluent dans un cadre réglementaire qu’elles doivent respecter, sur lequel elles n’interviennent pas, avec l’intervention d’agences scientifiques et de politiques publiques. Pour les produits potentiels dangereux soumis à AMM, seules la réduction de l’exposition au risque et la maîtrise du risque peuvent conduire à une AMM. Même lorsque l’AMM a été délivrée, des améliorations de la maîtrise du risque ou des quantités peuvent encore arriver dans une logique de responsabilité.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour votre présence et vos réponses à mes questions.

L’audition s’achève à onze heures cinquante-cinq.

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23.   Audition, ouverte à la presse, du docteur Rémy Slama, directeur de l’institut thématique Santé publique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) (15 octobre 2020)

L’audition débute à douze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. M. Rémy Slama, vous êtes docteur en épidémiologie, polytechnicien et ingénieur agronome. Épidémiologiste environnemental, vous dirigez l’institut thématique Santé publique de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui coordonne la communauté scientifique en ce qui concerne le fonctionnement et la gestion du système de santé en matière de prévention, diagnostic et prise en charge des pathologies, les politiques publiques et leur impact sur la santé, les politiques de prévention dans les domaines où les risques pour la santé sont liés à des comportements individuels ou collectifs, notamment la nutrition. Vous êtes expert auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) au sein du comité des risques environnementaux de la Commission européenne et vous êtes membre du Conseil scientifique de Santé Publique France. Votre audition à titre d’expert, de scientifique et de représentant de l’INSERM nous est donc précieuse dans le cadre de cette commission d’enquête.

Quel est l’état des connaissances dans le domaine de l’épidémiologie environnementale ? Quelles sont les pistes de recherche prometteuses ? Quels sont la place et le rôle de l’INSERM dans ces recherches ?

(M. Rémy Slama prête serment).

M. Rémy Slama, directeur de l’institut thématique Santé publique de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Je précise que l’institut thématique de Santé publique de l’INSERM que je dirige est en charge de la recherche sur ces thématiques de santé publique que vous avez évoquées et non de l’ensemble de la coordination de ces politiques publiques. Toutefois, mon propos introductif sera général et concerne également ces dernières.

Les travaux que je mène dans le cadre de mes recherches sont soutenus par des fonds publics français ou européens. Je n’ai pas de conflit d’intérêts à déclarer. Une large partie de mon propos correspond davantage à mon avis d’expert plutôt qu’à une position officielle de l’INSERM sur ces questions assez réglementaires.

Je voudrais commencer par cette image du Docteur Frances Kelsey qui reçoit une distinction du Président Kennedy dans les années soixante pour avoir mis en doute l’innocuité de la thalidomide et refusé sa mise sur le marché aux États-Unis, évitant ainsi la survenue de nombreux cas de malformations congénitales dues à cet antinauséeux malheureusement prescrit en Europe pendant la grossesse et que nous n’avions pas interdit. Cette image symbolise bien une décision publique guidée par la science. Pour que cette situation soit la règle, il faut une science et des lois fortes.

Le champ de la santé environnementale est extrêmement vaste. Les déterminants environnementaux de la santé au sens large incluent les facteurs sociaux, les agents infectieux, les facteurs physiques comme le bruit et les rayonnants ionisants et non-ionisants, les facteurs météorologiques, le changement climatique et les facteurs chimiques avec plus de 23 000 substances qui sont mises sur le marché et commercialisés au-delà d’une tonne dans l’Union européenne en excluant les champs des médicaments et des pesticides et en ajoutant les agents et les substances naturels.

Certains de ces facteurs ont un effet sur la santé qui peut être présumé, suspecté ou clairement démontré. Un chemin nous mène de la production de la connaissance sur ces effets sanitaires éventuels à la prise en compte du risque pour le bien-être de la société. Les organismes de recherche tels que l’INSERM, le centre national de la recherche scientifique (CRNS), les universités et l’institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) produisent des connaissances qui sont synthétisées schématiquement, notamment par les agences sanitaires avec, en premier lieu, l’Anses en France dans le champ qui nous intéresse, et diffusées vers la société par de nombreux acteurs. L’INSERM y contribue avec un pôle d’expertise collective qui synthétise et diffuse les connaissances, notamment dans le champ de l’environnement. La réglementation est ensuite modifiée selon les principes fixés par la loi. Nous avons quitté le domaine de la science pour nous diriger vers celui du politique. Ces décisions auront des répercussions à différentes échelles nationales ou locales.

S’agissant de la production des connaissances, il est nécessaire de mieux financer la recherche publique en santé environnementale. Je souhaite évoquer le « combien », et j’estime que les besoins ne sont nullement à la hauteur des enjeux, mais également le « comment », avec la problématique d’identification d’un mécanisme qui permettrait de rendre les moyens de cette recherche proportionnés au besoin.

Nous travaillons dans une approche interdisciplinaire à toutes les échelles, soit de la molécule à la population, dans le domaine de l’épidémiologie, de la toxicologie, des sciences humaines et sociales, de la biologie fondamentale et des biostatistiques. Nos chercheuses et nos chercheurs s’appuient sur de nombreuses cohortes et autres infrastructures comme des biobanques qui contribuent à cette thématique. Ces cohortes concernent l’exposome, les polluants atmosphériques et les pesticides, avec des travaux en Bretagne et aux Antilles concernant le chlordécone.

Une quinzaine d’équipes sont spécifiquement dédiées à ces thématiques et ont, au cours des années passées, contribué à de nombreuses questions importantes comme celle des liens entre le chlordécone et la santé, l’alimentation bio et la santé, l’impact des éthers de glycol, des perturbateurs endocriniens et des pesticides organophosphorés sur le développement. Nous avons fourni un rapport de préfiguration Recherche pour la 4ème Plan Santé Environnement. Notre pôle d’expertise collective travaille sur la question des pesticides et des rayonnements ionisants. Nous avons produit un rapport pour le Parlement européen sur les perturbateurs endocriniens.

L’INSERM co-coordonne deux des neuf projets européens actuels sur l’exposome, ainsi que l’un des sept projets sur les perturbateurs endocriniens. Nous coordonnons également le projet ERA qui vise à définir les priorités de recherche en santé environnementale en Europe. L’INSERM est le premier organisme de recherche en Europe par sa taille qui est uniquement dédié à la recherche biomédicale et qui occupe une part significative de ses efforts sur la question de la santé environnementale.

L’un des rôles de cette recherche consiste à guider au mieux la décision publique, laquelle s’est longtemps inscrite dans une logique consistant à avoir des certitudes absolues du danger avant de prendre une décision, ce qui, dans un contexte où la science était peu soutenue et où les conflits d’intérêts n’étaient pas toujours prévenus, pouvait prendre un temps considérable. En témoignent les décisions tardives concernant l’interdiction de l’amiante ou du plomb dans l’essence en 2000, soit vingt ans après les États-Unis.

Depuis le début du XXIème siècle, le principe de précaution est entré dans la Constitution française et les textes fondateurs de l’Union européenne. Il impose que l’incertitude scientifique ne soit plus mise en avant pour ne pas prendre des mesures visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement. Il s’applique aussi aux problèmes de santé.

En pratique, dans un contexte où la science est faible, la production de certitudes est lente et quantitativement limitée, ce qui conduit les décideurs à prendre des décisions fondées sur un nombre restreint de connaissances dans une situation d’incertitude. Ce fonctionnement nous ferait entrer dans une ère de décisions incertaines qui ne seraient satisfaisantes ni pour les décideurs ni pour les scientifiques et les différents secteurs de l’activité économique concernés qui percevraient certaines d’entre elles comme arbitraires. En revanche, si la science est fortement soutenue, des certitudes sont produites plus efficacement. Le besoin de recours au principe de précaution est moindre et une ère de décisions justes pourrait s’ouvrir.

Un couplage est donc nécessaire entre le soutien à la recherche et le nombre et l’importance des activités qui génèrent des questions de santé environnementale. Un moindre soutien à la recherche conduit à un recours fréquent au principe de précaution et à la prise de décision sur la base d’un nombre limité de connaissances, ce qui est mauvais pour la santé publique ou les activités sociales et économiques.

Des décisions doivent être prises concernant de nombreuses substances. Le financement annuel total disponible en France pour la recherche publique sur les questions de santé environnementale, en excluant les moyens correspondant aux personnels permanents des universités et des organismes de recherche, s’établit probablement entre 15 et 20 millions d’euros annuels. Il convient de mettre ce montant en regard des 23 000 substances présentes sur le marché, ce qui interroge sur la possibilité d’asseoir le financement et de faire en sorte qu’il soit proportionnel au nombre de substances. Un montant de 20 millions d’euros revient à 1 000 euros annuels pour chaque substance, ce qui est peu.

Alternativement ou en complément, il pourrait être choisi d’asseoir le financement des dépenses sur les problèmes de santé comme le développement, le cancer, les maladies cardio-vasculaires et les perturbations endocriniennes, dont une fraction est due à l’exposition aux facteurs environnementaux dans leur ensemble. Il s’agirait de faire en sorte que ces financements soient proportionnels aux dépenses de santé de l’assurance-maladie qui s’élèvent à plus de 200 milliards d’euros. Les dépenses de recherche en santé environnementale représentent moins de 0,01 % de ces dépenses de santé, ce qui est extrêmement faible et nécessiterait probablement d’être multiplié au moins par dix si l’on veut que la science soit capable de courir après tous les effets possibles de ces nombreuses substances sur un grand nombre de pathologies potentielles avec de nombreux mécanismes biologiques sous-jacents. Pour explorer ce champ immense, des moyens beaucoup plus conséquents sont nécessaires.

Cette logique n’est pas absolument originale. Dans le domaine des radiofréquences, une taxe sur les opérateurs de téléphonie mobile génère un montant annuel de 2 millions d’euros qui est distribué par l’Anses pour la recherche sur cette thématique. Les moyens pour la recherche sont proportionnés à l’activité du champ. Il existe aussi une taxe sur les produits phytosanitaires dont une partie est utilisée pour la recherche, mais cette logique ne s’applique pas à l’ensemble des facteurs environnementaux qui posent potentiellement problème.

Ces financements sont pris sur le budget du ministère de la recherche et entrent en compétition avec toutes les autres thématiques et les recherches plus fondamentales sur les fonds marins, la physique fondamentale ou les mathématiques. Par ailleurs, ces financements doivent être structurés sur le long terme. Un étudiant qui débute un Master en santé environnementale deviendra probablement un chercheur autonome recruté au sein d’un organisme de recherche dans huit à douze ans. Pour qu’il se maintienne dans ce champ, il lui faut réussir à obtenir des financements lui permettant de travailler durant toute cette période. Il s’agit d’une recherche coûteuse qui nécessite de nombreuses mesures, des dosages, un suivi de population et des expérimentations longues. Faute d’obtenir ces financements de manière continue, il ne tiendra pas la compétition du passage extrêmement sélectif d’un recrutement de poste de chercheur ou d’enseignant-chercheur face aux collègues des autres disciplines qui sont en concurrence avec lui. Par conséquent, il est important qu’un guichet soutienne cette recherche de manière lisible sur le long terme.

La réglementation et les lois devraient permettre une gestion du risque plus protectrice de la santé publique. Concernant les champs d’application des lois, il faudrait sortir de la logique de fragmentation qui prévaut, avec des décisions prises dans des niches et au cas par cas, et désectorialiser. Concernant la logique de gestion, il conviendrait de renforcer les lois pour que la santé publique soit plus souvent au premier plan ou, a minima, pour que les logiques d’arbitrage entre la santé et les autres intérêts soient plus explicites.

Par exemple, une loi de 2012 interdit le bisphénol A dans les contenants destinés à entrer en contact avec les aliments, laquelle n’est pas satisfaisante. Depuis une vingtaine d’années, des milliers de travaux, notamment toxicologiques, démontrent clairement que cette substance est dangereuse pour la santé, mais cette loi procède d’une logique de niche s’agissant d’une substance spécifique dans le seul secteur de l’alimentation et uniquement pour certains usages, à savoir les contenants alimentaires.

L’idée des députés consistait à protéger et à minimiser l’exposition au bisphénol A. Il faudrait la transposer et la répéter pour les additifs alimentaires, les cosmétiques, les médicaments, les dispositifs médicaux, les produits chimiques REACH dans leur ensemble et l’air. Cette substance occuperait l’Assemblée à temps plein, mais l’eussiez-vous fait que les chercheurs seraient venus vous parler des bisphénols S et F qui sont aussi préoccupants. Cette logique de fragmentation ne peut être efficace si l’idée est vraiment de minimiser l’exposition au bisphénol A. Au-delà de la fragmentation sectorielle, je citerai la fragmentation par substance. Il conviendrait d’obtenir une formulation englobant le bisphénol A et toutes les substances qui agissent par les mêmes mécanismes, comme les perturbateurs endocriniens, ou les mêmes pathologies.

Une loi sur la qualité de l’air limite les concentrations atmosphériques de benzène à 5 microgrammes par mètre cube en moyenne annuelle. Les lois européennes de 2009 et 2012 sur les produits phytosanitaires prévoient que ces derniers ne doivent pas contenir de substances cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques ou présentant une activité de perturbation endocrinienne avérée ou supposée. Nous sommes en présence d’une loi plus générale qui raisonne en termes de catégories de danger avec plusieurs classes, à savoir les cancérigènes, les reprotoxiques et les perturbateurs endocriniens que le législateur ne se fatigue pas à détailler, et dans un secteur dans son ensemble avec une logique de gestion très forte puisqu’il s’agit d’une exposition zéro.

La convention internationale de Stockholm, qui a été ratifiée par la France, interdit la production, l’importation et l’exportation de certains polluants organiques persistants (POP). Cette décision englobe toute une classe de dangers. Un travail a été effectué pour valider la liste des substances entrant dans cette catégorie de polluants organiques persistants. La mesure s’applique à l’ensemble des secteurs. Il s’agit de garantir les efforts qui aideront à minimiser l’exposition, même si ce n’est pas suffisant dans la mesure où ces substances sont très persistantes et demeurent présentes dans l’environnement même lorsque l’on a cessé de les produire.

Il existe une gradation de formulations et de lois allant du plus spécifique et fragmenté au plus général et efficace. Il conviendrait que ces lois concernant la santé environnementale soient transectorielles, plutôt qu’en « silo » dans le domaine régalien de chaque ministère et s’inscrivent dans un raisonnement en grandes catégories de danger en réservant le choix d’une certaine logique au Parlement.

La formulation de la loi sur la qualité de l’air est faible et n’aide pas l’Exécutif ni la Justice. Elle dit que l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Un juge se trouvant face à des citoyens se plaignant de la qualité de l’air peinera à identifier s’il convient de convoquer l’État, les collectivités territoriales ou les personnes privées pour déterminer la responsabilité.

La loi indique que des normes de qualité de l’air sont fixées après avis de l’Anses en conformité avec celles définies par l’Union européenne et, le cas échéant, par l’Organisation mondiale de la santé. Ces normes sont régulièrement réévaluées pour prendre en compte les résultats des études médicales épidémiologiques. S’agissant des particules fines, l’organisation mondiale de la santé préconise de ne pas dépasser 10 microgrammes par mètre cube en moyenne annuelle. Les États-Unis, qui n’écoutent l’OMS que dans une certaine mesure, sont à 12 microgrammes. Le taux de l’Europe est de 25 microgrammes par mètre cube, soit deux fois et demie le niveau recommandé par l’OMS, ce que j’interprète comme la conséquence d’une formulation beaucoup trop faible et peu contraignante.

D’autres formulations sont possibles comme la fixation d’un nombre de décès attribuables aux particules fines à ne pas dépasser. Je ne peux m’empêcher de penser que cette situation contribue au décès de plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens chaque année en raison des effets des particules fines et des autres polluants présents dans l’atmosphère. L’OMS a été écoutée, mais probablement pas entendue.

S’agissant des autres champs de la réglementation, une ambiguïté est constatée dans de nombreux secteurs importants. Il est indiqué que les eaux destinées à la consommation humaine ne doivent pas contenir une concentration de substances constituant un danger potentiel pour la santé des personnes, ce qui est flou, et être conformes aux limites de qualité définies par un arrêté du ministère chargé de la santé. Le nombre de substances à surveiller et le procédé à mettre en œuvre ne sont pas mentionnés. L’arrêté du ministère de la santé évoque quatre pesticides organochlorés qui sont surveillés, dont la plupart sont interdits de longue date. Cette formulation laisse la porte ouverte à de multiples interprétations. Il en est de même concernant l’alimentation. La réglementation ne prévoit que très peu de sujets où un niveau de risque à ne pas dépasser serait explicitement fixé, par exemple, en nombre de décès ou de pathologies par million d’habitants.

Un contre-exemple porte sur la réglementation concernant les produits phytosanitaires, lesquels ne doivent pas contenir de cancérigènes, de mutagènes, de reprotoxiques ni de perturbateurs endocriniens. Il s’agit d’une logique d’exposition zéro et de gestion extrêmement claire qui est cohérente avec les connaissances sur les perturbateurs endocriniens. D’autres existent, mais le fait de ne pas être explicite laisse une grande marge d’interprétation.

Il est nécessaire d’apporter un soutien plus fort à la recherche en santé environnementale dans une logique de proportionnalité et de durabilité. Il faudrait pouvoir indexer les financements à ce domaine sur une assiette pertinente, qui pourrait être l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) à un niveau suffisamment élevé, à savoir 0,1 %, ou à la commercialisation des substances potentiellement préoccupantes pour la santé. Il faudrait que ces financements soient structurés sur le long terme. Il n’est pas forcément nécessaire de créer de nouvelles agences en plus de l’Anses et de l’agence nationale de la recherche (ANR), mais il conviendrait de garantir une pérennité au bon niveau.

Il serait intéressant que le financement des projets soit associé à l’animation du champ de recherche comme aux États-Unis. Il faut que les lois s’inscrivent dans la bonne granulométrie avec des principes plus clairs. Il convient de défragmenter et de sortir des logiques substance par substance et secteur par secteur. Les agences sanitaires peuvent indiquer si tel facteur appartient à une catégorie de danger ou une autre. Sauf cas spécifique, il n’appartient pas forcément à l’Assemblée nationale d’entrer dans ce niveau de détail. Il faut renforcer ces lois avec des logiques de gestion beaucoup plus explicites qui garantissent de placer la santé publique au premier plan.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Connaissant le champ de vos interventions, notamment dans le domaine de l’enseignement et de la recherche, je suis quelque peu frustrée de constater que votre présentation se limite à la recherche et à la critique de la construction de la loi.

Nous avons bien compris que la recherche française est défaillante en matière de financement, ce qui peut créer des cercles vicieux obligeant les chercheurs à solliciter le secteur privé et conduit les conclusions tirées de ces recherches à être parfois contestables ou contestées quant à leur degré d’objectivité. Si nous avions des financements clairement définis de source publique en France, nous n’aurions pas cette défaillance parfois reprochée au monde de la recherche. Par ailleurs, nous avons entendu la manière dont les lois sanitaires qui voudraient bien faire sont parfois lacunaires et se retournent contre la population que l’on cherche à protéger.

Quel jugement global, indépendamment du domaine de la recherche et des documents législatifs, portez-vous sur les politiques de santé environnementale en France ? Dans quelle mesure vous semblent-elles suffisamment efficaces pour faire face au risque sanitaire provoqué par les facteurs environnementaux comme l’alimentation, l’eau, l’exposition aux perturbateurs endocriniens ou la chimie ? Quel regard portez-vous sur la politique actuelle de santé environnementale en France et les PNSE, qui sont les principaux outils officiels de cette politique ?

M. Rémy Slama. Le financement de la recherche est peu suffisant, ce qui n’empêche pas les partenariats public-privé, qui, dans certains cas, peuvent être louables. Dans la santé environnementale, certaines collaborations sont fructueuses, mais assez rares chez les chercheurs dont l’objectif est d’étudier les effets des substances.

Dans le contexte de la loi sur la publication des liens d’intérêts qui limite fortement le rapprochement avec le secteur privé, la conséquence réside dans le moindre nombre de chercheurs, lesquels sont toutefois extrêmement rigoureux. Ils présentent une certaine défaillance car ils sont lents, ce qui ne s’explique pas par le fait que des industries leur demanderaient de faire la mauvaise recherche. Je crois que cette époque est révolue.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mon propos ne visait absolument pas à remettre en cause l’honnêteté intellectuelle des chercheurs. Je me référais simplement à la problématique du glyphosate sur laquelle nous avons entendu tout et son contraire de la part de chercheurs. Certaines publications présentées comme scientifiques ont été sujettes à question par l’opinion publique ou d’autres chercheurs. Il s’agit de la parole des scientifiques.

Vous souligniez la nécessité d’une science forte pour que les décisions politiques le soient également. Toutefois, la confusion et les dissonances que nous avons tous observées sur les plateaux de télévision quant à la COVID, par exemple, laisse pensif sur la coordination de la connaissance entre scientifiques sur des questions beaucoup plus importantes comme les perturbateurs endocriniens.

M. Rémy Slama. Il s’agit d’une vaste question. S’agissant de la Covid, le degré d’accord entre les scientifiques ne peut être jugé au niveau des plateaux de télévision. Le premier réflexe des nombreux chercheurs de l’INSERM travaillant sur la Covid consiste à générer des connaissances. Ceux qui se rendent sur les plateaux de télévision sont peut-être ceux qui en ont le temps. Nombre de nos chercheurs n’avaient pas le temps de répondre et ont préféré attendre de pouvoir disposer de connaissances avant de se rendre sur les plateaux de télévision. Les médias ont une certaine habitude à créer des discussions plus tendues en invitant deux personnes de points de vue opposés, ce qui surreprésente certaines opinions minoritaires.

De ce que j’ai pu constater de la gestion de cette crise, mon opinion est que nous avons assisté à des discussions extrêmement intenses et, pour les champs de santé publique que je connais, à une très forte convergence de vues entre les chercheurs de l’INSERM, les agences comme Santé publique France, nos partenaires de l’institut Pasteur, etc.

Je peux concevoir que ce qui circule dans les médias ou sur les réseaux sociaux donne une impression différente, mais en lisant les publications scientifiques, vous pourrez constater moins de désaccords que ce qui peut être ressenti, ce qui interroge sur les moyens de diffusion des connaissances et du temps que les chercheurs sont censés passer. Diffuser étant presque un métier à part entière, je peux tout à fait concevoir que les chercheurs puissent en faire davantage et que les organismes de recherche mettent davantage de moyens sur cette communication.

Je ne connais pas l’ensemble de la littérature sur le glyphosate, mais un effort est fourni par les revues scientifiques, notamment les plus sérieuses. Les Américains sont très avancés et nous publions souvent dans des revues américaines. Chaque personne qui publie doit indiquer ses sources de financement. Les agences accordent plus ou moins de poids à un travail selon l’origine du financement, ce qui ne signifie pas que les travaux émanant de l’industriel qui produit la substance en question ne sont pas considérés, mais un moindre poids leur est potentiellement attribué au profit des travaux indépendants.

Il se peut que je sois un peu trop optimiste en affirmant que les lois et les évolutions récentes conduisent à une diminution des conflits d’intérêts. Le fait que les scientifiques ne soient pas d’accord est lié à la façon dont nous générons nos connaissances en partant du doute pour parvenir à la certitude. L’exploration de l’ensemble des hypothèses alternatives permet de se rapprocher de la certitude. Il s’agit de la réfutation poppérienne. Cette discussion a normalement lieu dans l’arène scientifique et pas forcément sur les plateaux de télévision.

Sur ces questions extrêmement vastes qui font l’objet de centaines de publications, il appartient aux agences sanitaires, qui en ont les moyens, d’établir la synthèse des connaissances. Au niveau national, il faut s’appuyer sur l’Anses et l’INSERM avec nos expertises collectives et le centre international de recherche sur le cancer, lequel s’est prononcé sur le glyphosate. Les chercheurs discutent, débattent et génèrent des connaissances, lesquelles sont synthétisées par les agences. Nous espérons que ces dernières s’accorderont pour que le message parvienne clairement aux décideurs. La France est dotée d’excellentes agences. Tel est le message que j’incite à écouter.

S’agissant des politiques de santé environnementale, le cœur et l’architecture sont fournis par ces textes de loi. Le plan national santé environnement (PNSE) apparaît comme l’outil officiel et nos chercheurs contribuent à son élaboration. En considérant chaque mesure ou action individuelle qui y est énoncée, de nombreux éléments pertinents peuvent être identifiés, comme la réduction des cancers attribuables à l’amiante et aux effets de la pollution atmosphérique. Toutefois, l’examen du plan dans sa globalité montre un manque de vision structurante dans la mesure où il s’agit davantage d’une logique de micro-management que d’une grande stratégie structurée, ainsi qu’un faible effet d’entraînement.

Concernant la recherche, nous contribuons à ce plan, ce qui ne détermine pas largement notre action en l’absence de financements afférents. Les financements de l’INSERM paient les salaires, mais ne permettent généralement pas de faire de la recherche. Nous nous tournons donc vers les organismes financeurs, ce qui nous conduit à examiner le programme de l’ANR, de l’Anses ou de l’Union européenne et détermine les sujets sur lesquels nous travaillons. Tant que le PNSE ne sera pas associé à des sources de financement, il sera moins structurant que souhaité pour la recherche, ce qui n’est pas forcément problématique si les décisions de l’ANR et de la Commission européenne, qui financent cette recherche de manière extrêmement forte, sont pertinentes.

Les politiques publiques doivent consister à identifier les substances les plus préoccupantes et à en informer les citoyens. Des efforts sont fournis au niveau de la surveillance avec l’enquête de l’alimentation totale de l’INSERM, mais il n’est pas toujours facile d’identifier toutes les composantes de notre alimentation. Aucune obligation d’étiquetage n’est faite en dehors du champ des cosmétiques. Par ailleurs, il convient de faire en sorte que les niveaux maxima autorisés protègent la santé, ce qui est structuré par les principes figurant dans la loi.

Au-delà du PNSE, souhaitez-vous évoquer d’autres plans, programmes, actions ou politiques de santé environnementale spécifiques ?

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il est vrai que je focalisais sur le PNSE qui est l’outil de gouvernance officiel en matière de santé environnementale. Vous avez certainement pris connaissance des rapports des inspections qui sont extrêmement critiques sur le PNSE3. Je m’interroge sur la façon dont le PNSE4, que nous attendons depuis deux ans, pourrait redonner cette dynamique en étant plus structuré. Le faible effet d’entraînement est-il lié au fait que les financements ne soient pas rattachés à ce plan ou à une mauvaise approche des problématiques ? Y a-t-il un problème de gouvernance ? Le Français de base vous semble-t-il suffisamment informé sur la stratégie de la France dans ce domaine ? Des priorités sont-elles à favoriser ?

Les officiels et les institutionnels des différents ministères ne savent généralement pas de quelle façon aborder les problèmes de santé environnementale qui sont souvent systémiques. Existe-il une action rapide et remarquable par son efficacité probable à mettre en place ? Quelles propositions pourriez-vous formuler pour améliorer indépendamment d’un meilleur financement de la recherche et d’une meilleure construction du contenu des lois ?

M. Rémy Slama. Je laisserai de côté la question de l’information des citoyens s’il s’agit d’un plan censé structurer l’action publique et guider la recherche. J’insisterai sur la bonne façon de parvenir à cet objectif. L’information est cruciale, mais pourrait être dispensée dans d’autres cadres.

J’essaie d’esquisser une vision globale et structurante. Voici plus de 2 000 ans, Hippocrate invitait à examiner le contenu de l’air et de l’eau pour réfléchir à la santé des populations. Schématiquement, il peut être considéré que certains dangers ne sont pas du tout identifiés et que d’autres le sont. Des moyens sont nécessaires pour identifier les substances et les comportements émergents. Grâce à la loi REACH, nous connaissons les substances nouvellement commercialisées. Nous pouvons établir des baromètres et des études sur des comportements nouveaux pour identifier les problèmes ayant une influence sur la santé. Sur la base d’un programme ambitieux de criblage toxicologique, nous pouvons parvenir à identifier, parmi les substances commercialisées qui ont généralement été testées par l’industriel avec, parfois, des contraintes de test insuffisantes, les nouvelles substances et les nouveaux comportements qui posent problème, ce qui permet de lancer certains signaux d’alerte.

Lorsque le danger est identifié, il est crucial de disposer de programmes de biosurveillance forts. À ce titre, ESTEBAN de Santé publique France est exemplaire. L’Anses dispose d’un programme de surveillance de l’alimentation qui couvre des centaines de substances et est remarquable dans sa démarche méthodologique. Ce type d’approche est onéreux et doit être poursuivi sur le long terme. Si le danger est identifié, ces systèmes de surveillance permettent de qualifier les substances dont le niveau pose potentiellement problème.

Nous disposons de relations dose-réponse qui nous permettent de convertir ces niveaux d’exposition en nombre de cas de pathologies attribuables. Nous pouvons faire part aux décideurs du nombre de cas de problèmes métaboliques ou autres rencontrés avec le bisphénol A, le DDT et les retardateurs de flammes polybromés, ce qui leur permet de choisir l’axe de l’action. La recherche peut alors, sous réserve que lui soient attribués les moyens de faire de la recherche interventionnelle, comparer différentes mesures de gestion face à un problème donné et guider les décideurs.

Ce système n’est pas très éloigné de ce qui existe dans notre pays sans être écrit de manière explicite ni soutenu à tous les niveaux. Avec le concept d’exposome qui nous incite à considérer un grand nombre de substances, si nous disposons de ces plateformes permettant d’effectuer un criblage haut débit à partir de modèles cellulaires, voire animaux, et de cohortes fortement soutenues avec des biobanques permettant de confirmer chez l’humain les signaux qui sont générés chez l’animal, nous commençons à avoir une couverture globale et suffisamment générale des problèmes pour que les signaux émergents recouvrent réellement les problèmes majeurs. Le fardeau de maladies aide à hiérarchiser ces facteurs environnementaux en fonction de leur impact attendu ou suspecté. Santé publique France s’efforce d’opérationnaliser cette problématique à l’échelle de notre pays.

Pour toutes ces raisons, dans le rapport sur la préfiguration recherche du PNSE4, l’INSERM a formulé une proposition qui s’appuie sur ce concept et ce paradigme de l’exposome et de logique de criblage des expositions, d’identification des substances les plus préoccupantes, de surveillance des substances dans l’environnement, de caractérisation des effets chez l’humain et du risque avec cette approche du fardeau de maladies.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous nous avez expliqué la façon dont devrait être organisé le système avec un regard de chercheur en identifiant les signaux pour en tirer des conclusions sanitaires.

En évoquant les priorités, je m’interrogeais sur l’urgence à s’occuper, par exemple, des mille premiers jours de la vie ou à s’interroger sur la formation communiquée au corps médical. Je cherchais des actions rapides. Vous nous proposez une organisation structurante, ce qui demande du temps. À court terme, quelle démarche aisément opérationnelle pourrait être mise en œuvre ? Je pense, par exemple, à la protection des mille premiers jours de la vie, qui semble être le plus facile avec la possibilité de faire de la prévention alors que la structuration relève davantage d’une politique publique au long cours.

Le Docteur Rémy Slama. Je ne voudrais pas donner l’impression que rien n’est fait. Le système que j’évoquais n’est pas très éloigné d’efforts existants, mais qui sont peut-être insuffisamment intenses dans certains domaines et qui souffrent d’un certain manque de vision globale, mais de nombreuses actions sont mises en œuvre dans tous les champs évoqués.

Ma première préoccupation consiste à identifier ce qui est juste et important. Il est absolument capital de s’intéresser aux mille premiers jours de la vie qui correspondent à une période de sensibilité très importante alors que l’organisme est en plein développement. Des expositions à des niveaux très faibles peuvent avoir des répercussions sur la vie entière. Toutefois, l’idée n’est pas d’oublier les personnes âgées et les adultes qui sont également sensibles aux facteurs environnementaux. Si les moyens sont limités et que des choix doivent être opérés, ceux-ci appartiennent aux décideurs sur la base des éléments dont nous disposons. Réussir à être efficace sur les mille premiers jours de la vie aura des conséquences, mais il s’agit d’une action sur le long terme avec des répercussions sur la santé de ceux qui vivent aujourd’hui et qui seront présents à la fin du XXIème siècle et au début du XXIIème siècle.

Il serait intéressant de mettre en œuvre un plan sur ce champ si les actions se maintiennent sur le long terme et si elles ne s’exercent pas au détriment d’autres populations qui sont aussi très sensibles.

Interdire le bisphénol A dans les contenants alimentaires et dans d’autres sources bénéficiera aux fœtus qui y sont exposés, mais également aux adultes, aux femmes enceintes et à l’ensemble de la population. Des actions permettent de ne pas avoir à choisir entre certaines catégories de la population, ce qui ne minore pas l’importance de diffuser les connaissances concernant la sensibilité aux différents âges de la vie qui est une réalité scientifique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je comprends combien il peut être frustrant de répondre à une telle question sur la priorité alors que vous nous proposez un regard général et restructurant. L’une des grandes critiques adressées au PNSE3 résidait dans le nombre excessif d’actions. Comment éviter de retomber dans le même piège avec le PNSE4 ?

Conviendrait-il de commencer par l’eau et l’air tout en s’intéressant simultanément à la production chimique afin de pouvoir revenir à une espèce de sobriété dans ce domaine ?

M. Rémy Slama. En matière de recherche, une action structurante visant à prioriser les substances pourrait consister à lancer une grande cohorte à visée de santé environnementale avec un recrutement aussi précoce que possible pour pouvoir documenter les mille premiers jours de la vie, soit au plus tôt autour de la conception. L’idée serait de procéder à des prélèvements biologiques répétés afin de caractériser efficacement l’exposition à des substances qui sont variables au cours du temps et pour lesquelles un prélèvement unique ne suffit pas à obtenir une mesure précise de l’exposition.

Cette démarche nécessite de grosses infrastructures de biobanques, mais des travaux de recherche, notamment dans mon équipe, en ont démontré la faisabilité. Les couples acceptent ces prélèvements biologiques répétés qui sont également possibles chez les enfants. Il convient éventuellement d’utiliser des dosimètres pour les substances qui ne peuvent être caractérisées à partir de prélèvements biologiques ou des modèles environnementaux. Un suivi sur le moyen et le long terme est nécessaire afin de caractériser le devenir et la santé des enfants qui grandissent.

L’efficacité et la précision de la démarche pour mettre en évidence des effets à des faibles doses impliquent des tailles de l’ordre d’une centaine de milliers d’enfants. Au Japon, une cohorte qui a été mise en place dans ce sens inclut cent mille enfants avec de nombreux prélèvements biologiques au cours de la vie.

En termes de recherche, cette action, qui est de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros sur quelques années, serait probablement très structurante sur le long terme. Si une nouvelle substance pose problème dans dix ans, il « suffirait » de décongeler quelques millilitres d’urine ou de sang de l’ensemble des volontaires et de doser cette substance afin d’observer si les sujets les plus exposés, après ajustement sur les facteurs de confusion pertinents, sont à risque accru de maladie. Si nous disposons en parallèle de plateformes de dosage couvrant l’ensemble des substances chimiques, cette démarche serait très structurante pour la recherche.

En termes de gestion du risque, il conviendrait que la France se fixe des objectifs explicites et parfois plus ambitieux que ceux qui sont décidés à Bruxelles. La norme européenne relative à la qualité de l’air est insuffisante. Rien n’empêche la France d’adopter des normes plus contraignantes, ce qui ne briderait pas l’activité économique. Chaque municipalité dispose de leviers pour lutter contre la pollution atmosphérique et limiter les sources que sont le chauffage urbain, le transport et certaines activités industrielles, bien que de nombreux efforts aient été fournis dans ce secteur. Il serait intéressant de continuer à agir avec un objectif explicite formulé en termes de nombre de décès évités ou de niveau à atteindre en cohérence avec ce que nous indique l’Organisation mondiale de la santé. Il serait sensé de parvenir à faire de même dans le domaine de l’eau et de l’alimentation, ce qui nécessite une grande force politique, mais serait crucial pour la santé publique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je souhaiterais revenir sur la catégorisation des substances préoccupantes. Quelle gouvernance pourriez-vous nous conseiller, notamment dans le cadre des différentes catégories ? Un nombre impressionnant de substances est déjà présent sur le marché et beaucoup d’autres sortent chaque année. Comment parvenir à contrôler le flux et mettre en place une démarche de protection sur des bases scientifiques prouvées en sachant que les lobbies nous opposent systématiquement la problématique du lien de causalité ?

M. Rémy Slama. À ma connaissance, environ 80 % des lois dans le champ de l’environnement relèvent d’un cadre européen. L’action a du sens à cette échelle, mais la France peut tout à fait être moteur et l’a été à de multiples reprises. Elle l’est dans le domaine des perturbateurs endocriniens où de nombreuses décisions prises en France finissent par être adoptées à l’échelle européenne.

La loi REACH de 2006 a constitué un progrès important dans la mesure où elle permet d’identifier les substances qui sont mises sur le marché et édicte certaines règles concernant cette commercialisation. Cette loi, qui est extrêmement complexe et dense, a fait l’objet d’importantes négociations. L’objectif d’identification et d’enregistrement est atteint. Les substances commercialisées au-delà d’un certain volume sont connues dans la plupart des secteurs.

Les agences réglementaires examinent chacune de ces substances afin de les classer par catégorie de danger. Le Règlement Classification, étiquetage et emballage (Classification Labelling and Packaging – CLP) de 2008 définit ces dernières, notamment les cancérigènes et les reprotoxiques, mais pas les perturbateurs endocriniens. Au niveau européen, la loi proposée voici une vingtaine d’années par l’OMS est valable pour le champ des pesticides, mais pas dans tous les secteurs.

L’écriture de la définition au niveau de la CLP permettrait une reconnaissance dans tous les secteurs, ce qui constitue un préalable à la gestion du risque. Au niveau des parlements sont nommés les dangers jugés les plus préoccupants. Les agences sanitaires classent chacune des substances, ce qui nécessite des outils. Il convient que les tests réglementaires qui sont rendus obligatoires par la loi soient aussi efficaces et actualisés que possible pour savoir si telle substance entre ou non dans la définition des grandes catégories de dangers.

Le choix est donné au législateur concernant le niveau de preuve. Pour les pesticides, le Parlement européen a décidé des cancérigènes prouvés ou suspectés ne devant pas être utilisés. Il s’agit d’un niveau de preuve ne requérant pas une absolue certitude. Des catégories supplémentaires pourraient être créées et les substances jugées présumées pourraient être traitées différemment. Il s’agit d’une manière d’adresser un signal aux industriels avant d’éventuelles décisions plus fortes. La science suivra les décideurs qui fixeront le niveau d’incertitude.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous semble-t-il que la gestion des données scientifiques puisse être améliorée dans le partage des informations ? Serait-il bienvenu de créer une plateforme ? Santé publique France nous a indiqué qu’une bonne dizaine d’années seraient nécessaires pour y parvenir. Or nous avons la preuve que des régions se sont mobilisées pour faire le rapprochement entre les données épidémiologiques et environnementales, et ont pu mettre en place des politiques publiques régionales pour pouvoir cibler sur certaines pathologies ou zones à risque sur lesquelles il est possible d’intervenir rapidement.

Je souhaiterais connaître votre point de vue sur la manière dont vous envisagez la mise en action du principe de précaution. À quel niveau placez-vous le curseur ? Vous faites valoir qu’il appartient aux décideurs politiques de définir le niveau de preuve qui permet, à partir de la catégorisation établie par les scientifiques, de poser les limites. Quel est votre avis personnel sur ce principe de précaution ?

Que sait-on actuellement de l’épigénétique qui laisse espérer de nouvelles découvertes et mises en pratique thérapeutiques ou mesures de prévention ?

M. Rémy Slama. Il est crucial de disposer de bases de données claires et complètes sur les problèmes potentiels ou démontrés. Les bases de données publiques concernent les substances surveillées. Les bases de données sur l’air incluent les particules fines, les oxydes de soufre, les oxydes d’azote, le benzène et l’ozone qui sont des polluants présentant des effets sanitaires avérés connus de longue date, mais beaucoup moins de problèmes émergents dont l’effet n’est pas certain dans ce milieu ou au sujet desquels la réglementation n’est pas contraignante. Par exemple, les efforts concernant les pesticides dans l’air sont balbutiants. S’agissant des résidus de médicaments dans l’eau, il n’y a rien de systématique à ma connaissance. Quatre pesticides sont mentionnés, mais peu sont actuellement utilisés. Il est fait état de quatre trihalométhanes, ce qui est très important dans la mesure où certains sont des cancérigènes suspectés, mais de nombreux autres sous-produits de chloration ou contaminants de l’eau pourraient être surveillés.

Nous sommes à l’ère de la science des données, mais celle-ci ne peut s’exercer sans données, ce qui est souvent le cas. L’État ne dispose pas d’un grand nombre de données sur la qualité de l’environnement et la santé des concitoyens de manière systématique. Les cancers de l’enfant sont suivis à l’échelle nationale, mais il n’existe pas de registre national des cancers. Des efforts sont fournis en faveur de sa mise en place à partir du système national des données de santé, ce qui ne sera peut-être pas aussi efficace qu’un registre, même s’il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Pour les autres pathologies, nous n’avons pas d’idée précise de l’incidence dans chacune des régions.

Il faut être conscient de l’enjeu premier de l’élargissement de la couverture de ces bases. L’État met des informations en ligne sur les pesticides. J’ai pu prendre connaissance des variations en pourcentage des ventes de pesticides, année après année, à l’échelle du département, ce qui ne permet pas de savoir ce que telle ou telle personne vivant à proximité d’un champ ou en plein centre-ville trouvera dans son air ambiant ou son eau de boisson.

Mes collègues californiens peuvent s’appuyer sur un registre d’exposition aux pesticides à la parcelle agricole. Ils savent quelle substance est utilisée sur quelle parcelle chaque trimestre, ce qui permet de constituer une base de données pouvant être utilisée pour la recherche. Il est crucial de parvenir à s’améliorer. Il serait extrêmement utile que les industriels fournissent un maximum d’informations sur ce qui est utilisé, voire dosé. Aujourd’hui, ces bases de données sont notoirement insuffisantes en termes de couverture par rapport à toutes les substances qui posent question, ce qui n’empêche pas de traiter au mieux les données existantes. Les recherches sur l’air s’appuient sur ces données. Sur la qualité de l’eau, il existe un enjeu de structuration et d’accessibilité de la base.

L’utilisation de ces bases est intéressante pour la recherche si elles sont suffisamment fines et si une cohorte ou une base de données administrative permet la géolocalisation et d’en déduire le niveau d’exposition d’une personne à partir de son lieu de résidence et de la qualité de l’eau qui y est desservie.

L’autre approche concerne la surveillance des niveaux et, si la substance est connue, le couplage de ces derniers avec des relations dose-réponse qui permettent d’identifier les zones où l’on s’attend à un excès de pathologies. Pour les déclinaisons locales, le potentiel réside dans la surveillance.

Je suis favorable à l’extension et à l’harmonisation des bases de données existantes, ce qui sera très utile pour la surveillance et, dans certains cas, pour la recherche. Les bases de données sur le bisphénol A n’existent pas. Il est crucial de disposer d’autres outils comme les biobanques ou les campagnes de biosurveillance pour identifier ces nouvelles substances à partir de prélèvements effectués chez l’humain ou dans l’environnement. Croiser des bases de données est faisable avec des cohortes et des données individuelles fortes, mais il convient d’être prudent lorsque l’opération est effectuée sur des données agrégées car certains biais sont difficiles à contrôler, notamment les facteurs de confusion individuelle comme le tabac, la consommation d’alcool et la corpulence qui peuvent influencer le risque de maladie et être associés aux expositions. L’obtention de données individuelles permet de contrôler efficacement ces facteurs de confusion. En croisant simplement l’incidence d’une maladie dans une région avec le niveau moyen d’usage des pesticides, les résultats obtenus ne sont absolument pas rigoureux. Par conséquent, l’usage est plutôt dans cette approche du fardeau de maladie que dans des croisements de données agrégées.

La question du principe de précaution est complexe. Mon sentiment personnel est qu’il figure dans la Constitution, mais que nous manquons probablement de décrets d’application et d’opérationnalisation. Il est largement critiqué, mais je peine à comprendre ce qui pose problème. Il indique que l’incertitude des connaissances ne doit pas être utilisée comme une excuse à l’inaction face à un dommage potentiel qui peut être très important. Ce principe nous incite à prendre des réactions proportionnées à ces dommages possibles. Si je traverse une rue à l’approche d’un camion, même si je pense qu’il est équipé de freins et que le conducteur m’a aperçu, je n’estime pas illogique d’accélérer et de me réfugier sur le trottoir au regard du dommage potentiel.

Ce principe permet de sortir de l’impasse consistant à attendre la certitude avant d’agir. La certitude scientifique, surtout si la science est peu soutenue et en présence de conflits d’intérêts, peut mettre du temps à apparaître. Il s’agit donc d’un vrai progrès, mais il a été peu utilisé. Les organismes génétiquement modifiés (OGM) constituent un exemple d’application du principe de précaution. Parmi les substances fortement réglementées ou interdites, figurent les polluants organiques persistants dont l’effet nocif sur l’environnement, voire sur la santé, ne fait pas de doute. Le benzène, qui est un cancérigène certain, est réglementé mais pas interdit. Le bisphénol A fait l’objet d’une littérature conséquente sur ses mécanismes d’action et ses effets à partir de données chez l’animal. À moins de considérer que l’existence de preuves chez l’animal ne suffit pas, j’ai l’impression que peu de décisions sont prises selon ce principe dans le champ de la santé environnementale, ce qui pourrait inviter à une réflexion sur son opérationnalisation. Pour les décideurs, il n’est pas simple d’identifier les situations où il faudrait agir face à un problème de manière proportionnelle.

Il existe des outils de décision comme les jurys citoyens et la démocratie participative permettant de considérer l’ensemble des options de gestion. Notre environnement a été profondément modifié et il peut parfois être considéré que la loi peine à suivre. L’avènement du principe de précaution constitue une manière de tenter d’intégrer ces évolutions colossales de notre environnement et le nombre important de substances en aidant à structurer la problématique de la décision en situation d’incertitude. Néanmoins, il conviendrait de réfléchir davantage à son opérationnalisation.

Les marques épigénétiques conditionnent l’expression de nos gènes et expliquent qu’avec un patrimoine génétique identique, une cellule de notre foie et un neurone ne jouent pas du tout le même rôle. Elles fonctionnement différemment, notamment, parce que les marques épigénétiques font que certaines protéines et certains gènes sont exprimés dans le foie pour métaboliser les sucres ou l’alcool et d’autres dans le cerveau. Il s’agit d’un mécanisme biologique fondamental qui a été mieux compris au cours des dernières décennies. Il est central pour étudier le développement, la genèse de différentes pathologies et de certains cancers. La liste des pathologies pour lesquelles sont impliqués des mécanismes de régulation épigénétique est très vaste.

Cependant, je me garderais de l’envisager comme une piste thérapeutique prometteuse au-delà de la génération de connaissances. Je ne suis pas un expert du domaine, mais nous savons que certaines molécules et certains additifs et compléments alimentaires pourraient modifier l'expression génétique, ce qui pourrait être utilisé pour modifier nos marques épigénétiques. À ma connaissance, le faire en étant spécifique et assuré que seul le gène que l’on souhaite voir exprimer ou réprimer sera touché est extrêmement complexe. Il existe peut-être des pistes thérapeutiques que j’ignore, mais il s’agit d’un enjeu de recherche fondamental qui est également majeur pour la santé environnementale car l’épigénétique médit probablement l’effet à court ou à moyen terme, voire sur plusieurs générations de certaines substances environnementales. Dans ce contexte, il est important d’effectuer des recherches dans ce domaine plus que comme une voie de thérapeutique extrêmement prometteuse.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Merci pour les pistes d’évolution et d’amélioration que vous avez permis d’identifier.

L’audition s’achève à treize heures vingt-cinq.

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24.   Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Leonardi, chef du service prévention des risques et des nuisances de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) d’Île-de-France (21 octobre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Après les représentants des directions d’administrations centrales et des agences, nous allons entendre ceux de différents ministères au niveau régional.

Nous recevons M. Alexandre Leonardi, chef du service « prévention des risques et nuisances » de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) d’Île-de-France.

Quelles sont les spécificités de l’Île-de-France, concernant la prévention des risques et des nuisances ? Quelles en sont les conséquences pour l’action de votre direction ? Quelles sont les relations de cette dernière avec les autres parties prenantes sur le plan régional ? Comment intervient la DRIEE à l’égard du plan régional santé-environnement (PRSE) ?

(M. Alexandre Leonardi prête serment.)

M. Alexandre Leonardi, chef du service « prévention des risques et nuisances » de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Île-de-France. En premier lieu, je présenterai l’action de la DRIEE en matière de santé-environnement. D’une part, je décrirai, aussi complètement que possible, l’ensemble des actions en lien avec la santé-environnement menées au titre des politiques portées par le service « prévention des risques ». D’autre part, je développerai ce qu’est le plan régional santé-environnement (PRSE), et notamment le PRSE3 en vigueur actuellement. Ensuite, j’évoquerai rapidement ma participation aux travaux d’élaboration du quatrième PNSE et la perspective d’un quatrième PRSE pour l’Île-de-France.

La DRIEE est un service déconcentré du ministère de la transition écologique. Vous recevrez d’autres services déconcentrés. Sachez simplement qu’en Île-de-France, la DRIEE correspond au E de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) que connaissent les autres régions. Nous sommes organisés en services régionaux et en unités départementales, ces dernières principalement chargées de l’inspection des installations classées. Le service « prévention des risques et des nuisances », que j’anime, est chargé, entre autres, du pilotage de l’inspection des installations classées et également du pilotage « environnement » de la politique régionale de santé-environnement. Nos services sont placés sous l’autorité du préfet de région et sous la tutelle technique de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), que vous avez déjà auditionnée.

Avant de recenser les actions que nous menons en matière de santé-environnement, je signalerai que l’ensemble de la politique de prévention des risques que nous portons au service de prévention des risques vise à protéger l’environnement et les personnes. Il peut s’agir de prévenir les risques d’inondation, de garantir qu’un site industriel ne subira pas d’accident dévastateur pour les riverains ou encore de prévenir les risques d’émissions chroniques de telle ou telle installation. Un des textes fondateurs de la prévention des risques industriels, le décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode, présentait déjà une composante sanitaire forte. C’est pourquoi la compréhension des politiques de santé-environnement nécessite d’intégrer l’ensemble des actions qui visent à prévenir les pollutions et impacts sanitaires. Ces pollutions, en se diffusant dans l’environnement, peuvent nuire à la santé des personnes à court terme (toxicité aiguë) ou à long terme (toxicité chronique).

Ces politiques sont très régaliennes, ce qui les dote d’une certaine force. Elles sont mises en œuvre de façon homogène sur l’ensemble du territoire national, évidemment dans le respect des spécificités de chaque région. Ces politiques sont mises en œuvre par des services comme celui que j’anime.

La réduction des émissions chroniques des industries en constitue un premier exemple : cette réduction est d’abord permise par la mise en œuvre de directives européennes, notamment la directive dite Industrial Emissions Directive (IED). Cette directive impose un examen périodique des conditions d’exploitation et la montée en gamme des sites, pour une large gamme d’installations, qui s’étend des chaufferies aux raffineries en passant par les incinérateurs et les élevages. La montée en gamme doit conduire chaque site à adopter ce que l’on appelle « les meilleures techniques disponibles », qui permettent de préserver au mieux l’environnement. Cette montée en gamme est systématiquement validée avec les inspecteurs de la DRIEE.

Tous ces engagements de respecter l’environnement, entre autres ceux de la directive IED, sont vérifiés sur le terrain par les inspecteurs de la DRIEE. La direction régionale compte environ 120 inspecteurs habilités. Ils contrôlent le respect de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, notamment grâce à des inspections. En 2019, nous avions réalisé environ 1 500 inspections. Malgré le confinement, nous avons bon espoir, en 2020, d’atteindre à nouveau ce nombre. Si nous souhaitions augmenter la part d’inspections réalisées, du moins réussirons-nous, malgré le confinement, à maintenir une part équivalente à l’année dernière. Nous pouvons également diligenter des contrôles inopinés des rejets dans l’air et dans l’eau. Nous avons diligenté 116 contrôles en 2019. Les émissions industrielles produisent des impacts dont la réalité n’est, il me semble, plus discutée aujourd’hui. Il peut s’agir de polluants urbains classiques tels que le dioxyde d’azote ou des polluants plus spécifiques tels que les dioxines. Ces politiques obtiennent des résultats conséquents. Par exemple, on estime que les émissions de dioxydes d’azote ont été divisées par deux en Île-de-France entre 2000 et 2010, puis à nouveau par deux entre 2010 et 2020. Les rejets industriels ont donc connu des baisses substantielles.

J’aimerais donner une autre illustration très concrète et plus « court-termiste » de ce type de contrôle. Les inspecteurs de la DRIEE diligentent des contrôles inopinés de tours aéroréfrigérantes, typiquement les grandes climatisations, afin de vérifier que les légionelles n’y prolifèrent pas. Si ces légionelles proliféraient, cela présenterait un risque qu’elles se diffusent dans l’environnement et suscitent des légionelloses. En 2019, nous avons donc contrôlé 128 des 375 établissements d’Île-de-France. Notre rythme permet donc de contrôler tous les établissements d’Île-de-France tous les trois ans.

Un dernier exemple d’actions relève de la prévention et de la gestion des risques, mais comporte également une composante forte de santé-environnement. Il s’agit de la prévention et de la gestion des sites et sols pollués, qui vise à limiter la pollution des sols, à en prévenir les effets sanitaires éventuels. Ces effets peuvent être produits par les émanations directes ou par la contamination de captages d’alimentation d’eau potable – il me semble d’ailleurs qu’une commission d’enquête parlementaire s’est penchée sur le sujet récemment.

Telles sont les actions portées, en propre, par le service « prévention des risques et des nuisances » de la DRIEE.

J’aimerais maintenant vous parler rapidement des PRSE, qui constituent la politique de santé-environnement visible, labellisée comme telle au niveau régional. Le PRSE est l’objet qui porte la politique de l’État. Permettez-moi de citer le code de santé publique : « ces plans ont pour objectif la territorialisation des politiques définies dans les domaines de la santé et de l’environnement. Ils s’appuient sur les enjeux prioritaires définis dans le plan national tout en veillant à prendre en compte les facteurs de risques spécifiques aux régions. Ils sont mis en œuvre par les services déconcentrés de l’État, les agences régionales de santé et les conseils régionaux, en association avec les autres collectivités territoriales, notamment par le biais des contrats locaux de santé ». J’insiste sur le caractère éminemment collégial des PRSE dans cette rédaction voulue par le législateur.

Personne ne comprendrait que l’action de l’État en matière de santé-environnement se limite aux risques industriels. En Île-de-France, les émissions des industries représentent une fraction seulement des émissions de polluants, tels que les particules ou les dioxydes d’azote. Un grand nombre de polluants sont émis par le transport routier ou les habitations. Dans le champ de la santé-environnement, le PRSE formalise un ensemble d’actions, avec des porteurs très divers, pouvant être des services de l’État, des collectivités territoriales ou des associations. Le plan actuel dure de 2017 à 2021. Il comporte quatre thèmes : préparer l’environnement de demain pour une bonne santé ; surveiller et gérer les expositions liées aux activités humaines ; travailler à l’identification et à la réduction des inégalités sociales et environnementales ; protéger et accompagner les populations vulnérables.

Les actions de ce plan portent sur des thématiques très diverses, telles que les politiques d’aménagement, les espèces allergisantes, le captage en eau potable, l’amiante ou encore le jardinage en milieu urbain. Ces thématiques sont donc extrêmement vastes. On retrouve cette grande diversité parmi les porteurs d’action, tels que l’agence régionale de santé (ARS) et la DRIEE, évidemment, mais aussi l’agence de la transition écologique (ADEME), l’institut Paris Région, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), la direction générale de l’aviation civile (DGAC), la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (DRIHL), des hôpitaux, des associations comme Bruitparif, Airparif et Écopolis. Le conseil régional est co-pilote d’une action, de même que le conseil départemental de Seine-Saint-Denis.

Il faut reconnaître que le bilan, réalisé à mi-parcours et en voie d’être achevé, montre une assez grande disparité dans l’avancement des actions. Certaines actions sont bloquées, d’autres sont presque achevées, et d’autres encore sont toujours en cours. En Île-de-France, une difficulté majeure dans la mise en œuvre de ce plan tient au fait que ce dernier est piloté par l’ARS, extrêmement investie, et par la DRIEE, alors que beaucoup des leviers d’actions, en matière de santé-environnement, ne sont pas aux mains de l’État, mais des collectivités territoriales.

Par exemple, les politiques d’aménagement et de transport, qui ont un impact déterminant, dans une région où les principales sources de pollution sont les transports routiers, sont aux mains des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des conseils régionaux. Or, en Île-de-France, le conseil régional n’avait pas souhaité s’impliquer dans le portage politique du plan régional. Ce portage aurait été fort utile pour la bonne conduite du PRSE. D’autres acteurs détiennent également nombre de leviers. Nous les encourageons : les associations, les entreprises ou les agences de l’État, telles que l’agence de l’eau.

Les moyens consacrés au pilotage des PRSE sont limités, il s’agit de l’autre difficulté. La DRIEE consacre l’équivalent de 40 % d’un équivalent temps plein (ETP) et un budget de l’ordre de 200 000 euros par an au pilotage et à l’animation du PRSE. À ma connaissance, l’ARS consacre, quant à elle, également environ 40 % d’un ETP et un budget de l’ordre de 800 000 euros. À ces investissements en personnel et en moyens s’ajoutent évidemment les investissements en personnel et en moyens des acteurs qui sont mobilisés pour l’ensemble des actions du PRSE.

En conclusion, j’évoquerai l’articulation entre plans nationaux et plans régionaux. J’ai eu l’honneur de co-piloter un groupe de travail « formation et information » pour l’élaboration du quatrième PNSE, dont le résultat avait été présenté en juillet 2019 au groupe santé-environnement (GSE) que vous présidez. Je ne connais pas le contenu définitif de ce quatrième plan, dont l’ambition était de concevoir un plan « chapeau » qui traite notamment des sujets d’ordre national et des sujets orphelins.

Deux questions se poseront à nous. Inévitablement, il faudra s’interroger sur la façon de décliner ces plans dans les plans régionaux. En effet, tous les sujets n’ont pas vocation à être pris localement en compte. Par exemple, il ne serait pas très pertinent de mener une recherche sur les perturbateurs endocriniens dans chaque région. Il est préférable que cette recherche soit pilotée au niveau national. La deuxième question qui se posera concerne la mise en œuvre concrète de ces plans. Il s’agira aussi de comprendre comment favoriser la collégialité et l’implication de tous les acteurs que j’ai cités précédemment dans le portage politique et le pilotage d’actions effectives dans les futurs PRSE.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette introduction, qui a envisagé rapidement toutes les thématiques que nous souhaiterions évoquer avec vous. Il faudra revenir plus en détail sur chacune d’entre elles.

Pourquoi existe-t-il des disparités dans l’avancement des actions ? Ces actions sont-elles particulièrement difficiles à mettre en application ou sont-elles dépourvues de pertinence au niveau de votre région ? Existe-t-il des problèmes de moyens, de suivi et d’accès à des données ? Sur quel corps de données existantes vous appuyez-vous pour appliquer les politiques de santé-environnementale ?

M. Alexandre Leonardi. Le premier facteur de réussite d’une action du PRSE est le pilotage proposé par le pilote de l’action. Comme beaucoup de politiques publiques, le PRSE est mené par des acteurs ayant leur propre feuille de route à mettre en place, en plus du plan lui-même. Si l’on prend l’exemple des services de l’État, ceux de la DRIEE mettent en œuvre les inspections des installations classées et tentent de mener, par ailleurs, des missions en matière de santé-environnement. Il faut trouver le bon pilote, qui a du temps à consacrer à l’action, qui est déterminé et motivé.

Selon l’implication des pilotes d’action, si un pilote est extrêmement volontaire et a simplement besoin de financements occasionnels ou d’un relais en termes de communication, l’action a de bonnes chances d’avancer. Si, à l’inverse, un pilote d’action n’a simplement pas le temps ou le souhait de faire avancer l’action – ou s’il est confronté à un blocage que nous ne pouvons pas lever –, nous ne serons pas en mesure de débloquer chacune de ces actions. Le PRSE compte dix-huit actions. Nous ne pouvons pas assurer le « service après-vente » de ces dix-huit actions. Nous sommes donc très fortement dépendants des pilotes de chaque action.

Il ne me semble pas qu’il existe un problème d’adaptation aux territoires. Je n’étais pas en poste quand le PRSE a été rédigé. Néanmoins, je ne doute pas qu’il a été développé en adéquation avec le territoire. Il me semble qu’en Nouvelle-Aquitaine, des actions du PRSE concernent l’agriculture viticole. Évidemment, nous n’avons pas fait de PRSE agriculture viticole en Île-de-France. Si tel avait été le cas, ce serait une bonne raison pour expliquer le manque d’avancées. Les actions sont donc plutôt adaptées.

Dans la majeure partie des cas, je ne pense pas que les données soient le principal problème. Les services de l’État et les collectivités disposent de jeux de données assez conséquents. Nous disposons de données, au sein de l’inspection des installations classées, pour les industries, sur lesquelles nous pouvons effectivement nous appuyer. Si l’on peut discuter de leur plus ou moins grande accessibilité et de leur réutilisation – aisée ou non –, il n’en demeure pas moins que ces données sont disponibles.

Nombre de nos interlocuteurs sont experts ou très compétents pour manier les données. C’est le cas de l’Institut Paris Région, avec lequel nous avons des collaborations très fructueuses en matière de cartographies. De même, l’Ineris ou d’autres acteurs de grande qualité peuvent nous aider au maniement des données.

Pour une action, la question des données s’est effectivement posée. Il s’agit de l’action des nanoparticules, pour laquelle le système de gestion des données relatives aux industries manipulant des nanoparticules ne nous a pas permis de poursuivre notre but sans le soutien et l’implication active d’industriels, soutien et implication que nous n’avons pas obtenus à ce stade.

Pour acquérir des données, nous avons la possibilité de procéder à des mesures. L’action que nous menons sur les dioxines bromées en constitue un exemple. Conjointement avec le ministère, nous souhaitons développer la connaissance de ces dioxines, à la fois en termes de toxicité et en termes de typologie, moins bien connues que pour les dioxines chlorées, plus classiques. Nous avons effectué un travail très fructueux avec l’Ineris, qui continue d’avancer et qui nous conduira à faire des mesures auprès d’industriels volontaires. Nous pouvons remercier ces industriels d’accepter la prise de ces mesures. Sur certains sujets très précis, de « niche », nous sommes dépendants des données et du bon vouloir d’industriels, par exemple. Néanmoins, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un cas général.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment s’organisent les remontées d’informations vers l’administration centrale ? Existe-t-il un partage des informations ou des pratiques entre les administrations déconcentrées ? Quels rapports entretenez-vous avec l’ARS sur les thématiques liées à la santé-environnement, ainsi qu’avec le conseil régional ? Quelles sont les spécificités de la santé-environnement en Île-de-France ? En quoi le caractère très urbain de la région entraîne-t-il des problématiques particulières ? Quels sont les effectifs et les financements que vous déployez spécifiquement en ce qui concerne la santé-environnement ?

M. Alexandre Leonardi. S’agissant des remontées d’information vers l’administration centrale, sur tous nos sujets, le service « prévention des risques » est en relation étroite avec la DGPR. Nous avons, à différents niveaux, des interactions fréquentes et de grande qualité. J’ai moi-même des interactions régulières, plusieurs fois par an et de façon vraiment formalisée, avec l'ensemble de mes homologues dans les autres régions de France, sous le patronage de la DGPR. Nous avons des échanges évidemment très nourris, par e-mail et par téléphone. Ces échanges sont très fréquents, hebdomadaires ou a minima mensuels.

Les différents chefs de pôle ont ce même type de réunions régulières avec leurs homologues. Les personnes qui sont chargées des PRSE ont également ce type de réunions régulières, avec notamment le bureau santé-environnement de la direction générale de la production agricole (DGPA). Ces réunions se déroulent actuellement en visioconférence. Nos interactions sont donc très nourries. Elles permettent d'avoir une position homogène sur un grand nombre de sujets techniques, d’éviter la reproduction d’erreurs déjà commises et de partager les bonnes pratiques et expériences réussies. Ces rencontres sont souvent très inspirantes et permettent de se nourrir des expériences réalisées ailleurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ces interactions sont-elles de votre initiative ?

M. Alexandre Leonardi. Non. Ces interactions sont à l’initiative de la DGPR. Si nous pouvons également susciter des échanges plus informels avec nos collègues, ces réunions sont organisées par la DGPR.

Quant au partage des pratiques en santé-environnement avec les directions régionales, les ARS et le conseil régional, l’ARS est très impliquée dans le PRSE, à la fois dans le copilotage, par une personne déléguée, et dans la conduite de différentes actions, lesquelles comptent au nombre de celles avançant bien dans notre PRSE. Vous comprendrez que la période n’est pas propice à l’implication de l’ARS. Néanmoins, cette période particulière mise à part, l’ARS s’implique fortement, peut-être parce que cela relève davantage de son cœur de métier. Ils sont en tout cas très investis.

Au sein de la DRIEE, différents services sont porteurs d’action. Nous avons également d’autres sujets de santé-environnement, au sens propre, tels que le plan de protection de l’atmosphère, porté par le service « énergie climat ». Ce sujet n’est pas inclus dans le PRSE, car il est lui-même très conséquent. D’autres directions régionales sont investies.

En Île-de-France, les directions « métiers » s’impliquent également dans des actions : la DRIHL pour le logement, la direction régionale et interdépartementale de l'équipement et de l'aménagement (DRIEA) pour l’aménagement, la direction régionale interdépartementale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRIAAF) pour l’agriculture. Par exemple, la DRIEA s’implique dans des actions concernant les liens entre aménagement et santé et le développement d’un urbanisme favorable à la santé.

Tout réside dans l’animation et le portage de ces actions. Quand un pilote est dynamique et motivé, cela fonctionne très bien. Quand une rupture existe entre un porteur d’action qui part et un porteur d’action qui arrive, ce travail de pilotage est nécessaire. J’ai le sentiment que, selon les régions, le sujet est diversement porté par les préfets ou les secrétaires généraux aux affaires régionales. Pour cette raison, l’implication est très variable en fonction des régions.

En revanche, les interactions sont beaucoup moins nombreuses avec le conseil régional. Je ne serais pas capable d’en dire la cause. En vue de cette audition, j’ai essayé d’en comprendre la raison. J’ai retrouvé un échange entre mon administration et le conseil régional, la DRIEE ayant proposé différentes options. Le conseil régional avait le choix entre s’impliquer dans le copilotage politique (dans un schéma à trois avec l’ARS) ou, plus simplement, s’impliquer dans le copilotage d’actions thématiques sur des sujets d’intérêt pour lui. Ce dernier choix de s’impliquer seulement dans quelques actions a prévalu. Concrètement, nous avons des échanges occasionnels sur le sujet. Je me souviens, par exemple, d’un échange sur les liens entre biodiversité et santé. Néanmoins, en Île-de-France, ce sont des sujets qui restent malheureusement très limités.

Les spécificités de l’Île-de-France sont fortes. Je ne vous décrirai pas l’Île-de-France, que vous connaissez. Plusieurs éléments peuvent avoir un impact sur la santé.

Tout d’abord, l’Île-de-France compte une forte densité de population, ce qui signifie des nuisances potentielles, comme les nuisances sonores qui sont plus fortes chez nous qu’ailleurs.

Ensuite, la région possède des réseaux de transports très denses et situés à proximité des habitations, comme les transports routiers qui sont une source majeure de pollution.

Enfin, l’Île-de-France dispose d’un tissu industriel, historique, s’étant plutôt déplacé vers les départements de grande couronne mais restant important, même s’il l’est moins que dans des zones comme la vallée du Rhône ou la zone de l’Étang de Berre près de Marseille.

Par ailleurs, les anciens sites pollués constituent une préoccupation un peu plus prégnante en Île-de-France qu’ailleurs. Cela s’incarne, à travers le PRSE, dans des projets de diffusion de recommandations sur le jardinage en milieu urbain. En moyenne, si vous habitez dans un département rural, vous avez assez peu de chances qu’il y ait eu une activité polluante sur ou à proximité de votre jardin potager. Si vous habitez dans la petite couronne, les chances sont beaucoup plus fortes, de nombreuses activités industrielles anciennes ayant pu causer des pollutions, qui peuvent être suivies par les services de l’État.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous réalisé une cartographie de l’historique des sols pollués ? Le cas échéant, avez-vous partagé vos informations avec la population ?

M. Alexandre Leonardi. Oui. Il existe différents portails et bases de données. Il s’agit d’une question d’actualité, puisque le site Infosol a été mis en service le 1er octobre. Ce site vise à récapituler les pollutions passées ayant fait l’objet d’un recensement par les services de l’État. Nous possédons une bonne information sur les secteurs qui ont pu être pollués. Cette information peut descendre jusqu’au niveau de la parcelle. Elle est donc assez précise et tient compte de la connaissance que nous avons des anciennes activités.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pour votre région ou à l’échelle nationale ?

M. Alexandre Leonardi. À l’échelle nationale.

À l’inverse, nous sommes moins concernés par des sujets en lien avec, par exemple, l’agriculture, même si cela est tout de même le cas dans la grande couronne comprenant des départements très agricoles.

Pour le moment, nous n’avons pas de problèmes tels que les moustiques tigres, qui préoccupent certaines régions.

Les effectifs entièrement dédiés à la santé-environnement sont de 0,4 ETP pour la DRIEE et de 0,4 ETP pour l’ARS. Ces effectifs sont « fléchés » PRSE. Mon propos introductif tendait bien à montrer que les 120 inspecteurs de la DRIEE font de la santé-environnement puisqu’ils travaillent à instruire et contrôler les sites industriels susceptibles de générer des pollutions. Je considère que, lorsque l’on instruit des sols pollués et que l’on se préoccupe de savoir si la pollution risque d’avoir un impact sur un captage d’alimentation d’eau potable ou de remonter dans les habitations, nous conduisons réellement des missions de santé-environnement. Nous ne les fléchons pas comme telles dans notre organigramme. Mais ce lien est très fort, à mon sens.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quel est le financement spécifiquement orienté vers la santé-environnement ?

M. Alexandre Leonardi. Pour la DRIEE, le financement est de l’ordre d’un million d’euros sur la durée du plan. Cela représente donc entre 200 000 et 300 000 euros par an, consacrés chaque année à cette fin. Pour l’ARS, les montants sont, à ma connaissance, plus élevés. J’ai mentionné 800 000 euros par an dans mon introduction. Ce budget recouvre plusieurs types de dépenses.

Nous avons recours à une assistance à maîtrise d’ouvrage, qui coûte environ 40 000 euros par an à la DRIEE. Ce montant est substantiel, mais cette assistance apporte vraiment une aide véritable au pilotage des actions, notamment pour préparer les indicateurs, les suivre, être en relation constante et entretenir le lien avec les porteurs d’actions.

On compte aussi des subventions directes, données à certains organismes, et l’implication financière dans des appels à projet, portés conjointement par la DRIEE et par l’ARS. Ils peuvent aussi être portés par l’ADEME et par les conseils départementaux.

0,4 ETP peut sembler faible. J’ai évoqué « l’argumentaire » selon lequel beaucoup de personnes traitent de la santé-environnement. Environ 100 ETP s’occupent de l’inspection d’installations classées en Île-de-France et sont, à ce titre, impliqués massivement dans la santé-environnement.

À mon sens, la politique de santé-environnement a été conçue pour « faire faire », c’est-à-dire apporter financement et soutien à des acteurs qui sont volontaires et qui ont besoin de ces financements. Nous parlions des associations. Certaines sont de droit associatif mais, si on s’attache aux financements, elles peuvent être qualifiées de parapubliques. En effet, elles existent largement grâce aux financements publics de diverses origines (État, régions, départements, communes). Donc, on « fait faire » un certain nombre d’actions en matière de santé-environnement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. En ce qui concerne la gestion des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), vous avez rappelé que votre mission est surtout de surveillance des risques industriels. Vous nous avez expliqué que les contrôles que vous qualifiez « d’inopinés » obéissent en fait à un cycle de visites. Je suppose que chacun sait, qu’une fois contrôlé, il ne fera pas rapidement l’objet d’une deuxième visite. Le caractère inopiné me laisse donc un peu perplexe. Que faites-vous en matière de sanctions ? Certaines entreprises préféreraient payer des sanctions financières plutôt que de passer aux actes. Quels sont vos moyens en ce qui concerne le suivi de vos préconisations ? Quand je pose cette question, ce que j’entends dire, sur le terrain, est souvent suivi de points de suspension… Est-ce un problème de moyens humains ? Est-ce un problème de cadrage réglementaire ? Faudrait-il que la loi ou le règlement se fassent un peu plus pressants ou autoritaires en la matière ?

Vous avez une appréciation plutôt positive de la situation en Île-de-France, sauf que le portage de certaines actions apparaît quelque peu fonction des personnes. Quelles propositions de nouvelle gouvernance feriez-vous pour améliorer la motivation – vous avez en effet parlé à plusieurs reprises de motivation et d’investissement personnel – et l’efficacité de l’organisation ?

M. Alexandre Leonardi. Une périodicité est établie pour les sites industriels que nous inspectons. Les sites présentant le plus d’enjeux doivent être visités au minimum tous les ans. Certains sites le sont bien plus fréquemment. Des sites ont pu recevoir deux visites ces deux derniers mois ou quatre visites dans l’année. Il s’agit de sites majeurs, en fonction de différentes thématiques. Des sites d’importance juste inférieure seront inspectés au minimum tous les trois ans. Certains sites seront inspectés au minimum tous les sept ans. Enfin, il n’y a pas de périodicité minimale pour certains sites, dits « à déclaration », pour lesquels, par défaut, nous n’intervenons pas de façon systématique, mais nous possédons la compétence pour intervenir et aller inspecter.

En Île-de-France, ces visites périodiques occupent entre un tiers et 50 % de notre volume d’inspection. Dans notre programme annuel d’inspection, une partie est déjà préemptée par les sites que nous n’avons pas visités depuis un an, trois ans ou sept ans. Mais cela représente seulement une partie du programme de travail. Le reste de celui-ci peut être dédié à l’inspection des sites qui ne s’attendaient pas à nous voir si tôt. Nous avons donc cette marge de manœuvre, grandissante car nous avons l’objectif, en Île-de-France comme dans toutes les régions, d’augmenter significativement le nombre d’inspections annuelles. Nous tentons de multiplier par deux les contrôles réalisés par les inspecteurs entre 2018 et 2022. Cet objectif est extrêmement important.

On ne peut donc pas dire que les industriels s’attendent systématiquement à nous voir dans l’année qui vient. Cela étant, nous annonçons la plupart de nos visites. La raison n’est pas de rendre service aux industriels. Les sites étant si complexes, nous avons parfois besoin de demander des documents en amont. Nous pouvons également avoir besoin qu’un responsable « qualité-environnement » soit présent sur le site. Or ces responsables sont parfois mutualisés entre groupes. Si nous partons faire une inspection à deux heures de route et, qu’une fois sur place, nous nous rendons compte qu’il n’y a personne, nous aurons perdu une demi-journée. La majeure partie des visites est donc annoncée. En revanche, nous ne listons pas précisément tout ce que nous allons inspecter. Nous pouvons annoncer quelques grands thèmes sur lesquels nous avons l’intention d’inspecter. Nous pouvons aussi demander simplement à l’exploitant de se préparer à notre venue. Les pratiques peuvent être assez différentes selon les inspecteurs. Mais généralement, lorsque nous prévenons de ces inspections, les éléments que nous souhaitons contrôler ne peuvent pas être corrigés en un clin d’œil. L’exploitant ne pourrait pas remettre son installation en ordre juste avant la visite.

Nous effectuons aussi des inspections inopinées. Nous faisons ce choix lorsque nous pensons qu’il est préférable de ne pas prévenir si nous voulons avoir une chance de voir ce que nous venons observer. Nous pouvons également faire ce choix en cas de suspicion d’infraction commise par l’exploitant.

À ces inspections inopinées s’ajoutent ce que nous appelons les contrôles inopinés. Les deux sont quelque peu différents. Les contrôles inopinés sont simplement des prélèvements réalisés par un laboratoire sur les rejets dans l’air, dans l’eau ou dans les tours aéroréfrigérantes.

En conclusion, une bonne moitié de notre action intervient sur des sites qui ne sont pas soumis à la périodicité que vous connaissez bien maintenant.

S’agissant des sanctions, je ne suis pas du tout d’accord avec l’assertion selon laquelle certains industriels paieraient pour ne pas se mettre en conformité. Comment se passe une inspection lorsque nous détectons une non-conformité ? Si nous avons un doute, nous pouvons laisser un certain délai à l’exploitant pour justifier qu’il est en conformité avec la réglementation. Dès lors qu’une non-conformité est établie, l’inspection des installations classées peut proposer une mise en demeure qui est signée par le préfet de département.

Cette mise en demeure laisse à l’exploitant un délai raisonnable pour se mettre en conformité avec la réglementation. Ce délai est fonction de la gravité de l’infraction. Nous aurons envie d’être plus stricts en cas d’infraction grave, mais le délai est aussi fonction de la faisabilité des corrections à apporter. Si nous demandons à l’exploitant de modifier entièrement son installation en deux jours, la justice administrative cassera vraisemblablement notre injonction pour illégalité à demander quelque chose de manifestement impossible à réaliser.

Si les atteintes à l’environnement sont graves, nous avons la possibilité de prononcer des mesures conservatoires pour arrêter immédiatement les effets délétères à l’environnement ou aux personnes ou pour prévenir les risques. Nous faisons usage de cette disposition également.

Une fois que la mise en demeure est échue, nous retournons sur le site et nous réalisons une nouvelle inspection. Nous allons évidemment vérifier spécifiquement le point de mise en demeure, même si, éventuellement, nous vérifierons d’autres points par la même occasion. À partir de là, nous pouvons dérouler un arsenal de sanctions.

Ces sanctions peuvent être une astreinte, c’est-à-dire le paiement d’une somme journalière ou hebdomadaire jusqu’au rétablissement de la conformité. Elles peuvent également être une amende ou une consignation, c’est-à-dire que nous faisons bloquer l’argent sur le compte de l’entreprise jusqu’à la réalisation des travaux de mise en conformité. Ces sanctions peuvent aller jusqu’aux travaux d’office : une fois que nous avons bloqué l’argent, nous pouvons faire réaliser les travaux par quelqu’un, à la place de l’entreprise si elle refuse de se mettre en conformité. Autant dire que ce sont des sanctions plutôt rares, car lourdes à mettre en œuvre. Nous souhaitons ne pas avoir besoin d’en arriver là, cette possibilité nous est néanmoins offerte. Nous pouvons aller jusqu’à la suspension d’activité de l’installation classée. En tout cas, il n’y a pas, sur le plan administratif, de dispositif de transaction administrative, si je puis dire, qui permettrait d’échanger le fait que nous « fermerions les yeux » contre le paiement d’une petite amende. Une telle possibilité n’existe pas en droit administratif.

Le droit pénal ne nous concerne pas. Les infractions à l’environnement peuvent éventuellement constituer des délits. Ces délits doivent être signalés au procureur. Il appartient ensuite à ce dernier de mener l’instruction de ces délits, en fonction de ses propres directives ministérielles, procédure dans laquelle nous intervenons assez peu, sauf à être consultés.

Cette procédure peut permettre des sanctions plus lourdes et prend généralement un peu plus de temps. On adaptera le choix de ces procédures. Les sanctions administratives seront privilégiées pour des industriels que nous connaissons, qui ont « pignon sur rue » et ont l’intention de continuer à fonctionner. Les sanctions pénales seront privilégiées pour des installations illégales qui relèvent vraiment de la délinquance, du banditisme ou des trafics illégaux. Ces installations seront généralement mieux traitées par le volet pénal.

En ce qui concerne la gouvernance, j’ai mentionné les difficultés, vues de la DRIEE, d’un plan santé-environnement dans lequel les collectivités territoriales pourraient être davantage impliquées. Comment renforcer l’implication de ces collectivités ? On peut imaginer une gradation d’options.

Une première option consisterait dans l’implication systématique des collectivités territoriales, soit par l’obligation du co-portage de la politique, soit au travers de la réunion périodique d’une assemblée qui impliquerait ces collectivités de façon obligatoire et systématique. Il me revient moins de traduire ces options en moyens juridiques précis. D’autres régions auront l’occasion de vous faire part de leur perception. Les régions où le PRSE est le plus dynamique sont celles dont le conseil régional s’implique le plus.

De la même façon, des changements intéressant l’implication d’autres collectivités (EPCI, métropoles, etc.) pourraient aller jusqu’au transfert de compétences à certaines d’entre elles. Mais il s’agirait alors de chantiers beaucoup plus importants.

L’autre sujet en matière de gouvernance concerne le fait qu’actuellement, les PRSE sont périodiques, car ils découlent de la déclinaison du PNSE. Cela a des avantages en obligeant les acteurs à se réunir, à discuter et à réfléchir aux actions qu’ils veulent mener. Cela oblige aussi à faire des bilans à mi-parcours, nécessaires même s’ils ne sont pas toujours très confortables. Cela oblige également à faire un bilan final et à relancer la dynamique après quatre ans. L’inconvénient tient au fait que ce pilotage occupe une partie substantielle du temps des chargés de mission gérant le PRSE.

Une autre option pourrait consister dans des feuilles de route continues, comme on le fait pour d’autres politiques publiques. Ces feuilles de route seraient entretenues et mises à jour régulièrement. On y « nettoierait » les actions qui n’ont plus lieu d’être, on en ajouterait de nouvelles. C’est une autre option qui me paraît tout aussi envisageable.

Je précise que je me suis exprimé à titre personnel, n’engageant que moi.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. En œuvrant pour la préservation de l’environnement des Franciliens, comment les informez-vous de leur exposition à des risques naturels et technologiques ?

M. Alexandre Leonardi. En Île-de-France où nous sommes très attentifs à cette politique, nous nous attachons particulièrement à informer, autant que possible, nos concitoyens, en fonction des technologies existantes et des nouveaux médias.

Géorisques est le site de référence en matière de risques technologiques et naturels. Ce site centralise un grand nombre de connaissances pour le citoyen – il s’agit en tout cas de la compréhension que j’en ai. Si vous allez sur georisques.gouv.fr, vous pouvez entrer votre adresse et être informé sur les risques qui existent aux environs. Vous aurez à la fois une visibilité des installations classées se trouvant à proximité mais, surtout, une visibilité des différents risques majeurs recensés. Si votre habitation est située au-dessus d’anciennes carrières, vous trouverez des informations sur d’éventuelles cavités, si elles existent. Si votre habitation est située dans une zone soumise à un plan de prévention des risques technologiques (PPRT), vous trouverez ce type d’informations réglementaires. Vous trouverez aussi de l’information sur les risques d’inondation. Cela concerne les fameux plans de prévention des risques naturels (PPRN) qui ont malheureusement fait récemment l’actualité. Nous fournissons les données de ce portail d’informations. Les données proviennent de nos propres bases de données. Vous avez aussi les arrêtés préfectoraux applicables pour une installation classée. Nous avons aussi accès aux registres des émissions polluantes de ces installations via le portail Géorisques. Vous pouvez voir quelles ont été les émissions passées des différentes industries. Géorisques est la pierre angulaire du dispositif ou, en tout cas, est en voie de le devenir. À titre personnel, il m’apparaît une très bonne chose que le citoyen puisse avoir accès à l’information nécessaire sur un endroit donné. Il n’empêche qu’une certaine technicité est encore requise dans l’utilisation de l’outil. Nous nous efforçons d’en simplifier l’utilisation. Même si cela reste d’accès plus facile aux spécialistes qu’aux simples citoyens, cela devient tout de même très lisible.

Il existe d’autres dispositifs. J’ai parlé d’Infosol, au sujet des sols pollués. Nous essayons de co-animer différents outils. Cela peut concerner les risques naturels ou un grand nombre de thématiques. Néanmoins, je dirais que Géorisques est la réponse immédiate à votre question.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quel enseignement tirer de la crise sanitaire, provoquée par l’épidémie de la Covid-19, en termes de santé environnementale ?

M. Alexandre Leonardi. Cette question est plus créative. Il est difficile de répondre spontanément. Il peut être difficile de parler de santé-environnement actuellement alors que le sujet d’actualité relève plutôt de la santé « dure » et de l’infectiologie. Lorsque cette crise sera finie – si elle cesse un jour – il ne faudra pas oublier tout ce que nous disions avant, dans nos discussions sur le PNSE. Il y a un peu plus d’un an, nous parlions beaucoup du basculement du monde d’un régime de maladies infectieuses et de grandes pandémies – en partie éradiquées telles que la variole et la polio – vers un régime de maladies chroniques. Il est sûr que tenir ce message est difficile en pleine crise de la Covid-19. Je pense néanmoins que cela restera vrai. Il nous reste évidemment beaucoup de chemin à parcourir pour la bonne compréhension des influences des différents agents extérieurs sur notre santé.

Cette crise sanitaire a aussi montré que toutes les administrations et collectivités étaient capables de travailler très étroitement ensemble, avec réactivité. Le traitement des déchets des activités de soins à risques infectieux (DASRI) nous a mobilisés en Île-de-France. Ces déchets, produits par les hôpitaux, incluaient notamment les équipements de protection des soignants, qui n’avaient pas le temps de s’occuper de leurs déchets. Il nous appartenait donc, en back-office, d’assurer leur traitement correct et l’existence d’exutoires à cette fin, alors même que la situation était inédite, en termes de consommation d’équipements de protection individuelle. Dans ces interactions, nous avons travaillé avec l’ARS et avec certains industriels, volontaires et très réactifs. Nous avons su conduire des gouvernances à plusieurs voix. Nous avons des échanges très nourris, réguliers et d’une extraordinaire facilité avec les administrations centrales.

La crise sanitaire nous aura aussi montré que nous sommes capables de mener ce genre de politiques. Nous pouvons former le vœu que l’on maintienne ces bonnes pratiques, y compris sur des sujets chroniques, sur lesquels il est malheureusement un peu plus difficile de mobiliser en urgence. Ces sujets chroniques sont pourtant de vraies urgences de santé publique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre réponse est très intéressante et surtout très optimiste. On tire toujours des leçons des crises, qu’elles soient collectives ou personnelles. J’ai été très intéressée par la façon dont cela s’est passé en Île-de-France. Tant mieux pour les Franciliens. Je suis plus nuancée concernant d’autres régions. Effectivement, tout le monde a été mobilisé. Tout le monde s’est senti, à un moment ou à un autre, coresponsable de la gestion de cette crise. Effectivement, il y a eu une prise de conscience de la nécessité de tous travailler en commun.

Je salue votre investissement, que l’on sent vraiment passionné, dans votre mission, ô combien importante, de prévention des risques.

M. Alexandre Leonardi. C’est un beau métier, que l’on est heureux d’exercer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cela se sent. Je vous remercie.

L’audition s’achève à quatorze heures cinquante-cinq minutes.

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25.   Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) du Grand Est (21 octobre 2020)

L’audition débute à quinze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) du Grand Est. Parmi les compétences des DRAAF, services déconcentrés du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, figurent le contrôle de la distribution et de l’utilisation des produits phytosanitaires, des matières fertilisantes et des supports de culture, ainsi que de la diffusion des bonnes pratiques de protection des végétaux.

Monsieur Joulin, que pouvez-vous nous dire de la mise en œuvre des plans Écophyto dans le Grand Est ? Comment intervient la DRAAF dans l’élaboration et la mise en œuvre du plan régional de santé-environnement (PRSE) ?

(M. Arnaud Joulin prête serment.)

M. Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt du Grand Est. Permettez-moi de me présenter rapidement, afin que vous compreniez mon implication sur ces sujets. Je suis ingénieur agronome de formation, initialement spécialisé en protection des cultures. Depuis 1997, je traite des questions relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et à leur comportement dans l’environnement. Je participe à ce titre à l’amélioration de la connaissance de leurs pratiques d’utilisation, la mise en place d’expérimentations, la promotion de pratiques alternatives à leurs usages et l’animation de groupes techniques ou d’expertises au niveau régional et national. Dans un premier temps, j’ai occupé ces fonctions au travers de ce que l’on appelait, à l’époque, les « groupes régionaux phyto », constitués au début des années 1990. Ensuite, de 2009 à 2015, j’ai assuré la fonction de chef de projet Écophyto, chargé de la mise en œuvre de ce plan pour la région Lorraine, avec l’ensemble des parties prenantes. Enfin, à la suite de la réorganisation territoriale de 2015, je me suis vu confier la mission « agroécologie et innovation » à l’échelle de la région Grand-Est, rattachée à la direction de la DRAAF. Dans ce cadre, j’interviens en appui auprès des services métier de la DRAAF, afin d’apporter une expertise agronomique ou de traiter de thématiques transversales à dimensions techniques.

En ce qui concerne plus spécifiquement le plan régional santé-environnement (PRSE), j’ai eu l’occasion d’être associé à l’élaboration des deux premiers plans régionaux pour la région Lorraine, en apportant mon expertise sur les sujets liés aux pesticides. J’ai également été associé, de manière beaucoup plus étroite, tout au long de la démarche d’élaboration du PRSE 3 de la région Grand Est. J’y porte la responsabilité d’un objectif opérationnel sur le sujet des pesticides, que je vais vous présenter.

Je voudrais revenir un instant sur les compétences de la DRAAF en matière de santé environnementale, qui peuvent être divisées en deux grandes catégories. En premier lieu, ces compétences se présentent sous la forme d’un apport d’expertise sur les sujets liés aux techniques agricoles, et en particulier sur les usages des produits phytopharmaceutiques. En second lieu, ces compétences s’exercent à travers la conduite de certaines politiques publiques, que la DRAAF est chargée de mettre en œuvre et qui peuvent avoir une incidence sur la santé environnementale.

Pour illustrer mon premier point concernant l’apport d’expertise, je vais d’abord vous présenter l’implication de la DRAAF concernant le PRSE. Dès la deuxième génération des PRSE, une articulation claire avec le plan Écophyto a été établie, qui a été renouvelée et approfondie à l’occasion de l’élaboration de l’actuel PRSE. Là où le plan Écophyto s’occupe de la promotion des pratiques alternatives pour la réduction des usages des produits phytosanitaires, le PRSE, quant à lui, approfondit les questions relatives à l’exposition à certaines catégories de produits.

Dans l’actuel plan a ainsi été mis en place un objectif opérationnel, dont je suis responsable : consolider et améliorer la diffusion des connaissances liées à l’exposition de produits phytopharmaceutiques. Cet objectif opérationnel regroupe trois actions. La première est la déclinaison de l’objectif national concernant les mesures de produits phytopharmaceutiques dans l’air. C’est une action pilotée par l’association agréée de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) régionale, ATMO Grand Est. Cette action s’inscrit dans le prolongement d’actions innovantes déjà lancées sur ce thème dans le Grand Est dans le cadre du précédent PRSE. Certaines de ces actions ont été lancées en coordination avec la profession agricole, voire même par son impulsion.

La deuxième action concerne la mobilisation des données existantes sur les produits phytosanitaires afin d’évaluer l’exposition de la santé humaine à ces produits. Cette action, pilotée par l’observatoire régional de la santé (ORS) du Grand Est, prolonge le diagnostic initial du PRSE et vise à apporter les éléments d’évaluation des expositions des populations ou, au moins, à identifier les secteurs potentiellement les plus concernés par la présence de produits phytosanitaires.

La troisième action porte sur l’amélioration de la diffusion des données sur l’exposition aux produits phytosanitaires. Cette action est co-pilotée par l’agence régionale de santé (ARS) et la chambre régionale d’agriculture du Grand Est. Je vous ai transmis quelques éléments, produits dans le cadre d’un groupe technique au sein d’Écophyto qui a pris en compte des thématiques de santé-environnement en matière d’indicateurs. Un de ces documents a été largement diffusé dans la presse agricole du Grand Est, auprès de presque tous les agriculteurs de la région.

C’est en raison de la capacité d’expertise développée par la DRAAF que celle-ci a été invitée à s’associer au comité de pilotage du PRSE Grand Est, aux côtés des chefs de file que sont la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et l’ARS, auxquels il convient d’ajouter le conseil régional, très impliqué dans le plan dans notre région. De façon analogue, et ce depuis les groupes régionaux phytos, les services sanitaires de l’ARS – et avant cela de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) – sont étroitement associés à la mise en œuvre du plan Écophyto en région. À ce titre, ils participent activement aux différents groupes de travail susceptibles de les concerner, ainsi qu’à l’élaboration de la feuille de route régionale. Depuis la dernière instruction technique, l’ARS est maintenant directement associée au pilotage du plan Écophyto en région.

La DRAAF apporte sa compétence et son expertise sur l’usage des pesticides à travers un appui à l’élaboration des listes des substances phytosanitaires à suivre dans les analyses réalisées pour le contrôle sanitaire des eaux distribuées, opéré par l’ARS. Ce sujet est peut-être un peu spécifique au Grand Est. Bien que le nombre de substances actives phytosanitaires ait considérablement diminué depuis les années 2000, en passant de plus de 900 à moins de 400 aujourd’hui, une analyse complète représente un coût très important à la charge des collectivités. C’est pourquoi, au moment du renouvellement de la passation des marchés, environ tous les cinq ans, nous mobilisons toutes les données disponibles, les outils de traitement spécifique et nos expertises réciproques afin d’affiner ces listes au mieux, en recherchant le meilleur compromis entre une surveillance optimale et des coûts d’analyse maîtrisés à la charge des collectivités. À partir de l’expérience acquise dans cette collaboration de longue durée, nous avons pu écrire une méthodologie, qui a été soumise, cette année, à la direction générale de la santé (DGS), dans la perspective d’établir un protocole partagé entre les régions.

Le plan Écophyto fait partie des politiques publiques portées par la DRAAF qui entrent dans le champ de la santé-environnement. Je ferai valoir à ce sujet que, parmi les objectifs du plan Écophyto 2+ publié en 2018, est visée non plus seulement une réduction des usages des produits phytosanitaires, et par là de la dépendance des systèmes de production vis-à-vis de ces produits, mais aussi une réduction des risques qu’ils induisent sur la santé et l’environnement. Un objectif jusque-là implicite est donc maintenant explicite, ce qui implique de disposer d’indicateurs conçus expressément pour évaluer son degré de réalisation.

En dehors des produits phytosanitaires, mais toujours au sein du plan Écophyto, il existe une action centrale : le dispositif d’épidémiosurveillance végétale. Il vise au premier chef à surveiller l’état des cultures afin d’optimiser au maximum les applications et les traitements qui seront opérés. La chambre régionale d’agriculture, qui pilote ce dispositif, a répondu favorablement à une demande du réseau Pollin’air, qui demandait la transmission des données de floraison des graminées à son système d’alerte. Ce réseau, qui œuvre principalement à destination des personnes allergiques au pollen, opère également le suivi de l’ambroisie, qui est une plante très allergène.

Le plan Écophyto repose, pour l’essentiel, sur des moyens incitatifs qui visent à convaincre les utilisateurs de produits phytosanitaires de changer leurs pratiques et, à terme, de faire évoluer leur système de production. La DRAAF, en particulier à travers le service régional de l’alimentation, a cependant aussi des actions régaliennes de contrôle qui peuvent participer à la santé environnementale. Ainsi, dans le cadre du contrôle de la conditionnalité des aides attribuées au titre de la politique agricole commune (PAC), des contrôles sont effectués sur le respect des conditions d’utilisation des produits phytosanitaires, en vue, notamment, d’assurer le respect des limites maximales de résidus dans les denrées. Fait également l’objet de contrôles la réglementation dite du « paquet hygiène », qui comprend l’enregistrement de toutes les opérations phytosanitaires réalisées sur les cultures en vue de réévaluer, si nécessaire, les produits détectés.

Dans un tout autre domaine, la DRAAF est également l’autorité académique en matière d’enseignement agricole. Dans ce cadre, elle supervise les dispositifs de formation au Certiphyto, certificat d’aptitude professionnel permettant d’acheter et d’utiliser des produits phytosanitaires de la gamme professionnelle. Cela implique que les formations agricoles qui permettent l’obtention de ce certificat intègrent les bonnes pratiques et les connaissances des techniques alternatives à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. La DRAAF conduit aussi dans ce cadre des actions pour la sensibilisation des apprenants. Ainsi, dans le Grand Est, un « Agro-Écologie Tour » a été instauré par le service régional de formation et développement, en lien avec l’ensemble des établissements d’enseignement publics et privés. Cet Agro-Écologie Tour est une opération visant à sensibiliser les apprenants sur un thème donné, dont une édition a porté sur Écophyto, une autre sur l’alimentation durable, et la prochaine du changement climatique.

Pour conclure, la DRAAF porte en région, et auprès des autres acteurs agricoles régionaux, la politique de transition agroécologique de l’agriculture. Cette transition vise, suivant les termes de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, à promouvoir les systèmes de production agroécologiques – au nombre desquels le mode de production biologique –, qui combinent performances économiques, sociales, environnementales et sanitaires. Cette politique traduit une approche « une seule santé » et s’inscrit donc dans une politique plus large de promotion de la santé-environnement. Elle est déployée dans le cadre de la participation de la DRAAF aux différentes discussions stratégiques auxquelles elle est associée sur les leviers de développement en zone intermédiaire, la stratégie nationale relative aux protéines ou sur les éléments régionaux qui participeront au diagnostic du projet stratégique national de la prochaine PAC.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’activité intense de la DRAAF du Grand Est que vous décrivez pourrait constituer un modèle de la gestion Écophyto. Vous montrez une volonté de partager les informations, de les faire remonter aux administrations centrales, et aussi de diffuser, au niveau local, les bonnes pratiques en matière d’agroécologie.

Rencontrez-vous dans votre région des problématiques particulières de santé environnementale ? Avez-vous rencontré dans la mise en œuvre des politiques que vous avez décrites des difficultés particulières qui pourraient être communes à d’autres régions, et sur lesquelles vous pourriez avoir des propositions à faire d’amélioration de la gouvernance ? Je parle particulièrement de la mise en œuvre des plans Écophyto, puisque vous êtes reconnu comme un grand spécialiste de la gestion d’Écophyto 2. Vous avez souligné que nous sommes passés d’une approche focalisée sur les usages à une approche de gestion des risques sur la santé environnementale. Quelles sont les expériences que vous tirez de cette gestion, qui pourraient être partageables avec d’autres régions, et nous éclairer sur les améliorations à apporter à la gouvernance ?

Sur un sujet plus précis, j’ai regardé les documents que vous nous avez apportés, et je voudrais savoir si vous êtes en mesure d’obtenir des données sur le recours aux produits phytopharmaceutiques par parcelles agricoles. Les Américains peuvent les obtenir d’une façon très précise, et je me demande pourquoi nous n’y arrivons pas en France.

M. Arnaud Joulin. Je concentrerai mon propos sur les produits phytosanitaires. Le plan est basé sur un objectif de résultats : nous nous sommes fixé un objectif de réduction de 50 % des usages à l’horizon 2025. À partir du moment où nous nous fixons un objectif de ce type, nous devons nous donner les moyens de le mesurer. Trouver quel indicateur serait utilisé pour mesurer cet objectif de réduction a même été le premier élément travaillé dans le cadre d’Écophyto. À cet effet, nous avons saisi l’opportunité de la création de la base nationale de données des ventes (BNDV), qui récupère les données de vente de l’ensemble des produits phytosanitaires. Nous avons souhaité l’utiliser au niveau régional. Dans un premier temps, cela n’a pas été possible car les données de vente étaient agrégées au niveau des sièges des distributeurs et nous obtenions des artefacts de distribution qui posaient de vrais problèmes. Par exemple, pour un grand distributeur opérant sur plusieurs régions, les ventes étaient comptabilisées pour un seul site, de telle sorte que nous étions amenés à enregistrer un excès de ventes dans une région et un déficit dans la région limitrophe. Nous avons pu corriger ce problème de distribution géographique à partir du moment où nous avons intégré la récupération du code postal des vendeurs en 2014, ce qui a rendu possible la réalisation des travaux que je vous ai transmis.

Il n’empêche que la BNDV n’a pas été prévue pour faire cette évaluation et ce suivi. Il s’agit d’un outil fiscal créé pour le recouvrement de la redevance pour pollutions diffuses. Nous l’utilisons pour fabriquer des indicateurs, mais ce n’est pas son objectif premier, et il en résulte qu’il faut travailler la base de données avant de pouvoir en tirer des indicateurs de données. Nous n’utilisons pas tous les éléments de cette base car celle-ci enregistre à la fois des produits dont nous cherchons plutôt à développer l’usage – les produits de biocontrôle à faible impact – ainsi que ceux dont nous souhaitons diminuer l’usage. Il faut donc segmenter pour savoir ce que nous devons rechercher.

Maintenant que nous disposons de ces données, l’enjeu est d’élaborer un outil de pilotage à l’échelle régionale. Il s’agissait au départ d’une étude de faisabilité, conduite dans le Grand Est, notamment en utilisant un indicateur national, le nombre de doses unités (NODU). Nous utilisons le NODU plutôt que l’indicateur agro-environnemental des quantités de substances actives (QSA) car il est plus pertinent pour représenter les utilisations de produits phytosanitaires, qui peuvent représenter entre dix grammes et dix kilos par hectare. Le traitement de comparaison à l’aide des QSA aboutit au mélange de données de nature hétérogène. Nous pouvons constater une augmentation d’utilisation en termes de nombre de traitements et une diminution des quantités car nous avons substitué des produits qui s’utilisent à des très forts grammages par hectare par des produits qui s’utilisent à plus faibles grammages. C’est pour cela que nous avons cherché à promouvoir le NODU, qui nous permet également d’analyser les pratiques des agriculteurs de manière assez fine. Cet indicateur est assez proche d’un indicateur que les agriculteurs connaissent déjà : l’indicateur de fréquence des traitements (IFT). Il nous permet d’avoir une analyse au niveau des substances et de susciter une discussion technique sur ces éléments.

Vous me demandez si nous pouvons obtenir des informations à l’échelle de la parcelle, ce qui est possible en théorie. En raison du « paquet hygiène », tous les agriculteurs doivent enregistrer leurs pratiques phytosanitaires à l’échelle des parcelles. En revanche, ils n’ont pas l’obligation de nous les transmettre, et nous n’y accédons que si nous avons besoin d’y accéder. Les seules données pour lesquelles un accès est prévu, notamment par l’autorité publique, sont les données de banque, que nous pouvons récupérer au niveau de la BNDV.

La spatialisation des usages est une question importante, qui se pose si nous voulons travailler des questions de santé-environnement. Nous essayerons de travailler sur cette question avec l’observatoire régional de santé. Nous avons déjà essayé de produire une carte : cette dernière est à prendre avec précaution car il ne s’agit pas d’une carte d’utilisations mais d’achats de produits, donc sa précision est limitée. Les achats peuvent être faits au sein d’un code postal donné et l’utilisation peut être réalisée sur les codes postaux environnants. Un travail au niveau national est également en cours à l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement agronomique (INRAE) afin d’essayer de reconstituer cette localisation des usages à l’échelle de parcelles ou de groupes de parcelles.

Au sujet de la gouvernance, il me semble que, dès lors que nous sommes sur une politique d’objectifs avec une obligation de résultats, il est indispensable de disposer d’un outil de suivi d’évaluation, et donc d’indicateurs correspondants, à l’échelle à laquelle nous déclinons le plan. Sur ce sujet, la direction régionale a toujours été allante quant au partage et au travail de l’information en commun avec les parties prenantes. Ce travail, que je vous ai transmis, a été élaboré dans le cadre d’un groupe indicateur qui réunit les acteurs de l’administration (la DREAL, l’ARS et la DRAAF) mais aussi les coopératives agricoles, la chambre régionale d’agriculture, le négoce agricole et les agences de l’eau. Cela permet d’avoir une vision partagée. Le travail qui en résulte est factuel, car l’intérêt de la BNVD est de s’appuyer sur des données factuelles, qui ne sont pas discutables. Cela nous donne une base de discussion commune, sur laquelle nous pouvons commencer à avancer.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quel serait, selon vous, notre levier d’action principal pour pallier l’érosion alarmante de la biodiversité et la dégradation des ressources ? Et comment pourrait-on lier une agriculture durable et un effort économique viable pour inciter les populations à adopter une meilleure alimentation, c’est-à-dire une alimentation durable, en lieu et place de notre alimentation actuelle, trop riche et déséquilibrée ?

M. Arnaud Joulin. Je vous l’ai dit, Écophyto est une politique incitative : la question est donc celle du déterminant de l’incitation. Quels sont les déterminants que nous pouvons activer pour provoquer les changements de pratiques que nous souhaitons voir aboutir ? Une exploitation agricole est, avant tout, une entité économique, même si je suis témoin qu’en vingt ans, la perception des agriculteurs et des conseillers agricoles a considérablement évolué par rapport aux produits phytosanitaires. Il n’empêche qu’ils sont des acteurs d’un système économique, et il leur faut une exploitation rentable. Par rapport à une entité économique, je ne vois que deux déterminants : la réglementation, sur laquelle repose une grande partie des actions environnementales, ou des déterminants fiscaux. Où est-il le plus pertinent d’activer ces leviers ? Un agriculteur produit des denrées qu’il doit vendre. Il faut donc que les acheteurs soient prêts à acheter ce qu’il vend : les consommateurs et les entités de distribution sont in fine ceux qui décident ce que peut produire l’agriculteur.

Un des grands leviers dans le cadre de la transition écologique est l’allongement de la rotation des cultures, c’est-à-dire la production de nouvelles cultures. Le problème est qu’il est nécessaire que des gens achètent, collectent et stockent ces cultures. Dans le Grand Est, où opèrent de très grands organismes stockeurs, coopératives et négoces, tout l’outil industriel est de grande dimension. Nous avons de très grands silos localisés à peu près sur tout le territoire. Dès lors que l’on veut initier une nouvelle filière ou une nouvelle production, la difficulté est de mettre en place un circuit de collecte qui fonctionne, qui ne soit pas trop cher et qui puisse remplir un grand silo. Il y a donc aussi un problème de transition de toute la filière, notamment de la collecte et du stockage, afin de favoriser des prises d’initiatives sur de nouvelles cultures, notamment l’allongement des rotations par l’introduction d’autres cultures alimentaires ou non alimentaires. Il faut avoir des outils qui permettent cette diversification et qui puissent créer un appel d’air sur de nouvelles productions.

Du point de vue de l’alimentation, le programme national nutrition santé (PNNS) contient un certain nombre de nouvelles préconisations pour une alimentation plus saine et plus durable. Si ces revendications parviennent jusqu’aux exploitations agricoles, cela signifiera que l’on aura créé une demande pour ces produits. Pour le bio, la situation est assez simple avec un cahier des charges cadré et une marque reconnue. Pour des produits intermédiaires, qui visent à une alimentation saine et durable sans être forcément bio, nous ne disposons pas d’identifiants qui permettent à la fois à des distributeurs de les mettre en avant de manière claire et reconnue et de solliciter, par la suite, la production auprès des agriculteurs. Il faut se demander où commencer le travail : je ne suis pas persuadé que l’échelon de l’exploitation soit le premier échelon.

Ce sont là, en tout état de cause, les résultats des analyses que nous avons conduites dans le cadre d’Écophyto. La première version du plan mettait à disposition des agriculteurs des outils qui devaient leur permettre de faire évoluer leurs pratiques, mais il y manquait le déclic déterminant pour les inciter à changer leur pratique afin de valoriser leur production. Le seul élément qui fonctionnait était de montrer une diminution des charges qui leur permettait d’aboutir à un résultat financier satisfaisant. Dans un contexte de production marqué par des productions et une rotation simplifiées, ce levier est compliqué à activer, même si des exploitations y sont parvenues. Cela est plus ou moins faisable en fonction des situations de sols, de climat, etc. Mais la capacité d’initiative serait démultipliée s’il y avait un déterminant clair en faveur de certaines méthodes de production ou de certaines natures de produits. Ces stratégies ont fonctionné vis-à-vis d’agriculteurs pionniers qui cherchaient à se lancer. La difficulté est d’atteindre ceux qui ont besoin d’être sûrs d’atteindre un résultat.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cela est d’autant plus vrai que l’agriculture bio représente actuellement 8 à 9 % de la production agricole.

Pour revenir sur le plan Écophyto, nous avons entendu des analyses très différentes au cours des auditions. Nous avons entendu une personne auditionnée nous dire qu’Écophyto est un échec, et un représentant de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) nous a dit qu’il s’agit peut-être plutôt d’une semi-réussite que d’un échec complet. Vous nous avez expliqué les raisons pour lesquelles nous sommes au milieu du gué. Que faudrait-il pour renforcer le plan Écophyto ? Les sommes engagées sont considérables. Par rapport à votre pratique dans le Grand Est, que pourriez-vous proposer à l’échelle nationale pour que ce plan soit plus performant ?

M. Dominique Potier. Je voudrais préciser que les sommes engagées dans le plan Écophyto dépendent de la façon dont on les comptabilise. Si nous comptons uniquement les fonds consacrés au ministère de l’agriculture, nous nous situons vers 70 millions d’euros. Si nous ajoutons ceux des agences de l’eau, les sommes sont beaucoup plus importantes. Il s’agit d’une question de reconstitution des crédits alloués par les différents ministères.

M. Arnaud Joulin. Pour répondre à votre question, Madame la Présidente, nous revenons à la question des déterminants. Comment inciter les agriculteurs à changer de pratiques ? Il faut créer un marché répondant à l’objectif de réduction des usages et des risques liés à l’utilisation de produits phytosanitaires, la difficulté consistant à créer une nouvelle niche de produits qui répondent à ces préoccupations. La loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) a introduit certaines obligations réglementaires, à travers l’incorporation de produits issus de l’agriculture biologique ou de systèmes de production durables.

La politique agricole commune (PAC) est également un déterminant majeur de ces évolutions : quels outils la PAC fournira-t-elle dans cette visée ? La stratégie « De la fourche à la fourchette » publiée le 20 mai 2020 par la Commission européenne reprend, dans ces grandes lignes, les objectifs du plan Écophyto et une partie des objectifs de la loi Égalim, et elle est donc cohérente avec nos textes. La question est de savoir si, à l’issue des négociations autour de la PAC, il y aura des outils disponibles pour articuler ces éléments de manière forte et volontariste, sachant que toutes les études internationales intégrant la question du changement climatique à l’horizon 2050 soulignent qu’il nous faut changer notre système alimentaire.

Au niveau régional, la situation doit s’analyser en tenant compte des particularités locales. Dans le Grand Est, il y a d’une part la production des fourrages pour l’important troupeau bovin laitier, situé notamment en Lorraine et dans la zone intermédiaire. Par ailleurs, il existe également des zones de production de grandes cultures presque spécifiques dans la Champagne crayeuse et dans l’Alsace. Ni les contraintes ni les enjeux ne sont pas les mêmes – et je ne parle même pas des régions viticoles.

Vous me demandez quel levier activer au niveau national – il est surtout question de réussir à créer un déclic. Au niveau national, il faut avoir un objectif fort et le tenir dans le temps. J’ai suivi pendant plus de vingt ans les différentes politiques de réduction ou d’action ministérielle et interministérielle sur les produits phytosanitaires : nous avons eu tendance à osciller entre des périodes volontaristes et des périodes d’inertie. Écophyto, qui a traversé trois majorités et s’inscrit dans la durée, s’est retrouvé dans cette position, avec une période flottante où nous ne savions pas vraiment quelles étaient les consignes et les volontés de conduite de ce plan.

Il est également important de porter le message d’Écophyto au niveau national, car on en entend peu parler, d’autres sujets ayant focalisé davantage l’attention. L’approche d’Écophyto présente l’intérêt d’être globale, mais elle mériterait d’être toilettée. D’autres questions, concernant notamment le changement climatique et la santé environnementale, ont en effet acquis une plus grande importance depuis le lancement du plan, et méritent d’être mieux articulées et traitées dans le plan. L’important est d’avoir une approche stable dans le temps : les changements au niveau des filières et des exploitations ne peuvent pas se produire du jour au lendemain. Un agriculteur n’investira pas le tiers de son exploitation dans une nouvelle culture d’un seul coup : il commencera, au contraire, par une petite parcelle, et si cela fonctionne, il poursuivra sur une autre. Il y a un temps d’adaptation et d’acculturation pour apprendre les pratiques. Il faut également que les filières se structurent. Nous avons besoin d’un effort et d’un soutien continu.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles sont les pathologies en lien avec l’alimentation les plus présentes sur votre territoire et quelles actions déployez-vous pour les prévenir ?

M. Arnaud Joulin. D’après ce que je sais du diagnostic conduit dans le cadre du PRSE, le Grand Est se caractérise par une surmorbidité en termes de diabètes et de maladies pouvant être rattachées à des questions alimentaires. Les déterminants sont peut-être un peu complexes à expliquer – c’est une question de spécialiste sur laquelle je ne m’aventurerai pas. Dans le cadre des actions du ministère, un pôle d’accompagnement du plan national pour alimentation (PNA) porte des initiatives, et c’est surtout par le biais du PNA qu’intervient la DRAAF. Il existe des liens avec Écophyto et la santé environnementale, et avec la mise en œuvre des dispositions de la loi Égalim.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Est-ce que vous menez des actions spécifiques, par exemple sur la sensibilisation aux bonnes habitudes alimentaires, notamment auprès des enfants ou d’autres populations ?

M. Arnaud Joulin. Au titre du PNA, des contacts sont établis avec l’Éducation nationale, mais, de ce que j’en sais, l’insertion du projet dans les établissements a été difficile. Le PNA fonctionne par appels à projets, et nous répondons aussi à des projets proposés par des associations, en général sur des questions d’amélioration des pratiques ou bien d’informations sur les pratiques. Ce sujet a été exclu dans le cadre du PRSE 3, alors que les actions du PNA avaient été intégrées dans le PRSE 2. La raison est que, dans le cadre du PRSE 3, nous voulions nous limiter aux actions pour lesquelles les gens ne pouvaient pas agir, or les bonnes habitudes alimentaires relèvent de choix individuels, ne résultant pas d’une pression de l’environnement sur l’individu.

M. Dominique Potier. Monsieur Joulin, vous avez pointé très justement l’absence d’impulsion politique comme facteur de lacunes qu’à mon sens, nous payons très cher. Quand il n’y a pas de pilotage politique, les évolutions s’arrêtent.

J’ai été rapporteur d’une mission sur Écophyto et co-pilote du dispositif auprès du ministre M. Stéphane Le Foll pendant plusieurs années. Madame la Présidente, j’aurais de nombreux éléments à vous communiquer si j’étais auditionné par votre mission, ce qui m’honorerait beaucoup.

Monsieur Joulin, le Grand Est compte dix départements. Pourriez-vous estimer l’intensité de l’engagement des différentes chambres d’agriculture ? Peut-on estimer les nuances des écarts d’engagement ?

M. Arnaud Joulin. Les chambres d’agriculture, qui interviennent à plusieurs titres dans la mise en œuvre d’Écophyto, ont généralement très bien répondu au plan. Comme nous, la difficulté qu’elles ont rencontrée a été le choc des cultures au moment de la réorganisation territoriale. Il existait un grand contraste entre ce que faisaient les uns et les autres dans leurs régions respectives, et il a donc fallu trouver une position commune.

En vingt ans de pratiques dans cette région, j’ai pu observer une grande évolution dans les approches des conseillers agricoles sur ces questions. C’était aussi un des enjeux du réseau Dephy, qui est constitué de groupes de démonstration de changements en pratique. Les conseillers agricoles sont accompagnés par des ingénieurs réseaux, dont un grand nombre sont des techniciens des chambres d’agriculture ayant appris avec leur groupe d’exploitants de nouvelles manières de conduire des exploitations. C’est le principe d’une innovation ascendante : on part des idées de la base, on les reconceptualise, on les renforce techniquement, puis on est en mesure de les diffuser. Tout le principe de ces groupes de développement est là : imaginer des choses sur le terrain et voir comment on peut transposer ces éléments plus largement. D’une certaine manière, ces groupes Dephy ont permis de former des techniciens agricoles à d’autres pratiques. À mon sens, c’est un des grands intérêts de ce dispositif, parce qu’on a recréé une politique nationale du développement par ce biais. Mais ce développement se construisait à partir des techniques des agriculteurs et non à partir d’idées venues d’en haut.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous nous avez dit que vous n’êtes pas spécialiste des questions sanitaires à proprement parler. En revanche, je m’interroge sur les recoupements entre les bases de données sanitaires et environnementales. Il me paraît difficilement compréhensible qu’on ne puisse pas le faire à l’échelle d’une région, notamment en matière d’épandages, sujet sur lequel la DRAAF est en première ligne. Il me paraît difficilement compréhensible qu’on ne puisse pas essayer d’identifier les liens entre ces modes de recours aux phytopharmaceutiques et leurs conséquences sanitaires. Même si vous n’êtes pas spécialiste, pouvez-vous tout de même nous dire quels sont les constats que vous avez pu faire ? Une démarche de rapprochement des bases de données est-elle mise en œuvre ?

M. Arnaud Joulin. C’est précisément ce que nous voulons faire dans le cadre de la deuxième action que j’ai mentionnée, sur l’objectif opérationnel que je porte. Le travail que conduira l’ORS vise à récupérer et à mobiliser toutes les données disponibles, y compris les données sanitaires, afin de les rapprocher des impacts sanitaires observés avec des historiques d’application. Le travail à effectuer est double : la localisation des applications de produits, pour laquelle nous développons une méthodologie, devrait aboutir peu ou prou. Dans un deuxième temps, nous verrons comment rattacher les données sanitaires à une exposition dans des lieux donnés, ce qui n’est pas toujours simple. Nous sommes donc sur ces questions dans une démarche exploratoire en termes de disponibilité, de précision et de qualité des bases de données. Nous déterminerons si les recoupements sont possibles, notamment en intégrant les éléments de toxicologie connus et sûrs sur les différentes substances utilisées, dont nous caractérisons bien les caractéristiques toxicologiques. Cela permettrait de voir si les risques exprimés dans les fiches descriptives correspondent à des pathologies observées sur le terrain.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quels sont les effectifs et les financements que vous déployez spécifiquement à destination des actions de santé-environnement ?

M. Arnaud Joulin. Il s’agit d’une question compliquée, car cela dépend du mode de comptabilisation. Est-ce que l’on intègre dans le décompte, par exemple, tous les contrôles réalisés par le service régional de l’alimentation (SRAL) ? Le SRAL est un grand service de la DRAAF, qui mène plusieurs actions de contrôle. Il vérifie que les produits sont utilisés dans de bonnes conditions, et mène d’autres contrôles exigés par le « paquet hygiène ». Nous avons, par exemple, fait des prélèvements d’herbes sur la présence de dioxines dans des cas de proximité d’un incinérateur. Nous pouvons également nous intéresser à la qualité des eaux d’irrigation sur les légumes feuilles. Par ailleurs, une cheffe de projet Écophyto est chargée du travail stratégique, ainsi que moi-même, en lien avec le PRSE. Des personnes travaillent sur la promotion de l’agriculture biologique (AB), en appui au schéma régional. Définir un périmètre et des effectifs sans disposer d’un tableau précis demanderait une analyse particulière à l’échelle d’une direction, en ayant bien identifié ce que nous y intégrons.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cet éclairage très concret et pragmatique sur la situation agricole dans votre région et, au-delà, sur les problématiques d’accompagnement dans la mutation des pratiques culturales en France. Vous avez évoqué les contradictions entre les affichages et la réalité de la volonté politique, et ces questions sont devenues très sensibles pour la population – je pense aux riverains et aux épandages, mais également à la qualité de la nourriture. J’espère que nous parviendrons à nous mobiliser sur un plan « Écophyto 2++ » qui sera plus opérationnel.

L’audition s’achève à quinze heures cinquantecinq.

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26.   Audition, ouverte à la presse, de M. Joël Duranton, directeur régional adjoint de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) d’Occitanie (21 octobre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous poursuivons cette série d’auditions de la journée avec la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) d’Occitanie. Nous recevons M. Joël Duranton, ingénieur de l’industrie et des mines et directeur régional adjoint de la DREAL d’Occitanie.

Quelles sont les spécificités de l’Occitanie concernant la prévention des risques et des nuisances ? Quelles en sont les conséquences pour l’action de la DREAL ? Quelles sont les relations de cette dernière avec les autres parties prenantes sur le plan régional ? Quel a été le rôle de la DREAL dans l’élaboration et la mise en œuvre du plan régional de santé-environnement (PRSE) 2017-2021 ? Nous allons vous écouter pour un exposé liminaire puis les membres de la commission vous interrogeront.

(M. Joël Duranton prête serment.)

M. Joël Duranton, directeur régional adjoint de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement d’Occitanie. Mon propos introductif se divisera en trois parties. J’aimerais tout d’abord me présenter rapidement : il me semble important de détailler mon parcours professionnel afin que vous compreniez quelle a été ma vision sur ces sujets de santé environnementale tout au long de ma carrière. Je vous présenterai ensuite une vision « de l’intérieur » d’un service déconcentré du ministère chargé de l’environnement et du développement durable. Enfin, je vous exposerai les sujets à enjeux perçus comme essentiels pour la région Occitanie.

Ingénieur de l’industrie et des mines, j’ai intégré la fonction publique d’État en 1985 comme ingénieur divisionnaire et inspecteur des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) à la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE) du Nord-Pas-de-Calais. Pendant vingt-cinq ans et jusqu’en 2010 environ, j’ai été chargé de diverses responsabilités, essentiellement territoriales, dans différentes DRIRE, en régions, en métropole ou en Outre-mer. Ensuite, j’ai occupé des emplois de direction en administration territoriale de l’État pendant dix ans, pour le même ministère. J’ai rejoint la DREAL Occitanie en mai dernier, en tant que directeur régional adjoint chargé de la coordination des politiques publiques de prévention des risques technologiques, ainsi que sur les politiques afférentes à l’énergie et au climat.

La préparation de cette audition m’a permis de réfléchir à ce qui s’est passé sur ce sujet au cours des trente-cinq dernières années. J’ai eu connaissance pour la première fois du terme « santé-environnement » vers la fin des années 1990. Mais il ne s’agissait pas de la première année de cette politique : effectivement, depuis ma première prise de poste en 1985, la santé est une préoccupation constante et figurait déjà dans la loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées pour la protection de l’environnement. Contribuer à l’amélioration de la situation environnementale et sanitaire en minimisant les émissions de substances chimiques dans l’eau, l’air, le sol ou par les déchets est une constante de l’action de l’inspection.

À son origine, cette activité était essentiellement orientée sur les installations classées pour la protection de l’environnement. Au fil du temps, le domaine s’est enrichi en direction de l’encadrement des activités industrielles. De nouveaux outils réglementaires, notamment européens, sont apparus pour renforcer l’activité de contrôle, comme l’illustrent diversement la directive relative aux émissions industrielles (IED) du 24 novembre 2010, pendant des directives Seveso pour les installations émettrices polluantes, les règlements spécifiques sur les flux de fluorigènes, ou encore le règlement Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH) du Parlement européen et du Conseil, adopté le 18 décembre 2005.

L’activité de la DRIRE, devenue depuis la DREAL, est également sortie du strict champ industriel des ICPE. La qualité de l’air en est un bon exemple : dès la fin des années 1970 apparaissent des associations telles qu’Airparif ou son équivalent dans le Nord-Pas-de-Calais, consacrées à la surveillance de la pollution atmosphérique par des polluants d’origine industrielle. Ce sont les ancêtres des associations de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) et de leur fédération ATMO-France, avec lesquelles les DREAL travaillent en étroite proximité. Une évolution a eu lieu, de façon plus prononcée à partir de la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (LAURE) du 30 décembre 1996, et les anciennes AASQA se sont ouvertes à une surveillance globale de la qualité de l’air, quelles que soient les sources émettrices de pollution. L’activité de la DREAL s’est également étendue à d’autres thèmes que le secteur proprement industriel, avec des préoccupations qui sortent du contrôle du fonctionnement industriel. Des champs connexes sont progressivement pris en charge, notamment la cessation d’activité et la réhabilitation des sites et sols pollués, y compris pour les anciennes activités industrielles ou minières. Il s’agit là d’un des enjeux importants pour l’Occitanie, compte tenu de sa géologie et de son histoire industrielle.

C’est dans ce contexte que s’est inscrit l’exercice d’élaboration et de mise en œuvre des plans nationaux santé-environnement (PNSE) et de leurs déclinaisons en régions, à partir de 2004 et avec une approche qui se voulait globale et intégrée. On dénombre trois grands axes : des actions en fonction des priorités du moment, une amélioration globale de la recherche, et un renforcement des actions d’information et de communication afin que ce sujet, assez nouveau, soit pris en compte par les populations.

Le plan régional santé-environnement (PRSE) 3 de la région Occitanie a été adopté par le préfet de région et le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) en 2017. Son pilotage et son suivi d’animation sont co-portés par l’ARS et par la DREAL, avec un comité de suivi composé des services de l’État et un groupe régional santé-environnement (GRSE) réunissant pratiquement une centaine de membres pour les points annuels sur le déroulement du programme. J’aimerais signaler la mise en œuvre d’outils spécifiques de communication. Un site internet a été conçu par les équipes de l’ARS et de la DREAL, ainsi qu’un compte LinkedIn, afin de contribuer à la visibilité du plan. Ce PRSE comporte quatre axes : le premier concerne le renforcement de l’appropriation de la santé-environnement par les citoyens, d’où l’importance des actions de communication. Le deuxième porte sur la promotion d’un urbanisme, d’un aménagement du territoire et de politiques de mobilité qui soient favorables à la santé. Le troisième est relatif à la prévention des risques sanitaires en milieu extérieur – on y retrouve les travaux sur les sites miniers. Le quatrième axe concerne la prévention et la limitation des risques sanitaires dans les espaces clos.

Bien que ce plan soit d’abord un outil de l’État, un enjeu important en est l’appropriation, par les différents acteurs qui pèsent sur ces sujets de santé-environnement au quotidien, et en premier lieu les collectivités territoriales, de ses thématiques et de ses actions. Les collectivités sont en effet concernées en matière d’aménagement, d’urbanisme, de politiques de mobilité, de responsabilités en matière de climat et d’air, ou encore de gestion de déchets. La société civile, notamment le monde associatif et les entreprises, doivent aussi s’approprier cet outil.

Nous reviendrons certainement aux enjeux prioritaires en Occitanie. J’en ai cité un : le traitement des anciennes activités minières. Le second sujet à enjeu dans la région est relatif à la qualité de l’air, notamment dans les deux principales métropoles, Toulouse et Montpellier.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Au sujet de la dynamique locale, vous nous dites qu’en Occitanie, la santé environnementale est essentiellement portée par l’ARS et la DREAL, et vous n’avez pas mentionné le conseil régional. Lors d’une précédente audition avec un de vos collègues des services déconcentrés de l’État, nous avons entendu que l’association du conseil régional était importante pour le bon fonctionnement du plan. Qu’en pensez-vous ? J’aimerais savoir comment vous parvenez à vous situer et à porter le PRSE, compte tenu du contexte que vous venez de nous décrire.

M. Joël Duranton. Le plan régional santé-environnement a été conçu au terme d’un travail conduit par les services de l’État ; son animation actuelle est assurée depuis quatre ans par le binôme ARS-DREAL. Au niveau du groupe régional santé-environnement, cependant, les collectivités ont une présence importante. Il n’empêche qu’il existe un enjeu d’association des collectivités, au-delà même des métropoles et du conseil régional, qui comptent des équipes importantes travaillant sur le sujet. L’intérêt est de réussir à entraîner sur la mobilité de proximité l’ensemble des collectivités, et pas seulement les grandes métropoles qui sont allantes sur le sujet, lorsqu’il existe des soucis du quotidien en matière d’aménagements urbains et de mobilité.

Concernant les sujets de la qualité de l’air, les deux métropoles, conscientes de leur situation, se sont portées candidates dans les appels à projets sur la mise en place de zones à faible émission. Il existe une dynamique sur ces sujets, et nous essayons de l’élargir à l’ensemble des collectivités, au moyen d’un certain nombre d’outils de communication et de fiches pratiques. Cela concerne notamment les plus petites collectivités, qui n’ont pas forcément les moyens en interne pour traiter pleinement le sujet.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. M. Duranton, le lien entre l’environnement et la santé est clairement établi, l’environnement est la clef d’une meilleure santé et l’aménagement du territoire influe directement sur notre mode de vie. C’est donc en agissant sur l’aménagement que l’on peut prévenir les potentielles atteintes à la santé des populations. Face à la crise sanitaire que nous connaissons, que devrions-nous envisager, à votre avis, comme changement immédiat dans les formes traditionnelles de la ville qui pourrait affecter positivement la santé publique ?

M. Joël Duranton. Vous venez de résumer, Mme la rapporteure, l’évolution de la lutte contre les pollutions, un peu défensive jusque dans les dernières années. Nous sommes passés à une logique de promotion des modes d’aménagements qui bénéficient à la santé, dans une approche davantage anticipatrice que curative. La mobilité trouve dans ce cadre un champ d’application important, notamment par la mise en place d’alternatives aux véhicules individuels motorisés, de la promotion de modes actifs de transport, et de la pérennisation d’un certain nombre de réseaux cyclables. Ces réseaux cyclables, qui concernent surtout l’hyper-centre, commencent à s’étendre à Toulouse, mais ce qui est valable pour le centre ne l’est pas forcément pour la grande périphérie. Il s’agit pour nous d’inciter les collectivités à intégrer ces éléments dès l’élaboration de leur programme d’aménagements en la matière.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. En ce qui concerne l’espace urbain, comment pourrait-on l’adapter pour favoriser notre adaptation à des événements climatiques ou sanitaires extrêmes ?

M. Joël Duranton. Bien que cette question ne relève pas strictement du champ d’intervention de la DREAL, je vais essayer de vous répondre. Dans ma vision imparfaite, qui est davantage celle d’un témoin que d’un professionnel sur ce sujet, ce qui relève des petites verdures et de la limitation de l’artificialisation permettra de ralentir et de contrecarrer certains effets, notamment d’épisodes climatiques extrêmes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. À vos yeux, le véritable enjeu est l’association de toutes les collectivités territoriales au-delà des métropoles. Au cours de la gestion de la crise de la covid-19, nous avons vu la difficulté que rencontraient les maires des petites communes pour décider, par exemple, quel produit utiliser pour nettoyer les écoles. Ces maires se trouvaient également en première ligne pour la distribution des masques. Tout cela relève de la santé environnementale. Je me demandais donc comment on pourrait favoriser la mobilisation des collectivités territoriales car, pour le moment, cela ne relève pas de leurs compétences. Il ne s’agit pas d’une compétence obligatoire mais d’une compétence basée sur le volontariat. Ma question est simple : faut-il, à votre avis, introduire une compétence obligatoire santé environnementale dans le code des collectivités territoriales ? Selon vous, de quelle manière cela pourrait-il améliorer les politiques de santé environnementale et la réalisation du PNSE et du PRSE ? Comment faire travailler les maires des petites communes sur la santé environnementale ? Vous avez vous-même évoqué cette piste d’amélioration.

M. Joël Duranton. Les maires disposent de la compétence d’aménagement. Il n’existe pas de difficultés à ce que les collectivités fassent bien les choses et à ce qu’elles intègrent les considérations sanitaires dans le cadre de leurs autres missions d’assainissement et de traitement des espaces verts. Mais il faut que nous soyons davantage en capacité d’apporter aux collectivités des clefs pour aborder ces problématiques. Nous avons fait un certain nombre de guides afin de répondre à ce besoin d’information des collectivités. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) a développé une plateforme de ressources sur ces sujets. Cette plateforme apporte les informations nécessaires pour que les collectivités soient en mesure de prendre les bonnes décisions dans le cadre de leurs différents projets.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous une stratégie d’accompagnement des communes au partage d’informations ? Connaissez-vous, par exemple, le site « agir pour bébé » ?

M. Joël Duranton. Je ne connais pas ce site internet.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’Agence nationale de santé publique (SPF) a créé le site de ce nom à destination des futurs parents, pour les informer sur les risques que court leur futur bébé, notamment si la mère est exposée à des perturbateurs endocriniens. Il existe également un autre site, la boîte à outils réalisée par le ministère chargé de l’environnement, qui est votre ministère d’appartenance. Connaissez-vous cette boîte à outils ? L’avez-vous partagée avec les maires des communes d’Occitanie ? Il y a notamment, dans cette boîte à outils, un volet de santé environnementale. Êtes-vous au courant de ces outils ? Ces questions me permettent de savoir si les informations passent bien de Paris vers les régions, et dans les services déconcentrés de l’État.

M. Joël Duranton. Dans le cadre du PRSE, nous avons nous-même développé un certain nombre d’outils d’information, notamment sur les sujets d’aménagement. Je l’ai dit tout à l’heure, nous nous sommes orientés davantage vers les collectivités. Nous avons également développé des fiches, notamment une sur le sujet du radon. Une plateforme collaborative est également en cours d’élaboration au CEREMA, afin de constituer un vivier de bonnes pratiques sur les sujets relatifs à la santé-environnement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Notre rapport aux milieux et aux ressources naturels peut-il être amélioré, selon vous, par une meilleure implication des citoyens sur ces sujets ? Vous nous avez parlé des élus, mais ne pensez-vous pas qu’il faille également agir dans le sens d’une meilleure sensibilisation des citoyens ? Peut-être avez-vous déjà mis des actions en place ? Pourriez-vous nous les présenter ?

M. Joël Duranton. Des actions de sensibilisation sont menées, notamment par le biais du monde associatif. Le PRSE Occitanie est assis sur des appels à projets. Pour l’essentiel, ces projets sont portés par des associations telles que Graine. Ces projets concernent notamment des actions de vulgarisation sur les sujets liés à la santé environnementale.

Je parlais précédemment du radon. Certains éléments relèvent davantage du niveau des collectivités, comme les obligations de contrôle en matière d’établissements recevant du public (ERP). Mais il y a aussi des éléments d’information pour le grand public, qui permettent de comprendre ce qu’il faut faire lorsque l’on habite sur un secteur susceptible d’être exposé à ce type de risques. Le terreau est fertile sur ce sujet, puisqu’il existe une appétence en la matière. En ce qui concerne les sites internet, nous sommes satisfaits de la fréquentation de notre site, qui n’est pas très ancien. C’est la résultante d’un travail conséquent. Nous sommes conscients que, sur ce genre de sujets, il faut un travail de longue haleine. Ce PRSE est le premier à s’inscrire résolument dans l’association et la communication, là où auparavant, les PRSE concernaient davantage la conduite d’actions identifiées.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette évolution est-elle de votre fait ? Est-ce qu’essayer d’établir ces connexions et ouvrir ce débat participatif est une initiative portée par votre DREAL ? Disposez-vous d’un cadrage par vos administrations et vos ministères de référence ? Ces rapports sont-ils improvisés ou avez-vous fait un bilan objectif, quantifié, rationnel des parties prenantes de la région ? Avez-vous un plan structuré ? Pouvez-vous nous en parler de façon un peu plus détaillée ?

M. Joël Duranton. En ce qui concerne le PRSE, il s’agit effectivement d’une décision locale, lors de la déclinaison territoriale du PNSE, de ne pas s’appesantir sur des actions purement techniques, qui sont d’ores et déjà prises en charge par telle ou telle politique. Il a été décidé localement de se recentrer sur l’animation et la création d’un réseau d’acteurs. C’est effectivement une volonté des services qui l’ont bâti. Nous avons été suffisamment persuasifs pour convaincre le préfet et le directeur général de l’ARS d’aller dans ce sens. L’ARS et la DREAL, ainsi que la direction régionale de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (DRAAF) et le rectorat, ont été entièrement d’accord sur cette approche. Ce sont les services travaillant au niveau du comité de suivi du PRSE – la cheville ouvrière qui a travaillé sur le sujet.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Je voudrais parler d’un autre sujet d’importance : la qualité de l’eau. Quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés concernant cette question ? Comment y veillez-vous ? Avez-vous mis en place des dispositifs pour lutter contre certains risques, notamment sur ce sujet ?

M. Joël Duranton. Je précise que la DREAL Occitanie est une DREAL de bassin. Le sujet de l’eau est donc traité en lien avec l’agence de l’eau du bassin Adour-Garonne. En ce qui concerne les actions de protection que vous évoquez, notamment en matière de préservation de la qualité des captages, la DREAL n’a pas d’activités directes sur ce sujet. En effet, on trouve à la fois des dispositions propres du code de la santé, au niveau de l’ARS, ou des dispositions en matière de police de l’eau, qui seront conduites au niveau des territoires par les directions départementales des territoires (DDT) ou les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). La police de l’eau n’est pas assurée par la DREAL. Nous faisons davantage de la gestion quantitative : le soutien d’étiage, la répartition entre les différents usages, l’irrigation. Néanmoins, il existe une exception : la police des eaux littorales.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pouvez-vous nous expliquer comment se déroule la remontée des informations vers l’administration centrale ? Et pouvez-vous également nous décrire les modalités de financement de vos actions.

M. Joël Duranton. L’essentiel de l’action de la DREAL en matière de santé-environnement se trouve dans les missions très opérationnelles et régaliennes en matière de maîtrise des risques industriels, qui ne concernent pas seulement les industries au sens strict. C’est une activité qui est très centralisée, au niveau de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), avec une informatique nationale, qui intègre les visites et les suites de visite. On annonce sur ce sujet des évolutions en matière d’information du public. Cette partie du travail n’exige pas de remontées spécifiques. Effectuer ces remontées entre dans le cadre du travail classique d’une inspection.

Concernant certains autres sujets, tels que la qualité de l’air, nous pouvons bénéficier de correspondants à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Ces correspondants suivent des thématiques particulières telles que les plans de prévention de l’atmosphère (PPA), par exemple. Nous avons des équipes que nous avons largement mobilisées sur les zones à faibles émissions (ZFE), en lien avec l’avis du Conseil d’État de juillet dernier. Sur certains de ces dossiers plus spécifiques, nous avons donc des correspondants, au niveau des services centraux. La remontée est adaptée en fonction du sujet.

En ce qui concerne le financement de nos actions, nous ne finançons rien concernant les risques industriels. Nos actions régaliennes sont tout simplement financées par le ministère. Pour ce qui est de nos missions d’animation, notamment sur la santé-environnement, nous disposons de sommes qui ne sont pas très importantes. Je parlais d’appels à projets pour appuyer notamment les projets des associations. Cela fait partie du budget que nous pouvons récupérer au niveau des services centraux, au même titre que nous disposons également, dans ce cadre, de moyens pour appuyer et soutenir les projets des associations qui œuvrent en matière d’actions liées à l’environnement. Il s’agit de budgets, limités, de l’ordre d’environ 100 000 euros par an, qui aident les associations bénéficiaires à financer des actions d’accompagnement de mise en réseau.

Par ailleurs, nous avons un financement plus important concernant les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, que j’ai évoquées dans mon propos introductif. Leur financement est assuré par des dotations de l’État en investissement ou en fonctionnement. Il peut aussi être assuré par le versement libératoire de taxes générales sur les activités polluantes (TGAP) pour les industriels concernés et par les financements des collectivités qui font appel à ces réseaux d’associations de mesures pour un certain nombre de travaux, notamment des travaux de modélisation. Ces financements peuvent abonder les travaux préparatoires à la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE), et notamment le travail de modélisation des effets attendus d’un périmètre de ZFE ou d’une limitation en termes de catégories de véhicule.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment avez-vous réalisé la synthèse entre les directives nationales du PNSE et les problématiques spécifiques à votre région, dans le cadre du PRSE ? Comment avez-vous établi les priorités ? Parvenez-vous à suivre toutes les demandes qui émanent de l’échelle nationale ? Comment réussissez-vous à suivre toutes vos problématiques ? Vous parliez du radon et j’imagine que, dans la région, vous parlez aussi de produits phytosanitaires. Comment arrivez-vous, avec 100 000 euros par an, à faire face à toutes ces exigences de suivi de dossiers ?

M. Joël Duranton. Nous ne faisons pas à la DREAL de suivi spécifique du plan national. Nous faisons le suivi des actions du PRSE, mais nous n’avons pas de système de rapportage périodique sur les 110 mesures que compte le PNSE. Je n’en ai d’ailleurs pas connu pour les précédentes versions du PNSE, lorsque j’occupais mes postes précédents. Il y a le plan national, animé au niveau central, et il y a les sujets régionaux, permettant de mettre l’accent sur tel ou tel sujet. Le plan national évoque par exemple les sites et sols pollués : sa traduction concrète en Occitanie est que les travaux sur les sites miniers sont l’un des sujets du PRSE. Nous suivons donc l’état d’avancement des travaux sur les sites miniers. Néanmoins, nous ne suivons pas les 105 actions, car on ne nous demande pas de fonctionner comme cela.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez donc délibérément retenu plutôt quelques actions, qui vous paraissaient particulièrement pertinentes par rapport au bilan que vous avez fait en région. Et vous avez retenu ces actions dans le but de les suivre. Est-ce comme cela que vous avez fonctionné ?

M. Joël Duranton. C’est tout à fait cela. Nous avons exclu certaines actions, certes importantes, mais qui nous semblaient être déjà gérés de manière satisfaisante. Par exemple, dans le PRSE Occitanie, il n’y a rien sur la qualité de l’air. La raison en est que nous avons considéré que, sur ce sujet, les plans de prévention de l’atmosphère existants suffisent. Les PPA sont organisés avec des programmes de mesures, qui font l’objet de leur propre suivi avec l’ensemble des parties prenantes sur ce sujet. Nous aurions pu citer la qualité de l’air mais nous préférions traiter des dossiers sur lesquels nous n’avions pas de cadre de traitement d’ores et déjà abouti.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comme leur nom l’indique, les stratégies de santé environnementale concernent des interactions entre la santé et l’environnement. Comment établissez-vous le rapprochement entre, d’un côté, les données épidémiologiques de santé publique qui vous viennent de l’ARS et, de l’autre côté, les données que vous recueillez dans vos démarches environnementales ? Est-ce que ce rapprochement inspire les choix que vous faites dans le PRSE de la région ?

M. Joël Duranton. Nous n’avons pas, à ce stade, de croisement des données sanitaires et environnementales à l’échelle de la région. C’est à l’occasion du traitement d’un dossier spécifique que nous opérons ces croisements. Ce sont des données sanitaires qui sont recueillies à l’occasion du traitement de ces dossiers, puisque les services de la DREAL et les services de l’autorité sanitaire sont maintenant habitués à travailler ensemble. Ainsi, les études d’imprégnation qui peuvent être menées ne sont généralement pas effectuées à partir de données existantes. Je pense par exemple aux études sur l’imprégnation menées par l’ARS sur la vallée de l’Orbiel ou aux études sur l’imprégnation de plomb dans le Gard. En fin de compte, il n’existe pas de travail macro de croisement des données à l’échelle de la région.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons des retours selon lesquels certaines régions se sont livrées à ce genre de rapprochements pour préciser les stratégies régionales de santé environnement. Cela a eu lieu de façon plus ponctuelle que systématique.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous avez abordé le sujet du littoral. En Occitanie, quels sont les risques littoraux majeurs ? Comment luttez-vous contre ces risques ?

M. Joël Duranton. La région Occitanie est très concernée par les risques naturels majeurs. On peut dire qu’elle est concernée par à peu près tous les risques que l’on peut trouver sur le territoire. En effet, les risques sont liés à la montagne (risques sismiques, chutes de blocs, etc.), aux inondations (épisodes cévenols) et, effectivement, au littoral (submersion et gestion du recul du trait de côte). Plus qu’un risque, la gestion du recul du trait de côte est une nécessité.

La manière de gérer les risques littoraux est double. D’une part, il s’agit d’élaborer les plans de prévention des risques littoraux nécessaires. Au-delà de ces plans, il s’agit de repenser, dans une démarche proactive, tout le littoral méditerranéen au travers de la stratégie nationale pour la mer et le littoral, en tenant compte notamment de l’ancienneté du littoral, dont l’aménagement a été conçu dans les années 1970. Il s’agit donc, au-delà de la réalisation de documents de prévention des risques, de repenser le littoral afin de donner une deuxième vie à un certain nombre d’endroits où, si l’on ne fait rien, on aura des difficultés à cause du recul du trait de côte. Cela permettrait également d’accroître la compétitivité touristique de certaines parties du secteur maritime.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous vous remercions d’avoir répondu à toutes nos questions.

L’audition s’achève à seize heures et cinquante minutes.

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27.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Agnès Maurin, directrice, et de Mme Mélanie Delozé, secrétaire générale, de la Ligue contre l’obésité (21 octobre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons souhaité, dans le cadre de notre commission d’enquête sur les politiques publiques de santé environnementale, nous intéresser aux maladies chroniques et notamment à l’obésité. Nous recevons cet après-midi Mme Agnès Maurin, cofondatrice et directrice de la Ligue contre l’obésité, qui fédère des professionnels de la santé et des associations de patients, ainsi que Mme Mélanie Delozé, secrétaire générale de cette association.

(Mme Agnès Maurin et Mme Mélanie Delozé prêtent serment.)

Mme Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l’obésité. Nous sommes très heureuses de pouvoir porter aujourd’hui la parole de 7 millions de nos compatriotes. La Ligue contre l’obésité est une jeune association, fondée en 2014, et agréée par le ministère chargé de la santé depuis deux ans. L’association, qui compte environ 9 000 adhérents bénévoles, fédère à la fois des professionnels de santé et des patients, ainsi que 85 associations de patients sur tout le territoire français.

La maladie de l’obésité, encore mal connue, concerne 15 % de la population française adulte. En 1997, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a classée au nombre des maladies chroniques. Cette maladie concerne les tissus adipeux, considérés comme un organe par les professionnels de santé. Sous l’influence de nombreux facteurs, cet organe recrute plus ou moins d’adipocytes – des cellules graisseuses. À ce sujet, j’aimerais d’ores et déjà battre en brèche une première idée reçue. Il n’est pas nécessaire d’ingérer des calories pour créer de la graisse ! Malheureusement, ce mécanisme peut être engendré par d’autres facteurs : des perturbateurs endocriniens appelés obésogènes, des polluants dans la pollution ambiante, des troubles du sommeil – un sommeil dans un lieu éclairé, un mauvais sommeil ou encore un sommeil trop court. Ces facteurs agissent à la fois sur les gènes, par le biais du développement d’une prédisposition génétique, sur l’épigénome et sur le microbiote intestinal, c’est-à-dire sur notre flore intestinale.

Il est désormais clairement documenté que l’épidémie d’obésité, qui est présente dans le monde entier, est liée au développement actuel de notre modèle sociétal et à notre environnement obésogène. Depuis le début du XXe siècle, les progrès de la médecine ont permis un grand ralentissement des maladies infectieuses. Ces maladies infectieuses, moins présentes et mieux guéries, ont fait place aux maladies chroniques, dont fait partie l’obésité et dont vingt millions de Français sont atteints. Dans les années 1980, 5 % des Français étaient obèses ; en 2012, ce chiffre atteignait 15 %. En France, l’obésité a donc triplé en quarante ans.

La crise sanitaire de la Covid-19 nous questionne quant à nos priorités. Elle révèle à quel point ces maladies chroniques – et notamment l’obésité – fragilisent la vie humaine. Le 12 mars et le 14 octobre derniers, le président de la République a insisté sur l’extrême vulnérabilité des patients souffrant d’obésité, en citant cette pathologie à deux reprises. Il s’accordait ainsi parfaitement aux études françaises et internationales qui montrent, depuis le mois de mars, que les malades de la Covid-19 souffrant également d’obésité présentent une charge virale plus forte, plus longue et donc plus dangereuse. Nous savons aujourd’hui que deux tiers des patients en réanimation souffrent d’obésité, et que l’obésité double la mortalité. L’obésité étant une inflammation chronique des tissus adipeux, elle affaiblit nos défenses immunitaires et permet au virus de mieux circuler. Le chercheur américain M. Jerry Heindel, chef de file de la recherche sur la relation entre l’obésité et l’impact des produits chimiques, a ainsi déclaré récemment à propos des États-Unis : « Nous sommes une nation malsaine : les produits chimiques nous affaiblissent dans notre bataille contre la Covid-19 ».

Mme Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l’obésité. La recherche sur les liens entre perturbateurs endocriniens et obésité date déjà d’une vingtaine d’années. Il est très clair que l’exposition aux produits chimiques contribue de façon importante à l’épidémie d’obésité. De très nombreuses études ont amélioré les connaissances des mécanismes d’action des obésogènes sur l’augmentation de la prédisposition à l’obésité. Nous avons rédigé une note synthétique sur l’avancée de ces connaissances et compilé les travaux de plus de 110 études, et nous laisserons ces documents à votre disposition.

Pour résumer ces études, le professeur M. Jerry Heindel a émis en 2003 l’hypothèse que les perturbateurs endocriniens exercent une influence sur l’obésité car presque tous ses aspects – le stockage des graisses, le contrôle de l’appétit et de la satiété et le métabolisme de base – sont régulés par le système endocrinien. L’idée s’est cristallisée lorsqu’il a été montré que les perturbateurs endocriniens pouvaient activer des récepteurs hormonaux nucléaires actifs dans le développement des adipocytes blancs. C’est donc à partir de 2003 que les produits chimiques favorisant l’adipogénèse ont été appelés « obésogènes ». Les principaux obésogènes documentés sont :

Nous savons avec certitude que ces obésogènes affectent la composition du microbiote intestinal, perturbent le système endocrinien et notamment le contrôle de l’appétit et de la satiété, utilisent des récepteurs hormonaux pour provoquer le développement des adipocytes, favorisent le stockage des calories en réduisant le métabolisme basal, contribuent à la résistance à l’insuline, et entretiennent l’inflammation chronique du tissu adipeux, conséquence particulièrement néfaste en conjonction avec la Covid-19. Nous connaissons également les effets transgénérationnels de l’exposition aux obésogènes, qui exigent une action urgente de santé publique. Les altérations physiopathologiques induites par les perturbateurs endocriniens obésogènes peuvent être programmées épigénétiquement dès le stade fœtal, se déclarer des années plus tard et être transmises aux générations futures.

Mme Agnès Maurin. Nous n’avons pas développé toutes les études, ce qui serait trop long. Néanmoins, il nous semble que le plaidoyer n’est plus à faire et que l’existence des obésogènes est une évidence pour un certain nombre d’entre nous. Je salue d’ailleurs le travail auquel vous avez participé en fin 2019, Madame la Présidente et Madame la Rapporteure, à l’occasion d’une mission d’information sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique. Nous espérons que cette présente commission d’enquête fera avancer les choses. J’appelle de mes vœux que les deux résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU), signées par la France en 2011 et 2018, portant sur la diminution de 30 % des maladies chroniques et l’arrêt de la progression de l’obésité, puissent trouver aujourd’hui un écho dans les conclusions de cette commission d’enquête. Nous aurons, après avoir répondu à vos interrogations, quelques propositions à vous faire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez cité les travaux de M. Jerry Heindel, professeur de médecine américain. Quelles sont les références en France ? Quel est le lien de causalité scientifiquement démontré sur le terrain français et européen ? Vous avez évoqué l’apparition du qualificatif « obésogène » en 2003. Dans quel cadre et par qui ce qualificatif a-t-il été créé ? Cette terminologie a-t-elle été reprise dans le cadre du plan national nutrition santé (PNNS) ? Vos exigences ont-elles été remontées dans ce même cadre ? Une suite officielle a-t-elle été donnée sur l’obésité dans le cadre de la politique de santé environnementale ?

Mme Agnès Maurin. Malheureusement, les causes environnementales ne sont jamais évoquées dans le PNNS, et c’est bien là que se situe le problème. Aujourd’hui, l’obésité est encore essentiellement considérée, par de nombreuses personnes et par l’État, comme un résultat du comportement des personnes qui en souffrent. L’obésité est traitée de la même manière que le surpoids, à travers des messages de santé publique. Comme vous l’avez dit, les quatre PNNS successifs ont surtout évoqué l’alimentation et l’activité physique. Ils délivrent des messages de santé publique parfaitement audibles à toute la population. Ces messages sont bénéfiques pour les personnes présentant un petit surpoids, tel qu’un kilo à perdre. Si vous suivez ces messages de santé publique, vous parviendrez à perdre ce petit kilo.

En revanche, nous déplorons fortement que l’obésité fasse partie du champ des PNNS. Non seulement elle n’y a pas sa place, mais la citer est même dangereux. Parler d’obésité dans les PNNS ne produit qu’une stigmatisation d’un comportement, puisqu’avec un régime et de l’activité physique, les personnes souffrant d’obésité ne parviennent pas à perdre le poids contre lequel leur corps se défend. Cela est même dangereux. De nombreuses recherches ont montré que les régimes entraînent un effet yoyo. Après un régime, le corps reprend ainsi tout le poids perdu pendant le régime. Nous pensons qu’il est urgent de sortir l’obésité du champ des PNNS. L’obésité doit être traitée à part, comme une véritable maladie. Cela pourrait prendre la forme d’un plan obésité, à l’image des plans cancer – mais les plans ne sont peut-être plus à la mode. Il est important de travailler sur l’obésité indépendamment du surpoids. Il est très différent de devoir perdre un kilo et dix kilos.

Mme Mélanie Delozé. En ce qui concerne vos questions quant à l’état de la recherche, nous vous avons parlé du professeur M. Jerry Heindel. Dans les documents que nous laissons à votre disposition, nous évoquons aussi deux congrès, l’un organisé à Parme en 2014 avec des experts épidémiologistes, endocrinologues et neurobiologistes, et l’autre à Uppsala en 2015. En ce qui concerne le terme « obésogène », en 2014, les spécialistes ont proposé d’y substituer le terme générique, plus global, de « perturbateurs métaboliques », car certains perturbateurs endocriniens concernent également les autres pathologies métaboliques que sont le diabète et la stéatose hépatique. Ces études ont été menées par des spécialistes européens reconnus, et ont donné lieu à plusieurs publications. Par ailleurs, ils ont travaillé grâce à des publications antérieures à ces colloques, qui ont été compilées.

Mme Agnès Maurin. Permettez-moi de prendre l’exemple de la recherche sur le microbiote, très développée en France, notamment dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) de Lyon et de Lille. Quoiqu’il ne s’agisse pas d’une recherche dont l’objet est directement les perturbateurs endocriniens ou les obésogènes, cette recherche intègre l’effet des obésogènes sur le microbiote.

Mme Mélanie Delozé. En revanche, la recherche a encore beaucoup à découvrir, notamment en ce qui concerne les mécanismes d’action exacts de ces perturbateurs endocriniens. Vous verrez, dans les études, qu’il existe de plus en plus de pistes. Certaines protéines et des récepteurs hormonaux sont ciblés. Néanmoins, il me semble que le mécanisme d’action de ces perturbateurs endocriniens reste à approfondir.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les liens de causalité sont déjà difficiles à établir en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens. Cette autre catégorie que vous évoquez, les perturbateurs métaboliques, représente une nouvelle piste pour la recherche, notamment pour les études sur les effets cocktail.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Nous avons déjà entendu parler du microbiote et des perturbateurs endocriniens dans le cadre de nos travaux. Nous allons auditionner Mme Claire Pitollat et Mme Laurianne Rossi, rapporteures de la mission d’information sur les perturbateurs endocriniens que vous avez mentionnée. L’État se préoccupe depuis longtemps de l’obésité. Quel regard portez-vous sur les politiques des gouvernements successifs pour lutter contre l’obésité ? Au cours de leurs formations initiales ou continues, les professionnels de santé apprennent-ils à soigner, ou au moins à dépister, l’obésité chez les patients ? Des progrès sont-ils à réaliser sur ce sujet ?

Mme Mélanie Delozé. Votre deuxième question concerne la formation des médecins, qui est pour nous une problématique importante. Dans leur cursus initial, les médecins ne reçoivent, dans le cadre des enseignements qu’ils suivent sur la nutrition, que quatre heures de formation sur l’obésité. Il existe ensuite un diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de nutrition. Il est possible d’être médecin généraliste nutritionniste ou médecin endocrinologue nutritionniste, mais ces médecins portent l’appellation de « nutritionniste ».

Avec les membres de la Ligue contre l’obésité, nous menons une réflexion sur la mise en place d’un diplôme de médecin obésitologue, de la même façon qu’il existe des médecins cancérologues ou diabétologue. L’obésité est une maladie à part entière, dont les causes multiples et plurifactorielles demandent un temps très important dans la prise en charge. Étant donné qu’il n’existe pas de médicaments, le médecin généraliste ne peut pas, à lui seul, prendre en charge l’obésité de façon rapide. Il s’agit donc d’un métier à part entière, qui doit s’appuyer sur les autres spécialistes et les paramédicaux et coordonner tout ce parcours de soins, qui peut être très long.

Quant à la formation initiale des autres professionnels de santé, le problème est le même. Je suis diététicienne de formation, et j’ai dû recevoir une à deux heures de cours sur la prise en charge de l’obésité, envisagée sous le prisme d’un simple régime hypocalorique. Nous n’avons jamais appris les autres causes de l’obésité, la façon dont elle doit être traitée et la prise en charge pluridisciplinaire. Pourtant, le régime hypocalorique ne constitue souvent pas du tout la solution. Notre association est un organisme de formation, et nous nous attelons le plus possible à former les professionnels de santé, afin qu’ils comprennent l’obésité, ses causes et sa prise en charge.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelle est votre position sur l’impact de la Covid-19 sur les patients ? On parle de plus de 40 % de décès à l’échelle mondiale liés à cette maladie chronique, et plus encore des personnes contaminées. Trois grands chefs d’État entrant dans cette famille de personnes dites fragiles sont ou ont été contaminés.

Mme Agnès Maurin. Effectivement, les personnes qui souffrent d’obésité paient un lourd tribut depuis le début de la crise de la Covid-19. Les études internationales se rejoignent toutes sur les mêmes chiffres. Les études françaises indiquent que deux tiers des personnes en réanimation souffrent d’obésité. Les patients souffrant d’obésité ont 50 % plus de risques de décéder. Il s’agit d’un véritable problème. Nous sommes d’ailleurs très satisfaits que, depuis la semaine dernière, le décret du 29 août dernier, qui avait supprimé les personnes souffrant d’obésité de la catégorie des personnes vulnérables, ait été annulé au profit d’un retour au décret du 5 mai.

Mme Mélanie Delozé. Comme l’a mentionné Mme Maurin, le président de la République a mentionné dès sa première allocution les personnes souffrant d’obésité comme des personnes vulnérables face à la Covid-19. Mais l’obésité n’étant pas reconnue comme une affection de longue durée (ALD), il y a eu un décalage entre ce que le Gouvernement a annoncé – les personnes souffrant d’obésité sont vulnérables et à protéger – et ce qui a pu être fait sur le terrain. Les médecins généralistes n’ont pas pu prescrire d’arrêt de travail pour les personnes souffrant d’obésité lorsque celles-ci n’étaient pas concernées également par une affection de longue durée reconnue. Ces personnes se sont dès lors trouvées en difficulté, n’étant pas protégées sur le plan pratique. Cette difficulté s’est encore accentuée à partir du 29 août, lors de la publication du décret leur demandant de retourner sur leur lieu de travail car elles ne faisaient plus partie de la liste des personnes vulnérables. Depuis le début de la crise, on dit à ces personnes qu’elles sont vulnérables tout en ne sachant pas vraiment comment les traiter.

L’idée reçue selon laquelle l’obésité est liée à un problème de comportement a provoqué une culpabilisation des personnes souffrant d’obésité, par opposition aux autres personnes vulnérables, qui ont recueilli la sympathie lorsqu’elles étaient diabétiques ou âgées de plus de 65 ans. Nous avons reçu des témoignages sur les réseaux sociaux concernant la culpabilisation des personnes souffrant d’obésité, qui seraient responsables de leur vulnérabilité. Nous voulons combattre cette idée reçue car, dans tous les aspects de la vie quotidienne, les personnes souffrant d’obésité éprouvent de la culpabilité et ne sont pas traitées comme des patients vulnérables.

Mme Agnès Maurin. Les professionnels de santé de premier recours, à savoir les médecins généralistes, ne sont pas formés à cette maladie. Même s’il existe des personnes obèses depuis très longtemps, cette maladie a été découverte assez récemment et la recherche évolue tous les jours. Ce manque de formation a provoqué une situation dramatique lors de l’épidémie de Covid-19. Comme vous le disait Mme Delozé, nous avons créé un institut de formation. Lorsque les professionnels se forment avec nous et que nous leur expliquons les causes environnementales, génétiques et épigénétiques de l’obésité, ils disent être très en colère de ne pas connaître ces éléments relevant pourtant du savoir médical.

Mme Mélanie Delozé. Effectivement, les professionnels ne sont pas formés à l’obésité. Ils sont encore moins formés à la santé environnementale.

Mme Claire Pitollat. À l’occasion de la mission d’information sur les perturbateurs endocriniens que vous avez mentionnée, dont j’ai été l’une des deux rapporteures, nous avons travaillé à la fois sur leurs effets sur l’environnement et sur leurs effets sur la santé. Ma question concerne le lien entre les perturbateurs endocriniens et l’obésité. Les données actuelles de la recherche sont suffisantes pour considérer la pollution chimique comme un axe complémentaire aux deux axes classiques retenus pour la compréhension de l’obésité. Il semble vraisemblable que l’exposition au bisphénol A et aux phtalates participe à l’évolution de l’obésité. Vous avez déjà évoqué les professionnels de santé. Qu’attendez-vous de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant ce sujet ? Avez-vous des recommandations à faire sur ce point ? Nous faut-il pas selon vous approfondir notre compréhension du lien entre l’exposition à la pollution chimique et l’obésité ? Avez-vous des attentes vis-à-vis de la réglementation européenne des produits chimiques ?

Mme Agnès Maurin. Nous avons suivi avec beaucoup d’attention les travaux de la mission d’information à la fin de l’année 2019. Nous sommes d’accord avec les conclusions que vous avez formulées. Nous aimerions que la présente commission d’enquête insiste encore davantage sur l’existence des obésogènes dont nous avons parlé parmi les perturbateurs endocriniens.

Mme Mélanie Delozé. Nous avons quelques propositions à vous faire, qui ne sont pas très éloignées de ce que vous avez proposé dans le rapport. Tout d’abord, il faudrait informer le grand public sur les polluants chimiques, les perturbateurs métaboliques et leurs effets. Plus on informe sur les causes, plus on réussira à déculpabiliser les personnes souffrant d’obésité. Nous commençons à connaître un peu mieux le mode de fonctionnement des perturbateurs métaboliques et leur lien avec l’obésité : nous avons cité la composition du microbiote, le métabolisme de base ou encore la résistance à l’insuline. Notre deuxième proposition concerne la formation des professionnels de santé. Notre troisième proposition concerne la création d’une réglementation au niveau européen des perturbateurs métaboliques.

Mme Agnès Maurin. Il faut aussi étudier les risques transgénérationnels, et notamment la problématique des « mille jours », cette période qui s’étend de la conception aux deux ans de l’enfant, qui est d’une grande importance aujourd’hui pour comprendre l’action les perturbateurs endocriniens obésogènes. Nous savons aujourd’hui, avant même leur naissance, que certains enfants deviendront obèses, et de nombreuses études indiquent que nombre de problèmes pourraient être évitables.

Mme Claire Pitollat. En ce qui concerne le lien entre perturbateurs endocriniens et développement de l’obésité, on voit, là aussi, dans des études que ces effets peuvent se transmettre de génération en génération.

Mme Mélanie Delozé. C’est l’effet épigénome : en matière d’épigénétique, cela signifie que les descendants ont et auront cette spécificité, qui est transmise. Elle s’exprimera ou non en fonction de l’environnement. Certaines études montrent que la spécificité génétique transmise est présente jusqu’à quatre générations plus tard.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous dites que vous êtes un organisme de formation, et vous indiquez qu’une approche pluridisciplinaire est nécessaire pour traiter l’obésité en ce qui concerne la thérapie en aval. Comment l’envisagez-vous ? En amont, vous parlez d’information grand public. Cette information est-elle identique à celle qui existe sur les perturbateurs endocriniens, ou s’en différentie-t-elle ? Par ailleurs, vous évoquez la réglementation européenne, mais qu’en est-il de la réglementation française ?

Mme Mélanie Delozé. Lorsque nous parlons d’information grand public sur l’obésité, cela concerne toutes les causes, notamment les causes environnementales qui en sont malheureusement les principales.

En ce qui concerne la prise en charge de la maladie de l’obésité, nous sommes vraiment en difficulté. L’obésité n’est pas actuellement reconnue comme une affection de longue durée, et il n’existe donc pas de prise en charge. Aujourd’hui, les médecins généralistes, qui sont les premiers recours, sont très peu formés et n’ont pas le temps. Les médecins spécialistes et les paramédicaux – diététiciens, psychologues, enseignants en activité physique adaptée – constituent le deuxième recours. Les paramédicaux ne sont souvent pas remboursés par la sécurité sociale. De plus, les patients souffrant d’obésité sont très éloignés du soin. La raison peut être qu’ils ne se sentent pas malades mais juste coupables de leur poids. Cela peut aussi être dû à des difficultés d’accès au soin, ne serait-ce que par la mobilité. De nombreuses questions se posent : comment se rendre au rendez-vous ? Le fauteuil du médecin et les examens médicaux sont-ils adaptés à toutes les morphologies ?

La prise en charge à l’hôpital, la chirurgie de l’obésité et les soins de suite et de réadaptation (SSR) constituent le troisième recours. Ils fonctionnent assez bien en France, où ils sont bien structurés. Malheureusement, cette prise en charge arrive trop tard puisqu’il s’agit du troisième recours. Cela donne des situations d’obésité parfois très graves avec un retard de diagnostic des autres pathologies associées.

Pour traiter ces difficultés existantes sur le terrain, nous mettons en place une initiative : la création de centres de santé pluridisciplinaires. Cette initiative a lieu d’abord dans notre région d’origine. Le suivi pluridisciplinaire sera effectué par des médecins généralistes obésitologues, des médecins spécialistes – tabacologues, psychiatres et nutritionnistes – ainsi que des paramédicaux. Ces professionnels de santé seront salariés du centre, ce qui facilitera l’accès au soin pour les patients souffrant d’obésité, puisqu’ils n’auront pas à payer pour leur suivi. Cela signifie malheureusement que l’association doit trouver les fonds pour rémunérer ces paramédicaux.

Notre initiative intègre donc les premier et deuxième recours – avec un grand axe de prévention puisque, dans le premier recours, nous recevrons aussi des personnes par effet de proximité, et non pas seulement des personnes souffrant d’obésité. Nous pourrons ainsi effectuer de la prévention auprès des patients en surpoids afin qu’ils ne souffrent pas d’obésité dans le futur. Nous pourrons les informer sur les régimes, les pilules miracles, etc. Nous savons que l’arrêt du tabac, la prise d’un traitement pour la thyroïde, d’un traitement post-cancer ou d’un antidépresseur, les grossesses ou encore la ménopause sont des périodes à risques. Notre objectif est de prendre précocement en charge les patients en risque d’obésité.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comme vous l’avez souligné, les personnes souffrant d’obésité sont particulièrement vulnérables face à la pandémie de Covid-19. Pensez-vous que cela mettra en lumière les constats scientifiques concernant l’obésité ? Quels sont vos retours aujourd’hui à ce sujet ?

Mme Agnès Maurin. On parle d’obésité, ce qui est déjà une bonne chose, et on en parle comme une maladie, ce qui est assez rare. Cette épidémie de Covid-19, parallèle à l’épidémie d’obésité, nous conforte aujourd’hui dans notre idée – partagée par tous les chercheurs – : il faut traiter l’épidémie comme une maladie et en parler. Surtout, il faut essayer de rétablir la vérité et d’effacer toutes les idées reçues. Dans le grand public, l’idée est répandue que la graisse est produite par les calories. Ce n’est pas le cas ! Aujourd’hui, nous savons très bien que les obésogènes forment de la graisse sans calories. Aux États-Unis, qui sont en pointe car 30 % de personnes y souffrent d’obésité, une étude a eu lieu afin de comparer, grâce à une cohorte de patients suivis pendant quarante ans, une alimentation locale non transformée et, à calories égales, une alimentation transformée. Cette étude a montré que la prise de poids était entièrement différente, du fait des additifs et de la transformation des aliments. Ce ne sont pas les calories en elles-mêmes qui ont provoqué la prise de poids. Il faut donc sortir de ces idées reçues.

Mme Claire Pitollat. Ces réflexions sur la culpabilité sont passionnantes. Des travaux très variés sont effectués en ce moment, comme ceux des membres de la commission des mille jours. Nous en revenons toujours à la difficulté de briser les tabous et d’arrêter la culpabilisation. Il faut diffuser largement des informations afin de contrer ces idées reçues.

Mme Agnès Maurin. Au-delà de l’aspect humain du problème, il existe un enjeu financier important. Un rapport publié par l’institut McKinsey en 2014 chiffre le coût de l’obésité en France à 54 milliards d’euros par an, en retraçant ses impacts sur les arrêts de travail, les dépenses de santé et de sécurité sociale.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. On entend souvent parler de grossophobie. Ce mot est désormais fréquement utilisé pour expliquer la discrimination envers les personnes à forte corpulence, comme pour le racisme ou l’homophobie. Au sein de la Ligue, avez-vous réfléchi à ce qu’il serait possible de faire en la matière, notamment sur le plan législatif ?

Mme Agnès Maurin. Nous n’aimons pas beaucoup le terme grossophobie, lui préférant celui de discrimination. Nous ne savons pas si le terme grossophobie fait référence à la discrimination ou à la peur. Nous préférons évoquer une discrimination liée à la corpulence. À nos yeux, il s’agit de la dernière ou d’une des dernières discriminations n’étant pas du tout prise en compte dans la lutte contre les discriminations. La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) n’évoque pas cette discrimination. À chaque fois qu’une liste des discriminations combattues aujourd’hui est énoncée, la discrimination sur la corpulence n’est jamais citée. Nous avons rencontré le Défenseur des droits, et lui avons présenté nos arguments en faveur de la réalisation d’une étude réelle sur la discrimination sur la corpulence.

Cette discrimination se retrouve partout. Elle est présente au sein de la famille, au travail ou encore dans la rue. Nous avons mis en place un numéro vert à cet effet. Une jeune fille nous racontait très récemment une anecdote : alors qu’elle sortait pour son goûter une barre de céréales dans le bus, en rentrant de l’école, un homme qu’elle ne connaissait pas lui a dit qu’elle ne devrait pas manger de telles choses. Ces réflexions sont constantes et omniprésentes. Il existe également une discrimination médicale, dont Mme Delozé a brièvement parlé. Cette discrimination est causée par la méconnaissance et par l’inadaptation des équipements médicaux. Une personne nous a raconté avoir été obligée de faire une radiographie dans un cabinet de vétérinaire car, habitant une région rurale, elle n’a pas trouvé de radiologue dans un périmètre de cent kilomètres. Ces discriminations ont lieu en permanence. Il existe une inégalité radicale dans notre société concernant la corpulence.

Mme Mélanie Delozé. J’aimerais ajouter qu’il s’agit pour ces personnes d’une discrimination quotidienne. L’année dernière, nous avons réalisé à l’occasion de la journée mondiale contre l’obésité un sondage : plus de 80 % des personnes pensent que l’obésité est un manque de volonté, qu’il s’agit d’un problème de comportement et que les personnes souffrant d’obésité sont fautives de leur état. Certains se permettent d’émettre des commentaires en pensant aider la personne souffrant d’obésité, qui aurait besoin d’un accompagnement. S’il existe des moqueries concernant des particularités physiques telles que la taille, la discrimination sur la corpulence est aggravée par le fait que les personnes sont culpabilisées. Ainsi, on ne se cache pas de cette discrimination, on ne se cache pas de les discriminer à l’emploi, en reliant obésité et fainéantise. Les personnes souffrant d’obésité n’ont pas le droit de manger, mais si elles mangent de la salade, on leur fera aussi une réflexion. Ces discriminations concernent toutes la vie quotidienne. Ces discriminations causent une désocialisation ainsi qu’une déscolarisation des enfants, pour qui cela est très violent.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez expliqué que l’obésité peut être considérée comme une perturbation métabolique, une sous-famille des perturbations endocriniennes. J’aimerais avoir votre avis sur les politiques publiques générales de santé-environnement en France, car la prévention et la guérison de l’obésité passent par des politiques publiques générales de santé-environnement. Que savez-vous actuellement de ces politiques publiques ? Quelles seraient vos propositions et suggestions pour en améliorer l’efficacité, en prenant en compte cette pathologie chronique particulière qu’est l’obésité ?

Mme Agnès Maurin. Ce que nous savons des politiques publiques de santé-environnement, c’est qu’elles ne traitent pas du tout de l’obésité. À aucun moment, l’obésité n’est considérée comme une maladie dont les causes sont environnementales. Il est vrai, comme nous l’avons expliqué, que la recherche est assez récente : on a commencé à parler des cancérogènes dans les années 1990, et les obésogènes ont commencé à être évoqués en 2003. Pour le moment, on ne parle donc pas du tout d’obésité dans les politiques environnementales. Notre volonté est, premièrement, que l’obésité y entre.

Deuxièmement, nous souhaitons que les obésogènes fassent l’objet d’un traitement particulier, car les risques sont majeurs, peut-être encore plus importants que les autres. Je vous ai parlé aujourd’hui de sept millions de Français touchés, mais la dernière enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité (ObEpi) a eu lieu en 2012. Nous sommes en train d’en produire une nouvelle version et nous publierons les chiffres dans un mois : les sept millions sont dépassés. Tout cela a lieu dans une grande indifférence.

Au sujet de l’alimentation, le nutriscore a été lié à l’obésité. Nous préférerions que les produits soient étiquetés avec les obésogènes qu’ils contiennent. Nous souhaitons qu’il existe un recensement des usages des obésogènes, qu’une information sur les bonnes pratiques soit diffusée et que des mesures incitatives soient prises pour accompagner les changements.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment identifiez-vous les obésogènes ? Comment faites-vous la différence entre un obésogène et un perturbateur endocrinien ? Vous dites, quant au nutriscore, qu’il faudrait identifier les obésogènes. Mais ils sont de la même famille que les perturbateurs endocriniens. Proposez-vous qu’une qualification des sources potentielles de maladies endocriniennes et métaboliques soit identifiée sur les produits ?

Mme Agnès Maurin. Oui. Nous proposons aussi que certains de ces produits chimiques perturbateurs endocriniens ayant un effet sur la maladie soient détectés. Au-delà de l’étiquetage, nous souhaitons que l’on informe par le biais de campagnes, afin d’expliquer que certaines crèmes, par exemple, mises sur le ventre des femmes enceintes, prédisposeront les enfants à l’obésité. Aujourd’hui, ces informations ne seront pas sues si elles ne sont pas dites.

Mme Claire Pitollat. Avec Mme Laurianne Rossi, nous avions proposé lors de notre mission d’information la mise en place un toxiscore. La difficulté du nutriscore est qu’il est purement nutritionnel : il concerne les calories, le sucre et les graisses. Les additifs et tous les produits chimiques ne sont pas pris en compte, alors qu’ils produisent ce cocktail dangereux, particulièrement pour la femme enceinte, mais aussi pour les adolescents et les personnes âgées.

Nous avions proposé un toxiscore afin que ces informations soient vraiment visibles pour le consommateur. Dans la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, nous avons réussi à introduire une obligation de déclaration pour les industriels, mais elle n’est pas toujours visible par chacun. Cela signifie qu’il faut des applications à scanner telles que Yuka, englobant davantage d’éléments. C’est regrettable, car c’est le rôle des pouvoirs publics d’indiquer ce qui est sûr pour notre santé. Petit à petit, nous pourrions aboutir à une application créée par les pouvoirs publics et permettant de définir la toxicité et le toxiscore, en indiquant qu’il y a un risque d’obésité et de cancer et en reprenant la classification cancéro-reprotoxique.

Mais voyez-vous ces dispositifs dans d’autres pays ? Les pays d’Europe du Nord sont souvent mis en avant sur ces sujets. Voyez-vous des campagnes permettant de porter un regard différent sur les personnes qui souffrent d’obésité ? J’aimerais faire un parallèle avec la question des mille jours. Sur les premiers jours de la vie, une vraie politique de santé publique existe en Angleterre, avec des vrais moyens considérables, de l’ordre de dix fois ce que l’on propose en France. Notons tout de même que nous progressons : cette année, pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous bénéficions de davantage de budget, avec notamment la mise en place de la commission des mille jours.

Mme Mélanie Delozé. Nous sommes tout à fait d’accord avec votre proposition concernant le toxiscore, qui permettra de repérer les substances cancérogènes, les substances dangereuses pour les cellules et la reprotoxicité. Nous souhaitons y ajouter la catégorie des perturbateurs métaboliques.

Mme Agnès Maurin. Pour répondre à votre question sur les modèles étrangers, deux pays sont à la pointe. D’une part le Canada, où il existe de vraies avancées sur la question de la grossophobie. Il y existe une grande organisation comme la nôtre, qui a trente ans d’existence, alors que la Ligue contre l’obésité, quant à elle, n'est née qu’en 2014 et que nous sommes les seuls en France à porter la parole des personnes qui souffrent d’obésité. Au Canada, un travail très conséquent a été effectué, permettant une reconnaissance. Comme dans de nombreux pays anglo-saxons, l’isolement et le rejet que nous avons décrits pour la France n’y existent pas n’existent. Notons que des équipements adaptés existent, visibles dans la rue. C’est pour cette raison que lorsque nous, Français, allons aux États-Unis, le nombre de personnes souffrant d’obésité nous saute aux yeux. La raison en est que ces personnes se déplacent dans la rue tandis qu’en France, elles sont enfermées. Hors Covid-19, on voit que les personnes souffrant d’obésité ne sortent plus et ne sont pas soignées. Nous découvrons des situations dramatiques tous les jours. Il est nécessaire de sortir ces personnes de leur isolement, et les pays anglo-saxons nous y aident.

Le Royaume-Uni est également très en pointe, notamment sur la prise en compte des patients souffrant d’obésité dans la conception des services. C’est d’ailleurs le cas pour toutes les pathologies. Au Royaume-Uni, on prend soin d’impliquer en amont le patient et les associations dans toutes les politiques – c’est particulièrement visible en ce qui concerne l’obésité. Des patients sont impliqués dans toutes les instances, notamment dans les instances hospitalières où ils sont, par exemple, présents pour l’aménagement des locaux. Cela nous aiderait bien.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’aimerais vous poser une question sur le lien entre l’obésité et l’alimentation avec des produits industriels ultra-transformés. À vous entendre, on a l’impression qu’il y a une dimension de passivité irrémédiable dans l’obésité et qu’il faut donc déculpabiliser et créer une prise en charge pluridisciplinaire très lourde. N’y a-t-il pas cependant un lien entre l’obésité et le développement sauvage de la fast-food ? N’existe-t-il pas une problématique d’exposition à ce type d’alimentation, souvent très chimique et composée de produits dérivés n’ayant plus rien à voir avec de la nourriture ? Vous parlez de la formation et de l’information de la population, et nous avons compris qu’il ne faut pas faire un amalgame entre obésité et surpoids. Il n’empêche qu’il existe tout de même une dimension nutritionnelle sur ce sujet qui relève d’une campagne d’information.

Par ailleurs, n’existe-t-il pas un profil socioéconomique de personnes ne pouvant pas accéder à de la nourriture saine ? Vous avez dit que les personnes souffrant d’obésité sont davantage présentes dans l’espace public aux Etats-Unis. La raison est peut-être qu’elles sont plus nombreuses et moins victimes de rejet, dans ce pays où cette problématique est enkystée.

Mme Agnès Maurin. Je ne suis pas certaine que c’est parce qu’elles sont plus nombreuses que les personnes qui souffrent d’obésité sont davantage présentes dans l’espace public. Il me semble que la raison est la présence d’aménagements et le regard porté sur elles, qui est totalement différent. Je disais qu’en 2012, le nombre de personnes souffrant d’obésité en France s’élevait à 16 %. À la même période, le nombre s’élevait à 30 % aux États-Unis. Aujourd’hui, ce pourcentage approche les 40 %.

L’alimentation a évidemment un rôle, et l’obésité est liée à la précarité. Mais ce n’est pas parce qu’elle est liée à la précarité qu’il faut faire un raccourci et croire qu’il s’agit d’un problème exclusivement alimentaire. Je vous disais que des études prouvent qu’un mauvais sommeil, un sommeil trop court ou un sommeil dans un lieu éclairé peuvent provoquer la formation de graisse, sans ingestion de calories. Imaginez une femme, mère, habitant au bord du périphérique et travaillant comme femme de ménage au centre de Paris. Si elle se lève à cinq heures du matin, dort peu et avec le bruit du périphérique, éprouve du stress toute la journée pour aller récupérer son enfant à six heures du soir, mange des produits transformés, elle risque de souffrir d’obésité. La dimension alimentaire de l’obésité est déjà fortement mise en avant. Tout le monde sait que l’obésité et l’alimentation sont liées : il faut sortir de ce discours afin de pouvoir sauver ces personnes-là et parler des autres causes.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Peut-on se dire que la Covid-19 pourrait avoir une influence positive sur le meilleur traitement de l’obésité en France et en Europe ?

Mme Mélanie Delozé. Nous espérons que la mise en lumière de l’obésité issue de la Covid-19 pourra faire évoluer l’action publique en la matière. Nous avons vu que les personnes souffrant d’obésité sont les plus touchées et se trouvent en grande difficulté. Nous pouvons mener des actions avant qu’une personne souffre d’obésité. J’espère que nous pourrons mettre cette pathologie et ces patients en lumière, afin que des moyens soient donnés. L’obésité pourrait être reconnue comme une affection de longue durée, ou faire l’objet d’une prise en charge telle que nous la voyons dans le post-cancer, où des soins de support sont remboursés, d’autant plus que nous savons que ce triptyque paramédical fonctionne pour l’obésité. Il faudrait mettre davantage de moyens dans une communication autre que le « manger, bouger », qui est une information grand public centrée sur l’alimentation. Il faut déculpabiliser et informer sur les vraies causes, notamment environnementales, de l’obésité, afin de renforcer la prévention de cette maladie.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de nous avoir fait mieux comprendre la différence entre surpoids et obésité ainsi que les enjeux de l’obésité en termes de santé et de santé-environnement.

L’audition s’achève à dix-huit heures.

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28.   Audition, ouverte à la presse, de M. Christoph Mocklinghoff, directeur du département risques environnementaux de Marsh et président de la commission santé-environnement de l’Association française des entreprises pour l’environnement, et de Mme Sylvie Gillet, responsable du pôle biodiversité et santé-environnement et responsable de la communication de l’Association française des entreprises pour l’environnement (EPE) (22 octobre 2020)

L’audition débute à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons, en première audition de cette matinée, M. Christoph Mocklinghoff et Mme Sylvie Gillet, représentants de l’association française des Entreprises pour l’Environnement (EPE).

Après avoir auditionné des acteurs institutionnels, des acteurs de la recherche et du monde universitaire, nous souhaitons interroger les acteurs privés afin de connaître la perception qu’ont les entreprises des politiques publiques françaises en matière de santé environnementale.

Mme Sylvie Gillet, vous êtes docteur en sciences politiques et vous avez été enseignante-chercheuse aux universités de Paris I et Paris IX, ainsi qu’à l’IEP de Strasbourg et au conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Après avoir exercé des responsabilités dans le secteur de l’édition, été manager en développement durable au sein du groupe Michelin, vous êtes, depuis septembre 2017, responsable du pôle biodiversité et santé-environnement, et de la communication de l’EPE.

M. Christoph Mocklinghoff, vous êtes diplômé de l’université de Berlin, et avez exercé des responsabilités directoriales dans des entreprises du groupe Suez. Vous êtes actuellement directeur du département risques environnementaux chez le courtier Marsh, et vous présidez la commission santé environnement de l’EPE.

L’EPE regroupe dix-huit entreprises qui ont choisi d’intégrer les enjeux de santé environnementale dans leurs stratégies. Nous vous serions reconnaissants de nous présenter les travaux de la commission santé-environnement, en vue d’identifier les enjeux relatifs à la santé environnementale, et de partager les bonnes pratiques des entreprises ayant opté pour une attitude proactive en ce domaine.

(Mme Sylvie Gillet et M. Christoph Mocklinghoff prêtent successivement serment.)

Mme Sylvie Gillet, responsable du pôle biodiversité et santé-environnement et responsable de la communication de l’association française des Entreprises pour l’Environnement (EPE). Mme la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de nous auditionner. Je souhaite tout d’abord préciser que notre association ne compte pas dix-huit mais cinquante-deux entreprises adhérentes. Ces entreprises sont françaises et internationales, issues de tous les secteurs d’activité.

Notre association a été créée en 1992. Elle est actuellement dirigée par notre déléguée générale, Mme Claire Tutenuit, qui ne pouvait pas être présente ce matin. Elle est présidée par M. Jean-Laurent Bonnafé, PDG de BNP Paribas.

Nous avons accepté votre sollicitation, même si EPE n’a pas vocation à exercer une action de plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Nous ne sollicitons jamais de notre propre chef les pouvoirs publics pour commenter les lois existantes. Notre activité principale consiste à améliorer les connaissances des entreprises membres sur les enjeux environnementaux, et particulièrement sur les enjeux de la santé environnementale.

Nous procédons nous aussi par des auditions au sein de cinq commissions, dont l’une concerne la santé environnementale, présidée par Christoph Mocklinghoff. Nous échangeons ainsi à propos des bonnes pratiques des membres, leurs opportunités et leurs difficultés, et nous réfléchissons aux meilleurs mécanismes d’action volontaire. Nous recevons également l’éclairage d’experts. La majorité des acteurs que vous avez auditionnés sont déjà venus présenter leurs activités à l’EPE, et partager leurs connaissances afin d’éclairer l’action des entreprises.

Nous souhaitions particulièrement vous présenter le rapport « Intégration des enjeux de santé environnementale par les entreprises », rapport que nous avons publié il y a tout juste un an, et qui est disponible en libre accès sur le site d’EPE. Ce rapport est le résultat de trois années de travail de la commission santé-environnement. Plus de quarante-cinq intervenants ont été entendus et dix-huit entreprises ont accepté de partager leurs bonnes pratiques.

Ce rapport montre combien les entreprises prennent ces questions au sérieux, même si elles communiquent peu sur le sujet, peut-être par humilité, mais aussi parce que ce sujet est sensible. Les entreprises craignent souvent de trop en dire et préfèrent agir plutôt que communiquer. Nous les y encourageons pourtant et ce rapport vise justement à objectiver les nombreux débats autour de la santé environnementale.

La première partie du rapport recense les quatre facteurs qui doivent inciter les entreprises à intégrer les enjeux de santé environnementale dans leurs stratégies. Le premier est la montée des attentes sociétales sur ce sujet à l’égard des entreprises. Plusieurs enquêtes montrent les préoccupations croissantes des Français, et plus généralement des citoyens européens, concernant la transparence et la traçabilité des produits que les entreprises proposent sur le marché. Les entreprises prennent très au sérieux ces attentes. Elles y sont encouragées par des applications qui expriment la volonté des citoyens de mieux connaître les modes de fabrication des produits et les substances qui y sont intégrées.

Le deuxième facteur tient au fait que les entreprises ne veulent pas risquer une rupture d’approvisionnement. La période que nous traversons depuis plusieurs mois a montré que les chaînes de valeur longues et mondialisées réduisent la possibilité de produire de manière transparente et sûre, et a révélé une interdépendance très forte entre les différents acteurs. Lors de son audition devant vous, M. Christian Zolesi de QAP Conseil a d’ailleurs beaucoup insisté sur ce point.

Le troisième facteur est le fait que la santé environnementale peut être facteur d’innovation et d’opportunité commerciale, ce qui intéresse beaucoup les entreprises.

Enfin, le quatrième facteur est l’évolution du droit sur ces questions. Bien que les contentieux sur ces sujets soient encore rares, la notion d’exposome a largement favorisé l’intégration d’une attitude proactive chez les entreprises.

Dans la deuxième partie du rapport, nous avons souhaité montrer comment les entreprises intègrent les risques en matière de santé environnementale. Comme plusieurs spécialistes, tels que William Dab, vous l’ont expliqué, il convient d’intégrer une cartographie des risques en santé environnementale parmi les risques-management, afin de bien les évaluer et de déterminer le dispositif à mettre en place pour les réduire. Dans notre publication, dix-huit entreprises rendent compte de leur manière d’aller au-delà de la réglementation. L’EPE soutient, en effet, l’action volontaire des entreprises afin de tester et d’étayer les dispositifs sur lesquels la régulation peut porter. Je vous invite sincèrement à parcourir ce rapport et à prendre connaissance des pratiques des grands groupes, que ce soit en matière d’autorisation de mise sur le marché ou de test grandeur nature mené sur toute une ville.

La question de la substitution de substances nocives est également abordée car elle suscite une grande émotion chez les consommateurs. Les Français sont devenus coutumiers des termes scientifiques et connaissent désormais les propriétés du phtalate ou du bisphénol. De ce fait, les trois principaux enjeux pris en compte par les entreprises sont la pollution de l’air, la pollution de l’eau et les perturbateurs endocriniens. Cependant, la substitution d’une substance novice par une autre n’est pas toujours possible ou nécessite du moins une grande anticipation. Certaines industries, comme celle de l’automobile, ont besoin d’une grande anticipation, et cela à l’échelle internationale, pour placer sous observation les substances potentiellement toxiques. Une interdiction de ces substances du jour au lendemain les mettrait en difficulté.

En d’autres termes, les entreprises font preuve de vigilance, étayée par des fondements scientifiques. Notre commission santé-environnement a reçu tous les scientifiques qui œuvrent pour une meilleure compréhension de la problématique de santé environnementale et de la notion de « One planet, one health ». La notion de dose, sous-jacente à l’évolution des connaissances médicales, est désormais dépassée. Les recherches de Barbara Demeneix nous ont beaucoup éclairés sur les expositions croisées et les « effets cocktail ».

Nous souhaitons également souligner que l’action des entreprises est aussi guidée par les objectifs de développement durable fixés par l’ONU, notamment l’objectif numéro 3 qui vise à permettre à tous de vivre en bonne santé. En ce sens, il est intéressant de réfléchir aux moyens d’articuler l’action des entreprises et de favoriser le dialogue entre toutes les parties prenantes, en tenant compte des attentes des citoyens et de la régulation poussée par les pouvoirs publics. En effet, vous seuls êtes un tiers de confiance entre la société civile et les acteurs privés.

M. Christoph Mocklinghoff, directeur du département risques environnementaux de Marsh et président de la commission santé-environnement de l’association française des Entreprises pour l’Environnement (EPE). Étant membre de l’EPE depuis quinze ans, je peux vous affirmer que l’objet de notre association et son mode de travail ont beaucoup évolué. Nous sommes passés d’un travail de mise à disposition des connaissances sur l’environnement, perçu initialement comme une contrainte, à une attitude de décloisonnement des différentes fonctions au sein de l’entreprise, et de dépassement des principes de concurrence, de façon à trouver de nouvelles solutions.

Il y a une semaine, nous avons reçu les déclarations des entreprises volontaires pour la biodiversité. Jean-Dominique Senard a remercié l’EPE, dont il était le précédent président, pour avoir encouragé son groupe à intégrer ce sujet dans les comités exécutifs depuis deux ans. Je suis très heureux de travailler dans cet esprit et avec cette énergie.

Par ailleurs, Marsh est l’un des principaux courtiers en management du risque à l’échelle mondiale. Nous travaillons avec différentes assurances, notamment dans la santé et le conseil d’entreprise.

J’ai pris la présidence de la commission santé-environnement d’EPE pour amener une nouvelle orientation : prendre en compte les enjeux de santé-environnement dans le développement des nouveaux produits et services. Ce principe simple en théorie est particulièrement novateur, une fois appliqué au process concret du développement. Nous constatons en effet, aujourd’hui, que de nombreux produits commercialisés ne sont pas de bonne qualité. Par conséquent, nous pouvons envisager une évolution globale du marché vers une offre réduite de produits, mais de meilleure qualité et à plus forte valeur ajoutée, car toute entreprise a vocation à réaliser du chiffre d’affaires.

La tendance croissante est donc de compléter le produit par le service, les entreprises devenant de plus en plus globales. En effet, c’est souvent l’usage du produit qui le rend bon ou mauvais pour la santé et l’environnement. De plus, les grandes phases de développement du produit, de la conception à la commercialisation en passant par la fabrication, sont isolées l’une de l’autre, ce pour quoi l’usage final du produit n’est pas toujours celui imaginé lors de sa conception. La responsabilité de l’entreprise n’est donc pas globale, il y a une responsabilité propre à chaque process.

Ce constat nous amène à la dimension géographique de la santé-environnement. Nous venons d’ailleurs d’instituer une commission sur la pollution des océans, car tous les résidus qui ne sont pas traités par les biotechnologies, ni par les collectivités locales à cause du coût de traitement, sont rejetés dans les océans, notre bien collectif. Nous devons dépasser le périmètre français et terrestre et fixer des priorités pour l’environnement dans son ensemble.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends, avec une grande satisfaction et un certain soulagement, l’intention de nombreuses entreprises d’agir en matière de santé environnementale. Pouvez-vous préciser la typologie des entreprises membres de votre association ? Quels sont les secteurs d’activité les plus représentés ? L’EPE est actuellement présidée par le PDG de BNP Paribas, et vous-même êtes, M. Mocklinghoff, un représentant du secteur des assurances. Vous nous avez également parlé des perturbateurs endocriniens et des inquiétudes qu’ils suscitent.

Nous avons reçu précédemment le représentant d’une union d’entreprises qui ne semblait pas témoigner d’une telle ouverture, quant aux enjeux de santé environnementale. Nous souhaiterions donc savoir quelles entreprises membres de l’EPE se sont réellement mobilisées dans ce domaine, et combien d’entre elles ont officiellement lancé des démarches RSE, au-delà de leur bonne volonté affichée. Pouvez-vous également nous donner quelques exemples de leurs actions ?

Mme Sylvie Gillet. La liste des cinquante-deux entreprises membres est disponible sur le site de l’EPE. Il s’agit essentiellement de grands groupes intervenant dans tous les secteurs. Le secteur financier est effectivement très représenté, ainsi que ceux des assurances et de la chimie. BASF France et Bayer France ont notamment rendu compte de leurs actions en santé environnementale dans le rapport que nous avons cité.

Nous comptons également pour membres des entreprises du transport, tous les grands fournisseurs d’énergie, plusieurs entreprises du luxe – un secteur particulièrement concerné quant à la fabrication des produits cosmétiques – des carriers, les principaux gestionnaires de l’eau et des déchets, et la coopérative agricole InVivo. Enfin, les groupes de communication Vivendi et Publicis nous ont récemment rejoints.

Certaines de ces entreprises sont membres de l’EPE depuis sa création. Le bureau de l’association compte, à ce titre, plusieurs PDG de grands groupes. Néanmoins, les entreprises ne rejoignent pas l’EPE uniquement pour l’image, car l’EPE est peu connue du grand public et n’a pas vocation à le devenir. Les entreprises viennent avant tout participer aux travaux des commissions, qui durent chacune trois heures et effectuent un travail de fond, en vue d’intégrer plus encore les enjeux de santé-environnement dans leurs stratégies et leurs gestions courantes, et d’engager un processus d’émulation.

Je ne peux pas parler au nom de certaines entreprises plus que d’autres. Nous sommes inclusifs et nous voulons « embarquer » une multitude d’acteurs, avec toute leur chaîne de valeur. En effet, il est important de sensibiliser les sous-traitants à l’environnement. Le devoir de vigilance y fait beaucoup, mais pas assez.

Ainsi, toutes les entreprises adhérentes d’EPE font profession d’intégrer les enjeux environnementaux au sein de leurs activités. Il ne peut y avoir aucun passager clandestin car toutes sont engagées dans les travaux et envoient leurs experts participer à nos diverses initiatives, ainsi qu’à la rédaction des rapports.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous nous avez bien exposé la prise de conscience des entreprises, quant aux enjeux économiques et sociétaux. Le monde de l’entreprise a effectivement compris qu’afficher sa sensibilité envers l’environnement et ses investissements dans la recherche était un argument de vente. L’évolution de la société a visiblement poussé les entreprises à s’intéresser à ces sujets, au risque de donner une impression de greenwashing et d’opportunisme socio-économique. Certes, les entreprises doivent, pour survivre, s’adapter aux évolutions du marché et des attentes des consommateurs. Au-delà de tout jugement éthique sur cette prise de conscience, l’enjeu économique est évident.

Vous avez lancé une dynamique et vous accompagnez les entreprises vers une nouvelle exigence économique, mais vous ne nous avez pas expliqué de quelle manière celles-ci passaient aux actes. Discuter en groupe de travail confidentiel est une bonne chose – même si vous vous faites aujourd’hui les porte-parole de ces entreprises – mais nous aimerions savoir quelles actions concrètes sont issues de ces discussions, et lesquelles sont réellement efficaces ? Pour ma part, je n’ai pas l’impression que le secteur cosmétique se soit inquiété jusqu’ici de la présence de nanoparticules dans ses produits. Il s’agirait davantage d’un argument de vente que d’une prise de conscience éthique sur la préservation de la santé des consommateurs.

Concrètement, êtes-vous à l’origine d’un plan d’actions inter-entreprises ?

M. Christoph Mocklinghoff. L’EPE n’a pas l’intention de représenter ses entreprises adhérentes. Elle fonctionne plutôt comme une auberge espagnole que toute entreprise peut rejoindre pour s’inspirer des autres et s’améliorer. Aujourd’hui, la société civile est entrée au sein des entreprises. Les personnes qui occupent les fonctions de direction ont elles aussi envie d’améliorer leurs produits en tant que consommateurs, et elles se battent pour une vision de leur entreprise. Les entreprises membres sont représentées par des sherpas, comme je le suis pour Marsh, et ces sherpas sont des personnes de qualité qui sont en contact direct avec les PDG et ont la capacité d’influencer leurs entreprises, pour les convaincre d’entreprendre de bonnes actions, visibles de tous.

Parmi les actions concrètes, nous pouvons citer la conclusion de partenariats dans les secteurs en difficulté, et des actions plus simples dans le secteur bien portant des assurances. Celles-ci prennent désormais en charge de nouveaux risques liés à la biodiversité, à condition que les entreprises mettent en place des modes de prévention. Les impacts sur la biodiversité sont encore peu connus car tous les impacts polluants ne sont pas mesurés.

Un autre exemple concerne une entreprise agroalimentaire, qui cherche à diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires en les utilisant de façon plus responsable, grâce à des photographies satellites des zones cultivables par exemple. L’idée est de passer d’une approche quantitative à une approche qualitative, en ciblant l’épandage des produits phytosanitaires sur les zones qui en ont besoin. De cette manière, nous pouvons diminuer le volume de produits utilisés et éviter l’infiltration du surplus dans les nappes souterraines, et ainsi éviter une contamination plus large de la population. Ces actions ne sont pas spectaculaires, mais apportent de premiers effets positifs.

Mme Sylvie Gillet. Je comprends votre interrogation et votre scepticisme, Mme la présidente, à l’idée que les mots demeurent une simple communication. Or les mots sont opposables. Ce que les entreprises disent s’impose ensuite à elles.

Je vous invite à lire les encadrés rédigés par les entreprises, que nous avons supervisés pour qu’ils soient très pragmatiques. Je pourrais vous présenter ces actions dans le détail, comme je les présente à des étudiants ou à l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), mais cela prendrait des heures. Je vous invite donc à lire les encadrés pour comprendre comment la SNCF a réduit sa pollution de l’air et de l’eau ; comment BNP Paribas a pris l’initiative d’un pledge pour bannir le financement des industries du tabac ; comment EDF incite les foyers à la rénovation énergétique des bâtiments, qui a de réels effets sur la santé ; comment Engie a mis en place un processus pour réduire le risque de salmonellose dans les circuits d’eau potable ; comment Renault a identifié très en amont les substances sensibles afin de les éliminer ; comment La Poste a mis en place une offre logistique pour réduire les pollutions atmosphériques et les nuisances sonores ; comment Michelin a réussi à concilier la sécurité de ses salariés et le déploiement d’une politique de santé environnementale ; comment RTE a développé un MOOC sur les risques inhérents aux champs électromagnétiques.

Une controverse ne s’éteint jamais et aujourd’hui, les entreprises ne peuvent plus se vanter de tout bien faire, car la société civile les attend au tournant.

Sanofi et Suez ont, de leurs côtés, mis en place des actions pour réduire les micropolluants. Veolia et Total ont établi des standards de sécurité afin de protéger leurs millions de salariés dans le monde qui sont exposés à des pollutions répétées et croisées. Enfin, Vallourec explique dans son encadré comment l’entreprise est parvenue à substituer les nickels phosphates.

Ces encadrés présentent donc des actions très concrètes et précises. Au sein des commissions, les entreprises présentent des dispositifs concrets qu’elles sont en train de déployer au-delà d’un site pilote, ou sur lesquels elles souhaitent recueillir l’expérience des autres entreprises confrontées aux mêmes problématiques. Les sujets abordés concernent par exemple le passage de l’échelle française à l’échelle internationale, ou les moyens de ne pas pénaliser économiquement les entreprises mieux-disantes d’un point de vue environnemental et sociétal.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de ces cas concrets. Au-delà de votre présentation qui vise à valoriser la dynamique lancée par l’EPE, je salue toutes ces démarches entreprises par de grands groupes, depuis que les sujets du développement durable et du réchauffement climatique sont médiatisés.

Cependant, l’enjeu de la biodiversité est une problématique en bout de chaîne, après une longue série d’atteintes à l’environnement et à la santé humaine. Il est tout à l’honneur des entreprises de s’inquiéter du devenir de la biodiversité, mais celle-ci a été dégradée à cause de notre manque collectif de responsabilité quant aux impacts de l’activité humaine sur l’environnement.

Visiblement, la bonne volonté est là, mais les entreprises ont-elles la volonté de créer une charte ou un plan d’actions commun en faveur de la santé environnementale ? Vous nous avez cité uniquement des exemples à l’échelle de chaque entreprise, mais les membres d’EPE cherchent-ils à se coordonner dans une démarche-projet, avec des objectifs quantifiés ? Vous évoquez l’effort du secteur agroalimentaire pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, mais cette action ne répond pas à l’inquiétude des consommateurs sur l’impact potentiellement toxique de ces produits pour leur santé. Pouvez-vous nous donner des exemples d’entreprises qui s’associent pour agir à la source du problème, et pas uniquement pour « limiter la casse » ?

Mme Sylvie Gillet. L’EPE a été à l’initiative, avec d’autres réseaux d’entreprises, des ONG et des scientifiques, d’une démarche d’engagement volontaire sur la biodiversité et le climat. Toutefois, la démarche est plus difficile à engager concernant la santé environnementale. Néanmoins, je voudrais attirer votre attention sur la plateforme PEPPER (plateforme public-privé sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens), créée par l’institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) à l’issue d’une collaboration entre acteurs publics et privés, unique en Europe, afin de recenser les perturbateurs endocriniens. Plusieurs fédérations y participent, comme la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) pour les produits de luxe, de même que BASF pour le secteur de la chimie.

D’autres initiatives sont lancées concernant les nanomatériaux, pour restaurer le dialogue entre entreprises, scientifiques et associations, qui peinent encore à se faire confiance au sujet de la santé environnementale. Je citerai par exemple le forum NanoRESP.

Pour ce qui est de l’EPE, nous avions lancé la charte de l’expertise privée en 2007. Elle avait été signée par toutes les entreprises membres de l’EPE, dans le but de restaurer les conditions d’un partage des connaissances scientifiques accumulées par les entreprises, car elles sont les plus à même de mener des enquêtes toxicologiques sur la composition de leurs produits. La charte contenait également l’idée d’établir un parrainage entre les experts internes des entreprises et les scientifiques externes, qui valideraient a posteriori les résultats d’enquête.

Néanmoins, vous avez parfaitement raison, Mme la présidente, de souhaiter que les entreprises agissent ensemble.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je ne doute pas de votre bonne volonté. Je ne suis pas sceptique, mais je fais plutôt preuve de curiosité objective. Je me fais l’avocat du diable.

Comment les entreprises parviennent-elles à concilier les enjeux économiques, pour leur propre survie, et les enjeux éthiques pour la survie du vivant et en particulier des êtres humains ? Comment parviennent-elles à rendre leur processus de fabrication de produits ou de services compatible avec les enjeux relatifs à la biodiversité et à la santé environnementale ? Jusqu’à présent, ces enjeux semblaient inconciliables. La puissance des lobbies présents dans toutes les instances de concertation donne l’impression d’une fuite en avant, ce qui alimente le scepticisme des consommateurs.

Quelle est votre vision des politiques publiques en matière de santé environnementale, et comment les articuler, le cas échéant, avec les acteurs privés ? En tenez-vous compte dans votre dynamique ? Vous dites que les pouvoirs publics sont les tiers de confiance entre les consommateurs et les entreprises, mais ces politiques publiques sont-elles vraiment visibles ? Avez-vous des propositions pour les améliorer ou les rendre plus visibles ?

M. Christoph Mocklinghoff. Je pense qu’une entreprise peut être créatrice de valeur tout en ayant un impact minime sur l’environnement, dès lors qu’elle prend en compte les enjeux environnementaux, dès la conception du produit. Certes, l’entreprise répond à des enjeux financiers, elle ne doit pas perdre de l’argent pour se maintenir financièrement dans le temps. Cependant, je pense que l’avenir de l’entreprise est l’intégration de services en complément du produit. Par exemple, Michelin bascule progressivement du produit pneu au service global de la mobilité. De cette manière, l’entreprise peut se permettre de fabriquer des produits plus chers et plus durables, et le service final vendu améliore la qualité du produit qui ne se vendrait pas sur l’unique critère du prix.

Les entreprises disposent d’une énorme capacité pour rechercher des solutions à leurs incohérences, mais elles ont besoin du soutien de l’État et de recevoir des objectifs prévisibles de sa part. Elles sont aujourd’hui exposées à des chartes rédigées par des ONG, sans intérêt certain en fin de compte, et elles doivent faire preuve de vigilance sur les modes d’analyse extra-financières, les obligeant à se rémunérer d’une autre façon.

Les entreprises ont besoin d’objectifs prévisibles à l’échelle européenne, le niveau législatif qui œuvre le plus pour la réglementation environnementale. Les politiques publiques doivent davantage protéger les entreprises engagées en faveur de l’environnement dans leurs échanges mondiaux, et surtout être plus incitatives, conformément à l’esprit des créateurs d’entreprise, créateurs de valeurs.

Mme Sylvie Gillet. L’EPE n’a pas vocation à mener une activité de lobbying. Les fédérations professionnelles s’en chargent déjà. Toutefois, les entreprises, comme la société civile, ont besoin des pouvoirs publics, car une démarche volontaire de la part des entreprises ne suffit pas dans notre économie mondialisée. Il convient que les plans édictés par les pouvoirs publics soient lisibles et pragmatiques et restaurent la confiance entre les parties prenantes. Ils doivent être mieux pilotés. D’ailleurs, plusieurs audits ont été réalisés sur les précédents plans nationaux santé-environnement (PNSE).

Les entreprises ont besoin d’une régulation à intégrer dans leurs démarches volontaires, car celles-ci permettent de vérifier les dispositifs les plus efficaces, et de nous donner les orientations vers lesquelles nous devons tendre. Par exemple, la plateforme PEPPER, qui réunit à la fois des scientifiques, des organismes publics, des associations et des entreprises, est un exemple d’interdépendance. Il convient de créer davantage de forums et de lieux d’échange, comme l’a fait l’Anses avec son comité des parties prenantes. Tous les acteurs doivent se réunir autour de la table pour échanger.

Enfin, il est également nécessaire de favoriser une démarche de prévention plutôt qu’une démarche curative, jusqu’à présent privilégiée en matière de santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends votre esprit d’ouverture et votre volonté de collaboration. Connaissez-vous le Groupe Santé Environnementale (GSE) ? En faites-vous partie ? Cette instance extraparlementaire intègre le monde de l’entreprise et réfléchit au contenu des PNSE. Il s’agit d’une instance participative à laquelle je vous invite à prendre part. J’entends le besoin d’une meilleure collaboration et d’une planification plus pragmatique et plus opérationnelle.

Je vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions. Je vous souhaite bonne chance dans toutes vos initiatives, pour que tous ensemble, acteurs publics et privés, nous parvenions à faire en sorte que la santé environnementale soit mieux défendue, dans l’intérêt de tous, de nos enfants et de nos petits-enfants.

L’audition s’achève à dix heures trente.

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29.   Audition, ouverte à la presse, de M. Hervé Charrue, directeur général adjoint en charge de la recherche, et de Mme Séverine Kirchner, directrice santé et confort du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) (22 octobre 2020)

L’audition débute à dix heures quarante.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Nous recevons, en deuxième audition de cette journée, M. Hervé Charrue, directeur général adjoint chargé de la recherche au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), et Mme Séverine Kirchner, directrice santé et confort du CSTB.

Le CSTB est un établissement public à caractère industriel et commercial qui a pour mission d’accompagner les recherches scientifiques et techniques en lien avec la préparation ou la mise en œuvre des politiques publiques en matière de construction et d’habitat. Nous vous auditionnons aujourd’hui afin de comprendre comment vos activités sont affectées par les préoccupations de santé et de bien-être des habitants, la maîtrise des risques, notamment ceux relatifs au changement climatique, et la performance environnementale.

(M. Hervé Charrue et Mme Séverine Kirchner prêtent successivement serment.)

M. Hervé Charrue, directeur général adjoint du Centre scientifique et technique du bâtiment. Le secteur de la construction est connu pour ses enjeux énergétiques, représentant plus de 40 % de la consommation énergétique et plus de 25 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Le taux de renouvellement du bâtiment est relativement faible, avec 1 % de constructions neuves par an, et la rénovation du parc existant soulève plusieurs problématiques en termes d’usages, de sécurité et de bien-être des habitants. Le bâtiment est donc au cœur des problématiques énergétiques et sanitaires. Il a été dès le XIXe siècle un objet de problématiques sanitaires, le bâtiment ayant une vocation de sécurité, de protection et de confort.

Le CSTB a été créé afin de développer la recherche pour accompagner la construction au sens large, au-delà des enjeux environnementaux. Il a été structuré en 1948, à l’occasion de la reconstruction du pays, dans une logique économique et sociale visant à loger le plus grand nombre, mais aussi dans une logique de sécurité et de stabilité des bâtiments. Dans les années 1950 sont apparues les problématiques hygiéniques, après les dérives observées à la sortie de la guerre. Ensuite, le choc pétrolier a porté sur le devant de la scène les problématiques énergétiques et environnementales. Enfin, les enjeux numériques, que ce soit la modélisation ou l’analyse de données, ont gagné le secteur de la construction depuis les années 2000, lui apportant un regain d’activité. Ces cinq sujets structurent l’action du CSTB autour des risques, de l’usage économique, de la santé et du confort, de l’énergie et de l’environnement, et du numérique.

La santé est une composante de toutes les problématiques que nous traitons, mais le plus important est l’interopération de ces problématiques, qui n’est pas toujours évidente. Par exemple, nous savons désormais qu’il existe un lien entre la nature du matériau de construction et la santé humaine, comme l’a montré la question de l’amiante. De même, la localisation de certains bâtiments sur des zones riches en radon a un impact sur la santé des habitants. De même aussi, les choix qui sont réalisés en faveur des économies d’énergie sont parfois faits au détriment de la santé et du confort.

La force du CSTB est d’apporter une réponse globale afin d’éclairer chaque problématique auprès des acteurs publics ou des acteurs socio-économiques, avec une analyse des solutions pouvant être mises en œuvre. En effet, il est possible de mettre en place des solutions performantes en termes énergétiques et environnementaux, mais les impacts sanitaires doivent également être maîtrisés, voire être considérés au premier chef. Par exemple, l’isolation thermique d’un bâtiment ancien par l’extérieur fait réémerger la nuisance sonore intérieure ou les bruits de voisinage, qui jouent sur la santé. Or la nuisance sonore est considérée comme la principale nuisance par les Français, bien avant la pollution de l’air intérieur que nous respirons.

L’approche du CSTB est donc anthropocentrée, focalisée sur l’humain, car nous passons la majeure partie de notre temps dans un bâtiment. Elle est aussi globale, afin d’étudier les interactions entre les différentes problématiques, et surtout adaptative, car elle prend en compte les évolutions de la société. Aujourd’hui, les habitants veulent un grand confort et de la nature en ville. Le vieillissement de la population, et on s’en rend compte de plus en plus depuis le début des années 2000, a aussi une incidence sur la construction, comme en a attesté la canicule meurtrière de 2003. La multiplication des épisodes caniculaires remet en cause l’isolation thermique des bâtiments anciens.

Nous devons donc maintenant apporter des réponses en matière de performance énergétique, de confort, et de santé, cela dans une logique qui prend en compte tout le cycle de vie du bâtiment, de sa construction à sa fin de vie. Le bâtiment connaît des évolutions au cours de sa vie, à travers des rénovations et des réaménagements, des changements d’affectations entre le tertiaire et le logement. La logique du CSTB est d’accompagner le bâtiment dans son évolution, au fil des événements de sa vie, mais aussi au fil de l’évolution de la réglementation. En effet, la réglementation évolue au gré de l’avancée de nos connaissances, qui ont nettement avancé sur les impacts sanitaires de certains composants et procédés chimiques.

Ainsi, le CSTB approche le bâtiment dans une vision systémique complexe, allant du matériau au bâtiment final, et en tenant compte de ses interactions avec ses usagers en matière d’exposition atmosphérique, de nuisance sonore, d’éclairage et de confort. Ensuite, il convient d’intégrer le bâtiment dans son environnement proche – son quartier – et plus lointain, à l’échelle urbaine. Ainsi, nous tenons compte des questions météorologiques et des champs électromagnétiques. Par exemple, la présence d’une antenne électromagnétique à 200 mètres émet un rayonnement sur le bâtiment qui traverse les parois et atteint plus ou moins les usagers selon la nature des composants. Ces derniers ont beaucoup évolué depuis les années 1950, notamment du fait des outils numériques dont les logements sont aujourd’hui équipés, voire suréquipés.

Notre logique est donc multi-échelle, et va du composant au bâtiment. Le bâtiment est lui-même un composant d’un système plus complexe, la structure urbaine, essentielle pour comprendre ce qui se passe sur et dans le bâtiment, que ce soit en aéraulique, en physique-chimie de l’air, en acoustique, ou en rayonnement électromagnétique. Tous ces sujets ont un impact sur les perceptions conscientes de l’usager, celles du confort, mais aussi sur les perceptions qui, bien que non conscientes, peuvent conduire à des pathologies chroniques.

De ce fait, l’approche du CSTB est multidisciplinaire, puisque nous parlons de matériau, de composants chimiques des matériaux, d’équipements tels que la ventilation, des émissions des matériaux dans l’air, sans compter la pollution extérieure qui entre à l’intérieur, et des ondes électromagnétiques. La problématique de l’air est à la fois physique, chimique, aéraulique, thermique, électromagnétique et lumineuse. Par conséquent, nous sommes dans l’obligation de faire interopérer tous ces éléments pour évaluer le niveau d’exposition des habitants. Par exemple, des matériaux en bois aggloméré avec de la résine phénolique ou formo-phénolique, qui rejettent des composés actifs, affectent la qualité de l’air et donc la santé des habitants. Cette pollution au phénol ou au formol peut ensuite être accélérée par l’exposition au rayonnement solaire ou le manque de ventilation, ce qui engendre une réaction cyclonique.

Je vous donne un exemple qui illustre bien les problématiques du secteur. Imaginons une barre d’immeubles proche du périphérique, une construction ancienne à partir de matériaux contenant potentiellement de l’amiante et du plomb. Elle est soumise à l’extérieur à des émissions acoustiques et polluantes, et elle se trouve dans une configuration urbaine aéraulique qui organise la circulation de l’air autour d’elle. Pour la rénover, il faudra d’abord qualifier les expositions auxquelles est soumis le bâtiment, telle qu’une antenne électromagnétique à 500 mètres. Il faudra pour cela se référer à la méthode de caractérisation de la performance énergétique des bâtiments telle qu’elle est appliquée aujourd’hui. Le but est de rénover les passoires thermiques de façon à assurer le confort et la santé des occupants. Dès lors, nous sommes amenés à reconsidérer tous les composants du bâtiment et à en caractériser les nuisances, chimiques, thermiques et acoustiques. Par exemple, les éclairages LED basse consommation présentent un intérêt énergétique, mais leur forte concentration lumineuse suscite de la fatigue visuelle. Le rayonnement bleu peut même avoir un impact sur la rétine sur le long terme.

Par conséquent, il est nécessaire d’objectiver tous les choix de composants quant à leur impact sur les usagers. L’approche systémique, tout en répondant à la commande concernant la performance énergétique du bâtiment, nous aide à trouver le meilleur compromis pour garantir la sécurité sanitaire. Or la principale difficulté est de relier l’ensemble des décisions. Il suffit par exemple de changer les ouvertures pour effectuer la rénovation acoustique d’un bâtiment, la masse des murs étant suffisante pour filtrer le bruit, mais si les ouvertures sont d’ancienne génération, le bâtiment sera une passoire thermique. De fait, une rénovation thermique du bâtiment doit être effectuée pour l’optimiser dans son ensemble : en même temps son acoustique, sa performance énergétique et son confort.

Cet exemple montre bien l’interdépendance des problématiques et des disciplines scientifiques, ce pour quoi nous concluons des partenariats de haut niveau avec les acteurs scientifiques de la microbiologie, comme l’Institut Pasteur et le Centre national de la recherche scientifique, et des sciences sociales. Ces partenariats nous aident à caractériser les expositions physiques et chimiques, mais aussi la perception des usagers, qui remarquent davantage le bruit que la mauvaise qualité de l’air intérieur. Mme Kirchner vous présentera ultérieurement l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI), que nous avons créé en 2001, après un long chemin de recherche démarré en 1995.

En effet, jusqu’aux années 1990, la pollution intérieure n’était pas un sujet perçu par les usagers, ni par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, nous savons qu’il s’agit d’un sujet majeur, puisque l’air concentre tous les rejets chimiques des composants du bâtiment, ainsi que ceux qui sont issus de la vie extérieure. Le CSTB intègre ce sujet à une vision systémique qui permet d’accompagner les décisions publiques sur la pollution de l’air et de l’eau et sur le rayonnement électromagnétique, de contribuer sur ces sujets à l’élaboration des réglementations, et d’objectiver l’interdépendance des problématiques dans le but de préserver la santé.

En France, comme du reste dans le reste de l’Europe, les sujets de santé ont longtemps fait l’objet d’une approche plus curative que préventive. Or cette approche coûte énormément à notre pays, environ 19 milliards d’euros chaque année. Certes, les investissements de prévention sont chers, mais ils s’avèrent plus efficaces et moins coûteux sur le long terme.

En ce qui concerne les problématiques sanitaires actuelles, nous avions travaillé dans les années 2010, à la suite de l’épidémie de SRAS et de la grippe H1N1, sur la transmissibilité des viroses au sein des bâtiments, par les particules élémentaires ou par l’organisation spatiale du bâtiment. Nous avions alors découvert qu’il était possible d’abaisser la charge virale contenue dans l’air grâce au recyclage hygrothermique, qui augmente l’humidité et la température pendant un certain temps. Cette découverte est intéressante pour la gestion des bâtiments tertiaires et scolaires, et nous a particulièrement servi dans la période actuelle. Dans les situations précédentes, puisque la létalité du virus n’était pas avérée et que l’impact économique était faible, nous n’avions pas considéré ce sujet comme une priorité de recherche. Cependant, la pandémie actuelle nous oblige à nous réinterroger sur la prévention et la caractérisation des problématiques virales.

Toutefois, de nombreux acteurs de la communauté scientifique ont encore une vision hésitante de la situation sanitaire. Nous en apprenons tous les jours et il reste beaucoup à faire. Nous devons toutefois commencer à prévoir des actions de prévention pour ne pas revivre la même situation en cas de nouvelle pandémie dans les dix prochaines années. Nous devons tirer les leçons de cette pandémie, alors que le SRAS et le H1N1 n’avaient pas modifié nos comportements ni les systèmes de prévention. Par exemple, les dispositifs actuels de ventilation des bâtiments ne comprennent pas de système spécifique de filtration des expositions virales. Ce sujet est à la fois complexe et énergivore, et implique de nombreux choix à faire pour l’optimiser.

Un autre sujet d’actualité est celui des canicules, qui révèlent une problématique d’exposition des personnes âgées, ou même de personnes en bonne santé mais pouvant développer des pathologies dans des conditions critiques d’exposition. Il convient par conséquent d’apporter des réponses pour la gestion de l’air et de l’humidité au sein des bâtiments. Le continuum du confort à une température de 18° C entre les différents lieux de vie, de travail et de transport, pratiqué depuis longtemps aux États-Unis, est une erreur qui pourtant se trouve de plus en plus en France. Or l’objectif doit être de rénover le parc en visant le confort thermique en hiver comme en été, tout en réduisant la consommation énergétique et sans recourir à la climatisation.

Il est relativement facile de gérer le bâtiment dès lors que l’on sait comment le faire. Par exemple, la ventilation nocturne est une action efficace mais souvent inconnue des occupants, alors qu’elle permet d’évacuer les calories accumulées durant la journée et ainsi de baisser la température. La différence entre la température intérieure et extérieure importe plus que la température intérieure elle-même. Ainsi, une température intérieure de 25° C est confortable quand il fait 35° C dehors, même si, dans la durée, elle entraîne des modifications physiologiques inconfortables. En d’autres termes, l’éducation joue un rôle majeur dans la politique sanitaire, comme c’est déjà le cas en matière d’environnement.

Par ailleurs, la connaissance des problématiques sanitaires s’appuie évidemment sur un panel de données diversifiées, qui ont cependant un niveau insatisfaisant de traçabilité. Actuellement, il n’existe pas de base de référence sur l’état du parc des bâtiments, contrairement à l’état des voitures recensé lors du contrôle technique. Or, puisque les matériaux et les équipements en ventilation, en eau froide et en eau chaude, ont une incidence évidente sur la santé, la collecte des données est nécessaire à la communauté scientifique pour qualifier les composants et orienter les décisions des pouvoirs publics, en se fondant uniquement sur une approche scientifique et non empirique. Cette problématique ne concerne pas seulement le bâtiment et la santé. Elle nécessite de développer une vision centrée autour d’une logique de valeur ajoutée, partagée par les communautés scientifiques. Sinon, nous aurons des expressions d’experts isolés qui conduisent parfois à des errements.

Enfin, à propos du changement climatique, au-delà des phénomènes de canicule, nous devons considérer l’évolution des systèmes et des échanges. Le changement climatique a, entre autres, conduit à la progression de vecteurs invasifs des régions tropicales vers l’Europe, jusqu’en région parisienne, de la même façon que les échanges économiques mondialisés ont conduit à des déplacements de biotopes et parasites qui affectent notre santé. La visibilité sur ces risques est encore faible pour le moment. Les modélisations du réchauffement climatique essaient de prédire quels biotopes seront les plus invasifs à l’avenir. Ces vecteurs auront un impact évident sur la renaturation de la ville, de par les parasites qu’ils transportent, et pourront provoquer de nouvelles problématiques comme des moisissures sur le bois dans les bâtiments neufs ou de nouvelles maladies.

Mme Séverine Kirchner, directrice santé et confort du Centre scientifique et technique du bâtiment. Le bâtiment est déterminant dans la santé car il est notre environnement le plus proche. En effet, l’environnement intérieur représente 80 % de l’exposome humain, sans compter l’alimentation. La quasi-totalité de la population est exposée aux produits chimiques issus des matériaux de construction. Cependant, cet enjeu de santé publique était peu connu jusque dans les années 1990. À court terme, l’exposition peut provoquer des céphalées, des nausées, des irritations, voire des intoxications sévères comme celle au monoxyde de carbone ou le syndrome des bâtiments malsains, d’origine multifactorielle. Sur le long terme, la pollution de l’air intérieur peut engendrer des pathologies respiratoires, cardio-vasculaires, neurologiques, et des cancers, ce qui représente un coût élevé pour l’État. La lutte contre les nuisances sonores représente en Europe un budget de 57 milliards d’euros par an. Dans le cadre d’un travail mené par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), nous avons estimé le coût lié à la pollution intérieure à 19 milliards d’euros par an, pour seulement six substances, avec 28 000 cas de pathologie déclarés chaque année.

Cependant, le bâtiment et son environnement évoluent sans cesse. Certaines substances sont mesurées car nous savons le faire, mais d’autres non. Certaines substances de substitution ne sont pas optimales et méritent d’être suivies, tandis que des substances anciennes, telles que l’amiante, reviennent en tête des préoccupations sociétales. Il est donc nécessaire d’effectuer une veille sur les évolutions du secteur.

La perception des risques par la population est une autre problématique importante : à l’intérieur, on se sent à l’abri. C’est la fonction première d’un bâtiment, qui nous protège des intempéries, nous permet de soulager nos besoins physiologiques, et donc préserve théoriquement notre santé. Cependant, il existe dans la population un fossé entre la perception de l’importance d’un facteur de risque et la connaissance de ses impacts. Par exemple, le radon, un gaz radioactif naturel qui provient du sol, peut provoquer le cancer du poumon. Ce risque est connu et nous savons le gérer, mais les usagers ne le connaissent pas et ne le perçoivent pas comme dangereux. À l’inverse, les radiofréquences inquiètent davantage la population alors que leur impact sur la santé n’est pas avéré, ou du moins minime. En outre, les risques évoluent dans le temps, à l’exemple des virus respiratoires qui reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène.

Nous avons participé en 2001 à la création de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur, alors que l’enjeu de la santé environnementale avait une importance croissante en France, après la crise de l’amiante et l’affaire du sang contaminé. Les citoyens avaient alors perdu confiance dans les pouvoirs publics. À cette époque, la question de la pollution de l’air intérieur était peu connue en France, mais plus présente en Europe du Nord et aux États-Unis où les bâtiments étaient mieux isolés.

Cet observatoire a été créé avec les ministères chargés de la santé, du logement et de l’environnement, et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Le CSTB en est devenu l’opérateur, et sa présidente depuis sa création est Mme Andrée Buchmann. Les financements sont uniquement publics, pour éviter tout conflit d’intérêts.

L’observatoire avait pour mission initiale d’améliorer la connaissance sur la qualité de l’air intérieur, car nous sommes partis du constat que nous n’avions aucune connaissance de ce milieu dans lequel nous passons 80 % de notre temps. Nous n’avions aucune donnée sur l’état du parc urbain, et nous ne connaissions pas les risques d’exposition ni les leviers d’action de prévention. L’objectif était donc de déterminer les risques auxquels sont exposées les populations dans les différents bâtiments – logements, écoles, bureaux, lieux de loisirs, établissements sociaux et médico-sociaux – et d’identifier la source des risques, que ce soient les matériaux, l’environnement extérieur ou l’activité humaine. En effet, les habitants sont à la fois acteurs et victimes de leur environnement.

Cet observatoire a mis en avant le sujet de la pollution intérieure en France, en montrant qu’il y avait une pollution multiple (physique, chimique et microbiologique) dans presque tous les bâtiments, même si nous constatons de fortes inégalités entre les bâtiments. Néanmoins, la pollution intérieure est souvent multiple et spécifique, plus concentrée qu’à l’extérieur. Nous pouvons y trouver des traces de moisissures, de perturbateurs endocriniens, ou encore de pesticides. Techniquement, les débits de ventilation ne sont pas toujours respectés. Nous constatons à cet égard des taux de confinement très élevés dans les écoles.

Aujourd’hui, la base de données de l’observatoire est largement utilisée, notamment par les agences de sécurité sanitaire. L’observatoire mobilise également un large réseau d’experts scientifiques et techniques, afin de confronter les données, d’identifier les leviers d’actions et de faire avancer la connaissance sur ces sujets. Par exemple, l’observatoire étudie la question du renouvellement de l’air dans les écoles, qui disposent de peu de systèmes de ventilation, ou encore les facteurs en cause dans la pollution des logements. Nous avions notamment étudié les effets de la rénovation thermique des bâtiments sur la qualité de l’air intérieur. S’il existe des effets positifs, comme la baisse du taux de monoxyde de carbone et du taux de particules, et l’amélioration du confort thermique en hiver, nous remarquons à l’inverse une hausse du taux de radon, un développement des moisissures et une dégradation du confort thermique d’été. Ce dernier sujet devient prépondérant alors que la fréquence des canicules s’accélère. Il convient alors de rendre le bâtiment plus résilient et plus résistant aux variations de climat.

En conclusion, le sujet est vaste et le bâtiment évolue sans cesse. Nous devons donc être toujours en veille de nouvelles solutions, qui sont souvent des compromis entre l’efficacité énergétique, le réemploi des matériaux, la frugalité des ressources et l’accompagnement de la population vieillissante. Toutes ces dimensions doivent être prises en compte pour construire des bâtiments accueillants et favorables à la santé.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Merci pour cette longue présentation qui répond d’emblée à plusieurs questions que je souhaitais vous poser. Il est très intéressant de présenter les bâtiments comme des boîtes vivantes, en interaction avec leurs occupants. Vous avez beaucoup insisté sur le fait que nous passions 80 % de notre temps à l’intérieur d’un bâtiment. Je souhaiterais quelques précisions sur le bilan de l’état du bâti en France.

Nous constatons une réelle mobilisation scientifique autour de ces problématiques, et des professionnels pluridisciplinaires réfléchissent aujourd’hui au bâtiment idéal, d’après l’état de nos connaissances. Par conséquent, je m’interroge sur l’écart entre l’objectif idéal de rénovation et l’état du parc actuel. Quel est votre plan de charge ? Comment envisagez-vous l’avenir de vos interventions ? Vos constats sont très intéressants sur les pratiques idéales en matière de rénovation, mais quelles sont vos possibilités d’action ? Quelles sont vos ressources pour porter une telle stratégie ? Quels sont vos objectifs concrets et vos indicateurs ? Avez-vous déjà fixé une échéance pour arriver à un pourcentage significatif de rénovation de qualité des bâtiments ?

M. Hervé Charrue. La connaissance du parc est en effet une question cruciale, mais celle-ci est encore faible du fait qu’il est impossible de généraliser. Chaque bâtiment est considéré comme une construction unique, un prototype, contrairement aux véhicules, fabriqués par millions.

Pour ce qui est de la problématique énergétique, nous avons effectivement des indicateurs pour évaluer la performance énergétique, des passoires thermiques jusqu’aux nouveaux bâtiments conçus pour être très performants dans ce domaine. Dans le neuf, la performance énergétique est associée au confort thermique et acoustique et à la qualité de l’air, mais dans l’ancien, cette association est beaucoup plus compliquée. La rénovation est limitée par le besoin de financement important et l’absence de ressources de production, car les enjeux nouveaux du bâtiment consomment l’essentiel de la main-d’œuvre. De plus, ce secteur n’est plus très attractif auprès des jeunes, en formation courte comme en formation longue. Certes, quelques jeunes ingénieurs s’orientent vers la rénovation thermique et la performance environnementale, mais ce ne sont pas eux qui construisent les bâtiments. Par conséquent, nous arrivons à une situation où nous avons bien identifié les besoins techniques, mais où nous manquons de moyens humains pour les réaliser.

Le CSTB a d’ailleurs une autre mission qui est l’évaluation des innovations et l’accompagnement des acteurs industriels dans la qualification de la performance de leurs innovations une fois intégrées aux bâtiments. Nous adressons ainsi diverses problématiques, non seulement le confort thermique, mais aussi l’étanchéité des toitures avant la pose de panneaux solaires par exemple. Enfin, nous avons une mission de formation des acteurs, c’est-à-dire de transfert de connaissances à destination des professionnels, concernant la qualité et les règles de l’art pour la mise en œuvre des produits.

Dans les années 2010, la rénovation énergétique d’un bâtiment coûtait entre 350 et 450 euros le mètre carré pour une maison individuelle. Aujourd’hui, compte tenu de la problématique du confort d’été, du fait de la fréquence des canicules, et des nouvelles préoccupations sur l’impact des particules fines, par suite de la crise du diesel, le prix a fortement augmenté, et la rénovation devient coûteuse. De plus, il faut trouver les ressources humaines pour la réaliser. Le secteur est en effet très morcelé et peu industrialisé, hormis pour les grands groupes intervenant pour le secteur tertiaire ou les logements collectifs. Dans le domaine de la rénovation de l’habitat, il s’agit surtout de petites entreprises qui manquent de moyens pour innover, mettre en œuvre de nouvelles technologies plus performantes et des phases d’industrialisation de la production hors site. De ce fait, nous connaissons les solutions, mais nous manquons de financements et de ressources de production.

Par ailleurs, sans faire offense aux fédérations professionnelles, tout le monde y va de son expérience personnelle sur la qualité de la rénovation ou de la construction. Cependant, entre les maquettes numériques où tout est parfait et la réalité, nous avons des difficultés à mesurer la performance réelle du bâtiment. Un nouvel indicateur doit être mis en place pour suivre et mesurer la performance sur tous les champs qui ont fait l’objet d’une investigation – qualité de l’air, performance énergétique réelle, isolation acoustique – pendant le chantier et dans le bâtiment final.

L’interopération des marqueurs peut toutefois poser question. Dans le cas de l’épidémie actuelle, il a été démontré que la surventilation était efficace pour évacuer le risque de contamination, mais certains se sont inquiétés que l’on dégrade ainsi la performance énergétique des bâtiments. Or tous les sujets nécessitent une logique d’optimisation globale, qui implique de faire des choix selon les priorités d’investissement. Si la priorité est la sécurité sanitaire, il convient de faire des compromis sur la performance énergétique, car la prévention sanitaire offrira un meilleur retour sur investissement pour la nation. Ces sujets sont donc complexes. De ce fait, le CSTB a pour but d’objectiver l’interrelation entre les paramètres pour que le décideur, qu’il soit public ou privé, puisse décider en toute connaissance de cause.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Je souhaite revenir sur vos moyens de contrôle. Le CSTB joue-t-il un rôle de vigie sur le marché de la construction et de la rénovation ? Jusqu’où pouvez-vous aller en matière de certification et de sanction ?

Mme Annie Chapelier. Je souhaiterais vous poser trois questions. Premièrement, vous avez souligné l’approche anthropocentrée, mais vous n’avez pas évoqué l’artificialisation des sols. Prenez-vous en compte l’empiètement du bâtiment sur l’espace, notamment naturel ? Cet empiètement est de plus en plus important, mais n’est pas réglementé.

Deuxièmement, concernant la rénovation, un article récemment publié par plusieurs scientifiques faisait remarquer que de nombreux chantiers de rénovation thermique étaient réalisés avec des matériaux polluants, souvent d’origine pétrochimique. Certes, ces matériaux limitent la déperdition d’énergie, mais ils augmentent la pollution au sein du bâtiment, et leur élimination en fin de vie est problématique pour l’environnement.

Enfin, vous avez dit que nous avions tous une expérience personnelle à propos de la rénovation. J’entends dans vos propos une prise de conscience globale de la part du secteur, mais celle-ci ne s’observe malheureusement pas auprès des artisans, ouvriers et plâtriers. Pourquoi l’information ne passe-t-elle pas auprès des professionnels ? Ces derniers ne proposent jamais de solutions pérennes, avec des éco-matériaux, aux propriétaires de logement, et ne prennent pas en compte la performance énergétique du bâtiment. Ils veulent uniquement faire au plus vite et au moins cher, avec des matériaux à fort impact environnemental.

L’élimination des déchets de la construction dans des décharges sauvages est un autre problème en conséquence. En effet, les entreprises du bâtiment seraient à l’origine d’un tiers des décharges sauvages. Visiblement, l’état d’esprit du CSTB ne s’imprime pas à l’échelle locale. Pourtant, vous existez depuis 1948. Comment expliquez-vous ce manque de prise de conscience chez les acteurs locaux du secteur ?

M. Hervé Charrue. Nous prenons évidemment en compte l’artificialisation des sols, notamment pour la problématique des canicules, car dès lors que l’on construit, on modifie le sol. L’artificialisation des sols modifie la composition du sol, mais aussi le ruissellement des eaux. Nous en avons vu récemment les conséquences. La densification urbaine, qui a été un temps l’alpha et l’oméga pour abaisser la consommation énergétique liée au bâtiment et au transport, pose aujourd’hui problème, car plus une ville est dense, plus les sols sont artificialisés. L’artificialisation est également due aux réseaux de transports, mais la modification des modes de transports, en l’occurrence le passage aux véhicules électriques, peut changer la donne.

Par exemple, Hong Kong, l’une des villes les plus denses du monde, affichait jusqu’à récemment une bonne performance énergétique, grâce à ces immeubles tout en hauteur et ses transports en commun très développés qui remplacent les voitures individuelles. Cependant, si on souhaite installer des panneaux solaires sur les bâtiments, on a besoin de beaucoup de surface pour capter les rayons solaires. Dès lors, Los Angeles, anciennement très mal classée en termes de performance énergétique, devient une des villes les plus performantes, car ses bâtiments plus bas exposent davantage de surface au soleil. En d’autres termes, l’évolution de la technologie entraîne des inversions de stratégie. Les choix pris à certaines époques ont un impact sur l’environnement.

Nous répondons également au problème de l’artificialisation par la mise en place de façades et de toitures végétalisées, qui permettent un effet tampon, la récupération de l’eau de pluie, et l’amélioration de la performance thermique grâce à l’évaporation qui empêche l’échauffement du bâtiment. En contrepartie, il convient de bien choisir les plantes et les matériaux mis en œuvre, et de tenir compte des risques allergisants relatifs à certains pollens. Tous ces éléments font partie d’un système complexe qui dépend de l’optimisation souhaitée. Caractériser un bâtiment suppose donc de bien connaître son environnement proche et à l’échelle de la ville.

Pour répondre à votre question sur les nouveaux matériaux, les rénovations lancées en masse, notamment via le plan de rénovation à 1 euro, impliquent généralement des composés issus de la chimie, tels que le polyuréthane et le polystyrène, et d’autres éléments consommateurs d’énergie comme la laine de roche. De l’autre côté, il existe des écomatériaux comme la fibre de bois, le chanvre, la ouate de cellulose, issue du coton ou de la cellulose du bois. Deux mondes s’opposent, l’un issu de la pétrochimie et l’autre plus écologique, mais une même question se pose, celle de la performance intrinsèque du produit et de sa durabilité. Si les matériaux utilisés pour la rénovation thermique sont ultérieurement infestés par des insectes nuisibles, car ils n’ont pas été protégés par des biocides, la performance énergétique du bâtiment sera réduite et une nouvelle rénovation s’imposera tôt ou tard. C’est toute la question de la performance relative entre l’enjeu écologique, la durabilité et le coût d’investissement qui se pose là.

Le CSTB soutient les deux solutions en les évaluant, en accompagnant les industriels, et en soutenant la recherche, notamment sur la durabilité des matériaux naturels grâce à l’utilisation de biocides compatibles avec les enjeux sanitaires. Nous soutenons la recherche pour que ces innovations arrivent sur le marché.

Cependant, si les professionnels privilégient encore aujourd’hui les matériaux issus de la pétrochimie, la raison tient à un héritage historique dans le secteur. Les industriels qui utilisent des écomatériaux gagnent du terrain depuis une dizaine d’années, après avoir beaucoup investi dans la formation des acteurs et le marketing. Ainsi, nous commençons à voir une pénétration de ces produits dans les innovations globales, car ils entrent dans une logique de concurrence. Dans une approche de déontologie et de gestion saine de la concurrence, la caractérisation de ces produits pour les performances attendues revient évidemment au CSTB en tant que laboratoire, ce qui relève de notre mission de certification.

En ce qui concerne la mise en œuvre, nous savons effectivement que certains produits nouveaux, qu’ils soient issus de la pétrochimie ou naturels, sont susceptibles de mettre en péril la qualité globale du bâtiment. Ce constat nous amène à nous demander pourquoi le secteur du bâtiment n’a pas évolué comme celui de l’automobile. Les véhicules d’aujourd’hui ne tombent quasiment plus en panne, ou alors, en cas de défaut, les rappels sont de grande ampleur, jusqu’à 750 000 véhicules.

À l’inverse, chaque bâtiment est un prototype unique, il n’est pas produit en masse, et chaque acteur intervient dans un contexte particulier avec un niveau de formation qui lui est propre, ce pour quoi la qualité est aléatoire. Par conséquent, il convient de réinterroger la chaîne entre le produit, sa mise en œuvre, la formation des acteurs et la construction finale. Certains outils issus de l’industrie sont de très bonne qualité. Par exemple, une fenêtre double vitrage d’aujourd’hui est de très bonne qualité, qu’elle soit en PVC, en aluminium ou en bois. Cependant, l’industriel ne pense pas à son intégration dans l’ensemble du bâti. Hormis les pattes métalliques qui les assujettissent à l’enveloppe, l’étanchéité à l’eau, l’étanchéité à l’air et l’isolation acoustique dépendent de la solution mise en œuvre par l’artisan. De ce fait, la pose demeure une occasion de non-qualité.

Le CSTB a donc mis en place une formation en la matière, et souhaite que d’autres organismes proposent de telles formations à l’avenir. Nous ne pouvons toutefois pas nous substituer aux centres de formation du secteur, plus techniques que scientifiques. Les différents centres tels que l’Institut technologique FCBA pour le bois, le Centre technique des industries aérauliques et thermiques (CETIAT) pour la ventilation, ou le Centre technique de matériaux naturels de construction (CTMNC) pour les matériaux naturels ont la capacité d’accompagner les entreprises dans la mise en œuvre de leurs produits et leur intégration dans le bâti par l’innovation.

Le CSTB a identifié les problématiques et donné des orientations, mais nous nous heurtons peut-être à une opposition de la part des professionnels à l’approche purement industrielle. Votre exemple du plâtrier est un bon exemple. L’innovation du placoplâtre a été créée dans les années 1950, son industrialisation a commencé dans les années 1970, et aujourd’hui, il ne reste plus que quelques plâtriers intervenant sur les monuments historiques. D’un côté, la profession de plâtrier a disparu. De l’autre, la nouvelle profession des plaquistes est apparue, proposant une meilleure sécurité électrique, de par l’encastrement des fils électriques dans les plaques, et une meilleure isolation par l’intérieur, avec un isolant fibreux entre le mur et la plaque de plâtre. Ainsi, ce transfert de compétences et d’emplois a contribué à une meilleure performance du bâti. Toutefois, les produits de ce type, qui proposent un affermissement de la performance et de la mise en œuvre, sont rares. Une fois les doublages montés, les sinistres sont rares quand les plaques sont bien posées. Reste la question du coût facturé. Néanmoins, la performance de la plaque de plâtre a entraîné une mutation du plâtre, enduit de surface, à une solution globale assurant l’enduit, l’esthétique, l’acoustique, l’énergie, l’électricité et les réseaux. Cet exemple montre que l’industrialisation a apporté des innovations intéressantes.

Malheureusement, notre secteur est très morcelé, avec plus d’un million d’artisans et 350 000 entreprises, en majorité des très petites entreprises (TPE) employant quelques ouvriers et déconnectées des innovations. Par exemple, si une partie du monde de la construction considère que la modélisation des données du bâtiment (BIM) est devenue la référence dans tout le secteur, les petites entreprises provinciales et rurales ne le connaissent même pas. En conséquence, certains acteurs publics mettent en place l’obligation d’établir des BIM pour tous les maîtres d’œuvre, y compris dans les dépôts de dossiers en réponse aux appels d’offres. Nous sommes convaincus que l’innovation finira par gagner tout le secteur, mais cela prendra beaucoup de temps, car notre secteur évolue très lentement.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie d’avoir su optimiser le peu de temps dont nous disposions. Votre présentation était très intéressante. Nous avons bien compris les impacts du bâti sur la santé. Cependant, nous entendons qu’il reste encore un grand décalage entre l’idéal et la réalité, à cause notamment d’un manque de réactivité des professionnels du bâtiment et d’un manque de formation des intervenants sur le terrain. La dynamique est tout de même lancée, et j’espère qu’elle va s’accélérer de façon à rattraper notre retard. Merci au CSTB d’être l’agent dynamisant de cette évolution dans l’approche des bâtiments, d’une boîte inerte à une boîte vivante qui affecte la santé des habitants.

Je pense que nous avons fait le tour complet des questions qui relèvent de la prévention. Il est vrai que les politiques publiques en matière de santé ont jusqu’à présent été davantage curatives que préventives. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus dire que nous ne savions pas, et il est nécessaire d’intégrer cette approche préventive dans les politiques publiques.

Merci à vous deux pour votre présence et vos informations extrêmement intéressantes. Il est possible que nous revenions vers vous pour organiser certains points du PNSE, car la qualité de l’air intérieur est l’un des objectifs prioritaires du PNSE 4. À ce titre, le CSTB sera sans doute un partenaire important pour mettre en œuvre ce plan.

L’audition s’achève à onze heures cinquante.

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30.   Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques, de Mme Marie Zimmer, responsable management de produits, de M. Constantin Dallot, toxicologue et responsable santé environnement, et de M. le Docteur Patrick Lévy, médecin conseil de France Chimie (22 octobre 2020)

L’audition débute à onze heures cinquante cinq.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Nous poursuivons nos auditions des fédérations d’entreprises privées, pour savoir comment les acteurs économiques participent à la prise en charge des questions de santé environnementale, avec M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie. Vous êtes aujourd’hui accompagné de Mme Marie Zimmer, responsable management de produits, de M. Constantin Dallot, toxicologue et responsable santé-environnement, et de M. le Docteur Patrick Lévy, médecin conseil de France Chimie.

France Chimie est l’organisation professionnelle qui représente les entreprises de la chimie en France. L’utilisation des produits chimiques et la surveillance des expositions qui en découlent ainsi que le souci de leurs impacts montrent l’attention croissante portée aux préoccupations de santé environnementale. Comment les enjeux de santé publique et environnementale sont-ils pris en compte par les entreprises de la chimie ?

(M. Philippe Prudhon, Mme Marie Zimmer, M. Constantin Dallot et M. Patrick Lévy prêtent successivement serment.)

M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie. France Chimie représente l’ensemble des industriels de la chimie en France, et joue donc un rôle majeur dans la prévention et la réponse aux impacts de nos activités industrielles et de nos produits sur la santé et l’environnement.

Le secteur de la chimie en France regroupe 3 300 entreprises, dont 94 % de petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE), emploie 170 000 salariés, et représente un chiffre d’affaires global de l’ordre de 70 milliards d’euros par an. Avant la crise, notre secteur présentait depuis dix ans une croissance régulière. Pendant la crise, il a fait preuve d’une grande résilience, en approvisionnant le pays en masques et en dispositifs médicaux, et en réorientant ses outils industriels vers la fabrication de gel hydroalcoolique. De nombreuses personnes ont ainsi vu l’intérêt d’avoir des sites industriels en France pour servir nos concitoyens.

Toutefois, nous constatons que la crise sanitaire a durement frappé l’activité de notre pays, qui recule de 15 % alors que la moyenne européenne est à 5 %, et que l’Allemagne annonce un recul de 3 %. Nous devrons compenser cet écart dans les prochains mois, et nous avons toute confiance en notre capacité d’innovation pour relever ce défi. En effet, la chimie est un secteur à forte valeur ajoutée, qui propose à la fois des médicaments, des molécules pour les produits d’hygiène et sanitaires, des matériaux à haute performance pour le bâtiment, l’automobile et l’aviation. La chimie participe également à de nombreuses innovations en faveur de la transition écologique, telles que les éoliennes, les panneaux photovoltaïques et les batteries des voitures électriques.

Ces innovations sont corrélées, dans un premier ordre, à la maîtrise de l’impact de nos activités et produits sur la santé et l’environnement, et cet engagement est clairement affiché par notre secteur industriel. Il s’agit de gérer les impacts de nos usines et d’encadrer la réglementation et la mise sur le marché de nos produits. Concernant les sites industriels, une réglementation européenne s’applique aux industries chimiques, notamment par le biais de la réduction des émissions industrielles prévue par la directive relative aux émissions industrielles (IED) du 24 novembre 2010. La réglementation française impose également d’utiliser les meilleures technologies disponibles afin de réduire au maximum les émissions dans l’air. Des compléments de réglementation existent concernant les émissions dans l’eau et le traitement des déchets industriels, voire leur recyclage.

Concernant les produits chimiques, notre industrie est soumise à la réglementation la plus stricte et la plus ambitieuse du monde, le règlement Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH) du Parlement européen et du Conseil, adopté le 18 décembre 2005. Ce règlement vise à évaluer et encadrer la mise sur le marché des produits chimiques, et cet enjeu nous concerne tout particulièrement. Le règlement REACH établit des procédures pour collecter et évaluer les substances. Dans ce cadre, les entreprises collectent un grand nombre de données afin de les transmettre à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui se charge ensuite d’évaluer la conformité de ces substances et de vérifier que les risques relatifs à ces substances sont correctement appréhendés. À ce jour, 23 000 substances ont déjà été enregistrées dans REACH, ce qui en fait la base de données la plus riche au monde concernant les propriétés des substances chimiques. Nous nous félicitons que cette base soit utilisable par tous, car elle est consultable par le grand public sur internet.

Si une substance possède des propriétés intrinsèques potentiellement dangereuses, elle peut toujours être utilisée, mais exclusivement pour ces propriétés-là. Par exemple, un acide est utilisé parce qu’il est corrosif. Néanmoins, l’analyse des risques de ces produits doit être correctement menée. Sinon, la mise sur le marché fera l’objet de restrictions. Ainsi, l’évaluation des agences et la décision des autorités quant à la circulation et la restriction d’une substance en France et en Europe se basent sur ces critères réglementaires, établis au niveau européen. En outre, le système REACH est fondé sur le renversement de la charge de la preuve. Il incombe à l’industriel de fournir suffisamment de données pour prouver l’innocuité de son produit dans le cadre d’une utilisation normale. Il doit également décrire les risques potentiels. REACH inclut également des obligations de traçabilité, mais nous y reviendrons plus tard.

Une autre réglementation importante est le règlement relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges (CLP), adopté par le Parlement européen le 31 décembre 2008, qui impose de classer toutes les substances chimiques selon la classification qu’elle impose. Il existe également d’autres réglementations plus ciblées pour les jouets, les cosmétiques, les dispositifs médicaux, qui sont des produits en contact direct avec le consommateur. Enfin, il existe une réglementation sur l’exposition potentielle des salariés de la chimie.

Vous voyez ainsi combien le cadre réglementaire européen est riche dans le domaine de la chimie. La Commission européenne en a d’ailleurs fait le constat dans sa nouvelle politique. Les industriels s’inscrivent dans une démarche de progrès, notamment grâce aux outils numériques qui semblent pertinents pour améliorer la traçabilité des substances et la communication en temps réel qu’attendent les consommateurs.

L’industrie de la chimie prend également à bras-le-corps la problématique des perturbateurs endocriniens et des nanomatériaux, ce pour quoi elle a massivement investi dans la plateforme publique-privée sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER) pour caractériser les perturbateurs endocriniens en vue de les supprimer le plus rapidement possible. Nous n’aurons pas d’état d’âme à substituer les perturbateurs endocriniens avérés. En revanche, nous avons besoin de poursuivre la recherche et de collecter des données supplémentaires sur de nombreuses substances pour décider avec certitude de leur substitution.

Bien que la France déploie une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE), il nous importe que la France porte cette stratégie au niveau européen pour aligner la réglementation de tous les pays européens. Nous avons été très impliqués dans la stratégie nationale, en rédigeant un guide de substitution des perturbateurs endocriniens, et en contribuant à la plateforme PEPPER. La Commission européenne a présenté le 14 octobre 2020 sa stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, avec des enjeux très importants, mais l’on compte déjà de nombreuses avancées au niveau européen. Il reste à s’assurer que les produits importés subissent les mêmes contrôles que ceux fabriqués en Europe, de manière à protéger les consommateurs européens.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Vous avez évoqué le règlement REACH, qui encadre la mise sur le marché des produits chimiques. Actuellement, selon les chiffres de la Commission européenne, 84 % des citoyens européens sont inquiets de l’impact sur leur santé des produits chimiques présents dans les objets du quotidien. Quelle est la réponse de France Chimie à cette inquiétude légitime ? Comment travaillez-vous, avec la Commission européenne, dans le projet de refonte du règlement REACH ? Par ailleurs, que pensez-vous de son objectif de garantir un environnement sans aucune substance toxique à l’horizon 2030 ?

Mme Marie Zimmer, responsable management de produits de France Chimie. Je vous donnerai tout d’abord quelques dispositions générales sur REACH. Ce règlement permet de collecter de nombreuses informations sur les substances chimiques, grâce à un processus d’enregistrement qui en a enregistré 23 000, comme l’a dit M. Prudhon. REACH prévoit un processus d’évaluation pour renforcer les connaissances sur les substances suspectes, et s’assurer de la conformité des dossiers. Il comprend aussi des processus de réglementation et d’interdiction des substances jugées dangereuses. Celles-ci peuvent être interdites, et éventuellement bénéficier d’une autorisation limitée à certaines utilisations, ou faire l’objet d’une restriction ciblée.

En réponse à votre remarque sur l’impact des produits chimiques du quotidien, je pense qu’il est nécessaire de mieux communiquer auprès des consommateurs européens sur les réglementations qui protègent actuellement leur santé et l’environnement. Toutefois, tout dépend de la définition de la substance dangereuse, qui reste floue. Certaines sont utilisées à titre particulier et jouent un rôle spécifique dans le produit. Dans le cas où une substance est avérée dangereuse, il convient de s’interroger sur les possibilités de substitution. Les substituts ne sont peut-être pas présents en quantité suffisante sur le marché européen, ou bien leurs impacts ne sont pas encore suffisamment évalués. Parfois, la substitution peut être regrettable.

En conclusion, la présence de substances dangereuses doit être mise en parallèle avec la notion de risque. Le risque est avant tout lié à l’exposition des citoyens, mais il n’est pas un danger dans l’absolu. Ai-je répondu à votre question avec suffisamment de détails ?

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard Vous y avez répondu partiellement. Vous ne m’avez pas répondu concernant votre participation et votre positionnement dans la discussion avec la Commission européenne.

Mme Marie Zimmer. Pour l’instant, nous participons en tant que fédération française au sein du Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC), dont nous sommes adhérents. Nous contribuons à notre échelle en tant que partie prenante pour soumettre des propositions sur l’évolution des réglementations. Nous sommes bien sûr favorables à ce que l’amélioration des impacts sur la santé et l’environnement soit intégrée dans la stratégie européenne, et à ce qu’une discussion ait lieu entre les parties prenantes pour que les dispositions de la Commission européenne soient mises en œuvre de façon juste et pertinente, pour les citoyens comme pour les acteurs économiques.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Vous n’avez pas répondu à la dernière partie de ma question. Comment pensez-vous atteindre l’objectif fixé par la Commission européenne de garantir un environnement sans substance toxique d’ici 2030 ? La raison d’être de vos entreprises est pourtant de fabriquer des substances potentiellement dangereuses pour la santé.

M. le docteur Patrick Lévy, médecin conseil de France Chimie. L’idée de pouvoir parvenir à un environnement totalement exempt de substance dangereuse est probablement une vue de l’esprit. Nous avons besoin de substances actives pour produire des produits chimiques. Nous ne pouvons pas tout produire avec des molécules simples comme de l’eau. Nous avons besoin de substances réactives qui, par définition, peuvent avoir une réaction avec le vivant, mais le plus important n’est pas là.

Ce qui compte le plus pour nous est la notion de risque. Il ne faut pas confondre les propriétés intrinsèques des substances, l’exposition et le risque sanitaire. Par exemple, le bois est un matériau inerte qui ne présente aucun risque pour la santé, bien qu’il émette quelques composés organiques volatiles. Cependant, dès lors que vous coupez la planche de bois, vous émettez des poussières potentiellement cancérigènes.

Il en est de même avec les substances chimiques. Après transformation dans les usines pour en faire des objets de la vie quotidienne, elles ont, la plupart du temps, perdu leur réactivité chimique. Il faut ainsi distinguer la manipulation industrielle d’une part, et le risque d’exposition pour le consommateur d’autre part. En usine, nous continuerons sans doute de manipuler des produits dangereux dans des installations prévues à cet effet, avec une grande maîtrise des risques. En revanche, les produits mis sur le marché, de natures complètement différentes, et dans lesquels les substances chimiques sont emprisonnées, ne provoqueront aucun risque d’exposition pour les consommateurs. Il ne faut pas confondre exposition, risque et danger, selon les conditions d’utilisation des produits.

M. Philippe Prudhon. Cette distinction doit être posée afin de comprendre la réalité que les mots traduisent. Le secteur industriel a déjà pris un certain nombre de décisions pour améliorer la situation. Il y a un an et demi, nous avons été sensibles aux critiques reçues sur la qualité des dossiers REACH, et le secteur a donc décidé de revoir les dossiers d’enregistrement. Ils étaient déjà conformes à l’époque de leur création, et ils le sont encore aujourd’hui. Cependant, les méthodes ont beaucoup évolué en dix ans et nous avons accumulé davantage de connaissances. Nous pouvons ainsi mieux documenter les dossiers d’enregistrement. Nous avons donc pris l’engagement de rouvrir un certain nombre de dossiers afin de réduire toujours plus les impacts des produits chimiques sur la santé et l’environnement.

Toutefois, la réglementation évolue. Par exemple, les nanomatériaux n’étaient initialement pas détaillés dans REACH, puis le règlement a progressivement intégré les spécificités de ces matériaux pour mieux les décrire et faire avancer la connaissance. Concernant les perturbateurs endocriniens, comme je l’ai déjà dit, nous n’avons aucun état d’âme à substituer ceux qui sont avérés. En revanche, nous avons besoin d’approfondir la recherche et les tests pour tirer des conclusions sur les substances simplement suspectées d’être des perturbateurs endocriniens.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Si je comprends bien votre réponse, vous appliquez strictement la réglementation. Quant à la qualification des substances dangereuses, vous contestez l’amalgame entre risque, exposition et danger réel. De fait, je vous poserai une question simple. France Chimie se sent-elle réellement concernée par les problématiques de santé environnementale ? Monsieur Lévy, vous êtes médecin, vous avez donc prêté serment dans votre vie de médecin et vous êtes engagé à protéger la santé de la population. Au sein de France Chimie, comment appliquez-vous le principe de précaution qui découle du serment d’Hippocrate ?

M. Patrick Lévy. France Chimie est à l’avant-garde sur ces sujets. Notre fédération a mis en place dès 2004 une commission consacrée aux questions de santé environnementale, pour sensibiliser ses adhérents, effectuer une veille et assurer notre représentativité dans diverses instances. Nos actions, qui sont conformes à mes engagements personnels en matière de protection de la santé, ont contribué à faire progresser ces questions au niveau national. Nous avons été force de proposition pour tous les programmes nationaux de santé-environnement (PNSE). Nous ne sommes pas du tout dans une logique de contestation. Au contraire, notre fédération souhaite être force de proposition dans ce débat sociétal. Récemment, nous avons élaboré un guide de substitution des substances chimiques, et nous avons contribué à l’amélioration des méthodes de caractérisation des perturbateurs endocriniens dans le cadre de la plateforme PEPPER. Notre fédération est à l’avant-garde sur ces sujets. Elle porte encore des mandats nationaux et européens, et elle participe à la construction des positions du CEFIC, qui est force de proposition dans les discussions européennes.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Quelles propositions concrètes avez-vous faites dans le cadre des politiques publiques françaises et européennes ? Quand je vous ai interrogés sur votre position quant à l’objectif d’élimination de toute substance toxique dans un horizon relativement proche, vous avez répondu que cet objectif ne vous semblait pas réalisable.

M. Patrick Lévy. Nous souhaitons distinguer les utilisations destinées au grand public de celles qui sont destinées la manipulation en usine. Nous vous avons affirmé notre volonté de substituer les perturbateurs endocriniens qui génèrent des risques d’exposition pour le grand public. Nous sommes donc favorables pour traiter les perturbateurs endocriniens avec une approche comparable à celle appliquée aujourd’hui aux produits cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Il s’agit bien d’une proposition concrète.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Jusqu’où allez-vous dans l’examen de la toxicité des produits ? J’ai cru comprendre que vous vous limitiez aux perturbateurs endocriniens avérés. Votre repère serait donc cette qualification du produit, et c’est seulement à ce moment-là que vous lanceriez une recherche de substitution.

M. Philippe Prudhon. Nous n’avons aucun état d’âme à mettre en place des actions immédiates pour substituer les perturbateurs endocriniens avérés. En revanche, il convient d’accumuler des données et des résultats avant de décider de substituer les perturbateurs endocriniens présumés. C’est pourquoi nous avons investi dans la plateforme publique-privée PEPPER, car nous avons besoin de méthodes standardisées à l’échelle mondiale pour tirer des conclusions. Tant que nous ne pouvons pas décider, nous devons approfondir la recherche sur ces substances. Si une substance est finalement confirmée comme dangereuse par la recherche, alors nous la supprimerons comme tout perturbateur endocrinien avéré.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Vous dites rechercher des produits de substitution dès lors que les perturbateurs endocriniens sont avérés, mais vous n’entamez pas cette recherche sans preuve d’un lien de causalité entre la substance et la santé. Ainsi, comment France Chimie travaille-t-elle avec la recherche française et les grandes agences scientifiques de santé environnementale telles que l’Agence nationale de santé publique (SPF), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) ? Quel jugement portez-vous sur leur fonctionnement ? Par ailleurs, quel niveau de preuve exigez-vous avant d’entamer une recherche de substitution ?

M. Patrick Lévy. Notre fédération professionnelle regroupe plusieurs entreprises adhérentes qui sont concurrentes. Dès lors, nous devons être très prudents quand nous entamons une démarche de substitution, compte tenu de nos obligations de respect du droit de la concurrence. Nous ne pouvons pas initier des démarches qui pourraient favoriser certains adhérents plutôt que d’autres. S’il est plus facile d’intervenir au sein de fédérations sectorielles spécifiques, nous sommes, pour notre part, une très grande fédération. Ainsi, nous travaillons avant tout sur les processus de substitution, notamment en rédigeant un guide qui énumère les paramètres à prendre en compte dans la recherche de substitution, en termes de méthodologie, de sécurité, de faisabilité et d’acceptabilité par les utilisateurs. Nous n’agissons pas directement pour la substitution d’une substance particulière, car cela serait contraire à nos engagements envers nos adhérents.

S’agissant de notre contribution à la recherche et de nos relations avec les grands organismes de santé environnementale, la plateforme PEPPER est le projet le plus concret à ce jour, qui associe l’ensemble de ces acteurs. Nous participons également à des programmes européens et internationaux, à l’exemple du programme d’initiative de recherche de long terme (LRI) porté par le CEFIC pour financer des actions de recherche fondamentale sur les perturbateurs endocriniens et d’autres substances. Nous suivons également de près le déploiement du programme européen pour la recherche et le développement Horizon 2020, en contribuant aux travaux sur la biosurveillance au sein du pôle national du programme européen de biosurveillance humaine (HBM4EU), et au niveau européen. Nous suivons de près l’ensemble des travaux menés dans notre secteur, conformément à nos missions en tant que fédération professionnelle.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Votre contribution est-elle principalement financière ou humaine ? Avez-vous des laboratoires de recherche ?

M. Patrick Lévy. Elle est de nature financière pour le programme LRI et la plateforme PEPPER. Elle peut être éventuellement scientifique, même si les processus d’expertise déployés par les agences publiques nous mettent légalement à l’écart. Nous aimerions pourtant contribuer à l’expertise collective, car nous possédons des connaissances uniques sur les produits et des compétences rares en toxicologie et écotoxicologie, mais nous sommes peu entendus par les agences.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. J’entends votre proposition de contribuer aux processus de recherche des grandes agences nationales. Cependant, il est difficile d’être juge et partie. Comment pourriez-vous participer à un processus de recherche national tout en gardant l’objectivité nécessaire ?

M. Patrick Lévy. Nous sommes partie prenante, et nous souhaitons garder ce statut. Toutefois, nous demandons à être entendus au cours du processus d’expertise. Nous ne demandons pas à participer au cœur de l’expertise, mais nous souhaitons faire valoir nos points de vue dans le cadre de la consultation des parties prenantes.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Monsieur Dallot, pouvez-vous nous apporter d’autres informations sur la stratégie de Franche Chimie en matière de santé environnementale ? Avez-vous une politique clairement affichée ? Est-elle compatible avec les politiques publiques nationales ?

M. Constantin Dallot, toxicologue et responsable santé environnement de France Chimie. Le pôle santé-environnement, dont je suis responsable, est transverse car il regroupe l’ensemble des problématiques de toxicité sur l’homme et l’environnement, la caractérisation de cette toxicité, l’évaluation des risques, mais aussi les installations industrielles et l’utilisation finale des produits. Le but de nos travaux est de collecter ces informations et d’échanger afin de dégager des actions. À titre d’exemple, les émissions des installations industrielles et les risques suscités par les produits appellent deux réponses réglementaires différentes, même si elles sont imbriquées. Grâce à la connaissance toxicologique des comportements et des impacts des substances dans les milieux, nous pouvons arriver à trouver des synergies entre les divers sujets réglementaires. Quand nous entamons une démarche de mise en place d’une réglementation relative à la santé environnementale, nous sommes amenés à entrer en relation avec différents experts pour apporter une expertise et des connaissances toxicologiques aux pouvoirs publics.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Vous parlez de caractérisation de la toxicité. Vous devez savoir qu’une révolution copernicienne a eu lieu en toxicologie, depuis que l’on sait que la dose ne fait plus le danger, et qu’il devient nécessaire de prendre en compte les effets cocktail, c’est-à-dire l’addition des expositions au cours d’une vie humaine. Comment France Chimie se positionne-t-elle face à cette évolution de la connaissance en toxicologie ? Vous vous référez souvent à la réglementation, mais nous savons désormais que les normes officielles ne correspondent plus aux derniers constats de la recherche médicale.

M. Constantin Dallot. À vrai dire, je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre constat. Ce genre de changement de paradigme tient plus du marketing que de la réalité scientifique. Les études considérant tout le cycle de vie ne datent pas d’hier dans le domaine de la toxicologie réglementaire.

Les effets cocktail sont une problématique croissante ces dernières années. L’évaluation des risques en toxicologie était moins mûre il y a quelques années, comme tous les autres domaines scientifiques, et les problématiques se complexifient au fil du temps. Nous manquons encore de méthodes pour évaluer la toxicité des mélanges de substances. Toutefois, notre industrie participe au développement de méthodes, en collaboration notamment avec l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a déjà beaucoup avancé sur l’évaluation des effets combinés. Cette agence a mis en place une méthodologie pour évaluer les risques sur la base des mécanismes d’action mis en jeu par différentes molécules auxquelles nous pouvons être exposés simultanément.

De son côté, l’industrie a organisé des ateliers sur des études de cas particuliers, de façon à évaluer la robustesse des méthodes édictées par l’EFSA. Actuellement, nous menons un projet de facteur de sécurité générique afin de prendre en compte les effets des substances en mélange. L’industrie se mobilise pour trouver des résultats fins et pertinents. En tant qu’industriels, nous souhaitons que notre domaine progresse vers plus de sécurité, pour les humains comme pour l’environnement, mais nous ne voulons pas ajouter des contraintes si celles-ci ne sont pas pertinentes. Il convient d’optimiser nos efforts, dans une démarche de coconstruction.

Enfin, concernant la remise en cause de la notion de dose, je pense effectivement que la dose ne fait pas le danger, puisque le risque est la combinaison entre le danger et l’exposition. Néanmoins, la notion de dose reste pertinente dans l’immense majorité des évaluations de risques.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Les autres experts universitaires et scientifiques que nous avons auditionnés ont tenu un discours tout autre. Ils estiment que l’addition des produits chimiques est la grande problématique de notre époque. Vous entendre contester les affirmations d’éminents toxicologues me laisse pensive. Je comprends que vous puissiez manquer de méthodes pour apporter la preuve de l’exposome. Cependant, la communauté scientifique s’accorde à reconnaître que nous sommes exposés tout au cours de notre vie à des additions de substances chimiques, et cela relève du bon sens. Je suis quelque peu surprise par votre position. L’exposome est désormais entré dans les politiques publiques françaises et dans le PNSE.

M. Constantin Dallot. Je ne conteste pas la notion d’exposome, mais je maintiens que la dose reste un concept pertinent dans la recherche pour un grand nombre de substances. Il est faux d’affirmer que la dose ne fait pas le danger pour toutes les substances. Je vous invite à lire les travaux de l’EFSA, auxquels l’Anses a largement contribué. Un rapport entier a été publié, après une revue exhaustive de la littérature sur le sujet de la sécurité alimentaire, et il conclut que la question des relations dose-réponse non monotones (DRNM) n’est toujours pas tranchée, en particulier pour les perturbateurs endocriniens. Je ne remets pas non plus en cause, pour ce qui concerne l’évaluation des risques des substances en mélange, l’existence des effets combinés. Il s’agit en effet d’un grand chantier de recherche pour les prochaines années, auquel France Chimie veut évidemment contribuer, dans le but d’optimiser les efforts communs.

M. Patrick Lévy. Actuellement, il n’existe aucune preuve scientifique solide qui puisse remettre totalement en cause le principe de Paracelse. Cette conviction qui est la nôtre est renforcée par les évaluations scientifiques de l’EFSA. Nous attendons des preuves complémentaires. Par ailleurs, l’industrie a beaucoup de difficultés à évoluer dans un contexte d’incertitude scientifique. Les industriels ont besoin de visibilité et de robustesse scientifique pour prendre des décisions de substitution. Comment peuvent-ils engager un changement de procédé alors que l’incertitude scientifique demeure sur les effets des produits ?

Enfin, nous ne contestons évidemment pas les effets combinés ni la notion d’exposome, qui associe l’ensemble des voies d’exposition sur la durée de vie d’un individu. L’exposition à des substances multiples peut effectivement produire des effets combinés. Nous pouvons nous référer aux expériences issues de la pharmacologie, notamment les effets combinés des médicaments et de l’alcool, parfois antagonistes, parfois synergiques. Il en est de même pour les produits chimiques. De ce fait, il n’est pas envisageable de rajouter des contraintes tout en s’affranchissant des résultats scientifiques. Les effets additifs, antagonistes ou synergiques, dépendent des substances mélangées mais aussi des moments de la vie au cours desquels nous sommes exposés. Ces questions nécessitent donc une approche scientifique robuste.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Avez-vous des propositions pour améliorer les politiques publiques de santé environnementale en France ?

M. Patrick Lévy. Nous défendons depuis longtemps la hiérarchisation des priorités en matière de santé publique. Aujourd’hui, nous prenons en compte les risques physiques, chimiques, biologiques, mais nous n’avons pas l’impression que le même niveau de priorité soit donné aux risques sanitaires avérés pour la population. La hiérarchisation des risques fait encore défaut.

En outre, de nombreuses initiatives sont lancées sur des bases scientifiques fragiles. Je pense notamment aux opérations de sensibilisation et de formation de la population, qui mériteraient de s’appuyer sur des connaissances scientifiques plus robustes.

Enfin, nous remarquons la nécessité de coordonner nos actions au niveau européen, ou du moins que les actions déployées en France soient compatibles avec la réglementation européenne. Il s’agit d’un gage d’efficacité impératif pour nous en matière de politiques publiques visant les produits chimiques.

Mme Annie Chapelier. Je comprends que France Chimie représente les industriels de la chimie. Toutefois, les personnes ici présentes ont-elles conscience qu’elles défendent aussi les intérêts de la population française ? La santé est au cœur des préoccupations des Français, et l’impact de l’industrie sur notre santé n’est plus à démontrer, même s’il reste à le mesurer précisément. J’aimerais donc savoir si vous êtes réellement impliqués dans la préservation de la santé environnementale, car vous êtes aussi concernés par les impacts industriels en tant que citoyens.

M. Philippe Prudhon. En effet, nous sommes aussi des pères et mères de famille. Pendant le confinement, notre industrie s’est mobilisée pour produire du gel hydroalcoolique, montrant l’importance de garder des sites industriels sur notre territoire afin de servir nos concitoyens.

Par ailleurs, 8 % de nos effectifs sont consacrés à la recherche et développement, l’innovation consistant à réduire les impacts des produits chimiques sur la santé et l’environnement. Nous sommes conscients que nous avons un rôle majeur à jouer dans la transition écologique, et que le sujet de la santé environnementale ne dépend pas uniquement d’une spécification chimique ou physique. Elle est une dimension fondamentale de nos préoccupations, et nous misons essentiellement sur la recherche et développement pour vous proposer des produits et matériaux toujours plus sûrs.

Mme la présidente Elisabeth Toutut-Picard. Nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions.

L’audition s’achève à douze heures cinquante.

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31.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Laurianne Rossi et de Mme Claire Pitollat sur leur rapport en conclusion des travaux de la mission d’information commune sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique (27 octobre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous entendons nos collègues députées Mmes Claire Pitollat et Laurianne Rossi, co-rapporteures de la mission d’information commune sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en matière plastique, présidée par M. Michel Vialay. Votre rapport a été présenté en décembre 2019, et vous y avez dressé l’état des lieux de l’exposition aux perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique. Vous avez abordé la question de leurs effets sur la santé et de leur diffusion dans l’environnement à travers les déchets en plastique.

Mme Laurianne Rossi. La mission d’information que nous avons rapportée et dont nous avons remis le rapport le 4 décembre 2019 portait sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique à usage alimentaire, cosmétique ou pharmaceutique. Le rapport a été adopté à l’unanimité par les commissions du développement durable et de l’aménagement du territoire et des affaires sociales. Dès le lancement de nos travaux en février 2019, nous avons souhaité rencontrer l’ensemble des acteurs concernés par la problématique, de tous les secteurs, pour mieux en appréhender les enjeux. À cette fin, notre mission a réalisé au total 70 auditions et tables rondes auprès d’acteurs appartenant à des champs d’expertise très variés : médecins, scientifiques, chercheurs, associations, entreprises, fédérations professionnelles.

Ces sujets sont complexes et encore peu abordés dans leur globalité. La mission d’information s’est appuyée sur une revue bibliographique réalisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de notre Assemblée. L’OPECST a mené un travail particulièrement précieux pour notre mission d’information, qui nous a permis d’être éclairées sur les enjeux scientifiques attachés à nos travaux. Notre mission s’est également déplacée à Bruxelles puisque nous travaillions sur un sujet éminemment européen, et nous y avons rencontré les agences européennes compétentes. Nous nous sommes aussi rendues à Helsinki, au siège de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

La mission a abordé toutes les voies de perturbation endocrinienne liées aux contenants en plastique. Les travaux ont notamment porté sur les migrations des composants du plastique vers les aliments ou les produits présents dans les contenants, mais aussi sur leurs conséquences en matière de contamination de l’environnement pour l’homme et pour les animaux qu’il consomme – poissons, fruits de mer – via la pollution plastique. Nous avons également étudié les déchets collectés, recyclés ou abandonnés dans la nature et dans les eaux usées, l’impact de la dégradation et de la migration des composants du plastique dans l’environnement et dans l’écosystème. Nos travaux rejoignent en partie les travaux de la présente commission d’enquête et témoignent de l’acuité de la question. La pollution aux plastiques est omniprésente, et aucun milieu n’y échappe. Les impacts de la pollution sont liés à ce que nous ingérons, mais également à ce que nous inhalons et, même si la mission n’a pas examiné en détail la voie de contamination aérienne, qui n’était pas dans notre champ d’investigation, elle mérite toutefois la plus grande attention.

Le système endocrinien est essentiel pour le maintien des équilibres biologiques. Aux âges cruciaux de l’organogénèse et du développement – la vie fœtale, la petite enfance, l’adolescence –, les effets des perturbateurs endocriniens peuvent être irréversibles comme l’ont rappelé la plupart des acteurs que nous avons auditionnés. Les perturbateurs endocriniens peuvent parfois affecter plusieurs générations. Les modes d’action des perturbateurs endocriniens les rendent non seulement irréversibles, mais également redoutables. Ils peuvent avoir un impact à très faible dose, interagir les uns avec les autres dans le cadre d’un effet cocktail et produire leurs effets des années après l’exposition.

Nous avons souhaité sonder les besoins de la recherche, les lacunes de nos réglementations, le rôle stratégique de l’État, ainsi que les actions de communication et de sensibilisation à mettre en œuvre sans plus tarder pour que chacun puisse adopter les bons gestes, préserver sa santé et l’environnement et faire de ce sujet une véritable priorité sanitaire nationale. L’exposition aux perturbateurs endocriniens constitue un enjeu de santé publique majeur.

En ce qui concerne nos recommandations, j’insisterai sur plusieurs points. Il faut en premier lieu renforcer la réglementation européenne, qui nous apparaît trop lacunaire et très hétérogène selon les secteurs d’application. Compte tenu de la difficulté à atteindre un bon niveau de preuve en matière de perturbations endocriniennes, il est également impératif de distinguer au sein de la réglementation européenne trois catégories de perturbateurs, comme le fait l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) au niveau national : perturbateurs avérés, perturbateurs présumés, perturbateurs suspectés. Il convient également de prendre, sur la base du principe de précaution, des mesures dès lors qu’un perturbateur endocrinien est présumé, sans attendre la preuve formelle de sa nocivité, car il est alors déjà trop tard.

Nous préconisons également d’adopter une définition transversale des perturbateurs endocriniens et d’inscrire clairement le principe de précaution dans les textes. Nous insistons sur l’impératif de renforcer l’obligation des industriels dans le cadre du règlement Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH) du Parlement européen et du Conseil, adopté le 18 décembre 2005. C’est un point très important, car il s’est en quelque sorte opéré un renversement de la charge de la preuve : les industriels peuvent fournir des dossiers incomplets dont les agences et les scientifiques passent beaucoup de temps à démontrer les lacunes. Les industriels font une déclaration et il appartient aux agences de démontrer ensuite que le dossier est incomplet. Il faut donc accroître les objectifs de contrôle et renverser cette charge de la preuve. Un autre point très important sera de supprimer l’exemption d’enregistrement des polymères dans le cadre du règlement REACH.

Nous proposons de fixer également des règles plus protectrices pour les femmes enceintes, allaitantes, les nourrissons, les enfants en bas âge et les adolescents. Nous devons aller vers les contenants les plus inertes possible. Cela aura évidemment un impact lors de la consommation du produit, mais aussi lorsque le contenant devient un déchet. Devant l’urgence, pour assurer une protection efficace de la santé et de l’environnement, nous souhaitons introduire dans le droit européen la possibilité d’interdire à la fois une molécule et celles dont la structure est proche, sans attendre la multiplication des études scientifiques sur toutes les molécules alternatives de la même famille. Nous avons donc conclu que la circulation des informations sur les matériaux et leurs propriétés reste très perfectible, ainsi que la transparence sur les substances utilisées. Il faut intensifier le travail d’information tout au long de la chaîne de valeur.

Nous proposons par ailleurs d’accentuer fortement les efforts de recherche sur les perturbateurs endocriniens, sur les matières plastiques, sur lesquelles nous sommes encore très ignorants, en particulier en ce qui concerne leur mode de vieillissement, et sur les nanoplastiques. Il nous paraît indispensable d’accroître les moyens dévolus à la recherche, de regrouper et d’assurer la coordination des initiatives en la matière, d’élargir les projets de recherche à d’autres substances que les plus connues. Nous connaissons les bisphénols, les alkylphénols, les phtalates, mais il en existe d’autres, notamment les substituts à ces substances interdites, particulièrement au bisphénol. Nous proposons aussi d’accroître la recherche sur la dégradation des composants du plastique, aussi bien dans le corps humain que dans l’environnement, ainsi que sur les métabolites de ces substances chimiques qui peuvent être aussi dangereux, voire plus dangereux que le perturbateur endocrinien lui-même.

Nous alertons sur les nanoplastiques pour lesquels nous devons faire preuve d’une vigilance particulière dans la mesure où ils traversent toutes les barrières tissulaires. Il convient d’accroître la recherche et les efforts pour disposer de méthodes d’essai robustes. Il faut poursuivre des travaux très poussés sur ces perturbateurs et toutes les autres substances susceptibles de se trouver dans les contenus, en particulier les substances non intentionnellement ajoutées.

Mme Claire Pitollat. En ce qui concerne le recyclage et l’information du public, nous avons indiqué qu’il fallait suivre plus précisément le devenir des additifs lors du recyclage. Le recyclage n’est pas une solution miracle face à la diffusion des plastiques, car aucun recyclage de plastique ne se déroule en boucle fermée. Même si nous arrivions à recycler 100 % des plastiques, nous connaissons mal le vieillissement du plastique et il se produit donc une dispersion dans l’environnement par des microplastiques ou des nanoplastiques. Tant qu’il existera du plastique, il existera une diffusion du plastique, malgré le recyclage. Le recyclage n’est pas non plus une solution miracle face aux enjeux sanitaires des perturbateurs endocriniens. Il fait partie d’un panel de solutions à mettre en œuvre, mais il faut établir un suivi sanitaire du polytéréphtalate d’éthylène recyclé (rPET) dans le cadre de recyclages successifs. Le nombre de recyclages du rPET n’est pas bien maîtrisé. Il faut aussi assurer une vigilance spécifique sur le devenir des additifs aux polymères lors du recyclage chimique en cours de test.

Pour que nous puissions substituer en toute sécurité les additifs dans ces plastiques, il faut être plus vigilant sur les molécules de substitution. Les solutions ne sont jamais universelles et s’articulent très finement avec des changements de pratique qui incombent à chacun. Les scientifiques emploient par exemple le terme de « substitution regrettable » pour le bisphénol A, qui a été substitué avec du bisphénol S et d’autres bisphénols dont nous commençons à montrer qu’ils ont un peu près les mêmes impacts sur la santé que le bisphénol A. Il ne faut donc pas autoriser une molécule en substitution d’une autre tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’un criblage particulièrement poussé.

Il est aussi nécessaire de clarifier rapidement s’il existe un risque de dispersion des microplastiques dans l’environnement du fait du compostage des plastiques biosourcés, biodégradables et compostables. Il faut soutenir les travaux menés par les acteurs de la restauration collective pour anticiper l’application de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), poursuivre la réduction de l’emploi des plastiques à usage unique par des mesures d’interdiction et de sensibilisation, et renforcer les contrôles à l’importation.

Il convient également de former, informer et sensibiliser aux plastiques, à leurs effets sur la santé et l’environnement. La connaissance des enjeux liés à la migration des substances du contenant vers le contenu est insuffisante. Dans le cas des perturbateurs endocriniens, les additifs présents dans le plastique d’emballage migrent vers le contenu que nous mangeons ou buvons. Il faut diffuser largement cette information, car des gestes simples peuvent parfois réduire largement l’exposition et ils ne sont pas appliqués. Nous saluons à cet égard la création du site « Agir pour bébé » qui est une source d’informations pour les particuliers et les professionnels, à l’image du travail réalisé par certaines agences régionales de santé (ARS), dont celle de Nouvelle-Aquitaine. Il convient de soutenir leur travail de diffusion de conseils pour un environnement plus sain et la limitation de l’exposition aux pollutions plastiques. Il manque encore des mesures pour diffuser des recommandations destinées aux adolescents. Ils sont très sensibles aux perturbateurs endocriniens puisqu’ils sont en plein développement.

Nous sensibilisons aussi sur les mauvais usages des contenants en plastique. Il est indispensable d’alerter précisément le grand public et les personnels de la restauration collective sur l’existence de ces migrations de certains plastiques vers les aliments à froid, à chaud, à température ambiante. Le phénomène est encore trop méconnu ; trop de personnes pensent que la migration se fait lors du réchauffage alors qu’elle peut se faire à froid et à température ambiante. Les personnes doivent être informées sur les conditions d’usage qui accentuent les migrations : réutiliser trop souvent une barquette plastique alors qu’elle n’est pas conçue pour cet usage accentue les migrations. Ce plastique dégradé peut même passer dans les aliments.

Il faut donc alerter sur les conditions d’emploi très spécifiques des contenants en plastique à travers une campagne d’information grand public dans les médias, à travers des messages très clairs sur les mauvais usages possibles des bouteilles en plastique. Les réutilisations successives de ces bouteilles sont extrêmement nocives. Pour assurer la pleine cohérence des messages de la puissance publique, nous avons porté une recommandation visant à faire cesser la distribution des produits cosmétiques gratuits en maternité. La valise de maternité qui montre aux parents des échantillons est complètement contre-productive lorsque nous les invitons ensuite à limiter l’exposition aux plastiques de leur bébé, comme l’explique le site « Agir pour bébé ».

Nous recommandons de mettre en place un « Toxi-score » intégrant les perturbateurs endocriniens et permettant au consommateur d’être rapidement informé de la présence de substances chimiques dangereuses et plus largement de « reprendre la main », et ce pour que les produits soient développés de façon vertueuse. Il faut indiquer les qualités nutritionnelles, mais aussi la non-nocivité du point de vue des produits chimiques, cibler la présence de substances chimiques dangereuses et particulièrement des perturbateurs endocriniens.

D’une manière générale, nous constatons que les bonnes pratiques existent, mais sont trop peu relayées et appuyées. Le changement dans les collectivités territoriales doit être accompagné par une feuille de route et des recommandations précises de substitution pour tous les produits d’entretien, tous les contenants en plastique utilisés dans les établissements recevant du public et gérés par des collectivités territoriales. Il faut simplifier leurs choix en mettant à leur disposition des listes de produits. Tous les niveaux d’action territoriale sont pertinents, chaque collectivité ayant des clefs pour agir. L’État doit agir en diffusant aux décideurs, aux acheteurs et au grand public ces feuilles de route comportant des recommandations officielles sur les stratégies de substitution sûres. Il est également nécessaire de renforcer la formation des acheteurs publics sur la mise en œuvre des clauses environnementales dans les marchés publics.

De nombreuses évolutions apparaissent déjà dans la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC) que nous avons adoptée. Nous étions nombreux à porter des amendements, adoptés dans le cadre de l’examen de ce texte, afin qu’il contienne des dispositions renforcées sur les problèmes liés aux plastiques et aux perturbateurs endocriniens. Les ambitions de ce texte en matière de lutte contre les pollutions plastiques sont élevées. La pandémie actuelle, cependant, a eu pour conséquence un recours accru aux emballages plastiques jetables, notamment dans les secteurs sanitaire et agroalimentaire. De manière générale, la philosophie du tout jetable a pu très rapidement gagner du terrain, ce qui a alerté nombre de concitoyens et d’associations. La publication des décrets d’application relatifs à la loi AGEC a été retardée par cette pandémie, comme l’indique le rapport d’application de la loi présenté le 30 septembre par nos collègues Mmes Stéphanie Kerbarh et Mathilde Panot.

Cela montre l’extrême rapidité avec laquelle les pratiques vertueuses peuvent reculer, la dépendance de nos sociétés à des consommations à fort impact pour l’environnement, mais aussi le rejet de ces pratiques par un grand nombre de personnes. Nous estimons urgent qu’une approche d’ensemble fondée sur le principe de précaution prévale dès lors que les indices de toxicité de certaines matières paraissent assez robustes. Il ne faut pas attendre une preuve établie, bien trop longue pour ce type de substance. Il reste donc beaucoup à faire : mieux réglementer, mieux soutenir la recherche, mieux protéger les publics sensibles. Il est important de prendre en compte les femmes enceintes et les bébés, mais il faut rappeler que les adolescents et les personnes âgées sont aussi des publics sensibles. Mieux informer, mieux sensibiliser, mieux contrôler sont autant de leviers qui doivent être actionnés simultanément.

Nous soulignons et saluons dans notre rapport le travail considérable assumé par les associations rencontrées. Nous témoignons également de la très forte implication du monde scientifique et médical. Toutefois, c’est aussi à chacun d’entre nous de prendre conscience individuellement des risques pour notre santé et de prendre une juste part à l’évolution des modes de consommation.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vos propositions sont très structurées et couvrent un large éventail d’actions. Vous avez présenté ce rapport en décembre 2019. Que s’est-il passé depuis ? Des conclusions du rapport ont-elles été reprises dans les politiques publiques ? Vous avez parlé des amendements que vous avez soutenus dans le cadre de la loi AGEC. Parmi toutes les propositions que vous avez présentées voici presque un an, quelles sont celles qui ont pu passer ? Quelles sont celles qui vous paraissent essentielles et sur lesquelles il faudrait encore insister et de quelle manière ?

Nous avons reçu les représentants de France Chimie. Leur position est très claire : ils respectent la réglementation avant tout et s’en arrêtent à la catégorie des perturbateurs endocriniens déclarés avérés. Vous avez longuement parlé de la dimension juridique. C’est un travail qui ne peut être fait qu’au niveau européen. Au niveau national, que proposeriez-vous de plus urgent et réalisable facilement ? L’avez-vous évalué du point de vue du coût ?

Mme Claire Pitollat. Les décrets d’application de la loi AGEC sont en retard. Nous regrettons aussi de ne pas pouvoir mettre en place le « Toxi-score » que nous souhaitions faire passer dans cette loi, mais nous n’avions pas la capacité d’en évaluer l’impact.

Les perturbateurs endocriniens dépendent du règlement REACH au niveau européen. La France avait été précurseur sur le bisphénol : il avait été d’abord interdit par la France puis l’interdiction avait été reprise au niveau de l’Europe. C’est compliqué d’agir ainsi, car cela met en tension les acteurs industriels et ce serait plus simple de réviser le règlement REACH. Pour une révision efficace, il faut également avoir des méthodes d’expérimentation beaucoup plus rapides pour évaluer le caractère potentiellement nocif ou potentiellement perturbateur endocrinien. Ce sont des travaux au long cours que certaines démarchent ont l’ambition d’accélérer, comme la plateforme publique-privée sur la prévalidation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER). Elle vise à financer des solutions de recherche très appliquée sur la détection de perturbateurs endocriniens.

Malheureusement, il ne s’est pas écoulé suffisamment de temps depuis la sortie de notre rapport, d’autant plus avec la crise sanitaire, pour que des mesures soient réellement mises en œuvre. Il faudrait, au-delà de « Agir pour bébé », pousser des développements permettant d’élargir le public visé à toutes les populations sensibles aux perturbateurs endocriniens en les informant des gestes à faire. Une autre avancée rapide possible serait d’agir auprès des collectivités territoriales. Nous sommes tout à fait capables de fournir des listes de produits contenant un minimum de substances chimiques ou des solutions pour limiter les contenants en plastique dans les collectivités territoriales et donc dans les établissements recevant du public qu’elles gèrent. Établir de telles listes est tout à fait à la main du Gouvernement aujourd’hui et serait très utile. Lorsque nous avons auditionné l’Association des départements de France (ADF), l’association Régions de France (RF) et l’Association des maires de France (AMF), toutes nous ont indiqué attendre ce type de liste pour faciliter l’achat des produits et les marchés publics en faveur de l’environnement.

Mme Laurianne Rossi. Nous vivons avec ce rapport : les propositions que nous avons formulées nous accompagnent quasi quotidiennement dans le travail législatif et de terrain qui est le nôtre. Nous nous efforçons de les porter au travers de chaque texte, lorsque cela est pertinent, ainsi que dans le cadre des réunions et des échanges que nous avons, dans la mesure où toutes les recommandations que nous avons posées ne relèvent pas forcément de la loi, comme celles sur la formation initiale et la formation continue des professionnels de santé et des paramédicaux.

De la même manière, un travail est à mener auprès des collectivités qui sont très démunies sur le sujet, et peu conscientes de l’enjeu sanitaire et environnemental. Par le biais des associations d’élus, notamment de l’AMF, nous avons commencé tout un travail d’accompagnement. Nous avions pour ambition, avec Mme Claire Pitollat et M. Michel Vialay, d’organiser des tables rondes dans les territoires pour échanger avec les élus locaux. La crise sanitaire ne l’a malheureusement pas permis. Nous envisagions de porter ce rapport au niveau européen et de le présenter aux parlementaires et aux agences, aux directions générales, et nous n’avons pas pu le faire. Néanmoins, les contacts continuent.

Je citerai tout de même quelques avancées. La première figure dans la loi Egalim : c’est l’interdiction des contenants en plastique dans toute la restauration scolaire, de la crèche à l’université, adoptée au titre du principe de précaution. Deux amendements ont également été adoptés dans le cadre de la loi AGEC. L’un, de M. Michel Vialay, introduit un pictogramme destiné aux femmes enceintes sur certains produits pour signaler la dangerosité liée aux perturbateurs endocriniens. L’autre, porté par nous-mêmes, vise à mettre en données ouvertes toutes les substances chimiques de type perturbateurs endocriniens utilisées par les industriels. Nous n’avons pas réussi à obtenir le « Toxi-score », un peu anxiogène, mais nous continuerons à porter cette proposition et je crois que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) la porte également. Nous avons toutefois obtenu la mise en données ouvertes, et les décrets d’application sont parus récemment.

Le sujet qui me paraît prioritaire est l’actualisation en cours du règlement REACH, ce qui nous donne une opportunité d’avancer sur toutes les propositions que nous avons faites. La transparence sur les substances utilisées à l’égard du consommateur est aussi une urgence. Il faut être plus exigeant à l’encontre des industriels sur ce sujet. Enfin, il faut mener une campagne nationale d’information. L’Agence nationale de santé publique (SPF) a commencé à le faire avec le portail « Agir pour bébé », mais la campagne doit être plus grand public, pour alerter sur les mauvais usages et le risque présenté par certains produits.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pourriez-vous nous expliquer comment mettre en œuvre le « Toxi-score » ? Pourriez-vous également nous expliquer comment vous envisagez la formation des personnels médicaux et paramédicaux ? Comment jugez-vous, aujourd’hui, la mise en œuvre de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens ?

Mme Laurianne Rossi. Le « Toxi-score » s’inspirerait du Nutri-score avec un pictogramme très simple, très lisible, accessible à chacun de nos concitoyens, figurant sur chaque emballage et permettant de savoir quel est le degré de nocivité au regard des perturbateurs présents, qu’ils soient suspectés, présumés ou avérés, en se fondant sur la classification de l’Anses. Cela suppose évidemment que les industriels qui mettent ces produits sur le marché soient transparents sur les substances utilisées. J’ajoute que, même si le « Toxi-score » n’a pas été adopté, l’industrie a un temps d’avance puisqu’elle a d’ores et déjà élaboré un pictogramme, dont la fiabilité pose cependant question, cet indicateur n’étant pas piloté par une agence nationale.

Les alternatives mises sur le marché sont également un vrai sujet. À partir du moment où une substance ou un produit sont interdits, d’autres types de substances ou de produits tels que la cellulose, le plastique biosourcé ou biodégradable arrivent. Certes, il n’est pas d’origine fossile, et il peut donc avoir des vertus d’un point de vue environnemental, mais, d’un point de vue sanitaire, il contient lui aussi des phtalates pour lui donner de la souplesse et de la couleur. Ces substituts sont tout aussi dangereux pour la santé humaine. La science et le politique ont malheureusement toujours un temps de retard par rapport au temps industriel, d’où la nécessité du principe de précaution. Nous n’irons jamais assez vite pour identifier et tester toutes les substances mises sur le marché.

Mme Claire Pitollat. La formation des professionnels de santé à ces enjeux est un sujet qui a été abordé dans le programme « Ma santé 2022, un engagement collectif » et la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, que nous avons adoptée. Lors des discussions, il avait été dit qu’il n’était peut-être pas nécessaire de donner des précisions dans la loi, que la volonté du Gouvernement de traiter ces enjeux était déjà présente, et qu’il existait déjà des modules dans la formation des professionnels de santé, que ce soit en formation initiale ou continue. Pourtant, actuellement, nous ne voyons pas vraiment d’accélération de la diffusion de ces messages.

Le sujet est soulevé dans le cadre du rapport de la commission des 1 000 premiers jours publié en septembre 2020 qui fait valoir que, même en augmentant les structures d’accueil parents-bébé, la mise en pratique sera compliquée si nous ne formons pas les professionnels à la détection des troubles. Il faut améliorer la formation des professionnels de santé aux risques environnemental et psychique. Tout cela fait partie d’une volonté politique qu’il faut continuer de porter avec le Gouvernement pour que, petit à petit, les formations initiales et continues englobent ces sujets. Ils ne sont pas encore assez largement diffusés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment parvenir à identifier la dangerosité des perturbateurs endocriniens ? C’est en fait le cœur du problème. C’est ce que nous ont opposé les industriels en disant que, tant que le lien de causalité n’est pas démontré, ils se réfugient derrière la réglementation. Avez-vous travaillé avec les agences pour savoir comment démontrer les liens de causalité des impacts de la chimie sur l’organisme ? Comment avez-vous réussi dans votre rapport à mettre en exergue l’existence réelle de ces liens qui, pour certains, ne sont encore que suspectés ?

Mme Laurianne Rossi. Notre rapport évoque la migration et je crois que tous les acteurs scientifiques que nous avons auditionnés sont très clairs sur ce sujet. Il se produit une migration du contenant vers le contenu. Ensuite se pose la question de l’impact sur la santé humaine ou l’environnement de cette migration des substances vers le contenu. Bon nombre de médecins, de chercheurs, même à l’échelle européenne, mènent encore des travaux pour mettre au jour, de manière très documentée, des liens de causalité avec certaines pathologies. Elles sont nombreuses et nous en faisons la liste dans le rapport : troubles de la croissance, troubles de la fertilité, cancer, autisme, obésité, troubles cardiovasculaires et bon nombre d’autres pathologies graves. Ces recherches doivent être renforcées, et cela fait partie de nos propositions. Des moyens doivent être alloués à ces efforts, mais des travaux existent déjà, y compris aux États-Unis.

Mme Claire Pitollat. Nous demandons l’application du principe de précaution parce que les médecins et chercheurs nous ont tous dit que ces substances ont un impact sur notre santé très différent de ce qu’ils avaient l’habitude d’étudier. Elles défient toutes les règles classiques de toxicologie : la dose ne fait plus l’effet. Ce sont plutôt des fenêtres d’exposition qui peuvent produire des effets sur plusieurs générations. Ils l’ont montré dans le cadre de quelques substances qui sont aujourd’hui les perturbateurs avérés, mais au prix de combien d’années, de combien de vies affectées par de troubles de santé lourds sur plusieurs générations ! Lorsque le danger est suspecté, c’est que des effets ont déjà été constatés sur des écosystèmes. Beaucoup de chercheurs sont d’accord pour dire qu’attendre la preuve de l’impact sur l’homme est trop long. Il faut avoir des moyens de mise à l’épreuve plus rapides.

L’Agence nationale de la recherche (ANR) nous a dit que, pour développer des tests fiables de l’impact sur la santé humaine, nous en avions encore pour dix ou quinze ans. La compréhension des mécanismes est assez récente, même si le problème est étudié depuis plusieurs dizaines d’années. Ce sont des effets à très faible dose et c’est une science encore récente. Malgré tout, les effets sur les écosystèmes sont visibles et nous avons écrit dans notre rapport que nous ne pouvons pas attendre d’avoir précisé les règles de toxicologie pour les perturbateurs endocriniens. Nous savons qu’ils sont nocifs, qu’ils auront un impact sur plusieurs générations. Les médecins suivent des cohortes et voient les chiffres de ces pathologies augmenter. Il faut agir en précaution, d’autant plus que nous pouvons nous en passer : il s’agit souvent d’une consommation de produits qui ne sont pas essentiels.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour toutes les informations que vous nous avez apportées dans le cadre de cette audition et pour votre excellent travail.

L’audition s’achève à dix-sept heures quarante.

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32.   Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Mester, directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur, et de Mme Muriel Andrieu-Semmel, responsable du département santé-environnement de la direction de la santé publique et environnementale (27 octobre 2020)

L’audition débute à dix-huit heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Philippe de Mester, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Mme Muriel Andrieu-Semmel, responsable du département santé-environnement de la direction de la santé publique et environnementale de cette même ARS.

Les agences régionales de santé définissent et mettent en œuvre la politique de santé au niveau de la région. Au titre de leurs compétences de sécurité sanitaire et de promotion de la santé, les ARS interviennent en ce qui concerne la prévention et la gestion des risques pour la santé humaine, à savoir ceux liés à l’eau, dans l’environnement extérieur et dans les espaces clos.

(M. Philippe de Mester et Mme Muriel Andrieu-Semmel prêtent serment.)

M. Philippe de Mester, directeur général de l’ARS de Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) accorde beaucoup d’importance aux liens entre santé et environnement. J’ai souhaité que nous en fassions l’une des onze orientations stratégiques de notre projet d’agence, le document qui définit notre organisation, notre fonctionnement et nos priorités.

À travers cet axe stratégique, nous avons défini comment mobiliser les collectivités territoriales et comment surveiller l’impact des facteurs environnementaux sur la santé. Nous avons essayé de le traduire dans les faits, en triplant en dix ans, depuis la naissance de cette agence, les montants consacrés au programme régional santé-environnement (PRSE), porté de 500 000 euros à 1,6 million d’euros. En cinq ans, nous avons également presque doublé le budget consacré à la prévention, qui est maintenant de 40 millions d’euros.

Mme Muriel Andrieu-Semmel, responsable du département santé-environnement de la direction de la santé publique et environnementale de l’ARS de Provence-Alpes-Côte d’Azur. La politique de santé environnementale déclinée aujourd’hui par l’ARS comprend à la fois l’action des services, qui est l’action régalienne classique des services de santé-environnement, et la déclinaison du plan régional santé environnement, inscrite dans le code de la santé publique depuis la loi de modernisation de notre système de santé 2016.

Le plan régional santé-environnement fédère actuellement un réseau de plus de 600 acteurs. Il a permis de labelliser 170 projets avec un appel à projets annuel de 1,6 million en 2020. Il finance chaque année une quarantaine de nouveaux projets avec des crédits d’impulsion. Il se traduit aussi par une assez importante animation des acteurs sur le territoire, au travers d’évènements réguliers partagés avec les partenaires et d’un forum bisannuel qui vise à faire des points d’étape ou un « focus » sur des thématiques particulières du plan.

Une grande partie du plan a été dématérialisée. Vous trouverez tous les documents afférents au plan régional santé environnement PACA, ainsi que l’ensemble des actions qui y concourent, sur le site interministériel dédié prsepaca.fr.

Ce dispositif s’appuie sur un certain nombre de ressources pour les porteurs de projets. Dans la version du plan régional santé-environnement de cette année, nous mettons l’accent sur la mobilisation des collectivités territoriales, donc leur accompagnement, au travers notamment d’un tableau de bord santé-environnement élaboré avec l’observatoire régional de la santé. Il comporte 90 indicateurs de santé environnementale suivis depuis maintenant quatre ans. Ces indicateurs peuvent être extraits sous forme de portrait de territoire en appui à l’élaboration de politiques locales en santé-environnement.

Outre la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), qui représente le préfet, le pilotage du PRSE associe la région PACA. Par ailleurs, plusieurs instances concourent à la mise en œuvre du PRSE : un secrétariat permanent qui se réunit mensuellement, un comité d’orientation stratégique, qui est plus facile à mobiliser avec une vingtaine de partenaires représentant les différents collèges du plan. Il est réuni au moment des réorientations de ce dernier, ainsi qu’un groupe régional santé-environnement. Le pilotage est assuré avec 0,3 équivalent temps plein environ au siège de l’ARS. En outre, nous disposons d’un référent par département pour ce plan.

Pour assurer la dimension interministérielle de ce plan, nous prenons soin d’associer d’autres institutions, notamment la direction régionale de l'agriculture et de la forêt (DRAF) et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Un volet santé du plan Écophyto évolue en lien avec le PRSE. Nous articulons également avec le PRSE les actions du plan régional santé-travail, notamment par des consultations du risque sur les zones les plus impactées industriellement.

Nous sommes l’une des agences qui a mis en place depuis le plus longtemps des appels à projets en santé-environnement et la labellisation des projets afférents. L’objectif est de valoriser les acteurs du territoire et de faire connaître les actions mises en œuvre. Nous avons également la volonté de capitaliser un certain nombre d’actions qui peuvent être transposées d’un territoire à un autre et donc de constituer un vivier d’actions à proposer aux territoires.

En plus de l’appel à projets, nous cofinançons des centres de ressources communs entre l’ARS et la région, tels que l’observatoire régional de santé (ORS) et le comité régional d’éducation pour la santé (CRES).

Nous développons également des conventions pluriannuelles d’objectifs avec certains acteurs de l’environnement pour les amener à intégrer la dimension de la santé. C’est le cas de l’association régionale de qualité de l’air ATMO-Sud qui a développé une surveillance particulière des polluants environnementaux, notamment autour de l’Étang de Berre. Elle nous a permis de cibler les polluants d’intérêt sanitaire et les actions de réduction à mener sur ce territoire.

Nous agissons par des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) avec des établissements ou des acteurs du secteur sanitaire, notamment le réseau Périnat Méditerranée, pour la périnatalité et les risques liés à la période périnatale. Ce réseau développe des actions en matière de santé-environnement, notamment une plateforme sur les reprotoxiques, et a un axe très important de formation des professionnels de santé aux enjeux environnementaux autour de la période de la grossesse.

Les dispositifs de financement dans le domaine de la santé environnementale présentent une limite, particulièrement pour les acteurs des secteurs sanitaire et hospitalier : il n’existe actuellement pas de mission d’intérêt général (MIG) qui permettrait de flécher des crédits sur ces sujets, bien que ces acteurs soient encouragés à s’impliquer dans la santé environnementale. Il existe donc un enjeu de pérennisation des actions pour lesquelles les dispositifs financiers existants ont trouvé leur limite.

L’ARS PACA a mené quelques actions emblématiques, telles que l’accompagnement et la prévention des situations d’insalubrité avec la mise en place de consultations-environnement pour enfants. Cette action avait été portée à la connaissance de M. Adrien Taquet lors de sa visite. Des actions sont aussi menées dans la zone industrialo-portuaire de l’Étang de Berre avec une surveillance ciblée sur trois types de cancer. Une extension est prévue à terme. Nous menons aussi des actions liées au plan de gestion sanitaire des eaux et des actions spécifiques de lutte antivectorielle, qui est un sujet très prégnant dans notre région, en lien avec le réchauffement climatique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez cité quelques actions emblématiques des problématiques locales. Vous avez aussi parlé du PNSE3 qui se caractérisait par un nombre très, et même trop, important d’actions, ce qui fait que certains ont été très critiques sur ses résultats. Comment arrivez-vous à concilier les objectifs nationaux du PNSE3 et les problématiques territoriales ? En ce qui concerne l’insalubrité, le sujet s’est très gravement posé pour certains logements de Marseille. Comment l’ARS a-t-elle pu intervenir pour faire de la prévention puisque le problème est ancien ? Comment arrivez-vous à établir une cohérence de l’ensemble de votre stratégie en santé environnementale ? Comment identifiez-vous et portez-vous les priorités les plus visibles ?

Mme Muriel Andrieu-Semmel. Lors de l’élaboration du plan régional santé-environnement PACA, nous avons toujours pris soin de retenir les priorités nationales qui nous semblaient en accord avec le diagnostic territorial. En effet, avant chaque plan régional santé-environnement, nous dressons un diagnostic complet avec l’observatoire régional de santé. Ce diagnostic permet de mettre en lumière les sujets sur lesquels nous aurions intérêt à appuyer notre action en région et qui ne sont pas forcément des priorités du plan national. Nous mêlons donc les priorités nationales et régionales, correspondant en partie à l’action classique des services d’insalubrité, puisque c’est un problème récurrent dans la région.

Nous nous attachons à compléter le dispositif des actions nationales classiques par des actions de prévention. Les consultations enfant-environnement ont été développées depuis quatre ou cinq ans, sur des crédits du fonds d’intervention régional (FIR) dans quatre départements sur six. Ces consultations reçoivent les publics les plus précaires et leur proposent un diagnostic du saturnisme, des facteurs de dénutrition ou des visites à leur logement en cas de questions concernant la qualité de l’air intérieur. Plus récemment, en lien avec la précarité, nous avons mis en place un plan régional d’action contre les punaises de lit. Nous aidons les personnes à faire un diagnostic dans leur logement et nous les orientons vers des professionnels avec lesquels nous avons travaillé en amont pour nous assurer qu’ils appliquent des techniques en cohérence avec la réglementation sur les biocides.

M. Philippe de Mester. Nous avons mis l’accent sur ce qui nous semble être prioritaire dans le contexte régional : l’insalubrité, le saturnisme, la qualité de l’air dans les logements et les affections pulmonaires qui peuvent en découler en raison de l’humidité excessive et du manque de ventilation. La question du saturnisme se pose dans un certain nombre de squats et de logements anciens très précaires. Les risques liés à la qualité de l’air sont réels avec la concentration industrielle autour de l’Étang de Berre. Nous consacrons une bonne partie de notre activité et de notre énergie à ces sujets prioritaires.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Qu’est-ce qui a motivé les nombreuses actions que vous avez mises en place ? Comment se passent les remontées d’informations en matière de santé-environnement ? Collaborez-vous avec d’autres ARS ? Que faudrait-il encore améliorer en matière de prévention ?

M. Philippe de Mester. Le lien entre santé et environnement est un apport des agences régionales de santé. Les ARS permettent de réunir dans une même structure des personnes qui s’intéressent à l’un et à l’autre de ces sujets, donc de pouvoir développer des programmes qui concourent au développement de la santé, à la résolution de problèmes en lien avec l’environnement ayant un impact sur la santé. Cela était beaucoup moins évident dans les organisations anciennes en raison même du cloisonnement entre les différentes structures. Cette nouvelle organisation a permis de faire des problématiques particulières à notre région un axe assez structurant de l’action de l’agence. Je ne suis le directeur de cette ARS que depuis deux ans et ces actions sont donc largement le fait de ceux qui m’ont précédé.

Mme Muriel Andrieu-Semmel. La façon de capitaliser les actions des différentes agences est un enjeu véritable. De nombreuses agences développent des solutions sur un sujet particulier, comme la Nouvelle-Aquitaine sur les perturbateurs endocriniens et les crèches. Nous nous sommes rapprochés de cette agence, plus précisément de Mme Claire Morisson, et nous avons travaillé sur le volet de la formation des professionnels de santé. Nous échangeons donc entre ARS pour développer l’un ou l’autre des sujets.

En PACA, nous avons lancé une action pour adapter le système de santé aux enjeux environnementaux. Il s’agit de faire la promotion de pratiques de développement durable, notamment la réduction de l’usage de biocides et le passage à des méthodes alternatives, avec un nettoyage à la vapeur ou par microfibre pour diminuer la pression antibiotique au sein des établissements. L’ARS Pays de la Loire avait pris contact avec nous pour dupliquer cette action.

Malgré ces échanges entre ARS, cet enjeu du partage est un sujet qui semble devoir être porté au niveau du PNSE4. Santé publique France recueille sur son site les actions probantes dans le domaine de la santé publique. Toutefois, à ma connaissance, il n’existe pas encore d’onglet dédié à la santé-environnement. Ce serait pour nous un « plus » que les actions soient évaluées au niveau national, mises en lumière et que chaque ARS puisse s’en inspirer.

Au niveau national, existe un groupe d’ingénieurs régionaux du génie sanitaire qui échangent sur l’ensemble des sujets de santé-environnement, notamment sur les actions menées au titre du PRSE.

M. Philippe de Mester. Ils procèdent à des échanges de bonnes pratiques, mais ces partages pourraient certainement être davantage développés.

Mme Muriel Andrieu-Semmel. C’est l’objet du site que le ministère a commencé à créer. L’évaluation et la capitalisation des actions constituent un véritable enjeu afin de les déployer dans d’autres territoires sans que nous dépensions tous la même énergie à identifier les facteurs de réussite.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette démarche avait été envisagée lors des rencontres nationales santé-environnement de Bordeaux en janvier 2019. Il avait été question de recenser toutes les bonnes pratiques et de mettre à disposition une boîte à outils pour les collectivités territoriales.

Mme Claire Pitollat. Parmi les indicateurs d’impact environnemental suivis depuis plusieurs années, lesquels ont donné les meilleures évolutions et le plus de bénéfices et lesquels ont stagné ou eu de moindres marges de progrès ?

Les actions de réduction des émissions de polluants autour de l’Étang de Berre pourraient-elles être un exemple de coordination avec les industriels, à reproduire dans d’autres sites ? Ces actions sont-elles faciles à mettre en œuvre ? Quels freins identifiez-vous ?

Lorsque vous parlez de formation des professionnels de santé, pensez-vous à la formation continue ou à la formation initiale ? Dans les deux cas, cette formation a-t-elle un caractère obligatoire ? Existe-t-il des incitations pour qu’un maximum de professionnels de santé suivent ces formations ?

Avez-vous joué un rôle dans l’expérimentation du permis de louer de la métropole d’Aix-Marseille ?

Mme Muriel Andrieu-Semmel. Nous suivons 90 indicateurs au total.

Par exemple, en ce qui concerne l’eau potable, nous avons obtenu de très bons résultats pour les actions de sensibilisation des collectivités territoriales, les actions de formation et d’accompagnement des élus à la mise en œuvre des moyens de traitement de l’eau et des moyens de protection de la ressource. Nous renforçons actuellement ces actions pour rattraper les quelques pourcents de la population qui ne sont pas alimentés par de l’eau potable en continu, en raison de non-conformités biologiques. C’est particulièrement le cas dans tout le nord de la région PACA, les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence et la partie alpine des Alpes-Maritimes. Notre effort porte vraiment ses fruits et se mesure au nombre de personnes raccordées à une eau de très bonne qualité.

Le suivi des indicateurs santé-environnement est plus compliqué. Par exemple, pour le suivi des légionelloses, un corpus réglementaire permet de maîtriser le risque de développement des légionelles. Néanmoins, nous avons remarqué en 2019, dans la France entière, une augmentation de plus de 80 % des contaminations des réseaux aux légionelles. Notre action n’a pas baissé, mais un phénomène inconnu semble en être la cause. Le suivi des indicateurs des agents infectieux ne suffit pas, il faut disposer d’un corpus d’indicateurs qui porte à la fois sur les activités des services et sur des indicateurs écosystémiques.

Ainsi, dans la pandémie actuelle, nous ne pouvons pas nous contenter des indicateurs de suivi sanitaires. Il en faut également relatifs à l’environnement et à l’activité des services ou des comportements des personnes, puisque nous savons maintenant que le côté comportemental joue beaucoup.

C’est le cas également dans la lutte antivectorielle. Nous avons récemment mis en place une action pour renforcer, dès la détection d’un cas autochtone d’arbovirose, les actions de lutte autour de ce cas et de sensibilisation des personnes. Nous nous sommes rendu compte en 2020 qu’avec une action renforcée autour des premiers cas, nous identifions beaucoup plus rapidement les cas secondaires. Nous pouvons ainsi mener une action ciblée et rapide qui évite le développement de foyers contigus au premier cas autochtone.

Un indicateur unique est donc rarement suffisant pour tracer l’évolution d’une problématique en santé environnementale et l’efficacité de l’action relative à cette problématique.

M. Philippe de Mester. Nous ne pensons évidemment pas pouvoir, dans l’exercice de nos seules compétences et responsabilités, régler le problème des émissions liées aux activités industrielles autour de l’Étang de Berre. Néanmoins, une coopération s’est mise en place entre les différentes administrations concernées, autour de la DREAL. Elle porte petit à petit ses fruits. Notre rôle est surtout de mesurer et d’apporter une réponse aux atteintes à la santé. Nous observons les effets de ces émissions à travers l’observatoire Revela 13 qui est en cours de développement. Il s’agit d’un programme de suivi de certaines affections cancéreuses. Nous conduisons également des travaux pour mettre en place au centre hospitalier de Martigues une consultation spécialement dédiée aux travailleurs de la zone pour les affections qui peuvent résulter de leur activité professionnelle.

Mme Muriel Andrieu-Semmel. Dans cette zone, plusieurs initiatives ont concouru à rendre lisible l’action de l’État qui ne l’était pas forcément voici quelques années. Je pense que nous y avons contribué, avec le préfet et le sous-préfet local qui sont très engagés dans la démarche.

Il existe aujourd’hui une surveillance concertée des émissions de la zone. Cela est fondamental : l’association régionale de qualité de l’air ATMO-Sud porte ce programme de surveillance ciblée des polluants d’intérêt sanitaire (POLIS). Ce dernier aspect est très novateur puisqu’au-delà de la surveillance réglementaire exigible ou de la surveillance des polluants classiques traceurs de la pollution de l’air, nous avons modélisé l’évaluation des risques grâce à une étude concertée cofinancée par les industriels (SCENARII). Cette modélisation conduite par ATMO-Sud sur l’ensemble du pourtour de l’Étang de Berre a permis d’identifier quelques polluants qui dépassent les indices de risque sanitaire pour lesquels le préfet a pris en 2018 douze arrêtés préfectoraux de réduction des émissions, ciblés sur douze émetteurs. Nous n’avions que très peu d’informations sur certains polluants dimensionnants du risque, car il n’existe pas de surveillance réglementaire. Ils ont été ajoutés au programme POLIS.

Ce programme a demandé beaucoup d’efforts et de coordination. Nous nous appuyons sur le secrétariat permanent de prévention des pollutions industrielles (S3PI) qui est l’une des premières instances de coordination des bassins industriels créées en France. En région PACA, ce S3PI n’est plus sous le pilotage de la DREAL contrairement aux autres territoires. Le pilotage est pluripartite, rassemblant des représentants de l’État, des collectivités territoriales, des salariés, des experts et de la population.

M. Philippe de Mester. Ce S3PI a une activité que je n’avais jamais vue ailleurs.

Mme Claire Pitollat. Est-ce plus efficace ?

Mme Muriel Andrieu-Semmel. Oui, c’est une instance qui est mieux reconnue et suscite moins de défiance. Nous l’avons constaté lors d’une commission du débat public qui a clos une phase de concertation très ambitieuse, mise en place en 2019. Elle faisait suite à la crise médiatique et à la crise de confiance de la part de la population après une étude participative en santé-environnement qui était ancrée localement (Fos EPSEAL). Cette étude avait livré des chiffres extrêmement alarmants sur des données locales déclaratives de santé, ce qui ne correspond pas du tout aux données utilisées en agence régionale de santé. Ces données ont depuis été relativisées, mais cela a suscité une crise médiatique durant six mois. L’État s’est employé à remettre l’ensemble des acteurs locaux autour de la table et nous nous sommes appuyés à cette occasion sur le S3PI. La population a accepté de participer à cette concertation. Toutes les parties continuent également à agir en soutien à cette concertation : un tiers du financement provient des collectivités territoriales, un tiers de l’État et un tiers des industriels.

M. Philippe de Mester. Des actions très intéressantes sont menées pour réduire le risque à la source. Nous travaillons pour le futur, mais lorsque nous essayons d’identifier des liens entre les dysfonctionnements environnementaux et les affections cancéreuses, nous payons le poids du passé. Le problème réside dans l’accumulation au cours des décennies de produits polluants dans l’atmosphère et qui se traduit, à un moment ou un autre, par une affection de type cancéreux. Le but de notre travail est de faire en sorte que les générations futures n’aient pas à supporter ce fardeau. Il faut bien l’expliquer dans le débat public. Nous travaillons sur des temps différents.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment avez-vous mis en place le site Internet pour les collectivités territoriales ? Comment fonctionne-t-il ? Comment avez-vous réussi à communiquer sur ce sujet ?

Mme Muriel Andrieu-Semmel. C’est assez compliqué d’atteindre les collectivités territoriales et nous nous y sommes attachés dès le PNSE3. C’est un axe fort du PNSE4.

Nous avons fait ce que nous pouvions, mais nos efforts achoppent sur le fait que la santé environnementale n’est pas un sujet évident pour les collectivités territoriales. Il faut une approche transversale et il faut donner à un élu un mandat transversal à l’ensemble des politiques de sa collectivité.

Le tableau de bord de l’observatoire régional de santé, accessible sur le système d’information régional en santé (SIRSé), met à disposition des indicateurs sous forme de cartes et de portraits de territoire automatisés. L’utilisateur choisit par exemple les quelques communes de son établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et le système fournit un portrait avec l’ensemble des indicateurs disponibles, comparés aux indicateurs régionaux, voire nationaux.

Nous avons proposé deux outils aux collectivités territoriales.

Le premier outil est un guide d’accompagnement au diagnostic en santé-environnement pour les collectivités locales. Il vise à installer une démarche transversale au sein d’une collectivité territoriale pour travailler sur une politique de santé environnementale. Nous nous sommes en effet rendu compte que c’est la première phase indispensable. Nous y avons joint un baromètre santé-environnement qui sensibilise les élus à l’importance relative qu’accordent les citoyens à différentes problématiques et à l’action publique sur ces problématiques.

Par ailleurs, le comité régional d’éducation à la santé a développé un site Internet, nommé Celester (« Construisons ensemble l’environnement et la santé des territoires »). Sur ce site, commence à se trouver les témoignages de quelques collectivités territoriales qui se sont lancées dans une action en santé-environnement. Ils peuvent constituer, pour d’autres collectivités territoriales, des références, classées selon les thématiques du plan régional santé-environnement.

Nous avions l’ambition de mettre en place des programmes territoriaux santé-environnement. Nous sommes encore au milieu du gué. Nous avons accompagné de façon appuyée les deux métropoles de Nice et Marseille-Provence qui finalisent actuellement leur diagnostic santé-environnement. À terme, l’idée est la signature d’un programme territorial santé-environnement.

La collectivité de Marseille a déjà un axe santé-environnement adjoint à son contrat local de santé. Ce sujet peut parfois être porté dans des « Agendas 21 » contenant une dimension santé. Toutefois, nous n’avons pas encore réussi à l’inclure dans d’autres politiques, comme les programmes d’alimentation territoriaux ou les plans climat-air-énergie préconisés pour les collectivités locales. La mise en place dépend aujourd’hui de chaque collectivité locale et de la façon dont elle s’approprie ces problématiques santé-environnement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous décrivez dans votre région une politique très volontariste de santé environnementale, une organisation très structurée, riche d’actions, avec des moyens financiers et, je suppose, humains. Selon vous, les ARS sont-elles le bon échelon de pilotage territorial ? Dans certaines autres régions de France, ce sont plutôt les conseils régionaux qui ont pris le « leadership » et assurent le management territorial. Pensez-vous que les agences devraient piloter les démarches de santé environnementale dans les territoires ? Vous avez souligné votre difficulté à assurer la transversalité en direction des petites collectivités territoriales. Je pense particulièrement aux maires des petites communes qui ne disposent pas d’équipes suffisamment étoffées pour engager des démarches de santé environnementale ou qui ne disposent pas de l’information. Comment améliorer le pilotage au sein des territoires ?

M. Philippe de Mester. Nous n’avons pas de volonté hégémonique. Nous sommes conscients des moyens dont nous disposons. Notre priorité n’est évidemment pas d’exercer une domination en ce qui concerne ces questions, mais de favoriser le développement d’une culture du lien entre santé et environnement.

Je pense qu’en dehors des tâches régaliennes, concernant la lutte antivectorielle ou la qualité de l’eau et de l’air, sur lesquelles nous devons être très présents, nous agissons surtout sur des sujets où il est important de mettre en valeur le lien entre santé et environnement. Nous essayons de susciter le partenariat et avons constitué un réseau assez opérant avec des associations, des agences. Il se révèle plus inégal avec les collectivités territoriales, quelle que soit leur taille, l’efficacité de la démarche étant plutôt liée à une volonté politique de la part des élus. Certaines petites collectivités ont de très bonnes approches, s’engagent pour la qualité de l’eau, pour améliorer la protection de la ressource tandis que de grosses collectivités peuvent avoir une certaine difficulté à faire prévaloir des problématiques en ce qui concerne l’insalubrité ou la qualité de l’air par exemple.

Nous ne voulons pas nous substituer à d’autres ni dominer, mais plutôt faire en sorte que l’ensemble des acteurs du terrain améliorent, dans leurs politiques, la prise en compte du lien entre santé et environnement. Nous progressons, par exemple dans le cas de l’Étang de Berre, où le travail effectué par l’agence a beaucoup contribué à cette prise de conscience sur l’étendue du territoire.

Cette ambition est à la mesure de nos moyens humains, qui ne sont pas gigantesques et tendent à diminuer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mon propos ne visait pas à dénoncer une volonté hégémonique, mais simplement à connaître votre avis sur le bon niveau d’animation à l’échelle d’une région ou d’un département. Quel échelon permettrait, selon vous, de diffuser cette culture de santé environnementale ? L’échelon le plus pertinent est-il constitué des ARS, des conseils régionaux ou des conseils départementaux ? Comment assurer une certaine cohérence des actions et une bonne coordination pour structurer les démarches de prévention ?

M. Philippe de Mester. Je souhaitais par ma réponse préciser notre état d’esprit.

J’ai longtemps été directeur des services régionaux et je pense que les régions peuvent jouer un rôle très significatif dans la mise en place de politiques portant sur les problématiques environnementales de façon générale et prenant en considération la santé.

Notre rôle est d’accompagner et de développer les partenariats. Les réseaux peuvent permettre d’avancer tandis que ni la région seule ni l’ARS seule ne peuvent véritablement obtenir des résultats. Il faut mobiliser à la fois des acteurs de terrain, des collectivités territoriales, des associations et des acteurs techniques. Nous fédérons et aidons ceux qui ont des leviers plus puissants, en particulier du point de vue financier et humain, comme la région.

Je vois notre rôle ainsi, à la mesure de nos possibilités. Nous ne pouvons revendiquer un rôle au-delà de nos capacités réelles.

Mme Claire Pitollat. Avez-vous joué un rôle dans l’expérimentation du permis de louer par la métropole, en particulier dans la détermination de la non-salubrité du logement menant à un refus du permis par la métropole ?

M. Philippe de Mester. Même si la question de l’insalubrité, notamment à Marseille, mobilise beaucoup d’énergie au sein de notre agence, nous n’avons pas participé à la mise en place de ce permis de louer, mais il se peut qu’un de mes collaborateurs ait été questionné sur un aspect technique.

Mme Muriel Andrieu-Semmel. Nous intervenons dans la formation continue des professionnels de santé, mais, pour qu’elle fonctionne, il faut que cette formation compte dans leur développement professionnel continu (DPC). Ce point est à faire évoluer. Cette formation prend en général sur les heures du soir des professionnels de santé et elle doit être reconnue dans leur cursus de formation.

Le travail en amont, au niveau de la formation initiale, constitue aussi un véritable enjeu. Quelques universités se sont déjà lancées. Un cursus d’une semaine, actuellement optionnel, existe à Nice pour les étudiants de troisième année de médecine. La formation des professionnels de la périnatalité en région PACA constitue une priorité de l’orientation stratégique santé-environnement. Nous pensons qu’informer est un enjeu majeur pour l’avenir parce que les connaissances ne sont pas encore passées dans le domaine de la pratique professionnelle. Nous sommes soutenus par le réseau Périnat Méditerranée : il a fait une enquête auprès des professionnels pour connaître leurs besoins et a développé deux formations. La première est une sensibilisation de trois jours, notamment sur les enjeux liés aux perturbateurs endocriniens. La formation aborde aussi la question du plomb et d’autres sujets liés à l’enfance. La deuxième formation est un certificat universitaire diplômant qui forme chaque année une trentaine de professionnels.

Nous mettons régulièrement en ligne des webinaires sur la santé environnementale et nous avons récemment interviewé le professeur Florence Bretelle dans un podcast. Ayant à peu près mon âge, 48 ans, elle disait n’avoir jamais été formée aux effets des perturbateurs endocriniens. Nous sommes aujourd’hui au-delà du domaine de l’incertitude. Former les professionnels est une priorité pour qu’ils puissent donner les bonnes recommandations aux parents.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles sont vos attentes en matière d’outils numériques ou d’intelligence artificielle à court et moyen terme ?

M. Philippe de Mester. Vous nous prenez un peu au dépourvu. Je n’ai pas vraiment réfléchi à l’intelligence artificielle.

Mme Muriel Andrieu-Semmel. Nous avons besoin d’outils extrêmement rapides pour une information localisée et personnalisée des citoyens. Nous avions souhaité développer une application « Baignade », mais le projet n’a pas abouti pour des raisons d’autorisation ministérielle et de freins techniques. Le citoyen attend une information sur la qualité de son environnement proche et son évolution. Il faut également faire un effort de recherche sur de futurs outils de diagnostic, notamment pour anticiper les causes de malformations. L’intelligence artificielle, qui aide au diagnostic dans d’autres domaines de la médecine, pourrait être utile dans celui-ci.

M. Philippe de Mester. Des programmes sont en cours de développement autour du centre hospitalier universitaire (CHU) de Marseille, mais je ne connais pas l’état d’avancement de ses travaux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Dans le projet de PNSE4, est envisagée une application informatique permettant à tout citoyen de connaître l’état de son environnement. Elle devrait informer sur les pics de pollution et les pollens notamment, mais elle n’en est peut-être qu’au démarrage.

Je vous remercie pour cette présentation. L’ARS PACA a la réputation d’être dynamique en ce qui concerne les questions de santé environnementale. Vous en avez fait la démonstration. Je vous remercie pour votre investissement, souvent personnel, car le facteur personnel est souvent décisif dans ce domaine.

L’audition s’achève à dix-huit heures cinquante-cinq.

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33.   Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Mulliez, directeur général, et de Mme Anne Serre, directrice adjointe santé-environnement, de l’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne (28 octobre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons M. Stéphane Mulliez, directeur général, et Mme Anne Serre, directrice adjointe santé-environnement, de l’agence régionale de santé (ARS) de Bretagne.

Les ARS définissent et mettent en œuvre la politique de santé dans l’espace régional. Au titre de leurs compétences de sécurité et de promotion de la santé, les ARS interviennent en ce qui concerne la prévention et la gestion des risques pour la santé humaine, qu’ils soient liés à l’eau, à l’environnement extérieur ou à la vie dans des espaces clos.

En ce qui concerne la santé environnementale, quelles sont les actions de l’ARS de Bretagne ? Comment participe-t-elle à l’élaboration et à la mise en œuvre du plan régional de santé-environnement (PRSE) ?

(M. Stéphane Mulliez et Mme Anne Serre prêtent serment.)

M. Stéphane Mulliez, directeur général de l’ARS de Bretagne. Anne Serre et moi-même allons rappeler la situation bretonne en matière de santé. L’espérance de vie en Bretagne est un peu inférieure à la moyenne nationale, notamment parce que nous avons une surmortalité importante. Nous nous situons au douzième rang sur treize pour la mortalité toutes causes confondues, respectivement au douzième rang pour les hommes et au dixième rang pour les femmes. Une prévalence du cancer et une surmortalité afférente sont observées en Bretagne, en particulier pour les cancers de la prostate et du poumon chez l’homme. Par ailleurs, nous constatons des taux plus élevés dans le nord et dans l’ouest de la région.

En matière d’indicateurs de santé publique, nous avons généralement un gradient est-ouest au détriment de l’ouest, et plus particulièrement du nord-ouest, de notre région. Par rapport à certains cancers et notamment les cancers du poumon, l’incidence régionale apparaît plus importante. Autre indicateur de santé, le mélanome provoque environ 120 décès par an dans notre région, soit une surmortalité régionale de 20 %, avec un fort gradient est-ouest, au détriment de l’ouest de la région.

Nous sommes également exposés aux maladies cardio-vasculaires, avec une particularité : elles sont la première cause de mortalité féminine en Bretagne. C’est un point que je souhaite souligner.

Le dernier indicateur de santé péjoratif pour notre région concerne les suicides. La Bretagne reste malheureusement la région française la plus touchée. Même si le taux en a diminué depuis 2000, il reste néanmoins bien supérieur à la moyenne nationale.

Si nous avons des indicateurs de santé plus positifs, notamment ceux relatifs au diabète et l’obésité, de nombreux indicateurs de santé sont péjoratifs, généralement ou fréquemment liés à l’ensemble des déterminants de la santé, que ceux-ci soient sociaux, comportementaux ou environnementaux. C’est ce qui anime l’action de l’agence régionale de santé et ses équipes, avec d’autres partenaires. Ce n’est pas une originalité absolue de notre région, mais il s’agit d’un principe très structurant de notre projet régional de santé qui a été adopté en 2018 : nous nous sommes donné l’ambition de travailler en premier lieu sur les déterminants de santé. Parmi ceux-ci figurent l’ensemble des déterminants en matière de santé-environnement.

En ce domaine, la Bretagne est entourée de mers et le littoral breton s’étend sur plus de 1 700 kilomètres. 76 % du territoire de la région est granitique. Enfin, elle n’est pas très industrielle, mais le secteur agricole et le secteur agroalimentaire représentent un poids fort. Cette description très succincte de la géographie et des activités de la région Bretagne représente des enjeux très importants en matière de santé-environnement. La question du littoral et des eaux entraîne de forts enjeux, avec les eaux de baignade. Les sols granitiques engendrent de forts enjeux en ce qui concerne la qualité de l’air, notamment l’air des habitats, en raison du radon, induisant des facteurs de risque importants pour la santé des populations. S’agissant de la qualité des eaux, je précise qu’une bonne partie d’entre elles vient des rivières. Pour l’eau de consommation humaine, le défi est important pour la gestion des politiques de santé-environnement de notre région. Enfin, relativement aux enjeux agricoles, nous avons une série de pressions sur lesquelles l’agence travaille, avec l’ensemble de ses partenaires.

Ces enjeux forts en matière de santé-environnement, mais aussi peut-être le travail que nous accomplissons, depuis la création de l’agence régionale de santé, vis-à-vis des populations, font que nous pouvons considérer la population bretonne comme sensibilisée. Nous le mesurons à échéances régulières – tous les sept ans environ – dans un baromètre santé-environnement. Lors de la dernière mesure, en 2015, sept Bretons sur dix se sentaient concernés par les enjeux environnementaux. Nous produisons aussi tous les ans un tableau de bord santé-environnement – qui concerne notamment le cadre de vie et la santé, le logement, les enjeux climatiques, les enjeux de l’air, les enjeux de santé au travail – et cela participe peut-être de la sensibilisation des populations bretonnes aux enjeux de santé-environnement. Ce tableau de bord présente tous les ans des indicateurs chiffrés sur les évolutions de ces différents enjeux de santé publique et de santé environnementale.

Pour nous concentrer plus spécifiquement sur l’agence régionale de santé et son action par rapport à l’ensemble de ces enjeux de santé-environnement, notre travail en la matière s’inscrit dans un axe classique :

– de veille et de sécurité sanitaires, ainsi que de gestion de l’ensemble des alertes et des signaux qui parviennent à l’agence régionale de santé ;

– de surveillance des milieux, et notamment de contrôle sanitaire des eaux – tant les eaux de loisirs et de baignade que les eaux de consommation humaine ;

– de délivrance d’avis en matière d’urbanisme, pour mesurer les impacts sanitaires potentiels de projets ;

– de différentes actions d’inspection et de contrôle ;

– de gestion des signaux sanitaires.

Nous menons également en partenariat un ensemble d’actions de prévention et de promotion de la santé. Il s’agit d’une richesse des agences régionales de santé : nous ne sommes pas seuls. Cependant, la planification et l’animation interministérielles des différents volets en matière de santé-environnement – à commencer par le projet régional de santé-environnement qui est adossé à notre projet régional de santé et qui est partagé avec d’autres partenaires, et en premier lieu le conseil régional de Bretagne – sont des enjeux que nous inscrivons dans une démarche de communication, de pédagogie. De plus, nous mobilisons différents leviers financiers pour promouvoir ces actions de prévention dans différentes instances.

La direction adjointe santé-environnement de l’ARS est positionnée au sein de la direction de la santé publique. Celle-ci comprend également la direction adjointe prévention et promotion de la santé. Nous pouvons par ailleurs avoir une forte congruence dans les actions susceptibles d’être menées. Aux côtés de la direction adjointe, se trouvent la veille et la sécurité sanitaires. La direction de la santé publique s’inscrit, pour sa part, au cœur des différentes directions « métiers » de l’agence régionale de santé. À l’ARS Bretagne, qui compte à ce jour 381 collaborateurs, 60 personnes travaillent sur les questions de santé-environnement. Telles sont les forces en présence qui sont plus spécifiquement consacrées aux enjeux de santé-environnement. Elles travaillent sous l’autorité d’Anne Serre.

Les agences régionales de santé ont à la fois un siège à l’échelle régionale et des délégations dans chacun des départements. Sur les 60 personnes travaillant à la santé-environnement, environ 55 agents le font en délégation départementale et six au siège à la direction adjointe santé-environnement. Ces chiffres montrent que nous sommes héritiers d’un passé administratif. Cependant, il existe un enjeu que je souhaite souligner devant la commission d’enquête : celui du renforcement des travaux à l’échelle du siège et à l’échelle régionale, pour asseoir et appuyer le pilotage stratégique de ces différentes politiques. Il faudrait, si possible, insister sur certaines thématiques de santé-environnement peut-être plus émergentes ou faire des ponts entre différents sujets.

Par exemple, quand nous menons des contrôles sur le radon dans les habitats bretons, ne faut-il pas, du point de vue stratégique, en « profiter » pour élargir les contrôles ? Au-delà des contrôles, c’est aussi l’occasion de multiplier les actions sur la prévention et la promotion de la santé par rapport à la qualité de l’air intérieur. Ce sont des enjeux qui méritent d’être portés par une structure régionale dont le siège mériterait d’être plus étayé.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’ai été étonnée des éléments épidémiologiques que vous nous avez communiqués, notamment cette surmortalité. Il me semble toutefois que vous en avez bien identifié les causes, que toute votre équipe est mobilisée et que vous avez relancé une dynamique. Ma première question est d’ordre organisationnel. Vous avez évoqué le fait que cette agence est héritière d’un passé administratif, laissant entendre que certaines habitudes ou organisations n’étaient peut-être pas compatibles avec une politique de santé environnementale efficace. Vous avez évoqué la nécessité de disposer d’une structure régionale plus étayée qui vous permettrait de mettre en place une stratégie coordonnée de multiples contrôles. Quelles difficultés avez-vous rencontrées à votre prise de fonctions et quelles sont les pistes d’amélioration ? Le constat que vous avez fait pour votre région peut-il être étendu à d’autres ? Ces difficultés organisationnelles sont-elles représentatives de la politique de santé environnementale ou vous sont-elles spécifiques ? Ou pensez-vous qu’elles relèvent d’un problème de fond qu’il conviendrait d’améliorer ?

Vous nous avez dressé une présentation essentiellement épidémiologique : quid du rapprochement avec les données environnementales ? D’éventuelles difficultés méthodologiques ou d’accès à des données ont-elles impacté votre management régional ?

M. Stéphane Mulliez. À l’agence régionale de santé, les agents étaient prêts en 2010. Sur les sujets de santé-environnement, notre organisation a un fort historique quant aux missions régaliennes. Les contrôles, les inspections, les demandes d’avis, notamment, étaient portés par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Nous avons récupéré ces fonctions et elles sont exercées en application des protocoles ARS-préfet. C’est le fruit de l’histoire, je n’y vois pas d’inconvénients ou de difficultés insurmontables. J’ai découvert la région Bretagne à mon arrivée en 2016. Son organisation constitue une école de la coopération. De façon générale, nous entretenons d’excellentes relations avec les services préfectoraux. Nous arrivons à travailler en très bonne intelligence et, dans le cadre du protocole ARS-préfet et des « compétences préfet », sur tout un ensemble de thématiques de santé-environnement. Pour moi, cela ne constitue pas une difficulté.

De mon point de vue, la difficulté n’est donc pas tant institutionnelle que relative à l’organisation quotidienne des activités. Nous avons un ensemble de ressources humaines consacrées aux politiques santé-environnement qui sont concentrées sur les missions régaliennes. Nous estimons que 70 % du temps leur est consacré, au détriment de l’animation de politiques régionales qui doivent nous permettre – c’est tout l’enjeu de notre projet de service pour la direction santé-environnement et plus globalement la direction de la santé publique – d’être en veille en ce qui concerne les politiques ou les questions émergentes en matière de santé-environnement.

Nous devons être en capacité d’animer davantage les politiques de santé environnementale à l’échelle de la région, dans la mesure où elles requièrent un fort partenariat avec un ensemble d’institutions, à commencer par le conseil régional. Je tiens d’ailleurs à saluer une forte synergie entre nos institutions. Un vice-président se consacre vraiment à ces sujets. La coordination institutionnelle est également forte avec les autres services de l’État, qui relèvent des services préfectoraux, comme la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ou encore la direction régionale de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt (DRAAF). Nous avons donc des politiques institutionnelles à coordonner en région et peut-être à l’échelle du siège, qui nécessiteraient – si les moyens le permettent – d’étayer cette équipe du siège de l’agence régionale de santé.

S’agissant des indicateurs ou de l’accès aux données, je ne me suis pas heurté, depuis que j’ai pris mes fonctions, à des difficultés d’accès à certaines données.

Mme Anne Serre, directrice adjointe santé-environnement de l’agence régionale de santé (ARS) de Bretagne. Au niveau de l’équipe régionale comme au niveau des équipes départementales, un nécessaire équilibre doit être trouvé entre les missions régaliennes et les missions de promotion de la santé. Je suis arrivée en Bretagne voilà quatre ans, et en Bretagne, le siège a développé les missions de prévention, peut-être parce que les équipes départementales bénéficiaient d’un peu plus d’autonomie sur le plan régalien. Toutefois, vient un moment où l’animation du réseau régional, qui est capitale, doit se décliner dans les territoires. Il est alors indispensable de pouvoir s’appuyer sur les équipes départementales et il est plus difficile pour elles d’en trouver le temps, car elles sont très investies dans le quotidien régalien. Nous touchons aux limites du déploiement des initiatives régionales : à l’échelle d’une région, même petite, des missions socles sont incontournables.

Je voudrais également attirer l’attention sur un autre versant – le versant départemental –, que ce soit du côté des équipes santé-environnement ou du côté de l’animation territoriale, puisque nos délégations sont organisées selon une partie santé-environnement et une partie animation territoriale. L’environnement fait en quelque sorte partie de l’animation territoriale. Nous souhaiterions que l’ensemble des équipes départementales se saisissent de l’environnement comme d’un déterminant de la santé, au même titre par exemple que la santé mentale. Il est important de trouver cet équilibre qui varie selon les régions et la taille des régions.

En matière de croisement de données sanitaires et environnementales, nous sommes souvent confrontés à des difficultés. Le premier objectif du plan régional est d’ailleurs l’amélioration des connaissances et l’appropriation des données. Le croisement des données de santé et des données d’environnement doit permettre de caractériser les territoires ainsi que les inégalités de santé, puisque les territoires n’ont pas tous les mêmes indicateurs de santé. Le gradient est-ouest a été mentionné : la population se répartit de manière inégale sur le territoire, entraînant des pressions différentes et des inégalités sociales.

Il faut donc appréhender le territoire en infrarégional et s’intéresser aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui sont souvent la maille la plus intéressante. Ce n’est cependant pas facile parce que les différentes institutions ont leur propre manière d’aborder les indicateurs, leurs propres logiciels, leurs propres outils – que l’on n’arrive pas toujours à croiser. En conséquence, nous passons beaucoup de temps à essayer de recenser les données qui existent, à savoir s’il s’agit de données brutes, de données analysées, etc. Nous sommes donc quand même confrontés au cloisonnement des politiques publiques, que ce soit vis-à-vis de la santé ou vis-à-vis de l’environnement.

Nous essayons de travailler avec des partenaires régionaux, notamment l’observatoire régional de santé (ORS) pour les données de santé, mais aussi avec des partenaires du monde environnemental, et nous essayons de faire rencontrer nos acteurs, par exemple l’ARS et l’Observatoire de l’environnement en Bretagne (OEB). Nous croyons beaucoup en cette nécessité, pour mieux comprendre ces indicateurs de santé et savoir si l’environnement est un facteur explicatif de cette surmortalité cardio-vasculaire par exemple. Toutefois, nous ne disposons pas de toutes les réponses.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. À l’initiative de cette commission d’enquête, je suis députée de Loire-Atlantique, dans les Pays de la Loire, voisins de votre région : avez-vous des échanges avec les régions limitrophes ?

Comment évaluez-vous l’information de la population sur l’enjeu de la santé environnementale. Comment renforcez-vous l’information des professionnels de santé ? Comment se passent les remontées d’informations vers l’administration centrale et le partage d’informations ? Avez-vous mis en place des sites internet, des applications ou d’autres moyens ?

Il existe parfois des spécificités régionales. À Guidel notamment, des situations se sont présentées, telles que des enfants nés sans mains. Comment les avez-vous envisagées ? Existe-t-il des problématiques particulières de cancers pédiatriques dans votre région ? Quelles actions spécifiques pourraient être conduites à destination des enfants et des jeunes ?

M. Stéphane Mulliez. Nous travaillons très étroitement avec la Loire-Atlantique, qui n’est pas un département breton, même s’il y a un historique fort entre ces régions et avec ce département. Nous avons un « compagnonnage » particulier avec l’ARS Pays de la Loire, parce que ce sont nos voisins et parce que nous développons un ensemble de coopérations sur différents sujets. Au titre d’une convention de coopération, nous partageons certains membres du personnel pour leur expertise. C’est un lien fort et même d’amitié avec l’ARS Pays de la Loire, avec laquelle nous travaillons notamment dans un partenariat commun avec l’École des hautes études en santé publique, qui se trouve à Rennes (EHESP). Nous organisons ainsi des échanges féconds avec l’ARS Pays de la Loire et avec l’EHESP.

Nous travaillons également de façon étroite avec les cellules régionales des services de Santé publique France. Dans le cadre des coopérations, Santé publique France avait à un moment commencé à rapprocher les deux cellules régionales. Chaque ARS a vocation à garder une cellule régionale de Santé publique France, mais pendant quelque temps la même personne a dirigé ces deux cellules régionales. Ce n’est plus le cas depuis environ un an, non que le concept ou le principe ait été dénoncé par mon collègue, par moi-même ou par Santé publique France, mais pour des raisons de charge de travail incombant à la responsable de la cellule régionale des Pays de la Loire, l’ancienne responsable de la cellule régionale Bretagne. Des travaux ont pu ainsi être menés en commun.

Nous avons travaillé très étroitement sur Guidel avec Santé publique France, qui porte les investigations sur cette question. Contrairement à Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, confrontée à des cas de cancers pédiatriques, il s’agit, à Guidel, de malformations congénitales, détectées à la suite de signalements entre 2010 et 2015. Quatre enfants étaient porteurs d’agénésie, à Guidel mais aussi dans une commune limitrophe, Calan. Des investigations ont été menées par Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) par rapport à ces signalements d’une même aire géographique.

Santé publique France et l’Anses ont constitué un comité d’experts scientifiques, qui a produit un premier rapport en juillet 2019, permettant de dresser un premier bilan de la situation. En ce qui concerne la Bretagne, il a recommandé la réalisation d’investigations complémentaires sur ce cluster de Guidel, afin de mieux caractériser les expositions que les parturientes ont pu connaître pendant leur grossesse, et auprès des enfants qui sont concernés par ces agénésies. Ce rapport est en cours de finalisation. Par ses investigations, il a permis de se rapprocher des mères et des enfants concernés. Il a aussi permis de mener des investigations environnementales complémentaires sur le territoire concerné. Enfin, il a permis de compléter les éléments relatifs aux revues de la littérature envisagée. Santé publique France nous a indiqué hier que le comité d’expertise scientifique allait produire un rapport relatif à ces investigations, le 5 novembre prochain. Une restitution aux familles est prévue le 4 novembre. À ce stade, je n’ai donc pas été destinataire de ce rapport, mais les services de Santé publique France m’ont indiqué qu’il pourra être transmis à votre commission d’enquête si vous en exprimez le souhait.

Mme Anne Serre. Pour ce qui est de l’information de la population, nous relançons le baromètre santé-environnement tous les six-sept ans environ. Généralement, nous essayons de le « caler » avant les plans régionaux santé-environnement. Nous avons ainsi une idée de l’évaluation des actions du PRSE. En reprenant les mêmes questions de connaissance, de sentiment et de l’appréhension de la problématique des enjeux de santé-environnement dans le quotidien, nous pouvons apprécier l’impact des actions menées dans nos PRSE. Cela peut aussi nous permettre de voir émerger des préoccupations que nous n’avions pas identifiées, des problématiques particulières au sein de la population bretonne. C’est un important travail que nous confions pour partie à l’ORS – pour la partie questionnaire. Il a été retardé du fait de la pandémie, mais il est analysé et les premiers résultats devraient être disponibles l’année prochaine. Certains indicateurs de ce baromètre sont mis à jour tous les ans – c’est l’objet du tableau de bord qui portait jusqu’à présent sur dix indicateurs et que nous avons réorienté vers une vingtaine d’indicateurs. Ils nous permettent un suivi de l’information et de la prise en compte des enjeux de santé-environnement par les Bretons.

Pour ce qui est des sites Internet, nous disposons déjà du site de l’ARS, sur lequel l’ensemble des domaines d’intervention sont détaillés, ainsi que du site consacré au PRSE 3 breton. Il s’efforce de publier régulièrement des articles relatifs aux actions portées par les associations ou par les structures porteuses. Nous avons aussi voulu faire de ce site un outil de mise en valeur des actions du PRSE. Cette valorisation est un des enjeux que nous souhaitons porter dans ce nouveau PRSE, qui en est à mi-parcours. Mais c’est un métier de faire vivre un site Internet. Nous avons passé, cette année, un marché avec un prestataire qui nous aidera dans nos actions de valorisation. Il est nécessaire d’en passer par là. J’espère que cela portera ses fruits à partir de l’année prochaine.

Pour ce qui est de la petite enfance, nous sommes très conscients du fait que la périnatalité et la petite enfance correspondent à la période de la vie la plus vulnérable. Nous avons ainsi plus particulièrement mené des actions vis-à-vis de cette population, notamment auprès des lieux d’accueil de la petite enfance – afin qu’ils soient sains et plus favorables à la santé des enfants –, par le biais :

– d’actions avec l’association La Belle Vie. Celle-ci, avec les caisses d’allocations familiales (CAF) et les protections maternelles et infantiles (PMI), va inciter les crèches à faire évoluer leurs pratiques, notamment par rapport aux produits d’entretien, aux jouets ou à l’alimentation proposée aux enfants ;

– de travaux avec le réseau de périnatalité de l’Ille-et-Vilaine. Il s’agit de travaux que nous allons régionaliser très prochainement avec la mise en œuvre d’un carnet de santé « maternité », doté d’un volet santé-environnement, et des actions de formation des sages-femmes, afin qu’elles puissent donner les bons conseils et répondre aux questions. À ce moment de la vie, les futurs parents ont envie de prendre le maximum de précautions et d’être plus attentifs à l’environnement proposé à leurs enfants.

En ce qui concerne la formation des professionnels de santé, plusieurs actions sont en cours. Nous avons notamment construit des modules de formation, avec les instituts de formation d’infirmiers, de kinésithérapeutes, d’aides-soignants. Ils seront proposés dans la formation initiale et seront accompagnés de travaux pédagogiques. Le premier module portera sur ce qu’est la santé-environnement. Il sera développé ensuite par rapport à certains milieux, comme l’eau. Cet outil est très utilisé, un peu à l’instar d’un cours en ligne, d’un webinaire. Pour le concevoir, nous nous sommes rapprochés de professionnels de la communication, et je pense qu’il atteindra notamment les élèves infirmiers.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous sommes curieux de ces cahiers pédagogiques. Nous partagerons ainsi les informations et les bonnes pratiques. Lorsqu’une région porte une initiative intéressante et efficace, il faut la valoriser et essayer de la développer dans les autres régions. Vous êtes bien mobilisés autour de la thématique de la petite enfance et de la formation des professionnels, donc en amont des problèmes. Votre organisation est tout à fait cohérente.

M. Philippe Chalumeau. Je suis député d’Indre-et-Loire, médecin de profession, de sorte que ces sujets m’intéressent. Le fil rouge de notre commission d’enquête consiste à évaluer la prise en charge du risque environnemental en matière sanitaire et de voir comment, dans les politiques publiques, ce risque peut être suivi, décliné, travaillé, tracé, pour éviter, dans la mesure du possible, de connaître des catastrophes sanitaires d’origine environnementale. Je suis interpellé par la surmortalité pour les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Identifiez-vous des facteurs environnementaux par rapport à ces cancers notamment ? Pour ce qui est des maladies cardio-vasculaires, première cause de mortalité pour les femmes, quelle est votre analyse ?

Au sujet de la santé mentale – addictions et suicides –, la situation s’améliore, se stabilise ou s’aggrave-t-elle ? Quels sont les principaux facteurs ? Qu’est-ce qui est mis en place ? Disposez-vous d’associations de prévention du suicide ? Quels âges et quelles catégories socio-professionnelles sont concernés ? S’agit-il de jeunes et de personnes âgées ou d’autres aussi ? Pourrions-nous avoir une influence sur certains facteurs ? Avez-vous des outils de prospective à ce sujet ?

Enfin, la Bretagne est une région où l’agriculture est très présente. Avez-vous identifié des sujets relatifs à la méthanisation, aux « fermes des 1 000 vaches », à ce genre de pratiques qui peuvent avoir un impact sur la santé ? Faites-vous une analyse particulière des conséquences, des bienfaits, des méfaits éventuels, ou un suivi prospectif en ce qui concerne les digestats, la méthanisation ? Ces sujets émergent en matière environnementale. Comme nous sommes en pleine transition écologique, votre regard nous intéresse.

M. Stéphane Mulliez. Tant du point de vue de l’épidémiologie que du point de vue des actions, nous suivons ces différents indicateurs de santé publique. Nous les suivons EPCI par EPCI. Nous publions d’ailleurs tous les ans un indicateur de l’ensemble de ces facteurs de santé, pour les différents EPCI et les différents territoires. Toute une série de politiques publiques sont déclinées à l’échelle régionale sur les thématiques du cancer, les enjeux cardio-vasculaires. Nous travaillons différents axes de plans d’action dans la déclinaison du PRS, y compris en matière de communication – au sens noble du terme – et de prévention.

En ce qui concerne les enjeux cardio-vasculaires, nous avons fait le choix, en lien avec les professionnels de santé, il y a deux ans, d’une grande campagne de communication sur la prévention des risques cardio-vasculaires, notamment pour inviter les populations à observer des comportements de prévention. Quand elles rencontrent une difficulté, une douleur thoracique – cela concerne aussi les femmes, puisque j’ai appris qu’elles méconnaissaient ces premiers symptômes –, elles peuvent s’adresser directement aux structures de prise en charge de l’urgence.

Pour revenir à la question du suicide, il s’agit d’un indicateur qui nous préoccupe beaucoup en Bretagne et qui me préoccupe personnellement au titre de mes fonctions. Les indicateurs ont un peu, voire sensiblement, progressé ces dernières années, mais le sujet reste très important. Il y a environ un mois, j’ai institué un comité régional visant à fédérer l’ensemble des ressources – et elles sont nombreuses, dans la région comme dans d’autres régions – autour du suicide :

– les professionnels de santé, notamment en santé mentale ;

– l’ensemble des associations susceptibles d’œuvrer dans ce champ ;

– les différentes institutions, y compris de sécurité sociale. Je pense notamment à la Mutualité sociale agricole (MSA) pour la région Bretagne. Elle nous aide beaucoup, même si les psychiatres soulignent qu’il est toujours très difficile d’expliquer un suicide, multifactoriel. Parmi ces multiples facteurs, il faut noter ceux liés à la profession. C’est la raison pour laquelle les mutualités, et notamment la MSA, nous aident à construire les plans de prévention du suicide, que nous déclinons ;

– une action phare, qui n’est pas une exclusivité bretonne, mais nous avons beaucoup investi dans le dispositif VigilanS de rappel des suicidants. En mobilisant des crédits régionaux, il permet, lorsqu’une tentative de suicide n’a heureusement pas abouti, de travailler avec des appels téléphoniques de professionnels de santé pour suivre les suicidants et leurs familles. Les facteurs familiaux sont à prendre en compte dans les suicides et doivent nous amener à travailler à cet égard.

Les enjeux de territorialisation sont réels dans les questions de suicide, ils sont réels aussi pour l’ensemble des questions de santé, ils sont réels également en matière de santé-environnement. Nous avons une politique de contrats locaux de santé assez volontariste. Elle permet de territorialiser, à l’échelle des EPCI, un ensemble d’actions – mon souhait étant que ces actions soient assises sur des diagnostics, que ce soit en matière de santé-environnement ou en matière de santé publique, à l’échelle des EPCI.

Il s’agit aussi, chaque fois que nous signons un contrat local de santé, d’avoir des actions très précises, très concrètes, qui permettent de faire « avancer les choses » dans tel et tel territoire. Pour avoir signé neuf contrats locaux de santé en 2019, j’ai chaque fois le plaisir de voir autour de la table différents partenaires institutionnels. Et parfois, comme cela a été le cas à Lannion en ce qui concerne le suicide, il s’agit de gendarmes ou d’autres professionnels qui peuvent avoir la fiche réflexe qui convient quand un gendarme est confronté à une question de suicide dans une famille. Il ne s’agit pas de prendre en charge cette famille, mais de pouvoir tout de suite la mettre en relation avec l’établissement de santé ou le professionnel de santé idoine.

Environ 30 % de la population bretonne bénéficie aujourd’hui d’un contrat local de santé (CLS). Notre objectif est de pouvoir recouvrir l’ensemble du territoire d’ici à 2023. Ce ne seront peut-être pas 100 % des personnes qui bénéficieront d’un CLS, mais notre objectif est précisément de 90 %. Dans la deuxième génération des contrats locaux de santé, nous avons mis l’accent sur la question de la santé environnementale, avec des diagnostics assez poussés sur différents sujets, à l’échelle de l’EPCI. Je dispose par exemple du diagnostic santé-environnement du CLS de Lorient, qui permet de recenser un ensemble d’indicateurs relatifs à une série d’items et, au-delà du diagnostic, de contractualiser dans le CLS un ensemble d’actions. Je souhaite toujours que celles-ci soient les plus concrètes possible. À titre d’exemples d’actions santé-environnement dans des contrats locaux de santé, je peux citer :

– des actions sur la qualité de l’air intérieur ou extérieur ;

– des actions sur l’alimentation des jeunes ;

– des actions sur le risque auditif des jeunes ;

– des actions sur les ressources en eau potable, notamment dans le CLS que nous avons avec les îles du Ponant. Il s’agit d’une spécificité bretonne.

Sur différents sujets, nous essayons de concrétiser et d’opérationnaliser le plus possible nos actions de santé à l’échelle des territoires et en ce qui concerne la santé-environnement dans cette deuxième génération des contrats locaux de santé.

M. Yannick Haury. Les contrats locaux de santé constituent aujourd’hui des démarches facultatives. Dans une politique environnementale plus volontariste, ne serait-il pas nécessaire qu’elles soient obligatoires, à une échelle d’EPCI ou de fédération d’EPCI par exemple ?

M. Stéphane Mulliez. Elles sont juridiquement facultatives. Elles sont contractualisées entre l’agence régionale de santé et le ministère, c’est donc une contractualisation assez « verticale », en lien avec l’administration centrale et le ministre. Le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CEPOM) que j’ai signé à l’époque avec la ministre Mme Agnès Buzyn prévoit un objectif de contrats locaux de santé. L’indicateur en est la part de la population qui sera couverte par un tel contrat. Nous avons donc une volonté régionale mais elle est aussi encadrée sur le plan national, dans le CEPOM, pour pouvoir aller vers cette contractualisation. Mes collègues des autres régions ont également cet objectif.

Mme Anne Serre. Les contrats locaux de santé sont avant tout un moyen d’expression de la population, laquelle s’exprime de plus en plus sur les enjeux de santé-environnement. Dans le PRSE, notre rôle est aussi d’agir pour une meilleure prise en compte de la santé environnementale dans les politiques territoriales, ce que nous faisons notamment via les outils et les contrats locaux de santé. Nous avons fourni aux collectivités territoriales un certain nombre de guides et de documents, les différents domaines techniques et scientifiques étant nombreux, à l’égard desquels ces collectivités ne sont pas toujours à l’aise. Nous sommes néanmoins dans un contexte où, face aux attentes de la population, les bons outils – même s’ils ne sont pas obligatoires – permettront aux intérêts de se rencontrer. Les enjeux pourraient alors être discutés, puis pris en compte et mis en œuvre dans des politiques publiques.

L’agriculture constitue notre environnement principal en Bretagne. C’est de plus un environnement économique très fort. Dès lors que l’on va aujourd’hui un peu à l’encontre du modèle agricole breton, on va à l’encontre de l’économie, des emplois, et cela est compliqué. Il faut agir en étant précis et forts dans nos convictions tout en étant conscients de cette difficulté. Nous avons plutôt travaillé sur les enjeux de risques, notamment le risque relatif aux nitrates dans les eaux. Ce sujet historique et régional est complexe, même si les traitements font que pour l’eau potable, la problématique ne se situe plus dans nos verres, mais toujours dans les rivières.

Ensuite vient la question des pesticides, dans tous les milieux, les eaux comme l’air. Nous travaillons à mieux connaître la présence des pesticides dans l’air pour mieux comprendre certains indicateurs de mortalité et de morbidité de la région.

Nous travaillons également sur les rejets d’ammoniac, qui sont des précurseurs des particules fines. Nous connaissons leurs effets quant à la mortalité cardio-vasculaire. Nous évaluons à 2 000 le nombre de décès bretons dus aux particules fines, à la pollution atmosphérique. Nous savons que le changement climatique représente aussi un enjeu, avec les gaz à effet de serre qui y sont liés. Pour ce qui est de l’agriculture dans son modèle actuel, avec l’impact sur l’alimentation – nous essayons de défendre l’alimentation saine et durable, avec des circuits courts, des produits bio, ou du moins le moins d’intrants possible –, nous voyons bien qu’il faut faire évoluer ces systèmes. L’ARS toute seule ne le peut pas, mais nous portons en tout cas notre voix pour tenter d’y parvenir, en connaissant toutes les difficultés qui y sont liées.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous comprenons la difficulté de concilier économie et écologie. Nous rencontrons souvent cette difficulté dans les problèmes de transition.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Puisque c’est d’actualité, je vous souhaite une bonne application du « plan blanc », qui est lancé.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie.

L’audition s’achève à quinze heures cinq.

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34.   Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Maisonny, directeur délégué prévention et protection de la santé au sein de l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes et de M. Bruno Fabres, chef du pôle santé environnement de l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes (28 octobre 2020)

L’audition débute à quinze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons à présent, représentant l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes, M. Marc Maisonny, directeur délégué à la prévention et à la protection de la santé, et M. Bruno Fabres, chef du pôle santé-environnement. Comment l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes conçoit-elle sa démarche en matière de santé environnementale ? Quelle est sa participation à l’élaboration et à la mise en œuvre du plan régional de santé-environnement (PRSE) ?

(MM. Marc Maisonny et Bruno Fabres prêtent serment.)

M. Marc Maisonny, directeur délégué à la prévention et à la protection de la santé au sein de l’agence régionale de santé d’Auvergne-Rhône-Alpes. Je vous remercie de nous offrir cette occasion de présenter l’action de notre agence régionale de santé. Nous vous présenterons l’action de l’ARS en matière de santé-environnement dans notre grande région d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui constitue pleinement une politique de santé publique, et, plus précisément, une politique de promotion de la santé, car le versant sanitaire de la santé environnementale est capital.

Au cours des deux dernières décennies, la santé environnementale est devenue un enjeu d’action politique pour différentes raisons, notamment les évolutions environnementales que connaît notre planète, que la pandémie actuelle illustre en partie. Toutefois, elle est investie sur le terrain depuis bien longtemps, par le biais d’évolutions qui s’inscrivent dans les traditions historiques de l’hygiène publique. Sans détailler, je rappellerai l’ouverture des bureaux municipaux d’hygiène par une loi de 1902, la création du ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale en 1920, et la création des directions des affaires sanitaires et sociales (DASS) en 1964, qui intégraient les missions d’hygiène publique, devenues, avec l’évolution des notions, les missions d’hygiène de milieu, puis de santé-environnement dans les années 90. La santé est devenue une compétence de l’État lors des premières lois de décentralisation de 1983, mais plus d’une centaine de collectivités ont conservé cette compétence avec leurs services communaux d’hygiène et de santé, avec qui nous travaillons au quotidien. Leurs missions historiques comprennent notamment le contrôle sanitaire des eaux et la lutte contre l’habitat insalubre. D’une façon générale, avec l’évolution et l’amélioration des connaissances scientifiques et l’émergence de nouveaux risques, elles intégreront progressivement les risques environnementaux pour la santé.

Les ARS ont pris la suite de ces missions en 2010, tout en montant en charge sur le pilotage des politiques régionales de santé publique. À ce titre, l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui compte neuf cent cinquante agents, dispose de cent quarante agents techniques, cinquante-cinq ingénieurs et quatre-vingt-cinq techniciens qui sont consacrés, pour une grande partie, au champ de la santé environnementale. L’ARS peut également s’appuyer sur l’expertise de médecins de santé publique au sein de son organisation. Dans le contexte de l’adoption de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, puis de la stratégie nationale de santé 2018-2022, qui ont fait de la prévention et de la promotion de la santé des axes majeurs de la politique en matière de santé, nous avons défini, dès 2016, une stratégie en santé-environnement dans le cadre de la nouvelle grande région.

En cohérence avec les instructions d’octobre et novembre 2011 sur les missions des ARS en santé-environnement, nos missions en Auvergne-Rhône-Alpes sont structurées autour de six axes :

Pour mettre en œuvre cette stratégie, nous avons aligné nos outils de programmation sur ces six axes, sous le titre « Promotion d’un environnement favorable à la santé ». Le troisième plan régional santé-environnement, adopté en avril 2018, structure une stratégie interministérielle fortement impulsée par l’ARS. Il produit des outils régionaux au service des acteurs des territoires et il recherche leur mobilisation autour des enjeux de santé-environnement. Quant au deuxième projet régional de santé 2018-2028, il met en avant des modalités d’actions tournées vers certaines populations et vers des dispositifs de prévention ou des parcours de santé. Le domaine de la santé-environnement est concerné par plusieurs actions : un programme d’accompagnement pour les situations d’incurie dans l’habitat, un dispositif élargi de conciliants dans l’environnement intérieur, la prévention du risque auditif chez les jeunes et, plus récemment, la structuration d’un programme en faveur de la réduction des expositions aux produits chimiques chez les femmes enceintes et les jeunes enfants, en lien avec la notion des mille jours.

M. Bruno Fabres, chef du pôle santé-environnement de l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes. Je me concentrerai sur le plan régional santé-environnement. Celui-ci est piloté par l’État dans le cadre d’un partenariat signé entre le préfet de région, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et l’ARS, l’exécutif régional n’ayant pas souhaité, dans notre région, s’associer à la démarche. Notre PRSE propose un cadre général d’action afin que chaque décideur, chaque acteur, chaque habitant dans chaque territoire s’approprie les enjeux de santé-environnement et agisse en conséquence. Notre PRSE se décline en quatre axes avec un nombre limité de dix-neuf actions, destinées à donner de la visibilité au PRSE.

Le premier axe, qui s’intitule « Comprendre », a pour objectif de développer la connaissance et les compétences de tous en santé-environnement. Nous avons créé, avec la réalisation d’un état des lieux régional que nous tenons à jour et que nous enrichissons, un outil d’observation local en santé-environnement. Par ailleurs, plusieurs actions du PRSE consistent à structurer, renforcer et développer l’offre d’éducation et de promotion en la matière. Elles recouvrent à la fois la sensibilisation et l’information, la participation, la coopération, l’accompagnement ainsi que les actions de plaidoyer pour porter des exigences de changement. Ce projet occupe une place centrale dans notre PRSE, avec un tiers de ses actions. Nous menons également des actions de formation des professionnels à la santé environnementale : élus et techniciens des collectivités territoriales, professionnels du bâtiment, professionnels agricoles, professionnels de santé.

Le deuxième axe de notre PRSE se rapproche de la logique de déclinaison du plan national santé-environnement 3 (PNSE 3) selon ses entrées sectorielles. Intitulé « Réagir », il vise à réduire les expositions des populations à des déterminants environnementaux de santé prégnants tels que la pollution de l’air, extérieur et intérieur, par la présence de pesticides, de pollens et d’ambroisie, et la qualité l’eau potable, ceci en complément des plans ou programmes sectoriels existant dans ces champs. Le choix de ces thématiques découle de l’état des lieux évoqué précédemment, qui concluait que dans une région de la taille de la nôtre, avec la grande diversité de ses territoires et de ses activités, il y a des progrès à faire sur tous ces sujets.

Le troisième axe du PRSE est destiné à « Prévenir » par l’intégration des enjeux de santé-environnement dans les politiques territoriales, et ce, en impliquant les habitants dans les décisions, qui concernent également changement climatique et la conception d’un urbanisme favorable à la santé. Sont notamment visés les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), les schémas de cohérence territoriale (SCoT), les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), les programmes locaux de l’habitat (PLH), les opérations de revitalisation des territoires (ORT), et les contrats locaux de santé (CLS).

Le quatrième axe, ramassé en une seule action, vise à territorialiser la santé environnementale. Il s’agit d’un axe transversal qui porte les enjeux de santé-environnement dans les territoires en utilisant les outils, les référentiels et les démarches d’accompagnement construits dans les actions découlant des trois premiers axes, de façon à démultiplier l’action sur le territoire, avec l'ensemble des parties prenantes et au plus près des cadres de vie. C’est de cet axe que dépend la lutte contre les inégalités territoriales en santé-environnement.

À travers cette structuration du PRSE et de ses actions, que nous nous attachons à rendre concrètes et opérationnelles dans les territoires, nous avons ainsi dessiné un programme de promotion de la santé qui conjugue l’élaboration de politiques locales en faveur de la santé, la création d’un environnement favorable à la santé, le renforcement de l’action par la mobilisation des communautés, l’acquisition d’aptitudes individuelles et enfin, la mobilisation des services de santé. Ceci est important à souligner, car la santé constitue un levier incontestable pour motiver l’action dans les territoires où cette perception fait encore défaut. Dans cette même optique de mobilisation, nous nous attachons à valoriser les productions du PRSE, avec une attention particulière portée sur la communication.

Nous souhaitons également mettre en avant une logique particulière de partenariat au sein de notre région. Si la préfecture de région, la DREAL et l’ARS pilotent le PRSE, elles ont été amenées à mobiliser autour d’elles de nombreux acteurs identifiés dans la région pour leurs compétences reconnues dans leur domaine, leur intérêt pour la santé environnementale et leurs solides réseaux territoriaux. Nous avons mis en place avec eux, à travers des contrats pluriannuels de financement, ce que nous appelons ici des « partenariats opérationnels ». Ils allient la mission de pilotage stratégique par l’État à une mission de chefferie de projet partagée avec les partenaires opérationnels. Parmi ces partenaires nous comptons, à titre d’illustration, l’observatoire régional de la santé (ORS) et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), sur les questions d’observation. Sur l’éducation et la promotion de la santé-environnement, nous travaillons avec l’instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) et le réseau GRAINE. Des cabinets d’experts collaborent avec nous sur l’accompagnement à la conduite du PRSE, notamment la territorialisation et la promotion de la formation des élus que nous avons montée avec l’École des hautes études de santé publique (EHESP). Nous travaillons également avec l’antenne régionale de la Fédération nationale de lutte contre les organismes nuisibles (FREDON), la fédération ATMO et l’Union régionale des Centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE) sur la lutte contre l’ambroisie, ainsi qu’avec les agences d’urbanisme de la région sur l’urbanisme favorable à la santé. De nombreux autres acteurs, plus locaux, s’inscrivent selon la même logique dans la structuration et la mise en œuvre de notre politique régionale de santé-environnement. L’ensemble des parties prenantes de la santé environnementale est par ailleurs réuni annuellement dans une commission régionale santé-environnement.

La mobilisation des collectivités territoriales, dans toute leur diversité géographique et à tous les échelons, est indispensable. Elle constitue une condition sine qua non de réussite d’une politique destinée à faire progresser les questions de santé environnementale et à modifier les cadres de vie. L’État, en région Auvergne-Rhône-Alpes, s’est récemment doté d’une stratégie intitulée « OR sol ». Le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) a été adopté il y a quelques mois et le contrat de plan État-région (CPER), qui présente dans notre région la particularité d’intégrer le PRSE, est en cours de négociation. Nos politiques de santé environnementale, par leur transversalité et leur présence dans les territoires, s’intègrent dans ces éléments structurants.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je souhaiterais connaître les modalités selon lesquelles vous avez réalisé votre état des lieux. Comment avez-vous pu recueillir les données, à la fois épidémiologiques et environnementales, les rapprocher et en tirer des conclusions ? Je crois savoir que votre région a mené une démarche assez originale en ce sens. En effet, plutôt que de vous lancer dans une démarche générale, à l’échelle de la totalité de votre région qui est caractérisée par une grande diversité, vous avez réussi à localiser quelques opérations en faisant un rapprochement entre des bases de données très différentes et que nous n’avons pas jusqu’à maintenant les moyens de confronter à l’échelle nationale. Comment avez-vous procédé et comment, à partir de là, avez-vous réussi à mener des opérations localisées ?

M. Bruno Fabres. Le PRSE a été élaboré selon deux approches : un état des lieux régional et un outil d’appropriation de données plus locales, en cours de construction dans notre région. En ce qui concerne l’état des lieux, nous avons d’abord signé un partenariat avec deux opérateurs capables de recueillir, de synthétiser et de confronter des données. L’ORS fait ce travail sur les données de santé, et le CEREMA le fait pour les données issues du monde de l’environnement. Ils ont travaillé ensemble de sorte à lister les indicateurs les plus pertinents en termes de santé-environnement : des indicateurs de santé, des indicateurs d’environnement et des indicateurs socioéconomiques pertinents.

Le travail a consisté à réaliser des cartes à l’échelle des bassins de vie tels que les définit l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). La région est découpée en deux cents entités, qui ne sont ni les communes ni les intercommunalités ni les départements, mais des espaces intermédiaires dans lesquels nous avons présenté les indicateurs de différentes natures. Il ne s’agissait pas d’établir une relation statistique entre des indicateurs de santé et des indicateurs d’environnement, mais de donner une visibilité sur les questions de l’incidence des cancers, de la pollution de l’air, de la présence de radon, de la présence d’ambroisie, etc. De cette manière, nous avons réalisé environ quatre-vingts cartes, sur la base des données disponibles, de sorte à obtenir cette représentation. Nous sommes parvenus à la conclusion – qui va peut-être vous décevoir – que dans une région aussi vaste que la nôtre, nous déplorons des problèmes de pollution de l’air à certains endroits, des problèmes liés à la présence d’ambroisie à d’autres. Parfois, les problèmes sont généralisés, et en revanche nous avons identifié des pathologies surreprésentées dans certains territoires.

Cette initiative a servi la réflexion lors de l’élaboration du PRSE. Nous travaillons depuis quatre ans avec l’ORS et le CEREMA, et cette collaboration perdure. Nous ne sommes pas partis de rien : il existait déjà en région Rhône-Alpes un outil nommé « Balises », construit par l'ORS, qui permet de mettre à disposition, à l'échelle territoriale souhaitée, une synthèse d’indicateurs sanitaires. Ce dispositif s’adresse aux acteurs de territoire et il a été étendu au moment de la fusion Auvergne-Rhône-Alpes. Nous nous attachons à mobiliser les données environnementales de sorte à les intégrer dans cet outil, qui contient déjà des données de santé, et permettre ainsi aux territoires de disposer de données locales qui auront vocation à servir un état des lieux dans le territoire et un débat, ouvert dans la mesure où les données sont librement accessibles à tous, sur les priorités de l’action publique.

Pour la mobilisation, au sein d’un outil, de données accessibles à tous, la progression s’avère très laborieuse. En effet, si les données de santé sont relativement standardisées, les données environnementales ne le sont pas. Elles proviennent de sources très nombreuses (sols pollués, installations classées pour la protection de l’environnement, radon, pollution de l’air, qualité de l’air intérieur, eau, etc.). Ces données sont souvent issues de systèmes de surveillance de l’environnement, qui ne partagent pas toujours les mêmes objectifs. Il faut parvenir à les partager : c’est un travail de longue haleine, mais qui nous semble indispensable. En effet, en matière de santé publique, il importe de connaître la situation dans un territoire. Ce n’est pas simple pour ce qui concerne uniquement la santé, et la complexité est encore accrue lorsqu’on y ajoute l’environnement, domaine dans lequel nous ne disposons pas de données exhaustives.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La démarche est intéressante et éclairante. Elle confirme du reste que chaque région développe ses propres initiatives et qu’il n’existe aucune méthodologie proposée à l’échelle nationale, et peu d’échanges et de consolidation à l’échelle nationale.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles sont les spécificités de la santé-environnement dans votre région ? Existe-t-il des problématiques particulières de cancer, et notamment de cancer pédiatrique, ? Comment évaluez-vous l’information de la population relativement à l’enjeu de la santé environnementale ? Comment pourrions-nous renforcer la formation des professionnels de santé à ces enjeux ? En matière de santé-environnement, comment les remontées d’information se déroulent-elles ? Comment sont-elles collectées ? Disposez-vous d’outils ou avez-vous élaboré des projets de mise en place de certains outils ? Selon vous, que faudrait-il améliorer en matière de prévention de sorte à accroître l’efficacité de la politique en santé-environnement ? Quelles actions spécifiques serait-il envisageable de mener à destination des enfants et des jeunes ?

M. Marc Maisonny. S’agissant des situations éventuelles de cancers pédiatriques, à ma connaissance, nous n’avons pas été confrontés à ce type de situations, ni dans un passé récent ni aujourd’hui. Nous pouvons néanmoins évoquer d’autres situations d’agrégats à caractéristiques analogues, tels que ceux qui ont été relayés par les médias, s'agissant de l’agénésie des membres supérieurs chez des enfants. Nous avons en effet rencontré ce type de situations qui ont fait l’objet d'investigations de la part de l’Agence nationale de santé publique (SPF) au cours des deux dernières années dans le département de l’Ain. Je pense qu’il s’agit de la seule situation qui a fait l’objet d’investigations approfondies. Nous ne dispensons aucune information spécifique à la population de la région Auvergne-Rhône-Alpes, au-delà des informations de caractère national, portées et partagées avec SPF dans des démarches de prévention sous forme de marketing social.

M. Bruno Fabres. Pour ce qui concerne les remontées d’information, les signaux de santé environnementale sont des signaux de santé et émargent à notre système. Chaque ARS reçoit de la part des professionnels de santé des signalements relatifs aux situations anormales. Par ailleurs, nous disposons de systèmes environnementaux de surveillance qui génèrent des signaux d’exposition anormale à l’environnement.

L’information de fond et la montée en compétence de la population sur les enjeux de santé-environnement n’est plus un sujet de surveillance, de veille sanitaire, mais d’éducation à la santé, sur lequel nous nous sommes fortement mobilisés. Nous ne sommes pas partis de rien : depuis de nombreuses années, l’IREPS et le GRAINE menaient des réflexions conjointes sur des sujets d’éducation à la santé et à l’environnement et nous avons consolidé la démarche dans le cadre du PRSE. Cela se traduit par différentes actions, et d’abord à mettre en place des campagnes de communication sur les questions de santé-environnement dans la région. Nous avons lancé récemment ce projet, de sorte à servir une information de fond destinée à tous. Par ailleurs, nous avons construit, dans les territoires, un dispositif d’offres de formation et d’éducation en matière de santé-environnement afin de porter des actions de promotion de la santé, notamment dans les écoles, les centres sociaux, et partout où il est possible de mener des actions d’éducation. En matière de formation des professionnels de santé, notre objectif consiste à faire en sorte qu’ils deviennent des relais de prévention. Les actions d’éducation en santé, d’une manière générale, peuvent être menées à destination immédiate des populations cibles, mais il est également important de bénéficier de relais.

Nous nous attachons à structurer un programme qui s’inscrit dans la logique du projet des mille jours et qui cible des populations composées de femmes enceintes ou mères d’enfants jeunes. Nous dispensons des actions de formation des professionnels de santé de la petite enfance et des actions, déjà anciennes, de formation des professionnels de l’enfance, notamment les personnels des crèches. Ensuite, nous fournissons des outils de prévention à ces professionnels afin de leur permettre de réaliser eux-mêmes de l’éducation et de la prévention auprès de ce public. Depuis une dizaine d’années, nous menons des actions à ce sujet sur l’ensemble des territoires. Nous nous efforçons de structurer cette action de sorte à toucher les professionnels de santé de la petite enfance en collaboration avec les cinq réseaux de périnatalité implantés dans notre région qui fédèrent les maternités, les services de périnatalité des hôpitaux, et couvrent l’ensemble du champ de la petite enfance.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelles sont vos relations avec les collectivités territoriales ? De quelle manière parvenez-vous à développer une collaboration, notamment avec le conseil régional, afin de réfléchir au contenu des PRSE ? Avez-vous rencontré des difficultés dans ce cadre ? Quelles pistes de solution pourriez-vous nous proposer afin d’améliorer et de simplifier la gouvernance de la santé environnementale et le pilotage opérationnel des PRSE sur le terrain ?

M. Marc Maisonny. S’agissant des relations avec la région, ainsi que nous l’avons indiqué dans notre introduction, l’exécutif régional ne s’est absolument pas impliqué dans la construction du PRSE. Cependant, il est probable que dans le cadre de l’élaboration du CPER, le préfet sollicitera le président du conseil régional afin que les orientations du PRSE puissent prendre une place plus importante.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, en particulier les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), le lien est noué principalement au niveau territorial, grâce à l’implantation des directions départementales de l’ARS. Ces liens découlent des missions que j’ai précédemment qualifiées d’historiques. À titre d’exemple, le contrôle sanitaire de l’eau, qu’il concerne l’eau potable, les baignades, les piscines ou les eaux thermales, impose des liens importants avec les collectivités, parfois quotidiens en fonction des situations. Au-delà, nous avons effectivement engagé des processus de recherche de collaboration avec les collectivités dans le domaine de la promotion de la santé environnementale.

M. Bruno Fabres. La collaboration avec les collectivités constitue un sujet complexe. Nous essayons de les toucher par différents moyens simultanés, aucun ne suffisant à lui seul. Avec l'aide de l’École des hautes études de santé publique, nous avons conçu une formation en ligne qui vise à sensibiliser les élus à la santé environnementale de sorte qu’ils perçoivent que, dans leur activité et dans leurs missions quotidiennes, leurs actions affectent les déterminants de santé. La formation contient huit modules et une présentation de témoignages d’élus. Elle se déploie petit à petit dans la région, voire au-delà, puisque d’autres régions se sont montrées intéressées pour utiliser ce travail qui a pris une ampleur nationale. Par ailleurs, dans le cadre du PRSE, nous avons créé des outils d’éducation et d’accompagnement des collectivités. Ces outils sont destinés aux élus et aux collectivités afin qu’ils les utilisent et mènent des actions de santé environnementale dans leur territoire. Nous comptons sur la capacité d’animation territoriale de nos collègues des délégations départementales pour porter ces outils au plus près des territoires.

Le troisième moyen concerne les appels à manifestations d’intérêt (AMI). Nous ne pratiquons pas l’appel à projets, mais nous proposons aux collectivités un partenariat avec financement et cofinancement au regard de leur engagement sur la base de propositions concrètes d’action. Nous avons récemment développé deux AMI. Le premier porte sur les questions de pollution atmosphérique et de ses enjeux pour la santé, et leur prise en compte dans les PCAET. La DREAL a lancé un appel à manifestation d’intérêt auquel quatorze EPCI ont répondu favorablement et qui, pendant un an et demi, ont réfléchi à la façon d’intégrer les questions de santé-environnement dans leur PCAET. Ce travail est en cours et il sera prochainement restitué. Ce genre de dynamique permet de rentrer en contact avec les collectivités et d’initier un échange direct avec elles.

Début septembre, nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt relatif à l’éducation aux gestes barrières et, plus globalement, à l’éducation en santé-environnement, sachant qu’il existe un lien organique entre l’expérience de la crise sanitaire et les questions de santé-environnement. Une vingtaine de collectivités ont répondu favorablement à cet appel à manifestation d’intérêt et, dans les semaines et les mois à venir, des actions seront mises en place dans les territoires.

Le quatrième axe de notre action consiste à promouvoir par l’exemple les actions menées dans des territoires, à les valoriser et à les faire connaître auprès des collectivités, via la plateforme nationale « Territoire engagé pour mon environnement, ma santé », qui a la vocation de partager les actions exemplaires. Le champ de l’éducation en santé-environnement est particulièrement investi dans notre région. En collaboration avec le GRAINE, qui travaille sur le sujet de l’éducation au développement durable et à l’environnement, et l’IREPS, traditionnellement investi sur les questions d’éducation à la santé, nous avons élaboré un site Internet consacré aux questions de santé-environnement, https://ese-ara.org, qui propose des ressources pédagogiques et des méthodes de travail, des supports de formation et le partage des actions conduites.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les démarches que vous menez à l’échelle de votre région sont extrêmement intéressantes. À l’issue des auditions de plusieurs ARS, j’ai le sentiment que chaque direction régionale essaie d’identifier ses outils, sa dynamique, sa manière de fonctionner ; bref, sa méthodologie. Je m’interroge donc quant au partage à l’échelle nationale de l’ensemble de ces démarches. Quelles seraient vos suggestions pour que tout ce qui fonctionne bien dans ces différentes ARS puisse faire l’objet d’un partage et que ces tentatives de méthodologie soient testées à une échelle beaucoup plus cohérente et nationale ? En définitive, je m’interroge quant au management descendant des politiques de santé et environnement. De quelle manière pourrions-nous recroiser, recouper les démarches nationales et les démarches régionales territorialisées ? Êtes-vous satisfaits du fonctionnement actuel du dispositif ? Si vous avez identifié des pistes d’amélioration, nous vous saurions gré de les partager avec nous.

M. Marc Maisonny. Il serait excessif d’affirmer que tout fonctionne correctement. Je pense que nous partageons votre sentiment, mais c’est le résultat de l’histoire, me semble-t-il. La création des ARS, en 2010, était fondée sur le principe d’un établissement public régional dont le directeur général était nommé en Conseil des ministres et disposait d’une certaine indépendance par rapport à l’administration centrale. Dans la réalité, nous constatons que des décisions nationales ont conduit à une forme de reconcentration. Pour autant et comme vous le soulignez, Madame la Présidente, chaque ARS construit sa propre méthodologie. Nous avons la chance malgré tout, en matière de santé environnementale, de bénéficier du réseau d’échange en santé et environnement (RESE), qui a été développé avant la création des ARS, et qui est un référentiel partagé de santé-environnement interne à l’administration de la santé, mais ouvert également sur nos partenaires des collectivités, notamment aux services communaux d’hygiène et de santé. Cet outil existe depuis une vingtaine d’années et il permet la mise à disposition de processus méthodologiques en matière de santé environnementale. Il constitue une référence pour les ARS : c’est un outil de bonne facture, mais il est unique. En dehors de cet outil, nos actions reposent sur des échanges inter-ARS, non structurés, au fil de l'eau et en fonction des problématiques, qui permettent des rapprochements entre les ARS.

M. Bruno Fabres. Au-delà de cet outil interne, nous veillons à partager la production du PRSE, dans un esprit de mutualisation. Chaque région n’a pas les moyens de tout faire et, selon les dynamiques locales, elle est plus en avance ou plus investie sur certains sujets. Notre objectif consiste à ne pas réinventer ce qui existe dans une autre région, mais de s’en inspirer. En l’occurrence, nous menons deux projets importants dans un format mutualisé. Le projet de formation des élus en santé-environnement a démarré dans la région Rhône-Alpes, dans le cadre du PRSE 2, et ensuite, dans l’objectif de lui conférer une dimension nationale, il a fait l’objet d’une collaboration avec l’École des hautes études de santé publique. Dorénavant, cette formation, développée sur notre territoire, est utilisée dans d’autres régions, notamment par les régions Bourgogne-Franche-Comté et Bretagne, qui en font la promotion auprès de leurs élus.

Pour ce qui concerne l’éducation à la santé-environnement, nous bénéficions dans notre région d’une expérience ancienne qui est désormais mise à la disposition des autres régions. Nous travaillons avec la région Occitanie, très investie également dans le cadre de son PRSE sur ces questions. Le site internet que j’ai mentionné précédemment est en cours d’évolution : à l’avenir, il proposera des entrées régionales. Un outil national rencontre des difficultés à s’implanter sur des sujets comme les nôtres, parce que nous avons d’abord besoin de convaincre les acteurs locaux. Dès lors, nous mutualisons nos efforts en matière d’éducation en santé-environnement, via un site commun et un partage de l’ensemble des ressources des deux sites. Nous gagnerons en quantité de contenus importants en début d’année. L’objectif consiste à mettre à disposition et à partager les initiatives des uns et des autres en fonctionnant en réseau.

La principale amélioration à apporter résiderait dans l’animation de la politique de santé-environnement de sorte à partager ce qui est réalisé dans l’ensemble des régions, de manière exemplaire et utile à tous. D’ailleurs, la plateforme expérimentale « Territoire, Environnement et Santé » affiche cette vocation de partage et de mise en commun.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons appris beaucoup de choses extrêmement intéressantes de vos pratiques et des dynamiques lancées dans votre région. Nous avons découvert qu’il existait des démarches spontanées de partage d’expériences et de bonnes pratiques. Ces interactions interrégionales s’avéreront très bénéfiques afin de faire progresser un sujet d’autant plus complexe que les régions, telles qu’elles sont définies, présentent de multiples visages, et qu’il est de ce fait complexe de les superviser. Nous vous remercions donc pour l’ensemble des informations que vous nous avez livrées, qui nous ont permis de passer à un autre niveau d’analyse des problématiques.

L’audition s’achève à quinze heures cinquante.

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35.   Audition, ouverte à la presse, de M. le docteur Daniel Habold, directeur de la santé publique à l’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine (28 octobre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. le docteur Daniel Habold, directeur de la santé publique de l’agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle Aquitaine.

(M. Daniel Habold prête serment.)

M. le docteur Daniel Habold, directeur de la santé publique à l’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine. Je suis directeur de la santé publique et environnementale à l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Je dirige dans cette agence une grosse direction, incluant la gestion de la crise sanitaire. J’ai été médecin, clinicien praticien hospitalier pendant trente ans, conseiller prévention à Shanghai et Ottawa. Je suis également l’un de deux directeurs référents de la santé publique auprès de l’administration centrale du ministère de la santé et des solidarités.

J’ai animé l’un des groupes de travail préfigurant la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE 2) au nom des ARS, avec un collègue de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) Rhône-Alpes. J’ai également animé un groupe de travail sur le plan national santé-environnement (PNSE4) avec un collègue de la DREAL Ile-de-France. Notre direction a en outre coorganisé avec la DREAL de Bordeaux les rencontres nationales santé-environnement l’an dernier. Ces rencontres ont permis de nourrir la réflexion du groupe santé-environnement (GSE) national.

Les ARS sont des établissements publics de l’État. Elles ont été créées voici dix ans. Elles ont pour mission de mettre en œuvre la politique de santé dans les régions, d’assurer un pilotage unifié de la santé en région, de mieux répondre aux besoins de la population et d’accroître l’efficacité du système.

Nous disposons en matière de santé environnementale d’une volumineuse réglementation, assez complexe, que l’ARS fait appliquer en tant qu’autorité sanitaire. Notre ARS a une petite centaine de collaborateurs pour notre très grande région.

L’ARS rend des avis sanitaires et effectue des contrôles. Elle s’efforce aussi de traduire en actions de terrain tous les plans et stratégies nationaux, ministériels ou interministériels. Nous avons un système de veille sanitaire couplé avec Santé publique France et avec la recherche universitaire. Nous disposons aussi d’une certaine latitude pour identifier des actions probantes, expérimenter ou innover pour promouvoir des comportements favorables à la vie en bonne santé et anticiper sur les situations nouvelles et urgentes telles que par exemple les conséquences en santé environnementale de la crise sanitaire et sociale de la covid.

L’ARS Nouvelle-Aquitaine a souhaité dès sa création investir dans la santé publique et la santé environnementale. La direction de la santé publique et environnementale comprend des agents aux compétences complémentaires très exceptionnelles que je souhaite d’ailleurs saluer ici. Cette multidisciplinarité de l’ensemble des adjoints sanitaires, des techniciens sanitaires, des ingénieurs d’études sanitaires, des ingénieurs du génie sanitaire est extrêmement précieuse, même si elle est peut-être en voie de disparition. L’ARS mobilise des moyens financiers importants par un dispositif de fongibilité asymétrique et de cofinancements au service des six millions d’habitants de la région, soit la population du Danemark, de l’Autriche, de la Finlande ou de la Norvège.

Le mouvement hygiéniste a émergé au XIXe siècle. Le XXe siècle a permis de formaliser la médecine préventive et la santé publique. L’ARS Nouvelle-Aquitaine se nourrit des connaissances du passé, mais s’inscrit très clairement dans le mouvement de la santé environnementale du XXIe siècle. Cette médecine est fondée sur l’analyse des milieux physiques et psychosociaux. Ce sont en effet les deux environnements qui sont susceptibles d’affecter la vie en bonne santé de l’individu.

Cette médecine est également basée sur une dynamique d’adaptation de la promotion de la santé et de quatre préventions. Ces quatre préventions sont :

– éviter la maladie en prévention primaire ;

– dépister et surveiller en prévention secondaire ;

– réparer pour éviter les conséquences en prévention tertiaire ;

– ne pas trop en faire en prévention quaternaire : primum non nocere. Parfois par exemple, trop d’hygiène favorise des allergies.

La santé environnementale comporte quatre approches. La première est l’approche épigénétique. Elle considère les facteurs environnementaux responsables de modifications dans l’expression de nos gènes et donc susceptibles de provoquer des maladies aiguës ou chroniques, connues ou émergentes, sur l’individu lui-même ou sur sa descendance.

La seconde approche est comportementale et populationnelle : les modes d’intervention tiennent compte de la nécessité d’une véritable littératie en santé, c’est-à-dire de la capacité à comprendre les messages et à se les approprier. Une médiation est évidemment nécessaire pour faire passer ces messages.

La troisième est l’approche intégrative des déterminants de santé, des milieux favorables et de la promotion de la santé, selon la charte d’Ottawa en lien avec la démocratie en santé et selon le concept « Une seule santé » des écosystèmes en santé (One health).

La quatrième approche concerne le parcours de vie, les expositions, les co-expositions, les constituants de l’exposome et les expositions connues ou nouvelles qui doivent nous alerter. L’étude Esteban de Santé publique France sur les perturbateurs endocriniens nous a largement alertés et fait réagir pour monter en charge et mener des actions assez rapides.

L’action de l’ARS en santé environnementale ne peut s’inscrire que dans un contexte partenarial d’intelligence collective alliant les piliers du savoir, du savoir-faire, du savoir-être et du faire savoir.

La recherche fondamentale est pour nous essentielle. Elle est très riche en France avec une multitude d’agences, d’instituts très compétents rattachés à de nombreux ministères. Nous poussons la recherche clinique, que je considère comme un parent pauvre actuellement, pour avoir des remontées de terrain. Nous devons compléter la recherche par les savoir-faire de la pédagogie avec l’Éducation nationale, de l’expertise de la santé ainsi que du marketing social et politique.

La conscience écologique augmente, l’aspiration sociale est plus orientée vers l’environnement. Nous avons dans la région quatre villes-santé du programme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les conseils régionaux sont proactifs. Cet ensemble de facteurs fait que la conscience collective se constitue des savoir-être assez forts.

Enfin, il ne faut pas oublier le faire savoir : sans formation, sans transfert de connaissances aux acteurs, nous ne sommes rien. Faire passer tous ces savoirs auprès des collectivités, des parents, des citoyens fait partie de nos ambitions.

Les ARS disposent d’outils : le plan régional de santé et le plan régional de santé-environnement. En Nouvelle-Aquitaine, ce plan engage 6 millions d’euros dont l’ARS prend à sa charge 56 %. Pour la période 2017-2021, il décline 21 actions et 55 mesures : l’ARS Nouvelle-Aquitaine en pilote 33, la DREAL une quinzaine et la région une douzaine.

Nous n’avons pas élaboré ce plan seuls. Nous travaillons en coopération avec une très importante communauté de 568 acteurs, regroupés en groupement régional santé-environnement (GRSE). Parmi ces acteurs se trouvent 160 représentants des collectivités, 107 associations, 100 représentants de l’ARS et des opérateurs directs, 70 professionnels de santé, 54 entreprises, 43 représentants des services de l’État et 34 représentants d’universités, d’instituts ou établissements publics. Le panorama est donc assez large.

Les axes du PRSE sont déterminés en concertation à partir d’un diagnostic partagé et d’un baromètre en santé environnementale. Ce dernier nous a été très utile pour reprendre dans la région des actions complémentaires contenues dans plusieurs plans environnementaux sectoriels déclinés sur les territoires de tout ou partie des douze départements, en fonction des analyses de risque. Le principe est celui d’un panier dans lequel chacun vient se servir.

Pour garantir la complémentarité au niveau régional, le PRSE n’a pas abordé des sujets portés par ailleurs tels que l’amiante, la sensibilisation de travailleurs aux nanomatériaux et produits phytosanitaires qui sont portés par le plan régional santé travail (PRST), la réduction et la sortie des pesticides qui est un sujet important en Nouvelle-Aquitaine, porté par la région, le bruit des transports terrestres porté par la DREAL et la direction départementale des territoires (DDT), les eaux de loisir qui sont gérées par l’ARS. Le PNSE3 et sa déclinaison en Nouvelle-Aquitaine ont tenu compte de ces articulations complexes.

L’arrivée du PNSE4 n’améliore pas la lisibilité puisqu’il renvoie aux plans sectoriels avec une importante juxtaposition de plans. Le PNSE4 n’est pas un plan chapeau. Il a l’avantage de décliner les sujets orphelins non pris en compte par ailleurs tels que la réduction de l’exposition aux agents physiques, la qualité de l’air intérieur qui devient fondamentale avec le télétravail et la covid, l’exposition aux produits chimiques dans les objets du quotidien. Malgré tout, la clarification de l’ensemble des stratégies et la coordination des politiques publiques ne sont pas faciles.

Nous notons que certaines dynamiques n’apparaissent plus dans les plans alors qu’elles gardent tout leur sens dans notre région, notamment la promotion et l’accompagnement des plans de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau, la démocratie sanitaire en santé environnementale, les centres de référence en recherche clinique.

L’action conjointe des acteurs offre un traitement collectif qui nous semble opérationnel. Par exemple, la lutte contre l’habitat indigne associe dans un pôle départemental de lutte contre l’habitat indigne (PDLHI) les actions :

– des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) qui s’occupent de l’hébergement et du relogement à partir d’un signalement de veille sanitaire ;

– de la DDT qui améliore le parc immobilier et fait les injonctions de travaux d’office ;

– de l’ARS qui donne un avis sanitaire ;

– des conseils départementaux et de leurs travailleurs sociaux ;

– des caisses d’allocation familiale (CAF) et de la Mutualité sociale agricole (MSA) qui accompagnent financièrement les associations départementales d’information sur le logement (ADIL) et accompagnent juridiquement ;

– des maires et des conseils communaux d’hygiène et de santé.

La multiplicité des acteurs peut donc être performante dans certains domaines.

En Nouvelle-Aquitaine, nous privilégions la déclinaison locale par le biais des contrats locaux de santé (CLS). Ils couvrent actuellement plus de 85 % de la population de Nouvelle-Aquitaine. Nous incluons systématiquement dans le cahier des charges de ces contrats un volet santé-environnement. Nous l’appuyons par un cofinancement de coordinateurs pour assurer au niveau territorial la coordination des actions menées par le CLS.

Ces CLS permettent d’identifier et de faire émerger l’impact en santé de toutes les politiques menées sur le territoire : les politiques d’aménagement du territoire, de transport, de l’habitat, d’assainissement, de gestion des déchets. La richesse de ces plans se voit à travers la formalisation d’un schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET), d’un projet partenarial d’aménagement (PPA), des schémas de cohérence territoriale (SCoT), des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi).

Je vous engage à prendre plusieurs CLS de la région et à les étudier. Ainsi, le calendrier 2020 du plan du parc naturel du Médoc est exemplaire. Il a été travaillé avec l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS), l’ARS et la collectivité de façon à concevoir un calendrier amenant les bonnes pratiques auprès des personnes.

Cet ensemble est encadré par une comitologie essentiellement constituée, au-delà du comité de pilotage du PRSE, par :

– le comité d’administration régional (CAR) comprenant le préfet de région, les préfets des départements, les services régionaux de l’État et le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) ;

– une commission de coordination des politiques publiques (CCPP) comprenant des représentants de l’État, des collectivités territoriales et des organismes d’assurance maladie.

Il ne me semble pourtant pas que le pilotage à travers ces deux instances soit la meilleure méthode. Nous leur rapportons les éléments, mais l’interaction avec ces commissions ne nous amène pas à développer des actions, en tout cas moins que ce que j’ai décrit à travers les CLS. Je pense qu’aucune institution ou collectivité ne peut prétendre piloter et fédérer seule les actions, au regard de ses moyens humains d’une part et de la diversité des décideurs d’autre part. Tous n’ont pas autorité ou légitimité à décider des financements ou des décisions et cette coordination pose question.

Enfin, je souhaite présenter une initiative de notre ARS qui a été partagée avec d’autres ARS. Je laisse de côté le champ régalien pour aborder plutôt notre stratégie de prévention et de promotion de la santé dès la petite enfance. Nous avons mis en place cette stratégie depuis six ans avec l’objectif de réduire la quantité de substances toxiques dans l’environnement intérieur des femmes enceintes et des jeunes enfants. Nous avons pris comme principe de développer les aptitudes et la littératie en santé environnementale auprès de ce public.

Nous avons agi dans le cadre d’une action « Hôpitaux promoteurs de santé » avec des ateliers pédagogiques dans l’ensemble des maternités de la région Nouvelle-Aquitaine. Nous avons créé un label « Prévenir pour bien grandir » pour que les maternités et les centres de périnatalogie s’inscrivent dans une dynamique d’amélioration en santé environnementale. Cette action va de pair avec des achats responsables pour une hygiène écologique et économique à l’intérieur des établissements de santé, en commençant par les maternités pour étendre ensuite l’action aux autres services.

Pour aller au-delà du monde hospitalier, ces actions font l’objet de guides de recommandations avec en particulier le guide Reco-crèche, d’un spectacle vivant « Les Parents Thèses » qui a été primé par le ministère de l’environnement ainsi que de conférences métiers auprès des collectivités locales, des protections maternelles et infantiles (PMI) et des CLS. Après évaluation, cette action innovante a été jugée probante.

Nous souhaitons maintenant élargir les tranches d’âges concernées pour aller sur la tranche 0-25 ans au lieu de la petite enfance et inventer un carnet de santé environnementale, en lien avec les professionnels de santé de premier recours. Nos unions régionales des professionnels de santé (URPS) sont très dynamiques et font le bilan exposomal des personnes à travers un outil nommé MedPrev’ que nous finançons. Nous devons encore encourager cette action, l’élargir aux thématiques des déterminants de santé au sens large. Ceci constitue une action très forte qui ramène un nombreux public vers la santé environnementale.

Nous souhaitons aussi promouvoir les plans de gestion et de sécurité sanitaire de l’eau (PGSSE). L’objectif est de transférer des compétences en prévention des risques auprès des personnes responsables de la production et de la distribution de l’eau (PRPDE) et de sensibiliser aux agents qui ne sont pas habituellement recherchés dans l’eau. Nous en faisons actuellement l’expérience avec le covid, mais c’est également valable pour les résidus hormonaux et les perturbateurs endocriniens.

Nous mettons des moyens à travers des ambassadeurs chargés de former les opérateurs avec le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l’office de l’eau. Il s’agit de transférer ces compétences et de faire faire parce que nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes. Nous évaluerons les résultats par rapport à des cibles prédéterminées, la première de ces cibles étant que chacun de nos départementaux ait au moins un PGSSE. Nous en avons actuellement 34.

Les études d’impact en santé (EIS) sont le troisième élément à promouvoir. C’est un outil fondamental pour déployer une action et l’objectif 8 du PRSE est d’introduire dans chaque planification d’aménagement un outil d’étude d’impact en santé identifiant toute modification environnementale, physique ou psychosociale. Il s’agit aussi de développer les compétences et la littératie en santé des services de l’État pour que les collectivités locales et les métiers s’approprient bien la problématique de la santé environnementale. La formation initiale ou continue dans ce domaine est souvent insuffisante.

Nous utilisons pour développer ces EIS le programme « Collectivités mobilisées pour le développement des évaluations d’impact sur la santé » (COMODEIS). Une partie de l’IREPS Nouvelle-Aquitaine est missionnée et financée par l’ARS pour ce faire et la mission sera ensuite évaluée.

Nous développons également l’observatoire régional en santé environnementale (ORSE) qui est une extrapolation de notre ORS et qui existait déjà dans le Limousin depuis 2014. C’est un projet de démocratie sanitaire qui répond à une demande populationnelle confortée par le rapport du PNSE3. Il s’agit de proposer un espace participatif de concertation et de médiation à partir du partage des savoirs : vérifier les données valides pour transposer la problématique sur un territoire et évaluer les moyens que nous pourrions y consacrer ensemble.

Cet ORSE est organisé en séances régionales ou locales puisqu’il existe une déclinaison locale de l’observatoire régional. Les thématiques de cette année étaient :

– le réchauffement climatique et la santé en Nouvelle-Aquitaine, ce qui inclut évidemment la prévention des maladies vectorielles et le problème du moustique tigre ;

– l’environnement intérieur en santé ;

– les pesticides en santé.

Nous faisons le point sur ces thématiques dans le cadre de l’ORSE pour pouvoir échanger et faire de la médiation avec la population.

Nous portons également à bout de bras le projet ARTEMIS que j’aimerais voir avancer alors que nous butons dessus depuis trois ans au plan national. Il s’agit d’un centre expert référent régional en prévention et reproduction. C’est un projet de recherche clinique avec un cofinancement initial par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Santé publique France (SPF) et l’ARS. Il nous a permis de disposer d’une équipe de professionnels de santé et de recherche clinique en santé environnementale au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux. Elle est adossée à une plateforme faisant rapport des connaissances, à un entrepôt de données et à un diplôme universitaire (DU) en santé environnementale porté par les universités de Poitiers, Bordeaux et l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED). Nous avons en effet la chance d’avoir un tissu universitaire particulièrement riche en Nouvelle-Aquitaine, notamment à Bordeaux.

Ces consultations de médecine du travail ou sur les reprotoxiques permettent de disposer d’un centre expert référent et d’identifier, à chaque fois qu’une anomalie survient, le lieu où nous pouvons l’analyser et acquérir les données. Ces centres experts référents pourraient être au nombre de quatre ou cinq en France, mais seul le nôtre tient encore sous perfusion financière du fonds d’intervention régional (FIR) et de l’ARS. Il me semble qu’il a toute sa place dans cette recherche en santé environnementale.

Le service sanitaire qu’effectuent les étudiants durant le cursus des études médicales d’infirmière, sage-femme, médecin, pharmacien, kinésithérapeute, dentiste permet la tenue d’une action de prévention primaire ou secondaire auprès d’établissements scolaires ou autres. Nous avons pris sur nous d’étendre les sujets de prévention primaire à la santé environnementale et nous sommes la seule ARS à l’avoir fait. Nous nous adossons à la stratégie petite enfance et à des données probantes non discutables pour ne pas mettre en difficulté les étudiants en santé. Ils apprennent à être des préventeurs et font en même temps passer des messages.

Nous venons aussi de mettre en place un groupe d’analyse des conséquences environnementales de la crise covid. L’objectif est d’identifier rapidement la dégradation de certains déterminants de santé, des expositions anormales à travers les emballages plastiques, les désinfectants, les masques, le télétravail inadapté dans le bruit. L’idée est également de définir des priorités avec l’aide des sciences sociales et de la philosophie. Je crois que nous avons besoin d’élargir notre champ à la vie. Nous avons un groupe de travail réunissant l’université, l’ISPED, l’ARS et des conseillers en environnement intérieur.

J’identifie un premier lot de points forts en santé environnementale constituant autant de points faibles : le grand nombre d’acteurs, le grand nombre de plans nationaux, régionaux et infrarégionaux. Cette foison d’acteurs et de plans en fait la richesse et la faiblesse par les coordinations et les articulations acrobatiques qu’elle nécessite. Le rapport sur le PNSE3 en faisait largement état.

Côté points faibles, l’absence de référentiel partagé des connaissances en santé environnementale reste un frein. Ce référentiel est actuellement morcelé et il devra apparaître beaucoup plus clairement.

Nous n’avons pas un appui suffisamment fort de Santé publique France qui a la mission de prioriser les expositions et les actions. Certaines actions sont plus importantes à traiter que d’autres et les priorisations ne sont pas assez lisibles. Nous n’avons pas assez de recherches cliniques et peu d’études prospectives.

Le portail de mise en commun des bonnes pratiques n’existe pas. Les informations passent actuellement d’ARS en ARS lors de discussions entre les responsables sur leurs actions respectives. Ces mises en commun de bonnes pratiques, pas seulement entre les ARS, mais entre tous les acteurs, n’existent pas et les formations initiales et continues sont insuffisantes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre présentation est assez impressionnante et je sais combien cette ARS est particulièrement dynamique en matière de santé environnementale. J’ai noté que vous avez une performance remarquable en ce qui concerne les contrats locaux de santé puisque vous couvrez 85 % de la population.

Quelle est votre perception de la gouvernance de la santé environnementale en France ? Vous avez participé aux travaux de réflexion de la SNPE et du PNSE4. Vous connaissez bien ces documents cadres et les critiques formulées sur le PNSE3. J’aimerais que vous précisiez les points forts et les points faibles en ciblant sur le projet de PNSE4.

Quelle serait la réponse sur le terrain à ce problème de coordination entre les plans sectoriels, les priorités identifiées localement et le chapeautage par le PNSE 4 ?

M. Daniel Habold. Je ne suis directeur de la santé publique et environnementale que depuis trois ans. J’ai mis presque deux ans à comprendre les contours en santé-environnement de tous les axes existants ce qui n’est pas gage d’efficacité ou de lisibilité !

Il me semble que nous n’avons pas un orchestre de chambre, mais un orchestre philharmonique. En tout cas, tous les musiciens sont présents. Peut-être manque-t-il une partition, au lieu de plusieurs partitions, et un chef d’orchestre. Nous pourrions aussi avoir plusieurs chefs d’orchestre à différents étages.

Il me semble difficile de confier la santé environnementale à seulement deux ministères pilotes car chacun des ministères a sa part. Je pense par exemple au parcours éducatif de santé de l’éducation nationale qui est difficile à connecter au travail des deux ministères. C’est également vrai pour l’armée, pour l’agriculture. Une coordination interministérielle au plus haut niveau aurait sa place. Un GSE pourrait s’en charger, mais il me semble que le contrôle politique d’une planification doit intégrer l’ensemble des ministères car il est impossible de parler de transports par exemple sans parler de l’impact en santé.

Nous devons aussi trouver un pilote au niveau des territoires qui ait autorité sur une planification. Le PRSE est un outil qui nous aide, mais nous pouvons le voir comme un outil minimaliste, le concevoir de façon moins ambitieuse. Le PRSE peut ne pas décliner la totalité des champs du niveau national.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Dans votre région, une spécificité est identifiée à Saint-Rogatien. Elle concerne des cas de cancers pédiatriques. Comment appréhendez-vous ces faits ? En ce qui concerne le PNSE4, comment améliorer la qualité des bases de données et des sources ?

M. Daniel Habold. Ces dernières années, nous avons eu très peu de signalements de cas groupés, de grappes anormales notamment de myéloblastomes ou d’anomalies cancéreuses sur le jeune enfant. En tant que médecin, je pense qu’il est très important d’étudier les cas de cancers chez le jeune enfant parce que l’apparition des lésions liées à l’environnement peut être très tardive dans la vie. Nous avons là un espace-temps plus réduit, de l’ordre d’une dizaine d’années depuis les expositions.

Pour qu’un signalement d’anomalie statistique puisse avoir lieu, il faut d’abord que le signalement à travers les registres existe et que nous nous intéressions collectivement à la situation. Nous avons la chance de travailler en Nouvelle-Aquitaine avec une cellule régionale SPF particulièrement engagée à nos côtés. Elle a une longue expérience des impacts environnementaux, en particulier sur la santé des enfants, et dispose des données statistiques nécessaires pour dire s’il existe réellement un écart significatif lors de l’apparition d’un agrégat de cas. Elle est de plus neutre et nous lui confions très rapidement l’étude.

La concertation s’établit donc d’abord avec la collectivité territoriale où se passe l’événement, les familles qui sont très riches d’enseignements sur cet événement et Santé publique France, ce qui nous permet de faire ensuite une étude environnementale très ciblée. À Saint-Rogatien, comme à Sainte-Pazanne, les mesures n’ont pas permis de montrer un lien entre les données statistiques et environnementales, avec toutes les difficultés de mesure de l’évolution des produits qui ont été utilisés, notamment l’utilisation historique de certains pesticides. La traçabilité de l’exposition est compliquée. Nous avons fait plusieurs concertations avec les familles et la commune pour chercher « dans tous les coins » puisqu’il existe plusieurs usines, une voie routière, une ligne électrique à haute tension. Tous ces axes ont été étudiés pour voir si une explication pouvait émerger, mais, à Saint-Rogatien, nous n’avons pour l’instant rien mis en évidence. Nous ne nous arrêtons malgré tout pas là. Nous poursuivons une étude étendue à des environnements identiques.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous avez parlé des cas de cancers à Sainte-Pazanne. Comment avez-vous travaillé avec le comité de suivi de l’ARS des Pays de la Loire, notamment en ce qui concerne les transmissions d’informations, les expériences communiquées entre les différentes instances de l’ARS ?

M. Daniel Habold. Ces questions font l’objet d’échanges, notamment au travers du comité technique des directeurs de santé publique. Nous nous interrogeons les uns les autres pour savoir si d’autres ont le même genre de phénomène. Nous faisons un échange de pratiques entre pairs pour savoir comment aborder le problème, comment le prendre à temps. Nous n’avons pas de recette miracle. L’association de la population et de la collectivité est une des difficultés. Il faut éviter de nous accuser les uns les autres et aborder la question d’un point de vue scientifique.

Le cas de Sainte-Pazanne m’a intéressé particulièrement. J’ai interrogé le directeur de la santé publique de Nantes pour essayer d’identifier s’il existait des liens et s’il y avait lieu, par le registre des cancers ou par d’autres éléments, de rattacher les événements de Sainte-Pazanne et Saint-Rogatien, d’une part sur la forme et d’autre part sur le fond.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. En ce qui concerne les questions d’organisation, la véritable difficulté que vous rencontrez est la coordination entre les différents acteurs. Vous nous avez parlé de 568 participants au GRSE. Comment arrivez-vous à assurer le pilotage d’autant de participants et à être efficace ? Quelles sont les limites de la démocratie participative ? Comment faire participer la société civile, le monde des associations et être efficace, ne pas tomber dans des difficultés de coordination entre les acteurs ?

M. Daniel Habold. Nous réunissons les acteurs au moins une fois par an. Avec l’organisation des journées nationales de la santé environnementale, nous avons eu l’occasion de relancer la consultation sur le PRSE en demandant aux acteurs quels étaient, aujourd’hui, nos sujets d’actualité. Nous avons chargé trois agents à temps plein d’assurer le recensement des besoins, des idées et de faire émerger l’intelligence collective, mais aussi les défauts des uns et des autres qui prennent parfois beaucoup d’espace dans les discussions.

Cette association d’acteurs est intéressante car elle nécessite une synthèse des propositions émergentes, limitée par le temps que nous pouvons consacrer à la consultation. Le mot-clé est peut-être la confiance. De nombreux acteurs sont associés, de façon très large de la même façon qu’au GSE. J’ai beaucoup aimé animer les groupes techniques du fait de la présence d’entités dont les intérêts ne convergeaient pas. Nous arrivions pourtant à en sortir un résultat intéressant. Cela demande simplement beaucoup de temps et d’implication.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Des ressources humaines sont également nécessaires puisque trois agents à plein temps se consacrent à ce travail au niveau de l’ARS.

M. Daniel Habold. Trois agents ont travaillé à temps plein sur ce sujet, mais il n’en reste qu’un et, avec la crise du covid, il n’en reste même aucun, mais c’est temporaire. Cela pénalise malgré tout d’autant plus que nos services sont en très forte diminution actuellement. Je ne suis pas certain que nous puissions continuer à consacrer autant de temps à cette concertation.

S’agissant du PNSE4, il faut assurer la mise à niveau des connaissances de l’Anses, de Santé publique France, des différentes agences et la création d’un thésaurus de connaissances en l’état actuel de la science. Le problème se pose de la même façon que pour les perturbateurs endocriniens avec ces incertitudes sur les substances qui sont vraiment perturbatrices ou non, avec des dimensions européennes, nationales voire régionales. Il faut arrêter une posture à un certain moment et établir la liste des produits dont l’effet est actuellement prouvé pour sortir des débats. Nous pourrons, sur cette base, travailler collectivement au moins sur ce qui est certain sinon les idées sont remises en cause en permanence.

Il me semble qu’il faut vraiment que nous disposions d’un thésaurus. Il permettra également de décliner les formations, initiales et continues, les connaissances à diffuser. Comme je le disais, la littératie en santé est assez faible en France et il n’est pas bon de s’approprier des données alors qu’elles sont discutées en permanence. Disposer de données validées, y compris par des gens parfois un peu mis en cause, permettrait d’avancer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie d’avoir présenté les actions de votre ARS et vos suggestions d’amélioration des politiques publiques nationales et territoriales.

L’audition s’achève à seize heures quarante-cinq.

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36.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Bodreau, président, et de Mme Michelle Bureau, rapporteure générale à l’évaluation des politiques publiques, du Conseil économique, social et environnemental des Pays de la Loire (28 octobre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous auditionnons M. Jacques Bodreau, président, et Mme Michelle Bureau, rapporteure générale à l’évaluation des politiques publiques, du conseil économique, social et environnemental régional (CESER) des Pays de la Loire.

Dans chaque région, le CESER, assemblée consultative, a pour mission d’informer le conseil régional sur les enjeux et les conséquences économiques, sociales et environnementales des politiques régionales. Le CESER participe également aux consultations organisées à l’échelle régionale et contribue à l’évaluation et au suivi des politiques publiques régionales.

Comment le CESER des Pays de la Loire marque-t-il son attention aux questions de santé environnementale ? Participe-t-il aux travaux préparatoires du plan régional santé-environnement (PRSE) ? Évalue-t-il la mise en œuvre de ce plan ? Quels traits spécifiques de la région ont un impact sur les questions de santé environnementale ?

(M. Jacques Bodreau et Mme Michelle Bureau prêtent serment.)

M. Jacques Bodreau, président du CESER des Pays de la Loire. Nous remercions cette commission de recevoir le CESER car ce n’est pas si habituel.

Les CESER ont un rôle particulièrement sensible en ce qui concerne l’éclairage des politiques publiques régionales. Notre intervention sera liée au cadre de notre territoire et à l’expérience que nous avons de celui-ci. Ce que nous dirons, par définition, n’engage pas les autres CESER qui peuvent avoir des visions différentes dans leur propre territoire.

Les CESER sont la représentation institutionnelle des corps intermédiaires. Dans le CESER des Pays de Loire sont représentées 62 organisations. Nous avons des représentants d’organisations professionnelles : syndicats professionnels, chambres consulaires… Les organisations syndicales y sont toutes représentées. Les associations des domaines de la solidarité et de l’éducation sont également présentes, ainsi que des représentants de la recherche, des pôles de compétences, de l’université…

Nous embrassons ainsi au sein des CESER l’ensemble de la société civile organisée. Il est donc intéressant que leur avis soit porté à la représentation nationale et nous nous félicitons de l’audition d’aujourd’hui.

La loi demande aux CESER un avis sur les politiques publiques régionales. Il demande également à chaque CESER, soit par saisine du président ou de la présidente du conseil régional soit par auto-saisine, de faire des propositions sur des politiques publiques régionales, propositions que nous appelons des contributions.

Notre premier constat est que nous n’avons au sein de notre CESER jamais été saisis du plan régional santé-environnement. Notre compréhension est donc aujourd’hui que le plan régional santé-environnement est une politique de l’État en région, mais n’est pas une politique régionale. Nous tenions à le souligner d’emblée.

Notre deuxième constat est que nos contributions portent sur des politiques publiques régionales qui, la plupart du temps, et c’est un euphémisme, se travaillent en « silos ». Elles concernent des thématiques précises telles que la transition énergétique, les transports ou le numérique. Or, la santé environnementale est probablement le domaine dans lequel la transversalité est la plus significative. La structuration même des politiques fait donc que nous ne pouvons aujourd’hui pas donner des avis sur la santé environnementale.

En tant que CESER des Pays de la Loire, nous avons toutefois pris l’initiative d’aborder des préoccupations de santé environnementale à travers des saisines ou des autosaisines. Nous avons donc eu une réflexion plus transversale dont voici quelques exemples.

Mme Michelle Bureau, rapporteure générale à l’évaluation des politiques publiques du CESER des Pays de la Loire. Une grande partie de nos travaux traite de questions de santé environnementale, mais de façon indirecte.

Ainsi, nous sommes récemment intervenus sur le plan alimentation santé après une saisine du conseil régional. Nous avons produit des travaux sur l’eau dans lesquels ne se trouvent ni référence au plan régional santé-environnement ni les termes de santé environnementale ou santé-environnement bien que le lien existe.

Nous avons aussi conduit des travaux sur saisine du conseil régional dans le cadre de « Ma région 2050 » et nous avons réalisé une auto-saisine sur « Vivre en Pays de la Loire en 2050 ». La santé et l’environnement y sont particulièrement traités, ainsi que les questions de bien vivre et bien vieillir dans la région puisque les éléments démographiques montrent que la région vieillit et accueille une population de plus en plus vieillissante. Ces deux travaux constituent un exercice de prospective dont les questions auraient pu être posées à travers le plan régional santé-environnement, mais cela n’a pas été fait.

Nous travaillons actuellement sur auto-saisine en ce qui concerne les travaux de rénovation des logements et la rénovation énergétique des bâtiments du tertiaire tels que les équipements scolaires, les équipements publics. Dans la note de cadrage des travaux sur la rénovation du tertiaire, nous avons évoqué le fait que les aménagements financés avec des aides du conseil régional puissent donner lieu à une contrepartie sous forme d’information sur les questions de prévention en santé à l’intérieur des équipements ayant reçu une aide. En effet, les mesures de rénovation portent sur le bâti, mais la façon dont les usagers vivront à l’intérieur et l’influence en termes de santé ne sont pas traitées. La conditionnalité de l’aide permet d’aborder ces aspects de façon un peu différente.

Le CESER est organisé en commissions. La commission 2 porte sur la santé sociale et a choisi de conduire des travaux sur les déterminants sociaux de santé. Quels sont-ils et comment leur connaissance pourrait-elle servir à l’élaboration des politiques publiques ? La commission 1 consacrée aux finances et à la prospective travaille sur les mutations environnementales, sociales et sociétales, politiques et technologiques. Nous venons de démarrer des travaux sur les mutations qui concernent les questions de santé, posées en tant que telles, alors que nous avions plutôt commencé par des questions d’environnement, de politique sociale ou sociétale. Nous avons jugé que la situation évolue en termes de santé et qu’il faut l’étudier de plus près.

Les travaux terminés et votés par le CESER se trouvent déjà sur notre site. Les autres y seront dès qu’ils seront terminés.

Les politiques publiques sont en « silos », tandis que les questions de santé environnementale sont transversales et nous avons du mal à les traiter de cette dernière façon. Par ailleurs, elles concernent tous les niveaux de collectivités territoriales ce qui pose un véritable problème. Dans nos travaux, nous avons souvent mis en avant le couple constitué du conseil régional et d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), notamment à travers les contrats régionaux qui sont signés. Sans doute faut-il regarder comment les départements peuvent prendre leur part de ces thématiques et voir quelles sont les articulations possibles avec les collectivités locales.

Nous constatons aussi un besoin de clarification. La gouvernance doit sans doute être revisitée. Ainsi, le plan régional santé-environnement n’est pas parvenu jusqu’à nous. Il existe certes, mais la façon dont il est piloté, arbitré est plus diffuse. Il faudrait permettre aux acteurs de voir la place qu’ils peuvent prendre et le rôle qu’ils peuvent jouer à travers les actions qu’ils conduisent. C’est actuellement relativement opaque. Par exemple, des acteurs conduisent des actions de prévention dans le domaine de l’éducation, de la jeunesse, mais ce n’est pas du tout inscrit dans le projet. Ils le font parce qu’ils se sentent concernés par ces préoccupations, mais le fait que ces actions ne soient pas raccordées au plan général leur fait perdre de l’efficience.

La lisibilité par les populations du lien entre environnement et santé est insuffisante comme nous l’avons vu dans nos travaux sur l’eau, sur les déterminants sociaux, sur les rénovations énergétiques. Le lien n’est pas forcément et systématiquement fait. Le fait qu’agir sur ces registres a des conséquences sur les questions de santé est peu mis en avant. L’axe 5 du PRSE 3, consacré à la transversalité, permettrait de mieux comprendre la nature des difficultés rencontrées. Les données sont aujourd’hui relativement éparses et il reste d’importants points d’amélioration.

La santé n’est pas qu’une question de soin, mais aussi de prévention personnelle et collective. Cette dimension, qui suppose de l’anticipation, n’est actuellement pas suffisamment travaillée de notre point de vue. Changer les pratiques nécessite du temps et il faudra sans doute plusieurs générations pour parvenir à réellement anticiper. Des registres d’intervention comme la communication, le partage d’informations, l’éducation sont nécessaires pour aller vers le changement de ces pratiques.

M. Jacques Bodreau. Nos trois préconisations sont la prévention, la proximité et l’évaluation.

Je ne reviens pas sur la prévention dont Michelle Bureau vient de parler. J’insiste toutefois sur le fait que de multiples acteurs interviennent dans la prévention et qu’elle ne consiste pas uniquement en la sensibilisation et en la prise de connaissance, qu’elle ne concerne pas uniquement les sachants.

Nous regrettons, à notre niveau, que le PRSE ne soit pas descendu jusqu’au CESER. Cela aurait permis aux 62 organisations représentant la société civile organisée de s’emparer du sujet. En termes de pédagogie, d’accélération de la connaissance et de mobilisation, ces organisations auraient pu être des vecteurs contribuant à imaginer une politique plus ambitieuse de prévention.

En ce qui concerne la proximité, nous nous demandons si ce plan régional santé-environnement ne doit pas être plus contractualisé entre l’État et la région et devenir plus clair en ce qui concerne la responsabilité des uns et des autres. Nous croyons fortement, depuis quelque temps déjà, à la région stratège. Nous considérons d’ailleurs que l’épisode de la covid a bien fait valoir la nécessité de la relation État-région comme relation fondamentale de politique publique et de capacité à œuvrer sur le terrain.

Nous considérons que cette capacité de stratège de la région est le maillon le plus décisif pour avoir un plan régional santé-environnement plus ambitieux et, surtout, plus efficace dans les territoires. La région est capable d’imaginer des partenariats, elle y est habituée. Ce peuvent être des partenariats avec les métropoles, avec les EPCI, avec les départements… La proximité dépend souvent de la qualité de ces partenariats et la région est probablement le maillon le plus essentiel pour pouvoir le faire. Il est plus complexe pour l’État de définir ou de mettre en œuvre de tels partenariats.

L’évaluation est un élément important. Tous les CESER sont censés concourir à l’évaluation des politiques publiques. Je pense pouvoir dire qu’en France, l’évaluation des politiques publiques est un peu l’absent perpétuel de la discussion sur ces politiques.

Les CESER ont collectivement produit, voici trois ou quatre ans, un livre blanc sur l’évaluation dont Michelle Bureau a été l’une des contributrices les plus importantes. Le premier objectif était que nous puissions nous-mêmes nous approprier la culture de l’évaluation et le second que nous portions une voix vis-à-vis de nos conseils régionaux en disant que nous étions capables d’évaluer avec eux les politiques publiques.

Lorsque j’essaie, avec mes collègues présidents, de faire le panorama de ce qu’il se passe dans les régions françaises, force est de constater que nous avons peu avancé quant à l’évaluation des politiques publiques. Les raisons sont diverses, nous pourrons y revenir. Il nous semble que les politiques qui touchent à la santé-environnement sont probablement de celles qui se prêtent le mieux à l’expérimentation sur l’évaluation, du fait même qu’elles sont transversales donc avec de multiples acteurs et touchant de multiples politiques. Il faut toutefois que cette évaluation soit définie dès le départ de la politique régionale parce que l’évaluation ne peut pas être faite si les objectifs, les paramètres et les éléments de comparaison n’ont pas été prévus à l’origine.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie, monsieur le président, pour cette présentation très ciblée sur votre région et, en même temps, élargie à l’ensemble des CESER pour les problématiques d’évaluation.

Ma première question portera sur le positionnement des CESER dans les politiques publiques, au-delà des politiques de santé environnementale. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait organisé la Convention citoyenne pour le climat et nous avons bien vu une volonté affichée de positionner davantage le CESE et les CESER sur les questions de santé environnementale. Je crois savoir que le CESE en est encore à peine à créer une commission spéciale santé-environnement.

Je vous entends dire que vous n’avez pas été associé au PRSE de votre région ; j’entends votre frustration et votre déception, mais je me dis que le CESE n’avait jusqu’à présent pas beaucoup « bougé » non plus sur cette question. Que vous vous mobilisiez, que vous vous sentiez particulièrement concerné et ayez des revendications est bien, mais je ne suis pas certaine que ce soit une volonté partagée. Peut-être est-elle encore en train de se préciser dans les CESER. La future réforme du CESE prévoit justement de positionner CESE et CESER sur ces questions. Je voudrais avoir votre sentiment à ce sujet.

En ce qui concerne l’évaluation des politiques publiques, je partage votre frustration en tant que parlementaire. L’évaluation relève normalement de nos missions de parlementaires et cela manque terriblement dans la gouvernance de notre pays.

M. Jacques Bodreau. Le CESE est une institution nationale, communément appelée la troisième chambre. Il a notamment vocation à être l’interlocuteur de l’Assemblée nationale et du Sénat en ce qui concerne les futurs projets de loi ou à partir de réflexions sur lesquelles vous pouvez le questionner, le cas échéant. Il n’existe pas de relation fonctionnelle entre le CESE et les CESER. Il existe une relation positive par des échanges d’informations, des réflexions parfois communes. Nous pouvons avoir des réflexions en région que nous faisons remonter au niveau national, mais les CESE et les CESER sont des structures totalement indépendantes. Le CESE participe au fait national, les CESER au fait régional. Or, la politique de santé n’est pas une politique régionale et les CESER n’avaient donc pas de légitimité à aborder des questions de santé. Il n’existait pas de budget spécifique à la santé dans les régions, même si cela a évolué. Depuis trois ou quatre ans, les conseils régionaux ont été amenés à prendre position sur la politique de santé, en particulier sur la désertification médicale. Certains diront que c’est parce que l’État n’était pas au rendez-vous, d’autres parce que la situation était tellement complexe qu’il fallait que les conseils régionaux prennent leur part. Dans le cas de la désertification médicale, la région stratège a pris des positions budgétaires ou a créé des boîtes à outils à disposition des collectivités locales, notamment des EPCI.

Deux accélérations se produisent, me semble-t-il. La première est liée au fait que la population interroge les élus de proximité. Nos concitoyens ne se préoccupent pas de savoir quel est l’étage décisionnaire ou l’étage responsable du budget, d’autant plus que le sujet est complexe et que nous-mêmes sommes parfois un peu perdus. Nos concitoyens interrogent leurs élus de proximité et, en particulier, les élus régionaux. De facto, les élus régionaux sont parfois obligés de rendre des comptes sur des préoccupations de santé dont ils ne sont logiquement pas les responsables politiques. Le phénomène s’est accéléré avec la pandémie, ce qui a amené l’Association des régions de France à prendre une position collective en demandant à l’État une participation plus importante des régions dans la politique de santé.

Parallèlement, comme le CESER est représentatif des corps intermédiaires, les corps intermédiaires de notre assemblée sont eux-mêmes interpellés par leurs mandants sur les problèmes de santé, notamment sur la santé au travail, sur la logique entre université, centre hospitalier universitaire (CHU), hôpitaux… Un certain nombre de questions se posent, surgissent dans les organisations et arrivent aux CESER.

Même si la santé n’est pas une politique régionale, elle est devenue régulièrement un objet de discussion, de réflexions voire de propositions au sein des régions, donc des CESER. D’ailleurs, si nous étions venus ici voici trois ans, nous n’aurions certainement pas fait état du même nombre de travaux qu’aujourd’hui. La progression a été très rapide en trois ans.

Enfin, il est difficile d’amener les élus à s’inscrire dans une logique d’évaluation. Tout d’abord, la portée véritable de l’évaluation est méconnue. Les élus entendent souvent « jugement » lorsque nous parlons d’évaluation alors qu’il ne s’agit pas de cela. Il existe donc des réticences.

Nous avons commencé des expérimentations en Pays de la Loire, dont une concerne l’apprentissage. La covid a malheureusement interrompu ces travaux. Nous avons à mettre en œuvre des politiques relatives au couple santé-environnement et parfois des politiques connexes comme le logement. Cette situation, dans des frontières qui ne sont pas figées nous paraît particulièrement adaptée à des expérimentations en ce qui concerne l’évaluation. Les CESER ont travaillé ensemble et nous avons pris des positions très claires collectivement sur l’évaluation : nous sommes prêts à nous y investir.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous êtes une mine d’informations et, malheureusement, cela ne se sait pas ! Votre CESER n’a pas de commission spécifique santé-environnement. Peut-être serait-il utile d’en créer une, d’autant plus que nous vivons une situation très particulière en ce moment qui ne peut que motiver la création de ce type de commission.

Les sujets de santé-environnement sont nombreux dans les Pays de la Loire : des maladies chroniques, un taux élevé de cancers dans certains départements, des foyers de cancers pédiatriques. Vous n’avez pas été amenés à contribuer sur ces sujets, mais il aurait certainement été intéressant que vous fassiez des propositions. Quels axes d’améliorations pourriez-vous proposer ?

Comment évaluez-vous l’information de la population sur l’enjeu de la santé environnementale ? C’est une question très importante. Comment renforcer la formation des professionnels de santé ?

Vous avez parlé de santé-environnement dans les situations locales. Avez-vous la possibilité de collecter des données, des informations ? Comment pouvez-vous les partager ?

Des actions pourraient-elles selon vous être conduites à destination des enfants, des jeunes pour améliorer l’évaluation des politiques publiques et la formation ?

Mme Michelle Bureau. L’organisation du CESER et les moyens dont il dispose ne permettent pas de collecter directement des données. C’est un vrai problème pour l’évaluation.

Nous avons fait voici quatre ans des travaux d’évaluation sur le pacte 15-30, un pacte à destination de la jeunesse avec plusieurs volets. Lorsque nous avons voulu faire les travaux d’évaluation, nous avons constaté que les objectifs donnés à ce pacte étaient trop vastes et trop vagues, trop « politiques » et n’étaient pas opérationnalisés. De ce fait, ils étaient difficiles à évaluer. Dans beaucoup de politiques publiques se pose cette question d’avoir des actions mesurables en plus des ambitions politiques.

Par ailleurs, il faut organiser les données pour permettre une véritable évaluation. Par exemple, il n’existait pas de données dans la région permettant de connaître par département le nombre de jeunes filles ou de jeunes hommes qui avaient utilisé les éléments du pacte. Nous connaissions le nombre total de personnes ayant utilisé le pacte dans la région tout entière, mais pas par tranches d’âge, par département, selon l’appartenance à une zone rurale ou une métropole… Si le recueil de ces données n’est pas pensé dès le départ, il est extrêmement compliqué de faire une évaluation, voire impossible.

La formation des professionnels de santé est une compétence du conseil régional. Je ne sais pas si le fait d’introduire ces questions dans leur formation fait partie des marchés. Il faudrait que nous regardions si, lorsque les marchés sont publiés, un volet obligatoire sur le lien entre santé et environnement est prévu dans les formations. C’est une bonne question et ce pourrait être un élément de prévention important.

Où pouvons-nous agir ? Le conseil régional possède la compétence en ce qui concerne les lycées. Dans les lycées existent des maisons des lycéens. Faire en sorte que, dans chaque établissement, un volet de prévention sur la santé et l’environnement soit systématiquement organisé mettrait chaque jeune lycéen au moins en contact avec cette approche de la santé. Il ne s’agit finalement pas de se soigner, mais de se protéger avant d’être malade. Je pense que de vraies actions sont possibles à la frontière entre l’Éducation nationale et le hors scolaire, pas forcément sur le temps de cours, mais par des débats, des conférences, des expositions, des échanges de pratiques, de la connaissance de l’environnement…

Je n’ai personnellement pas de proposition en ce qui concerne les maladies chroniques ou les cancers pédiatriques. Nous pourrons vous envoyer des documents ultérieurement car nous avons parmi nos conseillers des personnes capables de couvrir ces questions de façon assez précise, par exemple une personne représentante du CHU à travers son organisation syndicale.

Je reviens sur la convention citoyenne et les questions connexes. Nous fonctionnons par des auditions sur le terrain et nous travaillons également à travers la communication de nos études de façon à ce que chacun des conseillers puisse relayer au sein de son organisation l’ensemble des informations que nous produisons. Nous avons donc sur le territoire régional un impact relativement conséquent. Les données objectives pour le dire sont certes insuffisantes, mais nous avons pensé notre communication ainsi, en inversant finalement le fonctionnement des conventions citoyennes sur le climat : nous irriguons à partir de nos travaux la population et les réseaux de la société civile.

M. Jacques Bodreau. Le président que je suis n’est pas en mesure aujourd’hui de vous dire si son assemblée considère que cette formule de participation citoyenne qu’est la convention citoyenne rassemble les suffrages de nos organisations. La question est en suspens et nous menons actuellement des travaux pour aborder frontalement ce problème.

Les CESER constituent effectivement une mine d’informations et ont une capacité de travaux et d’organisation assez exceptionnelle. Comme d’habitude dans notre pays, nous vivons des paradoxes formidables. Les CESER ont été créés en même temps que les régions en 1972-73, mais cette chambre consultative installée dans les régions a du mal à « perfuser » les politiques régionales. C’est un combat de tous les jours et, de façon générale, la place des chambres consultatives dans notre pays est un combat à mener au quotidien.

Nos organisations se disent qu’il est paradoxal pour les syndicats d’être les représentants de leurs militants, pour les organisations professionnelles d’être les représentants de leurs adhérents, pour les associations d’être les représentants de ceux qui les accompagnent et que la société civile ait du mal à être entendue et écoutée alors qu’une commission de citoyens, d’un seul coup, arrive et serait écoutée par les pouvoirs publics au plus haut niveau. Disant cela, je ne juge pas, je dis simplement que c’est un paradoxe. Nous prévoyons justement d’éclairer notre propre lanterne sur ce sujet et de définir une position collective du CESER Pays de la Loire et peut-être ultérieurement d’autres CESER. Nous regrettons que, globalement, les chambres destinées à éclairer les élus ne puissent pas être suffisamment entendues alors qu’un travail de fond y est fait.

Nous restons où nous sommes, nous ne sommes pas des spécialistes. Le CESER n’a pas la prétention de donner un avis sur le pourquoi et le comment d’une maladie chronique ou d’éléments de santé spécifiques qui réclament une expertise particulière. Par contre, le CESER peut faire remonter les informations de la société civile. Il connaît le terrain, il a un savoir-faire pour mettre en relation et faire travailler ensemble des personnes de profils professionnels ou militants différents. Ces capacités amènent des remontées de terrain qui éclairent les politiques publiques, mais nous ne voulons pas devenir sachants à notre tour. Il existe bien assez de sachants tandis que la remontée du terrain et la capacité de mobilisation du terrain font partie de ce que les CESER peuvent apporter.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous soulignez la difficulté à faire fonctionner la démocratie participative en France, de façon générale, à tous les échelons, que ce soit à l’échelle nationale, en interministériel, au sein du parlement ou aux échelons territoriaux.

J’entends qu’il existe un fort potentiel et une envie de participation de la société civile et que vous pourriez être un partenaire de choix pour les décideurs nationaux et régionaux. Vous venez de dire que vous n’êtes pas des spécialistes et je vous remercie de le reconnaître car ce n’est pas votre travail. Les spécialistes de la santé sont les agences régionales de santé (ARS) et c’est leur rôle de travailler sur les questions de santé environnementale. J’entends votre souhait d’être réellement associés au sein des PRSE comme des partenaires reconnus ayant un fort potentiel de remontées de terrain.

J’ai toutefois été un peu interloquée lorsque vous avez dit que la politique de santé n’est pas une politique régionale. Je pense que c’est un malentendu. Certes, des axes majeurs sont identifiés et portés par le Gouvernement au niveau national en matière de santé publique. En matière de santé et particulièrement de santé environnementale, des problématiques sont spécifiques à chaque région. La difficulté est de coordonner la politique nationale descendante et la politique régionale horizontale de façon cohérente et de faire en sorte que le résultat soit au plus près de la réalité caractéristique de chaque région.

J’entends l’intérêt qu’il y aurait à proposer le partenariat des CESER de façon plus officielle dans le cadre des dynamiques très compliquées à mettre en place par les ARS et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) qui cherchent aussi des modes de gouvernance.

Mme Michelle Bureau. Le CESER est un des rares lieux sans enjeu politique. Le collège 1 qui réunit les organisations patronales, le collège 2 qui réunit les organisations syndicales et les collèges 3 et 4 qui réunissent les personnes qualifiées et les organisations associatives travaillent dans le seul souci de l’intérêt général. Ce qui est produit n’est pas une politique publique mise en œuvre par les uns ou les autres, ce qui permet une richesse de réflexion que je n’identifie pas dans d’autres lieux. Les partis politiques, les collectivités territoriales, les institutions ont des logiques qui leur sont propres tandis que le CESER a une position spécifique qui peut être un plus, y compris comme médiateur, lorsque la situation est compliquée entre les uns et les autres. Cet élément mérite d’être souligné : nous avons la chance d’avoir un espace dans lequel nous pouvons penser et réfléchir en dehors d’une pression institutionnelle ou autre. Ces espaces ne sont pas si nombreux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Un autre aspect positif de cette dynamique interne au CESER est que vous avez une ouverture beaucoup plus large sur le monde de l’entreprise, ouverture que n’ont pas forcément les institutionnels tels que les ARS ou DREAL. Ce serait une dimension supplémentaire, notamment pour la santé-environnement au travail.

Mme Michelle Bureau. Lorsque le CESER produit un avis sur l’eau, les environnementalistes, les agriculteurs, les syndicats de salariés et les syndicats patronaux qui y siègent ont discuté ensemble et se sont mis d’accord sur l’avis produit. L’intérêt général a donc primé sur les intérêts particuliers des uns et des autres. Il me semble que la société devrait se saisir de cette ressource relativement conséquente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Aller à l’intérêt général plutôt que de défendre les intérêts particuliers donnerait un puissant rôle de médiateur au CESER.

M. Jacques Bodreau. Le lien entre santé environnementale et agriculture est particulièrement fort. La région des Pays de la Loire est une région très agricole et le CESER joue un rôle de médiation entre les associations environnementales et les syndicats agricoles qui sont bien sûr présents dans notre assemblée. Leurs points de vue ne sont pas les mêmes, mais, sur maints rapports et votes, nous avons réussi à aller sur la notion d’intérêt général. Sur la politique de l’eau, qui est particulièrement sensible, nous avons réussi à obtenir un consensus autour d’un certain nombre de propositions.

Il existe bien sûr une politique régionale de santé, mais cette politique régionale est à la main de l’État à travers l’ARS, en relation certes avec les collectivités territoriales et locales, mais l’État ayant toutefois la main sur la plupart de cette politique. Nous disions que les conseils régionaux ont la volonté d’être de plus en plus présents dans la discussion et d’agir sur cette politique régionale de santé.

J’insiste sur le fait que, si la gouvernance devait évoluer pour devenir plus partagée entre les ARS et le conseil régional, il faudra aussi revoir les ressources des conseils régionaux. Nos régions sont des nains économiques en termes de budget, sans aucun rapport avec la plupart des régions européennes, même sans parler des Allemands ou des Espagnols. En particulier, il n’existe quasiment pas de fiscalité propre pour les régions. Si une telle évolution est mise en place, le CESER sera très vigilant quant aux ressources permettant réellement aux régions de mettre en œuvre ces politiques. Il faut donc une évolution vers la responsabilisation, mais également une évolution des ressources.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous parlez beaucoup de conseil régional, mais il est ici question du CESER. Vous positionnez finalement le conseil régional comme l’instance qui serait partenaire de l’ARS, non le CESER.

M. Jacques Bodreau. Le CESER peut être un partenaire en termes de réflexion et de propositions, mais c’est une chambre consultative. Il n’envisage pas du tout que cela change. Les CESER restent à leur place et il est bien évident que ce sont les élus qui décident, gèrent et administrent.

Nous voyons aujourd’hui que, volontairement ou de façon subie, les élus veulent être de plus en plus acteurs de la politique régionale de santé. Ils en sont actuellement un acteur assez accessoire. S’il devait se produire une évolution des responsabilités des conseils régionaux dans la politique de santé, les CESER seraient encore plus légitimes pour être présents en concertation avec les différents acteurs puisque cela deviendrait une politique régionale beaucoup plus accentuée. La réflexion sous-jacente des CESER et des élus régionaux est que, si la gouvernance de la santé évolue vers une plus grande importance des élus régionaux, il faudra évidemment que les ressources soient au rendez-vous.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les propositions que vous venez de faire au nom de votre CESER – mais qui peuvent être généralisées à tous les CESER – pour renforcer l’échelon régional et la territorialisation de la santé environnementale sont extrêmement intéressantes. Les CESER semblent être des partenaires tout à fait pertinents.

L’audition s’achève à dix-huit heures cinq.

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37.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Françoise Jeanson, conseillère régionale, déléguée à la santé, la silver économie et aux formations sanitaires et sociales de la région Nouvelle-Aquitaine, et de Mme Carole Doucet, chef du service santé et silver économie (29 octobre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Après avoir reçu les représentants, au niveau régional, des ministères de la transition écologique, de l’agriculture et de la santé, nous poursuivons notre approche territorialisée en auditionnant les représentants des collectivités décentralisées. Aujourd'hui, nous nous attacherons aux régions.

Nous accueillons les représentants du conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine : Mme Françoise Jeanson, conseillère régionale déléguée à la santé, à la silver économie et aux formations sanitaires et sociales, et Mme Carole Doucet, chef du service santé et silver économie.

Quels sont les caractères propres du plan régional de santé environnementale en Nouvelle-Aquitaine, qu’il s’agisse de sa conception ou de sa mise en œuvre ? Quelles sont les avancées réalisées dans les différents territoires de la Nouvelle-Aquitaine ? Comment le conseil régional a-t-il été associé à cette démarche ?

(Mme Françoise Jeanson et Mme Carole Doucet prêtent serment.)

Mme Françoise Jeanson, conseillère régionale, déléguée à la santé, la silver économie et aux formations sanitaires et sociales de la région Nouvelle-Aquitaine. Je vous remercie de me donner l’occasion d’exprimer l’implication de la région Nouvelle-Aquitaine en santé-environnement.

La Région Nouvelle-Aquitaine résulte de la fusion en 2015 de trois régions :

– le Limousin, où a débuté la bataille contre les pesticides, en particulier dans la pomiculture ;

– le Poitou-Charentes, bien connu pour son engagement de longue date en santé-environnement ;

– l’Aquitaine, qui avait lancé AcclimaTerra depuis 2011 pour une analyse du changement climatique et de ses impacts, en particulier sur la santé de ses populations.

Les compétences de cette nouvelle région ont été revues : le transport, l’enseignement secondaire et supérieur, la formation professionnelle, les formations sanitaires et sociales, le développement économique et industriel, l’aménagement du territoire, l’environnement, l’agriculture. Toutes ont été importantes dans le travail que nous avons réalisé.

La région a choisi d’avoir un service santé transversal qui est tout autant actif dans la recherche, dans l’appui aux entreprises, dans l’aménagement du territoire et dans les formations. Par ailleurs, nous avons essayé d’allier des politiques sectorielles dans le cadre ou à l’extérieur du plan régional santé-environnement (PRSE) et des politiques territoriales. Celles-ci sont des applications locales des politiques sectorielles, en fonction des besoins.

La région Nouvelle-Aquitaine s’est emparée de la santé-environnement juste après l’élection du nouveau conseil régional, début 2016. Nous avons été sollicités par l’agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine pour cinq objectifs stratégiques et 55 mesures opérationnelles : le conseil régional copilote 12 de ces 55 mesures. Pour le premier objectif visant à agir sur les pesticides, la région elle-même a dû insister fortement après la diffusion en 2016 de l’émission Cash Investigation qui portait sur l’utilisation des pesticides dans la viticulture et qui montrait la Gironde comme un point noir français.

Initialement, l’implication financière a été votée à hauteur de 880 000 euros d’ici fin 2021. Fin 2020, l’engagement de la région s’élève à 1,3 million d'euros. Il est donc largement dépassé, en particulier pour les actions menées sur l’appel à projets santé-environnement à destination des jeunes, pour lequel nous avons engagé 895 000 euros pour 52 projets.

À titre d’exemple, le projet Happy Doc, lancé par l’université en santé de Poitiers, prévoit trois jours de formation spécifique sur les questions de santé-environnement et de sport-santé dans la formation des futurs professionnels de santé. Un autre projet est l’exposition créée par Phyto-Victimes, que nous avons cofinancée pour qu’elle soit diffusée dans les lycées, en particulier agricoles. Nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour que cette exposition soit diffusée dans les lycées agricoles, qui sont pourtant sous notre responsabilité. Certains leviers sont donc à travailler.

Le portail Santé-Environnement fonctionne bien avec 50 000 personnes inscrites. Avec près d’un million d'euros, un programme ressource sur l’eau vise à protéger les captages. Citons également une enquête avec l’union régionale des professionnels de santé (URPS), la création d’une formation en ligne ouverte à tous (MOOC) en santé-environnement et, à la suite du PRSE, la signature de contrats locaux de santé en accord étroit avec l’ARS, dès lors qu’ils intègrent des sujets entrant dans les compétences du conseil régional.

Sur cette partie, notre travail avec l’ARS et la DREAL se passe bien. En termes de moyens humains, nous sommes passés de 0,3 équivalent temps plein (ETP) au début de cette politique à 1 ETP et nous pouvons davantage travailler ce domaine, en bonne intelligence avec nos partenaires.

C’est surtout hors du PRSE que la Nouvelle-Aquitaine mène sa plus forte politique de santé environnementale. En effet, la prise de conscience des questions d’environnement et de santé-environnement est ancienne dans la région. Dès 2011, le président de la région Aquitaine avait réuni un comité scientifique régional, AcclimaTerra, avec près de 400 chercheurs sur les conséquences du réchauffement climatique. En 2017, la même démarche a été mise en œuvre en ce qui concerne les conséquences de l’érosion de la biodiversité, avec Ecobiose qui réunit plus de 100 scientifiques.

Ces deux études largement pluridisciplinaires ont amené la région à s’engager dans plusieurs politiques, dont la feuille de route Néo Terra, qui commence à être connue. En juin 2019, la région a revu toutes ses politiques au regard des conséquences du réchauffement climatique, de la santé-environnement et de la biodiversité et en particulier :

– Sortir des pesticides de synthèse en 2030 ;

– Arrêter l’utilisation des substances cancérogènes-mutagènes-toxiques (CMR) ;

– 80 % des exploitations de Nouvelle-Aquitaine certifiées en bio ;

– 30 % de produits bio dans les restaurants des lycées ;

– 100 % de lycées agricoles ayant des pratiques écologiques.

Ainsi, 11 ambitions sont déclinées en actions extrêmement concrètes. Beaucoup concernent très directement la santé-environnement.

Une autre politique de la région est le schéma régional d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), qui est une obligation pour les régions. Celui de la Nouvelle-Aquitaine a été voté et approuvé le 27 mars 2020. Un de ses objectifs phares nous concerne directement en matière de santé-environnement, en particulier dans le concept « Une seule santé » (One Health) : il s’agit de diviser immédiatement par deux l’artificialisation des sols en Nouvelle-Aquitaine pour parvenir à zéro artificialisation en 2030 et laisser la biodiversité reprendre ses droits. Le SRADDET prévoit aussi de développer la nature et l’agriculture en ville et en périphérie, de garantir les ressources en eau en quantité et en plein été et de développer des modes de déplacement alternatifs à la voiture solo.

Des moyens et des actions concrètes sont mis au service de ces ambitions et déclarations d’intention. D'abord, la région a signé et s’est engagée dans la charte « Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens » avec un plan d’action pour deux ans. Ce plan met par exemple en place des critères d’écoconditionnalité éliminant les perturbateurs endocriniens dans tous les contrats et achats publics, parallèlement à un travail avec les entreprises de cosmétique sur la suppression des perturbateurs endocriniens. La cosmétique est effectivement une filière extrêmement riche de notre territoire.

Concernant notre compétence de développement économique se pose la question de la relocalisation des industries de santé et de la réindustrialisation des principes actifs. Repositionner sur notre territoire les principes actifs de chimie lourde serait extrêmement complexe. Il existe donc un accompagnement des sauts technologiques qui permettront de réindustrialiser notre région dans ce domaine.

S’agissant de l’agriculture et de la viticulture, qui sont des points essentiels, en particulier en matière de pesticides, la région a été lauréate d’un projet Territoires d’innovation de grande ambition (TIGA) appelé VitiREV. C’est un projet exemplaire pour sortir des pesticides et valoriser les territoires viticoles de la Nouvelle-Aquitaine. Une enveloppe financière de 73 millions d'euros sur dix ans est attribuée à ce projet, avec l’objectif d’atteindre 85 % de surfaces en bio ou haute valeur environnementale, 80 % des surfaces agricoles non traitées par désherbage chimique et la mise en place d’un observatoire des pratiques, des usages et de la santé (OPUS) pour mesurer les impacts sur la santé du programme VitiREV. De A à Z, ce programme a été travaillé et porté par l'ensemble des acteurs (écologistes, agriculteurs, monde du vin, chercheurs, entreprises), tout comme l’a été la feuille de route Néo Terra. Même la FNSEA a signé ces objectifs extrêmement ambitieux en termes de transformation bio.

Les moyens mis par la région à disposition de cette transformation dans l’agriculture sont notamment des appels à manifestation d’intérêt « Sortir des pesticides de synthèse » ou « Territoire sans pesticides » pour soutenir les démarches exemplaires. Un travail conséquent a été réalisé avec un appel à projets « Matériels agricoles » pour favoriser l’innovation dans ce domaine. Effectivement, la suppression d’intrants, d’herbicides ou de pesticides ne doit pas conduire à des travaux d’une grande pénibilité pour les travailleurs.

Nous ne pouvions pas travailler les questions de santé environnementale sans prendre en compte les lycées, où se pose celle de la vaisselle. Ayant notre siège à Bordeaux, nous ne pouvions pas ne pas être fortement interpellés. Ainsi, dans la plupart de nos lycées, nous avons mis à disposition des assiettes en verre trempé fabriquées par ARC, légères et sans perturbateurs endocriniens. Il existe également une charte de labellisation des lycées qui se sont engagés pour l’exemplarité, en particulier sur l’approvisionnement bio et de qualité.

S’agissant des transports, la santé-environnement se matérialise par une bascule des TER et de nos 5 500 cars scolaires vers l’énergie électrique ou hydrogène avec l’objectif que 50 % des kilomètres soient roulés en motorisation alternative. 22 % des TER Nouvelle-Aquitaine sont d’ores et déjà 100 % électriques et la moitié des kilomètres roulés par les autocars interurbains sont en solution verte. Nous portons vraiment des moyens importants, ainsi qu’en transformation biogaz et bioGNV, pour remplacer les énergies fossiles.

Nous avons également travaillé sur la mobilisation des fonds européens, à la fois sur les projets de l’eau et agricoles. Le fait que la région soit gestionnaire des fonds FEADER est une aide importante dans la transformation de l’agriculture pour une agriculture favorable à l’environnement et à la santé, en particulier à la santé des agriculteurs.

Enfin, à l’issue du Covid, nous utilisons le Plan de transition et de reconquête technologique en travaillant sur la transformation des filières chimie et matériaux, sur les mobilités décarbonées et, s’agissant des relocalisations d’activités (médicaments, textile), sur les sauts technologiques évitant d’amplifier les dégâts sur l’environnement et la santé.

S’agissant des perspectives et des enseignements que nous tirons collectivement du PRSE ou d’autres politiques menées par la région, de la manière de travailler, rien ne peut se faire sans coconstruire avec les acteurs eux-mêmes, sur le terrain et en fonction des particularités du territoire. Nous n’avons pas agi de même à Limoges où il y a du radon, en Gironde où il y a de la viticulture, dans les Landes où il y a du maïs ou en ex-Poitou-Charentes. Le travail collectif, l’implication de chacun et le dialogue entre les acteurs sont essentiels.

J’en tire comme deuxième enseignement qu’il faut renforcer l’ambition du PRSE. Actuellement, les PRSE sont un peu le parent pauvre de la santé-environnement. Pour le conseil régional, ils devraient devenir le creuset de la politique régionale en matière de santé-environnement. C’est un accessoire visible et partagé, mais relativement peu opérant. Il faudrait des PRSE beaucoup plus ambitieux, qui ne nous interdiraient pas de valoriser d’autres plans, plutôt que de regrouper les résidus qui n’ont pas été traités ailleurs. Il conviendrait d’avoir un vrai plan régional santé-environnement qui pourrait accueillir VitiREV, ressources, etc. Bien que VitiREV soit essentiel en matière de santé-environnement, nous n’avons pas pu l’intégrer dans le PRSE.

Le PRSE devrait être un document d’orientation stratégique. Il nous paraît logique que les régions s’engagent beaucoup plus dans le pilotage. Notre région en a en tout cas le souhait. Un certain nombre de nos compétences sont directement en lien avec la question de la santé-environnement et les régions ont la capacité d’animer le territoire avec les autres collectivités. Cela a été visible durant la crise du covid. Nous avons cofinancé quelques projets pour les villes (Limoges, Guéret), les départements (Dordogne, Pyrénées-Atlantiques) ou pour Bordeaux métropole, mais une animation des actions me semble nécessaire au niveau régional pour un partage d’idées ou pour une amplification des projets. Par exemple, les régions s’occupent des lycées, les départements des collèges : il y a des opportunités communes à trouver. À mon avis, il est indispensable d’impliquer davantage la région comme animateur de son territoire et comme acteur dans la poursuite des PRSE et dans le PNSE, dans lequel nous sommes déjà largement impliqués.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette présentation qui complète celle effectuée par le médecin responsable de la santé environnementale de l’ARS. Comment se sont établies les relations avec les institutionnels de la région et l’administration de l’ARS ? Hier, nous avons entendu une liste d’actions portées par l’ARS. Vous venez d’énumérer une liste différente, que je suppose complémentaire de la précédente. Comment vivez-vous le management de la territorialisation de la santé environnementale ?

Selon vous, les conseils régionaux devraient être beaucoup plus mobilisés pour porter la santé environnementale. Qui en assurerait l’animation ? Qui serait le porteur officiel de l’animation régionale, de la coconception et du dialogue dont vous parlez ? Dans le cas de la région, comment s’organiseraient les relations avec les ARS qui ont la compétence sanitaire et environnementale ? Vous semblez dire que les conseils régionaux ne s’investissent pas davantage, justement parce que les PRSE ne sont pas suffisamment proches du terrain.

J’aimerais donc savoir comment vous verriez la gouvernance territoriale dans l’idéal et comment le PRSE pourrait jouer un autre rôle, de portage à la fois d’une politique nationale et d’une politique territoriale.

Mme Françoise Jeanson. Les relations avec l’ARS et la DREAL se sont bien passées, puisque tout a été travaillé en bonne intelligence. L’ARS a la compétence sanitaire, mais je ne crois pas qu’elle ait la compétence environnementale.

Dans les politiques de la région, 1,3 million d'euros concerne le PRSE et 200 ou 300 millions d'euros sont hors du PRSE. La deuxième partie des actions que j’ai décrites sont des actions de la région pour la santé environnementale, même si elles ne sont pas ainsi nommées, hors du PRSE. Le PRSE est très bien, mais il est minime par rapport à ce qui peut être fait plus globalement.

Je suis persuadée que, si seules les ARS continuent à porter et à animer le dispositif, ce sera très bien fait, mais les PRSE ne toucheront pas la globalité des politiques. Or c’est essentiel. Comment avoir une politique santé-environnement sans toucher au transport ? Le verdissement de la flotte transport est essentiel. Comment avoir une politique santé-environnement sans mener un dialogue avec les agriculteurs, sans travailler sur l’aménagement du territoire, sur la revégétalisation des villes, sur la transformation en termes agricoles et vers le bio ? Les régions ont ces compétences. En outre, elles ont leurs fonds propres et elles sont en capacité de demander des fonds européens à effet de levier très fort.

Les régions sont la bonne échelle territoriale, le conseil régional le bon interlocuteur pour porter le dispositif, en lien très étroit avec les ARS pour les compétences sanitaires qu’il n’a pas. La santé-environnement transcende la question sanitaire et doit aller beaucoup plus loin.

Depuis les derniers PRSE, les conseils régionaux sont copilotes avec la DREAL et l’ARS. Ma proposition serait que le porteur soit le conseil régional avec, toujours en copilotes, l’ARS et les services de l’État, car il est indispensable de décliner les politiques du PNSE et de l’État et de travailler très étroitement avec les acteurs sanitaires.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelle est votre définition de la santé environnementale ? Vos politiques en ce domaine comportent-telle des dispositifs spécifiques aux personnes âgées ? Quelles sont les ressources régionales disponibles en santé-environnement ? Quels moyens utilisez-vous pour sensibiliser les jeunes enfants ou adultes ? Quelle forme prend la sensibilisation des élus au sujet de la santé environnementale ? Quelles sont les précautions prises en ce qui concerne le parc viticole proche des habitations et des écoles ?

Mme Françoise Jeanson. La santé environnementale est l’impact de l’environnement sur la santé des humains notamment et l’indispensable harmonie entre l’environnement et ses habitants. L’objectif est que l’être humain habite dans son environnement sans lui nuire et que celui-ci le porte. L’être humain et les animaux sont essentiels dans cette question environnementale.

S’agissant des personnes âgées, il ne me semble pas que nous ayons des politiques spécifiques en santé environnementale.

Concernant la sensibilisation des élus à la santé environnementale, nous avons réfléchi à mener une formation spécifique, notamment en utilisant la formation en ligne ouverte à tous (MOOC) réalisée par l’école de Rennes. Je pense que certains l’ont fait de façon volontaire.

Sur la sensibilisation des familles et des enfants, nous travaillons en ce qui concerne les personnes qui ressortent de notre compétence. Les mairies gèrent très bien la petite enfance. Beaucoup de choses remarquables se font à Limoges, Bordeaux ou Guéret. Nous avons l’objectif de sensibiliser essentiellement les jeunes et les jeunes adultes par un appel à projets santé-environnement qui soutient financièrement et valorise les associations locales. Dans l’appel à projets de 2019, il y avait par exemple des services de l’eau, Graine Aquitaine ou la Mutualité française. L’idée est d’avoir des acteurs répartis sur tout le territoire, si possible capables de sensibiliser l'ensemble de celui-ci. Souvent néanmoins, ce sont des acteurs locaux qui sont choisis en fonction de leur territoire, des modalités prouvées d’efficacité de leurs actions de sensibilisation et de la connaissance que nous avons régulièrement d’eux.

S’agissant du parc viticole, un certain nombre de communes de la région avaient pris des arrêtés. Nous ne sommes pas intervenus, car ce sont les compétences de chaque commune. En revanche, toute la transformation en bio et le projet VitiREV, qui concerne la transformation quasi totale de la viticulture en bio, partent de cette idée. Des moyens énormes y sont consacrés, que ce soit en accompagnement ou en soutien. En effet, le passage en bio, en viticulture comme en agriculture, coûte très cher, car il implique de ne pas travailler pendant plusieurs années. La région a créé un fonds de garantie appelé Alter’NA, dans lequel elle apporte 36 millions d'euros, qui permettront, avec l’Europe, de disposer de 230 millions d'euros pour appuyer les viticulteurs et les agriculteurs dans le changement de leurs pratiques.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quel est le taux de conversion en bio ?

Mme Françoise Jeanson. Dans la certification haute valeur environnementale, plus de 1 000 exploitations sont certifiées. Depuis 2015, nous avons augmenté de plus de 65 % la surface agricole utile bio.

Mme Carole Doucet, chef du service santé et silver économie. Nous avons 85 % sous certificat. 21 structures professionnelles ont monté leur certification collective avec l’appel à projets de la région. Nous lançons des appels à projets pour cette conversion en bio. Il s’agit d’un process long.

La sensibilisation des jeunes inclut aussi la sensibilisation à la santé auditive. Nous y pensons peu en matière de santé-environnement, mais elle est relativement importante pour les jeunes.

Dans la description de la répartition entre les acteurs, faite par Mme Françoise Jeanson, nous voyons à quel point la DREAL travaille à la protection des personnes. Elle a ce pouvoir de police concernant la protection à proximité des habitations. L’ARS travaille en ce qui concerne le sanitaire, la prévention et le soin. La région est là pour transformer le modèle agricole et économique. C’est vraiment un changement de paradigme, sans lequel nous ne parviendrons pas à atteindre l’objectif de santé-environnement. C’est l’ambition de Néo Terra et c’est pourquoi le travail doit être partenarial. La région est en soubassement de cette dynamique.

Dans les appels à projets santé-environnement, nous n’avons pas ciblé à ce stade les personnes âgées. Pour elles, nous travaillons sur la mobilité douce et sur l’habitat de façon transverse, mais nous n’avons pas encore travaillé sur leur sensibilisation ou sur leur protection en matière de santé-environnement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. La définition, de la santé environnementale n’est-elle pas l’impact humain sur notre environnement ?

Mme Françoise Jeanson. Elle est trop restrictive. La santé-environnement est le concept de santé unique. Tous les jours, nous voyons de plus en plus que c’est une question beaucoup plus globale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. S’agissant du partage des compétences, faudrait-il introduire une compétence obligatoire de santé environnementale dans le code des collectivités territoriales ? Comment le conseil régional pourrait-il parvenir à atteindre les maires des petites et moyennes communes qui ont des centres d’hygiène et de santé ? Actuellement, la santé environnementale est une option facultative pour les petites collectivités territoriales. Comment verriez-vous ce montage pour qu’il y ait à la fois un effet descendant sur toute la région et une implication de tous les élus dans ces questions ? Actuellement, il n’y a ni cadrage ni compétence obligatoire clairement définis.

Mme Françoise Jeanson. Pour que les collectivités s’engagent, il faut effectivement une compétence obligatoire. Un outil existe d’ores et déjà, à savoir la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) qui réunit le préfet, le conseil régional, les départements, les EPCI et les communautés de communes, et qui peut avoir des commissions de travail. Au niveau de l’ARS, il existe la commission de coordination des politiques publiques (CCPP). Il conviendrait de relier la CTAP avec une commission santé-environnement et la CCPP qui ne fonctionne pas très bien, pour créer un espace effectif permettant le partage des expériences. En revanche, je ne suis pas sûr qu’il doive être prescriptif, car les collectivités territoriales ont tout intérêt à travailler dans le domaine de l’environnement et de la santé environnementale et nous avons déjà les outils.

Sur la façon de travailler, la région de Nouvelle-Aquitaine contractualise avec des territoires qui sont moins larges que les départements et plus larges que les communes. En Nouvelle-Aquitaine qui comprend 12 départements et 6 millions d’habitants, il doit y avoir 76 contrats de territoires, dans lesquels nous introduisons Néo Terra, le SRADDET, etc. Ils sont passés entre le conseil régional et les collectivités. Rien n’interdirait que ces contrats de territoires concernent aussi les ARS.

Les contrats locaux de santé sont un autre outil sanitaire et de promotion de la santé. En général, toutes les collectivités y participent.

Effectivement, il faut un niveau régional et un niveau local, mais la commune est trop petite et le département est probablement trop vaste. Il convient donc de trouver ce niveau de contractualisation en fonction de ce qui est recherché à la fois dans nos contrats de territoires et dans les contrats de santé des ARS.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il est intéressant de vous entendre construire votre réflexion à haute voix. Vous estimez que les outils existent, donc il n’est pas forcément nécessaire de légiférer pour officialiser une compétence au niveau du conseil régional. Il suffirait de remobiliser des instances déjà existantes et de préciser le rôle de chacun et le portage qui, pour vous, ne peut être que régional.

En complément, qu’en est-il de la société civile ? Nous parlons beaucoup des relations avec les collectivités territoriales et les ARS, mais comment imaginez-vous une démarche participative au niveau territorial ? Pratiquez-vous cela ?

L’ARS de votre région a fait état d’un groupe régional santé-environnement (GRSE) qui compte plus de 580 participants. Comment le conseil régional se positionne-t-il en ce qui concerne la participation des citoyens (associations, individus) dans le montage idéal que vous élaborez ?

Mme Françoise Jeanson. Dans chaque région, il existe un conseil économique, social et environnemental régional (Ceser). Chez nous, il est très engagé sur les questions sociales et environnementales qui sont liées. C’est une représentation des citoyens.

Nous participons au GRSE, dans lequel nous travaillons ensemble. Il y a aussi la représentation officielle des patients qui est adossée à l’ARS.

Sur la façon de faire participer les citoyens individuellement, je ne vois pas d’autre moyen que la consultation. Le conseil régional est composé d’élus qui, durant la campagne électorale, interrogent les habitants et discutent avec eux pour comprendre leurs besoins. Par ailleurs, nous engageons toujours le dialogue et la coconstruction avec les chambres, avec des représentations d’artisans, d’agriculteurs, de chercheurs, etc. Or sur les territoires, il convient sans doute d’augmenter la consultation des individus.

Vous voyez qu’un certain nombre d’outils existent, en particulier le Ceser qui est une représentation très investie des habitants.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le projet Néo Terra est une démarche typique du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. Vous avez posé un principe préalable selon lequel toute décision politique publique relative à la santé environnementale doit d'abord être examinée au regard des problématiques de réchauffement climatique.

Mme Françoise Jeanson. L’idée de Néo Terra est plus vaste que la santé-environnement. Nous sommes dans une transition écologique globale et, dans une région fortement impactée par le réchauffement climatique et par ses conséquences. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Il faut absolument que toutes les politiques menées par le conseil régional soient revisitées au prisme du réchauffement climatique et de la transition écologique. Beaucoup de mesures concernent la santé environnementale, ne serait-ce que par leurs conséquences, mais certaines ne la concernent pas. Vraiment toutes les politiques du conseil régional ont été revisitées.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie. Il était intéressant de recueillir votre perception, notamment du management que vous voudriez voir mis en place, en matière de santé environnementale à l’échelle de la région, de vous voir envisager plusieurs niveaux, que vous avez examinés individuellement avant de rejeter certains pour vraiment revenir à l’échelle régionale.

Je vous remercie pour votre suggestion d’association du Ceser. Un président de Ceser que nous avons rencontré hier nous a effectivement dit tout l’intérêt qu’il porte à ces questions et son envie de participer à l’élaboration des politiques publiques de santé environnementale. C’est un message concordant.

L’audition s’achève à quatorze heures cinquante.

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38.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Guillotin, sénatrice, conseillère régionale, et de M. Christian Guirlinger, conseiller régional, président de la commission environnement, du Conseil régional du Grand-Est (29 octobre 2020)

L’audition débute à quatorze heures cinquante-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons les représentants du conseil régional du Grand-Est. Mme Véronique Guillotin, conseillère régionale, ancienne vice-présidente chargée de la santé, est dispensée de prêter serment en sa qualité de sénatrice. M. Christian Guirlinger est conseiller régional et président de la commission environnement.

Quelle est l’approche du conseil régional du Grand-Est concernant la politique régionale de santé environnementale ? Quels en sont les points saillants et les instruments privilégiés ?

(M. Christian Guirlinger prête serment.)

Mme Véronique Guillotin, sénatrice, conseillère régionale du Grand-Est. Je vous remercie de votre invitation à nous exprimer devant la représentation nationale sur le sujet de la santé environnementale que je qualifierai de majeur. Je vous remercie d’avoir accepté la tenue à deux voix de cette audition. Je m’intéresserai plutôt au plan régional santé- environnement (PRSE) Grand-Est et mon collègue à la politique intrarégionale environnementale.

Au cours des deux dernières années, l’environnement a progressé de manière quasi continue pour s’installer à la première place dans la dernière édition de l’enquête Ipsos-Sofra pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne. De manière globale, les habitants du Grand-Est se montrent particulièrement sensibles à ces questions. En 2010, plus de 50 % des personnes interrogées dans le Grand-Est se déclaraient insatisfaites, mais intéressées, de l’information qu’elles recevaient sur les risques liés à l’environnement.

La région Grand-Est se caractérise par une mortalité prématurée et par des pathologies (cancer, diabète, pathologie respiratoire, maladies cardiovasculaires) bien supérieures à la moyenne nationale. Certaines d’entre elles sont liées à des comportements individuels, mais d’autres sont incontestablement liées à des facteurs environnementaux, notamment aux activités industrielles. Notre région héberge effectivement d’importantes activités industrielles anciennes et actuelles. Elle est aussi une région agricole et aux activités tertiaires ; elle comporte des risques liés aux transports et à la pollution de l’air.

La région Grand-Est a pris toute la mesure de ces enjeux de santé publique. Elle s’est engagée aux côtés de l’État, par le biais de l’agence régionale de santé (ARS) et de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), dans la mise en œuvre du troisième PRSE pour les années 2017-2021. Au-delà de ce PRSE, la région est très volontariste dans le domaine de la santé environnementale.

Concernant la méthode employée dans notre région, le PRSE 3 Grand-Est a été le fruit d’une démarche de coconstruction engagée en 2016. Parmi les différentes étapes, un forum a rassemblé de nombreux acteurs en juin 2017 : les services de l’État, le conseil régional, des collectivités territoriales, l’ARS, l’agence de l’eau, les réseaux de santé, des réseaux de santé environnementale, des associations d’usagers et des acteurs de la santé du territoire. Ensuite, durant quatre mois de travaux en groupes thématiques, de nombreux acteurs se sont mobilisés pour travailler sur les axes de ce PRSE. Une consultation publique s’est tenue au début de l’été 2017. Enfin, en novembre 2017, la signature a eu lieu à l’Hôtel de région de Metz en présence du préfet de région et du président de région. Nous avons été entièrement associés à ces premières étapes d’élaboration du PRSE 3.

S’agissant de la gouvernance du PRSE, un comité de pilotage s’est constitué, composé du secrétaire général pour les affaires régionales et européennes, du directeur général de l’ARS, du président de région que je représentais, des directeurs de la DREAL, de la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) et de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Ce comité de pilotage est une instance décisionnaire, qui avait notamment pour rôle de définir et de valider les grandes orientations stratégiques et opérationnelles du PRSE. Il s’est appuyé sur un comité d’animation qui avait pour objectif de coordonner, d’animer et de suivre la mise en œuvre du PRSE. Le conseil régional était donc présent dans le comité de pilotage.

La communauté de la santé a été associée à l’élaboration du PRSE. Elle était représentée par l'ensemble des acteurs impliqués sur le sujet, issus du monde associatif, économique, académique, institutionnel et des collectivités locales. Environ 70 partenaires ont été très actifs dans la mise en œuvre des différentes actions.

Le contenu du PRSE se caractérise par trois grands axes : les activités humaines, le cadre de vie et de travail favorable à la santé, les clés pour agir en faveur de la santé environnementale. Chacun des copilotes devait se concentrer sur l’un des trois axes, la région se concentrant sur l’axe 3 « Clés pour agir en faveur de la santé environnement du quotidien ». Ces axes se sont déclinés en objectifs opérationnels et en actions.

Le PRSE a souhaité couvrir des thématiques importantes pour la région, notamment l’eau, l’habitat indigne, la qualité de l’air, la lutte contre les espèces invasives, la formation des professionnels et la sensibilisation du grand public, puisque la population souhaitait plus d’informations. Les partenaires avaient également souhaité que le PRSE 3 soit plus opérationnel et plus près des territoires que les PRSE 1 et 2. C’est pourquoi les axes pérennes ont été complétés par une politique d’appels à projets différents lancés chaque année.

La région est toujours conviée et partie prenante dans ces actions, soit par mon intermédiaire, soit par les services qui participent au comité opérationnel.

Concernant les engagements financiers, 1,2 million d'euros ont été portés dans le PRSE 3 pour l’année 2020, soit 145 000 euros de la région Grand-Est au travers de ses appels à projets ou de son axe 3, environ 808 000 euros de l’ARS et 190 000 euros de la DREAL.

M. Christian Guirlinger, conseiller régional du Grand-Est. Je vous remercie de m’avoir invité à cette commission d’enquête ; y participant pour la première fois, c’est un honneur pour moi.

Le sujet de la santé et de l’environnement est d’actualité. Si chaque individu fait attention à sa santé et à celle de ses proches, il refuse quelquefois les contraintes pour assurer la santé collective. A contrario, les individus sont assez sensibles, au niveau national, européen, voire mondial, à l’environnement, mais ils ne sont pas toujours prêts à faire les efforts nécessaires pour améliorer leur propre environnement qui impacte pourtant directement leur santé.

Peut-être les individus, de façon générale, n’ont-ils pas conscience de l’importance, pour leur santé personnelle, de l’environnement qui les entoure. Nous évoluons dans des environnements plus ou moins différents, à la campagne, à la ville, dans des bureaux, sur des chantiers extérieurs. De même, à chaque étape de notre vie, nous évoluons dans des environnements différents les uns des autres.

J’ai récemment lu un article sur la fabrication des biberons qui mentionnait une problématique de microparticules de plastiques. Les matériaux innovants et biosourcés actuels pourraient offrir de meilleures solutions pour la santé. Nous pourrions aussi utiliser des biberons en verre. Peut-être est-ce un problème de mauvaise utilisation. Au lieu de faire chauffer le lait froid dans un biberon en plastique au micro-ondes pour gagner du temps et être dans le mouvement, nous pourrions le faire chauffer sur une plaque électrique et le verser dans le biberon. L’enfant boirait le même lait, mais les incidences sur sa santé seraient moins importantes. Cet exemple montre que l’environnement, la santé et le bon sens sont intimement liés.

En tant qu’élu régional et président de la commission environnement, j’ai été largement associé à l’élaboration du schéma régional d’aménagement développement durable pour l’égalité des territoires (SRADDET), lequel a été approuvé en janvier 2020. Il fixe la lutte contre le changement climatique comme une priorité stratégique dans l'ensemble des politiques publiques : « protéger l’environnement pour préserver sa santé ».

En tant que chef de file en matière de climat, air, énergie, biodiversité et eau – laquelle était une politique volontariste de la région Grand-Est, car non obligatoire –, la région se doit d’être à la fois moteur et rassembleur. C’est son objectif, non seulement s’agissant du volet financier, mais aussi s’agissant de la mise en réseau de l'ensemble des acteurs, en les accompagnant pour des transitions « acceptables » par la société. Souvent, les actions ne sont pas acceptées ou mal comprises. Il convient donc de les expliquer et qu’elles soient acceptées par les populations.

Face au défi à relever pour mieux utiliser, protéger, partager les ressources naturelles (sol, eau, biomasse) limitées, la région agit autour de trois axes principaux : l’eau, la biodiversité et l’air. Si vous le souhaitez, je détaillerai quelques dispositifs opérationnels et concrets de chaque axe.

Si je devais retenir un point négatif concernant cet environnement santé, ce serait la déclinaison d’une politique nationale sur les territoires, qui n’est pas contrôlée localement. Il y a quelques mois, j’avais fait part à M. François de Rugy, alors ministre de l’Environnement, de mon expérience régionale et locale, en tant que maire rural, du programme « Isolation à un euro ». Quelle belle politique que de vouloir faire des économies d’énergie, sachant que la consommation d’énergie, pour chauffer un foyer dans le Grand-Est, représente 2 000 euros par an ! Quelle belle politique que de contribuer, par l’isolation, à la diminution des gaz à effet de serre, connaissant leur effet néfaste sur l’environnement et sur notre santé ! Quel dommage de voir la majorité de ces chantiers « ni faits, ni à faire » !

L’isolation étanche sur des murs respirants provoque le développement de champignons à l’intérieur des logements, ce qui impacte directement la santé de leurs occupants. Cela a été une catastrophe, par manque à la fois de contrôle et de formation des entreprises. Après quelques années de fonctionnement, les contrôles ont lieu, mais le mal a été fait pour cette belle politique et cette belle action sur les territoires.

En revanche, si je devais retenir un point positif concernant l’environnement santé, j’évoquerais la chance de pouvoir compter sur des réseaux de bénévoles et d’amoureux de la nature qui nous permettent d’obtenir un suivi dans le temps de toutes les données relatives à la faune et la flore.

Il est également important de sensibiliser une grande partie de la population, quel que soit l’âge. Les jeunes font d’ailleurs parfois l’éducation des générations antérieures. Quant à lui, le réseau de bénévoles nous permet de « faire ensemble » et de réaliser nos politiques régionales. Ensemble, chacun à son niveau, et à tous les niveaux, nous pourrons inverser la tendance et travailler efficacement pour l’environnement et la santé.

Nous avons organisé la politique régionale selon trois axes : la biodiversité, l’eau et la transition énergétique. Le budget régional Grand-Est s’élève à environ 40 millions d'euros, soit 12 millions d'euros en fonctionnement et 28 millions d'euros en investissement : 9 millions d'euros sont destinés à l’eau, 12 millions d'euros à la biodiversité et 19 millions d'euros à la transition énergétique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mme Véronique Guillotin, vous avez insisté sur la coconstruction du PRSE et sur votre collaboration avec l’ARS et les institutionnels, mais qui a animé cette démarche ? Quelle a été la capacité de résistance ou de résilience du système que vous avez mis en place avec le PRSE, avec tous les acteurs de la santé environnementale ? A-t-il permis de diminuer l’impact de la covid en Grand-Est ?

M. Christian Guirlinger, j’entends avec beaucoup d’intérêt la démarche très volontariste développée par la région pour mobiliser la population et responsabiliser les citoyens. Vous avez évoqué les problématiques de qualité du bâti ; lors de son audition, le directeur du CSTB a également évoqué cette question. Une définition beaucoup plus officielle des compétences en matière de santé environnementale ne favoriserait-elle pas davantage ces démarches qui sont volontaristes, voire facultatives pour des petites collectivités territoriales ? Existe-t-il ou non un intérêt de prévoir, dans le code des collectivités territoriales, une obligation qui accompagnerait ces démarches volontaristes et de bénévolat ?

Mme Véronique Guillotin. Premièrement, j’ai assisté beaucoup plus aux instances de démarrage que de suivi. Néanmoins, le pilotage de départ m’a semblé assez partagé, à la fois dans le choix du forum de présentation, du format d’installation de groupes thématiques. Cette instance commune conseil régional-ARS-DREAL était à l’initiative et a enclenché les actions.

Deuxièmement, le PRSE 3 a conservé ses actions malgré la covid. Il n’a pas été modifié pour prendre en compte cette crise. Ses instances n’ont pas été mises à disposition de la situation sanitaire ; elles ont conservé le cadre initialisé en 2016-2017, sans interaction avec la crise sanitaire qui s’est déroulée de manière brutale en région Grand-Est.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La dynamique à trois que vous aviez initiée pour mettre en place le PRSE 3 vous a-t-elle été utile pour faire face collectivement au choc de la covid ?

Mme Véronique Guillotin. Non, il n’y a pas eu d’interactions liées à la crise covid et nous ne nous sommes pas servis de ces structures.

M. Christian Guirlinger. S’agissant de légiférer en matière d’environnement santé, il est compliqué de répondre et de se positionner de façon « binaire ». Souvent, il est difficile d’obtenir sans contraindre, mais, en matière d’environnement, les personnes ont du mal à respecter les contraintes.

Dans l’exemple précité de l’isolation, je pense que cela nous aurait largement aidés si nous avions imposé une mise en place des produits par des entreprises compétentes. Souvent, les intervenants travaillaient précédemment dans un tout autre domaine ou étaient extérieurs à notre bassin de vie ; ils venaient à la journée sans savoir correctement mettre en œuvre le matériau isolant ou ils appliquaient le mauvais matériau, ce qui ensuite pouvait avoir des répercussions sur la santé des habitants. Il conviendrait d’exiger des formations et des compétences pour les agents qui mettent ces produits en œuvre, plus que pour leurs entreprises. Les matériaux biosourcés actuels sont de très bonne qualité, à condition qu’ils soient correctement mis en œuvre. S’ils sont mal utilisés, ils ne servent à rien, voire sont néfastes.

Il convient donc d’avoir du bon sens, de la formation, de la clarté dans nos demandes, de l’efficacité et du pragmatisme. C’est ce dont nous avons besoin. En matière de loi, il faut faire le lien entre la loi, ceux qui la créent et ceux qui la mettent en œuvre sur le terrain. Je ne vois pas d’intérêt à légiférer si la loi n’est pas appliquée.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ma question portait plutôt sur les démarches de mobilisation citoyenne, pour envisager un soutien plus officiel, pour accompagner ces démarches volontaristes.

Mme Véronique Guillotin. Peut-être qu’un PRSE ou un PNSE devrait avoir plus de capacité à « embarquer » les territoires dans leur dynamique. Les plans ne sont pas mauvais ni inutiles puisque les diagnostics sont réalisés, les actions écrites et les appels à projets lancés, mais ils « n’infusent » peut-être pas suffisamment dans les collectivités locales. Il est difficile « d’embarquer » un territoire. Or tout le monde doit participer pour transformer un environnement. Les mesures prises sur un petit territoire peuvent servir d’exemple, mais elles doivent être élargies à l'ensemble du territoire.

Un deuxième pilier à renforcer serait l’évaluation des politiques publiques. Il faudrait disposer de données au niveau territorial, qu’elles soient sanitaires ou environnementales. Peut-être pourrions-nous évaluer tous les cinq ans pour savoir si l'ensemble des actions – infrarégionales, départementales, des collectivités locales et actions citoyennes, le PRSE ou le PNSE – ont conduit à un résultat : baisser la pollution, améliorer les nappes phréatiques, diminuer l’urticaire ou en matière de zoonoses, etc. À mon sens, au-delà des plans et des actions directes, il serait important de suivre les indicateurs et d’évaluer les politiques dans leur globalité.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles sont les spécificités de santé environnementale dans le Grand-Est ? Quels sont les risques industriels majeurs liés aux principales activités économiques ? La région développe des actions de formation des personnels sanitaires : quelle est la place de la santé environnementale dans les formations continues ou initiales ? Quelles sont les évolutions nécessaires dans la formation des professionnels de santé ?

M. Christian Guirlinger. Nous sommes une région industrielle, qui s’accompagne forcément de pollutions de cette nature. À une époque lointaine, les entreprises industrielles s’implantaient en tête de fleuve ; en cas de pollution, elles le polluaient sur toute sa longueur. Nous travaillons sur cette problématique avec les agences de l’eau. Nous avons par exemple contribué à ôter le chlorure des rejets de certaines entreprises dans la Moselle. Pour cela, un grand plan a été élaboré entre l’entreprise, la région et l’agence de l’eau, sachant que notre région en héberge trois :

– Rhin-Meuse, qui est complètement inscrite dans notre région ;

– Seine-Normandie à l’Ouest ;

– Rhône-Méditerranée-Corse au Sud.

Outre la pollution industrielle, les pollutions de guerre nous posent beaucoup de problèmes dans le Grand-Est, notamment dans la Meuse, avec les stocks de munitions enfouies, car la matière rouille et le produit se dissout dans les nappes. À nouveau, la région travaille à ces problématiques avec l’agence de l’eau pour éviter les pollutions de territoires et de zones.

C’est aussi le cas en matière d’eau, car la région Grand-Est dispose d’une nappe d’eau importante située à deux mètres de profondeur, donc facilement exploitable. Des puits sont créés pour arroser des cultures, mais les produits retombent dans la nappe et la polluent.

Nous avons pris la compétence volontariste de l’eau pour travailler sur cette problématique. Au lieu de traiter l’eau pour la rendre potable pour les populations, il est préférable de la traiter en amont en évitant l’introduction d’intrants ou de pesticides et en favorisant d’autres modes de culture ou un désherbage mécanique. Tout cela a été travaillé en lien avec l’agriculture, l’agence de l’eau, la région et l’État. C’est la raison pour laquelle cela fonctionne. Sur notre territoire, nous avons l’habitude, les uns et les autres, de travailler ensemble relativement facilement et c’est une chance.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles sont vos relations avec les pays frontaliers en matière de santé environnementale ?

M. Christian Guirlinger. Nous sommes frontaliers de la Belgique, du Luxembourg, de l’Allemagne et de la Suisse. Un programme important, « Le Rhin vivant », est mené avec l’agence de l’eau, les collectivités locales, les métropoles, la région et les pays voisins. Tous ont travaillé ensemble pour le Rhin qui est un bien commun, car la nature ne connaît pas de limites administratives.

Nous n’avons pas toujours les mêmes façons de travailler ou le même mode de fonctionnement. Par exemple, la Suisse ou l’Allemagne sont souvent représentées, chacune par une personne, alors que la France l’est par trois ou quatre. Néanmoins, nous partageons la volonté d’aller de l’avant pour le bien de l’environnement. Aucun pays frontalier n’est à cet égard réticent. Nous avons l’habitude de travailler, en programme Interreg, avec les pays frontaliers, en particulier la Belgique et le Luxembourg, par exemple en matière d’itinérance aquatique ou de défi laine pour éviter le retournement des prairies.

Mme Véronique Guillotin. Nous avons un territoire anciennement industriel et minier, tels la Moselle Est ou le Nord lorrain, nous avons donc des friches industrielles et des terres polluées. Des politiques régionales volontaristes portent sur la reconquête de ces friches. Nous nous aidons notamment d’outils tels que l’Établissement public foncier de Lorraine (EPFL) ou d’une opération d’intérêt national importante sur le Nord lorrain qui est un territoire transfrontalier avec le Luxembourg, impacté par les activités sidérurgiques. La reconquête des friches s’effectue par des dépollutions ou par un nouvel usage adapté qui soit visuellement acceptable et qui soit habitable.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. En matière de prévention, quelles actions menez-vous auprès des jeunes, des écoles, voire des universités ? Quelles actions menez-vous également en matière de lutte contre les pesticides ? Qu’est-ce qui constitue une priorité de votre région ? Pouvez-vous me confirmer vos bons rapports avec l’administration déconcentrée, au niveau régional, notamment avec l’ARS et la DREAL ? Les échanges d’informations sont-ils fluides ? Comment s’opèrent-ils ?

Mme Véronique Guillotin. Il ne s’agit donc pas du PRSE, mais de la santé et de la jeunesse. Notre cible de population est plutôt un public jeune de lycée, de 16 à 29 ans. Notre politique « Jeunes » comprend un axe « santé ». Nous agissons à destination de ces populations au moyen du programme « Lycées en transition ». Il met en place dans les lycées volontaires des politiques de changement de comportements qui associent l’environnement du lycée, le zéro pesticide, l’utilisation des espaces verts, la préférence de modes de déplacement doux et actifs ainsi que l’alimentation en circuits courts.

Par ailleurs, dans notre axe « Jeunesse santé », des actions de prévention sont mises en place, principalement par des appels à projets. Une grande étude réalisée par l’Observatoire régional de santé, que nous soutenons, est en cours de finalisation sur la santé des jeunes en région Grand-Est.

S’agissant des relations déconcentrées, je ne peux pas porter les avis de l'ensemble des conseillers régionaux ou des politiques. Notre président est éminemment présent et actif dans le domaine de la santé. Nous essayons réellement de travailler avec l’ARS. J’ai beaucoup moins de contacts avec les services déconcentrés de l’État, tels que la DREAL ou la DIRECCTE, qu’avec l’ARS avec laquelle ils sont réguliers. Ce n’est pas toujours aisé et nous ne sommes pas toujours en accord, mais nous avons mis plusieurs actions en place ensemble. Par exemple, dans le domaine de la santé, nous travaillons de façon partenariale pour faire avancer le déploiement de la télémédecine. Globalement, les relations sont plutôt positives en région Grand-Est.

M. Christian Guirlinger. La prévention va avec l’éducation à l’environnement qui est largement portée par la région. Pour l’éducation à l’environnement, nous avons mis en place trois têtes de réseau, chacune pour l’une des trois ex-régions qui composent le Grand-Est. La construction n’a pas été simple, elle a demandé beaucoup de travail, de réunions, d’écoute, de compensations et de relations de travail, car nous avons souhaité tendre vers les mêmes dispositifs en moins de deux ans. Nous y sommes parvenus et cela fonctionne bien depuis cinq ans. Les ex-régions travaillent en relations étroites et nous travaillons avec elles de façon pyramidale. Ainsi, nous parvenons relativement facilement à couvrir l'ensemble du territoire.

Concernant les pesticides, nous avons mis en place le label « Commune nature ». Avec une, deux ou trois libellules, nous récompensons les communes qui s’investissent pour le zéro pesticide. Ce dispositif fonctionne très bien, car les communes relèvent ce défi avec fierté. Avec ce label, nous atteignons non seulement les communes, mais aussi l'ensemble des habitants, car les collectivités locales doivent communiquer avec eux, leur faire des propositions et les conseiller en matière de pesticides. Nous parlons souvent des traitements agricoles, mais les traitements particuliers cumulés les dépassent probablement. Nous devons donc atteindre les jardins et les personnes qui, par exemple, désherbent les allées avec des dosages bien supérieurs à la normale. Récemment, nous avons transformé des arbres morts de notre village en copeaux de paillage ; ainsi, nous réduisons l’arrosage des massifs en été, nous les entretenons sans désherber, nous consommons moins d’eau et nous recyclons le bois de la commune. Le mobilier urbain est aussi en bois issu de la commune.

L’environnement est l’affaire de tous, chacun à son niveau. Bien qu’elle soit chef de file, la région ne peut pas agir seule. L’objectif est donc de s’organiser pour couvrir l'ensemble du territoire.

Enfin, les relations déconcentrées se passent très bien, car elles sont dans nos habitudes de travail. Par exemple, le Grand-Est n’a pas d’agence régionale de la biodiversité (ARB), mais un collectif regroupe la DREAL, l’agence de l’eau, la région, l’Office français de la biodiversité (OFB). Ces acteurs animent le collectif pour notre stratégie régionale de la biodiversité. Plusieurs régions nous ont interrogés sur ce système.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous êtes un maire très impliqué, dynamique et certainement convaincant. Mme Véronique Guillotin estimait que les plans sont un cadre valable, mais qu’ils « n’infusent » pas suffisamment dans les territoires. À votre avis, que pourrions-nous proposer pour que la mobilisation, comme dans votre commune, soit générale dans votre région ? La construction entre les trois anciennes régions a été compliquée. Je suppose qu’il l’est encore plus de faire descendre les informations jusqu’au niveau des communes, puisque les maires sont en première ligne. Compte tenu de la complexité et de la diversité de votre région, que pourrions-nous proposer pour vous aider à faire circuler l’information entre le terrain et l’instance de décision, sous quelque forme que ce soit (réglementaire, organisationnelle, management, département) ?

Mme Véronique Guillotin. Peut-être pourrions-nous demander au maire rural ici présent s’il est au courant des actions du PRSE. Aujourd'hui, je ne sais pas vous dire comment les communes et les intercommunalités ont reçu le travail intéressant qui résulte du PRSE. Peut-être faudrait-il se demander en premier lieu si le travail du PRSE est suffisamment connu. Il s’agit selon moi de communiquer et « d’embarquer ». L’idée des libellules par exemple est une action communiquée, visible, lisible et peut-être facile à mettre en œuvre, donc elle fonctionne.

Il y a l’action, puis la déclinaison pratique. Il conviendrait que les politiques « infusent », car tout le monde a des idées intéressantes. Il s’agit d’une question d’organisation et méthode. Il faudrait un temps de pause entre deux PRSE pour mener une vraie évaluation et déterminer ce qui fonctionne ou non. Peut-être devons-nous aussi être plus clairs et moins dispersés. Le recueil des données par exemple est peut-être stratégique pour connaître notre état de l’air, de l’eau, etc. Au travers de la crise de la covid également, nous avons constaté que ce recueil de données au niveau local et de proximité était majeur.

M. Christian Guirlinger. J’avais effectivement, entendu parler du PRSE en tant que conseiller régional. Sans cela, je ne sais pas si j’en aurais entendu parler, car les maires interviennent dans de nombreux domaines et ne peuvent pas tout savoir. Ayant fait de l’ingénierie au ministère de l’Environnement, beaucoup de maires voisins me demandent comment déposer un dossier de subvention. C’est pourquoi j’ai suggéré à la communauté de communes de créer une cellule avec deux personnes compétentes en la matière, car les dossiers évoluent et sont complexes à monter. Certains maires ruraux font des travaux sans demander le bon dossier de subvention, faute de le savoir. Il est vraiment dommage que l’information ne descende pas jusqu’au terrain. Si je n’avais pas été conseiller régional, je pense que je n’aurais pas été sensibilisé au PRSE, car ce n’est pas du tout mon domaine d’activité.

La région a lancé l’année dernière un appel à initiatives citoyen. Nous avons débloqué 1 million d'euros pour aider à 80 % maximum des projets citoyens (regroupements de personnes, associations) situés entre 1 000 et 10 000 euros. Divers projets ont été proposés concernant l’eau, la transition énergétique ou des turbines sur une rivière. Beaucoup de personnes s’approprient donc le thème de l’environnement et de la santé et cette aide a permis à certaines d’entre elles de lancer leur projet. Par exemple, une personne a installé une ruche éducative à destination des enfants et s’est engagée à recevoir deux classes par an.

Ces actions sont simples et peu onéreuses, mais elles demandent du suivi, de la présence et de l’accompagnement, ce qui manque aux élus ruraux, car ils ne disposent pas des services techniques et administratifs d’une grande ville. Pourtant, c’est sur ces territoires ruraux que peuvent être lancés de beaux projets pour l’environnement, qui peuvent se diffuser dans l'ensemble du territoire national.

Mme Véronique Guillotin. Si l’Association des maires ruraux ou l’Association des maires de France participaient aussi au PRSE, cela favoriserait peut-être la communication auprès des territoires. Je ne suis pas sûre que tous les départements aient été associés à la démarche. À mon avis, ce plan mérite d’être plus alimenté financièrement. Peut-être avons-nous une dispersion des moyens au lieu d’avoir une convergence optimale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mme Véronique Guillotin, en tant que membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), quelle approche avez-vous de l’accompagnement que l’OPECST pourrait porter ou porte aux politiques de santé environnementale ? Par vos différents mandats, avez-vous pu vous-même faire la connexion entre cet office de réflexion et de propositions scientifiques de haut niveau et le terrain sur lequel vous évoluez en matière de santé environnementale ?

Mme Véronique Guillotin. Je ne suis plus membre de l’OPECST depuis le nouveau mandat, mais j’y ai passé trois années. L’objet de l’OPECST est d’apporter une évaluation pour aider les décideurs politiques dans leurs décisions scientifiques en fonction des rapports et travaux réalisés et publiés. L’OPECST peut aider en matière de santé environnementale et il peut se saisir d’une multitude de sujets. Un travail a par exemple été mené sur les ondes et les compteurs Linky. Cet organisme est très actif et productif, mais je ne sais pas si ses rapports sont suffisamment utilisés.

C’est peut-être une piste d’amélioration via une communication plus large de ces rapports à un plus large public. Cela d’autant plus que devant les débats controversés, les fausses informations, les désinformations ou les méconnaissances qui peuvent accompagner un sujet, les rapports de l’OPECST mériteraient peut-être d’être communiqués et mis en avant de façon plus importante.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il conviendrait éventuellement de les intégrer dans une démarche de PNSE, national et régional.

L’audition s’achève à quinze heures cinquante.

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39.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Sylviane Oberlé, chargée de mission prévention des pollutions de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) (30 octobre 2020)

L’audition débute à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous poursuivons nos auditions des représentants des collectivités territoriales : les communes et les intercommunalités. Mme Sylviane Oberlé est chargée de mission prévention des pollutions et des risques technologiques de l’association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF).

Parmi les missions de l’AMF figure l’appui aux maires et présidents d’intercommunalité dans leur gestion quotidienne. Les services de l’AMF y ont toute leur part, en exerçant leur activité de conseil. Ils possèdent donc une vision précise des préoccupations propres aux élus de proximité en ce qui concerne l’impact des nuisances environnementales sur le bien-être des populations.

L’implication des maires est-elle à la mesure de la prise de conscience et de l’intérêt croissant de leurs mandants ? Si la lucidité existe, les moyens à leur disposition sont-ils suffisants pour unir la légitimité institutionnelle qui leur appartient en propre, et la compétence technique requise pour agir efficacement ?

Mme Sylviane Oberlé. Je vous prie de bien vouloir excuser M. Jean-Louis Denoit, maire de Viviez, qui aurait dû être présent. La mise en place du confinement et l’ouverture des écoles posent en effet quelques problèmes pratiques, et requièrent sa participation aux réunions organisées sur son territoire.

La préoccupation de la santé de leurs concitoyens et de l’impact des nuisances environnementales ne quitte pas les maires. Ils ont en effet le souci du bien-être de leurs concitoyens. De manière plus triviale, des contentieux lourds peuvent rapidement survenir, et pourraient engager leur responsabilité pénale. C’est donc une question qu’ils ne prennent absolument pas à la légère.

Néanmoins, les choses peuvent s’avérer parfois un peu plus difficiles en matière de moyens, notamment d’un point de vue technique. Les maires sont des citoyens comme les autres. Ils n’ont pas forcément de compétence particulière en matière de santé, de chimie, ou de pollution. Ils disposent de moyens pour les acquérir et pour s’informer, mais peuvent se trouver parfois un peu démunis face à des questions extrêmement « pointues » sur le plan scientifique.

J’illustrerai mon propos par un certain nombre d’exemples, où les maires ont dû gérer ces problèmes, parfois avec difficulté, mais toujours avec bonne volonté. La première catégorie de problèmes que je voudrais évoquer est celle des risques de pollution des eaux et de l’air. Les maires sont comptables vis-à-vis de leurs administrés et de l’administration de la qualité des eaux de baignade et de consommation, ainsi que de celles rejetées dans les milieux naturels. Ces questions sont parfois très techniques, bien qu’ils parviennent à les traiter grâce à l’aide de leurs services ou de leurs prestataires. Il n’en demeure pas moins qu’ils font parfois face à des inquiétudes de la population.

Récemment, nous avons connu quelques cas compliqués, entre, d’une part, le souhait de la population de réduire sa consommation d’eau en bouteille et de privilégier l’eau du robinet, et, d’autre part, une certaine inquiétude quant à la qualité de cette dernière. Cela a parfois donné lieu à des débats délicats au sein de la collectivité.

En matière de pollution de l’air, le dossier le plus complexe est certainement celui relatif à la pollution de l’air atmosphérique, car il touche aux politiques extrêmement lourdes que sont l’urbanisme et la politique des transports. Les maires ont été beaucoup plus à la manœuvre sur les dossiers de pollution de l’air intérieur, notamment dans les crèches et les établissements d’enseignement. Avec plus ou moins de rapidité, pour des raisons budgétaires et d’accès aux techniques, cette réglementation a été mise en œuvre.

Nous nous sommes néanmoins heurtés à un écueil, qui vous paraîtra peut-être dérisoire, mais qui dans la vie locale, s’avère relativement important. Les résultats de pollution de l’air intérieur doivent être affichés à l’entrée de l’établissement. Cela n’est pas mauvais en soi, mais les maires se rendent parfois compte que leurs administrés ignorent ce qu’est une valeur cible, une valeur seuil, ou une concentration. Ils sont alors obligés de le leur expliquer. Cela permet certes de susciter le débat et d’accroître le niveau de connaissance au sein de la commune, mais peut néanmoins s’avérer compliqué. Aussi, l’AMF souhaiterait avoir accès à une information grand public banalisée, qui existe dans les services de l’État, mais sous une forme parfois un peu trop technocratique. Cela permettrait aux élus, aux maires et aux présidents d’intercommunalité d’expliquer ces notions de manière plus rationnelle à la population.

Nous avons également eu un long débat sur l’exposition aux produits phytopharmaceutiques, qui a commencé bien avant l’actualité des dernières années. Dès la mise en œuvre de la loi Labbé est apparu un certain nombre de difficultés quotidiennes et pratiques. Avec une certaine réticence, compte tenu de la résistance du personnel des services des espaces verts, les collectivités ont mis en œuvre cette loi, mais cela a suscité un débat au sein de la population. Celle-ci se demandait en effet pourquoi les pesticides étaient jugés dangereux à tel endroit, et non à tel autre. Les maires ont ainsi dû faire face à un vent de polémiques. Certains ont anticipé l’évolution de la réglementation, et se sont de ce fait placés dans une situation d’illégalité, en prenant des arrêtés d’interdiction qu’ils n’étaient pas compétents à prendre. Néanmoins, c’était une manière de répondre à l’inquiétude de la population.

La pollution des sols constitue un autre dossier particulièrement lourd pour les maires. Dans un certain nombre de zones en France, nous payons encore un héritage industriel, qui a pu être glorieux, mais qui a laissé des traces extrêmement négatives sous diverses formes, notamment en ce qui concerne la pollution des sols.

M. Jean-Louis Denoit aurait pu vous expliquer cela de manière beaucoup plus détaillée que moi, car son territoire comprend plusieurs anciennes mines et industries lourdes de laminage et de traitement des métaux. Il a entrepris en particulier un vaste programme de mesure des taux de pollution dans les sols de différents types, notamment dans les jardins de ses administrés. À cette occasion, même si nous n’arrivons pas totalement à l’expliquer, nous avons constaté que les taux de plomb et de cadmium dans ces jardins étaient parfois supérieurs à ceux mesurés dans les enceintes même des anciennes usines. Nous nous sommes rendu compte qu’un certain nombre de matériaux étaient récupérés par les habitants dans divers lieux, et rapportés dans leur propre jardin.

Cela témoigne d’une méconnaissance de ce qu’est la pollution des sols. Il est facile de faire des bêtises, mais réparer leurs conséquences est beaucoup plus compliqué. M. Jean-Louis Denoit a ainsi dû expliquer à ses concitoyens ce qu’il en était, sans pour autant déclencher un vent de panique, qui aurait pu entraîner des comportements irrationnels, et préjudiciables à l’objectif poursuivi.

Avant de conclure, j’évoquerai l’affaire Lubrizol. Il est peut-être cynique de présenter les choses ainsi, mais nous n’avions jamais eu une expérimentation grandeur nature mettant en lumière de manière aussi évidente les failles que pouvait présenter le dispositif, qui est pourtant assez complet. L’une de ces failles réside dans le fait que les services de l’État sont occupés à gérer les conséquences immédiates de la catastrophe. C’est normal, c’est leur rôle.

Néanmoins, face à ce qui était tout de même assez visible – un nuage de pollution de cette ampleur peut difficilement être ignoré – ils n’ont pas eu l’idée d’informer les maires, qui étaient pourtant leurs premiers relais aux yeux de la population. Lors des premières retombées d’une espèce de suie noire sur les habitations et les véhicules, la tentation naturelle des habitants a été de les nettoyer au jet d’eau. Cela apparaissait en effet plus facile, et donnait le sentiment d’être moins dangereux. C’était pourtant la pire des bêtises, car cela a consisté à solubiliser les polluants et à les entraîner dans les réseaux d’eau pluviale. Il a fallu du temps pour alerter les maires, pour que ceux-ci puissent prévenir les habitants qu’il fallait mieux essuyer cette suie au chiffon.

Je ne vous soumets cette anecdote que pour illustrer un certain nombre de difficultés des maires. Ils n’ont pas toujours une connaissance précise du phénomène et des mesures à prendre pour y faire face. Or il faut qu’ils puissent informer leurs habitants. Il serait possible d’améliorer l’information des maires quant à la nature des phénomènes et aux risques qu’ils présentent avant la catastrophe, dans un langage simple, qui ne les oblige pas à lire des publications scientifiques. Celles-ci sont souvent extrêmement intéressantes, mais ils n’ont pas toujours le bagage ou le temps nécessaire pour le faire.

En résumé, face à ces questions, le problème des maires, sous des formes diverses et variées, est double. Ils doivent gérer l’inquiétude de la population, en lui donnant une information exacte, mais non anxiogène. D’un autre côté, ils doivent gérer leurs relations avec les services, notamment de l’État, soit parce que ce sont eux qui ont en charge une politique nationale en la matière, comme c’est le cas en ce qui concerne les pesticides, soit parce que ces services disposent des informations, comme c’est le cas des pompiers et des cellules de crise en cas d’accident industriel.

Pour finir sur une note un peu plus optimiste, mais qui dépasse l’environnement, je dirai ceci : il est fréquent de dire que les maires n’ont pas de moyens. C’est vrai sans être vrai. Ils disposent d’une ressource fantastique dans le savoir-faire et la bonne volonté de leurs administrés. Tout le monde n’a certes pas l’administré compétent sur tous les sujets. Ces ressources sont réparties de façon inégale, mais un certain nombre de maires s’appuie sur les compétences de leurs administrés pour mettre en place des dispositifs bénéfiques en termes de réparation des dommages ou de prévention et de bien-être.

Ainsi, des circuits courts pour alimenter les cantines scolaires ont été mis en place depuis plus de dix ans dans certaines collectivités, c’est-à-dire bien avant que cela ne fasse l’objet de dispositions législatives. L’intérêt de ces dernières a été d’étendre à l’ensemble du pays des mesures qui n’avaient pu être mises en place que dans un nombre limité de territoires, parce qu’elles étaient uniquement dues à la créativité et aux ressources locales dont disposaient certains maires et présidents d’intercommunalité.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette présentation, qui a le mérite d’être illustrée par des cas très concrets. Cela nous permet de bien comprendre les difficultés que vous rencontrez au quotidien, au-delà d’organisations un peu technocratiques, qui parfois n’arrivent pas à atteindre leur cible.

Un terme est revenu à plusieurs reprises dans votre propos, celui de compétence. Vous avez souligné la marge qui peut exister entre la compétence officielle, et la nécessité pour les maires de recourir à une certaine débrouillardise pour faire face aux problématiques qu’ils rencontrent, avec le risque pénal en arrière-plan. Pouvez-vous développer ce point.

Faudrait-il introduire une compétence obligatoire de santé environnementale des communes, avec les moyens associés : une formation et une information des élus, et une place plus affirmée dans les politiques locales ? Que pourrait recouvrir cette compétence obligatoire ? Dans quelle mesure cela améliorerait-il les politiques de santé environnementale et l’application du plan national santé-environnement (PNSE) et des plans régionaux santé-environnement (PRSE) ?

Êtes-vous au courant de l’existence d’une boîte à outils, mise à disposition des élus par le ministère de la transition écologique afin d’accompagner les maires souhaitant s’engager dans cette transition ? Y figure notamment tout un volet sur la santé environnementale. De même, connaissez-vous le site Agir pour bébé ? Je vous le demande pour savoir si les retours sont suffisamment nombreux, et si ces démarches portées par les ministères atteignent les maires.

Mme Sylviane Oberlé. J’ai connaissance d’un certain nombre d’initiatives du ministère de la transition écologique. Néanmoins, je ne sais pas si je dois le regretter à mon niveau ou au leur, mais je ne connais pas celles que vous avez évoquées. Il y a là un important travail à mener, de part et d’autre. Il s’agit d’une question assez préoccupante, car certaines informations ont du mal à percoler dans tous les territoires, ce qui nuit à l’efficacité. L’AMF tient son rôle dans la mesure de ce qu’elle peut faire, car elle dispose tout de même de relais au niveau des territoires, qui sont certes un peu lents parfois, mais assez efficaces. Il est cependant évident que nous pouvons difficilement le faire quand nous ne sommes pas au courant des initiatives.

Une compétence obligatoire existe de fait. Les responsabilités des maires en matière de santé publique recouvrent plus ou moins ce type de compétences, qui sont obligatoires. Elle mériterait néanmoins d’être précisée. Les compétences générales sont toujours utiles, car elles permettent de couvrir des problématiques auxquelles on n’a pas pensé au préalable. Mais en matière de santé environnementale, il serait utile non pas de créer une compétence, mais de la préciser, car comme vous l’avez souligné, cela permet de mieux définir les moyens nécessaires. À cette occasion, l’articulation entre les compétences de l’État et des collectivités territoriales pourrait être mieux définie. Ce problème n’est pas nouveau : il a dû être évoqué devant vous à de nombreuses reprises, mais il est d’autant plus délicat pour la santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre réponse est assez explicite. Je retiens l’ignorance des dispositifs, le besoin d’une meilleure articulation, et de précisions sur la répartition des compétences. Même si elles existent officiellement, ce n’est pas toujours clair dans l’esprit des uns et des autres.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que faudrait-il améliorer en ce qui concerne vos relations avec les administrations, l’État et les services de la région sur les sujets liés à la santé environnementale ? Quels sont les moyens propres à l’échelle communale et intercommunale pour traiter ces questions ? Comment évaluez-vous l’information de la population sur l’enjeu de la santé environnementale ?

Mme Sylviane Oberlé. La qualité de nos relations avec les services de l’État varie selon les administrations et les services. Je crains que ce soit circonstanciel en raison de la crise sanitaire, mais à l’heure actuelle, les agences régionales de santé (ARS) font partie des administrations les plus critiquées. Elles passent mal auprès des élus, peut-être parce qu’ils en attendent plus que ce qu’elles peuvent faire. En particulier, ils auraient souhaité une aide plus importante dans la gestion quotidienne de la crise, et des réponses à leurs questions, alors que les ARS en étaient à gérer la crise en termes sanitaires et hospitaliers.

Il existe un malentendu, qui à mes yeux a pris naissance et s’est aggravé avec le retrait de l’ingénierie d’État. Je ne reviens pas sur les raisons politiques de ce retrait, mais humainement, cette ingénierie permettait de créer des liens entre les collectivités et des ingénieurs de très bon niveau. Cette relation était enrichissante : elle permettait aux ingénieurs d’avoir connaissance des problèmes de terrain et aux collectivités de bénéficier de l’expertise technique dont elles avaient besoin, et qui ne peut pas être remplacée par les prestations privées, ou du moins pas intégralement. En effet, pour juger de la qualité d’un prestataire, il faut disposer d’un minimum de connaissances techniques.

Il existe une demande d’information de la part des populations. Dans cette perspective, les maires ou parfois les présidents d’intercommunalité sont les élus les plus proches. Les habitants se tournent naturellement vers eux. Cette demande de la population est parfois à double tranchant. Elle veut d’une part être informée, mais de l’autre ne souhaite pas être dérangée dans son confort. C’est quelque chose que connaissent tous les élus, et qu’ils savent a priori gérer.

Il est vrai que l’arrivée de l’information jusqu’aux élus est parfois un peu plus compliquée. Par exemple, le ministère de la santé avait élaboré une affiche qui permettait d’expliquer simplement aux habitants les enjeux liés à l’air intérieur. Son existence nous a été signalée, et elle a ainsi été utilisée. Les collectivités, en particulier celles de petite taille, n’ont en effet pas accès à des outils de communication professionnels, comme peuvent en développer de plus grandes ou les services de l’État. Elles ont cependant accès à internet, et disposent toutes d’une imprimante. La mise à disposition des collectivités d’outils qui facilitent la communication avec la population dans une démarche pédagogique est assez précieuse, et est appréciée par les collectivités, notamment celles de petite taille. Il ne s’agit du reste pas de la politique la plus ruineuse qui se puisse inventer.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment évaluez-vous l’information de la population ? Quelles actions préconisez-vous en matière de prévention des risques ?

Mme Sylviane Oberlé. Étant en contact avec les élus, je constate un certain manque de sensibilisation de la population française à la culture du risque. Les maires le constatent presque tous les jours. Il s’agit d’un véritable problème, car il faut à la fois expliquer ce que sont les bons gestes et les bonnes habitudes, sans créer pour autant une panique qui serait contre-productive.

Ce domaine serait largement perfectible en mettant des outils à disposition des maires. Ils pourraient ainsi mener une sensibilisation de fond. Ce n’est en effet pas lorsque survient une catastrophe telle que celle de Lubrizol qu’il faut apprendre ce qui doit être fait, mais avant. Les maires seraient tout à fait prêts à s’associer à ce travail, sous réserve de disposer des bons outils. Il est en effet fâcheux pour un maire de dire des bêtises dans ce genre de circonstances. Il vaudrait mieux qu’il dispose des informations les plus solides en amont. Il s’agit d’un travail de fond, pour le long terme.

Mme Valérie Petit. Je vous remercie de ces éclairages. Je souhaiterais mettre l’accent sur la question particulière de la nature en ville. Le retour ou le développement de la nature en ville est une solution pour la santé environnementale, et la santé tout court. En verdissant nos villes, on peut faire baisser la pollution atmosphérique et la température. L’agriculture urbaine est également une solution pour parvenir à une alimentation plus saine. Selon le congrès pour la nature ou l’agence pour la biodiversité, la nature peut nous offrir des solutions.

Nous ne parvenons pas aujourd’hui à faire en sorte que les maires s’approprient toutes les solutions que la nature en ville peut leur apporter, en matière de lutte contre la pollution ou en matière de santé au quotidien. Cela s’explique par le trop faible développement des agences régionales de la biodiversité (ARB), par certaines défaillances des ARS, ainsi que par l’absence totale d’articulation entre les deux. Beaucoup d’informations ne descendent pas de l’échelon régional vers l’échelon municipal. Partagez-vous l’idée que nous devons progresser selon cette double articulation : entre ARB et ARS, d’une part, et entre les agences régionales d’État et les maires, de l’autre ?

Il existe en outre un important défi en matière de savoir-faire, notamment en ce qui concerne les solutions écologiques. Les grosses villes ont un écologue, qui peut les aider, mais ce n’est pas le cas des petites communes. Un important combat doit être mené pour la formation des élus et des agents en ce qui concerne l’écologie. La mise à disposition ou la mutualisation des écologues au niveau des agglomérations pourrait également être utile. Des progrès sont possibles, à la fois pour instruire les élus en amont, mais aussi pour les aider à répondre aux appels d’offres, ou rédiger les appels à projets, d’une grande technicité. Il en va de même en ce qui concerne les paysagistes.

Notre grand défi est l’adaptation de nos sociétés au risque. Nous sommes aujourd’hui dans une société du risque, mais nous n’y avons pas encore adapté nos façons d’envisager l’avenir.

Mme Sylviane Oberlé. Il existe un intérêt des maires pour la nature en ville, mais également une certaine frilosité, en raison d’un contexte historique particulier. Il y a dix ou quinze ans, certains maires, notamment en milieu rural, ont souhaité mener des politiques de biodiversité. Il ne s’agissait pas nécessairement de la nature en ville, mais de sites plus ou moins remarquables. Ils ont fait l’objet d’une grande suspicion de la part d’environnementalistes : ceux-ci les suspectaient de se laisser davantage conduire par l’intérêt de leurs électeurs, voire par des intérêts particuliers, que par la préservation de l’environnement et de la biodiversité.

Cela a conduit un certain nombre d’élus à reculer sur ces questions. Heureusement, nous assistons à un renouvellement régulier des élus à chaque mandat, et un certain nombre d’entre eux n’ont plus ce passif en mémoire. Ils sont prêts à une reconquête du thème de la nature, y compris en milieu urbain. Il est à la fois nécessaire de les renforcer dans leur légitimité à se saisir de ces problèmes – ce n’est pas extrêmement long, mais cela exige de la motivation – et de mettre à leur disposition des outils, notamment techniques et scientifiques, qui ne sont pas toujours à leur portée.

Les agences de l’État font ce qu’elles peuvent et le font plutôt correctement. Néanmoins, il leur manque une culture de la communication, comme manque aux élus une culture de l’interrogation. Celle-ci permettrait probablement des relations plus aisées, ou à tout le moins, auxquelles on pense plus spontanément.

Si ces questions sont parfois d’une grande technicité, je serai plus nuancée en ce qui concerne les petites villes, et notamment les communes rurales. Ces dernières ont beaucoup moins perdu le lien à la nature que les communes plus urbaines. Ce lien n’est pas nécessairement appuyé sur des études scientifiques extrêmement détaillées, mais il existe une connaissance empirique, que nous savons efficace. J’ai le souvenir d’avoir entendu évoquer l’importance des cerisiers ne donnant plus de fruits pour repérer les lieux où il y avait un problème.

Le maire qui m’en a parlé était dans l’incapacité d’expliquer pourquoi, comme moi-même. Néanmoins, il existe des connaissances dans les zones rurales, qui leur permettent d’être moins démunies qu’on ne l’imagine face à ces questions. En l’occurrence, le problème concernerait plutôt les villes moyennes, c’est-à-dire celles dont les habitants ont perdu en partie le lien avec la nature, mais qui n’ont pas la stature administrative ou financière pour disposer d’experts extrêmement « pointus ». Dans ce cas, une forme de mutualisation pourrait être tout à fait intéressante.

Du reste, je vous signale l’initiative, aujourd’hui un peu ancienne, du conseil général du Haut-Rhin, qui avait mis en place des brigades vertes. Celles-ci étaient la déclinaison départementale des gardes champêtres, et elles leur ont permis de mutualiser au niveau du département un certain nombre de compétences. J’attire votre attention sur l’extraordinaire utilité des gardes champêtres, qui sont un corps en voie de disparition, ce que je regrette au titre de l’AMF, de même que les maires. En effet, ils ont un pouvoir de police méconnu, et beaucoup plus environnemental et adapté que celui des policiers municipaux. Leurs compétences et leurs connaissances sont loin d’être négligeables. Si j’avais une demande à formuler à titre personnel, ce serait de se pencher sur la manière de revaloriser ce corps de métier. Il est vrai que le terme de garde champêtre semble un peu désuet, mais leur disparition totale posera un véritable problème.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. En ce qui concerne la formation des élus, êtes-vous au courant d’une formation en e-learning, visant à les former aux enjeux de santé environnementale dans les territoires ? Elle a été mise en place par l’école des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes.

Nous avons beaucoup entendu parler des contrats locaux de santé (CLS) par les représentants des conseils régionaux, ainsi que par des directions d’ARS. Pour ces dernières, il s’agit d’un objectif fixé par le ministère de la santé pour couvrir les besoins de la population, en ce qui concerne le suivi de la santé environnementale. Certaines s’enorgueillissent de leurs résultats, quand d’autres déplorent leur peu d’avancées.

Les conseils régionaux tiennent un même discours. Ils nous ont présenté le CLS comme un outil de contractualisation, en particulier avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les CLS fonctionnent-ils à votre avis dans les territoires ? Pouvez-vous nous en dresser un bref bilan ? Ils sont actuellement facultatifs. Faudrait-il les rendre obligatoires ? Quels sont les retours des élus ? Existe-t-il des pistes d’améliorations ?

Mme Sylviane Oberlé. Concernant votre première question, aucun élu ne m’a parlé de cette formation en e-learning. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas en capacité de vous dire ce qu’elle contient. J’ai le souvenir d’avoir vu passer un mail sur ce point, mais je dois confesser qu’il n’a pas retenu mon attention. Je pense pour être très claire que cette formation n’est pas connue.

Je serai obligée de « jouer un joker » en ce qui concerne les CLS, car cette question est traitée par mes collègues chargés des questions de santé. Néanmoins, comme il est dans leur habitude de me solliciter lorsqu’ils font face à des problèmes liés à l’environnement, j’ai quelques doutes sur le volet environnemental des CLS. Je suis ainsi dans l’incapacité de vous en dresser le bilan. Ce serait malhonnête de ma part. Je peux cependant demander à mes collègues en charge de cette question de prendre contact avec vous.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre réponse est éclairante : s’il y avait eu un volet santé environnementale dans ces CLS, vous en auriez entendu parler. Cela signifie qu’il s’agit surtout de démarches ciblées sur les problématiques sanitaires, et pas du tout sur les interactions entre la santé et l’environnement.

Vous avez fait état de relations quelque peu tendues des maires avec les ARS. Pourtant, lors de leurs auditions, les ARS ont dit être très investies dans des collaborations avec les communes et les collectivités territoriales. Vous parliez d’un malentendu. J’ai l’impression qu’il y a en effet une difficulté à nouer des liens, alors que les ARS affichent une bonne volonté. Je ne suis pas là pour les défendre, mais je rapporte ce que nous avons entendu.

À vos yeux, ces relations ne sont pas encore suffisamment structurées, ou à tout le moins insuffisamment positives. Comment améliorer l’association des maires et des élus à la gestion de la santé environnementale, notamment dans les PRSE ? Vous n’en avez pas parlé. Ils sont pourtant censés être des outils de management territorial. Comment les envisagez-vous ? Avez-vous été sollicitée ? Quelles seraient des pistes d’amélioration ?

Mme Sylviane Oberlé. Je ne veux pas tempérer mon propos en ce qui concerne les ARS, mais en préciser le contexte. Il faut savoir que l’AMF a la chance d’être la maison des élus. Ils y sont chez eux, et ils y discutent donc librement. Cela les conduit parfois à s’épancher plus qu’ils ne l’auraient fait dans un lieu moins familial. Je tempérerais donc légèrement leur propos : sous le coup de l’exaspération, ceux-ci étaient peut-être un peu plus violents que s’ils avaient été tenus en public.

Il n’en demeure pas moins que le phénomène est réel. L’incompréhension réciproque entre les ARS et les maires est complète, et réciproque. L’une des suggestions intuitives que je ferais à la lumière de ce que je peux vivre au quotidien porterait sur le langage des ARS. Elles n’ont en effet pas le bon langage pour parler aux élus. C’est d’ailleurs réciproque, à ceci près qu’il me semble tout de même qu’il serait plus facile pour les ARS de recruter ou de désigner un contact à même de parler aux élus, et qui aurait de ce fait une plus grande proximité avec eux.

Ce genre de questions se gère largement par des relations de gré à gré. Dans l’idéal, on connaît le numéro de téléphone et la personne à qui on peut s’adresser lorsqu’un problème survient. En retour, l’ARS connaît le maire ou la personne à contacter, et le numéro de son secrétariat. Il s’agit de restaurer des liens directs, et pour cela, il faut trouver quelqu’un au niveau de l’ARS à même de jouer le rôle de porte-parole auprès des maires. Cela risque d’être compliqué, mais un certain nombre de malentendus pourraient être levés. Les relations pourraient s’améliorer, ce qui permettra une meilleure compréhension des problèmes des uns et des autres.

La région pourrait jouer un rôle en la matière, les ARS étant par définition régionales. Avec l’élargissement de leur périmètre, les régions se sont éloignées des élus locaux de terrain. Elles en sont conscientes. Par ailleurs, pour les agences régionales, qu’il s’agisse de l’ARS ou d’autres, l’interlocuteur naturel est la région. Elles n’ont pas nécessairement l’habitude d’un contact direct avec les acteurs de terrain que sont les maires.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Est-ce à dire que vos relations avec les conseils régionaux ne sont pas non plus très structurées ? Vous dites qu’elles se sont éloignées des élus de terrain. L’échelon départemental est-il plus proche culturellement des élus ? Votre présentation donne l’impression que les élus des communes et des EPCI sont quelque peu isolés face aux problèmes du terrain.

Mme Sylviane Oberlé. Je ne dis pas que c’est la réalité, mais c’est très clairement leur sentiment, en particulier face à la crise sanitaire. Ce n’est pas que les relations avec les régions soient mauvaises, mais la géographie impose sa dimension. Dans certaines régions, la capitale régionale se situe à trois cents kilomètres de la collectivité territoriale. Certains problèmes peuvent être résolus par téléphone ou par des moyens de communication modernes, mais à un moment donné, il faut bien se rendre sur place. Il faut se voir, il faut échanger en direct. De ce point de vue, les régions ne se sont pas éloignées politiquement, mais géographiquement.

Les élus, en particulier quand ils sont dans une zone isolée, doivent faire une à deux heures de route en voiture pour rencontrer quelqu’un à la région, puis refaire une à deux heures de route pour rentrer chez eux. Il convient de combler la distance géographique par d’autres méthodes de travail. C’est absolument certain, et l’outil parfait pour ce faire n’a pas encore été inventé. C’est l’un des problèmes que posent les régions, et les agences régionales qui sont souvent situées dans la capitale régionale ou dans une autre ville, mais dont certains points sont toujours éloignés.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le département vous paraît-il l’échelon intermédiaire à privilégier dans le montage des politiques publiques de santé environnementale régionale ?

Mme Sylviane Oberlé. Je n’ai pas qualité pour défendre la position de l’AMF à ce sujet, aussi ce que je vous dirai ne l’engage pas. Néanmoins, l’échelon départemental permet une proximité géographique, ainsi qu’un plus grand partage des problèmes. Lorsque la région comprend des zones de montagnes et des zones de plaines, il est évident que les choses ne se présentent pas de la même manière dans l’une ou l’autre. Le département a généralement une meilleure homogénéité géographique, sociologique, et écologique. Sur ces questions, qui sont des questions de proximité, il pourrait être intéressant d’envisager à nouveau l’intervention du département, au moins comme coordinateur et comme facilitateur de la diffusion de l’information. Il est plus facile d’organiser une réunion départementale, pour être très claire.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Ce que vous venez de dire dénote de nombreux dysfonctionnements ainsi qu’une absence d’information. Nous avons parlé des élus, mais qu’en est-il des actions spécifiques à destination, par exemple, des enfants ou des jeunes ? En avez-vous conduites ?

Mme Sylviane Oberlé. Les maires et présidents d’intercommunalité sont à proximité des publics scolaires. L’éducation nationale gère les programmes, mais les élus ont en charge la dimension périscolaire. Un certain nombre d’animations sont prévues dans ce cadre, et certaines portent spécifiquement sur l’environnement. Néanmoins, ces actions dépendent de la disponibilité de moyens ou de personnes compétentes.

Deux sensibilisations ont été menées de manière assez systématique. La gestion des déchets a fait l’objet de nombreuses animations dans les écoles, de même que la qualité de l’air intérieur, puisqu’il existe certaines obligations réglementaires en la matière. Les collectivités ont eu à cœur d’expliquer de quoi il s’agissait aux parents, qui étaient les plus préoccupés, mais aussi aux enfants. Ce sujet est assez technique d’un point de vue chimique, aussi certaines choses n’étaient peut-être pas optimales, mais il existe une véritable volonté de sensibiliser les enfants.

Certaines initiatives ont été prises à destination d’autres publics. Certaines collectivités sensibilisent les associations de retraités, utilisant d’autres réseaux sociaux – au sens premier du terme, c’est-à-dire qui ne soient pas nécessairement liés à internet – présents sur la collectivité. Ces actions ne vont cependant pas beaucoup plus loin que la sensibilisation, car se pose le problème de l’accès à une information solide. Les élus ne mènent donc pas de formations au sens plein du terme.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Je ne vous ai pas entendu parler d’associations ou de démarches citoyennes. Collaborez-vous avec ce type d’acteurs ?

Mme Sylviane Oberlé. Selon les contextes locaux, les collaborations sont relativement développées dans certaines collectivités, et moins dans d’autres. Les associations ne sont pas présentes dans certains territoires. Il peut exister un conflit humain entre leurs dirigeants et les collectivités. Cette relative proximité est néanmoins un peu mise à mal en ce moment, en raison des difficultés budgétaires des associations. Elles se tournent alors vers les collectivités territoriales, mais celles-ci rencontrent également des difficultés, et peuvent être amenées à faire des arbitrages. Par définition, ceux-ci déplaisent toujours à quelqu’un, et donc parfois à certaines associations.

À ma connaissance, hormis des problèmes locaux spécifiques, il n’existe pas de réelles difficultés, et la relation entre collectivités et associations est entrée dans les pratiques. Elle peut fonctionner ou non, mais il n’y a pas d’opposition particulière à ce genre de collaboration.

Les démarches citoyennes se déploient également dans toutes sortes de collectivités. L’association à la vie locale se fait sous différentes formes, telles que les conseils municipaux d’enfants, ou des commissions dans la ligne des budgets participatifs. Ce ne sont parfois pas les budgets, mais des éléments de la politique qui sont mis en débat dans la collectivité. Cela dépend cependant des conditions locales, à commencer par la disponibilité des citoyens. L’un des principaux problèmes auxquels les collectivités font face en la matière tient dans la nécessité d’un porte-parole. Il n’est en effet pas possible de discuter avec l’intégralité de la population. De ce point de vue, les associations, en tant que dispositif de représentation, constituent des interlocuteurs plus aisés que l’ensemble des citoyens, ceux-ci n’étant parfois pas d’accord entre eux. Il y a donc un réel intérêt pour ce genre de démarche, mais il existe un problème de choix et de représentativité des interlocuteurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous soulignez l’éternel problème du fonctionnement de la démocratie participative.

M. Yannick Haury. Je souhaiterais vous interroger sur la question de l’échelle à retenir. Au niveau de la déconcentration, l’interlocuteur est l’ARS. Or vous nous avez parlé des difficultés des communes de petite taille. Aussi, la bonne échelle n’est-elle pas l’EPCI, notamment avec le dispositif du CLS ? Existe-t-il selon vous une autre échelle possible, sachant que certains départements mettent en place des politiques de santé environnementale, notamment pour la protection maternelle et infantile (PMI) ? Comment ces dispositifs peuvent-ils s’articuler ?

Mme Sylviane Oberlé. Je crains de vous décevoir, car je ne pense pas qu’il y ait une bonne échelle dans l’absolu. Il y a une bonne échelle pour un problème spécifique. Pour interpeller directement la population, le maire, même d’une petite commune, est à la bonne échelle. Pour des démarches contractuelles ou planificatrices, il peut s’agir du département ou de l’EPCI, selon le problème. Vous citiez la PMI, dont peuvent se charger des EPCI de grande taille, ou le département. Mais je ne peux vous répondre pour l’ensemble des problèmes. L’échelle pertinente dépend de leur nature.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. L’AMF travaille-t-elle avec des associations nationales, ou fonctionne-t-elle en « silo » ? Il s’agit sans doute d’un levier intéressant.

Mme Sylviane Oberlé. L’AMF au niveau national entretient des liens avec un grand nombre d’organisations, avec des fédérations d’associations, avec des ministères, ou avec des agences. Nous ne manquons pas de partenariats. Si j’ai pu vous donner l’impression d’un fonctionnement en « silo », c’est parce que je me suis attachée à vous décrire les actions des maires sur le terrain, dans leur commune. Nous sommes là un peu plus en « silo », non pas de manière délibérée, mais parce que ces structures ont un quotidien à gérer, et n’ont pas toujours le temps de parler à celui qui occupe le bureau à côté.

On peut le regretter, et des améliorations sont possibles, mais l’AMF a des liens avec un grand nombre de structures. C’est la politique de l’association de rester ouverte à toutes les demandes d’échange d’informations. Nous nous prêtons volontiers à la diffusion d’informations venant de sources diverses et variées, fussent-elles associatives, à condition qu’elles aient un minimum de sérieux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de nous avoir éclairés sur les problèmes rencontrés par les élus de terrain en ce qui concerne les politiques publiques de santé environnementale. Vous nous avez permis d’identifier des difficultés de tous ordres, de communication, de formation, ou de positionnement dans la stratégie locale. Vous avez également exposé quelques pistes d’amélioration. Nous avons bien entendu le message, qui est la volonté affichée de l’AMF de participer à la définition et à la mise en œuvre de ces politiques locales de santé environnementale. Il existe cependant encore des marges d’amélioration, car tout n’est pas opérationnel, efficace, et satisfaisant.

L’audition s’achève à dix heures trente-cinq.

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40.   Audition, ouverte à la presse, de M. Claude Aufort, maire de Trignac et vice-président de la Communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire (CARENE), et de Mme Maribel Létang-Martin, adjointe au maire de Saint-Nazaire en charge de la santé et du suivi du contrat local de santé (CLS) (30 octobre 2020)

L’audition débute à dix heures trente-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous continuons nos auditions des représentants des communes et des intercommunalités en accueillant les représentants de la communauté d’agglomération de la région nazérienne et de l’estuaire (CARENE). M. Claude Aufort est maire de la commune de Trignac, et vice-président de la CARENE. Mme Maribel Létang-Martin est conseillère municipale, adjointe au maire de Saint-Nazaire, et chargée de la santé et du suivi du contrat local de santé.

Comment les établissements publics de coopération intercommunale s’insèrent-ils dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques de santé environnementale ? L’exemple de l’agglomération de Saint-Nazaire pourra apporter une réponse concrète et illustrée à cette question.

(M. Claude Aufort et Mme Maribel Létang-Martin prêtent serment.)

M. Claude Aufort. Sur le plan de l’agglomération, les questions de santé sont apparues assez tardivement, d’abord par le biais de l’air. En 1995, dès l’instant où le plan climat-énergie territorial (PCET) est devenu le plan climat-air-énergie territorial (PCAET), nous avons vu apparaître la dimension de l’air dans les plans « énergie » territoriaux.

Dans leurs politiques, les communautés d’agglomération n’étaient pas très sensibilisées aux questions de santé. Nous considérions ces questions comme étant plutôt portées par l’État. Néanmoins, les élus ont été progressivement sensibilisés aux questions de santé liées à l’air, notamment à travers la participation aux assises européennes de la transition énergétique, qui se tiennent chaque année, principalement à Bordeaux. Certains ateliers concernaient en effet la santé environnementale.

Plus récemment, cette dimension de santé nous a conduits à adhérer à l’alliance des villes pour la qualité de l’air. Celle-ci réunit un certain nombre de villes, souvent des bassins industriels, touchés par la pollution de l’air et les questions de santé environnementale.

Nous avons été également questionnés par des associations. Celles-ci ont joué leur rôle, en étant parfois des trublions pour les politiques. Elles se sont en effet émues de certains rapports parus sur la surmortalité due au cancer à Saint-Nazaire et dans sa région, notamment dans les petites villes industrielles qu’elle comporte. Je suis maire de l’une d’entre elles, Trignac, particulièrement concernée par cette surmortalité.

Outre cette sensibilisation et ces questionnements, nous avons essayé de répondre à un certain nombre de politiques publiques, par exemple avec le plan de protection de l’atmosphère du schéma de cohérence territoriale (SCOT). Une partie du plan régional porte sur l’environnement, à une échelle plus large que nos actions en intercommunalité. Nous devons en tenir compte dans nos PCAET.

Nous avons également adhéré à l’association Air Pays de la Loire, l’une des associations régionales traitant de la qualité de l’air. Nous y avons pris des responsabilités : je siège notamment à son conseil d’administration au sein duquel je poursuis l’engagement de sa précédente vice-présidente. Ces associations travaillent en lien avec les intercommunalités, pour déterminer la qualité de l’air ambiant.

Notre travail avec Air Pays de la Loire nous a conduit à agir en ce qui concerne la qualité de l’air intérieur, notamment dans les écoles et certains lieux publics. Il s’agissait de notre point d’entrée dans cette question.

Aujourd’hui, la communauté d’agglomération s’est emparée de la politique de santé à son niveau, sachant que d’autres acteurs partagent cette responsabilité. Elle commence ainsi à l’intégrer dans ses politiques, notamment à travers les questions d’environnement. Cela peut sembler simple, mais cela relevait plutôt du domaine de l’État ou des contrats locaux de santé (CLS) et n’entrait pas nécessairement dans la vocation de la communauté d’agglomération. Nous faisons partie des rares intercommunalités à avoir intégré cette question de la santé dans le mandat qui vient de démarrer.

Nous avons impulsé des conférences de santé environnementale avec le sous-préfet. Nous en avons mené deux pour l’heure, afin d’expliquer les données qui avaient été communiquées, notamment celles relatives à la surmortalité. Nous répondons ainsi aux questions des industriels, des associations, et des élus locaux.

Mme Maribel Létang-Martin. Le CLS de la ville de Saint-Nazaire a débuté en octobre 2015 et se terminera normalement au 31 décembre 2020. Un CLS dure en principe trois ans, mais il est apparu nécessaire au fil du temps d’adjoindre au nôtre un certain nombre d’avenants. En outre, comme les élections municipales se tenaient en 2020, il a été décidé de le prolonger jusqu’au 31 décembre de cette année.

Parallèlement, la CARENE se posait déjà la question de la santé, notamment en raison d’un rapport produit par l’observatoire régional de la santé en septembre 2019. Celui-ci faisait ressortir un taux de surmortalité par cancer bien supérieur à la moyenne nationale pour les hommes de moins de 65 ans, ainsi que pour les femmes, dans une moindre proportion, mais avec une surmortalité plus importante. L’étude de l’observatoire a été rendue publique, ce qui a conduit les élus locaux – le maire de Saint-Nazaire, ainsi que l’ensemble des vice-présidents de la CARENE – à s’interroger sur la situation.

Dans un CLS, la santé environnementale est envisagée sous plusieurs angles. Elle intéresse tous les habitants, et tous les citoyens. Elle interpelle tous les élus, ainsi que les associations, les organisations syndicales et le corps médical. L’ensemble des partenaires s’interrogeant sur la situation de notre territoire, nous avons demandé la réalisation, sans tarder, d’une étude épidémiologique globale. Comment expliquer cette surmortalité ? Est-elle causée par l’industrie, les comportements, ou la conjonction de ces éléments ? L’est-elle par le trafic routier ou la qualité des eaux ? L’ensemble des facteurs doit être étudié. Ceux-ci doivent être mis en relation, pour que nous puissions comprendre ce qu’il en est. Il est important de comprendre pour agir et d’agir pour comprendre. L’un ne va pas sans l’autre dans les questions de santé environnementale.

Il nous importe également de ne pas oublier, en matière de santé environnementale, les principes fondamentaux qui ont contribué à la qualité de notre action, pendant cinq ans, au titre du CLS, en particulier l’amélioration de l’accès aux droits et à la santé. Nous portons un regard particulier sur les jeunes, ainsi que sur les publics les plus fragiles, les plus précarisés, dont on sait qu’ils mènent moins de démarches volontaires de santé. En effet, dans une situation où tout est difficile, on ne s’occupe pas prioritairement de la santé. Il s’agit pour nous d’un premier axe.

Le deuxième axe porte sur le développement de la prévention et la promotion d’une santé durable. La prévention va contribuer à l’accès aux droits. Il est important de préserver sa santé et de la faire perdurer dans le temps. L’ensemble des partenaires, que ce soit l’État, les régions, les départements, les agglomérations, les collectivités locales, doit se mobiliser pour développer des actions de prévention et promouvoir une santé durable.

Le troisième axe vise à renforcer les ressources du territoire. Il existe un certain nombre d’acteurs, qu’ils soient institutionnels, comme l’hôpital, ou associatifs. Sur notre territoire, nombre d’associations interviennent dans le domaine de la prévention. Sur l’agglomération de Saint-Nazaire, la mortalité en matière de cancer est également liée à la consommation de tabac et d’alcool, même si depuis les années 1970, celle-ci a beaucoup baissé.

Néanmoins, les dépistages ont lieu trop tardivement. La mutualisation de l’ensemble des ressources est pour nous une véritable question, que ce soit le secteur libéral, public, ou associatif, qui est riche d’initiatives et de propositions. Il convient de faire en sorte que le dépistage n’intervienne pas trop tard pour pouvoir prendre en charge le cancer.

Il ne s’agit pas de culpabiliser les Nazairiens et tous les habitants de la région, quant à la consommation d’alcool, de tabac, ou d’autres substances. La prévention ne consiste pas à interdire. Cela doit être dit : interdire les consommations de toutes natures aurait un effet inverse. Les lois de coercition ne sont jamais progressistes. Néanmoins, il est important de s’inscrire dans une démarche de prévention et d’aller vers les habitants et vers les jeunes, avec des propositions qui les sensibilisent et les amènent à réfléchir par eux-mêmes.

Il n’est pas aisé de mesurer tous les effets des actions que nous avons mises en place. Néanmoins, la prévention a un impact. Nous sommes dans une phase d’évaluation du CLS : nous pouvons mesurer les relations de plus en plus fortes qui existent entre les publics, qu’ils soient jeunes ou en situation de précarité et l’ensemble des quarante et un partenaires à la pointe de leur domaine s’étant investis dans le contrat (professionnels de santé, hôpital, associations, etc.). Parmi ces partenaires figure également la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) ou la maison départementale des adolescents, importante en matière d’accompagnement. Celui-ci est en effet indispensable dans la prévention. Il doit s’inscrire dans une écoute et dans un soutien, où l’autre n’est pas considéré comme une personne enfermée dans son monde ou dans son addiction, mais comme un citoyen à part entière, quels que soient son âge, sa condition sociale ou son parcours de vie.

En cela, le CLS induit des relations de plus en plus étroites. Avant mon implication récente dans la thématique de la santé, j’étais chargée de la culture, lors de mon précédent mandat de conseillère municipale de Saint-Nazaire. Mais la culture est universelle. Je suis donc très heureuse que nous nous dirigions vers la construction d’un contrat intercommunal de santé. C’est l’objectif que nous poursuivons. Parmi les dix communes de la CARENE, seul Saint-Nazaire dispose d’un CLS. Nous le vivons comme un point d’appui, comme un outil, avec son histoire et son expérience.

De premiers éléments objectifs sur la santé environnementale, au niveau de l’agglomération, nous ont déjà été communiqués. Les élus et les services vont échanger, afin de déterminer ce qui est important pour nos dix communes. Il ne s’agit pas de faire un copier-coller du CLS de Saint-Nazaire appliqué à l’ensemble des communes de la CARENE. Nous devons établir ce qui nous rassemble et ce qui nous distingue, par exemple, pour améliorer l’accès aux droits. Par la suite, nous discuterons bien évidemment avec nos partenaires, à commencer par l’État – le préfet de Loire-Atlantique, sur le volet de la politique de la ville, puisque les CLS y sont rattachés. Nous échangerons également avec l’agence régionale de santé (ARS), qui a également des objectifs en matière de santé. Nous devons croiser nos regards et nous accorder. C’est le plus important : il s’agit de nous mettre d’accord sur des orientations fondamentales. Chacun doit conserver ses prérogatives, mais nous devons nous rassembler sur des objectifs qui concernent l’ensemble de la population de la CARENE, et même au-delà. Nous travaillons en effet avec d’autres agglomérations.

Nous allons néanmoins commencer par la CARENE. Je n’étais pas conseillère communautaire au cours du précédent mandat, mais j’ai pu constater la capacité des communes à travailler ensemble dans ce cadre, quelle que soit leur couleur politique. Elles ont été capables de construire un plan local interurbain d’urbanisme et un plan interurbain de transport, que le parti communiste a voté. Je l’ai constaté lors de la réunion plénière de présentation. Il existe donc une capacité de mobilisation de ces acteurs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette présentation très détaillée de votre CLS, son contenu, vos objectifs, votre volonté d’étendre cette dynamique à l’ensemble de la communauté d’agglomération.

Parmi les communes de la CARENE, seule Saint-Nazaire dispose pour le moment d’un CLS. Cela confirme les propos de la représentante de l’association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) : ces démarches contractuelles ne sont pas encore très répandues. Nous avons compris que vous souhaitiez faire en sorte que toute la CARENE soit mobilisée dans cette démarche.

À plusieurs reprises, M. Claude Aufort a dit que vous considériez initialement les démarches de santé environnementale comme relevant plutôt du domaine de l’État. Vous vous êtes mobilisés à la suite de la publication de données épidémiologiques, qui ont provoqué une prise de conscience.

Votre mobilisation est relativement récente, puisque votre CLS date de 2015. Il a été reconduit à plusieurs reprises. Comment analysez-vous cette expérience, qui me semble représentative de l’impact auprès du grand public du recueil et de la publication de données ?

De même, qu’en est-il du rapprochement entre les données épidémiologiques et les données sanitaires ? Quelle est votre vision, votre ressenti, votre vécu d’élu de terrain sur la façon dont ont été gérés l’information et le partage des données ? Comment améliorer la création de bases de données, qui permettent aux élus de terrain de mener des politiques de prévention en santé environnementale ?

M. Claude Aufort. Cette question me semble très importante. La sensibilisation des politiques locales à ces questions m’apparaît multifactorielle. Nous avons besoin d’enquêtes bien faites, comme celles de Santé publique France, qui en a notamment mené une sur les risques professionnels. M. Yannick Haury, en tant qu’élu de Saint-Brevin-les-Pins, connaît bien ce bassin industriel. De nombreux cancers y sont liés, entre autres, à l’amiante. Nous sommes un peu tétanisés par la question des risques professionnels.

L’annuaire régional des cancers des risques professionnels doit pouvoir produire des données et nous interpeller, ce qu’a fait Santé Publique France, même si son étude n’était pas une enquête épidémiologique. L’agence nous communiquera prochainement une étude de zone, c’est-à-dire une étude portant sur les pollutions qui peuvent affecter la santé des habitants. Des études reprises par le sous-préfet et par les élus nous semblent importantes, car elles permettent un débat public.

Néanmoins, cette seule dimension est insuffisante. Les associations sont également essentielles. Elles nous agacent de temps à autre, mais elles viennent nous piquer au vif, par exemple, en affirmant que la qualité de l’air provoque les cancers. Nous ne partageons pas nécessairement cette analyse, car ce problème est multifactoriel. Mais cela nous conduit à nous poser des questions intéressantes. Les associations permettent ainsi, à partir d’un rapport d’expertise, de parvenir à un débat public.

Mme Maribel Létang-Martin. Leur questionnement permet également d’initier des études.

M. Claude Aufort. Les associations peuvent en outre demander des focales particulières. L’usine Rabas Protec travaille par exemple pour Airbus. Elle produit des peintures destinées aux avions et émet du chrome. Le chrome 6 étant un cancérogène recensé par l’Union européenne, les associations nous ont demandé de mener une étude. Leurs demandes sont importantes, comme l’est la vision plus globale, plus rationnelle et plus scientifique, de Santé publique France.

Néanmoins, les élus doivent également se sensibiliser. J’évoquais l’alliance des villes pour la qualité de l’air. Les élus et la sous-préfecture doivent s’emparer de ces études scientifiques, et les associations doivent trouver leur place.

Afin d’éviter une césure entre les associations et le monde des élus, nous avons formulé un certain nombre de propositions. À la demande des élus locaux, le sous-préfet a commencé ce travail, et nous allons encore le préciser. Des conférences santé-air-environnement seront organisées. Les associations doivent absolument y participer, de même que le plus grand nombre possible d’industriels. Au sein d’Air Pays de la Loire, figurent des associations, des industriels, et des institutions, comme dans tous les bureaux d’études pour la gestion de l’environnement. Nous devons également y parvenir dans notre bassin. Au-delà d’un simple rapport d’experts, la santé pourra ainsi faire l’objet d’un débat public. Nous pourrons travailler de manière nuancée et ne pas nous cantonner aux représentations des uns et des autres, qui ne sont pas toujours justes.

Nous allons continuer dans cette voie. Nous avons échangé avec un représentant du conservatoire national des arts et métiers (CNAM) travaillant sur la question des controverses publiques, notamment en matière de santé. Il ne faut pas nier ces controverses, mais nous demander comment travailler avec elles, afin d’amener le maximum d’acteurs locaux à se préoccuper des questions de santé.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. En préparant cette audition, nous avons remarqué qu’un certain nombre de médias, notamment France Bleu, et d’articles de la presse locale avaient rapporté les propos de M. David Samzun, maire de Saint-Nazaire et président de l’établissement public de coopération intercommunale de la CARENE. À propos des études épidémiologiques, il a ainsi déclaré : « Cela ne nous suffit pas. On doit savoir où on s’empoisonne. Au travail ? Est-ce lié à l’air que l’on respire ? À autre chose ? Il faut savoir ». Il aurait été intéressant que M. David Samzun s’exprime devant cette commission d’enquête, étant donné qu’il est le seul maire à avoir mis en place un CLS. Nous regrettons qu’il n’ait pu le faire.

L’objectif de cette commission d’enquête est d’apporter des réponses et de proposer des solutions aux différents problèmes liés à la santé environnementale et aux maladies chroniques. Il est vrai que certains propos tenus par les représentants de l’État concernant ce dossier, et qui nous ont été rapportés, ont pu choquer. Ils faisaient du tabac et de l’alcool l’unique cause de la mortalité liée au cancer, deux fois supérieure à la moyenne nationale.

Mme Maribel Létang-Martin, a indiqué que des réunions sur la santé environnementale avaient eu lieu avec le sous-préfet et d’autres représentants. Le taux de cancers est anormal, mais vous avez affirmé que cela ne serait pas dû à la pollution, mais plutôt au tabac et à l’alcool. Avons-nous bien compris ? Ces propos sont assez étonnants, puisque les études n’ont pas encore été menées. Avez-vous déjà une opinion arrêtée sur ce sujet ? Jugez-vous qu’il n’y a pas de pollution industrielle ? Cela interroge quand même.

Comment faites-vous remonter les informations en cas de phénomènes préoccupants constatés sur le terrain ? Vers qui vous tournez-vous ?

Quels sont vos rapports avec les administrations et les services de la région en ce qui concerne les questions de santé environnementale ? Y a-t-il des échanges sur le plan national santé-environnement (PNSE) et sur les plans régionaux santé-environnement (PRSE) ? De quels moyens disposez-vous à l’échelle communale et intercommunale pour traiter ces questions ?

Mme Maribel Létang-Martin. La question du tabac, de l’alcool et des addictions en général a toujours été prise en compte à Saint-Nazaire, en raison des décès qu’elles provoquent. Je n’ai cependant pas dit qu’il s’agissait de la seule cause de mortalité en matière de cancers. C’est la raison pour laquelle au-delà du tabac et de l’alcool, il convient de se pencher sur la question des industries, de l’air, du trafic routier, des eaux, etc. L’ensemble de ces facteurs doit être mis en relation par des études scientifiques, soit par une étude de zone globale, et non site par site, soit par une étude épidémiologique. Ces études seront des points d’appui pour nous.

Vous avez lu dans la presse l’intervention du maire de Saint-Nazaire, président de la CARENE, ainsi que de la députée de la circonscription, et du sénateur Yannick Vaugrenard ici présent. Ils ont demandé que l’État mette en place concrètement ces deux études : l’étude de zone globale sur les divers polluants et l’étude épidémiologique.

Nous ne demandons pas à en connaître les résultats en deux ou trois mois. Les études scientifiques exigent du temps. Il n’est pas possible de disposer de résultats en si peu de temps. Les chercheurs doivent pouvoir mener leur enquête tranquillement, avec leur méthodologie. Ils nous apporteront des éléments au fur et à mesure. Nous devrons les prendre en compte. Ils interpelleront l’ensemble des partenaires : l’État, la région, l’agglomération et ses communes.

Une étude est dynamique, et c’est ce qui nous intéresse. Il faut du temps pour mener une recherche, et il faut laisser les chercheurs s’y atteler tranquillement, en toute indépendance. Nous ne leur demandons pas de nous dire ce que nous avons envie d’entendre, mais de nous expliquer ce qui se produit dans notre bassin industriel et dans notre région, parce que je pense que la problématique excède les frontières de Saint-Nazaire. Il nous a été dit, et nous le prenons positivement, que l’étude de zone globale sera menée à une échelle de vingt kilomètres par vingt kilomètres, soit quatre cents kilomètres carrés. Cela représente presque l’intégralité du périmètre de la CARENE, même s’il sera peut-être nécessaire d’aller au-delà.

Voilà notre état d’esprit. Nous ne pensons pas que nous allons pouvoir tout résoudre par nous-mêmes et à notre échelle. Les élus ont besoin de comprendre, et la population avec eux.

M. Claude Aufort. Quelque chose se joue dans les questions de pollution industrielle, même si l’ARS nous fait remarquer la prévalence de l’alcool et du tabac dans la formation des cancers. En effet, toutes les zones industrielles en France connaissent ce problème de surmortalité due au cancer. Cela s’explique sans doute, en partie, par la sociologie des comportements, mais il est possible de penser que ces mélanges de diverses substances peuvent peser sur la santé des personnes.

Vous nous avez demandé vers qui nous nous tournons lorsque nous faisons face à ce type de problème. Un territoire comme le nôtre échange fréquemment avec la sous-préfecture. Le CLS nous a également conduits à nouer un lien très particulier avec l’ARS. Des points réguliers ont lieu, avec des interlocuteurs attentifs aux questions qui se posent à nous, et avec qui nous pouvons discuter. Enfin, nous avons des liens avec les industries, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et l’État.

Nous discutons avec ces acteurs lorsque nous rencontrons des problèmes particuliers. Cela peut s’avérer plus ou moins aisé, mais, sur un territoire comme le nôtre, nous parvenons à ce que les échanges entre les élus, la population et les différentes institutions aient lieu.

De quels moyens disposons-nous ? Mme Maribel Létang-Martin vous répondra quant à ceux du CLS. La CARENE commence à peine à traiter des questions de santé environnementale. Un quart du temps de Mme Sandrine Laisné y est consacré. Ces questions prennent cependant une dimension plus importante désormais. Un emploi à mi-temps serait sans doute plus adapté, mais il n’en existe pas encore à la CARENE. Ce temps est donc pris sur celui de Mme Sandrine Laisné. Nous avons des besoins en moyens particuliers pour suivre ces questions. Il s’agit également d’un engagement important du vice-président, qui n’est plus uniquement chargé du PCAET, mais également des questions de santé.

Il est vrai que cela exige du temps de la part des élus, par exemple au titre de leur participation à l’alliance des villes pour la qualité de l’air ou à l’association Air Pays de Loire. Ils doivent pourtant le faire.

Mme Maribel Létang-Martin. Les actions sont prises en charge au titre du CLS. Différents abondements financiers proviennent, pour une part, du contrat de ville – c’est pourquoi j’évoquais le préfet de Loire-Atlantique –, et, pour une autre part, de la ville de Saint-Nazaire, en particulier pour un poste de l’atelier santé-ville et pour la coordination de l’ensemble des quarante-sept actions du CLS.

Nous disposons parfois de doubles financements. Il faut du reste arrêter de complexifier les financements, mais je ne vous l’apprends pas. En l’état, on affecte à tel point de coordination ou de relation avec telle action un dixième du coût du poste, etc. Pour travailler sereinement, si une question est jugée importante par tous les partenaires, les financements doivent suivre, et mettre tout le monde à l’aise.

Une partie ville figure nécessairement dans le poste précité. La ville prend actuellement entièrement en charge la coordination du CLS. Néanmoins, et il est important de le dire, cela implique des moyens réduits. Je ne parle pas du financement des actions, qui peuvent s’inscrire dans des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens pouvant relever pour partie du contrat de ville ou d’autres.

Nous devons disposer de l’ingénierie nécessaire pour construire notre contrat local intercommunal de santé. Il s’agit d’une véritable question. Nous accueillerions volontiers une aide substantielle de l’État en la matière. La volonté politique existe. Les partenaires du CLS de Saint-Nazaire, qui interviennent au-delà de la commune, sont très favorables à ce contrat intercommunal. Ils l’ont exprimé lors de l’évaluation du CLS, et sont prêts à se mobiliser.

Il ne faut cependant pas épuiser les institutionnels et les partenaires, qui ont tous une même volonté, et des objectifs communs. Nous avons besoin de soutien. La ville, comme la CARENE, consacrent des moyens à ces réflexions et à ces actions concrètes, mais nous devons nous sentir confortés et à l’aise. Je pense que c’est ainsi que nous pourrons encore mieux travailler.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Ces problématiques se retrouvent dans d’autres territoires industriels en France. Je trouve choquant de stigmatiser la population, en accusant l’alcool et le tabac. On sait très bien que des entreprises comme Yara polluent dans votre territoire. Il est important de continuer à mener des recherches, comme vous le demandez du reste, et de ne surtout pas stigmatiser la population.

Mme Maribel Létang-Martin. Je partage tout à fait vos propos. L’intérêt d’une étude globale de zone – et nous espérons très fortement qu’une étude épidémiologique sera également mise en place – réside dans le fait qu’elle permettra des croisements avec d’autres sites, et notamment des sites portuaires comme ceux de Saint-Nazaire et sa région. Les recherches menées sur ces autres sites permettront d’enrichir les éléments de la nôtre.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous souligner avec raison que ce qui se fait à Saint-Nazaire constitue un modèle du genre, qui pourra, par la suite, être reproduit dans d’autres zones portuaires rencontrant les mêmes difficultés. Il s’agit d’un problème de fond, qui est international, là où existent des activités maritimes et commerciales. Nous portons donc un grand intérêt à la suite de ces démarches.

Nous avons entendu que la volonté politique existe, et que vous avez lancé une dynamique à l’échelle intercommunale. Vous avez cependant besoin de vous sentir soutenus dans votre démarche. Il existe malheureusement un décalage inévitable entre l’urgence qu’il y a à intervenir pour protéger la population et les délais nécessaires aux études et recherches scientifiques. Celles-ci sont en effet indispensables pour ne pas se tromper de cible.

C’était l’objet de votre débat avec la rapporteure. Quelle est l’origine exacte de cette mortalité liée au cancer ? Plusieurs pistes sont possibles, et il ne faut pas se tromper. Il est vraisemblable qu’existe une conjonction de plusieurs facteurs, le fameux « effet cocktail », d’où la difficulté de définir des politiques publiques. Vous êtes également confrontés à la difficulté de gérer l’émotion, ce qui est nécessaire pour ne pas se précipiter sur des réponses toutes faites – alcool, tabac – alors que d’autres éléments entrent peut-être en jeu.

Nous vous remercions pour les éléments généraux et reproductibles ailleurs que vous nous avez présentés, ainsi que pour l’intérêt de la démarche que vous menez dans votre zone très particulière. Celle-ci connaît des problématiques très spécifiques, mais pourra constituer par la suite un modèle méthodologique pour d’autres zones impactées de la même manière.

L’audition s’achève à onze heures trente.

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41.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Brard, maire de Pornic, président de Pornic Agglo Pays de Retz (30 octobre 2020)

L’audition débute à onze heures trente-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons M. Jean-Michel Brard, maire de Pornic et président de Pornic Agglo Pays de Retz.

Pornic est une commune littorale qui compte quinze mille habitants. L’agglomération Pornic Agglo Pays de Retz comporte quinze communes et plus de soixante mille habitants. Comment les communes et l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) s’insèrent-ils dans la mise en œuvre des politiques publiques liées à la santé environnementale ? Quelles sont leurs relations avec les différents acteurs de ces politiques ?

M. Jean-Michel Brard, maire de Pornic, président de Pornic Agglo Pays de Retz. Je pense que vous m’auditionnez ce matin en raison du cluster de cancers pédiatriques dit de Sainte-Pazanne, qui impacte de six à huit communes sur notre territoire. J’interviens en tant que président de l’agglomération et maire de Pornic. La municipalité n’est pas impactée par ce cluster, à la différence d’un certain nombre de communes de l’agglomération.

En raison de l’actualité de ce cluster, et de la réaction des citoyens, en particulier du collectif mis en place sur le territoire de Sainte-Pazanne, j’ai été sollicité, en tant que président d’agglomération, pour siéger aux réunions organisées par l’agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire. En collaboration avec son directeur, j’ai exprimé la volonté d’établir un contrat local de santé (CLS) sur notre territoire. Nous en avons débattu lors de la dernière mandature avec des élus siégeant à l’intercommunalité, et nous avons décidé, dans le cadre du projet de territoire, de nous inscrire dans ce CLS.

Un partenariat a ainsi été étudié avec l’ARS. Nous avons notamment créé un poste permanent. Son recrutement revient à notre collectivité, mais ses charges salariales sont partagées à 50 % entre nous. Depuis lors sont survenus un certain nombre d’événements, en particulier la crise sanitaire. Le recrutement est donc toujours en cours. À l’issue de ce recrutement et de la réécriture du projet de territoire de notre agglomération, le CLS sera rédigé, puis validé par les élus. Ils ne sont installés que depuis le 23 juillet dernier. Une commission doit ainsi se réunir dans les semaines à venir, selon l’évolution de la crise sanitaire, pour mettre en place ce CLS.

Les élus considèrent que l’analyse des causes de ce cluster de cancers pédiatriques exigera du temps. Il n’est du reste pas certain que nous parvenions à les découvrir. Nous devons néanmoins mener une prévention auprès de nos citoyens. C’est la raison pour laquelle la collectivité s’est inscrite dans la démarche du CLS.

Je suis également président du syndicat départemental d’eau potable Atlantic’eau, et c’est aussi à ce titre que je siégeais au comité de suivi organisé par l’ARS. Je suis également intervenu pour rendre les plus transparentes possible les analyses d’eau potable à la sortie de notre système de production, de transport et de distribution. Je me suis attelé à cette tâche en collaboration avec le collectif, et notamment avec le professeur Mickaël Derangeon. Celui-ci a les compétences pour mener ces analyses, et déterminer si l’eau potable est la cause de ces cancers, ce qui ne semble pas nécessairement être le cas aujourd’hui.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. En tant qu’élu, comment avez-vous vécu la découverte de ce cluster ? Comment vous êtes-vous mobilisé ? Les questions de santé environnementale vous avaient-elles intéressé et mobilisé jusqu’alors ? Comment vous positionnez-vous dans le dispositif des politiques publiques en matière de santé environnementale de votre région ? Cela a-t-il été pour vous l’occasion d’une prise de conscience, et pour les élus, d’une mobilisation ? Quelles sont les données scientifiques auxquelles vous avez accédé ? Où en est le diagnostic de la situation ?

Vous avez indiqué ne pas disposer encore de toutes les réponses à ces questions et avoir mis en place une démarche de prévention. Comment cela est-il possible sans connaître les causes du problème ?

M. Jean-Michel Brard. N’ayant pas de compétence particulière en la matière, l’élu local que je suis a vécu la découverte de ce cluster comme une arrivée d’informations inquiétantes. Elle a remis en cause notre système. Les citoyens sont naturellement venus nous interroger sur la manière dont nous comprenions la situation. Qu’en pensions-nous ? Comment pouvions-nous les aider ? Que faire ? Pourquoi ce cluster existait-il sur notre territoire ?

Je n’avais jamais été questionné de la sorte, ni les autres maires, notamment celui de Sainte-Pazanne. En tant que parents, ces informations nous ont nécessairement alertés. Nous devions savoir pourquoi, d’où l’intérêt de participer avec assiduité aux comités organisés par l’ARS et les services de l’État. Pour autant, nous avons bien vu que les analyses de Santé publique France ou de l’ARS conduisaient à des réflexions techniques, dont la lecture était délicate pour moi, n’ayant pas les compétences pour comprendre les termes utilisés, les rapports d’études, etc. Ces rapports sont très techniques et exigent d’être lus par des experts qui peuvent par la suite en restituer la substance aux élus.

Les analyses concluaient par la nécessité de faire preuve de pédagogie auprès de nos populations sur un certain nombre de gestes de prévention qui, de toute façon, amélioreront la santé de notre territoire : ouverture des salles de classe ; aération des maisons ; faire couler l’eau un peu avant de la consommer ; mener un certain nombre d’analyses dans les puits ; se pencher sur la présence de radon dans les sols ; etc. Les scientifiques ont formulé un certain nombre de préconisations, et il nous a semblé important d’informer la population des bons gestes à suivre dans la vie courante.

C’est un peu le rôle qui nous a été proposé par l’ARS dans l’écriture du CLS. Les services n’ont pas spontanément songé à cet outil. C’est bien l’ARS qui nous l’a proposé, pour devenir acteur de la prévention sur notre territoire. Nous ne nous appuyons pas sur des résultats locaux, mais sur des indicateurs qu’elle nous a donnés, afin de rendre visibles les gestes à mettre en place au titre de la prévention sanitaire de nos populations.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pour mes collègues d’autres régions, pouvez-vous dresser un bilan de la situation actuelle en matière de cancers pédiatriques ? Comment avez –vous fait face aux remontées d’informations quand des phénomènes préoccupants ont été constatés ? Vers qui vous êtes-vous tourné ? Existe-t-il des pistes d’amélioration selon vous ? Quels sont vos moyens propres à l’échelle communale et intercommunale pour traiter ces questions ? Vous avez évoqué le CLS, mais d’autres pistes doivent-elles également être envisagées ?

Enfin, comment évaluez-vous l’information de la population de vos communes sur l’enjeu de la santé environnementale ?

M. Jean-Michel Brard. C’est une question importante pour les années à venir. La population dispose aujourd’hui de multiples canaux d’information pour se renseigner et connaître les tenants et aboutissants des problématiques. Les élus doivent aussi s’armer de certains services pour rendre plus lisible leur action. À mon sens, il reste cependant à éclaircir qui en a la compétence, ce qui fait défaut aujourd’hui.

J’entends bien que les maires doivent endosser davantage de compétences et de responsabilités. Je disais tout à l’heure à votre collègue, M. Yannick Haury, que dans la crise sanitaire, tout le monde était applaudi à l’exception des maires. Nous voulons bien nous charger de davantage de responsabilités, et nous les assumerons. Il faudra cependant clarifier à qui revient telle compétence, et si ce devait être à nous, quels moyens nous seraient alloués pour ce faire. Je vous renvoie cette question aujourd’hui.

Je suis proche du collectif, et de ceux qui l’alimentent en première ligne. Vous connaissez mon engagement sur le plan local. Pour autant, je sens que nos actions sont minimes. Nous devons en faire plus, mais il reste à établir ce que nous devons faire en plus. Parler pour parler n’est pas mon style. Mais quelles actions dois-je mener ? J’avoue être un peu démuni.

Nous ne sommes pas structurés. Nous n’avons pas cette compétence, qui est aujourd’hui largement réservée au système étatique de l’ARS. Ma réponse ne vous convient peut-être pas, mais j’ai été très surpris d’avoir du mal à obtenir des réponses lors du comité. Lorsque je reviens sur mon territoire, lorsqu’on me questionne, je sens les échappatoires. On fait confiance au maire, mais je trouve qu’il y a un décalage entre les responsabilités qu’on veut nous confier et les moyens dont nous disposons réellement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Il y a ainsi de nombreuses choses à améliorer, tant sur le plan des délégations et des effectifs que sur le plan opérationnel et financier. Il manque quelque chose. Il existe des dysfonctionnements notables. Avez-vous mis des choses en place en ce qui concerne la prévention des risques, la sensibilisation des professionnels, ou encore l’alerte des publics par des outils de communication ? Avez-vous bénéficié d’une aide en la matière ?

M. Jean-Michel Brard. Nous ne sommes pas encore entrés dans cette phase de communication, car le CLS n’est pas signé, pour des raisons que l’on connaît bien. C’est l’actualité sanitaire en France qui a également empêché l’installation des conseils municipaux, la réinstallation des EPCI, etc., ce que j’ai expliqué dans mon introduction. Les freins ne sont pas volontaires, mais ils sont liés à l’actualité.

Je pense néanmoins qu’il va falloir définir des outils de communication adaptés à chaque territoire. Comme pour nombre des questions qui se posent à nous, nous dépendons de notre environnement proche. Lorsqu’on parle de bassins versants, ce sont ceux d’un territoire spécifique. Les typologies des territoires ne sont pas les mêmes dans toute la France. Il faut donc y faire attention, et le cluster des cancers de Saint-Nazaire n’est pas le même que celui de Sainte-Pazanne. La réflexion doit être adaptée et de proximité. C’est du reste pour cette raison que les maires sont sollicités. La réflexion doit être co-construite. Il me semble important que la compétence de santé publique reste à l’État, à condition que le discours et les analyses de ce dernier soient plus lisibles, pour lever les doutes de nos populations.

L’absence de lisibilité suscite en effet leur défiance vis-à-vis de l’État. Les maires et les présidents d’EPCI constituent un filtre entre les deux. Ils jouissent d’une certaine confiance, mais celle-ci diminue de jour en jour. Je ressens très nettement qu’elle ne nous sera accordée que si nous prouvons que nous agissons. Faute de cette preuve, la reconnaissance dont bénéficient les élus locaux ne sera pas meilleure que celles dont jouissent les autres élus.

Une boîte à outils lisible par tous les citoyens est donc absolument nécessaire. Elle ne peut se résumer aux études techniques et scientifiques, que les collectivités ne peuvent assumer. Nous avons besoin d’outils de communication, et d’un discours lisible, compréhensible, qui permette de dire la vérité, afin de prendre par la suite les mesures nécessaires.

Si un problème est décelé, il est préférable d’en être informé que de le cacher. Une fois connu, il est possible d’apporter des solutions. Mais qui nous communique les éléments dont nous avons besoin pour agir ? Il y a aujourd’hui des « trous dans la raquette ». En tant que président d’EPCI, je comprends bien les enjeux de prévention. Nous allons nous y atteler, car nous disposons d’outils en la matière. Mais en ce qui concerne le traitement du problème à proprement dit, je suis démuni.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pouvez-vous nous faire part de votre expérience du CLS ? Comment avez-vous décidé de le mettre en place ? Qu’est-ce qui pourrait aider les élus, et les motiver encore plus à se saisir de ces sujets ? Des formations, ou d’autres mesures, seraient-elles utiles ? Il convient peut-être de créer une certaine culture en la matière. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Michel Brard. L’argumentaire en faveur du CLS n’a pas été difficile à faire accepter aux élus. Aucun élu n’a témoigné d’inquiétude ou ne s’y est opposé. On pose aujourd’hui aux élus que nous sommes des questions au quotidien, et on attend des réponses immédiates. C’est la raison pour laquelle pas un élu n’a considéré dangereux de mettre en place ce CLS ou que nous traitions là d’un domaine qui ne nous regardait pas. Je n’ai pas eu le sentiment d’une inquiétude de la part des élus, ni dans la précédente ni dans l’actuelle mandature. Les élus jugent normal aujourd’hui de se charger de ces responsabilités, et de poser les bonnes questions aux bonnes structures, pour pouvoir apporter des réponses à nos concitoyens.

Je n’ai pas le sentiment qu’existent des freins en la matière. Néanmoins, la mise en place du CLS demande du temps. Ce qui m’intéresse, c’est que celui-ci puisse être un filtre de vérité, et soit l’occasion d’une véritable discussion, nous permettant de mieux communiquer auprès de nos populations. Si nous nous apercevons que cela n’est pas sérieux, le retour de flamme sera violent, en particulier parce qu’il existe des doutes dans notre territoire. Ceux-ci risquent d’en sortir renforcés, augmentant la défiance à notre égard.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous comprenons très bien que les CLS doivent être construits à partir d’un diagnostic pertinent, et qui soit partagé par tous les acteurs. C’est indispensable pour permettre une appropriation et une crédibilité des élus de terrain quand ils mènent leur démarche.

Vous êtes au bout d’un processus que vous ne maîtrisez pas complètement, alors que la population vous demande des comptes. Nous comprenons très bien votre inconfort, d’autant plus que vous n’avez pas forcément la compétence scientifique pour répondre à des questions qui le sont hautement. Aussi, comme pour le site de Saint-Nazaire dont nous avons auditionné un représentant, il faudra laisser le temps aux scientifiques d’avancer dans leurs démarches, même s’il existe de fortes attentes de la population, légitimement inquiète. Ce délai va nous permettre de poser des questions de fond, d’organisation, de recueil, de partage, d’analyse et de traitement des données, afin de déboucher sur des politiques concrètes.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Hormis l’existence des cancers pédiatriques, y a-t-il d’autres volets importants dans le diagnostic santé-environnement en provenance des élus, des citoyens, ou des associations ?

M. Jean-Michel Brard. Sur notre territoire, l’actualité est avant tout liée à ces cancers pédiatriques. Mais j’ai le sentiment en tant qu’élu, et après plusieurs mandats, que de nombreuses choses restent cachées. Un certain nombre de fléaux dans nos territoires ruraux soulèvent des questions de santé. Je pense par exemple à la consommation d’alcool et de stupéfiants, ou à un certain nombre de dérives comportementales de notre jeunesse. Ce sont de petites incivilités, mais elles posent néanmoins un problème de santé. Je le ressens très clairement. J’ignore si cela entre dans le champ de votre question, mais mon instinct me pousse à en parler. On voit des jeunes de quatorze ans alcoolisés ou consommant des stupéfiants. Ce sont pour moi de vraies questions de santé.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Cela répond à ma question. Quelles actions spécifiques pourraient être conduites à destination des enfants et des jeunes ? Qui pourrait les porter, notamment en termes de prévention ?

M. Jean-Michel Brard. J’ai juré de dire ce que je pense. Je le ferai. Je pense qu’il faut remettre en place le service national, pour recadrer une population qui a besoin de l’être. Il existe un vrai vide en la matière.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. C’est très intéressant. Ce lundi est paru le quatrième plan national santé-environnement (PNSE), qui comprend un volet sur le service national universel et sur la dimension que vous soulignez. Vous êtes donc tout à fait en accord avec ce plan. Il s’agit certainement d’une piste intéressante.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie d’avoir répondu sincèrement à nos questions, avec humilité, et en même temps avec beaucoup de transparence. Votre tâche n’est pas simple. Les élus de terrain sont confrontés directement à la population, et ils ne disposent pas toujours des réponses nécessaires. Nous vous souhaitons bon courage et nous espérons que vous pourrez rapidement bénéficier de toutes les informations et de toutes les connaissances scientifiques dont vous avez besoin pour prendre les décisions adaptées aux problèmes.

L’audition s’achève à douze heures cinq.

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42.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Fugit, député et président du Conseil national de l’air, de M. Jacques Patris, président référent santé d’Atmo France et président d’Atmo Hauts-de-France, de Mme Dominique Tilak, directrice référente santé d’Atmo France et directrice d’Atmo Occitanie, et de Mme Marine Tondelier, déléguée générale d’Atmo France (4 novembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Jean-Luc Fugit, président du Conseil national de l’air depuis 2018, dispensé de la prestation de serment en tant que membre de la commission d’enquête. Nous recevons également les représentants d’Atmo France, fédération qui regroupe les associations agréées pour la surveillance de la qualité de l’air (AASQA) : M. Jacques Patris, président référent santé d’Atmo France et président d’Atmo Hauts-de-France, Mme Dominique Tilak, directrice référente santé d’Atmo France et directrice d’Atmo Occitanie, et Mme Marine Tondelier, déléguée générale d’Atmo France.

(M. Jacques Patris, Mme Dominique Tilak, et Mme Marine Tondelier prêtent serment.)

M. Jean-Luc Fugit, président du Conseil national de l’air. Je suis député du Rhône, membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et président du Conseil national de l’air. Je suis également vice-président de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et écologiques) et membre du Conseil national de la transition écologique.

Nous sommes tous victimes et responsables en santé environnementale. Il est essentiel d’en prendre conscience dans l’action publique. Je prendrai l’exemple du secteur agricole, plus souvent perçu comme coupable que victime. La dernière étude d’APollO chiffre l’impact de la pollution à l’ozone sur les rendements agricoles à un niveau très élevé. Le secteur agricole contribue certes aux pollutions de l’environnement, à travers les émissions d’ammoniac, de particules fines et de pesticides, mais il est également victime de la dégradation des rendements. Certaines productions ont ainsi perdu 30 % de rendements, ce qui n’est pas négligeable.

À la présidence du Conseil national de l’air, je suis animé par la nécessité d’avoir une vision transversale de la situation. Le concept de santé unique ou santé globale s’attache à tous les êtres vivants, humains, animaux et végétaux, et la crise actuelle le rend encore plus d’actualité. Pour comprendre ce concept, je conseille les travaux du chercheur de l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique), Michel Duru. Personnellement, je souhaiterais que la notion d’exposome, introduite par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016, soit plus distinctivement prise en compte. Cette notion recouvre l’ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine au cours d’une vie. L’air que nous respirons en fait évidemment partie. En ce sens, je souhaite que la notion d’exposome soit prise en compte lors de l’élaboration, de la mise en œuvre, du suivi et de l’évaluation des actions de prévention et de lutte contre la pollution de l’air.

Une difficulté tient au fait que l’évaluation de la qualité de l’air se heurte à une approche très compartimentée en matière de politiques publiques. Cette problématique se remarque ne serait-ce que dans l’organisation du ministère de la transition écologique, qui intervient sur la question de l’air intérieur par le biais de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), et sur celle de l’air extérieur via la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

Le sujet de la pollution de l’air est souvent limité à l’air extérieur et certains pensent même que le Conseil national de l’air ne s’intéresse qu’à la qualité de l’air extérieur, ce qui est totalement faux. Nous travaillons en effet sur la notion d’exposome qui englobe l’air intérieur et l’air extérieur. La qualité de l’air intérieur est mal appréhendée, même si les travaux d’élaboration du PNSE 4, actuellement en consultation, l’abordent. La première vice-présidente du Conseil national de l’air, Madame Isabelle Momas, a d’ailleurs travaillé sur le sujet.

Le Conseil national de l’air rassemble les acteurs impliqués dans la préservation et l’analyse de la qualité de l’air, c’est-à-dire des représentants de l’État, des organismes publics, des ministères, des collectivités locales, et des parlementaires comme le sénateur Jean-François Husson. Je rappelle à ce titre que la présidence du Conseil National de l’Air n’est couverte par aucune indemnité et que les personnes qui y siègent sont bénévoles.

Le Conseil national de l’air est également composé de représentants des entreprises et des associations environnementales – le deuxième vice-président est membre de France Nature Environnement – et d’experts et personnalités qualifiées.

Ce conseil est un lieu unique d’échange et de débat dans l’objectif de transmettre des recommandations et de produire des avis, parfois sur demande du ministère de la transition écologique, parfois par auto-saisine. Il étudie aussi bien les questions de l’air intérieur que celles de l’air extérieur.

Ces dernières années, nous avons notamment travaillé sur le nouvel indice Atmo qui rend compte au quotidien de la qualité de l’air que nous respirons, d’après les polluants suivis de manière réglementaire que sont l’oxyde d’azote, l’ozone, et les particules fines. Le Conseil national de l’air a contribué à l’élaboration du nouvel indice, qui sera mis en place à partir de janvier 2021. J’en profite pour remercier la ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili, et sa prédécesseure, Mme Élisabeth Borne, de nous avoir fait confiance et d’avoir signé les arrêtés en conséquence. Ce nouvel indice présente la nouveauté d’intégrer les PM2.5, qui sont les particules les plus fines, et apporte une territorialisation plus précise. Les classes de pollution ont également évolué pour apporter une information plus proche de la réalité et donc peut-être plus inquiétante. J’espère ainsi que l’indice favorisera la prise de conscience collective.

Nous travaillons également par groupes de travail sur la sensibilisation et la formation, ainsi que sur les initiatives des territoires. Nous avons déjà présenté une réflexion sur les pesticides.

Concernant la qualité de l’air intérieur, je tiens à saluer les dispositions proposées par le PNSE 4, actuellement en consultation jusqu’au 9 décembre. Je pense que le Conseil national de l’air y réagira dans ses avis. Notre vice-présidente Isabelle Momas nous aidera en la matière car elle est une ancienne chercheuse de haut niveau et a, de surcroît, travaillé à l’élaboration du PNSE 4.

Le Conseil national de l’air étudie également les recommandations récentes de la Cour des Comptes sur les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air. Nous suivons entre autres le dossier Lubrizol, des dossiers agricoles, le plan national de réduction des émissions polluantes et le dossier des ZFE mobilité mises en place par la loi d’orientation des mobilités dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur. Nous nous interrogeons en outre sur la mise en place d’une filière et d’une feuille de route en faveur de la qualité de l’air. Néanmoins, nous pensons aujourd’hui que le Conseil national de l’air a besoin d’être renforcé dans ses fonctions, ses missions, et ses moyens.

En tant que rapporteur de la loi d’orientation des mobilités et au titre de mes travaux à l’OPECST, je suis l’auteur de plusieurs travaux sur la qualité de l’air, notamment « Pollution de l’air, gaz à effet de serre, et crise du Covid : quelles sont les interactions ? » publié le 15 mai. J’approfondirai ce sujet en janvier 2021 pour tenir compte de nos expériences supplémentaires depuis l’été.

Enfin, le Conseil national de l’air se penche sur d’autres sujets, comme les dispositifs de production d’énergie en milieu agricole qui ont un impact direct sur la qualité de l’air. ‘y travaille au sein de l’OPECST, ainsi que sur les impacts de la conquête spatiale, car une partie de notre avenir sur Terre se joue dans l’espace. Nous avons besoin d’un suivi réel et rigoureux des pollutions en la matière.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La situation est-elle critique en ce qui concerne la qualité de l’air en France ? Êes-vous en mesure d’évaluer les effets du confinement sur la qualité de l’air extérieur et intérieur ? Que savons-nous d’une potentielle transmission du virus par les particules fines ?

En septembre 2019, Mme Élisabeth Borne avait annoncé la révision de l’indice Atmo. Que contient cet indice ? Sa composition vous semble-t-elle satisfaisante ? Comment pourrait-il être amélioré ? Sa révision étant prévue tous les quinze ans, trouvez-vous ce délai suffisant ?

M. Jean-Luc Fugit. Pour évaluer la situation globale, le suivi et les résultats diffèrent selon le polluant étudié. Sur les vingt dernières années, les trois principaux polluants de l’air – l’ozone, l’oxyde d’azote et les particules PM10 – ne sont pas présents partout ni en même temps. Ils présentent au contraire une grande diversité de comportement. L’ozone est particulièrement présent en été, du fait de l’ensoleillement et de la chaleur. De plus, il s’agit d’un polluant secondaire car il n’est pas émis par l’activité humaine mais est le fruit de transformations où, bien souvent, la formation l’emporte sur la destruction et alors la concentration dans l’air augmente.

En revanche, l’oxyde d’azote et les particules fines sont directement émis par les activités humaines. Cependant, leur présence diminue depuis vingt ans. Toutefois, il convient aujourd’hui de s’intéresser davantage aux particules plus fines comme les PM2.5 et aux particules ultrafines, selon les recommandations récentes de l’Anses.

De fait, la pollution globale de l’air en France s’améliore mais demeure élevée, ce pour quoi nous avons des contentieux, concernant notamment l’oxyde d’azote, dans certaines zones. Or la source principale de pollution à l’oxyde d’azote est le moteur à énergie fossile et particulièrement le moteur diesel.

La source principale d’émission de particules fines est en revanche le chauffage au bois non-performant, devant les transports et l’industrie. Cette vérité dérange car nous avons tendance à jeter la faute sur le transport routier à énergie fossile.

La pollution à l’oxyde d’azote reste très élevée dans certains territoires. Puisque nous savons qu’elle est principalement dégagée par le transport routier, la loi d’orientation des mobilités a décidé de mettre en place des zones à faible émission (ZFE) mobilité. J’ai personnellement insisté pour y accoler le terme « mobilité » car je souhaitais montrer qu’agir sur la mobilité routière, à énergie fossile, permettait de réduire la pollution à l’oxyde d’azote. Toutefois, il ne s’agit pas du seul moyen de lutter contre la pollution de l’air. Nous devons aussi nous interroger sur les émissions du monde agricole, du monde industriel et du monde résidentiel.

Bien que la situation globale se soit améliorée, nous devons continuer d’agir car la pollution de l’air est encore supérieure aux normes dans certaines zones. La pollution aux particules fines est plus diffuse que celle à l’oxyde d’azote. La pollution à l’ozone touche à la fois les villes et les champs. J’avais démontré pourquoi dans mes travaux de doctorat, ce gaz étant le produit d’une série de réactions chimiques.

Le premier confinement a eu un effet immédiat sur les teneurs en oxyde d’azote, de 30 % à 70 % de moins selon les agglomérations, du fait de la réduction drastique du trafic routier. En revanche, aucune baisse n’a été observée concernant la pollution aux particules fines. Selon moi, ce constat s’explique par le moindre rôle des transports dans cette pollution, par la hausse du chauffage domestique à cause du climat sec et froid du mois d’avril, et par les épandages agricoles habituels en cette saison. Je l’explique plus en détails dans mes travaux du mois de mai.

Dans ces travaux, j’ai étudié avec des scientifiques l’interaction de ces pollutions avec l’épidémie de covid-19 et leur implication dans la transmission de cette maladie. Il convient de distinguer le rôle de la pollution de l’air dans le degré de résistance au virus et le rôle des particules fines dans le transport du virus. Plusieurs études montrent que la pollution de l’air ambiant détériore effectivement les capacités de résistance au virus. Toutefois, je reste prudent car en tant qu’enseignant-chercheur, je sais que les travaux de recherche doivent toujours être comparés à des études contradictoires et étudiés par d’autres chercheurs. L’analyse scientifique demande du temps. Pour cette raison, j’ai conclu mes travaux de mai en invitant à refaire un point sur la situation en début 2021 et à consulter les acteurs de la recherche sur les différents mécanismes d’interaction.

En revanche, le rôle des particules fines dans la transmission du covid-19 n’a pas été démontré à ce jour. Un point sera bientôt effectué avec des chercheurs pour en débattre au vu des dernières études. Cependant, il est prématuré d’écrire que le transport du covid-19 par les particules fines est assuré. Nous pouvons le supposer, mais nous ne l’avons pas encore démontré scientifiquement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Une étude européenne a révélé que 13 % des décès en Europe seraient causés par la pollution de l’air. L’Union Européenne a alors réagi immédiatement en édictant un plan de réduction des émissions d’ici 2030. Toutefois, la France est de nouveau poursuivie devant la Cour de Justice de l’Union Européenne pour non-respect de la protection de la population en matière de qualité de l’air, en particulier sur les territoires de Paris et de la Martinique. Notre pays a déjà été condamné par le Conseil d’État.

Comment expliquez-vous que ce problème soit récurrent en France, alors qu’elle est signataire de l’accord de Paris ? Selon vous, la notion de pollueur payeur est-elle une réponse suffisante face aux dizaines de milliers de morts causées par la pollution de l’air ?

Il existe des coopérations entre les agences régionales de santé (ARS) et le Conseil national de l’air, dans la lutte contre la pollution aux pesticides en Nouvelle-Aquitaine, ou pour l’amélioration de la qualité de l’air en Bretagne. Que faites-vous exactement ? Pensez-vous que l’instauration concrète de cette coopération faciliterait la réduction de l’utilisation des pesticides ? Comment mesurez-vous votre degré d’influence dans le processus de décision politique pour l’amélioration de la qualité de l’air ? Quels programmes ont réellement été mis en place dans ce but, ainsi que pour réduire les inégalités face à cette pollution ? Ces projets favorisent-ils une appropriation citoyenne de la question de la qualité de l’air ?

Enfin, je souhaiterais savoir si un cadre réglementaire a été mis en place pour assurer le suivi des pesticides dans l’air ambiant à l’échelle nationale ou régionale.

M. Jean-Luc Fugit. L’accord de Paris porte essentiellement sur la réduction des émissions de CO2 et non sur les pollutions de proximité. Toutefois, nous nous sommes longtemps focalisés sur les émissions de CO2 alors que les deux sujets sont complémentaires.

L’impact sanitaire de la pollution de l’air est avéré, que ce soit l’accélération du vieillissement des végétaux, l’impact sur la santé humaine et l’accélération du nombre de décès liés aux polluants atmosphériques. Ils causeraient entre 40 000 et 60 000 morts par an en France, 500 000 en Europe, et 8 millions dans le monde. La pollution de l’air intérieur joue également un rôle dans ces décès, notamment du fait de certains modes de cuisson.

S’agissant des contentieux réguliers, ils concernent principalement la pollution à l’oxyde d’azote, que nous pouvons contrer grâce aux primes à la conversion des véhicules polluants et la mise en place des ZFE mobilité. La loi d’orientation des mobilités parle de la nécessité de développer des mobilités propres, mais je préfère parler de mobilités plus propres. Je pense que ma commission a joué un rôle important pour « muscler » le texte de loi et la fédération Atmo France a beaucoup contribué à la précision du rôle des associations dans le suivi de la qualité de l’air.

Par ailleurs, la Martinique est surtout touchée par la pollution aux particules fines. Toutefois, certaines sont dues à l’activité humaine et d’autres à l’activité entropique. Par exemple, les vents ramènent des particules de sable du Sahara vers la Martinique, et même vers la métropole, qui perturbent ensuite les capteurs de mesure. Distinguer les deux types de particules n’est pas évident. Certes, les autorités françaises sont soumises aux injonctions de l’Union Européenne, mais le cas de la Martinique est très particulier.

Le Conseil national de l’air est un organe consultatif et non exécutif, comme nous les parlementaires. Quant aux ARS, chaque région comptant une association agréée pour la surveillance de la qualité de l’air, les représentants d’Atmo France vous répondront sur ces coopérations.

Le Conseil national de l’air rassemble de nombreux acteurs. Nous l’avons déjà renforcé et nous nous réunissons bien plus souvent depuis deux ans. J’ai d’ailleurs accepté de le présider à la condition de le faire évoluer. Aujourd’hui, nous devons recevoir davantage de moyens pour aller plus loin. J’en discute avec le ministère de la transition écologique, sur la base du dernier rapport de la Cour des Comptes qui s’exprime en ce sens.

Par ailleurs, je pense que le portage politique de la problématique de la qualité de l’air n’est pas explicite ni suffisant en France. Le Gouvernement devrait compter moins de ministres et plus de secrétaires d’État qui travaillent en mode projet. Je l’ai déjà signifié au Président de la République. La question de la qualité de l’air est un sujet transversal qui croise à la fois des problématiques agricoles, environnementales, sanitaires, et de transport, et l’organisation politique doit se restructurer en conséquence. Le Conseil national de l’air devrait ressembler au Conseil national de l’alimentation qui dispose de personnel dédié et dont les missions sont clairement identifiées.

Enfin, le 2 juillet dernier, le Conseil national de l’air a présenté les résultats de la campagne nationale exploratoire sur les pesticides, conduite entre 2018 et 2019, en présence de Mme Élisabeth Borne. Actuellement, il n’existe aucune réglementation sur le suivi des pesticides dans l’air. Avant d’en adopter une, nous devons réfléchir à des moyens de pérenniser les mesures. Nous avons ainsi demandé en séance des moyens pour poursuivre ces mesures et que l’augmentation des aides de l’État aux AASQA, qui passent de 18 à 32 millions d’euros, soit en partie allouée aux travaux sur les pesticides.

Je maintiens ma vigilance sur ce sujet, comme sur celui de la pollution de l’air intérieur.

Mme Claire Pitollat. Suite au dernier recours engagé contre la France par la Commission européenne devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, la semaine dernière, le Gouvernement a annoncé qu’il honorerait l’obligation de mettre en place 10 ZFE dans diverses agglomérations d’ici le 31 décembre 2020. Vous considérez justement que les ZFE sont une solution contre la pollution de l’air. Le Conseil national de l’air peut-il néanmoins en suivre la mise en place et s’assurer du respect de cette obligation ?

Puisqu’il n’existe pas de vaccin contre la pollution de l’air et que la seule solution est de réduire nos émissions, quelles sont les autres pistes que le Gouvernement devrait, selon vous, développer face à cet enjeu de santé publique majeur ?

M. Jean-Luc Fugit. Les ZFE mobilité ont été décidées, bien avant la saisine de la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans la loi d’orientation des mobilités. Elles sont même issues de l’arrêt du 11 juillet 2017 du Conseil d’État, qui exige la révision des feuilles de route pour la surveillance de la qualité de l’air. Par la suite, la loi d’orientation des mobilités rendra obligatoire la mise en place de ZFE mobilité d’ici le 31 décembre 2020, dans les zones où les plans de protection de l’atmosphère ont démontré un dépassement régulier des teneurs en oxyde d’azote ou en particules fines.

De fait, l’annonce du Gouvernement la semaine dernière ne répond pas à la dernière saisine de la Cour de Justice de l’Union Européenne car le processus était déjà en cours. Le Conseil national de l’air suivra évidemment la mise en œuvre des ZFE mobilité.

23 agglomérations sont actuellement en train de réfléchir à mettre en place des ZFE mobilité, alors que seulement 10 sont obligatoires, ce qui est une bonne nouvelle.

Il existe plusieurs leviers pour lutter contre la pollution, mais encore faut-il les actionner. Nous pouvons agir tout d’abord à l’échelle individuelle. Viennent ensuite les leviers collectifs comme les zones à faibles émissions, la coopération avec les industriels, et les efforts du monde agricole. Ce dernier ne s’intéressait pas à la question de la qualité de l’air avant 2010. J’ai été invité à des conférences lors des deux derniers salons de l’agriculture, et j’ai été surpris de compter cinquante agriculteurs lors d’une conférence sur l’agriculture conventionnelle. Des travaux sont également produits par le monde agricole. J’ai pris connaissance récemment du bilan du projet REPP’Air qui témoigne d’une prise de conscience du secteur.

Nous pouvons également agir en réduisant le chauffage au bois non-performant. Ce sujet reste sensible car le bois et la forêt sont souvent valorisés, mais il faut reconnaître que le chauffage au bois non-performant produit beaucoup de particules fines.

Nous pouvons aussi « toiletter » les textes au fur et à mesure de leur entrée en vigueur. Par exemple, j’ai insisté auprès du Gouvernement en faveur d’un amendement dans les travaux préparatoires à la loi relative à l’économie circulaire, qui entérine l’interdiction du brûlage des déchets verts en extérieur. En effet, le brûlage de 50 kilos de déchets verts émet autant de particules fines qu’un trajet de 1 300 km dans un vieux véhicule diesel ou de 13 000 à 15 000 km dans un véhicule diesel récent. Porter ses déchets verts à la déchetterie est donc beaucoup moins polluant, même avec un vieux véhicule diesel.

Toutefois, agir demande une prise de conscience renforcée et pour ce faire, nous devons informer et sensibiliser les citoyens. Le problème de la pollution de l’air est par nature invisible, et il est difficile de rendre visible l’invisible. Ce problème concerne autant l’État et les collectivités locales que les citoyens. Malheureusement, le portage politique est insuffisant sur ce sujet. Nous devons élaborer un plan de lutte plus structuré.

M. Pierre Venteau. L’Union Européenne négocie actuellement la politique agricole commune (PAC). Parmi les différentes possibilités ouvertes aux États pour y intégrer la question environnementale, la plus importante est désormais celle des « ecoschemes ». Plusieurs labellisations sont déjà envisagées pour l’agriculture biologique ou l’AGE.

Une évaluation scientifique globale a-t-elle déjà été effectuée quant à l’impact de ces pratiques sur la qualité de l’air ? Pensez-vous, selon le point de vue du Conseil national de l’air, que nous devrions disposer d’un « ecoscheme » ciblé sur la qualité de l’air ?

M. Jean-Luc Fugit. Je le pense effectivement. Pour répondre à votre première question, nous n’avons pas encore d’évaluation globale de ces impacts, mais nous comptons déjà des études parcellaires sur les pratiques du monde agricole. Le 30 janvier dernier, le Conseil national de l’air a reçu plusieurs chambres d’agriculture qui lui ont présenté des démarches intéressantes en faveur de la qualité de l’air. J’ai d’ailleurs proposé personnellement au ministre de l’agriculture et à la ministre de la transition écologique de travailler ensemble sur ce sujet qui concerne les deux ministères. Le ministère de la transition écologique a affirmé étudier déjà ce sujet de près, et le ministère de l’agriculture n’y est pas fermé. Nous devons travailler ensemble pour combler ce manque d’études globales.

Le secteur agricole est à la fois victime et responsable de la pollution de l’air, comme toutes les activités humaines. Cependant, il n’est pas le principal émetteur. Certes, il rejette beaucoup d’ammoniac et cette substance a une influence sur le cycle de formation de l’ozone. Évidemment, l’épandage de pesticides dans l’air a un impact sur la qualité de l’air. Je suis donc favorable à une meilleure évaluation de l’impact de l’agriculture sur la qualité de l’air, car ce sujet mérite d’être approfondi. Nous devons l’étudier au plus près des territoires, notamment auprès des élevages pour mesurer les rejets d’ammoniac. Nous pourrions même aller plus loin en étudiant la qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments d’élevage, respiré par les exploitants agricoles et par les animaux. Néanmoins, j’observe que les acteurs agricoles ne sont pas opposés à une évaluation de ces sujets. Ils s’inquiètent simplement de se voir imposer des contraintes supplémentaires. Nous devons donc adopter une posture d’accompagnement et non d’accusation.

La pollution de l’air est un enjeu largement partagé et nous devons agir sur tous les leviers en même temps. N’oublions pas non plus la problématique de la qualité de l’air intérieur, très importante, car nous passons 80 % de notre temps à l’intérieur, même hors des périodes de confinement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) surveillent la qualité de l’air ambiant et mettent à disposition du public les données relatives à la présence de polluants dans l’air. Quelles sont les particularités de la qualité de l’air dans les régions Hauts-de-France et Occitanie ? Quelle appréciation Atmo France porte-t-elle sur les résultats des politiques des différents intervenants dans ce domaine ?

M. Jacques Patris, président référent santé d’Atmo France et président d’Atmo Hauts-de-France. Mme la présidente, Mmes et MM. les députés, je vous remercie de nous recevoir en audition. C’est un honneur que nous apprécions et qui prouve la reconnaissance nationale de notre travail.

Avant d’aborder la situation des Hauts-de-France, je rappellerai que nous travaillons avec M. Jean-Luc Fugit au sein du Conseil national de l’air. Nous partageons de nombreux points de vue. Son analyse est très claire et très explicite. Si cette commission d’enquête porte sur la santé environnementale, les AASQA n’ont pas de compétence en santé. Elles sont avant tout des observatoires qui mesurent la qualité de l’air mais aussi évaluent les actions mises en place à tous les échelons réglementaires, national et local. Le plus important n’est pas de mesurer mais d’évaluer la situation et les pratiques. Comme l’a dit M. Jean-Luc Fugit, nous sommes tous victimes et responsables de la pollution de l’air.

Même si la santé n’est pas notre première vocation, les ARS faisant partie de nos collèges, la qualification environnementale nous intéresse beaucoup car l’environnement est un sujet transversal. La qualité de l’air l’est également, car ce problème ne peut être traité en « silo ». Nous constatons cependant un cloisonnement des intervenants entre la question de l’air intérieur et celle de l’air extérieur, alors que l’air est un tout que nous respirons à raison de dix à quinze ml par jour. De ce fait, la qualité de l’air et la santé sont inextricablement liées. C’est pourquoi nous sommes présents devant vous aujourd’hui. Si la santé n’est pas de notre ressort, cet enjeu est toujours présent dans nos travaux.

Nous parlons de plus en plus des décès causés par la pollution de l’air. Cette morbidité existe de toute évidence, mais selon moi, il est plus juste de mettre en cause la notion d’exposome dans ces décès. Celle-ci relie et articule les différents facteurs de pollution, notamment de l’air. L’évaluation devrait donc être effectuée non en nombre de morts mais selon la situation globale de la qualité de l’air au niveau national, voire international.

Il existe déjà un certain nombre de plans visant à réduire les polluants atmosphériques, tels que le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA), le plan de protection de l’atmosphère (PPA), et les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), auxquels Atmo participe et qui s’imposent aux collectivités territoriales. Celles-ci sont accompagnées par les AASQA dans la mise en œuvre de ces plans. Cependant, il convient d’évaluer leurs résultats finaux, ce qui reste compliqué encore aujourd’hui. Un bilan est dressé mais l’évaluation est superficielle. Il n’est pas démontré comment certaines pratiques peuvent améliorer la qualité de l’air, non en mesurant la morbidité, mais en observant une meilleure qualité de vie.

L’opinion publique a pris conscience du problème depuis environ cinq ans. Nous sommes de plus en plus sollicités par les élus, mais aussi par nos concitoyens, et nous devons répondre à ces sollicitations. Pour cela, il est important de parler de la pollution de l’air en des termes positifs, c’est-à-dire ne pas la présenter comme une contrainte mais comme une opportunité pour changer nos pratiques.

Pour répondre maintenant à votre question, les Hauts-de-France sont une vaste région qui regroupe cinq départements et plus de six millions d’habitants, depuis 2017. D’ailleurs, Atmo Hauts-de-France dispose d’un budget de 6 millions d’euros, soit un euro par habitant, ce qui est faible. Les Hauts-de-France présentent une grande diversité de population et d’activité économique, partagée entre l’agriculture et l’industrie. Les grandes agglomérations du Nord Pas-de-Calais regroupent plusieurs centaines de milliers d’habitants et hébergent des industries lourdes. La région compte notamment le plus grand nombre d’usines SEVESO mais les surfaces agricoles sont aussi très vastes. Par conséquent, les Hauts-de-France sont soumis à tous les types de polluants.

Atmo Hauts-de-France est particulièrement impliquée dans la coopération avec les agriculteurs, notamment dans la surveillance des pesticides dans l’air – un sujet important dans le PNSE 4. Les agriculteurs font preuve d’une écoute particulière et les plans de réduction des épandages conclus avec eux fonctionnent très bien. Nous avons eu l’occasion de mesurer la qualité de l’air intérieur chez des agriculteurs volontaires afin de montrer qu’ils sont les premières victimes de la pollution de l’air, compte tenu des teneurs élevées en pesticides dans l’air intérieur des fermes.

Nous surveillons également la pollution émise par l’industrie métallurgique et sidérurgique du Nord Pas-de-Calais. Toutefois, les industriels ne sont pas les plus gros pollueurs de nos jours, car ils sont très surveillés et adhèrent tous volontairement à Atmo, en plus de la contribution financière qu’ils nous versent via la taxe générale sur les activités polluantes. Ils interviennent sans hésitation dès lors qu’un dépassement est constaté pour un polluant. Ils prennent des mesures et règlent rapidement le problème.

Aujourd’hui, la pollution de l’air est majoritairement due au résidentiel tertiaire et à la circulation routière. Les Hauts-de-France sont une euro-région et sont donc traversés par de nombreux poids lourds qui traversent l’Europe. Si cette localisation comporte des avantages, de par la proximité avec les autres pays européens, ses conséquences sont considérables en termes de trafic routier et de pollution. Les autoroutes sont notre point noir en ce qui concerne les émissions de particules fines. Lorsqu’il fait chaud, ce qui est de plus en plus fréquent avec le réchauffement climatique, nous subissons de graves pics d’ozone en été.

Mme Dominique Tilak, directrice référente santé d’Atmo France et directrice d’Atmo Occitanie. Le fondement de l’activité des AASQA, qui motive nos équipes et nos adhérents issus de différents collèges, est la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (loi LAURE) et le droit de chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Les AASQA sont en quelque sorte les sentinelles et la mémoire de la qualité de l’air. Grâce à leur travail de surveillance et leurs actions, les carburants ne comportent plus de plomb ni de soufre, et les industries ont accompli de grands progrès.

Désormais, notre attention se porte sur les pesticides et les perturbateurs endocriniens. Il nous appartient de construire des dispositifs de surveillance qui permettent de dresser un état des lieux sur la présence de ces polluants, pas encore réglementés dans le compartiment aérien, et d’évaluer les progrès réalisés dans les territoires qui résultent des actions mises en place. Pour évaluer, il est essentiel d’avoir des indicateurs et rien n’est plus pertinent que la composition du compartiment aérien afin de déterminer si les politiques en faveur de la qualité de l’air aboutissent à une diminution des concentrations de polluants.

La région Occitanie est la première région viticole de France, ce qui implique des enjeux forts, mais elle compte aussi des territoires urbains importants. Les dispositifs de surveillance réglementaires mis en place sur ce territoire dépendent de la loi LAURE et de ses décrets d’application, et sont essentiellement axés sur les problématiques de pollution urbaine. Nous surveillons les polluants réglementés, que sont l’oxyde d’azote, l’ozone et les particules fines, mais les dispositifs réglementaires ne couvrent pas les nouveaux champs de préoccupation de la société, à savoir les pesticides et les particules ultrafines. Nous faisons face effectivement à de nombreuses questions de la société concernant la présence de pesticides dans l’air, et nous essayons d’y apporter des réponses par le biais de partenariats ponctuels.

Mme Marine Tondelier, déléguée générale d’Atmo France. Atmo France est le seul réseau de surveillance de la qualité de l’air qui fonctionne de cette manière dans le monde, car la France est le seul pays où cette mission incombe à une association. Au lieu de créer une organisation publique à part entière, la loi sur l’air de 1996 a agréé les associations préexistantes dans ce domaine pour qu’elles assurent la mission de surveillance au nom de l’État, selon des règles bien précises, et avec l’appui d’un coordinateur scientifique. Néanmoins, le statut associatif garantit l’indépendance des mesures et nous permet de jouer le rôle de tiers de confiance dans les territoires.

L’assemblée générale d’une AASQA réunit toutes les parties prenantes d’une région. Ce sont le préfet, l’ARS et la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) pour l’État, les collectivités locales, tous les acteurs économiques, industriels et agricoles, qui émettent des polluants atmosphériques, des représentants d’associations sanitaires, environnementales, et de consommateurs, et enfin des personnalités qualifiées tels que des médecins. Il s’agit d’un véritable lieu de débat, au-delà de la mission de surveillance de la qualité de l’air. Les AASQA jouent un rôle d’impulsion sur leurs territoires, dans le but de mettre en place des politiques publiques afin de reconquérir la qualité de l’air.

Votre commission d’enquête porte sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale. L’évaluation est fondamentale pour mettre en place des politiques efficaces, en amont comme en aval, car ces politiques coûtent très cher. Toutefois, l’évaluation nécessite des connaissances, des données, et des moyens dédiés. Atmo France milite donc pour que chaque politique publique en faveur de la qualité de l’air s’accompagne d’un dispositif de type « 1 % évaluation » qui pourrait être appliqué aux fonds de dotation de l’ADEME et aux ZFE, afin de connaître la situation préexistante et vérifier ensuite l’atteinte des objectifs.

La transversalité nous tient également beaucoup à cœur. Bien que l’air que nous respirons soit toujours le même, la question de sa qualité n’est pas traitée par les mêmes directions publiques selon qu’il se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur. La question des pollens relève même de la direction générale de la santé (DGS) au sein du ministère de la santé. Les AASQA se trouvent donc ballotées entre plusieurs ministères. Nous en avons déjà discuté avec vous, Mme la présidente, dans le cadre du PNSE 4. Nous perdons beaucoup de temps à naviguer entre les différents services de l’État mais nous persévérons car nous sommes motivés.

Cette situation appelle le besoin d’une approche transversale de la qualité de l’air dans les politiques publiques, comme le Conseil national de l’air le demande. Encore aujourd’hui, les questions du climat, de l’air et de la santé sont séparées et certaines politiques publiques sont mêmes antagonistes, par exemple sur les sujets des véhicules diesel et du chauffage au bois. Certaines règles d’urbanisme sont également contradictoires, visant la lutte contre le réchauffement climatique ou bien le confort et la santé. Nous tenons à vous dire qu’un euro d’argent public alloué pour le climat n’a pas toujours un impact positif sur la qualité de l’air alors qu’un euro alloué en faveur de la qualité de l’air a toujours un impact positif sur le climat, puisque les polluants atmosphériques sont des facteurs du réchauffement climatique.

La France dispose d’une très bonne école de surveillance de la qualité de l’air, non seulement avec les AASQA, mais aussi avec les chercheurs du volet santé qui n’est pas de notre ressort. Certes, nous ne sommes pas les champions de la réduction de la pollution atmosphérique et les contentieux que vous avez évoqués le montrent, mais ces derniers pointent avant tout le manque de coordination et d’évaluation des politiques publiques, ce pour quoi votre commission d’enquête est importante.

À côté des polluants réglementés, l’État s’intéresse maintenant aux polluants dits « émergents » même si nous n’apprécions pas beaucoup ce qualificatif car, si les politiques publiques en la matière sont émergentes, ces polluants ne sont pas nouveaux. D’ailleurs, les AASQA ne surveillent pas uniquement les polluants réglementés. Leur implantation à l’échelle régionale leur permet d’intervenir sur les polluants les plus problématiques sur le territoire, quels qu’ils soient. Par exemple, Atmo Champagne-Ardenne a déjà mené, il y a vingt ans, des études sur les pesticides, à la demande des collectivités locales. Dans des régions plus industrielles, les AASQA ont surveillé le butadiène ou le carbone suie. Ainsi, un rapport de l’Anses en juin 2018 sur les polluants émergents a recommandé qu’une dizaine de nouveaux polluants fassent l’objet d’une surveillance réglementaire. Le côté subversif du modèle associatif a ainsi permis d’accumuler par anticipation des données en faveur d’une surveillance réglementaire ou d’études épidémiologiques.

En ce qui concerne les interactions entre la pollution de l’air et le covid-19, Atmo France a effectué plusieurs études sur ce sujet pendant le premier confinement, et nous les reprendrons probablement bientôt.

Quant à l’indice Atmo, les AASQA surveillent la qualité de l’air, évaluent et accompagnent les politiques publiques, mais plus encore, elles assurent une mission de pédagogie et de sensibilisation du grand public, et l’indice Atmo est un élément de cette mission.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette présentation du rôle des AASQA dans la surveillance de la qualité de l’air, notamment leur rôle d’impulsion dans les territoires. Le statut associatif vous apporte une souplesse que les autres organismes de santé environnementale n’ont pas, mais aussi une crédibilité comme tiers de confiance, alors que la parole scientifique est souvent remise en question aujourd’hui. Nous sommes heureux de constater que des associations sont reconnues pour leur expertise et écoutées.

Notre commission d’enquête a pour objectif de dresser un bilan de la situation existante, dont vous avez tracé les grandes lignes, et d’identifier des pistes d’amélioration en santé environnementale et dans la gouvernance de la surveillance de la qualité de l’air. M. Jacques Patris a évoqué des difficultés techniques d’évaluation. Quelles sont donc vos limites d’appréhension scientifique des problématiques ? Qu’est-il possible de faire pour améliorer la connaissance ? Vous avez parlé de transversalité et évoqué rapidement le PNSE 4 : quel est le niveau idéal de gouvernance selon vous ? Quel jugement portez-vous sur les PNSE ? Vous ont-ils aidé dans votre mission ?

Mme Dominique Tilak. Lorsque nous réalisons une scénarisation des projets d’action pour améliorer la qualité de l’air, la première nécessité est d’avoir suffisamment de données, suffisamment précises, sur la situation initiale, puis de définir des prévisions précises et réalistes. Par exemple, avant de réduire la vitesse sur une rocade, il faut pouvoir évaluer si la limitation de vitesse entraînera une fluidification du trafic routier. Les AASQA ne sont pas en mesure de le déterminer car ces prévisions dépendent de modèles routiers. De fait, une coordination est nécessaire avec des organismes locaux, comme les agences d’urbanisme. Par exemple, un modèle de trafic routier est réalisé par l’agence d’urbanisme de Toulouse, avec laquelle nous travaillons depuis plusieurs années, afin de vérifier que toutes les mesures encadrant le trafic routier le modifient réellement. Nous pouvons ensuite projeter l’évolution pour évaluer la quantité de polluants rejetés dans l’air par le trafic, leur concentration dans l’air, et le niveau d’exposition des populations à ces pollutions.

Nous utilisons des dispositifs d’amélioration continue, dans le sens où nous projetons des améliorations à échéance de 2030 dans le plan de protection de l’atmosphère (PPA) ou du plan de déplacement urbain (PDU) d’un territoire. Nous devons utiliser les mêmes méthodes pour évaluer la situation réelle à deux ou cinq ans, pour vérifier si nos projections étaient bonnes. Dans le cas contraire, nous devons apprendre de cette expérience pour mettre en place un nouveau dispositif d’amélioration continue.

Pour cette raison, la meilleure échelle de gouvernance pour la surveillance de la qualité de l’air me semble l’échelle régionale, compte tenu des enjeux différenciés sur le territoire national et de la forte implication des acteurs locaux. Les dispositifs et les gouvernances doivent être mis en place à une échelle régionale, dans un cadre réglementaire national qui permette de comparer les données d’une région à l’autre et de collaborer.

M. Jacques Patris. Je prendrai l’exemple de l’évaluation en santé environnementale. Les Atmo sont reconnues dans leurs régions par tous les acteurs du monde de la santé et de la recherche. Ces derniers participent à nos conseils d’administration, ou du moins ils nous contactent souvent. Nous leur fournissons de nombreuses données, notamment aux épidémiologistes, afin qu’ils puissent étayer leurs travaux sur des bases précises.

Chaque région a des spécificités épidémiologiques et de pollution. Nous travaillons donc main dans la main avec les acteurs de santé environnementale en leur fournissant nos données, ce pour quoi notre surveillance dépasse le périmètre des polluants réglementés. Par exemple, dans les Hauts-de-France, les particules ultrafines font l’objet d’une étude très sérieuse sur laquelle nous travaillons beaucoup. Aujourd’hui, grâce au travail des épidémiologistes, nous sommes capables de démontrer leur impact négatif sur l’organisme. La BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive) est un fléau dans notre région. Nous travaillons avec le CHU d’Amiens, qui mobilise une équipe d’ingénieurs et de techniciens de laboratoire, pour évaluer l’impact de la réduction des polluants atmosphériques sur les pathologies chroniques. Voilà un exemple d’évaluation concrète, qui concourt à la notion d’exposome sans tomber dans la négativité. Toutefois, cette évaluation demande beaucoup de temps et nous sommes parfois contraints d’aller vite.

Même si la santé n’est pas notre mission première, elle entre dans nos évaluations de la qualité de l’air. Nous regrettons qu’en dépit de nos nombreux contacts avec le monde médical régional, le ministère de la santé ne collabore pas avec nous. Nous travaillons uniquement avec le ministère de la transition écologique. Nous devrions avoir ces deux ministères pour tutelles, au regard de la transversalité de la problématique de la qualité de l’air et de ses impacts sur la santé.

Vous comprenez que nous ne nous contentons pas de mesurer la qualité de l’air. Nous sommes passés de la métrologie à la modélisation, afin de rendre nos évaluations plus justes et plus légitimes.

Quant à l’échelle de gouvernance, il est évident que la proximité est essentielle. L’échelle régionale est la meilleure échelle car nous connaissons les industriels, les chercheurs, et les agriculteurs de notre région. Un réseau d’acteurs légitime est mis en place, pour une efficacité bien plus grande qu’au niveau national.

Mme Marine Tondelier. Les plans nationaux de santé environnement (PNSE) sont des outils qui nous sont chers. Nous sommes en train de participer à l’élaboration du quatrième. Il s’agit de plans entièrement dédiés à la santé environnementale et transversaux, comme le prouve le nombre de participants et de groupes de travail. Ils permettent ainsi de traiter des sujets orphelins, suspendus entre deux ministères, comme la qualité de l’air.

En soulignant la problématique des pollens, le PNSE 3 a rendu possible la levée de fonds pour les PRSE, la déclinaison régionale. L’évaluation des pollens a beaucoup avancé au niveau régional grâce à ce PNSE, qui permettait de débloquer des crédits notamment auprès de l’ARS. L’évaluation s’est d’abord développée dans les régions où le sujet était problématique, par exemple en Auvergne-Rhône Alpes où le sujet de l’ambroisie mobilisait les citoyens et les élus. D’autres ARS moins concernées ont ainsi commencé à se saisir de la question. Par exemple, l’ARS des Hauts-de-France prévient les personnes volontaires par texto chaque fois qu’il y a un pic de pollen, pour qu’elles prennent leur traitement anti-allergique. Une personne sur quatre est sensible aux pollens en France. Cependant, ces pratiques au niveau régional ne permettent pas une égalité d’accès à l’information sur les pollens dans toute la France.

Le sujet des pollens disparaît dans le PNSE 4 car les rapports d’évaluations des inspections préconisent de renvoyer leurs dispositions concrètes vers des plans sectoriels et de recentrer le PNSE sur une simple fonction d’impulsion. Je reconnais que la situation n’est pas idéale et qu’une surveillance pérenne des pollens serait nécessaire. Cependant, l’évaluation des pollens risque de ne plus être traitée par aucun plan sectoriel, puisque les plans sectoriels émanent du ministère de la transition écologique tandis que la surveillance des pollens est une prérogative du ministère de la santé. Nous ne savons donc pas ce qu’il en sera l’année prochaine. Certaines régions abandonneront peut-être la surveillance des pollens et notre connaissance reculera au moment où nous en venons à démontrer que le réchauffement climatique accroît la virulence des pollens sur l’organisme. Ce problème est avant tout un problème de gouvernance et j’espère que nous trouverons des solutions avec le soutien de votre commission d’enquête.

Mme Sandrine Josso. D’après vos propos, les industriels respectent les normes, les agriculteurs sont en voie de transition, et l’école de surveillance française est très efficace. Dans ce cas, pourquoi la France a-t-elle été condamnée par la Cour de Justice de l’Union Européenne ? Quels sont ses manquements ? Que préconisez-vous au sujet des pollueurs payeurs ?

Mme Marine Tondelier. J’ai effectivement dit que l’école de surveillance française était bonne, dans la mesure où elle collecte des données fiables sur la pollution de l’air et qu’elle est reconnue dans le monde. C’est d’ailleurs Airparif qui mesure la qualité de l’air à Shanghai, Pékin ou Hanoï. Nous ne sommes pas pour autant les champions de l’action pour améliorer la qualité de l’air car ces actions mobilisent une pluralité d’acteurs, dans d’autres circuits.

Tous les acteurs qui peuvent attaquer la France en justice sur la mauvaise qualité de son air le font aujourd’hui, de l’association de citoyens devant le Conseil d’État en passant par l’Union Européenne. Les décisions de justice qui en résultent reconnaissent que la situation progresse, mais pas assez vite, et déplorent un manque d’évaluation et de cohérence entre les plans. Il en existe une multitude, mais ils ne sont pas toujours évalués, et surtout, ils ne sont pas corrélés entre eux. Encore récemment, un rapport de la Cour des Comptes sur les politiques publiques pour la qualité de l’air a mis en avant cette difficulté, après l’avoir déjà signalée en 2015.

M. Jacques Patris n’a pas dit que la pollution industrielle n’était plus un problème. Simplement, les émissions industrielles ne représentent plus la majeure partie des émissions de polluants atmosphériques, et leur part est aujourd’hui maîtrisée en France. Le secteur industriel a fait sa part, en accomplissant des efforts mais aussi par le biais des délocalisations, et l’enjeu se reporte maintenant sur d’autres secteurs.

Pendant le confinement, les citoyens étaient surpris d’observer de la pollution dans l’air alors que le trafic routier et les usines étaient à l’arrêt. Cette pollution était due aux épandages agricoles, dont l’impact était intensifié par le climat sec. De même, le secteur des transports a encore des progrès à faire, et pas seulement le transport individuel. Le principal émetteur de polluants dans l’air à Marseille est l’activité portuaire, le transport maritime étant beaucoup moins réglementé que le terrestre.

Concernant le principe pollueur payeur, la surveillance de la qualité de l’air est financée à un tiers par l’État, un petit tiers variable par les collectivités locales sur la base du volontariat, et un large tiers par la taxe générale sur les activités polluantes acquittée par les industriels dépassant certains seuils d’émissions. Ceux-ci ont le choix de la verser à l’État ou à l’AASQA de leur région de manière entièrement libératoire, raison pour laquelle cette option est privilégiée. De plus, elle leur permet d’obtenir un siège au sein du conseil d’administration de l’association.

Néanmoins, les industriels dénoncent un principe pollueur payeur dans lequel un seul type de pollueur paie en fin de compte. Il n’appartient pas à Atmo de décider de qui doit payer, cela revient à l’État et au Parlement, mais la Cour des Comptes a déjà recommandé en 2015 d’étendre le principe pollueur payeur. Faut-il ponctionner une partie des péages routiers mis en place par la loi d’orientation des mobilités (LOM) pour les AASQA ? Faut-il mobiliser davantage les agriculteurs, alors que ce secteur se porte mal ? Ces derniers sont tiraillés entre des injonctions contradictoires. La loi sur l’eau fixe de nombreuses obligations en contradiction avec les bonnes pratiques contre la pollution de l’air, et personne n’arbitre entre les deux. Par exemple, il est conseillé d’épandre par beau temps car la pluie favoriserait l’infiltration des polluants dans les nappes souterraines, mais alors ceux-ci se dispersent dans l’air.

M. Jacques Patris. Dans les Hauts-de-France, il est certain que la pollution la plus importante ne provient pas de l’activité industrielle mais des transports routiers, car notre région est traversée par des autoroutes et des grands axes où les camions se suivent à un rythme infernal. La Manche et la Mer du Nord sont aussi des voies de transport importantes, sans doute les voies maritimes les plus empruntées par les bateaux. Nos capteurs en bordure de côte montrent bien la pollution générée par le trafic maritime.

Notre région dépasse souvent le seuil réglementaire des PM10 et l’Union Européenne nous a déjà épinglés pour cela. Pour réagir, il est essentiel qu’une AASQA réunisse autour de la table les différents acteurs. Or nous ne comptons pas les acteurs du transport maritime ni du transport routier. Les seules entreprises qui financent nos missions sont les acteurs industriels, qui ne sont plus les principaux émetteurs. À l’inverse, les entreprises du transport ne subventionnent aucune AASQA. Par exemple, les produits phytosanitaires vendus sur le marché français sont connus de l’État et sont taxés. Pourquoi ne pas reverser une partie de cette taxe aux AASQA pour travailler avec les agriculteurs à de nouvelles pratiques moins polluantes ?

Nous souhaiterions que tous les acteurs pollueurs prennent part à nos travaux et nous regrettons que les plus importants ne le fassent pas. Pour ce faire, l’échelle régionale est encore une fois la plus pertinente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends votre sentiment d’impuissance face aux pollutions que vous ne pouvez pas contrôler. La collaboration avec les industriels est visiblement bien avancée, même si tout n’est pas parfait. Vous avez aussi des contacts avec les agriculteurs, avec lesquels le dialogue est ouvert. En revanche, le secteur des transports vous échappe complètement alors qu’il est aujourd’hui le principal émetteur de ces polluants qui mettent la France en contentieux devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. Hormis la création des ZFE mobilité dans les grandes métropoles, qui paraît alors une mesure dérisoire par rapport à l’enjeu, vous n’avez guère de prise sur les émissions du secteur des transports.

Pensez-vous que la dynamique autour des transports ne devrait pas plutôt être lancée à l’échelle nationale, puisque les transports routiers et maritimes dépassent le périmètre régional ? La problématique est même internationale. Pourrions-nous envisager de réunir autour de la même table tous les acteurs du transport, routier, maritime, et même ferroviaire ? Je ne cite pas le transport individuel qui est plus difficile à circonscrire.

M. Jacques Patris. Vous relevez bien le paradoxe de cette problématique. Ce secteur d’activité intervient à l’échelle nationale et internationale mais ses répercussions s’observent à l’échelle régionale. Nous ne pouvons évidemment pas réunir au sein des AASQA régionales tous les acteurs du transport international, mais nous pourrions néanmoins étudier une problématique nationale et consulter les conseils régionaux qui sont compétents en matière de transports. Le transport ferroviaire peut tout à fait être une alternative au transport routier inter-régional. Il suffirait de construire des voies pour mettre les camions sur les trains. Cette problématique est donc à la fois nationale et régionale, mais une impulsion nationale est nécessaire pour lancer la réflexion.

Mme Dominique Tilak. En région Occitanie, nous travaillons avec les ports méditerranéens, de moindre envergure que ceux du Nord de la France, et des partenariats sont mis en place. De la même façon, nous travaillons depuis plusieurs années déjà avec l’aéroport de Toulouse-Blagnac ainsi que celui de Montpellier depuis la fusion des régions Languedoc et Midi-Pyrénées. Si nous parvenons à sensibiliser les acteurs locaux à la problématique de la pollution de l’air et à enclencher des actions avec eux, nous pouvons ensemble évaluer l’impact de leurs activités. Dans le cas d’un acteur local émetteur de polluants atmosphériques, tel un grand aéroport à proximité d’un centre-ville, si nous regardons la présence des polluants dans un rayon de 200 ou 300 mètres et que nous évaluons les actions mises en place par les plateformes aéroportuaires, nous pouvons ainsi objectiver les débats et repositionner l’ensemble des enjeux.

Aujourd’hui, les principaux enjeux de pollution de l’air concernent le trafic routier quotidien, c’est-à-dire celui individuel. Or le seul contributeur à la surveillance de la qualité de l’air est l’industrie. Ce secteur a accompli de réels progrès, que nous pouvons démontrer en tant que structure indépendante. En revanche, nous ne constatons pas les mêmes évolutions pour le secteur agricole et le trafic routier sur les grandes artères, en partie parce que ces pollueurs ne sont pas suffisamment impliqués dans la surveillance et ne trouvent pas de retour sur investissement à leur contribution via les taxes.

Nous sommes indépendants, et nous n’améliorons pas les résultats de nos financeurs. Nous pouvons donc affirmer en toute indépendance que telle ou telle action a un impact positif ou négatif sur la qualité de l’air.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous percevons mieux à présent les progrès réalisés, même si les chiffres demeurent préoccupants. Nous constatons qu’il existe une organisation au niveau national et une gouvernance à la fois nationale et régionale effective, bien qu’elle se heurte à un certain nombre de difficultés. Nous remarquons notamment que les pollueurs majoritaires, à savoir les individus, ne sont pas autour de la table des AASQA. Quelle démarche d’information envisagez-vous pour que le grand public devienne acteur de la qualité de l’air et ne soit plus un pollueur passif qui s’en remet aux AASQA et au Conseil National de l’Air ? Comment pouvons-nous responsabiliser les individus à l’origine de tous ces trafics quotidiens qui augmentent la pollution atmosphérique ?

M. Jacques Patris. Communiquer et informer est l’une de nos principales missions. De plus, nos conseils d’administrations comportent un collège associatif qui regroupe des associations reconnues pour la protection de la nature. Ces associations sont nos relais pour communiquer un certain nombre d’informations.

Nous nous rendons également sur le terrain, auprès des collectivités territoriales et des élus, pour organiser des séances d’information sur la qualité de l’air, qui est une problématique complexe. Nous agissons pour l’information des individus au quotidien. Notre mission de communication s’est d’ailleurs développée depuis les dix dernières années, les effectifs les budgets qui y sont consacrés ont presque doublé.

Nous avons également de nouveaux outils de communication. Par exemple, nous formons des animateurs qui se rendent dans les établissements scolaires pour informer les jeunes populations sur la qualité de l’air. D’autres associations, comme l’Air et Moi, jouent un rôle de relais d’information auprès du public. Enfin, nous participons à de nombreux évènements sur le terrain, comme la journée nationale de l’air, pour faire connaître notre association et nos actions, et communiquer sur les bonnes pratiques.

Notre communication a véritablement évolué ces dernières années et les moyens consacrés ont doublé dans toutes les AASQA. Il ne s’agit pas d’une communication passive, mais d’une communication engageante dans le but de rendre acteur chaque individu.

Nous collaborons en outre avec une psychologue et une sociologue qui savent comment aborder certaines populations. En effet, les personnes les plus exposées à la pollution sont les plus défavorisées, et nous devons les accompagner. Ces deux professionnelles nous aident à créer des cohortes de population. Par exemple, nous faisons appel à des citoyens volontaires pour évaluer la pollinisation de certaines espèces, après une formation rapide. De même, nous prêtons tout une flotte de micro-capteurs aux personnes volontaires. Elles peuvent ainsi analyser elles-mêmes la présence de polluants dans leur air ambiant grâce à une application sur téléphone, qui leur suggère ensuite des bonnes pratiques pour diminuer la pollution par leurs propres moyens.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Où en est le développement des pollinariums sentinelles ? Y en a-t-il dans toutes les régions de France ?

M. Jacques Patris. Non, mais nous participons aux pollinariums existants, comme le réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA) situé en région lyonnaise, de façon à communiquer avec le plus grand nombre de personnes.

Mme Marine Tondelier. Je voudrais citer un livre paru la semaine dernière, avec lequel je n’ai aucun lien d’intérêt, « L’art de gouverner la qualité de l’air. L’action publique en question » de Franck Boutaric, chercheur en organisations. Il y explique que la pollution de l’air est la première cause de mortalité au monde mais que, paradoxalement, le sujet mobilise peu les citoyens et les élus car la pollution de l’air est invisible. Il existe quelques exceptions à l’occasion d’épisodes de brouillard tueur, par exemple à Londres en 1952. L’auteur estime donc que la problématique doit devenir visible pour que la mobilisation avance.

Franck Boutaric évoque souvent l’indice Atmo, que nous diffusons pour que les citoyens prennent conscience de la qualité de l’air qu’ils respirent. C’est un outil de sensibilisation et de pédagogie, mais aussi un moyen de pousser les politiques à passer à l’action. Si l’indice Atmo est vert toute l’année, nous pensons que tout va bien. S’il passe à l’orange, au rouge, voire au violet, il faut passer à l’action.

En outre, la méthodologie de l’indice Atmo va changer à partir du 1er janvier 2021, pour prendre en compte les PM2.5, mais la qualité de l’air ne va se dégrader pour autant dans la nuit. Je précise que l’indice est nommé Atmo mais est régi par un arrêté ministériel et ne dépend donc pas des seuls choix de calcul d’Atmo France. Entre le moment où nous avons pensé qu’il serait pertinent d’y intégrer les PM2.5 et le moment où le ministère les a réellement intégrés, plusieurs années se sont écoulées.

Par ailleurs, le nouvel indice ne comportera plus de catégorie « très bonne » car celle-ci n’avait pas de sens. L’Agence Européenne pour l’Environnement l’avait déjà supprimée. À l’opposé, une nouvelle catégorie « extrêmement médiocre » a été créée. L’indice sera donc plus alarmiste et poussera davantage à l’action. Néanmoins, la situation ne se dégradera pas instantanément, mais les données seront peut-être davantage en conformité avec les normes sanitaires, notamment celles de l’OMS. Nous pourrons peut-être mieux appréhender ainsi les enjeux de santé liés à la qualité de l’air.

L’audition s’achève à quinze heures cinquante.

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43.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Annick Bonneville, directrice régionale, et de Mme Koulm Dubus, cheffe du service risques naturels et technologiques de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) des Pays de la Loire (4 novembre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous achevons aujourd’hui les auditions des représentants des ministères en régions par l’audition de Madame Annick Bonneville, ingénieure générale des mines, directrice, et Madame Koulm Dubus, ingénieure et cheffe du service risques naturels et technologiques, de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) des Pays de la Loire.

Quelles sont les spécificités des Pays de la Loire en matière de prévention des risques et des nuisances ? Quelles en sont les conséquences pour l’action de la DREAL ? Quelles sont les relations de cette dernière avec les autres parties prenantes régionales ? Quel a été le rôle de la DREAL dans l’élaboration et la mise en place du plan régional de santé-environnement (PRSE) 2016-2021 ?

(Mme Annick Bonneville et Mme Koulm Dubus prêtent successivement serment.)

Mme Annick Bonneville, directrice de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement des Pays de la Loire. Mme la présidente, Mmes et MM. les députés, je vous remercie de nous donner l’opportunité d’échanger avec vous sur ce sujet majeur pour la DREAL. Vous connaissez sans doute déjà les missions de la DREAL, mais je tiens à rappeler que les questions de santé-environnement font partie de son ADN. Notre structure les étudie à de multiples titres, à travers le PRSE bien sûr, mais aussi par nos missions de prévention des pollutions, des nuisances et des risques et de contrôle de la qualité de l’eau. Nous intervenons également en ce qui concerne l’habitat indigne, la qualité de l’air intérieur et de l’air extérieur. Ce sujet entre en jeu dans plusieurs problématiques, celle des transports, avec la promotion du vélo, celle de l’industrie, ou encore en ce qui concerne le brûlage des déchets verts, une thématique moins connue du grand public alors qu’elle impacte considérablement la qualité de l’air.

Le PRSE a été lancé officiellement en mars 2017 dans les Pays de la Loire, devant une audience de 180 acteurs locaux qui ont travaillé activement avec nous à son élaboration. Ce plan est le fruit d’un travail collaboratif de tous les acteurs de la région. Il est copiloté par le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS), le préfet de région, et la présidente du conseil régional. Il s’agit d’un programme d’action ambitieux, qui s’articule avec d’autres plans tels que le plan EcoPhyto ou les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) menés par les collectivités locales.

Afin de mieux cibler l’action régionale, douze objectifs ont été identifiés dans les Pays de la Loire, dont quatre objectifs phares. Le premier concerne la problématique majeure de notre région : la question de la qualité de l’eau. Notre région détient malheureusement le record du nombre de masses d’eau en mauvais état, avec seulement 11 % de ses masses d’eau en bon état écologique. Le deuxième objectif vise la qualité de l’air intérieur des bâtiments car nous connaissons une importante exposition au radon dans notre région. Le troisième objectif concerne la mobilisation des acteurs et en particulier celle des citoyens, car leurs comportements jouent un rôle fondamental dans leur état de santé. La mobilisation de tous les acteurs, citoyens, collectivités locales, et professionnels de santé, est donc essentielle. Enfin, en tant que deuxième région agricole de France, le quatrième objectif porte sur les pesticides, un sujet complexe sur lequel nous devons travailler collectivement pour progresser.

La DREAL a mobilisé un budget de près de 200 000 euros en 2020 pour mettre en place l’ensemble des actions identifiées dans le PRSE. Les autres acteurs apportent aussi des financements. Par exemple, l’ARS apporte un budget de près de 600 000 euros pour l’ensemble des enjeux de santé associés à l’environnement, au-delà du PRSE.

Par ailleurs, depuis 2012, nous organisons un appel à projets, en collaboration avec l’ARS, pour susciter des actions en faveur de la santé environnementale. Nous lançons cet appel chaque année et il rencontre de plus en plus de succès. Nous avons donc élargi son financement à la DRAAF et à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). En 2020, 42 projets ont ainsi été financés pour un montant total de 346 000 euros.

À l’occasion du bilan du PRSE précédent, nous avons noté un manque important de visibilité, d’information et de communication. Nous avons donc décidé de recourir à un prestataire pour nous aider à y remédier, et surtout aider dans leur communication les différents porteurs d’actions du PRSE. Nous avons créé un site Internet dédié et le prestataire accompagne les porteurs de projets pour y partager l’information. Il réalise également des interviews et des reportages qui nous aident à être plus efficaces dans notre communication. Nous avons également développé une lettre d’actualité semestrielle que nous envoyons à tous les acteurs identifiés.

La DREAL est effectivement très investie dans la communication de données et en particulier celles relatives à la dégradation des masses d’eau. Nous avons développé un outil cartographique innovant qui rassemble les données sur la pollution aux pesticides dans l’eau. Chaque acteur peut effectuer des recherches et des extractions de données par territoire et par molécule, sur la période de 2011 à 2018. Il peut ainsi comprendre les phénomènes et observer les tendances. Nous venons d’ailleurs de compléter l’outil avec les données sur le nitrate.

Concernant la qualité de l’air, l’un de nos sujets phares, nous nous intéressons particulièrement à la problématique du radon, très répandue dans les Pays de la Loire. Le radon est la deuxième cause de cancer du poumon en France. Cependant, nous constatons un sérieux manque d’information sur le sujet au sein de la population. Une enquête réalisée il y a quelques années montrait que 60 % de la population ne connaissait pas ce danger. Par conséquent, nous organisons de nombreuses actions de sensibilisation, en direction des collectivités locales et des professionnels de santé. Nous avons également tenu une conférence de presse sur le sujet avec l’ASN et l’ARS, durant laquelle des collectivités locales ont témoigné de leurs actions de sensibilisation.

Nous avons effectué un bilan à mi-parcours de l’actuel PRSE en 2019. À cette occasion, nous avons organisé des réunions dans chaque département des Pays de la Loire pour partager notre bilan et présenter les actions à renforcer. Nous avons rencontré une forte participation, les échanges étaient très intéressants, et les différents acteurs ont ainsi pu entrer en contact.

Pour terminer sur ce point, je souhaite vous citer quelques pistes d’amélioration sur lesquelles nous travaillons. Premièrement, les indicateurs chiffrés sont indispensables pour évaluer l’impact des actions en faveur de la santé environnementale. Deuxièmement, l’articulation entre les plans national et régional de santé-environnement est une véritable problématique, car le PRSE est en décalage par rapport au calendrier du PNSE et donne alors l’impression de ne pas être cohérent avec l’approche nationale. Enfin, nous rencontrons une certaine difficulté à impliquer le conseil régional des Pays de la Loire, qui officiellement copilote le PRSE mais, dans les faits, participe peu à nos travaux. Il ne participe pas à notre appel à projets commun. Il porte des actions de son côté qui ne sont pas articulées avec celles des autres acteurs. J’en avais déjà parlé avec la directrice générale des services qui vient de quitter son poste, et j’espère pouvoir progresser avec son successeur.

Les collectivités locales portent en effet de très nombreuses actions à leur échelle, mais nous avons du mal à les impliquer dans une mobilisation collective. Or la santé environnementale est un sujet vaste qui englobe de nombreux sujets transversaux et présente donc un défaut de visibilité. Je pense sincèrement qu’il est important de développer une gouvernance à l’échelle des collectivités locales, même si je ne saurais pas vous dire quel est le meilleur échelon. L’échelon départemental peut être pertinent car le conseil départemental intervient en ce qui concerne les questions sociales. L’échelon régional est aussi intéressant car le conseil régional est chef de file de nombreuses politiques. Dans tous les cas, il serait utile que les collectivités chapeautent des instances qui réunissent les acteurs de la société civile, les associations et les représentants de l’État.

La surveillance et la réglementation en ce qui concerne la prévention des pollutions, risques et nuisances qui ont un impact sur la santé des citoyens, majoritairement ceux issus du monde industriel, sont l’une des fonctions régaliennes des DREAL. En Pays de la Loire, une soixantaine d’inspecteurs ont réalisé près de 900 inspections sur l’ensemble de la région en 2019, et ces inspections sont des actions majeures en santé-environnement.

Par exemple, les nanomatériaux sont un sujet émergent et complexe sur lequel nous devons encore beaucoup progresser. Les exploitants utilisant ces matériaux doivent tenir un registre de leur utilisation pour garantir leur traçabilité. Les inspections offrent donc l’occasion de vérifier l’exactitude de ces registres et de sensibiliser les exploitants au respect des pratiques édictées par le guide national qui vise à réguler les usages des nanomatériaux. Toutefois, ce guide n’est pas réglementaire et nous devons donc faire preuve de persuasion auprès du monde industriel pour qu’il en applique les recommandations. L’an dernier, nous avons organisé, avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et l’ARS, un colloque sur les nanomatériaux en entreprise qui a réuni 120 participants et a été très riche. Il nous reste encore beaucoup à faire sur ce sujet.

Un autre exemple, plus classique, concerne celui de la réduction des rejets industriels dans l’eau et dans l’air. Je considère que l’inspection des installations classées est une action majeure dans ce but. D’après l’inventaire de la qualité de l’air réalisé par notre AASQA, entre 2008 et 2016, les émissions ont diminué de 24 % pour les composés organiques volatils, de 42 % pour l’oxyde d’azote, et de 23 % pour les particules fines, PM10 et PM2.5. L’action d’inspection est donc étroitement liée aux émissions industrielles, et je considère ainsi que nous sommes un acteur majeur dans la réduction de ces pollutions.

En revanche, la réduction de la pollution de l’eau est plus compliquée car nous n’avons pas de chiffres consolidés. Néanmoins, nous connaissons de nombreux exemples de réduction de la pollution de l’eau. Une société de la Sarthe a diminué de 87 % ses rejets en chloroforme, une autre à Segré a supprimé le nickel de ses process industriels, une autre encore a mis en place un système de traitement afin de supprimer tous les métaux avant rejet à la station d’épuration. Il s’agit d’actions concrètes liées à l’inspection des installations classées. Celles-ci se poursuivent et constituent l’un des axes majeurs de notre action.

Pour terminer, je souhaite évoquer deux sujets particulièrement sensibles dans notre région. Le premier est le cluster de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne, qui mobilise fortement la DREAL. Plusieurs enfants malades ont été recensés dans une école située près d’un ancien site de traitement du bois, dépollué il y a 10 ans. La DREAL a donc engagé une démarche de levée de doute et mené des vérifications près d’autres sites industriels du secteur. Nous avons effectué de nombreux prélèvements dans l’eau, dans l’air et dans le sol, ainsi que des mesures dans les écoles et dans les logements construits à proximité de l’ancien site. Toutes ces mesures n’ont démontré aucun impact sanitaire, mais elles étaient néanmoins nécessaires pour nous assurer que nous pouvions lever le doute sur les risques potentiels émanant de cet ancien site industriel.

Dans le prolongement de cette démarche, nous avons décidé de financer, conjointement avec la DRAAF et l’ARS, des campagnes de mesures des pesticides dans l’air. Nous avions déjà effectué des mesures sur plusieurs secteurs de la région et nous avons décidé d’ajouter un point de mesure à Sainte-Pazanne pour vérifier le type de pesticide dans l’air à cet endroit et ainsi mieux caractériser l’exposition de la population locale.

Le second sujet sensible concerne la situation sanitaire de l’agglomération de Saint-Nazaire, moins bonne que la moyenne nationale du fait d’une surmortalité et d’une sur-incidence de cancers. Les raisons de ce phénomène sont complexes et diverses, ce pour quoi de nombreux acteurs étudient la question. Les comportements individuels sont certainement mis en cause, à l’exemple de la consommation de tabac et d’alcool. Néanmoins, l’activité industrielle intense de la zone est également un facteur. Nous avons donc lancé une étude de zone pour évaluer l’état environnemental des milieux et le degré d’exposition de la pollution à un risque sanitaire.

Nous avons pourtant relevé des baisses importantes d’émissions polluantes sur ce territoire. Sur les 10 dernières années, les émissions de dioxyde de soufre ont diminué de 60 % et celles de dioxyde d’azote de 40 %, d’après les mesures d’Air Pays de la Loire. Aujourd’hui, aucune mesure de la qualité de l’air ne laisse supposer un impact sanitaire. Nous devons toutefois continuer nos recherches. Nous demandons aux industries locales, comme la raffinerie Total, d’effectuer davantage d’études locales et d’approfondir la recherche sur d’autres polluants, au cas où certains sujets nous auraient échappé.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette présentation de vos objectifs phares et des difficultés que vous rencontrez, à la fois en matière de gouvernance et plus spécifiquement en ce qui concerne ce que vous appelez des sujets sensibles. Je vous poserai donc une première question sur la gouvernance, avant de cibler les deux problématiques des cancers pédiatriques et de la situation sanitaire de Saint-Nazaire.

Vous dites ne pas avoir trouvé un moyen de collaboration, ou du moins de dialogue, avec le conseil régional des Pays de la Loire, qu’il est peu présent et mène indépendamment sa propre stratégie. Cependant, la région est pour vous un échelon de gouvernance pertinent. Pouvons-nous en déduire une règle générale pour toutes les régions de France ? Vous avez peu évoqué vos travaux et vos relations avec l’ARS dans le cadre du PRSE. Qui, de vous, de l’ARS ou du préfet, anime le PRSE ? Comment envisagez-vous la déclinaison départementale de votre PRSE. Pouvez-vous préciser votre vision, en tant que directrice de la DREAL ou même à titre individuel, de la gouvernance idéale en santé-environnement à l’échelle régionale, en dépit de votre expérience négative ?

Mme Annick Bonneville. Je ne peux pas dire que notre expérience est négative car nous travaillons avec le conseil régional sur de nombreux sujets. Toutefois, le conseil a une approche plutôt verticale de la santé environnementale et de fait, nous peinons à le mobiliser sur la transversalité de nos actions. Même si notre collaboration peut encore progresser sur ce sujet, le conseil régional reste un acteur majeur, chef de file dans de nombreux domaines. Pour cette raison, une meilleure collaboration en santé environnementale permettrait probablement de gagner en efficacité.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. D’autres personnes auditionnées nous ont affirmé au contraire que les conseils régionaux étaient bien placés pour porter des démarches transversales, car ils ont une vision d’ensemble sur plusieurs domaines comme les transports ou l’urbanisation. Vous considérez au contraire que votre conseil régional a une approche verticale et en « silo » de ces sujets.

Mme Annick Bonneville. Les conseils régionaux sont effectivement bien placés pour mener des actions transversales. Toutefois, nous travaillons plus efficacement avec eux sur les sujets verticaux, tels que le traitement des déchets, la rénovation thermique, l’énergie ou la qualité de l’eau. En revanche, la santé-environnement touchant à plusieurs secteurs d’activité, notre gouvernance régionale est moins active. Néanmoins, le conseil régional est un acteur potentiel qui a véritablement vocation à agir en santé-environnement. Nous avons déjà tous les ingrédients pour parvenir à une gouvernance transversale.

À titre personnel, je pense que l’échelon départemental aurait plus de sens pour la gouvernance de la santé environnementale. Notre région se compose de départements aux caractéristiques et aux problématiques différentes. Certains sont plus agricoles, deux sont littoraux. De fait, une gouvernance départementale serait plus efficace pour mobiliser les acteurs, ce qui n’interdit pas de se réunir au niveau régional quelques fois par an.

Pour vous répondre sur l’animation du PRSE, celui-ci est coanimé par le directeur général adjoint de l’ARS et la DREAL. Nous pilotons ensemble et ce mode de fonctionnement se passe très bien.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Une étude européenne a révélé que 13 % des décès en Europe seraient causés par la pollution de l’air. L’Union Européenne a alors mis en place un plan de réduction des émissions polluantes d’ici 2030. Dans le même temps, la France est de nouveau assignée devant la Cour de Justice de l’Union Européenne pour non-respect de l’obligation de protection de la population concernant la qualité de l’air. Elle a déjà été condamnée plusieurs fois pour ce motif, notamment par le Conseil d’État. Comment expliquez-vous ces condamnations récurrentes ?

Au niveau territorial, quelles ont été les démarches de la DREAL en ce qui concerne l’implantation d’une centrale d’enrobage dans la région de Nozay ? Comment avez-vous communiqué auprès des acteurs locaux à cet égard ? Avez-vous réalisé des études sur les impacts de l’usine de méthanisation de matières organiques, à proximité de la future usine d’enrobage, à moyen et à long terme ? Quels sont vos rapports avec les communes et les intercommunalités ? Peuvent-ils s’améliorer selon vous ?

Travaillez-vous à la création d’un second baromètre de santé-environnement qui permette de recenser les principales préoccupations des habitants de la région, le premier datant déjà de 2014 ?

Comment la DREAL prend-elle connaissance des inquiétudes qui se manifestent localement au sujet de pathologies potentiellement liées à des facteurs environnementaux, comme les cancers pédiatriques de Sainte-Pazanne ?

Mme Annick Bonneville. La qualité de l’air fait effectivement l’objet de contentieux européens pour plusieurs territoires français ayant des difficultés à respecter les normes européennes. Les Pays de la Loire ne sont pas concernés et sont de toute manière loin d’atteindre les plafonds. Je pense néanmoins que la problématique de la qualité de l’air est complexe car elle touche aux comportements individuels, en particulier la voiture individuelle que certains de nos concitoyens continuent d’utiliser de manière intensive, ce qui impacte évidemment la qualité de l’air.

Un autre facteur dans les zones en contentieux, comme la région Rhône-Alpes, est le chauffage au bois qui dégage une quantité considérable de particules fines. J’ai précédemment évoqué la problématique du brûlage des déchets verts, mais les feux en cheminée et l’utilisation du bois de chauffage dans des dispositifs non sécurisés dégagent énormément de particules fines et contribuent de façon majeure à la mauvaise qualité de l’air, au point d’être devenu le premier facteur de pollution de l’air en Île-de-France en hiver. Toutefois, le sujet est sensible car le feu en cheminée est une habitude tellement ancrée au sein de la population que celle-ci n’imagine pas que cela puisse avoir un impact négatif sur la santé et l’environnement. Il nous faut donc expliquer et convaincre les populations.

Pour toutes ces raisons, le sujet de la qualité de l’air est complexe et nous essayons de communiquer autant que possible sur le brûlage des déchets verts, qu’il vaut mieux composter, et sur les méthodes de chauffage qui ne dégagent pas de particules fines.

En ce qui concerne la centrale d’enrobage et l’usine de méthanisation à Nozay, je ne saurais pas vous répondre précisément, mais je peux vous dire que, par principe, l’exploitant de ce type de projet doit informer la préfecture et saisir la DREAL avant de présenter un projet conforme à la réglementation. Le dossier est ensuite instruit par la DREAL et nous décidons en fin de compte d’autoriser l’installation ou non.

Il est évident qu’une centrale d’enrobage et une usine de méthanisation sont des installations qui génèrent potentiellement des nuisances, et je comprends l’inquiétude des riverains. Le rôle de l’administration publique est justement de les écouter et d’étudier la demande de l’exploitant en tenant compte de la réglementation existante. S’il respecte entièrement la réglementation, le préfet sera amené à autoriser le projet. Cependant, des règles de distance avec les habitations et de limitation des nuisances sonores et des émissions dans l’air et l’eau s’appliquent, et nous le vérifions. Nous autorisons l’installation uniquement si toutes les conditions sont réunies en conformité avec la réglementation. Ces projets ne font jamais l’unanimité.

Mme Koulm Dubus, cheffe du service risques naturels et technologiques de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement des Pays de la Loire. Lors d’une instruction de dossier d’autorisation ou d’enregistrement, une enquête publique est réalisée afin de permettre aux riverains de s’exprimer sur le sujet. Cette concertation est évidemment prise en compte par les services de la DREAL pour instruire le dossier.

Mme Annick Bonneville. Concernant nos rapports avec les intercommunalités, celles-ci ne sont pas nos principaux interlocuteurs, mais plutôt les instances régionales et départementales, les DREAL étant des directions régionales. Toutefois, les instances départementales sont les interlocuteurs naturels des intercommunalités. Par exemple, dans le cadre des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), les DDT (directions départementales des territoires) sont les interlocuteurs des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais nous travaillons aussi avec les DDT. Nous étudions ensemble les PCAET des collectivités locales, et nous préparons ensemble l’avis du préfet de région. Nous apportons notre expertise et la DDT nous apporte sa connaissance du territoire. Bien sûr, nous aussi connaissons le territoire grâce à nos inspecteurs des installations classées et par le biais de nos diverses missions, mais la DDT est bien plus proche au quotidien des EPCI.

Enfin, s’agissant du baromètre santé-environnement, j’ignorais son existence car je n’occupais pas cette fonction en 2014. L’idée me semble intéressante. Au sein de la DREAL, nous suivons déjà un baromètre du bien-être au travail. Les baromètres sont intéressants pour mesurer notre évolution. Par exemple, nous avions mené auprès de la population, il y a quelques années, une enquête sur la connaissance du risque lié au radon. Je souhaiterais la relancer aujourd’hui pour voir si cette connaissance a effectivement progressé. Un baromètre santé-environnement est donc une très bonne idée et nous pouvons l’intégrer au futur PRSE.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment la DREAL prend-elle connaissance des inquiétudes exprimées localement quant à des pathologies potentiellement liées à des facteurs environnementaux ? Ayant fait partie du comité de suivi des cancers pédiatriques, pouvez-vous nous expliquer ce qui a fonctionné et ce qui peut être amélioré à ce sujet ?

Mme Annick Bonneville. L’exemple des cancers pédiatriques est significatif de notre action. Un sujet aussi grave donne lieu à des réunions publiques, et nous y participons avec attention. À la suite d’une des premières réunions avec les parents, j’ai proposé au préfet de région de réaliser des mesures des milieux afin de lever les doutes autour de l’ancien site de traitement de bois.

C’est ainsi que nous pouvons agir. Nous participons d’abord à des réunions publiques, ou nous prenons connaissance des courriers que les citoyens nous envoient. Ensuite, nous essayons de formuler des propositions qui répondent aux attentes qu’ils expriment.

Mme Koulm Dubus. Nous avons également été à l’écoute des constats transmis par l’association des parents d’enfants malades. Ils ont évoqué l’implication potentielle d’une carrière et d’une ancienne déchetterie. Dès que nous avons pu récupérer des informations précises sur la localisation de ces sites, nous avons examiné les milieux alentour. Nous avons également recensé, sans attendre la sollicitation des parents, toutes les activités industrielles du territoire, et nous avons demandé des informations supplémentaires aux industriels sur toutes les pollutions possibles pour essayer d’identifier un facteur cancérigène d’origine industrielle. Encore aujourd’hui, nous continuons d’être attentifs aux activités industrielles de ce territoire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment la DREAL a-t-elle géré la problématique du cluster de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne et selon quelle méthodologie scientifique ? Votre attention a sans doute été attirée par quelque chose de significatif. Qui a porté à votre connaissance la concentration de cancers chez des enfants dans cette ville ? Avez-vous reçu des données de l’ARS ou d’un centre d’épidémiologie ? Pour quelles raisons vous êtes-vous impliqués sur ce sujet, indépendamment de l’action des parents ?

De quel accompagnement méthodologique et scientifique avez-vous bénéficié ? Que fait une DREAL face à un tel problème ? Quelles sont les pistes suivies et les analyses effectuées ? Avez-vous une grille d’analyse préétablie ? Recevez-vous un accompagnement de la part de Santé publique France ou d’une agence scientifique ? Comment avez-vous pu faire le rapprochement entre les données sanitaires et les données environnementales ? En bref, quel est votre plan de bataille face à un tel constat ? Vous dites avoir demandé des informations supplémentaires aux industriels, mais cette démarche me semble à sens unique. Quelles sont les démarches que la DREAL a elle-même portées en tant qu’entité déconcentrée de l’État ? Je suis curieuse de votre plan méthodologique.

Mme Annick Bonneville. Votre question est complexe. C’était en l’occurrence la première fois que j’étais confrontée à un tel problème et je ne disposais d’aucune méthodologie préexistante.

Nous avons initialement été informés par l’ARS, et nous avons immédiatement identifié l’ancien site industriel qui se trouvait dans la zone en question. Nous nous sommes alors tournés vers les agences compétentes au sein du pôle ministériel.

Nous avons d’abord recherché l’historique du site, car les personnes présentes à la DREAL lors des opérations de dépollution, il y a dix ans, n’étaient plus parmi nous. Nous avons donc récupéré aux archives un carton entier de documents sur les opérations de dépollution. Nous avons consulté le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), notre expert sur le sujet, afin qu’il analyse ces documents et nous donne des préconisations et un plan de mesures.

Nous avons sollicité l’ADEME, l’établissement public rattaché à notre ministère qui travaille sur les sites et les sols pollués. Nous avons conclu un marché ensemble pour que l’ADEME mette en œuvre les préconisations du BRGM. Nous nous sommes donc appuyés sur ces deux établissements publics qui nous ont apporté un concours total, dans des délais remarquablement rapides, car nous avions le devoir d’agir vite pour les familles.

Mme Koulm Dubus. Santé publique France a relu le cahier des charges transmis à l’ADEME.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous établi un lien de causalité entre la présence de ce site industriel et les cancers des enfants ?

Mme Annick Bonneville. Non, aucun lien de causalité n’a été trouvé.

Mme Koulm Dubus. Notre crainte, ainsi que celle du BRGM, était initialement qu’un transfert se soit effectué de l’ancien site industriel à l’école qui se trouvait potentiellement en aval hydraulique du site. Notre méthodologie était donc principalement axée sur l’étude de la possibilité d’un transfert de polluants, via les eaux souterraines, qui pourraient remonter par les gaz du sol ou le réseau d’eau potable. Toutes nos mesures visaient à répondre à cette question scientifique. L’étude a finalement démontré que l’école se trouvait en latéral hydraulique et que les gaz de sol ne comportaient aucun polluant issu de l’ancien site, hormis des traces très faibles. Nous n’avons pas trouvé non plus de traces de polluants industriels dans les salles de classe ni dans les logements à proximité du site industriel.

Mme Annick Bonneville. Nous avons aussi effectué des mesures sur d’autres paramètres et nous avons trouvé une forte teneur en radon. La problématique du radon est très sérieuse dans notre région et nous en trouvons dans les écoles de certains territoires. Nous avons récemment identifié deux écoles avec des taux d’exposition très supérieurs à la moyenne, en Vendée et en Mayenne. Nous devons continuer d’avancer sur ce sujet.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le radon est une problématique générale. Pourquoi l’observez-vous à certains endroits plus que d’autres ?

Mme Annick Bonneville. Ce gaz remonte du sol de façon très hétérogène, selon la nature du sous-sol et la construction des fondations des bâtiments. Sa teneur dans les bâtiments dépend d’un grand nombre de facteurs, et pour cette raison, le sujet est très complexe. Nous pouvons trouver des valeurs nulles dans certains bâtiments situés dans un secteur connu à haut risque radon, tandis que nous pouvons trouver des valeurs fortes à certains endroits d’un secteur classé en catégorie 2. Je suis déléguée de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, et nous réalisons des inspections auprès des collectivités départementales et régionales ayant des responsabilités en matière de détection du radon. Nous nous assurons qu’elles ont bien assimilé la réglementation et réalisent les mesures réglementaires à tous les endroits concernés, y compris dans les écoles.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous pris des mesures de protection systématiques dans les écoles ? Le radon est le principal risque de votre région.

Mme Annick Bonneville. Ce n’est pas si simple. La DREAL ne peut pas demander des mesures systématiques car les mesures sont réglementaires. La réglementation prévoit uniquement que les mesures doivent être réalisées dans les établissements recevant du public et ceux recevant des enfants. Il appartient ensuite aux collectivités locales de les faire réaliser.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Y a-t-il un porteur officiel de cette démarche dans votre région, qui définisse un plan de lutte contre l’exposition au radon de tous les écoliers ? N’existe-t-il pas une volonté de désigner une instance, quelle qu’elle soit, pour prendre le problème à bras-le-corps et définir un plan d’actions pour toutes les écoles de la région ?

Mme Annick Bonneville. C’est déjà le cas. Nous avons écrit à toutes les collectivités locales pour leur rappeler la réglementation et leur obligation de procéder à ces mesures. Toutefois, comme dans le secteur industriel, nous ne pouvons vérifier le respect de la réglementation que lors des contrôles et inspections.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez donc communiqué l’information à toutes les collectivités locales de votre région, estimant qu’il incombait au maire d’engager un plan de protection des établissements scolaires. Toutefois, vous ne pouvez le contrôler qu’à l’occasion d’inspection ponctuelle.

Mme Annick Bonneville. Tout à fait. Cependant, dès lors que les collectivités locales commencent à effectuer des mesures et à trouver des résultats supérieurs à la norme, elles s’emparent du sujet et nous sommes à leur disposition pour les aider. La première démarche reste l’engagement de mesures du radon.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Qui porte la responsabilité d’effectuer ces mesures ?

Mme Annick Bonneville. C’est le propriétaire de l’établissement public, c’est-à-dire la collectivité locale de tutelle pour les établissements scolaires.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Nous cherchons à comprendre les lacunes de la démarche de protection contre le risque radon. De même, le projet d’implantation d’une usine de méthanisation et d’une autre d’enrobage de goudron dans le même secteur est inquiétant, compte tenu des problématiques générales de santé environnementale et des observations de taux de cancers élevés sur certains territoires. Avez-vous tous les outils pour mener des études d’impact ? Je ne comprends pas pourquoi nous continuons avec les mêmes méthodes alors que nous avons identifié les problématiques. Comment pouvons-nous corriger ce décalage ? Pourquoi aucune action d’amélioration n’est-elle proposée ? Peut-être cela ne relève-t-il pas de votre structure, mais j’aimerais que vous nous proposiez des pistes d’amélioration, car notre évaluation des politiques publiques a pour but de les améliorer.

Mme Annick Bonneville. Je pense que le contexte réglementaire existant peut tout à fait encadrer une installation comme celle dont vous parlez. Si elle n’offre pas de garantie suffisante quant à la protection de la population environnante, la réglementation nous permettra à l’inverse de ne pas l’autoriser.

Mme Koulm Dubus. L’instruction des dossiers s’accompagne toujours d’une étude d’impact et d’une étude d’évaluation des risques sanitaires pour les dossiers les plus conséquents. Nous regardons alors si les émissions dans l’environnement génèrent un risque acceptable pour la population environnante. Cette étude est instruite conjointement par la DREAL et l’ARS. Nous nous basons ensuite sur ses conclusions pour proposer un arrêté préfectoral d’autorisation ou de refus du projet.

Par ailleurs, nous travaillons à l’amélioration de la surveillance des émissions également auprès des industries existantes. Par exemple, dans le territoire de la Carene, nous travaillons actuellement avec la raffinerie Total pour améliorer son plan de surveillance. Nous lui demanderons d’effectuer des mesures supplémentaires sur les composés organiques volatiles et les métaux, afin d’améliorer notre connaissance des émissions polluantes dans l’environnement. Ce processus est mené tout au long de l’année avec les industriels de la région.

Cependant, nous peinons à proposer des pistes de progrès concernant certains composés car aucune valeur limite d’émission n’a encore été fixée. Nous avons été confrontés à ce problème à Sainte-Pazanne, mais aussi au sujet des composés organiques volatiles. La recherche doit encore progresser pour déterminer une valeur limite d’émission. Sans cela, notre capacité de réglementation est limitée. Des études nationales ont démontré l’existence de pesticides dans l’air, dont certains sont interdits depuis plusieurs années. Cependant, à défaut de valeur réglementaire, nous ne pouvons imposer des limites aux émetteurs de ces pollutions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette piste d’amélioration. Vous avez besoin de valeurs réglementaires pour faire appliquer la réglementation et opposer des arguments scientifiques aux émetteurs. Malheureusement, vous n’avez pas pour l’heure tous les outils pour confirmer votre position et exiger des améliorations.

Mme Koulm Dubus. Même si nous ne disposons pas de valeur réglementaire pour tous les polluants, nous cherchons à réduire ces émissions dès lors que nous connaissons leur dangerosité. Par exemple, nous avons mis en place un programme de réduction des substances dangereuses dans l’eau. Toutefois, avoir des valeurs réglementaires nous aiderait dans notre mission.

Mme Annick Bonneville. Cela nous aiderait particulièrement pour lutter contre la présence de pesticides dans l’air.

M. Yannick Haury. Lors de nos précédentes auditions, nous avons pu constater que dans les locaux recevant des enfants, ces derniers pouvaient être exposés à des composés aromatiques, du benzène, des aldéhydes, du formol, etc.

S’agissant du radon, nous savons qu’il est particulièrement concentré dans le massif armoricain. Autrefois, les maisons étaient régulièrement aérées car elles ne bénéficiaient pas des systèmes de ventilation et d’isolation actuels. Désormais, nos maisons sont certes mieux isolées mais elles doivent être équipées de système de ventilation pour dépolluer l’air intérieur.

Nous parlons actuellement de la nécessité d’aérer les locaux face au risque covid-19, mais cette recommandation s’applique aussi face au risque radon. Je pense qu’elle vaut aussi contre les autres substances qui se dégagent des peintures, des murs et des meubles dans les écoles. Il s’agit d’une mesure de prévention essentielle qui doit être portée à la connaissance du public. Certaines personnes ont compris à tort qu’être confiné imposait aussi de se calfeutrer.

Mme Annick Bonneville. Cette recommandation est mentionnée à chaque réunion d’information, chaque conférence de presse, et figure dans tous nos supports de communication. Il existe des mesures très simples qui permettent d’évacuer une grande partie du risque. Dans notre appel à projets, nous finançons des associations qui interviennent sur le terrain et communiquent des conseils de bon sens.

Mme Koulm Dubus. Nous avons par exemple financé le centre permanent d’initiatives pour l’environnement « CPIE Sèvre et Bocage », qui organise des formations sur la qualité de l’air intérieur dans les établissements scolaires de la communauté de communes du Pays de La Châtaigneraie, en Vendée.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vos exemples renvoient à ma question sur les moyens de diffuser l’information aux acteurs directement concernés, en particulier les maires. Les associations que vous financez ont-elles réuni tous les maires, par département, pour vérifier qu’ils avaient bien reçu les messages fondamentaux et qu’ils prenaient leurs responsabilités ? Ou bien cette démarche est-elle assurée par une autre structure ? Avez-vous pensé à solliciter l’Association des maires de France pour qu’elle relaie le message ?

Mme Annick Bonneville. Nous avons diffusé nos messages par tous les canaux possibles. J’ai déjà évoqué les quatre réunions d’information, les matinales radon, que nous avons organisées ces dernières années, auxquelles nous avons invité toutes les collectivités locales.

Mme Koulm Dubus. Nous avons également contacté les collectivités locales à propos de la question de l’air intérieur. Toutefois, sensibiliser les maires ne suffit pas. Il faut surtout convaincre les usagers quotidiens des établissements scolaires, qui doivent prendre l’habitude d’aérer régulièrement les locaux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous demanderai alors si le rectorat a été sensibilisé et s’il vous accompagne dans votre démarche auprès des directeurs d’école. Les écoles primaires dépendent de la commune et les collèges des départements, mais la problématique se pose aussi pour les lycées et les universités. Avez-vous sollicité les grands décideurs des établissements scolaires et universitaires des zones présentant une dangerosité potentielle ?

Mme Koulm Dubus. Oui. Cependant, un clip de sensibilisation qui montrerait, par simulation 3D, la propagation du radon aurait sans doute plus d’impact sur les usagers.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous pouvez aussi communiquer par le biais des médias régionaux.

Mme Annick Bonneville. Nous avons déjà organisé une conférence de presse qui a fait l’objet d’un reportage par France 3 Pays de Loire. Nous sommes également intervenus à la radio. Il s’agit toutefois d’un travail de fourmi à répéter sans cesse.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez dit, au début de cette audition, que seul 11 % des masses d’eau de votre région étaient en bon état écologique. Cela signifie à l’inverse que 90 % des masses d’eau de votre région sont polluées. Comment expliquez-vous cette catastrophe ?

Mme Annick Bonneville. La situation n’est pas aussi contrastée. Si 90 % des masses d’eau ne sont pas en bon état écologique, elles ne sont pas pour autant polluées. La situation de notre région est très complexe car elle subit de nombreuses problématiques très diverses, contrairement à la Bretagne où le sujet majeur est la pollution au nitrate.

Les masses d’eau des Pays de la Loire connaissent entre autres des problèmes quantitatifs, car nous n’avons pas de nappe phréatique de grand volume, et nous avons donc souvent des problèmes d’étiage. Dès qu’un cours d’eau n’a plus un débit suffisant, il s’asphyxie et la vie aquatique disparaît. De fait, nous menons beaucoup d’actions pour réduire les prélèvements dans ces cours d’eau.

En outre, de nombreux cours d’eau ont subi une modification par l’homme, que ce soit une modification de leur lit pour les canaliser, l’installation d’un seuil ou d’un barrage. Par conséquent, l’eau s’eutrophise faute de vie.

Enfin, nous observons aussi l’impact de la pollution aux pesticides et au nitrate. Pour toutes ces raisons, l’état de nos masses d’eau est une problématique majeure dans notre région.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Le taux de 11 % de masses d’eau en bon état écologique est très faible. Vous avez visiblement conscience des effets cocktails, de la chronicité, et des pratiques à revoir. Toutefois, il existe aussi un manque de prévention, de recherche et d’information au grand public. Compte tenu de ces éléments et des pollutions identifiées, notamment celles émises par Lactalis, comment cette amnésie environnementale peut-elle encore durer ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables d’appliquer des principes de prévention et d’approfondir les études d’impacts et de facteurs de négativité ?

Mme Annick Bonneville. Nous avons en l’occurrence mené une action ambitieuse auprès de Lactalis depuis plusieurs années. À présent, ses établissements respectent presque tous les normes dans notre région. En revanche, les pollutions de pesticides et de nitrate dans l’eau perdurent, mais elles ne sont pas d’origine industrielle. De plus, les prélèvements dans la Loire et dans les ruisseaux de la région sont de plus en plus importants et asphyxient nos cours d’eau.

Les textes existent mais leur application est toujours compliquée et les différents acteurs peinent à se mobiliser en ce qui concerne la pollution de l’eau. Néanmoins, nous avons établi un plan d’actions avec l’agence de l’Eau, le conseil régional et tous les services de l’État, afin d’agir sur tous les sujets. Même si la problématique est complexe, nous devons réussir à entraîner tous les acteurs dans une dynamique positive. En revanche, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de compléter encore la réglementation. Il s’agit avant tout d’une question de volonté des acteurs.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Une enquête a pointé la pollution des rivières causée par Lactalis, qui a alors été condamné pour non-respect des normes environnementales. L’article auquel je me réfère est paru le 22 octobre dernier. Notre commission a pour but d’améliorer les politiques publiques en santé-environnement, et nous ne comprenons pas pourquoi la situation ne progresse pas.

Mme Koulm Dubus. Lactalis a effectivement été mis en cause. Cependant, nous n’avons constaté aucun problème de pollution autour des établissements de l’entreprise situés dans notre région. Nous cherchons constamment à contrôler et réglementer les rejets polluants des établissements industriels de la région. Une piste serait peut-être de nous donner davantage de poids dans les poursuites pénales. Actuellement, nos constats de dépassement des normes sont rarement suivis d’effet. Les procureurs sont favorables à une condamnation pénale mais ils manquent de moyens pour faire aboutir les dossiers.

Mme Annick Bonneville. Je souhaite terminer cette audition sur une note positive. Je rappelle que nous avons de bons résultats quant à la réduction des pollutions depuis une dizaine d’années. Certes, nous pouvons encore progresser, mais je vous assure que nous y investissons toute notre énergie. Nous travaillons avec tous les acteurs régionaux et nous avons sincèrement la volonté d’améliorer la situation.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je veux bien vous croire, et je sais que vous avez « du pain sur la planche », car votre région cumule toutes les difficultés de santé environnementale. Nous comprenons que vous ne sachiez parfois plus où donner de la tête entre de nombreuses problématiques très lourdes. Les liens de causalité et la bonne stratégie à suivre ne sont pas toujours évidents. Vous rencontrez, de plus, des difficultés de transversalité dans la gouvernance. Je dirais même que vous êtes une région test en matière de difficultés en santé environnementale. Néanmoins, nous voyons que vous faites de votre mieux avec les moyens qui sont les vôtres. Nous réfléchirons, de notre côté, aux propositions que nous pouvons soumettre pour faciliter le travail de toutes les DREAL et accroître l’efficacité de leurs actions.

L’audition s’achève à dix-sept heures quinze.

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44.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie Gaudeul, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), en charge des objectifs de développement durable, membre du Conseil national de la transition écologique et du Conseil national de l’air (5 novembre 2020)

L’audition débute à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous poursuivons la démarche « grenellienne » qui fut la nôtre au cours des auditions auxquelles nous avons procédé dans cette commission d’enquête. Nous avons entendu différentes parties prenantes susceptibles de nous apporter des informations relatives aux questions et aux enjeux environnementaux, notamment sur ce qui concerne les relations entre la santé et l’environnement. Avec Mme Sophie Gaudeul, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), en charge des objectifs de développement durable, membre du Conseil national de la transition écologique et du Conseil national de l’air, nous ouvrons aujourd’hui un nouveau chapitre de notre programme d’auditions en recevant les représentants des syndicats des salariés et d’associations environnementales.

Quelles sont, selon la CFDT, les priorités en matière de santé environnementale ? Quelle appréciation portez-vous sur les plans santé environnement, tant pour ce qui concerne le plan national (PNSE) que les plans régionaux (PRSE) ?

(Mme Sophie Gaudeul prête serment.)

Mme Sophie Gaudeul, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), en charge des objectifs de développement durable, membre du Conseil national de la transition écologique et du Conseil national de l’air. La CFDT s’est engagée dans les travaux relatifs au quatrième plan national santé-environnement (PNSE 4), de façon un peu précipitée, en raison de la crise sanitaire. Néanmoins, nous avons pris le temps d’aborder l’ensemble des sujets qui tenaient à cœur à notre organisation. Nous sommes notamment intervenus lors des discussions qui visaient à tirer les enseignements de la crise sanitaire, pour convaincre qu’il convenait de ne pas écarter les sujets plus anciens encore non résolus.

Face à la crise sanitaire, nous avons posé le constat d’une nécessaire réactivité et d’une forte mobilisation des instances existantes. Les problèmes liés à la Covid-19 sont similaires à ceux que posent d’autres maladies, zoonoses et épizooties, qui se développent au niveau mondial, depuis de nombreuses années. Elles concernent parfois d’autres pays que le nôtre. Chikungunya, Ebola, etc. se développent en Afrique souvent en lien avec des trafics d’espèces animales sauvages ou encore avec une déforestation excessive qui conduit certains animaux (les chauves-souris, par exemple) à migrer vers des terres cultivées par les hommes, à se nourrir des mêmes aliments que les hommes, et cette nourriture partagée (arbres fruitiers, notamment) deviendra une source de contamination d’autres espèces.

Selon nous, il convient de poursuivre la vigilance quant aux modes de transports, née de la crise sanitaire. Il est également nécessaire d’être attentif aux importations d’animaux exotiques et à l’arrivée de parasites et d’insectes via les transports. Ce sujet est important et il concerne également les douanes auxquelles il est nécessaire de donner les moyens d’exercer cette vigilance.

Ces problématiques majeures de santé publique risquent d’augmenter avec le réchauffement climatique. La déforestation constitue également un point de forte préoccupation.

Si la réactivité est indispensable, il n’en reste pas moins que l’administration rencontre parfois des difficultés en regard de la rapidité des évènements, qu’il s’agisse des agences régionales de santé (ARS), des services de l’agriculture, etc. Il conviendrait probablement de réinventer une logique de gestion de crise sanitaire, en identifiant des relais, en élaborant des modes opératoires et en dédiant des ressources spécifiques. Il est nécessaire d’approfondir la réflexion à ce sujet.

La prévention des maladies vectorielles et des contaminations par les animaux fait l’objet de contrôles vétérinaires qui nécessitent des moyens. Des procédures existent et elles fonctionnent. Il serait néanmoins nécessaire de renforcer ces axes de vigilance. À titre d’exemple, les élevages géants et la concentration des animaux représentent un risque d’exposition et de diffusion qu’il conviendrait d’étudier.

L’arrivée du moustique Tigre, très présent dans nos zones humides, constitue un autre axe qui soulève des enjeux de prévention et d’assainissement qu’il convient de prendre au sérieux dans le contexte du réchauffement climatique. Bien sûr, nous ne préconisons pas de supprimer les zones humides, utiles à la biodiversité, mais nous appelons à la vigilance, notamment quant aux modes de transmission. Dans ce cadre, il serait probablement utile également de capitaliser l’expérience acquise dans les territoires d’outre-mer ou en Afrique, grâce au concours des spécialistes, des experts, des services médicaux, des associations, etc. qui interviennent dans la prévention dans ces pays.

S’agissant de prévention, il convient de former les professionnels et le public du milieu scolaire, notamment pour ce qui concerne le moustique Tigre et les risques sanitaires que ses piqûres engendrent. Il appartient aux territoires d’identifier des relais. Certaines missions communales mettent en exergue l’évaluation des risques sur leur territoire et pourraient diffuser des bilans d’actions. Ces bilans pourraient également être dressés à l’échelle intercommunale. Quoi qu’il en soit, il est important que les territoires mettent en place des dispositifs permettant d’aborder ces sujets liés aux risques de maladies émergentes. Ils doivent mettre en place des indicateurs sentinelles, dans une logique de veille. Ce suivi existe pour la grippe, mais il pourrait être étendu aux risques émergents. Cependant, il est possible que la CFDT n’ait pas cartographié l’ensemble des dispositifs en vigueur. Quoi qu’il en soit, il nous semble nécessaire d’affiner le suivi des prévalences et de procéder à une logique générale. Il ne s’agit pas de se contenter d’organiser des groupes de travail et de réflexion, mais de s’attacher à identifier des modalités de mise en œuvre d’une évaluation permanente, les structures sanitaires et administratives dédiées à cette surveillance du territoire, l’organisation de la recherche, etc. Cette réflexion pourrait être conduite en collaboration avec des universités ou avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et, bien sûr l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Il importe également d’opérer des campagnes d’information et de définir des procédures de mobilisation en cas de crise, en tirant des enseignements de la crise de la Covid-19.

D’autres sujets préoccupent la CFDT, notamment les problèmes liés à la contamination de l’air par les pesticides. Dans ce cadre, les travaux de très bonne qualité réalisés par l’Anses, présentés au Conseil national de l’air, méritent des approfondissements. Ils ont révélé la présence de pesticides dans l’air à bonne distance des parcelles agricoles et il conviendrait de mener des études à leur proximité. Les études montrent que, même à distance des parcelles agricoles, l’air contient des substances cancérogènes interdites telles que le lindane. Ce constat prouve qu’il importe de maintenir une vigilance scientifique et de procéder à des évaluations pour identifier les causes de la présence de ces substances dans l’air (rémanences ou transgressions). La CFDT considère qu’il est important de prolonger ces analyses « en champ proche » (moins de deux cents mètres).

Via sa fédération générale de l’agroalimentaire, la CFDT a soutenu des contentieux visant à protéger et défendre les droits à indemnisation de travailleurs non agricoles exposés à des pesticides à proximité de parcelles agricoles. En effet, les travailleurs riverains sont exposés à des substances dangereuses. Il nous paraît important de maintenir une vigilance pour protéger l’ensemble de la population. Nous nous sommes exprimés en ce sens, lors des travaux relatifs au projet de loi sur la sécurité sociale, quant à la nécessité d’indemniser l’ensemble des victimes, au-delà des professionnels et des agriculteurs et de leur conjoint, ainsi que le prévoient les textes en vigueur. L’ensemble des professionnels qui exercent sur une parcelle agricole, notamment les conseillers agricoles, hommes et femmes, sont exposés, tout comme les riverains (les écoles, les enfants, les voisins). Il nous paraît donc indispensable d’approfondir les travaux de l’Anses, de prolonger la réflexion relative à l’indemnisation des victimes pour la rendre socialement plus juste.

Nous sommes également très préoccupés par l’exposition de nombreux travailleurs, à leur insu, aux substances nanotechnologiques, désormais très présentes sur le marché, et contenues dans de nombreuses applications et productions, y compris alimentaires. Nous avons formulé des propositions à plusieurs reprises, notamment pour le PNSE 4.

Les expositions aux substances nanotechnologiques nécessitent des études plus approfondies et des recherches pour évaluer leur présence dans l’air à l’intérieur des sites dans lesquels elles sont utilisées et manipulées. La traçabilité de l’exposition à ces substances est complexe. Nous ne disposons pas de connaissances exhaustives en la matière. En outre, la CFDT considère qu’il n’est pas suffisant d’analyser uniquement les sites de production, mais qu’il convient d’étendre les études aux sites dans lesquels ces substances sont utilisées, consommées et manipulées. Nous avons formulé des propositions qui permettraient d’atteindre cet objectif. À titre d’exemple, nous suggérons d’inclure progressivement des produits finis contenant des substances nanotechnologiques au sein du dispositif « Air-nano ». En outre, de nombreux experts soulignent un défaut de définitions des nanomatériaux manufacturés qui devraient être harmonisées au niveau européen et la France pourrait porter cette démarche. Il serait également nécessaire d’établir des seuils au-delà desquels l’utilisation de substances nanotechnologiques devrait être justifiée.

La CFDT estime qu’il importe de s’appuyer sur les recherches menées par l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles (INRS) qui posent notamment des questions quant à la métrologie. L’INRS souligne un défaut de consensus quant aux critères de mesure, l’inadéquation des instruments et des stratégies de mesure. Il a également identifié quatre axes de recherche interdépendants :

– le développement de nanoaérosols d’essai ;

– la métrologie des aérosols ;

– l’exposition au poste de travail ;

– la caractérisation des nanomatériaux.

Il est essentiel que l’INRS soit consulté et impliqué dans la réflexion relative à la protection des travailleurs exposés aux substances nanotechnologiques. Nous souhaitons par ailleurs la mise en place de dispositions qui garantissent la traçabilité, depuis les entreprises productrices jusqu’aux entreprises utilisatrices. Ce domaine constitue actuellement un thème central des préoccupations syndicales. Je porte ces sujets de santé environnementale au sein du Conseil national de la transition écologique depuis plusieurs années, dans des conférences environnementales.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons bien identifié vos centres d’intérêt majeurs, notamment pour ce qui relève des enseignements à tirer de la crise sanitaire. La pandémie nous amène à nous interroger quant à notre système de gestion des risques et à la prévention des risques, risques de pandémie ou de maladies vectorielles.

Vous avez également insisté sur l’intérêt que vous portez au domaine de la santé au travail et à la protection des travailleurs, notamment du fait d’expositions aux substances nanotechnologiques, nanoparticules présentes dans l’air, nanomatériaux. Ces risques sont dits « émergents » et nous ne les contrôlons pas encore de façon satisfaisante bien que des démarches aient été initiées dans ce cadre.

Vous avez également manifesté votre soutien à la famille agricole, non seulement aux agriculteurs eux-mêmes, mais également à leur famille et à leurs riverains. Je vous demanderai ultérieurement de développer les aspects de contentieux que vous avez évoqués.

Vous disposez d’une longue expérience du travail en commission et en assemblée officielle. Je souhaiterais donc que vous nous indiquiez qu’elle fut la contribution apportée par votre syndicat à l’élaboration du PNSE 3, qui a fait l’objet de nombreuses critiques, et à celle du PNSE 4.

Mme Sophie Gaudeul. Je crois – mais il conviendra de le vérifier – que nous avons été associés aux PNSE 1 et 2, mais que nous n’avons pas pris part au PNSE 3.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Collaborez-vous avec le groupe santé environnement (GSE) ?

Mme Sophie Gaudeul. Non. Nous avons été associés à ce groupe, après le Grenelle de l’environnement, pour l’élaboration des deux premiers PNSE. Cependant, il me semble que nous n’avons pas été conviés pour le PNSE 3.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je suis surprise, car nous n’avons procédé à aucune exclusion.

Mme Sophie Gaudeul. Je ne crois pas que la CFDT ait collaboré au PNSE 3. Je vérifierai auprès de mes collègues. Il est possible que nous ayons été invités et que le groupe santé au travail de la CFDT ait participé. C’est possible. En revanche, mon service a traité les premiers PNSE.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. À ma connaissance, les représentants de l’ensemble des organisations syndicales participent au GSE et sont systématiquement invités. Il est possible que vous ayez été omis, mais j’en doute.

Mme Sophie Gaudeul. Je vérifierai. Lorsque nous avons préparé ma participation, il ne m’a pas été mentionné que nous avions collaboré au GSE. Je pense que mes collègues m’en auraient informée. Il est possible également que nous ayons rencontré des problèmes de disponibilité.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je pense que tel fut le cas, car nous n’avons pas modifié la composition informelle du GSE depuis le premier PNSE et la CFDT fait toujours officiellement partie du GSE.

Nous ne traiterons donc pas du PNSE 3 puisque vous n’en avez pas connaissance. En revanche, vous avez été associés à l’élaboration du PNSE 4 et je suis absolument certaine que vous avez été destinataires du projet de PNSE 4 soumis à la consultation publique. Si vous avez eu le temps de le consulter, j’aurais souhaité connaître votre jugement quant au contenu de ce projet.

Vous avez longuement évoqué la crise sanitaire et les enseignements que nous serions susceptibles d’en tirer. Au mois de juillet dernier, le GSE a organisé une grande conférence sur le thème « Covid, zoonoses, One Health ? ». L’ensemble des sujets que vous avez mentionnés ont été évoqués lors de cette conférence qui s’est déroulée sur trois demi-journées. Avez-vous assisté à cette conférence ?

Mme Sophie Gaudeul. Oui, j’ai participé à cette conférence.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous sommes donc en phase sur ce point. Les conclusions de cette grande conférence ont en principe été reportées dans le PNSE 4. C’est la raison pour laquelle je souhaite avoir votre avis. Estimez-vous que la réponse aux problématiques « Covid, zoonoses, One Health ? » figure en effet dans le PNSE 4 ?

Mme Sophie Gaudeul. J’ai lu les projets, j’ai assisté aux discussions, mais je n’ai pas eu le temps de lire la version définitive du PNSE 4.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous participé à la dernière réunion du GSE, organisée au mois d’octobre et au cours de laquelle nous avons présenté le PNSE 4 ?

Mme Sophie Gaudeul. Non.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous ne traiterons donc pas la question relative au PNSE 4. Quelle est votre vision de la gouvernance actuelle de la santé environnementale ? Quelles priorités défendez-vous ? Vous avez longuement évoqué la politique de santé environnementale dans les territoires. La gouvernance actuelle, menée par les préfets, les agences régionales de santé (ARS) et les conseils régionaux, vous paraît-elle satisfaisante ? Quel jugement portez-vous sur les plans régionaux de santé-environnement (PRSE) et sur leur application, notamment dans le monde du travail ?

Mme Sophie Gaudeul. La CFDT n’a pas initié de travaux relatifs à la gouvernance du PNSE 4. Cependant, il nous semblerait nécessaire de renforcer la coordination entre les différentes instances. Par ailleurs, au cours de ces dernières années, nous avons également constaté que les moyens mis en œuvre en regard des PNSE étaient insuffisants, y compris dans le domaine de la recherche. Il conviendrait également de réfléchir à l’élaboration de procédures de vigilance, d’alerte et de gestion de crise, en s’appuyant sur les enseignements issus de la crise sanitaire.

J’ai lu le rapport de la Cour des comptes relatif à la lutte contre la pollution de l’air. Il est intéressant et va dans le sens des préconisations de la CFDT, bien que nous ayons constaté qu’il n’y est pas fait mention d’une quelconque vigilance liée aux substances nanotechnologiques. Au-delà de cette restriction, nous sommes d’accord avec l’ensemble des préconisations formulées par la Cour des comptes. Nous souhaiterions une prise en charge accrue de ces questions importantes. Nous pensons également qu’il est nécessaire d’appuyer la mise en œuvre des propositions de la Cour des comptes sur des acteurs appropriés, notamment l’Anses, l’Institut Pasteur, l’Inserm, etc. Il est indispensable que la santé environnementale ne soit pas satellisée et qu’elle soit prise en charge par les acteurs de la santé globale. Il serait profitable d’intégrer les associations de santé dans un débat. Si nous devions initier une réflexion relative à la gouvernance, nous l’orienterions vers les actions à mettre en place afin d’éviter que la santé environnementale ne soit isolée des autres thématiques liées à la santé et de l’ensemble du système de soins et de vigilance.

M. Pierre Venteau. Vous avez évoqué les problématiques de zoonoses liées aux élevages géants. Se posent-elles à l’échelle nationale ou internationale ?

Mme Sophie Gaudeul. Il conviendrait dans un premier temps d’explorer cette problématique au niveau national, via des recherches, des collaborations initiées avec les greeners chargés de la vigilance, etc. Si le risque s’avère très fort, il conviendra de porter le sujet au niveau international puisque l’agriculture s’insère dans une économie globalisée.

M. Pierre Venteau. S’agissant de la santé au travail, vous avez évoqué les agriculteurs, leur famille, mais vous avez omis de mentionner les salariés qui travaillent pour les agriculteurs, les salariés agricoles, etc. Selon la CFDT, de quelle manière pourrions-nous intégrer des questions de prévention dans la vigilance de santé au travail pour ces publics précis ? Actuellement, ils ne sont pas suivis.

Mme Sophie Gaudeul. Les mutuelles, notamment la Mutualité sociale agricole (MSA), peuvent constituer des acteurs de prévention, car elles disposent de nombreuses informations relatives au milieu agricole. Je pense également aux représentants du personnel, quand il y en a. Des militants syndicaux ont lancé des campagnes de sensibilisation, mais ce sont des actions sporadiques menées avec peu de moyens. Je ne dispose pas de solution précise, mais il serait utile d’initier des campagnes d’information et de prévention. Les ARS sont également des acteurs importants de la prévention dans les territoires, mais il serait peut-être souhaitable de traiter ces sujets dans le périmètre des départements.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je pense qu’il serait nécessaire de développer une culture de prévention. L’information ne constitue pas un levier suffisamment puissant de la prévention. Savoir ne suffit pas et ne remplit pas la mission de prévention. La France n’a pas suffisamment évolué sur ce point, car elle associe encore trop facilement la prévention à l’information.

Vous avez évoqué la satellisation, la dispersion des missions, la nécessité d’une gouvernance commune avec le domaine de la santé, etc. Je pense que cette remarque est très représentative de la politique de la prévention telle qu’elle est exercée en France. En effet, la médecine du travail, la santé à l’école, etc., souffrent d’une satellisation identique. Avez-vous initié des réflexions relatives à ce sujet ?

Mme Sophie Gaudeul. Le bureau national de la CFDT a adopté des positions fermes quant à la prévention primaire en milieu de travail, le dépistage de la Covid-19 sur la base du volontariat et de la confidentialité.

Dans les entreprises, les comités sociaux et économiques (CSE) ont fusionné l’ensemble des instances représentatives du personnel. Précédemment, les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) constituaient des instances collectives qui fonctionnaient très bien, obtenaient des résultats satisfaisants et disposaient d’une réelle capacité d’action. Il n’est pas certain qu’actuellement, les commissions de sécurité des CSE s’acquittent des mêmes missions que les CHSCT et disposent de moyens identiques. Dès lors, la CFDT, très inquiète quant à la santé au travail, juge indispensable de reconstruire au sein des CSE les missions de vigilance et de prévention dévolues dans le passé aux CHSCT. Les CSE ont constitué des commissions d’hygiène et de sécurité qui répondaient à une obligation légale. Elles ont la possibilité de mettre en place des commissions facultatives et il serait souhaitable de créer des commissions dédiées à l’environnement. Cependant, la création de ces commissions facultatives est soumise à la consultation de l’instance CSE et il est complexe d’y parvenir à un accord collectif. Quoi qu’il en soit, les commissions d’hygiène et de sécurité ne reprennent pas les missions des CHSCT dans leur intégralité. Ce constat est très inquiétant, car il n’existe plus, dans les entreprises, ni regard ni débat démocratique relatif aux questions de santé au travail. Pour autant, certaines entreprises sont très attachées à la prévention en santé et mènent des actions intéressantes et efficaces.

Nous nous inscrivons totalement dans l’approche « One Health ». En revanche, nous estimons qu’elle n’est réalisable qu’en s’appuyant sur les acteurs de la santé répertoriés. Il ne s’agit pas de reconstruire ce qui existe déjà, mais de le perfectionner afin de ne pas perdre de temps. Toutefois, nous craignons que cette approche « One Health » écarte les sujets de santé au travail. Les travailleurs sont des citoyens et ils sont soumis à des expositions multiples au cours de leurs journées de travail. Il convient de les prendre en compte.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le sujet de la santé au travail constitue un sujet majeur de préoccupation de la CFDT. Vous évoquez abondamment la santé au travail, sans faire allusion au plan national santé au travail. Vous mentionniez la satellisation des acteurs de la santé, mais nous constatons également une satellisation des démarches de santé environnementale. En effet, actuellement, le PNSE constitue l’outil qui annonce l’axe majeur de la politique nationale en matière de santé environnementale. Au-delà du plan national, une trentaine de plans sectoriels ont été mis en œuvre, notamment un plan dédié à la santé au travail. Que pensez-vous de ce plan ? Avez-vous été associés à sa construction ? Avez-vous mis des suivis en place ? Disposez-vous de retours ? Connaissez-vous les montants attribués à ce plan ? Ce plan est-il suffisamment efficace ? Les risques émergents tels que les expositions nouvelles, les perturbateurs endocriniens, etc., constituent-ils des sujets sur lesquels vous vous mobilisez ? Participez-vous à la mise en œuvre et à l’application du plan santé au travail ?

Mme Sophie Gaudeul. De nombreuses actions ont été initiées par la CFDT qui est très fortement engagée dans les problématiques de santé au travail, et ce, depuis de nombreuses années. Nous siégeons dans de nombreuses instances, notamment l’Anses, l’INRS, etc. Nous travaillons avec des agences régionales de santé (ARS), des acteurs de la sécurité sociale, etc. Nous sommes vraiment très mobilisés dans le domaine de la santé au travail.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’ai évoqué cette question parce qu’elle a constitué l’axe essentiel de votre intervention.

Mme Sophie Gaudeul. Je l’ai essentiellement évoquée dans l’approche « One Health ». Lorsque de nouvelles notions apparaissent, il importe d’être vigilant quant à l’intégration de l’ensemble des domaines qu’elles concernent. « One Health » est un concept international ancien. Il est repris en France dans les débats relatifs à la santé environnementale. J’attire l’attention sur le fait que ce concept ne doit pas conduire à une révolution, mais davantage à une réforme qui améliore le travail déjà produit sans l’anéantir.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je partage votre avis quant au concept « One Health ». Les concepts constituent des outils utiles dans l’approche d’une réalité parfois complexe. Il importe de rappeler que « One Health » vise à théoriser un constat de bon sens, à savoir que la santé humaine dépend de nombreuses interactions avec les environnements. Appliquer le concept au microcosme du monde du travail semble intéressant, sous réserve de ne pas écarter les problématiques basiques telles que les conditions de vie au travail, les démarches Qualité de vie au travail (QVT), etc. La définition de la santé couvre un vaste champ aux contours un peu flous. Il ne s’agit pas seulement de ne pas être malade, mais également de se sentir bien, notamment à son poste de travail, dans un environnement sain, qui ne soit pas agressif ou potentiellement dangereux.

La CFDT a-t-elle initié des actions de sensibilisation à la santé environnementale dans ces rangs et dans les entreprises où vous êtes présents ?

Mme Sophie Gaudeul. Non, parce que nous n’avons pas travaillé ainsi. Nous n’avons pas diffusé d’information dédiée aux entreprises. Nous avons initié des campagnes relatives à des sujets précis. Nous avons également organisé des colloques et des expositions sur le thème des nanotechnologies. Les fédérations professionnelles et les unions régionales ont travaillé aux questions de santé au travail et ont animé des débats. Certaines ont publié des supports. Nous avons également publié des argumentaires et des documents, notamment sur les nanotechnologies et sur les pesticides. Nous avons informé des équipes via les instances dans lesquelles nous siégeons.

Nous avons mené des actions juridiques. Je vous propose d’en évoquer deux que je connais bien. Nous avons eu gain de cause dans un contentieux de la fédération transport environnement de la CFDT relatif aux normes de la qualité de l’air et aux écarts dans les seuils retenus pour le grand public et pour les travailleurs. Ces écarts nous semblaient énormes, injustes et non justifiés en regard des expositions de santé. Nous sommes allés devant la justice et la fédération transport environnement de la CFDT a gagné ce contentieux. Cette victoire exige que les normes soient modifiées. Un autre contentieux visait à obtenir réparation des dommages occasionnés à des travailleurs riverains de parcelles agricoles exposés à des substances dangereuses qui leur ont provoqué des troubles graves.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous eu un contact avec l’agriculteur qui a récemment gagné un procès contre une grande entreprise de l’agroalimentaire ?

Mme Sophie Gaudeul. Je n’ai personnellement pas eu de contact avec cet agriculteur, mais il est possible que mes collègues de l’agriculture en aient eu. J’ai beaucoup travaillé avec mes collègues de l’agriculture sur les questions de santé environnementale. Nous avons travaillé sur la qualité de l’air, notamment de l’air en milieu souterrain. Nous avons demandé et obtenu des études de l’Anses qui nous ont donné pleinement satisfaction. Nous avons également obtenu des études sur la qualité de l’air en milieu aérien. Nous avons sollicité d’importants travaux de recherche de sorte que ces états des lieux nous permettent de mener des actions ciblées, concrètes et efficaces. La recherche constitue toujours le point de départ d’une approche pragmatique et efficace.

Avec mes collègues de l’agriculture, nous avons également travaillé sur les expositions aux perturbateurs endocriniens. Nous avons formulé de nombreuses revendications, notamment aux états généraux de l’alimentation et dans les conférences environnementales. Nous avons élaboré des fiches à ce sujet et nos revendications sont très récurrentes afin d’être entendues. Ces démarches prennent souvent plusieurs années et nécessitent beaucoup de patience, mais nous sommes persévérants.

Certaines enquêtes publiques, telles que l’enquête Elfe, nous paraissent être très intéressantes et mériteraient de disposer de moyens beaucoup plus importants. Il convient de s’assurer de leur pérennité dans le temps.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pouvez-vous nous préciser le contenu de cette enquête ?

Mme Sophie Gaudeul. L’enquête Elfe est une enquête épidémiologique réalisée par cohortes qui réunit un grand nombre d’instituts de recherche en santé en France tels que l’Inserm, l’Institut national d’études démographiques (Ined), probablement l’institut de veille sanitaire (InVS), etc. Ces instituts travaillent ensemble à élaborer un suivi des enfants dès la naissance et jusqu’à l’âge adulte. Ils analysent leurs conditions de vie, leurs différentes sources d’exposition et leur santé au regard d’un certain nombre de variables environnementales. Il nous semble indispensable que cette étude soit financée et puisse également bénéficier aux populations d’outre-mer. Leur allouer des moyens est essentiel afin que de telles études nous apportent des enseignements de vigilance sanitaire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie. Toutes les propositions cohérentes sont les bienvenues dans cette commission d’enquête dont l’objectif consiste à faire progresser la situation.

L’audition s’achève à dix heures vingt-cinq.

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45.   Audition, ouverte à la presse, de. M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) (5 novembre 2020)

L’audition débute à onze heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons maintenant le docteur Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, autrement dit le CRIIGEN. Le CRIIGEN a été fondé en 1999. Il se présente ainsi : « un comité apolitique et non militant de recherche, d’expertise, de conseil, de formation et d’information, indépendant des producteurs d’OGM et indépendant des industries agrochimiques et semencières. Il évalue les bénéfices des techniques du génie génétique et des produits chimiques de synthèse comme les pesticides et autres perturbateurs endocriniens. Sa structure transdisciplinaire lui permet d’aborder ces questions sous différents angles, scientifique, médical, juridique, économique et environnemental ».

Nous souhaiterions donc connaître l’appréciation du CRIIGEN sur la mise en œuvre des politiques de santé en France et sur les priorités qui doivent les animer.

(M. le docteur Spiroux de Vendômois prête serment.)

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN). Mme la Présidente, je vous remercie de m’avoir convié à cette audition parce que cette problématique de santé environnementale m’est chère et chère également aux membres du CRIIGEN. Héraclite disait que « L’état de santé de l’homme est le reflet de l’état de santé de la Terre ». En regard de l’état de notre environnement, nous pouvons imaginer que notre santé n’est pas bonne. Hippocrate, quant à lui, affirmait que « L’aliment est ton premier médicament ». Malheureusement, si l’aliment est rempli de résidus chimiques toxiques, il ne sera pas un bon médicament. Je rappelle la définition de la santé environnementale portée par l’OMS depuis 1994 : « La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux et psychosociaux, esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle, de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures ». Une très belle définition, dont nous constatons dès maintenant qu’elle n’est pas mise en œuvre. La charte de l’environnement, promulguée en 2005 sous forme de loi constitutionnelle énonce dans son premier article : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ». Il n’en est pas ainsi dans la vraie vie.

La notion d’environnement n’est pas considérée par nos autorités publiques comme elle devrait l’être, parce que l’environnement est bien plus complexe que ce que l’on nous présente. L’environnement est composé d’abord de l’environnement biologique qui concerne les bactéries, les virus, etc. Nous savons ce que sont les virus et nous savons comment un simple virus peut déstructurer complètement une société ; nous le vivons actuellement. Les humains appartiennent à l’environnement biologique. L’environnement comprend également l’environnement chimique, à savoir les xénobiotiques, présent dans l’air, l’eau, le sol, l’alimentation, et qui nous empoisonnent sans bruit ; l’environnement physique avec le réchauffement climatique et, enfin, l’environnement socio-anthropologique. Ce dernier environnement est fondamental puisqu’en fonction des décisions sociétales, l’accès aux soins est plus ou moins facile, les traitements sont plus ou moins accessibles, etc. Et quoi qu’il en soit, un bidonville ne présente pas les mêmes pathologies qu’un hôtel particulier du seizième arrondissement. Nous constatons actuellement que les décisions sociétales face à la Covid ont un impact. Un autre environnement intègre cet environnement socio-anthropologique, l’environnement cognitif, qui concerne les moyens par lesquels nous appréhendons notre environnement, c’est-à-dire notre culture, les médias, la publicité, l’enseignement. En Europe, nous n’entretenons pas le même rapport avec notre environnement qu’un chasseur cueilleur bantou. Ces distinctions sont fondamentales, ainsi que les aspects comportementaux qui en découlent, parce que l’homme étant un animal adaptable, il peut se protéger ou se mettre dans des situations plus dramatiques.

Selon l’Agence européenne de l’environnement, l’Europe produit trois cents millions de tonnes par an de xénobiotiques. Ces produits se retrouvent dans notre environnement, dans l’air, dans l’eau et c’est ainsi que, selon Hallmann et al., en 2017, 75 % de la biomasse des insectes volants ont disparu en vingt-sept ans. Par ailleurs, le rapport de WWF de 2018 fait état d’une diminution de 66 % en quarante-quatre ans de la biodiversité animale. La même source indique en 2020 que 68 % des vertébrés ont disparu en moins de cinquante ans. Les causes sont naturellement plurifactorielles, tout comme celles des pathologies et nous reviendrons sur les genèses plurifactorielles des pathologies.

Les xénobiotiques et les perturbateurs endocriniens comprennent les bisphénols, les phtalates, les parabènes, les composés perfluorés, les composés phénoliques, les composés polybromés, les dioxines, les PCB, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), certains métaux lourds (mercure, plomb, arsenic, etc.), les phytoestrogènes, les résidus de médicaments hormonaux, etc. Ce n’est pas pour rien que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a mis en œuvre un plan « résidus de médicaments dans l’eau ».

Des études publiées en 2017 par le centre américain de contrôle et de prévention des maladies (The Centers for Disease Control and Prevention CDC) ont montré que le sang d’importants pourcentages de la population contenait des xénobiotiques. Ce n’est pas tolérable. Le CDC a recherché deux cent quatre-vingt-sept xénobiotiques dans le sang de cordon chez des femmes enceintes : la présence de quarante-sept xénobiotiques a été détectée chez toutes les femmes enceintes testées et les mêmes produits se retrouvent dans le lait maternel. Ce n’est pas tolérable dans une société digne de ce nom.

Ces constats induisent une augmentation des maladies chroniques environnementales, des maladies neurodégénératives, des cancers, des allergies, du diabète, de l’hypertension, de l’asthme. Aux États Unis, l’espérance de vie en bonne santé diminue non seulement en raison des produits chimiques, mais également des difficultés d’accès aux soins qui relève de l’environnement socio-anthropologique que j’évoquais précédemment. Nous constatons également l’augmentation de pathologies touchant la reproduction chez les humains (cancers du testicule, pubertés précoces, malformations congénitales) et les hommes ont perdu 50 % de leurs spermatozoïdes en cinquante ans. Ce n’est pas tolérable.

En 2019, nous avons enregistré 382 000 nouveaux cas de cancers. En 2018, 157 400 décès étaient liés au cancer. En 2017, 1,2 million de malades ont été hospitalisés pour un cancer. Le nombre de cas de cancers a augmenté de 10 % en cinq ans. Ce n’est pas tolérable.

En 2005, un enfant sur cinq cents était atteint de cancer. En 2018, un enfant sur trois cent vingt est atteint de cancer. Ce n’est pas tolérable.

Souvent, lorsque je présente ces statistiques, on me renvoie que les cancers sont désormais plus facilement guéris. Certes, mais dès lors qu’on est obligé de les soigner, cela signifie qu’il est déjà trop tard, c’est-à-dire qu’il aurait été préférable d’éviter la mise en contact de ces enfants avec des produits chimiques toxiques.

Les pathologies dites « chroniques » sont des pathologies environnementales. D’ailleurs mon objectif consiste à faire en sorte que l’intitulé de ces pathologies chroniques devienne « pathologies environnementales ». Cela faciliterait les prises de conscience, notamment de nos politiques, parce que les pathologies chroniques sont souvent considérées comme normales lorsqu’on vieillit. Ces pathologies environnementales mettent en exergue l’incapacité des autorités publiques et des organismes d’évaluation des risques à protéger la santé de la population et de l’environnement.

Il n’existe aucune chaire d’enseignement en santé environnementale dans aucune des facultés de médecine de France. C’est inadmissible. Cette discipline devrait exister. Nos jeunes confrères, nos jeunes internes n’ont alors aucune notion relative aux perturbateurs endocriniens puisque leur cursus ne contient même pas une heure de formation sur ce sujet. En outre, les formations universitaires (les diplômes universitaires – DU – en santé environnementale) sont quasiment inexistantes. Les développements personnalisés continus (DPC), destinés aux médecins déjà installés, proposent vingt et une heures de formation par an, toutes disciplines confondues. Il est donc impossible de former nos confrères sur une problématique aussi vaste. Aucune formation à la santé environnementale ne figure dans le cursus des pharmaciens, des sages-femmes et des infirmières. Des cours d’initiation à la santé environnementale devraient être inclus dans l’ensemble des études supérieures de sorte que chacun ait la notion de l’impact qu’il produit.

Les pesticides, sujet qui fâche le plus, constituent un des chevaux de bataille du CRIIGEN. Le Grenelle de l’Environnement de 2008 a mis en place le plan Ecophyto. Ce plan avait pour objectif une diminution de l’utilisation des pesticides de 25 % en 2020 et de 50 % en 2025. Le 7 janvier 2020, le ministère de l’Agriculture a annoncé les résultats suivants :

– augmentation de 24 % de l’utilisation des pesticides entre 2017 et 2018,

– augmentation de plus de 25 % de cette utilisation en dix ans.

Ces résultats ont été enregistrés malgré le lancement des plans Ecophyto II en 2015 et Ecophyto II+ en 2019. Finalement, la population française se nourrit d’une alimentation pauvre nutritionnellement et riche en résidus toxiques. Ce n’est pas pertinent.

La définition des perturbateurs endocriniens est trop restrictive. Un accord européen a été signé en 2017, mais il est trop restrictif parce qu’il impose non seulement qu’un perturbateur endocrinien perturbe le système endocrinien, mais encore qu’il y ait une relation directe de cause à effet. Cette notion n’est pas pertinente puisqu’elle restreint terriblement la problématique. Les perturbateurs endocriniens se trouvent partout, y compris dans le ventre des femmes enceintes. Dès lors, si un problème survient, nous ne pourrons pas mettre en exergue un produit par rapport aux autres et le lien direct de cause à effet ne sera pas respecté.

Les perturbateurs endocriniens présentent des caractéristiques chimiques particulières. Les petites doses peuvent être plus toxiques que les fortes doses. Surtout – et c’est le point le plus important –, leur dangerosité est maximale pendant la gestation et pendant la petite enfance et induit des impacts sur la puberté, la procréation à venir, l’âge mûr et sur les personnes âgées. Il importe donc de se protéger au maximum de ces perturbateurs endocriniens, en les supprimant de notre alimentation.

Souvent, dans les articles que nous lisons, dans ce que nous entendons à la radio ou à la télévision, voire dans le contenu de nos textes, la population est stigmatisée et les patients sont culpabilisés, notamment s’ils présentent un surpoids, une obésité, qui conduit à les accuser de trop manger. On omet bien sûr de préciser que l’alimentation industrielle contient des polluants, des perturbateurs endocriniens obésogènes, diabétogènes, et d’autres qui limitent la notion de satiété et qui conduisent à grignoter sans cesse. Les causes sont naturellement plurifactorielles puisqu’il n’est évidemment pas sain de manger trop ou trop salé ou trop sucré. Il n’empêche que l’alimentation présentée dans les publicités diffusées à la télévision ou ailleurs contient des polluants obésogènes.

Il en est de même pour la stéatose hépatique (« foie gras »). Initialement, cette pathologie se rencontrait uniquement chez les alcooliques. Désormais, elle est diagnostiquée chez les jeunes parce que les perturbateurs métaboliques favorisent le stockage de graisse au niveau du foie.

Lorsqu’une femme qui approche la quarantaine présente une hypofécondité ou une stérilité, il lui est reproché de ne pas s’en être préoccupée plus tôt. On oublie alors de préciser que, parmi les perturbateurs endocriniens, nombreux sont ceux qui limitent la possibilité de grossesse.

Lorsqu’un patient souffre d’un cancer du poumon, qu’il a fumé pendant ses études et fumait encore dix ans auparavant, on considère qu’il a bien cherché son cancer. Il n’empêche qu’un bon nombre de cancers du poumon sont diagnostiqués chez les non-fumeurs de toujours.

À titre d’autre exemple, un patient malade du Covid sera accusé de ne pas s’être suffisamment protégé, mais on oublie de dire que les produits chimiques toxiques que nous avons ingérés ou respirés, comptent des perturbateurs de l’immunité. Notre immunité diminue avec l’âge, mais elle diminue également à cause des perturbateurs immunitaires et nous contractons plus facilement des pathologies infectieuses.

« Il faut vous protéger », nous dit-on, mais comment nous protéger d’une pollution invisible ? La question reste entière. En toute logique, il appartiendrait à l’État de nous protéger, d’éviter que ces produits chimiques toxiques circulent. Il convient d’agir à la source et non seulement de trouver un remède, mais surtout d’éviter que ces produits polluent la planète. Il importe donc de ne pas confondre la pollution choisie et la pollution subie. Un fumeur choisit sa pollution puisqu’il est prévenu de l’impact cancérogène du tabac. En revanche, lorsque nous respirons l’air à Paris ou ailleurs, nous subissons la pollution et celle-ci est insupportable.

La toxicologie réglementaire s’avère incapable de nous protéger. En effet, elle ne tient compte ni de la bioaccumulation dans les organismes et dans l’environnement ni des mélanges et des « effets cocktail ». L’Ifremer a mené une étude qui démontre l’existence d’une bioaccumulation dans les lacs et dans les estuaires de la Méditerranée, dans la région de l’Étang de Berre, par exemple, et que les « effets cocktail » sont importants parce qu’ils sont presque toujours supérieurs à la somme des effets de chacune des molécules.

Par ailleurs, la toxicologie réglementaire n’intègre pas le fait que, parfois, les faibles doses sont plus toxiques que de fortes doses. Elle ne tient pas compte non plus des effets à long terme et des effets différés, ni des effets transgénérationnels d’origine épigénétique qui consistent en une modification de l’expression des gènes qui peut se transmettre de génération en génération. L’exemple le plus dramatique est celui du Distilbène. Nous sommes à la troisième génération des « enfants Distilbène » qui présentent des malformations néonatales, des troubles psychiques, etc.

La toxicologie réglementaire ne tient pas plus compte du fait que les rats-témoins des tests toxicologiques sont de faux témoins. En effet, le CRIIGEN a mené une très belle étude montrant que les aliments pour rats de laboratoire, prélevés dans cinq continents différents, sont pollués par des pesticides, des dioxines, des PCB, des métaux lourds et aussi des OGM, dans les régions où l’on cultive des OGM. Ces rats-témoins sont déjà potentiellement malades en raison de leur alimentation. Dès lors, lorsqu’on leur ajoute un peu de produits à tester, les différences statistiques ne sont pas suffisamment importantes pour être prises en compte.

Ensuite, l’épidémiologie classique n’est pas adaptée aux pathologies environnementales. L’épidémiologie est une science qui a été mise en place pour suivre une épidémie. Ainsi que le démontre la pandémie actuelle, une épidémie est constituée d’un agent causal et d’une pathologie bien déterminée. Il en est de même pour la grippe, pour l’ensemble des pathologies d’origines bactérienne et parasitaire : c’est très simple. S’agissant des produits chimiques toxiques – et d’autant plus s’ils se présentent en « cocktail » –-, la situation est plus complexe. Il conviendra d’adapter l’épidémiologie afin qu’elle devienne pertinente.

En outre, la toxicologie réglementaire est soumise à l’influence de l’industrie. Cette affirmation ne constitue pas une nouveauté.

Nous avons récemment appris qu’une nouvelle publication du CRIIGEN avait été acceptée dans Toxical Research. Il s’agit d’une approche transdisciplinaire pour un état des lieux et une réforme en profondeur de l’expertise réglementaire dans le domaine de la toxicologie et de la sécurité environnementale. Elle a en effet été écrite par un médecin, un généticien, un écotoxicologue, deux juristes, etc. Je vous invite à prendre connaissance de cette publication dès qu’elle sera publiée sur le site du CRIIGEN.

Je souhaite évoquer plus en détail le premier « effet cocktail », sur la base de l’exemple du Roundup, constitué de glyphosates et d’adjuvants. Le glyphosate est une molécule déclarée « active » par le fabricant qui a mené des études sur des rats pendant deux ans afin d’en démontrer les effets toxiques. L’agriculteur ou le jardinier du dimanche n’utilise jamais du glyphosate pur, mais du glyphosate auquel on a ajouté des co-formulants, c’est-à-dire soit le Roundup, soit d’autres herbicides à base de glyphosate. Nous avons démontré dans une dizaine ou une vingtaine de publications – et nous ne sommes pas les seuls – que les co-formulants sont plus toxiques que le glyphosate seul, alors même qu’ils ne sont pas testés. En 2016, j’ai collaboré à une publication qui démontrait que les co-formulants contenus dans une dizaine de Roundup différents représentaient à eux seuls des perturbateurs endocriniens. Cet exemple est valable pour l’ensemble des pesticides utilisés dans le monde. M. Marc Mortureux, ancien directeur de l’Anses, nous en a fourni une preuve écrite qui figure sur le site du CRIIGEN.

La dose admissible de glyphosate est déterminée à l’issue, d’abord, du calcul de la dose létale pour 50 % d’une population de souris. On calcule ensuite la LOAEL (Lowest Observed Adverse Effect Level), c’est-à-dire la plus faible dose à partir de laquelle des effets sont constatés, et la NOAEL (No Observed Adverse Effect Level), c’est-à-dire la dose maximale pour laquelle aucun effet n’est observé. La NOAEL est ensuite divisée par dix parce que les rats ne sont pas des humains, et encore une fois par dix parce que la population humaine compte des sujets plus fragiles que d’autres. In fine, la NOAEL est divisée par cent afin d’obtenir la dose journalière admissible (DJA). Force est de reconnaître que cette division par cent ne repose sur aucun élément scientifique. Toutefois, en tenant compte du postulat selon lequel le mélange glyphosate plus co-formulants, c’est-à-dire le premier « effet cocktail » des pesticides, est bien plus toxique que le glyphosate tout seul, on conclut que la DJA, une DJA protectrice, devrait être de dix à mille fois inférieure à la DJA officielle. Ce constat vaut pour l’ensemble des pesticides autorisés dans le monde, et pour les « effets cocktail », en particulier. Nous sommes donc très mal protégés, même par les bases de la toxicologie réglementaire. Cela fait l’objet de formations que je dispense aux médecins s’agissant des pesticides et de la toxicologie réglementaire. Ils en sont tous stupéfaits.

En conclusion, une refonte totale de l’évaluation toxicologique s’impose, non seulement une refonte de l’organisation structurelle des agences, mais également une refonte des protocoles d’expérimentations toxicologiques parce qu’ils ne mettent pas en exergue les produits chimiques toxiques. En effet, si la toxicologie réglementaire en vigueur depuis soixante-dix ans était apte à nous protéger, nous n’assisterions pas à un tel développement des pathologies environnementales. Cette refonte doit être réalisée avec une impérieuse nécessité de transparence. J’insiste sur la transparence parce que les tests toxicologiques préalables à la mise en utilisation de produits chimiques toxiques tels que les pesticides notamment, sont réalisés par les fabricants eux-mêmes et les résultats sont transmis par les industries aux agences d’accréditation. En outre, les études réalisées sont considérées comme propriété intellectuelle de l’industriel et puisqu’elles ne sont pas communicables, il s’avère impossible d’étudier les résultats. C’est une catastrophe parce que cela manque de transparence, d’indépendance et ne fait l’objet d’aucun débat contradictoire.

Le XXe siècle a été celui de l’hygiène bactérienne, le XXIe siècle doit impérativement devenir le siècle de l’hygiène chimique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous vous remercions pour cette présentation déjà très pointue et très sollicitante. Je me dis qu’en un quart d’heure, vous nous avez démoli le moral, et je me demande dans quel état sont les médecins au bout de trois jours, alors que vous avez développé votre propos avec preuves à l’appui ! Bien sûr, il s’agit d’une simple boutade. Je connaissais déjà votre démarche et votre position, ce qui n’est probablement pas le cas de l’ensemble des personnes qui nous écoutent et de certains de mes collègues.

Je souhaite d’abord revenir sur des questions vraiment très basiques. Comment fonctionne le CRIIGEN ? D’où tirez-vous de telles certitudes, sur le fond et sur la forme, quant à l’ensemble des failles du système ? La véritable question de fond consiste à s’interroger sur la crédibilité actuelle de la parole scientifique. Dès qu’une problématique surgit, les lobbies nous renvoient très aisément la balle en nous affirmant qu’il n’existe aucune démonstration scientifique suffisamment étayée qui nous permette de nous opposer à la production, sur la base de constats en matière de santé environnementale. J’en veux pour preuve l’audition des représentants de France Chimie au cours de laquelle ils nous ont réaffirmé leur position. Ils s’estiment extrêmement respectueux de la réglementation actuelle, de toute la réglementation et de rien que celle-là. Ils considèrent que le principe de précaution ne les concerne pas directement et veulent des démonstrations de lien de causalité.

Cette première et très longue question embarque les questionnements quant à la position des agences et la qualité de leurs expertises. Bref, que vaut actuellement la parole scientifique et à quoi pouvons-nous nous raccrocher ? Votre présentation contient de nombreuses références à des articles scientifiques et je souhaiterais que vous nous indiquiez ce qui, dorénavant, est absolument certain et sur lequel nous pourrions vraiment nous appuyer de sorte à fonder une critique, dénoncer la situation actuelle et la faire évoluer.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. La première certitude réside dans le constat selon lequel les études préalables à une mise en circulation d’un produit ne sont pas visibles, ce qui interdit toute analyse et, par là même, tout débat contradictoire.

Par ailleurs le calcul de la dose journalière admissible des pesticides porte uniquement sur les molécules déclarées actives, sans tenir compte de la composition globale du produit. C’est inadmissible. C’est inadmissible. Nous l’avons démontré dans de très nombreuses publications.

À titre d’exemple relatif aux limites maximales de résidus (LMR), j’ai fait procéder à des dosages de mercure dans des poissons à l’île de la Réunion (marlin, thons et espadons). Il s’avérait qu’il suffisait de manger un steak de quarante grammes de marlin pour dépasser la dose toxique en mercure sur huit jours. En fonction des pays, les LMR et les doses toxiques journalières sont différentes. Certains organismes estiment que la dose de mercure à ne pas dépasser est de 0,7 microgramme par kilo de poids corporel par semaine ; curieusement, l’OMS évalue cette même dose à 1,6 microgramme par kilos deux fois par semaine. Comment peut-on justifier scientifiquement que des évaluations de ces doses varient du simple au double d’un pays à l’autre ?

Dans les aliments, dans les poissons, par exemple, on trouve du cadmium. Les doses admissibles seront différentes entre le maquereau et le thon. Manifestement, ces LMR sont calculées surtout en vue d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. Il est impossible d’expliquer scientifiquement que le même dosage d’un produit chimique toxique soit plus toxique dans un aliment que dans un autre.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre critique s’avère donc extrêmement ciblée sur le calcul des doses journalières admissibles. Il s’agit là de votre démonstration critique.

Sur quelles données fiables et stables pourrions-nous construire une politique de santé environnementale actuellement ? Il semble en effet, à vous entendre, que le ver soit dans le fruit dès le démarrage. Cela signifie que le montage même de la logique scientifique est dévoyé non seulement à l’intérieur de notre pays, mais également à l’échelle internationale. Sur quels repères scientifiques pouvons-nous nous appuyer actuellement ? Votre critique des DJA semble pertinente. Pour autant, sur quoi ou comment pouvez-vous enraciner votre certitude de l’existence de liens de causalité ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Le lien de causalité directe est complexe à déterminer dans une genèse multifactorielle. J’ai abordé ce sujet lorsque j’ai évoqué l’épidémiologie. Lorsqu’il existe quarante à cinquante molécules toxiques dans le sang, la mise en exergue d’une molécule précise sera toujours opposée au constat de la présence des autres.

Par ailleurs, il conviendrait de se baser préférentiellement sur les études toxicologiques réalisées de façon indépendante et transparente. Dès lors, l’indépendance et la transparence autoriseront l’ouverture d’un débat.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Par quels laboratoires ces études sont-elles portées ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je pense que les universités, en France et ailleurs, disposent de laboratoires qui ne sont pas inféodés à l’industrie chimique. Tout au moins, j’ose l’espérer. Au-delà, le CRIIGEN prône la mise en place d’une Haute autorité d’expertise, ce qui permettrait de gérer correctement ces problématiques. Cette Haute autorité d’expertise pourrait être composée de députés des différents groupes parlementaires, de personnes responsables des missions d’expertise collective, des grands organismes de recherche nationaux, d’un représentant des organismes participant à l’évaluation des risques pour la santé et l’environnement et aussi de personnalités réputées pour leurs travaux de recherche dans le domaine de l’expertise, à savoir des personnalités qualifiées en droit du travail, de l’environnement et de la santé publique, des représentants des associations concernées par l’éthique et l’expertise et des représentants de chaque grande Union (Union des médecins, etc.). Les députés pourraient être nommés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, par exemple.

Une telle instance ouvrirait la possibilité d’entamer un véritable dialogue, en toute transparence, parce qu’il importe que les études qui ont permis la mise sur le marché des produits soient portées à la connaissance des scientifiques. Actuellement, ils n’y ont pas accès. Cette obscurité est tout à fait délétère à l’initiation de dialogues et chacun campe sur ses positions. À titre d’exemple, près de deux cents publications démontrent la toxicité des herbicides à base de glyphosate pour l’environnement et pour autant, leur utilisation est encore autorisée.

Un autre exemple concerne les néonicotinoïdes. Ils ont été interdits, puis de nouveau autorisés pour la betterave. La porte est donc ouverte pour l’élargissement de cette autorisation pour d’autres cultures. Les néonicotinoïdes sont des perturbateurs endocriniens et l’imidaclopride, notamment, perturbe les trophoblastes. Qu’est qu’un trophoblaste ? La rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde produit un œuf et cet œuf s’entoure de cellules trophoblastiques qui vont lui permettre momentanément de se nourrir et d’aller ensuite s'implanter dans l’utérus ; c’est ce qu’on appelle la placentation. Nous savons désormais que des perturbateurs endocriniens perturbent la placentation et c’est ainsi que nous constatons une augmentation du nombre des fausses couches, notamment, chez les humains.

Il importe donc de disposer d’une vision globale et non partisane si nous voulons enfin régler ces problématiques. Mon exposé n’est pas du vent. Le constat de l’augmentation de ces pathologies environnementales est-il tolérable ? Non, ce n’est pas tolérable. Sur ce point, notre société disjoncte. De quoi mourait-on avant Pasteur, avant Fleming et avant la découverte des antibiotiques notamment ? Les populations mouraient de malnutrition, mais également de manque d’antibiotiques, d’anti-infectieux, d’hygiène et bien sûr, de toutes les problématiques chirurgicales et liées au diagnostic des pathologies. Nous avons dépassé ce stade, mais nous constatons, depuis soixante-dix ans, l’émergence de pathologies qui ne peuvent être dues qu’aux produits chimiques toxiques, certes dans un cadre plurifactoriel, mais cette augmentation est manifeste.

Nos centenaires sont nés dans l’entre-deux-guerres. À cette époque, je peux vous assurer qu’aucun des xénobiotiques que je vous ai montrés précédemment n’était présent dans le ventre des femmes en gestation. L’impact de ces produits chimiques toxiques pendant la grossesse et aussi pendant l’allaitement commence à être colossal sur la survenue de pathologies. Sans être un oiseau de mauvais augure, j’affirme qu’au fil du temps, ces pathologies vont entraîner des décès et des pathologies lourdes. C’est déjà le cas, mais dans cinquante ans, on ne vivra pas aussi facilement jusqu'à 100 ans.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends tout à fait vos constats. La constitution de cette commission d’enquête, la mise en place d’un groupe interministériel, le groupe santé environnement (GSE), l’élaboration des PNSE, etc., prouvent que la problématique de la santé environnementale interpelle et que les politiques, mais aussi la société civile et les administrations, se sont malgré tout mobilisés, tant bien que mal certes, mais mobilisés tout de même.

Je comprends de votre discours qu’en quelque sorte, l’ensemble du système est « contaminé » – c’est le mot qui me vient à l’esprit – contaminé par une volonté à la fois sournoise, déguisée, connue ou inconnue, de laisser la chimie nous envahir malgré, en définitive, la mise en œuvre des politiques publiques.

Vous nous dites que les scientifiques ont besoin de discuter et de s’exprimer pour prendre des décisions et faire des propositions. Cependant, à vous entendre, la qualité des scientifiques est extrêmement variable, puisque vous avez donné un coup de griffe aux laboratoires universitaires en affirmant que certains étaient inféodés à l’industrie. Votre discours est un peu déconcertant, lorsque l’on souhaite essayer de trouver des pistes d’amélioration. À vous écouter, on a l’impression que l’ensemble du système est contaminé. Vous nous avez démontré que même la pensée scientifique, l’approche scientifique, la logique scientifique, qui vise à définir des DJA, est déviée dès le démarrage et n’est pas du tout scientifique. Dès lors, à quoi pouvons-nous nous raccrocher ?

Cette question me ramène à ma question initiale, à savoir qui sont les chercheurs du CRIIGEN ? Comment avez-vous réussi à garder votre indépendance non seulement intellectuelle, mais également financière ? En effet, actuellement, le système de la recherche est malgré tout très dépendant du financement, qui vient donc en partie du privé.

Quelle est l’instance scientifique qui, selon vous, pourrait être la vigie de référence, complètement hors système ou moins touchée par les aléas du système et des financements ? Cela me préoccupe parce que, si je comprends bien vos propos, l’ensemble du système est pourri. Par où devons-nous commencer ? Devons-nous nous radicaliser et révolutionner le système ou, au contraire, rester à l’intérieur du système, le démonter et l’améliorer et faire en sorte d’avancer pas à pas ? Quelle serait la route à suivre ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. La première route à suivre réside dans l’enseignement. Il est essentiel que les décideurs et la population dans son ensemble sachent ce qui se passe. Il s’agit d’un grand changement de paradigme. Jusqu’au milieu du XXe siècle, voire entre les deux guerres, on savait repérer dans la nature ce qui était défavorable. On ne laissait pas un enfant jouer avec une vipère ou manger de la digitale pourpre en se promenant dans les sous-bois. Ce rapport à notre environnement est dévoyé parce qu’il est impossible de repérer les produits chimiques toxiques et invisibles que j’ai mentionnés, à savoir les perturbateurs endocriniens. La problématique de fond consiste en ce que nous ne sommes plus capables de nous protéger nous-mêmes.

La mise sur le marché de produits mal évalués génère des risques que nous payons un jour ou l’autre. Le premier plan nutrition santé préconisait de manger cinq fruits et légumes par jour. Ce plan n’abordait absolument pas la problématique des résidus de pesticides. L’ingestion journalière de cinq fruits et légumes couverts de pesticides est complètement délétère.

La formation de tous, de l’ensemble des corps, politique, scientifique, etc., est fondamentale pour prendre conscience de la situation. Le déni conduit à considérer qu’il est normal d’être malade. Non, ce n’est pas normal d’être malade. Les chiffres ne sont pas sortis d’un chapeau ; ce sont les chiffres officiels. Comment est-ce possible d’en arriver à une telle situation ?

Au-delà, je confirme que tout est anormal. La législation toxicologique dans son ensemble est complètement anormale puisqu’elle ne nous protège pas. Il existe d’excellents scientifiques partout, mais il existe également des scientifiques inféodés aux grands lobbies industriels. Je l’affirme. Certaines décisions politiques sont aussi inféodées, ce que confirment les volte-face au sujet des néonicotinoïdes.

Et donc, je vous confirme qu’il est indispensable de tout changer et de réorienter le système vers une prise de conscience drastique de la dépendance de la santé de la population à la santé de l’environnement.

À titre d’exemple, évoquons les normes qui, s’agissant des produits chimiques toxiques, sont une catastrophe parce qu’elles ne nous protègent pas. Je pourrais vous en dresser un catalogue colossal et vous l’envoyer. Je siège depuis près de vingt ans au conseil de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) de Seine-Maritime, en tant qu’expert en santé environnementale, mais je n’y vais plus qu’épisodiquement, pour les grandes affaires telles que celle de Lubrizol. Lorsqu’il s’agit de traiter des affaires moins graves, je suis toujours dépité parce qu’à chaque problème soulevé, on nous oppose les limites toxicologiques admises. Dès lors, je comprends l’impuissance de l’administration, puisque les normes officielles ne sont pas aptes à nous protéger. La population doit en être informée. Il vous appartient, à vous, les députés, de traiter cette question. Comment faire ? La politique de l’autruche conduit à accepter benoîtement que des enfants soient victimes de cancers, de malformations néonatales, etc. Je n’ai pas évoqué, dans mon exposé, les malformations congénitales émergentes, pour lesquelles d’ailleurs, il n’existe même pas de registre complet. En effet, il n’existe pas de registre complet pour les cancers ; il n’existe pas de registre complet pour les hypofécondités, etc. Si nous dressions de tels inventaires, nous constaterions que la situation est d’autant plus insupportable que ces pathologies sont des pathologies qui sont la conséquence de la présence de produits chimiques toxiques qui enrichissent certains groupes industriels et que nous payons non seulement de notre santé, mais également par les frais acquittés par notre Sécurité sociale puisqu’il faut bien soigner les malades. De nombreuses publications de certains scientifiques sont désormais consacrées au coût sociétal de ces produits chimiques. Pour autant, ces calculs ne sont pas exhaustifs. Par exemple, le coût du traitement d’un cancer du sein chez une femme enceinte de 25 ans est colossal. Cependant, si on calculait les autres coûts externalisés tels que l’évaluation de la souffrance endurée, des effets délétères sur la structure familiale, les enfants qui ne travaillent plus correctement à l’école et qu’il faut faire suivre par un psychologue, parfois la fuite du mari parce que la situation n’est pas facile de vivre dans ces conditions-là, etc. Si on calculait l’ensemble de ces coûts induits, ce serait insupportable et intenable pour notre société. C’est le médecin que je suis qui parle parce que j’ai vu tellement de cas de ce type-là que cela m’est quasiment insupportable.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je le comprends et je reconnais qu’à titre personnel, à titre de citoyenne et à titre de députée, je partage complètement votre réaction scandalisée face à toutes ces souffrances ; ces souffrances provoquées par l’inconscience générale et ses répercussions à l’infini sur toute l'espèce humaine.

Cela dit, admettons que nous soyons mobilisés intellectuellement, émotionnellement, et que nous essayions de nous mobiliser politiquement. Vous affirmez qu’il nous appartient, à nous les politiques, de répondre aux questions. Non, parce que les politiques ne sont pas tous des scientifiques. Personnellement, j’ai suivi une formation littéraire et je suis dans l’incapacité de distinguer scientifiquement ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. Dès lors, c’est à vous qui êtes scientifique que je demande par où nous devons commencer. Si j’ai bien compris le déroulement de votre présentation, le cœur du problème se situe au niveau des normes toxicologiques qui sont censées protéger la population et qui ne les protègent pas. Sommes-nous bien d’accord ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Oui, nous sommes d’accord.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je comprends donc que cette problématique est à l’origine de l’ensemble des règles du jeu alimentaire et de l’utilisation de tous les produits qui relèvent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).

Que pouvons-nous faire ?

Que nous suggèreriez-vous de proposer afin de remettre en question ce qui semble être un peu la clé de voûte de l’ensemble du système des autorisations ? Commençons par là. À vous entendre, je m’interroge quant à la possibilité d’un retour en arrière ? Il semble en effet que nous soyons tellement pris dans un engrenage de recours à la chimie et à la pétrochimie que je ne vois pas très bien comment nous pourrions parvenir à mettre en place les modalités d’une cure de sevrage chimique, sachant que la chimie présente également des aspects positifs. N’oublions tout de même pas que les médicaments nous soignent.

Comment devons-nous nous y prendre ? L’unique point de départ que je parviens à identifier réside dans les normes toxicologiques. Si tel est le cas, comment faire ? Que pouvez-vous conseiller à la politique que je suis, à la présidente d’une commission d’enquête que je suis et à sa rapporteure ? Quelle proposition vous paraît essentielle et à l’origine de tout le reste ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. S’agissant de la question des pesticides, je proposerais en premier lieu de procéder à l’évaluation toxicologique des produits tels qu’ils sont utilisés. Ces produits pesticides, dont des millions de tonnes sont déversées sur la planète depuis des années et des années, n’ont jamais été testés dans leur formulation globale. Est-ce seulement imaginable ? En tous cas, c’est inadmissible et il en est ainsi pour l’ensemble des produits utilisés en mélange. Ces évaluations représenteraient un travail colossal, bien sûr.

Ensuite, il conviendrait de revisiter de façon pertinente l’ensemble des doses journalières admissibles afin de confirmer qu’elles sont vraiment raisonnables. S’agissant des normes de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), il importerait en particulier d’harmoniser les LMR de telle façon qu’elles soient propres à nous protéger et qu’elles ne soient pas variables d’un aliment à l’autre, d’un élément à l’autre, parce que c’est insupportable. En 2008, il a été décidé d’harmoniser les LMR pour les fruits et les légumes, au niveau européen. L’Europe a choisi le taux le plus élevé, alors que certains pays appliquaient des taux plus propres, parce qu’il était plus facile d’harmoniser vers le haut que de demander aux autres pays de faire des efforts afin de diminuer leurs taux. Ce sont de petites choses, mais de petites choses qui produisent des impacts colossaux en termes de santé publique.

Bien sûr, le retour en arrière sera complexe, mais est-il nécessaire de continuer à produire trois cents millions de tonnes de produits chimiques par an en Europe, de produits chimiques mal évalués de surcroît ? Que faire ? D’abord, il est essentiel d’évaluer correctement ces produits et de retirer ceux qui doivent être retirés. Des dizaines et des dizaines de pesticides auraient dû être retirées du marché depuis vingt ou trente ans. En outre, nous retrouvons encore actuellement des traces des produits retirés depuis plus de vingt ou trente ans dans l’eau, dans les nappes phréatiques, dans notre sang, dans nos cheveux, etc. La bioaccumulation dans l’environnement et la bioaccumulation dans nos corps représentent une catastrophe à venir, une bombe atomique à venir. Ce sera autre chose et c’est déjà autre chose que la Covid. Nous déplorons déjà cent soixante-quinze mille morts par cancer chaque année. En outre, désormais, le cancer n’est plus une « pathologie du vieux ». Arrêtons de dire des bêtises telles que « c’est une pathologie du vieux », « c’est dû au tabac, à l’alcool », etc. Je ne nie pas que le tabac et l’alcool entraînent des pathologies, mais le tabac contient des substances autres que la nicotine et l’alcool contient des pesticides.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je reviens à vos propositions. Elles consistent donc d’abord à revisiter l’ensemble des doses journalières admissibles. Qui les définit ? Vous évoquez les LMR définies par l’EFSA, une Agence européenne. Comment la France peut-elle intervenir auprès de l’EFSA afin de faire évoluer les normes ? Il y a deux ans, j’ai collaboré à une démarche initiée dans ce cadre auprès de l’EFSA, qui siège en Italie. La situation a-t-elle évolué ? Dans le rapport de force intraeuropéen, quel est l’état des lieux et comment la France peut-elle être leader de la lutte contre les produits chimiques et conduire à une meilleure harmonisation ? J’essaie d’explorer les différentes pistes. Il convient donc d’abord de revisiter les DJA : qui les définit ? Ensuite, au sein de l’EFSA, comment porter un combat franco-français et le généraliser à l’échelle de l’Europe ? DJA et LMR, comment faisons-nous ? Comment nous y prenons-nous ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Il convient d’abord de revisiter les études sur lesquelles sont basées ces données, qui sont réalisées par l’industrie. Elles ne sont pas transparentes et nous ne pouvons pas les analyser. Nous avons analysé à deux reprises des études relatives à des OGM, mais nous avons été obligés de nous battre devant les tribunaux allemands afin d’obtenir du l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (Bundesinstitut für Risikobewertung BfR) qu’il nous fournisse les données de ces études. Ces données n'étaient pas publiées sur Internet ; elles n’étaient pas enregistrées sur une clé USB. Elles figuraient sur des milliers de pages que nous avons dû transcrire manuellement afin de mener notre étude. C’est inadmissible, inadmissible ! Les études qui permettent la mise sur le marché des produits chimiques toxiques devraient être en libre accès. Dès lors qu’elles seront en libre accès, des structures comme la nôtre s’en empareront et les analyseront. Dans l’état actuel des choses, elles sont considérées comme relevant du secret industriel ou de la propriété industrielle du fabricant. Il est impossible de se battre contre ces grands groupes industriels. Il est essentiel d’obtenir cette transparence.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous me soumettez une solution et, dans le même temps, vous la sabordez. Vous me dites qu’il faut procéder à des études, mais que de toute façon, nous n’obtiendrons jamais la transparence parce que nous ne parviendrons jamais à avoir le dernier mot face aux industriels. Quelles études pourraient être menées par des laboratoires indépendants comme le vôtre ? Vous n’avez toujours pas répondu à ma question. Vous vous présentez comme un laboratoire indépendant, à l’abri des influences financières et des besoins financiers. Comment fonctionnez-vous vous-même ? Êtes-vous un laboratoire de chercheurs ? Est-ce que vous travaillez sur des documents ou est-ce que vous faites vous-mêmes des expérimentations sur les animaux ? Comment travaillez-vous ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Nous ne sommes pas un laboratoire. Le CRIIGEN est une association loi 1901. Nous travaillons avec des laboratoires et nous trouvons des financements pour des laboratoires sur les points bien précis que nous souhaitons étudier. Afin de limiter nos coûts, nous travaillons beaucoup sur la base de documents pour mettre en évidence les problématiques que je vous ai présentées. Vous imaginez bien que ce ne sont ni l’État ni l’industrie qui financent le CRIIGEN. Le CRIIGEN est soutenu et financé par des associations humanitaires ou des organismes qui s’intéressent aux problématiques de santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quels seraient les laboratoires indépendants qui pourraient mener des études contradictoires ou travailler sur des documents des industriels afin de produire une analyse réellement critique ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Ce n’est pas un problème si vous disposez d’un budget. Si vous faites une dotation pour une recherche précise au CRIIGEN, nous identifierons le laboratoire apte à mener une étude dans le domaine souhaité.

Je suis surpris que vous considériez que je saborde la solution. Il appartient aux États d’imposer à l’industrie de publier en libre accès les études permettant la mise sur le marché de leurs produits. Les associations comme celle que je préside sont impuissantes dans ce domaine qui relève de la responsabilité des politiques. Si la France, demain, décide que toutes les publications ayant permis la mise sur le marché des différents pesticides utilisés à l’heure actuelle sont à disposition de tous, ce sera un grand soulagement. Cette décision politique peut être prise. Je vous précise que l’Anses et l’EFSA disposent de ces études. Il appartient à l’État de les mettre en libre accès. Je vous assure que nombreux sont les laboratoires qui seraient prêts à travailler sur ces études.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’Anses et l’EFSA disposent de ces études, mais elles sont bloquées par le système juridique qui empêche de passer outre le secret de fabrication, secret industriel. Elles ne peuvent donc pas communiquer à ce sujet. Une prise de position politique pourrait lever tout ou partie du secret de fabrication.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Il ne s’agit pas d’entrer dans les process de fabrication, mais d’identifier une molécule déjà testée, par exemple le glyphosate, et de demander à l’industriel Monsanto de produire les études qu’il a menées en vue de la mise sur le marché du glyphosate. La molécule ne relève d’aucun secret de fabrication, mais nous ignorons tout des études toxicologiques dont elle a fait l’objet en vue de sa mise sur le marché. L’industriel présente cette démarche comme une violation de son secret industriel ou de sa propriété intellectuelle, mais c’est une imposture. Cette molécule est présente dans l’eau, dans l’air, etc. En revanche, nous ne connaissons rien des études qui ont permis la mise sur le marché de cette molécule et des modalités selon lesquelles elles ont été réalisées. Nous n’avons aucun moyen de détecter des anomalies ou des manques particuliers.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous constatons en effet que les organismes internationaux n’arrivent pas tous aux mêmes conclusions, simplement parce qu’ils ne travaillent pas sur la base des mêmes documents. Je comprends et j’identifie là une piste de réflexion.

Par ailleurs, l’Anses devrait être particulièrement bien placée pour défendre les intérêts sanitaires de la population. Elle dispose de ces études et elle prend des décisions en fonction de ses études. Cependant, ce sont ces mêmes décisions que vous semblez critiquer. Vous sous-entendez donc que cette instance ne remplit pas sa mission de filtrage et de protection de la population.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je le confirme parce que, dans le cas contraire, la planète et notre alimentation ne seraient pas polluées par un si grand nombre de produits toxiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cela signifie donc que l’Anses représente une seconde piste d’amélioration.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Il y a en effet un problème à résoudre avec les agences d’accréditation et les agences de protection de la santé telles que l’EFSA, l’Anses, etc.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Où le problème se situe-t-il exactement ? Que pouvons-nous faire pour tenter d’y remédier ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Le problème de base réside dans le défaut de transparence de l’évaluation toxicologique des produits. Les problèmes se déroulent ensuite en cascade.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Où exactement situez-vous ce défaut de transparence, à l’Anses ou de la part des industriels ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Le défaut de transparence de l'industriel est accepté par l’Anses puisqu’elle n’est pas autorisée à diffuser les documents qu’elle possède. La loi le lui interdit.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Selon vous, le cœur du problème résiderait donc dans cette interdiction faite par la loi ou la réglementation de publier les études à partir desquelles ils délivrent les autorisations. Est-ce que ce constat constitue l’unique verrou ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Oui puisque, s’il était levé, nous pourrions analyser les études qui ont permis la mise sur le marché, en débattre et démontrer qu’elles n’ont pas été réalisées dans de bonnes conditions ou elles n’ont pas été assez précises ou que sais-je encore ?

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pour quelles raisons l’Anses n’alerte-t-elle pas sur ces études ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je vous raconte une anecdote. Le CRIIGEN a démontré que l’ensemble des pesticides qu’il a testés – herbicides, fongicides, et autres –, tels qu’ils étaient utilisés par les agriculteurs, présentaient une toxicité de dix à mille fois, voire dix mille fois, supérieure à ce qui a permis de calculer la DJA. Cela signifie que si l’on procédait à une réelle analyse de la toxicologie, on diviserait par cent ou par mille la dose journalière admissible. Cela signifie également que les doses déversées dans les champs deviendraient inefficaces et remettraient en cause l’agriculture intensive, cette agriculture intensive qui nous produit à la fois des aliments riches en résidus de produits chimiques toxiques et pauvres nutritionnellement. J’insiste sur la pauvreté nutritionnelle parce que les plantes qui produisent beaucoup au moyen d’engrais et d’autres substances ne peuvent pas produire sainement en quantité et en qualité nutritionnelle. La problématique est identique pour ce qui concerne l’élevage. Dès lors, la population est nourrie avec des aliments pauvres nutritionnellement et riches en produits chimiques toxiques. La cascade est amorcée. In fine, de nombreuses pathologies dramatiques émergeront. Nous dénombrons plus de huit mille maladies orphelines en France. Ce n’est pas supportable.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous n’avez pas à me convaincre. J’ai conscience de la longue liste des conséquences terribles à travers l’alimentation, à travers l’air, à travers les produits chimiques toxiques répandus partout. Nous sommes bien d’accord à ce sujet. Toutefois, la commission d’enquête a pour objectif de trouver des pistes d’amélioration et de dresser un bilan de la situation. Vous nous dressez un bilan terrible de cette situation. J’avoue que je le partage. En revanche, j’ai besoin d’identifier des pistes par où commencer.

Nous avons évoqué la problématique des DJA et des LMR. S’agissant des DJA, nous avons compris que le problème trouvait sa source dans les études. En tant que politique, que puis-je proposer ? Je peux suggérer un amendement ou soumettre une proposition dans le cadre d’un rapport soulignant l’absolue nécessité de lever la notion de propriété intellectuelle liée à ces études et à ces documents. Il s’agit d’une action concrète que je peux mener.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Effectivement, ce serait un cadeau de Noël.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cela ne signifie pas que je l’obtiendrai, mais au moins, je l’aurai dit et j’aurai expliqué les raisons de notre demande et les raisons pour lesquelles cette démarche est essentielle dans le processus.

Ensuite, nous avons évoqué la remise en question des modalités de calcul des DJA et des LMR. Cette problématique se situe au niveau européen. Vous n’avez pas répondu à ma question, à savoir : comment aborder l’EFSA, agence européenne, afin de « faire bouger les lignes » ? Qui prend les décisions relatives aux doses ? L’EFSA dispose-t-elle de ses propres laboratoires de recherche ? Comment cette instance procède-t-elle ? Je doute que les autres scientifiques ignorent les problèmes que vous nous avez exposés. L’EFSA compte de nombreux scientifiques et chercheurs dont je ne doute pas qu’ils connaissent la situation problématique liée aux LMR.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. L’EFSA ne réalise aucune étude. Elle se base sur les études transmises par l’industrie afin de déterminer la dose journalière admissible. Si ces études ne sont pas réalisées correctement, le problème surgit ipso facto.

Permettez-moi de revenir sur un point qui me paraît fondamental, à savoir que les rats-témoins des études toxicologiques mondiales sont des rats déjà malades. Le CRIIGEN a mis ce constat en évidence dans une publication dont j’étais co-auteur. Je pense que ce fut une de nos plus belles publications, parce qu’elle remet en cause l’ensemble de la toxicologie réglementaire depuis soixante-dix ans. En effet, l’analyse sur cinq continents des croquettes spéciales pour rats de laboratoires révèle la présence dans cette alimentation de dioxines, de PCB, de métaux lourds, de pesticides et d’OGM pour les pays qui en cultivent. Cette alimentation n’est pas produite dans des champs spéciaux pour l’alimentation des rats. C'est l’alimentation qui est donnée par exemple aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, etc. Les rats-témoins sont nourris avec une alimentation pathogène. Lorsqu’on rajoute à cette alimentation déjà pathogène un produit que l’on veut tester, la différence statistique entre les pathologies qui surviendront chez les rats testés et les pathologies qui surviendront chez les rats-témoins sera faible. Ce constat sera donc balayé d’un revers de manche par les industriels qui affirmeront que la différence n’est pas suffisamment importante. Il n’en sera donc pas tenu compte et le produit sera mis sur le marché. Vous allez me dire : qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Moi, j'ai la solution. Le CRIIGEN propose – sous réserve d’obtenir plusieurs millions d’euros de financement – de constituer des lignées de rats biologiques sur plusieurs générations de sorte à éviter les phénomènes épigénétiques, de leur donner une alimentation biologique et de procéder de la même manière avec les rats qui seront testés en ajoutant le produit à tester. La différence éventuelle sera alors incontestable. Le constat sera à la fois transparent et utile, puisque l’impact du produit sur la santé des rats testés sera déterminé par rapport aux rats-témoins qui eux, mangeront uniquement une alimentation saine. L’alimentation donnée aux rats est identique à celle que nous mangeons, nous, les humains, sur la planète. Elle contient un fond toxique qui induit des pathologies. Souvent, on considère que les Américains, qui utilisent plus de pesticides que nous, ne sont pas plus malades que nous. Or c’est faux ; ils sont plus malades que nous, mais on noie le poisson en affirmant qu’ils sont malades parce qu’ils mangent trop, boivent trop, etc.

Il y a du travail à faire jusqu’au plus fin fond de la façon dont sont calculées les problématiques. Nous persistons à nous fonder sur une notion d'hygiène pasteurienne, bactérienne, virale, parasitaire, qui ne coïncide pas du tout avec l’hygiène chimique, complètement différente. C’est la raison pour laquelle je prône que le XXIe siècle soit centré sur l’hygiène chimique. Nous pensons le monde comme nous pensons le Covid. Cette culture ne convient pas aux problématiques chimiques.

Une refonte globale est indispensable et elle passe par l’enseignement supérieur afin que toute personne qui suit des études supérieures soit au courant de ce qui se passe dans l »a vraie vie »  afin de prendre ensuite des décisions pertinentes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je crains que la formation revienne à la situation que nous connaissons avec les PNSE, à savoir que nous essayons de monter des politiques publiques sur des bases qui sont déjà viciées.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. C’est la raison pour laquelle j’ai mentionné la création d’un plan nutrition santé. J’ai récemment relu le projet de PNSE et j’ai constaté que les pesticides y sont évoqués uniquement dans les dernières pages. Certes, on peut toujours considérer qu’ils sont traités dans d’autres structures. Pour autant, si le PNSE ne mentionne pas plus en détail l’impact des pesticides sur la santé, leur évaluation, etc., il est inutile. Un PNSE 4 qui ne fait aucune mention des pesticides, qui n’évoque pas suffisamment les perturbateurs endocriniens, est un PNSE « mi-figue, mi-raisin » qui ne fera pas progresser la situation.

Notre organisation induit de telles situations : des heures et des journées passées par vous, par vos collaborateurs, par tous ces organismes, par ceux qui viennent présenter les dossiers, etc., pour aboutir à un pétard mouillé. Ce constat est triste parce qu’il représente du temps, de l’intelligence et de l’argent perdu.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous me motivez grandement pour poursuivre cette mission !

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je crois qu’il faut accepter de mettre les pieds dans le plat. Au sein du CRIIGEN, j’avais été promoteur d’une étude menée à Rouen sur les résidus de médicaments, alors que j'étais président de la commission santé environnement des Unions régionales des médecins libéraux de Haute-Normandie. J’ai mené cette étude avec deux professeurs académiciens, passionnés par mon idée. Nous avons choisi vingt-cinq molécules et, avec des préleveurs asservis aux flux, nous sommes allés à la sortie du CHU, à l’entrée de la station d’épuration, au milieu et à la sortie. Nous avons réalisé des prélèvements pendant un mois de sorte à être sûrs de faire le calcul de ce qui rentrait et sortait de la station d’épuration. De mémoire (cela se déroulait en 2008), nous avons calculé que trois cent quatre-vingt-quinze kilos de ces médicaments rentraient dans la station d’épuration à Rouen chaque année et trois cent quatre-vingt-dix d’entre eux sortaient de la station d’épuration et étaient déversés dans la Seine. Mme Roselyne Bachelot avait élaboré un pré-plan « résidus de médicaments dans l’eau » qui a été validé par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cette dernière a émis l’idée de tester d’autres molécules. Nous avons trouvé des doses toxiques d’une substance qui n’était jamais testée. S’en est suivi un véritable branle-bas de combat et on s’est aperçu qu’une usine située à proximité polluait la nappe phréatique. Pour autant, ce sont des produits chimiques qu’on ne détecte pas partout. Nous fonctionnons dans une forme de pis-aller qui vise à nous donner bonne conscience. La récente publication de l’Ifremer nous montre que les effets cumulatifs des pesticides, y compris des pesticides présents à des taux inférieurs aux normes (0,1 microgramme par litre), sont toxiques et réellement toxiques.

Cela signifie que les autorisations de mise sur le marché nécessitent une plus grande rigueur. Peut-être m’opposerez-vous l’argument de l’impact économique. La santé publique a un impact économique. Si nous avons vocation à être les cobayes du bon fonctionnement de l’industrie, il appartient à nos politiques, français et européens, de nous le dire. Auquel cas, nous accepterons benoîtement de nous empoisonner au quotidien, en respirant notamment. L’air que nous respirons, la pollution aérienne, est responsable de soixante-cinq à soixante-huit mille morts chaque année, dues uniquement aux microparticules. Et nous l’acceptons, nous l’acceptons ! Si l’on considère qu’il est normal que nous soyons empoisonnés, qu’il est normal qu’un plus grand nombre de parents enterrent leurs enfants, dont acte. Au-delà, il nous appartient de mener la révolution. Il est nécessaire d’évoluer autrement que par le biais de demi-mesures. En regard de nos connaissances scientifiques, la majorité des pesticides devraient être supprimés et nous devrions être en agroécologie depuis trente ans ou quarante ans. Force est de constater que ce n’est pas le cas. L’augmentation de 2 à 3 % par an de l’agroécologie n’est pas glorieuse. C'est à ce niveau-là que l’environnement socio- anthropologique rentre en ligne de compte. Les primes de la PAC attribuées à une production riche en produits chimiques et toxiques et pauvre nutritionnellement devraient être transférées sur la mise en place d’une agroécologie qui permettrait de nourrir sainement la population.

Nous sommes dans la complexité, au sens littéral du terme qui signifie que tout est imbriqué. Effectivement, je pressens que vous serez un petit peu dépitée après cette audition. Si nous ne nous attachons pas à avoir une vision globale de la situation, nous avons l’impression de bien faire. Le lancement d’un nouveau produit impose d’en étudier les impacts environnementaux et sur la santé à court, moyen et long termes. À défaut, on accepte que les choses soient telles qu’elles sont. En tout état de cause, vous avez dû comprendre que ce n’était pas tout à fait mon état d’esprit.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Êtes-vous nombreux à soutenir ce type de position ? La sphère des scientifiques se mobilise-t-elle également ? La plupart des politiques ne sont pas des scientifiques. Certes, de nombreux médecins siègent dans l’hémicycle, mais ils ne sont pas obligatoirement formés à ces problématiques de santé environnementale. Dès lors, ils sont bien obligés d’aller chercher des informations et des conseils auprès des scientifiques. Est-ce qu’il y a aussi un mouvement, une prise de conscience dans le milieu scientifique et une mobilisation du monde de la science pour insister sur cette problématique ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je m’attache à faire connaître cette problématique dans le monde médical. J’encadre parfois des thèses de médecine générale et je constate que les jeunes internes qui terminent leur cursus n’ont jamais entendu parler de santé environnementale ou d’écologie humaine ou des perturbateurs endocriniens au cours leurs études. Ils sont ébahis lorsque je leur présente l’état des lieux. Je dispense également de la formation continue à mes confrères qui sont déjà installés, du développement professionnel continu (DPC), mais je regrette que ces formations soient limitées à vingt et une heures par an pour chaque médecin, toutes les disciplines confondues. Vingt-et-une heures pour former le corps médical en postuniversitaire : c’est pitoyable ! Comment est-ce possible ? Mes confrères qui viennent assister aux DPC que je dispense sur ces problématiques-là utilisent cet enseignement au quotidien dans leur cabinet.

En outre, de plus en plus d’associations de médecins s’intéressent au sujet : l’association Santé environnement France (ASEF), fondée par le docteur Pierre Souvet, l’association « Alerte des médecins sur les pesticides » (AMLP), fondée par le docteur Pierre-Michel Périnaud, etc. Ces associations émergent parce que ces médecins ont été formés. Le docteur Pierre-Michel Périnaud a découvert les problématiques des pesticides avec le CRIIGEN, par exemple.

Cela signifie que cette notion d’enseignement est fondamentale pour l’ensemble de la population et, surtout, pour la population des décideurs. Je souhaiterais vivement dispenser des formations sur la santé environnementale aux députés et je suis disposé à me déplacer pour ce faire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pourquoi pas ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Il est capital que les décideurs sachent ce qui se passe, mais les informations en libre accès sur Internet sont très contradictoires, ce qui favorise le déni. Il s’avère complexe de prendre des décisions, alors « on laisse tomber », sans pour autant manifester une volonté de continuer à polluer l’environnement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous m’avez indiqué que vous aviez parcouru le projet de PNSE 4. Je présume que vous avez noté qu’il propose des formations.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Oui, bien sûr, je l’ai noté.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La démarche a été lancée, notamment sous l’autorité du professeur Jean Sibilia, président de la conférence des doyens des universités. La situation évolue donc un peu. Nous réfléchissons au sein du GSE à la définition des grands axes d’une formation adaptée à chaque auditoire. Nous commencerons par former les étudiants en médecine et nous nous orienterons vers le monde des professionnels. Ensuite, nous tenterons d’élargir le champ de cette formation et, surtout, de la rendre obligatoire. La dynamique qui est malgré tout lancée.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je m’en réjouis et j’aurais abordé ce sujet dans ma conclusion. Le thème de la formation, vous l’avez compris, me tient à cœur. Je serais très heureux que vous puissiez faire en sorte que la formation en santé environnementale soit obligatoire pour le corps médical déjà installé. Il serait également souhaitable d’augmenter le temps de cette formation de sorte qu’elle dure entre quatre jours et une semaine.

Sans vouloir me faire de la publicité, j’ai récemment obtenu la création d’un diplôme universitaire (DU) en santé environnementale à l’université Henri Mondor. Cette formation démarrera au mois de janvier 2020. J’en suis l’organisateur et j’ai bénéficié du soutien du Professeur Jean-Paul Méningaud, qui est à la fois un ami et quelqu’un de très bien. Il m’a soutenu dans ce projet de création d’un DU, court puisqu’il se déroulera sur six mois, soit six journées de formation. J’espère qu’un jour, nous aurons les moyens de créer une formation de deux ans de sorte qu’elle soit plus constructive.

Je reste positif parce que je suis un optimiste convaincu et forcené.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Cette affirmation me rassure tout de même !

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Oui, je suis optimiste. Dans le cas contraire, j’aurais baissé les bras. J’essayais de monter un DU en médecine environnementale depuis plusieurs années. Je suis ravi d’y être parvenu. Tout n'est pas négatif. Et je me réjouirais que vous puissiez m’aider à faire en sorte d’augmenter le nombre de DPC pour les médecins déjà en exercice. Il serait nécessaire que ces formations à la santé environnementale durent au moins trois jours, voire une semaine, et qu’elles soient indemnisées à peu près correctement parce qu’elles impliquent une diminution des revenus des médecins pendant leur durée.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. C’est ce que nous avons lancé dans le cadre des GSE. Le professeur Jean Sibilia s’est acquitté de la tâche de répertorier l’ensemble des enseignements, car ils existent, mais ils sont très dispersés. Ils ne proposent pas toujours le même contenu, qui a souvent été adapté à la discipline, à la spécialité médicale. Il conviendrait de créer un tronc commun de formation auquel s’ajouteraient des modules de spécialisation.

La dynamique est lancée et j’y suis particulièrement attentive parce que j'ai bien conscience qu’il est nécessaire de procéder à une forme d’acculturation.

Que pensez-vous de cette labellisation, ou certification, de « laboratoires de bonnes pratiques », qui implique que l’Anses confie des études uniquement aux laboratoires qui ont reçu cet agrément, notamment l’Institut Pasteur de Lille ?

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je ne serai pas le mieux placé au CRIIGEN pour vous parler des laboratoires de bonnes pratiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le comité d’éthique de l’Anses s’était mobilisé sur cette problématique. Le directeur général de l’Anses nous a expliqué qu’en France, peu de laboratoires sont capables de procéder à ce travail d’étude. Récemment, nous avons auditionné le Professeur Robert Barouki, un éminent chercheur, qui nous a indiqué que le laboratoire de l’Inserm n’ayant pas ce label, il ne peut pas procéder à des études au nom de l’Anses.

Vous nous avez indiqué précédemment que certains laboratoires universitaires n’étaient pas inféodés à l’industrie. Je voulais savoir si vous disposiez de quelques informations à ce sujet, mais il semble que ce ne soit pas le cas.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je ne dispose pas de suffisamment d’informations à ce sujet, qui n’entre pas du tout dans mon domaine de compétence. En tout état de cause, dès lors que les études seront transparentes, elles ouvriront un dialogue contradictoire relatif aux conditions d’analyses, etc. Toutefois, la restriction du nombre de laboratoires aptes à procéder à des études toxicologiques me semble une idée complètement farfelue a priori, parce qu’il ne faut tout même pas croire que la plupart des laboratoires ne travaillent pas correctement. Les laboratoires compétents sont nombreux et chacun est responsable de ce qu’il produit.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour la richesse de ce débat que nous aurions pu prolonger encore, bien sûr, sur des points plus particuliers tels que les molécules non réglementées. Nous ne les avons pas évoquées, mais nous avons récemment auditionné les représentants qui travaillent sur la qualité de l’air et ils nous ont indiqué que leurs missions étaient bridées et qu’ils ne pouvaient pas travailler sur des molécules non réglementées. In fine, comme vous me l’avez signifié précédemment, nous trouvons uniquement ce que nous cherchons. Lorsqu’on ouvre le panel des recherches, on découvre des choses qu’on n’a peut-être pas envie de savoir. Les molécules non réglementées relèvent de ce registre-là. Je suppose que vous me confirmerez qu’il existe dans ce domaine des pistes de propositions afin d’élargir le panel des molécules prises en compte par la réglementation officielle et détecter davantage de choses.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Nous sommes d’accord sur ce point.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous m’avez également livré quelques pistes de propositions. Je vous remercie pour votre engagement et pour l’ensemble des informations que vous nous avez données. Votre langage et votre passion sont ceux d’un militant et je le comprends puisque vous êtes médecin et que vous êtes censé sauver la vie.

Des politiques travaillent également pour sauver le vivant et maintenir une qualité de vie à tout ce qui existe sur la planète et je pense en faire partie. Je me dois de garder une certaine distance parce que je suis présidente de cette commission d’enquête, mais j’ai noté des pistes pertinentes de propositions que nous pourrons faire remonter et officialiser. Ensuite, chacun prendra ses responsabilités.

M. le docteur Joël Spiroux de Vendômois. Je tiens également à vous remercier non seulement de m’avoir accueilli pour cette audition, mais également pour la démarche que vous avez initiée.

L’audition s’achève à treize heures dix.

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46.   Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, sur le plan Écophyto (18 novembre 2020)

L’audition débute à treize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Lors de la précédente législature, notre collègue, M. Dominique Potier, dispensé aujourd’hui de serment en tant que membre de notre commission d‘enquête, a été nommé député en mission par le Premier Ministre, afin de proposer une nouvelle version du plan Écophyto visant à réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Écophyto 2 est issu de cette mission. Aujourd’hui, nous en sommes à Écophyto 2+.

Quel jugement portez-vous sur la mise en œuvre de ces plans ? Quels en sont les résultats ? Comment ces résultats se comparent-ils aux objectifs initiaux d’Écophyto 2 et à nos obligations sur le plan communautaire ? Quelles sont les raisons qui expliquent les écarts constatés ? Quelles pistes d’amélioration pourriez-vous suggérer ?

M. Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle. Avant d’être élu de la Nation, je suis porteur d’une expérience en tant qu’agriculteur engagé dans les réseaux des chambres d’agriculture et des groupements de développement, ainsi que dans une agriculture en transition dans une exploitation qui, voici vingt-cinq ans, a changé de système de production. J’ai donc eu un engagement dans le monde agricole, puis dans les collectivités locales où la question des produits phytopharmaceutiques a été très prégnante dans les débats de société et du territoire.

J’ai été élu en 2012 dans le cadre de cette expérience et de cette passion. Début 2013, le ministère de l’Agriculture m’a proposé de m’investir dans la co-présidence du comité de surveillance Écophyto qui est l’instance de partage, de régulation et d’orientation du plan Écophyto, telle que créée dans le Grenelle de l’Environnement. L’objectif était de diminuer de 50 %, à l’échelle de dix ans, l’impact de la phytopharmacie. En 2012-2013, au-delà des épisodes de sécheresse et des aléas survenus depuis la mise en œuvre du programme, il a été constaté que nous n’étions pas du tout sur cette trajectoire. Le dispositif ne fonctionnait pas à plein rendement.

Dès que j’ai eu pour mission de représenter l’Assemblée Nationale dans l’instance d’orientation du plan Écophyto, j’ai pris l’attache de l’ensemble des parties prenantes, à savoir le monde agricole avec la représentation consulaire, les syndicats et les instituts, mais également le secteur associatif, les représentants du monde de l’écologie et différents services de l’État. Sur mon temps de député et avec les moyens du bord, j’ai pris le temps de passer une heure à une heure trente d’audition pour toutes les parties prenantes du comité, afin de tenter de comprendre les points de blocage et les pistes qui pourraient nous rassembler. À l’issue de ce travail, que j’ai présenté en comité, j’ai observé que nous pouvions aboutir à un consensus sur le diagnostic relatif aux blocages et identifier quelques pistes de travail en commun.

Sur la base de ce travail volontaire, le ministère de l’Agriculture a suggéré à M. Jean‑Marc Ayrault, alors Premier ministre, de me nommer parlementaire en mission afin de réaliser le rapport qui sera intitulé « Pesticides et agroécologie, les champs du possible » et qui dessine le futur plan Écophyto 2. J’ai remis ce rapport à M. Manuel Valls, suite au changement de gouvernement intervenu entre temps.

Cette mission d’information a représenté une formidable opportunité d’être accompagné par des ingénieurs et des personnes expérimentées des ministères de l’Environnement, des Finances et de l’Agriculture. Avec une équipe de cinq personnes, pendant six mois, j’ai pu circuler sur l’ensemble du territoire français, y compris en Outre-mer et je me suis déplacé à La Réunion avec le directeur de l’alimentation de l’époque et la pilote du plan Écophyto. J’ai effectué une dizaine de déplacements sur le territoire national dans les différents systèmes de production, j’y ai rencontré les acteurs, réalisé plus de quatre-vingts auditions et effectué un travail construit, solide et très documenté sur le sujet.

À l’issue de cette mission, à la fin de 2014, nous avons établi, par le dialogue et au travers d’un travail très fin d’analyse et de propositions, ce qui constitue un socle qui, à défaut de consensus, est capable de rassembler une voie nouvelle pour toutes les parties prenantes. Ce rapport a été officiellement rendu en présence de Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, et du ministre de l’Agriculture au cours d’un rendez-vous à l’Hôtel Matignon, en présence de M. Manuel Valls avec une très grande espérance de mise en œuvre du plan Écophyto.

Le monde de la production a instrumentalisé la crise de l’élevage de 2015 pour remettre en cause le plan Écophyto. Le lien entre celle-ci et le plan est difficile à établir, mais certains compartiments de la production, notamment dans le domaine de la production végétale, ont demandé la remise en cause du déploiement du plan Écophyto 2 dans sa forme actuelle.

Le deuxième frein a consisté en un recours devant le Conseil d’État engagé par le monde du commerce de la phytopharmacie sur la question des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP). Ces certificats font partie des propositions du rapport. Ils ont été prévus dans la loi sur l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (loi EGalim) et repris, après une censure technique, dans une proposition de loi que j’ai portée plus tard. Les CEPP sont mis en cause pour un défaut technique en termes d’étude d’impact et de consultation du public.

Cette résistance du monde de la production végétale et ce recours devant le Conseil d’État, de la part d’opérateurs économiques de la phytopharmacie, ont fait perdre plus d’un an en tergiversations et hésitations. Fin 2016, alors que se profilait l’élection présidentielle, nous n’étions plus dans le temps de la mise en œuvre d’un programme : celui-ci, conçu en 2015, a été bloqué, certaines de ses perspectives annoncées, sans que le gouvernement ait eu le temps de le mettre en œuvre.

En 2017, après l’alternance, la décision a été prise de tenir les États généraux de l’alimentation, soit entre six et neuf mois de grands débats. Sur invitation de MM. Nicolas Hulot et Stéphane Travert, j’ai présidé l’atelier 11 qui visait à établir les conditions d’une agriculture susceptible de produire une alimentation de qualité pour tous. Le thème « De la fourche à la fourchette » consistait à s’interroger sur la façon de produire une alimentation durable pour tous et sur les conditions de sa production.

Dans cet atelier, comme dans d’autres, où je dialoguais avec des personnalités aussi importantes que des responsables d’Agreenium et des personnalités appartenant à la sphère syndicale, à la recherche et au monde coopératif, l’idée d’une confirmation du plan Écophyto 2 ne faisait pas débat. Il était même question d’un renforcement et d’un besoin d’accélérer sa mise en œuvre. Dans trois ateliers des États généraux de l’alimentation où les débats traitaient de la question d’une moindre dépendance à la phytopharmacie, a été constatée une sorte de confirmation « grand angle » du besoin de remettre en œuvre le plan Écophyto 2.

En 2018, le choix du gouvernement a consisté à établir un plan dit « Écophyto 2+ », avec un plus que je peine à discerner, puisque j’y vois plutôt du moins. En affichage, quelques points peuvent sembler positifs. Dans le rapport, je plaide pour l’association systémique du ministère de la Santé à tous les champs des décisions et à l’élaboration du plan, ce qui a été satisfait. S’y sont ajoutés l’enseignement et la recherche. Il faut saluer une forme de collégialité et de dimension interministérielle. Cependant, il n’existait pas d’action publique volontariste dans les faits. En 2016, avec la loi visant à la suppression totale des néonicotinoïdes, après quelques années de dérogations, aucune action majeure n’a été engagée au titre du plan Écophyto pour anticiper la période et préparer des solutions alternatives pour faire face aux crises sanitaires, notamment pour les planteurs de betteraves.

Le plan est peu réactivé. Néanmoins, la recherche se poursuit. Certains territoires et certaines filières continuent à innover. Certaines molécules les plus toxiques sont retirées, mais nous sommes loin de l’élan suscité par le rapport que j’ai remis au Premier ministre et le plan Écophyto 2. L’un des principaux leviers, à savoir les certificats d’économie de produits phytosanitaires, est supprimé par la loi Egalim.

Entre le rapport remis au Premier ministre en 2015 et aujourd’hui, il ne s’est pas passé grand-chose. Il s’agit de l’exemple même d’une forme d’incurie publique par absence de volonté politique ou incapacité publique à mettre en œuvre une politique. La mission elle‑même, qui associe toutes les parties prenantes et recherche les consensus, et les États généraux de l’alimentation, qui relèvent d’un processus démocratique d’élaboration de solutions partagées, ne se traduisent pas par des changements dans les politiques publiques pesant sur l’économie réelle et qui produiraient des résultats à la hauteur de la trajectoire définie pendant le Grenelle de l’Environnement.

Autour d’Écophyto 2, nous avons l’exemple même d’une volonté qui a été réaffirmée en 2008-2009, au cours des années de législation post-Grenelle, mais également par la Gauche au pouvoir entre 2013 et 2015, avec les politiques d’agroécologie, dont le plan Écoantibio, qui sera un succès, et un plan Écophyto qui sera formidablement dessiné, mais non mis en œuvre. La période d’alternance avec la majorité du Président Emmanuel Macron a intellectuellement confirmé les attendus du plan Écophyto, mais tarde à les mettre en œuvre, voire supprime les CEPP qui constituent l’un des leviers les plus puissants de cette mise en œuvre.

Pourquoi la volonté politique peine-t-elle à s’accorder ? Il me semble que la démarche passe parfois ailleurs que dans les grands débats démocratiques à l’Assemblée nationale. Elle passe par des groupes de pression qui portent des plaidoyers visant à retarder la mise en œuvre et à argumenter sur des risques de pertes économiques et de compétitivité, notamment dans les filières végétales, et qui demandent davantage de temps pour se réformer et se mettre en œuvre. Ils tendent à surévaluer les mouvements déjà opérés dans le bon sens et à demander un délai évitant tout ce qui peut être coercitif en termes d’interdits, de retrait de molécules et de taxation de la phytopharmacie, toutes voies pouvant être utilisées par la puissance publique. En dehors du déploiement d’un système de recherche et de vulgarisation, les instruments de la loi sont l’interdit, l’obligation et la taxation. Des groupes de pression militent en permanence, de manière apparemment efficace, pour retarder la mise en œuvre de ces politiques publiques quand bien même elles ont été décidées dans des cadres démocratiques participatifs, avec une mission d’information associant toutes les parties prenantes et/ou un comité d’animation du plan Écophyto, qui est notre instance de type participative, ainsi que des États généraux de l’alimentation.

Cette mission m’a permis de découvrir à quel point les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement peinent à agir en phase et à échanger entre différents services, comme la direction générale de l’alimentation et la direction en charge de la production, sur la base d’un référentiel et d’un horizon d’orientation communs. La question posée est celle de l’autorité du ministre sur ses services et d’une autorité gouvernementale qui affirme sa volonté.

J’avais formulé une proposition symbolique sous forme d’appel au secours invitant à désigner un délégué interministériel en tant que pilote. Il faut une politique gouvernementale cohérente de la santé à l’agriculture en passant par l’environnement, qui vise le même objectif et se dote de moyens publics à la hauteur des enjeux.

Recomposer un budget Écophyto synthétique constitue une véritable gageure pour un député, y compris expérimenté. Nous avons, d’une part, les agences de l’eau, qui sont placées sous la tutelle du ministère de l’Environnement, qui ont leur propre règlement et leur logique ; d’autre part, l’action déployée par les régions, mais également les actions mises en œuvre par le ministère de l’Agriculture en propre, et ce qui relève de telle ou telle direction. L’action n’est pas unifiée du point de vue géographique dans les régions, les territoires et au niveau national, et est trop peu incarnée.

Parmi les soixante-huit propositions formulées dans ce rapport de mission, qui ont toutes leur importance, je retiens deux ou trois dispositifs majeurs qui n’ont pas été mis en œuvre. Le premier était un contrat de résultats proposé aux chambres d’agriculture, qui pouvaient apparaître comme un contre-pouvoir aux firmes privées, quel que soit leur relais, pour être des prescripteurs de solutions agro-écologiques de moindre dépendance à la phytopharmacie. Dans certains secteurs, j’ai pu observer que le travail des départements était formidablement effectué. Dans d’autres, il était mal exécuté et il n’existait pas de conditionnalité de moyens publics ad hoc à des résultats à obtenir sur le terrain. Nous avions proposé de doter l’appareil consulaire d’une mission de pilotage de l’agroécologie, avec une obligation de résultats qui conditionnerait les moyens publics ad hoc. Dans le dialogue que j’ai avec le président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), cette idée ne choque pas. Du point de vue de l’État, conditionner l’aide à l’obtention de résultats vaut mieux que de s’en remettre à l’écosystème politico-syndical local.

Le deuxième levier faisait appel à l’intelligence entrepreneuriale des filières et des territoires. En s’inspirant des certificats d’économie d’énergie, un rapport de mission remis aux ministères concernés proposait d’instituer des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques. Il s’agissait de créer une obligation, à destination des distributeurs de phytopharmacie, de vendre ou de promouvoir des solutions alternatives comme le désherbage mécanique, le biocontrôle, les variétés adaptées, les nouveaux marchés d’un produit végétal permettant d’allonger les rotations, etc.

Sur la sole du colza, une recherche de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a été remise d’actualité par les coopératives de l’Ouest de la France, consistait à jouer sur des variétés différenciées, pour les altises, et, pour les méligèthes, à avoir un couvert végétal au sol composé de légumineuses, ce qui permettait d’obtenir des résultats assez stupéfiants avec un insecticide en moins, un demi-herbicide et un bénéfice de quarante unités d’azote. Pour qui la mettait en œuvre, cette seule solution appliquée à l’ensemble des colzas permettait de bénéficier de X points de certificats d’économie de phytopharmacie. Appliquée à la sole du colza telle qu’elle était dans les années 2015, elle permettait d’atteindre 10 % des objectifs d’Écophyto. Sur une seule culture, cette solution, qui pouvait faire consensus, n’a pas été mise en œuvre faute d’obligation. Elle reste disponible et est appliquée de façon marginale, mais représente 10 % de la solution que nous recherchons ensemble.

Il existe des solutions dans la recherche et le développement qui ne demandent qu’à être vulgarisées. Pour ce faire, il convient que les donneurs d’ordres, les entreprises privées, mais également l’appareil consulaire, déploient ces solutions, mi par obligation, mi par volontarisme d’une politique publique, ce qui a fait défaut. Pour ne pas donner le sentiment d’un jugement de ce quinquennat, je dirai que, depuis 2016, pour des raisons diverses, le plan Écophyto est en panne, ce que nous payons très cher en termes de pollutions, d’atteintes à la santé et de controverses stériles qui ruinent notre République.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de cette présentation offrant un regard historique sur ce qui a été tenté pour limiter le recours aux produits phytopharmaceutiques. Le Grenelle de l’Environnement a conduit à une volonté politique affichée de se lancer dans ce genre de démarche. Vous avez bien expliqué les hauts et les bas de la démarche Écophyto 2 et le constat d’échec qui est, semble-t-il, partagé par nombre d’acteurs du domaine de l’agriculture, notamment ceux qui souhaiteraient aller plus vite et plus loin dans la démarche d’agroécologie.

La dimension sanitaire semble absente. Dans votre mission et les conclusions de votre rapport, avez-vous évoqué les impacts en matière de santé publique du recours aux produits phytopharmaceutiques ? Il est question de l’évolution des pratiques, mais avez-vous envisagé cette dimension ? Que pourriez-vous proposer pour redémarrer la dynamique ?

M. Dominique Potier. L’élément-clé, dans l’introduction du rapport Écophyto, est l’expertise collective de l’Inserm. Ce document date de 2013. En tant, alors, que nouveau député m’inscrivant dans le combat pour une maîtrise des pesticides et l’agroécologie, je considère ce rapport comme une étape absolument décisive.

La corrélation entre les pesticides et la santé a émergé dans les années 60-70 et a été renseignée très tardivement sur le plan scientifique. Cette étude collective de l’Inserm apparaît comme un point de référence car il s’agit de la synthèse de multiples approches scientifiques à l’échelle nationale et internationale permettant d’établir un lien avec certaines maladies. Ce rapport ne définit pas seulement le lien entre telle molécule et telle maladie, mais évoque un risque à bas bruit de « cocktails de molécules » produisant, de façon certaine, mais parfois indifférenciée, des troubles neurologiques dramatiques ou des troubles hormonaux tragiques comme des pubertés précoces qui nous bouleversent car ils touchent à l’intime et à l’identité des personnes. Ce rapport fait date et j’amorce ma démarche sur cette question.

Nous avions des lanceurs d’alerte. Nous disposons désormais de rapports scientifiques, qui sont synthétisés grâce aux travaux de l’Inserm et qui continuent à faire référence. Les thèses synthétisées n’ont été que confirmées depuis, ce qui donne du poids à ce rapport. Dans le même temps, avec nos collègues sénateurs, je travaille à un fonds d’indemnisation à destination des victimes de la phytopharmacie. Au cours de cette même décennie, s’est développé un mouvement associatif, syndical, de défense, de réparation et de prévention appelé Phyto-Victimes, association d’aide aux professionnels victimes des pesticides. Nous savons que de nombreuses personnes sont atteintes. Nous ferons les premiers pas au cours de ce quinquennat, puisque la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 le permet. Il a été nécessaire d’interpeller à deux reprises les ministères pour que les décrets soient publiés, ce qui est désormais le cas. Depuis quelques semaines, nous disposons des décrets qui prennent en compte une décision prise voici presque un an dans l’hémicycle et qui constituent un premier pas pour la réparation concernant des victimes qui n’étaient pas indemnisées pour des questions de statut. Nous pouvons penser aux aides familiales dans les exploitations agricoles qui ne bénéficiaient pas de l’assurance maladie et accident du travail. Par ailleurs, les enfants contaminés in utero dans une famille d’agriculteurs sont désormais pris en compte, ce qui constitue une juste réparation qui n’est que partielle car elle s’inscrit dans une logique d’accident du travail-assurance maladie (AT-AM), mais il s’agit d’une première étape qu’il convient de saluer.

Par manque de vigilance ou parce qu’elles n’étaient pas encore visibles, nous sommes alors totalement passés à côté des questions de voisinage qui ont enflammé la France quelques mois après. Je continue à penser que cette approche présente un très fort « effet lampadaire ». Il convient de préférer une démarche globale de diminution des pesticides à un combat fratricide dans notre société sur les distances d’épandage. Écophyto 2 tel que nous le proposions aurait certainement résolu de nombreux problèmes de voisinage, mais ce rapport n’envisage pas de solution de cohabitation entre les riverains des champs traités et les pulvérisations.

Nous sommes passés à côté de la question du voisinage et d’un concept qui aurait pu être une sorte de fil conducteur. En revanche, la question de la santé était au cœur du dispositif. Si j’établissais le rapport aujourd’hui, je le baptiserais « Une seule santé », à savoir la santé de la terre et des hommes. Le concept « One Heath », qui est né de l’épidémiologie, peut devenir un récit politique et scientifique. Je suis heureux de l’avoir fait inscrire dans le rapport annexe de la loi de programmation de la recherche.

Actuellement, dix-huit instituts travaillent à l’échelle européenne autour de l’INRAE sur la sortie des pesticides, la mosaïque paysagère et des questions d’agroécologie. Ils œuvrent sur des solutions d’affranchissement systémique et ont baptisé leur programme « One Health ». Se battre pour sortir des pesticides est se battre pour la santé des hommes et de la terre.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment évaluez-vous la mise en œuvre des plans Écophyto depuis leur création ? Quels ont été les impacts sur les territoires ? En tirez-vous des leçons applicables aux autres plans nationaux intervenant en matière de santé environnementale, parfois pour des déclinaisons régionales ? Avez-vous pris connaissance du PNSE4 qui est actuellement soumis à la consultation publique et qu’en pensez-vous ?

M. Dominique Potier. Je n’ai pas eu le rapport en consultation car je suis sur une autre mission d’information sur le partage de la valeur qui me prend beaucoup de temps et sur de nombreux combats, mais vous me donnez envie de le faire et d’apporter ma contribution.

Lorsque nous avons dressé le bilan du plan Écophyto en 2012, il s’agissait de ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». En 2008, le législateur a fixé l’ambition d’atteindre une diminution de 50 % de la phytopharmacie en 2018. Nous sommes à plus 5 % ou plus 10 %, ce qui laisse présager que nous ne prenons pas la bonne direction. En l’absence de politique globale, nous n’avons pas pesé sur les facteurs « macro », à savoir l’effacement de l’élevage, la destruction des prairies permanentes et l’augmentation de la surface de production végétale, qui sont des phénomènes « macro » liés à des phénomènes sociologiques comme la moindre attractivité des métiers d’élevage, la plus grande profitabilité des cultures végétales à l’unité de main-d’œuvre, les cours mondiaux, etc. Les facteurs PAC et marchés, qui sont des indicateurs puissants, font que l’on peut utiliser moins de produits phytopharmaceutiques à l’hectare de blé, mais l’accroissement des superficies engendre une présence plus élevée de ces produits dans « la ferme France ».

Néanmoins, deux bénéfices peuvent être retirés. Le premier consiste dans la mise en place, dans les formations initiales et continues, du Certiphyto qui a permis, sur la durée, à des centaines de milliers de paysans d’appréhender le minimum de précautions permettant d’éviter une pollution directe sur les mains et par inhalation, et de protéger l’environnement dont ils ont la charge, celui de la ferme et des champs. Ce très important effort de formation a porté ses fruits, notamment en accidentologie pour les agriculteurs eux-mêmes. Par ailleurs, nous avons assisté à une révolution culturelle. La question des pesticides est devenue un acquis. Elle est parfois mal traitée dans l’opinion et peut donner lieu à de l’agribashing, mais le lien entre le modèle agricole-pesticides et pesticides-santé devient un acquis de notre pensée commune. Nous disposons d’un socle culturel et d’un système de prévention des accidents du travail.

Par ailleurs, nous avons conduit des expériences pilotes avec les fermes Écophyto et les fermes Dephy qui sont apparus dans les années 2010. Elles étaient au nombre de 2 000 en France. Dans le rapport, je propose de passer à 3 000 et que chacune rayonne sur 10 autres fermes en conversion agroécologique. Avec 30 000 fermes, nous sommes à 1/7ème des exploitations concernées par les produits phytopharmaceutiques avec une échelle de développement permettant d’atteindre les objectifs que nous souhaitons. Ces fermes Dephy sont une sorte de laboratoire de la mise en œuvre du plan Écophyto et démontrent que nous pouvons diminuer en quelques années de 20 %, 30 %, 40 %, 50 %, voire 60 % l’usage des produits phytopharmaceutiques et même donner envie de s’en passer complètement. Elles constituent un terrain favorable comme les fermes des lycées agricoles pour le passage à l’agriculture biologique ou à des formes d’agroécologie pertinentes.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quels leviers d’amélioration visant à réduire l’usage récurrent des phytopharmaceutiques sont à privilégier ? Lors du premier confinement, nous avons constaté des épandages de pesticides plus conséquents appuyés par des arrêtés préfectoraux. Avez-vous émis des alertes de surveillance accrue dans ces périodes ? Comment jugez-vous cette situation ? Le plan Écophyto prévoit-il l’évaluation des « effets cocktail » de pesticides ? Existe-t-il une équivalence européenne du plan Écophyto ?

M. Dominique Potier. Vous faites référence à un travail sur lequel j’ai été mis « hors-jeu » depuis quelques années. Il existe désormais un comité glyphosate et nous aurons prochainement un comité néonicotinoïdes. Le comité Écophyto n’est plus réuni depuis douze à dix-huit mois. Il ne fait plus l’objet d’animation, y compris politique. Par conséquent, je vous invite à ne pas me demander des informations de première main sur des dossiers dont les députés ont été exclus.

Il existe très certainement une évaluation européenne des résultats de la France. Une commission environnement et/ou santé a dû se pencher sur les différents plans nationaux et les qualifier, mais je n’ai pas eu accès à ces documents. Par conséquent, je ne peux répondre à votre question.

La poursuite des recherches sur les « effets cocktail » est l’une des questions médicales et scientifiques majeures. L’approche consistant en la combinaison des facteurs dans le déclenchement et la prévalence de maladies, et l’explication de sources multiples progresse. De plus en plus d’informations sur ces sujets confirment « l’effet cocktail ».

Durant la période de confinement, certains de nos concitoyens ont probablement mieux observé les pulvérisations, mais je ne conçois pas de raison objective à une augmentation des traitements, en dehors d’un effet climatique qui ne serait pas lié au confinement.

La première proposition que j’ai formulée pour le plan Écophyto consiste en une politique de renouvellement des générations avec le partage de la terre et une nouvelle régulation du marché foncier, laquelle fait l’objet d’une dérive libérale qui permet l’accaparement et la concentration des terres. Sans régulation foncière, il n’y aura pas d’installations. Or un paysan sur deux prendra sa retraite dans les dix ans à venir. Si les fermes s’agrandissent en simplifiant leurs moyens de production, le territoire français s’appauvrira socialement et économiquement, mais également sur le plan de la biodiversité, de sa mosaïque paysagère et de sa diversité.

Dès lors, plus les systèmes sont simplifiés et agrandis, qu’il s’agisse de la taille des parcelles ou des exploitations, plus la dépendance est grande aux solutions technologiques et agrochimiques. Si nous voulons réduire le recours aux produits phytopharmaceutiques, il faut partager la valeur économique des biens dans les chaînes de production, et, en premier lieu, partager la terre pour une agriculture à taille humaine avec des hommes pratiquant l’agroécologie, faute de quoi la pression phytopharmaceutique ne décroîtra pas de manière significative.

Il faut que ces systèmes soient reconnus sur le marché. Ils sont aidés par la politique agricole commune (PAC) qui est une mesure environnementale globale. Plutôt que d’accorder des aides à l’environnement ponctuelles, il faut favoriser l’évolution des systèmes vers l’agroécologie. Il convient que les consommateurs et le marché reconnaissent la valeur agronomique des pratiques agricoles, ce qui est le cas, peu ou prou, pour l’agriculture biologique, qui mériterait une réforme de son cahier des charges intégrant les dimensions carbone, équitable et sociale. C’est potentiellement le cas de la haute valeur environnementale avec la certification de niveau III qui est enfin promue par le ministère de l’Agriculture. La semaine dernière, l’Assemblée Nationale a voté des aides directes. La voie de l’agroécologie est importante à promouvoir.

Les leviers importants pour le marché sont le label HVE et le bio, selon des cahiers des charges réformés, les aides de la PAC, la réforme foncière et un marché international qui ne soit pas constitué de traités bilatéraux nous mettant en compétition avec des agricultures moins-disantes et qui pourraient sacrifier nos écosystèmes les plus vertueux.

Pour ce qui est du « micro », il nous faut des plans alimentaires territoriaux, des filières innovantes, une modernisation de l’appareil public et la création d’un nouveau pacte pour l’agroécologie par les consulaires et les coopératives. Il faut lancer un plan Écophyto. Quelques-unes de mes soixante propositions ont été supprimées, comme les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques, mais je n’en ai pas constaté de plus innovantes.

L’une des meilleures promesses pour diminuer l’usage des produits phytopharmaceutiques est le plan Protéines végétales. L’autonomie en protéines végétales permet de lutter contre les changements climatiques, en limitant la déforestation importée, et d’allonger les rotations. Nous disposons de nombreux outils dans le plan de relance et la politique actuelle dont nous devons nous saisir. Je crois à l’agriculture de groupe. La coopération autour de ces changements fonctionne. Comme il existe une compétition des prédateurs, nous pouvons créer une association des innovateurs dans l’agriculture de groupe, avec la capacité des communautés de communes à se fixer un objectif de dépollution de l’eau et d’attractivité du territoire. Il peut s’agir d’un contrat local de santé misant sur l’alimentation. Ces facteurs favorisent directement ou indirectement l’agroécologie, laquelle permet de diminuer l’usage des produits phytopharmaceutiques contrairement aux batailles molécule par molécule ou au remplacement d’une molécule par trois autres tout aussi cancérogènes.

Je déclare solennellement que l’on a menti au Parlement en ce sens que, pendant la loi EGalim, on a réformé les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques en affirmant qu’ils seraient renforcés. En réalité, ils ont été dévitalisés, par la suppression des pénalités financières ad hoc. J’évoquerai le mauvais choix du Gouvernement et du Président de la République, qui a néanmoins été fait dans un bon esprit, consistant à séparer la vente du conseil, ce qui affaiblit le dispositif de responsabilisation des vendeurs de produits phytopharmaceutiques. Il s’agit d’une mauvaise voie qui a pour conséquence de ruiner les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques. En tant que parlementaire, lorsque j’ai alerté sur l’outil formidable qu’ils représentent, il m’a été répondu qu’il n’y avait pas de souci à se faire. Or, dans la réalité, ils sont dévitalisés.

J’ai présenté un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État, qui n’a toujours pas statué. Il s’agit d’une manière d’alerter sur le dysfonctionnement de notre démocratie et de réaffirmer qu’il est temps de corriger le mauvais choix fait en 2017. Tels sont le pari que je fais et ma disponibilité dans cette commission d’enquête et vis-à-vis du Gouvernement et de tous mes collègues pour chercher des solutions ensemble, non pas dans la controverse, mais dans la concorde, afin de remettre un plan Écophyto sur les rails et nous diriger ensemble vers l’agroécologie.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous vous remercions d’avoir exposé franchement votre point de vue.

L’audition s’achève à quatorze heures.

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47.   Audition, ouverte à la presse, de M. Lilyan Le Goff, membre du réseau santé-environnement de France nature environnement (FNE), de Mme Katia Baumgartner, cadre de santé et membre du directoire (FNE), et de Mme Sylvie Platel, docteur en santé publique et coordonnatrice du réseau santé-environnement (FNE) (18 novembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. France nature environnement (FNE) fédère, depuis 1968, les associations françaises de protection de la nature et de l’environnement. Elle est présente dans les instances de concertation au niveau européen, national et territorial et est organisée en réseau, dont l’un est consacré aux questions de santé et d’environnement.

À ce titre, nous recevons M. le Docteur Lilyan Le Goff, qui est médecin, membre du directoire du réseau santé-environnement, Mme Katia Baumgartner, qui est cadre de santé et membre du directoire et Mme Sylvie Platel, qui est docteur en santé publique et coordonnatrice du réseau.

Nous sommes intéressés à connaître l’appréciation de FNE en ce qui concerne la mise en œuvre des politiques de santé environnementale en France et sur les priorités qui doivent les animer.

(M. Lilyan Le Goff, Mme Katia Baumgartner et Mme Sylvie Platel prêtent serment).

Mme Sylvie Platel, docteur en santé publique et coordonnatrice du réseau santé-environnement de France nature environnement (FNE). Je suis coordinatrice du réseau santé-environnement de France nature environnement. Le réseau œuvre quotidiennement pour mettre en évidence l’impact de l’environnement sur nos santés et pour trouver les moyens d’y remédier à court, moyen et long terme.

France nature environnement, qui a été créée en 1968, est reconnue d’intérêt public. En tant que fédération des associations de protection de la nature et de l’environnement, elle est la porte-parole d’un mouvement de 3 500 associations. Elle présente un maillage territorial dense puisque le mouvement est présent sur tout le territoire en Métropole et en Outre-mer. Elle compte 880 000 hommes et femmes engagés, ce qui représente une force considérable, un savoir inestimable et des actions au plus près du terrain. Il s’agit de l’une des premières associations environnementales à s’être investie dans un volet santé-environnement avec la création, en 1997, de ce réseau que nous représentons aujourd’hui, suivant une préoccupation « One Health », alors d’avant-garde, au cœur de nos plaidoyers et de l’actualité.

En vingt ans, nous avons développé une expertise dans un contexte mouvant, puisque la place de la santé environnementale dans l’espace public a évolué. Nous pesons dans les instances adéquates, comme les agences sanitaires, Santé publique France et l’Anses, et sommes une partie prenante dans la construction des politiques publiques, notamment le plan national de santé-environnement, les plans régionaux de santé-environnement, la stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens, le plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques, etc.

Nous assurons une veille sur les concepts incontournables liés au champ de la santé environnementale comme l’exposome, l’épigénétique, l’origine environnementale des maladies, les 1 000 premiers jours de la vie et la multiexposition aux toxiques. Nous veillons à créer des passerelles entre le monde de la recherche et la société civile. Nous engageons des actions contentieuses, notamment dans le cas du « dieselgate ».

Ces aspects font de la santé environnementale un domaine multiforme, multidisciplinaire et transversal dont la finalité est la prévention.

M. Lilyan Le Goff, membre du réseau santé-environnement de France nature environnement (FNE). Pour bâtir une politique publique de santé environnementale, il faut d’abord considérer l’état des lieux. Le droit constitutionnel de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé est proclamé. En revanche, faute de transposition législative, il ne peut être appliqué pour bénéficier effectivement aux populations, les seules mentions légales relevant de l’hygiène et de la salubrité publique.

Faute de prévention, la politique de santé n’est bien souvent que curative et limitée à la gestion des maladies, alors que la spécificité de la santé environnementale est d’intégrer la prévention sanitaire dans les mesures politiques et l’aménagement des territoires. Pour ce faire, encore faudrait-il une approche cohérente et non cloisonnée en plans thématiques qui sont presque au nombre de trente-cinq et qui sont qualifiés de plans « silos », car juxtaposés sans coordination. Il est également nécessaire d’avoir une approche tenant compte des spécificités de chaque bassin de vie, en termes d’exposition à des risques. Il faut territorialiser la santé environnementale, ce qui implique une dévolution de compétences en santé-environnement aux collectivités locales. Le rapport d’évaluation du PNSE3 le juge d’ailleurs décevant car peu opérationnel et éloigné des territoires sans que baisse le niveau des risques.

Le facteur économique n’est jamais pris en considération, alors que le coût de l’inaction par manque de prévention s’avère considérable. Celui de la pollution de l’air est évalué par le Sénat à 100 milliards d’euros par an, soit l’équivalent du plan de relance post-COVID sur plusieurs années. S’il est un enseignement à tirer de l’actuelle crise sanitaire, due à un « effet boomerang » des perturbations portées à la biodiversité sous forme de zoonoses émergentes, ce sont bien les graves conséquences socio-économiques qu’elle engendre, amplifiées par ce défaut de prévention. Une politique de prévention sanitaire et environnementale est aussi cruciale pour une saine gestion économique.

FNE fédère quelque 3 500 associations, qui sont à la fois sentinelles et force de proposition, implantées sur l’ensemble de l’Hexagone et les départements ultramarins. Elle plaide pour que la France se dote résolument d’une politique de prévention qui territorialise la santé environnementale et qui devrait être charpentée par un axe stratégique dénommé « Une Santé » tenant compte de l’interdépendance entre l’humain, l’animal, le végétal et l’environnement, incluant le climat. Elle devrait se doter d’un axe opérationnel pour décloisonner et coordonner les approches thématiques avec une gouvernance nationale interministérielle et au niveau des territoires dotés de nouvelles compétences, ce qui impliquerait, pour le Parlement, une loi portant sur une dévolution de compétences en santé-environnement aux collectivités locales avec des plans régionaux santé-environnement coordonnant la réalisation, pour chaque EPCI, de diagnostics locaux de santé-environnement visant à inventorier leurs exposomes, suivis de plans territoriaux d’action en santé-environnement pour y remédier. Ceci renforcerait la prévention aux étapes clés de la vie, permettrait de repérer d’éventuelles synergies en complémentarité avec les données et registres épidémiologiques qui seraient ainsi renforcés, notamment pour mieux comprendre l’émergence de certains clusters. Je pense particulièrement aux cancers pédiatriques et aux malformations de type agénésie qui sont particulièrement traumatisants pour les familles qui n’obtiennent pas de réponse à leurs interrogations. Au niveau du département, il s’agirait de renforcer, par la prévention, ses missions sociales de santé et de solidarité, et de contribuer à réduire les inégalités territoriales et sociales en santé-environnement.

Les rares exemples existants, tels que Lyon, Valence ou Lorient, reposent sur une démarche volontaire qu’il importe de généraliser par une réglementation encadrant cette territorialisation de la santé environnementale, à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), à la fois par souci d’une prévention efficace, de cohérence et de saine gestion. Le passage du volontariat à l’obligation pour les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) constitue un exemple encourageant à suivre pour une territorialisation de la santé environnementale dans son ensemble. Ces déclinaisons territoriales devront faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation au niveau national par un office ou un pôle territorial en santé-environnement.

Nous insistons sur deux moyens d’action incontournables pour la cohérence du concept « Une seule santé » :

– la formation initiale et continue dans de nombreuses disciplines, incluant la prévention sanitaire environnementale, en ce qui concerne les médecins et les paramédicaux, les grandes écoles qui forment les élites administratives et les élus, ainsi que dans le domaine de l’agriculture, de nombreuses branches industrielles, dans les filières de l’énergie, le bâtiment et les travaux publics, en direction des urbanistes et des aménageurs, des modes de transport, etc. ;

– l’évaluation du coût de l’inaction par manque de prévention et celui des externalisations négatives des pratiques générant des facteurs de risques supportés par la collectivité. L’analyse bénéfice-coût-risque doit être intégrée dans l’approche, le suivi et le bilan d’une activité, d’une filière ou d’une politique et, ainsi, déterminer les choix et la planification.

Outre ces préconisations visant à instaurer une politique de prévention sanitaire environnementale efficience et efficace, FNE participe activement au suivi de thématiques sectorielles.

Mme Katia Baumgartner, cadre de santé et membre du directoire de France nature environnement (FNE). France nature environnement intègre dans ses travaux le caractère plurifactoriel des effets de l’environnement. Nous travaillons sur des thématiques très fortes comme la qualité de l’air intérieur, avec la problématique des composés organiques volatils, et extérieur, en lien avec les pollutions liées aux émissions de gaz à effet de serre et de microparticules. Nous avons été précurseurs et lanceurs d’alerte dans le « dieselgate ». Nous traitons également des sujets porteurs et novateurs : les pollutions maritimes et la problématique liée aux émissions des activités agricoles. Nous nous soucions également de l’évolution des allergènes. Nous suivons très attentivement la problématique liée à l’ambroisie.

Nous avons été précurseurs dans le domaine des perturbateurs endocriniens et des nanoparticules. Nous travaillons sur l’obligation d’étiquetage sur l’ensemble des produits, l’interdiction des substances reconnues et identifiées comme étant des perturbateurs endocriniens suspectés ou avérés et sur la problématique des nanoparticules. Nous avons remporté quelques victoires comme la suppression du dioxyde de titane dans l’alimentation, suppression que nous estimons toutefois insuffisante, notamment dans les cosmétiques. Nous portons haut et fort les demandes de réformes et d’accentuation des réglementations au niveau national et européen. Nous avons une large activité en ce qui concerne le bruit avec la protection des riverains, l’amélioration des normes, comme des bâtiments, dans la rénovation sonore.

FNE compte une quinzaine de réseaux thématiques sur l’ensemble du mouvement, en particulier sur la qualité des eaux avec les problématiques liées aux effluents, les résidus de pesticides, de polluants divers et de médicaments. Nous avons des alertes avec l’usage des biocides et des détergents au niveau du littoral. En ce qui concerne la prévention des déchets, nous avons la problématique des incinérations et des lixiviats, qui sont des jus de fermentation issus des produits enfouis. Le texte réglementaire portant sur la sortie des produits fermentescibles des poubelles, qui posent de réels soucis de pollution des sols, des cours d’eau et des nappes phréatiques, sera mis en place dès 2022. Nous traitons la problématique des plastiques et des emballages. Au-delà de la pollution évidente, beaucoup sous-estiment ou mésestiment la pollution par le retour de ces plastiques dans la chaîne alimentaire : ils se retrouvent dans l’environnement et sont absorbés par la faune et la flore.

Nous traitons de thématiques très fortes relatives à l’alimentation et l’agriculture, en lien avec les produits phytosanitaires, s’agissant de la problématique des pesticides perturbateurs endocriniens, des élevages intensifs et de l’usage des antibiotiques. Il existe forcément une corrélation étroite avec la santé humaine et l’émergence des antibiorésistances.

En ce qui concerne la biodiversité globale, le changement climatique et la perturbation des écosystèmes en lien avec les activités humaines entraînent des maladies émergentes, des zoonoses et des maladies vectorielles dont la crise actuelle est l’un des témoins. Dans nos travaux, nous portons des sujets très lourds, notamment en ce qui concerne les cancers pédiatriques et l’agénésie transverse des membres supérieurs en relation avec des activités industrielles ou des pollutions environnementales non identifiées.

L’ensemble de ces actions sont mises en œuvre de façon très pratique et opérationnelle, par des opérations de sensibilisation et de formation au sein de nos fédérations. Cela nous permet de prendre la mesure des préoccupations au plus près des citoyens, de mutualiser les retours d’expérience et de faire émerger des signaux faibles, qui passent souvent en dessous des « radars institutionnels ». Cette approche territoriale et de proximité éclaire notre volonté de décloisonnement et de coordination globale des politiques publiques.

Le site « Sentinelles de la nature » permet de signaler toute atteinte environnementale, y compris positive. Un suivi de ces signalements est assuré, pouvant aller jusqu’à des contentieux très forts dans les territoires. Il s’agit d’une veille citoyenne ne nécessitant pas d’être adhérent à FNE.

Notre réseau santé-environnement et notre partenariat avec l’ensemble des réseaux thématiques, nous permet d’appréhender totalement le concept « One Health » dans notre approche, puisque la santé humaine est complètement interdépendante de l’état de l’environnement. Nous ne pouvons qu’accentuer la démarche consistant à améliorer et à développer la prévention dans tous les domaines, ce qui équivaut à investir durablement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez beaucoup insisté sur la nécessité de revoir les textes législatifs et les compétences attribuées aux collectivités territoriales.

Les PRSE sont les outils participatifs de la mise en place des politiques publiques en matière de santé environnementale à l’échelle des territoires. Je voudrais avoir votre regard critique sur leur effectivité dans les territoires. Que pourriez-vous proposer pour améliorer la participation de la société civile à l’organisation, la mise en place et la gestion des politiques ?

Vous évoquiez le site « Sentinelles de la nature » qui appelle à la veille citoyenne avec une démarche juridique à la clé. Avez-vous connaissance de l’existence de la commission nationale « déontologie et alertes en santé publique et environnementale » (CnDAPse) ? Avez-vous eu l’occasion de formuler des propositions dans ce cadre ?

M. Lilyan Le Goff. Concernant la première question, j’ai siégé durant plus de dix ans, dès sa création, au comité de pilotage du plan régional santé-environnement de Bretagne. Parallèlement, j’étais membre de la conférence des territoires de santé au sein de mon agglomération de Lorient-Quimperlé. J’ai rapidement constaté, particulièrement dans le cas de la conférence des territoires, qui comptait essentiellement des membres du sérail médical, dont beaucoup d’hospitaliers, que certains ignoraient totalement l’existence du PRSE. Si je n’avais pas été présent, en tant que représentant des associations environnementalistes, en l’occurrence originaires de Bretagne, ils n’auraient pas eu d’informations à ce sujet. Je les ai donc informés sur la santé environnementale et certains ont fait valoir qu’ils n’avaient pas été formés à la santé-environnement. Je rappelle que les attendus du PRSE prévoient sa déclinaison dans les territoires. Or je constate un hiatus entre le niveau de la région proprement dite et ce qu’il advient dans les territoires. La santé environnementale passe par la circulation de l’information.

J’ai largement insisté pour que le PRSE s’inquiète des territoires et aide à la réalisation d’une politique efficace de prévention liée à l’environnement au plus près des populations, ce qui ne figure pas dans ses objectifs. Je ne fais plus partie du comité directeur du PRSE, mais je sais qu’il existe toujours des effets d’annonce et des objectifs extrêmement importants et louables comme la correction des inégalités sociales et territoriales en santé-environnement. Comment corriger les inégalités au plus près des bassins de vie sans diagnostics locaux santé-environnement liés à l’agglomération avec des plans d’action placés sous la responsabilité des élus locaux ?

Concernant la mise en œuvre de ces plans d’action, il existe un diagnostic au niveau de Lorient Agglomération. Étant aux deux extrémités de la chaîne au début des années 2010, j’ai plaidé pour territorialiser. Je me rappelle que le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de Bretagne avait affirmé que nous viendrions à cette notion de territorialisation, laquelle est finalement tout à fait récente. Il faut convaincre afin que les esprits évoluent pour l’accepter dans la mesure où la France est extrêmement centralisée dans une organisation pyramidale, malgré les décentralisations qui nous sont régulièrement rappelées. Par conséquent, les personnes de terrain ont l’habitude d’attendre les directives. Des positions sont néanmoins prises au niveau du terrain pour prendre les affaires en main.

Toutefois, lorsque l’on restitue aux politiques et aux responsables de l’agglomération un diagnostic local santé-environnement sous l’égide de l’ARS, qui a missionné et budgété l’observatoire régional de la santé de Bretagne, lequel a procédé à de nombreuses auditions sur le territoire pour amener à ce diagnostic afin d’inventorier l’exposome lorientais, certains s’interrogent. Or le diagnostic n’est que la première partie de la démarche. La directrice de l’ARS, qui était présente en personne pour rassurer les élus et était assez timide dans cette approche, a indiqué : « Nous savons que nous n’avez pas toutes les compétences pour le faire, mais nous vous aiderons étant donné que vous êtes engagés dans une démarche tout à fait louable de prévention pour améliorer la qualité de vie de vos concitoyens ». Certains élus d’autres agglomérations que j’ai réussi à convaincre craignaient de se faire retoquer faute d’avoir les compétences.

Je reviens à votre questionnement et à la nécessité d’une loi, non pas pour tout réinventer, puisque des dispositions existent dans le code de la santé et de l’urbanisme. Il convient d’accentuer nettement la démarche, ce à quoi les esprits sont prêts, sous réserve, compte tenu de l’organisation pyramidale de notre pays, de passer par la loi en matière de santé-environnement et à condition qu’elle ose afficher cette volonté politique au plus haut niveau.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Qu’en est-il de ma question sur les « Sentinelles de la nature » ? FNE est représentée à la CnDAPse ? N’est-ce pas redondant ?

Mme Katia Baumgartner. En tant que membre du directoire de FNE, je connais cette commission, puisque Agnès Popelin en est membre. Il existe une certaine complémentarité. Selon l’ampleur des signalements, nous demandons aux personnes concernées de faire un signalement auprès de la commission. Suivant la problématique, le comité de pilotage essaie d’engager des poursuites et d’effectuer le signalement en parallèle.

Nous constatons plutôt une méconnaissance de cette commission et de son accessibilité, de la part du tissu associatif ou du citoyen lambda, pour effectuer des signalements directs. L’outil FNE et « Sentinelles de la nature » est assez interactif. Il présente un aspect extrêmement visuel avec une cartographie presque en temps réel des signalements proposés et de certains suivis. Je pense que nous sommes plutôt complémentaires. Effectivement, il faut éviter les superpositions et les pertes.

La démarche de participation citoyenne commence à « infuser » dans l’ensemble des dispositifs. Nous pensons que la parole citoyenne est insuffisamment prise en compte ou légitimée en termes de savoir profane. Nos représentativités d’associations ou d’individus citoyens, au sein de certaines instances, de commissions et de groupes de travail, sont relativement modestes. Il peut aussi exister une limite dans l’expression individuelle de la société civile. Le travail qui a été amorcé mérite fortement d’être développé.

Le mouvement FNE est un réseau de bénévoles, lesquels donnent beaucoup de leur temps. Il n’est pas simple de participer à de nombreuses commissions ou réunions. La dématérialisation n’est pas toujours « accrocheuse » et il n’est pas toujours aisé d’y accéder. Des efforts de part et d’autre pourraient être fournis sur ce point.

Nous avons partagé un travail avec un groupe de recherche de l’IRSN sur l’intégration du citoyen dans les études scientifiques, qui montre un besoin d’acculturation collective accompagnant la vulgarisation, afin que le citoyen se sente légitime. Nous ne disposons pas toujours des espaces nécessaires pour exprimer ce que nous observons sur le terrain. Nous rencontrons parfois un manque d’écoute, quand des dogmes institutionnels sont en cause.

Mme Sylvie Platel. Nous sommes acteurs et intéressés à promouvoir un volet de science citoyenne qui permettrait aux parties prenantes de co-construire des recherches interventionnelles qui ne soient pas déconnectées des réalités du terrain ou des problématiques locales, notamment liées à l’environnement. Ce mouvement existe, mais est actuellement trop fermé sur lui-même. Nous tentons de construire des ponts, notamment sur des questions de capteurs citoyens pour mesurer la pollution de l’air, en lien avec des chercheurs du CNRS. Il s’agit d’une tendance extrêmement intéressante à nos yeux afin de faire profiter le monde académique des savoirs profanes. Il convient d’acculturer les personnes tout en restant chacun dans son domaine dans le cadre d’une méthodologie.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelle est votre définition de la santé environnementale ? Avez-vous pris connaissance du PNSE4 actuellement soumis à consultation publique ? Qu’en pensez-vous ? Qu’apporte-t-il quant à la politique sanitaire de prévention, l’enjeu crucial de la recherche ? Quels outils utilisez-vous pour alerter les pouvoirs publics ? Avez-vous des liens avec l’Association des maires de France ou d’autres associations ? Si oui, dans quels cas ?

Alors que la pandémie de COVID-19 pousse la société française à se pencher sur l’exposition à des zoonoses et leurs risques induits, comment améliorer la gouvernance française en termes d’information, de sensibilisation et d’action en ce qui concerne l’interdépendance de la santé de l’homme, des animaux, du végétal et de l’environnement ?

Mme Sylvie Platel. Quant à la définition de la santé environnementale, nous tendons à nous fonder sur la définition officielle de l’OMS qui date de 1994 et qui évoque tous les aspects de la santé environnementale, la qualité de vie, les facteurs physiques, chimiques, sociaux, etc. Elle est absolument indissociable de la politique et des pratiques visant à mener des actions en faveur d’une amélioration de ces facteurs. La définition reprend également l’idée des populations actuelles et futures affectées. Nous sommes très attachés au fait qu’un enfant qui naît maintenant ne grandira pas dans le même état de santé que nos générations, compte tenu de ces expositions multiples et du changement de paradigme d’un certain nombre de produits auxquels il sera exposé dès le plus jeune âge, ce qui impactera la santé de l’adulte qu’il deviendra.

En tant que professionnelle de santé publique, j’ai pu observer une évolution du concept. Il est question de santé environnementale dans certains milieux et de santé-environnement dans d’autres. Nous gagnerions à avancer sur une définition partagée compte tenu des aspects multiformes, multidisciplinaires, multithématiques, multi-entrées et multi-transversalité de ce champ. À mes yeux, il s’agit d’abord d’un champ scientifique qui est en pleine évolution et bien documenté, notamment sur les modes d’action, mais le volet relatif aux politiques publiques est essentiel.

M. Lilyan Le Goff. Il est important de bien s’entendre sur les termes. Il s’agit d’être conscient que, selon les perturbations portées à l’environnement, l’homme agresse lui-même sa santé. La santé environnementale induit une prise de conscience, le diagnostic des impacts que notre environnement peut avoir sur notre santé, qu’ils soient liés à la dégradation de l’environnement tenant aux activités humaines ou que, sans avoir été modifié, il puisse être pathogène pour l’homme comme, par exemple, les émanations de radon du sous-sol qui engendrent des cancers du poumon.

Le traitement consiste à modifier les facteurs environnementaux qui sont pathogènes. Faute de pouvoir le faire, il existe des mesures d’évitement. Du traitement curatif, nous passons à la prévention, en améliorant les conditions de vie pour les générations à venir. La santé environnementale comprend une composante liée au souci de l’héritage à léguer aux générations futures.

Le PNS4 occupe largement notre temps et nous rendrons prochainement notre copie. Il manque le souci de la transversalité dans l’approche coordonnée des thématiques pour les traiter en cohérence, ce qui nécessite une loi pour territorialiser la santé-environnement.

Nous sommes en relation avec l’Association des Maires de France. Nous avons participé à des assemblées générales et des congrès. Je suis personnellement en relation avec l’association Santé Environnement France qui est uniquement constituée de médecins et de paramédicaux. Nous disposons d’un maillage qui couvre l’ensemble du territoire français et croisons nos réseaux avec d’autres collègues d’ONG, avec lesquels nous sommes complémentaires. Au niveau national, j’ajouterai les relations avec les conseillers des ministères. En tant que pilote de la mission biotechnologie de France nature environnement durant une dizaine d’années, lors du Grenelle de l’Environnement, je peux vous assurer que nous étions en relation régulière et étroite avec les conseillers du ministère de l’Environnement de l’époque. Ils avaient besoin de nous pour faire remonter des témoignages et des informations. Nous étions dans la préparation de la loi OGM, dont il faudrait se souvenir pour éviter quelques dérapages qui sont en gestation. Je pense à la course au vaccin contre le coronavirus qui est essentiellement fabriqué par génie génétique. Certaines manipulations génétiques sont en relation avec la loi OGM. Ce matin, j’ai vu passer une volonté de simplifier les procédures afin de ne pas freiner la course au vaccin. Il semble que, pour ce faire, il faille alléger l’évaluation de l’impact environnemental pour ne se fier qu’à l’aspect lié au vaccin et à la santé.

Nous sommes donc rompus aux relations avec le niveau gouvernemental et les conseillers des ministères.

Mme Katia Baumgartner. S’agissant du PNSE4, je souligne le manque crucial de pertinence concernant certains types d’indicateurs, les moyens alloués et le calendrier, et l’absence de caractère prescriptif. Il est beaucoup trop basé sur le volontariat.

S’agissant des outils concernant les relations avec les autres instances de politiques publiques, nous disposons d’un réseau de territoires et de villes soutenables incluant un partage inter-réseaux auprès des collectivités locales.

S’agissant de la sensibilisation de la population, peut se poser la question de l’intégration des notions de prévention et de santé dès le plus jeune âge dans des socles communs dans l’éducation à la santé et les systèmes éducatifs. Ces éléments doivent infuser le plus tôt possible afin d’être intégrés dans les comportements de tout un chacun. Il s’agit de faciliter la compréhension de ces enjeux.

S’agissant de la problématique de la participation de la société civile, des enquêtes et des débats publics sont proposés, lesquels font parfois l’objet d’allégements ou d’entorses, ce qui nous conduit à alerter. Nous constatons également des délais de réponse réduits sur des dossiers extrêmement complexes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie de vos analyses critiques et de vos propositions.

L’audition s’achève à quinze heures.

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48.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Élisabeth Gnansia, présidente, de Mme Catherine Cecchi, vice-présidente, de M. Fabien Squinazi et de Mme France Wallet, de la Société francophone de santé et environnement (SFSE) (18 novembre 2020)

L’audition débute à quinze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Depuis 2008, la Société francophone de santé et environnement (SFSE), société savante, vise à promouvoir la recherche et à développer la prévention, à assurer la diffusion des connaissances, à porter auprès des décideurs publics les connaissances scientifiques les plus récentes et à mettre en réseau les acteurs aux approches complémentaires.

Mme Élisabeth Gnansia, qui préside la SFSE, est médecin généticienne retraitée, ancienne directrice du registre des malformations congénitales de Lyon dont elle préside le conseil scientifique. Elle est accompagnée de Mme Catherine Cecchi, vice-présidente de la SFSE, présidente de la société régionale de santé publique de Languedoc-Roussillon, de M. Fabien Squinazi, trésorier de la SFSE, médecin biologiste, membre du Haut conseil de la santé publique et de Mme France Wallet, administratrice de la SFSE, médecin évaluateur de risques en santé-environnement au service des études médicales d’EDF et experte pour le Haut conseil de la santé publique.

Nous sommes intéressés par l’appréciation de la Société francophone de santé et environnement sur la mise en place et la mise en œuvre des politiques de santé environnementale en France et sur les priorités qui doivent les animer.

(Mme Catherine Cecchi, Mme Élisabeth Gnansia, M. Fabien Squinazi et Mme France Wallet prêtent serment.)

Mme Élisabeth Gnansia, présidente de la Société francophone de santé et environnement. Vous souhaitez notre avis sur le plan national santé-environnement (PNSE 3) et sur le PNSE 4, ainsi que sur les priorités en termes de santé-environnement et les éventuelles réformes de la gouvernance qui pourraient améliorer ce champ d’intérêts.

Nous avons vu assez peu d’évaluations du PNSE 3. Une évaluation interne de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été effectuée. Le Haut conseil de la santé publique a été récemment saisi pour une évaluation de l’ensemble des PNSE, mais nous n’avons pas de document définitif. Les actions du PNSE 3 n’ont pas été poursuivies dans le projet de PNSE 4 et nous avons un peu l’impression de redémarrer au départ, de traiter d’autres sujets alors que les actions précédentes n’ont pas été vraiment évaluées.

M. Fabien Squinazi, trésorier de la Société francophone de santé et environnement. J’ai eu l’occasion de participer aux groupes de travail sur le PNSE 3 et pour la préparation du PNSE 4. En ce qui concerne le PNSE 3, nous avions fait des propositions, qui se sont ajoutées les unes aux autres et nous avons finalement constaté que ce PNSE 3 manquait de moyens d’action. Nous avons eu du mal à mener à bien toutes les actions prévues.

Par exemple, un plan d’action sur la qualité de l’air intérieur avait été mis en place en 2013, pour le PNSE 3. Le bilan que nous en avons fait pendant la préparation du PNSE 4 nous a permis de constater que, probablement par manque de moyens et de suivi, les actions n’ont pas été complètement suivies d’effet. Ainsi, un étiquetage avait été mis en place sur les produits de construction et de décoration. Nous avons simplement vérifié que l’étiquette dite A+ se trouvait bien sur les emballages de ces produits, mais nous n’avons pas vérifié si cet étiquetage était efficace, si des essais avaient été faits pour contrôler la correspondance entre l’étiquetage et les émissions de composés chimiques volatiles des produits.

Dans le PNSE 3, il avait été proposé de faire des autodiagnostics et des mesures de différents polluants dans les établissements recevant du public, notamment dans les établissements accueillant de jeunes enfants, comme les crèches et les écoles. Nous avons eu une remontée d’informations sur les polluants mesurés et nous avons pu établir une distribution des concentrations de polluants dans ces établissements. Malheureusement, nous n’avons pas su quel était le bilan de ces autodiagnostics. Cet autodiagnostic a été repris dans l’action 13 du PNSE 4, malgré l’absence de bilan.

Ces deux exemples montrent que nous ne sommes pas parvenus, dans ce PNSE 3, à aller jusqu’aux objectifs fixés, probablement par manque de moyens. Nous n’avons pas obtenu les résultats que nous aurions pu attendre.

Dans le PNSE 4, nous redémarrons avec différentes actions novatrices, mais sans avoir préparé le terrain. Nous préconisons un certain nombre d’actions, sans que nous sachions si nous avions déjà obtenu des résultats dans le PNSE 3, si les actions étaient efficaces. Certaines actions du PNSE 3, dont nous ne savons pas si elles ont totalement abouti par manque d’évaluation, sont oubliées dans le PNSE 4. Je pense en particulier à la pollution atmosphérique qui n’est pas reprise dans ce plan.

Mme Élisabeth Gnansia. Nous avons posté, au nom de la Société francophone de santé environnement, une réaction au PNSE 4 sur le site prévu à cet effet. Nous l’avons critiqué action par action, axe par axe, de façon très précise.

Il nous semble que, du point de vue de la gouvernance, il manque une coordination entre les deux ministères en charge de cette problématique. Par exemple, il existe une évaluation partielle du PNSE 3 sur le site du ministère de la santé, faite par l’IGAS. Cette évaluation partielle devait être faite conjointement par le Conseil général de l’environnement et de développement durable (CGEDD), l’IGAS et un troisième organisme. Finalement, ce rapport n’a été fait que par l’IGAS parce qu’il a été impossible d’obtenir un consensus. Nous avons donc l’impression d’un manque de coordination entre les deux ministères. D’autres ministères pourraient d’ailleurs aussi être impliqués dans la problématique santé-environnement. Il nous semble qu’il serait important de créer une structure interministérielle qui soit vraiment consacrée à la santé environnementale.

Nous avons l’impression que se trouvent, au ministère de la Transition écologique, des gens extrêmement motivés par l’environnement, parfois même militants. Le ministère de la Transition écologique met plutôt l’accent sur la biodiversité, l’environnement et parfois, incidemment, sur la santé. Du côté du ministère de la Santé, la santé-environnement est un peu le parent pauvre.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. À ma connaissance, deux rapports ont été réalisés, avec un tronc commun. L’un des rapports a été porté par l’IGAS, côté santé, mais le ministère de la Transition écologie a également fourni un rapport rédigé par le CGEDD.

Mme Élisabeth Gnansia. Il existe effectivement un onglet « Évaluation du PNSE 3 » sur le site, mais le rapport est introuvable en cliquant sur cet onglet.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. C’est un problème technique. Nous avons reçu les deux inspecteurs des deux ministères concernés. Chacun nous a bien présenté les résultats de son rapport. Les deux rapports ont donc bien été fournis.

Mme Élisabeth Gnansia. J’aimerais beaucoup y avoir accès.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ce sera facile de faire remonter cette information. Les deux ministères ont tenté de travailler en commun, sans succès, puisque deux rapports ont été rendus. Il me semble toutefois qu’il nous a été dit, lors de ces deux auditions, qu’un rapport final commun, produit d’un consensus difficile à établir, avait tout de même été écrit.

Tout ceci n’enlève rien à la légitimité de votre remarque : vous soulignez les difficultés de coordination entre ces deux ministères et vous soulignez que la coordination devrait être étendue à d’autres ministères.

Mme Élisabeth Gnansia. Elle pourrait en particulier être étendue aux ministères des Transports, de l’Agriculture. Ces ministères ont évidemment un rôle à jouer dans la problématique santé-environnement.

Mme Catherine Cecchi, vice-présidente de la Société francophone de santé et environnement. Le ministère de la Culture, pourtant important, n’est jamais sollicité en matière de santé-environnement. Tout ce qui concerne l’architecture et l’urbanisme est sous sa tutelle. Les relations avec les autres ministères sont très lâches, alors que nous avons besoin d’améliorer nos compétences en santé-environnement dans le champ de la construction, quelle qu’elle soit, de l’aménagement des villes, des campagnes et des zones non urbaines.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment l’urbanisme et l’architecture pourraient participer à une politique publique officielle de santé environnementale ?

Mme Catherine Cecchi. Par exemple, lorsque des constructions sont envisagées sur des zones qui ont été précédemment polluées, les analyses de sol à effectuer ne sont pas obligatoirement préconisées par le ministère de la Santé. L’évaluation d’impact sur la santé peut être diligentée par une mairie, mais ce n’est pas obligatoirement diligenté par une recommandation ministérielle.

Mme Élisabeth Gnansia. Nous avons parlé du manque de coordination apparente entre les PNSE 3 et PNSE 4, alors que nous souhaiterions que l’un soit la continuité de l’autre. Nous avons l’impression d’une rupture de continuité.

En ce qui concerne la gouvernance, il existe de nombreuses agences en France. Je ne prendrai pas parti pour dire s’il en existe trop ou pas assez. En tout cas, les agences ont un rôle d’évaluation qui, parfois, n’est pas différent de celui du Haut conseil de la santé publique. Je sais que les agences sont dédiées à l’évaluation alors que le Haut Conseil est dédié à la gestion, mais la distribution des rôles n’est pas toujours claire. Comme de nombreux orateurs l’ont déjà dit, nous avons été très surpris par la création d’un conseil scientifique à l’occasion de la pandémie puisque, du fait de la très large palette d’agences dédiées à la santé et à l’environnement en France, toutes les structures utiles étaient déjà présentes et il semblait inutile d’en créer une nouvelle. Le tuilage entre ce conseil scientifique et le Haut conseil de la santé publique a donné lieu à des évènements regrettables.

Nous avons beaucoup lié la problématique des agences à celle des territoires. Plus de 70 % des saisines des agences sanitaires viennent des ministères. Une partie sont des autosaisines et l’ensemble prend une partie considérable du temps de travail de ces agences. Il nous est remonté des territoires que les besoins en évaluation des risques et en gestion sont très grands dans les régions et que, lorsque des demandes faites auprès des agences, ne sont pas prioritaires pour ces dernières. Les délais sont considérables. Le besoin d’expertise dans les régions n’est pas satisfait, ce qui est un problème important.

Dans la coexistence entre les deux ministres principalement concernés par la santé-environnement, le ministère de la Santé accorde une trop grande priorité au soin par rapport à la prévention dans le domaine de la santé-environnement en général.

Mme France Wallet, administratrice de la Société francophone de santé et environnement. La coordination avec les régions est insuffisante, en particulier entre le plan national de santé-environnement et les plans régionaux. Le plan national ne semble pas se nourrir de ce qu’il se passe dans les régions, ni d’ailleurs de ce qu’il se passe en Europe. Je pense que ce lien manque.

Ces plans sont des catalogues qui manquent un peu de hiérarchisation. Par exemple, alors que nous constatons l’importance de la ventilation dans la pandémie actuelle, le mot ventilation n’apparaît qu’une seule fois dans le PNSE 4. Il apparaissait dans le PNSE 2 mais, finalement, nous nous demandons quelles sont les actions qui ont été conduites pour améliorer la ventilation. C’est un sujet connu, indiqué dans le PNSE 2, un peu ôté du PNSE 3, qui revient dans le PNSE 4, de façon très partielle.

Le phénomène est le même en ce qui concerne la formation. Le plan parle beaucoup de la formation et de l’information du public, mais très peu de la formation des professionnels, notamment des professionnels de santé qui ne sont malheureusement pas des experts en santé-environnement. Ils sont à peu près au niveau du public en termes de connaissances. Je pense extrêmement important et urgent que cette action de formation des professionnels, que nous « traînons » depuis le PNSE 1, aboutisse puisque l’information santé passe souvent par les professionnels de santé.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous nous avez parlé de la gouvernance du PNSE 3, présenté les grandes lignes de la critique du PNSE 4. Vous avez parlé de documents existants, documents passés, comme le PNSE 3, ou à venir comme le PNSE 4.

Quelles seraient aux yeux des experts de la SFSE les grandes lignes d’un schéma idéal de politique publique en santé environnementale ? Quelles sont pour vous les priorités ?

Actuellement, nous passons toujours par des documents de planification. Certains nous ont fait observer que ce n’est déjà pas mal parce que la France est, je crois, le seul pays à avoir tenté de disposer d’un document de planification avec le PNSE. Est-ce la démarche même de planification qui est problématique ou pensez-vous que c’est une bonne démarche méthodologique ? Quelles propositions pourriez-vous faire pour améliorer le dispositif ?

Vous avez parlé des problématiques de gouvernance territoriale. Quel serait selon vous le schéma idéal pour aborder les questions de santé environnementale en France ?

Mme Élisabeth Gnansia. La critique est facile, mais l’art est difficile. Nous n’avons pas discuté de cette problématique, telle que vous venez de l’exprimer. Je vous donne donc une opinion personnelle qui n’engage que moi, non la Société.

Je ne suis pas du tout opposée à la planification. Il s’agit d’une arme de gouvernance. Toutefois, le plus important dans la gouvernance est de consulter les parties prenantes, ce qui a été fait très largement, mais il ne faut pas en sortir un « patchwork » de mesures pour satisfaire les uns et les autres. Il faut essayer de « tricoter ces mesures », de prendre les laines de différentes couleurs pour arriver à créer un tricot d’aspect homogène et harmonieux. Or, le PNSE donne parfois l’impression d’un « patchwork », d’une coexistence entre des mesures.

Par exemple, dans le PNSE 4, le choix a été fait de s’intéresser à des risques physiques dont la plupart sont des risques « émergents », dont les effets néfastes ne sont pas prouvés. Je pense à la 5G dont les effets sur la santé ne sont pas prouvés, mais qui a beaucoup d’autres effets sur la consommation d’énergie ou la protection de la vie privée des citoyens. Le PNSE s’intéresse donc à des risques qui ne sont pas avérés et les met trop en valeur. À l’inverse, le PNSE n’évoque presque pas la pollution de l’air extérieur et de l’air intérieur.

Le PNSE aborde la problématique de l’eau, certes très importante, mais en citant la légionellose qui n’a jamais été évoquée en groupe de travail (GT) et qui est un problème de santé publique que nous savons a priori parfaitement gérer. Il n’est pas nécessaire de donner des détails sur la légionellose, nous savons ce qu’il faut faire pour lutter contre ce problème. En revanche, de gros travaux ont été menés en GT avec le Haut Conseil de santé publique sur l’eau potable et ils ne sont pas évoqués dans le plan.

M. Fabien Squinazi. Ce nouveau plan manque d’éléments sur la qualité de l’air extérieur et sur l’eau alors que ces points avaient été évoqués dans le premier plan santé-environnement. Sur la légionellose, des textes réglementaires se sont accumulés avec le temps et nous avons tous les éléments techniques et réglementaires pour agir.

Je pense que la dispersion entre les différents ministères intéressés par la santé-environnement fait qu’il manque une forme de guichet unique, notamment au niveau des territoires. Il faudrait un interlocuteur, une structure qui gérerait les problèmes de santé-environnement pour éviter la dispersion que nous connaissons aujourd’hui. Cette structure unique permettrait de rassembler les connaissances sur ces sujets et de donner des moyens aux différents territoires.

En fonction des sujets traités, nous constatons de grandes différences, en matière de santé environnementale, entre les régions. Ce manque d’approche en santé environnementale dans certaines régions met en lumière certaines difficultés. Par exemple, l’année dernière lors de l’incendie de Notre-Dame, nous avons été un peu gênés, au niveau régional, pour répondre aux questions relatives à la pollution au plomb. Lors de l’incendie de Lubrizol, il a également été difficile de répondre localement. Il manquait un interlocuteur capable de donner des orientations en santé-environnement avec les moyens disponibles.

Il me semble que cette dispersion de moyens dans les ministères fait que les territoires, dans lesquels les problèmes rencontrés sont très variés, n’ont pas l’aide nécessaire pour agir. Les agences sanitaires répondent plutôt à des saisines nationales et les territoires sont souvent un peu gênés pour intervenir par manque de moyens, de références, de compétences. Il faut apporter une aide aux territoires et cela ne peut se faire, à mon avis, que par une structure nationale.

Mme Catherine Cecchi. Je pense également qu’au niveau des territoires, le travail en transversalité est important à mettre en application. De nombreux organismes pourraient apporter leurs compétences : les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), les observatoires régionaux de santé (ORS), les comités régionaux d’éducation pour la santé (CRES) et même l’Office national des forêts (ONF) ainsi que les écoles vétérinaires, les écoles d’agriculture, les écoles d’architecture, le réseau Atmo avec ses déclinaisons locales et les agences régionales de santé (ARS) bien sûr.

Bien souvent, même au niveau territorial, nous travaillons de façon sectorisée. Lorsque nous travaillons sur la santé, nous faisons venir les organismes qui s’intéressent à la santé, mais pas l’ONF qui peut pourtant être intéressé dans le cas d’un milieu rural ou montagnard. C’est fort dommage car ils ont une pierre à apporter à l’édifice.

Nous pourrions aussi améliorer le dispositif en faisant en sorte que les remontées de terrain soient beaucoup mieux prises en considération. Nous avons parfois le sentiment que nous prêchons sans obtenir d’échos. Il faut une meilleure connaissance des acteurs de terrain. Nous passons parfois par des instances en laissant de côté ceux qui sont véritablement en première ligne.

En ce qui concerne la formation, il faut que la santé, au sens de la qualité de vie, du bien-être et de tout ce qui contribue à la santé, soit enseignée lors des études. Par exemple, la santé n’est pas enseignée dans les écoles d’architecture, mais n’est abordée que sous la forme du rapport entre la surface vitrée d’une pièce et la luminosité. Dans le cas de la ventilation et de la qualité de l’air, la seule réglementation provient de la réglementation thermique de 2012 (RT 2012) qui est une réglementation de construction, pas une réglementation de santé. Par contre, il n’existe aucune réglementation qui oblige à construire une fenêtre.

Une des conséquences du coronavirus est qu’il faut vraiment croiser entre elles les recommandations faites aux professionnels pour trouver un terrain de cohérence.

Mme France Wallet. Je pense que ce qui manque est une véritable démarche « qualité ». Faisons une planification, agissons, faisons une vérification, puis réorientons lorsqu’il le faut. Les indicateurs que nous utilisons ne sont pas forcément bons. Le Haut Conseil de la santé publique a beaucoup travaillé sur des indicateurs pertinents pour les PNSE, mais ces indicateurs ne sont finalement jamais repris dans les différents plans. Nous n’arrivons donc pas à avancer dans cette démarche « qualité » qui devrait être conduite à partir de tous les résultats provenant du terrain, de l’Europe, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il faut contrôler ce qui fonctionne ou non et étudier comment nous réorientons nos actions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends la nécessité d’une meilleure coordination, d’une meilleure valorisation de toutes les énergies, des connaissances et de l’expertise de tous les acteurs de terrain. À quel niveau d’un territoire verriez-vous s’installer cette coordination territoriale ? Lorsque vous parlez des vétérinaires, des architectes, des nombreuses agences, comment gérer une telle multiplicité d’acteurs et à quel niveau de gouvernance se situer ? Qui pourrait prendre cette gouvernance en main ? Sont-ce les conseils régionaux, les ARS, les DREAL ? Auriez-vous des suggestions à nous faire ?

Mme Catherine Cecchi. Avant de citer des organismes, je voudrais dire qu’il se pose souvent des problèmes de sémantique : les différents acteurs ne parlent pas le même langage et c’est un obstacle difficile à franchir. Par exemple, en santé, la réflexion porte sur l’humain, globalement, tandis qu’un architecte ou un urbaniste réfléchit en pensant au cycliste, à l’automobiliste, à l’habitant d’une maison. La notion de continuité dans l’humain n’est pas forcément acquise dans certaines études qui travaillent pour certaines fonctions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. C’est une analyse sociologique intéressante, mais qui souligne justement la difficulté à organiser ces échanges. Qui donc peut s’en charger ? Qui est « polyglotte », positionné de telle manière qu’il puisse parler aux architectes, aux vétérinaires, aux médecins, aux élus et à la société civile ?

M. Fabien Squinazi. Toutes les ARS ne sont pas au même niveau en santé environnementale, cela est très variable selon les territoires. Des agences régionales de santé, un peu renforcées dans le domaine santé-environnement, pourraient être la pierre centrale et dialoguer avec les acteurs. Les langages s’apprennent. Par exemple, j’ai travaillé pendant trente ans à la mairie de Paris. Je dirigeais un bureau de santé environnementale. Travaillant avec tous, j’ai appris le langage des uns et des autres. L’ARS pourrait dialoguer avec les différentes parties et monter un réseau. C’est déjà le cas dans certaines régions où a été créé un réseau de partenaires, en fonction des personnalités présentes.

Le guichet unique au niveau national, dont j’ai parlé, devrait être en lien avec les ARS. C’est un avis purement personnel.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment assurez-vous la diffusion des informations et de vos recherches en santé environnementale auprès des citoyens ? Avec quelles structures collaborez-vous pour mener des actions concrètes dans les territoires ? Quels sont vos interlocuteurs privilégiés ? Quels sont vos domaines de recherche de prédilection ? S’agit-il par exemple de l’alimentation, de la qualité de l’air, de recherches sur les perturbateurs endocriniens ?

Mme Élisabeth Gnansia. La SFSE est une société savante qui a pour caractéristique d’être transversale. Nous essayons de regrouper les savoirs et, contrairement à une société de cardiologie, ou d’autres spécialités médicales, dans laquelle ne se trouvent que des cardiologues ou que des spécialistes d’un domaine, nous avons, dans notre société, toutes sortes de métiers : toutes sortes de métiers de la santé, mais aussi toutes sortes de métiers de l’environnement.

À proprement parle, nous ne faisons pas de la recherche au sein de SFSE, mais nous essayons de relayer la recherche au moyen de la plateforme de savoirs qu’est notre site Internet. Nous diffusons en particulier toutes les actualités en santé-environnement auxquelles nous avons accès, mais nous avons aussi des sections sur des sujets particuliers.

Nous avons ainsi une section « Méthodologie », qui travaille sur la méthodologie de l’évaluation des risques. Cette section présentera ses travaux, cet après-midi, lors de la session de notre congrès en ligne. Nous avons également une section « Risques et société », qui essaie de déterminer la perception, par la société, des risques en santé-environnement. Cette section a organisé voici un mois un séminaire en ligne sur la perception du risque lié aux pesticides. Son enregistrement est consultable sur Internet. Nous avons aussi une section « Formation et information des publics ». Chaque année, les sections dédient leur année à un sujet particulier. Nous abordons tous les thèmes liés à la santé-environnement.

Mme France Wallet. La revue Environnement, Risques & Santé est l’organe de diffusion scientifique de la SFSE. C’est la seule revue francophone en santé-environnement.

Mme Élisabeth Gnansia. Chaque année, un numéro spécial de la revue regroupe les principaux articles publiés dans l’année et les principales avancées dans le domaine.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelles sont vos relations avec les agences et le monde de la recherche ?

Mme Élisabeth Gnansia. Un certain nombre d’agents qui travaillent dans les agences ou dans des instituts de recherche sont membres de notre société, mais nous n’avons pas de relations institutionnalisées avec les agences.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles actions du Gouvernement vous paraissent-elles indispensables pour assurer le passage de la connaissance à l’action ? Comment évaluez-vous, par exemple, le processus de décision face aux situations de multi-expositions ?

Mme Élisabeth Gnansia. C’est un exemple important qui est le thème de notre congrès en cours. Les multi-expositions sont encore du domaine de la recherche. Une table ronde avec des politiques sera consacrée à la prise de décision, en situation de multi-expositions, demain, mais c’est un sujet auquel il est difficile d’apporter une réponse. Il reste beaucoup à faire dans le domaine des multi-expositions et de l’exposome en général, surtout dans la prise en compte de facteurs auxquels nous ne pensons pas toujours, tels que les facteurs physiques.

M. Yannick Haury. Vous nous avez expliqué que les agences régionales de santé sont probablement l’acteur le plus adapté en termes de déconcentration. Concernant la décentralisation, quel niveau de compétences vous semble judicieux pour traiter de la question, que ce soit par des contrats locaux de santé ou autres ? Certes, chacun s’occupe un peu de certains problèmes, comme les départements avec les services de protection maternelle et infantile (PMI). Quelle échelle est-elle la bonne selon vous ? Pensez-vous qu’il faut, selon les territoires, chercher une échelle adaptée ?

Mme Élisabeth Gnansia. L’échelle est à mon avis différente selon que l’on se place du point de vue de l’évaluation ou de la gestion du risque.

Pour l’évaluation du risque, il ne faut pas diluer l’expertise. Il existe des comités d’experts dans les agences qui doivent être mis à contribution. Ces comités d’experts nationaux doivent profiter au niveau des territoires. Lorsque la situation est complexe, les territoires doivent pouvoir profiter des ressources nationales.

Pour la gestion du risque, la responsabilité doit être laissée aux préfets, aux agences régionales de santé qui connaissent bien leur territoire et ont certainement une gestion plus appropriée.

Mme Catherine Cecchi. Je pense que tous les territoires sont concernés par la gestion, de la maille communale à la maille régionale et même nationale. Il faut toutefois que les décisions prises localement, dans les mairies par exemple, ne soient pas contre-productives. Il faut de la connaissance, une interaction avec tous les services pour que les décisions soient prises à bon escient.

Mme France Wallet. Il ne faut pas oublier, dans la prise de décision, l’expert profane. Nous n’avons parlé que des institutions, alors qu’il existe parfois, « sur le terrain », des personnes qui ont l’occasion de s’approprier certaines connaissances et certains savoirs. Ils sont qualifiés d’experts profanes et leur participation est indispensable à la détermination de la bonne solution.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons effectivement déjà entendu cette proposition dans une autre audition, mais cela ne nous dit pas où sont ces experts profanes et comment les faire participer, au moins pour le moment, dans le cadre du PRSE.

Je vous remercie de vos propositions d’un grand intérêt.

L’audition s’achève à seize heures.

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49.   Audition, ouverte à la presse, de M. André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES) (18 novembre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. M. André Cicolella, chimiste et toxicologue, ancien conseiller scientifique de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) préside le Réseau environnement santé (RSE). Cette association généraliste en santé environnementale a été fondée en 2009. Elle vise à mettre la santé environnementale au cœur du débat et des politiques publiques, en particulier en ce qui concerne l’impact des pollutions et des stress environnementaux sur la santé et les écosystèmes. Nous souhaitons connaître l’appréciation du Réseau environnement santé sur la mise en œuvre des politiques de santé environnementale en France et sur les priorités qui doivent les animer.

(M. André Cicolella prête serment.)

M. André Cicolella, président du Réseau environnement santé. La crise sanitaire actuelle amène à repenser la santé environnementale d’une façon différente de celle qui prévalait voici encore quelques mois. L’enjeu est le lien avec les maladies chroniques. Nous devons poser la santé environnementale comme une réponse à la croissance des maladies chroniques qui constituent une véritable pandémie.

Nous avons communiqué sur le thème « Une pandémie peut en cacher une autre. » Cette pandémie de covid était prévisible puisqu’il s’agit de la maladie X décrite dans un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2018. Elle était alors décrite comme une nouvelle maladie qui émerge, puis se propage rapidement et silencieusement sur la planète. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) avaient déjà donné des indications sur les causes environnementales d’une telle pandémie.

Une publication de février 2018 avançait le concept de « One Health » en suggérant de l’élargir à la prise en compte des maladies chroniques. C’est le constat qu’a fait le directeur de l’OMS Europe dans une tribune publiée dans le Lancet : « La pandémie de covid-19 a eu de nombreux effets sur la santé, révélant la vulnérabilité particulière de ceux qui souffrent d’affections sous-jacentes. La prévention et le contrôle de l’obésité et des maladies non transmissibles sont essentiels pour se préparer à cette menace et aux menaces futures pour la santé publique. »

Le constat fait actuellement par le réseau Sentinelles sur un échantillon représentatif des services de réanimation est que le covid est, certes, une question d’âge, mais surtout d’âge et de comorbidités. Nous trouvons des comorbidités dans 88 % des cas en réanimation et dans 94 % des décès. Ces comorbidités sont principalement l’obésité, l’hypertension, le diabète ainsi que les pathologies cardiaques, pulmonaires, rénales, l’immunodépression et le cancer.

Le constat est identique en Grande-Bretagne dans une très grande étude menée sur plus de 5 000 décès. Elle montre le lien avec l’âge, mais, après ajustement sur l’âge, elle constate un excès de décès en cas de maladies cardiaques, pulmonaires, rénales, de cancer, d’obésité, de démence. Cette étude met de plus en évidence un lien avec la pauvreté et des facteurs ethniques. Nous ne les mesurons pas en France, mais nous pouvons penser qu’ils jouent également un rôle dans notre pays.

Nous constatons en France une croissance des maladies chroniques. D’après le rapport que la caisse nationale envoie chaque année aux députés pour préparer le plan de financement de la sécurité sociale, la prévalence des maladies cardiovasculaires, du diabète et des cancers a été multipliée par 2 entre 2003 et 2017, alors que la population n’a augmenté que de 8 %. Pour les maladies cardiovasculaires et le diabète, nous sommes passés de 3 millions de personnes concernées à 6 millions. Si cette pandémie avait eu lieu en 2003, nous aurions donc eu grosso modo moitié moins de décès. Comme le principal critère pour gérer la crise est l’occupation des lits de réanimation, nous voyons bien la nécessité de nous attaquer au problème sous-jacent de cette croissance des maladies chroniques.

Nous pourrions nous réjouir de l’augmentation des maladies chroniques en disant que le phénomène est provoqué par la diminution de la mortalité. C’est en partie le cas, mais l’autre élément à prendre en considération est la croissance de l’incidence. Le nombre de nouveaux cas ne devrait refléter que l’augmentation de la population. Or, pour les personnes de 60 à 74 ans par exemple, nous constatons bien l’effet du baby-boom avec une augmentation de 37 % de l’effectif de cette population, mais nous constatons aussi une augmentation de 119 % de ces trois pathologies. Même chez les moins 60 ans, le nombre de cas augmente de 50 % alors que la population n’a progressé que de 1 %. Ces chiffres signifient que la progression des maladies chroniques continuera. Nous constatons déjà des progressions de l’ordre de 50 % dans les tranches d’âges les plus jeunes sur une période aussi courte que 2003-2017. Le vieillissement n’est donc pas la seule explication et est même une explication minoritaire. Il se produit une croissance intrinsèque des maladies chroniques et le phénomène doit être lié à la santé environnementale, prise au sens le plus large.

Le rapport de la caisse nationale donne également une projection des dépenses occasionnées par cette croissance des maladies chroniques au niveau national pour le régime général. Une augmentation de 120 milliards d’euros est prévue en 2023 par rapport à 2012. Compte tenu de la tendance, nous ne sommes pas arrivés à un plateau et cette progression continuera si nous n’engageons pas une action construite et sérieuse pour arrêter la progression de ces maladies chroniques. L’enjeu est la saturation du système de soins par cette croissance des maladies chroniques, surtout en période de pandémie.

Une approche régionale est de plus nécessaire. En effet, la tendance générale est la même dans toutes les régions pour ces pathologies, mais il existe des différences régionales, par exemple avec des taux d’obésité différents dans la région parisienne et dans le nord de la France. Il faut faire des diagnostics de santé environnementale dans chaque région et même à l’échelle locale.

Sur l’obésité qui joue un rôle particulier dans cette crise, nous voyons de plus un effet générationnel. La génération née entre 1918 et 1924 a atteint le taux de 10 % d’obèses à 76 ans tandis que la génération née entre 1980 et 1986 a atteint ce taux à 28 ans.

L’étude NutriNet vient de montrer une diminution de 35 % du risque de diabète chez les consommateurs d’aliments biologiques par rapport aux consommateurs d’aliments non biologiques. Ceci montre que notre vision de l’environnement pour comprendre cette épidémie doit intégrer l’alimentation. Nous ne pouvons pas gérer l’alimentation de façon différente de l’environnement et le lien devrait être mieux pris en considération.

L’étude NutriNet constate également un lien entre l’alimentation ultra-transformée et le cancer du sein, les maladies cardiovasculaires, l’asthme, la dépression. Ces grandes maladies sont liées à l’alimentation. D’autres facteurs jouent également, comme les perturbateurs endocriniens.

Vous avez fait référence à notre campagne sur l’interdiction des biberons au bisphénol, un plastique alimentaire contenant une hormone de synthèse. Le vote des députés puis l’extension à l’ensemble de l’Union européenne de cette décision montrent que nous pouvons faire changer la situation, à condition de mettre dans le débat public ces données scientifiques.

Sur l’obésité et les maladies métaboliques, tous les grands perturbateurs endocriniens interviennent : bisphénol A, phtalates, perfluorés. Il existe des substances obésogènes, diabétogènes selon une terminologie créée en 2006 qu’il faut intégrer aujourd’hui dans la réflexion politique car le fondement scientifique est maintenant suffisamment solide.

La répartition régionale de ces pathologies doit être étudiée. L’Île-de-France est la première région de France pour le cancer du sein et la ville de Paris est encore plus impactée. Il existe une différence très marquée notamment avec les Antilles. La France se situe au quatrième rang mondial du point de vue du cancer du sein d’après les données du centre international de recherche contre les cancers. Notre taux est presque deux fois plus élevé que celui des Japonaises et 20 fois plus élevé que celui du Bhoutan. Nous voyons bien que l’environnement au sens le plus global du terme doit expliquer une grande partie de cette différence. Nous pourrions attendre des gains importants de la compréhension de ces phénomènes d’où l’intérêt de la recherche.

Nous avons aussi les données du Cecos de Paris sur la baisse de la qualité du sperme. En 1995, le Cecos de Paris avait déjà montré une diminution de 50 % de la concentration spermatique chez les donneurs de sperme en 17 ans. Au niveau national, l’étude de Santé publique France a rajouté 30 % de baisse et nous en arrivons finalement au fait qu’un homme de 30 ans a perdu deux spermatozoïdes sur trois. Cette réalité varie selon les régions, Toulouse étant la plus impactée. Nous avions d’ailleurs organisé en 2018 un colloque sur le thème « Y aura-t-il encore des petits Occitans en 2040 ? » Effectivement, en prolongeant la courbe, nous arrivons à 0 en 2040. Ma collègue Shanna Swan qui avait fait le rapport sur le sujet pour l’Académie des Sciences aux États-Unis prépare un livre intitulé Compte à rebours pour lequel nous cherchons un éditeur en France. Elle fait ce même calcul que, en 2040, nous arriverons à ce niveau inacceptable. Nous avons toutes les données et nous ne pouvons pas faire l’impasse.

Ces quelques exemples apportent un éclairage du problème. Nous devons repenser la santé environnementale comme une politique prioritaire et non comme une politique sympathique, mais toujours un peu à la marge. Le constat est international. L’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui constitue le plus haut niveau de décision politique, a repris l’objectif défini en septembre 2018 de diminuer de 30 % la mortalité par maladies chroniques d’ici 2030, d’arrêter la progression de l’obésité et du diabète. Ce sont les malades les plus touchés par le covid.

À ma connaissance, aucun pays ne s’est vraiment emparé de ces objectifs et n’a construit de politiques pour y répondre. Il sera très compliqué d’y parvenir, mais le Green Deal de l’Union européenne est un signal d’espoir qui reprend cet objectif de zéro pollution en 2030. Nous sommes particulièrement sensibles à cette proposition puisqu’il a été fait référence dans les documents du Parlement européen à la campagne « Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens » que nous menons pour mobiliser la population sur ce sujet à travers les collectivités locales. Le comité des régions a également pris position.

Voici donc ce que je voulais dire pour préciser la façon dont nous souhaitons que soit abordée la santé environnementale. Il s’agit de répondre à la crise sanitaire dans toutes ses dimensions. Avec la question de la reproduction, l’enjeu est l’avenir même de l’espèce humaine. Le covid pose évidemment la question du lien avec la santé de l’écosystème, avec la biodiversité. Il faut situer cette réflexion dans la crise écologique dans son ensemble et voir la santé environnementale comme un quatrième pilier du développement durable.

Depuis le sommet de Rio en 1992, la définition du développement durable contient environnement, social et économie, mais pas la santé. Nous voyons pourtant que nous ne pouvons pas construire un développement durable sans intégrer la santé. L’une des conséquences de cette crise est donc de faire « monter en grade » la santé au niveau de la crise écologique, comme un quatrième pilier du développement durable. Nous attendons des pouvoirs publics que ce soit traduit en actes politiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cet exposé très synthétique des problématiques. Nous partageons un grand nombre de ces constats.

Ma première question est d’ordre méthodologique. Vous avez dit que le fondement scientifique de ces données est suffisamment établi pour passer aux actes. Or, les politiques se heurtent justement à la difficulté de s’orienter dans les discours des scientifiques et à la façon dont les lobbies traduisent ces connaissances scientifiques. Les politiques ont besoin de s’appuyer sur des connaissances scientifiques, mais il faut que les prises de position soient en harmonie et que nous ayons une certitude absolue.

Nous avons reçu des représentants de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) et de France Chimie qui se sont réfugiés dans des considérations sur les incertitudes scientifiques pour dire qu’ils attendent d’avoir plus d’assurances sur ces données scientifiques pour se sentir concernés. Ils ont notamment parlé de « l’effet cocktail » qui, méthodologiquement, est assez difficile à déterminer et à analyser. Comment pouvons-nous remonter depuis toutes ces données et ces constats que vous avez partagés avec nous pour identifier l’origine de chacun des problèmes puisque « l’effet cocktail » est difficilement quantifiable ?

Quels sont les fils rouges que vous pourriez nous proposer, à nous politiques, pour que nous nous construisions un argumentaire suffisamment solide face à ces prises de position de gens qui n’ont pas intérêt à remettre en question leur production ?

M. André Cicolella. Permettez-moi de rebondir sur cette dernière phrase. Je suis chimiste de formation et j’ai une très haute idée des chimistes. J’ai donc un conflit d’intérêts. Je pense que l’industrie chimique doit se refonder sur un autre modèle. Le modèle de l’après-guerre est dépassé. Nous voyons bien à quoi il a mené.

L’interdiction du perchloréthylène dans les pressings que nous avons obtenue en 2012 a mis fin à quarante années d’utilisation du perchloréthylène. Vous avez remarqué que nous continuons pourtant à nettoyer les vêtements. Savez-vous par quel solvant a été remplacé le perchloréthylène ? Nous l’avons remplacé par un excellent solvant, vieux comme le monde : l’eau. Nous supprimons ainsi un risque de cancer bien avéré pour les travailleurs des pressings ainsi que la contamination de l’eau par le perchloréthylène.

Lorsque nous avons discuté la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, j’avais demandé et obtenu que soit créé un volet « innovation et santé ». Je pense que l’enjeu est là et il faut également repenser nos institutions par rapport à cet enjeu, notamment les centres techniques professionnels. Ces centres sont des créations de l’après-guerre. Ce volet d’innovation devrait faire partie de leurs missions et je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. L’innovation doit être conjuguée avec la santé, car nous ne pouvons pas concevoir une innovation qui se traduise par un impact sanitaire négatif.

Vous évoquez les incertitudes scientifiques. Elles existeront toujours. L’enjeu de recherche est considérable. Nous ne sommes pas armés – mais peu de pays le sont – pour répondre à cet enjeu de la compréhension du lien entre santé et environnement. J’ai par exemple évoqué les disparités en matière de cancer du sein. Il n’existe aucun programme de recherche international sur la question. Il serait tout de même intéressant de comprendre pourquoi le Japon et la France ont une différence très nette alors que ces deux pays ont le même niveau de développement, le Japon étant même encore plus urbain que la France. Quant au Bhoutan, n’en parlons pas ! Pourtant, il faudrait analyser la situation au Bhoutan car un rapport de 1 à 20 n’est vraiment pas négligeable.

Nous plaidons pour la création d’un groupe d’experts type « GIEC » de la santé environnementale. Je pense que la France devrait prendre l’initiative de coordonner les efforts au niveau international pour faire le point sur l’état des connaissances à un moment donné. Qu’avons-nous fait sur le changement climatique ? Nous sommes loin d’avoir tout compris. Nous n’avons pas non plus tout compris sur la biodiversité. Il faut un effort international pour établir un constat faisant consensus de façon très large. Sur le climat, cela a permis de marginaliser les climatosceptiques. Il restera toujours des incertitudes, mais l’existence des incertitudes ne nous condamne pas à ne pas agir. C’est cette logique qui a conduit à l’épidémie mondiale de maladies chroniques. La maison brûle et nous regardons ailleurs actuellement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que proposez-vous concrètement pour protéger les lanceurs d’alerte ? Quelles sont les relations de votre association avec les pouvoirs publics, les ministères, les élus locaux ? Quels sont les outils de communication à votre disposition ? Avez-vous l’objectif d’intégrer une vision politique de la santé environnementale au sein du débat ?

M. André Cicolella. Oui, cela fait bien évidemment partie de nos objectifs en prenant le mot « politique » au sens le plus noble du terme, celui de la gestion de la cité. Nous avons un système de santé construit sur le modèle de l’après-guerre, c’est-à-dire que c’est un système de soins. Nous avons beaucoup progressé parce que les progrès médicaux ont été considérables, mais nous avons eu tendance, petit à petit, à croire que nous allions tout régler par ces progrès médicaux.

Lorsqu’arrive une pandémie telle que celle-ci, nous faisons face, mais nous n’avons pas la solution immédiatement. Il faut traiter le problème en amont. Nous avions autrefois à résoudre des problèmes de baignoire et de robinet. Lorsque nous ne fermons pas le robinet, la baignoire finit par déborder car elle est limitée et nous sommes dans cette phase.

Le système de santé doit reposer sur deux piliers. S’intéresser à la maladie lorsque les gens sont malades et les soigner est bien, c’est un système de soins. Toutefois, il faut aussi s’intéresser à la maladie en amont, c’est-à-dire à la santé environnementale. Il s’agit de repenser la santé publique dans cette optique comme nous l’avions fait au XIXe siècle lorsque nous étions confrontés aux pandémies de grandes maladies infectieuses. Lorsque les gens mouraient massivement du choléra ou de la tuberculose, nous avons transformé les villes. Nous avons ramassé les déchets et je rends hommage au préfet Poubelle. Nous avons réalisé des adductions d’eau, Paris est devenu une ville avec de grandes artères. Nous avons donc transformé l’environnement et fait de la santé environnementale, y compris en éduquant la population dans ce sens, ce qui est une dimension importante. Les droits sociaux ont permis aux gens de mieux maîtriser leur propre environnement. Je pense qu’il faut partir de cet exemple, dans un contexte différent, mais qu’il faut une deuxième révolution de la santé. L’objectif est de refonder notre système de santé, nos institutions de prévention.

Regardez les changements de paradigme d’aujourd’hui. Les perturbateurs endocriniens jouent un rôle, mais le concept de l’origine environnementale de la maladie est un concept plus large. La protection de la grossesse et de la petite enfance est une question centrale aujourd’hui et c’est un changement de paradigme, car la politique de santé publique n’a pas été construite sur cette idée. Elle l’était en 1945, lorsque la protection maternelle et infantile (PMI) a été créée pour faire reculer les maladies infectieuses. Aujourd’hui, votre collègue, Mme Michèle Peyron, a réalisé un rapport pour dire que la PMI est en danger. Cette institution doit être refondée autour de cet enjeu qui est sa raison d’être : la question de la grossesse et de la petite enfance. Nous savons bien que l’action des perturbateurs endocriniens, mais plus largement les stress chimiques, nutritionnels et même psychoaffectifs affectent la santé de l’enfant, du futur adulte et ce, sur plusieurs générations.

Les perturbateurs endocriniens et l’ensemble des stress agissent sur plusieurs générations : nous en avons la preuve scientifique. Il s’agit de savoir comment agir maintenant, sachant qu’une grande partie de nos réglementations reposent sur un paradigme ancien qui est aujourd’hui dépassé. Il faut revoir les règles, compte tenu de la science d’aujourd’hui et il me semble qu’il vaut mieux que la réglementation soit basée sur la science d’aujourd’hui que sur une science datant de 50 ans.

C’est le cas pour l’eau en particulier. Les critères utilisés pour définir l’eau potable sont devenus pour l’essentiel obsolètes. Nous avons fait un colloque sur ce sujet voici deux ans et personne ne nous a contredits. En matière de perturbateurs endocriniens, nous ne pouvons pas juger la qualité de l’eau comme nous le faisions jusqu’à présent. Il faut intégrer un indicateur qui permette de dire ce qu’est une eau potable du point de vue des perturbateurs endocriniens.

Le Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne fait des propositions très précises en matière d’indicateurs biologiques. L’enjeu de la refondation de notre système de santé est aussi de refonder les normes et le fondement scientifique sur lequel elles reposent.

M. Yannick Haury. Au niveau opérationnel, de multiples acteurs et de multiples facteurs interviennent. La santé n’est actuellement pas une compétence bien définie. Elle ne relève pas des régions. Vous avez parlé de la PMI qui relève des départements et certaines communes s’approprient des sujets en contractualisant un contrat local de santé avec l’ARS.

À votre avis, avons-nous des marges de progrès pour agir ?

M. André Cicolella. Nous avons une marge considérable de progrès !

Nous avons actuellement de multiples plans. Prenons le cas par exemple du plan cancer qui est presque une caricature. J’attends le bilan du plan cancer. Certains cancers régressent, mais d’autres progressent comme les cancers hormonodépendants. Les cancers de l’enfant progressent de 1 % par an depuis quarante ans et nous n’arrivons manifestement pas à résoudre ce problème. Nous comptons tout de même 3 000 cas par an.

Côté institutionnel, il faut développer des systèmes de registres qui nous manquent encore assez largement. Il est anormal que nous ayons une différence de 20 % du nombre de cancers entre ce que dit le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) et ce que dit l’Institut national du cancer (INCa), les méthodes n’étant pas les mêmes.

De la même façon, en ce qui concerne le nombre d’obèses en France, l’OMS dit 23 % tandis que Santé publique France dit 15 %. S’il s’agissait d’une différence au troisième chiffre après la virgule, cela n’aurait aucun sens, mais ces différences sont importantes et nécessitent d’être clarifiées.

Nous avons besoin d’un institut de veille environnementale qui rassemble les données de l’environnement et les traite. Nous avons aussi besoin d’un opérateur de recherche en santé environnementale. Regardez la stratégie nationale de recherche dans le programme de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Il s’y trouve un petit paragraphe sur les perturbateurs endocriniens. C’est assez pathétique. La santé environnementale n’apparaît quasiment pas dans ce programme.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons pourtant essayé.

M. André Cicolella. Il faut qu’un acteur politique ordonne tout ce système et soit chargé de cette refondation. Est-ce au niveau ministériel ? Je serais assez favorable à une mission interministérielle. Je crains qu’elle n’ait pas le poids politique pour bousculer les habitudes, mais la période le permet. Si vous ne prenez pas les décisions nécessaires, la prochaine épidémie peut être encore plus violente. Tous doivent prendre cette responsabilité et je pense que la société est mûre pour comprendre cet enjeu. Il faudrait donc avoir un opérateur politique qui ne soit pas purement administratif. Nous sommes bien dans le domaine de la politique au sens le plus noble du terme et nous avons besoin d’une politique de santé environnementale.

Je plaide aussi pour que ces changements se fassent après un débat. Je pense qu’il faut un grand débat national dans la société. Un grand débat a eu lieu après la crise des Gilets jaunes, sur lequel je ne porte pas de jugement, mais cette formule du débat national me semble importante, que ce soit sous la forme d’une conférence de citoyens ou de façon plus décentralisée. Il faut en tout cas faire émerger ces réformes de façon à ce que les réformes institutionnelles soient comprises et qu’elles ne paraissent pas être seulement une histoire technocratique.

Je vois bien l’attente dans la société. J’écrirai la préface du livre sur les parents d’enfants cancéreux de la fédération Grandir sans le cancer. En lisant les témoignages, nous sentons bien l’attente. Je suis en contact également avec des parents d’enfants autistes. L’autisme progresse actuellement à une vitesse incroyable. Les Américains ont un enfant autiste sur 45 et la France n’en est pas très loin. Que faisons-nous ? Pas grand-chose, nous gérons les conséquences.

Il faut que nous rassemblions nos forces, que nous ayons l’outil, une stratégie. Nous avons des objectifs pour 2030 avec le Green Deal qui permet aussi de se positionner.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous voyons votre schéma de pensée. Nous avons bien compris que vous souhaitez une mise à plat de cette problématique, que la société se l’approprie et puisse donner son avis, au-delà des choix politiques faits à l’échelle nationale. Toutefois, nous voyons bien que toutes ces pathologies chroniques sont le produit d’une dynamique pathogène multifactorielle. Par où commencer ?

Je ne vous cache pas que la grande idée de faire un grand débat à l’échelle de la France, peut-être un GIEC à l’échelle internationale, prendra certainement du temps. Quelles sont donc les mesures qui vous sembleraient prioritaires ?

Nous avons bien compris que la protection des futurs citoyens, de la grossesse et de la petite enfance, est pour vous la démarche à porter en urgence.

M. André Cicolella. Nous avons lancé la charte « Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens » parce que cette charte s’adresse aux collectivités locales et, aujourd’hui, un Français sur deux est dans une collectivité locale qui a signé la charte. Six départements et quatre régions l’ont signée. D’autres signatures sont en cours, même si le covid nous freine un peu.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons donc une stratégie territoriale avec cette charte. Avez-vous des retours ? Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette charte et quelles sont les collectivités territoriales qui sont les cibles prioritaires pour protéger la population ?

M. André Cicolella. La charte est une charte d’engagement, ce n’est pas un label. Le premier niveau, peut-être le plus important, est que nous faisons une signature publique, lorsque la collectivité locale signe la charte. Nous en parlons, des articles sont publiés dans la presse locale, régionale et municipale. La dernière signature a eu lieu à Sotteville-lès-Rouen et la mairie avait publié un dossier dans le journal municipal et un article dans la presse spécialisée pour les agents municipaux. Il est déjà très important que chaque citoyen s’approprie ce changement de paradigme, comprenne qu’acheter un shampoing est un acte banal, mais n’est pas banal, si ce shampoing contient des phtalates.

Lorsque nous nous préoccupons des perturbateurs endocriniens, nous nous intéressons à la santé de l’enfant, du futur adulte et de ses descendants. Nous avons des résultats pour la santé de l’enfant, lorsque nous éliminons les sources identifiées, parmi lesquelles les phtalates. Nous avons donc lancé la campagne « Zéro phtalates ».

Les phtalates sont des plastifiants. Les sols en polychlorure de vinyle (PVC) sont composés de 20 à 40 % de phtalates, essentiellement du phtalate de dihexyle (DHP), une substance classée « extrêmement préoccupante » par l’European chemicals agency (ECHA). Nous les remplaçons petit à petit, mais personne ne se soucie vraiment de remplacer tous ces sols en PVC qui sont une source majeure de contamination de l’enfant. Nous avons identifié huit maladies infantiles qui leur sont liées. L’une d’entre elles est l’asthme : une grande étude suédoise notamment montre un taux d’asthme doublé, lorsque le sol de la chambre des parents est en PVC. Cela signifie que nous pourrions diminuer l’asthme de l’enfant d’un facteur 2 en mettant par exemple des sols en caoutchouc naturel. L’hyperactivité, l’obésité, l’hypothyroïdie sont d’autres maladies liées aux phtalates.

Ainsi, en protégeant la grossesse de ce facteur, nous pouvons déjà diminuer toutes ces grandes maladies infantiles que nous savons soigner, mais que nous ne guérissons pas. Nous devons former les professionnels de santé. Une institution s’est créée, qui me semble être le bon lieu pour porter ces questions : ce sont les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). L’ensemble des professionnels de santé s’y trouve, par exemple des orthophonistes dont tout le monde sait qu’ils sont débordés. Toutefois, il est moins connu que nous avons la preuve que la contamination maternelle par des phtalates se traduit par des troubles du langage à l’âge de deux ans. Une action coordonnée et ciblée sur ce type de problème est possible, si les professionnels de santé disposent de la grille de lecture pour agir.

Nous avons le temps d’intervenir, car deux ans est une durée très courte même dans le temps du mandat politique. C’est ce que nous dirons aux candidats aux élections départementales et régionales ainsi qu’aux municipalités : il est possible d’obtenir des résultats, dans le domaine de la santé de l’enfant, dans le temps du mandat politique. Je suis convaincu que nous aurons des résultats car ce n’est pas si compliqué. Par ailleurs, les sols en PVC sont souvent les sols des HLM et le gradient social dans ces maladies infantiles y est lié.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quels sont les leviers d’action majeurs pour accélérer la conscience des méfaits des pesticides sur la santé des citoyens ? Comment améliorer l’action politique pour une meilleure concertation, une meilleure sensibilisation ?

M. André Cicolella. Il faut replacer la question dans le bon contexte. Lorsque nous appelons une substance « pesticide », l’espèce humaine dit que c’est un pesticide en fonction de l’usage qu’elle en fait. Les espèces vivantes ne les reçoivent pas comme des pesticides, mais, principalement, comme des perturbateurs endocriniens, des substances toxiques.

« L’effet cocktail » a été clairement démontré avec un phtalate, deux pesticides et un médicament. Par ailleurs, certains pesticides sont utilisés en agriculture biologique. C’est plutôt le type du pesticide qui pose problème, en fonction de son mode d’action, pas le fait que ce soit un pesticide.

Une réponse au problème est le développement de l’agriculture biologique. La dernière étude NutriNet parue le 9 novembre montre que le fait de consommer biologique diminue de 35 % le risque de diabète. Il faudrait regarder de plus près quelle est l’influence du bio et quelle est l’influence du mode de vie des gens qui mangent bio, mais, incontestablement, manger biologique va dans le bon sens. L’enjeu est l’alimentation ultra-transformée qui provient elle-même de cette agriculture ultra-productiviste. La contamination a lieu lors de la production agricole, du stockage et de la transformation.

Il faut promouvoir l’alimentation biologique, développer un autre modèle agricole que celui qui est actuellement dominant et pose trop de problèmes par ses impacts sanitaires et ses impacts sur l’écosystème. Nous devons nous engager dans la voie de l’agroécologie.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons compris qu’il faudrait selon vous procéder à une véritable révolution de notre notion même de la santé, de notre système de santé. Je ne sais pas si nous pourrons mettre en place le grand soir…

M. André Cicolella. Pas le grand soir, disons des états généraux de la santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelle serait à votre avis la meilleure des gouvernances dans le meilleur des mondes possibles ?

Vous avez beaucoup parlé des actions à l’échelle des territoires et de la ruralité. Comment verriez-vous l’organisation générale de la gouvernance de la santé ? Au niveau du territoire, quel serait le bon niveau de portage ? Parlez-nous aussi de cette proposition d’états généraux développée par le Réseau environnement santé.

M. André Cicolella. Un des enjeux dans cette discussion porte sur les compétences des collectivités locales. Nous voyons bien que le régalien ne peut pas assumer toutes les responsabilités à ce niveau.

Déclarer qu’une substance est un perturbateur endocrinien n’est certes pas une question locale car ce serait assez surprenant qu’une substance soit déclarée perturbatrice en Bretagne, mais pas en Pays de la Loire. Le niveau européen est ici le bon niveau d’ailleurs.

Par contre, les problèmes de santé environnementale ne peuvent pas être gérés de la même façon en Seine-Saint-Denis ou dans les Yvelines. Je fais donc référence aux CPTS, comme premier niveau de prise en charge de la santé environnementale, parce que l’ensemble des professionnels de santé s’y trouve. C’est le lien avec la population au niveau local.

Le niveau départemental est l’enjeu d’institutions comme la PMI. Cette institution doit être refondée autour de ce qui est son objectif historique, mais par rapport aux enjeux sanitaires actuels. Il faut aussi travailler la santé scolaire ; nous ne pouvons pas faire reculer l’obésité infantile et les troubles du comportement sans repenser la santé scolaire.

Un autre enjeu est la santé au travail ; le modèle de la santé au travail date de 1945 en séparant le travail de l’environnement et ce n’est pas pertinent. La période sensible est celle de la grossesse, mais personne ne s’occupe vraiment du fœtus lorsqu’il va sur le lieu de travail. Si le fœtus est impacté par une exposition au travail, il aura du mal à se faire reconnaître en maladie professionnelle. Cela paraît absurde alors que c’est un enjeu. Je pense donc qu’il faut sortir la santé au travail de son ghetto. Les normes en matière de santé au travail peuvent être dans un rapport de 1 000 à 20 000 entre la norme environnementale et la norme professionnelle.

J’imagine personnellement des agences régionales de santé environnementale pour regrouper les moyens, donner plus de pouvoir au niveau régional en lien avec les collectivités locales. Il faut un certain niveau de regroupement pour avoir la compétence technique. Le niveau régional est certainement le bon niveau. Les conseils régionaux auraient un rôle important à jouer. La mise en œuvre se ferait au niveau local avec les CPTS, en lien avec les collectivités locales.

Il faut également développer des métiers nouveaux. Je me flattais d’avoir lancé en 1998 un réseau santé et environnement intérieur pour regrouper tous ceux qui travaillent sur le sujet en France. Je suis passé au journal de TF1 parce que nous avions mis en évidence le fait que l’environnement intérieur était plus pollué que l’environnement extérieur, ce qui est aujourd’hui une banalité. Il faut sortir l’environnement intérieur de sa marginalité ; beaucoup de phénomènes se jouent à ce niveau. La fonction de conseiller médical en environnement intérieur a été créée voici une dizaine d’années et elle doit s’intégrer dans les CPTS pour qu’un professionnel fasse le lien entre les professionnels de santé et la dimension santé environnementale.

Il ne faut pas oublier de définir ce qu’est un professionnel de santé : nous confondons professionnel de santé et professionnel de soin. Pour moi, un ingénieur chimiste est, d’une certaine façon, un professionnel de santé. Il construira un environnement favorable ou défavorable. J’ai fait ce matin une réunion avec les urbanistes de l’école des ingénieurs de la ville de Paris : ils n’ont pas de formation en santé environnementale. Cette vision doit être portée dans toutes les professions. Si les ingénieurs chimistes, qui ont mis au point le polycarbonate à base de bisphénol et étaient très fiers d’avoir inventé un plastique alimentaire pour les biberons, avaient eu quelques connaissances, ils nous auraient évité de faire ce choix.

Je vois les états généraux comme le moment d’une discussion. Il faut les préparer pour savoir de quoi discuter. Il ne faut pas des cahiers de doléances. Il faut que la réflexion et les attentes de la population se soient manifestées dans des rencontres assez décentralisées et que l’ensemble se traduise en objectifs institutionnels et politiques. J’ai par exemple évoqué un opérateur dédié à la recherche en santé environnementale qui serait en fait la transformation de l’Initiative française pour la recherche en environnement-santé (IFRES). L’IFRES est actuellement une coordination des alliances, mais il faudrait un véritable opérateur chargé de la recherche en santé environnementale, de coordonner et de lancer des programmes par exemple sur l’exposome, avec un financement adapté.

Nous avons un programme de recherche sur les perturbateurs endocriniens qui n’est pas financé d’une année sur l’autre. Ce n’est pas possible ! Une stratégie de recherche se construit sur le moyen terme, à l’échéance de cinq à dix ans. Nous ne pouvons pas douter aujourd’hui de la nécessité de le faire. Nous ne pouvons pas prendre une décision politique qui risque d’être remise en cause d’une année sur l’autre.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelles sont les premières réactions du Réseau environnement santé à la lecture du projet de document du PNSE 4 ?

M. André Cicolella. Comme son nom l’indique, le PNSE 4 vient après les trois premiers PNSE. La démarche logique consiste à faire le bilan de ces PNSE. Je pense que la forme choisie pouvait se comprendre à une époque où il fallait faire l’état des lieux et rassembler tout ce que nous pouvions trouver sur le sujet. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une démarche structurée différemment. Le PNSE 4 est un catalogue. Toute action de ce catalogue est intéressante, mais nous n’avons pas d’indicateurs.

Quel bilan avons-nous fait du PNSE 3 ? Comme l’ont dit les inspections générales ou le Haut Comité de la santé publique, il faut une autre logique. Je pense que l’enjeu est d’avoir une réflexion institutionnelle pour refonder la santé environnementale autour d’un enjeu prioritaire qui est la protection de la grossesse et de la petite enfance. C’est l’état de la science aujourd’hui et nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les connaissances que nous avons maintenant.

La dimension institutionnelle est totalement absente dans le PNSE. Une institution comme la PMI qui doit être centrale n’est pas évoquée. Le pouvoir des collectivités locales en matière de santé environnementale n’est pas évoqué alors que c’est un vecteur extrêmement important de prise de conscience, d’actions et de résultats. Je pense que ces points devraient faire partie des états généraux, mais il faut une expression la plus large possible.

Nous ne pouvons pas réunir 300 000 personnes sur la place de la Concorde. Il faut synthétiser et nous nous enrichirons de ces débats. Je ne prétends pas avoir réponse à tout et nous nous enrichirons des attentes des différentes composantes de notre société. Je pense que l’attente est très forte et qu’une annonce politique forte dans ce domaine sera comprise de la population. Je ne crois pas que les gens iront sur les ronds-points pour contester une politique de santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Une catégorie qui risque d’être sur les ronds-points pour contester est celle des agriculteurs !

M. André Cicolella. Ils sont eux-mêmes victimes de leur propre modèle. Regardez par exemple la répartition de la maladie de Parkinson. C’est compliqué de sortir de ce modèle, mais ce n’est pas possible de continuer à travailler dans des conditions comme les leurs. Il existe des solutions de remplacement. Il faudra du temps, mais les viticulteurs qui font du vin bio par exemple s’en sortent très bien et sont très contents. C’est la production qui progresse le plus, tout le monde apprécie et ce n’est pas forcément beaucoup plus cher.

Il existe un modèle vertueux qu’il faut faire émerger et qui donnera satisfaction même à l’industrie chimique. Je reste en contact avec ce milieu que je connais. J’y vois des gens qui ont envie de construire des procédés innovants dans ce domaine. Nous ne sommes pas obligés de penser la chimie comme nous la pensions dans l’après-guerre. Nous faisons aussi évoluer l’énergie, la voiture… en tenant compte des enjeux écologiques.

Dans les pressings, le procédé à l’eau a remplacé le perchloréthylène. C’est formidable !

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je ne sais pas si les fabricants de perchloréthylène ont été tellement ravis de perdre ces marchés pour un produit nettement moins cher.

M. André Cicolella. Il se produit des ajustements, bien sûr.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons reçu les représentants de France Chimie et nous n’avons pas eu l’impression d’une véritable volonté de progresser. Leur réaction était de dire qu’ils appliquaient la réglementation, mais peut-être existe-t-il des courants internes.

M. André Cicolella. C’est évident et la formation dans les écoles d’ingénieur évolue. De jeunes ingénieurs font le choix de ne pas travailler dans une entreprise qui ne contribue pas à la lutte contre le réchauffement climatique. La pétition a réuni 30 000 personnes ce qui est rarissime dans ce milieu.

L’image de la chimie est très abîmée, mais elle peut être refondée. J’ai l’habitude de dire que la chimie est le problème, mais qu’elle est aussi la solution.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous terminons sur cette parole positive à laquelle nous ne souhaitons qu’adhérer, en espérant qu’elle se confirmera assez vite. Nous vous remercions pour cet échange très instructif. Je pense que vous officialiserez votre position concernant le PNSE 4 et ferez des propositions constructives qui pourront faire évoluer la façon d’aborder la santé environnementale.

L’audition s’achève à dix-sept heures cinq.

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50.   Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France (ASEF) (18 novembre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. M. Pierre Souvet, médecin cardiologue dans les Bouches-du-Rhône, est président et cofondateur de l’Association santé environnement France (ASEF). Celle-ci est exclusivement composée de professionnels de santé. Elle a été fondée en 2008 pour les informer, ainsi que les patients et les entreprises, sur l’impact des polluants pour la santé. L’association dispose d’antennes locales, notamment dans le Grand Est, le Grand Ouest, le Sud-Ouest et la Martinique. Nous sommes intéressés par l’appréciation de l’ASEF quant à la mise en œuvre des politiques de santé environnementale en France et les priorités qui doivent les animer.

(M. Pierre Souvet prête serment.)

M. Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France (ASEF). L’ASEF a été créée autour de l’Étang de Berre. Tous les matins, lorsque j’arrivais, je voyais cette nappe de pollution dans ce secteur extrêmement industriel qui compte 24 usines Seveso. Cela m’a sensibilisé au problème qui était alors pourtant nié par la population, les élus et les personnes qui surveillaient la santé dans le secteur. Avec quelques amis médecins, un soir, nous avons pensé qu’il était temps d’essayer d’agir. Le territoire de l’Étang de Berre a « bougé » avec la création de l’association Provence.

Lorsqu’une étude a montré que les poissons du Rhône étaient imprégnés de polychlorobiphényles (PCB), leur consommation a été interdite, mais personne ne s’intéressait aux gens qui mangeaient ces poissons. Avec l’aide et le financement du World wide fund for nature (WWF), nous avons alors dosé les PCB chez 60 plus ou moins gros mangeurs de poissons du Rhône et un groupe témoin. Nous nous étions basés sur une étude de la contamination du lac Michigan aux États-Unis. Nous avons effectivement trouvé que les gros consommateurs de poissons étaient plus imprégnés de PCB. Ces PCB sont extrêmement toxiques et cancérogènes. La première frustration a alors été qu’il ne s’est rien passé pour les populations. Elles n’ont pas été plus surveillées. Quelques recommandations ont simplement été émises, par exemple de ne pas manger les anguilles, les gros poissons prédateurs des rivières, notamment du Rhône. Cela s’est arrêté là.

Nous avions déjà une première vision de l’impact sur la santé, de ce lien intime. Nous sommes alliés avec France nature environnement (FNE), Humanité et biodiversité et la Fédération des syndicats vétérinaires pour avoir cette vision globale de la santé.

Dans le futur plan national santé-environnement (PNSE 4) doit être créé un groupe de santé « One Health », plutôt que d’avoir, dans chaque item du PNSE 4, quelques actions dispersées, une sur les zoonoses, une sur les biocides… Tout est regroupé : ces sujets sont éminemment complémentaires et nécessitent une vision globale.

Notre association milite pour une vision globale de l’individu et nous avons commencé par informer les gens sur les risques environnementaux. Il existait des publications dans les pays anglo-saxons mais très peu en France. Il fallait faire l’effort d’aller chercher dans les publications internationales, beaucoup aux États-Unis, en Chine également et dans les pays anglo-saxons, pour montrer que l’environnement est important pour notre santé et fait partie de la santé publique.

Notre association comporte des professionnels de terrain, parfois retraités, tels que médecins, sages-femmes, kinésithérapeutes. Nous connaissons bien les facteurs de risques tels que tabac, alcool et nutrition sur lesquels sont basés les plans de santé actuels, mais nous sommes dans le flou le plus total en ce qui concerne les autres facteurs de risques environnementaux, puisqu’aucune formation digne de ce nom n’est dispensée, alors que nous sommes tous contaminés.

Selon les chiffres de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), la France est dix-huitième pour la prévention avec un budget de 1 à 2 %, insuffisant pour faire de la prévention en ce qui concerne les problèmes de santé qui nous oppressent. Nous sommes donc très bons pour le soin, très bons pour le cholestérol, mais très mauvais pour les facteurs environnementaux.

L’enjeu est sanitaire et financier. L’impact est estimé à 100 000 décès par an avec une épidémie de maladies chroniques comme le dit le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport de 2019. Nous avons 20 millions de cas de maladies chroniques. Il ne faut pas confondre les 10 millions d’affections de longue durée (ALD) et les maladies chroniques. Elles ont des conséquences pour le patient et la société tout au long de la pathologie. Les moyens que nous avons pour lutter ne sont pas adaptés à ces enjeux énormes.

Une projection de la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) pour 2023 prévoit que le nombre de maladies chroniques augmente de 500 000. De 2012 à 2018, nous sommes passés de 123 milliards d’euros de dépenses à 142 milliards d’euros sachant que le prix des médicaments a baissé entre-temps. L’avenir financier de notre sécurité sociale est donc en danger. Il est prévu que les maladies cardio-neuro-vasculaires continueront à augmenter : 638 000 nouveaux cas entre 2018 et 2023. La CNAM prévoit 232 000 nouveaux cancers. Le facteur démographique intervient bien entendu, mais il ne suffit pas à expliquer ce bond extrêmement important.

Quelques pathologies devraient diminuer mais je ne sais pas si cette prévision restera valable après la crise du covid. Les traitements psychotropes devraient diminuer mais, vu notre état et celui de la patientèle, je ne sais pas si cette projection sera vérifiée. Les frais de maternité devraient diminuer mais il est de plus en plus difficile d’avoir des enfants. La quantité de sperme baisse de 1,9 % par an et les spermatozoïdes sont de moins en moins vigoureux. Une grosse étude suisse a démontré qu’un tiers seulement des spermatozoïdes sont en bonne forme. L’enjeu humain et financier est considérable.

D’après un rapport du Sénat de 2015, la pollution de l’air coûte 100 milliards, dont 20 milliards pour la pollution de l’air intérieur. Nous avions décidé dans les groupes de travail du PNSE que l’air intérieur était un élément majeur, dans une vision globale de la santé, puisque l’air extérieur participe pour près de 50 % à la charge de maladies dues à l’air intérieur, notamment avec les particules fines. Nous ne pouvons pas séparer les deux. Il faut avoir une vision globale et la crise du covid le montre encore plus.

Le journal d’endocrinologie Journal of clinical endocrinology & metabolism estime à 157 milliards d’euros le coût au niveau européen des perturbateurs endocriniens. L’OMS estime que les démences coûtent, au niveau mondial, 604 milliards. Nous comptons actuellement en France 900 000 cas de maladie d’Alzheimer, avec 225 000 nouveaux cas tous les ans. Le nombre de maladies d’Alzheimer devrait doubler en vingt ans. Les personnes âgées ne sont pas les seules concernées puisque 65 000 personnes de moins de 65 ans sont malades. L’enjeu neurologique est donc considérable.

En ce qui concerne les données, nous avons dans certains départements des registres cancer. Nous avons envoyé en 2019 à Mme Agnès Buzyn, ministre de la Santé, une lettre commune avec le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) pour réclamer des registres généralisés et territoriaux. Elle répond que « l’Institut national du cancer (INCa) n’utilise pas ces données aux fins de surveillance, entendue comme processus de collecte systématique des données, de leur analyse, de leur interprétation, et à des fins d’action. Il est à noter que les registres, de par leur nature, ne sont pas des outils d’alerte ; les registres ne sont pas organisés pour cela et encore moins pour s’intégrer dans un dispositif de surveillance ou de veille sanitaire. » Ce sont donc des photographies qui ne servent ni à alerter ni à agir.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. À quoi servent-ils ? Nous pouvons nous le demander.

M. Pierre Souvet. Comment faire une politique publique ou de recherche sans données épidémiologiques territoriales ?

Sur 29 pays, 21 pays ont des registres complets et les huit qui n’en ont pas progressent, notamment le Portugal et les Pays-Bas. Il faut disposer de ces données pour réduire les inégalités de santé. Ces données ne doivent pas être seulement départementales, mais territoriales. Nous parlons beaucoup des régions et des départements pour les compétences mais le problème est différent entre la zone de l’Étang de Berre et la zone de La Ciotat. Il faut vraiment cibler les territoires qui ont des spécificités. Cela ne me gênerait pas que les départements des Basses-Alpes et des Hautes-Alpes aient le même registre puisqu’ils ont à peu près les mêmes caractéristiques. Il faut une vision territoriale qui tienne compte des spécificités des territoires. Toutefois, sans données, l’action n’est pas possible.

Prenons l’exemple de la qualité de l’air. D’après Santé publique France, les particules fines causent 48 000 morts et ce sont maintenant les ultrafines qui poseront problème car elles pénètrent encore plus, sont encore plus inflammatoires et touchent notamment le cerveau. Il existe d’ailleurs un lien entre la pollution de l’air et la maladie d’Alzheimer. D’après la Société européenne de cardiologie, la qualité de l’air est liée à 67 000 morts.

Le débat porte aussi sur les normes. Cela ne me gêne pas de faire des normes, en les élargissant à certains hydrocarbures aromatiques. La valeur réglementaire sur les particules fines inférieures à 2,5 micromètres en France est actuellement de 25 microgrammes par mètre cube. Aux États-Unis, la norme est depuis un certain temps à 12 microgrammes par mètre cube et au Canada, la norme est à 10 microgrammes avec un objectif à 8,8 microgrammes. La valeur de qualité retenue par l’OMS est 10 microgrammes par mètre cube.

Nous disons 25 microgrammes en France parce que nous ne sommes pas capables de faire plus. C’est le même phénomène que lors de la création des « métabolites non pertinents » dans l’eau potable. Voici un an et demi, il a été décidé de créer des métabolites non pertinents, qui sont en effet moins agressifs que les métabolites pertinents puisqu’ils ne gardent qu’une activité pesticide inférieure à 50 % de celle de la molécule mère. L’industrie voulait multiplier par 90 le taux autorisé dans l’eau potable de ces métabolites non pertinents. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a répondu qu’ils sont en effet moins pesticides mais que nous ne pouvons pas répondre sur l’effet perturbateur endocrinien et « l’effet cocktail » par manque d’études. Le Gouvernement a alors, par l’intermédiaire des agences régionales de santé (ARS), multiplié par 9 le taux autorisé dans l’eau potable de ces métabolites, en plus des métabolites classiques. J’en ai compris la raison : avec le changement climatique, les captages risquent d’être insuffisants et la concentration de pesticides et de métabolites de pesticides risque d’être trop élevée.

Il faut lutter contre ces idées qui nous ont paru assez incroyables. Nous ne sommes que des bénévoles et perdre autant d’énergie avec de telles décisions de prospective est difficile pour nous.

Est-il possible de réduire la pollution en agissant ? À Tokyo, le diesel a été interdit en ville en 2000. Cette interdiction diminue le nombre de particules. Il faut toutefois une vision globale car le problème ne concerne pas que le trafic mais aussi les feux de cheminée, les épandages agricoles. La création de particules fines secondaires peut être fortement réduite en épandant au bon moment. Nous avons vu pendant le covid que la réduction des particules fines n’a pas été extrêmement importante du fait des particules secondaires liées aux épandages. Il faut aussi savoir que la composition des particules joue. Celles issues du trafic sont extrêmement toxiques et classées cancérogènes à cause des hydrocarbures aromatiques.

Tokyo a interdit le diesel en 2000 et Osaka en 2006. Tokyo a ainsi diminué les particules fines de 44 %. Les oxydes d’azote n’ont pas beaucoup baissé. Les chiffres de mortalité sont incroyables. La mortalité toutes causes confondues a diminué de 6 %, la mortalité cardiovasculaire de 11 %, la mortalité par infarctus de 10 %, la mortalité par accident vasculaire cérébral de 6,2 %, la mortalité par maladie pulmonaire de 22 %, la mortalité par cancer du poumon de 4,9 %. Ces chiffres ne comptent que les morts et nous constatons donc une diminution colossale en termes d’évènements. Ainsi, agir fermement marche ! En ce qui concerne le covid, nous savons maintenant qu’il existe un lien entre la mortalité et la pollution de l’air.

De nombreuses substances sont susceptibles de favoriser l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, en particulier en modifiant la lipogenèse. L’expérience a été faite avec des souris qui, dès le cinquième jour après la naissance, ont été nourries toutes de la même façon, ont fait la même quantité d’exercice physique mais certaines ont reçu du distilbène qui est une molécule très proche du bisphénol A. Ces souris sont devenues obèses car la maturation des adipocytes a été différente. Dans cette étude, il a aussi été testé de faire des injections prénatales de distilbène et le résultat a été le même. Pour vous faire comprendre la complexité du problème, il faut savoir que les souris qui subissaient en prénatal l’injection d’une grosse dose naissaient plus maigres que les autres et devenaient obèses ensuite. Celles qui recevaient une petite dose pendant la grossesse naissaient plus grosses et devenaient plus grosses. L’influence des perturbateurs endocriniens est frappante dans cet exemple.

Les normes réglementaires ne sont plus adaptées du tout. Cela ne me gêne pas que des normes existent sur l’air mais c’est beaucoup plus compliqué avec les produits chimiques. Je vous ai déjà parlé des effets en fonction de la dose mais nous ne mangeons pas que du bisphénol. Nous absorbons des centaines de produits chimiques et nous sommes tous contaminés comme le montre l’étude Esteban en France.

Ne jetons malgré tout pas toutes les normes et voyons la qualité de l’air intérieur avec les étiquettes A+ des produits. Nous prenons en compte en France environ 10 composés organiques volatils (COV) tandis que la Belgique en prend en compte plus de 200. Il faut donc élargir notre liste et, pour l’air extérieur, il faut même élargir notre norme aux hydrocarbures. L’étiquetage des émissions des produits dans l’air intérieur doit être plus solide : aucun contrôle n’est fait de la véracité des déclarations des industriels sur l’étiquetage. Ceci favorise les tricheurs et défavorise les vertueux, ce qui est tout de même un comble ! Il faut faire des contrôles comme c’est le cas en Belgique avec des contrôles inopinés, indépendants. Une étude de l’Institut national de la consommation avait montré que, sur 20 peintures à l’eau étiquetées A+, trois dépassaient la valeur A+ après trois jours dont une de plus de 8 fois et 6 peintures sur 20 ne valaient pas A+ après 28 jours.

Nous en avons beaucoup parlé dans les groupes de travail du PNSE 4 et nous avons dit qu’il fallait contrôler. Cette demande a disparu dans la dernière version du PNSE 4 rendue publique voici un mois. Il faut des moyens de contrôle et des sanctions évidemment.

Je fais la même remarque pour les nanoparticules. Aux États généraux de l’alimentation, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a fait dix-huit contrôles pour savoir si l’affichage nano obligatoire sur les produits cosmétiques était correct. Dix-sept produits sur dix-huit contenaient des nanoparticules mais ne l’affichaient pas. Le cadre réglementaire a donc son utilité mais nous pouvons être plus « agressifs » pour la protection de la santé.

S’agissant de la formation, j’ai repris les actions des PNSE 1, 2, 3 et 4. Dans le PNSE 1, il était prévu d’intégrer la dimension santé-environnement dans la formation initiale. Dans le PNSE 2, il est dit que le développement d’une formation initiale et la formation continue permettront de former les spécialistes. Dans le PNSE 3, il n’est plus prévu de former, mais d’analyser les programmes de formation. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) ont bien montré que les formations restent tout à fait sporadiques, avec par exemple à Strasbourg une excellente formation pour 25 étudiants. Dans le PNSE 4, il est écrit que les universités et écoles seront incitées à organiser des formations. Comment voulez-vous informer et former la population si les premiers relais ne sont pas eux-mêmes formés ? Il faut former les personnels de santé et tous les acteurs locaux, tels que les aménageurs, les architectes, les urbanistes.

Depuis le premier PNSE en 2004, il ne s’est quasiment rien passé, à part quelques actions de personnes particulièrement engagées qui ont essayé de faire connaître le problème, comme notre association avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS) par exemple.

Ainsi, j’ai fait une formation à 21 internes et je leur ai demandé à la fin s’ils avaient trouvé cette soirée intéressante. Ils ont tous répondu affirmativement. Sur les 21 internes, 15 avaient déjà été sensibilisés aux perturbateurs endocriniens par les journaux en particulier, mais un seul a jugé suffisante sa formation initiale sur le sujet. Seuls trois se jugeaient capables de conseiller correctement leurs patients sur les perturbateurs endocriniens.

L’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) et l’Intersyndicale des internes en médecine générale (INSNAR-IMG) nous ont demandé de les sensibiliser au sujet. Il est tout de même incroyable que les étudiants s’adressent à une association qui a peu de moyens pour les sensibiliser. C’est dire le manque criant de formation. Il faut arriver à créer des modules de formation à l’université.

Le gros défaut du PNSE 4 est l’absence d’agenda pour les outils. Nous sommes prêts à concevoir le référentiel avec les autorités savantes compétentes et à créer les outils pour que ces modules de formation puissent être introduits dès la rentrée 2022 pour tous les professionnels de santé.

La gouvernance est un problème majeur, particulièrement pour moi qui paie mon transport pour Paris à chaque Groupe santé-environnement (GSE). Je ne sais même pas, Mme la présidente, si vos frais de transport sont pris en charge, puisque ces frais n’existent pas !

Grâce à notre alliance avec les vétérinaires, nous avons eu un entretien avec les conseillers du ministre de l’Agriculture. Le ministère de l’Agriculture doit évidemment faire partie de la gouvernance car tout est transversal en santé-environnement. Il faut institutionnaliser cette transversalité, peut-être par un Parlement santé-environnement.

Personnellement, je changerais le nom du PNSE et je l’appellerais le plan stratégique national santé-environnement. Il faudrait être capable, grâce à ce Parlement, de vérifier tous les plans sectoriels. Il est incroyable que le PNSE 4 ne contienne rien sur les pesticides, sur les perturbateurs endocriniens. Ce plan stratégique et ce Parlement doivent permettre de vérifier que tout est cohérent dans les plans sectoriels. Il existe souvent des redites, des manques de complémentarité.

Nous voulions une action massive chez les environ 800 000 familles qui, chaque année, ont un enfant, ce qui concerne donc environ 3 millions de personnes, afin que soit organisée une sensibilisation à la santé-environnement pendant la grossesse. Le PNSE 4 propose des visites d’une sage-femme après la grossesse. Cela existe déjà avec une visite d’environ 45 minutes pendant laquelle la sage-femme regarde si des moisissures sont présentes dans le logement, interroge sur l’alimentation du bébé, l’allaitement… Cette visite est payée 45 euros, avec 5 à 10 euros de frais de déplacement. Je pense qu’il serait mieux d’avoir une visite plus tôt, en pré-conceptionnel ou pendant la grossesse.

Il existe une consultation de prévention des sages-femmes, d’environ 45 minutes, payée 30 euros. Pour introduire l’aspect santé-environnement, pour lequel les sages-femmes sont très motivées, il devient compliqué de tout aborder en 45 minutes et de ne pas mieux valoriser. Il faut donc élargir cette consultation, la rendre obligatoire, car nombre de personnes, notamment celles en difficulté sociale, soit n’acceptent pas que la sage-femme vienne chez eux après l’accouchement, soit ne se présentent pas à cette consultation de prévention. Il faut donc que les sages-femmes soient mieux formées, que la consultation soit obligatoire et revalorisée et que cet aspect santé environnement soit introduit.

Il faut des indicateurs ce qui est compliqué car, sur beaucoup de sujets comme l’obésité ou le cancer, il faut travailler à long terme. Remarquez toutefois que la pollution de l’air peut être étudiée à court terme. Il n’a fallu que six ans à Tokyo pour réduire drastiquement la mortalité.

Il faut une évaluation annuelle. Pourquoi attendre que l’IGAS et le CGEDD soient missionnés quatre ans après ? Tous les ans, ce Parlement peut se saisir de la question et étudier où nous en sommes. Le ministère de l’Agriculture ne savait par exemple même pas qu’il était pilote de l’une des actions du PNSE 3 ! Ce Parlement aurait pour mission de voir ce qui a été fait, d’inciter ceux qui ne bougent pas à le faire et de coordonner les actions.

S’agissant de la gouvernance territoriale, il faut prendre des territoires qui ont suffisamment de poids pour agir. Il faut qu’ils aient des données, des indicateurs sanitaires, environnementaux et sociaux. Il ne faut pas oublier le social car ces problèmes se cumulent en général. Enfin, si la compétence est aux territoires, il faut qu’ils soient obligés d’agir et ne se défaussent pas sur l’ARS.

En attendant que vous fassiez changer la loi, les contrats locaux de santé existent et il faut introduire les diagnostics et les plans dedans. En donnant une formation et des données à ceux qui connaissent le terrain, ils peuvent agir ce qui apporte des bénéfices sanitaires, environnementaux, financiers et d’attractivité des territoires. Ce dernier point fera extrêmement plaisir aux responsables des territoires.

Enfin, nous avons édité des guides sur la façon de protéger les patients de la contamination chimique et des perturbateurs endocriniens.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons avec cette excellente présentation fait le tour de tous les problèmes.

Je reviens au fonctionnement de votre association. Où trouvez-vous votre expertise ? Quels types d’experts sont réunis au sein de l’ASEF ? Comment travaillez-vous avec les autres acteurs de la société civile ? Comment vous coordonnez-vous au niveau des plans régionaux santé-environnement (PRSE) avec les actions locales ? Comment vous intégrez-vous dans la dynamique territoriale ?

Comment faire en sorte que la société civile soit représentée, qu’elle puisse donner son avis et participer ? Quel est votre jugement sur les agences ? Travaillez-vous avec les agences, avec les ARS, avec les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ? Quels sont les territoires qui ont assez de poids pour faire de la santé environnement ?

Comment votre association parvient-elle à s’imposer, avec son expertise, dans la discussion territoriale et la gouvernance territoriale ?

M. Pierre Souvet. Nous ne nous qualifions pas comme experts. Nous sommes des médecins, des praticiens et nous essayons de donner des conseils de prévention à nos patients. Ce que nous préconisons résulte de la lecture d’études internationales avec toujours un esprit critique. Nous avons par exemple conçu un petit livret Les gestes écoresponsables du covid sorti au mois de juillet en reprenant les gestes barrières et en disant d’aérer le plus possible. Le problème étant vraiment dans les lieux clos, j’aimerais beaucoup que l’aération soit plus mise en valeur dans les campagnes d’information du public comme les autres gestes barrières. Nous ne sommes pas des experts mais de simples lecteurs. Nous avons fait quelques études, en particulier sur l’air dans les crèches avec l’École des Mines de Douai. Nous avions trouvé des contaminations dans l’air des crèches qui avaient conduit le Gouvernement de l’époque à faire des préconisations sur le ciblage des lieux qui reçoivent un public sensible.

La difficulté de l’articulation avec les PRSE est que nous sommes une petite association. Nous avons peu de financements, une seule employée actuellement. Il faut aller fouiller dans les actions des PRSE pour trouver celles dans lesquelles nous pouvons nous intégrer. Ce n’est pas facile. Nous avons fait une action avec l’ARS Grand Est portant sur des formations pour les professionnels de santé sur la pollution de l’air. L’ARS nous a financés et nous avons conçu des formations en ligne ouvertes à tous (massive open online course MOOC) en ce qui concerne la pollution de l’air. Elles seront diffusées en formation continue ainsi que sur le site, en étant accessibles à tous. Ce procédé permet de résoudre un problème classique en formation continue : le médecin formateur est certes indemnisé ce qui est très bien mais, souvent, trop peu de personnes sont présentes au cours. La difficulté pratique pour notre association est donc d’aller fouiller dans tous les PRSE et de faire des projets parce que nous ne sommes pas assez puissants.

L’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) est extrêmement active, mais ce n’est pas le cas de toutes les agences. Nous avons proposé à l’ARS de la région de Nantes de diffuser notre petit guide conçu avec l’ARS et l’URPS dans le cluster de Sainte-Pazanne. L’ARS a refusé en invoquant sa liberté d’agir à sa manière sans se préoccuper l’ARS PACA. Il faut donc certes une territorialisation mais il faut aussi une boîte à outils pour que chacun ne refasse pas ce qu’un autre a déjà fait, dès lors que le travail est de qualité. L’intérêt de chaque ARS pour la santé environnementale dépend beaucoup des personnes qui sont sur place et des moyens. Je crois qu’en PACA, vingt personnes se consacraient à la santé-environnement, mais ils ne sont plus que sept. Les moyens ne sont pas corrélés aux enjeux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre association a publié un livret extrêmement simple, lisible par n’importe qui, sur les gestes à faire ou à éviter pour la prévention, face aux perturbateurs endocriniens, pendant la période de la maternité. Vous nous aviez déjà présenté ce livret très bien fait et il vient compléter le site « Agir pour bébé » de Santé publique France. Avez-vous pu contacter des personnes de Santé publique France pour valoriser cette démarche et faire en sorte qu’elle soit diffusée nationalement ?

M. Pierre Souvet. En effet, ni l’ARS PACA ni l’URPS n’ont réussi à nouer des contacts avec Santé publique France pour que nous portions ensemble à la fois « Agir pour bébé » et le livret.

Le projet d’une application susceptible de renseigner les gens sur la pollution de l’air m’a été présenté car les responsables cherchaient des relais. J’ai répondu qu’il fallait impliquer les acteurs territoriaux, qu’il faut vraiment une association entre les pouvoirs publics et les gens de terrain. Il faut dépasser le principe du « chacun dans son coin », car le message passe avant tout. Il faut que les associations s’allient entre elles et avec les organismes d’État. Cela ne nous aurait pas gênés d’intervenir avec « Agir pour bébé » mais chacun reste dans son « silo », un peu comme les ministères, quitte à faire des redites.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Une conscience collective commence-t-elle à s’imprégner de l’importance de la prévention des maladies, par exemple dans la vie quotidienne ? La prise de conscience de la population est bien entamée mais quels progrès reste-t-il à faire ? Des efforts plus conséquents seraient-ils à fournir à destination de la société civile ou des politiques pour prendre conscience du concept « One Health » ? Il relie la santé humaine, animale et la santé des écosystèmes ce qui nous permettrait de mieux préparer les défis sanitaires de demain. Quel est votre rôle, en tant qu’association, dans cette transmission d’informations ?

M. Pierre Souvet. Il paraît de plus en plus d’articles sur ces sujets et la population en prend donc conscience. Nous le voyons sur le terrain, d’autant plus que c’est un carnage en ce moment. Nous avons des questions du type : « Pourquoi ai-je eu un cancer ? », « Pourquoi j’ai eu ça ? ». Parfois, ils ne fument pas, mais ils ont d’autres facteurs de risque, notamment des facteurs environnementaux. La population commence à prendre conscience de ces questions.

C’est plus difficile dans les milieux défavorisés où beaucoup continuent à faire n’importe quoi. C’est pourquoi rendre obligatoire une consultation de prévention pendant la grossesse peut être un élément important pour les populations en difficulté.

Il faut des relais auprès de la société civile pour donner les bons conseils. Ces relais peuvent être les professionnels de santé, s’ils sont formés. Le service national sanitaire bute sur cette même nécessité de former les personnes. J’ai discuté avec l’URPS à propos des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sont précisément conseillées par l’URPS. L’élément essentiel des CPTS est l’organisation de l’offre de soins, mais il existe aussi un aspect prévention. Chaque CPTS doit choisir, selon le type de population de son territoire, quelles actions privilégier. Si la population est plutôt jeune, elle peut privilégier les actions sur les perturbateurs endocriniens. Dans la région de Fos, elle privilégiera la pollution de l’air. Toutefois, la difficulté tient au constat que les cinq chargés de mission par département qui vont sensibiliser les médecins n’ont pas cette idée en tête. Il faut donc les former eux aussi, tout comme il faut former les acteurs territoriaux. Il existe toute une chaîne de dispensation des bonnes idées et il faut former tous les intervenants. Les professionnels de santé ont un rôle particulier parce qu’ils possèdent encore la confiance des gens. La CPTS est un bon outil parce que le patient voit plus le pharmacien et l’infirmière que le médecin. Ils doivent aussi être formés mais, tant que cette formation ne sera pas faite, les gens ne seront pas sensibilisés alors qu’ils posent de plus en plus de questions. Personne ne me croyait lorsque j’en parlais voici dix ans, maintenant ce sont les personnes elles-mêmes qui viennent me parler d’un rejet d’usine et me dire qu’ils ne vont pas bien.

Pour expliquer « One Health », je raconte l’histoire des vautours en Inde. Les vautours ont été décimés parce que du diclofénac a été prescrit à 10 % des vaches pour leurs rhumatismes, puisque les vaches sont soignées en Inde. Ce produit détruit les reins des vautours qui servaient à nettoyer les vaches mortes autour de la route. Du coup, les chiens errants ont proliféré, la rage a proliféré et nous avons maintenant 30 000 morts de la rage en Inde. Les conséquences financières et sanitaires sont importantes. Il a fallu vacciner les chiens, les gens, enlever les carcasses. De plus, les gens qui récupéraient les os bien nettoyés par les vautours pour les broyer et en faire du fertilisant ont perdu leur travail. Enfin, sur le plan culturel, le vautour représentait le lien avec le ciel et ils ont perdu ce lien culturel. Ce médicament a donc eu un énorme effet sanitaire en cascade.

De même, plus la biodiversité est faible, plus l’incidence de la maladie de Lyme est élevée : c’est l’effet de la dilution. Les conséquences à long terme sont effroyables, même sur le cœur.

Il faut donc prendre en compte ce concept de « One Health ». Avec les vétérinaires, nous avons insisté sur les biocides. Comment le plan sur l’antibiorésistance peut-il ne pas intégrer les biocides qui participent à l’antibiorésistance ? Il existe des résistances croisées, puisque ce sont les mêmes mécanismes. Le PNSE 4 ne prévoit pas de réduction de l’usage des biocides, simplement de mieux les utiliser. Il faut écrire « réduction ». Que ce soit dans les milieux médicaux, vétérinaires, industriels, dans les élevages, il faut une éducation aux biocides. La stratégie du « plan chapeau » permettrait de remarquer qu’il manque tel item et d’articuler l’ensemble.

Ce concept de « One Health » prend ainsi toute sa signification et nous poussons dans ce sens. Nous avons écrit plusieurs lettres à cet égard aux ministres de la Transition écologique et de la Santé. Nous demandons de recréer ce groupe de travail au sein du PNSE.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous comprenons en vous écoutant l’importance de la formation des médecins. Vous faites de la pédagogie au cours de chacune de vos consultations avec vos patients. Non seulement vous les soignez, mais vous les informez et les éduquez également et vous en faites des écocitoyens responsables.

M. Yannick Haury. J’habite une ville de bord de mer où les gens mettent dans le caniveau des détergents et rincent en pensant que ces effluents vont être traités. Pourtant, sauf exception, les effluents partent directement vers un point bas, une zone humide ou la mer. Je pense important de sensibiliser en permanence les personnes en faisant remarquer que chaque acte a une conséquence et que les effluents ne s’épurent pas de façon magique.

Dans les documents de prospective élaborés à l’échelle des régions, des territoires ou des communes pour permettre un développement équilibré entre tous les enjeux, nous introduisons aujourd’hui à ma connaissance assez peu les données environnementales. Ces documents sont maintenant dans la « zéro artificialisation » : il faut préserver les espaces naturels et agricoles avec, en contrepartie, un renforcement des métropoles qui doivent être densifiées. Ceci favorise les contacts entre les personnes. Entre ces injonctions un peu contradictoires, existe-t-il à votre avis un bon équilibre à trouver ? Comment introduire dans ces documents le sujet de la santé ?

M. Pierre Souvet. Les plans nationaux prévoyaient de sensibiliser les personnels de l’Éducation nationale et les élèves à la santé-environnement. À mon avis, cela n’a pas été fait et c’est pourtant un relais extrêmement important pour le futur. Il faudrait le remettre dans le PNSE. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a fait un excellent rapport intitulé Nature en ville – Comment accélérer le processus ? portant sur l’artificialisation. Je suis allé dans plusieurs villes pour faire des présentations mais, lorsque j’ai demandé aux responsables s’ils avaient lu ce rapport, ils n’étaient même pas au courant de son existence.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’en avais entendu parler dans mes anciennes fonctions d’élue locale mais, même si nous savons que cela existe, le sujet est très peu traité et les collectivités territoriales ne bougent pas toujours.

M. Pierre Souvet. Les gens n’ont probablement pas été sensibilisés et ne connaissent pas forcément l’existence de l’outil. Il faut créer une bibliothèque des bonnes idées et des mauvaises idées. Le doyen de l’université de Strasbourg veut créer un référent santé-environnement dans chaque faculté et il faudrait de même, dans les collectivités locales, créer un référent santé-environnement ou un élu santé-environnement chargé de faire remonter toutes les bonnes idées qui existent.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour votre présentation. Avec peu de moyens, votre association mène nombre d’actions intéressantes. Le livret m’avait, je dois le dire, un peu « épatée » et il est très complémentaire de la démarche nationale. Je regrette que la connexion ne se soit pas établie entre Paris et la région PACA.

L’audition s’achève à dix-huit heures.

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51.   Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick O’Quin, président, et de Mme Françoise Audebert, conseillère scientifique et réglementaire, de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) (19 novembre 2020)

L’audition débute à onze heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. M. Patrick O’Quin, préside la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA), dont Mme Françoise Audebert est conseillère scientifique et réglementaire. La FEBEA est l’organisation professionnelle qui représente les entreprises du secteur cosmétique. Dans ce secteur, les préoccupations de santé-environnement peuvent trouver à s’appliquer, aussi bien en ce qui concerne la fabrication industrielle que l’utilisation des produits ou la santé des consommateurs. Comment les enjeux de santé publique et environnementale sont-ils abordés et pris en compte par les entreprises du secteur cosmétique ?

(M. Patrick O’Quin et Mme Françoise Audebert prêtent serment.)

M. Patrick O’Quin, président de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA). La FEBEA est le syndicat représentatif du secteur cosmétique au titre de la loi de 1884. Nous sommes représentatifs au sens du code du travail, mais également parce que nos adhérents fabriquent environ 95 % des produits cosmétiques vendus sur le territoire français. Aujourd’hui, 350 entreprises adhérent à la FEBEA. Certains de nos adhérents sont des grands groupes français ou internationaux, notamment les leaders mondiaux comme L’Oréal, mais plus de 85 % de nos adhérents sont des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Le tissu industriel français de ce secteur est donc extrêmement divers. Nous représentons uniquement les fabricants, soit parce qu’ils sont installés sur le territoire français, soit parce qu’ils vendent leurs produits en France par le biais de filiales. Nous ne représentons pas seulement des entreprises françaises, mais également des entreprises étrangères. Nous ne représentons ni les fabricants d’ingrédients ni les distributeurs. Les parfumeries telles que Séphora ou Marionnaud et les parfumeries de quartier, les coiffeurs et les esthéticiennes ne sont pas membres de notre fédération.

Celle-ci regroupe des représentants de tous les types de cosmétiques – parfums, produits d’hygiène, produits de toilette, produits de soin, produits capillaires, produits pour enfants – qu’ils soient distribués en grande distribution, dans les supermarchés et les hypermarchés, ou par des modes dits de « distribution sélective » dans les pharmacies, dans les parfumeries ou dans des magasins spécialisés comme Pierre Fabre ou chez les esthéticiennes.

En France, nous sommes régis par un règlement européen, publié en 2009, qui s’applique pleinement depuis 2013. Ce règlement européen fait suite à une loi française : la France a en fait inspiré ce règlement européen par une loi de 1975 extrêmement novatrice à l’époque, alors que Mme Simone Veil était ministre de la Santé. Nos produits sont en effet régis par le code de la santé publique et notre autorité de contrôle est l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), non l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Ce règlement est très novateur en ce qu’il place la responsabilité de la mise sur le marché chez le fabricant. À la suite de la crise du talc Morhange, une crise extrêmement sérieuse, puisqu’elle avait causé la mort d’une vingtaine de bébés, Mme Simone Veil a choisi de créer un nouveau système pour assurer que les produits mis sur le marché soient sûrs, plutôt que de décalquer la réglementation sur celle des médicaments avec une autorisation de mise sur le marché.

Le règlement européen actuel est fondé essentiellement sur cette réglementation qui assure la sécurité tout au long de la chaîne de consommation. Les cosmétiques sont les plus réglementés des produits de consommation courante. Il est plus difficile actuellement de mettre sur le marché un produit cosmétique qu’un produit alimentaire. Cette sécurité est assurée à plusieurs niveaux et c’est le seul secteur dans lequel sont prévus autant de garde-fous.

La première étape est que nous ne pouvons pas utiliser, dans les produits cosmétiques, d’ingrédient n’ayant pas été évalué au titre du Règlement européen Registration, evaluation, authorization and restriction of chemicals (REACH).

La deuxième étape est que l’ingrédient est lui-même évalué par un comité scientifique pour la sécurité du consommateur, le Scientific committee on consumer safety (SCCS). Il s’agit d’un comité composé d’une quinzaine d’experts indépendants qui fonctionne auprès de la Commission européenne. Il évalue si l’ingrédient est sûr, dans une utilisation cosmétique pour la cible de population à laquelle il est destiné. Un ingrédient destiné à un produit pour bébés n’est donc pas évalué de la même manière qu’un ingrédient destiné à un produit pour adultes. De même, l’évaluation est différente selon que le produit est destiné aux femmes enceintes ou à la population générale, selon que le produit est destiné à une utilisation capillaire ou à une utilisation sur la peau ou à un dentifrice. Les annexes du règlement européen relatif aux produits cosmétiques énumèrent un certain nombre d’ingrédients ne pouvant pas du tout être utilisés ou ne pouvant être utilisés qu’à certaines doses ou pour certains usages.

Le troisième filtre est particulièrement original : un produit est soumis avant d’être mis sur le marché à une évaluation de sécurité établie par une personne dont les qualifications sont, en France, précisées par un arrêté. Tant que la sécurité du produit fini, c’est-à-dire du cocktail d’ingrédients, n’a pas été évaluée, le produit ne peut pas être mis sur le marché.

Avant d’être mis sur le marché, il doit être déclaré sur un portail européen, le Cosmetic products notification portal (CPNP), qui contient la liste de la totalité des produits sur le marché.

Enfin, la liste complète des ingrédients doit figurer sur l’emballage, à une exception près, liée aux questions de propriété intellectuelle : les parfums. En effet, les parfums ne peuvent pas être protégés par un brevet et il n’est donc pas obligatoire de faire figurer la liste intégrale des parfums. En revanche, le risque majeur étant pour ces produits le risque d’allergie, les allergènes qui figurent dans le cosmétique doivent être indiqués sur l’étiquetage.

Cette succession de filtres permet d’assurer que les produits sont sûrs pour le consommateur. La sécurité est ensuite complétée par la cosmétovigilance : une fois que le produit est sur le marché, il est obligatoire de rendre compte à l’ANSM de tout incident pouvant être créé par ce produit, et particulièrement de tout incident sérieux. Nous avons donc tous les ans environ 200 notifications dans ce cadre. Comparées aux milliards d’utilisations annuelles des produits, ces 200 notifications constituent un chiffre extrêmement faible. Ces notifications sont essentiellement liées à des mésusages ; sinon, ce sont généralement des irritations ou des allergies dermatologiques. Depuis la triste affaire du talc Morhange, nous n’avons eu aucune crise sanitaire liée directement à l’utilisation d’un produit cosmétique, ni en France ni en Europe.

Ce Règlement est un outil assez lourd donc difficile à modifier mais environ six modifications des annexes du Règlement sont effectuées chaque année pour tenir compte des avancées de la science et des éléments nouveaux qui peuvent intervenir. Le comité scientifique pour la sécurité du consommateur est extrêmement sensible aux évolutions qui apparaissent ; il introduit dans son évaluation des critères qui sont souvent en avance sur ce que les réglementations traditionnelles prévoient. Ainsi, les produits cosmétiques ont été les premiers à éliminer, en 2017 ou 2018, le bisphénol A (BPA), avant même que le sujet devienne véritablement une source de préoccupation. De même, les phtalates sont interdits dans la formulation de produits cosmétiques, à l’exception du phtalate de diéthyle (DEP) dont il apparaît qu’il n’est pas un perturbateur endocrinien. Le SCCS prend en effet en compte les critères de perturbation endocrinienne parmi ses critères pour évaluer si un ingrédient peut être introduit dans un produit cosmétique.

Notre secteur a été un des promoteurs de la plateforme public-privé sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER). Nous y sommes très impliqués. Mme Françoise Audebert est membre du conseil d’administration et du bureau de PEPPER.

Nous avons aussi travaillé de façon extrêmement active à un guide sur la substitution des ingrédients, corédigé par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et France Chimie sous le contrôle de la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Pouvoir faire évoluer nos formules en fonction des avancées de la science est bien entendu une priorité pour nous.

Nous avons aussi un dialogue extrêmement actif avec le ministère de la Transition écologique, autrefois ministère de l’Environnement, sur tout ce qui concerne les questions de biodiversité. Une grande partie de nos ingrédients sont d’origine naturelle et il est très important pour nous de pouvoir continuer à en disposer. Nous sommes donc impliqués, depuis longtemps, dans la protection de la biodiversité, à travers la mise en œuvre de la convention sur les espèces menacées, (Convention on international trade of endangered species, CITES). Tous les ans, nous organisons également, en liaison avec les fabricants d’ingrédients et le ministère de la Transition écologique, un séminaire pour travailler sur l’application du Protocole de Nagoya. Nous identifions avec le ministère de la Transition écologique les difficultés d’application de ce protocole dont les dispositions sont parfois un peu obscures ou dont la mise en œuvre peut être délicate.

Enfin, nous menons des actions de sensibilisation et d’information du consommateur ainsi que des actions de transparence. Par exemple, nous avons sur notre site Internet une base de données qui recense les 25 000 ingrédients utilisés aujourd’hui en cosmétique, avec leur fonction – exfoliation, protection, conservation… –, leur origine – synthétique, naturelle ou si les deux origines sont possibles – et les controverses éventuelles que ces ingrédients suscitent. Nous précisons dans cette base quels sont, à date, les éléments connus sur ces controverses, en particulier pour le phénoxyéthanol ou les parabènes qui reviennent souvent dans le débat public. De plus, nous avons lancé, hier, une application pour rendre l’utilisation de cette base de données plus conviviale.

Je précise que notre Règlement interdit l’utilisation d’ingrédients cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), sauf dérogation dûment justifiée. Le principe est l’interdiction, l’exception étant possible après évaluation par le comité scientifique de la sécurité du consommateur.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette présentation du dispositif mis en place par votre fédération. Vous appliquez en fait le Règlement européen.

M. Patrick O’Quin. Oui, nous l’appliquons en allant un peu au-delà.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le cadre est essentiellement européen avec l’ajout de certaines modalités plus « franco-françaises ».

Votre présentation donne à penser que la mise sur le marché des produits cosmétiques est très suivie, avec plusieurs niveaux de filtrage pour éviter que ne passent des produits qui pourraient finalement provoquer des problématiques de santé publique. Le système semble bien « bordé » de tous les côtés ; il donne l’impression que recourir aux produits cosmétiques ne présente aucun risque, ni pour les adultes ni pour les enfants et encore moins les bébés. Pourtant, des associations de consommateurs mettent en ligne des analyses détaillées de produits cosmétiques montrant la présence de parabènes ou d’autres perturbateurs endocriniens.

Vous vous basez sur un principe d’interdiction de toute commercialisation d’ingrédient reconnu comme CMR. Quelle base de données vous sert-elle de référence puisque, visiblement, les associations de consommateurs n’ont pas la même analyse que celle que vous nous avez présentée ? Vous laissez penser que tout est organisé, pour qu’il n’existe aucun risque, alors que les associations de consommateurs pensent différemment.

Ce dissensus vient-il du fait que chacun fait référence à des types différents de repères toxicologiques ? La qualification même de CMR est-elle flottante, ce qui expliquerait ces approches contradictoires ? Quels sont donc, en dehors de REACH, vos repères d’évaluation ? Pouvez-vous nous préciser qui sont les personnes qualifiées qui effectuent l’évaluation du produit final et par qui elles sont désignées ? Qui nourrit le portail européen qu’est le CPNP et selon quels critères, quels repères toxicologiques, quelles études scientifiques ?

Nous avons entendu dire lors des auditions précédentes que certains produits cosmétiques sont maintenant destinés à des bébés et surtout à de très jeunes enfants, notamment à des petites filles pour leur toilette intime alors que rien n’est vraiment sûr dans la composition de ces produits.

M. Patrick O’Quin. La personne qui met sur le marché, celle qui responsable selon la définition du Règlement européen, doit notifier le produit sur le portail européen CPNP avant sa mise sur le marché, quelles que soient sa composition et sa destination. Ce portail en lui-même n’a aucun caractère de filtre. Il ne fait que constater la mise sur le marché.

La personne responsable est, grosso modo, l’entreprise qui fabrique le produit. En plus de la déclaration au CPNP, il faut un dossier d’évaluation de la sécurité du produit. Il est théoriquement impossible de mettre sur le marché un produit n’ayant pas subi cette évaluation, n’ayant pas été considéré comme sans risque pour le consommateur auquel il est destiné. Il est clair qu’il existe malheureusement des importations frauduleuses de certains produits qui peuvent comporter des ingrédients interdits. Nous travaillons de manière étroite avec les douanes et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour empêcher ces commercialisations marginales de produits présentant des problèmes. Il existe aussi des contrefaçons de marques. Un grand nombre de produits destinés au blanchiment de la peau des personnes à peau noire sont importés de façon illégale, sans être passés par le CPNP, mais tous les produits mis sur le marché de manière légale, en respectant les règles, sont d’abord inscrits sur le CPNP.

Mme Françoise Audebert, conseillère scientifique et réglementaire à la Fédération des entreprises de la beauté. L’évaluateur de la sécurité exerce la seule profession réglementée en cosmétique. N’importe qui ne peut pas évaluer la sécurité cosmétique. La profession est réglementée en France par un arrêté pris sur le fondement d’un article du Règlement européen spécifiant qu’il faut avoir des connaissances théoriques et pratiques en toxicologie, en médecine, en pharmacie. La France a ajouté à la liste les écotoxicologues et les vétérinaires. À ce jour, les personnes qui viennent de l’étranger, hors Union européenne, avec ce type de formation, doivent faire reconnaître leur diplôme.

Les toxicologues qui travaillent sur l’évaluation de la sécurité ne sont pas forcément internes à l’entreprise. Cette évaluation peut aussi être réalisée par des prestataires extérieurs. En revanche, les évaluateurs engagent leur responsabilité par leur signature. Tout dossier d’information produit doit comporter la référence aux diplômes du toxicologue et sa signature, son engagement, quant à la sécurité du produit.

Le toxicologue peut ajouter des compléments de précaution d’emploi ou de mode d’utilisation, comme par exemple de ne pas utiliser chez les enfants de moins de trois ans ou de ne pas appliquer sur le contour des yeux. Dans les annexes du Règlement se trouvent une liste de substances interdites, mais aussi une liste encore plus longue de substances réglementées, c’est-à-dire qui peuvent être utilisées, mais dans un cadre bien spécifique, avec des conditions spécifiques, notamment des conditions de concentration.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je n’ai pas compris si vous êtes organisés en conseil, en comité, sous l’égide d’une agence nationale ou si ces évaluations de sécurité sont portées par des entreprises ou des prestataires extérieurs auxquels les fabricants font appel. Est-ce suivi, réglementé ? Quelqu’un vérifie-t-il le travail d’évaluation de la sécurité des cosmétiques ? Qui organise et qui surveille ? Qui évalue votre travail d’évaluation ?

Mme Françoise Audebert. L’évaluation de la sécurité est rassemblée dans un dossier d’informations-produit. Ces dossiers sont régulièrement inspectés par les autorités, en l’occurrence l’ANSM. Lorsqu’un nouveau produit est mis sur le marché, une inspection de première mise sur le marché est effectuée, puis des évaluations sont faites de façon régulière.

L’évaluateur ne regarde pas uniquement les informations sur le produit fini, mais il a l’obligation d’avoir toutes les informations sur les matières premières. Pour renforcer la sécurité se trouve dans le Règlement cosmétique une annexe très importante qui est la « bible » des évaluateurs : elle contient l’ensemble des points à avoir en tête au moment de l’évaluation. Ces points vont de la qualité microbiologique aux données physicochimiques et toxicologiques des substances en passant par l’exposition. L’évaluateur de la sécurité prend cette annexe et, en fonction des données, il évalue selon la force probante.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les données sont-elles fournies par les fabricants ou faites-vous des tests en laboratoire ? L’ANSM vous suit-elle, de près ou de loin ?

Mme Françoise Audebert. L’inspection peut être réalisée par la DGCCRF, l’ANSM et les douanes ; des inspections régulières sont faites.

Nous avons engagé depuis fort longtemps un dialogue avec les fournisseurs pour obtenir des données suffisantes. En l’absence de données suffisantes, un évaluateur de la sécurité ne signera pas l’évaluation de celle-ci.

En ce qui concerne les tests, la cosmétique est le seul domaine dans lequel les expérimentations animales sont strictement interdites. Elles sont interdites pour les produits cosmétiques finis depuis 2004 et pour les ingrédients depuis 2009 et 2013, puisque quelques études étaient encore nécessaires et ont perduré jusqu’en 2013. Nous ne pouvons pas mettre sur le marché dans l’Union européenne des produits contenant des ingrédients qui ne répondraient pas à ces obligations.

En pratique, des tests sont faits in vitro. L’industrie cosmétique étant confrontée depuis longtemps à cette évolution vers l’interdiction des expérimentations animales, nous avons développé énormément de méthodes alternatives, reprises dans tous les autres secteurs qui n’en ont pas forcément l’obligation. Nous disposons de méthodes alternatives pour étudier la toxicité cutanée, l’absorption par la peau.

L’évaluateur utilise ce que nous appelons la « force probante ». La plupart des ingrédients utilisés le sont depuis des années et l’évaluateur dispose donc d’une base de données toxicologiques. Il va au-delà de la réglementation et, en fonction des informations sur les ingrédients, il passe à la formule. S’il considère que la formule est sûre pour l’homme, des tests sont effectués sur des panels pour vérifier l’innocuité qui a été anticipée.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Parlez-vous de tests sur des molécules ou sur des produits ?

Mme Françoise Audebert. Les deux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Par qui les évaluateurs sont-ils rémunérés ?

Mme Françoise Audebert. Ils sont rémunérés par les entreprises. Je suis moi-même évaluateur de la sécurité, puisque je suis toxicologue et vétérinaire. Signer une évaluation de la sécurité nous engage scientifiquement et, si, demain, il apparaît un problème sur une évaluation signée, « c’en est fini pour l’évaluateur ».

Par ailleurs, pour que les attentes des évaluateurs soient bien comprises par les fabricants, j’ai mis en place une formation pour expliquer les besoins de l’évaluateur. La conclusion de cette formation est toujours : « Si vous n’avez pas un évaluateur qui vous embête, ce n’est pas un bon évaluateur. Il faut qu’il puisse revenir vers vous, poser des questions, aller au-delà de la réglementation. »

Que l’évaluateur soit ou non interne à l’entreprise, il s’engage en signant. Il signe personnellement l’évaluation de sécurité, ce n’est pas la personne responsable du produit qui le fait.

Une réunion avec l’ANSM et les évaluateurs de la sécurité a été organisée pour mieux comprendre ce dont ils ont besoin. Le but de la FEBEA est d’accroître les compétences des évaluateurs de la sécurité pour ne pas avoir de crise sanitaire. Nous n’imaginons pas signer quelque chose qui ne serait pas sûr.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Ne pouvons-nous pas avoir de crise sanitaire avec des produits qui seraient potentiellement dangereux « à bas bruit », ce qui est le problème de l’exposition aux perturbateurs endocriniens dont les effets ne se manifestent pas immédiatement ?

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quels sont les principaux risques sanitaires associés au secteur cosmétique ? Quels sont les moyens des entreprises du secteur ? Combien de temps consacrent-elles aux actions de prévention et de sensibilisation en matière de santé-environnement ? Comment évaluez-vous l’information de vos entreprises adhérentes sur l’enjeu de la santé environnementale ? Avez-vous pris connaissance du projet du plan national santé environnement (PNSE 4) actuellement soumis à consultation publique ? Qu’en pensez-vous ?

M. Patrick O’Quin. En dehors des mésusages, tels que le fait de boire un parfum ou une eau de toilette, les principaux risques sanitaires que courent les utilisateurs de produits cosmétiques sont des risques de nature dermatologique – irritations ou allergies – puisque ces produits sont utilisés essentiellement sur la peau.

Il existe également des risques « à bas bruit » de toxicologie chronique, notamment des risques cancérogènes. C’est la raison pour laquelle les CMR sont a priori interdits dans les produits cosmétiques, avec évidemment les nuances à apporter entre le danger et le risque. Je pense que ce n’est pas en période de covid où l’utilisation massive par tous d’un CMR comme l’alcool est encouragée que nous pourrons nous affranchir de cette distinction entre risque et danger. Il est clair que les risques cancérogènes sont non négligeables, mais ils sont pris en compte par les évaluations du SCCS.

Enfin, il existe un risque de perturbation endocrinienne, également pris en compte dans l’évaluation. Depuis longtemps, le SCCS évalue ces risques et il a éliminé les produits dont nous savons qu’ils sont perturbateurs endocriniens, en particulier le BPA et les phtalates.

Mme Françoise Audebert. Ce sont effectivement les principaux risques. Les risques à long terme ou à bas bruit ont été pris en compte depuis fort longtemps. Le SCCS évalue toutes les données, pas uniquement celles que nous fournissons. Il évalue avec toutes les données existantes sur la toxicologie.

La cancérogénicité, la toxicité pour le développement et pour la reproduction font partie des dossiers d’évaluation, même lorsque les substances concernées ne sont pas des CMR. Vous pouvez consulter les dossiers du SCCS : ce sont des dossiers d’une cinquantaine de pages qui reprennent un travail effectué sur plusieurs mois, pour chaque ingrédient.

Le SCCS est composé de scientifiques indépendants qui travaillent auprès de la Commission européenne. Ils proviennent de différents États membres. Des scientifiques français représentant l’Anses en font partie.

Le SCCS a publié un mémorandum sur la perturbation endocrinienne pour expliquer la façon dont il la prenait en charge, bien avant que tout le monde en parle et s’en inquiète. Par exemple, les parabènes ont fait l’objet d’un rapport d’évaluation en 2006, 2008, 2010, 2011, 2013, 2015. Un rapport vient de sortir sur le propylparabène dans les produits cosmétiques. Le SCCS a travaillé sur le triclosan, l’homosalate, la mélatonine. Depuis longtemps, il travaille sur les conservateurs et les filtres pour ultraviolets (UV). Il est très intéressant de voir que le SCCS utilise l’intégralité des données pour évaluer la sécurité d’une substance, la pertinence de chaque donnée scientifique étant évaluée au regard des autres données disponibles.

Vous parliez des remarques faites par des consommateurs et de leurs inquiétudes. Deux points sont importants. D’abord, il faut étudier la perturbation endocrinienne dans son ensemble car il existe des produits qui réagissent dans un tube à essai, mais n’ont pas d’impact dans l’organisme et inversement. De plus, lorsque l’ingrédient est utilisé dans des produits pour enfants, le SCCS évalue plus particulièrement cette cible.

Une explication sur la manière d’évaluer la sécurité pour les petits enfants se trouve dans les lignes directrices du SCCS. La FEBEA avait déjà, avant cette publication, travaillé avec les évaluateurs de la sécurité pour définir le processus à suivre, dès la formulation, pour les produits pour bébés. Ce travail a été repris après approfondissement par le comité européen. Nous avions d’ailleurs répondu à des interrogations de l’ANSM et monté cette évaluation de la formulation la plus adaptée lorsque le produit est destiné à un enfant.

Nous sommes actuellement dans une situation anxiogène. Cet été, par exemple, un document a été publié recommandant de ne pas utiliser de filtre solaire car ces produits sont dangereux pour l’océan et, quinze jours plus tard, le ministère de la Santé a rappelé que les filtres solaires sont importants dans la prévention du cancer de la peau. Une étude nous a montré qu’un Français sur deux n’utilise pas de filtre solaire et que cela ne concerne pas que des adultes.

Deux aspects sont importants : la notion de risque et la notion de gradation du risque pour que les mesures et les décisions prises soient solides, crédibles. Sinon le consommateur ne sait plus où il en est. Par exemple, les consommateurs s’inquiètent souvent de la présence de sulfates dans les produits cosmétiques, parce que les sulfates sont irritants. Si des sulfates purs sont déposés sur la peau avec une cupule de protection, cela provoque effectivement une irritation. Toutefois, la concentration utilisée dans les produits cosmétiques ne provoque pas d’irritation.

Prenons aussi l’exemple du liniment oléo-calcaire que les jeunes mamans utilisent beaucoup. Il est composé de 50 % d’eau de chaux et 50 % d’huile végétale, souvent d’olive. L’eau de chaux a un pH de 12 environ, elle est donc corrosive. Elle n’est pas irritante, elle provoque des brûlures. Pourtant, lorsque le liniment oléo-calcaire est fabriqué correctement, bien mixé et surtout qu’il est bien utilisé, ce produit est très apprécié et j’en reconnais la totale innocuité. L’évaluation de l’exposition et du risque est donc importante pour ne pas perdre de vue les vrais risques.

Je pense qu’il faut expliquer au consommateur et non dire « utilisez cela et pas cela ». En tant que consommatrice, je ne souhaite pas être guidée, mais faire un choix éclairé avec des explications simples. Mélanger toutes les craintes possibles, sans tenir compte du risque et de l’exposition, est anxiogène mais n’aide pas.

M. Patrick O’Quin. La sensibilisation est l’un des objectifs de nos groupes de travail internes. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place une base de données contenant tous les ingrédients et leurs caractéristiques.

Nous émettons également des recommandations lorsque nous identifions des sujets de préoccupation. Par exemple, la méthylisothiazolinone (MIT) a probablement été substituée trop rapidement aux parabènes et il est apparu très rapidement qu’elle peut créer des risques de sensibilisation allergique. Dès que cette question est apparue dans nos dialogues avec les dermatologues, puisque nous avons des contacts fréquents notamment avec le groupe d'études et de recherche en dermato-allergologie (GERDA), nous avons immédiatement émis une recommandation à nos adhérents pour les avertir, avant même que les règlements européens sur les teneurs maximales et l’utilisation de la MIT aient évolué.

Nous sommes en contact de la façon la plus étroite possible avec les différentes sociétés savantes, avec les pédiatres et dermatologues notamment.

En ce qui concerne le PNSE 4, nous avons participé autant que faire se peut à tous les travaux préparatoires. L’objectif est pour nous tout à fait valide et valable. Le point qui nous préoccupe le plus est l’accent mis sur la notion de danger, plus que sur la notion de risque. L’exemple du liniment oléo-calcaire est un très bon exemple. L’eau de chaux est un véritable danger mais, utilisée en mélange avec l’huile, elle devient au contraire un produit qui soigne l’irritation des fesses des bébés.

Mme Françoise Audebert. Les consommateurs peuvent trouver sur notre site des informations sur la perturbation endocrinienne. Nous avons essayé d’expliquer la situation scientifique de façon simple dans le cas des ingrédients controversés.

Nous émettons des recommandations lors de l’évaluation de la sécurité, en particulier pour l’usage que font des produits les esthéticiennes et les coiffeurs.

M. Patrick O’Quin. Nous souhaitons avoir la plus grande transparence.

M. Yannick Haury. Je suis souvent étonné par le nombre de composants dans une seule crème par exemple. Est-ce lié à des obligations de préciser dans le détail les vingt ou vingt-cinq composants d’une présentation ? Maîtrisons-nous bien les interactions possibles ? Vous avez dit qu’en mélangeant une huile et de l’eau de chaux, le caractère alcalin de l’eau de chaux est neutralisé, mais connaissons-nous les effets de ce mélange de composants ? Vous avez en partie répondu en disant que des tests sont faits sur le produit fini et pas uniquement sur ses composants. Est-ce systématique ?

Par ailleurs, une attention particulière est-elle portée au contenant et aux interactions entre le contenant et le contenu ? Le contenant est extrêmement important pour mettre en valeur les produits cosmétiques et fait partie de l’identité du produit.

M. Patrick O’Quin. La liste des ingrédients doit réglementairement comporter la totalité des ingrédients, la seule exception étant le parfum. Le parfum est une alchimie que nous ne pouvons pas breveter et nous ne révélons donc pas sa composition.

Vous avez raison en ce qui concerne la longueur de la liste des ingrédients, mais un produit cosmétique est tout un édifice dans lequel il faut contrebalancer l’efficacité d’un produit par un autre produit limitant le risque qui peut être introduit.

La prise en compte de l’interaction contenant-contenu est une obligation réglementaire. Nous sommes tenus d’évaluer les éventuelles interactions entre le produit lui-même et l’emballage dans lequel il est présenté au consommateur. Nous utilisons en général des contenants dits « de grade alimentaire », justement pour assurer qu’un premier niveau d’évaluation a été fait. Ces emballages sont a priori sûrs puisque utilisables pour l’alimentation et, au-delà de cette qualification de grade alimentaire, l’évaluation de la sécurité se fait aussi sur l’interaction contenant-contenu.

Mme Françoise Audebert. L’affichage de la composition est une obligation réglementaire et la demande de la part des consommateurs d’avoir le maximum d’informations est de plus en plus forte. Nous travaillons depuis plusieurs années à une transition vers une digitalisation de cette information afin que trop d’informations ne tuent pas l’information. Cette liste est souvent mal comprise, parce que les termes utilisés sont des noms internationaux, mais cela permet d’éviter un ingrédient même si vous achetez un produit dans un pays étranger.

Mettre des composants inutiles dans les produits n’a guère d’intérêt. La composition complexe des produits est par exemple liée au fait que certaines matières premières ne sentent pas bon, ce qui contraint à parfumer. D’autre part, les interactions entre les composés les plus connus sont systématiquement prises en compte. Ainsi, si des amines secondaires sont en présence de nitrates ou de nitrites, des nitrosamines peuvent être créées et il faut rajouter des ingrédients pour éviter ce phénomène, les nitrosamines étant cancérogènes. Cette interaction est très connue, très étudiée et très réglementée.

Nous étudions aussi l’éventuelle présence de métaux lourds, puisqu’ils sont présents partout et que les substances végétales peuvent en contenir. L’évaluateur de la sécurité prend toutes les connaissances sur tous les ingrédients de la formule pour faire le cumul. Il existe également des substances que nous appelons des pro-allergènes ou des pré-allergènes, c’est-à-dire des molécules qui ne sont pas allergènes, mais qui peuvent être allergisantes par métabolisation. L’évaluateur avertit alors que, en l’absence d’antioxydant, il risque d’apparaître des allergènes qui n’étaient pas présents au départ dans le produit. Tous ces phénomènes sont connus et pris en compte depuis fort longtemps.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vos propos se veulent rassurants mais, récemment encore, des boîtes de cadeaux de naissance étaient distribuées dans les maternités. Nous avions soulevé le problème de leur dangerosité car ils étaient pleins de perturbateurs endocriniens. Les maternités, du moins celles au courant de cette problématique, ont fini par refuser l’entrée de ce genre de boîtes. Certains déodorants ont été accusés récemment de participer au risque de cancer du sein chez la femme.

Nous avons donc vu beaucoup d’inquiétudes, plus ou moins fondées, dans la population. Nous constatons maintenant une forte demande de produits beaucoup plus simples, plus naturels. Je suppose que beaucoup de substances sont forcément naturelles, mais vous recourez tout de même beaucoup à la chimie et la clientèle demande de pouvoir accéder à des produits dont la composition soit plus aisément lisible, compréhensible, à des produits qui n’entraînent pas le moindre danger ou risque. Les gens ne veulent pas se brosser les dents avec des pâtes dentifrices potentiellement dangereuses ou utiliser des shampoings qui provoquent des chutes. C’est une attente fort légitime puisque nous sommes envahis par la chimie. C’est le siècle de la chimie et, lors de toutes les auditions que nous avons faites jusqu’à présent, tous nous ont dit qu’il faut revenir à une sobriété chimique.

Qu’en est-il du développement de la filière biologique, de la recherche et de la volonté de tous vos fabricants de s’orienter vers des produits beaucoup plus sécurisants ?

Vous parlez d’analyses toxicologiques. Pourtant, nous savons bien que la toxicologie a beaucoup évolué depuis que nous avons découvert que ce n’est pas toujours la dose qui fait la dangerosité et la problématique de « l’effet cocktail ». Vous posez-vous ces questions, même si vous n’avez pas les réponses ? Votre fédération s’est-elle saisie de ces sujets pour essayer de faire évoluer les process de fabrication et les processus d’évaluation ? Vous êtes fort légitimement fiers de vos évaluations et vous nous avez dit que « tout est bien cadré », que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Malgré tout, nous ne savons pas trop quels sont les effets, à terme, de l’accumulation d’expositions à des produits qui ne sont pas naturels.

Nous avons beaucoup entendu parler des repères en toxicologie pour d’autres problématiques comme les phytopharmaceutiques et les pesticides. Je voudrais savoir comment vous abordez ce problème en cosmétologie.

M. Patrick O’Quin. J’ai sans doute été un peu trop optimiste, si j’ai donné l’impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous avons bien conscience que tout n’est pas pour le mieux et la preuve en est que le Règlement lui-même évolue. Il est modifié environ six fois par an, précisément pour tenir compte des évolutions que nous apportent les données scientifiques.

En ce qui concerne, « l’effet cocktail », l’évaluation de la sécurité a précisément pour objet de vérifier comment interagissent les différents ingrédients dans le produit fini, tel qu’il est livré au consommateur, pour que ce mélange d’effets ne cause pas de trouble ou de dommage.

Lorsque le SCCS évalue les ingrédients, il évalue l’exposition du consommateur non seulement aux ingrédients cosmétiques, mais éventuellement à d’autres substances. Vous avez vous-même évoqué le problème des déodorants et des sels d’aluminium. Lorsque le SCCS a conclu récemment que l’utilisation des déodorants ne présente pas de risques, même si l’aluminium en lui-même peut présenter un danger, il a évalué l’exposition du consommateur à l’ingestion d’aluminium, à l’absorption d’aluminium par la peau ou par d’autres voies.

Cet « effet cocktail » est donc largement pris en compte, aussi bien lorsqu’il est dû au mélange des ingrédients qu’aux interactions entre cosmétiques et autres produits pouvant intégrer certains ingrédients. Nous ne savons évidemment pas tout. La réglementation et les pratiques évoluent au fur et à mesure des connaissances, bien sûr en prenant de plus en compte des pourcentages de sécurité très élevés.

Nos adhérents sont évidemment très sensibles aux attentes des consommateurs. La cosmétique française est aujourd’hui leader mondial, d’une part, grâce à la qualité et la sécurité des produits, mais aussi parce que nous répondons aux demandes des consommateurs. Les produits biologiques font effectivement partie des demandes, avec une grande ambiguïté : les produits biologiques ne sont pas forcément plus sûrs que les produits « chimiques ». Par exemple, les huiles essentielles ont un potentiel de dangerosité toxicologique et cancérogène qui n’est pas du tout négligeable. Ce n’est pas parce qu’un produit est biologique, qu’il est forcément plus sûr. Nous adhérents répondent à cette attente de produits biologiques avec le souci d’assurer la sécurité des consommateurs.

Nous sommes très à l’écoute des phénomènes qui peuvent avoir lieu à bas bruit. C’est la raison pour laquelle nous avons fortement milité pour la création de la plateforme PEPPER. En effet, la vraie question, actuellement, en matière de perturbation endocrinienne, n’est pas tellement l’existence du risque, lorsqu’un produit est perturbateur endocrinien, mais surtout de savoir si un produit donné est un perturbateur endocrinien. Pour pouvoir le déterminer, il faut un test d’identification. Nous ne pouvons plus faire des tests sur les animaux, au moins en matière cosmétique, et il est évidemment hors de question de faire des tests sur les humains. Il faut que nous ayons des méthodologies fiables, approuvées et scientifiquement irréprochables.

Vous avez fait allusion aux mallettes de cadeaux que les mamans reçoivent à la sortie de la maternité. C’est effectivement un souci, en sachant toutefois que les fabricants sont extrêmement vigilants, non seulement en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, mais aussi toutes les substances qui peuvent, d’une façon ou d’une autre, présenter un risque pour la santé. Vous savez sans doute que la Commission européenne, poussée à réévaluer les substances par un certain nombre d’acteurs, dont les fabricants, a demandé au SCCS de réévaluer des substances soupçonnées de perturbations endocriniennes et utilisées pour la fabrication des cosmétiques. Les trois ou quatre réévaluations déjà effectuées sont toutes négatives. Ainsi, bien que des inquiétudes extrêmement fortes aient existé sur le résorcinol par exemple, les dernières évaluations, qui avaient pourtant ciblé les substances les plus préoccupantes en matière de perturbation endocrinienne, ont été négatives.

Les inquiétudes sont très fortes, il existe de nombreuses substances effectivement dangereuses comme l’alcool. Pourtant, l’alcool est aussi une substance active qui, lorsqu’elle est utilisée de façon correcte, ne présente pas de risque majeur pour la santé et peut au contraire être utile pour lutter contre la covid.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vos évaluations de sécurité sont faites en instantané. Vous n’avez pas la possibilité d’étudier les effets de l’exposition à de multiples produits chimiques sur toute la durée d’une vie. Ces essais sont basés sur des documents fournis par les entreprises qui, elles-mêmes, ont fait des essais en laboratoire sur des durées forcément courtes du fait des enjeux de commercialisation des produits. Avez-vous suffisamment de recul pour évaluer l’effet sur toute une vie ?

M. Patrick O’Quin. Vous soulevez un sujet difficile dont nous avons bien conscience. J’ai des éléments de réponse négatifs et positifs.

L’aspect négatif est que, à partir du moment où nous ne pouvons plus faire des tests sur les animaux, il est clair que l’exposition chronique est très difficile à évaluer. L’inconvénient de l’interdiction des tests sur les animaux est qu’elle empêche précisément d’étudier cet exposome sur de longues durées.

L’aspect positif est que la quasi-totalité de nos ingrédients cosmétiques sont utilisés depuis des millénaires. Les cosmétiques sont utilisés depuis que l’homme est homme et que la femme est femme. Excepté pour des substances déjà réglementées, nous ne disposons actuellement d’aucun élément suffisamment probant, en termes scientifiques, pour penser qu’il existe un danger fort et réel. Les inquiétudes ne sont concrétisées par aucune donnée scientifique.

Tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, nous avons conscience des limites. Si des solutions sont trouvées pour évaluer cet exposome, nous serons les premiers à les appliquer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions. Même si nous vous avons un peu poussés dans vos retranchements, nous avons besoin de ces éléments et vos explications étaient très claires.

L’audition s’achève à douze heures quarante-cinq.

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52.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie Thibaud, fondatrice, et de M. Mickaël Derangeon, membre, du Collectif stop aux cancers de nos enfants (19 novembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons les représentants du Collectif Stop aux cancers de nos enfants (SCE), association créée en mars 2019, en lien avec les cancers pédiatriques apparus, depuis 2015, autour de la commune de Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique. Ce collectif vise à trouver les causes de ces cancers pédiatriques, au-delà des deux enquêtes réalisées par Santé publique France (SPF) à la demande de l’Agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire. Le collectif rassemble une quarantaine de personnes dont des scientifiques, des médecins ou des techniciens.

Mme Marie Thibaud, cofondatrice de ce collectif, est éducatrice spécialisée et thérapeute familiale. L’un de ses enfants, aujourd’hui en rémission, a été atteint d’une leucémie en 2015 à l’âge de quatre ans. M. Mickaël Derangeon, membre du collectif, est chercheur à l’université de Nantes, adjoint au maire de Saint-Mars-de-Coutais, commune voisine de Sainte-Pazanne, et vice-président du réseau Atlantic’Eau.

(Mme Marie Thibaud et M. Mickaël Derangeon prêtent serment.)

Mme Marie Thibaud, fondatrice du Collectif stop aux cancers de nos enfants. Le Collectif Stop aux cancers de nos enfants a été créé suite au cluster de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne et dans les communes voisines. Ces communes sont situées en Loire-Atlantique, au sud de Nantes, à proximité également de Saint-Nazaire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. À quelle distance de Saint-Nazaire ?

Mme Marie Thibaud. À une trentaine de kilomètres de Saint-Nazaire.

C’est moi-même qui ai lancé la première alerte en avril 2017, alerte reçue par l’ARS qui a alors indiqué une possibilité d’agrégat spatio-temporel. Nous n’avions à ce moment que six cancers d’enfants dans le secteur. L’ARS a alerté Santé publique France qui a mené une étude plutôt « administrative » qui a consisté en une recherche informatique des éléments connus sur notre territoire en lien avec les facteurs de risques identifiés dans la littérature scientifique. Il s’agissait de savoir quels sont les facteurs de risque de cancer pédiatrique actuellement connus en France. Les conclusions mentionnent les hydrocarbures, les champs électromagnétiques, le radon et les pesticides. Dans ces conclusions qui m’ont été envoyées par courrier au début du mois de juillet 2018, Santé publique France indiquait que ces quatre pistes d’exposition sont considérées comme peu probables et a invité à ne pas poursuivre les investigations.

Mon petit garçon a déclaré un cancer en décembre 2015. Je n’avais jamais entendu parler de cancer pédiatrique auparavant. En 2016 et 2017, des enfants ont continué de tomber malades. En 2018, des enfants ont commencé à décéder. Au chevet de mon petit garçon, je n’avais pas alerté davantage, mais j’informais systématiquement l’ARS et Santé publique France des nouveaux enfants qui déclaraient des cancers dans le secteur. J’ai alerté à nouveau, en février 2019, de manière un peu plus ferme, en créant le Collectif Stop aux cancers de nos enfants et avec l’appui des médias. Nous en étions arrivés en mars 2019 à une douzaine d’enfants malades, dont un enfant dans la classe de mon fils.

Suite à cette alerte de février-mars 2019, le service d’oncologie pédiatrique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes m’indique être extrêmement surpris de voir les chambres de l’hôpital remplies par les enfants de notre secteur. L’ARS saisit alors de nouveau Santé publique France qui propose une étude épidémiologique. Deux réunions publiques ont été organisées, l’une, pour annoncer cette enquête épidémiologique, l’autre, pour la clôturer. En novembre 2019, Santé publique France annonce, lors de cette deuxième réunion, la clôture de l’enquête environnementale, sans pouvoir exclure qu’une partie des cas de cancers soit en lien avec des facteurs de risques environnementaux et que ces facteurs peuvent potentiellement interagir entre eux. Nous demandions depuis longtemps à l’ARS et à Santé publique France, dans des comités de suivi, la prise en compte de « l’effet cocktail », ce cumul de facteurs d’exposition et de la durée d’exposition.

En novembre 2019, Santé publique France valide l’existence d’un cluster sur la période 2015-2019, mais ne le valide que pour onze enfants, tandis que nous en répertorions beaucoup plus. L’enquête est close.

Le 22 septembre 2020, a lieu un dernier comité de suivi et, le 23 septembre, Santé publique France et l’ARS annoncent à la presse qu’il n’existe finalement plus de cluster dans le secteur. Ils prennent alors en compte la période 2005-2018 au lieu de 2015-2019. Nous répertorions de notre côté 24 enfants qui ont déclaré un cancer depuis 2015, alors que Santé publique France dit qu’il ne se passe rien.

En France, sont enregistrés environ 1 750 cancers par an chez les moins de 15 ans, sur environ 13 millions de jeunes, soit 0,0134 cancer pour 100 jeunes. Dans le cas par exemple de la commune de Saint-Mars-de-Coutais qui jouxte Sainte-Pazanne et où se trouvent 653 enfants de moins de 15 ans d’après le dernier chiffre que nous avons, nous attendons donc 0,079 cas par an. Or, durant ces cinq dernières années, 5 cancers pédiatriques ont été enregistrés soit 11,37 fois plus de cas de cancers. Si cette situation est tout à fait normale, comme le dit Santé publique France, nous pourrions donc avoir en France 11 fois plus de cancers soit près de 20 000 cas. Il est donc pour nous extrêmement inquiétant d’indiquer qu’il n’existe pas de cluster dans notre secteur.

M. Mickaël Derangeon, membre du Collectif stop aux cancers de nos enfants. Pour visualiser ces chiffres avec un exemple, mes deux filles de 10 et 13 ans ont chacune un camarade atteint d’un cancer. Elles connaissent trois enfants avec un cancer et ont appris les obsèques d’une petite camarade victime d’un cancer. Cela permet de mieux voir la réalité des chiffres dans cette commune. Si vous avez des enfants, vous pouvez vous demander combien de camarades atteints d’un cancer connaissent vos enfants.

Le Collectif Stop aux cancers de nos enfants a demandé plusieurs actions. Il a demandé que l’enquête épidémiologique ne se limite pas à l’interrogation de bases de données, mais que les données biologiques soient étudiées. Lorsque les enfants ont un cancer, des prélèvements sont en général effectués et même conservés dans des tumorothèques. L’une des demandes du Collectif est d’effectuer une analyse moléculaire sur ces prélèvements. Nous sommes en 2020, nous parlons de médecine personnalisée et nous sommes capables de connaître tous les ARN exprimés dans les cellules d’une personne et toutes les agressions de l’environnement sur l’appareil génétique.

Nous avons demandé des analyses dites de RNA-seq et méthylome et nous nous sommes heurtés à un refus catégorique. Je pense, sans vouloir être méchant, que ces agences ne connaissent pas forcément ces méthodes modernes. Pour eux, ce n’était absolument pas faisable. Le docteur Caroline Thomas, cheffe de cancérologie, nous disait elle aussi que ce n’était pas réalisable ce qui est dommage puisque l’Institut des Cordeliers a récemment déposé un projet pour faire justement ce que nous demandions. Cela valide le fait que ce soit réalisable. Malheureusement, nous avons attendu dix-huit mois du fait de tous ces freins. Nous pourrions avoir déjà ces résultats et avoir peut-être une autre approche, des hypothèses et même des méthodes de prévention.

Aucune étude environnementale n’a été réalisée, seules des études de levée de doute ont été faites pour voir si nous étions dans les règles sanitaires. Nous avions demandé à ce que soient recherchés les métaux lourds et les pesticides, dans tous les compartiments : eau, sol, air. En effet, l’étude épidémiologique a trouvé un seul point commun à tous ces cancers : les parents sont proches de champs de culture puisqu’ils habitent à la campagne. Nous avions remarqué que les boues de station d’épuration étaient répandues sur ces champs. En général, elles contiennent beaucoup de métaux lourds et des perturbateurs endocriniens.

Par ailleurs, des analyses faites sur les cheveux des enfants ont trouvé énormément de terres rares, de métaux lourds et de pesticides. Nous demandions donc que ces investigations soient réalisées pour savoir s’il existait des facteurs de risques dans ces différents compartiments. Nous demandions également des prélèvements d’urine ou de sang chez les enfants, d’abord, pour valider la plombémie, puisque beaucoup de plomb a été trouvé chez certains enfants, ensuite, pour valider les autres sources d’exposition.

L’ARS nous a opposé un refus catégorique et nous a même expliqué ne pas savoir où se faisaient les épandages. Le Collectif a recherché tous les arrêtés préfectoraux et a donné à l’ARS les arrêtés d’épandage avec les numéros de parcelles qui permettent de savoir exactement où les boues sont épandues pour faire ces mesures. C’est donc réalisable.

L’ARS a finalement accepté et des prélèvements ont été effectués en janvier 2020 chez les familles pour rechercher ces métaux lourds. Le comité de restitution aurait dû se tenir en mars 2020, mais a été repoussé à cause du covid, l’ARS expliquant qu’il n’apparaissait aucune inquiétude et que nous pouvions remettre à plus tard. Les familles étaient rassurées.

Fin juin 2020, sous la pression des familles, l’ARS a organisé en quelques jours une réunion de restitution au tout début juillet. Ils se sont finalement aperçus deux jours auparavant que dans de l’eau prélevée chez une des familles se trouvait du plomb, à la dose de deux fois la norme de potabilité. Ils avaient donc ces données depuis janvier et avaient laissé cette famille boire de l’eau contaminée au plomb sans se préoccuper de l’effet que cela pouvait avoir, sachant que cette famille a déjà un enfant atteint d’un cancer.

Chez d’autres familles, du plomb a également été retrouvé à des doses limites de la normale, qui la dépassent même parfois avec des teneurs à 170 et 200 milligrammes par kilogramme. Ces doses peuvent être extrêmement dangereuses pour la santé. Il faudrait donc savoir si ce plomb est d’origine naturelle ou anthropique. Nous avons demandé à ce que l’ARS ne se limite pas aux familles puisque, si du plomb est trouvé à un endroit, il y en a peut-être aussi chez les voisins. Les gens sont peut-être exposés à du plomb également par leurs jardins. À ma connaissance, aucune plombémie n’a été réalisée ce qui pose un problème de sécurité sanitaire.

Les mesures dans les cheveux n’ont pas été prises très au sérieux par les autorités qui ont expliqué que cela ne se faisait pas, que nous n’étions pas capables de savoir. Concrètement, des cheveux ont été prélevés sur des enfants dans toute la France ainsi que sur des enfants malades ou non dans le secteur de Sainte-Pazanne. Nous avons envoyé au laboratoire des échantillons totalement anonymisés : le laboratoire ignorait quels échantillons correspondaient à des garçons, à des filles, à des enfants malades ou non. Cela donne du poids statistiquement à l’étude et le résultat est clairement très fort, très fiable.

Une nette augmentation de la quantité de terres rares a été constatée dans les cheveux de tous les enfants du secteur de Sainte-Pazanne par rapport aux enfants du groupe témoin. Nous ne savons pas si cela a une signification physiologique. Nous avons aussi retrouvé trois fois plus d’uranium dans les cheveux des garçons malades.

Nous avons voulu envoyer ces informations à l’ARS, mais nous n’avons jamais eu de retour. Pourtant, elles nous semblent très préoccupantes. De plus, ces données peuvent ne pas être une cause, mais une conséquence du cancer. La présence de trois fois plus d’uranium est inquiétante, car, selon Santé publique France, l’uranium peut avoir un impact sur la santé, notamment sur le développement. Or nous savons que le cancer pédiatrique est très probablement une maladie du développement.

Nous voulions partager ces données sur l’uranium avec les autorités, ne pas les donner aux médias, car nous ne voulons pas inquiéter la population de façon non responsable. Le problème est que nous n’avons finalement pas d’autorité à laquelle nous puissions transmettre ces données.

Nous avons aussi étudié l’hypothèse des pesticides. Nous avions demandé une étude qui nous a été refusée parce que, selon Santé publique France, la même problématique se posant partout en France, cela n’avait pas d’intérêt. Notre secteur a la particularité de comporter beaucoup de vignes. Or, la vigne représente 3 % des surfaces agricoles utiles en France et 20 % de la consommation de pesticides. Ces chiffres proviennent de rapports sénatoriaux.

Nous avons mesuré dans quelques bouteilles de vin les teneurs en pesticides pour voir si ces teneurs sont identiques. Nous avons analysé des bouteilles provenant du vignoble nantais et des bouteilles provenant du secteur du cluster de Sainte-Pazanne. Nous avons constaté que les teneurs en pesticides dans les bouteilles sont très faibles, sauf dans le secteur de Saint-Julien-de-Concelles. Le réseau Air Pays de la Loire a mis une station de mesures dans un lycée au milieu des vignes et détecte tous les jours une dizaine de molécules cancérigènes, liées aux épandages de la viticulture. Étonnamment donc, nous retrouvons très peu de pesticides dans les bouteilles alors qu’ils sont présents dans l’air. Notre grande surprise a été de retrouver des quantités extrêmement importantes de pesticides dans notre secteur, notamment sur la commune de Saint-Mars-de-Coutais et c’est la commune dans laquelle nous constatons le plus de cancers pédiatriques, en termes de fréquence ramenée à la population. Évidemment, les enfants ne boivent pas de vin, mais ils respirent l’air par lequel ils peuvent être contaminés par ces pesticides.

Cette étude ne veut rien dire, il faut aller beaucoup plus loin et refaire des prélèvements. L’étude a été faite sur une année qui n’est peut-être pas représentative, mais les résultats correspondent assez bien à ce que nous observons.

Mme Marie Thibaud. Au niveau national, il n’existe plus de données du registre national des cancers pédiatriques depuis 2014. Les chiffres qui sont indiqués pour la France ne sont que des chiffres extrapolés, modélisés à partir des valeurs antérieures. Il nous paraît donc indispensable de maintenir constamment à jour un registre national des cancers pédiatriques. Sans données, nous ne pouvons évidemment que dire qu’il n’existe pas d’augmentation des cancers pédiatriques alors que la réalité est peut-être tout autre aujourd’hui.

Il serait aussi très intelligent de mettre en place une cartographie de veille sanitaire, quasiment en temps réel, au niveau départemental et au niveau national. J’ai contacté le registre départemental. Avant ma première alerte, il avait plus de trois ans de retard dans l’enregistrement des données de cancers. Cela ne permet pas de faire de la veille sanitaire.

La veille sanitaire des cancers et des cancers pédiatriques n’existe donc pas aujourd’hui. Elle n’est pas possible puisque nous n’avons pas de données en temps réel. Il est très important de la mettre en place et de prévoir un processus d’intelligence artificielle de traitement de ces données qui permettrait de déclencher des alertes dès qu’un regroupement de cancers pédiatriques se produit. Nous pourrions alors faire une recherche spécifique sur le secteur concerné. Aujourd’hui nous ne savons pas et, s’il n’existe pas de lanceur d’alertes, nos autorités sanitaires – ARS, Santé publique France ou les registres – n’ont aucun moyen d’alerter. Encore maintenant, fin 2020, ce sont les citoyens, les lanceurs d’alerte qui signalent qu’il se passe quelque chose.

Il nous paraît indispensable que des prélèvements soient faits systématiquement sur chaque enfant cancéreux : prélèvements d’urine, de sang, de cheveux au moment de la déclaration du cancer. Des prélèvements sont faits, certes, mais ils pourraient être analysés d’une autre manière. Tous ces prélèvements devraient être entrés dans une base de données construite dans ce but, avec une analyse génomique et épigénétique chez tous les enfants qui développent un cancer. Cette base de données permettrait de disposer des éléments utiles en cas de détection d’un regroupement de cancers pédiatriques. Nous pourrions envisager de créer des observatoires sectorisés un peu partout en France.

Vous avez bien compris que le cluster dit de Sainte-Pazanne concerne en fait les quelques communes avoisinantes. Il existe d’autres clusters en France dans le Haut-Jura, en Charente-Maritime et dans l’Eure. Nous sommes en contact avec eux et la même étude épidémiologique est conduite par Santé publique France, avec le même questionnaire envoyé aux familles. Il ne comporte que très peu de questions et ne permet pas d’aboutir à quoi que ce soit.

Au niveau local, il nous paraît indispensable d’appliquer le principe de précaution pour l’installation de tous les nouveaux projets éoliens envisagés ici. J’en développerai la raison par la suite. Dans le secteur se trouve une école dans laquelle quatre enfants ont déclaré un cancer ce qui n’existe pas ailleurs en France. Nous demandons le respect d’un principe de précaution dans cette école très impactée par plusieurs facteurs de risque.

Enfin, la création d’un observatoire de la pollution en santé environnementale est vraiment indispensable, au moins localement, et serait transposable au niveau national.

M. Mickaël Derangeon. Je suis chercheur et je peux vous assurer que la recherche nantaise est prête à mettre en place un observatoire de la pollution. Nous créons actuellement un consortium, à ma connaissance unique, de chercheurs spécialisés sur les sols, sur l’air, sur l’eau, en santé, en sociologie. Nous avons même déposé en juillet un projet européen à 2,3 millions d’euros qui constituerait les prémices d’un observatoire. Ce projet est porté par le docteur Véronique Ruban qui dirige le laboratoire Eau et environnement à l’université Gustave Eiffel. Il s’agit donc de chercheurs appartenant à des structures d’excellence comme l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Le docteur Véronique Ruban et son laboratoire sont porteurs depuis 2006 de l’observatoire nantais des environnements urbains. Ils coordonnent le service national d’observation Observil labellisé par le CNRS. Des scientifiques de l’université Gustave Eiffel, de l’université de Nantes, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), d’AgroParisTech, d’Air Pays de la Loire ainsi qu’un médecin généraliste sont regroupés dans ce projet Life – l’investissement pour l’environnement – que nous avons déposé. Des collectivités locales sont prêtes à apporter des fonds. Ce projet a cinq objectifs regroupés en deux grands axes :

– Premier axe : démarrer un observatoire de la pollution. Il s’agirait de caractériser l’état sanitaire de la population dans la région. Nous le demandons depuis le début à l’ARS, puisque, en cas de cancers pédiatriques, nous pouvons nous attendre à ce qu’il existe des maladies du développement, des maladies chez les adultes et, d’ailleurs, beaucoup de cancers d’adultes et de pathologies de neuro-dégénérescence, telles que le Parkinson, nous sont rapportés dans notre territoire. Il s’agit également de caractériser l’état qualitatif de l’environnement pour commencer à tisser les liens. Nous avons toutes les compétences sur place. On nous dit qu’il faut que ce soit de la recherche internationale. Je n’imagine pas un chercheur américain venir faire un prélèvement à Sainte-Pazanne pour voir s’il trouve des pesticides dans la terre ou dans l’air ! Par contre, il faut effectivement mettre les données à la disposition de la communauté internationale pour accélérer les recherches.

– Deuxième axe : informer le public, aider les décideurs locaux qui, comme nous l’avons vu lors des comités de suivi, ont du mal à tout comprendre, car cela est très technique. Les chercheurs du projet Life ont également un rôle sociétal : rendre la connaissance à la société, lutter contre l’obscurantisme et même le populisme. Ils doivent être au cœur des territoires pour apporter cette connaissance. Les chercheurs et les collectivités locales se sont donc associés pour mettre en place des formations à destination du grand public et, en parallèle, mettre en place des formations universitaires de type formation en ligne ouverte à tous (Massive open online course MOOC) pour apporter des compétences en santé environnementale à des étudiants de masters, de faculté de médecine ou à des professionnels.

Le but est le changement de comportement dans les pratiques et, surtout, la prévention. Le problème des cancers est souvent minimisé en disant que ce n’est pas grave parce que nous fabriquons de bons médicaments. Il faut savoir que les enfants traités ont des séquelles à vie, même s’ils sont guéris. Même si nous parlons souvent de cas, de numéros, de statistiques, ce sont des enfants qui se battent, des souffrances, des familles et il ne faut pas l’oublier.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette présentation assez édifiante et émouvante. Je comprends la souffrance, l’inquiétude et la peur des enfants et des familles, concernés par ces cancers.

Dans une autre vie, j’ai été directrice d’un hôpital d’enfants. J’ai été confrontée à tous ces petits crânes chauves qui se promenaient avec les pieds à sérum dans les couloirs de l’hôpital. J’ai reçu à plusieurs reprises des parents qui me racontaient leur désarroi, leur sentiment de culpabilité souvent et d’impuissance. C’est une des raisons qui m’ont amenée à m’engager en politique. Ce que vous venez de me présenter fait donc forcément écho à l’ancienne directrice d’hôpital, à l’élue et aussi à la maman. Croyez que je suis très attentive, que j’ai entendu votre témoignage. J’ai reçu les informations objectives que vous avez données, avec beaucoup d’intérêt ainsi qu’avec de la compassion et l’envie d’agir.

J’ai aussi beaucoup de questions parce que j’entends que votre démarche dépasse le cas particulier de Sainte-Pazanne. Elle se veut être un modèle du genre et pourrait être dupliquée dans d’autres régions.

Vous avez mentionné trois types de problèmes soulevés par l’apparition de ce nombre assez impressionnant de cas de cancers pédiatriques, de façon très dense. Le bon sens ne peut que nous amener à dire que ce n’est pas un hasard, que quelque chose se passe. Je comprends votre frustration face aux réactions très stéréotypées de vos interlocuteurs institutionnels. Le premier problème est donc celui de la reconnaissance des faits eux-mêmes, comme un cluster, par les autorités. Il s’agit d’un véritable problème de méthodologie scientifique. Mme Marie Thibaud a mentionné une première alerte suivie d’une première étude qu’elle a qualifiée d’administrative, puis une étude épidémiologique un peu plus médicale. En fait, il a fallu que vous-mêmes, les parents, essayiez de « secouer le cocotier » pour être pris au sérieux. Les outils semblent manquer avec l’absence de registre du cancer. Je crois possible de faire bouger les lignes sur ce sujet.

Le deuxième constat porte sur la recherche des causes pour pouvoir ensuite informer et éduquer la population. Vous avez vous-mêmes mobilisé la recherche, procédé à des prélèvements, ce qui a un coût financier. Vous êtes chercheur, vous avez donc un cadre méthodologique et quelques repères. Au CHU de Nantes où ont certainement été pris en charge tous ces enfants, n’ont-ils pas eu les mêmes réactions que vous ? Des équipes de recherche n’ont-elles pas été curieuses de comprendre ? N’ont-ils pas eux-mêmes fait ces prélèvements face à ce nombre de malades qui commençait à être statistiquement significatif ? J’ai l’impression que vous avez été extrêmement seuls au milieu de gens qui auraient dû se mobiliser. Certes, les uns ont suivi une démarche méthodologique-type, mais qu’ont fait ou non les hospitaliers universitaires ? Qu’avez-vous finalement fait de toutes ces informations que vous avez collationnées ? Avez-vous un interlocuteur à Santé publique France ?

Vous dites avoir fait une démarche de projet européen. Par qui êtes-vous soutenus ? Avez-vous contacté le ministère de la Recherche, les agences locales, le ministère de la Santé ? Comment arrivez-vous à sortir de votre solitude ?

Mme Marie Thibaud. Actuellement, nous connaissons 24 enfants qui ont déclaré un cancer depuis 2015. Ils ne sont pas tous suivis au CHU de Nantes, certains sont suivis par le CHU d’Angers. Toutefois, les services d’oncologie pédiatrique de Nantes et d’Angers collaborent étroitement. À Nantes, se trouve un service de pointe en cancérologie pédiatrique pour les hémopathies, c’est-à-dire les cancers qui concernent le sang. Angers est spécialisé dans les tumeurs cérébrales. Les enfants de notre secteur qui ont des tumeurs cérébrales sont donc suivis à Angers.

Pourquoi nos oncologues n’avaient-ils pas l’information ? Clairement parce qu’ils n’ont aucune idée de l’endroit où nous habitons. Ils ne savent pas que la commune de Saint-Mars-de-Coutais se situe à côté de Sainte-Pazanne. Ils font leur travail et soignent nos enfants, mais n’ont pas vocation à connaître nos lieux d’habitation. Ils ne savent même pas si nous venons d’ailleurs, à moins que les enfants ne soient suivis au CHU de Poitiers ou à l’hôpital de Saint-Nazaire.

La reconnaissance du cluster est, comme vous l’avez dit, une question de méthodologie. Je pense que la méthodologie de Santé publique France était valable, voici quelques décennies, si je peux me permettre de le dire ainsi, quand il était question de l’amiante, qu’une cause était directement reliée à une conséquence. Aujourd’hui, le cumul des facteurs de risque est réel. La responsable en région de Santé publique France, et notre interlocutrice directe sur le secteur, disait que, dans leur méthodologie, ils ne retrouvent pas de cause aux clusters dans 99,99 % des cas. Je parle des clusters de manière générale, qu’il s’agisse de clusters de bébés sans bras, de cancers pédiatriques. Ils ne trouvent pas les causes et c’est un problème de méthodologie, avec la recherche d’une seule et unique cause commune, uniquement à partir d’un questionnaire. Ils ne font jamais de prélèvements environnementaux, pas d’étude environnementale.

Les étapes de leur méthodologie sont d’abord l’alerte par des citoyens. Si l’ARS juge qu’il existe un risque, elle alerte Santé publique France qui mène une étude épidémiologique par un questionnaire envoyé aux familles. Ce questionnaire est le même partout et il est assez vide. Nous l’avons mis sur notre site Internet. Nous avions travaillé avec des familles du secteur pour ajouter un certain nombre de questions, puisque nous connaissons notre secteur. Nous avions rajouté des questions plus pertinentes, plus précises, sur ce qui pouvait être facteur de risque. Cela a été refusé catégoriquement par Santé publique France, parce qu’il est impossible de déroger à leur méthodologie.

Nous avions par exemple demandé à ce que des questions autour des pesticides soient incluses dans ce questionnaire, avec l’idée de prendre en compte « l’effet cocktail ». Santé publique France a refusé. La raison qui nous a été donnée était que ces substances sont trop ubiquitaires. Nous avons envoyé des questions à propos des perturbateurs endocriniens et des pratiques très précises de familles et de parents du secteur. Nous souhaitions que ces questions figurent dans le questionnaire. Santé publique France a refusé parce qu’il n’existe pas assez de littérature scientifique sur ce sujet. Nous nous retrouvons avec des questions pas du tout pertinentes. Les professionnels de Santé publique France eux-mêmes, lorsqu’ils se déplaçaient au domicile des familles, renvoyaient savoir pertinemment que ce questionnaire ne sert à rien.

C’est du temps perdu pour les familles qui accompagnent leur enfant, parfois jusqu’à la mort, de l’argent public dépensé pour rien. De plus, les questionnaires ont été remplis sous forme papier alors que les familles auraient pu les remplir informatiquement. Il a fallu à Santé publique France quatre mois simplement pour enregistrer les données papier. Je pense que la méthodologie peut vraiment être améliorée !

En attendant, les enfants continuent à tomber malades et à mourir. Si tout cela avait pu être pris en compte dès la première alerte, en 2016 ou 2017, nous n’en serions peut-être pas à 24 cancers d’enfants en 2020. Peut-être les recherches auraient-elles pu aboutir plus tôt.

M. Mickaël Derangeon. Je pense qu’il existe de très grandes compétences à l’ARS et à Santé publique France, mais ils ont une méthodologie totalement figée, qui ne permet pas l’expérimentation. Dans un cluster comme le nôtre, nous devrions essayer de mettre en place une nouvelle façon de répondre à cette problématique. La grande difficulté est le manque d’interaction avec les chercheurs, avec les forces locales qui peuvent venir aider à trouver les causes. Il faut coordonner ces forces pour qu’elles interagissent entre elles et que l’expérimentation soit possible. Tout l’intérêt d’un observatoire de la pollution est que l’ARS, Santé publique France, des scientifiques indépendants, des associations pourront être tous présents. Cela permettrait de sortir par la grande porte en apaisant toutes les tensions et c’est important.

Côté prévention, je pense que la littérature commence à être très fournie sur certains sujets, en particulier sur le chlorpyrifos, interdit depuis en 2020, dont nous savons depuis 2004 qu’il est responsable chez les enfants d’autisme ou d’une perte de quotient intellectuel. Nous avons pourtant attendu vingt ans pour agir.

Un cluster comme le nôtre devrait justement permettre de rebondir. Nous avons une problématique centrée sur un territoire. Allons essayer de faire des liens entre l’environnement et ces pathologies pour en tirer des connaissances, pour réaliser de la prévention. C’est le sens de mon engagement dans ce collectif et également celui de beaucoup de parents. Il s’agit de savoir ce que nous pouvons mettre en place pour limiter les risques et nous ne le ferons pas avec une simple étude sur questionnaire papier. Il faut des prélèvements sur le terrain.

Mme Marie Thibaud. Notre idée était de faire que ce qu’il se passe ici serve de laboratoire à ciel ouvert, que nous créions ici les données scientifiques puisque l’on nous dit qu’il n’existe pas de données. Créons les données, faisons les prélèvements, les analyses. À partir d’un cluster tel que le nôtre et peut-être des autres similaires en France, nous pouvons créer de la donnée scientifique. Nous ne saurons peut-être pas pourquoi nos enfants sont morts ou sont tombés malades, mais nous ferons de la prévention pour le futur. Des scientifiques et des chercheurs pourront corréler les données, croiser les résultats.

Par contre, si nous n’avons même pas la donnée de base, jamais nous ne pourrons croiser les données et avoir une efficience de l’État pour protéger la population.

M. Mickaël Derangeon. Les élus locaux se sont mobilisés pour le projet européen Life. Le fait que je sois élu local, adjoint à la santé et à l’environnement, a effectivement facilité les choses, mais une petite mairie comme Saint-Mars-de-Coutais est prête à apporter 40 000 euros sur cinq ans pour ce projet. L’agglomération de Pornic, la commune de Sainte-Pazanne, Atlantic’Eau sont partantes également. Les gens ont envie de comprendre et de faire de la prévention, mais les élus locaux ne savent pas comment faire, ils n’ont pas les compétences. C’est là encore l’intérêt d’un observatoire dont les scientifiques pourront les aider.

Le Collectif met en place de nouveaux process à Atlantic’Eau. Aujourd’hui, nous mesurons molécule par molécule, avec une certaine norme à respecter pour chaque molécule, mais nous sommes incapables de dire ce que provoque une combinaison de molécules. Des publications scientifiques montrent que, même si les normes sont respectées pour chaque molécule, une combinaison de trois molécules peut multiplier les risques de maladies d’Alzheimer par 20 chez des modèles murins. Nous mettons en place des « bioessais » dans lesquels nous testons sur le vivant les conséquences d’un mélange. Atlantic’Eau met ces essais en place à différents endroits pour que nous soyons certains de la qualité sanitaire de l’eau. Atlantic’Eau est dans une démarche expérimentale, une volonté d’améliorer et de prévenir pour la santé de tous. L’intérêt de l’observatoire serait ainsi de concentrer les compétences pour alimenter les décisions après avoir donné les connaissances.

Cette connaissance n’est pas facile, elle est très spécifique. Les scientifiques peuvent la « digérer » et la rendre accessible à la population. C’est ce que nous voulons développer par le projet Life. Rendre la connaissance accessible aux citoyens fait partie de notre mission de service public en tant que chercheurs. D’un point de vue sociétal, c’est aussi lutter contre le populisme et l’obscurantisme.

Mme Marie Thibaud. Nous n’avons au départ reçu de soutien ni du conseil régional, ni du conseil départemental ni des maires, mais uniquement de Mme Sandrine Josso qui, en tant que députée, a été présente au comité de suivi et nous a relayé beaucoup d’informations. Mickaël Derangeon est élu depuis la dernière mandature et la situation commence à bouger. Mme Christelle Morançais, présidente de la région des Pays de la Loire, nous a reçus récemment. Le président de notre département, M. Philippe Grosvalet, nous recevra vendredi de la semaine prochaine. Nous saluons le fait qu’ils nous reçoivent et nous entendent, que nous puissions peut-être bouger tous ensemble, mais ne perdons plus de temps, car des enfants continuent de tomber malades. Je souhaite que cette audition, notre écoute et votre relais permettent de faire avancer la question.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. J’ai effectivement participé au comité de suivi avec votre collectif, l’ARS et tous les membres de ce comité. En juillet 2020, j’ai lancé l’alerte au Parlement en demandant une commission d’enquête, raison pour laquelle vous êtes auditionnés aujourd’hui. Dans le rapport de cette commission d’enquête, que je remettrai le 16 décembre, l’axe des cancers pédiatriques sera un axe majeur.

J’ai été très sensible à votre partage. Vous avez toujours été très constructifs, très sérieux et votre collectif est remarquable par sa façon de travailler. Je tenais à vous le dire.

Mme la présidente a rappelé avoir été touchée dans sa carrière par des enfants atteints de cancers et j’ai moi-même un enfant qui a eu un cancer. Je comprends d’autant mieux votre situation.

Comme vous l’avez souligné, les élus locaux ont besoin d’être formés sur ces sujets. Au niveau de tous les conseils régionaux en France, il existe un plan régional santé environnement (PRSE) qui n’est pas activé de manière assez efficace sur ce sujet dans les Pays de la Loire. C’est certainement un axe de progrès indispensable et je me réjouis que vous puissiez être en contact avec la région des Pays de la Loire et le département de Loire atlantique, car nous sommes très en retard. Avec vous, avec les élus et les citoyens qui se mobiliseront, je pense que nous pourrons travailler de manière constructive et opérationnelle.

Votre proposition d’un observatoire est très intéressante. Nous avons bien remarqué que chaque ministère parle de santé environnementale, mais, finalement, l’information sur la santé environnementale, l’impact de l’homme sur son environnement et ses conséquences sont finalement des notions qui ne sont pas partagées. Il faudrait créer une sorte d’office national de la santé environnementale pour coordonner ces informations et mettre en place des plans d’action efficaces. La présentation ce mois-ci du quatrième plan national santé environnement (PNSE) contenait beaucoup de chiffres, mais ces chiffres avaient trait à la littérature et non à des objectifs quantifiés. Je me réjouis que, à la suite de ce rapport, nous puissions proposer des actions constructives et des axes d’amélioration.

Compte tenu de vos critiques sur les enquêtes réalisées, que pourrions-nous faire pour les améliorer ? Lors du comité de suivi, nous avons remarqué certains dysfonctionnements de l’ARS. Comment améliorer le fonctionnement des comités de suivi ? Quelles sont les motivations du combat du collectif contre l’implantation des éoliennes ? Le préfet des Pays de la Loire s’est positionné et je voudrais connaître votre réaction.

M. Mickaël Derangeon. Pour illustrer ces dysfonctionnements, prenons le cas de l’école de Sainte-Pazanne dans laquelle se trouvent quatre enfants ayant une leucémie. Santé publique France n’a pas été capable de nous donner un exemple d’une autre école en France ayant eu quatre cancers en moins de cinq ans.

Cette école se trouve à côté d’un gros transformateur et d’une ancienne usine de traitement de bois. Cette usine a été dépolluée par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et transformée en zone d’habitation dans les années 2010. Après cette dépollution, il restait des taux très élevés de lindane, d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et d’hydrocarbures. Des doutes sur cette ancienne usine sont donc apparus tout de suite. Des levées de doutes dans cette école ont été demandées.

Le collectif a trouvé que quatre lignes à haute tension passaient sous cette école. Nous avons dû nous battre pour le faire reconnaître et il a été proposé que les enfants jouent ailleurs que dans la cour de l’école pour éviter les lignes à haute tension. Une première étude de juillet 2019 montre que, dans cette école, nous trouvons dans l’air du lindane, des champs électromagnétiques et du radon à une concentration d’environ 1 100 becquerels par mètre cube alors que la norme est de 300 becquerels par mètre cube. Toutefois, la mesure doit être faite sur deux mois pour la norme alors que l’étude n’a fait la mesure que sur trois semaines, mais finalement, en trois semaines, nous avions déjà dépassé la dose tolérée en deux mois. La décision de l’ARS a été de laisser l’école ouverte en disant que les seuils n’étaient pas dépassés puisqu’il fallait attendre deux mois pour le radon. Pourtant, une grosse étude danoise montre que la combinaison entre champ électromagnétique et radon augmente le risque de leucémie.

En mars 2020, l’ARS nous indique que tout va bien, car des travaux ont été effectués sur la charpente et une ventilation mise en place. Ils disent que les taux de lindane sont fortement diminués, que les champs électromagnétiques et le radon ne sont pas inquiétants, mais, en même temps, ils ferment deux classes. Je ne comprends pas que l’école ne ferme pas lorsque les taux de lindane et de radons sont élevés, mais que deux salles de classe soient fermées alors que les taux ont été diminués.

En juillet 2020, des campagnes de mesures ont été refaites et une augmentation du taux de lindane constatée. Les conclusions sont que le lindane ne vient pas du site d’à côté, qu’ils ne savent pas d’où il vient. Ils nous expliquaient que, en juillet 2019, la présence du lindane était liée aux fenêtres fermées et qu’il venait de la charpente. Des travaux ont été faits sur la charpente. Je suppose que les enfants passent tout le temps scolaire à frotter la charpente pour dégager autant de poussière. En juillet 2020, cette fois, le taux élevé de lindane est dû aux fenêtres ouvertes, il vient de l’extérieur, mais ils ne savent pas d’où. Tout cela ne donne pas un sentiment de confiance !

Je me pose la question du principe de précaution. Nous avons dans cette école tous les facteurs de risque pour développer des leucémies et nous n’arrivons pas à les diminuer malgré les travaux. Le radon a diminué, mais reste un peu au-dessus de la norme ; le lindane et les champs électromagnétiques sont toujours présents.

Mme Marie Thibaud. Au départ, nous ne nous étions pas posé la question de ces projets de parc éolien et des implantations d’éoliennes. Nous ne sommes ni anti ni pro-éolien mais nous avons constaté que, avant 2015, le registre indiquait clairement l’absence de cancer pédiatrique dans le secteur. Les cancers pédiatriques sont enregistrés depuis 2015. Or, parmi toutes les recherches que nous avons faites, nous avons remarqué que les parcs éoliens voisins ont été implantés à partir de 2015.

Nous nous sommes demandé comment des parcs éoliens pourraient avoir un lien avec des cancers pédiatriques et nous avons cherché. Il existe un peu de littérature sur le sujet : elle tourne autour des champs électromagnétiques, pas de l’éolien lui-même, mais une éolienne est raccordée par des lignes souterraines à haute tension. Ces lignes sont raccordées à des postes sources et elles génèrent des champs électromagnétiques. Depuis 2015, des éoliennes ont été implantées, nous avons donc plus de champs électromagnétiques.

Ces champs électromagnétiques, dans notre secteur, sont beaucoup plus forts, parce que nous sommes sur un sol constitué de granit et de schistes, donc plus conducteur, extrêmement fissuré. Nous sommes en zone sismique avec beaucoup de microséismes, un peu plus de 80 en un an ce qui creuse davantage de failles. Nous sommes au milieu de carrières, ce qui fracture encore plus la roche. Enfin, nous sommes en zone humide, avec le lac de Grand-Lieu et le secteur de Rouans qui est sous l’eau. Les nappes phréatiques sont très hautes donc la conductivité est beaucoup plus importante qu’ailleurs. Nous avons transmis ces informations à nos élus locaux et nous avons découvert l’existence de quatre projets éoliens dans le secteur. Ils sont prévus dans la zone du cluster de cancers pédiatriques sur les communes de Rouans, Chaumes-en-Retz, Saint-Hilaire-de-Chaléons et Sainte-Pazanne.

Nous n’avons pas de certitude, mais les champs électromagnétiques sont reconnus par l’Organisation mondiale de la santé comme facteur de risque de leucémie pédiatrique. Nous disons que, puisque la situation sanitaire est dégradée sur notre territoire, que les enfants tombent malades, certes sans que nous en connaissions exactement les causes, il faut faire une pause dans ce développement éolien pour ne pas aggraver la situation.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Je sais que votre collectif travaille avec d’autres. Avez-vous remarqué une augmentation du nombre de clusters ces dernières années ? Comment expliquez-vous que la mortalité liée aux cancers pédiatriques soit inconnue ? Comment pourrions-nous améliorer la transmission des informations entre les professionnels, la population et les pouvoirs publics ? J’ai remarqué à la réunion de clôture que nous ne parlions pas le même langage, ce qui est très angoissant, et Santé publique France ne pouvait pas être rassurant.

Il manque des moyens pour la recherche préventive. C’est le sujet sur lequel nous devons travailler en priorité, mieux évaluer les impacts de l’aménagement du territoire comme les éoliennes, les projets de méthaniseurs…

M. Mickaël Derangeon. L’objectif de l’observatoire de la pollution est précisément de rapprocher les chercheurs de la population. Les chercheurs ont l’habitude de communiquer. La défiance des citoyens envers les agences sanitaires m’inquiète énormément. Je pense que des personnes indépendantes doivent intervenir. Les scientifiques sont indépendants et sont capables de parler avec tout le monde, de rassurer la population, de transmettre ces connaissances.

Par le collectif, nous avons reçu les données sur les bioessais à Atlantic’Eau et, lorsque j’en ai parlé aux familles, elles étaient rassurées. Un lien de confiance a été créé avec les gens, parce qu’ils n’ont pas été pris pour des enfants, pour des idiots, que les informations leur ont été données, ainsi que les questions que nous nous posions.

Par exemple, nous avons trouvé dans l’eau du phtalate, un perturbateur endocrinien. J’ai pu expliquer qu’un nouveau-né, un enfant ont telle concentration, qu’un enfant absorbe telle concentration de phtalate en jouant avec un jeu en plastique, que nous en trouvons telle quantité dans l’eau. J’ai dit que nous pensons que cela n’a pas d’effet, mais que nous ne pouvons pas l’exclure et que nous continuons les campagnes de mesures. L’information a été transparente ce qui n’a pas créé de problème. Il faut parler aux citoyens sans les infantiliser, recréer un lien de confiance, encore plus avec ce que nous vivons actuellement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Avec mon collègue M. Yannick Haury, j’ai participé à une mission sur les causes majeures des submersions marines. À l’époque de la tempête Xynthia, les élus et les citoyens ne se rendaient pas vraiment compte de l’importance de ce danger qui nous guettait. Je pense que nous sommes dans la même situation, avec une prise de conscience aidée par la covid. Il faudra sensibiliser encore plus.

M. Mickaël Derangeon. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu avoir des sociologues dans notre consortium pour nous aider à la conduite du changement. Même en apportant des données, il n’est pas facile d’être dans le changement. À mon avis, des sociologues devraient intégrer l’observatoire de la pollution pour aiguiller, pour aider les décideurs à induire ce changement des pratiques. Changer nos façons d’être n’est pas facile, il faut une prise de conscience et nous avons besoin de spécialistes. Des sociologues spécialistes entrent justement dans le projet Life que nous avons déposé.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Beaucoup d’actions peuvent également être menées dès la grossesse et la petite enfance. Mme la présidente est très investie sur ce sujet. Nous sommes exposés toute notre vie à des facteurs de risque. Travaillons ensemble à les diminuer. Pour les 75 ans de la sécurité sociale, nous pouvons être à l’an 0 de la santé environnementale et nous avons beaucoup à créer ensemble.

Il faut ouvrir les débats. J’ai remarqué lors des comités de suivi que nous fonctionnons en vase clos. Il faut les ouvrir aux chercheurs extérieurs, à des associations qui mènent des actions formidables comme celle du docteur Pierre Souvet que nous avons auditionné hier. Certaines ARS ont beaucoup de relations avec les élus et les associations. Appuyons-nous sur les exemples remarquables qui existent pour avancer ensemble.

M. Mickaël Derangeon. Durant le premier mois de vie de l’enfant, son cerveau grossit de 4 grammes par jour, soit 1 % de son poids total. Chaque molécule qui interfère peut avoir un impact phénoménal sur ses capacités d’apprendre et de se développer.

Mme Marie Thibaud. Nous sommes en contact avec le docteur Pierre Souvet qui nous apporte soutien, connaissances, compétences. Son association a créé des miniguides et nous les avons proposés à l’ARS, lors des comités de suivi, pour partir sur l’axe de la prévention, pour que les parents sachent et que les médecins soient formés autrement. L’ARS a catégoriquement refusé, dans le cadre des comités de suivi, de mettre en place quoi que ce soit à partir de ces outils, en nous indiquant qu’ils en créeraient eux-mêmes. Nous leur avons fait remarquer que lorsque des outils existent, fonctionnent, ont été reconnus, nous pourrions les utiliser en attendant d’en créer d’autres pour notre territoire. Les ARS sont indépendantes, mais, si l’une d’entre elles a construit un outil très opérationnel, il serait cohérent de le réutiliser ailleurs.

Je ne peux pas vous dire si le nombre de clusters augmente, justement parce qu’il n’existe pas de chiffres. Nous sommes en contact depuis plus d’un an avec Mme Chloé Fourchon qui a été lanceuse d’alerte dans le Haut-Jura et m’avait contactée suite à la médiatisation de notre secteur. Elle s’étonnait de voir de nombreuses familles avec des cancers autour de chez elle et se demandait que faire. Je lui avais transmis des informations sur les possibilités d’action. C’est le même phénomène en Charente-Maritime autour des communes de Saint-Rogatien et Périgny ainsi que dans l’Eure. Je connais ces trois clusters en France, dans lesquels est appliquée la même méthodologie avec la même absence de recherches environnementales.

Je ne sais pas si cela correspond à une augmentation, car il faudrait pour conclure disposer de données chiffrées au niveau national.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les données existent pourtant. L’Institut national du cancer (INCa) a des relevés de données épidémiologiques de terrain. D’après ce que nous avons entendu lors des différentes auditions, les bases de données existent, mais elles ne sont jamais collationnées et superposées pour en tirer des conclusions. C’est pourtant le rôle de l’INCa. J’étais à la commission des Affaires sociales en début de mandat. Je me souviens que nous avions voté une grosse somme pour la recherche sur les cancers pédiatriques. Qu’est devenu cet argent ? Redescend-il en termes de recherches, de démarches, de mobilisation de l’INCa ? Je suis un peu étonnée de ce désert que vous décrivez.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Nous avons d’ailleurs eu un débat à ce sujet à l’Assemblée nationale. M. Éric Woerth, président de la commission des Finances, en a parlé. Il souhaite plus de transparence. Les registres ne sont pas à jour, c’est une évidence. Pour avoir été touchée, je peux vous dire qu’il faut que les médecins soient plus mobilisés et travaillent plus en commun. Nous n’avons pas de questionnaire et lorsque nous demandons pourquoi notre enfant est malade, le médecin répond être là pour soigner et non pour rechercher les causes.

Il faut déjà que nous parlions tous ensemble. Nous sommes en 2020, nous avons des moyens avec l’intelligence artificielle, des travaux sont faits en Europe, mais il reste énormément de travaux à faire et il faut compter sur l’énergie de tous.

M. Yannick Haury. Je voulais vous questionner sur les dispositifs obligatoires dans certains territoires tels que les plans de prévention des risques naturels, des risques littoraux, des inondations… Il existe des procédures obligatoires pour protéger les populations de certains risques, mais, en matière de santé, des dispositifs tels que le contrat local de santé sont facultatifs. Ils sont liés au fait local. Étant donné l’importance de la santé, ne devrait-il pas être obligatoire de mettre en œuvre toutes les mesures qui permettent de diminuer au maximum les risques d’exposition à ce qui peut être nuisible pour la santé ?

Ma deuxième question concerne le rôle de chacun. L’État est représenté dans les territoires par les agences régionales de santé : c’est la déconcentration des services de l’État. En ce qui concerne les compétences transférées aux collectivités locales, le département a un rôle majeur dans la protection sanitaire des enfants, mamans et futures mamans puisqu’il a la charge de la protection maternelle et infantile. À part ce cas, les collectivités locales s’approprient les sujets au gré de leur sensibilité. Ne faudrait-il pas que les compétences soient réparties de façon plus claire, plus lisible ? Il serait bon que les habitants sachent qui a la responsabilité de quoi plutôt que cette dilution des compétences qui fait que nous ne cherchons à y voir clair que lorsqu’une anomalie se produit. La situation est confuse même pour les élus, avec des initiatives qui varient selon les territoires.

M. Mickaël Derangeon. Le contrat local de santé n’est pas obligatoire et devrait effectivement l’être à mon avis. Toutefois, il faudrait d’abord savoir contre quoi nous devons agir donc commencer par des diagnostics locaux de santé. Faire un état général de la santé dans le pays de Retz était d’ailleurs une des premières demandes du collectif, pour savoir s’il ne se produisait que des cancers pédiatriques. Mes filles connaissent toutes les deux des cas de cancers, mon garçon a une microcéphalie et elle n’est pas génétique. Cela pose des questions. Il faut faire ce diagnostic général puisque ce sont des problèmes de développement.

Avec les data dont disposent les CHU et les cliniques privées, qui sont tous informatisés, faire de tels diagnostics ne serait pas compliqué. J’ai discuté avec des chercheurs de l’IMT Atlantique – École nationale supérieure des Mines-Télécom – qui disent que ce serait extrêmement simple : il s’agit juste de visualisation de data et cela ne nécessite pas des millions d’euros.

S’agissant du rôle de chacun, je reprends l’exemple de la commune de Saint-Mars-de-Coutais. Nous en sommes à cinq enfants cancéreux pour 2 600 habitants. J’ai interrogé la directrice de l’école : elle n’a eu aucune information. Il n’est même pas venu un médecin scolaire pour faire de la prévention auprès des instituteurs. Une petite fille est décédée en même pas un mois d’une leucémie fulgurante. Si tout le monde avait été sensibilisé, nous l’aurions peut-être sauvée.

Mme Marie Thibaud. Le médecin a pensé que la petite fille était déprimée.

M. Mickaël Derangeon. J’imagine la difficulté pour le médecin qui fait une erreur de diagnostic. C’est horrible et il faut faire ces formations, pour tout le monde. Nous en sommes à 24 cancers sur le territoire et ce n’est toujours pas fait. Aucun médecin scolaire n’est passé dans les écoles pour faire de la prévention auprès des instituteurs et des agents pour leur demander de prévenir les parents s’ils remarquent un enfant déprimé, de la fatigue, un bouton de moustique qui ne guérit pas… Sans faire de l’alarmisme, un énorme travail de prévention reste à faire. Certes, nous manquons peut-être de médecins scolaires.

Par ailleurs, vous avez raison : la répartition des compétences est très compliquée. Nous ne savons pas trop où nous adresser. C’est justement pour surmonter ces difficultés que nous avons imaginé un observatoire de la pollution qui concentrerait toutes les compétences. Dans notre cas, il serait expérimental et permettrait d’alimenter la connaissance, la prévention, la compétence des élus locaux, de faire des formations au niveau national. Nous avons répondu à l’appel à projets Life au niveau européen parce que nous pensons que ce projet est également transposable au niveau de l’Europe.

Mme Marie Thibaud. Votre question, M. Yannick Haury, reprend celle de Mme Élisabeth Toutut-Picard sur le partage et le croisement des données. Il existe des données, mais elles sont cloisonnées à différents endroits. Nous avons énormément de compétences, mais elles ne sont pas utilisables, car elles ne sont pas croisées les unes avec les autres. Elles restent dans un coin et c’est la santé de la population qui est en jeu.

Peut-être ne faut-il pas nommer notre projet observatoire : c’est le terme que nous utilisons. Il s’agit en tout cas de faire un diagnostic, peut-être par l’intermédiaire d’un contrat local de santé, de venir faire des prélèvements sur le terrain, des analyses, d’avoir des données et de pouvoir tirer des conclusions. À mon avis, une autre étape est à ajouter : l’évaluation. Nous ne pouvons pas nous arrêter à un diagnostic. Il faut évaluer ce qui est mis en place et voir si cela peut être amélioré.

M. Mickaël Derangeon. Nous n’avons pas abordé l’aspect économique. D’après l’étude de Santé publique France publiée en juillet 2019, nous enregistrons une augmentation de plus de 50 % des cancers chez la femme. Les coûts des cancers sont astronomiques. Nous avons demandé à M. Jérôme Foucault, de l’INCa, à combien revient en moyenne le cancer d’un enfant. Ils ne sont pas capables de nous le dire. Il s’agit probablement de plusieurs millions d’euros.

Nous devrions être capables de faire de la visualisation de data pour avoir aussi une notion des coûts, sans parler de l’éthique et de la prévention. La prévention nous permettrait peut-être d’identifier en temps réel une usine qui pollue, un agriculteur qui a une pratique particulière avec certains pesticides. En évitant des cancers, nous économiserions quelques millions d’euros.

Mme Marie Thibaud. Cela permettrait aussi d’assurer un accompagnement. L’idée n’est pas de cibler qui que ce soit ou quoi que ce soit. L’idée est que nous pourrons mieux accompagner le changement, si nous disposons de données sur ce cumul d’expositions. Les scientifiques sont prêts à aller sur le terrain pour expliquer aux élus, à tous les niveaux, ainsi qu’aux citoyens.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. J’ajoute les agents administratifs. Il faut les former également ainsi que les infirmiers. Ce sujet ne doit plus être en option, il doit faire partie des formations agricoles, médicales, des formations des agents administratifs de l’État, à tous les niveaux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les difficultés méthodologiques que vous relevez ne concernent malheureusement pas que la problématique des cancers pédiatriques, mais toutes les pathologies chroniques qui atteignent maintenant un niveau extrêmement inquiétant. La difficulté que nous avons entendue lors des précédentes auditions est méthodologique : nous avons de multiples données, sanitaires et environnementales, mais les chercheurs et les agences sont confrontés à la difficulté de savoir quoi chercher.

Par exemple, dans le cas de l’eau potable, à quel endroit faire les prélèvements ? Faut-il les faire en amont, en aval, dans les campagnes, à quelle saison ? Par ailleurs, qu’est-ce qu’une bonne santé ? Est-ce ne pas être malade ? Devons-nous cibler certaines maladies ? Les cancers pédiatriques sont aisément identifiables parce qu’ils sortent de la norme, mais les maladies chroniques s’installent silencieusement. Je ne veux pas minimiser le sujet, mais je crois qu’il faut être conscient des difficultés méthodologiques.

Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec le directeur de Santé publique France qui nous a dit qu’il faudrait une bonne dizaine d’années avant d’arriver à avoir une base de données. Ce serait le système parfait avec un énorme cerveau. Je pense que nous pouvons commencer par un travail un peu artisanal et, effectivement, la situation de votre région pourrait être un modèle pour voir comment construire autour d’une seule problématique.

La pathologie est plus facile à cerner, mais les causes peuvent être multiples. Comme vous le dites, vous en êtes encore à chercher des sources. Toutefois, nous connaissons la conséquence et nous pouvons essayer de remonter avec la parole des parents, l’historique de la famille, des habitudes de l’enfant pour trouver des pistes et créer un modèle méthodologique. Nous pourrions ainsi positiver cette masse de souffrances qui est vôtre et dont nous sommes tous coresponsables. C’est un élément d’un processus à construire. Il faut convaincre tous les acteurs, nationaux et locaux. Le champ de travail est très large.

Je vous félicite de vous être lancés dans cette bataille et, surtout, de le faire avec objectivité, sans passion qui donnerait l’impression que vous êtes plus portés par de l’émotionnel que du rationnel. Nous entendons bien que vous avez réfléchi, que vous avez pris le temps de construire vos propositions et qu’elles « tiennent la route ».

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Sur les maladies chroniques, un axe du rapport considérera l’obésité comme une maladie. Je pense que nous aurions pu limiter le nombre de morts de la covid en étant plus opérationnels sur la prévention. Les investissements sont certes importants, mais nous gagnerions beaucoup avec cette nouvelle façon d’envisager la santé, en mettant le maximum de compétences et d’investissements sur la prévention.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie d’avoir partagé votre témoignage et pour votre investissement, pour tous les autres petits enfants qui risquent de se retrouver dans la même situation que les vôtres. Je vous félicite pour votre travail et nous verrons ce que nous pouvons faire pour vous aider.

L’audition s’achève à quinze heures trente.

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53.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) (19 novembre 2020)

L’audition débute à quinze heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. M. Jean-François Guégan est directeur de recherche de classe exceptionnelle à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), actuellement accueilli en raison de ses travaux antérieurs à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) pour conduire une approche de recherche « Une seule santé ». Il enseigne également à l’université de Montpellier et à l’École des hautes études en santé publique. Il est expert auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ancien membre du Haut Conseil de la santé publique et préside le conseil scientifique de l’École nationale vétérinaire de Toulouse.

Quelles conséquences la conception de la santé-environnement qui prévaut en France emporte-t-elle, en particulier en ce qui concerne la prise en compte du risque infectieux biologique et les choix de conduite de la recherche ?

(M. Jean-François Guégan prête serment.)

M. Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Après trente ans de carrière dans la recherche scientifique en tant que fonctionnaire d’État et plus de cinq ans de doctorat et de post-doctorat, ce dernier réalisé en Grande-Bretagne, je vous propose une rapide synthèse de quelques avis et constats que j’ai pu faire sur la recherche actuelle dans le domaine environnement-santé et, en ce qui me concerne, dans le domaine biologique-infectieux.

J’ai effectué mes dix dernières années de recherche dans un laboratoire d’excellence. Je trouve que c’est une formidable initiative qui permet un « confinement géographique » de la recherche, ici en Guyane. Cela permet une meilleure transversalité, une meilleure multidisciplinarité. Je copilote un projet soutenu par la National science foundation, le National Institutes of Health et la fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).

Mes disciplines sont la parasitologie, l’infectiologie non médicale – c’est-à-dire que je ne suis pas médecin – et l’écologie numérique, avec beaucoup de modélisations et de biostatistiques. Mes thèmes de travail sont la transmission infectieuse environnement-humain ou environnement-animal-humain ou animal-humain. C’est une approche aujourd’hui nommée « One Health » mais que je développe depuis plus de vingt-cinq ans.

Le cadre de ma recherche est constitué des changements globaux et des maladies infectieuses émergentes. Je travaille particulièrement sur deux sujets : changement climatique et maladies infectieuses, biodiversité et maladies infectieuses. Je suis spécialiste de la transmission infectieuse. J’ai travaillé sur le virus de la rougeole, le virus de la fièvre du Nil occidental, les grippes aviaires, la bactérie de la coqueluche, des bactéries responsables de la méningite à méningocoques et je travaille actuellement sur la bactérie responsable de l’ulcère de Buruli. Mon formalisme de recherche est constitué d’épidémiologie biostatistique avec des approches comparatives et intégratives.

La recherche française en épidémiologie est structurée selon une pensée que je qualifie de « mimétique ». Je veux dire qu’elle mime des préceptes qui reposent sur une connaissance dans le temps récent et qu’elle s’intéresse essentiellement à des évènements actuels ou du passé proche, au détriment d’une compréhension historique et écologique. En conséquence, les évènements et les explications historiques et écologiques sont expurgés. Ceci entraîne une perte de connaissances, une moindre importance accordée aux déterminants de santé situés en amont et une incapacité à comparer entre elles les crises, à la faveur d’évènements et d’explications actuelles, avec un formalisme étiologique biologique.

Les phénomènes chroniques ont toujours plus d’intérêt ou d’importance que les phénomènes aigus. Nous nous intéressons à la dernière molécule produite, nous développons la recherche pour cette molécule et nous oublions un peu l’amont, en particulier le risque chimique et biologique. Je constate que tous les programmes santé-environnement en France, y compris en ce qui concerne l’analyse des risques naturels, sismiques, chimiques, toxiques ou biologiques, écartent rapidement les risques biologiques parce que cette épidémiologie est mimétique et s’intéresse à des dangers immédiats, nouvellement apparus, comme dans une course en avant. J’appelle ceci l’hypothèse de la Reine rouge : la recherche s’intéresse au dernier questionnement, par exemple à un nouveau fongicide. Ceci prime sur les interrogations anciennes non résolues, comme dans le processus de la Reine rouge du livre de Lewis Carroll : la Reine rouge court très vite et Alice ne parvient pas à la rattraper.

Le processus de recherche est un peu similaire aujourd’hui, y compris dans le milieu infectieux avec ces fameuses maladies infectieuses émergentes. On nous parle aujourd’hui de la covid-19 et du virus qui en est responsable, mais qui travaille aujourd’hui en France sur des virus ou des bactéries dont nous parlions voici deux ou trois ans comme le virus Zika ou le virus du chikungunya ? Cette fuite en avant est très dommageable pour l’appareil de recherche.

Je vous ai transmis le rapport Biodiversité et néonicotinoïdes de la FRB. Il s’agit d’une expertise collégiale concernant les néonicotinoïdes et leurs impacts sur la biodiversité. Nous avons fait dans ce rapport des propositions de recherche et d’orientations stratégiques.

Notre première proposition est la nécessité d’une compréhension globale de la toxicité et du devenir des produits et molécules. Par exemple, nous ne savons rien ou pratiquement rien des produits de dégradation des néonicotinoïdes, de leur persistance dans les sols, dans l’eau et de leur niveau de toxicité pour l’animal, la biodiversité et l’humain.

La deuxième proposition porte sur l’importance des cohortes, des suivis de populations et d’espèces au long terme, du changement d’échelles spatiales et temporelles. La toxicologie travaille à des niveaux d’échelle très fins alors qu’il est recommandé de passer à des niveaux d’échelle supérieurs, de s’intéresser à la toxicité de ces molécules « en communauté ». Si ces molécules affectent les batraciens, les bactéries du sol, les oiseaux, mais aussi l’humain, cette conjonction d’évènements nous permet de définir que ces molécules sont nocives pour la vie sur Terre.

Notre troisième préconisation est de renforcer les approches numériques et la modélisation. Les analyses statistiques effectuées aujourd’hui en toxicologie pouvaient être puissantes et acceptables dans les années 1950-1960 mais, eu égard au développement de la statistique ces dernières années, ces recherches nécessitent maintenant de nouveaux outils.

Ce rapport préconise donc une vision globale étudiant la toxicité de ces molécules, non seulement chez l’humain, mais aussi dans l’environnement, dans les sols, dans l’eau et sur les différentes composantes de la diversité biologique.

La recherche en épidémiologie et santé publique est aussi très analytique, disjonctive, insuffisamment intégrative et transversale. La démarche consiste à décortiquer des ensembles, complexes par nature, en composantes simples pour les analyser, en imaginant que la somme des parties reproduira l’organisation d’ensemble. Ceci constitue une erreur fondamentale. Nous savons aujourd’hui que la reconstitution des plus petites briques ne nous permet pas de comprendre l’ensemble. La théorie des systèmes l’interprète et l’analyse très bien. Nous constatons ainsi que 70 % à 72 % des résultats de la recherche en biomédecine et en biologie sont non reproductibles pour différentes raisons, dont celle que je viens de donner.

Les questions de recherche sont posées dans des temps courts et spatialement réduits, au laboratoire ou dans des études de biologie cellulaire ou moléculaire. Le temps des appels d’offres scientifiques, la pensée réductionniste conduite par une étiologie biologique, l’évaluation de la recherche concourent tous à réduire la recherche à des compréhensions dans des temps courts et à des échelles spatiales fines. Les problématiques mondiales actuelles telles que la pandémie, le changement climatique, l’érosion de la biodiversité ne peuvent pas toutes être étudiées au laboratoire et selon les préceptes de la pensée réductionniste.

Nous sommes donc face à un dilemme. La recherche prioritaire, celle qu’il faut faire, consiste à décortiquer les éléments en plus petites parties et à travailler au laboratoire, entre autres sur la preuve de la causalité, alors que les problèmes que nous rencontrons se développent à de larges échelles. Vous ne pouvez pas placer l’écosystème ou la Terre entière dans un laboratoire.

Il existe donc à mon avis une déconnexion entre certaines recherches, leurs méthodologies, et les questions complexes, globales, interconnectées. Il devient urgent de sortir les chercheurs de leurs laboratoires et d’une forme de conformisme.

L’approche expérimentale et le réductionnisme biologique constituent une étape de la démarche scientifique mais ne sont pas une fin. À nouvelle question, nouveau positionnement de la recherche. Face à cette crise mondiale, nous sommes conduits à repositionner cette recherche et à devoir le faire très rapidement.

Je prends comme exemple un travail effectué par des collègues de niveau international pour comprendre les déterminants de la covid-19. Certains sont connus, comme les facteurs de comorbidité : par exemple, les gens porteurs de problèmes cardiaques sont plus affectés par le virus de la covid-19 et en meurent. D’autres graphiques montrent d’autres paramètres intéressants à analyser, comme le régime politique qui a énormément d’importance pour expliquer le taux de mortalité. Ce type d’analyse qui foisonne dans le monde anglo-saxon n’est en général pas très apprécié en France. C’est ce que la médecine appelle une recherche écologique. Cette recherche écologique est pour la médecine l’état zéro de la connaissance et de la démarche scientifique alors que cette même recherche, basée certes sur des faits corrélatifs, permet de comprendre certains déterminants non mis en avant auparavant.

Je prends un exemple proche de mon domaine de recherche. Il existe des similarités entre la transmission du virus Ebola en Afrique et du virus Nipah en Malaisie. Le virus Nipah a provoqué des mortalités très importantes, avec un taux de mortalité de 70 % à 80 %, bien plus élevé que pour le virus responsable de la covid. Nous comprenons aujourd’hui l’écologie de la transmission de ce virus, associé à la présence de palmiers. Toutefois, même lorsque les systèmes infectieux présentent de nombreuses similitudes, la comparaison entre ces deux situations est interdite en France, du fait de l’hégémonie de formation, en l’occurrence la taxonomie. Le virus Ebola est un filovirus alors que le virus Nipah est un paramyxovirus et la médecine refuse toute comparaison parce que ce sont des virus de familles différentes. Pourtant, le système infectieux et les déterminants qui sont à l’œuvre pour voir l’émergence de ces virus sont identiques, même si les virus sont de natures différentes.

La recherche privilégie la recherche aval, curative, dans la réaction, très bien dotée au détriment d’une recherche en amont, anticipative, extrêmement peu dotée. Le déséquilibre est flagrant. Comme la question des déterminants de santé publique est fondamentale en santé publique, elle l’est aussi en matière de maladies infectieuses émergentes. Ce sont des circonstances anthropologiques, sociologiques, démographiques, agricoles, pas du tout bactériennes ou virales à l’origine, qui orientent et favorisent la survenue de ces émergences.

Un virologue par essence nécessite l’apparition d’un virus. Ce virus donnera un foyer épidémique, voire une pandémie, pour pouvoir être étudié, mais il est déjà trop tard, lorsque le foyer épidémique a éclos et que l’épidémie risque de se répandre. Il faut donc repenser nos dispositifs de recherche pour comprendre, en amont de l’émergence, les déterminants de cette émergence. Ils sont autres que ceux de la médecine et de la virologie dans le cas de la covid. Le système emprisonne finalement le raisonnement.

La stratégie de tout miser sur la recherche vaccinale est pour moi un pari risqué. Je ne dis pas qu’il ne faut pas produire des vaccins. Au contraire, il faut continuer à le faire, mais il ne faut pas seulement avoir la stratégie de fabriquer des vaccins. Il faut aussi d’autres types de thérapeutiques, en particulier des antiviraux. Actuellement, dans le monde, personne n’est capable d’estimer globalement le coût de la recherche et de la production des vaccins. Personne ne parle non plus des très nombreux échecs, pour quelques succès qui miment un processus aléatoire : nous faisons énormément de recherches, nous enregistrons énormément d’échecs pour quelques résultats. Ce pari est donc très risqué. Nous n’avons pas de vaccin contre le virus Ebola, contre le paludisme. Ceux développés contre la dengue ne fonctionnent pas pour différentes raisons. J’en parle dans un article dans le journal économique La Tribune qui sortira dans quelques semaines.

Les estimations des économistes, en particulier ceux de l’École d’économie de l’université d’État du Wyoming, montrent qu’une recherche d’anticipation sur les maladies infectieuses émergentes revient 100 à 700 fois moins cher qu’une recherche à visée curative.

De mon point de vue, la recherche et les institutions ne sont pas suffisamment armées pour se positionner en amont dans la surveillance et l’anticipation. J’appelle ceci le paradoxe des déséquilibres de masse, car nous avons énormément de chercheurs qui travaillent dans la réaction et très peu dans la pro-action et l’anticipation. Nous ne sommes pas préparés et il faut mener une réflexion à ce sujet, opérer des recrutements dans des recherches d’anticipation.

La plupart des grandes organisations, dont le Wellcome Trust, revoient leur stratégie, parce que les épidémies que nous connaissons depuis une trentaine d’années coûtent à la société mondiale 60 milliards de dollars chaque année. C’est aussi approximativement ce qu’ont coûté les deux épidémies à coronavirus liées aux SARS-CoV-1 et MERS-CoV.

Énormément d’institutions anglo-saxonnes très réactives ont lancé un processus de réflexion et des actions pour une compréhension et un développement de la recherche beaucoup plus en amont sur des territoires de pré-émergence. Il s’agit de connaître les conditions que l’homme organise pour voir émerger de futurs virus ou de futures bactéries. Charles Nicolle, un de nos grands infectiologues des années 1930 disait : « Un agent pathogène ne le devient pas par nécessité mais par circonstances. » Nous développons par nos activités des circonstances qui permettent ces éclosions virales et bactériennes.

En incise, j’ai montré dans le journal The Conversation, en avril 2020, qu’il existe une très nette corrélation entre le nombre de cas de covid enregistrés dans un pays et le nombre de tests pratiqués. Plus vous développez de tests, plus vous trouverez d’individus affectés par le virus de la covid. En extrapolant à la population française le nombre de tests pratiqués en avril 2020, vous auriez donc trouvé entre 1,2 et 8 ou 9 millions de personnes infectées en France le 10 avril. Je suis très choqué que cette réflexion n’ait pas eu lieu en amont, comme si l’utilisation de la technologie servait à elle seule et que les résultats suffisaient. Pourtant, il faut interpréter ces résultats et, derrière l’utilisation de la technologie, il existe toujours des hypothèses sous-jacentes.

Nous observons actuellement, notamment au niveau européen, une pluie d’appels d’offres sur les thèmes d’une vision intégrative et transversale à ces recherches alors qu’il n’existait quasiment rien pendant vingt à trente ans. Il a été très difficile de se maintenir pour certaines équipes. Une stratégie de recherche ne peut se décliner ainsi. En France, il demeure très difficile de financer un programme intégratif transversal par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Une analyse sur huit à dix ans des programmes financés et de leur adéquation aux problématiques actuelles serait judicieuse. Je suis moi-même financé par des programmes financés par des institutions américaines comme je vous l’ai dit en introduction.

Il existe une difficulté à faire apparaître de nouvelles problématiques dans les institutions et il n’existe pas de promotion des prises de risques en matière de recherche. Cela me semble un point très important. C’est la raison pour laquelle j’apprécie de travailler dans le monde anglo-saxon car nous pouvons y avoir une prise de risques en recherche.

Les sujets sont, de plus, pas, mal ou partiellement traités et les mots-clés actuels – changement climatique, érosion de la biodiversité, maladie infectieuse émergente – sont en fait utilisés pour continuer à pratiquer la même recherche avec le même formalisme. Ces thèmes majeurs, essentiels servent souvent de prétexte ou d’alibi et il existe aujourd’hui en recherche un monde entre les mots et les choses.

Avec le changement civilisationnel, un changement des pratiques et du formalisme scientifique est recommandable. Ce changement doit interroger sur l’organisation actuelle des institutions de recherche qui sont trop conservatrices et sur le processus d’évaluation de la recherche lui-même. Le Comité national français des changements globaux (CNFCG) a rendu un avis qui préconise un changement des pratiques et des formalismes scientifiques, de la manière dont nous pratiquons la recherche, aujourd’hui basée sur un fondamentalisme réductionnel.

La cacophonie générale qu’a entraînée un positionnement très autoritaire dans la crise pandémique en France, faisant un contraste saisissant avec nos collègues allemands, a amené la suspicion sur la démarche scientifique et médicale. Je pense qu’il sera très difficile de récupérer de cet état de fait. Des messages malheureux ont été délivrés à nos jeunes chercheurs et aux lycéens qui souhaiteraient devenir chercheurs. Ils auront une mauvaise image de ce qu’est la recherche.

Nous vivons nous-mêmes, en recherche, une période très difficile, du fait de ces positionnements autoritaires de quelques personnes. Je remarque d’ailleurs une absence de positionnement du ministère de la Recherche. Il aurait été bon que quelqu’un de ce ministère se positionne sur ce problème. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’intervenir pour rétablir la confiance des citoyens, mais aussi des personnels médicaux et de recherche. Je peux vous dire que beaucoup de jeunes chercheurs aujourd’hui se posent la question de savoir s’ils continueront dans cette voie.

Au-delà, je pose une question toute simple, pour avoir évalué de nombreuses équipes, dont les équipes de certaines personnes qui sont beaucoup intervenues dans les médias ces derniers temps : à quoi servent les évaluations du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ?

Je reviens sur deux sujets qui ne sont pas correctement traités. Le premier concerne le changement climatique et les maladies infectieuses à transmission vectorielle. Chacun dirait que le changement climatique a énormément d’importance pour comprendre la diffusion, la transmission et l’expansion des maladies à transmission vectorielle. Un travail de méta-analyse a été publié en avril 2019 ; il montre que 54 % des papiers produits ces vingt-cinq à trente dernières années trouvent un effet du changement climatique dans la dispersion et l’expansion des maladies infectieuses et parasitaires à transmission vectorielle mais cela signifie que le complémentaire, soit 46 % des articles, montre un effet inverse ou une absence d’effet. Qui en parle ? Pire, en ce qui concerne les 54 % de papiers qui montrent un effet du changement climatique, 97 % n’ont utilisé en entrée d’analyse que des variables biométéorologiques. Ils s’étonnent que ces variables biométéorologiques soient des variables explicatives parce qu’ils ne les confrontent pas à des variables sociologiques, politiques, écologiques ou d’autres domaines. Nous avons donc une vision très tronquée.

Le second sujet concerne le lien entre déforestation et maladies infectieuses émergentes. Nous constatons à partir des années 2007-2008 une explosion de la quantité de publications sur ces sujets, mais une grande partie de ces articles ne traitent pas le sujet. Ils ne se replacent pas dans le cas d’une forêt en cours de déforestation pour analyser un processus conduisant à l’émergence de maladies infectieuses. La plupart de ces équipes vont en forêt, à la recherche ou de virus ou de nouvelles bactéries et les décrivent. Ces micro-organismes pourraient se révéler être potentiellement pathogènes pour l’humain, mais les chercheurs ne répondent pas à la question principale posée : quel est l’effet de la déforestation sur le processus d’émergence ?

Voici comment les mots-clés actuels peuvent être utilisés par les chercheurs eux-mêmes, alors que le papier ne traite pas du sujet annoncé, soit dans le résumé, soit dans le titre de l’article.

J’anime au niveau national un séminaire suite à mon mandat au Haut conseil de la santé publique. Il s’agit d’un séminaire de l’École du Val-de-Grâce sur les maladies infectieuses émergentes. Voici quelques semaines, nous avons réalisé un atelier sur la communication. Je trouve toujours très étonnant que soient publiés dans les médias des propos tels que « Comment s’est effectuée la découverte du vaccin ? » Nous pouvons penser aujourd’hui que ces vaccins seront efficaces, mais nous ne connaissons pas leur niveau de toxicité. Nous ne savons pas s’ils seront acceptés par les populations. Nous voyons un problème de communication, non seulement médiatique, mais aussi scientifique, et un problème de parole publique sur lequel il faut sérieusement travailler.

Une de mes étudiantes a travaillé cette année, à l’OMS, sur la prochaine pandémie selon cette organisation. Le taux de transmission R0 du virus de la covid-19 est entre 2 et 3 et son taux de mortalité est inférieur à 1 %. Il existe une relation entre la transmissibilité d’un agent pathogène et son niveau de morbidité : plus il est transmissible, moins il est pathogène. Les formes les moins transmissibles peuvent être peu pathogènes ou très pathogènes. Nous nous attendons, dans le futur, à une pandémie de grippe aviaire. Le virus de la grippe aviaire a une pathogénicité et un taux de mortalité en population nettement plus élevés que la covid. Que ferons-nous avec ce type de virus, beaucoup plus mortel que la covid-19 ? Dans quel état seront nos sociétés face à un risque qui peut cette fois être considéré comme majeur ?

J’ai quelques remarques concernant plus spécifiquement le quatrième plan national santé environnement (PNSE4). Ce plan ne contient pas d’indicateur de réussite en termes de santé. Il ne contient pas d’action claire donnant des chemins de transformation prenant en compte la santé environnementale, même si One Health et le fameux triptyque santé animale, santé humaine et santé environnementale sont mentionnés. Nous héritons souvent des maladies que la santé des environnements nous apporte.

Il faut à mon avis développer des recherches dans les territoires sur les socio-écosystèmes et suivre, comprendre, analyser les trajectoires dynamiques en dotant ces recherches de moyens à long terme. Il s’agirait d’étudier comment évoluent l’ensemble des acteurs en fonction du taux d’occupation des sols, de la densité de population humaine, de la biodiversité, qui peut représenter un danger sanitaire en termes de risque infectieux, du niveau de pollution et des différents types de pollution. Puisque nous assistons actuellement à la disparition de 30 % des espèces d’oiseaux à cause des insecticides, nous pouvons penser que ces insecticides et d’autres biocides affectent aussi la population humaine de façon importante. Nous devons croiser ces sujets.

Il faut réfléchir aux notions d’état des lieux – le fait qu’un lieu soit pollué, contaminé – et d’effets concomitants et similaires sur différentes espèces, dont l’humain. Nous ne pouvons pas extraire l’humain d’une communauté animale. Si des oiseaux, des batraciens, l’eau elle-même ou les sols sont pollués, l’espèce humaine qui vit sur ces substrats en subit aussi les conséquences. Il n’existe aucune raison de séparer l’humain des autres espèces. Il faut analyser ces sujets de façon communautaire.

Je pense aussi, mais ce n’est pas mon domaine d’expertise, qu’il faut faire évoluer la juridiction sur ces sujets plutôt que de chercher à comprendre l’impact sur l’humain uniquement. Je suppose que vous avez tous vu l’émission télévisée consacrée à la situation en Bretagne avec les algues, leur dégradation, la production de sulfure d’hydrogène et la mortalité de certains animaux, dont les sangliers, et cette personne dont le cheval meurt de ces gaz tandis que l’homme lui-même tombe en état comateux. La responsabilité des gaz dans la mort du cheval est reconnue, tandis qu’elle est discutée pour le malaise de l’humain. Il s’agit de milieux pollués, contaminés, d’effets concomitants et similaires. Ces gaz affectent autant l’animal que l’humain.

Je propose donc :

– de constituer un groupe de travail « Une seule santé, One Health » qui prendra la suite du groupe de travail (GT) 1 « Biodiversité et santé » du PNSE 3 ;

– de mieux prendre en compte les interactions entre santé et biodiversité dans les actions du plan ;

– de faire du plan un document porteur de solutions fondées sur la nature, avec des indicateurs de suivi associés ;

– d’organiser le suivi des interactions avec des plans sectoriels sous l’égide du groupe de travail « Une seule santé, One Health ».

Parmi les références bibliographiques sur ces questions, j’insiste sur un rapport du Haut conseil de la santé publique intitulé Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives, paru en 2011 sous la direction de Mme Catherine Leport, professeur infectiologue, et moi-même. Nous avons travaillé sur la préparation de l’État au risque infectieux émergent.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour ce cours magistral et un peu « décoiffant » sur l’état de la recherche en France. Vous avez soulevé des problèmes éclairants sur le fait que nous paraissons finalement ne rien apprendre de l’expérience. Nous nous habituons tant bien que mal, nous essayons de trouver des solutions sur un mode toujours réactif mais nous ne prenons jamais vraiment le temps de réfléchir ni, surtout, comme vous l’avez bien dit, d’anticiper. J’entends avec beaucoup d’intérêt ce que vous avez dit sur la déformation intellectuelle de nos chercheurs. Vous avez d’ailleurs osé dénoncer le conservatisme de la recherche qui, dans certains cas, comme actuellement pour la covid, peut être mortel. Vous avez indiqué travailler sur ces sujets depuis un certain nombre d’années et cela ne nous a pourtant pas permis de nous préparer à cette pandémie. Vous avez ajouté, en nous faisant peur, que cette pandémie n’est rien par rapport à ce que nous pourrions vivre si jamais la grippe aviaire prend le relais.

Vous disiez apprécier davantage l’ambiance de la recherche anglo-saxonne qui favorise les formations initiales pluridisciplinaires alors que, en France, nous sommes hyperspécialisés. Cela entraîne, dans le travail de recherche, des biais cognitifs par manque d’expertise pluridisciplinaire et le fait que les hypothèses sous-jacentes sont influencées par l’ambiance intellectuelle du moment. L’ambiance est toujours dans le curatif plutôt que le préventif et l’anticipation.

Le manque d’appétence des jeunes chercheurs à travailler en France ne s’explique peut-être pas uniquement par le niveau des salaires, mais aussi par cette ambiance très frustrante qui empêche la créativité et la prise de risque, par le manque de liberté de penser et d’oser penser différemment.

Les problématiques que vous avez soulevées appartiennent à l’ambiance culturelle de la recherche actuelle, mais sont dues aussi au fait que l’objet recherché est complexe, puisque vous avez parlé d’approche systémique. En santé environnementale, nous nous heurtons souvent à ce problème de savoir par où commencer. Les interactions sont tellement nombreuses, les interdépendances tellement diffuses que nous ne savons plus très bien quelle approche méthodologique suivre. Que pourriez-vous nous proposer pour être réellement opérationnel sur cette réalité infiniment complexe, sachant aussi que le temps du chercheur n’est pas le temps du politique ? Les politiques sont amenés à demander conseil aux chercheurs. Lorsqu’ils sentent un flottement sur la parole scientifique, ils sont déstabilisés et désorientés, surtout lorsqu’ils essaient de s’accrocher à quelques résultats scientifiques qui semblent probants mais ne sont pas totalement fiables. Les lobbyistes s’engouffrent dans ces brèches en contestant la parole scientifique.

Quelle approche méthodologique permettrait d’être opérationnel pour un politique coincé dans le délai d’un mandat, obligé de faire vite et d’être efficace ?

M. Jean-François Guégan. Depuis trente ans, avec l’essor fantastique de la biologie moléculaire en particulier, nous avons beaucoup favorisé la spécialisation, voire l’hyperspécialisation. Nous manquons de généralistes, de gens qui ont un bon degré de compétence dans une discipline, mais sont aussi capables de broder, de faire des liens avec d’autres disciplines. Nous le retrouvons avec la difficulté d’évaluer ces personnes qui ont un esprit plus généraliste, qui sont souvent plus inventifs et créatifs. Le premier pas est de remédier à ceci en favorisant la démarche généraliste dans les universités et les grandes écoles.

Je m’intéresse beaucoup à l’épistémologie et la philosophie des sciences. Je fais aujourd’hui une différence entre un intellectuel et un chercheur. Nous avons de nombreux chercheurs mais beaucoup moins d’intellectuels. L’histoire n’intéresse pas. Malheureusement, pour avoir enseigné l’épistémologie des sciences à Montpellier, les premiers cours supprimés dans les universités françaises sont l’histoire des sciences et la philosophie des sciences, alors que le besoin de ces enseignements est très important.

Il faut certes des spécialistes, mais il faut aussi des généralistes, des gens capables d’interpréter ce que dit un spécialiste d’une discipline et de voir les ponts, les jonctions à faire avec un autre spécialiste d’une autre discipline. Cela demande de la curiosité. Je pense que les spécialistes vivent dans un cocon confortable, parce qu’ils côtoient les leurs, mais ne vont pas, ou très peu, au contact d’autres disciplines. Personnellement, mon monde est d’aller au contact d’économistes, de spécialistes de sciences politiques, de gens qui sont différents de moi.

Par exemple, dans une spécialité comme l’immunologie, les progrès récents faits dans le monde anglo-saxon concernent l’immunologie computationnelle, c’est-à-dire l’immunologie numérique. Nous avons des difficultés avec des systèmes que nous croyions simples et qui sont finalement extrêmement complexes, comme le système immunitaire. La seule solution pour étudier ces systèmes complexes est de passer par l’immunologie numérique, c’est-à-dire en utilisant les statistiques et l’intelligence artificielle.

Il nous manque des gens capables de faire des synthèses, d’intégrer et des formations qui apprennent à le faire. En France, je pense que des gens capables de faire des synthèses sont présents dans les grandes écoles, mais l’Université s’est à mon avis beaucoup trop spécialisée. Il faut réfléchir rapidement à des formations beaucoup plus transversales, qui permettraient de reconstruire ces liens entre les disciplines. Il faut aussi travailler sur l’évaluation de la recherche et l’évaluation des chercheurs. Je ne peux pas me plaindre puisque j’ai le plus haut grade de la fonction publique pour un chercheur et j’ai toujours eu de très bonnes évaluations, mais les évaluations restent toujours très difficiles parce que les gens ne savent pas où mettre un chercheur comme moi : suis-je biostatisticien, épidémiologiste ? Je prétends être les deux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Le problème est identique en politique. Il faut absolument avoir une étiquette.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment évaluez-vous le dispositif actuel de financement de la recherche en santé environnementale ? Comment l’améliorer ?

En tant que chercheur, avez-vous participé à des actions de mise en œuvre du PNSE 3 ? Avez-vous pris connaissance du projet de PNSE 4 actuellement soumis à consultation publique ? Si oui, qu’en pensez-vous ? Pourriez-vous en particulier préciser de manière assez concrète ce qu’il serait bon d’améliorer ?

M. Jean-François Guégan. À l’origine, le financement des dispositifs de recherche en santé-environnement provenait pour l’essentiel du ministère de l’Environnement. À ma connaissance, ce ministère, devenu aujourd’hui ministère de la Transition écologique, n’a plus d’appels à projets. C’était pourtant une très bonne idée : les initiatives prises dans le cadre de certains programmes de recherche étaient fabuleuses. Il faudrait recréer des appels d’offres par ce ministère mais, ces dernières années, le Gouvernement a voulu que la seule institution pouvant faire des appels d’offres soit l’ANR où toute approche globale de ces sujets, sortant d’une étiologie et d’un formalisme réductionnistes, n’est pas en odeur de sainteté, depuis quatre ou cinq ans. La plupart de mes collègues ont cessé de répondre aux appels d’offres de l’ANR, lorsqu’ils proposent des visions globales, car ils sont sanctionnés à la lumière de cette vision très conservatrice d’une étiologie réductionniste. Nous sommes plusieurs à ne plus répondre à l’ANR et à chercher l’argent ailleurs.

Si une nouvelle crise pandémique à virus a lieu, nous recruterons évidemment des virologues. Je ne dis pas qu’il ne faut pas en recruter. Nous en avons déjà beaucoup, il en faudra certainement d’autres, mais nous devons aussi réfléchir aux autres disciplines qui peuvent travailler en amont.

J’ai beaucoup travaillé dans le cadre du PNSE 2 et du PNSE 3, notamment pour le plan régional 3 en Guyane. J’ai été très sollicité par mon institution ces derniers mois pour le PNSE 4. Nous avons produit un document qui préconise une approche de santé-environnement en territoires, en suivant des cohortes de population.

Par exemple, des collègues de l’Inserm ont travaillé sur les niveaux d’incidence de la maladie de Parkinson en population humaine. Cette incidence est très liée au développement agricole et, en particulier, à certaines agricultures, dont notamment la viticulture. À l’intérieur même de la viticulture, le Bordelais est plus particulièrement touché. Les biocides ont été beaucoup utilisés dans cette région ces dernières années. Il existe ainsi un fort lien entre le développement agricole et la maladie de Parkinson, mais aussi probablement d’autres maladies.

Je préconise le suivi de cohortes de population humaine, mais aussi de populations d’espèces animales. Le même phénomène doit se produire chez les oiseaux, chez les batraciens, chez les bactéries du sol. Quels sont les niveaux des différents biocides dans le sol, dans les eaux ? Que deviennent les molécules issues des biocides ? Nous n’en savons rien. Nous demandons une meilleure coordination entre les ministères de l’Agriculture, de la Santé, de l’Environnement et de la Recherche. Nous souhaitons que soit conduite une étude sur huit à dix ans qui permettrait de comprendre, dans différents types de cohortes de différentes espèces, les incidences que peuvent avoir ces toxiques, ces biocides et autres sur la biodiversité, l’humain en faisant partie. Nous obtiendrions des faisceaux de compréhension sur différents éléments, dont l’humain, mais pas uniquement, qui nous permettraient de mettre en évidence les effets sur tel ou tel type de territoire. Voir ce qu’il se passe au niveau de multiples cibles serait mieux que de travailler uniquement sur l’humain, que de plonger systématiquement dans la recherche au laboratoire ou la recherche de la causalité pour savoir si telle molécule est bien responsable, est bien toxique.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Nous devons modifier profondément nos habitudes alimentaires pour préserver notre environnement, peut-être réduire notre consommation de viande. Quelles sont les alternatives à la portée d’une majorité d’individus pour permettre cette transformation, sans que ces changements soient trop drastiques ?

M. Jean-François Guégan. Les changements ne peuvent de toute façon pas être drastiques. Il faudra des années pour assurer cette transition. Je travaille actuellement sur ces sujets à l’INRAE.

Nous ne savons pas bien, car peu de recherches ont été effectuées, si le fait de sortir des animaux d’élevage pour les remettre dans les champs présente des dangers sanitaires pour ces animaux. Ces animaux ont été mis sous cloche exactement comme nous avons été mis sous cloche, ces derniers mois, pour nous protéger d’un danger sanitaire. L’une des premières raisons de la constitution des élevages est la minimisation du risque sanitaire infectieux. Nous n’avons pas de réponse toute faite. Sans parler de l’élevage intensif, je vous explique finalement que mettre des animaux en élevage est intéressant, parce qu’il minimise le risque infectieux.

Nous savons que l’élevage mondial, notamment pour la production de viande rouge, donc essentiellement des ruminants, altère les terres, les espaces naturels, en particulier les forêts primaires atteintes de déforestation pour le développement de cet élevage. Ces vaches produisent des quantités importantes de gaz à effet de serre – 20 à 30 % – ce qui a un effet sur le changement climatique. De plus, la consommation de cette viande rouge est responsable de maladies chroniques, de cancers, de maladies cardiovasculaires ou du diabète de type 2. Manger de la viande n’apporte donc pas que des avantages, mais a aussi des conséquences dramatiques. Nous essayons à l’INRAE de calculer et de mesurer ces différents bénéfices et risques du développement de la production animale.

Nous devrons effectivement réduire notre consommation, en particulier de viande rouge. Je suis né dans les années 1960 et, à l’époque, la population mangeait en moyenne seulement deux ou trois fois par semaine de la viande rouge. Un excès de consommation a eu lieu dont nous voyons aujourd’hui les conséquences, les conséquences négatives étant bien supérieures aux effets positifs de cette consommation.

Il est important de réfléchir au développement de l’agriculture : dans quels espaces ? Comment ? Combien ? Il s’agit d’éviter des dangers sanitaires nouveaux, par exemple le risque infectieux. Des pays comme la Thaïlande, le Vietnam, le Nigeria ont toute une politique agroalimentaire de développement de production de poulets dans des zones à forte diversité biologique, donc à fort risque de nouvelles maladies infectieuses émergentes. Il faut vraiment réfléchir à ces orientations, à ces trajectoires. Nous ne pouvons pas empêcher ces pays de le faire, mais, d’ici dix ans, ces pays seront très probablement des foyers d’émergence de nouvelles infections.

Il faut développer la cartographie, la surveillance, l’incitation à de nouvelles orientations et proposer des solutions. Le problème de la viande de brousse, notamment en Afrique, ne provient pas tellement de la consommation elle-même, en ce qui concerne le risque infectieux, mais plutôt des pratiques de chasse lorsque les gens sont mordus ou griffés ou reçoivent des postillons ou des fèces lorsque les animaux sont tués. C’est probablement de cette façon que les précurseurs des virus HIV sont passés de l’animal à l’homme. Malgré tout, vous ne pouvez pas interdire à ces populations de chasser. Les populations les plus pauvres du monde pratiquent cette chasse, de manière séculaire. Il faut leur proposer les moyens de leur subsistance, en leur donnant la possibilité de développer une agriculture respectueuse de l’environnement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles actions spécifiques pourraient être conduites à destination des jeunes et des enfants pour les sensibiliser à ces problématiques ?

M. Jean-François Guégan. Nous pourrions enseigner de manière simple ce que je viens d’expliquer : ne pas afficher uniquement les bénéfices de la consommation de viande rouge, mais discuter des impacts de cette consommation sur la dégradation des écosystèmes naturels, sur la perte de diversité biologique, sur le risque infectieux, sur le développement de nouvelles maladies chroniques.

L’histoire se répète de manière géographique. Nous observons actuellement la transition épidémiologique en Afrique où les gens cumulent des dangers sanitaires infectieux et des dangers chroniques.

M. Yannick Haury. Vous avez beaucoup insisté sur l’approche complexe au sens d’Edgar Morin et d’autres et sur l’approche systémique. La masse de connaissances ne cesse d’évoluer. Nous parlons beaucoup aujourd’hui de perturbateurs endocriniens et, dans les équipes d’endocrinologues des hôpitaux, certains qui connaissent bien sûr la matière sont plus spécialisés l’un sur la thyroïde, l’autre sur les surrénales… Nous avons besoin de spécialistes, de gens qui connaissent vraiment un sujet.

Les généralistes connaissent un peu tout mais la masse actuelle de connaissances permet-elle de connaître un peu tout ? Ne faudrait-il pas plutôt des approches pluridisciplinaires, en mettant en relation des secteurs vétérinaires, des agronomes… ? Mettre en relation ces personnes qui, chacune dans son domaine, maîtrisent un certain nombre de connaissances ne serait-il pas mieux que d’avoir des généralistes ? Je pense que, depuis l’époque de Léonard de Vinci, la masse de connaissances est devenue telle qu’elle ne permet plus à un même individu de maîtriser les interactions possibles entre tout ce qui explique ou fait naître un phénomène pathologique.

M. Jean-François Guégan. Je suis en grande partie d’accord. Je pense tout de même qu’il existe des gens capables d’agréger, plus ou moins bien, même si la masse d’informations qui nous arrivent est très difficile à agréger par une personne. Elle peut l’être par un collège de personnes.

J’insiste toutefois sur le fait que nous avons en France beaucoup moins capitalisé sur la capacité de synthèse des chercheurs et plus sur leur raisonnement analytique, descriptif et réductionniste. Je suis d’accord avec vous que cela doit se faire dans le cadre de collèges où la multidisciplinarité puisse s’exprimer. C’est ce que nous avons développé en Guyane dans le laboratoire d’excellence Centre d’étude de la biodiversité amazonienne (Labex CEBA). Par confinement géographique, nous sommes tous en Guyane et nous devons tous collaborer ou quitter la place, si nous ne sommes pas d’accord pour collaborer avec les collègues. Ce confinement par place géographique est une très bonne solution pour obliger les chercheurs à devoir coexister et se parler. Finalement, dans la démarche scientifique actuelle, nous avons laissé la place à une forme d’isolationnisme de la démarche scientifique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Espérons que la crise de la covid nous aidera à évoluer et à remettre les curseurs au bon niveau. Vous nous avez donné quelques motifs d’espoir, en parlant d’une forte agitation avec une pluie d’appels d’offres. Quelques recherches porteront peut-être sur des démarches beaucoup plus synthétiques.

L’audition s’achève à seize heures quarante.

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54.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Amar, directrice générale du Registre des malformations en RhôneAlpes (REMERA) (19 novembre 2020)

L’audition débute à seize heures quarante-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mme Emmanuelle Amar est infirmière, épidémiologiste, créatrice et directrice générale du Registre des malformations en Rhône-Alpes (REMERA). Créé en 2006, le Registre des malformations en Rhône-Alpes a repris en 2007 les activités de l’Institut européen des génomutations (IEG), premier registre des malformations créé en France en 1973. Le registre REMERA poursuit quatre types d’actions :

– la surveillance et l’alerte, en mesurant la fréquence et la répartition des malformations ;

– l’analyse des facteurs de risque qu’ils soient d’ordre génétique ou liés à l’environnement, aux modes de vie, etc. ;

– la recherche, notamment quant à la prévention ;

– la mise à disposition de données.

(Mme Emmanuelle Amar prête serment).

Mme Emmanuelle Amar directrice générale du Registre des malformations en Rhône-Alpes (REMERA). J’ai également été auditrice de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie, qui a pour objectif de créer des maillons entre la science et la société. C’est à ce double titre que je vous propose cette présentation, selon quatre axes qui concernent :

– les malformations et leur lien éventuel avec l’environnement ;

– la surveillance/alerte : il n’existe aucune sécurité sanitaire sans données et aucune donnée sans algorithme ;

– le PNSE 4 et ce qu’il apporte à la sécurité sanitaire en rapport avec les risques malformatifs ;

– les suggestions que je vous soumettrai.

Dans les pays développés, les malformations sont responsables d’environ un quart de la mortalité périnatale totale. Elles concernent entre 4 et 4,5 % des naissances. En Rhône-Alpes, elles concernent 4,7 % des naissances. Cela signifie qu’un peu plus de trente mille naissances par an sont porteuses de malformations, qu’elles soient vivantes ou pas.

Si nous considérons que les facteurs environnementaux représentent tout ce qui est indépendant de la mère, ils concernent environ 10 % des malformations. Cela signifie qu’environ trois mille enfants naissent avec des malformations qui auraient pu être évitées. Les malformations constituées sur la base d’une association entre un gène de susceptibilité et un environnement particulier représenteraient environ 25 % des étiologies probables des malformations. Ce constat est significatif. Elles relèvent notamment d’expositions à certains médicaments (Dépakine), à des substances toxiques (cocaïne, alcool, notamment), à des polluants, tels que ceux émis par le trafic routier ou les incinérateurs d’ordures ménagères), à des pesticides, à certains agents infectieux (zika, rubéole, mais apparemment pas la Covid‑19), à des solvants organiques, aux métaux lourds, etc. L’ensemble de ces expositions augmente le risque de survenue de malformations.

Je vous ai exposé les facteurs connus. L’étiologie de plus de 50 % des malformations demeure totalement inconnue. Aucune recherche n’ayant été engagée depuis de nombreuses années, la connaissance des malformations n’a pas évolué. C’est pourquoi il est important de procéder, non seulement à une surveillance épidémiologique qui permet de disposer, à bas coût, de données non biaisées pour la recherche, mais également à la recherche elle-même.

Nous avons également remarqué des disparités territoriales dans le diagnostic anténatal et dans la survenue des malformations. Il existe donc un intérêt manifeste à disposer de données issues de zones géographiques étendues (rurales, montagneuses, urbaines), car cela permet de poser les termes de choix et de décisions à prendre en matière de proximité et de qualité des soins.

La France dispose d’un atout non négligeable par rapport à d’autres pays, à savoir le dépistage en période anténatale de plus de 85 % des malformations majeures et qui conduisent, pour les plus graves, à une interruption médicale de grossesse. Ce constat explique d’ailleurs peut-être la pauvreté de la France en matière de registres des malformations. Autrement dit, la France a mis l’accent sur le dépistage et la prise en charge de l’enfant à naître, ce qui est tout à l’honneur de notre système de santé qui, dès lors, est très peu impacté par le coût financier des malformations.

A contrario, ce dépistage précoce et rapidement solutionné conduit à négliger la prévention primaire. À titre d’exemple, nous avons constaté lors de la pandémie liée à la Covid-19 que nous avions totalement perdu l’habitude de nous laver les mains très régulièrement. En épidémiologie, nous appelons cela les « queues de programme », à savoir que lorsque le dépistage est très efficace et conduit au constat que plus aucun cas vivant n’est infecté, on arrête le financement de la surveillance. Depuis la création des registres, au début des années quatre-vingt, cet arrêt de la surveillance a concerné plus d’une dizaine de départements. Dans le passé, la France du Centre et de l’Est était intégralement surveillée. Le financement de la surveillance a été arrêté puisque plus aucun cas n’étant détecté, il n’y avait plus de raison de poursuivre. C’est alors que d’autres cas surviennent et on n’a plus les moyens de les étudier. S’agissant des malformations, j’ai le sentiment que le coût de l’inaction en matière de prévention primaire a largement prévalu sur celui de l’action de surveillance et de recherche.

Quel que soit leur domaine d’application, les deux fonctions, surveillance et alerte, sont liées. Les raisons pour lesquelles on exerce une surveillance résident dans la capacité consécutive à prendre des décisions et à agir rapidement. Il est très important de connaître le lieu de résidence des mères au premier trimestre de leur grossesse, période pendant laquelle les malformations surviennent. À l’heure actuelle, seul un registre qui dispose de dossiers exhaustifs, documentés et géolocalisés, permet de fournir des informations relatives aux issues malformatives, non seulement quant à la prévalence et à la répartition géographique des malformations, mais également aux expositions médicamenteuses, toxiques et environnementales.

À titre d’exemple, je rappellerai l’affaire dite des « bébés nés sans bras ». Le 31 octobre 2018, le directeur de l’agence Santé publique France était interrogé au micro de RTL quant à l’existence de clusters dans plusieurs régions françaises. Sa réponse fut la suivante : « Nous avons débuté une enquête sur l’ensemble du territoire. Nous avons commencé par le département de l’Ain ; nous finirons le mois prochain la région Rhône-Alpes et nous couvrirons l’ensemble du territoire. Les résultats pour la France entière devraient être disponibles dans trois mois ». Deux ans plus tard, les résultats ne sont toujours pas disponibles et ils ne le seront jamais. Si d’aventure, un excès de cas de malformations était suspecté dans une des régions non surveillées par un registre (Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Corse, Grand Est, Hauts-de-France, Île-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Pays-de-Loire, Provence-Côte-d’Azur), l’alerte resterait lettre morte du fait de l’impossibilité de l’étayer par des données chiffrées. Le signalement récent émis par la région de l’Étang de Berre est demeuré sans suite parce que personne n’a été en mesure de confirmer le nombre de naissances d’enfants nés sans bras autour de cet Étang de Berre.

Pendant que les données numériques explosent, tant en volumes qu’en vélocité d’analyse, notre système de santé est encore incapable de répondre à la question, pourtant élémentaire, relative au nombre d’enfants qui naissent chaque année en France porteurs de malformations majeures, telles que l’agénésie de bras ou de jambes ou encore de rein. Récemment, sur Twitter, une personne interrogeait quant à la distribution professionnelle et socio-économique de la mortalité liée à la Covid-19. Un professeur de sciences lui a répondu que tout était dorénavant informatisé. Un personnel hospitalier a alors précisé : « Attention, ce qui coince sur les data hospitalières, c’est qu’il faut partir des dossiers des patients, ce qui nécessite un énorme travail de collecte, hôpital par hôpital. Les données des patients restant enregistrées au niveau local, faire une requête par établissement reste un job énorme ». Tout est dit. En effet, on ne connaît pas le nombre de malformations parce que la collecte des données « reste un job énorme ». La donnée existe, mais elle est encapsulée à l’intérieur du dossier médical.

La « pensée magique » selon laquelle il suffirait de cliquer quelque part, de taper « agénésie du bras » pour obtenir l’information est un leurre. L’information existe un peu dans le programme de médicalisation du système d’information (PMSI), mais elle n’est pas fiable, ainsi qu’on a pu le constater lors de l’alerte survenue à l’Étang de Berre. Nous avons travaillé sur ces données du PMSI et nous avons mesuré 30 % d’erreurs de codage. Cela signifie que non seulement plus de neuf mille cas de malformations sur plus de trente mille passent à travers les mailles du filet du PMSI, mais encore, lorsque le PMSI les retrouve, les données ne sont pas précises parce qu’elles ne livrent aucune information quant aux expositions potentiellement toxiques, à la résidence maternelle, etc.

Le rôle des registres consiste à collecter et trier ces informations. Un registre tel que celui de REMERA, association abritée par un hôpital, reçoit une subvention annuelle de 275 000 euros qui doit couvrir les dépenses courantes (électricité, chauffage, salaires et charges, masques, etc.) pour une surveillance de soixante mille naissances. Autrement dit, pour une surveillance appliquée à l’ensemble des naissances françaises, le coût, pour repérer les malformations et identifier les expositions, s’élèverait à trois millions d’euros par an, sans compter le fait que, la recherche et développement étant terminés, nous disposons déjà de la base que nous pourrions utiliser. Il est donc erroné de considérer les registres comme onéreux.

Aucune donnée n’est exploitable sans algorithme. La base du registre REMERA contient plus de soixante-quinze mille dossiers et elle offre la possibilité d’une interface avec la plateforme de santé Health data hub) lorsqu’elle sera mise en œuvre. Connaissant les limites humaines du traitement de données, nous avons élaboré un système d’intelligence artificielle de sorte à repérer les anomalies. Ce système sera mis en place dès que le Health data hub sera opérationnel.

En France, les malformations ne font pas l’objet d’une surveillance suffisante puisque moins de 20 % des grossesses sont surveillées. La charge de la surveillance des grossesses relève de l’agence Santé publique France. Bien qu’environ 20 % des malformations relèvent de l’environnement, il n’a jamais été question de créer une coordination nationale de surveillance des registres à laquelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), par exemple, pourrait participer financièrement. Ce constat est étrange, car nous surveillons également des malformations liées à des tératogènes médicamenteux et l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) participe au financement des recherches.

L’action 5 de l’axe 1 du plan national santé environnement 4 (PNSE 4) préconise des consultations d’évaluation des expositions environnementales pour les couples ayant un projet de grossesse. Sur la base de quelles données probantes ces couples seront-ils conseillés ? Ils s’inquiéteront de savoir s’ils peuvent repeindre la chambre du bébé, si Madame, horticultrice, pourra poursuivre son travail. Aucune donnée pertinente ne permettra de répondre à des questions très précises. Bien sûr, nous considérons que ces consultations préconceptionnelles sont capitales et nous tenons à ce qu’elles soient mises en place. Encore faut-il les nourrir avec des arguments fiables. À défaut, il leur sera seulement répondu d’éviter toute exposition aux toxiques de l’environnement, ce qui ne constitue pas une réponse acceptable à notre époque.

Un autre axe du PNSE 4 évoque le risque malformatif, à savoir celui qui concerne la structuration de la recherche sur l’exposome et je le salue. Nous avons de nombreux projets en cours sur ce thème. Toutefois, cette recherche nécessite du matériel, car elle consistera à étudier des cas témoins. Or peu de registres sont capables de fournir des données géolocalisées, notamment. J’attire votre attention sur ce point précis.

À plusieurs reprises, ce PNSE 4 fait mention de plateformes de renseignements. Nous retrouvons là le problème précédemment évoqué, à savoir qu’il n’existe pas de données sans algorithme, mais il n’existe pas non plus d’algorithme sans données. La donnée constitue le carburant du système et elle fait défaut.

Afin de progresser, des relais locaux et de la confiance sont indispensables. Pendant l’épidémie de la Covid, REMERA a été le seul registre à poursuivre sa collecte d’informations. Cette démarche était d’autant plus importante qu’on ne savait rien à propos de ce virus et qu’il pouvait avoir des conséquences sur la grossesse. Nous avons pu réaliser notre collecte parce que nous constituons une petite équipe agile et professionnalisée, bien que nous ne disposions d’aucun personnel statutaire. Nous avons donc pu mettre en place un système d’accès direct à l’ensemble des données du dossier médical des patients hospitalisés, dans les établissements publics et privés, encadrés par des conventions signées avec chaque établissement, bien sûr dans le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD), via une boîte aux lettres électronique (BAL) dédiée, qui pourrait être démultipliée dans les zones ne disposant pas de registre.

Il suffirait d’identifier un collecteur de données dans chaque département qui ne travaillerait pas nécessairement à temps plein. Récemment, des propositions de professions médicales intermédiaires ont généré une levée de boucliers. Ce n’est pas ce que je propose. Néanmoins, nous avons constaté que les meilleurs collecteurs de données étaient rompus à la culture hospitalière, connaissaient ses rouages et ses usages. Nos collecteurs de données ne sont pas des soignants d’origine, mais ils sont compétents en coordination et en manipulation de données. Cependant, le relationnel avec les services leur fait défaut. Nous avons donc besoin de collecteurs de données autonomes tels que ceux que nous avons formés. Cette tâche pourrait également faire l’objet d’une formation en vue de la reconversion d’infirmières et de sages-femmes, épuisées par le rythme hospitalier. L’hôpital n’aurait aucun surcoût à assumer.

Il n’est pas possible de mener à bien une surveillance sans relais local parmi les effectifs de terrain, qui s’appuie sur les compétences locales et en qui on peut avoir confiance. Ce personnel existe. Souvent, lorsque les personnels soignants sont trop épuisés, ils rejoignent les services de consultations. C’est regrettable parce qu’ils sont souvent très impliqués dans un métier qu’ils n’ont plus la force d’exercer. En revanche, ils sont capables de collecter des informations dans les dossiers médicaux. Il serait souhaitable d’intégrer cette proposition au plan santé environnement.

Si la surveillance de routine est correctement réalisée via des relais locaux, il importe qu’en cas d’anomalies de fréquence (bébés nés sans bras), nous puissions disposer d’une analyse fiable du signalement effectué par le registre. Or nous avons constaté des carences des épidémiologistes de Santé publique France dans le domaine de la santé environnementale. En effet, s’ils ne refusaient pas de mener des investigations, ils les arrêtaient sous le prétexte de l’absence de détermination d’une cause unique. Or nous savons que les maladies virales ont une cause unique (virus, microbes), mais ce n’est pas le cas pour les cancers et les malformations qui sont des maladies plurifactorielles. Il serait souhaitable de disposer d’épidémiologistes spécialisés dans les maladies « non transmissibles » – ainsi répertoriées dans la nomenclature en vigueur bien que certaines puissent être transmissibles via l’environnement. Cela conforterait la surveillance et l’alerte pour les malformations, sous réserve que nous ayons collecté des données et que nous puissions nous appuyer sur des équipes de terrain.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je n’irai pas jusqu’à dire que les données collectées par le PMSI sont erronées. En effet, à l’origine, le PMSI avait surtout pour objectif de constituer une base d’attribution de budget. Il s’est transformé ensuite en groupement homogène de séjour (GHS) et donc en financement par pathologie. Initialement, le PMSI n’avait pas vocation à répondre à ces problématiques. En convenez-vous ?

Mme Emmanuelle Amar. J’en conviens.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je conçois donc que vous le considériez comme incomplet puisqu’il n’entrait pas dans sa vocation initiale de procéder à des recoupements entre des données médicales et, par exemple, une géolocalisation des patients. En revanche, il est envisageable d’utiliser ce document comme une base qu’il conviendrait de faire évoluer.

Par ailleurs, les agences régionales de santé (ARS) comptent des médecins épidémiologistes compétents et efficaces. Certains ont procédé à une étude comparative du nombre de césariennes pratiquées dans les cliniques privées et dans les maternités publiques. Il n’est pas souhaitable de noircir totalement le tableau.

En revanche, ces données pourraient servir de base tout en respectant la confidentialité des données des patients. Santé publique France attire l’attention sur cette problématique prégnante. Il conviendrait d’élaborer une démarche qui permettrait d’utiliser des données confidentielles en les rendant anonymes et de faire évoluer les principes d’utilisation de ces données. Cette piste de réflexion me paraît très intéressante. Il est nécessaire que nous nous organisions de sorte à réaliser le recueil et le traitement des données dont nous disposons de façon éparse et de les intégrer à une démarche d’analyse de santé environnementale. Cela n’a jamais été réalisé jusqu’à maintenant et la méthodologie à appliquer s’avérera complexe.

Selon vous, comment pourrions-nous procéder ? Quel processus méthodologique nous proposeriez-vous afin de mettre ces registres en place ?

Vous avez évoqué l’identification de collecteurs de données autonomes dans les hôpitaux. Quelle formation devraient-ils suivre et sous l’autorité de quel organisme ?

Mme Emmanuelle Amar. Le PMSI n’avait en effet pas une vocation de surveillance épidémiologique. Mon propos ne consistait pas à le lui reprocher. Vous évoquiez le comptage des césariennes. Ces mesures sont aisées puisqu’il s’agit d’actes médicaux et qu’ils sont financés. Le PMSI n’est pas un outil adapté à l’épidémiologie d’une pathologie qui ne fait pas l’objet d’un acte médical ou chirurgical.

S’agissant de la surveillance, c’est-à-dire la collecte et l’analyse des données épidémiologiques à des fins bien déterminées de mesures et d’alerte, des conventions ont été signées dans le respect du Règlement européen de protection des données. Elles prévoient du personnel dédié à cette surveillance dans des bases hautement sécurisées. L’objectif consiste à récupérer des données sur la base d’informations contenues non seulement dans le PMSI, mais également dans chaque service. Il s’agit de récupérer dans chaque dossier médical uniquement la donnée qui intéresse spécifiquement le registre et de la livrer dans une base de données dans laquelle elle sera rangée. Dès lors, il est possible de créer des algorithmes.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Après avoir lancé l’alerte relative aux naissances de bébés sans bras, avez-vous constaté des évolutions dans les processus d’évaluation de ces thématiques dans les politiques publiques de santé en France ? Avez-vous noté une prise de conscience collective à ce sujet ?

Incluez-vous des facteurs comportementaux dans vos analyses ? Dans l’affirmative, pouvez-vous nous préciser de quelle manière ces facteurs sont traités ?

Avez-vous remarqué une importance croissante du facteur environnemental dans l’explication de certaines malformations ?

Mme Emmanuelle Amar. Nous avons en effet constaté une évolution des politiques publiques. Dans le passé, Santé publique France refusait systématiquement de répondre à nos questions. Il semble qu’un frémissement se produise. Nous avons été conviés à une réunion au mois de septembre au cours de laquelle a été annoncée la création d’un septième registre, déjà prévue par Mme Marisol Touraine en 2016, et remise à l’ordre du jour. Le silence total, auquel nous avons été confrontés entre 2016 et 2020, semble en passe d’être levé.

S’agissant des facteurs comportementaux, le registre se limite à collecter les données qui figurent dans le dossier médical du patient. Nous n’interrogeons pas les mères et nous n’entretenons aucune interface avec elles. Nous avons sensibilisé les médecins et les sages-femmes de la région Rhône-Alpes de sorte qu’ils consignent un maximum de renseignements dans le dossier médical des patientes, s’agissant notamment des comportements. En revanche, si l’augmentation des cas d’une malformation faisait l’objet d’une alerte, nous procéderions alors à une étude spécifique et nous interrogerions les mères sur la base d’hypothèses que nous aurions identifiées.

Nous constatons très clairement une augmentation des malformations liées à l’environnement. Nous avons notamment repéré une augmentation des cas d’hypospadias, malformations de l’appareil génital des petits garçons, probablement liées à des facteurs exogènes. Les organes génitaux se développent sous la dépendance des hormones masculines, la testostérone notamment, dont l’action peut être limitée par des perturbateurs endocriniens. L’augmentation des hypospadias est observée plus spécifiquement en zones rurales et agricoles où le risque augmente d’un facteur trois. La Bretagne a posé le même constat et certaines publications internationales font mention de l’augmentation des cas d’hypospadias.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Imaginons que vous ayez les moyens, que vous disposiez de personnel et que vous ayez accès à des données, quel serait votre point de départ afin d’établir des connexions entre les différentes données ? La survenue de ces cas d’agénésies ne transforme-t-elle pas le regard que vous portez sur cette problématique précise ? Jusqu’à quel point statistique des évènements, véritablement dramatiques pour les parents et pour les enfants concernés, mais qui sont liés à des trébuchements de la nature et pourraient intégrer le pourcentage « normal » de personnes qui naissent avec des handicaps ou des malformations, peuvent-ils être considérés comme absolument anormaux ? Selon quels repères pouvons-nous identifier une réelle singularité qui relèverait de la santé environnementale ?

Après avoir géolocalisé les patients, quel type de pathologies rechercherez-vous ? Selon quels critères identifierez-vous les points d’alerte ?

Force est de constater que la problématique de santé environnementale ne dispose d’aucun historique. Elle est liée à la sur-utilisation de la chimie d’après-guerre, mais les registres n’existaient pas avant la guerre non plus. Dès lors, comment pouvez-vous déterminer qu’une survenue de pathologie est significative par rapport au passé ?

Mme Emmanuelle Amar. Jusqu’à présent, aucun produit n’a été reconnu comme étant significativement lié ou associé à une malformation. Il appartient à l’épidémiologiste de mesurer la probabilité que l’évènement observé soit lié au hasard. Le calcul montrera si cette probabilité peut être écartée ou pas.

Dans notre travail, nous visons la neutralité. Nous fonctionnons sans a priori et sans parti pris. Nous surveillons la totalité des malformations et nous ne nous focalisons sur aucune d’entre elles en particulier. En revanche, nous réagissons à tout signalement humain, à toute alerte, et nous procédons à des vérifications. Nous statuons sur la réalité des cas, sur leur éventuel excès par rapport à l’attendu en fonction des statistiques que nous avons élaborées depuis 1973 (hors problématique environnementale). En fait, les cas anormaux sont « normalement attendus ». Un enfant sur dix mille naît avec une agénésie des membres et les cas sont répartis de manière aléatoire. Le calcul permet d’évaluer la probabilité qu’un enfant victime de certaines malformations naisse à un endroit précis et que cette malformation survienne en excès de nombre. Parmi ces cas, certains étaient statistiquement « normalement attendus » ; d’autres surviennent en « excès statistiques ». Si ces autres cas surviennent dans un rayon géographique restreint, il est alors indispensable d’étudier l’environnement, mais sans a priori.

S’agissant de l’augmentation des cas d’hypospadias, nous avons commencé par regarder si un interne ne consacrait pas une thèse à cette malformation, ce qui l’aurait conduit à ressortir un grand nombre de dossiers. Lorsque nous avons éliminé un certain nombre d’hypothèses de ce type, nous pouvons alors constater l’augmentation anormale des cas. Nous étudions alors l’environnement géographique, la présence de zones rurales et agricoles et nous procédons à un calcul de probabilité en regard des autres cas survenus. Nous savons désormais que la probabilité que ces malformations surviennent dans ces zones est plus importante, mais nous n’avons fait aucun prélèvement et nous ne savons pas à quoi elles sont dues. Il est néanmoins raisonnable de suspecter qu’il existe un environnement favorable à la survenue de ces malformations.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez identifié ces clusters depuis un certain temps. Avez-vous identifié des pistes d’explication ?

Mme Emmanuelle Amar. Dès sa médiatisation, notre alerte a suscité une curiosité scientifique au niveau mondial. Des chercheurs nous ont appelés du monde entier. Nous avons mutualisé nos réflexions. Dans plusieurs départements et dans plusieurs régions du monde, des toxicologues ont identifié une corrélation entre ces malformations et un système d’eau très particulier, lié à un pompage de l’eau dans des étangs et non pas dans des nappes phréatiques. Il convient donc d’investiguer cette cause possible. Autour de ces étangs, des produits phytosanitaires ont été répandus. Nous avons demandé quels étaient ces produits, mais l’Anses a refusé de nous transmettre les informations.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il semble que l’Anses et Santé publique France se mobilisent uniquement lorsqu’un cluster a été labellisé. La qualification de cluster génère des démarches officielles très cadrées, via des questionnaires précis. Sans cette reconnaissance officielle des faits par les institutionnels, aucune étude ne peut être déclenchée.

Quels arguments avancent-ils pour vous opposer un refus ? Se basent-ils sur le nombre de cas ?

Mme Emmanuelle Amar. Les arguments ont varié au fil du temps. D’abord, l’Anses a considéré que le nombre de cas n’était pas statistiquement significatif. Ensuite, il nous a opposé l’argument selon lequel les cas résidaient dans des villages différents, ce qui n’a pas de sens sur un plan épidémiologique qui ne tient pas compte, bien sûr, du découpage administratif des zones. Puis, il a considéré que ces cas n’étaient pas réellement des agénésies transverses. Puis, l’Anses a affirmé ne pas avoir reçu les dossiers ; que les cas n’avaient pas tous été étudiés par des centres de référence (affirmation fausse) ; etc. La multiplicité et la variété des arguments étaient telles qu’on pouvait imaginer que ces arguments n’étaient pas ceux qui avaient présidé à une inertie de plusieurs années. Ils masquaient manifestement des raisons injustifiables.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment expliquez-vous cette réticence ? Il serait pourtant tout à fait à l’honneur de ces agences de travailler sur de tels sujets, de faire avancer la connaissance et de remplir leur mission de protection de la population.

Mme Emmanuelle Amar. Ce serait d’autant plus important que nous sommes susceptibles de nous tromper. La plainte déposée pour mise en danger représentait une épée de Damoclès. Des alertes officielles avaient été émises, notamment auprès de l’ARS, et elles auraient dû générer la mise en place d’un système, une information des hôpitaux, etc. Aucune démarche n’a été engagée. Dès lors, des responsabilités étaient engagées.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous pensez donc que la crainte d’un recours pénal a présidé à l’inertie.

Mme Emmanuelle Amar. Je pense qu’il s’agissait en effet de protéger l’institution.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quoi qu’il en soit, la dynamique est lancée. La digue finira par céder, de gré ou de force.

Mme Emmanuelle Amar. L’enfer survient quand la vérité est perçue trop tard. Ceux qui ont tenté de couvrir des affaires ne l’ignorent pas. Pour autant, ce constat n’a jamais empêché quiconque de couvrir une affaire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez évoqué des « frémissements ». Pensez-vous que le mécanisme de protection de l’institution soit en voie de s’assouplir ?

Mme Emmanuelle Amar. J’ai eu cette impression puisque lors de la dernière réunion, mon avis et mon soutien ont été sollicités. Jusqu’à présent, nous étions presque toujours confrontés à la défiance. Ce nouveau comportement relève peut-être de la diplomatie ou de la stratégie. Il ne m’appartient pas d’en juger. Quoi qu’il en soit, j’ai noté une volonté nouvelle de dialogue avec les registres. A contrario, certaines associations bénéficient d’honneurs surprenants alors qu’elles ne sont jamais associées à la réflexion relative à la création d’un nouveau dispositif de surveillance des malformations, bien qu’elles soient compétentes en la matière. L’institution connaît l’existence de ces compétences extérieures au sérail, mais elle n’a pas franchi le pas de les accepter et de les associer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les témoignages que nous enregistrons sont concordants. Nous vous remercions d’avoir accepté cette audition en toute vérité. D’une manière ou d’une autre, il sera indispensable que nous disposions d’outils tels que les registres pour compiler l’ensemble des informations en toute transparence.

L’audition s’achève à dix-sept heures vingt.

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55.   Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Lacoste, directeur du développement durable, et de M. Vincent Szleper, chef du pôle eaux, pollutions et affaires internationales à la sous-direction du climat et de l’environnement de la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) (19 novembre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. M. Philippe Lacoste, conseiller des Affaires étrangères hors classe, est directeur du développement et M. Vincent Szleper, chef du pôle Eaux, pollutions et affaires transversales à la sous-direction du climat et de l’environnement, à la direction générale de la mondialisation de la culture, de l’enseignement et du développement international du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Cette audition vise à replacer la politique française de santé environnementale dans son arrière-plan international.

Quelle est la portée juridique ou politique des déclarations relatives à la santé environnementale, par exemple de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

Quel est l’indice de la prise de conscience internationale d’un domaine d’intérêt ou d’urgence commun ? Ce qui prévaut en matière climatique peut-il être considéré comme le modèle d’une prise de conscience élevée, modèle auquel il convient de comparer ce qui prévaut dans le domaine de la santé environnementale ?

Dans cette commission d’enquête, plusieurs intervenants auditionnés ont évoqué la position leader de la France, notamment sur les plan international et européen, pour ce qui regarde la santé environnementale. Quels sont les indices d’un tel engagement et quels sont les objectifs poursuivis ?

(MM. Philippe Lacoste et Vincent Szleper prêtent serment.)

M. Philippe Lacoste, directeur du développement durable à la direction générale de la mondialisation de la culture, de l’enseignement et du développement international (ministère de l’Europe et des Affaires étrangères). Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir demandé à m’entendre. En effet, comme directeur du développement durable, mon travail quotidien consiste à favoriser les approches transversales ou, au moins, croisées, qui ne se produisent pas naturellement en raison de la spécialisation des politiques et des organisations. Il va de soi que le sujet « santé et environnement » m’intéresse et m’encourage.

Je travaille dans le domaine de la défense de l’environnement, ma spécialité, depuis une vingtaine d’années. Je constate que la situation a beaucoup évolué. À titre d’exemple, je me souviens de la conférence des parties (COP) de la convention sur la biodiversité, qui s’est déroulée en Corée en 2014, et qui affichait le slogan « Un seul monde, une seule santé ».

Je me souviens également de la COP 21. À l’époque, j’étais le numéro deux de l’équipe de négociation française et j’ai collaboré à de longues séances de travail avec l’OMS, qui considérait le changement climatique comme un problème de santé publique, en raison non seulement de l’augmentation de la température et des grandes vagues de chaleur qu’elle induit, mais également de la modification des vecteurs de maladies. Ces problématiques intéressaient l’OMS au plus haut point. Elle a dorénavant d’autres préoccupations, mais à l’époque, un service de l’OMS était dédié aux changements climatiques.

Je pense que je peux apporter aux travaux de la commission un éclairage sur le droit international, notamment en matière d’environnement. De façon caricaturale, mais je l’espère, pédagogique et simple, je dirais que lorsqu’on est amené à s’intéresser à la gestion des biens communs internationaux – l’atmosphère, un fleuve qui traverse plusieurs pays, les océans –, on se heurte très rapidement au principe de souveraineté nationale. Il n’existe aucune juridiction internationale, aucun mécanisme coercitif, qui permettraient d’éviter, par exemple, des phénomènes de passagers clandestins. Dès lors, il convient de s’accommoder de grandes déclarations, d’engagements basés sur le volontariat des États. Finalement, la seule arme dont disposent ceux qui souhaitent faire évoluer la situation réside dans la communication. Dans ce cadre, nous réalisons un suivi des engagements pris, nous étudions le niveau des engagements réalisés et nous pointons les bons et les mauvais élèves. Aussi caricaturale soit-elle, cette présentation illustre bien les contraintes imposées par le droit international dans ces domaines qui comportent des enjeux globaux. Bien sûr, cette difficulté peut être levée par le biais d’un transfert de compétences. À titre d’exemple, l’Union européenne dispose de moyens coercitifs pour encourager la mise en œuvre d’actions. En effet, dans certaines circonstances, les États peuvent être condamnés. Il me semblait utile à vos travaux de vous indiquer les limites du droit international.

Votre première question porte sur la portée de ces grandes déclarations internationales relatives à la santé environnementale, notamment celles de l’OMS. Nous pouvons citer la conférence d’Alma-Ata de 1978 et la charte d’Ottawa de 1986. Ces déclarations ont d’abord eu le mérite d’identifier les facteurs environnementaux à prendre en compte afin d’assurer la santé des populations. Elles ont également conduit à lancer un certain nombre de stratégies liées à la santé et à l’environnement. Ces stratégies sont initiées au niveau international et proposent des objectifs ambitieux. Ensuite, elles sont déclinées aux niveaux régional et national. Ces conférences donnent naissance aux plans nationaux Santé et environnement (par exemple la conférence de Budapest de 2004). La France déploie son quatrième plan Santé et environnement. Ces plans définissent des objectifs et proposent des actions concrètes à mener sur chaque territoire.

Les grandes conférences ont également le mérite de lancer des initiatives spécifiques à certaines zones géographiques susceptibles d’être confrontées à des problématiques particulières. Je pense notamment aux petits États insulaires qui sont, non seulement très vulnérables aux changements climatiques, mais également isolés. L’OMS leur est particulièrement attentive et ils ont fait l’objet d’une nouvelle stratégie en 2017.

Votre seconde question sous-entend qu’on donne beaucoup d’importance au changement climatique, qu’une large communication est diffusée relativement aux travaux de la Conférence annuelle des parties, mais qu’on n’identifie pas très bien la santé environnementale dans cette visibilité internationale et dans l’intérêt que semble exprimer la communauté internationale. Cette impression que vous exprimez n’est pas tout à fait exacte. En effet, un des premiers accords internationaux faisant le lien entre santé humaine et protection de l’environnement est la convention de Vienne relative à la protection de la couche d’ozone qui s’est tenue en 1985. Je vous en épargnerai l’historique, mais une des principales conséquences de la dégradation de la couche d’ozone a consisté en une augmentation du nombre de cancers de la peau. J’oserai dire, un peu cyniquement, que cette convention constitue un des rares succès de la diplomatie environnementale puisque, via le protocole de Montréal, elle a fait en sorte que la fabrication des substances identifiées (gaz utilisés dans les aérosols et dans les dispositifs de réfrigération) soit arrêtée. Ces produits ne sont dorénavant plus fabriqués et la couche d’ozone est en cours de reconstitution. Ces conventions représentent des instruments à participation universelle. La convention de Vienne a été signée sept ans avant la convention-cadre des Nations unies relative aux changements climatiques et les autres grandes conventions issues de la conférence dite « du Sommet de la terre ».

D’autres outils, d’autres conventions internationales permettent de lutter contre les contaminations identifiées à l’échelle mondiale. La convention de Stockholm traitait des polluants organiques persistants (POPS), ces composés chimiques qui s’accumulent dans les sols au cours de la chaîne alimentaire et ont des conséquences sur la santé humaine. La convention vise à réduire leur fabrication et leur utilisation.

La convention de Minamata sur le mercure est récente et très emblématique. Les rejets d’une industrie pétrochimique dans la baie de Minamata au Japon avaient causé de très nombreux dégâts pour la santé des populations et c’est la raison pour laquelle la convention porte le nom de cette baie. Elle vise à limiter l’utilisation du mercure, métal très toxique et elle est en phase de mise en œuvre.

Certains outils internationaux traitent également la question des mouvements transfrontaliers des polluants ou des déchets dangereux. Dans ce cadre, il convient de retenir deux conventions célèbres. La convention de Bâle vise le transport des déchets dangereux. La convention de Rotterdam pose le principe d’un consentement préalable, c’est-à-dire qu’un pays qui ne se sent pas en mesure de recueillir des déchets ou des produits dangereux, parce qu’il ne dispose pas de la capacité de les traiter, est en droit de les refuser.

Cinq accords multilatéraux majeurs ont donc été conclus en vingt-cinq ans. Ce constat montre l’appétence croissante des États pour la réduction des impacts négatifs des pollutions chimiques sur la santé.

Pour quelle raison la convention sur le climat paraît-elle tout écraser ? Je pense que ce constat relève de son universalité. En effet, si les accidents industriels sont localisés, les changements climatiques sont universels. Je pense également qu’intervient la notion d’urgence de l’action, largement reprise dans la presse, qui insiste sur le fait que plus on tarde à agir, plus on diminue les chances d’obtenir des résultats. C’est pourquoi cette convention prime sur les autres, notamment dans les médias. Par ailleurs, contrairement aux autres conventions, la convention sur le climat se réunit chaque année. Pour autant, elle reprend des principes déjà édictés par les autres, notamment le principe selon lequel toute décision doit être basée sur la science. Dans ce cadre, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a largement communiqué relativement aux enjeux de la lutte contre les changements climatiques. La France essaie de promouvoir leurs propositions au niveau international, notamment dans le domaine des pollutions chimiques. Nous disposons de données, mais elles ne font pas l’objet de rapports périodiques aussi largement diffusés que les rapports du GIEC. Cette interface entre la politique et la science a été considérée comme un succès important de la convention sur les changements climatiques. Il en est de même d’ailleurs pour la convention sur la biodiversité qui dispose également d’un conseil et d’une interface qui publiera ses rapports. Nous proposons qu’une telle instance soit créée dans le domaine de la santé et de l’environnement, ce qui contribuerait à faire remonter cette problématique au rang des priorités.

Vous nous avez interrogés sur l’intérêt porté par la France dans le domaine des océans et de la mer. Les conventions liées au droit de la mer sont un peu plus tardives que les grandes conventions relatives à l’environnement. Le droit de la mer a surtout traité de l’exploitation du milieu marin, à savoir la détermination des zones de compétence des États et des zones de compétence universelle. En effet, la haute mer étant « res nullius », c’est-à-dire qu’elle n’appartient à personne, la question de l’utilisation des ressources halieutiques et du fond marin a donné lieu à de nombreux travaux et continue à faire l’objet de coopérations et de discussions internationales. Nous travaillons actuellement sur une convention liée à la haute mer et nous progressons sur la question de la pollution par les plastiques : un continent formé de déchets qui dérive, les microparticules de plastique que l’on retrouve non seulement dans les poissons que nous consommons, mais également dans l’eau, etc. La France tente de promouvoir ces sujets via un projet de convention internationale. Les cheminements sont toujours un peu longs, mais nous progressons, en insistant sur la prévention. En effet, moins nous produirons de déchets, moins nombreux seront les plastiques répandus à traiter.

Une de vos questions portait sur les modalités de détermination de la position de la France dans les négociations. Sur ces sujets précisément, la compétence est essentiellement communautaire européenne. Nous menons un travail piloté par les services du Premier ministre afin de coordonner les positions des différents ministères. Lorsque notre position est arrêtée, nous la défendons à Bruxelles. Lorsque la position européenne est définie, l’État membre qui assure la présidence défend notre point de vue lors des discussions et il est assisté de la Commission européenne. Le processus est long, mais il permet de travailler sur des sujets intéressants tels que la révision du règlement REACH qui prévoit de classer les produits chimiques en fonction de leur dangerosité, de leurs modalités d’accès à l’espace de l’Union européenne, etc. Ces questions font l’objet de débats entre ministères, avec le ministère de la Transition écologique, notamment, mais également avec le ministère de l’Industrie. Le ministère des Affaires étrangères apporte alors un éclairage quant aux positions internationales et les possibilités qui s’offrent à la France de se situer sur cet échiquier. Ensuite, les positions sont défendues au cours des conférences des parties et des rencontres qui ont lieu lors de ces conventions. Nous accompagnons les négociations par des contacts bilatéraux.

Au sein de l’Union européenne, nous travaillons sur ces questions de santé environnementale avec des pays partenaires, avec lesquels nous approfondissons davantage les sujets, notamment l’Allemagne et les Pays-Bas, pays très attentifs aux questions d’interface environnement/santé.

Nous rencontrons néanmoins une difficulté structurelle, à savoir que la diversité des sujets que nous sommes amenés à traiter est telle que ce ne sont pas toujours les mêmes ministres qui les portent. En Allemagne, le ministre de la Santé porte exclusivement l’ensemble de ces sujets. Dans la pandémie actuelle, il est l’unique interlocuteur compétent en matière de politique de prévention, tests, vaccins, etc. Dans ce pays, il n’existe donc aucune procédure d’arbitrage interministérielle, contrairement au dispositif français. Dès lors, le ministre de la santé allemand peut être amené à défendre une position différente de celle du ministre de l’Environnement. Il ne nous appartient pas de juger l’organisation politique de nos pays partenaires, mais force est de constater que cette multiplicité d’interlocuteurs génère des difficultés.

Nous avons également beaucoup travaillé sur le concept « Une santé »  One Health »). Il consiste à réaliser un rapprochement de l’OMS, organisation centrale compétente, de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), organisation internationale en charge des épizooties, du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), les organisations qui s’occupent d’alimentation. Ces rapprochements permettent de traiter de la santé humaine, de la santé des écosystèmes (animaux et humains compris) au sein des mêmes structures et de se rendre compte que tout est lié.

Vous nous avez interrogés quant aux initiatives européennes et internationales qui sont amenées à traiter des sujets de santé environnementale de première actualité (pollution de l’air, exposition aux perturbateurs endocriniens, facteurs environnementaux, maladies chroniques, etc.). Nous travaillons par « grands milieux » tels que, à titre d’exemple, la pollution des cours d’eau. Au ministère des Affaires étrangères, nous étudions les cours d’eau transfrontaliers et nous tentons de conclure des conventions internationales qui, au-delà de la navigation, traitent également des rejets identifiés le long du cours. Une de nos plus anciennes conventions concerne le Rhin. En effet, les rejets des usines de potasse d’Alsace ont causé des soucis à nos amis néerlandais, par exemple. En revanche, nous ne sommes pas parvenus à signer un accord sur le Rhône, faute d’une convergence de point de vue avec nos amis suisses concernant ce fleuve et le lac Léman. Quoi qu’il en soit, ces outils conventionnels nous permettent de traiter des sujets dans une dynamique de coopération et sans mécanisme de sanction.

De la même manière, il existe de nombreuses conventions relatives aux mers régionales (Méditerranée, mer du Nord) qui traitent des questions de rejets, industriels ou d’assainissement.

La qualité de l’air est un sujet régional. Depuis le phénomène des « pluies acides », qui avait conduit à la disparition de massifs forestiers, le sujet a été un peu oublié. Il a été traité dans une approche européenne et a abouti à la réduction de polluants, tels que le dioxyde de soufre, les oxydes d’azote, les composés organiques volatils et ammoniacs. Le processus est bien rodé : d’abord, on établit une liste restreinte sur laquelle l’ensemble des pays s’accorde, puis on l’élargit. Peu à peu, les émissions de gaz et de particules qui sont à l’origine de nombreux problèmes respiratoires diminuent.

La raison pour laquelle la lutte contre la dégradation de la couche d’ozone a été un succès rapide, alors que dans d’autres domaines, nous progressons plus lentement, réside dans une identification rapide de produits de substitution, d’autres molécules qui permettaient non seulement de répondre aux besoins, notamment industriels, mais également de réduire la pollution.

De la même manière, s’agissant de la pollution au mercure de Minamata, les Japonais sont parvenus à découvrir un catalyseur de substitution au mercure, ce qui a permis d’enrayer cette pollution, mais les recherches ont duré une vingtaine d’années.

En dialoguant avec les chercheurs et les industriels, il est parfois possible d’identifier des procédés industriels moins polluants ou de diminuer significativement leurs effets néfastes sur l’environnement et donc, sur la santé.

Nous menons actuellement des études relatives à la pollution plastique et nous nourrissons l’ambition d’obtenir un accord global quant à la réduction de ces déchets, dont l’élimination s’avère très complexe. Nous travaillons non seulement sur le cycle de vie des produits dans une démarche écoresponsable, mais également sur des traitements qui permettent de récupérer ces produits, de les transformer ou de les enfouir.

La réduction des pollutions chimiques demeure prégnante. Elle se décline en deux axes : la réduction de la production et la gestion des stocks. Il convient de ne pas oublier qu’en Afrique, les pesticides et les produits phytosanitaires ont permis la « révolution verte », c’est-à-dire l’augmentation des rendements, qui a conduit à éviter la grande famine prévue. En revanche, souvent, l’utilisation de ses produits ne répond pas aux normes des fabricants, faute de formation des utilisateurs : trop fortes concentrations, usage de produits périmés, etc. La gestion des stocks existants et le transport des déchets sont complexes à maîtriser, notamment dans les pays en développement, qui constatent l’intérêt immédiat de l’utilisation de ces produits sans mesurer leurs effets à plus long terme sur l’environnement et sur la santé des populations.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour ce beau voyage autour du monde ; non seulement un tour du monde des problèmes, mais également un tour du monde des démarches initiées, plus ou moins efficaces. Vous nous avez présenté un inventaire des conventions, bilatérales ou multilatérales, dont la France peut se montrer fière puisqu’elle est souvent à l’origine de ces dynamiques.

La démarche « One Health » est portée par le ministre des Affaires étrangères. Dans le cadre du Groupe santé-environnement (GSE), j’ai assisté à une conférence extrêmement intéressante, intitulée « Covid, zoonoses, One Health ». L’intervenant nous a présenté les connexions établies entre l’OMS, l’OIT et le gouvernement français, en l’occurrence. Il semble que ces connexions comportent une dimension internationale sur laquelle je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions. Le positionnement de portage de cette démarche « One Health » correspond-il à une stratégie française en matière de santé environnementale ? Vous nous avez dressé une liste de conventions, le plus souvent de conventions thématiques, initiées sur un mode réactif ou réactionnel, en regard d’un gros problème ou d’une crise ponctuelle. Au cours de nos auditions, nous avons constaté que ce mode opératoire est mis en exergue comme un problème dans la gestion de la santé environnementale en France et il semble qu’il en soit de même à l’échelle internationale. Nous réagissons ensemble dans l’urgence face à une situation de crise. Pensez-vous que la démarche conduite par le ministre des Affaires étrangères français, « One Health », constituera une approche internationale beaucoup plus structurée qui nous conduira vers la signature d’engagements, à l’instar des engagements pris au cours du GIEC sur le climat ? Ces démarches pourraient alors déboucher sur une sorte de GIEC sur la santé environnementale, ainsi que sur des accords internationaux qui porteraient la santé environnementale dans une dimension pluridisciplinaire, multithématique et, surtout, internationale.

M. Philippe Lacoste. Je pense que la démarche « One Health » constitue en effet cette approche internationale que vous évoquez. Depuis plusieurs années, des contacts entre des organisations internationales se sont développés, chaque organisation demeurant très soucieuse de son territoire administratif et de ses prérogatives. L’OMS entretenait déjà des relations avec l’OIE et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cependant, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) exerce en quelque sorte une tutelle sur les grandes conventions relatives aux produits chimiques. Il existait donc peu de contacts dans le domaine environnemental. L’objectif du concept « One Health » consistait donc à élargir ce qui existait déjà, en maintenant la position centrale de l’OMS, selon une volonté fortement exprimée par le ministre français et son homologue allemand. L’OMS était alors soumise à de nombreuses critiques, mais nous avons considéré que, malgré ses défauts, l’OMS était la seule organisation légitime et qu’il était nécessaire de la conforter en la plaçant au centre d’autres organisations qui traitent préférentiellement de facteurs environnementaux. L’objectif consistait à former si ce n’est un GIEC santé environnementale, très lourd, du moins un Haut conseil, dans une approche pluridisciplinaire du sujet. En effet, à titre d’exemple, nous savons que l’origine de la Covid-19 est directement liée à des facteurs environnementaux. Les experts indépendants de ce Haut conseil pourront formuler des recommandations, voire alerter les gouvernements en cas de risque de crise. De nombreux experts avaient annoncé l’imminence d’une crise sanitaire mondiale, alors que, jusqu’à présent, les crises avaient été très localisées (Ebola, etc.). Pourtant, nous avons été surpris par l’étendue et la simultanéité de la crise liée à la Covid-19. Elle a donc constitué une occasion idéale de formaliser cette approche internationale, de casser les barrières dressées entre ces organisations, qui demeurent spécialisées par nature, et de rejoindre ce concept de santé environnementale qui rassemble des spécialités différentes, des formations académiques différentes, mais qui pourtant, se reconnaissent un intérêt commun en la matière.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La création de ce Haut Conseil a-t-elle été officialisée ?

M. Philippe Lacoste. Oui. Le Haut Conseil a été créé officiellement le 12 novembre 2020, à l’occasion du forum de Paris pour la paix, par le ministre français, M. Jean-Yves Le Drian, et son homologue allemand. Il convient désormais de le constituer en lui garantissant une forme d’indépendance. Les ministres nous ont demandé de ne pas construire un organisme trop bureaucratique constitué de représentants de chaque organisation, mais de regrouper un panel restreint d’experts pluridisciplinaires, capables de produire des rapports, voire de commander des études spécifiques à des organismes spécialisés.

Bref, la création du Haut Conseil a été annoncée, mais il n’est pas encore constitué et son président n’a pas été désigné.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pour quelles raisons aucune campagne d’information relative aux maladies chroniques n’a-t-elle été déployée sur le plan national, dans le domaine de la santé publique ? Pourriez-vous nous apporter des précisions quant au « Green Deal » ? Selon vous, quelles sont les définitions du développement durable d’une part, et de la santé environnementale d’autre part ?

M. Philippe Lacoste. La santé environnementale se définit dans un large périmètre. Elle englobe l’ensemble des aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, déterminés par des facteurs physiques, chimiques, biologiques et esthétiques de notre environnement. Les grands anciens de la médecine grecs avaient déjà compris qu’il existait un lien manifeste entre les conditions de vie, l’environnement, et l’état de santé. La santé environnementale se situe à la croisée des chemins des politiques publiques en matière de santé et de protection des écosystèmes, constitués par tout ce qui est vivant et auxquels, donc, l’humain appartient. La conjonction de ces facteurs induit des conditions plus ou moins favorables à la vie. Les problèmes ont été décomposés par disciplines ainsi que par secteurs et nous avons parfois perdu l’objet principal de ce que nous cherchions, à savoir protéger et encourager la vie des êtres humains.

Le développement durable concerne un périmètre encore beaucoup plus large. Il comporte dix-sept objectifs qui traitent de questions très variées et insistent sur des aspects autres que les facteurs économiques. Certes, le développement économique – l’augmentation du PIB, du revenu par habitant, la croissance économique, etc. – constitue un facteur très important. Néanmoins, il n’est pas le seul. La démarche de développement durable est née dans le pilier environnemental et elle vise à faire en sorte que le développement économique ne soit pas réalisé au détriment de la qualité de la planète, de son eau, de ses forêts, ni au détriment de la qualité sociale qui regroupe les questions d’éducation, d’inégalités, etc. La définition du développement durable est parfois un peu bureaucratique, mais elle est aisément compréhensible. Toutefois, il s’est avéré nécessaire d’opérer un découpage par objectifs et de déterminer des cibles pour chaque thème à l’horizon de 2030.

Votre première question concerne des sujets tels que la pollution atmosphérique pour lesquels les coûts induits sont assez bien évalués. Comme dans toute société, différents groupes de pression s’affrontent. En outre, dans des périodes telles que celle que nous traversons, des menaces sur l’emploi, des contraintes sur l’activité économique et le développement de certains procédés pèsent lourdement. Dès lors, des campagnes telles que celles que vous évoquez pourraient être considérées comme inopportunes.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. À plusieurs reprises, vous avez évoqué les difficultés bureaucratiques que vous rencontrez, liées à des cloisonnements. Devons-nous comprendre que la France n’est pas seule à souffrir de ce mal organisationnel ?

Je souhaiterais également que vous développiez la question des forces en présence, notamment de la puissance réelle de lobbyistes susceptibles de s’opposer à des démarches initiées en faveur de la santé publique et notamment des relations entre la santé et l’environnement. De quels leviers disposez-vous de sorte à convaincre vos interlocuteurs ?

Vous avez évoqué les relations productives avec l’Allemagne et les Pays-Bas, mais qu’en est-il des relations avec les grandes puissances actuelles ? De quelle manière parvenez-vous à initier des dialogues ? Nous savons que l’efficacité de la diplomatie française est particulièrement reconnue. Je suis tout de même curieuse de savoir de quelle manière vous parvenez à faire entendre la bonne parole en matière de santé environnementale face aux agences européennes, aux lobbyistes de la chimie ou de l’agroalimentaire.

Comment avez-vous traité la problématique de la remise sur le marché du glyphosate ?

La France s’est-elle positionnée afin de faire progresser les démarches visant à une plus grande sobriété chimique alors que les enjeux économiques sont colossaux dans le domaine de la pétrochimie ?

Comment parvenez-vous à identifier efficacement un équilibre entre les enjeux économiques et l’écologie, la santé environnementale ?

M. Philippe Lacoste. Mme la Présidente, votre question est redoutable. Nous essayons d’objectiver nos démarches, ce qui n’est pas toujours aisé. Lorsque nous parvenons à produire une évaluation des coûts qui pourraient être évités par de bonnes mesures, l’argument est plus efficace. Nous opposons ces coûts à ceux que générerait une transition vers des modes de fabrication moins nocifs. Il est plus facile d’obtenir des résultats dans le domaine de la santé, qui répond à des normes établies, que sur les aspects environnementaux parce que la dégradation des milieux naturels, des services écosystémiques, est complexe à évaluer. Nous pouvons toujours expliquer que la disparition des abeilles conduirait à l’obligation d’opérer une pollinisation manuelle ce qui générerait un coût de main-d’œuvre important, mais nous rencontrons des difficultés à quantifier ces coûts.

Quoi qu’il en soit, nous tentons toujours d’éviter l’affrontement brutal et nous nous attachons à envisager des périodes de transition. Il est plus facile d’expliquer à un industriel qu’il devra évoluer d’un point A vers un point B plutôt que de le sommer d’arrêter ses activités parce que ses productions ne correspondent plus aux normes. Nos autorités politiques estiment souvent que ces démarches sont trop longues, mais travailler sur l’idée de transition, versus une mutation brutale, nous semble plus efficace pour convaincre nos interlocuteurs de la nécessité d’une évolution.

M. Vincent Szleper, chef du pôle Eaux, pollutions et affaires transversales de la sous-direction du climat et de l’environnement. Il existe une stratégie globale relative à la gestion des produits chimiques au niveau mondial. La compartimentation que vous évoquiez provient du développement de conventions internationales en réaction à des problèmes environnementaux plus ou moins urgents. Le problème de la couche d’ozone était très urgent et nécessitait une réaction immédiate, parce qu’il générait des impacts sur la santé humaine.

L’approche stratégique pour la gestion des produits chimiques réside dans un accord international non contraignant qui regroupe des États et des industriels, le monde de la santé et le monde onusien dans sa grande diversité, notamment l’ensemble des agences concernées par la production, l’utilisation ou l’élimination des produits chimiques telles que le PNUE, la FAO, l’OIT (s’agissant du volet « exposition des travailleurs aux substances »). L’ensemble de ces acteurs se réunissent et discutent au sein d’une conférence mondiale organisée sous l’égide de cette stratégie, conclue pour la période de 2005 à 2020.

Les discussions pour sa reconduction sur la période 2020 à 2030 sont en cours. L’impossibilité de rencontres physiques des acteurs a retardé leur terme. La conclusion des démarches visant à élaborer le nouveau cadre de cette approche stratégique pour la gestion des produits chimiques pour la prochaine décennie devrait intervenir à Bonn, lors d’une conférence internationale programmée en juillet 2021.

Dans ce cadre, la France défend l’idée du renforcement de l’interface science-politique dans le domaine des produits chimiques. Il s’agit de renforcer la connaissance scientifique et de la mettre à un niveau suffisamment clair et compréhensible de sorte que les politiques puissent prendre des décisions avisées dans le domaine des produits chimiques.

Cette stratégie répond à la problématique de décloisonnement que vous avez constatée en France, mais qui existe également au niveau international. Je pense que le fonctionnement en « silos » constitue un travers des organisations humaines. L’expertise est ainsi faite qu’elle impose la constitution d’enceintes dans lesquelles les expertises se confrontent et se complètent dans des phénomènes de synergie de sorte à aboutir aux meilleures solutions politiques possible au niveau international.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Si je vous comprends bien, il existerait une réelle volonté, affichée, de s’orienter vers une sobriété chimique, en traversant des périodes de transition qui seront longues. La prise de conscience d’une hyperconsommation de la chimie et des risques induits sur la santé serait bien réelle. Me le confirmez-vous ?

M. Vincent Szleper. Nous n’utilisons pas le vocable « sobriété » pour ce qui concerne la chimie. Je suppose que vous associez cette expression à celle de « sobriété énergétique ».

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’évoquais la pétrochimie.

M. Vincent Szleper. En effet, le matériel de base est identique. Il a ensuite des utilisations énergétiques ou plastiques.

Le principe de précaution existe. Le grand principe du droit à l’environnement sain a présidé au Sommet de la terre de Rio, en 1992. Parallèlement, le principe de précaution est une des pierres fondant cette approche stratégique de gestion des produits chimiques.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Sur quels types de documentation scientifique votre démarche est-elle fondée ? Comment choisissez-vous vos experts ? Certains experts sont-ils rattachés au ministère des Affaires étrangères ? Existe-t-il simplement une équipe rattachée à l’ONU ou à l’OMS ? Quelles sont les données scientifiques qui constituent vos repères ? Sont-elles susceptibles d’être contestées par les lobbyistes ?

M. Vincent Szleper. L’ONU compte des centres spécialisés dans la production d’expertises, notamment au sein de l’OMS. S’agissant du PNUE, le problème est sanitaire et relève des expertises de l’OMS, mais elles sont moins nombreuses dans ce domaine. L’exemple de la convention de Vienne et du protocole de Montréal pour la protection de la couche d’ozone est intéressant parce qu’il représente le modèle le plus abouti de la démarche internationale.

Les États proposent un panel de scientifiques qui, tous les trois ans, éditent des rapports relatifs à la couche d’ozone. Ils font également, à cette occasion, des prévisions sur la date à laquelle la couche d’ozone devrait retrouver son état initial.

Les États nomment également des experts techniques susceptibles d’appartenir au domaine industriel privé, malheureusement parfois seul détenteur de cette expertise. Les États proposent leurs représentants dans les panels et il relève de la sagesse collective de fonctionner correctement, sous la surveillance des parties. Les parties sont en effet les principaux donneurs d’ordre des conventions et des réunions des parties. Le consensus international fait loi.

Le glyphosate n’est pas un sujet porté au niveau national. Nous le maîtrisons donc moins bien dans notre ministère. Je vous ai fourni des exemples de dossiers que nous traitons.

Le ministère des Affaires étrangères ne dispose d’aucun expert spécifique au domaine de la chimie. Il s’appuie sur l’expertise des opérateurs du ministère de la Transition écologique, notamment l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Lors des réunions des parties, la délégation française est susceptible de s’adjoindre l’expertise des opérateurs de l’État dans le domaine tels que l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), notamment s’agissant des problématiques liées aux plastiques et aux micro-plastiques. En effet, dans l’eau, les plastiques libèrent leurs substances chimiques, ce qui relève de l’expertise des deux instituts précités.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous arrivons au terme du temps imparti à cette audition. Je vais donc conclure sur cette notion de « sagesse collective », en espérant qu’elle sera effective et que, surtout, elle nous permettra d’évoluer dans le bon sens de la protection du vivant sur notre planète. J’espère que les intérêts économiques ne prévaudront pas sur les intérêts de survie de l’ensemble des espèces vivantes de notre planète.

Je vous remercie de vos interventions. Nous avons bien compris que la France est active à l’échelle internationale et qu’elle défend ses valeurs, notamment dans le cadre de l’OMS. Nous espérons que vous parviendrez à faire évoluer les prises de conscience et, surtout, les pratiques opérationnelles.

L’audition s’achève à dix-huit heures trente-cinq.

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56.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Jeanne Husset, administratrice de Wecf France et co-présidente du groupe de travail GT 2 (recherche, formation, information, éducation) du plan national santé-environnement (PNSE3) (24 novembre 2020)

L’audition débute à quinze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons Mme Marie-Jeanne Husset, secrétaire du bureau de Women engage for a common future (Wecf) France. Vous êtes journaliste scientifique, physicienne de formation et professeure de mathématiques. Outre votre appartenance à l’antenne française du réseau international d’organisations féminines et environnementales Wecf, vous présidez l’association Agir pour l’environnement.

Wecf France a été fondé en 2008 pour, d’une part, agir au niveau local et d’autre part, plaider au niveau national et international, afin de « construire avec les femmes un monde sain, durable et équitable ». WECF France centre ses initiatives autour de la santé des femmes et la protection de la période prénatale et de la petite enfance.

(Mme Marie-Jeanne Husset prête serment.)

Mme Marie-Jeanne Husset, administratrice de Wecf France et co-présidente du groupe de travail GT 2 (recherche, formation, information, éducation) du plan national santé-environnement (PNSE3). Je suis administratrice et secrétaire du bureau de Wecf France. Je remplace aujourd’hui notre responsable plaidoyer, Mme Élisabeth Ruffinengo, malade.

Wecf France est l’antenne française du réseau international éponyme, dont la devise est : « Construire avec les femmes un monde sain, durable et équitable ». Ce réseau regroupe 150 organisations écoféministes et dispose d’antennes locales fortes – notamment en Allemagne et aux Pays-Bas. Il a été créé en 1994, à la suite du Sommet de Rio de 1992. Les femmes qui l’ont créé avaient compris l’importance de la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes dans les mouvements écologistes.

L’antenne française a été créée en 2008. C’est une association française – avec un bureau et un conseil d’administration – basée à Annemasse, qui emploie huit salariés. Son activité porte particulièrement sur les questions relatives à la santé et à l’environnement, avec une importante action de terrain. Ainsi, dès l’origine et notre arrivée en France, nous avons déployé des actions de formation des personnels de santé dans les maternités : c’est le but de notre programme Nesting, extrêmement important et original. En France, nous avons été les premières à mener un tel programme de formation dans les maternités. Nous comptons actuellement plus de 300 animatrices qui – particulièrement dans les maternités – ont été formées aux questions de santé-environnement. Elles sensibilisent les jeunes parents ou les futurs parents, par des ateliers, à mieux consommer et à protéger la santé de la famille et des futurs enfants. Notre activité en ce qui concerne la périnatalité est donc très forte, notamment pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.

Nous conduisons aussi une activité de plaidoyer – dont Mme Élisabeth Ruffinengo est la responsable – visant à mener des actions aux niveaux local, national et international. Nous assurons une forte activité auprès de l’Union européenne (UE), caractérisée par le suivi des politiques européennes en matière de santé-environnement.

Par ailleurs, nous menons également une activité en matière d’objectifs de développement durable et d’économie circulaire. Elle concerne, notamment au niveau international, des actions en faveur de la place des femmes dans la lutte contre le dérèglement climatique. Wecf est une organisation non gouvernementale (ONG) reconnue par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Ainsi, nous avons cofondé le prix Solutions genre et climat qui est décerné tous les ans, depuis la COP 21 de Paris – bien que cela soit particulier cette année –, à des associations féministes ayant mené des actions en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique. En effet, nous avons la preuve et nous sommes convaincues que, si les femmes étaient mieux considérées et étaient actrices des changements – notamment dans ce domaine – la lutte serait non seulement plus égalitaire, mais surtout plus efficace.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pour quelles raisons affirmez-vous que, si les femmes étaient davantage associées aux actions en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de santé environnementale, leurs résultats en seraient meilleurs ? Est-ce une prise de position genrée et dogmatique ou une observation fondée sur des supports sociologiques ? Votre position est-elle motivée par le constat, dressé sur le terrain, que la lutte contre le réchauffement climatique (particulièrement pour les questions de santé environnementale) aurait alors plus de chances d’aboutir ? Est-ce votre travail sur la périnatalité qui vous amène à cette conclusion ? Je souhaiterais également que vous développiez le contenu du programme Nesting.

Mme Marie-Jeanne Husset. C’est le résultat du travail mené depuis plusieurs années – depuis 1994 pour Wecf International – avec des associations de femmes dans les pays en développement, en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. Le prix Solutions genre et climat démontre, notamment dans les pays africains et en Inde, que les actions mêlant les femmes aboutissent. Je ne pourrais pas développer toutes les initiatives prises et récompensées – par exemple à la dernière COP 25.

Lorsque les femmes prennent en charge les problèmes liés à l’eau – sachant qu’elles ont un rôle d’éducation des enfants et de la famille et qu’elles sont directement impliquées dans des projets de terrain – leurs actions entraînent des économies d’énergie et des changements des comportements, en faveur d’une lutte contre le dérèglement climatique.

Ce n’est pas démontré par des études théoriques, même si cela existe certainement en sciences humaines et sociales. Toutefois, pays par pays, les projets et initiatives locales font progresser la lutte contre le dérèglement climatique. L’ONU le reconnaît avec ce prix – même si les financements des projets faisant intervenir les femmes ne sont pas encore suffisamment développés. Lorsque les femmes se saisissent de ces questions, elles ne travaillent pas uniquement pour elles-mêmes, mais aussi pour la famille, pour les hommes, pour les enfants et donc pour l’humanité entière.

Tenir compte des femmes, les placer au cœur des projets et les rendre actives aboutit à une plus grande efficacité, particulièrement dans la lutte contre le dérèglement climatique et la transition écologique – bien que cela soit vrai pour tout.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. L’avez-vous également constaté en France et en Europe ?

Mme Marie-Jeanne Husset. C’est extrêmement vrai dans les pays pauvres, mais cela l’est sûrement aussi en France. Ainsi, Wecf travaille beaucoup sur d’importants programmes européens. Par exemple, à Annemasse, le programme Femmes rurales est destiné à aider des femmes – au niveau territorial – à prendre en main leur vie économique et des projets de terrain tenant compte du développement durable. C’est un projet de faible envergure, qui redémarrera – faute de financements – dans les mois à venir.

Nous le voyons également dans notre programme Nesting de sensibilisation des jeunes parents : lorsque les femmes sont à la fois sensibilisées et impliquées, c’est toute la famille qui progresse. Je précise qu’il n’est pas question d’exclure les pères, bien au contraire.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pouvez-vous aborder le programme Nesting ?

Mme Marie-Jeanne Husset. C’est un programme de formation d’animatrices et de personnels de santé. Il part de deux postulats, voire d’évidences. D’une part, le fait que les parents peuvent agir individuellement pour réduire les niveaux de pollution – notamment intérieure – et les expositions aux substances toxiques – particulièrement pour les bébés et les enfants – par de meilleurs choix de consommation. Pour changer de comportement, il faut avoir des informations et être sensibilisé et motivé. Les animateurs et animatrices les aident à mieux consommer, à mieux rénover la chambre d’un bébé, à mieux acheter et à changer leurs comportements.

Les personnels de santé – en particulier dans les maternités – en sont les meilleurs relais. Il serait beaucoup plus difficile et lourd de s’adresser directement au grand public. Nous passons donc par les personnels de santé des maternités, car ce sont les relais fondamentaux et privilégiés pour sensibiliser les futurs et jeunes parents et les amener à diminuer leur niveau d’exposition et celui de leurs futurs enfants.

Nous avons développé des programmes de formation pour ces animatrices depuis douze ans. Nous travaillons avec les Agences régionales de santé (ARS). Nous avons formé un peu plus de 60 maternités et 300 animatrices par le biais de journées de formation en lien avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), des experts et l’Institut de formation en santé environnementale (IFSEN).

Ces animatrices organisent ensuite – au sein ou en dehors des maternités – des ateliers Nesting destinés aux parents, aux femmes enceintes et à leurs compagnons, avec des comités construits autour de thématiques – telles que les cosmétiques, les détergents, les produits d’entretien ou la rénovation. Elles aident les parents à mieux se comporter, à mieux acheter, à comprendre les étiquetages et les labels et à voir les différences entre les produits. Cela aide les parents à changer de comportement.

Nous pouvons citer aussi d’autres ateliers, tels que Ma santé, ma maison, qui ne sont pas destinés uniquement aux maternités. Nous les développons également avec les milieux sociaux, au bénéfice des populations défavorisées, par exemple.

Nesting est un programme d’envergure.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Santé publique France a lancé le site Agir pour bébé. Que pensez-vous de cet outil ? En faites-vous la promotion ? Correspond-il aux attentes de la population que vous observez sur le terrain ?

Mme Marie-Jeanne Husset. Nous sommes évidemment au fait de cet outil de Santé publique France. Nous en avons largement parlé et notre site y renvoie. Je ne sais pas s’il a été évalué. Je ne pourrais donc pas vous répondre plus précisément. Il est certain que les mille jours et la petite enfance nous concernent. Néanmoins, je ne suis pas certaine que nous ayons évalué l’action de Santé publique France. Je ne sais pas si nous avons donné notre avis et si nous devons le faire. Nous en parlons toutefois sur notre site.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Quelles sont vos activités de conseil auprès des collectivités territoriales ?

Mme Marie-Jeanne Husset. Nous assurons des activités de formation, à la fois en santé-environnement et sur la question du genre – en particulier des femmes –, donc portant sur la façon de mieux prendre en compte les inégalités femmes-hommes dans les questions de transition écologique.

Nous organisons des formations pour des collectivités locales. Notre présidente, Mme Véronique Moreira, réalise des formations dans ces domaines – ce n’est pas moi qui m’en charge. Elle intervient sur la façon de prendre en compte les inégalités femmes-hommes et la question du genre dans les questions de transition écologique et de mise en valeur des objectifs du développement durable.

Nous donnons des conseils à des entreprises désireuses de travailler dans ce domaine ou de mieux les prendre en compte elles-mêmes, ainsi qu’à des collectivités locales ou territoriales.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Avez-vous pris connaissance du projet de Plan national Santé-Environnement 4 (PNSE 4), actuellement soumis à consultation publique ? Je pense que oui, puisque vous y avez contribué. Avez-vous des commentaires à ce sujet ?

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment avez-vous participé ? Qu’en avez-vous pensé ?

Mme Marie-Jeanne Husset. Je suis bien évidemment au fait des questions concernant le PNSE 4. Au titre de mes fonctions à Wecf, j’ai coprésidé le groupe de travail no 2 (GT 2) du PNSE 3. Cela fait partie des conseils que nous avons donnés pour la gouvernance du prochain plan, grâce à l’expérience tirée du PNSE 3. Le GT 2 est le groupe de suivi des actions du PNSE 3 concernant la recherche, la formation, l’information et l’éducation. Je l’ai coprésidé pendant quatre ans, de 2015 à 2019. J’ai donc suivi tout ce qui a été fait dans ces domaines dans le PNSE 3.

À ce titre, j’ai participé au Groupe santé-environnement (GSE), que Mme Élisabeth Toutut-Picard préside désormais. J’ai suivi l’évaluation à mi-parcours du PNSE 3 – sachant qu’il n’y a pas encore d’évaluation globale. J’ignore, d’ailleurs, s’il y en aura une.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il y en a eu une.

Mme Marie-Jeanne Husset. Il doit, normalement, y en avoir une.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il y en a eu une par les inspecteurs des deux ministères.

Mme Marie-Jeanne Husset. Auparavant, il y a aussi eu une évaluation à mi-parcours par le Haut conseil à la santé publique (HCSP). De plus, le groupe de travail a également mené sa propre évaluation, avant que son travail s’achève en 2019. Personne ne nous l’a demandé et nous l’avons réalisé pour nous-mêmes, afin de dresser le bilan de ces quatre années.

La deuxième présidente du GT 2 était Mme Jeanne Garric, présidente de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) – qui a récemment fusionné avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Nous avons émis des recommandations pour le PNSE 4 au nom du GT 2. Elles ont été soumises à la consultation publique, après avoir été envoyées à l’ensemble du groupe. J’ai bien évidemment participé au dernier GSE, où le PNSE 4 a été présenté. Je l’ai lu en détail. Nous avons également participé, en 2019, au groupe de travail de préparation du PNSE 4. En conséquence, j’ai de nombreux commentaires à formuler à son encontre.

Tout d’abord, la consultation publique est assez confidentielle. Elle n’a pas fait l’objet d’une importante communication. Wecf France l’a donc mise en ligne et incite tous ses sympathisants et adhérents à y participer. Personne n’est au courant qu’il y a, en France, des PNSE. Personne ne sait ce qu’est la santé-environnement. Aujourd’hui, tout le monde est au courant des problèmes de biodiversité et de dérèglement climatique. Cependant, ce n’est pas le cas de la santé-environnement.

J’ai été directrice du magazine 60 millions de consommateurs pendant dix-huit ans. À ce titre, j’ai largement suivi les questions de santé-environnement et les crises sanitaires et alimentaires de la fin du siècle dernier et du début du XXIe siècle. Nous avons beaucoup contribué à sensibiliser les citoyens à ces questions.

En France, la santé-environnement est insuffisamment prise en compte comme axe majeur de prévention et de santé publique. Nous avons l’impression que, tandis que des liens sont établis entre le dérèglement climatique et les questions de biodiversité, il n’y en a pas avec la santé-environnement. Les questions de santé-environnement ne sont pas prises en compte, y compris au plus haut niveau de l’État. Il faut le reconnaître.

Elles le sont encore moins au niveau international. J’en ai un exemple précis : la France a présidé le G7 en 2019. Elle avait défini deux priorités : la lutte contre les inégalités femmes-hommes et l’écologie. J’ai participé à de nombreuses réunions de préparation – où j’ai découvert que le mouvement des associations féministes est encore plus vaste que celui des associations écologiques. En participant à ces réunions de préparation du G7 du ministère de la Transition écologique – en mai, à Metz –, je me suis aperçu qu’étaient abordés le climat, la biodiversité et les océans, mais que les questions de santé-environnement ne l’étaient pas. Lorsque j’ai demandé si ces questions seraient abordées, il y a eu un long silence.

Les questions de santé-environnement ne sont pas retenues au plus haut niveau de l’État – ce qui est significatif – et ne le sont absolument pas au niveau international. Il faudra encore du temps pour qu’elles soient réellement prises en compte et pour montrer qu’elles sont parties intégrantes de la transition écologique. Les liens entre le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité et la santé-environnement doivent être établis. Ils ne sont pas évidents et il faut encore de la recherche dans ce domaine. Il est néanmoins certain qu’il y a un lien entre toutes ces questions. La pandémie actuelle démontre au moins un lien entre les questions de biodiversité et de santé-environnement.

Je le redis : nous ne savons pas, en France, qu’il y a un PNSE. D’ailleurs, que signifie « national » ? Les gens identifient bien le Plan cancer, car les pouvoirs publics se sont mobilisés et qu’une véritable stratégie de communication a été déployée. Lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, Mme Élisabeth Toutut-Picard, j’avais établi une comparaison avec le Plan national sur la sécurité routière – qui a vraiment fait progresser la question de la sécurité routière en France. Ce plan a fixé des objectifs politiques. J’entends par là le fait de dire qu’il faut qu’à son échéance, quatre ans plus tard, la mortalité sur les routes soit divisée par deux. Cela a donné une accélération aux questions de sécurité routière. Or il n’y a pas d’équivalent en matière de santé-environnement, et encore moins dans le PNSE 4. C’est un plan national ; il devrait donc fixer des objectifs politiques chiffrés – de diminution des expositions, des maladies chroniques, etc. Ce n’est pourtant pas le cas.

Ma seconde remarque d’ordre général est la suivante : l’objet même de ce plan peut être contestable. Le fait qu’il soit dénommé Mon environnement, ma santé donne l’impression – ce que démontre l’axe 1, focalisé sur l’individu – que toute l’action repose sur le particulier, l’individu, le citoyen, l’usager, le consommateur.

Or l’on sait pertinemment que le rôle de l’État est extrêmement important – par exemple pour obtenir des informations fiables et émettre des réglementations, ce qui n’est pas synonyme de chartes, qui ne sont souvent pas respectées et ne sont pas contraignantes –, de même que le rôle des collectivités locales et territoriales. Cela ne peut reposer uniquement sur l’individu. Ce plan national ne comprend aucune mesure contraignante ou volontariste. Organiser des applications pour smartphone est dérisoire et rabaisse le plan national.

De plus, l’étiquetage – et je peux en témoigner en tant qu’ex-directrice de 60 millions de consommateurs – démontre que l’information est révolutionnaire. C’est par l’information que l’on peut faire changer les choses, à condition que l’information soit fiable et juste – ce qui est extrêmement compliqué. Il faut donner une information, mais cela ne peut être soumis à la seule bonne volonté des entreprises et des industriels. Il faut une action volontariste. Et encore ne suffit-elle pas : il faut une réglementation pour imposer un étiquetage – qui a été bien conçu évidemment –, il faut des autorités de contrôle pour vérifier qu’il est apposé, et il faut des sanctions en cas de manquement.

Ainsi, dans le domaine des nanoparticules, un étiquetage est obligatoire pour les cosmétiques. Vous avez souligné tout à l’heure que je suis aussi présidente de l’association Agir pour l’environnement. Les deux associations ont mené, au début de l’été, un important travail d’enquête sur les cosmétiques pour bébé, qui nous a amenés à demander la saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Les produits n’étaient pas étiquetés. Nous avons diligenté des analyses de laboratoire, qui ont montré que certains produits contenaient des nanoparticules. Même une réglementation assise sur un règlement européen n’est pas appliquée par les entreprises, a fortiori si elles n’y sont pas obligées.

Le PNSE 4, en particulier son axe 1, ne contient pas assez de mesures. En témoigne l’action no 5 sur la grossesse. Pour les femmes enceintes, la santé-environnement devrait faire partie du parcours de grossesse. Cela devrait pratiquement être écrit dans le carnet de maternité. Ce plan est trop « tendre » – et je ne pense pas être la seule à tenir ce discours.

Par ailleurs, le GT 2 a noté une vision étriquée du « One Health ». Le mot « écologie » est absent du plan. Il n’y a pas assez d’actions concernant la santé des écosystèmes. Au début du PNSE 3, en 2015, le ministère de l’Écologie en était le moteur. Ce n’était pas celui de la Santé. Lors du premier GSE auquel j’ai participé, j’avais d’ailleurs demandé au responsable de la Direction générale de la santé (DGS) – qui l’avait assez mal pris : « Quand allez-vous découvrir ce qu’est la santé-environnement et vous en occuper ? ». Désormais, en quatre ans, le ministère de la Santé a pris en main les questions de santé-environnement. Or j’ai l’impression que, dans le PNSE 4, le ministère de l’Écologie est presque en retrait par rapport au ministère de la Santé. J’ai l’impression qu’il n’y a pas assez d’écologie dans ce PNSE.

Il est trop tendre et ne comprend pas assez d’actions volontaristes. Il n’y a pas d’objectifs politiques. Que se passera-t-il dans quatre ans ? Par ailleurs, il tient insuffisamment compte de l’état des écosystèmes. Nous avons l’impression qu’il a été établi en dehors du contexte pandémique. Il faudrait qu’il en tienne compte. De plus, il porte sur 2020-2024. Or 2020 s’achève et le plan n’a pas encore débuté. Il pourrait être réduit sur 2021-2023 et ne s’étaler que sur trois ans. Il vaudrait mieux qu’il soit légèrement réécrit, pour tenir compte de la situation actuelle.

Mme Annie Chapelier. Vos propos sont extrêmement passionnants et d’une hauteur de vue dont nous avons besoin. Votre analyse du plan national est sévère, mais parfaitement argumentée. J’entends toutes vos remarques. Vous avez fourni le chiffre de 60 maternités et 300 personnels dans le cadre du programme Nesting.

Mme Marie-Jeanne Husset. Oui, depuis dix ans. Nous continuons.

Mme Annie Chapelier. Pourquoi ce programme n’est-il pas étendu à toute la périnatalité et à tous les professionnels de santé ? Ce n’est plus une expérimentation après dix ans.

Je vous rejoins totalement quand vous affirmez que c’est par l’éducation des futurs parents que les problématiques de santé environnementale peuvent être abordées et apportées à l’éducation générale qu’ils dispenseront à leurs futurs enfants.

Mme Marie-Jeanne Husset. Cela tient au fait que nous agissons avec les moyens à notre disposition – qui sont ceux d’une association. Notre association n’a pas des moyens énormes et s’appuie sur sa force de persuasion pour convaincre les ARS, qui lui apportent les financements. Nous ne sommes pas une entreprise commerciale de formation ; nous sommes une association. L’association est arrivée en France en 2008 et le programme s’est réellement mis en place en 2010. Il avait déjà commencé en Allemagne.

Mme Annie Chapelier. « Nest » signifie « le nid » en allemand.

Mme Marie-Jeanne Husset. Exactement. Aux Pays-Bas aussi. Nous pourrions bien sûr démultiplier notre action et passer à une vitesse supérieure, mais il faut que nous en ayons les moyens. Nous faisons de notre mieux.

Il est déjà remarquable qu’en peu d’années, nous soyons passés à 300 animatrices, alors qu’il n’y en avait qu’une cinquantaine il y a encore quatre ans. Nous progressons, même si nous aimerions aller beaucoup plus vite.

Nous avons organisé l’audit de notre programme Nesting l’année dernière, afin de savoir comment nous pourrions l’améliorer et le développer – en restant toujours, pour l’instant, dans le cadre associatif. Nous pourrions imaginer, dans quelques années, créer une entreprise pour le développer au titre de l’économie sociale et solidaire. C’est un autre sujet. Nous mettons en œuvre les résultats de cet audit actuellement.

Mme Annie Chapelier. Il pourrait même être introduit dans les référentiels de formation du personnel de la périnatalité.

Mme Marie-Jeanne Husset. Bien sûr. Je pense qu’il est connu dans le milieu de la périnatalité. Le programme Nesting est connu. Il est mené avec l’IFSEN, qui est l’institut français – assez original – créé pour les questions de santé-environnement. Wecf en est un des membres fondateurs, avec M. Philippe Perrin, lui aussi fondateur des questions de santé-environnement. Je pense que Nesting est assez connu dans le milieu des maternités. Cela progresse. Ainsi, l’année dernière et pour la première fois, il a concerné la maternité de l’hôpital Necker. Le programme est entré à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP). C’est un bon signe. Nous avançons.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous indiquez, dans vos missions officielles : « faire évoluer la réglementation en santé environnementale » et « coordonner et soutenir des projets portés par des femmes sur les objectifs de développement durable de l’ONU ». À ce jour, qu’avez-vous pu faire en matière d’évolution de la réglementation en santé environnementale ? Avez-vous des dossiers en cours actuellement sur ce sujet ?

Vous avez mentionné une saisine de l’Anses en ce qui concerne la présence de nanoparticules dans les cosmétiques pour bébé. L’été dernier, vous avez également lancé une campagne à propos des crèmes solaires pour enfants, visant à attirer l’attention sur les nécessités de mettre des crèmes solaires pour éviter l’exposition au soleil. Quelles sont les réactions des fabricants ? Collaborez-vous avec les entreprises ?

Mme Marie-Jeanne Husset. L’important travail d’enquête que nous avons mené et publié, en juillet de cette année, sur les produits solaires pour enfants visait un décryptage des étiquettes et une analyse de quelques produits pour y rechercher l’éventuelle présence de nanoparticules. Il dépassait toutefois largement la question des nanoparticules et portait sur toute la composition des produits solaires – y compris les filtres solaires –, pour mesurer s’ils étaient douteux sur le plan toxicologique. Nous les avons classés ainsi : « pas de problème », « problématique » et « douteux ». Cela dépassait largement la question des nanoparticules, car beaucoup de substances sont reconnues comme perturbateurs endocriniens par exemple. Nous connaissons très bien les dangers des perturbateurs endocriniens, en particulier pour les enfants.

Nous avons demandé par écrit la saisine de l’Anses – car nous ne pouvons pas la demander nous-mêmes – sur la base d’un travail d’enquête mené par Wecf France et Agir pour l’environnement. Nous avons demandé sa saisine afin qu’elle établisse le rapport bénéfices-risques de ces produits. D’un côté, les bénéfices en termes de protection solaire – dont on connaît l’importance contre les UV-A et UV-B, en particulier pour les enfants. Le mieux est, soit de ne pas trop les exposer au soleil, soit de leur mettre des vêtements ou de la crème solaire. De l’autre côté, les risques, concernant notamment les perturbateurs endocriniens ou les nanoparticules qu’ils peuvent contenir.

Il y a quelques années, l’Anses a mené un travail du même ordre sur les produits alimentaires (fruits et légumes), lors des recommandations des plans nationaux de nutrition. Il y a eu des questionnements. Manger cinq fruits et légumes apporte un bénéfice pour la santé, mais quels sont les inconvénients s’ils sont remplis de pesticides ? L’Anses avait travaillé sur ce sujet et devrait recommencer aujourd’hui – car elle l’a pratiquement conduit à sa naissance, il y a plusieurs années. Évidemment, il vaut mieux manger des fruits et légumes biologiques – qui ne contiennent pas de pesticides. Néanmoins, si les fruits et légumes en contiennent, les bénéfices sur la santé (anti-cancer, etc.) de leur consommation l’emportent sur les inconvénients. Nous demandons que l’Anses établisse la balance entre les bénéfices et les risques pour les produits solaires pour enfants.

« Faire progresser la réglementation » : aucune association ne peut avoir la prétention, seule, de la faire évoluer. Cela passe par un travail de plaidoyer. Par exemple, faire évoluer les réglementations concernant la présence de nanoparticules. Le moratoire sur le dioxyde de titane dans l’alimentation devrait être reconduit – nous l’espérons – au mois de janvier. Cela fait partie des actions auxquelles nous avons participé et il y en a sûrement bien d’autres. Il n’y a pas beaucoup de réglementations et il y en a peu de nouvelles aujourd’hui. Nous en aurions besoin. Nous avons été parmi ceux qui ont considérablement travaillé pour demander l’interdiction de bisphénol A et sa substitution.

Nous travaillons beaucoup aux questions de substitution. La substitution doit aussi comprendre le produit de substitution, lequel présente parfois plus de risques que le produit initial. Il faut alors changer de système et ne pas avoir une vision trop angélique de la substitution.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Comment soutenez-vous les projets portés par les femmes dans les démarches d’objectifs de développement durable de l’ONU ? Vous avez longtemps expliqué – et fort clairement – comment l’évolution des problématiques de santé environnementale devait, forcément, passer par l’intervention des femmes. Elles sont au cœur des foyers et s’intéressent non seulement à leur famille et à leurs enfants, mais également à la survie économique du foyer.

Vous avez aussi mentionné des inégalités entre les hommes et les femmes sur les questions de santé environnementale. Comment, au sein de l’ONU, arrivez-vous à faire évoluer ce genre de problématiques ?

Mme Marie-Jeanne Husset. Au niveau international, nous faisons partie de la convention sur les femmes de l’ONU. Nous participons à un important programme au Maroc avec les associations de femmes pour, au niveau rural, aider les femmes dans la culture de l’argan. Lorsque nous obtenons un financement de ces programmes internationaux – auxquels nous soumettons notre candidature –, ce n’est jamais Wecf International qui travaille seule. Elle travaille avec les associations féminines locales. Nous les formons. Nous les aidons à obtenir des financements internationaux. Elles savent quelles actions engager et comment procéder au niveau local, mais elles manquent souvent de financements. Nous les aidons à obtenir ces financements et nous les soutenons. Nous les valorisons et valorisons leur action, pour qu’elle soit démultipliée.

Le prix Solutions genre et climat n’est pas un prix qui récompense une action ponctuelle, mais une action pouvant se démultiplier et avoir une valeur exemplaire pour d’autres, ailleurs dans le même pays ou dans d’autres pays.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez émis moult critiques sur notre organisation de la politique publique santé-environnement en France. Qu’en est-il de la démarche au niveau de l’ONU ? Vous nous avez présenté une succession de petites interventions – et nous espérons fortement qu’elles essaimeront. Y a-t-il une réelle politique affichée par l’ONU en matière de santé environnementale, que cela soit vis-à-vis des femmes ou de l’humanité entière ?

Mme Marie-Jeanne Husset. Non, je ne le pense pas. L’action de l’ONU porte surtout sur la lutte contre le dérèglement climatique, dans le cadre des COP. Elle ne porte pas sur les questions de santé-environnement.

J’étais critique vis-à-vis de la France, car je suis en France et aimerais que cela aille mieux et plus vite. Mais, même au niveau européen, nous en sommes loin. Nous sommes presque les meilleurs en Europe, alors que, pourtant, nous ne sommes pas assez avancés. Il y aurait aussi beaucoup à faire dans ce domaine en Europe. La France a un rôle à jouer. Elle le pourrait aussi au plus haut niveau de l’État, de la même façon qu’elle a organisé des COP. Toutefois, j’ai conscience que les questions de santé-environnement sont bien plus compliquées que les questions climatiques, qui ne sont pas simples.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour votre participation et votre témoignage.

Mme Marie-Jeanne Husset. Nous n’avons pas parlé de la gouvernance du PNSE. Je l’aborderai peut-être dans le cadre du GSE s’il a lieu le 9.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il est maintenu. J’espère que vous aurez la même franchise d’expression et de proposition par écrit dans la consultation et le jour de la réunion du GSE. J’ai bien entendu votre proposition de report du PNSE 4, pour qu’il puisse s’étoffer grâce aux retours du terrain.

L’audition s’achève à seize heures.

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57.   Audition, ouverte à la presse, de M. Roger Genet, directeur général, de M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques, de Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée, pôle produits réglementés, et de Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) (24 novembre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons accueilli M. Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), au début de cette commission d’enquête. Il avait alors prêté serment.  Nous avons souhaité l’entendre à nouveau, afin d’obtenir des informations complémentaires. À l’époque, nous n’étions pas encore totalement familiers de ces questions. Nos interrogations ont émergé au fur et à mesure des auditions de la commission et méritent quelques précisions de sa part. Elles concernent les processus d’autorisation de mise sur le marché, la composition des comités d’experts, les conditions d’attribution des appels d’offres et les évolutions possibles de l’Anses en réponse aux critiques qui ont pu être émises, notamment dans la presse.

(Mme Caroline Semaille et M. Matthieu Schuler prêtent serment.)

M. Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Nous avons suivi les travaux de la commission d’enquête – qui sont publics – et nous avons pris connaissance des échanges que vous avez eus avec des collègues – qui sont pour beaucoup des experts de l’Anses – et avec les directions d’administrations centrales. Nous les avons fortement appréciés et ils touchent au cœur du sujet : la gouvernance et l’organisation de la santé environnementale en France.

Concernant le processus des autorisations de mise sur le marché (AMM), je vous renvoie au rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) de mai 2019 sur le glyphosate. Il traite, plus largement, de l’organisation de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux relative aux produits réglementés. Il analyse les processus sur lesquels elle repose et ce qui distingue les avis des agences sanitaires dans le domaine réglementaire. Pour les produits phytosanitaires, il s’agit tout d’abord de l’évaluation de la substance active au niveau européen, puis des AMM délivrées dans les États membres (à partir de l’homologation européenne de la substance active). L’ensemble des mécanismes, tant sur le plan réglementaire que sur le plan scientifique, a été détaillé dans ce rapport que j’avais alors salué. Il est extrêmement précis sur le fonctionnement des agences sanitaires et relève des points méritants d’être renforcés.

L’Anses a beaucoup contribué à la réflexion pour le compte de la France, ce qui a permis de soutenir l’élaboration des positions françaises dans la réforme de la Food Law, qui a été votée début 2020 au Parlement européen. Elle pose des bases de réformes assez profondes de l’évaluation des produits, portant notamment sur le rôle de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority – EFSA), les principes de transparence des études fournies à l’EFSA (pour fonder son évaluation des substances actives), la communication auprès des citoyens européens vis-à-vis des risques et la gouvernance de l’EFSA. Cette dernière sera refondue en 2023, pour laisser une plus grande place aux États membres. Par ailleurs, les règles déontologiques dirigeant l’EFSA ont fortement évolué.

Les évaluations pour la délivrance des AMM sur le territoire national sont régies par le règlement no 2001-18, dont le dispositif est zonal. Cela signifie que les produits sont évalués pour l’ensemble d’une zone – sachant que la France fait partie de la zone sud. Les évaluations sont croisées avec les États membres de la même zone. Le pétitionnaire choisit l’autorité nationale évaluant son produit. Cette évaluation est réalisée sur la base d’une homologation de la substance active – qui est un dispositif européen. La France peut agir en tant qu’État membre rapporteur, sachant que le document proposé par l’État membre rapporteur est révisé, ce qui aboutit à l’homologation de la substance au niveau européen.

Concrètement, la substance active du glyphosate fait aujourd’hui l’objet d’une ré-homologation au niveau européen. Elle avait été autorisée en 2017 pour une durée de cinq ans. Son processus est un peu particulier, compte tenu de la sensibilité de ce sujet au niveau international et des critiques qui ont été émises vis-à-vis de l’évaluation. En conséquence, il y a, non pas un, mais quatre États membres rapporteurs, qui forment un consortium : les Pays‑Bas (évaluation de la toxicologie), la France (évaluation de l’écotoxicologie par l’Anses), la Suède et la Hongrie (relecteurs). Le rapport du consortium sera envoyé à l’EFSA, qui organisera une évaluation par les pairs (peer review). Ainsi, les agences et autorités de chaque État membre amenderont ce document. L’EFSA corrigera ensuite les remarques et établira le document final, qu’elle soumettra au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPCASA) – situé à Bruxelles et composé de représentants de chacun des États membres. Le Comité prendra une décision politique pour l’homologation ou non de la substance active, pour une durée déterminée.

Par la suite, le règlement d’homologation de la substance active issu de ce processus sert aux États membres, d’une part, pour évaluer les produits la contenant et, d’autre part, pour délivrer des autorisations de mise sur le marché pour chaque usage, c’est-à-dire pour une culture ou pour un ravageur. Ce travail relève des sciences réglementaires, souvent opposées à la science académique. À mon avis, cette opposition est particulièrement simpliste, car les sciences réglementaires sont nourries par les connaissances nouvelles acquises par la recherche académique et par les données fournies par les industriels. Il faut que les règles du jeu soient connues de tous pour matérialiser un processus de mise sur le marché. Les sciences réglementaires figent, à un instant donné, une batterie d’éléments scientifiques nécessaires à l’évaluation. Ce standard évoluera progressivement, en s’enrichissant des données et connaissances nouvelles fournies par la recherche académique. Néanmoins, ces règles du jeu seront figées pendant un certain temps, afin que le travail puisse être mené, entre les évaluateurs et les évalués, sur une base commune. C’est ce qui explique ce décalage constant entre les connaissances scientifiques les plus nouvelles et leur intégration dans les sciences réglementaires. Cette codification est nécessaire pour que les règles du jeu soient claires entre les évaluateurs et les évalués. Le laps de temps de révision de ces règles doit à la fois être le plus court possible et suffisamment long pour qu’elles n’évoluent pas tous les six mois – les industriels devant fournir les données.

Concernant la composition et le fonctionnement de l’Anses et des comités d’experts, les mécanismes d’expertise de l’Anses reposent sur les principes fondamentaux de l’expertise collective. Ils sont repris dans des documents totalement publics et accessibles sur notre site Internet. Ces principes fondamentaux de l’expertise collective figent des processus internes. Il en est de même du guide d’analyse des liens d’intérêts, qui a été élaboré conjointement avec notre comité de déontologie et est révisé régulièrement. Il est accessible, lui aussi, sur notre site Internet. Ces documents-cadres ont été élaborés dans le total respect des dispositions du décret no 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l’expertise sanitaire (codifiée dans la loi). Les textes de l’Anses respectent les principes de la charte et les procédures internes permettent de codifier, en toute transparence, le déroulement de l’expertise, les règles déontologiques qui sont rappelées à chaque réunion des comités d’experts et leur composition. Ces éléments sont accrédités par la norme ISO 9001. D’ailleurs, l’ensemble du fonctionnement de l’Anses fait l’objet d’une accréditation qualité par l’Association française de normalisation (AFNOR), révisée quasiment annuellement. Nous venons d’être ré-accrédités sur ce périmètre ISO 9001, tant sur la délivrance des AMM que sur le fonctionnement des comités d’experts.

Les règles que l’Anses s’applique reposent sur la transparence et sur l’indépendance des experts. L’Agence dépend de cinq ministères de tutelle, car elle n’est pas une haute autorité indépendante en tant que telle. Elle est rattachée à chacun de ces ministères. C’est normal, car nous ne pouvons pas nous substituer aux ministres, qui sont responsables de la politique publique – celle-ci fixant le cadre dans lequel nous intervenons. L’Agence garantit l’indépendance de son expertise, de ses experts et du processus d’expertise scientifique qui s’y déroule.

L’article 9 du code de déontologie de l’agence précise – comme Mme Delphine Batho l’a rappelé récemment dans une de ses questions parlementaires – qu’en vertu de l’obligation de désintéressement et du principe de neutralité du service public, les agents et collaborateurs de l’Anses ne doivent pas prendre part à l’analyse de dossiers dans lesquels leur intérêt personnel est impliqué – même s’il n’est qu’indirect et apparent. Ces règles se traduisent par une grille d’analyse des liens d’intérêts.

J’ai constaté que ces sujets ont été beaucoup abordés dans les débats que vous avez conduits tout au long de ces semaines, dans la mesure où plus de 900 experts travaillent dans nos comités d’experts (dont environ 800 Français). Ces chercheurs sont fortement impliqués dans des recherches partenariales – c’est-à-dire dans des contrats de recherche avec l’industrie. Ils ne perçoivent pas de financements à titre personnel, mais leur laboratoire peut bénéficier de financements au travers de conventions de recherche. Nous avons donc cherché à être de plus en plus précis dans l’analyse de ces liens (mineurs, majeurs) et des conflits d’intérêts. Ces liens s’apprécient dans le domaine de l’expertise. J’ai entendu et vu des chercheurs regretter que leur déclaration d’intérêt ne puisse pas être réutilisée dans différentes instances. Même si la déclaration publique d’intérêts est la plus précise possible, il faut comprendre que nous demandons des liens d’intérêts dans les domaines dans lesquels nos experts sont amenés à intervenir. S’ils interviennent dans d’autres domaines, leur déclaration sera peut-être différente. Nous demandons donc très régulièrement des révisions de ces déclarations publiques d’intérêts.

Depuis la loi de modernisation du système de santé, ces déclarations publiques d’intérêt sont publiques – contrairement à ce qu’a affirmé un expert de l’Institut national de la recherche agronomique er environnemental (INRAE). Elles sont accessibles et chacun peut y accéder sur le site du ministère de la Santé. Seules quelques mentions ne sont pas apparentes pour le public, telles que celles relatives aux ascendants ou aux descendants. Toutes les autres mentions sont accessibles et publiques. Ces déclarations sont remises à jour au moins une fois par an. Nous demandons à nos experts et personnels de mettre à jour une déclaration publique d’intérêts chaque fois qu’un élément significatif la modifie – soit des obligations similaires à celles auxquelles vous êtes soumis, en tant que parlementaires, vis-à-vis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Elles sont analysées chaque année, pour le personnel de l’agence et pour les comités d’experts, respectivement par les services de la direction des ressources humaines et de la direction d’évaluation des risques et des produits réglementés. Cette évaluation est menée selon la grille d’analyse des liens d’intérêts. Il y a une traçabilité de la cotation de ces liens et conflits et de la raison pour laquelle tel expert est retenu ou non par rapport à tel groupe de travail ou tel comité d’experts. Cela a lieu de façon systématique. La décision est prise par la direction générale dans des réunions ad hoc pour les vingt-cinq comités d’experts spécialisés de l’Agence – dont la création est entérinée par le conseil d’administration.

Nous appliquons un principe de collégialité car nous cherchons à disposer d’une expertise pluridisciplinaire, afin d’avoir une réflexion contradictoire portée par des arguments issus de disciplines différentes.

Il y a aussi un principe de neutralité des experts. Ainsi, un expert demandant à participer à un comité d’experts contrevient au principe de neutralité s’il annonce qu’il ne changera pas d’avis. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne retenons pas certains experts, car cela démontre qu’ils n’ont pas correctement compris le principe de neutralité que nous attendons dans nos groupes. Nous attendons d’eux une absence de préjugés et de thèses à défendre, car ils doivent examiner les sujets avec un regard aussi neutre que possible, tout en étant compétent. Évidemment, cela peut être compliqué.

Par ailleurs, un expert ayant des liens majeurs ou ne répondant pas à cette définition peut être auditionné et entendu s’il a une compétence très précieuse dans un domaine. Toutefois, il ne peut pas faire partie du comité délibérant. Nous pouvons auditionner des professionnels des industriels et des centres techniques, mais ils ne feront pas partie du comité d’experts s’ils sont impliqués dans la politique à mener – y compris dans une politique publique. Ainsi, les médecins impliqués dans la politique de lutte anti-tabagisme au niveau national n’ont pas été retenus dans le comité relatif aux risques liés au tabac et au vapotage, car ils avaient un point de vue défini – même si l’on peut l’estimer louable. Nous souhaitons des experts les plus neutres possible et n’affichant pas un parti-pris au début de l’expertise.

En outre, la composition des comités d’experts n’est publique que lorsque nous publions notre avis. C’est l’avis de l’Anses qui précise la composition du comité d’experts, afin de garantir tout risque d’influence ou de pression sur ses membres – de toutes parts – pendant la phase d’expertise.

Concernant les attributions d’appel d’offres, je rappelle qu’un appel d’offres est un marché public. Dans ce cas, les règles s’imposant à l’Agence sont celles des marchés publics (transparence, mise en concurrence, etc.). Cependant, certains appels d’offres ne concernent pas des marchés, mais des recherches – tel que le Programme national de recherche en environnement-santé-travail (PNR-EST) –, dont les règles sont issues de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Dans ce cas, nous lançons un appel à candidatures, auquel les équipes de recherche répondent par l’envoi de lettres d’intention. Les comités d’experts de l’Agence dédiés à cet appel d’offres national les analysent ensuite et les classent (selon la typologie suivante : A+, A, B et C). Enfin, un comité de pilotage sélectionne les projets. Il s’agit d’une règle d’appel d’offres public sur des projets de recherche, extrêmement différente des marchés publics. Une troisième possibilité est ouverte à l’Agence depuis la loi de 2007 sur la recherche : la convention de recherche et développement (CRD). Elle peut être mobilisée lorsqu’une prestation de recherche comporte une coopération entre le financeur et le financé. Elle se caractérise par « du gré à gré ». Ce n’est ni un appel d’offres ouvert, ni un marché public, mais une convention entre des parties. D’une part, nous ne finançons pas 100 % des recherches et, d’autre part, cela ne correspond pas à une prestation. L’équipe sélectionnée doit avoir une compétence particulière et il doit y avoir une phase de développement. Ce n’est ni une prestation intellectuelle ni une prestation d’analyse – qui s’inscriraient dans le cadre d’un marché public.

Pendant les dix dernières années, nous avons financé une quarantaine de projets de recherche sur trois ans dans le domaine de l’environnement phytosanitaire, une vingtaine sur le fondement du PNR-EST et le reste au titre du Plan Écophyto et de l’Itmo Cancer Aviesan – qui participe à notre appel d’offres.

Les CDR ont été très nombreuses. Nous en avons financé quarante-sept pendant les cinq dernières années. Elles ont été financées par un budget de 1,5 million d’euros annuels provenant de la taxe sur la phytopharmacovigilance et d’environ 1 million d’euros annuels dédié par l’Anses aux CRD (pour financer des études nécessaires par rapport à nos domaines d’expertise).

Les études que nous avons engagées cet été sur le glyphosate, au titre d’un dispositif de convention de recherche et développement (gré à gré), ont soulevé des critiques. Compte tenu de la sensibilité du sujet, nous avons lancé un appel à candidatures international – pour ne pas nous limiter aux équipes que nous connaissions et obtenir plus de réponses. Malheureusement, seuls deux consortiums y ont répondu.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez amorcé un gré à gré, avant de publier un appel d’offres, auquel seuls deux consortiums ont répondu. Est-ce cela ?

M. Roger Genet. Non. Le mode de financement est un gré à gré par convention de recherche et développement, pour lequel nous avons élargi le vivier d’équipes susceptibles de répondre en lançant un appel à candidatures de type PNR-EST – ce que nous ne faisons pas habituellement. Le résultat de la sélection s’est concrétisé par une CRD, c’est-à-dire par une convention de gré à gré. Ce n’est pas un marché public.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. La parité est-elle assurée dans les comités d’experts ? Des jeunes y siègent-ils ? Selon vous, peut-on être à la fois jeune et expert ? Un expert peut-il siéger dans plusieurs comités – avec un risque de pensée unique, notamment en toxicologie ?

Lors de votre première audition, vous regrettiez le manque de qualifications sur le marché de l’expertise, notamment des laboratoires. Vous aviez déclaré que vous ne vous adressiez qu’à des laboratoires ayant reçu l’agrément « Laboratoires de bonnes pratiques ». À ma connaissance, cette qualification est délivrée par le Comité français d’accréditation (COFRAC). La difficulté ne viendrait-elle pas d’une exigence trop prononcée par rapport à ces bonnes pratiques, qui réduirait l’éventail des laboratoires auxquels s’adresser ? Il est assez riche en France. Ne faudrait-il pas assouplir ces règles appliquées aux « Laboratoires de bonnes pratiques » ?

Comment parvenez-vous à obtenir l’interdisciplinarité et à élargir le débat dans les démarches en santé publique et en santé environnementale, telles qu’One Health ? Les critères de définition des experts ne sont-ils pas trop stricts ?

M. Roger Genet. Il ne faut pas confondre les comités d’experts et les conventions de recherche avec les laboratoires.

Les experts que nous choisissons dans les comités d’experts le sont sur appel à candidatures. Nous ne recherchons pas nous-mêmes les experts – ou très rarement. Lorsque nous créons un groupe de travail ou un comité d’experts, nous listons les disciplines nécessaires pour répondre aux questions posées. Nous publions ensuite un appel à candidatures et nous examinons celles que nous recevons.

Effectivement, nous cherchons à obtenir un équilibre entre toutes les disciplines nécessaires pour étudier la question (sciences expérimentales comme sciences humaines et sociales). Nous essayons systématiquement d’obtenir des éclairages issus des sciences humaines et sociales dans nos comités d’experts. Tout le champ – décrit dans l’appel à candidatures – est couvert. Si nous constituions un groupe de travail sur l’impact sanitaire des sels nitrés dans l’alimentation, nous listerions toutes les disciplines nécessaires pour construire cette expertise. Les experts répondent en connaissance de cause. Nous analysons ensuite les compétences et liens d’intérêts des experts qui se proposent.

Nous portons un regard particulier sur la parité, mais il n’est pas toujours facile de l’assurer. Nous en sommes loin dans nos comités. Parfois, nous recevons quarante-cinq candidatures pour un comité d’experts en comprenant quinze. Nous regardons systématiquement la parité, mais en fonction des candidats qui se manifestent. C’est aussi pour cette raison que nous avons de nombreuses relations avec les organismes de recherche, pour encourager la participation des chercheurs à l’expertise – avec toutes les réserves que certains ont évoquées devant vous.

Nous cherchons à constituer un groupe d’expérience couvrant l’ensemble des sujets et des compétences. Nous cherchons à mélanger des gens ayant déjà participé à des expertises à d’autres n’en ayant encore jamais mené. Il ne serait pas possible qu’un comité soit uniquement formé de personnes sans expérience en matière d’expertise. Nous évitons aussi d’avoir des clients présents depuis très longtemps, comme présidents de groupe ou comme experts. Certains ont accompagné l’Agence pendant plus de vingt ans et se sont éloignés de la production scientifique. Nous avons d’excellents experts, émérites, qui sont partis à la retraite et de leurs laboratoires depuis longtemps. Cependant, il est indéniable que ne pas être productif éloigne du champ de production de connaissances. L’on perd ainsi, progressivement, une prise sur la connaissance des domaines scientifiques. L’expertise et l’expérience de nos experts anciens sont très précieuses, mais il faut un équilibre et un mélange.

Par ailleurs, les experts sont choisis intuitu personae. Ils ne représentent qu’eux et en aucun cas leur employeur. C’est parfaitement clair, puisqu’ils sont recrutés et payés (par vacations) par l’Anses.

Les laboratoires auxquels nous faisons appel sont parfois les laboratoires de nos experts. Lors de la construction de l’expertise et de la formulation des questions, les meilleurs scientifiques dans le domaine considéré sont experts chez nous. Nous sommes confrontés relativement souvent à la difficulté suivante : nos experts sont rattachés à des laboratoires qui sont quasi exclusivement les seuls à pouvoir produire et répondre à des propositions pour des études complémentaires, nécessaires à notre expertise. Notre comité de déontologie nous a recommandé d’éviter cette situation, qui peut s’avérer problématique. Nous y sommes vigilants, mais nous ne pouvons pas toujours l’éviter. Pour près de la moitié des conventions de recherche et de développement que nous concluons, nous avons le choix entre ne rien faire et financer les seuls laboratoires capables de produire les données alors que nos experts y participent. Un exemple : une chercheuse de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), très réputée, est responsable des registres des cancers infantiles et experte dans nos comités. Or lorsque nous avons besoin de données issues de ces registres, cela ne peut passer que par son laboratoire. Que fait-on ? Nous sommes confrontés assez souvent à cette question. Nous finançons donc parfois des laboratoires auxquels nos experts sont rattachés. Nous sommes conscients que cela peut poser problème, mais nous appliquons un principe de réalité. Parfois, nous n’avons pas d’autre choix que celui-ci.

Concernant les bonnes pratiques de laboratoire (BPL) : le cahier des charges « glyphosate » mentionnait que les études devaient être menées dans un tel cadre – qui est une accréditation donnée par des organismes certificateurs. Nous avions posé cette exigence, car le gouvernement demandait la production d’études utilisables dans l’évaluation européenne de la substance active glyphosate en 2021. Or les données produites par les industriels le sont dans des laboratoires certifiés BPL. Pour que la valeur probante des données publiques soit aussi importante que celle des données industrielles, il était indispensable qu’elles soient produites avec des procédures certifiées BPL en matière de qualité en recherche. C’est pour cette raison que nous avons exigé ces données. Bien entendu, tous les laboratoires académiques peuvent produire des données. Le problème – souvent abordé – est celui du poids probant des études académiques, plus faible. Il est aussi dû au fait que les études académiques ne sont pas menées dans un cadre certifié, ce qui peut les fragiliser par rapport à des données produites dans un cadre de qualité par les industriels. Nous devions nous assurer que les études que nous financerions seraient prises en compte. Nous avions donc demandé que les données de génotoxicité – et uniquement celles-ci – soient réalisées dans un cadre BPL. Les autres tests devaient suivre les lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). C’était quasiment un cas unique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il a été source de nombreuses discussions.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comment qualifiez-vous votre contribution à la recherche en ce qui concerne les cancers pédiatriques et les facteurs environnementaux favorisant leur développement ? Pourriez-vous nous présenter les mesures menées par l’Anses (champs électromagnétiques, radon, formaldéhyde, lindane) et leurs résultats dans les cas du cluster de cancers pédiatriques de Sainte-Pazanne – notamment à l’école Notre-Dame-de-Lourdes ? Comment écarter les questionnements relatifs à l’existence « d’effets cocktail » entre ces expositions individuellement faibles ?

De plus, l’Anses considère que l’obésité est une pathologie environnementale. Selon vous, les facteurs environnementaux sont-ils plus importants dans l’explication de l’accroissement du nombre de malades que les facteurs comportementaux ?

Par ailleurs, comment le rôle de l’Anses en tant que conseil des décideurs publics se concilie-t-il avec sa fonction de contrôle du marché des produits phytosanitaires et biocides et des matières fertilisantes ? Comment procédez-vous ?

Enfin, avez-vous élaboré un outil précis pour mesurer l’antibiorésistance de certaines bactéries présentes dans l’environnement qui – au-delà d’un seuil – permettrait de mener des actions concrètes pour réduire la présence et leur développement – ces bactéries présentant des risques pour la santé humaine, animale et environnementale ?

M. Roger Genet. Chacune de vos questions mériterait un long développement, d’autant plus que certaines ne sont pas tranchées, car elles font l’objet d’expertises et de nos débats scientifiques.

Concernant les conseils et la décision, l’Agence produit des évaluations de risques transversales. Par exemple, quels sont les facteurs nécessaires pour protéger les pollinisateurs ? D’un côté, nous avons rendu plusieurs avis sur les différents facteurs de stress et leur impact sur les pollinisateurs. De l’autre, nous prenons des décisions de mise sur le marché de produits ayant une activité insecticide. Nous avons la possibilité, grâce à nos comités d’experts, d’établir un état de la littérature et des connaissances scientifiques pour évaluer et graduer le risque et son degré d’incertitude. En prenant en compte ces données scientifiques, produit par produit, nous délivrons une autorisation pour un usage (plus ou moins restreint). Nous appliquons la réglementation cotant les différents risques, qui est très précise. C’est en fonction de celle-ci que nous décidons la mise sur le marché ou le retrait de l’AMM d’un produit phytosanitaire.

Nous gérons trois classes de produits : les médicaments vétérinaires, les produits biocides et les produits phytosanitaires. C’est compliqué, car elles relèvent de trois agences européennes distinctes et de trois mécaniques d’évaluation et de délivrance des AMM différentes. Les décisions sont prises au niveau européen et coordonnées par l’European Chemicals Agency (ECHA) pour les produits biocides. La plupart des AMM des médicaments vétérinaires sont européennes – bien que quelques-unes restent nationales. Enfin, les produits phytosanitaires – comme je l’ai expliqué – font d’abord l’objet d’une homologation de la substance active au niveau européen, puis du produit au niveau national. Nous nous adaptons toujours, mais le principe même est de s’appuyer sur les données scientifiques disponibles et les évaluations de risques que nous conduisons. Elles sont prises en compte dans les décisions que nous prenons, qui ne sont pas contradictoires. Il est compliqué d’être désigné comme autorité de délivrance des AMM. L’Agence n’était d’ailleurs pas volontaire en ce sens en 2015.

Nous avons organisé un webinaire jeudi dernier à l’occasion de la journée européenne de l’antibiorésistance. Nous avons aussi publié deux rapports, l’un, portant sur les ventes d’antibiotiques pour la santé animale (selon les données produites par l’Agence du médicament vétérinaire, située à l’Anses à Fougères, à côté de Rennes) et l’autre portant sur l’exposition à l’antibiorésistance des animaux (sur la base des données du réseau d’épidémiosurveillance en santé animale). L’un et l’autre ont montré une baisse d’environ 10 % des volumes de ventes d’antibiotiques pour la santé animale par rapport à 2018. Cela démontre que le plan ÉcoAntibio a correctement fonctionné, avec une réduction de plus de 50 % des antibiotiques en santé animale. L’antibiorésistance a diminué. Cette réduction s’élève à 90 % pour les antibiotiques critiques pour la santé humaine dans le domaine de la santé animale. Enfin, nous avons publié un troisième rapport, unique, à la demande de nos ministères : une expertise collective de l’impact de l’environnement sur l’acquisition de l’antibiorésistance. Il s’agissait d’étudier la façon dont les bactéries du sol et les contaminants issus des stations d’épuration contribuent à l’acquisition d’une antibiorésistance chez l’animal ou chez l’homme, en lien avec la contamination environnementale. Nous menons beaucoup de travaux sur ce sujet.

En outre, nous finançons des études sur les cancers pédiatriques – notamment celles de Jacqueline Clavel de l’Inserm – mais nous ne les conduisons pas.

Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée de l’Anses. Nous avons financé des études de Geocap-Agri, qui ne sont pas encore totalement finalisées. Je ne peux donc pas vous communiquer de résultats. Nous les finançons au titre de la pharmacovigilance. Nous avons la chance de pouvoir financer des études, sur les cancers pédiatriques – avec Geocap-Agri – ou l’exposition des riverains – au titre de la future enquête PestiRiv, qui ne concerne pas les cancers pédiatriques.

M. Roger Genet. L’étude PestiRiv, d’un montant de 14 millions d’euros, démarrera l’an prochain et permettra d’avoir une meilleure vision de l’exposition des riverains par rapport aux activités agricoles et aux contaminations par l’air (ambiant, extérieur, intérieur) et par l’eau. Santé publique France et l’Anses en sont les maîtres d’œuvre.

Mme Caroline Semaille. C’est une étude qui comparera l’exposition des résidents de zones viticoles par rapport à celle des résidents d’autres zones, afin de déterminer s’il y a une différence d’exposition. La force de cette étude est de prendre en compte des données de biosurveillance (prélèvements d’urines et de cheveux) et des prélèvements environnementaux (air intérieur, air ambiant, poussières, etc.). Ces derniers sont difficiles à organiser. C’est une première.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quand ses résultats seront-ils disponibles ?

Mme Caroline Semaille. Il faut d’abord la lancer. Or elle est longue et difficile à mettre en place. Il faudra collecter les données sur le terrain, sur six mois – ce qui n’est pas simple en période de Covid. Ce n’est pas l’idéal.

M. Roger Genet. Les résultats seront disponibles en 2023-2024. Il a été reconnu que cette étude déployée par la France est aussi importante que le programme Human Biometrics for Europe mené à l’échelle de l’Europe.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Geocap-Agri est-elle lancée ?

M. Roger Genet. Geocap-Agricole concerne des cohortes de suivi des agriculteurs. Nous apportons des financements à des études longitudinales, telles qu’Agrican (cohortes pesticides-agriculteurs) et Geocap-Agri.

Mme Caroline Semaille. Cette étude a déjà débuté et comporte plusieurs volets s’étendant dans le temps. Je vous fournirais tous les détails de Geocap-Agricole par la suite, mais je ne dispose pas de résultats récents dans l’immédiat.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les cancers pédiatriques sont-ils intégrés dans la démarche Geocap-Agri ?

Mme Caroline Semaille. Oui.

M. Roger Genet. Il y a une importante étude de Mme Jacqueline Clavel, chercheuse à l’Inserm, qui pilote les registres de cancers pédiatriques. Par ailleurs, nous avons participé au comité de Loire-Atlantique concernant Sainte-Pazanne.

M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques de l’Anses. Nous avons appuyé l’Agence régionale de santé (ARS) et Santé publique France sur les niveaux mesurés d’ondes électromagnétiques (radiofréquences ou basses fréquences) à Sainte Pazanne. Les investigations avaient été menées à leur demande à cause de la présence d’une ligne électrique basse et moyenne tension proche des locaux de l’école. À ce titre, mon responsable d’unité sur les risques liés aux agents physiques a participé aux travaux et à l’analyse des résultats. En revanche, il n’y a pas eu de saisine de l’Anses.

Nous menons deux autres actions pour contribuer à la prévention et à la diminution des cancers pédiatriques par l’évaluation de risques. La première est la caractérisation et l’identification des substances pour lesquelles le caractère cancérogène n’est pas encore établi. Nous portons des propositions auprès de l’agence européenne Reach en vue de leur classification comme cancérogènes. Il s’agit par exemple du cas, non tranché, du caractère cancérogène du TiO2 par inhalation – pour lequel nous avons porté une proposition de classification au niveau du Comité de l’évaluation des risques de l’ECHA. La seconde action concerne des analyses en cas de présence de substances cancérogènes avérées dans un produit, afin de déterminer si leur niveau de présence est susceptible de causer des risques. Ainsi, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) avaient été détectés dans les couches pour bébé. Nous avons porté une proposition de restriction au niveau européen portant sur ces produits afin que, demain, ils ne présentent pas de risques.

Quant aux maladies métaboliques, celles-ci peuvent avoir une composante comportementale et une composante environnementale. Nous travaillons sur l’une et l’autre, sans a priori. Concernant la composante environnementale, nous avons émis un avis en début de semaine sur les problématiques de la sédentarité ou de l’insuffisance d’activité physique des jeunes. La réponse est sans appel : plus de la moitié de la population des jeunes adolescents (entre 11 et 17 ans) dépasse les seuils sanitaires. Un tel résultat dans une évaluation de risque chimique est sérieux. La composante comportementale a donc une importance.

Nous travaillons également à l’identification d’autres sources de problèmes métaboliques. C’est pour cette raison que nous sommes engagés dans la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. C’est la première stratégie dans laquelle nous avons mené des évaluations de substances (environ cinq par an) et formulé une proposition de classification de substance « PE ». Nous sommes évidemment impliqués dans la seconde Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, tant pour l’évaluation que pour l’identification des actions prioritaires.

M. Jean-Luc Fugit. La révision des déclarations publiques d’intérêts par la loi de modernisation de santé effraye-t-elle les experts, notamment étrangers ? Comment est-ce géré dans les autres pays ? Avez-vous des éléments de comparaison, voire des idées issues d’autres pays ?

M. Roger Genet. L’Anses et la France ont été précurseurs en matière de déclarations publiques d’intérêts. Nous avons établi ces grilles d’analyse des liens d’intérêts dès 2010. Nous avions notre propre dispositif d’enregistrement des déclarations publiques d’intérêts, avant que la loi de modernisation du système de santé ne les harmonise. Elles sont désormais regroupées – pour toutes les agences sanitaires nationales – sur le site du ministère de la Santé.

La mission d’inspection en cours sur la santé-environnement – qui a rencontré votre commission – rendra son rapport prochainement. Elle émettra probablement, prochainement, des propositions rejoignant ces questions de déontologie (par exemple : pour harmoniser les règles déontologiques). À ce jour, l’Anses est la seule instance à être dotée d’un comité de déontologie, au niveau législatif et réglementaire, par son décret constitutif. D’autres textes se sont agrégés depuis, tels que ceux concernant les référents déontologues. Il faut harmoniser ces règles au niveau national, afin qu’elles soient mieux comprises. En effet, il est très difficile de faire comprendre la différence entre un lien d’intérêts et un conflit d’intérêts.

Nous sommes précurseurs dans la prise en compte de ces liens et conflits d’intérêts au niveau international. Au niveau européen, l’EFSA a énormément progressé en matière de déclarations publiques. J’ignore ce qu’il en est dans le monde anglo-saxon ou asiatique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avez-vous réussi à recomposer votre comité de déontologie ?

M. Roger Genet. La difficulté majeure concerne le recrutement. Nous lançons des appels à candidatures lorsque nous souhaitons recruter. Or très peu de candidats se manifestent. Plus nous multiplierons les instances de déontologie, plus nous aurons de mal à recruter. La déontologie n’est pas une discipline et il faut des experts issus d’horizons divers. Nous avons lancé l’appel à candidatures suite aux départs qu’a connus le comité le 6 janvier et nous avons dû le prolonger. Le conseil d’administration a nommé ses membres en juin. Trois à quatre mois ont été nécessaires pour recevoir des candidatures, les analyser et reformer notre comité. Il a aujourd’hui une présidente, travaille et est fonctionnel. Son mandat s’achèvera le 21 avril et nous mettons tout en œuvre pour éviter une nouvelle interruption de ses travaux.

L’audition s’achève à dix-sept heures.

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58.   Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé (24 novembre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mes chers collègues, la commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale arrive au terme de ses auditions. Comme il est d’usage, elle a souhaité entendre les ministres plus particulièrement en charge de ces politiques.

Je remercie Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, d’avoir répondu à notre souhait de l’entendre, malgré la charge qui est la sienne en cette période de crise sanitaire.

M. le ministre, nous allons vous écouter à propos de l’action conduite sous votre direction par le ministère de la santé, et de ses priorités dans le domaine de la santé environnementale. Ensuite, les membres de la commission d’enquête vous poseront quelques questions.

(M. Olivier Véran prête serment.)

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Dans notre vie de tous les jours, nombreux sont celles et ceux qui ont déjà entendu cette citation attribuée à Antoine de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Nombreux sont également celles et ceux – moi le premier – qui se sont posé la question du sens que pouvait revêtir cette phrase dans notre société moderne. C’est bien la question environnementale qui est posée à travers ces lignes. Cette citation résonne en moi, en tant que ministre chargé de la santé, comme une ligne d’action qui pourrait se résumer ainsi : l’environnement est la clé d’une meilleure santé.

Ces dernières années, et même ces dernières décennies, si l’on pense aux premiers penseurs de l’écologie, la santé environnementale s’est imposée comme un sujet de société majeur, comme une exigence grandissante, comme un impératif moral, et les attentes de nos concitoyens n’ont cessé de croître. Votre commission en est l’illustration ; je tiens à vous en remercier. Je vous remercie également de m’avoir invité.

Selon le baromètre 2019 de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur la perception des risques par les Français, les questions environnementales occupent désormais une place centrale : les préoccupations liées à la dégradation de l’environnement concernent un Français sur trois et arrivent en quatrième position. En progression constante depuis 2009, ces préoccupations sont ainsi quasiment au même niveau que celles liées à la précarité sociale ou économique. Les jeunes générations, en particulier, ont une conscience aiguë de ces risques environnementaux, une conscience aiguë de la fragilité des écosystèmes, une conscience aiguë de notre fragilité. Nous ne pouvons qu’accueillir favorablement cette prise de conscience collective de la nécessité d’adapter notre environnement pour protéger notre santé.

L’environnement est en effet l’un des principaux déterminants de la santé individuelle et communautaire. Agir sur notre environnement, c’est-à-dire sur nos milieux de vie, qu’ils soient domestique, naturel ou professionnel, doit permettre d’améliorer à moyen et long termes l’état de santé de la population. C’est pour agir dans ce sens qu’il a été décidé de lancer en 2018 le plan priorité prévention, un projet interministériel d’envergure destiné à améliorer la santé de la population.

Ce plan aborde tous les déterminants de la santé – environnementaux et comportementaux – et parcourt les différents âges de la vie avec leurs spécificités, de la préconception à la préservation de l’autonomie de nos aînés. Il se décline dans l’ensemble des politiques menées en matière de santé publique – cela va bien sûr au-delà du champ de mon ministère. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en 2018 et en 2019, le Premier ministre avait souhaité réunir un comité interministériel pour la santé, afin que l’ensemble des ministères puissent contribuer à la prévention en santé et à la promotion, dans tous les territoires et dans tous les milieux de vie, des comportements et environnements permettant de rester en bonne santé.

En matière de santé environnementale, mon rôle en tant que ministre est d’assurer la protection de la population, notamment des personnes sensibles – enfants, femmes enceintes, personnes fragiles – vis-à-vis des expositions liées à l’environnement et à certains modes de vie.

Comment agir ? Essentiellement par la prévention, c’est-à-dire en surveillant les expositions, en favorisant la recherche concernant leurs effets sur la santé, en les réduisant par une réglementation renforcée ou en recherchant des solutions alternatives à des substances présentant le plus de risques, mais aussi en informant le public de manière adaptée. J’insiste sur ce dernier point car, face à des risques émergents et/ou incertains, cette information est essentielle : une information transparente, fondée sur une approche scientifique et accessible à tous est le seul rempart face aux adeptes de théories du complot qui se nourrissent des inquiétudes légitimes de nos concitoyens.

J’identifie, pour ma part, quatre grands enjeux prioritaires qui doivent guider notre action au niveau national et se décliner dans les territoires, notamment par l’action des agences régionales de santé : premièrement, la qualité de l’eau et ses différents usages ; deuxièmement, la qualité des environnements intérieurs, en particulier concernant l’amiante, le radon, l’air intérieur, le bruit, les nuisances sonores, la résorption de l’habitat insalubre et du saturnisme ; troisièmement, l’exposition aux produits chimiques, aux agents physiques et, plus largement, aux polluants de l’environnement en lien avec les activités humaines, dont les déchets d’activités de soins à risques infectieux (DASRI) ; quatrièmement, bien sûr, l’alimentation et l’activité physique.

Mais, et je crois que c’est précisément ce que nous disent nos concitoyens, nous ne pouvons plus nous limiter à une approche exclusivement normative de la santé environnementale. Certes, elle est indispensable pour la protection des citoyens, mais nous devons ancrer notre mobilisation dans une stratégie qui permette à chacun d’agir pour un environnement favorable à notre santé.

C’est pour cette raison que j’ai souhaité lancer, avec Barbara Pompili, un nouveau plan national santé-environnement (PNSE) intitulé « Mon environnement, ma santé », coconstruit avec le groupe santé-environnement – que vous présidez, madame Toutut-Picard – et qui doit se traduire en pratique dans la vie de nos concitoyens, selon une approche concrète et opérationnelle. Pour qu’elle le soit encore plus, pour que ce PNSE ne soit pas un énième plan, nous avons souhaité le soumettre à une consultation publique, toujours en cours. Je souhaite ainsi que chacun se mobilise sur ce sujet afin de dégager un consensus solide pour acter, début 2021, notre feuille de route pour les cinq années à venir.

Vous le voyez, je ne me situe pas uniquement dans le constat, mais bien dans l’action. Ce n’est pas une action isolée, parce qu’en matière de santé environnementale, c’est à chacun – professionnels de santé, chercheurs, citoyens, élus, acteurs économiques – de se mobiliser au niveau d’action qui est le sien. Protéger les générations actuelles comme les générations futures doit être une responsabilité partagée.

Hippocrate disait : « Il faut, autant qu’on le peut, remonter à la cause. » Je suis certain que s’il était l’un de nos contemporains, il ajouterait : « et agir sur cette cause ». Je sais que vous partagez cette envie d’action et que c’est le sens que vous avez souhaité donner aux travaux de votre commission d’enquête. Soyez convaincus que vos propositions guideront notre action collective. Je vous renouvelle donc mes remerciements pour cette invitation et me tiens évidemment prêt à répondre à toutes vos questions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie, M. le ministre, pour cette présentation ainsi que pour votre engagement à essayer de mettre en place une véritable stratégie en matière de santé environnementale. Vous venez de rappeler votre intérêt pour le quatrième plan national santé-environnement (PNSE4), de même que les quatre grands enjeux prioritaires que vous confiez aux agences régionales de santé.

Nous avons auditionné une soixantaine de personnes. Nous les avons interrogées notamment sur leur approche du PNSE4. Nombre d’entre elles en ont souligné l’intérêt, et ont insisté sur notre chance d’avoir un plan national santé-environnement, car c’est une démarche qui n’existe pas dans d’autres pays européens. En revanche, de nombreuses critiques ont porté sur le manque d’adéquation qui semble exister entre cette nouvelle formule du plan national santé-environnement et les véritables enjeux remontant du terrain. Ces critiques ont trait notamment à la gouvernance et à la manière dont la consultation publique a été menée. Demander leur position à tous les acteurs de terrain, c’est une bonne chose, mais il semble que certains d’entre eux, qui sont pourtant désignés comme étant des acteurs incontournables, à savoir les collectivités territoriales, n’aient pas, à ce jour, répondu à la consultation publique, ce qui laisse planer un doute quant à leur connaissance de l’existence même du PNSE, voire celle des plans régionaux santé-environnement (PRSE). Cela montre, qu’au-delà des annonces, il reste beaucoup à faire, même si le PNSE 4 a le très grand mérite d’exister.

Je voudrais rebondir sur la proposition que vous venez de nous faire, à savoir d’enrichir le PNSE4 grâce aux conclusions de notre commission d’enquête, pour qu’il y ait une totale adéquation entre la politique affichée et les attentes plus précises du terrain, ce qui permettra de mobiliser tous les acteurs, comme vous le souhaitez. Il y aura peut-être intérêt également à aller voir du côté de la commission d’enquête sur la covid-19 : il pourrait être intéressant d’intégrer au PNSE4 certaines de ses propositions et des leçons que l’on peut tirer de ce qui s’est passé pour nous organiser afin de prévenir d’autres pandémies. Un dernier élément plaide en faveur d’un temps d’attente supplémentaire qui permettrait d’enrichir ce document : le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) remettra en février une série d’indicateurs pour accompagner les objectifs définis dans le PNSE4. Il serait intéressant de faire converger toutes ces démarches qui n’ont en réalité qu’un seul but : étoffer la politique de santé environnementale que vous allez défendre avec la ministre de la transition écologique. Peut-on envisager de modifier un peu le calendrier de l’élaboration du PNSE4 afin d’étayer ce plan et de faire en sorte qu’il soit beaucoup plus pertinent et cohérent avec les attentes des acteurs de terrain comme des acteurs institutionnels parisiens ?

M. Olivier Véran, ministre. La réponse à cette première question est facile, et je vous en remercie : oui !

Nous avons effectivement saisi le HCSP pour définir les indicateurs d’impact du plan. Comme je l’ai dit, celui-ci est soumis actuellement à la consultation publique. En outre, je crois profondément au travail parlementaire, en commission d’enquête comme dans tout autre format. J’avais prévu d’officialiser le plan début janvier, mais cela pourrait être retardé de quelques semaines – pas trop, évidemment. Nous pourrions le présenter en février, par exemple. Sachant que tout le monde est soumis à rude épreuve, en termes d’agenda, avec la gestion de la crise du covid-19, je crois que personne n’y verra malice. D’ailleurs, je souhaite lancer également le Ségur de la santé publique, qui viendra enrichir et prolonger les travaux.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Comme vous venez de le dire en préambule, l’environnement est la clé d’une meilleure santé. L’épidémie de covid-19 illustre d’ailleurs le fait que la santé et l’environnement sont deux domaines étroitement liés. La santé environnementale est une priorité du XXIe siècle. L’impact de l’homme sur l’environnement – faune et flore – et ses conséquences sur sa propre santé sont évidents.

La recherche préventive doit s’inscrire dans la continuité de la recherche curative. Selon une étude de la Commission européenne, 13 % des décès en Europe seraient liés à la pollution de l’air. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime quant à elle que 23 % des décès et 25 % des pathologies chroniques – obésité, diabète, cancer ou encore maladies cardiovasculaires – peuvent être attribuées à des facteurs environnementaux et/ou comportementaux, parmi lesquels figurent les perturbateurs endocriniens, la qualité de l’air, de l’eau et de l’alimentation, les pesticides, mais aussi les produits chimiques. Ce sont d’ailleurs des facteurs que l’on retrouve dans les profils de comorbidité de la covid-19 : on estime que 50 % à 60 % des 1 million de morts souffraient de maladies chroniques.

Votre ministère reconnaît une corrélation entre santé et environnement. Quelles évolutions de notre système de santé envisagez-vous pour prévenir les risques encourus par la population ? Sur quels soutiens européens ou internationaux pouvez-vous compter ? Des études sont-elles en cours sur les impacts de l’homme sur l’environnement ? Collaborez-vous avec des laboratoires de recherche, français ou autres, sur le sujet ?

Nous vivons une crise sanitaire, sociale, économique et sociétale dont les effets post-traumatiques sur nos concitoyens n’ont pas encore été quantifiés. À ce titre, pensez-vous que le plan de relance doit consacrer des investissements importants au domaine de la recherche préventive sur la santé environnementale ? Les retours sur investissement pourraient être élevés car cela permettrait d’amenuiser les coûts pour notre système de santé, dont nous fêtons les soixante-quinze ans.

Le constat est sans appel : les citoyens, les élus, les entreprises et les professionnels de santé dénoncent le manque de formation et d’éducation à la santé environnementale, ce qui renvoie d’ailleurs au premier axe du PNSE4. Qu’envisagez-vous concrètement pour enseigner la santé environnementale comme une véritable science, que ce soit à l’école, auprès des responsables politiques ou dans les administrations ?

À propos du PNSE4, plusieurs auditions nous ont amenés à comprendre qu’il manquait une approche transversale des enjeux de santé environnementale. Les personnes auditionnées, qu’il s’agisse de représentants d’institutions, d’élus locaux, d’associations ou des acteurs privés, nous ont donné des définitions multiples de la santé environnementale. Une opacité totale règne quant au contenu et au rôle de la santé environnementale. Autre constat : on ne peut que déplorer le cloisonnement et le manque de transversalité des informations, de même que l’absence d’ascendance pour la plupart des thématiques, par exemple en ce qui concerne la pollution de l’air, des sols et de l’eau ou encore les suspicions d’agrégats de cancers.

Pourtant, les acteurs que j’évoquais ont pris un certain nombre d’initiatives très intéressantes et porteuses dans le domaine de la santé environnementale ; ils souhaitent être des relais d’information. Je pense à l’agence régionale de santé (ARS) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et à l’Association des maires de France (AMF), avec un projet de surveillance ciblée de l’étang de Berre. Je pense aussi au plan santé du pays de Retz, soutenu par le conseil économique, social et environnemental régional (CESER) des Pays de la Loire, ou encore à la veille réalisée par l’ARS d’Aquitaine.

La transversalité serait efficace et productive, et ce, sans le moindre coût, avec pour seule motivation la volonté de faire en sorte que la santé environnementale soit une partie intégrante de nos priorités et soit compréhensible par tous. Est-il donc question d’élaborer un projet visant à optimiser les informations récoltées dans les territoires, dans une volonté d’ascendance constructive ? Un projet de loi, par exemple, pourrait obliger chaque individu ou chaque instance à réduire concrètement les expositions environnementales pouvant affecter notre santé.

M. Olivier Véran, ministre. De quelles initiatives la France pourrait-elle s’inspirer en matière de coopération européenne et internationale ? Je vous répondrai : l’approche One Health – « Une seule santé » –, qui fait actuellement l’objet de discussions avec les ministres de la transition écologique, de l’agriculture et de la recherche. Pour illustrer cette approche, le meilleur exemple que l’on puisse citer est celui l’antibiorésistance. Il s’agit de protéger notre planète en faisant en sorte que tous les acteurs de la santé humaine, de la santé animale et de la santé environnementale travaillent ensemble, notamment au plan européen.

Le PNSE4 a été renforcé pour mieux intégrer la dimension One Health. Plusieurs actions ont ainsi été complétées ou ajoutées : formation interdisciplinaire des professionnels de la santé humaine, animale et environnementale ; surveillance renforcée de la santé de la faune sauvage, en lien avec la santé humaine ; promotion d’un usage raisonné des biocides, notamment des désinfectants, par les professionnels et le grand public, en limitant leur impact sur l’environnement ; renforcement des recherches sur l’émergence des zoonoses, mises en lumière par la crise sanitaire. Ce plan sera lancé au début de l’année 2021.

S’agissant de la remontée des informations, j’ai été marqué, lors de l’incendie de Lubrizol, par le fait que la communication était plus ou moins organisée en « silos » – elle portait tantôt sur la qualité de l’air, tantôt sur celle de l’eau – et était donc assez éloignée de l’approche « Une seule santé ». Lorsque je me suis penché, en tant que député rhône-alpin, sur la question de l’agénésie des membres supérieurs dont souffraient un certain nombre d’enfants vivant à proximité de ma circonscription, je me suis aperçu que l’on raisonnait, là encore, en silos et, surtout, qu’il était difficile de mener de front des investigations sur le terrain, des actions d’information et de promotion et une réflexion sur les conclusions opérationnelles à en tirer.

C’est pourquoi, dans mon programme de candidat aux élections législatives, j’avais insisté sur la nécessité de créer des centres de recherche, de formation et d’information à l’échelle territoriale – probablement régionale –, composés d’équipes pluriprofessionnelles capables de mener des enquêtes de terrain et de récolter des données en lien avec la médecine du travail et des spécialistes de santé publique, de manière, pourquoi pas, à développer le métier de préventologue – le mot n’est pas très beau, mais sa signification est claire. La France a accompli de grands progrès en la matière. Je pense, par exemple, aux cellules régionales chargées d’informer les femmes enceintes – un public particulièrement fragile – et de les prévenir des risques environnementaux auxquels elles peuvent être exposées. Nous devons, pour être plus efficients, développer ce type d’interventions pluriprofessionnelles à tous les niveaux.

En ce qui concerne la gestion des données, je suis entièrement d’accord avec vous. Nous devons, tout d’abord, améliorer la mise à disposition des données agrégées, pour permettre à chacun de disposer du bon niveau d’information. C’est souvent possible à l’échelon régional, grâce au travail des observatoires régionaux de santé, mais ces travaux doivent aussi être accessibles aux citoyens. C’est la raison pour laquelle le PNSE4 prévoit la création d’une start-up d’État dans le domaine de l’éco-santé.

Nous devons ensuite améliorer la mise à disposition des données brutes, pour développer la recherche et la modélisation. C’est l’objet du projet Green data hub qui, sur le modèle du Health data hub – encore un affreux anglicisme –, doit permettre, à partir de données individuelles anonymisées mais chaînées, d’étudier les associations statistiques et de rechercher les causalités.

En France, les mécanismes de compréhension ne sont pas à un stade de développement très avancé. J’émets ainsi toujours d’importantes réserves quant aux interprétations que l’on pourrait faire de situations constatées sur le territoire. Je n’ai jamais été en mesure de démontrer, par exemple, que l’agénésie des membres supérieurs était liée à un facteur environnemental. Des spécialistes, notamment des généticiens, m’ont expliqué que lorsqu’elle était unilatérale, elle pouvait difficilement être d’origine génétique, de sorte que si l’on constate une surdensité de ce type de malformations dans un territoire donné, on peut incriminer l’environnement. Cela ne signifie pas pour autant que l’on a identifié le facteur concerné ni même que l’on détient la preuve irréfutable que l’environnement est en cause : les statistiques ne permettent pas, à ce niveau-là, des démonstrations imparables.

Il faut, en tout état de cause, se donner les moyens d’effectuer des recherches. Nous avons donc besoin de registres, et nous devons faire preuve de sang-froid pour éviter de formuler des conclusions qui, s’agissant de situations dramatiques sur le plan humain, font beaucoup parler dans la presse. On observe d’ailleurs le même phénomène actuellement ; je pense aux experts épidémiologistes qui se succèdent sur les plateaux de télévision depuis le début de la crise sanitaire pour nous expliquer qu’ils en connaissent les causes. Tant que nous n’avons pas de certitudes, il faut chercher, de façon déterminée.

Mme Claire Pitollat. Ma première question porte sur le décret d’application de la loi Grenelle 2, de 2010, relatif à l’étiquetage des composés organiques volatils dégagés par les produits d’ameublement. Ce décret n’a toujours pas été publié. Pourtant, les conclusions des travaux scientifiques que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Anses, a réalisés dans ce domaine sont connues. Certes, ce texte relève de la compétence du ministère de la transition écologique, mais je l’ai sollicité à plusieurs reprises, en vain. Cependant, puisqu’il s’agit d’une question de santé environnementale, vous êtes également concerné. Je souhaiterais donc savoir si vous comptez insister pour que ce décret soit publié.

Par ailleurs, je suis l’auteure avec Laurianne Rossi, d’un rapport sur les perturbateurs endocriniens. Les scientifiques nous ont expliqué qu’en la matière, il fallait agir rapidement, de manière préventive. Or il faut, pour cela, réviser le règlement REACH (Registration, evaluation, authorization and restriction of chemicals). Incitez-vous le Gouvernement à défendre une révision ambitieuse de ce règlement ?

Ma troisième question a trait au Toxi-Score, dont nous avons proposé la création lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Cette mesure peut être longue à mettre en œuvre, mais elle s’impose. En effet, nous ne pouvons plus nous contenter d’une information portant sur les seules qualités nutritionnelles d’un produit. Vous qui avez œuvré en faveur de l’extension du Nutri-Score, êtes-vous favorable à l’affichage d’une information complémentaire sur les additifs, qui ont un impact important sur notre santé ?

M. Olivier Véran, ministre. Le décret relatif à l’ameublement est en effet en carafe depuis dix ans. Hélas, vous l’avez dit vous-même, il ne relève pas de mon ministère. Mais je suis favorable à toutes les mesures d’étiquetage ; j’en discuterai donc avec la ministre de la transition écologique.

J’ai pris connaissance de votre rapport sur les perturbateurs endocriniens, pour lequel je vous adresse mes félicitations. En septembre 2019, la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a été publiée par la ministre de la santé et des solidarités et celle de la transition écologique et solidaire. Son objectif est de réduire l’exposition de la population et de l’environnement à ces éléments. En ce qui concerne la réglementation européenne en la matière, la France défend vigoureusement, et ce depuis la première stratégie, l’adoption d’une définition transversale des perturbateurs endocriniens et leur classement en trois catégories : avérés, présumés et suspectés. Elle l’a rappelé en 2020, lors de la consultation organisée par la Commission européenne dans le cadre de l’évaluation de la prise en compte des perturbateurs endocriniens dans les réglementations sectorielles.

Quant au Toxi-Score, non seulement j’y suis favorable, mais il va voir le jour car il correspond à l’action n° 3 du PNSE4.

M. Jean-Luc Fugit. J’interviendrai ici surtout en ma qualité de président du Conseil national de l’air. Celui-ci souhaite que la notion d’exposome, introduite dans notre droit par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, soit utilisée lors de l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des actions de lutte contre la pollution de l’air intérieur et extérieur. Toutefois, le compartimentage des différentes politiques y fait obstacle. Comment remédier à cette situation ? La politique de l’air est par définition transversale.

Lorsque j’enseignais en première année commune aux études de santé, je me suis aperçu que les futurs soignants n’étaient pas véritablement formés aux questions de santé environnementale. Avez-vous l’ambition de compléter leur formation dans ce domaine ?

Enfin, comment comptez-vous intégrer les questions de formation et de pollution de l’air dans le Ségur de la santé publique que vous souhaitez organiser ?

M. Olivier Véran, ministre. La question de l’intégration des différents milieux d’exposition dans le concept d’exposome et celle de l’évolution de cette notion vers un outil pratique de pilotage relèvent davantage de la recherche fondamentale et appliquée, donc des scientifiques, que de la politique. Le ministre que je suis ne se risquerait pas à vous indiquer la manière dont ces recherches doivent être menées. Ce que je puis vous dire, en revanche, c’est que les conditions législatives et réglementaires sont désormais réunies pour que l’on puisse avancer dans ce domaine ô combien important. Du reste, un certain nombre de recherches sont en cours.

Oui, vous avez raison, nous devons améliorer la formation des futurs soignants en matière de santé environnementale. Il faut éclairer les consciences, si je puis dire. Je m’explique. Pour ce qui est des risques connus – je pense aux intoxications qui peuvent être provoquées par le radon, le plomb, le mercure, les métaux lourds de façon générale –, on peut élaborer un programme de formation. Pour le reste, il convient de développer une conduite scientifique, voire médicale, qui consiste à avoir l’esprit ouvert et à s’interroger sur l’intervention de facteurs environnementaux dans la survenue des maladies. Mais c’est déjà le cas. Je peux vous dire qu’à la faculté de médecine de Grenoble, lorsque j’y faisais mes études, dans les années 2000, toute maladie neurologique chronique d’origine indéterminée était étudiée en prenant en compte l’ensemble des facteurs, y compris toxiques, que l’on pouvait suspecter d’être à l’origine de tout ou partie de cette pathologie.

Les préoccupations de santé environnementale ne sont donc pas absentes des programmes d’études en santé. La place qui lui est réservée s’explique par le caractère incertain de différentes données : il est difficile de faire apprendre par cœur à des étudiants des éléments sur lesquels le savoir scientifique et médical n’est pas certain. Néanmoins, je suis d’accord pour que l’on oriente davantage la formation vers la prévention. Du reste, dès le début de la législature a été créé le service sanitaire pour les étudiants en santé, dans le cadre duquel ces derniers réalisent des enquêtes sanitaires et interviennent dans le domaine de la prévention. Ces actions témoignent de notre souci d’inculquer aux futurs soignants les notions très importantes d’attention portée à l’environnement et de prévention. Le socle de compétences et de connaissances en santé a évolué, mais on peut encore progresser en la matière.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Êtes-vous prêt, en tant que ministre des solidarités et de la santé, à défendre la possibilité de disposer d’une marge d’autonomie par rapport au cadre européen en matière d’autorisation de mise sur le marché des produits chimiques ?

Quelle est votre position sur le principe de précaution ? Que pensez-vous de l’objectif de sobriété chimique, qui va parfois à l’encontre des intérêts économiques de notre pays, notamment ceux de l’industrie agroalimentaire et de l’industrie de la chimie, en particulier du médicament ?

M. Olivier Véran, ministre. La marge d’autonomie par rapport à la réglementation européenne est une question qui ne relève pas de mon ministère, et encore moins de mon pouvoir ! Cela ne m’empêche pas de discuter avec mes homologues européens pour plaider en faveur de la santé et du principe de précaution, mais je n’ai pas la capacité de décider si la France doit ou non se donner les moyens de ne pas respecter certaines normes européennes. J’ai toutefois noté qu’elle avait été capable de le faire en diverses circonstances – nous en avons l’un comme l’autre fait l’expérience au Parlement, madame la présidente.

S’agissant du principe de précaution et, plus généralement, des aspects normatifs, pour apporter une preuve d’amour plutôt que de tenir de beaux discours, je vous rappellerai le combat que j’ai mené en faveur du Nutri-Score – je me souviens que vous étiez de ceux, peu nombreux, qui avaient voté pour cette mesure la première fois que je me suis risqué à la présenter dans l’hémicycle. Il s’agissait bien de circonvenir ce que l’on disait conforme au droit européen, mais qui ne semblait pas suffisant pour permettre d’indiquer le score nutritionnel sur les emballages et dans les publicités pour les produits alimentaires ; on m’avait opposé à l’époque la réglementation européenne. J’étais allé au vote et avais été assez sèchement battu la première fois, mais j’étais revenu à la charge dans le cadre d’un autre texte et, cette fois, je l’avais emporté, par quatre-vingt-cinq voix pour et une contre – signe qu’il faut savoir faire preuve de persévérance. Comme je vous sais persévérantes, madame la présidente et madame la rapporteure, je ne doute pas que vous arriverez à faire évoluer un certain nombre de cadres normatifs.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Et la sobriété chimique ?

M. Olivier Véran, ministre. La sobriété chimique est un concept important. Je ne suis pas sûr d’avoir la même compétence que vous pour la définir. Ce qui est certain, c’est qu’il faut autant que possible éviter d’empoisonner notre corps et celui de nos proches avec des substances dont on ne maîtrise pas les tenants et aboutissants. J’y prête une grande attention, de même que je prête une grande attention au Toxi-Score. Je crois qu’il faut donner à nos concitoyens un mode d’accès rapide à la connaissance pour qu’ils puissent faire un choix éclairé au moment de l’achat d’un produit. Parfois, cela relève de l’évidence – une bouteille verte vendue sous le label « bio » –, parfois, c’est un peu plus compliqué, d’autant que le diable se cache dans les détails.

Je vais vous en donner la preuve en prenant, une fois n’est pas coutume, un exemple personnel : mes parents exploitent des oliviers dans le Midi et ils sont très fiers de ne pas les traiter avec des produits chimiques ; ils fabriquent une huile de première pression à froid, dans un petit moulin provençal typique. Il n’empêche que trois fois par an, ils s’adonnent à la pratique de la pulvérisation de bouillie bordelaise. Celle-ci est parfaitement compatible avec le bio ; pourtant, il s’agit de sulfate de cuivre – je ne suis pas certain que le fait de répandre du sulfate de cuivre sur des produits de consommation courante soit parfaitement compatible avec l’idée que nos concitoyens se font du bio ! Ce qui s’est passé, c’est que l’usage de la bouillie bordelaise est tellement antérieur à celui des autres biocides et pesticides et aux normes qu’il est passé entre les gouttes. J’ignore si la vaporisation de sulfate de cuivre sur des produits alimentaires est une bonne ou une mauvaise chose, je n’ai pas la compétence pour le dire, mais, en tant que citoyen, je me pose des questions quand je le vois faire. Probablement peut-on encore progresser en matière d’accès à l’information.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Dans cette commission d’enquête, nous constituons une cartographie des dysfonctionnements, mais nous avons aussi à cœur de proposer des pistes d’amélioration, de faire preuve de discernement et, s’agissant d’un sujet aussi sensible, de se baser sur des valeurs plutôt que sur des réactions émotionnelles.

Nous privilégions aussi une approche particulière en matière de prévention. Les facteurs environnementaux jouent en effet un rôle majeur dans le développement de certaines maladies, qui ne s’expliquent pas uniquement par des facteurs comportementaux. Il convient donc de les prendre en considération dans les politiques de prévention, notamment pour ce qui concerne l’obésité. L’épidémie de covid-19, corroborant les études sur l’obésité réalisées par l’OMS en 2018, souligne cette urgence : parmi plus de 1 million de personnes décédées de la covid-19, 50 % à 60 % souffraient de maladies chroniques telles que l’obésité ou le diabète.

Votre ministère a-t-il élaboré une stratégie nationale, relayée par les collectivités territoriales, en la matière ? Un plan d’urgence est-il programmé sur cette question, qui est considérée comme une priorité par l’OMS, et, dans l’affirmative, sur quelle durée et avec quels moyens ? Dans leur rapport sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique, nos collègues Claire Pitollat et Laurianne Rossi – que la commission d’enquête a auditionnées – suggèrent la création, sur le modèle du Nutri-Score, d’un « Toxi-Score » intégrant les perturbateurs endocriniens : qu’en pensez-vous ? Une formation continue relative au développement des maladies chroniques, comme les cancers ou l’obésité, est-elle prévue par votre ministère ? Une médecine de l’obésité pourrait-elle être envisagée – l’une des associations que nous avons auditionnées suggère même de faire de l’obésitologie une spécialité à part entière ? Pour pallier les carences de notre système de santé en matière de prévention, il serait souhaitable que la profession de préventologue voie le jour ; vous l’avez évoquée, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

M. Yannick Haury. Autant, en ce qui concerne les services déconcentrés, le rôle des agences régionales de santé est clair, autant celui des collectivités territoriales soulève des interrogations. On sait que les départements interviennent en matière de protection maternelle et infantile (PMI), on sait que des régions s’approprient certains sujets, on connaît les contrats locaux de santé qui existent entre des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les agences régionales de santé, mais, alors qu’il existe des plans de prévention des risques industriels, des risques naturels et des risques littoraux, ainsi que des plans climat-air-énergie territoriaux à l’échelle des EPCI, il n’y a rien de tel pour ce qui regarde la santé. Ne faudrait-il pas préciser le rôle des collectivités territoriales en la matière et rendre obligatoires des plans de ce type ?

M. Olivier Véran, ministre. La question de l’obésité m’a beaucoup occupé lorsque j’étais parlementaire. J’ai déposé des amendements concernant aussi bien l’anorexie que la boulimie ou l’obésité. Toutefois, je ne crois pas qu’à ce stade, un lien direct ait été établi entre santé environnementale et obésité. En revanche, vous avez raison, madame la rapporteure, de souligner que l’obésité est manifestement multifactorielle. Certains enfants peuvent présenter un surpoids important, ou même une obésité morbide, sans manifester aucun trouble des conduites alimentaires, voire en ayant une alimentation dite équilibrée.

Certains spécialistes subodorent une origine génétique. Les fondations de lutte contre les troubles alimentaires, que j’ai eu l’occasion de rencontrer, militent pour qu’on évite de tenir un discours culpabilisant à l’encontre des familles dont les enfants souffrent d’obésité, dans la mesure où il y a manifestement des cas qui relèvent de l’inné plutôt que de l’acquis.

La recherche sur ces troubles se développe. Faut-il une médecine de l’obésité ? En réalité, elle existe déjà, et est plutôt bien structurée. À Grenoble, par exemple, le réseau de santé pour la prise en charge pluridisciplinaire de l’obésité (REPPOP) est capable de faire à la fois du dépistage, en liaison avec les écoles, du diagnostic et du suivi, en centre spécialisé lorsque c’est nécessaire, mais aussi dans la durée, en ambulatoire, grâce à des équipes pluriprofessionnelles impliquant aussi bien des endocrinologues que des nutritionnistes, des pédiatres et, lorsqu’il y a besoin d’un accompagnement, des psychiatres. Je trouve cette organisation plutôt intéressante. Je crois que les travaux de votre commission d’enquête touchent à leur fin, mais si ces questions vous intéressent, je vous recommande vivement de contacter l’équipe du REPPOP ; elle dispose – me semble-t-il – d’une délégation de service public, elle est financée par l’agence régionale de santé et est chargée du suivi des cohortes de patients obèses.

Faut-il un « Toxi-Score » intégrant les perturbateurs endocriniens ? Dès lors qu’il existe un lien de causalité avéré entre un perturbateur endocrinien et un risque sanitaire, je suis pour l’interdiction du perturbateur endocrinien ; c’est ce qui a été fait avec le bisphénol ou le dioxyde de titane, par exemple. S’il s’agit d’un risque supposé, peut-être cela pourrait-il être indiqué clairement. Les applications qui ont été développées à cette fin, notamment en matière alimentaire, fonctionnent bien ; on peut toujours discuter du traitement de certaines données, mais je crois que c’est une solution d’avenir.

Une commission d’enquête n’est pas le lieu pour que je décline mes idées relatives à la profession de préventologue. Je veux en outre laisser aux équipes qui seront chargées d’animer le Ségur de la santé publique le soin de définir cette profession si elles estiment cela nécessaire, voire judicieux – ce dont je ne suis pas sûr à l’heure à laquelle je vous parle, puisque les travaux n’ont pas encore été lancés.

S’agissant du rôle des collectivités territoriales en matière de santé publique, quatorze régions sont dotées d’un troisième plan régional santé-environnement courant, suivant les cas, jusqu’en 2021 ou 2022. Conformément à la loi, le PRSE est mis en œuvre par l’ARS, le préfet, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et le conseil régional, sauf dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Île-de-France et Occitanie ; il est intégré au projet régional de santé.

De manière générale, j’avais défendu, dans une tribune et un amendement – qui, je crois, avait été adopté –, l’idée qu’il fallait donner plus de légitimité aux collectivités territoriales en matière de politique de santé publique. En effet, si je crois profondément que la gestion du risque sanitaire relève du domaine régalien, à travers l’assurance maladie, et si je crois en une déconcentration, par l’intermédiaire des ARS, plutôt qu’en une décentralisation des politiques sanitaires, en revanche, en matière de santé publique, les collectivités territoriales doivent pouvoir s’impliquer ; d’ailleurs, elles le font déjà bien souvent. Comment concevoir un plan local d’urbanisme sans un volet sanitaire ? Comment penser l’organisation des transports collectifs sans mener une réflexion sanitaire ? Et ne sont-ce pas les collectivités territoriales qui ont détruit les murailles des villes fortifiées lorsque les pandémies sévissaient, de manière à aérer et permettre l’évacuation des germes ? Ne sont-ce pas elles qui ont raccordé les logements au tout-à-l’égout, construit des fontaines et des aqueducs, puis installé l’eau courante et enfin l’eau potable ? Qui ont espacé les rues et fait retirer les porcs qui mangeaient les déchets pour éviter la transmission des maladies ? De tout temps, les collectivités locales se sont pleinement impliquées dans la santé publique ; d’ailleurs, les gains les plus importants en termes d’espérance de vie furent la conséquence directe de ces actions, et le mouvement des hygiénistes a été porté par les collectivités locales. Je revendique leur rôle en la matière : il faut pouvoir les laisser faire – sous réserve toutefois que leur action soit adaptée aux risques sanitaires réels et qu’elle n’anticipe pas des risques non avérés.

Vous me pardonnerez de faire à ce sujet une petite digression de nature politique. Quand un élu local décide de réduire la circulation des voitures et de favoriser les déplacements en transports collectifs ou à vélo, c’est formidable, mais si cela se fait au prix d’un report de la pollution vers d’autres lieux, avec des conséquences sur la santé des gens, cela n’a pas beaucoup de sens. En outre, vouloir réduire la pollution par les voitures, c’est bien, mais s’attaquer aux antennes-relais alors qu’il n’a pas été démontré qu’elles présentaient un risque pour la santé, c’est autre chose.

Cette réserve faite, laissons libre cours aux idées des collectivités territoriales et à leur volonté de bien faire, et accompagnons-les.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez longuement parlé de l’approche One Health. Je voudrais savoir quelles leçons on peut tirer de la gestion de l’épidémie de covid-19 pour les futures politiques publiques de santé environnementale, en particulier en matière de gestion des risques, de prévention de nouvelles pandémies et de développement des maladies vectorielles – je sais que ce dernier sujet vous tient particulièrement à cœur. Avez-vous la capacité de faire dans le PNSE4 des propositions éclairantes en matière de prévention ou est-ce encore trop tôt ?

M. Olivier Véran, ministre. L’épidémie de covid-19 influe-t-elle sur l’approche One Health, « Une seule santé » ? La question est d’importance, mais elle est complexe ; il faudrait mener une réflexion spécifique, qui relève de la compétence d’experts, afin d’examiner dans quelle mesure la santé humaine a des répercussions sur l’environnement et la santé animale, et réciproquement. On a vu que des visons avaient été atteints par le virus ; on sait que les furets peuvent être eux aussi contaminés et contaminants, de même que les hamsters dorés, parce que – si j’ai bien compris – leur museau les rend susceptibles de capter le virus plus facilement que d’autres animaux et de le transmettre. En réalité, tous les carnivores sont potentiellement concernés. On a fortement, et peut-être injustement, accusé le pangolin, puis la fourmi, mais, à ce stade, on ne sait pas grand-chose.

De toute façon, quand, chaque année, la grippe s’abat sur le monde, il s’agit d’un virus qui a muté dans un environnement animal. Nous partageons notre planète avec les animaux : il n’est donc pas étonnant de partager également avec eux un certain nombre de virus et de bactéries, qui peuvent muter.

Plusieurs secteurs de l’environnement ont été touchés depuis le début de la crise sanitaire, ce qui a amené à concentrer les travaux sur plusieurs enjeux. D’abord, la définition des risques de transmission de la covid-19 liés aux différents types d’eau, afin d’anticiper et d’accompagner la reprise d’activité et la réouverture des établissements recevant du public, ainsi que de prévenir le risque de légionellose. Ensuite, la gestion des déchets d’activités de soins à risques infectieux, dont je parlais tout à l’heure : l’émergence du SARS-CoV-2 a pu conduire à établir des règles spécifiques pour l’élimination des déchets d’activités de soins. Comment la filière s’est-elle organisée pour faire face à la surproduction de DASRI, en particulier en Île-de-France ? D’autres interrogations ont porté sur l’environnement intérieur : on a beaucoup parlé d’aération, de ventilation, de climatisation, de chauffage, avec des recommandations qui ont pu évoluer avec le progrès des connaissances. On s’est même interrogé sur l’environnement extérieur : fallait-il désinfecter les rues, l’extérieur des maisons, les poignées de portes des voitures… ? On voit bien qu’un événement sanitaire comme celui-ci interroge notre rapport à l’environnement, à la nature et au monde animal.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. De toute évidence, la réflexion est bien lancée ! Je vous remercie, M. le ministre, d’avoir répondu à nos questions et de nous avoir rassurés, quant au travail et à la dynamique, engagés au sein de votre ministère. Nous vous souhaitons bon courage, car nous ne sommes pas au bout de nos peines, même si les choses semblent s’améliorer !

L’audition s’achève à dix-sept heures cinquante-cinq.

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59.   Audition, ouverte à la presse, de M. le Professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé (DGS) (25 novembre 2020)

L’audition débute à quatorze heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. M. le professeur, vous êtes professeur des universités, praticien hospitalier. Vous êtes directeur général de la santé depuis début 2018.

Entre autres compétences, la direction générale de la santé (DGS) propose les objectifs et les priorités de la politique de santé publique en veillant, notamment, à la prévention des risques, à l’amélioration de l’état de santé général de la population, à l’égal accès au système de santé ainsi qu’à la qualité et à la sécurité de ce dernier. La direction générale de la santé élabore les plans de santé publique et les programmes nationaux de santé. Elle participe à la définition et contribue à la mise en œuvre des actions de prévention, de surveillance et de gestion des risques sanitaires liés à l’environnement, au milieu de travail, aux accidents de la vie courante, à l’eau et à l’alimentation. Elle contribue également à la définition de la politique nutritionnelle. La direction générale de la santé participe au Conseil national de pilotage des agences régionales de santé et assure le suivi de leur action entrant dans son champ de compétence. Elle assure également la tutelle des autres établissements publics et organismes exerçant leur activité dans les domaines de la santé publique et de la sécurité sanitaire.

(M. le Pr Jérôme Salomon prête serment.)

M. le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé. Mme la présidente, Mme la rapporteure, Mmes et MM. les députés, c’est avec grand plaisir et beaucoup d’intérêt que je réponds aujourd’hui à votre commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques en santé-environnement.

Notre environnement est un déterminant majeur de notre santé. En tant que directeur général de la santé, ma mission quotidienne est de protéger la santé de nos concitoyens. De plus en plus, ils s’interrogent, à juste titre, sur les relations entre leur environnement et leur santé. Les accidents récents de la cathédrale Notre-Dame de Paris ou de l’usine Lubrizol, les clusters de cancers pédiatriques ou les investigations menées autour des cas d’agénésies transverses des membres supérieurs le montrent.

La crise de la Covid-19, qui m’occupe quotidiennement depuis maintenant dix mois, en est également l’exemple. Elle nous réinterroge sur un principe fondamental, peut-être oublié de nos sociétés occidentales, le lien étroit entre notre santé, la santé animale et la santé de l’environnement, le concept de « santé globale ».

Depuis plus d’un demi-siècle, le dispositif réglementaire consacré à la santé-environnement s’est considérablement renforcé, tant au niveau national qu’européen, garantissant une meilleure protection de l’homme et de l’environnement. Ainsi, la consécration du principe de précaution dans la Constitution française est une force. Ce principe garantit la protection de la santé de chacune et chacun, dans un domaine encore empreint de nombreuses incertitudes. Nous portons cette politique avec le ministère de la Transition écologique, ceux de l’Agriculture, de la Recherche, du Travail, de la Consommation, de l’Éducation nationale, et j’en oublie, afin de réduire les impacts négatifs de l’environnement sur notre santé et, de façon parallèle, promouvoir un environnement favorable à la santé.

La sous-direction de la prévention des risques liés à l’environnement et à l’alimentation, des facteurs extérieurs qui vont agir sur notre exposome, est depuis longtemps une sous-direction majeure de la direction générale de la santé. Elle est dotée d’une cinquantaine d’agents, dont les profils sont atypiques pour une administration centrale puisqu’il s’agit principalement d’ingénieurs du génie sanitaire, médecins, pharmaciens et agents administratifs.

Les sujets quotidiens du ministère chargé de la Santé, dont ceux de la direction générale de la santé, sont aussi l’offre de soins, le financement du système de santé, la sécurité sanitaire et les produits de santé au sens large, la lutte contre le tabagisme, l’alcool, les addictions, les enjeux de santé mentale, mais aussi la gestion des crises sanitaires. La santé-environnement est probablement le domaine pour lequel les attentes sociétales sont de plus en plus fortes. Nous le constatons très nettement de la part de nos concitoyens, des médias, des élus, ce qui est tout à fait légitime.

Cette sous-direction existe depuis une vingtaine d’années. Ses champs d’intervention sont extrêmement variés : la qualité sanitaire des eaux, notamment les eaux de consommation, les environnements intérieurs, qui peuvent être plus dangereux que l’environnement extérieur. Nous sommes attentifs aux sujets de la pollution par l’amiante, du radon, un risque naturel, mais réel, qui entraîne une morbi-mortalité significative en France, du plomb, sur lequel nous avons heureusement réalisé de grands progrès ces dernières années. Nous traitons également des sujets comme l’habitat insalubre, important pour nos concitoyens.

Parmi les environnements extérieurs, la préoccupation majeure est celle de la qualité de l’air que nous respirons et, plus largement, de toutes les substances chimiques et les agents physiques. Je citerai en particulier les interrogations sur les perturbateurs endocriniens, sur l’impact de la 5G, l’usage des pesticides au quotidien dans l’environnement de nombre de nos communes, et, plus largement, l’alimentation et la nutrition.

Je voudrais aussi insister sur un autre point fort : l’existence d’un vivier très important de compétences en santé-environnement dans les agences régionales de santé (ARS) et dans les délégations territoriales. Il s’agit également d’ingénieurs, de médecins, de pharmaciens, mais aussi de techniciens sanitaires. Je crois que plusieurs des personnes que vous avez déjà auditionnées ont salué la compétence technique de ces personnels. Je la salue aussi.

Les sujets de santé-environnement sont très complexes et les ARS doivent continuer à exercer leurs missions pour garantir la sécurité sanitaire des populations et promouvoir des environnements et des comportements individuels et collectifs favorables à la santé, tout au long de la vie.

Leurs missions, qui sont régaliennes, concernent la sécurité sanitaire des eaux, la lutte contre l’habitat insalubre, la lutte anti-vectorielle, qui deviendra un sujet majeur dans les prochaines années puisque nous avons de plus en plus de vecteurs sur le territoire métropolitain. Ces missions sont fondamentales. Si la qualité microbiologique, bactériologique des eaux s’est considérablement améliorée ces dernières années, la présence croissante de substances chimiques ou de leurs produits de dégradation nécessite de poursuivre le contrôle sanitaire et les investigations, avec une technicité très importante.

De même, l’habitat insalubre est une des causes des inégalités de santé en France, contre lesquelles la DGS et moi-même luttons. Les inégalités de santé, sociales, géographiques et d’accès à l’information en santé sont des facteurs explicatifs de morbidité et de mortalité tout à fait significatifs en France. Ce constat est encore plus criant avec la Covid.

Enfin, avec les effets du changement climatique, l’emprise des espèces nuisibles, vecteurs de maladies, est de plus en plus forte. Cette extension des vecteurs sur le territoire métropolitain se déroule du Sud vers le Nord, de façon rapide.

Toutes ces compétences sont essentielles pour accompagner les collectivités locales. Les maires sont des interlocuteurs privilégiés des inquiétudes des populations, des associations. Ces compétences doivent aider les collectivités à s’approprier les enjeux de santé-environnement et à bâtir, de manière coordonnée avec les ARS, des programmes d’action au plus proche des territoires et des populations les plus vulnérables, qui tiennent compte des spécificités de ces territoires. Des difficultés liées à l’histoire ou à la géographie font que ces problèmes de santé-environnement sont différents. Il faut donc être compétent, capable d’être au plus près du terrain et des élus. De plus, ce sont souvent les populations les plus vulnérables qui sont les plus exposées aux difficultés environnementales, en raison de l’habitat, de la proximité d’une zone à haut risque. Cette situation peut et doit donc s’affiner avec un dialogue permanent entre l’ARS, ses délégations territoriales et l’ensemble des élus des territoires.

Le troisième point concerne deux grandes agences d’expertise, sous tutelle du ministère de la Santé, l’Anses et Santé publique France pour l’évaluation des risques sanitaires liés à notre environnement, à notre alimentation, et plus globalement, pour la surveillance de la santé des populations, la veille et la recherche. Je vous recommande également Geodes, un site d’accès grand public qui permet, à un échelon territorial, de connaître les pathologies. Vous pouvez regarder le nombre de cancers du poumon, de cas Covid, les pathologies multiples chroniques.

Il est très important d’aller vers la transparence. Les associations, la population générale et les élus doivent connaître les spécificités de santé de leur territoire, afin d’alerter ou de rassurer, sur le fait, par exemple, qu’il n’y a pas plus de cas de cancers du sein, du poumon ou de la thyroïde chez les hommes et les femmes de leur territoire. J’ai cette volonté que tout soit transparent, que les acteurs s’emparent des questions de santé à l’échelle des territoires et que les populations aient accès à cette information. C’est important pour « embarquer » les populations dans des enjeux d’aménagement de leur environnement et de changement de comportements, car elles ont besoin de savoir exactement quel est leur état de santé. L’Anses et Santé publique France ont un rôle de veille, mais surtout un rôle de partage de l’information pour susciter des efforts de recherche de la part des acteurs académiques ou « du terrain ».

Ces deux grandes agences sont reconnues au niveau européen et international pour leurs compétences et leur organisation. Elles possèdent aussi un comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts. Il est fondamental que les experts qui se positionnent soient dénués de conflits d’intérêts, compte tenu de l’ensemble des controverses qui sont suscitées à la fois par la complexité des sujets et par les incertitudes multiples dans le champ de la santé environnementale.

Par ailleurs, Santé publique France dispose d’une représentation territoriale, la cellule d’intervention en région (Cire), qui est un atout majeur dans la gestion des situations locales, en appui des ARS. Ces cellules investiguent sur le terrain, par exemple les clusters de cas de cancers pédiatriques. Les agénésies transverses des membres supérieurs en ont bénéficié. Les Cire interviennent également dans les investigations des nombreux sites et sols pollués par des activités industrielles anciennes ou des activités minières, qui sont arrêtées depuis des décennies, mais dont nous gardons malheureusement l’empreinte géographique et territoriale. Elles analysent les conséquences sanitaires pour la population qui vit à proximité.

Nous avons aussi la chance d’avoir un Haut conseil de la santé publique (HCSP), qui montre tous les jours, y compris les week-ends, sa puissance d’action et de réaction face à la crise de la Covid-19. Je crois l’avoir déjà saisi près de cent fois sur des sujets techniques cette année. Le Haut conseil joue un rôle essentiel dans l’analyse des risques évalués par les agences d’expertise. Il apporte aussi des recommandations de gestion sur lesquelles reposent nos décisions, ainsi qu’un appui pour l’orientation et l’évaluation des politiques publiques. En santé-environnement, l’expertise repose sur la commission risques liés à l’environnement. Tous les travaux et avis spécialisés du Haut conseil sont en ligne pour l’ensemble des acteurs et le grand public.

Je n’oublie pas d’autres agences ou autorités indépendantes, qui jouent un rôle majeur en appui à la politique en santé-environnement. La Haute autorité de santé (HAS) s’est beaucoup positionnée sur des enjeux environnementaux, l’Institut national du cancer, qui est en train de rédiger sa stratégie décennale, est très attentif au rôle de l’environnement dans l’évolution des cancers. Étudier, dans les dix prochaines années, les liens entre l’exposome et la survenue de cancers, chez les enfants, les femmes, mais aussi dans la survenue de cancers rares, sera probablement une priorité de l’Institut. Les expositions environnementales peuvent donner des cancers particuliers. La recherche actuelle porte sur les cancers du cerveau, des cancers survenus in utero ou des cancers liés à une exposition à des perturbateurs endocriniens. L’Institut est très mobilisé sur ces sujets, ce qui est aussi le cas d’acteurs opérateurs spécifiques que sont l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou l’Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN). Sur notre territoire, nous avons beaucoup de sites naturellement ou industriellement contaminés. Il est très important d’avoir accès à ces informations et à ces expertises.

Enfin, il faut de la coordination. Tous les mercredis matin, je préside une réunion mise en place en 1997 par Bernard Kouchner lorsqu’il était ministre. Elle réunit tous les acteurs de la sécurité sanitaire en France, toutes les agences que j’ai citées, ainsi que les directions de l’administration centrale telles que la direction générale de la prévention des risques (DGPR), la direction générale de l’alimentation (DGAL), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). L’idée est que tous ces acteurs reçoivent la même information au même moment pour avoir une coopération et une richesse d’expertise sur des sujets qui peuvent être extrêmement complexes. Cette réunion doit nous permettre d’œuvrer efficacement, de façon collégiale, pour protéger la santé des populations. Elle est l’occasion de faire le point sur tous les sujets. Les urgences peuvent être traitées à un autre moment et plus rapidement. Nous avons ainsi un partage efficace de l’information.

Je voudrais également souligner le dynamisme des parties prenantes. Nous avons la chance d’avoir en France de nombreuses associations de défense des consommateurs ou de l’environnement, très structurées et très bien informées. Nous avons des organisations professionnelles, des acteurs économiques, des personnalités qualifiées. Je voudrais citer un exemple de réussite française, l’étiquetage nutritionnel Nutriscore, qui nous est envié à l’extérieur et qui rencontre un très vif succès chez les consommateurs. Il s’agit d’un très bon exemple de l’adhésion possible de l’ensemble des parties prenantes.

Le Nutriscore est parti d’une expertise française liée à une recherche. Cette création progressive a entraîné l’adhésion de Santé publique France, des acteurs de l’industrie et du grand public, a beaucoup intéressé l’OMS et d’autres pays proches de nous. Ils considèrent que participe de l’éducation sanitaire des Français, la démarche de savoir ce qu’ils mangent et s’ils sont face à un produit de bonne qualité nutritionnelle ou pas, grâce à cette simplicité du Nutriscore, basé sur des codes couleurs. Même un enfant peut comprendre qu’il vaut mieux utiliser un code couleur vert qu’un code couleur rouge. On sait d’ailleurs que les enfants interviennent dans le choix des produits en ayant parfaitement compris ce que voulait dire le Nutriscore. Nous avons donc un effet pédagogique, mais aussi un effet positif concurrentiel. Les industriels préfèrent avoir un Nutriscore de bonne qualité qu’un Nutriscore dégradé. Ils font donc des efforts dans la présentation de leurs produits. Nous sommes dans un cercle vertueux de l’adhésion des parties prenantes.

S’agissant de la santé-environnement, toutes ces parties prenantes avec lesquelles nous échangeons régulièrement sont réunies au sein du groupe santé-environnement (GSE), que vous présidez, Mme la présidente. Je connais leur attachement et le vôtre à contribuer à l’élaboration et à l’évolution des politiques en santé-environnement.

La récente convention citoyenne sur le climat doit aussi conduire à nous interroger sur l’organisation du débat public autour des sujets de santé-environnement, débat auquel je suis très attaché, ainsi que sur la possible évolution de la gouvernance du plan national santé-environnement, en lien notamment avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE).

En revanche, des évolutions sont possibles en raison des points faibles, voire des difficultés. Le premier enjeu concerne la partie interministérielle. J’ai évoqué la présence d’un vivier de compétences en santé-environnement au sein du ministère de la Santé, une grande force pour assumer les fonctions régaliennes de sécurité sanitaire et dans les champs de compétences de la DGS, la promotion de la santé, l’éducation en santé, mais aussi la prévention. Pour les jeunes générations, nous devons construire un environnement favorable à la santé, tous ensemble et avec elles, dans une approche positive plutôt qu’une approche qui ne ferait qu’alerter sur les risques.

Les leviers d’action sont nombreux, dans les transports, où nous constatons depuis quelques mois l’explosion de l’utilisation du vélo, l’aménagement des territoires, enjeu fondamental pour les élus de proximité, l’agriculture, l’enseignement, la formation. Les jeunes générations d’agriculteurs demandent à être impliquées dans les environnements favorables à la santé et à leur santé, puisqu’ils sont directement exposés. Ces points relèvent de compétences de nombreux ministères, beaucoup plus largement que de celui de la Santé. Le comité interministériel pour la santé (CIS), présidé par le Premier ministre, a justement pour vocation d’impulser la santé dans toutes les politiques publiques.

Pour ces raisons, il était prévu de présenter les mesures phares du plan national santé-environnement 4 (PNSE 4) lors du comité interministériel pour la santé, programmé mi-mars 2020. Malheureusement, la Covid est venue bouleverser l’agenda du Gouvernement, cette présentation étant prévue juste après l’instauration du premier confinement, particulièrement strict. Il n’était donc pas possible de tenir cette réunion, mais ces sujets restent d’actualité. J’imagine que le Premier ministre voudra réunir cette instance dès lors que la situation se sera améliorée.

S’agissant de la santé-environnement et de l’élaboration du PNSE 4, je me réjouis de la forte présence des autres ministères. Je pense cependant toujours que nous pouvons faire mieux, notamment en décloisonnant, puisqu’il s’agit d’un enjeu transversal à l’ensemble des actions publiques. Nous devons éviter les « silos » pour que l’approche soit la plus intégrée possible et que toutes les démarches, toutes les politiques respectives et respectables, soient coordonnées. C’est une réalité au niveau national, mais aussi dans les régions et dans les territoires. Le développement en cours du principe « une seule santé », initié dans le projet de PNSE 4, ira vers un décloisonnement de ces politiques, qui est attendu par nos concitoyens. Dans la mise en œuvre du suivi du PNSE 4, une évolution en ce sens serait à envisager.

Par ailleurs, la DGS met régulièrement des outils techniques à disposition des ARS. Nous transmettons des instructions sur la recherche de métabolites de pesticides dans l’eau, sur le radon dans les habitations, en particulier dans les zones les plus touchées. Nous avons besoin d’accompagner les agences dans la déclinaison de dispositifs réglementaires souvent très techniques. Je tiens toutefois à rappeler qu’elles sont autonomes. La responsabilité d’utiliser les outils que nous leur fournissons leur incombe.

Dans un domaine où nous avons une expertise de haut niveau et des enjeux complexes, nous aurions à gagner à mutualiser les compétences. J’y suis attentif, car ce serait mentir que d’affirmer que toutes les compétences sont partout, ce qui n’est pas techniquement réalisable. En revanche, avec les élus et les organisations, nous pourrions mutualiser des outils et des compétences entre ARS. Par exemple, si un expert des perturbateurs endocriniens se trouve en Occitanie et peut aider à expertiser une situation très pointue en Nouvelle-Aquitaine, je ne vois pas pourquoi nous nous en priverions, d’autant que l’expertise en région est souvent très riche. De même, lors de nombreuses investigations de terrain, certaines ARS ont mis en place des dispositifs d’information de la population et de mobilisation d’une expertise. Ils pourraient être judicieusement partagés avec d’autres territoires si l’expérience a été une réussite pouvant servir à d’autres problématiques proches.

Cette mutualisation est un enjeu majeur pour les prochaines années parce que nous devons améliorer notre capacité à réagir vite, efficacement et de manière homogène entre territoires. Or, actuellement, tous ne sont pas dotés des mêmes expertises, certains étant plus isolés ou faisant face à des difficultés spécifiques.

La culture de la santé-environnement dans les territoires me semble devoir être consolidée par des moyens de sensibilisation et de formation. Le PNSE le prévoit, notamment pour la formation des élus et des agents des collectivités locales. Cette tâche est difficile au regard du nombre important d’acteurs impliqués, souvent avec de petits moyens, et de la diversité du sujet. Il existe toutefois de très nombreux sites officiels d’information institutionnelle, sur des sujets majeurs tels que l’amiante, le radon, la qualité de l’eau de consommation, la chlordécone aux Antilles.

Dans le cadre du PNSE et de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, nous avons récemment créé un site, porté par Santé publique France et l’Anses, consacré aux bons gestes quotidiens au cours des 1 000 premiers jours de l’enfant. Il s’agit d’un site grand public, qui donne des conseils adaptés, de la grossesse jusqu’aux deux ans de l’enfant. Cette période est la plus à risque d’exposition environnementale, d’accidents de santé. Ce type de site mériterait davantage de publicité auprès des élus et associations pour qu’ils participent aussi à modifier l’environnement.

Nous avons également utilisé un site de co-construction pour les maladies à tiques et le signalement de l’ambroisie. Le grand public participe à l’enrichissement de l’information en signalant par exemple qu’une commune est touchée par l’ambroisie ou des problèmes de vecteurs. Nous pouvons ainsi diffuser des messages de prévention validés et les bons gestes à adopter, ce qui permet de partager une information de qualité et de lutter contre la désinformation.

Nous pouvons également améliorer la mesure de l’efficacité des politiques, en santé-environnement et sur l’économie de la santé. L’évaluation du coût sanitaire et social de certains facteurs environnementaux existe déjà, notamment en ce qui concerne l’impact de l’air. La pollution de l’air est une cause très méconnue de morbi-mortalité. Je crois que les Français ne sauraient pas répondre à la question de l’impact de la pollution de l’air sur la santé alors qu’il est majeur. L’information est également disponible sur les perturbateurs endocriniens ou l’ambroisie. En revanche, l’impact d’une politique en santé-environnement sur le changement des comportements est rarement mesuré, ni même les économies potentielles de santé. Nous pointons toujours les risques, alors que les avantages sont réels. Déclarer qu’une politique en santé-environnement peut faire économiser des consultations et des dépenses de santé beaucoup plus lourdes lorsqu’il s’agit de cancer est une approche que nous n’avons pas.

Pourtant, nos voisins anglo-saxons peuvent démontrer qu’une politique efficace permet d’économiser des dépenses majeures dans les deux, cinq ou dix ans. Notre approche budgétaire annuelle freine les enjeux de santé publique parce que souvent, en santé, le retour sur investissement n’apparaît pas immédiatement. Je pense préférable de favoriser un investissement à moyen et long terme. Les pays scandinaves ont par exemple obtenu un pacte national sur ces enjeux. Ils acceptent qu’un investissement en santé ou qui favorise les bons comportements entraîne une diminution de 10 %, 20 % ou 30 % des cancers hormono-dépendants ou liés à une pollution à un horizon de dix, quinze ou vingt ans.

Ces données seront d’autant plus utiles demain pour justifier l’intérêt du financement en santé-environnement et mobiliser les politiques autres que la santé. La modification des transports implique des financements considérables, qui engendreront des retours sur investissement plus tard, grâce au passage de transports polluants vers des transports non polluants. De même, dans la lutte contre le réchauffement climatique, nous savons que nos villes doivent complètement changer. La végétalisation des voiries, des toitures est probablement une solution pour lutter contre les îlots de chaleur. Or, il s’agit d’aménagements extrêmement lourds financièrement, de dizaines de milliards d’euros, mais dont le retour sur investissement sera considérable. Nous aurons beaucoup moins de morbi-mortalité à la suite des canicules, qui ne manqueront pas de se succéder.

Le financement et l’évaluation médico-économique de l’action me paraissent donc fondamentaux, d’autant que les recherches interventionnelles interdisciplinaires sont nombreuses. J’appelle de mes vœux des recherches décloisonnées, faisant appel à toute l’expertise française. En France, nous avons la chance d’avoir trois alliances extrêmement riches : l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui réunit le CNRS, l’Inserm, le CEA ou l’Institut Pasteur ; l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), totalement dédiée aux sciences de l’environnement et des milieux ; l’alliance Athéna, pour les sciences sociales et humaines, qui réunit des sociologues, des psychologues et des spécialistes des comportements. Ces derniers peuvent nous aider à comprendre pourquoi nos concitoyens adoptent ou non certains comportements.

La communication est également un défi à relever. Je suis un fervent partisan de la transparence et de la pédagogie. Je suis persuadé que nos concitoyens sont parfaitement matures dès lors qu’ils sont informés. Ils l’ont démontré à plusieurs reprises. J’ai présidé un « colloque du futur » aux Antilles, sur la chlordécone. Il était présenté comme un véritable défi, avec des menaces sur l’ordre public et une inquiétude quant à de possibles manifestations. Finalement, il s’est très bien déroulé, malgré de fortes tensions initiales parce que les populations en veulent à leurs élus et au préfet. Plus le débat s’est poursuivi, plus la discussion s’est révélée riche et positive.

Nous devons sortir du débat très ancien entre scientifiques et décideurs. Deux grands acteurs s’y sont ajoutés, la population et les médias. Cette ouverture nous oblige à adopter un discours différent, beaucoup plus ouvert et tolérant, qui ne reste pas technocratique ou scientifique. Nous devons être prêts à entendre la controverse, les questions d’une maman angoissée ou d’un papa énervé. Je suis persuadé que ce modèle est celui de demain.

Pour l’avoir vécu avec des parents d’enfants victimes de cancers pédiatriques, ce qui nécessite beaucoup de psychologie et d’empathie, mais aussi pour avoir suivi les quelques familles concernées par les agénésies transverses du membre supérieur, tous m’ont remercié de l’écoute et de la communication, car ils ne souhaitent pas aller jusqu’au contentieux. Ces familles veulent comprendre ce qui s’est passé, que l’on montre que nous avons compris le signal et que nous l’étudions.

Très souvent, les situations s’enveniment et deviennent polémiques, parce que les collectivités locales, le préfet ou l’ARS n’ont pas réussi à mettre en place une instance de débat et de communication auprès des administrés. Quand le maire instaure ce débat, que les experts se déplacent, que l’ARS écoute, le sujet devient plus apaisé.

Cet enjeu de soutien rapide de l’ARS est essentiel dans des territoires qui ont des problèmes spécifiques, notamment ceux contaminés par des sites industriels ou miniers. Il est primordial de compter aussi sur la mobilisation de l’Anses ou de Santé publique France pour élucider les liens éventuels entre l’environnement et la santé, en associant très tôt les organismes de recherche et en aidant les élus à mettre en place des messages de prévention adaptés, malgré les incertitudes. Il faut éviter de laisser la défiance s’installer, sans réponse et sans écoute. Il faut chercher le consensus des différents acteurs de recherche, du Haut conseil de santé publique ou de la Haute autorité de santé, que nous avions mobilisés sur des expertises en toxicologie, avec des sociétés savantes.

La santé-environnement est l’affaire de tous. Chacun peut agir à son niveau pour un environnement favorable à la santé. Il suffit de peu pour améliorer très nettement cet environnement. C’est pour cette raison que nous avons souhaité que le PNSE 4 soit un plan opérationnel, accessible et utile aux citoyens, élus, professionnels de santé, chercheurs.

Les attentes citoyennes sont au cœur du plan, notamment les inquiétudes telles que les nuisances sonores. La DGS est mobilisée sur le bruit de voisinage, notamment l’utilisation de sons amplifiés. Le plan reprend les inquiétudes autour de la 5G, des nanos, de l’augmentation des nuisibles tels que les moustiques ou les punaises de lit, de la qualité de l’air intérieur, en particulier dans les établissements sensibles qui accueillent les tout-petits. Nous devons aussi mener d’importants travaux avec les enceintes ferroviaires. Vous aurez noté ceux qui ont été lancés sur les transports en commun souterrains. Nous nous concentrons également sur l’utilisation des produits chimiques dans la vie quotidienne, dont les biocides et les désinfectants.

En outre, les jeunes sont une population à protéger, à motiver et à impliquer puisqu’ils seront les élus de demain. Ils sont concernés par différentes actions comme celles du service national universel, qui comprend des modules « environnement », le service civique, qui aide souvent dans des actions de protection de l’environnement, et le service sanitaire des étudiants en santé. Avec ce dernier, notre objectif est de transmettre des messages sur la santé environnementale puisque, dans leur formation initiale et continue, nos professionnels de santé ne reçoivent pas forcément d’informations sur l’impact de l’environnement sur la santé.

Des enjeux territoriaux sont portés par des élus et font aussi partie des actions du plan, notamment la problématique des sites et sols pollués. Des outils simples d’utilisation permettent de connaître la qualité de l’environnement à proximité de chez soi. Il s’agit d’une forte demande. Si vous déménagez, que vous achetez une maison ou que vous vous installez dans une commune, vous avez envie de connaître les problématiques de santé, de savoir s’il y a des sources de pollution, quelle est la qualité de l’air à proximité. Les familles veulent être informées des enjeux spécifiques de pollution de l’air, de l’eau ou du terrain pour adopter rapidement les bons gestes quotidiens. Nous avons d’ailleurs noté, pour certains sites et sols pollués très connus du territoire national, un enjeu de transmission d’informations. Les familles qui y sont installées depuis de nombreuses générations connaissent parfaitement les sites et comment se comporter, alors que ceux qui arrivent n’ont pas connaissance des bonnes pratiques et des gestes à respecter pour ne pas mettre en danger leur santé.

En tant qu’universitaire, je constate qu’un autre enjeu majeur porte sur la recherche. Les chercheurs se verront allouer des moyens plus conséquents. Vous débattez aussi en ce moment de la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche. Nous avons convaincu le ministère de la Recherche de consacrer beaucoup d’efforts de recherche aux liens complexes entre notre santé et des expositions multiples, itératives, chroniques à des facteurs exogènes, mais aussi à caractériser l’exposome. Nous avons énormément de progrès à faire et d’innovations à apporter. La France peut être l’un des pays les plus engagés dans ce domaine. Les Français sont tout à fait prêts à participer de manière proactive à ce type de recherche, en étant même impliqués dans des suivis de longue durée.

Cette caractérisation de l’exposition à un niveau individuel peut encore beaucoup progresser. Nous avons probablement des innovations majeures à mettre en place pour caractériser l’exposition chronique d’une femme enceinte ou d’un enfant. L’exposition collective à des produits chimiques, des pesticides à l’échelle d’une commune, d’un canton ou d’un département est un sujet intéressant pour les industriels comme pour le développement de nouvelles technologies. Les enjeux sont d’ordre intellectuel et scientifique, mais nous pourrions aussi avancer vers de la recherche et développement, voire des brevets.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il est très plaisant qu’un directeur général de la santé soit aussi intéressé par les politiques qu’il porte en matière de santé environnementale.

Je vous remercie de cette présentation détaillée, que je qualifierai de sincère et lucide. Vous avez su valoriser ce qui se pratique en matière de santé environnementale, mais vous avez aussi accepté de reconnaître toutes les lacunes, toutes les marges de manœuvre et de progression qui demeurent pour que l’ensemble soit suffisamment cohérent pour être efficace.

Ce que vous venez de nous présenter conforte le sentiment que nous retirons de toutes ces auditions : nous sommes quasiment victimes d’un excès de richesses. J’en veux pour preuve les nombreux plans sectoriels. Vous avez évoqué tous ceux qui relèvent de votre ministère, mais il y en a tout autant au ministère de la Transition écologique, à celui de l’Agriculture. Nous en avons dénombré trente-quatre. Avez-vous une vue d’ensemble de tous ces plans qui touchent à la santé environnementale ? Nous avons essayé de retrouver la piste des financements, qui constitue un véritable écheveau. Nous ne retrouvons aucune information, ce qui nuit à la problématique du financement général de la santé environnementale, car nous n’avons aucune visibilité.

Par ailleurs, vous avez insisté sur la nécessité de la transversalité. Vous l’appliquez à l’intérieur de votre propre équipe par des réunions régulières pour assurer la coordination entre tous vos services. Qu’en est-il à l’échelle interministérielle ? Vous avez évoqué l’accusation de technocratie que l’on fait souvent aux administrations ministérielles. Qu’en est-il de cette black box dans laquelle entrent énormément d’informations, qu’il s’agisse d’informations objectives venues des agences, de propositions portées par les groupes de travail du GSE ? Quand elles en sortent, elles se résument à quelques lignes d’un plan que tout le monde a l’air de critiquer, parce qu’il manque de structure, qu’il est trop évasif, qu’il ne comporte pas de quantification ni de critères d’évaluation. On constate un décalage entre la volonté manifeste que vous portez, construite, sincère, et ce qui sort de la black box. Cette situation crée des frustrations difficilement compréhensibles.

On a parfois l’impression que les processus de réflexion internes aux cabinets ministériels et aux réunions interministérielles ne sont pas accessibles au commun des mortels, ce qui place votre volonté de participation en complet décalage. Les résultats restent décevants, alors que les informations disponibles, les bonnes volontés, les expertises sont nombreuses. Il faudrait simplement les coordonner. On entend toujours parler d’un problème de gouvernance, à l’échelle nationale comme territoriale.

M. le Pr Jérôme Salomon. Je vous remercie de votre commentaire sur ma sincérité, qui est totale. Je n’ai pas tout à fait le profil d’un directeur d’administration centrale puisque je suis un universitaire qu’on a « débauché » pour rejoindre le ministère de la Santé. Ceci peut expliquer mon appétence pour le débat et la recherche.

Nous pourrions avoir une solution simple, qui serait de tout faire de manière transversale. Malheureusement, les élus et les populations attendent qu’on aborde leurs problèmes. Si on adopte une approche globale en environnement face à une spécificité de pollution au plomb, les citoyens nous demandent : « Que faites-vous sur le plomb ? » Il faut présenter un plan « plomb ». Il me semble donc nécessaire de garder parfois des approches spécifiques, techniques, liées à des enjeux particuliers tels que la réduction du plomb dans les maisons, l’aération des lieux et des habitations contaminées par le radon, etc.

De temps en temps, nous devons toutefois répondre à une question sur le changement climatique, les pesticides, les perturbateurs endocriniens. Souvent, les associations attendent que nous répondions à une question par un plan, ce qui n’est pourtant pas toujours nécessaire. Il existe donc des enjeux d’intégration et de transversalité.

Vous avez parlé de l’approche interministérielle, qui peut être une faiblesse, car chacun campe sur ses problématiques. Vous avez évoqué la technocratie, mais je ne rejoins pas forcément cette approche, à laquelle je préfère le terme de technicité.

De plus, un mal typiquement français est que nous ne communiquons pas suffisamment sur ce que nous faisons, alors que dans 99 % des cas, les informations sont disponibles. Il n’y a pas de boîte noire, tout est en ligne sur les sites de l’Anses, du Haut conseil de la santé publique, de Santé publique France. Pendant la Covid, les élus ont découvert le site Geodes, qui enregistre désormais six millions de connexions par jour. Nous faisons face à un déficit de partage de l’information disponible.

En outre, nous organisons de nombreux débats publics, notamment pour la co-construction du plan chlordécone, aux Antilles, avec les maires et les élus des territoires de la Guadeloupe et de la Martinique. Un « copil » est mené par les élus locaux. La consultation publique est également en cours. Sur un sujet majeur de pollution, la population, les associations et les maires portent donc la construction du plan. Nous ne l’avons peut-être pas fait suffisamment savoir, mais il s’agit d’un bel exemple de plan venu du terrain et qui est ensuite porté par les ministères. Il est transversal, impliquant les ministères de l’Outre-mer, de la Santé, de l’Environnement, de la Recherche, de l’Agriculture et de la Pêche.

En revanche, nous pouvons progresser sur les enjeux de financement. En fractionnant toutes les actions, nous nous retrouvons avec un saupoudrage qui ne rime à rien, avec des sommes ridicules sur une dizaine de plans, alors que nous pourrions décider ensemble de prioriser des actions pendant trois ou cinq ans. Elles bénéficieraient d’un financement clair de la part des parlementaires, qui considéreraient que cet effort devrait être soutenu, quitte à ne pas être populaire. À force de vouloir faire plaisir à tout le monde, on ne fait plaisir à personne.

Je vous rejoins aussi totalement sur les enjeux de l’évaluation, un déficit français. Nous devons avoir systématiquement, dans tous les plans, un volet sur l’évaluation, qui doit être financée. Il s’agit d’une bonne pratique internationale, avec un audit externe, une équipe de recherche qui validera après deux ou quatre ans si notre action a été efficace. Cette démarche doit faire partie des politiques publiques modernes.

Je pense également que nous devons avoir des instances de gouvernance qui regroupent les associations ou les élus pour débattre de l’évolution du plan. De même, ce que font très bien les Anglo-Saxons, contrairement à nous, c’est la communication autour du plan. Des instances d’amplification de l’action doivent passer par une communication des pouvoirs publics ou d’acteurs autres, associatifs ou locaux, dans des réunions publiques régulières où l’on présente les résultats et où l’on débat avec les élus.

Les Français ont le savoir-faire, mais pas le faire-savoir. Nous réalisons des actions de santé publique extrêmement positives, comme le Nutriscore, les mesures amiante ou le plan chlordécone, mais nous n’en parlons pas. Les Américains font le contraire, ils en parlent avant même d’avoir commencé, avec de grandes campagnes de communication sans qu’aucune action ne soit en place.

Nous devons en tirer des leçons pour les prochaines années, pour développer plus de transversalité, de priorisation de certains plans, tout en réglant les difficultés de financement, d’évaluation externe, de gouvernance avec l’ensemble des acteurs, en développant une communication beaucoup plus solide, déjà intégrée dans le plan avec un financement spécifique.

Personnellement, je plaide pour une approche intégrée et transversale, qui est aussi celle de l’OMS. La santé de l’homme dépend énormément de celle de la faune, de la flore et de notre environnement. En parlant d’une seule santé, nous devons aussi avoir conscience que nous n’avons qu’une seule planète.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Cette commission d’enquête a pour titre « L’évaluation des politiques publiques de santé environnementale », et non de santé-environnement. Pour moi, la santé environnementale, c’est l’impact de l’homme sur son environnement, mais aussi sur la faune et la flore, et les conséquences sur sa propre santé. Le terme de « santé-environnement » cloisonne, alors que nous devons décloisonner. La sémantique est importante, c’est pourquoi en début de rapport, je redéfinirai cette notion de fluidité, de santé environnementale.

En outre, j’ai écouté avec attention vos propos sur le suivi dans les territoires. J’ai fait partie du comité de suivi de Sainte-Pazanne. Cette expérience a motivé l’ouverture de cette commission d’enquête parce que j’ai constaté de nombreux dysfonctionnements. Les informations transversales étaient complètement absentes. Entre Santé publique France et l’ARS, nous n’avions pas le même discours, ce qui induisait une cacophonie. Les outils de modélisation n’étaient pas adaptés, avec des fichiers datant de 2015 ou des chiffres de 2003, ce qui pose énormément de difficultés pour étudier le problème actuel. De même, j’ai constaté très peu de portes ouvertes à l’innovation, aucune possibilité d’accéder à une autre méthode de travail par manque de moyens humains et financiers de la part de l’ARS des Pays de la Loire.

Enfin, je voulais connaître votre point de vue sur le profil des malades de la Covid-19. On parle beaucoup de maladies chroniques, d’obésité.

M. le Pr Jérôme Salomon. Je partage votre analyse sur la sémantique. La définition de la santé environnementale est celle de l’OMS, incluant la qualité de vie et tous les facteurs qui y contribuent, physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques. Elle est très large puisqu’elle tient compte de l’ensemble des facteurs exogènes qui sont susceptibles d’affecter la santé de notre population et des générations futures. J’étais embêté, car votre présidente pilote le plan national santé-environnement, c’est pourquoi j’ai conservé les deux appellations. Je ne voulais pas la vexer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je n’ai aucune préférence entre les deux termes. Je trouve l’expression « santé environnementale » beaucoup plus euphonique.

M. le Pr Jérôme Salomon. Je suis aussi sensible à cette approche. Pour convenir à tous, nous pouvons reprendre la définition de l’OMS, qui est très large et accessible.

Je me suis intéressé au sujet de Sainte-Pazanne, un modèle de ce qu’il faudra améliorer. Comme souvent dans ces investigations, qui traitent de cancers pédiatriques, on constate une énorme souffrance et une forte attente des parents pour que l’on comprenne ce qu’il se passe. Avec le Président de la République, le Gouvernement et le ministre des Solidarités et de la santé, nous souhaitons faire des cancers pédiatriques une priorité des prochaines années. Ce domaine est encore peu connu. Ces cancers sont souvent liés à des histoires de vie, à des expositions pendant la grossesse, puisque les tumeurs peuvent survenir très tôt chez l’enfant. Il est primordial de rassurer les futurs parents pour savoir si une exposition environnementale est en cause et mériterait une action très rapide de l’État.

Par ailleurs, la Cire est le bras armé en région de Santé publique France et l’ARS s’appuie sur elle. Les démarches devraient donc être coordonnées. Si tel n’est pas le cas, il s’agit d’un problème qui mériterait d’être regardé de près.

En ce qui concerne les moyens humains et financiers, le soutien national a été fort, puisque nous avons mobilisé les échelons régionaux que vous avez cités, l’ARS et la Cire, mais aussi l’expertise nationale de l’INCa, de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), puisque nous nous étions posé la question de l’ensemble des origines des cas repérés dans cette zone.

Ce type d’alerte ne peut pas rester au niveau régional face à une inquiétude portant sur un cluster atypique et préoccupant. J’ai demandé aux ARS de mettre en place plusieurs niveaux, avec d’abord la réaction d’alerte. Il faut immédiatement faire preuve d’écoute et d’empathie et comprendre si l’alerte est significative ou non. Il peut ensuite y avoir une réponse locale, régionale, si l’expertise est disponible. En cas de signal préoccupant pour la santé publique, une question qui n’est pas traitée ou une réelle interrogation sur une exposition particulière, il faut mobiliser l’expertise nationale. Il n’y a pas de censure financière ou humaine de notre part, même si les budgets ne sont pas illimités et font l’objet d’âpres négociations et de débats parlementaires.

Les agences d’expertise ont des difficultés à mettre en place des outils modernes. Les registres et leur fonctionnement ont un coût. De même, la participation des médecins à l’enregistrement de données sur le système national de santé, à des fichiers modernes accessibles en ligne, à des données de qualité, à de la modélisation constitue un investissement important, que je soutiens totalement. Nous avons aussi besoin de l’interface entre les agences d’expertise et les milieux de la recherche. En effet, le soutien des chercheurs pourra nous apporter les réponses attendues, notamment des parents.

Il est donc essentiel d’avoir une très forte corrélation entre l’ARS et la Cire et, au moindre signal, de répondre aux questions.

Toutes les données sur la Covid sont en ligne. L’analyse des facteurs de risque montre plusieurs points. Tout d’abord, la Covid est un révélateur des inégalités sociales, car il s’agit d’une maladie de la promiscuité, de la précarité et de l’exposition. Toutes les personnes qui, du fait de leur logement, de leur profession sont soumises à de nombreux contacts sont plus exposées que les autres. Ensuite, la surreprésentation de malades d’origine hispanique ou appartenant à la communauté noire s’est retrouvée dans les pays anglo-saxons, mais pas en France, où nous n’avons pas le droit de réaliser des statistiques ethniques. En revanche, nous observons que les personnes issues de milieux défavorisés sont davantage touchées, par exemple les migrants ou les populations de zones très denses.

En ce qui concerne les facteurs de risque individuels, on relève chez les malades qui souffrent de formes graves et qui se trouvent en réanimation une surreprésentation de personnes ayant des comorbidités. Le facteur de l’obésité ressort très nettement, entraînant des détresses respiratoires. Ce constat se retrouve avec la grippe, puisque les obèses souffrent plus de formes graves. Ces points sont démontrés de manière très nette dans la Covid sévère. De même, nous constatons aussi beaucoup de diabète, d’hypertension.

Depuis le début de la crise, nous constatons également une surreprésentation masculine que nous ne nous expliquons pas. En réanimation, nous avons en permanence 72 % d’hommes pour 28 % de femmes, ce qui constitue une différence énorme. Il est possible que les hommes se comportent moins bien que les femmes et soient donc plus exposés à des anomalies de santé. Une autre piste envisagée est que les chromosomes sexuels favoriseraient l’expression de récepteurs pulmonaires un peu différents chez l’homme et chez la femme.

Le facteur majeur reste l’âge : plus une personne est âgée, plus elle présente des risques de souffrir d’une forme sévère.

Les profils de patients sont globalement identiques en France et en Europe, avec plus de personnes précaires, fragiles et de malades chroniques, notamment ceux qui sont mal suivis, décompensés, qui vivent probablement dans un milieu qui ne favorise pas le suivi optimal de leur pathologie.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. À Taïwan, la promiscuité est importante, mais sans cas de coronavirus. La question de la promiscuité devrait donc être creusée au regard de ce contre-exemple.

M. le Pr Jérôme Salomon. Il ne s’agit pas réellement d’un contre-exemple puisque Taïwan n’a pas vraiment de circulation de la Covid en raison d’une politique policière, de contrôles aux frontières et d’isolement des cas. En revanche, à Hong-Kong, on constate que dès que le milieu est très dense, avec énormément d’interactions sociales, il est très difficile d’éviter les contacts, avec quinze ou vingt personnes dans un ascenseur ou des transports bondés.

Taïwan est un exemple atypique, car le pays est totalement isolé, avec des règles drastiques pour la gestion du moindre cas, un dépistage très strict et un isolement immédiat. À Singapour, les communautés précaires de travailleurs pauvres sont cloîtrées dans des cités et n’ont pas le droit de sortir vers la ville. Les mesures de santé publique sont plus ou moins policières dans certains pays et seraient difficilement acceptables dans le nôtre.

Mme Claire Pitollat. Vous avez parlé de vos actions relatives au radon et au plomb. La qualité de l’air intérieur est un enjeu important pour le PNSE 4. J’aimerais vous entendre plus précisément sur ce point.

L’air intérieur a ses polluants propres, comme l’ont largement démontré l’Anses et l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI). Faute d’aération suffisante et d’information sur les meubles et produits d’entretien ménager, les modes de cuisson, ces polluants sont concentrés.

Le plomb et le radon font l’objet de diagnostics techniques, lors des transactions portant sur le logement. Ils sont nécessaires, mais ils ne sont plus suffisants pour lutter contre l’habitat insalubre ou pour développer des logements favorables à la santé. Que pensez-vous d’un élargissement du diagnostic de performance énergétique vers un diagnostic de performance santé-environnement ?

En ce qui concerne la qualité de l’air extérieur, le mois dernier, l’Alliance européenne de Santé publique (EPHA) a estimé à 166 milliards d’euros par an, à l’échelle européenne, le coût de la pollution de l’air. Pour les Français, cela correspond en moyenne à 1 000 euros par personne et par an. Cette pollution a des conséquences graves sur la santé publique, puisqu’elle tue chaque année entre 48 000 et 76 000 Français.

Cette qualité de l’air extérieur est dégradée par les transports routiers, le chauffage résidentiel et les émanations de l’agriculture. Or, avec des changements modestes des habitudes locales, on peut agir de façon considérable. Comment, à travers le PNSE 4, allez-vous allouer des ressources pour travailler avec les acteurs de terrain, dans une concertation et une réponse plus rapides ? Ils peuvent apporter une solution forte, locale, en ce qui concerne des habitudes telles que les trajets domicile-travail, source importante de réduction de nos émissions.

M. le Pr Jérôme Salomon. Ces questions majeures m’interpellent depuis plusieurs années. Sur la qualité de l’air intérieur, je suis frappé que les Français aient presque une fausse réassurance en pensant que lorsqu’ils sont chez eux, ils sont plus en sécurité qu’à l’extérieur. Avec la Covid, nous inversons cette fiabilité et nous insistons sur l’importance de l’aération. Le milieu proche, intime, familial n’est pas forcément le plus sûr. Ces représentations sont en train de changer.

Le plomb est un sujet qui est très bien traité depuis plusieurs années. Nous pouvons nous féliciter que l’impact sanitaire se réduit, notamment en ce qui concerne le saturnisme chez les enfants. Le radon est quant à lui une pollution naturelle. Les villes concernées procèdent à de nombreuses mesures. Les maires se chargent de l’information systématique de leurs administrés, du partage en mairie du diagnostic et insistent sur l’importance de réduire la pollution en aérant simplement les locaux. Nos aînés savaient le faire et laissaient toujours la fenêtre de la cave ouverte alors qu’aujourd’hui, nous faisons des efforts pour tout rendre hermétique. Les bons gestes sont essentiels.

Il faut que les familles prennent conscience de l’origine de la pollution de l’air intérieur. Vous avez cité certains facteurs. Nous pourrions ajouter les bougies, les essences, des polluants qui donnent l’impression d’aller dans le sens de la santé. Il existe de nombreux dispositifs, comme la simplification et la mobilisation dans le cadre de la récente loi Elan. Nous avons aussi tout ce qui concerne l’hygiène et la salubrité, avec l’importance de disposer d’un logement salubre, ce que le confinement a montré.

En outre, l’outil Domiscore, produit depuis début 2020, est une évolution portée par une assise scientifique, pour un habitat favorable à la santé. Il peut aider les occupants à comprendre où ils se situent par rapport à un habitat favorable. Nous devons aussi impliquer tous les ministères concernés : la Santé, le Logement, la Cohésion des territoires. De même, l’échelon communal est fondamental puisque les maires et les services communaux d’hygiène ont un rôle clé dans la prévention et la protection de la santé.

Je vous concède que le dispositif était relativement compliqué. Avec le décret en Conseil d’État, nous avons beaucoup avancé en ce qui concerne les procédures de péril, notamment pour les immeubles et l’insalubrité. Nous accompagnons aussi les ARS, grâce à un système d’information qui remplace ce qui existait auparavant sur le suivi de l’habitat. Nous avons mis en place des actions contre les punaises de lit, sujet méprisé par les journalistes, alors qu’il génère une réelle souffrance pour les personnes touchées.

Vous avez cité l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur, qui travaille énormément sur les polluants. Il nous a beaucoup appris sur les logements, les écoles, les bureaux. Il y a eu beaucoup d’avancées pour les produits utilisés dans les garderies d’enfants, car certains produits pouvaient être très polluants. Nous avons désormais une surveillance obligatoire de la qualité de l’air intérieur dans les crèches, les écoles maternelles et élémentaires. Elle est étendue depuis peu aux collèges, lycées et accueils de loisirs.

Je compte également beaucoup sur la participation citoyenne. L’étiquetage des produits polluants est un point important dans la prise de conscience de nos populations. Nous travaillons plus spécifiquement avec nos acteurs, notre environnement. Les établissements de santé sont désormais totalement impliqués dans les démarches de développement durable, avec l’affiche qualité de l’air intérieur, les sites de Santé publique France « Agir pour bébé » et « Les 1 000 premiers jours ». Ces actions devront certainement être amplifiées.

Le site Agir pour bébé a beaucoup plu aux parents, car ils ont pris conscience qu’on veut généralement se faire plaisir et accueillir son enfant dans les meilleures conditions, mais en pratique, on fait le pire. On refait la peinture, on achète des meubles neufs, on laisse tout sous housse et quand la grossesse arrive à terme, l’enfant se retrouve dans une pollution maximale de l’air intérieur. Les gens ne le savent pas. L’enjeu est de faire comprendre qu’il vaut mieux avoir une chambre un peu ancienne, très aérée, très nettoyée, avec des mobiliers anciens, que de tout acheter et de retirer les housses en plastique 24 heures avant l’arrivée du bébé.

En ce qui concerne l’air extérieur, vous avez totalement raison. Avec l’OMS, nous sommes fortement impliqués sur ces questions, qui concernent l’ensemble de l’Europe. Tous les pays rencontrent les mêmes problématiques de transport routier, de pollution industrielle.

Le ministre s’est déplacé à plusieurs reprises en raison d’enjeux de pollution locale, liés à des enjeux nationaux, voire internationaux. Nous pouvons citer l’exemple de la vallée de l’Arve. Cette magnifique vallée est traversée par une quantité impressionnante de camions. Nous avons recommandé des surveillances et des actions. La Haute autorité de santé a été saisie pour suivre les populations et entreprendre des démarches sanitaires, afin que cette population inquiète reçoive des informations fiables sur la qualité de l’air.

Ce sujet fait partie des questions de santé sous-appréhendées, au même titre que la qualité de l’air intérieur. Les Français n’imaginent pas que celle-ci peut être dégradée et nuire à leur santé. Ils n’imaginent pas non plus suffisamment l’impact de la qualité de l’air extérieur. D’une part, nous sommes passifs et contraints de respirer. D’autre part, on pense toujours à la pollution purement routière, alors qu’il existe toutes sortes d’autres pollutions.

Je suis frappé du développement du feu en cheminée, au nom du développement durable et du retour à la nature, alors qu’il est une source de pollution majeure. Dans l’imaginaire collectif, faire un feu dans une cheminée est un moment agréable, avec un retour aux traditions, alors que nous avons désormais la démonstration que ce feu produit des micropolluants qui ont un impact considérable sur la santé.

Je m’interroge donc sur l’éducation en santé. La réponse viendra de nos enfants parce qu’ils sont extrêmement curieux de ces questions, très demandeurs. Tout ce qui va participer de l’Éducation nationale, de la formation de nos enfants à l’école, au collège et au lycée sur la pollution du quotidien aidera à avoir des générations qui seront beaucoup plus attentives à ces questions.

Aujourd’hui, on note la création d’un environnement de proximité favorable à la santé, le choix d’élus de ne pas construire une crèche près d’un axe routier ou d’un site industriel. Je milite pour que les maires aient accès à l’ensemble des données de pollution. Ils ne pensent pas forcément que la source peut être une usine qui n’est plus en activité, un axe routier auquel on est tellement habitué qu’on ne se rend pas compte qu’il est potentiellement polluant.

Les comportements évoluent très rapidement. Dans des villes comme Paris ou Lyon, l’année 2020 a été totalement différente. À Paris, le trafic cycliste a été multiplié par quatre, ce qui est considérable. Il est donc possible que les comportements changent encore plus vite que prévu. Je m’en réjouis.

Les Français attendent des conseils visant à améliorer leur quotidien et protéger leurs enfants de pollutions extérieures, avec un impact économique et un impact de santé publique majeurs, mais avec des acteurs qui s’interrogent encore. Il faut en effet trouver des réponses à des questions complexes, pour décider quoi faire du trafic routier ou de la production industrielle. Le diagnostic doit être partagé avec les élus.

Mme Claire Pitollat. Pour que les élus choisissent, ils doivent effectivement disposer des données d’environnement. Ils doivent aussi avoir un appui d’aide à la décision. Par moments, ils vont dire ne pas avoir d’autre choix que d’implanter une crèche à un endroit et on va leur « vendre » qu’en plaçant une barrière en bois, la pollution sera repoussée. Il faut donc vraiment qu’ils puissent s’adresser à un interlocuteur compétent.

Pour revenir à la chambre des bébés, tout le monde ne dispose pas de meubles anciens. Il est important que les meubles neufs aient cet étiquetage. Le consommateur doit devenir beaucoup plus acteur, grâce à des données fiables, transmises par le pouvoir public.

M. le Pr Jérôme Salomon. On a évidemment le droit d’acheter des meubles neufs. En revanche, nous pouvons accompagner les parents en leur expliquant qu’il faut les ouvrir, aérer, plutôt que de les garder sous housse et de laisser la chambre fermée jusqu’à l’arrivée du bébé.

Je tiens moi aussi beaucoup à l’information des élus. Un élu qui arrive en responsabilité doit avoir accès aux données et à l’expertise. Nous travaillons avec l’Association des régions de France (ARF), l’Assemblée des départements de France (ADF) avec l’Association des maires de France (AMF) pour « donner un bagage » à l’élu nouvellement en fonction. Cette expertise existe. S’il a besoin de conseil, il doit savoir où la trouver auprès de l’AMF, du délégué territorial ou pour une question spécifique qui fait appel à une expertise d’agence particulière. Il faudrait presque lui donner une mallette des bons outils pour savoir comment répondre aux différentes questions, un élu étant sollicité de toutes parts.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous pouvons espérer que le PNSE 4 s’attellera à ce genre de travail.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Comme professionnelle de santé publique, je suis sensible au sujet de la santé environnementale, favorable à une approche globale de la prévention, à la nécessaire coordination et au décloisonnement. Une chose est le souhait, une autre est la mise en œuvre, qui n’est pas si facile. Les nombreux problèmes de prévention attachés à la santé environnementale s’intègrent dans un cadre plus général d’une politique globale de prévention.

En 2017, nous nous sommes engagés pour une révolution de la prévention. Nous étions ambitieux, mais cette révolution est à la fois timide et tardive. La volonté politique est réelle puisque l’un des quatre piliers de « Ma santé 2022 » était explicite. Elle est formalisée au travers d’un PNSE, mais l’efficience et l’efficacité ne sont pas encore à la hauteur de nos espérances.

Le comité interministériel pour la santé (CIS) est censé être le garant de ce travail en commun et de la tenue des objectifs, mais il est compliqué d’obtenir des résultats concrets.

Ces problèmes sont connus. Dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle, dont je fais partie, la Cour des comptes mène une enquête à propos du pilotage, de la gouvernance de notre politique de prévention. Avec notre collègue M. Régis Juanico, je rendrai d’ailleurs un rapport à cet égard avant la fin du mandat.

Je me permets de reprendre la métaphore employée par le directeur de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine, lors de son audition devant la commission d’enquête, car elle illustre de façon concrète ce qui se passe. Il a comparé notre politique à un orchestre, avec de nombreux acteurs et compétences mis à disposition de la prévention et de la santé environnementale. En revanche, pour beaucoup de musiciens, il manque une partition unique et un chef d’orchestre. Cette image rend compte de ce qui se passe dans notre cher pays, qui a encore de grandes marges de progrès.

Dans ce contexte, comment renforcer la coopération interministérielle ? Où sont les points de blocage du comité interministériel, qui a été piloté par la DGS pour un langage commun, une politique commune, une doctrine d’action partagée ? Comment faire passer la santé dans toutes les politiques, et pas uniquement de manière incantatoire ?

Par ailleurs, comment passer d’une politique d’accumulation de plans, d’une culture des « silos » à une politique cohérente, durable, non dépendante de la volonté politique et qui dépasse les mandatures ?

Enfin, comment avoir un pilote au niveau des territoires, avec autorité et planification, de façon à ce que tous les acteurs aillent ensemble dans la même direction ?

M. le Pr Jérôme Salomon. Je suis évidemment favorable à une approche globale. J’ai été formé en santé publique et le décloisonnement, la coordination, la promotion de la santé, la prévention me vont parfaitement. Nous avons une stratégie nationale de santé et un plan national de santé publique qui s’appelle « Priorité de prévention ».

Je ne suis pas un homme politique, mais je pense que vous avez raison : il manque à la France un plan. Les élus doivent aussi accepter que l’on priorise et que l’on détermine pour les cinq ou les dix prochaines années les grandes priorités de la lutte pour l’amélioration de la santé. Nous avons du mal à l’accepter. Vous êtes toujours face à quelqu’un qui va dire que si vous travaillez sur le cancer, vous allez oublier le Parkinson, si vous travaillez sur le Parkinson, vous n’allez pas citer l’Alzheimer. Il existe des pressions, sans parler de lobbies. Chacun veut défendre sa cause.

Quelles sont les priorités françaises ? Devons-nous nous baser sur celles venues du terrain ou sur un diagnostic confié par l’OMS qui considère que la France a des faiblesses ? La part de la prévention est importante. Nous avons parlé d’un Ségur de la santé publique, qui serait une très bonne chose. Le Premier ministre y est favorable.

De votre vote en tant que parlementaires, relèvent le projet de loi de finances (PLF), le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) et l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam). Vous noterez qu’il n’y a pas d’Ondam prévention ou pluriannuel. Je pense que c’est l’un des points qui rend le préventif plus faible par rapport au curatif. On peut investir pour un an dans du curatif, ce qui est très difficile dans la prévention, surtout si cet effort n’est pas poursuivi. Je vais au-delà de mes prérogatives, mais il faudrait peut-être un plan pluriannuel, comme dans le champ militaire, qui permettrait de se donner les moyens d’investir sur plusieurs années sur un sujet de prévention.

Je partage votre analyse en termes d’orchestre. Il est très riche de la diversité, mais il a besoin d’un chef. Le CIS n’est pas présidé par la DGS, mais par le Premier ministre, c’est donc à lui d’impulser cette politique.

Les élus de terrain ont un rôle très important à jouer. Le pilote en local est forcément le maire. En cas de mobilisation d’experts, le préfet doit coordonner toutes les actions des autres ministères, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), les services de l’agriculture, la direction départementale de la sécurité publique (DDSP), en lien très étroit avec le délégué territorial et l’ARS.

Souvent, le pilotage territorial se déroule bien, de même qu’au niveau interministériel, même si les logiques de ministères peuvent être différentes. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait d’obstruction volontaire de la part des ministères. Face à une cause commune, tout le monde se mobilise, pour le bénéfice des populations concernées. Je dirais qu’il faut du charisme, du temps, la nomination d’un pilote, d’un directeur de projet, d’un animateur sur une durée où il est affecté comme tel, en cas de pollution ou d’enjeu majeur. Nous avons procédé ainsi pour les pesticides, avec un responsable de l’action relative aux phytos, un pour la chlordécone. Tout cela participe de l’animation et de la coordination des acteurs.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Le fait que le Parlement ait voté un orange (document de politiques transversales), puis un jaune budgétaire sur la prévention a constitué une première avancée, notamment dans le cadre d’un possible Ondam. Cette démarche montre que les parlementaires se saisissent du sujet.

M. Pierre Venteau. Dans la presse ou dans nos boîtes mails, nous constatons une certaine stigmatisation des élevages intensifs, notamment du fait du Covid et sur les questions autour des visons. La question des zoonoses est très bien traitée dans les élevages de rente, avec des prophylaxies sanitaires obligatoires depuis très longtemps.

En revanche, quid des animaux de compagnie ? Il n’y a pas de prophylaxies obligatoires, si ce n’est pour la santé des animaux de compagnie, mais pas pour la protection des maîtres ou des propriétaires. Je prends comme exemple la maladie de Lyme et la lutte contre la tique, qui n’a pas de caractère obligatoire. En termes de santé publique et de santé environnementale, ce risque est-il mesuré ? Un plan de prévention pluriannuel est-il envisagé ? La part relative aux animaux domestiques est sous-estimée par rapport à celle relative aux animaux de rente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Êtes-vous déjà en mesure de tirer des conclusions de cet épisode Covid ? Pensez-vous les intégrer dans le PNSE 4 ?

M. le Pr Jérôme Salomon. Ce sont des questions à la fois techniques et immenses. Les zoonoses sont une préoccupation majeure. Dans les émergences qui ne manqueront pas de se succéder, il s’agit d’un enjeu majeur pour les prochaines décennies. Deux tiers des émergences seront probablement des zoonoses.

Elles sont nées de l’interface entre la faune, la flore et l’homme. Nous sommes de plus en plus confrontés au milieu sauvage, que nous démolissons en traversant une forêt ancienne. La promiscuité entre l’homme et l’animal peut être intense dans certaines zones, avec une étroite surveillance. Cela peut être le cas en Asie, mais aussi en France, où une région comme la Bretagne fait l’objet de plans de surveillance particuliers, en raison de la présence de nombreux élevages intensifs auprès des populations humaines.

Ce point est emblématique de l’approche One Health. Pour travailler correctement, il faut associer les agronomes et les vétérinaires. Ce fonctionnement ne fait pas du tout partie de l’ADN des professionnels de santé. Je suis conscient que le fait qu’un médecin parle à un vétérinaire n’est pas une pratique classique, mais elle est fondamentale. Les vétérinaires et les agronomes sont d’excellents professionnels, et ils ont des connaissances que n’ont pas les professionnels en santé humaine. Le fait de décloisonner et d’échanger sur les connaissances est essentiel. Si la présidente nous soutient dans le PNSE, nous souhaitons promouvoir cette approche intégrant la recherche, l’environnement, le champ agricole et la connaissance de la faune sauvage, car celle-ci a un impact considérable sur la santé humaine.

Vous noterez d’ailleurs que s’agissant de la Covid, nous n’avons toujours pas compris d’où venait le virus. Nous savons que le réservoir initial est très probablement celui de la chauve-souris. On a retrouvé un virus très proche sur cet animal, voilà plusieurs années. En revanche, le virus ne se transmet pas directement de la chauve-souris à l’homme. Il manque donc un maillon que personne n’a réussi à démontrer.

La surveillance des élevages est très stricte en France. Nous travaillons en étroite collaboration avec la direction générale de l’alimentation (DGAL). Vous avez totalement raison quant aux animaux de compagnie : nous sommes face à un vide complet. Les Français adorent leurs animaux de compagnie. Vous pensez peut-être aux chats et aux chiens, mais je pense aussi à des animaux moins classiques tels que les nouveaux animaux de compagnie, qui introduisent beaucoup de pathogènes.

Nous sommes dans un enjeu de milieu familial très proche, puisque les gens ont souvent ces animaux dans leur salon, leur chambre à coucher ou leur cuisine. Là encore, il y a probablement de l’éducation à la santé à faire sur les risques de contaminer son animal de compagnie ou d’être contaminé par lui. Les deux existent. Cela a été démontré avec des pathogènes très classiques, que ce soit le staphylocoque ou la Covid, que l’on peut transmettre et récupérer de son chat.

De nombreux travaux sont en cours sur la Covid pour en tirer toutes les leçons. Il y a plusieurs missions de l’inspection générale interministérielle du secteur social (IGAS), deux commissions d’enquête portées par les parlementaires, une commission indépendante confiée par le Président de la République au docteur Didier Pittet, un expert suisse, pour avoir une approche internationale. Je propose qu’une fois que nous aurons toutes les conclusions de ces commissions d’enquête, de ces retours d’expérience ministériels, interministériels, de terrain, nous en tirions toutes les leçons pour le PNSE. Il s’agit d’une approche de santé environnementale que de se dire qu’un virus peut émerger, paralyser le monde entier, alors qu’il est probablement d’origine animale et que personne ne l’a détecté à temps et n’a démontré qu’il pouvait être à très fort risque pathogène pour l’homme.

Vous avez cité la maladie de Lyme, qui est mon sujet de recherche. Elle est très emblématique d’une approche de type zoonose. Elle concerne les accès aux tiques, qui ne se trouvent pas en pleine forêt, mais dans votre jardin, au plus proche de votre perron. Les gens les ramènent soit sur eux-mêmes, soit sur leurs animaux de compagnie. La recherche de tiques, qui est maintenant systématique dans les pays scandinaves, n’est pas du tout une habitude française. Quand les Suédois partent en pique-nique, l’activité au retour consiste à regarder si les enfants ou les compagnons ramènent des tiques. Il s’agit d’une démarche totalement culturelle, parfaitement intégrée après une promenade en forêt, ce qui n’est pas encore le cas des Français.

Dans le partage des traditions, les agriculteurs qui connaissent très bien les tiques et les générations qui y ont été exposées savent qu’il faut mettre des bottes, les pantalons dans les bottes, des chemises longues ou blanches. C’est ainsi que l’on évite les tiques. Or, aujourd’hui, les urbains en particulier vont pique-niquer en tongs et en shorts, ce qui les expose aux tiques et à la maladie de Lyme.

Tout cela fait partie de la prévention, de l’éducation et de la recherche. Nous avons monté de nombreux programmes de recherche avec l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, des analyses sur les tiques, sur les chiens, sur les tiques des bovins et des équins. Ce n’est que par une approche globale de formation interdisciplinaire, de surveillance renforcée de la faune sauvage et des liens avec la santé humaine, d’un usage raisonné des biocides et des désinfectants, que nous limiterons les impacts de la faune et de la flore sur l’environnement et la santé humaine. Nous devons très nettement renforcer les recherches sur les émergences puisque les zoonoses vont nous menacer, dans les prochaines années, de façon encore plus importante, avec le réchauffement climatique, la démographie galopante et ces contacts de plus en plus étroits entre la faune sauvage et l’homme.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Le lien entre obésité, diabète, hypertension et Covid est avéré. Si ces facteurs avaient été anticipés dans la recherche préventive, auraient-ils pu avoir un impact sur cette crise sanitaire ?

M. le Pr Jérôme Salomon. Vous me posez une question très difficile. Les experts se rejoignent sur le fait que la prise en charge de l’obésité précoce, que nous proposons avec le dépistage chez les enfants et les adolescents, est une nécessité absolue. Nous ne pouvons pas laisser des enfants et des adolescents obèses sans prise en charge et sans prévention rapide.

Il y a aussi un dépistage et un traitement du diabète chez des populations précaires. Un diabète bien traité se complique beaucoup moins, d’où l’importance de l’accès aux soins. Ce sujet est pour moi fondamental, même si je ne suis pas le responsable de l’accès aux soins et que nous avons une direction générale de l’offre de soins (DGOS) et une direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Des populations dépistées à temps, prises en charge, qui reçoivent des programmes d’éducation nutritionnelle de l’obésité et du diabète, deux pathologies assez intriquées, sont en meilleure santé et subissent beaucoup moins de complications.

Malheureusement, la Covid et peut-être d’autres maladies sont révélatrices d’inégalités sociales ou de déficits de prise en charge d’un certain nombre de pathologies. Cela encourage à la prévention, primaire, secondaire et tertiaire, à l’éducation à la santé.

Je finirai par une conclusion positive. Les gens ont l’impression que quand ils sont malades, c’est fini. Or, les études scientifiques sont nombreuses qui montrent que, quel que soit le stade de votre maladie, toute démarche de prise en charge, même tardive, a un impact positif sur votre santé. Il ne faut pas dire : « C’est trop tard, je suis déjà obèse, cela ne sert à rien d’améliorer ma santé ». Même tard, même après vingt ans d’évolution, le fait de rééquilibrer le traitement, d’être bien suivi et pris en charge par son médecin traitant ou un médecin spécialiste améliore très vite sa santé.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. À vous écouter, une campagne de prévention sur l’obésité est une nécessité.

M. le Pr Jérôme Salomon. Cette campagne est une priorité dans le plan d’approche de la santé de l’enfant et de l’adolescent. Il y a beaucoup de financements de dépistages précoces des enfants obèses et de prise en charge par des programmes innovants d’éducation à la santé, d’alimentation de qualité et d’activité physique, celle-ci étant souvent une bonne solution. Ils sont inclus dans le PNNS (programme national nutrition santé).

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pensez-vous aux perturbateurs endocriniens ?

M. le Pr Jérôme Salomon. Bien entendu. Il s’agit de l’un des facteurs. Des recherches sont menées en ce qui concerne l’impact des perturbateurs endocriniens sur la prédisposition à l’obésité, mais il y a aussi des facteurs génétiques, d’environnement. Le sujet est extrêmement complexe.

Le PNNS est un bel exemple de plan non sectoriel, non en « silos », à la fois porté par la Santé et l’Agriculture, de façon conjointe, ce qui n’était pas évident. Nous aurions pu imaginer que l’Agriculture s’oppose à des démarches de bien manger, avec des impacts économiques, ce qui n’est pas le cas. Nous sommes totalement alignés.

Nous nous situons aussi sur des enjeux de recherche : pourquoi certains enfants développent-ils des obésités précoces ? Est-ce en raison des perturbateurs endocriniens ou d’autres facteurs, puisqu’il existe aussi beaucoup de modifications comportementales ? Au Brésil, une étude a ainsi démontré que les enfants étaient très actifs jusqu’à l’âge de sept ans, puisqu’ils jouent au foot dans la rue. À partir de sept ans, les enfants qui ont accès à un téléphone portable s’assoient sur le canapé pour jouer avec et ne sont plus actifs du tout. Quand on leur retire le téléphone et qu’on les remet à jouer au foot dans la rue, on constate un effondrement de l’obésité.

Nous pouvons donc proposer des programmes d’éducation à la santé relativement simples et peu coûteux. La promotion de l’activité physique reste une très bonne démarche.

Pour nous, la santé de l’enfant est une priorité, dans le PNNS, dans le PNSE et dans le Plan national de santé publique. Nous essaierons d’agir très fortement sur les troubles nutritionnels et l’obésité précoce.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Les enfants qui ont eu un cancer développent très souvent des obésités à l’adolescence ou parfois à l’âge adulte. Ce sujet est préoccupant.

M. le Pr Jérôme Salomon. Absolument. Avec le ministre, nous avons pour priorité de développer la recherche et des actions sur les cancers de l’enfant. Il existe des prédispositions et des gens peuvent malheureusement faire plusieurs cancers. Le rôle de l’activité physique et du sport est fondamental dans la prise en charge des enfants, notamment ceux atteints de cancer. Les effets sont très bénéfiques. Même pour les enfants pris en charge en chimio et en radiothérapie, l’activité physique doit être maintenue.

Une autre découverte relativement récente est celle du rôle des antibiotiques sur l’obésité. Ils modifient la flore, et le microbiote peut être profondément perturbé par un usage prolongé. Nous étions dans la semaine de lutte contre l’antibiorésistance. Cette profonde perturbation de la flore digestive mène souvent à des obésités induites par les médicaments.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Il ne nous reste plus qu’à vous remercier chaleureusement pour votre disponibilité, vos très longues et très intéressantes explications. Nous espérons que le PNSE 4 sera à la hauteur de tous les projets et objectifs que vous voudriez lui confier.

L’audition s’achève à seize heures.

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60.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Huc, toxicologue en santé humaine, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) (25 novembre 2020)

L’audition débute à seize heures.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons Mme Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Vous avez réalisé votre thèse en toxicologie moléculaire et cellulaire à l’INSERM. Vous dirigez actuellement l’équipe de recherche contaminants et stress cellulaire de l’unité mixte de recherche de toxicologie alimentaire Toxalim de l’INRAE. Vos recherches portent plus particulièrement sur la connaissance des effets à long terme en santé humaine et animale de différents toxiques, en particulier les effets des expositions chroniques de contaminant à faible dose éventuellement sous forme de mélange et lors des phases critiques de développement des organismes néonatal ou périnatal.

(Mme Laurence Huc prête serment)

Mme Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Mme La Présidente, Mme la rapporteure, MM. et Mmes les Députés, je vous remercie de cette invitation pour vous exposer les réflexions sur mon travail de toxicologue. Je vous remercie aussi pour cette introduction. Je dirige actuellement une équipe en toxicologie qui travaille sur les liens entre les expositions aux polluants et l’incidence sur les cancers. Nous développons à la fois des approches sur les modèles cellulaires animaux, mais aussi en épidémiologie moléculaire sur les cohortes d’agriculteurs. Cela fait seize ans que j’exerce ce métier et je souhaitais également déclarer que je n’avais aucun conflit d’intérêts.

Je vais commencer mon exposé sur les liens cancer/environnement par une injonction d’Horace et d’Emmanuel Kant : « sapere aude » qui signifie « ose savoir ». Il est souvent dit que les politiques ont parfois du mal à tout saisir dans leur dialogue avec les scientifiques. Je vais donc essayer d’être la plus claire possible. Le fait de m’avoir conviée à cette audition signifie que vous êtes dans la disposition d’oser savoir et d’oser connaître. Je vous en remercie.

Tout d’abord, je vais commencer par des bases qui me semblent essentielles, c’est-à-dire vous rappeler les missions de la santé publique. Elles sont peut-être déjà claires pour vous, mais il me paraît essentiel de partir de cette base. La santé publique est la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie, de promouvoir la santé et les capacités physiques à travers les efforts coordonnés de la communauté pour l’assainissement de l’environnement, l’objet final étant de permettre à chaque individu de jouir de son droit inné à la santé et à la longévité. Cette définition vient de Charles-Edouard Winslow et date de 1920. Après un siècle, je pense que nous devons garder cette définition réellement en perspective tout au long de notre entretien et des auditions que vous avez pu conduire.

Mon métier, en tant que toxicologue et biologiste, s’intègre essentiellement dans la mission de santé publique. Mon travail est de définir si certains polluants chimiques sont cancérogènes et quels sont les mécanismes qui peuvent être mobilisés. Une substance cancérogène favorise la cancérogenèse, c’est-à-dire la formation du cancer. Je travaille en cancérogenèse environnementale. Notre communauté fait face à des contraintes puisqu’il existe plus de 85 000 produits chimiques de synthèse qui sont d’ores et déjà commercialisés. Par ailleurs, 1 000 nouvelles molécules sortent tous les ans. À ce jour, nous estimons que nous ignorons la toxicité d’environ 80 % de ces molécules, en raison tout simplement du débit considérable. Il est extrêmement compliqué de traiter toutes ces informations et cela prend du temps.

La prédiction en toxicologie passe par des études scientifiques dites empiriques, c’est-à-dire que nous conduisons des expériences. Nous utilisons pour cela des modèles cellulaires, des modèles animaux et essayons, à partir des données biologiques obtenues dans des conditions contrôlées d’exposition, de concentration et avec un pouvoir statistique que nous pouvons contrôler, de déterminer, de prédire les effets chez l’être humain dans toute la complexité que cela peut représenter, si nous parvenons à mimer des expositions au niveau céphale dans les périodes infantiles, adolescentes, à l’âge adulte, chez les personnes âgées et également chez les hommes et femmes.

Les limites de la toxicologie résident dans le fait que nous ne pouvons pas expérimenter sur l’humain. Nous serons donc obligés de réaliser des extrapolations sur les modèles que nous utilisons afin de prédire pour l’humain. C’est une science purement biologique et expérimentale.

Que sait-on sur la santé environnementale ? Le sujet a été largement abordé dans l’ouvrage de Rachel Carson, Le printemps silencieux, qui est le premier ouvrage décrivant les liens entre la santé environnementale et l’exposition aux substances chimiques et en particulier les pesticides. Les liens entre perturbateurs endocriniens et cancer sont pour la première fois décrits dans les années soixante. Alors que dans les années soixante il existait déjà des données fortes sur le sujet, nous pouvons nous demander pourquoi des doutes ou des controverses persistent sur le fait qu’il y ait vraiment des causes environnementales au cancer.

Des historiens des sciences parviennent à l’expliquer. Par exemple, dans son ouvrage, Mathias Girel a identifié le fait que, dans les années soixante-dix, les recherches ont été massivement orientées vers la génétique, c’est-à-dire déterminer les causes génétiques du cancer. Ces orientations passent par des incitations intellectuelles, des effets de mode et tout ce qui nous incite à rechercher les causes génétiques du cancer, mais également par l’orientation financière.

Les chercheurs ont besoin d’argent et de nouvelles technologies. La recherche sur la génétique, au départ relativement modeste, a été ultraperformante. Les connaissances dans les années soixante-dix ont augmenté et ont orienté la compréhension de nombreuses maladies au travers du spectre de la génétique. En revanche, en creux, elles ont généré – c’est ce que décrit Mathias Girel – une création d’ignorance sur certains terrains, et notamment le terrain des liens entre cancer et environnement.

Ce retard entre facteurs exogènes pouvant conduire au cancer et facteurs endogènes génétiques est toujours présent. En d’autres termes, les programmes lancés actuellement sur l’exposome, pour parvenir à décrire ce que subit l’être humain tout au long de sa vie et qui peuvent expliquer la survenue de maladies chroniques, sont des choses positives, mais l’exposome aurait pu être une ambition portée dans les années soixante-dix. Cela n’a pas été le cas, ce que nous pouvons regretter.

Il faut également replacer cela dans un autre contexte historique, notamment l’essor des industries chimiques à cette époque. Cette recherche orientée vers les causes génétiques a arrangé de nombreux lobbies comme cela a été décrit, notamment pour l’industrie du tabac. La science se pratique donc dans des contextes plus globaux qui peuvent expliquer que nous disposions de savoirs à un moment donné et nous trouvions également face à des lacunes et des ignorances.

Je vais vous parler plus précisément de mes connaissances, notamment de la cancérogenèse environnementale et des premières données dont nous disposons. Tout d’abord, le premier cancer qui a été décrit au niveau professionnel est dû à une cause environnementale. Il s’agit du cancer du scrotum, décrit en 1775 par Percivall Pott. Ce cancer touchait les enfants ramoneurs en Angleterre. Nous avons pu identifier, plus tard, par des études de toxicologie que la présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques dans la suie était à l’origine de ces cancers.

Les mécanismes qui étaient impliqués ont alors été définis. Sur la double hélice d’ADN, la cellule jaune est un métabolite de l’hydrocarbures qui parvient à s’intercaler dans l’ADN. Ce mécanisme a été le premier mécanisme identifié comme prouvant une substance chimique cause d’un cancer. De même, le modèle génétique démontre que le composé modifie le gène – il est donc génotoxique – et cette modification de gènes entraîne le cancer. Il s’agit de la mutagenèse. La substance est ensuite classée cancérogène. Certains hydrocarbures sont classés cancérogènes de type 1 avec le mécanisme associé de la génotoxicité. Pourtant, tous les travaux que j’ai pu conduire en thèse à Rennes puis ultérieurement à Toulouse ou en collaboration à Paris ont pu démontrer que cet hydrocarbure pouvait également être cancérogène par de nombreux autres mécanismes.

Je vais donc vous décrire mon cœur de métier. Nous cherchons à savoir comment une substance peut causer le cancer. À gauche se trouve une photographie d’une cellule cancéreuse et à droite se trouve la roue présentant toutes les caractéristiques qui font qu’une cellule sera cancéreuse. Vous trouvez en bleu l’instabilité génomique, c’est-à-dire un cancer qui perturbe les gènes. Toutefois, une dizaine d’autres mécanismes sont également impliqués, tout aussi importants, et sont considérés en biologie du cancer comme étant des critères forts.

Au quotidien, nous réalisons des techniques de biologie cellulaire en temps réel pour tester des effets à faible dose de substances chimiques. Nous utilisons une technique qui filme les cellules en temps réel. Force est de constater que les cellules bougent et prolifèrent. Quand un composé induit un cancer, il favorise cette prolifération ou induit de la résistance à la mort. Il s’agit de cellules de foie qui sont exposées à des hydrocarbures. En réalité, nous étudions tous ces phénomènes, ces choses vivantes, en utilisant les meilleures technologies disponibles, c’est-à-dire des technologies sensibles en temps réel qui exigent des équipements assez chers et de l’investissement, mais qui permettent de faire face au défi actuel de la toxicologie, dans le sens où nous devons travailler sur des faibles doses, tester « l’effet cocktail », tester l’effet perturbateur endocrinien et tester l’effet chronique. Tout cela nécessite du temps.

Nous travaillons pour savoir comment une cellule cancéreuse va être capable de pousser, donc de survivre sans qu’elle ne soit accrochée à n’importe quel tissu. Elles peuvent acquérir cette caractéristique lorsqu’elles sont exposées pendant plusieurs semaines à des pesticides. À droite se trouve une image focale à fluorescence qui permet d’observer en bleu l’ADN et en vert le réseau mitochondrial. J’approfondis les mécanismes afin de vous montrer la finesse de ces approches. Nous observerons alors comment la mitochondrie, qui est une usine énergétique cellulaire, est modifiée. Nous voyons leur activité perturbée par des substances chimiques, ce qui permet de mener des études assez fines.

Ces images sont réalisées par les deux doctorantes actuelles qui travaillent sur la capacité des cellules. À gauche se trouvent des cellules coliques qui sont bien attachées toutes ensemble et qui communiquent bien. En rouge, nous voyons comme une toile de tente avec des piquets et des arceaux. Les cellules sont alors bien à leur place. Lorsqu’elles sont exposées pendant trois semaines à certains pesticides, les cellules se désolidarisent comme si elles enlevaient les piquets des tentes. Elles changent complètement de formes. En fait, elles vont bouger et migrer. Ces phénomènes sont associés dans le cancer à des métastases. Tous ces éléments sont des paramètres que nous mesurons et qui présentent le défaut de ne pas être au débit, c’est-à-dire qu’il faut prendre énormément de photographies, compter les cellules et les observer. Ce sont des choses difficilement standardisables, mais qui apportent des éléments forts sur les mécanismes de cancérogenèse.

Je vais maintenant aborder la problématique qui me concerne, à savoir les pesticides inhibiteurs du succinate déshydrogénase, dits SDHI, qui, lorsque nous les avons découverts, sont synthétisés et vendus pour leur propriété de bloquer cet enzyme qui se situe dans les mitochondries. Ils sont dessinés pour bloquer le métabolisme énergétique et sont des fongicides. Au départ, ce sont des champignons, mais nous retrouvons cette fonction universelle dans toutes les cellules. Lorsque cet enzyme mitochondrial est bloqué dans les cellules humaines, nous savons que cela agit sur la reprogrammation métabolique – le métabolisme génétique va donc être modifié –, mais également sur des modifications épigénétiques. Il ne s’agit pas ici des modifications des séquences de l’ADN, mais de son repliement. En réalité, au lieu d’être dépliable avec une séquence non modifiée, l’exposition aux SDHI surenroule l’ADN et ne permet pas aux protéines d’être exprimées.

Ces paramètres peuvent être responsables des cancers, mais également de neuropathies ou d’altérations du développement. Ils sont donc impliqués dans énormément de processus. Lorsque nous avons été surpris de constater que des substances vendues pour bloquer le succinate déshydrogénase avaient été autorisées, nous nous sommes aperçus que ces critères de reprogrammation métabolique ou de modification épigénétique n’étaient pas pris en compte dans la réglementation. J’ai donc commencé à passer de la chercheuse qui fait des études et qui prend des photographies en imagerie à la question de savoir pourquoi cette recherche fondamentale ne conduisait pas à nous protéger d’une exposition à des substances qui, d’après nos hypothèses scientifiques, peuvent représenter des dangers réels.

Afin de vous expliquer le fossé qui peut exister, je vais comparer les différentes façons qu’ont les scientifiques et certaines agences de classer les substances cancérogènes. Tout d’abord, je vous propose d’aborder le procédé du CIRC (Centre international de la recherche sur le cancer), qui est sous l’égide de l’OMS. Cette agence n’est pas réglementaire et ne régule pas les substances. En revanche, elle a pour mission de santé publique d’identifier les substances cancérogènes et d’évaluer les causes environnementales des cancers humains. Sa méthode de travail est fondée sur l’analyse de la littérature scientifique pour évaluer le danger et le risque. Pour définir la différence, le danger est l’effet toxique que peut présenter une substance et le risque dépend du danger combiné à la probabilité d’être exposé.

Le CIRC classe les substances en fonction du niveau de preuve dont nous disposons dans la littérature scientifique. Il se base uniquement sur la littérature scientifique et les données que nous pouvons réinterpréter. Il a donc établi un classement :

– Groupe 1 : cancérogène pour l’humain ;

– Groupe 2A : probablement cancérogène pour l’humain ;

– Groupe 2B : cancérogène possible pour l’humain.

Ce n’est pas lorsqu’une molécule est classée cancérogène 2B qu’elle est moins cancérigène que le groupe 1. Cela signifie que le niveau de preuve n’est pas suffisant dans l’état actuel des connaissances pour permettre un tel classement.

À ce jour, certains pesticides sont classés groupe 1 comme l’arsenic, la dioxine, le lindane et le pentachlorophénol. Certains sont classés groupe 2A comme le glyphosate ou le DDT. À ce jour, le travail du CIRC n’est pas à la hauteur. Un nombre trop important de substances sont actives : sur 1 421 substances actives, 428 sont autorisées en Europe et seule une soixante de substances a été évaluée par le CIRC.

Nous allons désormais observer comment se situe la toxicologie environnementale par rapport à la toxicologie clinique, c’est-à-dire la toxicologie menée pour autoriser les médicaments. Lors de la mise sur le marché d’un médicament, ce dernier a été approuvé et le test toxicologique a été réalisé auparavant, c’est-à-dire que, d’une part, l’efficacité du médicament a été validée et, d’autre part, il a été évalué qu’il ne présentait pas d’effets secondaires. Une phase d’essai clinique, donc d’expérimentation humaine, est réalisée avant l’autorisation de mise sur le marché. Nous avons donc tout de même une idée de l’effet de la molécule sur l’être humain avant sa mise sur le marché.

En revanche, concernant la toxicologie environnementale, jusqu’en 1976, les substances étaient faiblement régulées. Plus de 62 000 molécules sont entrées directement sur le marché sans évaluation toxicologique au préalable. Pour les nouveaux produits qui souhaitent entrer dans le circuit, les industriels doivent produire un dossier pour faire une demande d’autorisation de mise sur le marché et ce dossier contient des tests toxicologiques qui sont exigés suivant des lignes directrices répondant à un certain nombre de critères. Nous parlons alors de tests toxicologiques normés.

Tout cela est pris en charge par des agences réglementaires que sont l’agence américaine EPA (United States Environmental Protection Agency), l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments European Food Safety Authorithy) et, en France, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) délivre ces autorisations. Ces tests toxicologiques réalisés avant la mise sur le marché sont donc à la charge des industriels. Ils doivent réaliser eux-mêmes les expériences ou faire appel à des prestataires. Ensuite, lors de la mise sur le marché, l’exposition à ces substances est donc généralisée, contrairement aux médicaments qui sont donnés à des personnes en particulier selon des conditions précises. Dans le premier cas, nous ne maîtrisons plus du tout les niveaux d’exposition des substances autorisées.

J’interviens après, c’est-à-dire post-exposition, pour mener des études toxicologiques en tant que chercheur dans la recherche publique et pour mener des tests en recherche fondamentale. Ce sont donc des tests qui ne correspondent pas à ce qui est exigé avant l’autorisation de mise sur le marché. Nous réalisons des études beaucoup plus poussées avec un débit moins bon. Puis, nous agissons post-exposition, nous subissons donc toujours une certaine pression, puisque les gens sont exposés pendant que nous réalisons nos études. C’est un aspect qu’il faut gérer éthiquement parlant.

Finalement, ces études fondamentales, dont les résultats doivent prouver la toxicité, selon des tests sophistiqués, sont à la charge des pouvoirs publics, de fonctionnaires ou de l’État. Dans tous les cas, ce n’est pas à la charge des industriels.

Comment les agences réglementaires évaluent-elles et donnent-elles les autorisations de mise sur le marché ? Elles évaluent le risque en prenant en compte le danger et la probabilité d’être exposé et leur matériel est basé sur la littérature scientifique. Souvent, lorsque nous autorisons un nouveau produit, il y a peu de littérature scientifique. En revanche, énormément de données sont fournies par les industriels. L’accès à ces données et leur transparence ne sont toutefois pas aisés. Nous ne pouvons pas toujours avoir accès aux données brutes et vérifier que les études ont été conduites selon de bonnes dispositions. Il n’y a par ailleurs pas toutes ces étapes de reviewing qui est subie par la littérature scientifique, lors de la publication d’un article ou d’une étude de recherche.

Les critères mis en place pour le cancer répondent à des lignes directrices et des critères de cancérogénicité fixés par l’OCDE. Le critère CMR signifie cancérogène mutagène ou reprotoxique et répond à une batterie de tests à fournir. L’industriel doit donc démontrer que la substance qu’il souhaite autoriser n’est ni cancérogène, ni mutagène, ni reprotoxique. Pour la cancérogénicité, le test le plus mis en avant est la génotoxicité et tous les autres paramètres que je vous ai présentés ne sont pas présents.

La classification CMR est extrêmement importante puisqu’une fois la substance classée cancérogène, le produit ne peut pas être autorisé. S’il est déjà autorisé, il est interdit, retiré du marché ou abandonné. S’agissant de la cancérogénicité – j’entends beaucoup de débats sur les pesticides pour savoir s’ils sont cancérogènes ou non – la classification CMR est très importante, puisqu’elle est une forme de principe de précaution, c’est-à-dire qu’aucun seuil d’exposition à ces substances n’est toléré. Les hydrocarbures dont je vous ai parlé tout à l’heure sont classés CMR et la règle est de ne pas s’exposer à ces substances chimiques. Aucune dose n’est tolérée. Par exemple, si nous trouvons des hydrocarbures dans les couches et si elles sont CMR, nous ne devons plus être exposés à ces couches. Il s’agit d’un principe de précaution extrêmement fort.

Concernant les pesticides, les évaluations conduites à l’EFSA, ne prennent pas en compte un certain nombre de paramètres qui peuvent créer des controverses, à savoir l’évaluation de la cancérogénicité en présence des adjuvants, donc des formulations complètes, les effets perturbateurs endocriniens et faibles doses qui ne sont pas toujours correctement évalués, les « effets cocktail ». Les dossiers réglementaires sont constitués molécule après molécule. Nous autorisons donc les substances actives indépendamment et non en prenant en compte « l’effet cocktail » qui peut se retrouver lorsque nous traitons une pomme trente-six fois et qu’une dizaine de résidus sont retrouvés. Cet « effet cocktail » n’est pas du tout évalué.

Par ailleurs, les fenêtres d’exposition ne sont pas prises en compte de même que les effets à long terme, lorsque l’individu est exposé pendant la grossesse et la survenue de maladie comme les cancers trente ans plus tard. Parvenir à relier la survenue de maladies chroniques tardives à une exposition de la mère pendant la grossesse est très compliqué. Ces dossiers réglementaires ne sont pas du tout évalués, ce qui pose un certain nombre de problèmes.

Pour ma part, je me suis intéressée aux SDHI en observant la manière dont ils avaient été évalués dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché. En ce qui concerne la cancérogénicité, nous constatons que huit SDHI sur les douze autorisés sont capables d’induire chez les rongeurs des cancers de la thyroïde, du foie, du poumon, de l’utérus et des cancers ovariens. Pourtant, ces produits sont autorisés. En tant que toxicologue, lorsque je mène des études dans mon laboratoire et que j’obtiens des résultats positifs pour les tumeurs, je ne les classe pas : « non cancérogènes » et je ne les autorise pas. Pour moi, ils sont classés cancérogènes.

En revanche, ils ne sont pas génotoxiques. Par conséquent, la réglementation autorise que les cancérogènes non génotoxiques soient mis sur le marché. La présence de ces tumeurs chez les rongeurs est justifiée par un argumentaire basé sur des mécanismes d’action qui peuvent être activés chez certains modèles de rongeurs et qui vont être jugés non pertinents pour l’humain. En d’autres termes, il est décidé qu’ils ne sont pas génotoxiques, qu’il y a des tumeurs, mais qu’ils peuvent être autorisés avec un seuil d’acceptabilité. Ceci est une façon de contourner la classification CMR et d’autoriser des cancérogènes. En tant que scientifique, ce sont des choses qui m’interpellent, c’est pourquoi mes collègues et moi y travaillons.

Afin de conclure sur ces aspects, de nombreux mécanismes de cancérogénicité et de toxicité ne sont pas pris en compte lors des autorisations de mise sur le marché. Certaines données de cancérogénicité chez les rongeurs peuvent être jugées non pertinentes pour l’humain. Ainsi, les cadres réglementaires ne répondent pas aux standards de la science. De plus, ces différences d’appréciation entre les scientifiques et les régulateurs du CIRC créent des divergences et des controverses dont vous avez pu entendre parler.

Je vais vous parler désormais de ce que nous savons sur les liens entre cancer et pesticides. Je pense que vous avez déjà effectué des auditions sur le sujet. Je vais vous apporter des éléments en épidémiologie. Il existe toutefois énormément de travaux sur le sujet. En outre, vous disposez peut-être déjà du rapport AGRICAN.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous avons auditionné Rémy Slama, auteur de l’ouvrage Le mal du dehors.

Mme Laurence Huc. Mme le Dr Béatrice Fervers, cancérologue à Lyon, a également écrit le livre Cancer, quels risques ? et a beaucoup travaillé sur les expositions professionnelles et la survenue des cancers des testicules chez les agriculteurs. En épidémiologie, nous commençons à accumuler des données sur le cancer et les pesticides. L’expertise Inserm devrait également arriver début 2021. Les cohortes d’AGRICAN et les cohortes américaines montrent qu’il existe des présomptions très fortes pour les cancers de la prostate et les lymphomes, mais également des présomptions moins élevées pour le cerveau, les leucémies, les mélanomes, les cancers du côlon, de la vessie, des ovaires et les cancers du sein. Les cancers du sang sont par ailleurs reconnus en France comme des maladies professionnelles.

Il existe également d’autres présomptions quant à l’exposition de la population générale, notamment pour la proximité résidentielle avec un risque augmenté de cancers, de méningiomes et de cancers du sein. Concernant les cancers pédiatriques, il y a des présomptions très fortes pour les leucémies aiguës et les tumeurs du système nerveux central avec différents types d’exposition : les expositions professionnelles et domestiques chez la mère pendant la grossesse, les expositions domestiques pendant l’enfance et les expositions résidentielles pendant la grossesse. Dans certains cas, il existe une exposition professionnelle du père pendant la période préconceptuelle. Les données sont ici assez fortes de même que l’expertise collective Inserm de 2013. Je ne pense pas que nous soyons revenus sur ce sujet. Malheureusement, de nouveaux types de cancer émergent tels que les lymphomes et les tumeurs embryonnaires.

En tant que toxicologue, lorsque je vois ces données épidémiologiques s’accumuler, je me demande jusqu’à quand les professionnels ou la population générale vont continuer à être exposés à ces substances. Je reprends une citation des historiens par rapport au positionnement de l’épidémiologie en termes de décision publique. L’épidémiologie sert surtout à constater l’échec des gouvernements, de l’industrie et de la société à contrôler les produits chimiques cancérogènes introduits des décennies auparavant. Les cancers professionnels des agriculteurs sont des maladies entièrement évitables. Le fait d’autoriser les produits en les conditionnant par des équipements de protection individuelle ne paraît pas efficace. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de travailler sur des recherches en ergonomie. L’efficacité des équipements de protection individuelle – les combinaisons – a également été remise en cause. La protection collective qui pourrait interdire certains produits par rapport à l’autorisation de certains produits sous condition de bonnes pratiques agricoles et d’utilisation des EPI ne me paraît pas satisfaisante au regard des données épidémiologiques qui s’accumulent.

De plus, l’épidémiologie arrivera à bout de souffle pour certains pesticides, par exemple, le glyphosate, car nous ne trouverons plus de population contrôle à qui comparer les populations exposées. Tout le monde est exposé au glyphosate. Nous ne pourrons donc même plus établir des statistiques et comparer. L’épidémiologie doit vraiment être mise en lien avec la toxicologie qui réalise des expériences en laboratoire dans un but de prévention. À un moment, nous devons arrêter de compter les victimes et les morts.

Ensuite, en tant que scientifique qui fait des recherches bibliographiques, comment la science est-elle pratiquée et quels savoirs pouvons-nous mobiliser pour la décision publique ? En réalité, le contexte scientifique m’a énormément surprise, car dès lors que nous travaillons sur des pesticides, nous retrouvons ce que nous appelons la capture de la science, c’est-à-dire que les scientifiques, les toxicologues auront tendance à modifier leurs pratiques de laboratoire en les calant sur les normes réglementaires. J’ai déjà entendu les critiques suivantes : « Laurence, ce n’est pas en modifiant les métabolismes énergétiques que tu pourras expliquer un effet cancérogène. Il faut que tu regardes absolument si c’est génotoxique ». Et j’ai beau avoir des résultats négatifs en génotoxicité, certains me diront que ce n’est pas cancérogène. Ceci est extrêmement gênant dans la pratique et les standards scientifiques.

En d’autres termes, le manque d’exigence épistémique en toxicologie fait que nous serons « embobinés » par des personnes affirmant que ce n’est pas si positif ou si cancérogène, ce qui pose énormément de problèmes. De nombreux ouvrages portent sur le fait que la science est capturée par le réglementaire. Ceci est fortement décrit par Robert Proctor pour l’industrie du tabac et les marchands de doute. Il est à noter que tout cela produit des savoirs inconfortables qui ont du mal à être gérés. Par ailleurs, la capture réglementaire consiste à avoir de fortes influences auprès des régulateurs et sur la réglementation afin que les produits cancérigènes soient tout de même autorisés, ce qui est absolument gênant.

La présence de conflits d’intérêts est également décrite dans de nombreux ouvrages : La production du doute de Mathias Girel ou Pesticides. Comment ignorer ce que l’on sait ? de Jean-Noël Jouzel. « Comment expliquer l’accumulation de données d’épidémiologistes qui attestent d’une surincidence des maladies chroniques et pourquoi les résultats aussi inquiétants constituent si peu de répercussions sur les autorisations de mise en vente des pesticides ? » Son analyse est passionnante. Nous commençons à avoir des données sur le sujet.

Les travaux d’Henri Boullier sur les toxiques légaux traitent également de substances toxiques validées et autorisées. Nous commençons donc à avoir du recul sur toutes ces questions et cette production de doute. En tant que toxicologue, lorsque j’encadre les thèses, force m’est de constater que la littérature scientifique en soi n’est plus fiable. Ma thésarde travaille sur le mélange de pesticides et je l’invite à regarder s’il existe des conflits d’intérêts, si la façon de produire les données est bonne, à observer de quel journal scientifique il s’agit, car certains journaux ne pratiquent pas bien le reviewing.

Nous pouvons lire également que l’effet perturbateur endocrinien présente encore des doutes. Les travaux de Theo Colborn, quant à eux, datent de 1996 et décrivent les perturbations endocriniennes. Nous ne pouvons plus dire aujourd’hui qu’il y a une controverse sur les perturbateurs endocriniens. La science académique l’admet pleinement. Pourquoi n’est-ce toujours pas pris en compte au niveau réglementaire ? Ceci est vraiment dérangeant. Lorsque j’ai commencé à me rapprocher des historiens et sociologues pour comprendre cette pratique de la science, tout le monde m’a raconté la même histoire, à savoir « ton histoire sur les SDHI me rappelle telle histoire sur l’amiante ».

De même, les travaux d’Annie Thebaud-Mony portent par exemple sur le plomb, le nucléaire. Puis, Nathalie Jas raconte comment gérer le risque en pollution. De même, La société du risque, d’Ulrich Beck décrit comment gérer le risque nucléaire. En réalité, la science, cette production de doute et ce cercle vicieux sont des histoires qui se répètent et nous n’en tirons aucune solution, ce qui m’effraie.

Je souhaitais ensuite apporter d’autres éléments à votre connaissance. Nous parlons du cancer en santé environnementale pour les êtres humains, mais la faune est également soumise à la cancérogenèse chimique. Des travaux ont été conduits sur les lions des mers, des poissons et des bélugas et trouvent des incidences de cancer augmentées par la présence de pesticides et de perturbateurs endocriniens dans l’environnement. En réalité, toutes les chaînes trophiques sont contaminées et traiter la santé environnementale doit aller bien au-delà du cancer humain uniquement.

D’autres aspects me paraissent importants. Lorsque nous classifions ou pas une substance cancérogène, qui en tire le bénéfice ? Autoriser des produits qui sont cancérogènes bénéficie à des puissants, des bénéfices privés. Dans le cas des pesticides, cela s’inscrit dans un modèle agricole choisi, auquel les agriculteurs sont parfois condamnés, pour obtenir de meilleurs rendements et diminuer les coûts de production. Toutefois, cela s’inscrit également dans un contexte plus global de choix de vie et de mode de vie avec une alimentation bon marché.

Des externalités ne sont pas mises à la charge des vendeurs de pesticides, mais se répercutent sur la société. Ces externalités et impacts sont quasiment inévaluables en termes d’effondrement de la biodiversité, mais également en termes de coût des soins pour les cancers et de coût des recherches en santé publique, c’est-à-dire ce que je coûte pour avoir la preuve de la cancérogénicité après exposition. Il me revient de trouver la preuve de la cancérogénicité du produit alors que ce devrait être à la charge des industriels. Les externalités impactent directement la qualité de vie. Si nous tolérons d’autoriser des produits cancérogènes, nous courons le risque que des personnes soient victimes d’un cancer. Par conséquent, nous tolérons un nombre de cancers au nom des bénéfices privés liés à l’utilisation de ces substances.

Ce facteur est extrêmement important à prendre en compte. Le cancer et le cancer environnemental amplifient les inégalités sociales puisque les personnes, les travailleurs et les populations défavorisées sont plus susceptibles à la fois aux microbes, mais également aux polluants chimiques. Il est également à noter que les personnes qui ont des cancers d’origine chimique vont être plus résistantes aux traitements. Ces données proviennent des personnels cliniques qui travaillent dans les hôpitaux et qui expliquent qu’à un stade équivalent de cancer diagnostiqué, un agriculteur sera plus difficile à traiter et sera plus résistant aux chimiothérapies qu’une personne de la population générale. Cela pose donc réellement des problèmes en ce qui concerne les populations de travailleurs et les populations défavorisées. Des recherches doivent absolument être conduites sur le sujet. D’une part, il faut arrêter l’exposition et, d’autre part, arrêter le traitement, car nous nous trouvons dans des impasses et des enjeux de santé publique forts. Les cancers professionnels sont tous des cancers évitables.

En outre, ces populations cumulent des mauvaises conditions de vie et des mauvaises conditions de travail. Par conséquent, nous amplifions les inégalités sociales, les inégalités de santé, les inégalités de vie et, au final, je me demande où se trouve la santé publique dans la pratique de telles politiques. Ces choses sont extrêmement préoccupantes.

Je tenais également à signaler que la recherche de santé environnementale chez les populations défavorisées et les travailleurs était très peu pratiquée. Je travaille depuis récemment pour mettre en place des études de recherche clinique toxicologique avec des groupements d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle (GISCOP) qui sont en partie mis en place par Annie Thébaud-Mony. En réalité, elle s’attache à regrouper ces cancers professionnels, au niveau local, au sein de différents territoires, mais ces actions sont trop rares et doivent être encouragées et mises en avant, car énormément de populations sont touchées et ne sont pas observées, ce qui pose réellement des problèmes. Le cancer environnemental crée et entretient toutes ces inégalités sociales.

Je voulais terminer en réfléchissant sur la manière de sortir du cercle vicieux. Comme vous avez pu le constater, le cancer est un processus complexe multicausal qui suscite toujours des controverses. Nous exigeons toujours plus de preuves pour être vraiment sûrs, et souvent basées sur l’épidémiologie. Nous allons attendre qu’il y ait plus de victimes humaines pour prendre une décision. Souvent, des facteurs de confusion seront introduits et des corrélations obtenues, mais pas de liens de causalité forts. En d’autres termes, nous recherchons la causalité du cancer, ce qui n’aboutit à aucune conclusion ni décision.

D’une part, la communauté scientifique devrait réfléchir à ce qui serait un principe d’humilité. Je suis scientifique par vocation : pour moi, c’est une discipline qui permet d’accéder à la vérité, de pouvoir soigner les cancers, les prévenir, etc. Or il faut savoir que nous ne pourrons pas tout démontrer et que nous n’atteignons pas la preuve absolue. Lorsque nous sommes formés à l’université – à l’Ecole normale supérieure dans mon cas –, nous pensons que nous serons tout-puissants. En réalité, dans ce contexte de santé environnementale, il faut admettre que nous aurons toujours des incertitudes. En tant que scientifiques, nous ne pouvons pas tenir un discours indiquant que « nous ne sommes pas sûrs ». Dans une discipline impliquée dans la santé publique, il faut prendre des décisions. Ce principe d’humilité aiderait à mettre en place le principe de précaution lorsque nous discutons avec les décideurs en affirmant que nous avons des doutes, mais que nous aurons toujours autant de doutes dans vingt ans. Par conséquent, prenons les mesures pour agir en conséquence.

En conclusion, concernant la production de connaissances, la recherche académique travaille, mais la production de connaissances par les firmes peut également produire des doutes. Dans différentes organisations, notamment certaines sociétés savantes, des infiltrations et des interpénétrabilités existent entre la toxicologie fondamentale et la toxicologie réglementaire. Il sera donc impossible d’obtenir des certitudes scientifiques dans ce domaine. Le critère de cancérogénicité, quant à lui, présente un fossé entre la biologie fondamentale et la toxicologie réglementaire qui nous conduit dans des impasses. Par conséquent, je constate que l’ensemble du système n’est absolument pas en faveur de la protection de la santé et de la biodiversité.

S’agissant des produits SDHI, j’ai monté un projet pluridisciplinaire pour essayer de traiter cet usage de façon globale et de manière holistique. L’ambition est de ne pas laisser la toxicologue toute seule donner de mauvaises nouvelles et de replacer le tout dans un contexte à la fois de santé et d’usage agricole, de réglementation, d’écologie et de protection des écosystèmes. Nous essayons de travailler ensemble pour générer des savoirs pluridisciplinaires et communs qui peuvent permettre à la fois d’améliorer les connaissances sur le cadre réglementaire, de proposer des améliorations et de pouvoir aider et de servir d’appui à l’expertise et à la décision publique.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous vous avons écouté avec beaucoup d’intérêt : vos propos sont très édifiants, je dirais même, « décoiffants ». Vous restituez le processus de connaissance dans un continuum tout d’abord historique. Vous dîtes que la science se pratique dans des contextes globaux qui favorisent tantôt un type de recherche plutôt qu’un autre et inversement en fonction de l’évolution des rapports de force intellectuels, d’approches ou de méthodologie.

Un politique n’est pas forcément un scientifique – ce n’est d’ailleurs pas sa vocation et tous ne le sont en tout cas pas – et il se tourne forcément vers la parole scientifique, quand il s’agit de prendre des décisions sur ces problématiques de santé environnementale. Vous venez de démonter une espèce de certitude aveugle que nous pourrions avoir dans toutes les certitudes scientifiques qui concernent les problématiques de santé environnementale. Ceci est d’autant plus dissonant que cela fait suite à des auditions au cours desquelles les personnes que nous avons entendues affichent visiblement des certitudes. Cela donne à penser et nous ne savons plus trop qui a raison ou pas.

Vous venez de nous expliquer que c’était une question d’approche méthodologique et d’évolution de la toxicologie. Nous avons entendu qu’il y avait une véritable évolution dans la toxicologie. Nous avons entendu, lors d’une audition, qu’il fallait refondre l’évaluation toxicologique. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. J’ai hâte d’entendre vos propositions, car j’ai le sentiment que vous nous avez laissé au bord d’un gouffre et nous ne savons pas comment faire avec ce que vous venez de nous présenter.

Comment définissez-vous la dangerosité d’un produit ? La dose fait-elle encore le poison ? Nous avons bien vu que non. Dans quel sens pourrions-nous faire évoluer le débat en toxicologie ? Est-ce suffisamment contradictoire ? Comment pouvons-nous faire pour que cela évolue davantage ? Il y a urgence à ce que vous nous rassuriez, non pas dans le sens du déni d’une réalité, mais afin d’avancer.

Enfin, vous avez beaucoup parlé des SDHI et vous n’avez pas parlé du glyphosate. J’ai cru comprendre que ces derniers temps, la cancérogénicité du glyphosate était de nouveau remise en question et que Bayer avait obtenu de nouvelles études sur la cancérogénéité du glyphosate au niveau européen. Nous avons l’impression qu’il s’agit du rocher décisif. Lorsque nous croyons tenir une vérité, elle dégringole aussi vite. Je vous remercie de vos propositions.

Mme Laurence Huc. Je n’aurais pas de solution immédiate pour la refonte de la toxicologie. Il est vrai que plusieurs réformes sont à entreprendre. La difficulté que je vois – et je n’ai pas de réponse – est que les perturbateurs endocriniens ou les effets faibles doses font que le principe suivant lequel la dose fait le poison ne tient plus depuis trente ans. Tout le système réglementaire est basé sur ce système et cette vérité : nous tolérons des doses seuils en estimant que lorsque nous sommes en dessous, cela ne présente pas de risque et au-dessus cela en présente. Dès lors, toute la base de l’évaluation du danger et du risque doit être revue. Pour cette raison, ce sont des terrains de controverse, de production de doute et du fait que nous ne sommes pas sûrs, car cela ébranle le château de cartes. Certaines substances, comme les CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), sont des substances auxquelles nous ne devons pas du tout être exposés. Ce sont donc des substances qui ne devraient pas être autorisées et qui devraient être interdites sur cette base.

Pour les effets perturbateurs endocriniens, c’est le cas. Il n’existe pas de dose en dessous de laquelle nous pouvons être protégés. Par ailleurs, les déclinaisons des effets faibles doses ne sont pas des perturbateurs endocriniens, mais des perturbateurs métaboliques que constituent par exemple les SDHI. Pour l’instant, nous n’avons pas trop de données sur le fait de savoir s’il existe également des effets faible dose. De ce que nous savons sur les maladies mitochondriales, même des inhibitions partielles de certaines fonctions mitochondriales conduisent, vingt ans après, à l’émergence de certaines maladies. Ici encore, le concept de « la dose fait le poison » ne fonctionnerait pas. Cela signifie qu’il n’y aurait plus de substance autorisée. Au niveau des pesticides, il n’en resterait plus beaucoup.

Les tests réalisés dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché, des travaux réalisés en 2011/2012, démontrent que sur 300 pesticides, 220 sont cancérogènes chez le rongeur et sont tout de même autorisés. Dès lors que ces substances ne sont pas génotoxiques, mais sont probablement des perturbateurs endocriniens ou des perturbateurs métaboliques, elles sont autorisées avec des doses tolérables. À mon sens, énormément de substances donnent des résultats positifs chez les rongeurs et ne sont pas prises en compte, ce qui suscite de l’inquiétude. Il est certain qu’une révolution de la réglementation semble nécessaire si nous prenons réellement en compte les nouveaux mécanismes identifiés par les progrès de la biologie. « La dose fait le poison » date tout de même de la Renaissance.

Le glyphosate est un cas extrêmement complexe. Dans la toxicologie, il n’existe pas pire en termes de tricherie et de conflits d’intérêts. Je ne crois plus personne – je ne conduis pas d’étude sur cette substance – et il est très dur de se fier à la science disponible. Bien évidemment, des équipes de haute qualité ont publié des articles de qualité, mais la compétition au niveau de la littérature scientifique, dans des journaux pas toujours scrupuleux, génère du doute. Les sociologues des sciences le reconnaissent. De nouvelles études sont peut-être controversées. D’autres mécanismes sont mis en avant pour le glyphosate, comme ses capacités à induire des modifications épigénétiques et à être perturbateur endocrinien, selon des études solides qui sont préoccupantes. Pour le moment, ces deux critères ne conduisent pas à l’interdiction de la substance.

Pour cette raison, le débat persiste sur la dangerosité du glyphosate pour lequel nous commençons à avoir des certitudes sur les rongeurs avec des résultats de cancérogénicité positifs. De plus, au niveau épidémiologie, des méta-analyses sont tout de même de plus en plus solides et ont relié l’incidence des lymphomes endocriniens à certaines leucémies. Je pense qu’il faut arrêter de les contester et les prendre comme telles. Ce qui m’inquiète, c’est que depuis les années 70, son usage a été multiplié par cent. Par conséquent, en épidémiologie, tous les ravages ne sont peut-être pas encore mesurables, car cette augmentation de l’usage n’a peut-être pas encore conduit à la surincidence de l’exposition. Toutefois, nous ne parlons que d’un seul pesticide, mais cela cache bien d’autres pesticides tout aussi toxiques et peut-être plus cancérogènes. L’orientation du débat sur le glyphosate en protège également beaucoup d’autres.

Mme Sandrine Josso. Ceci est passionnant. Je suis à l’initiative de cette commission d’enquête. J’ai pu remarquer concrètement beaucoup de choses que vous citez parce que j’ai fait partie d’un comité de suivi d’un cluster de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique, ce qui a motivé ma volonté de demander cette commission d’enquête. Vous confortez toutes les observations que moi-même et d’autres élus avons pu faire et bien sûr les associations. Un grand merci. Vous répondez aux attentes de nombreuses personnes impactées par les maladies chroniques.

Ce que vous venez de dire est important. Vous venez de démontrer que la toxicologie est majeure dans la recherche préventive et curative. Que pensez-vous des cas de cancer pédiatrique et des nombreuses questions posées par diverses associations et du manque de moyens des ARS par exemple et de Santé publique France ? Que pensez-vous de l’importance des laboratoires privés dans la santé environnementale et du manque de recherche publique ? À l’occasion des travaux du comité de suivi des clusters, j’ai remarqué que nous fonctionnions en vases clos, ce qui était vraiment préoccupant. Vous l’avez d’ailleurs souligné et bien expliqué.

Mme Laurence Huc. Les cancers pédiatriques sont en effet préoccupants. En tant que toxicologues, nous avons été contactés par le cluster de la plaine d’Aunis, en Charente. Nous avons en effet été confrontés aux questions de ces associations de parents qui ont également bénéficié de l’appui local en Charente-Maritime pour effectuer des études environnementales. Nous avons été sollicités au stade des études menées par la Ligue contre le cancer pour observer le niveau de la pollution dans l’air. Ils ont retrouvé des pesticides et des polluants organiques persistants. Nous avons donc été sollicités afin de connaître notre avis sur ce qui a pu causer les cancers et la manière dont il est possible d’avoir plus de preuves.

En discutant avec eux, je me suis aperçu qu’ici encore, la charge de la preuve était demandée aux parents et aux associations. Je me suis demandé comment cela pouvait leur incomber. Et la détresse qui existe autour de cela ! Je me suis dit qu’il n’était pas possible de laisser les gens aussi isolés. Le système de santé publique ne fonctionne pas, lorsque la première chose consiste à commander une étude épidémiologique pour observer s’il y a une sur-incidence. Il y a en effet plus de cancers, mais nous n’avons pas assez de cas pour établir une significativité statistique. Tout d’abord, je trouve indécent de tenir de tels propos en tant que scientifique. De plus, l’étude épidémiologique est effectuée et rien ne se passe. Au niveau des territoires, les pouvoirs publics devraient en être saisis. Il ne devrait pas revenir à une association de demander à contrôler l’air, l’eau et le sol. Ces veilles devraient être systématisées dans toutes les zones.

Je suis également préoccupée, car les cancers pédiatriques, en l’occurrence des leucémies, sont probablement dus à une exposition au cours de la grossesse. Il aurait donc fallu avoir l’état chimique de l’environnement il y a quinze ans. Or, il n’y avait pas de mesures à cette époque. Au niveau du laboratoire, nous avons donc essayé de voir si les composés retrouvés – car il n’existe aucune publication à ce sujet – pouvaient transformer les cellules afin d’apporter des preuves mécanistiques qui prendront deux ou trois ans. En attendant de reconnaître, de prendre des mesures pour prévenir, de remonter sur la gestion des parcelles, la gestion des traitements et la gestion de l’usine pétrochimique à proximité, ces acteurs ne font rien et continuent. Je vous donne ma position de toxicologue.

Je serai ravie qu’au niveau de la toxicologie et des territoires nous soyons mobilisables rapidement et qu’il existe une pérennisation de cette veille pour l’évaluation de l’exposome. Toutefois, il faut aussi prévenir. La proximité résidentielle des zones agricoles n’est pas du tout suffisante et est illusoire. Un réaménagement territorial est donc à faire sur l’implantation des usines et des industries, ce qui dépend beaucoup des territoires et des gouvernances de santé publique. Je pense qu’il est très important d’arriver à déployer cela.

De même, les registres des cancers ne couvrent pas toutes les zones en France. Des médecins m’ont indiqué qu’ils avaient une cartographie des cancers. Par exemple, en Occitanie, il y a plus de gliomes. Le caractère régional de certains types de cancer montre bien qu’il y a une incidence environnementale directe. Nous devrions pouvoir mobiliser au niveau local des systèmes de santé publique de prévention qui soient plus efficaces et mettre tous les acteurs ensemble.

M. Yannick Haury. En ce qui concerne les cocktails, votre méthode permet d’analyser une substance, mais en réalité il s’agit souvent d’un ensemble de substances qui peuvent interagir entre elles, augmenter leur effet ou le diminuer. Vous nous avez expliqué qu’il y avait 80 000 substances chimiques, soit un nombre considérable, et dont peu d’entre elles étaient connues. Comment améliorer les connaissances sur ces substances et sur ces mélanges ?

Par ailleurs, vous indiquez qu’il n’y a plus de relation, qu’il faut oublier l’histoire de la dose et de l’effet. Dans un premier temps, cela me marque un peu, car j’ai appris par cœur en tant que pharmacien les doses létales pour chaque substance, des plus courantes à d’autres, ainsi que les doses liées à une imprégnation chronique. Vous dîtes que lorsqu’une substance est cancérogène, quelle que soit la dose, il faut l’éviter, que ce soit un verre de vin ou une cigarette ou que sais-je ? Quelle que soit la dose, elle est toxique et mutagène.

Mme Laurence Huc. S’agissant des « effets cocktail », nous sommes évidemment exposés à des combinaisons infinies de cocktails. Mon équipe de recherche a deux approches. Nous étudions les SDHI de façon ciblée parce qu’ils ont un mécanisme particulier, mais nous considérons également que l’évaluation d’une substance chimique seule n’a pas de sens, c’est pourquoi nous regardons à l’instant T à quoi nous sommes exposés en prenant ce mélange et en évaluant globalement la cancérogénicité de ce mélange. Nous avons effectué cela sur la base d’études menées par l’Anses qui ont identifié différents cocktails types selon les catégories, en l’occurrence l’alimentation. Les personnes qui mangent beaucoup de fruits et de légumes comportaient une sélection de pesticides phares. Nous avons donc pris ce mélange qui comprend dix pesticides et le traitons en tant que tel en réalisant des tests. Il y a tellement de substances actives que nous ne savions pas par où commencer.

Lorsque nous avons été sollicités par les parents pour le cluster de la plaine d’Aunis, étant donné que des dosages avaient été effectués, nous avons décidé de réaliser les études sur les cocktails auxquels les personnes ont été exposées. Nous ne traitons donc plus par substance chimique, mais prenons le mélange, car le cocktail produit quelque chose de complètement différent. Je donne souvent l’exemple du mojito. Les ingrédients séparés ont chacun son goût et un mojito est un mojito. Nous ne prenons donc pas les substances individuelles, car cela n’apporte pas suffisamment de connaissances. Toutefois, selon l’endroit où nous vivons, il y a énormément de cocktails. Nous essayons d’aborder cette approche.

Concernant la dose réponse, vous avez raison sur le fait que les substances s’accumulent, car les substances chimiques ont des propriétés lipophiles, c’est-à-dire que nous les stockons. L’effet faible dose est réel et existe. Concernant les substances qui miment des hormones – la dose létale du Bisphénol A peut monter à des concentrations énormes – l’effet critique est-il la mort du rongeur ou les perturbations endocriniennes et les malformations développées ? Nous devons déterminer ce qu’est pour nous la toxicité, c’est-à-dire l’impact toxique que nous souhaitons mesurer. Dans ce cas, les études de toxicité menées chez les rongeurs consisteront, par exemple, à exposer des rates en gestation et nous observerons l’impact de génération en génération. L’effet critique sera peut-être le développement cérébral du petit plus que le côté toxique et létal pour la rate gestante.

Pour l’alcool, il est certain que les effets doses réponses sont extrêmement forts et évidents en cas de toxicité aiguë, mais l’alcool peut être cancérogène par sa chronicité en en prenant régulièrement. Les recommandations ne prévoient pas plus de deux verres par jour. L’alcool est cancérogène à long terme sur des mécanismes différents de la toxicité aiguë, l’état d’ébriété, le coma, etc. Ce sont des choses que nous appréhendons et qu’il faut évaluer.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez indiqué que nous ne pourrions pas tout démontrer et rappelé le principe d’humilité. Nous sommes dans cette impossibilité scientifique qui nous est opposée à nous autres politiques quand il s’agit d’effectuer des choix politiques. Nous ne pouvons pas tout démontrer, car, comme vous venez de l’indiquer, il n’y a pas de liens de causalité suffisamment rapides et directs pour que la démonstration soit flagrante. Ce sont des nuisances qui évoluent à bas bruit et il faut parfois une génération, voire deux ou trois, puisque nous savons qu’il existe également des effets intergénérationnels.

Vous commenciez à évoquer plusieurs réformes à entreprendre. Je serais curieuse de savoir comment, nous autres politiques, qui vous écoutons avec beaucoup d’intérêt, pourrions opposer un argumentaire à ceux qui menacent de représailles judiciaires ceux qui voudraient arrêter de recourir à cette fuite en avant chimique. Nous avons reçu des représentants de deux organismes : UIPP et France Chimie. J’aimerais savoir si vous faites une différence entre la sobriété chimique, qui laisse entendre que nous ne pourrons pas ne pas recourir à la chimie et la chimie dite propre telle qu’elle est présentée et argumentée par les producteurs de produits chimiques.

Mme Laurence Huc. Ce qui m’interpelle dans les arguments qui peuvent être avancés, c’est l’évaluation du bénéfice/risque. En santé environnementale, dans l’évaluation de ce rapport – auquel vous avez été confrontés en tant que députés lorsqu’il a fallu réintroduire les néonicotinoïdes – nous ne devrions pas, déontologiquement, être confrontés à cela si le système nous protégeait mieux. Si nous pouvions sortir de cette analyse bénéfice/risque et passer plutôt dans le cobénéfice, exprimé par Isabelle Singer et non le coût/bénéfice. Je pense qu’il faut changer tout le système. Il faut préserver les espèces vivantes et préserver l’humain avant tout en agissant et en pensant de cette manière.

Malheureusement, la chimie a conduit à de nombreux ravages, ce qui impacte notre santé. Des enjeux plus globaux doivent être pris en compte. L’effondrement de la biodiversité nous impacte également en termes de santé environnementale. La chimie verte correspond, selon moi, à du greenwashing. En réalité, ils essayent de faire de la chimie propre, mais qui estime qu’elle est propre ? Sont-ce eux ou les citoyens ? Je pose la question. Ces alternatives ne permettent pas de changer en profondeur le système.

À l’INRAE, je travaille plutôt sur les aspects alimentation et agriculture et nous convenons qu’il faut maintenant sortir de l’usage des pesticides vers une transition agro-technologique. Ce sont des politiques qui s’accompagnent, qui se mettent en place et que nous n’allons pas gérer seuls. Il faut donc faire bouger tout un réseau, ensemble et en harmonie. J’ai par ailleurs regardé ce qui se trouvait dans le green deal. Selon moi, il s’agit uniquement de solutionnisme court-termiste. J’ai peu d’espoir et ne suis pas certaine que les nouvelles molécules chimiques vertes puissent nous sortir de ce cercle vicieux.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Différentes substances existent à l’état naturel. Il nous a été dit qu’il n’y avait pas de risque, car tout est, à la base, physique et chimique.

Mme Laurence Huc. Ils doivent tout de même les transformer. Je ne suis pas toxicologue chimiste, mais je travaille sur les hydrocarbures aromatiques polycycliques auxquels homo sapiens est exposé depuis sa naissance. Depuis les années 50, le nombre de molécules chimiques de synthèse a explosé et nous constatons, au niveau cellulaire, qu’il n’y a pas de phénomène adaptatif. Il est évident que nous nous défendons moins bien contre les nouvelles molécules. Par conséquent, lorsque de nouvelles molécules sont générées, l’espèce n’évolue pas avec son environnement.

Or, nous avons tout de même accéléré les changements environnementaux de l’espèce humaine, c’est pourquoi ceci est plus visible sur les écosystèmes, car leur vie et leur reproduction sont plus courtes et plus rapides. Les effets sur la biodiversité sont plus forts, mais cela présage de mauvaises choses pour l’humain. L’OMS n’est pas du tout optimiste sur l’incidence des maladies chroniques, l’incidence des cancers et prévoit dans trente ans une augmentation de plus de 60 %. Les données existent sur le sujet et il faut faire quelque chose.

Le problème est de savoir qui définit la sobriété. À partir de combien sommes-nous sobres ? Chacun a sa propre appréciation. Ces règles du jeu ne doivent pas être fixées par des acteurs privés. Ce sont des choix sociétaux qui doivent être effectués.

Mme Sandrine Josso. Que pensez-vous de la transition écologique actuelle ? Que pensez-vous du PNSE4 ?

Mme Laurence Huc. La transition écologique est fortement portée par mon institut de recherche. J’aspire au fait que les partenaires santé soient plus impliqués afin de ne pas laisser les agronomes la mettre en place seuls. Nous développons des approches disciplinaires et j’essaie de l’appliquer dans mon projet en travaillant avec des agronomes et des économistes. Si nous passons à des interdictions de substances, nous devons sortir de ce système dans lequel il faut substituer une substance chimique par une autre. Une mesure agroécologique de la chimie doit se trouver en face. Nous parviendrons à nous en sortir de cette manière.

La toxicologie et l’écotoxicologie peuvent apporter leur aide. Je pense que nous devons accélérer cette démarche. Au regard des ambitions du programme Ecophyto, malheureusement si nous avions pris la transition agroécologique en 2012, lors du Grenelle de l’environnement, huit ans de réalisation auraient déjà été permis. Huit ans d’exposition de personnes et d’écosystèmes représentent pourtant beaucoup.

Je m’excuse par ailleurs, car je n’ai pas eu le temps de lire le PNSE4. Je pourrais néanmoins vous transmettre une critique sur ce sujet si vous le souhaitez.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous vous remercions de cet exposé qui a le mérite d’être extrêmement clair même s’il est passablement déroutant, car nous nous rendons compte de l’étendue du problème et de la nécessité, nous politiques, de nous informer davantage afin de pouvoir mieux nous positionner. Je vous remercie pour votre liberté d’expression et de défendre la cause du vivant sous toutes ses formes. Nous avons besoin de gens comme vous qui soient convaincus et convaincants.

L’audition s’achève à dix-sept heures trente.

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61.   Audition, ouverte à la presse, de Mme le Dr Catherine Grenier, directrice de la qualité et de la sécurité des soins de la Haute autorité de santé (25 novembre 2020)

L’audition débute à dix-sept heures quarante-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mme Catherine Grenier, qui appartient à la Haute autorité de santé (HAS) depuis 2011, en est la directrice de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Médecin de santé publique et diplômée de l’ESSEC, après avoir exercé son activité dans le service de santé publique du groupe hospitalier Cochin-Port Royal, elle a été directrice qualité/indicateurs de la fédération des centres de lutte contre le cancer, groupe Unicancer.

Créée en 2004, la Haute autorité de santé est une autorité publique indépendante contribuant à régler le système de santé par la qualité. La Haute autorité de santé à trois missions principales :

– évaluer les médicaments, dispositifs médicaux et actes professionnels en vue de leur remboursement ;

– recommander les bonnes pratiques professionnelles et élaborer des recommandations vaccinales de santé publique ;

– mesurer et améliorer la qualité dans les hôpitaux, cliniques, en médecine de ville, dans les structures sociales et médicosociales.

(Mme le Dr Catherine Grenier prête serment.)

Mme le Dr Catherine Grenier, directrice de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins de la Haute autorité de santé. Mme la présidente, je vous remercie, ainsi que tous les membres de cette commission d’enquête, de solliciter la Haute autorité de santé.

Vous travaillez sur l’évaluation des politiques publiques de santé-environnement. Il s’agit d’un sujet extrêmement important pour la Haute autorité de santé : des liens avec l’environnement se rencontrent dans l’ensemble de nos missions relative à la qualité et la sécurité des soins et dans l’ensemble des activités en lien avec la santé humaine. Ces liens font toujours l’objet d’une attention particulière dans les travaux de la Haute autorité.

Notre mission de recommandation de bonnes pratiques consiste à définir, à partir des connaissances scientifiques et d’un consensus des professionnels, la bonne pratique pour une situation particulière, qui peut être une maladie chronique, une maladie aiguë ou diverses situations de facteurs de risques d’un patient.

L’enjeu de notre travail sur ces sujets est d’aborder la prise en charge du patient de manière globale, c’est-à-dire en associant les questions strictement curatives, mais aussi les éléments de prévention. Cette dernière recouvre des dimensions qui sont aussi bien sanitaires que sociales ou environnementales. Notre analyse de la littérature, préalable au travail que nous mettons en œuvre avec des groupes d’experts, se veut, dans cet esprit, la plus large possible.

Pour autant, les sujets strictement environnementaux ne sont pris dans nos productions que pour leur lien avec la santé humaine. Nous travaillons avec l’agence nationale pour la sécurité de l’alimentation, du travail et de l’environnement (Anses), compétente pour la sécurité de l’environnement en santé, ainsi qu’avec Santé publique France. Nous travaillons bien évidemment avec la direction générale de la santé. Il est très important de bien identifier cette articulation entre les différents acteurs, car là se trouve le cœur du lien qu’entretient notre métier avec l’environnement.

Nous menons également des missions d’évaluation médicale et économique qui ne relèvent pas de la direction que je dirige. Ces missions d’évaluation des technologies de santé sont en lien avec la reconnaissance et le remboursement des différents produits de santé.

Le deuxième sujet sur lequel ma direction est impliquée est celui des dispositifs d’évaluation externe dans le secteur sanitaire avec la certification des établissements de santé. Notre mission est d’établir un diagnostic de la qualité et de la sécurité des soins et de porter des démarches d’amélioration de cette qualité auprès de l’ensemble des professionnels. Ce dispositif a aujourd'hui vingt ans. Il a apporté un certain nombre de progrès importants au sein des établissements.

Nous avons mis en mouvement ces derniers, mais le champ de cette démarche de qualité est extrêmement vaste : les orientations qui nous ont été données pour développer le nouveau modèle de certification des établissements pour la qualité des soins – qui sera développé dès que la crise sanitaire nous le permettra – visera l’objectif prioritaire de mobiliser les professionnels des équipes de soins. En effet, la certification a un peu pâti de sa vision extrêmement large et extrêmement générale, alors qu’il s’agit aussi de faire progresser la pratique quotidienne des professionnels de santé. Il existe à ce niveau de vrais enjeux d’amélioration de la qualité, que ce soient des enjeux de sécurité, de continuité, mais aussi de prise en compte du point de vue du patient et de son expérience.

Il s’agit aussi de s’intéresser aux résultats de cette prise en charge pour le patient, non seulement vis-à-vis de son expérience (comment il vit son hospitalisation, avec ici des enjeux extrêmement importants du relationnel ou des modalités d’information du patient) mais aussi en termes d’impacts pour sa santé. Cette dimension d’interrogation du patient constitue un élément parmi d’autres de ce résultat de santé. Une évaluation par les professionnels – et notamment les médecins – est indispensable pour juger d’un résultat de santé ou de prise en charge. Au niveau international, la dimension de satisfaction et celle tenant au point de vue du patient sur sa santé constituent un élément fondamental de l’évaluation.

Dans l’évaluation externe, nous disposons d’indicateurs de qualité et de sécurité des soins pour la mesure de la qualité selon trois grands aspects :

– travailler sur les données disponibles dans les dossiers des patients dans les établissements de santé, afin de s’assurer que les recommandations de bonnes pratiques sont bien appliquées, tout en donnant les moyens aux professionnels de repérer où se situent leurs enjeux d’amélioration ;

– travailler à partir des bases médico-administratives, qui n’ont pas été construites pour mesurer la qualité, mais pour financer les établissements. Ce dispositif présente toutefois l’énorme intérêt de pouvoir être utilisé sans mobiliser les professionnels pour le recueil de l’information. Du coup, cette évaluation à partir des bases médico-administratives est étudiée aujourd'hui, en lien avec l’ATIH mais aussi la CNAM, pour rechercher ce qu’il est possible d’en tirer, en termes de qualité des soins ;

– recueillir le point de vue du patient sur sa prise en charge et son résultat de santé. Un outil « e-Satis » est à la disposition d’un certain nombre de patients ayant été hospitalisés : hospitalisation en MCO de plus de quarante-huit heures, mais aussi toutes les hospitalisations en France pour de la chirurgie ambulatoire. Ceci nous permet de disposer d’analyses nationales et d’un positionnement des établissements les uns par rapport aux autres sur ce sujet.

Nous avons là un potentiel important dans le cadre des travaux de la délégation numérique en santé (DNS), laquelle développe un espace numérique de santé qui devrait être disponible en 2022 et qui devrait nous permettre d’interroger les patients de manière beaucoup plus fine, non pas seulement sur un résultat général, mais en lien avec leur pathologie. Vous imaginez bien, en effet, que la pertinence des questions au patient dépend aussi de ce pour quoi il a été hospitalisé. Cette capacité à interroger le patient, par exemple sur son périmètre de marche après l’implantation d’une prothèse de hanche ou sa capacité à bien respirer après une hospitalisation due à une insuffisance respiratoire aiguë, constitue évidemment un sujet extrêmement important.

Tels étaient donc les éléments d’information que je pouvais vous apporter concernant les grandes activités de ma direction. Je suis à présent à votre disposition pour toutes vos questions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Que recouvre, pour vous, la santé humaine et en quoi, à votre avis, les questions environnementales impactent ou non cette santé ? Vous avez commencé votre exposé en disant que vous étiez attentive aux liens existant entre la santé et l’environnement, mais, ensuite, dans la description des démarches que vous menez dans les établissements de santé, les questions environnementales semblent avoir soudainement disparu.

Mme le Dr Catherine Grenier. Elles n’ont évidemment pas disparu.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Elles n’étaient, du moins, plus présentes dans votre discours. Je vous laisse donc me rassurer très vite et m’expliquer comment la Haute autorité de santé, qui ne peut pas ignorer la dimension de santé environnementale dans le processus de soins, intervient dans les politiques de santé-environnement.

Mme le Dr Catherine Grenier. Si je n’ai pas évoqué la santé environnementale dans les dispositifs d’évaluation externe, c'est parce que l’ensemble du champ que nous couvrons, au travers du travail sur la qualité des soins en établissements, est extrêmement large. L’environnement constitue l’une des thématiques sur lesquelles nous sollicitons les établissements, mais je ne peux pas vous dire qu’il s’agit du cœur de notre activité. Nous avons recentré cette dernière sur le soin direct aux patients. La certification doit agir en tant que levier au sein de l’environnement du système de santé dans son ensemble. Nous mobilisons les professionnels sur leur activité quotidienne et nous appliquons à ce titre un certain nombre de critères qui s’appliquent au niveau d’un établissement donné. Autrement, c'est au travers du travail sur la politique même de l’établissement que nous pouvons rechercher les éléments relatifs à la prise en charge du risque environnemental. Cette dimension a été intégrée dans le dispositif de certification, depuis plusieurs années, mais ce n’est pas le point essentiel sur lequel nous travaillons aujourd'hui.

En revanche, nous avons récemment ajouté, dans notre référentiel de certification, le principe de la prévention auprès de tout patient hospitalisé, quel qu’il soit. Le patient doit recevoir des messages de prévention qui relèvent du message de santé publique globale, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent (tout au moins dans notre référentiel et dans la plupart des services hospitaliers). Le principe est que des messages en lien avec l’environnement – mais pas seulement – soient portés auprès des patients.

Pour autant, concernant la politique générale des établissements, nous avons simplement un critère qui se réfère à la santé environnementale. Ceci ne signifie pas, pour autant, qu’il ne s’agit pas d’un sujet important, mais je ne suis pas sûre que la façon dont la certification des établissements de santé envisage ces derniers permette d’en faire le meilleur levier pour ce sujet en particulier. Pour l’HAS, la question du lien entre la santé et l’environnement est plutôt portée sur le plan scientifique dans les recommandations que nous construisons et qui doivent être mises en œuvre, auprès de tout patient, dans l’établissement de santé. À l’occasion de notre certification, nous regardons, à chaque fois, si les messages adaptés sont bien passés auprès des bons patients et au bon moment de leur prise en charge. Notre rôle porte davantage sur cet aspect, plutôt que sur une certification de l’établissement au regard de sa politique de développement durable ou de responsabilité en termes de santé environnementale.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends que vous ciblez vos actions sur la qualité du soin puisque les démarches d’accréditation s’inscrivent dans une démarche de qualité. Pour autant, cette qualité passe aussi par la qualité de l’environnement ou du relationnel. Vous avez parlé de la sécurité, laquelle renvoie aussi à la non-exposition aux perturbateurs endocriniens, aux plastiques ou aux perfluorés. Que recouvrent dans vos propos ces termes de « messages » ou de « recommandations » en direction de la prévention de la « santé globale » ? S’il s’agit simplement de message, ils ne sont assortis d’aucune notion d’exigence ou de caractère obligatoire. Quel est le contenu de ces messages et de ces recommandations ? Ont-ils une dimension en santé environnementale ?

Mme le Dr Catherine Grenier. Notre objectif est de regarder comment les patients sont pris en charge dans un établissement de santé, en travaillant pour cela à partir d’exemples et de « patients tracteurs ». Nous avons deux exigences en termes de prévention. La première est de passer des messages adaptés aux patients (messages sur l’obésité, par exemple, pour un patient en surpoids). Le rôle de la certification n’est pas d’écrire lesdits messages, mais de demander qu’ils correspondent aux recommandations que nous produisons par ailleurs. La nouveauté apportée par la cinquième version de la certification tient aux messages qui visent la santé en général et non en lien avec la pathologie pour lequel le patient est hospitalisé. Par exemple, si le patient est venu pour une prothèse de hanche, mais qu’il est aussi fumeur, nous allons mettre en œuvre une prévention sur le risque lié au tabac. À ce titre, les recommandations de prévention ont vocation à provenir d’un corpus scientifique, au niveau national, qui n’est évidemment pas développé par la Haute autorité de santé. Cette mission de prévention est plutôt portée par Santé publique France.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Les recommandations portent donc sur le tabac, l’alcool, l’obésité, mais non sur les perturbateurs endocriniens ou sur la qualité de l’air intérieur, sur l’exposition au plastique à travers le petit matériel médical ou chirurgical, etc. Aucune exigence n’est-elle formulée à l’intention des directions d’établissements, les appelant à être vigilantes, dans les appels d'offres, en ce qui concerne les produits utilisés, la qualité des aliments, les circuits courts, les produits de qualité bio, les produits d’entretien ? Vous ciblez deux ou trois facteurs comme l’obésité ou le tabac, mais il ne s’agit pas là de santé environnementale.

Mme le Dr Catherine Grenier. Le critère relatif aux risques environnementaux et aux enjeux de développement durable retient un certain nombre d’éléments comme l’efficacité énergétique, le recours aux énergies renouvelables, la mesure et la réduction des gaz à effet de serre, la préservation des ressources en eau, le développement de la mobilité durable, la prévention, le tri et la valorisation des déchets ou encore la préservation de la biodiversité. Pour autant, il est vrai que nous n’allons pas plus loin aujourd'hui. Nous demandons à l’établissement de mettre en œuvre des actions de maîtrise des risques environnementaux mais nous n’intervenons sur ces sujets qu’en relais de ce qui existe, par ailleurs, au niveau national, en ce qui concerne les risques liés à la pollution chimique, à l’air, à l’eau, au sol, etc.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Dans le PNSE3, la Haute autorité de santé était partenaire des deux actions n° 15 et n° 16 qui visaient à comprendre et agir sur les facteurs environnementaux impliqués dans les maladies métaboliques et l’obésité. Pouvez-vous nous présenter les résultats de ces actions ?

S’agissant des actions dont vous êtes partenaires, notamment relatives aux maladies métaboliques, notre système sanitaire actuel prend-il suffisamment en compte les déterminants environnementaux des maladies chroniques ?

Comment les facteurs environnementaux identifiés pour l’obésité sont-ils pris en compte actuellement dans la prévention de cette maladie ? Seriez-vous favorable à la reconnaissance de l’obésité comme une affection de longue durée et seriez-vous également favorable à l’inscription obligatoire, dans l’étiquetage des produits de consommation, de la présence de perturbateurs endocriniens et obésogènes ?

Mme le Dr Catherine Grenier. Nous sommes effectivement partenaires d’actions pilotées par la DGS dans le cadre du PNSE3. L’action n° 15 porte sur l’analyse du rôle des facteurs environnementaux dans le développement des maladies métaboliques et leur contribution aux gradients sociaux et territoriaux. Une autre action concerne le défi, dans le domaine de la nutrition, de messages de santé publique tenant compte de l’ensemble des facteurs de risques environnementaux pour contribuer à la cohérence des recommandations de santé publique. Nous avons été missionnés sur ces travaux par la DGS au titre de l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques. Nous avons produit un certain nombre de documents qui sont à la disposition des professionnels et qui peuvent être déclinés au travers de communications vers le grand public. En 2011, nous avons émis une recommandation sur le surpoids et l’obésité de l’adulte pour travailler au dépistage et à la prise en charge médicale de premier recours, en soin primaire. La même année, un travail a été réalisé sur le surpoids et l’obésité de l’enfant. L’un des facteurs identifiés dans ce champ de l’obésité, et sur lequel les professionnels peuvent « faire levier », est celui de la prescription médicale d’activités physiques. En 2018, nous avons réalisé un référentiel sur le sujet pour les personnes en surpoids ou obèses. Nous avons des travaux en cours en ce qui concerne des patients atteints de diabète de type 2 obèses ou en surpoids, avec des problématiques différentes selon qu’il s’agit d’enfants ou d’adultes ainsi qu’en ce qui concerne la prise en charge des dystyroïdiques et les implications associées.

En matière de santé environnementale, nous avons travaillé sur l’allaitement maternel avec la mise en œuvre et la poursuite dans les six premiers mois de l’enfant, sur le projet de grossesse (avec les informations, les messages de prévention et les examens proposés à toute femme enceinte), sur le dépistage, la prise en charge ou encore le suivi des personnes potentiellement surexposées à l’arsenic inorganique du fait de leur lieu de résidence. Nous travaillons ces sujets en articulation avec l’Anses. Un travail est en cours concernant les sols pollués par l’arsenic de façon à réaliser une information à destination des habitants. Un autre sujet identifié concerne le diagnostic et la prise en charge des enfants ayant ingéré une pile bouton ou une pile plate. De manière plus spécifique, nous travaillons aussi systématiquement sur les examens d’imagerie pour évaluer le bénéfice/risque et donc la pertinence de l’exposition à la radiation pour les patients.

En dehors de ces éléments que nous produisons en propre, nous participons également à des plans intégrant une dimension de santé environnementale :

– le programme national pour la santé des patients (PNSP), qui aborde tous les déterminants environnementaux ou comportementaux de la santé et qui parcourt les différents âges de la vie avec leurs spécificités ;

– le programme national nutrition santé (PNNS), en particulier tout ce qui a trait à la chirurgie de l’obésité, en prenant en compte ses risques et surtout la nécessité de suivi de ces patients ;

– le plan de lutte contre l’antibiorésistance avec notamment une action en cours sur la réduction des durées d’antibiothérapies.

La problématique des déterminants environnementaux des maladies chroniques ne nous semble pas suffisamment creusée, mais un certain nombre de plans cherchent à mieux la prendre en compte. L’ensemble doit s’articuler avec une analyse des données scientifiques qui est complexe et qui nécessite un travail de longue haleine de la part des agences qui en sont responsables. À cet égard, nous ne nous occupons pas directement de la dimension scientifique du risque environnemental. Les recommandations et les informations diffusées par l’HAS intègrent les facteurs environnementaux quand ils sont identifiés et avec un niveau de preuve ou de consensus scientifique suffisants, conformément au principe scientifique d’evidence based medicine. Nous ne portons un argumentaire auprès des professionnels qu’à partir du moment où nous disposons de suffisamment d’éléments scientifiques. Je pourrais notamment donner sur ce sujet l’exemple de l’asthme avec la pollution de l’air.

Les facteurs environnementaux associés à l’obésité ont été travaillés par l’HAS dans nos recommandations pour les adultes et les enfants. Nous avons, bien sûr, identifié les facteurs génétiques et épigénétiques, l’obésité parentale, ainsi qu’un certain nombre de facteurs périnataux comme l’obésité, le diabète ou le tabagisme maternels. D’autres éléments ont pu être identifiés comme l’excès ou le défaut de croissance fœtale, le gain pondéral postnatal ou les modalités d’alimentation au stade précoce. Parmi les facteurs environnementaux favorisants figurent le statut socioéconomique des parents, la qualité de l’alimentation, la sédentarité, l’environnement géographique, le lieu de vie ou encore la durée de sommeil. Interviennent également les facteurs psychologiques et psychopathologiques avec les questions de dépression, les carences, les négligences et les abus, l’hyperphagie boulimique et toutes les stratégies inappropriées de contrôle du poids (y compris celles qui peuvent être médiatisées). Ces facteurs sont tous cités dans nos recommandations de bonnes pratiques et ils sont intégrés comme une dimension de la prise en charge des personnes. Nous avons développé un guide pour la prescription d’activités physiques et sportives, partant du principe qu’il était assez simple de « faire levier » sur ce sujet.

L’avis de l’HAS est sollicité dans le processus de classement des maladies de longue durée. L’intégration de l’obésité parmi ces dernières constitue un sujet que nous pourrions étudier, sur saisine du ministère. En première analyse, je pense que nous devons être prudents sur la reconnaissance en ALD d’un facteur de risque. Un patient obèse sera déjà en ALD dès qu’il contractera une pathologie qui nécessite sa prise en charge. Or, si les pathologies secondaires à l’obésité bénéficient d’une prise en charge protocolisée et organisée, la prise en charge médicale de l’obésité apparaît clairement insuffisamment structurée en dehors du secteur hospitalier. L’essor de la prise en charge chirurgicale qu’a connu ce dernier est à double tranchant, avec des points positifs mais aussi certainement des risques complémentaires.

La feuille de route « Prise en charge de l’obésité 2019-2022 » met l’accent sur des parcours de santé pour les personnes en situation d’obésité ou à risque de le devenir ainsi que sur l’importance de la fonction de coordination et de suivi. Il est fondamental d’avoir à l’esprit que ce n’est pas une action ponctuelle qui va régler le problème de l’obésité d’une personne et que nous avons besoin de définir un parcours des personnes déjà obèses, mais aussi de celles en risque de le devenir, ce parcours devant intégrer les facteurs de risques qu’ils soient environnementaux ou autres. Nous travaillons avec la CNAM puisque nous avons été chargés par le ministère de définir un parcours pour ces patients déjà obèses ou à risque. Il s’agit de préciser la nature de la prise en charge souhaitable et qui implique, bien évidemment, des actions de prévention, y compris environnementales. Le principe est également d’élaborer des messages pertinents qui ont vocation à être portés très activement auprès des professionnels de santé, tout en développant des indicateurs de qualité du parcours pour établir un état des lieux et observer l’impact de ces actions.

Par conséquent, l’ALD est effectivement à étudier. Nous n’avons pas d’a priori à cet égard. Si nous sommes saisis, nous pourrons y travailler en vue de mener une analyse scientifique.

Nous manquons d’expertise en ce qui concerne l’étiquetage des produits. Nous ne l’avons jamais travaillé sur le plan scientifique et il nous semble indispensable qu’il soit expertisé, analysé et que nous disposions d’une définition scientifique de ce qu’est un perturbateur endocrinien obésogène, de façon à pouvoir le reconnaître. Une fois cette définition posée et partir du moment où ces éléments sont identifiés dans des aliments proposés à la population, nous ne pourrons qu’être favorables à l’indication de ce risque, parmi les autres, en lien avec la nutrition de la population.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Vous participez à différents plans thématiques ou sectoriels nationaux et vous apportez des recommandations ainsi que votre approche technico-médicale. Votre mission est essentiellement de faire évoluer les connaissances médicales et scientifiques pour améliorer la qualité des gestes techniques qui sont dispensés aux patients. Pour autant, je n’ai pas compris la stratégie de l’HAS en direction des établissements de santé. Vous avez reçu pour consigne de recentrer la certification sur la qualité des soins, notamment la technicité des gestes et tout ce qui a trait à la définition classique du « bon soin ».

Qui définit les missions de l’HAS ? Avez-vous une stratégie en santé environnementale à destination des établissements de santé ? Si tel n’est pas le cas, au moins dites-le. Vous m’avez répondu que la démarche d’accréditation intégrait un objectif ciblé sur les risques environnementaux, mais la liste des questions que vous avez évoquées relève du pur environnement : recours aux énergies renouvelables, réduction des consommations énergétiques, gestion du tri, intérêt pour la biodiversité, etc. Il s’agit plutôt d’objectifs de développement durable classiques.

J’ai l’impression – que j’avais déjà notée la dernière fois que j’ai eu affaire à votre équipe – d’une certaine dichotomie entre, d’un côté, une définition de la santé essentiellement curative (même si vous faites aussi un peu de prévention, mais pour des cibles très classiques comme l’alcool, le tabac ou la nutrition) et, d’un autre côté, des recommandations en matière d’environnement. En revanche, vous n’opérez pas de croisement ou d’interaction entre ces deux registres. Je n’ai pas entendu parmi vos objectifs que vous aviez l’intention de construire sur le sujet une politique vraiment bien définie à l’attention des établissements de santé. Ceci me laisse un peu sur ma faim.

Par exemple, vous avez parlé de recommandations que vous portez sur l’allaitement maternel, mais vous n’avez absolument pas évoqué l’accompagnement sur les mille premiers jours de la vie, c’est-à-dire du vrai préventif. Vous faites passer des messages, mais qu’en est-il de l’exposition aux perturbateurs endocriniens dans les prises en charge des consultations à la parentalité, dans les maternités et dans les services de pédiatrie ? Avez-vous donné des consignes aux établissements de santé de travailler sur la longue exposition des futures mamans, des bébés et des enfants hospitalisés ? Ces éléments sont pourtant portés par Santé publique France dans son site « agir pour bébé ».

L’Anses a publié une liste de produits chimiques considérés comme dangereux. Des consignes de vigilance ont-elles été données aux directions économiques chargées des achats dans les établissements de santé ? Tout cela devrait quand même faire partie de la qualité du soin apporté au patient.

J’aimerais donc que vous développiez les actions ou les réflexions que vous menez sur ces sujets. Ou, si tel n’est pas le cas, serait-il au moins envisageable d’introduire dans les prochaines procédures de telles exigences et obligations à l’intention des personnels de santé et des personnels administratifs des établissements ?

Mme le Dr Catherine Grenier. Je vous remercie de votre question. Je ne suis pas sûre que ma réponse vous satisfera complètement mais je pense que nous avons un objectif commun de reconnaître ces enjeux de santé environnementale et les porter au mieux.

La façon dont la Haute autorité porte la certification des établissements de santé est définie par son collège. Il serait très réducteur de considérer que le concept de qualité des soins se réduirait à la qualité technique des actes. La prise en charge globale du patient intègre évidemment des enjeux relationnels, mais aussi, et peut-être encore plus, des enjeux de pertinence des actes techniques et tout ce qui doit s’articuler autour de cet acte technique, à savoir la prise en charge médicamenteuse, chirurgicale, psychologique, etc. du patient. Nombre d’aspects de santé environnementale interviennent à ce niveau-là. Nous les traitons via nos recommandations, en nous efforçant de les instiller dans la pratique hospitalière.

Nous portons auprès des directions d’établissements un cadre général de qualité et de sécurité mais je ne pourrais pas vous dire que nos préconisations en matière d’organisation hospitalière intégreraient un focus très détaillé sur la santé environnementale. C'est une réalité que nous partageons d’ailleurs sur d’autres sujets comme la sécurité nucléaire, les laboratoires de biologie médicale, etc.

La Haute autorité de santé peut effectivement être considérée en charge d’un certain nombre d’aspects de la régulation du système de santé, aspects qui peuvent être intégrés – puisque nous « faisons levier » auprès des établissements de santé, dans la mesure où la certification HAS a des conséquences fortes. Je comprends d’autant plus votre intérêt pour ce levier. Pour autant, ce n’est pas avec une visite qui dure entre trois et quatre jours dans un établissement de santé que nous pourrons apporter le même niveau de détail qu’un certificateur spécialisé. Les laboratoires de biologie médicale, par exemple, y passent le même temps, mais tout en étant concentrés sur un thème. Ceci est également vrai pour l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et pour de nombreux autres acteurs.

L’environnement nécessiterait quasiment un volet particulier d’exigence et de surveillance. La Haute autorité n’en a absolument pas les moyens aujourd'hui. À cet égard, je souhaiterais que vous nuanciez l’intérêt pour la question et les moyens qui sont mis en œuvre. Je ne veux pas donner la fausse impression de maîtrise d’un risque en affichant auprès de la population un contrôle de la santé environnementale sur l’ensemble des établissements. Ce n’est pas la réalité et ce n’est pas ce que nous faisons. Nous avons une exigence – certes modeste – en ce domaine, mais la prise en charge du patient est bien ce sur quoi nous nous concentrons dans l’évaluation externe.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre réponse a le mérite d’être claire et c'est tout ce que je voulais savoir. J’avais simplement du mal à vous le faire dire. Bien sûr, vous ne pouvez pas ne pas être sensible à cette thématique…

Mme le Dr Catherine Grenier. Je vois mal comment il en serait autrement en tant qu’épidémiologiste.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Voilà. Simplement, vous ciblez vos actions sur des priorités en fonction des moyens qui sont les vôtres et des consignes qui vous sont données. J’entends très bien cela mais il se trouve que cette commission d’enquête porte sur le bilan des politiques publiques en matière de santé environnementale. Or l’HAS est notoirement un acteur extrêmement important du dispositif de la santé en France. J’aurais donc voulu savoir si vos missions et vos actions sur le terrain vous permettent d’être des médiateurs sur ces questions. J’entends vos difficultés, mais j’entends aussi votre proposition selon laquelle il faudrait quasiment un volet particulier à l’attention des directions d’hôpital et de tout le personnel de santé pour les former, les informer et les mobiliser et déterminer ensuite une liste d’actions.

Pour le moment, vous n’êtes en mesure ni d’en définir le contenu, ni de mobiliser du monde et de l’argent autour de ces questions. Je l’entends, mais c'est une proposition que nous pourrions formuler et que je propose de porter au plus haut niveau de la hiérarchie du ministère de la Santé. Il s’agirait de leur dire que l’ HAS fait ce qu’elle peut avec les moyens qui sont les siens et avec des missions qui ont pour priorité la qualité du soin – heureusement d’ailleurs puisque c'est votre raison d’être et vous le faites parfaitement bien – mais que l’ouverture sur les questions de sécurité environnementale n’est pas encore d’actualité, pour toutes les raisons que nous venons d’énumérer. Cette proposition pourrait donc être remontée à la DGS et même au ministre lui-même, lequel a affiché son grand intérêt pour la question de la santé environnementale, mais qui ignore peut-être les difficultés que vous rencontrez.

Comme les missions prioritaires qui vous ont été données l’ont probablement été au plus haut niveau du ministère, ce n’est également qu’à ce niveau que de nouvelles thématiques pourraient être insufflées. Toutes mes questions visaient précisément à vous faire dire cela et à établir un bilan de la situation avant peut-être que nous puissions vous aider à passer à autre chose.

Mme le Dr Catherine Grenier. Je vous en remercie, mais je ne voudrais pas non plus que vous reteniez de cet échange le sentiment que la Haute autorité ne fait rien en termes de santé et d’environnement. Je vous parlais là du dispositif de certification, qui est effectivement contraint, mais j’insiste sur le fait qu’il vaut mieux bien cibler nos actions pour les mener convenablement plutôt que de survoler les thématiques. Un sujet aussi essentiel que la santé environnementale nécessiterait certainement un investissement important, sur le plan scientifique, pour décliner ce que nous produisons avec les acteurs de santé et déterminer ce qui est le plus urgent ou prioritaire à porter au niveau des établissements de santé. Il y a donc là tout un travail scientifique à mener avant d’intégrer ces éléments dans un dispositif de certification.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. J’entends bien votre argument et votre prudence de scientifique, mais comprenez ma réaction quand vous présentez votre méthodologie non pas comme réductrice (je suis bien placée pour savoir ce qu’est l’exigence de qualité de soins à donner à un patient) mais, quand même, comme bel et bien ciblée. Pour les raisons que vous venez d’exposer, vous avez réduit le champ d’approche et ce, juste au moment où il n’est plus question que de One Health et d’ouverture maximale. C'est donc ce qui me fait réagir, mais je comprends bien qu’il y a, à la clé, une démarche de pertinence scientifique, de fiabilisation et de recherche de performance autour du soin.

Vous conduisez vos expertises à l’échelle nationale, à travers des plans en « silos » et à la demande, quand vous êtes mobilisés ou que vous êtes saisis. Mon inquiétude et mon intérêt portaient plutôt sur la façon dont la HAS pourrait parvenir à décliner (ou non) ces questions de santé environnementales dans un terrain qui devrait être un modèle du genre, à savoir celui du secteur des établissements de santé.

Il s’agit d’un chantier qu’il faudra ouvrir à un moment ou un autre. Nous ne pouvons pas laisser les établissements de santé en dehors des démarches de santé environnementale. Ceci finira forcément par vous être reproché. Je comprends vos arguments, mais il faudra bien que le secteur hospitalier ou médicosocial s’organise pour aborder ces questions qui correspondent aussi à des enjeux de vie ou de mort et de santé publique.

Souhaitez-vous reprendre la parole ?

Mme le Dr Catherine Grenier. Nous sommes totalement en accord avec ce que vous venez de dire. L’enjeu de santé environnementale est effectivement clé pour un certain nombre d’organismes et en particulier pour les établissements de santé. J’insiste simplement sur l’importance de « faire ce que l’on dit » et « dire ce que l’on fait » et savoir ce que l’on sécurise dans un établissement de santé, par une visite de certification, plutôt que de laisser croire à un champ plus large. Il est beaucoup plus efficient d’exposer très clairement ce que l’on fait et ce que l’on ne fait pas, sachant qu’il faut à chaque fois des moyens adaptés pour pouvoir agir efficacement.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je compléterai en disant que le champ est effectivement large, mais qu’il comprend aussi des thématiques majeures sur lesquelles il est possible d’intervenir très rapidement et notamment celles que je vous ai indiquées tout à l’heure autour de la protection de la période anténatale et périnatale. Ces éléments ont été clairement identifiés, avec des actions à la clé de la part de Santé publique France. Nous avons aussi une stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens (SNPE). Il existe donc un contenu concret. Nous n’en sommes pas simplement au stade des interrogations. Des démonstrations scientifiques disent qu’il y a réellement des sujets urgents à porter. J’entends votre volonté d’éviter d’embrasser un champ trop large par souci d’efficacité. Il existe quand même quelques sujets pour lesquels il doit être possible d’intervenir très rapidement, sans partir dans tous les sens.

Il ne me reste plus qu’à vous remercier de votre présence et de votre participation. Je pense que la V2020 va bientôt sortir ?

Mme le Dr Catherine Grenier. Oui. Ceci étant, nous ne parlons plus de « V2020 », mais de « certification des établissements de santé pour la qualité des soins », le tout dans un objectif de bien préciser, justement, la portée de la certification par la Haute autorité de santé. La V2020 a évolué puisqu’elle a pris en compte les changements liés à la crise sanitaire du Covid.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Très bien. Vous « annoncez donc désormais la couleur » et cet accent sur la qualité des soins dans le titre même de la certification.

Mme le Dr Catherine Grenier. Exactement. L’objectif est de mobiliser les équipes de soins.

L’audition s’achève à dix-huit heures quarante-cinq.

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62.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique (2 décembre 2020)

L’audition débute à seize heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Mes chers collègues, notre commission d’enquête relative à l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale clôt son cycle d’auditions en entendant les ministres qui ont plus particulièrement la charge de ces politiques : après M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, la semaine dernière, nous entendons aujourd’hui Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

Madame la ministre, nous attendons que vous nous exposiez l’action conduite sous votre direction par le ministère de la transition écologique, ainsi que les priorités que vous avez définies dans le domaine de la santé environnementale.

(Mme Barbara Pompili prête serment.)

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Mesdames, messieurs les députés, vous le savez, puisque nous y avons travaillé côte à côte, je suis très attachée à la santé environnementale, depuis le début de ma carrière politique. Nos concitoyens ne choisissent pas de respirer un air pollué ni d’être chroniquement exposés à des produits nocifs pour eux-mêmes ou pour la biodiversité. La situation actuelle résulte de multiples choix industriels, technologiques et surtout politiques. C’est pourquoi j’ai la conviction qu’il appartient à celles et à ceux qui sont aux responsabilités d’appréhender à sa juste hauteur l’urgence des enjeux en matière sanitaire, écologique et sociale, et d’agir au nom et pour le compte de nos concitoyens qui ne veulent plus s’interroger sur leur santé en ouvrant la fenêtre ou le réfrigérateur. Bref, il nous revient de remplir notre première fonction et d’assumer notre première responsabilité devant la nation : protéger, dans une approche intégrée, une seule santé.

Vous avez auditionné mon collègue Olivier Véran, qui est un ministre de la santé qui parle d’écologie ; cet après-midi, je serai une ministre de l’écologie qui parle de santé. Trois priorités structurent mon action et celle de mon ministère.

La première est de gagner la bataille de l’air. La situation actuelle est intolérable, avec 48 000 décès prématurés chaque année dans notre pays, et 18 % des décès dus au Covid-19 potentiellement liés à la pollution de l’air. Personne ne peut ni ne doit s’y résoudre. « Il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action », a écrit Victor Hugo.

Agir, c’est d’abord et avant tout, purifier notre air des oxydes d’azote et des particules fines qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. La première source d’émission provient des transports, aussi ai-je signé, le 16 septembre dernier, un décret visant à rendre opérationnelles les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans sept nouvelles métropoles françaises. Avec ce dispositif étendu, neuf millions de personnes verront leur air s’améliorer dès 2022. C’est bien mais pas encore assez, puisque trente-cinq agglomérations dépassent les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la matière.

La santé environnementale passe d’abord par la prévention et par la réduction aux expositions. Devant un enjeu sanitaire et social de cette taille, je refuse de me contenter du simple respect des normes européennes. Le Gouvernement va donc inscrire dans le projet de loi issue de la Convention citoyenne pour le climat la mise en place obligatoire de ZFE dans toutes les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants d’ici au 31 décembre 2024. J’aimerais aller plus vite, mais des changements aussi profonds, qui auront des conséquences durables sur ces territoires et sur leurs habitants, ne se font pas d’un claquement de doigts ; il faut du temps pour s’y préparer, s’organiser et accompagner. Chaque collectivité doit pouvoir adapter ces ZFE à son contexte local.

Agir pour redonner à chacune et à chacun un air de qualité, c’est aussi mieux prendre en compte les émissions du chauffage au bois. Ce n’est pas une lubie d’écolo : en Île-de-France, où vivent 12 millions de nos concitoyens, les cheminées individuelles représentent entre un quart et la moitié des particules fines. Je sais que le sujet fait polémique, mais on ne gagnera pas la bataille de l’air en détournant le regard : en responsabilité, si ce mode de chauffage est interdit à Londres, à Montréal, à Los Angeles, à San Francisco, on doit pouvoir travailler à la bonne solution de compromis pour la France.

Protéger la santé de nos concitoyens est une bataille qui se livre dans nos politiques publiques et dans leur vie de tous les jours. Ne nous y trompons pas, nous parlons bien aujourd’hui de la santé de femmes et d’hommes – des pères, des mères, des enfants – et de maladies qu’ils peuvent développer. On sait que les produits phytopharmaceutiques sont au cœur de ce combat ; c’est donc ma deuxième priorité.

Protéger les Français, c’est d’abord agir au niveau européen en vue d’interdire les produits les plus nocifs et d’éviter la prolongation des autorisations. Nous le faisons tous les jours. Pour prendre un exemple récent, la France s’est mobilisée contre le mancozèbe, troisième pesticide le plus utilisé en Europe : certains voulaient que l’on puisse continuer à l’utiliser ; il sera enfin hors circuit d’ici à deux mois. C’est une victoire pour la santé des consommateurs, des agriculteurs et des écosystèmes, ainsi que pour le changement de modèle agricole dont nous avons besoin.

Cette bataille, nous la livrons à Bruxelles mais aussi à Paris, car protéger les Français passe aussi par la réduction des expositions dans la vie quotidienne. Depuis le 1er juillet dernier, l’épandage autour des habitations est strictement interdit : ces zones tampons constituent autant de ceintures de sécurité visant à garantir à chacune et à chacun que leur jardin n’est pas traité comme un champ. Pour aller encore plus loin, dès le 1er juillet 2022, l’utilisation de pesticides sera totalement interdite dans les campings, les terrains de sport et les espaces verts des copropriétés. Demain, la santé des Françaises et des Français y sera enfin protégée.

Dans ce domaine également, nous agissons en responsabilité, avec la science, les collectivités et les agriculteurs, qui peuvent compter sur le soutien de l’État pour se tourner vers d’autres usages plus respectueux de la terre et des humains. C’est en suivant ce principe que nous sommes parvenus à interdire en France le glyphosate dès qu’une alternative existe ; nous allons promouvoir ce résultat au niveau européen – ce n’est qu’un début.

Dans l’air comme dans la terre, j’ai à cœur d’assurer la santé de notre environnement et des écosystèmes si fragiles qui nous font vivre. Dans ce combat, nous disposons du quatrième plan national santé environnement (PNSE 4). Le déployer et le faire vivre sur le terrain constitue ma troisième priorité.

Ce PNSE nous permettra de donner toute l’information disponible aux citoyens, qui attendent la transparence la plus totale et veulent être acteurs de leur propre prévention, ce qui est totalement légitime. Tout sera rendu accessible, en particulier grâce à une application dédiée qui permettra notamment de savoir si l’on traverse un pic de pollution ou de pollens ainsi qu’à un étiquetage simple et lisible informant sur la toxicité des produits ménagers, le Toxi-score.

Avec ce plan, nous faisons aussi le pari des territoires, car la santé environnementale se construit d’abord là où vivent les Français. Avec les élus de terrain, les collectivités, nous allons travailler encore plus pour protéger l’incroyable biodiversité et la santé humaine.

Nous faisons également le choix de l’avenir, de la science, de la compréhension des processus et des risques ; le choix de nous améliorer, de ne pas répéter les erreurs du passé et de savoir prendre à temps les réglementations qui s’imposent. Nos concitoyens attendent des décisions sur le bruit, sur les nanomatériaux ou les perturbateurs endocriniens : nous les prendrons.

En conclusion, la santé environnementale, je m’en réjouis, n’est plus l’apanage des écologistes ; elle est une exigence qui transcende les générations, les milieux sociaux et les territoires. En somme, un autre rapport au monde se construit, marqué par le souci constant d’une nature dont dépend notre alimentation, notre santé et notre société ainsi que par la reconnaissance des multiples liens invisibles qui nous unissent à celle-ci et que nous devons préserver. Les travaux de votre commission d’enquête vont y contribuer. Ensemble, animés par un même esprit, nous gagnerons ce combat qui est désormais également relayé par les scientifiques. À cet égard, j’appelle votre attention sur le dernier rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui souligne le lien entre perte de biodiversité et apparition de zoonoses et de pandémies. J’attends donc avec impatience vos propositions.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Votre intérêt pour les propositions que nous pourrions faire à l’issue de notre commission d’enquête me pousse à vous faire la même demande qu’à Olivier Véran : nous laisser un peu de temps afin qu’elles puissent être intégrées au PNSE 4 – d’autant que nous attendons également les résultats de la commission d’enquête sur la covid-19 ainsi que les critères que doit nous proposer le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en vue d’éclairer notre démarche s’agissant de ce même plan. Je vous remercie de nous confirmer ce petit sursis qui pourrait nous être accordé afin d’harmoniser l’ensemble de ces démarches, qui vont toutes dans le même sens.

Comment la démarche One Health, dont l’échelle est planétaire et interdisciplinaire, est-elle intégrée dans le microcosme interministériel ? Comment s’organise la transversalité avec les autres ministères ? Avez-vous une vue d’ensemble des plans sectoriels rattachés à votre ministère ? Parvenez-vous à mettre en place une gouvernance sur le plan territorial avec les élus, qui constituent l’une des cibles du PNSE 4 ?

Mme Barbara Pompili, ministre. Pour la mise en œuvre du PNSE 4, il serait dommage de se priver des propositions issues du travail considérable que vous avez accompli au sein de cette commission d’enquête. Nous en attendrons les conclusions et les étudierons avec grand intérêt pour essayer d’en tirer des mesures à intégrer dans le plan.

S’agissant de la gouvernance, une tradition assez ancienne fait travailler les ministères et les services en silo. La situation s’améliore néanmoins, et je salue le travail engagé avec d’autres ministères, celui de la santé en premier lieu. Pour que le PNSE 4 fonctionne bien, il faut le doter d’un comité de pilotage interministériel et que le groupe Santé environnement (GSE) soit plus utilisé qu’aujourd’hui. J’attends d’ailleurs vos propositions s’agissant des groupes de travail à constituer.

Dans les comités de pilotage précédents, certains ministères manquaient autour de la table, ce qui avait nui au fonctionnement. L’objectif, pour celui du PNSE 4, est d’associer les directions des ministères impliqués dans le plan – l’environnement et la santé, bien sûr, mais aussi la recherche, l’agriculture, l’économie, l’éducation et le travail – afin qu’il puisse y avoir un partage sur l’état d’avancement des actions dont chacun a la charge. Ainsi aurons-nous un outil efficient.

Quant aux groupes de travail, il s’agirait d’en constituer trois ou quatre, composés des différentes parties prenantes membres du GSE, chacun assurant le suivi et la mise en œuvre effective d’actions, par exemple la formation et la sensibilisation des professionnels ou la réduction des expositions.

Nous sommes également preneurs de toute proposition de gouvernance du GSE permettant à celui-ci de gagner en représentativité.

La démarche One Health doit être à la fois plus intégrée et plus internationale. Je me réjouis que Jean-Yves Le Drian s’en soit saisi pour faire des propositions, que nous défendrons au niveau international puisque, on le voit bien, ce qui se passe ailleurs a des conséquences aussi sur nous.

La gouvernance des plans régionaux santé environnement (PRSE) est actuellement partagée entre les agences régionales de santé (ARS) et les préfets, mais effectivement assurée par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Nous souhaitons que les collectivités s’impliquent plus, au niveau des conseils régionaux mais aussi plus localement, à travers les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Des réflexions sont en cours, que vos propositions viendront enrichir, pour associer davantage ceux d’entre eux qui, ayant une compétence aménagement, climat ou air, pourraient devenir des acteurs opérationnels en santé environnementale.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que le PNSE 4 et le GSE doivent assurer le suivi et l’orientation des actions en matière de santé et d’environnement montre bien que l’approche globale des conséquences de l’environnement sur la santé humaine n’est pas assez prise en compte, ce qui nuit à la prévention.

Afin que santé et environnement ne soient plus dissociés, la commission d’enquête a officialisé la définition de la santé environnementale comme étant l’impact de l’homme sur l’environnement, la faune et la flore, et ses conséquences sur sa propre santé et sur tous les êtres vivants. Il est temps d’agir en prenant en compte l’interdépendance entre santés humaine, animale et environnementale, et d’intégrer ce nouveau concept de santé environnementale dans la formulation de nos politiques publiques et dans la présentation des actions gouvernementales. Il n’y a plus de cloisonnement qui tienne.

Lors des auditions, il nous a parfois été dit que nous nous trouvions dans une situation de non-assistance à personne ou à planète en danger ; des articles de presse, française comme internationale, alimentent quasi quotidiennement nos travaux. Nous devons donc construire un nouveau paradigme.

Le PNSE 4, intitulé « Mon environnement, ma santé », indique que la France fait partie, en Europe, des États les plus engagés en matière de santé environnementale. Depuis 2004, trois PNSE se sont succédé sans pour autant permettre ni un recul notable de l’utilisation de produits chimiques, ni une réduction des expositions des citoyens à différents types de pollution. Une meilleure sensibilisation à la santé environnementale s’impose donc.

Comment expliquez-vous que, le 30 octobre dernier, la France ait été déférée devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour non-respect, pendant douze à quatorze ans, à Paris et en Martinique, des règles de l’Union relatives aux doses limites de PM10 ? La Commission européenne avait déjà déféré la France pour le même motif en mai 2011. Comment considérez-vous ces nombreuses plaintes, tant devant la CJUE que devant le Conseil d’État ?

Comment expliquez-vous, par ailleurs, que la France soit, en dépit des objectifs du PNSE 4, leader dans l’exportation de pesticides ?

Le terme « exposome », introduit dans la loi Touraine en 2005, a représenté une avancée en termes d’analyse globale et multidimensionnelle de la santé publique, prenant en compte toutes les atteintes à notre santé qui ne soient pas d’origine génétique. Pourtant, il ressort des auditions que l’analyse des produits chimiques ne rend pas compte précisément des expositions, en omettant totalement les effets cocktail, le cumul des facteurs environnementaux – pesticides, perturbateurs endocriniens, électromagnétisme, pollution de l’air, de l’eau et du sol –, sur l’organisme humain et sur l’être vivant en général. En tant que ministre de la transition écologique, que prévoyez-vous précisément en vue de réduire ces expositions dangereuses pour la santé humaine ?

Peut-on parler d’omerta à propos des effets cocktail, alors même que le programme présidentiel d’Emmanuel Macron entendait promouvoir la France comme leader dans la recherche sur l’impact des perturbateurs endocriniens et des pesticides, et sur les produits de substitution ?

Mme Barbara Pompili, ministre. On ne peut pas se réjouir que la France ne soit pas encore à la hauteur au regard de la qualité de l’air ou de l’exposition aux pesticides. C’est d’ailleurs ce qui motive ce PNSE 4, qui se veut plus ambitieux. Je dois néanmoins à la justice de dire que malgré des retours d’expérience des précédents PNSE, et notamment du PNSE 3, encore bien en deçà de ce qu’il faut faire, quelques effets positifs ont tout de même été constatés : la réduction de 50 % à 80 % des émissions atmosphériques de substances dangereuses par l’industrie ; l’interdiction du bisphénol A dans les tickets de caisse ; la surveillance obligatoire de la qualité de l’air intérieur dans les crèches et dans les écoles ; le déploiement de 7 000 référents locaux chargés d’actions de prévention et de destruction de l’ambroisie ; l’interdiction d’utilisation du perchloroéthylène dans les pressings.

Le PNSE 3 recouvrait plus de cent actions, qui n’ont pas pu être correctement suivies et mises en œuvre par défaut de priorisation. Le sujet est, en effet, si étendu qu’il rend nécessaire de hiérarchiser les priorités, faute de quoi on se noie. Le PNSE 4, lui, ne comporte que vingt actions plus condensées, qui donnent une meilleure visibilité aux politiques publiques correspondantes. L’idée n’est pas de faire moins mais de faire mieux.

S’agissant des condamnations de la France liées à la qualité de l’air, nous y apportons une première réponse au travers des ZFE, dont l’efficacité a été mesurée notamment dans les autres pays européens. Nous nous employons à rattraper notre retard, mais nous savons que nous mettrons du temps à « rentrer dans les clous » de nos obligations européennes. Sans nous décourager, nous allons agir sur le routier, sachant qu’il nous faudra aussi reprendre ensemble un travail sans tabou sur les feux en cheminées, véritable nuisance pour la qualité de l’air.

En matière de produits phytosanitaires, il est vrai qu’en fonction des types, la France est première ou deuxième consommatrice en Europe, mais, par rapport à la surface agricole utile, elle n’est que septième. C’est évidemment trop. Je me suis engagée, lors des débats sur le glyphosate, à faire accélérer la recherche de solutions de remplacement. On ne peut pas, en effet, balayer d’un revers de main les difficultés des agriculteurs qui disent se trouver dans une impasse, ou celles que présentent certains types d’agriculture. L’agriculture de conservation des sols, en particulier, a donné des résultats très positifs en termes de biodiversité, mais nécessite aujourd’hui l’emploi d’un peu de glyphosate. L’arrêter me pose un cas de conscience.

Nous voulons nous donner les moyens d’accélérer les travaux de recherche pour trouver des solutions alternatives, surtout au regard des pratiques agricoles. Sur ce sujet, nous conduisons un gros travail dans le cadre de la réforme de la PAC pour que ces nouvelles pratiques y soient prises en compte et rémunérées. Les agriculteurs doivent en tirer une plus-value.

Je ne sais pas s’il existe une omerta concernant les effets cocktail. Pour ma part, j’ai toujours considéré qu’aucun sujet n’était tabou. Il s’agit d’un sujet extrêmement complexe et très peu connu sur le plan scientifique ; les connaissances n’en sont qu’à leur début.

Un programme de recherche prioritaire sur l’exposome a été lancé afin de mieux le comprendre et pour pouvoir anticiper au maximum. D’où l’accent mis, dans le PNSE, sur l’acquisition de connaissances, sans lesquelles il est très difficile d’agir autrement qu’en appliquant le principe de précaution. Je suis vraiment heureuse que l’on travaille enfin sur l’exposome, dont on parle depuis longtemps.

Mme Claire Pitollat. Parmi les outils dont nous disposons déjà, la loi Grenelle 2 prévoyait un étiquetage des produits d’ameublement indiquant les composés organiques volatils et polluants susceptibles d’être diffusés dans l’environnement intérieur. Or celui-ci n’est pas appliqué, le décret correspondant n’étant toujours pas sorti, malgré les travaux de nos agences. Avez-vous une visibilité quant à la publication de ce décret, de façon que le public puisse être informé correctement ?

La séquence « éviter, réduire, compenser », dite ERC, dont l’objet est de lutter contre l’artificialisation des sols et de protéger notre biodiversité, ne me semble pas très bien appliquée dans les territoires, où l’on se préoccupe surtout d’une solution C : compenser. Les derniers efforts engagés vous semblent-ils de nature à inciter l’évitement plutôt que la compensation ? Les services de l’État y veillent-ils de façon accrue ?

L’obligation de surveillance de la qualité de l’air intérieur dans les crèches et dans les écoles est en fait un guide, ce qui revient, bien souvent, sur le terrain, à une autoévaluation. Dès lors, je crains que nous ne disposions d’aucune donnée lorsque nous mettrons en place le super data hub de surveillance de la qualité de l’air dans les territoires. Avez-vous de la visibilité à ce sujet ? Les établissements concernés pourraient-ils être accompagnés pour procéder à des relevés de mesures précis ?

Mme Barbara Pompili, ministre. Permettez-moi de vous raconter la longue histoire de l’étiquetage des produits d’ameublement. Le code de l’environnement issu du Grenelle impose effectivement un étiquetage, un décret en Conseil d’État devant préciser les catégories de meubles concernées. Des décrets et des arrêtés d’application ont donc été préparés par mes services, après discussions avec les industriels du secteur, concernant l’obligation d’étiquetage des émissions de formaldéhyde. Ces projets avaient fait l’objet, début 2017, d’une consultation publique puis d’une notification européenne. En réponse, la Commission européenne a recommandé que ces mesures soient harmonisées, car relevant du règlement REACH (enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances), identifié par elle comme l’outil réglementaire adapté. Celui-ci nécessitant de démontrer un risque inacceptable plutôt que de mettre en place une solution d’étiquetage, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a proposé, début 2019, une restriction visant à interdire les articles émetteurs de formaldéhyde au-delà d’un certain seuil, établi en fonction d’une norme de l’OMS.

Le côté positif, c’est que nous disposerons rapidement d’un texte européen qui permettra de sortir du marché les produits, dont les meubles les plus émetteurs de cette substance. Mais nous voulons aller plus loin. C’est pourquoi, à l’occasion de la première phase de consultation publique de ce projet de restriction, la France a écrit à l’ECHA afin de l’informer, d’une part, que le HCSP venait de rendre ses travaux et proposait une valeur plus stricte que celle retenue par la Commission, et, d’autre part qu’elle allait prendre des mesures d’étiquetage. Compte tenu de l’énormité des enjeux, nous allons demander à la Commission qu’elle accélère son calendrier et soumette son projet de texte aux États membres le plus rapidement possible. Nous rappellerons notre demande et notre position sur le sujet : j’ai bon espoir que toutes les avancées promises par la stratégie européenne dans le domaine des produits chimiques nous permettront d’être entendus.

Je suis attentive à la démarche ERC, dont je rappelle qu’elle a été renforcée dans la loi pour la reconquête de la biodiversité en 2016. Comme l’a souligné le rapport d’application de ce texte, on peine à avancer aussi vite qu’on le devrait dans ce domaine. Il y a encore une forte tentation de passer directement à la compensation, sans chercher à éviter et à réduire. C’est une montagne à laquelle je m’agrippe et sur laquelle j’essaie de monter tout doucement depuis que je suis arrivée : en quatre mois, je ne pouvais évidemment pas résoudre tous ces problèmes.

J’ai lancé un travail sur le « zéro artificialisation nette », qui était une urgence. Il faut arrêter les projets qui entraînent une artificialisation. Nous avons instauré, comme l’avait demandé la Convention citoyenne, un moratoire sur les nouvelles zones commerciales. C’est néanmoins très insuffisant, et il faut aller plus loin. Nous sommes en train de peaufiner des mesures relatives à l’artificialisation dans le projet de loi Convention citoyenne pour le climat. C’est une première étape.

Nous continuons aussi à travailler avec les services pour faire en sorte que l’instruction des projets corresponde bien à l’esprit de la loi de ne délivrer d’autorisation que si les porteurs de projet s’engagent dans une véritable démarche « éviter, réduire, compenser ». Selon les premiers retours que nous avons, le simple fait de déclarer qu’on a engagé la démarche permet trop souvent, même si cela dépend beaucoup des services instructeurs, de passer à l’étape suivante. Nous voulons approfondir ce travail – clairement, il n’est pas abouti. La vérification doit être faite que la séquence « évitement » et « réduction » a vraiment été respectée, de même qu’un travail sur les mesures de compensation, dont le rapport de vos collègues Frédérique Tuffnell et Nathalie Bassire a montré qu’elles ne sont pas satisfaisantes : elles concernent souvent des sites déjà en bon état.

S’agissant de la qualité de l’air intérieur, des mesures sont effectuées dans les écoles et les crèches par les collectivités volontaires. Au-delà du livret d’accompagnement, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) reçoit des données venant de laboratoires. Plusieurs milliers d’établissements sont concernés. Leurs données sont transmises au ministère de la transition écologique et ont vocation à intégrer le green data hub. La collection des données permettra aux scientifiques et aux administrations d’avancer.

Le PNSE 4 devrait être l’occasion d’apporter des améliorations. Il faut notamment que plus de collectivités s’approprient cette démarche, ce qui nécessite de les informer. La campagne nationale de mesure des polluants dans l’air doit vraiment être lancée et fortement déployée.

D’autres éléments, tout bêtes mais très importants, ont été identifiés, comme l’obligation de vérifier le bon fonctionnement des installations de ventilation dans les bâtiments neufs. Entre 40 % et 50 % de ceux qui sont contrôlés par l’État ont des systèmes de ventilation mal installés. La marge de progression est énorme.

On devrait également pouvoir agir par l’intermédiaire du diagnostic de performance énergétique. Intégrer une information sur les conditions d’aération et de ventilation serait une avancée notable. Il se trouve que nous sommes en train de travailler sur un nouveau diagnostic de performance énergétique : cela fait partie des éléments que nous souhaitons ajouter.

Par ailleurs, nous allons travailler sur d’autres lieux que les crèches et les écoles : il faut aussi avancer en ce qui concerne les enceintes ferroviaires souterraines, comme les métros.

J’ai déjà parlé du renforcement de la lisibilité de l’étiquetage. Le Toxi-score, qui permettrait de savoir tout de suite si on a affaire à un produit ménager qui est assez neutre ou dont les effluves sont, au contraire, dangereux, serait notamment très apprécié par le consommateur. Nous allons aussi avancer sur ce sujet.

M. Dominique Potier. Dans le domaine agricole, on a l’impression qu’on sait tout depuis longtemps en matière de santé environnementale. Le rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) sur les pesticides, qui date de 2013 et qui évoque notamment les effets cocktail, n’a jamais été contredit. Le rapport Écophyto, qui répond au défi de la santé environnementale, est « planté » depuis six ans, pour mille raisons qu’on n’aura pas le temps de développer. S’agissant du plan Écophyto, qui vise à prévenir les dangers pour l’environnement et pour la santé mais aussi à éviter les querelles picrocholines qui minent notre République, comment le ministère de l’écologie joue-t-il sa partition aux côtés de ceux de la santé et de l’agriculture ?

Vous avez évoqué une carence en matière de recherche. Pour avoir participé à des séances One Health organisées par dix-huit instituts européens, je peux vous parler de la somme des connaissances disponibles. Les causes et les solutions sont parfaitement identifiées, même s’il faut toujours chercher. On ne remplacera pas toujours des molécules par d’autres : il faudra aussi produire et travailler autrement, faire de l’agro-écologie. C’est justement ce qui est en panne depuis quelques années. Votre ministère observe-t-il ces questions ou s’y investit-il vraiment ?

Je pense en particulier à la réforme de la politique agricole commune : se fera-t-elle dans le cadre d’un dialogue entre la profession, le Parlement – qui est trop peu associé, me semble-t-il – et le ministre de l’agriculture ? Donnerez-vous une assurance vie et une assurance prospérité à l’agriculture française en défendant un modèle agro-écologique ? C’est une question très importante. Quelles sont vos positions et comment comptez-vous vous investir dans la réforme de la PAC ?

Comme vos prédécesseurs, vous parlez toujours d’artificialisation. Dieu sait si c’est important, mais je passe mon temps à dire aux ministres successifs de l’écologie que notre pays souffre avant tout – dix ou cent fois plus – de l’accaparement des terres, de la concentration de leur usage et de leur propriété, qui appauvrissent la biodiversité, détruisent les sols et réduisent leurs capacités de régénération. Face à l’appauvrissement des systèmes de production à cause d’un agrandissement inconsidéré, il faut faire preuve de courage politique en menant une réforme foncière. Elle peut encore être lancée dans les mois qui viennent. Prenez-vous part au combat au côté du ministre de l’agriculture, qui semble convaincu par cette cause ? Pesez-vous de votre poids ?

Je vous fais grâce des reproches que je pourrais formuler au sujet des pesticides. J’aurais mille choses à dire sur la panne du plan Écophyto et la responsabilité de ce Gouvernement en la matière.

S’agissant du textile, vous étiez présidente de la commission du développement durable lorsque nous avons obtenu que la perspective d’une expérimentation en matière sociale et environnementale soit ouverte. Il y va de la santé des usagers et des consommateurs français, car le textile peut être une source de pollution de l’air et de problèmes de santé, mais il ne faut pas oublier les phases de production, en particulier du coton, et de transformation, qui peuvent détruire la santé de nos frères humains au bout du monde. La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) a prévu une expérimentation d’une durée de dix-huit mois. Qu’entendez-vous faire ?

Mme Barbara Pompili, ministre. Pour ce qui est de l’investissement du ministère dans la transition agricole, vous connaissez les vieux modes de fonctionnement, qui ont parfois tendance à perdurer. Néanmoins, rien ne peut s’opposer à une volonté politique farouche – qui est la mienne et, j’en suis certaine, celle du ministre de l’agriculture.

Nous nous investissons également très fortement dans la réforme de la PAC, notamment en ce qui concerne la définition du périmètre de l’eco-scheme. On peut beaucoup avancer s’agissant des paiements pour services environnementaux (PSE) et réorienter les pratiques de nos agriculteurs vers l’agro-écologie et la captation du carbone. C’est un aspect très intéressant qui peut devenir consensuel, car on peut générer ainsi de la valeur. Obtenir un revenu de cette manière aiderait vraiment nos agriculteurs.

La réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques nécessite d’accompagner les agriculteurs, pour qu’ils puissent trouver d’autres méthodes. Il ne sert à rien de leur demander de se passer de ces produits s’ils n’ont jamais appris à faire autrement ou s’ils n’y ont jamais été incités financièrement. Nous nous attelons donc à la question du changement de méthodes.

Le ministère de l’agriculture est plutôt volontariste au niveau européen. En ce qui concerne la réforme de la PAC, nous faisons partie des pays qui essaient de pousser en avant le plus possible, notamment en matière d’eco-scheme. Le compromis qui a été trouvé au niveau des États membres est améliorable, à mon avis. Nous soutenons fortement, au ministère de la transition écologique, la position du Parlement européen, et nous espérons que les trilogues vont permettre de rehausser l’ambition. Mon ministère n’a absolument pas l’intention de se dessaisir de ce sujet ; il passe son temps à épauler le ministère de l’agriculture.

J’ajoute que nous sommes en train d’avancer sur un plan Pollinisateurs, qui n’est pas un simple catalogue de bonnes intentions. Le but est d’avoir des réglementations plus strictes pour protéger les pollinisateurs, notamment lors des épandages. Cela fait, en ce moment, l’objet de concertations avec la profession, de manière à agir intelligemment. Il faut préserver les pollinisateurs sans attendre de passer partout à l’agro-écologie : on le fait tout de suite.

S’agissant de la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, je vous remercie de ne pas être entrés dans des polémiques qu’on connaît par cœur. On ne peut pas se satisfaire des avancées obtenues. Elles existent – on va arriver à une baisse de 50 % pour le glyphosate –, mais elles sont moindres que ce que nous espérions. Il faut aller beaucoup plus loin dans la recherche de solutions alternatives – j’ai entendu vos remarques sur ce point. En dehors du glyphosate, il faut aussi avancer sur les autres pesticides, herbicides, insecticides ou fongicides. On a interdit un certain nombre de produits très dangereux, comme les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR), mais d’autres ne devraient plus être utilisés à partir du moment où des solutions alternatives existent. Nous sommes en train de travailler sur cette question qui me paraît absolument essentielle.

En ce qui concerne l’accaparement des terres, nous voulons tous une loi foncière, mais il faut trouver un moment dans le calendrier législatif. C’est, pour moi, le principal problème que nous rencontrons actuellement. Je ne suis pas la ministre chargée des relations avec le Parlement, mais je suis ouverte à toutes les propositions sur ce plan.

S’agissant de votre dernière question, je suis un peu ennuyée car je n’ai pas fait le point sur le textile avec mes équipes en charge de l’application de la loi AGEC. Au lieu de vous répondre n’importe quoi maintenant, je vous ferai passer une réponse écrite.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Quand on parle de santé environnementale, je trouve qu’il est beaucoup question d’agriculture – mais c’est peut-être le biais d’une femme d’agriculteur. J’aimerais qu’on puisse évaluer d’autres expositions gravissimes pour la santé, comme celles aux poussières, à la pollution et aux perturbateurs endocriniens. Je suis très sensible à la question de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), maladie respiratoire qui cause 17 000 morts par an et qui est notamment liée à l’exposition à la poussière et à la pollution. Il n’y a pas vraiment de communication en la matière alors que c’est un véritable enjeu.

Je vous ai déjà fait part de mes préoccupations, qui concernent surtout la politique globale en matière de prévention et la manière dont la santé environnementale s’y intègre. Le directeur de la santé publique de l’ARS de la Nouvelle-Aquitaine a comparé, à juste titre, me semble-t-il, notre politique de prévention à un orchestre dont les musiciens n’ont pas de partition unique ni vraiment de chef d’orchestre. La question de l’efficience et de l’efficacité de la politique de santé, notamment environnementale, qui implique de nombreux ministères, se pose vraiment.

Sur quels outils, sur quelles données, sur quelle expertise votre ministère peut-il s’appuyer pour évaluer l’impact de l’environnement sur la santé des Français. Un état des lieux est important : quels sont les indicateurs de suivi ?

Par ailleurs, quelle est l’articulation avec les autres ministères, notamment celui de la santé ? Vous avez déjà évoqué cette question, notamment lorsque vous avez parlé du PNSE et du GSE, mais j’aimerais savoir comment vous travaillez ensemble, concrètement. Un comité interministériel pour la santé existe, mais il se réunit une fois par an, et encore. Voyez-vous la coopération se renforcer, devenir plus efficace ? Comment s’élabore, dans le cadre d’une politique globale de prévention, la politique de santé environnementale ?

Enfin, quelles sont vos priorités en matière de santé environnementale ? Tout est important mais on ne peut pas toujours tout embrasser.

Mme Barbara Pompili, ministre. Je vous rejoins quant à l’idée qu’il ne faut surtout pas limiter la question de la santé environnementale à l’agriculture.

L’analyse que vous avez citée du responsable d’ARS est assez juste. Cela rejoint nos échanges précédents et les préoccupations dont vous me faites part depuis des années, madame la présidente. Il y a beaucoup d’acteurs. Les ministères ont des habitudes, et les administrations datent d’une époque où cette question n’était pas tellement prise en considération : il faut tout réinventer. Tout ce que nous allons faire à propos de la gouvernance du PNSE 4 et du GSE est à construire. Ces questions, sur lesquelles nous sommes en train de travailler, comme vous le faites aussi dans le cadre de votre commission d’enquête, constituent presque le principal enjeu. À partir du moment où on réussira à avoir un vrai pilotage, un vrai chef d’orchestre, on aura déjà résolu une bonne partie du problème.

S’agissant de l’évaluation de l’impact de l’environnement sur la santé des Français, on dispose de moyens assez classiques : globalement, on s’appuie sur les expertises de Santé publique France et de l’OMS. Leur mode de fonctionnement est soit de déterminer des liens de causalité entre des expositions et des impacts sur la santé soit de faire des études statistiques qui permettent de démontrer une corrélation entre l’état de l’environnement et la santé. C’est ce qui se fait, par exemple, pour déduire l’impact de la qualité de l’air sur la santé.

J’ai déjà un peu parlé de l’articulation entre les ministères. Le travail s’est notamment renforcé avec le ministère de la santé au cours des dernières années et des derniers mois. Nous avançons vraiment main dans la main en ce qui concerne le PNSE et le copilotage du plan Écophyto, et nous échangeons régulièrement sur les questions relatives à la qualité de l’air. Tout l’enjeu est d’associer les autres ministères – quelques-uns s’investissent dans ces questions, d’autres moins.

Parmi les priorités en matière de santé environnementale, j’ai cité la lutte pour la qualité de l’air comme étant la première. Les chiffres sont inadmissibles : 48 000 morts par an, ce qui est d’ailleurs sous-estimé, à mon avis, d’autres chiffres faisant état de 60 000 morts. La deuxième priorité concerne l’exposition aux produits chimiques, pesticides et tout ce qui tourne autour, comme les nanomatériaux et les perturbateurs endocriniens. Ma troisième priorité – sans cela, je serais en dessous de tout – sera l’application du PNSE 4, qui porte sur une partie des éléments que je viens d’évoquer, notamment les nanomatériaux, les perturbateurs endocriniens ou encore les lumières bleues.

M. Philippe Chalumeau. On sait que 84 % des Européens s’inquiètent de l’impact sur leur santé des produits chimiques présents dans les objets du quotidien et 90 % s’inquiètent de leur impact sur l’environnement. Parmi les substances en cause, les perturbateurs endocriniens, dont on connaît la complexité.

Face à la multiplication des études alarmantes, l’Union européenne s’est progressivement saisie du problème. En vigueur depuis 2007, le règlement REACH, qui vise à sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne, a été une première étape importante. De nouveaux critères ont été introduits en 2018. Outre les produits phytopharmaceutiques et les biocides, qui sont maintenant sérieusement encadrés, la réflexion doit désormais s’élargir à d’autres secteurs réglementés, comme les produits cosmétiques, les matériaux au contact des denrées alimentaires, les jouets et les dispositifs médicaux. La Commission a lancé un projet ambitieux de refonte de la réglementation des produits chimiques afin de garantir un environnement sans substances toxiques à l’horizon 2030, l’objectif étant d’exclure les substances de synthèse dangereuses dans les produits de consommation courante.

La France a été un précurseur : elle s’est dotée dès 2014 d’une première stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, puis le Gouvernement a renouvelé cette démarche en 2018 et 2019. Par ailleurs, je salue la préparation du PNSE 4, en particulier le travail réalisé d’une manière très interministérielle pour impliquer tous les partenaires.

Comment le Gouvernement et vous-même vous situez-vous dans l’élan européen en faveur d’un encadrement et d’une interdiction des perturbateurs endocriniens ? Quels sont les éléments en cours de négociation et quels sont les freins ?

Par-delà le débat, justifié ou non, sur la 5G, l’exposition aux ondes est une question qui se pose en matière de santé environnementale, qu’on le veuille ou non. Nous aurons bientôt un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Comment abordez-vous ces enjeux, notamment celui de l’exposition aux smartphones dès le plus jeune âge ? Quelles mesures peut-on prendre pour assurer un suivi, une réglementation ou un encadrement, si nécessaire, en fonction des éclairages apportés par les études disponibles ?

Mme Barbara Pompili, ministre. Votre intervention me donne l’occasion de saluer l’excellent travail mené par Claire Pitollat et Laurianne Rossi dans leur mission d’information sur les perturbateurs endocriniens, dont nous essayons de reprendre les propositions. Ces substances se trouvent, comme vous l’avez souligné, dans un grand nombre de produits de consommation courante – les détergents, les matières plastiques, les cosmétiques, les textiles, les peintures, les jouets, les pesticides et l’alimentation – et sont présentes dans différents milieux : l’air, l’eau et les sols. L’enjeu sanitaire et environnemental est donc absolument majeur, comme la mission d’information l’a relevé.

Nous avons avancé dans l’application de la deuxième stratégie sur les perturbateurs endocriniens, qui a été publiée au mois de septembre de l’année dernière.

S’agissant de l’Union européenne, la Commission a récemment publié une nouvelle stratégie sur les produits chimiques, comportant plusieurs mesures qui étaient défendues de longue date par la France et qui faisaient partie des recommandations du rapport que je viens de citer, notamment une définition harmonisée des perturbateurs endocriniens – ce qui est quand même la base – et une interdiction transversale dans les produits de consommation courante, sauf rares dérogations pour des usages dits essentiels.

Pour ce qui est des produits cosmétiques, nous souhaitons un renforcement des interfaces entre les expertises portant sur les impacts environnementaux, d’une part, et sur la santé humaine, d’autre part. Il arrive parfois que des substances soient autorisées car ne présentant pas de risque avéré pour la santé humaine, alors que des experts de l’environnement ont des données montrant des effets négatifs sur la biodiversité. Il faut croiser les éléments et éviter de laisser circuler de tels produits.

Au niveau national, nous nous sommes engagés dans la rédaction des textes d’application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui demande notamment de signaler la présence de perturbateurs endocriniens dans les produits. Cette mesure permettra aux consommateurs de faire des choix éclairés et devrait inciter à procéder à des substitutions.

Nous prévoyons, par ailleurs, dans le PNSE 4, la mise en place d’un « Yuka » des jouets, qui devrait être très apprécié par nos concitoyens. Ce serait une première application très importante, les jouets étant des objets manipulés par les enfants au quotidien et portés à la bouche.

La France accomplit, de plus, un travail d’envergure pour identifier les perturbateurs endocriniens. Les travaux de l’Anses ont déjà contribué à l’identification du bisphénol A comme perturbateur endocrinien pour l’homme et, plus récemment, du TNPP, qui contient du nonylphénol. Ce sont des noms barbares mais nous allons finir par tous les connaître. Ce sujet est d’une grande complexité, car beaucoup d’inconnues subsistent. C’est pourquoi le ministère de la transition écologique a octroyé à l’Anses, cette année encore, une enveloppe spécifique de 2 millions d’euros pour lancer des appels à projets de recherche.

La 5G a beaucoup fait parler, en effet, et c’est un arbre qui ne doit pas cacher la forêt des ondes, au milieu desquelles nous vivons déjà. Nous sommes vigilants s’agissant de la 5G : nous avons demandé aux missions d’inspection un état des lieux sur l’impact sanitaire, car il faut anticiper. La première conclusion est que, au regard des connaissances disponibles – il faut prendre cette précaution de langage –, il n’y a pas d’impact avéré, dans le respect des limites d’exposition, en particulier dans la bande de 3,5 gigahertz, qui est connue et est déjà utilisée. En application du principe de précaution, nous allons renforcer les moyens de recherche en ce qui concerne la bande de 26 gigahertz, sur laquelle il existe moins d’éléments. Nous allons également renforcer le contrôle des expositions dans le déploiement des premières antennes 5G, pour vérifier le respect des valeurs limites : l’Agence nationale des fréquences (ANFR) doit réaliser 300 mesures cette année et 4 800 l’année prochaine.

Les ondes peuvent avoir un effet sur la santé mais aussi sur l’environnement. Il est reconnu que les antennes 5G sont plus efficaces sur le plan énergétique : par rapport au réseau 4G, elles devraient diviser par dix la consommation d’énergie à débit constant. Néanmoins, il risque d’y avoir un effet rebond, car le déploiement de la 5G accéléra probablement le développement de nouveaux usages, comme l’internet des objets et le streaming en 4K ou 8K, ce qui entraînera une augmentation du trafic de données – il sera certainement multiplié par cinq en cinq ans, si la trajectoire actuelle se poursuit – et donc de la consommation d’énergie. Ce sera plus efficace mais l’utilisation sera plus importante, ce qui fait que la consommation d’énergie pourrait augmenter.

Je crois que la meilleure manière de traiter ce sujet est d’essayer de limiter la consommation de l’internet et du numérique en général, en respectant un principe de sobriété. Il serait absurde de s’engager dans un processus de sobriété, d’efficacité énergétique, de réduction du gaspillage partout, sauf dans ce domaine. On demande aux gens d’arrêter leur robinet quand ils se lavent les dents, mais, pour l’utilisation des ondes, ce serait open bar. Il faut être raisonnable. On est en train de travailler sur des mesures qui doivent faire l’objet d’une discussion – on ne va pas décider d’en haut – et qui relèvent du bon sens, comme la limitation du niveau de qualité pour le visionnage des vidéos en streaming. Je ne vois pas l’intérêt de regarder une vidéo sur un téléphone portable en 4K, par exemple. On pourrait aussi demander aux opérateurs d’utiliser le mode veille sur les antennes 5G – ce que l’on ne peut pas faire sur les antennes 4G – lorsqu’on utilise moins de numérique, par exemple la nuit ou à d’autres moments bien identifiés. On pourrait également interdire le lancement automatique des vidéos sur les réseaux sociaux et sensibiliser les citoyens à des comportements plus vertueux.

L’impact environnemental du numérique est lié en premier lieu aux terminaux, les téléphones et les ordinateurs. On pourrait encourager tout le monde à ne changer de téléphone que lorsque celui-ci ne fonctionne plus, ce qui serait déjà un progrès, et à utiliser des téléphones reconditionnés. La 5G est surtout utile pour des utilisations industrielles et médicales, et l’on peut très bien vivre avec les téléphones portables actuels, sans être obligé de les remplacer tout de suite par des téléphones 5G qui ne correspondent qu’à peu d’utilisations.

Il existe également un volet territorial mais il concerne moins votre commission d’enquête que d’autres instances. Je ne m’appesantirai donc pas sur ce point.

Nous sommes aussi exposés à bien d’autres ondes. Nous devons travailler ensemble pour réduire cette exposition, et cela passe d’abord par notre manière de consommer.

M. Yannick Haury. Dans la transition énergétique, de nouveaux projets d’éoliennes et de méthaniseurs sont déployés dans nos territoires. Ils provoquent des phénomènes tels que la diffraction des ondes électromagnétiques, pour les éoliennes, et la pollution des sols par les digestats, pour les méthaniseurs, ainsi que la modification des paysages. Tout cela suscite des craintes parmi les habitants alentour. Comment diffuser auprès des populations une information vérifiée et validée, afin de les rassurer sur les évolutions en cours, notamment sur le développement de nouvelles filières d’activité ?

Mme Annie Chapelier. D’après les avis d’experts les plus récents, publiés par plusieurs ONG, notamment Transport & Environnement (T&E) et International Council on Clean Transportation (ICCT), les véhicules hybrides sont bien plus polluants que prévu, voire plus polluants que des véhicules traditionnels. Cela pourrait remettre complètement en cause la politique d’incitation à l’achat de tels véhicules. Par ailleurs, les modèles les plus lourds ne sont pas soumis au malus au poids, au motif qu’il s’agit de véhicules hybrides, ce qui est totalement contre-productif. J’aimerais connaître la position du Gouvernement à ce sujet.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Les élus locaux estiment que certains projets de méthaniseurs sont parfois surdimensionnés. Considérez-vous que de tels projets facilitent la responsabilisation et l’accompagnement des agriculteurs en matière de respect de l’environnement ? Vous n’avez pas pris position sur le projet d’implanter un méthaniseur à Corcoué-sur-Logne, dans la région Pays de la Loire, où M. Haury et moi-même sommes élus.

J’aimerais également vous interroger sur l’introduction du mot « écocide » dans la loi française. Une telle avancée juridique vous semble-t-elle souhaitable ? D’autres dispositions destinées à imposer des priorités climatiques pourraient être envisagées au préalable. De nombreux acteurs, notamment les collectivités territoriales et les associations, voire les membres de la communauté scientifique, souhaitent que la communication à ce sujet soit plus fluide et plus transparente, en amont de la mise en œuvre d’actions concrètes.

J’illustrerai mon propos par un cas d’école. Hier, plusieurs associations ont déposé, auprès du tribunal judiciaire de Paris, une plainte pour fraude à l’étiquetage, mise en danger de la vie d’autrui et atteinte à l’environnement. Elle porte sur l’usage de certains pesticides, dont il est avéré qu’ils sont dangereux pour la santé. En quoi l’existence d’un délit d’écocide pourrait-elle être utile en pareil cas ? L’entreprise Yara France, dont les représentants doivent être entendus dans le cadre de cette procédure, est constamment rappelée à l’ordre et doit souvent régler des amendes, en application du principe du pollueur-payeur. L’existence d’un délit d’écocide pourrait-elle jouer un rôle juridique dans la condamnation de telles pratiques dangereuses ?

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Pour ma part, j’ai une question sur l’utilisation des substances perfluorées et polyfluorées (PFAS). Ces molécules chimiques entrent dans la composition d’une multitude de produits d’usage quotidien, tels que les revêtements d’ustensiles de cuisine – les fameuses poêles téflon –, les cosmétiques et les émulseurs anti-incendie. Elles ont la regrettable caractéristique d’être éternelles, car les liaisons entre les atomes qui les composent font partie des plus fortes que nous connaissons en chimie organique ; elles sont quasiment indestructibles.

Les risques que les PFAS font peser sur la santé humaine et animale sont à présent bien documentés. Or la France est très en retard en matière de prévention. Dès 2017, l’Anses a proposé de déterminer des valeurs sanitaires maximales pour certaines molécules. Au mois de janvier 2020, l’Agence a publié un rapport proposant de diviser par 100, voire par 200, la valeur limite de PFAS autorisée. L’Italie et l’Allemagne ont d’ores et déjà pris des mesures pour limiter l’utilisation de ces composés. En France, rien n’a été fait pour contenir la contamination généralisée de la population et de l’environnement. J’aimerais savoir si les pouvoirs publics prévoient de tenir compte des alertes lancées par ces agences publiques sur les dangers des PFAS, et de fixer une valeur réglementaire maximale.

Mme Barbara Pompili, ministre. En tant qu’ancienne parlementaire, je veille attentivement à répondre aux questions posées par les parlementaires. Si vous souhaitez obtenir des précisions afin de compléter les réponses que je m’apprête à formuler, n’hésitez pas à me le faire savoir.

S’agissant de l’information et de la formation des populations, de façon générale, le contexte dans lequel nous vivons suscite bien des angoisses : à celles qu’engendrent la crise du covid-19 et ses conséquences sur notre avenir économique et social, s’ajoutent celles relatives à la protection de l’environnement, au climat et à la santé environnementale. Dans cette période, le besoin de réponses est prégnant. Qu’elles puissent manquer entretient un sentiment de défiance, qui me semble très dangereux, notamment pour la démocratie. La transparence et la pédagogie s’imposent.

Les projets doivent donner lieu à un important travail sur les risques, notamment lors des enquêtes publiques et des concertations, le plus en amont possible, afin d’y associer les citoyens concernés. Les services de l’État et les opérateurs privés doivent être parties prenantes dans cette démarche. Il faut, me semble-t-il, avoir le courage de dire la vérité aux gens : la préservation des paysages est un sujet très important – élue de la Somme, je vois très bien de quoi il retourne – mais il ne faut toutefois pas tomber dans l’extrême. Nous vivons un moment de transition écologique, une nouvelle révolution économique et industrielle. Une transformation aussi radicale ne peut pas ne pas être visible dans les territoires. La question est de doser les transformations et de les rendre acceptables. Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, d’où je suis originaire, a été classé par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité au motif qu’il porte la trace du monde de la mine – le paysage a bien été transformé. Il ne s’agit certes pas de faire n’importe quoi n’importe comment, mais il est absurde de faire croire aux gens que le paysage ne changera pas, à moins d’accepter de mourir économiquement et socialement. Tout paysage est voué à évoluer.

Dès lors, il faut que les gens soient associés au mieux à l’évolution des paysages, qu’ils y participent et aient l’impression d’avoir leur mot à dire. À cet effet, outre les enquêtes publiques et des concertations, il me semble nécessaire d’aller vers une forme de planification – je ne crains pas d’employer ce mot. La planification consiste, non seulement à fixer des objectifs et à se donner les moyens de les atteindre, mais aussi à détailler la façon dont on compte procéder.

Prenons l’exemple des éoliennes, moins complexe que celui des méthaniseurs. Certains territoires sont saturés et d’autres non. Si nous voulons réussir la transition énergétique, nous devons définir des objectifs en termes de capacité installée, c’est-à-dire, en schématisant, de nombre d’éoliennes construites. Dès lors qu’un nombre d’éoliennes par région a été défini, il faut que les acteurs concernés se rassemblent autour d’une table et délimitent les zones où elles peuvent être implantées, en tenant compte des contraintes liées notamment au trafic aérien ou aux implantations militaires.

Un tel travail de concertation en amont facilite l’implantation des éoliennes, et d’autant plus si l’on y associe les populations par le biais du financement participatif, car les gens se les approprient. Cela permet de calmer le jeu, en faisant en sorte que chacun se projette, sache où il y aura des éoliennes et où il n’y en aura pas, et se libère de l’angoisse, au demeurant compréhensible, de voir sortir de terre des installations sans rien savoir à leur sujet. Ce travail d’anticipation est le travail de base de la transition écologique.

Sur la question de la méthanisation, nous disposons de premiers retours d’expérience. Sur certains points, nous devons être prudents, voire rectifier le tir. Le processus de méthanisation, s’il est correctement contrôlé au regard du maintien de la température et de la durée de traitement des déchets, permet d’éliminer les agents pathogènes et de garantir l’innocuité des digestats du point de vue biologique. Les services du ministère de l’agriculture travaillent à la consolidation d’un décret visant à définir les normes d’épandage des fertilisants, notamment des engrais organiques. Il permettra aussi de définir des seuils maximaux de contaminants, notamment le plastique et les métaux lourds. Par ailleurs, les retours d’expérience démontrent que les méthaniseurs présentent des risques accidentels moins bien maîtrisés que d’autres installations classées pour la protection de l’environnement. Nous devons donc renforcer les prescriptions applicables à ces installations, s’agissant notamment des risques de fuite de méthane, de l’étanchéité des stockages de digestats et de la gestion des risques d’explosion. Sur ces sujets, on avance en marchant.

Nous avons pris connaissance avec intérêt des études concernant les véhicules hybrides. Il en ressort que, pour que les véhicules hybrides soient véritablement efficaces du point de vue énergétique et écologique, leur batterie doit être chargée. Il faut donc commencer par faire en sorte que les propriétaires de ces véhicules puissent charger leur batterie, donc par installer des points de chargement. C’est là le principal enjeu du déploiement des véhicules électriques. S’ils ne constituent pas l’unique solution pour accélérer la transition énergétique des mobilités, les transports en commun y prenant une bonne part, les véhicules individuels sont pour l’heure indispensables. Les moins polluants sont ceux qui fonctionnent grâce à l’énergie électrique ; il faut donc installer des points de charge. Notre premier combat est d’en accélérer le déploiement, en veillant à leur bonne répartition sur le territoire national, ainsi qu’à l’installation, par endroits, de points de charge rapide, qui sont un vecteur d’efficacité de notre politique en la matière. D’autres études paraîtront, et nous serons vigilants. Si des problèmes se posent, nous essaierons d’y répondre. Pour l’heure, il s’agit d’améliorer l’efficacité de ces véhicules, notamment en facilitant le chargement de leurs batteries.

S’agissant du malus au poids, il relève du signal. Son montant, chacun l’a constaté, est symbolique. Il n’empêchera pas les personnes fortunées d’acheter un énorme véhicule à 50 000 euros si elles le souhaitent. En revanche, il constitue un signal politique dont il importe de garantir la cohérence. Même si les véhicules électriques et les véhicules hybrides rechargeables sont tendanciellement plus lourds que les véhicules thermiques, nous avons décidé de ne pas leur appliquer le malus au poids, car nous ne voulons pas envoyer des injonctions contradictoires. Nous incitons les gens à s’orienter vers ce mode de motorisation, par le biais d’un bonus ; leur appliquer un malus rendrait notre politique incompréhensible. Il s’agit, de notre part, d’un choix politique, un choix qui peut se discuter. Alertés par les études précitées, nous demeurons vigilants au sujet des véhicules hybrides, mais, pour l’heure, nous nous en tenons à cette politique, car il n’est pas souhaitable de modifier fréquemment le message émis.

Je n’ai toujours pas d’opinion arrêtée au sujet du projet d’implantation d’un méthaniseur à Corcoué-sur-Logne. Ce qui est très clair, c’est que je n’ai jamais affirmé soutenir ce projet en l’état. De façon générale, je ne soutiens pas un projet avant de l’avoir étudié sérieusement. Celui-ci me semble faire débat pour de nombreuses raisons qui me semblent tout à fait valables. Je l’étudierai donc de très près avant de me prononcer à son sujet.

Sur l’écocide, le mot lui-même fait l’objet d’un débat sans fin. De nombreuses définitions, diverses et variées, coexistent, de sorte que ce débat continuera. Au demeurant, le mieux serait que toutes les parties prenantes élaborent conjointement une définition reconnue à l’échelle internationale, que nous appelons de nos vœux. En attendant, nous introduisons dès à présent dans notre droit interne des dispositions visant à durcir de façon significative le droit de l’environnement, que certains prennent un peu trop à la légère.

Ainsi, le projet de loi inspiré par les propositions de la Convention citoyenne pour le climat définira un délit général de pollution. En fonction de son caractère intentionnel et de sa gravité, les peines pourront atteindre 4,5 millions d’euros d’amende et dix ans d’emprisonnement. Outre ces peines lourdes, des réparations seront prévues, ainsi que des amendes dont le montant pourra atteindre dix fois celui de l’économie escomptée par le pollueur, par exemple en ne portant pas ses déchets à la benne en raison du coût que cela représente.

Nous créons également un délit de mise en danger de l’environnement. Certains pollueurs s’affranchissent des règles, car ils estiment que leur activité, dans neuf cas sur dix, ne provoquera aucun dégât environnemental. Ils espèrent passer à travers les gouttes. Désormais, quiconque mettra en danger l’environnement s’exposera à de lourdes sanctions. Je suis consciente qu’il faudra un peu de temps pour que chacun s’approprie ce nouveau délit. Je tiens à répondre dès à présent aux inquiétudes, légitimes au demeurant, qui ont été exprimées, selon lesquelles tout un chacun pourrait facilement être considéré comme l’auteur d’un délit d’écocide. Nul ne commettra un délit d’écocide s’il respecte les règles en la matière. Si celles-ci s’avèrent inadaptées, il incombera au législateur et au Gouvernement de les adapter. Quiconque respecte la réglementation et la législation n’encourt aucun risque d’être considéré comme l’auteur d’un délit d’écocide : celui-ci suppose de ne pas respecter les règles, rien n’est plus simple.

S’agissant des PFAS, qui sont des substances chimiques toxiques et persistantes dans l’environnement, des projets de restriction d’usage sont en cours d’élaboration. Dans l’application du règlement européen REACH, nous défendons avec force leur extension maximale. Pour le reste, Élisabeth Toutut-Picard me pose une colle, comme d’habitude…

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Tel n’était pas l’objectif, madame la ministre !

Mme Barbara Pompili, ministre. Je me pencherai sur la question des seuils d’exposition aux PFAS et vous répondrai par écrit, madame la présidente.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Madame la ministre, merci infiniment de vos explications très détaillées. Chacun, je crois, a obtenu la réponse à ses questions. Nous vous remercions pour votre disponibilité, votre expertise technique et l’amabilité avec laquelle vous nous avez répondu. Nous vous remercions également de votre engagement pour des causes qui nous tiennent vraiment très à cœur.

Cette ultime audition conclut en beauté les travaux de notre commission d’enquête.

Mme Barbara Pompili, ministre. Pour ma part, je vous remercie de votre travail. Je me tiens à votre disposition pour poursuivre le dialogue. Il vous appartient à présent de travailler à la rédaction de votre rapport. J’attends beaucoup des conclusions de la commission d’enquête.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Avant de clore la réunion, j’informe nos collègues qu’ils peuvent déposer auprès de notre secrétariat des contributions, individuellement ou au nom de leurs groupes respectifs. Elles seront annexées au rapport que Mme la rapporteure et moi-même présenterons au nom de la commission d’enquête. Je remercie chacun d’entre vous d’avoir participé aux soixante-cinq auditions que nous avons menées dans ce cadre.

L’audition s’achève à dix-huit heures vingt.

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([1]) La composition de cette commission d’enquête figure au verso de la présente page.